Les Problèmes de mesure de la population active en Algérie,

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Travail, genre et sociétés - ACTES - du colloque international qui a eu lieu au Maroc en 2006 à Rabat Marché du travail et genre dans les pays du Maghreb Quels marchés du travail ? organisé par le GDRE Mage “Marché du travail et genre en Europe” - CNRS, France le CERED Centre d’études et de recherche démographiques - Maroc le DULBEA Département d’économie appliquée de l’Université Libre de Bruxelles - Belgique et la revue Travail, genre et sociétés Directrice de la publication Danièle Meulders Document de travail n° 11 Département d’économie appliquée de l’Université Libre de Bruxelles 50, avenue F. Roosevelt - CP 140 1050 Bruxelles - Belgique

Transcript of Les Problèmes de mesure de la population active en Algérie,

Travail, genre

et sociétés

- ACTES -

du colloque international qui a eu lieu au Maroc en 2006à Rabat

Marché du travail et genredans les pays du Maghreb

Quels marchés du travail ?

organisé par

le GDRE Mage

“Marché du travail et genre en Europe” - CNRS, France

le CERED

Centre d’études et de recherche démographiques - Maroc

le DULBEA

Département d’économie appliquée de l’Université Libre de Bruxelles - Belgique

et la revue Travail, genre et sociétés

D i r e c t r i c e d e l a p u b l i c a t i o n

Danièle Meulders

Document de travail n° 11

Département d’économie appliquée

de l’Université Libre de Bruxelles

50, avenue F. Roosevelt - CP 140

1050 Bruxelles - Belgique

1

Actes -

du colloque international qui s’est tenu à Rabat les 15 et 16 mars 2006

Marché du travail et genre dans les pays du Maghreb.

Quels marchés du travail ?

colloque organisé par

le MAGE (Marché du travail et genre en Europe) - France

avec le soutien du SDFE (Service des Droits des Femmes et de l’Égalité) France

le CERED (Centre d'études et de recherches démographiques) - Maroc

et le Haut Commissariat au Plan

et le DULBEA (Département d'économie appliquée de l'Université Libre de Bruxelles)

Belgique

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Programme

3

PROGRAMME du colloque international qui s’est tenu à Rabat

les 15 et 16 mars 2006

Marché du travail et genre dans les pays du Maghreb.

Quels marchés du travail ?

Programme

4

Programme

5

Programme

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Sommaire

7

Sommaire

Présentation du MAGE-CNRS et de la revue Travail, genre et sociétés .......................... 9 Présentation du DULBEA.................................................................................................. 13 Présentation du CERED .................................................................................................... 15 Le colloque ...................................................................................................................... 17

SESSION 1 TRAJECTOIRES MIGRATOIRES EN EUROPE ET AU QUÉBEC .............................................. 19 L’Union européenne, les femmes immigrées et le marché du travail : une réelle prise en compte des discriminations basées sur le genre et l’origine ethnique ? Isabelle Carles ................................................................................................................... 21 Diplôme du supérieur : vecteur d’exclusion des personnes d’origine extra-européenne Souhail Chichah ................................................................................................................ 37 Immigration maghrébine au Québec et réseaux transnationaux : femmes, espace public et insertion en emploi Michèle Vatz Laaroussi ..................................................................................................... 65 La double discrimination à l’accès à l’emploi des descendantes d’émigrés maghrébins en France Ariane Pailhé et Patrick Simon ......................................................................................... 83 Le travail vu du chômage. Une comparaison hommes/femmes, français-e-s et migrant-e-s Yolande Benarrosh .......................................................................................................... 101

SESSION 2 VALORISATION DU CAPITAL HUMAIN ............................................................................. 131 Décisions d’investissement éducatif et abandon scolaire, analyse théorique et estimations micro-économétriques sur données individuelles tunisiennes Mohamed El Hedi Zaiem et Rihab Bellakhal .................................................................. 133 La situation des diplômés de la formation professionnelle sur le marché du travail au Maroc : une analyse par genre à l’aide des modèles de durée Brahim Boudarbat ........................................................................................................... 165 Du Système National d’Innovation au Système National de Construction de Compétences. Expériences du Maroc à travers les divers modes éducatifs et l’insertion professionnelle des jeunes femmes diplômées Vanessa Casadella et Mohamed Benlahcen-Tlemcani..................................................... 189 SESSION 3 VOIES D’ACCÈS AUX POSTES À RESPONSABILITÉS ......................................................... 205 Les femmes dirigeantes sportives au Maroc : modes de socialisation, conditions d’accès et rapports aux fonctions exercées Christine Mennesson et Zahra Pillas ............................................................................... 207

Sommaire

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Les femmes cadres en Tunisie, portraits d’une négociation : d’hier à aujourd’hui, entre carrière et vie privée Sonia El Amdouni ........................................................................................................... 217 L’éducation et la formation : condition nécessaire mais insuffisante à l’accès des femmes au marché du travail Karima Bouzguenda et Abdelwaheb Chalghaf ............................................................... 227 Parcours professionnels et « plafond de verre » : les femmes ingénieurs au Maroc Grazia Scarfo’Ghellab ..................................................................................................... 247

SESSION 4 ENJEUX ET PERSPECTIVES DU TRAVAIL EN MILIEU RURAL ........................................... 265 Le travail rural féminin en milieu steppique algérien Yamina Medouni-Kaci, Nadija Boulahchiche, Rekia Brahimi, Hassina Zemmiri, Nacira Gharbi et Yamina Bakria ...................................................................................... 267 La place des femmes dans les coopératives d’arganier : quelles perspectives d’accès à un revenu stable ? Aurélie Damamme .......................................................................................................... 275 Femmes et microfinance : une nouvelle voie de développement dans les pays du Maghreb ? Fabrizio Botti, Marcella Corsi, Tommaso Rondinella et Giulia Zacchia ........................ 291

SESSION 5 LES CONTOURS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLE .............................................................. 303 Marché du travail et genre en Tunisie : rôle du secteur informel Ahmed Salah ................................................................................................................... 305 Ampleur et nature du travail informel au Maroc Mourad Sandi .................................................................................................................. 329 Une analyse de différence sexuée du travail des enfants au Maroc Augendra Bhukuth et Nahid Bennani .............................................................................. 353 Genre, conditions et profils migratoires aux bidonvilles de Meknès Fatima Zahid ................................................................................................................... 367 SESSION 6 MODES D’EMPLOI ET SITUATIONS DE TRAVAIL .............................................................. 387 Comment recrute-t-on la main-d’oeuvre dans deux entreprises françaises délocalisées au Maroc ? Imaginaire “localitaire” et différenciation du genre Brahim Labari ................................................................................................................. 389 Perceiving diversity in Tunisia Karima Bouzguenda et Gargouri Chanaz ........................................................................ 403 Artisanes de Tunis et réseaux sociaux Sénim Ben Abdallah ........................................................................................................ 421 L’emploi féminin et la santé de l’enfant : une approche de genre ? Le cas des enquêtes EDS 2004 du Maroc Jamal El Makrini ............................................................................................................. 443 Les problèmes de mesure de la population active en Algérie Nacer-Eddine Hammouda ............................................................................................... 455

Présentation du Mage et de la revue Travail, genre et sociétés

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Présentation du Mage-CNRS et de la revue Travail, genre et sociétés

Travail, genre et sociétés

LE MAGE

Groupement de recherche Marché du travail et genre en Europe

Créé en 1995, le GDR Mage (Marché du travail et genre) est le premier et, à ce jour, le seul groupement de recherche du CNRS centré sur la question du genre. Comme tous les groupements de recherche, il s’agit d’une fédération de laboratoires et de chercheurs constituée en réseau autour d’un champ de recherche.

Depuis le début, le Mage a travaillé dans une optique européenne, associant de nombreux chercheur-e-s et universitaires de différents pays à toutes ses activités. Les séminaires, journées d’études, colloques et publications du Mage ont toujours laissé une place importante aux apports étrangers. Fort de cette expérience, le Mage a entrepris une inscription institutionnelle de ce fonctionnement : en 2003, il devient officiellement un GDR Européen qui rassemble des chercheurs, des laboratoires et des universités de différents pays d’Europe. Au Mage est adossée une revue pluridisciplinaire et internationale Travail, genre et sociétés. Après 8 années d’existence, le GDR Mage est devenu GDR européen en janvier 2003. Il est dirigé par Margaret Maruani, directrice de recherche au CNRS. Jacqueline Laufer, professeure à HEC et Danièle Meulders, professeure à l’Université libre de Bruxelles, sont coordinatrices adjointes. Le GDRE Mage est constitué de 23 équipes, dont 7 appartenant à des universités européennes. Le site du Mage : www.mage.cnrs.fr Adresse postale : Mage-CNRS – 59 rue Pouchet – 75017 Paris Tél. 01 40 25 10 37 – Fax : 01 40 25 11 70 Adresse mèl : [email protected]

Présentation du Mage et de la revue Travail, genre et sociétés

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Le conseil du GDRE est composé des représentant-e-s des équipes membres :

Tania Angeloff, Centre d'Etude et de Recherche en Gestion et Sociologie des Organisations (CERSO), Université Paris Dauphine

Boël Berner, Université de Linköping, Tema-institutionen, Tema Teknik och social förändring, Suède

Marc Bessin, Centre d’étude des mouvements sociaux - Institut Marcel Mauss (CEMS), CNRS/EHESS

Cécile Dauphin, Centre de recherches historiques (CRH), CNRS/EHESS, Paris

Michèle Ferrand* et Margaret Maruani, Laboratoire Cultures et sociétés urbaines (CSU), CNRS/Paris 8 - Université Vincennes Saint-Denis

Yves Flückiger, Observatoire Universitaire de l’Emploi (OUE), Université de Genève, Suisse

Charles Gadéa* et Catherine Marry, Centre Maurice Halbwachs, CNRS/ENS/EHESS/Université de Caen

Helena Hirata, laboratoire Genre et rapports sociaux (GERS), CNRS/Paris 8 - Université Vincennes Saint-Denis

Beate Krais, Technische Universität Darmstadt, Institut de sociologie, université de Darmstadt, Allemagne

Michel Lallement, Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (LISE), CNAM, Paris

Marie-Thérèse Lanquetin*, université Nanterre Paris 10

Jacqueline Laufer, Groupe HEC, Groupement de recherche et d’études en gestion à HEC (GREGHEC/CNRS)

Nicky Le Feuvre, Centre d’études et de recherches Techniques, Organisations, Pouvoirs, Université Toulouse 2 - Equipe Simone - Sagesse

Danièle Meulders, DULBEA, Université Libre de Bruxelles, Belgique

Pascale Molinier, Laboratoire de psychologie du travail et de l’action, CNAM, Paris

Ariane Pailhé, Unité démographique, genre et sociétés

Anne-Françoise Praz, Unité Études Genre, Université de Genève, Suisse

Carlos Prieto, Université complutense de Madrid, Espagne

Sylvie Schweitzer, Laboratoire de recherche historique Rhônes-Alpes (CNRS/Université Lumière Lyon 2)

Rachel Silvera, Laboratoire Panthéon Sorbonne-Économie (MATISSE), Université Paris 1

Catherine Sofer, Laboratoire Panthéon Sorbonne-Économie (TEAM), CNRS/Université Paris 1

Maria Stratigaki, Université des sciences sociales et politiques d’Athènes, Grèce Françoise Thébaud, Laboratoire d’histoire (LHISA), Université d’Avignon et des Pays du Vaucluse

La coordination entre les différentes équipes du Mage, le suivi et la valorisation des colloques, séminaires et publications, ainsi que le secrétariat de rédaction de Travail, genre et sociétés (la revue du Mage) et l'animation des activités liées à la revue, sont assurés par Anne Forssell, ingénieure CNRS. Le Mage bénéficie du soutien du Service des Droits des Femmes et de l'Égalité.

Membres associées.

Présentation du Mage et de la revue Travail, genre et sociétés

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LA REVUE

Travail, genre et sociétés

La revue du Mage

La revue Travail, genre et sociétés, éditée par l’Harmattan de 1999 à 2004, et depuis le 1er janvier 2005 par Armand Colin, est semestrielle.

Poser la question de la différence des sexes dans les sciences sociales du travail et inviter à la réflexion sur le travail dans le champ des recherches sur le genre, décrypter, à partir des hiérarchies, des divisions et des segmentations qui parcourent le monde du travail, le statut des hommes et des femmes dans la société et poser par là même la question de la différence des sexes : telle est l’hypothèse fondatrice de Travail, genre et sociétés. Cette revue se veut pluridisciplinaire, européenne et ouverte aux différents courants qui traversent ces domaines de recherche. En ce sens, ce n’est pas la revue d’une école, mais celle d’un champ de recherches. Au cœur de la réflexion, c’est bien la question des inégalités qui est posée, et ce à partir de la place des femmes dans le monde du travail et de leur statut dans la société. Mais au centre de ces mutations contradictoires, l’emploi féminin évolue de manière paradoxale : plus de femmes actives, salariées, instruites, mais aussi plus de femmes au chômage, en situation précaire et en sous-emploi. Les comportements d’activité des hommes et des femmes s’homogénéisent, mais les inégalités professionnelles et familiales s’incrustent. Cette revue intervient ainsi à un moment clé de l’évolution de la société salariale, dans une phase critique de l’histoire du travail féminin.

Directrice de la revue : Margaret Maruani Secrétaire de rédaction : Anne Forssell Comité de rédaction : Philippe Alonzo (sociologue, Université de Nantes), Tania Angeloff (sociologue, Université Paris IX - Dauphine), Marlaine Cacouault-Bitaud (sociologue, Université Paris V), Delphine Gardey (historienne, CRHST / CNRS, Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette), Annie Labourie-Racapé (sociologue), Jacqueline Laufer (sociologue, groupe HEC), Thérèse Locoh (démographe, INED), Laura Lee Downs (historienne, EHESS), Margaret Maruani (sociologue, CSU - CNRS), Monique Meron (statisticienne, DARES), Isabelle Puech (sociologue, DULBEA-ULB/CSU-CNRS), Hyacinthe Ravet (sociologue, Université Paris 4 Sorbonne), Sophie Ponthieux (économiste, INSEE), Rachel Silvera (économiste, Set/Matisse - Université Paris 1), Françoise Vouillot (psychologue, CNAM-INETOP). Comité scientifique : Christian Baudelot, Michel Bozon, Judith Butler (USA), Alain Chenu, Jacques Commaille, Anne Cova (Portugal), Cécile Dauphin, Christophe Dejours, Christine Delphy, Alain Desrosières, Marie Duru-Bellat, Eric Fassin, Jean-Paul Fitoussi, Annie Fouquet, Geneviève Fraisse, Jacques Freyssinet, Maurice Godelier, Nacira Guénif, François Héran, Françoise Héritier, Helena Hirata, Viviane Isambert-Jamati, Maryse Jaspard, Jane Jenson (Canada), Annie Junter-Loiseau, Danièle Kergoat, Yvonne Knibiehler, Beate Krais (Allemagne), Michel Lallement, Marie-Thérèse Lanquetin, Armelle Le Bras-Chopard, Catherine Marry, Françoise Messant, Danièle Meulders (Belgique), François Michon, Nicole Mosconi, Janine Mossuz-Lavau, Francine Muel-Dreyfus, Catherine Omnès, Michelle Perrot, Bruno Péquignot, Inga Persson (Suède), Françoise Picq, Carlos Prieto (Espagne), Chantal Rogerat, Patricia Roux (Suisse), Jill Rubery (Royaume-Uni), Carola Sachse (Allemagne), Sylvie Schweitzer, Olivier Schwartz, Mariette Sineau, François de Singly, Yves Sintomer, Fatou Sow (Sénégal), Catherine Sofer, Françoise Thébaud, Irène Théry, Teresa Torns (Espagne), Michel Verret, Eliane Vogel-Polsky (Belgique).

Adresse postale : Travail, genre et sociétés, CNRS – 59 rue Pouchet – 75017 Paris Tél. 01 40 25 10 37 – Fax : 01 40 25 11 70 Adresse mèl : [email protected]

Le site de Travail, genre et sociétés : www.tgs.cnrs.fr

Présentation du Mage et de la revue Travail, genre et sociétés

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18/01/2008 Présentation du DULBEA

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Le DULBEA

UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES

Le DULBEA est le centre de recherche appliquée en économie de l’Université Libre de

Bruxelles. Sa spécificité réside dans l’accent mis sur le développement d’outils d’aide à la

prise de décision en matière économique et sociale. Depuis sa création en 1956, le

DULBEA a acquis une expertise reconnue, entre autres auprès des pouvoirs publics

belges et internationaux. Utilité sociale et qualité scientifique constituent les composantes

majeures qui ont fondé la réputation du département dans le domaine de l’économie

appliquée. Il s’articule en unités de recherche (ou équipes) organisées autour de

différents thèmes (travail, emploi et genre ; innovation et technologies ; éducation, santé

et économie publique ; économie financière et monétaire ; économie internationale,

macroéconomie et cycles conjoncturels). Cinquante chercheurs et enseignants travaillent

régulièrement au département et sont impliqués dans des réseaux nationaux et

internationaux associant des centres d’excellence de nombreuses universités. Les Cahiers

Economiques de Bruxelles – Brussels Economic Review, revue économique trimestrielle,

publie des articles dans tous les domaines de l’économie, avec un accent particulier sur

les résultats empiriques et les implications de politique économique.

DULBEA – Université Libre de Bruxelles 50 Av. F. Roosevelt – CP 140 1050 Bruxelles - Belgique http://www.dulbea.org

Présentation du DULBEA

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Présentation du CERED

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Le Centre d'Etudes et de Recherches Démographiques (C.E.RE.D) du Haut Commissariat

au Plan et situé à Rabat, a dans ses attributions la mission de recueillir, centraliser,

analyser, traiter toutes les informations, données et études à caractère national ou

international, relatives aux problèmes de population. Le Centre est également chargé de

réaliser des prévisions à court, moyen et long termes en vue de dégager les tendances

ainsi que les caractéristiques futures de la population du Maroc. Ces études et analyses

servent à préparer les dossiers techniques nécessaires à la formulation et au suivi de la

politique nationale de la population ainsi qu’à fournir aux tiers les services d'expertise en

matière démographique et sociale. Le CERED s’occupe en outre du suivi des programmes

de formation continue, de perfectionnement et d'assistance technique dans les domaines

démographique et social. Enfin, il assure le Secrétariat technique de la Commission

supérieure de la Population.

http://www.cered.hcp.ma.index.php/

Haut Commissariat au Plan

http://www.hcp.ma

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Le colloque

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Le colloque

Tout avait bien commencé puisque nous avions quitté Bruxelles et Paris sous gel et neige et que nous arrivions à Rabat où c’était le printemps : mimosas en fleurs et orangers saturés d’oranges. Ces premières bonnes impressions se trouvèrent confirmées par l’excellent accueil de nos partenaires marocains du CERED et par la visite de la salle de conférence, lieu convivial et propice aux échanges, parfaitement équipé pour notre colloque. Plus de cent cinquante personnes étaient présentes à la séance inaugurale. Des femmes, mais aussi beaucoup d’hommes, autant parmi les intervenants que parmi les participants. Des personnes venues de Belgique, de France, d’Algérie, de Tunisie, du Maroc, mais aussi de contrées plus lointaines, certains chercheurs ayant fait le déplacement depuis le Québec. Deux discours inauguraux furent prononcés : par le Haut-commissaire au Plan Monsieur Ahmed Lahlimi Alami et par la Ministre Brigitte Grouwels qui participa activement aux débats de la première journée qui s’acheva par une réception à l’ambassade de Belgique où ce n’était plus une ambassadrice mais un ambassadeur qui reçut ses compatriotes belges. La pluridisciplinarité des interventions et les échanges que celle-ci a occasionnés ont certainement été l’une des plus grandes sources d’enrichissement du colloque.

En Europe À partir des enseignements tirés de notre précédente rencontre, l’une des questions posées par ce nouveau colloque était de savoir si nous disposions aujourd’hui de davantage de données et d’outils permettant de dénoncer et de combattre, en Europe, les discriminations dans l’emploi à l’égard des femmes du Maghreb. La réponse est en demi-teinte. Force est de constater que nous buttons encore et toujours contre le problème de la faible visibilité statistique de ces femmes qui migrent de plus en plus souvent seules à des fins économiques. Cet obstacle a cependant pu être en partie levé par les exploitations secondaires d’enquêtes des intervenants et par une série de recherches engagées sur le thème. Le constat est sans appel : plus souvent touchées par le chômage, la précarité de l’emploi et la pauvreté que les autochtones, les femmes immigrées venant du Maghreb sont doublement discriminées en Europe, en raison de leur sexe et de leur origine. Cette double discrimination n’épargne pas la « seconde génération » de migrantes, ni les plus hautement qualifiées dont les diplômes et l’expérience professionnelle demeurent toujours fortement dévalorisés dans les pays d’accueil. À l’heure où l’égalité entre les hommes et les femmes et la non-discrimination sont au cœur des valeurs défendues par l’Union européenne, les femmes immigrées demeurent les grandes absentes des politiques d’égalité des chances et des politiques de lutte contre les discriminations. Il paraît indispensable et urgent de sortir des politiques européennes qui stigmatisent les femmes immigrées comme des victimes qu’il faut avant tout protéger. Pour ce faire, plusieurs pistes ont été avancées : étendre le principe du mainstreaming de genre à l’ensemble des politiques de l’Union, créer un lobby européen des femmes immigrées ou encore renforcer la production de données ventilées par sexe.

Le colloque

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Au maghreb Parallèlement, de nouvelles thématiques ont été abordées à l’occasion de ce deuxième colloque. Il a été notamment rappelé que le travail des enfants est une triste réalité dans les pays du Maghreb particulièrement pour les filles puisque quand la famille est nombreuse, c’est généralement la scolarité des filles qui est sacrifiée, et ce malgré leur meilleure réussite à l’école que les garçons. Le colloque a aussi été l’occasion de mieux comprendre les conditions de vie des femmes dans les bidonvilles marocains où échouent les migrants ruraux des régions défavorisées. Dans le prolongement du premier colloque, il a été largement démontré que comme en Europe, alors que la théorie du capital humain laissait penser que l’investissement en éducation allait conduire à l’égalité dans l’emploi, au Maghreb la valorisation par les femmes de cet investissement est difficile : indéniablement l’éducation est une condition nécessaire mais non suffisante pour intégrer le marché du travail. Face à la précarité auxquelles les femmes sont confrontées au Maghreb, plusieurs alternatives ont été présentées. Si ces dernières vont souvent de pair avec une forte ségré-gation des emplois, elles présentent l’intérêt de faire sortir les femmes de la sphère domestique et de les rendre moins dépendantes de leur mari en leur permettant d’accéder à un revenu et à des réseaux de sociabilité. Une longue discussion a ainsi été consacrée à la participation des femmes au secteur informel, véritable instrument de régulation du marché du travail au Maghreb. Autre activité proche du secteur informel : l’artisanat, important gisement d’emplois féminins dans lequel les femmes mettent en place de véritables straté-gies pour développer leurs activités entre débrouillardise, entraide et solidarité. Cette solidarité est aussi la clé de voûte du fonctionnement de certaines coopératives, comme celle des arganiers dans le sud du Maroc, qui n’échappent pas à la segmentation sexuée de l’emploi, mais qui permettent aux femmes d’accéder à une relative autonomie. Les possibilités offertes par la micro-finance semblent elles aussi aller dans ce sens en permettant, dans certaines conditions, de lutter contre les inégalités de genre.

Rabat +6 Les problématiques débattues au cours de ce deuxième colloque pourraient déboucher sur des papiers comparatifs davantage fondés sur la coopération entre les différentes équipes de recherche. Un troisième colloque en perspective...

Session 1

Session 1

Trajectores migratoires en Europe et au Québec

• Présidente : Danièle Meulders DULBEA – Université Libré de Bruxelles / Belgique

• L’Union européenne, les femmes immigrées et le marché du travail : une réelle prise en compte des discriminations basées sur le genre et l’origine ethnique ? Isabelle Carles (gem - Institut de sociologie - Université libre de Bruxelles / Belgique)

• How easy is it for minorities to get a job ? Souhail Chichah (dulbea - Université libre de Bruxelles / Belgique)

• Immigration marocaine au Québec et réseaux transnationaux : femmes, espace public et insertion en emploi Michèle Vatz Laaroussi (Université de Sherbrooke, Québec / Canada)

• La double discrimination à l’accès à l’emploi des descendantes d’émigrés maghrébins en France Ariane Pailhé et Patrick Simon (ined Institut national d’études démographiques / France)

• Le travail vu du chômage. Une comparaison hommes/femmes, français-e-s et migrant-e-s Yolande Benarrosh (cee Centre d’études de l’emploi / France)

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L’Union européenne, les femmes immigrées et le marché du travail :

Une réelle prise en compte des discriminations basées sur le genre et l’origine ethnique ?

Isabelle Carles Au cours des 15 dernières années, la présence des femmes immigrées et la migration féminine autonome sont devenues une réalité dans plusieurs pays de l’Union Européenne. Durant la même période, tant le monde académique que politique a mis en avant que l’expérience de l’immigration et de l’intégration dans le pays de résidence peut être vécue de manière différente par les hommes et par les femmes et que les discriminations subies peuvent être également différentes selon le genre du sujet1. Les participants à la Conférence mondiale contre le racisme qui s’est tenue à Durban en 2001, ont même souligné, dans leurs conclusions, la nécessité d’intégrer la dimension de genre dans les politiques et les mesures d’anti-discrimination. Les discriminations spécifiques vécues par les femmes immigrées sont particulièrement flagrantes dans le domaine de l’emploi, tant au regard de la situation des hommes immigrés qu’à celui des femmes européennes. L’Union européenne mène aujourd’hui des politiques tendant à réaliser l’égalité des chances entre les femmes et les hommes. Elle possède également des compétences dans le domaine de la lutte contre les discriminations basées notamment sur le sexe et sur la nationalité ou l’origine ethnique. Cependant, les femmes immigrées restent les parentes pauvres des politiques européennes, oubliées tant des politiques d’égalité des chances et de lutte contre les discriminations que des actions menées dans le domaine de l’intégration. Notre hypothèse est que « l’oubli » des femmes immigrées dans ces domaines est dû à plusieurs facteurs : institutionnel, d’abord, en raison du cloisonnement des compétences en matière d’égalité de traitement femmes/hommes et d’anti-discrimination raciale au sein des institutions européennes. D’ordre sociologique ensuite, tenant aux représentations sociales des femmes immigrées dans l’Union européenne qui reposent sur l’image d’une femme conçue comme une victime à protéger. A la suite d’Helma Lutz (1997), nous pensons que ces représentations vont à leur tour avoir une influence sur les politiques menées l’égard des femmes immigrées, tournées vers la protection plutôt que l’autonomie. Pour le démontrer, je cernerai en premier lieu la problématique des femmes immigrées dans l’UE et j’analyserai les discriminations spécifiques auxquelles elles sont confrontées dans le domaine de l’emploi (1). Il s’agira ensuite de procéder à une analyse critique des politiques et actions communautaires d’égalité des chances, d’anti-discrimination et d’intégration et de leur efficacité à combattre la double discrimination genre/origine. Seuls seront étudiés les outils politiques et juridiques issus de l’Union européenne, à l’exclusion des programmes du Conseil de l’Europe, des décisions de la Cour européenne de justice ainsi que du traitement de cette problématique par chaque Etat membre (2). Enfin, seront proposées des perspectives d’actions pour assurer aux femmes une réelle égalité de traitement sur le marché du travail (3).

1 Voir par exemple MORO M.R., « Transformation du statut homme/femme dans la migration :Eléments d’analyse ethnopsychanalytique », in Ephesia, La place des femmes, Paris, La découverte, 1995, pp. 251-254.

Isabelle Carles

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1. L’apparition de la problématique spécifique des femmes immigrées Il y a une véritable difficulté à définir qui sont les femmes immigrées du fait de la diversité des situations tant dans le temps (femmes récemment arrivées, femmes résidentes depuis l’après-guerre, femmes issues de la deuxième voire de la troisième génération d’immigration…) qu’en raison de l’origine nationale diversifiée et des motifs de la migration (demandes d’asile, regroupement familial, migration autonome pour le travail …). Faute de meilleure terminologie, ma définition des « femmes immigrées » va emprunter des éléments au droit et à la sociologie, puisqu’il s’agira aussi bien des femmes ayant une nationalité étrangère, une double nationalité ou la nationalité du pays de résidence. Il sera donc fait référence à l’ensemble des femmes qui en raison de leur origine ou de leur nationalité peuvent être confrontées à des situations de discrimination spécifiques. La définition de la discrimination raciale que j’adopte est celle énoncée dans l’article 1.1 de la Convention Internationale des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965)2. Voyons dans un premier temps comment est née la problématique spécifique des femmes immigrées (1.1). Puis nous envisagerons les problèmes que ces femmes peuvent rencontrer dans l’espace européen (1.2).

1.1 L’émergence de la problématique dans les champs politique et académique 1.1.1 Dans le champ politique La question des femmes immigrées et des problèmes spécifiques rencontrés par ces dernières ont été soulevés dès la fin des années 1980 au sein des institutions européennes et plus particulièrement, au Parlement européen (PE). C’est le rapport Heinrich, élaboré par le PE en 19873, qui souligne le premier que les lois sur l’immigration dans la majorité des Etats membres de l’UE sont fondées sur une répartition traditionnelle des rôles entre hommes et femmes, le soutien de famille masculin restant le modèle dominant, la femme étant considérée comme personne à charge, ce qui est contraire au principe de l’égalité de traitement. On reconnaît aussi pour la première fois qu’il existe des différences entre les politiques européennes menées à l’égard des femmes européennes et celles concernant les femmes immigrées. La Commission des droits de la femme du PE multipliera par la suite les activités et les prises de position sur la situation des femmes immigrées, en insistant particulièrement sur les questions relatives à la violence et à la traite des femmes. Au cours de la législature 1999/2004, la même Commission s’est surtout préoccupée de la situation de la femme musulmane tant sur le territoire européen que dans le monde. À la même période, le Conseil de l’Europe institue un groupe de spécialistes sur l’intolérance, le racisme et l’égalité entre les hommes et les femmes. Parmi ses missions, le groupe devait

2 Cf. :« Toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire, compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique ». 3 European Parliament (1987) Report on discrimination against immigrant women (Heinrich Report),Document A2-133/87b).

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identifier les formes spécifiques de discrimination raciale vécues par les femmes immigrées4. En 1995, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe émet un ensemble de recommandations visant à améliorer la situation et le statut juridique des femmes immigrées5. Cette réflexion européenne s’inscrit dans un contexte politique mondial : l’Organisation des Nations-Unies se saisit de la question tant lors de la quatrième Conférence mondiale des femmes de Pékin (1995), que durant la Conférence mondiale des Nations Unies contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée (2001). Dans les deux enceintes, l’existence de discriminations multiples -tant raciales que sexuelles -subies par les femmes immigrées et la nécessité de les combattre sont reconnues. 1.1.2 Dans le champ scientifique Les travaux spécifiques consacrés aux femmes immigrées dans la problématique plus générale de l’immigration ont fait une percée récente en Europe, à l’exception de la Grande-Bretagne6. Selon Françoise Gaspard7, les travaux consacrés à l’immigration se sont longtemps focalisés sur le travailleur migrant. La migration n’était donc envisagée que sous l’angle économique - duquel la femme était soustraite - et la femme n’était vue qu’au titre d’épouse ou de mère rejoignant son époux dans le pays de résidence par le biais du regroupement familial. Elle ne pouvait donc être perçue comme une actrice sociale ou un individu autonome. Le regard porté sur la femme immigrée évolue à partir du moment où les immigrés se sédentarisent, à la suite de la fermeture officielle des frontières à l’immigration de travail dans plusieurs pays de l’UE au cours des années 1970. Le manque de travaux dans le domaine est aussi dû au fait que les recherches féministes ont longtemps prôné un universalisme, les femmes étant liées entre elles par l’oppression masculine. Ce sont les féministes noires américaines8, relayées par les Britanniques, qui ont fait éclater les cadres conceptuels traditionnels en énonçant que le racisme opère différemment entre les hommes et les femmes. Elles sont les premières à procéder à une critique radicale du féminisme, qu’elles dénoncent comme un féminisme construit par des femmes blanches, de classe moyenne, qui ignorent la spécificité de l’oppression des femmes appartenant à des minorités ethniques. Il est donc impossible de séparer l’expérience raciste de l’expérience sexiste pour les femmes noires (Lloyd). C’est également l’évolution globale du féminisme vers le post-modern feminism, qui déconstruit la catégorie « femmes » et met l’accent sur sa diversité, qui encourage le développement des travaux scientifiques consacrés au genre et à l’ethnicité en Europe9.

1.2 Les problèmes spécifiques rencontrés par les femmes immigrées dans l’Union Européenne Une série de problèmes rencontrés par les femmes immigrées est liée aux politiques d’immigration pratiquées par bon nombre d’Etats membres qui imposent aux femmes un statut juridique dépendant de celui de leur époux (1.2.1). Certaines femmes immigrées sont par ailleurs soumises à des formes spécifiques d’intolérance et de discriminations dans le 4 Cf. Groupe de spécialistes sur l’intolérance, le racisme et l’égalité entre les femmes et les hommes (CDGE/ECRI), Rapport final d’activités, consultable sur www.coe.int/T/f/. 5 Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (1995), Recommandation 1261 relative à la situation des femmes immigrées en Europe, consultable sur http://assembly.coe.int/Documents/adoptedText/ta95/FREC1261.htm. 6 Voir par exemple les travaux des féministes noires qui ont procédé à une critique véhémente du féminisme « blanc », qu’elles qualifiaient de prétendument universel (cf. C. LLOYD, 2000). 7 Cf. : « De l’invisibilité des migrantes et de leurs filles à leur insensibilisation » in Migrants-formations, 105, juin 1996. 8 Cf.: YUVAL-DAVIS Nira and ANTHIAS Floya, Woman-Nation-State, London, MacMillan, 1989. 9 Comme le souligne très justement C. Hoskkyns (2003), « there is no longer, if there ever was, a single gender perspective that can be applied to the EU. By the early nineties, these multiple disruptions has created a much more fragmented setting for gender politics and campaigning, at EU level as elsewhere ».

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monde du travail (1.2.2). Il en résulte que les femmes immigrées occupent une situation défavorisée au sein des sociétés européennes dans plusieurs domaines de la vie sociale, tant au regard de la société globale, que du statut et de la condition des femmes européennes.

1.2.1 L’instabilité du statut juridique Au niveau des Etats membres, dans plusieurs domaines relatifs à l’immigration, les femmes ne bénéficient que des droits dérivés de ceux qui sont reconnus à leur époux. Le regroupement familial, par exemple : lorsqu’elles arrivent dans l’UE à ce titre, les femmes n’ont généralement ni droit individuel au séjour ni droit à un permis de travail10. L’absence de reconnaissance d’un statut indépendant entraîne une série de conséquences négatives : les femmes tributaires du statut de leur époux sont encore plus vulnérables en cas de veuvage, de répudiation ou de divorce, situations dans lesquelles elles peuvent perdre tout droit au séjour, voire être expulsées. Les femmes immigrées sont par ailleurs confrontées à des formes spécifiques de violence, telle que celle qui émane de la traîte des êtres humains, et n’ont pas toujours les moyens d’y faire face en raison de la précarité de leur situation, juridique. À ce titre, les Nations Unies ont reconnu que les politiques d’immigration restrictives contribuaient à la persistance de la traite des femmes en raison des obstacles nombreux à la migration légale11. L’illégalité du séjour aggrave la situation de ces femmes car ces dernières craignent d’être expulsées en cas de plainte déposée auprès des autorités d’une part, des représailles de la part des trafiquants, d’autre part. Au niveau de l’Union européenne, ces difficultés ont été dénoncées à plusieurs reprises dans diverses enceintes12 et l’UE en a tenu compte lors de l’élaboration de certaines directives, sans établir toutefois de droits autonomes systématiques en faveur du conjoint. Les mesures communautaires en matière d’immigration prennent en effet très peu en compte la dimension de genre.

- Par exemple, s’il est fait référence au principe général de non-discrimination basée notamment sur le sexe dans la directive sur le statut de ressortissants de pays tiers de longue durée13, l’on peut néanmoins s’étonner de l’absence de reconnaissance d’un statut juridique autonome en faveur du conjoint.

- -De la même manière, en matière de regroupement familial14, si le droit à un statut juridique autonome est reconnu au regroupé, ce droit n’est pas automatique : il est conditionné à la résidence depuis au moins cinq ans sur le territoire européen ou à la survenance de circonstance particulières comme le divorce, le veuvage, la séparation (Article 15). Pour pallier ce grave problème d’autonomie et pour favoriser l’accès des immigrées au marché de l’emploi, les Etats membres devraient lors de la transposition de la directive, réduire le plus possible les restrictions existantes concernant l’accès au marché du travail des migrants.

- Plus récemment, la Commission européenne a lancé un Livre vert sur une approche communautaire de la gestion des migrations économiques15. On soulignera à nouveau l’absence d’une approche par genre de la question, alors qu’il y est débattu des

10 Lorsque titre de séjour et titre de travail sont séparés, ce qui est le cas dans plusieurs Etats membres. 11 Voir « Dimension raciale de la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants », Conférence mondiale contre le racisme, Nations Unies, consultable sur www.un.org/french/WCAR/e-kit/issues.h. 12 Voir par exemple le rapport Heinrich ci-dessus référencé. 13 Directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée. 14 Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial. 15 COM (2004)811 final.

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questions relatives aux procédures d’admission, au statut juridique des travailleurs migrants et aux mesures d’intégration, de retour et de coopération.

- Le Programme de La Haye, qui succède à celui de Tampere, et qui se donne en autre pour objectif « d’offrir aux personnes qui en ont besoin la protection prévue par la Convention de Genève relative au statut de réfugiés, de réguler les flux migratoires et de contrôler les frontières extérieures de l’Union 16», n’adopte pas non plus une approche par genre.

1.2.2 Les formes spécifiques de discrimination dans le domaine de l’emploi L’analyse des discriminations subies par les femmes immigrées dans le domaine de l’emploi se heurte à une double difficulté : un problème de statistiques car les informations recueillies ne concernent généralement que les immigrées ressortissantes de pays tiers et non pas celles qui, tout en étant d’origine étrangère, ont acquis la nationalité du pays dans lequel elles résident. Second obstacle : une grande part des immigrées travaille dans le marché informel qui, par définition échappe à toute quantification. En gardant en mémoire ces deux réflexions, l’on peut néanmoins brosser un tableau de la situation des immigrées dans l’UE au regard de l’emploi dont on constate qu’elles font l’objet de discriminations tant au regard des femmes européennes que des hommes immigrés. Premier domaine de discriminations entre les femmes européennes et non-européennes :

- Le taux d’emploi :celui des non européennes est de 44 % (contre 68 % pour les femmes européennes) et les immigrées hautement qualifiées connaissent un écart de 23.2 points par rapport au taux d’emploi des femmes européennes à qualification égale17. En d’autres termes, les femmes immigrées qui possèdent une qualification universitaire sont davantage sur le marché du travail que celles qui ont une qualification moindre, mais elles ne représentent que la moitié des femmes européennes à qualifications universitaires égales18.

- Les femmes non européennes connaissent un taux de chômage de 19 % contre 10 % pour les européennes19;

- Si l’on constate un taux d’écart de rémunération entre les hommes et les femmes de 16 % dans l’UE, il se creuse encore en défaveur des femmes immigrées qui perçoivent une rémunération inférieure de 10 % à celle des femmes européennes20.

Les différences entre les hommes et les femmes immigré(e)s, maintenant :

- Le rapport 2002 sur l’emploi en Europe montre combien les femmes immigrées sont davantage discriminées que les hommes immigrés sur le marché de l’emploi, par rapport au taux d’emploi global (72.8 pour les hommes, 54.7 pour les femmes). L’écart se creuse encore davantage pour le femmes immigrées hautement qualifiées, qui, visiblement sont très en retard en matière d’intégration sur le marché du travail.

- Et si l’on constate une différence entre le taux d’emploi des ressortissants de pays tiers et celui des Européens (52.7 % contre 64.4 %), la différence s’accentue encore pour les femmes immigrées21.

- Si le taux de chômage des immigrés est deux fois supérieur à celui des européens, les femmes immigrées sont davantage touchées par le chômage (8.9 % contre 6.7 % pour

16 Cf Le programme de la Haye : Renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l’union européenne (2005/C 53/01). 17 Cf. : Rapport annuel de la Commission européenne sur l’égalité entre les homes et les femmes 2005, p.6. 18 Statistics in focus, p.6, op.cit. 19 Cf.: Eurostat, Statistics in focus, Theme 3-2/2003. 20 Cf. : Rapport annuel de la Commission européenne sur l’égalité entre les homes et les femmes 2005, p.6. 21 Communication de la Commission (COM (2003,) 336 final), p.19.

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les hommes)22, surtout, à nouveau, les femmes hautement qualifiées qui sont plus nombreuses à être au chômage que les hommes hautement qualifiés23.

Enfin, les femmes immigrées sont en but à des difficultés spécifiques sur le marché de l’emploi, dues bien souvent à des difficultés d’accès à l’information sur le système éducatif et pour certaines, à un déficit de formation ou des problèmes linguistiques. Mais on l’a vu, les femmes hautement qualifiées ne sont pas épargnées. Ainsi, les femmes immigrées récemment aussi bien que certaines femmes de la deuxième, voire de la troisième génération féminine d’immigration, même si elles possèdent une meilleure qualification que leurs mères, ont néanmoins de grandes chances d’occuper le même type d’emploi. Nombreuses parmi ces « mères » sont cantonnées dans le secteur des emplois informels et non déclarés comme les travaux ménagers, les services de nettoyage, l’agriculture, la restauration et l’hôtellerie, secteur que les femmes immigrées sont les plus présentes. Elles ne bénéficient bien souvent d’aucune protection sociale ou légale. Annie Phizacklea (citée par Hoskyns, 2003) suggère très justement que la place présumée de la femme immigrée dans la sphère domestique contraint finalement cette dernière à ne trouver d’emploi que dans le secteur informel dans nos sociétés européennes.

2. L’oubli partiel des femmes immigrées dans les politiques communautaires L’Union européenne possède des instruments pour parvenir à l’égalité entre les sexes depuis le traité fondateur, instruments qui se sont multipliés jusqu’à l’adoption du Traité d’Amsterdam, lequel consacre l’égalité des sexes comme une mission de la Communauté. Mais ce n’est que depuis le Traité d’Amsterdam que l’UE possède des compétences pour lutter contre les discriminations, notamment raciales et basées sur le genre. Comment dans ce contexte est traitée la question des femmes immigrées ? On aboutit finalement au paradoxe suivant : le genre et l’origine ethnique, en raison, tant des instruments juridiques qu’institutionnels dont ils sont pourvus, sont considérés comme les deux catégories les mieux protégées de l’Union contre les discriminations (Borrillo, 2003). Il est d’autant plus paradoxal que la catégorie croisée des femmes et des immigrées échappe, dans bien des domaines, à cette protection, du fait même de sa double appartenance. Je tenterai de le démontrer en procédant à une analyse critique des politiques d’égalité des chances (2.1), de lutte contre les discriminations (2.2) et d’intégration et d’emploi (2.3).

2.1. La politique européenne d’égalité des chances : une absence de prise en compte des différences fondées sur l’origine ethnique

2.1.1 Une base juridique de plus en plus large L’égalité entre les hommes et les femmes est une préoccupation communautaire depuis la création des Communautés européennes : en 1957, le Traité de Rome a en effet introduit le principe de l’égalité des salaires entre hommes et femmes (Article 119). Depuis lors, la législation en matière d’égalité a considérablement progressé jusqu’à aboutir au principe de l’interdiction de toute forme de discrimination fondée sur le sexe au travail. Si dans un premier temps, c’est principalement grâce à la Cour européenne de justice que le principe de l’égalité a été garanti dans l’emploi grâce au développement de sa jurisprudence,

22 Direction Générale de l’emploi et des affaires sociales, L’emploi en Europe 2002. Evolution récente et perspectives, Luxembourg, Office des publications officielles des communautés européennes, 2002, p.24. 23 Voir le rapport sur L’emploi en Europe, CE, 2003.

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le rôle du Parlement européen (PE) et surtout de la Commission des droits de la femme sont loin d’être négligeables : ils sont en effet à l’origine de bon nombre de directives adoptées depuis 1975 dans le domaine de l’emploi et de la sécurité sociale24. Ces directives ont mené à une réelle mise en œuvre du principe d’égalité entre femmes et hommes, principe que beaucoup d’Etats membres négligeaient jusqu’alors. Enfin, le Traité d’Amsterdam introduit l’égalité hommes/femmes comme objectif fondamental et comme mission poursuivis par les institutions européennes (article 2 et 3 TCE). L’article 13 complète les dispositions précédentes en offrant une compétence légale aux institutions pour lutter contre les discriminations, y compris celles qui sont fondées sur le sexe. Enfin, l’Article 141 (ancien article 119) est le principal outil légal pour assurer l’égalité de genre dans l’emploi, incluant même la possibilité d’avoir recours à des actions positives pour y parvenir. Le projet de Constitution européenne va encore plus loin : l’égalité entre les hommes et les femmes devient une valeur de l’UE au même titre que la non-discrimination. 2.1.2 Une politique dotée de budgets propres et de programmes spécifiques mais qui concerne peu les femmes immigrées Le principal instrument de mise en œuvre de cette politique est le Programme communautaire en matière d’égalité entre les femmes et les hommes (2001-2005)25. Mais les projets financés dans le cadre de ce programme ont tendance à ignorer les femmes immigrées, ou à n’aborder la problématique que sous l’angle de la femme victime. L’analyse des projets financés par l’UE sur la période 2001-2004 révèle en effet que sur un total de 95 projets, seuls quatre projets concernent spécifiquement les femmes immigrées. De surcroît, sur ces quatre projets, deux concernent les initiatives contre le trafic des femmes dans le contexte de la migration, le troisième les femmes migrantes et la violence domestique ; le dernier est le seul à aborder une question transversale touchant l’ensemble des femmes résidant dans l’Union, à savoir : les stratégies de réconciliation entre l’emploi et la vie familiale sous la perspective des inégalités de genre et ethnique26. 2.1.3 Une image persistante de la femme immigrée, femme à protéger Si la réalité des situations vécues par certaines femmes immigrées justifie une protection, il faut se garder « de victimiser » l’ensemble de ces femmes. Penchant bien souvent adopté par l’Union pour traiter de la question des femmes immigrées et qui les fige dans un rôle de victimes plutôt que d’actrices ; ce qui influence négativement à la fois les représentations sociales que l’on peut avoir d’elles et les politiques à mener à leur égard, tournées de ce fait davantage vers la protection dont elles peuvent avoir besoin que vers des mesures qui faciliteraient réellement leur insertion et leur autonomie. L’on constate ainsi une priorité donnée au financement de projets concernant les femmes immigrées dans le cadre du programme Daphné qui soutient des projets tendant à prévenir ou à combattre la violence envers les enfants, les adolescents et les femmes. Au titre du

24 Il s’agit des directives sur l’égalité des salaires (1975), l’égalité de traitement pour l’emploi, la formation professionnelle, la promotion et les conditions générales de travail (1976/207) modifiée par la directive 2002/73, les régimes de sécurité sociale (1978 et 1986), l’égalité de traitement pour les travailleurs indépendants et leurs conjoints (1986), la grossesse et la maternité (1992), le congé parental (1996), la charge de la preuve en cas de discrimination fondée sur le sexe (1998). 25 Il doit assurer la coordination, le soutien, le financement et la mise en œuvre d’activités transnationales horizontales dans plusieurs domaines d’intervention comme l’égalité dans la vie économique et civile, la représentation égale, ou encore les droits sociaux. L’ensemble des projets financés peut être consulté sur Europa.eu.int/comm/employment_social/emplette/gendre_equisetum/project_fr.

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programme Daphné couvrant la période 1997/2003, sur un total de 300 projets financés, 73 concernent plus ou moins directement les femmes immigrées27. Cependant, l’on constate une évolution récente et timide qui tend à rendre plus visible la question des doubles discriminations basées sur le genre et l’origine dans le domaine de l’emploi. Ainsi, un appel à proposition concernant la promotion de l’égalité femmes/hommes a été lancé en 2005 et il inclut les activités concernant les femmes migrantes. L’appel part du principe que les politiques et actions visant à favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes doivent intégrer de nouvelles dimensions en raison de l’accroissement de la mobilité et des migrations féminines28. Il y aurait ici en germe un changement d’approche : les femmes immigrées étant - enfin !- considérées comme les femmes européennes et partageant les mêmes préoccupations. De la même manière, le rapport annuel 2005 sur l’égalité entre les hommes et les femmes est le premier à aborder la question des difficultés spécifiques rencontrées par les femmes immigrées sur le marché du travail. L’Union a certes grandement amélioré la condition des femmes dans plusieurs domaines. Mais le modèle européen est encore loin d’être parfait : les ONG féministes demandent aujourd’hui une protection contre la discrimination sexiste aussi complète que celle mise en oeuvre pour lutter contre le racisme.

2.2 Une politique européenne de lutte contre les discriminations basées sur l’origine ethnique sans intégration du genre À leur création, les institutions européennes n’avaient aucune compétence en matière de droits fondamentaux et de lutte contre le racisme dans la mesure où elles ont été conçues à des fins purement économiques. C’est principalement sous l’impulsion du Parlement européen et d’ONG actives dans le domaine des droits de l’homme que va se mettre en place peu à peu une politique de lutte contre les discriminations. 2.2.1 La mise en place progressive d’un cadre juridique Depuis l’inclusion de l’article 13 dans le Traité d’Amsterdam adopté en 199729, l’UE possède une compétence légale pour combattre les discriminations. Avec une célérité surprenante due en partie au contexte politique ambiant - à savoir l’entrée dans le gouvernement autrichien « du Parti de la liberté », parti d’extrême droite - les Etats membres vont adopter deux directives assurant la mise en œuvre de l’article 13 en 200030. L’une des directives concerne plus particulièrement le principe d’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique31, notamment dans le domaine de l’emploi, la formation et l’éducation. La deuxième directive concerne l’égalité en matière d’emploi, de travail et de formation professionnelle. Tout comme la directive dite « Race », elle interdit un certain nombre de comportements (discrimination directe, indirecte,

27 Cf. Ainsi, certains concernent la problématique des mutilations génitales féminines, la traite des femmes et la question de la prostitution des femmes immigrées, les crimes d’honneur, la violence familiale à l’égard des filles et des femmes musulmanes.: www.daphne-toolkit.org/prjListe.asp?chb . 28 Cf. : Appel de proposition ouvert-VP/2004/021. 29 L’article 13 établit que : « … le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle». 30 Il s’agit de la directive 2000/43/CE du conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (publiée au JO L 180 du 19 juillet 2000) et de la directive 200/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (publiée au JO L303 du 2 décembre 2000). 31 Elle interdit à la fois la discrimination directe et indirecte ainsi que le harcèlement et les comportements consistant à sommer quiconque de pratiquer une discrimination fondée sur la prétendue race ou l’origine ethnique.

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harcèlement…) entraînant une discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. Rappelons enfin que la Charte des droits fondamentaux a été insérée dans le nouveau Traité constitutionnel et qu’à cette occasion, la non-discrimination est devenue l’un des principaux objectifs de l’UE. L’article 20 énonce le principe général d’égalité en droit et l’article 21 de la Charte interdit toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques32. L’ensemble du dispositif consacre donc une grande part à la lutte contre les discriminations dans l’emploi, tant au niveau de l’accès, de l’orientation professionnelle, de la formation, du licenciement, ou de la rémunération. 2.2.2 Un programme d’action communautaire spécifique d’où les femmes sont absentes Ce cadre juridique est complété par un programme d’action communautaire33qui couvre l’ensemble des motifs de discrimination contenus dans l’article 13, à l’exception du sexe qui doit être pris en charge par le programme communautaire en matière d’égalité entre les hommes et les femmes. En conséquence, comme pour le programme concernant l’égalité femmes/hommes, les doubles discriminations reposant sur le genre et l’origine ethnique ne sont pas prises en considération. L’analyse des projets transnationaux financés par les institutions européennes au titre du programme anti-discrimination, montre en effet qu’un seul projet concerne la double discrimination femme/origine ethnique pour la période 2001-200634. Au niveau de l’information, l’on constate que les rapports annuels sur l’égalité et la non-discrimination produits par la Commission européenne n’ont aucune approche par genre. De la même manière, l’on peut s’étonner que depuis sa création, l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC) chargé d’étudier l’ampleur et l’évolution des phénomènes racistes, n’ait produit qu’un seul rapport consacré aux femmes35 et qu’il n’aborde jamais la question de genre dans ses rapports annuels. L’observatoire doit pourtant assurer le suivi des données sur la situation des immigrés dans plusieurs domaines-clefs tels que celui de l’emploi. Il est indéniable que l’UE s’est dotée de moyens et d’instruments importants pour lutter contre les discriminations raciales. Encore faut-il qu’ils soient transposés au niveau national. L’on note à ce sujet la résistance de nombreux Etats membres à transposer purement et simplement ou de manière complète les directives de 2000. La Commission européenne a d’ailleurs intenté une action juridique à l’encontre des pays qui n’ont toujours pas transposé les deux directives36. D’autre part, si l’UE s’est dotée de nombreux moyens pour parvenir à l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes, il n’en reste pas moins que dans plusieurs domaines et non des moindres, les inégalités entre les hommes et les femmes demeurent ; les écarts de salaire sont toujours criants (16 % d’écart en 2004), les femmes sont bien plus nombreuses à conclure des contrats de travail précaires (30.4 de femmes travaillent à temps partiel contre 6.6 % pour les hommes), leur taux de chômage est supérieur à celui des hommes (1.7 point en

32 Les autres motifs de discrimination contenus dans l’article 21 sont les origines sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. 33 Décision 2000/750/CE du Conseil du 27 novembre 2000 établissant un programme d’action communautaire de lutte contre la discrimination (2001-2006), publiée au JO L3003 du 2 décembre 2000. 34 Dans le domaine des projets visant à renforcer le Capacity building, un seul projet concernant la triple discrimination a été financée : il s’agit d’un projet sur la situation des femmes immigrées lesbiennes. 35 Il s’agit d’un rapport sur les femmes Rom et la santé. 36 La Cour de justice européenne a d’ailleurs déclaré le Luxembourg et la Finlande coupables de non-transposition de la directive 2000/43/CE dite RACE. L’Allemagne et l’Autriche ont également été citées devant la Cour pour ne pas avoir adopté de réglementation nationale assurant la transposition.

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2004)37. Dans tous ces domaines, l’écart se creuse encore davantage en défaveur des femmes immigrées (voir supra).

2. 3 Les politiques communautaires d’intégration et d’emploi : une quasi-absence de prise en compte de la double discrimination basée sur le genre et l’origine ethnique 2.3.1 Au niveau européen L’Union a la volonté d’instaurer une politique globale d’intégration s’appuyant sur la prise en compte de la dimension de l’immigration dans toutes les politiques et la question de la lutte contre les discriminations à l’égard des immigrés a été définie comme une priorité stratégique dans le domaine de l’emploi38. Ainsi, dans le cadre de la stratégie décennale globale définie à Lisbonne (2000), l’UE entend agir dans deux directions en faveur des minorités ethniques : augmenter leur taux d’emploi et réduire les disparités en matière de chômage. Cependant, aucune dimension du genre n’est adoptée dans ces deux domaines.

- Ajoutons qu’en matière d’information, les statistiques contenues dans les rapports sur l’emploi dans l’UE sont ventilées par genre pour les ressortissants de l’UE mais pas pour la population étrangère.

- Par ailleurs, la stratégie cadre en matière d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes (2001/2005), ne prend en compte la dimension genre/migration que dans les domaines du droit d’asile et du séjour des non-européens. Ce qui signifie que la problématique des femmes immigrées est ignorée dans les autres domaines-clés de l’intégration sociale comme ceux de l’emploi.

- Le Programme pluriannuel de la Haye, qui succède à celui de Tampere, a pour objectif de renforcer la liberté, la sécurité et la justice. Parmi ses principaux objectifs, figure la nécessité d’élaborer des politiques efficaces d’intégration des migrants. La Commission européenne a défini l’intégration comme l’une des dix priorités qu’elle s’est fixée pour la mise en œuvre des objectifs du programme39. On soulignera cependant que la dimension de genre n’est abordée que sous l’angle du combat contre la violence à l’égard des femmes et celui de la lutte contre le trafic des êtres humains.

2.3.2 Au niveau des Etats membres De l’aveu même de la Commission européenne40, il n’existe pas de prise en compte systématique des sexo-spécificités dans le traitement de l’immigration et de l’intégration par les Etats membres, aussi bien au niveau des politiques que des données. Dans le domaine de l’emploi, les Etats membres possèdent plusieurs instruments pour lutter contre les discriminations mais n’ont pas intégré une dimension de genre dans le traitement de ces dernières. C’est le cas notamment en ce qui concerne les lignes directrices européennes pour l’emploi. Si ces dernières contiennent maintenant une ligne directrice spécifique imposant aux Etats membres d’assurer une meilleure insertion professionnelle des travailleurs migrants, elles n’incluent aucune dimension de genre.

37 Le taux de chômage est de 10 % pour les femmes et de 8.3 % pour les hommes. L’ensemble des renseignements chiffrés est tiré du rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur l’égalité entre les hommes et les femmes (COM (2005) 44 final). 38 Le nouvel agenda social de février 2005 pour sa part établit deux priorités : le plein emploi, la promotion de l’égalité des chances avec une référence spéciale à la lutte contre l’inégalité et la discrimination envers les minorités ethniques et les Roms. 39 Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, « Le programme de la Haye : dix priorités pur les cinq prochaines années », (COM (2005) 184 final). 40 Cf. Rapport annuel 2004 sur l’immigration et l’intégration, COM (2004) 508.

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Pourtant, quelques signes encourageants sont à souligner : - D’une part, dans sa communication sur l’immigration, l’intégration et l’emploi41, la Commission indique qu’elle entend traiter l’intégration en adoptant une approche holistique – en tenant compte des questions relatives à la diversité culturelle et religieuse, la citoyenneté, aux droits politiques – tout en répondant aux besoins spécifiques des groupes particuliers. Parmi ces derniers, la Commission compte les femmes immigrées. Elle veut veiller à un accès égal des hommes et des femmes immigrés à l’éducation et à la formation tout au long de la vie, ainsi qu’au marché du travail. - Dans le domaine du processus de l’insertion sociale, le Conseil de Copenhague de 2002 a vivement encouragé les Etats membres à prendre en compte la situation des minorités ethniques et des migrants dans le cadre de leurs plans d’action nationaux, en tenant compte « des risques élevés de pauvreté et d’exclusion sociale auxquels sont exposés certains hommes et certaines femmes du fait qu’ils sont des immigrés »42. Les Etats membres sont désormais invités à indiquer les mesures et les initiatives stratégiques prises pour favoriser l’intégration des hommes et des femmes immigrés dans le marché de l’emploi. - Enfin, l’initiative communautaire EQUAL qui fait partie de la stratégie européenne pour l’emploi, a pour mission de lutter contre toute forme de discrimination et d’inégalité sur le marché du travail. Dans le cadre de cette initiative, quelques projets transnationaux concernant spécifiquement l’insertion professionnelle des femmes immigrées ont été financés43.

3. Quelles perspectives pour une lutte efficace contre la double discrimination basée sur le genre et l’appartenance ethnique dans le domaine du travail ? Comment envisager une amélioration de l’approche par genre des questions liées à l’anti-discrimination sur le marché du travail ? J’envisagerai trois pistes : la première juridique, la deuxième en provenance de la société civile ; la troisième vise un renforcement des connaissances dans le domaine pour mieux cibler les politiques et les actions.

3.1 L’apport des nouveaux outils juridiques Le Traité constitutionnel pour l’Europe devrait offrir de nouvelles possibilités d’action. Car le traité, non seulement conserve tout l’acquis communautaire dans le domaine de l’égalité hommes/femmes et dans celui de la lutte contre les discriminations44, mais apporte aussi des améliorations 45: ainsi, Le principe du maintreaming de genre est étendu à l’ensemble des politiques de l’Union Article III-116), y compris, ce qui est nouveau, aux politiques étrangère et de sécurité, ainsi qu’à celles de la justice et des affaires intérieures (ce qui concerne directement les questions d’immigration et d’asile). Surtout, l’article III-118 permet

41 Communication de la Commission sur l’immigration, l’intégration et l’emploi (COM (2004)508) du 29 avril 2004 (JOCE L 261 du 6 août 2004). 42 Cf : Conseil européen de Copenhague, décembre 2002. 43 L’on note ainsi une série de projets financés prenant en compte les doubles discriminations dont les femmes peuvent être victimes sur le marché du travail. Voir par exemple le projet « Femmes et immigration. Formation-action pour l’accès à l’emploi et l’intégration : projet pour les primo-arrivantes » ; « L’insertion professionnelle des femmes immigrées ou issues de l’immigration (Fr ALS 2004-42350) ; « Gender, Equality and race inclusion (UK gb-29 2002-441) ; « Gender, ethnicity and guidance », dK 30 (2004). 44 Ainsi, l’égalité devient l’un des objectifs de l’Union (article 1-3), la clause sur le mainstreaming est intégrée au texte (article III-116), la base légale pour combattre la discrimination fondée notamment sur le sexe, la prétendue race, la couleur, les origines ethniques est maintenue (article III-124), ainsi que le principe d’égalité des salaires (Article III-124). 45 L’égalité devient une valeur de l’Union, à promouvoir à l’intérieur de l’Europe mais aussi dans ses relations avec l’extérieur. La non-discrimination ainsi que le principe d’égalité homme/femme sont érigés en éléments constitutifs du modèle de société européenne (article I-2).

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l’application du principe du mainstreaming de genre dans le domaine de la non-discrimination fondée notamment sur l’origine ethnique. Ce qui devrait conduire à intégrer « la dimension de l’égalité entre les hommes et les femmes dans les politiques, les programmes et les actions destinées à combattre le racisme, la discrimination et l’exclusion sociale », comme le demande la Commission des droits de la femme et de l’égalité des chances du PE46. Cela nécessiterait d’instaurer et d’utiliser des calendriers plus concrets, de mettre en place des budgets, des objectifs et des outils de suivi.

3.2 La nécessaire création d’un lobby européen des femmes immigrées La société civile a en effet un rôle important d’impulsion à jouer. Cependant, les lobbies européens, organisés le plus fréquemment par motif de discrimination, ont parfois des difficultés à porter de manière commune leurs revendications. Ainsi, ENAR (European Network against Racism) a pour mission de lutter contre les discriminations raciales et de promouvoir l’égalité de traitement. Cette organisation ne fait aucune référence à la dimension de genre, tant dans ses objectifs que dans ses missions47. Sa philosophie est de se concentrer sur la lutte contre le racisme en général, sans privilégier un autre motif de discrimination particulier. Au grand dam des organisations féministes, qui estiment que l’approche par genre concerne toutes les politiques, y compris celles qui concernent les discriminations raciales. C’est surtout le Lobby européen des femmes (LEF) qui se préoccupe de la situation des femmes immigrées48. Dans les années 1990, la légitimité de sa représentativité a été contestée par certaines femmes appartenant à des minorités ethniques qui reprochaient au LEF de ne représenter que les intérêts et les préoccupations des femmes européennes « blanches » appartenant aux classes moyennes49. Des tentatives de collaboration, parfois houleuses entre le LEF et la section des Femmes du Forum des migrants, qui fut au cours des années 1990 la principale organisation européenne représentant les immigrés, eurent lieu50. Mais depuis la disparition du Forum des Migrants, le LEF est l’organisation de défense des femmes immigrées la plus active au niveau européen51. Il a, à ce titre, pris position à plusieurs reprises en faveur de l’introduction d’une perspective de genre dans les politiques européennes d’immigration, d’intégration et de lutte contre les discriminations, en adoptant toujours le même point de vue : la nécessité de prendre en compte les besoins et les problèmes spécifiques rencontrés par les femmes immigrées. À terme, la création d’un lobby européen des femmes immigrées serait sans doute nécessaire afin que ces dernières portent elles-mêmes les revendications qui les concernent et établissent leurs propres priorités politiques. Cela permettrait également d’avoir une meilleure connaissance des problèmes spécifiques rencontrés par ces femmes dans le domaine de l’emploi à partir des organisations de terrain, les plus à même à faire remonter les informations.

46 Cf. : Valenciano Martinez-Orozsco Elena , Rapport sur la situation des femmes issues de groupes minoritaires dans l’Union européenne, Commission des droits de la femme et de l’égalité des chances, PE, (2003/2009 (INI)). Voir aussi l’avis émis par la même Commission dans le Rapport sur la protection des minorités et les politiques de lutte contre les discriminations dans l’Europe élargie, PE (2005/2008 (INI). 47 On notera cependant que dans son programme de travail 2005-2006, ENAR fait pour la première fois référence aux discriminations multiples en proposant d’initier un débat sur le sujet entre les ONG européennes (cf. : http://www.enar-eu.org/fr/about/workprogram05-06_FR.pdf, p.43). 48 Le LEF, fondé en 1990 et qui rassemble plus de 4000 organisations de femmes réparties dans toute l’UE, a pour principales missions de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, d’éliminer toutes les formes de discrimination envers les femmes et s’assurer que le principe du mainstreaming de genre soit effectivement appliqué dans l’ensemble des politiques européennes. 49 Voir à ce propos l’analyse de Lloyd, op. cit. 50 Pour une analyse détaillée des rapports entre le Lobby européen des femmes et la Section Femmes du Forum des migrants, voir F. Williams, op.cit. 51 C’est principalement le LEF qui portait les revendications des femmes immigrées au niveau européen, à la conférence contre le racisme de Durban.

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3.3 Un renforcement de l’information sur la situation réelle des femmes immigrées Troisième amélioration à envisager : l’information. Il est indispensable d’avoir des données ventilées par sexe dans plusieurs domaines, tels que ceux des discriminations directes et indirectes subies par la population immigrée dans l’emploi, le chômage, la formation professionnelle et l’enseignement. Il serait nécessaire à ce titre que des statistiques désagrégées apparaissent dans toute une série de rapports européens tels que ceux sur l’immigration et l’intégration, la cohésion sociale, l’emploi… Par ailleurs, l’Union possède ou possédera divers instruments d’informations sur la situation du racisme et de l’égalité femmes/hommes. Il s’agit dès lors que la question des femmes immigrées y soit abordée de manière transversale. L’on sait que l’Union va se doter d’un Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes52. Ses principales missions seront de collecter, de regrouper et de diffuser les informations au niveau européen, d’élaborer des outils méthodologiques et de lancer des campagnes de sensibilisation53. Par ailleurs, l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes, va être converti en Agence pour les droits fondamentaux. L’union entend par là donner une plus grande importance et une plus grande visibilité à la question des droits humains. Les relations et la répartition des tâches entre les deux agences doivent donc être clarifiées de manière à ce que la question des femmes immigrées soit présente et traitée dans les deux agences. Au niveau des Etats membres, on pourrait envisager une amélioration de l’information par l’utilisation de statistiques désagrégées par sexe dans l’un des instruments principaux de la lutte contre le racisme issu de la conférence mondiale de Durban de 2001, à savoir les plans d’action nationaux (PAN). Ce qui permettrait d’élaborer au niveau national des orientations politiques tenant compte des différences entre les hommes et les femmes et d’utiliser des données ventilées à tous les niveaux.

3.4 L’utilisation maximale des financements communautaires Il semble que l’UE ait tiré les enseignements des actions et des politiques mises en œuvre depuis 2000 en matière d’anti-discrimination. En effet, Les résultats du Livre vert54 lancé par la Commission européenne en 2004 aboutissaient aux conclusions suivantes : 50 % des répondants demandaient le traitement combiné des discriminations multiples, fondées à la fois sur le sexe et sur un autre motif de discrimination. Pour autant, les répondants étaient aussi très nombreux à exprimer leur désir de voir maintenue une politique spécifique contre la discrimination fondée sur le sexe, s’appuyant sur des actions spécifiques, une base légale propre et des arrangements institutionnels autonomes (53 %)55. Il s’agit dès lors de trouver les outils nécessaires et adéquats pour répondre à ces demandes. Promouvoir réellement l’intégration du genre dans les politiques d’immigration et d’intégration exigera l’utilisation de tous les financements à disposition dans le domaine de l’emploi, la lutte contre l’exclusion sociale, la discrimination, l’initiative et les actions INTI, prévues dans le cadre de la politique européenne d’intégration.

52 Voir Proposition de règlement du Parlement européen et du conseil portant création d’un Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes, COM (2005)81 final. 53 L’Institut a été voulu par le Conseil européen qui, dès 2000, a réclamé sa création en l’inscrivant dans le cadre de l’agenda pour la politique sociale et celui des objectifs d’égalité énoncés dans le programme de Lisbonne (Conseil européen, 17-18 juin 2004, Conclusions de la Présidence, paragraphe 43, p.9). Rappelons que le Conseil européen de Lisbonne a fixé un taux d’emploi de femmes de 60% au minimum comme objectif pour 2010. 54 Cf. : Direction générale de l’emploi et des affaires sociales, Egalité et non-discrimination dans l’Union européenne élargie. Livre vert, Commission Européenne, Bruxelles, 2004. 55 L’ensemble des résultats de la consultation est consultable sur le site Europa : http://europa.eu.int/comm/employment_social/fundamental_rights/policy/aneval/green_fr.htm

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Dans sa communication sur une stratégie-cadre de lutte contre les discriminations56, la Commission européenne indique d’ailleurs qu’elle envisage de mettre au point des outils permettant de promouvoir l’intégration de la non-discrimination et l’égalité des chances de manière à donner la priorité aux situations de discriminations multiples. Elle envisage ainsi de financer des projets permettant une meilleure connaissance de ces phénomènes, en utilisant notamment le futur programme PROGRESS. Les problèmes spécifiques rencontrés par les femmes immigrées reflètent en quelque sorte la diversité des situations de ces femmes, qui selon la génération à laquelle elles appartiennent et la durée de leur séjour en Europe, sont confrontées à des problèmes et à des besoins différents. Mais la femme immigrée joue aussi un rôle très positif dans les sociétés d’accueil qu’il convient de favoriser en promouvant leur place sur le marché du travail. Restent aux instances européennes à combattre de manière efficace et coordonnée les discriminations par des politiques concrètes afin que dans une Union européenne qui prône l’égalité entre les sexes comme une priorité politique et une valeur partagée, la femme immigrée puisse aussi bénéficier pleinement de ces principes. Références bibliographiques : BORRILLO Daniel (2003), « La politique antidiscriminatoire de l’Union européenne », in Daniel Borrillo (sld), Lutter contre les discriminations, Paris, La découverte, pp.139-152. DE BRUYCKER Philippe (2004), « Bilan de cinq années de mise en œuvre d’une politique européenne d’immigration », in « Penser l’Immigration et l’Intégration Autrement », Bruxelles, Initiative Belge inter-universitaire sur l’immigration et l’intégration. Commission des communautés européennes (2000) Communication de la Commission au conseil et au Parlement européen, Une politique communautaire en matière d’immigration, Bruxelles, Commission des communautés européennes, 33 p. Commission des communautés européennes (2004), Communication de la Commission au conseil et au Parlement européen, Espace de liberté de Sécurité et de Justice : bilan du programme de Tampere et futures orientations, Bruxelles, Commission européenne, 17 p. Commission des communautés européennes (2005) Livre vert sur une approche communautaire de la gestion des migrations économique, Bruxelles, Commission européenne, 14 p. GEDDES Andrew, GUIRAUDON Virginie (2005), « La construction d’un paradigme européen de lutte contre les discriminations ethniques à partir des modèles nationaux contrastés : une comparaison franco-britannique », in Les minorités ethniques dans l’Union européenne. Politiques, mobilisations, identités, Paris, La découverte, pp.67-86. HOSKYNS Catherine (1991) « The European Women’s Lobby”, Feminist Review, 38, pp.67-70. HOSKYNS Catherine (2003), “Gender perspective in European integration theories”, in A. Wiener and T. Diez (eds), European integration theories, Oxford University Press. LANQUETIN Marie-Thérèse (2004), « La double discrimination à raison du sexe et de la race ou de l’origine ethnique », Approche juridique, in Migrations-Etudes, 126, pp.2-16

56 Il s’agit de la stratégie-cadre pour la non-discrimination et l’égalité des chances pour tous (COM (2005)224 final).

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Diplôme du supérieur : vecteur d’exclusion des personnes d’origine extra-européenne

Souhail Chichah1

Introduction

La discrimination sur le marché du travail est un vaste domaine de recherche de l’économétrie, fortement influencé par les travaux de Becker (1957) qui font du capital humain (études et expérience professionnelle) un des principaux déterminants de la trajectoire professionnelle. La discrimination sur le marché du travail est y définie comme un traitement différencié en termes d’accès au marché de l’emploi et/ou de conditions de travail, lorsque ce traitement différencié a pour cause exclusive des caractéristiques d’identité attribuées à une catégorie socialement déterminée de la population.

En ce qui concerne la discrimination liée à une identité socialement située, bien que nul ne conteste son existence quel que soit le pays ou la situation économique considérée de par le monde, de nombreuses polémiques traversent néanmoins la littérature économétrique, comme l’illustrera la première partie de ce travail. Ainsi par exemple, si le capital humain est, pour l’économie orthodoxe, un des principaux facteurs expliquant l’intégration professionnelle, l’effet sur cette dernière de l’interaction entre l’origine (quelle que soit la manière de la définir) et le genre, ou celle entre ladite origine et le niveau d’éducation, reste peu exploré d’un point de vue quantitatif. Et les quelques études existantes débouchent souvent sur des résultats contradictoires comme nous le montrerons également par la suite. Quant à l’interaction avec d’autres formes de capital symbolique (social ou économique par exemple), les analyses sont encore plus rares.

Dans cette étude, l’accent sera mis sur différents facteurs influençant l’accès à l’emploi de manière générale ainsi que, plus particulièrement, sur l’effet du niveau d’étude sur la chance d’emploi des personnes d’origine étrangère (POE), définies ici comme n’ayant pas la nationalité de leur pays de résidence ou l’ayant acquise par naturalisation.

Toutefois, il est évident qu’analyser l’impact d’une origine représentée comme étrangère sur la chance de trouver un emploi ne permet pas d’appréhender toutes les dimensions de la discrimination sur le marché du travail, dans la mesure où l’engagement n’est qu’un des aspects de la relation professionnelle.

1 Ingénieur de gestion et Maître en économie, assistant et chercheur au Département d’Economie Appliquée de l’ULB.

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Néanmoins, deux raisons au moins justifient de se concentrer sur l’accès au marché du travail. Premièrement, certaines autres formes de discrimination, salariale notamment, trouvent leur origine en partie dans le processus d’engagement lui-même. Deuxièmement, la discrimination à l’embauche est un phénomène peu quantifié à ce jour et beaucoup de questions restent ouvertes. Ainsi par exemple :

Le nombre d’années d’étude a-t-il un impact négatif sur la chance de trouver un emploi pour certaines catégories sociales, comme c’est le cas en Angleterre pour les «Noirs» ? A l’image de certaines populations aux USA, les femmes subissent-elles une moindre ségrégation que celle dont souffrent les hommes de même origine que la leur ?

Ces questions, parmi d’autres, font l’objet de la présente étude. Celle-ci se subdivise en 3 parties. La première propose un survol de la littérature relative à la discrimination sur le marché de l’emploi tandis que la deuxième présente la méthodologie ainsi que les données utilisées pour modéliser la probabilité, pour un individu, de travailler, et ce en fonction de différents facteurs dont nous testerons le pouvoir explicatif ainsi que leur interaction avec l’éventuelle origine étrangère de l’individu observé. Enfin, la troisième partie présente les résultats et nos conclusions.

1 La mesure de la discrimination

Bien que personne ne conteste la discrimination sur le marché de l’emploi, Darity et al. (2000) réfutent plusieurs croyances généralement admises sur la disparité intergroupe. En effet, s’ils confirment l’existence d’une disparité économique due à la discrimination à l’embauche à l’encontre de groupes marginalisés, ils démontrent que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la discrimination est fortement similaire à travers un grand nombre de pays incluant tant des pays paupérisés que des pays hautement industrialisés2. Ils rejettent également la thèse selon laquelle des taux de croissance économique plus élevés correspondent à une disparité intergroupe sensiblement atténuée.

Lorsqu’elle considère la discrimination sur le marché du travail, l’économétrie distingue et analyse généralement les effets suivants :

- la discrimination à l’embauche, qui se manifeste par des probabilités d’engagement différenciées imputables exclusivement à des caractéristiques d’identité attribuées à un groupe socialement déterminé de la population.

- La ségrégation, qui met en évidence une discrimination dans le processus d’embauche qui conduit à une distribution différente de groupes donnés de travailleurs à travers les professions, voire à travers les différents secteurs économiques.

2 Ils ont observé des signes de discrimination sur le marché du travail dans tous les pays pour lesquels ils ont pu

recueillir des données suffisamment exhaustives pour mesurer une inégalité économique liée à une identité donnée (hors discrimination de genre). Ces pays sont : Australie, Belize, Brésil, Canada, Inde, Israël, Japon, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud, Trinidad et Tobago, et les Etats-Unis.

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- La segmentation ou dualité du marché du travail, qui fait référence à un concept introduit par Doeringer and Piore (1971). Ces derniers mettent en évidence le fait que le marché du travail est divisé en deux segments : le segment primaire qui propose les meilleures conditions de travail, et le segment secondaire qui offre des postes moins bien rémunérés ainsi qu’une moins grande sécurité d’emploi. Le nombre de postes de travail étant limité dans le premier segment et la mobilité du second vers le premier restreinte, les travailleurs désavantagés restent confinés dans le second segment.

- Proche du concept de segmentation, la stratification apparaît lorsque les observations relatives aux conditions d’emploi sont confinées dans une strate spécifique en fonction du groupe étudié. Les strates respectives des différents groupes analysés étant ordonnées hiérarchiquement (Lasswell, 1965).

- La discrimination salariale, qui est le sujet le plus traditionnellement abordé dans la littérature économétrique. Elle est estimée par le différentiel salarial entre les différents groupes considérés lorsque celui-ci ne peut être expliqué ni par des différences de productivité entre les groupes, ni par des facteurs plus généraux ayant un impact sur les salaires (l’influence des syndicats, par exemple).

Nous utiliserons cette typologie dans la présentation des principaux résultats relatifs à la mesure de la discrimination établis par différentes disciplines scientifiques tant en Belgique que dans d’autres pays.

1.1 La discrimination à l’embauche

La discrimination à l’embauche est l’un des effets de la discrimination les moins abordés par les économètres européens et ce, malgré le chômage sévère de certaines catégories de la population, quel que soit l’Etat membre de l’UE considéré. Ainsi pour ne prendre que l’exemple de la Belgique, alors que le taux de chômage y est de 12% en 2001, il dépasse les 30% pour les Belges d’origine marocaine ou turque3 (Vertommen et al, 2006).

Pourtant, Niesing et al. (1994) ont développé un modèle d’un grand raffinement économétrique pour analyser la situation sur le marché de l’emploi de groupes marginalisés. Ce modèle est appliqué aux Pays-Bas, en 1994, sur base de données récoltées par interviews menées par des enquêteurs parlant la langue maternelle des personnes interrogées, évitant de ce fait l’habituel biais de sélection qui consiste à exclure de l’échantillon observé les personnes ne parlant pas la langue utilisée par les enquêteurs. Ces chercheurs en déduisent que plus de la moitié du différentiel de probabilité d’embauche entre les différents groupes étudiés (Marocains, Turcs, Surinamiens et Antillais) et les Néerlandais est due à la discrimination à l’embauche. Ils mettent également en évidence le rôle mineur de la maîtrise de la langue nationale (le néerlandais en l’occurrence) dans l’amélioration de la situation des dites minorités quant à leur chance d’être employées. Cette dernière conclusion n’est pas partagée par Beishon et al. (1997) qui constatent que la maîtrise de l’anglais augmente sensiblement la probabilité d’embauche sur le marché du travail au Royaume-Uni.

Par ailleurs, Niesing et al. (1994) soulignent également qu’un séjour plus long accroît la possibilité des étrangers (nés en dehors des Pays-Bas) d’être employés étant donné que ceux-ci réduisent le salaire minimum pour lequel ils sont prêts à travailler, en conséquence de la discrimination qu’ils subissent. Debuisson et al. (2004), par contre, n’observent aucun effet lié 3 Personnes naturalisées, nées ressortissantes du Maroc ou de la Turquie, ou issues de parents possédant ou ayant possédé la nationalité de l’un de ces deux pays.

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à la durée du séjour pour les non-nationaux en Belgique. En effet, ils relèvent que la probabilité pour un étranger d’être engagé en Belgique n’augmente pas avec la durée de son séjour. Le résultat est identique lorsqu’ils analysent, de manière spécifique, la situation des étrangers fortement qualifiés.

Toujours en ce qui concerne la Belgique, Arrijn et al. (1997) ont testé le marché du travail du point de vue de l’inégalité à l’embauche avec des simulations pratiques4, en contrôlant pour l’éducation et l’origine. Ils ont conclu à un taux de discrimination5 de 39% en Flandre, 34% à Bruxelles et 27% en Wallonie à l’encontre des Belges d’origine maghrébine.

Cette étude commanditée par le Bureau International du Travail (BIT) est, à ce jour, la première référence empirique en matière de discrimination à l’embauche en Belgique. Le test de situation utilisé par le BIT a été enrichi par les approches méthodologiques variées (analyse statistique, interviews et test de situation) de l’étude Martens-Ouali (2005) appliquée au marché du travail de la Région bruxelloise avec comme résultat principal que la moitié des postulants à un emploi observés a subi une discrimination xénophobe. Cette équipe de chercheurs observe également que les personnes de nationalité étrangère diplômées de l’enseignement supérieur répondent à la discrimination qu’ils subissent en postulant à des emplois inférieurs à leur niveau de qualification. Par contre, une partie des étrangers diplômés de l’enseignement primaire et secondaire, exclue du marché de l’emploi et subissant l’inactivité, se réfugie dans le travail au noir en réaction à la discrimination qui la frappe.

Delagrange et al. (1998), à partir de données du recensement belge de 1991, ont également construit un indicateur de discrimination à l’embauche qui met en évidence une probabilité différente d’être au chômage en fonction de l’origine. Cet indicateur s’obtient en soustrayant au taux de chômage d’une population étrangère donnée celui, théorique, qu’elle aurait eu si elle avait été belge avec une composition similaire en termes d’âge et de niveau d’éducation. Cet indicateur de discrimination est de 21% pour les Turcs et de 23% pour les Marocains.

Cette discrimination des personnes d’origine étrangère observée en Belgique se vérifie également dans d’autres pays européens. Ainsi, par exemple au Royaume-Uni, malgré l’introduction, il y a près de 30 ans, d’une législation visant à combattre la discrimination, Blackaby et al. (1998, 2002) rappellent que les minorités de couleur font encore face à une forte discrimination à l’embauche et que leur position relative sur le marché du travail ne s’est pas améliorée depuis les années ’70. En outre, ils n’ont trouvé aucun «piège à l’emploi»6 induit par la taille du ménage (et son impact sur les allocations sociales) pour les minorités de couleur, à l’inverse de ce qu’ils observent pour les «Blancs».

Enfin, ils confirment que la qualification permet aux minorités de couleur d’accéder plus facilement à un emploi dés lors qu’ils contrôlent le nombre d’années nécessaires à l’obtention de ladite qualification. Si ces chercheurs prêtent une attention particulière au nombre d’années nécessaires à la réussite d’un cycle d’étude donné, c’est qu’ils observent que le nombre d’années d’étude pour les minorités de couleur est négativement corrélé à l’emploi. Les auteurs expliquent ce dernier résultat par le fait que certains groupes prennent plus de temps pour obtenir une qualification donnée. Toutefois, pour la France, Zéroulou (1998) suggère que bien qu’il soit évident que les migrants connaissent un taux d’échec scolaire élevé, certains

4 Des CV ont été envoyés par paire (celui d’un « Belge » couplé à celui d’un « Maghrébin ») et, en cas d’obtention

d’un entretien, les enquêteurs se sont présentés eux-mêmes comme les chercheurs d’emploi. 5 Probabilité moindre d’être engagé, à qualification égale. 6 « [Un] piège à l’emploi, c’est toute situation où l’incitant pour le demandeur d’emploi à chercher ou accepter un

emploi est insignifiant, voire inexistant » Cherenti (2005).

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groupes (les Algériens par exemple) réussissent mieux que les Français issus des couches populaires à obtenir les plus hautes qualifications.

Néanmoins, Connor et al. (1996) concluent, qu’en général et toujours au Royaume-Uni, les diplômés appartenant à une minorité sont fortement discriminés et connaissent un taux de chômage élevé.

En ce qui concerne l’impact de la situation économique, la plus grande exposition de groupes marginalisés aux cycles économiques est clairement établie par la littérature. Ainsi par exemple, Juhn (2002) observe, sur le marché du travail américain, que la période d’expansion des années ’90 a réduit le différentiel de taux de chômage entre les « Noirs » et les « Blancs » bien que le différentiel de non-participation7 a constamment augmenté entre ces deux groupes sur la décennie considérée. Mavromaras (2004) confirme, pour l’Allemagne, la plus grande sensibilité des étrangers aux cycles économiques. En effet, il montre que cette population a été beaucoup plus touchée par la restructuration des années ’80, en terme de perte d’emplois, que les nationaux. Par ailleurs, contrairement à ces derniers, les étrangers n’ont pas vu leur situation s’améliorer dans l’après récession.

1.2 La ségrégation

Tout comme la discrimination à l’embauche, la ségrégation8 dans certaines activités économiques d’une partie de la population étrangère a fait l’objet d’analyses bien plus par les sociologues que par les économètres. Néanmoins, la relation entre ségrégation et différentiel salarial lié à l’origine (surtout analysée au niveau international) apparaît clairement dans la littérature économétrique (alors que ce lien reste controversé pour l’écart salarial de genre9).

Dans ce sens, Gabriel et Schmitz (1989) suggèrent que la ségrégation explique près de la moitié du différentiel salarial entre « Noirs » et « Blancs » aux Etats-Unis.

Neuman et al. (1996) confirment que la ségrégation est une cause importante de l’écart salarial lié à l’origine, les personnes d’origine étrangère travaillant le plus souvent dans les secteurs d’activités les moins biens rémunérés. En utilisant une équation salariale différente pour chaque secteur d’occupation, ils subdivisent le différentiel salarial intergroupe en 3 composantes : une relative aux différences de capital humain, une seconde relative à la discrimination salariale et enfin une troisième reflétant la ségrégation. Appliquant ce modéle au marché du travail israélien, ils mettent en évidence que 70% de l’écart salarial observé est dû à la ségrégation, 26% à la discrimination salariale et seulement 4% aux différences en capital humain.

Bayard et al. (1999) ont été les premiers à examiner aux USA la ségrégation en fonction de l’origine au niveau de l’entreprise. En analysant des données récoltées auprès des entreprises

7 Non-participation : situation où une personne inemployée n’est plus considérée comme cherchant un emploi. 8 Pour rappel, la ségrégation se définit par la surreprésentation d’un groupe de travailleurs donné dans certains

secteurs d’activités et la sous-représentation de ce même groupe dans d’autres secteurs. 9 En effet, Fields et Wolff (1991) ont relevé que la réduction de la ségrégation explique partiellement la diminution de

l’écart salarial américain lié au genre dans les années ‘70 alors que Hakim (1998) pense qu’il n’y a aucune preuve que la ségrégation occupationnelle des femmes soit une cause du différentiel salarial. Mavromaras et al. (2002) concluent que la ségrégation influence le différentiel salarial lié au genre d’une manière complexe, qui dépend d’une manière ou d’une autre de la croissance de l’emploi et du ratio hommes/femmes dans les activités. En ce qui concerne la Belgique, Rycx et Tojerow (2002) remarquent que la ségrégation des femmes explique une part substantielle, mais pas exclusive, de l’écart salarial de genre.

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américaines, ils observent que le différentiel salarial lié à l’origine est plus élevé pour les hommes que pour les femmes.

Ainsi par exemple, s’ils constatent un différentiel salarial entre « Blanches » et « Noires » de 2%, ce différentiel salarial « Blancs »/« Noirs » atteint 12% lorsque les hommes sont considérés. La différence d’exposition à cet écart salarial , en fonction du genre, est expliquée de manière significative par une plus grande ségrégation dans les emplois les moins rémunérés, au sein des entreprises américaines, des hommes « hispaniques » et « noirs » que celle subie par les femmes de même origine que la leur.

Pour la Grèce, Falaris (2004), contrôlant pour la sélection (pour tenir compte du fait que les caractéristiques des personnes non-employées ne sont pas observées) dans l’équation salariale et considérant les secteurs d’emploi comme endogènes (i.e. comme variables explicatives) lorsqu’il estime les équations salariales des secteurs publiques et privés, observe que les Bulgares ont plus de chances d’être employés par le public que par le secteur privé. Ce résultat rappelle le fait que le secteur public n’est jamais neutre en tant qu’employeur, qu’il discrimine à l’encontre des non-nationaux (discrimination institutionnelle) ou qu’il contribue à réduire, par exemple, le différentiel salarial entre groupes10.

En ce qui concerne la Belgique, Martens et Ouali (2005) ainsi que Vertommen et al. (2006) soulignent le fait qu’une partie des personnes d’origine étrangère fait l’objet d’une importante ségrégation. Ils analysent les marchés du travail régionaux (Bruxelles, Flandre et Wallonie) en utilisant les données de la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale (cette base de données offre le grand avantage de différencier les Belges naturalisés en fonction de leur nationalité d’origine). A Bruxelles, Martens et Ouali (2005) confirment que les personnes d’origine marocaine et turque, qu’elles aient opté pour la naturalisation ou non, sont concentrées dans un nombre restreint de secteurs d’activités, essentiellement, le nettoyage industriel, le bâtiment et l’horeca. Vertommen et al. (2006) élargissent l’analyse à l’ensemble de la Belgique et observent une forte ségrégation des Marocains, Turques et Subsahariens dans des secteurs d’activités précaires tels que le travail intérimaire et les soins à domicile, notamment. D’autres secteurs, à contrario, semblent inaccessibles à ces populations comme par exemple les banques et assurances, les utilitaires (gaz, eau, électricité) ainsi que, de manière générale, les activités de conseils. Vertommen et al. (2006) mettent également en évidence l’impact de l’interaction entre le genre et l’origine étrangère en soulignant que les femmes marocaines et turques subissent une très forte ségrégation dans certains secteurs d’activités périphériques aux conditions de travail précarisées (le nettoyage industriel par exemple).

1.3 Segmentation et stratification du marché de l’emploi

En ce qui concerne la stratification du marché du travail, peu d’analyses économétriques existent bien que Yitzhaki (1994) ait développé une méthodologie permettant de tester l’hypothèse. Malheureusement, Yitzhaki ne l’a pas appliquée de manière empirique.

Par ailleurs, Liu et al. (2002), sur base des données du recensement de Hong Kong de 1996, développent un modèle leur permettant d’étudier le poids relatif des effets salariaux intra- et intersectoriel dans le différentiel salarial que semblent y subir les immigrés. Leur analyse confirme un écart salarial intra- et intersectoriel en défaveur de ces derniers. Ces chercheurs concluent que l’effet inexpliqué (et donc potentiellement dû à la discrimination) intra-sectoriel domine l’effet inexpliqué intersectoriel. C’est là un symptôme de stratification du marché de

10 Au sujet de l’impact du secteur public sur le différentiel salarial lié au genre en Europe, voir Meulders, Plasman,

Rycx et al. (2002) et Plasman, Rusinek et al. (2002).

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l’emploi hong-kongais dans la mesure où le différentiel salarial préjudiciant les immigrés s’explique principalement par la différence de rémunération au sein même des secteurs d’activités qui les emploient et non du fait de leur ségrégation dans les secteurs les moins rémunérateurs.

Toutefois, les études sociologiques basées sur le concept de stratification sont plus nombreuses. En Grèce par exemple, Lazaridis et al. (1999) observent la stratification du marché du travail en mettant en évidence que les migrants albanais sont voués à l’ultra-exploitation et soumis de manière générale aux conditions de travail les plus défavorables. Pour la Belgique, Denolf et al. (1991) comparant, en termes d’opportunités et de conditions d’emploi, certains travailleurs étrangers à leurs homologues belges, concluent à l’ « ethnostratification » du marché de l’emploi. Martens et al. (2005) confirment ce résultat et l’illustrent pour la Région bruxelloise en mettant en évidence un marché de l’emploi subdivisé en 7 strates, la première incluant les Belges « autochtones » et les personnes originaires des pays limitrophes tandis que la dernière strate enserre les Marocains, les Turcs et les Subsahariens.

Les économistes se sont davantage penchés sur la segmentation du marché du travail, vaste domaine de la recherche économique11 bien qu’elle demeure controversée. Ainsi par exemple, Sloane et al. (1993) rejettent la segmentation pour le marché du travail anglais alors que Dickens et al. (1985, 1988) tout comme que Roig (1999) proposent un ensemble de preuves de segmentation, respectivement pour les USA et l’Espagne. Par ailleurs, dans la lignée de la théorie de la dualité du marché du travail opposant un segment soumis à la concurrence à un segment plus régulé (en faveur des travailleurs), Bradley et al. (2003) mettent en évidence qu’au Royaume-Uni dans les années ’90, la grande majorité de la main-d’œuvre dite flexible a été enfermée dans des cycles alternant activités peu qualifiées et période de chômage. Ils concluent de ce fait à la segmentation comme résultat d’une faible probabilité de passer d’un segment à l’autre du marché de l’emploi.

En ce qui concerne la Belgique, Denolf (1991) montre que la segmentation est l’une des principales raisons expliquant la stratification du marché de l’emploi. Vertommen et al. (2006) confirment la segmentation du marché de l’emploi belge sur base du genre et de l’origine, à partir de l’analyse de la situation sur le marché du travail des personnes reprises par la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale.

La segmentation ne mène pas seulement à des conditions d’emploi différenciées mais peut également augmenter l’inemploi global en confinant une partie des travailleurs dans le segment secondaire12 et en empêchant une redistribution des effectifs entre les deux segments. Ce qui peut, en retour, contribuer à rendre encore plus fragile la situation des groupes précarisés comme illustré par Abe et al. (2001) dans le cas du Japon.

Toutefois, comme le rappelle Sousa-Poza (2004) en analysant la situation en Suisse, les résultats des tests de segmentation dépendent de la méthode appliquée. En effet, la littérature propose beaucoup d’approches différentes mais sans consensus sur celle qu’il convient d’appliquer, la caractérisation d’un segment demeurant un problème majeur.

En définitive, l’auteur souligne que ces méthodes essaient avant tout de déterminer si des groupes d’individus peuvent être identifiés comme ayant des caractéristiques particulières en ce qui concerne le marché du travail. Tantôt pour conclure à la segmentation ou à la

11 Voir Leontaridi (1998) pour un aperçu plus détaillé de la littérature sur la segmentation du marché du travail. 12 Voir point 1 pour la définition de la segmentation et du concept de « segment secondaire ».

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stratification, tantôt pour conclure à la ségrégation. Il apparaît donc dans la littérature une assimilation abusive entre les concepts de segmentation, de stratification et de ségrégation.

1.4 La discrimination salariale

Il existe un très grand nombre de décompositions salariales – décompositions de l’écart salarial en une part expliquée par des caractéristiques individuelles (âge, genre, capital humain, etc.) et en une autre part, inexpliquée supposée due à la discrimination – qui témoigne de la discrimination salariale dans les pays anglo-saxons13.

Toutefois, analyses de l’écart salarial de genre exceptées, ces études sont rares pour les pays d’Europe continentale. Cependant, Niesing et al. (1994) ont développé un modèle économétrique permettant une analyse originale de l’écart salarial observé entre différents groupes statistiques au Pays-Bas (Marocains, Turcs, Surinamiens, Antillais et Néerlandais).

Ce modèle est basé sur l’analyse de l’impact de différents facteurs (âge, genre, diplôme, etc.) sur, d’une part, le salaire institutionnel (celui résultant des négociations collectives) et, d’autre part, sur la différence entre ce salaire institutionnel et, respectivement, le salaire minimum pour lequel la personne observée est prête à travailler (wmin) ainsi que le salaire maximum que l’employeur consent pour employer la personne observée (wmax). Niesing et al. (1994) observent que, bien que wmin soit en moyenne supérieur à l’allocation de chômage quel que soit le groupe observé, la différence entre ce salaire minimum et l’allocation de chômage est en moyenne la plus faible pour les groupes les plus marginalisés : 30% pour les Marocains, 40% pour les Turcs et les Surinamiens et 55% pour les Antillais et les Néerlandais.

En ce qui concerne la Belgique, bien qu’elle connaisse un différentiel salarial intergroupe marqué (Martens et al. 2000, Martens 2004), aucune décomposition de cet écart salarial en une composante expliquée (des facteurs de productivité par exemple) et en une autre inexpliquée, potentiellement due à une discrimination xénophobe, n’a été réalisée à ce jour.

De manière plus générale en Europe continentale, les quelques analyses quantitatives existantes de la discrimination xénophobe sur le marché du travail s’appliquent presque exclusivement toutes à étudier l’impact du statut d’étranger sur les conditions d’embauche et de travail. Or, dans les pays de vieille immigration tel que la Belgique, une partie importante des personnes nées étrangères (i.e. sans la nationalité du pays de résidence) a acquis la nationalité de son pays de résidence par naturalisation et n’est donc plus reprise, en conséquence, dans les statistiques des populations étrangères.

En d’autres termes, la statistique n’a pas, à ce jour, réussi à appréhender la diversité et la complexité du concept même d’origine rendant plus difficile de ce fait l’évaluation objective de l’impact des différentes législations récentes qui un peu partout en Europe ambitionnent de combattre la discrimination sur le marché du travail.

Par ailleurs, il ressort également de l’analyse de la littérature scientifique que les effets de l’interaction entre une origine dite étrangère et les différentes formes de dotation en capital symbolique sur la chance d’emploi sont rarement analysés. C’est une des raisons d’être de la présente étude, dont la principale ambition est d’estimer l’impact sur l’accès à l’emploi, de l’interaction entre une origine représentée comme étrangère et le niveau d’éducation, compte tenu d’un certain nombre de caractéristiques individuelles observées.

13 Voir, entre autres, Coleman (2003), Blackaby et al. (2002) ou De Silva (1999), respectivement pour les marchés du

travail américain, anglais et canadien.

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2 La probabilité d’accéder à l’emploi

2.1 Le Modèle

Dans cette section, nous proposons de modéliser la probabilité pour un individu de travailler en fonction de caractéristiques individuelles telles que l’origine, le genre, l’historique professionnel, la trajectoire migratoire éventuelle, les différentes dotations en capital symbolique (social, culturel et économique) ainsi que le statut de vie et la taille de la famille.

Dans le cadre de l’analyse de la chance d’accès à l’emploi, ces caractéristiques ne sont observables que dans la mesure où la personne sondée appartient à la population active (personnes cherchant un emploi ou travaillant). Toutefois, les chômeurs et les travailleurs sont issus d’un premier filtre : la disponibilité sur le marché de l’emploi en tant qu’offre de travail. Or, cette décision de participer au marché du travail n’est pas indépendante de l’origine, comme le confirment nos résultats.

Dés lors, estimer les facteurs qui influencent la chance de trouver un emploi sans tenir compte de l’influence préalable de l’origine (et d’autres variables) dans la décision de chercher du travail peut biaiser la procédure d’estimation. Pour tenir compte de ce biais de sélection, une extension du modèle de sélection de Heckman (1979) développée par Dubin et River (1990) est utilisée.

Par ailleurs, le biais d’endogénéité reçoit également un traitement approprié. En effet, si la probabilité d’être employé dépend de la dotation en capital symbolique, cette dernière dépend réciproquement de la situation de la personne observée sur le marché de l’emploi.

Enfin, une attention particulière est apportée à l’analyse de l’effet sur la probabilité de travailler de l’interaction entre l’origine de la personne observée et son niveau d’étude suivant les développements de Ai et al. (2004). Le lecteur intéressé par une présentation plus détaillée des fondements économétriques de la présente étude peut se rapporter à Chichah (2007).

2.2 La base de donnée

Il n’existe, pour la Belgique, aucune base de données permettant l’implémentation du modèle proposé ci-dessus. En effet, la diversité des variables prises en considération ne permet pas l’utilisation de bases de données telles que la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale. Par ailleurs, les personnes d’origine extra-européenne ne représentent qu’une très faible part de la population active de pays comme la Belgique (2%), ce qui pollue un traitement statistique spécifique de ces personnes, en règle générale, trop peu nombreuses dans les bases de données les plus courantes que pour constituer un sous-échantillon représentatif.

La démarche suivie à dés lors consisté à exploiter la richesse et la diversité des informations contenues dans ECHP (European Community Household Panel longitudinal database) en agrégeant la population de différents Etats membres de l’UE. Afin de tenir compte de l’hétérogénéité des pays observés, l’effet propre de chacun d’entre eux sur la chance d’accès à l’emploi (comme celui sur la probabilité de participer au marché du travail) a été isolé de l’influence des autres covariables.

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ECHP est la base de données la plus coordonnée du système européen d’enquêtes sociales. Elle joue un rôle essentiel dans la production d’indicateurs sociaux comparables à travers les pays européens14. Dans sa dernière version (2001), 121.122 adultes âgés de 16 ans et plus ont été interviewés à travers l’Europe sur une multitude de sujets différents, incluant la vie professionnelle, les conditions d’hébergement, la santé, les loisirs, la vie sociale, etc. ECHP, rebaptisée EU-SILC en 2001, est la source de référence des statistiques sur le revenu, la pauvreté et l’exclusion sociale au sein de l’UE et est, de ce fait, un outil privilégié pour comparer la situation des travailleurs sur les marchés de l’emploi des différents Etats membres de l’UE.

ECHP fournit des informations relatives aux variables explicatives retenues pour la majorité des Etats membres de l’Union Européenne en 2001, à l’exception de l’Allemagne, des Pays-Bas, du Luxembourg, du Royaume-Uni et de la Suède. Ces derniers sont en conséquence exclus du champ de la présente étude.

L’échantillon retenu comprend la Belgique, la France, l’Irlande, l’Autriche, le Danemark, la Finlande, l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Grèce. Ces pays connaissent des situations migratoires contrastées. En effet, si la Belgique et la France sont des pays de vieilles immigrations qui ont connu, dès les années ’80, une stabilisation de leur population étrangère15, la fin du millénaire passé voit l’effectif des personnes étrangères augmenter très fortement dans l’ensemble des autres pays étudiés (OCDE 2004 et 2007).

Ainsi, dans les pays d’Europe du nord observés, entre 1992 et 2001, la croissance de la population étrangère avoisine les 45% pour le Danemark ou l’Irlande et atteint 100% en Finlande. Quant à l’Autriche, bien que pays d’immigration dès 1960, la même évolution y est constatée avec une croissance ininterrompue de sa population étrangère depuis plus de 40 ans (Dufour, 2003). Entre 1992 et 2001, cette population y a cru de 18%. En conséquence, l’Autriche, à l’instar des autres vieux pays d’immigration (Belgique, France et dans une moindre mesure le Danemark16), a, comparé aux autres pays étudiés (Grèce exceptée), une proportion beaucoup plus importante d’étrangers résidents. En effet, en pourcentage de la population totale, la population étrangère représente en 2001 respectivement pour l’Autriche, la Belgique et le Danemark, 9,4%, 8,2% et 5% (OCDE, 2007). L’Irlande occupe une position intermédiaire, avec une population étrangère équivalente en 2001 à 3,9% de sa population totale tandis que la Finlande a, en proportion, la population étrangère la plus faible de l’UE, avec un effectif d’étrangers en 2001 inférieur à 2% de sa population totale (OCDE, 2007).

Quant aux pays d’Europe du sud analysés, à savoir le Portugal, l’Espagne, l'Italie et la Grèce, anciennes terres d’émigration massive au lendemain de la seconde guerre mondiale, ils ont connu dans des années ‘90, une forte immigration (Guillon et Hily, 1996). L’Italie, par exemple, a vu sa population étrangère augmenter de 50% sur la décennie 1992-2001 tandis que sur la même période, cette croissance fut respectivement de 69%, 170% et 400% pour le Portugal, l’Espagne et la Grèce. (OCDE, 2007 et Eurostat, 2007). Toutefois, à l’exception de la Grèce, le poids de la population étrangère dans la population totale reste extrêmement limité en 2001. En effet, cette année-là, les étrangers résidant au Portugal, Italie, Espagne et 14 Pour de plus amples informations sur cette base de données, le lecteur peut se référer au site internet:

http://forum.europa.eu.int/irc/dsis/echpanel/info/data/information.html 15 Pour la France, voir le Quatrième rapport établi en application de l'article 45 de la loi française du 11 mai 1998

relative au titre de séjour disponible en ligne sur le site http://www.interieur.gouv.fr. En ce qui concerne l’évolution de la population étrangère en Belgique, voir Desmarez et al. (2004).

16 Pour un historique des différentes vagues d’immigrations au Danemark, cf. Rosevaere et Jorgensen (2005).

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Grèce représentaient respectivement 2,2%, 2,4%, 2,7% et 7% de la population totale du pays considéré (OCDE, 2007).

Par ailleurs, afin de refléter la structure de la population de chacun des pays observés, des poids calibrés à cet effet sont fournis par ECHP. Des facteurs de correction sont appliqués à ces poids de manière à tenir compte de la population totale de chaque pays observé ainsi que du nombre de ses habitants repris dans l’échantillon17.

2.3 Les Variables

Les variables explicatives du modèle sont relatives à l’origine, au genre, à l’historique professionnel, à la trajectoire migratoire, à la taille de la famille ainsi qu’aux différentes dotations en capital symbolique de la personne étudiée. Un jeu de variables binaires (une par pays observé) est ajouté au modèle afin de capturer l’hétérogénéité des caractéristiques socio-économiques propres à chaque pays sondé.

Le tableau ci-dessous présente les covariables (cf. annexe pour leur définition) dont le pouvoir explicatif, en termes d’influence sur la probabilité, d’une part, de participer au marché du travail, et d’autre part, d’accéder à l’emploi, est analysé18.

Ce tableau reprend également, sur base de la littérature existante, l’effet attendu de la variable observée sur la chance de travailler ainsi que l’effet, sur cette chance, de l’interaction entre la variable et une éventuelle origine étrangère.

Variables Effet sur la chance de travailler Effet de l’interaction entre la variable et une origine étrangère sur la chance de travailler

Origine extra-européenne

Origine européenne19 Aucun ou , en fonction du caractère limitrophe du pays d’origine (Martens

et al. 2005)

Genre féminin

Non investigué en Europe. Aux USA et pour certaines minorités, les femmes

sont moins sujettes à la ségrégation que les hommes (Bayard, 1999).

Expérience professionnelle les premières années puis après un certain nombre d’années Peu investigué20

Chômage de longue durée Peu investigué

Dotation en capital culturel Effet controversé du niveau d’étude:

(Blackaby 1998, 2002) (Connor et al. 1996)

Pays de naissance Aucun Peu investigué

Durée de séjour pour les personnes d’origine étrangère nées en dehors de leur pays de résidence

Effet controversé :

(Niesing et al. 1994) Aucun (Debuisson, 2004)

17 Pour plus de détails sur la procédure de pondération, voir “Construction of weights in the ECHP”. Doc. PAN

165/2003-06 disponible sur le site: http://forum.europa.eu.int/irc/dsis/echpanel/info/data/information.html. 18 Sur la distinction entre probabilité de participation au marché de l’emploi et celle d’accès à l’emploi, voir

point 2.1. 19 Personnes nées sans la nationalité de leur pays de résidence ; voir annexe pour définition des variables. 20 Nous entendons par là que nous n’avons trouvé aucun résultat quantitatif même si la question est abordée dans la

littérature sociologique par exemple.

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Compétences linguistiques

Effet controversé en ce qui concerne la connaissance de la langue du pays de

résidence : (Beishon et al. 1997)

Effet mineur (Niesing et al. 1994) Dotation en capital social Peu investigué

Dotation en capital économique

Le fait d’accéder à la propriété immobilière par rapport au statut de locataire a un effet positif sur la chance de travailler dans la

plupart des pays de l’UE (Plasman et al. 2002) Peu investigué

Autre dotation en capital symbolique Peu investigué

Statut de cohabitant et taille de la famille

Pour les hommes de tous les pays européens être en couple sans enfant a une influence positive sur la chance de travailler. Il en est de même pour les femmes vivant dans le sud de l’UE (Plasman et

al. 2002)

Avoir des enfants à charge s’accompagne d’un risque de piège à l’emploi sauf pour certaines minorités (Blackaby et al. 2002)

Effet du pays de résidence comparé à la Belgique

Effet fonction des caractéristiques socio-économiques du pays observé. Les variables pays ont pour objectif de capturer

l’hétérogénéité non observée entre les différents pays de résidence. Non investigué.

3 Résultats

Le modèle proposé estime une probabilité d’accès à l’emploi, étant donné la participation au marché du travail, en fonction de caractéristiques individuelles propres ainsi que du pays de résidence des personnes observées. La chance d’accès à l’emploi (étant donné la participation à la population active) observée pour l’ensemble des individus de l’échantillon est de 0,92, identique à la probabilité moyenne prédite par notre modèle21. Les hommes et les femmes de notre échantillon ont respectivement une chance observée de travailler de 0,94 et 0,90. Le modèle utilisé leur prédit respectivement une chance moyenne de 0,93 et 0,89. Enfin, la chance de travailler observée pour les personnes d’origine étrangère (POE) est de 0,88 tandis que le modèle leur prédit en moyenne une probabilité de travailler de 0,86, soit une erreur relative de moins de 2%.

Afin de voir si ces différentes chances d’emploi trouvent leur origine dans la discrimination ou au contraire dans les caractéristiques personnelles des personnes observées (à titre d’hypothèse, la moindre chance d’emploi des POE pourrait s’expliquer par une plus faible proportion de diplômés du supérieur dans ce groupe), il est nécessaire d’isoler et d’estimer l’impact de chacune des covariables sur la chance de travailler. Pour rendre ce travail accessible à un large public, seul les principaux résultats sont repris ici. Pour une présentation et une discussion plus exhaustives de l’approche et des résultats économétriques, se rapporter à Chichah (2007). Nous présentons d’abord les effets marginaux des différentes variables (genre, origine, niveau d’étude, etc.) sur la probabilité de travailler. Nous nous focaliserons ensuite sur l’effet de l’interaction entre l’origine et le niveau d’étude sur la chance d’accéder à un emploi.

3.1 Effets marginaux sur la probabilité de travailler

Nous présentons dans cette section l’effet marginal de chacune des covariables sur la probabilité de travailler. Dans le cas présent, l’effet marginal consiste à mesurer l’impact sur

21 Pour rappel, la valeur d’une probabilité varie entre 0 (évènement impossible) et 1 (évènement certain).

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la probabilité de travailler d’une augmentation infinitésimale de la variable considérée (augmentation d’une unité si la variable est binaire), les autres covariables étant maintenues constantes. Comme cet effet marginal varie d’un individu à l’autre, le tableau suivant présente l’amplitude de cet effet (i.e. ses valeurs extrêmes) ainsi que sa valeur moyenne, lorsque l’effet marginal considéré est significativement différent de zéro.

Variables Amplitude de l’effet marginal (en 10-2)

Effet marginal moyen (en 10-2)

Origine extra-européenne [-23,-1] -8

Origine européenne Effet non significatif sur la chance de travailler mais impact négatif sur la participation à la population active

Genre féminin [-8,0[ -1.7 Expérience professionnelle [-4, +2] +0.2 Chômage de longue durée [-58,-8] -32 Niveau d’étude du secondaire inférieur (ou moindre) comparé au 2éme cycle du secondaire

[-5,0[ -1.2

Etudes supérieures comparées au 2éme cycle du secondaire ] 0, + 5] +1.1

Natif du pays de résidence (étrangers inclus)

Effet non significatif sur la chance de travailler ainsi que sur celle de participer à la population active

La durée de séjour pour les personnes d’origine étrangère nées en dehors de leur pays de résidence

Effet non significatif sur la chance de travailler mais influence positivement la participation à la population active

Compétences linguistiques ] 0, +5] +1.1 Dotation en capital social ] 0, +7] +1.4 Dotation en capital économique (propriétaires sans/avec hypothèque comparés à locataire)

Effet non significatif sur la chance de travailler

Autre dotation en capital symbolique (revenus du cohabitant)

Effet non significatif sur la chance de travailler mais impact négatif sur la probabilité d’appartenir à la population active

Célibataire (sans cohabitant) [-5,0[ -1.1 Taille de la famille (au moins un enfant à charge comparé à sans enfant à charge)

[-3,0[ -0.7

Pays comparés à la Belgique

Italie :] 0, +13] Espagne :] 0, +7]

Portugal :] 0, +18] Grèce :] 0, +15]

Effet non significatif des autres

pays de l’échantillon

Italie : +2.5 Espagne : +1.4 Portugal : +2.9 Grèce : +2.5

En ce qui concerne l’hétérogénéité des pays de résidence sondés, seuls les pays sud européens de l’échantillon ont, comparés à la Belgique, un effet significatif sur la chance de travailler. Ainsi donc, toutes choses étant égales par ailleurs, résider en France, en Irlande, au Danemark, en Finlande ou en Autriche plutôt qu’en Belgique ne modifie pas la chance de travailler. Il en est autrement de l’Espagne, de l’Italie, du Portugal et de la Grèce. Ces pays voient en effet la chance de travailler s’améliorer, en moyenne, d’un peu plus de 0.01 à un peu moins de 0.03 en fonction du pays considéré, ceteris paribus (toutes choses étant égales par ailleurs). L’analyse de cette hétérogénéité sort du cadre du présent travail, les covariables « pays » jouant ici un simple rôle de variables de contrôle.

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Nos résultats confirment tout d’abord l’influence attendue du genre, du niveau d’étude et de l’historique professionnel sur la chance de travailler.

En effet, un individu dont la chance de travailler se situe entre 0 et 1 en fonction de ses caractéristiques personnelles verra son score (probabilité de travailler) diminuer de 0,02 en moyenne s’il est une femme, ceteris paribus. Pour certaines femmes, cette diminution de la probabilité d’emploi peut atteindre 0,08.

Pour le niveau d’étude, il apparaît qu’être diplômé de l’enseignement supérieur, comparé au second cycle du secondaire améliore en moyenne la chance d’emploi d’un peu plus de 0,01 tandis que ne pas avoir atteint le niveau du 2éme cycle du secondaire, comparé à ce dernier, affaiblit la chance d’emploi d’un peu plus de 0,01 en moyenne. L’effet positif (négatif) du niveau d’étude supérieur (inférieur au second cycle du secondaire) sur la probabilité de travailler peut atteindre 0,05. Par ailleurs, il ressort que l’impact de la connaissance d’une seconde langue sur la chance d’emploi peut être aussi important que celui d’avoir un diplôme de l’enseignement supérieur. En effet, ces deux variables ont un effet marginal de même moyenne et de même amplitude.

En ce qui concerne l’historique professionnel (qui réfère à la fois à la durée du chômage et à l’expérience professionnelle), l’effet d’une longue période de chômage atténue grandement la chance d’emploi, en affectant la chance d’emploi de 0,32 en moyenne. L’impact du chômage de longue durée peut diminuer la probabilité de travailler de 0,58 ce qui affaiblit considérablement l’espérance d’emploi des personnes concernées. Quant à l’expérience professionnelle, son effet marginal moyen est faible (+0,002) étant donné le nombre moyen d’années d’expérience professionnelle élevé dans l’échantillon considéré (un peu plus de 20 ans). Néanmoins, pour les plus jeunes travailleurs, une augmentation infinitésimale de l’expérience professionnelle améliore la chance d’emploi de 0,02 au mieux tandis qu’elle déprécie la probabilité d’emploi des plus expérimentés de 0,04 au plus.

S’agissant de l’influence de l’origine étrangère, une origine européenne, bien qu’elle influence négativement la participation au marché du travail, n’a pas d’effet direct sur la chance de travailler. Martens et Ouali. (2005) observent néanmoins, qu’en ce qui concerne la Belgique, seuls les étrangers originaires des pays limitrophes (Allemagne, France, Luxembourg, Pays-Bas et Grande-Bretagne) semblent ne pas subir de discrimination sur le marché de l’emploi, contrairement à d’autres POE même d’origine européenne. Il n’est toutefois pas possible d’utiliser ECHP pour tester cette dernière hypothèse (cf. en annexe la définition des variables capturant l’effet de l’origine).

Une origine extra-européenne influence également de manière négative la chance de participer au marché de l’emploi mais elle s’accompagne de surcroit d’un effet négatif direct sur la chance d’accès à l’emploi. En effet, la conséquence de cette origine est de diminuer, ceteris paribus, la chance d’emploi de 0,08. Cet effet négatif peut atteindre 0,23 pour certains. Il apparaît donc que pour certaines observations, bien que cela ne soit pas vrai en moyenne, l’effet négatif de l’origine extra-européenne sur la chance d’emploi est plus important que celui d’une période de chômage de plus d’un an.

Par ailleurs, être né dans le pays de résidence n’influence ni la probabilité de participer au marché du travail, ni la chance d’emploi quelle que soit l’origine de la personne considérée. Ainsi donc, les POE nées dans leurs pays de résidence n’en retirent aucun avantage compétitif sur le marché du travail. Par ailleurs, la durée du séjour des POE nées en dehors de leur pays de résidence, si elle influence positivement la probabilité d’appartenir à la population active, n’a aucun impact sur la chance de travailler. Ce résultat confirme les observations de Debuisson (2004) lorsqu’il conclut que la durée du séjour ne modifie pas la chance d’emploi des étrangers résidant en Belgique.

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L’analyse statistique a, par ailleurs, permis de mettre en exergue l’influence sur la chance d’accès à l’emploi d’autres variables, telles que le capital social, le capital économique ou le statut et la taille de la famille, qu’il nous paraît important de souligner. En effet, l’influence du capital social par exemple, plus rarement quantifiée dans la mesure empirique des performances sur le marché du travail que celle du niveau d’étude, se révèle pourtant tout aussi influente que celle de ce dernier. Ainsi, le capital social améliore en moyenne la chance d’emploi de 0,014 (0,011 pour l’enseignement supérieur). Pour certaines observations, cette amélioration peut atteindre 0,07 (0,05 pour l’enseignement supérieur).

Par ailleurs, le capital économique semble ne pas influencer directement la chance de travailler. Toutefois, l’effet du capital économique est aussi capturé par d’autres covariables significatives avec lesquelles la variable supposée estimer l’influence de la richesse est corrélée. Ainsi, par exemple, être propriétaire immobilier (sans hypothèque) est corrélé négativement avec le fait d’avoir un ou plusieurs enfants à charge. De plus, il est à préciser que les revenus professionnels du cohabitant (pouvant également approximer la dotation en capital économique de l’individu observé, voire y participer) influencent négativement la participation au marché du travail.

L’effet du statut et de la taille de la famille sur la chance d’emploi estimé par notre modèle converge vers celui mis en évidence par Plasman et al. (2002). En effet, le statut de célibataire (sans cohabitant) affaiblit le score d’un peu plus de 0,01 en moyenne. De même, la charge d’un enfant (ou plus) diminue également la chance d’emploi d’un peu moins de 0,01 en moyenne. L’impact négatif du statut de célibataire et de celui de parent peut diminuer la chance d’emploi au plus, respectivement, de 0,05 et de 0,03. Il est à noter cependant que si le statut de célibataire améliore la probabilité de participer au marché du travail (contrairement à la probabilité de travailler), le statut de parent n’influence guère cette participation.

3.2 Effets d’interaction

Nous allons à présent examiner l’effet de l’interaction entre l’origine et le niveau d’étude de manière à mieux comprendre l’articulation entre ces deux caractéristiques. L’effet d’interaction entre deux variables donne l’effet marginal combiné des deux variables considérées. Ainsi, il est possible que le niveau d’étude affecte la chance d’emploi différemment en fonction de l’origine de la personne observée. Dans ce cas, on parle d’un effet d’interaction significatif. Si cet effet d’interaction n’est pas significatif, cela signifie que le niveau d’étude affecte la probabilité d’emploi de tous les individus de la même manière quelle que soit l’origine de la personne considérée. Etant donné que l’effet de l’interaction entre une origine européenne et le niveau d’étude n’est pas significatif, seul celui de l’interaction entre une origine extra-européenne et le niveau d’étude est présenté dans cette section.

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3.2.1 Interaction entre l’origine non-européenne et un diplôme au plus du secondaire inférieur

Alors qu’un niveau de scolarité au plus du secondaire inférieur et une origine extra-européenne ont tous les deux, considérés séparément, une influence négative sur la chance de travailler, la figure 1 ci-dessous montre que l’effet de leur interaction est de toujours augmenter la chance d’accès à l’emploi.

Figure 1 : Effet de l’interaction entre un diplôme au plus du secondaire inférieur et une origine extra-européenne

La figure 1 reprend en abscisse la chance d’emploi prédite pour chaque observation (représentée par un point bleu) tandis que l’axe des ordonnées indique l’effet total sur la chance d’emploi de l’interaction entre l’origine extra-européenne et un niveau d’étude correspondant au mieux au premier cycle du secondaire (c.-à-d. la variation de la probabilité de travailler dans le cas où l’observation serait à la fois d’origine non-européenne et peu scolarisée, toutes choses restant égales par ailleurs).

Autrement dit, une personne voit sa chance d’emploi s’améliorer, ceteris paribus, si elle est faiblement scolarisée et d’origine non-européenne. Cet effet d’interaction varie entre 0,02 et 0,32 selon les personnes. Son impact moyen sur la chance d’emploi est de +0,13.

Ce résultat signifie que, si l’origine non-européenne considérée isolément affaiblit la chance d’emploi, son interaction avec un faible niveau d’étude améliore la chance d’emploi toute autre chose étant égale par ailleurs. Il s’agit là d’un symptôme de ségrégation puisque les tâches les moins qualifiées sont préférablement allouées aux personnes d’origine non-européenne.

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3.2.2 Interaction entre l’origine non-européenne et le diplôme de l’enseignement supérieur

Alors qu’une origine extra-européenne et un diplôme de l’enseignement supérieur ont, considérés séparément, des effets opposés sur la probabilité de travailler, leur interaction a toujours un effet négatif sensible sur la chance d’emploi. En moyenne, l’effet marginal de l’interaction entre une origine non-européenne et un diplôme du supérieur est de déprécier la chance d’emploi de 0,16. Toutefois, la diminution de la chance d’accès à l’emploi conséquente à cette interaction peut atteindre 0,34. Au mieux, cet effet ne déprécie la probabilité de travailler que de 0,03.

Figure 2 : Effet de l’interaction entre un diplôme du supérieur et une origine extra-européenne

La figure 2 reprend en abscisse la chance d’emploi prédite pour chaque observation (représentée par un point bleu) tandis que l’axe des ordonnées indique l’effet total, sur la chance d’emploi, de l’interaction entre une origine non-européenne et un niveau d’étude correspondant à l’enseignement supérieur.

Ainsi la réussite des études supérieures rend sensiblement plus difficile l’intégration sur le marché du travail des personnes d’origine non-européenne puisque ce niveau d’étude déprécie grandement leur chance d’emploi, déjà fragilisée du fait de leur simple origine. En effet, si l’effet marginal moyen d’une origine non-européenne est de -0.08, l’effet de l’interaction de cette origine avec un niveau d’étude supérieur est de -0.16 en moyenne. Soit une augmentation de 100% de la dépréciation moyenne de la chance d’emploi, consécutive à des études supérieures réussies.

Il en résulte que les personnes d’origine non-européenne connaissent un effet inversé du niveau d’éducation sur leur chance d’emploi. Si leur chance moyenne d’emploi se trouve stimulée lorsqu’elles ont un faible niveau d’étude, elle est au contraire fortement dépréciée en cas de plus longues études, ceteris paribus. Ce double résultat d’interaction permet de conclure, ceteris paribus, à la ségrégation des personnes d’origine non-européenne dans les tâches nécessitant un faible niveau de scolarisation. En effet, toutes autres choses étant égale par ailleurs, en moyenne, leur chance d’emploi est sensiblement supérieure pour les tâches non-qualifiées tandis qu’elle est fortement dépréciée pour les postes de travail requérant une formation supérieure.

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Synthèse et conclusions L’objectif principal de la présente étude consiste à analyser l’influence du niveau d’étude sur l’accès à l’emploi des personnes d’origine étrangère (POE), définies ici comme n’ayant pas la nationalité de leur pays de résidence ou l’ayant acquise par naturalisation.

A cette fin, nous utilisons un modèle expliquant la chance d’emploi, compte tenu du premier filtre que constitue la décision de participer au marché du travail, à partir de variables dont certaines à l’impact controversé et d’autres à l’effet plus rarement estimé, comme celui du capital social par exemple. Les variables explicatives de ce modèle sont relatives au genre, à l’origine, à l’historique professionnel (chômage et expérience professionnelle), à la trajectoire migratoire, aux différentes dotations en capital symbolique et aux caractéristiques du ménage.

Aucune base de données permettant l’implémentation d’un tel modèle n’existant pour la Belgique, la démarche proposée consiste à exploiter la richesse et la diversité des informations contenues dans ECHP 2001 (European Community Household Panel Longitudinal Database) en élargissant l’analyse à l’ensemble des Etats membres de l’UE qui fournissent les informations ciblées en 2001 (Belgique, France, Irlande, Autriche, Finlande, Danemark, Espagne, Italie, Portugal et Grèce). Afin de tenir compte de l’hétérogénéité des différents pays observés, l’effet propre de chacun d’entre eux sur la participation au marché du travail, tout comme sur l’accès à l’emploi, a été isolé et expurgé de l’influence des autres covariables.

De manière générale tout d’abord, nos résultats confirment les effets positifs sur l’accès à l’emploi du niveau d’étude et du premier temps de l’expérience professionnelle, comme ils confirment ceux, négatifs, du genre, d’une longue période de chômage et d’une trop longue expérience professionnelle. Bien que plus rarement pris en considération, le capital social joue pourtant un rôle tout aussi influent qu’un diplôme du supérieur dans l’accès à l’emploi, comme en témoignent nos résultats. Il en est de même de la connaissance d’une seconde langue. Si nous n’avons pas décelé une influence directe du capital économique sur la chance de travailler, néanmoins, nombre de variables explicatives sont corrélées au patrimoine et capturent de ce fait une partie de l’effet positif de la richesse sur l’accès à l’emploi. En ce qui concerne l’impact de la famille, le statut de cohabitant influence positivement la chance d’emploi tout en diminuant la probabilité d’appartenance à la population active. Par conséquence, une politique de réallocations sociales défavorisant les cohabitants pourrait avoir des effets contreproductifs en termes de lutte contre le chômage. Par ailleurs, la charge d’un ou plusieurs enfants, bien qu’elle déprécie la chance de travailler, n’a aucun impact sur la participation au marché de l’emploi. Nos résultats ne supportent donc pas l’hypothèse d’un effet de substitution de revenus professionnels par les allocations familiales.

De manière plus spécifique aux POE, quelle que soit l’origine étrangère considérée, cette dernière influence toujours négativement la participation au marché du travail.

En ce qui concerne l’accès à l’emploi des POE européennes, les tests statistiques effectués réfutent l’hypothèse d’une discrimination. Toutefois, avant de conclure à l’absence totale de discrimination les concernant, une analyse plus fine (impossible avec ECHP) distinguant les pays d’origine non-limitrophes du pays de résidence est nécessaire, comme l’illustrent Martens et al. (2005) en soulignant qu’en Belgique, seuls les ressortissants d’un pays voisin ne connaissent aucune discrimination xénophobe sur le marché de l’emploi.

Par contre, ces mêmes tests statistiques attestent qu’une origine extra-européenne, ceteris paribus, diminue toujours la chance d’accès à l’emploi. Nos résultats mettent également en évidence que les POE nées dans leurs pays de résidence n’en retirent aucun avantage

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compétitif sur le marché du travail, comme ils confirment que la durée du séjour (dans le pays de résidence) des POE nées à l’étranger n’a aucun impact sur leur chance de travailler, bien qu’influençant positivement leur participation au marché du travail.

La principale contribution de la présente étude réside cependant dans l’analyse économétrique de l’effet de l’interaction entre une origine étrangère et le niveau d’étude sur la chance d’accès à l’emploi. En effet, nos résultats montrent que si le niveau d’étude a de manière générale un impact positif sur la chance d’emploi, il influence de manière singulière – et sensible en moyenne – celle des personnes d’origine extra-européenne. Ainsi, ceteris paribus, un niveau d’étude du secondaire inférieur (ou moindre) stimule la chance d’emploi des POE extra-européennes tandis qu’un diplôme de l’enseignement supérieur la déprécie.

Dés lors, toutes autres choses égales par ailleurs, les POE extra-européennes faiblement scolarisées (diplôme du secondaire inférieur au plus) ont une plus grande chance d’emploi, non seulement comparées aux POE de même origine ayant une scolarité plus poussée, mais également comparées, en moyenne, aux personnes d’origine européenne (POE ou non), quel que soit le niveau d’étude de ces dernières. Quant aux diplômés du supérieur d’origine extra-européenne, ils font face, singulièrement, à un rendement négatif de leur investissement en capital humain, à la différence des autres lauréats du supérieur.

Il en résulte, ceteris paribus, une dynamique de ségrégation des POE extra-européennes dans les tâches les moins qualifiées et une tendance à l’exclusion des diplômés du supérieur d’origine extra-européenne dans la mesure où, tout autre chose égale par ailleurs, ils ont une moindre chance d’accès à l’emploi requérant une formation supérieure.

Cette ségrégation dans les segments d’activités les moins qualifiés exposent tout particulièrement ces populations aux retournements conjoncturels du marché de l’emploi et à l'infériorisation sociale. De plus, la dévalorisation de leurs études supérieures est d’autant plus préjudiciable, qu’à l’instar des femmes, les POE extra-européennes investissent dans ce type de capital symbolique dans le cadre de leur stratégie d’émancipation sociale.

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Annexe 1 : Description de l’échantillon

En limitant ECHP DB aux états membres de l’UE qui fournissent les covariables retenues, nous obtenons un échantillon de près de 60 000 personnes.

Echantillon par pays de résidence et origine

Pays Nombre de personnes observées

Personnes d’origine étrangère

Personnes d’origine européenne

Personnes d’origine extra-européenne

Danemark 3 045 45 25 20 Finlande 4 387 27 9 18 Irlande 3 373 56 50 6 Belgique 3 354 123 102 21 France 5 367 197 122 75 Autriche 4 465 117 37 80 Espagne 10 660 75 34 41 Italie 8 946 58 23 35 Grèce 9 861 71 11 60 Portugal 6 464 68 29 39 Total 59 992 837 442 395

Sous-échantillon de la population des personnes d’origine étrangère

Personnes d’origine etrangère

Effectif Femmes Nés dans le pays de résidence

Niveau d’éducation22 Age Population

active

Origine extra-européenne

395 199 94 Etudinf: 180

Etudsup: 86

16 à 91

Moyenne:44 245

Origine européenne 442 230 122

Etudinf: 223

Etudsup: 91

16 à 92

Moyenne:48 249

22 Cf. annexe 2 pour la définition des variables Etudinf et Etudsup.

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Annexe 2 : Définition des variables

Variables expliquées

Part “Part” est la variable dépendante de l’équation de participation au marché du travail. C’est une variable binaire qui prend sa valeur non nulle lorsque la personne observée appartient à la population active.

Work “Work” est la variable dépendante de l’équation de probabilité d’être employé. C’est une variable binaire qui prend sa valeur non nulle lorsque la personne observée travaille.

Variables explicatives

Les covariables décrites ci-dessous seront utilisées dans les équations respectivement de participation au marché du travail et de probabilité de travailler. Ces covariables sont supposées capturer les effets possibles de l’origine, du genre, de l’histoire professionnelle, du capital symbolique, de la trajectoire migratoire ainsi que de la taille du ménage et du cycle de vie sur la probabilité de l’individu observé d’appartenir à la population active ainsi que sur sa chance d’accèder à l’emploi.

Ane & ae Dans la grande majorité des recherches économétriques en Europe continentale, la nationalité est utilisée comme variable de contrôle pour l’impact de l’origine sur la probabilité d’emploi.

Toutefois, pour des pays tels que la Belgique qui ont facilité l’accès à la nationalité, les POE ayant acquis la nationalité de leur pays de résidence par naturalisation disparaissent des statistiques relatives aux populations étrangères (sans toutefois connaître une amélioration de leur situation sur le marché de l’emploi). Ainsi par exemple, si l’on considère les deux principales minorités d’origine extra-européenne résidant en Belgique, à savoir les Marocains et les Turcs, respectivement 66% et 70% d’entre eux ont acquis la nationalité belge (Poulain et al. 2006) sans que leur situation sur le marché de l’emploi ne s’améliore pour autant (Martens et al. 2005, Vertommen et al. 2006).

Pour la Belgique, les personnes naturalisées représentent en 2003 environ 5% de l’ensemble de la population belge pour une population étrangère (non-européenne) d’environ 8% (3%) (INS 2003). Ils convient donc d’identifier ces ex-étrangers dans l’analyse de la discrimination sur le marché du travail.

ECHP n’indique pas si la personne observée est naturalisée ou non. Néanmoins, cette base de données signale une éventuelle double nationalité. Nous utiliserons cette dernière information pour approximer les POE.

En effet, la majorité des pays d’émigration extra-européens permettent à (voire obligent) leurs ressortissants de conserver leur nationalité d’origine (Maroc, Turquie, Pologne23,…) en cas de naturalisation. Les POE européennes quant à elles ne peuvent pas toujours conserver

23 Etat non membre de l’UE en 2001.

Souhail Chichah

60

leur nationalité d’origine en cas de naturalisation. Cependant, leur origine européenne ne devrait les inciter à la naturalisation que dans une moindre mesure.

Ainsi par exemple, si l’on considère la nationalité d’origine des Belges par naturalisation entre 1995 et 2000, et plus spécifiquement les 10 nationalités24 les plus représentées, à savoir 202 786 personnes, moins de 8% d’entre eux avaient au départ une nationalité européenne (Ouali 2003). Plus de 92% d’entre eux provenaient de pays extra-européens, reconnaissant tous la double nationalité (selon les informations fournies par les Consulats de ces différents pays), à l’exception notable de la R.D du Congo qui ne comptait cependant que pour 3% des naturalisations. Ouali (2004) confirme que « ce sont surtout les ressortissants non-européens qui se naturalisent le plus [sur la période 1997-2001], ils représentent 90% des naturalisations »25.

Par ailleurs, nous considérons comme négligeable, le nombre de personnes d’origine non-étrangère qui acquiert une autre nationalité. A titre d’exemple, entre 1995 et 2000, moins de 87 Belges par an en moyenne ont acquis une autre nationalité.

La variable binaire “ane” est relative aux étrangers et ex-étrangers (nationaux nés étrangers) non ressortissants d’un Etat membre de l’UE tandis que la variable binaire “ae” s’intéresse aux étrangers et ex-étrangers ressortissants d’un Etat membre de l’UE.

“Ane” est non-nul si l’individu observé est un étranger ressortissant d’un pays hors UE ou s’il a la nationalité de son pays de résidence mais est né étranger ressortissant d’un pays hors UE.

“Ae” est non-nul si l’individu observe est un étranger ressortissant d’un pays de l’UE ou s’il a la nationalité de son pays de résidence mais est né étranger ressortissant d’un Etat membre de l’UE.

Ces deux variables sont nulles si l’individu observé est né avec la nationalité de son pays de résidence.

Sex La variable binaire “sex” est non-nulle si l’individu observé est une femme.

La discrimination liée au genre est bien établie pour les pays de l’UE mais l’effet, sur la probabilité d’être engagé, de l’interaction entre le genre et l’origine reste méconnue en Europe continentale, contrairement aux Etats-Unis par exemple où certaines femmes peuvent moins souffrir de la discrimination que les hommes de même origine (Bayard, 1999).

Expce & expce² La variable “expce” exprime l’expérience professionnelle de la personne observée en mesurant le nombre d’année où elle a été employée. “Expce²” en est la forme quadratique. En effet, l’effet positif de cette variable est décroissant et devient négatif après un certain nombre d’années de travail.

24 Ces 10 nationalités sont celles du Maroc, de la Turquie, de l’Italie, de l’ex-Yougoslavie, de l’Algérie, de la R.D. du Congo, de la France, de la Tunisie, de la Roumanie et de la Pologne (Ouali, 2003). 25 Ouali (2004), page 20.

Souhail Chichah

61

Ltunemployed “Ltunemployed” est une variable binaire, qui est non-nulle si l’individu interviewé a été au chômage pendant un an ou plus, et ce, au moins une fois sur la période entre 1996 et 2001. En effet, étant donné que les travailleurs désavantagés sont plus sensibles aux cycles économiques (Juhn, 2002 et Mavromaras, 2006), il est important de capturer l’effet possible de l’inactivité sur une même période de référence.

