Les paysages ruraux de la Thrace

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L 15957 - 368 - F: 9,50 - RD N°368 - Mars/Avril 2015 DOSSIERS D’ARCHÉOLOGIE • N° 368 - MARS/AVRIL 2015 - L’ÉPOPÉE DES ROIS THRACES - FRANCE métro. 9,50 € - AND. 9,50 € - BEL. 10,50 € - LUX. 10,50 € - DOM. 1 1 € - CH. 18,00 CHF - CAN. 15,99 CAD - ESP. 11 € - GR. 11 € - ITA. 11 € - PORT. CONT. 11 € - NCAL/S. 1300 CFP - POL/S. 1400 CFP Exposition au Louvre Splendeurs archéologiques de Bulgarie L’ÉPOPÉE des ROIS THRACES

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L 15957 - 368 - F: 9,50 € - RD

N° 368 - Mars/Avril 2015

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LE PETIT LÉONARDL’art expliqué aux enfantsdans un magazine attrayant COSINUS

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DOSSIER DE L’ARTMonographie sur un grand artiste ouun mouvement artistique

ARCHÉOLOGIAL’archéologie en France et dans le monde

DOSSIERS D’ARCHÉOLOGIESynthèse sur un thème majeur de l’archéologie

HISTOIRE ANTIQUELes hommes

et les civilisations de l’Antiquité

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HISTOIRE JUNIORPour découvrirl’histoire

DOSSIERS D’ARCHÉOLOGIE• N° 368 - MARS/AVRIL 2015-L’ÉPOPÉE DES ROIS THRACES

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Exposition au Louvre

Splendeurs archéologiques de Bulgarie

L’ÉPOPÉE des ROIS THRACES

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>>Les paysages rurauxde Thrace

Si l’archéologie thrace s’est longtemps focalisée sur les fastueuses nécropoles et leurs tumulimonumentaux, aujourd’hui les recherches s’orientent vers de nouveaux champs touchant davantageà la vie quotidienne des Thraces. Fouilles et prospections menées partout en Bulgarie et en Grècerévèlent désormais la remarquable diversité des occupations rurales au premier et au début dusecond âge du Fer, et à travers elles, la constante adaptation des hommes à leur milieu naturel.

VIVRE AU BORD DES LACS AU NÉOLITHIQUE

Alexandre BARALIS

>> Département des Antiquités grecques, étrusques et romaines,musée du Louvre

Les Rhodopes orientaux, Bulgarie.Photo A. Baralis.

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UN CHAMP DE RECHERCHES NOUVEAUarchéologie s’est beaucoup intéressée auxéléments les plus visibles du paysagethrace, notamment aux nombreux tumuli

qui parsèment la Plaine supérieure de Thrace. Danscette perspective, les lectures proposées demeuraientcentrées sur l’étude des contextes funéraires aristo-cratiques. L’habitat lui-même ou les sépultures plusmodestes ne nous étaient connus que par des décou-vertes sporadiques réalisées sur les couches supé-rieures des tells néolithiques ou du début de l’âgedu Bronze. Une étape décisive fut franchie dans lesannées 1960, quand furent initiées les premièresrecherches consacrées à l’habitat du premier âge du Fer. Parallèlement à la fouille de plusieurs éta-blissements (Psenichevo, Razkopanitsa, Ovcharitsa 2)vinrent s’ajouter les nombreuses campagnes de pros- pections menées dans les années 1970 dans leschaînes montagneuses des Rhodopes, des Balkans,du Sakar et de la Strandja par l’Institut national d’ar-chéologie et l’Institut de thracologie. Cette initiativefut bientôt reprise par les services archéologiquesgrecs, qui entreprirent à leur tour l’enregistrementdes sites disposés sur le littoral égéen de la Thrace.Depuis, le développement des infrastructures, tanten Bulgarie qu’en Grèce, a entraîné la multiplicationdes fouilles de sauvetage, avec pour corollaire uneexplosion des données. Grâce à l’association de dis-ciplines connexes, comme la paléozoologie ou lamacrobiologie, les recherches ont acquis une orien-tation pluridisciplinaire qui seule permet de saisir à

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L’la fois la structure des réseaux d’occupation spatialeet les stratégies alimentaires qui les animent. Pro-gressivement, le voile se lève sur l’organisation descampagnes thraces, révélant le socle sur lequel s’estépanoui le royaume odryse.

LE TÉMOIGNAGE DE XÉNOPHONNous disposions certes auparavant de quelques

données éparses glanées dans les sources textuelles.Au-delà de la brève mention par Hérodote des habi-tats palafittes du lac Prassias (V, 16), Xénophon livredans l’Anabase un témoignage exceptionnel de sonséjour passé en Thrace orientale auprès du dynasteSeuthès Ier. Le raid qu’il conduit à ses côtés l’amèneà parcourir les villages de la tribu des Thynes, quioccupe la région de Kırklareli-Vize. L’habitat y estdisposé au centre du bassin ou en zone de piémont.De hautes palissades formées par des rangées serréesde pieux encadrent les ruelles et masquent au visi-teur les cours qui entourent les demeures. C’est làqu’est stocké le bétail. La razzia conduite par Seu-thès aboutit d’ailleurs à la saisie de 1000 habitants,2000 bovins et 10000 moutons, éclairant en retourle ratio qu’entretiennent les différentes espèces ausein du cheptel. Complétant ces informations, Xéno-phon précise que ces villages sont riches en orge eten froment (Anabase, VII, 1, 3 et 4).

