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Le temps des bouffons : Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien traditionnel Par Pier-Philippe Chevigny

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Le temps des bouffons :

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale

du documentaire onéfien traditionnel

Par

Pier-Philippe Chevigny

Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

Études cinématographiques - Université de Montréal

Avril 2013

Si je fais du cinéma, c'est qu'il y a eu avant moi Perrault, Brault, Gosselin,

Arcand, Groulx, Lamothe, etc. [...]. Ils ont été mes maitres. Mais ils

l'ignorent et n'arrivent pas à se reconnaitre dans leur progéniture

intellectuelle. »

(Falardeau 1995, p.37).

À de multiples reprises lors de sa carrière, Pierre

Falardeau, cinéaste engagé, s'est publiquement réclamé du

cinéma direct, se considérant comme un héritier du

documentaire onéfien des années 1960 à 1980. À force de

répéter son admiration pour Gilles Groulx et l'influence du

travail de celui-ci sur le sien, Falardeau avait fini par

lui-même cristalliser sa réputation comme descendant de ce

cinéma documentaire, moins par la forme que par un fond

thématique commun : nationalisme, politique, histoire,

culture. En prenant l'exemple du Temps des bouffons, court

métrage pamphlétaire réalisé en 1993, nous aimerions

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cependant suggérer qu'il y a dans ce cas-ci davantage de

parenté entre Falardeau et le documentaire traditionnel

onéfien d'avant 1960 qu'il y en a avec le cinéma direct.

Nous tenterons de défendre l'idée que, dans Le temps des

bouffons, Falardeau se réapproprie la forme orale du

documentaire traditionnel pour la retourner contre le

discours impérial, organisant ainsi une résistance contre-

discursive dans laquelle le colonisé québécois1 retourne les

armes du colonisateur contre ce dernier. Comme nous en

ferons la démonstration, le tout s'opère notamment par une

stratégie de subversion orale, le commentaire en voix off de

Falardeau employant un accent vernaculaire et un langage

d'une grande vulgarité qui rompt avec la langue soignée du

documentaire onéfien. Un survol de l'histoire de l'Office

national du film, s'appuyant principalement sur les travaux

de Caroline Zéau et de Gilles Marsolais, nous permettra en

1 Le débat sur la postcolonialité du Québec est loin d'avoir atteint un consensus au sein des études postcoloniales, tel qu'en atteste les neuf textes rassemblés dans le dossier « Québec & Postcolonial Theory » paru dans Québec Studies, n035, Printemps/Été 2003. Précisons que, pour aborder la rhétorique de Pierre Falardeau, nous nous permettrons tout demême d'employer ici la taxinomie colonisateur/colonisé en référence à lasituation québécoise.

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premier lieu de définir ce que nous entendons par « cinéma

onéfien traditionnel » en départageant le documentaire

d'avant 1960 du cinéma francophone d'après la Révolution

tranquille. Nous expliquerons que, jusqu'à l'apparition du

cinéma direct, l'ONF était essentiellement un organe de

propagande au service d'un discours (néo)colonial et que les

œuvres produites pendant cette période, affublées d'un

commentaire en voix off, confisquaient la parole aux sujets

filmés. Suivra ensuite notre analyse du Temps des bouffons, où

nous tenterons de démontrer comment Pierre Falardeau, se

faisant bonimenteur de son propre piétage, résiste au

discours impérial en y incarnant le sujet colonisé s'étant

réapproprié la parole. La notion de contre-discours, telle

que théorisée par Richard Terdiman, nous aidera ici à bien

rendre compte de la nature du cinétract que constitue le court

métrage de Falardeau. Enfin, une lecture postcoloniale du

film nous permettra de repérer les limites du modèle binaire

ainsi employé par le contre-discours du réalisateur

québécois en nous référant notamment aux travaux d'Homi

Bhabha et de Benita Parry.

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1. a) Le documentaire onéfien traditionnel : la parole

confisquée

D'entrée de jeu, la première idée que nous aimerions

avancer ici consistera à dire que le cinéma québécois nait

comme une conséquence de l'impérialisme et du colonialisme.

Nous tenterons d'illustrer que l'ONF est d'abord un organe

de propagande du gouvernement fédéral et, par extension

indirecte, de l'Empire britannique en entier, comparable par

son mandat au Colonial Film Unit2. Ainsi, s'il existe un cinéma

national québécois aujourd'hui, c'est en grande partie le

résultat d'une réappropriation par les cinéastes d'ici d'un

média d'origine colonial, à l'instar de l'émergence des

littératures postcoloniales dans les pays du tiers-monde qui

abrogeaient et se réappropriaient les canons littéraires de

la métropole.

2 Vincent Bouchard fait le récit de ce bureau de production britannique au succès bien marginal qui produisit des œuvres s'adressant aux colonies africaines dans le but de « renforcer l'intérêt des populationslocales pour l'Empire en plus de consolider leurs colonies en vue de la guerre contre l'Allemagne nazie » (2011, p.149).

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Dans The Empire Writes Back, ouvrage fondateur des études

postcoloniales, Tzvetan Todorov est cité, prétendant que les

conquêtes coloniales sont moins le résultat de la répression

armée que de la « domination des modes de communications »

(2012, p.100) par le pouvoir impérial. Quiconque maitrise la

langue, la presse, les médias, la littérature, le cinéma

(bref, le discours) maitrise de facto l'opinion publique.

Louis Althusser, quant à lui, affirme également que les

sociétés modernes n'ont que rarement besoin d'employer la

force répressive. Au quotidien, le maintien du pouvoir

s'exerce plutôt à travers des appareils idéologiques d'État

qui assurent « la reproduction des rapports de production,

c'est-à-dire des rapports d'exploitation capitaliste »

(1976, p.31). L'école, l'église, l'information (la presse,

le cinéma, la radio) sont autant d'appareils qui diffusent

le discours et régulent ainsi les comportements de sujets

qui « marchent tout seuls à l'idéologie » (ibid, p.56). Or,

dans le contexte post-colonial3 du Canada des années 1930,3 Il importe de distinguer le post-colonial du postcolonial : le premier termerenvoie à la période historique suivant l'indépendance d'une colonie tandis que le second réfère au champ d'études et à la pensée critique associée à celui-ci.

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le cinéma canadien émerge à bien des égards comme un tel

appareil idéologique d'État visant à défendre les intérêts

économiques de l'ancien Empire britannique.