Etudinf & etudsup La variable binaire “etudinf” est non-nulle si le plus haut niveau d’éducation atteint est inférieur au niveau secondaire supérieur.

La variable binaire “etudsup” est non-nulle si le plus haut niveau d’éducation atteint est l’enseignement supérieur.

Ces deux variables sont nulles si le plus haut niveau d’éducation atteint est le niveau secondaire supérieur.

De même que pour le genre, l’effet de l’interaction entre l’éducation et l’origine est ambigu (voir Connor et al., 1996 ainsi que Blackaby et al., 1998 et 2002).

Native La variable binaire “native” est non-nulle pour les personnes interviewées qui sont nées dans leur actuel pays de résidence.

En toute hypothèse, on pourrait penser que les étrangers nés dans leur pays de résidence ont un avantage compétitif sur le marché du travail par rapport aux migrants. En effet, leur dotation en capital symbolique (éducation, maîtrise de la langue, capital social, …) devrait être, en toute logique, plus aisément valorisé sur le marché de l’emploi. Cependant, aucun effet de ce genre n’a été observé à ce jour.

Stay “Stay” contrôle pour la durée du séjour des étrangers/naturalisés non natifs de leur pays de résidence. Sa valeur et égale au nombre d’années écoulées depuis que ces personnes ont immigré dans le pays observé. Le pouvoir explicatif de cette variable reste controversé (voir Niesing, 1994 et Debuisson, 2004).

Lg2 Dans quelle mesure les compétences linguistiques (particulièrement la maîtrise d’une langue officielle du pays de résidence) améliorent les opportunités d’emploi pour les étrangers ou les nationaux représentés comme tels reste une question ouverte (voir Niesing et al., 1994 et Beishon, 1997).

La variable binaire “lg2” est non-nulle lorsque la personne observée maîtrise une seconde langue suffisamment bien que pour tenir une conversation dans la plupart des contextes sociaux.

Souhail Chichah

62

Ksoc Dans l’acceptation de Bourdieu (1980a) le capital social réfère à « l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations… ». Ce capital social est en interaction permanente avec les autres dotations en capital symbolique, notamment celles en capital économique et culturel. ECHP DB renseigne si, oui ou non, la personne est « membre d’un club, tel qu’un club de sport ou de loisirs, d’une association locale ou d’un comité de quartier, d’un parti, etc. ». Nous utiliserons cette donnée comme proxy du capital social de l’individu. “Ksoc” est une variable binaire qui est non-nulle en cas d’appartenance à une quelconque organisation.

A notre connaissance, la significativité de cette variable n’a jamais été testée, à ce jour, dans les équations d’offre de travail. Selon Bourdieu, celle-ci devrait influencer positivement la probabilité d’être employé.

Proprio & futproprio Le patrimoine immobilier de la personne observée définit la variable capturant l’effet du capital économique.

Les variables binaires “proprio” et “futproprio” sont respectivement non-nulles pour les propriétaires sans emprunt hypothécaire sur leur habitation (ou si l’hébergement est fourni à titre gratuit), et pour les propriétaires ayant un emprunt hypothécaire en cours. Ces deux variables sont nulles si l’individu observé est locataire.

Revpart La variable “revpart” donne, pour les personnes vivant en couple (qu’elles soient mariées ou non), le revenu professionnel net total (travail indépendant inclus) du partenaire pour l’année 2000, exprimé en parité de pouvoir d’achat.

Dans le cadre de la sociologie bourdieusienne, les agents sociaux ont une dotation globale en capital symbolique qu’ils utilisent pour maintenir/améliorer leur position dans l’espace social. Le capital économique, social et culturel sont différentes « devises » d’un même capital symbolique qui peuvent être interchangées par les individus pour mener leur trajectoire sociale (voir Bourdieu, 1992 et 1997).

Nous considérons que la position sociale d’un individu peut être estimée par ses revenus professionnels. Néanmoins, ces revenus ne peuvent constituer une variable explicative de la probabilité de travailler. En effet, avoir des revenus professionnels implique automatiquement de travailler. Toutefois, Bourdieu (1980b) suggère, avec le concept de l’habitus, que la dotation symbolique d’une personne est étroitement corrélée à celle de son entourage. Nous estimerons donc la dotation en capital symbolique d’un individu par celle de son partenaire, lorsque ce premier vit en couple. Par conséquent, nous utiliserons “revpart” comme proxy pour le capital symbolique de l’individu observé. Nous nous attendons à ce que “revpart” capture l’effet de toute dotation en capital symbolique qui ne serait pas prise en compte par “ksoc” (proxy du capital social), “etudinf”, “etudsup” (proxys du capital culturel) ou par “proprio” et “futproprio” (proxys du capital économique).

Sgl &parent Les variables binaires “sgl” et “parent”, relatives à la composition de la famille, sont respectivement non-nulles si l’individu questionné vit en couple, quelque soit son statut marital, et s’il a au moins un enfant à charge.

Souhail Chichah

63

La composition de la famille peut avoir un impact différent sur la possibilité de participer au marché de l’emploi pour certaines minorités, comparées aux autochtones (Blackaby et al. 2002).

BG, FR, IR, AU, FL, DK, ES, IT, PT, GR

Ces variables binaires ont pour objectif de capturer l’effet du pays de résidence de la personne observée sur la chance de participer au marché de l’emploi/d’être employée. Elles sont relatives à, respectivement, la Belgique, la France, l’Irlande, l’Autriche, la Finlande, le Danemark, l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Grèce. Ainsi par exemple, la variable BG prend sa valeur non-nulle si la personne observée réside en Belgique.

La Belgique fera office de pays de référence, choisi arbitrairement, afin de comparer si chacun des autres pays à un effet significatif, comparé à la Belgique, sur les probabilités estimées.

Souhail Chichah

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Immigration maghrébine au Québec et réseaux transnationaux: femmes, espace public

et insertion en emploi

Michèle Vatz Laaroussi, professeur titulaire, Université de Sherbrooke, Québec, Canada

Responsable de l’Observatoire canadien de l’immigration dans les zones à faible densité

d’immigrants

Introduction

Le Canada et plus spécifiquement le Québec sont des terres d’immigration qui, pour des

raisons démographiques et économiques, souhaitent augmenter leur population migrante.

Depuis une dizaine d’années, les populations maghrébines sont particulièrement visées par les

politiques d’immigration québécoises en particulier parce qu’il s’agit de populations

francophones et elles ont augmenté considérablement en nombre. Par contre lors de leur

installation au Québec, les familles maghrébines rencontrent de nombreuses difficultés et ce

en particulier au niveau de l’insertion en emploi. Tout comme les autres populations

migrantes, elles vivent des processus de déqualification professionnelle particulièrement

inquiétants et ce, malgré un niveau d’éducation, de formation et d’expérience professionnelle

élevé à l’arrivée au Canada puisque les mesures de sélection visent des adultes jeunes, en

famille et possédant un niveau d’éducation élevé, des expériences professionnelles, et un

niveau économique élevé ou moyen avant l’immigration. Plus encore les immigrants

maghrébins semblent être, parmi les nouvelles vagues d’immigrants, les plus touchés par cette

déqualification (Godin, 2004). Plusieurs éléments semblent se conjuguer pour les défavoriser

sur ce plan : la non reconnaissance des diplômes, les différences d’expérience professionnelle

et plus spécifiquement la non reconnaissance des expériences hors Québec par les employeurs

québécois, la fermeture des ordres professionnels, la connaissance trop partielle de l’Anglais,

les discriminations et préjugés ethniques et religieux renforcés depuis le 11 septembre 2001

etc. La place des femmes maghrébines est sur le plan de l’insertion socio-professionnelle

aussi si ce n’est plus préoccupante que celle des hommes. En effet la dernière étude du

Ministère de l’immigration et des communautés culturelles (Godin 2004) insiste sur deux

éléments : d’une part les maghrébins sont particulièrement en difficulté sur le plan de

l’insertion socio-professionnelle, d’autre part les conjointes qui viennent avec leur époux

sélectionné, vivent une insertion encore plus difficile : taux d’activité plus faible, salaires

inférieurs, déqualification plus grande etc.

Michèle Vatz Laaroussi

65

De plus à partir de plusieurs recherches menées auprès d'immigrants de diverses origines et

plus spécifiquement auprès de Maghrébins au Québec, la place des femmes est apparue

essentielle dans la trajectoire d'insertion et ce, en particulier par la construction de réseaux

transnationaux. Ces réseaux transnationaux, aux contours flous et aux frontières poreuses,

incluent des membres de la famille élargie, des groupes d'appartenance dans les pays d'origine

et dans les pays traversés ainsi que des membres significatifs dans le pays d'accueil. Selon nos

recherches ces réseaux sont avant tout des espaces de liens, de référence et de solidarité entre

les genres, entre les générations, entre les ethnies et religions. Contrairement aux groupes, ils

favorisent des appartenances multiples et des identités métissées. Ces réseaux sont

transnationaux puisqu’ils articulent pays d’origine, société d’accueil et pays de passage au

travers des personnes qui les forment. Familiaux, ils sont aussi le véhicule des liens

diasporiques des familles élargies dont des membres vivent au pays d’origine et d’autres dans

diverses sociétés d’immigration. Plusieurs recherches montrent que ces réseaux représentent

un soutien important dans les stratégies d’insertion des familles maghrébines immigrantes

dans leur nouvelle société et plus spécifiquement au Québec. La question des femmes dans

l’insertion sociale et professionnelle des familles maghrébines immigrantes au Québec,

représente ainsi, au travers de leur rapport à l’emploi et des réseaux transnationaux qu’elles

investissent, un enjeu tant pour la société québécoise que pour les pays de départ,

essentiellement le Maroc et l’Algérie, pour les populations vivant au Québec.

Nous nous intéresserons ici aux éléments d’analyse qui portent sur la place des femmes sur le

marché du travail et dans l’espace public, en pays d'immigration et dans le pays d'origine.

Pour cela nous qualifierons d’abord les spécificités de l’immigration maghrébine au Québec

tout en identifiant les politiques d’immigration, les structures d’accueil et d’intégration mises

en œuvre. Nous analyserons ensuite la place des femmes dans les trajectoires et stratégies

d’insertion familiale au travers de trois axes d’analyse : leur insertion en emploi, leur

investissement de l’espace public et les réseaux transnationaux. Finalement nous conclurons

sur les impacts possibles de ces parcours migratoires sur les processus en jeu au Maghreb en

ce qui concerne l’insertion socio-professionnelle des femmes et les rapports de genre.

Précisions ici que notre présentation s’appuiera sur plusieurs recherches que nous avons

menées auprès de femmes et familles maghrébines immigrantes au Québec, au Canada et en

comparaison avec les familles immigrantes en France ; « Femmes immigrantes en Estrie et

reconstruction identitaire »(1996); « les familles immigrantes en Estrie et au Saguenay Lac St

Michèle Vatz Laaroussi

66

Jean »(1999); « Les stratégies de citoyenneté et d’insertion des familles immigrantes au

Québec et en France » (2001), « la transmission familiale chez des familles Maghrébines et

Salvadoriennes » (2001), « les effets du 11 septembre 2001 pour les femmes et les

communautés du Maghreb au Québec » (2002), « les collaborations familles immigrantes-

école » (2005), « l’immigration dans les régions du Québec et du Canada »(2004, 2005,

2006), projet sur les réseaux transnationaux des immigrants marocains et colombiens au

Québec (2006). Finalement nous réfèrerons aussi aux résultats d’une recherche très pertinente

à notre objet menée sous la direction d’Annick Lenoir, professeur associé à l’Université de

Sherbrooke et qui porte sur l’insertion professionnelle des maghrébins à Montréal et en Estrie

au Québec (2005).

I. L’immigration maghrébine au Québec, les politiques et mesures d’accueil et

d’intégration

Au Québec, tout comme au Canada, on doit d’abord parler de la diversité des pays d’origine

lorsqu’on envisage la question de l’immigration. On compte au Canada environ 250000

immigrants par an. Au Québec, on est passé de 591 210 immigrants en 1991 à 706 965 en

2001 avec une moyenne de 44000 nouveaux arrivants en 2004 et un objectif de 47000

nouveaux arrivants en 2007 (plan d’action MICC pour 2006). Notons aussi que la population

immigrante représente 13% de l’ensemble de la population au Canada (5 millions 500.000 en

2001 sur une population de 28 millions d’habitants). Au Québec (environ 8% de la

population), ces immigrants proviennent actuellement de Chine, de France, du Maroc, de

l’Algérie, de la Roumanie, de l’Afrique noire, de Haiti, et de l’Amérique latine (Salvador,

Pérou, Colombie, Guatémala). Ils s’ajoutent à une immigration plus ancienne composée

essentiellement d’Européens de l’Ouest: portugais, italiens, français. On se trouve ainsi face à

une diversification et à une multiplication des pays d’origine et des cultures de référence

depuis les 15 dernières années.

Il s’agit essentiellement d’une immigration familiale : 21% des nouveaux arrivants sont des

enfants de moins de 15 ans et 50% ont entre 15 et 34 ans. Enfin il y a aussi une diversité des

langues maternelles. En effet les critères de sélection favorisent la provenance de pays

francophones, essentiellement des ex-colonies françaises dont la langue maternelle n’est pas

le français : les langues maternelles des immigrants et de leurs enfants sont donc l’arabe, les

langues africaines, le roumain, l’espagnol, le ourdou, le mandarin etc. On se trouve ainsi

Michèle Vatz Laaroussi

67

devant une diversification de l’allophonie. S’y ajoute une diversité sur le plan des statuts

d’immigration et de citoyenneté. Ainsi les derniers recensements montrent que 56% des

nouveaux arrivants sont des immigrants économiques dont 8,8% de gens d’affaire; 24% sont

dans la catégorie du regroupement familial et 20% sont des réfugiés et leurs personnes à

charge. On note aussi, spécificité importante de l’immigration au Québec et au Canada, une

majorité de personnes hautement instruites et qualifiées : 75% ont un niveau collégial et plus

soit équivalent Bacc et plus (en augmentation depuis les 10 dernières années).

Enfin au travers de cette diversité, il est important de noter la diversité des trajectoires et des

histoires de ces adultes et de leurs enfants. Dans ces parcours, les appartenances religieuses

sont plus ou moins importantes mais sont en multiplication au Québec où de deux religions,

souvent en guerre, on passe à un ensemble hétérogène. L’Islam est maintenant la troisième

religion après le Catholicisme et le Protestantisme.

Sur le plan des politiques, notons d’abord que le Canada et le Québec se différencient de

l’Europe par des politiques volontaristes d’immigration gérées à différents niveaux de

gouvernements. La politique canadienne visant l’accueil et l’intégration des immigrants et

allophones réfère au multiculturalisme. En fait il s’agit d’une politique dont les références

sont anglo-saxonnes et qui met de l’avant les communautés ethniques et leur structuration

comme soutien dans l’accueil et l’adaptation des nouveaux arrivants tout en continuant à

tabler sur leur installation à long terme pour composer une vie sociale multiculturelle. Ces

orientations sont gérées au travers de deux instances, le ministère Citoyenneté Immigration

Canada qui s’occupe de l’immigration et un autre ministère, Patrimoine Canada qui valide le

multiculturalisme et qui en est une courroie d’entretien.

Le Québec a aussi sa Politique d’immigration et d’accueil des nouveaux arrivants depuis un

partage des juridictions en matière d’immigration obtenu par la seule province du Québec à la

fin des années 1980. Il s’agit cette fois d’une Politique à référence francophone qui vise la

défense des intérêts de la minorité francophone au Canada et surtout au Québec. On y insiste

sur le Patrimoine québécois et sur l’histoire minoritaire francophone comme assises à la

démocratie et à la société actuelle. De cette orientation est né un Ministère de l’immigration et

des communautés culturelles (MICC). Il gère la sélection des immigrants et réfugiés au

Québec en partageant une partie de ses pouvoirs avec le ministère fédéral. Par ailleurs le

MICC a aussi pour mission de gérer l’accueil et la francisation des nouveaux arrivants ainsi

Michèle Vatz Laaroussi

68

que leur première adaptation (connaissance du marché de l’emploi, accès au logement et aux

services de santé et d’éducation etc.).

Sur le plan de la sélection, on identifie trois grandes composantes, la composante familiale qui

permet l’admission des membres de la proche famille restée à l’étranger, la composante

humanitaire qui concerne les réfugiés et la composante économique qui comprend les gens

d’affaires et les travailleurs ainsi que les personnes qui les accompagnent. C’est très

majoritairement dans cette dernière catégorie que sont sélectionnés les immigrants

maghrébins. Les gens d’affaire sont sélectionnés à partir d’un projet d’entreprise ou

d’investissement, de leurs ressources financières et de leur expérience d’affaire. Depuis 1997,

les travailleurs sont sélectionnés selon trois programmes: Employabilité et mobilité

professionnelle qui correspond à un profil dit prometteur (niveau d’éducation, diplômes

professionnels, expérience professionnelle), profession en demande au Québec ou encore

emploi assuré (offre d’emploi spécifique). Dans tous ces cas d’autres éléments entrent en

ligne de compte dans la sélection : l’âge, la famille, la maîtrise du français. La plupart des

familles maghrébines immigrantes se situent dans la catégorie du profil prometteur et ainsi les

dix dernières années ont vu arriver en provenance principalement du Maroc et d’Algérie de

très nombreux informaticiens mais aussi des ingénieurs, des professeurs d’enseignement

secondaire, des médecins, des scientifiques divers qui sont hommes et femmes et en jeunes

familles bi-parentales.

Dans son plan d’action 2004-2007, Des valeurs partagées, des intérêts commun, le Ministère

québécois de l’immigration et des communautés culturelles insiste sur son objectif d’assurer

la pleine participation des Québécois des communautés culturelles au développement du

Québec. Pour cela 5 axes sont développés et devraient s’actualiser dans des mesures

concrètes : 1) Une immigration correspondant aux besoins du Québec et respectueuse de ses

valeurs; 2) L’accueil et l’insertion durable en emploi; 3) L’apprentissage du français, un gage

de réussite; 4) Un Québec fier de sa diversité et 5) Une capitale nationale, une métropole et

des régions engagées dans l’action.

Ainsi sur le plan de la diversité, on vise deux objectifs forts :

1) accroître l’ouverture à la diversité en encourageant le rapprochement et le dialogue

interculturels : augmenter la représentation en emploi des immigrants de toutes

origines, favoriser l’apprentissage interculturel chez les jeunes en milieu scolaire;

Michèle Vatz Laaroussi

69

2) lutter contre la discrimination et les tensions intercommunautaires : promouvoir

l’apport de l’immigration et des communautés culturelles, sensibiliser les employeurs,

les associations de propriétaires et prévenir le profilage racial de la police.

Finalement ajoutons que des orientations de régionalisation de l’immigration sont en œuvre

au Québec depuis 1993 et tendent à orienter les nouveaux arrivants vers des régions

québécoises en dehors de la ville de Montréal dans laquelle actuellement plus de 80% des

nouveaux arrivants s’installent. Ces mesures de régionalisation visent très particulièrement les

populations maghrébines déjà francisées dont une grande partie fait ainsi l’expérience d’une

installation en région au Québec (la ville de Sherbrooke est une des régions pilotes pour ces

mesures).

Notons aussi que l’immigration au Québec repose sur l’idée d’un contrat tacite passé entre le

nouvel arrivant et sa société d’accueil. Ce contrat met de l’avant trois éléments qui ont un

impact majeur sur l’insertion des nouveaux arrivants : l’adhésion et l’usage du français,

patrimoine commun; la démocratie et l’égalité hommes-femmes comme valeurs et principes

du Vivre ensemble; et finalement le respect du pluralisme ethnique, culturel et religieux,

perspective dans laquelle la diversité est non seulement reconnue mais valorisée.

Dans cette analyse, il ne faut pas oublier que le Québec représente aussi une minorité

francophone au sein du Canada ce qui va avoir un impact sur l’accueil réservé aux immigrants

maghrébins eux-mêmes francophones. En effet au Québec et au Canada les rapports sociaux

et politiques se lisent d’abord en termes de majorité et minorité linguistiques et religieuses.

Après des affrontements nombreux, le Canada s’est construit en fédération bilingue avec une

majorité anglophone protestante et une minorité francophone catholique. Ce groupe

francophone est par ailleurs majoritaire au Québec qui est province francophone mais

minoritaire, voire marginal dans les autres provinces (seul le Nouveau-Brunswick est une

province bilingue, toutes les autres sont des provinces anglophones). Ainsi, ancrés dans cette

histoire et dans ces rapports sociaux, les francophones et le Québec ont des réflexes

minoritaires qui se traduisent par des attitudes et des stratégies de protection, de revendication

et de repli identitaire. Par ailleurs ils s’appuient aussi, dans leurs rapports avec le Canada

anglophone sur les droits des minorités au Canada : en particulier le droit à des services, à

l’éducation et au travail dans la langue d’origine. Dans ce contexte où les rapports sociaux se

développent et se cristallisent entre anglophones protestants et francophones catholiques, il est

Michèle Vatz Laaroussi

70

clair que l’accueil d’immigrants francophones musulmans représente un enjeu tant sur le plan

des relations interpersonnelles que sur celui des rapports sociaux et des discriminations

systémiques.

Sur le plan de la population maghrébine qui s’installe au Québec, notons donc les dernières

caractéristiques. De 2000 à 2004, 18,3% de l’immigration provient de l’Afrique du Nord soit

35025 personnes. Plus spécifiquement sur ces mêmes années, le Maroc se classe comme

deuxième pays de provenance des immigrants au Québec avec 15922 ressortissants et

l’Algérie au quatrième rang avec 14662. Notons que les femmes représentent en moyenne

40% de ce flux migratoire. Enfin si on regarde le niveau d’éducation des immigrants au

Québec et plus spécifiquement des maghrébins, on note sur les années 200-2004 que 65% des

hommes et 56% des femmes nouvellement arrivés ont 14 ans et plus de scolarité (soit un

niveau universitaire) et que 17% des femmes et 14% des hommes ont un niveau post-

secondaire. De plus sur le plan des disciplines et compétences professionnelles, la majorité

des nouveaux arrivants, hommes et femmes, se classent dans les catégories sciences naturelles

et appliquées (hommes et femmes à égalité), gestion et administration (plus de femmes) et

santé (plus de femmes). Par contre il est aussi notable que ces populations immigrantes au

Québec vivent toutes et de manière majeure une faible entrée en emploi et une déqualification

professionnelle en société d’immigration. Il y a donc aujourd’hui une très forte incohérence,

identifiée par tous les chercheurs, entre le discours d’ouverture à l’immigration des politiques

québécoises et les résultats sur le plan de l’insertion socio-professionnelle.

Ces caractéristiques nous amènent dès lors à regarder plus spécifiquement la place des

femmes maghrébine dans la trajectoire migratoire de leur famille.

II. La place des femmes maghrébines dans la trajectoire migratoire et l’insertion

familiale

Le projet migratoire :

Les études sur les genres et les migrations nationales l’ont montré (Grieca et Boyd, 1998 ;

Abu Laban, 2002 ; Vatz Laaroussi, 2003 ; Velez, à paraître), le projet migratoire est le plus

souvent un projet familial dont les négociations entre les genres et les générations sont la

trame. De même les stratégies mises en œuvre par les familles pour s’insérer dans un nouveau

milieu sont très souvent portées par les femmes qui sont, selon diverses recherches,

Michèle Vatz Laaroussi

71

particulièrement compétentes dans l’établissement de réseaux informels et dans les

médiations avec les institutions de la société d’accueil (Vatz Laaroussi, 1996, 1999, 2001,

2002 ; Guilbert, 2004, 2005). Elles sont ainsi celles qui portent et développent un capital

social qu’elles partagent avec les membres de leur famille et ce capital social représente une

force dont on peut tirer parti dans les politiques publiques (Projet de recherche sur les

politiques du gouvernement du Canada, 2005). Par ailleurs les facteurs de la décision de partir

ou de rester sont liés à l’ensemble des membres de la famille et il est très important de saisir

quelle place est donnée aux facteurs d’éducation, d’emploi, de participation sociale qui

concernent les femmes. Enfin les recherches antérieures (Vatz Laaroussi et al., 2005 ; Côté,

Kérisit, Côté, 2001) montrent qu’une des limites des politiques québécoises et canadiennes

visant à accueillir et retenir les immigrants dans la région et la province où ils s’installent est

justement le manque de prise en compte de la situation et du statut des femmes, conjointes ou

parfois chefs de famille monoparentales. En effet ces politiques fédérales, provinciales et

locales, s’articulant autour de l’accueil et de l’adaptation mais aussi autour de la formation et

de l’employabilité, ne prennent souvent en compte qu’un des membres du couple parental

sans ouvrir de voie pour l’autre. De même en région comme dans les grands centres au

Québec et au Canada les tendances de déqualification en emploi des femmes immigrantes qui

ont un niveau scolaire de plus en plus élevé, sont plus importantes encore que pour les

hommes (Conseil du Statut de la Femme, 2005) .

L’insertion en emploi des femmes et les stratégies familiales

Les recherches précédentes (Vatz Laaroussi, 2001, 2004 ; Montgomery, à paraître ; Lahlou,

2002 ) permettent par ailleurs de saisir que l’insertion sociale de l’immigrant passe, non

seulement par ses réseaux mais aussi, et surtout lorsqu’il est dans des zones à faible densité

d’immigrants ou encore lorsqu’il se trouve en dehors des espaces investis depuis longtemps

par sa communauté d’origine comme c’est le cas au Canada, par sa famille. Pour accéder à

cette insertion, les membres des familles immigrantes entrent tout au long de leur parcours et

dès la conception du projet migratoire dans des dynamiques familiales qui assurent à la fois

une cohésion à l’entité familiale et des rapports qu’on souhaite efficaces avec l’espace public.

Ces dynamiques familiales inscrites dans le temps et dans l’espace migratoire, soit

transfrontalier, renvoient à divers types de trajectoires et de stratégies identifiées dans nos

précédentes recherches (Vatz Laaroussi, 2001, 2004). En fait ces dynamiques familiales

multiples qui se génèrent et se catalysent dans le temps, nous permettent de saisir des familles

immigrantes en mouvement qui ne portent pas de manière statique des cultures d’origine ou

Michèle Vatz Laaroussi

72

des rôles prédéterminés mais qui, au contraire, sont des vecteurs de changement et des

potentiels de citoyenneté pour leurs membres. Notons que c’est là que vont être dans un

premier temps réorganisés les savoirs d’expérience liés à la trajectoire migratoire (Guilbert,

2005) et c’est là aussi qu’ils seront ré-opérationnalisés dans la mise en œuvre de stratégies

d’adaptation et d’insertion. Plus encore c’est au sein de ces dynamiques que vont s’articuler

les divers éléments pesant sur la décision de rester ou de quitter la société d’immigration.

Finalement, c’est aussi dans ces dynamiques et au sein de ces trajectoires que se construiront

les stratégies qui guideront les choix des immigrants relatifs à leur insertion: accepter un

emploi déqualifié à un moment de la trajectoire, retourner aux études pour l’un des conjoints,

privilégier la proximité avec le réseau ethnique ou le réseau familial élargi, favoriser l’accès

aux services pour les enfants etc. Et c’est au travers de ces stratégies familiales d’insertion et

face à la réalité socio-professionnelle des immigrants au Québec qu’il paraît particulièrement

intéressant d’analyser les processus en lien avec l’insertion socio-professionnelle des femmes

maghrébines.

Dans un premier temps il est notable que leur insertion professionnelle va être en lien direct

avec celle du conjoint puisque dans la grande majorité des cas, les deux conjoints vont

prioriser l’entrée en emploi rapide de l’un ou l’autre des membres du couple pour apporter un

revenu minimum à la famille. Pour l’autre membre, on privilégiera selon les cas et l’âge des

enfants, le fait de rester à la maison durant une période pour s’occuper des enfants (jusqu’à

leur entrée à l’école maternelle à 5 ans par exemple) ou encore le fait de retourner compléter

des études universitaires ou professionnelles en milieu québécois pour tenter de solidifier le

projet familial d’insertion et d’obtenir un meilleur emploi ensuite. Notons que la stratégie du

retour aux études semble aujourd’hui la plus efficace sur le plan de l’insertion en emploi à

long terme mais qu’elle est très coûteuse sur le plan économique et social pour les migrants

hautement qualifiés.

Trois profils d’insertion en emploi des femmes maghrébines au Québec semblent se dessiner.

Le premier qui touche les femmes de niveau scolaire élevé est celui de l’insertion rapide dans

un emploi déqualifié. Les dernières études démontrent en effet que pour les familles

maghrébines, les femmes trouvent plus vite et plus souvent un emploi que leur conjoint et

qu’elles sont souvent les premières à rentrer sur le marché de l’emploi. Par contre elles le font

dans des emplois déqualifiants et semblent accepter plus que les conjoints ces emplois, en

usine par exemple ou dans les commerces. Dans cette dynamique, dans plusieurs familles,

Michèle Vatz Laaroussi

73

c’est la femme qui travaille alors que le conjoint reprend ses études universitaires. Pour

plusieurs de ces familles, le projet est d’inverser ensuite les rôles et de permettre à la femme,

grâce à un meilleur salaire du mari diplômé au Québec, de reprendre ses études et d’atteindre

un meilleur niveau d’emploi.

Par ailleurs il est aussi notable que ces femmes, sans tenir compte de leurs compétences et

formations d’origine, sont souvent dirigées vers des métiers traditionnellement féminins, soit

les services de garde d’enfants, la couture, la coiffure, la vente etc. Là on leur demande peu

de qualification et les employeurs sont intéressés par cette population formée, parlant français

et dynamique. Cette orientation est d’autant plus surprenante qu’un grand nombre de femmes

maghrébines sont formées au Maroc et en Algérie pour des professions scientifiques,

administratives ou de santé non traditionnellement féminines (diplômes d’ingénieurs,

d’agronomes, de biologistes, d’urbanistes, de médecins, de dentistes etc.). Plusieurs femmes,

après avoir travaillé ainsi dans des milieux ne correspondant pas à leurs compétences et

particulièrement difficiles et peu rémunérés, décident alors de retourner au foyer et de

reprendre les tâches domestiques.

Elles rejoignent ainsi le deuxième profil de femmes de niveau scolaire élevé qui, confrontées

à la réalité du marché de l’emploi québécois, décident à leur arrivée de rester au foyer pour

s’occuper de jeunes enfants, permettant ainsi au conjoint de reprendre des études

universitaires ou, dans quelques cas, d’entrer sur le marché du travail, lui-même dans un

emploi déqualifiant (chauffeur de taxi par exemple) pour amener un revenu minimal à sa

famille. Face à un marché du travail fermé à leurs compétences, ces femmes font

volontairement abstraction de leurs savoirs et de leurs projets pré-migratoires pour faciliter la

vie familiale.

Enfin le troisième profil est celui des femmes maghrébines, ayant un niveau scolaire moins

élevé (fin de secondaire pour la plupart) et le plus souvent accompagnées d’un conjoint très

scolarisé. Elles s’insèrent sur le marché de l’emploi dans des postes peu qualifiés, elles aussi

pour permettre la survie de la famille et le retour aux études du conjoint. Souvent elles vont

être orientées au Québec vers des formations professionnelles de niveau secondaire et plus

particulièrement vers la cuisine, la pâtisserie ou encore, plus rarement, vers les services à

domicile ou en hôpital aux personnes âgées. Leur projet de formation s’insère alors dans un

projet familial qui naît face à l’impossibilité du conjoint diplômé de trouver un emploi

Michèle Vatz Laaroussi

74

qualifié dans son domaine et plusieurs de ces couples vont tenter 3 ou 4 ans après leur arrivée,

et avec les économies qui ont commencé à diminuer, d’ouvrir un restaurant, une pâtisserie ou

un commerce en lien avec les produits maghrébins. La formation professionnelle de la femme

va alors permettre à ce projet de trouver une légitimité au Québec et le conjoint va devoir faire

sa formation de manière empirique, « sur le tas », avec le soutien de son épouse.

Ces profils s’expliquent en partie par la vision que les politiques, programmes et intervenants

dans le domaine de l’emploi ou de la formation ont des femmes maghrébines. Les diverses

recherches menées auprès des intervenants en emploi, éducation, social et santé au Québec

démontrent une représentation en effet victimisante de ces femmes maghrébines : elles sont

vues comme victimes de leur culture d’origine, de la tradition, de leur religion, de leur mari et

famille. En ce sens on les décrit comme opprimées et on généralise cette représentation

collective à toutes les femmes maghrébines sans prendre en compte les divers éléments de

leur trajectoire comme le niveau d’éducation, l’expérience professionnelle ou l’expérience

sociale qui permettraient de les voir autrement. Le port du voile pour certaines de ces femmes

est d’ailleurs interprété de manière générale au travers de ce filtre de l’oppression et de la

tradition. Les intervenantes en emploi et les employeurs les qualifient par ailleurs et en lien

avec cette perspective d’oppression, comme particulièrement souples et adaptables ce qui

faciliterait leur intégration en emploi et qui ferait qu’elles acceptent mieux que leur conjoint

les déqualifications liées à l’immigration. C’est aussi une des raisons qu’on peut

vraisemblablement mettre de l’avant pour expliquer que les employeurs québécois dans les

usines ou les commerces vont plus facilement embaucher une femme maghrébine qu’un

homme maghrébin perçu comme moins adaptable, plus critique et finalement plus menaçant.

Ainsi les intervenants québécois, et c’est encore plus le fait des femmes intervenantes qui ont

par ailleurs un discours de solidarité et de compassion pour les femmes maghrébines

musulmanes, insistent ainsi sur leur statut de victimes tout en participant à leur discrimination,

à leur déqualification et à leur infériorisation. De manière très paradoxale l’arrivée des

femmes maghrébines au Québec, société où on prône l’émancipation des femmes et l’égalité

entre les sexes, tend au contraire, à les inférioriser sur le plan de la reconnaissance sociale, à

les retourner vers des emplois de service traditionnellement féminins demandant peu de

formation et finalement à les renvoyer dans l’espace privé du foyer familial. Plus encore leur

participation même à l’espace public se trouve relayée par des tâches qui renvoient à la

Michèle Vatz Laaroussi

75

maternité, au soin et à l’altruisme, caractéristiques associées aux femmes et à l’espace privé et

largement critiquées par les mouvements féministes très puissants au Québec.

Cependant les femmes maghrébines que nous avons rencontrées dans nos recherches, ne se

laissent pas enfermer dans ce privé domestique et c’est sans aucun doute au travers de leur

reconstruction identitaire et des réseaux transnationaux qu’elles transcendent ces frontières

mises à leurs compétences et à leur investissement social.

Reconstruction identitaire et reconstruction des solidarités : les réseaux transnationaux

pour transcender l’espace domestique

En effet les femmes que nous avons rencontrées insistent sur leur identité multipolaire et

articulent dans leur vision d’elles-mêmes et de leur place dans la société leurs divers statuts et

positions de femmes, maghrébines (marocaines ou algériennes), mères, immigrantes,

musulmanes et professionnelles. Ces différentes facettes interconnectées de leur identité leur

permettent d’asseoir des liens, des solidarités et des stratégies fonctionnelles dans le contexte

nouveau dans lequel elles ont à vivre avec leur famille et elles sont très critiques vis-à-vis des

instances qui les catégorisent selon l’une ou l’autre seulement de ces références identitaires.

Ainsi elles refusent d’être vues uniquement comme musulmanes ou comme femmes en

solidarité avec toutes les femmes québécoises mais elles privilégient la création et

l’investissement de réseaux multiples et interconnectés, labiles, mobiles et aux frontières

poreuses. Ces réseaux sont le plus souvent transnationaux puisqu’ils relient des membres de la

famille élargie dans le pays d’origine (les parents, les frères et sœurs, des oncles et tantes, les

grands parents), la famille élargie en diaspora (États-Unis, France, Belgique, Pays Bas), des

amis du couple au pays d’origine et dans les pays traversés (en particulier en France pour

nombre de familles qui ont vécu en France avant de venir s’installer au Québec) et les

nouveaux réseaux créés au Québec (familles marocaines ou algériennes amies, associations

musulmanes, autres immigrantes fréquentées lors des formations ou sur le marché de l’emploi

ou plus rarement femmes et familles québécoises rencontrées lors de formations ou d’activités

sociales). Ces réseaux fonctionnent au travers de divers liens et systèmes de communication

dans lesquels les nouvelles technologies et en particulier le réseau internet prennent une place

très grande et c’est au travers de ces réseaux et grâce à eux que les femmes maghrébines

remplissent les fonctions sociales qu’elles ne remplissent que peu au travers de leur insertion

en emploi. En particulier c’est là qu’elles vont construire leurs stratégies d’insertion et celles

de leurs familles : par exemple, la création d’un commerce familial va être discutée, facilitée,

Michèle Vatz Laaroussi

76

visibilisée et parfois même financée avec l’aide de ce réseau. C’est là aussi qu’elles vont

s’investir socialement et trouver une reconnaissance qu’elles n’ont pas en emploi : plusieurs

femmes qui ont des qualifications dans le domaine de la santé (médecins, biologistes) ou de

l’éducation (professeurs) vont rendre des services aux autres familles au sein de réseau et

garder ainsi un pied dans leur domaine. C’est là qu’elles vont tisser les liens qui leur

permettent de se sentir exister au travers de leur identité multiple. Et c’est aussi au travers de

ce réseau qu’elles vont pouvoir assumer les fonctions de transmission et changement

inhérentes à leur vision de l’éducation de leurs enfants et à leur rôle de mère. Plusieurs de nos

recherches démontrent qu’en effet il est essentiel pour elles et pour leurs conjoints de

transmettre à leurs enfants, non pas des rites ou des traditions, mais des valeurs, une ambiance

et des liens qui leur permettront de se développer, de s’adapter et de progresser dans les

nouveaux milieux qu’ils abordent. Ces femmes se situent ainsi comme des éducatrices des

citoyens du monde de demain et leur réseau transnational leur permet de transmettre à leurs

enfants à la fois l’histoire familiale et les transformations qui vont avec. Plusieurs d’entre elles

identifient dans ce réseau des figures marquantes (un oncle en France, un grand père au

Maroc, une cousine aux États-Unis) qui sont présentées aux enfants à la fois comme des

modèles et des ancrages et qui sont utilisées dans les familles comme des vecteurs de

socialisation.

Ces réseaux transnationaux développés dans le parcours migratoire et doublement investis du

fait du peu de possibilité de reconnaissance dans le champ socio-professionnel, représentent

dès lors pour ces femmes un nouvel espace public déterritorialisé et transnational, centré sur

le lien et la communication plus que sur l’insertion et l’emploi, qui ouvre et traverse l’espace

privé domestique mais aussi l’espace public national aux frontières rigides.

Conclusion : réseaux transnationaux et impacts potentiels dans les pays du Maghreb

En conclusion il est nécessaire de souligner le caractère très spécifique de l’immigration des

femmes maghrébines au Québec et sans aucun doute de penser, au Québec, aux mesures,

politiques et changements sociaux qui amélioreront l’insertion professionnelle des femmes et

des hommes maghrébins qui s’y installent. Il y a là une urgence sociale et politique sur

laquelle divers chercheurs dont nous faisons partie, se penchent. Mais il paraît aussi pertinent

de réfléchir sur les impacts que de telles stratégies d’insertion et d’investissement de l’espace

privé-public peuvent avoir à moyen terme dans les pays d’origine. C’est ce que nous allons

Michèle Vatz Laaroussi

77

approfondir au cours d’un projet de recherche mené en collaboration entre le Québec, société

d’immigration et le Maroc, société d’émigration, et plus spécifiquement avec nos collègues,

Driss Bensaid, Mokhtar El Harras, Kholoud Sbai, Latifa Ait Lyazidi, et Mohamed Guedah de

l’Université Mohamed V à Rabat. . Nous comptons en particulier identifier les éléments qui

semblent, dans les pays d’origine se modifier par ces réseaux transnationaux. Quelques études

(Sorensen, 2004; Ma-Mung, 1996) ont été effectuées pour montrer que l’immigration a des

impacts économiques dans les pays d’origine. Ces impacts dépendent bien sûr de la situation

sociale et économique des pays d’origine et des rapports internationaux entre pays d’origine et

pays d’accueil. Cependant les immigrants représentent des vecteurs importants de ces rapports

au moins sur le plan économique. On parle ainsi d’un espace trans-national construit par les

immigrants, la diaspora et les pays d’origine (Lacroix, 2003).

Nous posons l’hypothèse que les familles immigrantes et les individus qui les composent sont

aussi, au travers de leurs réseaux transnationaux, des vecteurs de changement dans les pays

d’origine en ce qui concerne les dynamiques familiales, les rapports hommes-femmes et les

normes qui les encadrent. Nous nous intéresserons à la transformation des projets

matrimoniaux dans les pays d’origine, aux transformations dans le partage des rôles homme-

femmes au sein des familles ou encore aux transformations de l’espace (public-privé) investi

par les hommes et les femmes. De même nous analyserons le partage de l’argent, des

responsabilités en matière d’éducation des enfants ou encore de la prise en charge matérielle

de la famille. Nous identifierons aussi certains choix faits par les familles des pays d’origine

en lien avec les membres immigrants (choix résidentiel, projet d’études pour les enfants etc.).

Finalement nous sommes intéressés aussi à voir comment les familles peuvent développer, en

lien avec leurs membres immigrants, un autre rapport au social et à la citoyenneté dans leurs

pays d’origine. De même nous posons l’hypothèse que certains changements législatifs et

constitutionnels dans les pays d’origine, touchant au droit des femmes et des familles par

exemple, peuvent être influences par les émigrants de ces pays. La dernière loi visant la

reconnaissance de la nationalité marocaine pour les enfants de couples dont seule la mère est

marocaine, en est un exemple particulièrement pertinent et actuel.

Il est clair que la situation socio-professionnelle des femmes maghrébines au Québec, leur

déqualification, leur renvoi à l’espace domestique et leur investissement social de réseaux

transnationaux, vont avoir un impact sur les dynamiques familiales, inter-genres et macro-

sociales au Maroc. En effet comme les jeunes filles encore au Maroc vont-elles penser leurs

Michèle Vatz Laaroussi

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études, leur orientation professionnelle, leur carrière, leur lieu de vie et leurs projets de

mariage, voyant leurs aînées, immigrantes en Amérique du Nord, retourner aux métiers

traditionnellement féminins ou à la maison? Il apparaît que l’exemple des échecs liés aux

migrations ne suffit pas à changer les projets migratoires de ceux qui sont encore dans les

pays d’origine. Cependant les échanges au sein des réseaux constitués permettent de croire

que de nouveaux bricolages identitaires et stratégiques vont s’effectuer et que les stratégies

des jeunes femmes au Maroc vont elles-aussi se transformer en lien avec le contexte social et

politique dans lequel elles vivent.

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Michèle Vatz Laaroussi

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LA DOUBLE DISCRIMINATION A L’ACCES A L’EMPLOI DES DESCENDANTES D’EMIGRES MAGHREBINS EN FRANCE

(VERSION DE TRAVAIL)

Ariane Pailhé (INED), Patrick Simon (INED)

Correspondance : Ariane Pailhé INED 133 bd Davout 75020 Paris France Tel : (33 1) 56 06 22 74 Mail : [email protected] Introduction

Malgré un développement rapide, les analyses croisant genre et immigration, et plus encore genre et « race », occupent un espace réduit dans la production scientifique française. La comparaison avec la littérature nord-américaine ou britannique offre un contraste saisissant qui s’explique par les conditions particulières de la formation du champ de recherche sur l’immigration et les minorités ethniques et raciales, combinées aux difficultés rencontrées par l’approche genrée dans les sciences sociales françaises. Deux axes de recherche blacklistés ne font pas une problématique porteuse. A ce cumul de déficit en notabilité académique s’ajoute une aporie propre à la recherche sur l’immigration : tributaire de la réduction à la figure sociale du travailleur immigré, celle-ci ne s’est pratiquement intéressée qu’aux hommes (Gaspard, 2002). Un prisme d’autant plus dominant que la visibilité des femmes immigrées dans l’emploi était presque nulle et que l’immigration était principalement appréhendée dans sa relation au monde du travail. Cette situation a évolué sous l’influence conjointe d’une féminisation tendancielle de la population immigrée à la suite du regroupement familial et de l’arrivée de plus en plus fréquente de femmes seules, que ce soit pour poursuivre des études ou travailler, et la légitimation des recherches sur les rapports de genre. Cependant, l’intersection entre genre et « race » reste problématique dans le contexte académique français (Hamel, 2005).

La plupart des études réalisées sur l’emploi des femmes sont centrées sur les immigrées et s’intéressent très peu à la situation des descendantes d’immigrés. Ce manque de travaux ne provient cette fois pas tant d’une absence d’intérêt que de l’invisibilité statistique de la « deuxième génération ». Autant leurs mères étaient peu évoquées dans les débats, autant les « jeunes filles issues de l’immigration » sont régulièrement convoquées pour illustrer les trajectoires d’intégration réussies (Guénif, 2000). Servant de miroir positif à leurs frères à la mauvaise réputation, les descendantes d’immigrés seraient le bon exemple de la famille.

Les filles de la « deuxième génération » sont à de multiples égards bien différentes de leurs mères. Les femmes immigrées ont connu une scolarisation moindre que celle suivie par les hommes dans le pays d’origine et connaissent en conséquence de plus grandes difficultés d’insertion sur le marché du travail français (difficultés d’apprentissage de la langue, d’adaptation aux structures de la société d’installation et de formation à des activités qualifiantes). De plus, le regroupement familial, forme d’immigration principale, ne les prédispose pas à s’investir dans l’emploi. Les descendantes d’immigrés ne cumulent pas ces handicaps de la langue et de la scolarisation courte ou nulle. Elles bénéficient au contraire d’une image extrêmement positive dans les médias et semblent s’investir plus

Ariane Pailhé et Patrick Simon

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que les garçons dans les études. In fine, les stéréotypes jouent en leur faveur, ce qui devrait avoir un effet positif sur leurs chances d’accès à l’emploi et plus généralement dans leur mobilité sociale.

Cependant, l’hypothèse d’une « double discrimination » à l’égard des femmes immigrées ou d’origine immigrée est fréquemment évoquée ( Lanquetin, 2004 ; Roulleau-Berger, 2004). Elle suppose que les motifs de discrimination se cumuleraient, de telle sorte qu’au sexisme qui contraint les trajectoires professionnelles des femmes s’ajouterait un handicap supplémentaire lié au racisme. Si cette hypothèse devait se vérifier, les positions sur le marché du travail devraient s’ordonner selon un classement articulant le genre et l’origine. Suivant cet axe théorique, les descendantes d’immigrés obtiendraient des résultats scolaires et des positions professionnelles inférieures à celles de leurs équivalents masculins.

Pour répondre à ces questions nous étudierons d’une part l’accès à l’emploi, d’autre part l’accès à l’emploi stable des descendant(e)s de migrant(e)s maghrébin(e)s. Nous mobiliserons les données de l’enquête Etude de l’Histoire Familiale, couplée au recensement de 1999. Le pays de naissance des parents était demandé dans l’enquête, ce qui permet de constituer la catégorie des « descendants d’immigrés ». Nous comparerons leur position par rapport aux natifs et dans tenterons d’évaluer ce qui dans l’écart tient de l’origine ou du genre.

Ariane Pailhé et Patrick Simon

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1. Précisions méthodologiques 1.1. Champ de l’étude Le champ d’âge de l’étude se limite aux 18-40 ans, de façon à couvrir les âges de la « deuxième génération » maghrébine. La population étudiée regroupe les personnes nées en France et dont les parents sont ou non des migrants maghrébins. Elle est répartie en 3 catégories :

• « Deuxième génération » Maghreb : personnes nées en France dont les deux parents sont nés dans un pays du Maghreb. Cette population est divisée en quatre sous-populations selon le pays de naissance des parents :

- les deux nés en Algérie (deuxième génération non mixte Algérie) ; - les deux nés en Tunisie (deuxième génération non mixte Tunisie) ; - les deux nés au Maroc (deuxième génération non mixte Maroc) ; - les parents nés dans deux pays différents du Maghreb (deuxième génération mixte

Maghreb).

• « Deuxième génération » mixte France/Maghreb : personnes nées en France dont l’un des parents est né dans un pays du Maghreb et l’autre en France

• Natifs: les personnes nées en France de deux parents nés en France.

Les effectifs par sexe de ces différentes populations sont donnés dans le tableau 1. Les effectifs de la « deuxième génération mixte Maghreb » étant trop réduits, nous n’analyserons pas cette catégorie de façon distincte. Tableau 1 – Effectifs

Hommes Femmes Deuxième génération Maghreb 1381 2254 Dont deuxième génération non mixte Algérie 894 1493 Dont deuxième génération non mixte Tunisie 134 239 Dont deuxième génération non mixte Maroc 274 370 Dont deuxième génération mixte Maghreb 79 152Deuxième génération mixte France/Maghreb 1755 2786Natifs 46654 70359Total 49790 75399 1.2. Les descendants de rapatriés La construction de la catégorie « seconde génération » à partir de l’enquête EHF fait apparaître un problème méthodologique important, directement lié à la construction de l’enquête. Les membres de la « seconde génération » sont définis par leur lieu de naissance et par leur ascendance immigrée, caractérisée par le fait d’avoir au moins un parent immigré. Cette caractéristique ne recoupe pas exactement le pays de naissance du ou des parents dans la mesure où une part non négligeable des personnes nées dans un pays étranger sont des Français expatriés. Pour différencier parmi les personnes nées à l’étranger celles qui sont des ressortissants de ces pays et celles qui sont françaises, il est possible d’utiliser l’information sur la nationalité à la naissance des parents. Cette information, lorsqu’elle est collectée, n’est pas toujours bien renseignée, mais en tout état de cause, elle ne figure pas dans l’enquête EHF. Il n’est donc pas possible de séparer les descendants de Français nés à l’étranger des descendants d’immigrés venant du même pays.

Ariane Pailhé et Patrick Simon

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Bien que la mobilité internationale des Français ait été par le passé plutôt réduite, la colonisation s’est accompagnée de migrations de peuplement de plus ou moins grande ampleur. Compte tenu de l’histoire du peuplement colonial, le poids des Français rapatriés est particulièrement marquant en Algérie, mais il est également significatif dans les autres territoires anciennement sous influence française. Puisqu’il n’est pas possible de distinguer les Français rapatriés d’Algérie et les anciens « Français musulmans » devenus Algériens et définis dès lors comme des immigrés, la « seconde génération » d’origine algérienne mélange les descendants d’immigrés et les descendants de rapatriés. Selon l’estimation réalisée par Borrel et Simon (2005), les descendants de rapatriés représentent 55,8% de la seconde génération d’origine algérienne1. De même, les secondes générations d’origine tunisienne, marocaine comportent des proportions non négligeables de descendants de rapatriés, se situant respectivement à 47% et 35%. Quelle incidence produit la confusion des groupes d’origine dans la même catégorie ? La comparaison des caractéristiques des rapatriés d’Algérie et des immigrés algériens réalisée par Alba et Silberman (2002) montre que les parents rapatriés ont un niveau d’éducation plus élevé et sont nettement moins souvent ouvriers que les parents immigrés. Ils démontrent ensuite que les deux groupes sont clairement différenciés de telle sorte qu’en utilisant un nombre limité de variables descriptives2, il est possible de prédire le groupe d’appartenance sans se tromper dans 94% des cas. En conclusion, les descendants de rapatriés forment certainement un groupe distinct socialement des descendants d’immigrés et l’impossibilité de les distinguer dans nos données conduit à sous-estimer les effets négatifs du déficit de capital social des immigrés. 1.3. Les descendants de couples mixtes Contrairement à la définition commune aux études et statistiques officielles3 qui caractérisent la seconde génération par le fait d’avoir au moins un parent né à l’étranger, nous avons distingué les enfants d’un couple dont les deux parents sont immigrés et ceux dont un parent immigré est en union avec un parent non immigré. En effet, les caractéristiques du couple parental, souvent résumée comme capital social ou de façon restrictive comme « capital familial », exercent une influence sur les trajectoires d’éducation et professionnelles suivies par les « secondes générations ». Dans notre échantillon, 56% des descendants de migrants maghrébins ont été élevés par un couple mixte. Les couples mixtes se différencient des couples d’immigrés sur de nombreux paramètres socio-démographiques : le membre immigré du couple est, en moyenne, venu plus jeune en France, a une origine sociale plus élevée, a obtenu plus souvent un diplôme supérieur au CAP et occupe une profession dans les catégories intermédiaire ou cadre. A ces facteurs de sélection sociale pure s’ajoutent des éléments relevant du capital humain apporté par le parent appartenant à la société d’immigration. Que ce soit sous l’angle des réseaux et de la connaissance des règles implicites qui régissent les mondes sociaux et tout particulièrement le marché du travail, ou sous celui de la visibilité de l’allogénéité (physique et patronyme), les couples mixtes évitent une partie des handicaps qui frappent les familles immigrées ou perçues comme telles. Le registre de l’invisibilisation est relativement compliqué à observer et n’est pas garanti par la naissance dans une famille « mixte ». Si le père est d’origine immigrée, la transmission patronymique jouera comme un marqueur aussi puissant que si les deux parents avaient la même origine. Mais on peut faire l’hypothèse que les couples mixtes sont en moyenne mieux dotés en capital humain que les couples immigrés, à condition que la mixité elle-même constitue une norme sociale acceptée. Le bénéfice de naître dans une famille mixte serait nul si ces familles faisaient l’objet d’une forte stigmatisation, interdisant les enfants de prendre place dans l’une ou l’autre des communautés de référence.

1 Ce pourcentage et les suivants sont dérivés du tableau 5A, p.435 (Borrel et Simon, 2005). 2 Malheureusement ces informations ne sont pas collectées dans l’enquête EHF. 3 C’est le cas dans le recensement canadien ou australien, dans les registres de population aux Pays-Bas ou dans les enquêtes aux Etats-Unis (Jensen et Chitose, 1996).

Ariane Pailhé et Patrick Simon

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2. Participation au marché du travail et vulnérabilité au chômage 2.1. Une disjonction entre l’entrée en activité et l’occupation d’un emploi L’examen de la situation par rapport au marché du travail fait apparaître des niveaux d’activité sensiblement différents entre les descendants de migrants et les natifs (tableau 2). Pour les descendants masculins de migrants, les difficultés accrues pour entrer sur le marché du travail semblent entraîner un certain repli sur l’inactivité4. Pour les femmes, si un accroissement substantiel de l’activité des deuxièmes générations maghrébines est intervenu par rapport à leurs mères immigrées (Meurs et al., 2005), elles connaissent toujours d’importantes difficultés pour entrer sur le marché du travail. La part des femmes en emploi reste ainsi très inférieure à celle des natives : deux femmes natives sur trois occupent un emploi, pour seulement un peu plus d’une sur deux pour les femmes de la deuxième génération maghrébine. Les femmes de la seconde génération sont en effet plus souvent inactives, surtout chez les mixtes et chez les plus jeunes – même si les femmes en cours d’études sont exclues du calcul – (tableau 3). La proportion d’inactives tend cependant à diminuer au fil de l’âge, si bien que l’écart par rapport aux natives se réduit (sauf chez les mixtes pour qui l’écart par rapport aux natives se creuse à nouveau à partir de 35 ans).

Au delà d’un surplus d’inactivité, c’est surtout un surcroît de chômage qui ressort : un quart des femmes de la seconde génération maghrébine sont chômeuses, contre 13% des natives. Cette proportion se maintient dès 25 ans à 1/5e. Le taux de chômage des femmes issues de l’émigration maghrébine atteint ainsi les 30%, soit le double de celui des natives (tableau 4). L’écart par rapport aux natifs est encore plus fort pour les hommes de la seconde génération maghrébine : leur taux de chômage triple par rapport aux natifs. De surcroît, le fait que l’on ne puisse pas distinguer dans cette enquête entre les enfants d’immigrés originaires du Maghreb et les enfants de rapatriés, peut vraisemblablement aboutir à une sous-estimation du taux de chômage de cette population. Le chiffre indiqué, bien qu’élevé, serait un indicateur plancher. Tableau 2 – Répartition selon la position sur le marché du travail selon le pays d'origine (%)

Hommes Femmes Chômage Emploi Inactivité Chômage Emploi InactivitéDeuxième génération Maghreb 26,8 64,0 9,3 23,4 55,5 21,17 Dont deuxième génération non mixte Algérie 28,8 64,1 7,2 23,5 56,5 20,0 Dont deuxième génération non mixte Tunisie 20,6 67,1 12,3 18,9 57,0 24,2 Dont deuxième génération non mixte Maroc 27,9 56,3 15,8 27,1 47,7 25,2Deuxième génération mixte France/Maghreb 13,8 77,3 9,0 17,3 63,1 19,6Natifs 9,7 84,8 5,5 12,8 70,5 16,8Total 10,4 83,8 5,8 13,3 69,7 17,0Champ : ensemble de la population immigrée âgée de 18 à 40 ans, en cours d’études exclus Source : INSEE, Enquête Etude de l’Histoire Familiale, 1999. Le taux de chômage des secondes générations masculines équivaut à celui des secondes générations féminines. Il semble donc à première vue que l’origine a un effet pénalisant moins fort pour femmes que pour les hommes pour les secondes générations non-mixtes (même si au final leur situation est tout aussi défavorable). Cependant, ceci peut être également le résultat d’effets de structure (les hommes de la deuxième génération maghrébine prétendant à des emplois où les risques de chômage sont plus forts).

4 Nous avons utilisé une définition assez restrictive des actifs, et notamment des chômeurs. Les personnes se déclarant au chômage mais n’ayant pas effectué de démarches pour rechercher un emploi dans l’année ont été considérées comme inactives.

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Le détail des taux de chômage observés par pays d’origine montre une forte hétérogénéité. Les taux de chômage des descendants d’immigrés marocains, hommes comme femmes, se situent à des niveaux particulièrement hauts. Les descendants d’immigrés tunisiens ont un taux de chômage plus faible, même s’il est le double de celui des natifs. Enfin, si les descendants de couples mixtes se situent à des niveaux plus proches des natifs, ils demeurent néanmoins surexposés au chômage. Tableau 3 – Part des femmes au chômage et en inactivité selon le pays d'origine et l’âge (%)

18-24 ans 25-29 ans 20-34 ans 35-40 ans Chômage Inactivité Chômage Inactivité Chômage Inactivité Chômage InactivitéDeuxième génération Maghreb 31,5 26,8 21,7 19,0 21,3 19,1 18,2 19,6Deuxième génération mixte France/Maghreb 22,6 28,0 16,8 13,0 16,4 15,8 12,1 22,6Natifs 20,7 21,9 14,1 13,7 10,8 17,1 9,1 16,2Total 21,4 22,5 14,5 13,8 11,4 17,1 9,4 16,4Champ : ensemble de la population immigrée âgée de 18 à 40 ans, en cours d’études exclus Source : INSEE, Enquête Etude de l’Histoire Familiale, 1999. Tableau 4 – Taux de chômage selon le pays d'origine Hommes Femmes Deuxième génération Maghreb 29,5% 29,6% Dont deuxième génération non mixte Algérie 31,0% 29,4% Dont deuxième génération non mixte Tunisie 23,5% 24,9% Dont deuxième génération non mixte Maroc 33,1% 36,2%Deuxième génération mixte France/Maghreb 15,1% 21,5%Natifs 10,2% 15,4%Total 11,1% 16,0%Champ : ensemble de la population immigrée âgée de 18 à 40 ans, en cours d’études exclus Source : INSEE, Enquête Etude de l’Histoire Familiale, 1999. Tableau 5 – Taux de chômage par âge selon le pays d'origine

18-24 ans 25-29 ans 20-34 ans 35-40 ans Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes FemmesDeuxième génération Maghreb 45,7% 43,1% 26,3% 26,7% 24,6% 26,3% 21,2% 22,6%Deuxième génération mixte France/Maghreb 26,1% 31,4% 13,6% 19,4% 11,3% 19,4% 11,2% 15,6%Natifs 20,8% 26,5% 11,0% 16,3% 7,4% 13,1% 6,6% 10,9%Total 22,2% 27,6% 11,6% 16,8% 8,2% 13,8% 7,1% 11,3%Champ : ensemble de la population immigrée âgée de 18 à 40 ans, en cours d’études exclus Source : INSEE, Enquête Etude de l’Histoire Familiale, 1999. 1.2. Un niveau de formation plus élevé pour les femmes Les trajectoires scolaires suivies par les descendants de migrants varient à la fois selon le sexe et l’origine des parents (tableau 6). D’une façon générale, les inégalités de genre qui ont été observées pour les immigrés avec un très faible niveau de formation des femmes, s’inversent pour la deuxième génération : comme pour les natifs, les femmes de la seconde génération maghrébine, ont mené des études plus longues que les hommes, et ont notamment bien plus souvent atteint des niveau

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d’enseignement supérieur5. Les différences de genre, à l'avantage des femmes, constituent une rupture significative due à la scolarisation dans un système plus égalitaire et, paradoxalement, d'un investissement différentiel des familles selon le sexe des enfants. Les garçons sont plus facilement orientés vers des études courtes, là où les filles vont gagner dans le travail scolaire la possibilité d'une autonomie face à leur famille (Caille, Vallet, 1995).

Cependant, une frange importante de descendants de migrants maghrébins connaît des trajectoires scolaires très courtes ; les sorties sans diplôme du système scolaire sont nettement plus fréquentes que chez les natifs, notamment pour les hommes (31% pour une moyenne de 23% pour les natifs). Inversement, ils connaissent des taux d'accès à l'université bien inférieurs aux natifs.

Les trajectoires scolaires suivies par les descendants de migrants varient sensiblement selon l’origine des parents. La seconde génération tunisienne, notamment féminine, s’oriente plus vers les études supérieures alors que la seconde génération marocaine privilégie les études professionnelles courtes et qu’une forte proportion de descendants d’immigrés algériens sort sans diplôme du système scolaire. La structure par diplôme des descendants de couples mixtes est au contraire marquée par une sur-représentation des cursus universitaires, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. L'effet très marqué de la composition du couple parental sur les positions scolaires s'explique notamment par l'origine sociale des couples mixtes (Simon, 2003). Tableau 6 – Diplômes obtenus selon le sexe et le pays de naissance des parents Hommes Femmes

Sans ou BEPC CAP,BEP

Bac général

Bac TechniqueSupérieur

Sans ou BEPC CAP,BEP

Bac général

Bac TechniqueSupérieur

Deuxième génération Maghreb 31,0 32,3 6,2 8,9 15,0 26,5 27,6 8,0 11,0 21,2Dont deuxième génération non mixte Algérie 33,3 32,5 4,7 8,5 14,6 27,0 27,2 7,8 10,9 20,8Dont deuxième génération non mixte Tunisie 27,6 31,0 3,5 10,6 15,9 27,5 25,8 4,6 9,7 25,7Dont deuxième génération nonmixte Maroc 29,7 33,3 9,9 9,3 11,5 23,9 30,7 10,3 13,4 18,3

Deuxième génération mixte France/Maghreb 24,0 26,1 6,3 9,6 29,3 21,1 21,4 10,0 10,8 33,1Natifs 22,6 35,6 4,6 10,4 22,7 23,0 26,6 6,9 11,8 28,0

Total 23,0 35,1 4,7 10,3 22,7 23,1 26,5 7,0 11,7 28,0Champ : ensemble de la population immigrée âgée de 18 à 40 ans, en cours d’études exclus Source : INSEE, Enquête Etude de l’Histoire Familiale, 1999. 1.3. L’effet discrimination plus fort pour les femmes que pour les hommes Les différences dans le risque « chômage » constatées selon l’origine des parents peuvent en partie être dues à des différences de caractéristiques structurelles (âge, éducation, région d’habitation). Les estimations économétriques présentées dans cette partie fournissent un risque de sur-exposition au chômage lié à l’origine net d’une partie de ces effets structurels. Nous raisonné sur l’ensemble de la population et estimé à l’aide d’une modèle logit multinomial la probabilité relative d’être au chômage et la probabilité relative d’être inactif par rapport à être actif occupé. Ceci nous permet de comparer non seulement les difficultés d’accès à l’emploi des différentes générations, mais également les différences de comportements d’activité. De façon à estimer s’il existe ou non un désavantage supérieur pour les femmes issues de l’immigration, nous avons construit six indicatrices selon le sexe et l’origine :

- femme dont les deux parents sont nés au Maghreb ; - homme dont les deux parents sont nés au Maghreb ;

5 Nous n’avons cependant pas d’information sur la filière d’enseignement supérieur. Etudes sur filères moins valorisées ?

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- femme dont un parents est né au Maghreb, l’autre en France ; - homme dont un parents est né au Maghreb, l’autre en France ; - femme native ; - homme natif.

Dans un deuxième temps, nous avons construit des indicatrices par sexe et par pays d’origine. La catégorie de référence choisie est « homme natif ». S’il existe un avantage à être une femme issue de l’immigration plutôt qu’un homme, les coefficients des indicatrices pour les femmes devraient être inférieurs, ou égaux, à ceux pour les hommes (et inversement s’il y a désavantage).

Dans l’ensemble des régressions, nous avons introduit les variables suivantes pour contrôler les effets de structure :

- le niveau des diplômes, - l’âge et le carré de l’âge, - le taux de chômage de la région de résidence de l’individu observé, - le statut matrimonial et le nombre d’enfants, - une variable résumant la catégorie socio-professionnelle des deux parents, en considérant

qu’elle capte en partie le capital social familial (influence du réseau familial dans l’accès au marché du travail et, pour les femmes, le rôle potentiel de l’activité de la mère dans les choix d’activité).

Le tableau 7 donne les résultats pour nos variables d’intérêt (voir annexe pour la régression complète).

Tableau 7 - Probabilité relative de la position sur le marché du travail selon l’origine Risque relatif chômage /

actif occupé Risque relatif inactivité

/actif occupé

Odds-ratio T de

student Odds-ratio T de

student Homme G2 Maghreb 2,476*** 12,13 1,631*** 4,26 Femme G2 Maghreb 3,752*** 21,54 5,884*** 26,32 Homme mixte France/Maghreb 1,426*** 4,38 1,598*** 4,44 Femme mixte France/Maghreb 2,690*** 16,14 4,839*** 24,93 Femme native 2,135*** 34,05 4,435*** 55,32 Homme natif 1,000 1,000 Observations 114 221

Source : INSEE, Enquête Etude de l’Histoire Familiale, 1999. Champ : population de 18-40 ans , en cours de formation exclue. Référence : hommes natifs, sans diplôme, en province, ne vit pas en couple, sans enfant de moins de 3 ans, père ouvrier ou employé et mère inactive * p < 0,01 ; ** p < 0,005 ; p < 0,001 Par rapport aux hommes natifs, le risque d’être au chômage plutôt qu’actif occupé est le plus fort pour les femmes de la deuxième génération maghrébine. Leur risque est supérieur à celui des femmes natives, lui même supérieur à celui des hommes natifs. Il existe donc bien une double discrimination du fait du sexe et de l’origine pour les femmes issues de l’immigration. Leur fort risque de chômage tient pratiquement autant de leur origine que de leur sexe (les femmes natives ont ainsi un risque de chômage double par rapport à celui des hommes natifs, les femmes issues de l’immigration maghrébine un risque 3,8 fois supérieur). Si pour les hommes issus de l’immigration maghrébine, la pénalisation du fait de l’origine apparaît plus forte que pour les femmes, elle n’atteint pas le niveau de la double discrimination.

Pour les femmes issues de couples mixtes, la pénalisation du fait de l’origine est beaucoup plus faible (mais non nulle). L’ « effet origine » est moins pénalisant pour les descendants de personnes nées en Tunisie, pour les hommes comme pour les femmes, il est le plus fort pour les descendants d’immigrés marocains (tableau 8).

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En outre, cette surexposition au chômage se double d’une forte inactivité féminine. Les femmes issues de l’immigration maghrébine ont en effet un risque d’inactivité plus fort que celui des natives (elles sont six fois plus inactives que les hommes natifs, contre 4 fois plus pour les femmes natives), particulièrement les femmes issues de l’immigration tunisienne. Il semble donc que pour les femmes d’origine tunisienne, le moindre risque relatif de chômage tient plus d’une sortie plus fréquente du marché du travail que d’une moindre vulnérabilité au chômage.

Tableau 8 - Probabilité relative de la position sur le marché du travail selon l’origine Risque relatif chômage /

actif occupé Risque relatif inactivité

/actif occupé

Odds-ratio T de

student Odds-ratio T de

student Homme deux parents nés en Algérie 2,736*** 11,47 1,289* 1,64 Femme deux parents nés en Algérie 3,834*** 18,63 5,550*** 21,20 Homme deux parents nés en Tunisie 1,874*** 2,47 1,811* 1,72 Femme deux parents nés en Tunisie 3,318*** 6,18 7,070*** 10,31 Homme deux parents nés au Maroc 2,387*** 4,90 2,570*** 4,33 Femme deux parents nés au Maroc 3,923*** 8,77 6,668*** 11,68 Homme mixte France/Maghreb 1,426*** 4,39 1,597*** 4,43 Femme mixte France/Maghreb 2,691*** 16,15 4,836*** 24,92 Femme native 2,136*** 34,06 4,434*** 55,31 Homme natif 1,000 1,000 Observations 114 022

Source : INSEE, Enquête Etude de l’Histoire Familiale, 1999. Champ : population de 18-40 ans , en cours de formation exclue. Référence : hommes natifs, sans diplôme, en province, ne vit pas en couple, sans enfant de moins de 3 ans, père ouvrier ou employé et mère inactive * p < 0,01 ; ** p < 0,005 ; *** p < 0,001 Cette double discrimination à l’égard des femmes issues de l’immigration maghrébine s’exerce quel que soit leur niveau d’éducation (graphique 1), mais surtout pour les détentrices d’un CAP ou d’un BEP. Si détenir un diplôme du supérieur réduit la probabilité de chômage des femmes de la deuxième génération, leur risque de chômage est néanmoins plus élevé que celui des hommes non diplômés issus de l’émigration maghrébine. On retrouve donc ce qu’on sait déjà pour l’ensemble des femmes, mais de façon accusée : leur investissement éducatif est peu récompensé par une diminution de la vulnérabilité au chômage.

En outre, détenir un diplôme du supérieur ne protège pas non plus les femmes issues de l’immigration du retrait du marché du travail ; les femmes diplômées du supérieur ont en effet un risque d’inactivité relativement important (graphique 2). Si les écarts liés à l’origine sont beaucoup moins forts concernant le risque d’inactivité, c’est pour les diplômées du supérieur que l’écart dû à l’origine est le plus fort.

Le risque de chômage des personnes issues de couples mixtes est plus faible, particulièrement hommes qui connaissent ainsi un risque de chômage inférieur à celui des femmes natives, hormis pour les diplômés de l’enseignement secondaire professionnel long (graphique 1).

Cette plus grande vulnérabilité au chômage se creuse avec l’âge et est particulièrement forte pour les 30-34 ans (graphique 3). Il semble que le processus d’insertion dans l’emploi est plus long pour les descendants d’immigrés (voir infra).

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Graphique 1: Risque relatif de chômage selon l'origine et le diplôme

11,5

22,5

33,5

44,5

5

Sans ouBEPC

CAP,BEP Bac général BacTechnique

supérieur

Homme G2Magheb

Femme G2Magheb

Hommemixte

Femmemixte

Femmenative

Graphique 2: Risque relatif d'inactivité selon l'origine et le diplôme

123456789

Sans ouBEPC

CAP,BEP Bacgénéral

BacTechnique

Supérieur

Homme G2Magheb

Femme G2Magheb

Hommemixte

Femmemixte

Femmenative

Graphique 3: Risque relatif de chômage selon l'origine et l'âge

1

1,5

2

2,5

3

3,5

4

4,5

5

18-24 ans 25-29 ans 30-34 ans 35-40 ans

Homme G2Magheb

Femme G2Magheb

Hommemixte

Femmemixte

Femmenative

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3. Statut des emplois occupés 3.1. Une plus grande précarité de l’emploi Au sur-chômage s’ajoute une plus grande précarité dans l’emploi pour les descendants de migrants, tant pour les hommes que pour les femmes (tableau 9). Plus d’un quart d’entre eux occupent en effet des emplois précaires (emplois aidés, intérim, en CDD, stage rémunéré et apprentissage). Les femmes d’origine maghrébine sont celles qui occupent le plus fréquemment des emplois précaires. Elles montrent notamment une assez forte dépendance à l’égard des emplois aidés (9 % des femmes en emploi, contre 4 % des natives). L’écart par rapport aux natifs est plus élevé pour les hommes, comme on l’a vu pour le risque de chômage. L’ « effet origine » apparaît donc plus discriminant pour eux que pour les femmes.

A nouveau, les descendants d’immigrés du Maroc connaissent la plus forte proportion d’emploi non stables alors que c’est chez les descendants de Tunisiens qu’elle est la plus faible, chez les hommes comme chez les femmes. Les descendants de couples mixtes sont également moins exposés à la précarité professionnelle, cependant, la mixité des parents ne permet pas d’éviter les emplois non stables.

Tableau 9 – Proportion de salariés en emploi non stable selon l’origine Hommes Femmes Deuxième génération Maghreb 25,8 28,1 Dont deuxième génération non mixte Algérie 24,4 26,9 Dont deuxième génération non mixte Tunisie 18,1 23,0 Dont deuxième génération non mixte Maroc 38,8 39,4Deuxième génération mixte France/Maghreb 24,4 25,7Natifs 17,9 19,8Total 18,3 20,2Champ : population de 18 à 40 ans, actifs occupés Pondération : poidsm5 Source : INSEE, Enquête Etude de l’Histoire Familiale, 1999. 3.2. des emplois à temps partiel court Le travail à temps partiel est au cœur des transformations du marché du travail des dix dernières années, et le facteur le plus discriminant entre hommes et femmes. On sait que les emplois à temps partiel sont très hétérogènes. A l’initiative de l’employeur, ils relèvent souvent de formes d’emplois précaires, sont souvent des emplois à horaires atypiques, hachés. Ils sont plus transitoires et les salariés ont plus de choix de leurs horaires lorsqu’ils sont à l’initiative du salarié. Les données utilisées ne nous permettent pas d’évaluer la part du temps partiel choisi ou contraint. Cependant, qu’il soit choisi ou contraint, le temps partiel est toujours un facteur d’inégalité, il offre de moindres perspectives de carrière, les salaires sont inférieurs à horaires équivalents, et il renforce la division du travail au sein des couples, frein supplémentaire à l’égalité sur le marché du travail.

Les femmes issues de l’immigration occupent plus souvent que les natives des emplois à temps partiel. Cependant, la particularité des emplois à temps partiel occupés par des descendantes d’immigrées est la courte durée de leurs horaires. Une femme issue de l’immigration maghrébine sur cinq travaille ainsi à mi-temps ou moins, contre 13,5% chez les natives. Or ces types de contrats à temps partiel sont plus souvent précaires et à horaires atypiques que le temps partiel à 80% qui correspond plus souvent à une modalité d’articulation plus facile de la vie familiale et de la vie professionnelle. En outre, une part significative des femmes issues de l’immigration cumulent contrat court et temps partiel (tableau 10). Autrement dit, près d’une femme sur six de la deuxième génération se trouve dans des emplois atypiques, souvent à la frontière de l’emploi et du chômage. A nouveau, cette proportion est particulièrement élevée chez les femmes de la deuxième génération marocaine.

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Tableau 10 – Proportion de salariés à temps partiel selon l’origine

Temps partiel, plus d’un

mi-temps Temps partiel, à mi-

temps ou moins Total temps partiel

Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes Deuxième génération Maghreb 5,7 16,3 4,9 19,7 10,6 36,0

Dont deuxième génération non mixte Algérie 6,2 15,2 4,7 19,7 10,9 34,9Dont deuxième générationnon mixte Tunisie 3,3 22,1 1,5 11,9 4,7 34,0Dont deuxième générationnon mixte Maroc 5,3 17,5 8,8 26,6 14,0 44,2

Deuxième génération mixte France/Maghreb 5,5 18,5 5,8 14,8 11,2 33,3Natifs 3,7 19,7 2,8 13,5 6,5 33,3Total 3,8 19,6 3,0 13,7 6,8 33,3 Tableau 11 – Proportion de salariés qui cumulent temps partiel et contrat court Hommes Femmes Deuxième génération Maghreb 5,5 13,5 Dont deuxième génération non mixte Algérie 5,6 13,5 Dont deuxième génération non mixte Tunisie 4,3 5,9 Dont deuxième génération non mixte Maroc 5,9 20,2Deuxième génération mixte France/Maghreb 6,6 9,9Natifs 3,5 8,1Total 3,7 8,3Champ : population de 18 à 40 ans, actifs occupés Pondération : poidsm5 Source : INSEE, Enquête Etude de l’Histoire Familiale, 1999. 3.3. Une plus grande difficulté à s’insérer dans l’emploi, à diplôme égal

A priori, le développement de l’emploi précaire est associé à une plus faible qualification et à des secteurs d’activité qui ont plus souvent recours à l’intérim et aux emplois aidés. La surexposition des descendants d’immigrés pourraient dès lors s’expliquer par leurs caractéristiques personnelles et par les niches d’emploi auxquelles ils accèdent prioritairement. Une régression logistique, contrôlant notamment le niveau d’éducation atteint, du secteur d’activité et de la catégorie socioprofessionnelle, invalide cette hypothèse et souligne l’importance de facteurs inobservés captés pour l’essentiel par l’origine (tableaux 12 et 13)6.

A caractéristique individuelles et de secteur d’activité équivalente, les femmes des « secondes générations » ont un risque d’occuper un emploi non stable près de deux fois plus élevé que les hommes natifs. Elles connaissent un risque d’emploi non stable également plus fort que femmes natives et que les hommes de la seconde génération maghrébine. L’hypothèse de la double discrimination semble donc également validée pour ce qui est de l’accès à l’emploi stable.

Lorsque l’on compare les différentes origines, on tire les mêmes conclusions que pour la vulnérabilité au chômage. Le risque d’emploi précaire est inférieur pour les femmes issues de l’immigration

6 La variable expliquée est le fait de détenir un emploi non stable (CDD, intérim, contrat aidé, stage rémunéré, apprentissage sous contrat). Outre la génération de migration, les variables explicatives sont le diplôme, l’âge (et l’âge au carré), des indicatrices sur le fait de vivre en couple, d’avoir des enfants de moins de 3 ans, de résider en région parisienne, de travailler dans la fonction publique. Des variables relatives au secteur d’activité, à la CSP (en 4 postes) et à la CSP des parents sont également introduites.

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tunisienne. Lorsque l’on contrôle des effets de structure, le risque relatif est le même pour les femmes de la deuxième génération algérienne et marocaine. Si la mixité des parents diminue la surexposition à la précarité de l’emploi, le phénomène reste néanmoins significatif.

La probabilité d’occuper un emploi à temps partiel est également significativement supérieure pour les femmes de la deuxième génération maghrébine que pour les natives. Cette probabilité est plus forte pour les femmes issues de l’immigration algérienne et marocaine. Contrairement à ce qu’on a pu observer pour l’emploi précaire et pour le chômage, être issue d’un couple mixte diminue légèrement la probabilité de travailler à temps partiel comparativement aux femmes natives. Tableau 12 - Probabilité relative d’occuper un emploi non stable ou à temps partiel selon l’origine

Risque relatif emploi non stable /emploi

stable

Risque relatif temps partiel /temps plein

Odds-ratio T de

student Odds-ratio T de

student Homme G2 Maghreb 1,396*** 3,16 1,580*** 3,28 Femme G2 Maghreb 1,765*** 6,72 7,432*** 25,98 Homme mixte France/Maghreb 1,292*** 3,00 1,782*** 5,32 Femme mixte France/Maghreb 1,428*** 4,99 6,186*** 27,91 Femme native 1,295*** 10,36 6,299*** 63,18 Homme natif 1,000 1,000 Observations 76479 Tableau 13 - Probabilité relative d’occuper un emploi non stable ou à temps partiel selon l’origine détaillée Risque relatif emploi

non stable /emploi stable

Risque relatif temps partiel /temps plein

Odds-ratio T de

student Odds-ratio T de

student Homme deux parents nés en Algérie 1,523*** 3,42 1,632*** 3,03 Femme deux parents nés en Algérie 1,784*** 5,99 7,648*** 23,32 Homme deux parents nés en Tunisie 0,715 -0,96 0,873 -0,26 Femme deux parents nés en Tunisie 1,599* 1,82 6,235*** 8,26 Homme deux parents nés au Maroc 1,427 1,46 1,853* 1,95 Femme deux parents nés au Maroc 1,790*** 2,70 7,306*** 10,04 Homme mixte France/Maghreb 1,292*** 3,00 1,783*** 5,32 Femme mixte France/Maghreb 1,428*** 4,99 6,186*** 27,91 Femme native 1,295*** 10,36 6,299*** 63,18 Homme natif 1,000 1,000 Observations 76479

Source : INSEE, Enquête Etude de l’Histoire Familiale, 1999. Champ : population de 18-40 ans , en cours de formation exclue. Référence : hommes natifs, sans diplôme, en province, ne vit pas en couple, sans enfant de moins de 3 ans, père ouvrier ou employé et mère inactive * p < 0,01 ; ** p < 0,005 ; p < 0,001

Ariane Pailhé et Patrick Simon

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4. Des explications : discrimination vs différence de relation à l’emploi

4.1. Le temps plus long d’insertion dans l’emploi Nous avons pu mesurer le temps d’insertion dans l’emploi en calculant l’écart entre l’âge au premier emploi et l’âge de fin d’études. Comparativement aux autres études sur l’insertion, notamment celles réalisées à partir des enquêtes Génération du CEREQ, les durées d’insertion calculées apparaissent plus longues (7 mois pour les seconde génération maghrébine, 3 mois pour les natifs). Frickey et al. évaluaient un temps d’accès au premier emploi pour les deuxièmes générations maghrébines de 4 mois pour 3,3 mois pour les jeunes d’origine française. Cet écart tient en partie du fait que la période rétrospective couverte par l’enquête Etude de l’Histoire Familiale est beaucoup plus longue (elle n’est que de 3 ans pour les enquêtes Génération), les périodes d’emploi courts sont vraisemblablement moins déclarées dans ce cas. De plus, nous n’avons pas d’information sur la période de service militaire qui se produit souvent entre la fin des études et le premier emploi. On retrouve néanmoins le résultat de Frickey et al. établi à partir de l’enquête du CEREQ, à savoir que le temps d’insertion demeure plus long pour les deuxième générations par rapport aux natifs.

Si l’on exclut ceux qui ont pris un emploi avant la fin de leurs études7, la durée d’insertion dans l’emploi est encore plus longue (15 mois). Elle est en moyenne équivalente pour les hommes et les femmes de la seconde génération maghrébine. L’insertion des femmes issues de couples mixtes est même légèrement plus rapide pour les femmes (11 mois d’attente en moyenne pour les hommes, 10 mois pour les femmes). Cependant, la nature de cette période n’est vraisemblablement pas de même nature pour les hommes et les femmes (pour les natives comme pour les deuxièmes générations), du fait du service militaire. Ici encore, la mixité des parents facilite l’entrée plus rapide dans l’emploi.

La durée de recherche d’emploi après la fin des études diminue nettement avec le diplôme (graphique 4). Le différentiel de durée de recherche selon l’origine se réduit également. La différence de temps d’insertion entre femmes issues de l’immigration maghrébine et natives est particulièrement longue pour les non diplômées. Les écarts sont beaucoup plus réduits pour les titulaires d’un baccalauréat mais s’accroissent à nouveau pour les diplômées du supérieur.

L’estimation d’une régression linéaire dont la variable expliquée est la durée d’insertion et les variables explicatives les indicatrices d’origine, le diplôme, l’âge, la Cs des parents et le taux de chômage régional confirme ces résultats. La durée d’insertion est significativement plus longue pour les femmes issues de l’immigration maghrébine par rapport aux natives, un peu plus courte pour les femmes issues de couples mixtes mais toujours supérieure à celle des natives. Le plus fort risque de chômage pour les femmes issues de l’immigration tient donc en partie d’un phénomène de file d’attente au moment de l’entrée sur le marché du travail, hormis pour les bachelières. Ce temps plus long d’insertion, à diplôme équivalent, est également le fruit de moindres réseaux relationnels, mais elle reflète aussi une discrimination à l’embauche des femmes issues de l’immigration.

7 Avoir un premier emploi avant la fin des études est plus fréquent chez ceux ayant suivi des études professionnelles courtes. C’est par ailleurs plus fréquent chez les descendants d’immigrés (12,6%) que chez les natifs (9%)

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Graphique 4 : Durée moyenne entre la fin des études et le premier emploi (mois)

0

5

10

15

20

25

sans diplôme BEP CAP Bac Supérieur

Hommes G2 Maghreb Femmes G2 MaghrebHommes G2 mixte Maghreb Femmes G2 mixte MaghrebHommes natifs Femmes natives

4.2. Des parcours professionnels plus hâchés Une autre hypothèse que l’on peut poser pour expliquer le plus fort taux de chômage des femmes est celle d’un rapport à l’emploi plus lâche que pour les natives.

L’enquête permet d’avoir des informations parcellaires sur les parcours professionnels. En effet, seules les interruptions d’au moins deux ans sont relevées, et au maximum deux interruptions sont décrites. Les descendants de migrants, hommes comme femmes, connaissent plus souvent des ruptures de parcours professionnel (chômage ou inactivité) que les natifs (graphiques 5 et 6). L’écart avec les natifs est plus fort pour les hommes de la deuxième génération maghrébine que pour les femmes (16% des hommes, contre seulement 7% des natifs ; pour les femmes 21% contre 18%). Pour les femmes de la deuxième génération mixte, la proportion à s’interrompre est même identique à celle des natives.

Cependant, les interruptions d’activité des femmes issues de l’immigration sont en moyenne plus courtes que celles des natives, surtout lorsque l’on observe les durées moyennes de celles qui se sont interrompues (tableau 14). Cet écart traduit vraisemblablement une différence de nature des interruptions, plus courtes car plus liées au chômage pour les descendantes de migrants. Il révèle néanmoins que la plus grande vulnérabilité des femmes issues de l’immigration maghrébine au chômage ne se traduit pas par un repli vers l’inactivité et donc un rapport plus lâche à l’emploi.

Si elles sont plus vulnérables au chômage, ce n’est pas du fait de leurs caractéristiques intrinsèques, mais en grande partie car elles s’insèrent dans des emplois plus précaires, et suivent donc des trajectoires qui mènent au chômage.

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Graphique 4 : Interruptions d'activité professionnelle

0%10%20%30%40%50%60%70%80%90%

100%

G2 Mag

hreb

G2 Tun

isie

G2 Maro

c

G2,5 M

aghre

bNati

fs

Non réponsebien queconcernéPasd'interruption

Au moins 1périoded'interruption

Graphique 6 : Interruptions d'activité professionnelle, femmes

0%

20%

40%

60%

80%

100%

G2 Mag

hreb

G2 Tun

isie

G2 Maro

c

G2,5 M

aghre

bNati

fs

Non réponsebien queconcernéPazsd'interruption

Au moins 1périoded'interruption

Tableau 14 : Durée des interruptions d’activité professionnelle

Durée de l'interruption

moyenne Durée de l'interruption chez

ceux qui s'interrompent Hommes Femmes Hommes Femmes

Maghreb 3 5 32 41Deuxième génération Algérie 4 5 33 41Deuxième génération Tunisie 2 5 29 41Deuxième génération Maroc 1 2 28 31Deuxième génération mixte Maghreb 2 5 33 44Natifs 2 6 32 49

Conclusion L’examen du type d’emploi occupé et de la vulnérabilité au chômage dresse un constat sans appel de l’existence d’une double discrimination à l’encontre des femmes d’origine maghrébine. Leur origine et leur sexe, contribuent tous deux, non à les exclure du marché du travail, mais à augmenter le temps d’insertion dans l’emploi, et à encourager leur entrée dans des emplois précaires. L’effet origine est

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particulièrement marqué pour les femmes issues de l’immigration marocaine et algérienne ; il est plus faible pour ceux dont les parents sont nés en Tunisie. Pour les hommes, les facteurs discriminants liées à l’origine sont plus forts que pour les femmes, le cumul des désavantages liés au sexe et à l’origine font qu’au total elles sont plus vulnérables.

En conclusion, la persistance des écarts entre secondes générations et natifs contredit les prévisions d’une mobilité intergénérationnelle justifiée par les gains d’une scolarisation et socialisation en France. L’hypothèse d’un surcroît de discrimination à l’égard des hommes du fait de représentations et de normes de comportement négativement appréciées par les employeurs n’est pas attestée par les analyses. L’image positive des jeunes filles d’origine immigrée véhiculée par les médias et les pouvoirs publics ne semble pas être de nature à dépasser la « double discrimination » dont elles font l’objet, même si elles n’ont pas un sentiment aussi fort d’être discriminée que les hommes issus de l’immigration (Boubeker, Guénif-Souilamas, 2002). Bibliographie ALBA Richard, SILBERMAN Roxane, 2002, « Decolonization immigrations and the social origins of the second generation : The case of north Africans in France », International Migration Review, 36-4, p. 1169-1193. ALTONJI J.G, BLANK R., 1999 “Race and gender in the labor market”, in Ashenfelter et Card (Ed.) Handbook of Labor Economics, vol 3, chap 48, p.3143-3252. BOËLDIEU Julien, BORREL Catherine, 2001, « De plus en plus de femmes immigrées sur le marché du travail », INSEE Première, n°791, juillet BORREL Catherine, SIMON Patrick, 2005, « Les origines des Français », in Lefèvre Cécile et Filhon Alexandra (Dir.) Histoires de famille, histoires familiales, Paris, INED-PUF, p.425-441. CAILLE J.-P., VALLET L.-A., 1995. - "Les carrières scolaires au collège des élèves étrangers ou issus de l'immigration", Education et Formations, 40, pp. 5-14. CANAMERO Cécile, CANCEILL Geneviève, CLOAREC Nathalie, 2000, « Chômeurs étrangers et chômeurs d’origine étrangère », Premières Synthèses, DARES, n°46-2. CERC-ASSOCIATION, 1999, « Immigration, emploi et chômage », les dossiers de Cerc-association, n°3. CONDON S. , 2000 "L'activité des femmes immigrées du Portugal à l'arrivée en France, reflet d'une diversité de stratégies familiales et individuelles ", population, n°2, pp. 301-330. DAYAN Jean-Louis., ECHARDOUR Annick et GLAUDE Michel, 1996, « Le parcours professionnel des immigrés en France : une analyse longitudinale », Economie et statistiques, n°299, pp.107-128. DUPRAY Arnaud, MOULLET Stéphanie, 2003, Quelles discriminations à l’encontre des jeunes d’origine maghrébine à l’entrée du marché du travail en France, colloque « Marché du travail et genre dans les pays du Maghreb », 12/12 avril. FRICKEY Alain, MURDOCH Jake, PRIMON Jean-Luc, 2004, Les débuts dans la vie active des jeunes après des études supérieures, CEREQ, NEF. FRIGUL Nathalie (1999), “Femmes étrangères doublement discriminées”, Plein Droit, n° 41-42, Avril. Gaspard F.(1998) "Invisibles, diabolisées, instrumentalisées : figures de migrantes et de leurs filles, in Margaret Maruani (dir.), Les nouvelles frontières de l'égalité, hommes et femmes sur le marché du travail, Paris, La Découverte, p.183-192. Guenif-Soulaimas N., 2000 Des "beurettes" aux descendantes d'immigrants nord-africains, Paris, Grasset. Hamel C. 2005 « De la racialisation du sexisme au sexisme identitaire », Migrations société, vol. 17, n° 99-100, p. 91-104 HOUSEAUX Frédérique, TAVAN Chloé, 2005, « Quels liens aujourd’hui entre l’emploi et l’intégration pour les populations issues de l’immigration ? », Revue Economique, 56-2, p.423-446. Lanquetin Marie-Thérèse, 2004 La double discrimination à raison du sexe et de la race ou de l'origine ethnique : approche juridique, dans Femmes d’origine étrangère : travail, accès à l’emploi, discriminations de genre, Paris, La Documentation Française, coll. « Etudes et recherches », pp. 71-170.

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MARCHE DU TRAVAIL ET GENRE DANS LES PAYS DU MAGHREB Quels marchés du travail Rabat, 15 et 16 mars 2006

IIème Colloque international pluridisciplinaire organisé par le MAGE (Paris), le

CERED (Rabat) et le DUBLEA (Bruxelles)

Communication de Yolande Benarrosh Sociologue au Centre d’études de l’emploi CEE – Paris ([email protected])

Version provisoire

Le travail vu du chômage

Une comparaison hommes – femmes ; français(es) et migrant(e)s La comparaison proposée dans ce texte est une composante d’une recherche récente, portant sur « Les chômeurs, leurs institutions et la question du travail » (Benarrosh 2005). Son objet central a consisté à s’interroger sur les significations accordées au travail à partir du chômage et en fonction des différentes situations de chômage. Il s’agit, après avoir investi de l’intérieur le champ du travail, de déplacer le regard qu’on porte sur cet objet, pour mieux saisir, en creux ou par défaut, ce qu’est et ce que représente cette activité spécifique. Cette recherche s’inscrit donc dans une approche du travail, qui est demeurée longtemps marginale en sociologie où ont dominé les questions organisationnelles et de rapports de force dans le monde du travail (Bidet, Vatin, années). Elle fait suite à des travaux de terrain où la question du sens du travail s’avérait incontournable pour comprendre l’activité même de travail (Benarrosh 1999) et pour réfléchir sérieusement à la question de la « centralité du travail », qui a fait l’objet d’un débat important et nécessaire, mais par trop idéologique, dans la seconde moitié des années 90, c’est-à-dire lorsque le chômage a atteint son plus haut niveau (Benarrosh 2001). Comprendre le travail comme activité ou dans ses significations supposait de se décentrer de la discipline sociologique, ou de ses questions d’une période, pour mieux y revenir, mais en acceptant de rencontrer les approches d’autres disciplines, telles que la philosophie (Schwartz, années) et la psychologie du travail (Clot années…). Enfin, selon nous, cette interrogation doublement décentrée sur le travail (à partir du chômage et en s’ouvrant à d’autres préoccupations disciplinaires), était la meilleure manière de comprendre également les significations ou « vécus » du chômage (Benarrosh 2003). C’est donc aussi par un déplacement d’optique que le chômage peut être appréhendé. Les résultats de notre enquête font apparaître des différences importantes entre hommes et femmes dans les significations accordées au travail et dans les vécus du chômage : deux aspects que nous avons abordés comme un « tandem », ainsi que le suggèrent la problématique et les déplacements proposés plus haut. Ces différences ont émergé de récits qui articulent spontanément perte de travail, situation familiale, place ou rôle dans la famille. Ces articulations apparaissent surtout chez les chômeurs et chômeuses, français et étrangers, assez âgés (autour de 50 ans), qui ont un passé professionnel consistant et d’un seul tenant, pour qui le chômage bouleverse assez

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brutalement les modes de vie. La sphère familiale et domestique est désormais sur le devant de la scène des occupations… ou des préoccupations, lorsque le chômage la fait éclater. Mais, si hommes et femmes soulignent ces transformations alors qu’ils évoquent ce que travailler signifiait pour elles et eux, ils ne les vivent pas de la même manière. Il s’agit d’une enquête par entretiens approfondis auprès d’une soixantaine de chômeurs et chômeuses de tous âges et toutes conditions. La comparaison générale porte sur deux « populations » (chacune étant très hétérogène), les chômeurs organisés (AC ! CGT, APEIS, MNPC) et non organisés, dans le but d’explorer les discours sur le travail quand celui-ci fait défaut. L’approche générale concerne les significations du travail, avec, comme hypothèse centrale, l’idée que celles-ci sont susceptibles de se révéler dans leur « replis » lorsque le travail est abordé en creux ou par défaut : à partir des situations de chômage. Une des questions générales de départ porte sur les réélaborations éventuelles des significations du travail et du chômage, quand celui-ci se prolonge et/ou quand il s’accompagne d’une activité militante spécifique, dans des organisations de chômeurs. Nous avons distingué dans cette étude, suivant une démarche inductive, deux grandes modalités de rapport au travail, qui ne sont pas étanches et peuvent se modifier à travers l’expérience professionnelle et autres expériences et moments de la vie. Le « travail pour soi », lorsque l’activité de travail et son contenu sont valorisés pour eux-mêmes et pour ce qu’ils apportent à la personne ; le « travail norme », dont les attributs en « trois S » (salaire, statut, socialisation) sont en quelque sorte « extérieurs » au contenu de cette activité spécifique, extérieurs à l’activité comme connaissance et transformation de soi. Les hommes et femmes que nous mentionnons ici sont plutôt du côté du « travail norme »… mais ne se distribuent pas dans les mêmes « S » : une fois au chômage, les premiers valorisent, dans ce qu’apportait le travail, les deux premiers « S » (salaire et statut), tandis que les secondes valorisent la socialisation liée au travail, dont elles sont privées dans le chômage, sans négliger le problème du salaire, surtout lorsque leur conjoint ne travaille pas ou lorsqu’elles sont divorcées. Mais le « statut » valorisé et regretté par les hommes au chômage n’est pas forcément celui qui était le leur dans le travail. C’est le statut acquis dans la famille à travers le fait même de travailler qui est ébranlé, aux yeux des proches (selon eux) et à leurs propres yeux. Quant aux femmes, la socialisation qui était liée au travail n’est pas tant décrite en termes de collègues perdu(e)s, qu’en termes d’occasions de sortir de la sphère domestique, d’avoir une place et d’être utiles dans la société, hors de la famille. Il s’agit, pour reprendre des termes entendus chez certaines du sentiment d’exister (Flahaut, F. année)… qui les feraient tendre vers l’autre modalité de signification du travail, celle du « travail pour soi »1. Ainsi, alors que ce sont les hommes qui sont traditionnellement censés tirer leur estime de soi de l’extérieur de la sphère domestique, et notamment du travail, c’est de l’intérieur, de la famille, que vient d’abord dans leur discours, la reconnaissance associée au travail…quand celui-ci n’est plus…. Et inversement pour le femmes. Le travail vu du chômage serait donc du côté de l’avoir pour ces hommes (rôle et statut dans la famille), alors qu’il demeure du côté de l’être (sentiment d’exister hors de la famille) pour ces femmes (Beaudelot, Gollac, année). Ces figures et représentations sont « retravaillées »

1 On développe dans l’étude que le « travail pour soi » requiert cependant diverses conditions d’élaboration.

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par les chômeurs et chômeuses militant dans différentes associations (AC !, APEIS, CGT chômeurs, MNPC), qui, à des degrés et avec des succès divers, se proposent de les réélaborer via la politisation des questions du chômage et du travail. (travaux sur chômeurs organisés, Clot…) Famille et travail sont également imbriqués dans les discours de femmes migrantes maghrébines, en situation de grande précarité en France. Pour résumer abruptement cette intrication, on peut avancer que se joue pour elles, dans les études et le travail dans leur pays d’origine, puis dans la décision d’émigrer, l’émancipation par rapport à la famille, nucléaire et élargie, et tout particulièrement par rapport à ses hommes (par rapport aux mères également qui souvent relaient, sur leur propres registres, la domination masculine). Ces femmes, originaires de milieux relativement aisés, paient leurs choix de la grande précarité qui est la leur en France : sans papiers ni logement (ou ayant attendu longtemps les uns et l’autre), élevant seules des enfants nés en France, de pères maghrébins également (les déboires avec les hommes du pays continuant dans l’immigration). Un facteur important toutefois, et à méditer : c’est souvent leur propre père qui a été l’appui déterminant pour rendre possibles les choix, d’étudier, de travailler, d’émigrer… Certaines explications de ce rôle des pères, avancées par les intéressées elles-mêmes, relèvent de registres très différents. L’explication factuelle tient à ce que le père a travaillé ou étudié en France et a un esprit plus « ouvert » que les frères et autres hommes de la famille (oncles ou grands pères), qui n’ont pas vécu à l’étranger et qui, selon leur génération, font retour aux traditions ou ne les ont jamais abandonnées. Une explication plus psychologique est que le père n’a pas eu de garçon et que la fille aînée -interviewée- a bénéficié, contrairement à ses cadettes, d’une éducation plus libre et des investissements paternels dont un garçon aurait fait l’objet : encouragements mentionnés aux études, au travail, à l’émigration et, dès l’enfance, immersion dans la société masculine du père, essentiellement dans la sphère de son travail2. Dans d’autres cas, le travail en France, « à la faveur » du chômage du mari, est l’occasion de découvrir un autre univers et… soi-même ; de prendre conscience de l’enfermement. Les significations du travail sont chez ces migrantes maghrébines3, étroitement et en premier lieu, associées à la liberté, à la sortie d’une condition d’éternelle mineure, comme certaines l’énoncent explicitement. Si ces significations ne sont pas étrangères aux attentes exprimées par les autres femmes mentionnées plus haut (notre enquête donnant à voir d’autres figures encore), elles en constituent en quelque sorte l’amont ou l’expression première, la plus crue. Leurs histoires et leurs conditions de vie actuelles, la « mission » dont le travail est investi (ainsi que les études et l’émigration dans leurs cas), font que leur rapport au travail ne saurait relever du « travail pour soi » ou du « travail norme »… ou pas encore. Mais du travail comme un des socles de l’expression d’une révolte, très présente depuis l’enfance pour certaines, comme condition d’issue… 2 Une des interviewées raconte qu’elle accompagnait ou rejoignait régulièrement son père « au magasin » et était la seule petite fille dans un milieu de commerçants exclusivement masculin. 3 L’enquête fait apparaître d’autres relations au travail, au chômage et à la famille, à relier bien entendu à une Histoire et à des histoires de vie, extrêmement différentes, chez des femmes exilées des pays de l’Est.

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Encadré 2 Rapport au travail et au chômage : items d’analyse La grille d’entretien a été le produit d’enquêtes antérieures : sur le travail et le chômage auprès de différentes populations4, sur les « acteurs de l’emploi »5, et de notre participation, sur cette base, à des débats théoriques et politiques sur ces thèmes6. En reprenant systématiquement les items récurrents, qui s’avéraient importants pour les personnes alors interrogées, et qui apparaissaient souvent spontanément quand elles relataient leurs expériences de travail et/ou de chômage, cette grille, bien que très touffue, a été conçue davantage comme une « grille de relances » que comme une grille de questions. Certaines questions, en particulier celles relatives à des caractéristiques « objectives » ont été directes quand elles n’étaient pas amenées spontanément. Comme a été directe, en fin d’entretien, la question du point de vue des personnes, en général et pour elles-mêmes, sur l’idée d’un revenu d’existence ou revenu inconditionnel, sans demande de contrepartie. Cette question visait, d’une part à compléter en la prenant encore par un autre biais, l’approche des significations accordées au travail ; d’autre part à apporter un élément important au débat sur cette question, élément qui en est en général, et étrangement, absent : les points de vue des chômeurs eux-mêmes… Les rapports au travail et au chômage ont été analysés en prenant en compte les éléments relatifs aux expériences de travail et de chômage, au récit qui en est fait, à la représentation et à la signification du travail et du chômage que recèle chaque discours. Le « vécu » du chômage a été abordé à travers différentes questions, directes lorsque c’était nécessaire : notamment celle de l’emploi du temps (raconter une journée type, les activités, les amis rencontrés…). Le rôle de l’entourage, (attitude de la famille et des amis par rapport à la situation de chômage), important également pour éclairer les situations de chômage, a pu faire aussi l’objet de questions directes. Enfin, nous avons signalé l’intérêt porté à la dernière question, relative au revenu inconditionnel7, pour saisir à partir d’un autre angle les attentes dont le travail fait (ou non) l’objet. L’analyse des discours à partir de ces entrées a été très artisanale. Chaque entretien retranscrit a fait l’objet d’une analyse d’inspiration phénoménologique, le sens et l’expérience étant au centre de notre approche du travail. Cette approche a fait ressortir, par comparaison, certains discours et certains « groupes » de chômeurs, selon des oppositions significatives et structurantes dont nous rendons compte dans l’étude citée, de manière non systématique cependant, étant donné l’exploitation artisanale d’un corpus important. Nous avons néanmoins la base nécessaire pour procéder à un complément d’analyse à l’aide d’un logiciel (quelques tentatives avec Alceste doivent être systématisées pour en éprouver les résultats, la pertinence et ouvertures possibles). Les étapes suivantes ont consisté en un premier résumé thématique de chaque entretien, concentré ensuite en tableau thématique. Nous présentons d’abord (point 1) une définition générale du « travail norme », telle qu’elle se dessine à travers les entretiens, par opposition au « travail pour soi ». Certains traits de cette définition sont communs aux deux populations majoritaires d’hommes et de femmes auxquelles nous nous intéressons ici. Nous verrons ensuite (point 2) dans quelles configurations du travail norme se trouvent les hommes chargés de famille - dont des hommes maghrébins exilés ou immigrés de longues date -. Nous comparons ensuite, à cette population d’hommes, une population de femmes8 (point 3) ayant eu le même type de parcours 4 Personnes en reconversion, en transition d’un emploi à l’autre, en chômage sous différents « statuts » (Benarrosh, 1997 à 2003) 5 Benarrosh, 2000. 6 Benarrosh 2001 et 2004, MAUSS et Individu et travail (GRIOT/ l’Harmattan) 7 Question posée le plus souvent sous la forme suivante, en toute fin d’entretien : « et si l’on vous proposait un revenu suffisamment correct pour compenser l’absence de travail mais sans exiger de vous une recherche d’emploi ou une contrepartie sous forme de travail ? » ; suivant la réponse, suivait une autre question « et que diriez vous d’un revenu garanti tel qu’on vient de le définir, mais assorti d’un investissement bénévole dans une association par exemple ? »… 8 Rappelons que notre démarche est uniquement qualitative et qu’elle a procédé par entretiens approfondis. Il ne s’agit donc pas de populations au sens statistique et représentatif du terme, ni même au sens de l’homogénéité de

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professionnel antérieur au chômage. Les femmes migrantes maghrébines (point 4) permettront de saisir le chemin parcouru par celles que nous aurons déjà présentées juste avant (en point 3). Cette comparaison permettra à son tour de mieux spécifier la situation de ces femmes migrantes, du point de vue de l’approche que l’on se propose dans ce texte. Enfin, en conclusion et pour compléter ce tableau comparatif, mais surtout pour mettre en perspective nos résultats et laisser ouvertes certaines questions, nous nous interrogerons sur les élements les plus significatifs pour pour comprendre les places accordées au travail, en tentant d’imaginer un « curseur » qui se déplacerait selon différentes situations et différents moments de la vie. Nous serons amenée pour cela à évoquer d’autres femmes rencontrées dans l’enquête mais non présentées dans cette contribution, pour saisir les facteurs d’étayage des discours sur le travail, en fonction des aires culturelles d’appartenance et des rapports hommes – femmes.

1 – Salaire, statut, socialisation. Les trois S du travail norme ou être reconnu pour se reconnaître

Beaucoup de personnes ont ici un passé professionnel important, constitué le plus souvent d’une ou deux longues expériences dans la même entreprise. Ayant entre quarante et soixante ans, elles suivent, chez des prestataires de l’ANPE, des formations à l’élaboration de projet ou à la recherche d’emploi, selon qu’est visée la reconversion ou la recherche d’un emploi similaire au précédent. Dans d’autres cas, souvent lorsque ces formations n’ont pas débouché sur une solution, certaines personnes bénéficient d’un suivi individuel (ASI). D’autres encore, venant de l’étranger, passent d’abord par des organismes enseignant le français, avant d’envisager une réinsertion professionnelle. Les manières d’évoquer le travail sont plus ou moins argumentées mais ont un socle commun. Ces personnes n’imaginent pas vivre autrement qu’en travaillant, qu’en structurant leur vie autour du travail. Le travail est un « tout », dont l’expérience du chômage met en mots, en les reliant, les différents aspects. « On doit travailler, on en a besoin, ça nous constitue, c’est comme ça, c’est normal », telles sont les affirmations qui scandent dans un premier temps l’évocation du travail. Ce sont alors les évocations du chômage qui permettent de saisir derrière ce « tout », des articulations entre trois attributs principaux appliqués ici au travail : le salaire, le statut et la socialisation. On va voir que ces trois facettes se définissent et s’articulent de manières différentes dans ce cadran, selon les personnes, et notamment selon le sexe (d’abord) et la situation familiale. Mais on y repère, ce socle commun que nous nommons « travail instrumental » ou « travail norme », par différence avec le « travail pour soi » et le type de réflexivité qui l’accompagne : la recherche d’une activité qui peut éventuellement contenir des attentes correspondant au travail instrumental, à l’exception toutefois de celle du statut, mais où domine largement la quête de l’intérêt personnel, au sens de s’intéresser à et se reconnaître, voire s’accomplir, dans telle occupation. Tandis que la réflexivité sur la signification du travail est d’un autre ordre quand le travail est vécu comme une norme ; elle s’exprime sur le mode du recul et est nourrie a posteriori par l’expérience du chômage, qui met au jour ce que le travail apportait et que sa perte menace, voire délite, « défait ». profils objectifs (diplômes, qualification des emplois tenus etc…). Nous regroupons ces hommes et ces femmes en raison d’un rapport au travail et au chômage partagés (encadré 2), qui peut s’expliquer notamment (mais pas uniquement) par le fait d’avoir eu une longue expérience professionnelle très peu entrecoupée de périodes de chômage et avec peu de changement d’employeurs pour les salariés.

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Nous préciserons plus loin quels sont les profils et parcours de ces personnes. Signalons seulement ici que l’on y trouve des hommes et des femmes, en majorité d’anciens ouvriers et employés, devenus cadres pour certains par le biais des promotions et de l’ancienneté. On rencontre également ici, bien que plus rarement, des personnes étrangères francophones, exilées politiques depuis quelques années, ayant eu un statut élevé dans leur pays d’origine (professeur, médecin), et ne pouvant, faute d’équivalence, exercer en France. Leur présence dans ces structures plutôt que dans des « antennes cadres » par exemple, s’explique par la combinaison de problèmes que ces personnes ont à surmonter étant donné leur situation d’étranger et la perte, parfois brutale, du statut et des revenus antérieurs. Il s’agit alors de procéder au repérage des institutions pouvant les aider matériellement et psychologiquement : trouver un logement, envisager reconversions ou équivalences professionnelles. Tous et toutes vivent le chômage avec un grand désarroi, le sentiment d’un vide important, du temps trop long, voire d’une cassure (dépression, divorce)… Et l’inquiétude liée à l’âge. Mais, quelle que soit l’angle d’approche du travail, on observe des différences importantes dans la hiérarchisation des trois « S » et dans leur articulation. Ces différences sont très marquées selon le sexe (surtout) et la situation familiale (présence ou absence de responsabilité familiale).

2 - Le modèle du « male - breadwinner ». Perdre son travail après avoir « tout » construit autour de lui : « chômage différé » et hantise du « chômage total »9. Variations sur un même thème

2.1- Réussir son travail pour réussir sa famille : un discours d’homme M1, 49 ans, a perdu son emploi depuis un an et suit, au moment de l’entretien, un stage de trois mois, de recherche d’emploi en groupe (OEG). Le récit de sa vie professionnelle, (quel a été votre parcours ?), commencée trente ans plus tôt, est chronologique, scandé par des événements promotionnels et familiaux qu’il intrique en permanence. Après avoir retracé brièvement ses études professionnelles (CAP-BEP bâtiment) et son entrée comme ouvrier dans une première entreprise (il en a connu deux en tout), il en arrive bien vite à mentionner le premier événement qui lui fait entrevoir des chances de promotion. Il parle encore à la première personne… : « Là, à ce moment, je me suis dit que j’allais peut-être faire quelque chose de bien dans ma vie. » Ce « je », cédera assez tôt la place au « on », désignant explicitement ou implicitement, sa femme et lui, leur vie commune, leurs projets et réalisations, leur vie de famille et son articulation étroite au travail : à son travail à lui. Sa femme travaillait pourtant, s’est arrêtée quelques temps pour élever les deuxième et troisième enfants, et travaille encore au moment de l’entretien, mais son travail à elle n’est jamais mentionné spontanément ni moindrement commenté. On saura simplement, après avoir posé la question, qu’elle est « Clerc aux formalités » et qu’il s’est occupé de « nourrir la famille » quand elle a interrompu provisoirement son activité professionnelle.

9 Les catégories que Dominique Schapper (année) a proposé dans L’épreuve du chômage, s’appliquent très bien aux cas des hommes étudiés ici.

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Le travail est très vite situé comme valeur appartenant à son époque, à son milieu, et n’est jamais dissocié de la vie de famille : construction de carrière et de la famille suivent une logique linéaire, ascendante, … qui va encore de soi dans les années 70. - …avant le boulot, c’était toute notre vie … c’est pas comme maintenant, les jeunes, ils s’en foutent un peu, ils font des études et il y a que leurs diplômes qui comptent… Avant c’était l’expérience qui valait quelque chose : fallait travailler... (…) comme je bossais dur je suis passé chef d’équipe (…) surtout qu’avec ma femme, enfin elle était enceinte, alors c’était une bonne nouvelle ! Il fallait bien qu’on puisse le nourrir et lui faire un bel avenir ! (…). J’étais carré dans mon boulot, vous savez, si vous êtes bosseur vous montez (…) Et puis y’a eu mon fils, alors là avec ma femme on s’est décidé et on a fait construire la maison… Alors avec les allers-retours en voiture et le boulot, ben je le voyais pas beaucoup le petit… . La promotion continue, jusqu’à passer cadre vers la fin des années 80… Et la famille se construit en parallèle : « Là c’était royal ! Pour payer la maison et puis le troisième qui était arrivé entre temps. Ah oui ! j’allais oublier de vous dire ça. Ben là c’était le top ! … Sauf qu’après, il y a eu des problèmes…. » La première expérience de chômage, en 1995, passe très vite ; le licenciement a pu être négocié, et M1 qui a alors 40 ans, est embauché ailleurs trois mois plus tard. Mais huit ans après, il est à nouveau licencié, pour motif économique : - …là, on s’y attendait pas avec ma femme (…) On a été vachement surpris ; puis moi, j’avais juste 48 ans, alors là, je me suis dit que j’allais pas retrouver de travail. Non, c’était pas drôle comme histoire. Le récit du chômage commence alors, aussi pudique et retenu qu’était exalté celui de la vie professionnelle. Parce que, pour reprendre le modèle du « chômage différé », M1 ne veut pas croire à son prolongement : « il faut que je retravaille, y’a pas photo ! ». Il met à profit son stage pour rechercher très activement du travail et pour continuer de vivre selon un rythme de travail ; parce que aussi, et c’est ce qui se dessine petit à petit, le chômage est vécu comme un temps vide et même comme une honte. A la question de savoir s’il est soutenu par sa famille et ses amis, la réponse est brève, voire sèche, mais assortie d’un parallèle éloquent. Sorti de la famille nucléaire, qui ne s’en fait pas pour lui dit-il, il préfère ne pas aborder cette question, ni avec les amis (« ils sont bien où ils sont »), ni avec ses frères et sœurs : «… ça ne fera rien avancer ; de toute façon c’est comme l’handicapé ! Vous voulez lui tenir la main ? Mais lui il sait ce qu’il a à faire ! Pas la peine de se lamenter ! ». C’est la durée de l’entretien, deux ou trois questions maladroites voire abruptes, ainsi que l’installation de la confiance malgré ces maladresses, qui font exploser le désarroi de M1. Est alors livrée la mesure de la vie remplie par le travail, de l’installation du vide que sa perte occasionne à ceux, surtout les hommes, qui n’ont pour autre horizon « que » … la maison, le jardin, le bricolage :

- C’est impératif pour vous (retravailler), pourquoi ? Parce que c’est un salaire ? - Non ! Je vais pas rester chez moi ! Autant me foutre une balle dans la tête !…

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La liste des occupations est, dans le récit du moins, vite faite, et le mode de leur évocation communique la difficulté à remplir le temps, le sentiment de tourner en rond, de toute évidence éprouvés par M1 : « je fais (…), puis après je bouquine,(…) puis je regarde quel jour on est….Alors je vais chercher le journal… Je bricole, des fois je regarde la télé… Enfin bon, l’après midi on s’emmerde ! » Enfin la honte, l’image accolée au « chômeur » se dévoile, là encore à l’occasion d’une question sans doute très maladroite mais dont l’interprétation par M1 est éloquente. Alors qu’il évoque la difficulté d’occuper les après-midi, surtout l’hiver, et qu’il mentionne la possibilité de s’occuper du jardin avec la venue du printemps, on lui demande s’il a le « courage de faire du bricolage dans le jardin ». S’il n’y avait pas vraiment de raison de lui poser cette question en termes de « courage » (sinon à cause du froid…), il n’y avait certainement pas derrière ce terme, l’idée qu’y associe M1 : le courage de se montrer aux voisins en plein jour… Voici sa réponse : - Et puis moi je m’en fous ! Les voisins ils me voient dans le jardin ? Ils me voient dans le jardin ! Ma voisine me dit un jour : ‘Vous êtes à la retraite ?’ Eh bien je lui dis : ‘Non, je suis au chômage !’. Ca peut arriver à tout le monde, et puis c’est tout ! Elle voulait savoir ? Eh bien elle l’a su ! J’ai pas une étiquette « chômeur » ! On ne sait pas comment M1 aurait décrit son travail s’il ne l’avait pas perdu. Aurait-il fait de même le récit des promotions et des réalisations familiales qu’elles autorisaient, ou serait-il entré davantage dans le contenu des activités qui lui ont été confiées durant sa carrière ? Son propos aurait été certainement différent s’il avait été en activité, et on l’aurait sans doute incité à entrer dans le détail de son activité. Mais aurait-il pour autant exprimé une signification du travail fondamentalement différente de celle qui se lit à partir de son expérience du chômage ? Ces questions doivent être posées, même s’il est difficile d’y apporter une réponse tranchée. Dans cette enquête, l’entretien cherchait en général à cerner ce que travailler et ne pas travailler veulent dire. Il n’invitait donc pas forcément à des précisions sur les contenus des activités de travail : mais il n’y était pas non plus fermé, ainsi qu’en témoignent d’autres récits. Celui de M1 présente le travail non pour lui-même, pour ce qu’il procure à la personne comme sentiment de découverte personnelle via une activité qui révèle des capacités : autant de choses qui manquent aux chômeurs qui avaient ou souhaitent un « travail pour soi ». Le travail pour M1 est un tout qui procure d’abord les moyens de réussir une vie familiale, réussite reposant essentiellement, dans son « modèle », sur les épaules de l’homme. Un autre trait dominant de son discours sur le travail, est la fierté liée aux changements de statut. Mais il ne semble pas y avoir d’articulation étroite (ou indispensable) entre « grimper » et réussir sa vie de famille, même si grimper a permis d’accéder à un niveau de vie familial aisé (la maison etc…). La famille (fonder et nourrir une famille) reste donc le premier horizon, …qui se referme sur lui et se traduit par de l’ennui dès lors que le travail n’est plus. Mais M1 n’analyse pas (pas encore ?) ce que le travail lui apportait d’autre…

2.2 - « Travail - statut dans/pour la famille » et estime de soi

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Répondent également à ce modèle du « male-breadwinner », des hommes ayant toujours connu des positions subalternes, sans avoir obtenu de promotion d’aucune sorte dans leur vie professionnelle. Au travers de leurs cas, on parvient mieux à dissocier les registres de ce que travailler et ne plus travailler signifient, en neutralisant la question du statut du travail et en isolant par conséquent le rôle primordial de la place, du statut, dans la famille, Ainsi, pour donner un autre exemple, Monsieur A., originaire du Maroc, arrivé en France en 1973, rencontré chez un autre prestataires de l’ANPE. A 53 ans, ce père de huit enfants ayant entre six et dix-neuf ans, est au chômage depuis quatre ans au moment de l’entretien. Il a connu deux longues expériences en tant que magasinier (pendant 10 ans) puis veilleur de nuit (pendant 5 ans). Au début des années 90 la situation est moins stable ; il est amené à changer fréquemment d’employeurs, jusqu’en 1998, date à laquelle commence pour lui la longue période de chômage durant laquelle nous le rencontrons.

Sans véritable « statut » dans le travail, celui-ci ne lui en donnait pas moins un, et important, dans la vie familiale. Certes la famille reste solidaire dans l’épreuve du chômage, contrairement au cas suivant, où, précisément, les attributs liés au statut du travail et aux revenus correspondants, sont importants. Monsieur A. conçoit cependant une grande détresse, qu’il impute surtout à l’image (négative) qu’il pense donner désormais à ses enfants… alors même qu’il s’en occupe davantage : mais c’est justement ce qui lui semble négatif. C’est ce qu’il met en avant surtout, avec le « vide » créé par le chômage. Il n’amène pas spontanément les difficultés financières, qui sont pourtant nombreuses puisqu’il est « en fin de droit », relève désormais de la CMU… et que sa femme, qui n’avait jamais travaillé, s’est résolue à « faire des ménages » depuis un mois. L’idée d’un revenu inconditionnel du niveau du SMIG lui est insupportable, alors même qu’il pense n’avoir guère de chance de retrouver du travail, en raison de son âge.

- Monsieur A. Chômage et situation familiale : association libre… - Quelle opinion avez vous des autres personnes au chômage que ce soit dans votre entourage

familial ou amical, ou ceux que vous rencontrez dans les centres de formation? - « Chacun ça dépend comment il a pris son chômage, s’ils ont de la famille, des enfants. » - Le fait d’avoir une famille, des enfants, ça change ? - « Non, ça ne change pas au contraire, c’est un peu dur de dire à ses enfants qu’on est au

chômage. C’est un peu dur pour eux si à l’école, on leur demande qu’est-ce qu’il fait votre père par rapport aux autres, je sens que c’est un peu dur pour les enfants. »

- Vous en avez déjà parlé ? - « Non, mais quand à l’école, il y a des trucs à remplir, je sens que c’est dur. Mais c’est comme ça,

c’est comme ça. Je leur dit de bien travailler à l’école, éviter le chemin que leur père a pris. » - Oui, mais les contextes n’étaient pas les mêmes, vous veniez d’un pays étranger, vous aviez donc

des difficultés en plus. - « Oui, c’est sûr. Eux, ils ont de la chance, les affaires d’école, c’est pas cher. » (…) - Ça doit vraiment vous changer entre ces années où vous travailliez de nuit et où vous ne voyiez

pas vos enfants et maintenant ? - « Oui… » (long silence… qui transforme le sens « positif » de la question).

2.3 - Perdre son statut, être « déstatufié » : toujours du côté des hommes…

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D’autres discours sont plus élaborés (et plus structurés), en raison peut-être d’une autre existence sociale, d’une élocution plus aisée, mais aussi de conséquences autrement plus dures de la perte d’emploi, conjuguées, dans le cas de M. B1, avec l’exil et l’éclatement de la famille10. Pour autant, le travail en lui-même n’est jamais décrit non plus dans ce cas, ni ce qu’il apportait à l’intéressé « pour lui-même ». Seul le statut qu’il lui conférait dans la famille est au centre du discours, alors même qu’il énonce comme une évidence et en passant, que l’on « existe » à travers son travail. Mais, là encore, l’on peut avancer que les circonstances et le lieu de l’entretien (prestataire ANPE) engagent plutôt à parler de la privation de travail, d’autant qu’elle entraîne, précisément, des conséquences familiales dramatiques

Monsieur B1, 50 ans, prend la mesure de sa « chute » au point de s’estimer « déstatufié ». Chirurgien dentiste dans son pays d’origine (l’Algérie), il est au nombre des exilés politiques assez nombreux rencontrés au cours de cette enquête. C’est en effet une image forte (une stature, voire une statue) qui est tombée en même temps que son statut, ici étroitement associé à un niveau de vie, donc à des revenus importants : l’image que ses enfants et sa femme avaient de lui, autour de laquelle était structurée la famille. Les deux se défont donc conjointement, ainsi qu’il l’explique dès le début de l’entretien, alors qu’on lui dit que l’enquête s’intéresse à tout (« Tout m’intéresse. Je suis preneuse de tout ce qui vous intéresse »), mais que l’on peut néanmoins énoncer quelques grands thèmes : le parcours et la vie personnelle, la vision du rôle de l’ANPE et de ses agents, le rôle de l’outil informatique et du PARE… « Ensuite il y a votre identité, qu’est-ce que le travail pour vous… ». Il coupe à ce moment pour répondre, d’un seul trait11, en imbriquant lui aussi travail, chômage, famille et, notamment, travail et place du père :

« Ah , oui, c’est tous ces aspects qu’on a tendance à oublier et c’est les plus importants car ce sont précisément ces éléments-là qui font qu’à un moment donné, le chercheur d’emploi se retrouve dans une situation telle que ça se répercute dans la vie de famille. Donc les rapports du chercheur d’emploi par rapport à ses enfants, à son épouse, par rapport à son foyer changent et ça débouche sur des aspects psychologiques qui ne sont pas nécessairement compris par les membres de la famille : à savoir quelqu’un qui ne travaille pas, qui est père de famille, sachant qu’on existe à travers sa profession, on existe à travers le travail qu’on fait. Par rapport aux enfants et par rapport à la fonction qu’on exerce, et par rapport aux revenus, aux demandes des enfants, aux exigences des enfants… Pourquoi les autres papas travaillent ? Pourquoi mon papa ne travaille pas ? Pourquoi il était dentiste, il avait son cabinet, il avait des revenus et puis là, il se retrouve non dentiste et sans revenus. Quelque part on est déstatufié par rapport à la profession. Ensuite, il y a les enfants. Les enfants sont exigeants, ils ont besoin de sous pour sortir, ils ont besoin de parler de la profession du papa et de la maman. Ils ont besoin de voir le père partir le matin au travail et revenir le soir du boulot. Donc, parler de son boulot, de ses activités professionnelles. Là, ils se retrouvent devant une situation où le papa n’est plus ce que l’enfant attend de lui : un père sans revenus,

10 Si le niveau culturel rend l’élocution plus aisée, le choix des mots plus sûrs, l’élaboration d’un discours dépend aussi et peut-être surtout du déplacement opéré par les personnes à l’occasion d’un événement, heureux ou dramatique, qui les atteint, modifie le cours de leur vie : comme ici le chômage qui bouleverse passablement le cours normal des choses. Ce déplacement fait que les personnes parviennent toujours, avec plus ou moins d’aisance certes et si la situation d’entretien les y incite, à exprimer, à donner à comprendre ce qu’elles éprouvent, à trouver des mots étonnamment justes, des formules concises, qui vont au cœur du problème vécu et le résument très efficacement. 11 La citation est coupé, le propos de M. B1 est beaucoup plus long que l’extrait donné, et toujours très argumenté.

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un père qui ne peut plus répondre aux besoins, un père dont on ne peut plus parler. Donc, c’est un papa qui s’efface, (d’un ton plus bas)… c’est un papa qui s’efface. Je crois qu’on existe aussi à travers la profession, le type de profession mais aussi les revenus. Parce que qui dit revenus dit élévation du niveau de revenu familial et on existe par rapport à ce qu’on ramène à la fin du mois à la maison. Il y a tous ces aspects psychologiques après. Le père et la mère, surtout le père, peut être, parce que, quoi qu’on en dise, on est encore dans le schéma traditionnel où la femme peut à la limite rester au foyer12, s’occuper de tout un tas de choses, mais le papa dans le schéma traditionnel est nécessairement au travail. Quand on l’a dans les pattes à longueur de journée, il est à la maison que ce soit l’épouse ou les enfants, ils s’interrogent. Donc ça se répercute dans les rapports avec l’ensemble des membres de la petite famille. Quand ça perdure, ça débouche nécessairement sur des fossés. ».

Tout comme chez Monsieur M1, on retrouve chez M. B1, la pudeur voire l’occultation de la vacuité liée au chômage, qui se livre ensuite sans compter, avec la douleur psychologique autrement intense. Il garde d’abord la face dans le récit d’une « journée type », déclare qu’il a un entourage très diversifié, sans précision, et passe très vite à son emploi du temps. Il est debout dès le petit jour pour « cavaler » ensuite toute la journée et se rendre quotidiennement à l’ANPE, à la bibliothèque, dans les points Internet « gratuits ». Une interruption due à un appel téléphonique auquel il répond (téléphone portable), lui fait reprendre le récit d’une journée, depuis le matin, et c’est toute la solitude qui se livre, presque à son insu, car il garde un ton qui se veut insouciant et distancié. Il rit même en expliquant qu’il sort de chez lui à 8h30 pour aller prendre son café « parce que je ne prend plus rien à la maison. Je ne mange plus à la maison »… Au retour, le soir, après une journée bien remplie à scruter les offres d’emploi, « pianoter sur Internet », recueillir « plein » d’informations, envoyer des lettres de candidature et rester à la bibliothèque « jusqu’à sa fermeture », au retour donc, il repasse « par un café » où il « rencontre un tas de gens : on discute un peu, on rigole, on se détend »… Enfin il rendre chez lui vers 22 heures : « Je me mets au lit. J’écoute la radio. Quelques fois j’écris, je lis. Quelques fois je consulte ce que j’ai fait la journée, je fais le bilan sur des cahiers…. » 2.4 – « Pour la famille je ne suis pas au chômage ». Garder la face La version la plus aboutie de l’importance du statut au sein de la famille nous est livrée par un autre exilé algérien, qui, au contraire des précédents, exprime avec insistance le regret de ne plus exercer son activité d’enseignant et développe longuement l’intérêt qu’il revêtait, l’aspect stimulant de ses recherches etc. Il aurait été de toute évidence dans le « travail pour soi » s’il n’avait pas aussi à répondre à un statut familial, qui est prégnant au point de l’inciter à simuler une vie de travail comme on va le voir. Mais l’interprétation se complique quand on prend en compte deux autres facteurs : l’âge de M. K et le fait qu’il est exilé en France depuis peu. A 61 ans, on peut imaginer qu’il n’aurait rien perdu de son statut dans la famille, ni la reconnaissance sociale en général, s’il avait cessé son activité professionnelle en demeurant en Algérie. L’exil et, bien entendu, les difficultés matérielles importantes qu’il connaît, font qu’il souffre autant de la perte d’une activité à laquelle il était attaché, qu’à l’idée de ne plus répondre aux attentes familiales. Cet ensemble complexe fait qu’il refuse absolument la dispense de recherche d’emploi qu’on lui propose spontanément dans tous les bureaux d’accueil (ANPE, CNAF …). Il est vrai que cette dispense ne lui procurerait aucun revenu de

12 … Alors que sa femme est (était) également chirurgien - dentiste (c’est pourquoi il dira plus loin : « même si on a la même profession, le même statut ») : mais elle n’avait pas de cabinet. Facteur aggravant : sa femme a retrouvé du travail en France (en pharmacologie), avec un revenu de 15.000 F. par mois.

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retraite ou pré - retraite puisqu’il n’a jamais travaillé en France. Mais, et c’est tout aussi important pour lui, il ne serait pas non plus reconnu en France pour son activité passée (ce qui aurait été le cas en Algérie). Il déploie donc bien des efforts à reconstituer un milieu d’échanges, en rapport avec ses centres d’intérêt. Conserver l’estime de soi via un milieu social en France, celle de sa famille en continuant d’y « tenir sa place », et bien sûr trouver des revenus pour faire face aux nécessités matérielles de la famille, sont étroitement imbriqués. Il continue donc énergiquement à chercher un emploi et, en attendant, donne des quelques cours particuliers (trois heures par semaine), et simule un rythme, pour lui-même et vis-à-vis de sa famille. Il fait le même genre de récit que M. B1 : lever très tôt, costume, mallette, grand agenda (à peine annoté et exhibé pendant l’entretien), fréquentation de toutes les institutions d’aides en tous genres : « L’entourage familial, pour eux, je ne suis pas au chômage, je suis toujours pris. Je travaille. Simplement, je suis discret… Ils savent que je donne des cours à des enfants, trois enfants dans la semaine. Comme ce soir, j’ai rendez vous à 17h avec la fille du pré-scolaire. Et, le fait de me voir assurer ces heures là de cours à domicile. Pour eux, je ne chôme pas car je dois faire ça à longueur de journée. Je suis connu comme quelqu’un qui est incapable de rester inactif. Comme j’ai des rendez-vous partout, je travaille. Il y a autre chose. Malgré le chômage, j’ai une vie normale : je me rase tous les jours sauf le dimanche, j’ai mon costume. Donc, pour les gens, c’est pas possible : comme je mets un costume, ça veut tout simplement dire que je gagne beaucoup d’argent. (il rit). Oui, je ramène ma femme, mes enfants, il y a le loyer à payer. C’est archi faux, je suis dans une situation extrême, je gère mon budget avec parcimonie. Dans la philosophie de ma vie, je ne pleurniche pas. J’ai énormément de problèmes que je surmonte de façon normale. Je prends en charge. J’étais à la recherche d’un logement, je n’ai jamais cassé la tête à quelqu’un pour dire je ne suis pas logé, je cherche un logement. » Les hommes sont donc pris dans un schéma familial, d’autant plus prégnant qu’il continue d’être soutenu par des traditions encore très actives, schéma auquel ils sont soumis comme femmes, même si c’est sur un tout autre mode, complémentaire en quelque sorte. Ce schéma se révèle dans ses traits les plus saillants dans les situations de rupture ou de tournant, comme ici le chômage. 2.5 – Hommes sans responsabilité familiale. Une parole plus « libre » sur le travail ? Nous ne nous attarderons pas ici sur des « cas » mais nous voudrions, avec l’exemple de M. W., souligner autrement le rôle de la configuration familiale dans le discours sur le travail. Ainsi que nous l’indiquent par ailleurs nombre de personnes que l’on situe dans « le travail pour soi » (dont beaucoup rencontrées en particulier dans les associations de chômeurs), l’absence ou la fin des responsabilités familiales, s’avère être une condition, nécessaire sinon suffisante, pour développer certaines exigences quant au contenu du travail, et pour « libérer » en quelque sorte, chez les hommes, une parole autre, ou une parole « positive » sur celui-ci. Le travail peut alors être abordé comme « activité », investie d’un désir d’expression de soi. - Vous ne m’avez pas dit, au niveau familial, vous êtes marié, vous avez des enfants ? W : « Je suis célibataire, j’ai un enfant, j’ai vécu avec une personne pendant 3 ans, et puis bon, voilà, et j’ai une fille de 18 ans, qui n’est pas à ma charge, qui a 18 ans donc, qui n’est plus à la charge ni de l’un , ni de l’autre, j’avais une pension alimentaire à donner jusqu’à 18 ans et maintenant, je serais censé l’aider plutôt pour ses études puisqu’elle fait une école d’infirmière et eh…le problème, c’est

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que je peux pas l’aider parce que j’ai pas assez de revenus quoi, j’aimerais bien, mais j’ai pas le choix. » - Alors aujourd’hui, vous m’avez dit que vous vouliez vous mettre à votre compte c’est ça ?

W : « Oui, j’ai travaillé un petit peu à mon compte quand j’étais eh…accompagnateur d’enfant, car j’avais trouvé un deuxième job, je me suis toujours passionné pour l’électronique et puis eh…j’ai trouvé un marché en fait, qui était les tableaux de change, pour les bureaux de change, ce sont les tableaux électroniques qui affichent les cours du Dollar etc. et en fait à l’intérieur, il y a 4 cartes électroniques, 1 carte mère et 3 cartes d’alimentation et par le biais d’amis de l’aide sociale à l’enfance, j’avais trouvé eh…des patrons de bureaux de change qui ont fait appel à moi, pour réparer leurs tableaux. Parce qu’ils trouvaient pas eh…de dépanneurs eh, sur Paris et puis ils m’ont demandé si je voulais le faire, donc, je me suis fait de l’argent comme ça et je me suis aperçu qu’en travaillant pour moi, je travaillais plus, que je regardais pas les heures et que je gagnais plus, que je gagnais mieux ma vie. Donc, maintenant, je voulais m’orienter plus sur le métier d’ébéniste, parce que j’ai fait tous les meubles chez moi, moi-même, donc euh…et c’était des meubles travaillés quand même, donc, j’ai des amis, qui m’ont dit pourquoi tu ferais pas ça, effectivement, ça m’aurait bien plu… »

3. Du côté des femmes. Travail et « sentiment d’exister »

Chez les femmes, quelle que soit leur situation familiale, le discours sur le travail change. Son contenu est davantage évoqué ou, plus exactement, ce qu’apportait personnellement cette occupation spécifique. Toutes celles dont il s’agit ici ont autour de la cinquantaine (souvent dépassée), ont un long passé professionnel, souvent d’un seul tenant comme ouvrières, employées ou cadres moyens : caractéristiques similaires à celles de beaucoup d’hommes rencontrés dans les ateliers de recherche d’emploi, chez les prestataires de l’ANPE, comme certains de ceux présentés plus haut.