LE LONG DES COURS D’EAUSi les recherches archéologiques confirment la

valeur de ce récit, elles élargissent notre regard en

Le fleuve Nestos (Grèce).Photo A. Baralis.

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révélant un espace thrace pluriel. Les prospections

menées dans le  nord du bassin de l’Ergene, en

Thrace orientale, permettent d’appréhender un

habitat particulièrement dynamique, qui connaît au

premier et second âge du Fer une forte croissance,

que ce soit dans le nombre d’établissements ou dans

leur superficie. Les sites sont installés sur les terrasses

f luviales, parfois au contact direct des cours d’eau,

où sont privilégiées les zones de confluences entre

deux ou plusieurs rivières. La maison thrace est

elle-même édifiée en torchis sur clayonnage, le plus

souvent sans soubassement de pierres. Cette orga ni-

sation se retrouve sur le littoral égéen de la Thrace,

où les sites privilégient de nouveaux emplacements

par rapport à ceux qui les avaient précédés au cours

du Bronze récent. Ils se développent dorénavant sur

les terrasses f luviales des cours d’eau qui drainent

les bassins, comme la rivière Philiouri et ses

aff luents au sud de Komotini. Plus au nord, la

Plaine supérieure de Thrace observe une même

logique. La concentration d’habitat dans les secteurs

situés aux conf luents des rivières Harmanlijska,

Blatnitsa et Sulzlijka s’avère remarquable, tout

comme le long de la vallée de la Kamchia. Pourtant,

cette situation a de quoi surprendre au regard des

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LES PAYSAGES RURAUX DE THRACE

conditions climatiques, qui sont alors plus humides,

ce qui se traduit par une compétence accrue des

rivières le long desquelles se développe la ripisylve,

composée d’aulnes et de peupliers. Ces massifs ryth-

ment le paysage globalement ouvert des plaines et

bassins, où se développe parallèlement le platane.

LES ZONES DE RELIEFSi les relations qu’entretiennent les différents

sites ne se laissent guère approcher au sein de ces

unités géographiques planes, la situation apparaît

tout autre dans les zones où le relief offre aux socié-

tés thraces une réelle possibilité de diversification.

Les communautés bénéficient des diverses avancées

acquises au cours de la période précédente, qui

consacre l’introduction dans la région du cheval et

de l’âne, accompagnés de nouvelles espèces de

plantes, comme le millet, l’orge ou le blé de type

triticcum spelta, proche dans ses caractéristiques du

blé à pain dont nous disposons aujourd’hui. Sur-

tout, les questions entourant la stabulation des trou-

peaux sont désormais résolues, encourageant un

abattage plus tardif des animaux, ce qui profite aux

activités pastorales. On observe ainsi dans les bassins

nord-égéens une ventilation nouvelle de l’habitat sur

Le lac Bistonis et le bassinde Xanthi-Komotini(Grèce). Photo A. Baralis.

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l’ensemble des étages du relief. Zones basses, pentes,mais également sommets sont à nouveau investispar une population animée par la recherche d’uneplus grande diversification des ressources, que seulepermet la spécialisation au sein des réseaux d’occu-pation spatiale de chaque habitat. Aux sites ouverts,ou dotés de dispositifs de défense légers, disposés aucentre du bassin, se superpose désormais un habitatdispersé, peut-être saisonnier, réparti sur les pentes

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du relief. Sur les sommets apparaissent enfin des éta-blissements fortifiés, pour certains imposants, quisemblent jouer un rôle centralisateur. C’est le cas parexemple, dans l’Ismaros, des acropoles d’AghiosGéorgios ou d’Assar Tepe, ou de Kastri et Aï-Lias àThasos. L’organisation interne de ces sites s’avère inédite, car elle s’articule autour d’une ville bassecouronnée d’une acropole (Assar Tepe) ou d’uneville haute et d’une ville basse (Aghios Géorgios)

Vue sur le bassin deKarlovo depuis les montsBalkans. Photo A. Baralis.

Vue sur le sommetd’Aghios Géorgios (dép. de Komotini),Thrace égéenne (Grèce). Photo A. Baralis.

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séparées chacune par un mur de fortification. Seulel’expansion des colonies grecques littorales met unterme à leur développement. Un même phénomènetraverse la façade pontique, où les réseaux d’occu-pation précoloniaux aux environs d’Apollonia duPont s’articulent autour d’une occupation éparse dulittoral qui se double de l’émergence sur les sommetsde la chaîne du Medni Rid de sites fortifiés, à leurtour victimes au Ve siècle avant J.-C. de l’expansionterritoriale de la cité (voir p. 78-83).

