Les instruments de la vulgarisation technique en Italie. Le Manuale dell’architetto de Daniele...

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MASSIMILIANO SAVORRA

Les instruments de la vulgarisation techniqueen Italie. Le Manuale dell’architettode Daniele Donghi

Le manuel de Daniele Donghi, l’un des plus importants ouvrages italiens de la fin duXIXe et du début du XXe siècle, qui se présente comme « un point de rencontre entre latradition des études, des recherches et des tentatives de vulgarisation du XIXe siècle et

la nouvelle “architecture moderne” 1 », peut nous servir à mieux comprendre les outils de lavulgarisation technique en Italie à la fin du XIXe siècle.Il faut tout d’abord examiner l’origine du manuel, en suivant deux pistes différentes, maisintimement liées l’une à l’autre. La première, qui relève de la biographie de Donghi, concernele cheminement de sa méthode, qui mène directement des revues qu’il dirige au manuel. Laseconde s’intéresse au contraire au rôle du commanditaire de l’ouvrage, l’éditeur Pomba etsa maison, l’UTET. Ces deux préambules nous permettront, grâce à l’abondante documen-tation provenant des archives Donghi, d’éclairer la genèse, le contenu et la structure de cettepublication quarantenaire, et d’analyser les références et les méthodes d’élaboration d’uneœuvre éditoriale qu’on peut considérer comme une véritable « architecture de papier 2 ».

À partir de l’unité de l’Italie, l’implication directe des architectes, des auteurs et des critiquesdans l’activité éditoriale devient déterminante. Ils y participent, non seulement par uneconsidérable production d’articles et d’essais, mais aussi en dirigeant des revues, ou encontribuant à l’élaboration de projets de livres d’une grande ampleur, comme c’est le caspour Daniele Donghi.D’une certaine façon, il serait possible de reconstituer en Italie une généalogie d’architecteséditeurs illustrant avec évidence le rapprochement entre l’architecture et l’édition italiennes ;il suffit d’évoquer Camillo Boito et Luca Beltrami. C’est là une façon tout à fait spécifiqued’appréhender l’histoire de la culture architecturale, dont on trouve des antécédents dans lestravaux de Roger Chartier et de Donald McKenzie, qui « invitent à entrelacer l’étude destextes, l’analyse des formes par lesquels ils sont transmis, l’histoire de leurs lectures ».En suivant cette suggestion, on s’attachera donc à vérifier comment et dans quelle mesure laprésence de l’éditeur (en l’occurrence Pomba chez UTET 3) a influencé le projet de Donghi

Abréviations :AP, FD : Archivio Progetti, Fonds Donghi (Istituto Universi-tario di Architettura, Venezia).

1. Elena TAMAGNO, Manuale dell’architetto di Daniele Donghi,dans Carlo GUENZI, L’arte di fabbricare. Manuali in Italia 1750-1950, Milan, 1981, p. 156.

2. Voir Alberto CADIOLI, Letterati editori. L’industria culturalecome progetto, Milano 2003, p. II.

3. On pourrait citer aussi Hoepli et Vallardi ; voir E. SVALDUZ,« Aggiornare la professione. L’editoria tecnico-scientifica,Ulrico Hoepli e i manuali per l’architetto », dans Ricerchestoriche, XXIX, no 2, mai-août 1999, p. 299-329.