Déjà, dès le début du XXe siècle, le Canada s'avérait

être un pionnier mondial de la propagande cinématographique.

La compagnie de chemins de fer Canadian Pacific Railway produisit

en 1900 une série de courts métrages intitulés Living Canada

visant à favoriser la colonisation du nord-ouest canadien

que son chemin de fer desservait depuis peu. Motivée par la

« nécessité de montrer le Canada sous son meilleur jour, et

de lutter contre la réputation désastreuse que lui valait

son climat » (Zéau 2006, p.25), cette série de trente-cinq

documentaires muets constitue l'un des premiers exemples

d'usage propagandiste du cinéma. En 1923 sera fondé le

Canadian Government Motion Picture Bureau (MPB) ayant

justement pour but « d'établir les bases d'une politique de

propagande cinématographique » (ibid, p.26). Selon Zéau, ce

premier organisme aura une influence non négligeable sur

l'apparition subséquente de l'ONF, les technocrates de

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l'Empire Marketing Board (EMB)4 reconnaissant très tôt

l'efficacité du cinéma pour permettre aux différentes

nations de « développer une compréhension intime les un(e)s

des autres qui seule peut lier la grande diversité de pays

et de peuples qui constitue le Commonwealth » (ibid).

En 1931, John Grierson, futur fondateur de l'ONF, est

nommé à la tête de l'unité de production cinématographique

de l'EMB, au moment même où Londres signe le statut de

Westminster reconnaissant l'indépendance de tous les anciens

dominions de l'Empire britannique. Si des raisons

principalement budgétaires sont invoquées pour justifier

cette signature en plein cœur de la Grande Dépression, on

tentera néanmoins par des voies idéologiques de préserver

les liens économiques entre les différents pays du

Commonwealth. Pour lutter contre les risques

d'isolationnisme économique et culturel dans les anciennes

colonies, on met dès lors sur pied une politique de

propagande cinématographique financée majoritairement par

4 Fondé en 1926 à l'issue de la Conférence impériale, l'Empire MarketingBoard avait pour mandat premier de faire la promotion du commerce intra-impérial. Voir Evans 1984, p.27.

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des organismes tels que l'EMB et, plus tard, l'Imperial

Relations Trust (IRT)5. Ces deux organisations, œuvrant à

environ une décennie de différence, agissent notamment à

titre de lobbyistes à la défense des intérêts

d'investisseurs britanniques détenant toujours des actifs

dans les anciennes colonies. Craignant que d'éventuelles

politiques protectionnistes dans les états naissants

puissent nuire à leurs activités commerciales, l'EMB et

l'IRT se donnent comme mandat

« d'encourager et de financer tout projet propre à renforcer

les liens entre les Dominions et le Royaume-Uni » (ibid,

p.31). C'est en tant que représentant de l'IRT et dirigeant

du GPO Film Unit6 que Grierson est dépêché au Canada en

février 1938 afin de revoir la production cinématographique

gouvernementale et d'établir des structures permettant

5 Organisme à vocation similaire à l'EMB fondé en 1937 (Zéau 2006, p.31). 6 Sous-division du UK General Post Office, le GPO Film Unit est essentiellement l'équipe de production de l'EMB telle que récupérée par le service postal après les importantes compressions budgétaires subies par l'organisme au début des années 30. On y produit surtout des films de publicité relatifs aux activités du service postal. Voir Evans 1984, p.34.

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d'assurer les liens entre l'État canadien et l'ancien

Empire.

Le mandat premier de l'Office national du film, dont la

fondation sera précipitée en 1939 par l'imminence de la

guerre, parait entrer en contradiction directe avec le but

de la visite de Grierson au Canada. Le cinéma de l'Office

cherchera à renforcer le sentiment d'appartenance national

fragilisé par le statut de Westminster. Il s'agira en

premier lieu de présenter tant au Canada qu'à l'étranger

l'image d'une nation distincte, forte et autonome, tout en

défendant, fort paradoxalement, les projets qui vont dans

l'intérêt économique de l'ancien Empire. Il s'agit ainsi de

fabriquer l'indispensable cohésion sociale entre les

différentes nations éparpillées sur le vaste territoire

canadien tout en renforçant le lien culturel, économique et

politique avec l'ancien Empire. Grierson se fera donc le «

fervent défenseur de la distinction canadienne, tout en

servant stratégiquement la "mère patrie" britannique » (ibid,

p.45). La mobilisation du consentement populaire à l'égard

de l'entrée en guerre du Canada pour prêter mainforte à

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l'Angleterre sera l'un des premiers buts visés par la

nouvelle organisation. Le succès des séries Canada Carries On

et The World in Action, produites dès les premières années de

l'Office, confirmera l'efficacité de la conception

propagandiste du documentaire de Grierson, basée à priori

sur le refus de l'esthétisme et sur la croyance en la

fonction utilitaire du cinéma, réduit ici à un instrument

d'éducation des masses7. Caroline Zéau relève quatre grandes

catégories de films de propagande qui seront dès lors

produits à l'ONF : le film éducatif, le film de promotion,

le film ministériel et « le film de prestige destiné à

véhiculer des idées ou à susciter le loyalisme à l'égard

d'un pays, d'un ministère ou d'un organisme » (p.35). Si les

sujets évoluent au fil des ans en fonction de la conjoncture

économique et géopolitique (les productions d'après-guerre

s'attarderont notamment à lutter contre l'influence des

États-Unis en lui substituant le Royaume-Uni comme modèle

privilégié), l'ONF demeurera jusqu'aux années 1960 ni plus

7 Voir Grierson, John. 1966. « The Documentary Idea : 1942 », in Grierson On Documentary. Berkeley : University of California Press.

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ni moins qu'un organe de propagande au service du

gouvernement canadien et des intérêts de l'ancien Empire

britannique. Ainsi, il appert évident que le cinéma

canadien, en soi, est dès sa naissance un phénomène

postcolonial, servant d'appareil idéologique d'État visant à

préserver les structures économiques coloniales au-delà de

l'indépendance du Canada.

