L’image de l’ « Autre » : le cas des Arabes musulmans chez Léon le Diacre, Jean Skylitzès,...

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Université Bretagne Sud Faculté Lettres, Langues, Sciences Humaines et Sociales Département d’Histoire L’image de l’ « Autre » : le cas des Arabes musulmans chez Léon le Diacre, Jean Skylit- zès, Nicéphore Phocas et Yahya d’Antioche Mémoire de Master 1 Histoire Présenté par M. Raphaël CHEVRIER Sous la direction de M. Eric LIMOUSIN Juillet 2015

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Université Bretagne Sud

Faculté Lettres, Langues, Sciences Humaines et Sociales

Département d’Histoire

L’image de l’ « Autre » : le cas des Arabes

musulmans chez Léon le Diacre, Jean Skylit-

zès, Nicéphore Phocas et Yahya d’Antioche

Mémoire de Master 1 Histoire

Présenté par M. Raphaël CHEVRIER

Sous la direction de M. Eric LIMOUSIN

Juillet 2015

Université Bretagne Sud

Faculté Lettres, Langues, Sciences Humaines et Sociales

Département d’Histoire

L’image de l’ « Autre » : le cas des Arabes

musulmans chez Léon le Diacre, Jean Skylit-

zès, Nicéphore Phocas et Yahya d’Antioche

Mémoire de Master 1 Histoire

Présenté par M. Raphaël CHEVRIER

Sous la direction de M. Eric LIMOUSIN

Juillet 2015

Illustration de la couverture : représentation byzantine de Sayf ad-Dawla et sa

cour.

Remerciements

J’adresse mes remerciements à toutes les personnes qui m’ont accompagné

au cours de cette année de recherche.

Je remercie en premier lieu Monsieur Eric Limousin qui a accepté de me

diriger et qui m’a accompagné tout au long de l’année malgré un emploi du

temps chargé.

Mes pensées vont ensuite à Alison Cloostermans qui a pris le temps de lire

mon travail afin de m’aider à le corriger ainsi qu’à Mathilde Maricourt pour ses

précieux conseils de méthodologie.

Enfin, je remercie ma famille et mes proches pour leur soutien.

Abréviations

ACHCByz Association des amis du Centre

d’histoire et civilisation de By-

zance

BGMS Byzantine and Modern Greek Stu-

dies

CANARD, Relations politiques CANARD Marius, « Les relations

politiques et sociales entre By-

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guérilla (De velitatione) de l’empe-

reur Nicéphore Phocas (963-969),

traduction et commentaires par

Gilbert DAGRON et Haralambie

MIHAESCU, Mesnil-sur-l’Estrée,

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YAHYA, Histoire YAḤYA IBN SA’ÏD D’ANTIOCHE, His-

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édition critique préparée par

Ignace KRATCHKOVSKY et

Alexandre VASSILIEV, Paris, Bre-

pols, 1997.

Sommaire

INTRODUCTION ............................................................................................................. 11

Présentation du sujet .................................................................................................. 12

Etat de l’art .................................................................................................................... 14

La méthode de recherche ........................................................................................... 16

Problématique et plan ................................................................................................ 17

PARTIE 1. ETUDE CRITIQUE DES SOURCES : DES HISTORIENS A L’EMPEREUR ........ 18

I. Présentation des sources ..................................................................................... 20

1) L’Histoire de Léon le Diacre ..............................................................................................20

2) Le Synopsis Historiôn de Jean Skylitzès ...........................................................................22

3) Yahya ibn Sa’ïd d’Antioche, le continuateur de Sa’ïd ibn al-Bitriq ............................24

4) Nicéphore Phocas et le De Velitatione ..............................................................................27

II. Vocabulaire et champ lexical utilisés pour désigner les peuples arabes .. 28

1) La place des Arabo-musulmans dans les sources .........................................................28

2) Vocabulaire et étymologie ................................................................................................29

3) Expressions employées .....................................................................................................32

III. L’importance accordée à l’Islam dans les sources .......................................... 35

1) La religion ...........................................................................................................................35

2) L’allusion au Prophète ......................................................................................................36

PARTIE 2. ETUDIER L’IMAGE DE L’AUTRE : UNE PROBLEMATIQUE A APPROFONDIR

EN HISTOIRE BYZANTINE ............................................................................................... 37

I. L’image de l’Autre : une étude utile ................................................................. 38

II. Le cas des Arabo-musulmans dans les sources byzantines ......................... 39

1) Idées générales sur les relations arabo-byzantines .......................................................39

2) Les premiers temps : absence dans les sources et bienveillance des hérésies ...........41

3) L’évolution des mentalités ................................................................................................43

III. La représentation de l’Autre dans le corpus ................................................... 45

1) Tableaux récapitulatifs des termes employés ................................................................45

2) Analyse des données .........................................................................................................46

PARTIE 3. UNE GRANDE FIGURE ARABO-MUSULMANE DANS LES SOURCES

BYZANTINES : SAYF AD-DAWLA ................................................................................... 50

I. Présentation du personnage ............................................................................... 51

1) Origines : l’émir hamdanide .............................................................................................51

2) Le grand adversaire des Byzantins au Xe siècle .............................................................53

II. L’importance accordée dans les sources .......................................................... 55

1) Les sources grecques : un personnage récurrent mais obscur .....................................55

2) Yahya d’Antioche : une connaissance plus poussée de l’homme ...............................56

III. L’estime accordée au personnage ...................................................................... 57

1) Un chef « barbare » cruel ..................................................................................................57

2) Aux qualités de chef de guerre reconnues .....................................................................59

CONCLUSION ................................................................................................................. 61

11

Introduction

Introduction

12

PRESENTATION DU SUJET

L’objectif de ce mémoire est d’étudier la vision qu’avaient les auteurs by-

zantins, notamment les historiens, des peuples Arabo-musulmans. Le contexte

historique choisi est celui d’une période singulière de l’Empire byzantin : à partir

de la deuxième moitié du Xe siècle, la dynastie dite macédonienne règne depuis

déjà plus d’un demi-siècle. C’est la dynastie qui a régné sans discontinuité le plus

longtemps : de l’avènement de Basile Ier en 867 jusqu’à la mort de la dernière

représentante, Théodora Porphyrogénète, fille de Constantin VIII, en 1056, soit

189 ans. Il est possible d’étirer jusqu’en 1057 pour y inclure Michel VI, vieillard

désigné par les eunuques et Théodora, déposé après un an de règne. Se sont suc-

cédés au cours de cette période des empereurs qui ont laissé leur empreinte dans

l’histoire de leur Empire, à l’image de Léon VI le Sage par son activité législative

ou Constantin VII Porphyrogénète pour son activité savante. L’activité militaire

et les relations avec le monde arabo-musulman commencent à évoluer par rap-

port aux premiers siècles de la poussée musulmane ; Léon VI, dans ses Constitu-

tions tactiques, commence à théoriser cet adversaire. Les succès de l’Islam com-

mencent à être tempérés par les Byzantins.

Mais c’est bien avec l’avènement du Domestique des Scholes1 Nicéphore

Phocas au rang d’empereur, en tant que « protecteur » des héritiers légitimes,

Basile et Constantin, encore mineurs, que la reconquête byzantine a lieu. Nicé-

phore Phocas n’est pas né dans la famille impériale, mais dans une grande famille

noble2. Il commence sa carrière militaire sous le règne de Constantin VII. Hissé

au rang prestigieux de Domestique des Scholes, il mène en 961 une expédition en

Crète contre les Arabes qui avaient pris le contrôle de l’île depuis le IXe siècle.

1 Le Domestique des Scholes est le grade militaire le plus prestigieux. Il est le chef suprême de

l’armée après l’empereur. Cette fonction est divisée en deux : le Domestique d’Orient et le Do-

mestique d’Occident. 2 Sur la famille Phocas, voir CHEYNET, Phocas.

Introduction

13

Parallèlement à cette expédition, son frère Léon Phocas, également Domestique

des Scholes mais pour la partie occidentale de l’Empire, s’emploie à lutter contre

Sayf ad-Dawla – un ennemi récurrent de l’Empire – en Cilicie. Pour les deux

hommes, l’action menée est une réussite éclatante. Empereur, Nicéphore se re-

trouve à nouveau confronté aux Arabes à plusieurs reprises, presque annuelle-

ment. La lutte contre ces derniers représente un axe majeur de son règne ; cela est

décrit avec précision par Léon le Diacre. Les empereurs suivants ont également

été confrontés aux Arabes, notamment Jean Ier Tzimiskès. Basile II est en revanche

moins belliciste contre les Arabes que ses prédécesseurs, préférant axer les forces

de l’Empire contre les Bulgares. Dans ce Xe siècle, qui marque une période de

reconquête byzantine après les VIIe et VIIIe siècles qui ont été ceux de l’expansion

musulmane, l’un des principaux adversaires des Byzantins sont les musulmans

Hamdanides, établis en Syrie du Nord et en Jazîra. Ils sont situés dans une région

frontalière à l’Empire contre lequel de nombreuses incursions sont lancées.

Les auteurs du corpus sont soit contemporains de cette période, soit légè-

rement postérieurs. Le De Velitatione est un traité militaire attribué à Nicéphore

Phocas ; il tient une posture d’acteur et de rapporteur. Léon le Diacre est un au-

teur de la seconde moitié du Xe siècle qui a écrit pendant le règne de Basile II ;

cela lui donne un léger recul, tout en ayant la possibilité d’avoir des contacts avec

des témoins. Jean Skylitzès est un historien plus tardif : il naît et écrit au XIe siècle.

Son œuvre couvre les périodes amoriennes et macédoniennes. Il se permet un

discours plus critique que Léon le Diacre – notamment envers Nicéphore Phocas

–, qu’il indique comme étant une de ses sources mineures. Sa vision permet donc

d’équilibrer, dans une certaine mesure, celle de son prédécesseur. Yahya d’An-

tioche, le quatrième auteur et troisième historien du corpus, se détache des

autres. Il ne s’agit pas d’un auteur byzantin. C’est un historien arabe chrétien du

Introduction

14

XIe siècle. Cet auteur se situe au carrefour des civilisations byzantines et musul-

manes, ce qui rend son œuvre particulièrement pertinente dans le cadre de cette

étude. Sa connaissance poussée du monde arabe permet en parallèle de mieux se

rendre compte du degré de méconnaissance présumée des Byzantins en ce qui

concerne leurs adversaires.

ETAT DE L’ART

Pour travailler sur la vision de l’Autre en histoire, il est essentiel de s’inté-

resser au préalable à la question des relations entre les peuples étudiés. Ce sont

deux éléments intrinsèquement liés : c’est de la relation avec l’Autre que découle

l’image que l’on a de lui.

L’historiographie des relations arabo-byzantines est encore relativement

pauvre. Peu d’ouvrages y sont entièrement consacrés et en dénombre encore

moins qui sont consacrés au thème de la vision de l’Autre. Ce thème est davan-

tage traité en tant que sous-partie au sein d’un ouvrage plus général, et souvent

peu de lignes y sont consacrées. En France, l’historien orientaliste Marius Canard

a beaucoup travaillé sur la dynastie Hamdanide – il s’agit du sujet de sa thèse –

et sur le califat Fatimide. Ses travaux l’ont conduit à étudier les relations de ces

entités territoriales avec l’Empire byzantin. Ses ouvrages et ses publications sont

aujourd’hui datés – la plupart datent d’avant les années 1960 –, mais restent des

références dans le domaine. Outre sa thèse, l’intérêt de son activité réside égale-

ment dans la traduction en français de l’ouvrage colossal Byzance et les Arabes de

l’historien russe Alexander Vasiliev, qui se termine au règne de Constantin VII.

Alexander Vasiliev est un autre grand nom de l’histoire byzantine, notam-

ment en ce qui concerne les relations entre Byzance et ses voisins. Cet orientaliste

est l’auteur de plusieurs ouvrages d’intérêt majeur pour l’histoire de l’Empire

Introduction

15

byzantin : une Histoire de l’Empire byzantin en deux volumes, l’incontournable By-

zance et les Arabes (en deux volumes, le premier dédié à la période de la dynastie

amorienne et le second pour la dynastie macédonienne) précédemment cité, mais

également, avec le concours d’Ignace Kratchovsky, une traduction incomplète en

français de l’Histoire de Yahya d’Antioche, publiée dans deux fascicules de la Pa-

trologia Orientalis. Marius Canard entreprit de terminer la traduction, mais ne

put s’y consacrer faute de temps. C’est dans les années 1980 que Gérard Trou-

peau et Françoise Micheau ont entamé la traduction de la partie manquante, tra-

vail finalement publié en 1997 (toujours dans un fascicule de la Patrologia Orien-

talis).

Marius Canard et Alexander Vasiliev sont les deux principaux historiens

qui ont travaillé sur les relations entre Byzance et ses voisins musulmans, mais

leurs travaux sont anciens. L’historien orientaliste Claude Cahen a fourni un tra-

vail considérable, mais ses études concernent davantage le monde Islamique.

Néanmoins ses travaux restent intéressants à consulter dans un cadre plus by-

zantin tel que celui traité ici, au même titre que Marius Canard, orientaliste lui

aussi. Il a coécrit avec ce dernier l’ouvrage Byzance et les musulmans du Proche-

Orient.

Plus récemment, dans la seconde moitié du XXe siècle, d’autres historiens

en France se sont penchés sur des sujets similaires. C’est le cas d’Alain Ducellier

qui a écrit plusieurs ouvrages sur les relations entre les chrétiens d’Orient et

l’Islam, et de Gilbert Dagron à qui l’on doit des articles d’un intérêt certain sur le

sujet3. Dans les années 2000, d’autres travaux ont été publiés, notamment la thèse

3 Ses articles ont été compilés dans les deux tomes d’Idées byzantines publiés par l’ACHCByz. Trois

d’entre eux ont été particulièrement utile à cette étude : « Ceux d’en face », « Byzance et le modèle

islamique à la fin du IXe siècle. A propos des Constitutions tactiques de l’empereur Léon VI » et

« Les Arabes, ennemis intimes (Xe siècle) ».

