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ITALIENS D'ÉRYTHRÉE, ÉRYTHRÉENS D' ITALIE.

LA LITTÉRATURE POSTCOLONIALE ITALIENNE

PROVENANT DE L'ÉRYTHRÉE

L'aînée des colonies italiennes

La colonisation de l'Érythrée commença avec l 'acquisition du port d' Assab, acheté au sultan cifar de la région en 1869 par la com­pagnie Rubattino, acquisition ensuite abandonnée pendant presque une décennie. En réalité, l ' idée initiale du gouvernement italien était d'aider les Britanniques dans une marche aventureuse sur Khartoum, au Soudan, qui se serait probablement terminée par un désastre militaire. Selon l 'avis de l ' historien Angelo Del Boca, face à une situation internationale particulière, 1 'Italie dut revoir ses ambitions et se diriger vers la Mer Rouge 1

L'Érythrée peut être considérée à la fois comme la première colonie italienne et le pays où la colonisation italienne dura le plus longtemps. En analysant 1 'histoire des rapports entre 1 ' Italie et l'Érythrée, on remarque combien les liens entre les deux peuples ont été, pendant un certain nombre d'années, très étroits. En parti­culier, les premiers coloniaux donnèrent vie à des familles qui restè­rent à Asmara presque un siècle, c'est-à-dire pendant plusieurs générations. C'est la raison pour laquelle des auteurs nés de familles italiennes en Érythrée, et émigrés en Italie seulement par la suite, ont été intégrés dans cette recherche. Les aventures coloniales ita­liennes ont poussé ces écrivains à se sentir italo-érythréens ou érythréens-italiens : une identité hybride qu'il n' est possible de comprendre que dans le cadre des é tudes littéraires postcoloniales.

L'œ uvre d'Erminia Dell'Oro

Provenant d 'une famille arrivée en Érythrée au cours de la pre­mière colonisation, à la fin du XIx • siècle, Erminia Dell ' Oro a vécu à Asmara les premières vingt années de sa vie , avant de rejoindre Milan par la suite. D'origine juive par sa mère, elle a trouvé dans le judaïsme la métaphore d 'une diaspora infinie, diaspora qui a touché l 'auteur elle-même, sa famille, les personnes qui ont grandi à ses côtés. Sa prose peut être divisée en trois sous-ensembles : celui qui procède de la matrice hébraïque-diasporique, à laquelle appartien­nent des œ uvres telles qu'Asmara addio et Il flore di Merara, celui qui

1 Del Boca (Angelo) , Gli italiani in Ajrica orientale, vol . 1. Milano : Mondadori , coll . Oscar Storia, 1991, 29 1 p.

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L'auteur avait appris le tigrigna afin de mieux communiquer avec les femmes de ménage qui fréquentaient sa maison. Ceci explique le plurilinguisme de ses œuvres, dans lesquelles se confondent des ter­mes t ïarïana, amhariques et italiens, et parfois des vocables cl 'une langue qui pourrait être définie comme une sorte d'« italien­érythréen », c'est-à-dire un italien fautif mais d'une grande puissance expressive, parlé dans les rues d'Asmara par les jeunes autochtones pour communiquer avec les colonisateurs .

Dell'Oro met en cause la limite entre réalité et fiction, puisque toutes ses œ uvres s' inspirent de faits réels : si Asmara Addio relate l'histoire de sa propre famille, le deuxième roman, L'abbandono. Una

storia Eritrea, s'inspire des aventures d'une métisse italo-érythréenne que l 'auteure a réellement connue. Même Il flore di Merara, sa troisième œ uvre, est la reconstruction de l 'histoire de deux frères juifs, devenus par la suite voisins de l' écrivaine à Milan, et ensuite obligés de s'enfuir à Asmara juste avant la promulgation des lois raciales. D'ell'Oro n'est pas la seule, bien sûr, à vouloir rendre incertaine la démarcation entre vie et littérature : un écrivain allemand comme W. G. Sebald insère ainsi des photographies ou des comptes rendus médicaux réels dans ses œuvres. De même, Dell'Oro réutilise des lettres, des conversations et des extraits de journal, transcrits sans modification substantielle, à l'intérieur de ses romans. Une telle construction narrative nécessite un travail préli­minaire d'entrevues, de collecte et de catalogage du matériel, et c'est ce que font les deux écrivains, conscients du fait que c'est dans la réalité que se trouvent les matériaux de la fiction. Du point de vue éthique , cette entreprise révèle une semblable attirance vers la mémoire, et surtout vers la nécessité de ne pas faire disparaître le passé dans 1' oubli : dans les deux cas, on pourrait dire que la litté ­rature rend service à l 'Histoire, car elle redécouvre et réutilise du matériel et des mémoires qui, autrement, courraient le risque d' être perdus.

