Megarika III, IV, V, VI, VII (1981)

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Arthur Muller Megarika In: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 105, livraison 1, 1981. pp. 203-225. Citer ce document / Cite this document : Muller Arthur. Megarika. In: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 105, livraison 1, 1981. pp. 203-225. doi : 10.3406/bch.1981.1937 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bch_0007-4217_1981_num_105_1_1937

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Arthur Muller

MegarikaIn: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 105, livraison 1, 1981. pp. 203-225.

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Muller Arthur. Megarika. In: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 105, livraison 1, 1981. pp. 203-225.

doi : 10.3406/bch.1981.1937

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bch_0007-4217_1981_num_105_1_1937

MEGARIKA"

III. Rhous

La localisation du site mégarien que Pausanias appelle Rhous (I, 41,2) et des monuments qu'il signale à proximité (I, 41, 2 à 41, 9) n'est pas sans poser quelques problèmes. Les indications données explicitement par la Périégèse sont très vagues :

41, 1 Έκ δε της ακροπόλεως κατιοΰσιν, ή προς άρκτον τέτραπταΐ. το χωρίον, μνήμα έστιν 'Αλκμήνης πλησίον του Όλυμπιείου (...)

41, 2 Εντεύθεν ό των έπιχωρίων ήμΐν εξηγητής ήγεΐτο ες χωρίον 'Ρουν ως εφασκεν όνομαζόμενον, ταύτη γαρ ΰδωρ ποτέ έκ των ορών των ύπερ τήν πόλιν ρυήναι.

En descendant de Vacropole [il s'agit de l'acropole orientale, la Karia] par le versant orienté vers le Nord, il y aie monument d'Alcmène, à proximité de VOlympieion (...)

De là, mon guide local me conduisit à un endroit appelé, disait-il, Rhous: par là en effet coulait jadis Veau qui venait des montagnes au-dessus de la ville.

Tout ce qu'il est permis de déduire avec quelque certitude de ce passage, c'est que Rhous se trouve à une certaine distance au Nord de l'acropole Karia : c'est ce qu'indique la rupture dans la description — rupture soulignée par l'inhabituelle mention du recours à un guide local1 — après le dernier monument signalé, le tombeau d'Alcmène, sur le versant Nord de l'acropole orientale. Le problème est donc de savoir à quelle distance au Nord des acropoles de Mégare il faut placer Rhous.

Deux hypothèses, lancées par les voyageurs, se partagent encore aujourd'hui la faveur des commentateurs. La première est celle de Spon et de Wheler2, qui identifient l'endroit appelé Rhous avec les ruines d'un village abandonné, à trois kilomètres au Nord de Mégare, Palaiochoro3. Dans ce cas il faut admettre que le Périégète a fait

(*) Ces notes font suite, sous les numéros III à VII, aux notes I et II parues sous le même titre, dans le BCH 104 (1980), p. 83-92; la numérotation des figures prend également la suite de celle des figures des Megarika I et II. Irô Athanassiadi a dessiné les fig. 5 et 6 d'après le plan de J. Travlos, 'Εγκυκλοπαίδεια Δομή Χ (1971), s.v. Μέγαρα, p. 205, et les flg. 8 et 9 d'après AM 25 (1900), p. 24-25, flg. 1-2 et pi. VII.

(1) Sur cette mention, cf. Heberdey, Die Reisen des Pausanias in Griechenland (1894), p. 12, et G. Robert, Pausanias als Schriftsteller (1909), p. 178.

(2) J. Spon, Voyage d'Italie, de Dalmatie, de Grèce et du Levant... (1678), II, p. 291 ; cf. aussi le dessin p. 286 ; G. Wheler, Voyage de Dalmatie et de Grèce et du Levant (1689), III, p. 525.

(3) Cet endroit est aujourd'hui plus connu sous le nom de τοϋ Χρίστου. Cf. Wilhelm, OJh 2 (1899), p. 237.

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500 1000 m.

Fig. 5. — Le site de la ville de Mégare.

1981] MEGARIKA 205

une véritable excursion en dehors de la ville. La seconde hypothèse place Rhous auprès d'une importante fontaine moderne, dans la plaine au Nord de l'acropole occidentale, à environ 450 mètres de celle-ci, donc immédiatement à l'extérieur de l'enceinte antique, là où se trouvait la porte de Pagai (fig. 5). Pausanias se serait ainsi rendu à la périphérie de la ville, avant de retourner vers le centre4. Les commentateurs se sont ralliés tantôt à l'une, tantôt à l'autre de ces hypothèses, tantôt encore placent Rhous quelque part en dehors de la ville; mais jamais ils ne justifient ces choix et n'en tirent aucune conséquence5. Pourtant, il se dégage de la description de Mégare quelques éléments qui, comparés aux vestiges archéologiques et aux conditions hydrologiques de la région de Mégare, permettent de justifier le choix de l'une de ces hypothèses, et de déduire ensuite l'emplacement approximatif des monuments signalés à partir de Rhous.

Les indications implicitement contenues dans la Périégèse sont plutôt en faveur d'un Rhous relativement proche de la ville. Pausanias a en effet organisé sa description de Mégare en quatre grandes parties6 :

1) l'acropole orientale, la Karia, et ses abords (I, 40, 1 à 41, 1); 2) Rhous et les monuments qui s'y rattachent (I, 41, 2 à 41, 9); 3) l'acropole occidentale, l'Alkathoos, et ses abords (I, 42, 1 à 42, 6); 4) l'agora et la partie Sud de la ville (I, 42, 7 à 44, 2).

Cette façon particulière de procéder est dictée par la topographie de la ville, puisque les deux acropoles, de forme allongée, forment une longue barrière Ouest-Est, qui divise Mégare en deux parties, Nord et Sud (fig. 5). Il faut donc s'attendre à ce que les quatre parties de la description recouvrent les quatre secteurs de la ville, correspondant aux points cardinaux. Or, si on identifie Rhous avec un site éloigné de la ville, comme Palaiochorio, on s'aperçoit que la partie Nord de Mégare n'est absolument pas décrite, puisque tous les monuments cités de I, 41, 2 à 41, 9 sont donnés pour voisins les uns des autres à partir de Rhous7. Il est peu probable que tout le secteur au Nord des acropoles ait été un désert, où Pausanias n'aurait rien trouvé à signaler que le tombeau d!Alcmène (I, 41, 1). Il est probable, en revanche, que Rhous et les monuments qui y sont rattachés constituent la description de la partie Nord de Mégare et que, par conséquent, Rhous se trouve proche de la ville.

(4) Velsen, AA 1853, p. 379 ; Rangabé, Mémoires présentés par divers savants à V Académie des Inscriptions, lre série, tome 5 (1857), p. 292-293. On a souvent identifié cette fontaine avec la «fontaine des Nymphes Sithnides » (Paus. I, 40, 1) (Dodwell, A Classical and Topographical tour through Greece... [1819], II, p. 177 ; Pouqueville, Voyage dans la Grèce [1820], IV, p. 133; Aldenhoven, Itinéraire descriptif de Γ Attique et du Péloponnèse [1841], p. 73 ; RE XV [1931], s.v. « Megara », col. 177 [Mbyer]] quand ce n'est pas avec la fontaine dite de Théagène (Ghandler, Voyage en Grèce [1806], III, p. 193).

(5) Highbarger, The Hislory and Civilization of ancient Megara (1927), p. 12 et pi. I ; RE XV (1931), s.v. «Megara», col. 177 (Meyer) ; J. Travlos, 'Εγκυκλοπαίδεια Δομή Χ (1971), s.v. Μέγαρα, ρ. 207; seuls Bursian, Géographie von Griechenland (1862), I, p. 376 et Sakellariou-Faraklas, Μεγαρίς, Αίγόσθενα, Έρένεια {Ancient Greek Cities XIV, 1972), p. 54, apportent un argument pour étayer leurs hypothèses.

(6) Pour l'analyse du plan de la description de Mégare, cf. G. Robert, op. cit., p. 177-185. (7) Cf. le tableau p. 208.