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et si elle fut déterminante dans le processus de transformation d’un texte en un projet delivre, où d’autres éléments s’ajoutent à l’écriture elle-même – souvent d’autres formes d’écri-ture et de présentation – qui en transforment le sens et peuvent en orienter la lecture.Dès la fondation de l’ Unione Tipografico-Editrice Torinese (UTET) en 1854, par la famillePomba, le choix était de s’adresser à un public très vaste à travers l’édition de textes classiqueset de grands ouvrages provenant pour l’essentiel de publications étrangères, publications quiétaient soumises à un système de souscription et de vente à tempérament, permettant degrands tirages et des prix avantageux.Ce choix était la conséquence du programme et des idées défendus par Giuseppe Pomba. Samaison d’édition fut la première en Italie à mettre en œuvre des innovations technologiquesdans sa propre imprimerie. La rotative Cowper, utilisée depuis 1814 par le quotidien lon-donien The Times en est un exemple. Capable d’imprimer 600 feuilles à l’heure, elle futemployée à partir de 1847 pour l’impression de la revue Il Mondo Illustrato. Il faut aussisouligner que Pomba avait obtenu et conservé la possibilité de bénéficier d’un tarif postalréduit, destiné à l’origine à l’expédition des brochures et des volumes du gouvernementpiémontais.L’impression et la diffusion de fascicules hebdomadaires à prix réduit reprenaient une for-mule utilisée par les éditeurs milanais Silvestri et Bettoni, pour s’adresser à un marchéémergent désireux d’accéder à la culture, malgré de modestes disponibilités financières. Cetteformule fut payante pour Pomba et pour sa maison.C’est grâce à elle que devint possible dès 1828, avec le lancement de la collection « BibliotecaPopolare », la vente de livres à un prix égal au dixième de celui du marché. C’est le cas dupremier grand projet éditorial publié par Pomba, qui connut d’ailleurs un vif succès : LaStoria Universale de Cesare Cantù. Composée de 35 volumes de texte de chacun 40 pages,elle fut distribuée en livraisons hebdomadaires de 1838 à 1846 : une démarche culturellequi répondait à un enjeu concret d’alphabétisation. Nommé aussi Enciclopedia storica, à causede sa vaste documentation et de son extension aux domaines du droit, des religions, deslittératures, l’ouvrage s’est accompagné de toute une série d’initiatives collatérales qui luivalurent une réelle popularité. En 1851 commença aussi, sous le titre de Nuova EnciclopediaPopolare, la parution d’un grand dictionnaire encyclopédique en 13 volumes.Par ailleurs, la plupart des encyclopédies imprimées par Pomba, y compris le manuel deDonghi, se fondent sur la traduction d’extraits des meilleures œuvres éditées à l’étranger. Ona déjà souligné combien le paiement régulier et correct des auteurs, qui avaient la respon-sabilité d’adapter au public italien un « vêtement » confectionné pour d’autres, fut un élémentdéterminant pour la production de ces initiatives éditoriales remarquables, tant par leurampleur que par la richesse de leur illustration. En revanche, ce que démontrent les archivesDonghi, c’est que Pomba investit des sommes importantes pour payer « les rédacteurs quisavaient utiliser au mieux les encyclopédies étrangères pour concevoir des éditions adaptéesau marché italien 4 ».Après une réorganisation et une série de changements, dont, en 1878, le choix définitif de

4. Voir Paola GOVONI, Un pubblico per la scienza. La divulga-zione scientifica nell’Italia in formazione, Roma 2002, p. 78.

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l’appellation UTET, la maison d’édition publia notamment une importante compilationencyclopédique intitulée Enciclopedia delle arti e industrie, signée par Raffaele Pareto et Gio-vanni Sacheri. Initialement prévue pour former en six volumes, elle comptait finalement, en1898, neuf tomes de douze milles pages. C’est grâce à cette encyclopédie de Pareto quecommença la collaboration de Donghi avec la maison UTET. Il y signa en effet différentsarticles à partir de 1890, avant de publier, l’année suivante, chez ce même éditeur, un volumeintitulé La Prima esposizione italiana di architettura tenutasi a Torino nel 1890 5.Son orientation éditoriale spécifique valut à Pomba d’être reconnu comme l’un des prota-gonistes de la vulgarisation scientifique en Italie, et considéré, à juste titre, comme un éditeurinnovant ayant compris l’importance de l’élargissement du savoir au domaine des connais-sances pratiques, selon une stratégie de développement éditorial moderne.

