La philosophie expérimentale en Italie : origines, état actuel ...

198
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque H. Ey. C.H. de Sainte-Anne La philosophie expérimentale en Italie : origines, état actuel / par Alfred Espinas

Transcript of La philosophie expérimentale en Italie : origines, état actuel ...

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque H. Ey. C.H. de Sainte-Anne

La philosophie expérimentaleen Italie : origines, état actuel

/ par Alfred Espinas

Espinas, Alfred (1844-1922). Auteur du texte. La philosophieexpérimentale en Italie : origines, état actuel / par Alfred Espinas.1880.

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombéesdans le domaine public provenant des collections de la BnF. Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : - La réutilisation non commerciale de ces contenus ou dans le cadre d’une publication académique ou scientifiqueest libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de sourcedes contenus telle que précisée ci-après : « Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France » ou « Sourcegallica.bnf.fr / BnF ». - La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisationcommerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service ou toute autreréutilisation des contenus générant directement des revenus : publication vendue (à l’exception des ouvragesacadémiques ou scientifiques), une exposition, une production audiovisuelle, un service ou un produit payant, unsupport à vocation promotionnelle etc.

CLIQUER ICI POUR ACCÉDER AUX TARIFS ET À LA LICENCE

2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriétédes personnes publiques.

3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit :

 - des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuventêtre réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. - des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sontsignalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur estinvité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation.

4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 etsuivants du code de la propriété intellectuelle.

5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas deréutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avecle droit de ce pays.

6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur,notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notammentpassible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978.

7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, [email protected].

La p~ï~op~~ ~p~M~~en Italie.

Espmas A.

Germer BailUère

Paris 1880

Symbole applicablepour tout, ou partie

des documents microfilmés

Original illisible

N F Z 43-120-10

Symbole applicablepour tout, ou partie

des documents microfitmés

Texte détérioré retire défectueuse

NFZ43-120-H

'Ot~O~~H~~O~P'HI~r~

LA PHïLOSOPHïB '?~

.Rim~~EN'~ITAL~

.~§~ E 8 P.1 MAS@'

)!at~e 4o confërencesdet phiïosophieà 1$ FAcuhô (tM ~HM8 do BoCM

Ï.~AMÈ (~ME~ BAI~L~~JLO~ BO~MËVAM)

SAïaT-'SKRMAt~ 4G~

'r/i880?;5:

PHILOSOPHIE EXPÉRIMENTALE

EN ITALIE

LA

A ln MéMte Librairie.

OUVRAGES DU MÊME AUTEUR.

Psychologie d'Herbert Spencer, traduite en collaboration avecM.Rtcor. 2 volumes ln-8° de la B~~o~&ègue de philosophiecoB~e~ora/~e. 20 ff. »

Des Sociétés animales, étude de psychologie comparée., pré-cédée d'une introduction sur l'histoire de !a sociologie engéoéraL édition. i volume in-8o de la j9/Mïo<Aè~ephilosophie co~~caïpora~nc. 7 fr~ 50

AUTRES OUVRAGES SUR L'!TAL!E.

TAME. La philosophie de l'art en Italie. 1 vol. in-18 de laBibliothèque de la philosophie co~CMpora/Nc. S fr. 50

MARIANO. La philosophie contemporaine en Italie, essai dephilosophie hégélienne. vo!. in-18 do la ~/A//o<Ac<yMede phi-7osopA<c coD~om~ora~e. 2fr. 50

LA PHILOSOPHIE

EXPÉRIMENTALE

EN ITALIE

ORIGtNES ÉTAT ACTUEL

PAR

ALFRED ESPINAS

Mottre de conférences de philosophie & la Faculté des lettres de Doustt

PARIS

LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈREET C~

108, BOULEVARD SAINT-GERMAtNt 108

~880Tous droits réserves.

Ces sortes de travaux paraissent ingrats parce qu'ils exi-gent des lectures très étendues, et que parmi ces lecturesles productions nulles qu'il faut passer sous silence et lesmédiocres qu'il suffit de mentionner tiennent une assezgrandeplace,parce que enfin, môme les œuvres intéressantesne le sont pas toujours d'un bout à l'autre, ou font payercher au lecteur par l'obscurité de l'exposition les véritésqu'il en retire. Mais dès qu'une tâche est nécessaire, con-vient-ilde calculer la peine qu'elle coûte? D'ailleurs, en ad-mettant que les doctrines exposées n'aient point de valeur

ce qui n'est pas le cas ici la manière môme dontelles se sont produites, c'est-à-dire l'ordre de leur appari-tion et leur développement historique, offre comme ~ï<social le plus haut intérêt, et il n'est pas possible que cetintérêt échappe à celui qui les étudie non pas seulementen elles-mêmes comme résultats scientifiques, maisaussi: i" dans leur enchaînement,dans leur filiation; 2°dansleur rapport avec la conscience nationale du pays où ellesse sont produites. Pour nous, à faire ici notre confidenceeutière~ous devons avouerqu'ayant commencénotre étudecomme une tâche dépourvue de charme et sans autre butque de fournir des renseignements précis aux lecteurs dela Revue philosophique, nous y avons trouvé, dès que nousavons voulu la compléter, un intérêt spéculatif croissant.Des faits bruts auxquels nous nous attachions d'abord, unevue générale s'est dégagée peu à peu, à savoir que chaquepenseur isolé travaille à son insu en collaboration avec toutun grouped'autres penseurs, et que le développementde lapensée individuelle se rattache au développement de lapensée collective et obéit à ses lois.

Cette vérité a été mise plusieurs fois dans tout son jourpar les critiques d'art. Aucune œuvre, pas plus en littéra-ture qu'en peinture ou en stuatuaire ne s'explique seule.Si l'invention de telle ou telle poésie, de tel ou tel tableauappartient en propre à leur auteur, si le rôle créateur dugénienepeutsans injusticeêtreméconnu, il n'en est pas moinscertain que les procédés, le style, le choix des sujets, l'ins-piration générale elle-même sont imposés à l'artiste et aupoète par l'exemple de leurs contemporains et l'influence

des idées qui régnent dans leur milieu. Le génie ne fait querésumer un progrès que de lents efforts ont réalisé peu &

peu et partiellement sans cette préparation, il no sauraitnaître, et on peut être sûr que là où cette préparation s'estproduite, il ne manque pas do fleurir. 'Par exemple, si lapoésie lyrique u pu être cultivée en France pendant lextx~ siècle avec tant de succès, c'est d'une part grâce auxprogrès réalisés dans la versification et la structure desstrophes par les lyriques du xvni~ siècle (qu'imite de siprès Lamartine dans ses premières œuvres),et d'antre partgrâce aux émotions nouvelles que diverses influenceravaient éveillées dans les cœurs: ici le sentiment de a na-turc, là celui de la mélancolie,ailleurs une nouvelle nuancedu sentimentreligieux. C'est ainsi que, par des acquisitionssuccessives, une glorieuse école s'est formée et que nospoètes ont atteint cette prodigieuse habileté, celte richessed'effets, cette variété do ressources qui lescaractérisentau-jourd'hui. Il en est de mémo de notre école de paysagistes;chacun des peintres l'a douée de moyens nouveaux, chacuna révélé un aspect de la nature jusqu'alors inconnu; et ilest plus facile aux peintres ordinaires d'aujourd'hui, dèsqu'ils sont au courant des traditions, de produire uneœuvre distinguée, qu'il l'a été dès le début aux Bomugtonet aux Corot d'en produire une seulement médiocre leniveaugénéral s'est élevé,et les peintres étrangers qui s'in-spirent des enseignements de l'école française peuventdu premier coup s'élever très haut, parce que leur point dedépart est un point de perfection relativeatteint chez nouspar de longs efforts.

Un caractère important de ces sortes d'évolutions est laspontanéité des progrès individuels concourant ainsi auprogrès général. Il n'est pas besoin qu'un chef reconnusignale les lacunes et désigne les hommes destinés à lescombler. Ces hommes surgissent d'eux-mêmes au momentopportum et viennent apporter leur contingent à l'oeuvrecommune, sans savoir que tel ou tel perfectionnement estnécessaire précisément à cette heure, ni quel rôle ils sontappelés ajouer dans le travail de formation de l'école. C'estainsi que les mots viennent se ranger d'eux-mèmes sous la

plume du poète ou dans la bouche de l'orateur, produisanau moment voulu l'effet utile. Les nations sont inspiréescomme les individus, et les mouvements littéraires ou ar-tistiques ne se font pas plus de fabrique, et par commandeque les beaux vers ou les éloquents discours. Quand lesressources du style ont été inventées pour la première foisen Grèce, chaque sophiste est venu pour ainsi dire a pointnommé proposerson procédé,qui l'antithèse,qui !o nombre,qui la période, qui l'enchaînement dialectique et Platon, àno l'envisager que comme écrivain, ne se doutait guère queson rôle était de condenser sous une forme libre et enapparence capricieuse toutes les ressources de stylo éla-borées par ses adversaires, pas plus que ceux-ci no s'é-taient doutés que leur rôle était de les lui préparer uneà une. Au milieu de ces efforts mal concertés, et par-fois même opposés, l'instrument le plus parfait, le pluspropre à rendre toutes les nuances de la pensée et du sen-timent ne s'en organisait pas moins de lui même, comme leruit mûrit, comme le bourgeon se développe. Plus tard à

Renaissance, on trouva cet instrument tout prêt, maison no réussit pas dès l'abord à s'en servir, et alors le mêmetravail d'invention spontanée et de collaboration incons-ciente s'accompitt, modifié seulement par le souci (inconnudes Grecs), d'imiter un modèle ancien. Tout ce qui man-quait à la langue française pour devenir une langue litté-raire lui fut successivement donné, et à chaque momentdecette phase décisive, des hommes très pénétrésde l'impor-tance de leur tâche se présentèrentd'eux-mêmes commepour exécuter un programme tracé d'avauce, apportant lesecret, les uns des alliances de mots heureuses, les autresdes tours nobles, d'autres encore des traits piquants, ou desphrases à savante structure tous exacts pour ainsi dire aurendez-vous que le génie de la nation leur semblait assi-gner, et se partageant suivant leurs-.vocations diversesles diverses parties d'un travail dont le terme leur étaitinconnu.

Ce n'est pas que cette formation organique, spontanéedes écoles littéraires ou artistiques exclue les avortements,et doive toujours s'accomplir partout où elle a commencé.

L'harmonie que nous admirons dans ces vastes mouvementsvient de ce que nous envisageons tour résultat unefois obtenu et voyons dans chaque dotai!, à la lumièrede Pidée que nous nous formons de l'ensemble, unacheminement au but nnal. De même quand te naturalisteexplique la formationd'un appareil ou d'un organe, prenantcomme point de départ le point où la nature aboutit, ildéclare que pour obtenir tel ou tel résultat la nature devaitadopter tel ou tel moyeu. Mais en réalité la fin est ignoréede l'organe dans l'organisme et des éléments histologiquesdans l'organe; elle est de môme ignorée des écrivains, despeintres, des sculpteurs qui concourent a former un grandsiècle. Les causes conspirantesagissent toutes en suivantl'ordre des temps, c'est-a-dirc à la manière des forces méca-niques, chaque phénomène détermine celui qui suit. Notrepensée va indifféremmentdes préparationsaux résultats oudes résultats aux préparations; la nature suit toujours lapremière de ces voies; elle ne saurait reconnaître pouragent ce qui n'est pas encore elle est dans un éterne! pré-sent, et l'enchaînement des causes se fait du moment quifuit au moment qui vient. L'état futur d'une société, sonentier épanouissement, par exemple, ne peut donc déter-miner son état actuel. En d'autres termes, ce qu'on appellele génie nationale l'âme des peuples, n'est point distinctdes phénomènes psychiques qu.i composent à un momentdonné une conscience collective, et ces phénomènes sontrégis par un déterminisme rigoureux, sans lequel ils nepourraient être connus scientiMquement. Si donc en cesens il y a de l'ordre dans ces phénomènes, il n'est pasnécessaire qu'ils soient ordonnés partout et toujours envue des résultats que nous regardons comme heureux.Il n'est pas nécessaire qu'ils aboutissent; ils peuvent être,et sont en effet le plus souvent des commencementssansfin, des préliminaires sans continuation. Au théâtre, toutetragédie a son dénouement; dans l'ordre réel, les événe-ments s'enchevêtrentsans plan préconçu, et pour un dramecomplet.. l'histoire nous présented'innombrablesexpositionsauxquelles il n'est pas donné de suite. De même que dans lesêtres vivants des milliardsde germessont produits pour être

presquei-mmédiateïncntsupprimés,et que des millionsde va-riétés individuelles apparaissent sans être fixées dans uneespèeenouvelle~de mêmeparmi les êtres sociaux, une multi-tude de groupes s'ébauchentqui ne doivent point arriver àleur épanouissementdernier. Tout dépend des circonstancesextérieures~ qui sont tantôt favorables, tantôt adverses, etdes tendances héréditaires qui se trouvent plus ou moinsen harmonie avec les conditions du milieu. Une écoleartistique qui se forme est donc comme une graine quigerme; si l'une et l'autre se développent, c'est sans aucundoute suivant les lois qui président au développement detout organisme, individuel ou social; mais il est trèspossible qu'a défaut de circonstances favorables ou d'anté-cédents héréditaires suffisants l'une et l'autre avortent àun moment quelconque et périssent avant la fin do leurévolution normale.

Ce que nous venou&de dire des écoles artistiques et litté-l'aires s'applique aux écoles philosophiques.Entre les diffè*rents penseursappartenant à un même groupe, il y a le mêmerappott qu'entre les différentes pensées d'un môme homme;les deux phénomènesne diffèrent que par leur degré docomplexité et leur durée. Sauf ces différences, on retrouvedans le développement des doctrines le même enchaînement;la série des opérations est semblable dans les deux cas~comme dans un même individu, on voit dans les différentsphilosophes d'une même famille tes faits observés, rap-prochés, classés, déterminer~découvertedes lois et celles-ci servir de principes pour la connaissance des phénomènesfuturs. On peut objecter qu'on définitive c'est toujours dansun cerveau individuel que se fait l'opération finale, que parexemple les faits observés par un premier philosophedoivent être présents a l'esprit d'un second qui les ordonne,et figurer avec cet ordre dans la pensée d'un troisième quien tire la loi. Mais il en est de mémo dans un cerveauindividuel où. les résultats des opérations inférieures sontles éléments nécessaires des opérations supérieures, bienque ces diverses opérations soient accomplies par desgroupes de cellules différents et sans doute même par descellules différentes. Il est vrai que le mode de communi-

cation des cellules entre elles reste ignoré, tandis qu'onsait comment les différents savants d'une époque entrenten relation les uns avec les autres le fait do 1& communi-cation d'une cellule à l'autre et d'un groupe de cellules &

l'autre n'en est pas moins constant, et cela suffit pour quel'analogie subsiste, puisque ies cellules sont distinctescomme les individus, bien qu'à un moindredegré. 11 résultede ce qui précède qu'il y a entre les différentes doctrinesd'une école une préordination organique, et que les idéesy surgissent, s'y associent, s'y groupent et s'y ramifient dela manière la plus favorable au développement de la doc-trine générale. Ainsi la doctrine cartésiennene s'appliquaitpoint dans la pensée de son auteur aux phénoménessociaux; cependant elle comportait cette application, et ilétait possible de soumettre les faits politiques, étevés à nnsuffisant degré d'abstraction, au géométrisme qui avaitinspiréle Discours sur la méthode et le Traité du monde.LeXVHI° siècle ne manqua pas à cette tdehe. Rousseau vint autemps marqué produire un véritable cartésianismepolitiqueet ajuster les théories sociales au niveau de la raison. Étan<'donné le système métaphysique de Descartes, il devenaitpossible de considérer une société animale comme un seulcorps, comme une machine unique dont les diverses partiesseraient reliées par les impressions sensibles de ses mem-bres. Mais Descartes n'avait pas songé à cette application.Malebranche la proposa, et elle figure avec de très curieuxdéveloppements au IV~ livre de la Recherche de la vérité.Tout ce qui est dans le sens de la croissance organique desidées n'arrive pas, parce que cette croissance est souventarrêtée par des circonstances contraires, mais tout ce quiarrive (j'entends en fait de doctrines, au sein d'une écoledonnée) est dans le sens de la croissance organique ets'explique par les événements antérieurs. Il est doncab&urde de considérer une doctrine isolément, comme !orésultat d'une création totale, comme un miracle dû au faitd'un homme de génie. Une doctrine est un chainon d'unetrame vivante,un élémentd'un tissu organisé; elle veut êtreexpliquée par les éléments idéaux dont elle est le cojnpia~ment et le prolongement: elle est quelque chose ~t~o~~i"

dans le monde des idées, mais comme partout ailleurs cequelque chose de nouveau est fait avec des éléments anciens,préexistants.Le rôle de l'historien est de démêler à traversht complexité de la production nouvelle les éléments dontelle se compose, par quelles transformationsces clémentssont parvenus à l'état actuel, pourquoi enfin ils se sontcombinés de la sorte et non autrement. Toute idée a sagenèse naturelle; l'histoire de la philosophie a pour objetd'expliquer la genèse des idées. Les caractères dominantsd'un homme trouvent leur raison dans su race, dans sanationalité, dans sa parenté; de même les caractèresessentiels des doctrines individuelles trouvent leur raisondans le groupe dont faisait partie leur auteur.

Il nous paraît mémo douteux que la puissance de péné-tration des intelligences soit la même, à génie égal, selonles différentes époques. Nous voulons dire que les esprits,au sein d'une école, croissent en vigueur avec l'écolemême, et qu'une certaine ampleur, une certainecomplexitéde vues n'est guère possible que là où des efforts mul-tiples et prolongés ont perfectionné l'instrument dont seservent les hommes pour analyser la nature. De Socrate àAristote, de Descartes à Leibnitz, de Kant à Hégel, n'ob-serve-t-on pas une différence toute en faveur des derniers,non quant au génie, mais quant à l'efficacité des efforts età la facilité des conquêtes sur le champ de l'inconnu ? Lenombre des faits observés et des idées accumulées estpour beaucoup dans ce progrès; car on ne peut séparerdans l'évaluation des forces intellectuelles la pensée deson contenu mais cela même est une preuve qu'en mêmetemps que les connaissances deviennent plus nombreuses(et elles le deviennent dans une école qui dure), les intel-ligences deviennent plus fortes et plus souples, plus pré-cises et plus compréhensives & la fois.

Les chefs d'école semblent faire exception aux généra-lités qui précèdent. Un examen attentif fait voir qu'ils lesconfirment. Par rapport aux philosophesqui les ont suivis,ils sont des initiateurs. Par rapport aux philosophes quiles ont précédés, ils sont eux-mêmes des continuateurs etdes disciples. Tout est continu dans !a nature, et les com-

mencements absolus no so rencontrent pns plus dans ledomaine de la pensée que dans le domaine do la vie. Il y abien des phases dans le mouvementdes idées comme danstout autre mouvement, et la loi du rhythmo trouve icicomme ailleurs son application. Mais suivant !e point dovue d'où on envisage tes phénomènes, ils paraissentoccuper!e commencement ou la fin, ou môme le milieu d'une série.Par exemple, Descartes achève un mouvement philoso-phique, en même temps qu'il eu commence un autre, et Spi-noza marque une phase dans le développement du carte-sianisme, en même temps qu'il prépare l'avènement dupanthéisme hcgéhen. C'est ainsi que la naissance d'ungerme est a la fois le commencement d'un. organismenouveau et l'un dos phénomènes qui signalent l'apogéed'un autre organisme. De ce point de vue les doctrines desrévélateurs, de ceux qui ouvrent de nouvelles voies et fontépoque dans l'histoire des idées, trouvent elles mêmes leurplace dans le tissu des phénomènes sociaux et rentrent dansle déterminisme universel, au môme titre que les théoriesdérivées do leurs disciples.

Une école philosophique est donc un groupe plus oumoins étendu, plus ou moins complexe d'idées et de sys'tèmes d'idées, qui a son individualité distincte dans lasuite des idées et des systèmes, mais qui surgit d'un fondcontinu où il puise ses origines et trouve son explication.Ce groupe est un tout organique toutes les parties en sontliées et conspirent il se développe, il s'accroît et se dis-tingue par son importance comme par le rapport de plusen plus étroit de ses parties des groupes environnantsil cesse d'exister quand il cesse d'en être distinct. Les lois(lui président à ses destinées sont celles de toute vie so-ciale. 11 n'est qu'uu moment dans l'évolution de la cons-cience d'un peuple.

Maintenant ce groupe de pensées est lié à son tour auxautres manifestations de la vie sociale. Chaque doctrinequiparait correspond a un certain état des croyances, desconnaissances, des arts et des moeurs, bref à un certainmilieu générât dans lequel seul elle a pu prendre naissanceet qui trouve en elle sa suprême expression.Les œuvres ar-

tistiques expriment l'état d'une société, et en général toutesles manifestations de la vie sociale en sont une expression,parce que, comme toutes les fonctions de cette vie sontunies par un lien organique, chacune d'elles dépend detoutes les autres et réciproquement, en sorte que l'unechangeant, les autres doivent nécessairement changeraussi. Mais il n'en est pointt qui résume aussi complète-ment la conscienced'un peuple que la philosophie celte-cien effet est cette conscience même, élevée a son plus hautdegré de clarté; c'est la voix de cotte nation elle-mêmeexposant, d'une manière réfléchie et après une laborieuseanalyse, quelle idée elle se fait du monde, quelle de la vie,quelle conceptionelle a de l'univers et de la place qu'elle secroit appelée à y occuper.Aucun témoignagen'estplus expli-cite au sujet de ce qui se passe dans ce qu'on appelle l'âmed'un peuple; ici il n'est plus besoin, comme dans l'étudedes monuments littéraires et artistiques, ou dans celle desinstitutions des croyances et des mœurs, d'une sagace inter-prétation l'interprétation tout au moins est singulièrementfacilitée par les efforts qu'a faits cette société pour dé-mêler le vrai sens de sos aspirations et voir clair dans sapropre pensée.

Précisons davantage cette môme idée.Le but do tout homme étant la plus grande somme de

joie possible pendant le plus long temps possible, c'est-à-dire le bonheur, les divers noyées par lesquels il semblequ'on y peut atteindre forment, suivant le besoin auquel ils'agit de satisfaire, des groupes distincts, qui sont les arts.D'autre part, comme tout moyen suppose la connaissanced'uo ra/~or< entre deux ou plusieurs choses, les connais-sances diverses forment des groupes distincts corres-pondant aux principaux objets de la nature, ce sont lessciences. Coordonner les arts multiples en un seul en-semble, les réduire à l'unité, systématiser en un mot la pra-tique tout entière, voilà une des principales fonctions de laphilosophie;coordonner toutes les sciences en un seul corps,ramener les connaissances partielles à l'unité, systéma-tiser la théorie tout entière, en voici une autre. Toute na-tion qui parvient à l'état philosophique obtient ainsi pro-

gressivement une conception do plus en plus générato dela nature et do la vie, d'après laquelle elle s'organise, et quidétermine tes rapports de ses membres entre eux.

Mais ce travail no s'achève pas dès tes premières tenta-tives. H suppose une préparntion très longue. Et, commedans les individus, les conceptions générales s'élaborenttrès lentement dans les sociétés. Elles commencent parêtre longtemps a peine conscienteset n'atteignentqu'aprèsdes efforts réitérés, grâce au progrès des langages, laclarté, la précision qui sont le propre de la conscience su-périeure. Les formes inférieures de cette conscience sontles diverses religions. Un très grand nombre de peuplesn'ont pas dépassé cet état, et au sein des nations parvenuesà l'état philosophique, des groupes sociaux considérablesn'ont pas d'autre moyen, faute d'une suffisante puissancede généralisation et d'abstraction, de concevoir leur des-tinée et de régler leur vie. 11 est donc évident que le so-ciologue, étudiant l'étut psychique des peuples,aura quelquepeine quand il se trouvera en présence de ces formes deconscience, à en discerner les traits essentiels. Les idéesmaîtresses seront obscures et difficiles à démêler, une in-terprétation des dogmes sera nécessaire; la science desreligions devra venir ici en aide à la sociologie.

L'interprétationsera d'autant plus délicate que les idéesseront presque toujours voilées derrière des symboles, àmoinsque la théologie n'ait subi l'élaborationphilosophiquede la part d'un saint Thomas ou d'un de Mcistre. L'art etla religion sont partout intimementunis, parce que les con'copiions du monde et la vie, chez les peuples incapablesdescience, cherchant comme elles le font à s'exprimer pours'éclaircir, rencontrenttout d'abord les symboles enfantinset les représentations sensibles. Par exemple, quand lespopulations du moyenâge s'efforçaient,dans leur ignorance,de se former une conception du monde et do leur destinée,elles trouvaient une satisfaction vive dans la vue de cettebelte scène du Jugement,sculptée au portail des cathédralessymbole saisissant de ce que devait être plus tard la phi-losophie spiritualiste. Une image était leur philosophie.Maiscettc image, claire pour les yeux, l'est moins pour l'en-

tendement scientifiquemoderne; etcommeelle, l'édifice toutentier dont elle fait partie demande à être commenté, pourqu'on y voie l'expression de l'état psychologiquedes popu-lations qui l'ont construit. De même la musique, expressionpourtant si directe des mouvementsintérieurs, n'en livre pasfacilement le secret; la poésie elle-même laisse aux idéesquelque obscurité sous les symboles transparents dont elleles recouvre. Nous ne parlons pas des arts utiles, té-moins précieux, mais silencieux, des goûts, des besoins,des habitudes d'un peuple, et qui présentent au sociologuepresqueautant d'énigmes que de documents. Comparée auxdeux manifestations les plus hautes, les plus explicites dela vie sociale,à savoir la religion et l'art, la philosophie estdonc vraiment, comme nous le disions, le témoignage leplus direct et le plus formel qu'une société puisse nousdonner de ses idées et de ses aspirations; elle est l'expres-sion de son fspr~.

Que cette manifestation supérieure soit liée à toutes lesautres, c'est ce qui n'a pas besoin d'être démontré à ceuxqui, convaincus do l'identité de la vie sociale et de la vieindividuelle, savent que toutes les modifications fonction-nelles de l'organismeont leur contre-coup dans les régionsdu cerveau où s'élabore la pensée. il est évident que lareligion et l'art se modifient chez un peuple avec son idéal,c'est-à-dire avec l'idée qu'il se fait de la vie la plus heu-reuse possible et des moyens qu'il croit les plus propres àla réaliser.Or tout cela dépend de sa conception du monde.S'il regarde tous les phénomènes comme régis parune vo-lonté capricieuse, la philosophie qu'il professera ne seraqu'une justification de ses croyance s, et ses arts expri-merontles sentiments correspondants: ardeurs ascétiques,rêves, etc. Tel est l'art italien au xvc siècle. Une philoso-phie naturaliste est liée à un état religieux et artistiquetout différent. Restent la morale et la politique qui nevoit que les actes propitiatoires deviennent pour unenation dévote les plus importants de tous, tandis que lesactes inspirés par les affections domestiques et patriotiquesrestent pour une nation parvenue à l'état scientifique seulsobligatoires, après l'obéissanceaux conditions les plus né-

cessaires de la vie sociale, constatéespar les lois? On peutdonc dire avec certitude qu'il n'est point de fait historiqueplus importantque la formation au sein d'une nation d'uneécole de philosophie. C'est en apparence un faitsansportéequ'un enseignement nouveau distribué dans quelque mo-deste cours ou qu'un livre consacré à des doctrines psy-chologiquesnouvelles dontquelques centaines d'exemplairesse répandent dans le publie;- soyez sûr que par là certainscourants d'idées très profonds et très étendus se révèlent etne doutez pas que ce livre et cet enseignementne doiventréagirà leur tour très puissamment sur la société qui les aproduits. La religion, les lettres et les mœurs, la politiquene ressentiront successivement l'influencecomme ils en ontobscurémentpréparé l'apparition: il n'y a là rien moins qu'uneforme nouvelle de vie sociale qui aspire à se faire jour.

Voilà pourquoi nous disions en commençant que l'avè-nement d'une philosophie nouvelle dans l'une des nationsde l'Europe offre comme /aj<.soc/a/lep!us vif inf~rêt, in-dépendamment de la vérité ou de la fausseté des doctrinesproposées. A ce titre, le mouvement philosophique à l'étudeduquel cet ouvrage est destiné, méritel'attentiondes sociolo-gues et des politiques: des sociologues, parce qu'ils pour-ront contrôler d'après cet exemple ce que nous venonsd'avancer au sujet des écoles philosophiques en général etde leur fonction sociale,des politiques,parceque rien do cequi concerne les dispositions du peuple italien ne peutnous être indifférent. Il ne nous appartient pas d'insistersur cette dernière considération.

Les philosophes trouveront dans les faits que nous expo-sons un autre motif de curiosité. Dans l'état actuel de laraison humaine, il n'y a guère d'autre moyen de vérifica-tion pour les doctrines philosophiques que leur extensionmême et le nombre des esprits qui les acceptent. Chaqueconceptiondu monde a ses preuves, et il faut bien que cespreuves ne soient pas décisives, puisque aucune philosophien'a pu encore évincer ses rivales. Le critérium dernier deleur vérité, ou. du moins de leur probabilitéest, dans cettesituation, la fortune que leur réserve le progrès croient-des lumièreschez les nations civilisées. Or, iln'es<a~n9

<~

intérêt do ce point do vue de savoir si le positivisme, nousprenons le mot dans sa signification la plus large, aprèsavoir entraîné l'acquiescementd'un grand nombre d'espritséminents en France, en Angleterre et on Allemagne~obtiendra les mêmesadhésionsdansles deux pays où il ren-contre des adversaires le plus solidement établis, l'Italie etl'Espagne, à mesure que ces deux pays d'ancienne culturereprendront le cours de leurs destinées intellectuelles.

On verra que cette question se trouve dès à présent àpeu près tranchée pour l'Italie. Il y a en Italie une écolephilosophiquetendant au môme but et animée du mômeesprit que les écoles françaises, anglaises et allemandesoù les noms de Comte, de Spencer et de Darwin sont leplus en honneur. Nous l'avons appelée expérimentalepourne pas l'appeler positive, parce que le nom de positivismen'est pas près de perdre le sens qu'il doit à son origine,(celui qu'il avait dans la pensée d'A. Comte) et qu'il esttrop restreint pour désigner la philosophie italienne. Avrai dire, le mot que nous avons choisi, bien que plusexact ne l'est pas encore tout à fait. D'abord est-il biensûr que tout élément priori soit banni de la philosophienouvelle qui se répand si largement en Europe ? N'est-Hpas étrange que certains positivistes reprochent à leursadversaires de faire appel à ces idées à priori dont ilsnient précisément l'existence ? S'il est vrai que toutes nosidées sont dues à l'expérience, le seul reproche qu'onpuisse faire aux intuitionnistes est de généraliser mal àpropos ou trop hâtivement, et la distinction entre lesécoles expérimentales et les écoles rationnelles manquedès lors de fondement. Par suite la qualification d'expéri-mentale convient-elle à une philosophie qui ne craint pasles généralisations hardies, qui semble partir souventd'idées préconques et en est encore à la période des vuessynthétiques? La méthode expérimentale rappelle toujoursquelque peu les procédés exacts du laboratoire et désigneplutôt l'analyse minutieuse que la synthèse confiante. Il estcertain que les philosophes dont nous allons nous occupern'ont rien de l'allure prudente et terre à terre de certainspsychologuesanglais par exemple. Ce n'est pas que nous

les en blâmions. La science abstrait toujours et généralisetoujours; les hautes abstractions et les généralisationssommaires ne sont pas nécessairement erronées; ellos nesauraient être exclues systématiquement sans que lascience subisse les plus graves atteintes, si mctno cotteexclusion ne la frappe pas dans son principe. Mais il n'enest pas moins vrai que les généralisateurs comme Ardigù,tout en croyant rester fidèles à l'expérience, n'ont pointpour trait essentiel de se servir de la méthode expérimen-tale. Un autre mot les désignerait plus exactement; nousvoudrions les appeler, si le mot était consacré par l'usage,des ~a~'a~/s/c~ c'est-à-dire qne leur trait commun estl'exclusiondu surnaturel c'est là le point de départ detoutes leurs spéculations. Par là ils se distinguent nonseulement des idéalistes tempérés qui se réclament, euxaussi, de l'expérience, mais encore des positivistes anglaiset français, qui placent à côté du domaine de la sciencel'abime do l'inconnaissable. Pour eux point d'abimo, pointd'inconnaissable; rien que des phénomènes. Quant auxquestions concernant l'absolu, ils ne se refusent pascomme l'ont fait beaucoup d'excellents esprits de l'écoledirecte de Comte, à les agiter accoutumés à marcher surun terrain très sur, ils n'ont pas peur du vertige ilscroient fermement que les questions sur l'au ~c7~ com-portent des réponses scientifiques, et ils s'appliquent avecconfiance à chercher ces réponses.

On les accusera de vouloir restaurer la métaphysique.Nous ne sommes pas très persuade de la gravité d'un telreproche. La position adoptée par les positivistes qui affec-teut d'ignorer les problèmes métaphysiques n'est vraimentpas tenable de deux choses l'une en effet, ou ces pro-blèmes ont leurs solutions et il faut qu'on les découvre,ou ils n'en comportent aucune et il faut qu'on le démontre.Démontrer que l'absolu est inconnaissable, c'est encore selivrer à une recherche métaphysique spécule't-on sur lecommencement de la vie et de la conscience,sur la raisonqui fait qu'il y a do l'ordre dans la nature, sur les rapportsde l'esprit avec l'objet de la connaissance, sur la constitu-tion de la matière, partoutse dressent des difficultésd'ordre

métaphysique, et rien ne sert de changer le nom des dis-eussions quand l'objet en litigereste le même sensiblement.La solution adoptée a beau être négative, la nature do l'in-vestigation ne change pas. En fait les ouvrages des philo-sophes les plus routés des partisans do l'expérience n'ontpas cessé do contenir des discussions de cet ordre, et lafaveur du public a encouragé ces tentatives, qui n'ontpastoujours été vaines.

Au fond, la question est de savoir si la philosophie con-tinuera d'exister ou si elle sera remplacée par les sciencesparticulières. Plus on y pense, moins on se résigne à consi-dérer cette disparition comme prochaine, même dans lomilieu où se meut la pensée scientifique. Plus les sciences sedispersentenrecherchesfragmentaires,moinselles peuventse passer de vues d'ensemble qui les ramènent a l'unité.Admettonsqu'il n'y a rien en dehors de la nature; n'est-cedonc pas une tâche digne des efforts de l'esprit humainquede se former une connaissance synthétique de cet universet de déterminer la place respective des connaissances di-verses et de leur objet dans le tout, tel du moins que nouspouvons nous le représenter ? L'interdépendance dessciences est un fait démontré. A. Comte l'a établi, Spencerl'a confirmé; personne n'en doute plus. Est-il possible queles objets de ces sciences continuent à être envisagés iso-lément et le progrès de la spéculationdoit-il aboutir à nousmontrer dans l'univers une succession d'épisodes? Le be-soin qu'a notre esprit de concevoir les choses dans l'unitén'est pas prêt de s'apaiser les grandes hypothèses qui sesuccèdent dans l'histoire récente de la science en sont unepreuve éclatante. Rien ne sert de dire que ces hypothèsesn'émanent point de philosophes; car il importe peu quedes savants remplissent l'office que les philosophes avaientdéserté; ou plutôt si cela importe, c'est parce que la loiorganique de la division du travail veut que les fonctionsse spécialisent dans la science comme dans tout le reste, etque la généralisation et la synthèse seront sans aucundoute mieux conduites par des hommes qui sont placés aucentre du savoir humain que par des savants accoutumésà des recherches partielles.

Encore si le besoin d'unité était purement spéculatif, onpourrait espérer de l'endormir peut-être. Mais on n'en-dormira pas les besoins moraux de la nature humaine, quiexigent impérieusement pour la coordination des règlespratiques la réduction de nos connaissances à l'unité, dansla mesure où elle est possible it chaque époque. Que lespessimistes le déplorent s'il leur plaît, la volonté de vivreest enracinée en nous nous voulons vivre et vivre heu-reusement. Pour cela nous ne pouvons nous contenter desuccès partiels et do satisfactions précaires, rencontréesau hasard, il nous faut une règle générale~ et les ressourcesdes arts techniques doivent être subordonnées à une nnunique, de telle sorte qu'une seule direction soit impriméeau cours tout entier de notre vie. Commentcette fin serait-elle déterminée autrementquepar une conception généralede la vie, reliée à une conception générale de l'univers ?Depuis que l'humanité s'est élevée au-dessus de la bruta-lité primitive, elle a réussi, à travers mille tâtonnements etmille erreurs, soit, pour un temps plus ou moinslong. je le veux encore, mais enfin elle a réussi àse faire une idée de sa destinée et y a trouvé la paix.Les hommes de notre génération seront-ils réduits, aprèstant de découvertes accumulées, à vivre en quelque sorteau jour le jour, déshérités de la paix, emportés hors deleur assiette, sans pouvoir se rendre raison de leur foiou de leur incroyance, bornés à des connaissances frag-mentaires et ù des joies momentanées; contraints en casde revers ou à souffrir sans consolation, ou à chercher auprix de leur dignité l'indifférence et l'oubli? Cela n'estpas possible on trouverait certainement plus de satisfac-tion a ériger le désespoir en système qu'à essayer devivre ainsien l'air,sans prendreun parti quelconque sur sadestinée.On peut rencontrer le calme dans la vue d'un mal-heur inévitable l'irrésolution ou plutôt l'absence de toutesolution ne se peut tolérer. On ne vit pas, encore un coup,de fins de non recevoir, et pourtant, si on en croit les dé-clarations de èertains savan ts a l'endroit de la philosophie,si on observe leur silence volontaireau sujet des questionsvitales, ce serait bien là le dessein qu'ils auraient formé.

Heureusement nous pouvons, sans leur faire injure, re-fuser de les croire, car nous constatons que cette réserveest pour ainsi dire toute de forme on la trouve dans leursécrits, elle régit leur langage en quelque sorte officielmais elle n'est qu'une ottitude de convention adoptée enhaine des affirmations présomptueuses et par déférencepour !a méthode. Elle ne tient pas à un quart d'heure deconversation. Les savants dont nous parlons ont une opi-nion sur l'homme, sur le monde, sur l'absolu seulementils se contentent d'en vivre elle n'est pas assez sûre pourêtre imprimée. Au nom de cette opinion ils méprisent lessystèmes « métaphysiques ils ordonnent leurs actionspendant la vie et prennent leur parti de la mort, ils dis-posent de leurs enfants et réforment la société mais cetteopinion n'est pas scientifique, elle ne comporte pas depreuve expérimentale, ils ont scrupule de la publier. Lesraisons sur lesquelleselle repose sont assez certaines pourqu'on mette en jeu sur leur autorité tout ce que l'on a doplus cher: mais elles ne le sont pas assez pour fonderune adhésion publique, et donner a cette opinion droitde cité dans la science.

En présence de cette situation, nous avons le droit depenser ou qu'on se fait de la science et de la démonstrationscientifique une idée fausse, ou qu'on a des raisons detaire provisoirement une opinion dès a présent érigée endoctrine et capable de soutenir l'épreuve de la discus-sion.

Il n'est pas impossibleque des exemples du second casse soient rencontrés. Il est commode de ne jamais rienavancer qu'on ne puisse prouver par le menu et de setaire de parti pris sur toutes les questions controver-sées on rehausse ainsi son personnage scientifique, onse donne le droit de regarder avec quelque dédain lesimprudents qui s'aventurent; on triomphe des tentativesprématurées ou simplement hardies, dont plus tard onprofitera. Rôle plus avisé que généreux. Mais ce n'estlà que de la timidité scientifique; que dire de cette sortede prudence qui évite les questions brûlantes, simplementparce que l'on s'y compromet? Reconnaissons du reste

que les philosophes enseignants en Franco n'ont pas jouidepuis vingt ans des franchises qu'ont obtenues dans uneassez large mesure les philosophes étrangers, et souhai-tons que désormais un libre champ soit ouvert aux spé-culations, même métaphysiques.