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D'autre part, si Rhous est à Palaiochorio, il faut considérer cet endroit si riche en monuments — le Périégète signale à proximité un autel, trois tombes, un hérôon et deux temples — comme une agglomération indépendante de Mégare. Mais Pausanias distingue d'habitude soigneusement la description d'une cité de celle de ses environs, même immédiats : il serait étonnant qu'il ait glissé, entre la description des deux acropoles de Mégare, celle d'une agglomération située 3 km au Nord, au lieu de la placer, selon son habitude, après la description de la ville, au début de l'itinéraire Mégare-Pagai, où c'eût été sa place logique (I, 44, 4). D'ailleurs, c'est souvent parce que l'on traduit χωρίον par localité, village, que l'on identifie Rhous avec Palaiochorio, qui présente les ruines assez importantes d'un village. Si ce mot a ce sens en Grec moderne, et quelquefois même chez Pausanias (I, 19,7 pour Agrai; II, 15,2 pour Némée), il a généralement chez lui une valeur moins caractérisée, et désigne tout lieu-dit, isolé ou dans une ville8. L'hypothèse d'une agglomération indépendante, ou même d'un lieu-dit situé à Palaiochorio, étant probablement à exclure pour les raisons que l'on vient d'exposer, le mot χωρίον doit désigner un endroit précis de la ville ou de sa périphérie, de même qu'à Athènes Pausanias l'avait utilisé pour le quartier du Céramique (I, 3, 1) ou pour la rue des Trépieds (I, 20, 1).

Les vestiges archéologiques, pour Palaiochorio comme pour la région de la fontaine de la porte de Pagai, ne sont connus qu'à travers les descriptions des voyageurs. Les seules mentions des antiquités de Palaiochorio sont celles de Spon et de Wheler, qui y remarquent de nombreux remplois et quelques inscriptions dans les murs de six ou sept églises ruinées9. L'Abbé Fourmont fit faire en 1729 une fouille rapide dans des « monceaux de pierres » : il y trouva l'inscription IG VII, 56, avec la fameuse inscription regravée au ve siècle de notre ère en l'honneur des morts des Guerres médiques10. Rien dans toutes ces indications ne permet de déduire l'existence à Palaiochorio d'une agglomération ou de sanctuaires antiques : les seules ruines sont celles d'un village moderne, et les inscriptions et autres pierres sont des remplois de blocs apportés de Mégare11, comme IG VII, 56, qui ornait à l'origine une tombe que Pausanias signale sur l'agora de Mégare (I, 43, 3).

En revanche, près de la fontaine de la porte de Pagai, ont été remarqués des vestiges de monuments : il s'agit surtout de blocs — marbre et cajcaire coquillier — épars à proximité, et de fondations peu reconnaissables12. Mais, contrairement aux pierres antiques de Palaiochorio qu'on a apportées là comme matériau de construction des églises, les blocs de la région de la fontaine ne sont pas, ici, des remplois : il n'y a, avant le xxe siècle, aucune trace d'occupation moderne dans cette zone. Enfin, l'Abbé Fourmont a vu dans la plaine au Nord de Mégare « beaucoup d'anciens débris » et un ancien aqueduc13. Ses dessins confirment ces observations; on y remarque notamment

(8) Sur le sens de χωρίον chez Pausanias, cf. la mise au point de R. Martin, RA 1944-1, p. 101. (9) Spon, op. cit., Wheler, op. cit.

(10) Voyage en Grèce de l'Abbé Fourmont, Paris, Bibliothèque nationale, Département des manuscrits : NAF 1892, folio 165 verso et 166 recto. Cf. H. Omont, Missions archéologiques françaises en Orient aux XVIIe et XVIIIe siècles (1902), p. 564. Pour l'inscription IG VII.56, cf. Wilhelm, OJh 2 (1899), p. 236 sq., et Tod, Greek historical Inscriptions* (1946), II, p. 24, n° 20.

(11) Bursian, op. cit., I, p. 376, n. 1. (12) Chandler, op. cit., III, p. 193; Dodwell, op. cit., II, p. 177 et 180; Rangabé, loc. cit., p. 292. (13) Fourmont, op. cit., folio 165 verso.

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la mention « grands débris », à côté de grands blocs épars, sur une avancée vers le Nord de l'acropole Ouest14. L'absence de réels vestiges antiques à Palaiochorio et leur abondance au Nord de l'acropole Ouest et dans la région de la fontaine moderne invitent donc à placer Rhous près de celle-ci, à proximité immédiate de la porte de Pagai, plutôt qu'à Palaiochorio.

La question de l'alimentation de Mégare en eau douce donne un dernier argument en faveur de cette localisation de Rhous. L'endroit s'appelait ainsi, disait-on, parce qu'il y coulait jadis (ρυήνοα)15 une eau que Théagène aurait détournée pour alimenter la fontaine dont on lui attribuait la construction au centre de la ville (I, 40, 1 et I, 41, 2). La Mégaride a toujours été une région sèche, sans aucun cours d'eau alimenté régulièrement; les nombreuses citernes, que les fouilles mettent au jour dans la ville et dans les environs, tentaient de remédier à cette situation. L'eau qui coulait à Rhous n'était donc pas un cours naturel : on l'avait amenée d'ailleurs au moyen de conduites, pour alimenter la ville16. Il est logique qu'on ait amené cette eau jusqu'aux portes de la ville dans un premier temps, avant de la conduire jusqu'au centre; il eût été absurde d'arrêter ces conduites à 3 kilomètres du lieu de consommation. En outre, si à Palaiochorio passent, comme ailleurs dans la plaine au Nord de la ville moderne, des conduites souterraines, on n'y a vu aucun dispositif permettant de recueillir cette eau. En revanche, la fontaine moderne de la porte de Pagai occupe une légère dépression favorable au rassemblement des eaux; signalée par les voyageurs depuis le xvme siècle17, elle a été construite dans son état actuel au cours des années 80 du siècle dernier; cette fontaine est l'héritière directe du dispositif d'adduction d'eau antique, puisqu'elle est alimentée par des canalisations antiques souterraines, qui amèneraient encore aujourd'hui 80 m3 d'eau par jour à la ville de Mégare18.

C'est donc l'endroit précis où se trouve cette fontaine « moderne », immédiatement à la périphérie de la ville antique, à proximité de la porte de Pagai, que j'identifie avec le lieu-dit Rhous (fîg. 5 et 6, n° 5).

IV. Le secteur Nord de Mégare

Rhous étant ainsi précisément localisé à la périphérie de la ville, on peut essayer de situer les monuments qu'énumère Pausanias à partir de ce lieu-dit : ils sont au nombre de sept et, chacun d'entre eux étant localisé par rapport au précédent, constituent autant de maillons de ce que l'on peut appeler une « chaîne topographique » :

(14) Le dessin de Fourmont, op. cit., folio 164 : « Vue de la ville de Mégare prise du Nord » a été reproduit BCH 104 (1980), p. 88, fig. 4.

(15) 'Ρους < ρέω est peut-être une étymologie populaire. Mais la proposition de Bursian de faire dériver ce nom de l'arbre appelé 'Ρους (le sumac) (I, p. 376, n. 1) n'est pas plus convaincante que celle de Wachsmuth qui voudrait lui trouver une origine sémitique en rappelant Rus-Melkart ; le rapport avec ρ"έω reste le plus plausible (cf. le commentaire de l'édition Hitzig-Blumner, I, p. 364-365).

(16) Pour la provenance de cette eau, cf. p. 215. (17) Cf. note 4. (18) Cf. p. 215.

208 ARTHUR MULLER [BCH 105

41,2

41,3

41,6

. 41,8

Rhous

Autel d'Acheloos

Monument de Hyllos

Temple d'Isis

Temple d'Apollon et Artémis

Héroon de Pandion

Tombe d'Hippolyte

Tombe de Térée

Εντεύθεν ο εξηγητής... ήγεΐτο

ενταύθα

πλησίον

ού πόρρω δε του μνήματος

παρ' αυτόν

εκ τούτου δε του ίεροΰ κατιοΰσι

πλησίον δέ

τούτου δέ ού πόρρω

Pausanias ne dit pas si l'itinéraire de sa description, après Rhous, s'éloigne de la ville ou le ramène, au contraire, vers le centre, autrement dit : si les monuments énumérés se trouvent dans la ville ou à l'extérieur des murs. La suite de la description n'est d'aucun secours : le Périégète amorce en effet de façon abrupte la description de l'acropole occidentale, l'Alkathoos, sans la rattacher topographiquement au dernier monument évoqué, celui de Térée :

42, 1 "Εστί δέ και άλλη Μεγαρεΰσι,ν ακρόπολης άπο Άλκάθου το όνομα έχουσα " ες ταύτην δέ τήν άκρόπολιν άνιουσι,ν...

Il y a également à Mégare une autre acropole, qui tire son nom de celui d'Alkaihoos ; quand on monte à celte acropole...