À présent, revenons en arrière. Pour comprendre dans quelle mesure le projet culturel devulgarisation scientifique porté par Pomba, et donc par l’UTET, rejoint la démarche deDonghi, dans un processus « d’alphabétisation technique », il faut d’abord envisager la trans-mission et l’organisation du savoir technique mis en œuvre par Donghi et par ses revues,pour mieux comprendre la forme et les objectifs de sa compilation pratique.Daniele Donghi, né à Milan le 6 février 1861, s’inscrivit comme ingénieur architecte à Turinen 1883 et commença son activité professionnelle comme architecte dessinateur au sein dubureau des travaux publics de la cité piémontaise jusqu’en 1896, date à laquelle il déménageapour Padoue, afin d’y occuper les fonctions de chef du bureau technique de la ville 6. À Turin,il se fit connaître par des travaux de restauration de la citadelle, le réaménagement ducimetière général, la construction de l’auvent du marché de la place Bodoni et le projet dereconstruction du théâtre royal. Mais c’est surtout grâce au théâtre de Varallo Sesia – unprojet vaguement inspiré de l’Opéra de Paris, et réalisé à la suite d’un concours, en 1896 –que Donghi obtint une reconnaissance définitive comme professionnel et expert des sallesde spectacle 7. En 1900, il quitta Padoue pour diriger le siège milanais de la société G.A.Porcheddu pour les constructions en béton armé, qui détenait des brevets Hennebique pourl’Italie du Nord 8. Il y resta jusqu’en 1904, année où il remporta le concours d’ingénieur enchef des services techniques de Venise.Pendant cette période, Donghi réalisa plusieurs immeubles 9 qui montrent sa capacité àemployer le béton armé comme la formule structurelle la plus efficace, dans différentessituations. Son aptitude à expérimenter et à développer des applications pour l’emploi dubéton armé se manifeste dans des travaux d’ingénierie civile 10, mais il fait également de sa

5. Daniele DONGHI, La prima esposizione italiana di archi-tettura tenutasi a Torino nel 1890, Torino 1891.

6. Voir Bruno SIGNORELLI, « Donghi Daniele », dans Dizio-nario Biografico degli Italiani Treccani, Rome, 1992, p. 148-150 ; Renato FABBRICHESI, Daniele Donghi 1861-1938, Padoue,1939 ; Massimiliano Savorra, Daniele Donghi tra ingegneriacivile e architettura pratica, in Franca Cosmai, Stefano Sorteni(a cura di), La città degli ingegneri. Idee e protagonisti dell’ediliziaveneziana tra ‘800 e ‘900, Venezia 2005, pp. 179-185.

7. AP, FD, Série 1, sous-série 2, no 61.

8. Voir Riccardo NELVA, BRUNO SIGNORELLI, Avvento ed evolu-zione del calcestruzzo armato in Italia : il sitema Hennebique,Milan, 1990, p. 20-26.

9. Parmi lesquels le pavillon Ansaldi, avenue du Prince-Umberto à Milan (1903), et la maison Marangoni, rue deNice à Turin (1904).

10. Comme la consolidation des loges du café Pedrocchi àPadoue (1899), l’extension du cimetière de Padoue (1899),la reconstruction du clocher de Saint-Marc de Venise (1910-

