L’Église de Rome et le développement des catacombes : à propos de l’origine des cimetières...

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Éric Rebillard L'Église de Rome et le développement des catacombes. À propos de l'origine des cimetières chrétiens In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 109, N°2. 1997. pp. 741-763. Résumé Éric Rebillard, L'Église de Rome et le développement des catacombes. À propos de l'origine des cimetières chrétiens, p. 741- 763. Dans le prolongement de travaux antérieurs, cet article remet en cause les hypothèses de De Rossi sur le rôle de l'Église dans le développement et l'organisation des catacombes de Rome. La démonstration de la fragilité du système proposé par De Rossi veut être une invitation pour les spécialistes à reprendre le cas de chaque catacombe. Il semble en effet impossible de s'en tenir à une explication unique de l'origine de ces ensembles funéraires. L'auteur s'en tient ici à suggérer qu'en rien ne s'impose en tout cas l'idée de cimetières communautaires chrétiens administrés par l'Église. Citer ce document / Cite this document : Rebillard Éric. L'Église de Rome et le développement des catacombes. À propos de l'origine des cimetières chrétiens. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 109, N°2. 1997. pp. 741-763. doi : 10.3406/mefr.1997.2003 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5102_1997_num_109_2_2003

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Éric Rebillard

L'Église de Rome et le développement des catacombes. Àpropos de l'origine des cimetières chrétiensIn: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 109, N°2. 1997. pp. 741-763.

RésuméÉric Rebillard, L'Église de Rome et le développement des catacombes. À propos de l'origine des cimetières chrétiens, p. 741-763.

Dans le prolongement de travaux antérieurs, cet article remet en cause les hypothèses de De Rossi sur le rôle de l'Église dans ledéveloppement et l'organisation des catacombes de Rome. La démonstration de la fragilité du système proposé par De Rossiveut être une invitation pour les spécialistes à reprendre le cas de chaque catacombe. Il semble en effet impossible de s'en tenirà une explication unique de l'origine de ces ensembles funéraires. L'auteur s'en tient ici à suggérer qu'en rien ne s'impose en toutcas l'idée de cimetières communautaires chrétiens administrés par l'Église.

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Rebillard Éric. L'Église de Rome et le développement des catacombes. À propos de l'origine des cimetières chrétiens. In:Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 109, N°2. 1997. pp. 741-763.

doi : 10.3406/mefr.1997.2003

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5102_1997_num_109_2_2003

ÉRIC REBILLARD

L'ÉGLISE DE ROME ET LE DÉVELOPPEMENT DES CATACOMBES

À PROPOS DE L'ORIGINE DES CIMETIÈRES CHRÉTIENS

Le caractère programmatique du développement des catacombes, qui est dans quelques cas archéologiquement prouvé1, est expliqué généralement par l'hypothèse de l'existence de sépultures communautaires chrétiennes. Pour les spécialistes de l'Église ancienne, il ne fait pas de doute en effet que les chrétiens, depuis au moins le début du IIIe siècle, étaient inhumés dans des cimetières : lieux de sépulture collectifs, destinés à l'ensemble des fidèles, réservés à eux seuls et contrôlés par les autorités ecclésiastiques2. Les arguments à l'appui de cette thèse ne sont pourtant pas aussi solides qu'on le pense, comme j'ai commencé à le vérifier3 et comme que je voudrais le montrer ici à propos du dossier des catacombes romaines.

Depuis la publication en 1864 du premier volume de Roma Sotteranea Crìstiana, où G.-B. De Rossi décrit l'administration par l'Église des cimetières chrétiens, bien que plusieurs éléments du système reconstruit aient été critiqués, nul n'est revenu sur la synthèse proposée. Or, comme l'écrivait Charles Pietri, «la science ne progresse point à répéter, avec quelque timidité hypocritique, comme si elles constituaient une vulgate définitive, les premières synthèses que les plus grands auteurs donnaient comme une hypothèse4». Cet article se propose donc de reprendre l'examen des docu-

1 Voir, en dernier lieu, H. Brandenburg, Überlegungen zu Ursprung und Entstehung der Katakomben Roms, dans Vivarium. Festschuft Th. Klauser, Münster, 1984 (JAC, 11), p. 11-49.

2 Pour un bon exposé de la vulgate, voir M. -Y. Perrin, L'invention du cimetière : le cas romain, dans Communio. Revue catholique internationale, 20, 1995, p. 99-113.

3 É. Rebillard, Κοιμητήριον et Coemeterìum : tombe, tombe sainte, nécropole, dans MEFRA, 105, 1993, p. 975-1001 et Les areae carthaginoises (Tertullien, Ad Sca- pulam 3, 1) : cimetières communautaires ou enclos funéraires de chrétiens?, dans MEFRA, 108, 1996, p. 175-189.

4 Ch. Pietri, Régions ecclésiastiques et paroisses romaines, dans Actes du XIe Congrès international d'archéologie chrétienne, yol. 2, p. 1035-1062, ici p. 1037.

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ments et des arguments utilisés pour soutenir que l'Église de Rome possède et administre des catacombes depuis le début du IIIe siècle.

1 - Zéphyrin, Calliste et le cimetière

Fort de la découverte récente des livres IX et X de YElenchos d'Hippo- lyte, G.-B. De Rossi, qui en a donné un commentaire historique détaillé5, construit tout l'édifice de l'administration ecclésiastique des cimetières à partir de la notice où Hippolyte rapporte que Zéphyrin a affecté Calliste είς το κοιμητήριον. J'ai déjà critiqué l'interprétation de cette notice d'Hip- polyte6 qui reste la clé de voûte de tout exposé sur l'origine des catacombes7.