Introduction

16

de Nicolas Drocourt en 2006 sous la direction d’Alain Ducellier intitulée Ambas-

sades, Ambassadeurs et délégations d’étrangers, ou encore l’ouvrage de Nadia Maria

El Cheikh Byzantium Viewed by the Arabs qui traite de la vision inverse, c’est-à-

dire la vision de Byzance par les Arabes.

Ces ouvrages nous renseignent beaucoup sur les relations entre l’Empire

byzantin et le monde arabe. Mais assez peu ne laissent de place à la vision de

l’Autre. Philippe Sénac est l’auteur d’un ouvrage intitulé L’image de l’Autre, paru

pour la première fois en 1983, puis réédité en 2000 sous le titre L’Occident face à

l’Islam. L’image de l’Autre. Cet ouvrage peut sembler a priori hors-sujet par son

traitement occidental de la question. Mais il permet de poser une première pierre

(complémentaire à celui de Nadia Maria El Cheikh) en ce qui concerne la défini-

tion de l’image de l’Autre. De plus, cela permet de différencier les points de vue

occidentaux et orientaux. John Tolan a également beaucoup travaillé sur les rela-

tions entre l’Islam et le monde latin. Il publie en 2003 un ouvrage intitulé Les Sar-

rasins : l’Islam dans l’imaginaire européen au Moyen Âge dans lequel il traite de cette

image de l’Autre du point de vue latin.

LA METHODE DE RECHERCHE

Etudier les sources pour y analyser l’image des auteurs par rapport à un

autre peuple ou une entité étrangère demande une lecture minutieuse des textes.

Il s’agit de repérer le vocabulaire, les expressions, les champs lexicaux employés

pour définir l’Autre. Il convient également de prendre en compte les récurrences

de ces termes et expressions ainsi que le contexte dans lequel l’auteur les écrit.

Ce n’est qu’en effectuant ce travail d’analyse poussée (qui demande de nom-

breuses lectures) couplé à une étude du contexte historique qu’il devient possible

d’extraire des textes la mentalité des auteurs. Cette étude du contexte se fait obli-

gatoirement par la lecture d’ouvrages scientifiques consacrés aux relations arabo-

byzantines.

Introduction

17

PROBLEMATIQUE ET PLAN

L’enjeu de la question est complexe et multiple. L’étude menée va d’abord

tenter de montrer comment l’étude de ces quatre sources permet de définir

l’image de l’Autre que porte la société byzantine, ou plutôt l’élite intellectuelle

byzantine, sur les Arabes musulmans. Cette étude ne se suffit toutefois pas à elle-

même : elle n’est qu’une étape pour définir l’image de la société byzantine qui en

découle, c’est-à-dire l’image que les Byzantins ont d’eux-mêmes à travers le

prisme de l’Autre.

Pour répondre à ce questionnement, l’étude est divisée en trois axes. Il

semble pertinent d’étudier en premier lieu qui sont les auteurs qui fournissent le

corpus choisi. Cette étude critique des sources met l’accent sur la compréhension

de la mentalité et la pertinence de ces auteurs dans le cadre de l’étude. Il s’agit

aussi de relever quels sont les termes employés et quelle place ils accordent à

l’Islam. La deuxième partie est consacrée à la définition même de ce qu’est

l’image de l’Autre et à sa pertinence. Elle se conclue sur l’application de la « théo-

rie » aux textes étudiés. Le cheminement intellectuel de ce travail de recherche

s’achève par une étude de cas, celle de l’étude du personnage de Sayf ad-Dawla

dans les sources. Cela permet de se rendre compte quelle image pouvaient avoir

les Byzantins d’un adversaire qu’ils connaissent a priori bien, ayant été confrontés

à ce dernier à de nombreuses reprises.

18

Partie 1. Etude critique des sources : des

historiens à l’empereur

Etude critique des sources : des historiens à l’empereur

19

Cette étude est basée sur un corpus composé de quatre ouvrages. Il s’agit

de deux ouvrages historiques byzantins, un ouvrage de stratégie militaire et un

ouvrage historique arabe. Parmi les sources historiques, les ouvrages de Léon le

Diacre et de Yahya d’Antioche sont des histoires et celui de Jean Skylitzès est un

abrégé historique. Les histoires, en tant que genre littéraire du Moyen Âge, se

différencient des chroniques. Si l’on s’accorde avec la définition de Karl Krum-

bacher, ces dernières prennent « pour point de départ la création et atteignent

leur propre époque ou l’épisode juste avant »1. Les histoires concernent une pé-

riode plus restreinte, généralement contemporaine avec pour point de départ une

période légèrement antérieure. Les auteurs d’histoire se réclament d’une métho-

dologie plus rigoureuse, prétextant s’appuyer sur des faits et des dires vérifiés

ou dignes de confiance.

Cependant, la différence reste parfois floue même pour les auteurs comme

nous l’explique Bernard Guénée dans son article consacré aux genres historiques

au Moyen Âge2. On pourrait grossièrement considérer que les chroniques s’atta-

chent à une narration chronologique, et les histoires à une explication des faits

(ce qui rejoint son étymologie, au sens premier d’ « enquête »). Mais nous ne sau-

rions nous contenter pleinement de ces définitions trop tranchées qui oublient les

nuances apportées selon le contexte et les auteurs ; par exemple, ce que nous ap-

pelons l’Histoire de Yahya d’Antioche est nommé Dayl (« Continuation », en

arabe) par son auteur. La différence est en réalité mince, avant tout théorique, et

peut facilement être transgressée.

Il convient, avant d’étudier quelle image des peuples arabo-musulmans

ces quatre auteurs livrent, de s’intéresser aux auteurs eux-mêmes, de présenter

1 KRUMBACHER Karl, Histoire de la littérature byzantine, trad. Octave Merlier, publication de la fa-

culté des lettres et sciences humaines d’Aix-en-Provence, 4 vol., 1969, tome II, pp. 1-2. 2 GUENEE, Genres historiques, p. 998.

Etude critique des sources : des historiens à l’empereur

20

leur œuvre et de faire une étude critique. Il faut avant toute chose comprendre

qui sont ces hommes qui écrivent et, dans le cas des historiens byzantins, analyser

leur méthode et comparer leur parcours. L’analyse du vocabulaire et des expres-

sions employés pour décrire les Arabo-musulmans ainsi que celle de la place de

l’Islam permettra par la suite d’aborder la réflexion sur la mentalité byzantine

qui forge leur image de l’Autre.

I. PRESENTATION DES SOURCES

1) L’Histoire de Léon le Diacre

Ce travail de recherche se base en partie sur l’œuvre de l’historien byzan-

tin Léon le Diacre. On sait assez peu de choses sur ce chroniqueur ; les seuls élé-

ments biographiques que l’on connait de lui nous sont transmis par Léon lui-

même dans la première partie du livre I de son Histoire3, son unique ouvrage, ou

en tout cas le seul connu. Il n’existe aucun document (sceau, lettres) qui le men-

tionne, outre Jean Skylitzès qui le nomme « Léon d’Asie » dans sa Synopsis Histo-

riôn4. Il serait le fils d’un dénommé Basile, originaire de Kaloè en Anatolie cen-

trale (actuelle ville de Kiraz). Sa date de naissance n’est pas connue, mais il serait

né avant 9505. Il arrive jeune à Constantinople pour poursuivre son éducation

secondaire6 car arrivé à un certain niveau d’étude, il est obligatoire de venir étu-

dier dans la capitale de l’Empire7. Il se destine à une carrière cléricale. Son style

d’écriture montre, notamment par ses nombreuses citations d’Homère, de So-

phocle ou encore d’Aristophane, qu’il a reçu une éducation traditionnelle et clas-

3 LEON, Histoire, I, 1. 4 SKYLITZES, p. 2. 5 KAZHDAN, ODB, vol. 2, p. 1217 ; voir aussi LEON, Histoire, p. 12. 6 Les informations qu’il nous livre nous permettent de dater sa présence à Constantinople en 967 ;

voir LEON, Histoire, IV, 7. 7 Sur l’enseignement à Constantinople, notamment dans le cas des diacres, voir LEMERLE, Premier

humanisme, p. 256.

Etude critique des sources : des historiens à l’empereur

21

sique. On trouve également quelques références à l’Ancien et au Nouveau Testa-

ment ainsi qu’aux Pères de l’Eglise, mais elles sont étonnamment peu nom-

breuses pour un diacre, membre du clergé.

Léon est ordonné diacre après 970. C’est après l’accession de Basile II au

trône impérial en 976 qu’il devient membre du clergé du Palais. Vers 980, il écrit

un panégyrique de l’empereur. Il a assisté à la campagne désastreuse de Basile II

contre les Bulgares en 986 au cours de laquelle il a échappé de peu à l’ennemi lors

de la bataille des Portes de Trajan. Son Histoire ne mentionne aucun événement

au-delà de l’An Mille ce qui suggère que son œuvre, inachevée, est ultérieure.

Bien que des traductions en anglais, en allemand et en grec moderne exis-

tent déjà depuis plusieurs années, la traduction française de Jean-Pierre Grélois

et René Bondoux est en revanche très récente car publiée par l’Association des

Amis du Centre d’Histoire et de Civilisation de Byzance (ACHCByz) en 2014.

Cette Histoire relate les règnes successifs de Romain II (959-963), Nicéphore II

Phocas (963-969) et Jean Ier Tzimiskès (969-976), tout en incluant quelques épi-

sodes du début du règne de Basile II par une forme de prolepse (les révoltes de

Bardas Sklèros et Bardas Phocas, les affaires bulgares et le séisme de 989). Cet

ouvrage a pour intérêt de narrer les épisodes guerriers de cette période, alors

nombreux contre les Arabes. A ce titre, Léon le Diacre donne des descriptions des

peuples Arabo-musulmans, de certaines « coutumes » préjugées et rapporte des

discours prononcés par des généraux ce qui en fait une source d’information très

riche concernant la vision des musulmans par les intellectuels byzantins.

Dans son exorde8, il expose sa vision de l’histoire et sa méthode de travail.

Il déclare ne relater que les événements dont il a été lui-même témoin ou qui lui

8 op. cit., I.1.

Etude critique des sources : des historiens à l’empereur

22

ont été rapportés par des sources fiables. Si plusieurs témoignages sont contra-

dictoires, il rapporte les différentes versions. Fiabilité à relativiser car, à l’instar

de son portrait particulièrement élogieux de Nicéphore Phocas, il écrit avec la

mentalité d’un intellectuel byzantin de son époque. L’absence du règne de Basile

II dans son Histoire s’explique par sa volonté de ne pas traiter des événements

qu’il vit lui-même au présent, abandonnant volontairement la tâche aux histo-

riens postérieurs.

2) Le Synopsis Historiôn de Jean Skylitzès

Une autre source complémentaire à celle de l’Histoire de Léon le Diacre a

été utilisée. Il s’agit de la Synopsis Historiôn (Σύνοψις ἱστοριῶν) de Jean Skylitzès,

parfois nommé Jean Thrakèsios dans les autres sources. Outre son activité d’his-

torien, on le connaît pour avoir été drongaire de la Veille (chef du principal tri-

bunal de Constantinople) et éparque (préfet de la Ville). Il a mené une activité de

juriste et a exercé des hautes charges sous le règne d’Alexis Ier Comnène. Né avant

1050, il est probablement mort dans la première décennie du XIIe siècle. Il sem-

blerait qu’il ait été le premier de sa famille à parvenir à ce niveau social, bénéfi-

ciant d’une promotion sociale permise par une bonne instruction9. Il existe neuf

manuscrits de son abrégé, qui datent du XIIe au XIVe siècle. Jean Skylitzès a pen-

dant longtemps été considéré comme un historien mineur à cause de son obscu-

rité ; ce n’est que depuis les trente dernières années qu’il est étudié sérieuse-

ment10.

C’est un historien de la deuxième moitié du XIe siècle, donc postérieur à

Léon le Diacre, qu’il utilise pour son abrégé. Son ouvrage est chronologiquement

plus large que celui de son prédécesseur puisqu’il couvre les années qui vont de

811 à 1057, c’est-à-dire depuis la mort de Nicéphore Ier jusqu’à l’abdication de

9 SKYLITZES, VI. 10 HOLMES, Basil II, p. 76.

Etude critique des sources : des historiens à l’empereur

23

Michel VI, dernier avatar de la dynastie macédonienne. Son œuvre est l’une des

plus importantes pour l’historiographie byzantine. C’est un résumé d’ouvrages

antérieurs : son objectif n’est pas tant d’écrire une nouvelle histoire que de com-

biner et corriger les connaissances déjà exposées dans d’autres ouvrages. Il voit

l’écriture de l’histoire et le métier d’historien comme la construction d’un texte à

partir d’autres textes. Son œuvre est intéressante car elle mentionne plusieurs

historiens dont l’œuvre ne nous est pas parvenue (quatorze historiens sont nom-

més). Jean Skylitzès se veut être le continuateur de Théophane le Confesseur (lui-

même continuateur de Georges le Syncelle). Il critique assez durement les précé-

dents Continuateurs de Théophane, dont Michel Psellos et Léon le Diacre. Il leur

reproche de s’être laissés aller à la partialité que l’historien est censé éviter : or,

on le constate, l’Histoire de Léon le Diacre est bel et bien laudative – en tout cas

dans sa première partie – envers Nicéphore Phocas. On pourrait reprocher à Sky-

litzès le travers inverse ; il se montre extrêmement critique envers les empereurs

qu’il juge indignes, dont Nicéphore Phocas.