Le plus souvent, cependant, la neutralité observée parles philosophesa eu pour cause une certaine rigidité deméthode, et celle-ci, à son tour, l'assimilation des sciencessupérieures aux sciences inférieures. Jaloux d'imprimerà la science do l'esprit le caractère de certitude qui est lepropre des sciences physiques, ils voudraient en éliminertoutes les parties où il y a encore place u la controverse,où Uu moins les débats no promettentpas d'être tranchésà bref délai par dos expériences plus nombreuses ou mieuxdirigées. Ils ne voient pas que ce mode de procéder,con-venable en effet pour les questions particulières des scien-ces physiques est déjà insuffisant quand se posent lesquestions générales; qu'ensuite son application est desplus restreintes dans les sciences biologiques, où des pro-blèmes assez limités, résolus par des expériences décisi-ves, sont restés encore longtemps en suspens. La raisonde ce fait se trouve dans la complexité des phénomènesdont le rapport ne peut être saisi instantanément par lesesprits mal préparés et veut, pour être compris, un chan-gement lent des habitudes intellectuelles. Il en est demême à fortiori dans les sciences psychologiques et so-ciales. Beaucoup de solutions très exactes y ont été Iong<temps repoussées, non pas seulement parce que (commel'a cru Pascal) certains intérêts tenaient les hommesatta-chés aux solutions contraires, mais aussi parce que desarrangements d'idées relativement simples ne sont pasfacilement remplacés par des arrangements plus complexes.En admettant donc que la vérité pût être dans les sciencessupérieures découverte instantanément, elle ne pourraitpénétrerdans les esprits que peu à peu et au prix do dé-bats prolongés il faudrait toujours que les premiers quila voient encourent le risque (le la contradiction pour lafaire prévaloir et se résignent ù produire quelque scandale.Mais il n'en est pas ainsi et il est devenu banal que la

vérité dans cet ordre de connaissances ne s'obtient, tou-jours en raison de la complexité dos phénomènes, que parapproximations successives,c'est-à-dire par des solutionsincomplètes erronées, entre lesquelles une lutte pour lasurvivance s'établit les plus compréhensives éliminentcelles qui la sont moins et les absorbent. N'en doit-il pasaller de même dans la philosophie, dans la science quisurpasse en complexité et on généralité toutes les au-tres~!)? La venté n'y doit-elle pas être plus malaisée n dé-mêler et ù répandre, et les habitudes d'esprit nécessairesà l'investigation comme a l'intelligence de cette vérité,ne doivent-elles pas s'acquérir avec plus de lenteur et dedifnculté?

Si encore on pouvait suspendreson jugement sur toutesces questions délicates mais, qu'on veuille bien le remar-quer, ce sont précisément les questions les plus délicatessur lesquelles nous sommes obligés denousrésoudrcle plusrapidement. Nous ne sommes pas tenus de nous faire uneopinion sur les problèmes des sciences mathématiques ouphysiques; nous sommes obligés d'en professer une surla plupart des problèmes des sciences morales; les néces-

(1) Un des argumentsles plus spécieux contre la philosophie estcelui qui consiste à lui reprocher de manquer d'objet distinctchacune de ses parties se détachant successivement, elle serabientôtréduite, dit-on, à des généralités, et ces généralités devien-dront de moins en moins sûres, à mesure que les sciences parti-culières se ramperont en branches plus abondantes. Elle seraitdestinée ainsi à s'évanouir faute d'un objet distinct, saisissabie.–nous semble quo l'on donne une idée très nette de la philosophieen disant qu'elle a pour objet de systématiser la connaissance etl'action, la spéculation et la pratique dans l'individuet la société;eUo aurait ainsi pour fonction la centralisation suprême des in-formations venues du dehors et dos impulsions correspondantesdans l'organisme individuel et social. Quant il délimiter exacte-ment ses frontières, la tache est aussi impossible que pour lesautres sciences, et on peut mettre au défi le biologiste et !osociologue comme le philosophe, de fixer les limites essentielle-ment mouvantes de leurs sciences respectives, sans rien prouvercontre leur !ég!ti)nité.

sites de la vie sont là qui nous pressent; il nous fautchoisir un genre d'éducation pour nos fils, prendre partidans les débats politiques, avoir des idées arrêtées surdes systèmes économiques on présence, etc. Rien ne sertd'aHéguer que la question n'est pas mûre; le doute métho-dique n'est pas de mise ici, car si les difficultés doiventrester pendantes sur les points indiqués pendant soixanteou soixante-dix ans encore, que voulez-vous que je fassed'ici là? D'ailleurs Descartes lui-même ne voit dans ledoute méthodique qu'un artifice, une manière piquante derecommander la circonspection, un paradoxe logique qu'ilne faut pas prendre il la lettre; il n'y fait que deux petitesréserves, toute une religion et toute u~o~ora/e, ù part celail est résolu ù douter de tout Nous tous tant que noussommes n'agissons pas autrement, nous avons notre siégefait; au moment où nous déclarons que nous ne savonsrien, nous avons notre idée de la vie, notre religion, notremorale toutes prêtes, et d'heure en heure les évènementsnous somment de les appliquer. Ceci tient aux rapports delu théorie et de la pratique, l'un des problèmes les plusimportants de la philosophie. Si la science a fini par êtrecultivée pour elle-même, avec le plus entier désintéresse-ment, et si on ambitionne pour ses résultats, en tant quespéculation pure, une certitude absolue, en réalité sonvrai but est de servira la pratique età ce point de vue elleest a jamais relative, destinée à répondrepar des solutionsprovisoires à des besoins passagers. Notre science est pouren vivre, sinon elle ne vaut pas une heure de peine. Quanddonc il y a des opinions que la plupart des savants enEurope trouvent bonnesà diriger leur vie, on peut être sûrqu'en dépit dece respect humoin scientifique dont nous par-lions tout à l'heure, le moment est proche où elles se dégage-ront des consciences, et formeront un corps de théoriesexpliciter, de doctrines rationnelles. Elles seront expri-mées et défendues parce qu'on eu aura besoin et dans lamesure où elles répondront aux nécessités pratiques,elles seront acceptées.

Voilà la philosophiede demain, qui est déjàpour un petitnombre la philosophie d'aujourd'hui. Le spiritualisme tra-

ditionnelprofessé encore u l'heure qu'il est par des espritstrès indépendants et tt'ès fermes~ tend visiblement à sefondre avec le dogme théologique dont il n'était à l'originequ'un prolongement ù peine distinct. Il ne répond plus quedifficilementaux exigences de la conscience individuelleet aux. besoins de la vie sociale. En fait une multitudede penseurs ont cessé de lui emprunter sa morale etrepoussent na politique. Si cessavants, si ces philosophesne se sentent pas obligéspar cela même à se faire une nou-velle moraleet une nouvelle politique,sinonabsolumentcer-taines, du moins réunissant toutes les probabilitéspossibles,alors qu'ils cessent de dédaigner les doctrines anciennes,qu'ils reviennent à l'enseignementqu'ils ont reçu dansleur enfance. Si leur abandon est sans retour, qu'ils semettent à l'œuvro et accueillent avec sympathie les effortstentés par les-hommes de cœur de tous les pays pour donnerà la génération actuelle un credo scientifique.

Mais, dira-t-on, c'est une religion nouvelle que vousannoncez? Non; la philosophie ainsi entendue a quelquechose de commun avec la religion, puisqu'elle aspire à gou-verner la vie et présente aux consciencesun aliment moralmais elle en diffère non seulementen ce qu'elle n'admetpasle surnaturel comme la plupart des dogmes religieux,mais encore, en ce qu'elle n'attribue à ses enseignementsqu'une valeur relative. Toutes les religions, môme les reli-gions philosophiquesérigent leurs dogmes en vérités ab-solues c'est là le signe le plus irrécusablede l'altérationdes facultés d'AugusteComte, d'avoir prétendu à une sorted'infaillibilitédogmatiqueet ses disciples directs ne peuventpas faire à la mémoire de ce philosophe une plus grandeinjure que de le traiter en révélateur et de considérer toutenseignement venu de lui comme une vérité définitive. LesChinois ont fait de même pourConfucius, qui ne se donnait,lui, quecomme philosophe, et a été adoré comme prophète.–A. partces différences, la religion ne peut être aux yeux deceux qui rejettent le surnaturel qu'une philosophie incom-plète de l'état religieux à l'état scientinqueetphilosophiqueon peut passer par une série d'états intermédiaires dé-licatementgradués, et réciproquementune école philoso<

phique peut dégénérer par le culte qu'elle rend à son fon-dateur ou autrementen une secte religieuse.Le Platonismeest l'amo de la métaphysiquechrétienne. H est certain mêmeque la philosophie peut tenir lieu de religion ù ceux quin'en ont pas et c'est précisémentpour cela qu'ellen'estpasprès de périr, car le nombre de ceux qui n'ont pas repud'enseignement religieux, ou. qui, ayant trouvé insuffisantcelui qu'ils avaient reçu, l'ont rejeté, devient de plus enplus considérable. Dans ce cas la philosophie est appelée àrendre les mômes services sociaux que la croyance qu'elleremplace.

Nous avons paru nous écarter des philosophes italiensnous ne faisons cependant que développer la conception dela philosophie qu'ils professent plus ou moins explicite-ment. Comme les autres nations de l'Europe, l'Italie a sespenseurs indépendants, décidés à vivre de leurs croyancesscientifiques, et persuadés que la raison s'appliquant auxphénomènes,sans rien chercher au delà, suffit à l'organisa-tion politique des sociétés comme aux besoins moraux desindividus. Par là celte nation jusqu'ici séparée des autres,ou du moins livrée aux chimères platonicienneset dépour-vue de toute influence, entre définitivementdans le concerteuropéen. On n'a qu'à parcourir ce court volume pour s'enconvaincre.

PREMIÈRE PARTIE

LES ORIGINES

CHAPITRE PREMIER.

DE LA RENAISSANCE A ROMAGNOSI ET A GALUPPI

AUSONIO FRANCHI.

Les origines de la philosophie expérimentale en Italiesont anciennes. Le génie latin a toujours été ami dufait. Même en religion, il a toujours eu une vive incli-nation pour les réalités concrètes. Sans remonter jus-qu'à Lucrèce, n'oublions pas du moins qu'auxvf siècle,l'Italie a pressenti avant l'Angleterre les ressources quedevait offrir à la découverte la méthode d'observation.La tradition fondée alors par de grands esprits sub-sista. Galilée n'est point un accident dans l'histoire dela pensée italienne. Et bien que favorable (surtout versla fin de sa vie) à une sorte d'à jM\K?r/ psychologique,c'est par sa prédilection pour l'étude des faits que Vicofut conduit aux vues qui l'ont immortalisé. Dès i754,les phénomènessociaux étaient étudiés du point de vuede l'expérienceà Naples, dans la première chaire d'éco-nomie politique fondée en Europe, par Genovesi, grandadmirateurde Locke. L'abbé Galiani, dont le 7~e surle co/M/Bercedes grains parut en 1770, peut être regardéavec lui commele précurseurd'Adam Smith (i). A ces

(1) M!pag!ia pr/ac~pM /bDdaBjeo<a/j efe/ c~ers/ sistemi della

deux noms, il suffit de joindre ceux de Lampredi, deSpedalieri, de Carli, de Verri (~~a~77jf SM~' ~co~o-~a~o7ï~ca, i'77i)et de Beccaria pour montrer quel'Italie a participé de bonne heure au grand mouvementqui entraînai!, le xvm° siècle vers l'étude positive desfaits sociaux.

Vers le même temps (i'758)~ Condillac venait passerdix ans à Parme et sa présence donnait une nouvelleimpulsion aux tendances spontanées du génie péninsu-laire vers la philosophiedes sens. Du palais du jeuneprince, son élève, l'enseignement de Condillac se répan-dait dans les écoles de Parme et de Plaisance bientôt ilétait porté à travers les différentesparties de l'Italie parle Père Soave, traducteur de I'jE'~a2 sur 7'M~M~/M~7~a?a~n, ennemi résoin des idées innées. Mais Plaisanceet le collége Albéroni restèrent le principal foyer del'influence française. C'est là que furent élevés, presqueen même temps (vers i780), deux philosopheséminents,courageux patriotes à l'occasion, Gioia et Romagnosi,qui vécurent jusqu'au second tiers de notre siècle etavec lesquels nous touchons à l'époque contemporaine,puisque Romagnosi a compté Ferrari et Cattaneo parmiles plus enthousiastes de ses disciples.

Gioia et Romagnosi tendent également à une fin pra-tique. Assurer le bonheur des hommes par la connais-sance exacte des faits sociaux et de leurs lois; pourcela envisager la société, et l'hommë tout entier, parconséquent, comme un objet nature!, relevant de la

~/oso/?a del <r/~o e la dottrina etico-giuridica di G.-G.-E.~cgr< Napoli, i873. et Le due fasi </e//a sc~~a economica inra~or<o a~o s~o~'meB<odella ~/oso/?a moderna, id. 1875.

méthode d'observation, n'est-ce pas là bien avantComte, l'essence de la philosophie positive? n'est-ce pasle meilleur de la tradition que lo xvm" siècle a léguéeauXIX"?

Gioia était très préoccupé de tracer des règles sûrespour rendre efficace l'emploi des sens, notre seul moyende connaître, suivant lui. C'est de ce point de vue qu'ilattribue une importance considérable à la statistique,c'est-à-dire, dans un sens étendu, à l'art de déterminerl'état des objets utiles ou dangereux à l'homme, de leconstater, de le vériner. La statistique devient, ainsienvisagée, l'instrument général des sciences morales etpolitiques. Elle révèle à Gioia une curieuse classificationdes faits sociaux et lui inspire une fine analyse des élé-ments divers qui entrent dans l'idée de mérite diffi-culté vaincue, utilité, désintéressement, convenanceso-ciale. S'élevant plus haut, il se demande si les phéno-mènes économiques, bien que naturels, peuvent s'ac-complir harmonieusementsans être soumis comme lesforces organiques à quelque pouvoir régulateur, et iltire de l'observation même une théorie du frottementdans la machine sociale. Le conflit inévitable des acti-vités individuelles livrées à elles-mêmes, entraînant defréquentes pertes de forces, dans bien des cas et. pourbeaucoup de créations utiles FEtat doit intervenir.Ainsi sa méthode l'affranchissaitdes erreurs commisesen cette matière par les économistes a prioristes dusiècle précédent Une psychologie ouvertement sensua-liste servait de base à ses conceptions politiques l'idéalétait pour lui ou une simple reproduction du réel, ou unproduit de la faculté qui combine les éléments du sou-venir dans ce cas il ne répond à rien.

Romagnosi, plus métaphysicien, souvent obscur, nonseulement dans son langage, mais aussi dans sa pensée,recourt déjà à un mystérieux sens logique d'unificationet de division pour expliquer la connaissance, et, parbeaucoup de côtés, s'échappe vers l'idéalisme. Mais ilbannit l'absolu de son système,insiste sur les limites de

notre intelligence que borne de toutes parts le phéno-mène, et, en morale, maintient le parallélisme des loismorales et des lois de la nature. L'homme n'a pas d'au-tre but que de se conserver, de prospérer et de se per-fectionner; commeil ne peut obtenir ce résultatque dansla société de ses semblables, il a envers eux des obli-gations le devoir est l'ensemble des conditions néces-saires sous lesquelles l'homme assure son propre bon-heur. On le voit, nous ne sortons pas de l'eudémonis:ne.L'idéal n'est encore ici que l'image du bonheur et duperfectionnementà venir, qu'il s'agit d'accommoder auxconditions du possible, c'est-à-dire aux lois de la natureet de la raison. La liberté absolue, par exemple, rêvéepar certains économistes à principes, lui paraît la néga-tion même de la vie en commun, qui suppose toujoursun pouvoir modérateur, un freingouvernemental.

Il avait une vue claire de l'enchaînement nécessairedes phénomènes sociaux. Sa Genèse du û~o~pe~a/.dontde nombreuses pages sont empruntées au ~.s~ue dela ~a~'c du baron d'Hollbach, repose sur la croyance laplus ferme au déterminisme des actions humaines. <t Ilfaut admettre, dit-il, comme un axiome, tant en moralequ'en législation, qu'il existe une infaillible et constanteconnexion entre les motifs qui sont présentés à l'enten-dement et les déterminations de l'activité humaine, etces déterminations sont toujours relatives et pro.por-

tionnées à Fénergio de ces mêmes motifs. n La sociétéest donc sûre, en présentant aux intelligences la craintedu châtiment, d'exercer sur les volontés une repulsionégale à Fimpulsion des désirs mauvais. Le but de lapeine n'est pas la réparation du droit outragé, c'estseulement la défense sociale par la crainte qu'elle ins-pire elle atteint son but.

Romagnosi mérite surtout de vivre dans la postéritépar sa sociologie. Si on compare sa doctrine sociale àcelle de ses contemporains français, de Guizot parexemplequ'il connaissait, et dont il a fait la critique, onla trouve infiniment supérieure. Il sait que cette scienceest la plus complexe et la plus difficile de toutes, cellequi doit par conséquent s'achever la dernière. (Des lois

'<?e la cjvj/~a~ON, Florence, 1834, p. 248.) Il entrevoitque le a corps social s dans son ensemble, est un orga-nisme vivant dont il faut faire la « physiologie. Ilsignale les différencesqui séparentFagrégationhumainedes autres agrégations d'êtres vivants, et parmi ces dif-férences, le privilège dont elle jouit de se régir elle-même, de se perfectionner par suite, en variant et enmultipliant ses propres fonctions (p. i9). Il devine la loides actions lentes; il reconnaît que la lutte est inévitableentre les parties croissantes du grand organisme; pourlui chaque nation et l'humanité tout entière se dévelop-pent comme l'individu, suivant certaines phases préala-blementdéterminées, sous le double empire d'une raisoninterne et de circonstances extérieures fortuites. Hadmet le progrès sans croire pour cela à un perfection-nement sans limites. Personne, pas même AugusteComte, n'a parlé en termes plus exacts et plus fiappantsde la continuité de la vie sociale, et de cette admirable

liaison qui unit dans l'immortalitéde ce grand corps lesgénérations successives. C'est lui qui le premier aremarqué l'importance des moyens symboliques de tou-tes sortes, paroles, écrits, monnaies,papiers nduciaires,mesures, signaux multiples par lesquels les idées et lesvaleurs circulent incessamment dans la société commele sang dans l'organisme individuel. S'il a. été jusqu'àsoutenir que la civilisation n'était née spontanémentnulle part, mais qu'elle avait été communiquéeà tous lespeuples où elle a brillé successivement, c'est qu'il necroyait pas pouvoir exagérer le rôle de la tradition, sanslaquelle à ses yeux l'unité de l'espèce humaine seraitabsolument inexplicable. Mais il n'en attribue pas lasource à une révélation surnaturelle. « II n'existe pasdans le monde des nations de puissance éducatrice su-périeure à l'humanité, extérieure et visible; la civilisa-tion est Fceuvre des hommes, s La nature seule a misen mouvement les facultés humaines qui, à défaut destimulant, seraient restées endormies.

Nous ne devons parler de Romagnosi qu'autant qu'ilest nécessaire pour l'intelligence de la philosophie con-temporaine. Comme Gioia et Romagnosi, l'abbé TestaAlfonso avait puisé au collège Alberoni un goût vifpourla philosophie de la sensation. A mesure qu'il vieillit, ilse rapprochadu criticisme de Kant, qu'il finit par adop-ter tout à fait. C'était un ecclésiastique modeste et amide la paix, qui vécut comme précepteur loin de touteagitation politique et ne porta point son attentionsurlesproblèmes sociaux.

Tel est aussi le caractère de Galuppi, humble employédes finances à Naples, qui resta toujours étranger à lavie politique, dangereuse du reste pour un philosophe

sous le règne des Bourbons. H no connaissait pas lestravaux de Gioia et de Romagnosi (tant il y avait peu derapports entre les diverses parties de l'Italie à cetteépoque!), quand il publia à 49 ans son ~~7/~2/050-jo/~MC sur la critique de la connaissance (18i9-1832),suivi plus tard d'une Philosophie de la volonté (i832-1840). C'est un penseur plus moderne que Gioia etRomagnosi; sa manière de poser les problèmes se res-sent de l'influencekantienne qui commençait à se répan-dre en Italie. S'il ignore ses compatriotes, il est fortinstruit sur l'histoire de la philosophie antérieure enEurope. H sait qu'il tente en Italie une œuvre analogueà celle que Reid venait d'accomplir en Ecosse « éviterle scepticisme en se frayant une route intermédiaireentre l'école de Locke et celle de Kant, entre le sensua-lisme et l'idéalisme transcendantal. (Ferri, 77/s~o/rede la j~o~oA/e~a/K~z?e, vol. I, p. 43.) Sa doctrineest un spiritualisme timide, fondé sur l'expérience. Ensomme, bien que prétendant corriger Locke, il procèdeencore de lui et se rattache à lui par Genovesi, son pré-décesseur immédiat. Ainsi, le royaume de Naples a eujusqu'au milieu de ce siècle sa tradition expérimentale,comme le nord de l'Italie avait eu la sienne au commen-cement Genovesi, puis Galuppi y dérivent de Locke,comme Gioia et Romagnosi ont suivi Condillac.

C'est souvent par les philosophes de second ordreplus que par les génies les plus en vue que l'on peutjuger des tendances d'une époque. Pendantque Galuppienseignait avec éclat dans la chaire qu'il avait tardive-ment occupée à l'université de Naples, vivait dans lamême ville un philosophe, prudent jusqu'à la timidité,Vincenzo de Grazia, dont la pensée présente un assez

vif intérêt rétrospectif. Il se renferma le plus souventdans les études psychologiques; élu député par la pro-vince de Cantazaro~ il ne garda pas longtemps son man-dat qui lui fut retiré par un coup de ~brce du gouver-nement et revint à la philosophie. La circonspection de

son caractère ne l'empêcha pas de rester assez ferme-ment attaché à sa doctrine, qui consistait en un sensua-lisme exact, dégagé des emprunts que Galuppi avaitfaits au criticisme. Il adressait à Kant le reproche queles partisans de révolution devaient lui faire plus tard,à savoir de ne pas rechercher les origines de la cons-cience primitive et de s'en tenir à la description de laconscience actuelle. Il suivait en cela les tendances de

son propre esprit, car toute philosophie du fait doit setransformertôt ou tard en une philosophie du devenirou de l'évolution; mais il subissait, de plus, sans doute,l'influence d'un certain Borelli, qui dès i825 (sous lepseudonyme de P. Lallebasque), avait devancé HerbertSpencer en étudiant la genèse de la pensée du point devue physiologique. C'est surtout par ses affinités avecA. Comte que la pensée de V. de Grazia mérite d'attirerl'attention. Il divise l'histoire en trois époques, dontdeux, l'âge de la métaphysique et. l'âge de la sciencefigurentdans la divisionpositiviste, a II est urgent, commedisait Comte de Grazia, d'écarter de la science de lapensée toute spéculation métaphysique, pour forcer laraison à la méthode d'observation pure. » Le nom de~M/re est même formellement attribué par lui à lascience ainsi affranchie. Il a la même aversion queComte pour l'esprit théologique. It fixe comme but àla science de prévenir l'expérience et de fournir ainsides règles précieuses à tous les arts; il dirait presque

savoir, c'est prévoir. Il rj ette comme les positivistestoute idée à priori, toute idée innée le jugementn'est qu'uneobservation.Toute recherchesur l'essencedes choses doit être bannie, etc. Une dernière ressem-blance rapproche les deux philosophes tous les deuxsont prolixes et ont laissé de volumineuxouvrages. Laquestion se pose assez naturellement de savoir si l'una fait quelque emprunt à l'autre. Il est infiniment pro-bable que bien que contemporains, ils ne se sont pasconnus. Quand une doctrine apparaît, on peut être sûrqu'elle a é).é mûrie par les travaux isolés d'un certainnombre de penseurs; le dernier venu ne fait que la for-muler plus nettement, et presque toujours le progrèsnaturel de la pensée collective détermine son éclosionsimultanée en plusieurs lieux à la fois (1).

Ainsi, pendant tout le premier tiers de ce siècle, laphilosophie italienne, au nord comme au midi de la pé-ninsule, à Milan comme à Naples, s'acheminaitd'un mou-vement continu vers une sorte d'empirisme critique quiparaît bien, quand on le considère dans ses traits essen-tiels, n'être autre chose qu'un positivisme anticipé. Ilétait à prévoir que le Napolitain, déjà touché par l'in-fluence allemande, la ressentirait de plus en plus, queKant y serait bientôt délaissé pour Hég'el, qu'enfin l'hé-~élianisme y donnerait la main à la philosophie de l'évo-lution, comme cela est en effet arrivé. On pouvait s'at-tendre aussi que les jeunes disciples de Romagnosi,Ferrari et Cattaneo ne vaincraient pas sans peine, endépit de leur enthousiasme, les résistances que le passé

(1) Voir l'excellente étude de M. Fiorentino sur V. de Grazia,dans le (3/or/!a/o ~Va~o/e<a~o de fcvrîcr, juin et aodt 1877.

intellectuel de. leurs compatriotesrendait inévitables etque même en Lonlbardie, là où les souvenirs de la révo-lutionfrançaiseconspiraientavec la hardiessenaturelle dela race pour préparer l'avènement d'une philosophiescientifique, ils seraient vivement combattus. Mais ceque l'on eut difficilementdeviné, à moins de pénétrerdans l'intimité de la conscience nationale, c'était la for-tune soudaine, éclatante, irrésistible, qui était réservéeà l'idéalisme théologique, et l'arrêt que devait subirpendantplus de vingt ans le progrès de la philosophieexpérimentale.

Mais il fallait que l'unité italienne se fit. Pour en-traîner dans un élan unanime les. volontés inquiètes,pour donner une satisfaction aux âmes de plus en plustroublées et dont quelques-unes se consumaientdans unscepticisme désespéré, voisin des enthousiasmes aveu-gles (Léopardi), pour répondre aux aspirations tout àfait démesurées qui sa manifestaient alors en Italiecomme dans le reste de l'Europe, l'empirisme critiquene suffisait pas; et quand il s'agissait d'entraîner toutun peuple, ce n'était pas assez non plus d'un petitnombre d'hommes froids et méditatifs. L'idéalisme ré-pondait mieux à de tels besoins, et le clergé partoutprésent, partout populaire, était naturellement appelé àproduire et à propager la poétiquedoctrineen l'associantau réveilde l'idée italienne. Il entrait dans les plans iro-niques de la nature que l'Eglise préparât à son insu l'a-vènement d'un état de choses qu'elle devait maudireplus tard.

Jusque-là la spéculation avait eu un caractère laïqueet moderne. Les prêtres mêmes qui s'y étaient adonnésne s'étaient montrés soucieux que des intérêts de la

science. A ce moment (1830-4837), deux prêtres, nourrisde scolastique, mais armés comme prêtreset commepa-triotes d'un double charme bien fait pour fasciner lesItaliens, Rosmini et Gioberti, entrent successivementenscène et viennent jeter au milieu de l'agitation profondedes esprits, des œuvres à la fois arides et passionnées,dont le but avoué était de faire triompher ensemblel'une par l'autre la théologie chrétienne et la liberté,la cause de la religion et celle de la patrie. L'effeten fut immense. La jeunesse fut tout entière sé-duite, et des hommes faits, acquis à d'autres doctrines,se virent même ébranlés. Le comte Mamiani, quicomptait parmi les disciples notables de Romagnosi,converti à son tour, ayant appris dans son séjour enFrance (1831-1846) comment on fonde un enseignementd'Etat, se chargea d'organiser le mouvement créé parles deux apôtres philosopheset le détourna doucementau profit des vues pratiques de Cavour (i). Vers 1860,alors que ce même comte Mamiani était ministre de l'in-struction publique,l'entreprise idéalisteatteignit l'apogéede son succès les chaires étaient remplies de ses sec-tateurs, les livres classiques se rédigeaient sous soninspiration; les uns et les autres avaient l'agrément del'Eglise ou faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour l'ob-tenir. L'Italie semblait renier sa tradition scientifique,mais, à ce prix elle se faisait une alliée de l'une des forcesnationales les plus redoutables, et traversaitvictorieuse-ment la crise décisive où se constituait son unité.–Vivre, c'est se faire illusion, et on ne crée rien sansun peu de foi.

(1) Le frère do Cavour a pub!i6 un ouvrage de philosophietdéu!tsto,Turin~ 1841.

Pendant ce temps, la philosophie allemande n'avait

pas cessé d'envahir le midi de la péninsule. L'impulsiondonnée par Galuppi, continuée par Colecchi, entraînaittoute une' pléiade d'esprits distingués. Vers i848,Naples comptait parmi ces jeunes étudiants en germa-nisme les deux frères Bertrando et Silvio Spaventa,F. de Sanctis, Camillo de Meis, Antonio Tari, NicolaMarselli, Federico Persico, Stanislao Gatti, qui tous de-vaient devenir des écrivains ou des professeursde talent. BertrandoSpaventa, esprit très souple et trèsétendu, enseigna dès les années suivantes, à Modène età Turin, un hégélianisme raisonnable et chercha dansles philosophes italiens de la Renaissance les ancêtresd'une Renaissance nouvelle. Il était déjà de retour àNaples quand M. Véra (antérieurement à Milan), y vint,en 1861 professer l'hégélianisme orthodoxe il le com-battit, mais il eut lui-même a se défendrecontre les gio-bertistes, encore nombreux, qui persistaient dans leurchimère de philosophie nationale. En somme,c'était unemêlée d'idéalistes; seulement l'idéalisme hégélien (or-thodoxe ou non) était bien différent de l'idéalisme tem-péré le premier, en se développant, allait produire unnotable mouvement historique et économique, le secondn'était qu'un éclectisme sans avenir, et qui, commedoctrine, en dehors des circonstancespolitiques quilui avaient donné naissance, devait faire bientôt doubleemploi avec le catéchisme catholique. Les progrès del'idéalisme sous toutes ses formes servirent, néanmoins,incontestablement à répandre et à fortifier les étudesphilosophiques; il imposa aux esprits une gymnastiqueutile, il les contraignit à pénétrer les systèmes les plusardus de la métaphysique des Grecs et des Allemands.

Mais le résultat le plus clair de cette période fut la con-science que l'Italieprit d'elle-même comme nation pen-sante par son retour aux sources du xvi~ siècle. Depuislors, en effet, elle s'était en vain cherchée elle-mêmeelle n'avait jamais retrouvé son unité morale. Elle laressaisissait au contact des œuvres puissantes par les-quelles elle-même avait jadis inauguré l'ère scientifiquemoderne. Le comte Mamiani,lepremier, porta son atten-tion sur cetteglorieuse époque; son ~ï/Mo~a/He~o datede i834 il n'avait pas encore conçu le dessein de régé-nérer l'Italie par la théorie des idées et vit bien que lenaturalisme fait la force et la grandeur de la Renais-sance. L'o/re des sc/Mce-s ?Ma~e/Ha~M~ de Libri,l'T~/o~'e de 7a médecine de F. Puccinotti suivirentlentement ce premier essai. Mais l'Ecole de Naples re-prit avec une nouvelle vigueur l'oeuvre commencée. Spa-venta étudia Bruno et Campanella, il rattacha lexvn° siècle au xv~ en montrant dans les penseurs ita-liens les prédécesseurs de Descartes son disciple etson ami Florentine fit voir à son tour que Telesio avaitdevancé Bacon et tira de l'oubli la philosophie de Pom-ponaco philosophie qui ramène l'Etre du monde supra-sensible dans celui-ci et tend à expliquerles fonctions del'âme par le développementde la matière. D'autres tra-vaux plus récents contribuèrent à révéler à l'Italie sonpropre génie en faisant revivre ce temps oit elle a influési heureusementsur les destinées de l'esprit humain

nous ne pouvons que nommer en ce moment les ou-vrages de M. Berti sur Bruno, Galilée et Copernic, deM. Ferri sur la Psychologie de Pomponace, de M. Si-ciliani sur Galilée, de M. Vitlari sur Savonarole et Ma-chiavel.

En même temps qu'à la philosophie et à l'histoire,l'activité de l'école hégélienne s'étant appliquée à l'es-thétique littéraire et à l'économiepolitique, elle se trouvaen mesure de fournir des candidats aux chaires de l'en-seignement supérieur qui devenaient vacantes et peu àpeu occupa bon nombre d'entre elles. De ce côté, l'écoleoftloielle lentement envahie,perdit sans lutte quelques-unes de ses plus fortes positions. Mais elle essuyad'autre part des attaques viotentes qui la dépouillèrentrapidementdu prestige passager dont elle avait joui.

L'état de l'opinion changeant en Italie, son allianceavec la théologie qui avait été pour elle une cause deforce devint rapidement une cause de faiblesse.De nombreuxecclésiasUques~giobertistesou rosminiens,s'étaient, par la force des choses, ralliés à elle etétaient entrés sous son patronage dans l'enseigne-ment public. Leur position devenait de plus en plusfausse à mesure que l'antagonisme était plus marquéentre les idées modernes et la papauté. Vers i850, leslivres de Lamennais, de Pierre Leroux, de Comte et deQuinet commençaientà pénétrer dans la haute Italie ety ravivaientles ardeurs mal éteintes des révolutions an-ciennes et récentes. Dans ce milieu, les discussionsphilosophiques prirent inévitablement le caractère deluttes politiques et religieuses. Un ancien prêtre que lapratique du confessionnal avait fait sceptique (i), et qui

(i) Voici comment Franchi raconte le naufrage do ses croyances;ce passage est le pendant de la fameuse nuit de Jouffroy.

« Les opinions que je professe aujourd'hui ne sont pas cellesoù j'ai été élevé; elles ne sauraientutre attribuées par conséquenta la force des habitudes ou à l'effet des préjugés. J'ai passé monadolescence et ma jeunesse sous la discipline du collège et du

ressentait pour l'Eglise cette haine qui suit les affectionstrompées, Ausonio Franchi, assaillit dès 1858 la philo-

sénilnaire, discipline qui trouva toujours en moi un élfve nonseulementdocile, mais affectionné, et dévoué jusqu'au scrupuleet à la passion. Mes pauvres études do littérature, do philosophieet de théologie no sortirent jamais du cercle de la plus pure etde la plus jalouse orthodoxieromaine,et mes maîtres de prédilec-tion furent les Saints et par-dessus tous Thomas d'Aquin et Al-phonsedeLiguori.Deux soutes affectionsgouverncrentcette périodede ma vie l'étude et la piété; et jusqu'à l'âge de 83 ans où jefus ordonné prêtre, je n'eus pas d'autre occupation. je ne goûtaipas d'autre plaisir que la lecture et la prière. Pour tout dire d'unmot, si ce n'avait été la prudente fermeté d'un pcre bien aimé,je serais entré, comme je l'avais résolu à part moi, dans la com-pagnie de Jésus, l'institut où il me paraissait plus facile quepartout ailleurs de rassasier ma soif de savoir par l'étude, et monxele de travailler pour Dieu, par les missions.Ainsi le printempsde ma vie ne connut pas d'autres joies que celles du sacrifice etdo la terreur, et ne goûta pas d'autres délices que celles del'oraison et de la pénitence. Quand je repasseen moi-même main-tenant ces années si tristes en même temps et si douces, danslesquelles,pour moi, la poésiede la jeunesse ne jeta pas une fleur,ne fit pas éclore un sourire, n'éveilla pas un seul battement decoeur, ah Je sens bien que mon âme frémit au souvenir de cetétat d'exaltation fébrile auquel un mysticisme fanatique l'avaitfollement attachée, mais elle en frémit comme d'un malheur,non comme d'un remords. Ma. foi avait gardé jusqu'alors toutela simplicité, toute la candeur, tout l'abandon de l'enfance etcelui-là seul qui en a fait pour soi l'expérience, peut comprendrecette mystérieuse conditiond'un cœur qui, à force de vertu, égarela conscience, renie la raison par excès de piété et se jette paramour do Dieu dans un délire volontairel Mais le sacerdocefut pour moi l'aurore d'une nouvelle existence, et le premierrayon de lumière qui traversa mon esprit, jaillit, chose incroya-ble du confessionnal.

Au premier contact do mon âme avec la réalité de la ~ie, àontendre cette histoire do misères et de douleurs que l'homme etla femme du peuple venaient déposer on pleurant et en trembla~v'

sophie orthodoxe et, aux applaudissements du grandpublic, devenu juge du débat, porta des coups hardis à

dans mon soin, je commençai à sentir une répugnance entre ladoctrine morale des écoles et la voix intime dos consciencos.De là les premiers assauts du doute. Pour tranquilliser monesprit, je repris donc l'étude et l'examen des principesth~o!o-giques que j'avais toujours regardés comme des vérités éternelleset absolues. Alors, pour la première fois, je m'aperçus que mesétudes avaient été dirigées non par l'esprit do vérité, mais parl'esprit do secte; et quand je croyais tes avoir terminées, je vis

que j'avais à les recommencer. Je n'hésitai pas un instant. Unnouveau monde, encore confus, s'ouvrait a mes regards, et unsecret pressentiment m'avertissait que derrière les questions surla morale jésuitique surgissaient d'autres questions bien plusgraves et bien plus importantes, et que sous les cas de con-science se cachait tout le système de la religion, de la science, dela société et Je la vie. Et je n'hésitai pas un instant. Comme parinstinct, je jugeai que la vie a laquelle je m'acheminais ne pouvaitêtre de celtes qui mènent aux emplois et aux honneurs; et sur-le-champ, de bon gré, je renonçai à ceux qui m'avaient déjà étéconférés; je pris vis-à-vis de moi-même la résolution de demeu-rer dans une condition tout à fait privée et indépendante; je restai,dans la suite, ferme dans mon dessein, résistant plusieurs foisaux instances de mes amis et aux séductions de la fortune, etafin de pouvoir m'adonner tout entier à l'étude et au culte duvrai, je î.e résignai d'avance à une vie obscure, laborieuse, dif-fleile, tournant le dos à la carrière lucrative et honorable qui mesouriait.

Je repris cependant le cours de mes études, et de la morale,je dus bientôt passer à la dogmatique, puis à l'histoire, et deproche en proche à la littérature, à la pédagogie,à la philosophie,à la politique. Ce travail qui produisit une révolution profondeet ineffaçable dans tout mon 6tre fut d'abord une lutte formidablecontre moi-même, contre les croyances que j'avais sucées ausein de ma mère et reçues de ses Icvrcs vénérées, contre lesenseignements de l'école, contre les anath'jmcsde l'Eglise, contreles sophismes de l'amour-propre, contre les séductions de lapour lutte qui coûta des larmes de sang à mon cœur, mais

la doctrine de l'absolu. Sa pensée n'était point vraimentoriginale; il adoptait les résultats de la critique de Kantet s'en servait pour mettre à nu les contradictions de lathéologie traditionnelle, se réservant de réédifier sur lesentiment un spiritualisme plus vague et peut-êtremoins conséquentque celui de ses adversaires ses at-taques s'adressaient plutôt au dogme religieux qu'à telou tel système de philosophie; il remuait plus de pas-sions que d'idées son style, avec ses longues périodessavamment construites, sa poésie oratoire, son alluretantôt dramatique, tantôt familière et railleuse, étaitad-mirablement propre à la polémique et convenait peu àla science mais ces défauts même aidèrent au succèsde ses livres il prépara la ruine de l'école idéaliste aumoment même où celle-ci semblaitorganisée le plus for-tement pour le gouvernement des esprits dès ce mo-ment, elle eut contre elle non seulement les philosophesdes écoles adverses, hégéliens, kantiens, positivistes etmatérialistes, mais encore tous ceux, et le nombre en

qu'il entreprit, qu'il soutint, dont il triompha a lui seul, dansle secret de !a conscience, sans autre témoin, sans autre conseil-lor, sans autre juge que Dieu; lutte qui, chaque jour, m'arrachaitde l'âme une à une ces convictions que j'avais jusqu'alors pro-fessées avec tout l'enthousiasme d'une foi pure et sans tache àlaquelle j'avais voué la fleur de ma jeunesse, dans laquelle j'avaismis les délices les plus chères, les illusions les plus nobles, les.espérances les plus douces de ma vie. » Ces pages montrent sousson vrai jour l'incontestable talent de Franchi. Un philosophe, unsavant ne s'exprimerait pas ainsi. C'est la mOno inspiration que.colle de Renan, la même tendance que celle de Comte, mais ilmanque au grand écrivain italien la culture scientifique que lepremier reçut de son commerce avec l'histoire et la linguistique,le second de son commerce avec les sciences exactes.

est grande qui taisaient profession d'incrédule mon-daine et se rattachaientau libéralisme avancé.

