Mères lesbiennes, pères gays. Confrontation avec le modèle "bioconjugal" traditionnel

25
107 3. Mères lesbiennes, pères gays. Confrontation avec le modèle « bioconjugal » traditionnel Martine Gross 3.1. Introduction Les familles homoparentales (c’est-à-dire des situations où des enfants sont élevés par des parents qui assument leur homosexualité) interrogent les définitions issues du modèle « traditionnel » de la famille dans le monde occidental, de ce que sont un parent, une mère, un père, une famille, la parenté, etc. Dans ce modèle traditionnel, les liens biologiques, les liens juridiques et les liens affectifs coïncident, c’est-à-dire s’incarnent en principe dans les mêmes personnes. Ceux qui possèdent le statut légal de parents sont ceux dont la sexualité procréatrice ou pouvant passer pour telle, a donné naissance aux enfants qu’ils élèvent. C’est un modèle bioconjugal (Gratton, 2008) caractérisé par la conjugalité hétérosexuelle et la reproduction biologique. De ce fait, c’est un modèle exclusif dans lequel chacun ne peut avoir qu’un seul père, une seule mère, pas un de plus. Nous nous proposons dans ce chapitre d’explorer quelques caractéristiques essentielles du modèle bioconjugal et leurs remises en cause par les mutations contemporaines des configurations familiales et plus particulièrement les configurations homoparentales. En effet, au sein de celles-ci, les liens biologiques, juridiques et sociaux sont dénoués. Coexistent en leur sein sans se confondre, un lien affectif, social à l’enfant dont l’importance est revendiquée et un lien biologique dont le poids n’est nullement nié. Nous verrons comment les familles homoparentales sont elles- mêmes travaillées de l’intérieur par les représentations sociales et les définitions, issues de ce modèle, de ce qui fait un père, une mère, une famille, etc.

Transcript of Mères lesbiennes, pères gays. Confrontation avec le modèle "bioconjugal" traditionnel

107

3. Mères lesbiennes, pères gays. Confrontation avec le modèle « bioconjugal » traditionnel Martine Gross

3.1. Introduction Les familles homoparentales (c’est-à-dire des situations où des

enfants sont élevés par des parents qui assument leur homosexualité) interrogent les définitions issues du modèle « traditionnel » de la famille dans le monde occidental, de ce que sont un parent, une mère, un père, une famille, la parenté, etc. Dans ce modèle traditionnel, les liens biologiques, les liens juridiques et les liens affectifs coïncident, c’est-à-dire s’incarnent en principe dans les mêmes personnes. Ceux qui possèdent le statut légal de parents sont ceux dont la sexualité procréatrice ou pouvant passer pour telle, a donné naissance aux enfants qu’ils élèvent. C’est un modèle bioconjugal (Gratton, 2008) caractérisé par la conjugalité hétérosexuelle et la reproduction biologique. De ce fait, c’est un modèle exclusif dans lequel chacun ne peut avoir qu’un seul père, une seule mère, pas un de plus.

Nous nous proposons dans ce chapitre d’explorer quelques caractéristiques essentielles du modèle bioconjugal et leurs remises en cause par les mutations contemporaines des configurations familiales et plus particulièrement les configurations homoparentales. En effet, au sein de celles-ci, les liens biologiques, juridiques et sociaux sont dénoués. Coexistent en leur sein sans se confondre, un lien affectif, social à l’enfant dont l’importance est revendiquée et un lien biologique dont le poids n’est nullement nié. Nous verrons comment les familles homoparentales sont elles-mêmes travaillées de l’intérieur par les représentations sociales et les définitions, issues de ce modèle, de ce qui fait un père, une mère, une famille, etc.

108

3.2. Le modèle traditionnel bioconjugal Trois caractéristiques essentielles décrivent le modèle

bioconjugal (Gratton, 2008): 1) la vraisemblance d’une sexualité procréatrice, c’est-à-dire hétérosexualité et reproduction biologique. Cette caractéristique interdit à deux personnes de même sexe ou à plus de deux personnes d’être les parents d’un même enfant. 2) la filiation, dont on pourrait s’attendre qu’elle établisse des liens juridiques par une parole instituante, mais qui renvoie les femmes à l’engendrement et à la procréation : est mère la femme qui accouche, est père celui qui a engagé sa paternité par une parole donnée (mariage ou reconnaissance). La maternité est naturelle tandis que la paternité est volontaire. 3) L’assignation genrée des rôles parentaux qui attribue les soins et la relation au tout-petit à la mère, tandis que le lien avec la société, l’autorité et la représentation de la loi reviennent au père.

3.2.1. Une sexualité procréatrice Le terme filiation dans le lexique juridique n’est pas réservé à

l’aspect institué du lien parent-enfant. Il est utilisé indistinctement, tant dans le droit de la famille que dans le langage courant, pour désigner les liens du sang ou les liens institués.

La filiation est conçue dans le droit français sur le modèle de la reproduction qui assimile parents et géniteurs. Dans cette représentation biocentrée de la parenté décrite par Schneider (1968), sexualité et procréation se confondent. Par conséquent, un enfant ne peut pas avoir deux parents de même sexe et ne peut avoir en principe plus de deux parents27 du point de vue de la filiation. Le propre du modèle de parenté occidental réside dans cette coïncidence entre la norme et le biologique (Déchaux, 2007).

Ce modèle se dessine encore mieux par les impossibilités qu’il engendre : comme deux femmes ou deux hommes ne peuvent procréer ensemble, la filiation ne peut être établie entre deux personnes de même sexe et les enfants qu’ils ou elles élèvent. Si

27 Sauf dans l’adoption simple qui prévoit l’addition de parents adoptifs aux parents de naissance.

109

l’arrêt de la Cour de cassation du 27 février 2006 permet d’envisager la délégation d’une partie de l’autorité parentale dans le cadre d’un couple de même sexe28 et si l’avant projet de loi sur le statut des tiers29 présenté à l’été 2008 propose de faciliter ce partage de l’autorité parentale, en revanche, les arrêts de la même Cour du 24 février 2007 viennent interdire l’établissement d’un lien de filiation (via l’adoption simple) entre un enfant et la compagne ou le compagnon non marié-e avec le parent légal. Le droit veut bien accorder quelque chose de l’ordre de la parentalité, mais rien qui soit de l’ordre de la parenté. La parentalité relève de l’éducation au quotidien et des soins aux enfants (Cadoret, 2006). C’est un temps limité à l’enfance tandis que la parenté est ce qui inscrit, avec la filiation, l’enfant dans la chaîne des générations. En permettant qu’un couple de personnes de même sexe partage l’autorité parentale, le droit reconnaît d’une certaine manière la parentalité de ce couple. Mais en interdisant l’établissement des liens de filiation entre l’enfant et ce même couple, il préserve une certaine représentation de la parenté.