Ce dynamisme des sociétés thraces, porté parune diversification croissante des stratégies alimen-taires, trouve dans les Rhodopes sa traduction laplus spectaculaire. Dans la partie orientale de lachaîne, la superposition d’habitats ouverts installésprès des cours d’eau et de sites fortifiés perchésreproduit un modèle désormais bien connu. Enrevanche, la partie centrale et occidentale, au reliefplus accidenté, voit f leurir un habitat qui l’avaitdélaissé durant l’âge du Bronze. Le long de la valléedu Nestos apparaissent alors des établissementsimportants, comme Koprivlen, qui jouent à unniveau microrégional un rôle central, tandis que

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LES PAYSAGES RURAUX DE THRACE

La fortification de la ville basse de l’établissement de hauteur d’Aghios Géorgios. Photo A. Baralis.

• BARALIS (A.) — Essai de monographie régionale. Habitat et réseaux d’occupation spatiale en Thrace égéenne ( fin du Mésolithique-période classique), Aix-en-Provence, 2007.

• ERDOĞU (B.) — Off-site artefact distribution and land-use intensityin Turkish Thrace, dans Proceedings of the prehistoric society, no 69, 2003,p. 183-200.

• GOTSEV (A.) — Characteristics of the settlement system during theearly Iron age in ancient Thrace, dans E. Damgaard Andersen et alii(éd.), Urbanisation in the Mediterranean in the 9th to 6th centuries BC,Acta Hyperborea 7, 1997, p. 407-421.

• POPOVA (Ts.) — Палеоботаничен каталог на местоположения ипроучени растителни останки на територията на България (1980-2008),dans Интердисциплинарни изследвания, ХХ–ХХІ, 2009, p.71-166.

• SHALGANOVA (T.), GOTSEV (A.) — Problems of research on theearly Iron Age, dans D. W. Bailey et I. Panayotov (éd.), Prehistoric Bulgaria, Madison, 1995, p. 327-343.

• TONKOV (S.) et alii — History of Vegetation and Landscape Duringthe Last 4000 Years in the Area of Straldzha Mire (Southeastern Bulgaria), dans Phytologia Balcanica no 14, 2008, p. 185-189.

dans les vallées adjacentes les établissements s’avè-rent plus modestes et relativement instables. Enfin,l’occupation des sommets répond à des utilisationsmultiples – militaires, religieuses ou pastorales. ■

>> Bibliographie

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Échantillon macrobiologique. Mission archéologiquefrançaise à Orgamè. Photo A. Durand, CCJ.

Pépins de poires carbonisés (site de Karanovo). Photo Tz. Popova.

L’ANTHROPISATION DES PAYSAGESLA DÉMONSTRATION DE LA CARPOLOGIEpar Tzvetana Popova, Institut national d’archéologie et musée,Académie bulgare des sciences, Sofia

La conséquence directe de cette métamorphose des réseauxd’occupation spatiale est une anthropisation croissante despaysages. Dans les Rhodopes centraux et occidentaux, les gra-minées liées aux pâturages et à l’agriculture connaissent uneexpansion visible dans les diagrammes polliniques.Ailleurs, notamment au Ve siècle avant J.-C., les forêts dechênes décroissent face au développement de l’agriculture.Les nombreux fragments de charbons de chêne découvertsdans l’habitat témoignent de la pression anthropique. Lesdonnées archéobotaniques permettent aussi d’éclairer l’agri-culture thrace, au sein de laquelle prédominent les blés tendreet dur, l’orge vêtue, le millet, le seigle et l’avoine cultivée. L’ex-pansion de ces deux catégories spécifiques de blés intervientsurtout après le milieu du Ier millénaire avant J.-C. ; elles rem-placent des céréales plus stables mais à faible rendement,comme l’engrain (petit épeautre) et l’amidonnier. Si ellesnécessitent une meilleure préparation de la terre et une sélec-tion de sols plus riches, leur culture est rendue possible grâceau perfectionnement des techniques agricoles, offrant auxpopulations les ressources nécessaires pour accompagner l’ex-pansion démographique. Parmi les légumineuses, les principales espèces sont alors lesfèves, les lentilles, les petits pois, les pois chiches, la gesse et lesers. Enfin, les analyses macrobiologiques, réalisées essentielle-ment à partir d’une documentation constituée de pépins,noyaux ou coquilles découverts tant en contexte thrace quedans les cités grecques littorales éclairent quant aux fruitsconsommés : noisettes, poires, pommes, raisin, cerises et noix ;un éventail que les échanges avec le monde méditerranéenpermettent d’enrichir par l’importation de dattes, de pignonsde pin, de pistaches et d’olives. Enfin, l’emporion de Pistiros alivré des échantillons d’une variété de ciste issue de Méditer-ranée orientale très appréciée pour l’extraction de labdanum,une résine utilisée dans la composition de parfums etd’encens.

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