En ce qui concerne l’intérêt de la Synopsis Historiôn dans le cadre de la vi-

sion de l’Autre, il est à mettre sur le même plan que Léon le Diacre. C’est un

historien byzantin qui relate les mêmes événements, donc de fait il écrit à propos

des musulmans. Contrairement à Théophane, Jean Skylitzès ne précise que rare-

ment l’indiction. Cette absence est récurrente chez les historiens du XIe siècle et

les similitudes avec son prédécesseur tiennent plutôt dans la méthode de travail :

il réalise des résumés d’ouvrages historiques antérieurs, il emploie un style

simple et clair. Sa Synopsis est divisée en fonction des règnes des empereurs, ce

qui en fait une histoire des règnes11 et une histoire des hommes. L’ouvrage de

11 Jean Skylitzès donne la durée des règnes à la fin de chaque chapitre, chacun des vingt-quatre

chapitres étant concentré sur un empereur (à l’exception de l’introduction qui présente son

œuvre). Il écrit par exemple à propos de Basile II « il fut empereur pendant toute cette durée et

exerça le pouvoir suprême pendant cinquante ans », SKYLIYZES, p. 306.

Etude critique des sources : des historiens à l’empereur

24

Jean Skylitzès présente certes un intérêt considérable qu’il serait malvenu de

sous-estimer ; mais sa distance avec les événements fait qu’il est indispensable de

le lire avec du recul. Il n’a lui-même pas connu les événements et n’a pu entrer

en contact avec des témoins, en ce qui concerne la période qui nous intéresse. Il

n’a fait que rassembler les écrits d’historiens plus anciens, ce qui le pousse parfois

à faire des déclarations contradictoires12. Les règnes sont racontés de manière

abrégée et certains aspects sont passés sous silence ; il ne fait par exemple aucune

mention de la politique fiscale de Basile II. Il fait le choix de traiter certains évé-

nements de manière plus poussée que d’autres13.

3) Yahya ibn Sa’ïd d’Antioche, le continuateur de Sa’ïd ibn al-Bitriq

Un troisième historien est intéressant à étudier dans le cadre des relations

arabo-byzantines au Xe siècle : Yahya Ibn Sa’ïd al-Antaki, dit Yahya d’Antioche.

C’est un historien et médecin arabe chrétien melkite. Il est l’auteur d’une impor-

tante Histoire qui couvre les années 937-938 à 1033-1034. Marius Canard émet

toutefois l’hypothèse que l’œuvre s’étend au-delà de la mort de Romain III Ar-

gyre14. Son œuvre est restée confidentielle en Europe jusqu’au XVIIIe siècle. Ce

sont les historiens russes qui s’en sont servis les premiers comme source primor-

diale : l’orientaliste Viktor von Rosen le premier a mis en avant l’intérêt du texte

en proposant la traduction russe de dix-sept extraits dans son ouvrage sur Basile

II15. Plus tard, Mednikov a inséré des traductions dans son ouvrage sur la Pales-

tine16 et Alexander Vasiliev également dans le second volume de son œuvre sur

les relations entre Byzance et les Arabes. Son Histoire nous est parvenue à travers

12 HOLMES, Basil II, p. 94. 13 Catherine Holmes souligne le fait que la moitié du chapitre consacré à Basile II correspond aux

révoltes de Bardas Skléros et Bardas Phocas, et l’autre moitié à la guerre contre les Bulgares, ce

qui est disproportionné ; cf. HOLMES, Basil II, p. 68. 14 CANARD, Sources arabes, p. 302. 15 VON ROSEN Viktor, Император Василий Болгарский, Saint-Pétersbourg, 1883. 16 MEDNIKOV N. A., Палестина оть завоеаніл еа арабами до крестовыхь походовь по

арабскимь источникамь, t. III, Saint-Pétersbourg, 1902.

Etude critique des sources : des historiens à l’empereur

25

six manuscrits, dont un est aujourd’hui perdu. Une première traduction complète

a été établie par Louis Cheikho à partir du manuscrit perdu, traduction qui a été

considérée comme insuffisamment critique. C’est pour corriger cela que les

orientalistes russes Ignace Kratchovsky et Alexander Vasiliev ont entrepris de

publier le texte en arabe accompagné d’une traduction française. L’édition-tra-

duction incomplète de Kratchkosky et Vasiliev est publiée dans deux fascicules

de Patrologia Orientalis en 1924 et 1932, mais la troisième et dernière partie n’est

pas achevée par les deux hommes. La tâche est confiée à Marius Canard, mais ce

projet est finalement mis de côté car trop occupé par ses autres travaux. C’est

finalement Gérard Troupeau en 1980 à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes avec

l’association de Françoise Micheau qui se charge de traduire la dernière partie

des manuscrits. La dernière partie de la traduction paraît en 1997, toujours sous

la forme d’un fascicule de la Patrologia Orientalis. Il s’agit d’une traduction litté-

rale sans prétention littéraire pour être le plus près possible du texte original.

Son ouvrage est simplement intitulé Dayl (Continuation). Il explique dans

son introduction avoir pour but d’écrire la continuation de l’ouvrage de Sa’ïd Ibn

al-Bitriq également connu sous le nom Eutychius, le patriarche melkite d’Alexan-

drie. Certaines sources ultérieures17 font de ce dernier un membre de la famille

de Yahya d’Antioche, sans que cette information soit toutefois vérifiable. En tant

que continuateur, il reprend le même mode de composition. Il n’est pas un auteur

byzantin, ni un auteur musulman. Cependant, les melkites, contrairement aux

autres chrétiens d’Orient tels que les coptes et les syriaques, sont favorables à

Byzance plutôt qu’au nouveau régime musulman. Ils partagent les idées du Con-

cile de Chalcédoine. Leur attitude de soutien à l’Empire est source de méfiance

de la part des Perses puis des Arabes. Bien que chrétien, Yahya d’Antioche se sert

17 Notamment le médecin et historien ibn Abi Usaybi’a qui est l’auteur d’un recueil de biographies

de scientifiques (médecins, mathématiciens, astronomes, philosophes, etc.).

Etude critique des sources : des historiens à l’empereur

26

du calendrier hégirien pour dater les événements ; cela marque l’influence de son

éducation en pays musulman. Il écrit en langue arabe et possède des connais-

sances plus vastes que les historiens byzantins en ce qui concerne le monde

arabo-musulman. Yahya d’Antioche a voyagé au cours de sa vie ; originaire du

Caire, il quitte la ville vers 1014 quand le calife fatimide al-Hakim persécute les

chrétiens. Il se réfugie à Antioche, encore byzantine. Il commence son ouvrage

vers 1007. Il a pu avoir accès à des sources d’une grande variété.

Intégrer son œuvre dans un corpus composé essentiellement de sources

purement byzantines présente l’intérêt d’étudier un texte différent des autres par

ses influences – mais toujours chrétien –, donc de confronter et d’évaluer les con-

naissances sur l’Autre des trois premiers auteurs face à un quatrième auteur

arabe au contact de l’Islam. Ses sources sont très diverses ; de plus, il présente la

particularité d’avoir réécrit son ouvrage à plusieurs reprises, y apportant des mo-

difications et des additions quand il découvrait de nouvelles sources auxquelles

il n’avait initialement pas eu accès. On peut compter trois étapes de rédaction : la

première aux alentours de 397/1006, la seconde avant 405/1014 sur la base de nou-

velles chroniques qu’il n’avait pas consultées la première fois, et la dernière après

son émigration à Antioche. Cette dernière phase de rédaction est difficile à dater,

mais il est certain qu’elle va au-delà de 425/1034 (année à laquelle son histoire

s’achève). Marius Canard, qui l’a étudié, affirme que sa chronique allait au-delà ;

il se base sur une phrase de Yahya d’Antioche qui déclare « comme nous le dirons

plus loin » à propos des négociations entre Romain III et le calife fatimide18, né-

gociations qui constituent la fin du récit que nous connaissons. Son histoire est

très riche car il a pu utiliser aussi bien des sources grecques qu’arabes, chré-

tiennes que musulmanes, contrairement aux auteurs précédents. Il ne présente

18 CANARD, Sources arabes, p. 302.

Etude critique des sources : des historiens à l’empereur

27

jamais plusieurs versions des événements. Il évite de voir la main de Dieu comme

explication à certains événements et préfère les expliquer de manière rationnelle.

4) Nicéphore Phocas et le De Velitatione

La quatrième source utilisée n’est pas un ouvrage historique. Il s’agit d’un

ouvrage de stratégie militaire intitulé De Velitatione (Traité sur la guérilla) dont

l’auteur déclaré est Nicéphore Phocas (le rédacteur est inconnu). Ce traité, ainsi

que le De Re Militari, est pensé dans un esprit de refonte des Taktika de Léon VI.

Le De Velitatione est un ouvrage rétrospectif sur la guérilla orientale et le De Re

Militari sur les campagnes impériales en Orient et en Occident après 962 ; ce n’est

pas un ouvrage de littérature. Cet empereur a lui-même beaucoup lutté contre

les Arabes, notamment contre les Hamdanides – mais pas exclusivement, par

exemple lors de son expédition en Crète qui l’a couvert de gloire – ; d’où l’intérêt

d’étudier ce traité. Les Arabes sont rarement explicitement nommés dans l’ou-

vrage, à l’exception de Sayf ad-Dawla (appelé « Ali fils de Hambdas19 » par Ni-

céphore Phocas, en référence à son ascendance). Néanmoins, la guerre d’embus-

cade était, avant la rédaction du traité (dans lequel il est explicitement écrit

qu’elle ne se pratique plus), l’un des principaux moyens de lutte contre les

Arabes. Ce traité est un récit sur la guerre des thèmes vers 950 à la frontière du

Taurus, frontière tacite avec le monde musulman. Il illustre, derrière la descrip-

tion des méthodes et pratiques de la guérilla, la lutte contre les Hamdanides, an-

ciens ennemis de la famille des Phocas. A l’époque de la rédaction du traité, la

guérilla ne se pratique plus ; les conditions de guerre ont changé.

Le règne de Nicéphore Phocas est remarquable à plus d’un titre dans l’his-

toire de l’Empire byzantin. Né au début du Xe siècle, issu d’une grande famille

19 De Velitatione, III, 6, p. 24.

Etude critique des sources : des historiens à l’empereur

28

de Cappadoce qui a fourni à l’Empire plusieurs généraux. Hissé au rang presti-

gieux de Domestique des Scholes, il mène en 961 une expédition en Crète contre

les Arabes qui avaient pris le contrôle de l’île depuis le IXe siècle. Parallèlement à

cette expédition, son frère Léon Phocas, également Domestique de Scholes mais

pour la partie occidentale de l’Empire, s’emploie à lutter contre Sayf ad-Dawla –

un ennemi récurrent de l’Empire, émir hamdanide d’Alep – en Cilicie. Dans les

deux cas, l’action menée est une réussite éclatante. Empereur, Nicéphore se re-

trouve à nouveau confronté aux Arabes à plusieurs reprises. La lutte contre ces

derniers représente un axe majeur de son règne ; cela est décrit avec précision par

Léon le Diacre. Chef de guerre victorieux, il devient empereur en 963 peu après

la mort de Romain II. Il épouse la veuve impériale Théophano, se débarrasse du

gênant Joseph Bringas et devient le protecteur des princes héritiers, Basile et

Constantin. Il incarne le renouveau offensif et victorieux après plusieurs siècles

de conquêtes musulmanes qui ont entamé l’intégrité territoriale de l’Empire.

Par son histoire singulière et sa politique militaire, Nicéphore Phocas pré-

sente un intérêt certain à être étudié dans le cadre des relations arabo-byzantines.

Largement commenté par Gilbert Dagron, le De Velitatione qui lui est attribué est

un témoignage unique de ces relations.

II. VOCABULAIRE ET CHAMP LEXICAL UTILISES POUR DESIGNER LES

PEUPLES ARABES

1) La place des Arabo-musulmans dans les sources

Contrairement aux chrétiens orientaux qui écrivent sur les musulmans de-

puis plus d’un siècle et demi, les Byzantins ne les évoquent pas ou peu avant le

IXe siècle alors qu’ils y sont confrontés depuis les débuts de la civilisation Isla-

mique. La première mention byzantine nous vient de la chronique de Théophane

Etude critique des sources : des historiens à l’empereur

29

le Confesseur20, mais il n’y consacre que quelques lignes21. On peut avancer plu-

sieurs raisons à cela : premièrement, cela intervient en même temps que la pé-

riode des « dark ages » pendant laquelle les sources sont quasiment nulles. Deu-

xièmement car les territoires perdus ne concernaient jusque-là que des peuples

considérés comme hérétiques et traîtres (les monophysites, les nestoriens et les

jacobites) dont les Byzantins se souciaient peu. C’est à partir du moment où les

conquêtes touchent le territoire de l’orthodoxie que les Byzantins semblent s’in-

quiéter réellement de l’empire musulman grandissant. On peut alors remarquer

que les auteurs utilisent certains mots et expressions pour désigner leurs ennemis

musulmans. Les termes employés ont parfois une origine biblique pour désigner

d’abord l’origine ethnique des musulmans, mais ils ne font presque jamais réfé-

rence à l’Islam. Il faut chercher dans l’ouvrage de Yahya d’Antioche pour trouver

une mention explicite à l’Islam.

2) Vocabulaire et étymologie

2.1) L’ethnocentrisme gréco-romain

L’un des termes les plus employés pour désigner l’adversaire musulman,

dans les sources, est celui de « barbare » (Βἀρβαροι). Il n’est cependant pas uni-

quement employé pour désigner les Arabo-musulmans : les auteurs, en particu-

lier Léon le Diacre et Jean Skylitzès, nomment barbare chaque peuple qui affronte

les Romains. C’est l’héritage de la culture grecque antique : barbare désigne ce

qui n’est pas grec.