En 2007, en France, plus d’un enfant sur deux naît de parents non mariés (Pison, 2008). En 1970 ils n’étaient que 6% dans ce cas. Le mariage, en définissant les bornes d’une sexualité légitime, était l’institution qui permettait d’établir la filiation. Entre 1804 et 1912, la recherche en paternité des enfants nés hors mariage était interdite. Une sexualité légitime dans le cadre du mariage définissait une catégorie légitime d’enfants (Boltanski, 2004). Comme en Italie, on distinguait ainsi des catégories d’enfants selon qu’ils étaient nés dans le mariage (enfants légitimes), hors mariage (enfants naturels) ou de personnes mariées par ailleurs (enfants adultérins). Aujourd’hui la fréquence des divorces, depuis la possibilité du divorce par consentement mutuel (1975), la multiplication des recompositions familiales, le nombre croissant d’unions libres et d’enfants nés hors mariage ont conduit le législateur à supprimer les différences entre les enfants. Les

28 Cet arrêt confirme que la Loi du 4 mars 2002 autorisant la délégation avec partage de l’autorité parentale avec un tiers s’applique aux couples de même sexe. 29 Lors de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy s’était engagé à faciliter la vie quotidienne des familles dans lesquelles des tiers prennent soin des enfants, notamment en permettant le partage de l’autorité parentale avec les tiers, tels que les beaux-parents dans les familles recomposées.

110

catégories d’enfant légitime, naturel ou adultérin ont disparu du Code civil depuis l’ordonnance de juillet 2005. Le mariage a perdu de sa sacralité − on ne se marie plus pour la vie − et a laissé le biologique comme seule certitude, seule garantie de la filiation (Cadoret, 2005).

Malgré cette évolution, la norme des deux parents, « un père, une mère, pas un de plus », issue de la norme conjugale, reste très forte. Le biocentrisme à l’œuvre dans le droit de la filiation est également à l’œuvre dans les pratiques et représentations sociales. A l’égard de sa famille, le sentiment d’appartenance s’ancre majoritairement autour de sa propre lignée biologique. Les beaux-parents dans les familles recomposées apparaissent en retrait, hors de toute concurrence au regard des liens du sang, chacun favorisant sa famille d’origine au plan pratique comme au plan symbolique. (Le Pape, Véron et Jonas, 2008)

3.2.2. Les femmes du côté de la nature, les hommes du côté de la volonté

Une autre norme imposée par notre droit de la famille est

l’assignation de la maternité à un fait de nature, et l’assignation de la paternité à un fait institué. La mère est la femme qui accouche, l’homme géniteur devient père par une parole instituante, l’énoncé de sa volonté. Le lien de filiation paternelle s’établit toujours par un acte volontaire, par le mariage, auquel cas la présomption de paternité fait fonction d’engagement de prendre pour enfants ceux qui naîtront dans le cadre des noces, ou par une reconnaissance. Le lien biologique n’est pas indispensable : un père qui reconnaît l’enfant d’un autre ne risque pas de sanction pénale et se voit même parfois complimenté pour sa générosité. Tandis que pour établir la filiation maternelle, l’accouchement est nécessaire et suffisant. Une femme qui prétend être la mère d’un enfant qu’elle n’a pas porté sera poursuivie pour substitution d’enfant. Une femme est automatiquement mère à moins d’accoucher sous X30 . 30 L’accouchement dit « sous X » désigne en droit français la possibilité pour une femme d’accoucher sans donner son identité. La filiation n’est alors pas établie entre l’enfant et la femme qui a accouché. L’enfant est confié à l’adoption. La femme peut toutefois laisser son identité ou d’autres éléments dans une enveloppe

111

Jusqu’à il y a peu, elle pouvait déclarer la naissance, puis décider ou non d’établir la filiation. Depuis l’ordonnance de juillet 2005, la désignation de la mère dans l’acte de naissance suffit pour établir la filiation maternelle. Une femme qui a accouché ne peut pas renoncer à établir la filiation, à moins d’accoucher sous X ce qui a pour conséquence d’effacer l’accouchement lui-même (Ensellem, 2004). Ainsi la mère est faite mère parce qu’elle a accouché, tandis qu’un père est fait père parce qu’il en décide ainsi31. La maternité biologique s’inscrit dans une évidence corporelle, tandis que la paternité qu’elle soit biologique ou non est toujours d’adoption, elle s’inscrit dans la volonté déclarée et nécessite de savoir qui est la femme qui a donné la vie.

La définition exclusive de la maternité par l’accouchement contribue à « naturaliser » la distribution des rôles dans la parentalité en fonction des sexes (Iacub, 2002). Il y a dans la sphère de la parenté comme une hiérarchie inversée des rapports de domination: en contrepartie de la responsabilité des conséquences procréatives de leur sexualité qui leur incombe quasi-exclusivement, les femmes ont le droit et le pouvoir de ne pas devenir mères lorsqu’elles tombent enceintes, par une interruption volontaire de grossesse ou en accouchant sous X, de priver les pères de contact avec les enfants. Les pères de leur côté sont piégés par le pouvoir qu’ils exercent dans les autres sphères que la filiation (Ensellem, 2008). Les « privilèges » maternels juridiques assignent les femmes qui ont accouché à être des mères avec toutes les attentes sociales que cela comporte et placent les hommes en position d’individus irresponsables quand ils ne reconnaissent pas les enfants issus de leurs œuvres ou en position de victimes quand ils ne peuvent accéder à leurs enfants aussi souvent qu’ils le voudraient ou quand ils n’ont pas leur mot à dire lorsqu’une femme veut interrompre une grossesse. Ce qui est présenté par certains mouvements comme des privilèges maternels insupportables sont

scellée dont le contenu pourra être communiqué à l’enfant à sa majorité. Une femme qui a accouché sous X est réputée ne pas avoir accouché, seul moyen que le législateur a trouvé pour contourner le principe selon lequel la mère est celle qui a accouché. 31 La mère ou l’enfant peut entreprendre une action en recherche de paternité en cas d’absence de filiation paternelle. Si celle-ci est établie et en présence d’une possession d’état de plus de 5 ans, la contestation de la paternité est impossible.

112

en réalité inhérents à un système de distribution des rôles largement inégalitaires en défaveur des femmes.

3.2.3. Assignation des rôles parentaux en fonction du genre Par ailleurs, à ces deux normes issues du droit de la famille

s’ajoutent d’autres normes moins dessinées par le droit que par le discours social. Il s’agit des rôles sociaux de genre attribués aux hommes et aux femmes, dont on connaît les effets concrets, tant au niveau des fonctions paternelles et maternelles qu’au niveau de la répartition des tâches domestiques et éducatives au sein du foyer (Brousse, 2000). Le temps consacré aux activités domestiques et parentales est inégalement réparti entre homme et femme. Les enquêtes sur les valeurs des Français le démontrent, la parité au sein du foyer existe sans doute dans les esprits mais pas dans les pratiques familiales (Bréchon, 2000 ; Algava, 2002 ; de Singly, 2007). S’occuper des enfants est une activité féminine davantage encore que le travail domestique : les hommes passent deux fois moins de temps que les femmes à s’occuper des tâches domestiques et trois fois moins à s’occuper exclusivement de leurs enfants (Bauer, 2006 ; Déchaux, 2007). Cette répartition inégalitaire des tâches ne fait que traduire une représentation sociale de la maternité dévouée aux soins du tout petit et de la paternité comme fonction symbolique exercée par un père « tiers séparateur », assumant de représenter la loi et l’autorité pour socialiser l’enfant. Ces représentations des rôles sociaux dévolus aux pères et aux mères sont véhiculées notamment par la parole des psychologues dans les médias. Selon cette parole maintes fois répétée, la mère est nourricière, le père est éducateur. Elle incarne la tendresse, la douceur et les soins, il incarne l’autorité et le social.