Au point de vue esthétique, les films produits par

l'ONF à cette époque partagent de nombreuses

caractéristiques communes. Ce sont essentiellement « des

films de montage qui utilisent à la fois des images

d'archives et des prises de vues originales associées à un

commentaire sur un ton impérieux » (ibid, p.54). Il s'agit

d'un cinéma oral, c'est-à-dire porté par la voix d'un

narrateur guidant très précisément la lecture et dont « la

prestation verbale [...] était déterminante dans

l'interprétation du film » (Lacasse 2002, p.2). Trois

raisons expliquent l'emploi de cette forme didactique. La

première est d'ordre technique : on ne dispose pas encore de

l'équipement léger dont bénéficiera la génération du cinéma

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direct pour tourner avec son synchrone. La seconde raison

est plutôt

logistique : travaillant avec des images parfois issues de

sources fort différentes, un travail d'homogénéisation par

le montage et la narration est nécessaire pour assurer la

cohésion de l'ensemble. Enfin, la dernière raison est

idéologique : privilégiant le didactisme à l'esthétisme, il

est tout naturel aux yeux des cadres de l'ONF que ce cinéma

propagandiste cherche à maitriser le discours en ajoutant un

commentaire en voix off. Selon Gilles Marsolais, il en résulte

« des films officiels d'où sont systématiquement écartés les

sujets trop controversés, des films froids vidés de toutes

traces de vie et qui sont presque tous affligés d'un

commentaire "orienté" et alourdissant » (1997, p.49). La

chercheuse canadienne Barbara Rockburn propose quant à elle

une formule qui résume élégamment cette période charnière de

l'ONF : « la tradition documentaire du film canadien en est

une d'une colonie muette racontée à travers la voix de son

colonisateur » (1996, p.19). Les sujets filmés, toujours

privés du droit de parole, sont inévitablement

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recontextualisés par un montage et une narration au service

d'un discours qui paraitrait bien peu subtil aux spectateurs

contemporains.

The Royal Visit8 est un long métrage de 90 minutes retraçant

la visite en sol canadien du roi George VI et de la reine

Élizabeth en 1939. La narration pompeuse de Rupert Lucas

prend grand soin d'évacuer tout dissensus, présentant avec

triomphe la soumission inconditionnelle des Canadiens-

français à l'égard de la monarchie britannique. Cette

citation tirée de la scène de la visite des plaines

d'Abraham en révèle sans doute davantage sur le mandat

propagandiste de l'ONF que sur l'évènement lui-même :

National Battle Park, once the scene of strife and bitter conflict, is shining

with humanity, the crowd whiling away the hours by singing in french the

praise of its sovereign. […] Here upon the Plains of Abraham unfolds the

last act of that heroic drama which began 170 years ago upon this very

spot. […] The appearance of the sovereign in person arouses deep

emotion. […] Canada is one in hommage to the British crown and then

8 1939, Réalisation de Frank Badgley & J. Booth Scott. [ http://www.nfb.ca/film/royal_visit ]

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loyal to the completion of an Empire. The figure of the King becomes at

this moment the symbol of a New Canada : a free nation within a great

Commonwealth. [10:40 à 11:54]

Difficile de ne pas émettre quelques doutes devant une

lecture si consensuelle de la visite royale. Suivant la

leçon de l'école soviétique, les plans d'extrême ensemble de

la foule enjouée projettent l'image d'une nation

effectivement unie derrière les monarques, mais le mutisme

du peuple soulève toutefois d'autres interrogations. En

plaquant ce commentaire didactique, on ne laisse pas

l'occasion au peuple d'émettre la moindre contestation,

s'emparant de l'image pour l'asservir au discours impérial.

Dans un même ordre d'idée, Alex Tremblay, Habitant9 propose un

portrait pittoresque tout aussi muet de la vie québécoise de

la première moitié du XXe siècle. S'adressant à un public

anglo-canadien, le film se concentre sur la vie rurale d'un

couple de fermiers canadiens-français de Charlevoix,

ironiquement nommés Alexis et Marie Tremblay, soit

9 1943, Réalisation de Jane Marsh.

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précisément les mêmes noms que les protagonistes de la

trilogie de l'Isle-aux-Coudres de Pierre Perrault. Le

traitement documentaire du film de Marsh est toutefois

diamétralement opposé à la démarche de Perrault : une fois

de plus, un commentaire en voix off vient diriger la lecture

des images, mettant l'accent sur le conservatisme de la

tradition, le travail manuel, la structure patriarcale de la

famille et l'importance de la religion catholique. Si c'est

malgré tout avec des stéréotypes positifs que l'on brosse le

portrait de ces valeureux pionniers, bien en phase avec le

mandat onéfien de « faire connaitre et faire comprendre le

Canada aux Canadiens »10, on note toutefois l'absence de

discorde, de conflit. La différence linguistique se présente

aux spectateurs comme allant de soi, sans mention de

l'épineuse question de la Conquête, le film n'offrant même

pas la possibilité aux sujets de s'exprimer dans leur

langue. Les seules scènes où les protagonistes prennent la

parole sont visiblement doublées en postsynchronisation par

10 Mandat de l'Office national du film tel que défini dans la Loi sur lecinéma de 1950. Source : onf-nfb.gc.ca

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des acteurs anglophones à l'accent peu convaincant11. Au

final, le peuple canadien-français y demeure muet, modelé

par le discours prémulticulturaliste des narrateurs

onéfiens, réduit à un rôle exclusivement folklorique. Par

ailleurs, on servira la même forme orale didactique aux

minorités autochtones dans des films tels que Eskimo Arts &

Crafts ou Angotee : The Story of an Eskimo Boy12.

1. b) Le cinéma direct : la parole réappropriée

Outre les exceptions notables de quelques cinéastes

(Low, McLaren, etc), il faudra attendre l'arrivée de la

French Unit, pour que les œuvres produites à l'ONF soient peu

à peu détournées du mandat prioritaire de l'institution.

Dans L'aventure du cinéma direct revisitée, Gilles Marsolais, non

sans un certain chauvinisme, fait le récit de l'évolution de

l'équipe française qu'il reconnait comme principale

responsable de l'émergence du cinéma direct. À partir du

déménagement à Montréal des bureaux de production de11 À titre d'exemple : la visite de l'oncle Georges à 8:40 http://www.nfb.ca/film/alexis_tremblay_habitant_en 12 1943, Réalisation de Laura Bolton / 1954, Réalisation de Douglas Wilkinson.