C’est la place accordée à ce que l’on retire personnellement de l’occupation par le travail, l’absence de mention du statut que celui-ci procure, par contraste avec les hommes rencontrés plus haut, qui nous fait entrevoir, chez les personnes que l’on va présenter maintenant, quelque chose qui relèverait du travail pour soi. Le « sentiment d’exister » associé au travail est en effet frappant, et énoncé comme tel, mais il s’agit là selon nous d’une tendance, suffisamment nette pour qu’on lui fasse une place à part, mais peu élaborée ou peu réflexive. C’est l’expérience du chômage qui révèle les apports du travail et ce que sa perte entraîne aux plans personnel et social. Mais n’est pas évoqué (ou peu) ce qu’apportait (ou ce qu’on recherche dans) l’exercice de cette activité spécifique qu’est le travail, ce qui peut être souligné par d’autres, même à des niveaux subalternes, comme l’indiquent d’autres enquêtes (Benarrosh connexion). L’ancrage demeure donc dans le versant « socialisation » du travail norme, mais avec ces différences substantielles par rapport aux discours des hommes mariés. Les femmes que nous allons présentées ont été rencontrées dans les mêmes associations prestataires de l’ANPE, que les hommes présentés plus haut. Elles se situent dans les mêmes tranches d’âges, entre 40 et 55 ans, et ont également un long passé professionnel dans une ou deux entreprises. La plupart sont mariées, mères de famille, dont les enfants sont grands voire autonomes (sauf pour les plus jeunes d’entre elles). Nous insistons sur ces questions, car ces femmes aussi définissent le travail et le chômage, par rapport à la sphère familiale. Mais, on

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va le voir, sur un autre mode que les chefs de familles rencontrés jusqu’ici : le travail est présenté d’abord comme un moyen de sortir de la sphère familiale et d’être valorisée ailleurs que dans celle-ci ; le chômage est associé à l’enfermement domestique. D’autres femmes de la même tranche d’âge sont divorcées ou célibataires, ce qui peut changer, dans leurs discours, la hiérarchie des attributs du travail et (surtout) le vécu du chômage. En gros les célibataires ont davantage de difficultés financières et évoquent davantage le salaire associé au travail, mais expriment moins le besoin de sortir de chez elles, simplement parce qu’elles peuvent davantage choisir d’y être ou non. Mais dans l’ensemble, qu’elles soient ou non mariées, et par contraste avec les hommes mariés rencontrés jusqu’ici, c’est le « sentiment d’exister » lié au travail qui domine, bien qu’il ne soit pas explicité ou élaboré.

L’une d’elle pointe de manière assez « tonique », cette différence entre hommes et femmes : « Je pense qu’il est (le chômage) plus difficilement vécu par un homme à cause de leur histoire de chef de famille… C’est ridicule parce que dans d’autres pays comme la Suède ou la Norvège, les hommes s’arrêtent pour élever leurs enfants ! C’est vraiment un truc typiquement français ! En France, si l’homme ne travaille pas et qu’il est à la maison, on le prend pour une tare ! Moi, j’ai déjà accepté de voir mon mari rester à la maison ! »

Quel que soit l’aspect du travail valorisé par les femmes dans ce cadran, il n’y est jamais question du statut qu’il procure dans la famille (parce que ce statut va « sans dire » et qu’il ne peut être retiré), mais éventuellement de la place qu’il donne dans la société, conjugué à ce « sentiment d’exister », souvent évoqué de diverses manières. Ainsi, curieusement, alors que ce sont les hommes qui sont censés être « à l’extérieur », c’est (dans les cas étudiés ici en tout cas) de l’intérieur, de la famille, que vient d’abord, dans les discours de ces derniers, la reconnaissance associée au travail… : du moins quand le travail n’est plus. Le travail serait ainsi du côté de l’avoir (avoir un rôle, un statut dans la famille) pour ces hommes, et du côté de l’être (se sentir exister) pour ces femmes. Déjà dit. Les récits du chômage sont beaucoup moins « tragiques » chez ces femmes : elles ne se sentent pas « déchues » par le chômage – le statut acquis dans la famille aidant certainement en compensation -, même lorsque le sentiment d’échec est là et même lorsque le chômage débouche sur une dépression comme on l’a souvent rencontré.

3.1 - Travailler, exister. Trouver le moyen de s’intéresser…

Mme B. 55 ans, divorcée et sans enfant, a commencé sa carrière, munie d’un CAP de secrétariat, comme secrétaire - dactylo en 1966. Elle s’est perfectionnée grâce a différents stages de bureautique et a occupé différents postes comme employée de bureau, dans différentes villes et entreprises, au gré des mutations de son ex-mari. Elle a fini par opter pour l’intérim durant une longue période, puis a occupé un poste fixe, avant de connaître le licenciement qui l’a amenée, après un an de recherches vaines, à suivre le stage de recherche d’emploi durant lequel nous la rencontrons, chez un prestataire de l’ANPE.

Sans emploi depuis un an et demi, elle se relève de manière assez remarquable de la profonde dépression dans laquelle son licenciement l’a plongée. Elle a beaucoup d’activités culturelles et sportives, se dit bien plus dynamique aujourd’hui qu’à 20 ans, a des amis, est très occupée

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par sa recherche d’emploi et, alors qu’elle vit seule et ne travaille pas, elle déclare n’avoir plus que le samedi pour faire le ménage chez elle.

….Il est hors de question pour elle de ne pas retravailler. Pour avoir tous ses « trimestres » (retraite) et pour payer ses « factures », mais surtout :

-« Quand on a une activité, on existe. Ouais, on existe ! (….) On existe, on a une place quelque part. Ah oui ! » - Selon vous, que vous apporterait un nouvel emploi ? - « Qu’est ce qu’il va m’apporter ? Je vais re-exister, je vais repartir en … puis je vais ré-apprendre autre chose parce qu’on fait pas exactement la même chose, j’aurais encore d’autres contacts, d’autres choses, d’autres … C’est pas que j’existe pas, mais … je vais revivre, si vous voulez. Je vais,… je suis dynamique, mais je serais encore plus dynamique ! C’est exister en fin de compte, on existe ! Par le travail ! Vous croyez quand on est chez soi … ? (soupir). (…) - Regardez les gens qui sont à la retraite, combien que y en a qui font pas … au début, leur retraite, parce qu’ils étaient actifs toute leur vie, et … c’est un peu ça le demandeur d’emploi ! Quand il repart comme ça au travail, il existe, il est encore capable de ! C’est ça ! Il est capable de ! Alors que quand on, surtout nous, en vieillissant comme ça, quand on repart, on prend un petit coup de jeune. On reprend un coup de jeune. »

- Le salaire ?

- C’est drôle, je suis pas quelqu’un qui … mais il faut quand même que j’aie un salaire, enfin un salaire décent. Bon, je vis seule, donc j’y arrive aussi, mais je veux dire je suis pas une … C’est sûr c’est plus difficile de vivre au SMIG, mais je me dis « imagine que t’aies un travail qui te plaise, et qui soit SMIG, qu’est ce que tu fais ? ». Bah, je le prendrais ! Parce qu’il me plaira et je demanderais si je peux … faut que ce soit un SMIG qui évolue. Si je me plais dans mon travail, je vais pas voir que ça, mais il faudrait que je sois plus, au dessus du SMIG. Faut que j’arrive à payer mes factures, mes ceci, mes cela, mes… j’arrive un peu à … On dit que normalement on doit pas prendre n’importe quoi etc., mais c’est bien beau tout ça ! Mais quand on vit seul, qu’on a pas des grandes ressources, … hein ?! Quand on entend ça, d’accord, mais c’est pas une raison non plus de … » - Vous refuseriez un emploi ? -« Pourquoi ? » - Justement ! Pour quelles raisons refuseriez-vous un emploi ? (…) Un travail inintéressant, vous le refuseriez ? - « C’est difficile à dire, je me suis jamais retrouvée devant des cas comme ça. En plus, j’ai un terrible besoin de travailler. Et qu’est ce que vous appelez inintéressant ? On voit ça dans l’annonce déjà ! Je peux pas refuser non ! Je vais vous dire, c’est difficile de refuser vu que c’est tellement difficile à avoir un entretien, que non, je pense que non, je trouverais le moyen de m’intéresser à ce travail, y aura bien quelque chose de … Je discuterais avec l’employeur, on verra bien ! »

3.2 –Travaille. Se sentir utile en dehors de la famille ; « avoir le contact » apprendre des autres ; réfléchir…respirer

Madame S., qui suit un stage de recherche d’emploi chez un prestataire de l’agence M., a un rapport au travail, et au chômage, caractéristique des ouvriers et ouvrières qui ont très

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tôt commencé à travailler13 : ils et elles ne se supportent pas à la maison et les registres langagiers associés au travail et au chômage mettent le premier du côté de la vie, le second de la mort. Mariée (son mari travaille) et mère de quatre enfants, cette ancienne mécanicienne sur machine de 54 ans, s’estime être « vraiment au chômage » pour la seconde fois. Lorsque nous la rencontrons, elle a perdu son emploi depuis un an et craint beaucoup que son âge soit « fatal ». Elle ne veut pas s’attarder sur son parcours professionnel (« je ne peux pas vous décrire tout en détail ») mais est très ferme quant à l’impossibilité pour elle de « rester au chômage », parce que « travailler c’est essentiel, tout le monde a besoin de ça pour respirer, se sentir utile, pas uniquement au sein de sa famille », « avoir le contact avec mes amis , sortir, voir le monde, la mode, les gens, et tout le monde peut faire pareil ! ». Rester à la maison rend « amorphe », comme un « légume ». Et pourtant, ce n’est pas vraiment de « rester à la maison » qui la « diminue » (comme elle dira plus loin à propos du chômage), contrairement aux hommes, car c’est son territoire, elle a toujours quelque chose à y faire, … mais trouve néanmoins le temps long, trop long, « pour elle ». Ce qu’elle fait à la maison et même en dehors, ne suffit décidément pas à remplacer le temps, la société, et l’activité liés au travail. D’où des déclarations, contradictoires et cohérentes à la fois : parce que la durée de l’entretien lui est nécessaire à trouver des formules (souvent très justes et efficaces), et des mots aptes à rendre compte de ce qu’elle veut dire. On se rapproche là encore, mais sans véritable élaboration, de ce qui intéresse dans le travail : - … D’accord, donc, aujourd’hui, vous êtes ici. Mais en dehors de ça, quand vous êtes chez vous, comment occupez-vous vos journées ?

- « Oh, alors là, il n’y a pas de problèmes ! J’ai ma famille, mes amis, mes enfants, il y a toujours des choses à faire et je fais tout ce que j’ai à faire le matin ; l’après-midi je sors, je me promène, je vais faire les magasins, je sors ».

- Aujourd’hui, que vous êtes sans activité, vous trouvez le temps long ? - « Ah ! (elle rit), oui, vraiment trop long, trop long, ne pas travailler, rester, comme ça dans une maison, même si je trouve toujours quelque chose à faire, pour moi , c’est trop long.. Ah ! c’est une éternité, c’est la mort ! (elle rit encore)… Non parce que, bon il faut s’imaginer, moi, je me levais tôt, tous les jours, et là, je me retrouve subitement comme ça, là, bon, je pourrais me transformer en légume ! (…) Et puis de toute façon, enfermé chez vous, c’est un peu comme vous couper du monde… Alors en fait, on pourrait dire, (réponse à une question posée bien avant) qu’à l’heure d’aujourd’hui, (le travail) c’est surtout pour avoir des amis, bouger, que je veux un travail. Parce que ne rien faire et ne voir personne, comme ça, je n’aime pas. » Plus loin, à la fin de l’entretien : - Bon eh bien écoutez, j’essaie de voir si j’avais encore quelques questions… mais je pense que non, finalement, vous voyez, ce n’était pas bien méchant … (Et c’est elle qui relance, pour exprimer quelque chose qui relève du « travail pour soi ») :

13 Cf. Benarrosh 1997, étude sur d’anciens ouvriers du textile dans le Nord. Bien entendu le discours relaté nous semble « caractéristique » d’une population, mais nous ne prétendons pas qu’il soit représentatif.

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- « Non, c’était bien, moi je pense que c’est important de montrer que les gens (message qu’elle demande d’envoyer, à travers l’enquête), enfin moi en particulier, je n’aime pas le chômage... Par goût je préfèrerais travailler, je n’aime pas rester inactive, j’aime mieux bouger, j’aime pas rester au chômage, et en plus, ça diminue, c’est pas intéressant comme état. » - Vous pensez que vous perdez de votre énergie et de vos compétences en restant dans cette situation ? - « Oui, et c’est normal, l’homme marche à l’énergie, si vous restez comme ça, à ne rien faire, vous finissez par perdre l’envie… Parce que bon, si vous avez appris un boulot, vous savez toujours le faire, mais bon, si vous arrêtez, vous ne vous remuez pas et vous ne remuez pas vos compétences non plus si on peut dire ça comme ça. Alors que si vous travaillez, que vous discutez avec des gens, le cerveau ne s’endort pas, on réfléchit, on a toujours quelque chose à apprendre des gens. » (Fin de l’entretien)

3.3 - Le travail j’ai besoin de « ça », de « cette » activité. On a une autre vie ; « j’ai besoin ! »

Dans le discours de Madame D., cinquante ans, cherche à s’exprimer également, de manière imbriquée, ce sentiment d’exister, d’appartenir à une société, et de répondre à une norme sociale (être comme les autres) à travers le travail. Clerc aux formalités durant de longues années, divorcée, elle vit avec sa fille de 18 ans. Comme madame B. elle se relève d’une dépression due à la perte de son emploi. A la question de savoir pourquoi le travail est important pour elle, elle commence par répondre en invoquant son « indépendance ». Ce qui est associé à « avoir une vie sociale » et à une source de revenu, d’autant plus nécessaire qu’elle vit seule avec sa fille. Mais, poursuit-elle, ça apporte « beaucoup de choses » … « de faire partie de cette société où on a notre place ». Elle cherche encore à aller plus loin et martèle qu’elle a « besoin » de travailler, ce qui désigne bien des choses :

- …j’ai besoin de travailler, j’ai besoin d’avoir un travail, j’ai besoin de montrer mes compétences, euh… comme mes erreurs d’ailleurs (…) ; j’ai besoin d’avoir ce… travail, j’ai besoin de ça pour vivre normalement, pour me dire ‘je suis comme les autres’ (…) Et voilà quoi ! J’aurais pas voulu être mère au foyer, j’aurais pas voulu...c’est…non : j’ai besoin, j’ai besoin de cette activité ! Puis je vous dis, dans le monde du travail, on rencontre pleins de gens, on a une autre vie… » Longtemps après dans l’entretien, elle martèle à nouveau ce « besoin », en s’exclamant, à propos de l’idée d’un revenu garanti (réaction à cette question commune à toutes les personnes que l’on situe dans le « travail norme » :

- Si aujourd’hui on vous proposait un revenu équivalent à celui que vous gagniez, sans travailler, que feriez vous ? - « Oh non, je travaillerais. J’aimerais travailler. J’aimerais travailler, oui parce que, parce que ça apporte plein de choses, de travailler. Je préfère travailler. Bien sûr, je dirais pas non. Si on me dit demain, bon ben voilà, pendant 6 mois, bon ben, j’ai le temps de passer mes vacances, (rires) non mais non, j’ai besoin de travailler ! J’ai besoin de contacts, j’ai besoin de …Et puis je sais pas, j’ai besoin, pour être vraiment quelqu’un, pour être vraiment une femme, j’ai besoin d’avoir ce job, j’ai besoin de… Même vis-à-vis des regards de, je dirais pas de ma famille tout ça, mais des amis, j’ai

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besoin de leur montrer, de leur prouver que … je peux retrouver du travail, que je redeviendrai une femme active. J’ai besoin ! »

4. Femmes migrantes. Les préalables nécessaires à l’élaboration d’un discours sur le travail

Ainsi que les travaux sur les migrations féminines le montrent désormais, les causes de l’émigration ont changé pour les femmes. Il ne s’agit plus tant de regroupement familial ou d’émigration strictement économique, que de besoin de sortir d’une condition. Les causes nouvelles de l’émigration féminine sont du reste le reflet des changements survenus dans les pays d’origine, mais qui n’ont pas (encore ?) été au bout de leurs logiques en ce qui concerne les femmes. L’exemple du Maroc, où le nouveau statut de la famille est passé « aux forceps », est à la fois exemplaire de ces changements et des difficultés à les accueillir, à en aménager toutes les facettes. Les femmes maghrébines rencontrées dans cette enquête sont pour certaines parfaitement reconnaissables dans les analyses proposées par les spécialistes des migrations féminines. Leur décision répond à un besoin de fuir l’enfermement et la contrainte sociale qu’elles connaissent dans leur pays d’origine (Guillemot 2005), de prouver dans le même mouvement à leur famille qu’elles peuvent lui apporter quelque chose tout en construisant leur propre vie, bref de s’assumer comme individu (Manry 2004, Guillemot 2005). Il s’agit dans ces cas, de départs solitaires ou avec des enfants qu’elles élèvent seules après un divorce. A l’origine de la décision, il y a souvent un événement déclencheur, un bouleversement de la vie (De Gourcy 2005). Mais les conditions qu’elles connaissent dans le pays d’accueil grèvent lourdement leurs attentes (De Gourcy) et les rend très vulnérables. Auront-elles alors laissé une précarité pour une autre comme certains travaux le thématisent par ailleurs ? Sans doute, mais le chemin est long, et force est de constater que souvent, même dans des conditions extrêmes, elles ne songent pas à revenir vivre dans leur pays d’origine, du moins quand telle n’était pas leur intention en le quittant. Les différentes manières d’aborder la question du travail rendent bien compte des conditions nécessaires pour élaborer un discours et une relation à cet objet et renvoient aux situations dans le pays d’accueil, aux circonstances et à l’ancienneté de l’émigration. On voit bien en effet, à travers les quelques cas que l’on va présenter14, que la présence régulière et déjà ancienne en France et l’existence d’une famille, même précarisée par le chômage du mari, sont des éléments d’étayage, pour SD, originaire du Maroc, à partir desquels la place du travail se dessine. La précarité matérielle et affective totales de WS et WH, arrivées d’Algérie avec un visa de tourisme et désormais clandestines, rend en revanche une projection dans le travail plus difficile : ceci malgré un niveau d’études et une expérience que SD n’a pas du tout. S’il est évident pour elles qu’il « faut » travailler pour se nourrir, il s’agit là d’un besoin aussi élémentaire que celui d’avoir un toit pour dormir. Le travail est réduit à sa plus simple expression, noyé qu’il est dans l’urgence et les urgences. Il est d’abord question, à travers le travail, de pouvoir envisager la vie autrement qu’au quotidien, d’accéder aux projets, 14 Rappelons que nous ne prétendons pas à la représentativité. Cinq femmes ont été suivies ici, sur une très longue durée cependant et contrairement aux autres interviewés de l’enquête. Durant environ 3 ans, nous avons eu avec elles des entretiens réguliers pour prendre de leurs nouvelles, comprendre leurs priorités en fonction du chemin parcouru. Par ailleurs, les travaux mentionnés sur les migrations féminines nous confortent dans les analyses que nous proposons en ce qui les concerne, qui sont à lire cependant comme des pistes de réflexions à approfondir. Enfin la comparaison avec le reste de la population interrogée selon la même problématique (une centaine d’entretiens approfondis en tout, dont 60 exploités selon la même méthode), permet également d’avancer des éléments d’interprétation sur la question de la construction des rapports au travail qui nous intéresse ici.

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personnels et familiaux, car ces femmes ont des enfants qu’elles élèvent seules. D’ailleurs, si le travail est investi d’une attente à moyen terme, celle-ci concerne notamment l’éducation des enfants auxquels il convient, en travaillant, de « donner l’exemple ». Mais l’insécurité totale et l’urgence ne permettent pas (encore) d’inscription dans l’une ou l’autre des modalités du travail que nous avons esquissées. On est, pourrait-on dire, « en amont » de ce que peut signifier le travail, bien qu’on décèle dans leurs discours des « penchants » vers le « travail norme », tout au moins vers deux de ses attributs, le salaire (logiquement en premier lieu, et même exclusivement, pour l’une d’entre elle) et la socialisation. Leur réalisation demeure conditionnée toutefois à l’assurance d’un socle premier ou préalable de « sécurité », indispensable à toute élaboration quant au sens du travail : papiers de résidence, logement, ressources financières régulières minimales. Une lumière crue est ici projetée sur la question du travail…. vue du chômage sans filet protecteur.

4.1 – Travail et individuation… à l’occasion du chômage du mari Dans le cas de SD (originaire du Maroc), le travail, découvert par la force des choses en France, - « à la faveur » du chômage du mari peut-on dire (celui-ci restant malgré tout réticent à voir sa femme travailler) -, a été l’occasion de s’ouvrir à un autre univers et…à soi-même ; de prendre conscience de l’enfermement et de se projeter à la première personne… Elle voudrait maintenant avoir un métier, pouvoir dire : « je suis coiffeuse » ou « je suis couturière ». Par rapport à elle-même, et par rapport à ses enfants. Sa fierté réside aujourd’hui dans ce qu’elle a appris à lire et écrire, grâce à un stage d’alphabétisation qu’elle a demandé à suivre une fois au chômage. Elle peut lire les papiers, comprendre ce qu’on lui demande dit-elle, et estime que c’est important vis-à-vis de ses enfants. Mais elle ne trouve plus de travail. Un voyage au Maroc, où son mari voulait se rendre pour quelques moi et qu’elle l’y accompagne, l’a contrainte à abandonner un CDI…Au moment de l’entretien, la famille a très peu de revenus, n’a pas de logement et habite, avec ses deux enfants chez des amis…. Ceci gêne terriblement SD, qui passe beaucoup de temps à l’APEIS, association de chômeurs où nous l’avons rencontrée. - Tu veux bien m’expliquer ton parcours, tes origines et pourquoi tu es maintenant au chômage ? SD : “ En fait j’ai été 7 ans en France, je suis arrivée en 1995 du Maroc avec mon mari, je suis repartie 7 mois dans mon pays car il voulait que je reparte avec lui, et je suis revenue maintenant (depuis 3ans). ” - La 1ère fois que tu es venue en France, tu avais cherché du travail, tu avais une formation ? SD : “ Non, je n’avais pas de formation, même du Maroc, j’avais fait le minimum à l’école, mais quand je suis arrivée en France, j’ai voulu travailler pour mes enfants (elle précise qu’elle a deux enfants de 13 et 10 ans et qu’elle a donc eu le premier à 17ans), pour qu’ils aient ce qu’il faut…L’ANPE, ils m’ont proposé un contrat qui devait être de 3 mois dans une entreprise de pièces détachées à G., puis j’ai fait 6 mois, j’ai été embauchée et j’y suis restée 3 ans. J’aimais bien travailler, il fallait se lever tôt, mais après l’après-midi, ou le reste de la journée (elle travaillait de toute évidence en 2/8), je pouvais m’occuper de mes enfants, faire la cuisine…même si mon mari il voulait pas que je travaille (…). Et puis après, il a voulu repartir voir la famille, alors j’ai laissé mon travail, c’est dommage j’aimais bien mon travail, quand j’ai arrêté, on est allé au Maroc, mais j’avais plus la même habitude et puis je ne pouvais pas travailler comme ici, j’étais chez de la famille, c’était pas pareil. ”

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- Tu n’as donc pas travaillé pendant ces 7 mois ? SD : “ Non, tu sais là-bas, c’est pas pareil, ici, c’est normal qu’une fille elle travaille, même si mon mari il est pas pour ça…moi, ma fille j’aimerais bien qu’elle trouve un vrai travail. ” - C’est quoi, pour toi un vrai travail ? SD : “ C’est un travail, qui ne dure pas 3 mois et puis c’est fini, un travail avec lequel elle gagne assez d’argent pour vivre. ” - “ Si on revient sur ton histoire, tu me disais que tu es revenue en France depuis 3 ans, tu as retravaillé depuis ? ” SD : “ Des petits boulots, des ménages, des fois sans papiers mais…j’aime pas ça, parce que souvent ils te prennent pour rien, t’es pas toujours payée et tu peux rien dire, en plus quand c’est ça mon mari il me dit que je n’avais qu’a pas travailler. ” - Tu n’es pas allée voir à l’ANPE ? SD : “ Si , mais ils me disent toujours qu’ils n’ont rien en ce moment, y a plus de pièces détachées comme moi je faisais, ils me disent que ça se fait plus, qu’il faut que je regarde autre chose, moi je veux bien autre chose (“ même si j’aimais bien les pièces détachées ”), mais le problème, c’est que je ne sais pas lire les annonces de l’ANPE, je ne sais pas bien lire le français , ni l’écrire et tout ça. ” - Tu leur en as parlé à l’ANPE, que tu avais besoin de quelqu’un pour lire etc. Ils ne t’ont pas aidée ? SD : “ Si, ils m’ont proposé, mais parce que c’est moi qui l’ai demandé de faire un stage de trois mois pour apprendre à lire et à écrire, j’ai commencé le 9 décembre et je finis le 14 mars, après j’ai pas de travail. ” - Outre le fait que tu n’arrivais pas à lire les annonces, ça te posait un problème de ne pas pouvoir lire et écrire ? SD : “ Oui, car des fois on me disait “ cherche du travail dans le journal, ou alors, essaie de faire tel travail, mais, je pouvais pas ”, c’est bien ce stage, en plus maintenant je sais remplir les papiers, je vois ce qu’on me demande, et puis pour mes enfants, c’est bien. ” - Donc, tu es satisfaite du stage que tu as fait ? SD : “ Oui, mais maintenant, je n’ai pas de travail !...ça m’aide pas à trouver plus un travail, pourtant je veux bien tout faire, le ménage, les écoles, les vieilles personnes… ”. - “ En ce moment, comme tu es à la fin de ton stage, tu retournes voir les agents de l’ANPE, ils ne te proposent rien, même pas un autre stage ? ” SD : “ Non, apparemment, ils n’ont rien, et puis moi, je veux bien refaire un autre stage, mais ça me donnera pas du travail forcément, apprendre à lire et à écrire c’est bien, mais tu vois moi, j’aimerais bien apprendre un métier, pouvoir dire “ je suis coiffeuse, je suis cuisinière… ”… Pour ça en France, il faut des diplômes, beaucoup de diplômes. ” (SD met fin à l’entretien pour aller chercher ses enfants à l’école et parce que son mari veut qu’elle soit « à la maison » après ce moment). 4.2 – L’ exil ou le prix du sujet. Le socle nécessaire aux désirs et projections…

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WS a 33 ans au moment de l’entretien. Elle est allée à l’université en Algérie, où elle a fait trois années d’études (en Français) en commerce international. Elle a ensuite occupé plusieurs postes dans son pays, comme attachée et déléguée commerciale, comptable, secrétaire administrative, avant de se retrouver au chômage, « dans une impasse ». Elle décide de venir en France mais ne parvient pas à y poursuivre ses études, faute du visa longue durée qui le permettrait. A l’échéance de son visa de tourisme elle est donc « sans papiers ». Elle rencontre son compagnon (algérien) en France, ils ont un enfant de trois ans aujourd’hui. Le père de son enfant, sans papiers non plus, a été refoulé en Algérie. Elle ne parle pas spontanément de lui ; répond seulement qu’il ne lui envoie aucune aide financière. Elle est en attente de régularisation de sa situation, mais le chemin semble très long (son fils n’étant pas en âge de choisir sa nationalité, elle ne peut faire valoir qu’elle est mère d’un enfant français). Elle vit actuellement dans un hôtel ; est aidée par diverses associations pour son problème de logement, par les Restos du Cœur et par une autre association pour vêtir son enfant : elle s’est bien documentée et connaît le paysage institutionnel des aides sociales et juridiques, grâce au fait qu’elle a fait des études précise-t-elle : «C’est dans les livres qu’on trouve un peu partout…. ».15

Comme d’autres exilés, elle pointe aussi le problème de l’information et de l’orientation : « Il n’y a pas de structure où tu es orienté dés le début. Et, c’est comme ça que tu perds du temps à tourner en rond avec des associations qui peuvent mal t’orienter… et là tu perds du temps ». Dès les premiers échanges, WS fait état de sa révolte contre la situation qui est faite à la femme en Algérie. De même, elle parle de manière déterminée, à la première personne, de son goût prononcé pour les études et des projets qu’elle nourrissait. Et les deux registres sont imbriqués : « Moi, je suis parmi les gens qui ne peuvent pas rester sur place. Je voulais voyager. Je voulais partir dans d’autres pays pour faire des travaux que l’homme peut faire aussi… Et, vu que j’ai grandi qu’avec des frères, je n’ai pas de sœur (…), c’était plus ça m’a qui m’a stimulée parce que je voyais que l’homme avait plus d’accession…Il était accessible à la place qu’il voulait, alors que la femme, c’était restreint pour elle. Il faut pas qu’elle fasse de la musique, il faut pas qu’elle sort la nuit, il faut pas qu’elle aille en discothèque sinon c’est une femme de mauvaises mœurs. Et, là, j’étais très révoltée. Je me suis investie dans les études pour leur dire que moi aussi j’ai une part de responsabilité dans ma vie. J’ai réussi. J’ai réussi malgré tout. C’est par rapport à ça que j’ai eu un peu de liberté, un peu d’indépendance parce que j’étais plus estudiantine que mes frères. (…) Ils étaient complètement nuls. .. Il n’y a que mon frère aîné qui a fait des études supérieures -c’est un ingénieur en maths appliquées-, et moi. Sinon, les autres, il y a un pompier, un boulanger. Son père est un gendarme retraité, sa mère femme au foyer. C’est lui qui l’a poussée à venir en France soutient-elle, car y ayant fait des études d’art pendant trois ans, il a « l’esprit occidental » que n’ont pas ses frères. Il n’a donc pas souhaité que sa fille reste en Algérie, soit contrainte à porter le voile, ce à quoi elle s’est toujours refusée du reste. Tandis que sa mère l’incitait à se vêtir autrement, de peur des représailles islamistes. De toute façon ponctue-t-elle, en Algérie « la femme est mineure à vie… Je ne pouvais plus vivre dans ce pays. » Si ses parents ont accepté sa situation de « mère célibataire », ce n’est pas le cas de ses frères avec lesquels elle a rompu tout contact. Elle ne songe pas à revenir en Algérie car cela reviendrait à « signer (son) arrêt de mort » dit-elle. Pour autant, à la question de savoir si elle regrette cet état de fait, elle répond sans hésiter et très clairement : « Je l’accepte parce que c’est moi qui l’ai décidé (…). L’essentiel c’est que moi j’ai pensé comme ça. »

15 Les problèmes des femmes exilées et la situation institutionnelle particulière des algériennes se retrouvant seules en France avec des enfants est également soulignée par S. Célerier (2003, page 55)

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Les moments de souffrance ne manquent pourtant pas en France pour cette femme qui raconte par le menu « l’esclavagisme moderne », les travaux de manutention, épuisants et non déclarés, auxquels elle s’est prêtée pour obtenir quelques revenus. Son vrai regret est qu’elle pourrait être plus « utile » dans d’autres emplois, avec les études qu’elle a faites. Les circuits institutionnels sont tout aussi épuisants, qui la font déambuler sans arrêt dans divers lieux : associations d’aide aux sans papiers, d’aide au logement, hôtels sociaux et autres lieux qu’elle est toujours sûre de devoir quitter… Elle tire sa force de sa détermination, et de son enfant auquel elle ne veut pas transmettre ses angoisses, et qu’elle aspire à voir vivre « comme les autres enfants. » Cette course épuisante laisse peu de disponibilité pour réfléchir à ce que serait le travail, ou pour se projeter tout simplement dans le moyen terme. A la question de savoir comment elle s’imagine dans quelques années, la réponse est encore éloquente et résume en une formule sa situation : « comme un être humain à part entière ». Mais elle associe précisément à cette réponse le thème du travail : - Tu ne te sens pas comme ça maintenant ? (ie. comme un être humain…) « Ah, non. Silence…parce qu’il faut les papiers pour avoir tout. Déjà pour avoir un boulot, pour le travail, pour subvenir aux besoins de mon enfant pour ne pas rester à la dépendance de l’Etat. Pourquoi on me donne des aides alors que je peux travailler ? Pourquoi tout ce gaspillage alors qu’on peut nous donner des autorisations à travailler ? Je grandis, je prends de l’âge. Ils attendent quoi ? Que j’aie 60 ans pour me les donner ? Qu’est ce que je vais travailler à 60 ans? Qu’est ce que je vais foutre avec ces papiers ? C’est pas la peine de me les donner. Qu’on me les donne maintenant pour que je sois utile à moi même et à autrui. » L’hypothèse, qu’on lui soumet, de percevoir des aides ou un revenu sans travailler (par exemple un revenu garanti) lui est assez insupportable, malgré son extrême précarité matérielle. Elle veut dit-elle, travailler pour avoir son appartement, son loyer… et « pour contribuer à toutes les prestations de l’Etat ». Existence sociale, intégration et s’assumer comme sujet, sont donc étroitement associées au travail. De même que la socialisation, qui passe par un rythme commun, et… être comme tout le monde : « Ben oui, parce que l’être humain, il veut ressembler à tous les autres. Quand je vois…quand je mets mon enfant à l’école et que je vois tout le monde se presser pour aller travailler, pour être utile, je vois des gens avec leur cartable pleins de documents. Ils ont leur boulot. Ils ont une occupation. Et, moi, je n’ai rien du tout. Je vais aller où aujourd’hui ? Je vais faire quoi aujourd’hui ? Je vois tous les gens qui se pressent pour aller au travail alors que toi tu restes là à tourner en rond…surtout l’après-midi, c’est l’après-midi que ça fait mal parce que tu te dis tous ces gens-là, ils ont gagné au moins 40 euros par jour…ça y est, ils ont gagné leur journée…et, toi, tu as 0, pas un sous. Ça fait mal. Ça fait plaisir quand tu reviens fatiguée du boulot. Tu sais que tu as ton compte plein. Tu peux faire des projections d’avenir. Tu peux voyager. Tu peux faire ce que tu veux…tandis que si tu acceptes que l’argent (elle fait référence au revenu inconditionnel), il ne va pas être égal au salaire du travail. N’empêche qu’il y a d’autres gens qui veulent que ça. Ils veulent l’argent pour ne pas travailler. Je ne pourrais pas les comprendre parce que moi, j’ai fait des études pour travailler, pour être utile à moi même, pour faire un boulot. C’est pas pour rester… pour croiser les bras et, ne rien faire et attendre que l’argent tombe du ciel. C’est du vol. C’est du vol parce que c’est des sous…ça vient de l’Etat. Mais, l’Etat, il les enlève des gens qui travaillent pour te les donner à toi. C’est du vol, tu prends ce qui n’est pas à toi. Moi, c’est sûr et certain : dès que j’aurai mes papiers, je travaillerai.» Le côté structurant pour son enfant d’avoir une mère (son seul parent) qui travaille est aussi fermement argumenté qu’imagé. On est, avec ce qu’elle développe à ce propos, aux antipodes de l’éternelle mineure et l’on comprend bien qu’elle, avec la force qui se dégage de ses propos dégage, que WS n’aurait pu endosser cet habit de mineure ou, comme elle le dit, rester dans cette « prison sans barreau » :

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« Déjà, il faut que je donne l’exemple à mon fils. Si, lui, il va à l’école, il me dit « maman, tu vas où ? » je lui dis « toi, tu vas à l’école, maman, elle va travailler, toi, tu es petit, il faut que tu ailles à l’école et, quand tu seras grand, tu travailleras toi aussi ».Comme ça, tu lui donnes l’exemple. Mais, si je le mets à l’école et, moi, je reste à rôder sans rien faire, il va se dire « mais, pourquoi je travaille, pourquoi je vais à l’école si je vais pas travailler un jour? ». Voilà, c’est pour donner l’exemple. il y a des enfants qui ne sont pas très âgés qui comprennent tout et, qui voient leurs parents qui travaillent pas. Et, c’est par rapport à ça, qu’ils deviennent tous délinquants ou qu’ils font l’école buissonnière…c’est par rapport à ça aussi…parce que toujours les parents, c’est l’exemple. Si la racine, elle est foutue, l’enfant…toute la plante, elle est foutue. Si tu redresses pas la plante quand elle est petite avec un bâton, tu ne la redresseras pas quand elle sera plus grande, et, là, tu as beau faire pour la redresser, ce n’est pas la peine, tu n’y arriveras pas. Silence. - Donc, le travail, ça te permettrait de donner l’exemple à ton fils…et, qu’est ce que ça t’apporterait d’autre ? « Je ne peux pas voler. Je ne veux pas risquer ma vie pour être dans une prison avec des barreaux. Parce que la prison, j’y étais déjà en Algérie. C’est une grande prison. L’Algérie, c’est une grande prison pour les femmes. T’es à la maison, tu sors pas, tu fais pas ça, tu fais pas…Tout le monde te parle, l’oncle te parle, le grand frère te parle…. Donc, pour moi, c’est une grande prison sans barreaux. » L’histoire de WH (39 ans, mère de deux enfants qu’elle élève seule), est bien entendu fort différente de celle de WS, mais des similarités sont frappantes : la révolte contre une société où les hommes sont maîtres…et la force puisée dans le soutien paternel. Elle est l’aînée d’une famille sans garçons (elle a une sœur cadette) et explique qu’elle a donc été pour son père « le garçon et la fille ». Il l’a élevée un peu comme un garçon, en l’emmenant « au magasin » et en la laissant évoluer dans le milieu d’hommes des commerçants. La mort brutale de son père va d’autant plus traumatiser cette fille aimée et choyée, qu’elle coïncide avec la pré - adolescence, c’est-à-dire avec le retour en force dans le monde des femmes… que l’on doit protéger des hommes. La protection des hommes est elle-même imposée et redoublée, en raison de l’absence de frères dans la famille : comme le veut la coutume, celle-ci va être sous tutelle, du grand-père maternel en l’occurrence, qui va gérer les biens légués par le père et éduquer à sa manière (tout autre) ses petites filles. D’autres hommes (cousins, oncles) se chargeront aussi de surveiller cette jeune fille qui ne tarde pas à se révolter. Dans un premier temps elle s’évade mentalement et en agissant de manière jugée indécente et provocatrice de la part de la jeune fille qu’elle devient. Elle écoute de la musique moderne, fait du sport, s’habille en pantalons ou mini-jupes… Les réprimandes et la « toile d’araignée » des hommes se faisant plus oppressantes, arrivent les premières fugues, des fins de semaines dans une autre ville où elle rejoint une amie et où personne ne la connaît ; vie commune dans cette même ville avec un étranger et projet de quitter ensemble l’Algérie. A l’âge de 15 ans elle avait réussi à obtenir son passeport. Celui-ci lui est dérobée la veille de son départ. Un mariage arrangé avec un cousin suit cet épisode dramatique pour elle. Elle se rebelle plus que jamais, finit par arracher un premier divorce, puis un second divorce, après un re-mariage qu’elle espérait plus serein parce que choisi : la volonté de pouvoir du mari ne tarde pas à s’exprimer, y compris dans la violence… La révolte est à son maximum. Départ pour la France, rencontre avec le futur père de ses enfants, d’origine marocaine, avec qui elle mène « la belle vie » pendant cinq ans. Séparation, la « belle vie » s’avérant dangereuse car faite de commerce illicites (drogues). Retour en Algérie avec ses deux enfants : le piège se referme sur elle dans ce pays en pleine guerre civile où plus rien ne marchait, où plus aucune ambassade ne pouvait lui délivrer de visa pour revenir en France. Elle se bat à nouveau, milite dans des organisations de quartier, brave les intégristes, tente de faire valoir la nationalité

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marocaine de ses enfants pour qu’on la laisse partir. Neuf années se passent ainsi, avant qu’elle revienne en France avec quelques économies car elle a travaillé dans une entreprise de commerce familiale. L’errance recommence de plus belle, la lutte de tous les jours, et, toujours, une volonté de fer. « J’ai écrit à Matignon. J’ai écrit au ministre de l’intérieur, de l’extérieur…rires…à tous les extra terrestres qui peuvent gérer ce foutu monde… ».

WH. France : la galère aux marges, avec des enfants. Fatigue. Ne pas baisser les bras Assistantes sociales, hôtels sociaux et même hôpitaux pour dormir, scolarité des enfants souvent interrompue par tous ces déménagements…Elle obtient l’asile politique en prouvant qu’elle a milité en Algérie et encourt de graves dangers si elle y est refoulée. Elle est « régularisable » mais ne peut, en attendant, bénéficier d’aucune aide régulière de la CAF pour ses enfants, sinon 90 euros par mois d’ASE (aide sociale à l’enfance). Au bout de six mois elle trouve un « job », non déclaré, dans un hôtel, pour un salaire de 40 euros par jour : ce qui est beaucoup par rapport à ce que gagnent les autres femmes dans la même situation… « …Oui, j’ai rien fait de ma vie. J’ai pas encore de maison. J’ai pas encore de situation. J’ai pas de stabilité. Je fais…elle parle en arabe : la vie, c’est comme un champ et tous les jours tu sèmes une fleur, un blé et c’est selon ce que chacun produit… En français : Chaque grain son truc. Donc, c’est tous les jours planter pour demain. Et, je suis fatiguée. Je suis fatiguée. C’est vrai je suis fatiguée. » (Sa voix s’affaiblit.) Elle finit par trouver une chambre d’hôtel stable grâce à une « action » individuelle : elle se trouve comme souvent à la CAFDA16, pour son problème de logement, un jour où le préfet de Paris visite les lieux. Elle l’interpelle, au grand dam des responsables, le prend à témoin de sa situation et, surtout, de celle de ses enfants qui ne peuvent plus être scolarisés car ils déménagent tous les jours… Son assistant accourt alors vers elle et lui dit tout haut que, justement, il vient de lui trouver une chambre fixe….Elle est régularisée peu de temps après cet incident. L’inscription aux Assedic et à l’ANPE devient possible, mais les droits liés à sa nouvelle situation non encore stabilisés. C’est la course à l’information la plus fiable, au bon guichet : a-t-elle droit aux allocations familiales, au RMI ? Quelle période de résidence régulière nécessaire pour faire valoir ce type de droits ? Elle essaie de se projeter dans un emploi ici mais ne sait ce qu’elle pourrait faire, ni comment s’y prendre n’ayant jamais travaillé que dans le commerce familial, en Algérie. « … tu vas écrire un CV et les envoyer à des gens que tu ne connais même pas. Peut-être ils vont même pas faire attention. Moi, j’essaie d’aller vers les gens… ». Elle suit un atelier projet à l’ANPE pour y voir plus clair, « pour faire le point sur moi, super. Je me sens très bien déjà. » Elle est prête à accepter tout travail « Je n’ai pas de sot métier. ... Je peux mettre ma main dans la m…. c’est pas sale. Je sais ce que je gagne, c’est propre… ».

16 Coordination des Familles demandeuses d’asile.

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WH. Travail, revenu : priorité aux enfants, mais suivre aussi « le rythme de la vie »… « Le travail « ça m’apporterait de la tune et basta ! » Un revenu inconditionnel serait bienvenu… « car j’aurais toujours un travail à faire (…). Rester avec mes enfants, travailler, m’occuper, les suivre dans leurs études, être là quand ils arrivent. Je suis la maman et le papa, c’est pour ça : j’aurais aimé ne pas travailler. Mais je suis obligée, pour nous nourrir… » - Il y en a qui disent le travail, c’est important, on se sent utile… « Ecoute, moi, je pense que la femme, elle travaille déjà beaucoup. Si tu travailles dehors et, si tu travailles à la maison, dis toi que tous les jours tu rentres, tu vas trouver le bordel chez toi. C’est pas x ou y qui va venir faire ton ménage. Et, pour la paye qu’ils te donnent, tu vas faire une femme de ménage ? Tu pourras pas. Donc, tu vas rentrer, tu trouves même pas le temps de faire un câlin à tes enfants ni prendre ta douche. Donc, tu vas rentrer, tu vas courir comme une dingue jusqu’à minuit, une heure. J’ai travaillé. Je connais ce que c’est. Et des fois, tu prépares le repas de demain, s’ils ont pas classe. Tu vas faire un peu d’économies pour ne pas les mettre dans un centre de loisirs. Pour plus tard dans la vie parce que moi 40 ans, il me reste 10 ans encore…et, encore rires…d’abord, c’est si, je trouve un job (elle insiste sur le si). Tu vois moi, je te parle logique. La logique, c’est ça. Tu veux que je te parle comme les gens, les autres qui te disent « c’est beau le travail » ? C’est vrai, c’est beau….si j’avais ma propre société. Je suis là, je peux me libérer, regarder mes enfants, leur donner à manger. C’est important. J’aurais aimé rester à midi pour donner à manger aux gosses. Je suis peut être une maman poule. Ouais, je le suis. C’est mieux que ça. C’est mieux parce que je me partage en deux. Je fais le rôle de l’homme et, le rôle de la femme. Quand je dis le rôle de l’homme, ça c’est peut être archaïque, mais, je pense que la femme qui fait des enfants : déjà, il faut neuf mois pour le porter et, deux ans pour l’allaiter. … « Moi, je t’ai dit moi, j’aime bien travailler mais être libre dans mon travail. C’est pour ça que j’aime bien le commerce parce que le commerce, tu es libre. J’aime bien le travail dans les hôtels, tu es libre. La restauration aussi. En fait, c’est un truc que j’ai toujours touché. C’est comme une maison, un entretien…par contre j’aime pas les bureaux. Je n’aime pas rester derrière un bureau. Mais, j’aimerais bien apprendre à faire, taper sur un clavier…être à jour, suivre le rythme de la vie. Je suis encore paysanne. Rires. Non, non, c’est la réalité. Disons que quelqu’un qui ne tape pas sur ordinateur, il est déllétré. Je suis un peu déllétrée. Mais, je vais me rattraper. Je sais que je ne suis pas délletrée. Mais, je ne sais juste pas taper sur clavier… »

WH. L’essentiel avant les désirs, avant les (autres) besoins : « Quand j’aurai la maison, je te dirai ce qui me manque.. »

- Qu’est ce qui te manque le plus ? Qu’est ce qui est le plus difficile à gérer dans ta situation ? « Ce qui est le plus difficile à gérer dans ma situation ? Déjà, j’ai pas de maison. Et, quand t’as pas ça, t’as rien. Tu peux pas faire l’évaluation des choses. Tu peux pas évoluer. Qu’est ce qui me manque ? Quand j’aurai la maison, je te dirai ce qu’il me manque. C’est ça l’être humain. Il y a toujours quelque chose qui manque. Rires. Mais, pour le moment, j’ai juste une chambre d’hôtel. Dieu merci, j’ai un toit, je ne dors pas dans le froid. Ma chambre est aménagée comme un petit studio ce qui fait qu’il y a toutes les couleurs que je veux pour donner une vie… . Happy end…Nous avons repris contact avec WH, deux ans plus tard, en novembre 2005. Elle travaille, après une formation (aide à l’enfance), s’est remariée (religieusement), a obtenu sa « carte de 10 ans » et sa demande de naturalisation est en cours. WH. habite toujours dans un foyer et le couple attend l’attribution d’un appartement. Elle, a écrit un article dans un journal militant (nous l’avions également rencontrée à l’APEIS), et voudrait écrire un livre de témoignage, à partir de son expérience.

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Conclusion : un « curseur » du rapport au travail ? On s’en tiendra dans cette conclusion, à la comparaison entre femmes selon leurs situations et expériences de vie, puisque nous avons esquissé en introduction et dans tout le début de cette communication, des éléments de comparaison entre hommes et femmes sur le thème de la signification du travail. Nous voudrions préciser toutefois, qu’aussi bien la comparaison entre femmes, que la comparaison hommes - femmes, ou que celle qu’on peut faire entre les hommes, se base sur des éléments de situation, essentiels à nos yeux pour saisir les différences dans les rapports au travail. Bien entendu, la définition de la situation s’entend plus ou moins largement selon qu’on entreprend une comparaison entre sexes ou entre personnes du même sexe, dans une même aire culturelle ou dans des aires culturelles différentes. Dans le premier cas, l’élément de situation premier est celui de la société globale et de ses normes et codes concernant la division sexuée des rôles et des places. C’est sur cette « toile de fond » que l’on prend en compte des éléments plus circonscrits, tels que, dans la thématique qui nous intéresse ici, le type de trajectoire antérieure au chômage. De même lorsque l’on analyse et compare des parcours de personnes de même sexe ou des deux sexes, appartenant à des aires culturelles différentes, c’est l’élément sociétal large qui compose la toile de fond. Que nous disent les différentes situations des femmes sur leurs représentations respectives du travail ? Ils nous semble qu’elles nous disent d’abord qu’il faut une sécurité de situation minimale pour se projeter dans le travail, c’est-à-dire, et les différents cas des émigrées maghrébines le montrent, pour entamer un processus d’individuation (SD), voire pour « arracher » un statut de sujet, correspondant à une identité individuelle déjà bien installée dans la personne (WS et WH). Ce statut de sujet ou la question de « l’individuation » ne se pose pas pour les femmes françaises présentées. Celles-ci sont désormais assurées d’un tel statut, quelles que soient les difficultés qu’elles traversent en raison du chômage, et malgré l’existence en France de « rapports sociaux de sexes » : la comparaison avec les maghrébines est à ce propos éclatante. Il s’agirait donc la d’un premier « curseur17 » ou d’une première position du « curseur » qui permet l’élaboration d’un rapport au travail, étroitement conditionné selon nous à la possibilité d’une parole et d’actes à la première personne, de modes de vie autant que possible personnellement choisis. Lorsque la comparaison se fait entre femmes d’une même aire culturelle, les françaises par exemples, d’autres éléments de situation doivent être pris en compte, tels que l’expérience passée et l’expérience même du chômage. Quels sont dans leurs cas les éléments d’étayage pour soutenir tel ou tel discours sur le travail ? Nous avons dit en introduction que certaines femmes militant dans les associations de chômeurs tiennent un discours politisé sur la société et sur le travail. Certaines refusent désormais celui-ci soit en raison d’une vie déjà « gâchée » par le travail et au nom de découvertes et de révélations d’autres possibles données par le chômage ; soit au nom d’une activité artistique qui serait le « vrai travail » et par rapport à laquelle les autres « boulots » sont strictement alimentaires, et frustrant en proportion du temps qu’ils volent à l’autre activité. Mais les éléments d’étayage sont importants dans ces cas : l’existence, derrière soi, d’une vie professionnelle remplie, à laquelle par conséquent on peut tourner le dos… ceci d’autant plus que le conjoint travaille et gagne bien … la vie du ménage : ce que reconnaissent ces femmes, très modernes dans leurs modes de vie et 17 C’est avec une grande prudence que nous utilisons ce terme, car nous sommes très éloignée d’une vision linéaire qui rappellerait « le sens de l’histoire ». Mais dans certains cas, force est de constater, qu’il est des conditions premières pour que certaines expériences et situations soient rendues possibles.

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parfaitement indépendantes… sauf financièrement. Autre élément d’étayage : l’existence aussi d’une nouvelle vie et d’une nouvelle socialité, données par le militantisme et révélées par l’expérience même du chômage. Cet ensemble éclaire bien dans leurs cas une toute autre manière de vivre le chômage, loin de la vacuité et du temps trop long… L’existence d’une vie de travail bien nourrie précédemment est importante selon nous pour « pouvoir vouloir » changer d’horizon, accorder une autre place au travail ou s’en faire une autre idée, ou une idée tout simplement, suffisamment éprouvée : c’est une expérience à partir de quoi on peut se prononcer. On imagine en revanche, qu’un ou une jeune qui n’a jamais travaillé, aurait plus de mal, aujourd’hui en France, à se projeter sur le long terme dans le « non travail » même s’il ou elle en a les moyens financiers et culturels (amis politiques, occupations etc.). C’est du reste ce que notre enquête nous montre, à travers le refus net de tous les jeunes rencontrés, de l’idée d’un revenu garanti, même d’un niveau suffisant pour vivre. Ceux qui sont éventuellement d’accord avec cette idée, le sont en général et pour les autres, mais n’en voudraient pas pour eux-mêmes. Le « curseur » du rapport au travail, serait ici celui de l’âge et de l’expérience qu’il recouvre ou non. Si l’on rejoint maintenant une autre aire culturelle, celle où domine un schéma familial traditionnel, nous avons déjà souligné, avec les trois cas présentés (SD,WH et WS), les différentes intonations que prennent les discours et projections sur le travail, en fonction de l’ancienneté de l’immigration et de la stabilité ou non de cette situation (avec ou sans papiers). Un autre élément ou « curseur » à prendre en compte, tient évidemment à l’appartenance sociale des femmes concernées. Celles qui mettent en avant, à travers le travail (SD) ou l’exil (WH et WS) le besoin de s’affirmer comme sujet, n’ont pas le même type de vie ni de statut social que ceux de Madame V., exilée en France avec son mari et ses enfants, après la révolution iranienne. Cette femme, qui a aujourd’hui 55 ans, a toujours travaillé dans diverses ambassades, tandis que son mari, en Iran, était un artiste de renom. Une fois en France, elle s’est investie bénévolement dans une association d’aide aux exilés iraniens, tandis que lui est devenu chauffeur de taxi. Elle n’envisage pas de faire un travail inintéressant mais a besoin de demeurer très active. Elle ne sait pas ce qu’elle peut attendre de la prestation préconisée par l’ANPE (on la rencontre également chez un prestataire), mais est contente d’y trouver du monde et d’y avoir des échanges. A un travail inintéressant ou contraignant sur le plan des horaires et des transports elle préfèrerait, dit-elle, faire un travail bénévole dans une bibliothèque de quartier, comme cela lui est déjà arrivée. C’est là une modalité du « travail pour soi », soutenue là encore par le travail du conjoint. Mais travail du conjoint revendiqué cette fois, (contrairement aux femmes militantes mentionnées plus haut, « libres, modernes et dépendantes financièrement»), par cette femme « libre, traditionnelle et dépendante assumée », qui juge absolument nécessaire à l’équilibre familial que l’homme nourrisse la famille… Quitte à ce que lui troque un emploi épanouissant pour un autre, dont elle ne dit pas s’il le satisfait…. Elle est en quelque sorte le parfait miroir des hommes que nous avons rencontrés dans la première partie, notamment des hommes maghrébins : son « travail pour soi » est le pendant du « travail statut dans la famille » de ces derniers : « Mais pour un homme c’est différent !.... on dit c’est l’égalité, mais c’est faux ! C’est l’homme qui doit emmener la nourriture à la maison. S’il n’y a pas, il y a la bagarre. Un jour que mon mari ne travaille pas, je me fâche avec lui. Changeant de voix : ‘allez vas-y, travaille, va chercher de l’argent !’(rires). Prenant un air plus sérieux : Mais pour les hommes c’est dramatique »…. Et d’évoquer le cas de Monsieur B1 (cf. plus haut), qui fréquente le même organisme qu’elle, et pour qui elle se déclare être très malheureuse.

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L’enchevêtrement des paramètres à prendre en compte pour traiter d’un aspect de la question « genre et travail » invite donc à beaucoup de prudence dans la manière même de poser les questions. Ne pas adopter un point de vue « victimaire » pour ce qui concerne les femmes semble nécessaire pour comprendre aussi dans quelles contraintes les hommes sont pris d’une part, et pour demeurer clairvoyant quant au rôle des femmes elles-mêmes dans le maintient de certains statut quo. Ce qui donne la mesure de la force et du chemin parcouru … et à parcourir encore, par les femmes qui héritent surtout, avec la tradition, de la domination masculine, et qui entendent en sortir.

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Session 2

Session 2

Valorisation du capital humain

• Présidents : Touhami Abdelkhalek

(INSEA / Maroc) Catherine Sofer Université Paris 1 / France

• Décisions d’investissement éducatif et abandon scolaire,

analyse théorique et estimations micro-économiques sur données individuelles tunisiennes Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem (Faculté des sciences économiques et de gestion de Tunis / Tunisie)

• La situation des diplômés de la formation professionnelle sur le marché du travail au Maroc : une analyse par genre à l’aide des modèles de durée Brahim Boudarbat (Université de Montréal / Canada)

• Du Système National d’Innovation au Système National de Construction de Compétences ou comment les recherches sur l’innovation sont-elles influencées par les nouveaux enjeux de l’éducation et des marchés du travail Mohamed Benlahcen-Tlemcani et Vanessa Casadella (grecos - Université de Perpignan Via Domitia / France)

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Décisions d’investissement éducatif et abandon scolaire, analyse théorique et estimations micro-économétriques sur

données individuelles Tunisiennes.

Mohamed El Hédi Zaiem, Rihab Bellakhal

Résumé : Dans cet article, on se propose d’étudier les déterminants de l’abandon scolaire, première source de la non qualification des jeunes. La théorie du capital humain considère l’éducation comme un investissement qui valorise l’individu et améliore à terme sa productivité et son revenu. Les décisions individuelles en matière d’investissement éducatif sont cependant diversifiées et hétérogènes. La décision d’arrêter rapidement la scolarité et de renoncer à des études pourtant rentables, prise par l’individu ou le plus souvent sa famille relève de causes multiples. Ces déterminants sont d’ordre sociologique, économique, individuel et institutionnel. Dans l’application économétrique on se propose d’analyser et de tester les déterminants de l’abandon scolaire en Tunisie. Les résultats obtenus à partir de données individuelles d’une enquête effectuée par le Centre de Recherches, d’Etudes, de Documentation et d’Information sur la Femme (CREDIF) portant sur les différences entre filles et garçon en matière de scolarisation, confirment bien l’impact du sexe, du milieu socio-économique, du niveau d’instruction des parents, du travail,…sur l’abandon scolaire en Tunisie. Mots clés : théorie du capital humain, investissement éducatif, abandon scolaire, déterminants, genre, Tunisie.

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

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1. INTRODUCTION

Le phénomène de l’abandon scolaire connaît ces dernières années un intérêt

croissant aussi bien dans les pays industrialisés qu’en voie de développement. Bien que ce

phénomène ne soit pas nouveau, l’émergence d’un nouvel ordre économique régi par les

lois de la concurrence et de la compétitivité lui donne actuellement plus d’ampleur. En

effet, avec la mondialisation de l’économie et la globalisation des échanges, les pays ont

besoin d’une main d’œuvre hautement qualifiée capable de répondre aux exigences du

nouveau marché. Le personnel non qualifié n’a guère de place dans cet univers qui attend

de chacun de solides connaissances pour apprendre et communiquer et une plus grande

polyvalence que par le passé. L’enfant, qui jadis échouait scolairement, avait néanmoins un

avenir. Que faire de lui dans un monde où il n’aura plus sa place?

L’abandon scolaire constitue la première source de la non qualification des

travailleurs ; les connaissances, le savoir faire et la spécialisation acquis à l’école sont

justement ceux exigés par la nouvelle conjoncture économique. L’individu qui quitte

l’école avant d’avoir acquis ces compétences ne pourra plus exercer un rôle actif dans la

société.

Outre la non qualification de la main d’œuvre, plusieurs raisons poussent à s’inquiéter de

l’ampleur du phénomène de l’abandon scolaire. Il s’agit notamment des ressources

humaines et matérielles gaspillées pour des élèves qui quittent l’école avant d’avoir mené à

bien un cycle d’étude. Ici l’abandon absorbe une grande partie des ressources allouées à

l’éducation qu’on aurait pu utiliser pour scolariser d’autres enfants.

Il s’agit également de sa lourde incidence à long terme sur l’analphabétisme des adultes qui

sape tous les efforts entrepris pour réduire ce problème puisque les enfants qui quittent

l’école avant d’avoir acquis les compétences de base durables retombent souvent dans

l’analphabétisme.

Ainsi, le phénomène de l’abandon scolaire met non seulement en péril l’avenir des

individus mais également celui des nations. Réduire au maximum le taux d’abandon est

alors un objectif stratégique pour chaque pays.

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

134

Lorsque les chercheurs traitent du problème de l’abandon scolaire, une question

fondamentale est toujours posée : Qui est responsable de l’abandon scolaire ? La réponse

à cette question ne semble pas facile et évidente car l’abandon relève de causes multiples.

La connaissance de ces causes est nécessaire dans la mesure où elle permettra d’agir sur ce

problème.

Dans cet article, on se propose d’étudier les déterminants de l’abandon scolaire.

Nous verrons que dans le cadre de la théorie du capital humain, l’éducation est considérée

comme un investissement qui valorise l’individu et améliore à terme sa productivité et son

revenu, nous nous interrogerons alors sur les motifs qui poussent l’individu à renoncer à un

investissement rentable tel que l’éducation.

La deuxième section de ce travail portera sur les fondements théoriques de l’abandon

scolaire, nous verrons comment la théorie du capital humain permet d’apporter des

explications rigoureuses au problème de l’abandon des études. Nous montrerons également

que, dans la littérature économique, plusieurs facteurs ont été mis en cause dans

l’explication du phénomène de l’abandon scolaire. La troisième section portera sur une

étude empirique des déterminants de l’abandon scolaire en Tunisie. En exploitant les

données d’une enquête effectuée en 2000 par le Centre de Recherches, d’Etudes, de

Documentation et d’Information sur la Femme (CREDIF) et portant sur les différences

entre filles et garçons en matière de scolarité, nous essayerons de voir quels sont les

facteurs qui poussent l’individu à abandonner ses études en Tunisie. La section 4 conclut

le texte.

2. L’abandon scolaire dans la littérature économique

2.1. Théorie du capital humain et investissement éducatif

Bien que l’abandon scolaire relève plus de l’ordre social, les économistes

notamment Becker (1960) et Schultz (1960) ont largement contribué à l’explication de ce

phénomène. Leurs travaux pionniers effectués à l’université de Chicago au début des

années soixante ont conduit à l’élaboration de la théorie du capital humain, qui connaît

depuis lors un succès certain dans la littérature économique notamment grâce à sa

contribution à l’analyse de phénomènes jusque là mal expliqués en particulier dans le

domaine de l’éducation.

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

135

L’idée centrale de la théorie est que le savoir et la connaissance tant pour un individu que

pour la collectivité, sont sources de richesse et sont donc valorisables. Le capital humain

est alors la nouvelle matière première qu’il est indispensable d’avoir et d’accumuler par

voie d’investissement.

La théorie du capital humain considère l’éducation comme la plus importante forme

d’investissement en connaissances et en capital humain. L’importance de l’éducation a été

révélée dans plusieurs études qui montrent que l’instruction contribue largement à

l’augmentation de la productivité et du bien être individuel. Toutes les études ont montré

qu’en moyenne, les gains individuels sont d’autant plus importants que le nombre d’années

passées à l’école est élevé. Des recherches empiriques menées dans ce cadre ont montré

que le taux de rendement de l’investissement éducatif est comparable à celui de

l’investissement matériel. Schultz (1960) estime qu’aux Etats-Unis, une année supplémentaire d’étude augmenterait le revenu individuel de 11% en moyenne.

L’investissement éducatif est constitué par les compétences et le savoir acquis dans

les établissements d’enseignement. L’individu supporte, tout au long de sa vie scolaire, des

coûts qui seront compensés plus tard par le surplus de revenu engendré par l’éducation. Cet

investissement est coûteux. Outre les dépenses additionnelles entraînées par la

fréquentation d’un établissement scolaire telles que les frais d’inscription, de transport et

les fournitures scolaires, l’individu supporte des coûts indirects que sont les revenus qu’il

aurait eus s’il avait travaillé, qualifiés de manque à gagner.

Bien que coûteux, l’investissement éducatif est très rentable. Les bénéfices que retire

l’individu de l’éducation sont à la fois monétaires et non monétaires (psychiques). En

effet, l’éducation augmente les revenus monétaires des individus en leur procurant des

salaires plus élevés. Elle développe également leurs compétences et favorise les aptitudes

à apprendre davantage, à mieux profiter des temps de loisir et à s’adapter plus efficacement

aux changements.

On remarque cependant que les décisions individuelles en matière d’investissement

éducatif s’avèrent différenciées tant en quantité qu’en qualité. On voit que le nombre

d’années d’études varie énormément entre les individus ; certains quittent l’école dès que

la loi les y autorise, d’autres par contre poursuivent des études très longues. La question qui

se pose ici est : pourquoi certains individus arrêtent-ils rapidement leur scolarité et

renoncent à des études apparemment retables ?

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

136

2.2.Analyse de la diversité des décisions individuelles en matière de scolarisation La première explication rigoureuse du problème des choix scolaires différents entre

les individus a été proposée par Becker (1967) qui identifie deux sources de l’hétérogénéité

des comportements individuels en matière d’investissement éducatif, à savoir : les écarts

dans les capacités individuelles et les accès inégaux aux sources de financement.

Dans son analyse, Becker suppose que chaque individu détermine rationnellement ses

décisions en matière d’investissement humain. Il attribue à chacun une courbe de demande

de capital humain et une courbe d’offre. La quantité optimale d’investissement correspond

au point d’intersection entre ces deux courbes. Cette quantité varie d’un individu à l’autre

selon les conditions d’offre et de demande. La courbe de demande est la courbe d’efficacité

marginale du capital qui relie chaque niveau d’investissement possible à son taux de

rendement marginal.

La courbe d’offre est la courbe des coûts de financements marginaux de l’investissement en

capital humain mesuré par le taux d’intérêt payé pour chaque investissement

supplémentaire effectué. Les coûts de financement de ces investissements varient selon

leurs provenance. Ainsi, les subventions et les bourses gouvernementales sont obtenues à

taux d’intérêt nul et sont par conséquent les moins coûteuses. Les emprunts forment la

source de financement la plus coûteuse.

Les différences d’investissement observées entre les individus proviennent des

différences entre les courbes individuelles d’offre et de demande. Trois situations peuvent

dans ce cas être envisagées selon que les individus différent par leur courbe d’offre et/ ou

par leur courbe de demande. Les graphiques suivants illustrent ces trois situations :

Dans le graphique 2-1, les individus sont supposés dotés des mêmes conditions de

production et de rentabilisation du capital humain. Ils ont les mêmes aptitudes naturelles et

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

137

tirent le même rendement des investissements. Leur courbe de demande est identique. Par

contre, ils diffèrent par les conditions de financement.

Des conditions de financement variées font que certains individus puisent dans les sources

les plus coûteuses pour financer leurs investissements ; d’autres par contre, plus favorisés,

subissent un coût marginal moins élevé. Ceux-ci ont une courbe d’offre plus basse et auront

tendance à investir davantage. La suppression des inégalités du point de vue financier

aboutira à l’égalité des montants investis. Ce cas de figure a été développé dans plusieurs

autres études notamment dans celles de Lazear (1980) et de Cameron et Taber (2000).

Dans le graphique 2-2, les conditions de financement y sont supposées identiques pour tous

les individus. La dispersion des investissements provient dans ce cas de la dispersion des

courbes de demande. Celle-ci émane de l’inégalité des aptitudes à profiter d’un même

investissement en capital humain.

Il existe une dispersion des capacités individuelles et des motivations telles que les

personnes les plus douées, les plus intelligentes tirent une rentabilité plus élevée d’un

même investissement1 et auront tendance à investir davantage. Même une fonction d’offre

parfaitement élastique telle que chacun dispose de disponibilités financières illimitées à un

certain taux d’intérêt, ne réduit pas la dispersion des investissement.

Le graphique 2-3 représente la situation la plus réaliste qui consiste à considérer aussi bien

une inégalité des opportunités de financement qu’une inégalité des aptitudes. L’inégalité

des investissements en capital humain dépendra de la dispersion des courbes d’offre et des

courbes de demande. On définit alors quatre points d’équilibre impliquant quatre niveaux

de scolarisation différents (du plus faible Q11 : individu peu apte d’origine modeste, au plus

élevé Q22 : individu apte d’origine aisée)

Mingat (1973) a donné une explication plus pertinente de la diversité des décisions

individuelles en matière de scolarisation. L’idée est d’intégrer dans l’analyse des choix

scolaires, les caractéristiques socio-économiques du décideur. Pour lui l’individu est un

agent économique qui détermine rationnellement ses décisions en matière d’investissement

éducatif. Cet individu s’interroge sur les chances qu’il a de récupérer sa mise. Il fait, en

d’autres termes, une analyse coût-avantage dans laquelle il compare le coût immédiat de

1 leur courbe de demande est plus élevée.

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

138

sa décision et le surplus de gain qu’il peut en attendre dans l’avenir. Il met alors en balance

les coûts et avantages de chaque dose additionnelle d’éducation et ne cesse d’investir que

quand la somme actualisée des gains n’est que tout juste compensée par celle des coûts.

Mingat définit la fonction du bénéfice net actualisée de la façon suivante:

BB0 (tA) = - ∫tA

0Ci (t) . e

-kit .dt + ∫

tA

BtRi (t) . e

-kit .dt

Avec, tA : âge de cessation des études et i un indice caractérisant la famille où i = I (famille

aisée), II (famille modeste).

On remarque ici que la fonction du bénéfice net actualisé n’est pas unique mais varie selon

que la famille soit de type aisé ou modeste. Ceci s’applique aussi pour les fonctions de coût

(Ci(t)), de revenu (Ri(t)) et le taux d’actualisation retenus (ki).

La fonction de coût varie avec le niveau de revenus des parents, la taille de la famille et

l’appartenance sociale.

La fonction de revenu dépend de la catégorie sociale d’origine de l’individu mais aussi de

ses capacités et de ses aptitudes. Les qualités “ innées ” individuelles décident de la

possibilité donnée à un enfant de poursuivre ses études car l’éducation est fondée

essentiellement sur des apprentissages cognitifs dont la complexité augmente avec le

niveau d’études si bien que seuls les individus dotés de capacités importantes sont à même

de gravir jusqu’en haut les échelons de la hiérarchie scolaire. Ainsi, les différences dans les

revenus observés doivent s’expliquer par la possession de diplômes différents qui sont eux

mêmes expliqués par des qualités naturelles en moyenne différentes.

Ces qualités naturelles sont en fait en partie imputables au milieu familial d’origine. Les

dépenses socio-éducatives engagées par les familles qui reconnaissent l’utilité de

l’éducation semblent contribuer au développement intellectuel de l’enfant.

Le taux d’actualisation est une fonction décroissante du revenu des parents et de la taille de

la famille. En effet, pour une famille pauvre, surtout si elle est nombreuse, un salaire

immédiat de travailleur non qualifié a une valeur très forte que ne compense pas la

perspective d’un revenu plus élevé à une date lointaine. Dans ces familles, les enfants sont

utilisés dès le plus jeune âge comme main d’œuvre afin de desserrer la contrainte

budgétaire. Une famille aisée ou moins nombreuse n’aurait certainement pas accordé la

même importance au temps présent.

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

139

Ainsi, le modèle proposé par Mingat permet d’évaluer des formations optimales

pour des catégories socio-familiales et des capacités individuelles différentes et par là

d’expliquer la diversité des décisions individuelles en matière de scolarisation. Son modèle

montre, à l’instar de celui de Becker, qu’une scolarité courte peut constituer pour certains

individus ou pour leurs familles une décision optimale puisqu’elle maximise leurs utilités

individuelles : Ces individus sont soit issus de familles modestes qui ne possèdent pas les

fonds nécessaires pour financer l’éducation de leurs enfants et se voient parfois obligées de

recourir aux sources de financement les plus coûteuses, soit dotés de capacités individuelles

ne leurs permettant pas d’aller plus loin dans leur scolarité.

2.3. L’impact de la structure familiale sur la scolarisation Plusieurs études ont montré que la scolarisation repose sur une logique de transfert

intergénérationnel entre parents et enfants. Les enfants, selon le type de famille dont ils

sont issus, ne suivront pas le même parcours scolaire. Ceux dont les parents sont plus

éduqués effectueront des études plus longues que les autres.

Plug et Vijverberg (2000) ont rigoureusement analysé la relation entre le niveau

éducatif des parents et celui des enfants. Ils montrent à partir d’une modélisation de la

mobilité du capital humain comment l’aptitude, le revenu familial et la scolarisation se

transmettent à travers les générations. Selon eux l’éducation dépend d’attributs qui varient

entre les familles mais aussi entre les individus d’une même famille, tels que l’âge et le

sexe. Le revenu, l’aptitude et le niveau éducatif des parents représentent des variables qui

diffèrent d’une famille à l’autre. L’étude empirique a porté sur un échantillon de 6460

enfants issus de 3230 familles, sur lesquels on dispose d’informations multigénérationelles

très détaillées.

Concernant l’impact de la structure familiale sur les carrières scolaires des enfants,

ils montrent que le niveau éducatif du père et celui de la mère ont un impact positif et

significatif sur celui des enfants. les coefficients de ces deux variables étant égaux, l’impact

du niveau éducatif de la mère et celui du père sur les carrières scolaires des enfants est alors

le même. Les résultats montrent également que le revenu des parents a un impact positif et

significatif sur la scolarisation des enfants et que le fait d’avoir des frères ou des sœurs

dans la famille a au contraire un impact négatif et significatif.

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

140

Concernant les déterminants individuels, les auteurs montrent que les plus jeunes

investissent plus en éducation que les autres et que les filles fréquentent l’école plus

longtemps que les garçons.

Ainsi, les résultats obtenus confirment bien le transfert de l’aptitude et du capital

humain entre parents et enfants. Plug et Vijverberg ont poussé l’analyse en s’interrogeant

sur la voie par laquelle se transmet l’aptitude. S’agit-il en effet, d’une valeur héritée ou

plutôt acquise?

Pour répondre à cette question, les auteurs ont introduit une nouvelle variable dans le

modèle reflétant le statut biologique de l’enfant.

Les résultats obtenus montrent que le fait d’être adoptif a un impact négatif important et

significatif sur la scolarisation. Les enfants adoptifs sont moins performants en études que

les autres. Le facteur génétique est la principale voie du transfert de l’aptitude entre les

générations. Les résultats montrent également qu’environ 79% de ce transfert s’effectue à

travers les gênes et que l’environnement n’y joue pas un rôle dominant.

Les résultats présentés ci-dessus concernent un échantillon composé de filles et de garçons.

Cependant, il est possible qu’il y ait des différences entre les deux sexes. L’estimation du

modèle séparément pour un échantillon composé uniquement de filles et un autre composé

de garçons montre qu’il n’existe pas de différences significatives entre les filles et les

garçons concernant l’effet de la structure familiale sur leur carrière scolaire. Les deux sexes

sont affectés de la même façon par le revenu des parents et leur aptitude. Les différences

concernent les voies de transfert de l’aptitude. On remarque en effet, que pour les garçons,

environ 55% de celle-ci se transmet à travers les gênes. Pour les filles, le transfert

génétique est de l’ordre de 95%.

Une étude similaire à celle de Plug et Vijverberg a été proposée par Lenoir (2000)

qui montre que le transfert de capital humain entre parents et enfants est influencé par trois

types de variables, à savoir : les caractéristiques des parents, du ménage et de la fratrie.

L’étude empirique a porté sur un pays en voie de développement, la Malaisie. L’analyse

économétrique consiste à estimer le transfert sous forme de capital humain que les parents

opèrent vers leurs enfants. Dans un premier temps, un échantillon global contenant 1152

individus de sexes masculin et féminin a été retenu. Un test de Chow a été effectué par la

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

141

suite afin de tester si les coefficients obtenus sont statistiquement différents pour les

garçons et pour les filles. A l’issue de ce test , l’hypothèse de constance des coefficients

entre les deux sous-échantillons a été levée, les mêmes régressions ont été alors refaites sur

les deux sous-échantillons. Pour chacun des trois échantillons, trois régressions distinctes

ont été effectuées. Dans la première, des variables dites classiques ont été introduites ainsi

que la taille de la fratrie. Dans une deuxième régression, l’auteur a introduit des variables

intra-familiales telle que la composition par sexe de la fratrie. Enfin, dans la troisième

l’impact de la position de l’enfant relativement à ses frères et sœurs a été testé.

Globalement, les résultats obtenus confirment l’influence de plusieurs

caractéristiques familiales sur le transfert du capital humain. Concernant les

caractéristiques des parents, l’auteur montre que seules les caractéristiques de la mère, son

niveau éducatif et son âge, ont un impact significatif sur le niveau éducatif atteint par

l’enfant. Les caractéristiques du père ne semblent pas y avoir d’incidence. Le niveau

scolaire de la mère a un impact positif sur celui de l’enfant. Plus il est élevé, plus l’enfant

investira dans sa scolarisation. L’impact de l’âge est par contre négatif. Ainsi, plus la mère

est âgée, moins l’enfant recevra d’éducation.

Concernant les caractéristiques de la famille, les résultats obtenus montrent que le revenu

net du ménage a un impact positif et significatif. En effet, lorsque le ménage a un revenu

plus élevé, il pourra consacrer plus de ressources à l’investissement en éducation pour son

enfant. La taille de la fratrie a un impact positif et significatif sur la scolarisation. Ce

résultat a été déjà observé dans plusieurs pays en voie de développement. En effet, dans ces

pays, les enfants participent généralement aux activités du ménage et lorsqu’ils sont

nombreux ils peuvent se répartir les tâches et suivre un cursus scolaire.

L’introduction de caractéristiques spécifiques telles que la composition par sexe de

la fratrie puis la position relative de l’enfant dans la fratrie permet d’augmenter

sensiblement le pouvoir explicatif du modèle. L’auteur prouve qu’un enfant qui évolue

dans une fratrie dans laquelle il y a beaucoup de filles, surtout si elles sont plus âgées que

lui, recevra davantage d’éducation qu’un autre. Le nombre de sœurs plus âgées a en effet

un impact positif et significatif sur le niveau éducatif obtenu par l’enfant.

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

142

La division de l’échantillon global donne des résultats sensiblement différents pour

les filles et les garçons, et reflète le fait que les deux sexes ne sont pas affectés de la même

façon par la structure familiale et que les parents n’adoptent pas les mêmes stratégies

d’investissement pour leurs enfants.

En effet, Lenoir constate que le niveau éducatif de la mère a un impact positif et significatif

sur celui de sa fille, mais pas sur celui de son fils. Par contre, un niveau éducatif élevé du

père stimule la scolarisation du garçon et n’a aucun impact sur la scolarisation des filles.

Le revenu net du ménage a un impact positif et significatif seulement pour les garçons. Le

niveau éducatif des filles ne semble pas très sensible au revenu des parents.

La taille de la fratrie a un impact positif et significatif sur le niveau éducatif atteint par les

filles et par les garçons. Ainsi, les enfants issus d’une grande fratrie atteindront un niveau

d’éducation plus élevé que les autres quelque soit leur sexe.

Pour l’échantillon féminin, le nombre de garçons présents dans la fratrie a un impact

négatif et significatif sur le niveau de transfert de capital humain. Par contre, le nombre de

filles dans la fratrie a un impact positif et significatif sur le niveau d’éducation obtenu par

le garçon. Ces résultats montrent qu’au sein d’une famille, il existe une rivalité en terme

d’accès à l’éducation entre les enfants de sexes différents.

Bien que les résultats des deux études présentées ci-dessus soient différents, les

auteurs partagent néanmoins la même idée à savoir que la scolarisation repose sur une

logique de transfert intergénérationnel entre parents et enfants et que des choix scolaires

variés sont alors dus à des structures familiales différentes. Ceroni (2001) a montré qu’une

distribution initiale inégale de capital humain se transmet d’une génération à l’autre et

persiste sur un long terme et pour plusieurs générations.

2.4. L’impact des facteurs macro-économiques sur les décisions scolaires Plusieurs études ont mis en évidence le rôle de certains facteurs macro-économiques

tels que le taux de chômage et le salaire minimum dans l’explication des décisions

individuelles en matière de scolarisation.

Dagenais et Alii (1999) se sont intéressés à une décision éducative particulière :

l’abandon des études. En explorant toute la gamme des déterminants de l’abandon et en

étudiant les motifs qui poussent un étudiant à délaisser l’école, ces auteurs ont porté une

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

143

attention particulière aux variables macroéconomiques qui pourraient être considérées

comme des variables de politique d’intervention.

Le modèle économétrique utilisé dans cette étude regroupe l’ensemble des variables

susceptibles d’expliquer le phénomène de l’abandon. Celles-ci portent sur les

caractéristiques personnelles (sexe, performance scolaire, travail pendant les études, etc.),

socio-économiques (situation familiale, éducation des parents, etc.), mais aussi

institutionnelles et macroéconomiques (taux de chômage, salaire minimum, âge légal

d’abandon, etc.).

L’estimation de ce modèle est effectuée sur la base des données d’une enquête

rétrospective menée au Canada sur les sortants de l’école secondaire. Cette enquête a porté

sur des jeunes âgés de 18-20 ans en 1991 qui, entre 1984 et 1991, correspondaient à l’un ou

à l’autre des trois statuts suivants : diplômé, persévérant, ou sortant.

Les résultats obtenus montrent que le fait d’être un garçon a un impact positif et

significatif sur l’abandon, les garçons abandonnent davantage leurs études que les filles. Ce

résultat est confirmé par plusieurs chercheurs, notamment par Charles et Luoh (2002), qui

se sont intéressés au changement considérable des carrières scolaires relatives aux filles

et aux garçons durant les trois dernières décennies et attribuent la chute des investissements

éducatifs émanant des garçons à l’influence du marché du travail et du salaire.

Les résultats montrent également que le nombre de changement d’école a un impact positif

et significatif sur l’abandon scolaire, les élèves qui ont subi plusieurs changements d’école

abandonnent plus leurs études que les autres et que la fréquentation d’une école privée a un

impact négatif sur l’abandon des études. Ceci paraît explicable vu que les enfants qui

fréquentent ce type d’école sont généralement issus de familles aisées, leur environnement

socio-économique est donc favorable.

Un résultat important de cette étude est celui du rôle du salaire minimum dans le

phénomène de décrochage. Un salaire minimum élevé contribue de façon significative à

accroître l’abandon. Ce résultat illustre bien le concept de coût d’opportunité. En effet,

l’investissement éducatif comporte un coût d’opportunité équivalent au revenu qu’un

individu pourrait gagner en travaillant. Plus ce revenu est élevé plus l’abandon scolaire portera à conséquence. Les individus les plus sensibles à cette situation sont ceux qui

préfèrent un gain immédiat à tout autre gain futur, même s’il est plus élevé. Selon Neumark

et Wascher (1994), une hausse du salaire minimum engendre l’augmentation du nombre

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

144

d’adolescents en chômage. En quittant l’école pour un salaire élevé, ces individus se

trouvent confrontés à un marché de travail saturé notamment pour les travailleurs non

qualifiés. Ils finissent alors par être exclus et du marché du travail et de l’école.

Parallèlement au salaire minimum, un taux de chômage faible incite davantage les élèves à

décrocher. Ainsi la pire des situations pour l’abandon scolaire est une hausse du salaire

minimum et une baisse du taux de chômage.

Concernant l’effet des heures travaillées sur l’abandon scolaire, les résultats montrent que

la propension à abandonner est plus faible pour l’étudiant qui travaille moins de 15 heures

par semaine que pour l’étudiant qui ne travaille pas du tout. Cependant, pour celui qui

travaille plus de 15 heures, cette probabilité devient supérieure et augmente encore pour

l’étudiant travaillant plus de 30 heures. Ainsi, l’étudiant qui travaille un nombre limité

d’heures par semaine a tendance à mieux réussir en classe et à persévérer dans ses études.

Une participation intensive au marché du travail devient au contraire risquée.

3. Analyse empirique de l’abandon scolaire Dans cette section, nous tenterons de tester empiriquement l’impact des variables

traditionnellement mises en cause par les chercheurs sur l’abandon scolaire. L’étude

empirique portera sur la Tunisie qui, en dépit des efforts fournis en matière de

scolarisation2, souffre encore du problème de l’abandon scolaire. Ce problème est d’autant

plus préoccupant qu’une partie importante de la population, exclue de l’enseignement, ne

possède pas les connaissances et les habiletés de base nécessaires pour l’exercice d’un rôle

actif dans l’économie émergente.

3.1. Présentation des données et quelques statistiques descriptives

3.1.1. Base de données

L’étude empirique que nous entreprenons utilise les données de l’enquête

pédagogique sur les différences en matière de scolarité entre les filles et les garçons en

Tunisie, menée en l’an 2000 par le centre de Recherches, d’Etudes, de Documentation et

d’Information sur la Femme (CREDIF) et l’Institut des études sociologiques appliquées

2 La réforme récente du système éducatif, a institué l’enseignement de base obligatoire d’une durée de neuf ans afin de garantir un minimum d’éducation commun à tous les jeunes quelque soit leur sexe et leur origine sociale (voir loi n°91-65 du 29 juillet 1991 relative au système éducatif, Chapitre II, article7).

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

145

Norvégien (FAFO). L’objectif de cette enquête est de déterminer les différences

éventuelles entre les filles et les garçons en matière de scolarité, leurs manifestations et

leurs impacts sur les représentations et les attitudes des jeunes.

L’enquête porte sur un échantillon représentatif de 3284 élèves des premier et deuxième

cycle de l’enseignement de base, de sexe masculin et féminin, répartis sur l’ensemble du

territoire national et appartenant à l’un ou l’autre des trois statuts suivants “passant”,

“redoublant” ou “sortant”. Les données de l’enquête ont été recueillies par quatre

questionnaires instruits au cours d’interviews, à savoir : le questionnaire école, le

questionnaire famille, le questionnaire mère ou père et le questionnaire élève. De

nombreuses questions ont été alors posées sur les caractéristiques familiales, la

performance à l’école, les habitudes de vie, les interactions sociales ainsi que les activités

sur le marché du travail.

Le questionnaire école est adressé aux directeurs des écoles, choisies au hasard. Des

informations concernant le nombre d’élèves qui ont abandonné l’école, le nombre de

redoublants et de passants ont été recueillies. Le directeur fournit également à l’enquêteur

l’adresse d’un échantillon aléatoire d’élèves afin de les interviewer.

Le questionnaire famille comporte quatre modules. L’enquêteur commence par recueillir

les principales caractéristiques (âge, sexe, état civil….) de chaque membre du ménage et

des personnes résidentes avec la famille. Le deuxième module porte sur la situation scolaire

et les compétences éducatives de ces individus. Le troisième comprend les questions

relatives au travail exercé par les membres du ménage et les sources du revenu familial. Le

dernier module de ce questionnaire concerne le type et les conditions d’habitat ainsi que le

voisinage.

Le questionnaire mère ou père est adressé à l’un des parents de l’élève et contient des

questions variées permettant particulièrement de relater l’assistance parentale dont

bénéficie l’élève et l’environnement dans lequel évolue sa scolarité.

Le questionnaire élève contient à la fois des questions générales posées à tous les élèves et

des questions spécifiques adressées aux élèves qui fréquentent l’école au cours de l’enquête

et à ceux qui l’ont quittée. Les questions portent essentiellement sur les activités effectuées

par l’élève en dehors de l’école.

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

146

3.1.2. Analyse descriptive de l’échantillon L’échantillon de base comprend 3284 élèves dont 51,8% sont de sexe masculin. Les

principales caractéristiques de cet échantillon sont données par les tableaux suivants : Tableau 1 : distribution des élèves selon le milieu

Frequency Percent Valid Percent

Rural dispersé 992 30,2 34,5 Rural regroupé 497 15,1 17,3 Péri-urbain 778 23,7 27,0 Urbain 610 18,6 21,2 Total 2877 87,6 100,0 Non déclaré 407 12,4 Total 3284 100,0

Le tableau 1 donne la distribution de la population enquêtée selon le milieu. On voit que

51,8% des élèves appartiennent au milieu rural dont 30,2% au rural dispersé contre 48,2%

du milieu urbain. Cette distribution se justifie par le fait que le phénomène étudié à savoir

les inégalités entre les filles et les garçons en matière de scolarité, s’observe plus dans les

zones rurales qu’urbaines.

Le tableau 2 nous donne la répartition de ces élèves entre les groupes :

Tableau 2 : distribution selon le groupe

Frequency Percent Valid Percent

Passant 1560 47,5 47,5 Redoublant 1026 31,2 31,2 Abandon réglementaire 393 12,0 12,0 Abandon volontaire 305 9,3 9,3 Total 3284 100,0 100,0

Ainsi 47,5% de l’effectif total sont des passants, 31,2% sont des redoublants et 21,3% ont

abandonné leurs études, parmi lesquels 9,3% sont des sortants volontaires.

Le tableau suivant donne la distribution des élèves selon le niveau d’instruction de leur

père.

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

147

Tableau 3: distribution selon le niveau d’instruction du père

Frequency Percent Valid Percent Cumulative Percent

N'a pas achevé le primaire 1233 37,5 37,5 37,5 1 cycle de base 79 2,4 2,4 40,0 2 cycle de base 216 6,6 6,6 46,5 Secondaire 343 10,4 10,4 57,0 Formation professionnelle 69 2,1 2,1 59,1 Maîtrise 60 1,8 1,8 60,9 3eme cycle 94 2,9 2,9 63,8 Ne répond pas 1190 36,2 36,2 100,0 Total 3284 100,0 100,0

Sachant que 36,2% des pères et 57% des mères n’ont pas répondu à la question relative à

leur niveau d’instruction, on remarque que la proportion des élèves dont le père n’a pas

achevé le primaire est de 37,5% et seulement 1,8% ont un père maîtrisard. Ces proportions

sont semblables à celles observées pour le niveau éducatif de la mère. En effet, la

majorité des élèves (29,2%) ont la mère qui n’a pas achevé le primaire contre 0,7% pour la

maîtrise.

Tableau 4 : distribution par tranche de revenu*

Frequency Percent Valid Percent Cumulative Percent

MOINS DE 2000 915 27,9 31,3 31,3 2000 a 3000 559 17,0 19,1 50,5 3000 a 4000 511 15,6 17,5 68,0 4000 a 8000 703 21,4 24,1 92,0 8000 et + 233 7,1 8,0 100,0 Total valid 2921 88,9 100,0 Missing System 363 11,1 Total 3284 100,0

*unité en dinar

Le tableau 4 donne la distribution des élèves par tranches de revenu familial. Une

proportion importante d’élèves (31,3%) vivent dans une famille dont le revenu annuel

n’atteint pas 2000D alors que 8% seulement de l’effectif total est issu d’une famille aisée.

La majorité des élèves (90,3%) ne perçoivent aucune forme d’aide financière pour couvrir

les frais de leur scolarité. L’aide publique sous forme de bourses concerne seulement 7,2%

de l’effectif total.

Les tableaux suivants mettent en lumière le lien qui existe entre l’appartenance de

l’élève à un groupe particulier et certaines autres variables.

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

148

Le tableau 5 donne la répartition des élèves selon le groupe et le sexe. On remarque que

50,6% de l’effectif total des filles sont des passantes. Cette proportion est de 44,7% pour

les garçons. Les filles semblent donc réussir mieux dans leurs études que les garçons. Par

contre l’abandon volontaire est plus fréquent chez les filles que chez les garçons (10,4%

contre 8,3%).

Tableau 5: répartition selon le groupe et le sexe

Groupe de l'élève

Passant Redouble Ab-régleme Ab-Volont

Total

Masculin Count 760 568 233 141 1702 % within sexe 44,7% 33,4% 13,7% 8,3% 100,0%

Féminin Count 800 458 160 164 1582

sexe % within sexe 50,6% 29,0% 10,1% 10,4% 100,0%

Total Count 1560 1026 393 305 3284 % within sexe 47,5% 31,2% 12,0% 9,3% 100,0%

L’examen de la répartition des élèves selon le groupe et le revenu familial montre que la

proportion des passants augmente au fur et à mesure que le revenu familial s’accroît.

71,2% des élèves dont le revenu familial est supérieur à 8000D sont des passants, cette

proportion vaut 41,7% pour ceux dont le revenu ne dépasse pas 2000D.

Tableau 6 : répartition selon le groupe de l’élève et le revenu

Groupe de l'élève Total

Passant Redouble Ab-regleme Ab-Volont moins de 2000 Count 382 337 98 98 915

% within tranche 41,7% 36,8% 10,7% 10,7% 100,0%

2000 a 3000 Count 239 188 70 62 559 % within tranche 42,8% 33,6% 12,5% 11,1% 100,0%

3000 a 4000 Count 240 170 62 39 511 % within tranche 47,0% 33,3% 12,1% 7,6% 100,0%

4000 a 8000 Count 392 202 68 41 703 % within tranche 55,8% 28,7% 9,7% 5,8% 100,0%

8000 et + Count 166 41 18 8 233

Tranche de

revenu

% within tranche 71,2% 17,6% 7,7% 3,4% 100,0%

Total Count 1419 938 316 248 2921 % within

tranche 48,6% 32,1% 10,8% 8,5% 100,0%

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

149

La répartition des élèves selon le groupe et le nombre de jours où l’élève a

travaillé3(tableau 7) montre que la proportion des passants diminue au fur et à mesure que

le nombre de jours augmente. Seulement 27,8% des élèves qui ont travaillé pendant les

trois jours sont des passants. Cette proportion atteint 53,4% pour les élèves qui n’exercent

aucune activité en dehors de la maison. Au contraire, le pourcentage des élèves qui

abandonnent leurs études croit avec le nombre de jours de travail.

Tableau 7 : répartition selon le groupe de l’élève et le travail

Groupe de l'élève Total

Passant Redouble Ab-regleme Ab-Volont Count 1144 697 173 130 2144 aucune

tivité ac % within 53,4% 32,5% 8,1% 6,1% 100,0% Count 124 95 30 15 264 un jour % within 47,0% 36,0% 11,4% 5,7% 100,0% Count 76 60 34 22 192 2 jours % within 39,6% 31,3% 17,7% 11,5% 100,0% Count 80 81 68 59 288 3 jours

% within 27,8% 28,1% 23,6% 20,5% 100,0% Count 136 93 88 79 396

Avez-vous exercé un travail hors maison?

ND % within 34,3% 23,5% 22,2% 19,9% 100,0%

Total Count 1560 1026 393 305 3284 % within 47,5% 31,2% 12,0% 9,3% 100,0%

On remarque également, à partir de la répartition des élèves selon le groupe et le nombre

d’heures de travail par jour (tableau 8), que la proportion des passants diminue au fur et à

mesure que le nombre d’heures travaillées par jour augmente. 51% des élèves qui

travaillent moins d’une heure en moyenne par jour réussissent dans leurs études, cette

proportion est seulement de 25,7% pour ceux qui travaillent plus de deux heures par jours

en dehors de la maison. Par contre, la proportion des abandons croît avec le nombre

d’heures travaillées; elle augmente sensiblement pour un nombre supérieur à deux heures.

3 Notons que la question relative au travail exercé par l’élève en dehors de la maison a porté sur les trois jours qui ont précédé l’interview, les réponses possibles sont alors les suivantes : aucune activité, un jours, deux jours et trois jours. Cette dernière signifie que l’élève exerce quotidiennement un travail en dehors de la maison.

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

150

Tableau 8 : répartition selon le groupe de l’élève et le travail (nombre d’heures)

Groupe de l'élève Total

Passant Redouble Ab-reglem Ab-Volont < 1 heure Count 128 88 21 14 251

% within nbre hr 51,0% 35,1% 8,4% 5,6% 100,0% 1 à 2 H Count 76 82 23 23 204

% within nbre hr 37,3% 40,2% 11,3% 11,3% 100,0% 2 H et + Count 52 51 59 40 202

% within nbre hr 25,7% 25,2% 29,2% 19,8% 100,0% ND Count 136 93 88 79 396

Travail hors

maison : nombre d'heures

% within nbre hr 34,3% 23,5% 22,2% 19,9% 100,0%

Total Count 392 314 191 156 1053 % within nbre hr 37,2% 29,8% 18,1% 14,8% 100,0%

3.2. Spécification économétrique

L’analyse économétrique que nous proposons consiste à étudier les déterminants de

l’abandon scolaire en Tunisie. Les fondements théoriques de l’abandon suggèrent de retenir

essentiellement des variables portant sur les caractéristiques personnelles des individus et

leur environnement socio-économique. Dans le cadre des données disponibles nous avons

retenu les variables explicatives suivantes :

- Le sexe : contient deux modalités (homme, femme). Nous retiendrons le sexe masculin

comme modalité de référence, on définit alors la variable dichotomique FEM qui prend 1 si

l’individu est de sexe féminin, 0 sinon.

- Le milieu : cette variable contient quatre modalités (rural dispersé, rural regroupé, urbain,

péri-urbain). Comme pour le sexe, une modalité de référence a été retenue. On définit la

variable : Rural = 1, si l’individu réside dans le milieu rural,

= 0 sinon.

- Le revenu (REVENU): variable quantitative qui donne le revenu annuel du ménage

- Le Niveau d’instruction du père (NIP): comme pour le sexe et le milieu, une modalité

de référence a été retenue. Nous avons alors introduit les quatre modalités suivantes :

NIP1: si le père n’a pas achevé le primaire

NIP2: si le père a fait au moins un cycle de base

NIP3: si le père a achevé le cycle secondaire ou a effectué une formation professionnelle

NIP4: si études supérieures.

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

151

- Le Niveau d’instruction de la mère (NIM): cette variable est spécifiée de la même

manière que le niveau d’instruction du père.

- La Taille de la famille (TFAMI): mesure la taille de la famille de l’élève.

- Aide famille (AIDF): donne le nombre d’heures moyen par jour consacrées au travail

domestique. Elle contient quatre modalités :

AIDF0 : si nombre d’heures = 0H

AIDF1 : si nombre d’heures < 1H

AIDF2 : 1H≤ nombre d’heures< 2Hs

AIDF3 : si nombre d’heures 2Hs

Pour cette variable nous avons retenu AIDF0 comme modalité de référence.

- Travail (TRAV) : nombre d’heures moyen par jour travaillées en dehors de la maison.

Elle contient quatre catégories :

TRAV0 : si nombre d’heures = 0H

TRAV1 : si nombre d’heures < 1H

TRAV2 : 1H nombre d’heures< 2Hs

TRAV3 : si nombre d’heures≥ 2Hs

Pour cette variable aussi nous avons retenu TRAV0 comme modalité de référence.

- Score de confort (CONFOR) : variable quantitative qui reflète le confort dont bénéficie

l’individu. On attribue à chacun un score qui est calculé par référence aux équipements

dont dispose le logement et l’individu, cet indice croît en fonction du nombre et du type

d’équipements.

Pour l’estimation de l’impact de ces variables sur l’abandon scolaire, nous

supposons que cette variable dépendante est une combinaison linéaire de toutes les

variables explicatives définies ci dessus. L’équation de l’abandon est alors de la forme

suivante:

Yi = Xi β + μi

Yi est une variable dichotomique, Yi =1 si abandon = 0 sinon.

Pour l’estimation économétrique de cette équation , nous avons choisi de retenir un

premier échantillon global constitué de 3284 élèves de sexes confondus. Ensuite, nous

avons décomposé l’échantillon en deux sous échantillons de sexes masculin et féminin et

nous avons refait les mêmes régressions sur ces deux sous échantillons. Cette démarche

nous permettra de détecter les différences entre ces deux sexes et de voir si l’impact des

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

152

variables explicatives diffère selon que l’individu est de sexe masculin ou féminin. La

méthode d’estimation utilisée est celle du maximum de vraisemblance.

3.3. Résultats obtenus Pour faciliter la lecture des résultats, nous reproduirons dans un même tableau, les

résultats des estimations des trois modèles ce qui nous permettra de comparer les résultats

obtenus.

Tableau 3-3-1 : Présentation des résultats économétriques Variable dépendante : abandon (AB)

Modèle1 Modèle2 (Masculin) Modèle3(Féminin)

Coeff. std.Err Z-statis Coeff. std.Err Z-statis Coeff. std.Err Z-statis

-1.745

-3.576 -0.212 -0.256 1.581

-1.623 -1.460

0.091 0.000

-3.337 -4.229 -4.470 -3.500

-4.745 -4.447 1.596

-1.726 -0.050

7.151

-1.035

-0.542 -0.753 -0.015 0.124 0.077

-0.371 -0.175 -1.970 -0.544 -1.235

-0.932 -1.494 -1.549 -0.698 0.792 0.048

0.921 1.671

0.254 0.097 0.112 0.191 0.021

0.024 0.091 0.121 0.257 0.282 1.195 0.111 0.220 0.204 0.406 0.147 0.126 0.153 0.199 0.190 0.165

-0.603

-0.547 -0.021 -0.007 0.054

-0.278 -0.505 0.035

-29.66 -0.510 -1.289 -1.261 -2.261

-0.870 -0.835 0.490

-0.493 -0.012

1.458

0.345

0.153 0.102 0.027 0.0340.1710.345

0.386 1826

0.1520.304

0.282 0.6460.183

0.187 0.307 0.285

0.246 0.203

C FEM RURAL REV CONFOR TFAMI NIM1 NIM2 NIM3 NIM4 NIP1 NIP2 NIP3 NIP4 AIDF1 AIDF2 AIDF3 TRAV1 TRAV2 TRAV3

-0.879 -0.049 -0.522 -0.181 -0.010

-0.100 -0.464 -0.134 -2.175 -0.522 -1.277 -1.124 -1.837 -1.130 -0.754 0.755 -0.210 0.294 1.537

-3.459-0.507-4.654-0.948-0.496 3.736-0.826-1.804-0.475-1.820-4.674-5.797-5.491-4.522-7.674-5.951 4.918-1.056 1.543 9.297

0.379 -2.724

0.167 -3.237 0.381 -1.975

0.032 -0.465 0.036 3.445 0.176 0.438 0.389 -0.953 0.422 -0.416 1.571 -1.254 0.165 -3.279 0.320 -3.849 0.303 -3.070 0.531 -2.810 0.253 -6.102 0.175 -3.984 0.183 4.315 0.285 0.170 0.315 2.920

0.289 5.784

Log likelihood -1480.652 -786.8677 -681.2330 Restr. log likelihood -1698.846 -896.2401 -802.0591 LR statistic (19 df) 436.3889 218.7448 241.6521 Probability(LR stat) 0.000000 0.000000 0.000000 McFadden R-squared 0.128437 0.122035 0.150645

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

153

Globalement les résultats obtenus confirment l’influence de plusieurs variables sur

l’abandon scolaire.

* Principaux résultats sur l’échantillon global (modèle1) A l’issue des estimations obtenues, plusieurs conclusions peuvent être tirées :

On remarque que le coefficient de la variable sexe est négatif mais non significatif: le fait

d’appartenir au sexe féminin n’a pas d’impact significatif sur l’abandon. L’impact du

milieu sur l’abandon est par contre significatif; avec un coefficient associé négatif, nous

pouvons conclure que contrairement à ce que l’on croyait, l’abandon scolaire n’est pas un

phénomène caractéristique du milieu rural. La taille de la famille a aussi un impact

significatif positif sur l’abandon: le fait d’appartenir à une famille nombreuse incite

davantage à l’abandon.

En ce qui concerne le niveau d’instruction des parents, on remarque que seuls les

coefficients associés aux niveaux d’éducation atteints par le père sont significatifs. Ainsi,

les enfants dont les pères sont plus instruits abandonnent moins leurs études que les autres.

Le fait que le père ait suivi des études supérieures a un impact négatif important sur

l’abandon. La relation entre le niveau d’instruction de la mère et la réussite de l’enfant

n’est pas confirmée par ce modèle.

Par ailleurs, le travail domestique a un effet très significatif sur l’abandon. L’examen des

coefficients associés aux modalités de cette variable suggère que l’effet du travail

domestique sur l’abandon est négatif lorsque le nombre d’heures travaillées par jour ne

dépasse pas deux. Au delà de deux heures par jour, le travail domestique favorise

l’abandon. Ce cas de figure s’observe plus dans le milieu rural où l’enfant, particulièrement

la fille, se voit parfois obligée de quitter l’école pour s’occuper des tâches domestiques.

Concernant l’impact du travail en dehors de la maison sur la décision d’abandon, on

remarque que le fait de travailler moins de deux heures par jour n’a pas d’effet significatif

sur l’abandon. Par contre, une participation plus intensive au marché du travail (plus de

deux heures par jour) a un impact positif et très significatif sur l’abandon. Le travail est

l’un des motifs qui pousse l’individu à quitter l’école.

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

154

Un résultat étonnant de notre analyse demeure la non significativité du coefficient de la

variable revenu; on s’attendait logiquement à une influence importante du revenu sur

l’abandon. Notons que ce même résultat a été obtenu par Orivel (1973) en testant les

déterminants du taux de scolarisation en France.

* Principaux résultats sur l’échantillon masculin et féminin (modèle 2 et 3) En comparant les résultats obtenus pour les deux sous échantillons, on remarque qu’il

n’existe pas globalement de différences significatives entre les filles et les garçons

concernant l’impact des variables retenues sur leurs décisions respectives d’abandon. On

constate néanmoins que le coefficient de la taille de la famille devient non significatif pour

l’échantillon masculin, alors qu’il est significatif et positif pour l’échantillon féminin.

Lorsque la famille est nombreuse et qu’elle n’a pas les moyens de scolariser la totalité des

enfants, les parents préfèreraient le plus souvent que les garçons aillent à l’école plutôt que

les filles.

On remarque aussi que les coefficients associés aux niveaux d’instruction du père sont plus

élevés pour l’échantillon masculin que pour l’échantillon féminin : on peut conclure que le

niveau d’instruction du père a plus d’impact sur la carrière scolaire du garçon que celle de

la fille. Ce lien a été déjà identifié par plusieurs chercheurs.

Notons enfin que pour les trois modèles estimés, l’hypothèse de nullité de toutes les

variables a été rejetée, la statistique LR est en effet significative pour les trois modèles.

Bien que les résultats obtenus confirment globalement les prédictions théoriques de

notre analyse, nous cherchons à trouver une explication pertinente à la non significativité

du coefficient du revenu. La même régression a été alors refaite en retenant l’abandon

volontaire comme variable expliquée. Nous pensons que le revenu est plutôt l’une des

causes qui pousseraient l’individu à abandonner volontairement ses études. Les résultats

obtenus sont données par le tableau qui suit.

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

155

Tableau 3-3-2 : Présentation des résultats économétriques

Variable dépendante : abandon volontaire (ABV)

Coefficient Std. Error z-Statistic Prob. Variable

Le coefficient associé à la variable revenu est toujours non significatif, le revenu n’a pas

non plus d’impact sur l’abandon volontaire. On remarque par contre que le coefficient de la

variable FEM devient ici significatif. Avec un signe associé négatif, on conclut que les

garçons ont une plus grande propension à abandonner volontairement leurs études que les

filles. L’impact des autres variables est à peu près semblable à celui observé pour

l’abandon.

Contrairement à l’abandon volontaire, l’abandon réglementaire n’est pas une décision prise

par l’élève ou par sa famille, elle est plutôt prise par l’école souvent suite à un échec répété

de l’élève. Ainsi l’abandon réglementaire est directement lié à l’échec. Dans ce qui suit, on

C FEM RURAL REV CONFOR TFAMI NIM1 NIM2 NIM3 NIM4 NIP1 NIP2 NIP3 NIP4 AIDF1 AIDF2 AIDF3 TRAV1 TRAV2 TRAV3

-1.651 -0.316 -0.576 -0.036 0.019 0.059 -0.013 -0.461 -0.839 -1.395 -0.458 -0.870 -0.709 -2.025 -0.977 -0.382 0.499 -0.088 0.094 1.300

0.306 0.119 0.136 0.111 0.024 0.029 0.146 0.305 0.406 1.068 0.137 0.254 0.236 0.617 0.185 0.150 0.187 0.243 0.241

0.180

-5.384 -2.650 -4.214 -0.325 0.792 2.018 -0.089 -1.510 -2.064 -1.305 -3.332 -3.419 -2.996 -3.278 -5.260 -2.538 2.656 -0.363 0.391 7.223

0.0000 0.0080 0.0000 0.7446 0.4282 0.0436 0.9286 0.1309 0.0390 0.1917 0.0009 0.0006 0.0027 0.0010 0.0000 0.0111 0.0079 0.7162 0.6957 0.0000

Log likelihood Restr. log likelihood LR statistic (19 df) Probability(LR stat) McFadden R-squared

-1100.744-1202.828204.16880.0000000.084870

Obs with Dep=1 Total obs Obs with Dep=0

2891 393

3284

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

156

se propose d’étudier les déterminants de la réussite scolaire. Les variables retenues sont

celles qui ont été exploitées pour l’analyse de l’abandon.

Au vu des résultats obtenus4 on peut conclure que le succès scolaire dépend de plusieurs

variables à savoir : le sexe, le milieu, la taille de la famille, le niveau d’instruction des

parents,…Si nous essayons de dresser le profil de l’élève qui réussit dans ses études, on

remarque que le plus souvent c’est celui appartenant au sexe féminin, résidant dans le

milieu rural, dont la famille est peu nombreuse et les parents sont instruits et dont la

participation aux travaux domestiques et au marché du travail est limitée.

La comparaison entre les deux sexes montre que le confort dont bénéficie l’individu a un

impact significatif et positif sur la réussite de la fille mais pas sur celle du garçon. On

remarque également que le niveau d’instruction de la mère a un impact positif et

significatif sur la réussite de sa fille mais pas sur celle de son fils. L’impact du travail

domestique est significatif pour l’échantillon féminin et pas pour l’échantillon masculin. Il

s’agit en effet d’une tâche exercée le plus souvent par les filles. Par ailleurs, l’impact du

revenu demeure encore non significatif. La réussite , l’abandon et l’abandon réglementaire

ne sont pas liés au revenu familial. Ceci est probablement dû à une relation non linéaire

entre la réussite et le revenu. La plupart des études effectuées montrent en effet que la

réussite est plus caractéristique des classes moyennes (en particulier les enseignants) que

les classes extrêmes.

5. Conclusion :

L’abandon scolaire est aujourd’hui une préoccupation importante des

gouvernements. Ce phénomène constitue en effet la première source de la non qualification

des jeunes qui, sans les connaissances et le savoir faire acquis à l’école ne pourra ient pas

exercer un rôle actif dans la société émergente notamment avec les exigences d’un marché

devenu mondialisé.

Bien que l’abandon scolaire relève plus de l’ordre social, la théorie du capital

humain, apparue au début des années soixante, a largement contribué à l’explication de ce

phénomène. L’hypothèse de base de la théorie est que les savoirs et les connaissances de

4 Voir annexe

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

157

l’individu sont source de richesse et sont donc valorisables. L’éducation est le moyen le

plus efficace dont bénéficie l’individu pour accroître son stock de capital humain et

constitue de ce fait une source de richesse.

Vu l’importance de l’éducation, les premières analyses effectuées dans le cadre de

la théorie du capital humain ont porté sur l’investissement éducatif et le comportement des

individus en matière de scolarisation. Ces analyses révèlent qu’il existe un niveau optimal

d’éducation unique pour tous les individus résultant d’une décision individuelle

rationnelle. Cependant la réalité observée montre que les niveaux éducatifs des individus

sont différenciés tant en quantité qu’en qualité. En essayant d’expliquer ces différences,

plusieurs auteurs ont donné des analyses pertinentes au phénomène de l’abandon scolaire :

il s’agit en effet, d’une décision éducative optimale pour une certaine catégorie

d’individus. Ceux ci sont soit issus d’une famille modeste et n’ont pas les moyens de

financer leur investissement éducatif, soit dotés de capacités intellectuelles limitées ne leur

permettant pas d’aller plus loin dans leur scolarité. Des études empiriques effectuées dans

ce cadre confirment l’influence de ces deux caractéristiques sur les décisions prises par les

individus en matière d’investissement éducatif et montrent l’influence de plusieurs autres

variables tels que le sexe, les niveau d’instruction des parents et les facteurs institutionnels

(travail, taux de chômage,…) sur la scolarisation.

L’analyse empirique de l’abandon a porté sur des données individuelles

tunisiennes. L’objectif de cette étude étant d’analyser l’impact des facteurs

traditionnellement mis en cause par les chercheurs et d’étudier les déterminants de

l’abandon scolaire en Tunisie. Dans ce cadre nous avons exploité les données d’une

enquête effectuée en 2000, par le CREDIF et portant sur les différences entre les filles et

les garçons en matière de scolarité. L’échantillon retenu contient 3284 élèves de sexe

masculin et féminin et provenant de l’ensemble du territoire national. Ces élèves

appartiennent à l’un ou l’autre des trois statuts suivant : « passant », « redoublant » ou « sortant ».

Les résultats obtenus confirment globalement les prédictions théoriques de notre

étude. L’estimation économétrique confirme l’influence de certaines variables sur

l’abandon scolaire. On remarque que le fait d’appartenir à une famille nombreuse incite

davantage à l’abandon des études. Les enfants dont les parents sont plus instruits

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

158

abandonnent moins leurs études que les autres. Le niveau d’instruction de la mère n’a pas

d’impact significatif sur l’abandon scolaire. Par ailleurs une participation intensive au

marché du travail a un impact positif et très significatif sur l’abandon.

Il n’existe pas de différences significatives entre les filles et les garçons concernant

l’impact des variables sur leurs décisions respectives d’abandon. On remarque néanmoins

que les garçons ont une plus grande propension à abandonner volontairement leurs études

que les filles.

Une des questions centrales qui se pose aujourd’hui reste cependant la mesure dans

laquelle chaque facteur se considère comme responsable de l’abandon scolaire. Le débat

est ouvert ; pour certains, tout se résume aux déterminants environnementaux et au milieu

socio-économique défavorisé ; pour d’autres seul l’élève est responsable de son propre

échec. En dépit des différences d’approches, une chose demeure certaine : c’est que les

déterminants ne peuvent isolément expliquer l’abandon et que toute opération de remède

nécessitera la collaboration de toutes les parties (les parents, les élèves et les enseignants).

Dans ce travail, l’impact des facteurs institutionnels et macro-économiques n’a pas

pu être testé faute de disposer de données nécessaires. Le rôle que peuvent jouer ces

facteurs dans la décision d’abandon des études en Tunisie demeure donc inconnu. Les

résultats obtenus au terme de cette étude, doivent stimuler d’autres recherches. En effet,

l’importance du phénomène d’abandon de part son impact direct sur l’économie doit

sans cesse inspirer les chercheurs à s’y investir pour arriver un jour à maîtriser le

phénomène et à limiter ses incidences néfastes sur l’individu et l’économie.

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

159

ANNEXE

Tableau I : Présentation des résultats économétriques Variable dépendante : Succès

Coefficient Std. Error z-Statistic Prob. Variable

C FEM RURAL CONFOR REV TFAMI NIM1 NIM2 NIM3 NIM4 NIP1 NIP2 NIP3 NIP4

-0.748 0.250 0.404 0.030

-1.80E-05 -0.066 0.102 0.718 0.595 1.320 0.398 0.938 1.196

AIDF1 AIDF2 AIDF3 TRAV1 TRAV2 TRAV3

1.683 0.242 0.249 -0.829 0.110 -0.366 -0.969

0.212 0.078 0.091 0.015 0.018 0.020 0.094 0.181 0.200 0.484 0.094 0.147 0.147 0.252 0.100 0.096 0.157 0.140 0.162 0.176

-3.521 3.201 4.431 1.915

-9.8E-04 -3.209 1.093 3.959 2.962 2.723 4.229 6.359 8.121 6.658 2.417 2.585 -5.269 0.783 -2.259 -5.507

0.0004 0.0014 0.0000 0.0554 0.9992 0.0013 0.2741 0.0001 0.0030 0.0065 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0156 0.0097 0.0000 0.4336 0.0239 0.0000

Log likelihood Restr. log likelihood LR statistic (19 df) Probability(LR stat)

-2046.540 -2272.199 451.31690.000000

McFadden R-squared 0.099313

Total obs Obs with Dep=1 Obs with Dep=0

17241560

3284

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

160

Tableau II : Présentation des résultats économétriques

Variable dépendante : Succès (échantillon masculin, FEM=0)

Coefficient Std. Error z-Statistic Prob. Variable

C RURAL CONFOR REV NIM1 NIM2 NIM3 NIM4 NIP1 NIP2

NIP3 NIP4 TRAV1 TRAV2 TRAV3 AIDF1 AIDF2 AIDF3 TFAMI

-0.544 0.367 0.001 0.055 0.129 0.833 0.327 0.812 0.320 0.765 1.172 1.965 0.271 -0.266 -1.025 0.112 0.178 -0.549 -0.055

0.292 0.125 0.022 0.096 0.131 0.249 0.275 0.599 0.131 0.201 0.200 0.363 0.189 0.195 0.223 0.133 0.139 0.312 0.029

-1.862 2.922 0.057 0.579 0.980 3.347 1.188 1.356 2.440 3.791 5.838 5.407 1.433 -1.363 -4.594 0.846 1.281 -1.756 -1.902

0.0625 0.0035 0.9539 0.5620 0.3268 0.0008 0.2347 0.1750 0.0147 0.0001 0.0000 0.0000 0.1517 0.1727 0.0000 0.3972 0.2000 0.0789 0.0571

Log likelihood

-1074.814

Restr. log likelihood -1169.987 LR statistic (18 df) 190.3453Probability(LR stat) 0.000000McFadden R-squared 0.081345

Obs with Dep=1 Obs with Dep=0

942 Total obs 760

1702

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

161

Tableau III : Présentation des résultats économétriques Variable dépendante : Succès (échantillon féminin, FEM=1)

Coefficient Std. Error z-Statistic Prob. Variable

C RURAL CONFOR REV NIM1 NIM2 NIM3

NIM4 NIP1 NIP2 NIP3 NIP4 TRAV1 TRAV2 TRAV3 AIDF1 AIDF2 AIDF3 TFAMI

-0.740 0.451 0.061 -0.025 0.077 0.587 0.885 2.198 0.490 1.126 1.217 1.408 -0.059 -0.615 -0.824 0.407 0.318 -0.883 -0.079

0.307 0.133 0.023 0.047 0.135 0.267 0.305 0.878 0.136 0.219 0.220 0.355 0.212 0.298 0.291 0.153 0.136 0.188 0.029

-2.412 3.377 2.594 -0.537 0.567 2.195 2.897 2.503 3.608 5.126 5.533 3.957 -0.278 -2.059 -2.825 2.647 2.329 -4.692 -2.689

0.0159 0.0007 0.0095 0.5909 0.5705 0.0281 0.0038 0.0123 0.0003 0.0000 0.0000 0.0001 0.7805 0.0394 0.0047 0.0081 0.0198 0.0000 0.0072

Log likelihood Restr. log likelihood LR statistic (18 df) Probability(LR stat) McFadden R-squared

-960.8648-1096.456271.18330.000000

0.123664

Obs with Dep=1 782 Total obs Obs with Dep=0 800

1582

Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

162

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Rihab Bellakhal et Mohamed El Hedi Zaiem

164

La situation des diplômés de la formation professionnelle sur

le marché du travail au Maroc :

Une analyse par genre à l’aide des modèles de durée

Brahim Boudarbat* (Université de Montréal, CIRANO, IZA)

Proposé pour le colloque « Marché du travail et genre dans les pays du Maghreb »

Rabat, 15 et 16 mars 2006

Cette version : Janvier 2006

(*) Contact : Brahim Boudarbat, Professeur, École de relations industrielles, Université de Montréal, C.P. 6128, Succursale Centre-ville, Montréal, QC, H3C 3J7. Tél. (1) 514-343-7320. Fax. (1) 514-343-5764. Courriel: [email protected]

Brahim Boudarbat

165

I. Introduction

A son indépendance, acquise en 1956, le Maroc a dirigé sa politique vers la généralisation de la

scolarisation pour éradiquer l’analphabétisme dont souffraient 78% des hommes et 96% des femmes âgés

de 10 ans et plus en 1960. La politique en matière de formation professionnelle a commencé à se dessiner

avec la création en 1974 de l’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT),

devenu principal instrument de la politique gouvernementale en la matière, et l’instauration, la même

année, de la taxe de formation professionnelle au profit de cet organisme. Mais il fallait attendre 1984 pour

voir le système subir une grande réforme dans le but était d’en faire un vrai outil de développement

socioéconomique dans un contexte marqué par l’aggravation du chômage des diplômés et le problème du

décrochage scolaire.

La réforme de 1984 poursuivait trois objectifs principaux : (i) le développement du système en tant que

moyen de valorisation des ressources humaines et de promotion sociale par l’accroissement de la capacité

d’accueil, (ii) l’amélioration de l’adéquation entre la formation et les besoins en constante évolution du

marché du travail, et (iii) la promotion de l’emploi des diplômés et la valorisation des métiers. La première

année de la réforme (1984) a enregistré un accroissement spectaculaire du nombre de stagiaires en

formation, lequel a augmenté de 66% par rapport à 1983. Un rythme de croissance soutenu a par la suite été

maintenu ; le nombre des diplômés ayant augmenté de 64% entre 1988 et 2003.1 L’objectif quantitatif de la

réforme de la formation professionnelle semble ainsi se réaliser amplement contrairement au deuxième

objectif que le système n’arrive toujours pas à accomplir. Les diplômés de niveau spécialisation, toutes

cohortes confondues, affichaient un taux de chômage de 35,6% en 2002, soit trois fois la moyenne

nationale estimée à 11,6%. De même, le taux de chômage atteignait 28,4% parmi les diplômés de niveau

qualification et 18% parmi les techniciens et cadres moyens la même année (Direction de la Statistique,

Royaume du Maroc, 2003).

Pour remédier à cette situation, les autorités concernées ont adopté une nouvelle politique qui consacre

l’entreprise comme espace privilégié pour l’acquisition des qualifications. Ainsi, deux modes de formation

ont été développés successivement ces dernières années, soit la formation alternée et la formation par

apprentissage. La formation en milieu pratique représente au moins 50% de la durée totale de la formation

pour le premier mode et au moins 80% pour le second, complétée par une formation générale et

technologique dans un centre de formation professionnelle. Le nombre de jeunes en formation dans le mode

alterné a atteint 16 240 en 2004, soit 40% de plus par rapport à 1999, alors que le mode par apprentissage

connaît une explosion remarquable du nombre des apprentis, lequel a atteint 32 900 en 2004, soit 661% de

1 Non compris les diplômés de la formation par apprentissage

Brahim Boudarbat

166

plus par rapport à 1999. La nouvelle politique de formation professionnelle consiste également en la

création de centres de formation sectoriels cogérés avec les professionnels, et l’adoption prochaine de

l’approche de formation par compétences.

S’agissant du dernier objectif de la réforme, la stratégie gouvernementale était essentiellement orientée vers

la promotion de l’auto-emploi des jeunes à travers la création de cellules d’aide à l’emploi au sein des

centres de formation et la mise en place de dispositifs permettant aux jeunes porteurs de projets de

bénéficier d’un financement et de réductions fiscales importantes.2 Toutefois, le nombre de projets financés

dans le cadre de ces dispositifs reste très faible. L’emploi salarié demeure manifestement, pour de très

nombreuses raisons dont le refus de la précarisation fortement corrélée au secteur privé de production

marocain, le premier objectif des diplômés. Aussi, la création du Conseil national de la jeunesse et de

l’avenir (CNJA) en 1990, dont la principale mission était de trouver des solutions viables à même de

remédier au problème de chômage des jeunes en général et celui des diplômés en particulier, puis la

création en 2000 de l'agence nationale de promotion de l'emploi et des compétences (ANAPEC) comme

intermédiaire entre l’offre et la demande de travail, n’ont pas permis de résorber le problème de chômage

qui touche les finissants de toutes les composantes de l’éducation et de la formation. Les dernières

initiatives de l’emploi tenues en septembre 2006 ont consacré le programme de contrats de formation3 et

l'octroi de crédits aux jeunes détenteurs de projets comme composantes de la politique de promotion de

l’emploi des diplômés.

Dans ce papier, nous exploitons le fichier de données individuelles de l’enquête sur le cheminement

professionnel des diplômés de 2000, pour déterminer les facteurs qui favorisent ou freinent l’accès à

l’emploi de cette tranche de la population éduquée. L’enquête a été réalisée en 2004, soit quatre ans après la

fin de la formation, auprès d’environ 6 400 diplômés dont 50% sont des filles. Elle fournit des données

intéressantes à même d’analyser l’évolution à moyen terme de la situation des diplômés sur le marché du

travail. Notre analyse se base sur l’application de modèles de durée à la durée de chômage après la remise

du diplôme. Ces modèles permettent de tenir compte et d’estimer l’importance de l’effet de variables

explicatives sur les chances d’accès à l’emploi. Dans notre étude, ces variables comprennent

essentiellement le niveau de formation, le domaine de formation, l’organisme ayant prodigué la formation,

le moyen utilisé pour trouver/chercher un emploi, la profession du père et le taux de chômage local.

2 Il s’agit plus précisément des deux lois 16/87 et 36/87 promulguées vers la fin des années 1980. La première loi institue des mesures d'encouragement d’ordre fiscal au profit des jeunes entrepreneurs ayant un diplôme de la formation professionnelle (excluant ceux de niveau spécialisation), et la seconde loi, mieux connue sous le nom de « crédit jeunes promoteurs », permet aux diplômés de la formation professionnelle, de l’enseignement technique et des universités de bénéficier de prêts pouvant couvrir jusqu’à 90% du coût total de leur projet à des taux préférentiels. 3 Il s’agit d’un programme qui offre des incitations, sous forme d’exonérations de charges sociales, aux entreprises qui prennent des diplômés chômeurs en tant que stagiaires rémunérés pendant une période allant jusqu’à 24 mois.

Brahim Boudarbat

167

Des différences importantes entre les filles et les garçons nous amènent à effectuer une analyse séparée

pour chaque groupe. D’une part, le taux d’inactivité, quatre ans après le diplôme, atteint 20,5% parmi les

filles contre seulement 5% parmi les garçons. Et alors que 96,7% des garçons inactifs le sont en raison de

poursuite d’un nouveau programme de formation, 73,3% des filles inactives ont abandonné la recherche

d’emploi pour s’occuper de leur foyer. D’autre part, les filles affichent un taux chômage de 49,0% contre

35,3% chez les garçons. Enfin, des différences entre les deux sexes concernent les domaines de formation.

Ainsi, 40,1% des filles diplômées sont formées en administration-gestion contre seulement 17,2% des

garçons. Par ailleurs, 26,2% des garçons ont été formés en industries mécaniques, métalliques,

métallurgiques et électriques, contre moins de 1% des filles. De plus, on retrouve relativement plus de filles

formées en textile, confection et cuir, alors qu’on retrouve relativement plus de garçons que de filles en

formations liées au B.T.P.

Il est également à rappeler que les filles occupent une part importante dans la formation professionnelle au

Maroc surtout dans le secteur privé; elles représentent 46% de tous les diplômés formés entre 1990 et 2003.

Ce pourcentage atteint environ 62% dans le secteur privé contre 35,1% dans le secteur public.

II. Structure et évolution du système de la formation professionnelle au Maroc

La formation professionnelle initiale au Maroc est organisée en quatre niveaux hiérarchiques. Le niveau de

base, appelé Spécialisation, est accessible aux élèves de la 7ème et de la 8ème année de l'enseignement

fondamental et qui sont âgés entre 15 et 25 ans. Ce niveau débouche sur le certificat de formation

professionnelle. S’ensuit le niveau Qualification qui admet les élèves de la 9ème année de l'enseignement

fondamental, de la 1ère et de la 2ème année de l'enseignement secondaire et âgés entre 15 et 25 ans. Il

débouche sur le certificat de qualification professionnelle. Le troisième niveau est le niveau Technicien,

accessible aux élèves ayant entièrement suivi la 3ème année de l’enseignement secondaire et âgés de 25 ans

au maximum. Il débouche sur le diplôme de technicien. Enfin, le niveau le plus élevé est le Technicien

spécialisé, dont les candidats doivent avoir un diplôme de l’enseignement secondaire (baccalauréat) et être

âgés de 23 ans au maximum. Ce niveau a été instauré en 1993 et débouche sur le diplôme de technicien

spécialisé.

D’autre part, la formation professionnelle est dispensé en trois modes différents : la formation résidentielle

dont l’essentiel se donne dans les centres de formation, la formation par apprentissage et la formation

alternée. Les modes de formation par apprentissage et alternée n’ont été implémentés que très récemment.

Le premier a été promulgué en 2000 et suggère qu’au moins 80% de la durée de la formation doit se donner

en entreprise, complétée par une formation générale et technologique dans un centre de formation comptant

pour au moins 10% de cette durée. Dépendamment du métier et des qualifications, la formation par

apprentissage peut être diplômante (niveaux spécialisation et qualification) ou qualifiante (octroi de

Brahim Boudarbat

168

certificat reconnaissant les acquis). La formation alternée a été promulguée en 1996 et stipule que la moitié

au moins de la durée de la formation doit se dérouler en milieu du travail et que le tiers au moins de cette

durée doit se dérouler dans un centre de formation professionnelle.

La formation professionnelle initiale est prodiguée par plusieurs opérateurs. Ainsi, en 2003, nous comptons

14 départements publics formateurs totalisant 482 centres de formation, le secteur privé constitué de plus de

1 650 petits centres de formation. L’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail

(OFPPT) reste l’opérateur public le plus important en formant 40,6% des diplômés en 2003. Le reste des

départements publics n’ont formé ensemble que 12,8% des diplômés en 2003. De plus, ils dispensent des

formations étroitement liées à leurs champs de compétence (administration publique, tourisme, pêches

maritimes, santé, artisanat, agriculture, etc.) Le secteur privé se positionne comme secteur aussi important

que le secteur public, puisqu’il a formé 46,6% des diplômés de la même année.

Depuis la réforme de 1984, le système de formation professionnelle connaît une croissance spectaculaire du

nombre de diplômés. Le nombre des diplômés des centres publics (formation résidentielle et alternée

seulement) a augmenté en moyenne de 3,5% par année entre 1984 et 2003. Parallèlement, le secteur privé

de formation s’est développé à une vitesse plus grande sous l’impulsion des pouvoirs publics. Le nombre

des diplômés issus de ce secteur a augmenté en moyenne de 6,5% par année entre 1988 et 2003, et on

compte 100 nouveaux centres privés en moyenne par année. En 2002, le nombre de diplômés, tous modes

confondus, a atteint 81 000, soit une augmentation de 11% (en une seule année!) par rapport à 2001. Cette

tendance va même s’accélérer dans le futur puisque le gouvernement projette former 400 000 jeunes entre

2005 et 2007.4

Tableau 1 : Effectifs de jeunes en formation par mode de formation en 2003/2004

Spécialisation Qualification Technicien Tech.spécialisé Total Formation résidentielle 34 511 46 745 46 652 20 850 148 758

(% secteur privé) (47,4%) (28,2%) (55,5%) (45,0%) (43,6%) Formation alternée - 4 825 6 296 3 116 14 237

Formation par apprentissage 23 422 Total 186 417

Source: Secrétariat d’État chargé de la formation professionnelle NB : Ces chiffres ne comprennent pas les bénéficiaires des cours du soir organisés par l’Office de la formation

professionnelle et de la promotion du travail. 23 065 stagiaires suivaient ces cours en 2002/2003.

Le tableau 1 donne une idée sur l’importance de chaque niveau et chaque mode de formation en 2003/2004.

Il est à noter que pour l’instant le secteur privé intervient uniquement dans la formation résidentielle, alors

que la formation par apprentissage est essentiellement de niveau spécialisation ou qualifiante (sans

diplôme).

4 Voir Boudarbat et Lahlou (2005) pour une description détaillée des systèmes éducatif et de formation au Maroc.

Brahim Boudarbat

169

Les filles occupent une part importante dans la formation professionnelle au Maroc surtout dans le secteur

privé, bien que cette part ait beaucoup fluctué d’une année à l’autre. Ainsi, les femmes représentent 46% de

tous les diplômés formés entre 1990 et 2003. Ce pourcentage atteint environ 62% dans le secteur privé,

avec un maximum de 71,6% en 1993, contre 35,1% dans le secteur public durant la même période, avec un

maximum de 38,5% en 1998. La forte présence des filles dans le secteur privé se doit vraisemblablement à

la nature des formations dispensées par ledit secteur.

À titre de comparaison, en 2003-2004, les filles représentaient 46,5% des élèves au premier cycle

fondamental, 44,3% des élèves au deuxième cycle fondamental et 46,9% à l’enseignement secondaire. Au

niveau de l’enseignement supérieur, elles représentent 35,5% des étudiants dans l’enseignement technique

(Brevet de technicien spécialisé), 45,9% à l’université (secteur public), 47,7% dans les écoles supérieures et

53,9% dans la formation pédagogique.

Tableau 2 : Distribution des diplômés de 2003 par domaine d’études

Effectif % Privé % Filles Administration, Gestion 20 639 70,8% 56,8% Commerce 1 132 56,5% 52,5% Agriculture 1 301 0,0% 16,4% Énergie et mines 83 0,0% 15,7% Agro-industrie 48 0,0% 12,5% Textile, confection, cuir 7 150 20,8% 25,1% Industries mécaniques, métallurgiques et électriques 8 174 11,1% 4,0% Chimie, parachimie 151 0,0% 25,2% Transports, communications 346 94,2% 85,5% Bâtiment et travaux publics 5 019 1,7% 7,0% Pêches 319 0,0% 2,5% Artisanat de production 5 682 37,0% 73,8% Artisanat de services 16 925 68,4% 40,5% Hôtellerie, tourisme 2 145 12,0% 36,1% Santé et paramédical 396 92,2% 76,3% Total 69 510 46,6% 39,6%

Parmi les domaines populaires, les femmes sont fortement présentes en administration, gestion et en

artisanat de production (voir tableau 2). Parmi le reste des domaines, il faut surtout noter leur présence

extraordinaire dans les domaines des transports, communications et des formations dans le domaine de la

santé. Cette répartition déséquilibrée des deux sexes sur les domaines de formation reflète ce que Thomas et

Montmarquette (2005) appellent ségrégation éducationnelle. Ces auteurs considèrent d’ailleurs que cette

ségrégation est plus présente par rapport au domaine d’études que par rapport au niveau d’éducation.

Comme indiqué ci-dessus, mis à part l’enseignement technique, la part des filles dans tous les niveaux

d’éducation et de formation professionnelle oscille entre 44 et 54%.

Brahim Boudarbat

170

III. Situation des diplômés de la formation professionnelle sur le marché du travail

Les données traitées dans la présente étude proviennent de l’Enquête sur le cheminement professionnel

(ECP) des diplômés de la formation professionnelle sortis en 2000. L’ECP a comme objectifs de recueillir

des informations pertinentes sur l’évolution de la situation des diplômés sur le marché du travail durant les

4 années suivant la remise du diplôme et de déterminer les facteurs qui favorisent ou freinent leur insertion

dans la vie active. Elle vise également à apprécier la qualité de la formation à partir des avis propres des

diplômés et par l’analyse de l’adéquation entre la formation reçue et l'emploi exercé. Enfin, l’étude accorde

un intérêt particulier à l’auto-emploi comme solution potentielle aux difficultés d’emploi. L’étude a touché

un échantillon de 6 381 diplômés, dont 3 167 sont des filles, soit environ 10% de la population des

diplômés de 2000. L’échantillon se veut représentatif de toutes les structures du système de formation

professionnelle. L’enquête sur terrain a été menée par interviews directes pendant l’été 2004. Les questions

sur l’évolution de la situation d’emploi des diplômés sont rétroactives couvrant la période allant du 1er

juillet 2000 au 31 juillet 2004.

Le graphiques suivants retracent l’évolution de la situation des diplômés de l’échantillon sur le marché du

travail pendant les 49 mois suivant la remise du diplôme.

Graphique 1 : Évolution de la situation des diplômés sur le marché du travail

(a) Filles

Employées

En stage

En chômage

Inactives

0%

20%

40%

60%

80%

100%

1 6 11 16 21 26 31 36 41 46

Durée après la f in de la formation (en mois)

(b) Garçons

Employés

En stage

En chômage

Inactifs

0%

20%

40%

60%

80%

100%

1 6 11 16 21 26 31 36 41 46

Durée après la f in de la formation (en mois)

Au bout de 49 mois, une fille sur cinq n’est plus sur le marché du travail. Dans trois cas sur quatre, les filles

ne cherchent plus à travailler pour s’occuper de leur foyer conjugal. De plus, cette sortie marché du travail

liée au foyer est irrévocable, du moins durant la période d’observation. Par ailleurs, 16% des filles

diplômées du secteur privé se trouvent dans cette situation d’inactivité bien qu’elles aient payé pour leur

Brahim Boudarbat

171

formation. C’est également le cas de 15% des diplômées du niveau technicien spécialisé, soit le niveau le

plus élevé du système.

Le taux d’emploi, défini comme étant le nombre de diplômés occupés exprimé en pourcentage de

l’ensemble des diplômés, progresse beaucoup moins vite chez les filles de la sorte que moins de 40%

d’entre elles détiennent un emploi après quatre ans contre 60% des garçons. Et malgré leur taux d’inactivité

élevé, les filles enregistrent un taux de chômage5 excessif de 48,1% contre 35,1% pour les garçons. Cette

situation pose la question de la rationalité de l’investissement en formation professionnelle et des

rendements individuel et social de cet investissement. De manière générale, l’investissement en capital

humain au Maroc se trouve confronté à un grand risque d’anéantissement progressif par un chômage de

durée de plus en plus longue, que de chances d’être rentabilisé dans le cadre d’un emploi, entraînant une

perte sèche de ressources et de moyens humains mobilisés pour cet investissement tant par l’État que par

les particuliers.

À titre de comparaison, le tableau suivant donne les taux d’activité et de chômage de l’ensemble de la

population marocaine. La comparaison doit se faire pour le milieu urbain puisque 99% des diplômés de

l’échantillon proviennent de ce milieu.

Tableau 3 : Taux d’activité et de chômage au niveau national en 2004, population âgée de 15 ans et plus

(%)

Urbain Rural Ensemble

Taux d'activité 45,8 62,0 52,6 Hommes 72,5 84,1 77,5 Femmes 20,8 39,3 28,4

Taux de chômage 18,4 3,2 10,8 Hommes 16,6 3,9 10,6 Femmes 24,3 1,4 11,4

Source : Direction de la Statistique, Maroc

L’élévation du niveau de formation réduit considérablement l’écart entre les filles et les garçons en ce qui

concerne le taux de chômage. Au niveau technicien spécialisé, le taux de chômage des filles est très

comparable à celui des garçons.