Dans le modèle traditionnel, les représentations des relations parentales sont sexuées. Les soins aux enfants redoublent la féminité des mères tandis qu’ils sont neutres, ou dévirilisant pour les pères. Ce modèle est matricentré malgré l’idéal égalitaire moderne. Les enfants qui vivent dans une famille monoparentale résident, en effet, presque toujours avec leur mère (84% des cas). Les enfants qui vivent dans une famille recomposée résident dans 63% des cas avec leur mère (Villeneuve-Gokalp, 1999).

113

3.3. L’ébranlement du modèle traditionnel Les familles homoparentales transgressent les normes du

modèle traditionnel bioconjugal mais les trois caractéristiques de ce modèle sont mises en question de bien d’autres manières : le modèle familial traditionnel qui confondait filiation et engendrement dans le cadre du mariage, n’est plus majoritaire. La maternité rabattue sur la nature et la paternité toute volonté sont interrogées par les progrès scientifiques. Les « nouveaux » pères (Castelain-Meunier, 2002 ; Zajczyk et Ruspini, 2008) et l’idéal conjugal de plus en plus égalitaire (Ferrand, 2001 ; Kaufmann, 2002) transforment la répartition genrée des tâches domestiques et éducatives .

3.3.1. Filiation et engendrement Notre système de filiation, parce qu’il coïncide avec les lois de

la génétique, nous incite à penser qu’il est biologiquement fondé (Cadoret, 2007), alors qu’il relève comme tous les systèmes de filiation d’un choix culturel. Les avancées scientifiques du siècle dernier en matière de contraception et de procréation médicalement assistée ont permis de disjoindre la sexualité de la procréation. D’abord pour pouvoir vivre sa sexualité sans craindre de procréer, ensuite pour pouvoir procréer lorsque la sexualité seule ne le permet pas. Cette disjonction de la sexualité et de la procréation a conduit à délier d’une part la conjugalité, la procréation et la parentalité incarnées autrefois dans la figure des époux et d’autre part les trois volets de la filiation qui se confondaient dans l’institution du mariage, à savoir le biologique, le juridique et le social. Autrement dit les liens biologiques (être né de), les liens juridiques (être fils de) et les liens socioaffectifs (être élevé par) s’incarnaient dans les deux mêmes personnes. Aujourd’hui, alors que 45% des mariages finissent par un divorce32 et une recomposition familiale, alors que 50,5%33 des enfants naissent

32 Insee chiffres clé Femmes et Hommes - Regards sur la parité - Édition 2004. 33 En 2006, 50,5% des enfants sont nés de parents non mariés (Anne Pla, Bilan démographique 2007, Insee).

114

hors mariage, ces trois volets de la filiation se sont déliés. Parentalité et conjugalité ne coïncident pas toujours (Gross, 2006 a). Ceux qui exercent des fonctions parentales ne sont pas nécessairement en couple : ils peuvent être divorcés, séparés ou tout simplement n’avoir jamais vécu en couple (la coparentalité en contexte homoparental). Avec l’Assistance médicale à la procréation (Amp) et l’adoption internationale, les parents au sens légal du terme ne sont pas nécessairement ceux qui ont donné la vie. Il devient de plus en plus difficile de soutenir que parent et géniteur sont synonymes et que filiation rime toujours avec engendrement.

Une paternité et la filiation qui l’accompagne peuvent être contestées au nom de la vérité biologique. La « véritable » paternité semble aujourd’hui résulter du lien biologique.

3.3.2. Des nouveaux pères mais des mères traditionnelles Le modèle selon lequel les mères ont en charge les soins et la

tendresse apportés aux enfants, et les pères l’autorité, de la transmission et de la séparation, vacille. Comme le souligne Serge Héfez (2007), les Pères avec P majuscule sont en train de devenir de plus en plus des pères avec un p minuscule. Ils souhaitent vivre leur paternité dans la construction d’une relation avec leur enfant (Castelain-Meunier, 2005). Ils changent les couches, rassurent les plus petits la nuit, organisent des goûters, etc. Dans leur relation à l’enfant, ils s’approprient donc des comportements originellement réservés aux femmes.

Après la séparation du couple, ces « nouveaux » pères peuvent se trouver en conflit avec des mères qui elles, sont restées assez traditionnelles. Les pères et les mères se plaçant autant l’un que l’autre sur le terrain du relationnel avec l’enfant, des conflits peuvent se produire autour de l’organisation de la résidence alternée ou de la coparentalité qu’elle soit post séparation ou qu’elle soit homoparentale sans qu’il y ait eu de vie conjugale entre les parents (Gross, 2006 b).

Depuis les émissions de Françoise Dolto, les psychologues ne cessent de déplorer l’évanouissement du père (Mehl, 2003) sommé de se « repaternaliser ». Le « déclin des pères », la dégradation de

115

leur virilité associés à la maternisation de la société, seraient responsables de tous nos maux . Autrement dit, la présence d’un père auprès de ses enfants serait dévirilisante pour lui. « Les pères sont-ils trop mères ? » interrogeait un magazine de psychologie34. Cependant, pour quelques psychanalystes (Tort, 2005 ; Héfez, 2007 ; Delaisi, 2000), les pères comme les mères sont capables de développer les fonctions parentales de fusion et de séparation. Par ailleurs l’accès des femmes au marché du travail, stimule un idéal conjugal égalitaire. On assiste lentement mais sûrement au déclin du modèle genré où l’homme est le pourvoyeur de revenu et les femmes soignent les enfants.

3.4. Les familles homoparentales entre norme et subversion Les réalités recouvertes par l’expression « familles

homoparentales » se sont multipliées avec l’évolution du regard social porté sur l’homosexualité, en même temps que se sont multipliées les configurations familiales. Comme nous l’avons souligné, les familles homoparentales mettent à mal le modèle bioconjugal qui impose la réunion de la sexualité, de la conjugalité, de la procréation et de la parentalité.

Pour certains juristes et psychanalystes, tels Pierre Legendre (2001) et ceux qui s’en réclament, l’homoparentalité mettrait en péril l’ordre symbolique35 et serait subversive (Nadaud, 2006). Il semble pourtant que les homoparents ne mettent pas en place un fonctionnement familial très différent des familles les plus traditionnelles (Mailfert, 2003 ; de Singly et Descoutures, 2005).

Les familles homoparentales sont à la fois des familles hors norme et des familles conformes. Elles se conforment à certaines normes et représentations sociales et elles en transgressent certaines autres.

34 http://www.psychologies.com/article.cfm/article/1816/Les-nouveaux-peres-sont-ils-trop-meres.htm 35 Sur cette question, Gross et al. (2005).