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l'Office en 1956, « les cinéastes [francophones à l'ONF]

adoptent un comportement de revendication et d'affirmation »

(Véronneau 1987, p.6) qui marquera la production

subséquente. Marsolais note que la conjoncture est parfaite

pour l'éclosion d'une cinématographie nationale québécoise.

D'une part, le déplacement de l'ONF coïncide avec « une

longue campagne de presse, échelonnée sur deux années,

dénonçant la situation [d'exclusion] faite aux francophones

» (1997, p.83) de même qu'avec la cristallisation

progressive du discours nationaliste québécois dans l'espace

public, donnant lieu à une importante prise de conscience

collective qui alimentera thématiquement cette première

génération de cinéastes québécois. D'autre part,

l'apparition de nouvelles technologies permettant des

tournages légers, hors studio, en éclairages naturels et

avec son synchrone, rendra dès lors possible une nouvelle

esthétique documentaire basée non pas sur l'image

subordonnée au discours, mais bien sur la vivacité de la

parole des sujets filmés.

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L'auteur ne manque pas de souligner les innovations

formelles similaires du côté anglophone, mentionnant

notamment la série Candid Eye. Selon lui, cependant, « les

anglophones se sont rapidement désintéressés de cette

expérience » (ibid p.84), n'arrivant pas à pousser la prise

de vue sur le vif jusqu'à son plein potentiel. Certains films

de la série, comme The Back-Breaking Leaf13, s'ils donnent

effectivement la parole à l'ouvrier, n'arrivent pas à se

passer d'une narration explicative qui balise la lecture.

Qui plus est, la série demeure généralement peu intéressée

par la critique sociale, préférant filmer avec une distance

objective sans prendre position. On y note certainement une

résistance à la forme onéfienne traditionnelle, mais c'est

bien davantage le plaisir de filmer librement qui se ressent

au visionnement de The Days Before Chrismas ou de End of the Line

qu'une quelconque volonté de subversion politique.

Inversement, le cinéma direct tel que pratiqué par

l'équipe francophone s'inscrira d'emblée dans la quête

d'émancipation collective de la nation québécoise.

13 1959, Réalisation de Terence Macartney-Filgate.

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Contrairement à la naïveté bon enfant du Candid Eye, le

nouveau cinéma francophone ne craint pas de laisser dépasser

son jupon nationaliste et progressiste, cherchant à activer

le dissensus comme c'est le cas autant chez Groulx, Carrière

et Jutra que Brault, Perrault et Lamothe. Les tensions

linguistiques, la question nationale, l'aliénation de la

société de consommation, le racisme et les inégalités seront

autant de thèmes abordés de front. De l'avis de l'historien

du cinéma québécois Pierre Véronneau, « cet esprit critique

est une constante de l'histoire de la production française

[onéfienne] » (1987, p.6). Contre la forme orale de la

génération précédente qui confisquait la parole au peuple,

le cinéma direct québécois cherchera au contraire à la

restituer, permettant à la nation de sortir de son silence

ancestral par l'enregistrement du son synchrone. Les

réactions initiales de la direction de l'Office, dès Les

raquetteurs14, rendent bien compte de la subversion du mandat

onéfien opérée par cette réappropriation de la parole :

14 1958, Réalisation de Gilles Groulx, Michel Brault & Marcel Carrière.

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[Avec Les raquetteurs,] les dirigeants de l'Office ont senti qu'ils

perdaient le contrôle de la façon dont un peuple et sa culture étaient

représentés. Leur malaise servit de révélateur à la crainte intense de la «

voix officielle » du Canada de se

salir les mains avec des sujets marginaux ou des interprétations

subjectives. (Jean-Pierre Lefebvre cité dans Rockburn 1996,

p.22 [notre traduction])

Pour Gilles Marsolais, il ne fait aucun doute : les

premiers balbutiements du cinéma direct marquent

simultanément la naissance véritable de la cinématographie

nationale québécoise « comme corps constitué dans une

perspective de continuité ininterrompue » (ibid, p.83).

Remarquons d'emblée que ce processus de détournement de

l'organe de propagande onéfien rappelle les étapes

d'abrogation et d'appropriation des canons littéraires

occidentaux par les auteurs postcoloniaux que décrivent

Ashcroft et Cie dans The Empire Writes Back. De la même façon

que les sociétés orales africaines ou antillaises faisaient

bouger les canons littéraires en abrogeant la forme

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romanesque par une déconstruction de ses conventions, le

cinéma direct ne craint pas d'adapter la forme orale

onéfienne à sa convenance. Il s'agit dans les deux cas

d'abolir les règles institutionnelles et de se réapproprier

le mode de communication du colonisateur « en s'inscrivant à

partir de son altérité, [...] revendiquant l'ensemble

complexe de l'entrecroisement des "périphéries" comme

substrat même de son expérience » (2012, p.99). Cette

hypothèse préliminaire, qui reste à explorer pour une étude

ultérieure de la postcolonialité du cinéma québécois, nous

servira tout de même de tremplin pour aborder Le temps des

bouffons, film qui nous semble parachever cette dynamique de

confiscation et de réappropriation de la parole, non

seulement en permettant au colonisé québécois de

s'approprier le portevoix, mais en le dotant également du

pouvoir de le confisquer à son tour au colonisateur.

2. a) Le temps des bouffons : le colonisateur renversé

Le temps des bouffons [Pierre Falardeau, 1985] est un court

métrage pamphlétaire, véritable cinétract, dans lequel le

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réalisateur commente en voix off des images filmées lors des

célébrations du bicentenaire du Beaver Club. Fondé à la fin

du XVIIIe siècle après la prise de contrôle du commerce de

la fourrure canadien par les marchands britanniques, le club

réunissait autour de banquets luxueux les barons de

l'industrie, lesquels se rassemblaient pour échanger

amicalement sur les difficultés rencontrées lors de leurs

activités commerciales. De l'avis de Falardeau, « toutes les

grandes fortunes de la bourgeoisie canadienne naissent au

Beaver Club de 1785, la fête par excellence de

l'exploitation coloniale et de l'accumulation de la richesse

» (1995, p.70). C'est d'abord avec les fruits de la fourrure

que la bourgeoisie capitaliste étendra son influence vers

diverses industries et fondera progressivement la Bank of

Montreal, la Dominion Textile, le Canadian Pacific, le

Canadian National, etc. De génération en génération, l'élite

de la fourrure fait « main basse sur tout ce qui s'achète et

se vend : respectabilité, honneurs, prestige, médailles,

pouvoir politique » (ibid). Aux yeux du cinéaste, les «

bandits » s'étant approprié la première industrie nationale

CIN-6021 - Recherche sur le cinéma québécoisHiver 2013

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

par la force des armes réécrivent l'histoire en se

couronnant d'honneurs et en s'installant confortablement au

sommet de la société canadienne.