5 Pourcentage de diplômés actifs à la recherche d’un emploi.

Brahim Boudarbat

172

Tableau 4 : Taux d’activité et de chômage par niveau de formation (%)

Taux d'activité Taux de chômage Filles Garçons Filles Garçons Spécialisation 83,5 99,0 50,4 27,1 Qualification 77,4 94,9 54,8 39,9 Technicien 80,1 93,7 44,5 33,8 Technicien spécialisé 77,7 93,0 36,3 34,8 Total 79,5 94,9 48,9 35,1

De l’avis de trois diplômés sur quatre au chômage, filles ou garçons, l’absence de postes d’emploi est la

principale cause de leur état de chômage. Très peu de diplômés évoquent des problèmes liés à leur

formation ou aux conditions d’emploi. Une autre cause de chômage dénoncée par 13 à 14% des diplômés

est le manque d’expérience exigée par les employeurs, ce qui est aberrant dans la mesure que ces diplômés

cherchent justement des opportunités d’emploi pour acquérir cette expérience. En tout cas, et comme on le

verra ci-dessous, les stages en milieu pratique n’améliorent que très faiblement les chances d’emploi.

Les données de l’enquête sur la population active de 2002 confirment cette image très sombre de la

situation des diplômés de la formation professionnelle sur le marché du travail (tableau 5). Toutefois, le

même sort est réservé aux diplômés de l’enseignement général, notamment ceux de l’enseignement

supérieur dont la situation est très médiatisée au Maroc. En même temps, les travailleurs non éduqués

profitent de très bonnes opportunités d’emploi; une conjoncture anormale qui perdure depuis très

longtemps. Le système de la formation professionnelle a été initialement développé pour atténuer le

déséquilibre sur le marché de l’emploi en réduisant la pression sur le système éducatif général et en

stimulant l’économie par la mise à la disponibilité des employeurs d’une main d’œuvre qualifiée, mais il

semble que ce système contribue plutôt à aggraver ledit déséquilibre.

Tableau 5 : Taux de chômage selon le type de diplôme en 2002

Diplôme Taux de chômage %

Sans diplôme 5,6 Diplômes et certificats de l'enseignement fondamental 20,7 Certificats en spécialisation professionnelle 35,6 Diplômes en qualification professionnelle 28,4 Diplômes de l'enseignement secondaire 34,0 Diplômes de techniciens et de cadres moyens 18,0 Diplômes de l'enseignement supérieur 32,2 Total 11,6

Source : Direction de la Statistique, Maroc (2003)

Plusieurs arguments sont avancés pour expliquer le lien positif entre l’éducation et le risque de chômage au

Maroc. Il faut noter la prédominance du secteur informel, défavorable à l’investissement en capital humain.

Brahim Boudarbat

173

En effet, les caractéristiques du capital humain n’ont presque aucun effet sur la détermination des salaires

dans ce secteur, l'emploi offre des possibilités très limitées pour la promotion, il est caractérisé par la

supervision personnalisée et arbitraire et paie des salaires bas (Orr, 1997). D’autre part, certains employeurs

considèrent que les formations acquises dans les écoles, ne sont d'aucune utilité dans leurs entreprises, et

que, au mieux, ils sont en mesure eux-mêmes de fournir une formation sur le tas à leurs travailleurs.

Également, une certaine préférence pour une main d’œuvre sans qualification - donc peu coûteuse - persiste

chez de nombreux employeurs, en considérant que ces travailleurs acceptent plus facilement leurs

conditions et également les normes organisationnelles ou disciplinaires qu'ils instaurent dans leurs unités de

production. De plus, les travailleurs sans qualification acceptent, en règle générale, plus facilement les

emplois qui se présentent à eux sans exigence particulière ni par rapport au salaire ni en relation avec les

conditions ou la durée du travail.

L’accroissement rapide de la population, en particulier la population instruite, est également un des facteurs

à blâmer pour la piètre performance de l’éducation au Maroc. La taille de la population a triplé au cours des

50 dernières années avec, en parallèle, une amélioration substantielle de la scolarisation des enfants. Sur la

seule période 1990-1991/2003-2004, les taux bruts de scolarisation sont passés de 64,2% à 119,1 dans

l’enseignement primaire (premier cycle de l’enseignement fondamental), de 44,5% à 60,3% dans

l’enseignement collégial (deuxième cycle de l’enseignement fondamental) et de 20,3% à 31,2% dans

l’enseignement secondaire.

La création d’emplois par l’économie ne semble pas combler cette offre croissante de travail qualifié. La

performance de l’économie marocaine mesurée en termes de Produit Intérieur Brut peut être considérée

comme faible en valeur absolue depuis le début de la décennie 1990. La variation réelle du PIB se fait en

dents de scie avec de gros écarts dans le temps ; les taux de croissance élevés sont toujours observés pour

les années ayant connu de bonnes précipitations pluviométriques, profitant ainsi aux travailleurs non

éduqués. La production des activités primaires, secteur agricole en tête, oscille de ce fait dans des

amplitudes très larges dans le temps. L’évolution du PIB sur la période 1990-2003 correspond à une

croissance annuelle moyenne de 5,3% en dirhams courants et de 2,5 à 2,8% seulement en prix constants.

Lane, Hakim et Miranda (1999) évoquent également le changement dans la structure de l’emploi dans les

industries manufacturières, avec le développement des industries à faibles salaires en liaison avec le secteur

des exportations. D’autre part, Upadhyay (1994) soutient que les subventions des gouvernements à

l'éducation dans les pays en voie de développement ont augmenté la demande pour l’enseignement

supérieur aux dépens de l'investissement dans les équipements productifs, ce qui fait que « trop »

d'éducation est produite relativement aux besoins du marché du travail. Dans le même sens, Bougroum,

Ibourk et Trachen (1999) mettent à l’avant l’inefficacité de l’investissement en éducation puisque beaucoup

Brahim Boudarbat

174

d’étudiants s’inscrivent à l’université simplement parce qu’ils n’ont pas d’autres options. Au Maroc, les

études universitaires publiques sont entièrement subventionnées par le gouvernement et, en plus, l’accès à

ces études est libre.

D’un autre côté, Rama (1998) qui a étudié la situation sur le marché de l’emploi en Tunisie, rapporte que

des taux élevés de chômage peuvent indiquer plutôt des distorsions liées notamment aux problèmes de

mesure et de classification des individus selon inactif, employé ou chômeur. À titre d’exemple, pour les

femmes la distinction entre travailler dans la ferme familiale (donc être employée) et prendre soin du foyer

(donc être inactive) est ténue, comme la distinction entre être au chômage et travailler dans le secteur

informel pour les hommes. Rama ajoute que certains diplômés cherchent l’emploi uniquement dans le

secteur formel et refusent l’emploi dans le secteur informel, pourtant ils sont classés parmi les chômeurs, ce

qui contribue à surestimer le taux de chômage réel.

La réduction marquée du recrutement dans le secteur public, avec la mise en œuvre du programme

d’ajustement structurel à partir du mois d’août 1983, est souvent citée comme le facteur principal ayant

« déclenché » le chômage des diplômés universitaires au Maroc. Les mesures d’austérité adoptées

consistaient, entre autres, à alléger la masse salariale du secteur public en réduisant substantiellement le

recrutement dans ce secteur. Ainsi, le gouvernement a d’abord annulé plus de 19 000 nouveaux postes

d’emploi dans le secteur public et qui étaient prévus dans le budget de 1983, puis le recrutement a été

maintenu à un niveau assez bas dans les années suivantes, soit entre 10 000 et 15 000 par année

comparativement à plus de 50 000 en 1976 et plus de 45 000 en 1982. Toutefois, et malgré ces

compressions qui ont épargné les fonctionnaires en service, les dépenses de personnel ont continué de peser

lourd dans le budget de fonctionnement du gouvernement et dans le PIB (respectivement 65% et 11,5% en

1998), en partie à cause des augmentations substantielles des salaires dans le secteur public. En 2005, le

gouvernement a lancé une nouvelle initiative incitant les fonctionnaires au service depuis plus de 15 ans à

quitter volontairement la fonction publique en contrepartie d’une compensation financière séduisante. Cette

initiative a conduit au départ d’environ 40 000 fonctionnaires.

Boudarbat (2004) trouve que malgré la réduction de l’emploi dans le secteur public, ce dernier reste encore

très convoité par les diplômés universitaires à cause de ses salaires largement supérieurs à ceux du secteur

privé. Agénor et El Aynaoui (2003) estiment cet écart à entre 150% et 200% incluant les compensations

non salariales telles que les conditions de travail et les plans de retraite. Devant une telle situation, les

travailleurs éduqués trouvent rationnel de demeurer longtemps au chômage à la recherche d’un emploi dans

le secteur public, comme l’a déjà prédit le célèbre modèle de Harris et Todaro (1970).

Brahim Boudarbat

175

IV. Analyse de l’emploi des diplômés de la formation professionnelle à l’aide des

modèles de durée

IV.1 Modèles théoriques

D’après les données, près de 30% des diplômés toujours actifs sont toujours à la recherche de leur premier

emploi et ce 49 mois après l’obtention du diplôme. La présence de données censurées sur la durée de

chômage avant l’accès au premier emploi requiert l’utilisation de méthodes d’analyse particulières basées

sur les modèles de durée. Ces méthodes initialement utilisées pour étudier la mortalité ont vu leur champ

d’application s’étendre à l’étude d’autres phénomènes tels le célibat, le mariage, l’emploi, le chômage, les

habitudes de consommation du tabac, le récidivisme criminel, etc.

La durée d’un phénomène particulier peut être traitée par une approche non paramétrique n’imposant

aucune restriction sur les données. Cette approche descriptive empruntée de la méthode actuarielle et

connue sous le nom de Kaplan-Meier, produit de manière strictement empirique des estimations des

fonctions de survie et de risque. Ces fonctions sont notées respectivement par S(t) et h(t). De manière

générale, la fonction de survie indique pour chaque période la probabilité que l’évènement étudié ne se

produise pas avant cette période. Dans le cas de la durée de chômage, S(t) est la probabilité de rester au

chômage au moins jusqu’à la période t. De son côté, la fonction de risque dénote la probabilité instantanée

qu’un événement se produise au temps t, sachant que cet événement ne s’est pas produit avant ce temps là.

Cette fonction prend généralement de petites valeurs sauf lorsque l’échec (mort) se produit de manière

extrêmement rapide. Dans le cas du chômage, h(t) est la probabilité de trouver un emploi à la période t

conditionnellement au fait d’être au chômage jusqu’à cette période.

Si nous supposons que les observations sur la durée sont ordonnées comme suit : t1≤t2≤ … ≤ tk≤ … ≤ tK

(dans notre cas, les observations sur la durée correspondent aux 49 mois après la fin de la formation), alors,

une estimation empirique des fonctions de survie et des taux de hasard serait :

∏=

−=

k

1i nqn

i

iik )t(S

k

kqk n

)t(h =

où nk est le nombre d’individus dont la durée observée de chômage est au moins égale à tk, et qk est le

nombre d’individus qui quittent le chômage à la période tk.

L’inconvénient de cette approche non paramétrique est qu’elle ne permet pas de tenir compte des variables

susceptibles d’influencer la durée du phénomène étudié. Toutefois, il est possible de tenir compte de ces

Brahim Boudarbat

176

variables en stratifiant les calculs actuariels pour différentes sous populations différenciées selon les

modalités de ces mêmes variables. Par exemple, si l’on veut comparer les hommes et les femmes, ces

calculs doivent se faire séparément pour chaque groupe.

L’approche paramétrique des modèles de durée suppose une loi de distribution pour la variable aléatoire

représentant la durée de l’événement (le chômage ici). Contrairement à l’approche non paramétrique, cette

approche impose une restriction aux données, mais elle a l’avantage de permettre de tenir compte et

d’estimer l’importance de l’effet de variables explicatives indépendantes du temps. Si nous notons par T la

variable aléatoire représentant la durée de l’événement étudié (c-à-d. durée de survie) et supposons que

cette variable est continue et a pour densité la fonction f(t), alors les fonctions de survie et de risque

sont définies comme suit :

∫−=≥=t

0ds)s(f1)tT(obPr)t(S : probabilité que la durée de l’événement ne se produise pas avant t

)t(S)t(f)t(h = : probabilité instantanée (risque) que l’événement prenne fin à la période t sachant que cet

événement a duré jusqu’à cette période.

En adaptant l’approche paramétrique, la durée de survie T est supposée suivre une distribution statistique

déterminée. Plusieurs différentes distributions ont été proposées dans la littérature. L’identification de celle

qui est appropriée pour les données sous étude est une étape cruciale. La principale distinction entre les

modèles paramétriques est la forme de la fonction de risque que ces modèles impliquent pour les données

analysées. Les distributions Weibull et Gompertz sont appropriées quand la fonction de risque est

monotone, c’est-à-dire qu’elle croît ou décroît tout le temps. La distribution log-Logistique peut être

adoptée quand le risque augmente pour atteindre un pic puis diminue ensuite, ou encore lorsque le risque

diminue toujours. Les modèles Gamma Généralisée et log-Normal sont préférables quand le risque le taux

de hasard commence par croître, atteint un maximum puis décroît monotonement par la suite. Enfin, dans le

modèle Exponentiel le risque est constant dans le temps. Les formes précises de ces distributions (par

exemple le point de temps où le risque atteint l’optimum ou la vitesse à laquelle il croît/décroît) dépendent

des paramètres auxiliaires qui sont également estimés à partir des données. Par exemple, avec une

distribution Weibull, la fonction de risque est h(t) = p( t)p-1. Dans ce cas, le paramètre p détermine la

forme du risque (croissant si p > 1, décroissant si p < 1 et constant si p = 0), et le paramètre détermine le

niveau du risque. Le modèle Weibull emboîte le modèle Exponentiel quand p = 1. Le modèle Gamma

Généralisé est très flexible avec trois paramètres auxiliaires, ce qui permet un grand nombre de possibilités

de forme et de niveau pour la fonction de risque. La fonction de survie est S(t) = 1 -

Brahim Boudarbat

177

( )⎟⎟⎠

⎞⎜⎜⎝

⎛⎟⎠

⎞⎜⎝

⎛ −κσλκκ tlnexp,I , avec I(.,.) est la fonction Gamma incomplète, et , σ et κ sont les paramètres

auxiliaires. Ce modèle emboîte comme cas particuliers le modèle Exponentiel quand 1=σ et 1=κ , le

modèle Weibull quand 1=κ , et le modèle log-normal quand 0→κ .

Si la forme du risque de l’événement analysé est connue pour être différente de celle d'une distribution

particulière, alors les données ne devraient pas être analysées avec ce modèle paramétrique. Une manière

informelle de déterminer la convenance d’un modèle paramétrique serait de comparer la forme du risque

empirique (non paramétrique) avec celle que ce modèle implique. Le graphique 3 ci-dessous (section IV.2)

indique que le risque de quitter le chômage n’est pas constant, ce qui écarte la distribution Exponentielle.

Le critère d’information d'Akaike (AIC) (Akaike, 1974), une statistique qui arbitre entre la vraisemblance

d’un modèle et sa complexité, peut également être utilisée pour choisir entre différents modèles

paramétriques. L’AIC d'un modèle est défini comme :

AIC = -2(log vraisemblance) + 2(c + a)

où c est le nombre de covariantes (y compris la constante) et a est le nombre de paramètres auxiliaires. Le

modèle approprié est celui qui minimise la valeur de AIC. Sur les six modèles paramétriques précités, le

modèle Gompertz est celui qui minimise ce critère avec nos données aussi bien pour les filles que pour les

garçons. D’ailleurs, le risque empirique représenté dans le graphique 3 présente une tendance à la baisse

avec le temps et semble se stabiliser vers la fin de période, ce qui correspond à la distribution Gompertz.

Cette dernière est largement utilisée dans la recherche médicale et biologique modélisant les données de

mortalité. Les fonctions de risque et de survie du modèle Gompertz sont :

tt eee)t(h σλσλ == +

⎟⎠⎞⎜

⎝⎛ −−

=1tee

e)t(Sσ

σ

λ

Le modèle est implémenté en paramétrant βλ X= , avec X étant un vecteur de covariantes, et β étant le

vecteur de coefficients correspondants. Ce paramétrage implique le modèle de risque proportionnel :

( ) ββσ X0

Xt ethee)t(h == . ( )th0 est le risque de base. Le paramètre auxiliaire σ détermine la forme de

la fonction du risque : exponentiellement croissante si 0>σ , et exponentiellement décroissante si si 0<σ .

Les paramètres σ et β sont estimés à partir des données.

Brahim Boudarbat

178

IV.2 Analyse non paramétrique

Nous avons estimé les fonctions de survie (probabilité de rester au chômage au moins jusqu’à la période t)

et de risque par la méthode non paramétrique Kaplan-Meier séparément pour les filles et les garçons de

l’échantillon et en stratifiant (à titre d’illustration) par méthode de recherche de l’emploi (relations

personnelles versus autres méthodes).

Le graphique 2 montre que les filles sont plus susceptibles de rester plus longtemps au chômage

comparativement aux garçons. De même, ces derniers ont un risque estimé de quitter le chômage plus élevé

que celui des filles. Pour le des sexes, la fonction de risque tend à diminuer dans le temps en dents de scie.

En fin de période, la probabilité de quitter le chômage approche zéro. Par ailleurs, un test de rang (log-rank)

permet de conclure au rejet de l'hypothèse d'homogénéité dans le traitement des garçons et des filles de

l'échantillon.

Graphique 2 : Fonctions de survie empiriques Graphique 3 : Fonctions de risque empiriques

0

0,2

0,4

0,6

0,8

1

0 12 24 36 48Durée après la fin de la formation (en mois)

Filles

Garçons

0

0,02

0,04

0,06

0,08

0,1

0,12

0 12 24 36 48Durée après la fin de la formation (en mois)

Filles

Garçons

Les moyens informels de recherche de l’emploi sont très payants au Maroc. En effet, le recours aux

relations personnelles (intervention d’un parent ou ami) est très efficace pour décrocher un emploi comme

cela ressort des graphiques 4 et 5. D’ailleurs, un test de rang (log-rank) suggère de rejeter largement

l'hypothèse d'égalité des chances d’accès à l’emploi entre les diplômé(e)s pouvant et ayant compté sur des

relations personnelles pour trouver un emploi et les autres. Ainsi, nous constatons que la fonction de survie

des diplômés (filles ou garçons) faisant intervenir des parents ou amis tend à grande vitesse vers zéro alors

qu’elle descend plus lentement pour les autres. L’écart entre les deux groupes est plus grand chez les filles.

Par ailleurs, et alors que la fonction risque diminue dans le temps pour ceux qui ne peuvent compter sur un

piston, cette même fonction demeure à des niveaux élevés pour les autres, voir augmente dans le cas des

Brahim Boudarbat

179

filles. Les relations informelles deviendraient ainsi incontournables pour mettre fin à la phase de chômage.

Montmarquette et al. (1996) ont réalisé une étude similaire auprès des diplômés de l’Office de la formation

professionnelle et de la promotion du travail sortis en 1991. Leur étude a abouti à la même conclusion

concernant le rôle des relations personnelles dans l’insertion des diplômés au cours de la première année

suivant la remise du diplôme.

Graphique 4 : Fonctions de survie empiriques selon l’utilisation des relations personnelles dans la

recherche d’emploi

(a) Filles

0

0,2

0,4

0,6

0,8

1

0 12 24 36 48Durée après la fin de la formation (en mois)

Oui

Non

(b) Garçons

0

0,2

0,4

0,6

0,8

1

0 12 24 36 48Durée après la fin de la formation (en mois)

Oui

Non

Graphique 5 : Fonctions de risque empiriques selon l’utilisation des relations personnelles dans la

recherche d’emploi

(a) Filles

0

0,04

0,08

0,12

0,16

0,2

0 20 40 60

Durée après la fin de la formation (en mois)

Oui

Non

(b) Garçons

0

0,04

0,08

0,12

0,16

0,2

0 10 20 30 40 50

Durée après la fin de la formation (en mois)

Oui

Non

Brahim Boudarbat

180

Toujours dans le cadre des facteurs corollaires de l’informalité du marché du travail, nous comparons les

fonctions de survie empiriques des diplômés formés en « Artisanat de service et services personnels » et des

autres diplômés (graphique 6). Le test de rang (log-rank) conduit au rejet de l’hypothèse d’homogénéité des

deux groupes en ce qui a trait à l’accès à l’emploi, et ce aussi bien pour les filles que pour les garçons. Et

comme nous le constatons dans les graphiques ci-dessous, les formations artisanales accélèrent la fin de

l’épisode de chômage; cet effet étant beaucoup plus grand pour les filles.

Graphique 6 : Fonctions de survie empiriques des diplômés formés en « Artisanat de service et services

personnels » et des autres

(a) Filles

0

0,2

0,4

0,6

0,8

1

0 12 24 36 48

Durée après la f in de la formation (en mois)

Art.serv.

Autre

(b) Garçons

0

0,2

0,4

0,6

0,8

1

0 12 24 36 48

Durée après la f in de la formation (en mois)

Art.serv.Autre

IV.3 Analyse paramétrique

Les résultats de l’estimation du modèle Gompertz sont donnés dans le tableau 6. Cette estimation a été

effectuée avec une distribution de type Gamma pour l’hétérogénéité (non observable) entre les diplômés.

La variance de cette distribution est dénotée θ. Un test du rapport de vraisemblance de l’hypothèse nulle

que cette variance est égale à zéro (c'est-à-dire, absence de l’hétérogénéité non observable) suggère le non

rejet de cette hypothèse pour les garçons (p_value = 0,166) contre son rejet pour les filles (p_value =

0,000). Ainsi, les variables explicatives retenues dans les estimations assurent un contrôle suffisant des

sources d'hétérogénéité entre les garçons, alors qu’avec les mêmes variables, il y a encore des sources

(importantes) d'hétérogénéité qui subsistent entre les filles. Ceci justifie notre approche consistant à traiter

séparément les deux sexes.

La valeur estimée du paramètre σ qui détermine la forme de la fonction risque, est négative et

statistiquement significative au niveau 1% aussi bien pour les filles que pour les garçons. Les fonctions de

risque estimées sont ainsi monotonement décroissantes pour les deux sexes. Mais, comme la valeur estimée

de σ est inférieure (supérieure en valeur absolue) chez les garçons, ceci implique que la fonction de risque

Brahim Boudarbat

181

décroît plus rapidement pour ces derniers comparativement à la fonction de risque des filles, de la sorte que

l’écart entre les deux fonctions va en diminuant comme cela est rendu évident par le graphique 7. En fin de

période, les deux sexes font face au même risque de quitter le chômage. Néanmoins, le graphique confirme

le fait déjà signalé comme quoi les filles sont moins susceptibles de quitter le chômage comparativement

aux garçons.

Graphique 7 : Fonction de risque estimée par sexe

0

0,01

0,02

0,03

0,04

0,05

0,06

0,07

0,08

0 12 24 36 48

Durée après la fin de la formation (en mois)

Filles

Garçons

Les deux graphiques suivants montrent que la fonction de risque estimée s’ajuste très bien à la fonction de

risque empirique.

Graphique 8 : Fonctions de risque empirique et estimée

(a) Filles

0

0,02

0,04

0,06

0,08

0,1

0,12

0 12 24 36 48

Durée après la f in de la formation (en mois)

Empirique

Estimée

(b) Garçons

0

0,02

0,04

0,06

0,08

0,1

0,12

0 12 24 36 48Durée après la f in de la formation (en mois)

Empirique

Estimée

S’agissant des variables explicatives, nous rappelons qu’il faut ici considérer le signe des coefficients des

variables pour identifier le sens de la liaison entre les variables explicatives et le risque de quitter le

Brahim Boudarbat

182

chômage. Dans ce sens, une variable dont le coefficient est positif, agit positivement sur la fonction de

risque de base et accroît du coup la probabilité instantanée de trouver un emploi à une période donnée. Pour

une interprétation plus facile des résultats, les estimations du vecteur β sont données sous forme de rapports

de risque (eβ), ce qui permet de quantifier l’effet de chaque variable explicative sur le risque de base. Par

exemple, si le rapport de risque est égal à 2, cela signifie qu’un changement unitaire de la variable

correspondante va doubler le risque de base (c'est-à-dire la probabilité de quitter le chômage), toute chose

égale par ailleurs. Et quand le rapport de risque (toujours positif) est inférieur à un, la variable explicative

correspondante réduit le risque de base.

L’âge n’a pas d’effet significatif sur l’accès des garçons à l’emploi. Pour les filles, l’augmentation de l’âge

réduit vraisemblablement les chances d’emploi. S’agissant du niveau de formation, nous constatons que les

trois niveaux qualification, technicien et technicien spécialisé réduisent le risque de base (de référence, soit

celui du niveau spécialisation) d’environ un tiers pour les garçons, alors que chez les filles, les niveaux

technicien et technicien spécialisé augmentent ce risque de plus de 50%. Ainsi, dans la structure actuelle du

marché du travail marocain, l’élévation du niveau d’éducation semble plus profitable aux femmes.

Par département formateur, les résultats indiquent que les formations données par l’OFPPT, le département

public le plus important et le mieux structuré, sont associées à un risque de base inférieur d’un dixième à

celui associé aux formations du secteur privé (département de référence) dans le cas des garçons. Dans le

cas des filles, le risque de base est légèrement amélioré avec les formations de l’OFPPT, toute chose égale

par ailleurs. Ce sont surtout, les formations du département de l’Intérieur qui impliquent le plus grand

risque de quitter le chômage, ceteris paribus, surtout chez les filles (triplement du risque de quitter le

chômage). Il s’agit, toutefois, d’un petit département (2,1% des diplômés) dont les diplômés se destinent

essentiellement à l’emploi dans ses propres structures. À l’opposé, les formations des départements

Artisanat, Anciens résistants et Jeunesse, font courir à leurs diplômés des risques importants de demeurer

au chômage.

En ce qui concerne les domaines de formation, nous constatons surtout l’effet extraordinaire du domaine

« Artisanat de services et services personnels » qui permet aux filles de multiplier leur risque de base par

5,5. Il s’agit d’un domaine où le pourcentage de diplômés installés à leur propre compte est le plus élevé

(20,0% au total avec 27,6% chez les filles contre 16,5% chez les garçons). Les domaines « Artisanat de

production » et « Textile » sont également porteurs d’emploi pour les filles puisqu’ils augmentent le risque

de base d’environ le double. Pour les garçons, les écarts entre domaines d’études sont moins nets

comparativement aux filles, mais encore une fois, le domaine « Artisanat de services et services personnels

» est relativement le plus porteur d’emploi. Cette situation est corollaire de la situation de l’économie

marocaine dominée par les activités informelles auxquelles le domaine « Artisanat de services et services

Brahim Boudarbat

183

personnels » semble prédestiner ses diplômés. De plus, l’auto-emploi, choisi par un grand pourcentage de

diplômés de ce domaine de formation est loin de se faire dans un cadre formel légal. En effet, deux

diplômés sur trois installés à leur propre compte ont monté des affaires informelles dont des affaires de

bricolage ou travail à domicile.

Les résultats concernant la méthode utilisée pour rechercher un emploi sont très intéressants. Dans ce sens,

les résultats permettent de conclure que l’intervention des parents ou amis (relations personnelles) est

déterminante dans l’accès à l’emploi, puisque cette méthode informelle permet aux filles de multiplier par

3,29 leur risque de base de quitter le chômage, et aux garçons d’avoir presque deux fois plus de chances de

quitter le chômage à chaque période de temps. Rappelons que 30,3% des filles employées et 28,2% des

garçons employés ont décroché leur emploi grâce à cette méthode qui semble efficace face à

l’augmentation des difficultés d’emploi. Il y a peu d’écart à cet égard entre les niveaux de formation pour

les garçons, alors que pour les filles, ce sont surtout les techniciennes spécialisées (35,8%) qui ont le plus

bénéficié de l’interventions de parents ou d’amis. Ainsi, l'élévation du niveau de formation n’entraîne pas

forcément une formalisation des procédures d'emploi, du moins pour les filles.

D’autre part, l’assistance du centre de formation améliore significativement les chances d’emploi pour les

deux sexes, mais ce mode de recherche d’emploi n’est accessible qu’à très peu de diplômés (4,5% des filles

et 7,0% des garçons employés). La réponse aux offres d’emploi publiées dans les journaux augmente les

chances de quitter le chômage vers l’emploi, surtout pour les filles, mais il semble que très peu d’emplois

sont publiés dans les journaux (moins d’un diplômé sur huit a été employé grâce à cette méthode). Enfin, le

contact direct des employeurs augmente de 60% le risque de base pour les filles alors qu’il le réduit du

cinquième pour les garçons. Les filles seraient-elles plus convaincants dans leurs démarches ou encore

seraient-elles plus en mesure de détecter les employeurs potentiels et d’éviter les contacts vains ?

Concernant l’origine socioprofessionnelle des diplômés sous - étude, saisie à travers la profession du père

ou tuteur, nous constatons que les enfants des cadres supérieurs se trouvent légèrement plus avantagés pour

l’accès à l’emploi. Toutefois, l’origine socioéconomique des diplômés de la formation professionnelle est

très modeste se traduisant par très peu d’entre eux ont un père qui est un cadre supérieur (5,6% des filles et

3,2% des garçons). Il est intéressant de constater que ce sont les fils d’artisans qui ont les chances d’emploi

les plus élevées, ce qui n’est pas le cas pour les filles d’artisans. Indiquons que pour 14,2% des garçons et

10,0% des filles, le père est un artisan. Ce pourcentage est le plus élevé pour les garçons formés en

« Textile » (19,5%), « Artisanat de production » (20,7%) et « Artisanat de services et services personnels »

(17,6%), ce qui indique qu’un rapprochement entre les garçons et l’activité artisanale de leur père ou tuteur

est bénéfique en terme d’emploi. Cette logique ne paraît pas fonctionner dans le cas des filles à qui les

parents semblent vouloir éviter les conditions de travail pénibles en artisanat.

Brahim Boudarbat

184

Le faire de suivre un stage en milieu pratique n’améliore que sensiblement les chances de trouver un emploi

pour les garçons, alors qu’il les augmente d’un quart pour les filles. Pourtant, le taux de poursuite de stages

est le même pour les deux sexes (un diplômé actif sur quatre). Ainsi, bien que le stage permette d’améliorer

ses qualifications et son savoir après leur sortie du centre de formation, et par conséquent d’atténuer

l’handicap de manque d’expérience, il ne semble pas que les garçons en tirent avantage. Ceci nous amène à

s’interroger sur l’efficacité du programme gouvernemental de promotion de l’emploi au Maroc dont l’une

des composantes essentielles consiste à subventionner les entreprises qui offrent des stages aux diplômés

chômeurs (surtout ceux de l’enseignement supérieur). Le résultat reste, toutefois, non surprenant si nous

prenons en considération l’importance de l’informel tant au niveau des activités économiques qu’au niveau

des procédures d’embauche. Dans ces conditions, les caractéristiques du capital humain ont peu d’effet sur

les conditions d’emploi (Orr, 1997).

Finalement, et comme nous pouvons s’y attendre, l’augmentation du taux de chômage local réduit le risque

de base. Cette réduction est de 2% pour les garçons et de 4,3% pour les filles quand le taux de chômage

augmente d’un point. Ainsi, la détérioration de la situation de l’emploi affecte les femmes plus que les

hommes.

V. Conclusion

Le chômage des diplômés est un des problèmes les plus sérieux auxquels fait face le Maroc. La persistance

de ce fléau depuis une vingtaine d’années est préoccupante. Par cette étude, nous souhaitons contribuer à la

compréhension du fonctionnement du marché du travail, ce qui pourrait aider à développer des instruments

à même de lutter contre le problème en question.

Les diplômés de la formation professionnelle constituent une composante importante de la population

éduquée. Bien que leur formation les destine directement à l’emploi, ils se trouvent, étonnamment, parmi

les plus touchés par le chômage. L’étude a confirmé la nature désorganisée du marché du travail au Maroc.

Les formations proches ou liées au secteur informel sont associées avec plus de chances d’insertion dans la

vie active. De plus, le recours aux expédients, à la débrouillardise personnelle et aux interventions de

parents et d’amis facilite énormément l’accès à l’emploi, surtout pour les filles. Ce qui se fait souvent,

aussi, à travers l’abandon de toute discussion ou négociation en matière de rémunération, de conditions de

travail ou de qualification de l’emploi à exercer par le diplômé embauché.

Une croissance économique soutenue est, certes, nécessaire pour résorber le chômage des diplômés.

Toutefois, les pratiques d’embauche, les préjugés et le manque d’information adéquate sur l’offre et la

demande de travail, pourraient empêcher le marché d’assurer une allocation optimale des ressources.

Brahim Boudarbat

185

Tableau 6 : Estimation du modèle Gompertz pour la durée de chômage (en mois) Hommes Femmes

Coefficient (β)

Err. type

Rapport de risque

(exp(β))

Err. type

Coefficient (β)

Err. type

Rapport de risque

(exp(β))

Err. type

Constante -1,5728* 0,9074 - - 12,6401*** 1,3922 - - Age -0,0686 0,0671 0,9337 0,0627 -1,1925*** 0,1039 0,3035*** 0,0315 Age2 0,0016 0,0013 1,0016 0,0013 0,0219*** 0,0019 1,0221*** 0,0020 Niveau de formation (référence = Spécialisation)

Qualification -0,3908*** 0,0361 0,6765*** 0,0244 -0,0061 0,0526 0,9939 0,0522 Technicien -0,4919*** 0,0417 0,6114*** 0,0255 0,4315*** 0,0701 1,5396*** 0,1079 Tech. spécialisé -0,4254*** 0,0483 0,6535*** 0,0316 0,4219*** 0,0782 1,5248*** 0,1192

Département formateur (référence = Privé) OFPPT6 -0,1039*** 0,0259 0,9013*** 0,0233 0,0789** 0,0345 1,0821** 0,0373 Tourisme 0,1497 0,0941 1,1615 0,1093 0,6041*** 0,1814 1,8296*** 0,3318 Agriculture 0,2580*** 0,0604 1,2943*** 0,0782 0,0184 0,1907 1,0186 0,1942 Intérieur 0,4655*** 0,0661 1,5928*** 0,1053 1,0610*** 0,1028 2,8892*** 0,2969 Artisanat -0,4489*** 0,0698 0,6383*** 0,0445 -0,5254*** 0,1426 0,5913*** 0,0843 Anciens résistants -0,7925*** 0,2037 0,4527*** 0,0922 -0,4522*** 0,1158 0,6362*** 0,0737 Jeunesse - - - - -0,4461*** 0,0577 0,6401*** 0,0369 Autres départ. Publics 0,1465** 0,0618 1,1577** 0,0715 -0,1946 0,1291 0,8232 0,1063

Domaine de formation Administration 0,1334*** 0,0448 1,1427*** 0,0512 0,2409*** 0,0533 1,2724*** 0,0678 Textile 0,1863*** 0,0608 1,2048*** 0,0732 0,6553*** 0,0861 1,9257*** 0,1658 Industrie 0,2000*** 0,0440 1,2214*** 0,0538 0,2031* 0,1205 1,2252* 0,1477 BTP 0,2498*** 0,0524 1,2838*** 0,0673 0,2866*** 0,0907 1,3318*** 0,1208 Artisanat de production 0,0982 0,0639 1,1032 0,0705 0,7111*** 0,0911 2,0362*** 0,1855 Artisanat de service 0,4775*** 0,0505 1,6121*** 0,0813 1,7001*** 0,1073 5,4745*** 0,5875 Tourisme 0,2490*** 0,0908 1,2827*** 0,1164 -0,2328 0,1744 0,7923 0,1382

Méthode de recherche de l’emploi Centre de formation 0,4493*** 0,0461 1,5673*** 0,0722 0,5658*** 0,0831 1,7609*** 0,1463 Contact direct des employeurs -0,2191*** 0,0312 0,8032*** 0,0250 0,4647*** 0,0402 1,5916*** 0,0640

Relations personnelles 0,6290*** 0,0236 1,8757*** 0,0443 1,1926*** 0,0455 3,2956*** 0,1501 Réponse aux annonces dans les journaux 0,1773*** 0,0382 1,1940*** 0,0457 0,6170*** 0,0591 1,8534*** 0,1096

Profession du père Cadre supérieur 0,2265*** 0,0470 1,2542*** 0,0590 0,1280** 0,0602 1,1366** 0,0685 Cadre moyen -0,1230*** 0,0371 0,8843*** 0,0328 0,0794 0,0584 1,0827 0,0632 Employé -0,0165 0,0244 0,9836 0,0240 -0,2571*** 0,0359 0,7733*** 0,0278 Commerçant -0,0247 0,0251 0,9756 0,0245 0,0884** 0,0402 1,0924** 0,0439 Artisan 0,2823*** 0,0410 1,3262*** 0,0544 -0,1426*** 0,0487 0,8671*** 0,0422

A suivi un stage 0,0355* 0,0204 1,0362* 0,0212 0,2156*** 0,0289 1,2406*** 0,0359 Taux de chômage local -0,0197*** 0,0021 0,9804*** 0,0021 -0,0441*** 0,0038 0,9569*** 0,0036 Sigma (σ) -0,0373*** 0,0025 -0,0271*** 0,0023 Theta (θ) 0,0435 0,0701 0,4629*** 0,0869 Moy. log vraisemblance -1,7260 -1,5902

(***), (**), (*) : Statistiquement significatif au niveau 1, 5 et 10% respectivement.

6 Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail

Brahim Boudarbat

186

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Brahim Boudarbat

187

Du Système National d’Innovation au Système National de Construction de Compétences. Expériences au Maroc à travers les divers modes éducatifs et l’insertion professionnelle des jeunes femmes diplômées. Vanessa CASADELLA1 et Mohamed BENLAHCEN-TLEMCANI2

Depuis la dernière décennie, la recherche sur les systèmes nationaux d’innovation a

particulièrement gagné de l’importance dans le domaine de l’innovation et du changement technique. Cette approche a été adoptée afin de percevoir des différences institutionnelles nationales au niveau du développement et de la diffusion des nouveaux produits et processus. A l’origine développée dans la problématique des pays industrialisés, elle a également su trouver une signification dans les pays en développement.

L’application du S.N.I dans les pays en voie de développement est émergente et démontre l’existence de conditions d’applicabilité. Ces conditions sont toutefois construites a priori et relatent d’une vision importée du modèle d’innovation stricto sensu. En effet, l’image classique donnée au S.N.I est souvent associée à la science et la technologie ou plus largement, à un vaste support institutionnel lié aux activités d’apprentissage technologique.

L’objet de cet article est de présenter une nouvelle variante du modèle S.N.I aux économies maghrébines. L’innovation ne se résume plus à la science et la technologie, ni même à l’apprentissage technologique, mais à une réelle construction de compétences laquelle entre indirectement et depuis peu, dans le cadre d’activités innovatrices. La construction de compétences se présente ici comme un nouveau champ d’application de l’approche S.N.I. Elle permet en ce sens un élargissement de la structure conceptuelle originelle comme elle traduira en l’espèce une clarification terminologique de cette dernière.

Le présent article se veut avant tout théorique. Il permet de réfléchir sur de nouveaux instruments de mesure relatifs à l’apprentissage systémique. Les marchés du travail et les systèmes éducatifs sont alors de nouvelles thématiques inhérentes aux systèmes nationaux d’innovation. L’apprentissage organisationnel, clé de voûte « traditionnelle » du S.N.I, se superpose à l’apprentissage individuel et les problématiques relatives aux connaissances individuelles des acteurs économiques. Deux nouvelles conditions d’applicabilité du S.N.I sont ainsi requises via les opportunités d’apprentissage et la culture d’apprentissage.

La portée empirique de cet article est plus relative et se traduit par une modeste application du Système National de Construction de Compétences au cas du Maroc. Une centralité sur les femmes est ici présentée comme légitime dans une potentielle construction de systèmes nationaux d’apprentissage. L’innovation et l’apprentissage par la construction de compétences sont des activités à travers lesquelles la dimension genre est souvent omise. C’est la raison pour laquelle nous nous y sommes particulièrement attachés.

Deux parties seront respectivement traitées : l’approche critique des S.N.I dans les P.E.D (§I) et la proposition du nouveau Système National de Construction de Compétences (§II).

1 Attachée Temporaire d'Enseignement et de Recherche, chercheuse au GRECOS/CERTAP, Université de Perpignan Via Domitia. [email protected] 2 Directeur du GRECOS/CERTAP, Université de Perpignan Via Domitia et Conseiller pour la Formation Universitaire et la Recherche en Gestion (Pôle Universitaire de Djibouti). [email protected]

Vanessa Casadella et Mohamed Benlahcen-Tlemcani

189

I/ Approche critique du Système National d’Innovation dans les économies en développement

Le S.N.I est un concept relativement récent lequel a permis de s’interroger sur de nombreuses thématiques liées à la science et la technologie. Parmi ces dernières, on trouve la production de connaissances technologiques (via des indicateurs de performance : dépenses en R&D, personnel en R&D, nombre de brevets, de publications scientifiques, etc.), la mesure des flux technologiques (incluant les flux financiers, humains et réglementaires) et l’analyse des politiques technologiques nationales. Le S.N.I revêt multiples facettes et recouvre différentes conceptualisations selon le champ empirique visité.

Ceci dit, loin de donner à l’approche un caractère globalement formel, la multiplicité des travaux, le fonctionnement et le positionnement théorique des chercheurs vont inévitablement rendre certaines caractéristiques de l’approche équivoques, imprécises et parfois ambiguës. Les versions « larges » et « étroites » du S.N.I en deviennent dénaturées (§1). De là, en résultent des S.N.I « du Sud » sous-développés en raison de leur conceptualisation a priori (§2).

1. Incohérence des approches larges et étroites du S.N.I Hâtivement diffusé, le concept S.N.I a trouvé une cohérence intellectuelle et pratique à

la fois dans les cercles académiques mais également au sein de contextes politiques tout comme dans les organisations internationales (OCDE3, Commission Européenne, UNCTAD4 et UNIDO5).Cette rapide diffusion de l’approche ne va pas sans conséquent. Non seulement la littérature sur le sujet est abondante, mais elle est particulièrement ambitieuse dans ce qu’elle cherche à comprendre et à expliquer. Les interprétations du S.N.I varient remarquablement d’un auteur à l’autre et les sensibilités peuvent parfois être très diverses. Dans cette optique, le caractère ouvert et flexible des S.N.I (LUNDVALL B., 1992) est généralement admis et implique la possibilité, au regard des diverses réalités analysées, d’accentuer certains aspects ou de réaliser diverses hypothèses sans pour autant que le concept ne perde de sa consistance.

La flexibilité de l’approche, si elle se justifie par différentes sensibilités conceptuelles, ne saurait conduire à un manque de clarté générale. Or, il ressort de l’approche S.N.I un sentiment de flou et d’ambiguïté (EDQUIST C., 1997). Le caractère équivoque de l’innovation dans l’approche S.N.I fragilise la dichotomie entre vision large et étroite du concept. L’innovation dans l’approche S.N.I a été définie dans des voies particulièrement divergentes. Afin d’éclairer les nombreux débats sur le sujet, la plupart des auteurs ont d’emblée constitué une vision duale en sectionnant le concept en deux approches : une approche large et une approche restreinte de l’innovation. Ces représentations, très manichéennes, permettent aux auteurs de directement se placer au sein d’une méthodologie d’approche en fonction de l’objet étudié.

Les approches restreintes sont associées aux travaux de NELSON R . (1993), MOWERY D.C et OXLEY J. (1997). Selon ces derniers, l’innovation est définie de manière restreinte car la dynamique innovative nationale n’est mesurée qu’en termes d’activités formelles liées à la R&D et aux activités scientifiques. Si l’innovation peut revêtir un

3 Organisation de Coopération et de Développement Economique. 4 United Nations Conference on Trade and Development. 5 United Nations Industrial Development Organization.

Vanessa Casadella et Mohamed Benlahcen-Tlemcani

190

caractère radical ou incrémental, elle ne concerne que les activités de création de connaissances.

La principale force du S.N.I « étroit » réside dans l’analyse de l’impact des politiques technologiques nationales sur le comportement innovatif des firmes. On évoque ainsi le S.N.I étroit comme un système intégré d’agents économiques et institutionnels générant directement la production et l’utilisation d’innovation. Dans ces termes, l’influence avec le concept de triple hélice (ETZKOWITZ H., LEYDESDORFF L., 2000) où les entreprises, gouvernements et universités sont les pôles principaux de la dynamique interactive, est particulièrement marquante. Il en est de même avec les approches O.C.D.E (O.C.D.E, 2002) lesquelles définissent le S.N.I dans un contexte « étroit » par cinq acteurs clés : le gouvernement, les institutions, les entreprises, les universités et autres organisations publiques et privés (laboratoires publics, organismes de formation et de transfert technologique, etc..). Tableau 1/ La conceptualisation étroite du S.N.I

TRAITS PRINCIPAUX DE L INNOVATION SNI ETROIT Nature de l’innovation Technologique et organisationnelle

Caractère de l’innovation Incrémental et radical Représentation de l’innovation Création et utilisation de connaissances

Acteurs concernés par les processus d’innovation Acteurs directement liés à la science et la technologie : entreprises, gouvernement, universités

Objets empiriques Dépenses R&D, Personnel R&D, Organisations R&D, Brevets, Management stratégique, Perception publique

de la science et technologie

Par opposition à cette vision, une approche large s’est développée avec les travaux de LUNDVALL B. (1992) et FREEMAN C. (1987), EDQUIST C. (1997). Selon LUNDVALL B. et alii (2002a), les versions de FREEMAN C. (1987) et de FREEMAN C. et LUNDVALL B. (1988) décrivent le système d’innovation dans une large conceptualisation. L’innovation, radicale ou incrémentale, est un processus cumulatif continu inhérent à la diffusion, l’absorption et l’utilisation de connaissances. Dans cette version, l’accent est placé sur les processus d’apprentissage lesquels impliquent que la compétitivité des firmes individuelles et du système d’innovation émane de sa capacité à apprendre. Sur un plan macroéconomique, la définition large inclut, en y indexant les composantes du SNI étroit, toutes les institutions politiques, sociales, économiques et culturelles affectant l’apprentissage, la recherche et les activités d’exploration : le système financier, les politiques monétaires, l’organisation interne des firmes privées, le système éducatif pré-universitaire, le marché du travail, etc. A un niveau plus microéconomique, la force du S.N.I réside davantage sur l’efficacité des réseaux des firmes, sur les forces intangibles et diverses sources de l’apprentissage interactif au sein des activités d’achat, de production et de vente, que sur les réelles activités de R&D.

Tableau 2/ La conceptualisation large du S.N.I

TRAITS PRINCIPAUX DE L’INNOVATION SNI LARGE Nature de l’innovation Liée aux processus d’apprentissage

Caractère de l’innovation Incrémental et radical

Représentation de l’innovation Diffusion, absorption, utilisation et création de connaissances

Acteurs concernés par les processus d’innovation Acteurs directement et indirectement liés à la science et la technologie

Objets empiriques Marchés du travail, systèmes financiers, systèmes éducatifs, valeurs culturelles et cohésion sociale, modèles d’apprentissage, liens et réseaux, etc..

Vanessa Casadella et Mohamed Benlahcen-Tlemcani

191

Mais l’innovation est un substantif multiforme lequel pose dans sa terminologie un

certain nombre d’ambiguïtés quant à ses interprétations sur le sujet. D’après LUNDVALL B. (1992), une définition stricto sensu de l’innovation caractérise l’approche étroite et une définition plus ample, l’approche large. Ceci démontre clairement que NELSON R. exclut les processus de diffusion et d’utilisation des connaissances de sa définition de l’innovation. Or, ce dernier, dont on classe souvent comme porteur d’une conceptualisation étroite, ne semble pas avoir érigé une approche des plus restreintes: « l’innovation comprend les processus au sein desquels les firmes maîtrisent et améliorent les processus relatifs au design ou à la conception des produits lesquels sont nouveaux pour eux, qu’ils le soient ou non pour le monde ou pour la nation” (NELSON R., 1992, P.36). Dans ces termes, la représentation de l’innovation chez NELSON R. rejoint les caractéristiques de l’approche large et touche également les perspectives de production et de diffusion des connaissances.L’innovation n’est donc pas restreinte à la création de connaissances mais vise à l’absorption et la diffusion de connaissances. Pour la plupart des auteurs dont NELSON R., l’innovation regroupe tous les éléments de la triade schumpétérienne, invention, innovation (stricto sensu) et diffusion. En ce sens, la délimitation théorique entre vision large et étroite perd de sa consistance.

Toujours dans cette optique, un autre problème se pose quant à la nature représentative de l’innovation et appelle également à un éclaircissement terminologique. L’innovation dans le S.N.I ne se limite pas aux seules innovations techniques. Si le S.N.I « étroit » se réfère directement à l’innovation technologique, le S.N.I large admet dans sa définition l’innovation institutionnelle, organisationnelle et sociale. Mais, là encore, la crédibilité de l’approche large/étroite est remise en question. Par exemple, le S.N.I nelsonien puise dans sa conceptualisation des éléments de nature organisationnelle et institutionnelle. Si ces éléments sont traditionnellement perçus de manière restrictive, ils dépassent le système classique de R&D : « la large conceptualisation de l’innovation que nous avons adoptée nous oblige à considérer d’autres acteurs que ceux relatifs à la recherche et au développement» (NELSON R., 1993, P.5).

Les éléments qu’il admet sont, pour ainsi dire, « larges » alors que le référentiel cognitif du S.N.I nelsonien reste lié à l’innovation technologique. Bien que les déterminants de l’innovation chez NELSON R. soient nombreux, il s’agit d’une conceptualisation restreinte de l’innovation : « la plupart des auteurs en question (de l’ouvrage de NELSON R.) fournissent une analyse cohérente en focalisant leur attention sur les institutions et les mécanismes qui correspondent à une définition étroite de l’innovation» (NELSON R., 1992, P. 36). Dans une perspective contraire, les approches intégrant des déterminants plus restreints mais s’intéressant directement à l’innovation non technologique seraient susceptibles d’être qualifiés d’approche « large ».

Ce serait la finalité analytique recherchée (innovation technologique versus innovation organisationnelle) qui distinguerait l’approche large de l’approche restreinte et non ses déterminants et sources d’innovation. Ceci étant, bon nombre de confusions s’opèrent à ce sujet. Les exemples en témoignent. L’approche de VIOTTI E. est construite sur une conceptualisation large du S.N.I (VIOTTI E., 2000, P.2) alors qu’elle ne vise comme dessein principal que l’innovation technologique. De même, les travaux de LAREDO P. et MUSTAR P. (2001) relatifs aux politiques d’innovation et de recherche optent pour une version large du S.N.I laquelle est pourtant, selon ces derniers, liée à celle de NELSON R. et à l’innovation technologique.

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On parle de définition inconsistante de l’innovation (CHANG Y-C. et CHEN M.H,

2004) pour faire état des déficiences conceptuelles du S.N.I. Si les versions larges (plutôt adaptées aux économies en développement) et étroites (relatives aux économies industrialisées) du concept font défaut, pas surprenant de percevoir de larges faiblesses inhérentes aux S.N.I en développement. Le S.N.I semble encore être érigé a priori (ex-post) pourtant utilisé afin de décrire et analyser empiriquement les processus d’innovation des pays industrialisés dotés d’une forte base institutionnelle et d’une infrastructure avancée (GU S., 1999). Le S.N.I du Sud doit a contrario revêtir un caractère a posteriori (ex-ante) afin que l’analyse puisse se déplacer plus en amont sur ses conditions d’émergence et de développement.

2. Faiblesses des S.N.I en développement

Lorsqu’ils sont identifiés, les systèmes d’innovation africains sont souvent présentés comme sous-développés et bâtis sur des conditions peu favorables. On évoque fréquemment les expressions de système technologique africain inadéquat (LALL S., PIETROBELLI C., 2003) ou non dynamique (OYELARAN-OYEYINKA B., BARCLAY L-A, 2003). Par delà même, on imagine les hypothèses de non système d’innovation en Tanzanie (SZOGS A., 2004) ou l’impossibilité de construire un système national d’innovation au Sénégal (CARRE H., 2003).

Dans les économies maghrébines, le constat est moins pessimiste bien que de nombreuses faiblesses soient décelables. Quatre aspects peuvent être traités quant à la configuration générale du S.N.I marocain: l’organisation institutionnelle de la recherche, les dépenses en R&D, les ressources humaines en science et technologie et le cadre législatif (BOUIYOUR J., 2003).

Concernant l’organisation institutionnelle de la recherche, force est de constater le

manque de politique scientifique et technologique adéquate. Le système de recherche scientifique au Maroc se caractérise par l’hétérogénéité de ses éléments et le manque de coordination entre les différents éléments qui le composent. Chaque ministère dispose de son propre institut de formation. A côté de cela, il existe de véritables universités où quelques équipes de recherche sont formées mais sans impulsion véritable de la part de l’Etat (ALCOUFFE A., BOUIYOUR J., 1997). En dépit de quelques initiatives, il n’existe pas véritablement de politique de R&D. La preuve est concrètement apportée au niveau des dépenses en R&D. En 1998, la part de la R&D dans le P.I.B était de 0,3%. Ce taux tient compte des crédits et budgets alloués à la recherche scientifique au niveau de trois composantes : l’Etat, le secteur privé et la coopération.

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Pourtant, dès 2000, un nouveau plan quinquennal (2000-2004) a prévu une augmentation substantielle des dépenses pour le département de la recherche scientifique (567,8 millions de Dh pour 5 ans). En conséquent, dès 2001, la part des dépenses en R&D s’établit à 1% du P.I.B. Ce qui est encourageant mais reste insuffisant eu égard à d’autres économies en développement, comme l’Inde ou la Corée (2% du P.I.B). Par ailleurs, le nombre de personnel de recherche s’est nettement accru. En 2001, le nombre d’enseignants-chercheurs est de 14 278 (contre 13 500 en 1998). Si la part des sciences humaines et sociales a diminué de façon importante (de 47% en 1998 à 26% en 2001), la part des sciences de l’ingénierie et de la technologie est passée de 9% à 25% pour la même période. Le nombre de publications a lui aussi augmenté et placé le Maroc en 3ème position des pays africains. Quant au cadre législatif, certaines mesures tendent également à prouver que le Maroc a considérablement avancé au niveau de la propriété industrielle (BOUIYOUR J., 2003).

Mais on ne saurait envisager cette avancée sans traiter de ses difficultés notoires.

Selon ALCOUFFE A. (1992), à propos des économies maghrébines, le manque d’intégration entre les centres de recherche et le manque de liaison avec le système productif s’expliquent par deux motifs : d’abord, l’accroissement exponentiel des effectifs dans les universités produit un effet d’éviction des activités de recherche au profit des activités d’enseignement et d’encadrement entraînant une formation plus abstraite et de plus en plus coupée du secteur productif. Ensuite, l’insuffisance de grands groupes industriels conduit à l’isolement des unités de production par rapport aux centres de recherche et aux fournisseurs et clients les privant d’effets de rétroaction sur le processus d’apprentissage technologique.

Au Maroc, les dysfonctionnements sont nombreux.

Pour BOUIYOUR J., le S.N.I marocain se caractérise par un réseau institutionnel fragmenté et hétérogène dans lequel les relations sont inexistantes. Le système de formation est déconnecté du système productif et le marché du travail semble privilégier les réseaux familiaux, le clientélisme et le manque de protection des travailleurs. Au-delà, les formations et compétences restent inappropriées à l’activité économique de manière générale et industrielle en particulier. Au total, c’est un découragement total de l’élite du pays qui apparaît. De manière générale, tout laisse à penser que les S.N.I du Sud sont bâtis sur des conditions peu favorables. Mais le traitement des conditions inadéquates des S.N.I du Sud ne saurait se réduire à une vision déterministe de l’innovation et l’apprentissage dans les économies maghrébines. Un sérieux approfondissement sur les S.N.I maghrébins semble convenir, non seulement afin de renouveler les idées sur la littérature des S.N.I en Afrique, laquelle est peu abondante, mais surtout afin de s’interroger, eu égard aux nouveaux postulats présentés, quant à une perspective d’élargissement conceptuel et de clarification terminologique du S.N.I dans les économies en développement.

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II/ Proposition d’un Système National de Construction de Compétences au Maroc à travers les formes éducatives et l’insertion professionnelle des jeunes femmes diplômées

L’approche par les systèmes d’innovation doit être construite a posteriori afin que l’analyse puisse se déplacer plus en amont sur ses conditions d’émergence et de développement. En cela, de nouveaux éléments entrent en jeu et permettent de mieux formaliser l’approche systémique de l’innovation et l’apprentissage dans les économies en développement. Parmi ces éléments, deux aspects sont à considérer dans la formation des systèmes d’apprentissage en Afrique : les opportunités d’apprentissage et la culture d’apprentissage. Ces derniers constituent de nouvelles conditions substantives d’applicabilité du S.N.I du Sud Sud. Ils permettent par là de clarifier la terminologie du concept et de l’élargir via le Système National de Construction de Compétences (S.N.C.C) (§1). Sur un plan empirique, traiter des opportunités d’apprentissage et de la culture d’apprentissage revient à s’intéresser à la diversité des formes d’apprentissage et aux activités de demande de connaissances. Plus spécifiquement, nous avons choisi de nous intéresser aux diverses formes éducatives (inhérente à la culture d’apprentissage) et à l’insertion professionnelle des jeunes filles diplômées (comme constitutive des opportunités d’apprentissage) au Maroc (§2).

1. Construction du Système National de Construction de Compétences Le Système National de Construction de Compétences repose sur trois objectifs

principaux. Il est construit sur une logique ex-ante ou a posteriori, il défend une large vision de l’innovation où l’apprentissage est central sans pour autant évoquer la terminologie « S.N.I » laquelle est équivoque et élargit in fine les thématiques de recherche sur l’apprentissage et l’innovation en Afrique. Afin de répondre à ces objectifs, deux nouveaux postulats vont être présentés comme substantifs à l’opérationnalité de l’approche dans le Sud. Il s’agit des opportunités d’apprentissage (§1.1) et de la culture d’apprentissage (§1.2). 1.1 Capacités d’apprentissage vs. opportunités d’apprentissage

L’insuffisance de capacités d’apprentissage est représentative du « sous-

développement » des S.N.I africains. Cependant, une seconde idée se juxtapose et est relative aux opportunités d’apprentissage. Bien que cette seconde idée soit particulièrement importante, elle semble sous-estimée dans la littérature. Le problème du manque d’opportunités à appliquer la connaissance est difficilement reconnu comme un véritable problème. De la sorte, les déterminants explicatifs du manque de dynamique des S.N.I africains tendent davantage à souligner les nombreuses déficiences en termes d’offres de connaissances (pénurie de ressources humaines, institutions inadéquates, faible accès aux universités et à la R&D) qu’en termes de demandes (formation appropriée, recrutement d’ingénieurs domestiques, utilisation de la R&D). Le manque d’opportunités s’avère pourtant plus dommageable que l’insuffisance de capacités. Dans la plupart des économies africaines, la capacité de R&D est considérable mais reste inadéquate et largement sous-utilisée.

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Reprenons ce raisonnement à travers les interprétations d’AROCENA R. et SUTZ J. Deux déterminants sont à l’origine de la constitution d’espaces interactifs d’apprentissage (AROCENA R., SUTZ J., 2000). Ces deux éléments doivent s’interconnecter pour former une économie d’apprentissage. Le premier a trait à l’existence de capacités d’apprentissage afin de reconnaître la connaissance existante, détecter la connaissance requise, organiser les processus de recherche pour acquérir et intégrer cette dernière au sein de pratiques routinières. Ces capacités, basées sur une demande en constante évolution, se développent très rapidement. C’est pourquoi la distribution de connaissances par l’accès aux institutions technologiques et/ou non technologiques est d’importance capitale. Le second se rapporte à l’existence d’opportunités d’apprentissage au sein desquelles les différents acteurs sont capables d’améliorer leur capacité tout en participant à la recherche de solutions à un problème donné. Il s’agit de contextes de demande de la connaissance lesquels ont également tendance à se développer très vite. Ces activités se localisent aisément dans les équipes de recherche, les organisations, la constitution de groupes ad-hoc, le rassemblement de groupes hybrides au sein de firmes et/ou universités, les acteurs sociaux et politiques, etc.

Si les capacités d’apprentissage permettent la diffusion et la création de connaissances, les opportunités d’apprentissage sont relatives à l’application et l’utilisation de ces dernières. Le premier élément se rapporte à la construction de capacités à travers la recherche de solutions nouvelles (ou améliorées) et le second, à l’utilisation de ces nouvelles capacités. Lorsque sont évoqués les problèmes de désindustrialisation en Afrique, c’est la notion de capacité d’apprentissage qui est le plus souvent évoquée. Davantage de ressources humaines et de meilleure qualité permettrait une meilleure capacité d’absorption des firmes, des institutions aptes à étayer les différentes formes d’apprentissage garantiraient une meilleure internalisation des connaissances et l’effort en construction d’une dynamique d’apprentissage revivifierait les S.N.I africains (OYELARAN-OYEYINKA B., 2004).

La capacité technologique est présentée comme l’élément clé du S.N.I. L’idée est

simple : si des capacités manquent, elles doivent être rapidement construites. Si ces capacités ne sont pas convenablement construites, c’est qu’elles n’ont pas été assez nombreuses, de qualité insuffisante ou plus simplement, non étayées. En ce sens, il convient de les étayer via un certain nombre d’ « efforts » réalisés sur un plan microéconomique (absorption technologique, apprentissage par la pratique ou l’imitation) ou macroéconomique (incitants, institutions, liens, etc.). L’ « effort » passe donc par l’accumulation de connaissances et notamment par l’aptitude à mobiliser des connaissances via la distribution de facteurs spécifiques (institutions, liens, incitants). L'effort suscite de nouvelles capacités au sens de nouvelles « possibilités » (LOASBY B.J, 1999) ou « aptitudes ».

Cette réponse ne saurait pourtant se satisfaire à elle seule. En effet, si des capacités

n’ont pu effectivement s’ériger, c’est parce qu’elles non pu bénéficier d’opportunités d’apprentissage. En d’autres termes, ces capacités n’ont pas trouvé d’utilisations effectives et d’opportunités d’application de la connaissance. Plus que de simples « possibilités » d’accumulation, ce sont de réelles opportunités productives. L’accumulation de connaissances suppose ainsi l’utilisation des connaissances domestiques dans la mesure où « sa pénurie dans les pays en développement est une des raisons de croire que l’apprentissage cumulatif est difficile à atteindre » (AROCENA, SUTZ, 2001, P.12).

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1.2 Apprentissage technologique vs. culture d’apprentissage

Au delà de la considération traditionnelle de l’apprentissage technologique au cœur du S.N.I, c’est à la culture d’apprentissage (CONNER M.L et CLAWSON J.G, 2004) qu’il convient de se référer dans les P.E.D.

La culture d’apprentissage fait référence à la promotion quotidienne de l’apprentissage

dans tous les segments de l’économie (R&D, production, ressources humaines, institutions, politique), de l’apprentissage individuel à l’apprentissage organisationnel, tacite et explicite, formel et informel, dans les faibles et moyennes technologies, des sciences exactes jusqu’aux sciences humaines. En outre, cette notion requiert l’adaptation de la connaissance aux conditions locales et l’amélioration de cette dernière dans l’économie entière (LUNDVALL B. et alii, 2002). On suppose que c’est à travers la fragile valorisation de la culture d’apprentissage que « les capacités d’apprentissage demeurent limitées et que le cadre institutionnel ne sait pertinemment promouvoir l’apprentissage nécessaire » (JOHNSON B., LUNDVALL B., 2003, P.17).

La connaissance tacite traditionnelle est représentative de la société africaine. Comme

dans la plupart des pays en développement, l’apprentissage est principalement conduit de manière informel et les activités de R&D demeurent non formellement articulées dans la stratégie de l’entreprise (AROCENA R., SUTZ J., 1999). L’apprentissage ne saurait donc s’assimiler à la production formelle de science et technologie. Par ailleurs, l’apprentissage ne s’appréhende guère sous la seule forme de l’apprentissage par imitation dans la mesure où la résolution de problèmes dans les pays sous-développés n’est que mélange entre techniques d’imitation et création de nouveaux chemins substitutifs aux facteurs défaillants (AROCENA J., SUTZ R., 2001). Les canaux d’apprentissage demeurent très diversifiés. OYELARAN-OYEYINKA B. (1997) démontre par exemple l’existence de sept chaînes d’apprentissage au Nigeria : l’apprentissage par formation, la formation sur site par les fournisseurs, la formation sur le tas, les experts d’entreprise, les mécanismes de support à l’apprentissage émanant des institutions publiques, l’apprentissage par transaction avec agents locaux ou externes et l’apprentissage par la pratique dans les activités de production et de maintenance. Ces différents modes d’apprentissage s’alternent selon la nature de l’entreprise, sa culture interne, ses capacités existantes et son environnement socioculturel.

Il existe donc une réelle culture d’apprentissage en Afrique laquelle coexiste

néanmoins avec trois principales difficultés : la présence de capacités d’apprentissage dans des conditions de pénurie (AROCENA R., SUTZ J., 2001), la pratique de l’apprentissage dans des voies souvent inappropriées6 et le rôle des donneurs ayant davantage freiné que stimulé l’apprentissage participant ainsi à une certaine forme d’apprentissage passif. La première difficulté est liée au manque de capacités et d’opportunités d’apprentissage. Les autres difficultés sont inhérentes à la mise en exergue des forces endogènes. Elles apparaissent comme des obstacles liés à l’appropriation des connaissances endogènes pour le développement. Tandis que l’implication des donneurs et des institutions internationales a contribué à de nouvelles formes d’apprentissage passif et à un manque d’efficacité et de confiance des pays en développement, les acteurs locaux n’ont pu détenir un rôle totalement « actif » dans les processus endogènes d’apprentissage.

6 Dans le sens où lesdits processus ne suivent pas toujours de propre chemin de développement.

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Dès lors, la culture d’apprentissage ne s’érige-t-elle qu’avec méconnaissance des multiples forces endogènes innovatives. Non pas parce que les acteurs économiques sont dans l’incapacité d’adapter l’apprentissage à leur mode routinier, mais parce qu’ils ne trouvent guère de situations pour pouvoir l’adapter et que lesdites situations proposées mésestiment les réelles forces locales. Par exemple, l’utilisation des connaissances endogènes étant capitale, elle devrait faciliter le développement de technologies informelles ou des « bio-innovations » (AROCENA R., SUTZ J., 2003). La méconnaissance des forces traditionnelles endogènes dans les S.N.I du Sud est un réel obstacle au développement de l’apprentissage et l’innovation. Or, il semble indispensable, dans une optique de culture d’apprentissage, de pouvoir « découvrir de nouvelles voies d’utilisation de la connaissance locale » (JOHNSON B., LUNDVALL B., 2003, P.25) et de véritables solutions aux problèmes locaux. Après ces considérations théoriques, reste à appliquer ces nouvelles conditions à leur objet d’analyse. La diversité des formes d’apprentissage au Maroc prouve qu’une culture d’apprentissage est présente contrairement à l’apprentissage technologique qui n’est que balbutiant. Quant à l’insertion professionnelle des jeunes femmes diplômées, elle montre en quoi les activités de demande de connaissances sont tout autant importantes que celles relatives à l’offre d’apprentissage dans les systèmes nationaux d’apprentissage du Sud.

2. Application du S.N.C.C dans les économies magrébines : le cas du

Maroc

Le Système National de Construction de Compétences repose sur les divers modes apprentissage des acteurs locaux (§1.1). La construction de capacités nécessite toutefois des opportunités qu’il conviendra d’étayer (§1.2). 1.1 Une culture d’apprentissage reposant une pluralité de modes

d’apprentissage. Trajectoire des femmes au Maroc.

Trois principales formes d’apprentissage sont présentes au Maroc : l’apprentissage formel à travers les systèmes éducatifs, l’apprentissage non formel à travers les stratégies et initiatives d’alphabétisation et l’apprentissage informel via l’apprentissage « sur le tas ». L’analphabétisme touchant au Maroc 49% de la population âgée de 15 ans et plus, divers modes d’apprentissage se sont diffusés. L’échec des stratégies d’alphabétisation développées depuis les années 1990 démontre qu’un modèle unique d’apprentissage est insuffisant pour éradiquer l’analphabétisme. Actuellement, les femmes représentent la majorité des analphabètes, soit 62% des analphabètes totaux. Le taux d’alphabétisation en 2002 s’élève chez les hommes à 63,3% et chez les femmes à 38,3%, soit un large écart de 28 points. Les disparités entre sexes sont nombreuses. Même si les taux de scolarisation se sont nettement redressés ces dernières années jusqu’à 90% en 2002, les plus exclues sont toujours les femmes. Sur une échelle nationale, le taux de scolarisation des filles est passé de 61,8% à 86,6%. Quant aux zones rurales, leur progression est notoire et varie de 44,6% à 78,7%.

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Trois faits marquants ont contribué à l’amélioration de la scolarisation des femmes : • L’avènement du gouvernement de l’alternance (mars 1998) avec un programme

ambitieux en terme d’éducation et de lutte contre l’analphabétisme ; • L’élaboration de la « Charte nationale de l’éducation formation » (juillet 1999), cadre

de référence de la réforme du système éducatif articulée autour de l’objectif « généralisation d’un enseignement de qualité » et d’un échéancier pour ce faire ;

• L’adoption par le Parlement (mars 2000) de la loi relative à l’obligation de l’enseignement fondamental de 9 ans pour les deux sexes.

Des résultats en terme d’alphabétisation sont tangibles mais restent en deça du seuil

espéré. Selon le Ministère du Développement Social, les actions d’alphabétisation ont touché en 2000-2001 environ 301 500 personnes dont 70% de femmes. Ceci étant, les enfants non scolarisés ou déscolarisés âgés de 7 à 15 ans constituent encore 27,4% de garçons et 40,6% de filles. Si la charte nationale de l’éducation-formation a fixé pour 2010 la réduction du taux global d’analphabétisme à 20%, rien ne semble démontrer un engagement réel et une politique volontariste qui ciblerait l’ensemble des analphabètes et surtout les femmes. En biais de l’éducation formelle, les pouvoirs publics ont voulu soutenir l’éducation non formelle. Non pas pour la « formaliser » mais pour lui donner les moyens d’exister en tant que telle. Un nouveau Secrétariat d’Etat chargé de l’alphabétisation et de l’éducation non formelle a ainsi vu le jour en 2002. Un « Plan d’action de lutte contre l’analphabétisme pour un développement global » a été annoncé en 2003 par ce nouveau Secrétariat. Les femmes y sont citées parmi les cibles prioritaires mais ce plan n’annonce ni des objectifs précis ni des mesures concrètes et opérationnelles. L’éducation non formelle ne touche alors que quelques milliers d’enfants dans le cadre d’un partenariat avec 47 associations. Les filles bénéficiaires sont majoritaires mais cet effet n’a qu’un impact limité compte tenu des résultats escomptés (35 000 enfants en 2000). Eu égard aux résultats mitigés de l’éducation formelle et non formelle, le mode de formation des jeunes filles et femmes marocaines est souvent lié à un apprentissage « sur le tas » ou apprentissage informel. Cette formation répond à un type particulier d’organisation de la production de travail. Elle s’appuie sur des normes sociales et institutionnelles de la société où la transmission de techniques et de qualifications s’opère de génération en génération et permet d’accéder à la vie professionnelle. L’apprentissage « sur le tas » est un mode de formation parmi d’autres. D’autres modes interviennent laissant supposer une réelle culture d’apprentissage marocaine. Les apprentis, aides familiaux et travailleuses à domicile sont les formes usuelles d’apprentissage « sur le tas ».

L’existence d’enfants-apprentis est variable selon les métiers mais d’une manière générale, plus le processus d’innovation est élevé, moins la proportion d’apprentis est forte. Cet apprentissage est le mode dominant d’insertion des enfants dans les activités artisanales. Il constitue un pilier essentiel du système organisationnel des petites unités et un élément incontournable de leur reproduction. Ce mode est peu fréquent chez les filles tout comme les aides familiaux lesquels ne constituent guère un mode représentatif.

Les travailleuses à domicile sont quant à elle uniquement représentées de filles et permettent d’acquérir les connaissances techniques du métier en question. Ce mode d’acquisition de connaissances est une tradition ancienne correspondant à des normes culturelles et sociales. Si aucun chiffre n’est disponible en raison du caractère informel de ce mode d’apprentissage, certaines lectures nous orientent vers un développement conséquent de ce dernier.

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Nous venons de le voir, ces modes d’apprentissage constituent la culture d’apprentissage du Maroc. Si ces multiples formes sont nécessaires pour l’internalisation des connaissances, elles se présentent comme complémentaires et non substitutives. En effet, l’apprentissage non formel et informel est limité quant à sa capacité à moderniser les connaissances. On parle de connaissances sclérosées et non évolutives dans la mesure où elles se retransmettent de père en fils sans formation externe. La formation non formelle à elle seule n’assure donc pas la croissance des capacités. Si ces canaux non formels sont représentatifs de la culture d’apprentissage, ils ne peuvent se développer qu’à travers ce que nomme OYELARAN-OYEYINKA B. un « mix de connaissances » intégrant des connaissances théoriques, techniques, relationnelles et sociales. Or, au vu des statistiques, il semble encore que la qualification de la main d’œuvre soit largement assurée dans le cadre de structures informelles et/ou non formelles. Mais de toute façon, lorsqu’on croise les données avec le marché du travail, on ne peut qu’en déduire une logique de sous-emploi chronique chez les femmes. Pas étonnant de constater plus globalement le désintérêt notoire porté autour de l’enseignement formel général. 1.2 De faibles opportunités d’apprentissage à travers un marché du travail

cloisonné. Trajectoire des femmes au Maroc.

Le premier constat à émettre au cas du Maroc est le « non accès » ou la difficulté d’accès des femmes au marché du travail formel. Bien que les statistiques soient inexistantes ou peu fiables, certaines études ont montré l’accès limité des femmes à l’emploi. Pourtant, le taux d’activité des femmes n’a cessé de croître ces dernières années. Tandis qu’en 1990, ce taux était de 20%, il passe en 1999 à 25,3%. Mais plus globalement, une tendance à la baisse du taux d’activité a été relevée pendant ces dix dernières années (baisses successives de 1999 à 2002 pour se redresser en 2003). En dépit de cette relative progression, le taux de chômage en milieu urbain s’accentue fortement et progresse de 9% en 1980 à 22% en 1999. D’une manière générale, les catégories les plus touchées sont les jeunes, les diplômés et les femmes (RAJAA M., 2001).

En ce qui concerne les femmes, en 1999, leur taux de chômage est de 28,2% contre 19,9% pour les hommes. Cette montée du chômage des femmes est le signe d’une plus grande fragilité de leur insertion. Elle est liée en grande partie à la nature du système productif dont la caractéristique principale est d’entretenir la précarité de l’activité féminine sous la forme d’une main d’œuvre occasionnelle. Le chômage des jeunes femmes est surtout présent dans la tranche d’âge 20-24 ans. Néanmoins et quelque soit le sexe, les taux de chômage croissent avec les taux d’instruction. Les femmes trouvent de plus en plus de difficultés à s’insérer sur le marché du travail. Par exemple, le taux de chômage en 1999 des « sans diplôme » de sexe masculin est de 16,7% alors qu’il représente 14,8% chez les femmes. Ce taux s’élève à 22,6% chez les hommes ayant un diplôme de niveau supérieur et 35,9% chez les femmes ayant un niveau identique. Dans la population des « sans diplôme », beaucoup d’actifs exercent leur profession dans le secteur informel et adhérent naturellement à l’ « auto emploi ». Il en est différemment chez les diplômés lesquels ont des comportements et aspirations différents.

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Quant à la durée du chômage, elle ne cesse de se prolonger. A en considérer certaines études (EZZRARI A., 2001), près de neuf sur dix chômeuses (diplômées du supérieur) sont sans emploi depuis plus d’an an alors que cette proportion n’est que de 68,5% chez les femmes non diplômées. Ces mêmes caractéristiques se retrouvent chez les hommes même si leur proportion est moindre. De plus, la durée moyenne du chômage est de 44,5 mois pour les femmes et 41,9 chez les hommes. Et le diplôme n’est pas ici une variable influant sur cette durée.

Les conséquences de ces données font état de deux aspects critiques : plus de précarité

et davantage d’informalité. La main d’œuvre féminine reste confinée dans des activités de services d’entretien ou dans les branches textile et confection, c'est-à-dire dans des emplois les plus bas de la hiérarchie professionnelle. Lorsqu’elle s’immisce dans l’informel, c’est à la fois dans le cadre de stratégies familiales de survie ou de pluri-activité. Dans tous les cas, la situation des femmes au Maroc montre en quoi la précarisation du travail est devenue sans précédent.

Notons toutefois, en marge de cette situation peu encourageante, quatre mutations qualitatives lesquelles concernent l’emploi féminin :

• Une augmentation du nombre d’emplois rémunérés féminins ; • L’évolution de la masse salariale laquelle a progressé de 17% dans le secteur

tertiaires et 24% dans le secteur secondaire; • La féminisation de certains grands groupes de professions (cadres supérieurs

et membres de profession libérales) ; • La féminisation de certains métiers autrefois masculins (police, armée, etc.).

Le nouveau code de travail constitue également une avancée par rapport aux droits des femmes travailleurs. Par exemple, la femme n’est plus dans l’obligation de demander l’accord du mari pour pouvoir signer un contrat de travail. De même, il interdit toute discrimination relative aux écarts de salaires entre sexe. Enfin et entre autres, il renforce les mesures de surveillance des travailleurs et travailleurs dans le cadre de leur profession. Mais plus globalement, au vu de l’ensemble de ces éléments, on relève le manque d’effort général porté autour de l’insertion professionnelle de la femme au Maroc, même si certains aspects traduisent une évolution manifeste. Les statistiques n’indiquent pas la dimension genre, l’entrepreneriat féminin est loin d’être étayé, certaines catégories de travail féminin ne sont pas encore règlementées… Bref, le travail des femmes et leur insertion dans la vie professionnelle sont loin d’être idéalement développés. Tout cela pour montrer que la construction de capacités d’apprentissage à travers l’éducation et la culture d’apprentissage n’a intérêt que si elle est facilitée par des garanties à l’effort d’apprentissage et de réelles opportunités d’apprentissage.

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Conclusion Le Système National d’Innovation se présente actuellement comme un concept défraîchi par le nombre de démarches ayant tentées de l’appliquer- ou plutôt de la dupliquer en tant que tel- dans les pays en développement. Ce dernier n’est ni un système technologique stricto sensu, ni un système d’apprentissage technologique. Le Système National de Construction de Compétences, variante du S.N.I dans le Sud, se définit à notre égard comme un ensemble interactif d’acteurs, liés à des activités d’apprentissage, lesquels tentent de construire des compétences par la diffusion (capacités d’apprentissage) et l’utilisation (opportunités d’apprentissage) de connaissances afin de former une véritable culture d’apprentissage et de promouvoir le développement économique. Diffuser des connaissances et les utiliser revient à accentuer l’analyse sur les systèmes éducatifs, les marchés du travail et les formes individuelles d’apprentissage. Analyser a posteriori les modes d’internalisation de connaissances revient a priori à re-définir ce qu’est l’innovation et l’apprentissage dans les économies en développement. L’expérience dans les économies du Maghreb nous montre en quoi les S.N.I en développement ont été fragilisés par des modèles restrictifs et finalement peu proprement représentatifs de la force et dynamique d’apprentissage du pays. Bien que la R&D soit capitale dans les économies en développement, d’autres efforts entrent légitimement en jeu pour la construction de capacités nationales. De là, si les S.N.I africains sont peu dynamiques, c’est certainement en raison de leurs faibles capacités technologiques mais surtout d’une difficulté plus globale à considérer les marchés du travail, systèmes éducatifs et autres modes d’apprentissage- représentant la culture d’apprentissage- comme variables influentes de l’apprentissage national du pays.

L’Afrique est sous-développée mais surtout sous-analysée. Les indicateurs macro relatifs à la science et technologie ne peuvent permettre d’évoluer vers quelqu’unes perspectives d’optimisme et de mobilisation créatrice tant attendues. Pour autant, l’objet de cet article n’est pas de produire une figure rassurante du Maroc. Si sa capacité en R&D est faible, les marchés du travail ne sont guère plus efficients. Mais ici au moins, nous démontrons que la construction de capacité implique la présence d’opportunités d’apprentissage ou d’activités de demande de connaissances.

D’autre part, les marchés du travail au Maroc sont largement sclérosés et apparaissent comme la cause du désintérêt autour des modes d’apprentissage « classiques ». Ceci étant, ces divers modes d’apprentissage –non formels et informels-, même si limitatifs dans leur transmission de connaissances, forment la culture d’apprentissage, elle seule capable d’encourager les africains à devenir des individus aptes à résoudre leurs problèmes. Ce qui semble essentiel dans une construction endogène de dynamique d’apprentissage.

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Vanessa Casadella et Mohamed Benlahcen-Tlemcani

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Session 3

Session 3

Voies d’accès aux postes à responsabilités

• Présidente : Catherine Marry Centre Maurice Halbwachs - ENS-EHESS-CNRS / France

• Les femmes dirigeantes sportives au Maroc :

modes de socialisation, conditions d’accès et rapports aux fonctions exercées Christine Mennesson et Zahra Pillas (Université Paul Sabatier, Toulouse 2 / France)

• Les femmes cadres en Tunisie, portraits d’une négociation : d’hier à aujourd’hui, entre carrière et vie privée Sonia El Amdouni (Institut supérieur des sciences humaines de Tunis / Tunisie)

• L’éducation et la formation : condition nécessaire mais insuffisante à l’accès des femmes au marché du travail Karima Bouzguenda (Faculté des sciences économiques et de gestion de Sfax / Tunisie) et Abdelwaheb Chalghaf (Compagnie des Phosphates de Gafsa / Tunisie)

• Parcours professionnels et “plafond de verre” : les femmes ingénieurs au Maroc Grazia Scarfo’Ghellab (Ecole Hassania des travaux publics de Casablanca / Maroc)

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Le sport : entre intérêts publics et appropriations privées

Les femmes dirigeantes sportives au Maroc : modes de

socialisation, conditions d’accès et rapports aux fonctions exercées Christine Mennesson et Zarha Pillas 1

Cette communication porte sur les femmes investies à un haut

niveau de responsabilité dans les fédérations sportives marocaines. L’objectif consiste, d’une part, à saisir les conditions sociales qui permettent à des femmes de s’engager dans le monde sportif dans un contexte culturel peu favorable à leur participation à la vie publique, et d’autre part, à analyser leurs modes d’accès à la carrière de dirigeante et leurs manières d’exercer leurs responsabilités. L’enquête s’appuie sur une analyse quantitative de l’investissement des femmes marocaines dans l’encadrement sportif et sur des entretiens biographiques menés avec des dirigeantes appartenant aux comités directeurs de différentes fédérations. Deux perspectives théoriques sont plus particulièrement mobilisées pour rendre compte de leur expérience : la sociologie des dispositions et celles des carrières (au sens de Becker).

Les femmes marocaines représentent en 2004 15.6% des licenciées des fédérations sportives et 3.4% des dirigeantes des comités directeurs. 6 fédérations sur 44 ne comptent aucune licenciée et 35 sur 44 ne comptabilisent aucune dirigeante. Ce constat d’ensemble masque des différences importantes selon les disciplines. Globalement, les disciplines les plus féminisées (aérobic et fitness, gymnastique, sports équestres, escrime, natation, athlétisme) sont aussi celles qui comptent le plus de femmes dirigeantes (dans l’ordre : aérobic, athlétisme, sports équestres, tai-jitsu et sambo, gymnastique, boxe) mais cette relation n’est pas systématique, la boxe et le tai-jitsu/sambo devançant par exemple des disciplines plus féminisées, et certaines fédérations relativement féminisées comme la natation ne comptant aucune dirigeante. A part la fédération d’athlétisme, seule fédération parmi celles qui ont plus de 10.000 adhérents à déclarer la présence de dirigeantes, les fédérations qui comptent le plus de dirigeantes sont

1 Zarha Pillas est doctorante et Christine Mennesson maître de conférence, membres de l’équipe « Sports, Organisations, Identités », Université Paul Sabatier, Toulouse III.

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Le sport : entre intérêts publics et appropriations privées

plutôt des petites fédérations (moins de 5000 licenciés), qui semblent parfois occuper le statut d’outsider dans des sous espaces des sports relativement concurrentiels : la fédération d’aérobic et fitness (4782 licenciés dont 61% de femmes, 54.5% de femmes dirigeantes) rivalise ainsi avec la fédération de body-building (10.000 licenciés dont 3% de femmes et aucune dirigeante) et la fédération de boxe (1707 licenciés dont 6.2% de femmes et 10.5% de dirigeantes) se trouve en concurrence avec celle de full contact et kick boxing (10575 licenciés dont 23.6% de femmes et aucune dirigeante) et de taekwondo (28000 licenciés dont 25% de femmes et aucune dirigeante). Ainsi, tout se passe comme si la féminisation des dirigeants progressait plus aisément dans des disciplines où les enjeux économiques, politiques et symboliques sont moindres. Une enquête complémentaire en cours sur l’histoire des disciplines et leur politique à l’égard des femmes devrait fournir des explications plus approfondies sur ce processus.

Trois points de l’expérience des dirigeantes sportives marocaines seront plus particulièrement abordés dans cette communication : les modes de socialisation qui facilitent l’entrée dans la carrière de dirigeante, les modes d’accès à cette carrière et les manières dont les dirigeantes s’acquittent de leur fonction en relation avec leur mode de gestion de leur vie familiale.

I) Modes de socialisation et vocation de dirigeante Il s’agit ici de comprendre dans la perspective des travaux de

Charles Suaud, comment se construit la vocation de dirigeante, de repérer les modes de socialisation qui façonnent les dispositions nécessaires à l’entrée dans la carrière. Ce travail de construction de la vocation se réalise dans différentes institutions : la famille, le monde scolaire et professionnel et le monde sportif.

Tout d’abord, certains modes de socialisation sexuée favorisent de manière générale l’investissement des femmes dans le monde sportif. D’origines sociales relativement diversifiées (6 classe pop, 4 classe moyenne, 2 classe sup), les modes de socialisation enfantine des dirigeantes se caractérisent par la construction de dispositions sexuées inversées. Ce mode de socialisation, déjà repéré dans certains travaux, implique la participation des filles au groupe des pairs masculins pendant l’enfance et l’investissement précoce dans les pratiques

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Le sport : entre intérêts publics et appropriations privées

sportives. Il est cependant remarquable que ce mode de socialisation se développe dans des contextes à priori peu favorables à un questionnement des normes sexuées, notamment pour les familles populaires. En effet, si certaines familles des classes moyennes et sup privilégient des modes d’éducation relativement égalitaires, la répartition sexuée des tâches est systématique dans les familles pop et les pères souvent réticents à l’investissement sportif des filles. Ainsi, si le père occupe une place centrale dans la socialisation sportive des filles des classes moyennes et favorisées, le soutien d’enseignants d’EPS puis d’entraîneurs joue un rôle prépondérant pour les filles des milieux populaires.

Par ailleurs, la composition des fratries différencie les familles favorisées et moyennes des familles populaires, non du point de vue du nombre d’enfants, mais au niveau de la répartition des filles et des garçons : dans les premières, les fratries des enquêtées sont plus souvent à dominante masculine, dans les secondes, les filles sont majoritaires (3 « garçons manquants » notamment). Dans le premier cas, la socialisation inversée résulte manifestement d’une socialisation silencieuse pour reprendre les termes de Lahire (absence de sœur ou différence d’âge importante) en compagnie des garçons, dans le second, elle correspond à une opposition forte aux normes sexuées familiales, dans des familles où d’autres filles endossent les rôles attendus par les parents. Enfin, contrairement aux résultats de l’enquête menée par Elsa Croquette sur les sportives de haut niveau d’origine maghrébine en France, les filles étudiées appartiennent plus fréquemment à la première moitié de la fratrie (3 aînées, 7 cadettes, 11 sur 12 sont les premières filles de la famille), sans qu’il soit possible d’expliquer cette spécificité. En revanche, cette place dans la fratrie implique l’apprentissage de compétences spécifiques dans des familles souvent nombreuses (4 à 9 enfants pour 9 familles sur 12) : participation à l’organisation et la gestion de la vie familiale, prise en charge des aspects administratifs voire de la gestion financière dans le cas de mères non lettrées. En ce sens, leur position dans la fratrie favorise la constitution de dispositions nécessaires à l’engagement en tant que dirigeante et construit progressivement leur vocation à occuper ces fonctions.

Au-delà de cette caractéristique forte, deux éléments contribuent également à l’engagement dans l’encadrement sportif : les dirigeantes

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Le sport : entre intérêts publics et appropriations privées

possèdent toutes un crédit réputationnel conséquent, acquis au cours d’une carrière sportive de haut niveau, et elles détiennent également un capital culturel important et occupent des positions sociales élevées.

La majorité des enquêtées ont réalisé des études supérieures longues (9 bac+4 et plus, 1 bac+3, 1 bac+2, 1 bac) dans des domaines plutôt « masculins » (économie et disciplines scientifiques). Comme pour les sportives de haut niveau d’origine maghrébine, la constitution d’un capital sportif se conjugue ainsi avec celle d’un capital scolaire, la réussite scolaire constituant souvent un argument important pour négocier l’engagement sportif (Croquette et Mennesson, 2005). Diplômées sur le plan universitaire, les enquêtées accèdent à des postes de direction (7 directrices de société ou de service) et renforcent ainsi les compétences qui faciliteront leur engagement associatif (gestion des ressources humaines et gestion financière notamment).

Enfin, la socialisation sportive enfantine se concrétise par un engagement sportif intensif menant à une carrière d’athlète de haut niveau voire de très haut niveau (4 médaillées d’or aux JO ou aux championnats du monde, 1 record du monde et un record d’Afrique, participation aux JO ou aux CM pour 9 femmes sur 12). Les enquêtées se distinguent donc par leur carrière sportive exceptionnelle qui leur permet de bénéficier d’un crédit réputationnel important et qui implique également des contacts fréquents avec des modèles culturels différents, notamment en ce qui concerne les rôles sexués.

Pour résumer, comme le constatent les travaux portant sur le marché du travail, les femmes occupant des postes de responsabilité se distinguent par l’importance de leurs capitaux et compétences (comparativement aux hommes occupant les mêmes fonctions).

II) « Etablies » et « outsiders » : deux modes d’accès à la fonction

de dirigeante Le deuxième point évoqué concerne les modes d’entrée des

dirigeantes étudiées. Les enquêtées s’initient généralement à la gestion et la direction au sein de leur club et s’engagent souvent conjointement dans les fonctions de juge, d’arbitre ou d’entraîneur, fonctions qu’elles assument parfois au niveau international (7 diplômes de juge ou arbitre internationaux), renforçant ainsi leur crédit réputationnel dans le milieu

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Le sport : entre intérêts publics et appropriations privées

et leur connaissance des réseaux et des rapports de pouvoir. L’entrée dans les comités directeurs nationaux des fédérations se fait plus ou moins rapidement selon les cas (entre 21 et 45 ans).

Deux modes d’accès aux fonctions nationales sont identifiés : L’entrée « établie », qui correspond aux dirigeantes intégrées aux réseaux institutionnels et l’entrée « en force », réalisée par des femmes marginalisées par leur institution sportive, en position « d’outsiders » pour reprendre les termes d’Elias et Scotson.

L’entrée « établie », très majoritaire, correspond à une cooptation de la dirigeante par un membre influent du comité directeur, cooptation qui s’officialise par une élection « arrangée », organisée par le réseau dominant :

« L’entraîneur est devenu mon parrain…Et comme j’avais un profil responsable, il me faisait rentrer dans les commissions et me donnait des tâches que j’accomplissais avec plaisir. Quand il est devenu président de la fédération, il m’a proposé au bureau » F5.

Les dirigeantes ainsi sélectionnées considèrent leur entrée au comité directeur comme une faveur particulière et sont redevables du soutien dont elles ont bénéficié. Elles acceptent donc les postes secondaires qui leur sont attribués et ne revendiquent pas les fonctions décisionnelles, même quand elles assument une part importante du travail :

« J’étais secrétaire générale adjointe, le secrétaire est parti à Marrakech pour des raisons professionnelles. Je faisais tout le travail mais je ne pouvais pas prendre sa place car je le respecte et il est plus ancien que moi » F5.

Dans de nombreux cas, la fonction officielle attribuée aux femmes masque une logique de marginalisation en les cantonnant souvent dans un rôle purement représentatif destiné à montrer la bonne volonté de la fédération à l’égard des femmes :

« Je suis secrétaire générale adjointe mais c’est seulement sur les papiers. Ma fonction consiste seulement à recruter des filles qui ont un haut niveau en full contact et à les amener à la boxe » F12.

Ce mode d’entrée au comité directeur s’observe plus fréquemment dans les fédérations importantes et/ou anciennes (athlétisme, gymnastique, volley-ball). Tout en permettant la présence de femmes dans les instances dirigeantes nationales, il renforce globalement la

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Le sport : entre intérêts publics et appropriations privées

hiérarchie sexuée des tâches et des fonctions en sélectionnant des femmes susceptibles de respecter ou tout du moins de ne pas bouleverser l’ordre établi.

Le deuxième mode d’entrée dépend de l’initiative personnelle de

femmes en position d’outsiders, qui n’appartiennent pas ou ne sont pas soutenues par les réseaux masculins dominants. Leur candidature n’est en général pas la bienvenue et elles sont sanctionnées lors de l’élection. Elles tentent alors de mobiliser des réseaux concurrents avec plus ou moins de succès. Quand elles accèdent au comité directeur, ces femmes entrées « en force » dans la direction sportive revendiquent les mêmes fonctions que les hommes (3 sur 4 postulent par exemple au poste de président). Leur attitude offensive suscite de nombreuses réactions et résistances, les hommes utilisant plusieurs stratégies pour compliquer singulièrement leur tâche :

« La première année j’ai postulé pour être présidente mais ça n’a pas marché. La deuxième année j’ai été élue vice présidente mais les décisions se font souvent sans moi car ils se réunissent le soir dans les cafés et décident entre eux. Je continue quand même à travailler en espérant que les choses vont changer » F6.

« J’ai été élue présidente de la fédération, j’ai donné les postes clés à des femmes car je ne connaissais pas les anciens. Ils n’étaient pas contents et il a fallu que j’aille au tribunal pour imposer ma décision. Par la suite, l’assemblée générale a été jugée non légitime et la fédération dissoute » F9.

Ainsi, si les outsiders questionnent fortement l’ordre établi entre les sexes, elles parviennent difficilement à exercer effectivement leur fonction de direction. Ce mode d’entrée « en force », nettement minoritaire (4 femmes sur 12) concerne surtout des « petites » fédérations, elles même en situation d’outsider. Leur création souvent récente explique la relative faiblesse des réseaux masculins dominants.

Si le contexte fédéral explique partiellement la différenciation des modes d’entrée, d’autres éléments, relatifs au mode de socialisation sexuée, au capital sportif et à la gestion de la vie de couple, permettent de comprendre les stratégies différenciées de dirigeantes appartenant parfois à la même fédération. Ainsi, si l’origine sociale ne semble pas discriminante, les dirigeantes « outsiders » se distinguent par une

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Le sport : entre intérêts publics et appropriations privées

éducation sexuée plutôt égalitaire et par la détention d’un capital sportif très important (toutes ont participé aux championnats du monde dont 2 médaillées d’or). Enfin, les modes de gestion de la vie privée des outsiders contrastent avec ceux adoptés par les établies. De manière générale, les conceptions de la fonction de dirigeante et les modes de gestion la vie privée entretiennent des relations étroites, rappelant ainsi que le lieu privilégié de la reproduction des rapports sociaux de sexe demeure l’espace domestique.

III) Conceptions de la fonction de dirigeante et gestion de la vie

privée Enfin, le dernier point de l’exposé s’intéresse aux manières dont

les dirigeantes exercent leur fonction et gèrent leur engagement sportif et leur vie privée dans un pays régi jusqu’à très récemment par un code de la famille. Les dirigeantes peuvent se classer en trois catégories en fonction de leur conception de leur fonction et de leur rôle de femme : les « paritaires » qui estiment que les hommes comme les femmes doivent gérer conjointement leur vie de dirigeant et leur vie familiale, les femmes qui ont une conception de leur fonction similaire à celle des hommes et la jugent incompatible avec la vie familiale et enfin, les dirigeantes qui pensent remplir leur fonction de manière spécifique et tentent d’assumer la majorité de l’organisation de la vie familiale.

A part les deux femmes les plus jeunes qui sont célibataires, les enquêtées sont toutes mariées et ont de 1 à 4 enfants. Leurs conjoints appartiennent dans la quasi-totalité aux classes dirigeantes (chefs d’entreprise et cadres supérieurs). 5 conjoints occupent également des postes de responsabilité dans des fédérations sportives. L’investissement professionnel des deux conjoints et les contraintes liées à la fonction de dirigeante compliquent singulièrement la gestion de la vie familiale. Les comportements des conjoints s’avèrent décisifs de ce point de vue.

Les « paritaires » considèrent leur vie de couple comme un élément catalyseur de leur engagement dans la direction sportive. Mariées à des hommes relativement distants à l’égard des modèles sexués traditionnels, elles bénéficient d’un partage égalitaire des responsabilités familiales et d’un soutien dans l’accomplissement de leur fonction :

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Le sport : entre intérêts publics et appropriations privées

Le mari de F6 s’est chargé de la gestion de la vie familiale durant un an pendant l’absence de sa femme pour des raisons professionnelles et sportives. A son retour, exclue de sa fédération, elle envisage d’abandonner mais son mari l’en dissuade et l’aide à créer son propre club qu’elle préside. F6 parvient finalement à se faire élire au poste de vice-présidente de la fédération.

L’instauration d’un rapport égalitaire au sein du couple nécessite

cependant parfois une négociation avec le conjoint : « Au début, j’ai impliqué mon mari, je lui ai fait comprendre que

j’ai une carrière sportive qui fait partie de ma vie. Nous avons tous les deux une carrière professionnelle, moi en plus j’ai une carrière sportive. Il a fallu expliquer, j’ai insisté. Le problème, ce sont les femmes qui acceptent de tout faire et qui tombent dans le piège…Maintenant, il gère avec moi les contraintes de la maison et l’éducation des enfants. Heureusement, j’ai un mari compréhensif » F2.

Comme le montre François De Singly, ces négociations dépendent

de la répartition des différentes formes de capitaux et des rapports de force établis au sein du couple. Ainsi, les paritaires ne sont jamais issues des milieux populaires et disposent des capitaux culturels (2 bac +7, 2 bac + 4) et sportifs (3 médaillées d’or aux CM ou aux JO) les plus importants de la population enquêtée. La carrière des conjoints sportifs n’a jamais égalé celle des dirigeantes paritaires.

Par ailleurs, dans 3 cas sur 4, elles ont réalisé une entrée en force dans la direction sportive. Le soutien du conjoint semble donc compenser partiellement l’absence de soutien au sein des réseaux établis des fédérations.

Les dirigeantes qui adoptent les normes masculines dans l’exercice

de leur fonction sont confrontées à des difficultés importantes de gestion de leurs multiples engagements. En effet, d’une part, elles refusent d’adapter leur fonction de direction en raison de leurs charges familiales :

« Ce n’est pas possible d’occuper un poste comme les hommes et de ne pas travailler comme eux. Les réunions et les voyages, il faut tout

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Le sport : entre intérêts publics et appropriations privées

assumer, c’est à nous de nous adapter et pas le contraire. C’est un défi, il faut montrer qu’on est capable de suivre le rythme » F11.

D’autre part, elles refusent d’entrer en conflit avec leur conjoint pour préserver leur foyer et répondent à leur entreprise de culpabilisation en assumant seules la gestion de la vie familiale :

« C’est vrai, j’ai eu des problèmes avec mon mari à cause de mes absences. J’arrive en retard, je travaille le week-end, je voyage souvent…Mais malgré cela j’arrive toujours à m’organiser pour que rien ne manque à la maison et en cas de besoin je fais appel à ma mère. Comme ça, l’homme ne trouvera rien à dire car la maison est bien tenue » F10.

Ces dirigeantes parviennent donc à maintenir leur engagement associatif au prix d’un cumul des tâches particulièrement lourd à gérer, facilité dans certains cas par l’aide sollicitée auprès d’autres femmes (mères ou employées). Comme les boxeuses « hard », elles s’imposent dans un monde d’hommes en intériorisant la conception masculine traditionnelle de la répartition sexuée des tâches.

Enfin, certaines dirigeantes revendiquent une différenciation

sexuée des modes d’exercice des fonctions de dirigeante et mettent en œuvre des processus de resexuation des comportements :

« Quand la femme copie sur l’homme, elle fait des erreurs. Le côté fin, le côté humain, le côté social que la femme est sensée apporter, il ne faut pas l’oublier. Moi j’essaye de rester une femme, je m’arrange toujours pour travailler lorsque mes enfants sont à l’école, je ne programme jamais de réunion le soir pour être disponible pour mes enfants et mon mari » F3.

Ces dirigeantes mènent souvent elles-mêmes l’entreprise de culpabilisation qui les éloigne progressivement de leur engagement associatif, ou tout du moins, les incite à accepter des fonctions subalternes moins prenantes :

« Quand je devait m’absenter pour un voyage, je culpabilisais. Je suis restée responsable jusqu’au jour où j’ai dit « je veux partir ». J’ai fait un choix. Mon mari et moi avons la même formation et nous avions des fonctions tous les deux à la fédération. Il fallait que quelqu’un se sacrifie alors je me suis sacrifiée et j’ai quitté une carrière qui me

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passionnait mais je ne le regrette pas car je me suis bien acquittée de mon pôle d’épouse et de maman » F3.

Cependant, cette auto élimination se construit dans les interactions entre conjoints, la participation sportive des deux protagonistes augmentant les tensions au sein du couple. L’exemple de F5 illustre bien le processus de mise en conformité progressive des comportements sexués au sein du couple :

F5 rencontre son mari dans le milieu sportif. Avant de se marier,

elle travaillait avec lui en tant que secrétaire adjointe de la fédération (lui occupant le poste de secrétaire général) sans que cela pose problème. Après le mariage, l’attitude de son mari change progressivement, remettant en cause ses engagements sportif et professionnel. Il supporte en effet difficilement sa présence au milieu des hommes dans les réunions, et n’apprécie pas les coups de téléphones de ses clients, majoritairement masculins. Il l’incite également à limiter ses voyages à l’étranger. Elle connaît alors des difficultés professionnelles (« la valeur de mon nom sur le marché a changé »). Devant ses réticences, elle finit par ne plus assister régulièrement aux réunions (« c’était fatiguant, il me fallait à chaque fois une réunion avec lui avant de partir et je ne pouvais plus saluer les autres hommes alors que c’était des frères pour moi »). Tout en restant à la fédération, elle regrette que « ce ne soit plus comme avant ».

Contrairement aux paritaires, F 5 moins diplômée (bac+3) et

d’origine populaire, ne parvient pas à imposer une organisation paritaire de la vie familiale à son mari, fonctionnaire peu disposé à ce mode de fonctionnement domestique.

Analyser les raisons de la sous-représentativité des femmes dans les instances dirigeantes sportives marocaines, revient à comprendre les modes de socialisation spécifiques construisant des dispositions sexuées inversées. Ces dispositions sont retravaillées de manières différentes selon le contexte sportif des fédérations. Ainsi, le mode d’entrée dans la direction sportive varie en fonction la conception des femmes de leurs fonctions de dirigeante et également de type relations sexuées au sein du couple.

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Communication colloque Rabat : « Les femmes cadres en Tunisie, portraits d’une négociation : d’hier à aujourd’hui, entre carrière et vie privée », Sonia Elamdouni

Introduction

En Tunisie, depuis les années 1980, la confirmation des progrès réalisés dans le

domaine de l’enseignement supérieur et de la formation, a permis aux femmes d’accéder aux plus hauts postes de responsabilité. Plus encore, on constate d’une part que la proportion des femmes parmi les cadres et les professions intellectuelles supérieures s’élève fortement, et d’autre part que les attitudes des femmes tunisiennes envers le travail ont changé. La féminisation de nombreux secteurs d’activité, contribue à une modification considérable si bien, comme le note Zouari-Bouattour1, que la vie active des femmes est de plus en plus « ininterrompue », n’est plus cantonnée dans les secteurs « traditionnels » (l’agriculture et le textile)2 qui accaparaient jusqu’à présent leur main d’œuvre. Tout cela contribue fortement à modifier la perception qu’elles et que les hommes ont de leur place dans la société, aussi bien dans la sphère publique que dans la sphère privée. Leur statut de « remplaçante » cède peu à peu la place à leur recherche de stabilité et de développement professionnels.

Seulement cette apparente intégration ne va pas toujours de pair avec les opportunités qu’offre l’entreprise et dont bénéficient grandement les hommes. Si la loi tunisienne prescrit la parité et interdit les différences au niveau de la rémunération, celles-ci se font plus flagrantes quand il s’agit de l’évolution de carrières et de l’accès aux fonctions de pouvoir et de décision. Plus récemment, les institutions promotrices de l’emploi féminin ont évoqué la difficile progression des femmes dans la hiérarchie. Selon les statistiques du CAWTAR3 en 1997 12% des postes fonctionnels dans l’administration publique étaient confiés aux femmes, 14 % en 2002, et encore seulement 13% en 2004. Enfin, autre résistance à cette intégration des femmes dans l’emploi à responsabilité, la nécessité pour elles de devoir concilier en permanence obligation professionnelle et obligation familiale, ne semble avoir guère changé ; et dans cette perspective, le développement d’infrastructures de gardes d’enfants ou d’aides familiales n’est pas encore positionné en Tunisie dans un rôle de relais suffisant.

Nous nous interrogerons, dans cette communication, sur ce qui constitue le rapport au travail des femmes cadre, et les transformations apportées à la pratique de leur métier. Quelles sont les conditions de travail des femmes cadres, leurs capacités d’évolution, leurs ressources et contraintes ? Comment leurs identités se construisent dans l’espace professionnel, puis en relation avec l’espace familial ?

L’échantillon des enquêtes de référence à cet exposé était composé de 25 femmes cadres, entre 32 ans et 56 ans, dont 5 célibataires et 20 mariées avec entre un et trois enfants. Toutes disent avoir mené de bonnes études supérieures, avec un diplôme équivalant à une maîtrise d’ingénieur, ou un doctorat. Leur ancienneté moyenne est de plus de dix ans, et 1 S. Zouari Bouattour, L’emploi des femmes, document remis à la conférence nationale sur l’emploi, 1998. 2 Ibid, p 17. 3 Centre de la Femme Arabe pour la pour la Promotion de la Recherche (CAWTAR)

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occupent des postes de direction ou de responsabilité. L’échantillon a croisé les appartenances aux secteurs public et privé. Le protocole d’entretien était organisé autour des axes suivants : origine sociale et parcours scolaire ; statut et vécu professionnel (trajectoire, ambitions et projets, relations avec les collègues, traitement différentiel des femmes et des hommes dans le milieu du travail) ; vie familiale / vie professionnelle (les effets des engagements familiaux sur la vie professionnelle, et sur attitudes et comportements du conjoint par rapport à l’activité professionnelle). Loin de prétendre présenter des résultats définitifs ou exhaustifs, il s’agit plutôt, dans le cadre de notre recherche en cours, de discerner les thèmes récurrents et des pistes de réflexions issus d’une première lecture des entretiens menés, et d’amorcer un débat autour de ces premiers résultats. 1 Des conditions juridiques et un discours politique favorables à la promotion professionnelle des femmes

Depuis 1987 une politique basée sur l’égalité juridique institue en Tunisie une co-responsabilité de la femme dans la famille. De nombreuses dispositions législatives ont été alors prises pour favoriser l’égalité des sexes et l’accès des femmes aux emplois. Notons entre autres la convention 111 de l’OIT, sur la non-discrimination en matière d’emplois, de profession, instaurant l’égalité de traitement des hommes et des femmes pour une valeur de travail égale. Puis l’action politique en faveur de l’émancipation de la femme s’est manifestée au courant de l’année 1991 par la promulgation d’une loi rendant obligatoire la scolarisation des enfants. On assistait par la suite à la création du CREDIF, puis au Ministère des Affaires de la Femme et de la Famille. Lors de la préparation du VIII ème plan en 1992-96, une commission sectorielle chargée d’étudier le rôle de la femme dans le développement a été créée au Ministère du plan.

Enfin, le plan national réalisé par la Tunisie en concrétisation de la plate forme d’action mondiale pour les femmes, de Beijing, correspond à la stratégie nationale 1997-2001 pour la promotion des femmes. Il a mis en œuvre les six orientations suivantes :

- Développer le potentiel économique des femmes et promouvoir leurs chances d’intégration dans l’activité économique ;

- Poursuivre le développement des ressources humaines féminines ; - Faire évoluer les mentalités en oeuvrant à enraciner les principes d’égalité et de

partenariat entre les sexes dans la vie privée et publiques ; - Conforter le rôle de la femme dans la vie civile et politique ; - Promouvoir des programmes spécifiques de promotion de la femme dans les milieux

ruraux et péri-urbain dans le cadre de l’approche globale du développement durable ; - Développer les méthodes et les analyses statistiques selon la problématique du genre

dans tous les secteurs. 2. Le travail représenté par les femmes cadres comme un enrichissement et l’accès à une reconnaissance tant personnelle que sociale

Les propos recueillis par les femmes quant à l’engagement dans la fonction de cadre laissent entrevoir un choix personnel et non subi. Ce choix se présente aussi comme un enrichissement personnel, le résultat d’un accomplissement de soi, qui permet d’acquérir une finalité existentielle, consistant à « prouver » en que tant femme qu’on peut assumer une fonction en étant respectée. Il y a là une aspiration à se réaliser autrement, et à affirmer la part de soi. Souvent, et plutôt en début d’entretien, l’engagement professionnel est décrit en termes très personnels «Par goût et intérêt du métier ». En outre elles affirment toutes

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apprécier l’exercice intellectuel que requiert l’accomplissement du travail en rupture avec le caractère enfermant et peu intellectuel du travail domestique. Mais surtout, leurs propos traduisent la construction d’une identité, d’un statut qui ne passe plus exclusivement par les fonctions assumées au sein de la famille, mais par un nouveau rapport au social médiatisé par l’engagement au travail, celui-ci pouvant prendre des formes tout à fait spécifiques comme l’expriment ces interviewées :

« Mon activité c'est tout pour moi (…) c'est la priorité d'avoir le sentiment de faire quelque chose en tant que femme et d'être respectée, (…) et estimée réfléchie ». (Directrice service hydraulique : ministère).

« En plus de la vie de couple, le travail est aussi un épanouissement et une richesse ». (Chef de service : ministère).

« Je m’épanouis dans un travail ou toutes mes aptitudes professionnelles sont mises à profit, je fais ce que j’aime et j’aime ce que je fais ». (Directrice bancaire : département des relations financières) « J’ai besoin de mon métier pour avoir un équilibre familial ce n’est pas essentiellement financier c’est surtout une satisfaction personnelle, une reconnaissance ». (Chef de service en stomatologie)

Le travail s’inscrit pour elles comme la clé d’une reconnaissance certaine, une

création, un plaisir qui leur permet d’échapper au déterminisme qui voue les femmes à la sphère privée de la maison en les destinant aux fonctions domestiques :

« Ma satisfaction c'est la réussite de mon travail, d'innover et d'être à la page (…) alors qu'il y a des collègues cadres et à majorité hommes qui attendent uniquement la fin du mois pour la paye. (Directrice unité informatique : ministère).

« Pour moi mon travail c’est surtout apporter quelque chose d’intellectuel (…) c’est

surtout plus intéressant que de rester chez soi et s’occuper des tâches domestique ». (Directrice bancaire : division de l'inspection et du contrôle).

Même dans les situations où le travail est associé à une conquête d’autonomie financière et vitale il est néanmoins mis en relation avec l’ouverture sur une vie sociale hors de la famille. C’est ce qui est rapporté de façon exemplaire dans cet entretien :

« Dans mon travail ce qui compte vraiment avant tout c’est d’innover, et d’apprendre. Enrichir le travail de nouvelles tâches, affirmer une identité propre détachée des liens familiaux » (Directrice bureau d’étude).

Dans le même sens que ces propos, différentes études démontrent que « ce qui réunit

toutes les femmes dans leurs critères d’appréciation, c’est la qualité des relations qu’elles peuvent nouer avec des collègues dans le cadre de leur activité professionnelle. Cette valorisation du caractère « social » du travail salarié ne peut être comprise sans référence à l’autre face du travail féminin, le travail domestique. « Dans le travail extérieur, elles voient le refus de l’enfermement, de la solitude, de l’absence de communication avec des interlocuteurs autres que les membres de la famille. »4 D’autre études corroborent cette idée du travail professionnel, comme étant la recherche d’une « reconnaissance (ou d’une valorisation) individuelle autant que sociale que ne fournit pas le travail domestique5.

En ce sens l’investissement au travail reste central et rentre dans une stratégie globale qui vise une élévation de statut hors d’un destin les vouant aux fonctions domestiques. A l’unanimité, elles se disent attachées au fait d’avoir une activité professionnelle et aucune 4 F. Bloch, M. Buisson, JC. Mermet , Dette et filiation. Analyse des inter-relations entre activité féminine et familial, Groupe de recherche sur la socialisation, rapport CNAF, 1989, p. 105. 5 A. Pitrou, F. Battagliola et N. Roussier, « De l’invisibilité à la reconnaissance : travail de la femme et stratégies familiales » La Revue Tocqueville, vol.VI, n°1, 1984, P.88.

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d’entre elles n’envisage une cessation d’activité. Elles reviennent cependant sur la modernité, dont elles disent attendre beaucoup, et qu’elles s’empressent de définir comme l’accès à une vie meilleure.

3. Pour sortir de la fonction assignée d’assistante ou d’intermédiaire : Une obligation d’excellence et de performance, affirmées en « contournant »

Il apparaît bien qu’en dépit du changement juridique et politique, et de même en dépit de la première représentation positive du travail comme enrichissement personnel, évoqués précédemment, le fait de partager le même espace de travail et la même activité ne crée pas en soi les conditions d’une plus grande égalité entre les sexes. Sur ce point, de nombreuses interviewées estiment que la plus grande injustice qu’elles ressentent concerne l’évolution de leur carrière car elles n’accèdent que rarement à des postes de responsabilités, et lorsque elles y accèdent rien n’est acquis.

Le rôle assigné. Les freins observés par les femmes dans leur carrière se manifestent

dans des attitudes négatives, tel que le manque de confiance qu’on leur accorde, et qui est perceptible dans le peu de considération dont on gratifie leurs efforts. Ces attitudes du milieu de travail à leur égard témoignent de sa volonté de cantonner les femmes dans des fonctions complémentaires. Le trait distinctif de ces fonctions serait la capacité d’aider et de seconder efficacement le responsable. L’une des fonctions les plus typiques de cette catégorie est celle « d’assistante », fonction « fourre tout » dans laquelle on retrouve des femmes de niveaux très divers, mais dont la caractéristique essentielle est d’être une reproduction, à un niveau plus ou moins élevé, de la fonction de secrétaire6, c’est-à-dire quelqu’un qui aide mais qui ne travaille pas avec un pouvoir de décision, sauf éventuellement s’il est délégué. Ce rôle d’intermédiaire attribué à la femme est très récurrent et caractéristique d’un grand nombre de fonctions qui leur sont attribuées dans l’entreprise.

« J’ai eu beaucoup de problèmes avec mon supérieur (…) parce que il ne me faisait pas confiance et il me donnait que des banalités à faire (…) genre saisir des lettres (…) tracer des tableaux (…) il lui est même arrivé de me demander d’effacer avec une gomme se qu’il a écrit en marge d’un dossier c’était le travail d’une secrétaire quoi (…) mais bon j’étais très timide et je faisais tout ce qu’il me demandait ». (Administrateur conseiller : ministère)

« Avec mes collègues j'en ai vu de toutes les couleurs (…) des gens qui m'ont sous estimée et qui se sont posés des questions sur ma compétence et le fait que je sois nommée à ce poste a dérangé essentiellement des collègues masculins (…) pour eux j'étais par définition jeune donc inapte à occuper ce poste de finance ». (Directrice bancaire : département des relations financières).

L’article de L. Thévenot7 sur les femmes cadres, montre d’ailleurs que ces femmes jouent un rôle important dans les professions « intermédiaires » : le type de fonction dévolu aux femmes dès les origines de l’humanité (fonctions de liaison, fonctions familiales) s’accompagne souvent d’importantes fonctions de production mais finalement fonctions soumises à l’homme, en tout cas, jamais de fonctions « guerrières », chasse ou défense. Ainsi, les fonctions qui leur sont attribuées dans les entreprises tunisiennes, se situent rarement, dans l’action, dans la décision, dans la hiérarchie, comme formes effectives de pouvoir. Elles y assurent plutôt des fonctions dans lesquelles peuvent s’exploiter leur

6 N. Aubert, Le pouvoir usurpé, Paris, Laffont, 1982, p. 134. Plus récemment cf. Pascale Molinier, L’énigme de la femme active, Ed. Payot, Paris, 2004 7 L. Thévenot, « les catégories sociales en 1975 » in Economie et Statiques, juillet 197. Citer par N. Aubert dans le pouvoir usurpé, p.138.

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« altérité » et leur soumission, celles où elles assurent les liaisons (« relations publiques »/ lien social), celles où elles sont à côté, autour (la recherche, les études, la publicité).

L’obligation de réussite. Leur évolution a été selon elles suspendue à une obligation

d’exceller dans les études avant d’opter pour l’exercice d’un métier dans l’entreprise. Elles disent s’investir dans leur milieu professionnel, suivre des formations de perfectionnement, aspirer à des fonctions de responsabilité, mais en même temps devoir se battre quotidiennement pour réaliser leur travail face aux exigences imposées par la mentalité des hommes. Elles estiment, pour s’imposer et pour s’insérer dans l’environnement professionnel, devoir montrer plus d’efforts. Elles se sentent investies d’une pression. Plusieurs d’entre elles précisent qu’elles savent que l’on attend plus d’elles, voire qu’on les « attend au tournant en guettant le moindre signe de faiblesse ou d’échec ». Lorsqu’elles réalisent un excellent travail, on ne « prend pas la peine » de les féliciter, mais dès qu’il arrive de faillir quelque peu, on ne manque pas de les blâmer. Aussi considèrent-elles cette position comme inconfortable et avec le sentiment d’être systématiquement mises à l’épreuve. Ces citations illustrent bien nos propos :

«La femme cadre doit avoir plus de diplomatie qu'un homme il faut qu'elle montre qu’elle accepte la différence (…) faire plus pour s'imposer (…) c'est comme si elle doit mériter ce qu'elle fait (…) et le sentiment de faire en permanence ses preuves ». (Chef de service : santé publique)

« Surtout ne pas avoir droit à l'erreur (…) et être plus sérieuse qu’un homme et je sais de quoi je parle ». (Directrice bancaire : division de l'inspection et du contrôle).

« Une femme doit être deux fois plus compétente et plus sérieuse q'un homme ça c'est évident dans cette société très masculine ». (Directrice unité informatique : ministère).

La stratégie du contournement. En dépit de certaines entraves relationnelles dans leur travail, la plupart s’accordent à reconnaître qu’elles mettent en œuvre des rôles pour paraître moins dangereuses. Pierre-Noël Denieuil a bien montré en ce sens qu’elles s’imposent sans affrontement direct avec la norme et dans des attitudes de contournements. « Elle pratiquent la politique des étapes, sachant parfois composer avec ses chaînes pour s’en affranchir, et construisent progressivement une valorisation de la femme au travail. Entre hier, aujourd’hui et demain, elles s’attachent à inventer une réponse contextuellement possible et qui leur permette de se réaliser tout en restant dans une « norme »8. Elles ont alors recours aux qualités « féminines » qui leur sont généralement attribuées. L’une défend son « maternage » qui rend les relations hommes - femmes plus simples, et qui permet en quelque sorte de faire « passer » le fait que ce soit une femme qui commande. D’autres évoquent le choix d’une attitude « fraternelle » et insistent sur leurs atouts en matière de « communication » afin de pouvoir cultiver une relation plus souple avec les collègues et les subordonnés de sexe masculin :

«Je me place toujours comme une sœur, une mère et sans me plaindre (…) ». Directrice service hydraulique : ministère).

« S’imposer une relation fraternelle en fait tout se joue sur le relationnel (…) je connais d'autres boîte où cela se passe mal parce que l'homme à été touché dans son honneur, « tems fi karamatou »9 j’essaye de construire une relation très fraternelle avec les garçons ». (Chef de service : entreprise sanitaire)

Certaines vont même jusqu’à mobiliser une sorte de stratégie d’autorité à la douce, et ne s’exposent pas directement, pour commander avec discrétion : « je donne des ordres entre

8 PN. Denieuil , Les femmes entrepreneurs en Tunisie, « paroles et portraits » CREDIF, 2001, p.153 . 9 « Touché dans son honneur ».

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guillemet (…) j’utilise un poignet avec un gant de velours ». (Directrice unité informatique : ministère).

En revanche d’autres s’imposent par la « force du poignet » et vont à l’encontre de la domination masculine, dans une confrontation. Ce cas de figure se retrouve mais est moins fréquent. Engagées dans un combat, leur but est de s’imposer en reprenant le pouvoir aux hommes.

4. La difficile conciliation de la carrière avec les charges familiales

Pour la femme cadre, la question de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle est une préoccupation majeure. Certaines d’entre elles avouent être tiraillées entre leurs responsabilités de mère ou d’épouse et les contraintes liées à l’exercice de leur profession. A l’image de cette cadre ingénieur de la fonction publique, les journées s’apparentent à un « marathon » solitaire :

« Mon mari ne m'aide pas (…) vous imaginez si j'avais plusieurs enfants (…) c'est pour ça que je n'ai eu qu'un enfant (…) aujourd'hui avec mon métier et ce que je projette ce n'est pas facile. Encore aujourd'hui l'homme tunisien lorsqu'il rentre à la maison il ne fait que s'allonger "med souiquatou10" sur le fauteuil et puis c'est tout (…) il ne va pas laver les assiettes (…) alors que la femme se tape le boulot pendant la journée comme lui et c'est elle qui va faire la plonge ». (Directrice unité informatique : ministère).

Selon une majorité d’enquêtées, l’implication des hommes dans les tâches ménagères

reste faible, et les actes domestiques demeurent dans la majorité du temps à la charge des femmes, ce qui les inscrit dans une relation de service vis-à-vis du groupe familial, et d’autre part accroît considérablement leur fatigue psychique. Une nouvelle stratégie pour faire carrière consiste à repousser ou à limiter les naissances. L’absence d’enfant permet d’être plus disponible, pour se consacrer entièrement à son travail et en récolter progressivement les fruits. Plusieurs déclarent suivre cette trajectoire d’autonomie.11

« Ma vie privée et le travail c'est un grand problème, parce qu'il faut un juste équilibre et c'est pas facile, sincèrement au départ j'ai favorisé ma vie professionnelle (…) il n'y aura pas une femme qui va vous dire que c'est simple et quelle s'en sort (…) il faut des sacrifices, par exemple moi j'ai une femme de ménage couchante, je partage mon salaire avec la femme de ménage parce que c'est elle qui entretient mon petit garçon et c'est elle qui entretient ma maison » . (Directrice bancaire : division de l'inspection et du contrôle).

Le souci d’éviter les situations difficiles pousse certaines à faire appel au réseau familial ou à une aide ménagère auquel elles confient des activités notamment la garde des enfants. De plus le travail domestique contraint les femmes à une organisation très stricte et en grande partie invisible aux yeux des membres de la famille. Pour beaucoup, le maintien de l’activité professionnelle se présente comme une lutte interne dans le quotidien : le fait de travailler constitue une tension permanente dans le couple et certaines mentionnent leur 10 « Allonger les pieds » expression tunisienne pour désigner l’oisiveté d’une personne. Dans sens J.C, Kaufmann a bien montré le mécanisme clé de cette réactualisation des rôles traditionnels de la « femme ménagère » et de l’homme en pantoufles » JC Kaufmann La trame conjugale. Analyse du couple par son linge, Paris, Natan, 1992. 11 S., Pochic, « Le chômage des cadres : un révélateur des tensions entre carrière et vie privée ? », Les cadres ingénieurs au regard du genre. Les cahiers du GDR Cadres, acte de la journée 20 juin 2003, p. 34.

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culpabilité de s’absenter pendant les horaires de travail. Dans ces cas, le couple s’inscrit dans un rapport de domination, et le mari est souvent présenté comme une entrave à la carrière et à l’épanouissement professionnel :

« Mon mari me rend la vie impossible, à chaque fois que j’ai un déplacement dans une autre ville, il refuse que j’y aille. C’est toujours un sujet de dispute (…) J’habite avec ma belle mère et elle ne supporte pas de me voir rentrer après son fils (...) je ne peux pas rester après six heures (…) et même si je le demande à mon mari, il ne l’accepte pas. Je veux faire carrière, alors pour éviter tout problème et avoir la paix je fais des concessions (…) ». (Administrateur conseiller).

« Mon mari me reproche de passer plus de temps pour mon travail que pour ma famille (…) il pique souvent sa crise (…)je ne sais pas si les hommes sont prêts à accepter cette nouvelle génération de femme très motivée ». (Directrice : bureau d’étude)

Citons encore les aveux de cette femme cadres dans un ministère de la fonction publique, et qui non seulement ne reçoit aucune aide de son mari à la maison, mais n’a pas non plus « le droit de se plaindre et doit tout assumer » dans la mesure où c’est elle « qui a voulu travailler ». Cet exemple rappelle que les représentations concernant l’activité féminine changent, et que le modèle traditionnel de la mère au foyer inactive est progressivement rejeté par les femmes. Cela montre aussi à quel point les trajectoires sont orientées et façonnées par un bricolage incessant entre la « modernité » et le « traditionnel » avec une affirmation de soi et des compromis instables tout au long de la vie quotidienne.

Les rôles de l’homme et de la femme dans la famille sont encore très dépendants des représentations sociales de la société traditionnelle, même si la législation, dans une large mesure, tend à faire de la femme l’égale de l’homme dans sa vie privée comme dans la vie publique. Mais les réactions collectives restent marquées par les valeurs de la société « traditionnelle » et par une certaine angoisse de dépersonnalisation ; la notion même de modernité est encore construite, comme dans le discours colonial, par référence aux valeurs des sociétés européennes et notamment de la société française. Si bien que la modernité, tout en étant un objectif, est appréhendée dans le contexte actuel de mondialisation par les seuls messages transmis par la télévision, comme une perte d’identité. De peur de n’être plus soi, les individus ont tendance à se référer à des valeurs refuges et protectrices. Il en est ainsi des stéréotypes masculins et féminins : la virilité des hommes traduite essentiellement par l’autorité, le pouvoir de décision même s’il n’est que formel, au vu et au su de l’extérieur ; la modestie, la discrétion, l’absence de manifestation publique de la personnalité des femmes ; la représentation par la femme, de l’honneur de la famille et de leur mari.

Face à cette domination masculine qui se structure autour de la subordination des femmes, il est toutefois intéressant de constater que très peu d’entre elles l’accepteront ouvertement en opérant un choix qui les conduirait à un certain « désinvestissement » de l’organisation au profit d’une priorité accordée à la vie privée. Elles « résistent » et avouent faire face à tous les reproches de leurs maris, et somme toute assumer leur volonté de s’investir au travail.

5. L’évolution de la relation conjugale vers un partage des responsabilités, permettant au mari « d’aider et approuver pour mieux contrôler »

Phénomène relativement nouveau, plusieurs femmes cadres nous confient que les tensions entre vie privée et vie de travail s’estompent du fait que leur mari participe aux charges familiales et surtout au niveau de l’éducation des enfants. Parfois même, ces femmes précisent que leurs maris s’investissent d’une manière indirecte dans leur carrière, ils en sont présentés comme « l’élément moteur » ou « coatcheur ». Elles décrivent la présence très « rassurante » de leur mari, et jouent de leur statut de femme mariée comme d’un atout :

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« J’ai la chance d’avoir un mari très compréhensif c’est mon « coatch » mon « élément moteur » c’est quelqu’un qui croit beaucoup en moi et à ce que je fais et surtout en mon épanouissement, il m’arrive parfois deux jours de suite de ne pas rentrer à la maison et il s’occupe des enfants sans se plaindre au contraire il m’encourage en permanence». (Directrice graphiste).

« Mon mari aime ma fonction, et il m’encourage à une période il voulait à tous prix m’acheter un ordinateur pour travailler en parallèle à la maison ». (Directrice institut statistique ).

« Mon mari ma toujours aidé pour mon travail, il m’encourage souvent ». (Chef ressources humaines).

« Mon mari m'aide beaucoup c'est moi qui a la charge des enfants le matin et lui le soir, très sincèrement j'ai un mari très compréhensif (…) c'est rare de trouver qu'un homme aide qui son épouse et surtout qu'il accepte qu'elle rentre après lui et en plus il m'aide moralement, il m'encourage en permanence (…)». (Directrice bancaire : département des relations financières).

Dans bien des cas nos exemples mettent en évidence certains changements dans

nature même de la relation conjugale : le mari consent à aider son épouse. La participation masculine concerne surtout les relations avec le monde extérieur et les enfants (loisirs, jeux des enfants, transports scolaire, marché…). Des maris porteurs de valeurs égalitaires essayent d’être plus disponibles pour soulager leur conjointe, et de limiter leur horaire de travail pour répondre à leurs attentes. Dans ce cas le mari joue le rôle « d’aide » et « complice », voire parfois jusqu’à accepter une inversion des rôles : « Mon mari opte plus pour la famille que pour sa carrière, et moi je ne pense pas comme lui j’ai tendance à choisir ma carrière ». (Directrice interprète).

Tout se passe ici comme si l’un des deux devait « renoncer ». Pour plusieurs femmes interviewées par exemple, il est plus facile de « faire carrière » si leur mari n’est pas lui-même « carriériste » : soit qu’il soit dans des professions moins qualifiées du privé, soit qu’il soit dans des professions du public permettant une plus grande disponibilité temporelle12. Dans se sens l’étude de Dorra Mahfoudh13 à montré qu’une forte majorité des époux des diplômées qui ont un apport économique égal ou supérieur dans les foyers, encourageaient la carrière de leur épouse, voire l’assistaient dans les tâches domestiques. Il existerait donc une corrélation entre le niveau scolaire de ces femmes, leur niveau d’apport économique dans le foyer, et l’attitude des conjoints à leur égard. Dans ces cas et sous l’effet d’une sorte de « rééquilibrage » du couple par l’apport économique, les maris assument complètement l’intendance du pôle domestique et soutiennent ainsi l’engagement professionnel de leur conjointe dans le pôle professionnel.

Cependant, même si une ouverture se dessine quant à la participation des conjoints, la femme reste subordonnée à la logique traditionnelle qui lui confère l’entière responsabilité du foyer. La plupart du temps la gestion de la sphère privée et de la sphère publique incombe majoritairement aux femmes ce qui les pénalisent dans leur parcours professionnel, qui implique une gestion très stricte de leur emploi du temps qui peu entrer en conflit avec le rythme et les exigences de l’entreprise. Et lorsque le mari aide sa femme, il s’agit plutôt d’un « consentement » et d’une manière « d’approuver » tout en gardant le contrôle sur l’activité de son épouse.

12 Ibid, S. Pochic, p. 37. 13 D. Mahfoudh , Femme diplômés, pratiques novatrices, FNUAP, IREP, 1994, Tunis.

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Conclusion

Si quelques résultats très préliminaires de notre étude, ne nous permettent pas d’expliciter dans ses détails l’effet genre sur la pratique de la profession de cadre, nous pouvons cependant émettre quelques commentaires.

La féminisation des postes de responsabilité et de pouvoir marque une avancée certaine, cette avancée n’a été possible que grâce à un niveau de formation poussé sanctionné par un diplôme. Toutes sont lancées dans une détermination professionnelle « voulue » et « choisie ». Cependant ceci ne doit pas occulter les pratiques discriminatoires. En dépit des atouts de la législation et de l’incitation publique, les femmes cadre composent avec les incohérences de leur application. Elles se heurtent à un « plafond de verre ». Cette nouvelle donne montre que la barrière des sexes n’a pas disparu, qu’elle s’est reconstruite à partir de matériaux divers et s’est édifiée non seulement sur des « fondations » socioculturelles mais aussi à partir de matériaux propres à l’appareil organisationnel et à son fonctionnement. Désormais très engagées dans leur carrière, les femmes interrogées sont conscientes qu’entre le sentiment d’injustice et la nécessité d’être la meilleure, la seule façon de mener le paradoxe c’est de le manier. Elles s’emploient alors à contourner le contrôle social en s’adjoignant le consentement de leur mari, à « bricoler » et à « jongler » entre obligations professionnelles et familiales, à construire des stratégies de contournement en combinant pratiques traditionnelles et pratiques modernes. Elles se projettent alors dans la modernité tout en sachant exploiter les ressources de la tradition pour se réaliser, et pour devenir des promotrices de la mixité et des agents conscients d’une modernité « négociée ». Bibliographie Aubert (N.), Le pouvoir usurpé, femmes et hommes dans l’entreprise, Paris, Laffont, 1982. Ben Salem (L.), « Le statut de l’acteur social dans sociologie Tunisienne », Tunis, in Correspondances n°49, Revue de L’institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain, 1998. Ben Salem (L.), « Famille et changement social : Interrogations et hypothèses » acte du colloque les changements sociaux en Tunisie, 2003. Bloch (F.), Buisson (M.), Mermet (JC.), Dette et filiation. Analyse des inter-relations entre activité féminine et familiale, Groupe de recherche sur la socialisation, rapport CNAF, 1989. Battagliola (A.), Pitrou (A.), et Roussier (N), « De l’invisibilité à la reconnaissance : travail de la femme et stratégies familiales » La Revue Tocqueville, vol.VI, n°1, 1984. Denieuil (PN.), Femmes et Entreprises en Tunisie : Essai sur les cultures du travail féminin. L’harmattan, 2005. Gobe (E.), « Ingénieurs et société au Maghreb » , Institut de Recherches sur le Maghreb Contemporain, In Correspondances, n°62, Tunis, 2000.

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Kaufmann (JC), La trame conjugale. Analyse du couple par son linge, Paris, Natan, 1992. Laufer (L.), La féminité neutralisé. Les femmes cadres dans l’entreprise, Paris, Flammarion, 1982 . Mahfoudh (D.), « Essai de typologie des femmes diplômées du supérieur, in Mahfoudh (D.), coordinatrice, Femmes diplômés, pratiques novatrices, Tunis FNUAP, IREP, 1994. Marry (C.), Les femmes ingénieurs. Une révolution respectueuse, Edition, Belin, 2004. Molinier (P.), L’énigme de la femme active, Editions Payot, Paris, 2004. Pochic (S.) « Le chômage des cadres : un révélateur des tensions entre carrière et vie privée ? », Les cadres ingénieurs au regard du genre. Les cahiers du GDR Cadres, acte de la journée 20 juin 2003. Thévenot, (L.), « les catégories sociales en 1975 » in Economie et Statiques, juillet 1976. Zghal (R.), Culture et comportement organisationnel. Schéma théorique et application au cas tunisien, Tunis CERP, 1992.

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L’éducation et la formation : Condition nécessaire mais insuffisante à l’accès des femmes au marché de travail

Karima BOUZGUENDA

Maître Assistante, Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de Sfax, Tunisie

Abdelwaheb CHALGHAF Cadre, Compagnie des Phosphates de Gafsa,

Tunisie (25 ans de service) « Dans notre Etat, hommes et femmes seront appliqués aux mêmes tâches, et pour s’y préparer recevront la même éducation. Entre les deux sexes il n’existe en effet aucune différence de nature sous le rapport des aptitudes techniques » Platon, La République (449 a.j)

Le présent article porte sur l'étude des conditions d’accès des femmes diplômées au marché de travail tunisien. Nous sommes parties du constat que l'amélioration du niveau de formation des femmes serait associée à une augmentation des chances d'emploi et de promotion aux postes de prise de décision. Compte tenu de ce constat, nous traiterons la problématique suivante : Dans quelle mesure l'éducation et la formation des femmes contribuent-elle à leur accès au marché du travail et à leur évolution dans la carrière ? Dans un premier temps, nous démontrerons que l'accès des femmes à l'éducation leur permet "potentiellement" non seulement l'accès au marché du travail mais aussi la promotion aux postes de direction. Cette hypothèse est fondée sur la théorie économique du capital humain de Becker (1971) qui prévoit que l'investissement dans l'éducation se traduit par une amélioration du statut de l'individu dans l'organisation. Dans un deuxième temps, nous analyserons les profils des femmes diplômées dans l'entreprise tunisienne à partir d'une enquête réalisée auprès de 155 femmes cadres exerçant dans les secteurs publics et privés des régions de Tunis, Sfax et Sousse. 1. L'éducation et la formation : Condition nécessaire pour l'insertion professionnelle

des femmes Le phénomène de la féminisation de l’emploi a été abordé par des auteurs en économie, en gestion, en sociologie et en démographie (Locoh, 2001; Laufer & Fouquet, 1998; Peretti, 1995 ; Adler & Izraelli, 1994 ; Guérin & Wils, 1992 , Duncan & Hoffman, 1979; Becker, 1971, cité par Powell & Butterfield, 1994). La revue de la littérature révèle que l’analyse du rôle des femmes diplômées peut être réalisée selon plusieurs optiques dont les principales sont les suivantes :

1. L’entrée des femmes diplômées dans le marché du travail et son incidence sur les pratiques de GRH.

2. L’impact de leur accès à l'éducation sur les pratiques de gestion des carrières et en particulier leur présence dans des postes de direction.