Rien n'indique donc si la rupture dans le texte masque ou non un saut topographique comme celui qui existe entre I, 41, 1 et I, 41, 2, du versant Nord de l'acropole Karia à Rhous.

Un court passage de Plutarque complète heureusement le texte de Pausanias :

Δεικνύουσα δέ και Μεγαρείς 'Αμαζόνων θήκην παρ' αύτοΐς επί το καλούμενον 'Ρουν βαδίζουσιν έξ' αγοράς, δπου το 'Ρομβοειδές. {Thés. 27, 8).

Les Mégariens eux-aussi montrent chez eux une tombe d'Amazone, sur le chemin qui mène de l'agora à l'endroit appelé Rhous, là où se trouve le monument rhomboïde.

La mention de Rhous et la forme bizarre du monument identifient avec certitude la tombe d'Amazone de Plutarque avec celle que mentionne Pausanias en I, 41, 7, en l'attribuant à Hippolyte, et dont il précise qu'elle a la forme d'un bouclier d'Amazone. Plutarque situe cette tombe sur la route de l'agora à Rhous, c'est-à-dire quelque part entre le centre de la ville et la porte de Pagai, mais de toute façon dans la ville; la chaîne topographique implique donc que tous les autres monuments se trouvent également dans la ville, au Nord des acropoles. Ceci est confirmé par le commentaire

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qui suit la mention de l'hérôon de Pandion : Pausanias précise que le roi reçoit des honneurs έν τη πόλει, par opposition à son tombeau qui se trouve quelque part sur une côte de Mégaride (I, 41, 6).

Pausanias donne toutes ces tombes et ces temples pour voisins ou, du moins, pour proches les uns des autres. Cela ne signifie pas pour autant qu'ils sont tous regroupés en un espace restreint, dans un secteur très précis de la ville antique ; dans ce cas, le Périégète utilise plutôt l'énumération pure et simple des monuments, sans donner aucune relation de proximité. C'est le procédé qu'il emploie par exemple pour les temples de l'acropole Karia (I, 40, 6), pour ceux de l'acropole Alkathoos (I, 42, 4 à 42, 6). Paradoxalement, lorsque le Périégète indique ces relations de proximité, comme dans le cas qui nous occupe, cela signifie souvent qu'il faut parcourir une certaine distance pour se rendre d'un monument à l'autre. C'est ainsi qu'à Mégare, en donnant pour voisins la fontaine de Théagène, l'Artémision, l'Olympieion et la tombe d'Alcmène, Pausanias fait contourner tout le pied Nord-Ouest de la Karia (I, 40, 1 à 40, 6, et I, 41, 1 — fîg. 6, nos 1 à 4)19. La chaîne topographique n'implique donc pas la proximité immédiate des monuments sur le terrain, mais signifie seulement que Pausanias les a rencontrés dans cet ordre sur l'itinéraire que suit sa description à travers la partie Nord de Mégare, de la périphérie vers le centre.

On peut maintenant exploiter l'unique renseignement de la Périégèse sur la configuration du terrain : il s'agit du κατιοΰσιν de I, 41, 6, qui apprend que l'hérôon de Pandion est en contrebas du temple d'Apollon et Artémis, qui lui-même est voisin de celui d'Isis (παρ' αυτόν ; Ι, 41, 3). Il n'y a, dans la partie Nord de Mégare, dans la limite de l'enceinte antique, aucune colline; étant donné que Pausanias va de Rhous vers l'intérieur et qu'il a déjà été question du versant Nord de la Karia (I, 41, 1), le seul point élevé où pouvaient se trouver les temples d'Isis et d'Apollon et Artémis, est donc le versant Nord de l'Alkathoos. Le profil de ce versant est très abrupt dans sa partie supérieure, mais s'abaisse lentement plus près du pied, formant une sorte de terrasse où ces temples ont très bien pu trouver place (fîg. 5) ; il est tentant d'identifier les « grands débris » que l'on voit à cet endroit sur les dessins de Fourmont20 avec les ruines de ces temples. Cet emplacement est d'autant plus vraisemblable que le roi Alkathoos, qui passe pour le fondateur de l'un de ces temples, est l'éponyme de cette acropole (Paus., I, 42, 1) (fig. 6, nos 8-9).

L'emplacement des autres monuments se déduit maintenant logiquement de ces données. L'autel d'Achéloos se trouve situé à Rhous même, à la porte de Pagai (fig. 6, n° 6), et le monument de Hyllos quelque part sur la route qui mène de Rhous aux temples du versant Nord de l'acropole Alkathoos (fig. 6, n° 7). L'hérôon de Pandion, les tombes d'Hippolyte et de Térée sont à placer en contrebas des temples d'Isis, d'Apollon et Artémis; sûrement pas immédiatement au Nord : le Périégète, venant du monument d'Hyllos, les aurait mentionnés avant les temples. Le texte de Pausanias laisse donc le choix entre le pied Nord-Est ou le pied Nord-Ouest de

(19) Les monuments dont aucun vestige n'est actuellement visible — c'est-à-dire la quasi-totalité — ■ ne sont représentés sur la figure 6 que par un chiffre. Lorsque ces chiffres sont placés dans un cartouche, cela signifie que les monuments qu'ils représentent sont localisables n'importe où dans la zone ainsi délimitée.

(20) Cf. BCH 104 (1980), p. 88, fig. 4. 14

210 ARTHUR MULLER [BCH 105

fontaine moderne

t

fontaine archaïque

Fig. 6. — Topographie reconstituée du secteur Nord de Mégare. 7 Fontaine « de Théagène ».

Artémision. Olympieion. Tombe d'Alcmène. Rhous. Autel d'Achéloos.

9 10 11 12

Monument de Hyllos. Temple d'Isis. Temple d'Apollon et Artémis. Hérôon de Pandion. Tombe d'Hippolyte. Tombe de Térée.

l'acropole. C'est le texte de Plutarque qui vient une fois encore compléter la Périégèse : l'historien place la tombe d'Hippolyte le long de la route de l'agora à Rhous : cette route passe entre les deux acropoles, donc au pied Nord-Est de l'Alkathoos. C'est là qu'il faut placer l'hérôon de Pandion, les tombes d'Hippolyte et de Térée (fig. 6, respectivement nos 10, 11 et 12)21.

L'itinéraire de la description du secteur Nord de Mégare se laisse donc reconstituer intégralement : on quitte l'acropole orientale, la Karia, par son versant Nord, pour se

(21) N. Faraklas propose (op. cit., fig. 27) de situer Rhous un peu à l'Ouest de la porte de Pagai, les temples d'Isis et d'Apollon et Artémis au Nord-Ouest de Mégare, là où le terrain a une légère pente ; les tombes de Pandion, d'Hippolyte et de Térée se situeraient entre ces temples et la porte de Tripodiskos. Cette hypothèse ne résiste pas à la comparaison avec le texte de Plutarque (Thés. 27, 8) : la tombe d'Hippolyte ne serait sur la route de l'agora à Rhous qu'au prix d'un détour invraisemblable. Rangabé en revanche avait suggéré pour Rhous et les monuments suivants, des localisations analogues à celles que je propose, mais avec une argumentation insoutenable du fait qu'elle repose sur une fausse identification des acropoles (loc. cit., p. 293 et pi. I).

1981] MEGARIKA 211

rendre directement à la porte de Pagai, à Rhous; de là, on revient au centre de la ville, en faisant un crochet par le versant Nord de l'acropole occidentale, l'Alkathoos, dont on contourne finalement le pied Nord-Est. La description du secteur Nord s'arrête donc exactement à l'endroit où commence celle de l'ascension à l'acropole Alkathoos, par le côté Est (I, 42, 1) : bien que Pausanias ne le précise pas, la chaîne topographique se continue implicitement, sans rupture entre la tombe de Térée et l'ascension à l'Alkathoos. Les paragraphes I, 41, 2 à 41, 7, loin d'être, comme on l'a souvent écrit, une excursion hors de Mégare, sans aucun lien avec ce qui précède et ce qui suit22, reprennent ainsi une place logique dans la description de la ville, à laquelle ils sont rigoureusement rattachés topographiquement.

V. L'alimentation de Mégare en eau

La Mégaride est une région sèche, sans aucun cours d'eau alimenté régulièrement23. Le problème de l'eau a donc dû y être résolu très tôt au prix d'importants travaux, sur lesquels Pausanias donne quelques vagues indications :

— en I, 40, 1, il signale la fameuse fontaine attribuée au tyran Théagène, remarquable pour son décor et le nombre de ses colonnes. Και ύδωρ ες αυτήν ρεΐ καλούμενον Σιθνίδων νυμφών : i7 y coule une eau dite des Nymphes Sithnides.