2.2) Les périphrases bibliques

Les termes employés ne définissent pas une identité religieuse mais plutôt

une origine ethnique, bien que certains soient teintés de mythologie religieuse de

20 DUCELLIER, Le miroir de l’Islam, p. 18. 21 DUCELLIER, Chrétiens d’Orient, p. 128.

Etude critique des sources : des historiens à l’empereur

30

l’Ancien Testament : les Arabes sont tantôt appelés « Agarènes », parfois « Ismaé-

liens ». Ce sont des références qui lient les Arabes au monde judéo-chrétien.

« Agarène » signifie « les descendants d’Agar », qui est, dans la Genèse, la ser-

vante égyptienne de Sarah, la femme d’Abraham, avec qui il aurait eu un enfant.

L’enfant est nommé Ismaël, qui est lui à l’origine du terme « Ismaélien22 ». Nicé-

phore Phocas et Jean Skylitzès emploient cette dénomination « d’enfants d’Is-

maël23 ». Il est intéressant de noter que selon la tradition Islamique, Mahomet

serait le descendant direct d’Ismaël. Les Byzantins du Xe siècle sont pourtant

conscients du fait que ces « Agarènes » sont adeptes d’une autre foi ; mais ils

n’ignorent pas que l’Islam a des racines communes avec le judaïsme et le chris-

tianisme. Léon le Diacre utilise une figure de style pour désigner les Arabes : « les

descendants de la servante24 ». Il s’agit d’une référence évidente à Agar. Par cette

expression, on peut supposer qu’il insiste sur le mépris qu’il a des Arabes car ils

ne seraient que les descendants d’une servante (aussi importante soit-elle dans la

mythologie biblique). Agar et Ismaël représentent la relation adultérine, contraire

à la monogamie défendue par le judaïsme et le christianisme. A la suite de la

naissance d’Isaac, le fils légitime d’Abraham et de Sarah, Agar et Ismaël sont

chassés par cette dernière dans le désert de Paran. Agar et Ismaël ne sont pas

rejetés par Dieu, mais leur statut d’exilés n’en est pas moins intéressant pour

comprendre pourquoi ils sont considérés comme les ancêtres des Arabes.

22 Il ne faut pas confondre ce terme avec le sous-courant chiite ismaélien ; ici, « Ismaël » désigne

un personnage biblique. Pour les chiites ismaéliens, l’origine du terme vient d’Ismâ’il ibn Ja’far. 23 De Velitatione, XX, p. 20. 24 LEON, Histoire, I, 6.

Etude critique des sources : des historiens à l’empereur

31

2.3) La « désignation par la synecdoque »

Outre les termes d’origine biblique, les Arabes sont parfois désignés par le

nom « Sarrasins ». L’étymologie de ce terme a donné lieu à plusieurs interpréta-

tions. Isidore de Séville, un encyclopédiste du VIIe siècle et évêque de Séville,

l’explique de cette manière :

« Les Sarrasins sont ainsi nommés soit parce qu’ils prétendent être les

descendants de Sarah, soit, selon les païens, parce qu’ils sont d’origine sy-

rienne. Ils vivent dans une grande région désertique. Ils sont aussi appelés

Ismaélites, comme nous l’apprend le Livre de la Genèse, parce qu’ils descen-

dent d’Ismaël. Ils sont aussi nommés Cedar, du fils d’Ismaël, ou encore

Agarènes du nom d’Agar. Comme nous l’avons dit, ils s’appellent Sarrasins

en référence à Sarah, parce qu’ils se vantent d’en être les descendants25. »

Cette explication n’est plus considérée comme valide à l’heure actuelle26.

Il n’existe pas de consensus scientifique sur l’étymologie du terme « Sarrasin »,

mais l’une des explications considérées comme plausible serait d’origine

grecque : Sarakênos (Σαρακηνός), qui est le nom d’une tribu arabe nomade men-

tionnée par Ptolémée au IIe siècle27. Par extension, ce mot serait devenu l’un de

ceux pour désigner les musulmans dans leur ensemble avant l’apparition de ce

dernier terme (le mot « mahométant », aujourd’hui obsolète en français, étant

également utilisé). Il convient tout de même d’insister sur l’absence d’explication

reconnue de tous.

Le mot « arabe » est employé à quelques reprises par chacun des auteurs

du corpus. Ce terme viendrait également du grec. Selon Michael Macdonald, les

Grecs de l’Antiquité utilisaient ce terme pour désigner les habitants d’une zone

25 ISIDORE DE SEVILLE, Etymologies, IX, 2, 57. 26 Dans son ouvrage L’image de l’autre : l’Occident médiéval face à l’islam paru en 1981 puis réédité

en 2000, Philippe Sénac se base toutefois sur cette explication ; cf. op. cit., p. 14. 27 Il s’agit de l’étymologie proposée par le dictionnaire Trésor de la langue française informatisé.

Etude critique des sources : des historiens à l’empereur

32

qu’ils appelaient l’Arabie, puis étendue à toute la péninsule arabe28. Cette appel-

lation n’était probablement pas reconnue par les populations concernées qui

n’avaient parfois aucun contact entre elles, et qui avaient parfois des styles de vie

bien différents ; certaines étaient nomades, d’autres sédentaires. Elles forment

des groupes différents.

3) Expressions employées

3.1) Quelques jugements positifs…

La plume des auteurs byzantins est généralement dure lorsqu’il s’agit de

parler des Arabo-musulmans. Les jugements positifs ne sont pas complètement

absents mais extrêmement rares ; lorsque Jean Skylitzès dit des Sarrasins qu’ils

« n’avaient pas pour coutume de se laisser griser par leurs victoires mais de pré-

férer la paix même quand ils étaient en situation de supériorité29 », il donne une

image prudente, voire presque pacifique, des Sarrasins. Il s’agit d’un éloge inha-

bituel que l’on ne retrouve presque pas chez les autres auteurs byzantins, et à de

rares reprises dans la suite du récit de Jean Skylitzès. Il se permet de faire le por-

trait d’un chef ennemi, Zôchar, de la manière suivante : « énergique et habile à la

guerre, et qui savait mener avec une science exacte les opérations terrestres aussi

bien que navales30 ». Le portrait positif peut s’expliquer par la volonté de l’auteur

de justifier une défaite byzantine – quand elle n’est pas due à un mauvais général

byzantin, ce qui est parfois la cause rapportée – ou au contraire à magnifier une

victoire face à des ennemis puissants. Il n’est pas non plus exclu que, dans cer-

tains cas, l’auteur ait un réel respect de l’adversaire qu’il décrit.

28 MACDONALD, Arabians, Arabias and the Greeks, pp. 1-2. 29 SKYLITZES, p. 224. 30 op. cit., p. 241.

Etude critique des sources : des historiens à l’empereur

33

3.2) … Mais majoritairement négatifs

Le même Jean Skylitzès écrit à propos d’eux, un peu plus loin dans le

même paragraphe, « leurs embarcations furent brisées par les flot, ou plutôt par

le Christ-Dieu, qu’ils blasphèment. Tous périrent31 ». On retrouve l’idée d’un

peuple qui blasphème. Jean Skylitzès n’accorde pas leur mauvaise fortune à la

malchance ou à la précipitation, mais à une intervention divine. Il n’est pas le

seul à évoquer l’idée de blasphème chez les musulmans. Nicéphore Phocas utilise

une expression significative de l’image qu’il a des musulmans : « l’arrogance et

les fanfaronnades de ces vantards de fils d’Agar, négateurs du Christ notre

Dieu32 ». Cette phrase résume en quelques mots la perception de l’empereur de

ses ennemis. Il évoque à la fois le côté sûr de soi qu’il leur attribue ainsi que leur

absence de foi. Ce n’est pas la première fois que Nicéphore Phocas donne une

description morale similaire faisant allusion à cette idée de blasphème : il utilise

cette expression de « négateurs du Christ » à deux reprises 33.

Léon le Diacre fait un commentaire sur ce qui semble être une pratique

divinatoire :

« Une espèce de catin, avec des mines et des simagrées, et assez d’ef-

fronterie et d’impudence, se pencha du haut des remparts pour lancer des

sortes d’enchantements et de sortilèges. Les Crétois, dit-on, sont en effet

adeptes de pratiques divinatoires, de mômeries et d’erreurs héritées depuis

toujours des Manichéens et de Mahomet34. »

Là encore on retrouve un vocabulaire très dur à l’encontre des musul-

mans ; Léon le Diacre n’accorde aucun crédit à cette pratique qu’il qualifie de

« mômerie » et même « d’erreur » réalisée par une « catin ». Les soldats de Nicé-

phore Phocas lui réservent d’ailleurs un sort peu enviable : l’un d’eux lui tire une

31 op. cit., p. 224. 32 De Velitatione, XV, p. 62. 33 Id. et op. cit., III, p. 25. 34 LEON, Histoire, II, 6.

Etude critique des sources : des historiens à l’empereur

34

flèche, elle tombe des remparts et meurt. Léon le Diacre continue d’employer des

termes peu flatteurs : « l’insolente bonne femme » qui, en mourant, rend son « peu

d’âme, s’étant attiré cette mort lamentable comme châtiment de sa démesure ».

Léon le Diacre fait preuves de ses préjugés sur l’Islam. Il donne l’impression de

ne même pas la considérer comme une religion mais plutôt comme une sorte de

superstition ; « enchantements » et « sortilèges » ne relèvent pas du champ lexical

de la religion sérieuse mais de croyances populaires, voire païennes.

L’arrogance, déjà évoquée, est une idée qui revient souvent dans les textes

byzantins. Léon le Diacre décrit les Arabes de Crète comme des individus « gon-

flés d’arrogance35 » et qui cherchent à éliminer les Romains (« soufflait le meurtre

contre les Romains »). Cette prétendue soif de meurtre est appuyée par une autre

description qu’il fait d’eux lors d’un autre affrontement entre Byzantins et mu-

sulmans : « traquer les fauves barbares qui se sont ici embusqués, les arracher à

leurs tanières et à leurs gîtes, et les exterminer36 ». C’est ici une image animale qui

est donnée, celle des bêtes sanguinaires. Le vocabulaire employé a une dimension

très violente : à la fois dans l’image qui est renvoyée des Crétois, mais aussi de la

part de Léon le Diacre dans les mots qu’il choisit d’employer. Encore plus loin

dans son Histoire, il évoque à nouveau cette dimension de cruauté barbare : « les

barbares fondaient sur eux et les massacraient sans pitié, comme des animaux de

sacrifice37 ». Il ajoute ici l’idée de sacrifice, ce qui appuie l’idée précédemment

évoquée de paganisme.

A cette image d’arrogance et de bestialité s’ajoute celle d’un peuple lâche :

« ils prirent immédiatement la fuite et se réfugièrent dans leur ville comme des

lâches […]. Une terrible couardise s’insinuait en eux38 », écrit Léon le Diacre. C’est

35 op. cit., I, 1. 36 op. cit., I, 6. 37 op. cit., IV, 8. 38 op. cit., IV, 3.

Etude critique des sources : des historiens à l’empereur

35

l’auteur le plus critique du corpus. Toutes ces idées sont appuyées par la présen-

tation qu’il fait des Agarènes de Crète : « les menteurs, les bêtes de la pire espèce,

les ventres oisifs »39 qui volent les Romains, « peuple qui porte le nom du Christ ».

Il fait un parallèle entre l’idée négative qu’il a des Arabes et celle qu’il a des Ro-

mains, son peuple, qui lui ne commettrait pas l’erreur de se détourner du Christ.

III. L’IMPORTANCE ACCORDEE A L’ISLAM DANS LES SOURCES

1) La religion

La plupart des sources byzantines n’accordent que peu d’importance à

l’Islam en tant que tel. Il n’est ainsi quasiment jamais fait mention de la religion

musulmane ; à de rares reprises, les musulmans sont qualifiés de mahométans,

d’adeptes de Mahomet. Seul Yahya d’Antioche utilise le terme « musulman »,

muslim en arabe, littéralement « celui qui se soumet » (sous-entendu à Allah). Il

n’existe à ce moment pas d’autre équivalent pour désigner les fidèles de l’Islam.

Dans le corpus étudié, on retrouve cette caractéristique. Le mot « Islam » n’est

jamais écrit dans les sources grecques ; il n’existe pas en langue grecque, s’agis-

sant d’un mot d’origine arabe. Le mot arabe Islam a pour signification « soumis-

sion », « abandon à Allah » (Allah ayant le sens de « Dieu », quel qu’il soit, en

arabe). L’un des seuls à évoquer cette autre religion est Yahya d’Antioche, qui en

tant qu’arabe chrétien résidant et voyageant hors de la Capitale est en contact

avec elle, et écrit en langue arabe. Jean Skylitzès la mentionne également : « les

Sarrasins du monde entier ainsi que les nations partageant leur religion – Egyp-

tiens, Perses, Arabes, Elamites, et les habitants du pays qu’on appelle l’Arabie

heureuse40 et de Saba – se mirent d’accord et firent entre eux un traité d’al-

liance41 ». Dans ce passage, il évoque la religion musulmane, sans pour autant la

39 op. cit., I, 6. 40 Cette expression désigne le Yémen. 41 SKYLITZES, p. 241.

Etude critique des sources : des historiens à l’empereur

36

nommer explicitement. Il ne la désigne que comme un dénominateur commun à

tous les peuples qu’il énumère. Il ne prend pas en compte les différentes branches

qui existent au sein de l’Islam, probablement car il n’en a pas connaissance. C’est

une image très négative de l’Islam dont Jean Skylitzès nous fait part, qu’il décrit

comme une « abominable religion42 ».