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3. L’inadéquation entre les niveaux d’éducation, d’emploi, de formation et celui de la promotion à des postes de prise de décision.

1.1. L'accès des femmes à l'éducation

L’accès des femmes à l’éducation constitue l’une des composantes du développement durable qui a attiré l'attention des pays à travers le monde. Selon le rapport mondial sur le développement humain de 19951, la plupart des pays ont placé en priorité de leurs préoccupations l’enseignement pour tous. Par conséquent, les budgets de l’éducation ont été multipliés par sept dans les pays en développement et par quatre dans les pays industrialisés. Le bilan de cette stratégie indique une augmentation du taux de scolarisation durant le début des années 1990. Le rapport (PNUD, 2000) indique que le taux moyen d’alphabétisme des femmes âgées de 15 ans et plus est passé de 68,9% en 1990 à 74,7% en 2000 ; ce taux atteindra 81% en 2015. Le taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur a connu aussi des progrès significatifs en passant de 18,8% en 1990 à 23,4% en 2000. Ainsi, l’accès des femmes à l’éducation leur permet "potentiellement" d’accéder à l’emploi, d’évoluer dans la carrière et d’atteindre des postes de prise de décision d’une manière égalitaire et équitable.

1.2. L’intégration des femmes dans le marché du travail L’amélioration du niveau d’instruction des femmes leur a permis d’accéder au marché du travail avec des qualifications égales aux hommes. En effet, la proportion des femmes dans la population active a connu une nette évolution en passant de 46% en 1995 à 55,6% en 2005 (PNUD, 1995/2005). La même tendance à l’augmentation de la proportion des femmes dans la population active est constatée pour le cas de la Tunisie. La proportion des femmes actives est passée d’environ 5% en 1966 (Institut National des Statistiques, INS, 1994) à 24,2% en 2004 (BIT, Nations Unies). Ces statistiques se limitent, toutefois, aux activités marchandes officiellement comptabilisées qui ne prennent pas en considération le travail non rémunéré et invisible des femmes qui est à considérer comme significatif (Bureau International du Travail (BIT), 2004; Mata Greenwood, 1999; Beneria, 1999; Robinson, 1998). En moyenne, la proportion du travail non rémunéré et informel des femmes s'élève à 62% dans les pays en développement et 66% dans les pays de l'OCDE (PNUD, 2000). Les femmes contribuent de plus en plus à l’activité économique dans tous les domaines. Les rapports du PNUD indiquent, néanmoins, l’existence de disparités entre les différentes régions du monde. Le rapport arabe sur le développement humain de 2002 avance que les pays arabes “sont plus riches qu’ils ne sont développés” (p. 9). L’une des perspectives de développement est la féminisation de l’emploi qui constitue une opportunité pour ces pays. Il est écrit que "there is an urgent need to reverse the feminization of unemployment by removing gender bias in labour markets, including gender-based occupational segregation and wage differentials, and by addressing gender gaps in the quality and relevance of education and training" (p. 8).

1 Le rapport mondial de 1995 a fait un bilan des actions entreprises par les Nations Unies destinées à l’intégration des femmes dans le développement durable. Il marque l’achèvement de la décennie des femmes telle que prévue par la plate-forme de Nairobi en 1985. Le rapport présente des statistiques selon le genre en utilisant l’indicateur sexo-spécifique du développement humain (ISDH) et celui de la participation des femmes à la vie politique (IFP). Le deuxième chapitre du rapport est consacré à l’analyse des disparités et des inégalités entre les femmes et les hommes dans le domaine du développement durable.

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Les rapporteurs concluent que ces pays se privent de la créativité et de la productivité de la moitié de leurs citoyens. L’amélioration du niveau de l’éducation des femmes et leur accès au marché du travail en grand nombre n’écartent pas les inégalités qui peuvent exister dans les opportunités d’accès à l’organisation et la promotion aux postes de direction. Des inégalités entre les femmes et les hommes ont été soulignées à partir des études empiriques (Boumahdi, Lattes & Plassard, 2000 ; Anker, 1997 ; Adler & Israelli, 1994). En effet,les statistiques sur la population active en chômage montrent que les femmes sont généralement les plus touchées par les mauvaises conditions économiques. De plus, l'écart de salaires entre les femmes et les hommes à travail égal persiste et varie entre 15% et 45% (Beneria, 1999). Les inégalités dans les salaires existent pour toutes les professions et dans tous les pays du monde (Robinson, 1998). Les femmes ayant reçu une formation professionnelle sont également plus touchées par le chômage que les hommes. Selon le BIT, 35,8 millions de femmes soit près de 50% du total des femmes âgées de 15 à 24 ans sont au chômage en 2004. L’analyse du cas de la Tunisie montre une nette amélioration de la situation des femmes dans les domaines de la scolarisation et de l’emploi. La participation à la vie économique témoigne de l’augmentation du taux de scolarisation combiné de l’enseignement primaire au supérieur, il est passé de 56,7% en 1990 à 60% en 1997. De plus, le taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur est passé de 27,19% durant l’année universitaire 1975/1976 à environ 57% pour l’année 2004/2005. Ce qui devrait se traduire par des opportunités de carrière offertes aux femmes dans les organisations tunisiennes. La population féminine active de niveau secondaire et supérieur représentait 40,4% en 1999 contre 24% en 19842. Cependant, les statistiques sur les opportunités de carrière révèlent une concentration des femmes principalement dans des postes de chefs de service et une sous-représentation dans des postes de direction. La proportion des femmes occupant des postes fonctionnels en 2004 était de 18,4%, 15,2% des directeurs et 6,3% des directeurs généraux3. Ainsi, le taux d’accès des femmes à des postes de décision demeure faible par rapport aux taux de scolarisation. Compte tenu des progrès réalisés en matière d’éducation et de formation, nous avançons l’hypothèse suivante : H1 : Les chances d’emploi des femmes et d’accès à des postes de prise de décision sont tributaires de leur niveau d'éducation et de formation. L'importance accordée à la formation et plus particulièrement au diplôme puise son origine dans la théorie économique classique du capital humain. Selon cette théorie, la formation est considérée comme un indicateur qui détermine la valeur dans le marché du travail ainsi que dans l'organisation.

1.3. Théorie du capital humain et rôle de la formation dans la carrière La théorie du capital humain repose sur les hypothèses de la rationalité des acteurs et de l’efficacité du marché de l’emploi. Selon ces hypothèses, l'individu est libre dans les choix et les décisions relatifs à sa carrière comme il est rationnel dans son comportement. La

2 www.tunisie.com/femmes/chiffres.html, accès le 14/01/2006. 3 Ibid.

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rationalité est définie par rapport à un objectif de maximiser une fonction d'utilité (Caire, 1989). En se basant sur ces hypothèses, le travail est, selon les termes de Caire (1989, p. 448), "asexué" et se caractérise par l’absence de discrimination entre les employés. L’individu est apprécié sur la base de critères "objectifs" tels que l’éducation, l’expérience, les qualifications et le niveau de formation professionnelle. En conséquence, le comportement de l'individu se caractérise par la rationalité et la liberté du choix alors que les décisions des employeurs sont fondées sur l'objectivité et l'équité. La discrimination est considérée comme inefficace (Sofer, 1985). Il est supposé alors, selon la théorie du capital humain, que la situation des femmes sur le marché du travail est tributaire de leurs compétences, de leurs expériences et de leurs formations (Anker, 1997 ; Sofer, 1985 ; Olson & Becker, 1983). Les inégalités de départ entre les femmes et les hommes seraient dues à un écart dans le capital humain tel qu'apprécié par les employeurs. Ainsi, l'idée de l'existence d'une discrimination exercée à l'égard des femmes peut être, non seulement rejetée mais aussi "rationalisée". Toutefois, des recherches empiriques basées sur les calculs mathématiques et différentiels ont démontré l'existence d'un "résidu inexplicable" par les variables liées au capital humain (Filer, 1985; Duncan & Hoffman, 1979). Les auteurs constatent par exemple que les écarts de salaires et de promotion ne sont pas entièrement dus aux différences de capital humain, mais à d'autres raisons. D'abord, le niveau de formation des femmes à travers le monde n'a cessé de s'améliorer durant les dernières décennies. Ensuite, l'hypothèse que la productivité des femmes est inférieure à celle des hommes n'est pas toujours confirmée vu que le "poids des tâches ménagères et familiales s'est réduit dans bien des pays en raison du caractère plus tardif du mariage et de la baisse quasi générale de la fécondité, grâce aussi à l'utilisation des appareils électroménagers (cuisinière, aspirateurs, machine à laver)" (Anker, 1997, p. 346). Pour le cas des femmes tunisiennes, Mahfoudh & al. ; (1994) démontrent une tendance chez ces dernières à planifier les maternités et à réduire le nombre d'enfants de telle sorte que leur rôle domestique n'interfère pas avec les chances de faire une carrière. Mais, la théorie économique écarte d'entrée de jeu les facteurs sociaux, culturels ou idéologiques qui influencent les choix et les préférences des agents économiques. Elle repose sur le principe de "ceteris paribus" selon lequel certaines variables sont considérées comme constantes. La remise en cause des principes de la théorie économique signifie que le niveau de formation ne peut toujours procurer des opportunités de promotion aux postes de commandement. Des sources de biais existent lorsqu'il s'agit d'étudier le processus d'accès aux postes de prise de décision.

1.4. Emploi des femmes selon la théorie économique Selon une optique économique, l’accès des femmes marché du travail revient principalement au manque de compétences en termes d’éducation, d’expérience et de formation professionnelle (Becker, 1971). L’idée de base est que les femmes manquent de compétences les empêchant d’accéder au marché du travail. Par conséquent, si elles arrivent à améliorer

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leur niveau d’éducation, de formation et d’expérience, leurs chances d’emploi seront plus élevées. Par ailleurs, selon Sofer (1985, p. 188) la discrimination consiste à "distinguer un groupe social en le traitant plus mal". L'auteur présente de différentes formes de discrimination pouvant s'exercer à l'encontre de certains individus notamment la discrimination dans la rémunération, dans l'accès à l'emploi, dans la répartition des rôles sociaux et la "discrimination statistique

La théorie économique traite la question de discrimination du point de vue de l’efficacité vu qu'elle met l'accent sur le coût d'opportunité résultant des décisions prises favorisant une catégorie d'employés par rapport à une autre. En d'autres termes, la perspective économique met l'accent sur les implications positives et négatives de la discrimination sur les résultats de l'organisation. Il en découle à partir de cette analyse l’hypothèse suivante:

H2 : Le niveau d’instruction et de formation des femmes a une incidence sur leurs profils professionnels dans l’organisation. Plusieurs questions restent, toutefois, sans réponse dans la théorie économique telles que pourquoi les femmes entrent-elles dans le marché de travail avec une formation moins poussée et dans des spécialités moins utiles ? Pourquoi la discrimination à l'encontre des femmes continue-t-elle bien que leur niveau de formation se soit amélioré et leurs compétences aient devenues comparables et parfois dépassent celles des hommes ? Se limitant à la théorie du capital humain, la recherche empirique peut démontrer dans quelle mesure la formation des femmes détermine les types d’organisations, de professions et de secteur où elles exercent leurs fonctions. 2. Conditions d’accès des femmes diplômées au marché du travail en Tunisie Une étude empirique auprès de 155 femmes cadres exerçant dans 47 établissements tunisiens du secteur public (63,2%) et privé (36,8%) répartis sur les trois régions de Sfax, Tunis et Sousse a été réalisée en 2001 (Bouzguenda, 2005). Deux types de questionnaires ont été élaborés sur la base d'une pré-enquête; l'un est adressé aux responsables de la fonction ressources humaines et l'autre aux femmes cadres diplômées exerçant dans ces organisations. Les données collectées ont été analysées en utilisant la méthode de score pondéré (pour les variables ordinales) et celle de l'analyse des correspondances multiples. Les résultats de ces analyses s'articulent autour des deux volets liés aux hypothèses proposées. Il s'agit de démontrer, d'un coté, l'importance de la formation initiale sur les opportunités d'insertion professionnelle des femmes tunisiennes et de l'autre côté, l’incidence de la formation professionnelle sur leurs profils professionnels dans l’organisation. 2.1. Education et insertion professionnelle des femmes diplômées Les résultats de l’enquête indiquent que 100% des femmes cadres interrogées ont un niveau d’instruction dans l’enseignement supérieur. Près de 33,5 % ont suivi des études approfondies dans leur spécialité ou des études doctorales. Les filières poursuivies sont diverses comme le fait apparaître le graphique 1 ci-dessous :

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0

10

20

30

40

50

60

70

GE ST INFO LT SM D

GE: Gestion & Economie ST: Sciences, Techniques et Ingénierie INFO: Informatique LT: Lettres et Sciences humaines SM: Sciences Médicales D: Autres spécialités

Graphique 1. Répartition des répondantes selon la spécialité (par fréquences)

57,4% des répondantes sont des diplômées en gestion et en économie alors qu'une minorité est formée en langues et en sciences humaines (3,2%). Certaines jeunes femmes s'intéressent aux filières en sciences techniques et en ingénierie (14,2%). A priori, le diplôme constitue un préalable à l'évolution de carrière pouvant influencer les choix faits par les femmes en ce qui concerne le type d'organisation et d'emploi recherché. Comme il apparaît dans le graphique 2 ci-dessous, elles cherchent la stabilité, l’adéquation entre formation et emploi et un épanouissement par le travail.

Classement par score

109876543210

Cla

ssem

ent p

ar fr

éque

nces

10

9

8

7

6

5

4

3

2

1

0

WI SW

RE

FOR

OPROWR

OFOR

NS

RP

Zone I Zone III

Zone II Zone IV Zone I WI- Travail Intéressant RE- Notoriété de l’Etablissement FOR- Type de Formation Zone II SW- Sécurité de travail Zone III RP- Relations Personnelles Zone IV WR- Travail de responsabilité OFOR- Opportunités de Formation OPRO- Opportunités de promotion NS- Niveau de salaire

Graphique 2. Classement des raisons du choix de l'organisation selon les femmes cadres La formation initiale a des implications sur le choix de l’organisation et de l’emploi. S’ajoutent au type de formation, le fait que le travail soit intéressant et la réputation ou notoriété de l’organisation (zone I). Les connaissances personnelles et la sécurité au travail (zones II et III) ont une importance moyenne. Les répondantes raisonnent d’abord en fonction de leurs compétences puisqu’elles appuient leur choix sur le type et le niveau de formation, leur ambition (travail intéressant), et ce en fonction de leurs systèmes de valeurs, de leurs attentes et de leurs objectifs de carrière. Quant aux critères de sélection, le classement par fréquences de citation montre que le type de formation initiale constitue le critère le plus utilisé (71%) suivi par les résultats académiques

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232

(43,9%). Le calcul des scores moyens4 permet d’identifier trois catégories de critères de sélection selon le degré d’influence comme le montre le graphique 3 ci-dessous:

Classement par score

109876543210

Cla

ssem

ent p

ar fr

éque

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10

9

8

7

6

5

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POSF

COMP

REPR

EXP

REAC

FOR

REC

Zone I

Zone II

Zone III

Zone IVZone I FOR- Type de formation REAC- Résultats académiques REPR- Résultats des épreuves Zone II POSF- Poste typiquement féminin Zone III COMP- Compétences distinctives Zone IV REC- Recommandation EXP- Expérience AGE- Age ETREF- le fait d’être femme

Graphique 3. Classement des critères de sélection selon les femmes cadres Le fait que le type de formation initiale, les résultats académiques et les résultats aux épreuves du concours aient une influence élevée dans la sélection (zone I) est la conséquence de la présence de jeunes femmes dans l’enseignement supérieur (ce taux atteint environ 57% pour l’année universitaire 2004-2005). La perception par les femmes diplômées des conditions d’entrée à la vie professionnelle est marquée par deux forces opposées : La première tendance montre la nécessité d’avoir une formation et des compétences distinctives afin d’être "légitimement" considérées dans la sélection; l’accès à l’emploi dépend du choix du cadre. L’éducation constitue « en apparence » un avantage pour les femmes diplômées. La deuxième tendance révèle, au contraire, une situation précaire voire mitigée vu l’influence de quelques critères "subjectifs" et "informels" se rapportant aux caractéristiques personnelles telles que l’âge, le sexe ou le capital social. Ceci peut influencer les chances de promotion des femmes et par conséquent le type de trajectoire professionnelle parcourue.

2.2. Principaux profils des femmes cadres

Les résultats de la classification hiérarchique, sous forme de trois classes de femmes en fonction du nombre de promotions, permettent d'utiliser la méthode de l'analyse factorielle des correspondances multiples (AFCM). C'est une méthode de visualisation d'association entre les variables pour la formation de groupes en fonction des caractéristiques partagées. La

4 Cette méthode consiste à calculer dans un premier temps les fréquences de citation de chaque critère et de les classer selon leur ordre d'importance. Dans un second temps, un score moyen est calculé sur la base d'une pondération des réponses en attribuant le poids de 4 pour les fréquences de première importance, 3 pour celles de deuxième importance, 2 pour celles de troisième importance et 1 pour celles de quatrième importance. Les critères sont par la suite classés. Une représentation graphique sous forme de graphique de dispersion où le classement par fréquences est en ordonnées et celui selon le score moyen en abscisses permet l'identification de quatre zones en fonction de leur degré d'influence.

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méthode permet également de déterminer les facteurs d'influence sur les trajectoires des femmes cadres. Les résultats sont structurés autour de trois déterminants des principaux profils des femmes à savoir le profil professionnel, les caractéristiques socio-démographiques et les facteurs contextuels.

2.2.1. Profil professionnel et type de trajectoire

Le profil professionnel peut être apprécié en fonction du niveau d’instruction, de l’ancienneté et de la mobilité professionnelle (horizontale et verticale). Quatre variables sont explorées à savoir le titre ou la position hiérarchique, le nombre d’organisations fréquentées, le nombre de postes occupés durant la carrière et l’ancienneté. Une analyse des correspondances multiples a révélé le degré d’association entre ces variables avec le nombre de promotions obtenues. Une telle association montre des oppositions entre les différents groupes de répondantes par rapport à leur positionnement quant aux variables explicatives. Le graphique 4 ci-dessous fait apparaître deux tendances :

CLASSE0: pas de promotion CLASSE1: 1 à 2 promotions CLASSE2: < 2 promotions ANC:1. Ancienneté <= 10 ans ANC:2. Ancienneté <plus de 10 ans ORG:1. Employeur unique ORG:2. Plus de 2 employeurs POST:1. 1 à 2 postes occupés POST:2. Plus de 2 postes occupés DIRECTION. Titre de sous directrice ou de directrice SERVICE. Poste de chef de service ou de chef de service adjoint

Dimension 1; Valeur propre: ,35417 (29,51% d'Inertie)

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0,5

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-1,0 -0,5 0,0 0,5 1,0 1,5 2,0

Graphique 4. Profil professionnel des femmes cadres D’une part, il existe une tendance chez certaines femmes cadres, qui ont changé d’organisation (plus de deux fois, correspondant au point ORG2 situé du côté droit du graphique), à obtenir une à deux promotions (CLASSE1) ou plus de deux promotions (CLASSE2). D’autre part, celles qui travaillent toujours pour le même employeur (point ORG1 du côté gauche) ont tendance, à ne pas obtenir de promotion depuis leur entrée dans l'organisation (CLASSE0). Le nombre de promotions semble a priori être lié à la mobilité externe des femmes. Il est supposé que celles qui n'ont pas obtenu de promotion soient récemment entrées dans la vie professionnelle vu que la plupart d'entre elles sont jeunes. Le graphique 4 distingue entre les femmes qui n’ont pas eu de promotion (CLASSE0) de celles qui l’ont obtenu (CLASSE1 et CLASSE2). Ces dernières peuvent être différenciées par rapport aux mêmes variables comme l’illustre le graphique 5 ci-dessous :

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234

CLASSE0: pas de promotion CLASSE1: 1 à 2 promotions CLASSE2: plus de 2 promotions ANC:1. Ancienneté moins de 10 ans ANC:2. Ancienneté plus de 10 ans ORG:1. Employeur unique ORG:2. Plus de 2 employeurs POST:1.1 à 2 postes occupés POST:2. Plus de 2 postes occupés DIRECTION. Titre de sous directrice ou de directrice SERVICE. Poste de chef de service ou de chef de service adjoint

Dimension 2; Valeur propre: ,24321 (20,27% d'Inertie)

Dim

ensi

on 3

; Val

eur p

ropr

e: ,2

0217

(16,

85%

d'In

ertie

)

SERVICE

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Graphique 5. Répartition des femmes cadres selon le nombre de promotions

A partir du graphique, deux groupes de femmes peuvent être identifiés selon le nombre de promotions : le premier est formé de celles qui ont une à deux promotions (CLASSE1 du côté droit du graphique), qui ont occupé plus de deux postes (POSTE2) et ont travaillé dans plus d'une organisation (ORG2). Le deuxième groupe est formé des femmes qui ont obtenu plus de deux promotions (CLASSE 2, côté gauche) mais exerçant dans la même organisation et occupant le même poste. Afin de vérifier l'hypothèse de l'existence d'une relation de dépendance entre le titre, l’ancienneté, le nombre d’organisations fréquentées, le nombre de postes occupés et le nombre de promotions, la méthode de Khi-Deux a été utilisée5 ; les résultats sont mixtes. En effet, on constate une tendance chez les femmes ayant le titre de sous directrice ou de directrice à avoir des chances de promotion. Uniquement 8 sur 35 femmes n’ont pas obtenu de promotion depuis leur entrée à la vie professionnelle vu qu'elles sont entrées directement comme directrices. La majorité des chefs de service adjoints et des chefs de service (65%) n’ont pas obtenu de promotion. Les résultats d’analyse permettent de rejeter l’hypothèse nulle d’indépendance du nombre de promotions de la position hiérarchique des femmes (sig. = 0,000 < 0,05). Par conséquent on accepte H1 suggérant une relation de dépendance entre le nombre de promotions obtenues et le titre ou la position hiérarchique des femmes. Il est vrai que les mouvements verticaux du cadre sont généralement associés à des opportunités réelles de promotion. Ainsi, la décision et le grade d'affectation au moment d'embauche ont une influence sur la trajectoire poursuivie. En prenant en considération l’ancienneté (nombre d'années d'emploi), la méthode de Khi-Deux permet de vérifier la relation de dépendance entre le nombre d’années dans l’emploi et le nombre de promotions obtenues durant la carrière (Valeur de Khi-Deux est de 24,306 à un seuil de 0,000). Ainsi, l’hypothèse nulle d'indépendance est rejetée, d’où l’existence d’une relation de dépendance entre l’ancienneté de carrière et le nombre de promotions. En d'autres termes, les opportunités de promotion tendent à varier avec l'expérience des femmes au travail. Pour vérifier la significativité des résultats obtenus, un test des moyennes a été effectué. Ce test permet de savoir si la différence du nombre de promotions s’explique par le nombre d’années d’emploi. Les résultats du test sont résumés dans le tableau 1 ci-dessous :

5 Le recours à cette méthode se justifie "lorsque le niveau de mesure est nominal ou ordinal, les tests statistiques sont de type non- paramétrique. Dans ce cas, les observations peuvent provenir d'une population dont la distribution est quelconque" (Perrien, Chéron & Zins, 1994, p.393).

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Variable explicative

Ancienneté Test de Levene sur l’égalité

des variances (intervalle de confiance 95%)

Hypothèse de variances inégales

Variable à expliquer

Nombre de promotions 1 à 10

ans 11 ans et

plus Fisher (F) Seuil de

signification (Sig)Test des

moyennes (t) Sig

Moyenne 1,10 2,69 23,139 0,000 -5,656 0,000

Tableau 1. Analyse des moyennes de promotions selon l’ancienneté des femmes

On constate alors que puisque l’hypothèse de l’égalité des variances (test de Levene) est rejetée (sig 0,000 < 0,05), on admet de l’hypothèse de variances inégales. Le test des moyennes est significatif (sig. 0,000) ; ce qui signifie que la différence de moyenne de promotions s’explique par le nombre d’années d’emploi entre autres. En effet, les femmes qui ont une ancienneté de 11 ans et plus ont obtenu plus que le double du nombre de promotions (2,69) que celles qui ont travaillé d’un à 10 ans (1,10). Ceci, confirme l'hypothèse qui propose que plus l'ancienneté augmente plus les chances de promotion s'élèvent. Ceci peut s’expliquer par la politique de promotions réglementaires selon l’ancienneté dans le secteur public. Les résultats montrent enfin que le changement d’organisations augmente les chances de promotion des femmes cadres. La valeur de Khi-deux est la plus faible (6,313) et le seuil de signification est le plus élevé (0,043) permettant quand même de rejeter l’hypothèse nulle d'indépendance et d'accepter celle avançant la dépendance entre le nombre de promotions et le changement d’organisation. Il semble alors que le fait de changer d’employeurs peut procurer aux femmes cadres un avantage et augmente leurs chances de promotion. Ce résultat s'inscrit dans le cadre des tendances actuelles de la gestion des cadres relatives à l’avantage que peut avoir la mobilité externe du cadre du privé vers le public ou vice versa bien que les statistiques indiquent une faible tendance à changer d’organisation (uniquement 43 sur 155 femmes interrogées ont changé d’employeurs). La réticence des femmes à la mobilité externe peut être justifiée soit par la recherche de la stabilité dans l’emploi, soit que les femmes cadres ne veulent pas prendre le risque; elles préfèrent attendre dans le "pipeline". Ceci peut provenir de leur rôle social dans la famille et donc des facteurs socioculturels. Compte tenu de ces résultats, deux profils professionnels majeurs et deux catégories de trajectoires des femmes cadres dans les organisations tunisiennes peuvent être identifiés.

1. Les débutantes: Ce sont des femmes qui sont des chefs de service et des chefs de service adjoints. Elles ont une expérience de moins de dix ans, n’ont pas changé de poste ni d’organisation et n’ont pas généralement obtenu de promotion. Elles attendent dans le “pipeline” et ont probablement une attitude "passive" d'acceptation ou de conformisme envers leur statut et leur carrière. Nous les désignons par les “débutantes”.

2. Les professionnelles qui se distinguent par leur ancienneté de plus de dix ans, occupent

des postes de direction ou de responsabilité (sous-directrice, DGA ou directrice). Elles peuvent être classées en deux groupes. D’une part les professionnelles sur une "voie lente" (PVL) ou "slow track" ayant obtenu une à deux promotions durant leur carrière. Elles ont eu des chances d’avancement horizontal en termes de changement de postes (CLASSE1). D’autre part, les professionnelles sur une "voie rapide" (PVR) ou "fast

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track"6 qui ont bénéficié de plus de deux promotions. Certaines d’entre elles ayant fréquenté plus de deux organisations ont occupé plus de deux postes (CLASSE2).

2.2.2. Caractéristiques sociales et démographiques des femmes cadres

Nous partons de l’hypothèse de l’existence d’un lien entre le statut social des femmes et leurs trajectoires professionnelles. Trois variables sont testées pour évaluer le profil démographique et social à savoir l’âge, l’état civil et le nombre d’enfants. La correspondance entre ces variables et le nombre de promotions a permis de retenir trois dimensions contribuant environ pour 64% de l’inertie dont les deux premières sont projetées dans le graphique 6 ci-dessous :

Dimension 1; Valeur propre: ,43076 (28,72% d'Inertie)

Dim

ensi

on 2

; Val

eur p

ropr

e: ,2

7988

(18,

66%

d'In

ertie

)

AGE:20-30

AGE:31-40

AGE:<41

CELIBA

MARIEE

0-1ENF

<2ENF

CLASSE0

CLASSE1

CLASSE2

-1,0

-0,5

0,0

0,5

1,0

1,5

2,0

-2,0 -1,5 -1,0 -0,5 0,0 0,5 1,0 1,5

Professionnelles

CLASSE0: Débutantes CLASSE1: PVL CLASSE2: PVR CELIBA: Femmes célibataires MARIEE/ Femmes mariées AGE:20-30: Femmes âgées de 20 à 30 ans AGE:31-40: Femmes âgées de 31 à 40 ans AGE:<41: Femmes âgées de plus de 41 ans 0-1ENF: Femmes sans enfant ou ayant un seul <2ENF: Femmes 2 enfants ou plus

Débutantes

Graphique 6. Caractéristiques sociales des femmes cadres selon la trajectoire

On distingue entre les femmes cadres débutantes âgées de 20 à 30 ans et célibataires (point AGE:20-30 du côté gauche du graphique) et les professionnelles mariées et âgées de plus de 31 ans (points AGE:âge:31-40 et AGE<41). La méthode de Khi-Deux permet de vérifier l’hypothèse de la relation de dépendance entre l’âge et le nombre de promotions obtenues. Le tableau indique que la relation est significative (0,001) permettant d’accepter l’hypothèse de dépendance avec une valeur de Khi-deux de 19,081. Afin de vérifier la significativité des résultats, l’analyse des moyennes a été effectuée. L’application du t-test permet de tester les hypothèses suivantes :

H0. Le nombre moyen de promotions ne diffère pas selon la catégorie d’âge des femmes. H1. Le nombre moyen de promotions varie selon la catégorie d’âge des femmes.

Les résultats révèlent qu'en adoptant l’hypothèse de variances inégales, (le test de Levene est inférieur à 00,05) la différence de moyenne de promotions s’explique par une différence d’âge comme l’indique le tableau 2 ci-dessous :

6 Le terme "fast track" a été introduit par Jenkings en 1971 dans son ouvrage "Routes to the Executive Suite", cité par Greenhaus, Callanan & Godshalh, 2000, p. 208. Selon Jenkings, "apparent fast track" includes rapid promotions and salary increases that may reflect individual’s changing personality but in reality, hinders the development of skills and relationships".

Karima Bouzguenda et Abdelwaheb Chalghaf

237

Variable explicative Age

Test de Levene sur l’égalité des variances

(intervalle de confiance 95%)

Hypothèse de variances inégales

Variable à expliquer Nombre de promotions

20 à 30 ans 31 à 40 ans F Sig. t Sig. Moyenne 0,84 1,96 8,243 0,005 -4,677 0,000

20 à 30 ans 41 ans et plus F Sig. t Sig. Moyenne 0,84 2,69 14,511 0,000 -4,779 0,000

31 à 40 ans 41 ans et plus F Sig. t Sig. Moyenne 1,96 2,69 2,848 0,094 -1,784 0,079*

* résultat significatif à 10%

Tableau 2. Analyse des moyennes de promotions selon la catégorie d’âge des femmes

Les femmes qui appartiennent à la catégorie d’âge de 31 à 40 ans ont en moyenne le double de promotions (1,96) que celles ayant un âge de 20 à 30 ans (0,84). Le seuil de significativité est de 0,000. Les résultats sont également significatifs en comparant entre la catégorie d’âge de 20 à 30 ans et celle de 41 ans et plus (sig. = 0,000). Toutefois, en comparant entre la catégorie d’âge de 31 à 40 ans (moyenne de promotions = 1,96) et celle de 41 ans et plus (moyenne = 2,96), les résultats sont significatifs à un seuil de 10% (sig. = 0,079). On peut alors déduire que la différence du nombre de promotions obtenues par les femmes s’explique par l’âge et plus particulièrement pour les femmes appartenant à la catégorie de 20 à 30 ans et celles appartenant aux autres catégories d’âges. Cette relation peut être la résultante du lien significatif entre le nombre de promotions et l’ancienneté étant donné que cette dernière est en rapport étroit avec l’âge. En testant la dépendance du nombre de promotions de l’état civil, on obtient des résultats mixtes. En effet, 60 femmes mariées n’ont pas obtenu de promotions durant leur carrière alors qu’uniquement trois célibataires ont reçu plus de deux promotions. Ces résultats mixtes expliquent une valeur relativement faible de Khi-Deux de 7,455 et un seuil de signification de 0,024. L’hypothèse nulle d'indépendance est rejetée et H1 est acceptée. Il existe généralement une relation de dépendance entre l’état civil et le nombre de promotions que la femme puisse obtenir. En effectuant une analyse des moyennes, on constate que l’hypothèse de variances égales est acceptée (sig.= 0,172 > 0,05). On utilisera la colonne "hypothèse de variances égales", le seuil de significativité est de 0,003 (< 0,005) comme il apparaît dans le tableau 3 suivant :

Variable explicative Etat civil

Test de Levene sur l’égalité des variances

(intervalle de confiance 95%)

Hypothèse de variances égales

Variable à expliquer

Nombre de promotions

Célibataire Mariée F Sig. t Sig. Moyenne 1,03 2,06 1,884 0,172 -2,983 0,003

Tableau 3. Analyse des moyennes de promotions selon l’état civil des femmes

On remarque que les femmes mariées ont obtenu en moyenne un nombre de promotions (2,06) exactement le double de celles qui sont célibataires (1,03). Ces résultats peuvent s’expliquer par l’effet de l’âge sur le nombre de promotions obtenues étant donné que les femmes qui ont eu des promotions sont généralement plus âgées et plus anciennes que les débutantes.

Karima Bouzguenda et Abdelwaheb Chalghaf

238

S’agissant des femmes mariées et en introduisant la variable nombre d’enfants, les résultats de Khi-Deux permettent d’accepter l’hypothèse d’indépendance du nombre de promotions par rapport au nombre d’enfants à charge. Il semble que c’est le fait d’être mariée et non pas le fait d’avoir des enfants qui influence les chances de promotion des femmes cadres interrogées. A la lumière des ces résultats, l’hypothèse que la trajectoire des femmes cadres diffère selon leur profil professionnel et leur statut social peut être confirmée. Le niveau d’instruction peut être considéré comme une exigence ou un préalable pour que la femme puisse faire une carrière. Ces résultats corroborent les études de Ragins, Towsend & Mattis, (1998) et Greenhaus, Callanan & Godshalh, (2000) et antérieurement de Rosenbaum, (1979) aux Etats-Unis. Cependant, certains auteurs ont démontré qu'un niveau académique n’est pas suffisant pour garantir une évolution dans la carrière (Pigeyre, 1999; Mahfoudh, & al., 1994; Andrew & al. ; 1988). A ce propos, Mahfoudh & al. ; constatent pour le cas des femmes tunisiennes que "l’entrée massive dans la vie active et le mariage après les études indiquent que la femme diplômée cherche à compléter le capital scolaire par d’autres qualifications (stages pré-professionnels, spécialisation,... etc.) qui sont pris en considération pour la préparation de la meilleure carrière" (p. 312). En revanche, l’étude de Rosenbaum (1979) auprès de femmes américaines a révélé que la promotion précoce durant les cinq premières années augmente les chances de promotion des femmes durant des étapes ultérieures de la carrière. Ce sont les jeunes femmes qui obtiennent des promotions (Choain, 1994; Rosenbaum, 1979). Les résultats mixtes dans notre étude proviennent, en partie, de la méthode d'analyse des correspondances multiples qui permet de dégager des tendances générales de la relation de dépendance entre les variables et par conséquent n'établit pas de relations de causalité. Afin d’approfondir l’analyse, d'autres facteurs contextuels (externes) pouvant avoir un effet sur le degré de correspondance entre les variables sont explorés.

2.2.3. Facteurs contextuels influant sur la trajectoire des femmes cadres

La revue de la littérature révèle que les facteurs contextuels ou externes ont des effets sur le rôle et la carrière des femmes (Baron, Davis-Blake & Bielby, 1986; Collins, 1983, cité par Maume, 1999). Nous examinerons l’influence du caractère du secteur public et du privé, la région, la branche d’activité et la filière d’étude sur la trajectoire des femmes interrogées.

2.2.3.1. Effet du secteur d'activité

Une analyse des correspondances multiples révèle l’existence d’une relation significative entre le nombre de promotions et le secteur d’activité. Les deux premières dimensions expliquent plus de 75% de l’inertie. Le graphique 7 ci dessous montre la correspondance entre le secteur d’activité et le nombre de promotions.

Karima Bouzguenda et Abdelwaheb Chalghaf

239

Table d'Entrée (Lignes x Colonnes): 5 x 5 (Table de Burt)

Dimension 1; Valeur propre: ,62959 (41,97% d'Inertie)

Dim

ensi

on 2

; Val

eur p

ropr

e: ,5

0000

(33,

33%

d'In

ertie

)

PUBLIC PRIVE

CLASSE0

CLASSE1

CLASSE2

-2,0

-1,5

-1,0

-0,5

0,0

0,5

1,0

1,5

-1,0 -0,5 0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5

CLASSE0: Débutantes CLASSE1: PVL CLASSE2: PVR PUBLIC : Secteur public PRIVE: Secteur privé

Débutantes

Professionnelles

Graphique 7. Correspondance entre secteur d’activité et nombre de promotions Le graphique fait apparaître que, contrairement à notre hypothèse, les femmes cadres qui n’ont pas obtenu de promotion (point CLASSE0 du côté gauche du graphique) sont employées dans le secteur public alors que celles qui ont reçu des promotions exercent dans le secteur privé (points CLASSE1 et CLASSE2 du côté droit). Ceci peut s’expliquer par la lenteur des procédures de promotion dans le secteur public et par la promotion réglementaire en fonction de l’ancienneté. Comme les débutantes n’ont pas encore l’ancienneté exigée, elles doivent attendre avant qu’elles répondent aux conditions “formellement” requises. Des études réalisées aux USA (Duchéneaut, 1999 ; Collins, 1983; Baron, Davis-Blake & Bielby, 1986) ont révélé, au contraire, que le secteur public offre plus d'opportunités de promotion pour les femmes à cause des programmes d’égalité des chances et de la discrimination positive. La méthode de Khi-Deux permet de vérifier une relation de dépendance positive entre le secteur d’activité et le nombre de promotions. Cette relation est significative avec une valeur de Khi-deux de 10,412 et un seuil de significativité de 0,005. En effet, 32 sur 57 femmes (soit une proportion de 56,16%), qui exercent dans le secteur privé, par rapport à 37,78% de celles qui travaillent dans le secteur public ont eu des promotions. Pour vérifier la significativité de ces résultats, une analyse des moyennes a été effectuée. Cette analyse permet de tester les hypothèses suivantes :

H0. La moyenne de promotions obtenues par les femmes exerçant dans le secteur public ne diffère pas de celle des femmes qui travaillent dans le secteur privé. H1. La moyenne de promotions obtenues par les femmes varie selon le caractère du secteur public et du privé.

Les résultats sont synthétisés dans le tableau 4 suivant :

Variable explicative Secteur d’activité

Test de Levene sur l’égalité des variances

(intervalle de confiance 95%)

Hypothèse de variances inégales

Variable à expliquer

Nombre de promotions

Public Privé F Sig. t Sig. Moyenne 1,54 2,32 12,529 0,001 -2,367 0,020

Tableau 4. Analyse des moyennes de promotions des femmes selon le secteur d’activité

A la lecture du tableau, on constate que l’hypothèse de variances égales est rejetée (sig.= 0,001 < 0,05). On utilisera donc les résultats de la colonne "variances inégales"; l’hypothèse

Karima Bouzguenda et Abdelwaheb Chalghaf

240

nulle est rejetée (sig. = 0,020 < 0,05) et on accepte alors H1 de la différence de la moyenne de promotions obtenues par les femmes selon qu’elles exercent dans le secteur public ou privé. Ainsi, les femmes du secteur privé ont, en moyenne, un nombre de promotions (2,32) supérieur de celles qui exercent dans l’administration publique (1,54). Cette différence peut s’expliquer par la politique de promotion réglementaire dans le secteur public qui se base sur l'ancienneté et l'évaluation par le supérieur. De plus, les chances de promotion dans le secteur privé peuvent provenir du caractère informel du secteur, de l'influence du capital relationnel sur le comportement des employeurs et des tentatives de restructuration entreprises suite au développement du programme de mise à niveau. Le secteur privé offre alors plus de chances d'évolution dans la carrière pour les femmes sans prendre en considération les spécificités régionales.

2.2.3.2. Effet de la région

Une analyse des correspondances multiples entre le nombre de promotions et la région permet de constater que, généralement, les débutantes exercent dans la région de Sfax, les professionnelles sur la voie lente résident dans la région de Tunis et celles sur la voie rapide sont de la région de Sousse. En combinant entre les deux facteurs à savoir le secteur et la région, on peut distinguer deux groupes de femmes cadres comme le montre le graphique 8 suivant :

CLASSE0: Débutantes CLASSE1: PVL CLASSE2: PVR PUBLIC : Secteur public PRIVE: Secteur privé DEB: Débutantes PVL: Professionnelles sur la voie lente PVR: Professionnelles sur la voie Rapide SOUSSE: Région de Sousse SFAX : Région de Sfax TUNIS: Région de Tunis

Table d'Entrée (Lignes x Colonnes): 8 x 8 (Table de Burt)

Dimension 1; Valeur propre: ,46722 (28,03% d'Inertie)

Dim

ensi

on 2

; Val

eur p

ropr

e: ,3

6484

(21,

89%

d'In

ertie

)

SFAX

TUNIS

SOUSSE

PUBLIC

PRIVECLASSE0

CLASSE1

CLASSE2

-1,2

-1,0

-0,8

-0,6

-0,4

-0,2

0,0

0,2

0,4

0,6

0,8

1,0

1,2

-1,0 -0,5 0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5

DEB

PVL PVR

Graphique 8. Effet combiné du secteur et la région sur la trajectoire des femmes

Il semble alors que le secteur public n’offre pas des opportunités de promotion aux débutantes qui résident dans la région de Sfax, mais accorde quelques opportunités pour celles qui résident dans la région de Tunis. Celles qui ont obtenu des promotions ont tendance à travailler dans le secteur privé et résident dans la région de Sousse. Ces résultats peuvent s'expliquer par, d'une part, le hasard de l'échantillonnage vu que la méthode de convenance a été utilisée, et d'autre part, la taille de l'échantillon de la région de Sousse qui est relativement petit par rapport aux deux autres régions. En effet, 23 sur 155 femmes interviewées (soit une proportion de 14,8%) sont de la région de Sousse, 62 (40%) de la région de Tunis et 70 (45,2%) de la région de Sfax. On constate que le nombre de femmes de la voie rapide est plus élevé dans la région de Sousse que ceux des régions de Sfax et de Tunis. Il est à souligner que le découpage des critères de promotion selon la région a montré que les DRHs de la région de Sousse écartent le critère sexe dans les décisions de promotion. De plus,

Karima Bouzguenda et Abdelwaheb Chalghaf

241

certaines femmes de la région de Tunis ont eu leurs chances de promotion pour parcourir la voie rapide dans le secteur public (8 sur 62 femmes). Ceci peut s'expliquer par non seulement la présence significative des femmes dans l'administration publique et l'influence de la discrimination positive (conformité aux réglementations) mais aussi une différenciation des pratiques de promotion entre la capitale et les directions régionales où les opportunités sont plus limitées dues à une question d'organigramme. A partir des ces résultats, on se demande si la différence entre le secteur public et privé provient de la nature elle-même de l'activité des deux secteurs c'est-à-dire les services dans le secteur public et l'industrie dans le secteur privé.

2.2.3.3. Effet de la branche d’activité

En introduisant la branche d’activité, il serait possible de vérifier si les chances de promotion des femmes varient selon qu’elles travaillent dans l’industrie (privée), les services publics ou les services privés. Le graphique 9 ci-dessous permet de constater une correspondance entre la trajectoire des femmes cadres et la branche d’activité.

Dimension 1; Valeur propre: ,53258 (30,43% d'Inertie)

Dim

ensi

on 2

; Val

eur p

ropr

e: ,3

6829

(21,

05%

d'In

ertie

)

PUB

PRIVE

SERVPUB

SRVPRIV

INDUS

SFAX

TUNIS

SOUSSE

CLASSE0 CLASSE1

CLASSE2

-2,0

-1,5

-1,0

-0,5

0,0

0,5

1,0

1,5

2,0

-1,0 -0,5 0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5

CLASSE0: Débutantes CLASSE1: PVL CLASSE2: PVR PUBLIC : Secteur public PRIVE: Secteur privé SOUSSE: Région de Sousse SFAX : Région de Sfax TUNIS: Région de Tunis SERVPUB: Services publics SERVPRIV: Services privés INDUS: Industrie

PVL

PVR

DEB

Graphique 9. Répartition des femmes cadres selon la branche d’activité

On distingue ainsi entre les débutantes qui travaillent dans le secteur public principalement dans l’administration à Sfax et à Tunis (groupe du côté gauche dans le graphique) et les professionnelles sur la voie rapide qui exercent dans le privé (industrie et service) de la région de Sousse (groupe du côté droit). La méthode de Khi-Deux confirme l’hypothèse de dépendance entre la branche d’activité et le nombre de promotions obtenues par les femmes cadres avec une valeur de Khi-deux de 44,999 et un seuil de signification de 0,000. A partir de ce tableau, on remarque que 33 sur 92 des femmes qui travaillent dans l'administration publique ont obtenu des promotions (6 ont eu plus de deux promotions), 16 sur 19 des femmes de la voie rapide exercent dans les services privés (84,21%), (11 d'entre elles ont eu plus de deux promotions). Dans l'industrie, 20 sur 44 femmes (soit une proportion de 45,45%) ont eu des promotions. Ces résultats relatifs à l’étude de l’influence du secteur industriel et les opportunités de promotion des femmes contredisent ceux des travaux de Maume (1999) et Sennett & Cobb (1972) qui ont révélé une relation d’indépendance pour le cas des entreprises américaines. Les femmes cadres en Tunisie semblent avoir plus de chances de promotion dans le secteur des services privés. C’est en fait la nature elle-même du secteur public et du privé qui constitue le facteur explicatif de premier ordre. Ces résultats peuvent être liés à la différence de taille des sous échantillons selon la branche d’activité. En effet, l’échantillon principal est composé de 92 femmes dans l’administration

Karima Bouzguenda et Abdelwaheb Chalghaf

242

publique (soit 59,35% des répondantes), 19 travaillent dans les services privés (12,26%) et 44 exercent dans l’industrie (28,39%). Les données disponibles sur la filière d’étude permettent d’évaluer dans quelle mesure le choix de la filière par les femmes interviewées a un effet sur les préférences pour le secteur public ou privé et par conséquent sur leurs trajectoires.

2.2.3.4. Effet de la filière d’étude

Afin de vérifier le degré de correspondance entre la filière d’étude et le type de trajectoire, une analyse factorielle des correspondances multiples (AFCM) a été effectuée ; 10 sur 89 femmes (soit une proportion de 11,24%) diplômées en économie et gestion, ont obtenu plus de deux promotions, 21 ont eu une à deux promotions (31,46%) et 51 n'ont pas eu de promotion (57,30%). La filière économie et gestion, dont la plupart des répondantes sont diplômées, ne constitue pas un avantage pour les femmes cadres débutantes. L’accès des femmes aux filières scientifiques telles que l’informatique et l’ingénierie les a permis de bénéficier de quelques chances de promotion en poursuivant une voie lente (CLASSE1; 13 sur 38 femmes soit 34,21%). Ce qui est intéressant est que le choix des filières en droit, lettres et sciences médicales procure un avantage aux femmes cadres sur une voie rapide (CLASSE2); 6 sur 28 femmes (soit une proportion de 21,43%) ont obtenu plus de deux promotions. Ce n'est pas alors le fait d'avoir un diplôme qui permet d'évoluer dans la hiérarchie mais c'est plutôt le type de formation initiale qui a une importance accrue dans les décisions de promotion.

Dimension 1; Valeur propre: ,57040 (28,52% d'Inertie)

Dim

ensi

on 2

; Val

eur p

ropr

e: ,5

1159

(25,

58%

d'In

ertie

)

CLASSE0

CLASSE1

CLASSE2

EG

NF/SCTE

AUTSPEC

-0,8

-0,6

-0,4

-0,2

0,0

0,2

0,4

0,6

0,8

1,0

1,2

1,4

-2,5 -2,0 -1,5 -1,0 -0,5 0,0 0,5 1,0

DEB

PVR

INF/SCTE : Informatique /Sciences Techniques EG : Economie et gestion AUTSPEC : Autres spécialités (médecine, droit, sciences humaines

PVL

Graphique 10. Trajectoire des femmes cadres selon la filière d’étude

Pour vérifier la relation de dépendance entre la filière d’étude et le nombre de promotions obtenues par les femmes, la méthode de Khi-Deux a été effectuée. Les résultats montrent que cette relation est significative à un seuil de 10% (tableau 5 ci-après). Tableau 5. Croisement filière d’étude * nombre de promotions

Nombre d e promotions

0 promotion 1-2 promotions >2 promotions

Total

Spécialité d’étude

Gestion et économie Ingénierie et Sciences techniques Autres spécialités

51 22 13

28 13 9

10 3 6

89 38 28

Total 86 50 19 155

Karima Bouzguenda et Abdelwaheb Chalghaf

243

Tests du Khi-deux Valeur ddl Signification asymptotique (bilatérale)

Khi-deux de Pearson 3,156a 4 0,532 Rapport de vraisemblance 2,913 4 0,572 Association linéaire par linéaire 1,269 1 0,260 Nombre d'observations valides 155

a 2 cellules (22,2%) ont un effectif théorique inférieur à 5. L'effectif théorique minimum est de 3,43. Ces résultats peuvent s’expliquer par le fait que les débutantes spécialisées en économie et gestion occupent souvent des postes de chefs de service adjoints et de chefs de service; leurs responsabilités sont de nature administrative. Les professionnelles sur la voie lente ont pu obtenir une à deux promotions grâce à leur expertise et savoir dans les domaines scientifiques. La trajectoire de professionnelles sur une voie rapide semble ne pas obéir nécessairement au principe de spécialisation. Il s’avère alors que le diplôme est nécessaire pour accéder à un emploi "spécifique" mais perd sa valeur dans la sélection de celles qui occupent des postes de direction. Les conditions d’accès des PVR à l'emploi puisent le fondement dans la théorie économique classique reposant sur les indicateurs du capital humain pour justifier la position et les opportunités de formation et de promotion de l’individu (Becker, 1971). Cette théorie suppose également que l’individu est rationnel dans les choix qu’il fait en ce qui concerne son éducation, sa formation professionnelle et son attitude envers le travail. Selon ces principes, les attitudes des PVR se caractérisent par une certaine rationalité et l’existence d’une stratégie "délibérée" de carrière. Selon la théorie économique, l’hypothèse de la discrimination est à éliminer (Becker, 1971; Olson & Becker, 1983). Toutefois, si les qualifications attestées par le concours ont permis aux PVR d’accéder à leur emploi actuel, ces dernières sont appelées à développer des compétences à travers la participation aux programmes de formation et à améliorer leur rendement pour augmenter leurs chances de promotion. Les résultats montrent que la formation est une condition nécessaire mais insuffisante pour que la femme tunisienne puisse accéder au marché du travail et aux postes de direction. Les conditions organisationnelles et socioculturelles ont une influence sur l'insertion professionnelle des femmes diplômées. Conclusion Les opportunités offertes aux femmes en ce qui concerne l'accès à l'éducation et au marché du travail existent. L'accès des femmes à l'éducation témoigne de l'importance accordée au savoir comme préalable à l'entrée des femmes au marché de travail. Ainsi, les taux de scolarisation non seulement dans l’enseignement primaire et secondaire mais aussi dans le supérieur ont enregistré une évolution significative comme le soulignent les rapports des Nations Unies et ceux du BIT. Cette évolution touche pratiquement tous les pays du Maghreb y compris la Tunisie. Le présent article se propose d'étudier le lien entre le niveau d'instruction des femmes dans l'enseignement supérieur et leurs chances, d'abord d'accéder au marché du travail et ensuite d’évoluer aux postes de prise de décision. Cette étude permet de démontrer que la carrière est généralement entravée par des barrières liées à la nature de la formation entre autres.

Karima Bouzguenda et Abdelwaheb Chalghaf

244

Les résultats empiriques montrent que la formation ou le diplôme constitue un atout pour l'accès au marché de travail. Toutefois, le poids de la filière d’étude et de la spécialité perd de sa valeur en ce qui concerne les décisions de promotion aux postes de prise de décision. La plupart des femmes interviewées sont dans "le pipeline" où elles attendent leurs chances de promotion. Ces résultats corroborent ceux de Rosenbaum (1979) aux USA. En guise de conclusion, nous pouvons avancées que l’identification des principaux profils des femmes cadres et de leurs trajectoires montre une certaine homogénéité dans leur statut. La majorité d'entre elles sont au début de leur carrière. On se demande si les difficultés qu'elles rencontrent à ce niveau sont-elles liées au facteur temps, aux pratiques organisationnelles et/ou aux attitudes et stratégies de carrière ? Bibliographie Adler, N.J. & Izraelli, D. N. (Eds.). (1994). Women in Management Worldwide, New York: M. E. Sharpe Inc. Andrew, C., Coderre, C. & Denis, A. (1988). Les études universitaires : un atout pour les femmes gestionnaires dans les grandes entreprises. Gestion, (Mai), 68-73. Anker, R. (1997). Ségrégation professionnelle hommes-femmes: les théories en présence. Revue Internationale du Travail, 136(3), 343-369. Baron, J., Davis-Blake, P. & Bielby, W. (1986). The structure of opportunity: How promotion ladders vary within and among organizations. Administrative Science Quarterly, 31, 248-273. Becker, G. (1971), The Economics of Discrimination. Chicago: University press. Beneria, L. (1999). Le travail non rémunéré: le débat n'est pas clos. Revue Internationale du Travail, 138(3), 317-342. Boumahdi, R., Lattes, J., & Plassard, J. (2000). Discrimination et marché du travail: Une lecture pluridisciplinaire. Les Notes du LIRHE. (Notes n° 317). Toulouse. Bouzguenda, K. (2005), "Gestion des carrières et phénomène de glass ceiling : Le cas des femmes cadres en Tunisie", Thèse de Doctorat en Sciences de Gestion, Directrice de recherche Prof. Riadh ZGHAL, Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de Sfax. Bureau International du Travail (BIT), (2004), Briser le plafond de verre: La promotion des femmes aux postes de direction, www.ilo.org/dyn/gender/genderresources.details, accès le 07/06/04. Caire, G. (1989). Analyse micro-économique du travail féminin: Apports et apories. Revue d'Economie politique, 99(3), 446-465. Centre de Recherche, de Documentation et d’Information sur la Femme (CREDIF), “Femmes en Chiffres’’, 1997-2001. Choain, L. (1994). Mobilité des cadres. Personnel. ANDCP, (353), 20-22. Collins, S. (1983). The making of the black middle class. Social Problems, (30), 369-382. Duchéneaut, B. (1999). Le management féminin: émergence, spécificités et perspectives. Gestion 2000, (Mai – Juin), 97-115. Duncan, C. & Hoffman, S. (1979), On the job training and earnings difference by race and sex, Review of Economics and Statistics, (61), 594-603. ENPE 99 : Enquête Nationale Population-Emploi. Filer, R. (1985), Male-female wage differences: The importance of compensating differentials, Industrial and Labor Relations Review, 38(3), 426-437. Greenhaus, J., Callanan, G. & Godshalh, V. (2000), Career Management (Trd ed.), Harcourt College Publishers. Guérin, G. & Wils, T. (1992), La Gestion des Carrières : Une typologie des pratiques, Gestion, 48-73.

Karima Bouzguenda et Abdelwaheb Chalghaf

245

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Karima Bouzguenda et Abdelwaheb Chalghaf

246

Proposition de communication au colloque de Rabat du 15 et du 16 mars 2006 sur « Marché du

travail et genre dans les pays du Maghreb. Quel marché du travail ? ».

Parcours professionnel et « plafond de verre » : les femmes ingénieurs au Maroc.

de Grazia Scarfo` Ghellab

Sociologue - Professeur à l’Ecole Hassania des Travaux Publics de Casablanca - Maroc

Notes introductives

Dans le cadre du colloque sur le thème Marché du travail et genre : Maghreb-Europe qui eu lieu à

Rabat en 20031, j’avais présenté les premiers résultats d’une enquête sur les trajectoires scolaires et

professionnelles d’un échantillon de femmes ingénieurs marocaines. Aujourd’hui, je voudrais me

concentrer, en particulier, sur deux axes que le travail réalisé à l’époque avait à peine effleurés.

Le premier axe concerne l’existence éventuelle d’obstacles qui empêchent, tout au long de leur

parcours professionnel, les femmes ingénieurs marocaines d’atteindre les niveaux hiérarchiques les plus

hauts au sein de leur organisation, privée ou publique soit-elle. En effet, dans le cadre de l’étude par

entretiens semi directifs que je conduis sur les femmes ingénieurs au Maroc2, j’ai pu remarquer que, pour

une partie des interviewées, il existe, dans leur carrière – par rapport à leurs collègues hommes -, des

lenteurs et des blocages difficilement explicables en termes de différentiel de compétences. Ces lenteurs et 1 Achy L., Laufer J., Marry C. et Autres (éd.), 2004. 2 Ce travail de recherche concerne évidemment aussi bien les hommes que les femmes et vise, en particulier, la reconstruction des trajectoires scolaires et professionnelles d’un échantillon d’ingénieurs, formés aussi bien dans les écoles marocaines qu’à l’étranger, dans le but de comprendre s’ils font partie aujourd’hui des élites du pays. Cette question est à la base de toutes les hypothèses qui animent cette étude. Cette étude ne se base pas seulement sur des entretiens semi directifs mais aussi sur la passation d’un questionnaire qui a été soumis à la promotion 2002 de l’Ecole Hassania des Travaux Publics de Casablanca, composée de 86 lauréats, dont 11 filles. Par ailleurs, une enquête par questionnaire sur un échantillon représentatif national d’ingénieurs marocains sera lancée très prochainement. Cf. G. Scarfo`Ghellab 2001, 2004, 2004 bis.

Grazia Scarfo'Ghellab

247

ces blocages autorisent à poser la question suivante : existe-t-il un « plafond de verre » pour les femmes

ingénieurs au Maroc ?

«Le plafond de verre est à l’origine une expression d’origine anglo-saxonne qui désigne l’ensemble

des obstacles visibles et invisibles que rencontrent les femmes quand il s’agit d’accéder à la sphère du

pouvoir aux niveaux supérieurs des hiérarchies organisationnelles. » (Laufer J., 2003, p. 4).

Une telle définition paraît simple et semble permettre assez facilement de repérer les femmes qui ont

brisé ce plafond ou qui, au contraire, en sont toujours restées en dessous. En revanche, aussi bien pour les

carrières qui se sont déployées dans le secteur public que dans le secteur privé, il est nécessaire de mettre à

l’œuvre une attention toute particulière pour pouvoir définir quels sont les postes qui légitimement peuvent

être considérés comme faisant partie de la sphère du pouvoir. Seulement en ayant analysé ces postes, à la

lumière des caractéristiques de l’organisation dans laquelle ils figurent, il est alors possible de repérer

combien de femmes – dans le cas de notre étude, parmi les ingénieurs interviewées – ont pu franchir le seuil

des niveaux hiérarchiques supérieurs et accéder à la sphère du pouvoir.

A présent, j’ai interviewé quarante cinq ingénieurs dont vingt femmes. Evidemment, seule une

recherche complémentaire et quantitative ad hoc peut nous renseigner sur cet aspect central qui est celui du

pouvoir dans l’univers du travail marocain. Toutefois, l’approche par entretien, en allant en profondeur, se

révèle particulièrement utile car il permet de faire une analyse détaillée des carrières professionnelles, de

sorte à donner la possibilité de comprendre si les femmes que j’ai interviewées ont pu briser ou pas le

fameux plafond.

Le deuxième axe, présenté dans cette communication, touche au problème du déroulement du

parcours professionnel : s’agit-il d’un ensemble de « choix » stratégiques opérés par des acteurs - ou

mieux, par des actrices – pleinement conscients ? Ou bien, même quand ce parcours est présenté comme le

fruit d’un « choix », est-il, en revanche, le résultat de l’intériorisation de modèles sexistes de travail et, plus

en général, de modèles éducatifs sexistes qui poussent les femmes à ne pas « choisir » d’accéder à la sphère

du pouvoir ?

Tous les quarante cinq interviewés, hommes et femmes, dont l’âge varie entre 25 et 50 ans,

possèdent un diplôme d’ingénieur obtenu dans des écoles françaises ou marocaines.

En ce qui concerne les femmes en particulier, elles se distribuent selon les écoles et les promotions

Grazia Scarfo'Ghellab

248

suivantes :

ENPC - Ecole Nationale des Ponts et Chaussées – Paris : promotions 1980 ; 1985, 1995 ;

ENSTA – Ecole Nationale Supérieure Télécommunication Appliquée - Paris : promotion 1990 ;

Ecole Centrale de Lyon : promotion 1984 ;

SUPELEC Paris : promotion 1999 ;

EHTP – Ecole Hassania des Travaux Publics - Casablanca : promotions 1979, 1985, 1995 ;

EMI - Ecole Mohammedia des Ingénieurs - Rabat : promotions 1977, 1982, 2002,

INPT - Institut National Des Postes et Télécommunications – Rabat : promotion 1980.

Il est à signaler que l’Ecole Mohammedia des Ingénieurs de Rabat (EMI) et l’Ecole Hassania des

Travaux Publics de Casablanca (EHTP) se partagent le rang d’école la plus prestigieuse du Maroc.

Sur le plan professionnel, quatre de ces ingénieurs travaillent dans des grandes entreprises privées

marocaines et françaises, seize sont intégrées dans les secteurs public et semi-public.

L’analyse des données recueillies fournit des pistes de recherche extrêmement riches et

intéressantes.

2. Premier axe : existe-t-il «un plafond de verre» au Maroc ?

2.1. Les femmes ingénieurs des secteurs public et semi-public.

Voyons, maintenant, la trajectoire professionnelle des femmes ingénieurs interrogées. Comme j’ai

dit plus haut, il s’agira d’abord de classer les ingénieurs interviewées selon leur poste : c’est-à-dire, les

classer selon leur positionnement par rapport aux niveaux supérieurs des hiérarchies organisationnelles.

Pour être plus concrète, par exemple, dans le cadre du secteur public, un chef de service ne fait pas partie

des niveaux supérieurs des hiérarchies organisationnelles, mais un directeur oui ; ou, du moins ce c’est que

nous pourrions penser à première vue. Et c’est justement là que notre analyse doit être particulièrement

Grazia Scarfo'Ghellab

249

attentive pour dénicher quels postes, dans le cadre de ces niveaux supérieurs, peuvent être définis comme

des véritables postes de pouvoir, justifiant de cette façon que les femmes qui les occupent ont effectivement

brisé le « plafond de verre ».

Partons des femmes qui appartiennent aux secteurs public et semi-public et excluons de notre

analyse les plus jeunes qui sont au début de carrière. Nous avons d’abord, quatre chefs de service.

Une d’entre elles, d’origine sociale aisée, ayant décroché son diplôme dans une grande école

française, a eu, jusqu’à présent, une carrière assez rapide : en deux ans et demi, elle est passée d’attaché de

direction - à la Direction Commerciale de son entreprise (semi-public) - à chef de projet, puis à chef de

service. Elle est en attente de devenir chef de division.

Une deuxième, issue d’une famille plutôt modeste, diplômée d’une école locale, emploie

simplement deux ans pour atteindre ce poste dans une direction régionale de l’administration : là aussi, nous

sommes confrontés à une évolution très rapide ; mais, il faut ajouter que, cinq ans après, elle est toujours à

la même place, malgré le fait d’avoir « bâti » en première personne la direction régionale dont elle fait

partie.

Une troisième, d’origine sociale modeste elle aussi, diplômée d’une école locale, a, en revanche,

employé 14 ans pour atteindre et ne plus dépasser son grade de chef de service de la Planification. Et,

pourtant, dans les 23 ans de carrière, elle a renforcé sa formation initiale par de nombreux stages à

l’étranger et d’autres formations prestigieuses comme un Master in Electrophysics Engineering à

l’Université de Georges Washington. Elle a eu, aussi, de très grandes responsabilités : entre autre, elle

représentait le Maroc dans le cadre de l’Union Internationale des Télécommunications dont il faisait partie

22 pays arabes et 53 pays africains. En 2005, fortement déçue par l’évolution de son parcours professionnel,

elle décide de quitter son travail en profitant du Plan de Départ Volontaire que le gouvernement marocain a

lancé en 2004 pour alléger le nombre d’effectifs du secteur public3.

3 Décret n. 2 04 811 du 23 décembre 2004 instituant, a titre exceptionnel, une indemnité de départ volontaire pour les fonctionnaires civils de l’Etat. Cf. aussi la Circulaire n. 21du 27 décembre 2004.

Grazia Scarfo'Ghellab

250

La quatrième, dont la famille appartient à la classe moyenne nouvelle4 marocaine, ayant un diplôme

d’une école locale aussi, se plaint fortement de la lenteur de sa carrière : 12 ans pour devenir chef de service

dans le service maintenance. Elle raconte ses nombreuses mésaventures en tant qu’ingénieur femme dans un

milieu fortement technique et peuplé d’hommes. Et, encore maintenant, ses collègues (hommes) lui laissent

comprendre que, si elle est devenue chef de service, c’est exclusivement grâce aux nombreux départs qu’il y

a eu dans son service, dus au Plan de Départ Volontaire cité plus haut. Elle, aussi, a continué, tout au long

de son parcours professionnel, à se former pour « prouver » ses compétences continuellement mises en

doute.

Nous avons aussi trois chefs de division, toutes les trois diplômées dans des écoles marocaines, deux

travaillant dans le même Office5 et la troisième dans l’un des plus grands ministères marocains. Les trois

sont issues de familles appartenant aux classes moyennes nouvelles, mais elles sont certainement plus

proches de la petite que de la grande bourgeoisie.

La première, a été ingénieur d’étude pendant douze ans et elle a fait, comme ses collègues hommes,

beaucoup de terrain. Suite à une formation d’une année dans le domaine de l’énergie, elle est passée chef de

service : dans ce poste, elle est restée huit ans. Suite à un programme de formation aux USA sur la Gestion

de l’environnement et des ressources en eau, elle a été nommée chef de division à la coopération et à la

communication. En sommes, 20 ans pour devenir chef de division. Elle admet que même si sur le travail –

en particulier sur le terrain – il n’y a jamais eu aucune différence de traitement par rapport à ses collègues

hommes, quand un poste se libère on le donne plus facilement à un homme : « C’est pour cela que je suis

restée douze ans ingénieur d’études ! ».

La deuxième est restée ingénieur d’études pendant cinq ans. Puis, elle est devenue chef de service

pendant 15 ans et aujourd’hui elle est chef de division dans la gestion des marchés et dans la gestion des

ressources humaines : pour elle aussi, il a fallu atteindre 20 pour occuper ce poste.

4 Nous empruntons ici la définition de classes moyennes nouvelle et traditionnelle utilisée par Abdelkader Zghal dans son texte sur Les classes moyennes et développement au Maghreb contenu dans Zghal A. et Autres, 1980, pp.1-39 : “ la nouvelle classe moyenne : les “ cols blancs ”, fonctionnaires, employés, cadres moyens, etc. La classe moyenne traditionnelle, c’est-à-dire les catégories sociales liées aux modes de production pré-capitalistes comme les artisans, les commerçants et la petite paysannerie etc. ”, p.25. 5Au Maroc, un Office est une entreprise qui dépend d’un Ministère et dont la gestion financière, structurelle, organisationnelle, etc. est autonome. CF. l’Office National des Chemins de Fer – ONCF – qui dépend du Ministère de l’Equipement et des Transports.

Grazia Scarfo'Ghellab

251

Elle me raconte : « Ici à l’Office, il n’y a pas de différences, mais c’est plus difficile pour une

femme : nous sommes compétentes et devons exceller pour arriver, surtout à des postes de responsabilité.

Un homme peut arriver au même poste sans exceller. ».

La troisième, qui vient d’être nommée directeur provincial (un poste de terrain qui peut être, si la

taille et/ou les problèmes de la province sont importants, être comparé au poste de chef de division), a passé

24 ans en tant que chef de service : 24 ans de travail, aussi bien sur le terrain que dans un domaine plus

administratif, passés en côtoyant des collègues - des hommes - qui avançaient toujours plus vite qu’elle.

En résumant, en ce qui concerne les chefs de service, pour deux sur quatre des interviewées, nous

pouvons parler d’une évolution de carrière plutôt lente. Quoi dire pour les chefs de division ? 20 ans et plus

pour atteindre leur poste. Il n’y a pas de commentaires si non que les carrières des ingénieurs hommes

interviewés, qui présentes évidemment les mêmes caractéristiques sociologiques que les femmes citées, sont

beaucoup plus rapides et bien plus brillantes6.

De plus, dans mes notes introductives, j’affirme que les lenteurs et les blocages observés dans la

carrière des mes interviewées ne peuvent pas s’expliquer en termes de différentiel de compétences. Pour

cela, il faut préciser que toutes les vingt femmes ingénieurs, sans exception, présentent un cursus scolaire

excellent, du primaire jusqu’au supérieur. Or, il est vrais que si nous voulions définir le concept de

compétence, il faut faire référence à une mobilisation de savoirs, de savoir-être et de savoir-faire dans le

contexte professionnel : cela veut dire qu’une compétence doit être observable et observée. Donc, le fait que

le cursus scolaire des femmes interviewées témoigne d’une excellente acquisition de savoirs nous renseigne

peu sur comment ces savoirs ont été mobilisés et s’ils se sont ou pas transformés en compétences.

Toutefois, penser que toutes les femmes interviewées, ou toutes celles qui présentent des parcours

professionnels particulièrement lents, soient des ingénieurs incompétents il est du moins hasardeux.

Continuons avec celles qui, en revanche, semblent, à première vue, avoir atteint les niveaux

hiérarchiques supérieurs et donc avoir brisé le « plafond de verre » : les femmes ingénieurs qui occupent,

toujours dans les secteurs public et semi-public, un poste de directeur. Il est à noter que je maintiens

volontairement le mot « directeur » et non pas celui de « directrice » car aucune des interviewées ne s’est

6 Cf. G. Scarfo`Ghellab, 2001.

Grazia Scarfo'Ghellab

252

définie ainsi7. Nos directeurs sont deux et toutes les deux diplômées de deux grandes écoles françaises.

Elles appartiennent, de façon plus définie par rapport aux femmes chefs de services que je viens de citer,

aux classes moyennes nouvelles.

Pour la première, au début, l’évolution de son parcours professionnel est très rapide : elle devient

chef de division dans la division exploitation d’un port important au Maroc. Elle restera dans ce poste

pendant 13 ans. Elle est nommée, en suite, chef de division à la tête de trois divisions. Cette expérience dure

sept ans. En 2005, elle est nommée directeur des ressources humaines dans l’un des plus importants

ministères du gouvernement marocain.

Or, par rapport à notre préoccupation, il est possible d’affirmer que, étant donné l’environnement

organisationnel dans lequel elle est intégrée, il s’agit objectivement d’un poste de pouvoir. Et, s’il est vrai

qu’il a fallu vingt deux ans pour y arriver - elle me confie que « Si j’étais un homme j’aurais progressé

beaucoup plus rapidement ! » - elle a quand même brisé le « plafond de verre ».

La deuxième devient directeur du système informatique et responsable de l’organisation après treize

ans de carrière : elle passe par le poste d’ingénieur d’études, dans la direction Contrôle de gestion, dans

lequel elle reste trois ans ; puis, pendant sept ans, elle devient responsable de la Cellule Planification. Elle

passe trois ans encore à la Direction Commerciale, chargée de « tout ce qui est réservation et prix » et enfin,

depuis huit ans, elle est directeur. Dans le cadre de son entreprise (semi-public), il est possible d’affirmer

sans aucun doute qu’elle fait partie du « top management » et que donc, elle aussi, en ayant eu accès à la

sphère du pouvoir des niveaux hiérarchiques supérieurs, a brisé le « plafond de verre ».

Enfin, il fait partie de mon échantillon une femme ingénieur, issue elle aussi de la classe moyenne

nouvelle, diplômée d’une école d’ingénieur française qui peut être classée parmi les écoles moyennes en

terme de reconnaissance et de prestige, qui, au moment de l’entretien, occupait le poste de sous-directeur :

treize ans de carrière pour l’atteindre, après avoir été, pendant un an, ingénieur d’étude, un an et demi chef

7 « Toute domination symbolique suppose de la part de ceux qui la subissent une forme de complicité qui n’est ni soumission passive à une contrainte extérieure, ni adhésion libre à des valeurs. La reconnaissance de la légitimité de la langue officielle n’a rien d’une croyance expressément professée, délibérée et révocable, ni d’un acte intentionnel d’acceptation d’une « norme » ; elle est inscrite à l’état pratique dans les dispositions qui sont insensiblement inculquées, au travers d’un long et lent processus d’acquisition, par les sanctions du marché linguistique et qui se trouvent donc ajustées, en dehors de tout calcul cynique et de toute contrainte consciemment ressentie, aux chances de profit matériel et symbolique que les lois de formation des prix caractéristiques d’un certain marché promettent objectivement aux détenteurs d’un certain capital linguistique. » in P. Bourdieu, 1982, pp. 35-36.

Grazia Scarfo'Ghellab

253

de projet, cinq ans chef de domaine dans l’informatique. Après, elle opte pour un déplacement

« horizontal » (avec baisse de salaire) vers la Direction de Transports dans laquelle elle reste pendant trois

ans. Puis, dans le cadre de la Direction Commerciale elle obtient de s’occuper d’un marché « mais, un tout

petit marché parce que là-bas sont tous des « macho » et mon chef n’a pas voulu prendre le risque. De plus,

il y a les relations de copinage, les affinités. En sommes, ils n’ont pas voulu me donner un grand marché

parce qu’ils n’ont pas eu confiance, alors que j’étais décidemment prête. ». Et, enfin, deux ans après, une

fois intégré à nouveau le siège, elle est nommée sous-directeur responsable du secteur Pricing et

management : un nouveau secteur, selon l’interviewée. Elle est définitive dans son jugement sur les facteurs

qui influencent l’évolution de la carrière : elle ne cite pas le sexe, mais plutôt ce qu’elle définit « le

copinage » et le positionnement proche du pouvoir : « Quand je suis allée loin du siège, là-bas, vous pouvez

être excellente, mais personne ne vous voit ! ».

Si nous considérons l’entreprise (semi-public) à laquelle l’interviewée appartient (et que, pour des

raisons de confidentialité, je ne citerai pas), ce poste de sous-directeur dans ce nouveau secteur ne justifie

pas son positionnement au sein des « niveaux hiérarchiques supérieurs » : à présent, elle n’a pas encore

franchi « le plafond de verre ».

Si nous analysons le parcours professionnel des femmes ingénieurs interviewées, dont je viens de

présenter les étapes principales, trois variables semblent être pertinentes : « l’école d’appartenance »,

« l’origine sociale » et la variable « genre ». Et, comme dit Catherine Marry “ Il s’agit moins aujourd’hui de

mesurer l’importance relative des déterminants de classe et de sexe que de comprendre leur jeu subtil et

indissociable. ” (Laufer, Marry, Maruani , 2001, p. 38).

Il apparaît, en effet, clairement que les parcours professionnels des femmes ingénieurs diplômées

des grandes écoles françaises sont plus rapides et plus prestigieux que ceux des interviewées issues des

écoles marocaines. Ce constat se vérifie aussi pour les femmes qui appartiennent aux classes plus aisées.

D’ailleurs, nous nous retrouvons très souvent face à des individus qui cumulent un fort « capital scolaire »,

« social » et « économique »8. Ce qui se vérifie également pour les ingénieurs hommes interrogés dans le

cadre de notre enquête. En ce qui concerne la variable « genre », elle ne peut apparaître que dans la

comparaison avec les parcours professionnels des ingénieurs interviewés et, comme j’ai déjà dit, à diplôme

8 Cf. P. Bourdieu, 1989.

Grazia Scarfo'Ghellab

254

et origine sociale égaux, la trajectoire professionnelle décrite par ces derniers est beaucoup plus rapide et

très souvent bien plus brillante : parmi les interviewés travaillant dans le secteur public ou dans le secteur

semi-public, j’ai rencontré des ex-ministres, des ministres, des directeurs de grands Offices. Mais, il est clair

que je fais référence à un échantillon très restreint qui ne peut absolument pas nous renseigner sur la

situation générale.

A propos de la variable « école d’appartenance », il est important de signaler que des ingénieurs -

hommes - issus d’un milieu assez modeste, mais ayant obtenu leur diplôme dans les grandes écoles

d’ingénieurs françaises, se retrouvent aujourd’hui à faire partie de la classe dirigeante marocaine. Ainsi, à

travers notre échantillon masculin, les grandes écoles françaises semblent s’affirmer comme un lieu aussi

bien de reproduction des élites marocaines que de production et donc de promotion sociale pour les jeunes

issus des familles peu ou moyennement dotées. Dans ces cas, « l’école d’appartenance » semble se

positionner comme une variable particulièrement pertinente qui permet de rendre compte des trajets

socioprofessionnels de nos interviewés.

En revenant aux femmes ingénieurs et en attendant une enquête quantitative et représentative sur les

ingénieurs marocains, il existe une enquête de Leïla Dinia Mouddani (L. Dinia Mouddani, 2004) concernant

les femmes fonctionnaires marocaines. Il est intéressant de la citer : « Aujourd’hui on peut remarquer que

l’augmentation de nombre de femmes cadres supérieurs ne les a pas prédisposées à certaines fonctions de

responsabilité et de pouvoir dans l’administration. En effet, le pourcentage de femmes fonctionnaires aux

postes de responsabilité est de l’ordre de 8,53%, en considérant les postes de responsabilité dans les

différentes catégories. […] La sous représentation des femmes aux sommets de la hiérarchie de

l’administration est une réalité et non un discours récurrent, ces sphères administratives étant fortement de

domination masculine.» (L. Dinia Mouddani 2004, pp.234-235).

L’une de mes interviewées - l’une des celles devenues directeur - en analysant la carrière des

femmes au sein de son entreprise (semi-public), affirme que le fait d’avoir un nombre très faible de femmes

ayant franchi les niveaux hiérarchiques supérieurs s’explique par le nombre de femmes présentes dans

l’entreprise qui est déjà très faible en terme d’effectifs. C’est ce qu’on appelle dans la littérature

« l’argument du vivier » : en France, la mise en question du constat du faible nombre de femmes au sommet

de la hiérarchie organisationnelle par « L’argument du vivier, selon lequel les femmes sont très peu

Grazia Scarfo'Ghellab

255

nombreuses dans les échelons inférieurs, n’est pas non plus pleinement convaincant : l’accès limité des

femmes aux positions dirigeantes est observé dans toutes les professions, y compris dans celles qui sont

féminisées de longue date, comme l’enseignement. » (C. Marry, 2004, p. 251). Cela est vrai également au

Maroc. Selon des données du Ministère de la Modernisation des secteurs publics, présentées par Mme Dinia

Mouddani (L. Dinia Mouddani, 2004, pp. 234-235) sur 13 Recteurs d’université il n’y a aucune femme et

sur 51 Doyens de faculté, les femmes ne sont que quatre.

2.2. Les femmes ingénieurs du secteur privé.

Comment les choses se déroulent-elles dans le secteur privé ? Quatre femmes parmi les ingénieurs

de mon échantillon en font partie.

Deux d’entre elles, issues des classes moyennes marocaines (traditionnelles et nouvelles), se sont

diplômées dans des écoles locales.

La première ne peut pas retenir toute sa déception quand elle me raconte que « Après 25 ans, je suis

seulement chef de projet ». Elle estime mériter le poste de « directeur de projet » occupé par son supérieur.

Elle estime aussi avoir été lésée dans l’évolution de sa carrière quand son propre chef lui refusa le poste de

chef de division - obtenu quand même plus tard -, dans l’usine de l’entreprise dans laquelle elle continue à

travailler. La raison invoquée par le chef est que l’époux de l’interviewée - qui était directeur technique à

l’époque - serait de ce fait devenu son chef direct. Donc, pas de poste de responsabilité pour elle à cause de

sa situation familiale. Elle a eu un passage rapide par le public et continue à penser, jusqu’à aujourd’hui,

que l’évolution de son parcours professionnel aurait été beaucoup plus rapide si elle avait décidé d’y rester

et, surtout, si elle n’avait pas été une femme. Mais l’amour pour le terrain, pour la technique, la conviction

que dans le secteur public elle n’aurait pas pu mobiliser véritablement ses compétences et ses savoirs

spécifiques en ingénierie, l’ont poussée vers l’entreprise privée et vers des postes « typiquement

masculins » et, pour cela, plus difficiles à atteindre.

L’autre se plaît dans son poste d’ingénieur d’étude, qu’elle occupe depuis huit ans dans une filiale

d’une très grande entreprise française. Elle raconte de travailler « dans un service où il y a beaucoup de

contraintes : celui des prix et des marchés. Il y a plein d’appels d’offre, donc des délais, donc « charrette »

jusqu’à minuit, nuits blanches, etc. Mais il n’y a pas eu de problèmes. Dans le service, on est trois femmes

Grazia Scarfo'Ghellab

256

et, contrairement à ce que l’on peut penser, les femmes sont très disponibles. C’est vrai que ça crée des

problèmes quand on a des enfants, mais il faut s’organiser. Moi, j’ai une petite fille et je suis à mon

neuvième mois de grossesse et pourtant je suis là, au travail. Je suis disponible e pour cela je n’ai jamais eu

de problèmes. De plus, il s’agit d’une filière d’une entreprise française et mon chef ne réfléchit pas de façon

sexiste. Il est vrai que nous, les femmes, devons prouver qu’on est toujours à la hauteur et que nous sommes

disponibles. Mais, je pense que mes collègues hommes ont eu la même carrière que moi. ».

Le parcours professionnel de ces deux interviewées, face à celui de deux autres femmes ingénieurs

travaillant dans le privé - nous les verrons tout de suite -, est objectivement lent et pas très brillant. Il est

encore plus lent et encore moins brillant si confronté à celui des collègues hommes : dans ce cas, comme

dans les cas précédents, nous voyons rentrer en jeu les trois variables déjà citées de « l’école

d’appartenance », celle de « l’origine sociale » et finalement celle du « genre ».

Les deux autres interviewées connaissent des carrières brillantes et plutôt rapides. Elles sont

d’origine sociale aisée et ont poursuivi ce que l’on peux appeler la voie idéale dans leur parcours scolaire :

mission française, école préparatoire en France et grande école d’ingénieurs française. L’une est directeur

marketing et l’autre est directeur du développement, toutes les deux dans deux grands groupes privés

marocains.

Certes, les postes de directeur marketing et de directeur du développement sont des postes de

responsabilité : a première vue, nous pouvons les classer sans trop de crainte parmi les postes qui

légitimement appartiennent à la sphère du pouvoir aux niveaux supérieurs des hiérarchies

organisationnelles. Toutefois, comme je disait dans les notes introductives, il faut se demander si ces postes

représentent actuellement dans le cadre organisationnel des entreprises marocaines des postes de pouvoir

véritable, c’est-à-dire des postes de pouvoir formel de décision.

Des études conduites en France sur le pouvoir organisationnel dans les entreprises montrent qu’il est

nécessaire de définir face à quelle entreprise nous nous trouvons, pour pouvoir aller au delà du simple

intitulé du poste et comprendre s’il s’agit d’un vrais poste de pouvoir. Cela veut dire qu’être cadre

supérieur ne signifie pas automatiquement avoir atteint l’état major de l’entreprise. Sous l’angle de cette

problématique, les deux postes de directeur du développement et de directeur marketing peuvent apparaître

sous une lumière différente.

Grazia Scarfo'Ghellab

257

Le directeur du développement exerce dans un grand groupe marocain qui appartient au secteur

minier : un secteur des plus traditionnellement masculins. Quatre ans après son intégration dans l’entreprise,

elle se voit proposer le poste de directeur d’une mine. Deux ans après elle directeur du développement au

siège : six ans pour atteindre ce poste. Sa carrière professionnelle est rapide, mais aussi inhabituelle. En

effet, dans ce type d’entreprise, véritable « monde d’hommes en majuscule » (Laufer, 2003, p. 53), les

femmes cadres réalisent d’habitude des parcours professionnels que nous pouvons considérer comme

complémentaires à ceux des leurs collègues hommes. Complémentaires et non pas semblables. Et puis, il

existe un nombre très restreint de femmes qui, très souvent aux dépens de leur vie familiale, arrivent à

accomplir des trajectoires semblables à celles des hommes. Non plus complémentaires, mais semblables. La

personne que j’ai interviewée est probablement l’une de ces rares femmes qui a accompli jusqu’à présent

une carrière semblable à celle des autres hommes de son entreprises et qui occupe un poste de pouvoir

véritable.

L’autre interviewée, après avoir passé 7 mois dans l’atelier maintenance d’un grand groupe minier

public, décide d’aller chercher ailleurs « parce qu’il y avait trop d’hommes qui me regardait d’une manière

bizarre. Les horaires étaient aussi très rigides : en sommes j’ai trouvé l’ambiance de la mine très dure ! ».

Recrutée en tant qu’ingénieur de production dans une grande multinationale, elle se rend compte

rapidement que c’est dans le secteur marketing qu’il faut être « parce que c’est là que ça se passe ! Et moi je

veux être où ça se passe, où c’est stratégique. ». Elle devient directeur marketing en huit ans.

Aujourd’hui elle occupe ce même poste de directeur marketing, dans un groupe qui ne peut pas

être qualifié « d’entreprise moderne » et dans laquelle le marketing n’est pas le secteur stratégique. Dans

ce cas, selon la lecture des carrières comme complémentaires ou semblables, ce poste est à considérer

comme complémentaire : le pouvoir formel de décision est ailleurs. En revanche, ce même poste, que

l’interviewée occupait il y a quelques années dans cette multinationale, qui peut être qualifiée à plus d’un

titre comme une « entreprise moderne » et dans laquelle la fonction marketing est absolument capitale,

peut être réputé véritablement comme un poste de pouvoir. En effet, dans ce dernier type d’entreprise, les

femmes cadres se positionnent « entre égalité et concurrence avec leurs congénères masculins. » (Laufer,

2003, p54).

L’absence d’une enquête quantitative nous met pour l’instant dans l’impossibilité de comprendre

Grazia Scarfo'Ghellab

258

quel est le degré de perméabilité des secteurs public, semi-public et privé au Maroc quant à une percée des

femmes dans le « plafond de verre ».

Les entretiens menés jusqu’à maintenant montrent plusieurs cas de figure, aussi bien dans le secteur

privé que dans les secteurs public et semi-public. Les trajectoires analysées semblent être tributaires

beaucoup plus des trois variables citées plus haut que non du fait que ces carrières se soient déployées dans

un secteur particulier.

Il peut être intéressant, alors, à ce stade du travail de recherche, de poser la question suivante : dans

d’autres pays que le Maroc, le secteur privé semble–t-il plus perméable que le secteur public à une percée

des femmes dans la sphère du pouvoir ?

« Si aux USA, comme en France, la part des femmes parmi les « managers » a sensiblement évolué,

(aux USA, entre les années 90 et les années 80, les femmes en position de management sont passées de 16%

à 44% environ et en France, la part des femmes parmi les cadres est passée de 20% en 1982 à 33% en

2000), dans ces deux pays, la part des femmes dans les équipes dirigeantes dans les cinq cent plus grandes

entreprises américaines ne dépassait pas 10,6 en 1996. En France, les femmes sont en moyenne 7% dans les

états majors des entreprises. » (Laufer, 2003, p. 48).

En France, plus particulièrement, entre 1987 et 2000 le taux de féminisation pour les postes de

directeur, DG et PDG est passé de « 7% à 12% parmi les 40-49 ans et de 4% à 19% parmi les 50-59 ans

[…] ». Catherine Marry explique que cette toute petite percée en haut de la hiérarchie est due, en partie, à

l’arrivée sur la scène de femmes normaliennes et polytechniciennes issues des grands corps de l’Etat.

« Mais, même pour cette élite, les promotions à des postes de direction de grandes unités sont plus rares. »

(C. Marry, 2004, p. 226).

Ces données, concernant les polytechniciennes françaises, ne laissent présager rien de positif pour

les femmes ingénieurs qui occupent des postes dans les entreprises privées marocaines. Toutefois, par

rapport aux femmes ingénieurs travaillant dans les secteurs public et semi-public au Maroc, deux

interviewées sur quatre, qui travaillent dans le secteur privé, occupent, ou elles ont occupé, des postes de

pouvoir. Est-ce suffisant pour poser l’hypothèse que dans le secteur privé les variables « école

d’appartenance » et « origine sociale » priment sur la variable « genre » ? Certainement pas. Mes données

sont absolument insuffisantes. Mais, il s’agit peut-être d’une piste à creuser.

Grazia Scarfo'Ghellab

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3. Le parcours professionnel des femmes ingénieurs : choix stratégique ou signe de

« domination masculine » ?

Comment les femmes ingénieurs interviewées ont-elles présenté leur « choix » professionnel ?

Nous avions déjà cité dans un autre article9 les différentes raisons invoquées par nos interviewées.

Pour le secteur public, le choix est fait surtout pour des raisons de stabilité, mais aussi parce que

certaines écoles, en contrepartie de l’octroi de bourses d’études aux étudiants, exigeaient un engagement de

leur part au moment de la sortie de l’école auprès du ministère de tutelle. Mais, une femme de notre

échantillon raconte que, dans sa famille de « nationalistes »10 et ayant respiré depuis l’enfance l’amour pour

le pays, aucun autre choix n’aurait pas pu être possible.

Celles qui travaillent dans le secteur privé citent les salaires comme une raison de leur permanence

dans ce secteur ainsi que l’intérêt du travail. D’autres ont été orientées vers le secteur privé par le réseau des

camarades de leur école d’ingénieurs. D’autres encore voudraient bien changer pour le secteur public, mais,

pour les postes visés, pensent avoir moins de légitimité qu’un homme.

Recherche de la stabilité ou de salaires plus intéressants, priorité à la famille, peut être aussi

acceptation de l’exclusion et auto exclusion : est-ce du pragmatisme ? Ou, en d’autres termes, seraient-ce de

bonnes raisons qui sont à la base de ces différentes trajectoires professionnelles ? Est-ce, en revanche, le

résultat de l’intériorisation de modèles éducatifs sexistes ? En sommes, s’agit-il de choix stratégiques ou

plutôt de comportements qui sont le fruit de « domination masculine » (P. Bourdieu, 1998) ? Ou encore, ces

trajectoires ne dépendraient-elles finalement que de la différence qui existe entre les qualités

comportementales féminines et celles masculines ?

Relativement à cette dernière lecture, Catherine Marry (C. Marry, 2004.) refuse une série de

recherches qui mettent l’accent sur les différences existant entre hommes et femmes dans l’univers du

travail quant au choix du parcours professionnel ou bien scolaire (sciences dures, techniques industrielles,

etc.) en les justifiant par des qualités et des compétences spécifiques à l’un ou à l’autre sexe. La sociologue,

9 G. Scarfo` Ghellab, 2004 bis, pp. 124-125. 10 L’interviewée se réfère au fait que son père et d’autres membres de sa famille ont combattu pour l’indépendance du Maroc contre le protectorat français.

Grazia Scarfo'Ghellab

260

s’inspirant des thèses de P. Bourdieu sur la domination masculine, pense qu’il faut lire ces parcours comme

le résultat des rapports antagoniques entre les sexes qui, même s’ils assignent le sexe féminin à une position

dominée et le sexe masculin à une position dominante, ils n’excluent pas de « stratégies de subversion des

femmes » (C. Marry, 2001, cité par Laufer, 2003, p. 51).

Les thèses de P. Bourdieu permettent d’inscrire les trajectoires professionnelles des femmes dans un

processus historique qui montre que d’une part, les femmes sont effectivement soumises à des modèles de

socialisations qui proposent des rôles familiaux bien spécifiques (elles intériorisent le fait de devoir devenir

mères et épouses, par exemple), d’autre part, elles sont confrontées, dans l’univers professionnel, à des

processus qui leurs assignent eux aussi des rôles spécifiques caractérisés par la soumission et la dépendance

vis-à-vis du sexe masculin. Donc, l’univers professionnel, tout en étant un lieu de pouvoir masculin, est en

même temps un lieu d’exclusion des femmes.

« Isabelle Alonso, chroniqueuse sur Europe 1 et auteur des livres " Et encore je me retiens " et " Les

hommes et les femmes sont égaux, surtout les hommes " (éd. Robert Laffont), était commerciale dans un

cabinet de conseil financier en 1983. Elle est l’exemple le plus célèbre de ces femmes cadres qui veulent

être reconnues à leur juste valeur. Avec humour, elle raconte : « Trois hommes ont eu une promotion et

moi rien, alors que je réalisais le meilleur chiffre d’affaires. Le directeur m’a dit clairement : une femme

peut être commerciale de base, mais encadrer des hommes, pas question ! ». » (S. Soria, 2005).

Le travail des femmes dans l’entreprise, dans l’administration et plus généralement dans les

organisations professionnelles, est à analyser conjointement à la place que les femmes occupent dans la

sphère familiale. Si, en revanche, les études se concentrent sur seulement l’un de ces lieux, la sphère

professionnelle ou bien la sphère familiale, le chercheur se prive des meilleurs angles de vue qui permettent

de rendre compte du rapport que les femmes développent vis-à-vis de la profession.

Cependant, la thèse de la domination masculine et des lieux qui existent pour la perpétrer, n’exclue

pas – comme Catherine Marry le souligne – « des stratégies de subversion des femmes ». Cela permet,

d’ailleurs, de comprendre comment il est possible d’assister à l’accomplissement de carrières

« improbables » (Ferrand M., Imbert F., Marry C., 1999.) ou comme les définies Leila Dinia Mouddani en

citant Lemire (L. Lemire, 1998) des « prouesses individuelles exceptionnelles » (L. Dinia Mouddani, 2004,

p. 237).

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M. Duru-Bellat (M. Duru-Bellat, 1990), par exemple, n’interprète pas les choix qui peuvent paraître

« typiquement féminin » (choix de stabilité pour pouvoir avoir des enfants…) comme le résultat de la

domination masculine. Si ces femmes font ces choix, ces derniers sont à interpréter plutôt comme le résultat

d’un calcul stratégique et d’un intérêt spécifique.

Conclusions

Dans cette communication nous trouvons, je pense, plus de questions, plus de pistes de recherche à

creuser, que de réponses et de résultats. Parmi ces pistes, deux me semblent particulièrement dignes

d’intérêt :

1) Comment la thèse de la femme-actrice stratégique se combine-t-elle avec celle de la

domination masculine permettant ainsi d’expliquer des trajectoires personnelles,

scolaires et professionnelles caractérisées par la complexité et la spécificité ?

2) Si « plafond de verre » il y a, comment réagissent-elles les femmes ? Il sera intéressant

de vérifier si au Maroc, comme en France par exemple (S. Soria, 2005), les femmes

cadres et les femmes ingénieurs, plus en particulier, confrontées au « plafond de verre »,

essayent de le briser en créant leur entreprise ou en changeant systématiquement de

poste.

Il serait souhaitable que les enquêtes aillent aussi dans ce sens.

Grazia Scarfo'Ghellab

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Bibliographie

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Grazia Scarfo'Ghellab

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Grazia Scarfo'Ghellab

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Session 4

Session 4

Enjeux et perspectives du travail en milieu rural

• Présidente : Grazia Scarfo’Ghellab Ecole Hassania des travaux publics / Maroc

• Le travail rural féminin en milieu steppique algérien

Yamina Bakria, Rekia Brahimi, Nacira Gharbi, Yamina Medouni-Kaci (Centre universitaire “Ziane Achour” Djelfa, Institut d’agro-pastoralisme / Algérie) et Hassina Zemmiri, Nadija Boulahchiche (Institut national de recherche agronomique / Algérie)

• La place des femmes dans les coopératives d’arganier : quelles perspectives d’accès à un revenu stable ? Aurélie Damamme (membre associé ird Institut de recherche pour le développement / France)

• Femmes et microfinance : une nouvelle voie de développement dans les pays du Maghreb ? Fabrizio Botti, Marcella Corsi , Tommaso Rondinella et Giulia Zacchia (Université de Rome la Sapienza / Italie)

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CENTRE UNIVERSITAIRE DE DJELFA. INSTITUT D’AGRO PASTORALISME. ALGERIE. PARTICIPATION AU COLLOQUE INTERNATIONAL MARCHE DU TRAVAIL ET GENRE DANS LES PAYS DU MAGHREB COMMUNICATION ORALE

LE TRAVAIL RURAL FEMININ EN MILIEU STEPPIQUE ALGERIEN Mme Medouni-kaci yamina, Medouni-kaci Yamina*, Boulahchiche Nadjia**, Brahimi Rekia*, Zemmiri Hassina*, Gharbi nacira, Bakria Yamina*. *Centre Universitaire de Djelfa.Institut d’agro pastoralisme. BP 3117. Djelfa.Algérie. ** Institut National de la Recherche Agronomique. BP 200 Alger. Algérie.

MARS 2006

Yamina Medouni-Kaci, Nadjia Boulahchiche, Rekia Brahimi, Hassina Zemmiri, Nacira Gharbi, Yamina Bakria

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PLAN DE TRAVAIL 1/ INTRODUCTION ET PROBLEMATIQUE 2/ METHODOLOGIE 3/ PRESENTATION DE LA ZONE D’ETUDE 4/ RESULTATS ET DISCUSSION 5/ CONCLUSION REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1/ INTRODUCTION ET PROBLEMATIQUE En Algérie, le potentiel féminin est important, les femmes représentent plus de 52 % de la population totale. Les conditions de vie sont très difficiles pour cette partie de la population. Malgré une égalité entre les femmes et les hommes au niveau de la constitution, plusieurs paramètres se conjuguent soit dans la vie quotidienne soit au niveau du code de la famille pour confiner les femmes dans un statut d’éternelle mineure. L’exemple des statistiques concernant le travail des femmes est édifiant dans ce sens. En effet, selon l’office national des statistiques seulement 11 % des femmes sont actives. Notons qu’il y a eu une évolution par rapport à l’année 1977 et 1987 où le taux des femmes actives était respectivement de 5,91 % et 8,82 % .(Guerid Dj, 1995) D’autres statistiques viennent démontrer l’invisibilité des activités féminines en milieu rural, telles que «1 % seulement des femmes dans la profession« agriculteur et assimilés » et affirme l’exercice d’activité d’uniquement 3 % de ces femmes en milieu rural.»(Ceneap., 1999) Il faut savoir aussi qu’« En Algérie, l’emploi rural est très peu connu et les données se rapportant spécifiquement au secteur agricole où traditionnellement les femmes sont très actives sont peu fiables. D’ailleurs l’Algérie, est parmi les Etats où les femmes travaillant dans l’agriculture ne sont pas inclues et souvent invisibles dans les statistiques de la population économique active. » (Saâdi., N, 1991) Mais actuellement, avec la nouvelle approche du Bureau International du Travail, l’Office National des Statistiques enregistre 18,4 % de femmes qui sont actives. Cette nouvelle approche prend en considération les activités dites marginales. (Badaoui O.S. 1996) Il est vrai que le taux de femmes actives a connu une évolution avec cette nouvelle appréhension de l’outil statistique mais cela reste encore faible vu ce que nous constatons sur le terrain. En effet, des enquêtes en milieu rural steppique nous ont permis de voir qu’il y a encore une forte partie de la population féminine très active et contribuant fortement aux ressources du ménage en réalisant des travaux d’élevage, agricoles et d’artisanat et qui sont absentes des statistiques car ces femmes rurales confectionnent des produits, participent et réalisent des travaux sans les mettre sur le marché pour les vendre. Dans quelles catégorie sont elles classées? Comment doit-on comptabilisées leurs activités ?

Yamina Medouni-Kaci, Nadjia Boulahchiche, Rekia Brahimi, Hassina Zemmiri, Nacira Gharbi, Yamina Bakria

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Ces femmes sont-elles éternellement classées improductives du fait que leur travail n’a pas la forme de revenu ? Dans ce travail, nous essayerons de rendre visibles des travaux effectués par les femmes rurales au sein des exploitations agro pastorales. 2/ METHODOLOGIE Ce travail est extrait d’une étude réalisée au niveau de six communes rurales appartenant à la wilaya de Djelfa et Laghouat situées en steppe centrale algérienne. Les enquêtes ont concerné les femmes et les hommes de 42 exploitations agro pastorales. Mais notre intérêt s’est porté plutôt vers les femmes rurales afin de connaître leurs différentes activités. L’étude est une synthèse de quelques travaux que nous avons réalisé entre les années 2000 et 2004(carte 1) Les enquêtes réalisées sont soient des entretiens individuelles ou de groupe. L’outil de travail était un questionnaire avec des questions fermées et précises et un guide d’entretien utilisé lors des enquêtes informelles et contenant les grandes idées à débattre avec les individus enquêtés. Plusieurs sorties sur terrain et plusieurs passages ont été nécessaires auprès des exploitations agro pastorales.

Carte. 1 Steppe Algérienne

Région Tellienne

Région steppique

Région substeppique

Région présaharienne

Région saharienne

Zones d’études

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3/ PRESENTATION DE LA ZONE D’ETUDE Les communes rurales où nous avons travaillé sont situées dans la wilaya de Djelfa, et de Laghouat considérées comme étant parmi les principales régions de la steppe et où l’élevage ovin et la céréaliculture pluviale sont les principales activités agricoles de la zone. Le cheptel ovin est d’environ 35000000 têtes, plus de 300.000 têtes de caprins et 20000 bovins. Ce cheptel évolue sur plus de 2500000 ha de parcours, soit plus de 70 % de la superficie totale des deux wilaya. (HCDS., 2000) Récemment, il y a eu l’introduction d’une agriculture irriguée, telle que l’arboriculture: grenadier, abricotier, pommier et poirier, olivier. Le maraîchage comme pomme de terre, tomate, carotte et navet. Les populations totales sont de 327 634 personnes et 860 981 personnes respectivement pour la wilaya de Laghouat et de Djelfa.(O.N.S,1998) 4/ RESULTATS ET DISCUSSION Les exploitations où s’est déroulée l’enquête sont situées en zone éparse, loin des chefs lieu et des agglomérations. Elles appartiennent à une classe d’éleveurs moyens, avec environ 200 têtes ovines, 50 caprins et une SAU d’environ 15 ha. Les exploitations sont plus ou moins équipées : il y a le tracteur avec charrue à soc ou disques, la charrette ou camionnette pour le transport et les citernes d’eau. Les habitations des éleveurs sont soient en dur ou des tentes (kheima). Celle-ci est utilisée pour les déplacements. 4.1/ Répartition des activités entre les hommes et les femmes Notre enquête a révélé qu’il y a une division du travail entre les hommes et les femmes des exploitations agro pastorales. (Tab 1) Les femmes rurales sont très actives. Travaillent jusqu’à 16 heures par jour. Le travail des hommes se situe exclusivement en dehors de l’habitation : sur les parcours pour la tonte, gardiennage des animaux, labours et récolte des céréales et au souk du village pour la vente/achat d’animaux, etc. Par contre, le travail des femmes se trouve être à :

• L’intérieur de l’habitation : soit les travaux ménagers qui sont bien connus, entretien des enfants, ranger la maison (couvertures, matelas utilisés le soir), préparation du déjeuner et dîner en réalisant la galette, torréfaction du café, rouler le couscous, laver la vaisselle,etc.

• L’extérieur de l’habitation : s’occuper du petit élevage, alimenter les animaux et les abreuver, désherber, planter, etc.

Le tableau ci-dessus montre que les femmes rurales participent à toutes les activités agro pastorales: ce sont toutes les femmes de l’exploitation qui sont associées aux activités, les petites filles, jeunes filles, les épouses ainsi que les grands-mères.

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Tableau 1 : Le travail des femmes et des hommes dans le système agro pastorale: Saisons

ACTIVITES Sexe

Hiver Printemps Eté Automne

H ++++ Labour F H ++++ Tonte

F H ++++ Moisson, récolte F ++ H Traite F ++ ++++ +++ ++

H Transformation du lait

F +++ ++++ H Petit élevage

F +++ +++ H ++++ ++ +++ ++++ Gros élevage

(adultes, jeunes animaux)

F +++ ++

H : homme F : femme ++++ Travail très important ; +++ Travail important ; ++ Travail peu important. Le tableau 2 nous montre aussi, l’emploi du temps quotidien de quelques femmes appartenant à une exploitation agro pastorale où le ménage élargi (ménage comprenant l’éleveur, l’épouse ainsi que les belles filles, et petits fils).Notons que les femmes se lèvent à 5 h du matin jusqu’à environ 10 h du soir. Tableau n 2 : Les tâches quotidiennes des femmes au printemps Tâches Femmes

TM TA TE TAR TOTAL

Epouse 2 h 8 h 3 h 3 h 16 h Belle fille 1 10 h 1 h 1 h 2 h 13 h Belle fille 2 10 h 1 h 1 h 2 h 13 h Belle fille 3 10 h 1 h 1 h 2 h 13 h Fille 1 h 5 h 1 h 3 h 10 h TM : travaux ménagers TA : travaux agricoles TE : travaux d’élevage TAR : travaux artisanaux H : heure.

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4.2/ Les travaux d’élevage Les travaux d’élevage sont les plus importants surtout en année pluvieuse car les pâturages sont bons et une bonne alimentation des animaux entraîne toujours une traite importante des femelles, une tonte d’animaux importante et par conséquent des travaux de tissage importants aussi. 4.2.1/ Traite des femelles Le matin avant le départ du cheptel au pâturage, la femme trait les vaches. Pour réaliser cette opération, elle attache les vaches avec une corde appelée « R’begue », ramène les veaux pour la tétée juste pour quelques minutes, ceci lui facilite la traite. Ces jeunes veaux sont séparés de leurs mères. Concernant les brebis laitières, la jeune femme regroupe ces dernières et les attache à une corde tête à tête en deux rangées, ceci est appelé localement « Nedresse laghnem » et les traits pendant une demi heure. Cette durée concerne 2 brebis seulement. Elle refait l’opération de la traite après le coucher du soleil. Ensuite, elle mélange le contenu du lait collecté lors des deux traites (matin et soir) en les mettant dans la chekoua(l’outre en peau de caprin), le barattage du lait se fera le lendemain. Si la journée est très chaude, le lait collecté le matin sera battu le soir. Juste après la traite, il y a le barattage du lait afin d’obtenir le d’han, j’ben et beurre. La conservation de d’han se fait dans des bidons en plastique pour les jours difficiles ; La jeune femme s’occupe des animaux en gestation, les abrite du grand froid de l’hiver et leur assure nourriture et abreuvement. La jeune femme s’occupe des agneaux nouveaux nés, qui sont séparés des brebis mères afin que ces dernières soient traites pour leur lait ; Durant les premiers jours de la traite, la jeune femme fait des plats de fêtes tel que le R’fisse. Vers la mi-saison printanière, le chef de ménage, s’occupe de la tonte des animaux avec ses fils. 4.2.2/ Les déplacements Les enquêtes ont montré, que lors de cette activité les travaux de la femme ne se limitent pas aussi aux travaux ménagers, c’est elle la première qui s’occupe du montage de la tonte. Juste arrivés sur les lieux du déplacement, l’éleveur aidé des garçons emmène le cheptel pâturer, la femme monte la tonte en l’étirant d’abord, ensuite Implante les mâts(r’kiza) sur les côtés de la tente pour la surélever, installe ensuite perches (aâmed) et piquets (outeds) pour l’installation finale de la tente d’habitation, recouvre le sol d’alfa ou d’autre plante pastorale et range les ustensiles de cuisine et autre. 4.3/ Les travaux agricoles Il y a aussi toute une série de travaux agricoles qui commence en automne Labour : en général, c’est l’affaire des hommes surtout que cette opération est mécanisée, mais dans d’autres cas rencontrés sur le terrain, les femmes prenant en charges toutes seules des exploitations, celles-ci labourent toutes seules en utilisant la traction animale ; 4.3.1/ Semis Ce dernier se fait à la volée, ce sont les hommes qui le font. Mais pour les femmes seules, ce sont elles mêmes qui s’occupent de cette activité. 4.3.2/ Désherbage Ce sont les femmes qui s’occupent du désherbage manuel des parcelles cultivées en maraîchage, l’opération dure environ deux heures pour un champ de un hectare; 4.3.3/ Fertilisation Ce sont en général les hommes qui s’occupent de ce travail, mais dans certains cas où la femme est veuve ou le mari est très vieux ou handicapé c’est la femme qui s’occupera du désherbage et répand le fumier sur la parcelle agricole aidée par ses enfants.

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4.3.4/ Plantation Elles s’occupent aussi de la plantation des arbres fruitiers quand les femmes sont seules; 4.3.5/ Récolte Elles s’occupent de la récolte des cultures maraîchères telles que la pomme de terre, elles le font manuellement, certaines femmes font encore la récolte des céréales manuellement grâce à la faucille aidées par les enfants ; 4.3.6/ Irrigation Celle-ci se fait grâce à des puits équipés en motopompe, mais pour celles qui ne possèdent que des puits traditionnels, c’est la femme qui s’occupe de l’exhaure de l’eau ; Il y a la transformation des produits agricoles : orge en frik et blé dur en mermez, cela se fait traditionnellement grâce à une meule ; Les femmes s’occupent du vannage du blé : elles séparent petites graines des grandes ; 4.3.7/ Commercialisation Une partie des produits agricoles est commercialisée, il y a les céréales, les produits maraîchers, les produits arboricoles, les sous produits animaux comme le dhan, la laine. La vente est l’affaire des hommes que ce soit directement au souk du village ou sur pied est généralement l’affaire des hommes. Nous avons rencontré quelques cas plutôt rares où c’est la femme qui réalisent cette transaction ; la vente sur pied. 4.4/ L’Artisanat Ce dernier concerne surtout le tissage à la main Tissage. Aussi, la tonte des animaux se traduit, par toute une chaîne de travaux que réalise la femme. Une partie des toisons sera vendue et l’autre partie sera gardée par la femme, pour le tissage du F’lige (tissu de la tente d’habitat), ainsi que tapis et kachabia( sorte de manteau réalisé à base de laine d’ovins) pour les autres membres du ménage. Le tissage, se traduit par toute une chaîne de travaux réalisée par la femme, comme le lavage des toisons de laine, séchage, peignage, cardage et filage. Les jeunes filles réalisent aussi la broderie, la couture, etc. 4.5/ Les travaux ménagers En plus des travaux agro pastoraux, il y a les activités exclusivement ménagères. Les jeunes garçons aident le père ou assurent tout seuls le gardiennage des animaux. Les petites filles assurent la corvée de l’eau, ramassage de l’ouguide (bouse de vache séchée), du bois aussi pour le feu, l’entretien des enfants en bas âge, entretien de l’habitat, etc. Les travaux de cuisine : torréfaction et préparation du café, déjeuner et dîner, galette incombent aux jeunes femmes. CONCLUSION Au sein des exploitations agro pastorales, les femmes rurales ont une place socio économique importante, elles participent selon leur âge à tous les stades de la production agro pastorale en tant que force de travail au même titre que l’homme. Il y a l’entretien du ménage qui incombe exclusivement aux femmes rurales : entretien des enfants, préparer à manger, s’occuper du petit élevage. Les exploitations enquêtées sont de type familiale et la main d’œuvre utilisée est en général familiale, ce sont tous les membres de l’exploitation qui participent aux travaux. Lors des enquêtes sur terrain, la majorité des femmes rencontrées sont des femmes au foyer Qui sont très actives au sein des exploitations agro pastorales, mais le travail de ces femmes est invisible sur les statistiques nationales, cette catégorie sociale s’approche peut être des aides familiaux (kelkoul, 1994) mais le travail qu’elles réalisent tout au long de la journée et

Yamina Medouni-Kaci, Nadjia Boulahchiche, Rekia Brahimi, Hassina Zemmiri, Nacira Gharbi, Yamina Bakria

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tout au long de l’année n’est ni un passe temps, ni une situation provisoire et ne reçoit pas de l’argent de poche ! Comment ces femmes doivent-elles être classées dans les statistiques nationales ? Nous avons rencontré aussi des femmes veuves, divorcées ou dont le mari est soit vieux soit handicapé qui prennent en charge elles mêmes et toutes seules des travaux sensées être réalisés par les hommes, gardiennage des animaux sur les parcours, vente des produits sur pieds, labours des terres par la traction animale, etc. REFERENCES 1/ Badaoui-Ouzzir.S 1999, L’emploi féminin en Algérie : d’une lente progression à une précarisation accélérée. In Les Algériennes, citoyennes en devenir, Edition CMM Oran 2/ Centre d’Etude et Analyse 2/ Guerid.Dj. 1994, Femmes, travail et société : La société a toujours le dernier mot. Actes de l’atelier «Femmes et développement» Alger,18-21 octobre. Edition CRASC 1995 3/ Haut Commissariat au Développement de la Steppe. 2000. développement des parcours steppiques. Rapport annuel. 4/ Kelkoul. 1994, Femmes et secteur informel. In Femmes et développement. Oran. CRASG, 1995.334 p. Actes de l’atelier « Femmes et développement » Alger, 18-21 octobre 5/ Office National des Statistiques, 1998Résultats préliminaires du 4éme RGPH. 5/ Saadi. N : 1991, La femme et la loi en Algérie. Ed le fennec. Casablanca.169p

Yamina Medouni-Kaci, Nadjia Boulahchiche, Rekia Brahimi, Hassina Zemmiri, Nacira Gharbi, Yamina Bakria

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La place des femmes dans les coopératives d’arganier : quelles perspectives d’accès à un revenu stable ?

Aurélie DAMAMME

Centre de Sociologie des Représentations et Savoirs Politiques- Université Paris VII

Les coopératives féminines se sont multipliées à la faveur de l’importance prise par les interventions de développement à partir du milieu des années 1990. Elles sont en effet devenues un cadre d’action retenu par certaines organisations du développement pour une mise en commun du travail, des outils de production et des tâches de commercialisation lors de la mise en place d’activités proposées aux femmes, telles que la broderie, la confection de tapis, l’élevage de poulets. Le développement actuel des coopératives de femmes au Maroc crée ainsi des attentes pour les personnes impliquées. Dans la mesure où ces organisations sont souvent initiées par des bailleurs de fonds, ces derniers sont également désireux de prouver l’efficacité de cette forme d’action.

Se pose alors la question suivante : quelles sont les opportunités réelles en termes économiques et sociaux que les coopératives procurent aux femmes ?

Après avoir resitué les coopératives féminines dans le contexte plus général des coopératives au Maroc, nous nous intéresserons particulièrement aux coopératives d’arganier. C’est à partir de l’exemple de deux coopératives qui fournissent des revenus stables aux femmes que nous poserons la question de leurs effets sur les femmes.

1. La situation des coopératives féminines au Maroc : les enjeux spécifiques de l'autonomisation

Les coopératives de femmes au Maroc posent des problèmes qui sont communs

au phénomène coopératif dans son ensemble. Ainsi, elles sont confrontées à des difficultés de gestion, dues à la faible signification que prend le terme coopérative dans le paysage économique marocain1. La majorité des coopératives féminines doivent faire face à des problèmes de financement, de manière plus flagrante que dans les coopératives masculines ou mixtes. Le niveau des capitaux libérés par les adhérentes pour la création est faible : le capital moyen au moment de la constitution est de 3000 dirhams, soit 300 euros. A ce problème s'ajoutent ceux de l'approvisionnement et de la commercialisation. La question de l'encadrement est également problématique,

1 Il semblerait néanmoins que récemment, la forme coopérative serve de cadre d'organisation à des femmes commerçantes à Casablanca, attestant de la nouvelle vitalité de cette entité.

Aurélie Damamme

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renvoyant plus généralement aux enjeux de la gestion et de l'administration de la coopérative.

D'après l'enquête menée en 1997 sur les coopératives féminines à l'échelle nationale, elles réalisaient un chiffre d'affaires de deux millions de dirhams (environ deux cent mille euros), soit une moyenne de 19600 dirhams par coopérative (ODCO/GTZ/Oxfam Québec, 2000). Ce montant est faible, rapporté au chiffre d'affaires réalisé par 685 coopératives (hors coopératives d'habitat) dont les données étaient disponibles, à savoir 4,88 milliards de dirhams, soit une moyenne de 5,8 millions de dirhams par coopérative2.

Sur les 102 coopératives féminines recensées en 1997, c'était le tissage qui occupait le premier rang de leurs activités, avec 56,5 %. A la dernière évaluation en 1999, les coopératives féminines étaient au nombre de 164, l'artisanat restant le premier secteur d'activité (ODCO/GTZ/Oxfam Québec, 2000).

Néanmoins, il existe de grandes variations régionales. En 2004, d'après les statistiques de l'Office de développement de la coopération (ODCO), dans la région du Souss-Massa-Drâa, ce sont les coopératives agricoles qui arrivent en tête, avec plus de 82 % des coopératives et 67 % des adhérentes. Dans cette branche d'activités, les coopératives d'arganier sont majoritaires. Elles représentent en effet plus de 60 % des coopératives agricoles.

Ce dynamisme des coopératives d'arganier peut s'expliquer par le faible niveau de capital requis pour créer une coopérative dans ce domaine. Les coopératives d'arganier ne totalisent en effet que 24 % du capital de l'ensemble des coopératives féminines de la région. A l'exception des coopératives semi-mécanisées qui demandent des investissements lourds en matériel, les coopératives artisanales peuvent être créées sans mobiliser un grand capital3.

Les différents intervenants du développement en contact avec les coopératives

féminines mettent l'accent sur les problèmes spécifiques que pose cette organisation dans un contexte de fort taux d'analphabétisme des femmes d'une part et d'absence d'habitude de travail en commun d'autre part.

La coopérative de tapis de Salé, qui reçut pendant plusieurs années le soutien de l'ONG ENDA illustre ces difficultés d'autonomisation de structure impulsée de l'extérieur.

Le désengagement de l'ONG rend difficile l'obtention par les actuelles responsables de la coopérative de nouveaux réseaux, encore fortement limités à ceux forgés par l'ONG.

Malgré le discours mythique faisant état de réunions spontanées des femmes pour gérer ensemble une activité, force est de constater, d'après nos observations, que toutes les coopératives initiées l'ont été sur la base d'une impulsion extérieure. Il peut s'agir de bailleurs de fonds internationaux - comme c’est le cas des coopératives d'arganier dans le cadre du projet de préservation de l'arganeraie - ou d'initiatives de Marocains

2 C'est le secteur agricole qui contribue aux trois quarts ou plus du chiffre d'affaire enregistré, dans lequel

prédominent des coopératives et unions dans les domaines du lait et des agrumes. Cependant, cette situation prospère des coopératives agricoles ne doit pas être lue avec les mêmes indicateurs que pour les coopératives des autres secteurs d'activité, car les salariés n'y sont pas les principaux coopérateurs.

3 Nous décrivons dans le second point les outils de production dans les coopératives artisanales et semi-mécanisées.

Aurélie Damamme

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ayant compris l'intérêt de la coopérative comme forme d'organisation de l'activité économique pertinente pour donner vie à un projet caritatif, comme c’est le cas de la coopérative de broderie initiée par la membre de l’association villageoise Al Hadaf ou encore des coopératives d'arganier créées par la professeure de chimie Zoubida Charrouf .

Une fois déterminées les attributions de chacun dans la coopérative, nous

constatons que certains aspects peuvent faire l'objet de discorde en son sein, principalement entre le conseil d'administration et la direction d'une part et les porteurs de parts ou coopérateurs d'autre part. L'affectation des excédents de l'exercice en constitue un, dans la mesure où les coopérateurs, composés majoritairement des salariés de la coopérative, peuvent exiger une partie des excédents, dès lors que les autres affectations prévues par la loi sont assurées.

La volontaire d'Oxfam Québec qui contribua à la mise en route de la coopérative

d'huile d'arganier à Mesti explique comment, après une année d'exercice, il fallut décider collectivement de la manière d'affecter les excédents dégagés durant l'année. Celle-ci défendit, avec les membres du bureau, le principe de leur réinvestissement dans la coopérative, afin d'assurer un fonds de roulement nécessaire à l'achat de la matière première. L'objectif était de permettre une sécurisation de l'entreprise encore fragile. Un groupe de membres de la coopérative proposa d'utiliser ces excédents pour augmenter les salaires des concasseuses. Cette divergence de points de vue causa de profondes divisions au sein de la coopérative. Après tout un travail de remobilisation des autres membres de la coopérative par la volontaire québécoise, cette dernière parvint à imposer sa décision.

Cet exemple est une illustration de la marge de manœuvre qui est laissée théoriquement aux membres de la coopérative.

Il apparaît cependant que, dans de nombreux cas, la gestion de la coopérative revienne en priorité à une équipe dirigeante qui négocie peu. En effet, même si de nombreuses femmes se réjouissent de la constitution d'un lieu de regroupement féminin, cela ne débouche pas nécessairement sur la prise en charge des tâches qu'imposent la gestion de la coopérative.

L’office de développement de la coopération (ODCO) a néanmoins cette mission

de formation des membres aux principes de la coopérative. Hormis la direction centrale basée à Rabat, il dispose de neuf délégations régionales4 chargées d'assurer l'interface entre l’organisation qui initie la coopérative et les personnes qui sont désignées comme membres.

Après avoir évoqué quelques traits communs aux coopératives féminines au Maroc, nous analysons le cas des coopératives d’arganier, objet d’une grande attention de la part des acteurs du développement intervenant au Maroc. Les coopératives d'arganier constituent un cas particulier d'activité, dans la mesure où la réussite de quelques unes a créé un réel engouement pour ce secteur.

4 Les délégations régionales sont à Fès, Meknès, Oujda, Tanger, Agadir, Laayoune, Marrakech, Al

Hoceima et Guelmim.

Aurélie Damamme

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2. La situation des coopératives d’arganier L’arganier (Argania spinosa, de la famille des Sapotacées) est un arbre

endémique du Sud-ouest du Maroc.

- Le phénomène des coopératives d’arganier A l’initiative de l’agence de coopération technique allemande, la fabrication de l’huile d’argan, huile à usage cosmétique ou alimentaire, a donné lieu à la création de coopératives à partir des années 1990. Jusqu’à cette période, hormis une entreprise commerciale, l’extraction des noix de l’arganier était réalisée par quelques femmes des villages qui ne commercialisaient l’huile que sur le marché local. L’huile d’argan était principalement connue et consommée dans la région de production (cf. carte ci-dessous). Depuis, de nombreuses coopératives se sont créées, certaines gardant un mode de fabrication principalement manuel, d’autres utilisant des machines pour le pressage des amendons. La distribution de l’huile s’est étendue, cette diffusion étant portée en grande partie par les agents commerciaux financés par les organisations de développement.

Les coopératives d'arganier sont présentes principalement dans deux régions administratives, la région du Souss-Massa Drâa et celle de Marrakech Tensift El Haouz. En février 2004, le nombre de coopératives d'arganier dans la région du Souss-Massa-Drâa s'élevait à 27. Ces coopératives représentaient 64 % des coopératives de femmes dans la branche agricole, cette dernière concentrant par ailleurs le plus grand nombre de coopératives au niveau régional (plus de 82 % des coopératives féminines). Elles comptent 1098 adhérentes et réunissent un capital de 94 800 dirhams (soit environ 9400 euros), ce qui représente un faible capital par rapport aux autres coopératives.

Dans la région de Marrakech Tensift El Haouz, quatre coopératives d'arganier sont enregistrées, représentant plus d'un quart des coopératives de la branche agricole -branche la plus créatrice de coopératives dans la région, dépassant de peu l'artisanat. Elles réunissent 139 adhérents, soit plus de 47 % de la branche, ce qui constitue une preuve de la capacité d'absorption de ces coopératives en termes de main-d'œuvre associée au projet. Leur capital cumulé s'élève à 20 300 dirhams (soit environ 2030 euros) 5.

La production de l’huile d’argan fait l’objet d’un intérêt particulièrement fort actuellement de la part de multiples organisations du développement. Exemple significatif, l'Union européenne contribue à hauteur de 6 millions d'euros, l'Agence de développement social de 4,2 millions d'euros à un vaste projet de réorganisation de la filière de l’arganier. Cet engouement pour l'arganier se traduit par la multiplication de projets de créations de nouvelles coopératives d'arganier. Beaucoup d'associations situées dans la zone envisagent ainsi cette activité comme la

5 Ces chiffres nous ont été communiqués par le service statistique de l'ODCO en février 2004.

Aurélie Damamme

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nouvelle voie possible pour les projets économiques des femmes : prenons l'exemple de l'association Oasis verte, basée à Guelmim, qui a créé des coopératives d'arganier en 2004. L'Association féminine des services sociaux et de la préservation de l'arganier a créé en 2001 à Tafraoute une coopérative qui comporte également une activité d'extraction d'huile d'argan, en plus de l'apiculture et de l'élevage caprin. Le Groupement d'intérêt économique Targanine projette de créer des coopératives de collecte des noix d'arganier dans les villages entourant la commune de Tioute, où a d'ores et déjà été créée une coopérative d'extraction de l'huile d'arganier en 2002.

L'engouement des bailleurs de fonds comporte néanmoins des limites : en effet, les projets de soutien des coopératives féminines sont limités dans le temps, au même titre que tous les projets de développement. Or, quand certaines aides s'arrêtent, les problèmes du relais et de l'autonomisation des structures se posent : en effet, certains salaires ne peuvent être pris en charge, tels, par exemple pour la coopérative de Mesti, celui de la volontaire d'Oxfam Québec chargée de l'aide à la commercialisation. Un des paramètres importants de l'appréhension des projets de développement réside ainsi dans cette durée limitée des aides. Le problème de l'autonomisation des structures, déjà présent à travers le rapport des coopératives à l'Etat marocain dans les années 1970, se pose dans des termes similaires avec les intervenants du développement : la question de la transmission des savoirs et des compétences reste posée, dès lors que certaines activités ont été prises en charge par des coopérants étrangers amenés à partir à la fin de leur mission. Cette passation fut prévue par l'ONG Oxfam Québec : la volontaire qui avait réalisé le réseau commercial de la coopérative Tafyoucht se chargea de former la directrice de la coopérative. Cependant, lors du départ de cette dernière, la question du relais fut à nouveau posée. - Les deux modèles de coopératives d'arganier

D’après nos enquêtes, il existe deux principaux modèles de coopératives

d'arganier. Le premier modèle est celui de la coopérative artisanale. Dans ce cadre, les

femmes membres de la coopérative accomplissent individuellement toutes les tâches nécessaires à l'extraction de l'huile. Dans les faits, la réalisation des différentes étapes peut être réalisée avec l'aide d'autres femmes de la famille mais c'est la femme membre de la coopérative qui est chargée de livrer la dite quantité d'huile et est rémunérée pour ce travail.

L’engagement des membres de la coopérative consiste à fournir la quantité d'huile demandée par la responsable de la coopérative ou de l'union, dans le cas de l'UFCA.

Chaque femme membre livre en effet l'huile dans des bidons à la coopérative locale. Ce sont généralement les membres du bureau qui se chargent du contrôle de sa qualité ainsi que de sa commercialisation. Elles peuvent aussi la déléguer à une union des coopératives, comme c'est le cas avec l'Union des coopératives de femmes d’arganier (UCFA)6.

6 En février 2002, l'UCFA avait 373 adhérentes.

Aurélie Damamme

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Les femmes se procurent les noix d'arganier soit dans les arbres présents sur les terrains familiaux, soit en en faisant la collecte dans la forêt.

Une fois les noix d'arganier collectées, les différentes étapes de l'extraction de l'huile d'argan sont les suivantes :

- L'action de retirer l'écorce des noix, traduite de manière impropre par

"dépulpage". Elle est réalisée manuellement. - Le cassage, qui consiste à extraire l'amandon à l'aide d'une pierre - La torréfaction des amandons à feu doux - L'écrasement des amandes, pour en extraire l'huile, réalisé au moyen d'une

grande meule en pierre

Le temps de travail pour un litre d'huile est estimé à 11 heures7. Les femmes sont payées au litre d'huile d'argan fourni.

Par exemple, les productrices qui sont membres de l'Union des coopératives de femmes de l'arganeraie (UCFA) reçoivent 85 dirhams (soit environ 8 euros 50) par litre d'huile d'arganier. 15 dirhams (soit 1, 5 euros) sont versés à la banque pour alimenter les fonds de la coopérative dont la femme est membre et 20 dirhams (soit 2 euros) sont versés à l'UCFA (Santos, 2001). Cette dernière se charge en effet de l'embouteillage et de la stérilisation, qui sont réalisés selon des procédés mécanisés. Ces procédures sont nécessaires dès lors que le produit est destiné aux marchés national et international. La différence de prix avec l'huile vendue localement, accessible à 50 ou 60 dirhams (environ 5 à 6 euros) sur les souks ou par les réseaux interpersonnels est justifiée par la meilleure conservation que permettent le filtrage et la stérilisation. De plus, la pureté de l'huile est garantie aux clients, alors que l'huile vendue sur le souk peut avoir été mélangée avec d'autres huiles.

Les coopératives fonctionnent selon un principe de sélection de leurs membres. L'exemple de l'UCFA révèle l'existence de conditions d'entrée dans la coopérative. La directrice de l'UCFA nous livrait, lors d'un entretien en mai 2002, plusieurs des critères à réunir pour devenir adhérente de la coopérative.

Pour être adhérente de la coopérative, il faut être résidente du village où est

installée la coopérative, il faut également « exercer », c'est-à-dire avoir déjà fabriqué de l'huile d'argan, accepter le règlement interne de la coopérative et enfin, être en possession de matière première. Cela nécessite soit que les femmes appartiennent à des familles qui ont leur propre terrain sur lesquels trouver l'arganier, soit qu'elles aillent à la cueillette dans les forêts. Ce n'est qu'après avoir rempli toutes les conditions que la membre potentielle dépose sa demande à la présidente de la coopérative, qui doit ensuite attendre la tenue d'une assemblée générale pour soumettre la demande et accepter une nouvelle venue.

A notre question relative au profil des membres de la coopérative, la directrice de

l'UCFA nous explique que, si actuellement toutes les catégories d'âge et de statut sont présentes, elle incite à la participation des jeunes femmes : selon elle, ce sont ces

7 Cette évaluation nous a été communiquée de manière informelle.

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jeunes filles qui sont porteuses d'un nouveau "souffle", qui possèdent une maîtrise minimale de l'écriture et de la lecture, qui rend l'activité plus "facile". En effet, à la différence du second modèle de coopérative dans lequel la gestion pratique est déléguée en grande partie à la direction, les femmes des coopératives de l'UCFA sont amenées à gérer localement leur activité : la direction n'est pas censée intervenir directement dans le quotidien de l'activité, ce qui nécessite des ajustements entre les femmes pour se répartir la commande d'huile d'argan ainsi que pour assurer l'approvisionnement des bidons d'huile des villages à Agadir.

Le second modèle de coopérative, la coopérative semi-mécanisée, consiste à

mécaniser les différentes étapes de la production d'huile d'arganier, à l'exception du ramassage et du concassage. La coopérative comprend alors deux types de membres :

- les femmes qui sont chargées du cassage des noix. Elles ont également comme tâche préalable de placer les fruits dans la machine à "dépulpage", afin de libérer les noix de leurs écorces. Elles s'emploient ensuite à en extraire les amandes à l'aide d'une pierre.

Leur salaire mensuel est calculé sur la base de la quantité d'amandes fournie par chacune, le travail de dépulpage effectué sur des grandes quantités de fruits étant réalisé à tour de rôle par les femmes. Selon les coopératives, le montant de la rémunération du kilogramme d'amandes concassées varie. C'est sur ce montant généralement que portent les discussions lors des assemblées générales, les femmes souhaitant augmenter ce tarif.

- les techniciennes qui supervisent les opérations mécaniques : elles se chargent

de la torréfaction, réalisée dans des machines spécifiques, qui n'est alors pratiquée que pour l'huile à usage alimentaire. Elles procèdent ensuite au pressage à l'aide d'une machine adaptée. Une étape de décantation est ensuite introduite, avant la filtration qui est également réalisée mécaniquement et permet d'améliorer le rendement. Ensuite interviennent la mise en bouteille et l'étiquetage. Les techniciennes peuvent être en plus chargées de la vente directe. A la différence des casseuses de noix de la coopérative qui sont payées à la tâche, celles-ci reçoivent un salaire journalier ou mensuel fixe. Elles sont tenues responsables de la bonne fabrication de l'huile, et sont amenées à effectuer des heures supplémentaires pour honorer les commandes dans les temps impartis.

- Composition des coopératives d’arganier semi-mécanisées et rémunération des membres

Les femmes au concassage constituent la majorité des membres de la coopérative, les techniciennes étant généralement en petit nombre. Par exemple, à la coopérative d'arganier de Tioute, on dénombrait, en janvier 2004, sur 30 membres de la coopérative, 26 casseuses de noix et quatre techniciennes. Cette surreprésentation des femmes chargées du cassage des noix s'explique par le temps nécessaire à cette étape,

Aurélie Damamme

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qui constitue, selon des évaluations qui nous ont été communiquées, plus de 60 % du temps de travail nécessaire pour produire un litre d'huile d'argan.

En fonction de l'ancienneté de la coopérative et de son parcours, le nombre de membres varie. La coopérative Amal de Tamanar constitue celle qui a connu l'essor le plus rapide depuis sa création légale en mars 1996 et son démarrage réel en 1999. Elle connaît une telle fréquentation touristique qu'elle a même employé deux jeunes femmes chargées de présenter la coopérative aux visiteurs et de s'occuper de la vente, tâches assurées par les techniciennes dans la coopérative de Tioute.

Cet essor de la coopérative de Tamanar se répercute ensuite sur les salaires des membres, plus élevés que ceux versés par la jeune coopérative Taïtmatine8 de Tioute, créée en décembre 2002. Sachant que les femmes les plus efficaces peuvent produire de 1 à 1,5 kilogrammes d'amandes par jour, nous présentons les différences de rémunération entre les deux coopératives objet de notre étude de cas. Evaluation des rémunérations des différentes catégories d'employées des deux coopératives étudiées9 : Nom de la coopérative

Montant du salaire des casseuses de noix

Montant du salaire des techniciennes

Montant du salaire de la directrice

Coopérative Amal de Tamanar

35 DH/kilogramme, soit des revenus

mensuels variant entre 400 et 1000 DH (entre

environ 40 et 100 euros)

35 DH/jour (environ 3, 5 euros)

1700 DH/mois (environ 170 euros)

Coopérative Taïtmatine de Tioute

25 DH/kilogramme, soit des revenus

mensuels variant entre400 et 900 DH

(entre environ 40 et 90 euros)

500 DH/mois (environ 50 euros)

1500 DH/mois (environ 150 euros)

3. Les effets économiques et sociaux bénéfiques du travail dans les coopératives d’arganier semi-mécanisées.

Sur la base des entretiens réalisés avec les femmes, nous constatons une relative satisfaction des membres de la coopérative car ce travail, même s’il est pénible (en particulier le cassage des noix) permet une meilleure insertion sociale des femmes. Sachant que le salaire journalier d'une ouvrière agricole est estimé à environ 25 dirhams par jour, la coopérative Amal offre des rémunérations plus élevées que ce standard de rémunération en milieu rural, dont la valeur est inférieure au montant du

8 Le nom de la coopérative signifie "les sœurs" en tachalhit. 9 Cette évaluation a été établie sur la base des déclarations des femmes et a fait l’objet de recoupements

avec les registres tenus par la direction de la coopérative.

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SMIG marocain10, peu pris en compte dans les rémunérations des ouvrières à la campagne. La coopérative de Tioute, récemment créée, offre ainsi des tarifs à peu près équivalents à ceux d'une journée d'ouvrière agricole, tout en proposant un travail qui est perçu par les femmes comme plus décent. D’autres avantages sont évoqués par les femmes qui sont chargées du concassage lors des entretiens réalisées avec elles. - La souplesse d'organisation permet une meilleure gestion des contraintes

Les femmes de la coopérative de Tamanar chargées du concassage apprécient la

souplesse du travail qui, malgré la dureté de la tâche, permet une gestion plus aisée de leur "triple rôle". Cela facilite la gestion des contraintes telles que la préparation des repas pour les enfants et personnes à charge, les soins aux malades, etc. Les femmes de la coopérative d'arganier apprécient ainsi de pouvoir s'absenter durant une journée sans être renvoyées.

Ce sont les caractéristiques du "temps féminin", pour reprendre la terminologie de Jeanne Bisilliat, qui sont ici mieux prises en compte. En effet, comme l'auteure le souligne, au regard de nombreuses études qui en attestent, le temps des femmes est un "temps morcelé, éparpillé par les contraintes multiples relevant de l'ordre de la reproduction comme de la production auxquelles les femmes doivent faire face". Ce "modèle souple, à temps court, qui fonctionne sur une programmation par grappes de nécessités ponctuelles et d'aléas plus ou moins prévisibles" se combine à un temps long, fondé sur la répétition, la gestation et la projection dans l'avenir de leurs enfants (Bisilliat, 2002, p. 121).