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pratique architecturale un champ d’application très performant pour le nouveau système deconstruction 11. Pourtant, si Donghi acquit une grande réputation comme architecte expertdu béton armé, il le doit surtout à sa participation à la reconstruction du clocher de Saint-Marc, qui s’était effondré le 14 juillet 1902 12.En 1890, Donghi commença à collaborer à la revue Memorie di un architetto, avant d’endevenir le directeur. Le premier numéro parut en janvier 1887 chez les éditeurs turinoisCamilla et Bertolero. Dans un avant-propos intitulé « Quelques mots de présentation », larevue est décrite comme un répertoire de mémoires et un album d’artiste 13. En 1890, dansle quatrième fascicule des Memorie, est annoncée une nouvelle revue : L’Architettura Pratica.Disegni di edifizi rispondenti ai bisogni moderni imprimée par les mêmes éditeurs typographes 14.En exposant leurs objectifs, ces derniers s’adressent aux meilleurs ingénieurs et architectes,en les invitant à présenter leurs travaux récents. Dans la publication, les planches représentantles projets devaient être classées suivant un ordre typologique, tandis que les études et lesdiscussions issues d’un « questionnaire » où les architectes devaient indiquer les solutionsles mieux adaptées à la résolution des problèmes qu’ils avaient rencontrés feraient la matièredes deuxième et troisième de couverture. Enfin, la quatrième de couverture était réservée auxréférences bibliographiques.Peut-on y reconnaître une distribution de la matière rédactionnelle qui esquisse déjà uneforme embryonnaire de manuel ? On peut noter une première analogie entre l’organisationde L’Architettura Pratica et la structure d’une partie du manuel ; plus précisément celle de satroisième partie. Il suffit, en effet, de regarder l’index des planches et leur description dansla revue, pour constater que le classement typologique anticipe l’agencement adopté pourl’organisation du manuel.Sous une première dénomination : « bâtiments publics » (edifici civili pubblici) sont classésdes édifices religieux, collectifs, administratifs, commerciaux, des édifices d’instruction etd’éducation, des édifices philanthropiques, bains publics, centres de loisir, et monumentscommémoratifs. Dans une deuxième rubrique – les architectures domestiques (edifici civiliprivati) – figurent des immeubles et des maisons de ville ou de campagne. Si la troisième,dédiée aux bâtiments ruraux, rassemble les logements des animaux, les granges et les remisespour le matériel, la quatrième, intitulé « édifices à destination industrielle » (edifici per usoindustriale) se subdivise en industries agricoles et industries manufacturières.De fait, c’est pendant les premières années de la revue que fut prise la décision de commencerla rédaction d’un manuel destiné aux professionnels. Dans le troisième fascicule de 1893 deL’Architettura Pratica, Donghi signale, dans la rubrique bibliographique, la publication immi-

1912), le projet d’une ligne de métro entre Venise et le Lido(1911).11. Il réalise notamment des édifices scolaires (Venise, 1906-1908 ; Bassano del Grappa, 1909), des salles de spectacle(théâtre social de Rovigo, 1903 ; théâtre des Variétésd’Albano Terme, 1911), des bâtiments publics (caissed’épargne de Venise, 1906-1908 ; caisse d’épargne dePadoue, 1913-1916 ; école d’ingénieur et d’architectes et Ins-titut physiologique de Padoue, 1910-1928).

12. À ce propos, il faut aussi rappeler ses études pour un

échafaudage mobile suspendu, conçu à la fois pour réduireles risques, simplifier et économiser du temps dans lesmanœuvres de chantier, éviter de prendre appui sur laconstruction en cours de réalisation, tout en protégeant lesouvriers des intempéries.