— en I, 41, 2, Pausanias rapporte l'explication locale du nom du lieu-dit Rhous : ταύτη γαρ ΰδωρ ποτέ εκ των ορών τών υπέρ την πόλιν ρυηναι. Θεαγένης δέ, δς τότε έτυράννει, το ΰδωρ έτέρωσε τρέψας βωμον ενταύθα Άχελώω έποίησε. Par là en effet coulait jadis Veau qui venait des montagnes au-dessus de la ville. Mais Théagène, qui était alors tyran, détourna le cours et fit construire ici un autel à Achéloos.

La fontaine occupe la dépression entre les deux acropoles24. Il s'agit d'un ensemble monumental de 13,69 mx21 m comprenant un vaste réservoir hypostyle, avec 5 rangées de 7 colonnes octogonales, un bassin de puisage de forme oblongue et une façade tournée vers l'agora (fîg. 7). G. Gruben est formel quant à la datation de cet ensemble architectural : il ne peut remonter plus haut que la fin du vie siècle et le premier quart du ve siècle constitue la date la plus probable pour son édification25.

(22) G. Robert, op. cit., p. 178-179, et n. 1 p. 179 ; Travlos, loc. cit., p. 207. (23) Cf. RE XV (1931), s.v. « Megara », col. 159. (24) La fontaine dite de Théagène a été fouillée en deux fois : en 1899, Delbriick et Vollmôller font

quelques sondages sur son emplacement, limités par les maisons voisines, et identifient la fontaine dont ils dressent un premier plan : Delbruck-Vollmôller, AM 25 (1900), p. 24-33 (cf. Elderkin, AJA 14 [1910], p. 28 et 47 ; B. Dunkley, BSA 36 [1935-1936], p. 145 sq.). Ce n'est qu'en 1957 que G. Gruben et Papadimitriou peuvent reprendre et étendre la fouille de la fontaine, qui est alors publiée de façon complète : G. Gruben, ArchDeli 19-1 (1964), p. 37-41 ; cf. BCH 82 (1958), Chronique p. 688.

(25) G. Gruben, loc. cit., p. 41.

212 ARTHUR MULLER [BCH 105

Fig. 7. — La fontaine dite de Théagène : le réservoir, vu du Nord.

Le tyran Théagène, dont il faut désormais placer la tyrannie au début du vie siècle26, ne peut donc en aucun cas avoir été l'instigateur de cette construction27.

La fontaine était alimentée en eau au moyen d'une conduite, retrouvée en plusieurs points (fig. 8, points ABC), et dont la réalisation technique est bien

(26) La tyrannie de Théagène ne peut se dater que par rapport à l'Athénien Gylon, vainqueur au double stade à la 35e Olympiade, gendre de Théagène comme l'indique Pausanias à deux reprises (I, 28, 1 et I, 40, 1), et auteur d'une tentative d'instauration de la tyrannie à Athènes, avec l'aide de son beau-père (Hér., V, 71, 1 ; Thuc, I, 126, 3-12 ; Paus., I, 28, 1). On a placé ces événements tantôt à une date haute, 636 ou 632 avant J.-C, tantôt à une date basse, vers le milieu du vie siècle, sans jamais pouvoir apporter d'arguments décisifs en faveur de l'une ou l'autre hypothèse. Mais dans un article récent, E. Lévy, partant d'une hypothèse avancée par Th. Lenschau en 1936 — selon laquelle les Jeux Olympiques auraient été annuels jusqu'en 584, et célébrés tous les quatre ans après cette date seulement, ce qui place la victoire de Cylon en 598/597 — assigne la date de 597/596 à la tentative de coup d'état de l'Olympionique. Cette nouvelle datation est convaincante en ce sens qu'elle permet de mieux comprendre l'histoire des rapports entre Athènes et Mégare au début du vie siècle et le rôle joué par Solon ; enfin, elle se concilie bien avec l'histoire des Alcméonides. Elle entraîne aussi, pour Mégare, une nouvelle datation de la tyrannie de Théagène, désormais placée au début du vie siècle. Cf. E. Lévy, « Notes sur la chronologie athénienne au vie siècle », Historia 27 (1978), p. 513-521. On trouvera dans cet article toute la bibliographie relative à cette question.

(27) On remarquera que cette conclusion reste la même, quelle que soit la date que l'on adopte pour le coup de main de Cylon — et par conséquent pour Théagène : haute (636-632), basse (milieu vie) ou la date « intermédiaire » (598-597), proposée par E. Lévy, à laquelle je me rallie.

1981] MEGARIKA 213

ALKATHOOS KARIA

Fig. 8. — Plan de situation de la fontaine et du canal.

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Fig. 9. — Coupes longitudinale et transversale du canal.

214 ARTHUR MULLER [BCH 105

Fig. 10. — Vestiges du canal d'alimentation, au point Β (cliché 1899).

connue28. Les parois de ce canal sont constituées de plaques de pôros, hautes de plus d'un mètre; un remplissage de terre dans la partie inférieure maintient entre elles un intervalle de 0,50 m. Ce remplissage de terre contient une première conduite de terre cuite, dont la section représente 3/4 de cercle. Lors d'une réfection, cette conduite fut remplacée par une autre, de capacité supérieure, de section en I I, dont les éléments en terre cuite s'emboîtaient les uns dans les autres; le canal était enfin couvert de plaques de pôros (fig. 9 et 10)29.

La direction du canal vers le Nord, donnée par les points B-A, est celle de la fontaine moderne en bordure de la ville, donc de Rhous; il est fort probable que Veau des Nymphes Silhnides est celle qui coulait à Rhous et qui était elle-même amenée, disait-on, des montages, refuge de ces Nymphes (41, 2)30. Pour amener l'eau depuis Rhous, le canal décrit deux courbes en S peu avant d'arriver à la fontaine; la

(28) Un tronçon de cette conduite a été retrouvé fortuitement en 1853 : cf. Velsen, AA 1853, p. 379. Elle a été partiellement dégagée et étudiée par Delbruck et Vollmôller : AM 25 (1900), p. 24-26.

(29) La photographie de la fig. 10 est un cliché inédit datant de 1899 : je remercie l'Institut archéologique allemand d'Athènes de m'avoir autorisé à le reproduire ici.

(30) Les voyageurs ont souvent identifié la fontaine des Nymphes Sithnides avec la fontaine de Rhous : cf. note 4.

1981] MEGARIKA 215

raison d'être de ce parcours est évidente : le canal doit passer au point le plus bas entre les deux acropoles, de façon à avoir une pente régulière favorisant l'écoulement des eaux; cette nécessité explique aussi la grande profondeur à laquelle se trouve le canal au niveau du col entre les deux acropoles. Si l'on compare les cotes d'altitude du radier de la conduite en I I aux points A, Β et Ε (fîg. 8)31, on voit que la pente obtenue est parfaite; on n'en avait pas moins prévu des puits d'accès au canal — l'un d'entre eux a été trouvé, en G — sans doute afin de faciliter les travaux d'entretien32. Au-delà de la fontaine, en G, ont été retrouvées une série de conduites, qui devaient répartir le trop plein dans la ville basse.

Si la conduite en aval de Rhous est bien connue, on manque malheureusement d'informations précises sur le système d'adduction d'eau en amont de ce point : il demande encore à être étudié et publié de façon exhaustive. Des indications dont on dispose, il ressort cependant que le canal remonte assez loin vers le Nord, dans l'arrière-pays de Mégare, avant de se ramifier en plusieurs canaux qui s'écartent comme les doigts de la main33. Ces canaux formeraient, à une profondeur de deux à sept mètres, un réseau de plus de trois kilomètres de longueur, au tracé complètement indépendant de celui du réseau hydrologique naturel de surface. Les conduits auraient une largeur de 0,60 m pour une hauteur de plus d'un mètre. Ce réseau amènerait, encore aujourd'hui, 80 m3 d'eau par jour à la fontaine moderne qui occupe le site de Rhous34.