Cette spécificité du temps féminin mériterait-il qu'on lui fasse correspondre un type d'organisation ? Jeanne Bisilliat pose la question, cette différence d'attribution du temps selon les sexes n'étant pas prise en compte dans les coopératives mixtes, qui se sont souvent constituées en Afrique autour des pôles de commercialisation de produits agricoles à destination de l'exportation, et reposent sur d'autres systèmes productifs, fonctionnant avec d'autres logiques temporelles.

Cette spécificité du temps féminin est prise en compte dans les coopératives

d'arganier. Elle est principalement évoquée par les casseuses de noix, qui sont à Tamanar des mères de famille ayant souvent également d'autres parents à charge. Ainsi, plusieurs des femmes soulignent l’avantage que constitue le fait de ne pas être obligées de venir chaque jour à la coopérative, à la différence du travail à l’usine ou chez un employeur particulier.

10 Avant sa réévaluation en janvier 2004 de plus de 10 %, le salaire minimum interprofessionnel garanti

(SMIG) était fixé à 8, 78 dirhams par heure, soit une journée de travail de 8 heures rémunérée à environ 70 dirhams (Catusse, 2005).

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- La coopérative comme lieu de regroupement féminin privilégié Nous posons comme hypothèse que la coopérative est un lieu de regroupement

féminin qui peut donner une identité nouvelle aux femmes. Tout d'abord, le travail à la coopérative est associé pour plusieurs des femmes à une meilleure image du travail féminin. C'est particulièrement le cas pour une des femmes casseuse de noix à la coopérative d'arganier de Tamanar. Celle-ci était auparavant domestique et fait part de son plaisir d’avoir changé de statut social : elle n'était en effet pas respectée en tant que servante. Fatima Mernissi explique ainsi que les deux termes les plus courants en arabe pour désigner l'employée domestique sont mt'allma et khaddama, qui ont une connotation péjorative. L'auteure suggère que l'absence de mots plus "neutres" dans le vocabulaire s'expliquerait par le fait que ce travail est considéré comme dégradant, aussi bien par l'employeur que par l'employée. Elle souligne ainsi que la fonction de domestique correspond au statut social le plus méprisé : les femmes des couches pauvres ayant le choix entre le travail de domestique et celui d'ouvrière s'orientent plutôt vers ce dernier, même quand les conditions de travail sont plus difficiles et la rémunération moindre (Mernissi, 1991, p. 256) 11. Dans le cas sus-cité, le travail à la coopérative est également difficile mais comme le souligne l'interrogée, la préférence est vite établie.

De la même manière, à la différence d'autres travaux de ménage et cuisine effectués dans des lieux publics, le travail à la coopérative est considéré comme plus respectable. Une des femmes chargées du cassage des noix qui a travaillé par le passé dans un restaurant considère qu'à la différence du restaurant, ici, "c'est un travail pour les femmes" 12.

Ces lieux de groupement sont également l’occasion de créer de nouvelles formes

de solidarité entre les femmes, ce qui se produit à la coopérative de Tamanar où les femmes mettent de l’argent en commun pour aider une collègue malade, participer aux frais d'une cérémonie concernant l'une des membres (mariage des enfants, décès d'un proche).

L'échange entre les femmes est ici facilité par la non mixité. En effet, la majorité

des femmes membres des coopératives accordent un intérêt particulier à leur composition exclusivement féminine.

En suivant l'étude effectuée par Isabelle Drainville sur trois coopératives d'huile d'arganier mécanisées du Sud marocain, dont la coopérative Amal de Tamanar, nous constatons les mêmes tendances que dans nos enquêtes : la mixité constitue un problème essentiellement pour les femmes mariées et célibataires (2001). En effet, la majorité des femmes interrogées se félicitent de cette non mixité qui leur permet à la fois d'obtenir l'accord de leurs familles pour travailler et de se sentir personnellement plus à l'aise.

11 Ce même statut dégradant de la domestique est constaté par Annie Vézina dans ses enquêtes en République dominicaine, expliquant ainsi comment les femmes misent alors sur un emploi dans un atelier en zone franche, aux conditions très difficiles mais rémunératrices sur le court terme et plus valorisées (2002). 12 Entretien avec A., coopérative Amal, Tamanar, 22 janvier 2004.

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A la coopérative de Tamanar, quelques-unes des femmes interrogées déclarent qu'elles travailleraient à la coopérative même si celle-ci était mixte, tant il leur était indispensable d'accéder à un revenu. Cependant, comme le précise Isabelle Drainville, ces femmes ont pour spécificité d'être divorcées ou veuves et ont souvent côtoyé des hommes dans des lieux publics13 (2001, p. 84).

La seconde catégorie constituée des femmes déclarant qu'elles auraient été prêtes à venir travailler aux côtés des hommes constitue une minorité : de plus, elles considèrent que cette situation n'aurait pas été dénuée d'inconvénients. Elles mentionnent ainsi une ambiance qui aurait été différente.

Certaines femmes pensent enfin que la coopérative aurait échoué si elle avait été mixte, en raison de la présence de femmes mariées. Cette difficulté semble s'étendre au delà des seules femmes mariées, comme le déclare l'ancienne présidente de la coopérative de Tamanar: "Chez les villageois, aucun frère, aucun père et aucun mari ne tolère que sa sœur, sa fille ou sa femme travaillent à proximité des hommes"14. Il aurait dès lors fallu constituer une coopérative composée uniquement de femmes veuves et divorcées, comme cela a pu être le cas dans une coopérative de fromage créée avec l'association ENDA. Cependant, la mixité sociale rendue possible par la coexistence de femmes ayant différents statuts maritaux évite la stigmatisation et la marginalisation qui sont plus courantes dans des petits centres urbains.

Nous constatons dans nos enquêtes que le statut marital joue un rôle crucial jusqu'à un certain âge : en effet, dès lors que les femmes sont âgées, le fait qu'elles soient mariées, veuves ou divorcées, ne tient plus la même place dans les restrictions liées à leur sexe15. Une des membres de la coopérative confirme dans son discours cette différence liée à l'âge, qui oblitère en quelque sorte le statut matrimonial.

"Traditionnellement, on ne travaille pas, les femmes avec les hommes. Pour moi, il n'y aurait pas de problèmes parce que je suis vieille mais pour les femmes qui sont mariées, il y aurait des problèmes parce que leurs maris ne veulent pas les laisser travailler s'il y a des hommes" 16.

Dans le discours de la vieille femme, les termes en opposition sont d'une part vieille et de l'autre mariée, ce qui ne relève pas à première vue du même registre. Cependant, l'accès à la vieillesse libère les femmes de certaines contraintes liées à leur statut matrimonial, elles deviennent asexuées et peuvent atteindre le statut de "troisième sexe social", formule empruntée à Saladin D'Anglure (1986).

L'engagement dans une coopérative donne des avantages qui demandent

généralement une participation plus importante de la part de ses membres que dans une entreprise. En effet, à la différence de l'entreprise qui n'associe les salariés que pour la production des biens et services, l'orientation de la coopérative est censée être

13 Le fait d'être veuve ou divorcée rend en effet certaines activités possibles, car le mari n'est plus là pour assurer certaines tâches (par exemple les courses sur le marché). 14 Entrevue avec Khadija, Coopérative Amal, Tamanar, 04 oct. 2000, in DRAINVILLE I. 2001, La contribution du modèle coopératif au développement axé sur le genre : le cas des coopératives féminines d'extraction et de commercialisation d'huile d'arganier au Maroc, mémoire de maîtrise, Université de Sherbrooke, p. 85. 15 Les femmes ne sont plus en âge d'enfanter : le problème du contrôle de la fécondité, au cœur du système d'appropriation des femmes, ne se pose plus (voir GUILLAUMIN C., 1992. Sexe, races et pratiques du pouvoir : l'idée de nature, Editions Côté-femmes, Paris, 232 p.et TABET P., 2004, op.cit.) 16 Entrevue avec Rykia, Coopérative Amal, Tamanar, 05 oct. 2000, in DRAINVILLE I., 2001. op.cit. ,p. 85.

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le résultat des décisions du conseil d'administration, lui-même désigné par les sociétaires. Or, à la différence des entreprises où le nombre de parts détenues détermine le nombre de voix, les coopératives sont soumises à la règle d'une voix par membre, - selon la formule "un homme, une voix"- , qui rend ainsi théoriquement les sociétaires égales en termes de pouvoir d'expression. Cependant, ce mode de gestion pose concrètement des problèmes d'organisation au sein des coopératives féminines, dont la majorité est composée de femmes analphabètes qui n'ont été formées à la logique coopérative que durant de courtes sessions de sensibilisation assurées par l'Office de Développement et de la Coopération (ODCO).

4. Les limites de la forme coopérative : reconduction d'inégalités de classe et nouvelles hiérarchies sociales

Le fonctionnement de la coopérative repose sur une participation des membres qui n'est pas toujours assumée par elles. Dans la coopérative d’huile d’argan, par exemple, les femmes chargées du cassage des noix effectuent un travail très fatiguant et perçoivent leur présence aux réunions du conseil d’administration des coopératives comme un travail supplémentaire, non rémunéré. T., casseuse de noix à la coopérative Amal de Tamanar, évoque en effet la somme de travail qu'elle avait lorsqu'elle était trésorière : "la trésorerie, c'est gratuit. Il faut faire son kilogramme pour l'argent et faire également le travail de la trésorerie" 17.

La présidente-directrice actuelle de la coopérative Amal explique aussi comment, dans le passé, la présidente du conseil d'administration, à l'initiative des réunions du conseil et des assemblées générales, ne convoquait que trop peu régulièrement les différentes instances, afin de ne pas avoir de travail supplémentaire. De même, L., travaillant au concassage, membre de la coopérative depuis le début, répond ainsi à notre question sur sa participation éventuelle au bureau : "non, je n'aimerais pas. Le concassage, c'est mieux pour moi."

Cette auto-exclusion procède d'une part d'un complexe d'infériorité, et d'autre part s'explique par le temps que ces activités prennent.

Cela renvoie largement à la question du statut du bénévolat dans les associations et les coopératives pour les femmes ayant de lourdes contraintes, et de ce fait aux formes d'exclusion de la participation citoyenne qui ne sont pas de l'ordre juridique mais pratique. Dans le discours de T., l'opposition qu'elle relève entre le travail "gratuit" de la trésorerie et la nécessité de "faire son kilogramme pour l'argent" est significative des limites de la demande de participation bénévole dans un contexte où le temps est associé à la recherche d'une amélioration de revenus, ici encore plus perceptible du fait de la rémunération à la tâche.

Ce constat renvoie, en plus du contexte socio-économique faisant peser de lourdes tâches aux femmes, aux divisions de classe qui traversent l'ensemble féminin.

La division entre des comportements qui seraient intéressés et d'autres purement altruistes est une construction analytique, ainsi que le démontre Isabelle Guérin (2003). Pour aborder la question de la participation à des débats et réunions tels que les

17 Entrevue avec T., Coopérative Amal, Tamanar, 23 janvier 2004.

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assemblées générales des coopératives, il faut également considérer le fait que les femmes et les populations pauvres sont peu habituées à ce type de discussions.

Il n'est ainsi pas anodin que dans les coopératives d'arganier de Tamanar et de Tioute18, les membres du bureau soient des techniciennes de la coopérative : elles ont généralement un niveau scolaire plus élevé et bénéficient d'un salaire fixe calculé sur une base journalière ou mensuelle et qui n'est pas directement lié à la quantité de matières produites. La coopérative de Tamanar n'a pas toujours procédé de cette manière pour la composition du conseil d'administration, ayant compté parmi ses membres des femmes chargées du cassage de noix. Cependant, compte tenu des difficultés du suivi de l'activité administrative, les membres de l'assemblée générale ont préféré choisir leurs représentantes parmi les techniciennes et les personnes chargées de la gestion. La coopérative Amal de Tamanar a ainsi pour spécificité d'avoir comme présidente la directrice de la coopérative, ce qui renforce le pouvoir de cette personne, notamment dans le cadre des négociations avec le Groupement d'intérêt économique Targanine.

La prédominance des femmes dans les différences actions liées aux coopératives

d'arganier n'empêche pas l'existence de relations de pouvoir entre les femmes. En effet, les hommes et les femmes, tout en étant situés dans des rapports de pouvoir les uns envers les autres, sont également marqués par des rapports de classes et de "races".

Les relations de pouvoir entre les femmes dans la filière de l'arganier prennent une acuité particulièrement forte avec la valeur actuelle - certes relative mais plus élevée que de nombreux autres produits locaux - de l'huile d'argan sur le marché national et international. La réussite relative du projet arganier a créé des convoitises, et est confrontée à la volonté de certaines personnes19 parties prenantes dans les projets de coopérative de garder le contrôle sur l’activité.

Au contraire, lorsque les coopératives sont représentées par des présidentes ne bénéficiant pas réellement de pouvoir d'infléchissement sur les actions menées, des dysfonctionnements peuvent exister dès lors que l'équipe de gestion est défaillante. Cela s'est produit dans le cas de l'Union des coopératives des femmes de l'arganier (UCFA). Les fonctions de direction et de commercialisation y sont assurées par des salariées dont la nomination a certes été approuvée par les présidentes des coopératives membres, mais sans que ces dernières puissent réellement imposer leur choix, dans la mesure où l'UCFA est un projet qui a été soutenu par la coopération allemande, qui a elle-même procédé au recrutement de la directrice. En cas de difficulté de gestion, les présidentes des coopératives ne se trouvent donc pas en mesure de revendiquer de changements dans les modes de gestion de l'UCFA.

Ce décrochage entre l'activité de gestion et la représentation officielle déléguée aux membres des coopératives illustre les difficultés générales vécues par le mouvement coopératif au Maroc. Cette tendance est encore plus marquée au sein des coopératives féminines, où les exigences de gestion et de comptabilité ne sont généralement pas maîtrisées par les femmes des projets. Cet écart a tendance à renforcer les rapports de pouvoir entre la personne en charge de ces questions et les

18 Nous avions constaté également la même situation à la coopérative Tafyoucht de Mesti lors de nos enquêtes en mai 2002. 19 Nous préférons garder l’anonymat quant à ces personnes.

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travailleuses. Ainsi, les coopératives ne permettent pas en elles-mêmes de contrecarrer les rapports de pouvoir inhérents à toute organisation sociale. Le fait de calquer un modèle d'organisation issu de projets sociaux européens et nord-américains peut aussi renforcer cette situation, la prise en compte des relations de pouvoir qui accompagnent ces nouveaux cadres d'organisation faisant encore moins l'objet de débats que dans les mouvements coopératifs des pays du Nord. Nous faisons ainsi l'hypothèse que cette importation de modèles, avec des principes et des mécanismes de régulation censés favoriser un fonctionnement plus démocratique que celui de l'entreprise capitaliste, est souvent considérée comme une garantie en soi de la diminution des rapports de pouvoir entre les membres. Cette situation a tendance à produire ainsi des formes de concentration du pouvoir entre les mains des gestionnaires, situation généralement acceptée par la majorité des membres. Conclusion Les coopératives ne parviennent généralement pas à assurer un revenu égal au montant du SMIG marocain. Même celles qui ont une certaine ancienneté et autonomie de fonctionnement ne fournissent pas des revenus atteignant le SMIG. Cependant, compte tenu de la situation générale où la majorité des Marocains ne le perçoivent pas non plus20, les réflexions sur les emplois mal rémunérés sont à relativiser. Nombreuses sont les membres des coopératives à constater une augmentation de leurs revenus comparativement à leurs activités antérieures. De plus, une certaine souplesse dans la gestion de leur présence dans la coopérative ainsi que la non mixité des coopératives sont présentées par plusieurs des membres comme des avantages supplémentaires des conditions de travail. Cependant, se pose le problème de la gestion des relations de pouvoir au sein des coopératives et de l’accès différentiel aux prises de décisions dans la coopérative. Compte tenu du fait que les coopératives sont des structures d’économie sociale, censées respecter des règles particulières de gestion des décisions, la question des formes de participation des femmes chargées du concassage se pose. Elle doit être articulée avec les contraintes particulières de temps auxquelles les femmes sont également confrontées.

20 Il est très difficile de connaître les revenus réellement perçus, compte tenu notamment de la part importante du travail informel.

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L’arganier dans le Sud-Ouest du Maroc et ses coopératives d’huile d’argan :

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Bibliographie BISILLIAT J., 2002. La participation des femmes aux coopératives mixtes : temps et idéologie, pp. 121-124, in BISILLIAT J.,VERSCHUUR C., (dir.), 2001. Genre et économie : un premier éclairage, Cahiers genre et développement n° 2, L'Harmattan, Paris-Genève, 482 p. CATUSSE M., 2005. Les réinventions du social dans le Maroc « ajusté », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, n° 105-106, pp. 221-246. DRAINVILLE I. 2001, La contribution du modèle coopératif au développement axé sur le genre : le cas des coopératives féminines d'extraction et de commercialisation d'huile d'arganier au Maroc, mémoire de maîtrise, Université de Sherbrooke, p. 85. GUERIN I., 2003. Femmes et économie solidaire, La Découverte, Paris, 234 p. GUILLAUMIN C., 1992. Sexe, races et pratiques du pouvoir : l'idée de nature, Editions Côté-femmes, Paris, 232 p. ODCO, OXFAM QUEBEC, GTZ, 2000. Atelier national sur les coopératives de femmes. Résultats des Travaux, Editions Okad, Rabat, 71 p. MERNISSI F., 1991. Le monde n'est pas un harem. Paroles de femmes du Maroc, Albin Michel, Paris, 264 p. SANTOS M., 2001. Les coopératives féminines productrices de l'huile d'argane. Les prémices de l'économie solidaire dans le sud ouest marocain, Mémoire de maîtrise, Université de Toulouse Le Mirail, 85 p. TABET P., 2004. La grande arnaque. Sexualité des femmes et échange économico-sexuel, L'Harmattan, Paris, 207 p.

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Women and Microfinance: A New Path for Development in Mediterranean Countries?

Femmes et microfinance: Une nouvelle voie de développement dans les pays du Maghreb?

Fabrizio Botti, Marcella Corsi*, Tommaso Rondinella and Giulia Zacchia

Preliminary draft

Aim of the study Since the beginning of the nineties women's microfinance programmes have been one of the principal means of poverty alleviation used by the international community of donors, mainly because of the financial self-sustainability of Microfinance Institutions (MFIs). According to the so called "win-win proposition" the MFIs should combine the social goals, such as poverty alleviation and women empowerment, with a complete operating and financial self-sufficiency thanks to the recourse to international financial markets and to the independence from the international development agencies. Both financial self-sustainability of microfinance programmes and the growing empirical evidence about the high return on loans of the female participants have induced international development agencies to support the access of women in the microfinance programmes in order to generate a virtuous circle of increasing family income and encourage the improvement of social and economic conditions of the whole community. Nevertheless, the impact analysis of microfinance intervention on women has shown controversial results, even in the same MFI. Some studies have confirmed the economic and social empowerment that microfinance programmes have on female participants, whereas other analyses have found out that women's participation has strengthened the patriarchal behaviours1.

(*) Corresponding author, Dipartimento di Scienze Economiche, Università di Roma “La Sapienza”, Via Cesalpino 12, 00161 Roma (Italy) (email: [email protected]) 1 Kabeer, N. (2001), “Conflicts over Credit. Re-evaluating the Empowerment Potential of Loans to Woman in Bangladesh”, World development, 29(1), pp. 63-84.

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Some concerns have been recently risen about the microfinance programmes impact on the economic and social inequalities suffered by women due to the pressure that the international donors have to do to turn the microcredit programmes sustainable2. The consequence of this pressure is a minimalist approach and the exclusion of the non-financial components from the programmes, such as healthcare, sanitarian and educational literacy, which are considered essential for the participation of poorest people, particularly for women. This trend also confirms the existence of a trade off between social and financial goals3. The aim of this study is to analyse the social and economic impact of microfinance programmes on participants’ lives, particularly on women in some of the Maghreb countries (Morocco and Tunisia), using Egypt as a benchmark, by firstly analysing the income variations that occurred and, then, by investigating the impact on women empowerment through the creation of an index on the changes of women’s conditions. Research results The picture that emerges from the questionnaire helps in identifying individual microfinance programmes characteristics, from the point of view of labour market, credit and saving and of the changes microfinance can provoke.

Our questionnaire is divided into five parts:

• General data

• Credit

• Savings

• House and food

• Women empowerment

Except for the first part - which is aimed to give a general picture of family structure and characteristics - the other parts look to changes occurred since the interviewee entered the programme. Interviews have been done with the help of specific MFIs which answered to our call for expression of interest. The choice of women to interview was random and largely dependent on the needs of local MFIs. As a whole, we have interviewed about 4282 women, between April and July 2005, in Maghreb we have been able to reach 71 women (see table 1). 2 Murdoch, J. (2002), “Microfinance without trade-offs”, Third International Conference on Finance for Growth and Poverty Reduction, University of Manchester. 3 Murdoch, J. (2000), “Microfinance Promise”, Journal of Economic Literature, 37, pp. 1569-1614.

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Table 1: MFIs involved in the study, by country

Country MFI N° Interviews

Egypt Al Tadamun 734 DBACD 1953 PAP 274 Total 2961 Maghreb Total 71 Morocco Al Amana 34

FONDEP 7 Total 41

Tunisia FTSS 30

Graf. 1: Research database

Tunisia 1% FTSS 1%

Morocco 1,4% Al Amana 1,1%FONDEP 0,3%

Egypt 98%PAP 9%

Al Tadamun 24,2DBACD 64,4%

Maghreb 2,4%

General data The large majority of interviewees are married, aged on average between 35 and 45 years old, with low literacy rate especially in Egypt and Morocco (see Tab.2). While we don’t see important differences according to the average number of yeas of school attended, slight differences can be noticed in the average household dimension; in fact, while in Egypt and Tunisia families are composed by less than 5 people, in Morocco households count around 6 members.

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Table 2: General Data Interviewees

Country Average Age % literates Average n. years of school attended

Household dimension

Egypt 38 50% 9,6 4,5

Maghreb 42 61,05% 8,3 5,3 Morocco 41 48,8% 8,45 5,9 Tunisia 44 73,3% 8,2 4,7

In terms of gender average income differences, data presents an heterogeneous picture: in Morocco the negative income difference is larger both in absolute and percentage terms (see Tab.3). In Egypt women gain much higher income than their husbands. Nevertheless only 41,6% of women in Egypt actually earn more than their husbands This figure is anyway much larger than in Maghreb where only 27,8% of women declare an higher income than their husbands.

Table 3: Gender average income differences ($ PPP4)

Country Difference (%)

% women earning more

than men Egypt 12.75 41,6%Maghreb -18,07 27,8%

Morocco -26 25,0%Tunisia -7.6 31,2%

By field of activity, most women declare to be employed in trade and service sector. Respectively 70,9% and 94,4% in Egypt and Maghreb. By kind of activity self-employment is nearly the only feature we observed in Maghreb and it represented the main one in Egypt (see Tab.4).

Table 4: Kind and Field of work interviewees

Kind of work Field of work Country

Sala

ried

Self-

empl

oyed

Une

mpl

oyed

Hou

sew

ife

Agr

icul

ture

Indu

stry

Tra

de a

nd

serv

ices

Egypt 3,7% 61,6% 25,5% 8,3% 19,8% 3,3% 70,9%

4 PPP conversion factors in US dollars are given for the end of the year 2002. Sources: World Bank (2004), World Development Indicators; IMF(2004), World Economic Outlook, only for Bosnia.

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Maghreb 5,6% 94,4% 5,6% 94,4%

Morocco 2,4% 97,6% 9,8% 90,2%

Tunisia 10% 90% 100%

In most of the cases, an important majority of interviewees declared their income increased since they entered the programme. In all countries income increased for more than 70% of MFI’s clients.

Looking at the differences of average per capita income (PPP adjusted) among countries, it is possible to have a perception of the different targets microfinance institutions have. For a better understanding of the targeted clients, we estimated a perceived poverty line by asking interviewees which is the minimum income necessary to sustain a family.

Table 5: Poverty Indexes5

Country H Poverty diffusion

I Poverty gap

Egypt 17.8 .45 Maghreb 15.5 .45

Morocco 14.6 .41 Tunisia 16.7 .51

Looking at the percentage of households living under the poverty threshold, no significant differences seem to exist among countries. This is true also for what concerns the intensity of poverty, that is the poverty gap, showing the average distance of poor household income from the poverty line.

5 The poverty diffusion index (H) represents the percentage of interviewees with a monthly per capita

income lower than the minimum they declared to be necessary to sustain a family.

The poverty gap ratio (I) refers to the difference between poor people incomes and the poverty line,

adding these differences and dividing by the maximum that it can assume. That is: ∑= qzigI )(

Where: g(i) = z – y(i) is the difference between the poverty line and the income of the i-th poor; q is the

number of poor; z is the poverty line.

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Women empowerment In considering the impact of microcredit programmes in terms of women empowerment, we have taken into consideration seven different dimensions of women social and civic life:

• Chances to go out • Role within the reference community • Participation to the social and civil life • Ability in doing purchases • Participation to decisions concerning investment • Bargaining power • Capacity to reconcile work with family life

Table 6: Different dimensions of women empowerment (balances, %)6

Country

A

B

C

D

E

F

G

TOTAL

Egypt 56 48 48 66 55 50 43 52.13Maghreb 85 28 41 75 75 63 42 58

Morocco 83 27 22 71 63 51 5 45.99Tunisia 87 30 67 80 90 79 93 75.16

A: Chances to go out B: Role within the reference community C: Participation to the social and civil life D: Ability in doing purchases E: Participation to decisions concerning investment F: Bargaining power G: Capacity to reconcile work with family life As regards to mobility, that is the possibility of going to the market, to relatives’ home or in general to go out of house, this is considered an advantage especially inTunisia. This indicator is actually meant to investigate the freedom that women have in going out of the house. Credit seems to have a much higher impact in Maghreb than in Egypt. Much less seems to be the impact on the perception women have of their role within the community: this did not change that much in Morocco and in Tunisia. But big differences exist between Morocco and Tunisia with regard to the participation to the social and civil life on which credit had an important impact in Tunisia but a much smaller one in Morocco. 6 All variables are quantified by the balance: f(nt, t)= 1 n1t + 0 n2t -1 n3t, where n1t = decreased, n2t = stayed the same, n3t = increased. The balance has proved to be a very reliable method for converting qualitative information into quantitative form. For details, see European Commission (1991), “The System of Business Surveys in the European Community”, European Economy - Suppl. B, special ed., July.

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An even greater difference exist with respect to the capacity to reconcile work with family life on which credit had an almost unconditioned impact in Tunisia while we observed nearly no positive impact in Morocco. On all the other aspects considered the difference is not that big, but there’s always a larger impact in Tunisia. In fact, looking at the balances the score reached by Tunisia (75) is much higher than the one of Egypt and Morocco. In order to be able to give a total evaluation of the empowerment provoked by the microcredit programme we have built some indexes which consider the results of the seven indicators. We have assigned a score of -2 when the answer was “decreased a lot”, -1 when it was “decreased”, 0 in case of “stayed the same”, 1 in case of “increased” and 2 in case of “increased a lot”. Thus, we have got an index of empowerment by summing the scores obtained in the seven aspects analysed. It varies between -14 and +14.

Table 7: Index of women empowerment

COUNTRY NO. OF CASES INDEX Egypt 2959 3,26Maghreb 71 5,08

Morocco 41 3,63Tunisia 30 7,07

Actually, none of the interviewees in Tunisia declared an overall negative empowerment, whilst more an 9 percent of the sample in Egypt has shown a negative empowerment.

Table 8: positive or negative impact.

Empowerment, percentage Country

Negative Null Positive Egypt 9,5 8,9 81,6 Maghreb 2,8 4,2 93

Morocco 4,9 4,9 90,2 Tunisia 0 3,3 96,7

Future steps: which variables have an impact on women empowerment?

Holding the six dimension of women empowerment that we have considered above we try to identify which variables could have an impact on the perception of the women empowerment after entering in a microcredit program. We find out that there are three main characteristics that seems to have a role in the definition of women empowerment: gender income difference, household dimension and kind and field of work. In the latter case it has been possible to operate a comparison among the different kind of workers in the different economic sectors only for Egypt because the scarcity of data and the presence of almost only self-employed in

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the trade and services sector in the Maghreb area didn’t allow us to draw relevant conclusions. But we hope to collect more interviews and data in the Maghreb area in order to extend our analysis to these countries. Let’s analyse the single variables.

Table 9: Gender income difference and different dimensions of women empowerment (balances, %)

A B C D E F G Women earning more than men 57,5 48,3 47,9 75,4 51 46,1 36,9

Egy

pt

Women earning less than men 45,1 40,5 41,9 75,4 55,2 55,8 48,3 Women earning more than men 84,6 30,8 53,8 73,1 88,5 72 61,5

Mag

hreb

G

ende

r in

com

e di

ffer

ence

Women earning less than men 90 40 50 90 90 60 60

A: Chances to go out B: Role within the reference community C: Participation to the social and civil life D: Ability in doing purchases E: Participation to decisions concerning investment F: Bargaining power G: Capacity to reconcile work with family life

Analysing the percentage of women that earn more than their husbands and those who earn less that declared to have had a positive impact of microcredit in terms of empowerment there are consistent differences among the different areas.

The only thing that seems to be true for both the areas is that gender income differences slightly affect women participation to decision concerning investments (E). Instead the gender income difference have a strong effect on the bargaining power (F) but in a different way in each area: in Egypt poorest women have a stronger positive impact in terms of bargaining power while in Maghreb is true the opposite.

The income difference between men and women in the family impacts most women chances of going out (A) and the ability to reconcile work with family life (G) in Egypt. In the fist case richer women have a clear perception of improvements in this direction, while in Maghreb this is true for poorer women while poorest women in Egypt seem to suffer more the problem of conciliation of family and working life.

In Maghreb the dimension of empowerment that seems to be more affected by gender income differences is the ability of doing purchases (D) specially for poorer women.

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Table 10: household dimension and different dimensions of women empowerment (balances, %)

A B C D E F G Positive impact 4,57 4,56 4,60 4,50 4,59 4,57 4,69

Egy

pt

Negative impact 4,08 3,81 3,11 5,36 4,39 4,45 4,14 Positive impact 5,48 4,82 4,69 5,57 5,17 4,84 4,90

Mag

hreb

Average household dimension

Negative impact 6,00 3,00 5,80

A: Chances to go out B: Role within the reference community C: Participation to the social and civil life D: Ability in doing purchases E: Participation to decisions concerning investment F: Bargaining power G: Capacity to reconcile work with family life

Considering now the household dimension the comparison between Maghreb and Egypt is possible only for three dimension of empowerment: chances to go out (A), role within the reference community (B) and the capacity to reconcile work with family life (G). Once more the two areas act in opposite ways because while in Egypt women living in wider families seem to improve more their chances to go out their houses and their ability of reconcile work with family life, in Maghreb is true the opposite: women with smaller families experience more benefits. Looking at the Egyptian data is important to underline that women in larger families tends to participate more to the social and civil life of their country.

Finally we have studied how the type and field of work would affect the perception of women empowerment; as we told before, we are able to do this analysis only for Egypt because of the scarcity and the homogeneity of the data about the labour market that we have collected in the Maghreb area.

According to the type of work students seems to be the subjects that feel most the benefits in terms of empowerment in all the different dimension, except that in the ability of reconcile work with family life just because they are, on average, young people without family responsibilities.

For salaried workers, as well as for housewives, the positive impact of microcredit is stronger in the participation to decision concerning investment (E), while for self-employed is the ability in doing purchases (D).

Unemployed, instead, feel the chances of going out (A) as the main benefit while enables to work the bargaining power (F).

Looking at the different fields of work, people in industry have a stronger positive impact in all the dimension of the empowerment considered, except that for the bargaining power (F), where people in agriculture are more affected, and in the participation to decisions concerning investment (E) and the capacity to reconcile work

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with family life (G) that are considered the two dimension that impact most on workers in trade and services.

Table 11: Type and field and different dimensions of women empowerment

(balances, %)

Type and field and different dimensions of women empowerment (balances, %)

A B C D E F G

Salaried work 50 61 53 66 69 58 38

Self-employed 52 46 47 74 51 48 36

Unemployed 68 58 58 58 62 55 62

Unable to work 20 20 0 20 40 60 20

Student 100 100 100 100 100 100 0

Housewife 49 31 29 32 55 37 33

Typ

e of

wor

k

Total 56 48 48 66 55 50 43

Agriculture 50 48 50 70 54 52 41

Industry 59 66 57 72 47 51 34 Trade and services 58 50 49 69 56 51 45

Egy

pt

Fiel

d of

wor

k

Total 56 48 48 66 55 50 43 A: Chances to go out B: Role within the reference community C: Participation to the social and civil life D: Ability in doing purchases E: Participation to decisions concerning investment F: Bargaining power G: Capacity to reconcile work with family life

Conclusions The results obtained submitting the questionnaires do not give an absolute measure, but identify the changes occurred in the analyzed aspects through qualitative indicators and indexes. Such an evidence shows that access to credit can change life conditions, giving women the chance to find their way out of poverty. The results concerning female empowerment go in the same direction. Having built an index of change in the female condition concerning seven central aspects of empowerment, it is possible to affirm, despite differences among countries, that microfinance activities, granting loans only to women in order to have guaranteed high

Fabrizio Botti, Marcella Corsi, Tommaso Rondinella et Giulia Zacchia

300

return rates, represents a strong stimulus to female emancipation: in the first place to the economic emancipation, then to emancipation in general. Indeed, this path can be considered more effective than the one proposed by other programs which mean to fight gender discrimination directly.

Fabrizio Botti, Marcella Corsi, Tommaso Rondinella et Giulia Zacchia

301

Session 5

Session 5

Les contours de l’économie informelle

• Présidente : Salma Zouari FSEGS / Tunisie

• Marché du travail et genre en Tunisie : rôle du secteur informel

Ahmed Salah (Université de Tunis Elmanar / Tunisie) • Ampleur et nature du travail informel au Maroc

Mourad Sandi (len - Université de Nantes / France) • Une analyse de différence sexuée du travail des enfants au Maroc

Nahid Bennani (Université Mohamed v-Agdal, Rabat / Maroc) et Augendra Bhukuth (Université de Versailles / France)

• Genre, conditions et profils migratoires aux bidonvilles de Meknès Fatima Zahid (Ecole nationale d’Agriculture de Meknès / Maroc)

303

304

Proposition au colloque : « MARCHE DU TRAVAIL ET GENRE DANS LES PAYS DU MAGHREB » Marché du travail et genre en Tunisie : rôle du secteur informel

Salah Ahmed* Résumé L’objet de cette communication est l’analyse des principales caractéristiques de l’emploi par genre en Tunisie au cours des années 90 en insistant sur le rôle du secteur informel. En plus, ce document identifie les différents éléments de la segmentation du marché du travail tant au niveau de l’accès à l’emploi qu’au niveau des salaires. Les données disponibles montrent que la segmentation de l’emploi est renforcée par la présence d’un secteur informel important qui constitue un instrument essentiel dans la régulation du marché du travail et dans l’absorption des demandes d’emploi additionnelles. Mots-clefs : emploi, genre, marché du travail, secteur informel, Tunisie

Rabat, 15 et 16 mars 2006

*Maître Assistant à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de Tunis (Université de Tunis Al-Manar) Avenue 7 novembre Campus universitaire 2092 Tunis Adresse électronique : mailto:[email protected]

Ahmed Salah

305

Introduction

Il est de plus en plus reconnu que la crise économique et la baisse des revenus des

ménages ont entraîné une restructuration du marché du travail qui s’est traduite par le

développement des activités informelles. Face à une concurrence accrue, le secteur formel,

étant incapable de résister, cherche à se redéployer en petites unités productives employant

une main d’œuvre féminine non déclarée. L’emploi informel n’est-il pas un moyen de

contrecarrer l’absence d’une véritable politique d’emploi ?

En Tunisie, le secteur informel occupe une place primordiale. Il est aujourd’hui le

débouché le plus important pour les nouveaux arrivés sur le marché du travail.

Au moins deux raisons expliquent le regain d’intérêt pour le secteur informel.

Une première raison découle des problèmes d’évaluation et de mesure des indicateurs

économiques conventionnels (le taux de croissance du PIB officiel, le taux de chômage…) qui

peuvent être sous estimés ou sur-estimés si l’économie souterraine croît à un taux plus rapide

que celui de l’économie officielle. La précision de mesure des agrégats économiques permet

d’atténuer les erreurs de politique économique qui découleraient d’analyses basées sur de faux

indicateurs statistiques. Par exemple, le taux de chômage officiel peut être surestimé si des

travailleurs officiellement au chômage travaillent dans l’économie souterraine.

Une seconde raison est liée au fait que le secteur informel est le résultat de la

mondialisation qui pousse les entreprises formelles à chercher des activités informelles de

sous-traitance (recours à des travailleurs non protégés) un processus accéléré par la pression

de la compétition dans le secteur manufacturier. L’existence du secteur informel est dans ce

cas relié au débat sur l’application de normes sociales internationales. L’emploi informel a

une incidence directe sur le revenu des ménages car les pauvres génèrent l’essentiel de leurs

ressources en offrant leur force de travail. De plus, le marché du travail est un canal de

transmission important des différents chocs exogènes et des politiques d’ajustement (à la fois

macroéconomique et structurelles) sur l’activité économique, l’emploi, les prix relatifs et

l’allocation des ressources.

Le secteur informel a fait l'objet de plusieurs études (Charmes, 1990, 2001, 2004;

Morrisson, 1994 ; Ben Zakour et Kriâa, 1992 ; INS, 1997 ; Sboui, 2002 ; Sidhom,

2002 ). Cependant ces travaux omettent le rôle de la segmentation par genre.

Ahmed Salah

306

L’objectif de cet article est d’appréhender le rôle et les caractéristiques de l’emploi

informel par genre à la lumière des travaux théoriques et empiriques dans la matière.

Le terme genre permet d'appréhender la différence entre les hommes et les femmes

comme une différence organisatrice de la société dans son ensemble. Cette différence est

nécessaire à la compréhension de phénomènes socio-économiques en mutation rapide (travail

informel féminin, travail des femmes les plus pauvres). En outre, ce concept interroge les

relations de pouvoir entre les hommes et les femmes et l'asymétrie fondamentale dans la

hiérarchie des deux groupes.

La Tunisie connaît, à des degrés différents, les asymétries–différences et disparités- en

matière de genre. Souvent ces asymétries nécessitent du temps pour être corrigées, mais elles

sont loin d’être statiques et elles peuvent, par moments, subir des changements rapides du fait

des politiques suivies ou des conditions socioéconomiques fluctuantes.

Dans quelle mesure la femme tunisienne est discriminée sur le marché de l’emploi?

Est-ce que cette discrimination est plus forte dans le secteur informel ?

Nous présenterons dans une première section les caractéristiques de marché du travail

par genre. Ensuite, nous chercherons dans une seconde section à appréhender la nature de

l’emploi informel. Enfin, l’analyse présentée dans la section III porte sur les facteurs

potentiels qui peuvent influencer la segmentation du marché du travail informel.

Section II : Marché du travail et genre : tendance à la féminisation

On constate souvent que les statistiques de la main d’œuvre et de la comptabilité

Nationale sous estiment en général le travail des femmes. Il est d’abord difficile

d’appréhender l'activité des femmes car il s’agit d’une activité souvent saisonnière, partielle

ou à domicile, parfois cachée ou peu visible est délicate. Ensuite, se pose la question :

comment comptabiliser le travail non rémunéré dans le cas des femmes opérant dans des

activités informelles ? Au sein de ce secteur, les rapports de travail revêtent d’autres formes

:travail occasionnel, indépendant, saisonnier, aides familiaux, auto emploi, pluri-activité,

travail à domicile des femmes, statuts du travail hybrides où s'entremêlent salariat et non-

salariat.

1.1. Evolution de la population active et genre

Selon la définition de l’Institut National des Statistiques(INS) la population active est

constituée par les personnes d'âge actif (15 ans et plus) ayant les caractéristiques suivantes :

Ahmed Salah

307

les personnes ayant déclaré spontanément exercer une activité ou être sans travail : actifs

effectifs; Les personnes ayant déclaré spontanément être inactives (femmes au foyer,) et qui

ont exercé en réalité au cours des 12 derniers mois (ne serait ce que partiellement) une activité

économique : actifs marginaux; les personnes ayant déclaré être inactives et n'avoir pas exercé

au cours des 12 derniers mois une activité économique pour cause de manque d'emploi ou de

travail non approprié : actifs potentiels.

Le reste de la population en âge actif est considéré comme population inactive.

Bien qu’elles excluent certaines activités informelles, les données de L’INS relatives à

la population active font apparaître un accroissement régulier du taux d'activité des femmes

au cours de plusieurs décennies. Ces données témoignent d’une mobilisation de plus en plus

accrue de la main d'œuvre féminine. En effet, le taux d'activité féminine(le rapport de la

population active(à la population d'âge actif (15ans –64 ans) ) qui ne représente que 18,9% en

1975, a progressé à 24,2% en 2004.

Tableau 1 : Evolution du taux d'activité par genre en Tunisie

genre 1975 1984 1994 2004 Hommes 81,1 78,6 73,8 67,8 Femmes 18,9 21,8 22,9 24,2 total 50,2 50,5 48,4 45,8

Sources : Divers Recensements de la population (INS) La tendance à la féminisation est confirmée par les données les plus récentes du

recensement de 2004. En effet, au cours de la période 1994-2004 le rythme de croissance de

la population active féminine a dépassé celui de la population active masculine. Deux facteurs

fondamentaux, à savoir la maîtrise de leur fécondité et leur accès au même titre que les

hommes à l’éducation, ont fait que la part des femmes dans la population active totale

augmente et que leur accès au marché de travail devient plus important. L’accroissement du

niveau de l’éducation est à l’origine de l’augmentation de la participation économique de la

femme. En effet, le taux d’analphabétisme (10 ans et plus) a diminué de 42,3% en 1997 à

31% en 2004.

Tableau 2 Evolution de la pop active, taux de croissance annuelle en % Sexe 1975-1984 1984-1994 1994-2004

Masculin 2,7 2,3 1,44 Féminin 4,6 3,7 3,08

Ensemble 3,1 2,6 1,85 Source : Divers recensements de la population (INS)

1.2. La tendance à la féminisation de l’emploi Le recours à une main-d’œuvre féminine est devenu très important, et notamment dans les

industries où les protections sociales sont faibles. La féminisation de la main- d’œuvre dans

Ahmed Salah

308

l'industrie manufacturière exportatrice résulte des politiques économiques qui agissent sur

l'offre en appliquant des mesures de libéralisation des marchés, en privilégiant ainsi les

secteurs exportateurs (Standing, 1989). L’emploi des femmes est envisagé comme facteur de

flexibilité pour les entreprises face aux variations conjoncturelles. Cette catégorie de main-

d’œuvre, en ayant eu un accès tout récent au marché de l'emploi, était en effet plus disponible

et plus à même d'accepter de bas salaires. Les femmes, en période de récession ou de crise,

sont alors les premières à perdre leur emploi, plus particulièrement dans les industries

intensives en main-d’œuvre féminine. Elle est donc considérée comme étant malléables et ne

cherchant pas les conflits sociaux.

A son tour, l'augmentation du taux de participation des femmes au travail va

contribuer à faire baisser les salaires des industries intensives en main-d’œuvre féminine, ce

qui encourage de nouveau l'emploi des femmes dans ces industries.

Tableau3 : Evolution de l’emploi et genre

1994 2004 2004 - 1994 Emploi masculin 1 785,70 2 121,40 1,74% Emploi féminin 534,9 733,3 3,21% Emploi total 2 320,60 2 854,70 2,09%

Source : Recensement 2004 (INS, 2005)

On assiste en Tunisie à une « féminisation » du secteur privé grâce à une augmentation

de la part des femmes qui y sont employées. Ces activités concernent 35% des femmes

occupées. Cette tendance résulte de la croissance des industries du textile et de la confection,

notamment dans les zones franches, qui emploient une main d’œuvre féminine jeune. En

1999, 62,3% des femmes employées dans le secteur privé se trouvaient dans ces activités.

Tableau 4 : Evolution de la population féminine active occupée par secteur d’activité Branches d’activités 1984 1989 1994 1999 Agriculture 20.1 % 17.1 % 21.3 % 27.8 % Industries manufacturières 51.4 % 43.2 % 46.3 % 45.9 % Mines et énergie 4.8 % 4.8 % 6.5 % 9.1 % BTP 0.9 6% 1.1 % 1.0 % 1.3 % Services /administration 15.5 % 16.0 % 20.3 % 21.6 % Non déclarés 18.8 % 14.6 % 28.4 % 26.5 % Total 21.7 % 19.5 % 23.0 % 24.4 %

Source: Enquête Population-Emploi, INS, 2002

Les catégories d'emploi où les effectifs des femmes dépassent ceux des hommes sont

les industries du textile et de l'habillement et celles qui ont une référence domestique :

employée de maison, ouvrière dans les conserves alimentaires, tailleurs et couturières,

tisseuses de tapis, tisserands et assimilées, jardinières d'enfants ( enquête emploi 1997).

Ahmed Salah

309

En Tunisie, le secteur des textiles en l’an 2000 accapare plus de 40 % de la main-

d’œuvre féminine, la majorité écrasante, 35,2 %, travaillent dans le sous-secteur -habillement

et cuir. La sous qualification de cette main-d’œuvre favorise son recrutement à bas salaires, et

la non-stabilité de l'emploi.

Section II: Rôle du secteur informel dans l’emploi

Le blocage de la demande de travail dans le secteur moderne, voire dans certains cas

sa régression, conduit le secteur informel à jouer un rôle croissant dans la stratégie des

ménages à la recherche de nouvelles sources de revenus. Ce phénomène est d'autant plus

notable en ville que la pression démographique reste forte et que l'exode rural se poursuit.

L’importance du secteur informel en Tunisie, en tant que générateur d’emplois urbains

et régulateur des migrations rurales, a été renforcée par les mesures de restructuration de

l’économie tunisienne et, particulièrement, de la fonction publique suite à l’ajustement

structurel, au processus de la privatisation et de mise à niveau des entreprises. Une telle

situation accorde à ce secteur explicitement ou implicitement un rôle régulateur du système

social. Le rôle du secteur informel comme moyen d’absorber les chocs qui touchent le marché

du travail s’est donc accru au cours des années 90.

2.1. Problèmes de définition et de mesure de l’emploi informel

La manière de mesurer l’emploi informel continue à faire l’objet de controverses et

des désaccords subsistent en dépit des efforts du Bureau International de Travail (BIT)

déployés afin de fixer une définition universelle de l’économie informelle et une

méthodologie unique d’estimation.

Il est difficile de donner une définition précise du secteur informel parce que celle-ci

évolue constamment en fonction des changements apportés à la fiscalité et à la réglementation

Si l’on analyse le phénomène du point de vue des entreprises, et des travailleurs les

caractéristiques sont : la non-reconnaissance dans un cadre légal de régulation, l’existence

d’une relation de travail et des revenus généralement irréguliers et pas certains, la non-

organisation des travailleurs, l’exclusion des travailleurs d’un système de protection social,

l’absence d’accès aux avantages et services publics tells que le crédit, des informations sur

des affaires, formation, etc.; la vulnérabilité des travailleurs face aux interférences des

autorités publiques, car ils sont souvent vus comme hors la loi, la non-considération du chiffre

d’affaires des entreprises dans les statistiques officielles, l’informalité des activités liées aux

coûts de formalisation contraignants et à la complexité des procédures de formalisation.

Ahmed Salah

310

Le secteur informel comprend des activités illégales ou des activités légales mais

irrégulières car elles sont assurées par des agents dont les comportements ne sont pas

conformes aux normes fiscales, à la législation du travail ou au droit commercial ( le non-

paiement de l'impôt sur le revenu, de la TVA et des autres taxes et impôts, le non-versement

des cotisations sociales, et la non-soumission à certaines procédures administratives).

Dans le contexte de la Tunisie, le secteur informel est défini en référence aux critères

suivants : Le statut juridique, la taille des entreprises (employées moins de 6 salariés) et

l’enregistrement comptable. Ainsi, le secteur informel comprend trois segments : Le secteur

des micro-entreprises composé essentiellement des entreprises familiales ayant un effectif

inférieur à 6 et n’ayant pas de comptabilité, l’économie souterraine et illégale et le secteur

domestique. Le critère du respect de la loi recouvre deux exigences distinctes, la légalité de

l’activité et la conformité à la réglementation sociale (enregistrement, droit du travail,

assurances) et/ou fiscale (tenue d'une comptabilité, paiement des taxes et des impôts), qui

renvoient à deux types d'activités : le commerce de contrebande est illégal, tandis que le

commerce légal non enregistré n'est pas. Cette distinction est délicate : ainsi, la vente de

cigarettes de contrebande par les détaillants superpose activité non déclarée et activité. Le

degré d'informalité dépend de la stabilité du cadre institutionnel, plus ou moins tolérant ou

réglementé, et de son respect par les actifs informels.

Le critère de la taille des entreprises - moins de 10 (ou de 6) employés - est une

convention conforme aux comptes nationaux mais univoque qui occulte le fait que la taille

varie selon la branche et le niveau d'activité.

L’informalité n’est pas toujours synonyme de non-conformité à la loi. En plus, la

conformité est limitée à certains aspects de la légalité.

Les situations intermédiaires ne sont pas rares. Les entreprises qui respectent les

réglementations mais de façon partielle. Ainsi, on constate que parmi les pratiques d’évasion

fiscale les plus fréquentes en Tunisie sont celles des sous déclarations. Selon un rapport de

l’UTICA (union tunisienne pour l’industrie, le commerce et l’artisanat), la fraude fiscale

atteindrait 50% et concerne surtout les forfaitaires et l’économie souterraine (en particulier le

secteur immobilier.

Le même rapport indique que les segments de l'économie informelle ne sont pas

totalement dans l'informalité, et réciproquement, l'économie formelle contient toujours des

éléments d'informalité.

L’enquête de 1997 défini le segment des micro-entreprises comme un ensemble

d’unités de production utilisant 6 et moins d’actifs, quelles que soient les caractéristiques de

Ahmed Salah

311

ces actifs. Le seuil de 6 actifs correspond à des comportements, liés au critère

d’enregistrement. Les unités de production constituées d’un ou deux actifs seront qualifiés

d’indépendants. Afin d’intégrer le secteur informel dans les comptes de la Nation, l’institut

National de la Statistique a réalisé une enquête en 1997 sur l’ensemble des micro-entreprises

qui exercent des activités non agricoles. Les résultats de cette enquête permettent de

d’actualiser les données de l’enquête précédente de 1981.

Certaines entreprises choisissent peut-être délibérément de fonctionner de manière

informelle pour éviter de payer des taxes ou des droits d’enregistrement.

Le secteur informel est composé principalement de micro entreprises (non agricoles,

activités indépendantes et entreprises minuscules) qui se caractérisent par : L’échelle réduite

de leurs opérations, l’utilisation de technologies faisant appel à une main-d’œuvre abondante,

des formes traditionnelles d’organisation et une position faible sur les marchés.

Mais le secteur informel peut aussi être vu comme un ensemble très hétérogène

d’entreprises, allant des entreprises très dynamiques à des entreprises visant davantage à

assurer la survie.

Le secteur informel comprend l'ensemble des unités économiques non érigées en

sociétés ou ne tenant pas de comptabilité complète et constituées par des entreprises familiales

(n'employant pas de salariés permanents) ou des micro-entreprises (employant des salariés

permanents non enregistrés ou en dessous d'un certain seuil de taille), (15e Conférence

internationale des statisticiens du travail, janvier 1993, Genève.

Les sources d'information relatives au secteur informel sont diverses mais non

nécessairement représentatives. Les méthodes indirectes ont pu régulièrement être mises en

œuvre en Tunisie où l’on ne dispose pas en revanche d’enquêtes mixtes, ni d’estimations à

partir des enquêtes emploi. La méthode tunisienne requiert les estimations indirectes,

puisqu’elle a été basée sur les recensements d’établissements suivis d’enquêtes par sondage

sur les établissements (Enquête Nationale sur les Activités Economiques, ENAE 1981) et

désormais sur des enquêtes sur les micro-entreprises sur échantillon tiré du répertoire des

établissements (ENAE 1997 et 2002). Les méthodes indirectes sont macroéconomiques et

basées sur l’évolution des ces indicateurs à long terme. Elles cherchent à estimer la part du

secteur informel dans le PIB, autrement dit le niveau de richesse (ou de production) globale

qui émane du secteur informel. Du fait du caractère non déclaré des activités, on procède à

des approximations, très différentes selon la méthode utilisée.

Le secteur informel contribue fortement à l’emploi non agricole. Selon l’INS, sa

contribution est passée de 38,4% en 1975-1979 à 48,7% en 1995-1999. L’emploi informel

Ahmed Salah

312

représente respectivement 36% de la population active non agricole au cours de la décennie

1980 et 39,3% au cours de la décennie 1990 ; il représente une part croissante de l’emploi non

agricole qui atteint la moitié de l’effectif occupé au cours de la dernière décennie : 46% en

1994, 48,7% en 1995, 49,9% en 1997 (Charmes, 2002). La contribution du secteur des micro-

entreprises (qui représente une partie du secteur informel) dans le PIB est estimée à 11.5% en

1997.

L’emploi informel est une notion plus large que celle de l’emploi du secteur informel.

En effet, cette dernière est limitée au secteur de micro-entreprises.

La notion d’emploi informel se focalise sur la relation de travail, et non pas sur les

caractéristiques de l’entreprise. Elle couvre :

1. L’emploi informel dans des entreprises informelles ( entreprises non enregistrées ou

sans personnalité juridique) y compris les employeurs, travailleurs, personnes qui travaillent

pour leur propre compte et les membres de leur famille non rémunéré dans des entreprises

informelles;

2. L’emploi informel en dehors des entreprises informelles (dans des entreprises

formelles, les familles ou sans employeur fixe) : y compris le travail à domicile, le travail non

déclaré ou non enregistré, les travailleurs occasionnels, les journaliers, les travailleurs

temporaires ou à temps partiel. le travail domestique non rémunéré et les activités ménagères

Tenant compte des évolutions récentes des définitions de l’emploi informel et de

l’emploi dans le secteur informel (BIT, 1993, 2002), on définit l’emploi informel comme

étant constitué par l’emploi non protégé, non formel et non agricole, alors que l’emploi dans

le secteur informel est constitué par les micro-entreprises répondant aux critères de la

définition internationale de 1993 (entrepreneurs individuels non enregistrés ou/et

n’enregistrant pas leurs salariés ou/et employant moins de 6 salariés ). L’emploi informel a

considérablement augmenté, en venant à représenter près de 50% de l’emploi non agricole en

Tunisie en 1997.

L'enquête nationale sur le secteur des micro-entreprises réalisée en 1997 par l’INS, a

permis de dégager les principaux caractéristiques de ce secteur. L’emploi salarié dans

l’emploi informel représente entre le tiers et la moitié de ce type d’emploi : il s’agit des

salariés dans les micro-entreprises et des salariés non déclarés dans les entreprises du secteur

formel. La méthode tunisienne a été basée sur des enquêtes sur les micro-entreprises sur

échantillon tiré du répertoire des établissements (ENAE 1997). Ce répertoire est tirée de

recensements d’établissements suivis d’enquêtes par sondage sur les établissements dans le

cadre de l’Enquête Nationale sur les Activités Economiques.

Ahmed Salah

313

L’économie informelle se compose d’activités très hétérogènes : 1. des activités

productives à petite échelle, capables de développement et de perfectionnement technique.

Ces petites entreprises emploient parfois plusieurs personnes. Elles utilisent généralement le

capital avec plus d’efficacité et font appel à des technologies à forte intensité de main

d’œuvre. 2. des activités de subsistance employant des individus sans qualifications

particulières. 3. les entreprises familiales qui comptent avant tout sur le travail des membres

de la famille, les personnes travaillant à leur compte en relation étroite avec des sous -traitants

ou des ouvriers payés à la pièce, et les artisans qui ont acquis un certain savoir-faire.

En effet, presque la moitié des personnes qui travaillent en dehors de l’agriculture le

font de manière informelle. On estime qu’en Tunisie de 50% de l’emploi non agricole

provient du secteur informel. L’emploi dans le secteur informel est supérieur à l’emploi

informel. En effet, en Tunisie, le secteur informel qui comprend les entreprises individuelles

employant 5 salariés permanents ou moins et ne tenant pas de bilan représente seulement

43,3% de l’emploi informel total. L’emploi informel peut également apparaître au sein

d’unités formelles. C’est un autre mode de la "fléxibilisation" du travail qui se manifeste par

une externalisation des emplois dans le secteur formel [Charmes, 2002].

Tableau 5: Emploi informel et emploi dans le secteur informel en Tunisie, 1997 %

Emploi dans le sect informel 43,3Emploi non déclaré 56,7Emploi informel 100Part de l'emploi non agricole l’emploiEmploi dans le sect inf 21,6Emploi non déclaré 28,3Emploi informel 47,1

Source : Charmes (2001)

2.2. L’emploi informel est-il précaire ? Afin de caractériser la nature de l’emploi informel, on cherche à traiter les questions

suivantes : Quelles sont les conditions du travail de l’emploi informel en référence à la

législation ? dans quelle mesure les entreprises informelles ignorent la protection de l’emploi

? Les emplois créés dans le secteur informel sont-ils précaires (non protégés, emplois à très

faible rémunération) ?

Notre analyse est basée sur les résultats de l’Enquête sur l'activité des micro-

entreprises de 1997 (organisée par l'INS) qui couvre différentes activité informelle. Des

questionnaires ont été adressés à un échantillon de 11.000 entreprises sur les 363.000

identifiées comme occupant moins de six employés ; 5.500 réponses ont été obtenues.

Ahmed Salah

314

L'objectif de l'enquête auprès des micro-entreprises est de saisir certaines tendances de

l'emploi dans le secteur informel. Les données couvrent notamment une ventilation par

activités, sexe, salaire mensuel moyen, et par type de fonction.

Les principaux traits qui caractérisent l’emploi informel sont les suivants : les faibles

revenus l’insécurité d’emploi la discrimination des longs horaires de travail le manque de

protection sociale et un bas niveau de formation le manque de sécurité au travail la faible

syndicalisation des travailleurs.

La configuration de l’emploi au sein des micro entreprises dans les années 1990 fait

apparaître une diversité du recrutement de leur main-d’œuvre (conditions d’embauche, âge et

statut des employés) et des caractéristiques communes : la taille réduite de leurs effectifs qui

est généralement inférieure à 6 employés et le non-respect de la réglementation sociale à

l’égard des employés salariés.

L’enquête de 1997 montre que les emplois dans le secteur des micro-entreprises ont

différents statuts et qu’il existe toutes les formes d’emplois liées à la réglementation du

marché de travail (travail à temps partiel, travail temporaire, travail partiel). Les salariés, les

apprentis et les aides-familiaux représentent respectivement 59,2%, 31,8% et 6,8% de

l’effectif employé.

Bien que la structure de la population active en Tunisie demeure caractérisée par la

prépondérance du salariat qui représente environ 60-65% des actifs occupés non agricoles ;

cependant, le salariat régresse au cours des années 1990 après avoir progressé depuis la fin

années 1970 (58,6% en 1977, 64,4% en 1984, 71,5% en 1994, 68,7% en 1999) tandis que les

indépendants (en particulier les aides-familiaux) augmentent en proportion (28,5% en 1994,

31,3% en 1999).

On assiste à un accroissement de la part de l’auto emploi (indépendants à compte

propre, employeurs et aides-familiaux) de 21% au cours de la décennie des années 80 à 30%

les années 90( ILO, 2002). D’après l’enquête nationale sur l’emploi en 1997, 21,5% (537.648

actifs) des actifs occupés ont travaillé moins de 9 mois durant l’année qui a précédé l’enquête

et 13,5% ont travaillé moins de 6 mois. D’autre part, le travail partiel occupe 343.590 actifs.

Et, 339.684 actifs exercent leurs activités à domicile ou sous forme d’ambulant.

Les activités informelles et les différentes formes de travail précaires semblent être en

constante progression du fait de la crise du chômage et de la politique de déréglementation du

marché de l’emploi.

Ahmed Salah

315

Tableau 6 : Structure de l’emploi non agricole en 1997

Effectifs % Informel et précaire 976 49.9 Micro- entreprises 423 43.3 Travail domestique 553 56.7 Secteur formel 981 50.1 Privé local 455 46.4 Privé étranger 156 15.9 Fonctionnaires 370 37.7 Total 1957 100

Source: INS, ENAE 1997 (2001), p 66

Parmi les salariés, le travail temporaire est substantiel. De plus, les heures travaillées

sont plus élevées dans l’informel que dans le formel. Les travailleurs de l’informel sont

généralement non ou faiblement qualifiés. Souvent pas d’éducation primaire ou moins du

niveau secondaire, voire supérieur. Les salaires tendent à être en moyenne inférieurs dans le

secteur informel, souvent en dessous du salaire minimum légal. Mais, les revenus tirés de

l’informel varient considérablement avec les statuts. En général, les travailleurs indépendants

ont les revenus les plus élevés, suivis par les salariés, les temporaires et enfin les apprentis.

Le salariat permanent décroît au cours des deux dernières décennies (78% des actifs

occupés en 1980, 68,8% en 1987, 56% en 1992, 51% en 1998), tandis que le salariat précaire

s’accroît cependant moins rapidement que le travail indépendant.

Tous ces chiffres sont le signe d’une situation d’emploi qui ne cesse de se précariser et

de se fragiliser. Le travail informel est assez flexible. Le nombre d’heures assurées

quotidiennement est en moyenne est 9,14 heures et 57,8 heures par semaine ce qui dépasse de

loin la durée légale de 48 heures.

Les revenus générés par les activités du secteur informel varient fortement d’une

activité à l’autre. Cependant, ils sont comparables aux salaires des travailleurs non qualifiés

du secteur formel, voire en moyenne légèrement supérieurs, surtout pour les travailleurs

indépendants parce qu’ils incluent des revenus non liés au seul travail. Bien que les revenus

tendent à être, en moyenne, plus élevés, ils n’offrent aucune couverture sociale et sont très

incertains. Par ailleurs, les apprentis et l’aide familiale, qui représente une grande partie de

l’emploi du secteur informel, sont rémunérés de manière irrégulière et symbolique, mais

donnent lieu aussi à des paiements en nature (nourriture, vêtements, logement).

Ahmed Salah

316

L'analyse de l’enquête sur les micro-entreprises en Tunisie de 1997 montre que la

rémunération du travail est inférieure au salaire minimum et que la durée du travail est

supérieure à la durée légale; La réduction du coût horaire du travail apparaît comme un

avantage comparatif caractéristique du secteur informel.

Les employeurs respectent le salaire minimum (appliqué seulement aux salariés) dans

26% des cas mais la durée légale du travail n’est respectée que dans 60% des cas et la

sécurité sociale dans 49% des cas (Ben Zakour et Kria, 1992).

Le développement de l’emploi indépendant se fait au détriment du salariat. Alors que

jusqu’à 1994, les emplois salariés représentaient plus de 85% des créations d’emplois, depuis

1994, ils en représentent moins de la moitié d’emplois.

Parmi les caractéristiques communes du secteur des micro-entreprises on retient : la

taille réduite de leurs effectifs qui est généralement inférieure à 5 employés et le non-respect

de la réglementation sociale à l’égard des employés non salariés. Les employeurs déclarent

respecter le salaire minimum (53,8%) mais non la durée légale du travail (54,4%).

Les salaires tendent donc à être inférieurs dans l’informel, souvent en dessous du

salaire minimum. L’enquête de 1997 constate que 41,5% des travailleurs du secteur des

micro entreprises touchent un salaire inférieur au SMIG. Selon la même enquête, le salaire

moyen payé dans le secteur informel représente 58% du salaire moyen du secteur productif

non agricole formel.

Mais, les revenus tirés de l’informel varient considérablement avec les statuts. En

général, les travailleurs indépendants ont les revenus les plus élevés, suivis par les salariés, les

temporaires et enfin les apprentis. La grande différence se situe entre les revenus tirés de

l’informel et les salaires dans ce secteur. De plus, si l’on compare les revenus informels par

rapport au salaire formel, il se trouve que ces revenus sont largement supérieurs au salaire

minimum, alors que les salaires dans le formel sont bien souvent en dessous (le salaire

minimum est bien souvent non respecté dans le formel). Les salaires sont particulièrement

faibles pour les apprentis : ils représentent de 20 à 40% seulement du salaire minimum.

La plupart des travailleurs du secteur informel ont un niveau d’éducation moins élevé

que ceux du secteur formel. Cela s’explique par le fait que les activités qui y sont proposées

ne nécessitent pas un niveau d’éducation ou d’étude important. La productivité apparente du

travail du secteur informel en Tunisie dans 5 branches manufacturières, d’une part, et dans le

commerce et les services, d’autre part, représente respectivement 59% et 63% de celle du

secteur officiel en 1981 (Cherif et Nafii, 1995).

Ahmed Salah

317

Cependant, les actifs du secteur informel sont de plus en plus diplômés (jeunes ou

anciens fonctionnaires par exemple). Le capital humain augmente sensiblement. Ces

personnes sont susceptibles d’avoir davantage de capital financier, du fait notamment d’un

capital social plus élevé, et en conséquence de pouvoir créer des micro-entreprises plus

capitalistiques.

Tableau 7 : Niveau d’instruction des actifs des micro-entreprises, 1997

niveau Part primaire 48,4% secondaire 34,2% supérieur 4,4% sans instruction 13%

Source Enquête sur les micro-entreprises INS 2001

L’analyse de la relation éducation/emploi ne doit pas ignorer le poids des emplois

informels. L’éducation est en général vue comme un facteur exclusivement destinée au

secteur moderne. Inversement, l’expansion des activités informelles est traditionnellement

interprétée comme un signe de la faiblesse de la scolarisation. Le secteur informel est réputé

recruter sa main d’œuvre principalement au sein des analphabètes et des déperditions

scolaires.

Ce constat a été fait dès le rapport du BIT en 1972 pour le Kenya et tend à se

généraliser. Il est également évoqué dans le cas de la Tunisie par les premières enquêtes

concernant le secteur informel. Ces enquêtes révèlent en effet que même si le niveau

d’instruction des individus demeure dans l’ensemble relativement bas, il a tendance à

s’accroître et les personnes ayant fait des études supérieures se retrouvent en proportion très

élevée dans les employés du secteur formel. Or, les données récentes (1997) sur le secteur

informel en Tunisie témoignent d’une certaine inflexion de cette situation. En effet il apparaît

que même si près des 13% des acteurs du secteur informel n’ont aucune instruction, ce

secteur comprend aussi près de 38.6% des personnes avec un minimum d’instruction

secondaire ou supérieure.

Le rôle du secteur informel comme moyen d’absorber les chocs qui touchent le

marché du travail s’est accru surtout au moment où l’Etat diminue l’emploi public. En effet,

au cours de la période 1997-2001, l’emploi privé non agricole et non salarié qui est une

composante principale de l’emploi informel a augmenté de 3,2% et sa part dans la croissance

de l’emploi total a été de 46%. Ce qui confirme la tendance de l’emploi à l’informalité.

Ahmed Salah

318

Tableau 8 : Croissance de l’emploi en Tunisie (1997-2001) Part dans la

croissance Tx de croiss annuelle

Administration publique 7,1 1,0 Entreprises publiques -2,5 -1,5 Secteur public 4,6 0,5 Salariés du secteur non agricole privé 20,4 3,4 Travail non salarié secteur non agricole privé 45,7 3,2

L’appartenance des micro entreprises au secteur formel ou au secteur informel n’est

pas délimitée, en l'absence de frontière étanche entre les deux secteurs. Les enquêtes réalisées

en Tunisie (Sidhom, 2002 ; Sboui, 2002)montrent qu’il n’y a pas un secteur informel mais

plusieurs segments différenciés selon leur dynamique d’involution ou d’évolution. La branche

d’activité ainsi que la différenciation entre le secondaire et le tertiaire déterminent pour une

part le caractère évolutif ou involutif des unités et leurs opportunités de vente. Dans le

transport, le commerce de demi-gros ou encore la sous-traitance industrielle et le textile, les

micro entreprises disposent d’un potentiel de diversification et d'évolution dont elles

bénéficient peu dans le commerce de détail, la coiffure ou la petite réparation qui sont par

ailleurs des activités plus stables.

Les activités informelles prennent plusieurs formes : activité de subsistance

(agriculture de subsistance sur de petites parcelles privées, petit commerce, etc.), travail non

déclaré/ non enregistré, entreprise non réglementée ou non autorisée, activité d’évasion fiscale

(embauche de travailleurs indépendants plutôt qu’établissement de contrats de travail, tenue

d’une double comptabilité par les entreprises, paiement d’une partie des salaires «au noir».

L’enquête nationale de 1997 sur les micro entreprises montre que 20% des emplois

sont occupés au sein de l’industrie et de l’artisanat (transformation alimentaire, textile,

chaussures, travail du bois…), 30% dans les services (restauration, transport,

communication…) et près 50% dans le commerce et la réparation (INS, 1997).

L’emploi informel est principalement occupé, d'une part, dans les branches d'activité

employant une main d’œuvre salariée nombreuse et peu protégée (bâtiment, textile confection

cuir, transport) dont l'activité peut être de caractère saisonnier ou régulier, d'autre part, dans

les branches d'activité employant une main d’œuvre non salariée (services, dont réparation, et

commerce de détail).

L’enquête nationale de 1997 sur les micro-entreprises montre qu’il n’y a pas un

secteur informel mais plusieurs segments différenciés selon leur dynamique d’involution ou

d’évolution1. La branche d’activité ainsi que la différenciation entre le secondaire et le

1 Les études réalisées au cours des années 1990 sur des échantillons de micro-entreprises - localisées à Tunis, Sfax et

Ahmed Salah

319

tertiaire déterminent pour une part le caractère évolutif ou involutif des unités et leurs

opportunités de vente. Dans le transport, le commerce de demi-gros ou encore la sous-

traitance industrielle et le textile, les micro-entreprises disposent d’un potentiel de

diversification et d'évolution dont elles bénéficient peu dans le commerce de détail, la coiffure

ou la petite réparation qui sont par ailleurs des activités plus stables.

Tableau 9 : Répartition sectorielle des effectifs du secteur informel Tunisie

Secteur d’activité Effectifs, en milliers %

Industrie et artisanat 101736 24,05commerce et réparations 192564 45,51Services 128780 30,44Total 423080 100

Source : INS, 2001

L’enquête montre que 24% des emplois sont occupés au sein de l’industrie et de

l’artisanat (transformation alimentaire, textile, chaussures, travail du bois…), 30% dans les

services (restauration, transport, communication…) et près 46 % dans le commerce et la

réparation (INS, 1997).

Tableau 10: Productivité apparente du secteur informel en 1997

Secondaire(% dans l’informel)

Tertiaire(% l’informel)

Secteur informel(% PIB non agricole)

Taux d’emploi informel

Productivité apparente de l’informel

20% 80% 22,9% 48,7% 54,4% Source : Enquête INS 1997

La prise en compte de la diversité des systèmes productifs informels montre qu’en

Tunisie, l’informel est loin d’être un secteur refuge. Bien au contraire, ses opportunités, sa

dynamique et ses potentialités lui permettent de jouer un rôle important dans le processus de

développement. En ce qui concerne les technologies, il se trouve que les investissements en

capital sont faibles dans le secteur informel, du fait des ressources réduites en financement.

Les entrepreneurs de l’informel utilisent principalement leurs propres fonds, suivis par des

prêts auprès de la famille. Les emprunts auprès d’autres sources sont faibles. D’autre part, il

existe des entreprises très lucratives et hautement capitalistes, où les employés sont très

qualifiés.

dans les villes de l’intérieur du pays - identifient les mêmes secteurs d’activité (Ben Zakour et Kria, 1992; Marniesse et Morrisson, 2000 ; Sboui, 2002 ; Sidhom 2002)

Ahmed Salah

320

Section III : Emploi informel et segmentation par genre

En Tunisie, il n'y a pas de discrimination légale vis-à-vis des femmes au travail. En

effet, le Code du travail et les conventions collectives donnent les mêmes droits aux femmes

et aux hommes. Cependant, étant donné la nature du secteur informel caractérisé par l’absence

de couverture sociale et de contrat de travail, le domaine de discrimination par genre est

potentiellement plus large que celui du secteur formel.

Il est difficile d’évaluer les activités des femmes dans le secteur informel, pour

plusieurs raisons : il s’agit des femmes dans les activités invisibles qui se heurtent elles-

même au problème d’évaluation qu’elles soient exercées par des hommes ou par des

femmes. Quelle que soit la source statistique, le secteur informel emploie une proportion de

plus en plus importante des femmes, occupées dans des activités non agricoles.

Les femmes entreraient dans le secteur informel pour les raisons suivantes:

l’urbanisation, la dégradation des revenus des ménages, l’impuissance du secteur formel à

absorber le surplus de main d’œuvre.

Les activités informelles sont considérées comme un recours pour se procurer du

travail et des revenus hors du circuit officiel, les rejetés du système scolaire.

L’entrée récente sur le marché du travail d’un effectif important de femmes en âge de

travailler et éduquées, mais dans un contexte de croissance économique modérée.

Les femmes rencontrent plus de difficultés pour accéder à un emploi dit "formel" car

on part de la présupposition que les femmes fournissent un travail "inférieur" parce qu'elles

n'ont pas la formation que requiert souvent le secteur formel, leur travail serait plus coûteux

parce qu'il faut tenir compte des maternités et organiser des services sociaux supplémentaires

qui diminueraient leur productivité. Parfois, les femmes sont simplement dans l'incapacité

d'accéder aux moyens de production. Même dans les cas où l’accès à l’enseignement et à la

formation professionnelle est possible, beaucoup d’institutions continuent à offrir aux filles

des qualifications "typiquement féminines", comme la dactylographie, la couture, la

restauration et l’hôtellerie et limitent à leur égard l’offre des connaissances scientifiques et

techniques. Dans les pays les plus pauvres, les filles ont plus de probabilités que les jeunes

garçons d’interrompre ou d’abandonner leur scolarité en vue de se dédier aux tâches

domestiques, et ce, malgré l’évidence des bénéfices qu’apporte l’amélioration de leur

Ahmed Salah

321

formation. Ces difficultés sont le résultat de la pratique quotidienne et systématique de

discrimination à l'égard des femmes.

La logique du SI qui facilite leur insertion dans ce secteur : chargées des tâches de

reproduction, les femmes rencontrent dans le SI un espace qui privilégie la survie plutôt que

l'accumulation et qui leur "convient" donc mieux.

Par ailleurs, Les amendements de 1996 au code du travail ont encouragé la création de

nouvelles formes d’emplois précaires, notamment pour les femmes plus vulnérables que les

hommes. Le Code du travail définit deux catégories de contrats à durée déterminée (CDD). La

première catégorie concerne un emploi dont la durée est déterminée et dont il est stipulé qu’il

résulte a) d’un surcroît temporaire d’activité, b) du remplacement d’un employé absent, c)

d’activités saisonnières, d) d’un type de travail qui par définition est limité dans sa durée.

Dans ces cas de figure, l’employeur peut recourir aux CDD sans restrictions. La deuxième

catégorie de contrat a trait à des activités dont la durée est indéterminée. Dans ce cas, les

contrats à durée déterminée sont autorisés pour une durée maximum de 4 ans et sont soumis à

l’accord des deux parties. En plus, ce code a envisagé le travail à temps partiel : Cette

nouvelle catégorie a trait aux employés dont le travail représente moins de 70 % de l’horaire

normal. Son objet est de promouvoir la liberté de choix pour tous les employés et l’égalité de

traitement pour les employés à temps partiel. D’après l’enquête tunisienne la plus récente sur

l’emploi tunisien, 14 % de l’emploi total était à temps partiel en 2001. Ces nouvelles

dispositions visant à plus de flexibilité ont été envisagées de façon égalitaire femmes et

hommes. Cependant, compte tenu de la vulnérabilité des femmes et des activités dans

lesquelles elles travaillent (sans protection sociale suffisante) le recours à ces types de contrats

est plus fréquent pour les femmes.

Le rapport régional de la Banque Mondiale sur le genre dans les pays du MENA fait

ressortir les données qui montrent que les femmes de cette région sont plus susceptibles que

les hommes d’être engagées dans le secteur informel. « Au sein de la vaste catégorie du

travail non réglementé, les femmes et les hommes tendent à adopter des attitudes différentes.

Les femmes sont plus susceptibles d’être engagées dans un travail non salarié (travail

indépendant ou travail dans l’exploitation agricole familiale) tandis que les hommes sont plus

susceptibles de travailler pour un salaire, même s’il ne comporte ni contrat ni avantages.

En plus des obstacles qui les empêchent de trouver un emploi dans le secteur privé

rémunéré et formel, la contribution des femmes au niveau informel peut se limiter à la

recherche de la simple subsistance ou ne comporter aucune rémunération. Dans la mesure où

le revenu permet à l’individu d’avoir le pouvoir d’opérer des changements dans sa vie et de

Ahmed Salah

322

rechercher les opportunités, cet écart dans les revenus du travail renforce le déséquilibre entre

les hommes et les femmes en matière de responsabilisation

3.1. Précarité de l’emploi informel féminin

Les données recueillies montrent que le travail informel est aussi important pour les

femmes que pour les hommes. Il occupe, en moyenne, presque la moitié des femmes (39%) et

des hommes (53%) qui travaillent hors du secteur agricole.

Tableau 11: Emploi informel par rapport à l’emploi non-agricole, total et par sexe, 1994/2000 (%) Emploi informel en relation à emploi non-agricole

Femmes dans secteur informel en relation à femmes dans emploi non agricole

Hommes dans secteur informel en relation à hommes dans emploi non agricole

50 39 53 Source : BIT (2002)

Cependant, étant donné que les activités agricoles représentent une source importante

d’emplois pour les femmes, leur exclusion des données qui portent sur le travail informel

réduit considérablement la taille du secteur informel et donc leur part (absolue et relative)

dans celui-ci. La moitié(52%) des personnes travaillent dans de micro et petites entreprises,

des entreprises familiales et des activités de survie, sans contrats et sans sécurité sociale. Le

reste est constitué de travailleurs salariés informels (48%).

Les données du tableau 12 montrent la segmentation du marché du travail par genre.

La majeure partie des femmes actives dans le secteur informel ont un statut de précarité. Les

femmes qui travaillent dans le secteur informel le font, dans 55% comme salariées ou comme

« aides familiaux » dans des entreprises informelles. Alors que la majeure partie des hommes

occupés dans le secteur informel sont des employeurs ou des travailleurs indépendants.

Tableau 12 : Répartition de l’emploi du secteur informel par statut et par genre en Tunisie en %, 1997

Femmes Hommes Employeurs 14 24 Auto emploi 27 36 Aides familiales, travail à domicile

18 9

Salariés 37 23 Autres 4 8

Source: INS (2002)

Le déclin de l’agriculture n’a pas aidé les femmes qui ne migrent pas non plus

rapidement que les hommes vers les zones urbaines. Tandis que les hommes migrent pour

Ahmed Salah

323

travailler dans des secteurs plus lucratifs, les femmes moins mobiles continuent à travailler

dans le secteur agricole à faible salaire.

En Tunisie, la grande part du travail des femmes est investie dans l’agriculture. « Le

travail agricole – souvent mal ou non payé – n’est guère susceptible d’offrir un bon avenir aux

femmes actives. Il y a lieu de penser qu’il y aura moins d’emplois agricoles à l’avenir, et

même si les femmes continuent à travailler dans le secteur agricole, leur travail tend à être mal

utilisé et mal rétribué ». L’évolution du poids de l’emploi non agricole témoigne d’une

tendance à l’informalisation de l’emploi non agricole.

La diminution de la part des femmes dans l’emploi informel traduit deux tendances :

une première selon laquelle la femme tunisienne est intégré dans l’activité économique par le

salariat protégé plus que par le salariat non protégé traduisant ainsi une politique volontariste

et une seconde selon laquelle l’emploi informel est féminin se développe grâce à l’expansion

du travail à domicile de sous–traitance (Charmes Jacques, 2004).

Tableau 13 : Evolution de l’emploi informel non agricole en Tunisie 1975 1980 1989 1997 Emploi informel en % de l’emploi non agricole 38,4 36,8 39,3 47,1 Part de l’emploi salarié dans l’emploi informel 54,7 36,4 42,5 48,4 Part des femmes dans l’emploi informel 33,2 21,8 18,5

Sources : Charmes J. (2001), INS (2002).

3.2 Discrimination salariale par genre et secteur informel Le salariat devient de plus en plus le statut dominant des femmes occupées. En

Tunisie, elle est passée de 40% en 1984 à 68% en 20012.

L’analyse descriptive des différences structurelles permet de mettre en exergue que

l’écart de salaires, entre hommes et femmes qui provient en partie des différences de

rendement en termes de capital humain. De même, certaines caractéristiques individuelles,

telles que le niveau scolaire, la profession, le secteur d’emploi, interviennent notablement

dans les écarts de salaire entre les deux sexes. Malgré la rareté des informations portant sur

les salaires relatifs des femmes et des hommes, les quelques informations et recherches

disponibles indiquent qu’à travail égal ou de valeur égale, les salaires des hommes sont

supérieurs à ceux des femmes. Selon le rapport de la Banque mondiale de 2004 sur la stratégie

de l’emploi en Tunisie, l’écart des salaires entre les femmes et les hommes est d’environ 14-

17% à l’avantage des hommes. Le même rapport souligne que le rendement de l’éducation est

supérieur pour les hommes que pour les femmes. Par ailleurs, la prime salariale pour l’emploi

2 PNUD/Tunisie et UNIFEM/Afrique du nord (2003) et Banque mondiale (2004)

Ahmed Salah

324

des femmes dans le secteur public varie de 24% à 30% par rapport à leurs homologues du

secteur privé. Ce constat traduit une discrimination plus prononcée dans le secteur privé.

Plusieurs facteurs expliqueraient la différence des salaires entre les femmes et les

hommes. Si l’on prévoit que le secteur privé serait la source principale des emplois dans la

prochaine décennie, on peut s’attendre au renforcement de la tendance vers plus de précarité

de l’emploi féminin.

Dans le secteur des micro entreprises, le salaire moyen féminin représente 75,5% du salaire

masculin. L’écart de salaire par genre se creuse dans le secteur de textiles et dans les

Industries agroalimentaires. Les moyennes cachent les disparités qui sont plus fortes quand on

compare la part des salariés qui n’ont pas le SMIG par genre. En effet, selon les données de

l’enquête de 1997 sur les micro entreprises seulement 35,1% des salariés hommes gagnent

moins que le SMIG contre 64,9% des salariés femmes.

Les travailleurs à domicile gagnent un revenu qui représente uniquement 30% du SMIG

(Charmes et Lakehal, 2003). Or la majeure partie de ces travailleurs est constituée des

femmes. La précarité touche plus fortement les femmes que les hommes.

Tableau 14: salaire moyen en % du SMIG dans les micro-entreprises par genre industries Femmes Hommes Ecart Femmes/Hommes IAA 0.9 1.2 69.8% Textile 0.7 1.1 65.5% Confection 0.8 0.9 86.3% Commerce de gros 1.1 1.3 84.7% Commerce de détails 0.7 1 71% Restaurants 0.8 1 72.9% Services personnels 0.6 0.8 82.7% Total 0.8 1.1 75.5% Source : Enquête 1997, INS(2001)

Conclusion

Les données disponibles montrent que le secteur informel absorbe une part importante

de la population active occupée. Le secteur informel constitue un mécanisme essentiel dans la

régulation du marché du travail et dans l’absorption des demandes d’emploi additionnelles. Il

est d’ailleurs probable qu’avec les perspectives amenées par la zone de libre échange avec

l’Union européenne, la part de ce secteur dans l’économie du pays sera appelée à ce confirmer

en réaction aux restructurations engendrées. Les femmes, employées en grands nombres dans

des secteurs en pleine restructuration (le textile, les IAA.), dans des emplois non qualifiés, et

dans des positions non salariées et donc potentiellement précaires (particulièrement dans

Ahmed Salah

325

l’agriculture). La tendance à l’informalisation du travail et confirmée par l’influence des

facteurs suivants : 1. une difficulté croissante à s’intégrer dans le marché formel d’emploi, en

partie concomitante de la contraction des effectifs publics et la faiblesse de création d’emplois

formels, 2. une tolérance forte des pouvoirs publics à l’égard des formes non déclarées ou

sous déclarées d’emploi, 3. Le chômage des jeunes diplômés en l’absence d’encadrement du

marché de l’emploi 4. l’urbanisation croissante 5.- La flexibilisation de l’emploi( emplois

temporaires, conditions de licenciements ).

L’analyse des données tunisiennes permet de dégager les conclusions suivantes :

1. Insuffisance des outils adéquats pour la mesure de l’emploi informel en général et

celui des femmes en particulier ;

2. Compte tenu de l’importance de l’emploi féminin informel, l’activité économique

des femmes devient un enjeu fondamental.

3. En dépit des politiques favorables à l’intégration de la femme dans l’activité, les

entreprises du secteur privé formel et informel exercent la discrimination d’accès et de

promotion et la ségrégation salariale (CREDIF, 2002). L’emploi de la femme reste vulnérable

et précaire. Le secteur informel offre plus d’opportunités pour la discrimination. La situation

est donc marquée par un déséquilibre entre les pratiques sociales et la législation. L’un des

défis majeurs pour la prochaine décennie est d’identifier et de corriger les écarts qui subsistent

encore entre l’homme et la femme.

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Ahmed Salah

326

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Ahmed Salah

327

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Mourad Sandi

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Mourad Sandi

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Une analyse de différence sexuée du travail des enfants au Maroc

Augendra Bhukuth♣et Nahid Bennani♦

2ème Colloque International Pluridisciplinaire Marché du travail et genre dans le pays du maghreb. Quel Marché du Travail ?

Maroc, Rabat, 15-16 Mars 2006 Résumé. L’approche économique du travail des enfants fait l’hypothèse d’homogénéité des enfants sans faire aucune distinction de genre. Les études sur le travail des enfants montrent que les parents prennent leur décision d’investissement en éducation des enfants et celle du travail des enfants en fonction de l’âge et du sexe de l’enfant. Dans cette étude sur le Maroc, nous montrons que les filles ont une faible intégration sur le marché du travail contrairement aux garçons qui ont la responsabilité de subvenir aux besoins de la famille. La distinction de genre est très prononcée, les filles occupent des emplois comme aides familiaux ou comme le travail domestique qui sont des emplois invisibles. Introduction Selon le dernier recensement du BIT (2002), il y aurait 211 millions d’enfants travailleurs dans le monde âgés de 7-14 ans. Le BIT (2002) définit le travail des enfants en termes d’acteurs économiques signifiant que seules les activités ayant une vocation marchande directe ou indirecte sont prises en compte dans les statistiques du BIT1. Le Maroc compterait environ 600 000 enfants travailleurs âgés de 5-14 ans. Les enfants sont engagés dans des activités bien spécifiques à la fois dans le secteur formel qu’informel. Le secteur formel comprenant l’industrie du Tapis emploie essentiellement une main d’œuvre infantile féminine alors que le secteur informel comprenant l’artisanat traditionnel emploie des apprentis alors que le secteur agricole a recourt aux aides familiaux.

Le Maroc en conformité avec les conventions du BIT (Convention C182 sur les pires formes du travail des enfants et la Convention 138 sur l’âge minimum d’admission au travail) interdit le travail des enfants de moins de 15 ans, rendant ainsi obligatoire la scolarisation des enfants de 6-15 ans. Malgré la législation en vigueur le travail des enfants est une réalité persistante de l’économie marocaine. Plusieurs facteurs d’ordres socioéconomiques et cultures expliquent ce phénomène. Nous détaillerons les facteurs explicatifs du travail des enfants, néanmoins nous porterons une attention toute particulière à l’insertion des enfants sur le marché du travail. La manière dont la force de travail infantile est employée nous permettrait de comprendre si les filles sont victimes d’une discrimination par le travail.

Une étude du travail des enfants dans le contexte marocain nous semble intéressant car ce pays connaît un développement économique important avec une croissance économique permettant la création d’emploi des jeunes diplômés. Dans ce cas, le travail des enfants semble être une anomalie, il peut être une entrave au développement du pays. D’ailleurs Hazan et Berdugo (2002) montrent que le travail des enfants peut être un obstacle à la croissance économique et au développement. ♣ ATER à l’Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines, C3ED, [email protected] ou [email protected] ♦ Université Mohamed V- Rabat, Agdal, [email protected] 1 Pour une discussion détaillée sur la définition du BIT du travail des enfants voir (Bhukuth 2006)

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Dans cet article, nous analyserons la différence sexuée du travail des enfants au Maroc. Nous décrirons la différence au niveau de l’éducation des enfants, mais aussi dans le travail ; les différentes occupations qu’occupent les enfants sont un indicateur de discrimination sexuée. Les filles occuperaient des activités moins rémunératrices et plus pénibles que les garçons. 1. Une revue de la littérature Il existe deux approches essentielles du travail des enfants : le modèle de Basu et Van (1998) analyse le travail des enfants comme un moyen de financer le bien-être du ménage. Ces auteurs émettent l’axiome de luxe qui stipule que les ménages mettent les enfants au travail que si le revenu familial descend en dessous du seuil de subsistance familiale. Dans cette analyse, le travail des enfants devient un mal nécessaire. Le statut des enfants varie en fonction de la variation du revenu familial. La seconde approche considère que le temps des enfants est alloué entre travail et éducation (Baland et Robinson 2000 et Ranjan 2001). Cependant, dans cette approche la pauvreté monétaire est un facteur essentiel de l’explication du travail des enfants. Les parents manquant de ressources financières ne pouvant se financer sur le marché des capitaux mettent les enfants sur le marché du travail. Ainsi, si le marché des capitaux était parfait, les parents emprunteraient sur ce marché pour financer l’éducation des enfants (Ranjan 2001), alors que Baland et Robinson (2000) décrivent une toute autre situation, les parents pauvres accordant une plus grande valeur à leur propre utilité scolariseraient les enfants que si ces derniers garantiraient de les rembourser à l’âge adulte. Les parents pauvres étant incertain sur l’attitude des enfants, les mettent au travail2.

Ces différents auteurs font l’hypothèse d’homogénéité des enfants, tous les enfants au regard de parents ont la même valeur. Cependant, le continent sud asiatique et l’Asie en général pratiquent des politiques discriminatoires envers les filles (Sen 2001) ; leur taux de scolarisation est faible, et elles sont victimes d’infanticides. En Inde, cette faiblesse dans la scolarisation des filles est plus prononcée en milieu rural à cause de la pauvreté des ménages (Ray 1999).

1.1. Effet de substitution mère-fille Bhalotra (2000) montre qu’au Pakistan, la proportion des filles ayant un travail rémunéré est plus élevée que celle des garçons : 12% des filles issues de la tranche des revenus les plus pauvres ont un emploi rémunéré contre seulement 6% pour les garçons. Cette différence s’explique par la faiblesse de rémunération des filles par rapport aux garçons. Au Pakistan, les ménages comptent davantage sur le revenu des garçons que sur celui des filles pour survivre. Comme les ménages de la tranche de revenu inférieur sont sensibles aux variations du revenu, une hausse du salaire des femmes sur le marché du travail, agit négativement3 sur le travail des filles. En effet, si les filles étaient scolarisées, elles sont retirées de l’école pour être occupées aux travaux domestiques. Si le salaire des femmes augmente considérablement alors, les filles accompagnent leurs mères sur le lieu de travail pour qu’elles soient plus productives. Sinon elles permettent à leur mère de travailler en dehors de la maison alors qu’elles s’occupent des tâches ménagères de la maison. Au Pakistan, le travail des femmes et des filles est dicté par la variation du revenu sur le marché du travail. Selon Levy (1985) et Rosenzweig

2 Pour une revue de la littérature critique du travail des enfants se référer à l’article de J. Ballet et A. Bhukuth (2005). 3 Nous utilisons le terme « négatif » pour expliquer qu’une hausse de revenu de la mère ne se traduit pas par une diminution du travail des enfants mais bien par une hausse. C’est en ce sens que l’impact de la hausse du revenu est négatif sur les jeunes filles.

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(1980), une augmentation de 10% du taux de salaire des femmes décroîtrait la participation de la force de travail des filles de 10%. Sakellarion et Lall (1998) et Cartwright (1998) tirent la même conclusion.

1.2. Faible pouvoir décisionnel de la femme : un facteur de discrimination sexuée

Blunch et Verner (2000) tentent de rétablir le lien causal entre la pauvreté et le travail des enfants dans le cadre d’une étude au Ghana. Les analyses de Canagarajah et Coulombes (1997), Nielsen et Jensen (1997) et Ray (2000, 2003) n’ont pas permis de montrer une forte corrélation entre ces deux phénomènes. Blunch et Verner (2000) montrent qu’au sein du ménage extrêmement pauvre, les filles entrent prématurément sur le marché du travail aussi bien en milieu urbain que rural. Il y a 4% de chance pour que les filles entrent sur le marché du travail lorsque le ménage est pauvre. Par ailleurs plus le ménage est pauvre, plus les filles sont discriminées. Une étude empirique réalisée par Shapiro et Tambashe (2001), souligne que l’inégalité de genre dans l’investissement en capital humain est uniquement dû à un phénomène de pauvreté. Shapiro et Tambashe (2001) dans une étude de différence de genre au Zaïre, montrent que la disparité des genres tend à se réduire avec l’accroissement du revenu du ménage.

La discrimination des enfants dépend de celui qui prend la décision dans le ménage. L’homme et la femme n’ont pas la même préférence sur l’allocation du temps des enfants ; celle-ci est fonction du pouvoir de marchandage de chaque parent qui dépend de leur contribution financière à la richesse de la famille et de leur capital humain (Emerson et Souza 2003). Selon Basu (2001) le pouvoir décisionnel d’une femme s’accroît lorsqu’elle apporte un revenu dans le ménage. Plusieurs facteurs contribuent à renforcer le pouvoir de la femme au sein du ménage, le salaire, l’éducation et la possession d’actif monétaire et non monétaire comme les épargnes, la terre, un petit commerce. Selon les sources du revenu de la femme dans le ménage le travail des enfants est affecté différemment. Selon Basu et Ray (2001) dans un ménage où le pouvoir entre l’homme et la femme est équitablement distribué le travail des enfants est à son seuil minimal et il est élevé lorsqu’un seul des parents (le père ou la mère) détient tout le pouvoir. Par contre selon Galasso (2000) les enfants sont scolarisés longuement et travaillent moins dans les ménages où les mères ont un fort pouvoir décisionnel. Selon Bhalotra et Attfield (1998) au Pakistan, les garçons travailleurs reçoivent plus de ressources du ménage par exemple de la nourriture et d’autres biens relatifs aux enfants que les garçons non travailleurs. Cependant, les filles travailleuses ne jouissent pas d’un tel privilège sans nul doute parce que les activités domestiques au sein du ménage ont la même valeur que les activités rémunérées des filles.

Selon Emerson et Souza (2003) le capital humain des parents est un facteur important de la mise au travail des enfants. Un père éduqué privilégie l’éducation des fils alors qu’une mère éduquée privilégie celle des filles. Les parents éduqués ont moins recours au travail des enfants. Le père avantage un enfant plus qu’un autre puisque l’accroissement du capital humain de cet enfant doit lui procurer un pouvoir de marchandage plus important dans le ménage ; il peut ainsi imposer ses préférences aux autres membres de la famille (Emerson et Souza 2003). L’éducation donne un pouvoir de marchandage plus important à l’intérieur du ménage à la femme dans la décision d’allocation du temps des enfants ; les mères, qui sont mieux éduqués que les pères, sont mieux armées pour imposer leurs préférences aux autres membres du ménage. Dans ce cas, il est moins probable qu’une fille entre sur le marché du travail.

Le poids économique des enfants est évalué différemment par les parents. Le potentiel de revenu est plus grand pour les garçons que pour les filles. Les sociétés dans les pays en

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développement sont organisées de manière à favoriser le développement des garçons puisqu’elles sont patriarcales.

1.3. Le contexte social favorable aux garçons

Pour certains, la discrimination de genre suit une logique socioculturelle. Ces facteurs socioculturels influencent le comportement des individus. En effet, dans un grand nombre des sociétés, une plus grande valeur est accordée aux enfants de sexe masculin. Ceci est le cas dans les sociétés patriarcales. Les enfants n’ont pas tous la même valeur pour les parents. Certains parents reconnaissent qu’une différence d’appréciation de leurs enfants résulte du fait que les filles, contrairement aux garçons quitteront la cellule familiale lorsqu’elles seront mariées ; par conséquent les parents qui ont investi dans leur éducation ne bénéficieront pas de cet investissement ; les bénéficiaires seront les maris et la belle famille. De ce fait, une grande importance est accordée à l’investissement dans l’éducation des garçons qui ne quitteront pas la cellule familiale. Les parents pourront contrôler les bénéfices de leurs investissements à travers le financement de leurs retraites. Une étude menée dans une région rurale en Indonésie par Quisumbing et Otsuka (2001), montre que les parents investissent plus dans l’éducation des filles que des garçons. Ces derniers en contrepartie reçoivent en héritage la terre alors que les filles ne reçoivent aucun actif matériel de la part de leurs parents. L’éducation est le seul actif dont elles héritent. Cette inégalité de genre dans le transfert d’actif s’explique par la mobilité des filles qui partent souvent travailler en ville. Une éducation est alors nécessaire pour survivre en ville et de faire face aux aléas de la vie. Les garçons sont moins incités à partir, car ils ont l’obligation morale de subvenir aux besoins de leurs parents et ils héritent de la ferme familiale. Les filles effectuent des transferts de revenu, en cas d’un éventuel retour au village. Elles conforteront ainsi leur statut social auprès des villageois (comme étant des bons enfants) et auprès de la famille.

Il existe d’autres facteurs explicatifs de cette inégalité de genre. L’inaccessibilité des femmes aux emplois formels mieux rémunérés explique que les parents renoncent à éduquer les filles. Dans les sociétés, où les marchés du travail sont faiblement intégrés, les parents ne trouvent aucun intérêt à investir dans l’éducation de leurs enfants. Les filles sont les premières victimes d’une telle situation. La différence de rémunération entre les hommes et les femmes constitue de plus un facteur dissuasif pour les ménages pauvres. Les femmes dans les pays en développement sont, pour la plupart d’entre elles, engagées dans les activités informelles qui leur sont spécifiquement réservées, par exemple le commerce, la coiffure. L’emploi dans l’informel ne nécessite pas une qualification importante.

On constate dans les pays en développement une disparité de genre dans la scolarisation des enfants. Le taux d’abandon des filles est plus élevé que celui des garçons. La raison essentielle de ce fort taux de déscolarisation des filles réside dans le fait qu’elles sont surmenées par les tâches domestiques (Jensen et Nielsen 1997). Si la pauvreté force les parents à choisir quel enfant sera scolarisé, c’est la fille qui est moins souvent choisie que le garçon. Dans un ménage, où il y a beaucoup d’enfants en âge d’être scolarisés, la probabilité des filles d’être à l’école en est réduite (Jensen et Nielsen 1997). 2. Le contexte économique marocain

2.1. La situation économique du Maroc La croissance économique au Maroc a cru en moyenne de 4% an de 1996 à 2004 (Ministère de Finance et de la Privatisation 2005) alors qu’il était de 1.5% entre 1991 et 1995. Cette excellente performance de l’économie marocaine durant la deuxième moitié des années 1990

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s’explique par la bonne performance du secteur agricole qui a enregistré un taux de croissance moyen de 14.8%. Cependant, le poids du secteur agricole ne cesse de diminuer dans l’économie marocaine qui est passé de 17.4% sur la période 1980-1989 à 16,5% de 1990-1995 (Ministère de Finance et de la Privatisation 2005), ceci reflète le changement de spécialisation de l’économie marocaine qui a pris une orientation industrielle de base (textile, industrie chimique etc).

L’économie marocaine étant très rurale, plus de 80% de la population active en milieu rural occupent un emploi agricole. Le secteur agricole pèse lourd sur la croissance économique du pays. Le pays tire son revenu des exportations agricoles (20% des exportations totales du Maroc proviennent du secteur agricole). Ce secteur est aussi le premier pourvoyeur d’enfants travailleurs. La crise du secteur agricole dans la première moitié de la décennie 1990 a entraîné une dégradation du condition de vie des ménages ruraux, se traduisant par une baisse de la consommation par tête de 1.6% (Gouzi 2002). De même, le nombre des marocains vivant en dessous du seuil de pauvreté définit par la Banque Mondiale avec moins d’un dollar par jour est passé de trois millions à cinq millions (Gouzi 2002). Cette hausse de la pauvreté s’explique aussi par la crise du secteur agricole des années 1991-1995. La crise du secteur agricole s’explique par la sécheresse et la fluctuation du prix des produits agricoles sur le marché internationaux. Selon Edmonds (2005), au Vietnam les producteurs du riz ont profité de la hausse du prix du riz sur marché international pour scolariser les enfants. Ainsi, le Vietnam a connu une baisse significative du travail des enfants durant la première décennie des années 1990. Alors que le Maroc semble connaître une situation inverse. L’économie marocaine étant essentiellement agricole, une crise de ce secteur peut conduire les enfants sur le marché du travail au lieu d’être sur les bancs de l’école. Les enfants en milieu agricole sont employés comme des aides familiaux dans les fermes familiales. Cockburn (1999) montre qu’en Ethiopie les ménages possédant un actif (fermes familiales ou un petit lopin de terre et des petites entreprises familiales ou un petit commerce) utilisent les enfants pour réduire les coûts de production et pour accroître la rentabilité de l’entreprise familiale.

2.2. Le contexte socioculturel marocain Au Maroc le travail des enfants est un phénomène ancestral, il prenait la forme d’aides familiaux dans les exportations familiales en milieu rural et dans l’artisanat où le savoir-faire familial se transmettait de génération en génération. Le travail des enfants était considéré comme étant un apprentissage à la vie, une forme de socialisation et une phase transitoire nécessaire à la vie d’adultes. La forme traditionnelle du travail des enfants continue d’exister en milieu rural mais dès nos jours le travail des enfants prend un caractère marchand pour des raisons de survie.

Le contexte social marocain semble marqué par une forte inégalité de revenu entre les populations vivant en milieu rural et urbain. La population rurale est plus pauvre que celle vivant en ville car son revenu varie au gré de l’évolution du prix du marché international des denrées alimentaires et des intempéries climatiques. Cette inégalité se traduit par le travail des enfants notamment celui des garçons qui se lancent sur le marché du travail pour apporter un revenu additionnel au ménage. Selon Baghagha (2002), 52% des enfants prennent eux même la décision d’aller travailler, celle-ci croit avec l’âge. Ce qui n’est guère le cas pour les filles qui restent sous l’autorité parentale. Les enfants travailleurs viennent alimenter le secteur informel en main-d’œuvre ce qui a pour conséquence d’accroître la taille du secteur informel. Les filles s’occupent des tâches ménagères pour libérer le temps des adultes du ménage impliquant ainsi une déscolarisation précoce des filles de l’école. L’école ne semble pas être une notion ancrée dans la société marocaine en particulier parmi les pauvres. En cas de crise

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économique les parents réduisent leur investissement en éducation, dans un tel contexte les filles en sont les premières victimes. Comme dans toutes les sociétés patriarcales c’est au garçon de subvenir aux besoins de la famille qui se lance en premier sur le marché du travail, le travail des filles est utilisé en dernier recours.

Selon Baghagha (2002), dans 53% des cas les enfants travailleurs viennent des ménages comprenant trois à cinq personnes. Ainsi, la taille du ménage est tout aussi un facteur important de la mise au travail des enfants. C’est un élément révélateur de la mise en travail précoce des aînés. Le contexte culturel marocain est dominé par des attitudes sociales qui justifient le travail des enfants. Ses déterminants peuvent se situer également dans le registre culturel. L’activité précoce des enfants, notamment des aînés, constitue le moyen d’apprentissage le plus efficace et une véritable garantie dans la vie (Guessous 2002). D’après les parents, les revenus que ces enfants génèrent contribuent souvent au budget familial et aux frais de scolarité des frères et sœurs plus jeunes. Il est à noter également que l’instabilité et la dislocation familiale allié au facteur taille affecte visiblement l’avenir des enfants et les oblige dans la majorité des cas à se mettre au travail pour survivre et aider leurs proches. Le revenu des ménages peut réduire la probabilité de mise au travail (UCW/OIT/Unicef/Banque Mondiale 2004). Or, l’effet de ce revenu demeure faible. Dans le monde rural, la mise au travail des enfants (filles) est peu corrélée aux revenus familiaux en raison de leur statut d’aide familial ou ceux exerçant des tâches ménagères non perçues comme activité économique. Les parents n’y voient guère d’inconvénient à se faire aider par leurs enfants. Au niveau urbain, la question est différente. L’inexistence ou la faiblesse du revenu des parents peut expliquer dans une grande mesure la mise au travail des enfants. Les enfants issus de familles très pauvres se voient obligés de travailler peu importe la gravité et la nature du travail à effectuer. En revanche, certains parents ayant une certaine aisance financière n’hésitent pas à avantager le travail au détriment de l’école pour des attitudes sociales favorables au travail infantile accentuées par la défaillance du système scolaire. Au Maroc, la rupture scolaire s’imbrique fortement à un déficit en matière de capital socio-culturel dû aux conditions économiques défavorables des familles pauvres.

L’éducation des parents est également un facteur important de l’explication du phénomène. Il constitue un facteur indirect de la pauvreté. Le niveau de l’éducation de la mère a plus d’effets que celui du père. Les enfants dont les mères sont instruites ont 5% de probabilité de moins de travailler, 2% d’être frappés d’inactivité et 7% de chances de fréquenter l’école (UCW/OIT/Unicef/Banque Mondiale 2004). Le niveau d’éducation des parents traduit ainsi la nature de la décision parentale, soit pour une mise en travail, soit pour une scolarisation. Nonobstant, bon nombre d’enfants se retrouvent sur le marché du travail quand bien même leurs parents aient atteint un certain niveau d’éducation. Mise à part le facteur économique, les normes sociales agissent fortement sur la décision parentale. Le travail de l’enfant est perçu comme une aide à la famille, un apprentissage, une forme de socialisation que l’école publique d’aujourd’hui n’est pas en mesure d’assurer. 3. Le système éducatif au Maroc L’école est obligatoire au Maroc pour les enfants âgés de 6 à 15 ans, cependant l’enseignement préscolaire pour les enfants de 4 à 6 ans ne l’est pas. Le gouvernement s’est assigné comme objectif d’atteindre une scolarisation universelle n’épargnant aucun enfant quel que soit son milieu d’origine et sa situation financière. L’école publique est gratuite et accessible à tous les enfants marocains.

3.1. La crise du système scolaire

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Le système éducatif marocain est dual caractérisé par une école privée et une école publique. Les ménages riches scolarisent leurs enfants dans les écoles privées et les ménages pauvres scolarisent leurs enfants dans l’école publique qui est qualifiée de « voie de garage » (Bougroum et al 2002). L’école publique faillit dans son objectif de produire les compétences nécessaires pour le marché du travail formel (Gouzi 2002), puisque les jeunes diplômés de cette école ne sont pas qualifiés et travaillent dans les activités peu valorisantes. Ainsi, ce sont les jeunes diplômés de l’école publique qui se retrouvent inemployés sur le marché du travail. Les ménages pauvres réduisent leur investissement éducatif impliquant une déscolarisation des enfants. Selon Gouzi (2002) d’autres facteurs expliquent la défaillance du système scolaire, le manque de latrines, la distance de l’école avec les lieux de résidence en particulier en milieu rural, l’analphabétisme des parents, et un programme trop chargé. Dans un pays comme l’Egypte le système scolaire est organisé de manière à permettre aux enfants de combiner l’école et le travail. Ce sont en général, les filles qui sont les premières victimes de la décision de non scolarisation ou de déscolarisation. Selon Akesbi (2000), le nombre de déscolarisation des filles était de 240 000 en 2000. Les parents perdent confiance dans l’école publique. Les ménages les plus pauvres ne voient plus dans l’éducation une institution facilitant l’ascension sociale. Ballet et Bhukuth (2005) considèrent qu’en période de crise le marché du travail induit une crise du système scolaire. Ceci est le cas en Afrique Subsaharienne. Au Maroc, nous avons l’effet inverse, un système scolaire défaillant induit une crise d’emploi formel sur le marché du travail venant alimenter le marché du travail informel. Au Maroc, pour inciter les parents à investir dans l’éducation des enfants, il faut améliorer l’enseignement dans l’école publique et dans les pays d’Afrique Subsaharienne il faut miser sur la création d’emploi par les entreprises formelles pour relancer l’investissement éducatif.

L’enseignement de l’école publique au Maroc est donc inadapté, ne répondant pas aux besoins du marché du travail formel. Les enfants redoublent leurs classes très souvent, seulement 75% des enfants entrant en première année du cycle primaire arrivent à passer en cinquième (Gouzi 2002). La mauvaise qualité de l’enseignement crée des générations d’analphabètes (Gouzi 2002, Bougroum et al 2004). Bougroum et al (2004) expliquent cette mauvaise qualité de l’enseignement par une mauvaise formation des enseignants qui dès leur formation sont affectés dans les milieux les plus difficiles et en milieu rural sans avoir la possibilité de mobilité professionnelle.

Pour permettre l’insertion des enfants sur le marché du travail, les autorités publiques misent sur la formation professionnelle et l’apprentissage par la formation. Bhukuth et Guérin (2006) distingue la formation professionnelle de l’apprentissage traditionnel. La première est un prolongement de l’éducation formelle et donne accès à l’emploi formel alors que le second est une autre forme d’éducation ne donnant pas accès au même marché du travail. Les différents types de formation entraînent une segmentation du marché du travail.

3.2. L’éducation des filles Selon Gouzi (2002), les enfants reçoivent une éducation jusqu’au terme du cycle primaire ce qui correspond à l’âge de 12, ceux qui continuent en cycle secondaire sont déscolarisés à partir de 15 ans4. Le taux net d’inscription par fréquentation à l’école primaire entre 1996 et 2004 est estimé à 89% (91% pour les garçons et 87% pour les femmes (Unicef, 2005). Le système éducatif marocain souffre d’un taux de redoublement important (16,5%) comparable,

4 Selon Gouzi (2002), près de 4 millions d’enfants n’ont pas achevé le cycle d’éducation primaire (37% au niveau national et 56.4% en milieu rural, seuls 59.4% ont accédé au cycle secondaire. Le taux d’accès au collège a diminué pendant la période de crise qui est passé de 64.5% sur la période 1988-92 à 30.1% sur la période 1993-95

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sinon supérieur, au Burkina Faso et au Sénégal par exemple. Le taux d’échec scolaire est aussi très significatif dans le primaire et reste lié à la détérioration de la qualité de son enseignement. Nous aboutissons ainsi en fin de cycle primaire à un faible niveau d'acquisition des connaissances. Le secondaire est désavantagé dans le sens où les taux de scolarisation accusent une forte chute par rapport au cycle précédent. Nous passons ainsi à 38% de garçons scolarisés contre 33% pour les filles de 2000 à 2004. Les filles et les pauvres, en particulier dans en milieu rural, sont davantage touchés par la non scolarisation. Les filles sont déscolarisées prématurément. En zone rurale, 48.8% de filles fréquentent l’école contre 91.6% pour les garçons. Ce qui révèle les inégalités qui existent entre les deux sexes quant à leur scolarisation. (UCW/OIT/Unicef/Banque Mondiale 2004). Par conséquent, la probabilité d’être scolarisée pour une fille est d’un tiers inférieure à celle d’un garçon. D’autant plus que 35.2% des filles appartiennent à la catégorie des « inactifs » (7.1% pour les garçons), à savoir qu’elles ne fréquentent pas l’école et ne travaillent pas. Il va sans dire que la majorité d’entre elles exécutent des travaux ménagers et participent probablement à des travaux qui ne sont rapportés (les travaux domestiques) dans les statistiques. Dans la majorité des cas, les parents sont découragés pour investir davantage dans l’éducation de leurs filles au-delà du primaire en raison d’un déficit économico-culturel structurel. La non disponibilité des infrastructures, l’éloignement du trajet et les frais élevés de la scolarisation constituent, entres autres, des facteurs explicatifs de la déscolarisation des filles. 4. La situation du marché du travail

4.1. La dualité du marché du travail L’économie marocaine est duale caractérisée par un secteur modern et dynamique et un secteur traditionnel. Le poids de ces deux secteurs peut se mesurer par le nombre des personnes engagées dans ces secteurs. Selon Bougroum et Ibrouk (2004) deux facteurs expliquent cette dualité : l’urbanisation croissante et l’Ecole Moderne. Ces deux éléments ont permis le développement d’un secteur moderne qui a tiré sa dynamique par l’investissement de la part des ménages riches dans l’éducation des enfants. L’urbanisation croissante s’explique par la crise du secteur agricole, la population rurale a fuit le milieu rural pour trouver un emploi plus rentable en ville. Ce phénomène se traduit par l’apparition d’une nouvelle pauvreté urbaine. La dualité de l’économie s’explique tout aussi par la catégorisation de la population marocaine. Le milieu urbain se distingue par une population riche investissant dans l’éducation des enfants et un secteur agricole plus traditionnel caractérisé par une population pauvre. La population paysanne marque sa défiance envers l’école moderne qui ne véhicule plus l’image d’une institution garantissant la mobilité sociale.

Le secteur traditionnel ou informel comprend l’artisanat traditionnel, le secteur agricole, les petits métiers de la rue et le secteur de service domestique. Il s’étend sur un large éventail d’activités, composite et en pleine expansion. Les enfants engagés dans ce secteur ont le statut d’aides familiaux, apprentis, travailleurs occasionnels salariés. Le secteur modern ayant une vocation internationale fait usage du travail des enfants pour améliorer sa compétitivité internationale. C’est essentiellement le cas de l’entreprise du tapis marocain qui est notamment en concurrence avec les industries du tapis indiens, pakistanais, népalais et chinois qui se partagent plus de la moitié du marché du tapis. Dans ce contexte l’insertion internationale des industriels marocains est difficile. Selon Bougroum et Ibrouk (2004), le secteur modern ayant une organisation du travail du type taylorienne employant une main-d’œuvre peu qualifiée est favorable à l’emploi des enfants qui offrent deux avantages essentiels ; les enfants sont dociles (pas de droits syndicaux), ce que Bhukuth (2005) appelle « la voix silence de la main-d’œuvre » et bon marché.

Augendra Bhukuth et Nahid Bennani

360

Le secteur informel en excluant l’activité agricole est le deuxième secteur pourvoyeur du travail des enfants. Sur ce secteur le travail des garçons se distingue de celui des filles qui occupent essentiellement les activités comme le travail domestique (petites bonnes) et sont employées dans l’industrie du tapis. Les garçons sont employés comme apprentis dans l’artisanat traditionnel, dans l’agriculture et les activités des rues. Le secteur artisanat comprend essentiellement les micro-entreprises et d’indépendants qui sont localisés en milieu urbain. Selon Alami (2002), il y aurait environ 72 272 unités artisanales au Maroc. Cependant, il est difficile de donner une estimation exacte du nombre d’enfants travailleurs dans ce secteur. L’enquête nationale sur l’emploi (LFS 2000 cité par Alami 2002) signale qu’il existe quelques 36 000 enfants travaillant dans le secteur traditionnel de l’artisanat. Selon Alami (2002), il y aurait 41.9% des enfants de moins de 15 ans travaillant dans l’industrie manufacturière et artisanat. Selon Alami qui en se référant à une étude statistique de 1996 montre que 51% des enfants travaillant dans l’artisanat ont commencé à travailler avant l’âge de 12 ans et 28% avant 10 ans. La précocité de l’emploi de la main-d’œuvre infantile s’explique par le manque de mécanisation du secteur artisanal. Selon Mathur (1996) en Inde, l’emploi des enfants de bas âge s’explique par la difficulté à apprendre les techniques de production. Selon Alami (2002) en se référant à une étude du BIT/IPEC montre que dans l’industrie du tapis 44% des filles sont âgées de 7-12 ans et 52% sont âgés de 13-14 ans. L’emploi des jeunes filles dans l’industrie du tapis fait appel à l’argument de « nimble fingers », stipulant que plus un enfant est jeune plus grande est la dextérité de ses doigts et donc plus élevée est sa productivité. L’argument de nimble fingers a été réfuté par une étude réalisée par Levison et al (1996).

Selon Alami (2002), dans la ville de Fès le secteur textile et cuir compte 60,5% des apprentis avec une nette prédominance de la cordonnerie, le secteur du métaux compte environ 17% des apprentis dont 68% sont dans la dinanderie, le secteur terre et bâtiment (carreaux, céramiques et poteries) compte 11% des apprentis. Les filles ont le statut d’apprentis dans les activités comme la borderie couture, l’industrie du tapis. Ces types d’activités s’apparente à du travail à domicile (c'est-à-dire que l’entreprise est du type familial). Les différents types de spécialisation des enfants par sexe marque aussi une segmentation sexuelle du marché du travail. Selon LFS (2000), on estime le nombre des filles qui travaillent en tant que domestiques ou « petites bonnes » à 9 800 filles. Un chiffre qui est remis en cause par quelques études notamment celle menée à Casablanca en 2001 et qui a évalué le nombre des filles engagées dans ce type de travail à 13 580 enfants dans cette seule ville.

4.2. La situation des filles sur le marché du travail Le tableau illustre la manière dont la main-d’œuvre infantile féminine est employée selon les branches d’activités. Nous constatons que cette main-d’œuvre est essentiellement occupée dans l’industrie du textile avec 51.4%, la proportion des garçons travaillant dans cette industrie est très faible avec seulement 4.4%, l’autre industrie employant les filles est commerce et des petites réparations avec 17.1%. Il y a des industries qui emploient uniquement des garçons comme le travail des métaux qui ne comprend pas de fille alors que la branche réparation des véhicules emploient une proportion plus élevée des garçons avec 17.4% contre seulement 1.3% des filles.

Augendra Bhukuth et Nahid Bennani

361

Tableau 1. Répartition selon la branche d'activité et le sexe

Sexe Branche d'activité Masculin Féminin Total

Industrie du Textile 4.4 51.4 15.2 Industrie de l'habillement 16.5 9.2 14.8 Travail de bois et de Menuiserie 10.5 10.3 10.5 Travail des métaux 6.9 0.0 5.3 Fabrication des meubles 5.1 2.0 4.4 Réparation des véhicules 17.4 1.3 13.7 Commerce et petite réparation 24.6 17.1 22.9 Restauration 5.3 5.1 5.3 Autres Activités 9.2 3.5 7.9 Total 100.0 100.0 100.0

Source : ENSI 1999/2000 extrait de Alami 2002

Le tableau 2 donne une autre perception du travail des filles dans le secteur informel. Seulement 23.1% des filles âgées de moins de 15 ans sont employées dans le secteur informel contre 76.9% des garçons. Le secteur informel est essentiellement un secteur masculin. Les filles n’occupent pas d’emploi salarié, signifiant que seuls les garçons ont le devoir de subvenir aux besoins vitaux de la famille. Les garçons par leur travail accroissent le revenu de la famille. Les filles sont occupées dans les activités invisibles comme le travail domestique ou comme aides familiaux avec 39.6% des filles.

Tableau 2. Répartition selon la situation dans la profession et le sexe

sexe Statut Masculin Féminin Total

Indépendant 90.3 9.7 100.0 Salarié 100.0 0.0 100.0 Apprenti 90.8 9.2 100.0 Aide familial 60.4 39.6 100.0 Membre de coopératif 70.7 29.3 100.0 total 76.9 23.1 100.0

Source : ENSI 1999/2000 extrait de Alami 2002

Ces deux tableaux nous montrent que les filles n’ont pas accès à l’ensemble des activités du secteur informel. Certaines activités sont spécifiquement féminines. Cette catégorisation des filles empêche l’insertion des filles sur le marché du travail. Bhalotra (2000) montre qu’au Pakistan, les filles occupent rarement des activités rémunérées, elles s’occupent des activités

Augendra Bhukuth et Nahid Bennani

362

domestiques et à domicile. Ray (2000) explique la faible insertion des filles sur le marché du travail par la culture musulmane qui accorde une faible importance au travail des filles.

4.3. Le travail invisible

Les filles travaillent comme aides familiaux dans les entreprises familiales, elles ne sont pas rémunérées pour ce travail, elles constituent une force de travail gratuite que les parents s’en servent pour réduire le coût de production et/ou pour accroître la productivité de l’entreprise familiale. L’autre caractéristique du travail féminin est le travail domestique. Les filles sont rémunérées pour ce travail. Cette forme de travail est invisible car les petites bonnes ne se présentent pas sur le marché du travail d’elles mêmes, elles sont recrutées indirectement par l’intermédiaire des connaissances de parents ou d’agents de recrutement. Dans le premier cas, 68.3% des filles de moins de 15 ans sont recrutées par ce moyen alors que seulement 19.5% des filles sont recrutées par des agences de recrutement (Alami 2002). Le réseau relationnel est donc le principal moyen de recrutement des petites bonnes. 74% des filles viennent des milieux ruraux contre 11% des milieux urbains (Baghagha 2002). Elles travaillent généralement dans les familles aisées en milieu urbain (cadre du secteur public, médecin, professeurs d’universités etc.) (Bougroum et Ibrouk 2004). L’autre raison de l’invisibilité du travail domestique est l’enfermement des filles dans les maisons de leurs patrons. L’espace de travail familial et privé se confondent, il est impossible de distinguer entre ce qui est du travail rémunéré et non rémunéré. Selon Baghagha (2002), 46% des filles travaillent dans les villas, contre 34% dans des appartements. 26% des filles ont moins de 10 ans et 72% ont moins de 13 ans.

Le statut des filles domestiques est précaire dans le sens où elles sont très faiblement rémunérées. Selon Alami (2002) 41.3% des filles de moins de 15 ans gagnent de 100 à moins de 300 dirhams par moins et 49.1% gagnent entre 300 et moins de 500 dirhams par mois. Alors que seulement 32.5% des filles ont des jours de repos pendant les fêtes religieuses. Elles travaillent plus de huit heures par jour, 72% des filles se réveillent avant 7 heures du matin pour travailler et pour 65% d’entre elles vont se coucher après 23 heures (Baghagha 2002). 29% des filles n’ont ni jours de repos ni congés annuels (Alami 2002). Selon Baghagha (2002), 59% des petites bonnes mangent avec les membres du ménage, 82% dorment dans la même chambre que les autres membres du ménage.

Elles travaillent dans des mauvaises conditions, elles sont souvent victimes de sévices corporels et même sexuels (Alami 2002). Le fait que le travail des filles soit invisible renforce leur vulnérabilité sur le marché du travail. Les filles étant éloignées de leur milieu familial ne possèdent d’aucune protection parentale, elles se trouvent ainsi à la merci de leurs employeurs. 5. Conclusion Il semble que la pauvreté est un facteur déterminant du travail des enfants au Maroc, celle-ci a été exacerbée par la crise économique durant la première moitié de la décennie 1990. D’autres facteurs tout aussi important comme les normes sociales et culturelles viennent influencer la décision des parents à mettre les enfants au travail. D’autant plus que le système scolaire public ne répond plus aux attentes des ménages les plus pauvres. L’école ne crée plus les compétences nécessaires pour trouver un emploi sur le marché du travail formel. Ainsi, la dualité du système scolaire marquée par une école publique défaillante et une école privée performante induit un marché du travail dual avec un marché du travail formel absorbant les jeunes diplômés de l’école privée et un marché du travail informel récupérant les diplômés de l’école publique ou ceux ayant abandonné au cours leurs études. De même sur le marché du travail informel, les garçons sont plus intégrés que les filles qui occupent rarement un emploi

Augendra Bhukuth et Nahid Bennani

363

industriel hormis le secteur du tapis qui est le premier pourvoyeur de la main-d’œuvre infantile féminine. Les filles sont rarement embauchées comme apprentis. Les filles ont le statut d’aides familiaux en particulier en milieu rural dans les entreprise familiales ainsi que le statut de travailleur domestique. Ce dernier statut renforce la vulnérabilité des filles. Bibliographie Alami M.R (2002), « Le Travail des Enfants au Maroc : Approche Socio-Economique »,

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Augendra Bhukuth et Nahid Bennani

365

Fatima Zahid

349

Genre, conditions et profils migratoires aux bidonvilles de Meknès

(Cas de douar Bougrâa)

Pr. Fatima ZAHID1

Résumé de la communication

Le Maroc, à l’instar des pays en voie de développement, connaît une augmentation continue

et rapide du nombre des migrants ruraux dans les régions défavorisées et écologiquement

fragiles et dans les zones situées à proximité des grandes agglomérations. Ce qui entraîne des

déséquilibres dans les zones de départ et d’accueil. Le mouvement migratoire génère aussi

des changements affectant le cadre de vie des émigrants hommes, femmes et enfants. Ces

familles changent de relations avec leurs sociétés d’origine, de cadre de vie habituel,

d’activités, de besoins, de façon de vivre, d’aspirations…Les femmes comme les hommes

sont sujettes à plusieurs changements, les rapports de genre sont également affectés. Une

nouvelle dynamique s’installe au sein des familles migrantes, d’autres rapports se créent entre

les femmes et les hommes, entre les enfants et les parents, entre la famille migrante et

l’espace d’origine…

Le parcours migratoire caractérisant chacune des familles enquêtées traduit une histoire de

vie où plusieurs facteurs se mêlent et dont le genre joue un rôle important. Cette

communication essaie d’apporter des éclairages sur les conditions de vie des femmes et des

hommes dans les bidonvilles marocains, leurs parcours migratoires ainsi que leurs problèmes.

L’étude de ces parcours migratoires a été réalisée dans l’un des plus grands bidonvilles de

Meknès (Bougrâa) auprès d’une quarantaine de familles moyennant des entretiens semi

structurés et des outils de l’Approche genre.

.

Mots- clés : Migration, bidonvilles, familles, genre, conditions de vie, changements

1 Professeur- chercheur à l’Ecole Nationale d’Agriculture de Meknès. BP. 40. MAROC. Email : [email protected] / [email protected]

Fatima Zahid

367

Introduction

A l’instar des pays du tiers monde, le Maroc a connu, « juste après l’instauration du

protectorat français de 1912, une mobilité démographique et un exode rural sans précédant »

(Elmalki A.p.62)2. Depuis lors, le monde rural marocain n’a cessé de perdre ses ressources

humaines. Ce phénomène s’est accentué après la deuxième guerre mondiale pour atteindre

son comble après l’indépendance. « Le nombre de migrants était de 8000 personnes

annuellement. Au début du siècle, ce solde a connu progressivement une accélération après la

deuxième guerre mondiale pour atteindre une ampleur croissante après l’indépendance. On

peut retenir notamment, le passage de ce solde de 45 000 annuellement entre 1952 et 1960 à

environ 193 000 personnes durant la dernière période inter censitaire 1982 – 1994 »

(CERED : 1995, p 39)3. Cette mobilité des populations est différentielle entre les régions et

reste accrue vers les grandes villes. En l’absence d’une politique globale pouvant éradiquer le

phénomène de bidonvilisation, les bidonvilles continuent à altérer les paysages urbains.

La ville de Meknès compte parmi les grandes villes marocaines qui ont constitué « l’un des

principaux pôles d’attraction des populations rurales. En effet, et dés la période coloniale, les

ruraux s’installaient à Meknès en quête d’un emploi et des meilleures conditions de vie. Ce

mouvement migratoire a connu son ampleur après l’indépendance et ce, malgré le

ralentissement des activités industrielles de la ville durant les années soixante… » (Hanbali

M. p 105)4. La ville de Meknès a connu ainsi le développement d’un grand nombre de

bidonvilles tels que Bourj Moulay Omar, Sidi Baba, Ain Maaza, El fakharine, Sidi Saaid,

Mazila, Génie… et Bougraa; objet de cette étude.

La migration est traitée par plusieurs auteurs et sous plusieurs angles. Cependant, le débat

continue sur certains aspects de la migration : Au niveau des études, il a été unanimement

admis que le phénomène de la migration et de l’exode rural touche plus les hommes que les

2 -Elmaliki. A : L’Exode rural au Maroc (Etude sociologique de l’exode de Tafillalet vers la ville de Fès) p. 39-43 ; La ville Maghrébine, revue de la Faculté des lettres et des sciences humaines Dhar El Mehrez Fes n° 9. 1994. 3. CERED : L’Exode rural : Trait d’évolution profils et rapport avec le milieu d’origine, 1995. -CERED : Croissance démographique et développement du monde rural. Etude démographique 1995. 4 Hanbali. M : Recasement des Bidonvillois à Meknès : Evaluation de l’opération Marjan. (Mémoire de 3ème cycle) INAU. 1992

Fatima Zahid

368

femmes. Ces dernières ne migrent que pour suivre leurs pères, maris ou frères. Ce n’est que

récemment que quelques études ont montré que la femme est partie prenante dans le projet

migratoire » (EDNPR)5 (ENCVM)6. Les femmes commencent à être de plus en plus touchées

par la migration pour rejoindre leurs maris, leurs enfants ou pour chercher un emploi.

La présente étude se veut une contribution à l’étude du genre en relation avec la

problématique de la migration dans le bidonville de Bougrâa. Elle s’est basée essentiellement

sur des entretiens semi- structurés réalisés avec des hommes et des femmes et avec des

informateurs clés du bidonville pour bien trianguler l’information.

Une quarantaine de familles a été touchée par ces entretiens pour identifier les parcours

migratoire, les variables et les constants chez les familles bidonvilloises, ...

L’étude selon le genre a bien montré les conditions des femmes et des hommes ainsi que leur

parcours migratoire, leurs problèmes et leurs aspirations.

Commençons tout d’abord par la présentation de cet espace désordonné et ordonné qui fait la

particularité de tous les bidonvilles et qui constitue un support qui héberge des dynamiques,

des souffrances et des aspirations.

1. Présentation de l’espace :

Bougraa est le plus grand bidonville de l’agglomération de Meknès qui a échappé aux

opérations de recasement initiées par le département de l’habitat malgré son ancienneté et les

problèmes qu’il connaît. Sa création par les responsables de l’armée du protectorat à Meknès,

sur une assiette foncière de 8 Ha en litige avec les tribus de Majjat, est l’un des facteurs qui a

entravé son éradication. Il héberge une population de 3271 et un nombre de 1050 baraques.

Le non équipement et la précarité des constructions pèsent lourdement sur la vie de ses

habitants en l’occurrence celle des femmes et des enfants qui y passent la majorité de leur

temps. L’absence du réseau d’assainissement, de l’eau potable, l’absence de l’éclairage

domestique viennent davantage assombrir ce tableau.

Les ressources de ce bidonvilles sont diversifiées (fermes, les usines, le marché de gros, le

« moukef », le service ménager (comme bonne), le commerce ambulant, la broderie et

« Aakkad »…) mais ne permettent pas d’assurer un revenu stable et rassurant pour les

ménages migrants. Les fermes ne sont plus en mesure garantir l’emploi, les activités urbaines

demandent la formation et la qualification dont le migrant ne dispose pas. Il se contente des

activités marginales à faible revenu.

5 : Enquête Démographique Nationale à Passages Répétés 1986- 1988 6 : Enquête nationale sur les conditions de vie des ménages réalisée en 1990- 1991

Fatima Zahid

369

Ce système en crise caractérisé par la faiblesse des ressources et des revenus, la précarité de

l’habitat et le sous équipement sont le reflet de pauvreté et la marginalisation de ces migrants.

2. Profil des migrants

Le profil dominant des migrants de Bougraa est traditionnel : Il s’agit de migrants mariés,

d’origine rurale, analphabètes et sans formation ou qualification professionnelle. La majorité

d’entre eux est poussé par les effets conjugués de la désarticulation des structures connues par

le monde rural au cours du siècle dernier et les déséquilibres naturels. A travers un réseau

familial ou d’amitié et suivant un itinéraire migratoire généralement complexe les migrants

arrivent à la périphérie de la ville pour s’abriter dans une agglomération de baraques,

souhaitant améliorer leurs conditions de vie.

3. Facteurs et motivations de la migration

La décision d’émigrer détermine dans une large mesure le devenir du migrant et de sa

famille. L’influence des facteurs qui sous- tendent une telle décision n’est appréciable que

difficilement vu l’interpénétration et l’interrelation de ces derniers ; néanmoins les

déclarations des enquêtés nous permettent d’identifier l’ensemble des facteurs poussant à la

migration comme le montre le tableau suivant :

Tableau n°1 : Facteurs de migration

Facteurs Hommes Effectifs %

Femmes Effectifs %

Facteurs économiques 16 80 12 60 Facteurs sociaux 2 10 6 30 Autres facteurs 2 10 2 10

Total 20 100 20 100 Source : Enquêtes

La lecture de ce tableau montre que les facteurs économiques dont le manque d’un emploi

stable, l’exiguïté des exploitations agricoles, la faiblesse des revenus agricoles….sont les plus

répandus et se placent en premier avec un pourcentage de 80% pour les hommes et 60% pour

les femmes. Les facteurs sociaux viennent en deuxième place avec 30 % pour les femmes et

10% pour les hommes. Ces facteurs sont généralement liés au mariage, le divorce, la perte du

conjoint, le regroupement familial, les conflits familiaux, l’éclatement des ménages,

l’amélioration des conditions de vie …et les problèmes avec les parents. Ils constituent le

prolongement évident des facteurs économiques aussi bien pour les hommes que pour les

femmes. Quand aux autres facteurs tels que les facteurs environnementaux (sécheresse et

diminution des ressources en eaux), les facteurs historiques pour les vieux (intervention des

Fatima Zahid

370

colons)…ont une influence insignifiante aussi bien pour les hommes que pour les femmes,

avec un pourcentage de 10% chacun sur la totalité des enquêtés. Lorsque les entretiens sont

menés de façon individuelle, les femmes déclarent l’importance des facteurs sociaux en

relation avec leur propre parcours migratoire. La migration constitue la rupture de l’état de

dépendance vécu dans une famille élargie, gérée de surcroît par la belle mère. Ceci nous

impose la prise en compte de l’importance des facteurs sociaux dans la migration féminine.

Les facteurs liés à la scolarisation des enfants et la santé ne sont pas très présents dans les

mouvements de migration. Comme les migrants de la majorité des villes marocaines, la

disponibilité de l’emploi en ville et dans les fermes environnant le bidonville constitue la

motivation la plus importante pour les migrants. A cette motivation s’ajoute la disponibilité

du terrain gratuit, l’aide de toute nature garantie par les colons et les habitants au début de

l’édification du bidonville et la possibilité de multiplier les baraques pour loger un parent, un

migrant du douar d’origine ou un ami de travail. Ces conditions ajoutées à l’absence des

charges d’eau, d’électricité et du loyer constituent une motivation qui justifient la décision de

s’installer à Bougraa. Les contraintes de se fixer dans le milieu d’origine et les facteurs

d’attraction qui pousse l’individu à migrer en ville se conjuguent, à des doses et niveaux

différents, pour déclencher la décision de migrer. Les facteurs indirects liés surtout à la

perception et à l’image de la vie en milieu urbain et rural et au statut social de l’urbain et rural

préparent en grande partie la décision de migrer à la recherche du rêve citadin.

4. Réseau migratoire

Le réseau de migration à douar Bougrâa est dominé par la famille, l’amitié, et l’appartenance

au même milieu d’origine, à la même tribu et au même quartier. Le migrant est toujours

renseigné en détail sur le bidonville, motivé par ceux qui l’habitent déja, sécurisé

suffisamment par les siens avant de venir. Ayant épargné de quoi acheter une baraque, la

décision de migrer est justifiée. Il est important de noter que les migrants et les migrantes ont

tous déclaré qu’il est pratiquement impossible de prendre la décision de migrer sans le contact

des gens déjà expérimentés. Pour les premiers migrants, les colons propriétaires des fermes et

les décideurs militaires avaient un rôle très important dans l’installation des premières vagues

de migrants. Ces derniers jouent le rôle d’encadrants, de superviseurs qui aident généralement

les nouveaux à s’installer, à établir des relations avec le « M’Aallem » constructeur des

baraques, avec l’épicier, le marchant de légumes,… et à trouver du travail. Une fois l’« abri »

préparé, ils font venir le reste de la petite famille.

Fatima Zahid

371

Si d’autres études ont mis en exergue l’importance soit du réseau familial ou du réseau

d’amitié, dans notre cas, les deux facteurs sont importants, plus encore l’est l’intervention

des colons notamment dans la première étape d’installation des migrants.

5. Itinéraire migratoire et difficultés

Il est certain que la décision de migrer n’est prise qu’après avoir fixé des objectifs lui

permettant de dépasser la crise vécue dans le milieu d’origine espérant une vie meilleure.

Cette décision est le point de départ d’une stratégie tracée par le migrant au bidonville pour

réaliser un rêve : le logement, satisfaire les besoins de sa famille par l’insertion dans le

marché de l’emploi, de l’éducation, de la santé…

L’itinéraire migratoire est d’une importance capitale dans la mesure où il nous renseigne sur

le processus suivi pour la recherche du travail et l’achat ou la construction de la baraque.