13. Voir « Poche parole di presentazione », dans Memorie diun architetto, I, no 1, janvier 1887, p. 1.

14. Voir la page d’annonce qui figure dans Memorie di unarchitetto, III, no 6, 1890.

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nente du manuel par l’UTET. Tel qu’il est décrit dans le programme, le manuel est rédigésur le modèle de la Baukunde des Architekten 15 par un groupe d’ingénieurs et d’architectesdirigés par Donghi. Il devait comporter quatre parties : éléments de construction ; ornementsindustriels ; distribution des édifices ; styles architecturaux.La troisième partie était appelée à jouer un rôle particulier : « on y exposera les règles de laconstruction des édifices » ; de même les références bibliographiques annexes à chaque sujettraité devaient offrir « à l’architecte le moyen de procéder avec une grande facilité et uneperte de temps réduite, aux recherches dont il a besoin pour la documentation du projet 16 ».Enfin, on envisageait d’enrichir le manuel de 5 000 images réparties dans un texte organiséen 60 fascicules, de 48 pages chacun (réduits ensuite à 40 pages).L’intérêt de Donghi pour les publications encyclopédiques réalisées en Allemagne et en Francetransparaît aussi dans certains de ses écrits, comme ici à propos de la Revue générale de CésarDaly : « [...] la seule Revue suffit à lui faire un monument. C’est l’œuvre la plus vaste et lamieux exécutée de notre temps, du point de vue artistique. Comme toutes les autres œuvresde Daly, celle-ci renferme des théories profondes et vraies sur l’art architectural dans sesrapports à la civilisation, sur les styles, sur les matériaux de construction 17 ».L’autre référence majeure de Donghi fut le Baukunde des Architekten, ouvrage publié à Berlinen deux volumes entre 1880 et 1884 par E. Toeche. Les archives de l’architecte nous appren-nent que l’UTET avait racheté toutes les gravures publiées par l’éditeur allemand entre 1902et 1904 et en 1907 18. Aurions-nous ainsi affaire à un simple travail de traduction ? Donghiécrit en effet : « Parmi tous les livres consacrés à la construction des édifices, il en est un quinous apparaît comme un guide très utile pour les architectes [...], c’est le Baukunde desArchitekten, et nous pensons que le rendre italien, aussi bien en ce qui concerne les usagesde notre vie sociale et privée, nos méthodes constructives, nos lois et règlements, et en yintroduisant les additions et les modifications nécessaires, serait rendre un service à noscollègues 19 ». Donghi fit d’autre part référence à une autre œuvre de compilation encyclo-pédique allemande : l’Handbuch der Architektur publié à Darmstadt à partir de 1883 20.Pour la section concernant la construction et la distribution des bâtiments, le Baukundeconstitua sans doute une référence, même s’il est évident que l’on voulait aller plus loin,comme ce fut le cas pour les illustrations. À leur propos, le programme du manuel précise :« Nous chercherons à en doubler le nombre avec des exemples de constructions et de plansd’édifices italiens qui mériterait les applaudissements des connaisseurs 21. » D’ailleurs, si le

15. Baukunde des Architekten, unter Mitwirkung von Fachmän-nern der verschiedenen Einzelgebiete, Berlin, 1880-1884, 2 vol.

16. D. DONGHI, « Bibliografia : Manuale dell’architetto »,dans L’Architettura Pratica, III, fasc. III, 1893, p. 11.

17. « [...] la sola Revue basta a fargli un monumento : essa èl’opera la più vasta e dal punto di vista artistico, la meglio eseguitadei nostri tempi. Essa, come tutte le altre opere del Daly, racchiudedelle teorie profonde e vere sull’arte architettonica nei suoi rapporticolla civiltà, sugli stili, sui materiali da costruzione... ».D. DONGHI, « Necrologie », dans L’Architettura Pratica, III,fasc. IX, 1893, p. 35. Sur l’admiration que Donghi vouait àCésar Daly, voir aussi D. DONGHI, Notizie biografiche di Archi-tetti antichi e moderni, Turin, 1900.

18. AP, FD, Rapports avec l’éditeur : lettre datée du 29 juin1920, envoyée par l’UTET à D. Donghi.

19. D. DONGHI, « Prefazione », dans Manuale dell’architetto,vol. I, p. I, XI.

20. Cf. Handbuch der Architektur, unter Mitwirkung von Fach-genossen herausgegeben, Darmstadt 1883 ; Fortschritte auf demGebiete der Architektur : Erganzungshefte zum Handbuch derArchitektur, Darmstadt-Stuttgart, 1894-1901, 12 vol.