Chez Dell'Oro, ces différents éléments sont cachés par la struc­ture narrative apparemment « classique » et par le recours constant à l'épique, héritage manifeste de la culture orale érythréenne . Plutôt

2 Dell'Oro (Erminia), Il flore di Merara. Milano : Baldini & Castoldi Dalai, coll. Romanzi c racconti , 1994, 200 p. ; Dell'Oro (E.), Asmara addio. Milano : Baldini & Castoldi Dalai, coll. La tartaruga, 1997, 264 p.; Dell'Oro (E.), L'abbandono.

Una storia critrea. Torino : Einaudi, coll. ET Scrittori, 2006, 278 p.

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que les allusions explicites à des formes de littérature orale locales, on remarque dans sa prose un lien plus général avec 1 'oralité, visible dans la modulation du récit, dans l'utilisation de stratégies expres­sives déterminées et dans l'usage récurrent de la première personne du singulier.

L' endroit où 1 'on vit semble ne jamais être celui où 1 'on voudrait vivre, et cela témoigne d'une conception complexe de ce que peu­vent être une maison, une patrie et une nationalité . À ce propos, il est utile de reprendre un essai d'Erica Johnson qui, en 2003, a ana­lysé de manière comparatiste les œ uvres d'Erminia Dell'Oro, de Jean Rhys et de Marguerite Duras 3

• Ces écrivaines, toutes rapatriées d'un pays colonial en Europe, ont en commun une perception de la « maison » qui ne correspond pas forcément à un lieu physique, et une conception de la « patrie » qui ne répond pas aux critères légaux de la nationalité. Rhys, Duras et Dell 'Oro ne s'embarrassent pas de savoir si elles ont été des résidentes coloniales ou immigrées ; elles peuvent imaginer leur « maison » ou leur « patrie » dans les colonies aussi bien que dans la métropole européenne dont elles sont léga­lement des citoyennes. Dans leurs œ uvres, la relation entre colo­nisés et colonisateurs qui, au premier abord, semble être prévisible dans ses dynamiques de domination et de soumission, se transforme et se complique. Parfois les rapports de pouvoir s'en retrouvent inversés ou contradictoires : les auteurs nés dans les colonies déve­loppent une conception de nationalité fluide, davantage liée aux personnes et aux rapports affectifs qu'aux lieux physiques, sans qu'il y ait d'appartenance totale ni à la mère-patrie d'origine (qui au départ leur est méconnue ou même inconnue) ni au pays colonisé, dans lequel ils représentent quoi qu'il en soit une présence de la nation colonisatrice. Leur appartenance se place « entre » les deux lieux et, pour cette raison, le judaïsme pour Dell 'Oro représente une catégorie privilégiée de l'identité.

Le rapport de pouvoir ambigu entre colonisateurs et colonisés est encore plus visible dans le roman L' abbandono. Una storia eritrea, dans lequel les protagonistes sont un frère et une sœur métis. La crise cl' identité et les obstacles pratiques qu'ont rencontrés les métis représentent une des pages les plus noires du colonialisme italien ; les métis d'Erminia Dell'Oro subissent les contraintes qui leur viennent du fait d'être partagés entre deux cultures : ni Italiens ni Érythréens, ils vivent un double refus, une double exclusion qui,

3 Jolmson (E.), Home, Maison, Casa: the Politics !if Location in Works by jean Rhys,

Marouerite Duras and Erminia Dell'Oro. London : Associated University Press, 2003, 264 p.