Attentifà suivre le mouvement de l'opinion, le gou-vernement italien, par une décision qui l'honore, a, de.puis (1868), appelé Franchi à enseigner la philosophiedans l'Académiede Milan. Du reste, le professeurs'ef-força de voiler ses hardiesses par d'habiles compromisavec l'opinion de la majorité, Tout en brisant sous lescoups d'une impitoyablelogique les formules auxquelless'attachait la foi populaire, il a toujours gardé de sonéducation sacerdotale je ne sais quelle onction, quellesentimentalité qui se mêlent à ses âpretés et à ses ré-voltes. Il démontre que l'idée d'infini est contradictoire,il nie la création et la Providence, et en même temps ils'emporte contre les matérialistes jusqu'à l'invective etannonce avec transports l'avènement d'une religion su-périeure à toutes les religions passées. Ce n'est pasassez pour les croyants, c'est trop pour les incrédules.Aussi M. Franchi n'a-t-il pleinement réussi que dansses attaques contre Mamiani et les mamianistes il estseul pour le reste son œuvre est négative et critique.Elle prépare la place à des constructions cosmologiquespositives, qui seront inspirées par les méthodes scien-tinques. Celles-ci seront pour l'idéalisme platonicien deplus redoutables rivales parce qu'elles envahiront dansles esprits la place que la métaphysique théologique yoccupait, et qu'une doctrine,si ébranlée qu'elle soit, nedisparaît que quand elle a été remplacée.

CHAPITRE II.

ÉCOLE DE ROMAGNOSI FERRARI (i8ii-1876), ET CATTAKEO(1802-1869.).

Pendant que l'idéalisme théologico-politique parcou-rait sa brillante carrière (i), les disciples que Romagnosiavaient laissés luttaient péniblement contre l'indiffé-'rence de leurscompatrioteset les circonstances adverses.Leur idéal politique était la fédérationdes provinces ita-liennes en cela, ils faisaient revivre le vieux parti gi-belin. On conçoit combien cette tendance dut les isolerau milieu du grand mouvement guelfe et unitaire danslequel étaient entraînés tous les partis philosophiqueset politiques de la péninsule, depuis les révolutionnairesmazziniens jusqu'aux naïfs apôtres de la papauté libé-rale. Aussi ne devons-nouspas nous étonner de voirFerrari passer la plus grande partie de sa vie en Franceet Cattaneo, après une existence orageuse et précaire,mourir, sinon inconnu, du moins presque oublié dansunpetit village du Tessin, au bord du lac de Lugano. Ils ont

(i) Le comte Mamiani,qui ap résidé à son organisation concrète,après avoir exercé une influence considérable comme chef duparti ministériel dans le parlement et tenu le portefeuille de fin*struction publique dans le cabinet Cavour, est aujourd'hui séna-teur, conseiller d'État et membre du conseil supérieur do l'in-struction publique.

eu comme philosophes la destinée qui était réservéechez nous à la génération républicaine de 1848, si l'em-pire avait duré. Heureax celui qui vient à son heure t

Etcependant ni l'un ni l'autrenepourraientêtre oubliéssans injustice. Maintenant rassurée sursonunUé, l'Italiesera nèro d'avoir continué par eux l'effort du xvni~ sièclepour constituer les sciences sociales sur le solide fon-dement de l'expérience, et d'avoir eu, ol!e aussi, pendantque la plupart des penseurs du continent voyageaientdans les espaces à la poursuite des archétypes, sonhumbleécole de philosophie positive.

Romagnosi avait occupé de hautes fonctions dansl'administration et l'université, sous la dominationfrançaise. Depuis la Restauration, il vivait dans la re-traite et se consacrait à l'enseignement privé. Autourde lui, pendant ses dernièresannées, un groupede jeunesdisciples s'était formé parmi lesquels le plus enthou-siaste et le plus aimé du vieux maître était avec Cantu(Cesare) et Cattaneo, le jeune Ferrari. L'enseignementde Romagnosi,les ouvrages des philosophes anglaiset français du xvni" siècle qu'il lut avidement décidèrentde son orientation intellectuelle. Il fut sceptiqueet empi-rique en philosophie et il appliqua sa doctrine à la phi-losophie de l'histoire.

Nous ne devons ni analyser tous ses écrits ni racontersa longue existence; on sait qu'il avait à peine publiéses deux premiers ouvrages l'un sur la epenséede Ro-magnosi~ l'autre sur celle de Vico, quand il quitta leroyaume lombard-vénitien, où son génie impétueux sesentait mal à l'aise, et s'établit en France que là il entradans l'université française, et obtint à Strasbourg,une chaire que ses propres imprudences, les dénon-

ciations du parti clérical et la faiblesse du ministre luienlevèrentpresque aussitôt qu'ensuite il écrivitdans laRevue des Peu.Y-~Bcf~des articles fort remarqués surla philosophie italienne et qu'enfin, entraîné par l'in-fluence de Saint-Simon et de P. Leroux, il publia sa.PMo.sopA/e de la Révolution et sesPA~/o~Ae~sa7a2~violentes diatribes contre la politique conservatrice etses défenseurs. On sait moins qu'en 1850, il sortit deFrance et se rendit à Capolago où il se rencontra avecCaltaneo, Macchi, Cernuschi dans les mômes désirs deréformes sociales et les mêmes voeux pour la fédérationitalienne modelée sur la fédération suisse. C'est à cemoment que ses idées sont le plus aggressives et quel'exaltation de ses sentiments atteint son plus hautdegré. Revenu en France, il se calme et spécule avecplus de suite sur l'objet constant de ses études la phi-losophie de l'histoire dans une série de livres histori-ques, il met à l'épreuve une théorie des mouvements del'humanité, suprême expression de tout le travail anté-rieurde sa pensée, qu'il expose ennndans un volume in-titulé T~coWe des per~oefes joo~~ues. Cet ouvrage, entant que contemporain (1874), appartient plus particu-lièrementà notre sujet. Nous l'étudierons avec quelquedétail.

Mais, auparavant, relevons ce nouveau fait à la louangedu gouvernement italien que Ferrari, rentré dans sapatrie en 1860 et député de l'opposition, au moment.même où il combattait la politique d'unification quitriomphait alors, fut appelé à enseigner dans les facul-tés do l'Etat et qu'il n'a tenu qu'à lui d'y développer sesidées en toute liberté jusqu'à son dernier jour.

Et d'abord quel lien unit les conceptions sur la mar-

che de l'humanité avec sa philosophie? Sa doctrine surl'esprit, la nature et leurs rapports, a surtout été expo-sée dans sa philosophie de la Révolution elle est ob-

scure, et hous nous tromperions fort si elle était appeléeà obtenir jamais une attention qu'elle a vainement ré-clamée lors de sonapparition. Tour à tour empreinte del'influence de Hume, de Rosmini, de Hégel et de Saint-Simon, elle manque toujours de l'homogénéité, de lasuite et de la maturité qui rendent les systèmes viables;et elle est noyée dans des développementssi abstraitsenmême temps et si métaphoriques, elle se précipite àtravers un tel flot d'antithèses tourmentéeset violentesqu'elle semble plus faite pour étonner le lecteur quepour le retenir et qu'on se demande si son auteur laprofessait lui-même avec une entière sincérité. Le stylede Ferrari est le modèle de cette manière ampoulée etsybilline/si usitée jusqu'à nos jours des écrivains ita-liens véritable pathos incompatible avec la recherchescientifique. A en juger d'après son ensemble,cette doc-trine se ramène à un phénoménisme radical le monden'est qu'un ensemble de mouvements que ne gouverneaucune loi absolument stable. Les idées par lesquellesnous cherchons à le concevoir sont frappées d'irrémé-diables contradictions,et les mouvements qui le compo-sent se heurtent eux-mêmes dans un conflit sans nn.Un équilibre momentané résulte de la symétrie et durhythme de ces mouvements antagoniques; puis le chocrecommence.C'estainsi que Ferrari fut amené à rejeterpour l'explication des événements historiques et lesconceptions à prioriauxquelles il reproche de prêter auxfaits une cohérence, une unité qu'ils se plaisent à dé-mentir, et les desseins providentielsqu'il repousse au

nom de l'immoralité profonde qui règne dans l'histoire,eUe hasard qui n'explique rien et rendrait la marche dela civilisation absolument inintelligible. « Il considèreles nations comme autantde masses animées d'un mou-vement régulier et en opposition les unes avec les au-tres. EUes constituent pour lui un système variabledans ses éléments substantielset dans ses lois. Chacuned'elles est considérée comme une force qui lutte avecses voisines, suivant une impulsion qui leur est propreet provoquantune résistancecorrespondante. De là l'étatde guerre primitifet naturel, la tendance des faibles àse coaliser contre les forts, des forts à s'organiser defaçon à l'emporter sur leurs rivaux de là les différencespolitiques regardées comme des effets ou des modesconcomitants d'oppositions mécaniques,

1comme des

moyens pour rompreou rétablir l'équilibre. De ce pointde vue, dans lequel domine le principe de la conserva-vation et de la transformation du mouvement, les nationset les races changent intérieurement d'aspect et derapports réciproques, s'agrègent ou se désagrègent,sont des corps qui se meuvent dans l'espaceet le temps,dont la vélocité peut être mesurée, déterminée arithmé-tiquement comme lés graves, elles sont soumises àun mouvement uniformément varié comme les corpscélestes, elles tournent périodiquementdansune orbite. »

(Ferri, Ce-n~o su Giuseppe Fe~'rar~ e le sue cMrjaeAccademia dei Lincei, 1876-77.) C'est ainsi que Ferrari,après avoir, par son scepticisme métaphysique, exclule surnaturel de l'histoire, passe du mécanisme dans lanature à une sorte de mécanisme historique, et penseéchapper au hasard sans recourir à la providence niaux idées éternelles.

La Teoria dei Periodipolitici expose une méthodedestinéeà fixer une mesure exacte des phénomènes so-ciauxet à investir les lois qui les régissent, d'un carac-tère de précision tel que la prévision sera dorénavantfacile. Ce n'est pas sur l'intensité des phénomènes, surleur grandeur intrinsèqueque repose ce nouveaumoyende mesure; c'est sur un élémentbeaucoup plus général,à savoir leur durée. Le problème est ainsi posé étantdonné un événement historique quelconque, ne peut-on pas le rattacherà une phase de la vie sociale d'unedurée déterminée, dont la connaissance permette deprévoir de quels autres événements il sera suivi, nonpas en lui-même, mais comme membre d'une série dontle terme est nxé mathématiquement ? Cela suppose queles phases de la vie sociale se suivent dans un ordredéterminé, car autrement/comment saurait-on de quelsévénements sera composée la série nouvelle? Et eneffet, l'auteur se fait fort de résoudre en même tempsque le problème ci-dessus, le problème suivantétant donnée une phase quelconque de la vie sociale etsa durée (toutes les phases ont une durée fixe), quelleest la phase qui lui succédera?

On le voit, la méthode proposéerepose sur une idéetoute contraire à celle qui a coursdans les ouvrages dela plupart de nos philosophes et de nos historiens.Ceux-ci croient généralement, depuis Condorcet, que l'huma-nité marchevers la perfection d'un mouvement plus oumoins rapide, mais continu et qui ne doit point avoir determe et la différence entre la conception moderne duprogrès et celle qu'en avait l'antiquité consiste précisé-ment en ce que les philosophes du xvu~ siècle et dunôtre, rompant le cercle fatal dans lequel les anciens et

quelques auteurs du xv~ et du xvn~ siècle avaient en-fermé les destinéesdes nations, ont changé ce cercle enune spirale indéfinie, et convié notre race à des espé-rances illimitées. Ferrari pense, au contraire, queles esprits ont fait fausse route en abandonnant la tracedes anciens il n'a pas assez de termes sévères pourcondamner la théorie actuelle du progrès. Et même il

fait le procès de ses modèles en leur reprochant d'avoircru à l'existencede périodes tropvastesqui ne pouvaientservir de mesure exacte aux événements. C'est ainsiqu'il raille Platon, Polybe, Machiavel, Vico lui-même,et qu'il immole les ancêtres de son système à la rigueurnouvelle avec laquelle il prétend l'appliquer. Plus Jesj'7Cor&f sont courts, plus ils sont l'expression vraie desmouvements de l'histoire ( pages 50~ et suivantes ).Le tort des écrivains a été d'embrasser des intervallestrop étendus, et de donner en quelque sorte des mesuresdémesurées. Tous les inventeurs d'époques procèdentpar religions, par civilisations, avec des périodes sanslimites, qui embrassent d'un trait les Perses, ou lesGrecs, ou les Romains, ou les chrétiens. Hégel fait uneseule époque des cinq mille ans de la Chine. C'est lerègne de la confusion. Que ne trouve-t-on pas dansun espace de dix mille ans ? Les guerres, les conquêtes,les fraudes, attribuées à une génération au lieu de l'êtreà une autre, s'y enchevêtrentde mille façonshétérogè-nes, discordantes, extravagantes. » L'interprétationdes faits de l'histoire, livrée à l'arbitraire, n'est plusqu'un instrument au service des passions contemporai-nes. Donc, il faut fuir comme les plus funestes deschimères;, non seulement l'idée qu'il n'y a pas dans lavie de l'humanité des périodes déterminées dont le

retour est aussi invariable que nécessaire, mais encorel'idée que ces périodes sont longues et peuvent contenirpar exemple l'histoire d'un groupe de peuples, ou mêmed'un peuple unique.

Quelle est donc la mesure étroite qui rend raison dela succession des événements historiques? Sur quelphénomène est pour ainsi dire taillée chaque phase dela vie sociale ? Sur la vie humaine, la vie de l'individu.Tous les hommes qui naissent ensemble formentunegénération c'est la théorie de la génération politiquequi sert de base à tout le système, « Pour nous, la gé-nération sera le premier élément de tout retour sem-blable au lever du soleil, elle reste toujours la même,elle répète sans cesse le même drame dans toutes lesépoques, dans toutes les civilisations (p. 7). ?

D'abord il faut distinguer entre la génération maté-rielle et la génération pensante. La première ne peutservir de base à la a statistique circulaire, s Elle com-prend de longues années pendant lesquelles l'individun'innue en rien sur les événementspolitiques. On com-prend que les statisticiens ordinairesen tiennent compte;ils recherchent la vie moyenne. Mais qu'importe à celuiqui suppute les chancesde retour de telle ou telle ré-volution que la vie moyenne soit diminuée par la mortprécoce d'une fraction considérable de l'humanité il ne

doit tenir compte que des vivants, et à partir du momentoù ils influent sur la marche des affaires publiques. Sila naissance est prise comme point de départ, il n'estpas vrai de dire que la durée d'une génération est de30 ans ou un peu plus les hommes de 1840 sont loin;en effet, d'avoir cédé la place à ceux de 1870. Ils ensont au contraire les pères, les tuteurs, les maîtres, les

instituteurs; capitaux, terres et fabriques sont entreleurs mains ils régnent dans les cours, dans les cham-bres, dans les tribunaux, dans les états-majors,dans lesbureaux; pas une administration, pas une entreprisedont les hommes de 30 ans au moins ne soient les chefs(p. 9). » Il faut donc faire commencer plus tard la géné-ration politique, c'est-à-dire au moment où l'hommeentre deplain-pieddans la vie active, où il cesse d'être une« matière animée & dans la société pour y devenir unélément d'initiative, un propagateur de mouvement. Ence sens et à partir de cette limite, ia génération politique,commençant vers la pleine adolescence, dure en effettrente ans, puisque c'est vers soixante ans que sonnepour tous et partout, suivant les mœurs et suivant leslois, l'heure de la retraite. En tenant compte des dif-férences (les artistes se révèlent plus tôt, les politiquesplus tard), par des calculs qu'il assure avoir faits d'aprèsles bibliographies de tous les hommes notables et d'aprèsles statistiques des différents états, calculs dont ilnous donne un vaste tableau à la nn du volume.Ferrari a obtenu une mesure encore plus précise; cen'est pas trente ans à peu près qui sont la durée de lagénération pensante, c'est trente a/M et /?'o~ ~20?6'.

Mais la scène politique est sans cesse renouvelée,desentrées et des sorties incessantes s'y produisent parl'accès à l'âge adulte et la disparition définitive d'unefoule d'acteurs passagers, chaque promotion poussantl'autre comme le flot pousse le flot dans un fleuve. Y a-t-il une raison suffisante qui permette de fixer à un mo-ment plutôt qu'à un autre le début d'une génération ?L'unité de mesure ne menace-t-elle pas de s'éva-nouir en présence de cette hétérogénéité inévitable de

toute population? Applicable à la fois à toutes les cou-pures que la fantaisie peut opérer dans le cours du temps,ne risque-t-elle pas précisément parce qu'elle convientpartout; de ne convenirnulle part? C'est là lepointdélicatde la théorie; aussi reproduirons-noustextuellementla ré-ponse que fait l'auteur à l'objection. « La politique et lesaffaires nous montrentqu'il appartientau gouvernementde fixer les dates de la vie publique. Si on ouvre au ha-sard un livre d'histoire, ses chapitres se succèdent sui-vant la série des rois, des dictateurs et des présidentsdont il traite si on prend un acte notarié, dès les pre-miers mots, l'officier public y donne le nom du roi oul'année de la République, de même dans le langage ha-bituel, si on nous demandede dire l'année à laquelle ap-partiennent Shakespeare ou Corneille, nous croironsrépondre en nommant Elisabeth d'Angleterre ou le car-dinal de Richelieu. Pour nous, nous avons été engendrésà la vie spirituelle en 1848 ou par la République de fé-vrier nos prédécesseurs parlaient de i8i4 ou du retourdes Bourbons et vivaient sous d'autres impressions;avec d'autres tendances. Qui avait chassé les Bourbons?La révolution de 89 qui donne la date de la générationantérieure, et ainsi on remonte dans le passé en classantles vivants selon les mutations politiques, et la Genèseelle-mêmesoumet l'ordre des temps à la successiondespatriarches. Nous atteignons ainsi du premier coup(peut-être trouvera-t-on en effet que l'auteur va bienvite) à cette conséquence, qu'à chaque trentenaire, lesgénérations se renouvellent avec les gouvernementsqu'à chaque trentenaire, commence une nouvelle action;qu'à chaque trentenaire un nouveau drame se présenteavec de nouveaux personnages; enfin qu'à chaque

trentenaire s'élabore un nouvel avènement (p. i6). »La vie d'une génération en effet n'est pas uniforme.

Elle constitue une évolution dont les moments diversenferment dans leurs limites et définissent encoremieux sa durée. Quand une nouvelle promotion po-litique apparaît, elle commence par se donner un gou-vernement, c'est-à-dire par se bâtir une forteresse, àqui est confiée la garde de ses intérêts et de ses vo-lontés, de son principe en un mot. Le rôle du gouver-nement n'est pas autre, il représente la force et agittoujours par la force, de quelque apparence de douceurqu'il se revête. Il ne faut pas chercher en lui l'exacteexpression de la société qu'il gouverne; celle-ci, aitcontraire, poursuivant son évolution alors que lui resteimmobile, ne tarde pas à s'en séparer l'appareil de dé-fense qu'elle avait construit à son usage lui devientbientôt une insupportablebarrière et ainsi se prépare unavènement nouveau.

11 va de soi que tous les changements de gouvernementne marquent pas le commencement d'une génération.Ceux-là seuls qui s'implantent, et durent trente ans,fournissent aux supputations de la « statistique circu-laire des dates à recueillir quant aux autres, ils peu-vent être négligés. « Ainsi on ne comptera pas les tenta-tives malheureuses, les révoltes manquées, les simplessecousses on ne comptera pas la révolution de Masa-nicHo, étouffée soudainementpar les Espagnols, qui semaintinrent pendantcette même génération;on ne comptera pas les préludes impuissants de toute révolution fu-ture, pas plus que les convulsions posthumes de toutgouvernement tombé (p. 23). » « Enlevons les effortsinutiles pour rétabHrdenouveaux pouvoirs, eties~nrts-~i~

i

non moins vains pour ranimer des pouvoirs morts, lenombre des mutations se réduit des deux tiers, s

Nous voità donc en possession d'une unité de mesuredénnie: nous n'avons qu'à la promener comme un mètresur la série des temps, d'uu changement de gouverne-ment à l'autre; et nous nousexpliqueronsuneà une toutesles phases partielles de l'histoire. Mais si cette mesuresuffit pour nous permettre de prévoir quand un gouver-nement unira, elle ne suint pas pour déterminer parquel gouvernement il sera remplacé. Ferrari y apourvu. Il nous donne une théorie de la période, nonmoins résolue, ni moins arrêtée dans ses contours quesa théorie de la génération.

Les générations sont liées les unes aux autres pargroupes de quatre, composés indénniment des mêmeséléments et suivant le même ordre. On y distingue d'a-bord une génération préparatoire, ou génération desprécurseurs, ensuite une génération explosive ou ré-volutionnaire, puis une génération réactionnaire, enfinune génération résolutive. Insistons tout d'abord sur lecaractère essentiel de la période sa durée. Chacune deses divisions durant 30 ans et quelques mois, elle s'ac-complit elle-même en i25 ans, avec une régularité su-périeure à celle de la génération. L'auteur a fait le cal-cul pour toutes les nations historiques, et il en a tirécette loi que les variations qui s'observentfréquemmentdans la longueur des générations, tendent .d'une ma-nière constante à se compenser les unes par les autresdans l'espace d'une période (1). « Les irrégularités

(1) En vertu de la loi des grands nombres, voir Quétolet Dusys~ë~e social 6~ des lois qui le régisscnt. Paris, GuiUaumin,1848, et la Physique sociale.

elles-mêmes des générations, dit-il, deviennent iso-chrones dans la période, et il s'y introduit une sortede régularité anormale qui compense les retards ou lesaccélérations de ses divers moments.En Angleterre parexemple, en Suède et en Danemark, les explosions sonthabituellement longues et les préparations courtes ancontraire, dans l'empire de Byzance et en Ecosse, lespréparations s'allongent et les explosions s'abrègentde même en France, en Russie, en Turquie, en Chine,la longueur des préparations se trouve compensée parl'accélérationdesautresphases.LaGermanieet l'Espagnes'endormentfacilement dans les réactions l'Italie et lePortugal, dans les solutions; et ici encore la brièveté desautres phases rétablit l'équilibre on en peut dire autantde toutes les nations, s Qu'on ne croie pas, du reste, quel'auteur demande à êtrecru sur parole il ne s'en tientpas à ces approximations et présente aussitôt après,dans un tableau détaillé. la durée .moyenne des phaseset des périodes pour chaque pays. Cela suppose un tra-vail plus considérable à savoir la détermination desphases et des périodes joa~cu7/erM pour tout le do-maine de l'histoire. Cette vaste vérincation de son sys-tème, Ferrari l'a accomplie jusqu'au bout il a re-connu sans dimculté chez tous les peuples et dans tousles temps les générations préparatoires, révolution-naires, réactionnaires et résolutives incessammentramenées en cercle dans les mêmes limites de temps.Veut-on savoir comment se décompose à ce point devue l'histoirede France on n'a qu'à recourir au tableauspécial que l'auteur en a dressé (p. i81 et suivantes), ony verra que l'histoire de France comprend ~1 périodes,dont chacune a son individualité distincte et se compose

de quatre générations répondant exactement aux exi-gences du système, c'est-à-dire encore une fois d'unepremièrequi prépare l'avènementd'idéesnouvelles, d'uneseconde qui le réalise par la force, d'une troisième quicombatrétablissementnouveausanspouvoirle renverser,et d'unequatrième où il est dénnitivement assis et règnesans conteste.

« Mais non seulementla période est un fait; non seu-lement elle se manifeste dans toutes les nations par lasimple statistique des générations non seulement ilfaut lui accorder les quatre générations par l'impossi-bilité où l'on est de lui en ajouter d'autres, ou d'en di-minuer le nombre mais il convient d'ajouter que la pé-riode est une loi, une. nécessité, à cause de l'impos-sibilité où nous sommes d'atteindre le vrai sans luttercontre l'erreur. Le mécanisme même par lequel la vé-rité se substitue à l'erreur détermineles quatre momentsde la période. Ces quatre moments de la vérité quicommence à poindre, qui s'affirme,.quilutte contre l'er-reur et qui l'abat, se précipitent dans l'individu maisla société a une pensée, par gouvernement; elle passed'une idée à l'autre avec les mutationspolitiques; touteerreur se construit des autels, amène avec elle ses prê-tres, veut des monuments, et le oui et le non des plé-biscites, se succédant pour atteindre à la vérité relativedes peuples, occupent ici quatre générations (p. i89). »Tel est le principe de la période il résulte de la na-ture même des générations qui s'y disposent; unegénération qui pense et pendant laquelle, au milieu ducalme apparent, les idées fermentent, jetant cà et là deslueurs subites, prépare inévitablement une générationexaltée, avide de réformes, éprise d'idéal, ne reculant

devant rien pour réaliser son rêve mais celle-ci, à sontour, est inévitablement suivie d'un autre, animée desentiments tout contraires, dénante, inquiète, irritable,toujours prête à secouer les fondements récemment jetéspour s'assurer de la solidité de leurs assises et enfinil est tout aussi nécessaire que répreuve faite, le vraiet le faux une fois séparés, toute résistance étant vaincue,les hommes veuillentjouir pendant toute leur vie, sanssecousses, en gens positifs, et qui savent ce que les es-sais coûtent, de l'abri restauré, des institutions conso-lidéesdelavérité reconnue. Mais quellenécessitéenchaïneainsi les unes aux autres ? Une nécessité psycholo-gique les chiffres trouvent ici leur commentaire, lesfaits, leur raison c'est la psychologiesociale qui estl'àme de cette massive combinaisonde dates.

Certes, ce livre soulève des objections. Mais Fer-rari ne se laisse pas facilement prendre en défaut. Lesabords de la position centrale sont fortifiés en quelquesorte par un certain nom bre de théories partielles, des-tinées à repousser les premièresattaques. Par exemple,si on objecte que certains hommes prolongent au delàde trente ans leur vie active, on rencontre devant soi lathéorie des deux vies, d'après laquelle si certaines indi-vidualités puissantes étendent leur influence sur deuxgénérations, c'est en se transformant elles-mêmes et enrenaissant pour ainsi dire une seconde fois comme in-telligences si on objecte q'ie les périodes dans les ré-publiques ne suivent pas toujours le plan indiqué, on seheurte à la théorie des périodes renversées, faite exprèspour éclaircir ce doute, etc., etc. D'ailleurs,les ouvragesavancés une fois franchis, il faudrait entamer ce murhérissé de chiffres, où tous les matériaux de l'histoire

ancienne et moderne, orientale et occidentale sont sa-vamment disposés. Enfin, arrivé au cœur de la place, lecritique devrait s'attaquer à la théorie de la période, àcelle de la génération, aux données psychologiqueset statistiques qui en sont comme le dernier rempart.

Et pourtant il n'est pas difficile de voir ce que la con-struction a d'artificiel. L'extrême précision elle-mêmejusqu'où la théorie est poussée met le lecteur en dé-fiancecontre sa justesse. Nousne pouvons nous arrêterà la discuter,mais nous constaterons qu'en Italiepas plusqu'en France, Ferrari n'a eu un seul disciple. Tout au-tre a été l'ascendantde Cattaneo. Cet homme qui n'a pointlaisséd'ouvrage philosophique,et dont les. écrits, dissé-minés dans des revues, traitentle plus souvent de sujetstechniques se référantsurtout aux applications de l'écono-mie sociale, a su engager un groupe assez notable deses compatriotes à marcher dans sa voie et à envisagerdu même point de \'ue que lui les problèmes de la na-ture et de la société.Sa pensée est plus saisissable sesconceptions générales, en petit nombre, se sont mieuxordonnées les unes avec les autres, et se sont mutuelle-ment rehaussées au lieu de se nuire. Il représente pluspurement la tradition de Romagnosi, la vraie traditionscientifique italienne.

Bien qu'il ait enseigné au début et à la fin de sa car-rière, il fut avant tout publiciste. LaPo~ec~/co, qu'ilavait fondé à Milan, fut son grand instrument d'actionsur la Lombardie, et c'est là qu'il a mis le meilleur de sapensée pendant quinzeans (i837-i8~8, repris en 1860).,Ses articles embrassent un champ d'études très étenduet. très varié industrie, agriculture, canaux, routes,chemins de fer, littérature, linguistique, beaux-arts

9thnographie,philosophie et politique. Tous ces travauxdont un choix a été fait par Cattaneo lui-même et publiéen trois volumes sous le titre de .A/CH/M Scritti (Milan,1846' 847), témoignentd'une sprit à la fois élevé et judi-cieux, soucieux de l'exactitude et ne perdant jamais de

vue les rapports de chaque sujet avec l'ensemble. du sa-voir humain. L'écrivaina le souci de son art il composelentement et tient avant tout à se satisfaire lui-même.C'est une noble figure, mais voilée par la tristesse destemps, et il estdouteux que la publication de ses œuvrescomplètes que se prépare à faire le D~ Bertani, son amiet son disciple, montre en lui comme le prétend M. G.Rosa, un des astres de l'humanité. La nécessité où ils'est trouvé de vivre de sa plume a dispersé sa forcedans une multituded'écrits hâtivement conçus bien quelaborieusement rédigés; et les événementscontempo-rains en lui créant, un peu malgré lui, un rôle politiquepour lequel il n'était point fait, l'ont empêché de déve-lopper à loisir son génie spéculatif. Improvisé généralet dictateur dans les fameuses journées milanaises demars i848, qui lui doivent et leur succès et leur puréclat, plus tard député au Parlement italien, il souffrittoujours de la contradictionoù le jetaient d'une part sesconvictions républicaines et fédéralistes, d'autre part lanécessité de travailler à l'unité italienne qui se faisaitau pront de la monarchie. Traîné par ses amis jusqu'àla porte de l'Assemblée, après un moment d'angoisse,il préféra revenir à sa solitude de Castagnola, près dulac de Lugano. Le gouvernement du Tessin lui offrit unasile dans la chaire de philosophie du collège de Lugano,que de nouveaux scrupules le forcèrent à quitter peude temps après. Les violentes attaquesqu'ileût à essuyep~

du parti victorieux abreuvèrent d'amertumes ses der-nières années il mourut en proie à la misère et rêvanttoujours de « laisser son empreinte sur le sable dutemps ? par la composition d'un grand ouvrage philo-sophique.

Bien que ne prononçantjamais qu'avec respect le nomde Dieu, Cattaneo exclutla métaphysiquedu nombre dessciences. Seuls les phénomènes nous sont accessibles.La philosophie lui paraît devoir subsister comme unensemble de généralisations, d'inductions supérieurestirées des sciences particulières. En elle, celles-ci trou-vent leur unité. Aucune connaissance ne se suffit à elle-même toutes se tiennent et s'éclairent réciproquement.La psychologiea des rapports étroits avec les sciencesde la nature. Comme les sciences de la nature, elle apour objet une force, en connexion avec toutes les autres,supérieure à toutes les autres, parce qu'elle se con-naît et connaît l'ordre nécessaire dans lequel les phéno-mènes se manifestent, mais de même ordre qu'elles,puisqu'elle les gouverne et en change le cours. Toutescience doit engendrer un art, toute science est force etpar conséquent aussi la raison qui fait la science. It est vrai

que l'esprit est difficile à connaître; mais cela provientde ce qu'on l'étudié dans l'individu si on l'étudie telqu'il s'objective dans l'histoire, alors qu'il s'exprimeparles langues, les religions, les arts, les institutions etles mœurs des peuples civilisés ou barbares, on réussitsans peine à l'analyser l'histoire est à l'esprit ce que leprisme est à ïa lumière. D'ailleurs l'esprit individuel estune abstraction la part que prend la société dans la for-mation de l'esprit individuel est immense nous ne pen-sons jamais seuls, car nous pensons avec les mots d'une

langue qui est l'oeuvre d'une multitude innombrabled'êtres humains. La psychologie véritable est celle des

« esprits associés D. Les idées sont le lien qui unit lesmembres d'une société les uns avec les autres la so-ciété est l'œuvre de l'idée, elle est idée elle-même, carqu'est-ce qu'une langue, une science, un mythe reli-gieux, une règle morale, une valeur sociale ou commer-ciale, une loi, une institution, si ce n'est une idée ou unensemble d'idées ? « Toute la science de l'Etat est unevaste idéologie. < Si on considère au point de vue del'expérience ces systèmes d'idées en voie de développe-ment qu'on appelle des nations, on s'aperçoit que lesdifférentes idées luttent toutes les unes contre les autrespour envahir la place disponible et devenir prépondé-rantes. Il y a entre elles une concurrence. Une nationmeurt quand la prolifération et la lutte des idées s'yépuise. L'opposition ou l'antithèseest la loi de leur actionréciproqueetc'est de leurconflitque naissent denouveauxsystèmes destinés à absorber les éléments contraires,.jusqu'àce qu'ilssoient absorbés à leur touraprès de nou-velles oppositions. Ainsi, le progrès ne s'arrête jamais,bien qu'il ne s'effectue pas toujours par les mêmes or-ganes, ni en droite ligne. Il est le résultat d'une sériede directions moyennes prises entre les directionscliver-gentes des idées opposées et des intérêts hostiles. Latransaction est sa condition constante. « *Sa marche esttortueuse comme le cours des fleuves, qui n'est qu'uneperpétuelle transaction entre le mouvement de l'eau etl'inertie des terrains ?. La civilisation ne naît pas detoutes pièces dans une nation donnée, elle se transmet,elle s'accroît de nation à nation. Mais la première condi-tion du développement national n'en est pas moins l'in-

dépendance, qui permet à une race de produire desidées nouvelles, conformes à son propre génie lesgrandes agglomérations politiques portent inévitable-ment atteinte à cette spontanéité. Libre aux peuples de

se confédérer ensuite suivant leurs affinités entre tousil y a une confédération naturelle, celle de la science,car quoi qu'en disent les idéalistes italiens, la scienceest cosmopolite, elle est de toutes les patries.

Nous n'avons pas interrompu cette exposition pourrenvoyer le lecteur aux nombreux passages originauxsur lesquels elle s'appuie. Il les trouvera dans les troisouvrages publiés sur l'éminent patriote par trois disci-ples également enthousiastes, M. et madame Mario etM.En!'icoZanoni(i).Unerevue, la jRe~MerepH~ca~e,est rédigéepar les amis ou disciples posthumesde Catta-neo, à Milan, dans la capitale de cette Lombardie, pourlaquelle il a tant fait. M. Rosa (Gabriele) y a publié ré-cemment deux articles où la vie du maître est retracée(15 et 28 février i879) avec sobriété et clarté. Au nomde la philosophie, nous exprimons en finissant le regretde voir l'école et son journal pencher de plus en pluscomme l'économiste du ~o/~c/~co, comme le dictateurdes cinq journées, vers la politique militante et n'ac-corder à la philosophie qu'une place de plus en plussecondaire. Il est vrai que M. Ardigo, sans appartenirproprementà l'école, compte parmi les rédacteurs de laRevue.

(1) Jess:o White Mario (Madame) Cay7o Ca~Meo, traduzionedeU* inglese di F. Sacchï con prcfaz!one di Arcangolo GtusioM(43p.),Cromonal877.– Atberto Mario: res<e e /?~'e, studiibiograHc!.Padova, 1877. Knnco Zanoni, Carlo Cattaneo, Mi!ano,d878.

DEUXIÈME PARTI E

ETAT ACTUEL

CHAPITRE PREMIER.

MÉTHODE ET PHILOSOPHIE GÉNÉRALE.

On discutaitfréquemment dans l'école de Romagno~i

pour savoir si la civilisationest cfa~e ou native, c'est-à-dire si elle est le résultat d'une tradition extérieureou d'une invention spontanée; la question est mal po-sée, car toute culture est à la fois originale et dérivéeet les deux éléments placés ici en opposition se combi-nent dans chaque nation en proportions diverses. Maiscette réserve faite, et quelle que soit la valeur absoluede la distinction, elle peut nous servir assez commodé-ment à caractériser les deux dernières phases de la phi-losophie italienne. Jusqu'à la génération née avec cesiècle et dont nous venons d'étudier les derniers repré-sentants, les philosophesont reçu par l'enseignementles principes deleur doctrine; à partir de i869 environ,nous voyons un certain nombre de foyers indépendantsde spéculations'établir dans les différentes parties de laPéninsule puis les doctrines qui s'y développent ten-dent à converger et à se fondre, il se fait un travaild'organisation et de concentration qui a pour point dedépart les aspirations individuelles. A l'empire dumaîtrea succédé celui du livre le livre circule partout,au hasard, et partout suscite les idées celles-ci se

groupentensuite commed'elles-mêmes suivantleurs afn-lités naturelles.

Mais comme le livre est de toute provenanceet queles idées qu'il sème viennentde toutes les parties del'horizon, la philosophie nouvelle est nécessairementgénérale et internationale, tandis que la philosophied'école, surtout là où la centralisation n'existe pas, restenécessairement locale et provinciale. Aussi ne discute-t-on même plus la prétention ridicule des idéalistes deprofesser une philosophie indigène, propre aux Italiens.On travaille pour la science en général qui est une,en vue de la vérité, qui est la même pour tous les es-prits. L'unité politique recouvrée a puissamment con-tribué à ce changement. C'était jadis une grandeambi-tion pour les auteurs que de se faire lire de l'Italie toutentière maintenant que les barrières provinciales sonttombées, c'est au public européen que les penseursitaliens s'adressent force leur est donc, pour parvenirjusqu'à lui, de prendre pour point de départ le point oùla science s'est arrêtée en Europe chez les nations lesplus avancées. La seule originalité à laquelle ils puissentespérer est de marcher plus loin et plus droit que lesautres dans la commune carrière.

Pour revêtir ce caractère cosmopolite qui est depuislongtemps celui des sciences positives, il est évidentque la philosophie doit se rapprocher de ces scienceset adopter de plus en plus leur méthode, bref devenirexpérimentale. Le premier qui ait appliqué cette mé-thodeaux sciences morales dans la période dont nousnous occupons, est un Lombard, M. Gabelli, qui inséraiten 1865 et en 1866 danslaPefse~era~aetIePo/~ec2MCOde Milan des articles sur l'J~Mca~o~t~ harmonie avec

la c/W/~a~oa et la Philosophie de la ro/o~~J. Qu'il lesût ou non, M. Gabelli qui vivaitdans l'atmosphère crééepar la propagande de Cattaneo, se rattachait ainsi àl'école de Romagnosi. Peu à peu ses idées, nées de re-marques isolées et de conceptions éparses se liaientdans son esprit en un corps de doctrines et il étaitamené à les produire d'une manière plus systématiquedans un ouvrage original qui parut en i869 sous letitre L'AoTMMe 7e~c/aHce.smorales, et eut en 1871

une seconde édition.« Je me suis proposé, dit-il dans sa préface, de par-

ler aussi clairement que possible, évitant tout artificede style de tirer les preuves de faits simples et d'ob-servations communes, de mettre à profit ce que nousvoyons et touchons tous les jours. » Et, en effet, peu delivres ont une allure plus naturelle c'est sur le ton dela conversation, avec une sorte de bonhomie, que i'au-teuraborde les questions philosophiquesles plus graves,et on est presque surpris de le voir entrer par ce pro-cédé familier dans le vif de son sujet, présentant sesidées avec une hardiesse tranquille,multipliant les faitsdécisifs et les arguments originaux.