L’itinéraire migratoire à Bougraâ est diversifié et pénible vu les étapes franchies par les

migrants. Pour les premières familles qui ont constitué le noyau initial du bidonville, il s’agit

d’un simple déplacement des ménages vivant dans les fermes avoisinantes à l’actuel

Bougraa. Quant à celles issues du milieu rural, le mari ayant réussi à trouver un travail

s’arrange pour se procurer une barque et ramène sa femme et ses enfants. Pour les migrants

issus des milieux urbains (médina ou autres bidonvilles), les femmes ont généralement migré

avec le reste de la famille après les quelques visites de prospection effectuées par le mari

auparavant. Dans ce cas, l’itinéraire migratoire devient complexe pour tous les membres du

ménage migrant et surtout pour la femme. Contrairement aux résultats de l’étude sur la

migration féminine vers Marrakech, notre étude a relevé que les hommes au même titre que

les femmes suivent un itinéraire généralement complexe pendant leur migration. L’entretien

avec Aicha Zemmouria illustre de façon très claire les problèmes et les difficultés

rencontrés par les femmes pendant leurs parcours migratoires 7:

Aicha est âgée de 56 ans, elle habite Bougraa depuis 1986. Elle est née à la commune rurale des Ait Wahi province de Khammès ou elle est mariée à l’un des fils de son Douar. Les relations familiales se sont mêlées aux problèmes conjugaux pour finir par une migration vers Aknouz dans les régions de M’rirt ou exerçaient la fonction de « Aazib » au compte de M. Ba hhaji ancien « Quadi ». Les choses avaient l’air d’aller beaucoup mieux car cet homme était généreux. Mais déclare t-elle « nous n’étions pas capables d’améliorer notre situation, pour nous rendre chez nous 2 ans plus tard ». Les conditions de vie étaient plus dures qu’il n’arrivaient pas à survivre, cela a fini par la migration au bidonville de Bab Brdaaine à Meknès en 1971 puis au bidonville de Bab Bouaamaeir de la même ville. « A l’occasion de l’opération du recasement de ce dernier nous étions parmi les bénéficiaires des lots à la zone dite Quitane à Meknès. Vu notre

7 : Entretien réalisé dans la baraque le 14 juin 2005

Fatima Zahid

372

insolvabilité nous n’avions pas la possibilité de construire le logement, nous nous sommes alors contentés de remonter une baraque sur le lot qui nous est attribués » continue l’enquêtée. « Mon mari a profité de mon absence au bled avec les enfants pour vendre le lot et venir nous mener vers la province de Taza. A l’un des douars qui longent Oued Innaouen se fut notre « atterrissage » pour travailler comme éleveurs de volaille (poulet de chair) ou mon époux s’est marié à une deuxième femme originaire de la région » continue-elle. Les problèmes se sont compliqués d’avantage car le mari, en plus de la deuxième femme, passaient la nuit ailleurs avec d’autres femmes. La situation familiale ne fut que régresser avec la baisse du revenu, ils étaient obligés de migrer au Bidonville de Ben Souda (Fès) en 1977 ou le mari a fait assembler les deux femmes avec onze enfants ( 8 enfants issus de Aicha et 3 autres enfants de l’autre femme ). Le mari a vendu la baraque à Ben Souda et divorce la deuxième femme puis le couple avec leurs enfants ont rejoint Aarst Boukassou à Khemisset mais les problèmes ne font que s’aggraver d’avantage pour finir par le divorce en 1985. Aicha a acheté finalement une baraque à Bougraa pour abriter ses 8 enfants. L’enquêté disait : « Les gens d’origine de Zemmour m’ont bien aidé pendant les premier jours de mon installation à Bougraa. Je n’avais rien au début même les couvertures m’ont étés prêtées, une « Hssira » et la bouteille à gaz ont été achetés à crédit. Je travaillais dans les fermes, chez les femmes à El Bassatine …».

6. Conditions de vie des bidonvillois Les ménages sont généralement nucléaires, monogames, avec l’existence des ménages

dirigés par des femmes. Les habitants ont le plus souvent recours à l’enseignement

préscolaire. Ils scolarisent leurs enfants (garçons et filles) malgré le caractère sélectif de

l’école, la marginalisation ressentie par les élèves Bidonvillois. Il est à noter que les moyens

matériels restent limités par rapport aux dépenses exigées par la scolarisation. Ce qui est à

l’origine des abondons scolaires.

Concernant la dimension sanitaire, on note l’abondance des maladies surtout chez les femmes

et les enfants. L’usage des moyens contraceptifs est très répandu avec un certain recule dû

aux effets indésirables de l’usage des pilules. Les accouchements ne se font plus au

Bidonville pour éviter les difficultés d’obtenir une attestation de naissance.

Quant au mode d’organisation dominant au bidonville, on note une persistance de

l’organisation communautaire « composite » en altération. La population n’a pas encore pu

mette en place un nouveau mode d’organisation formelle.

Fatima Zahid

373

6.1 Système d’activité selon le genre au douar Bougraa

6.1.1 Profil d’activité selon le genre :

La lecture du tableau récapitulant la répartition des tâches dans le bidonville suivant le genre

montre que les activités de reproduction sont généralement assurées par les femmes et les

jeunes filles; quant aux activités de production, elles sont réalisées aussi bien par l’homme

que par la femme aidée par la jeune fille. Les activités communautaires concernent beaucoup

plus les hommes que les femmes. La participation des jeunes célibataires se limitent aux

moments de catastrophes : tempêtes et incendies.

Tableau n°2 : Profil d’activités selon le genre

Hommes Femmes Sexe

Activités jeunes adultes vieux jeunes adultes Vieilles

Les activités de production

Elevage * * Agriculture *

salariat * * * Artisanat * *

Commerce ambulant * Travail journalier * * *

Les activités de reproduction Collecte de l’eau * *

Education Efs * * Santé des enfants *

Souk courses * Travaux domestiques * * Préparation des repas * *

Entretien de la baraque * * Activités communautaires : Organisation et solidarité

Fêtes, môussem Gestions des voies * Gestion des puits *

Gestion du bidonville * * Catastrophes * * * Cérémonies * * *

Décès * * Assainissement * *

Source : entretien avec la population de Bougraa

Fatima Zahid

374

Cette répartition des rôles dans le bidonville est épuisante pour les femmes qui remplissent

plusieurs tâches à la fois. La situation devient plus pénible lorsqu’elles sont chefs de

ménage. La femme bidonvilloise a un rôle reproducteur par excellence. Les activités de

production sont demandées par les deux sexes. Toutefois seuls ceux qui sont solvables par le

marché du travail arrivent à exercer les fonctions de production.

La présence des activités communautaires dans le bidonville est une continuité du mode

d’organisation de la société rurale. L’organisation se fait pour entretenir les équipements,

gérer les espaces publics du bidonville en l’absence des organisations formelles et la

marginalisation que connaissent les quartiers périphériques.

La solidarité fait partie du système de valeurs qui règne dans le rural marocain. Les habitants

de Bougraâ l’ont fidèlement gardé et continue à la faire fonctionner avec les voisins. Elle

reflète la continuité du mode de vie rural marocain renforcé par les conditions de vie pénibles

dans le bidonville. Les graphiques suivants montrent les activités journalières de quelques

habitants du bidonville.

Graphique n°1 : Occupation journalière d’une Femme au foyer

Femme au foyer : Heures

17%

10%

15%

13%

45%

P repasAp eauTr mgBr Aoukrep som nour

Source : Enquête

Le calendrier journalier de la femme au foyer montre que les activités de reproduction

occupent 10 heures par jour soit 42 % de la journée. Les activités de production n’occupent

que 3 heures soit 13 % de la journée. Le reste du temps 11 Heures soit 45 % de la journée est

partagé entre les repas, le repos et le sommeil. Les femmes jugent qu’elles consacrent

beaucoup de temps pour les activités de reproduction notamment à l’approvisionnement en

eau qui demande beaucoup d’attente « Ouakfin Bla faida … » déclaraient-elles

Fatima Zahid

375

Graphique n°.2 : Occupation journalière de la jeune fille

Jeune fille Heures

8%

8%

8%

25%

51%

P repasAp eauTr mgBr Aoukrep som nour

Source : Enquête

Le calendrier journalier de la jeune fille montre que les activités reproductives et de

reproduction occupent chacune 25 % de la journée. Quelques tâches sont partagées entre la

femme et sa fille telles que les tâches faisant partie de la fonction de reproduction en

l’occurrence l’approvisionnement en eau qui est qualifié parmi les tâches les plus difficiles.

Pendant l’entretien, l’une des filles a demandé aux autres si elles n’ont pas remarqué que les

mains des filles de Bougraa sont plus allongées que la normale. Une façon d’exprimer la

pénibilité de cette tâche qui devient plus dure pendant l’été.

Graphique n°.3 : Occupation de l’homme : marchand ambulant

Calendrirer journalier d'un marchant ambulant

6%10%

29%55%

Achat DéplacementVenteRepNou Som

Source : Enquête

La catégorie des bidonvillois exerçant le métier des marchants ambulants est importante. Ils

exercent des tâches très fatigantes qui ne drainent qu’un revenu maigre : Ils se présentent au

marché de gros dés l’aube avec leur « tabla», s’approvisionnent en légumes ou en fruits, et se

dirigent aux quartiers limitrophes au marché. La plupart des cas, ils passent toute la journée

ailleurs entre les rues de la ville. L’enquête a montré que 45 % du temps est réservée à

l’activité de production. Concernant la catégorie des bidonvillois qui se présente au

« Moukef », leurs conditions sont encore plus pénibles. Lorsqu’ils trouvent un travail à faire,

Fatima Zahid

376

même moins chers, ils n’hésitent pas. Quand ils ne trouvent rien à faire, et c’est le cas le plus

fréquent, ayant honte de revenir tôt au bidonville, ils restent au « Moukef », au café ou tout

près jusqu’à midi. Pour les jeunes célibataires et adolescents, la totalité de la journée est passé

hors du bidonville qu’ils ne rejoignent qu’à la tombée de nuit.

6.2 Système de propriété, d’accès et de contrôle

Tableau n° 3 : Système de propriété selon le genre

Type de propriété Homme Jeune

hommes Femme Jeune fille

Propriété matérielle : Terre * * Bétail * * Bijoux * *

Baraque * Equipements de la baraque *

Propriété symbolique : Savoir * * * *

savoir faire * * * savoir être * *

Source : Enquête

La répartition de la propriété selon le genre montre que les types de propriétés matérielles

sont répartis entre les hommes et les femmes. Ces dernières ont une part de propriété foncière

avec les autres héritiers. La répartition des types de propriété symbolique concerne surtout les

jeunes femmes et filles. Généralement la femme ne possède la baraque que si elle est chef de

ménage. Ses bijoux constitue une épargne pour la famille, ils seront utilisés dans un éventuel

recasement comme source de financement du nouveau logement. Ceux de la fille constituent

une certaine préparation au mariage. Les femmes possèdent aussi des tapis et des couvertures.

La possession des terres dans le milieu d’origine a encore lieu mais infiniment réduite. Quant

au bétail élevé au bidonville, les visites sur le terrain ont montré que cet élevage est rentable

surtout pour les rares familles possédant les vaches laitières. La propriété symbolique en

terme de savoir est plutôt lié à la connaissance acquise moyennant la scolarisation ou

l’alphabétisation; Son degré varie en fonction de l’âge. Ce savoir qui touche une minorité est

modeste. Concernant le savoir faire, il est à souligner que malgré que les jeunes hommes ont

des diplômes de formation professionnelle : La coiffure, la mécanique, la menuiserie… les

enquêtés ont déclarés qu’ils ne travaillent pas à cause de la crise générale de l’emploi. Au

Maroc. Concernant le savoir faire des filles et des jeunes femmes, il se limite à la broderie,

L’Aoukade et la couture moderne ou traditionnelle dans les meilleurs cas.

Fatima Zahid

377

Le savoir être des bidonvilloises est considérable mais réduit à quelques ménages dans

lesquels on assiste à une organisation au niveau de l’arrangement des ustensiles, la décoration,

la bonne cuisine et quelques plantes décoratives…

6.2.1 Accès et contrôle des ressources selon le genre :

Les ménages bidonvillois ont accès aux terres acquises par voie successorale. La rente de ces

terres en milieu d’origine est accessible pour l’homme et la femme, de même que l’élevage

pratiqué dans le bidonville. Les bijoux concernent les femmes et les jeunes filles en matière

d’accès mais n’ont pas de contrôle. Quant aux crédits, toutes les femmes qui y accèdent par

les associations AL Amana et Zakoura passent le fond octroyé par l’organisme créditeur à

leurs maris qui décident de sa gestion tout en versant à leurs femmes les montants à verser par

semaine. Pour le contrôle du reste des ressources matérielles, il se fait par le mari. Les

déclarations des femmes montrent qu’il est le plus apte à le faire, à l’exception des femmes

chefs de ménages. Pour les ressources symboliques, elles sont plus accessibles pour la femme

et la fille. Les possibilités de formation et de lutte contre l’analphabétisme ne sont pas

offertes aux hommes au même titre que les femmes. Concernant les bénéfices, qu’ils soient

matériels ou symboliques, les deux sexes ont les mêmes chances d’accès mais le contrôle

reste est du sort de l’homme. La femme n’assure le contrôle que sur les bénéfices les moins

importants, les œufs et le lait par exemple. Les bénéfices symboliques sont accessibles de la

même façon pour les deux sexes. Mais leur contrôle est détenu par l’homme surtout

concernant la dimension politique (élections, partis choisis…).

Fatima Zahid

378

Tableau n°4 : Système d’accès et de contrôle des ressources

Accès Contrôle Femmes Hommes Femmes Hommes Ressources : 1. Matérielles

Baraque * * * Terres * * *

Agriculture * * * élevage * * * * Bijoux * * Crédit * *

2. Symboliques Alphabétisation * *

Scolarisation (Enfants) * * * * formation * *

Bénéfices : 1. Matériels

Argent * * * * Rente agricole * * *

Lait * * * * Viande * * * * Oeufs * * *

Revenus externes 2. Symboliques

Situation sociale * * * Situation politique * *

Source : Enquête

L’analyse du système d’accès et contrôle selon le genre nous permet de conclure que les

femmes de Bougraa accèdent aux ressources et aux bénéfices presque de la même façon que

les hommes. Mais le contrôle est laissé surtout pour ces derniers. Seules les femmes chefs de

ménages ont le contrôle. Il importe aussi de noter que les femmes ne perçoivent pas le

contrôle comme étant accaparé par les hommes mais assuré dans un contexte de concertation

et de consensus.

6.2.2 Prise de décision selon le genre

Tableau n°5 : Prise de décision selon le genre

Sujet de décision Le %

de décision de l’homme

Le% de décision de la femme

Autres personnes

Le degré De concertation avec le conjoint

Education des filles 80% 20% 100% Education des garçons 80% 20% 100% Travail de la jeune fille 100% 0% 100%

Travail de la femme 100% 0% 100%

Mariage des filles 50% 25%

L’intéressée 25% 100%

Mariage des garçons L’intéressé 100% 100%

Fatima Zahid

379

Achat et vente d'équipements 50% 50% 80%

Achat des vêtements 20% 80% 50% Vente ou achat de patrimoine

Bétail 100% 0% 100% Terre 100% 0% 100%

Bijoux 50% 50% 100% Visite des proches 100% 0% 100%

Source : Enquête Le tableau ci dessus montre que la concertation a toujours lieu entre les conjoints. Mais la

décision finale revient au mari exception faite pour l’achat des vêtements, des bijoux s’il

s’agit de son propre argent, de l’achat et la vente d’équipement et tant que les sommes

mobilisées sont minimes ne présentant pas d’intérêt aux yeux du mari.

Concernant le travail de la femme et de la jeune fille, la décision revient au mari. Elle est prise

suivant la situation matérielle du ménage.

6.3 Système de revenu et de dépenses :

Il est très difficile de déterminer le revenu d’un individu quelconque. Une telle tentative se

heurte à plusieurs contraintes : l’existence des sources de revenu autres que le salaire, la non

déclaration,…etc. Les difficultés augmentent lorsqu’il s’agit du revenu total du ménage à

plusieurs actifs et déclarant qu’ils sont inoccupés. Cela suppose la maîtrise des revenus des

différents membres de ménage, ce qui n’est pas le cas. En se basant sur les montants

réellement déclarés par les intéressés et ceux estimés par les enquêtés, nous avons essayé de

présenter ces résultats de la façon suivante :

ants

dustrielles touchent un salaire compris entre 1000 et 2000 Dhs ; Les type

Le revenu issu de l’élevage est à n

sociale du bidonville montre que le et

des poulaillers de 10.000 poussins.

La catégorie des salariés ont un revenu allant de 50 à 60 Dhs la journée, elle inclut les commerçambulants, les menuisiers, plombiers et maçons. Les filles embauchées dans les unités infilles et jeunes femmes pratiquant l’artisanat n’ont que 5 Dhs à 10 Dhs/ jour. Les revenus issus de ce d’artisanat sont très faibles vu le développement des réseaux « des intermédiaires ». Le revenu annuel de l’agriculture n’est ni bien défini ni constant. Il est estimé en moyenne de 1500 Dhs à 3000 Dhs suivant les récoltes.

son tour diffus mais surtout contrasté. La stratificatio

s revenus varient entre quelques poules élevées sur place

Fatima Zahid

380

Il est à noter que les revenus sont très faibles dans l’ensemble et ne permettent aux

bidonvillois de Bougraa la couverture des dépenses concernant les besoins primaires tels que

l’alimentation, les soins et l’habillement. Une partie de ces habitants fait exception : celle

tivement stables. Ces derniers sont réinvestis et une

artie est toujours réservée en attente d’un éventuel recasement. L’épargne féminine est

’intensité des relations avec le milieu d’origine à travers les cotisations aux

quipements ou à la gestion de la J’maa du milieu d’origine, tel que « chart » et les occasions

que ces

ceux issus des espaces

ntains.

. Le changem nditi che ants s d’in

ent des ditions de

Lieu d’origine Actuellement

composée des ménages aux revenus rela

p

constituée de revenus de l’artisanat, des oeufs et les sommes provenant de micro crédits.

6.4 Système relationnel au bidonville

D’après les cartes de mobilité, les relations avec le milieu d’origine ne persistent encore que

chez les bidonvillois âgés. Elles se font généralement au moment des labours et des récoltes.

Leur fréquence et leur durée deviennent de plus en plus rares. Les déclarations faites montrent

que les relations qu’ils entretiennent dans le bidonville et à Meknès de façon générale

l’emportent d’avantage sur les relations avec le milieu d’origine. Les jeunes surtout nés en

milieu urbain ne sont pas du tout motivés par les lieux d’origine. Nous avons essayé

d’évaluer l

é

pour lesquelles les visites sont nécessaires (cérémonies, décès…). Le résultat en est

relations évoluent vers la rupture, surtout pour les plus vieux et

loi

7 ent des co ons de vie z les migr et facteur fluence

Tableau n° 6: Le changem con vie chez les migrants

Future Homme Femme Homm mme Hom me e fe me fem

Activité Agricultu mari diversifiée diversifiée comm isanat re Aide erce Art

Pénibilités Existe En t me nt Pour la fem

ormes surtou Diminution

Revenu Faible Moyen Nul Moyen Amélioration Dépenses Minimes Augmentent Encore plus Problèmes Existent Existent Diminution Scolarisation M édiocre Améliorée Plus améliorée habillement M odeste Améliorée Amélioration

Et propreté

Hygiène conditions ne le t Pas surtout en bidonville

Les permettens Amélioration

Santé Assez bonne Mauvaises Amélioration Alimentation Insuffisante Améliorée Améliorée Relation H-F Bonne Moyenne_ Amélioration

Fatima Zahid

381

RelatioEf- Famille

n Bonne Mauvaise Amélioration

Temps Suffisant Suffisant Insuffisant Suffisant Source : Enquête

Les migrants ont subis énormément de changements. Si ces changements sont positifs pour

mploi. Le migrant au bidonville constitue une main d’œuvre bon

valeur marchande. Mais en bidonville tout doit être acheté en plus des

nts. Il est à noter

sique, les filles de Bougraa ne peuvent pas être

presque le même que celui des ménages où elles travaillent comme « bonnes ».

quelques facteurs, d’autres ne le sont pas tels que les relations entre l’homme et la femme et

les relations des parents avec leurs enfants qui ont évolué négativement selon les déclarations

des femmes et des hommes enquêtés. Ce changement a touché également le temps qui est

devenu insuffisant pour subvenir aux besoins pressants de la vie périurbaine. Parmi ces

changements, nous citons :

- Activités et revenus: Elles ont connu beaucoup de changement car, le migrant est passé

d’un milieu généralement rural marqué par le manque d’un travail rémunéré (le migrant, sa

femme et ses fils travaillent dans l’agriculture comme aides familiaux…) à un milieu

hébergeant le marché de l’e

marché, non qualifiée qui l’oblige à accepter n’importe quelle offre d’emploi. La

prédisposition de tous les membres du ménage à travailler permet l’augmentation du revenu.

- Dépenses : Elles étaient minimes dans le milieu d’origine car plusieurs produits consommés

n’avaient pas une

dépenses liées à la santé …

-Scolarisation : La proximité de l’école, du collège et du lycée, ainsi que la possibilité du

préscolaire sont des facteurs poussant les bidonvillois à scolariser leurs enfa

que la scolarisation de la petite fille a connu une nette amélioration comparativement avec le

milieu d’origine.

- Habillement : Le changement en habillement n’a touché que les jeunes surtout les filles.

Habillées de style moderne ou clas

différenciées des autres filles issues des autres quartiers plus au moins aisés.

- Hygiène et santé : Aussi bien dans le milieu d’origine qu’au bidonville, les règles

d’hygiène ne sont pas bien connues pour s’attendre à leur application. Mais la densité de la

population et le manque des infrastructures de base (assainissement en particulier) expliquent

le faible degré de santé au bidonville.

-Alimentation : Ce facteur a nettement évolué du fait de la proximité des milieux

d’approvisionnement, l’acquisition de nouvelles recettes mais les habitants de Bougraa

souffrent du manque de conditions de conservation des aliments et de propreté nécessaires.

Certaines femmes et jeunes filles enquêtées ont déclaré que le contenu de leurs repas est

Fatima Zahid

382

- Pénibilité : Elles ont connu une aggravation surtout pour la femme et la jeune fille.

L’augmentation des charges (approvisionnement en eau, le manque d’espace et d’équipement

résument aux conflits de la femme avec sa

dans la même baraque opprime le couple lors du contact sexuel …La nature de tels

sibilité d’avoir un

ble de changements est dû à l’interférence de plusieurs facteurs dont plus

facilitant les tâches ménagères…) et l’exiguïté des baraques rendent davantage les tâches de la

femme bidonvilloise encore plus pénibles. La femme ne bénéficie plus de l’entraide familiale

qu’assure la famille élargie traditionnelle. Le temps consacré aux activités ménagères devient

insuffisant en bidonville à cause de la pénibilité des activités reproductives

- Problèmes familiaux : Les problèmes existent toujours mais leur nature n’est plus la

même : Dans le milieu d’origine les problèmes se

belle mère, au manque ou faiblesse de revenu et ceux liés au mode de vie à la campagne qui

devient de plus en plus inacceptable pour les jeunes couples. En bidonville se sont les

problèmes liés aux conditions d’habitat insalubre et au manque d’espace nécessaire au repos

de chacun, à l’intimité des parents et des enfants.

- Relations entre les membres de la famille : Les déclarations des enquêtés affirment que les

relations entre les membres de la famille ont connu une nette dégradation aussi bien entre les

conjoints qu’avec leurs descendants. Les facteurs explicatifs sont les conditions de vie dans le

bidonville. « …Le fait que tous les membres du ménage passent obligatoirement la nuit

ensemble

actes est derrière beaucoup de problèmes chez les jeunes … » déclarent quelques enquêtées.

Les femmes tentent de s’imposer au sein du ménage en se référant au contenu de la

Moudawana, ce qui déclenche parfois des conflits entre le couple en matière de prise de

décision.

Concernant l’évolution future des conditions de vie, les habitants souhaitent qu’elle soit

positive. Le recasement est la solution tant attendue. La construction en dur de superficies

acceptables et la disponibilité des équipements et services auront certainement une grande

importance dans l’amélioration des conditions de vie des habitants…La pos

garage au RDC pourra permettre l’exercice d’une activité permanente et bien

rémunératrice…La disponibilité future des chambres soulagera les couples et les enfants…Le

branchement aux réseaux de l’eau potable et d’électricité introduira des changements notables

dans la vie des habitants notamment celles des femmes et des jeunes filles.

Cet ensem

particulièrement la dimension économique, socio- environnemental (lié au mode d’habitat)

et institutionnelle. Les changements futures seront surtout introduits par le facteur d’influence

socio -environnemental : Le recasement des bidonvillois agira certainement sur toutes ces

variables.

Fatima Zahid

383

Les entretiens effectués pour connaître la situation des bidonvilois et bidonvilloises envers

leur situation montre que les bidonvillois (hommes et femmes) ne sont pas satisfaits de leurs

conditions d’habitat qu’ils déclarent insupportables. Le planning familial est considéré

comme nécessité vu leur niveau de vie qui impose l’utilisation de tous les moyens pour limiter

les naissances. Mais le passage à la pratique est déclaré difficile pour eux malgré les

campagnes de sensibilisation dont ils ont bénéficié. Les moyens contraceptifs par exemple

sont utilisés mais les conseils ne sont pas constamment respectés. Le résultat en est

l’augmentation remarquable du nombre d’enfants par ménage. Pour les hommes bidonvillois,

la propriété de la femme ne les dérangent pas tant quelle est capable de la constituer. Quant

aux attitudes envers la migration, tous les enquêtés ont un avis défavorable pour la migration

de la fille. Ils jugent cette migration comme une perte d’honneur pour elle et pour sa famille.

C’est peut être ce type d’attitude qui est derrière l’absence des « Rouassiates » dans notre cas

d’étude. Pour la migration d’un « Rouassi » l’avis est favorable s’il est capable de se

débrouiller en ville et aider sa famille. Ils sont tous d’accord sur la migration de la famille vu

les conditions de vie lamentables en milieu rural et jugent la migration comme remède à cette

situation, la voient comme tentative d’amélioration de leurs conditions de vie et la recherche

i et

es services de l’état, … La baraque est pour eux est une stratégie de recherche d’un

gement.

oncernant la réussite du projet migratoire, elle est jaugée en fonction de l’amélioration du

venu, la scolarisation et l’embauche des enfants, la construction d’un logement en dur.

d’un avenir meilleur… Pour les bidonvillois, l’espace Bougraa est une solution provisoire

mais qui est devenue un fait. Un lieu de refuge gratuit à proximité du marché de l’emplo

d

lo

C

re

Fatima Zahid

384

Conclusion

L’étude a montré que dans cet espace où s’interagissent des dynamiques, des rapports de

genre, de génération…et où la pauvreté, la délinquance sont présentes au quotidien , les

conditions des femmes sont loin de l’empowerment visant le redressement de leur situation,

de leurs intérêts stratégiques et de leurs besoins pratiques; et encore loin de l’empowerment

risation des enfants, l’alphabétisation

tier bidonvillois ou la pauvreté est manifestée sur toutes ses couleurs, Il n’y a

pas lieu de parler d’empowerment au féminin. Il est question de toute la dimension humaine

ans sa globalité hommes et femmes, jeunes et vieux …qui cherchent à vivre des conditions

umaines. Dans cet espace, peut- on parler genre ou parler beaucoup plus d’empowerment

umain … ?

qui tend à prendre en compte les inégalités sexuées, les inégalités de richesse et les formes

d’impuissance des femmes et des hommes devant un quotidien accablant; plus loin encore de

l’empowerment faisant appel à la femme et à l’homme en tant que partenaires dans un

développement qui se veut participatif, égalitaire et durable.

La vie dans le bidonville est une vie qui veut échapper au rural sans toutefois pouvoir

s’intégrer dans la vie urbaine produisant ainsi des séquelles, des souffrances que les femmes

et les hommes apprivoisent quotidiennement. La situation du genre au bidonville reste

préoccupante et celle des jeunes garçons et filles l’est encore.

Malgré les contraintes des migrants de Bougraa en général et des femmes en particulier, leurs

attitudes favorables envers le planning familial, la scola

et la formation en plus de leur prédisposition à l’entraide et la coopération constituent

l’espoir de faire de ces migrants une population citadine citoyenne capable de participer au

développement. La recherche d’un cadre institutionnel adéquat aux initiatives de

développement sera d’importance capitale.

Dans ce contexte de sous développement poussé et en l’absence d’une politique d’introduire

les changements fondamentaux affectant les structures, libérant les groupes et les individus,

dans un quar

d

h

h

Fatima Zahid

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Session 6

Session 6

Modes d’emploi et situations de travail

• Présidents : Ahmed Benrida Directeur de l’Emploi / Maroc Kamel Kateb INED (Institut National d’Etudes Démographiques)

France

• Comment recrute-t-on la main-d’oeuvre

dans deux entreprises françaises délocalisées au Maroc ? Imaginaire “localitaire” et différenciation du genre Brahim Labari (Université Paris 10 / France)

• Perceiving diversity in Tunisia Karima Bouzguenda et Gargouri Chanaz (Faculté des sciences économiques et de gestion de Sfax / Tunisie)

• Artisanes de Tunis et réseaux sociaux Sénim Ben Abdallah (Faculté des lettres et sciences humaines de Sfax / Tunisie)

• L’emploi féminin et la santé de l’enfant : une approche de genre ? Le cas des enquêtes eds 2004 du Maroc Jamal El Makrini (ucl - Institut de démographie / Belgique)

• Les problèmes de mesure de la population active en Algérie Nacer-Eddine Hammouda (cread Centre de recherche en économie appliquée pour le développement / Algérie)

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Comment recrute-t-on la main d’œuvre dans deux entreprises françaises délocalisées au Maroc ? Imaginaire « localitaire » et différenciation du genre.

Introduction La stabilité et la fidélisation de la main-d’œuvre sont de puissants leviers qui conditionnent le rendement de l’entreprise, son espérance de vie et finalement sa réussite à tirer profit de sa localisation. C’est encore plus vrai pour une entreprise délocalisée dont la raison d’être est d’accroître rapidement ses profits. La cinquantaine de patrons dont nous avons rapporté l’expérience (Labari, 2004a) nous a montré à quel point le facteur économique est l’un des principaux motifs de la délocalisation. Il va sans dire que la politique du recrutement s’inscrit dans une démarche qui assure soigneusement les conditions de sa réussite. Notre propos est de nous pencher sur les logiques différenciées des deux entreprises ici étudiées dans leurs politiques de recrutement de la main-d’œuvre. Nos investigations ont porté sur deux entreprises françaises du secteur l’habillement, une implantée à Casablanca ; l’autre à Agadir. Le deux entreprises emploie une centaine de travailleurs. Aucune des deux entreprises n’a de politique de recrutement écrite. Nous nous sommes donc appuyés sur les entretiens réalisés avec les deux patrons en vue de dégager le profil de main-d’œuvre recherchée. Nous leur avons préalablement soumis un questionnaire, non pas à partir d’une liste pré-établie, mais à l’aune de leurs suggestions des qualités premières des différents travailleurs à recruter. Les caractéristiques mentionnées par leurs soins sont regroupées en considération de la stratification du personnel à engager. Autant de critères d’embauche qui soulignent l’appréhension du contexte sociétal et de ses traits caractéristiques, mobilisés pour assurer le bon fonctionnement de l’entreprise. Les questionnaires collectés sont complétés par des entretiens approfondis avec l’équipe de direction, responsable de recrutement. Nous allons nous attacher ici à ces logiques différenciées dans les deux entreprises en mettant en relief deux idées-forces. La première est que les stratégies de recrutement puisent leur sens dans l’appréhension de la société marocaine à partir d’un imaginaire néo-colonial. En cela nous poursuivons l’hypothèse émise dans la première partie à savoir la prétention des « néo-coloniaux prudents » à la connaissance de la réalité marocaine. La seconde est que les logiques de recrutement s’appliquent différemment aux hommes et aux femmes et tirent parti des représentations dominantes dans la société locale. 1 - Profil de la main-d’œuvre recherchée : image culturaliste pour finalité économique Non seulement les deux politiques prennent appui sur un certain nombre de considérations (distance géographique, responsabilisation des candidats en amont de l’embauche…) dans la perspective de la délocalisation, mais le recrutement est différent dans son application aux diverses catégories de travailleurs (Chaouch, ouvrières d’atelier, secrétaires, cadres marocains). L’examen de l’origine géographique de la main-d’œuvre recrutée préalablement au fonctionnement des deux entreprises, le parcours et les expériences de certaines figures ainsi que le déchiffrement des politiques de recrutement suivies nous amènent à dégager le profil de la main-d’œuvre à recruter. Les politiques de recrutement menées ne sont pas les mêmes dans les deux entreprises. Elles prennent appui sur un socle d’attentes, de stratégies et de représentations. Le tout est mobilisé pour asseoir la solidité de l’implantation et les garanties du bon fonctionnement de l’entreprise. Par delà le modèle de recrutement en lui-même, c’est l’idéologie qu’il exprime que nous tâcherons de révéler. Ce qui est intéressant, selon nous, c’est la vision que les deux patrons ont du travailleur marocain et partant de la société d’implantation. Dans les deux entreprises, la politique de recrutement permet d’appréhender la logique néo-coloniale qui la sous-tend. En effet, les deux logiques mises en œuvre font ressortir une vision du travailleur marocain puisée dans son appartenance régionale, voire ethnique. Or à certains égards, cette vision correspond au modèle segmentaire

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naguère ressuscité par l’ethnologie coloniale : régions plus ou moins dociles, condition de la femme infériorisée dans les structures islamiques patriarcales, esprit de clan, vision fataliste du monde chez le musulman, familialisme et substrat communautaire à la base du lien social harmonieux. Dans les deux cas, ces différents traits transparaissent dans les attendus du recrutement et de la sélection. - La formule mosaïque, avec une évaluation de la main-d’œuvre à recruter selon son appartenance géographique, est celle de la politique de recrutement de l’entreprise casablancaise. - La formule indigéniste s’appuie sur l’authenticité locale des recrues. Le familialisme et le substrat communautaire structurent la politique de recrutement mise en œuvre dans l’entreprise Gadirie. 2 - Casablanca : une sélection relativement rationnelle et adaptée au contexte sociétal

« Rien ne doit être fait dans l’aléatoire, au pif. Mon équipe et moi-même sommes très pointilleux sur la qualité du personnel à engager. Il faut mettre en place une mosaïque - Dieu sait que le Maroc en est une particulièrement forte - capable de faire passer l’intérêt de l’entreprise avant toute autre considération » (Philippe, le patron de l’entreprise de Casablanca)

2 – 1 Stratification du personnel, stratification des modes de recrutement Comment se déroule la procédure de recrutement du personnel dans l’entreprise casablancaise ? Cette interrogation prend une dimension particulière dans la mesure où chaque catégorie se voit appliquer des critères spécifiques de recrutement. La stratification du mode de recrutement a aussi une visée opératoire : diviser par le statut et par le genre. Il ressort de nos observations que ces deux variables sont mises à contribution pour élaborer une politique de recrutement conforme à la stratification du personnel à engager. La première tend à opérer une différence entre le monde de l’atelier et celui des bureaux, entre les médiateurs, les gestionnaires et le « salariat » d’exécution. La seconde prend la forme d’un traitement différencié entre l’homme et la femme, le plus souvent en s’alignant sur la position de la femme dans la société marocaine (infériorité par rapport à l’homme, docilité au travail…). Tandis que les hommes sont choisis sur des critères de « virilité » et de « sédentarité », les femmes le sont tout autrement à savoir sur la base de leur origine « ethnique » et géographique, leur célibat, voire leur ruralité et pauvreté économique. Reprenons un à un ces différents critères appliqués aux différentes catégories du personnel. 2 – 1 - 1 Les qualités requises des ouvrières d’atelier Au commencement, il nous faut souligner que le travail des femmes dans l’entreprise française n’est pas assorti d’une autorisation parentale, d’un mari ou d’un frère aîné. En l’occurrence, tout se passe comme si la loi marocaine n’était pas prise en compte. Dans ses stratégies de recrutement, l’entreprise vise essentiellement les célibataires d’origine rurale lointaine et habitant le bidonville voisin. De telles stratégies ne sont pas anodines, elles procèdent d’un calcul qui prend sens des représentations dominantes concernant la femme marocaine. Toutes les stratégies de recrutement concourent à accentuer la dépendance des ouvrières d’atelier vis-à-vis de l’entreprise.

La proximité résidentielle La finalité économique à laquelle tend l’entreprise privilégie une main-d’œuvre de proximité. Habiter à proximité de l’entreprise est gage d’assiduité et de ponctualité au travail. La spécificité même des entreprises délocalisées commande une telle stratégie en matière de recrutement. En effet, leur vocation exportatrice, leur raison d’être fonctionnelle (commande, donneurs d’ordre) les incitent à privilégier une main-d’œuvre d’exécution capable de répondre à leur sollicitation à tout moment, y compris la nuit. Le bidonville offre l’avantage d’assurer une certaine sociabilité comme thérapie au déracinement. L’entreprise attache une importance capitale à la future résidence de ses candidates. La filière relationnelle est prise en compte dans les embauches occasionnelles. Avant le recrutement, il n’est pas rare de recourir au

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service d’une stagiaire testée sur son assiduité et sa motivation au travail. L’assiduité est souvent déterminée par la distance à parcourir et par l’attente de l’embauche en fin de stage. Les stagiaires ne bénéficient que d’une prime insignifiante à l’issue de leur passage dans l’entreprise. Des ouvrières « irréprochables » servent d’intermédiaires entre l’entreprise et les futures recrues. Bien souvent, elles se portent garantes de l’assiduité de leurs futures camarades. La question du logement est donc centrale dans la politique de recrutement des ouvrières d’atelier.

L’âge : « la jeunesse est un bon investissement » « Ce serait vous duper que de vous dire qu’on préfère les mamans proches de la quarantaine. Trêve de plaisanterie ! La jeunesse est pour nous un bon investissement. C’est comme un coureur, plus on est jeune, plus vite on court. Les jeunes filles célibataires apportent à l’entreprise leur dynamisme et leur fougue. Elles prennent rapidement goût au travail et assurent la relève… ». (Philippe)

Pour avoir des chances d’être recrutée, la candidate « idéale » est celle dont l’âge est compris entre 15 et 20 ans. C’est là un investissement à moyen ou à long terme : la formation d’une jeune ouvrière au travail à la chaîne est un gage de sa fidélisation à l’entreprise notamment par la titularisation. Elle pourra, à son tour, former les nouvelles recrues sachant que la formation se fait par voie initiatique et sur le tas : les plus expérimentées forment les plus jeunes. Il en résulte que le coût devient moindre pour l’entreprise s’agissant de la formation de la main-d’œuvre. En outre, les plus jeunes ne disposent pas d’une expérience professionnelle pour exiger une rémunération conséquente. La jeunesse apporte aussi de la vigueur au travail et se prête à une plus grande flexibilité. Les jeunes ouvrières sont aussi plus facilement « encadrables » par les contrôleurs-hommes que les plus âgées dont l’âge est généralement synonyme de « dette morale ».

Le célibat : un atout au travail ou l’alignement sur les représentations sociales dominantes

L’entreprise mise sur les célibataires car les mariées avec enfants sont censées s’occuper du domaine domestique. La célibataire apporte à l’entreprise sa disponibilité « totale », alors que la mariée est considérée comme tiraillée entre son foyer et l’entreprise. Cette représentation tire sa légitimité de la division sexuelle du travail en terre islamique dont la logique patriarcale tendrait à établir une séparation entre le travail domestique et le travail salarié. Par ailleurs, les responsabilités de la femme mariée limiteraient sa disponibilité et son rendement à l’entreprise.

L’éloignement de la famille, un autre gage de la fidélisation à l’entreprise L’analyse géographique des stratégies de recrutement à partir des entretiens croisés du patron français, de son équipe marocaine et des travailleurs recrutés converge à souligner : 1°/ que l’entreprise privilégie des ouvrières d’origine géographique lointaine 2°/ que cette logique repose sur le prisme de la spécificité de chaque région quant à la qualité de sa main-d’œuvre. Ce second point est l’un des questionnements problématiques de notre recherche. Pourquoi, dans les stratégies de recrutement, la préférence est-elle accordée à la candidate venue de loin ? Par son déracinement géographique, l’ouvrière est censée s’attacher à l’entreprise comme à son seul horizon. La croyance en la docilité des femmes villageoises, leur sédentarisation par l’émigration économique et leur incapacité à revenir à leur terre natale sont autant de suppositions qui sous-tendent la politique de recrutement : « C’est le salariat qui est le principal moyen de capter les travailleurs. Une fois qu’ils perçoivent un salaire, ils deviennent par la force des choses définitivement attachés à l’entreprise. Ceux qui émigrent, c’est pour gagner leur pain et non pour faire du tourisme » (Philippe). Cette procédure vise ainsi à opérer la « capture » d’une immigration censée découvrir les vertus du salariat régulier. Tout se passe comme si cette stratégie se déployait autour de la croyance qu’il y a un avant et un après. Les recrues, par l’éloignement familial et par la régularité de la

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rémunération, adhéreraient à une vie se situant aux antipodes de la domesticité rurale. Pour le directeur technique, l’obsession du fuyard et du récalcitrant est limitée par l’éloignement géographique de l’intéressée et par sa dépendance vis-à-vis de l’entreprise : « Si une travailleuse a sa famille dans les environs, elle peut, sans risquer gros, s’absenter ou faire l’école buissonnière ». Mais il y a une autre logique de représentation qui sous-tend le recrutement : l’existence d’une croyance en la spécificité des vertus de chaque région à « approvisionner » les villes et les entreprises d’exportation en main-d’œuvre plus ou moins travailleuse, fidèle ou docile. La catégorisation et le sens commun orientent et alimentent ces représentations. L’une des premières priorités du recrutement va aux villageoises que le « déterminisme géographique » priverait de l’école et de la citadinité. C’est donc la condition de la défavorisée qui est scrutée par les stratégies de recrutement. On sait que le taylorisme, apparu au début du 20ème siècle aux Etas-unis, est bâti sur une organisation du travail faisant appel à des ouvriers peu éduqués, durs au labeur et pas du tout revendicatifs. Dans le contexte marocain, la politique de recrutement mise en œuvre par l’entreprise repose sur un socle de préjugés qui vient conforter une telle appréhension. L’image de la fille pauvre prête à se satisfaire du minimum en est un. L’indigence serait la qualité essentielle de l’ouvrière de sorte que l’entreprise devient son seul et unique pôle d’identification. La condition de servante docile, développée dans le cadre du labeur domestique, en ferait l’archétype de l’ouvrière idéale. Nul n’a mieux résumé que le patron recruteur la portée d’un tel présupposé : « La fille villageoise, par son éducation et par son sens de la famille, ne fume ni ne boit. Le travail, sous une forme ou sous une autre, reste ce qu’elle connaît le plus, c’est sa seule drogue pour ainsi dire ». L’indigence serait aussi de nature à « prolonger » son goût pour la superstition. Sa mentalité paysanne ne la prépare pas à se parer d’une mentalité industrielle qui la jetterait sur la voie de la contestation ouvrière (Labari, 2004a). Elle serait donc à même d’accepter les conditions de « servitude » dans la routinisation du travail. Une telle représentation s’appuie sur un état de société composé de segments dont chacun est censé s’incarner dans une région. L’existence de l’une est tributaire de la réputation de ses membres (qualités et défauts socialement enracinés) et de l’opposition à une autre aux dispositions similaires. Là apparaissent les variations sur le local s’agissant des procédés de recrutement.

Facteur régional et représentation de la main-d’œuvre féminine Les qualités des candidates au travail sont appréhendées à travers le prisme de leur appartenance territoriale : l’image de la région est mise à contribution dans les stratégies d’embauche : tel terroir est dépositaire de tel profil de travailleur. Les travailleuses du Sud sont réputées pour leur « mythique » endurance au travail, gage de rendement, pour leur expérience conséquente de la couture et du filage, ce qui les prédisposerait à veiller sur la qualité et pour un réel sens de l’humilité. C’est là la représentation selon laquelle le berbérophone, homme du terroir, brillerait par sa générosité au travail, alors que l’arabophone, que la ville a rendu vulnérable, céderait aux tentations de la revendication et de l’hostilité. Au sein de cette représentation coexistent l’Economique et le Culturel. L’Economique renvoie à l’endurance au travail acquise dans la culture des champs et l’agriculture et dans le cadre des activités domestiques. Le Culturel est reconnaissable à toutes les caractéristiques « féminines » à savoir la docilité, la timidité, la bonne humeur dans la souffrance, le dévouement des filles de bonnes familles. Toutes qualités qui sont associées à la femme en terre marocaine. Les étiquettes sont puisées dans un imaginaire qui distingue chaque région. Les femmes de l’Est du Maroc et de l’Oriental se distingueraient par une grande capacité à s’adapter au travail mais seraient plus portées à la contestation et à l’agitation dès lors que s’ouvre une brèche. Plus on s’approche de l’Est, plus ces trait s’accentuent. Les régions

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limitrophes de l’Algérie en sont les points culminants. Face à la contrebande et à la drogue qui font le cliché du Maroc oriental (Oujda, Nador)1, les entreprises « légales » et « structurées » craignent que le goût de l’argent sale et facile ne soit un frein à l’investissement des Orientaux dans leur travail. La diversité attribuée au lointain géographique serait source de division et obstacle à une future unité. Le statut même de l’étranger, chef d’entreprise, employeur-recruteur et détenteur d’un rôle qui le place au-dessus de la mêlée se prête à faire siennes les représentations dominantes dans le choix de la mosaïque de son personnel : « Le travailleur idéal est celui qui m’apporte son attachement et son dévouement. L’entreprise devrait être une chance pour lui. Je sais que de nos jours l’entreprise est facilement accablée, l’étranger qui pratique de l’exploitation. Les gens qui tiennent ce genre de discours, et il y en a au Maroc, ne sont pas conscients de ce que représente pour une femme, une jeune fille délaissée, sans éducation, sans famille, sans horizon. Excusez-moi, mais quand j’embauche un Marocain, il pétille. Que serait-il devenu sans l’entreprise ? A moisir dans un champ, à tricoter sans fin ! ». Cette image est doublée, voire légitimée par une autre. C’est celle du patron « sauveur » des individus en détresse. Tuteur des ouvriers, l’employeur se forge aussi l’image de bienfaiteur. Elle sert à coup sûr à valider une idéologie de recrutement selon laquelle la délocalisation est bénéfique à la main-d’œuvre marocaine en besoin. Poursuivons la démonstration, l’indigène du terroir magnifié rencontre l’Etranger venu de France qui l’éduque au travail chronométré. Cette éducation passe par le langage de la fermeté qu’il convient de mobiliser à cet égard. C’est tout le sens du discours de bienvenue à l’ouverture de l’établissement exhortant chacun aux efforts et pointant la spécificité de l’entreprise, exportant et travaillant avec une Europe exigeante sur la qualité. Le directeur technique traduit les propos du patron français, ce dernier n’étant ni arabisant ni berbérisant. L’analyse du discours de bienvenue est symptomatique de l’intérêt économique suprême de l’entreprise qui est présentée comme un bien commun à tous ceux qui participent un tant soit peu à son bon fonctionnement. La légitimation équivaut à la motivation autour des idées simples et des promesses diffuses. Outre les rituels comme Salam (Bonjour) ou Marhabane (Bienvenue), l’accent est mis sur les bienfaits de l’entreprise. L’offre de travail dans un environnement de rareté est avancée comme sa principale caractéristique. Si cette caractéristique peut être invoquée par toutes les entreprises, elle revêt dans le cas de l’entreprise française une dimension de taille, celle d’un vrai travail avec des garanties de salaire (mensualisation de la paie, bulletins de salaire, congés payés, déclaration préalable auprès de la CNSS (Caisse nationale de la sécurité sociale) et un respect pointilleux des horaires de travail). Porteur de cette promesse, le patron français vise à apparaître comme l’antithèse du patron marocain qui serait moins soucieux de l’intérêt des travailleurs. Tout se passe comme si la légitimité du premier reposait sur la délégitimation du second. L’offre des garanties inhérentes au travail a toutefois une contrepartie : le rendement au travail doit être irréprochable. Il se déploie autour de la qualité du produit à exporter avec au préalable une transparence sur la marchandise : pas de défauts de qualité ; pas de vol dans les ateliers. Chacun doit travailler en veillant à sauvegarder et à « faire honneur » à ce produit qui porte le cachet « Fabriqué au Maroc ». Dans le même registre, l’entreprise est définie comme une aventure collective. Son sort et son devenir sont étroitement liés à ceux des travailleurs : « Vous aurez l’entreprise que vous méritez, leur ai-je indiqué, si elle se porte mal, ils seront pis. Si ça marche ils auront leur part du gâteau ». L’exaltation du sens du travail chez les Marocains se conjugue avec l’évocation de l’histoire commune et du rôle pionnier des immigrés de la première génération dans la reconstruction économique de la France. Ils auraient grandement contribué à la réussite des grands groupes français de l’automobile comme Peugeot ou Renault. Il s’agit là d’un jeu récurrent de

1 Cf. Oujda et l’Oriental. Un Oriental sans Orient, Revue Conjoncture, N° 829, pp. 22-23.

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légitimation au cours duquel la motivation passerait par la mise à contribution de l’histoire des rapports franco-marocains dans ce qu’elle a de positif2. Un autre versant mérite d’être signalé même s’il relève plus d’un vœu pieux que d’une politique d’entreprise ouvertement favorable à la femme : l’égalité entre l’homme et la femme est souhaitée, de même que le respect mutuel dans l’entreprise. A titre d’exemple, le harcèlement sexuel est combattu dans toutes ses formes, mais des abus multiples et des règlements de compte entre travailleurs amènent le patron français à cesser ses arbitrages coûteux en temps car finalement sans conséquences sur les comportements « sexistes » : « J’en suis arrivé à l’idée que je ne peux rien changer à des situations séculaires, on perd plus de temps dans la médiation et je ne peux pas faire le gendarme dans une entreprise dont la fonction première est d’ordre économique ». Par quels intermédiaires cette politique de recrutement est-elle décidée et élaborée ? L’image du travailleur est ici déduite de celle de sa société d’appartenance, régionalement et « ethniquement » parlant. Or, cette question en autorise une autre : en quoi l’image d’une région est-elle au fondement de l’élaboration de celle du travailleur ? Il est d’usage de souligner un fait universel qu’on a trop tendance à généraliser s’agissant du Marocain, ce dernier se définissant prioritairement en référence à sa communauté, à son village, à sa niche culturelle et à sa région. De l’intérieur, cette définition de soi et cette image à soi répondent à un besoin d’identification segmentaire analysé par E. Gellner dans son classique Les saints de l’Atlas récemment traduit en français3. Cette identification en termes segmentaires permet dans la perspective gellnerienne de rendre la société intelligible pour que les individus se connaissent et qu’on puisse les reconnaître. Dans la mise en avant des spécificités régionales dans la politique de recrutement prônée par l’entreprise casablancaise, le regard est plus accusé pour dégager les traits du travailleur à l’aune de son appartenance régionale. Or cette appartenance sur des bases ethniques est l’une des facettes les plus explorées par l’ethnologie coloniale française. Les voyageurs et explorateurs ont de tout temps « exagéré » les clivages régionaux comme caractéristique majeure de la société marocaine4. Pourquoi cette image d’inspiration segmentaire reste-t-elle dominée par la réactualisation de tels clivages, certaines régions bénéficiant d’un préjugé favorable et d’autres moins ? La perdurance d’une telle appréhension tient en partie à la persistance d’un imaginaire colonial selon lequel chaque région reste prisonnière d’un socle irréductible de valeurs. Cet imaginaire n’est pas le résultat d’un contact mutuel basé sur un échange régulier et équitable, mais sur des représentations exclusives qui frisent la méconnaissance. Cette donnée semble survivre sans césure ni rupture (Labari, 2005). On voit donc que les stratégies de recrutement prennent appui sur des représentations sociales dominantes. 2 – 2 Les procédures de leur recrutement

2 Comme pour ce qui est des goums marocains érigés en modèles d’intégration à l’endroit des conscrits franco-maghrébins. Nous avons développé ce point dans (Labari, 2003). 3 E. Gellner, Les saints de l’Atlas, Paris, Ed. Bouchène, coll. L’intérieur du Maghreb, 2003. Dans cette monographie, Gellner insiste sur la valeur particulièrement heuristique de cette formule « Aït » pour comprendre l’essence segmentaire de la société marocaine. Cette expression a pour fonction première de rattacher chaque marocain à une niche culturelle particulière. « Aït » veut dire « celle ou celui de…appartenant à …». On retrouve cette tournure à l’en-tête d’un tribu ou tout simplement d’un nom de famille. 4 Reconnaissance au Maroc de Ch. De Foucauld en est l’illustration. Au terme de son expédition (2800 Km parcourus, sillonnant le Maroc de long en large), il alimenta le gouvernement français de renseignements sur chaque région, ses mœurs, sa mentalité, le dialecte qui y est parlé, ses capacités de résistance, son code d’honneur. Ce livre « ethnographique » est aussi un manuel d’exploration du Maroc mêlant réflexion sur les « indigènes », observations astronomiques, et astuces de pacification. Le tout étant largement assorti d’une vision « régionaliste ».

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La rationalisation de la démarche du recrutement : l’intervention des intermédiaires locaux agréés La rationalisation de la démarche de recrutement est reconnaissable à la participation de plusieurs intermédiaires à cette opération.

L’écrivain public Les jeunes filles candidates au travail doivent faire la démonstration de leur motivation à intégrer l’entreprise en présentant un dossier de candidature composé d’une lettre de motivation et d’un CV5. Cette exigence correspond à la stratégie d’inscrire l’entreprise française aux antipodes des pratiques locales : « C’est pour moi important de les rendre responsables en leur demandant de faire des démarches. Je voulais les mettre en rupture avec leurs habitudes antérieures… » (Philippe). Etant pour la plupart analphabètes ou de niveau élémentaire, les jeunes filles sollicitent les services d’un écrivain public. Cette figure, narrée naguère par le romancier Tahar Ben Jelloun (Ben Jelloun, 1983) en tant que familiarité marocaine, est incontournable dans les petites villes à dominante rurale. Il est le traducteur et seul recours des veuves de retraités immigrés pour leur correspondance avec les différentes institutions françaises. Dans les grandes villes, sa place de prédilection reste la médina ou les quartiers populaires. Sa clientèle est issue pour l’essentiel des classes populaires analphabètes : qui le sollicitant pour lui écrire une lettre ou mettre en forme un document administratif, qui lui demandant de traduire une attestation, qui encore recourant à ses services pour la rédaction d’un CV. Ses tarifs varient de 5 à 20 Dh (0,5 à 2 euros) par document selon le nombre de pages. Par son expérience avérée, l’écrivain public devient indispensable. Dans la société marocaine, c’est lui qui assure les différentes correspondances entre les personnes et les institutions. Sa raison d’être est le résultat de l’importance de la demande dont il fait l’objet. Il remplit en cela de nombreuses fonctions sociales : une petite table plantée ici ou là, l’écrivain public vend ses services à qui veut écrire une lettre, relancer une candidature ou tout simplement « taper » un document. La postulante au travail peut alors être reçue par le responsable du recrutement et, le cas échéant, être engagée. Mais avant d’entreprendre le travail intervient une autre étape, la présentation d’une attestation médicale.

Le cabinet médical L’entreprise est particulièrement attentive à la validité physique de ses recrues. C’est pourquoi elle exige des candidats au travail une attestation médicale de leur capacité à travailler. Etre en bonne santé est non seulement indispensable au rendement, mais exiger une attestation médicale revient aussi à « respecter la loi marocaine » qui en fait une obligation. Or, les réponses au questionnaire montre que 80 % ont « acheté » l’attestation médicale qui coûte 30 DH (3 euros), 11 % n’ont subi aucun examen, dans ce cas, des questions du médecin au « patient » ont permis d’établir le certificat, 9 % ont passé quelques radiographies notamment de la colonne vertébrale. En effet, le travail fixe que doivent effectuer les ouvrières n’est pas compatible avec des douleurs de dos.

La réception de chaque recrue Systématiquement, le patron français tient à recevoir personnellement les nouvelles recrues pour leur expliquer les exigences inhérentes à leur travail et les bienfaits de l’entreprise : « A chaque recrutement, je reçois les intéressés pour leur dire que nous nous devons de travailler main dans la main et que je veillerai personnellement à un climat de travail sans entorses… ». Le bureaucrate est l’homme du bureau, celui qui, en vertu de cette position, exerce une véritable domination symbolique sur la candidate au travail.

5 Plutôt fiche signalétique (Nom, Prénom, âge, origine géographique et un petit descriptif de ses activités antérieures).

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Le premier aspect du rite consiste à recevoir chaque recrue et à lui faire la leçon de ce que l’entreprise attend d’elle. Assis derrière son bureau et en présence de son interprète marocain, le patron tient à rappeler à la nouvelle recrue que désormais il s’agit pour elle d’une nouvelle vie qui commence. Il s’agit de faire de cet acte un rite solennel d’initiation au monde de la réglementation, du calcul et de la discipline. Cette forme d’initiation tend à forger la conscience que l’entreprise est une organisation et non un « Souk ». La référence à ce dernier est une constante chez le patron français. Nous retrouvons cette charge à l’occasion des rapports au travail quand la discipline est enfreinte et « que l’esprit de clan se substitue à celui de l’équipe ». La seconde facette du rite réside dans l’exigence de la temporalité à savoir que chaque entrevue dure une dizaine de minutes : « J’ai 10 minutes à vous consacrer ! ». Par cette directive, l’employeur annonce à la future recrue que, dans l’entreprise, le temps est roi, rythmant l’ensemble des activités. La réception de chaque recrue avant son intégration est donc un acte chargé de symbolique. 2 – 3 La figure masculine du Chaouch Le Chaouch est nécessairement un homme. Cette figure masculine, chargé de surveiller l’entreprise, est l’homme à tout faire du patron français. Il est recrutée en fonction de son expérience de préférence dans une administration marocaine. D’origine militaire dans l’organigramme ottoman (turc), le Chaouch, équivalent du sergent, se situe au-dessus du yoldach (soldat). Le Maroc, qui n’a pas été sous la souveraineté de l’empire ottoman, lui a pourtant emprunté la terminologie. Si sa raison d’être est liée à l’administration dont il est le gardien le plus fidèle, les entreprises (publiques et privées) recourent au service de cette figure qui rassure par sa présence en même temps « qu’il sait traiter avec des Marocains ». On ne naît pas Chaouch mais on le devient par l’accumulation d’un capital d’expériences et d’une force de caractère. Ce capital nécessaire au recrutement du Chaouch est synonyme d’une relation de proximité « protectrice » : les scrupules et la loyauté à l’égard de son patron en sont les traits constitutifs (Labari, 2004b).

Virilité, fidélité et « esprit Makhzénien » L’administration marocaine est un passage souhaité, voire recommandé pour accéder à un tel poste : virilité, sens de la rigueur et de la discipline, sens du règlement des conflits par une négociation « à la marocaine » sont les caractéristiques supposées d’un Chaouch. Cette présentation prend exemple d’un rapport social enraciné dans l’imaginaire français étant donné que la domesticité doit tendre non seulement à la fidélité et à l’allégeance, mais également à la virilité et à la maîtrise du sens pratique marocain : « La domesticité, en effet abondante, était uniquement masculine, et se recrutait dans le Makhzen local. Après un minimum de formation, un Mokhazni faisait un excellent domestique, d’une fidélité et d’une dignité exemplaires. L’efficacité n’était pas toujours extraordinaire, mais le nombre y suppléait. Personnellement j’avais un chauffeur, nous avions un jardinier, un cuisinier et en outre un homme à tout faire » (Témoignage d’un colon, cité par Emmery et al., 1992, p. 82). L’entreprise de Casablanca n’affectionne pas les diplômés de l’enseignement supérieur, pourtant en croissance continue sur le marché du travail (Bougroum et Ibourk, 2002, p. 83). Ces diplômés sont considérés comme des contaminateurs, porteurs d’idées syndicales susceptibles de perturber le climat social au sein de l’entreprise : « plus un ouvrier est diplômé, plus son appétit est grand. Son agitation, même retardée, se manifestera. Je connais les entreprises qui ont essayé et qui se sont mises au devant des difficultés. Pas de diplômés dans mon unité ». Le passage par l’université serait le moyen de nouer des « liaisons dangereuses » avec la politique et la contestation. Cette politique de rejet prend exemple sur celle de la fonction publique qui privilégie dans ses modes de recrutement des instituteurs, les nouveaux bacheliers par rapport aux licenciés ou aux titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur. Dans les deux cas le passage par l’université est redouté.

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2 – 4 Les atouts recherchés chez le personnel de médiation Par médiation nous entendons le monde des bureaux tant il fait l’objet d’un mode de recrutement spécifique. Il comprend les adjoints du patron français à savoir : le directeur technique, le chef d’atelier, les secrétaires et le service comptable. Le recrutement de ces adjoints se fait par l’intermédiaire des petites annonces publiées par la presse écrite francophone. Les quotidiens les plus spécialisés dans ce type de service payant sont le Matin du Sahara, organe gouvernemental et l’Economiste. Ce sont aussi les journaux les plus lus par le public francophone et les « classes moyennes ». Les petites annonces prennent la forme suivante :

Le quotidien L’Economiste, éd. du 11 février 1999.

Il est toutefois à noter l’existence des cabinets de recrutement en tant que structure intermédiaire entre les entreprises et les postulants. Concentrés à Casablanca et à Rabat, leur rôle est de promouvoir une culture de recrutement conforme aux besoins et aux exigences des entreprises étrangères de plus en plus nombreuses au Maroc. L’Agence pour l’Emploi des Cadres, située à Casablanca, a pour but précisément de favoriser la mise en relation entre les cadres et les entreprises. Pour leur mobilité et leurs avantages de rémunération, les cadres marocains ciblent les entreprises étrangères implantées dans l’axe Casablanca - Rabat. Cette agence leur offre, moyennant une cotisation annuelle de 150 Dh (15 euros), un certain nombre de prestations à savoir une banque de données des entreprises recruteuses, des stages de simulation dans les techniques d’entretien ou l’aide à l’élaboration d’un CV pertinent.

L’expérience L’expérience est la condition première pour devenir cadre d’entreprise. Elle recouvre le fait d’avoir déjà travaillé dans le même secteur, de disposer de compétences techniques (maîtrise des outils de montage de coupe et de finition ; des notion de qualité) et humaines (veiller à entretenir un climat social sain ; communiquer à bon escient avec le personnel).

La maîtrise de la langue française Les cadres recherchés sont ceux qui maîtrisent la langue française pour nouer une communication quotidienne avec le patron. Cette politique de recrutement ficelée, loin d’être considérée comme généralisable à l’ensemble des entreprises françaises du même secteur, nous oriente vers l’hypothèse que la délocalisation ne se réduit pas à une opération économique de l’histoire immédiate, mais demeure à certains égards le fruit d’un travail minutieux et d’une croyance forte, celle de la connaissance de la société marocaine jusque dans ses subtilités les plus infimes. Un renversement peut être relevé s’agissant de l’entreprise Gadirie dont la politique de recrutement vise précisément à privilégier non pas des populations géographiquement lointaines, mais des « autochtones » bénéficiant d’une stabilité résidentielle et faisant preuve de leur enracinement local. 3 Agadir : un personnel local de posture indigéniste

« Je connais cette ville depuis 1974, j’y ai séjourné régulièrement avant de décider d’y élire domicile. Je suis de ceux qui croient que les berbères et les arabes sont différents. Le berbère est l’homme du terroir qui sacralise sa terre, travailleur et attachant… »

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Paul, le patron de l’entreprise Gadirie La vie locale est le reflet d’un type de société qu’il convient de mobiliser à son avantage dans la stratégie de recrutement. Dans le cadre de l’entreprise d’Agadir, nous avons rencontré un type de recrutement qui s’apparente, dans ses formes et dans ses intentions, à une formule indigéniste. L’habitus colonial est reconnaissable à la valorisation de cette approche de recrutement qui vise à l’enracinement local en faisant appel à un personnel autochtone. A première vue, cette approche peut sembler s’inspirer de quelques garanties. Dans la littérature coloniale, l’indigène est l’habitant autochtone attaché à son terroir et à son espace écologique. Il désigne la mentalité non-industrielle du blédard. Le bled, autre terme colonial, désigne le Maroc lointain, de la périphérie. Au Maghreb, on parle du bled pour désigner son lieu de naissance et les racines de ses attaches. Biladi est la traduction arabe de « mon pays ». Le sens du terme est altéré par les colons pour signifier le pays des indigènes, une bourgade éloignée de la civilisation industrielle, bref le « Maroc inutile ». Il est opportun de revenir à la signification des mots pour comprendre la permanence d’une vision et ses véritables significations. La posture indigéniste sert à évacuer les tensions qui peuvent résulter du processus de l’urbanisation et de l’industrialisation : le personnel local, appelé à intégrer l’entreprise, est trié sur le volet de son « authenticité régionale ». Par une telle procédure de recrutement, l’objectif recherché consiste à faire de l’entreprise un système social apaisé, voire de « fermeture communautaire ». Or, en l’occurrence, qu’est-ce qu’être un indigène dans une ville qui a été de tout temps une ville de passage et de brassage, et dont le tremblement de terre a commandé une reconstruction totale ? Deux traits le définissent si l’on se tient à ce que disent les responsables de l’entreprise. Le premier confond l’indigène avec l’habitant de la ville ou de la région, surtout les villes semi-rurales qui l’entoure. Le second, consécutif au premier et le complétant, est de parler le Tachlheit, la langue locale. Seul un résident de longue date faisant ainsi montre de son indigénéité peut remplir ce second critère. Or, comment et par quelles filières ce personnel est-il concrètement recruté ? Quelles sont les logiques à l’œuvre dans le processus de sélection des travailleurs ? Nous soutenons que la posture indigéniste parcourt de bout en bout les logiques de recrutement en faisant des valeurs locales l’armature du système. 3 – 1 « Authenticité » du personnel local : faire du local avec du local Les modalités du recrutement sont fixées par le patron français, mais c’est au cadre marocain de les mettre en œuvre. Le recruteur est le chef d’atelier, lui-même de la région, qui connaît bien ses congénères. De ce fait, il s’érige en gage moral pour la stabilité et l’organicité de la main-d’œuvre. Il est aussi la garantie morale contre le risque de revendications pour la suite du fonctionnement de l’entreprise. L’une des facettes de cette posture indigéniste consiste à veiller à l’authenticité de la main-d’œuvre. Réussir la délocalisation revient à faire appel à tout ce qui est supposé être authentiquement local, édifiant ainsi l’implantation sur des bases indigénistes. Deux principaux moments caractérisent le recrutement de l’entreprise gadirie. En premier lieu, et consécutivement à l’implantation, il s’agit de constituer un noyau dur de travailleurs fidélisés à l’entreprise. En second lieu, il est question de favoriser un système de parrainage dans le renouvellement de la main-d’œuvre.

3 – 2 Comment constituer le noyau dur ? Le familialisme de la main-d’œuvre : l’harmonie organique du monde du travail Lors de l’implantation, l’objectif premier est de munir l’entreprise d’une main-d’œuvre fidélisée. Le premier élément focal est le choix d’un intermédiaire en fonction de son indigénéité et son « encastrement » dans les réseaux locaux. Sa mission, outre une proximité avec le patron français avec qui il peut communiquer en toute aisance, consiste à recruter une

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main-d’œuvre dont il s’agira de tempérer les ardeurs revendicatives. Le noyau dur représente les ouvrières qui vont être régularisées dans l’entreprise. La manière dont le recrutement est effectué peut être caractérisée par le vocable de l’enracinement familial. Si, comme le rappelle R. Montagne (Montagne, 1954, p. 239-241), l’un des ébranlements de la société marocaine au contact de l’Occident réside dans la transformation de la structure familiale, force est de remarquer que l’entreprise Gadirie est portée à tirer profit de la famille « indigène ». Cinq ou sept familles locales suffisent à assurer le fonctionnement de l’unité. Contrairement à Casablanca où l’on tient à rationaliser de prime abord la procédure de recrutement, le recruteur à Agadir s’appuie sur son capital social et communautaire. Il fait appel aux individus de sa connaissance pour intégrer l’entreprise. Quelles sont les modalités pratiques de ce recrutement ? Est-il, par exemple, subordonné au versement d’un Bakchich ou à la réactivation d’un « népotisme » communautaire ? L’on sait que dans les sociétés traditionnelles, cette forme de médiation était légion : « Pour forcer le sort et triompher de l’hostilité d’un ordre injuste, ceux qui n’ont ni métier ni instruction, ni argent disposent d’un seul recours, la puissance des protections, du coup d’épaule et des connaissances. Remplissant la fonction qui, en nos sociétés, incombe aux méthodes rationnelles de recrutement, les relations de parenté, de voisinage, de camaraderie tendent à réduire le sentiment de l’arbitraire mais en développant la conviction non moins irrationnelle, que les relations, le piston, la débrouillardise, le bakchich et le café peuvent tout. Tout se passe comme si l’on s’efforçait de convertir les relations bureaucratiques, impersonnelles, formelles et médiates, en relations personnelles et directes » (Bourdieu, 1963). Le noyau dur familial sert d’intermédiaire entre la direction et les recrues occasionnelles. Etant donné que le travail de montage ne requiert pas une qualification précise, chaque parent peut être tenté de faire venir sa fille pour quelques heures qui arrondiront son salaire mensuel. Mais la posture indigéniste, favorisée par la disponibilité de la main-d'œuvre familiale, a une autre visée : ne pas recourir à une main-d’œuvre étrangère à la région contribue à préserver la vocation touristique de la ville : « Nous ne voulons pas « déterritorialiser » des populations d’ailleurs surtout qu’il ne s’agit pas d’une usine de 1000 ou de 2000 travailleurs. Nous préférons ne pas altérer le paysage urbain et préserver sa vocation touristique. Quand un touriste débarque à Agadir c’est pour son confort et le soleil, ce n’est pas pour voir l’autre côté du Maroc, ses misérables (sic) » (Paul). On l’a dit : le recrutement des ouvrières se fait par le réseau de relations locales du recruteur. Cette procédure est inédite dans la région et tranche avec les modes de recrutement déployés par les fermes agricoles qui font appel à une main-d’œuvre émigrée. Tout se passe comme si le familialisme était considéré comme une arme patronale pour assurer la pérennité du personnel. Parce qu’elle se situe en dehors de toute procédure formalisée, cette posture repose sur l’affectivité des relations professionnelles faisant de l’employeur le maître à bord de la sélection de son personnel.

Le système de parrainage Au commencement, le recrutement repose sur le primat de l’indigénéité : à l’ouverture de l’entreprise, la première cohorte des travailleurs est constituée d’un noyau dur trié sur la base des relations familiales et régionales. La suite consiste en un processus reproductible autour du même noyau. En ce sens, l’embauche résulte d’une prise en compte des ressources familiales. Elle procède d’un mécanisme selon lequel le salarié en poste intervient pour faire admettre un proche. Or, qui dit parrainage dit caution solidaire, ce qui engage la responsabilité du salarié entremetteur et la « bonne conduite » de la nouvelle recrue. En parrainant, on engage sa responsabilité de bon intermédiaire nécessaire à la constitution d’un capital de confiance vis-à-vis du patron français. En étant parrainé, il convient de ne pas décevoir en s’absentant ou en boycottant une convocation au travail. Parce qu’elle a engagé la parole de sa cousine ou de sa sœur, la nouvelle recrue se trouve dans l’obligation de se conformer au comportement attendu, c’est-à-dire en se conduisant avec

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loyauté et droiture. On l’aura compris : ce qui est visé, c’est cette finalité universelle qui est d’impliquer les travailleurs dans la productivité du travail en aiguisant leur attachement à l'entreprise. Cette vision familialiste en matière de recrutement poursuit un autre objectif : le maintien de la population dans son lieu d’origine la dispense d’une quête de logement. En règle générale, les recrues disposent sur place d’un logement familial. L’entreprise serait ainsi un bénéfice, une opportunité d’épargne et un « capital social » élargi qui lui procure un enracinement local encore plus fort : outre les solidarités familiales, il s’agit de développer des relations de voisinage dans une configuration locale apaisée. L’entreprise, en privilégiant cette forme de recrutement, conquiert une main-d’œuvre de proximité, « propulse » un type de développement local « endogène ». Elle fait reposer ainsi sa politique sur le facteur humain avant même l’esprit de formation.

Conclusions Il n’est pas aisé de fournir une explication à ces « rationalisations » de la procédure de recrutement. Mais la politique de recrutement repose sur plusieurs considérations. Réduits à leur squelette, les deux systèmes de recrutement s’inspirent de la même idéologie. Il s’agit d’une vision du Marocain qu’il faut coûte que coûte fidéliser à l’entreprise. Nous l’avons avancé : l’hypothèse néo-coloniale sous-tend les deux politiques de recrutement. Encombré de ses pesantes références nationales et locales (famille, travail, communauté villageoise, Douar d’origine (partie d’un village) …), le travailleur marocain est « paré » selon les attentes de l’entreprise. Dans un cas, il s’agit de le déraciner pour le fidéliser ; dans l’autre, il est question de tirer parti de son enracinement pour le rendre disponible et l’attacher à l’entreprise. Dans le premier, il faut exiger des candidates au travail de respecter des « procédures bureaucratiques » pour être embauchées ; dans le second, le système de parrainage familial est clairement préféré dans le recrutement des ouvrières. On remarque que chaque figure fait l’objet d’une appréhension en termes d’attentes à son endroit. Le médiateur local, chargé de seconder le patron français dans la politique de recrutement, est lui-même recruté pour son expérience et son capital linguistique. Si sa position est centrale dans les deux entreprises, il n’a pas les mêmes missions dans les deux villes. La main-d’œuvre à recruter est évaluée sur des critères ethniques, régionaux ou de genre et lui accolant des figures économiques correspondantes. Tout se passe comme si l’évaluation de l’Autre demeurait dans la continuité d’un imaginaire colonial qui semble se poursuivre sans césure. Cette hypothèse de l’hystérésis coloniale nous semble pertinente pour comprendre ces modèles de recrutement de la main-d’œuvre marocaine par les patrons français délocalisant leur unité au Maroc. Jusqu’où va la pertinence de ce modèle explicatif ? Références bibliographiques Ben Jelloun T. (1997), L’écrivain public, Paris, Seuil. Bougroum M. et Ibourk A. (2002), Le chômage des diplômés au Maroc : quelques réflexions sur les

dispositifs d’aide à l’insertion, Formation Emploi, n° 79. Bourdieu P. (1963), Travail et Travailleurs en Algérie, Paris, Mouton. De Foucauld Ch. (1888), Reconnaissance au Maroc, Paris, Du Jasmin. Emmery G., Knibiehler Y. et Leguay F. (Emmery et al. 1992), Des Français au Maroc, Paris, Denoël. Gellner E., Les saints de l’Atlas, Paris, Ed. Bouchène, coll. L’intérieur du Maghreb, 2003. Labari B. (2003), La socialisation militaire des jeunes franco-algériens. Retour sur le service national

des doubles nationaux, Revue Migrations Société, Volume 15 - Numéro 86 - Mars-Avril, pp. 127-152.

Labari B. (2004a), L’économie contre la culture ? Les délocalisations industrielles françaises au Maroc. Etudes monographiques dans deux villes (Casablanca et Agadir), Thèse de Sociologie, Université Paris-X-Nanterre, 556 p.

Labari B. (2004b), La bonne et le Chaouch : deux figures de “ servitudes ” dans le contexte des délocalisations industrielles françaises au Maroc ? Communication aux Journées de l’Association française de sociologie, Villetaneuse, Février 2004.

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Labari B. (2005), La figure néo-coloniale du patron délocalisant. Réflexions sur l’altérité entrepreneuriale en contexte franco-marocain, Actes des 9ème Journées Scientifiques du Réseau Entrepreneuriat de l’AUF : ENTREPRENEURIAT, DÉVELOPPEMENT DURABLE ET MONDIALISATION, Editeurs LAURA BACALI et THÉOPHILE DZAKA, ISBN 973-662-166-9, Editura U.T. PRES, Cluj-Napoca (Roumanie).

Montagne R. (1954), Naissance du prolétariat marocain. Enquête collective exécutée de 1948 à 1950, Paris, Peyronnet et Cie.

Revue Conjoncture, N° 829, Oujda et l’Oriental. Un Oriental sans Orient. Brahim Labari

Enseignant-chercheur Laboratoire CNRS « Genre, Travail et Mobilités »

Université Paris 10 [email protected]

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Perceiving diversity in Tunisia

By:

Karima Bouzguenda Chanaz Gargouri Maître Assistante ,

Faculté des Sciences Economiques et De Gestion, Sfax, Tunisie

Enseignante, Faculté des sciences Economiques et De Gestion Sfax, Tunisie et

Saint Peter’s College, NJ, U.S.A Doctorante.

ABSTRACT

As the demography of the workforce changes worldwide and as the organizations across the world globalize, diversity become a highly salient issue. Consequently, the pressure to insure that Tunisian organizations reflect a multitude of diversities in terms of skills, nationalities, perspectives, cultures and demographic factors is increasing. The study of the perceptions of organizational efforts to increase diversity in Tunisia seems to be important as predicting support for the Tunisian’s affirmative action programs has not been examined in previous research. The purpose of this paper is to delineate the perceptions of affirmative action in Tunisia, examine its importance in accommodating diversity, and suggest a conceptual framework for Tunisian companies’ diversity management.

RESUME

Comme la démographie de la main-d'œuvre change dans le monde entier et comme les entreprises à travers le monde globalisent, la diversité devient un enjeu extrêmement en saillie. Par conséquent, la pression de s’assurer que les entreprises tunisiennes reflètent une multitude de diversités du point de vue qualifications, nationalités, perspectives, cultures et démographie est en croissance. L'étude des perceptions des efforts organisationnels d'avoir un personnel diversifié en Tunisie semble être importante vue qu’elle peut en servir comme un support prédictif en faveur des programmes de mesure de rattrapage du Tunisien puisqu’il n’y a pas eu d’autres recherches examinant cette importance. Le but de ce papier est de tracer les perceptions de mesure de rattrapage en Tunisie, examiner son importance dans la diversité logeant et suggérer un cadre conceptuel pour l'administration de la diversité dans les entreprises tunisiennes.

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"The emerging workforce- a mosaic of colors, languages and cultural traditions and values- represents a challenge for both corporate managers and employees" (Elmuti, 1993).

1. Introduction

As the demography of the workforce changes worldwide and as the organizations across the world globalize, diversity become a highly salient issue. Consequently, the pressure to insure that Tunisian organizations reflect a multitude of diversities in terms of skills, nationalities, perspectives, cultures and demographic factors is increasing. In their article, Méon and Sekkat (2004) demonstrate that diversity improves the quality of institutions and helps the integration of the Middle East and North African countries (MENA) in the world economy.

The study of the perceptions of organizational efforts to increase diversity in Tunisia seems to be important as predicting support for the Tunisian’s affirmative action programs has not been examined in previous research. The purpose of this paper is to delineate the perceptions of affirmative action in Tunisia, examine its importance in accommodating diversity, and suggest a conceptual framework for Tunisian companies’ diversity management.

Since early 1950s, attention has been made to the composition of the workforce especially in the U.S. as it relates to organizational effectiveness. In fact, the concept of diversity had initiated during World War II with the entrance of women in the workplace.

Significant changes in organizations' demographics are expected in the future as more women, minorities, immigrants, older workers, young graduates, disabled people are entering the market place looking for jobs and having distinctive competencies.

As Tunisian organizations have witnessed changes along time ago in the composition of their workforce characterized by the entrance of more women to the workplace, it is believed that Tunisia is well positioned to participate in emerging markets. Tunisia has the particular advantage of having a positive image around the world. Tunisian’s tradition of peace, openness, friendliness, and flexibility give the country all qualities appreciated in the emerging world.

Based on this state of affairs, this paper is aimed at assessing the extent to which organizations are receptive to diversity issues and the initiatives that have been taken in valuing and managing diversity in the workplace. Special attention will be made to the affirmative action in Tunisia.

2. Theoretical framework

The phenomenon of diversity which has gotten the attention of American authors and practitioners since 1990's is extending to other regions of the globe including the developing countries. The fact that the workplace is becoming a mixture of heterogeneous categories of personnel, companies are called to use new ways of managing and leading.

Literature review reveals two major phases:

• During early 90s, emphasis was made on major issues as defining the concept of diversity, explaining the rationale of managing diversity; exploring initiatives to managing diverse workforce; and empirically testing the concept (Edwards, 1996).

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• Since the late 90s, the focus has been made on developing effective strategies in managing diversity in order to enhance organizational performance and competitiveness. Attempts were geared towards demonstrating the benefits of implementing diversity strategies and initiatives in the bottom line of businesses (Soni, 2000).

Change in paradigm is, thus, noticed whereby emphasis was made first on understanding and comprehending the concept of diversity and later on demonstrating the pragmatic value of managing diversity as a business imperative. The concept of diversity is still blossoming, evolving definitions and strategies ranging from simply valuing diversity to multicultural management.

According to the Webster's Dictionary, diversity means "the condition of being different or having differences". In the literature, diversity refers to all kinds of differences implying "any conceivable individual characteristic that might have some implications for how individuals might be perceived or responded to in the workplace" (Cooke, 1999). Individuals differ in some characteristics such as background (including educational background), personality, behavioral patterns, and group membership.

Within this orientation, diversity issues emphasize a strategy of inclusion associated with the advent of affirmative action programs under governments' impulse.

The history has proved that diversity may be considered as an opportunity for an organization and strength to be reinforced for achieving its effectiveness in utilizing available technical and managerial competencies.

As such, diversity implies receptivity to differences in order to capitalize on human resources. However, “it is not difference that is the problem- the problem is that some groups and individuals are oppressed because they are different" as Cooke (1999) said. Attempts to protect individuals from oppression have been initiated through legal actions.

2.1. Diversity vs. affirmative action

In a society where members' relationships are primarily based on contracts, transactions, and legal framework, government's regulations constitute a major component for structuring these relationships. The American society has been built on legal-based transactions to which compliance is the only guarantee of order. In this context, the term diversity has emerged with "the advent of political correctness, the term entered the workplace and became associated with government attempts to provide special treatment for certain designated groups that have faced discrimination in the past" (Edwards, 1996). Political correctness is exemplified in two main laws: equal employment opportunity (EEO) and affirmative action (AA) or Stigma discrimination.

The EEO's law is aimed in assuring the respect of equal chances principle in hiring decisions. The affirmative action's laws specify some quotas to be respected in the demographic structure of employees. The reinforcement of these laws is not problematic since most organizations have business transactions with federal and local and governmental institutions.

However, the question that may arise is whether EEO and AA laws are sufficient to carry out the desirable change both in policies and behaviors.

Some proponents of legal actions argue that organizations will be inclined to change their policies and strategies for business reasons as Edwards (1996) affirms. Accordingly, compliance will make change happen. Some other authors demonstrated that affirmative action is not sufficient to ensure equal fair treatment between "protected" individuals and "privileged" ones (Guilbert, Stead & Ivancevich, 1999).

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Certainly, affirmative action has been a "legitimate start" for equal opportunities. Nonetheless, the AA is usually perceived as a simple compliance to some laws in order to gain the acceptance of the federal government, a major source of business for U.S. organizations. Within this perspective, some negative effects may be highlighted. First, some authors argue that the term "quota" is incorrectly used and of the notion of "qualified" is often omitted (Guilbert, Stead & Ivancevich, 1999). In fact, decision makers limit their implication into the AA program by respecting the quota imposed by the law without deliberating change in policies and human resources practices. Second, negative attitudes towards "targeted groups" persist. These groups are usually perceived as less competent and less qualified than the "non targeted groups" (Heilman et al., 1992, cited by Guilbert, Stead & Ivancevich, 1999). They are stigmatized by lowering hiring appraisal performance criterion. Guilbert, Stead & Ivancevich, (1999) affirm that "as such, affirmative action is regarded by some as a 'handout' program which presumably does not take into account the capabilities of targeted groups."

Thus, the perception of affirmative action may be explained by the attitudes towards minorities which are generally characterized by stereotypes and prejudices whereas the whole concept of diversity is based on the added value different groups may bring.

Such perception has influenced actors' behaviors leading to some pitfalls reducing the benefits of diversity. Literature review shows the emergence of the phenomenon of "reverse discrimination" (Guilbert, Stead & Ivancevich, 1999; Edwards, 1996) and the adoption of the "discounting principle" (Nye, 1998; Heilman, et al., 1992; Robinson, 1992). Reverse discrimination is a result of targeted individuals' abuse of affirmative action whose demands for preferential treatment may exceed the scope of the prescribed laws. Such behavior may put the non-targeted individuals in a disadvantaged situation. Similarly, discrimination is said to be reverse when individuals from non-targeted groups claim preferential treatment under the umbrella of AA. This is due to the workplace becoming more and more heterogeneous.

The "discounting principle" implies that career decisions of protected individuals are usually influenced by the stigma of incompetence. In this regard, Wynter, (1994; cited by Guilbert, Stead & Ivancevich, 1999) states that "lower hiring and performance standards have been applied to minorities”. Furthermore, the under representation of minorities at the top management level is an extension of the discounting principle of the glass ceiling phenomenon.

“Valuing Diversity is good for the bottom line” Steven, E.

A set of direct and indirect barriers preventing the access of "qualified individuals" to high level positions, is largely documented in the literature (ILO, 2004; Powell & Butterfield, 1994; Kanter, 1993). Kanter (1993) revealed the existence of the phenomena of "powerlessness" and "tokenism" as results of number games.

Thus, the perception of affirmative action affects perception of diversity and consequently the degree of its receptivity. Cohen (1996; cited by Guilbert, Stead & Ivancevich, 1999) affirms that "affirmative action has created spoils systems" while Nye (1998) argues that "it is possible that affirmative action is actually giving rise to a more subtle, but no less odious, form of discrimination than that which it was originally intended to combat".

The change in paradigm embracing managing diversity becomes relevant. Managing diversity is based on a fundamental change in perceptions, attitudes, and actions, a whole societal change project designed to value and promote diversity or as Jamieson & O'Mare (2000) put it "a new corporate mindset".

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“Diversity is like an investment.” Lynn. B, associate professor and professor of accounting at McMaster University in Hamilton, Ontario, and co-author of the joint COCA/SMAC study.

2.2. Valuing diversity

Raising awareness about workforce diversity and how to manage it has proliferated since the early 1990’s (Soni: 2000). In the past few years, few academic literature, books, and media means have made in perspective the benefits of diversity as it enhances problem solving capabilities and boosts organizational creativity. Today, the literature reveals that organizations are recognizing the importance of possessing managerial skills and style in understanding and dealing with a diverse workforce (Thiederman, 2003; Laroche, 2003; Jacob, 2003; Rhode, 2003.)

Diversity can create a new climate facilitating and encouraging the increase of diverse domestic and foreign market where things such as better understanding for other foreign markets, expanding companies’ client base, bringing gains that can outweigh the costs, increasing profit and customer satisfaction are possible (Cox and Blacke, 1991; Elmuti, 1993; Soni, 2000). Workplace diversity could lead to higher organizational productivity and higher profit (Cox and Smolinski, 1994; Steven, 1996).

Valuing diversity has the potential to lead to a better understanding and higher problem solving capabilities (Anderson, 1993; Cleveland, Anderson & Thornton III, 2001). Diversified workplace may result in better quality ideas to identify products and services and determine the appropriate marketing strategy for a diversified consumer base (Griggs, 1995; Milliken and Martins, 1996). When motivated, a diverse group of employees can give a satisfactory level of performance (Soni: 2000). Diversity can be considered as a stimulus for intellectual, emotional, economic, and social growth (Anderson: 1993).

“Diversity management is a voluntary organizational program designed to create greater inclusion of all individuals into informal social networks and formal company programs.” (Gilbert, Stead & Ivancevich, 1999).

Based on the potential benefits, both for the employer and the employees, today’s organizations are more concerned to attract to the workplace the “best people” with different ethnic and religious background that can bring new perspective to the job, help the company in remaining competitive, and can play key ingredients for business success. Different than the past, among those are many women who account for more than half the profession’s entry-level recruits. As Steven (1996) stressed further “Catering to people’s differences gives a company the pick of the labour pool. That’s because the best people-be they black, white, disabled, gay, or anything else- want to join the staff. The best workers are clearly the most productive, so the bottom line improves”. It is not then anymore about what kind of person you are but what kind of skills you get to make it different in the workplace.

American workplaces appear to be more receptive to a diverse workplace (Soni, 2000; Gilbert, Stead & Ivancevich, 1999) and preferential hiring to enhance diversity has for a long been illegal in the U.S. (Cleveland, Anderson & Thornton III, 2001; Kolb & Williams, 2000). However preferential hiring of women and minorities is still existent and the attitudes toward and perceptions

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of diversity enhancement programs are likely to be a critical determinant of either the success or failure of such programs. As Kolb & Williams (2000) precise, “Ethnic identity has the potential to contribute to increased understanding of employee’s attitudes and behaviors as well as to the factors that affect the effectiveness of other HR systems including selection, performance evaluation, promotion systems, and pay”. It certainly does have other values as Steven expressed “diversity is no longer about hiring this person or that because someone has a gun to your head. It’s about doing what makes sense –going for the best.” (Steven, 1996).

2.3. Managing diversity

Few definitions were given to define the concept of diversity management. Perhaps most of them agree on the fact that diversity management is the inescapable steps for organizations to remain competitive (Cox and Blacke, 1991; Cox and Smolinski, 1994; Triandis et al., 1994; Barry and Batemen, 1996; Milliken and Martins, 1996; Gilbert, Stead & Ivancevich, 1999).

The initiatives to have a diversified workforce apply in area where the concept of affirmative action is changing. The changes consist in ensuring equal employment opportunity for all without holding neither negative perceptions about the concept nor wrong implementation of it (less competent, less qualified, recruitment on the basis of irrelevant job-related characteristics, etc.). Ethically speaking, diversity management aims at allowing everyone to reach their fullest potential by choosing career paths according to their abilities, skills, and interests.

“Quantifying the benefits [of diversity] remains one of the challenges of any company trying to get into this” (Edwards, 1996).

Based on the literature review, Gilbert, Stead & Ivancevich (1999) found out that to value diversity, organizations are advised to modify their old fashion procedures and practices starting with their HR functions and ending with installing some management styles that allow for integration into the organization “diversity management”. The authors concluded that diversity management cannot be effective if it is going to depend solely on affirmative action laws as the latest may represents only a minimum acceptable standard of behavior or/and preferential treatments. Organizations that do not make diversity a strategic objective might not survive. As Soni (2000) precised “diversity management is predicted to be one of the most significant organizational issues of the coming decades”.

To summarize, installing management styles means implementing some “diversity management initiatives” that aim to (1) increase sensitivity to cultural differences; (2) develop the aptitude to value diversity; (3) minimize demographic inequalities; (4) improve interactions among diverse groups; and (5) change leadership practices (Soni, 2000).

2.4. Diversity management: considerations for practice

Human Resources Management (HRM) systems should aim to attract, retain, develop, motivate, and promote new and diverse workforce. To do so, organizations "must recognize the unique needs and backgrounds of the workers." (Elmuti, 1993). It is rather a challenge for Human Resources Directors (HRD) to transform the diverse workforce into skilled, competitive, and adaptable resource. HR planning and forecasting was made available using quantitative forecasting methods. It is to know that software and computer-based programs are already available to help HRD consider many variables and scenarios in their forecasting.

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For recruitment, the author argues that organizations need to develop an educational and recruitment program in order to identify and anticipate future essential competencies and skills for their existence and survival. "Starting the educational process early can change people's view before they become set in their ways. Students who then become managers will know how to handle diversity and be more understanding of the differences"(Elmuti, 1993).

Managing diversity implies differentiating practices and policies according to the specificities of groups and sub-groups.

1. Managing older/graying worker

Dealing with older workers implies motivation issue, increasing their capabilities to adapting to new technologies, and assuring both mobility and flexibility.

2. Managing younger generations

Managing younger graduates implies paying attention to the problem of the lack of relevant experience. Such problem concerns young graduates with college degrees in almost all fields of study. "Educating the younger generation on alternative strategies for gaining valuable work experience will enable organizations to more effectively apply current knowledge and develop skills for future job challenges" (Elmuti, 1993).

3. Managing women's career

The main problem in managing women employees is the attitudes and perceptions toward women as being less productive, less engaged and committed to work, and less-skilled to hold top level positions.

4. Managing disabled persons

Managing disabled employees involves recognizing their abilities and the added value they can bring to the organization's performance. It also involves making accommodating work environment to allow them performing well in their jobs.

However, diversity management programs can be successfully implemented only if there are the necessary infrastructure “diversity management initiatives” or what Cox (1993) calls “diversity climate” that can prepare managers and employees to recognize, accept, and value differences. A theoretical model will thus be conceived to assess the degree of receptivity to diversity.

2.5. Theoretical Model of receptivity to diversity

Tunisian employers can query many questions and different thoughts about what workforce diversity means and how it should be managed. As a matter of fact there is no empirical evidence that shows the importance of having a diverse workforce in Tunisia. It is also possible that employers have never questioned if that diversity has an impact on their organizations.

It is the extent of this paper to study the Tunisian employer’s receptivity to diversity. Based on Soni's (2000) findings, there are three independent variables (Race and gender, prejudice and stereotyping, and interpersonal relationships) that are assumed to have an influence on receptivity to diversity and also to diversity management initiatives, the two dependent variables. (Figure 1).

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3. Empirical research on diversity issues

In order to address diversity issues in the Tunisian context, the paper is structured into two main parts: theoretical framework and empirical research. The theoretical framework highlights the importance of diversity (both historically and semantically) and diversity management. A theoretical model explaining the degree of receptivity to diversity and diversity management in Tunisia is proposed.

The empirical research is to study managers' perception about diversity. A research model is designed to this effect whereby indicators and measurement of variables are specified. The model will be validated in the Tunisian context. Exploratory study will determine what diversity means and what type of affirmative action and human resources management initiatives have been taken so far.

In fact, the results of the 2004 census show significant demographic changes mainly:

- Women count 49.9% of the population;

- The proportion of active population (15 to 59 years) increased from 56.9% in 1994 to 64% in 2004;

- The proportion of aged population (60 years and more) increased respectively from 8.3% to 9.3%. It is estimated that this proportion will reach 18% by the year 2030;

- 65% of the population is concentrated in urban areas due to the increase of the percentage of the immigration rate from rural to urban cities.

- The rate of unemployment has shown a decrease of 1.7%; 16.7% of women and 12.9%.of men are unemployed.

- The number of women reported with disabilities in 1975 was extremely low. Between 1975 and 1994, while the number of disabled men reported more than doubled, the number of disabled women reported grew by many more times. As shown in figure 3, the percentage of women in the disabled population tripled between 1975 and 1994.

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Figure 3: Percentage male and female among disabled persons 15 years of age and over, Tunisia, 1975 and 1994

1975 1994

Females 2,660 10.4%

33,274 37.8%

Males 22,900 89.6%

54,736 62.2%

Sources: Tunisia, Institut national de la statistique, Recensement general de la population et des logements, 8 Mai 1975, Volume III, Caracteristiques demographiques, tableaux et analyses des resultats du sondage au 1/10eme75 (Tunis, Author, 1975).

- The measurement of economic activity is a variable that traditionally has had some basis in gender with higher labour force participation rates reported for men than women. Tunisia provides a case study for the results of the increasing prevalence of disability reported for women 15 years of age and over. Between 1975 and 1994, reported economic activity rates for disabled Tunisians declined slightly. However, as shown figure 14, the rate for men actually increased over the period. The rate for women declined by over 70 per cent.

-

Figure 4: Economic activity rates by gender for disabled persons 15 years of age and over, Tunisia, 1975, 1984 and 1994.

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Gender 1975 1984* 1994 Total 15.9 14.3 14.3 Males 15.5 17.5 19.5 Females 19.9 12.8 5.7

*Note: The rates for males and females for 1984 are interpolated due to lack of data for that year.

Sources: Tunisia, Institut national de la statistique, Recensement general de la population et des logements, 8 Mai 1975, Volume III, Caracteristiques demographiques, tableaux et analyses des resultats du sondage au 1/10eme75 (Tunis, Author, 1975) and Recensement general de la population et de l'habitat, 30 Mars 1984, Volume IV, Caracteristiques demographiques (Tunis, Author, 1984).

- Educational indicators patterns may be highly dependent on age and gender as well as issues as to how a society measures educational variables. When viewed such wise a clear indicator for examination is the percentage of persons with some education, which is the inverse of the percentage of who have no education. While such a measure might not be used in a country where education is relatively universal, it is a critical variable in a country where education historically is a scarce commodity. Even that Tunisia is a country where substantial progress is being made, the indicator reflecting the reduction of no education retains its relevance. As shown in Figure 5, rate of receipt of at least some primary education grew dramatically between 1975 and 1994.

Figure 5: percentage with some education by gender for disabled persons 10 years of age and over, Tunisia, 1975 and 1994.

Gender 1975 1994 Total, Both Sexes 12.8 31.7 Males 16.2 39.2 Females 7.2 19.6

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- There are many reasons to speculate as to whether disabled women were undercounted in 1975. Whether the change is real or a statistical artifact, it can clearly influence outcomes that are associated with gender.

From a legal perspective, we may shed the light on the measures of affirmative actions that have aimed at encouraging employers to embrace diversity and treat minorities equitably. Research reveals that the principles of equity and equality towards different ethnic groups are explicitly declared in the constitution of the country. Besides the review of "labor code" (code de travail) preserves some special considerations related to some specific groups of employees mainly women, disabled and aged persons. The modifications of the code (law number 93-66 of July 5 1993) institute explicitly the principle of non-discrimination between the sexes and clarify the conditions determining base salaries and compensation benefits. Furthermore, some laws are reserved to specific categories of personnel mainly aged and disabled employees.

In fact, from 1981 to 2004, 13 legal texts concerning disabled persons show the importance of affirmative action's initiatives in the country (http://www.ilo.org/dyn/natlex, access January 18 2005). The main initiatives are related to the following measures:

• 1% of jobs are reserved to disabled employees in organizations employing 100 employees at least; exemptions from social security charges are used as incentives for employers (law number 81-46 of may 29 1981)

• The same law specifies a special social security system for disabled employees in the private sector.

• Institution of a superior board "conseil supérieur" under the supervision of the ministry of social affairs for disabled whose mission is to make an opinion on education, training, professionals' re-adaptation, and employment of disabled persons. The board is also charged to propose programs and measures favorable to social integration of this category (law number 88-2051 of December 22 1988).

• Hiring both in the public and private sectors is to be based on relevant job characteristics and not on the handicap of a person

Employment of foreign employees is documented in a special chapter in the labor code. The latter specifies the conditions in hiring foreigners related to the possession of specific skills or competencies not available in the national workforce. Contrary to other countries, there is up to date no legal measures for immigrants’ citizens. Recently, attention has been made to graduates from universities, continuing education, and professional education whose professional integration constitutes a top priority.

The affirmative action seems to be neatly related to efforts toward eliminating discrimination and protecting employees from bias more than to enhance diversity management programs. Diversity initiatives have been based on the costs of not complying with laws and eventually of lost customers as a result of damaged organizational image and reputation. It becomes thus relevant to assess Tunisian’s employers’ perception and receptivity to diversity issues in order to explain the rationale behind their initiatives to diversity management.

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3.1. Research model

The research model proposes few differences and assumes several relationships between the dependent and independent variables (figure 2 below).

First the independent variables for the Tunisian case on workforce diversity may be related to differences among people based on gender, age, geographic belonging, physical or mental disability, and socioeconomic class. In this study, only physical or mental disability, ethnicity, and gender are examined.

Second the dependent variables may vary slightly. While the receptivity to diversity is measured by employer's perceptions of salience of diversity and their attitude toward diversity that is whether it had or can have a positive or negative effect on their work experiences; receptivity to diversity is measured by the extent of understanding the purpose of diversity programs and the level of employer’s support to policies and programs to effectively utilize and manage diversity.

Several relationships between the dependent and independent variables are to be examined. For instance, it is possible that diversity may be viewed as salient but this does not necessarily mean that it is going to be viewed as a positive factor in Tunisian’s organizational life.

More to add it is also possible that diversity is viewed as salient and that managers hold positive factor about it but this does not necessarily mean that employers are or will take initiatives to manage it effectively. As a matter of fact support for diversity is probably unlikely to exist.

In Tunisia, perceptions about fair treatment in the workplace, perception, and interpersonal relationships are likely to vary by age, gender, social belonging, and disability’s types.

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3.2. Exploratory study in the Tunisian context

In order to assess the extent of receptivity to diversity in the Tunisian context, a total of 20 organizations were studied. 18 are in the private sector; 14 are industrials, and 6 are in the service sector. The demographic composition of the interviewed companies is presented as follows (Table1):

Table 1: Demographic distribution

Employee category N Mean Medial Standard Deviation Men 20 67.35 19.00 123.590 Women 20 33.35 5.00 79.624 Disabled 20 0.35 0.00 0.813 National immigrants 20 14.40 0.00 44.421 Foreigners 20 0.5 0.00 0.813 Total effectif 20 116.65 37.50 204.435

The majority of companies employ men more than any other individuals belonging to other different groups. More specifically, 80% of the surveyed companies have not hired disabled or foreigners since their creation. Moreover, the demographic composition of the companies studied has not significantly changed in the past three years. Almost all companies have not been hiring personnel due to economic conditions and financial difficulties that have characterized the market place.

1. Comprehension and attitudes towards diversity

The term diversity seems to have a positive meaning; 15 out of the 20 employers believe that diversity is salient while only one employer thinks it has a negative meaning. Respondents seem to be somehow aware of diversity's existence and relevance in the workplace.

2. Perception of the benefits of diversity

In general, attitude towards diversity is likely to be positive. The perception of the respondents reveals an awareness of diversity positive impact on the workplace. The nature of this attitude is based on the rationality in explaining this phenomenon which is considered to be an important issue in today's workplace.

Table 2: Impacts of diversity

Impact Positive (P) Negative (N) Neutral (n) Both (P/N)Company's image Performance Productivity Interpersonal relationships Work satisfaction Clients' satisfaction Markets' attraction

17 15 14 12 12 11 9

3 4 6 5 4 9 2

1 2 4 9

1

Total 90 33 16 1

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The analysis of the impact of diversity on the organization, shows that diversity is perceived, first, at the organizational level (company's image, organizational performance, and work productivity), second, at the employees' level (interpersonal relationships, work satisfaction) and third, at the external level (clients' satisfaction and attraction of other markets).

Furthermore, respondents have exposed a negative attitude towards diversity. Attitude towards diversity are primarily determined by its direct impact on the organization in economic terms. These results may be explained in different ways:

• First, it seems true that diversity is as Steven stated "good for the bottom line" and enhances organizational performance. Respondents' awareness of the impact of diversity is based on the recognized relationship between valuing diversity and effectiveness.

• Second, the fact that diversity benefits are difficult to quantify explains why respondents are not sure that diversity has a major impact in enhancing organizational relationships with clients and expanding their customer's base.

• The impact of diversity on the internal climate seems to be moderate. Respondents are failing to realize the potential relationship between valuing diversity and employees' behavior in the workplace. This attitude has certainly an impact on initiatives taken related to human resource management.

Referring to the research model proposed, respondent attitudes towards diverse workplace expressed in terms of gender, ethnicity, and physical and mental disability, reflect apparently the absence of prejudice and stereotyping in treating employees. On the contrary, interpersonal relationships seem to be major concerns for Tunisian employers since five out of 20 think that diversity has a negative impact on interpersonal relationships and two are neutral.

However, there are some signs of receptivity to diversity limited to the acceptance of differences in the workplace. This inference leads us to validate the first level of our research model, according to which, it is asserted that individual belonging to specific groups is positively perceived. The salience of diversity has an influence on actors' attitudes which, in turn are based on the perception of the benefits of diversity at all levels (organizational, individual, and external).

However, the question is to what extent such perception is influenced by the existence of the affirmative action and consequently is reflected in respondents' action? The relevance of this question lies in the fact that receptivity to diversity may or may not be associated with receptivity to diversity management.

In order to answer this question, we notice the existence of some facts that characterize the process of diversity management in the Tunisian workplace. These facts demonstrate the difference between receptivity to diversity and receptivity to diversity management.

Fact 1: Diversity's salience and affirmative action

While diversity is considered as salient, 60% of the respondents were not aware of the existence of an affirmative action program in favor of some disadvantaged groups. This result shows that receptivity to diversity may be explained by the respondents' awareness to the existence of a diverse workforce and not necessarily to State's regulations. The educational level of the respondents (the majority are graduates from universities) constitutes a valid argument to this finding. However, 8 out of 20 respondents were aware of the existence of an affirmative action but did not act in accordance. We notice the existence of a paradox between the affirmative action and employers' initiatives to hire disabled and foreigners. As a matter of fact, most of the questioned employers did

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not show their support in hiring married women. Their justification not to hire them is related to the fact that most married women have more social responsibilities after marriage beside their inability to do a work demanding physical force. If they have to hire disabled, it is just a question of humanity.

Fact 2: Affirmative action and employers' initiatives

In order to assess whether being aware of affirmative action is associated with some initiatives, we asked respondents if they have been hiring and promoting different employees categories. The results show that only three respondents reported having hired women and disabled employees while none of the 8 respondents have hired immigrants or foreigners.

Being aware of the existence of affirmative action does not necessarily mean that employers are engaged in actions aimed at enhancing diversity in the workplace. As for the two public companies questioned, we notice that they respect the legal quota in employing disabled (1%). Nonetheless, we are not only questioning the degree of compliance to affirmative action but also the degree of receptivity to diversity management.

Fact 3: Diversity's salience and HRM's initiatives

The fact that diversity is salient to the Tunisian' employer, then to what extent hiring is exempted from prejudice and stereotyping?

Employment preferences perceived by the Tunisian employers are illustrated in table 3 below:

Table 3: Employment preferences

Employees category Preferred Least preferred Men 13 0 Women 8 4 National immigrants 2 6 Disabled 0 12 Foreigners 1 10

Results reveal the existence of some prejudice in hiring some groups. In fact, disabled people are the least preferred to be hired followed by foreigners, immigrants from other regions (urban and rural areas) and women. Most interviewed employers are aware of the benefits of diversity and have a positive attitude towards it; nonetheless; they have specific preferences towards one category more than the others (table 3).

We then assert the following comments:

1. Diversity issues are not yet fully apprehended by Tunisian employers who "apparently" seem to be aware of the phenomenon. We are afraid that the theme constitutes simply a "vogue".

2. Confusion between diversity and affirmative action seems to be apparent in respondents' answers. We notice that respondents gave their "own" perception and representation of the issue independently from the affirmative action framework.

3. We notice a divergence between perception and action, consequently between receptivity to diversity and receptivity to diversity management. We may conclude the existence of ambivalence in the attitudes towards diversity issues in the Tunisian organization. Receptivity to diversity and receptivity to diversity management seems to be two opposing

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forces leading to inadequate initiatives and measures to consider as entering the field of diversity management.

Diversity management is a voluntary and organized action aimed primarily the inclusion of all individuals in the workplace through fair treatment based on competencies and skills. Managing diversity is then significant not only in the awareness of the importance of a heterogeneous workforce, but also in the conception of equitable and fair HRM systems. Prejudice and stereotyping are still influencing hiring and promotion decisions in the Tunisian organization. The fact that 13 out of the 20 companies interviewed consign managing diversity issues to top management, explains reluctance to receptivity to diversity management. Besides, eliminating HRD (only 3 companies involve HRD) from managing diversity prevents companies from using professionals to appraise in this field. These results lead to infirm the second major hypotheses, as illustrated in the research model, related to the degree of Tunisian employers' receptivity to diversity management.

4. Limitation

Based on the available information provided during the interviews, despite that the sample is not quite large, the results using qualitative analysis, allow us to validate the conceptual model proposed and to state the degree of comprehension, awareness, and reaction to diversity issues.

5. Conclusion and suggestions

It seems that diversity equates affirmative action under the State's impulse.

The benefits of diversity may be seen at two levels: the organizational level and the individual level.

If managed well, workplace diversity could lead to a company’s competitive advantage and to its organizational flexibility besides the possibility of expanding its customer’s base.

According to our findings, hiring a diversified workforce means gaining better opportunity and competitive edge for companies.

By neglecting diversity issues, potential resources may also be wasted because of old manners of doing things in the organization. Applying the same HRM policies based on the observation of the dominant group (white men) to other sub-groups, can be counterproductive.

We suggest then for companies

to change their current competition rule to one that relies more on human resource potentials.

to Value diversity since it allows managers to gain the benefits of what differences can bring to the organizational performance in terms of innovation and creativity and since it can enhances the overall image of the organization by showing its social responsibility.

to integrate all types of personnel for a positive internal competition that brings intellectual, economic, and social growth.

to encourage management training and mentoring that aims to change the belief system in the dominant group and prepare organizations for a culturally diverse workplace.

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ARTISANES DE TUNIS ET RESEAUX SOCIAUX

Version préliminaire

IIème Colloque international pluridisciplinaire Marché du travail et genre dans les pays du Maghreb

Quels marchés du travail ?

Rabat, 15 et 16 mars 2006

Sénim Ben Abdallah

Enseignant - chercheur

Université de Sfax

TUNISIE

Sénim Ben Abdallah

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Artisanes de Tunis et réseaux sociaux Au cours des dernières années, l’évolution de la société tunisienne s’est traduite par un allégement du contrôle social du groupe tribal et familial sur l’individu, laissant, dans une certaine mesure, son encadrement à d’autres structures telles que l’école, les associations, l’entreprise et la rue. Dans ce contexte, les femmes artisanes s’orienteraient vers la « débrouillardise » et la mobilisation de leurs réseaux sociaux1 pour surmonter les difficultés. En Tunisie, l’artisanat constitue non seulement un élément fondamental de la construction de l’identité nationale mais aussi un secteur économique de grande importance. En effet, il emploie près de 300 000 personnes ce qui représente environ 11% de la main-d’œuvre active. Au cours de la période 1987-2002, les femmes ont représenté 83.1% des personnes qui ont obtenu une carte professionnelle2. En 2002, la production du secteur a contribué à hauteur de 3.81% du PIB. La même année, le secteur de l’artisanat a participé à 2.2% du total des exportations du pays3. L’étude stratégique sur L’artisanat tunisien à l’horizon 2016 a montré, entre autres, que le secteur de l’artisanat conserve encore important gisement de potentialités à développer, qui pourraient lui permettre d’ici 2016, d’augmenter sa contribution au PIB à 8%, de porter le nombre d’artisans à 412 000 et d’accroître sa participation dans le total des exportations à 9%4. Dans notre communication, nous tentons de répondre aux questionnements suivants : quel(s) rôle(s) joue(nt) les réseaux sociaux dans le parcours des femmes artisanes dans le district de Tunis ? Et, plus précisément, comment les artisanes usent-elles de leur capital social pour développer leur activité ? A quelle occasion mobilisent-elles leurs réseaux sociaux ? En d’autres termes, nous nous interrogerons sur les pratiques d’entraide et de solidarité des artisanes du grand Tunis dans l’évolution de leur activité économique. Il s’agira d’appréhender les stratégies que les femmes artisanes mettent en œuvre pour maintenir leur activité, en essayant de voir dans quelle mesure il est vrai d’affirmer que les pratiques d’entraide et de solidarité participent à la résolution de leurs difficultés diverses, et comment elles y contribuent.

1 Le réseau social est défini, pour chaque individu, par l’ensemble des relations sur lesquelles il peut compter afin d’obtenir quelque chose, que ce soit sur le plan symbolique ou sur le plan matériel. Selon Pierre Bourdieu, « le capital social est l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’interreconnaissance ; ou, en d’autres termes, à l’appartenance à un groupe, comme ensemble d’agents qui ne sont pas seulement dotés de propriétés communes (susceptibles d’être perçues par l’observateur, par les autres ou par eux-mêmes) mais sont aussi unis par des liaisons permanentes et utiles ». BOURDIEU Pierre, « Le capital social, Notes provisoires », Actes de la recherche en sciences sociales, 31, 1980, p. 2. 2 ONA, L’artisanat à travers les chiffres, Tunis, ONA, 2002 (en arabe), p. 9. 3 Idem, p. 6. 4 Idem, p. 6-7.

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Dans ce travail, nous nous appuyons sur l’analyse d’une quarantaine d’entretiens5 réalisés auprès d’un groupe de femmes artisanes de Tunis6, à partir de la fin de 2002 et au cours de 20037. Leur parcours et leurs récits sont abordés à travers cinq grandes thématiques : l’acquisition du savoir-faire technique ; les lieux et moyens de production ; la commercialisation ; la question pécuniaire et de financement, l’accès à l’information. À travers ces cinq thématiques se dégage en filigrane un portrait des pratiques d’entraide et de solidarité mises en œuvre dans le milieu des artisanes de Tunis, que ce soit par le cadre familial ou par le réseau extra-familial8, et notamment par et pour les autres artisanes. I. Acquisition du savoir-faire technique Dans un contexte marqué par l’évolution des rapports sociaux de sexe, la redéfinition de la sociabilité familiale et extra-familiale des Tunisiens, la valorisation du travail à l’extérieur, etc., la transmission du savoir-faire technique entre les générations, notamment de mère en fille, n’est plus automatique. En raison, entre autres, du développement de la formation professionnelle et de l’investissement de certains individus dans une démarche d’auto-formation, le cadre familial n’est plus toujours le champ prioritaire d’acquisition du savoir-faire technique pour les artisanes. I.1. L’acquisition du savoir-faire technique par la formation informelle Malgré la redéfinition de ses structures et de ses rôles, la famille tunisienne maintient beaucoup de ses fonctions. Dans ce contexte, la famille, soutenue parfois par le voisinage, continue à transmettre son savoir-faire technique à ses membres jeunes. Ceci est évidemment valable pour le savoir-faire lié aux activités artisanales. Cette formation informelle est, pour l’individu, un investissement qui peut être valorisé aussi bien dans une perspective d’autoconsommation que dans une perspective d’auto-emploi. I.1.1. Formation informelle dans le cadre de la famille d’origine La transmission de mère en fille du savoir-faire technique concerne surtout des activités ancestrales, pratiquées souvent par le passé dans le cadre domestique. Ce sont souvent des difficultés économiques qui encouragent les femmes à exploiter leur savoir-faire technique

5 Le guide d’entretien adopté s’est articulé autour de cinq thèmes touchant le parcours de vie et la trajectoire professionnelle de l’artisane : la description du projet ou de l’activité exercée ; la trajectoire professionnelle ; la conduite du projet ou de l’activité dans ses différents cycles (approvisionnement, production, commercialisation) et les principaux problèmes rencontrés ; le groupe solidaire d’appartenance, le cas échéant ; les perspectives de l’activité et le développement des solidarités. 6 39 artisanes ont fait l’objet d’un entretien approfondi, d’une durée variant entre une heure et une heure et demie. Elles sont âgées entre 25 et 54 ans ; 11 parmi elles sont célibataires et 28 mariées. 2 sont analphabètes, 8 ont un niveau d’enseignement primaire, 19 sont diplômées du secondaire et 10 émanent de l’enseignement supérieur. Quant aux spécialités des artisanes, elles se caractérisent par une grande diversité. À titre d’exemple, mais sans être exhaustif, les activités suivantes sont exercées : la couture, la tapisserie, la céramique, la peinture, la peinture sur tous supports, la mosaïque, l’habillement traditionnel, la maroquinerie, l’ambre, la décoration sur bois, la lustrerie, etc. 7 Cette étude a été réalisée dans le cadre de partenariat entre le Centre de Recherches, d’Etudes, de Documentation et d’Information sur la Femme (CREDIF) et l’Agence Canadienne de Développement International (ACDI). 8 Michel Forsé distingue entre une sociabilité interne centrée sur le foyer et une sociabilité externe orientée vers les amis, les relations de travail… FORSE M., « La sociabilité », Economie et statistiques, 132, 1981, 39-48.

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« traditionnel ». Elles le mobilisent à nouveau dans le but d’aider leur famille. Cette situation s’observe souvent chez les femmes analphabètes et peu instruites qui ont reçu une formation informelle, assurée notamment par leur mère, en vue de les préparer souvent à leurs futurs rôles d’adulte. Une autre circonstance est propice à une réactivation du savoir-faire artisanal acquis dans un cadre informel et familial. Plusieurs femmes se « convertissent en artisane » lorsqu’elles décident ou doivent arrêter une activité professionnelle exercée à l’extérieur de chez elles, notamment en raison des enfants. Elles initient alors une activité artisanale pour garder le contact avec le monde extérieur et préserver une certaine autonomie financière dans leur vie. Le savoir-faire technique transmis par la mère aide parfois les femmes dans cette démarche d’auto-emploi, où la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale est plus facile à réaliser. I.1.2. Formation informelle dans le cadre du voisinage Dans la trajectoire de certaines artisanes, le voisinage a favorisé l’acquisition d’un savoir-faire technique, souvent de type traditionnel. Dans un contexte socio-culturel où la sociabilité des femmes est souvent contrôlée par le groupe familial, la transmission du savoir-faire technique dans le cadre de la vicinité doit recevoir la bénédiction des deux familles. Dalila, quand elle était jeune fille, a appris le tricotage grâce à une voisine. « Avant mon mariage, j’ai appris le tricotage d’une voisine à qui je rendais visite de temps en temps. Elle travaillait avec ses filles... Dans le temps, les articles en laine étaient très demandés. C’est elle qui m’a proposé d’apprendre ce travail. J’ai consulté mon père... Il m’a autorisée à aller chez elle tous les après-midi. C’est comme ça que j’ai appris ce savoir-faire. Ensuite, j’ai acheté une machine à 200 dinars ». Dans ce cas de figure, le groupe familial était dans l’incapacité de transmettre un savoir-faire technique. Quand l’activité amorcée par l’artisane dépasse les compétences de la famille et que celle-ci a du mal à aller au-delà de l’appui financier ou logistique, il revient à l’artisane d’activer des liens extra-familiaux dans l’activité identifiée, afin de pouvoir acquérir un savoir-faire technique. Une telle mobilisation de réseaux sociaux extra-familiaux est une chose qui ne semble pas aller de soi, surtout lorsqu’il s’agit des femmes, dont les formes de sociabilité tournées vers l’extérieur restent faibles et moins encouragées que chez les hommes. I.1.3. Formation informelle au sein du couple En Tunisie, les valeurs patriarcales et la domination masculine perdent du terrain, aussi bien dans la sphère privée que publique. Dans ce contexte, la complicité au sein de certains couples permet à des artisanes d’acquérir le savoir-faire technique de leur époux, transmis dans le passé aux membres masculins de la famille, ce qui représente, avec l’émergence constatée d’une transmission père-fille de la profession, de réelles innovations sur le plan sociologique. Souad, artisane en gravure sur plâtre, a repris l’activité de son mari, après l’accès de celui-ci à un poste d’ouvrier. « Quand j’étais jeune fille, j’ai travaillé dans des usines de confection. Après mon mariage, j’ai travaillé à la maison comme couturière. Mon mari travaillait dans le domaine de la gravure sur plâtre... Je le regardais souvent travailler et j’ai commencé à avoir une idée sur cette activité. Après, mon mari a eu un travail à l’hôpital comme ouvrier. À partir de ce moment, j’ai pris la relève dans cette activité parce que j’ai trouvé le plâtre plus intéressant et plus rentable... Mon mari m’a encouragée pour démarrer...... ». Cette artisane, qui a toujours travaillé dans sa vie, a bénéficié d’un appui important de son mari. Dans cette expérience, la transmission du

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savoir-faire technique révèle la détermination de cette femme à exercer un métier et la complicité qui caractérise la vie de ce couple partageant une passion pour la gravure sur plâtre. I.2. Savoir-faire acquis dans les structures de formation et au sein de l’entreprise Aujourd’hui, plusieurs structures gouvernementales et non gouvernementales interviennent dans la formation des artisans, hommes et femmes, pour consolider les efforts déployés en matière de création d’emplois et de sauvegarde du patrimoine national. I.2.1. Les structures de formation formelle Dans la trajectoire de plusieurs artisanes célibataires, au moment de l’acquisition du savoir-faire technique et au démarrage de leur activité, le père apporte souvent son appui matériel pour les aider à développer leur activité économique. Cet appui pourrait avoir en même temps une fonction parallèle : de contrôle, de surveillance et de « protection » de la fille. En effet, les familles tunisiennes se montrent souvent disposées à appuyer leurs membres, notamment les jeunes, dans leur démarche d’intégration économique et d’amélioration de leurs conditions de vie. Cependant ce soutien impose, dans plusieurs cas, reconnaissance, loyauté et soumission à l’égard des autres membres de la famille, ce qui engendre souvent une perte d’autonomie chez les femmes bénéficiaires du soutien familial. Par ailleurs, ces dernières années, les jeunes diplômés des écoles de beaux-arts s’intéressent de plus en plus aux professions des générations antérieures dans le secteur de l’artisanat. La volonté politique visant la sauvegarde du patrimoine national et le dynamisme qui traverse certaines spécialités d’artisanat ont encouragé de jeunes diplômés à s’insérer dans ce secteur. Ils sont souvent à l’origine d’un mouvement d’innovation salué par certains et critiqué par d’autres. La formation formelle se déroule ou se poursuit parfois à l’étranger. Cela ne signifie pas que l’artisane ne reviendra pas au pays. Wafa, qui a fait sa formation spécialisée à l’étranger, se caractérise par son dynamisme et son esprit entrepreneurial. « Après avoir passé deux ans à l’université, je suis partie en France pour suivre une formation en peinture sur soie qui a duré 18 mois dans une école spécialisée. Dans cette école, j’étais la seule tunisienne... Ma famille m’a encouragée à m’investir dans le domaine de l’artisanat... Ma sœur qui vivait en France m’a beaucoup soutenue pour partir et faire la formation. J’ai habité chez elle... ». Wafa est attirée par le marché international et s’oriente de plus en plus vers le secteur du tourisme afin d’écouler sa production. Le séjour à l’étranger pour la formation universitaire et professionnelle est de moins en moins un phénomène strictement masculin, même si les filles sont moins encouragées que les garçons à faire cette expérience. I.2.2. Formation au sein de l’entreprise Le travail à l’extérieur de chez elles a constitué pour plusieurs artisanes un cadre favorable à l’acquisition d’un savoir-faire technique, dans diverses spécialités, qui les à aidées à s’installer à leur compte. Les femmes qui quittent leur emploi, en raison des difficultés à concilier vie familiale et carrière professionnelle ou à cause d’un licenciement, s’orientent souvent vers une activité artisanale similaire ou inspirée de leur ancienne profession. Dans ce cas, le cadre

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domestique est utilisé comme un atelier de travail permettant aux femmes de garder le lien avec la vie active et de s’investir davantage dans leur vie familiale. Dans une position un peu intermédiaire entre la formation professionnelle et l’entreprise, l’Office National de l’Artisanat (ONA) a joué, dans l’histoire de la Tunisie contemporaine, un rôle majeur dans la préservation de plusieurs métiers et dans le développement du savoir-faire technique de nombreux artisans. Outre le suivi d’une formation au sein de cette structure, plusieurs artisanes ont travaillé en tant qu’ouvrières permanentes à l’ONA ou pour le compte de cet établissement, à la pièce ou à la tâche. La restructuration du secteur de l’artisanat a amené certaines artisanes à développer leur propre activité, souvent dans le cadre domestique. Leur passage à l’ONA ou leur collaboration avec cet établissement les a servies dans l’apprentissage d’un savoir-faire technique. I.3. Le cas des artisanes autodidactes Même si les valeurs collectives demeurent fondamentales dans la société tunisienne et si la mobilisation des réseaux familiaux reste importante dans la résolution des problèmes de la vie quotidienne des Tunisiens, du moins au niveau de la perception des acteurs sociaux, une minorité de femmes artisanes arrive à construire son projet professionnel avec une implication peu importante, voire inexistante de la famille. Basma, qui est maquilleuse traditionnelle saisonnière depuis plusieurs années, se considère comme autodidacte en fabrication de bougies et articles de mariage. Accompagnant plusieurs jeunes filles dans l’accomplissement de leur mariage, elle s’est lancée dans un créneau porteur, fortement lié à son premier métier. Elle décrit son parcours avec fierté : « Dès mon enfance, j’étais passionnée par le travail de maquilleuse qui transforme la mariée... Ma mère s’est toujours opposée à cette passion... Parce que le travail de maquilleuse est saisonnier, j’ai voulu faire autre chose... J’ai commencé à faire des bougies et à confectionner des articles de mariage sans aucune formation... Pour l’obtention d’une carte professionnelle, j’ai passé un test au centre de la Cité Ezzouhour... La directrice de cet établissement a été agréablement surprise par la qualité de mon travail et l’originalité de mes articles... J’ai développé ma technicité et j’ai même fabriqué mes propres outils de travail... J’ai commencé à zéro... J’ai beaucoup galéré... J’ai toujours compté sur moi... Je n’ai jamais été aidée par quelqu’un... Après mon succès, tout le monde cherche à profiter de moi... ». Cette artisane s’inscrit fortement dans une logique de « self-made woman », ce qui est un profil assez unique. Elle se distingue par sa détermination à s’affirmer et à s’installer dans la vie en comptant uniquement sur ses propres moyens et en valorisant cet état de chose. Ce vécu était générateur d’une autonomisation importante chez cette artisane hostile à la soumission et à la dépendance. Il est opportun de préciser que l’idéologie « individualiste » véhiculée par certaines artisanes reflète plus un sentiment de fierté et de valorisation de leur autonomie et de leur capacité à s’en être « sortie toute seule » qu’une attitude de fermeture sur le monde extérieur. La transmission du savoir-faire technique de mère en fille en matière d’artisanat perd du terrain, en particulier pour les générations qui ont fréquenté l’école. Dans la trajectoire de la majorité des artisanes enquêtées, même pour celles qui se sont auto-formées, la famille, qui reste une institution centrale dans l’organisation sociale, a fortement été impliquée dans le processus d’acquisition d’un savoir-faire technique. Beaucoup d’artisanes ont bénéficié du soutien de leur famille dans l’apprentissage de diverses compétences dans une ou plusieurs spécialités ayant trait à l’artisanat. L’encouragement, la prise en charge, l’exonération des tâches domestiques, en

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particulier pendant la formation, émanant du groupe familial, sont des éléments qui ont marqué la trajectoire de plusieurs artisanes interviewées. En effet, le réseau familial est souvent plus présent que le réseau extra-familial pendant l’acquisition du savoir-faire technique. Dans le secteur de l’artisanat, la formation offerte dans le cadre institutionnel gagne du terrain. Le recours aux différentes structures croît parmi les artisanes qui ont fait des études secondaires et supérieures, et ce, souvent grâce à l’appui familial. Toutefois, les artisanes continuent à se concentrer dans certaines spécialités traditionnellement féminines et conventionnelles, comme la peinture sur tous supports. II. Lieux et moyens de production L’artisanat a toujours été pratiqué par les femmes dans le cadre domestique 9 . La tendance actuelle à la mise en place d’un lieu spécifique de production, que ce soit dans le cadre domestique ou en dehors du foyer familial, semble liée à la volonté de l’artisane de se lancer dans une production orientée davantage vers le marché que vers la stricte autoconsommation. Contrairement aux générations précédentes, les artisanes contemporaines semblent avoir besoin, plus qu’auparavant, d’un lieu de production moins flou et davantage dissocié de l’espace familial. II.1. Production dans le cadre domestique Dans la société tunisienne, les femmes seraient mieux armées et plus outillées que leurs homologues masculins dans l’exploitation de l’espace familial comme un lieu de production. Par contre cette situation peut entraîner une surcharge de tâches et de travail - souvent invisibles - dans la vie quotidienne des femmes. C’est pourquoi certaines artisanes privilégieraient la distinction entre leur lieu de production et l’espace familial. II.1.1. Le foyer parental Pour les artisanes célibataires, le fait de pratiquer leur activité dans le cadre du foyer parental leur permet un investissement plus important dans le travail en raison, entre autres, de l’exonération des tâches domestiques. Chez les jeunes artisanes, la phase de démarrage dans leur activité peut s’étendre sur une période assez importante. Le travail à domicile constitue dans ce contexte un passage obligé. Leur tâtonnement et leur manque de confiance en elles, liés entre autres à l’absence de traditions de réseautage dans le milieu des artisanes, les empêchent d’avoir une vision d’avenir pour leur activité. Dans leur processus d’accès à l’âge adulte, certaines jeunes artisanes sont fortement prises en charge par leur groupe familial. Le soutien apporté par leurs parents à leur démarche est tel que 9 « En milieu urbain où les espaces de travail des hommes et des femmes étaient séparés de façon étanche, seul l’artisanat masculin était considéré comme une véritable profession s’exerçant à l’extérieur, dans des ateliers isolés ou bien groupés dans des souks. Par contre, les activités artisanales des femmes pratiquées à domicile étaient considérées comme des tâches féminines totalement confondues avec leurs travaux domestiques ». FERCHIOU Sophie, « L’artisanat féminin, savoir-faire et créativité », FERCHIOU S. (sous la dir.), Femmes, culture et créativité en Tunisie, Tunis, CREDIF, 2001, p. 35.

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l’accompagnement s’assimile à de la dépendance à l’égard du groupe familial 10 . Monjia, célibataire, qui pratique son activité dans le cadre du foyer parental, témoigne : « Tous les membres de ma famille m’aident... J’utilise des verres et différentes choses de la maison pour faire des articles... En réalité, chaque fois que je veux fabriquer un article, je demande à mon père de l’argent, mais des fois il ne veut pas me donner de l’argent... Je trouve qu’il ne m’encourage pas assez... Ma sœur m’achète parfois de la matière première... Je garde mon argent d’épargne chez ma mère... Mon père pourrait me donner un local pour l’utiliser comme boutique, mais son emplacement n’est pas fameux… Ma famille a compris mon métier à force de m’observer faire des choses, et ils peuvent me donner des conseils... ». Cette artisane semble avoir du mal à développer son autonomie. Elle se fait de son projet professionnel l’image d’une construction plus familiale que personnelle. Quoiqu’il en soit, Monjia a du mal à percevoir son activité en dehors du contexte familial et elle ne se positionne pas vraiment en tant qu’individu ayant une démarche personnelle sur le plan professionnel. II.1.2. Le foyer conjugal Nombre d’artisanes, dans l’exercice de leur activité, s’inscrivent dans une logique de continuité et reproduisent le même type d’organisation de la sphère privée que pratiquaient leurs mères et grands-mères. Dans certains cas, les artisanes analphabètes ou peu instruites qui n’ont jamais travaillé à l’extérieur de chez elle, perçoivent leur activité de type « traditionnel » comme un prolongement de leurs tâches domestiques. Dans ce cas, le besoin, voire l’idée, de disposer d’un lieu de production extérieur au cadre domestique n’est pas concevable. Le travail dans le cadre domestique est une situation qui peut durer tout au long de la vie active d’une artisane. Toutefois, son organisation du travail peut évoluer en fonction de ses responsabilités familiales, relatives notamment aux enfants, tout en gardant la maison comme lieu de production. Aicha, mariée et mère de six enfants, dit : « Je pratique mon métier depuis l’âge de 12 ans et j’ai maintenant plus de 30 ans de carrière... J’ai toujours travaillé à la maison... Quand les enfants étaient petits, je ne sortais pas beaucoup... Maintenant, je sors tous les jours pour faire le tour des boutiques qui achètent ma production ou pour m’approvisionner en matière première... Je fais tout par moi-même... Je n’ai pas de place à la maison pour recruter quelqu’un... Mes enfants ne m’aident pas... Mon fils me donne son avis sur les articles que je confectionne... Je préfère vendre auprès des commerçants que de recevoir des clients à la maison... Je ne peux pas recevoir tout le temps des gens à la maison...». On voit que pour cette artisane, l’avancement de ses enfants dans l’âge lui a permis de s’investir davantage dans son activité et de rationaliser son implication. Elle est en mesure maintenant de mieux gérer son temps et développe des relations plus importantes avec le monde extérieur. Disposant d’un temps plus flexible et se sentant moins coupables vis-à-vis de leurs enfants et leur mari, certaines artisanes font la promotion du travail à domicile et font preuve de beaucoup de détermination à poursuivre leur activité. Elles « squattent » les lieux du quotidien dans l’espace

10 « Même si, aujourd’hui comme hier, la famille a une formidable présence dans l’environnement quotidien des individus, on ne doit pas non plus passer sous silence le revers de la médaille : microsociété formée de frères, de parents, d’oncles et de neveux que l’on n’a pas choisis, elle est aussi traversée par des réticences et des conflits. Elle aide mais elle enferme, elle sécurise mais elle étouffe ». BONVALET C., MAISON D., LE BRAS H., CHARLES L., « Proches et parents », Population, 1, 1993, p. 106.

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domestique (cuisine, salle à manger, séjour, patio, balcon, véranda...) pour pratiquer leur activité. Malgré les avantages de travailler chez soi, certaines artisanes sont confrontées à des difficultés dans la gestion de leur budget-temps. La non-implication des hommes, jeunes et moins jeunes, dans les tâches domestiques rend la vie quotidienne de certaines artisanes difficile. II.1.3. Lieu de production annexé au domicile familial Outre le gain financier, la mise en place d’un atelier de travail dans le jardin familial est une formule qui favorise le sentiment de sécurité chez l’artisane et permet à la famille de suivre, voire de « surveiller », l’évolution de sa carrière. Dans ce cas, l’artisane bénéficie d’une certaine liberté dans l’organisation de son travail parce qu’elle dispose d’un espace de production relativement dissocié de la vie familiale. En même temps, la proximité géographique entre l’atelier de travail et le foyer familial encourage les différents membres de la famille à soutenir sa démarche. Wafa, célibataire, parle de son expérience : « Je suis dans le même atelier point de vente depuis quinze ans; c'est un ancien garage de la maison familiale... Ma famille me soutient dans le transport, les foires et l’approvisionnement. Mes frères m’aident parfois dans la réalisation de certains articles quand j’ai une commande importante à préparer... ». Le sentiment d’être appuyée par un capital relationnel familial participe fortement au bien-être de cette artisane. Sa fratrie, qui partage parfois avec elle les bénéfices, l'encourage pour qu’elle s’investisse davantage dans sa démarche d’auto-emploi. Selon cette artisane, sa réussite a des retombées positives sur toute sa famille, qui a connu une amélioration dans son niveau de vie. II.2. Production en dehors du cadre familial Les artisanes comptent souvent sur différentes formes d’entraide et la solidarité pour installer un lieu de production en dehors du cadre domestique. La montée de l’individualisme ne semble pas avoir ébranlé les réseaux d’entraide et de solidarité. Il reste que l’efficacité de ces réseaux n’est pas toujours assurée : elle est limitée par la généralisation des difficultés socioéconomiques qui n’épargnent pas certains groupes sociaux. II.2.1. Soutien du réseau familial Au moment de la mise en place de l’atelier de travail, le groupe familial est souvent plus présent que les amis. Les jeunes profitent de l’appui familial pour surmonter leurs difficultés, tout en se soumettant, dans plusieurs cas, à des règles conventionnelles et en acceptant un contrôle mesuré. Khadija, célibataire, se rappelle de ses premiers pas : « J’ai commencé mon projet par l’acquisition d’un four, financé en partie par ma famille et le reste grâce à ma participation à des expositions de peinture... À la maison, j’ai eu un espace pour installer mon atelier. Ainsi, j’ai commencé à produire en vue de participer à la foire de l’artisanat... Après cette participation, j’ai obtenu un crédit de 2 000 dinars, ce qui m’a permis d’installer mon atelier dans un local loué avec une aide de ma famille... Au début, j’ai rencontré des problèmes financiers... J’ai été obligée d’emprunter de l’argent de ma famille... ». Dans sa démarche d’installation à son compte, cette jeune artisane a bénéficié d’un soutien familial matériel et psychologique important, qui s’inscrit dans une logique d’accompagnement vers l’entrée à l’âge adulte. Les jeunes artisanes mobilisent davantage leurs réseaux familiaux et le capital social de leur groupe familial que leurs relations avec des paires pour s’installer dans la vie, ce qui peut créer parfois une situation de dépendance vis-à-vis des aînés.