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dans le roman, s'ajoute aux sentiments de frustration et de rancune éprouvés par leur mère, abandonnée par son mari italien. Au niveau symbolique, les métis représentent une sorte de « non-être», car si, d 'un côté, ils sont la concrétisation des peurs fascistes (la race italique qui devient impure, le rapport colonisateur 1 colonisé remis en question) , de l 'autre, ils cristallisent également les craintes éry­thréennes, puisque l' enfant métis, en partie italien, peut signifier la soumission complète et totale à 1 'égard de la puissance coloniale :

Elle regarda les enfants. - Et ceux-là ? - demanda-t-elle, ce sont tes enfants ? Sellass fit un signe avec sa tête. - Toi aussi avec les Blancs. Donc, t'as des bâtards ... Marianna serra bien fort la main de sa mère. Elle ne connaissait pas encore le sens des paroles de Mebrat, mais elle ne les oublie ­rait jamais, elle comprit que c'était une insulte pour elle et pour Sellass, qu'elle regarda avec haine 4

Dans l ' Asmara multiethnique des années 1950, les histoires authentiques des deux jeunes témoignent des difficultés de l'Éry­thrée comme de l ' Italie à surmonter la colonisation.

Les écrivains métis : Alfredo Antonaros

Alfredo Antonaros, métis d 'un père italien et d'une mère gréco­érythréenne qui, à seulement cinq ans, quitta Adi-Caiéh, son village natal des montagnes du haut-plateau érythréen, appartient au con ­traire aux auteurs postcoloniaux érythréens. Très jeune auteur du recueil de poèmes lyriques Di vetro, di terra, il a par la suite publié les romans Rapporti sperimentali , Tornare a Carobèl , Mahà, Per Sarah, ainsi que La piatuiforma, un recueil de récits, et un livre de notes de voyage chez l' éditeur romain Theoria 5• Les romans comme Toma re

a Carobèl et Mahà, dont l 'action se déroule en Érythrée (bien que ce cadre, comme nous le verrons, ne soit jamais explicité), sont très utiles à notre étude : le premier , en particulier, contient plusieurs allusions clairement inspirées d'anecdotes vécues directement par l'auteur.

4 Dell'Oro (E.), L'abbandono, op. cit., p. 59. (Nous traduisons cette citation, comme toutes les suivantes. ) 1 Antonaros (Alfredo), Di vetro, di terra . Padova: Rebellato, 1970, 89 p.; Anto­naros (A.), Tornare a Carobèl. Milano : Feltrinelli, coll. Narratori italiani, 1984, 125 p. ; Antonaros (A.), Maho. Storia di cinema e petrolio. Milano : Feltrinelli, coll . Narratori italiani, 1987, 19 1 p. ; Antonaros (A.), Per Sarah. Milano: Fcltrinelli, coll. Narratori italiani , 1990, 156 p. ; Antonaros (A.), Moto a luoao. Bologna : Pendragon, 1995, 110 p.; Antonaros (A.), La piattciforma. Milano: Jaca Book, 1997, 137 p. ; Antonaros (A.), Viaaai. Roma: Theoria, coll. Guide, 1998, 186 p.