116

3.4.1. Méthodologie Plusieurs enquêtes par questionnaire, menées entre 1998 et

2005 auprès des adhérents de l’Association des Parents Gays et Lesbiens (Apgl) ont permis d’explorer ce qu’il en est de la reproduction sociale et de la transmission des valeurs ou de la répartition des tâches domestiques et éducatives dans les familles homoparentales. En 1998, 70 personnes sur les 300 adhérents avaient rempli le questionnaire. En 2001, 285 personnes sur un millier d’adhérents, en 2005, 336 personnes sur environ 1.500 adhérents, avaient rempli le questionnaire. Les questionnaires et les résultats sont accessibles sur le site de l’Apgl36. De nombreuses questions étaient ouvertes et permettaient aux enquêtés de répondre librement, notamment sur les motivations qui ont guidé le choix d’une modalité de constitution de leur famille plutôt qu’une autre. En outre, une observation participante a pu être menée pendant plusieurs années (1997 à 2003) au sein de groupes de paroles ou de « soirées conviviales » organisés par l’association.

3.4.2. Reproduction sociale et transmission des valeurs Certains items de l’enquête menée en 2001-200237 auprès des

adhérents de l’Apgl étaient rédigés de manière exactement identique à ceux de l’enquête sur les valeurs des Français (Bréchon, 2000) permettant ainsi une comparaison entre les adhérents de l’Apgl et les Français en général. Ainsi en était-il des items portant sur les qualités à encourager chez les enfants38 ou l’importance de certaines valeurs telles que le travail, la famille,

36 Enquêtes Apgl (Aperçu sur les familles homoparentales) 1998, 2001 et 2005 : http://www.apgl.asso.fr/documents/enqueteAPGL2001.pdf http://www.apgl.asso.fr/etudes.htm 37 Aperçu sur les familles homoparentales. Enquête 2001 auprès des adhérents, http://www.france.qrd.org/assocs/apgl/documents/enqueteAPGL2001.pdf 38 Les participants devaient noter de 0 à 10 les valeurs qu’ils souhaitaient encourager chez leurs enfants : bonnes manières, autonomie, l’application au travail, le sens des responsabilités, la créativité, l’esprit d’autonomie, la tolérance et le respect des autres, la détermination et la persévérance, la foi religieuse, la générosité, le respect de l’autorité, le civisme, le sens de la famille, l’esprit critique.

117

amis et relations, loisirs, politique, religion. Les résultats indiquent que le désir de transmettre des valeurs est présent au sein de ces familles, de la même manière que dans la population. Compte tenu des couches sociales concernées (quartile supérieur en termes de capital scolaire et économique), les Français comme les adhérents de l’Apgl classent tolérance et respect des autres en tête des qualités à encourager chez leurs enfants. Les Français privilégient ensuite le sens des responsabilités, puis les bonnes manières alors que les parents et futurs parents homosexuels privilégient l’autonomie et le sens des responsabilités. Les parents gays et lesbiens classent la valeur d’autonomie, qui permet de résister à la stigmatisation ou d’assumer une situation d’écart à la norme, avant celle des bonnes manières qui permet l’intégration sur un mode conformiste.

Selon Bréchon (2000), 88% des Français estiment que la famille est une part très importante de la vie, viennent ensuite le travail (68%), les amis (50%) les loisirs (37%), la religion (11%) et enfin la politique (8%). Les participants à l’enquête Apgl placent en premier la valeur « amis », puis la valeur « famille », ensuite la valeur « loisirs ». Le « travail » ne vient qu’en quatrième position, suivi de très loin par la « politique » et la « religion ». L’importance accordée à la valeur « amis » indique probablement que davantage de soutien est attendu du réseau d’amis et de relations, voire du milieu associatif que de la famille qui ne les a peut-être pas soutenus.

Par ailleurs, l’étude sur la transmission des valeurs et des identités religieuses dans les familles homoparentales (Gross, 2005) montre que, malgré la condamnation de l’homosexualité maintes fois exprimée par les institutions religieuses, les parents gays et lesbiens qui avaient reçu une éducation religieuse tenaient à transmettre ce qu’ils avaient reçu.

Ces quelques résultats confirment la remarque de Virginie Descoutures39 : « la ligne de partage n’est pas tant entre hétéronormativité légitime et homosexualité subversive mais entre ceux qui choisissent des modes de vie conformes (c’est-à-dire ayant pour but la reproduction de la famille et donc de l’ordre

39 Virginie Descoutures, Le travail d’institution de la famille homoparentale, in M. Gross (dir.) (2005), Homoparentalités. État des lieux, Erès, p. 353.

118

social existant) et ceux qui décident, par exemple, de ne pas vivre en couple. »

3.4.3. Répartition des tâches Dans une famille homoparentale, la différence des sexes

n’intervient pas pour déterminer celui ou celle qui pourvoit aux revenus et celui ou celle qui s’occupera des enfants ou/et des tâches ménagères. Des études montrent (Chan et al. 1998, Patterson 2000, Johnson et O’Connor 2002) que la répartition des tâches domestiques et éducatives est beaucoup plus égalitaire dans les familles homoparentales que dans les familles hétéroparentales. Les mères lesbiennes non biologiques sont davantage impliquées dans les soins à l’enfant que ne le sont les pères au sein des couples hétérosexuels (Brewaeys, Golombok, Ponjaert et Van Hall, 1997). De nombreux couples de lesbiennes adoptent une répartition égalitaire des tâches et font en sorte qu’aucune des deux ne dépende économiquement de l’autre (Sullivan, 1996).

Les tâches domestiques et parentales sont réparties de manière très égalitaire entre les deux femmes avec cependant une relative différence pour les soins aux enfants que les mères biologiques semblent prendre davantage en charge (Bos et al., 2004 ; Brewaeys et al., 1995 et 1997 ; Chan et al., 1998 ; Ciano-Boyce et Shelley-Sireci, 2002 ; Johnson et O’Connor, 2002 ; Koepke, Hare et Moran, 1992 ; Patterson, 1995 ; Sullivan, 1996 ; Tasker et Golombok, 1998 ; Vanfraussen, Ponjaert-Kristoffersen et Brewaeys, 2003). Lorsque sont comparées les familles lesbiennes adoptives avec les familles lesbiennes biologiques, la répartition est plus égalitaire chez les familles lesbiennes adoptives que chez les familles lesbiennes où l’enfant est née de l’une des deux (Ciano-Boyce et Shelley-Sireci , 2002). Si les foyers lesbiens ne se conforment généralement pas au modèle du pourvoyeur de revenu/soins aux enfants et adhèrent à un idéal égalitaire, les résultats semblent indiquer que la représentation sociale naturalisante attribuant les soins aux enfants à la mère biologique ne soit pas absente.

Les couples gays se répartissent également de manière équitable les tâches domestiques mais reproduisent davantage que les

119

lesbiennes le modèle où l’un pourvoit aux revenus tandis que l’autre pourvoit aux soins (Dunne, 1999). Une étude récente montre que les couples de lesbiennes sont davantage égalitaires dans la répartition des tâches que les couples gays (Kurdek, 2007). L’une des explications avancées par l’auteure pour expliquer cette différence est que certains hommes vivent l’exécution de ces tâches comme menaçant leur masculinité.

En résumé, l’innovation spécifique des familles homoparentales, traversées par les représentations sociales et les stéréotypes de genre, ne réside vraisemblablement pas dans les comportements et les valeurs transmises.