Il constate que les sciencesmorales ont déjà adoptépour une bonne part la méthode des sciences de la na-ture Féconomie politique comme l'histoire, et avecelles la psychologie abandonnentde plus en plus les dé-ductions aj~onpour les inductions fondées sur l'expé-rience. Mais la morale et la politique restent encore in-féodées à l'ancienneméthode. Deux croyances métaphy-siques les y tiennent attachées la croyance à la libertéabsolue, et la croyance en la révélationinspirée, surna-turelle de la justice. M. Gabelli fait effort pour démon-

trer la fausseté de l'une et de l'autre. Ses argumentscontre la liberté absolue rappellent les doctrines de So-crate et de Leibnitz. Il est difficile de nier que la libertérepose sur la réflexion et se développe avec l'intelli-gence de l'agent dans le domaine de la morale commepartout aiueurs.Factivitéhumaine ne peut donc s'affran-chir que par la connaissance des conditions où elles'exerce, c'est-à-dire par la science de la nature humaineet des lois de la vie sociale. Mais le plus funeste obs-tacle au progrès de la morale et de la politique se trouvedans l'idée très généralement répandue que tout homme

a dans sa conscience un guide infaillible et que la rai-son a renfermé de tout temps un fond de vérités révé-lées toujours égal, qu'aucune investigation ne peut ac-croître, qu'aucunecritique ne peut diminuer. S'il en estainsi, en effet, il y a entre les enseignements de l'expé-rience et les oracles de la raison, une contradiction irré-médiable les observations que recueillent l'histoire,l'ethnographie,la pscychologie restent pour ainsi direnon avenues si elles démentent la morale <) priori telleque nous la concevons, ou demeurent inutiles si elles laconfirment, puisqu'elles n'ajoutent rien à sa certitude.Heureusementla conscience inspirée a été tant de foisprise en défaut, et les phases successives de son déve-loppement sont constatées avec une telle évidence, quel'on ne peut plus soutenirsans aveuglement son infail-libilité et son immutabilité les progrés de cette facultésont liés aux progrèsde toutes les autres elle n'est plusaux yeux de tous ceux qui comprennent les enseigne-ments de l'anthropologie et de l'histoire, qu'une antici-pation hasardeusepar laquelle les individus encore in-capablesde réflexionet de méthode conjecturentce qui

leur est le plus avantageux de choisir en vue du plusgrand bien du groupe et de l'espèce. Les animaux eux-mêmes sont capabies d'une divination analogue; c'estgrâce à elle que les sociétésdes insectes, des oiseaux etdes mammifères subsistent, en l'absenced'une intelli-gence raisonnée des conditions de la vie sociale. Il en estde même de l'humanité primitive et de l'humanité sau-vage. Mais si cette prétendue intuition, est bienfaisantejusqu'au momentoù le discernement réfléchi de ce quiest bon ou mauvais est suflisamment développé, elledevient ensuite une entrave à son perfectionnementul-térieur. L'opposition qu'elle entretient entre l'utile etle bien moral est des plus fâcheuses, en ce qu'elle tendà faire croire que ce qui est utile au plus grand nombred'une manièrepermanente peut être contraire au bien, etque le bien peut être de son côté réellement désavanta-geux. L'un et l'autre ne sont que deux points de vue,l'un plus étendu, l'autre plus restreint sous lesquels uneseule et même chose est envisagée à savoir la règle del'utile s'ils s'opposent, ce ne peut être que comme legénéral au particulier. En ce sens le bien est une~ar~equi doit être recherchée par la méthode qui a si bienréussi dans la recherche de toutes les autres; c'est àcette condition que les applications de la morale, au lieude se restreindre au cercle étroit des vertus privées-et encore toutesn'y sont-ellespascomprises–s'éten-dront au vaste champ de la politique. Elles enseignent àtous ceux qui agitent les problèmes sociaux que la jus-tice est relative, et varie avec les circonstances et lesmilieux que « le droit de fer des individus a doit plierdevant les nécessités de l'intérêt général que la pros-péritédes nations repose sur la connaissancedes condi-

tions précises fait à chaquepeuple par ses antécédentshistoriques et son état actuel, non sur l'obéissance àdes règles, aussi bien adaptées, s'il faut en croire lesspiritualistes, à la vie de l'Européenactuel qu'à celle deses ancêtres préhistoriques.

Nousne nous dissimulons pas que ces vues laissent àdésirer comme précision et commeétendue; ni la notionde la liberté n'est ici plein ement éclaircie, ni le rôle del'instinct et du sentiment dans le progrès de la moralitéestiméà sa juste valeur. Cet intellectualisme moral quine voit dans les impulsions de la conscience que des vé-rités ou des erreurs a été dépassé depuis; le phéno-mène n'est pas si simple qu'il paraît à M. Gabelli. Mais

ce que personne n'a montré mieux que lui, c'est la va-riabilité et la perfectibilité des prescriptions de la con-science morale. Une idée originale ressort de toute sonœuvre, originale, disons-nous,bien que le thème premieren soit emprunté, de l'aveu de l'auteurmême, à Galilée.« Je ne puis, disait le grand astronome, je ne puis voirsans un grand étonnement et même sans une granderé-pugnance d'esprit qu'on attribue aux corps naturels etcélestes comme un signe de noblesse et de perfectioncette existence impassible, immuable, inaltérabletandis qu'au contraire, on regarde comme une grandeimperfection l'existence altérable, générable, chan-geante. Je crois que ceux qui exaltent tant l'immuta-bilité et l'inaltérabilité sont poussés à tenir ce langagepar un vif désir de vivre longtemps et par la peur qu'ilsont de la mort. ? L'ouvrage de M. Gabelli est commepénétré de cette vérité méconnue par les platoniciensde tous les temps, que ce qui change et se transformeest plus NO~/e que ce qui a~~eM7'e ~o~/OHrs le zNe/Me;

il a rendu à la morale, dernier asile de l'absolu, un ser-vice considérable, en y introduisant le point de vue dudevenir. Par là il méritait le succès qu'il a eu, et quidurs encore. Quelles que soient ses lacunes, il est venuà l'heure opportune dans le développement de la philo-sophie expérimentale en Italie, et prouve une fois deplus qu'une nation en progrès suscite les livres dontelle a besoin, comme une espèce qui évolue sait sepourvoir au moment convenable des organes qui luisont nécessaires pour poursuivre ses nouvelles desti-nées.

Antérieurementà la publication de l'~o~ïme lessciences morales, mais un an après celle des articles oùs'était essayé l'auteur,avait paru dans le Pû~ec~/co avecun tout autre retentissement l'article de M. Villari inti-tulé Za~o~e positive et la ~e/Ao~e ~is~e(1866). Ces quelques pages ont une grande importancedans l'histoire philosophique de ces dernières annéesen Italie..Pour la première fois le drapeau du positi-visme était levé au delà des Alpes et l'exemple deComte explicitement invoqué. Certes l'indépendance nemanquait pas au nouvel adepte; il fut en effet assezsévèrement réprimandé par les positivistes de l'Ecoledirecte pour s'être écarté de la doctrine du maître; maisce n'en était pas moins un fait considérable qu'un desécrivains les plus distingués do la jeune génération (decelle qui devait remplacer la génération où Romagnosiavait trouvé ses disciples) entrât résolument dans lamême voie en se rattachant de nouveau à la traditionfrançaise.

M. Villari est moins un philosophe qu'un historien.Né à Naples, il avait été sollicité par les entraînements

ultra-idéalistesqui régnaient dans cette ville vers 1848,mais ne s'y était point abandonné. Pour garder le sen-timent du réel, il voulut étudier l'histoire et vint à Flo-rence en i848 avec l'intention d'y recueillir des docu-mentssur Savonarole. La Ionique de Stuart Mill lui tombaentre les mains par hasard, et lui révélaAugusteComte.Il lut le Co~r-s de philosophiepositive qu'il admira vive-ment et qui eut sur son esprit une influencedécisive.Dès1854, il commença la publication d'une série d'articlesoù la trace de cette influence est manifeste. Parmi cesessais, le premier sur la Philosophie de M/s<o~0, etcelui qui porte le titre de Galilée, Bacon et la méthodeûA~r//He~a7e (Jbur?2a/ de Pise, 1864) méritent surtoutd'être signalés. Depuis il a cru se mieux conformer à laméthode positive en se livrantà des travaux d'histoirequ'en spéculant sur les problèmes philosophiques. Sonbel ouvrage sur Machiavel (Florence, 18T7) a étendu saréputationau delà des frontières italiennes. Il revientence moment à la philosophie par les sciences sociales etl'économie politique dont il vient d'étudier la méthodedans la .Rasse~a ~e~~M~~a/e avec la pénétration et lalargeur de vues qui caractérisent toute son œuvre.

En quoi donc est-il infidèle à la philosophiepositive?Cette divergence doit être relevéeavec soin, car on verradans la suite de notre exposition que c'est elle quidonne au positivisme italien en général sa physionomiepropre. M. Villari pense que les questions auxquellesla méthode d'induction la seule en effet qui conduiseà la vérité démontrée n'est pas applicable, ne doiventpas être abandonnées pour cela la métaphysique et lareligion restent suivant lui du domaine de l'esprithumain, bien qu'elles soient en dehors du domaine de

la science. a La méthode historique ne prétend pas,dit-il, porter la lumière sur tous les problèmesde lamétaphysique et encore moins l'y porter tout d'un coup,comme la méthode expérimentale n'a pas prétendu etne prétend pas répondre à toutes les demandes de lascolastique. Cependant l'esprit humain se répète à lui-même ses demandes. Aujourd'hui il y a des savants quiécrivent des livres ingénieux sur le..sy.5~<9 <~ ~M~vers, sur la /?/Mra/~e des ~ov~/M, etc. Il y aura tou-jours de tels livres, et ils ne sont pas inutiles; car leshypothèses ont aussi leur grande importanceet servent,n'eussent-elles pas d'autre utilité, à réunir temporal re-ment les faits déjà connus. Mais la vraie science finitoù les hypothèses commencent. Et ainsi on ne peutespérer que l'homme cesse de se demander a lui-même,même après les progrès du positivisme qu'est-ce quel'espace, qu'est-ce que l'infini qu'est-ce que Dieu;mon âme est-elle immortelle, qu'adviendra-t-il de moidans l'autre vie ? A ces demandes la science ne peutrépondre, et cependant elles tourmentent notre esprit.Il y a en dehors ou si vous voulez au-dessus de la réa-lité un idéal qui flotte confusément devant nos yeuxsans nous abandonner jamais, qui nous attire et nousexcite toujours à de nouvelles recherches, qui estcomme la vie de notre vie et nous fait toujours espérerde dépasser les limites de notre nature. Nous ne devonsni le nier ni en douter seuls, les esprits vulgaires ne letrouvent pas dans leur conscience; mais il ne peutvraiment faire partie de la science, qui n'affirme rienque sur le vu des preuves et progresse sans jamaiss'arrêter. La poésie, la musique, la métaphysique et lafoi poursuiventcet idéal dont elles ne peuvent ni ne

peuvent ni no doivent s'éloigner, bien qu'elles soientdestinées à le poursuivre sans jamais l'atteindre et à lesentir plus qu'à le comprendre. Et c'est pour cotteraison qu'on a répété souvent de notre temps que lamétaphysique est un art d'une autre sorte (i). N Lamétaphysique aurait donc sa place légitime dans la vieintellectuelle de l'humanité moderne en dehors de lascience, à côté de la poésie et de la musique elle serattacherait cependant à la science par les hypothèsesqu'elle enfanterait et que la science aurait sans doutemission de seriner?. Il est regrettable que M. Villarin'ait pas précisé davantage cette doctrine elle peutêtre, suivant qu'on l'entend d'une manière ou d'uneautre, ou une simple inconséquence si le besoin decroire à la vie future tient en échec dans l'esprit del'illustre auteur les conclusions de la scienceexpérimen-tale, ou une théorie compréhensive et originale quitient compte de l'état de perpétuel devenir où est lascience. Le logicien en effet qui ne compterait parmiles objets de son étude que les vérités démontréesserait comme l'astronome qui se refuserait à étudier lesnébuleuses ou le biologiste qui négligerait l'embryogé-nie. Et n'en est-il pas de même encore dans le mondemoral où les aspirations religieuses et les rêves méta-physiques sont comme le germe de nouvelles formesde vie prêtes à éclore dans la conscience de l'humanité ?Ne semble-t-ilpas que de ce côté l'art et la métaphy-sique se rejoignent?

Nous ne séparerons pas M. Nicolà Marselli de M. Vil-lari bien que les œuvres de MM. Angiulli et Ardigô

(~) Sa~ di ~<or/a, di cr/~ca c <po~<2ca, FYren~e,i8G8, p. 33.

soient antérieures à la ~c/e~ce de fAM<02re de M. Mar-selli (1), il a avec M. Villari ce caractère commun d'avoirtraversé !a philosophie pour s'attacher à l'histoire, défi-nitivement à ce qu'il semble l'un de ces deux nomsappelle l'autre. Lui aussi est napolitain; il appartient àla même génération.De 1850 à 1860 ilvécutàNapleset fut l'un des plus enthousiastes du groupe hégélien.On se consolait des entravespolitiques par les élans lesplus hardis de la pensée dans le monde de l'idéal. On necroyait pas que la délivrance fut si proche. Les événe-ments de 1860 conduisirentM. MarseUi dans le nord del'Italie et le forcèrent à s'occuper des travaux techniques

il était militaire et appartenait à l'arme savante del'artillerie qui changèrent le cours de ses idées. ATurin, il connut les oeuvres de A. Comte et fut séduit àson tour. Il ne renia jamais son admiration pour Hége!.Son esprit très ouvert et très libre est en sommepartagéentre ces deux doctrines qui ne s'excluent pas absolument peut-être, mais entre lesquelles sa position philo-sophique personnelle reste jusqu'à ce jour assez maldéfinie.

Son histoire de la philosophie de l'histoire n'offrepas une composition très serrée et se ressent des con-ditions où elle est née c'est une série de leçons qui sesont jointes une à une< Elle renferme des renseigne-ments généralement exacts et des appréciationsjudi-cieuses sur toutes les théories par lesquelles on acherché à éclaircir depuis Platon la nature de la sociétéet la marche de son développement. Ses préférences

(i) Scienza della s<or/a,7: Le tasi ~e7 ~c~s/ero Siorico, Turin,1873.

sont pour celles qui appliquant à l'étude de l'histoirela méthode des sciences naturelles, la considèrentcomme Ja plus haute des sciences d'observation, a Sil'on veut que la science de l'histoire s'assoie sur desbases solides, il est je le crois aussi, dit-il, indis-pensable de lui appliquer cette méthode qui a tant con-tribué au progrès des sciences naturelles et se déciderà voir dans les faits les lois et les principes qui s'ytrouvent, à chasser du domaine de l'histoire toute forcemystérieuse et perturbatrice, en un mot se décider àvoir dans l'histoire les manifestations de la nature hu"maine. Je respecte toute croyance religieuse sincère,mais comme savant j'affirmeque Dieu est un principeinhérent à la nature et à l'humanité, la loi qui exprimele rapport entre les choses et l'ordre qui résulte duconcert de ces lois. Idées, principes, lois, forces,esprit, essence, tout cela s'incorpore pleinement et envérité dans les faits, dans les phénomènes, » C'est dansce passage que se fait jour le plus clairement la penséede l'auteur sur la réalité de l'absolu, dont il reprochequelque part à Comte, dans un langage assez obscur,d'interdire à tort la recherche.

Nous nous trouvons maintenant en présence de phi-losophes de profession, MM. AngiulliebArdigo. Leurentrée dans la carrière philosophique date des annéesi869 et i8Ti. On va voir qu'ils ont aussi été appelés àla philosophie expérimentale isolément, et par des voiesdiverses on dirait un champ eu des graines tombentça et là transportées par le vent; elles germent, se mul-tiplient, se resèment de proche en proche et le champdevient une forêt.

M.AngiulIiestencoreun napolitain; il fut comme

M. Marselli si bien séduit par l'Hôgéliamsme qu'il serendit en Allemagne pour s'en pénétrer plus profondé-ment. La il fut mis par des livres de seconde main aucourant des doctrines positivistes; quand au bout detrois ans il quitta Berlin, il avait renoncé à Hégel etn'aspirait plus qu'à étudier de plus près les promoteursdes nouvelles idées en France et en Angleterre. C'estalors qu'il lut les œuvres de Littré et de A. Comte, dontil adopta avec enthousiasme les principes. Professeurà.Naples, à Bologne, puis encore à Naples, il restainformé de ce qui se faisait dans les capitales qu'il avaitvisitées, et étudia très en détail Darwin et Spencer.On va voir qu'il se détacha de plus en plus d'AugusteComte, et resta même indépendant vis à vis de laphilosophieanglaise à laquelle sont assurées ses prédi-lections.

Dès 18()9, M. Angiulli s'essayait à la production ori-ginale par la publication d'un opuscule intitulé a/)Aj/o.sq/)~c la recAerc~e ~o~7~<3 (Naples). Dansune revue sommaire de l'histoire des systèmes il cher-chait à établir que les divers courants de l'histoireaboutissaient inévitablement à la doctrine positive sou-tenant contre M. Fiorentino que le positivisme étaitplus qu'un développement de l'Hégélianisme (puisquel'un se fondait sur l'absolu conçu ti- ~'jor7, et l'autresur le relatifdonné par l'expérience), et que le vraicaractère de la philosophie italienne avait toujours étédepuis la renaissance une tendance a la recherche expé-rimentale. « Le triomphe de Pomponace, de Telesio,de Campanella, de Bruno, de Galilée ne se manifestepas, disait-il, dans Hégel. S'il est vrai, comme le re-marque M. Fiorentino lui-même, que pour Pomponace

c'est la matière même qui s'étôve jusqu'à l'intelligence,à l'esprit, à la connaissance; s'il est vrai que pourTelesio et Campanella la connaissance commence parla sensation et que l'intellect ne soit que le développe-ment du sens; s'il est vrai que pour Bruno l'unitécosmique est non l'esprit absolu, mais l'unité matérielle

en tant que vivante; s'il est vrai enfin que pour Ga-lilée la connaissancescientifique repose sur l'expérienceseule, la philosophie où a/)~ara~ dc7a~<e et profonde7'e~rp/6 de la ~2see ~a//e~Me n'est point celle deHegel qui célèbre l'esprit absolu et le savoir a priori,c'est le matérialisme moderne et le positivisme a(p. '7i). Cependant. le positivisme n'est point encoreuniversellement accepté. C'est qu'il n'a pas encoreachevé son évolution.

L'auteur en étudie les phases diversesen Allemagne,

en France et en Angleterre. En somme, partout F expé-rience tend à devenir la règle suprême de la recherchescientifique dans l'ordre des phénomène? mais il resteun ordre de questions qui paraissent en dehors ou au-dessus des prises de l'expérience, soit qu'on veuille lesrésoudre à jM~or/ comme les spiritualistes et les idéa-listes, soit qu'on les déclare inaccessibles comme lespositivistes l'ont fait. Or, admettre qu'il y a une réalitéinconnaissable, c'est donner les mains quoique sousune forme négative aux espérances des chercheursd'absolu c'est ériger un nouveau dogmatisme.aggravéd'une contradiction que ne connaissait pas l'ancien.L'ensemble des questions métaphysiques doit êtremaintenu dans la sphère du connaissable et soumis àdes investigations scientifiques suivant la méthodeexpérimentale, oc Cette nouvelle métaphysique ou inves-

ttgation des concepts métaphysiques ne pourra êtrerejetée du positiviste digne de ce nom, obligé qu'il estdo rechercher en même temps que les causes et lesrelations universelles, les conceptions cosmologiques,qui sont essentiellement métaphysiques. Nous nousbornons, pourrait dire le positiviste, à rechercher lescauses secondes; nous ne recherchons pas les causespremières;– mais si vous êtes un positiviste conséquent

vous ne pouvez savoir s'il existe des causes premièresau delà des causes secondes on ne peut afnrmer lesdifférencesqui séparent deux termes que quand on lesconnaît tous les deux. Les concepts de matière, deforce, de cause, de mouvement, de fini, d'infini, etc.,sont des concepts métaphysiques, seulement ils sontajoo~enorï et résultent de l'abstraction humaine. L'er-reurde la vieille métaphysique consistait à les affirmercomme substancesontologiqueset comme connaissancesa pi--iori. Le progrès réalisé par le positivisme consisteen ce qu'il inaugure la critique logique de ces conceptset substitue aux entités fantastiques des représen-tations plus concrètes. a Ainsi entendu il prendraitavec avantage le nom de philosophie expérimentale.

De ce point de vue dont on ne peut méconnaîtrel'importanceet où il se rencontre avec M. Villari, M. An-giulli examine le positivisme français et le positivismeanglais. Il leur adresse le reproche de s'arrêter commeintimidés sur le bord des profondeurs inexplorées oùl'on a jusqu'ici placé l'empire de l'absolu. Cependantplusieurs questions.entreautres des questions d'origi-ne, réputées insondables, ont été résolues depuis Comte.Que craint-on ? si l'abime est sans fond, l'observation leconstatera ~i son obscurité ne dissimule qu'un fossé

vulgaire, s'il n'y a par delà que des espacessemblablesaux espaces antérieurement parcourus, l'humanité seradélivrée d'une anxiété douloureuseet la science verras'ouvrir devant elle de nouveaux horizons à l'inuni. a Lavraie philosophie n'est pas; elle devient, elle n'est pasun dogme, mais une recherche (1). a

En possession d'une philosophie personnelle, M. An-giulli ne tarda pas à grouper autour de lui à Naplesquelques uns de ses contemporains dont la pensée avaitpassé par les mêmes phases Que la sienne (2), et ilessaya de fonder une revue. Malheureusement au mo-ment où paraissaient les premières livraisons de la/?e~/e c2'e, il fut appelé à Bologne et bientôt sonéloignement fit avorter ce premier essai d'organisationde l'école expérimentale.

L'un des articles les plus importants du recueil estconsacré par M. Angiulli à l'examen de la P~c~o/oy/epo~/w? de M. Ardigo, publiée la même année (187i). Iladresse au nouvel ouvrage deux objections qui méritentd'être relevées parcequ'elles éclaircissent la doctrine del'auteur sur la place réservée à la métaphysique dans lepositivisme tel qu'il le conçoit. M. Ardigo ayant déclaréque la recherche des causes premières doit être aban-donnée, M. Angiulli lui reproche de paraître conserverquelque doute au sujet de leur existence. Si l'essence,dit-il, n'est qu'une formation subjective, de quel droit

(1) M. An~iuUiso sépare encore de Comte en ce qu'il admetl'existénoe distincte de îa psycho!ogie comme science. Ainsi faitM. Gabelli et comme on va le voir M. Ardigo.

(2) Les collaborateurs étaient MM. de Ruggiero, Giordano Zocchi,Trinchera (nippte), Miraglia, Sehiattarello, etc., M. Trinchcra fatun moment directotir. Le premier numéro parut en juin 1871.

continuez-vous à en parler ? « Si vous déclarez vous-même cette essence inaccessible à l'esprit humain,comment ensuite l'affirmez-vous comme existante ouseulement comme possible? N'est-ce pas la vieille er-reur de la métaphysique conservée et transportée der-rière le rideau? La seule différence consiste en ce queles métaphysiciens pur sang déclarentl'entité métaphy-sique connaissable tandis que vous la déclarez incon-naissable. Dès /o~ //sso?~s co~se~e~s~c t~M~Le mieux est donc de regarder l'essence et la cause pré-mières comme connaissables,sauf à ne voir en elles quedes objets d'expérience. La méthode expérimentaledé-couvre derrière les faits les vraies causes et c'est iciqu'apparaît la seconde erreur de M. Ardigo. Il ne voitdans la loi que le fait exprimé sous son aspect général;il réduit la science à une simple coordination et classi-fication de faits. La science va plus loin. Elle saisit lesconditions primitives des faits, elle touche leurs élé-ments premiers; elle pénètre sous leurs formes appa-rentes pour déterminer leur modalité fondamentale.

« La cause n'est pas autre chose qu'un fait duquel onpeutdéduire la nature et les rapports d'un autre fait. Laloi rationnelle, la raison explicatrice d'un fait ou d'uneloi empirique est la découverted'unfait plus élémentaireavec lequel ce fait empirique est identique. Pour nousaussi toute science se fonde sur l'expérience et surles faits de la perception mais ensuite vient une éla-boration intellectuelle. Donc, puisque l'essence, lacause, la raison ne sont que les faits mêmes conçusdans leurs rapports constants, dans leurs conditions etleurs éléments primitifs, nous devons, contrairementàl'opinion de l'auteur, admettre qu'elles sont connais-

sables (4). » Leur investigation laisse un objet à la psy-chologie, à la logique, à la philosophie en un mot, quicesserait d'avoir le moindre droit à une existence dis-tincte si la connaissance se réduisait à un catalogue defaits, et si les sciences particulières suffisaient cha-cune à épuiser ainsi leur objet propre.

Nous retrouverons M. Angiulli plus tard pour lemomentpoursuivant l'exposé des idées qui se rappor-tent à la philosophie générale, nous aborderons l'étudedes ouvragespubliés par M. Ardigo.

M. Ardigo est professeur au lycée de Mantoue. Soitpar le fait do volontés hostiles, soit en raison de cir-constances contraires persistantes, il n'a pu jusqu'icitrouver place dans l'enseignementsupérieur. Cependantc'est lui qui représente avec le plus d'originalité et detalent cette métaphysique positi ve qui est le trait dis-tintif de la philosophie expérimentaleen Italie.. La viemôme de ce philosophe est bien propre à rehausser lemérite de ses écrits. Il a dû pour entrer dans la car-rière philosophique démentir tout son passé, rompre desengagements solennels, échanger contre les hasardsd'une existence précaire une situation avantageuse, sejeter en quelque sorte dans l'inconnu et braver lescolères d'un parti puissant. En 1870, il était encore cha-noine de ia cathédrale de Mantoue. Pour soutenir sesconvictions religieusesil se livrait avec ardeurà l'étudede la 'philosophie et des sciences physiques et natu-relles. Mais celles-ci avaient à son insu miné Fédince deses croyances. L'effondrement résulta comme il arrive

(!) Fascicule H, juillet 1874. Voir un autre opuscule Queslions<~ /oso~A/c contemporaine, publié à Bologne ea 1~7H.

souvent, d'un choc inattendu ce fut pendant la lec-ture des travaux d'Helmotz sur le mécanisme de lasensation que l'éclair jaillit et que les constructionsthéologiques, élevées et conservées au prix de tantd'efforts, s'écroulèrent toutd'un coup. Le platonicien dela veille se retrouvale lendemainpositiviste résolu aus-sitôt il quitta la robe et publia son livre De la ~~c/logie comme ~C2M2ce/?o.s~~e, qui lui assura la premièreplace parmi les philosophes dissidents. Le gouverne-ment italien donna une nouvelle preuve de libéralisme,en lui conflant la chaire qu'il occupe aujourd'hui.

Dès le jour où cette transformation se fit dans sonesprit, M. Ardigo conçut un vaste plan d'étudesqui de-vait occuper le reste de sa vie. Il publierait en une sériede volumes un ouvrage considérable ayant pour titreDe la /br/Ma~/o~ /~or/~ue des idées ~M~raïre~ de Dieuet de f~e. La série comprendrait: i° une théorie de laformation ~a~'e7/e en général 2° une théorie de la/br~ïa~b72 Ma~re7/e du système solaire; 3° une théoriede la /M~2a/2o/ï cA/m~e où seraient étudiés les rap-ports de « la matière avec <: l'esprit D 4° une .Psj'cAo-7o~e (18'71); 5" et une ~bra7e positive (i879). Ce pro-gramme est maintenant exécuté en partie; le travail surle Système so/a~'e a paru après la .P~c~o/o~c; la ~/o*ra7e est. également entre nos mains, la For/Na~o/2 chi-~N~e est prête à voir le jour encore quelques annéeset comme M. Spencer, M. Ardigo aura pu réaliser sonrêve et acliever son monument.

Dès maintenantl'idée fondamentale du système se dé-gage nettement des volumes publiés. Nous l'exposeronsavec ses applications principales sans nous astreindre àl'ordre chronologique.

Tout ce qui est n'existe pour nous qu'à la conditionde

se séparer des autres êtres par certainscaractères proprès. C'est la différence, la distinction qui constitue l'êtredes choses. Ainsi l'embryon d'un être vivant quelconquecommence par être semblable à là masse de matière or-ganique où il prend naissance; il s'en dégage peu à peuen se différenciant de ce qui l'entoure. Il en est demême d'une idée dans un esprit, d'une nation dans ungroupe ethnique, et à l'autre extrémité des êtres d'unastre ou d'un système sidéral au sein d'une nébuleuse.

Un être qui se manifeste à nous pour la première fois

se distingue des existences qui l'environnent. M. Ardigôn'ajoute pas qu'il doit subir en même temps d'autresdifférenciations intestines, chacunede ses parties deve-nant nécessairement distincte des autres. Mais cela estimpliqué dans la formule générale. Cliaque partie eneffet a autant de droits que le tout à porter le nomd'être elle est un tout par rapport à ses éléments com-posants, comme le tout ou elle ng'ure est partie par rap-port a un ensemble plus vaste. Par conséquent chaquepartie se distingue à mesure qu'elle se forme et ainsi laloi du devenir par la distinction, la différenciation crois-sante est une loi absolument générale ou universelle.

Le devenir des choses réside donc tout entier dans le

passage incessantde l'indistinctau distinctet du distinctà l'indistinct. La distinction se manifeste à nous dedeux façons; dans l'espace elle porte sur la matière,elle produit des formes ou des figures nouvelles; dansle temps elle porte sur la force, elle produit des phases,un rhythmespécial.Or il est de la plus haute importancede considérer ces distinctions, sinon comme arbitrairespuisque rien n'existe que par eUes, du moins comme

subjectives, c'est-à-dire d'y voir des divisions opéréespar notre esprit sur un champ continu, qui reste tel enlui-même après ces divisions comme avant, a Pournous représenter en une pensée distincte la matièredistincte nous sommes forcés de fixer l'attentionsur despoints placés à une certaine distance l'un de l'autre etde négliger les espaces intermédiaires continus de !aligne qui les joint. Mais on ne les nio pas pour cela. Etde même pour nous représenter en une pensée distinctela force distincte; nous flxons des points distants dansla succession continue du temps, négligeant, mais sansla nier, la continuité qui unit en réalité ces pointsmêmes. Aussi, et en raison de cette continuité, quelleque soit la petitesse des intervalles ainsi déterminés, ony peut toujours déterminer des intervalles nouveaux,l'extrêmement petit comportant à la rigueur autant dedivisionsquel'extrêmementgrand.Lacontinuité du champdivisible n'est en aucune façon rompuepar les divisionsqui sont idéales. Cela revientà dire que l'unité du con-tinu, soit dans la matière, soit dans la force, soit dansl'espace,soit dans le temps survit a toutes les distinctions,parce que l'esprit peut toujours par un nouveau travaily opérer des distinctions nouvelles. Quelle est la naturede ce continu, de cette unité fondamentale? Il n'y a pasde réponse à ces questions; expliquer, c'est distinguerquand on veut expliquer le continu, on le supprime enle déterminant seulement son existence s'imposecomme la condition préalable de toute pensée.

La portée de ces énonciations abstraites est considé-rable, il en résulte que l'intervention d'aucun agentextérieur n'est nécessaire pour expliquer l'action à dis-tance d'une partie de la matière sur une autre, pas

plus que la liaison d'un moment de la force avec unautre moment. Le plein, la réalité continue fonde la so-lidarité de toutes les parties de la matière, comme l'ho-mog'énéité de tous les instants successifs où ta force sedéploie. Donc: f il n'est pas besoin de recourir à deshypothèses plus ou moins embarrassées pour exprimerFaction réciproque des monades ou plutôt il n'y a pointde monades au sens de Leibnitz parce que celles-cisont douées d'attributs trop définis et trop variés, brefsont trop différenciées pour être regardées comme lesexistences primordiales. Les unités élémentaires, ouconsidérées par nous comme étant telles, ne sont quedes dérivés ultérieurs du fond substantiel de l'être; etelles restent liées les unes avec les autres par ce fondmême, sans qu'on soit obligé d'imaginer en elles ou ail-leurs une pensée qui les mette en commnnication. 2" Deplus il n'est pas besoin de concevoirune efficaceparticu-lière destinée à expliquer la durée du monde d'un inter.valle à l'autre de sa durée, le monde n'est pas en quelquesorte suspendu dans le vide en d'autres termes il nerecommencepas à exister à chaque fois que les divisionsinfinimentpetites du temps finissent et recommencentelles-mêmes. Le continu de la force unit ensemble lesmoments successifs de l'univers, comme le continu dela matière en joint les espaces distants. La grandeurde l'intervalle n'y fait rien car, qu'on y songe, la diffi-culté est aussi grande à expliquer l'action réciproquedes parties d'un atome les unes sur les autres quel'action réciproque de deux systèmes sidéraux, et onconçoit sans plus de peine la continuité des effets entreun mouvement quelconque pris au sein de la nébuleuseprimitive et l'oscillation d'une feuille sur un arbre, que

la liaison qui unit entre eux les différents moments del'oscillation d'une molécule d'éther. Rien de tout cela nes'explique sans te continu sous-jacent, et au contrairesou existence admise (comment la nier puisque toutdistinct suppose un indistinct primitif?) ces questionsqui ont fait le désespoir des métaphysiciens, sont dumême coup résolues.

Ilais, dira-t-on, s'il en est ainsi, il n'y a donc pointde différence entre notre pensée et les choses! L&monde est-jl donc fait de la même matière que celledont est faite notre pensée du monde, et la force entant que conçue est-elle donc la même que la force entant que réelle? Bref notre esprit absorbe donc 1&

nature jusqu'en son fond, quand il la connaît? n'y a-t-itrien au delà? Cette identité de la pensée et de l'êtreest résolument auu'mée par M. Ardigo. La matière etla force, c'est simplement et à la rigueur le multiple etle successif: or l'un et l'autre sont inhérents à la pensée.Il ne faut pas croire que l'esprit soit un et identique,d'une part, que d'autre part il y ait en face de lui lamatière multiple et successive et que la connaissanceconsiste dans,je np sais quel contact supenficiel de l'unavec l'autre. Que peut-on savoir en effet du monde quece qui est donné parla pensée? A-t-on un moyen desortir de la pensée pour aller recueillir au dehors desmodes d'existence qui ne seraient pas les siens? com-ment vériner ensuite la conformité de ces concep-tions d'emprunt avec leur objet ? Force nous est doncd'admettre que l'esprit renferme en lui-même cettemultiplicité et cette succession qu'il attribue à la ma-tière et à la force; qu'il est lui-même multiple et suc-cessif. C'est qu'en effet il est ~nre lui aussi et fait par-

fie du ïnonde tel qu'il se le représente il n'est passurprenant qu'il se rattache en tant que distinct à l'in-distinct universel, c'est-à-dire qu'it soit un fragmentdétaché du double continu qui fait le fond des choses.

Si donc on était tente d'accuser Ni. Ardigo de matéria-lisme, il faudrait prendre garde qu'il pourrait bien êtreaussi un idéaliste radical. an est curieux de savoircomment il explique avec cette doctrine les figuresdécrites dans l'espace réel et les périodesmarquées dansle temps réel par la matière et par la force, enfin lescombinaisons infiniment variées d'où résultent les corpset les faits particuliers. Pourquoi en effet tout ne resterait-il pas indéterminé ? Mais on prévoit sa réponse. Ces dé-terminations spéciales, dirait-il, proviennent tout sim-plement des choses même qu'elles constituent; il n'estpas question de l'esprit en général et de la pensée abso-lue il s'agit de l'esprit de tel homme et de telle penséeparticulière, lesquels se trouvent à un moment donnéen un point donné, dans un état particulieren raison desévénements antérieurs et des conditions actuelles dumilieu. C'est pour cet esprit, pour le vôtre, pour le mien,que l'univers doit se représenter comme une série demouvementset un ensemble de points au delà desquelsil n'y a rien à chercher, parcequ'il n'y a rien du tout,rien que la possibilité indéfinie de nouvelles détermi-nations etsuccessions,de nouveaux corps etde nouveauxévénements. Ainsi l'univers est réel et idéal à la fois; il

est réel, je veux dire connu dans son fond et tel qu'ilest, précisément parcequ'il est idéal et qu'il n'a pasd'autre fond que les deux grandes catégories par les-quelles il se manifeste à nous. Supposez le contraire,mettez derrière l'étendue et la force une substance inac-

cessible aussitôt vous frappez d'illusion avec la con-naissanceque nous avons du monde, le monde lui-même;nous ne saisissonsplus que l'ombrede l'être et la surfacedes choses. Il est donc plus sage, quoique très hardi enapparence, de reconnaître que nous so~Mes ce ~e??OHsjoeTMO~s et que l'être de l'objet se continue dans l'esprit,comme le mouvement qui va de l'un à l'autre.

La matière et la force ou l'espace et le temps, distinc-tions fondamentales opérées par l'esprit sur un mêmechamp indistinct, distinctions sur lesquelles peuvent sedécrire une multitude d'autres distinctions à l'infini,voilà tout l'être et voilà toute la pensée. Ces deux modespremiers de l'existence sont inséparables. Il est absurded'imaginer comme l'ont 1'ait les anciensune matière nue,simple possibilité d'existence, sur laquelle ne s'exerceaucune force et qui soit réduite à l'extension. Cela sup-pose qu'à un moment la force est ajoutée par accidentou par miracle à la matière inerte, hypothèse insoutena-ble. Dans chaque point de la matière il y a à tout instantdes forces-endirection.et en grandeur déterminées. Il estégalement absurde d'imaginerque la force puisse se pas-ser d'un point d'applicationqui la déunisse. Mais ce n'estpas une raison pour croire que l'on peut déduire commeont pensé le faire Spencer et Bence Jones, la matière dela force ou la force de la matière. L'une n'est pas pre-mière par rapport à l'autre. Toutes deux dérivent d'unemanière simultanée et parallèle d'un même indistinct,ou continu, en qui elles ont leur liaison, et qui est infiniparce qu'il est le champ même où peuvent s'opérer sanslimites toutes les distinctionsultérieures.

« Or si, comme on l'a démontré précédemment, ledistinct delà matière implique le continu dans lacoexis-

tence ou dans l'espace, et le distinct de la force, le con-tinu dans la succession ou dans le temps, et si, dans laréalité, la matière et la force coïncident, il en résultequ'un réel quelconque se trouvera à la fois et sur lecontinu de l'espace et. sur celui du temps, et pourraêtre représentépar le point d'intersectionde deux lignesqui se rencontrent. Mettons l'une, représentantle premierde ces continus, dans le sens de la largeur de cettefeuille; mettons l'autre, qui représente le second, dansle sens de la longueur. Je dis que ces deux lignes seprolongent indéfiniment, a Toute la nature dans sonévolution passée concourt donc à expliquer l'état d'unpoint quelconque de la matière à un moment donné.C'est en cela que consiste le caractère~a~~(naturalità)d'un fait. C'est cela qui fait son individualitépar rapportà tous les autres et lui communique une raison ou unecause sufnsante. Si un fait n'est point tel qu'il puissefigurer au sommetd'un angle ayant ces deux lignes pourcôtés, il n'est pas réel, il n'y a point de place pour luidans la nature. En sorte qu'aucun fait n'est naturel quepar sa liaison avec toute la nature; tout conspire, parceque tout repose sur le même continu de matière et deforce.

Tels sont les principes. M. Ardigô ne recule devantaucune de leurs conséquences. 11 les déroule avec unaccent qui rappelle celui de Lucrèce. Quand on penseque l'écrivain à qui nous empruntons ces conceptionsest un italien, on ne peut s~empêcher de s'étonnerqu'Hûockel ait dénié aux races latines l'intelligence dela a création naturelle n.

Si les deux lignes dont nous venons de parler, c'est-à-dire les deux séries de formes et d'événements que l'on

est forcé de parcourirpour rendre raison d'une existencequelconque, se prolongent à l'infini, il est évidentqu'il n'y a point de place pour l'intervention d'une actioncréatrice. Pour bien comprendre cette vérité, il faut semettre en présence de la nébuleuse immense d'où lesystème solaire est sorti par voie de distinctions pro-gressives. On l'appelle primitive et c'est d'elle qu'onpart avec raison pour expliquer la formation de notresystème. Mais c'est une priorité toute relative que lasienne. Quelle raison y aurait-il de s'arrêter à son com-mencement ? Elle-même a besoin d'être expliquée et nepeut l'être que par les formes et les mouvements de lamatière cosmique dont elle est composée. Sagrandeurqui nous surpasse ne change rien à cette condition; parrapport à l'espace infini elle n'occupe qu'un point. Euen'a pu se produire que grâce à certaines relationsqu'ellea soutenues avec le milieudéterminé où elle s'est forméepeu à peu. Le phénomène est de même ordre que la for-mation d'une goutte de rosée dans une atmosphèrechargée de vapeurs. Cette formation de la nébuleuse, lacondensation de matière qui lui a donné naissance, lemouvement qu'elle n'a pas tardé à manifester, toute lasérie des phénomènes par lesquels a été préparé dansson sein l'état actuel du monde, tout cela s'explique parles forces déterminées inhérentes aux molécules dematière qui la constituaient. Il est aussi impossible deconcevoirces molécules comme n'existantpasantérieure-ment à elle, que de les concevoir comme existantes etimmobiles. L'idée d'une matière exempte de toute spon-tanéité, d'une matière qui ne serait pas plus déterminéeà un mouvementplutôtqu'à un autre, est une abstraction.