2) L’allusion au Prophète

L’Islam est quasiment uniquement mentionné par l’allusion au Prophète

Mahomet ; ainsi, Léon le Diacre évoque, l’égard des Crétois pendant le siège de

Chandax, qu’ils sont « adeptes de pratiques divinatoires, de mômeries et d’er-

reurs héritées depuis toujours des Manichéens et de Mahomet43 ». Si Mahomet

est nommé, il n’est pas pour autant explicitement présenté comme le prédicateur

d’une nouvelle religion. Sa foi est niée : il est montré comme « celui qui se

trompe ». Le vocabulaire employé pour le désigner est dur ; lorsque Nicéphore

Phocas demande au chef des Carthaginois (parfois appelé « chef des Africains »,

c’est-à-dire des musulmans d’Afrique du Nord) de libérer le patrice Nicétas et les

Romains emprisonnés à la suite de la désastreuse expédition de Sicile, il lui offre

comme présent une épée de Mahomet récupérée pendant un pillage. Léon l’ex-

plique en ces termes : « une épée du très maudit et très impie Mahomet »44. Le

choix d’employer des mots comme « maudit » et « impie » est une manière d’ap-

puyer l’idée que la foi chrétienne orthodoxe est supérieure à la foi musulmane.

Jean Skylitzès n’est pas plus tendre ; alors qu’il évoque le début de la révolte de

Thomas le Slave qui se serait réfugié chez les « Agarènes » et aurait « renié la

Sainte religion des Chétien [pour rallier] celle du maudit Mahomet45 ».

42 op. cit., p. 204. 43 LEON, Histoire, II, 6. 44 op. cit., V, 1. 45 SKYLITZES, p. 29.

37

Partie 2. Etudier l’image de l’Autre : une

problématique à approfondir en histoire by-

zantine

Etudier l’image de l’Autre : une problématique à approfondir en histoire

byzantine

38

Nous nous attarderons ici à approfondir la notion d’image de l’Autre en

histoire puis de l’appliquer au cas des musulmans au Xe siècle dans les sources

byzantines. Pour cela, il est nécessaire de s’appuyer à la fois sur les données étu-

diées dans la première partie et sur les connaissances que nous avons sur les re-

lations arabo-byzantines de cette même période. Croiser ces différents éléments

permet de déterminer dans quelle mesure l’image des Arabo-musulmans est le

fruit des connaissances de l’époque. La question des relations arabo-byzantines

peut être étudiée sous plusieurs angles : militaire, diplomatique, culturel, écono-

mique, religieux, commercial. Chacun de ces aspects relationnels, qui coexistent,

entretient l’image que les Byzantins ont de leur interlocuteur.

I. L’IMAGE DE L’AUTRE : UNE ETUDE UTILE

Etudier l’image de l’Autre en histoire relève de l’histoire des mentalités.

Cela a notamment été défini par Hélène Ahrweiler1. Ce concept a fait les belles

heures de l’historiographie de l’Ecole des Annales dans les années 1970. La notion

de mentalité n’est pas issue de la discipline historique ; elle a été empruntée à

l’ethnologie2. Les autres sciences humaines, telles que la sociologie, n’utilisent

pas le terme de mentalité et préfèrent parler de « représentations collectives ». Ce

concept de mentalité a par la suite été utilisé par les historiens qui l’ont étendu à

l’étude des évolutions des comportements, des sensibilités et des représentations.

La méthodologie de l’histoire des mentalités est celle d’une étude statistique et

sérielle des données. C’est l’historien Philippe Ariès qui en est le précurseur en

France. Georges Duby s’est également intéressé à la question des mentalités en

histoire. Il a défini la place de l’histoire des mentalités dès 1961 dans l’ouvrage

L’histoire et ses méthodes, dirigé par Charles Samaran. Duby étudie la possibilité

1 AHRWEILER Hélène, « L’image de l’autre : étrangers, minoritaires, marginaux », Rapport I. XVIe

congrès international des sciences historiques Stuttgart 25 août au 1er septembre 1985, pp. 60-66. 2 L’ethnologue Lucien Lévy-Bruhl désigne par « mentalités primitives » les comportements pré-

logiques des sociétés antérieures à la modernité occidentale ; cf. Historiographies, p. 220.

Etudier l’image de l’Autre : une problématique à approfondir en histoire

byzantine

39

de concilier la psychologie sociale des années 1960 et le souci de l’historien de lier

le personnel au collectif. Duby propose une temporalité du mental qu’il subdivise

en trois rythmes : les émotions du moment, l’évolution des comportements dans

un groupe social et enfin l’héritage culturel3. Il s’agit avant tout de distinguer ce

qu’on considère comme la connaissance d’une part et l’imaginaire de l’Autre

d’autre part. Il s’agit de deux éléments liés. La connaissance implique une repré-

sentation mentale, qui elle-même évolue en fonction du degré de connaissance.

De plus, la description de l’autre est réalisée en fonction de son propre cadre ci-

vilisationnel : on juge des pratiques parce qu’elles sont différentes des nôtres, et

on les juge en se basant sur les nôtres, considérant qu’il s’agit du meilleur modèle.

Dans son ouvrage Byzantium viewed by the Arabs, Nadia Maria El-Cheikh

écrit : « Comme l’altérité présuppose l’identité, les deux sont des réalités fixes car

elles coexistent et sont soumises à des interactions mutuelles. C’est une altérité

de dialogue, même si elle est hostile. L’altérité reconnaît implicitement l’autre et

l’existence d’un terrain d’entente entre eux4 ». Nous sommes ici dans une histoire

complexe qui tente de déchiffrer certaines mentalités de l’époque. L’étude des

représentations en histoire doit se faire selon une approche pluridisciplinaire : il

est donc nécessaire de comment les autres disciplines des sciences humaines dé-

finissent les notions d’identité et de mentalité.

II. LE CAS DES ARABO-MUSULMANS DANS LES SOURCES BYZANTINES

1) Idées générales sur les relations arabo-byzantines

Les relations entre les Arabes et le monde grec sont apparues très tôt,

d’abord basées sur le commerce plutôt que la guerre. Mais elles ont connu de

3 op. cit., p. 224. 4 « As alterity presupposes identity, the two are fixed realities since they coexist and are subject

to mutual interactions. It is an alterity of dialogue, even if it is simultaneously hostile. Alterity

implicitly recognizes the other and the existence of a "terrain d'entente" between them. » ; cf. EL

CHEIKH, Byzantium, p. 14.

Etudier l’image de l’Autre : une problématique à approfondir en histoire

byzantine

40

nombreuses évolutions liées aux changements qu’ont connus ces deux mondes,

notamment, en ce qui nous concerne, l’apparition de l’Islam ergo une certaine

unification du monde arabe jusqu’alors disparate (unité qui se dissout toutefois

assez rapidement avec l’émergence de sous-courants religieux et de rivalités dy-

nastiques, notamment entre omeyyades et abbassides). L’histoire des relations

entre l’Empire byzantin et le monde musulman s’étire depuis la naissance de

l’Islam jusqu’à la chute de Constantinople en 1453. Les huit cents et quelques

années qui séparent ces deux événements ont impliqué des acteurs nombreux

aux objectifs propres. Avec l’expansion de l’Islam et la disparition de l’Empire

perse qui a suivi, les Arabes se sont affirmés comme les principaux adversaires

de l’Empire byzantin. Les nombreuses tentatives de la communauté musulmane

d’asservir les territoires byzantins et les tentatives de capture de la capitale ont

permis la mise en place de frontières plus ou moins stables entre les deux puis-

sances qui sont devenues le centre d’attention de chacun. Cela a également

poussé les chroniqueurs et historiens à en faire un sujet d’étude privilégié.

Il s’agit d’utiliser les sources afin d’étudier la vision de l’Autre. L’étude de

la description par les auteurs du monde oriental et des peuples arabo-musulmans

à ce moment précis de l’histoire permet d’évaluer leur imaginaire et leurs con-

naissances à ce sujet. Il est, de fait, important de s’attacher d’abord à l’esprit des

auteurs, à leur vie et à leurs connaissances. L’analyse de leur discours devient un

point de départ pour déterminer non seulement comment les Arabes musulmans

étaient perçus, mais aussi de voir pourquoi ils sont vus de cette manière. Comme

nous l’avons écrit plus haut, il faut faire attention de ne pas confondre, d’une

part, l’image, et d’autre part, la connaissance de l’Autre : bien que ces deux no-

tions soient intrinsèquement liées, elles ne sont pas synonymes. L’une implique

l’autre, de manière à créer une sorte d’équilibre, ou plutôt de déséquilibre ; le

Etudier l’image de l’Autre : une problématique à approfondir en histoire

byzantine

41

manque de connaissance entraîne une certaine perception, un imaginaire fan-

tasmé, éloignée de la réalité. La perception évolue en fonction des connaissances.

Enfin, l’imaginaire fantasmé peut être le souvenir transformé par le temps de

connaissances anciennes et obsolètes.

Dans l’histoire millénaire de leur empire, les Byzantins ont été confrontés

à de nombreux peuples aux motivations variées : les Goths et les Slaves cherchent

à s’implanter sur son sol, les Huns et les Avars lancent des raids en profondeur,

les Bulgares cherchent à s’emparer du titre impérial, la Perse constitue un empire

concurrent. Lorsque le monde arabe s’unifie autour de l’Islam, un nouveau con-

flit permanent naît entre les deux entités. Le pouvoir musulman incarne plu-

sieurs des aspects évoqués et plusieurs moyens de luttes ont été employés : contre

un nouvel empire concurrent qui cherche à supplanter l’Empire byzantin sur les

plans politiques et religieux

2) Les premiers temps : absence dans les sources et bienveillance des

hérésies

2.1) Nouvelle hérésie ou colère divine ?

Pendant les premiers siècles de l’Islam, on constate son absence dans les

sources byzantines. Les premières mentions apparaissent avec Théophane,

même s’il n’y consacre que quelques lignes. Cela s’explique par le fait que les

hérétiques ont été les premiers à connaître la conquête musulmane : c’est une

manifestation de la Colère divine envers ceux qui ont pêché5. Ces hérétiques,

c’est-à-dire les monophysites coptes, syriaques et jacobites, sont méprisés par les

défenseurs orthodoxes qui ne voient en eux que des traîtres. La punition divine

est également un thème ancien pour expliquer les défaites des empereurs icono-

clastes (avec l’omission volontaire de leurs victoires comme celles de Constantin

5 DUCELLIER, Chrétiens d’Orient, p. 126.

Etudier l’image de l’Autre : une problématique à approfondir en histoire

byzantine

42

V). Certaines sources chrétiennes non-byzantines abordent l’Islam très tôt6.

L’image qui est donnée est parfois celle d’une religion qui n’est pas nouvelle : il

s’agirait d’une nouvelle hérésie née sur des bases juives7. Cette perception de

l’Islam n’est pas fausse en soi bien qu’exagérée. Si la religion musulmane est bel

et bien une religion à part entière et non une hérésie, elle possède des racines qui

s’inspirent du judaïsme mais aussi du christianisme. Des personnages bibliques

majeurs comme Abraham, Moïse et Jésus sont reconnus ; pour les musulmans, le

prophète Mahomet est le dernier prophète envoyé par Dieu pour assurer l’avè-

nement de l’Islam8. Mais cette image d’une nouvelle hérésie n’est qu’éphémère

et laisse vite la place à celle d’une religion à part entière même si, dans les écrits

byzantins, les auteurs ont tendance à nier la foi des musulmans.

2.2) L’accueil positif des Eglises hérétiques

D’autre part, la présence musulmane est d’abord bien accueillie par ces

populations chrétiennes. Le nouveau maître des lieux est perçu comme un libé-

rateur de l’oppression religieuse opérée par l’Empire byzantin à l’encontre de

ceux qu’il juge comme hérétiques. Les musulmans opèrent d’abord une politique

de tolérance à l’égard des chrétiens9. Les chrétiens, comme les juifs, possèdent le

statut de dhimmi lorsqu’ils vivent dans le Dar al-Islam (le territoire de l’Islam). Ce

statut confère aux juifs et aux chrétiens – appelés par le Coran « les gens du livre »

– l’assurance d’une protection et la liberté religieuse en échange d’une taxe, la

jizya. Ils ne sont dès lors plus persécutés par l’orthodoxie byzantine. De plus, les

chrétiens peuvent occuper des postes prestigieux au sein de l’administration ca-

6 Jean Damascène traite des musulmans dans le De Haeresibus dès le VIIIe siècle. 7 DUCELLIER, Le miroir de l’islam, pp. 30-31. 8 MERVIN, Histoire de l’Islam, p. 12 ; sur les racines linguistiques communes des langues arabes et

hébraïques, cf. VALLET, Islam, Musulman et Arabe, p. 194. 9 DONNADIEU, La représentation de l’Islam, p. 488.

Etudier l’image de l’Autre : une problématique à approfondir en histoire

byzantine

43

lifale. Les débuts de la domination musulmane se traduisent par une améliora-

tion des conditions de vie de ces populations, d’où le sentiment de libération res-

senti par les chrétiens considérés comme hérétiques par l’Eglise orthodoxe.

2.3) Polémiques religieuses entre Byzance et l’Islam

Byzance ne voit pas l’Islam du même œil. Il est perçu comme une religion

concurrente ; son objectif est de s’étendre sur les territoires chrétiens et d’en con-

vertir la population. On trouve trois propositions dans les polémiques byzantines

contre l’Islam : Mahomet est un faux prophète, le Coran est une fausse écriture et

l’Islam est une fausse religion. Les auteurs de ces polémiques traitent souvent

l’Islam à partir de la tradition vivante, sans vérifier leurs informations, tels Jean

Damascène et Théodore Abu Qurra. D’autres, comme Nicétas de Byzance et Bar-

thélémy d’Edesse, prennent la peine de se baser sur des textes, parfois même sur

le Coran en arabe. Ils n’ont pas toujours une bonne maitrise de l’arabe, ce qui les

empêche de comprendre les subtilités de la langue. Ils le comprennent de ma-

nière trop littérale.