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Carobèl est un village situé en Afrique orientale, dans un pays qui n 'est cependant jamais nommé, de sorte que le lecteur a l'impres­sion d'un univers mythique et quasi irréel. Dans le texte, un homme décide de rentrer dans son village natal, mais son retour est accablé par le souvenir des vicissitudes subies par ses ancêtres constamment en fuite : son arrière-grand-père Ivan est parti de Samarcande avec sa femme Yasmin; ses grands-parents Rus et Constantine sont par­tis, eux, de Sirne pour rejoindre Alexandrie en Égypte, tandis que la mère du narrateur (d'origine grecque comme l'auteur) a abandonné Carobèl avec son enfant pour rejoindre Marseille. Le retour aux racines est décrit à travers des typologies narratives qui, sous plu­sieurs aspects, rappellent celles qui sont utilisées par Dell 'Oro :chez Antonaros aussi, le rapport avec 1 'oralité est essentiel. En effet, la narration est divisée en deux parties : c'est d'abord la mère qui raconte à son fils le passé de sa famille ; ensuite , le jeune homme lui­même, désormais adulte, ressent la nécessité de rentrer à Carobèl pour retrouver ses racines. Le roman est caractérisé par une atmosphère particulière, en relation avec une sorte de « philosophie de l 'exil » qui conçoit celui-ci comme une richesse à condition que l'on arrive à reconstruire des liens véritables avec les cultures d'ori­gine. Pendant son voyage, le protagoniste se découvre nouveau, différent : il se rend compte qu'il ne peut pas passer par les étapes intermédiaires qui, en d 'autres contextes, auraient sûrement été profitables à la construction d'une relation, parce que les départs et les retours à travers lesquels il a mûri l 'ont habitué à d ' intenses manifestations de joie ou de désespoir en lui cachant le parcours parfois lent entre un grand bonheur et une immense tristesse. Il se souvient alors des paroles d'un ami, qui l'avaient décidé à entre­prendre le voyage et qui résument en même temps les caractéris­tiques de ceux qui vivent un exil permanent : «Trop aggressifs. Trop conciliants. Trop timides. Trop durs. Vous êtes toujours trop - me dit Ruet.- Vous qui?- Toi, ta famille. Vous, les émigrants. Difficulté d'adaptation, je crois » 6

.

L'illusion du voyage, et en même temps l 'impossibilité d'un retour, sont les thèmes principaux de la partie conclusive du texte. Dans ces considérations, il est possible de retrouver plusieurs points communs avec l'œuvre de 1 'écrivain togolais italophone Kossi Komla-Ebri, en particulier avec son roman Ney/a 7

, œuvre dans laquelle il décrit le malaise qu' éprouve le protagoniste en retrouvant

6 Antonaros (A.), Tornare a Carobèl, op. cit., p. 59. 7 Komla-Ebri (Kossi), Ney/a. Milano : Edizioni dell' Arco, coll. Letteratura migrante, 2002, 104 p .

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une Afrique différente, autre par rapport à celle qui, désormais, n 'existe plus, ou qui n'existe plus que déformée dans ses souvenirs. Dans ce contexte problématique où les questions sont nombreuses mais ne reçoivent pas de réponses, l'identité hybride de l'auteur s'exprime dans l' image finale du village natal. Le Carobèl de son enfance n'existe plus, donc aucun retour n'est possible :

Je suis r entré trop tard à Carobèl. La pluie, la forêt, le soleil ont tout détruit, transformé, effacé . Des racines, des branches, des lianes ont recouvert et mélangé les signes du Carobèl de Rus, Edoardo, Mariam. Il reste un village fait de cabanes. Quelques baraques de métal pliées sur le fleuve Anseba. Et des mous­tiques, des taons, des milliards d'insectes qui crient comme des fous dans la forêt 8•

Même si le colonialisme italien n'est jamais expressément évoqué dans le roman, les réflexions de l'auteur à propos de notions comme l' exil et la diaspora, ainsi que la particularité de 1 'émigration qui est advenue à l'époque de l ' indépendance, sont dignes d'intérêt, même dans une perspective postcoloniale. Comme Erminia Dell'Oro, Alfredo Antonaros aussi a quitté le pays dans lequel il était né et où avait grandi sa famille, l 'Érythrée, pour aller vivre dans le pays d 'origine de son père, une Italie qu ' il ne connaissait pas et que même ses parents semblaient peu connaître.

Les écrivains provenant de familles érythréennes

Parmi les écrivains italophones nés en Érythrée de familles autochtones, qui, dans la plupart des cas, ont appris l ' italien au cours de leur formation scolaire, il faut mentionner les poètes Tesfai Fuzum Brhan 9 , Ham id Barole Abdu et Elisa Kidané. Les deux premiers ont publié plusieurs recueils marqués par les thèmes de la migration, de la condition de clandestin et du néo-colonialisme. Dans le premier recueil publié par Hamid Barole Abdu, par exem­ple , on remarque des titres tels que Per i dannati della terra , hom­mage explicite à Frantz Fanon, ou Chiedo asilo et 1 sentimenti del