D'où venait cette eau qui coulait à Rhous, avant d'être amenée jusqu'à la fontaine dite de Théagène? A l'époque de Pausanias, les Mégariens croyaient qu'il s'agissait de sources captées dans les montagnes qui dominent la ville : il pourrait s'agir de la chaîne du Patéras, à l'Est, ou des monts Géraniens, à l'Ouest. Mais le Patéras n'a que quelques torrents alimentés seulement lors des grosses pluies. En revanche, il y a dans les monts Géraniens quelques sources au débit régulier35, dont certaines alimentent Mégare depuis 1969, et qu'on aurait pu capter dans l'Antiquité. Mais dans cette hypothèse, on ne s'explique ni l'existence, ni la profondeur de tout un réseau de canaux, là où un seul aurait suffi. D'autre part, si les Anciens avaient capté une source des monts Géraniens, à l'Ouest de Mégare, le canal aboutirait à la porte de Tripodiskos, et non à Rhous, à la porte de Pagai. Le dispositif que l'on a décrit dans ses grandes lignes était manifestement destiné à collecter des eaux souterraines; celles-ci s'accumulent en effet vers 5-7 m de profondeur, entre les marnes tertiaires de formation récente (pliocène), imperméables, et les dépôts quaternaires de cailloutis et d'argiles : le réseau de canaux antique s'efforçait de suivre le contact entre ces couches géologiques36.

(31) Le point Ε (cote : 42 m) représente l'endroit où la conduite débouche dans le réservoir. Le fond du réservoir est à 40,75 m d'altitude.

(32) Cf. les puits analogues de la canalisation étudiée par Dôrpfeld au Sud de l'acropole d'Athènes (AM 19 [1894], p. 145).

(33) Cf. Delbruck-Vollmôller, loc. cit., p. 23, et Graber, AM 30 (1905), p. 59. (34) Cf. D. Theodoropoulos, « Stratigraphie und Tektonik des Isthmus von Megara », Erlanger Geolo~

gische Abhandlungen 73 (1968), p. 20. (35) Sources de Trypa (200 ms/jour), de Kouras (22,8 ms/jour) et de Ag. Ierotheos (15 ms/jour). Theodo

ropoulos, loc. cit., p. 21. (36) Cf. Theodoropoulos, loc. cit., p. 4 et 20.

216 ARTHUR MULLER [BCH 105

Fig. 11. — La fontaine archaïque à l'Ouest de Mégare, vue du Sud (cliché 1899).

A cet ensemble constitué par le réseau de drainage, Rhous et la fontaine dite de Théagène, il faut ajouter une autre fontaine, à l'Ouest de l'acropole Alkathoos, immédiatement à l'extérieur de la ville, à hauteur de la porte de Tripodiskos (fîg. 6). Cette fontaine, partiellement fouillée au début de ce siècle, restée inédite et aujourd'hui réenfouie, est mal connue37. Elle présentait apparemment, dans des proportions plus modestes, un aménagement monumental analogue - à celui de . la fontaine dite de Théagène, au centre de la ville (fig. 11). Le «large conduit bâti en grandes assises » dont Rangabé signale la découverte fortuite vers le milieu du siècle dernier, au pied Ouest de la colline occidentale de Mégare38, est sans doute à mettre en rapport avec cette fontaine. Mais on ne peut se livrer qu'à des conjectures quant à la provenance de l'eau qui y coulait : venait-elle d'une source captée dans les monts Géraniens, ou bien du réseau de drainage en amont de Rhous? Il n'y aurait rien d'étonnant à ce que l'on ait complété le drainage des eaux souterraines par la captation d'une source : en effet, la faible porosité de la couche de surface, riche en argile, et la pauvreté des précipitations en Mégaride, limitaient forcément les quantités d'eau collectées par les canaux39.

(37) Elle est signalée par Delbruck-Vollmôller, loc. cit., p. 33, puis par Travlos, loc. cit., p. 207, qui en donne une photographie datant de 1899. Le cliché de la fig. 11, de la même date, est inédit : je le reproduis ici avec l'aimable autorisation de l'Institut archéologique allemand d'Athènes.

(38) Rangabé, loc. cit., p. 292. (39) Les puits récemment forés dans l'arrière-pays de Mégare, destinés à couvrir les besoins multipliés

en eau douce de l'agriculture et de l'élevage, descendent à une profondeur bien plus grande que le réseau de drainage antique, jusqu'à des nappes phréatiques plus abondantes dans les couches tertiaires de formation récente.

1981] MEGARIKA 217

On ne dispose d'aucune indication archéologique pour dater le dispositif de drainage des eaux vers Rhous. Mais il est probable qu'il a dû être installé assez tôt, le problème de l'eau s'étant toujours posé de la même façon à Mégare : citernes et puits, dus à l'initiative privée, ont dû être relayés, dès que l'agglomération a pris une certaine importance, par une grande réalisation du domaine public, l'adduction d'eau depuis un point éloigné de la cité. Le terminus ante quem pour cette réalisation est la date de la fontaine dite de Théagène (1er quart du ve siècle avant J.-C), puisque son alimentation présuppose le drainage des eaux vers Rhous; d'autre part, l'attribution à Théagène de Ja construction de cette fontaine et de la consécration de l'autel d'Achéloos à Rhous — la première affirmation étant erronée — amène à penser que le tyran a été l'instigateur d'au moins une partie de ces travaux. A partir de là, deux hypothèses sont possibles :

— Théagène a fait construire, vers le début du vie siècle, le réseau de drainage des eaux vers Rhous et sa prolongation vers le centre ville, avec une fontaine monumentale, dont les vestiges auraient entièrement disparu lors de la construction, un peu plus d'un siècle après, d'une fontaine de capacité supérieure, celle que nous connaissons40 ;

— Théagène n'a fait construire que le réseau de drainage des eaux vers Rhous; un siècle plus tard, ce réseau fut prolongé jusqu'au centre de la ville, avec la construction de la fontaine.

Deux considérations feraient pencher plutôt en faveur de la première hypothèse : l'attribution de la fontaine du début du ve siècle au tyran s'explique mieux dans le cas où elle remplace vraiment une construction de Théagène (encore que, dans le second cas, la réalisation des travaux de Rhous a pu faire passer plus tard le tyran également pour le constructeur de la fontaine). D'autre part, le canal qui mène de Rhous à l'agora a été l'objet d'une réfection : la conduite de section en L_J remplace la conduite de section en 3/4 de cercle; ces travaux visant à augmenter le débit du canal pourraient être contemporains de la construction de la fontaine du ve siècle remplaçant celle du vie, de capacité inférieure. Mais seules de, nouvelles fouilles — dégagement du porche de la fontaine, étude du réseau en amont de Rhous afin de le comparer au canal en aval et enfin datation de ce canal — permettraient de trancher entre les deux hypothèses.

En tout cas, il me semble certain que la construction du dispositif de drainage des eaux vers Rhous — c'est-à-dire la part la plus importante et la plus originale de l'ouvrage — , remonte à la tyrannie de Théagène : cette réalisation rentre bien dans le cadre de la politique de grands travaux qui caractérise souvent les tyrannies de l'époque archaïque41; le parallèle le plus proche est celui de Polycrate, qui fit, entre autres travaux, construire le fameux tunnel de Samos, qui alimentait la ville en eau en captant une source (Her., III, 60)42. Il est bien sûr tentant d'attribuer à l'ingénieur

(40) Sur l'existence éventuelle d'une fontaine plus ancienne, cf. G. Gruben, ArchDelt 19-1 (1964), p. 41. (41) RE VII A (1948), s.v. « Tyrannis », col. 1828-1829 (Lenschau). Cf. RE XXI (1952), s.v. « Polykrates »,

col. 1731 (Lenschau). (42) H. Berve, Die Tyrannis bei den Griechen (1967), I, p. 107-114. Sur le tunnel, cf. Fabricius, AM 9

(1884), p. 165-192; M. Kienast prépare la publication de cet ouvrage. On rapprochera également le cas de Pisistrate, dont l'alimentation d'Athènes en eau fut également une des préoccupations (Thuc, II, 15, 5).

218 ARTHUR MULLER [BCH 105

Eupalinos, de Mégare, réalisateur du tunnel de Samos, la conception et la réalisation du dispositif de Rhous : il s'agit de travaux analogues. Mais les dates sont difficilement conciliables; la réalisation de Samos date de la deuxième moitié du vie siècle, alors que celle de Rhous est d'au moins cinquante- ans plus ancienne. Inversement, faire de la fontaine du ve siècle une œuvre tardive d'Eupalinos, comme Gruben en émet l'hypothèse, est peu convaincant43.

Quelques siècles après l'établissement de cette adduction d'eau souterraine, il était difficile de dire d'où elle venait. La nappe phréatique oubliée, c'est aux montagnes environnantes et aux Nymphes qui l'habitaient, que l'on attribua les bienfaits de l'eau qui coulait à Rhous et à la fontaine de l'agora : c'est cette tradition qu'a rapportée Pausanias.