21. « Noi cercheremo di raddoppiarle di numero con esempi dicostruzioni e piante di edifici italiani che ottennero il plauso degliintelligenti. » La citation du programme publicitaire figureaussi dans la fiche bibliographique dédiée à Donghi dans

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livre allemand servit de modèle, Donghi lui-même souligna qu’il n’aborde pas les questionsd’esthétique, qui pourraient être traitées à partir d’autres références, dans la section dédiée àla « Décoration ou Esthétique architecturale ».L’émancipation progressive du manuel de ses sources allemandes se vit confortée lorsquel’UTET apprit à Donghi que l’éditeur allemand avait cessé ses activités et ne fonctionnaitplus désormais que pour liquider le restant du fonds. Ne pouvant donc plus compter sur lesclichés, il fallait se résoudre à rechercher les images nécessaires, ce qui contraignit l’UTET àmultiplier les commandes de brochures publicitaires, de catalogues d’entreprises spécialisées,d’extraits de publications académiques, de livres de vulgarisation. En grande partiecommandé par Donghi lui-même en tant que sources d’images et de textes pour ses publi-cations, cet important matériel que l’éditeur envoya au fur et à mesure à son auteur jusqu’àl’achèvement de l’œuvre est aujourd’hui conservé dans le fonds Donghi. Parallèlement,certaines entreprises de construction, ainsi que des producteurs de matériaux, envoyaientrégulièrement leurs catalogues et diverses brochures concernant leurs activités pour enrichirle processus de compilation du manuel. C’est le cas, par exemple, de la fameuse sociétéanonyme Pignone qui, à la demande de Donghi 22, fournit à l’UTET les clichés de sescatalogues.La publication des six premiers fascicules du manuel fut annoncée dans le douzième numérode L’Architettura Pratica de 1894. Essayons donc de décrire l’organisation et la forme matérielledu manuel. La documentation présente dans les archives Donghi, en particulier l’importantecorrespondance entre ce dernier et son éditeur, ne permet pas seulement de retracer la suite« désordonnée » des fascicules du manuel, qui devaient ensuite être reliés en volumes. Elleexplique aussi la raison pour laquelle il existe différentes éditions d’un même fascicule, etnous renseigne sur le système de vente à tempérament à travers des contrats d’association :une forme particulière de vente par livraisons périodiques et par souscriptions nominales.Dès le départ, même si les brochures n’étaient ni complètes ni imprimées suivant l’ordre duplan prévu pour l’ouvrage, elles étaient postées aux « associés ». Lorsqu’un volume déterminéétait achevé, les fascicules étaient renvoyés à l’éditeur, ou parfois donnés à relier, suivant latable des matières conçue par Donghi. Comme la réalisation complète de l’ouvrage avançaitavec lenteur, il arrivait souvent que des souscripteurs cessent d’acheter les nouveaux fascicules,se contentant de conserver ceux qu’ils avaient déjà reçus. C’est pourquoi l’éditeur, pour sedébarrasser des fascicules invendus en les intégrant dans des séries complètes, était contraintde réimprimer les premiers fascicules (premiers, suivant l’ordre de parution et non laséquence prévue dans le plan de l’ouvrage).Quant à l’aspect matériel que devait prendre une publication à la finalité pratique, il est trèssignificatif de voir ce Donghi écrit, à propos de la La Pratica del fabbricare de Carlo Formenti,un volume publié par Hoepli :

« Cet ouvrage fait sans aucun doute honneur à son éditeur, comme à son auteur, mais, selon nous,le luxe avec lequel il fut réalisé ne correspond pas vraiment au but pratique pour lequel il a été pensé.Seules les écoles d’architecture et de construction pourront en faire l’acquisition ; disons, pourraient

Enzo Bottasso, Catalogue historique des éditions Pomba et UTET,1791-1990, Turin, 1990, p. 171.

22. AP, FD, Rapports avec l’éditeur : Lettres datées des 24 et

29 février 1920 envoyées par D. Donghi à l’UTET.