8 Antonaros (A.), Tornare a Carobèl, op. cit ., p. 97. 9 Brhan (Tesfai Fuzum), L'ombra del poeta. Viareggio: Mauro Baroni, 1997, 98 p. ; Brhan (T.F.), La sionora Monoloaa. Firenze: Morgana , coll . Piccola enciclopedia della chimera, 1998, 121 p. ; Brhan (T.F.), Macchie della pietra. Lettera ai lettori di

Amdemicael Kahsai. Qyasi una variazione di Marino Rosso. Firenze : Morgana, coll . Piccola enciclopedia della chimera, 2002, 132 p.; Brhan (T. F.), Alida . Milano: Edizioni dell' Arco, coll. Lettcratura migrante, 2006, 176 p.

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L'œuvre d'Elisa Kidané est sans doute plus originale , du moins du point de vue politique. Missionnaire de l'ordre des Comboniens, e lle a vécu, pour des raisons professionnelles, dans de nombreux États africains et a été pendant plusieurs années rédactrice de la revue des sœurs comboniennes : Raooio. Les motifs dominants de ses poèmes sont divers : en premier lieu, il y a la figure féminine, entendue comme métaphore de 1 'Afrique entière et comme sujet humain, social et politique prêt à relever le continent ; c'est dans cette perspective d'un « féminisme africain» qu'on peut situer l'auteure. Outre le rôle prédominant de la femme, d'autres motifs d'inspiration poétique sont l'indépendance de son propre pays et, plus généralement, le rôle politique et économique de 1 'Afrique. En témoigne le poème lyrique Eritrea , inspiré par la fin de la guerre de libération avec l'Éthiopie, et inclus dans le recueil Orme dai cuore del

monda 11

• Comme toutes les compositions d'Elisa Kidané, ce poème se caractérise par une simplicité et une efficacité qu'on pourrait qua­lifier d 'absolues, tant les paroles atteignent directement le lecteur. Parfois un vers n'est constitué que d 'un seul mot, d'autres fois les interruptions entre un vers et le suivant semblent indiquer les pauses d'un soupir, comme si le poème était un corps vivant. Les espaces blancs mettent davantage en évidence les concepts exprimés, e t 1 'on pourrait presque dire que c'est le silence qui donne un sens aux paroles. La lecture de ces phrases coupées ne peut être que synco­pée, comme si 1 'auteur voulait faire ressentir la fatigue éprouvée durant la lutte pour l'indépendance, et la déception qui suivit du fait des décisions du nouveau gouvernement. La joie du 24 mai 1991 semble désormais perdue : Asmara porte les signes de la désillusion mais néanmoins aussi ceux, moins évidents, de l'espoir :

Je rn' obstine à t rouver dans la ville entière la joie qui nous a rendus fous ce 24 mai 1991. Ils disent que maintenant

10 Ham id Barole (Abdu), Akhria. Jo sradicato poeta per fame. Reggio Emilia: Libreria del Teatro, Fuori collana, 1996, 97 p. 11 Kidané (Elisa), Orme da/ cuore del mondo. Verona : Studio !ride , 1994, 67 p.

sur notre visage un voile subtil cache une douleur ancienne.

Je ne lâche pas. ( ... ) J'observe le visage

de mon peuple : carrefour d 'espoirs et d'utopies.

J'entends des battements de cœurs décidés à ne pas succomber, et je retrouve intacte la foi granitique de mon peuple obligé à renouveler

une douleur qu' il imaginait ne jamais se reproduire. Et le vent répète à l'infini les noms des vies brisées par un fil émincé de frontière 12

Ribka Sibhatu, auteure de poèmes et de fictions, est née en 1962 à Asmara, où elle a fréquenté jusqu'en 1979 les écoles italiennes locales. Dans son récit autobiographique, Aulà. Canto-poesia

dall'Eritrea, elle raconte son expérience tragique dans les prisons érythréennes où elle avait été emprisonnée pour avoir refusé d'épouser un homme politique influent. Les pages dédiées à ces années-là sont très intenses :

Pour nous, qui étions considérées comme des prisonnières politiques, chaque porte qui claquait, chaque bruit de menottes, chaque pas lourd était terrifiant. [ . .. ]

Peu de gens, comme Abebà, savaient à l'avance qu'ils étaient condamnés à mort. Le soir, ils rentraient avec les menottes et la liste des gens à fusiller .