3.4.4. Transgressions Les familles homoparentales, qu’elles soient biparentales ou

pluriparentales, transgressent et se conforment à des normes différentes. Biparentales, elles sont constituées d’au plus deux parents qui élèvent un ou plusieurs enfants qui peuvent avoir été adoptés dans une démarche individuelle, être nés du recours à une insémination artificielle de donneur connu ou inconnu dans un foyer lesbien, ou du recours à une maternité pour autrui dans un foyer gay. Pluriparentales, ce sont des configurations familiales dans lesquelles plus de deux adultes exercent des fonctions parentales : par exemple les familles recomposées, les familles construites en coparentalité40. Dans la coparentalité homoparentale, un homme et une femme ont conçu un enfant et l’élèvent en résidence alternée avec leurs éventuels compagnon et compagne.

Les parents homosexuels justifient leur choix de fonder une famille biparentale ou bien une famille pluriparentale en coparentalité en fonction de leur représentation de ce qu’est une famille et de ce que commande à leurs yeux, l’intérêt de l’enfant. Ils utilisent souvent les mêmes mots :

40 La coparentalité est une situation familiale où le père et la mère n’ont pas de vie conjugale ensemble. Dans un contexte homoparental de coparentalité, les enfants sont généralement conçus par un père gay et une mère lesbienne et sont élevés au sein de deux foyers, un foyer paternel et un foyer maternel. Il y a deux à quatre personnes qui se conduisent comme des parents et sont parties prenantes du projet parental, c’est pourquoi on parle de situation pluriparentale.

120

Ainsi ceux qui fondent une famille biparentale disent41 : « C’est bien assez compliqué comme cela, nous sommes un couple, nous ne nous voyons pas gérer en plus une relation avec une personne étrangère à notre couple. Restons deux. Notre enfant ne sera ainsi pas partagé entre deux foyers et notre couple ne sera pas fragilisé». Tandis que ceux qui ont choisi la coparentalité disent « C’est bien assez compliqué comme cela, faisons en sorte que cet enfant ait un père et une mère, c’est selon nous essentiel pour son développement ».

Quelle que soit la configuration choisie, ils se soumettent à une norme et en défient une autre.

Une famille biparentale se conforme à la norme conjugale qui décrit la famille comme le prolongement du couple, une norme pour laquelle conjugalité et parentalité coïncident. Mais dans le même temps, cette famille biparentale transgresse la norme biocentrée pour laquelle les parents sont ceux dont la sexualité a été procréatrice.

Une famille pluriparentale construite sur le mode de la coparentalité, avec deux à quatre personnes se conduisant comme des parents, est une configuration qui disjoint dès le départ le conjugal du parental, les parents légaux ne vivent pas en couple. La famille en coparentalité transgresse la norme conjugale mais elle se conforme à la norme biocentrée selon laquelle « les parents sont ceux qui ont donné la vie ». Elle se conforme à cette norme qui fait coïncider filiation et procréation et qui dit qu’un enfant a un père et une mère. Mais il peut y avoir deux pères plutôt qu’un et deux mères plutôt qu’une.

Certaines législations, comme celle dont s’est doté le Québec en 2002 avec la Loi de l’union civile42, permettent de ne plus mimer la reproduction biologique : un enfant peut avoir deux mères. Mais ces évolutions législatives ne vont jamais actuellement jusqu’à permettre plus de deux parents pour un même enfant.

41 Ces propos ont été régulièrement tenus par différents participants à des groupes de paroles de l’Apgl. 42 Selon la loi d’union civile au Québec adoptée en juin 2002, un enfant né du recours à une banque de sperme au sein d’un couple de femmes, se voit doter d’un état civil mentionnant les deux femmes comme parents.

121

3.4.5. Un père, une mère, pas un de plus Les parents gays et lesbiens se heurtent en fait au modèle

exclusif de la filiation énoncé par le conseiller d’Etat Guy Braibant en 1988 : « Un seul père, une seule mère, pas un de plus ». Les familles homoparentales ne rentrent jamais tout à fait dans le cadre de ce modèle conjugal biocentré: du conjugal mais pas assez de biocentrisme pour les familles biparentales ; du biocentrisme mais moins de conjugal pour les familles en coparentalité. Ce hors norme des familles homoparentales entrainent deux conséquences. La première est un déficit de protection juridique pour leurs enfants puisqu’ils ne pourront pas avoir pour parents toutes les personnes qui les élèvent. La deuxième est un déficit de légitimité à se dire parent. Plus on s’éloigne du modèle bioconjugal, moins on a un sentiment de légitimité à se dire parent.

Le lien biologique apporte une légitimité à se dire parent mais pas de la même manière pour un homme et une femme. En effet, même biologique, la paternité est toujours d’abord une parole donnée, une adoption. Or, les représentations sociales accordent davantage de légitimité au lien biologique (qui serait plus vrai parce que plus proche de la nature) qu’au lien électif et par conséquent à une mère biologique plutôt qu’à un père même s’il est le géniteur. C’est ce qui est à l’œuvre dans la matrilatéralité mise en évidence dans la parenté occidentale par les sociologues (Jonas et Le Pape, 2007 ; Déchaux, 2007). De sorte que, le père dans un foyer hétéroparental, la compagne (la mère sociale) dans un foyer lesbien n’ont pas une légitimité équivalente à celle de la mère qui a porté les enfants. L’un comme l’autre sont dépendants de la mère pour définir leur position et leur relation avec leurs enfants. Quant à la paternité sociale43, sa légitimité est encore moindre car à cette question du genre s’ajoute l’absence de lien biologique.

L’importance du biocentrisme et de la matrilatéralité a été explorée dans les liens intergénérationnels tant dans les familles homoparentales (Julien, 2005 ; Gross, 2009) que dans les familles 43 Le terme « social » désigne un lien de parentalité ni biologique, ni reconnu par la loi. La maternité sociale est celle attribuée à la compagne de la mère ou à la belle-mère dans une famille recomposée. La paternité sociale est celle attribuée au compagnon du père ou au beau-père dans une famille recomposée.

122

recomposées (Attias-Donfut et Segalen, 1998). Les grands-parents biologiques voient plus souvent leurs petits-enfants, les grands-parents maternels davantage que les grands-parents paternels.

Genre et lien biologique, matrilatéralité et biocentrisme à l’œuvre dans les familles hétéroparentales, sont à réinterroger dans les familles constituées de parents de même sexe. Dans une famille biparentale, l’importance du genre, la matrilatéralité s’efface devant celle accordée au lien biologique. Mais dès lors qu’il y a un père et une mère comme dans la coparentalité, la matrilatéralité réapparaît en avantageant les mères.

3.4.6. Genre et lien biologique dans les familles biparentales lesbiennes

Dans le modèle bioconjugal, aux côtés de la mère, le second

parent est un père biologique. La compagne d’une mère lesbienne n’est, quant à elle, ni un père, ni un parent biologique. Quelle position occupe-t-elle? Les enquêtes auprès des adhérents de l’Apgl indiquent une évolution de leurs représentations. Dans les années 1990, les participants jugeaient inconcevable qu’un enfant puisse avoir deux mamans. En 2005, des femmes veulent être désignées toutes les deux par maman ou maman suivi du prénom alors que dix ans plus tôt aucune des enquêtées ne le faisait (Gross, 2008).