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en faire l’acquisition, car de nombreux ouvrages de ce genre et de moindre prix ont déjà paru, dontles écoles ont déjà fait l’acquisition. Mais les écoles d’arts appliqués et professionnelles, les cours dusoir et les particuliers, auxquels il serait plus utile de posséder le livre dans son entier que d’en voirquelques planches sur les pupitres de l’école, pourront difficilement l’acquérir en raison d’un prixtrop élevé. De notre modeste point de vue, il nous semble que l’éditeur ferait une chose assez utileen publiant une édition populaire, dépourvue de luxe et par là même des couleurs coûteuses quiattirent, il est vrai, la vue, mais qui ne sont pas indispensables. Une telle édition pourrait ainsi serépandre aisément parmi les ouvriers et les techniciens des constructions publiques et privées 23. »

Cette réflexion de Donghi explicite du même coup les raisons de l’aspect physique dumanuel : son format, l’absence de couleur, le type d’illustration employé.Quand parut le numéro double (VIII-VIII) de la quatrième année (1895) de L’ArchitetturaPratica, quinze fascicules du manuel étaient déjà publiés. Six, appartenant au premier volume,traitaient des travaux de charpenterie, des outils et machines pour le chantier. Les neuf autres,appartenant au second, abordaient les éléments d’architecture civile et d’habitation à traversde nombreux exemples (maisons ouvrières, maisons de campagnes, édifices religieux). À lafin de chaque chapitre figurait en annexe une vaste bibliographie d’ouvrages italiens etétrangers.Durant ces années, le rythme de la publication s’accéléra, bien que Donghi fût absorbé parson activité d’architecte et son rôle de directeur de périodique et malgré quelques pausesdues à des événements significatifs de sa vie professionnelle. Comme il l’affirma lui-même,sur 58 chapitres (19 du premier volume, 34 du deuxième et 6 de l’appendice), il en rédigea45 entièrement lui-même, sans l’aide de collaborateur ni d’assistant 24, « en faisant des recher-ches pas toujours faciles et en exécutant des dessins originaux ». Rappelons qu’à la fin, lesdix tomes du manuel comptaient plus de 10 000 illustrations.Cette richesse iconographique fait toute la différence avec d’autres publications concurrentes,comme le fameux Manuale dell’ingegnere de Giuseppe Colombo publié par l’Hoepli 25. Cen’est sans doute pas un hasard si, en 1935, dans la préface du deuxième volume du manuelintitulé Congedo, Donghi déclare, en se référant peut-être à « l’élégant petit livre » de l’Hoepli,avoir omis de sa compilation les planches et les formules concernant les calculs, puisqu’ilsfigurent dans ces manuels « qui sont entre les mains de tous, depuis l’étudiant, jusqu’auprofessionnel le plus âgé et le plus chevronné 26 ».

23. « Certamente quest’opera fa onore all’editore e all’autore, masecondo noi il lusso con cui è condotta, non corrisponde troppobene allo scopo pratico per il quale fu ideata. Soltanto le Scuole diArchitettura e di Costruzioni potranno acquistarla ; diciamo forse,perché parecchie altre opere del genere, e di minor prezzo, si pub-blicarono prima, e le Scuole ne avevan già fatto acquisto ; ma leScuole di arti e mestieri, le Scuole serali e gli stessi privati, ai qualimolto più gioverebbe avere in mani proprie tutta l’opera, che nonvederne qualche tavola sul banco di scuola, difficilmente potrannoacquistarla per il suo prezzo al quanto elevato. Secondo il nostromodesto parere ci pare che l’editore farebbe cosa utile assai, pub-blicandone un’edizione popolare, spoglia di lusso e perciò di tuttii costosi colori che attirano bensì la vista, ma non sono indispen-sabili ; edizione che potrebbe così facilmente diffondersi fra glioperai, gli assistenti delle pubbliche e private costruzioni. »D. DONGHI, « Bibliografia : La Pratica del fabbricare », dansL’Architettura Pratica, IV, fasc. I, 1895, p. 3.