12 Kidané (E.), Orme da/ cuore del mondo, op. cit., p. 26.

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Puisqu'on ne savait pas à qui était le tour, chaque bruit nous faisait palpiter le cœur. Quand on entendait le dernier clac ... clac des clés, entre nous, nous disions : « Au moins, je vivrai sans doute encore vingt-quatre heures ! » Seulement, le lende­main, nous pleurions pour nos camarades fusillées. Douze ans ont passé depuis ma libération, mais les filles qui sont sorties et devenues fo lles quand j 'étais encore là vivent en moi ! Souvent, elles m'ont réveillé dans mon sommeil profond. Oui, je me lève souvent en tremblant. J'ai l'impression d 'appeler Abebà ... Abebà ! C'est le prénom d 'une belle fille fusillée, qui signifie fleur. Mais Abebà me réveille et elle ne répond pas ! Et moi, dans 1' obscurité et le silence, je pleure souvent 13

Les phrases brèves et simples utilisées pour rappeler la période d'emprisonnement avivent l 'horreur de la scène. Le langage devient descriptif, mais il s'agit d'une description qui s'attache moins aux lieux physiques qu'aux perceptions : le grincement de la porte qui s'ouvre exprime un état d 'anxiété et _de terreur, immédiatement suivi d'un soupir de soulagement au moment où la même porte se referme. Et la peur revient dans les cauchemars, douze ans après la détention, quand, dans son sommeil , la belle Abebà réapparaît et réveille l'auteure mais ne lui répond pas, car elle a été fusi llée des années auparavant. Toujours dans Au/à, texte caractérisé par l'utili­sation d'une pluralité de genres littéraires, l'auteure dédie à Abebà un poème : « La mia Abebà », dont la dernière strophe, dans la version italienne , essaie de rendre la polysémie des vers d 'origine : le terme « Abebà », en effet, peut être utilisé en tigrigna comme nom propre mais signifie également « fleur » :

Il y avait une fille d'Asmara, A Haz-Haz sur la colline, Ah ... Abebà la belle, Élégante et mince ; Fleur rimait avec Abebà, Tout comme le bistre et l'œil!( ... )

Dans une nuit intense Ils me l'ont prise avec des menottes ! Chaque jour elle est absente, Mais dans le noir elle est omniprésente ! [ ... ]

13 Sibhatu (Ribka), Au/O. Canto-poesia daii'Eritrea. Roma: Sinnos, coll. 1 Mappa­mondi, 1993, 128 p.

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Il est seulement écrit « en souvenir des miens » Sur l'alghelghel de mon Abebà, Une fleur abîmée avant de s'ouvrir, Ma camarade de prison 14

Accompagnant le texte, les notes aident à comprendre certains mots érythréens qui s' insèrent très naturellement dans la composi­tion : Haz -haz est le nom d'une prison pour femmes à Asmara, tandis que 1 'aghelghel est un panier avec un couvercle en forme conique que l' on fait à la main en tressant des feuilles de palmier et qui sert à emmener le hmbascià , c'est-à-dire le pain érythréen que l'on utilise pour fêter ou commémorer un évènement, dans ce cas la mort d ' Abebà, donc un deuil.