Donc pas de création; le monde s'est réellement fait

tout seul. D'ailleurs, ceux qui recourent à une interven-tion isolée, à un /?~ prononcé une fois ne s'aperçoiventpas qu'ils abandonnent ensuite le monde à l'incapaciténative de vivre et de durer dont il a été frappé par unartince logique. Plus conséquents avec eux-mêmes sontles partisans de la création continuée. Mais nous avonsvu que le monde n'est pas anéanti et recréé à chaquemoment, que les instants successifs où la force développeses effets ne sont que des distinctions décrites par noussur un fond absolument continu. Or, ce continu, quigarantit en quelque sorte au monde actuel une duréepermanente, se prolonge en tant que tel dans les deuxdirections à Finnni; il n' y a pas dans son tissu d'hiatuspossible et la loi de notre esprit, qui n'est qu'une con-séquence de sa solidarité avec le reste des existences(lui aussi fait partie de la nature des choses), la loi denotre esprit est la même, qu'on l'applique au passagedans l'instant présent d'un phénomène à un autre, oubien à un passage semblable, qui aurait eu lieu il y a desmilliards d'années.

Et de môme que ce monde ou le système solaire a euun commencernent naturel, il aura une fin naturelle.Tout distinct doit tôt ou tard retourner à l'indistinct.Formé par une individualisation partielle de la forceet de la matière répandues dans l'univers a l'état diffus,il doit de nouveau être absorbé dans le sein decette masse sans bornes quand la force qui l'animesera épuisée et la matière qui le compose dissoute.Etant donné en effet un tout quelconque, il est iné-vitable qu'à uu moment de sa durée il ne reçoive dumilieu qui l'environne moins de force qu'il ne lui encommunique, et que, l'équilibre étant ainsi rompu à son

détriment, il ne tende à se confondre avec ce milieu. En

ce qui concerne notre système, le passé du satellite dela terre est un avertissement pour la terre elle'-mcme,déjà considérablement refroidie, et les destinées dusoleil ne seront pas autres que celles de la terre, puisquele soleil est absolument semblable à chacune des pla-nètes, sauf sous le rapport de sa fonction centrale. Dureste le système tout entier est en marche, d'autressystèmes sont en marche vers lui, son isolement relatifcessera donc et à ce moment il sera inévitablementdé-concertédans ses mouvementset ruiné dans sa structure.Seulement comme nous le verrons tout à l'heure., sa tinsera le signal d'une renaissance.

°La providence n'est pas plus nécessaire pour expli-

quer l'ordre du monde que ne l'est la création pour enexpliquer l'origine. L'argument des causes finales estl'illusion d'intelligences limitées à un horizon étroit etqui, dans le coin de l'univers qu'elles habitent, s'imagi-nent être le centre du tout. Il est certain que tout êtrequi existe a trouvé des conditions favorables à sonexistence; mais cette observation perd la signincationqu'on lui attribue pour l'homme, par le fait même qu'elles'applique aussi bien aux autres êtres. Le plésiosaureaurait pu tenir le même langage que l'homme car dans lanature telle qu'elle s'étendait autour de lui a l'époque dulias, tout était disposé pour lui assurer non seulementl'existence, mais l'empire. Un jour devait venir cependantoù, le milieu ayant changé, sa sécurité serait menacée,et bientôt son existence comme espèce supprimée àjamais; ainsi de l'homme, ainsi de la bulle d'air produitesur l'eau par la chute d'une goutte de pluie. L'ordreest la condition de toute manifestation du réel; l'atome

n'existe que grâce à la structure régulière et à l'équi-libre de ses éléments mécaniques. Le chaos absolu n'estpas donné;c'est encore une conception abstraite,commecelle de la matière sans forces. Chaque individualité ouunité distincte résulte, non de l'indistinct pur, maisd'une autre unité, seulement moins distincte qu'elle. Etainsi de suite. Que l'on monte aussi haut que l'on voudra,on trouvera toujours la matière dans un état déterminé,régulier par conséquent, et se préparantpar l'établisse-ment d'un ordre quelconqueà l'établissementd'un ordresupérieur.

De là le progrès. C'est une des questions les plusémouvantes posées par la philosophie de l'évolution quede savoir si le progrès est infini, c'est-à-dire si à chaquedestruction d'un ensemble organisé, d'un monde parexemple, tout n'est pas à recommencer.On conçoit eneffet que l'évolution puisse produire incessamment enchaque partie de l'univers des agrégats immenses et dedurée considérable sans prendre soin pour ainsi direde préserver les résultats obtenus d'une entière destruc-tion. L'univers serait ainsi le théâtre de créationsmagni-fiques, mais sans but, et les mondes s'édineraientcon-tinuellement comme les vaguesde la mer pour s'écroulerensuite. L'ordre serait dans le détail; il ne serait pasdans l'ensemble. Ardigo semble plus affirmatifsur cepointque ne l'a été Spencer. Il croit que les débris d'uneexistence distincte une fois produite servent toujours àla formation d'une existence plus distincte. La prodi-gieuse insouciance de la nature n'a pas d'autre causeque sa prodigieusefécondité;en sommerien n'estperdu,rien n'est absolumentgaspillé dans la a formation natu-relle, » les grandes destructionspréparent toujours un

terrain favorable à des constructions plus grandésencore. <r Ainsi, si ceux d'aujourd'hui louent le jour d'au-jourd'hui et se plaignentdu jour de demain qui va lesdétruire,commesi demain devaitêtreune dégénérescenceet rien de plus, la nature sera dédommagée de ce blâmeimmérité parce que ceux qui verront le jour de demainloueront le jour de demain. Et elle aura à la fin deslouangespour tous les temps et pourtoutes ses œuvres.

L'univers ainsi conçu semblegouvernépar unenéces-sité inflexible. M. Ardigo réclame pour sa conception dela nature, avec l'avantage de l'optimisme, la possibilitéde la contingence. Certes, dit-il, si les antécédents dechaquephénomèneformaientune sériefinie d'évènementsinvariables, le phénomène actuel serait fatalementdéter-miné. Mais s'it peut en être ainsi dans une hypothèsemathématique, il n'en est pas ainsi dans le monde réel,où tout change, où aucune combinaison de formes etd'événements ne ressemble à celle qui l'a précédée, oùenfin le nombre des combinaisons antécédentes etconcomitantes d'où sort chaque existence nouvelle està la lettre infini. On ne saurait donc prévoir d'unemanière rigoureuse le cours des évènements. On lepourrait dans un groupe de phénomènes que l'on auraitisolé du reste de la nature si une telle séparation étaitréalisable; on y réussit approximativementlà où l'homme

a réalisé approximativement cette condition, comme dansles préparationsdes laboratoires et dans les entreprisesordinaires de la vie; mais on ne peut jamais exclureabsolument l'imprévu, parcequ'il faut toujours compteravec l'univers où des influences dont nous ne disposonspas se croisent et s'entrecroisentt à l'infini, toujours-prêtes à traverser nos combinaisons. On peut do~c

dire du système de M. Ardigo que c'est un mécanismeoù le monde est gouverné pour le mieux par le hasard.

Selon ce système la différence qui sépare les êtresanimés de ceux qui ne le sont pas ne peut porter quesur le degré d'individualité et de distinction auquel sesontélevésles unssansquelesautrespuissentl'atteindre.Un astre, un cristal, un continent,une plante, un insecte,un mammifère, une flore, une faune, une espèce, ungroupe social, une idée et un système d'idées, tout-cequi existe est soumis à la môme loi générale. La psy-chologie doit être étudiée d'après la même méthodequela cosmologie (1). La question est de savoir, quand onétudie l'esprit, comment il s'est différencié de la matièreet si l'expériencene découvre pas un indistinct antérieurdont ils sont, l'un et l'autre, pour ainsidire, des rameauxdérivés. Les sciences de la nature se sont constituéeset ont pris un rapide essor du jour où elles ont renoncéà la recherche des causes et des substances, se bornantà étudier les phénomènes et leurs lois. Il doit en êtrede même de la psychologie c'est la recherche descauses transcendantes qui l'entrave en ce momentqu'elle y renonce; qu'elle s'attache aux faits et elleprendra rang parmi les sciences positives. Bref, la thèsede M. Ardigo est l'assimilationcomplète de la méthodepsychologiqueà la méthode expérimentale telle qu'elleest pratiquée par le physicien, le chimiste et le biolo-giste.

(1) Ce qui précède est tiré De la formation naturelle dans lefait du système solaire; ce qui suit, de la Psychologie commescience positive, parue en 187d. A cette époque M. Ardigo neconnaissaitpas encore Spencer on va voir qu'il était déjà enpossession de sa théorie de la distinction progressive.

Le moi, à la fois substance et cause des phénomènesde conscience, la moi, entité distincte des modificationset des actes qui se rattachent à lui, têt est le but principalde ses attaques. Son principal argument est tiré de lamanière successivedont se forme cette idée en nous.Une longue expérience des phénomènes internes l'en-gendre seule. De même que l'idée de la matière estproduite dans l'esprit par la somme des représentationsparticulières de choses dites extérieuresque nous avonsrecueillies après un long temps, ainsi l'idée de l'âme estle résultat, la somme des connaissances particulièresque nous avons obtenues de nos états internes après untemps non moins long, puisque ces deux idées sontcorrélatives. En un mot, l'une et l'autre sont le fruitd'unegénéralisation lente. Quandon gravit une montagnece n'est que peu à peu qu'on découvre les différentssom-mets secondaires, jusqu'à ce qu'une seule et confuseimage se forme de la montagnetout entière. Il n'y ariende plus dans le concept de l'âme; on n'y trouve que lamémoire confuse des faits psychologiquesexpérimentés,une espèce de compénétration mentaleen un seul schêmede leurs qualités et de leurs genres. Idée générale tiréede cas particuliers concrets, l'idée du moi est donc uneidée abstraite. On n'y peut découvrir aucun autre élé-ment que les phénomènes d'où elle est tirée. Dès lorselle ne doit plus être considérée comme le point de dé-part de la science elle en est le point d'arrivée, loind'être un principe immuable qui s'impose à l'étude desphénomènes, elle est un ensemble d'inductions mou-vantes, qui s'étendent et se développent à mesure queles faits sont mieux étudiées.

Mais, dit-on, un fait dont on a conscience n'est pas un

pur phénomène; la conscience de sa cause est impli-quée dans la conscience que nous en avons. La con-science est à elle-même sa propre substance, tandis quela matière que l'analyse réduit facilement à un ensemblede représentations, trouve dans l'esprit son véritablesupport. On oublie, quand on élève de telles objec-tions, que le moi et le non moi sontinséparables, commel'envers et l'endroitde la même étoffe. Si l'esprit cessaitd'exister, il n'y aurait plus de matière cela est vraimais si la matière cessait d'exister il n'y aurait plusd'esprit, car celui-ci, dénué d'objet, cesserait d'existerpour lui-même. Il ne faut pas perdre de vue l'origine deces deux concepts; dans nos premières sensations, ilssont indiscernables et formentun tout homogène, qu'unehabitude mentale prolongée parvient seule à scinder endeux parts. Cette habitude est insconsciente, et nousfinissons par raisonner sur les abstractions réaliséesqui en sont le résultat comme si elles constituaient desobjets indépendants. Mais le caractère bilatéral de toutereprésentation est notre œuvre « La chose est une,si ses aspects sont doubles. » Vue sous un angle ousous un autre, cette chose n'est qu'un agrégat de phé-nomènes.

On veut trouver la solution des problèmes psycholo-giques dans l'examen de la conscienceactuelle. Procédétrop favorable à toutes les illusions. Par exemple onobserve un acte de volonté, tel qu'ilapparaîtinopinémentdans la conscience, et comme ses antécédents sont oulointains déjà, ou proches et invisibles, on conclut quec'est la un acte isolé, un acte sans cause ou plutôt quiest sa propre cause à lui-même. De là le labyrinthe dela liberté absolue. Un peu d'attention eût permis aux

psychologues de se tirer do cette impasse; ces antécé-·dents existent; il suffisait de les chercher. Tout dépenddes associations d'idées fondamentalesqui président à

la méthode. Le vulgaire se borne la plupart du temps ala constatation des faits, ou s'il les examine, c'est en eux-mêmes, en dehors de toute relation avec les faits anté-rieurs ou simultanés. L'idée d'une cause vient-elle à seprésenter, comme on ne peut la trouver dans le faitmême, on a recours à l'imagination;celle-ci enfante desentités vides, qui ne sont le plus souvent que la ques-tion même élevée à la hauteur d'une solution. La vertudormitive et la vertupurgative de notre Molière rentrentdans cette catégoriede solutions apparentes et de causesfictives. Ce n'est que dans un état ultérieurde la cultureintellectuelle que s'établissent les associationsd'idéesvraiment scientifiques, celles qui dirigent l'esprit versla recherche des causes réelles, le plus souvent assezdistantes du fait. On a pu contemplerl'éclair en lui-mêmebien longtemps avant de soupçonner qu'il avait d'autrescauses que la volonté de quelque génie. Ce sont desfaits en apparence fort différents, l'attraction de petitscorps par la cire frottée contre la laine, l'étincelle pro~duite par le disque de verre de la machine électrique,etc.~ qui- ont fourni à des esprits mieux orientés l'exp!i-cation désirée. Ainsi de ia conscience. Cherche-t-ond'où vient l'idée de l'être? La linguistique répond endécouvrant la nature métaphorique de cette idée. Cher-che-t-on la cause de l'illusion du relief? la physiquephysiologique répond par la théorie du stéréoscope.Veut-on savoir si les actes psychiques se passent dansle temps? La physiologie détermine avec précision ladurée de quelques-uns d'entre eux. Voilà des résultats

positifs que les méditations les plus profondes sur lesdonnées immédiates de la conscience n'auraient paslaissé soupçonner car expliquer un fait c'est le ratta-cher aux faits de même ordre soit antécédents, soitsimultanés.

De tels procédés sont bien indirects? C'est pourcela qu'ils ont chance de réussir et réussissent en effet.Les phénomènesextérieurs, particulièrement le langageet les mouvements d'expression sont comme le prismeà travers lequel la lumière blanche vient décomposerses rayons. Que si on soutient que les mouvementsd'expression et la voix n'ont rien de commun avec lesphénomènes internes qu'ils traduisentau dehors, com-ment se fait-il que ces mêmes actes physiques serventde lien aux membres de la société et suffisent à établirentre eux un commerce régulier ? D'ailleurs la psycho-logie a beau prétendre puiser ses solutions au plus pro-fond du moi, c'est toujours en définitive par des motsqu'elle exprime ces solutions, en sorte que si les motssont d'infidèles interprètes, la voilà condamnée à restertout entière enfermée dans les consciences.Ainsi donc,les actes extérieurs de l'homme sont la vraie expressionde ses idées; c'est par l'extérieurque la consciencepeutêtre pMf~'ee.

C'est encore par l'étude de ses manifestations variéeset successives, c'est-à-dire de sa croissance, qu'on dé-couvrira sa véritable nature. Comment les botanistescaractérisent-ilsles plus grands arbres ? par le modede croissance de leur premier germe. L'histoire deshumbles commencementsde la conscience est encore àfaire. Jusque là il n'y aura qu'une psychologiede con-vention, bornée arbitrairement à la description d'un

moment de la vie psychique, confondant sous le nomde facultés innées essentielles des aptitudes nées d'hieret des dispositions héritées depuis ou avant le commen-cement de la race. Mais à qui veut scruter les couchessuccessives dont la conscience actuelle est formée, lalinguistique est indispensable, ainsi que la psychologiemorbide et un grand nombre d'autres sciences, tantinorganiquesque biologiques.

La statistique, ou physique sociale comme Quételetl'a appelée, tel sera l'auxiliaire le plus puissant de lapsychologie expérimentale. De même que la météoro-logie ne se peut construire, à cause de la durée et del'étendue de ses phénomènes, que parun vaste ensembled'observations recueillies pendant de longues annéessur tous les points habitésdu globe; ainsi la psychologieexpérimentale ne s'achèvera que par le rapprochementd'une multitude de phénomènes sociaux exactementmesurés embrassant le plus grand nombre d'années etle plus vaste espace possible.

Bien que se servant de la même méthode que lessciences de la nature et se trouvant entraînée à de fré-quents échanges avec elle, la psychologie ne cesse pasd'avoirune existence propre.Il y aplacepour une sciencedistincte partout où il y a un groupe de phénomènesirréductiblesà d'autres phénomènes. Or les phénomènesde conscienceformentprécisément l'un de ces groupes.Leur caractère commun est d'être connus par le dedanset rien ne peut remplacer cet attribut essentiel. Aprèsles investigationsles plus minutieuses dans le mondedes faits extérieurs, c'est toujours à l'intérieurqu'il enfaut venir pour interpréter les résultats acquis. Si letélescopeest indispensable pour voir certaines étoiles,

ce n'est pas à dire que le télescope voie les étoiles. Demême les recherches conduites en dehors de la con-science n'ont jamais, quelle que soit leur nécessité, quele rôle de moyens par rapport à la connaissance de laconscience même. La physiologie, par exemple, ne suf-firait certainement pas à expliquer les phénomènes psy-chiques à vrai dire elle les ignore, car la forme et lemouvement des cellules ou flbres vivantes ne peuventpar aucune opération logique être transformés en pen-sées. Même la physiologie emprunte plus à la psycho-logie que celle-ci à celle-là. C'est le fonctionnement, lebut d'un appareil qui explique sa structure, et un phy-sicien comme Helmotz ne comprendrait rien à l'acous-tique sans les sensations musicales produites en lui parles sons combinés. Il y a plus; en dehors des donnéespropres de la conscience, il n'y aurait pas de problèmespsychologiques. Il faut que le fait de l'association desidées, par exemple, soit d'abord constaté par la con-science pour que le physiologiste trouve là une matièreà ses investigauons.

Cette conclusionn'implique enrien, comme il semble,l'admission de facultés indépendantes de l'organisme.Tout phénomène psychique a dans quelque phénomènephysiologique son corrélatifinséparable. Seulementdanscertains cas nous savons à quel objet extérieur ou àquelle partiede notre corps le phénomène de consciencepeut être rapporté; dans d'autres cas nous l'ignorons.C'est dans ces derniers cas que nous. imaginons desfacultés destinées à servir de support aux phénomènes.Tandis que nous rapportonsle son aux objets extérieurs,et telle douleur à l'un des doigts de la main, nous avonsdéjà plus de peine à situer exactement une sensation

éprouvée à l'un des doigts du pied et s'il s'agit d'unedouleur produitedans les organesprofonds,de l'angoissepar exemplequi accompagne les troubles de la circu-lation, nous ne savons plus si nous devons la rapporterà un organe. Le phénomène devient l'origine de peinesdites morales (Rapprocher l'hypocondrie, la lypémanie,etc.). A plus forte raison sommes-nous incapables dedéterminer a quelle partie de l'encéphale correspondtelle et telle opération ou émotion psychique c'est alorsque nous nous tirons d'embarras en créant des facultésquin'ont d'autre rôle que de remplir les vides laissés parnotre ignorance, et de remplacer les véritables supportsorganiques. Mais le parallélisme des deux ordres dephénomènesphysique et psychique est en vain masquépar ces entités imaginaires; il se découvre de plus enplus il devient de plus en plus manifesteque les deuxséries sont en étroite corrélation. On est conduit ainsià se demandersi les caractères communsqu'elles offrentne permettent pas de les ramener à un principe unique.Non qu'on doive supposerune substance réelle autrequela matière et l'esprit; ceux-ci ne sont déjà que des abs-tractions, des catégories de phénomènes; il s'agit seule-ment de concevoir par induction, comme expliquant denouvelles ressemblances entre ces deux catégories, unecatégorie supérieure, qui ne contiendra rien de plus queles traits communs des deux sortes de phénomènes, à

mesure qu'ils se révélerontà l'expérience. L'homme ap-paraîtra ainsi comme un tout formé, non de deux subs-tances distinctes,mais d'un seul agrégat de phénomènesà double face. Cette conception est celle de Spinoza,mais avec cette grande différence, dit M. Ardigo, que lasubstance de Spinoza est conçue a~Wor/comme le point

de départde lascience, tandis que celle-ci,simple conno-tation des ressemblances qui unissent la matière et l'es-prit, résultant de l'expérience, reste toujours prête à semodifier avec ses progrès.

C'est là le point essentiel de la doctrine. Des phéno-mènes et des lois, voilà donc l'objet exclusifde la psy-chologie. C'est avec raisonque l'auteur se préoccupe desavoir quelles peuventêtre les conséquencesd'une telledoctrine, et quel aspect elle peut revêtir aux yeux deceux qui scrutent surtout la portée métaphysiqueet mo-rale des systèmes.

Elle ne conduit assurément point au spiritualisme;elle en est la négation la plus radicale. M. Ardigo re-proche à celui-ci d'entraînerdes difficultés sans nombre.Combien y a-t-H d'âmes dans l'homme ? Une seule âme

ne sufnrait-eue pas à toute l'humanité ? De quoi est-ellefaite l'âme ? Ou était-eue avant d'entrer dans le corpsde l'homme ? Quelle est l'heure précise à laquelle elle ypénètre ? Dans quelle partie du corps réside'-t-elle ?Comment communique-t-elle avec lui? La vie est-elle ou

non possible sans elle ? Que deviendra-t-ellequand ellesera séparée du corps? Pourra-t-elle encorepenser, sen-tir et vouloir? Mais comment concilier sa simplicité avecla multiplicitédes actes qu'entraînent de telles opéra-tions ? Et en quoi l'âme de l'homme diffère-t'elle enfinde celle des animaux ? Le spiritualisme écarté, il sembleque l'idéalisme devient seul possible,pour qui nie lecaractère absolu de la connaissance et regarde commeune illusion subjective l'idée du non-moi et la croyanceau monde. Il n'ea est pas ainsi l'idéalisme a ce grandinconvénient de conduire inévitablementau scepticisme.En effet, tout en soutenant que nos idées dépendent de

la constitution de notre esprit, et ne peuvent atteindreni l'objet en soi, ni le sujet, il maintient que le but dela connaissanceest cet objet même et ce sujet qu'il dé-clare inaccessibles.Seul le positivisme, en niant réso-lument l'uneet l'autre substance, moi etnon-moi, échappeau scepticisme. Dès que l'idée d'un sujetn'est plus qu'unepure habitude mentale de considérer certaines penséesdans une certaine relation les unes avec les autres etavec le reste de nos pensées, elle devient une réalitépar elle-même et cesse de requérir l'appui, soit d'unsujet dont elle serait une qualité, soit d'un objet dontelle serait l'image. Sa valeur comme connaissance nedépend pas de sa ressemblance avec un objet, mais estabsolue. La vérité ne consiste pas dans une correspon-dance supposée avec un terme différent (correspondancequi étant indémontrableintroduitnécessairement le scep-ticisme), elle consiste dans ce simple fait qu'elle estdonnée. Bref, M. Ardigo ne distingue pas avec l'idéa-lisme kantien l'apparence de la réalité, le phénomènedunoumène c'est l'apparence elle-même qui devient dèslors réelle, et la représentation, au lieu d'être une sortede moyen terme entre deux réalités inaccessibles, de-meurant seule, se tient en quelque sorte debout par sapropre vertu et absorbe l'être tout entier. Il semble quece système pourrait être exactement caractérisé par lenom de phénoménisme absolu. Il va plus loin même quele scepticisme de Hume,etcela pour échapperau scepti-cisme Hume, en effet, conservait un objet et, doutantqu'on puisse l'atteindre par la connaissance, s'en remet-taitpour le saisir à un instinct naturel, à un sentiment(/ee/). Impuissanteà résoudre le problème métaphy-sique tel qu'il était posé, la philosophieabdiquait par la

bouche du sceptique anglais. M. Ardigo change les termesmêmes du problème, ou mieux il l'écarté au lieu de lerésoudre. Si l'objet n'est plus qu'un point de vue, dit-il,comments'y prendra-t-on pour douter de sa réalité ?

Quant aux conséquencesmorales, M. Ardigo- les ayantdéveloppées depuis dans un ouvrage spécial, nous endonnerons un aperçu quand nous entrerons dans cetordre de questions. Peut-être est-il regrettable que lerigoureux esprit dont nous venons de retracer les doc-trines philosophiques se soit hâté de passer à l'étudedes problèmes sociaux avant d'avoir suffisamment af-fermi sa base psychologique.Il nous promettaitdans sonpremier ouvrage de donnertous ses soins à une psycho-logie expérimentale rien ne lui manquait pour conduireà bonne fin son projet, ni unevaste érudition scientifiquepuisée aux sources, ni la connaissancedes recherchesphilosophiques antérieures, ni la netteté des idées, ni laforce de l'expression et il eût sans aucun doute mieuxdémontré les vertus de sa méthode en l'appliquant à desproblèmesdéterminésqu'en la préconisant, sans pouvoirprésenter comme acquis les résultats qu'il promet. Le)neilleur moyen de prouver la possibilité du mouvementa toujours été de marcher. Quand une science est là,offrant tout un groupe de faits systématiquementrangés,des séries de types définis et un ensemblede lois vé-riSables, la question de sa méthode est tranchée. c Don-nez-moi, dit quelque part M. Ardigo, donnez-moi lessensations et la loi d'association je vous expliqueraitous les phénomènes de la vie psychique. ? Des explica-tions de cette sorte, fondées sur une exacte analyse desfaits, eussent fourni du lest aux généralisations hardiesque nous venons de passer on revue. Mais il faut laisser

à chacun son génie aux unsde fixer les principes et laméthode, aux autres de chercher les vérités du détail etde recueillir, par l'observation et l'expérience, les faitsqui conurment ces principes et justifientcette méthode.C'est une t~che importante que les philosophes italiensn'ont pas négligée.

CHAPITRE ÏI.

PHILOSOPHIE BIOLOGIQUE.

Pendant que les philosophes proprement dits et clas-sés comme telspar le caractèrede leur professioncommepar la nature de leurs études premières donnaient auxprincipes de la philosophie positive le développementque nous venons d'exposer, des savants adonnés pourla plupart à l'étude des sciences naturelles se servaientde la méthodepréconisée par eux pour résoudre desproblèmes plus particuliers, et par une autre voie mar-chaient au même but. Mais ici encore, ils ne faisaientque reprendre une tradition ancienne. Dès le commen-cement du siècle, un médecin, Bufalini, avait appliqué àl'étude de la pathologiela méthode de Condillac. DanssonEssai surla c~oc~e de la r~e(1813) il rejetait déjà toutedoctrine biologique fondée sur la recherche des essenceset des causes premières, et voulait enfermer la sciencedans la connaissancepositivedes phénomènes et de leursrapports. La matièrevivante ne lui paraissaitpas, dès lors,se distinguer de la matière commune. Il se refusaitàvoirdans la forcemystérieuseprêtéeparBrownà tout ce quivit,dans l'excitabilité,autre chosequ'une absiraction,qu'unnom par lequel une multitude de propriétés particulières

et concrètesdes tissus vivantsétaientdésignées. Cepen-dant, pendant quelque temps encore, il s'en tint à la con-ception hippocratique d'après laquelle la maladie est untout naturel qu'on ne peut distinguer et classer qu'en leconsidérant dans son ensemble d'après ses symp-tômes extérieurs. Telle était encore la tendance de sesFondements depathologie analytique (i8i9). Il fut atta-qué quelques années après par Puccinotti qui, dans sa~a/o7~je inductive (~828), réclama en faveur de cequ'il appelait la synthèse, et demanda que le médecinjoignît à la description et à la classification des maladiesleur réduction aux lois générales de la vie. Toute affection-pathologique est une fonction 'qui s'altère il fautdonc connaître les lois de cette fonction si l'on veut ar-river à guérir or ces fonctions essentielles sont en petitnombre. Telle est du moins la partie intelligible dusystème qui se trouve d'ailleurs mêlé de conceptions sibizarres (force conservative, affinité physiologique,puis-sances vitalesprimitives, etc.) qu'on le croirait Fœuvred'un médecin du xve siècle. Aiguillonné par cette polé-mique, Bufalini perfectionna de plus en plus sa théorie dudéterminismevital. limontra que les faits physiologiquesne sont bien saisis dans leur enchaînementnécessairequepar des expériences et que l'on doit chercher à saisirpar ce moyen, sous les manifestationsmorbides,l'élémentorganique altéré. Ainsi il s'élevaitau-dessus de la vieillemédecine contemplativeet expectante pour ouvrir à l'artde guérir des voies nouvelles. Sa ~a~o7o~<?a~a7~~ue,publiée pour la première fois en i847, réimprimée en1860 par l'auteur avec des changementsqui en ont faitun livre nouveau,est un monumentoù l'on peut admirersinon les derniers résultats de la science,du moins l'ex-

posé des principesqui l'ont transformée(1). Les physio-logisteset les médecins italiens les plus distinguéss'ho-norentde l'épithète de Bufaliniensque les Hippocratistesleur appliquent comme une mjure (3).

En des temps encore plus rapprochés de nous, unprofesseur à l'Université de Bologne, traitant de l'his-toire de la médecine, aborda dans son cours l'étude desclassifications proposées par les naturalistes pour lerègne animal. (Été i87i.) Ses leçons furent publiées parquelques uns de ses élèves parmi lesquels nous remar-quons M. Tamburini qui s'est fait connaître depuis parde beaux travaux de physiologiecérébrale. Elles formè-rent un livre Les types zoologiques (/ tipi a~o3a7ï)dont la première partie traite des naturalistes anciens,Platon; Aristote, Galien, la seconde, de la morphologie

(i) Institutions de pathologie aua~/<yuo de Maurice Bufalini,professeur de c!in!que médicale à l'université do Pise. Napics,Federico Vitale, ed. ~860.

(2) Voir un beau discours prononcé lors de la reprise des coursà l'Institut des études supérieuresde Florence par M. Pietro Bur-rosi, professeur, un des plus célèbres médecins d'UaUe « Eh bienoui, je le proclame hautement nous sommes Bufalinien pour laméthode en ce sens que la médecine doit rester sur la voie dessciences cxpér!menta!es mais au delà, nous ne reconnaissonsd'autre autorité que celle du fait; pour nous il n'y a ni solidisme,ni humorisme, ni vitalisme, ni organicisme; la direction expéri-mentale exclut toute adhésion de la médecine à un système quel-conque et c'est seulement en suivant cotte direction que nousnous sentons dignes disciples de Bufalini. » Du reste il recon-noft que Dufatini n'a jamais fait lui même de recherches origi-nales. M. Burresi condamne très nettementavec toutes les doc-trines métaphysiques, énoncées plus haut la recherche des causesIlnales. « Comme médecins, nous n'avons pas besoin des causesfinales. D Florence, Lemonnier~ i878.

des invertébrés, jusqu'aux arthropodes exclusivement,les mollusques compris. Bien que prétendant suivre uneméthode positive, M. De Meis est avant tout un Hégélienet croit déduire les types zoologique de l'Idée, seulmoyen, assure-t-il, qu'aiirpspritdepénétrer l'organismede la nature. L'observation ne rencontre que l'accident,elle ne saisit pas la cause et la loi dans le développe-ment des formes vivantes; le pOMr<yMO/ des faits luiéchappe: il faut le demander à la raison, éclairée parl'Idée. Les modernes, encombrés de faits que l'observa-tion leur a livrés, sont, pour la véritable explication dela nature, inférieurs aux anciens qui se servaientde leurraison. < L'Idée manque dans Virchow et C. Bernard.Il y en a une dans Galien. » Darwinfait reposer la trans-formation des types sur des variations individuelles ori-ginaires, et la sélection fait le reste mais d'où vient lavariationprimitive sur laquelle opère la sélection ? C'estce que Darwin ne dit pas; sa théorieest une altérationdecelle de Lamarck. « Elle a un double fondement i~uneignoranceépouvantable et colossale; 2" une témérité ti-tanique. » (p. i47.) La tendance à l'unité qui s'y mani-fjste est une bonne chose, mais ce n'est pas l'unité natu-relle qui peut constituer la science, c'est l'unité idéale.Si l'on veut étudier le polype par exemple, on n'a quefaire de se perdre dans la descriptiondes 225 genres etdes i250 espèces décrites par Dana, il faut laisser celaaux dessinateui s d'atlas et aux collectionneurs de mu-sées. c La science ne se fait pas en regardant, mais enpensant, et dans l'accident il n'y a rien à penser. Nousn'avons pas besoinde faire ressortir combien ce langageest contraire à l'esprit des sciences d'observation; onsait, du reste, que la zoologie hégélienne ne v~J~~B"

mieux que la physique et la chimie hégéliennes; la vraiezoologie est celle qui ne porteaucune dénominationphi-losophiqueet se suffit à elle-même nos lecteurs en sontbien convaincus. Et pourtant l'enseignement de M. DeMeisn'a pas été étranger auréveil de la vie scientinqueen Mie.

Un autre ouvrage a pu rendre quelques services,malgré ce que sa forme a pour nous d'étonnant; nousvoulons parler des dialogues zoologiquesde M. Siciliani,parus enl8'76.Cette amplerevuedes systèmes biotaxiquesne peut passer pour une histoire proprementdite;pas untexten'est cité,et~bienque la compétencede l'auteur,élèvede Bufalini,nesoitpas douteuse,la forme littéraire de sonœuvre fait qu'on se demande sans cesse ed la lisant oùs'arrête l'analyse et où commence la notion. Mais cemélange même de science et d'art, de sérieux et de co-mique, de termes techniques et de patois florentin,symptôme curieux de l'état où se trouvent encore cer-tains esprits très cultivés en Italie, a rendu le contenude l'ouvrage accessible à un public plus étendu et aéveillé la curiosité d'un grand nombre autour des pro-blèmes de philosophie zoologique. M. Siciliani avaitécrit antérteurement un ouvrage semi-logique, semi-his-torique où il s'annonçait comme le restaurateur de laméthode conciliatricede Vico, se disant philosophe po-sitif et non positiviste, se faisant fort de se frayer unchemin à égale distance des idéalistes et des empiriquespurs. Cette position neutre qui lui permettait de resteren bons termes avec les philosophes de toutes lesécoles, contribua aussi à lui concilier l'assentiment d'unbon nombre de positivistes, de quelques uns de leur ad-versaires, et de la masse des hésitants. Mais bientôt

l'inventeur de l'jM~~o /ne~o subit l'ascendant desdoctrines qu'il avait exposées, et dépouillant son impar-tialité critique, il publia sa Psychogénie, où il penche vi-siblementvers la doctrine de l'évolution, sans renoncercependant à sa circonspection accoutumée.Il demandeque la question de l'existence de l'âme, et toutes lesquestions de cettenaturerestent ouvertes et il repoussel'emploi exclusif des deux méthodesobjective et subjec-tive, qui ont à ses yeux le tort de préjuger la solutiondes problèmes métaphysiques auxquels la psychologiedonne naissance, soit dans le sens mécaniste soit, dansle sens idéaliste. Il faut corriger et compléter ces deuxméthodes l'une par l'autre. De plus, à la psychologie età la physiologie qui étudient l'esprit et l'organisme dupoint de vue statique, dans leur état de formation défi-nitive, doit se substituer la psychogénie, qui étudie lesdeux ensembles de faits (fonctions et organes) dans leurdéveloppementcorrélatif. La partie la plus personnellede l'ouvrage est celle qui est intitulée « Problèmefondamental de la nouvelle Psychologie~ D Il y est sou-tenu que ni les spiritualistes, ni les matérialistes, n'ontjamais songé à donner une classification zoopsychiqucnaturelle. Puis, l'auteur passe en revue les tentativesfaites dans cette voie par Aristote, Ampère, Lamarck,Leuret et Spencer. Ce dernier a plus que les autres ap-proché du but il ne l'a cependantpas atteint. M. Sici-liani ne doute pas de réussir, en transportant dans lapsychologie comparée le point de vue de l'homologieet de l'analogie si utile en morphologie, à dresser laclassincation génétique de toutes les formes d'espritdonnées à l'expérience depuis les infusoires jusqu'àl'homme,parallèlementà la classification'des organismes.

Pour le moment, laissant de côté ce projet qui nemanquait pas de grandeur, le savant professeur del'Université bolonaise expose les principes de la sciencesociale devant un nombreux auditoire quelques-unesde ces leçons ont déjà été publiées.

Cette étude des formes inférieures de l'intelligenceque M. Siciliani nous promet, M. Vignoli l'a entrepriserécemmentdans un volume de la bibliothèque scienti-fique internationale: « T~a loi /o~aœ~a/e de 7'j~e/~2ce dans le règne ~j~aA C'est l'œuvre d'un espritqui tend à s'affranchir des illusionstranscendantes,maisn'en est pas encore débarrassé tout à fait, et s'efforceavec plus ou moins de succès, démettre sa pensée d'ac-cord avec les enseignements de la science la plus ré-cente. Après quelques considérations sur la méthodepropre à la psychologiecomparée, l'auteur expose la loiqui suivant lui est la loi fondamentalede l'intelligencepartout oùelle se manifeste,pu is il montrecommentcetteloi se vérifie dans le végétal,

tdans l'animal, dans

l'homme sans effacer les différences qui les séparent.Insistons quelque peu sur chacune de ces diversesparties.

La force mtellectuelleserait indépendante des organesdont elle se sert, et cela non seulement dans l'hommemais surtout dans les animaux et les plantes. Toutentière en elle-même, en dehors de ses manifestations,identique et égale partout où elle se montre à travers lasérie organique, capable de susciter au besoin un or-gane ou un autre, suivant les circonstances, libre en unmot de se produire dans les types les plus pauvrescomme dans les plus complexes, cette force a naturelle-ment partout les mêmescaractères essentiels aussi bien

chez la plante que chez l'homme. Or, « l'essence de la fa-culte psychiqueconsiste dans la coordinationspontanée etconsciente des moyens par rapport à une fin. a De nom-breuxexemples d'unetelle coordinationsontempruntésaurègne végétal. Malheureusement les théories qui tendentà expliquer ces effets par des ajustements mécaniques,produits de la sélection, ne sont pas suffisammentdiscu-tées. On s'appuie surtoutsur ce que les organes restant lesmêmes, les fonctions peuvent varier; mais on ne se de-mande pas, si, malgré les ressemblances superficielles,des modifications plus délicates et partant plus dif-ficiles à saisir n'atteignent pas dans ce cas les partiesprofondes de l'organisme. Il faudrait un plus grandnombre de preuves et de plus solides pour établirque la coordination des moyens en vue de certainesfins où la correspondance de l'être avec son milieurequiert dans le règne végétal l'intervention de laconscience. La théorie de M. Vignoli s'applique aucontraire assez bien au règne animal. L'animal pourvud'un système nerveux et capable de représantation peutse proposer des fins au moins prochaines et c'est en luil'intelligenceet la volonté qui rendentcomptedelaparfaiteadaptationde ses actes aux exigences dumilieu. L'instinctn'estpournotre auteur que l'ensembledes habitudeshéré-ditaires chacune de ces habitudesa été contractée grâceà l'initiative intelligente de certains individus; seulementchaque mode d'activité a cessé d'être conscient en de-venant organique dans sa transmission aux générationssuccessives. L'analyse du mode de penser de l'animalest des plus heureuses on remarquera surtout le cha-pitre où les principes que l'intelligence humaineconçoitsous leur forme abstraite sont signalés comme faisant

partie intégrante des raisonnementsimplicites qu'ébau-che l'animal en passant du particulier au particulier onsentira à la lecture de toute cette théorie de l'instinct,appuyée de faits nombreux et décisifs, combiensont dé-sormais impuissants les efforts tentés pour soutenirl'immutabilité de l'activité animale et son caractèreexclu-sivement spécifique. Au moment ou de toutes parts lesesprits les moins prévenus eu faveur des animaux s'ac-cordent à reconnaître qu'ils agissent pour des motifsindividuels et qui varient avec les circonstances, il estintéressant de voir la philosophie italienne confirmersur ce point les résultats obtenus ailleurs par la psy-chologie comparée.