24. Parmi les collaborateurs figurent Elvio Soleri,Pompeo Bresadola, Mario Felice Donghi, F. A. Ferreri, RenatoFabbrichesi, Sarrocco, Cesare Albertini, Augusto Majer, Fran-cesco Calore, Ferreri. Pour l’aide à la traduction, les ingé-nieurs Perotti, Rodolfo Rusca, Vittorio Novarese, PietroOppizzi.

25. Sur l’importance et le succès du Manuale dell’ingegnerede Giuseppe COLOMBO, publié en 1877-1878, voirEnrico DECLEVA, « Ulrico Hoepli a Milano : l’attività librariaed editoriale », dans id., Ulrico Hoepli 1847-1935. Editore elibraio, Milan, 2001, p. 23-26.

26. D. DONGHI, Manuale dell’architetto..., vol. II, p. I, sectionV, Turin, 1935, p. VIII.

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Ainsi, au-delà des données connues ou qui restent à établir sur son utilisation pratiqueeffective, le manuel de Donghi représente, à un moment historique précis, une accumulationde connaissances sur les nouvelles méthodes et les nouveaux matériaux de construction, surles nouveaux produits du commerce et de l’industrie de construction, sur les divers typesd’édifices et sur les règles induites par leur mise en œuvre correcte. Les raisons et les finalitésde cette accumulation furent expliquées par Donghi lui-même, dans un autre texte, égalementintitulé Congedo, de février 1907, qui fut publié dans le douzième fascicule de la 7e année(1906), lorsque Donghi quitta la direction de la revue L’Architettura Pratica. Presque trenteans avant le Congedo du manuel, Donghi rappelait le travail épuisant entrepris sur 420 plan-ches, dont plus des deux tiers dessinés et autographiés par lui-même, et la méthode suiviepour ordonner la matière iconographique publiée :

« J’ai la conviction que vous vous demandez, comme moi, si cela sera poursuivi. Je me bornerai à unseul exemple. Celui qui aura réuni les différents types d’édifices dans les dossiers appropriés, et quidevra, par exemple, faire le projet d’une école élémentaire, n’aura qu’à prendre dans le dossier de la1re division, celui de la série IV pour avoir immédiatement sous les yeux 41 exemples à examiner. Et,comme pour chaque genre d’édifice, on peut accéder à des subdivisions, qui par le nombre d’exemplespeuvent représenter une masse importante, après tant d’années de vie du périodique, on pourvoitainsi à la subdivision en catégories. Peut-être ce système fut-il jugé puéril par certains, mais commela véritable pratique ne dédaigne pas d’user les moyens apparemment les plus insignifiants pouratteindre son but, qui est d’épargner du temps et de la fatigue, je m’attends à voir continuer le systèmeque j’ai choisi, d’autant que s’il n’était pas véritablement utile, il n’en serait pas nocif pour autant 27. »

27. « Ho la convinzione che si dorranno con me, se esso non saràcontinuato. Mi limito ad un solo esempio. Chi avrà riunito i varigeneri di edifici nelle apposite cartelle, e dovrà, metti caso, pro-gettare una scuola elementare, non avrà che da prendere nellacartella della Div. I quella della Serie IV per avere subito sott’occhio41 esempi da esaminare. E siccome per ogni genere di edificio sipuò scendere a suddivisioni, che per numero di esempi possonoassumere gran mole dopo molti anni di vita del Periodico, così

provvidi alla suddivisione in categorie. Forse da parecchi questosistema fu giudicato una puerilità ; ma siccome la vera pratica nonisdegna di usare anche i mezzi apparentemente insignificanti perraggiungere il suo scopo, quello cioè di risparmiar tempo e fatica,così mi auguro di veder continuato il sistema da me scelto, tantopiù che se veramente è inutile, è d’altra parte affatto innocuo »(D. DONGHI, « Congedo », dans L’Architettura Pratica, VII,fasc. XII, 1906, p. 1-2).

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Picard - Construction savante - 17 x 24 - 9/10/2007 - 11 : 17 - page 250