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Samira, mariée et mère d’une fille, a bénéficié d’un appui important de sa famille dans la création de son atelier. « C’était mon idée de mettre en place mon atelier. J’ai consulté mon mari qui m’a beaucoup encouragée. Il m’a soutenue moralement et il m’a beaucoup aidée dans les moments difficiles... Il m’a appuyée matériellement par la participation à l’acquisition de la moitié des équipements. Au départ, j’ai rencontré des difficultés... J’ai loué ce local et j’ai recruté des filles. Mon père m’aide également beaucoup, j’ai toujours besoin de lui, de ses conseils et de son soutien moral, même par téléphone ». Dans sa démarche, cette artisane est soutenue par deux hommes, son père et son mari. Dans ce cas précis, les femmes de son groupe familial sont absentes, du moins dans la mise en place de son atelier. Moins expérimentées que les hommes dans la mise en place et la gestion d’un projet, les femmes seraient moins bien outillées pour offrir un soutien à ce niveau. Il ne s’agit pas d’un manque de solidarité féminine puisque les femmes de la famille se rattrapent fortement dans d’autres formes d’appui (tâches domestiques, garde des enfants, etc.). II.2.2. Soutien du réseau extra-familial Au cours du cycle de vie des individus, la jeunesse favoriserait le développement des relations extérieures extra-familiales. Toutefois, les jeunes artisanes sont confrontées à l’absence d'un réseau extra-familial structuré de contacts, d’échanges, de soutien... En effet, l’amorce d’un « réseautage » structuré reste rare. Cette situation risque de décourager les jeunes artisanes au moment de la mise en place de leur atelier de travail à cause des difficultés d’accéder aux informations, de confronter les expériences, d’échanger sur l’organisation et l’exploitation d’un lieu de production... Habiba, célibataire, « Après une longue recherche d’un local dans la médina, une amie m’a mise en contact avec un propriétaire d’une maison arabe... Il m’a aidée en m’autorisant à faire les aménagements nécessaires... Ainsi, j’ai pu mettre en place un atelier de tapisserie et de tissage dans la médina avec ce que j’ai ramené avec moi de France comme épargne... Mais, je me sens isolée dans mon travail... J’ai du mal à trouver à Tunis des ouvrières qui font du tissage et de la tapisserie... Je connais très peu de personnes dans le secteur de l’artisanat... Pourtant, pour créer de nouveaux motifs et développer certains modèles traditionnels, l’échange avec d’autres artisanes est nécessaire... ». La défaillance familiale en matière de sociabilité a amené cette artisane à mobiliser les relations extra-familiales en vue de mettre en place son atelier. En effet, cette jeune artisane essaye de tisser des liens extra-familiaux dans son domaine professionnel. Mais son grand besoin en aide l'empêche d’aider ses paires qui peuvent avoir des difficultés plus importantes qu’elle. Chez beaucoup d’artisanes, le besoin d’avoir un lieu de production distinct, moins confondu avec le domicile familial, devient de plus en plus une nécessité. La majorité des artisanes qui ont opté pour la mise en place d’un lieu de production dissocié, relativement ou complètement, de l’espace familial, ont eu recours à leurs réseaux sociaux, notamment familiaux. Il ressort du travail de terrain que pour une minorité d’artisanes mariées, souvent analphabètes ou peu instruites, l’exercice de l’activité d’artisanat dans le cadre domestique est une constante. Ainsi la reproduction des formes d’organisation des ancêtres est souvent observée, particulièrement pour certaines activités traditionnellement féminines comme la tapisserie, la broderie, etc. Dans ce cas, l’existence d’un soutien familial est peu perçue par l’artisane à cause de l’assimilation de son activité artisanale aux tâches domestiques.

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Pour les artisanes célibataires enquêtées, qui exercent leur activité dans le cadre du domicile parental, l’appui familial est souvent au rendez-vous en vue de soutenir leur installation dans la vie. Encouragement, soutien financier, exonération des tâches domestiques, etc. marquent, dans plusieurs cas, la trajectoire de ces jeunes artisanes. Ces pratiques d’aide s’inscrivent dans le cadre de la solidarité intergénérationnelle. Toutefois, ces jeunes filles, qui sont fortement soutenues par leur famille, sont exposées à une dépendance accrue à l’égard de leurs parents, et parfois vis-à-vis de leur fratrie, souvent au détriment de leur autonomisation. En ce qui concerne les artisanes mariées interviewées qui pratiquent leur activité dans le cadre du foyer conjugal, la surcharge de travail dans leur vie quotidienne est frappante. Elles ont souvent du mal à concilier leurs responsabilités familiales et les exigences de leur métier. En effet, face à la résistance des hommes à partager les tâches domestiques, les femmes artisanes, comme la majorité des Tunisiennes actives, sont obligées de gérer et de subir la double journée : travail/foyer. Dans la mise en place d’un atelier en dehors du cadre domestique, les artisanes sont rarement soutenues par le réseau extra-familial. En effet, le contrôle social exercé sur les artisanes, comme sur d’autres populations féminines, les orienterait prioritairement voire exclusivement vers une sociabilité familiale11. Ceci limite leurs chances de bénéficier des opportunités offertes par la sociabilité extra-familiale, contrairement aux hommes qui disposent d’une marge de manœuvre plus importante pour développer des liens sociaux diversifiés susceptibles de les appuyer dans la réalisation de leur projet d’avenir. « La vie sociale [de la femme] est moins riche que celle de l’homme, même si cette réalité varie avec l’âge, le niveau d’éducation, l’appartenance socioculturelle et l’activité »12. III. Commercialisation La présence des artisanes sur le marché a renforcé la prise de conscience de la participation importante de l’artisanat féminin dans l’économie familiale et nationale. Grâce au développement de leur autonomisation, leurs capacités à négocier avec les fournisseurs et les clients se sont améliorées. Dans leur démarche d’affirmation de soi, les artisanes contemporaines défendent davantage leur métier, revendiquent une place plus importante dans le tissu économique et font de plus en plus la promotion de leur production 13 . Toutefois, la commercialisation de la

11 Analysant l’efficacité des réseaux sociaux selon le sexe en matière d’accès à l’emploi, Didier Le Gall constate que : - la sociabilité des garçons, caractérisée par sa plus grande ouverture que celle de leurs homologues féminins (plus

d’interlocuteurs, plus de personnes peu connues), constitue un facteur favorable à leur accès à l’emploi par les « demandes personnelles » ;

- la sociabilité des filles, caractérisée par son centrage sur la famille, ne semble pas constituer un atout sur le marché du travail.

Cité par : DEGENNE A., FOURNIER I., MARRY C., MOUNIER L., « Les relations au cœur du marché du travail », Sociétés contemporaines, 5, 1991, p. 86. 12 GAFSI Henda, Femmes et ville, Tunis, CREDIF, 2000, p. 60. 13 En Tunisie, les transformations touchant à l’artisanat féminin se sont traduites, entre autres, par l’émergence d’un groupe de femmes artisanes qui s’inscrivent plus dans une dynamique entrepreneuriale que dans une perspective d'autoconsommation. « Ces artisanes-chefs d’entreprise jouent un rôle d’avant-garde comme agents de changement

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production artisanale demeure une préoccupation prioritaire et majeure, aussi bien pour les « artisanes-chefs d’entreprise » que pour les artisanes moins confirmées. III.1. Commercialisation dans le cadre de l’entourage et du voisinage L’activité artisanale féminine, souvent orientée vers l’autoconsommation, a rendu peu visibles le savoir-faire technique et la participation économique des femmes. Le passage du stade de la production axée sur la décoration et les cadeaux offerts aux proches vers le stade de la vente commerciale se fait souvent grâce à l’écoulement de la production dans le cadre de l’entourage et du voisinage. III.1.1. L’entourage familial et le cercle des amis Dans les débuts de la carrière d’une artisane, l’entourage peut constituer la première clientèle susceptible de stimuler l’investissement dans la profession. L’entourage familial et le cercle des amis peuvent jouer un rôle important en encourageant les artisanes à poursuivre leur activité, en particulier celles qui ont de grandes difficultés à commercialiser leurs productions. Lilia relate son histoire : « À un certain moment, j’ai fait plusieurs puzzles en bois que je vendais à 10 dinars pièce. J’ai vendu quelques pièces et il m’en est resté une bonne quantité que les mères n'en voulaient plus... J’ai failli jeter toute ma production dans la rue. Un ami de longue date est passé me voir et il a beaucoup apprécié ma production. Je lui ai expliqué que j'avais fait une bonne quantité mais que j'avais très peu vendu. Il a décidé alors de tout acheter parce que j'étais au bord de la déprime ». Cet acte d’achat est fortement empreint de générosité ; il vise surtout à aider cette artisane à surmonter son découragement. Cette histoire révèle également les transformations qui marquent les relations sociales entre hommes et femmes dans la société tunisienne. En effet, la mixité, qui gagne du terrain, semble favoriser le développement des liens d’amitié entre les personnes de sexe opposé, qui deviennent ainsi mobilisables. III.1.2. Voisinage Pour certaines artisanes, la méfiance à l’égard du monde extérieur et la peur de certaines procédures, comme celle de l’estampillage pour la tapisserie, les amènent à cibler le commerce local et à se contenter d’écouler leur production dans le cadre du voisinage. Or il s’agit d’un créneau dont les opportunités sont souvent limitées. Par ailleurs, la « commercialisation de proximité » menace parfois la poursuite de l’activité de certaines artisanes, qui ont du mal à gérer le paiement par facilités. Thouraya, couturière, parle de son calvaire : « J’ai commencé à travailler des draps et des housses pour les trousseaux de mariage. Mais le problème, ici dans un quartier populaire, c’est que les clients ne me payent pas comptant... Je n’ai jamais profité de mon argent. J’ai même oublié quelques clients qui ne m’ont jamais payée. Je ne peux pas refuser des clients parce que je suis du quartier. Les clients sont dans la majorité des voisins. Mon mari m’a interdit de travailler pour ces clients parce qu’il a remarqué que je fais un grand effort sans contrepartie. J’ai donc arrêté le travail... ». Cette artisane a été obligée d’arrêter son activité

de leur propre statut »FERCHIOU S., « L’artisanat féminin, Savoir faire et créativité, FERCHIOU Sophie (sous la dir.), Femmes, cultures et créativité en Tunisie, Tunis, CREDIF, 2001, p. 90.

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ciblée vers son quartier à cause des problèmes de paiement14. Pour dépasser ce blocage, elle commence à travailler avec des boutiques du centre-ville, grâce à l'intervention d’un voisin qui l’a introduite auprès de quelques commerçants. Pour cette artisane, le voisinage a été d’une part, une source de problèmes à cause des clients non solvables, et d’autre part, un appui grâce à un voisin qui avait ses entrées auprès des boutiques à Tunis. III.2. Commercialisation dans les boutiques Plusieurs artisanes recourent à la vente dans les boutiques pour écouler leur production en dépit des inconvénients de la formule de consignation, largement pratiquée par les commerçants. Najwa, spécialisée dans la lustrerie, dit : « Mes produits coûtent chers... Mon principal client est la SOCOPA... Il n’est pas facile de vendre à la SOCOPA puisqu’il s’agit de consignation... Je suis payée après deux mois... Mon mari m’aide avec son salaire en période de crise... ». Cette artisane s’appuie sur le soutien de son mari pour surmonter les dures exigences de la consignation et a besoin d’aide pour pouvoir poursuivre son activité. Pour une minorité d’artisanes confirmées, la consignation de leur production auprès des boutiques n’est plus appliquée. La qualité de leur production et leur nom ont amené les commerçants à redéfinir leur forme de coopération avec elles. Rachida parle de son histoire : « Maintenant, je reçois un chèque à la livraison de la marchandise et je donne une marge de temps au commerçant avant de toucher le chèque. J’ai dépassé le stade du dépôt. C’est au départ que je déposais ma production. C’était juste pour encourager le client et lui donner l’occasion de tester les produits. Je travaille actuellement sur commande... ». Grâce à sa détermination et à son dynamisme, cette artisane a réussi à imposer de nouvelles règles de coopération avec les commerçants, grâce auxquelles où elle est moins lésée que plusieurs artisanes qui sont condamnées à la consignation de leur production. III.3. Commercialisation facilitée par le réseau familial et extra-familial Dans la vie quotidienne des individus, la sociabilité est au service de la transaction ou des échanges d’informations, de sentiments, de biens, de services… Comme tous les acteurs sociaux, les artisanes usent de leur capital social, familial ou extra-familial, voire des deux à la fois, pour surmonter le problème de la commercialisation. III.3.1. Appui du réseau familial

Dans plusieurs cas, la parenté féminine se charge de la vente de la production de l’artisane, membre de leur famille. Thouraya, spécialisée dans les housses et les draps de mariage, décrit : « Mes belles-sœurs, dont l’une travaille dans une société et l’autre dans une banque, m’aident dans la vente de certains articles. Elles peuvent vendre au prix qu’elles fixent et réalisent ainsi

14 Il est opportun de rappeler que le capital social peut être considéré non seulement comme moteur de promotion mais aussi en tant qu’entrave au changement dans la trajectoire de certains artisanes qui ont du mal à s’ouvrir sur d’autres réseaux, en raison des contraintes exercées par la structure de leur sociabilité initiale, notamment dans la famille et le voisinage. En effet, « plus le réseau d’un individu est composé de gens avec lesquels il a des liens forts et plus ce réseau a tendance à être transitif et à constituer un milieu clos ». DEGENNE A., FOURNIER I., MARRY C., MOUNIER L., « Les relations au cœur du marché du travail », Sociétés contemporaines, 5, 1991, p. 76.

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des bénéfices... ». Dans le cas de cette artisane, les parentes apportent un soutien dans la commercialisation tout en réalisant des bénéfices discrétionnaires. Dans l’écoulement de sa production, cette artisane a de moins en moins de problèmes de commercialisation : elle a même des clients parmi les collègues de son mari. Désormais, elle fait plutôt face à un problème de fonds de roulement qui commence à handicaper son travail.

III.3.2. Appui du réseau extra-familial Les artisanes qui ont travaillé un certain temps à l’extérieur de chez elle avant de se lancer dans l’artisanat, sont plus tournées vers le monde extérieur. Cette ouverture les aide souvent dans leur entreprise de commercialisation. En effet, ces femmes, en plus de leur réseau familial, peuvent mobiliser leurs relations extra-familiales pour écouler leur production et ouvrir des marchés. Samira, qui a appris la couture dans une usine de confection, a bénéficié de l’appui de son réseau extra-familial dans l’obtention d’un marché de sous-traitance. « C’est grâce à une amie que j’ai commencé à travailler en sous-traitance. Elle m’a mise en contact avec la gérante d’une usine de confection... C’est vrai que j’ai profité de ce travail, mais la dame aussi par la qualité de mon travail... ». Cette couturière, qui a mis en place un atelier de confection à partir d’un capital de 10 000 dinars, a profité quelques temps de la sous-traitance avant que le secteur du textile connaisse des difficultés. Face à cette situation, elle cible de nouveau l’entourage familial et le voisinage. Elle s’investit également dans la fidélisation de ses anciennes clientes qui font la promotion de son travail auprès d’autres femmes. Les ambitions de cette artisane ne cessent de se développer : elle envisage de prospecter les marchés dans d’autres régions du pays et de recruter quelqu’un pour s’occuper de la commercialisation. III.3.3. Entraide entre artisanes En matière de commercialisation, les artisanes semblent se montrer de plus en plus solidaires entre elles. Les femmes dynamiques exerçant souvent la même activité, se rencontrent davantage grâce aux mécanismes d’appui et se croisent plus qu’auparavant dans les expositions. Ainsi, leurs liens se développent et débouchent sur certaines formes de collaboration en vue d'écouler la production. La mise en contact des artisanes est souvent génératrice de projets de collaboration entre paires, ce qui peut contribuer à améliorer la qualité de leur production et à favoriser commercialiser de leur production. Faute de temps et de moyens pour participer à des expositions, certaines artisanes, pour commercialiser leur production, s’arrangent avec leurs collègues qui ont un stand. Chrifa dit : « Je ne participe pas aux foires à mon nom. Je donne mes produits à d’autres personnes qui ont des stands dans des foires, c’est plutôt des amies. Je leur donne mes produits pour qu’elles les vendent moyennant une marge de bénéfice ou je fixe mes prix et c’est à elles de fixer les prix à afficher... ». Cette artisane commence à se familiariser avec les expositions et commence à s’organiser et à se préparer pour faire partie de ces manifestations. Échanger des informations sur les canaux de la commercialisation est une pratique qui commence à être observée chez les artisanes. Dans ce cas, les bénéficiaires de ces informations sont souvent des artisanes peu expérimentées en matière d’écoulement de la production, voire débutantes dans leur carrière.

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III.4. Participation aux expositions Multiplier les participations aux expositions concoure à faire connaître les artisanes qui, autrement, travaillent souvent dans l’isolement et ont du mal à faire la promotion de leur production. Les expositions ne constituent pas une occasion seulement pour vendre sur place mais aussi pour développer des liens avec des clients et des paires. Aziza parle de son expérience : « J’ai maintenant des clientes, habitant dans d’autres quartiers, qui m’ont contactée suite à ma participation à la foire du MAFFE et à des expositions au niveau régional... À l’exposition du MAFFE, j’ai retrouvé une ancienne camarade de classe... Nous avons discuté de la possibilité de créer un atelier ensemble... ». Cette couturière connaît une bonne progression de sa clientèle et devient plus en plus ouverte à un projet d’association avec une autre artisane grâce à sa participation à différentes expositions. En raison de leur manque d’expérience, la participation aux expositions peut, pour les artisanes débutantes, influencer fortement leur production. Les expositions constituent une occasion unique pour elles d’échanger sur leurs œuvres avec des clients diversifiés. Les artisanes débutantes sont souvent affamées de paroles sur leurs choix artistiques et esthétiques dans la production et expriment, dans plusieurs cas, un grand besoin de conseils sur la conduite de leur carrière. III.5. Commercialisation dans le point de vente de l’artisane La mise en place d’un point de vente est un événement important, mais peu fréquent dans les trajectoires des artisanes. Elle émane de leur détermination à agrandir leur projet. Dans les rares cas enregistrés, la création d’une boutique a généralement été précédée de diverses expériences d’écoulement de la production dans le cadre du réseau familial et extra-familial de l’artisane et d’une amorce de commercialisation dans un environnement économique plus large. Bien entendu, l’investissement dans un point de vente n’exclut en aucun cas la poursuite des autres modalités de commercialisation : dans les expositions, auprès des boutiques spécialisées dans l’artisanat, par le bais des relations indirectes, etc. Comme dans la mise en place d’un atelier de travail en dehors du domicile parental ou conjugal, la création d’un point de vente par une artisane suscite souvent un soutien du groupe familial. Pour écouler leur production, les femmes artisanes contemporaines disposent d’une marge de liberté plus large que les générations féminines antérieures dans le développement de leurs conduites stratégiques et la mobilisation de réseaux sociaux dépassant le cadre de la famille et du voisinage. Leur utilisation du capital social révèle l’importance de l’entraide et de la solidarité dans le contexte tunisien, d’une part, et la précarisation des conditions de vie de certaines populations féminines, d’autre part. Ainsi, la capacité de recourir au capital social renforcerait non seulement la multiplicité et la différenciation des trajectoires des artisanes, mais aussi les inégalités socioéconomiques au sein de cette population. Au démarrage de leur activité, les artisanes ont souvent été soutenues par leurs relations familiales et extra-familiales dans la commercialisation de leur production. Par son achat et son aide à commercialiser une partie de la production au profit de ses connaissances, l’entourage apporte un appui important à l’artisane, en particulier dans ses débuts. Il s’agit plus d’un encouragement que d’un véritable moyen de commercialisation susceptible de garantir la

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pérennité de l’activité de l’artisane dans le cas où il n’est pas consolidé par les autres canaux de l’écoulement de la production. Pour toutes les artisanes qui ont participé aux expositions, leur activité a connu un déclic suite à leur premier passage dans ces grandes rencontres de l’artisanat tunisien. L’évolution a touché non seulement leur chiffre d’affaires, mais aussi leur sociabilité extra-familiale 15 . En effet, les expositions permettent aux artisanes de se faire de connaître et de développer des liens avec des paires, des clients, des fournisseurs ainsi que des responsables d’organismes qui interviennent dans le secteur de l’artisanat. IV. Argent et financement Au cours des dernières années, la mobilisation de fonds publics considérables a favorisé l’accès des femmes aux ressources, entraînant des transformations dans leur vécu. Toutefois, en matière d’accès aux ressources, notamment financières, l’égalité entre les sexes ne serait pas encore assurée. Afin de dépasser cette difficulté, les artisanes tendent à développer des stratégies susceptibles de les aider à disposer de fonds pour soutenir le développement de leur activité16. IV.1. Appui familial L’appui familial marque souvent les trajectoires des individus. Le groupe familial les aide souvent à réaliser leur projet professionnel. L’éthique de la solidarité favorise les pratiques de solidarité dans le cadre de la famille en particulier quand la finalité est « acceptée »17. Dans un souci de faciliter l’installation de leurs enfants dans la vie, les parents continuent à déployer divers efforts. Bien entendu, ce soutien n’est pas envisageable si les parents ne sont pas d’accord sur la démarche et le projet professionnel de leur progéniture. L’emprunt d’argent aux parents pour acheter la matière première est une pratique souvent observée dans la trajectoire des artisans, comme si l’approvisionnement était une garantie de la bonne foi et du sérieux de la bénéficiaire. Ainsi, Jamila suite à l’accident de travail de son mari qui, a connu une situation de grande précarité, a dû emprunter de l’argent à sa famille pour s’approvisionner. « J’empruntais l’argent de mes parents pour acheter la vitre et le bois que j’utilise dans la fabrication de mes articles... et parfois pour nourrir mes enfants... ». Grâce au soutien de sa famille d’origine, cette artisane a débuté sa carrière d’artisane pour améliorer les conditions de vie de sa propre famille.

15 En matière de sociabilité, « plus le réseau d’une personne est grand, plus il a de chances d’être diversifié. La taille du réseau est donc un […] indicateur de la richesse potentielle ». DEGENNE A., FOURNIER I., MARRY C., MOUNIER L., « Les relations au cœur du marché du travail », Sociétés contemporaines, 5, 1991, p. 76. 16 « Bien qu’elles n’aient guère accès aux ressources productives et au crédit formel, les femmes élaborent une gamme de stratégies qui leur permettent de répondre à leurs besoins matériels ». ENDA INTER-ARABE, La débrouille au féminin, Stratégie de débrouillardise des femmes des quartiers défavorisés en Tunisie, Tunis, Enda inter-arabe, 1997, p. 135. 17 Selon Jean-Hugues Dechaux, « ce que les enfants gagnent sur le plan matériel, ils le perdent en terme de pouvoir. L’absence de réciprocité matérielle autorise les parents à exercer un pouvoir sur leurs enfants, voire à contrôler en partie leur destinée ». DECHAUX J-H., « Les échanges dans la parenté accentuent-ils les inégalités ? », Sociétés contemporaines, 17, 1994, p. 88-89.

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Dans la trajectoire de plusieurs artisanes, le soutien financier est souvent l’apanage des membres masculins du groupe familial. Avant son mariage, Dalila, spécialisée dans le tricotage, a reçu l’appui de sa famille pour l’acquisition de sa première machine. Il s’agit d’un soutien provenant de son père et de ses frères. Il est opportun de préciser que le manque du soutien financier émanant des membres féminins du groupe familial ne doit pas s’expliquer par l’absence de solidarité entre femmes. Cette situation traduirait plutôt les difficultés qu'ont les femmes, jeunes et moins jeunes, de disposer de ressources financières. Les maris qui approuvent la démarche d’auto-emploi de leur femme sont souvent prêts à les soutenir financièrement pour la mise en place de leur lieu de travail. Les maris sont plus motivés à fournir un soutien à leur femme, dans leur démarche d’auto-emploi, quand ils croient aux retombées positives sur tous les membres de leur famille. IV.2. Appui extra-familial A cause du contrôle social, les femmes n'ont pas l'opportunité de cultiver un capital social extra-familial susceptible de les soutenir dans leur démarche en vue de construire leur projet professionnel. La sociabilité féminine demeure donc plus tournée vers la famille, alors que les hommes développent une sociabilité extra-familiale plus prononcée. Dans la trajectoire de la majorité des artisanes, l’entraide extra-familiale autour de l’argent demeure peu développée. Zakia dit : « Il m’arrive d’emprunter l’argent de mes amies quand j’en ai vraiment besoin, mais c’est un peu difficile que les gens te prêtent de l’argent... ». Cette artisane estime, comme beaucoup de ses paires, qu'il est difficilement accepté qu'on emprunte de l'argent en dehors du cadre familial. IV.3. Appui institutionnel : le micro-crédit L’appui institutionnel demeure fondamental dans la vie de beaucoup d’artisanes qui ne disposent pas de réseaux familial et extra-familial mobilisables et efficaces, susceptibles de les aider à s’installer à leur compte. Afin de réaliser ou développer leur projet professionnel, cette catégorie d’artisanes recourt souvent aux organismes d’appui. Pour certaines artisanes, le crédit constitue le déclic qui permet le passage de la production destinée à l’autoconsommation à celle orientée vers le marché. Dans le parcours de plusieurs artisanes, le crédit est un appui financier qui vient consolider un projet professionnel déjà soutenu par la famille. Certaines artisanes à qui on a refusé leur demande de crédit, se montrent critiques à l’égard des bailleurs de fonds. Azia a été déçue par le traitement de son dossier par la BTS, qui a refusé de lui accorder un crédit à cause de la nature de son activité, à savoir la couture, considérée comme créneau peu porteur. Elle a du mal à accepter la décision de la BTS en raison de la richesse de son expérience professionnelle. Celle-ci n’a pas été prise en considération dans l’étude de son dossier à cause des critères d’octroi des crédits, qu’elle trouve peu adaptés à la diversité des profils des couturières. C’est pourquoi elle s’est adressée à la FTSS, suite aux conseils d’une amie. « J’ai déposé une demande à la FTSS... J’ai obtenu 1 000 dinars alors que la machine à coudre coûte au moins 1 700 dinars... Mon problème consiste à ce que le matériel dont je dispose ne suffit pas pour satisfaire toutes les commandes que je reçois. Après avoir exposé ce modèle à une foire, j’ai reçu une commande de 100 articles mais je ne peux pas la satisfaire à cause du manque de matériel. Je peux accepter la commande, mais ça demandera au moins un mois alors qu’il ne

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nécessiterait que trois ou quatre jours pour la faire si je disposais du matériel nécessaire ». Cette couturière se sent découragée dans son travail à cause de ses difficultés à accéder à des ressources financières et elle songe à réintégrer son ancien travail. La sociabilité occupe donc une place centrale dans la résolution des problèmes liés à l’aspect monétaire de l’activité artisanale féminine, et les artisanes mobilisent beaucoup plus leurs relations familiales que leurs relations extra-familiales pour disposer de moyens financiers. Le père est souvent présent, explicitement ou implicitement, dans le projet professionnel de l’artisane célibataire 18 . Il est opportun de rappeler que les parents qui aident leurs enfants connaissent souvent un renforcement de leur pouvoir sur leur progéniture : « donner c’est aussi tout simplement pouvoir donner et donc influer, parfois profondément, sur le sort des enfants »19. Pour les artisanes mariées, le conjoint, dans plusieurs cas, soutient financièrement l’activité de sa femme. Derrière cet appui, il y a souvent un intérêt : les bénéfices de l’activité génératrice de revenu doivent servir à l’amélioration du niveau de la famille. En ce qui concerne beaucoup d’artisanes, à cause de leur faible ouverture sur le monde extérieur et de leur activité économique pratiquée souvent dans le cadre domestique, leurs réseaux sociaux sont basés essentiellement sur la parenté et le voisinage. Dans ce cas, les artisanes ont plus de difficultés à prendre de la distance par rapport à leur famille et ont peu d’espace pour adhérer à des réseaux sociaux extra-familiaux qui permettraient de s’émanciper ou de se construire différemment du groupe. C’est ainsi qu’elles ont souvent moins de connaissances et moins de « tuyaux » pour réaliser leur projet professionnel que leurs homologues masculins. V. Accès à l’information Considérées, entre autres, comme des voies par lesquelles circule l’information, les relations sociales diversifiées renforcent la richesse et l’efficacité du réseau de l’acteur, notamment en matière d’intégration dans la vie active 20 . « Le plus souvent, il faut en outre disposer des relations qui procurent des informations sur les emplois disponibles et éventuellement de recommandations »21. En Tunisie, malgré les progrès accomplis en matière d’égalité entre les sexes, les femmes semblent disposer moins que leurs homologues masculins de relations extra-familiales et leur insertion communautaire évolue lentement22. A cause de cette situation, les artisanes, comme 18 Les rapports de générations au sein de la famille semblent aujourd’hui de plus en plus traversés par les solidarités, les compromis et les négociations. « Les "solidarités familiales" vantées par les pouvoirs publics concernent tout spécialement les relations entre les générations, car le lien de filiation est perçu par nature comme un lien chaleureux et solidaire ». DECHAUX Jean-Hugues, « Les échanges dans la parenté accentuent-ils les inégalités ? », Sociétés contemporaines, 17, 1994, p. 75.

19 DECHAUX Jean-Hugues, « Les échanges dans la parenté accentuent-ils les inégalités ? », Sociétés contemporaines, 17, 1994, p. 88. 20 « Inséré dans un réseau, l’individu y trouve autant de sources d’information que d’épanouissement et de soutien personnel ». LELLOUCHE Serge, ‘‘Les sciences sociales au temps des réseaux sociaux’’, Sciences humaines, 1900-2000, Un siècle de sciences humaines, Hors-série, 30, 2000, p. 126. 21 FORSE Michel, “Capital social et emploi”, L’Année sociologique, 47, 1997, p. 144. 22 « Souvent, les groupes sociaux sous-estiment le rôle de la vie associative dans la vie communautaire. Ayant été pendant longtemps prises en charges par les structures de l’Etat [...], les populations ont du mal à saisir l’importance

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d’autres groupes de femmes, auraient du mal à accéder à diverses informations susceptibles de les aider dans le développement de leur activité. « Il y a en outre des facteurs culturels, tels que les restrictions imposées à la circulation des femmes, qui jouent à leur détriment et qui peuvent les empêcher, par exemple, de commercialiser leurs propres produits et d’avoir accès à l’information sur le marché »23. V.1. Informations sur la formation Contrairement au savoir-faire technique acquis dans le cadre familial, la formation formelle exige un bon accès à l’information pour que l'artisane puisse faire le choix approprié en ce qui concerne la spécialité dans laquelle elle se formera et pour identifier l’institution adéquate dispensant cette formation. Alors que certaines artisanes ont eu du mal à identifier les structures spécialisées dans l’activité de leur choix, d’autres ont suivi des formations qui ne leur plaisaient pas vraiment. Le manque d’information sur le système de formation pourrait expliquer les difficultés de certaines artisanes à acquérir un savoir-faire technique répondant à leurs attentes. V.2. Informations sur l’approvisionnement L’approvisionnement demeure une opération complexe qui influence, dans une large mesure, la qualité et le coût de production de chaque artisane. Cette activité amène les artisanes à coopérer avec plusieurs fournisseurs en même temps parce que les articles confectionnés nécessitent souvent plusieurs types de matière première qui ne se vendent pas nécessairement dans un seul lieu. Le travail d’accompagnement de certains organismes contribue parfois à développer chez leurs clientes des liens de coopération en matière d’approvisionnement. Ces pratiques d’entraide demeurent rares et ne dépassent pas souvent un groupe restreint. C’est pourquoi, les artisanes ont encore du mal à constituer des groupes de pression susceptibles de défendre leurs intérêts et d’augmenter leurs chances en matière d’approvisionnement. V.3. Informations sur la main-d’œuvre Les artisanes travaillent souvent seules, recevant un appui variable de leur groupe familial. Certaines artisanes recourent à une main-d’œuvre hors du cadre familial. L’implication de cette main-d’œuvre peut être permanente ou ponctuelle. Dans ce cas, les artisanes sont souvent confrontées au problème du recrutement et à l’identification des bons ouvriers, au bon moment. Dans le recrutement de la main-d’œuvre, les artisanes continueraient à privilégier les relations interpersonnelles. Demander l’aide d’un proche dans le recrutement de nouveaux éléments permet d’éviter les mauvaises surprises d’embauche et de protéger l’unité de production. Ainsi, on attend des relations interpersonnelles qu’elles garantissent la qualité des compétences, les de l’auto-développement et à appréhender leurs capacités à s’organiser dans des groupes et dans des réseaux, en vue de défendre leurs intérêts et de participer aux prises de décisions qui les concernent. » BEN ABDALLAH S., MORF N., LAHMAR H., FILION P., Recherche-action sur les dynamiques entrepreneurriales des femmes dans le secteur agricole en Tunisie, Tunis, CREDIF, 2003, p. 114. 23 ENDA INTER-ARABE, La débrouille au féminin, Stratégie de débrouillardise des femmes des quartiers défavorisés en Tunisie, Tunis, ENDA inter-arabe, 1997, p. 115-116.

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bonnes aptitudes et les capacités d’adaptation des personnes recommandées. Pour quelques artisanes, peu intégrées dans leur environnement économique et disposant de peu de relations dans le domaine de leur spécialité, le recours au bureau d’emploi est incontournable pour avoir des informations sur la main-d’œuvre qui cherche du travail. V.4. Informations relatives à la commercialisation La commercialisation demeure l’un des problèmes majeurs de l’artisanat. L’isolement de plusieurs artisanes accentue leurs difficultés à accéder aux informations sur les canaux de la commercialisation. Pourtant, pour produire il faut tenir compte du fonctionnement du marché et des attentes des consommateurs. Pour les artisanes qui ont eu une expérience professionnelle avant de se mettre à leur compte, leur réseau extra-familial peut les aider à s’informer sur les canaux de commercialisation de leur production. Par ailleurs, les organismes d’appui continuent à jouer un rôle important dans l’information de leurs bénéficiaires. Des opportunités de commercialisation sont liées aux grandes manifestations de l’artisanat en Tunisie. Basma a été informée par un agent de son organisme d’appui de la possibilité de participer à l’exposition des artisanes. « J’ai participé à la cinquième session de l’exposition des artisanes. Je me suis préparée en très peu de temps... J’ai eu du succès et cela grâce au soutien de la FTSS... ». En ce qui concerne les expositions, les artisanes seraient plus motivées quand elles sont informées par l’organisme qui les appuie. Leur confiance en ces structures et l’accompagnement fourni encourageraient les artisanes à se lancer dans le créneau des expositions. V.5. Informations sur les sources de financement La multiplicité des intervenants et la diversité des procédures dans le domaine du financement rendent l'information difficilement accessible aux artisanes sur les opportunités offertes pour développer leur activité. Les autorités régionales jouent un rôle important auprès des populations vulnérables dans l'information sur le fonctionnement du système des micro-crédits. En raison de sa place centrale dans le secteur de l’artisanat, l’ONA demeure une source d’appui et d’information incontournable pour beaucoup d’artisanes tunisiennes. Pour certaines artisanes, ce sont les médias qui ont constitué la source d’information sur le système des crédits. Pour les artisanes qui ont fait des études supérieures, le passage à l’université a constitué une phase importante dans leur vie. Elles y apprennent les opportunités offertes aux jeunes diplômés en vue de s’insérer dans la vie active. Majda reconnaît le rôle qu'a joué l'université en leur donnant un certain nombre d’informations sur le crédit, visant l’intégration des jeunes dans le monde du travail en Tunisie. En plus des discussions avec ses camarades de classe, sur la création de leur propre emploi chez les jeunes, cette artisane s’est renseignée auprès de certains bailleurs de fonds. Certaines artisanes, qui ont déjà bénéficié d’un crédit, encouragent des parentes ou des voisines à se lancer dans l’expérience de partenariat avec des organismes d’appui. Dans ce cas, elles facilitent la circulation de l’information sur les procédures d’obtention d’un crédit auprès de nouvelles candidates. « Les organismes de développement voient souvent le nombre de leurs bénéficiaires augmenter, entre autres grâce au phénomène de tâche d’huile qui encourage, dans

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plusieurs cas, des femmes appartenant à l’entourage de la bénéficiaire à adhérer aux projets d’appui aux populations féminines »24. V.6. Données techniques sur les modèles L’échange d’informations sur les modèles à confectionner demeure peu développé chez les artisanes, à l’exception de celles qui ont travaillé à l’ONA. Cette population, spécialisée en tapisserie, se caractérise par des liens de coopération, en particulier en matière d’échange d’informations. Les discussions entre ces artisanes sur les maquettes et les modèles sont à plusieurs reprises mentionnées dans les entretiens même si elles confectionnent des modèles « classiques ». En Tunisie, l’artisanat n’a jamais été une production figée même si les aînés ont toujours veillé à transmettre leur savoir-faire aux jeunes pour sauvegarder ce patrimoine. Aujourd’hui, alors que des artisanes, souvent âgées et analphabètes ou peu instruites, s’inscrivent dans une logique de continuité, d’autres, le plus souvent jeunes et diplômées, optent pour la création tout en s’inspirant des œuvres des anciens. Dans ce cas de figure, les artisanes ont besoin de documents et d’informations qui font défaut. Les entretiens révèlent la complexité et la transversalité de la question de l’accès aux informations, qui est fortement lié aux différentes facettes de l’activité de l’artisane. Faute de centralisation de l’information sur l’artisanat, en particulier féminin, les artisanes sont amenées à multiplier les démarches et à mobiliser leur sociabilité familiale et extra-familiale pour obtenir des informations sur les structures de formation et de perfectionnement, sur les fournisseurs, sur les boutiques spécialisées dans la vente de l’artisanat, sur les organismes d’appui, sur la main-d’œuvre, etc. Tenant compte du manque de diversité de leurs réseaux sociaux et de leur faible niveau d’instruction, les artisanes rencontrent des difficultés importantes pour obtenir les informations nécessaires dans la création et le développement de leur projet. Ces difficultés sont accentuées pour les artisanes débutantes à la recherche de leur voie et pour celles qui sont peu ouvertes sur le monde extérieur. En matière d’accès à l’information, la présence des familles est plus timide, en particulier pour celles qui n’ont pas de traditions artisanales. Malgré l’importance de l’enjeu de l’accès à l’information, les familles semblent être peu outillées pour apporter un appui en matière de renseignements utiles ayant trait à l’activité de l’artisane. Afin de dépasser leurs diverses difficultés, les artisanes, qui se connaissent dans le cadre du voisinage ou qui se croisent grâce aux organismes d’appui ou dans les expositions, échangent diverses informations sur les fournisseurs, sur les mécanismes d’appui, sur les lieux de commercialisation... Il s’agit souvent de complicité qui ne touche qu’un nombre restreint d’artisanes à la fois. Les efforts déployés par les organismes d’appui pour développer des liens de

24 BEN ABDALLAH S., MORF N., LAHMAR H., FILION P., Recherche-action sur les dynamiques

entrepreneurriales des femmes dans le secteur agricole en Tunisie, Tunis, CREDIF, 2003, p. 129.

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coopération entre les artisanes, grâce, entre autres, aux groupes solidaires, commence à porter leurs fruits. Les artisanes restent confrontées à l’absence de réseaux extra-familiaux de contacts et d’échanges d’informations pour des personnes appartenant au même secteur et connaissant les mêmes difficultés. En effet, dans le vécu des femmes artisanes, l’amorce d’un « réseautage » structuré pourrait les aider à s’entraider, à percer, à se défendre, etc., dans un contexte où les solidarités institutionnelles seraient trop coûteuses et auraient du mal à corriger les fractures du tissu social25.

25 Dans plusieurs pays, « les pouvoirs publics appellent à de ‘‘nouvelles solidarités’’, décentralisées, ancrées dans la société civile. L’Etat reviendrait ainsi à un rôle d’arbitre ou d’animateur de réseaux de soutien et de solidarité, plus informels et souples que les dispositifs étatiques »DECHAUX Jean-Hugues, « Les échanges dans la parenté accentuent-ils les inégalités ? », Sociétés contemporaines, 17, 1994, p. 75.

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Communication pour le colloque de Rabat le15 et 16 mars 2006

L’emploi féminin et la santé de l’enfant : une approche de genre ? Le cas de l’enquête EDS’2004 du Maroc.

Jamal El Makrini Institut de Démographie -UCL

Cette communication à pour perspective générale de mettre en évidence l’apport explicatif d’un phénomène démographique dans le cadre d’une approche de genre. Il s’agit d’étudier la nature de la relation entre l’activité économique de la femme et la santé de ses enfants. Dans la littérature socio-démographique la question a fait objet de nombreux travaux qui démontrent la complexité de la relation étudiée. En effet, l’impact de l’activité économique de la femme peut être positif ou négatif sur la santé de l’enfant selon le contexte étudié, et l’analyse des mécanismes sous-jacents met en évidence la nécessité de prendre en compte certains facteurs tels que l’allaitement, le temps consacré à l’enfant, l’espacement des naissances mais également la nature de l’activité économique exercée (rémunérée ou non et mode de gestion du revenu). C’est cette dernière dimension qui nous permettra de mettre en exergue une certaine approche basée sur les rapports de genre. Vu dans cette même perspective, il s’agit de montrer la ‘déficience’ de certaines approches ‘classiques’ qui ne retiennent que la dimension active versus inactive de l’emploi féminin.

Les objectifs du présent travail se résument dans : 1/ analyser la relation entre l’activité féminine et la santé de l’enfant ; 2/ examiner la pertinence de mesurer l’emploi féminin par la seule dimension active versus inactive. Cela implique l’examen de l’intérêt d’une analyse des différentes dimensions de la nature de l’activité économique féminine en vu de synthétiser les facteurs les plus déterminants ; 3/ discussion autour de l’approche de genre la plus appropriée pour l’étude de l’emploi féminin.

On escompte mettre en évidence que la seule dimension ‘active versus inactive’ de l’emploi féminin, pourrait s’avérer insuffisante dans l’apport explicatif vu dans une perspective de genre. Il faut mettre l’accent sur d’autres dimensions liées particulièrement au contrôle et à la gestion du revenu d’un tel emploi. On touchera ainsi à l’une des idées clés des théories de genre qui souligne l’importance d’intégrer le concept de l’empowerment dans les recherches sur le genre en démographie. L’activité économique de la femme constitue une source potentielle pour promouvoir son autonomie et son pouvoir au sein du ménage ou au sein de la société d’une façon globale. «What is central is not the work itself but the ways that work reflects power » (Riley, 1998, p. 528). Ce pouvoir se manifeste alors à l’égard de l’output qui est dans le cas de notre recherche la santé de l’enfant. Brève revue de littérature L’analyse de la littérature socio-démographique montre que l’approche de genre est davantage élaborée dans le cadre de l’étude de la fécondité que de l’étude de la santé des enfants. La rareté des travaux dans le cadre de cette approche se confirme particulièrement dans la littérature qui porte sur la morbidité des enfants ou sur leur état nutritionnel. Les quelques travaux qui existent dans ce sens essayent de mettre en évidence l’effet de variables mesurant le statut de la femme ou les rapports de genre sur l’incidence de la maladie de l’enfant. Les

Jamal El Makrini

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variables qui reviennent souvent sont l’instruction de la femme et son activité économique. Cette dernière variable a fait objet de recherche dans certains travaux dont nous rappelons les conclusions majeures. L’une des excellente revue sur la question est celle de Basu (1996). Selon l’auteur, l’effet de l’activité économique de la femme sur la santé des enfants s’opère généralement d’une manière indirecte et il peut être positif ou négatif. A partir d’une revue de la littérature, l’auteur identifie trois cheminements à travers lesquels un effet positif peut s’exercer. Le premier est que l’activité économique de la femme lui permet d’avoir un revenu qui peut être utilisé pour améliorer le bien-être de l’enfant. Ceci suppose que la femme ait la capacité de contrôler ses ressources au sein du ménage. Le second est que le travail de la femme, lorsqu’il est surtout effectué en dehors de son domicile et dans un secteur économique moderne, lui permet l’accès à l’information et à la connaissance dont elle a besoin pour une bonne utilisation de ses ressources financières. L’auteur souligne que ces effets positifs peuvent être identifiés spécifiquement dans le cas des sociétés de l’Asie du Sud et de l’Ouest, caractérisées par une forte préférence des garçons. Ces effets jouent en fait dans le sens d’une atténuation des différences sexuelles en matière de préférence d’enfants. Le troisième cheminement suppose un effet positif à travers une variable intermédiaire qui est la fécondité. Mais ce mécanisme reste ambigu vu la complexité de la relation entre l’activité économique de la femme et la fécondité, d’une part, et surtout entre celle-ci et la santé des enfants, d’autre part. Par ailleurs, Basu identifie deux cheminements à travers lesquels l’activité économique de la femme peut exercer un effet négatif sur la santé des enfants. Le premier est lié à la durée d’allaitement qui se trouve réduite à cause du travail de la mère. Ceci suppose essentiellement que l’allaitement a un effet bénéfique sur la santé de l’enfant ; c’est ce que constate l’auteur à partir de la littérature, en montrant que cette variable est significativement associée à la mortalité des enfants durant les six premiers mois de vie, notamment dans les pays où les conditions de santé sont défavorables. Les raisons soutenant ce propos sont : les qualités nutritive et immunitaire du lait maternel et l’effet de l’allaitement sur l’espacement des naissances. D’une manière générale, la durée d’allaitement est liée au temps consacré à l’enfant pour satisfaire ses besoins nutritifs et affectifs et pour lui fournir la protection nécessaire pendant ses premières années de vie. Le second est lié au fait qu’en l’absence de mode de garde satisfaisant, les enfants dont les mères travaillent reçoivent moins de protection et de soins que les autres enfants, étant confiés à d’autres parents ou personnes. Dans ce sens, l’absence de la mère peut avoir des effets négatifs sur la santé des enfants. Par rapport à la région arabe, l’association entre la participation de la femme à l’activité économique et la santé des enfants, n’échappe pas aux conclusions de la revue précédente (Farah et Preston, 1982 ; Adlakha et Suchindran, 1985 ; CERED, 1987 ; Eltigani, 1996). Il semble que les conditions, dont l’activité économique de la femme est exercée, jouent un rôle important dans la détermination de la nature de l’association avec la mortalité des enfants. Au Maroc rural, par exemple, l’activité économique dans le secteur agricole, s’effectue dans des conditions de pauvreté (pénurie de terres, d’équipement, d’eau, du capital, etc.) qui nécessitent une participation féminine intense, dans le but d’augmenter la force de travail, mais qui a pour conséquence des effets néfastes sur la santé de la femme et par la suite celle de son enfant. Ceci pourrait expliquer en partie l’association positive entre l’activité de la femme et la mortalité infantile, constatée par le CERED (1987). Mais retrouve-t-on la même association en milieu ‘urbain moderne’, où la nature du travail féminin est fort différente ? Dans ce cas peut-on supposer que l’activité économique pourrait être bénéfique pour la santé

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des enfants, à travers le revenu généré par cette activité, qui est éventuellement utilisé par la femme pour l’amélioration de son bien-être et de celui de ses enfants ? De l’activité économique à l’empowerment Dans les pays en développement, l’emploi féminin prend certaines formes difficiles à catégoriser (travail informel, aide familiale, emploi non rémunéré, activité à domicile, etc) qui renforcent le caractère ‘invisible’ du rôle économique de la femme (Oppong 1995). Ainsi, il s’avère utile, au niveau méthodologique, de formuler de nouvelles typologies qui prennent en compte cette diversité de l’emploi féminin (Donahoe, 1999), mais également d’améliorer la collecte de données (Charmes, 1996 ; Basu, 1996). Dans ce sens, les approches de genre mettent en exergue des dimensions telles que l’autonomie et l’autorité de la femme au sein du couple en exigeant la disponibilité de données liées à la rémunération de l’emploi, au contrôle des ressources et à la participation aux décisions en matière de dépense. D’où la pertinence d’une analyse exploratoire des toutes les dimensions de l’emploi féminin dans le but de mettre en relief les facteurs les plus déterminants. Nous avons établit ultérieurement une approche de genre adapté aux exigences d’une conceptualisation rigoureuse de la notion du pouvoir de la femme (El Makrini, 2001). Il ressort de nombreux travaux (Kabeer, 1999 ; Dixon-Mueller, 1998 ; Kishor et al., 1999) l’intérêt de mettre en évidence une distinction entre deux notions différentes : source du pouvoir et pouvoir effectif. La première notion désigne l’ensemble des caractéristiques socioéconomiques (le niveau d’instruction, l’activité économique, l’âge, etc) qui procurent à la femme un potentiel considéré comme une condition pour avoir le pouvoir. La seconde notion indique la manifestation effective de ce pouvoir en terme de décision, de discussion au sein du couple, de liberté de mouvement etc. Cette démarche théorique s’avère aussi bien utile que nécessaire pour comprendre certains aspects liés à la nature de l’activité économique dans un contexte de sous développement tel que celui du Maroc, mais également pour un apport explicatif davantage fructueux dans le cadre de l’analyse de la santé des enfants (Riley, 1998). Dans ce sens, l’hypothèse soulignée dans la littérature, consiste à dire qu’une large autonomie de la femme pourrait être un facteur de promotion de la santé de l’enfant (Masson, 1993). Le cas de l’analyse de la relation entre l’activité économique féminine et la santé des enfants nous permettra de corroborer cette hypothèse générale mais également de mettre en évidence l’apport et la limite d’une approche de genre appliquée en démographie. Matériel et méthode Les données utilisées dans cette étude sont issues de l’enquête de Démographie et de Santé (EDS) de 2003-2004 du Maroc. L’échantillon analysé est constitué des femmes âgées de 15-49 ans et ayant au moins un enfant âgé de moins de 5 ans. L’analyse multivariée est faite au niveau individuel dont l’enfant est l’unité d’observation. L’exploitation des données de l’EDS de 2004 constitue en elle-même (à notre connaissance) une originalité.

La santé de l’enfant est opérationnalisée par l’incidence de la diarrhée qui indique si l’enfant a été touché par cette maladie durant les deux dernières semaines précédant le passage. On distingue deux groupes de variables de contrôle : les variables bio-démographiques (l’allaitement, le sexe de l’enfant, son rang de naissance, l’âge de la mère à l’accouchement et la parité) et les variables socioéconomique (le niveau d’instruction de la

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femme, le niveau de vie de ménage et le milieu de résidence)1. La variable d’intérêt qui est l’activité économique de la femme est mesurée, dans un premier temps, par la simple dichotomie active versus inactive. Une femme active est celle qui travaille au moment de l’enquête. Le tableau 1 résume les définitions, les modalités et les distributions de chaque variable :

Tableau 1 : distribution de l’échantillon selon les variables d’analyse, EDS 2004 Maroc Variables définition modalités n % DIAR

Diarrhée :Enfant ayant la diarrhée durant les 2 dernières semaines

Oui (1) Non (0)

726 5166

12,3 87,7

EMPLFEM

Emploi féminin : femme active qui travaille au moment de l’enquête

Active (1) Inactive (0)

844 5048

14,3 85,7

INSTRFEM

Niveau d’instruction de la femme Aucun Primaire Secondaire ou +

3813 1025 1054

64,7 17,4 17,9

NIVVIE

Niveau de vie du ménage : calculé sur base des biens possédés par le ménage2

Très pauvre Pauvre Moyen Riche Très riche

1581 1467 1154 837 853

26,8 24,9 19,6 14,2 14,5

MRESID Milieu de résidence Urbain (0) Rural (1)

2587 3305

43,9 56,1

PARITE

Parité survivante de la femme -2 enfants = faible 3 à 5 enfants = moyenne +6 enfants= élevé

2610 2380 902

44,3 40,4 15,3

SEXE

Sexe de l’enfant Fille (1) Garçon (0)

2930 2962

49,7 50,3

RANGNAIS

Rang de naissance de l’enfant 1 2-4 5+

1566 3090 1236

26,6 52,4 21

AGEACCOU

Age de la mère à l’accouchement <25 ans 25-34 ans +35 ans

2074 2753 1065

35,2 26,7 18,1

ALLAIT

allaitement Oui (1) Non (0)

2042 3850

34,7 65,3

5892

La méthode d’analyse multivariée retenue est la régression logistique vu que la variable dépendante est dichotomique. Vu les limites de cette communication, seul le modèle complet (qui contient toutes les variables) sera présenté et interprété. La méthode permet de comparer les odds ratios de chaque modalité par rapport à une catégorie de référence. Dans un second temps, on procède à une analyse factorielle des correspondances multiples pour synthétiser les différentes dimensions de l’emploi féminin. Ce nouvel indicateur synthétique sera introduit dans la régression logistique comme variable mesurant l’activité économique de la femme (AEF). Par la suite, on fait appel à d’autres composantes qui s’inscrivent davantage dans une approche de genre afin de tester l’effet des variables du pouvoir effectif sur la santé de l’enfant. 1 L’effet de ces variables de contrôle sur la santé de l’enfant à fait objet de nombreuses études socio-démographiques dont nous n’avons pas repris les résultats dans le présent papier. 2 Pour la méthodologie de construction de cet indice, voir : Rutstein and Johnson (2004).

Jamal El Makrini

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Active versus inactive Le tableau 2 présente les résultats de la régression logistique lorsque la variable qui mesure l’emploi féminin est dichotomique. Tableau 2 : Odds ratios et seuil de signification de la régression logistique, approches ‘active vs inactive’ et ‘typologie AEF’, EDS 2004 Maroc. Variables Active vs inactive Typologie AEFEMPLFEM Inactive Active

CR 0,91

AEF Inactive CP1 CP2 CP3

CR 0,91 0,74 1,11

INSTRFEM Aucun Primaire Secondaire ou +

CR 1,18 1,33**

CR 1,18 1,30*

NIVVIE Très pauvre Pauvre Moyen Riche Très riche

CR 0,89 0,84 0,56*** 0,53***

CR 0,89 0,84 0,57*** 0,52***

MRESID Urbain Rural

CR 0,83

CR 0,83

PARITE Faible Moyenne Élevé

CR 0,76** 0,80

CR 0,77** 0,81

SEXE Garçon Fille

CR 1,05

CR 1,05

RANGNAIS 1 2-4 5+

CR 1,23* 1,32

CR 1,23* 1,32

AGEACCOU <25 ans 25-34 ans +35 ans

CR 1,06 0,97

CR 1,06 0,95

ALLAIT Non Oui

CR 1,14*

CR 1,14*

-2LL 4372,28 4385,80 N=5892 Seuil de signification : ***<0,01 ; **<0,05 ; *<0,1 CR= catégorie de référence L’activité économique de la femme n’a aucun effet significatif sur la maladie de l’enfant. Parmi les variables socioéconomiques, le niveau de vie du ménage montre un effet positif sur l’incidence de la maladie, mais qui n’est significatif que pour les catégories des riches et des très riches. Le milieu de résidence ne montre, par contre, aucun effet significatif.

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La surprise vient de l’effet négatif du niveau d’instruction : les enfants ayant des mères avec un niveau d’instruction secondaire ou plus présentent un risque supérieur de 33% d’avoir la diarrhée que ceux ayant des mères analphabètes. Ce résultat va à l’encontre de ceux soulignés ultérieurement dans la littérature (Hobcraft, 1996). Quant aux variables bio-démographiques, le sexe et l’âge à l’accouchement ne montrent aucun effet significatif. Une augmentation de l’incidence de la diarrhée est associée à une parité faible de la femme mais également à un rang de naissance. Le plus surprenant c’est l’effet négatif de l’allaitement : les enfants allaités ont plus de risque d’avoir la diarrhée que les enfants qui ne le sont pas. La nécessité d’une interprétation approfondie de ces résultats dépasse l’objectif de cette communication. On conclut que la variable ‘active versus inactive’ pour mesurer l’emploi féminin ne montre pas d’effet significatif sur l’incidence de la diarrhée même si on contrôle un bon nombre de variables bio-démographiques et socioéconomiques. La nature de l’activité économique de la femme : une approche synthétique Dans l’enquête EDS 2004, on recueille des données sur plusieurs dimensions liées à l’emploi de la femme. On trouve principalement la profession, le lieu de travail, la régularité, le type de rémunération et le contrôle du revenu. Dans le but de visualiser les proximités et les oppositions entre ces dimensions, nous procédons par une analyse factorielle de type analyse des correspondances multiples. Les variables introduites dans cette analyse sont résumées dans le tableau 3. Tableau 3 : variables de l’ACM, EDS 2004 Maroc. variable Définition modalités PROFEM Catégorie professionnelle CP1 (faible) = agriculture, domestique, manuel non qualifié.

CP2 (intermédiaire) = services, manuel qualifié. CP3 (élevé) = cadre, employé, technicien, administratif.

EMPLEXT Lieu de travail Home = à la maison. Away = à l’extérieur.

EMPLREG Régularité Regul = emploi régulier. Nregul = emploi occasionnel ou saisonnier.

EMPLREMU Rémunération Remu = payé cash ou en nature. Nremu = non payé.

CONTREV Contrôle du revenu : décision de l’utilisation de l’argent gagné par la femme

Contro = la femme décide seule. Ncontro = la femme ne décide pas ou conjointement avec quelqu’un d’autre.

En plus de ces variables, on introduit dans l’ACM deux autres variables particulièrement importantes ; le milieu de résidence (urbain/rural) et le niveau d’instruction de la femme (instrf0/instrfpr/instrfsc).

Jamal El Makrini

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Graphique 1 : analyse ACM, EDS 2004 Maroc.

1,00,50,0-0,5-1,0

Dimension 1

0,8

0,6

0,4

0,2

0,0

-0,2

-0,4

-0,6

Dimension 2

activeinactive

CP1

CP2

CP3

nremu

remu

home

away

nregul

regul

contro

ncontro

instrf0

instrfpr

instrfsc

rural

urbain

On note les remarques suivantes : * l’essentiel de l’emploi féminin est effectué en dehors de la maison. * les variables ‘instruction de la femme’ et ‘milieu de résidence’ se trouvent pratiquement sur le même axe. Celui là est orthogonal à l’axe représentant la dimension ‘active versus inactive’. Ce qui montre que cette dimension n’est pas discriminante selon le niveau d’instruction de la femme. * les professions de la première catégorie (CP1) sont principalement non régulières et non rémunérées. Ces trois dimensions sont remarquablement associées aux femmes rurales analphabètes. Il s’agit ici notamment du travail agricole effectué dans un cadre souvent familial. * à l’opposé, les professions de la catégorie la plus favorisée (CP3) sont par contre régulières et rémunérées. Elle concerne essentiellement les femmes citadines ayant un niveau d’instruction élevé (secondaire ou plus). Dans ce cas la variable ‘contrôle du revenu’ montre une grande proximité, ce qui n’est pas le cas de la catégorie précédente (CP1). En effet, le non contrôle du revenu est fort proche des femmes travaillant à la maison et ayant des professions appartenant à la catégorie intermédiaire (CP2). Il s’agit d’une catégorie de femmes ayant un métier manuel (souvent traditionnel : textile, vente d’aliments préparés à la maison, etc.) effectué à la maison et dont le revenu ‘appartient’ plutôt au ménage.

Jamal El Makrini

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Il ressort de cette analyse l’existence de trois profils de femmes selon la nature de leur activité économique : 1/ femme rurale analphabète de catégorie professionnelle défavorisée caractérisée par un emploi non régulier et non rémunéré. 2/ catégorie professionnelle intermédiaire pour laquelle le travail est effectué à la maison et où la femme ne contrôle pas le revenu de son activité. 3/ femme citadine bien instruite de catégorie professionnelle favorisée caractérisée par un emploi régulier et rémunéré et où elle arrive à contrôler son revenu. Ces trois profils sont principalement déterminés par la catégorie professionnelle. En conséquence, la variable ‘profession’ est retenue comme variable qui synthétise la nature de l’activité économique de la femme. On construit ainsi une nouvelle variable ‘AEF’ composée, en plus des trois catégories professionnelles, de la modalité des femmes non actives. La régression logistique montre que cette nouvelle variable n’a aucun effet significatif sur le risque d’avoir la diarrhée (tableau 2). Le commentaire des autres variables socioéconomique et bio-démographiques demeure identique aux précédents résultats de l’approche ‘active vs inactive’. A ce stade, il s’avère utile de noter que la variable ‘contrôle du revenu’ introduite dans l’ACM, reflète un des aspects des rapports sociaux de sexe largement souligné dans la littérature socio-démographique. D’ailleurs, la participation de la femme à la gestion et au contrôle de ses ressources constitue une opérationnalisation du concept du ‘pouvoir effectif’ tel qu’il a été défini précédemment. Toutefois, cette variable (contrôle du revenu) ne concernant que les femmes ayant un emploi rémunéré, ne peut être introduite dans une analyse multivariée. En effet, l’effectif de cette catégorie de femmes3 s’avère trop faible pour une telle analyse. Quelles solutions, alors, les enquêtes EDS nous offrent-elles ? Vers une approche de genre Il est certain que la collecte des données sur les rapports de genre ne figurait pas parmi les objectifs principaux des enquêtes EDS (Kishor et Neitzel, 1996). Toutefois, ce type d’enquête a connu la prise en considération de l'une ou l'autre dimension de genre en introduisant des modules spécifiques dans les questionnaires standards (Véron, 2000). Dans l’enquête EDS’2004 du Maroc, on a inclut des questions liées à la participation de la femme à la décision autour de certaines affaires de ménage. Parmi ces questions, nous avons choisit deux, particulièrement liées à notre problématique : décision en matière de soins de santé (decsante) et en matière des petits achats quotidiens (decpachat). Nous considérons qu’il y a participation lorsque la femme décide seule ou conjointement avec quelqu’un d’autre4. Ces deux questions indiquent le degré d’implication de la femme dans la vie quotidienne du ménage. Dans le contexte socioculturel marocain, tout ce qui concerne les enfants est souvent l’affaire des femmes. Dans ce sens, les décisions en matière de santé et d’achats quotidiens peuvent s’avérer utiles pour préserver la santé de l’enfant (achat de médicament, de nourriture, de vêtement, etc). Par ailleurs, il s’agit, ici également, d’un aspect lié à la gestion du revenu du ménage dont la femme ne contribue pas nécessairement5. On met ainsi, l’accent sur une certaine logique qui domine les rapports sociaux de sexe au sein du ménage. Cette

3 Il est de l’ordre de 532 individus. 4 Nous avons construit ces deux variables sous une forme dichotomique. Mais il existe d’autres méthodes de construction des indices de participation de la femme à la décision (voir : Kishor and Subaiya, 2005). 5 On maintient ainsi la totalité de l’échantillon et on évite l’inconvénient des faibles effectifs comme dans le cas de la variable précédente (contrôle de revenu généré par un emploi propre à la femme).

Jamal El Makrini

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interprétation nous permet une opérationnalisation du concept du ‘pouvoir effectif’ de la femme. Selon l’EDS 2004 du Maroc, les femmes participent respectivement à plus de 42% et de 37% aux décisions en matière de soins de santé et d’achats quotidiens (Ministère de la Santé et al., 2005, p. 37). Ces proportions sont nettement supérieures chez les femmes ayant un travail payé, comparées à celles avec un travail non payé ou qui ne travaillent pas au moment de l’enquête (Tableau 4). On peut alors supposer que le degré de participation de la femme à la décision pourrait constituer un ‘proxy’ de la variable ‘contrôle des ressources économiques’ qui est largement mise en évidence dans les approches de genre. Tableau 4 : proportion des femmes qui participent à la décision selon le type d’emploi, EDS 2004 Maroc. Type d’emploi/ type de décision Soins de santé Petits achat quotidiens Ne travaille pas actuellement 38,9 35,2 Travail non payé 33,5 27,8 Travail payé 60,3 52,9 Source : Ministère de la santé et al. ,2005, p. 37 Par la suite, ces deux variables de participation à la décision sont introduites dans le modèle de régression logistique dans le but de voir leur effet sur la santé de l’enfant en terme d’incidence de diarrhée. Les résultats sont affichés dans le tableau 5. Concernant les variables socio-économiques et bio-démographiques et par rapport aux résultats précédents, on note les remarques suivantes : • Le milieu de résidence est significatif pour la seconde variable de décision : les enfants

ruraux présentent un risque de maladie inférieur de 20% à celui des enfants citadins. Ce résultat confirme-il les nombreuses constatations déjà soulignées dans des études ultérieures sur une éventuelle perte de l’urbain de son avantage par rapport au rural en matière de santé des enfants ? (Owuor, 2005).

• L’effet de l’allaitement n’est pas significatif pour les deux variables. • Les autres variables montrent des résultats semblables aux précédentes approches. Par rapport à nos variables d’intérêt, les odds ratios affichent une diminution significative du risque de maladie avoisinant les 15% chez les enfants ayant des mères qui participent à la décision en matière de santé ou d’achats quotidiens. On constate également une amélioration dans la qualité du modèle au regard des valeurs du coefficient (-2LL)6. A ce stade nous pouvons confirmer un apport explicatif substantiel de cette approche en terme du pouvoir effectif.

6 Ce coefficient affiche des plus petites valeurs comparativement avec les modèles précédents et notamment pour la seconde variable de décision.

Jamal El Makrini

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Tableau 5 : Odds ratios et seuil de signification de la régression logistique, approche ‘pouvoir effectif’, EDS 2004 Maroc. Variables Soins de santé Petits achats quotidiens DECSANTE/DECPAHAT Non Oui

CR 0,86*

CR 0,83**

INSTRFEM Aucun Primaire Secondaire ou +

CR 1,18 1,34**

CR 1,18 1,35**

NIVVIE Très pauvre Pauvre Moyen Riche Très riche

CR 0,90 0,85 0,57*** 0,54***

CR 0,90 0,85 0,57*** 0,53***

MRESID Urbain Rural

CR 0,81

CR 0,80*

PARITE Faible Moyenne Élevé

CR 0,77** 0,81

CR 0,77** 0,88

SEXE Garçon Fille

CR 1,05

CR 1,05

RANGNAIS 1 2-4 5+

CR 1,23* 1,33

CR 1,24* 1,33

AGEACCOU <25 ans 25-34 ans +35 ans

CR 1,07 0,97

CR 1,07 0,98

ALLAIT Non Oui

CR 1,14

CR 1,13

-2LL 4370,05 4368,11 N=5892 Seuil de signification : ***<0,01 ; **<0,05 ; *<0,1 CR= catégorie de référence Discussion et conclusion On s’accorde largement sur la déficience de l’approche classique (active vs inactive) lors de l’analyse des effets de l’emploi féminin sur les ‘outputs démographiques’. L’approche en terme de typologie de l’activité exercée montre également des limites. Cependant, ces limites sont souvent justifiées par un manque de données sur la nature de l’activité économique féminine, notamment dans un contexte de sous-développement (Donahoe, 1999). L’approche de genre présente un avantage méthodologique en introduisant de nouveaux concepts tel que celui de l’empowerment, et qui trouve un chemin vers une opérationalisation à partir des données de l’enquête EDS 2004. Les résultats de l’analyse multivariée confirment la pertinence de la distinction entre les deux notions de ‘source du pouvoir’ et ‘pouvoir effectif’. Une forte participation de la femme aux décisions au sein du ménage contribue à une diminution du risque de maladie de l’enfant. Cette participation indique une propension de la

Jamal El Makrini

452

femme à contrôler les ressources du ménage comme elle indique également une situation favorable en terme du pouvoir vis à vis de son époux. Le terme ‘propension’ se justifie par le fait que la nature des données disponibles (problème des petits effectifs) ne permet pas de vérifier l’hypothèse de contrôle de ressources sur un échantillon de femmes ayant un emploi rémunéré. Cette approche issue de la notion de l’empowerment, pourrait constituer une perspective globale lorsqu’on aborde la question de genre en démographie. Nous l’avons montré dans le cas de la santé des enfants en mettant l’accent sur la participation à la décision au sein du ménage. Certains auteurs le proposent également dans l’étude de la relation entre la fécondité et l’instruction féminine, en mettant l’accent sur des aspects tels que par exemple la négociation entre partenaires et la capacité de la femme d’accéder à l’information et aux services de planifications familiales (Locoh, 1996). Dans le cas de l’utilisation de la contraception, l’approche implique un regard sur la communication et la participation de la femme à la prise de décision en matière de contraception ainsi qu’une analyse différentielle des pratiques contraceptives selon le sexe (Andro, 2000 ; Kishor and Subaiya, 2005). Cela dit, les sources de données disponibles en démographie, limitent la mise en œuvre de ces approches de genre (Masson, 1993 ; Cross et al. , 1996). Des avancées sont en cours dans les dernières versions des enquêtes EDS en incluant des modules sur le statut de la femme, sur les caractéristiques du conjoint et l’emploi de la femme et sur la violence domestique. Ce qui promet de nombreuses perspectives de recherche empirique sur les questions de genre et démographie. Références : Adlakha, Arjun L. and C. M. Suchindran (1985), « Infant and child mortality in Middle

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Jamal El Makrini

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Jamal El Makrini

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LES PROBLEMES DE MESURE DE LA POPULATION ACTIVE EN ALGERIE

Nacer-Eddine HAMMOUDA Statisticien - économiste

CREAD

draft L'analyse du marché du travail en Algérie a toujours été confrontée à deux problèmes majeurs : la faiblesse ou l'imperfection des données d'enquête ou de recensement et à la reconduction systématique des indicateurs classiques du marché du travail. A ces deux problèmes, les analystes algériens ont poursuivi, chacun selon ses possibilités et sa compétence, des études souvent ponctuelles et généralement isolées. Dans cette communication, on s’attachera à préciser quelles sont les principales sources d’information sur la population active (§1), puis nous décrypterons les concepts utilisés et leur évolution dans le temps (§2), nous aborderons ensuite les principaux problèmes liés à la mesure, de l’emploi (§3) du chômage (§4) et de l’inactivité (§5). Nous conclurons par notre appréciation sur les séries de données sur la population active utilisées tant par les instances internationales que par les universitaires qu’ils soient algériens ou non. 1. Sources d’information1 : Les principales sources d’information sur la population active sont les recensements de la population qui sont réalisées de façon décennale (1966, 1977, 1987, 1998). Vu la lourdeur de ces opérations, les questionnaires sont simplifiés au maximum et se contentent de recueillir les déclarations spontanées des individus. Ils sont censés fournir les données de cadrage sur la population active dans ces différentes composantes. Dans la mesure où les délais de traitement de l’exhaustif sont relativement longs, c’est souvent les données provenant d’un échantillon2 qui sont utilisées. Cet échantillon ne concerne que les ménages ordinaires et collectifs, à l’exclusion donc des ménages nomades3 et de la population comptée à part4 dont les questionnaires sont différents. Les recensements concernant l’ensemble de la population résidente (algériens et étrangers5). Un facteur correctif peut être appliqué aux données brutes6. Il existe un autre type de recensement, il s’agit du recensement général de l’agriculture. Deux ont été réalisés : le premier en 1973 et l’autre en 2003. Ils ne concernent que la population active agricole mais donnent des estimations difficilement comparables avec celles des autres recensements. Les recensements sont aussi utilisés comme bases de sondage pour les enquêtes auprès des ménages sur la main d’œuvre réalisées pendant les périodes intercensitaires.

1 Un descriptif détaillé peut être téléchargé sur www.dst.cerist.dz/seminaire/Communications/hammouda.pdf 2 En 1977, il s’agissait d’un échantillon national de 1/10ème. En 1987, il s’agissait d’un taux de sondage au 1/30ème en moyenne (le taux était variable d’une wilaya à l’autre). En 1998 les résultats de l’exhaustif sont disponibles mais les premières données ne concernaient qu’un échantillon au 1/40ème en moyenne. 3 La population nomade était de l’ordre de 300 000 en 1987 et 1998. 4 En 1977, elle incluait les militaires et appelés du contingent. En 1987 elle était pratiquement négligeable puisque les personnes ont été recensées dans leur ménage d’origine. En 1998, elle était de l’ordre de 350 000 et y été inclus certains ménages ordinaires habitant des zones particulières. 5 La population étrangère vivant en ménage ordinaire était de 78000 en 1998. 6 C’est ainsi que les données tabulées du RGPH de 1977, donc provenant des données brutes sont différentes de celles qu’on retrouve dans les estimations de population publiées par ailleurs. En 1998 le facteur correctif a été appliqué à la source.

Nacer-Eddine Hammouda

455

La première remonte à 1968 sur un échantillon de 30 000 ménages7. Une deuxième série annuelle a été réalisée entre 1982 et 1985 sur des échantillons de 10 000 à 13 000 ménages. Une troisième série est réalisée entre 1989 et 1992 parfois annuelle ou semestrielle avec des tailles d’échantillons comprises entre 17 000 et 12 000 ménages. Quatre autres enquêtes8 sont réalisées entre 1996 et 1997 sur des échantillons de 6000 ménages. La dernière série d’enquête a été réalisée entre 2001 et 2005 sur des échantillons de 12 000 ménages9. Toutes ces enquêtes adoptent une période de référence d’une semaine, celle précédent le début d’enquête et sont comparables aux données provenant des RGPH. Il existe d’autres enquêtes auprès des ménages qui permettent d’estimer la population active mais avec des approches plus ou moins différentes. Les enquêtes sur les dépenses de consommation des ménages (1966/1968, 1979/1980, 1988, 200010) : s’agissant d’enquêtes qui couvrent la totalité de l’année, les périodes de référence sont mobiles. Les enquêtes sur la santé (1992 et 2002) réalisées en collaboration avec la ligue arabe et utilisent des questionnaires différents de ceux des enquêtes main d’œuvre de l’ONS avec une période de référence d’un mois. L’enquête sur les niveaux de vie de 1995 (LSMS) a utilisé un questionnaire de la banque mondiale (très différent de celui des enquêtes sur la main d’œuvre) avec une période de référence d’un jour. En règle générale les échantillons enquêtés sont totalement indépendants. Des tentatives d’utilisations d’échantillons renouvelés partiellement ont été tentées entre 1990 et 1991 et entre 2001 et 2003. Comme on le voit, pour beaucoup d’années il n’y pas eu d’enquêtes auprès des ménage sur la population active, c’est pourquoi les services du plan ont de tout temps utilisé d’autres sources d’information : les enquêtes auprès des entreprises et les sources administratives. Le problème est que toutes ces sources ne couvrent que quelques segments de la population active même si c’est avec un niveau de fiabilité plus grand que celui des enquêtes auprès des ménages. En effet, les enquêtes auprès des entreprises ne couvrent que le secteur public et le secteur privé au-delà d’un certain seuil (20 puis 10). De plus les plus régulières ne touchent que le secteur industriel ou de la construction. On peut dire que ces sources permettent d’estimer l’emploi dans le secteur économique structuré. Les sources administratives permettent de compléter ces données en y intégrant l’emploi dans l’administration publique. Les données provenant des caisses d’assurances (celles des salariés et des non salariés) permettent de compléter l’emploi dans le secteur privé mais bien évidemment uniquement celui déclaré. Un bilan de l’emploi a même été instauré dans les années 80 mais n’a pas été concluant. Depuis la mise en place de plusieurs dispositifs de politique active de l’emploi, on peut aussi disposer de données sur l’emploi aidé. Concernant les chômeurs nous disposons de deux sources : la caisse d’assurance chômage depuis 1995 mais ne couvre que le chômeurs indemnisés (environ 250 000 au début de la mise en œuvre, en nette diminution depuis lors), l’agence nationale de l’emploi et de la main d’œuvre (ANEM ex ONAMO) qui ne couvre qu’un segment du marché du travail, bien qu’en augmentation, malgré ces 168 agences sur l’ensemble du territoire national. Le principal problème des données d’origine administrative est lié à leur actualisation souvent tardive et au manque de transparence quant à leur confection.

7 Seul un document interne donne quelques résultats. 8 Ces enquêtes étaient censées être trimestrielles puisque les tailles d’échantillon ont été calculées sur cette base. 9 Cette série devait être trimestrielle mais réellement elle devient annuelle à partir de 2003. 10 Concernant l’enquête 2000 elle a été précédée par une enquête sur l’emploi en 1999 sur un échantillon de 12000 ménages mais les résultats n’ont pas été publiés.

Nacer-Eddine Hammouda

456

2. – les concepts utilisés : La situation individuelle comme première approche de la mesure de l’activité

Les enquêtes emploi et les recensements de la population en Algérie, ont de tout temps saisi l'activité à travers une seule question (ou variable) appelée "situation individuelle". Les enquêtés étaient donc censés être capable de se positionner sur une des modalités proposées (à l'exclusion de toutes les autres). Il est précisé dans les instructions aux enquêteurs que lorsque l'enquêté revendiquait deux situations simultanément, on devait privilégier l'occupation. Ce n'est qu'à partir de 1992 que les statisticiens algériens vont introduire des questions supplémentaires à même de leur permettre de redresser les déclarations spontanées des enquêtés pour rendre la photographie de l'activité plus conforme aux recommandations du BIT. Dans tous les recensements et enquêtes auprès des ménages, tous les membres des ménages âgés de cinq ans et plus11 sont caractérisés par une variable appelée « situation individuelle ». C’est une variable univoque, c’est-à-dire qu’une personne ne peut avoir qu’une seule situation. Cette conception provient d’une vision linéaire de l’organisation de la vie humaine centrée autour de la notion de travail. Il faut dire qu’il s’agissait du schéma prédominant jusqu’à une date récente.

Jeune enfant Scolarité activité Retraite 5 16 60

0.____________|______________|_______________|_______________E

Tableau N° 1: Taux d’activité et d’inactivité de la population des ménages ordinaires par grands groupes d'âge et sexe

(en milliers) grands groupes d'âge Masculin Féminin0 à 5 ans taux de scolarisation 1.72 1.81 6 à 15 ans taux de scolarisation taux d’activité

83.10 0.76

78.27 0.22

16 à 59 ans taux d’activité taux de scolarisation

80.91 10.15

17.19 10.47

60 ans ou plus taux d’activité taux de retraités pensionnés

18.06 62.79

1.09 17.33

RGPH 98

Il est clair sur ce tableau que le cycle d’activité des femmes suit un schéma différent de celui des hommes. De même l’entrée en activité se fait de manière progressive à partir de seize ans (moins de 20% des hommes entre sur le marché du travail à cet âge, un peu plus de 5% pour les femmes) et même avant et s’étale sur plus de dix ans. Par contre les sorties d’activité sont plus ramassées dans le temps pour les hommes et commence avant la cinquantaine (un peu moins de 20% se font à soixante ans) beaucoup moins pour les femmes du fait de leur calendrier de nuptialité et/ou de fécondité.

Les différentes modalités que peut prendre la situation individuelle sont :

11 Cette limite inférieure est variable d’une enquête à une autre et varie de cinq à seize ans.

Nacer-Eddine Hammouda

457

ACTIFS :

• Occupé • Travailleur(se) à domicile12 • Appelé du contingent • Sans travail mais en recherche (STR)

INACTIFS :

• Ecolier, collégien, lycéen, étudiant et stagiaire • Femme au foyer • Retraité, pensionné. • Infirme, handicapé • Autres inactifs.

Tableau N° 2: Tableau synoptique sur l’activité Répartition de la population des ménages ordinaires13 par grands groupes d'âge et sexe

grands groupes d'âge Masculin Féminin Total 0 à 5 ans 1993976 1907319 3901295 6 à 15 ans 3746532 3609313 7355845 16 à 59 ans 8008070 7895029 15903099 60 ans ou plus 937753 973534 1911287 Total 14686331 14385195 29071526

RGPH 98

Tableau N°3 : Répartition de la population active selon l'âge, le sexe et la strate

En milliers

Urbain Rural Total Age masculin féminin Total Masculin féminin total Masculin Féminin total

15-19 283 55 338 341 48 389 624 103 726 20-24 696 176 872 646 111 757 1342 287 1629 25-29 755 236 991 638 109 747 1393 345 1738 30-34 643 184 828 470 66 536 1114 250 1364 35-39 599 167 767 337 55 393 937 223 1159 40-44 478 139 617 286 36 322 764 175 939 45-49 393 95 489 226 31 258 620 127 746 50-54 301 49 350 212 25 237 513 74 587 55-59 153 24 177 132 18 149 285 41 327 60 & + 95 19 114 123 17 140 218 36 254 Total 4398 1145 5542 3412 516 3928 7810 1660 9470

ONS 2004 EE

Tableau N°4 : Taux d'activité par âge, par sexe et par strate

12 Cette dénomination a énormément varié, on est passé de femme aide à femme partiellement occupée puis de travailleur(se) à domicile à occupé(e) partiel. 13 Non compris les nomades et la population comptée à part.

Nacer-Eddine Hammouda

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Urbain Rural Total

Age masculin féminin total Masculin féminin total Masculin Féminin total

15-19 28,1 5,5 16,9 36,2 5,2 21,0 32,0 5,4 18,8 20-24 67,5 18,0 43,4 73,8 12,9 43,7 70,4 15,7 43,6 25-29 87,0 29,1 59,0 88,7 16,0 53,3 87,8 23,1 56,4 30-34 91,5 26,5 59,2 92,5 13,3 53,4 91,9 21,0 56,8 35-39 93,5 26,8 60,6 93,9 13,9 51,7 93,7 21,8 57,3 40-44 94,5 26,1 59,5 94,8 11,5 52,4 94,6 20,7 56,8 45-49 92,8 22,4 57,5 91,3 11,6 49,8 92,2 18,2 54,6 50-54 81,0 14,6 49,4 84,4 9,7 46,5 82,4 12,4 48,2 55-59 63,8 9,8 36,6 71,4 9,6 40,7 67,1 9,7 38,4 60 & + 15,1 2,7 8,7 25,2 3,5 14,4 19,5 3,0 11,1 Total 68,5 18,1 43,5 69,9 10,6 40,4 69,1 14,9 42,1

ONS 2004 EE

Tableau N° 5: Répartition de la population âgée de 16 ans à 59 ans par sexe selon leur situation individuelle déclarée au 30/09/97 (en milliers)

Situation Individuelle Masculin Féminin Total Population active Occupés (yc SN) 4603 635 5238 Chômeurs 2008 331 2339 Population inactive Etudiants lycéens 973 930 1903 Retraités 93 45 138 Femmes au Foyer 5795 5795 Autres inactifs 364 180 544 Population totale 8041 7916 15957

EE 97/3

Tableau N°6 : Population âgée de 16 à 59 ans au 31/12/92 En milliers

Masculin Féminin Population active 4945 700 Occupés + TD + SN 3665 523 Chômeurs (STR) 1280 177 Population inactive 961 5011 Etudiants et lycéens 645 543 Retraités et pensionnés 66 29 Femmes au foyer / 4376 Infirmes 119 57 Autres inactifs 131 6 Population totale 5906 5716

MOD 92 * Tableau élaboré à partir des déclarations spontanées des individus

Nacer-Eddine Hammouda

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Les cas de figure où une personne était à cheval sur deux situations ont été réglés en privilégiant l’occupation c’est-à-dire qu’un étudiant qui travaille aussi était considéré comme occupé, de même qu’un handicapé qui travaille est comptabilisé comme occupé et non pas comme infirme. A noter qu’il s’agit des déclarations spontanées des individus (la personne directement concernée ou un autre membre du ménage).

Nous allons par la suite passer en revue l’ensemble des situations pour voir de plus près le flou qui peut entacher leur discernement.

3.- Quelques problèmes liés à la mesure de l’emploi Le volume de l’emploi peut être mesuré de deux manières différentes : l’emploi du moment ou l’emploi habituel. Les définitions utilisées en Algérie sont celles préconisées par le BIT.

L’emploi du moment renvoie à une période de référence courte : le jour, la semaine ou le mois précédent l’enquête ; en Algérie, c’est la semaine précédant l’enquête qui sert de référence dans l’ensemble des enquêtes (sauf pour l’enquête sur les niveaux de vie de 1995 où c’est le jour ou l’enquête sur la santé de la famille où c’est le mois). Or, comme ces enquêtes durent presque un trimestre sur le terrain, la semaine d’observation est variable, par contre l’extrapolation se fait par rapport au début de l’enquête. Cette dernière remarque peut nous inciter à parler pour le cas algérien de population habituellement occupée durant le trimestre d’enquête, puisque la notion de population habituellement occupée se réfère à une année calendaire. A partir de 1992 la période de référence est fixée.

Rappelons qu’une personne est considérée comme habituellement active durant l’année, si elle a été active (toutes situations confondues : occupé, chômeur, service national) pendant plus de six mois dans l’année (la période n’est pas forcement continue).

Par rapport à la définition adoptée, est considérée comme occupée (y.c travailleur à domicile) toute personne ayant travaillé au moins une heure durant la semaine de référence. Le travail considéré ici est celui ayant trait à l’ensemble des activités de production des biens et services telles que définies par le champ de la production du système de comptabilité nationale (SCN, SCEA). Le champ de la production au sein du SCN comprend l’ensemble de la sphère de l’économie marchande et une partie des activités économiques non marchandes. Il s’agit de l’ensemble des activités économiques non marchandes liées à une activité économique marchande (une partie seulement de la production ne transite pas par le marché), l’ensemble des activités économiques non marchandes du secteur primaire (agriculture de subsistance) et l’autoconstruction.

Une tentative d’élargissement de ce champ à l’ensemble des activités économiques non marchandes du secteur secondaire, lors de la dernière conférence des statisticiens du travail, n’a pas abouti.

Il est clair que ces concepts restent largement valables et pertinents pour les pays où ils ont été développés. Ils le sont moins pour les pays où l’hégémonie de l’économie marchande est moindre.

Ces définitions ont pour effet de gonfler le volume de l’emploi à chaque fois que certaines activités économiques passent de la sphère non marchande à la sphère marchande. Ceci nous amène à repenser la dichotomie occupé/non occupé et à proposer plusieurs situations d’emploi. Ceci est vrai même pour les pays les plus développés puisqu’on parle de plus en plus des formes particulières d’emploi (intérim, partiel, TUC,...).

Nacer-Eddine Hammouda

460

3.a.- L’emploi informel14

Lorsque nous nous contentons des déclarations spontanées des individus sur leur situation, certaines formes d’emploi nous échappent dans la mesure où elles ne sont pas considérées par les concernés comme un travail. Un interrogatoire plus poussé peut nous permettre de déceler ces situations qui du point de vue strict de la définition doivent être considérées comme occupation à part entière, et les personnes concernées comme occupées (dans notre le cas algérien, nous parlerons d’occupés marginaux à partir de 1992). En effet, il s’agit d’activités rémunératrices (revente de biens produits localement ou importés, préparation de produits agro-alimentaires pour le marché, activités liées à la construction pour des particuliers, etc.).

Tableau N° 7: Répartition de la population occupée du moment selon le type d’occupation

occupé effectif % régulier 3374 60,8 irrégulier 1722 31,0 occasionnel 451 8,1 Total 5547 100,0

EE 97/3

Tableau N°8 : Répartition de la population occupée totale dans le secteur privé selon le secteur d’activité et le type d’enregistrement de l’établissement

(en milliers) Secteur d'activité enregistré Enregistrement partiel Non enregistré TotalAgriculture 4 398 494 895 Industrie 126 100 133 359 BTP 117 81 98 295 Commerce 123 452 201 776 Services 96 263 140 499 Total 465 1294 1067 2825Emploi total hors agriculture 462 896 572 1929

EE 97/3

Tableau N°9 : Répartition Du nombre de travailleurs du secteur privé selon Leur situation dans la profession et le type d’enregistrement de l’établissement

(en milliers)

Type d'activité Nb sal perm

Nb sal non perm

Nb apprenti

Nb aide fam

Nb to Trav

Enregistré 253 199 45 93 591 Enregistrement partiel 96 90 14 127 327 Non enregistré 30 73 7 159 269 Total 379 362 67 379 1187

EE 97/3

Tableau N° 10: Répartition Du nombre d’établissements privés selon

le type d’enregistrement de l’établissement

14 Pour plus de précision on pourrait consulter www.univ-paris12.fr/www/labos/gratice/Hammouda.doc

Nacer-Eddine Hammouda

461

(en milliers) Type d’enregistrement 1997 2004 enregistré 345 546 Enregistrement partiel 495 258 Non enregistré 797 934 Total 1638 1737

EE 97/3 et 2004

3.b.- L’emploi agricole : Du fait de la saisonnalité de l’activité agricole, elle est difficilement saisissable lorsque nous adoptons le concept d’emploi du moment. A partir de cette définition, seul le noyau dur de l’emploi agricole est plus ou moins bien cerné ; il s’agit des exploitants (indépendants et employeurs) agricoles dont la production est essentiellement destinée au marché et des salariés permanents du secteur public ou du secteur privé faisant une agriculture intensive (culture sous serres, etc.).

Il est à noter que les salariés permanents du secteur public ont plusieurs fois changé de statuts (autogestionnaires, coopérateurs) pour devenir actuellement exploitants en commun à titre individuel.

Leur statut se rapproche donc de celui des indépendants avec la différence que la terre appartient toujours à l’Etat, mais il est prévu qu’elle leur soit rétrocédée.

Les autres formes d’emploi dans l’agriculture sont moins bien saisies. En particulier, l’emploi saisonnier (salariés saisonniers) dépend de la période d’enquête. Les périodes de forte activité agricole dépendent des cultures et du type d’agriculture adopté (extensif, intensif), qu’elles-mêmes dépendent des régions géo-climatiques très diversifiées en Algérie.

L’autre forme non moins développée est celle des aides familiaux. Là aussi le volume des aides familiaux est fortement dépendant de l’intensité du travail qu’ils fournissent au cours de l’année. Cette intensité dépend de la taille de l’exploitation, du nombre de personnes en âge d’être actif dans le ménage et du type d’agriculture.

La déclaration des individus en tant qu’aides familiaux dépend de la perception qu’ils ont de leur situation (durée de travail, revenu). Ceci est encore plus vrai pour les femmes qui se déclarent presque systématiquement en tant que femmes au foyer dans la mesure où le travail qu’elles effectuent est perçu comme un prolongement naturel des activités domestiques.

Tableau N° 11: Répartition des occupés dans le secteur agricole

selon la situation dans la profession

1996/1 2002/1 2002/1* Effectif % Effectif % Effectif % Employeurs 17 2.56 132 10.1 132 8.9 Indépendants 366 55.12 442 33.8 543 36.5 Salariés permanents 88 13.25 51 3.9 51 3.4 Salariés non permanents 72 10.84 297 22.7 307 20.7 Aides familiaux 121 18.22 385 29.5 454 30.5 Total 664 100.0 1 309 100.0 1 487 100.0

EE 1996/1 ET 2002/1 ONS

Nacer-Eddine Hammouda

462

* y compris les occupés marginaux du moment

Tableau N°12 : Estimation de l’évolution du volume de l’emploi agricole total

1996/1 2002/1Total occupés agricoles 1 078 000 1 578 000Occupés agricoles (déclarations spontanées) 664 000 1 309 000Occupés marginaux du moment dans l’agriculture 287 000 177 000Occupés marginaux agricoles hors semaine de référence 127 000 92 000

EE 1996/1 ET 2002/1 ONS

Les résultats du dernier recensement général de l’agriculture (RGA), organisé en 2003 par le ministère de l’Agriculture et du Développement rural (MADR), dont les résultats viennent d’être consignés dans un document officiel est destiné à donner les grands repères en matière de structure agraire. Il est à noter que le dernier recensement date de 1973. Le RGA 2003 mentionne l’existence d’une population agricole de 6 907 585 personnes dont 24,5% de femmes. Sur ce chiffre, la population active agricole s’élève à 2 112 717 permanents dont 358 151 femmes, répartis à travers 1 023 799 exploitations agricoles dont 70% constituées de petites exploitations (entre 0,1 et moins de 10 ha) contre 950 000 en 1973, et une surface agricole utile (SAU) de 8 458 680 ha. Concernant la nature juridique de ces exploitations, l’exploitation individuelle prédomine avec 83,1% du nombre total et occupe 79,7 de la surface agricole utile (SAU) totale. Pour le statut des terres, le RGA relève que 75,93 % des exploitations sont érigées sur des terres «melk» et couvrent 69,25% de la SAU totale et 17,7% sont érigées sur les terres du domaine privé de l’Etat et couvrent 30% de la SAU totale. En matière d’occupation de la SAU, le recensement souligne que les grandes cultures occupent 50,45% de la SAU dont 48,2% en céréaliculture dans 481 370 exploitations, l’arboriculture 6,39% de la SAU, au niveau de 199 578 exploitations (20% du total des exploitations) et les cultures maraîchères et industrielles avec 3,24% de la SAU. Par ailleurs, les superficies irriguées couvrent 620 687 ha soit 7,34 % de la SAU totale et sont localisées dans 287 456 exploitations, soit 28% du total des exploitations. En outre, le cheptel national est composé principalement d’ovins (18 738 166 têtes), de bovins (1 464 663 têtes), de caprins (3 186 878 têtes) et de camelins (333 933 têtes). Sur un autre registre, le RGA 2003 relève en matière de matériel et d’équipement l’existence de 85 420 tracteurs à roues, 11 756 tracteurs à chenilles et 8 222 moissonneuses-batteuses. On voit bien à travers ces données toute la difficulté à avoir une estimation précise de l’emploi agricole. L’existence d’une agriculture de subsistance, la forte saisonnalité de l’activité ainsi que la pluriactivité complique toute tentative de mesure. C’est pourquoi les services du plan n’utilisent pas en général les données d’enquêtes pour estimer l’emploi agricole et raisonnent plutôt en terme d’équivalents permanents à savoir 260 jours/an. D’ailleurs durant plus d’une décennie l’estimation de l’emploi agricole est restée constante (960 000).

Tableau N°13 : Estimation du nombre moyen d’heures travaillées dans l’emploi agricole marginal

Nombre total Nbre moyen d’heures : d’heures

travaillées Par

trimestre par

semaine

Nacer-Eddine Hammouda

463

Activités agricoles marginales 1996/1 43 361 000 104.78 8.06 Activités agricoles marginales 2002/1 56 176 000 208.87 25.41

EE 1996/1 ET 2002/1 ONS

3.c.- L’emploi féminin (ou la mesure de l’activité économique des femmes) Seul l’emploi salarié et quelques emplois indépendants (professions libérales,...) sont bien cernés car il n’y a aucune ambiguïté au niveau de la perception des enquêtées de leur statut et donc au niveau de leur déclaration. Pour cerner d’autres formes particulières d’emploi spécifiques aux femmes, les statisticiens ont introduit une catégorie supplémentaire au niveau de la situation individuelle. Il s’agit des femmes aides : la définition utilisée faisant référence essentiellement aux travaux de type agricole (potager, basse-cour, trait, ...) dans les exploitations familiales. La spécificité de l’activité agricole a été toujours prise en compte car il s’agit de situations presque universelles. Puis le concept a évolué pour parler de femmes partiellement occupées, pour pouvoir intégrer des activités indépendantes de l’exploitation familiale que nous retrouvons surtout en milieu urbain (couture, broderie, poterie,...) qu’exercent des femmes en général de façon plus ou moins régulière. Ces travaux sont rémunérés et parfois même fort bien rémunérées. L’organisation du travail concilie les prérogatives traditionnelles de la femme en matière d’activités domestiques avec la recherche d’un revenu monétaire supplémentaire ou même l’autonomie financière de la femme. Mais comme la notion du travail partiel peut prêter à équivoque, elle a été remplacée par celle du travail à domicile. En effet, nous pouvons trouver des femmes de ménages qui exercent à titre vacataire dans des établissements publics, qui travaillent 4 heures ou même parfois deux heures par jour qui sont comptabilisées comme occupées à part entière du fait de leur statut (salariées, déclarées à la sécurité sociale, établissement public) alors que de l’autre côté, certaines femmes peuvent travailler jusqu’à 60 heures par semaine chez elles et donc sont classées femmes partiellement occupées. Comme nous parlons maintenant de travail à domicile, nous pouvons trouver aussi bien des hommes (les enquêtes récentes nous montrent que ceci est négligeable). Donc nous pouvons dire que cette forme d’emploi est spécifique aux femmes.

Toujours est-il que le problème de la mesure de l’activité économique des femmes reste entièrement posé. En effet, en dehors des travaux effectués par les femmes contre rémunération en espèce, les autres types de travaux ne sont pas du tout pris en compte.

Encore que, même les activités économiques marchandes lorsqu’elles ne sont pas effectuées régulièrement ou lorsque ce n’est pas la femme qui perçoit directement la rémunération (préparation de repas, de pain, de gâteaux, etc., vendus sur le marché par une tierce personne) ne sont pas déclarées systématiquement.

En particulier donc, toute la sphère de l’économie domestique n’est pas prise en compte, bien qu’actuellement nous trouvons des travaux équivalents dans l’économie marchande des pays plus développés et même en Algérie (restauration, plats cuisinés, laverie, ménage, garde d’enfants, etc.).

Tableau N°14: Evolution du nombre d’occupées du moment selon le type

en milliers 03/2002 09/1997 12/1992 Occupées régulières 580 511 410 Occupées irrégulières 324 143 45 Occupées occasionnelles 210 300 205 Total 1114 954 660

Nacer-Eddine Hammouda

464

Enquêtes ménages 1992, 1997, 2002 ONS

Tableau N°15 : Répartition des femmes occupées selon le lieu de travail En milliers

09/1997 03/2002 Effectif % Effectif % Extérieur 699 73,2 820 73,6 A domicile 255 26,8 294 26,4 Total 954 100,0 1114 100,0

Enquêtes ménages 1997, 2002 ONS

Tableau N° 16: Structure des femmes au foyer selon leur type d’activités

Activité économique marchande durant la semaine de référence 2,9 % Activité économique marchande hors de la semaine de référence 2,5 % Activité économique non marchande durant la semaine de référence 44,0 % Activité économique non marchande hors de la semaine de référence 2,2 % Aucune activité économique 28,4 %

MOD 92

Tableau N°17 : Répartition des femmes au foyer selon leur type d'occupation (en milliers)

national Urbain Rural EffectifPour centEffectifPour centEffectif Pour centOccasionnel 359 5.7 102 1.6% 257 4.1% activité économique non marchande 1183 18.7 504 8.0% 679 10.7% aucune activité économique 4782 75.6 2380 37.6% 2401 38.0% Total 6324 100.0 2987 47.2% 3337 52.8%

EE 97/3 Tableau N° 18: Répartition des femmes au foyer selon leur type d'occupation

(en milliers) URBAIN

RURAL

Total

Type d’activité effectif % effectif % effectif % pas d'activité économique 2847 80,1% 2261 71,3% 5108 75,9% activité économique non marchande 513 14,4% 745 23,5% 1258 18,7% activité économique marchande 196 5,5% 166 5,2% 363 5,4% Total 3556 100,0% 3171926 100,0% 6728 100,0%

EE 2002/1

Tableau N°19 : Nombre moyen d’heures travaillées durant le trimestre

Type d'occupé Activité totale Activité marchande Activité non marchande 33.11 .00 Occasionnel 78.53 64.27

EE 97/3

Tableau N° :Nombre moyen d’heures travaillées durant le trimestre

Nacer-Eddine Hammouda

465

Type d’activité activité économique non marchande

activité économique marchande

activité économique non marchande

30,57 ,00

activité économique marchande 17,39 147,79 EE 2002/1

3.d.: le travail des enfants Les statistiques disponibles sur le sujet à travers les enquêtes auprès des ménages et les recensements de population donnent un effectif très faible. Alors que ces mêmes enquêtes relevaient bel et bien l'existence du phénomène à travers la question sur l'âge au premier emploi. En effet l'enquête PAPFAM 2002 estimait à 23% la proportion de travailleurs à avoir commencer à travailler avant seize ans parmi les jeunes célibataires de 15 à 29 ans, soit 7% de la totalité de cette sous population. Vu l’importance du sujet et la réalité observée empiriquement en Algérie nous nous sommes intéressés de plus près à la question. Quels sont les éléments objectifs dont nous disposons qui pourrait nous inciter à penser qu’il y sous-estimation du phénomène ? Quelles seraient alors les raisons de cette sous-estimation ? Comment, alors procéder pour avoir une meilleure estimation du nombre d’enfants travailleurs ? Pour ce faire nous avons procédé en deux étapes : Une première enquête de terrain où on s’est intéressé aux enfants déscolarisés (ou analphabètes) de 10 à 15 ans ; Une deuxième enquête où l’on a élargi l’observation à l’ensemble des enfants de 6 à 17 ans révolus et sur leur activité au courant de l’ensemble de l’année écoulée même si elle est occasionnelle. La première enquête (2003) nous a servi à démontrer qu’en effet une partie des enfants déscolarisés ou n’ayant jamais fréquenté l’école travaillaient effectivement. Le contenu et la forme de mise au travail sont très différenciés entre sexe et strate (urbain/rural). La deuxième enquête (2004) va compléter la première en montrant que le travail était aussi présent chez les enfants scolarisés et à une échelle non négligeable. Cette remarque va nous servir à remettre en cause l’approche de l’institution statistique algérienne qui ne saisit qu’une situation pour l’individu et donc de fait le travail des enfants scolarisés n’est pas saisi. De plus c’est l’activité du moment qui est saisi (semaine de référence) ce qui élimine de fait tout le travail occasionnel dans la mesure où l’enquête emploi ne balaie pas la totalité de l’année (au plus c’est une semaine par trimestre qui est observée. Nous avons effectué une segmentation de notre population cible (les enfants de 6 à 17 ans) à partir de leur comportement d’activité et en introduisant la totalité des variables (disponibles dans le questionnaire) pouvant l’expliquer. Il s’est avéré qu’effectivement la première variable discriminante (et de loin) était bien la position vis à vis de l’école (scolarisé, déscolarisé, jamais scolarisé). Les autres critères sont de type démographique (âge puis sexe). Les variables de revenus ou de catégorie de ménages viennent loin derrière (leur pouvoir explicatif étant relativement faible). Sur la base de cette segmentation nous avons estimé le poids des différents segments dans la population totale ce qui nous a permis à posteriori d’estimer le volume des enfants travailleurs. Une régression logistique binaire va nous permettre de déterminer les variables explicatives du phénomène en mesurant l’effet de chacun d’eux.

Nacer-Eddine Hammouda

466

Pour plus de précision nous distinguerons entre quatre catégories d’enfants : ceux scolarisés uniquement, ceux scolarisés mais qui travaillent, ceux qui travaillent uniquement et enfin ceux qui ne sont ni scolarisés ni travailleurs. Une régression logistique multinomiale précisera les déterminants de chaque situation. 4.- Problèmes liés à la mesure du chômage Est considéré comme chômeur toute personne qui n’a pas travaillé durant la semaine de référence, apte à travailler, qui déclare rechercher un emploi et dont l’âge se situe entre l’âge légal au premier travail et l’âge à la retraite.

4.a.- Les limites d’âge En fait, cette condition n’est pas préconisée par le B.I.T mais comme les statistiques sur le chômage s’adressent aux pouvoirs publics pour définir les politiques adéquates, ce souci légaliste s’impose du fait. Il est généralement admis par le législateur que les personnes hors de ces limites d’âge doivent plutôt faire l’objet de politiques spécifiques qui ne rentrent pas dans le cadre des politiques de résorption du chômage. D’ailleurs les services du Plan ont toujours limité le concept d’activité au 18-59 ans.

La limite minimale à savoir 16 ans correspond en Algérie à la fin de la « scolarité obligatoire » - qui ne l’est pas de fait - dont la durée est de neuf ans (6-15 ans), soit les trois cycles de l’école fondamentale. Les différents recensements et enquêtes nous révèlent que plus d’un million d’enfants âgés entre 6 et 15 ans ne sont pas scolarisés, il s’agit essentiellement de filles. Mais d’un autre côté, le nombre de personnes âgées de moins de seize ans qui se déclarent occupées reste négligeable (il a été estimé à 29 000 en 92). Même entre 16 et 19 ans - 19 ans correspond à l’âge minimal d’incorporation pour le service national - les jeunes adolescents non scolarisés et non occupés ne se déclarent pas systématiquement être à la recherche d’un emploi. Les occupés de cette tranche d’âge sont plutôt des aides familiaux ou des apprentis. En effet, les établissements publics, qui constituent les premiers pourvoyeurs d’emploi jusqu’à présent, exigent aux jeunes d’être dégagés de leurs obligations vis à vis du service national, c’est-à-dire soit l’avoir accompli soit avoir des papiers attestant d’un dégagement définitif, papiers qui ne peuvent être obtenu qu’après au moins dix neuf ans.

C’est pourquoi beaucoup pensent que les 16-19 ans doivent faire l’objet de politiques spécifiques d’insertion soit par une formation professionnelle complémentaire, soit par le biais de l’apprentissage. Il est à noter que jusqu’à présent les capacités du système de formation professionnelle ne sont pas suffisantes pour absorber l’ensemble des sortants de l’école fondamentale et qu’en plus il n’y a pas de passerelle clairement définie entre l’enseignement général et l’enseignement professionnel. Concernant l’apprentissage bien que du point de vue législatif, les lois existent, il ne concerne que quelques dizaines de milliers de jeunes.

C’est pourquoi certains statisticiens du travail préconisent de distinguer, pour cette tranche d’âge du moins, entre les demandeurs de formation et les demandeurs d’emploi.

Pour ce qui est de la limite supérieure à savoir 60 ans, elle correspond à l’âge à partir duquel le travailleur peut valoir ses droits à la retraite. Là aussi, quelques remarques s’imposent :

- L’âge à la retraite est passé de 65 à 60 ans ; - Il n’est pas systématique : en effet pour les femmes, cet âge est de 55 ans et peut

même être avancé de trois ans selon le nombre d’enfants élevés. Pour certains groupes de professions ou catégories de personnes cet âge peut être avancé de plusieurs années selon des conditions spécifiées par les textes réglementaires en vigueur ;

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- Un système de préretraite a été instauré à partir des années 90 ; - Certaines catégories de personnes continuent à travailler au-delà de cet âge, comme

les indépendants et les employeurs, car ils ne bénéficient pas systématiquement d’un système de retraite (ils ont été estimés à 212 000 en 1997 et 254 000 en 2004). Même certains retraités travaillent ou cherchent à travailler vu la faiblesse des pensions touchées. 4.b.- La non occupation

La réponse à cette question dépend de la perception qu’ont les enquêtés de leur situation. C’est ainsi que beaucoup de personnes se déclarent non occupées et donc comptabilisées comme chômeurs - alors que lorsque nous poursuivons l’interview, il s’avère qu’ils ont effectué durant la semaine de référence des activités économiques marchandes (vente, petits travaux pour des tiers, services rendus à des tiers,...) participent à l’exploitation familiale qu’elle soit agricole ou non marchande (auto-construction, production pour auto consommation,...). Certains inoccupés revendent sur le marché parallèle de menus objets (cigarettes, effets vestimentaires, cosmétiques, etc.) avec une marge bénéficiaire.

S’agit-il d’une activité économique ? Oui si on s’en tient à la définition du B.I.T. et du SCN. L’activité économique non observée (ENO) est subdivisée en quatre blocs : l’économie informelle (activité de subsistance, petits métiers, etc.), l’économie souterraine (activité sous déclarée ou non déclarée d’unités formelles), l’économie illégale ou criminelle (production et vente de stupéfiants, prostitution, jeux, etc.) et la production des ménages pour usage propre. Lorsque nous observons les taux de chômage déclarés au niveau des zones frontalières, ils sont relativement plus élevés que sur le reste du territoire. Ceci est dû au fait que beaucoup de frontaliers sont occupés dans des activités « d’import-export » illégales, mais pas forcément illégitimes. Activités qui selon le cas font partie de l’économie informelle ou de l’économie criminelle et dont la rémunération n’est pas du tout négligeable.

Tableau N° 20: Structure des chômeurs masculins selon leur type d’activités

Activité économique durant la semaine de référence 16,9 % Activité économique hors de la semaine de référence 16,0 % Activités rémunérées non définies 13,8 % Aucune activité économique 53,1 %

MOD 92

Tableau N° 21: Répartition des chômeurs selon leur situation individuelle corrigée et le sexe

(en milliers)

Situation Individuelle corrigée MasculinFémininTotalOccupé du moment 147 18 166 Occupé hors semaine de référence 102 11 114 petits travaux rémunérateurs 218 25 242 Activités économiques non marchandes 113 33 146 Véritable chômeur 1125 193 1319 Chômeur découragé 315 51 366 Total 2020 331 2352

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468

EE 97/3 4.c.- La recherche d’un emploi

Quelle est la signification de la recherche d’un emploi ? Du fait que les agences publiques de l’emploi (ALEM, ANEM) ne couvrent pas de façon convenable l’ensemble du territoire national. Ces services ne captent qu’une partie de la demande d’emploi. Même les chômeurs indemnisés (compressés du secteur public) par la CNAC ne sont pas obligés de s’inscrire à l’ANEM, c’est-à-dire qu’ils toucheront leurs indemnités jusqu’à la fin de leur droit. Même pour l’emploi aidé qui s’adresse à des chômeurs, la réglementation n’exige pas l’inscription auprès des services publics de l’emploi mais plutôt au niveau des mairies.

En plus, le demandeur d’emploi doit renouveler son inscription tous les trimestres auprès de ces agences sinon il n’est plus comptabilisé en tant que demandeur d’emploi. D’où la nécessité de faire appel à d’autres formes plus traditionnelles de recherche d’emploi tels que les réseaux familiaux et/ou amicaux, le porte à porte auprès des entreprises, ou plus récentes le « mailing », les annonces, etc. En tenant compte de l’ensemble de ces critères, nous nous rendons compte qu’un nombre non négligeable (plus de 172.000 en 2002) de chômeurs déclarés ne font aucune démarche de recherche. S’agit-il de chômeurs découragés ? N’y a-t-il pas confusion, en particulier pour les femmes, entre désir de travailler et recherche effective d’un emploi ?

De plus doit-on limiter la période de recherche effective d’un emploi pour pouvoir décider le classement d’un individu dans la catégorie des chômeurs. Ce n’est qu’à partir de 2003 que les enquêtes algériennes précisent une période particulière (la semaine, le mois et le trimestre). Donc avant, nous avions une sur-estimation du taux de couverture de la demande d’emploi par les agences de l’emploi. Puisque au numérateur nous prenons le stock des inscrits quelque soit la période d’inscription sans tenir compte s’ils ont ou non renouvelé leur demande durant le dernier trimestre. Bien que pour la non-occupation les enquêtes fassent référence à une période précise.

Tableau N°22 : Répartition des chômeurs selon leur situation individuelle corrigée et le sexe

% dans SEXE

Nouvelle Situation Individuelle Masculin Féminin Total Occupé du moment 7.3% 5.6% 7.0% Occupé hors semaine de référence 5.1% 3.4% 4.8% Petits travaux 10.8% 7.4% 10.3% Activités non marchandes 5.6% 9.9% 6.2% Véritable chômeur 55.7% 58.3% 56.1% Chômeur découragé 15.6% 15.4% 15.6% Total 100% 100% 100%

EE 97/3

4.d.- Période de référence Comme pour l’emploi, il s’agit de la semaine précédant le jour d’enquête. Comme les enquêtes durent sur le terrain presque un trimestre, il s’agit d’une semaine flottante. Ce qui introduit un flou par rapport aux définitions auxquelles nous faisons référence.

En particulier, le problème se pose pour l’ensemble des activités à fortes fluctuations saisonnières (agriculture, agro-alimentaire, BTP, certains services liés aux cérémonies, certain

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type de commerce lié au mois de Ramadhan, etc.). Le seul moyen d’avoir une idée sur le cycle d’activité c’est de « boucler » l’année entière, ou bien prévoir un questionnaire rétrospectif - les réponses dans ce cas ne sont pas toujours précises.

L’idée derrière le choix d’une période de référence, c’est d’espérer un effet de compensation entre les différents cycles d’activité des personnes pour pouvoir dire qu’en moyenne tant de personnes sont occupées et tant sont inoccupées. Or comme la distribution des cycles d’activités sur l’année n’est pas tout à fait aléatoire, il n’est pas certain que cet effet compensatoire joue. Puisque ces cycles dépendent du climat, du calendrier des travaux agricoles, des fêtes... Donc la proportion de personnes occupées ou inoccupées varie durant l’année.

4.e.- Durée de recherche ou durée d’inactivité ? L’une des variables qui sert à caractériser le chômage c’est sa durée. Or à travers cette variable que cherche-t-on à mesurer ? Est-ce un indicateur de tension sur le marché du travail ? Et à ce moment, il faudrait s’intéresser à la durée de recherche effective des personnes concernées - chose qui n’est pas observée en Algérie - Veut-on connaître le cycle de l’activité durant l’année ? Et donc il faudrait mesurer la succession de période d’occupation/inoccupation, qu’on pourrait éventuellement considérer comme un indicateur de chômage frictionnel. Ceci semble assez difficile dans la mesure où beaucoup de chômeurs effectuent des travaux rémunérés durant des périodes plus ou moins espacées. Ce qui est la seule alternative pour beaucoup de chômeurs de longue durée. C’est-à-dire que se voyant dans l’impossibilité de trouver un emploi stable, ils se voient obligés d’accepter des « petits boulots » ne serait-ce que pour avoir une relative autonomie financière par rapport à leur famille. D’autres ont carrément opté pour ce genre de stratégie, en particulier les ruraux, alternent entre plusieurs types d’activités (BTP, agriculture, commerce).

Cherche-t-on à connaître la durée d’inactivité ? On pourrait parler dans ce cas d’un indicateur de tension sociale. Par exemple l’analphabète, actuellement chômeur, depuis quand est-il en chômage ? Est-ce depuis l’âge où il aurait dû être à l’école, c’est-à-dire six ans ? Ou depuis l’âge légal au premier travail, c’est-à-dire seize ans ? Ou depuis qu’il a accompli son service national, c’est-à-dire entre 19 et 20 ans ? Ou depuis qu’il a commencé à chercher du travail ? Les personnes qui ont été en situation de chômage avant et après l’accomplissement de leur service national devraient rentrer dans le deuxième cas de figure que nous avons présenté. La même chose pour les sortants du système éducation-formation, doit-on comptabiliser la durée de chômage depuis leur sortie ou depuis qu’ils ont entamé des recherches qui peuvent commencer même pendant leurs études - ?

5.- La mesure de l’inactivité : Actifs ou réserve de main d’œuvre (rentiers ou chômeurs découragés).

Le complément de la population active par rapport à la population totale c’est la population inactive.

Les raisons de cette inactivité peuvent être multiples. Il y en a quatre principales :

• l’infirmité ou le handicap qui touche les deux sexes à tout âge. La proportion est faible et assez constante dans le temps. En 2002, ils sont 262 000 parmi les personnes en âge de travailler à se déclarer ainsi.

• la scolarité qui touche essentiellement les plus jeunes. Elle peut être plus ou moins prolongée selon les individus et les périodes auxquelles on s’intéresse.

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L’apprentissage n’est pas considéré comme une scolarité par contre la formation professionnelle, dans des établissements dont la principale vocation est la formation, est considérée au même titre que la scolarité dans des établissements d’enseignement général, technique ou universitaire. Ceci même si une partie des biens produits par les élèves dans le cadre de leur formation sont vendus sur le marché (confection, ébénisterie,...). Les travailleurs placés par leur entreprise dans des établissements spécialisés pour recyclage, ne sont considérés comme inactifs que si leur stage dure plus de six mois.

A notre avis, les effectifs dans de telles situations restent négligeables. Par contre les résidents en médecine sont considérés comme occupés à part entière dans la mesure où ils sont considérés comme médecins à part entière puisqu’ils alternent exercice réel de la médecine et études au sein des centres hospitalo-universitaires.

Une enquête récente nous révèle que l’activité des étudiants n’est pas du tout négligeable surtout pendant les vacances.

Tableau N°23 : Structure des étudiants du supérieur selon leur occupation et par sexe

Travail rémunéré masculinfémininTotalPendant les vacances 40,5 9,3 24,6 Durant l'année universitaire, à temps partiel 8,9 3,0 5,9 études et une activité rémunérée permanente 5,5 3,1 4,3

MESRS-CREAD 200115

• l’exercice exclusif des travaux domestiques. Il s’agit donc des femmes au foyer estimées à près de six millions actuellement. Ces femmes-là sont considérées par euphémisme comme inactives alors que la prise en compte des productions rémunérées et non rémunérées qu’elles réalisent donne une contribution de 20,66% à 31,73% - selon les méthodes utilisées - à la production nationale élargie16.

Il est à remarquer qu’une femme non occupée, qui effectue ou non des travaux domestiques, et qui cherche à travailler est considérée comme chômeuse et donc active. Par rapport aux dernières recommandations adoptées par la Conférence Internationale des Statisticiens du Travail (CIST), certains travaux domestiques font partie des activités économiques telles que définies par le champ de la production du S.C.N. Les enquêtes de 1997 et 2002 nous révèlent que près du quart des femmes au foyer devraient être intégrées dans la population active selon les nouvelles définitions.

• les retraités ou pensionnés. Dans ce groupe, nous retrouvons aussi bien les anciens actifs qui sont devenus inactifs car bénéficiant d’un système de retraite ou une pension d’accident de travail, que les veuves d’anciens actifs décédés avant ou après l’âge à la retraite. Lorsque leurs maris travaillaient dans le secteur structuré - ainsi que les veuves de chahid. Ce groupe est constitué donc essentiellement de personnes âgées. Une grande partie des femmes de ce groupe effectuent des travaux domestiques sans pour cela être comptabilisées comme femmes au foyer.

Les retraités ou pensionnés qui exercent une activité rémunérée sont considérés comme occupés. Par contre ceux qui cherchent un travail rémunéré pour arrondir leur fin de

15 Enquête réalisée par le CREAD pour le compte du MESRS en avril 2001 sur un échantillon de 2190 étudiants. 16 ATSAMENA Akila et LALLAM Ratiba “la Contribution des femmes à la production nationale élargie” 195p, Mémoire d'ingénieur d’état en planification INPS Sept 1991. une actualisation de ce premier travail a été faite avec des données de 2000.

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mois ne sont pas considérés comme chômeur, lorsqu’ils ont fêté leur soixantième anniversaire.

Tableau N°24 : Répartition du nombre de retraités par type

31/12/1999 30/09/2000

CNR CASNOS CNR CASNOS

retraités 1 153 287 104 955 1 231 771 118 954

Retraites directes 56 652 691 680 Régime général 542 800 569 741

Sans conditions d’age 42 858 46 818

Proportionnelle 36 503 58 169

Anticipée 36 503 16 952

Reversions 502 813 48 303 533 603 Versées à l’étranger 6 488

CNR/CASNOS

En dehors de ces quatre catégories, nous trouvons une cinquième que nous appelons « autres inactifs » pour qui les raisons de l’inactivité ne sont pas clairement connues. Elle se subdivise en deux grandes catégories : ceux d’âge actif (16-59 ans) et ceux en dehors de cette tranche d’âge. Nous nous intéresserons particulièrement à la première catégorie citée Il s’agit donc de personnes en âge de travailler (16-59 ans) et aptes à travailler mais déclarent ne pas avoir d’occupation durant la semaine de référence et ne cherchent pas d’emploi. Selon les années, leur nombre est variable d’une enquête à l’autre. Ils sont de l’ordre de 600 milles individus en 2002.

Nous trouvons parmi eux, aussi bien de rentiers (environ 12 000, des chômeurs découragés 264 000) que d’occupés dans des activités informelles. En observant leur structure par âge, nous remarquons qu’ils sont assez jeunes. Une partie est constituée de jeunes gens exclus du système éducatif, n’ayant pas encore accompli leur service national. Ils sont pris en charge au sein de leur ménage. Beaucoup ne se déclareront être à la recherche d’un emploi qu’après l’accomplissement de leur service national ou s’ils en sont dégagés définitivement. Il s’agit donc d’une réserve de main d’œuvre. Ils sont plus de 100 000 à invoquer pour la non recherche d’un emploi, soit leur manque d’expérience soit qu’ils comptent travailler plus tard.

Pour ce qui est des rentiers, nous avons essayé de les estimer durant l’année 88 (EDC). Seuls quelques milliers se déclarent en tant que tels. Il ne s’agit que des personnes vivant que des rentes. Les personnes occupées et ayant des revenus de rentes sont considérées comme occupées.

Les autres inactifs sont essentiellement des hommes puisque les chômeuses découragées sont presque systématiquement intégrées aux femmes au foyer dans la mesure où les tâches domestiques sont toujours présentes pour les femmes même célibataires. C’est à dire que les réserves de main d’œuvre féminine sont à rechercher parmi les femmes au foyer répondant à certains critères (situation matrimoniale, niveau d’instruction, âge,...) plutôt que parmi les autres inactives. Celle-ci a été quantifiée lors d’une enquête réalisée en 1985 où il était demandé aux femmes inactives ne poursuivant pas des études si elles étaient prêtes à travailler et à quelles conditions. Elles étaient à l’époque estimées à presque 200.000 à déclarer vouloir travailler : sous certaines conditions (proximité, conditions du travail,...) pour

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un peu plus de la moitié et sans condition pour l’autre moitié (42 %). L’enquête emploi de 2004 a introduit un volet spécifique pour les femmes inactives dont nous donnons les quelques résultats disponibles en annexe.

Tableau N° 25: Structure des autres inactifs masculins âgés entre 16 et 59 ans selon leur type d’activités

Activités économiques durant la semaine de référence 7,2 % Activités économiques hors de la semaine de référence 7,9 %

MOD 92

Tableau N°26 : Répartition de la population active

Selon les définitions adoptées Hommes de 16 à 59 ans

Moment Habituelle6

Population active 4954 4964 occupés + TD + SN 3814 3997 chômeurs (STR) 1140 967 Taux de chômage 23,01 % 19,48 %

Femmes de 16 à 59 ans

Moment Habituelle17

Population active 789 950 Occupées 376 376 TD 273 444 STR 140 130 Taux d’activité 13,80 % 16,62 %

MOD 92

Conclusion : C’est l’ONS qui est chargé de la publication des données statistiques nationales, ce n’est pas pour autant qu’il en est forcement le producteur. C’est ainsi que les différentes séries sur la population active, qu’on peut trouver dans les diverses documents sont en général produites par le secteur de la planification18. L’ONS publie aussi les résultats des différentes enquêtes qu’il réalise. Une série homogène sur la population active ne peut pas être obtenu par simple concaténation des résultats des différentes enquêtes sur la main d’œuvre pour au moins trois raisons essentielles.

6 Les personnes ayant déclarés avoir effectuer des activités économiques marchandes durant ou hors de la semaine de référence sont classés comme actifs occupés (TD pour les femmes) et ce quelque soit la durée de travail déclarée 17 Les personnes ayant déclarés avoir effectuer des activités économiques marchandes durant ou hors de la semaine de référence sont classés comme actifs occupés (TD pour les femmes) et ce quelque soit la durée de travail déclarée 18 Secrétariat d’état au plan, puis ministère de la planification et de l’aménagement du territoire, puis conseil national de la planification et actuellement commissariat au plan. Ce secteur assure la tutelle administrative de l’office national des statistiques.

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1/ les périodes de référence de ces différentes enquêtes ne sont pas identiques ; 2/ les concepts utilisés peuvent varier d’une source à une autre ; 3/ pour certaines années aucune enquête n’a été réalisée.

Au vu de l’ensemble de ces remarques, nous proposons de travailler sur une nouvelle variable qui tienne compte de l’ensemble des réponses de l’interviewé et non pas sur les déclarations spontanées, et donc dépassé les dichotomies occupé/non occupé, actif/inactif. On peut assimiler la différence entre la situation déclarée et celle obtenue après correction au sous emploi. Une première estimation du sous emploi visible peut être faite à partir des données d’enquêtes. L’exercice que nous avons fait pour l’enquête de 1997 donne le tableau suivant :

Tableau N° 27 : Répartition de la population active habituelle par sexe au 30/09/97 (en milliers)

population active masculin féminin total population occupée 4784 654 5438 population sous occupée 467 413 880 Population occupée totale 5251 1067 6318 population en chômage (au sens du BIT) 1125 193 1318 Population active (au sens du BIT) 6376 1260 7636 Taux de chômage au sens du BIT 17,6% 15 ,3% 17,3% Chômeurs découragés 315 33 348 Activité économique non marchande 113 1244 1357 Population active au sens large 6804 2537 9341

EE 1997 ONS Après correction des réponses spontanées, l’estimation de la population active algérienne devient plus comparable avec les données des autres pays maghrébins. Concernant l’utilisation des séries sur la population active dans les modèles macro économétriques, il est préférable de vérifier qu’elles sont compatibles avec les données comptables. En effet dans le nouveau SCN il est recommandé d’adjoindre aux comptes nationaux un vecteur emploi. Bibliographie : ATSAMENA Akila et LALLAM Ratiba «la contribution des femmes à la production nationale élargie » mémoire d’ingénieur en statistique INPS, Alger 1991 BIT, « la résolution concernant les statistiques de la population active, de l’emploi du chômage et du sous-emploi » CIST, GENEVE, OCTOBRE 1982 BOUCHERF K., HAMMOUDA N.-E. & alii, le travail des enfants en Algérie, INT Alger 2003 BOUCHERF K., HAMMOUDA N.-E. & alii, le travail des enfants en Algérie, INT Alger 2005 CHARMES, J. : femmes africaines, activités économiques et travail : de l'invisibilité à la reconnaissance, revue du tiers monde t. XLVI, N° 182, avril-juin 2005. O. Chardon & D. Goux « La Nouvelle Définition Européenne Du Chômage BIT » Economie Et Statistique N° 362, 2003 P. Givord « Une Nouvelle Enquête Emploi » Economie Et Statistique N° 362, 2003 D. Goux « Une Histoire De L’enquête Emploi » Economie Et Statistique N° 362, 2003 C. Gonzalez-Demichel & E. Nauze-Fichet « Les Contours De La Population

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Active : Aux Frontières De L’emploi, Du Chômage Et De L’inactivité » Economie Et Statistique N° 362, 2003 CREAD, les cahiers du CREAD N° 37 «ajustement et emploi au Maghreb », Alger, 1994 CNES : femme et marché du travail, 25ème session plénière, Alger décembre 2004 HAKIKI-TALAHITE F. : «travail domestique et salariat féminin » mémoire de magistère dirigé par Pr. Ch. PALLOIX, Institut des sciences économiques ORAN 1983 HAMIDI A. « problèmes liés à la mesure de l’activité et du chômage en Algérie »mémoire d’ingénieur en statistique INPS, Alger 1994 HAMMOUDA NE. & MUSETTE M.S. « vers une nouvelle génération d’indicateurs du marché du travail » in A. ALCOUFFE &alii « Efficacité versus équité en économie sociale » tome2, L’Harmattan, 2000 HAMMOUDA NE. : « conditions de vie et comportements d’activité des ménages algériens » thèses de doctorat en sciences économiques, université de PARIS X, paris 1998 ; INSEE «Économie et statistique » N°226, novembre 1989 INSEE «Économie et statistique » N°136, septembre 1981 INSEE « Mesurer L’emploi Et Le Chômage : Nouvelle Enquête, Débats Anciens » Economie Et Statistique N° 362, 2003 INT, Revue algérienne du travail N°18, Alger, 1987 J-C. KAUFMANN : « Faire ou faire-faire ? » famille et service, Éditions Presses Universitaires de Rennes 1996 MUSETTE M.S., ISLI A.& HAMMOUDA NE. « le marché du travail et de l’emploi en Algérie : profil pays » OIT Alger 2003 ; B. PERET / G. ROUSTANG : « L’économie contre la société » Affronter la crise de l’intégration sociale et culturelle, Éditions du seuil, février 1993 OCDE : « manuel sur la mesure de l’économie non observée » Paris, 2002. ONU : « Méthodes permettent de mesurer l’activité économique des femmes »Rapport technique, Etudes méthodologiques Série F, n°59, Nations Unies New York, 1993 ONS : Collections statistiques Données statistiques Résultats de l’enquête MOD 1989, 1990, 1991, 1992, 1996, 1997, 2001, 2003, 2004 Résultats du RGPH 66, 77, 87, 98 Rapports méthodologiques des différentes enquêtes Questionnaires des différentes enquêtes SCN 1993

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ANNEXES Type d’occupés définition Occupés réguliers Occupés assurés sociaux Occupés irrégulier Occupées non assurés sociaux Occupés occasionnels Ne se déclarent pas comme occupés mais réalisent des activités

économiques marchandes occasionnellement

Type d'activité définition Enregistré Enregistrement total : Sécurité sociale, impôts, registre de commerceEnregistrement partiel Au moins une forme d’enregistrement, mais pas l’ensemble Non enregistré Aucune forme d’enregistrement

Nouvelle SituationIndividuelle

Définition

Occupé Occupé durant la semaine de référence Occupé hors semaine deréférence

occupé hors semaine de référence

Petits travaux Exerce des petits travaux rémunérateurs sans autres précisions Activités non marchandes Exerce des activités économiques non marchandes pendant ou

hors de la semaine de référence Véritable chômeur Chômeur au sens du BIT Chômeur découragé N’exerce aucune activité économique mais n’effectue aucune

recherche effective d’emploi

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ANNEXES QUESTIONNAIRES PAFAM 2002 Femmes non célibataires âgées entre 15 et 59 ans : Q112 : exercez-vous actuellement une profession ou un métier ? Q113 : comme vous le savez, quelques femmes exercent des activités pour lesquelles elles sont payées en espèces ou en nature. D'autres aident les membres de la famille dans le commerce ou l'agriculture. Exercez vous actuellement l'une de ces activités? Jeunes célibataires âgées entre 15 et 29 ans : Q201 : exercez-vous un travail actuellement ? Q202 : comme vous le savez, il y a des personnes qui exercent des activités en contrepartie d'une rémunération en espèces ou en nature, et d'autres possèdent des petits commerces ou aident les membres du ménage dans la culture de la terre ou dans leur commerce. Exercez vous actuellement l'une de ces activités ou n'importe quel autre travail ?

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Femmes inactives ayant déjà travaillé

Tableau N°28: Répartition des femmes inactives ayant déjà travaillé selon le nombre d’années exercées et la strate

(En milliers) Urbain Rural Total

Effectif % Effectif % Effectif % - de 5 ans 198 60,4 70 59,8 268 60,3

5-10 71 21,7 24 20,8 96 21,5 10-14 31 9,5 10 8,2 41 9,1 15-19 11 3,3 5 4,5 16 3,6 20-24 8 2,3 2 1,9 10 2,2 25 et + 9 2,7 6 4,8 15 3,3 Total 328 100 117 100 445 100

EE 2004 ONS

Tableau N°29 : Répartition des femmes inactives ayant déjà travaillé selon l’âge en début d’activité et la strate

(En milliers) Urbain Rural Total

Effectif % Effectif % Effectif % - de 14 ans 24 7,2 19 16,5 43 9,7

15-19 113 34,3 45 38,2 157 35,3 20-29 171 52,1 41 35,0 212 47,6 30-34 13 4,0 5 4,5 18 4,1 35 et + 7 2,4 7 5,7 15 3,3 Total 328 100 117 100 445 100

EE 2004 ONS

Tableau N°30 : Répartition des femmes inactives ayant déjà travaillé selon l’âge en fin d’activité et la strate(En milliers)

Urbain Rural Total Effectif % Effectif % Effectif %

18 ans & moins 19 5,9 17 14,2 36 8,0 19-24 134 40,9 40 34,3 174 39,2 25-29 86 26,2 24 20,6 110 24,7 30-34 43 13,1 11 9,2 54 12,1 35-40 22 6,8 9 7,7 31 7,1 40-44 11 3,2 7 5,8 17 3,9 45 et + 13 4,0 9 8,1 23 5,1 Total 328 100 117 100 445 100

EE 2004 ONS

Tableau N°31: Répartition des femmes inactives ayant déjà travaillé selon la situation matrimoniale en début d’activité et la strate

(En milliers) Urbain Rural Total

Effectif % Effectif % Effectif % Célibataire 279 85,1 97 83,3 376 84,6

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Mariée 43 13,1 18 15,5 61 13,7 Divorcée/séparée/veuve 6 1,8 1 1,3 7 1,7

Total 328 100 117 100 445 100 EE 2004 ONS

Tableau N°32: Répartition des femmes inactives ayant déjà travaillé selon la situation matrimoniale en fin d’activité et la strate

(En milliers) Urbain Rural Total

Effectif % Effectif % Effectif % Célibataire 176 53,6 64 54,6 240 53,9

Mariée 144 44,0 50 43,0 195 43,8 Divorcée/séparée/veuve 8 2,4 3 2,4 11 2,4

Total 328 100 117 100 445 100 EE 2004 ONS

Tableau N°33 : Répartition des femmes inactives ayant déjà travaillé selon le lieu de travail et la strate

(En milliers) Urbain Rural Total

Effectif % Effectif % Effectif % domicile 128 39,1 76 65,1 204 45,9

Etablissement dans la commune de résidence 163 49,7 29 24,5 192 43,1 wilaya de résidence 30 9,2 11 9,2 41 9,2

dans une autre wilaya/étranger 6 2,0 1 1,1 8 1,8 Total 328 100 117 100 445 100

EE 2004 ONS

Tableau N°34 : Répartition des femmes inactives ayant déjà travaillé

selon la situation dans la profession et la strate (En milliers)

Urbain Rural Total Effectif % Effectif % Effectif %

Employeurs et indépendantes 116 35,3 59 50,7 175 39,4 Salariées permanentes 104 31,8 12 10,2 116 26,1

Salariées non permanentes et apprentis 95 28,9 27 23,0 121 27,3 Aides familiales 13 4,0 19 16,1 32 7,2

Total 328 100 117 100 445 100 EE 2004 ONS

Tableau N°35 : Répartition des femmes inactives ayant déjà travaillé Selon l’âge et la situation dans la profession

(En milliers) Employeurs

et indépendantes Salariées permanentes Salariées non permanentes et apprentis Aides familiales Ensemble Ages

Effectif % Effectif % Effectif % Effectif % Effectif % 15-19 5 3,0 3 2,1 2 6,5 10 2,2 20-24 18 10,2 5 4,0 14 11,2 2 7,4 38 8,7 25-29 29 16,8 19 16,3 33 27,0 5 16,4 86 19,4 30-34 29 16,4 16 13,7 36 29,3 6 20,3 87 19,5

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35-39 32 18,2 23 19,6 17 14,0 5 14,1 76 17,1 40-44 19 10,7 25 21,7 9 7,7 4 12,1 57 12,8 45-49 17 9,5 15 12,8 3 2,7 3 8,1 37 8,4 50-54 15 8,8 9 7,7 3 2,3 1 4,5 29 6,4 55-59 11 6,5 5 4,2 4 3,7 3 10,6 24 5,4 Total 175 100 116 100 121 100 32 100 445 100

EE 2004 ONS

Tableau N°36 : Répartition des femmes inactives ayant déjà travaillé Selon la strate et le secteur d’activité

(En milliers) Urbain Rural Total

Effectif % Effectif % Effectif % Agriculture 13 3,9 31 26,8 44 9,9

Industrie 146 44,4 59 50,4 205 46,0 Bâtiment et travaux publics 5 1,6 1 0,8 6 1,4

Commerce et services 165 50,2 26 22,0 190 42,8 Total 328 100 117 100 445 100

EE 2004 ONS

Tableau N°37: Répartition des femmes inactives ayant déjà travaillé Selon le secteur d’activité et le secteur juridique

(En milliers) Public Privé Ensemble

Effectif % Effectif % Effectif % Agriculture 3 2,2 41 13,5 44 9,9

Industrie 12 8,7 192 63,5 205 46,0 Bâtiment et travaux publics 4 2,6 2 0,8 6 1,4

Commerce et services 123 86,5 67 22,2 190 42,8 Total 143 100 302 100 445 100

EE 2004 ONS

Tableau N°38: Répartition des femmes inactives ayant déjà travaillé Selon l’affiliation à la sécurité sociale et la situation dans la profession

(En milliers) Oui Non Total

Effectif % Effectif % Effectif % Employeurs et indépendantes 9 5,2 166 61,7 175 39,4

Salariées permanentes 97 54,9 20 7,3 116 26,1 Salariées non permanentes et apprentis 70 39,6 52 19,3 121 27,3

Aides familiales - - 32 11,7 32 7,2 Total 176 100 269 100 445 100

EE 2004 ONS

Tableau N°39: Répartition des femmes inactives ayant déjà travaillé

Selon l’affiliation à la sécurité sociale et le secteur d’activité (En milliers)

Oui Non Total Effectif % Effectif % Effectif %

Agriculture 6 3,2 38 14,3 44 9,9 Industrie 27 15,5 177 66,0 205 46,0

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Bâtiment et travaux publics 5 2,9 1 0,3 6 1,4 Commerce et services 138 78,3 52 19,5 190 42,7

Total 176 100 269 100 445 100 EE 2004 ONS

Tableau N°40: Répartition des femmes inactives ayant déjà travaillé Selon les raisons de cessation et la strate

(En milliers) Urbain Rural Total

Effectif % Effectif % Effectif %Refus de l'époux 81 24,8 17 14,6 99 22,1Refus des parents 14 4,2 9 7,3 22 5,0Education des enfants et travaux ménagers 58 17,6 22 18,7 79 17,8Infirmité/maladie de longue durée 20 6,1 9 7,4 29 6,4Licenciement et cessation de l'activité 40 12,3 15 13,0 55 12,5Poursuite des études 2 0,7 1 0,7 3 0,7Autre 113 34,5 45 38,2 156 35,2Total 328 100 117 100 445 100

EE 2004 ONS Femmes inactives n’ayant jamais travaillé

Tableau N°41 : Répartition des femmes inactives n’ayant jamais travaillé Selon les raisons de non travail et la strate (En milliers)

Urbain Rural Total Effectif % Effectif % Effectif %

Opposition des parents 661 21,8 910 29,3 1 572 25,6Opposition de l'époux 496 16,3 546 17,6 1 042 17,0Charges familiales 630 20,7 464 15,0 1 094 17,8Pas intéressée par le travail 294 9,7 224 7,2 518 8,4Problème de santé 75 2,5 73 2,3 147 2,4Aucune formation, ni diplôme 514 16,9 591 19,1 1 105 18,0A cherché mais n'a pas trouvé 178 5,8 100 3,2 277 4,5Dispose de source de revenu 18 0,6 12 0,4 30 0,5Autre 173 5,7 182 5,9 355 5,8Total 3 039 100 3 101 100 6 141 100

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