M. Vignoli est de ceux qui pensent que plus on ac-corde à l'animal, plus on élève l'homme. Il n'en est pasmoins amené à discuter après tant d'autres les raisonsde notre supériorité. Quelle est dans l'activité psy-chique de l'homme, la marque distinctive, la fonctioncaractéristique ? Ici sa déilnition générale de la forceint.elligente lui cause quelque embarras. Il insiste àplusieurs reprises sur cette proposition que l'activitépsychique étant la même dans tout le domaine de lavie, il ne peut être ici question de facultés nouvelles.Et cependant il faut bien trouver une différence. Ladistinction cherchée doit être trouvée dans l'emploi dif-férent des facultés propres à tous les êtres intelligents.« L'homme, d'animal intelligent qu'il était se trans-forme en animal raisonnable et progressif, sans cesserd'être le même essentiellement. » L'animal, en effet, adéjà le sentiment de soi-même; mais en lui ce senti-ment est implicite, c'est à dire qu'il se lie intimementaux actes qu'il produit, aux affections qu'il éprouve

il ne saurait se distinguer lui même des perceptions ousouvenirs particuliers auxquels il est mêlé par unesorte d'immédiation. Quand l'animal distingue ses per-ceptions et ses souvenirs du sentiment qu'il en a, etque ce sentiment devient assez explicite pour êtrel'objet d'une pensée expresse, bref quand l'animal ale se~~ne~ du sentiment de ~o/, alors, par ce faitmême, suivant l'expression familière à M. Vignoli, ildevient intellectuellement homme. Voilà en quoi con-siste la conscience humaine. Ce qui la fait surgir de laconscience animale, c'est ce fait du re~OMj&7e7Me~. Mais

ce fait qui a déjà servi pour distinguer la conscienceanimalede la conscience végétale, n'aurait-il pas lui-même besoin d'être expliqué ? Il ne semble pas qu'ilait toute la nouveautéet toute l'importance que l'auteurlui attribue.

L'industriehumaine se distingue de l'industrie ani-male par trois caractères. D'abord l'animal se sert direc-tement de ses organes pour agir sur là matière, tan-dis que l'homme se sert d'une partie de la matière plusou moins compliquée pour agir sur le reste bref lepremier n'a pas d'instruments,et le second en emploieun nombre infini, Ensuite les œuvres de l'animal n'ontpas d'autre but que la satisfaction d'un besoin ellestrouvent toutes leur raison d'être dans une utilité queleur auteur en retire l'homme seul édifie et travaille<en se proposant pour but la satisfaction d'un sentimentesthétique et moral; tels sont les monuments qui serapportent au culte, aux fastes nationaux, à la com-mémoration des morts, à l'ornementation de lieuxdivers, places, promenades, jardins, etc. Enfin leschangements que l'homme a opérés sur la surface de

la planète terrestre sont bien plus considérables queceux dont l'activité des animaux est l'origine. Ces

remarques sont justes, mais à une condition, c'estqu'on reconnaisse que les différences ne portent ici quesur l'extension diverse des caractères signalés, trèsminime chez l'animât, immense chez l'homme. M. Vi-gnoli a l'esprit trop synthétique et trop libre pour nepas s'en apercevoir à mesure qu'il poussera plus loinses études d'anthropologie; le cours qu'il professesur ces matières à l'académie scientifique de Milan (iltraite cette année de ~or/y~c de T'e~/M~o~ desTM~Aes) ne peut que l'entraîner plus avant dans la voieoù son commerce avec les sciences biologiques l'a déjàengagé.

Jusqu'ici nous avons rencontré des savants plus oumoins isolés; nous abordons maintenant l'étude d'ungroupe assez homogène, d'une véritable école. Florenceen est le siège. C'est une chose assez remarquablequ'elle a compté un certain nombre d'étrangers. Unmédecin, M. Moleschott, qui de Turin, où il est resté,lui a communiqué I'impu!sion première, est né dans leBrabantseptentrional il avait enseigné en Allemagne;et il était professeur au polytechnicon de Zurich quandil fut appelé à l'université de Turinen i86~. Il est main-tenant sénateur l'Italie l'a ainsi définitivementadopté.M. Schiff est allemand et après avoir séjourné quelquesannées à Florence où la trace de son enseignementrestera, il est allé continuer ses travaux à l'institutinternational de Genève. Enfin M. Herzen, son élève,très italien, et fixé depuis longtemps à Florence, estcomme on sait d'origine russe, et a reçu une éducationanglaise. Même M. Mantegazza, également sénateur,

s'est préparé par de longs voyages en Amérique à sesétudes actuelles d'anthropologie. Mais le groupe ne serecrute plus maintenant que parmi des Italiens. M. Lom-brosos'y rattache; M. Tamburini et Luciani en font partie;il y a là un centre d'attraction et d*organisation dont l'in-fluence devientde jour en jour plusefncace. LesArcAAr.sd'anthropologie dirigées par M. Mantegazza, qui sepublient à Florence et la Revue expérimentale dejo7~c~Mrje de Me~ec~~ légale, qui paraît à Regio-Emilia sous la direction de M. Tamburiniavec le concourede MM. Golgi, Tamassia, Morselli, Verga, Luciani etLombroso sont deux recueils strictement scientifiquesqui suivent le môme mouvement. Enfin un journal, heb-domadaire cornme le Sa~M/~aj~jRewewetconçu d'aprèsle même plan, destiné principalement par ses fondateurs,MM. Villari, Franchetti et Sidney Sonnino, à l'examendes questions sociales, travaille énergiquement au relè-vement des études en Italie par la critique sévère qu'ilexerce sur les publications de toutes sortes. Fondéeà Florence et transportée depuis à Home, la ~asse~a~e~2M7M/e reçoit des biologistes de l'école de Schiffdes articles philosophiques courts mais substantiels, etil n'est pas douteux que d'ici à quelques années soninnuence n'impose à la majorité des écrivans le ton etla méthode scientifiques. Toute cette école est jeune,vivante et pleine d'avenir.

Nous n'avons rien à dire de Moleschott qui avaitproduit avant de venir en Italie les ouvrages qui ontétabli sa renommée. Du reste le panthéisme naturalistequi s'exprime avec tant de verve dans sa Circulationde la v~e est connu en France comme en Allemagne eten Italie. Happetons très brièvement les idées et lés tra-

vaux de Schiff, le véritable initiateur des recherchesexpérimentalesdans l'école florentine, maisqui lui-mêmeavait été formé ailleurs.

Sa conception générale de l'univers est analogueA celle de la gauche hégélienne elle est plus prochedu monismeque du matérialisme, « L'apriorisme spécu-latif ne nous conduit, dit-il, à aucune vérité objective anous ne tirons nos connaissancesque de l'expérienceet, si la philosophie peut nous apprendre quelquechose,ce n'est que par l'observation de l'esprit Le contenude la spéculationphilosophique est d'un intérêt exclu-sivement psychologiques. Enfin a la voie pour arriverà la connaissancede l'esprit passe par la connaissancedes phénomènes de la nature; la psychologien'est pasautre chose qu'un développementultérieur de la phy-sique et de la physiologie. » La psychologieest la clef detous les problèmes des sciences sociales morale, poli-tique, linguistique, etc., toutes supposent la connais-sance de l'homme intérieur dans son présent et dansson passé. Mais la psychologie a son tour ne peut sepasser des sciences physiques(au sens général de cemot), car les phénomènes psychiques ne sont sans doutequ'un cas supérieur de la transformation de la force.Toutes les sciences de l'homme doivent donc s'appuyersur les sciencesde la nature, les plusélevées sur les plushumbles. M. Schiff compte parmi les sciences moralesla joAsyc~o/o~e des peuples et il pense que le consen-sus des nations civilisées est le seul signe que nousayons de la vérité re/a~'re de nos systèmes. Cette vue.est digne de remarque si elle est exacte, l'adhésion deplus en plus générale que la conscience européenneaccorde à la philosophieexpérimentaleserait un signe de

sa vérité, du moins temporaire. Est-il une autre vérité?Rien cependant de très original dans ces généralisa-

tions l'oeuvre propre de M. Schiff n'est pas là. Elle est.dans les expériences qu'il a instituées pour déterminerles phénomènes objectifs qui accompagnent l'activitéphysique dans les centres cérébraux, particulièrementles variations de température. Voici l'idée qui l'a guidédans ses expériences (2).

« Si, partant des données actuelles de la science,nous admettons que l'activité nerveuse, grâce aux al-térations moléculairesqui la constituent et l'accompa-gnent, et grâce aux résistancesqu'elle rencontre dans letissu nerveux même, produit une quantité appréciablede chaleur, la transmission dans les centres et notam-ment dans le cerveau doit engendrer un échauffementlocal, MC~penc~mme~de l'effet calorifique dé la cir-cu/a~2?. Supposons que cet échauffement naisse etdisparaisse avec une excitation périphérique, nousaurions, par ce fait, acquis la preuve que l'excitation aété réellement transmise aux centres et que la trans-mission elle-même est liée à un mouvement molécu-laire, sujet aux lois générales du mouvement des corps.Supposons encore quecet échauffement local, suite d'uneexcitation périphérique, persiste à se produire aprèsla cessation de tout mouvement réflexe, dans ce cas il

(i) La /?~ca nc7/a /?/o~oFa, Revue européenne, ~875.(2) Archives de physiologie, V. Masson, mars-avri! 1869 à

juillet-août 1870. Le travail de M. Schiff, surchargé de détailsutiles, mais difficiles à suivre pour les personnes qui ne sont pasau courant des procédés employés dans les laboratoires, a étérésumé avec clarté par M. Herzen dans la Revue philosophiquedo janvier 1877.

serait démontré que les sensations se transmettent enpartie ~~c~ne~jusqu'au cerveau sans l'intermédiaired'une transmission de nature réflexe.– Si ensuite(abstraction faite toujours, si possible, des effets calo-riques de la circulation générale), nous trouvions quele dégagement de chaleur dû à une simple sensation ouà une impression sensorielle immédiate, est quantitati-vement inférieur à réchauffement local produit par uneimpression semblable ou même moins intense, maisaccompagnée d'un acte /?s~cA~e, nous en déduirions,avec une probabilité très grande, que le mouvementmoléculaire, source du dégagement de chaleur dans lecerveau, a été plus vif dans ce dernier cas que dans lepremier. Et s'il en était ainsi, les actes ps~cA~~ eux-~/Nps sera2e~ 7A~ a un ~HOH~ezMe~ ~M~r/e ?

Nous ne pouvons entrer dans le détail des expérien-ces que Schiff a exécutées sur des animaux (oiseaux etmammifères) curarisés ou laissés à l'état normal. Il pro-cédait, dans ce dernier cas, de la façon suivante. Il enle-vait sur le crâne de l'animal des portions de crâne sy-métriques, plantait par ces ouvertures dans son cerveaules aiguilles d'une pile thermo-électrique et réussi-rait à les fixer par frottement dans la plaie de l'os. L'ani-mal (un chien), laissé à lui-même après cette opération,continuaità vivre; au bout de deux jours il recommen-çait même à mander. Alors on le plaçait sur la table dulaboratoire, et on l'amenait sans peine, grâce à son étatd'assoupissement, à une immobilité complète. Les ai-guilles reliées à la pile, et celle-ci mise en communica-tion avec un galvanomètre, on produisait une excitationsur l'un des sens de l'animal soit en lui présentant desaliments, soit en lui faisant entendre du bruit, soit en

offrant à sa vue des objets inusités. A chaque excitationsensorielle le galvanomètre traduisait l'augmentationdela température par des oscillationsplus ou moins pro-noncées.C'est ainsi que M. Schiff a pu constater qu'enl'absencedemouvementsreflexes,lesexcitationspériphé-riques étaient directement conduites dans les lobes cé-rébraux et que l'activité psychique, mise en jeu, ydéterminaitune élévation de la température. En répé-tant les excitations consécutives, il a constaté de plusque l'élévation de température devenait de plus en plusfaible et que, par conséquent, l'activitépsychique dimi-nuait dès la troisième répétition jusqu'à un ~7~2~où l'une ou l'autre devenaientà peu près constantes.

Ces expériencessont de la plus haute importance ence qu'elles rapprochentlemomentoù l'activitépsychiquesera soumise à la loi générale de l'équivalence desforces elles sont corrélatives, comme M. Herzen l'a jus-tement remarqué, à celles par lesquelles on mesure letemps nécessaire à l'accomplissement des actes psychi-ques. On verra plus loin que M. Tamburini en a instituéd'autres avec les mêmes méthodes en vue de résultatsdifférents.

MM. Mantegazzaet Herzen sont contemporains.Lepremier est avant tout un anthropologiste. Il a touchéfréquemmentles sujets philosophiques, mais autour deses conceptions naturalistesvoltige ailée et vibrante unefantaisie tellement capricieuse que trop souvent lepoète en lui fait oublier le psychologue physiologiste.Peut-être le désir, légitime d'ailleurs, de gagner à laphilosophie expérimentale le public féminin en Italie,influe-t-il un peu plus que de raison sur la manière lit-téraire de cet aimable écrivain; toujours est-il que le

sexe et tout ce qui s'y rapporte est pour lui l'objet depréoccupations visiblesqui donnent à ses écrits philoso-phiques une physionomie particulière. Sa P/~s/o7o~du plaisir, qu'il a écrite à 28 ans (1852), en 485 heuresrépandues sur 48 jours de travail, en prenant soin de nepas consulter un seul livre sur le sujet (Préiace), pénè-tre sans la moindre austérité scientifique dans les dé-tails les plus scabreux et ne manque jamais, conformé-ment aux règles de la psychologie comparée~ decomprendre la description des plaisirs de la femme à.côté des plaisirs de l'homme. Le livre a eu huit éditionset a été stéréotypé à la cinquième~ On y trouvera desfaits intéressants disséminés au milieu d'une végétationluxuriante de métaphores et on devra reconnaître queles conclusionspratiques qui s'en dégagent sont encoreassez élevées, bien que la morale du plaisir elle-mêmepût gagner à rencontrer un défenseurplus grave. LaPhysiologie de famoMr, qui date de i8'72 (2e édition eni8'7&), alors que l'auteur avait déjà passé la quarantaine,est un peu plusanalytique; la lave,canalisée,commence à

se refroidir; il n'en est pas moins vrai que le caractèrelittéraire do cet ouvrage nous en rend l'analyse impos-sible dans le cadre restreint que nous nous sommes im-posé.

Ce n'est pas que nous entendions condamner l'emploique l'auteur a fait de son incontestable talent en écri-vant les deux ouvrages que nous venons dementionneret plusieurs autres de même nature. Tous les genressont légitimes, quand on y réussit. Mais nous cherchonsdes idées philosophiques; celles de M. Mantegazza onttrouvé leur expression plus scientiHque dans les articlesqu'il écrit pour sa revue et notamment dans une étude

fort curieuse intitulée Essai sur la ~raa~rœa~o~ des~rcMjo~eA~es.Lui-même a pris soin d'en résumer ladoctrine dans les aphorismes suivants

i~ En psychologie,comme ailleurs, le travail produitest toujours égal aux forces employées, ce qui équivautà dire que les forcesne se créent pas, mais ne font quese transformer. Nos pensées et nos affections, nos li-vres et nos statues, nos révolutions et nos arts ne sontque des transformationsde la chaleur solaire.

2" En psychologiecommeailleurs, des forces opposéesse heurtent et se neutralisent. L'impassibilitéd'un mar-tyr dans le dernier supplice n'est qu'une équation dedeux énergies opposées qui équivalent à zéro.

3" Les transformationsse produisent d'autant plus ra-pides qu'elles trouvent devant elles moins de résistanceou de frottement.

4" Les effets sont d'autantplus grands queplus grandeest la force accumulée en un point et qui peut êtrelibérée à l'occasion de la moindre excitation périphéri-que.

5" Une même quantité de force donne des résultats enapparence très différentsselon qu'elleest mise en libertélentement ou très rapidement. C'est ainsi que vousvoyez l'amour se changer en haine en peu d'instants parla catastrophe inattendue d'une trahison, ou que vousdécouvrez qu'il s'est transformé en antipathie par l'effetde la lente oxydation de l'ennui, des petites contradic-tions ou d'autres causes semblables.

6~ Les transformations sont d'autant plus faciies quela voie qu'elles suivent est plus naturelle et dans cecas il ne s'agit probablement que d'une diverse résis-tance des fibres nerveuses ou des molécules cérébrales.

La sensation se change facilement en sentiment et enhaine, tandis que la transformation en sens opposé estmoins facile et souvent pathologique. (H a été établi an-térieurement que les sensations peuvent se transformeren d'autres sensations, en sentiments et en pensées

que les sentiments peuvent se changer en d'autres sen-timents, en sensations ou en phénomènes intellectuelsque les pensées enfin peuvent se transformer en d'au-tres pensées, en sensations ou en sentiments.)

7° La rapiditédes transformations va de pair avec lajeunesse, !e sexe féminin, le tempérament excitable.La lenteur va de pair avec l'âge adulte, le sexe fort, laconstitution peu excitable (1). &

Ces idées sont bien le développement de celles deM. Moleschott et de M. Schiff. M. Herzen a subi égale-ment l'une et l'autre influence, mais plus particulière-ment celle de M. Schiff dont il a été pendant cinq ou sixans l'aide et l'élève. La psychologie physiologique est lascience qu'il cultive avec prédilection, sa pensée et sonstyle ont dans cet ordre d'études un caractère scienti-fique incontestable. Son érudition psychophysiologiqueest fort étendue. Traducteur de Maudsley, il possède àfond les grands psychologues anglais et connaît les tra-vaux allemands. Partisan de la méthodeobjective, il- nerejette la méthode subjective, l'introspection, que dansl'emploi exclusif qu'en veulent faire les psychologuesidéalistes, et se sert dans ses ouvrages simultanémentde l'une et de l'autre. Peut-être eût-il rendu à la sciencede plus grands services si, au lieu d'interpréter avec

(i) Le lecteur français trouvera l'article d'où ce résumé estextraittraduiten entier dans la Revue philosophique do mat'si878.

bonheur les résultats acquis, il avait profité de sa corn"pétence on physiologie pour faire lui-même un plusgrand nombre d'expériencesnouvelles mais il est déjàengagé dans cette voie comme le montre un mémoirecommuniqué à la Société anthropologique cette annéemême, et il aura besoin de s'y engager davantage à l'a-venir pour soutenir les vues qu'il émet en ce moment surla nature de l'action nerveuse.

Nous dirons quelques mots un peu plus loin de saPA~s/oJo~rje ~<3 la vo7o~e. Ses idées sur la « Psycho-physiologie a ont été exposées çà et là dans un certainnombre de travaux peu étendus elles sont déjà pluscondensées et mieux liées dans son dernier opusculeintitulé La CM~M /)Aj~yMe de la co?3sc/e~ce. aC'es~ là que nous irons les chercher, laissant de côté,pour éviter les répétitions, ce qu'il a dit ailleurs aprèsM. Schiff et M. Mantegazzade la réduction de la penséeà l'une des formes du mouvement (i~.

(i) Ce qui autorise cette réduction ce sont d'après M. Herzenles trois faits suivants 1" L'activité psychique demande un cer-tain temps; or le temps est la mesure du mouvement,donc l'acti-vité psychique est un mouvement; 2" l'activité psychique déter-mine uneôlévation dctempératurodanslescentrosnerveux; la cha-leur est du mouvement transforme, donc etc.;3~ l'activitépsychiqueentraîne de la fatigue, elle épuise d'autant plus qu'elle est plusprolongée, et plus intense; elle est donc comme tous les mouvo-ments une décomposition do matière et une dépense de force.(Y. Della aoturn det!'attlvitlr psichicu. Archivio per l'Aatropou(V. Della na<ura ~e/a~w<â psichica. ArcA/y/o pef /'An<ro~o"A~a c 7a ~ao~o~a, vol. IX, ~sctco/n ~o 1879.) La vie mentalelui parait devoir se rattacher à la loi de causalité universellecomme la vie physique. Elle consiste, elle aussi, en un échange,les impressions reçues et enregistrées devant un jour ou l'autreêtre rendues au monde extérieur sous forme de mouvementsmusculaires. (Cos' 6 la fisiologia ? Firenze, Lcmonnior, d877.)

L'état actuel de la physiologiepermet, dit-il, d'aMr-mer que la condition générale de la conscience est ladésintégration de la substance nerveuse dans lescentresnerveux. Cette désintégration, du point de vue matériel,est une décomposition de la substance nerveuse, dupoint de vue dynamique, c'est une transformationdesforces latentes en forces vives. Elle est suivie aussitôtd'une réintégration, c'est à dire d'une recomposition dela matière et d'une transformation inverse des forcesvives en forces latentes. Ces deux processus doivent detoute nécessité alterner dans la vie physiologique en gé-néral et dans celle du système nerveux en particulier.Mais la désintégration est seule accompagnée de con-science et seulement dans le cas où elle a lieu dans unecellulecentrale. Dans ce cas de deux choses l'une: ou ladésintégration se transmet~c~/e~e~ aux cellules avoi-sinantes, ou celles-ci offrent une resM~Me à la vibra-tion. Si le passage est facile, la réintégration suivraimmédiatement et la conscience éveillée sera nulle oufaible si au contraire une certaine résistance est oppo-sée, la désintégration gagnera nécessairementun plusgrand nombre de cellules, comme il arrive que l'agitationd'un courant augmente dès que celui-ci rencontre unobstacle la réintégrationne se fera que tardivement etlentement la conscienceéveillée sera d'autantplus viveque la résistance aura été plus difficile à vaincre. Laconscience ne dépend donc pas de la désintégrationseule en somme tout acte psychique entraîne une dé-composition de la substance nerveuse et un dégagementde forces vives elle dépend de la résistance offerteà ladésintégration par les groupes de cellules successifsqu'elle traverse; et quand la forcedégagée se décharge

instantanément dans un nerf eurentou passe entièreàun autre groupe de cellules centrales, l'acte est automa-tique nous n'en sommes pas avertis.

Au moyen de cette théorie, qui est voisine de celle deSpencer, M. Herzen retrace heureusement le tableauvarié de la vie psychique. Peut être ce tableau est41 plusintéressant par les connaissances que l'auteur doit à sesobservations et à ses lectures que par la lumièrequi enrejaillit sur lanouvellethéorie ou ceHe qu'elle lui prête. Defait nous voyons que le mot même de désintégration nese rencontre plus guère dans les pages substantiellesqui suivent. Il réapparaît seulement dans la conclusionque nous transcrivons tout entière. On va voir queM. Herzen s'y tient à égale distance de Maudsley et deLewes, niant contre le premier que la conscience soitabsente même dans l'activité des centres supérieurs,contre le second que la consciencesoit présente jusquedans l'activité des centres inférieurs, rejetant l'automa-tisme universel de l'un comme l'universel intellectua-lisme de l'autre. Voici ce qui résulte de son examensuccessif des phénomènes dont les divers centres sontle siège.

« Dans la moelle épinière conscience élémentaire,impersonnelle et inintelligente; son maximum dansles animaux inférieurs, à son minimum dans les su-périeurs. Dans ces derniers à l'état normal, il n'estpoint fait appel à la conscience spinale, parce que toutesles réactions de la moelle se produisent automatique-ment eMess~Mu7~squi ne trouvent pas un mécanismeprêt à les rénéchir, sont transmis aux centres encé'phaliques. Dans les cas seulement où, après la décapi-tation, des complications artificielles interviennent qui

en rendant nécessaire la formation de nouvelles voiesnerveuses, produisentune désintégrationétendueet~pro-fonde, la conscience spinale acquiert un certain degréd'intensité, pour diminuerbientôt quand les nouvellescommunications sont bien associées et aplanies, etquand les réactions correspondantes deviennent habi-tuelles, automatiques.

« Dans les centres sensori-moteurs (réunis en senso-r~MM et 7MO<M'2HM communia) conscience individuelleavec germe de perception, c'est-à-dire avec rudimentd'intelligence intensitéet caractèreintelligent et volitif,soumis à des conditions identiques à celles qui règlentl'intensité de la consciencedans la moelleépinière aveccette différence cependant que, en raison de la variétéiniinio d'impressionsexternes et de sensations internesdont ces centres sont le siège, presque chacune de leursréactions nécessitera l'introduction d'un élément nou-veau, d'une modification si petite qu'on le voudra desmouvements à accomplir et que par conséquent leuractivité ne pourra jamais se réduire à un automatismeaussi complet que celui de la moelle et fournira ainsipresque toujours, même dans les animaux supérieurset chez l'homme, sa quote-part de conscienceà la cœnes-thesis de l'individu.

« Dans les centres corticaux des hémisphères cons-cience intelligente et volitive, avec notion claire tou-chant les rapports de l'individu avec les objets exté-rieurs et de ceux-cientre eux; d'où résulte l'intentionalitédes réactions motrices: la conduiteest réglée par les cir-constances passées, présentes et futures –teUesque lesprévoit l'individu, grâce à l'expérienceacquise. Contrai-rement aux deux premières formes de conscience,celle-ci

croît simultanémentavec le degré zoologique de l'animalet atteint dans l'homme son maximum. La loi qui gou-verne les alternatives de conscience et d'inconsciencedans les centres corticaux, est celle que j'ai formulée etessayéd'établir dans une partie antérieure de ce travail. »

L'auteur, rapportant des observations qu'il a pu faireà plusieurs reprises sur lui-même dans le retour de lasyncope à l'état normal, assure que dans ce cas on tra-verse successivement, en suivant l'ordre ascendant,les phases de la conscience ci-dessus décrites. Mais cen'est là qu'une des nombreuses vérincaUons qu'il pro-pose de ses vues; la complexité même do son travailmontre bien qu'il se fait une idée exacte de la com-plexité des problèmes psychologiques. Dans la sciencede l'esprit, les formules sont peu de chose ce qui faitle psychologue,c'est le sentiment de la réalité et la fineperception des nuances. Ni l'un ni l'autre ne manquentà M.' Herzen.

De plus jeunes représentants de la même école se sontpeut-être plus encore rapprochés des véritables condi-tions de la sciencepsychologique moderne, en employantl'expérience à l'étude des fonctions nerveuses. MM. Lu-ciani et Tamburini poursuivent avec succès les recher-ches deHitzig et Ferrier sur les localisationscérébrales,par les procédés que ces habiles physiologistes ontemployés,et à la pratique desquels M. Schiff avait déjàinitié les expérimentateurs italiens (1). Le travail de

(i) On a de M. Schiff Leçons de physiologie expcr~ca~a/c dusystèmenerveux encéphalique, Florence, i873, et « Des pre~caduscentres moteurs dans les Ac~spAcros cérébraux, Revue de psy-chiatrie, etc., i876; do MM. Lussana et Lemoigne, <Sur les centresencéphaliques du mouvement a; Revue de psychiatrie, 1877; et de

M. Tamburini, intitulé « CMM~/o~ a la physiologiee< a7a pathologie du 7a~~e(Reggio-Emilia, 1876)l'avait amené à s'interroger sur le véritable rôle descentres corticaux; c'est ce problème qu'il a cherché àrésoudre, de concert avec M. Luciani, dans deux bellesétudes: <S~r2M/b7?c~o/?s~u cerveau, ~ecAerc~es eAye-r~e~~ (18~8-i8T9).

Dans la première, les deux auteurs se sont bornésà exposer les résu)tats de leurs expériences relativesaux points moteurs de la couche corticale. Dans la se-conde, se trouvent les expériences relatives aux cen-tres sensoriels de la même région. Voici parmi les con-clusions de l'une et de l'autre, celles qui nous paraissentles plus dignes de remarque.

L i" Lesaires excitablesde l'écorcecérébraleprésen-tent, tant chez les chiens et chez les chats que chez lessinges, des différences importantes de situation et despécification, non seulement d'animal à animal mais

encore entre les deux hémisphères d'un même animal.2" Par l'excitation électrique, on peut signaler pour le

membre postérieur comme pour le membre antérieurdans le circuit sigmoïde des chiens, deux centres dis-tincts pour des mouvements opposés.

~Dans le singe, les aires excitablespour les membreset la face ne sontpas limitées à la circonvolutionfrontaleascendante comme le soutient Hitzig elles s'étendentencore à la circonvolution pariétale ascendanteau circuitangulaire, etc., comme l'a démontré Ferrier.

7° L'hypothèseque les mouvements produitspar élec-trisation des zones corticales sont de nature réflexe enMM. Albertani et Mtchïel!, un travail sur le même sujet, mumoJ!etW,1876.

raison de ce que les aires excitables seraient autant decentres moteurs de chacune des parties du corps, cettehypothèse ne tient pas contre les faits de la décomposi-tion, de la coordination vers un but et de la constancede ces mouvements, caractères que n'ont jamais lesmouvements que l'on produit par voie rénexe en exci-tant les parties par voie périphérique.

8" Les lésions de la mobilité consécutives à l'ablationdes zones excitables, sont de nature absolument paraly-tique et non ataxique.

9" Les phénomènes paralytiques susdits sont transi-toires, mais durent plus longtemps, c'est-à-dire lacompensation s'en fait que plus lentement, à mesurequ'on s'élève dans l'échelle zoologique.

10° Pour expliquer la compensation des phénomènesparalytiques, on no peut admettre le concept de la subs-titution fonctionnelle ni des aires circonvoisines, ni decelles de l'hémisphèreopposé, pas plus que la naissancede la fonction psycho-motrice dans les centres ba~tliairesil faut admettre que ces derniers sont, eux aussi, phy-siologiquement centres de la mobilité volontaire, que ledéveloppement ou le perfectionnementde cette fonctionqui leur est propre produit la guérison des phénomènesparalytiqueset la produit d'autant plus vite, qu'elle étaitdéjà plus développée en eux normalement.

Il. i°Le centre visuel des chiensest représenté parune longue zone d'écorce de la seconde circonvolutionexterne, qui s'étend environ de la région frontale au com.mencement de la région occipitale. Celui des singes com.prendprobablement, non seulement tout le circuit angu<laire, mais encore une grande partie sinon la totalité dela convexitédu lobe occipital contigu.

2~ Le centre auditifdes chiensest certainementrepré-senté par la portion la plus élevée et postérieure de latroisième circonvolution externe mais il n'est pas im-possible qu'il puisse s'étendre au delà de ces limites.Celui des singes est probablementcontenu dans la ré-gion homologue à celle du chien, c'est-à-dire dans unezone située immédiatementà l'extérieurdu centre visuelreprésentéepar les deux circonvolutions temporo-sphé-noïdales supérieure et moyenne.

3° Tant chez les chiens que chez les singes, les cen-tres visuelset auditifsde l'écorce se montrent électrique-ment excitables dans toute leur extension; mais les réac-tions qui se produisent dans les différents points varientnon seulementen degré, mais souvent encore en nature.

4~ Sans qu'il soit absolument impossibleque ces réac-tions représentent des mouvements réflexes, consé-cutifs à des sensations visuelles et auditives sub-jectives, il est bien plus probable qu'elles dépendentde l'excitation directe de centres moteurs spéciaux desmuscles dans lesquels se manifestent les réactions,centres qui se trouveraientcompris dans la zone visuelleet auditive.

5" La destructionunilatérale de la zone visuelle duchien provoque immédiatement l'amaurose presque com-plète de l'œil du côté opposé et l'amblyopie légère,mais cependant appréciable de l'oeil de ce même côté.La destruction unilatérale de celle du singe provoqueau contraire l'hémiopie bilatérale de la moitié du champrétinien correspondant au côté opéré. Ces faits engagentà admettre un croisement incomplet des fibres du nerfoptique du chien, et une semi-decussationou croisementde la moitié de ces fibres dans le singe.

6. La cécité qui se produit après l'extirpation descentres visuels corticaux n'est pas seulement psychique(amnésie des images visuelles selon Munck) elle con-siste dans l'abolition plus ou moins complète de la per-ception visueUe.

· 1 t · · · I v · · · · n · T · · · s f f ··8. Phénomènes analogues en cas d'ablation des cen-

tres auditifs.9. Les troubles de la vision et de l'ouïe consécuUfs à

l'ablation mono ou bilatérale des centres sensoriels seguérissent plus rapidement dans le premier cas, moinsrapidement dans le second.

10. La compensation des désordres dans la visionet l'audition consécutifs à la destruction des centrescorrespondants d'un seul côté, a lieu, du moins enpartie, par les centres du côté opposé.

ii. La compensationqui a lieu en suitedes mutilationsbilatérales incomplètes se fait par les portions restéesintactes des centres. Si les recherches à venir démon-trent clairement le fait de la compensation (parfaite ouimparfaite) même dans les cas d'extirpation bilatéralecomplète, il faudra logiquement admettre qu'elle se faitpar les ganglions basilaires (thalami et corps bigéminés)par analogie à ce que nous avons vu se passer aprèsl'extirpation complète des centres psycho-moteurs.

Ces recherches expérimentales connrment les vuesémises par M. Tamburini dans son étude sur le langageau sujet du rôle double des centres corticaux. D'aprèslui ces centres seraient en même temps le foyer de ré-ception et de perception des excitations sensoriellesprovenantd'une partie du corps donnée, et le point dedépart de l'excitation centrifuge volitive qui va aux

muscles de cette partie. Voici d'après ces vues quelleest d'après lui la physiologie du langage. « Les impres-sions acoustiques, irradiées à toute la périphériedu cor-veau sont déposées dans les cellules corticales commeimages mnémoniques des paroles et élaborées par unprocessus intellectuel en forme d'idées verbales. Cesidées se transforment, dans les cellules des lobes an-térieurs seulement, d'excitation psychique en impulsionmotrice coordonnée pour l'expressionphonétique, et c'estprécisément dans les cellules des circonvolutions mar-ginales de la scissure de Sylvius, surtout dans la 3° fron-tale que cette transformationa lieu. De ces cellules mo-trices l'impulsion, par la substance grise de l'7/?SM/a, setransmet aux libres de la substance blanche de cettemême partie et de là au noyau lenticulaire dans lequelles fibres cérébrales se joignentà celles d'origine spi-nale et dans lequel a lieu la communication fonctionnelleentre l'appareil hémisphérique ou d'idéation, et l'ap-pareil spinal ou d'exécution. Traversant ainsi le noyauventriculaire du corps strié, les pédoncules cérébraux etle plan de la protubérance, l'impulsionatteint les noyauxbulbaires des nerfs moteurs, l'accessoire, l'hypoglosse,le facial, par lesquels elle est transmise aux musclesdu larynx, de la langue, des lèvres qui servent à l'ex-pression phonétiquedes idées, e (Op. c~. p. 45.)

Ces. courtes citations suffisent à notre dessein. C'enest assez pour que les lecteurs au courant des progrèsrécentsde la psychologie physiologiquecomprenentl'im-portance des travaux qui s'exécutent en Italie dans cetordre de recherches et se procurentles oeuvres que nousleur signalons. Ils y trouveront la méthode scientinqueappliquée dans toute sa rigueur, avec une sobriété d'in-

ductions qui n'a d'égal que le soin méticuleux apportéà la constatation et à la mesure des faits. Ils y verrontqu'à partir du moment où elle produit de telles oeuvres,l'Italie n'a plus qu'à poursuivre pour se placer dans lasience de l'esprit à l'égal des nations qui la cultiventavec le plus de succès.

CHAPITRE III.

PHILOSOPHIE SOCIALE.

Quand M. Ardigo, assis sur un banc de pierredans lepetit jardin de la maison canonicale, s'aperçut en médi-tant sur la couleur d'une rose qu'il était devenu positi-viste, ce qui l'émut dans cette découverte, ce ne fut passeulement le nouvel aspect que l'univers revêtait à sesyeux, ce fut encore et surtout le changement profondque la transformation de sa pensée allait entraîner danssa vie. « Aussitôt, dit-il, subirent les résolutions pra-tiques régler la conscience selon les convictions nou-velles et les déclarerhautement en déposant l'habitecclésiastique. Ce fut un pas mortel à franchir il mefallait passer pour ainsi dire impitoyablementsur le sou-venir sacré de ma mère, et sur la reconnaissanceque jedevais à ce maître de qui je tenais tout (Monsignor Mar-tini). Ce pas, je l'ai fait. Eh bien, les idées moralesont sur moi le même empire qu'auparavant. Je neregrette rien. Quant à l'au delà de la tombe, il se trouvequ'en renonçant à l'espérance d'une vie à venir, en enbannissant la pensée, j'ai fait dans mon esprit, pleinjadis d'anxiétés et de tempêtes, la paix la plus profondeet la plus sereine et quant à cette vie, j'ai appris quele secret du bonheur est de mépriser les avantages qui

ne se peuvent obtenir qu'au prix de l'honnêteté et de ladignité, et de se contenter de ceux que nous procure,dans la satisfaction de la conscience,le travail utile, maispar dessus tout la méditation scientifique, s C'est ainsique quand une nouvelle conception du monde et unenouvelle théorie de l'esprit humain se développent ausein d'une société, il se fait dans la manière d'envisagerla vie un changementcorrélatif; les sciences morales toutentières, et avec elles les arts correspondants, la politi-que et l'éducation,ne tardent pas à se transformer à leurtour. C'est ce qui se produit en Italie. A ce mouvementont contribué M. Herzen, M. Ardigo et M. Ferri (Enrico)son disciple (les deux premiers nous sont déjà connus);puis M. Lombroso, aliéniste et anthropologiste, M. An-giulli, dont nous avons exposé les doctrines philosophi-ques, M. de Dominicis, comme lui professeur de philo-sophie, et un certain nombre d'économistes,parmi les-quels les noms de MM. Miraglia, Cusumano, Cossa,Lampertico, Schiatarella doivent être particulièrementsignalés.

Celui qui veut vivre sans Dieu et sans espérance audelà de la tombe, ne peut trouver une règle de conduiteque dans les lois de la nature et l'efiet inévitable queproduit dans la pensée la connaissancede ces lois. Lacroyance à la liberté morale et le dogme de la créatione~j/o, qui nient également la continuité des causeset des effets (persistance de la force), doivent avoirmêmes destinées. M. Herzen, AI. Ardigo et M. Ferricombattent également la liberté morale. Le premier aconsacré à cette thèse un livre (1)) dont la première

(4) ~~a7~7~co/o~/ca de/ ~/Aero arbitrio M~aao,Terza edizionc,Firenze, 1879.

rédaction est déjà ancienne, et qui a eu plusieurséditions, dont l'une en français. Il s'y montre à la fois ledisciple de Homagnosi et de Schiff, car il ne séparepasdans son examen du libre arbitre;les conditions socialesoù se meut notre activité, de ses conditions physiologi-ques. Comme individu l'homme ne se détermine paslui-même il est déterminé par la nature de son organi-sation, qui résulte elle-même des impressions antérieu-res et par les circonstances spéciales vis-à-vis des-quelles il réagit de moment en moment; le mouvementvolontaire est un mouvement réflexe, dont la représen-tation conscienteprécède l'exécution. Il n'y a pas dansles masses nerveuses centrales la moindre place pourune action modératrice, capable d'anéantir les impul-sions venues de la périphérie; celles-ci comme toutecause produisent toujours un effet proportionné; ellesne peuvent être contrebalancéesque par des impulsionsplus fortes, immédiates ou emmagasinées à l'état deforce latente dans les centres nerveux. Comme membred'une société, l'homme est contraint d'abdiquer touteprétention à l'initiative absolue devant l'empire de ladiscipline sociale qui l'enserre dans un étroit réseaud'intluences (éducation et opinion) et de prescriptionslégales. Comme la physiologie établit la solidarité del'homme avec la nature la statistique démontre la soli-darité de l'individu avec tout son groupe. Il faut recon-naître conformémentaux conclusions de Quételet, quedans le mal comme dans le bien l'individu est l'instru-ment d'actions préparées par la société. Les lois mora-les se trouvent en germe, de l'aveu d'Agassiz,dans l'ani-malité il faut y voir les lois de la conservation dugroupe en tant qu'elles sont inscrites par l'expérience

héréditaire dans l'organisation individuelle. Que cesnécessités s'imposent à l'homme sous la forme d'unecontrainte extérieure ou sous la forme d'idées auxquelsil croit accorder une adhésion spontanée, elles n'en sontpas moins impérieuses: et si les hommes cessaient d'yobéir, les sociétés s'en iraient en morceaux; aussi n'ya-t-il que les fous et les criminels qui s'y soustraientpartiellement, ce sont eux qui seuls seraient libres s'ilfallait en croire les définitions vulgaires de ce mot. Oninvoque en faveur de la liberté le témoignage de la con-science mais on oublie que sur ce point les dissenti-ments les plus formels ont depuis qu'on spécule, séparéles philosophes et les théologiens comment un témoi-gnage en contradiction avec lui-même serait-il infail-lible ? D'ailleurs, on se rend facilement compte de lamanière dont l'illusien de la liberté s'est produite dansl'esprit humain; c'est un paralogisme bien connu quecelui qui consiste à nier l'existence des causes, dès queles causes sont complexes, délicates et surtout éloi-gnées. Tel est précisément le caractère des causes quidéterminentnos actions. Enfin que l'on ne reproche pasau déterminisme d'être immoral et dangereux parcequ'il nierait la responsabilité; on récompense et on punitles animaux, pourquoi pas l'homme? M. Herzen invoqueà ce sujet l'autorité de Romagnosi et lui emprunte sesarguments en montrant que si l'on ne regardait pas lavolonté humaine comme déterminable, la répression neserait plus qu'une cruelle vengeance c'est son utilité,c'est-à-dire son efficacité comme motif qui lui enlèveune partie de son caractère odieux les efforts tentéspar la société pour améliorer le coupable, achèvent lajustification de la peine. Sur ce point, M. Herzen est

peut-être trop disposé à diminuer la responsabilité del'individu et à exagérer celle de la société (i); nousverrons M. Lombroso apporter à cette partie de la doc-trine une heureuse correction.