Les dix ans d'emprisonnement ont certainement représenté un moment traumatique dans l'existence de Sibhatu, même si c 'est justement dans la prison d'Asmara que l'auteure a ressenti pour la première fois la nécessité de raconter et d'écrire. Ce fut lors de ces jours tragiques, en effet, que la jeune Érythréenne découvrit sa vocation d'écrivaine et commença à approfondir sa connaissance de la culture et de la littérature orale de son peuple. Ce corpus, fonda ­mental pour sa poétique, est résumé dans la deuxième partie de Aulo, où sont décrits les divers genres oraux érythréens : le aulo

même, qui est une composition en vers rimés utilisée pour louer, critiquer ou se défendre ; ou bien le melques, qui est chanté aussi en hommage aux animaux ou aux personnes morts, dans le but de mettre en évidence le vide qu' elles laissent sur terre. Le langage de Sibhatu a un lien très étroit avec 1' oralité et, dans certains poèmes lyriques, elle retranscrit des sonorités qui , lorsque le texte est déclamé, pourraient donner une idée de la grande richesse de la tradition érythréenne. C'est le cas du poème « La figlia delle cavallette », publié dans le deuxième chapitre de Aulo, où sont reportées sous forme écrite les trois trilles de jubilation que les voisines et les femmes de la famille émettent à la naissance d'une fi lle (sept quand il s'agit d'un garçon).

Sauterelles, ciel obscur, Terre flagellée . Une mère S'angoisse sur le lit.

Un sombre mois septembre, Il manque le vert et les légumes !

Ileleleleleleleleleleleleil ... !

14 Sibhatu (R.), Au là, op. cit., p. 38.

Ilelelelele lel~

Ilelelelelelel~

À peine arriv Elle commen

D ' une manièr• au cours des ann< en Italie, lui a pe de la maîtriser. ( cittadino che non c

l'immigré dans le çoivent aussi dan sione», qu'on r mentionnée : Ali richesse cultureU. envers non pas u1 qu'on trouvait a précédemment) :

Seule, Assise sur Le banc publi Me caresse UJ

Chaud, africa Je vois la sava Le royaume< La lune candi J' entends li or La danse ryth Des fleuves, Chants méloci Aromatisés Trilles sonore De mes mère. Je me lève Et jaillissent Des larmes ch De solitude 17

15 Sibhatu (R.), Aulo, . 16 Sibhatu (R.), 11 ciu

EdUp (Edizioni dell 'l 17 Sibhatu (R.), « Illw ratura e immiarazione. 1

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La littérature postcoloniale italienne provenant de I'Ërythrée (51

Ileleleleleleleleleleleleil .. . Ileleleleleleleleleleleleil .. .

À peine arrivée au monde, Elle commença à pleurer ! [ ... ] 15

D'une manière générale , l' emploi de la langue italienne , apprise au cours des années passées à l 'école d'Asmara, puis de l'émigration en Italie, lui a permis une double référence culturelle et la capacité de la maîtriser. Cette double compétence se retrouve dans 1 'essai Il cittadino che non c'è, une analyse sociologique portant sur l' image de l'immigré dans les médias italiens 16

• Les deux appartenances s'aper­çoivent aussi dans le poème lyrique au titre emblématique d '« Illu­sione », qu'on peut lire dans 1 'anthologie que nous avons déjà mentionnée : Ail e altre storie ; ce poème exprime l'idée que la richesse culturelle semble conduire à une nostalgie encore plus forte envers non pas une, mais deux patries idéales et inaccessibles (thème qu'on trouvait aussi dans le roman cl' Alfredo Antonaros évoqué précédemment) :

Seule, Assise sur Le banc public romain Me caresse un air Chaud, africain.

Je vois la savane Le royaume de La lune candide ; J'entends lions, La danse rythmée Des fleuves , Chants mélodieux Aromatisés Trilles sonores De mes mères ... Je me lève Et jaillissent Des larmes chaudes De solitude 17

15 Sibhatu (R. ), Au/0, op. cit., p. 38. 16 Sibhatu (R.), JI cittadino che non c'è. L'immiorazione nei media italiani. Roma: EdUp (Edizioni dell 'Università Popolarc), coll . Studi e saggi, 2004, 360 p. 17 Sibhatu (R.), « Illusione », dans Gnisci (Armando), cd., Ail e altre storie. Lette­

rawra e immiorazione. Roma : Rai-Eri , 1998, 179 p. ; p. 97-98.