VI. Monuments funéraires de l'agora

La catégorie de monuments la mieux représentée dans la description du secteur Sud de la ville antique, qui recouvre la majeure partie de l'agora44, est celle des monuments funéraires : Pausanias signale quatorze tombes et chapelles héroïques entre le moment où il quitte l'acropole Alkathoos (I, 42, 6) et celui où il sort de l'agora pour se rendre à la porte de Nisée par la route droite (I, 44, 2 — fig. 5). Le tableau de la page ci-contre réunit, de façon schématique, les principaux éléments de la description de ce secteur45.

Les rares fouilles effectuées dans le secteur de l'agora n'ont mis au jour que des monuments que Pausanias n'a pas fait figurer dans sa description : en particulier une stoa, qui formait vraisemblablement la limite Sud de l'agora, sous l'actuelle place des Héros (fig. 5), recouverte plus tard par des thermes romains46. Aussi serait-il vain de chercher à restituer, à partir des seules indications topographiques de la Périégèse — le tableau montre combien elles sont lacunaires et combien la chaîne topographique est ici discontinue — un plan de l'agora ou même simplement un itinéraire approximatif de Pausanias : d'une part les points de repère sont trop rares, d'autre part la description ne correspond sûrement pas à une visite suivie, mais réunit des observations faites à plusieurs reprises; ceci explique pourquoi le Périégète a combiné ici deux procédés de description, la chaîne topographique et le classement thématique. Tout au plus peut-on essayer de résoudre, par l'analyse du texte, deux problèmes que se sont posés les commentateurs :

(43) G. Gruben, loc. cit., p. 41. (44) L'agora de Mégare est décrite en plusieurs fois : sa partie Nord-Est (40, 1 à 40, 5) est rattachée à

la description de la Karia, la partie Nord-Ouest (42, 1 à 42, 4) à celle de l'Alkathoos. (45) Les flèches de la colonne 2 visualisent les enchaînements topographiques en renvoyant au monument

par rapport auquel est situé chaque élément de la description marqué sur la flèche par un tiret. Les chiffres en caractère gras dans le texte renvoient aux numéros d'ordre dans ce tableau.

(46) Cf. J. Threpsiadis, PraklArchEt 1937, p. 42-52; BCH 40 (1936) Chronique p. 461 ; J. Travlos, loc. cit., p. 206-207.

1981] MEGARIKA 219

MONUMENTS

42.6

42. 7

43. 1

43.2

43.3

43.4

43.5

43.6

43. 7-8

44. 1

Tombe de Kallipolis

Hérôon d'Ino

Hérôon d'Iphigénie

Tombe d'Adraste

Sanctuaire d'Artémis

Prytanée et tombes

Petra Anaklèthra

Tombe des Guerres médiques

Aisymnion

Tombe de Pyrgo

Tombe d'Iphinoé

Hérôon d'Alkathoos

Tombe d'Astykrateia et Manto

Dionysion

Aphrodision

Sanctuaire de Tychè

Temple

Tombe de Koroibos

Tombe d'Orsippos

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

16

17

18

19

INDICATIONS TOPOGRAPHIQUES

.1

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; •

_

κατιοΰσι δέ εντεύθεν

κατά δέ την ες τό Πρυ- τανεΐον όδόν

εν δέ τω πρυτανείω

του πρυτανείου πλησίον

εντεύθεν προς τό Άλκά- θου βαδίζουσιν ήρωον

παρά δέ την έ'σοδον την ες το Διονύσιον

μετά δέ του Διονύσου τό ιερόν

πλησίον δέ του της 'Αφροδίτης ναού

εν τω ναω τω πλησίον

έν τή Μεγαρέων άγορα

Κοροίδου δέ πλησίον

VERBES INTRODUCTEURS

μνήμα έστιν

ήρωόν έστιν

λέγουσι είναι ήρωον

έχει δέ τιμάς

ό 'Αγαμέμνων ιερόν έποίησεν

τεθάφθαι λέγουσι

εστί πέτρα

τον μέν [τάφον] εποίησαν

τό δέ μνήμα ή ν

μνήμα τό μέν...

μνήμα τό δέ...

τάφος εστί

> b ιο ω α. «

Ι-

<5Ο

W

εστί ναός

έστιν ιερόν

εστί τάφος

τέθαπται

220 ARTHUR MULLER [BCH 105

— l'hérôon d'Iphigénie, le tombeau d'Adraste et le sanctuaire d'Artémis sont amenés dans le récit sans aucune indication de lieu, et sans que rien ne les rattache à la chaîne topographique qui unit l'hérôon d'Ino au Prytanée. Faut-il donc ou non les placer le long de la route qui relie ces deux monuments47?

— la phrase εισϊ δε τάφοι Μεγαρευσιν εν τη πόλει (Ι, 43, 3), qui est en quelque sorte l'annonce d'un classement thématique, intervenant après la mention de près d'une dizaine de tombes depuis le début de la description de Mégare, a de quoi surprendre. On a essayé de la justifier par le caractère particulier des deux tombes qui suivent cette annonce, celle des morts des Guerres médiques et celle des héros enterrés sous l'Aisymnion : ce sont deux tombes collectives48. Mais cette explication n'est pas satisfaisante. Ces deux problèmes apparemment distincts, dont seul le premier a une incidence topographique, sont en fait très liés; la recherche de leur solution passe par l'analyse, dans le passage concerné (I, 42, 6 à 44, 2), de la façon dont chaque monument est introduit dans la description, sans en dissocier le commentaire mythologique, le logos, qui l'accompagne.

ΕΙσϊ δε τάφοι est suivi de l'énumération des tombes des Guerres médiques et de l'Aisymnion (8 et 9), mais aussi de celles d'Alkathoos, de Pyrgo, d'Iphinoé, d'Astykrateia et de Manto, de Koroibos et d'Orsippos (10 à 13 et 18-19). Pour quelques-unes d'entre elles, on dispose d'indications topographiques; on sait en particulier que la tombe d'Astykrateia et de Manto est située dans l'entrée du Dionysion. Ce sanctuaire est pour Pausanias l'occasion de reprendre, à l'intérieur du catalogue des tombes, une chaîne topographique à laquelle il ne rattache que des sanctuaires, voisins les uns des autres : le Dionysion, l'Aphrodision, le sanctuaire de Tyché et un temple, peut-être de Zeus (14 à 17). Cette chaîne achevée, il reprend et termine le classement des tombes, avec celles d'Orsippos et de Koroibos (18-19). Ces dernières tombes ne se rattachent pas topographiquement à 17, mais thématiquement à 8-13. Toutes ces tombes sont introduites par le εστί de l'annonce (8 à 13), et par είσί (18) et τέθαπται (19) : le présent et le parfait, les temps normaux de la description, posent l'objet en l'affirmant comme existant; Pausanias ne doute donc de l'existence d'aucune de ces tombes, pas plus qu'il ne conteste le nom de leurs « titulaires » : ce sont autant de « Mégariens historiques » ou des figures mythologiques ne dépassant guère le cadre de Mégare.

Qu'en est-il des tombes qui précèdent l'annonce de classement thématique? Il s'agit de l'hérôon d'Ino, de celui d'Iphigénie, de la tombe d'Adraste, et des deux tombes du Prytanée (2 à 6). Les verbes qui introduisent ces monuments sont significatifs : si pour Ino, c'est un εστί qui affirme l'existence du monument — d'ailleurs la description précise qu'en donne le Périégète (I, 42, 7) est un indice probable d'autopsie — , en revanche, celui d'Iphigénie est introduit par λέγουσιν είναι, qui laisse entendre que Pausanias n'a pas vu son hérôon et que cette information n'est

(47) C. Robert, Pausanias als Schriftsteller (1909), p. 180, laisse la question ouverte. Meyer, loc. cit., p. 178, Travlos, loc. cit., p. 205, et N. Papachatzis, Παυσανίου 'Ελλάδος Περιήγησις, Ι (1974), p. 505, fîg. 311, placent ces monuments le long de la route du Prytanée, tandis que F. Jacoby, Sitz. Ber. Akad. Berlin, Phil. hist. Kl., 1931, p. 109, n. 2, et Sakellariou-Faraklas, op. cit., annexe 3, p. 2, considèrent qu'ils se trouvent ailleurs dans Mégare.

(48) G. Robert, op. cit., p. 181.