Le banquet du Beaver Club est donc « une sorte de nœud

de compréhension, un "fait social total", selon l'expression

de Marcel Mauss » (Falardeau cité dans La France 1999,

p.173). Un évènement unique où toute la situation coloniale

du Québec se rend visible, sans équivoque, « comme grossit à

la loupe » [10:08]. Il s'agit d'une fête officielle costumée

où se retrouvent les amis du régime fédéral, où toute la

violence épistémique du colonialisme est mise en sourdine,

remplacée par une caricature grossière des places attribuées

à chacun comme si celles-ci constituaient un état de nature

immuable. Les lieutenants-gouverneurs des dix provinces

siègent à la table d'honneur, vêtus en amiraux, en

capitaines, en généraux. Les bourgeois sont costumés en

bourgeois, ne laissant poindre aucune ambigüité. Les

Autochtones et les Québécois, quant à eux, endossent le même

rôle folklorique que la production onéfienne leur attribuait

CIN-6021 - Recherche sur le cinéma québécoisHiver 2013

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

: crinières à plume et tamtam pour les uns, ceinture fléchée

et chemise à carreaux pour les autres.

Ayant obtenu la permission de filmer la cérémonie sous

de faux prétextes, Falardeau se fait donc le bonimenteur de

son propre piétage et tente d'illustrer, dans un langage

d'une extrême violence, la perpétuation des formes

d'exploitation coloniale dans le Québec contemporain.

Traçant un parallèle avec un rituel hauka en empruntant des

images aux Maitres fous de Jean Rouch [1955], le cinéaste

dépeint la situation du Québec comme étant comparable à

celles des populations postcoloniales du tiers-monde,

l'ignorance de célébrer sa propre aliénation en bonus. Sans

grandes nuances, Falardeau offre sa lecture du symbolisme

des célébrations qui, à grand renfort de folklore canayen,

reproduit la hiérarchie raciale de l'exploitation coloniale

québécoise tel qu'il la perçoit.

Dans Discourse/Counter-Discourse (1985), Richard Terdiman

soutient que le contre-discours ne saurait se réduire à une

simple affirmation « contraire » au discours dominant. Par

exemple, le nationalisme québécois ne constitue pas le

CIN-6021 - Recherche sur le cinéma québécoisHiver 2013

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

contre-discours du fédéralisme canadien. Ce qui définit le

contre-discours est plutôt un élément d'intertextualité avec

le discours dominant, duquel il constituerait une

subversion, le citant à l'intérieur même du texte. Il s'agit

donc d'une opération de métamorphose, le nouveau texte

s'appropriant la forme ou insérant au sein du précédent de

nouveaux concepts tout en « attirant l'attention sur le

décalage entre les deux, sur le glissement qui s'effectue

dans l'espace ouvert » (Manopoulos 2008, p.16). Le contre-

discours est à considérer « comme un parasite s'accrochant

au dominant qu'il conteste [...], recensant les limites et

les faiblesses de ce dernier en exposant ses incohérences »

(Parry 2005, p.41). À notre avis, Le temps des bouffons articule

donc un contre-discours à l'égard de l'idéologie fédérale,

lui dérobant ce qui fut autrefois l'un de ses appareils de

prédilection, c'est-à-dire le documentaire traditionnel

onéfien, tout en bâtardisant sa forme par diverses stratégies

de subversion orale.

Notre analyse portera donc sur ces stratégies, se

concentrant sur la narration en voix off du film. Exactement

CIN-6021 - Recherche sur le cinéma québécoisHiver 2013

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

comme dans le documentaire traditionnel, l'interprétation

des images du Temps des bouffons est guidée, balisée, orientée

par un bonimenteur qui influence le spectateur autant par

son discours que sa performance. La distinction d'avec son

modèle s'opère évidemment dès le discours : plutôt que de se

faire le porte-étendard de l'idéologie impériale à l'instar

de Rupert Lucas dans The Royal Visit, il s'en fait le détracteur

le plus redoutable, le plus vicieux et le plus violent. Au

début du film, la narration de la seconde séquence (suivant

immédiatement les images empruntées aux Maitres fous) souligne

à gros traits le « "parallélisme dépourvu d'ambigüité" [...]

entre la situation d'Africains sous le système colonial

britannique et celle de Québécois, eux aussi sous la même

emprise étrangère » (Marsolais 2011, p.95). Si le film de

Jean Rouch donnait à voir un rituel carnavalesque dans

lequel le colonisé se permettait de renverser la hiérarchie

en singeant le colonialisme britannique, Falardeau

démystifie le Beaver Club sans détour :

Ici, pas de possédés, juste des possédants. [...] Comme au Ghana, on

célèbre le vieux système d'exploitation britannique. Mais ici, c'est à

CIN-6021 - Recherche sur le cinéma québécoisHiver 2013

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

l'endroit. Ici, les maitres jouent le rôle des maitres, les esclaves restent des

esclaves. Chacun à sa place. [02:31]

Aucune liberté d'interprétation n'est laissée au

spectateur qu'on prend par la main en légendant chacune des

images, chacun des raccords. Falardeau est ici le seul

maitre du discours, le seul qui possède la parole. Les

sujets filmés, ces bourgeois ridicules que Falardeau brandit

tels autant d'épouvantails, seront tous confinés au silence

(à l'exception de Roger Landry, comme nous le verrons plus

tard), n'ayant jamais la possibilité ni d'expliquer la

signification de la fête, ni de répondre aux accusations du

cinéaste. Comme Alexis Tremblay, habitant, les membres du Beaver

Club sont ici réduits à de simples stéréotypes muets, le

cinéaste rendant pour ainsi dire la monnaie de sa pièce à

ceux qu'il accuse d'opprimer le peuple québécois. De plus,

au ton impérieux des narrations onéfiennes et à leur niveau

de langage impeccable, Falardeau oppose avec violence son

commentaire enragé en joual, ne censurant aucune vulgarité.

Cette stratégie de subversion orale lui permet notamment de

marquer sa propre identité et de bien identifier son ennemi.