3) L’évolution des mentalités

La « terreur arabe10 » qui occupait l’esprit des Byzantins est visible par le

soulagement des Byzantins quand leurs ennemis subissent une défaite ou lèvent

le siège. Les Arabes ne sont au pas perçus comme des ennemis ordinaires ; ils ne

sont pas vus comme une armée organisée au service d’un Etat mais comme des

pillards meurtriers, ce qui est alors considéré comme partie intégrante de

l’Islam11. Les Byzantins considèrent que le meurtre de chrétiens, pour la religion

musulmane, est un acte qui permet l’accès au paradis. Mais on constate une évo-

10 Cette notion de « terreur arabe » est abordée par Alain Ducellier ; cf. DUCELLIER, Chrétiens

d’Orient, p. 130. 11 Op. cit., p. 135.

Etudier l’image de l’Autre : une problématique à approfondir en histoire

byzantine

44

lution des mentalités : du fait des échanges permanents, l’instauration d’un res-

pect mutuel s’installe au fil du temps. Le patriarche Nicolas Mystikos reconnait

aux musulmans la qualité de peuple humain ; il ajoute qu’il est indigne d’utiliser

la violence contre les Chypriotes12. Le fait religieux n’est pas forcément un obs-

tacle ; les mentalités évoluent et fraternisent, s’acceptent dans la différence. L’état

de guerre reste permanent, mais n’empêche pas les puissances byzantines et mu-

sulmanes d’entretenir des rapports pacifiques – sinon des rapports non guerriers

– dans certains domaines : échanges commerciaux, culturels, échanges de prison-

niers. On commence à voir l’empire des musulmans comme le second pilier de

civilisation du monde. Il est toujours considéré comme un ennemi, mais comme

un ennemi de valeur.

D’autre part, le principe de l’universalité romaine et chrétienne tend à lais-

ser sa place à un pragmatisme de la part des Byzantins : le souhait de voir revenir

sous la coupe impériale les territoires perdus se transforme en un sentiment de

nostalgie. Même si l’on ne le dit pas clairement, on sait que récupérer certains

territoires aux musulmans devient irréalisable. L’ethnocentrisme gréco-romain

et la notion de « barbare » qu’il implique (qui désigne dans son sens premier « ce

qui n’est pas grec »), bien que toujours présents dans les esprits, devient une ré-

alisation chimérique dès le XIIe siècle jusqu’à la chute de Constantinople, période

pendant laquelle le territoire de l’Empire est réduit à la capitale et une petite par-

tie du Péloponnèse13.

12 DUCELLIER, Le miroir de l’Islam, p. 243. 13 KAPLAN, L’empire byzantin, p. 169.

Etudier l’image de l’Autre : une problématique à approfondir en histoire

byzantine

45

III. LA REPRESENTATION DE L’AUTRE DANS LE CORPUS

1) Tableaux récapitulatifs des termes employés

Tableau 1 : Vocabulaire employé par les auteurs byzantins14

Léon le Diacre Jean Skylizès Nicéphore Phocas

Agarènes/Descendants d'Agar 23 53 1

Ismaéliens/Descendants d'Ismaël 0 5 3

Arabes 4 27 1

Barbares 41 14 0

Sarrasins 0 116 0

Négateurs du Christ/blasphémateurs 3 7 2

Vantards/Arrogants/Fiers 12 3 1

Animaux 2 0 0

Lâches 2 0 0

Cruels 4 0 0

Origine géographique Crétois 7 8 0

Siciliens 1 5 0

Africains 2 8 0

Carthaginois 3 9 0

Ce premier tableau met en évidence le vocabulaire employé par les au-

teurs byzantins du corpus. On constate une concordance entre eux, évoquée pré-

cédemment : la manière de les désigner comme les « descendants d’Agar » ou

« d’Ismaël », les appeler « barbares » et les considérer comme « blasphémateurs »

et « arrogants ». Les deux historiens utilisent à quelques reprises des termes qui

différencient les Arabo-musulmans selon leur origine géographique, mais cela

reste superficiel.

14 Ce tableau se base sur les traductions des ouvrages présentés en bibliographie.

Etudier l’image de l’Autre : une problématique à approfondir en histoire

byzantine

46

Tableau 2 : Vocabulaire employé par Yahya

d’Antioche15

Arabes 4

Musulmans 26

Islam 1

Maghrébins 1

Hamdanides 2

Déïlémites 12

Alides 1

Fatimides 1

Kétamites 13

Aghlabites 4

Ikchidites 12

Qarmates 3

Kafourites 3

Ce second tableau est la liste des termes employés par Yahya d’Antioche.

On constate une différence nette du vocabulaire employé : ici, peu de place aux

approximations ou aux jugements de valeur. Yahya d’Antioche possède une con-

naissance plus développée que ses pairs byzantins de l’Islam et du monde arabe.

Il connait les noms des tribus et des dynasties.

2) Analyse des données

Les auteurs du corpus nous présentent une vision encore répandue aux Xe

et XIe siècles. Bien que les esprits aient commencé à s’ouvrir et à mieux com-

prendre cet adversaire – nous retrouvons quelques termes positifs dans les

sources du corpus –, il n’est pas question de fraterniser. Les musulmans se sont

emparés de territoires relevant de la chrétienté et leur reconquête est perçue

comme une mission de caractère divin. Il est trop tôt pour parler de croisades ;

mais cela les annonce.

15 Ce recensement ne se base que sur le fascicule 5 du tome XVIII de Patriologia Orientalis ; il est

donc incomplet.

Etudier l’image de l’Autre : une problématique à approfondir en histoire

byzantine

47

2.1) Hellénité, romanité, chrétienté

L’utilisation de certains mots montre que les Arabo-musulmans sont con-

sidérés comme une civilisation inférieure par les historiens byzantins, notam-

ment par l’emploi quasi-systématique du mot « barbare » (notamment chez Léon

le Diacre et Jean Skylitzès). Le terme « barbare » a une signification particulière

dans le monde gréco-romain. Les « barbares » sont ceux qui sont en dehors de la

civilisation ; ce terme ne désigne pas une ethnie en particulier, mais toutes celles

qui n’acceptent pas la culture romaine. Ce terme a une connotation péjorative et

en même temps sert à désigner l’étranger. Mais derrière ce mépris affiché, il n’est

plus question de les considérer comme une civilisation mineure. On observe une

reconnaissance de leur existence, ce qui leur donne une légitimité. Les Byzantins

sont devenus pragmatiques à l’égard des musulmans. A cette période de l’his-

toire de l’Empire, le principe d’universalité romaine et chrétienne est encore un

élément important de la propagande impériale : tout territoire perdu a vocation

à retourner dans le giron de l’Empire. Si cette idéologie est toujours présente dans

les esprits – en particulier chez Nicéphore Phocas qui voit la guerre contre les

Arabes comme une mission sacrée, ce qui préfigure les croisades –, on commence

à se rendre compte de la difficulté de la tâche. Certains territoires sont reconquis

en Orient par Nicéphore Phocas et Jean Tzimiskès, mais le fait que ce dernier

renonce à capturer Jérusalem montre que l’on commence à se rendre compte que

la reconquête d’autres territoires est compromise.

2.2) La méconnaissance des musulmans

Le vocabulaire employé par les auteurs byzantins montre qu’ils connais-

sent assez mal leur adversaire, ne serait-ce que dans leur diversité ; lorsque l’on

compare les deux tableaux, on se rend compte que Léon le Diacre les différencie

par leur origine géographique (Afrique, Sicile, Crète, etc.) alors que Yahya d’An-

Etudier l’image de l’Autre : une problématique à approfondir en histoire

byzantine

48

tioche nomme les tribus et les dynasties. Les auteurs byzantins les désignent par-

fois par l’association de leur « ethnie » à leur origine géographique : ils vont par

exemple parler de « Sarrasins d’Afrique » ou d’ « Arabes de Crète ». Cette déno-

mination géographique reste néanmoins vague. Souvent, ils sont simplement

nommés « Arabes », « Agarènes » ou « Sarrasins ». Ces trois termes ont la plupart

du temps le même sens, c’est-à-dire celui pour désigner les musulmans. Mais leur

signification est parfois différenciée : Léon le Diacre fait une distinction entre les

« Arabes » et les « Agarènes », les premiers désignant les tribus bédouines et les

seconds les Arabes sédentaires16. Mais ce n’est pas constant ; cela dépend du con-

texte de l’événement rapporté par l’historien. La plupart du temps, ces termes

sont synonymes. Il est fréquent de constater qu’il existe chez les Byzantins un

amalgame entre Arabe et musulman17. Les historiens byzantins ne reconnaissent

pas l’Islam comme une religion ; les musulmans, et leur faux prophète Mahomet,

sont une incarnation de l’Antéchrist, ils sont « le Mal ». Ils nient tout sentiment

religieux à ces adeptes d’une foi différente.

Les adjectifs péjoratifs sont surtout utilisés par les historiens. Nicéphore

Phocas n’évoque qu’une seule fois leur supposée tendance à être arrogants, alors

que Léon le Diacre l’écrit à douze reprises et à trois reprises chez Jean Skylitzès.

Comme cet « Autre » incarne le Mal, il est nécessairement pécheur à un degré

supérieur que les hommes de foi chrétienne. Les chrétiens considèrent que les

hommes portent en eux le péché originel mais ont la possibilité de se racheter au

cours de leur existence ; ils sont peccables, car humains, mais la rédemption est

offerte. Les musulmans, œuvre du Malin, n’ont pas cette possibilité, et ne cher-

chent même pas à l’obtenir puisqu’ils en sont l’incarnation. Cette vision n’est pas

16 LEON, Histoire, II, 1. 17 DUCELLIER, Chrétiens d’Orient, p. 142.

Etudier l’image de l’Autre : une problématique à approfondir en histoire

byzantine

49

universelle chez l’ensemble des intellectuels byzantins, surtout à cette époque.

Mais cette idée du Mal incarné par les musulmans est encore influente.

Il convient de rappeler que l’image donnée des musulmans dans le corpus

étudié n’est pas l’illustration de l’idée que se fait la population entière ; la diver-

sité des origines sociales et des origines géographiques impliquent une grande

diversité des perceptions, qui peut aller de la haine et du mépris à une certaine

complaisance ou à de l’indifférence. Les sources sont l’illustration de la mentalité

d’une catégorie spécifique de la population byzantine : des intellectuels et un em-

pereur, c’est-à-dire un panel réduit de l’élite byzantine proche du pouvoir. Ce

qui ne nous permet pas de dire quelle était la vision de l’autre dans l’imaginaire

de la population globale. D’autre part, l’étude n’est pas non plus exhaustive dans

le sens où seuls quelques cas de peuples arabo-musulmans sont étudiés ; certains

en sont exclus, comme les Omeyyades de Cordoue ou, plus généralement, les

musulmans d’Occident.

50

Partie 3. Une grande figure arabo-musul-

mane dans les sources byzantines : Sayf ad-

Dawla

Une grande figure arabo-musulmane dans les sources byzantines : Sayf ad-

Dawla

51

L’une des manières de se rendre compte de l’image des Arabo-musulmans

dans les sources byzantines est d’en étudier l’un des représentants. Au Xe siècle,

la figure de Sayf ad-Dawla est particulièrement intéressante à étudier : l’émirat

d’Alep qu’il dirige est situé entre le califat abbasside et l’Empire byzantin. Il est

en contact direct et en lutte permanente avec les Romains. Avec son frère Nacir

ad-Dawla qui dirige l’autre émirat hamdanide à Mossoul, il incarne l’apogée de

la dynastie. Il a été amené à lutter contre Nicéphore Phocas et son frère Léon

Phocas à plusieurs reprises.

I. PRESENTATION DU PERSONNAGE

1) Origines : l’émir hamdanide

Sayf ad-Dawla est un émir de la dynastie Hamdanide. Ce sont à l’origine

des Arabes taghlibites adawites, c’est-à-dire remontant à ‘Adi ibn Ousama ibn

Taghlib, descendant de Taghlib. Les Hamdanides sont une dynastie éphémère de

Jazîra et de Syrie qui est apparue pendant la décomposition abbasside. Le pre-

mier hamdanide que l’on voit apparaître dans les sources est Hamdan, dont le

nom est l’origine de celui de la dynastie qui lui a succédé. La généalogie de cette

famille est à prendre avec précaution : il est possible qu’ils se soient fabriqués une

généalogie arabe au moment où commence leur puissance, et qu’ils aient procédé

à un effacement des origines non arabes. Géographiquement, les Hamdanides

sont originaires de la partie est de la région délimitée par la rivière Khâbûr à

l’ouest, le T’ûr ‘Abdîn au nord, le Tigre à l’est et au sud par une ligne allant du

Khâbûr au Tigre, englobant le Jabal Sinjâr. On appelle cette région le Diyâr

Rabî’a. Les Hamdanides viennent plus particulièrement de Barqa’îd, dans la ré-

gion des affluents orientaux du Hirmâs.

1.1) Hambdan, l’aïeul en révolte

Hamdan est le premier membre de la famille pour lequel nous avons des

renseignements historiques incontestables grâce à deux sources : les chroniques

Une grande figure arabo-musulmane dans les sources byzantines : Sayf ad-

Dawla

52

et le commentaire de la grande qaçîda (forme de poème) qu’Abû Fîrâs a consacré

à la gloire de la famille. On le voit apparaître dans la région de Mossoul et dans

la Jazîra pendant les troubles khârijites qui agitèrent la province entre 252/866 et

279/892. Il lutte contre le calife abbasside al-Mou’tadid mais échoue en 895. Ham-

dan inaugure la période historique de la famille mais ne la marque pas d’une

empreinte glorieuse : il mène une vie de dissidence et qui échoue dans sa rébel-

lion. Il termine certes gracié par le calife de par la position de son fils Husain qui

est au service du calife, mais dans l’obscurité. On n’entend plus parler de lui et

on ne sait pas quand il meurt.

1.2) L’oncle Husain, serviteur puis rebelle

Husain est quant à lui passé au premier plan et devient premier prince de

la famille. Il participe à des expéditions en Syrie et en Egypte dans la première

décennie du Xe siècle. Mais ses rapports conflictuels avec le vizir ‘Ali ibn ‘Isa le

poussent à se révolter à son tour contre le calife, ce qui entraine son exécution en

918.