1981] MEGARIKA 221

pas de source périégétique : c'est l'expression qui introduit normalement un logos et non une mention de monument. Le τεθάφθαι λέγουσα qui introduit les deux tombes du Prytanée a exactement la même valeur : certes, Pausanias a vu le Prytanée, qui lui sert à deux reprises de point de repère topographique (42, 7 et 43, 2) ; mais pour les tombes, il reste sur la réserve, attribuant aux seuls Mégariens l'affirmation de leur existence — qu'il n'a pu vérifier — dans-le bâtiment. Si l'on considère maintenant les logoi qui accompagnent ces tombes, on voit que les Mégariens sont les seuls des Grecs à affirmer que la mer a rejeté chez eux le corps d'Ino (I, 42, 7) : Pausanias a vu l'hérôon, mais ne croit pas à la légende qui s'y rattache. Pour l'hérôon d'Iphigénie (I, 43, 3), il conteste la légende qui la fait mourir à Mégare et propose trois versions concurrentes, qui démontrent qu'elle n'a rien à voir avec cette ville : un récit qu'il a entendu en Arcadie, le récit d'Hésiode (fr. 23 Merkelbach-West) et celui d'Hérodote (IV, 103). Quant au héros Adraste, il était bien connu qu'il était enterré à Sicyone, sa patrie (Her., V, 67) : mais un fragment de Dieuchidas, l'historien de Mégare, montre que les Mégariens contestaient cette légende et affirmaient que Mégare possédait le tombeau du héros et Sicyone un cénotaphe (Dieuchidas, FGrH. 485, fr. 3). Ce passage est peut-être la source de Pausanias, qui n'a pas vu le monument : l'expression vague έ'χει δε τίμας (Ι, 43, 1) n'indique pas sa nature. La mention du sanctuaire d'Artémis (I, 43, 1), qui n'est pas plus localisé que l'hérôon d'Iphigénie ou le monument d'Adraste et que Pausanias n'a pas vu non plus — l'expression δ 'Αγαμέμνων ίερον έποίησεν est narrative et non descriptive : nous sommes donc dans un logos — , est amenée dans ce passage à cause d'Iphigénie : il s'agit donc d'une association d'idées tout à fait naturelle, puisque les deux monuments, l'hérôon et le sanctuaire, se rattachent à la même légende mégarienne du sacrifice d'Iphigénie à Mégare49; il est évident cependant que Pausanias ne croit pas plus à la fondation du sanctuaire par Agamemnon qu'à la mort d'Iphigénie à Mégare : il ne fait que rapporter des légendes mégariennes. Le trait commun de 3-4-5 est donc d'être des monuments non situés, que Pausanias évoque sans doute d'après une source littéraire, sans les avoir vus; de plus, ils sont l'objet de légendes mégariennes que contestent tous les autres Grecs. C'est là le rapport interne qui les a amenés ensemble dans la Périégèse et qui les réunit enfin à l'hérôon d'Ino (2), dont la légende est également contestée, et aux tombes d'Euhippos et d'Ischépolis (6), que Pausanias n'a pas vues et dont l'existence n'est pas affirmée nettement.

Pausanias a donc donné, avant le catalogue des tombes de l'agora, qu'il a vues et dont les légendes ne sont pas contestées (8 à 13 et 18-19), une liste des tombes et monuments, vus ou non, auxquels se rapportent autant de légendes mégariennes que contestent tous les autres Grecs (2 à 6) : il s'agit en effet de personnages connus de la mythologie grecque. Pour opposer ces deux séries, il fallait une coupure marquant bien la différence : c'est le rôle de είσί δε τάφοι Μεγαρεΰσιν εν ττ) πόλει, qu'on pourrait

(49) La tournure de la phrase : και ό 'Αγαμέμνων ίερδν έποίησε montre bien qu'elle continue naturellement le logos sur Iphigénie. G. Robert (op. cit., p. 180-181) considère la phrase sur Adraste comme introduite entre 3 et 5 par l'erreur d'un copiste. Piccirilli (Megarika: Testimonianze et Frammenti [1975], p. 118) voit dans le fait que Pausanias a brisé le lien entre 3 et 5, une preuve que, pour l'ensemble 3-4-5, il recopie l'historien Dieuchidas : mais cela ne ferait que reporter l'incohérence à ce dernier, sans l'expliquer. En fait, il n'y a aucune incohérence : cf. infra, p. 222.

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rendre, en forçant la traduction, par : Mais les Mégariens ont aussi de vraies tombes dans leur ville. Cependant, aucun des deux classements thématiques qui encadrent cette phrase ne présente un caractère systématique : de 8 à 19, quelques indications topographiques et la chaîne topographique des sanctuaires rompent l'aspect fastidieux du catalogue. Et de 1 à 7, le catalogue se constitue librement, par associations d'idées sur un canevas topographique — la route vers le Prytanée et au-delà — auquel se rattachent les monuments 2, 6 et 7; la première association d'idées amène, après l'hérôon d'Ino, l'hérôon d'Iphigénie et le monument d' Adraste, tombes également contestées; une deuxième association d'idées amène, à la suite d'Iphigénie, le sanctuaire fondé par son père. C'est peut-être une troisième association d'idées qui a amené, après le thème des tombes contestées, ainsi élargi aux monuments contestés, la liste des vraies tombes. Les deux problèmes sont ainsi résolus : celui du rôle de l'annonce εισί δε τάφοι et celui de l'emplacement des monuments 3-4-5; Pausanias ne les a pas vus, mais les a introduits dans sa description à partir d'une source livresque, par association d'idées. L'hérôon d'Iphigénie, le sanctuaire fondé par son père et le monument d'Adraste ne se trouvent donc pas entre l'hérôon d'Ino et le Prytanée; s'ils existaient encore lors du passage de Pausanias, c'est en un endroit qu'il n'a pas visité.

VIL Les sanctuaires d'Artémis

Le cas de l'Artémision me semble cependant particulier. Pausanias signale à Mégare trois sanctuaires d'Artémis :

— I, 40, 2 : un vieux sanctuaire, qu'il laisse anonyme : άρχαΐόν έστιν ιερόν50, mais qu'une inscription publiée récemment51 et la présence d'une statue d'Artémis Soteira, identifient comme Artémision, situé entre les deux acropoles, en haut de l'agora (fig. 6, no 2);

— I, 41, 3 : le temple d'Apollon Chasseur et Artémis Chasseresse, fondé par Alkathoos, dans le secteur Nord de la ville (fig. 6, n° 9) ;

— I, 43, 1 : le sanctuaire fondé par Agamemnon, évoqué aussi par Théognis (v. 11). Il n'est pas localisé, Pausanias le mentionnant en dehors de la chaîne topographique.

Si pour le deuxième de ces sanctuaires le Périégète donne des indications complètes : légende de fondation et localisation, on aimerait en savoir plus sur les deux autres.

Pausanias ne dit rien de la légende de fondation du premier de ces sanctuaires :

40, 2 Της δε κρήνης ου πόρρω ταύτης άρχαΐόν έστιν ιερόν, εικόνες δε εφ' ημών έστασιν εν αύτω βασιλέων 'Ρωμαίων και άγαλμα κείται χαλκουν 'Αρτέμιδος επίκλησιν Σωτείρας. (...)·

(50) W. Klein, Arch. Epigr. Mitt. 4 (1880), p. 12, pensait qu'il s'agissait d'un sanctuaire des Douze Dieux. (51) A. Kaloyeropoulou, ArchAnAih 7 (1974), p. 138-148 ; il s'agit d'un décret de proxénie, du milieu

du ine siècle avant J.-G. Les décisions prévoient l'affichage dans l'Artémision (1. 23 du décret) : c'est là que la stèle a été trouvée (A. Kaloyeropoulou, loc. cit., p. 148).

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a : Mégare. b : Pagai. Fig. 12. — Monnaies représentant l'Artémis Soteira de Strongylion.

40, 3 Ένταΰθα και των δώδεκα ονομαζόμενων θεών έστιν αγάλματα έ'ργα είναι λεγόμενα Πραξιτέλους * την δέ "Αρτεμιν αυτήν Στρογγυλίων έποίησε.

Non loin de cette fontaine, il y a un vieux sanctuaire ; il s'y trouve encore de nos jours des portraits des empereurs romains, et il s'y dresse une statue de bronze d'Artémis appelée Soteira (...)h%. Dans h même sanctuaire, il y a aussi des statues des Dieux qu'on appelle les Douze, qui passent pour être l'œuvre de Praxitèle ; quant à cette Artémis, c'est Strongylion qui Va faite.