CIN-6021 - Recherche sur le cinéma québécoisHiver 2013

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

Par son énonciation à la première personne, Falardeau

se constitue en sujet et revendique l'identité du colonisé

québécois, du dominé, de l'esclave. Il choisit consciemment

un accent populaire et un langage vulgaire, permettant ainsi

à son spectateur de construire un « énonciateur réel » (Odin

2000, p.54) renvoyant à la figure du colonisé québécois. Par

l'usage du joual, l'auteur invoque ainsi une identité, un

peu à la manière de Victor Lévy-Beaulieu avant lui, qui

admettait que « nous avons la langue de ce que nous sommes,

notre langage est à notre ressemblance » (cité dans Larose

2004, p.278). Falardeau met donc de l'avant une langue

vernaculaire qui renvoie immédiatement à son origine

canadienne-française: il diphtongue constamment, il roule

les « R », il emploie des expressions populaires, il

n'hésite jamais à employer jurons, sacres et autres

insultes. Outre le manque d'éthique du cinéaste qui arrache

des images à ses sujets sans les informer de son intention,

l'une des critiques les plus récurrentes adressées au Temps

des bouffons concerne justement la vulgarité de son langage.

CIN-6021 - Recherche sur le cinéma québécoisHiver 2013

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

Or, le cinéaste non seulement l'assume-t-elle entièrement,

mais aussi il la revendique :

"Vulgarité", ça vient de vulgus, donc "le commun des hommes, le

peuple", et cette vulgarité-là, je m'en réclame! Par contre, la vulgarité que

je peux pas supporter, c'est celle [...] des politiciens qui nous mentent, qui

nous fourrent, qui nous crossent à cœur de jour [...] cette vulgarité-là me

révolte, m'enrage ; c'est ça que j'ai voulu exprimer dans le film.

(Falardeau cité dans La France 1999, p.170-171)

La vulgarité de l'Autre, elle passe bien sûr par

l'image, mais aussi par le langage et les propos de Roger

Landry, ancien sous-chef de La Presse. Seul autre intervenant

du film à prendre la parole, Landry passe de l'anglais au

français dans un langage soutenu, peu importe la langue. Son

discours est soigné, politiquement correct, parsemé de

subtiles touches d'ironies bien reçues par le public du

Beaver Club. Contre cette langue de bois bourrée de sous-

entendus (sur l'honorabilité des membres du club et donc sur

l'infériorité de la masse), Falardeau plaque la clarté

CIN-6021 - Recherche sur le cinéma québécoisHiver 2013

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

univoque du joual, marquant une béance infranchissable entre

le colonisateur et le colonisé. La présence de nombreux

déictiques dans le discours du cinéaste renforce cette

dichotomie, comme en témoignent de nombreux exemples :

« Je les ai vus à Moscou vomir leur champagne et leur caviar sur leurs

habits Pierre Cardin. Je les ai vus à Bangkok fourrer des enfants, filles ou

garçons, pour une poignée de p'tit change! Je les ai vus à Montréal dans

leurs bureaux avec leurs sales yeux de boss, leurs sales voix de boss,

leurs sales faces de boss. Hautains, méprisants, arrogants...»

[10:56]

L'auteur emploie la première personne du singulier,

exposant d'emblée sa subjectivité et s'inscrivant lui-même

comme acteur du récit. Inversement, l'attribut

« les » et le déterminant possessif « leurs », répétés

jusqu'à la surenchère, installent une distance entre le

locuteur et le sujet de son discours. S'identifiant lui-même

autant que la cible ainsi pointée du doigt, Falardeau

s'élance dès lors dans un interminable torrent d'insultes et

CIN-6021 - Recherche sur le cinéma québécoisHiver 2013

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

de reproches, trainant ses ennemis dans la boue tout au long

des quinze minutes de son exposé. Comparé à la voix

triomphante et au langage soigné de Lorne Greene, le joual

grinçant de Falardeau a de quoi surprendre. Il serait

tentant de voir Le temps des bouffons comme un carnaval à

l'égard de l'idéologie fédérale renversant temporairement

les rapports hiérarchiques. N'en résulte-t-il pas une sorte

de film ethnographique inversé dans lequel le colonisé

retourne les caméras du colonisateur contre lui et s'invite,

tel un chien enragé, dans la cabine d'enregistrement de

l'ONF15?

2. b ) Falardeau et la critique postcoloniale : les limites

du modèle binaire

Récapitulons : Falardeau abroge et se réapproprie la

forme orale du documentaire onéfien d'avant 1960. D'une

part, à l'idéologie fédérale qui y était traditionnellement

associée, il substitue un discours anticolonial et, d'autre

15 Les politiques de l'organisme ayant grandement changées depuis l'époque de Grierson, il appert tout de même pertinent de mentionner quela postproduction du Temps des bouffons fut effectivement complétée dans les studios de l'Office. La bande-son y a même été enregistrée en Dolby SR, tel que Falardeau le précise ironiquement lui-même (cité dans La France 1999, p.167).

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

part, il bâtardise ses paramètres formels de l'intérieur par

une stratégie de subversion orale. L'arme idéologique du

colonisateur est ainsi retournée contre ce dernier. À partir

de là, que peut-on dire de la démarche du controversé

cinéaste?

Sans doute les penseurs postcoloniaux seraient-ils

nombreux à soulever les paradoxes du modèle binaire sur

lequel s'appuie Falardeau. Pour attaquer son ennemi de la

sorte, le cinéaste se doit de l'identifier clairement en

marquant la distance qui les sépare. Ce faisant, il installe

les membres du Beaver Club dans une position de domination

et met de l'avant une « subjectivité par opposition »

(Randall 2003, p.78) à l'égard de ces derniers, s'enfermant

lui-même dans le rôle du colonisé! Autrement dit, comme

d'autres courants anticoloniaux tels que la Négritude,

Falardeau tombe dans le piège de l'essentialisme en ne se

définissant lui-même que par les distinctions qui le

séparent de son maitre. À la lumière des travaux de Sandra

Hobbs, le cinéma de Falardeau s'inscrit ainsi en continuité

avec la pensée anticoloniale québécoise des années 1960,

CIN-6021 - Recherche sur le cinéma québécoisHiver 2013

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

alors que les textes d'André Major, Paul Chamberland ou

Gaston Miron empruntaient aux théories de la décolonisation

une conception binaire et oppositionnelle de la résistance

pour penser les tensions entre anglophones et francophones

au Québec. Un tel modèle installe une relation de domination

perpétuelle dans laquelle l'individu colonisé ne peut que «

servir de repoussoir négatif du colonisateur, imbu, lui de

qualités positives » (Hobbs 2003, consulté en ligne).