Un jeune disciple de M. Ardigo, M. Enrico Ferri, estrevenu récemment sur la démonstration tentée parM. Herzen Son ouvrage Z<a TT~or~ de la re~o~a-~7~e et la négation /e arbitre, repose au fond surles mêmes principes et sur les mêmes observations quele précédent la question de la responsabilisé n'y est pasentièrement élucidée et pour ces deux raisons, maigreles mérites éminents de cet essai, malgré la profondeurde certaines vues (par exemple sur le rôle de l'incon-scient dans les déterminations humaines) malgré l'am-pleur et la solidité de la discussion, nous nous conten-tons de le mentionner. L'ouvrage plus original du maî-tre sur le même sujet, envisagé plus largement encore,appelle notre attention et exige de nous plus de dévelop-pements (2).

(i) Voir page 33 les id~es contenues dans la note ne nous pa-raissent pas acceptables mêtne du point do vue de l'auteur.

(8) Voir une analyse étendue du livre de M. E. Ferri dans laHevHe p~oso~&~uo du i'~ février 18i9. Ce qui nous a le plusintéressé dans cette élude, ce sont les passages où l'auteurcombat les philosophes do son bord et même ses maîtres, entreautres R. Ardigo lui-même. Le premier de ces passages est des-tiné à réfuter la théorie du hasard (c~so), qui se trouve dans la/br/Na~o7ï naturelle du sys<f/~c so/e. On se souvient que,d'après Ardigo, les phénomènes restent indéterminés et contin-gents, malgré le déterminisme auquel ils sont soumis (na<m'aMà~parce que des causes en nombre inuni se rnclent dans leur pro-duction, et que nous ne pouvons formuler cette c~Ha~/oa dol'inrini qui se trouve imp!iquéo dans !e calcul dos chances qu'achacun d'eux do se produire. Soit une ptumo abandonnée dans

LaJlorale des positivistes, tel est le titre du très récentvolume de M. Ardigo. Le but de l'auteur est de montrer

l'air; on ne peut savoir d'avance où eUe ira tomber, parcoqueles im-pulsions qu'elle recevra pendant sa chute échappent à la prévisionet restent indéterminées E. Ferri objecte que l'indéterminationest ici relative à l'ignorance où nous sommes des données duproblème a mesure que ces données sont plus limitées, on voit.dit-il, l'indctormination se restreindre, et il est des cas où elledisparaît tout à fait. Il nous semble que R. Ardigo n'a pas d'autrepensée. Suivant lui, l'indétermination ne disparaît jamais com-plètement, parce que les chances d'interruption et do bifurcationpour une série donnée do phénomènes, bien que très diminuées,et en fait négligeables, subsistent toujours; on. peut toujourscraindre par exemple un cataclysme, un bouleversement des con-ditions actuelles de la planète. Pour tout le reste, il est d'accordavec E. Ferri. Seulement celui-ci ne voit pas un aspect profonddo la doctrine c'est que l'indétermination pour BOM.9, l'indéter-mination re~c à l'état de nos connaissances,quand elle résultedo l'intervention de l'inlini, devient absolue. et qu'ici le pointde vue logique et le point de vue réel ne font qu'un. Que noussort d'afnrmep qu'un mouvement est déterminé,si nous ne pouvonsparvenir à le déterminer, non pas à cause de l'imperfection mo-mentanée de nos connaissances,mais en rai&on de la limitationdo notre esprit, à jamais incapable d'embrasser la totalité descauses en action dans l'infini do l'espace et du temps? 11 noussemble encore que le maître garde l'avantage sur lo disciple dansune seconde discussionau sujet de l'idée d'ordre. Ardigo soutientque partout et toujours l'univers est ordonne, E. Ferri montreavec nnesso que c'est nous qui le faisons tel et condamne l'uni-vers au chaos. Comme si la réalité de l'existence pouvait êtreséparco de t'idée que nous en avons! Enlevez à un groupe dephénomènes l'un dos caractères qui nous le font paraître régu-lier, sous le premier caractère un autre apparaîtra qui présenteraun ordre nouveau, et ainsi de suite, tant que la réalité du phé-nomène ne sera pas détruite. Car, affirmer qu'un phénomèneestréol, c'est le penser, et le penser, c'est y faire pénétrer un ordre.Ardigo a raison le chaos n'existepas, parce qu'il n'ost paa~uttet–ligible. 1

que les positivistesne sont pas dépourvus d'une moralecomme on les en accuse et que même leurmorale est plusélevée que celle des idéalistes et des théologiens leursadversaires, en rnôme temps que plus solide. Il va sansdire que la sciencede l'action lui paraît comporter, commetoutes les autres l'emploi de la méthode expérimentale.La morale construite a priori et constituée d'un petitnombre d'idéesabstraites formant système, reste en de-hors de la réalité psychique et n'estqu'une vaine com-binaison de concepts. Les puissances d'où provient ennous l'action, sont extrêmementcomplexes et multiples:elles se composent d'une immense quantité d'idces etd'impulsions~de représentationsetdesentiments, qui ontdans l'esprit leur vie propre et produisent inévitable-ment des actions déterminées. Rien de plus inexact quede séparer les sentiments des idées et les uns ou lesautres de la volonté; toute conception est dans le faitaccompagnée d'une émotion toute émotion d'une ac-tion au moins commençante. La sensation, nom généralde tous les phénomènes psychiques est d'elle-mêmeimpulsion. La tâche de déterminer les lois de l'actiondans leur rapport avec les lois de la pensée ne peut doncappartenir qu'à l'observation ce qui e~ contient seul lesecret de ce qui doit être.

Par cette méthode, M. Ardigo est conduit à une doc-trine qui rappelle celle des stoïciens ;et celle de Spi-noza. Un être a.toujours les tendances qui sont renduesindispensablespar ses conditions d'existence. L'animal,étant capable de mouvement, avait besoin de distinguerles objets et d'éprouver le plaisir et la douleur il estdoué de l'une et de l'autre fonction. Dans toute la sérieanimale, l'esprit ou l'âme (de quelque nom qu'on appelle

l'ensemble des pouvoirs psychiques) est en corrélationavec les besoins, avec les exigences du milieu. Orl'homme est surtout un être social. Ayant besoin depenchants sociaux, il en est doué en effet. En lui serencontrent certaines idées, idées accompagnées, sui-vant la loi posée plus haut, des impulsions corres-pondantes, qui lui représentent le bien'de ses sem-blables comme plus désirable que son bien propre etsoumettent les impulsions égoïstes aux uns des diversgroupes où il est engagé. En vain dira-t-on que laplupart des actions humaines sont en fait inspirées parl'intérêt, partant, par l'égoïsme il suffirait qu'un certainnombre de ces actions soient inspirées par l'affection etle dévouementpour qu'on soit autoriséà voir dans celles-ci la caractéristique de l'activité humaine un être estcaractérisé par ses productions les plus achevées,comme une espèce végétalepar ses fleurs les plus bellesou ses fruits les plus excellents. Mais le dévouementn'est pas si rare qu'on le pense sur lui repose la familleet, sans parler des actions héroïques, la vie des nationsn'est entretenue que par une multitude de dévouementsobscurs, un très grand nombre d'entre nous faisant vo-lontiers abnégation de soi-même pour que la fonctionsociale, dont le hasard nous investit, ne souffre pasentre nos mains, pour que la justice ne cesse pas d'êtredéfendue ou la vérité poursuivie. Mais quelque charmequ'il y ait dans la satisfaction des penchants sociaux, ilne faudraitpas croire que ce charme en soit le vrai but;l'esprit de solidarité est comme le sang qui circule dansl'organisme, il n'est pas nécessaire que la circulationsoit sentie pour qu'elle se fasse, et de même il n'estpasnécessaire que les actions désintéressées soient agréa-

b!es pour qu'elles soient accomplies. Certaines fonc-tions corporelles même douloureuses, s'exécutentcepen-dant, si elles sont nécessaires, ainsi la toux pour lemalade. It n'est pas douteux que les actes de dévoue-ment, devenant pénibles, ne cesseraientpas d'avoir lieu.« La nature pourrait très bien faire agir la force anti-égoïste même si l'agent avait à en souHrir, même s'ildevait périr par elle. » N'e~t-ce pas ce qu'on voit dansles manifestations de l'amour maternel dès le règneanimal? La nature nous communique l'impulsion; leplaisir la suit autrementd'où viendraitle premier acte,antérieurà la découvertede ses conséquencesagréables?D'ailleurs le plaisir est si peu inhérent à l'action ver-tueuse, que la délicatesse de la conscience multiplieles occasions de souffrir et que son endurcissementlesrend plus rares. L'homme est donc porté par sa naturemême à concevoir et à réaliser l'idéal d'abnégation etde bonté qui est son trait essentiel, sa « maîtresseforme, a

C'est là toute la morale de M. Ardigo. Qu'on ne luidemande pas de longues dissertations sur l'obligationmorale et les diverses formes d'2o?~ara~7'. Il constatel'existence des idées morates, et cela lui suffit; toutesles idées étant impulsives, celles-ci doivent nécessaire-ment produire les actes correspondants. Si on lui ob-jecte que les idées égoïstes doiventaussi avoir leur partd'empire, il ne le nie pas, et reconnaît que les individusne peuvent servir utilement les intérêts collectifs s'ilsn'ont atteint eux-mêmes leur développement normal;il repousse l'ascétisme comme l'hédonisme. Mais il penseque les aspirations généreuses vaincront inévitablementles instincts bas dans tout individu qui restera libre

et dans toute société dont le développementspontané nesera pas combattu.

Il admet en effet la liberté au sens où l'ont admise lesstoïciens et Spinoza. La liberté, c'est le règne de l'idéesur les impulsions physiologiques.Dans toute la sériezoologique, l'autonomie de la volonté va croissant, ence sens que l'animal, à mesure qu'on s'approche del'homme, se détermine de plus en plus d'après desreprésentations et que ces représentations sont de plusen plus compréhensives. Seul l'homme, mais sur-tout l'homme civilisé, bien que mû en définitive parles forces extérieures dont la sensation est le véhicule,et soumis par là comme toutes choses à la loi de causa-bilité, étant formé d'éléments plus complexes que tous lesautres êtres, et embrassant en lui toutes les combinai-sons inférieures, « manifeste une forme de force nou-velle dans le monde et imprime une direction nouvelleaux forces subordonnées de l'organisme. » La na-ture forme dans sa pensée un ordre de choses qui estson œuvre; en dehors, et objectivementelle subit sous

sonaction desmodificationsprofondes conformes à l'ordrequ'il a conçu; les forces hostiles, depuis les forces phy-siques comme la chaleur et la pesanteur, j usqu'auxforces physiologiques, comme la maladie et les passionssont détournéesou enchaînées par son industrie,et quel-ques unes d'entre elles sont même asservies à ses be-soins.

D'autre part, la société est organisée de façon à favo-riser de plus en plus l'essor de la liberté et l'empire del'idée. L'hérédité transmet les victoires que chaque in-dividu remporte sur la partie animale de son être, l'édu-cation, le langage, l'opinion les lois sont autant de

freins par lesquels l'hétéronomie des forces désordon-nées est de plus en plus sévèrement contenue et d'ai-guillons par lesquels l'autonomiede la raison est de plusen plus efficacement sollicitée (d). Grâce à ces diversmoyens de coercion et d'encouragement, des habitudesnaissent qui dispensent les générations successives desefforts qu'ont coûtés les progrès antérieurs et mettenten liberté des forces nouvelles. C'est ainsi que leshommes des divers âges sont solidaires, et que les der-niers venus profitantdes vertus de leurs devanciers, onttant de facilité à les surpasser, qu'ils font de leurs'pro-pres résolutions autant de productions soudaines, decréations sans précédents.

Mais il ne faut pas que ce développement spontané del'idée dans l'individu et dans la société soit entravé parun pouvoir extérieur: telle est la croyance au surnatureldans l'individu et le pouvoir théocratique dans la so-ciété. M. Ardigo croit que la religion, loin d'être néces-saire à la moralité, ne fait que lui nuire en proposantaucroyant une fin égoïste sous forme de récompenses éter-nelles. Quant au gouvernement absolu, reste du pou-voir théocratiqueet qui prétend venir d'en haut, tandisque la seule autorité légitime vient d'en bas, son pireeffet est de retarder l'éclosion des formes sociales supé-rieures qui sont virtuellement contenues dans la cons-cience de l'humanité actuelle (fédération universelle).En général toute contrainteest, en tant que violation del'autonomie, une atteinte portée au droi~ une injustice.Le droit s'oppose par là à la force. et proteste éternelle-ment contre elle. La force est une irruption accidentelle

(i) « L'homme vertueux naît et mûrit au sein de la société dontil est la production ta plus parfaite », page 272.

dos puissances désordonnées au travers de l'ordre légal,la plus haute des formations naturelles et. le couronne-ment de l'ordre terrestre; mais le droit est absolu etimpérissable,parceque la nature le veut et qu'il résultede l'enchaînement des phénomènes depuis le commen-cement des choses.

On peut, dit M. Ardigo, objecter à cette conception dela morale i" qu'elle désenchante cette vie en lui enle-vant la perspective d'une vie meilleure. On oublie quel'homme s'adapte à toutes les conditions d'existencequi lui apparaissent comme nécessaires, le pauvre à sesprivations, le prisonnier à sa celtule, le malade à sessouffrances et à sa faiblesse, le vieillard à ses infirmités:noustous, ne sommes-nouspas d'une étrange tranquillitéau sujet de la mort, si voisine pourtant?De même aprèsun moment de trouble qui accompagnetout changement,l'humanité envisageraavec calme la destinée que lui (aitla nature des choses. 2° Mais la responsabilité disparaîtavec la liberté transcendante? Laissonsparler ici l'auteurlui-même, a L'activité humaine est déterminée à semouvoir par une idée, par une idée sociale (/cfea/ .so-cja7e). Cette idée implique la prévision, déterminée ouvague, d'une réaction de la part des autres hommes, oud'une sanction de cette même idée et de telle façon quela représentation de la sanction prévue concourra plusou moins distinctement au mouvement produit. C'estpourquoi l'idée motrice apparaît comme obligatoire. Ona donc dans la conscience du sujet qui veut, un rapportconnu entre le mouvement qui s'effectue dans sa vo-lonté (1) et la sanction correspondante. C'est le rapport

(4) Pour M. Ardigo la volonté n'est pas autre chose que laconscience do l'activa des masses nerveuses centrales. Voh' sa

qu'on appelle responsabilité. Il est de la sorte caracté-ristique de l'activité humaine volontaire. Une telleprévision et par conséquent la responsabilité n'existentpas dans la conscience a~or/yelles ne s'y trouventqu'en raison de l'expérience qui a été faite de la réactiondu mi!i3u social, fait qui a été sans cesse confirmé dans lasociété et par le jugement des égaux et par les mesuresdes supérieurs. En vertu de la formation psychique,cette expérienceseconvertit petit à petit en spontanéitémorale (impulsion native) fonctionnant d'elle-même etse manifestant dans les rapports de l'individu avec lasouveraineté sociale, avec ses égaux, avec lui-même.Elle est essentiellement anti-égoïste, parce qu'elle estl'empreinte, l'image et le résumé du travail de la so-ciété et des corrélations de ses parties dans leur fonc-tionnement respectif en vue du tout. a

Telle est la moralede M. Ardigo, et la politique spé-culative à laquelle elle se rattache. On trouvera sansdoute qu'elle n'est pas aussi claireque sa psychologie etsa cosmologie, et c'est aussi notre impression. Lestermes employés par l'auteur sont obscurs dans leurgénéralité le plan de son exposition trahit par ses re-commencementsperpétuels une certaine indécisiondansla pensée. Nous nous bornerons donc à protester pournotre compte et au nom de la sociologie expérimentalecontre l'idée de la fédération, qui n'est qu'un retour aufractionnement par Cités, c'est-à-dire à un état socialinférieur, dépassé depuis vingt siècles, et nousomettronsde discuter le système. Il faudrait pour le faire avec

psychologie, pages i08-i!8 de ce volume.Ce passage est l'analysequ'Ua bien voulu faire à notre usago d'une partie do sa moralenon encore imprimée alors que nous écrivionsce chapitre.

convenance remonter jusqu'au principe implicitementadopté par l'auteur pour !a psychologie et la sociologieet se demander si le moi individuel et le moi collectifne sont en effet que des abstractions comme le penseM. Ardigo. On verrait que de ce nominalisme décou-lent les obscurités de sa morale et les anachronismesde sa politique. Par son fédéralisme qui ne tend à rienmoins qu'à supprimer l'action de l'organe central dansl'Etat et ne laisse debout que les individus dans leurliberté inimitée l'auteur est en opposition avec lagrande majorité des positivistes italiens actuels dont lapréoccupation constante est de fortifler le pouvoir cen"tral, à la seule condition qu'il soit d'accord avec l'opi-nion légalement exprimée. La nature de notre propretravail nous interdit d'ailleurs d'entrer dans les détailsde l'oeuvre et c'est précisément par les détails qu'elleoffre l'intérêt le plus vif. Les vues ingénieuses et pro-fondes sur le côté psychologique de l'activité morales'y rencontrent souvent et sans laisser une satisfac-tion complète, le livre suggère une multitude de ré-flexions.

Comme les cas particuliers sur lesquels la pratiqueest appelée à exercer son effort présentent le plus sou-vent une extrême complexité, les spéculations très gé-nérales et les solutions très simples qu'elles com-portent ne sont pas d'une utilité directe. Ce que de-mandent les sociétés modernes, ce sont des études pa-tientes et détaillées propres à saisir les aspects mul-.tiples des phénomènesréels, et ces sortes d'études,unelongue expérience, un contact incessant avec les faitsles inspirent seuls. Seule aussi l'habitude de réduire lesobservations à des données numériques et ce souci de

la précision qui est le propre du biologue ou de l'éco-nomiste, autorisent lessynthèses où la généralitén'exclutpas la certitude, parce qu'elles ne sont que des sommesde faits numériquement évalués,ou du moins soigneu-sement relevés dans leursdétails. Tels sont les ouvragesde M. C. Lombroso.

Son livre sur le Criminel, Z/Moœo ~e/~He~e estun modèle d'étude sociologique. Médecin, anthropolo-giste, expert médico-légal, visiteur assidu des prisonset des asiles d'aliénés, possesseur d'un musée où toutesles particularités de la vie des criminels sont repré-sentées depuis leurs crânes et leurs photographies, jus-qu'à des spécimens de leur écriture, connaissantà fondla littérature du sujet en Allemagne, en Angleterre, enFrance et en Italie, dégagé de toute conception systé-matique et humanitaire, enfin, comme un homme qui avu de ses yeux le péril, très pénétré de la nécessité ab-solue où est la société de s'en défendre, l'auteur réunis-sait toutes les conditions pour donner, si vraiment celaest possible, une solution satisfaisante au terrible pro-blème de la responsabilitédans le crime et de la légiti-mité de la peine.

De tels ouvrages ne se prêtent guère à l'analyse.S'il nous fallait accompagner M. Lombroso à traverstous les chapitres où il examine minutieusement, avectoutes les ressources de l'anthropométrie, la complexionphysiqueetla physionomiedescriminels,leurstatouages,leur sensibilité, leurs passions, leur penchant à la réci-dive, leur religion, leur intelligence et leur instruction,leur argot, leur écriture, leur poésie, les causes ducrime (climat, race, civilisation, alimentation, hérédité,âge), les rapports avec la folie, les associations de mal-

faiteurs, enfin la thérapeutiquepréventive et répressivequ'il convient d'appliquer à cette maladie sociale, nousaurions à résumer dans quelques lignes l'expérience etla réflexion de toute une vie, tâche évidemment impos-sible. La science en acte est dans les faits d'où elle sort;celui qui veut la posséder doit se mettre en présencede ces faits, se pénétrer des impressions multiples quinaissent à leur contact, vivre en un mot intimement unipar tous ses sens à la réalité qu'il veut connaître. Adéfaut de cette expression personnelle, plus dimcile àse procurer en cette matière qu'en toute autre, il n'y apour nous qu'un moyen de nous rapprocher de ce ré-sultat c'est de lire dans tous ses détails le travail deM. Lombroso c'est surtout de nous livrer à un examenattentifdes nombreuses expertises racontées à la fin duvolume dans un appendice de 200 pages in-8" de petittexte. Nous engageons vivement nos lecteurs à se pro-curer ce plaisir pour nous, nous voudrions que cet ou-vrage fût traduit et devint le livre de chevet de nos pro-cureurs et de nos juges d'instruction. Nous ne pouvonsque le signaler et le caractériser brièvement, en indi-quant ses conclusions principales.

Les criminelsforment une classe à part mais qui-conque a tué volontairement ne fait pas partie de cetteclasse par cela seul. 11 y a des crimes d'~jou/s/o~,crimes isolés, dus à l'emportement d'une passion mo-mentanée, non prémédités, commis en plein jour, sanscomplices, sous l'ébranlementd'un choc récent, par deshommes de sensibilité excessive, avoués et regrettés leplus souvent aussitôt que commis, sans antécédentsdans la conduite antérieure de leur auteur, jamais suivisde récidive, et qu'expliquent sans les excuser des motifs

d'une certaine noblesse, comme le sentiment de l'hon-neur outragé, auxquels en tout cas la cupidité resteétrangère. Tel n'est pas le crime le plus redoutable,ce-lui dont la répétition inévitable et la lente éclosion dis-tinguent le vrai criminel et constituent cet être à partque nous voudrions appeler, pour F opposer à l'homi-cide par ~pH/s/M, le criminel ~ar état. On reconnaîtce dernier à des traits i° physiques et physiognoino-niques, 2° psychologiques, 3° sociologiques.

1" Le criminel est plus fréquemment que l'hommemoyen microcéphale et brachicéphale. Son crâne pré-sente diverses asymétries, des synostoses précoces,une simplicité anormale des sutures, et des lésions trau-matiquesrelativementnombreuses.Des athéromes obs-truent souvent ses artères temporales. Chez lui, lesyeux obliques, les pupilles inégales, les convulsionscloniques des muscles oculaires ne sont pas rares; lesoreilles mal plantées, le nez tordu, le prognathisme, labarbe rare, le front fuyant, les cheveux foncés, abon-dants, la peau jaunâtre, l'aspect féminin, le distinguentencore. Mais chaque genre de criminels a sa physio-nomie particulière. <x Les homicides habituels ont le re-gard vitreux, froid immobile, quelquefois sangui-nolent et injecté, le nez souvent aquilin, recourbé,toujours volumineux, les mâchoires robustes, lesoreilles longues, les zygomes larges, les cheveux cré-pus, abondants et foncés, très fréquemment la barberare les dents canines très développées, les lèvresminces, la face agitée de contractions unilatérales quidécouvrent les canines. a Les voleurs ont une remar-quable mobilité de la face et des mains, l'œil petit, er-rant, très mobile, souvent oblique, les sourcils épais

et rapprochés, le nez de travers et camus, la barberare. te front petit et fuyant, » les cheveux moinsabondants. Plusieurs faussaires ont l'œil nxé à terre, lenez long, la tête chauve, caractères qui se rencontrentassez souvent chez les empoisonneurs. Ou sait avecquelle facilité les agents de la police reconnaissent ceshommes aux cheveux longs, aux allures efféminées, quisont adonnés aux crimes contre les moeurs ils sontsouvent contrefaits, et leur anatomie répète en bien des

cas des détails de structure qui expliquent la perver-sité de leurspassions.

2° Les médecinsdes prisons, les gardiens ont remar-qué l'insensibilité physique des criminels. Est-ce à cedéfaut de sensibilité personnelle qu'il faut attribuerl'in-différence qu'ils resssententpour les souffrances d'au-trui ? La pitié est certainement éteinte chez eux; et,quoi qu'on en ait dit, ils ne savent'pas ce que c'est quele remords. Leur apathie est extrême; le travail leurest odieux. La facultéde l'effort continu, de l'applicationpatiente leur manque entièrement. Ils sont sans cesseexcités au changement par l'instabilité de leur pensée,incapable de prévoir comme de se fixer. Aussi, malgréquelques exemples isolés de criminels de génie, leurintelligence est-elle faible; leur astuce ne doit pas nousfaire croire à une véritablepénétration; adonnés chacunà un genre de délit, auquel du reste ils sont dresséspar leurs pareils, ils finissent par y exceller sans y ap-porter autre chose qu'une dextérité instinctive et routi-nière.Leur littérature est des plus pauvres, et dans lesnombreuses chansons qu'on a pu recueillir l'idée est àla hauteur du sentiment. Cette étroitesse de pensée seconcilie bien avec un orgueil immense, une suscepti-

bilité farouche et vindicative. Les geôliers savent queque chacun des criminels a dans la journée sa mau-vaise heure, pendant laquelle, quellesque soient les pré-cautionsprises, le plus prudent est de ne pas l'irriter.C'est méconnaître complètement de telles natures quede prétendreles corriger quand on instruit ces intelli-gences sourdes et limitées, on ne fait que les rendreplus puissantes pour le mal. Les récidives sont non pasl'exception, mais la règle. La démonstration par les faitsest décisive sur ce point.

3u C'est qu'en effet la tendance à la criminalité estproduite par des influences congénitales, confirmées ilest vrai par les influencesdu milieu. Mais le criminelnaît le plus souvent dans un milieu favorable au déve-loppement de ses funestes tendances, et l'éducation lepousse dans le même sens que l'hérédité. Il irait d'ail-leurs de lui-même là où il peut trouver des idéesmoralessemblables aux siennes, du renfort pour ses entrepriseset ces plaisirs crapuleux, ces orgies bruyantes qui sontle but ordinaire de sa vie. Il y a une affinité entre tousles hommes voués au crime; ils s'attirent en quelquesorte et se retrouvent sans peine dans lesprisons d'abordpuis dans certains endroits des grandes villes, grâce àune langue spéciale, l'argot, qui leur sert de signe deralliement. Ils forment une association permanenteeninsurrection contre la société régulière. Parfois cetteassociation prend des formes mieux définies, comme laCherra de Naples et la Ma/Y?a de Palerme, comme cesbandes de jeunes brigands qui naissent à chaque instantdu vagabondage et de l'oisiveté des grandes agglomé-rations.Quelque signe voyant, quelque tatouage indélé-bile répond dans ce cas au besoin de symboliser le lien

social. Il y a des lois dans ces sociétés, qui sont leur con-dition même d'existence le secret, la défense com-mune, le partage égal du butin mais la force seule etla menace perpétuelle de l'extrême péril assurent l'exé-cution du pacte. Un chef unique représente l'unité dela bande son autorité est absolue, et on peut dire qned'ordinaire le groupe dure autant que lui. Les malfai-teurs aiment cependant cette association, que leurver-satilité leur fait si souvent trahir; et en général ils nesont pas incapables d'affections, bien que leurs attache-ments soient d'ordinaire tout charnels et traversés dequerelles brutales.

Ces caractères suffisent à distinguer le crimineldu foudans la majorité des cas. Parfois les deux états coïn-cident chez le même individu. Et ce n'est que plus tardque la présence de la maladie se découvre, quand lamanie, la paralysie ou l'épilepsieéclate, ou quand le ma-niaque qui a fait les plus grands efforts pour dissimulerson crime (jusqu'à se préparer un alibi !), comme ilavait su le préméditer, avoue enfin le mobile insenséqui l'y a déterminé. Il faut reconnaître aussi que lesdeux états, alors même qu'ils sont séparés, présententdes analogies frappantes, les caractères somatiques etpsychiques du fou étant seulement plus accentuésque ceux du criminel. La meilleure preuve de leurs affi-nités, c'est que dans les générations successivesde cesfamilles fatales, où la santé physique et morale est uneexception, les névroses de toute espèce alternent avectous les genres d'immoralité chez les deux sexes. Ce-pendant, dans la plupart des cas, le médecin aliénistepourra dire avec certitude s*il est en présence d'un fouou d'un malfaiteur. L'alcoolisme, l'intoxication par abus

du tabac, de l'opium, de la belladone, l'épilepsie, la pa-ralysie générale,lapellagre,lamonomanie, se révèlent àdes yeux exercés par des signes non douteux; il en estde même de l'hystérie, de la manie puerpérale. Desphénomènes physiques annoncent ces états morbides,comme céphalées,diarrhées, hémorrhoïdes, ménopause,insomnie, spermathorrée, névralgie, grossesse. Lesfous inventent certains mots, certaines phrases carac-téristiques qu'ils répètent à satiété. Ils ont une calli-graphie et une ortographe qui leur sont propres; et onsait s'il est facile de les faire écrire! Leur intelligenceest souvent supérieure à leur degré de culture, enmême temps que troublée par des hallucinationsou desidées fixes. Leurs affections ne s'altèrent pas dans lemême ordreque celles des criminels; ce sont leursproches qu'ils commencent par haïr, et, s'ils frappentdes inconnus, c'est sans motif ou pour des motifs ridi-cules. Enfin leurs caractères sociologiquessont absolu-mentdistinctsde ceux des malfaiteurs.Ondemandait auxassises à un prisonnier révolté comment, étant en cel-lule, il avait pu s'entendre avec ses complices. e Pourque nous ne pussions nous entendre, répondit-t-il, ilfaudrait nous mettre l'un en France, l'autre en enfer.En effet, il reste au criminel assez de coordination dansles idées et dans les sentiments pour qu'il puisse for-mer société avecses semblables, ce à quoi sa situationd'ennemi public le contraint impérieusement.Le fou estradicalementincapable d'organisationsociale.Aussi pointd'argot. Point de complices. Jamais un seul tatouage.

L'âge fournit aussi des indices, le criminel étant déjàformé et affilié à l'âge où la folie ne paraît point en-core.

Si le criminel n'est pointun fou, qu'est-il ? Un malade?Pas davantage, au sens vulgaire du mot; il ne l'est pasplus que le boiteux ou le bossu qui se portent bien. Dequelle sorte est donc cette dégénérescence ? Qu'on exa-mine attentivement l'énumération de ses caractères:e rareté du poil, diminution de la force et du poids,réduction de la capacité crânienne, front fuyant, sinusfrontaux très développés, fréquence plus grande dessutures médio-irontaies, des os wormiens, synostosesprécoces, spécialement frontales, saillie de la ligne ar-quée du temporal, simplicité des sutures, épaisseur plusgrande des os crâniens, développement énorme desmâchoires et des zygomes, prognatisme, obliquité duregard, peau foncée, cheveux hérissés, oreilles écartéeset volumineuses, analogie plus grande des deux sexes,moindreaptitude chez la femme à se corriger,sensibilité àla douleurobtuse, complèteinsensibilité morale,paresse,défaut de remords, imprévoyancequi ressemble quelque-fois au courage, et courage qui alterne avec la lâcheté,extrême vanité, amour du jeu, des alcooliques et deleurs succédanés, passions aussi fugaces que violentes,superstitionfacile, susceptibilité exagérée du moi, reli-giosité qui n'influe en rien sur la morale, » obéissanceaveugle mais passagère à un chef qui ne domine quepar la terreur, et l'on verra que c'est du sauvage que lecriminel se rapproche surtout il y a chez lui rétrogra-dation du type humain civilisé vers le type humain pri-mitif, peut-être vers le type animal. Car l'alliance si fré-quente des passions érotiques avec la plus sanguinaireférocité ne s'explque guère que par les ressouvenirs(ressuscités soudain sous l'empire de l'atavisme) descombats et des rapts furieux, des scènes de brutalité

tnélées aux scènes d'amour, dont nos premiers ancê-tres ont dû souvent, comme les sauvages les plusInnmes et les animaux, donner le spectacle en guisede noces.

L'apparition de ces cas d'atavisme est fatale, et lesactes commispar ces Fuégiens ou ces Canaques déchaî-nés en pleine civilisation sont absolument nécessitéspar la structure imparfaite de leurs centres nerveux.Soltmann a montré que, chez les mammifères nouveaux-ués, la substance corticale du cerveau n'est pas encorepourvue de centres spécialisés à tel ou tel mouvement,et que cettespécialisationne se fait que plus tard, pro-gressivement. Chez les natures prédestinées au crime,l'arrêt de développement qui produit l'infirmité moralepeut donc se faire tardivement et cette infirmité resterjusque là inaperçue. De plus, alors même qu'extérieure-ment le crâne paraît normal, la structure du cerveaupeut ètre fortement altérée sans que la santé physiqueen souffre, c'est-à-dire sans que les fonctions vitalessoient compromises. Des méningites chroniques dontplusieurs homicides étaient atteints (Benoist, Lemaire,Freeman, Momble, Léger) ne se sont révélées qu'a l'au-topsie. Ailleurson trouve, toujours après la mort,soitdes adhérences des cornes postérieures du cerveau, soitune pointe osseusequi s'insinue dans le lobe frontal, soitdes circonvolutions rudimentaires, soit des cellules pig-mentaires mêlées aux cellules cérébrales, soit le canalcentral delamoelteoblitéré,quelques-uns/jeces caractèrespouvant se rencontrerensemble dans le même individu,et toujours le vivant a été sain de corps et en apparenced'esprit, avec des tendances au voleta l'homicide.Faut-il conclure de tels faits que les criminels ne sont pas

responsables ? Il serait aussi ridicule de le prétendreque de souteuir qu'on doit se laisser massacrer ou pil-ler par les sauvages, parce qu'ils ne sont pas libres deconcevoir le juste et l'injuste à notre façon. De cepoint de vue, la répression est à la fois nécessaire et lé-gitime, légitimeparce qu'elle est nécessaire. La sociétéa le droit de punir, ayant celui d'exister. Elle n'a paspour mission de venger la morale absolue rien d'ab-solu ne tombe sous la portée de l'intelligence humaine.Elle a un suprêmeintérêt, se défendre, et défendre aveceUeIacivilisation, la paix commune, le travail, l'épargne,les sentiments les plus nobles sans cesse menacés ouinsultés par cette insurrection de barbares. Celasufut:ici, l'intérêt et la justice ne font qu'un.

Partant de ces principes, M. Cesare Lombroso étudiela thérapeutiquedu crime; il eût mieux fait de dire laprophylaxie, puisque, selon lui, c'est un mal incurablequand il éclate, il n'y a plus rien à faire on ne peut ques'efforcer de le prévenir. C'est la seule voie qui soit ou-verte à la société pour arriver à l'extinction progressive,disons mieux, à la diminution lente des attentats contreles personnes et contre les biens. Il n'est pas une descauses du crime, prochaineou lointaine, que l'auteur n'aitétudiée de près pour trouver les moyens de la com-battre. Après les causes natives, congénitales, qu'il estsi difficile d'atteindre, ce sont, parmi les causes adven-tives, le vagabondage, l'abandon, le contact dans lesmaisons de correction, qui lui paraissent les plus im-portantes. C'est là que des tendances funestes, quipeut-être seraient restées latentes dans des conditionsfa-vorables, se développent chez le plus grand nombre desjeunes détenus, toutes prêtes à éclater à la première oc-

casion, le plus souvent avant l'âge viril. Son étude desmaisons de corrections, vrais séminaires de criminels,dénote une compétence exceptionnelle. Nous en dironsautant des belles pages qu'il a consacrées au régimepénitenciairo en général. C'est bien là le langage d'unsavant qui aime les hommes, qui a de la pitié pourtoutes les misères, mais qui ne se paye point de décla-mations ni de phrases creuses. Dans les cas douteux oùl'irresponsabilitén'est pas évidente, il demande qu'onenvoie le fou, capable par exception de coalition et decrimes prémédités, dans des hôpitaux de force, mais ilfait remarquer que tous les condamnés redoutent ceshôpitaux bien plus que les prisons, et que ce traitementne leur assurerait par conséquent point l'impunité.Quant à la peine de mort, il la repousse faiblement etsans enthousiasme. Son attitude calme vis-à-vis decette question, sur laquelle les spiritualistes libérauxs'enflamment, montre bien la nouveauté,de son point devue. Il faut l'écarter, dit-il, parce qu'elle peut multiplierles crimes (penchant à l'imitation); mais, restreintecomme elle est à un petit nombre de crimes, et rarementappliquée, elle ne mérite pas qu'on dépense à son sujetun temps et une ardeur que des problèmes bien plus im-portants réclament tout entiers (1).

(i) M. Poletti, recteur (provvedilore) à Udine, a joint au livredo M. Lombroso un mémoiresur cette question du droit de puniret du meilleur mode do punition. De la T~e~e~c~/e, tel est letitre du mémoire. L'auteur jouit d'uno certaine réputation enItalie comme juriste, ou mieux comme philosophe s'occupant desproblèmes généraux du droit. Son travail est obscur; la penséereste vague et diffuse. Les idées de M. Lombroso sur cette ques-tion même, quoique dépourvues de tout appareil dogmatique etoffrant plutôt les cléments épars d'un système qu'un système for-

Un autre ouvrage du même auteur tient le milieuentre la psychologie normaleet la psychologie morbide,entre la psychologie individuelle et la psychologie so-ciale. Nousvoulons parler de son étude qui a pour titre:La pensée et les météores. Elle a aussi, comme nous al-lons le voir, son importance pratique.

11 s'agissait de déterminer les influences qu'exercentsur la pensée les circonstancesatmosphériques etclima-tologiques, les phénomènes sidéraux, les tremblementsde terre, etc. M. Lombrosoa fait porter ses observationssur une catégorie d'individus très sensibles à ces in-fluences, qùi de plus offrait l'avantagede se prêter faci-lementà la statistique, renfermés qu'ils sont en nombredéterminé dans un endroit spécial et soumis à une sur-veillance continuelle. Tous ceux qui ont visité souventles asiles d'aliénés savent que les dispositions des ma-lades y sont fort différentes suivant l'instant où on lesexamine. Les gardiens l'attestent, et en effet mêmepour des yeux moins exercés, l'aspect des salles changede jour en jour. Il y avait là un groupe de faits typi-ques qui pouvait servir fort avantageusement de pointde départ à une étude plus générale.

Si nous laissons de côté la partie statistique de l'ou-vrage pour nous en tenir à ses conclusions –et en écar-tant encore celles qui s'adressentparticulièrementauxmédecins aliénistes voici les idées psychologiquesetmorales qui se dégagent de cette abondante collectionde faits et de tableaux.

Il y a des agents atmosphériques n'exerçant au-

mulô, ont bien plus do relier et do portée. M. Poletti a donné,outro des ouvrages sur le droit, une Logique positive.

cune influence appréciable sur les fonctions cérébrales,ce sont l'électricité positive et négative, l'ozone, le ma-gnétisme, l'humidité, l'influence des vents, de la lune;celle des éclipses,des solsticesestpeunotableégalement.Celle des pressions barométriques est surtout accuséeau moment des variations les variations de tempéra-ture ont une action décisive qui se révèle parla fré-quencedesaccès de folie,descrimes et des suicides dansles mois chauds, surtout au moment des premières cha-leurs. Quant aux organismes soumis à ces influences, ils

y sont d'autant plus sensibles qu'ils sont moins élevésdans l'échelle animale. Les centres nerveux inférieurssont les appareils spéciaux de la sensibilité météorolo-gique et on voit cette sensibilitédiminuer ou augmenteravec la prédominance ou l'affaiblissement de l'activiténerveuse encéphalique. L'homme adulte, robuste et sain,s'aperçoit à peine desvariationsbarométriques l'hommeau tempérament délicat, le malade, la femme, l'enfanten sont profondément troublés. Les épileptiques sontsujets quand elles se produisent à des accès répétés;les démentset les idiots en signalent encore l'approche;iles maniaques et les monomaniaques les pressententplus rarement et avec moins de délicatesse. Donc, dansl'homme a Plus est profonde l'altération des centrespsychiques, plus prévaut le système ganglionnaire ouspinal, plus aussi semble croître cette sorte de sensi-bilité. a En dehors de l'humanité, faible chez le singe,le cheval, le chien, plus forte chez le lièvre et le chat,elle se manifeste davantage encore chez les oiseaux etles batraciens et arrive au plus haut point quand on exa-mine les invertébrés, les insectes par exemple, les verset animaux pélagiques. C'est dans le même ordre que

se manifeste chez les vertébrés l'inquiétude à l'approchedes tremblements de terre.