Du fait que les soins aux enfants sont assignés socialement aux femmes, on peut être et se sentir une mère sans avoir porté. Être une mère non biologique peut devenir intelligible au nom de la « propension naturelle » des femmes à materner (Hayden, 1995). S’occuper d’un enfant va dans le sens des représentations sociales de la féminité d’où la possibilité de scinder la maternité en une maternité gestationnelle et une maternité sociale. C’est ce qu’exprime une grand-mère à propos de sa fille qui n’est pas la mère biologique dans le cadre d’une enquête sur la grand-parentalité en contexte homoparental (Gross, 2009) : « Ma fille est une maman parce qu’elle s’en occupe, le soigne, le console, mais elle n’est pas une mère, parce qu’une mère on n’en a qu’une… »

En tant qu’individu, une mère lesbienne, biologique ou sociale, est considérée comme conforme à son genre. C’est quand on la

123

considère au sein de son couple que sa position est transgressive et qu’elle peut douter de sa légitimité à cause du modèle exclusif « un seul père, une seule mère », parce qu’il ne peut y avoir deux mères et qu’elle n’est pas un père. Si l’égalité de genre se traduit bien dans un exercice égalitaire des tâches quotidiennes, le poids du biologique dans les représentations et le droit produit une asymétrie de la maternité.

Les mères non statutaires ne sont jamais décrites comme mères à part entière mais toujours en relation avec ce qui leur manque par rapport à ce terme et souvent de manière hiérarchisée : la deuxième mère, l’autre mère, la comère, la mère sans statut, etc. Confrontées socialement au modèle dominant de la famille, elles n’ont pour décrire leur place que la référence à des rôles parentaux sexués ne correspondant pas à leur propre situation. Il est ainsi fait référence tantôt au rôle de la mère tantôt à celui du père. En tant que mère, elles peuvent énoncer pour appuyer leur propos toutes les tâches maternelles exercées mais elles se sentent néanmoins non légitimées, voire usurpatrices et en tout cas en position de dépendance vis-à-vis de la mère biologique qui reste le parent en premier. Certaines affirment même, pour justifier et légitimer leur place parentale, qu’elles exercent une fonction paternelle, reprenant à leur compte la théorie de la triangulation et du tiers séparateur (Descoutures, 2006).

La présence d’une figure paternelle dans la famille, comme c’est le cas par exemple avec la coparentalité, vient rendre encore plus problématique la position de la mère sociale (Gross, 2008). Le modèle père, mère enfant s’impose alors et la place de second parent n’est plus disponible pour la compagne.

Lorsque le géniteur n’est pas perçu comme un père, comme c’est le cas dans le recours à une insémination avec donneur anonyme, le lien biologique le reliant à l’enfant est loin d’être effacé. Ce lien peut relier les enfants aux deux mères de trois manières différentes. Les cliniques belges proposent fréquemment que des paillettes du donneur soient conservées pour inséminer la compagne pour le deuxième enfant. Les enfants de chacune des mères sont ainsi reliés biologiquement en passant par le donneur. Celui-ci est présent dans les ressemblances des enfants entre eux. Une autre pratique des cliniques belges est d’apparier les caractéristiques du donneur avec les traits de la compagne. Ainsi

124

grâce au donneur, l’enfant de l’une pourra ressembler à l’autre. Ces pratiques contribuent ainsi à un sentiment de continuité biogénétique liée au modèle bioconjugal (Jones, 2005 : p. 222). Enfin, pour le psychanalyste Ducousso-Lacaze (2006), le donneur existe aussi dans la place qu’il occupe dans la fantasmatique œdipienne. Ainsi sa « présence » vient soutenir le travail psychique qui vise à la permutation symbolique des places, c’est-à-dire ici à assigner le père de la mère biologique à une place de grand-père.

3.4.7. Genre et lien biologique dans les familles biparentales gay La hiérarchie qui accorde la place de premier parent à la mère et

de second parent à celui ou à celle qui élève l’enfant avec elle, est nécessairement remise en cause dans les foyers gay. L’homopaternité révèle et illustre parfaitement les transformations de l’identité masculine avec la prise de conscience de nouvelles formes de responsabilités ; l’interaction avec l’enfant dès son arrivée au monde et les nouveaux rituels qui accompagnent la naissance, avec le déplacement de la paternité symbolique à la paternité du lien (Castelain-Meunier, 2005). Les pères gays font partie de ces nouveaux pères qui s’autorisent à davantage de proximité et de relationnel avec leurs enfants.

Si être mère est conforme aux représentations des rôles sociaux de genre et renforce la féminité, être père n’apporte pas de plus-value à la virilité. Un père qui déroge aux fonctions qui lui sont traditionnellement dévolues : pourvoir des revenus, représenter la société, faire autorité, séparer la mère fusionnelle de son enfant, etc. pour construire une relation proche et affectueuse au quotidien avec son enfant, ne sera pas perçu comme plus viril et pourra même apparaître féminin par certains.

Selon les résultats de plusieurs études (Mc Whirter et Mattison, 1984 ; Peplau et Cochran, 1990) la division des tâches est plus traditionnelle chez les couples gays que chez les couples lesbiens. Il n’est pas rare que l’un soit pourvoyeur de revenu tandis que l’autre s’occupe des soins et prend éventuellement un congé parental. Il se peut que les hommes ne soient pas affranchis des représentations les plus traditionnelles concernant la parentalité.

125

Comme les couples de mères lesbiennes, les couples de pères gays ne peuvent être deux parents de même sexe aux yeux de la loi. Ils font cependant moins fréquemment que les femmes des projets parentaux de couples (Gross, 2006 b), semblent distinguer davantage le parental du conjugal et revendiquent moins souvent d’être deux parents de même sexe du même enfant. Ceux qui ne revendiquent pas d’être deux pères sont, de ce fait, moins confrontés aux difficultés de positionnement du compagnon qui, même s’il se conduit comme un second parent, n’en revendique pas la place.

De plus, il leur est plus difficile d’être père sans mère – une femme devra porter leur enfant - que pour les couples de femmes d’être mère sans père. La situation d’un enfant qui n’a pas de mère suscite aussi plus d’inquiétude ou de désapprobation sociale que celle d’un enfant qui n’a pas de père. La monoparentalité est surtout maternelle ce qui pose la question des compétences d’un homme à élever un enfant sans femme (Ruspini, 2009 ; Eydoux et Letablier, 2007). Ces interrogations traversent aussi les gays et pour cette raison ils sont très nombreux à se tourner vers la coparentalité qui permet de donner un père et une mère à l’enfant.

Ils passent outre lorsqu’ils souhaitent être pères à temps plein, en première position de responsabilité. Ils se tournent alors soit vers l’adoption quand le lien biologique ne leur apparaît pas primordial ou vers la Gestation Pour Autrui (Gpa), c’est-à-dire le recours à une mère porteuse, sinon. Ces deux modalités se sont développées au cours des dix dernières années. Jusqu’à la fin des années 1980 et au début des années 1990, la plupart des pères homosexuels avaient eu leurs enfants dans le cadre d’une union hétérosexuelle défaite. La coparentalité, seule manière de devenir parent sans que la société ne s’en mêle et également seule possibilité d’offrir l’altérité sexuelle parentale, était pratiquement la seule manière envisagée par les hommes gay, pour fonder une famille. La visibilité des premiers pères adoptifs et des premiers couples d’hommes ayant eu recours à une Gpa a produit aujourd’hui un léger effet d’entrainement. Il devient davantage pensable pour un père d’être un parent en premier.