Telle était l'une des plus vives critiques adressées

par Homi K. Bhabha aux écrits de la décolonisation16. Si

colérique et si violente pouvait être la pensée

anticoloniale, Bhabha estimait toutefois qu'elle n'était

utile qu'à bien peu de choses, ne déstabilisant jamais la

relation coloniale. Falardeau frappe, gueule, insulte :

cependant son emploi de la dichotomie colonisateur/colonisé

renforce, sinon préserve la place de chacun dans le jeu

colonial. La notion d'hybridité, que Bhabha élabore dans The

Location of Culture (1994), cherche à reconfigurer notre16 Précurseurs de la pensée postcoloniale, les auteurs anticoloniaux tels que Frantz Fanon, Aimé Césaire ou Albert Memmi sont, depuis The Location of Culture, fort marginalisés au sein des études postcoloniales quileur reprochent notamment le nativisme de leur pensée.

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

compréhension de l'identité culturelle : contre la

conception d'une identité immuable et d'un rapport colonial

dichotomique, l'hybridité s'appuie sur un rejet de tout

essentialisme, revendiquant une identité hybride qui serait

moins la conséquence toxique du colonialisme qu'une force de

laquelle le colonisé peut tirer profit. Par cette identité

hybride, le colonisé rejette dès lors les catégorisations du

colonisateur et refuse de se réduire aux stéréotypes que ce

dernier emploie pour le désigner, contrairement aux penseurs

anticoloniaux chez qui on revendique le stéréotype comme

essence par laquelle on se distingue du colonisateur. Cette

hybridité se repèrerait d'emblée dans les littératures

postcoloniales par le refus d'une position d'énonciation

stable exprimée notamment par les narrations polyphoniques.

Ultimement, la pensée de Bhabha nous mènerait à «

conceptualiser une culture internationale, basée non pas sur

l'exotisme du multiculturalisme ni sur la diversité des

cultures, mais sur l'inscription et sur l'articulation de

l'hybridité de la culture » (1994, p.38 [notre traduction]).

CIN-6021 - Recherche sur le cinéma québécoisHiver 2013

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

Vu de cet angle, Falardeau peine à entrevoir un horizon

au-delà d'une situation coloniale qu'il s'acharne pourtant à

dénoncer. Cela dit, à l'autre bout du spectre des études

postcoloniales, une branche plus récente tente de

revaloriser l'apport des théories de la décolonisation.

L'approche matérialiste de Benita Parry émet un nombre

important de critiques à l'encontre des travaux de Bhabha

qui nous permettrait de considérer autrement la démarche de

Falardeau. Sans nier que les modèles d'oppositions binaires

soient souvent motivés par la colère et la passion négative,

Parry démontre néanmoins que ces discours ne sauraient se

résumer à une simple « inversion des données binaires du

cadre conceptuel impérial » (2005, p.40 [notre traduction])

comme le suggère Bhabha.

Parry reproche notamment à l'auteur indien le

textualisme de son approche qui, à son avis, tend à perdre

de vue les conditions d'existence matérielles de

l'expérience coloniale. Elle déplore, depuis

l'institutionnalisation du champ des études postcoloniales,

né de la rencontre entre le marxisme anticolonial et le

CIN-6021 - Recherche sur le cinéma québécoisHiver 2013

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

poststructuralisme, que la forte tendance textualiste du

second courant ait saturé la discipline, notamment depuis

les travaux de Spivak et de Bhabha. En ne se limitant qu'à

l'analyse de la culture et en s'intéressant trop peu à la

réalité politique, les études postcoloniales se seraient

détachées des conditions d'existence matérielle, évacuant le

dissensus et occultant ainsi la vocation révolutionnaire du

courant anticolonial. De par le scepticisme épistémologique

importé du poststructuralisme, une attitude insouciante à

l'égard de la gravité de l'histoire se serait installée,

transformant « le postcolonialisme en pratique

réconciliatrice plutôt que dénonciatrice » (ibid, p.4 [notre

traduction]). Ainsi, elle reproche au concept d'hybridité de

Bhabha d'exiger des populations ayant subi la violence

épistémique du colonialisme de simplement accepter sans

rechigner la nouvelle nature syncrétique de leur identité.

Or, pour Parry, l'attitude des penseurs postcoloniaux qui

rejettent la résistance envers l'assimilation culturelle du

conquérant est à la fois « anhistorique et immorale de par

son indifférence face aux violences perpétrées à l'endroit

CIN-6021 - Recherche sur le cinéma québécoisHiver 2013

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

des dominés » (ibid, p.90 [notre traduction]). Devant ce

constat, la résistance contre-discursive semble non

seulement légitime, mais également indispensable en tant que

devoir de mémoire. Ce constat fait écho à la pensée de

Falardeau qui s'explique sur les propos tenus dans Le temps

des bouffons, postulant que, peu importe la force des insultes,

« on pourra [sic] jamais leur faire autant de mal que tout

ce qu'ils nous ont fait » (La France 1999, p.170). Autrement

dit, tant pour Falardeau que pour Parry, on ne peut tout

bêtement balayer du revers de la main des siècles

d'exploitation coloniale.