La description se limite donc à une énumération de statues, parmi lesquelles l'Artémis Soteira de Strongylion, dont la petite cité mégarienne de Pagai, au fond du golfe de Corinthe, possédait un double (Paus., I, 44, 4), était la plus remarquable. Heureusement, les représentations de cette statue sur les monnaies donnent de cette image d'Artémis une idée très précise : c'est d'ailleurs le seul cas pour Mégare où l'on peut rapprocher avec certitude les documents numismatiques du texte de la Périégèse53. La déesse, vêtue d'un chiton qui s'arrête à mi-cuisses, chaussée des embades thraces, est représentée en train de courir vers la droite ; elle tient une torche allumée dans chaque main (fig. 12). Artémis Soteira est donc représentée sous le type courant de la phosporos, la déesse porte-flambeau. Ce type est attesté à Mégare par une autre représentation : il s'agit d'un relief de marbre, du ive siècle avant J.-C, qui montre la déesse poursuivant un cerf, une torche dans chaque main54. On notera d'autre part qu'Artémis Phosphoros avait un temenos à Byzance, colonie de Mégare55;

(52) Suit ici le récit de l'épisode des Guerres médiques qui est à l'origine de la consécration de cette statue. (53) Cf. Imhoof-Blumer et Gardner, A Numismatical Commentary on Pausanias (1964), p. 4 (n° 1),

p. 8 (n° 1) et pi. A 1 ; L. Lacroix, Les représentations de statues sur les monnaies grecques (1949), p. 293 sq. et pi. XXVI, 4-6.

(54) Cf. BCH 82 (1958), Chronique, p. 692, fig. 37. Ce relief est conservé au Musée National d'Athènes, inv. 4540.

(55) Dionysii Byzantii Anaplus Bospori, éd. R. Gungerich (1953), 36, p. 16.

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la déesse était intervenue miraculeusement pour sauver la cité des mains de Philippe56, de même que l'Artémis de Mégare avait sauvé la ville d'une incursion perse lors des Guerres médiques (Paus., I, 40, 2-3). Qu'une Phosphoros fortement apparentée à l'Artémis de Mégare soit attestée à Byzance confirme l'ancienneté du culte — άρχαΐον ιερόν, dit Pausanias — dans la cité mère. Tout indique donc que, dans le vieux sanctuaire où ils consacrèrent, vers le dernier quart du ve siècle avant J.-C, l'Artémis de Strongylion57, les Mégariens vénéraient depuis fort longtemps Artémis Soteira58, représentée sous le type de la phosphoros.

Or cette Phosphoros nous ramène à la légende du sacrifice d'Iphigénie. Artémis partage en effet cette épiclèse avec la magicienne Hécate, qui lui est parfois assimilée59; après que Phosphoros eut sauvé Byzance, on lui consacra un λαμπαδηφόρον Εκάτης άγαλμα60; or, selon une version de la légende, dont Pausanias se fait l'écho (I, 43, 1), Artémis aurait sauvé Iphigénie en la transformant en Hécate61. D'autre part, lorsque Galchas demande à Agamemnon d'immoler sa fille à Artémis, il avance cette raison : δ τι γαρ ένιαυτός τέκοι | κάλλιστον ηυξω φωσφόρω θύσειν θέα (Euripide, Iph. Taur., v. 20, 21) : en effet, tu vouas naguère à la déesse porte-flambeau le plus beau fruit de Vannée (Trad. Grégoire). Aussi Artémis était-elle représentée à Aulis, où la plupart des versions de la légende plaçaient le sacrifice d'Iphigénie, portant deux torches, c'est-à-dire en phosphoros : άγαλμα δάδας φέρον (Paus., IX, 19, 6). Pour donner plus de crédibilité à leur propre récit, selon lequel le sacrifice eut lieu à Mégare, les Mégariens se devaient d'honorer également une Artémis phosphoros dans le sanctuaire fondé par Agamemnon. C'est pourquoi je pense qu'il faut identifier le vieux sanctuaire d'Artémis, où l'on

(56) Hesychius de Milet, FGrH 390, fr. 1, 26-27 ; Steph. Byz., s.v. Βόσπορος. (57) Sur la datation et l'activité du sculpteur Strongylion, cf. par exemple RE IV A (1931), s.v. « Stron

gylion », col. 372-374 (Lippold), et Ch. Picard, Manuel, Sculpture: Ve siècle, II (1939), p. 641-644. On considère généralement la statue de Strongylion comme la statue de culte ; mais, si tel est le cas, on remarque trois anomalies :

— la mention de la statue de culte serait précédée de celle des empereurs romains : cet ordre est étranger aux habitudes de Pausanias ;

— si la statue de Strongylion est la statue de culte, la fondation du sanctuaire ne doit guère remonter au-delà du dernier quart du ve siècle : il est étonnant que Pausanias qualifie d'ancien justement ce sanctuaire, alors que la plupart des sanctuaires des acropoles de Mégare étaient certainement d'une antiquité bien plus grande ;

— les monnaies de Pagai montrent régulièrement la statue à côté d'un autel ou dans un temple, ce qui la caractérise sans ambiguïté comme statue de culte : ce n'est jamais le cas des monnaies de Mégare (flg. 12). Certes, aucune de ces anomalies n'a force d'argument ; mais leur concours me porte à penser que l'œuvre de Strongylion n'était qu'un ex-voto parmi d'autres, dans un sanctuaire qui n'avait peut-être pas de temple et se réduisait à un autel dans un enclos sacré et à une représentation cultuelle de la divinité, que Pausanias n'a pas jugée digne de mention. L'absence de temple expliquerait d'ailleurs que le culte des Douze Dieux se soit installé à cet endroit : l'élément normal du culte des Douze Dieux est l'autel ou le groupe d'autels, qu'il était facile de rajouter dans le temenos : il est en tout cas exceptionnel que ce culte soit abrité dans un temple (cf. E. Will, BCH 75 [1951], p. 234-240).

(58) Une fête importante fut plus tard célébrée en l'honneur d'Artémis Soteira : IG VII, 16 ; à propos de cette inscription, cf. L. Robert, Éludes épigraphiques et philologiques (1938), p. 70-76 ; M. Feyel, Pohjbe et Vhistoire de la Béotie au IIIe siècle (1942) ; L. Robert, BCH 102 (1978), p. 481, note 31.

(59) RE XX (1943), s.v. « Phosphoros. 3 *, col. 655 (J. Schmidt). (60) Hesychius de Milet, FGrH 390, fr. 1, 27. (61) Hanell, Megarische Studien (1934), p. 184-188, traite des déesses assimilées à Artémis dans les

colonies de Mégare : Phosphoros, Parthenos et Chrysé ; elles sont toutes en relation avec Iphigénie et Hécate.

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avait consacré une Artémis Soteira, avec le sanctuaire fondé par Agamemnon; les Mégariens honoraient, dans cet unique sanctuaire, une seule et même Artémis Soteira, déesse des interventions miraculeuses, représentée sous la forme d'une déesse porteuse de torches.

Dans cette hypothèse, les deux passages concernés de la Périégèse se complètent mutuellement : le sanctuaire du haut de l'agora gagne une légende de fondation digne de la grande antiquité que lui reconnaît Pausanias, et le hieron fondé par Agamemnon sa localisation. Il reste cependant à répondre à une objection ; pourquoi le Périégète aurait-il séparé deux notices qui vont ensemble ? Rappelons les caractères de chacun des passages où elles apparaissent :

— en I, 40, 2, le vieux sanctuaire est mentionné à sa place dans la chaîne topographique (fig. 6) : Pausanias n'en dit rien qu'il n'ait appris ou vu sur place. Cette mention est de source périégétique ;

— en revanche, le sanctuaire d'Agamemnon est amené dans la Périégèse (l, 43, 1) par une association d'idées, et dans un passage où Pausanias a recours à une sorte de classement systématique, sans rapport avec la topographie. Cette mention est de source livresque62.

Pausanias n'a pas compris que ce qu'il avait lu se rapportait en fait au sanctuaire qu'il avait visité, mais dont, pour une raison ou pour une autre, il n'avait pu apprendre sur place la légende de fondation. On ne saurait donc objecter que le Périégète n'aurait pas séparé les deux mentions s'il s'agissait du même sanctuaire; en revanche, on pourrait lui reprocher de n'avoir pas su réunir et combiner deux informations de sources différentes.

Arthur Muller.

(62) Cf. supra, p. 221.