1.3) Abulhaija’ Abdallâh : le père fondateur de la dynastie

Husain a un frère : Abulhaija’ Abdallâh. Il connait son heure de gloire

lorqu’il empêche les Qarmates de s’emparer de Bagdad, mais décède peu après

avoir tenté de placer son candidat à la tête du califat à la place de l’héritier légi-

time al-Mouqtadir. C’est lui qui a fondé un émirat à Mossoul et qui le gouverne

entre 905 et 929. Il ne l’a pas conservé sans interruption mais a pu le transmettre

à son fils Hasan, futur Nacir ad-Dawla et frère de Sayf ad-Dawla. En cela il est le

véritable fondateur de la dynastie : malgré les luttes de pouvoir qui suivent sa

mort, il y a une prééminence de sa lignée avec ses deux fils. Le poète Abû Fîrâs

chante ses louanges et le présente comme un seigneur arabe dynamique, coura-

geux et généreux.

Une grande figure arabo-musulmane dans les sources byzantines : Sayf ad-

Dawla

53

1.4) Hasan, le défenseur de la dynastie

Hasan perd le contrôle de Mossoul à plusieurs reprises, mais il parvient

finalement à imposer son autorité. Son importance à la cour du calife lui vaut le

titre d’émir al-umara, « l’émir des émirs », c’est-à-dire le commandant des armées

(et réel dépositaire du pouvoir). Le calife lui octroie également le titre de Nacir

ad-Dawla qui signifie « défenseur de la dynastie » pour lui avoir permis de récu-

pérer le trône califal. Il finit déposé, exilé et décède en 969 à Ardoumoucht après

plusieurs conflit avec Mou’izz al-Dawla.

1.5) Ali, sabre de la dynastie et maître d’Alep

C’est son frère Ali qui fonde l’émirat d’Alep. Il obtient le titre de Sayf ad-

Dawla, « sabre de la dynastie » après avoir participé à de multiples conflits im-

pliquant le calife, son frère Nacir ad-Dawla et l’Ikhchide d’Egypte. En 947, il est

le maître de la Syrie du Nord ainsi que du Diyâr Rabi’a et une partie du Diyâr

Mod’ar. Il y règne pendant une vingtaine d’années. La première partie de son

règne est marquée de succès militaires contre l’Empire byzantin, mais la seconde

se montre moins brillante avec la perte de la Cilicie et l’occupation temporaire

d’Alep par les Byzantins. Il décède en 967.

2) Le grand adversaire des Byzantins au Xe siècle

2.1) Un émir redouté auréolé de victoires

Sayf ad-Dawla s’est illustré comme grand adversaire de l’Empire byzan-

tin. Il s’y est confronté ainsi qu’à la famille Phocas avant l’avènement de Nicé-

phore. Constantin VII envoie Bardas Phocas, père de Nicéphore et Léon, alors

Domestique d’Orient, l’affronter en 949. Les émirats d’Alep et de Tarse unis dis-

posent de ressources limitées ; mais l’audace de Sayf ad-Dawla en fait le meilleur

candidat au djihad1. Cela lui permet de rallier à sa cause de nombreux volontaires

1 MICHEAU, Guerres arabo-byzantines, p. 551.

Une grande figure arabo-musulmane dans les sources byzantines : Sayf ad-

Dawla

54

pour la guerre sainte de tout le Proche-Orient. Bien qu’il ait d’abord eu le dessus

sur Bardas Phocas grâce à ses talents de chef de guerre – il réussit notamment à

faire d’un de ses fils, Constantin, un captif –, Léon Phocas lui inflige une défaite

en 950. La situation géographique de l’émirat qu’il dirige fait de lui un adversaire

qui est en contact avec l’Empire : il a la possibilité de lancer des razzias sur le

territoire byzantin sans être inquiété par l’armée des tagmata2.

2.2) La reprise byzantine

Par la suite, Constantin décide d’écarter Bardas Phocas au profit de ses fils

Nicéphore et Léon. Bien vite, on constate que Nicéphore Phocas, meilleur stra-

tège que son père, remporte de nombreuses victoires sur les troupes musul-

manes. Ils se sont affrontés plusieurs fois. On le retrouve dans les quatre sources

présentées ici, mais pas toujours explicitement nommé. Dans l’Histoire de Léon

le Diacre, il est mentionné la première fois lorsqu’il profite de l’absence de Nicé-

phore Phocas, encore domestique des Scholes, parti en expédition en Crète, pour

attaquer la Cilicie. Comme l’écrit Léon le Diacre, Léon Phocas intervient et met

fin à ses velléités guerrières. Bien que Sayf ad-Dawla parvienne à s’enfuir, le gé-

néral byzantin anéantit son armée et parvient à ruiner la puissance de son en-

nemi. En 962, Nicéphore réussit à repousser une nouvelle fois l’émir. Il ne par-

vient pas à capturer Alep, mais rentre avec un butin conséquent.

En 965, Nicéphore Phocas choisit la voie diplomatique pour traiter avec

Sayf ad-Dawla3. Bien que cette mission soit un échec, un membre de la délégation

grecque ayant été tué par un Arabe par ordre de Sayf ad-Dawla, cela montre une

évolution des rapports entre les deux puissances. Nicéphore Phocas a préféré la

2 L’armée permanente des tagmata est constituée de soldats professionnels, basés autour de Cons-

tantinople. 3 CUTLER, Echanges, p. 56.

Une grande figure arabo-musulmane dans les sources byzantines : Sayf ad-

Dawla

55

voie diplomatique que militaire. Malade, l’émir hamdanide ne peut plus se per-

mettre de fréquenter lui-même les champs de bataille. Cela se traduit, jusqu’à sa

mort, par une politique militaire plus calme vis-à-vis de l’Empire.

II. L’IMPORTANCE ACCORDEE DANS LES SOURCES

En tant qu’adversaire récurrent de l’Empire byzantin, Sayf ad-Dawla ap-

paraît régulièrement dans les sources. A partir de ces occurrences, nous pouvons

déduire l’importance des relations arabo-byzantines en particulier dans le do-

maine militaire, incarnées par la figure de Sayf ad-Dawla.

1) Les sources grecques : un personnage récurrent mais obscur

1.1) Léon le Diacre

L’œuvre de Léon le Diacre dépeint avec un certain degré de précision les

actions de Nicéphore Phocas et Léon Phocas. C’est uniquement au cours des ba-

tailles entre les deux Byzantins et l’émir que ce dernier apparu dans le récit. Sayf

ad-Dawla apparaît pour la première fois lors de l’expédition de Nicéphore Pho-

cas en Crète, lorsqu’il profite de l’absence de ce dernier pour attaquer l’Asie mi-

neure. Cet épisode s’étale sur plusieurs paragraphes du chapitre II. Il est appelé

Chambdan, en référence à son grand-père Hambdan. Cela signifie que l’historien

byzantin ignore – peut-être volontairement – le titre de « sabre de la dynastie »

de l’ennemi de Nicéphore Phocas. Il est l’un des seuls adversaires musulmans de

l’Histoire qui est nommé ; il est en tout cas le seul hamdanide à l’être, son frère

Nacir ad-Dawla y est complètement absent. L’Histoire de Léon le Diacre s’étend

sur une période relativement courte ; d’autre part, son ouvrage s’ouvre lors du

règne de Romain II. Nous n’avons donc aucune information sur les actions pos-

térieures de Sayf ad-Dawla, ni sur la suite de sa vie. Il ne livre aucun élément

biographique ; ses seules descriptions ont lieu quand il est confronté aux Byzan-

tins.

Une grande figure arabo-musulmane dans les sources byzantines : Sayf ad-

Dawla

56

1.2) Jean Skylitzès

La Synopsis de Jean Skylitzès se base sur les œuvres des historiens qui l’ont

précédé, dont Léon le Diacre. Il est donc logique de retrouver une cohérence entre

le portrait de Sayf ad-Dawla qui est fait par les deux historiens ; on constate que

Jean Skylitzès l’épargne également de son titre de « sabre de la dynastie » pour

simplement le nommer « Hambdas ». Là encore, Sayf ad-Dawla est l’un des seuls

musulmans explicitement nommé. Il est davantage présent dans l’ouvrage de

Jean Skylitzès que dans celui de Léon le Diacre ; cela s’explique par l’étendue

chronologique de la Synopsis qui est beaucoup plus importante que celle de l’His-

toire.

1.3) Nicéphore Phocas

Nicéphore Phocas évoque peu son adversaire dans le traité, tout comme il

ne parle guère des musulmans. Cela s’explique par le fait qu’il ne s’agit pas d’un

ouvrage à vocation historique, mais d’un traité militaire. Chez lui, la référence à

l’adversaire est implicite étant donné que le traité sur la guérilla décrit un mode

de lutte privilégié contre les musulmans. On retrouve cependant quelques men-

tions explicites à Sayf ad-Dawla. Nicéphore Phocas utilise toujours une péri-

phrase pour le désigner : « Ali fils de Hambdan4 ». Cette pratique qui consiste à

appeler Sayf ad-Dawla par son nom et non par son titre est récurrent chez tous

les auteurs byzantins.

2) Yahya d’Antioche : une connaissance plus poussée de l’homme

Les actions de Sayf ad-Dawla sont décrites avec plus de précisions dans

l’ouvrage de Yahya d’Antioche. Des épisodes de sa vie y sont écrits que l’on ne

trouve pas dans les autres ouvrages. Il est plus complet à propos de l’histoire de

ce personnage, ce que l’on pourrait expliquer par la volonté de ne pas faire une

4 De Velitatione, I, p. 24.

Une grande figure arabo-musulmane dans les sources byzantines : Sayf ad-

Dawla

57

histoire centrée sur l’Empire byzantin contrairement à Léon le Diacre et Jean Sky-

litzès. Le caractère non-ethnocentrique de son œuvre se retrouve dans le vocabu-

laire qu’il emploie, d’abord pour désigner les musulmans, mais également pour

désigner Sayf ad-Dawla. Il est le seul auteur du corpus à l’appeler par son titre et

en plus de son nom, ergo à expliquer d’où lui vient ce titre. Yahya d’Antioche est

l’auteur le plus objectif du corpus. Sa maitrise parfaite de l’arabe et du grec ainsi

que sa volonté de raconter les faits de la manière de la plus rationnelle font qu’il

évite les jugements de valeur, non seulement sur l’Islam en général, mais égale-

ment sur les hommes qui le représentent dans l’Histoire. Sayf ad-Dawla n’est pas

pour autant dénué de défauts, mais il ne les accentue pas en raison de sa foi.

III. L’ESTIME ACCORDEE AU PERSONNAGE

Les propos des auteurs sont parfois ambigus. Sayf ad-Dawla est, selon le

contexte, montré comme un valeureux combattant, ou comme un monstre san-

guinaire5 doublé d’un « négateur du Christ6 » (à l’instar de tous les musulmans).

Les auteurs byzantins voient dans cet émir un ennemi de l’empire, qui incarne

un danger pour les chrétiens ; ils savent que le « soutien de Dieu » dont l’armée

romaine est supposée bénéficier n’est en réalité pas suffisant pour le contrer.

C’est pourquoi ils lui reconnaissent des qualités. La guerre ne se gagne pas par

la foi, mais par une préparation militaire et stratégique.

1) Un chef « barbare » cruel

La plupart des termes employés à l’égard de Sayf ad-Dawla illustre l’idée

d’un personnage dont la personnalité serait celle d’un homme à la limite de l’ani-

malité, à l’image des autres musulmans. L’émir hamdanide est un adversaire re-

doutable dont les Byzantins reconnaissent la puissance ; mais reconnaître un en-

5 LEON, Histoire, II, 2. 6 De Velitatione, IV, p. 25

Une grande figure arabo-musulmane dans les sources byzantines : Sayf ad-

Dawla

58

nemi victorieux sur les Romains est difficilement envisageable, car cela signifie-

rait que ces derniers ont perdu le soutien de Dieu. Cette interprétation était igno-

rée du temps où les conquêtes musulmanes n’entamaient pas les territoires de

l’orthodoxie, mais elle devient inévitable à partir du moment où l’armée romaine

est directement confrontée à ces échecs. Sayf ad-Dawla intervient à ce moment

des relations militaires arabo-byzantines. Il s‘agit dans un premier temps de trou-

ver une parade pour expliquer les victoires de Sayf ad-Dawla. Par la suite, l’ar-

mée byzantine reprend le dessus ; grâce notamment à des généraux d’une effica-

cité redoutable, Nicéphore et Léon Phocas.

Les historiens byzantins se voient chargés de la mission d’expliquer, a pos-

teriori, les raisons des échecs et des victoires des armées romaines. Cela passe, en

partie, par des portraits des adversaires. Chez Léon le Diacre, on peut trouver

plusieurs citations qui désignent l’émir hamdanide comme un monstre de

cruauté et d’arrogance : « l’arrogance et la cruauté implacable de Chambdan7 » ;

« tout gonflé de suffisance et d’arrogance par l’importance de ses effectifs et ses

unités combattantes, s’exaltant et se rengorgeant autant de l’abondance du butin

que des rafles de prisonniers8 ». Nicéphore Phocas émet peu de jugements de

valeur dans son traité, mais les quelques mentions de Sayf ad-Dawla le présen-

tent comme une sorte de personnification de l’armée qu’il dirige. Il est leur re-

présentant et, à ce titre, concentre leurs défauts. Il est donc un « négateur du

Christ » et un « vantard9 » aux yeux de l’empereur.