D'autre part, à l'inverse de la supposition selon

laquelle tout contre-discours nativiste ne fait qu'inverser

les paradigmes binaires du discours impérial sans rejeter

les valeurs européocentriques17 sur lesquelles il se fonde,

Parry se portera à la défense des littératures

anticoloniales en tentant de démontrer les effets

d'autonomisation [empowerment] qu'elles produisent. Le

contre-discours, en plus de souligner l'aliénation du

17 Nation, vérité, essence, propriété, etc.

CIN-6021 - Recherche sur le cinéma québécoisHiver 2013

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

colonisé et les contradictions du discours colonial, n'est

jamais plus puissant que lorsqu'il permet au colonisé de

refuser la subjugation « dans un mouvement d'affirmation

culturelle marquée par une prise de position combattive »

(ibid, p.52 [notre traduction]). Il ne s'agit pas d'ignorer

les potentielles dérives ethnocentriques du contre-discours

nationaliste, mais bien de souligner sa valeur

révolutionnaire en distinguant un nationalisme anticolonial

d'un nationalisme impérialiste. À l'opposé des postures

ambivalentes de Bhabha qui traduisent une certaine passivité

envers la violence épistémique de l'expérience coloniale, la

lutte contre-discursive permet de mobiliser la résistance

populaire en soulignant au peuple l'ampleur de son

assujettissement et contribue ainsi concrètement à la

démarche de libération. En tenant compte du contexte de

production et de distribution du Temps des bouffons, œuvre

terminée avec des bouts de ficelles puis partagée

clandestinement sous le manteau, le tout à peine un an avant

un référendum sur la souveraineté du Québec, cette idée de «

prise de position combattive » par la culture telle

CIN-6021 - Recherche sur le cinéma québécoisHiver 2013

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

qu'avancée par Benita Parry semble bien correspondre à la

démarche de Falardeau. De l'aveu même du cinéaste, la

campagne d'autodistribution sur copies VHS du film s'inspire

directement de luttes de libération culturelles d'autres

pays :

[...] j'avais lu dans un livre de Frantz Fanon que la Révolution algérienne

avait été rendue possible, entre autres grâce à l'invention du transistor

qui diffusait les émissions du FLN. Plus tard, j'avais appris qu'en Iran,

Khomeyni avait réussi à canaliser les forces qui s'opposaient au Chah en

utilisant des cassettes audio sur lesquelles il enregistrait ses discours

politiques. Et en Palestine, quand les médias ne peuvent pas se rendre

dans les territoires encerclés, il arrive parfois que des journalistes de ABC

ou de CNN donnent aux Palestiniens des caméras Hi-8 pour qu'ils filment

les événements à leur place... (cité dans La France 1999,

p.175).

Le temps des bouffons se voulait d'emblée un pamphlet

révolutionnaire, qu'on encourageait à dupliquer sans égard à

la paternité artistique de l'œuvre. Si l'on peut questionner

CIN-6021 - Recherche sur le cinéma québécoisHiver 2013

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

l'éthique du cinéaste qui verse plus souvent qu'autrement

dans la haine pour ceux qu'il capture avec sa caméra, la

capacité de son œuvre de susciter l'indignation envers

l'élite néocoloniale demeure entière, tel qu'en témoigne la

longévité de sa diffusion. La force politique du film tient

peut-être à sa fonction didactique « qui dévoile au peuple

son aliénation et l'incite à la révolution » (Hobbs 2003,

consulté en ligne). Quoi qu'il en soit, au final, exactement

comme son modèle onéfien, Le temps de bouffons demeure ni plus

ni moins qu'une œuvre de propagande : une contre-propagande,

une propagande du pauvre, certes, mais une propagande tout

de même.

Conclusion : vers une étude postcoloniale du cinéma

québécois

Après cette relecture de l'histoire de l'ONF se dessine

devant nous une dynamique de confiscation et de

réappropriation de la parole, le documentaire traditionnel

la confisquant, le cinéma direct la restituant. À l'instar

des littératures postcoloniales qui furent le fruit d'un

CIN-6021 - Recherche sur le cinéma québécoisHiver 2013

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

processus d'abrogation et d'appropriation des institutions

littéraires des cultures conquérantes par les cultures

conquises, le cinéma québécois nous semble être né d'un

exercice de réappropriation similaire d'un média d'origine

colonial. Retournant les moyens de son ennemi contre lui,

Falardeau, le colonisé, récupère la forme orale du

documentaire onéfien et nous propose un contre-discours

anticolonial. Exactement comme John Grierson qui employait

le cinéma « pour servir une campagne de réforme politique et

culturelle » (Ian Aitken cité dans Zéau 2006, p.32), le

cinéaste élabore une propagande cinématographique visant non

pas à renforcer le statu quo, mais à le renverser. Il ne

parvient toutefois pas à éviter un piège maintes fois

annoncé par la théorie postcoloniale contemporaine, celui du

modèle binaire qui le contraint malgré lui à maintenir

intacte la relation coloniale.

Ceci étant dit, Benita Parry suggère que le contre-

discours de libération préserve néanmoins la fonction

didactique de souligner au peuple son aliénation, sans doute

la première étape d'une prise de conscience collective qui

CIN-6021 - Recherche sur le cinéma québécoisHiver 2013

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

puisse mener au renversement politique du dominant. Le

discours de Falardeau est sans doute exagéré, fondé sur une

conception au moins partiellement imaginaire de la situation

politique québécoise qui demeure difficilement comparable

sur le plan des conditions de vie à l'oppression coloniale

du Ghana. Inversement, un tel discours est sans doute

symptomatique d'une aliénation ressentie, comme le suggère

Althusser : « les hommes se font une représentation aliénée

et imaginaire de leurs conditions d'existence parce que ces

conditions sont dominées par l'essence de la société aliénée

» (1976, p.40). Ou encore, comme l'avance Albert Memmi, si

la situation coloniale du Québec ne se compare pas à

certains cas extrêmes, la domination de la nation

québécoise, assujettie à l'ensemble canadien, est

indéniable. Si « toute domination est relative et toute

domination est spécifique » (Memmi 2010, p.107), Memmi

conclut que ce sera ultimement aux Québécois eux-mêmes de

définir la spécificité de leur domination. Devant la rareté

des travaux s'interrogeant sur la postcolonialité du Québec,

c'est une question à laquelle nous nous attarderons

CIN-6021 - Recherche sur le cinéma québécoisHiver 2013

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Pier-Philippe Chevigny Le temps des bouffons

Pierre Falardeau et la réappropriation postcoloniale du documentaire onéfien

ultérieurement en nous intéressant aux hypothèses proposées

à cet égard par les cinéastes québécois. La notion de

contre-discours gagnerait sans doute à être employée pour

relire certaines œuvres du corpus québécois qui tentent

d'offrir une résistance symbolique aux idéologies fédérales

du bilinguisme ou du multiculturalisme (L'Acadie l'Acadie?!?, Yes

sir Madame!, Elvis Gratton, etc). Notre hypothèse sur la

naissance du cinéma québécois comme étant à un phénomène à

priori postcolonial, de par cette dynamique de

réappropriation, mérite également d'être approfondie lors de

travaux subséquents.

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Indépendant

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