Au point de vue social, ces constatations ont unegrande importance. Les influences subies par les indi-vidus dans leurs actions privées sont nécessairementpourquelque chose dans leurs actescoltectifs. Les com-motions populaires ont lieu surt.out dans les mois dejuin et de juillet. C'est dans les pays chauds ou dansles provinces méridionales des pays tempérés que serencontrentles associations permanentesayantpourbutles crimes contre les personnes. Réciproquement lespaysdans les quels ces causes de perrurbationsontab-sentes doivent se trouver dans des conditions plus favo-rables pour le développementde la civilisation pacifique,pourvu toutefois que l'extrême froid ne vienne pas ra-lentir chez eux l'énergie vitale; et de même que lachaleur accélère la végétation, elle accélère l'évolutiondes races, bientôt suivie de décadence quand elle esttrop rapide. Telle est la cause de la primauté de l'Eu-rope et de la longue durée de la civilisation moderne.Rapprochés des faits analogues observés au sujet de lasensibilité végétale et de la vie végétale dans son en-semble, ces faits montrent que l'unité de compositiondes êtres organisés trouve dans l'unité de fonction soncorollaire naturel. M. Lombroso va jusqu'à soutenir ens'appuyant sur une longue liste de faits que les oeuvresdu génie, les découvertes scientifiques comme les in-ventions de l'art, véritables fleurs de la plante humaine,naissent sous de certains climats et à de certaines sai-sons N Les créations les plus précieuses de l'esprithumain datent, dit-il, des mois printanniers. » En gé-néral, la philosophie de l'histoire gagnerait à s'appuyer

plutôt sur les données des sciences physiques et natu-relles que sur des abstractionsvides, construites hâtive-ment sur un petit nombre de faits mal observés, et quisont à la sociologiescientiflque ce que sont aux tableauxde maîtres les enluminures de carrefour. Mais précisé-ment parce que les faits recueillis ne sont pas encoreassez nombreux, le sociologue doit apporter dans sesinférences la plus grande réserve (i).

Avec l'anthropologie, l'économie politique est lascience qui par cela même qu'elle se tient près des faite,contribue le plus eflicaceinent aux progrès de la socio-logie. L'Italie ne manque pas d'économistes, mais la plu-part de ceux qui suivent les voies nouvellessont préoc-cupés par le souci très légitime de savoir ce qui s'estfait avant eux dans cet ordre d'études en Allemagne,en France ou en Angleterre. Au milieu d'un assezgrand nombre de travauxpartiels on ne distingue qu'untrès petit nombre d'ouvrages inspirés par des idéesgénérales et ceux-ci sont des ouvrages historiques. Lesplus distingués en ce genre sont ceux de MM. Miragliaet Cusumamo.Le premier a écrite Lc~r~c~e-s /b/2c~-me~a~r~t~s systèmes c~Mo~e~ droitet la efoc~/2e~A/co-~ur/~Hede T~e/a (Naples, i8'73),puis, plus récemment, a Les deux p~ase-s de la science

(1) Le livre que nous venons d'analyser trop brtcvemcnt ren-ferme outre des tableaux graphiques à plusieurs couteura quioffriraient le plus vif intérêt aux aliénistes, un recueil d'obser-vations de M. Ta~burini et une étude de M. MarinoUi sur les ha-bitants des villages de Sauris et Coltina, situés à 1,300 mètreset plus au-dessus du niveau de la mer; il appartient à la biblio-thèque sciontiQquointernationale, mais n'a pas été traduit. Milan,Dumolard éd. i878.

cco~o~~MC dans so72 ra/~or/avec /<? <~ve/oj~e7Kc~ de7a juA//oso/3~~ 2KOc/e?'?2e ». Hégélien tempéré, de l'écolenapolitaine de Spaventa, il ne redoute pas plus le fait

que l'idée et ses travaux ont un caractère synthétiquejoint à une eufnsante précision. Il considère le corpssocial comme un organisme vivant et penche vers laméthode expérimentale.Le second, quia retracé a 7'toire des ecoVc-seco/M/M~uesa//e~a~~s!).(Napoli,4875)

avec une compétence économique et philosophiquepeucommune, adhère passionnément aux principes dessoc~a/ys<es ex ca~Ae~'adont le règne commence à déclineren Allemagne. Son livre qui se présente comme uneétude historique, est plein de doctrine et renferme laplus complète expression des théories généralementacceptées en Italie sur le rôle de l'Etat, du moins dansles rangs des jeunes générations. Laissant de côté laconception spiritualiste de l'État abstrait, simple rap-port établi par la raison entre les libertés individuelles,M. Cusumano, comme M. Miraglia et avec eux MM. Mes-sedaglia, L. Cossa, Lampertico, Luxzati, Schiattarella,Morpurgo, etc., tendent plus ou moins ouvertement àreconnaître l'existence concrète de l'État comme organedirecteur de l'évolution socf'ale, et à l'investircomme telnon plus seulement d'un pouvoir négatifetcoercitif,maisde fonctions actives, de droits distincts et supérieurs.Suivant cette doctrine, les destinées morales de l'Italiene paraissent plus pouvoir être abandonnées au hasarddes initiatives individuelles ou à la merci des entre-prises collectives organisées pour sa perte l'État, re-présentant de la conscience nationale doit prendre enmain l'éducation nationale par laquelle l'idéal communpeut seul se réaliser dans l'avenir.

L'expression la plus résolue qui ait été donnée à cesthéories, bien différentes, comme on le voit, de cellesque professe l'école également positive de Cattaneo serencontre dans un petit livre de M. Andrea Angiulli,qui a pour titre 7'Mca~'o~, la Famille, et futpublié à Naples en 1876.

Au début l'auteur signale une anarchie profonde dansla société moderne, chaque homme étant en désaccordavec Iui"même, chaque individu avec les autres indi-vidus, chaque classe avec les autres classes, chaquegénération avec la génération qui précède. C'est cetantagonismeuniversel, qui crée la ~zc~o~socM/eetnon quelque dissentiment économique partiel entre lesdeux principaux agents de là production. La solutionde la question sociale implique donc la solution detoutes les autres questions organiques que pose latransformation de la société actuelle; question écono-·mique,question inteliectueUe,question morale, questionreligieuse, question politique. Selon l'auteur les solu-tions théoriques sont trouvées, il ne s'agit plus que defaire passer dans les faits les vérités dénnitivementacquises par la science. Or a la reconstitution de l'or-ganisme social dépend de la reconstitution mentalede tous les individus qui le composent. » C'est enchangeant les idées qu'on changera les institutions etles mœurs elles-mêmes. Donc le grand instrumentde la reconstitution sociale, c'est. l'éducation. C'estsur le terrain de l'éducation que se livre le com-bat suprême de la civilisation; on a tort de s'exa-gérer l'importance des facteurs ethnologiques etphysiques dans le développement des peuples; « lesattributs complexes, physiques et moraux, qui distin-

guent l'homme de la brute sont un produit de l'histoire,c'est-à-dire de l'éducation. ? L'activité collective trans-forme la structure mentale de l'homme, au point quedes peuples de même race Unissent par revêtir sousl'action de cultures diverses des caractères fort diffé-rents (Laveleye, De 7'a~r des /?<?M/j7~ c~7/o7/).Mais quel système d'éducation employer? Après avoirécarté les systèmes présentés par la religionet la philo*sophie spiritualiste, M. Angiulli conclut ainsi cette pre-mière recherche La constitution scientifique de lapédagogie déperid des procès récents de la biologie etde la sociologie et trouve ses derniers fondements dansla doctrine de l'évolution cosmique. L'éducation doitêtre scientifique et dans ses procédés et dans son con-tenu. C'est seulement de cette manière que l'hommepeu.t se conformer aux exigences du temps présent ets'approprier les lois de la nature et de l'histoire quidoivent le préparer à remplirdignementson rôle commeindividu, comme membre d'une famille, et commecitoyen, a

1 1Dans un second chapitre mtitulé 7~7~/ p/ ~coVe l'au-teur insiste avec force sur fa nécessite qui s'impose àl'Etat de prendre en main cet unique instrument desalut, l'éducation scientifique, « Admettre la liberté surce domaine, en serait admettre que les individuspeuvent saper les bases de la vie sociale. a Si l'État ale droit de punir ceux qui enfreignent les lois de la viesociale, il a aussi le droit d'exiger que ces lois soientapprises pour empêcher qu'on ne les enfreigne.»Compter sur les individus pour l'organisation d'unsystème efficace d'enseignement, c'est s'exposer auxdéceptions qu'éprouve de nos jours i'An~cterre, où

l'on réclame de toutes parts l'intervention de l'Etat.Quand l'État était personnifié dans un homme revêtude droits absolus et divins, il était naturel que les con-sciences se révoltassentcontre lui au nom des droitsde la personne; mais de nos jours où l'État n'est quela nation organisée, il a le devoir non-seulement de sedéfendre, mais encore de veiller à ce que les plus hautsbesoins de la civilisation soient satisfaits. « Les fonc-tions de l'État, selon Wagner, Ahrens, Holtzendorf, sedivisent en deux groupes principaux celles qui ontpour objet la ~/bnse du droit, et celles qui tendent àatteindre le terme de la culture, ou de la civilisation.Aussi, selon les doctrines politiques de Gneist etd'autres, l'État se présente comme l'éducaleur de lasociété, comme M/2 cM//s~/He~ c~'e~/ca~/o~ sociale.(Cusumano. La scuole eco~o/H/cAe della Ce2'/MaN2a.

Napoli, 1875). Veut-on avec Fichte que le progrèsconsiste dans la capacité croissante des individus à segouverner eux-mêmes, comment ce progrès peut-ilêtre réalisé plus sûrement que par l'instruction donnéeau nom de l'État ? C'est ainsi seulement que l'Etat tra-vaillera, selon le vœu de l'école libérale, à se rendreinutile. Entrant alorsdans le vifde la question au point devue politique, M. Angiulli réclame pour l'État le droitd'intervenir non-seulement pour veiller à ce que l'in-struction soit donnée à tous, mais encore pour déter-miner les matières de l'enseignement et jusqu'à sonesprit. Non qu'il aspire, dit-il, à fonder une nouvelleorthodoxie. « Nous affirmons seulement que l'État a ledroit et le devoir de faire de la science le fondement del'éducation comme elle est celui de l'histoire moderne,laissant à la liberté de chacun le choix de la forme reli-

gieuse qui s'accorde le mieux à la nature de sa propreconscience. » La religion véritable n'a rien à craindrede la propagation de la science: les mythologies et lesmétaphysiquesne sont que des explications de l'ordreet"de la connexion des faits que présente le monde nuldoute que depuis les temps préhistoriques ces explica-tions aventureuses n'aient été perfectionnées par la cri-tique scientifique. Pourquoi reculei'ait-on devant lesnouveaux perfectionnements que ne manqueraient pasde leur apporter de nouveaux progrès de la science ? ilfaut reconnaître avec Lubbock qu'en dehors de lascience il ne peut y avoir de religion véritable. Mais,dira-t-on, d'après le système de révolution, et en vertude cette loi que l'individu traverse les stades divers parlesquels est passée la race, c'est par les vieillescroyances de l'humanité que doit commencer l'éduca-tion, non par ses dernières découvertes. Si cette objec-tion était fondée, il faudrait commencer une éducation

par l'apprentissagedes arts préhistoriques et dans l'en-seignement de la science, on ferait passer l'élève par lesystème de Copernic, par les systèmes de Ptolémée etd'Eudoxe avant de lui exposer cetui de Gainée l'alchi-mie précéderait dans nos programmes la chimie mo-derne. L'histoire ne se répète pas; elle se corrige, ellemarche en avant: l'éducation doit être progressivecomme l'histoire.

Donc l'enseignement dans l'école sera scientifique,exclusivement scientifique. La science suffira à la mo-rale car celle-ci est le patrimoine commun de l'huma-nité, partout où se rencontrent de suffisantes lumières.Elle suffira à l'art; car l'imagination trouve un alimentplus abondant dans les conceptions les plus grandioses

de la science que dans les mesquines inventions de lafable. Elle sufiira enfin à l'industrie, qui de tout tempsa été son œuvre propre; mais de plus elle réussieseule à organiser les divers éléments de la productionen apaisant les esprits, en lus mettant en garde contredes solutions artiricielles, hâtives, révolutionnaires, enfondant l'harmonie durable du capital et du travail. Envain on prétend qu'avant d'instruire le pauvre, il faut lenourrir sans songer le moins du monde à nier labeauté du don volontaire, l'auteur n'y voit qu'un palliatiftransitoire à des maux profonds,et la vraie solution auproblême de la misère consiste, selon lui, à donner aumisérable un moyen de se secourir lui-même, en luiconférant une capacité, une valeur sociale. L'assocm"t'on est encore un fécond instrument d'affranchisse-ment mais outre qu'elle suppose déjà chez ceux quis'associent une certaine culture, elle est dangereuse audernierpoint quand cette cultureest insuffisante. «Seuleune connaissance exacte des lois imprescriptibles del'histoire et de la vie sociale peut faire voir à l'ouvrierde véritables aberrations de l'esprit dans les théoriesqui nient les droits de la propriété et de la famille; droitsdont la jouissance est le but de ses efforts. C't-st foliede la part des socialistes que de réclamer l'interventionde l'État

« nous croyons l'intervention de l'Etat funesteet contraire au but qu'on se propose d'atteindre dèsqu'elle entre dans les sphères qui appartiennent à l'ac-tivité privée, et elle y entrerait par les concessionsdepropriétés et de capitaux, rêves de certains socialistes.~L'organisation politique, comme l'organisation écono-mique et industrielle, ne peut se passer de la science,car l'égalité juridique doit être complétée par l'égalité

intellectuellepour n'être pas un vain mot. « En résumé,nous ne dirons pas avec Leibnitz Donnez-nous l'édu-cation et nous changerons en moins d'un siècle la facede l'Europe, nous dirons seulement que s'il y a en notrepouvoir un moyen d'obtenir une transformation et uneamélioration relatives, progressives, variées dans lesmultiples activités des individus'et des peuples, ce pou-voir nous est donné par la science et par l'éducationscientifique. » M. Angiulli trace alors le plan des étudesélémentaires formant le minimum d'instruction quechaque homme doit recevoir suivant lui et il termine enréclamant l'intervention de l'Etat pour la fondation etl'entretien de nombreuses écoles normales, dont lesélèves iront remplir les chaires créées jusque dans lesplus humblescommunes.

La famille et l'éducation tel est le titre de la troi-sième partie. L'intérieur de la famille est un domaineinterdit à l'État. Or, si la famille est soustraite à son ac-tion, les générations futures lui échappent,, et il ne peutaccomplir sa mission civilisatrice. Car la mère exercesur l'enfant une influence souveraine, physique, intel-lectuelle, morale, esthétique, religieuse. « De la mère,l'homme reçoit le premier aliment, la première sensa-tion, la première parole, la première idée, toute cettesérie d'éléments physiques et psychiques qui formenttl'ensemble complexe de son activité mentale. La dou-ceur dans l'expression des sentiments, la patience, laconstance, la diligence, l'amour de l'ordre, ,le sens dudevoir et du sacrifice, tout cela s'insinue de l'âme de lamère dans celle de l'enfant avec les premières impres-sions de la vue et de l'ouïe. On dit souventque l'avenird'un peuple se décide sur les bancs de l'école; nous

dirions plutôt que cet avenir repose sur les genoux desmères. Mais l'Ktat peut s'assurer le concours de cetteprécieuse auxiliaire: la femme peut recevoir par l'école,l'empreinte de la culture scientinque. « II est donc tempsque l'État (et ici on voit comment il pénétrera, bienqu'indirectement, au coeur d~ la famille) consacre tousses soins à l'instruction générale de la femme, a dût'itla lui imposer par la loi. II faut qu'elle reçoive des no-tions générales concernant l'ordre du monde, l'organi-sation humaine, l'histoire et la psychologie. C'est ainsiseulement qu'elle sera à la hauteur de ses devoirs d'é-ducatrice et contribuera pour sa part à mettre l'harmonielà où jusqu'ici elle avait apporté la contradiction et lalutte.

Mais est-il vrai que la science ait le pouvoir detransformer ainsi les cœurs? Herbert Spencer, dansson introduction à l'étude de la sociologie, combatcomme opposée aux faits et absurde à priori l'opinionqui fait dépendre du progrès de la culture intel-lectuelle le progrès de la culture morale. Les connais-sances scientifiques n'influent en rien sur l'action.a Quelle connexion peut-on imaginer qu'il y ait entreapprendre à lire, à écrire, à suivre les opérations del'arithmétique, entre discerner les différents pays surune carte et acquérir un sens plus élevé du devoir, unesympathie plus vive pour ses semblables, un sentimentplus fort de la justice et un désir du bien plus efficace? aL'enseignement direct des préceptes moraux n'a paslui-même de plus heureux effets. La connaissance nedétermine pas la conduite (co~o~ docs /?ro~Mceaction) l'ignorance n'est pas, comme on le répète dansles journaux, la cause du crime, elle en est seulement

la compagne ordinaire. C'est le sentiment, non la pen-sée abstraite, qui détermine les actions. C'est sur lesentiment que doivent agir ceux qui veulent rendre unepopulation plus morale. Le sentiment dirige le coursdes idées, loin qu'il en dépende. « L'état social exis-tant en un temps donné est la résultante de toutes lesambitions, de tous les intérêts personnels, des craintes,des respects, des haines, des sympathies, etc., quianimaient les ancêtres des citoyens actuels, et quianiment ceux-ci à leur tour. o Les idées qui ont coursdans cet état doivent être liées a de telles dispositionsaffectives; sinon elles n'y auraient pas pénétré, ou entout cas n'y auraient pas vécu. Quelque empire, parconséquent,que l'on attribue aux idées, il faut recon-naître que les idées elles-mêmes dérivent d'une autresource, à savoir du sentiment. Il est vrai, répondM. Angiulli, les désirs et les passions sont la forcemotrice qui imprime au vouloir l'impulsion détermi-nante mais la direction de cette force, mais l'emploide cette impulsion, c'est l'intelligence qui l'indique.Intermédiaire nécessaire entre l'idée et la détermina-tion, facteur important de la conduite humaine, le senti-ment ne doit pas être négligé de ceux qui veulent hâterle progrès chez un peuple. Cependant, il serait d'unepsychologie incomplète de ne pas voir que le point dedépart de toute excitation, le foyer où s'avive et serenouvelle sans cesse la flamme du désir, c'est la repré-sentation. Ce sont les opérations de l'intelligence quidissolvent les croyances anciennes, élaborent lescroyances nouvelles, qui nousmontrent des connexionsinattenduesentre telle ou telle doctrine et nos intérêtsles plus chers ou reculent cette autre désormais in-

différente, dans la plus lointaine perspective; bref notremilieu réel, c'est celui que nous font nos idées, et dessentiments divers s'éveillent en nous suivant que lapensée promène dans une direction ou dans une autresa lumière révélatrice. Aussi voit-on le nombre dessentiments dont un homme est capable à différentsâges, grandir ou diminuer suivant le progrès ou ladécadence de son intelligence, et la culture de l'es-prit donner naissance dans certaines régions de lasociété à tout un monde de sentiments, inconnus ail-leurs. M. Angiulli cite à l'appui de sa thèse d'intéres-sants passages de Lewes et de Luys. Concluons parces quelques lignes du cétèbre physiologiste français

« La vie morale de l'individu, les réserves de la sensi-bilité intime, de son émotivité~ ne se conservent doncà l'état de verdeur et d'intégrité que par l'incessanteactivité de ses souvenirs, de son intelligence et lanotion consciente des choses du monde extérieur. Làou la mémoire et l'intelligence commencent à faire dé-faut, là où l'énergie de l'esprit s'émousse, la décadencede la sensibilité morale suit pas à pas les progrès de ladécadence inteHectuoIIe et chez l'homme intellectuel-lement dégradé, il n'y a plus à compterque sur une mo-ralité basse. D II y a, du reste, en faveur de cette pri-mauté de l'intelligence une raison décisive que M. An-giulli n'ometpas de faire valoir, c'est que les impulsionsqui dans l'humanité sont dites instinctives,ont pour unegrandepartieété un jour plus ou moins conscientes, l'ins-tinct n'étant dans ce cas, si l'on en croit Spencer lui ·même, que l'intelligence organisée.

Il se croit donc dès lors autorisé à affirmer que l'édu-cation doit porter son effet principal sur la culture des

intelligences et la propagation des idées vraies. Il nese fait pas d'illusion sur le pouvoir de l'éducation ilsait que l'homme naît doué d'une certaine constitutionor-ganique dont les prédéterminations imposent aux effortsdes éducateurs une limite infranchissable. Mais ici en-core sinon,dans l'individu,du moins dans les générationssuccessives, !a science des lois de l'hérédité, la diffusiondes règles de l'hygiène, la connaissance des funesteseffets du vice peuvent présenter un recours suprême etreculer de plus en plus la limite que la constitution or-ganique oppose aux efforts de la culture morale. Toutcet ordre de progrès peut être accompli par l'interven-tion de l'État dans l'instruction de l'homme et surtoutde la femme, tandis que l'État ne peut rien sur le senti-ment dont on ne conteste pas d'ailleurs l'importanceaupoint de vue de l'éducation domestique.

En résumée un être ne peut prospérer que s'il réussità s'adapter aux conditions de son milieu physique, s'ils'agit d'un être physique, physique et social s'il s'agitd'un être moral. Nul ne peut s'adapterà ces condi-tions s'il ne les connait donc la science est le salutdes individus, et l'enseignement de la science, lesouverain instrument de progrès pour les nations.

Telles sont les idées que M. Àngiulti a été appelé parl'État lui-même à professer à Bologne et à Naples, oùil occupe en ce moment l'une des chaires de l'Université.Telles -~ont les idées que la jeunesse studieuse embrasseavec une faveur croissante et qui lui enseignent à segrouper autour du gouvernementnational, dans sa luttecontre la propagande dissolvante du parti théocra~oue.

Déjà cette même conception du monde a~~Q~~vie,reposant uniquement sur les résultats de~a~c~nce,

~a

a pénétré dans l'enseignement des lycées. A Bari, dansla Pouille, aux bords de l'Adriatique, M. De Dominicisenseigne la philosophie positive comme M. Ardigo lefait. à Mantoue. Son ouvrage récent intitulé La </oc~r/77e

de l'évolution retrace l'histoiredu système et restitue àComte dans la formation de la philosophie nouvelle lapart prépondérante qu'il a eue en effet, mais que les im-portantes innovations de l'école anglaise tendent de nosjours à faire oublier. M. De Dominicis partage sur laquestion de l'éducation les opinions de M. Angiulli.Dans une étude antérieure (i87*7), L'ec~ca~'o-H le Dar-Wj~He, il a critiqué d'une manièrepénétrante la con-ception idéaliste de l'éducation,qui, réduisant l'homme etpar conséquent la société à un système d'idées abs-traites, s'imagine qu'on peut instantanémentfabriquerune conscience collective nouvelle qui sera la même àtoujours et pour tous pays. 1/éducation n'est que ledernier épisode de la sélection, par laquelle les êtres su-périeurs s'adaptent aux exigences de leur milieu. Elledoit tenir comptede l'organisationphysique, sur laquellese fonde la vie psychique et morale et par suite des diffé-rences que le temps et le lieu mettent entre les dif-férents esprits, non seulement au sein de l'humanitéactuelle prise dans son ensemble, mais au sein d'unemême nation. Elle doit donc prendre son point de dé-part dans l'état actuel d'une race, dans les particularitésdu milieu physique et social que son rôle est d'amélio-rer, mais dont c'est pour elle une condition nécessairede se servir. Et comme cet état actuel est le fruit de trans-formations lentes, transmises par l'hérédité, ello est en-core obligée de consulter le passé du peuple qu'elleveut conduire vers un avenir meilleur. Il lui faut cher-

cher dans le caractère national tel que l'histoire l'a fait,les idées et les sentiments qui ont le plus de chance,(étant les meilleurs,c'est-à-dire le plus~ enharmonieavecles exigences du milieu), de lui assurer l'avantage dansla lutte pour l'existence, persuadée qu'elle ne peut mo-difier cecaractère qu'enle prenantpour complice.Bien en-tendu, ce chcix ne peut ên'el'ceuvred'une puissance étran-gère le choix entre les tendances diversesqui s'agitentdans laconscienced'un peuple ne peu têireopéré que par cepeuple lui-même et c'est ainsi que l'art réfléchipar lequelun peuple se cultive et s'élève, se rattacheà la sélectionnaturelle, c'est-à'dire au procédé inconscient par lequelles organismes inférieurs se sont peu à peu transforméspour produire des types organiques plus complexes etplus forts. L'individu, comme les nations, comme touteassociation, est le théâtre d'une lutte semblable ayantpour but une semblableadaptation et aboutissant à unchoix analogue entre des idées opposées. Dans l'individuc'est la pensée qui décide de l'issue de la lutte, dansla nation c'est l'État, qui devient par l'école, à conditionde ne pas enchaîner l'initiative des maîtres, le grand édu-cateur national (1).

En résumé la philosophie expérimentale porte enItalie, comme partout où elle a pu se développer sansentraves, les fruits qui lui sont propres. A peine orga-

(t) M. de Dominicis, bien que fort jeune lui-même, a ses disci-ples. L'un d'eux, M. Niccolo di Cagno Politi, aidéd' un groupe dejeunes gens, a fondé à Naples en ~877, une revue positive (Laco~Mra mot/crna) qui a pou dure, mais qui a fraye techejnMt-à–d'autres. I! est rare qu'une idée se suscite du premict~Jtt~la presse un organe durable, et il en est des revt~~MN~uc"ébauches organiques bien que des essais avorte que letype nouveau réussisse a se constituer. f~~ ~a.i-ïtv9M

nisée, elle présente, grâce à la convergence spontanéedes observations et des expériences, un ensemble dedoctrines où l'unité ne manque pas, bien qu'elles ne dé-rivent point de déductions systématiques. De mêmel'unité du corps vivant résulte de la conspiration de sesfonctions diverses, en l'absence de toute coordinationlogique artificielle. D'accord avec la conscieacenationaledont elle est l'expression la plus fidèle, elle présenteune conception de la nature et de la société plus enharmonie qu'aucune autre avec les conditions où semeut de nos jours une grande nation dans le milieupolitique européen. La spéculation ne la détourne pasun seul instant de la fin dernière de la science, qui estla pratique; elle propose à ses adhérents une moraleélevée, elle affirme la responsabilité tout en cherchantà la mieux dénnir; elle se préoccupe de fonder le droitde punir sur des raisons puisées dans les fdits mêmes-et tirées des nécessités sociales; elle tend à fortifier et.à préciser l'action de l'État dans l'éducation elle s'ef-force d'atténuer le paupérisme, elle indique les moyens,de combattre les associations parasites qui sont le grandfléau des provinces méridionales. C'est la meilleureréponse qu'elle puisse faire à ceux qui l'accusent detendances subversives.

Ce bref exposé suffira à montrer qu'en Italie commedans toute l'Europe elle est une doctrine vivante. L'É-cole italienne, malgré ses anciennes origines est jeuneencore, mais elle est nombreuse déjà et son publios'étend de jour en jour. Elle est retardée dans son dé-veloppementpar deux obstacles. Le premier est la diffi-'culte qu'éprouvent les plus habiles publicistes à fairevivre en Italie une revue philosophique et le défaut, qui en

résulte, d'an organe capable 'te centraliser les effortsépars. Cet inconvénientest atténué il est vrai pnr l'exis-tence de doux revues spéciate~ (les~cA/~as ~'t?/o*/~o/oj~ et le t/b~'7~ ~e/~ycA/~r/e), et par la large dif-fusion que trouvent en Italie les revues philosophiquesétrangères il n'en est pas moins réel c'est par unerevue qu'une école s'affirme; elle n'existe que vh'tnelle-ment tant qu'elle n'a pas trouve son organe. Le secondobstacle se rencontre dans les résistances qu'opposentles écoles idéalistes a l'avancetnent universitaire desprofesseurs accusés de positivisme. Le gouvernementest animé des intentions les plus équitables mais il nejouit pas en ce qui concerne les nominations universi-taires de la même liberté d'action que le gouvernementfrançais; il est tenu en échec par les conseils universi-taires, excellentes institutions sans aucun doute à decertains points de vue, mais qui se trouvent être de vé-ritables forteresses ou se sont retranchées les anciennesidées pour barrer le chemin aux idées nouvelles. Cetobstacle sera vaincu à la longue; mais il y faudra beau-coup de temps. D'ici la l'enseignement restera enh'e lesmains des théologiens et des idéalistes et les doctrinesexpérimentales ne se répandront que péniblement pardes voies détournées. Quoiqu'il en soit, on l'a vu parl'histoire de ces dernières années, ces obstacles ne ~ontpas de nature à empêcher que ces doctrines ne Pas-sent dans la Péninsule des progrès assez rapides. L'at-mosphère intellectuelle s'en imprègne de plus en plus,et on a déjà vu des exemples de philosophies qui per-dent leur ascendant sur le public, sans cesser d'êtreen possession de l'enseignement.

TABLE DES MATIÈRES.

Pages.INTRODUCTION. 5

PREHH&RE PAtMME

LES ORIGINES

CHAPITRE 1~. Do la Renaissance a Romagnosi et à Galupp;Ausonio Franchi. 31

CHAPITRE II. Ecole de Romagnosi Ferrari (i811-i876) etCaHanoo (i 803-1869). 49

DEUXÏÈME PAMME

L'ÉTAT ACTUEL

CHAPITRE 1~. Méthode et phitosophicgénérale. 71

CHAPITRE 11. Philosophie biologique il4CHAPITRE 111. Philosophie sociale. i44

BIBLIOTHEQUE DE PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE

Volumes in"t8 & & ir. 50 e. « Ca~onaës,8 fr.

H. Taine.LePositivismenogtaia. 2e éd.L'idéalisme anglais.Philosophie de l'art. 3e éd.Philos,do l'arten ItaUo.2" éd.De l'Idéal dans l'art. ï'ôd.Philos. deI'a?tdansPays-Ba9Philos. de l'aa en Grèce.

Paat Janet.Le Matérialisme contomp.

2e éd.La f!r)ao phHosopbique.Le Cerveau et la Pensée.Philos. de !aRévol.française.

2o éd.SMimon et le St-Simonteme.Sp)fHo<o Dieu, l'homme.

Odyase Batrot,Philosophie de l'histoire.

Alaim.PhHosoph!e de M. Coaa!n.

Ad. rranok.Philos. du droit pénal.Philos. du droit ecclésiastiquePhUosopbio mystique au

xvntc s!6c!e.E. Saisset.

L'&me et la vie.Critique et histoire de la

philosophie.Charles t.6v6que.

Le Spiritualisme dans l'art.La Science de l'invisible.

Auguste JLaugoÏ.Les Problèmesde la nature.Les Problèmes dota vie.Les Problèmes de l'&me.La Voix, l'Oreille et la Mo'

s!que.L'Optique et les Arts.

ChaUemel-Lacour.La phitos. individualiste.Charles de Rémusat.

Philosophie religieuse.Albert Lemoine.

Le Vital. etI'Anim. de Staht.De la Physioa. etde la ParoleL'Habitude et l'instinct.

MUsand.L'EatMtique augtaise.

Véra.Essais de phitos.hegéHeoce.

Beausaire.Antccod. de l'he~eHanïsme.

t Boat.Le Protestantismelibéral. 1

Francisque BonUMer.Do la Conscience. 1

Ed. Auber.Philosophie de la Médecine. I

I.oMaia.MateriaMameet spiritualisme J

Ad. Gainter.Datamoraledans l'antiquité.

Sohceb&LPhilos. de la raison pure.

TiBeandter.Des soiences oecultea.

J. Molesohott.La Ci)'ou!ai!oo de la vie.

2 vol.Lt B&ohner.

Science et nature. 2 vol.Ath. Coquerel Ûla.

Transf. du chriat!ao!sme.t.a Conscience et la Foi.H~toirodu Credo.

Jules Levallois.Déisme et Christianisme.

CamiUe Selden.La Musique en Allemugne.Fontanës.

Le Chr!stiaoiamo moderne.Satgey.

La Physique moderne.2a tir.Ma~ano.

La Philos. contemp. en liatie.E.T*atvre.

Do !a variabilitédea espèces.J. Stuart MtM.

Auguste Comte. 2e éd.Ernest Bersot.

Libre philosophie.Albert RôvUïe.

La divinité da Jesus-Cbriat.2ced.W. de Fonvieîte.

L'astronomie moderne.C. Coiqnet.

La morale indépendante.E. Boutmy.

Philosophie da i'ajchitec-tute en Grèce.

E. Vaoherot.La Science et la Conscience.

Em. de Laveleye.Des Formesde gouvernement

HoTbert Spencer.Classification des sciences.

Max Muller.La soience de la religion.

Ph. &aûoMer.Le Beau et son histoire.

L.-A. Dumont.Hmekel et l'évotution.

Bertauld.L'ordresociatot t'ordremoralPhttosophie sociale.

Th. Ribot.La Philos. de SohopcnhaMer.

A. Herzen.Physiologiede la votonté.

Bentham et Grote.La religion naturelle.

Hartmann (E. de).La Reitg;onderavoa'r. &e éd.Le Darwinisme. 2c éd.

Lotze (H.).P~ychotogio physiologique.

Sohoponhauer.Essai sur le libre arbitre.Le Fondement de la morale.Pensées et fragments.

Liard.Logiciens anglais contemp.

Marion.Looko.

0. Sohmldt.Les sciences naturelles et

l'inconscient.Haeckel.

Les preuves du transformismeLa psychologiecellulaire.fi y MargaU.Les nationaHtés.Bar~hôlemy S'-HUairo.De la métaphysique.

Eapinaa.Philos. expérim. M na!!e.

aioHitni.psychogenïo moderne.

Nolen.PbUosophie do Lange (Sous

presse).

'Rw.fti~.jf~~eOiiMfme ~n~<(!<.2'éd.~'td~MW~Rttis~

·-M)UMûp!ue de rnrt. 3e M.–<~?W~<MW~Ï~idéotdMt!i.ëd.Ph)!at.do r*?tdaM* P&y~-Btt

°~Pj~M. do t'*?t ea Créée.

P&Mt ~aa~t.Le M<tt«'<oe eb~tot~p.

«.~t.~Ln <!p<!ephHotoph~ue,

<~erv6e!n et {t Peneoe..J~bttM.ds <à it~ohÎMOMiM.

~~dt <,

s~ St'Stmnoet ~e 8t'Sitn<K)!&tnc.~<n<n'e.- P!<a~ t'hotame.

Ody<nM)BMT<~~JM!c~t<!ade!'hMt<HM.

.Ai)!tM.~ ,)

PhM&Mtphie de M. Com:û.Ad. -y~)i6~.

Pb!tM. de ~roit péna!.ft}t!M~udfoitecBt6~ast!qac

fhH~Mpbto tttyettque <axwme Mécïe.:Ï:. 6ti<Mtt.Ï.'&ae~tt<t ~c.~CW<:q&<;8t b«toiM de !&pbuo«!pb!e.

ChMietaMv<t.e9pir<tc<ti«tnedana }~rjE.Lt ap~Bo~ <!9 ~<!t!M9.

AUStua~ ~<mse)î<e<Pfû&~oië)tdeIantHurû.î~tï~eM~nMtda )!t vio.

L~ Prom&m~de Mtae,J<a :Vo!it,rOMiUe !a Mu*"qae..~0)ptiqM'!t!ts~Fte.ChaU~tnel-Ï.tOOHr.

]LB ~M)M, MdtVtduaHste~CtMte~ d& JMaamaat..

~i

PMj~tQ~ier~~me.jMbMt ~eaichae.V<Hd. et t'AMH. de Sta~

Do fby~o.et de taPar~eI/HAM~de et nuèt~q~

MMM~d.L'~th~aeM)ghd<e.

.V*)r~Ett~ ~t pM~~ h~6~an6e.

B~ut~if~~oAotMd< de i'h~~Htniiftoe.

B~UOTHSQ~ DE pa~SO~E 60NIEMPORANK

0,r V<~O~~ia-~tt~)~e.~6'H~

BMA.~.o Pfot6Btautt«naHhérat.P~Mteteque BoaiiTtter.

;.Ut~ C~miMn.a<jB(t. Aubû?.

Phihaop.htCde MMeoine.~eNats.

Mat~t'~Memeet $p:r!Mt!f<n!eAd C~Ctiev

Dah mora!~ dains t'aot!qa!t6.SchOBbët.

PhHoB. de ta ru'sûn pure.TisaantHe!

De~ sciaoce:}oocut(fa,J. Mdeschott.

t.a Ciro~taHoa de !a vtc.2 vo!,

JL. B~o&n<f.Sc'eBM 6t aaMM. Ï ~o~

Ath. CoqtMret Cts.TMmaf. du ehn<ttaoi<ana8.Lt Cotxotenceet ta i~ot.H~toira du Credo.

JtïtM R~caMoiStD&ism6et CMat.MMtsme.

CaMiUë 8Mden.I~t Muiiiquo ea Attomagne.

Pontanës.Le Christianisait Moderne.

8~gey<La P~yeiqMa tuoderaa. Se tu*.

Mafiano.JL* Philos.cûntCMp.ea ita!ie. j

B. Fatvra.De !a ~iabttitédes espèces.

J. S~ft M<i!.Aoga«te Comte, ïa éd.Bmest BayRot.

Hbro phttoMphie.A)berb RtviHe.

dtVtOtté de Jé9t<s*Chr!b~'i< éd.

W. de Fohvlû!t.'a~tronomtQmqdcfM,

C. <Coi<fno<Lit jMora!e indépendants

E. Boutmy.P~it(nopbia de i'oMhitec-

tMta ea Qfeea.

.JB. V~eh~M. ~<Lt Scfen~ Coa~ea~<

Bm/ Ï<<t~«y~ '<J~fWWW<~<~)tM)~)t<<t<)A.<j

Mtfjbert. SpMtCay.CtMtiOeatioo der MtMM<j<*

Max MaU~r.'l

La a~eMa <te !« M~oo.fh. GauoMef.

ïte BeM et ~o~M~M.ï~A. jOumant

Haecko) et t'ev~uttou. `B~aa! ·L'or~resucià!eU'QfdFemopaïPb;tos'h! tf0<:ia!e.

T~. ÏH~ot;.L& PtMtos. de SebopBntxucr.

Hefzen.Pby<!o!oe~o de v~!dat~.

BenthaM et Crdo~L& MtigH~n n&ittreHe.w

Hertïnana (E. de).La Roügion d81~a,"D¡r.,I', éd..La Rotigtan de t&'Ma<~ éd.be D~WtntBme. 9e M.

Lomé (H.).Psychotn~e t.hysioto~tqank

8ot)t0pe&hauer.Essai sar !9 Hbfo ~rMtfp.Le Fo~d~tneot de !& oïOM!e.PënsaM ~~a)eo<~ °.

Mard. '·Lo~tMensanglais coatomp,

Martcn.Loche..<0. Sëhmidt.

!<e9 sotcoeca aatufe! <t'IacoaM~nt.Hcsdicaï. ? ·

Lesp)~OYMdu tfaMtfOfnttso,Ht p!yctm!og<e ceU~t~~f~fe.

JMyMaftfaM' ",¡'LM t)aHon&t~8.~arth~eaay S'~Si~eDotamétaphy~~e.

Esp~Cd~PMhs. expëfiM. eB Ktttia. r,

eicii~ni.Psychog<}nïo OtO<I<rM,

K~6tt.PhttoMphtc dû LM~e (SotMpM'M).