Gratton (2008 : p. 56) note que la position de « premier » parent suscite des émotions analogues à celles que l’on situe habituellement du côté maternel, même quand il s’agit d’une

126

adoption et qu’il n’y pas de lien biologique. Il rapporte ainsi les propos d’un père qui a deux enfants, l’un adopté et l’autre né d’une coparentalité. Il compare le choc émotionnel et sa propre attitude lors de l’accueil de l’enfant adopté avec celle de la mère de son deuxième fils, « sidérée à la naissance de Titouan comme lui avait pu l’être lors de l’adoption d’Arnaud ». De son côté, il dit avoir eu une émotion à la naissance de Titouan mais « pas comparable » à la rencontre d’Arnaud. Cette différence d’émotion se traduit dans le quotidien : il trouve difficile de se séparer d’Arnaud alors qu’il accepte sans difficulté le départ de Titouan chez sa mère. Pour Gratton (2008), cette différence de sentiments entre l’enfant adopté et l’enfant biologique tient au changement de position subjective. L’adoption place l’homme dans une position de premier parent, de responsabilité directe d’un enfant tandis que la coparentalité positionne la mère à cette place là.

3.5. Conclusion Si autrefois homosexualité ne pouvait rimer avec famille et

enfants, aujourd’hui l’homoparentalité s’intègre au sein des mutations contemporaines des formes familiales. Celles-ci se sont diversifiées du fait des recompositions familiales, du développement de l’adoption et des progrès scientifiques en matière de procréation médicalement assistée. L’homosexualité n’étant plus ni un délit, ni une pathologie, être parent et homosexuel devient pensable. Les familles homoparentales sont, d’une certaine manière, subversives parce qu’elles s’éloignent du modèle bioconjugal. Mais le choix de fonder une famille à deux parents, ou celui de fonder une famille en coparentalité répond à un souhait de conformité à ce même modèle, soit en accentuant l’axe conjugal (avec l’insémination artificielle de donneur, l’adoption ou la Gpa) ou au contraire celui des liens biologiques (dans la coparentalité). Par ailleurs, en ce concerne les pratiques éducatives et domestiques, elles transmettent les mêmes valeurs et reproduisent les mêmes comportements.

Les familles homoparentales questionnent l’importance relative accordée aux liens électifs et aux liens biologiques. L’impératif de l’authenticité dans notre société conduit à donner consistance à des

127

filiations électives sans pour autant diminuer l’importance accordée au biologique. Les familles homoparentales combinent dans leurs diverses modalités, les représentations liées au genre et au lien biologique. Elles ne contestent pas le paradigme dominant de la filiation biocentrée puisque les parents gays et lesbiens incorporent du biologique qui recréé une asymétrie là où le fait d’être du même sexe instaure des pratiques égalitaires. Les liens biologiques qui relient l’enfant au donneur de sperme ou à la mère porteuse ne sont pas effacés et trouvent une place dans l’histoire particulière de chaque famille, parfois même en créant un trait d’union entre les parents lorsque par exemple les enfants de chacune des mères ont le même géniteur. On peut se demander si l’absence dans les représentations sociales de « propension naturelle » à « paterner » chez les hommes n’entraîne pas d’accorder au lien biologique, à la fois invisible et aujourd’hui scientifiquement certain, encore davantage de poids.

Les familles homoparentales illustrent l’oscillation entre l’importance accordée aux liens biologiques et celle accordée aux liens affectifs car ces familles se sont constituées dès leur origine sur une combinaison de ces paramètres.

Références bibliographiques Algava E. (2002), « Quel temps pour les activités parentales ? », Etudes et résultats, no. 162. Attias-Donfut C. et Segalen M. (1998 et 2007), Grands-parents. La famille à travers les générations, Paris : Odile Jacob. Bauer D. (2006), « Le temps des parents après une naissance », Etudes et Résultats no. 483, pp. 1-8. Boltanski L. 2004, La condition fœtale. Paris : Gallimard. Bos H.M.W., van Balen F. et van den Boom D.C. (2004), « Experience of parenthood, couple relationship, social support, and child-rearing goals in planned lesbian mother families », Journal of Child Psychology and Psychiatry, vol. 45 (4), pp. 755-764. Braibant G. (1988), Sciences de la vie : de l’éthique au droit, Paris : La documentation française. Bréchon P. (2000), Les valeurs des français. Evolutions de 1980 à 2000. Paris : Armand Colin.

128

Brewaeys A., Devroey P., Helmerhorst F.M., Ponjaert I. et Van Hall E.V. (1995), « Lesbian mothers who conceived after donor insemination : a follow-up study », Human Reproduction, no. 10, pp. 2731-2735. Brewaeys A., Ponjaert I., Van Hall E.V. et Golombok S. (1997), « Donor insemination : child development and family functioning in lesbian mother families », Human Reproduction, vol. 12 (6), pp. 1349-1359. Brousse C. (2000), La répartition du travail domestique entre conjoints : permanences et évolution de 1986 à 1999, Paris : Insee. Cadoret C. (2005), « Une relecture de David M. Schneider à la lumière des nouvelles familles », Incidence, no. 1 , pp. 105-122. Cadoret C. (2006), De la parenté à la parentalité in A. Cadoret, M. Gross, C. Mécary et B. Perreau (dir.), Homoparentalités : approches scientifiques et politiques, Paris : PUF, pp. 29-42. Cadoret C. (2007), « L’apport des familles homoparentales dans le débat actuel sur la construction de la parenté », L’homme, no. 183, pp. 55-76. Castelain-Meunier C. (2002), La place des hommes et les métamorphoses de la famille, Paris : PUF. Castelain-Meunier C. (2005), Les métamorphoses du masculin, Paris : PUF. Chan R.W., Brooks R.C., Raboy B. et Patterson C.J. (1998), « Division of labor among lesbian and heterosexuel parents: associations with children’s adjustment », Journal of Family Psychology, vol. 12 (3), pp. 402-419. Ciano-Boyce C. et Shelley-Sireci L. (2002), « Who is mommy tonight ? Lesbian parenting issues », Journal of Homosexuality, vol. 43 (2), pp. 1-14. Dalton S.E. et Bielby D.D. (2000), « That’s our kind of constellation », Gender & Society, vol. 14 (1), pp. 36-61. Déchaux H. (2007), Sociologie de la famille, Paris : La Découverte, coll. Repères. Delaisi G. (2000), Qu’est ce qu’un parent suffisamment bon ? in M. Gross (dir.) Homoparentalités. Etat des lieux, Paris : Edition sociale française-ESF, pp. 207-214. Descoutures V. (2006), « Les ‘mères non statutaires’ dans les couples lesbiens qui élèvent des enfants », Dialogue, no. 173, 3ème trimestre, Ramonville Saint-Agne : Erès, pp. 71-79. Descoutures V. (2008), « Les mères non statutaires : les illégitimes », L’école des parents, Hors-Série, no. 570, pp. 42-48. De Singly F. (2007), L’injustice ménagère, Paris : Armand Colin. De Singly F. et Descoutures V. (2005), La vie en famille homoparentale in M. Gross (dir.) Homoparentalités. Etat des lieux, Ramonville Saint-Agne : Erès, pp. 329-344. Ducousso-Lacaze A. (2005), « Familles homoparentales : qu’est-ce qui (ne) change (pas) ? », Psychomédia, no. 2, pp. 38-41