Il n’est pas uniquement montré comme un adversaire cruel. Léon le Diacre

écrit à propos de ses défaites que son arrogance est punie et, finalement, qu’il

n’est rien d’autre qu’un lâche : « une fois qu’il eut, par de telles victoires et de

7 LEON, Histoire, II, 2. 8 op. cit., II, 4. 9 De Velitatione, p. 62.

Une grande figure arabo-musulmane dans les sources byzantines : Sayf ad-

Dawla

59

telles manœuvres, combattu et anéanti l’innombrable multitude des barbares, et

rabaissé et rabattu la superbe boursouflée de Chambdan, en la ravalant au rang

d’ignoble lâcheté et vile débandade »10. Ce vocabulaire très dur illustre l’idée by-

zantine de la supériorité romaine. Il écrit la conclusion d’un affrontement qui a

opposé les forces musulmanes hamdanides aux Byzantins qui s’est soldé par la

débâcle des premiers. Il insiste sur la défaite de l’émir hamdanide en le qualifiant

de lâche ; cela permet à Léon le Diacre de légitimer davantage la victoire de l’ar-

mée romaine, dont l’idéologie affichée est la défense du territoire et de la foi chré-

tienne.

2) Aux qualités de chef de guerre reconnues

Les descriptions négatives de Sayf ad-Dawla sont largement majoritaires

au sein des ouvrages des auteurs byzantins. Mais on trouve également des juge-

ments de valeurs qui tendent vers une description positive. Léon le Diacre, pour-

tant très critique dans le reste de son œuvre, se permet de le qualifier d’« homme

à la fois de réflexion et d’action », qui sont des termes que l’auteur a déjà utilisés

pour Nicéphore Phocas. C’est un procédé étonnant : Léon le Diacre a un discours

particulièrement bienveillant à l’égard de l’empereur dans l’ensemble de son His-

toire, et Sayf ad-Dawla est au contraire majoritairement montré comme un

monstre. Pourtant, il s’autorise un parallèle entre les qualités des deux hommes.

Il a conscience de ses précédentes victoires – notamment contre le père de Nicé-

phore Phocas – dont il reconnaît qu’elles ont été permises par une meilleure pré-

paration et un meilleur commandement. Mais il ne le met pas sur un pied d’éga-

lité avec les autres Arabes : il lui accorde une supériorité de l’expérience mili-

taire11. Sayf ad-Dawla est donc un Arabe hors-norme du point de vue de Léon le

10LEON, Histoire, II, 5. 11 op. cit., II, 1.

Une grande figure arabo-musulmane dans les sources byzantines : Sayf ad-

Dawla

60

Diacre. Cet émir se distinguerait des autres par sa capacité à s’échapper des si-

tuations inconfortables ; lorsque Léon le Diacre narre la victoire de Léon Phocas

sur Sayf ad-Dawla en 960, il évoque « sa vivacité d’esprit coutumière et son ha-

bileté à trouver des solutions pour se tirer des mauvais pas12 ». C’est un homme

rusé : par un stratagème, il passe outre l’attention des Romains. Jean Skylitzès

donne assez peu de détails concernant Sayf ad-Dawla. Il lui reconnaît son habi-

leté à échapper à la mort après un affrontement qui ne tourne pas en sa faveur13.

C’est un portrait relativement similaire à celui de Léon le Diacre.

12 op. cit., II, 5. 13 SKYLITZES, p. 203 ; op. cit. p. 211.

61

Conclusion

Conclusion

62

On constate à travers cette étude que les historiens byzantins transmettent

une connaissance relativement sommaire (et bien souvent erronée) de leur ad-

versaire musulman. Il n’est pas exclu qu’ils possèdent en réalité une connaissance

plus étendue, mais leur objectif n’est pas de faire une histoire ou une ethnologie

de l’ennemi : ils cherchent avant tout à transmettre une histoire, parfois roman-

cée, de l’Empire qu’ils servent, quitte à diaboliser leur adversaire. L’objectif est

de mettre en évidence la supériorité romano-chrétienne. Nicéphore Phocas, qui

n’est pas historien, ne se permet quasiment aucun jugement de valeur à leur

égard. Peut-être est-il plus pragmatique, ou tout simplement ne ressent-il pas le

besoin de dénigrer systématiquement l’ennemi dans le cadre d’un traité militaire

– qui les vise pourtant. Les attitudes des historiens byzantins sont en rupture to-

tale avec celle de Yahya d’Antioche : son œuvre a un ton relativement neutre et

on constate qu’il possède une connaissance détaillée, davantage que les Byzan-

tins, du monde arabo-musulman. Cela s’explique par son éducation ; chrétien

élevé en pays musulman et lui-même Arabe, il maitrise les deux langues.

Les Byzantins du Xe siècle portent sur les Arabes musulmans un regard de

mépris et de condescendance duquel on devine pourtant la reconnaissance d’un

peuple qui ne peut plus être ignoré. Les Arabes ne sont plus des tribus éclatées

qui peuplaient les zones tampons entre les deux grands empires byzantin et

perse. L’Islam les a unifiés et ils se sont montrés capables de provoquer la chute

de l’un d’eux. Ils ont également prouvé qu’ils pouvaient être une menace pour la

chrétienté en conquérant des territoires de l’Empire. Cela pousse les historiens à

écrire et décrire ceux qui les mettent en difficulté, ce qui nous permet d’analyser

leur discours. Ces derniers mettent en avant la supposée supériorité des valeurs

gréco-romaines et chrétiennes par rapport à celles de ceux qu’ils nomment « bar-

bares », ces non-Grecs, ceux qui ne font pas partie du monde civilisé. Leur reli-

gion est présentée comme une infamie, ils sont l’œuvre du Diable, leurs défaites

Conclusion

63

sont un châtiment divin. Mais cette vision n’a pas toujours eu cours ; lorsque les

musulmans étaient victorieux, il étaient au contraire montré comme un outil de

Dieu pour punir les chrétiens pécheurs. Au Xe siècle, les Byzantins reprennent le

dessus ; ils respirent enfin, leur modèle de civilisation est donc le bon. Ils gagnent

car ils sont Romains et chrétiens, ils ont le soutien de Dieu.

Le thème de recherche de la vision de l’Autre est encore assez peu abordé

en histoire, notamment en histoire byzantine. Les ouvrages de Nadia Maria El

Cheikh et Philippe Sénac font figure d’exception. D’autres travaux de recherche

universitaire consacrés à ce sujet ont été initiés ces dernières années : en 2002,

Hélène Audréno soutient sous la direction d’Eric Limousin un mémoire de maî-

trise intitulé La vision des Turcs, des Mamelouks et des Mongols chez Georges Pachy-

mère, auteur byzantin du XIIIe siècle. Ce faible nombre de travaux dans le domaine

montre que l’étude de la vision de l’Autre reste à explorer. Le travail de recherche

mené dans cette étude peut encore être approfondi ; par exemple en se penchant

sur une autre période de l’histoire byzantine, ou bien en étudiant l’image d’un

autre peuple. Les Russes ont entretenu d’étroites relations parfois conflictuelles

avec l’Empire, ou encore les Bulgares qui ont eu l’ambition de le remplacer. Il

pourrait être intéressant pour le chercheur d’étudier quel regard les auteurs by-

zantins portaient sur ces peuples.

64

Index

Abû Fîrâs, 51

Abulhaija’ Abdallâh, 51

al-Hakim, 25

Ali ibn ‘Isa, 51

al-Mou’tadid, 51

al-Mouqtadir, 51

Bardas Phocas, 20, 52, 53

Basile Ier, 11

Basile II, 12, 23

Chambdan, 54, 57

Constantin VIII, 11

Georges le Syncelle, 22

Hambdan, 50, 54, 55

Hambdas, 26, 55

Hamdan, 50

Hamdanide, 12, 13, 26, 45, 50, 57, 66

Hasan, 51, 52

Husain, 51

Jean Ier Tzimiskès, 12, 20

Jean Skylitzès, 12, 18, 19, 21, 22, 28, 31,

34, 35, 46, 54, 55, 64

Léon le Diacre, 12, 18, 19, 20, 21, 22, 27,

28, 29, 32, 33, 35, 44, 46, 47, 53, 54, 55,

57, 58, 64

Léon Phocas, 12, 27, 50, 52, 53, 54, 57, 58

Léon VI, 11, 26, 68

Michel Psellos, 22

Michel VI, 11, 22

Mou’izz al-Dawla, 52

Nacir ad-Dawla, 50, 51

Nicéphore Phocas, 11, 12, 21, 22, 26, 27,

29, 31, 32, 35, 50, 53, 54, 55, 58, 64, 65

Romain III Argyre, 23, 25

Sa’ïd Ibn al-Bitriq, 24

Sayf ad-Dawla, 12, 16, 26, 27, 49, 50, 51,

52, 53, 54, 55, 56, 57, 58

Théophane le Confesseur, 22, 28

Yahya d’Antioche, 12, 14, 18, 23, 24, 25,

28, 34, 45, 47, 55, 56, 61, 66

65

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72

Table des Matières

REMERCIEMENTS ............................................................................................................. 4

ABREVIATIONS ................................................................................................................ 5

SOMMAIRE ....................................................................................................................... 9

INTRODUCTION ............................................................................................................. 11

Présentation du sujet .................................................................................................. 12

Etat de l’art .................................................................................................................... 14

La méthode de recherche ........................................................................................... 16

Problématique et plan ................................................................................................ 17

PARTIE 1. ETUDE CRITIQUE DES SOURCES : DES HISTORIENS A L’EMPEREUR ........ 18

I. Présentation des sources ..................................................................................... 20

1) L’Histoire de Léon le Diacre ............................................................................................. 20

2) Le Synopsis Historiôn de Jean Skylitzès .......................................................................... 22

3) Yahya ibn Sa’ïd d’Antioche, le continuateur de Sa’ïd ibn al-Bitriq ........................... 24

4) Nicéphore Phocas et le De Velitatione ............................................................................. 27

II. Vocabulaire et champ lexical utilisés pour désigner les peuples arabes .. 28

1) La place des Arabo-musulmans dans les sources ........................................................ 28

2) Vocabulaire et étymologie ............................................................................................... 29

3) Expressions employées .................................................................................................... 32

III. L’importance accordée à l’Islam dans les sources .......................................... 35

1) La religion .......................................................................................................................... 35

2) L’allusion au Prophète ..................................................................................................... 36

PARTIE 2. ETUDIER L’IMAGE DE L’AUTRE : UNE PROBLEMATIQUE A APPROFONDIR

EN HISTOIRE BYZANTINE ............................................................................................... 37

I. L’image de l’Autre : une étude utile ................................................................. 38

II. Le cas des Arabo-musulmans dans les sources byzantines ......................... 39

1) Idées générales sur les relations arabo-byzantines ...................................................... 39

2) Les premiers temps : absence dans les sources et bienveillance des hérésies .......... 41

3) L’évolution des mentalités ............................................................................................... 43

73

III. La représentation de l’Autre dans le corpus ................................................... 45

1) Tableaux récapitulatifs des termes employés ............................................................... 45

2) Analyse des données ........................................................................................................ 46

PARTIE 3. UNE GRANDE FIGURE ARABO-MUSULMANE DANS LES SOURCES

BYZANTINES : SAYF AD-DAWLA ................................................................................... 50

I. Présentation du personnage ............................................................................... 51

1) Origines : l’émir hamdanide ............................................................................................ 51

2) Le grand adversaire des Byzantins au Xe siècle ............................................................ 53

II. L’importance accordée dans les sources .......................................................... 55

1) Les sources grecques : un personnage récurrent mais obscur .................................... 55

2) Yahya d’Antioche : une connaissance plus poussée de l’homme .............................. 56

III. L’estime accordée au personnage ...................................................................... 57

1) Un chef « barbare » cruel ................................................................................................. 57

2) Aux qualités de chef de guerre reconnues .................................................................... 59

CONCLUSION ................................................................................................................. 61

INDEX .............................................................................................................................. 64

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................... 65

Sources imprimées ...................................................................................................... 65

Dictionnaires ................................................................................................................ 65

Ouvrages généraux ..................................................................................................... 65

Ouvrages spécialisés .................................................................................................. 66

Les empereurs byzantins ........................................................................................................ 66

Ouvrages relatifs aux relations de Byzance et du monde extérieur ................................. 66

Ouvrages relatifs au monde musulman ................................................................................ 67

Christianisme et Islam ............................................................................................................. 67

Ouvrages relatifs à l’image de l’Autre en histoire ............................................................... 67

Historiographie68

Travaux de recherche .................................................................................................. 68

Articles .......................................................................................................................... 69

Le monde byzantin .................................................................................................................. 69

Le monde arabe ........................................................................................................................ 69

74

Relations arabo-byzantines ..................................................................................................... 69

La frontière et la guerre ........................................................................................................... 70

La vision de l’Autre ................................................................................................................. 71

Historiographie et linguistique .............................................................................................. 71

Ressources numériques ............................................................................................. 71

TABLE DES MATIERES ................................................................................................... 72

Université Bretagne Sud

Faculté Lettres, Langues, Sciences Humaines et Sociales

Département d’Histoire

Titre du mémoire

L’image de l’ « Autre » : le cas des Arabes musulmans chez Léon le Diacre, Jean

Skylitzès, Nicéphore Phocas et Yahya d’Antioche

Résumé

Ce travail de recherche a pour objectif d’étudier le regard que portaient les

auteurs byzantins sur leurs voisins musulmans, en essayant d’en comprendre les

raisons. Parmi les sources étudiées, trois sont des ouvrages à vocation historique.

La quatrième est un traité militaire attribué à l’empereur byzantin Nicéphore

Phocas. Les sources de nature historique sont hétérogènes dans le temps et dans

l’espace : Léon le Diacre et Jean Skylitzès sont des auteurs byzantins du Xe et du

XIe siècle tandis que Yahya d’Antioche est un auteur arabe chrétien du XIe siècle.

Cette hétérogénéité permet de comparer les sources entre elles et d’évaluer les

différentes visions, puis d’en fournir une synthèse.

Mots clés

Byzance, Islam, chrétiens d’Orient, image de l’Autre, relations arabo-byzantines,

histoire des mentalités.