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52)

La deuxième génération : écrivains d'origine érythréenne nés en Italie

Les écrivains nés en Italie de familles d'origine érythréenne, ou

qui y sont arrivés très jeunes, peuvent être définis comme des

auteurs de deuxième génération . Ils maintiennent les caracté­

ristiques des deux cultures, comme on peut le voir dans les œuvres

de Hab té W eldem ariam et Alessandro Ghebreigziabiher , qui sont à signaler. Tous les deux présentent en effet un fort lien avec la cul­

ture orale érythréenne . Ghebreigziabiher, par exemple, témoigne

dans son écriture de sa profession de comédien et de récitant en

utilisant, surtout dans son roman Il poeta, il santo e i/ naviaatore,

certaines tournures typiques du langage parlé 18• Ce mélange entre

narration orale et écrite se retrouve, avec une plus grande force

expressive et une maturité littéraire complètement différente, chez

l' écrivaine italo-éthiopienne (de m ère érythréenne) Gabriella Gher­

mandi 19•

L'œ uvre de Hab té W eldemariam aussi est très liée à la littérature

orale érythréenne : dans le livre La terra di Punt , l'auteur non seule­ment rapporte certaines fables et légendes de sa tradition , mais

décrit aussi les éléments typiques du folklore érythréen 20, notam­

ment la coutume de raconter les histoires le soir, après le coucher

du soleil, autour d ' un feu . Les indications de W eldemariam à propos

des formules introductives du conte sont intéressantes : dans les

années qui ont suivi l'indépendance, beaucoup d ' histoires commen­

çaient en effet par la phrase « aux temps du colonialisme italien »,

équivalent de notre « il était une fois », qui emmenait les auditeurs,

pour la plupart des jeunes qui n 'avaient pas vécu l 'occupation ou qui

ne s'en souvenaient pas , dans un t emps mythique et complètement

anhistorique. Si les tarât étaient constitués d'apologues, de légendes

et de proverbes complètement inventés, les sensewây étaient des

histoires fantastiques qui avaient comme protagonistes les animaux et les lâzân wâzân des nouvelles comico-satiriques répandues surtout

chez les bergers. Toutes les histoires n'étaient cependant pas déta­

chées du contexte sociopolitique : les zennâ racontaient des histoires

authentiques, des événements historiques célèbres ou des faits divers

et avaient souvent comme suje t le colonialisme italien. En Érythrée,

18 Ghebreigziabiher (Alessandro) , Il poeta, il santo, il navieatore. Roma: Fermento, coll. Gli speciali, 2006, 189 p. 19 Ghermandi (Gabriella), Reeina di fiori e di perle. Roma : Donzelli , coll. Mele, 2007 , 3 14p. 20 Weldemariam (Habté), La terra di Punt. Bologna : EMI (Editrice Missionaria Itallana), coll . Narrazioni, 1996, 130 p.

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on ne connaît pas le pc Afrique de l'Ouest; rn:

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21 Université Libre de Br ux

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La littérature postcoloniale italienne provenant de l'Érythrée (53

on ne connaît pas le personnage du ariot, tel qu'il est conçu en Afrique de l'Ouest; mais il y avait d'autres types de narrateurs, comme les sab-zenâ qui, en racontant les zennâ , remplissaient la fonction d 'historien, les azmartf qui avaient au contraire tendance à

exagérer et à amplifier les évènements historiques et les mâssayiia,

une sorte de poètes occasionnels. La présence du personnage de Bâl' hebû, une version locale de la figure de Giufà - un personnage du folklore italien qui, sous des allures de fou du village, reflète souvent une certaine sagesse populaire - , n' est pas surprenante (même dans la tradition narrative éthiopienne , il y a un personnage parfois naïf, parfois malin nommé Hâlaqâ Gabra Hânnâ, qui pourrait faire penser à la personnalité ambiguë de Giufà).

Le livre de Weldemariam se révèle ext-rêmement utile car il cons­titue, en italien, 1 'une des rares contributions bien documentées sur la littérature orale érythréenne. Il témoigne aussi du fait que tous les auteurs originaires de l'Érythrée, et plus généralement de la Corne de l'Afrique, qu'ils viennent de familles italiennes, métisses ou indi­gènes, maintiennent un rapport intense et continu avec 1' oralité .

• Daniele COMBERIATI 21

21 Université Libre de Bruxelles.