129

Ducousso-Lacaze A. et Gachedoit P. (2006), Homosexualité et parentalité: une approche psychanalytique, in A. Cadoret, M. Gross, C. Mécary et B. Perreau (dir.), Homoparentalités : approches scientifiques et politiques, Paris : PUF, pp. 261-272. Dunne G. (1999), The different dimensions of gay fatherhood report to the economic and social research council, november 1999 London School of Economics. Ensellem C. (2004), Naître sans mère ? Accouchement sous X et filiation, Rennes : Presses Universitaires de Rennes. Ensellem C. (2008), « Accouchement sous X. Mère contre père. L’accouchement sous X éclaire l’ambivalence de la toute-puissance maternelle », L’école des parents, Hors-Série, no. 570, pp. 34-36. Eydoux A. et Letablier M-T. (avec la collaboration de N. Georges) (2007), Les familles monoparentales en France, Rapport de recherche, Centre d’études de l’emploi, no. 36, juin. Ferrant M. (2001), Masculin-Féminin, Paris : La Découverte, coll. Repères. Gratton E. (2008), L’homoparentalité au masculin, Paris : PUF. Gross M. (2005), Transmission des valeurs et des identités religieuses dans les familles homoparentales, in M. Gross (dir.) Homoparentalités. Etat des lieux, Ramonville Saint-Agne : Erès, pp. 375-386. Gross M. (2006 a), « Composition, décomposition de la filiation », Cités, 28 (4), Paris : PUF, pp. 73-81. Gross M. (2006 b), « Désir d’enfant chez les gays et les lesbiennes », Terrain, no. 46, Paris : Éditions Msh, pp. 151-164. Gross M. (2008), Deux parents ou bien deux mamans ? Évolution des termes d’adresse et de désignation dans les familles lesboparentales, in Gross M., Guillemarre S., Guy E., Mathieu L., Mécary C. et Nadaud S. (2005), Homosexualité, mariage et filiation. Pour en finir avec les discriminations, Les notes de la Fondation Copernic, Paris : Syllepse. D. Le Gall (dir.) Identités et Genres de vie, Paris : L’Harmattan, pp. 199-216. Gross M. (2009), « Grand-parentalité en contexte homoparental », Revue de sciences sociales, 41, pp. 120-129. Hayden C. (1995), « Gender, genetics, and generation: reformulating biology in lesbian kinship », Cultural Anthropology, vol. 10 (1), pp. 41-63. Hefez S. (2007), Dans le coeur des hommes. Paris : Hachette Littérature. Iacub M. (2002), L’empire du ventre, Paris : Fayard. Johnson S.M. et O’Connor E. (2002), The gay baby boom. The psychology of gay parenthood, New York : New York University Press. Jonas N. et Le Pape M.C. (2007), « Famille ou belle-famille? La matrilatéralité des échanges au sein de la parenté », SociologieS, disponible sur : http://sociologies.revues.org/document842.html

130

Jones C. (2005), « Looking like a family: negotiating bio-genetic continuity in British lesbian families using licensed donor insemination ». Sexualities vol. 8 (2), pp. 221-237. Julien D. (2005), Liens entre les enfants de familles homoparentales et leurs grands-parents in M. Gross (dir.), Homoparentalités. Etat des lieux, Ramonville Saint-Agne : Erès, pp. 363-374. Kaufmann J.C. 2002, La trame conjugale, Pocket. Koepke L., Hare J. et Moran P.B. (1992), « Relationship quality in a sample of lesbian couples with children and child-free lesbian couples », Family Relations, vol. 41 (2), pp. 224-229. Kurdek L. (2007), « The allocation of household labor by partners in gay and lesbian couples », Journal of Family Issues, vol. 28 (1), pp. 132-148. Legendre P. (2001), Entretien « Nous assistons à une escalade de l’obscurantisme », Le Monde, 22 octobre 2001. Le Pape M.C, Véron B. et Jonas N. (2008), « Au nom du sang : amour et filiation », Informations sociales, 144, pp. 100-107. Mailfert M. (2003), « Homosexualité et parentalité », Socio-anthropologie, no. 11, pp. 63-85. McWhirter D.P. et Mattison A.M. (1984), The male couple: how relationships develop. Englewood Cliffs, NJ. : Prentice Hall. Mehl D. (2003), La bonne parole, Paris : La Martinière. Nadaud S. (2006), Homoparentalité hors la loi, Paris : Lignes et Manifestes. Patterson C.J. (1995), « Families of the lesbian baby-boom : parent’s division of labor and children’s adjustment », Developmental Psychology, vol. 31 (1), pp. 115-123, disponible sur : http://people.virginia.edu/~cjp/articles/p95a.pdf Peplau L.A. et Cochran S.D. (1990), A relationship perspective on homosexuality, in D.P. McWhirter, A. Sanders et J.M. Reinisch (dir.) Homosexuality heterosexuality, New York : Oxford University Press, pp. 321-349. Pison G. (2008), « La population de la France en 2007 », Population et Sociétés, no. 443, disponible sur : http://www.ined.fr/fichier/t_telechargement/22332/telechargement_fichier_fr_publi_pdf1_pes443.pdf Rauche A. (2007), Pères d’hier, pères d’aujourd’hui. Du pater familias au père ADN, Paris : Nathan. Ruspini E. (2009), La monoparentalité en milieu urbain. Mères seules et pères seuls à Paris (Belleville) et à Milan (quartier Isola), Rapport final de recherche, Bourses d’accueil de la Ville de Paris pour chercheurs étrangers. Schneider D.M. (1968), American kinship. A cultural account, Chicago : University of Chicago Press. Sullivan M. (1996), « Rozzie and Harriet? Gender and family patterns of lesbian coparents », Gender and Society, vol. 10 (6), pp. 747-767.

131

Tasker F. et Golombok S. (1998), « The role of comothers in planned lesbian-led families», Journal of Lesbian Studies, vol. 2, pp. 49-68. Tort M. (2005), La fin du dogme paternel, Paris : Aubier. Vanfraussen K., Ponjaert-Kristoffersen I. et Brewaeys A. (2003), « Family functioning in lesbian families created by donor insemination », American Journal of Orthopsychiatry, vol. 73 (1), pp. 78-90. Villeneuve-Gokalp C. (1999), « La double famille des enfants de parents séparés », Population-F, vol. 54 (1), pp. 9-36. Zajczyk F. et Ruspini E. (2008), Nuovi padri? Mutamenti della paternità in Italia e in Europa, Milano : Baldini Castoldi Dalai.