Une première critique visait la traduction même du mot κοιμητήριον par cimetière alors qu'il a pour sens premier celui de tombe singulière, du moins dans ses emplois funéraires les plus anciens8. H. Leclercq suggérait que le mot prenait le sens de lieu de sépulture collectif en passant en Occident sous la forme latine coemeterìum9 . Il suffit de noter que le plus ancien emploi du mot est en latin dans un texte de Tertullien où, comme le relevait déjà A. Ferma, il a clairement le sens de tombe10. Ce dernier concluait son examen à un emploi concurrent du mot dans les deux langues avec les deux sens de tombe et de cimetière11. J'ai essayé de montrer qu'en réalité le mot ne désignait jamais autre chose qu'une tombe quand le contexte permettait une interprétation assurée12.

5 G.-B. De Rossi, Esame archeologico e crìtico della storia di s. Callisto narrata nel libro nono dei Filosofumene, dans Bulletino di archeologia cristiana, 4, 1866, p. 1- 14 et p. 17-33.

6 É. Rebillard, Κοιμητήριον et Coemeterium, art. cit., p. 988-995. 7 Je ne cite que quelques exemples récents : P.-A. Février, Études sur les cat

acombes romaines. II, dans Cahiers archéologiques, 11, 1960, p. 1-14, ici p. 4; U. Fasola et P. Testini, / cimiteri cristiani, dans Atti del IX Congresso internazionale di archeologia cristiana, Cité du Vatican, 1978, t. 1, p. 103-139, en particulier p. 106 et 138; H. Brandenburg, art. cit., p. 31-32; F. Bisconti, La via delle catacombe, dans Via Ap- pia. Sulle ruine della magnificenza antica, Rome, 1997, p. 74-77; cf. M. -Y. Perrin, art. cit., p. 105.

8 É. Rebillard, Κοιμητήριον et Coemeterium, art. cit., p. 976-980. Cf. A. Ferma, // cimitero dei nostri morti, dans La civiltà cattolica, 109, 1958, p. 273-285 et repris dans Scritti vari di epigrafia e antichità cristiane, Bari, 1991, p. 284-296, ici p. 289- 292. 9 H. Leclercq, Cimetière, dans DACL, HI/2, e. 1625-1665, ici c. 1628-1629.

10 Tertullien, De anima 51, 7. Cf. A. Ferma, art. cit., p. 290; É. Rebillard, Κοιμητήριον et Coemeterium, art. cit., p. 976-977.

11 A. Ferma, ari. cit., p. 294. 12 É. Rebillard, Κοιμητήριον et Coemeterium, art. cit., passim. Dans les exemples

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Une seconde critique portait sur la comparaison que G.-B. De Rossi faisait de Rome avec Antioche et Alexandrie : le cimetière, sans autre précision, aurait désigné dans ces villes le cimetière par excellence, le plus ancien administré par l'Église13. Or j'ai pu montrer qu'à Antioche un tel nom est donné non pas au cimetière de la communauté chrétienne, mais au martyrìum du faubourg de Daphné, le Tombeau par excellence14, tandis qu'à Alexandrie, le mot désigne le tombeau de Pierre, évêque et martyr15.

À ces arguments philologiques contre l'interprétation proposée par G.- B. De Rossi et répétée inlassablement après lui s'ajoutent des arguments plus proprement historiques portant sur la situation des communautés chrétiennes de Rome au début du IIIe siècle. A. Brent a tout récemment consacré une étude à la figure d'Hippolyte et à l'Église de Rome au début du IIIe siècle16. Dans la lignée des travaux d'E. A. Judge et de P. Lampe17, il soutient qu'au début du IIIe siècle, l'épiscopat monarchique ne s'est pas encore imposé, mais que les chrétiens forment des groupes qui se réunissent dans des maisons privées, les domus ecclesiae ou tituli qui portent le nom de leurs propriétaires18. Il s'efforce de montrer qu'en conséquence parler de schisme à propos d'Hippolyte est la vision anachronique d'un temps où l'

épiscopat monarchique s'est établi et où l'Église est devenue propriétaire corporati vement 19 .

C'est dans cette perspective qu'il est amené à critiquer l'interprétation traditionnelle de la notice d'Hippolyte sur le cimetière auquel est affecté Calliste par Zéphyrin à la mort de Victor en 197. Dans un tel contexte socio- historique, il est clair en effet que l'existence ou même la création d'un cimetière communautaire de l'Église de Rome n'a pas sa place. P. Lampe et

où A. Ferma pense que le mot a le sens de «cimetière», j'ai pu montrer que le mot désignait en fait les tombeaux des martyrs.

13 Voir G.-B. De Rossi, Roma Sotteranea, 1. 1, Rome, 1864 (cité désormais RS, 1), p. 197-198.

14 É. Rebillard, Κονμητήριον et Coemeteriwn, art. cit., p. 983-985. 15 É. Rebillard, Κοιμητήριον et Coemeteriwn, art. cit., p. 985-987. 16 A. Brent, Hippolytus and the Roman Church in the Third Century. Communiti

es in tension before the emergence of a monarch-bishop, Leiden, 1995 {Supplements to Vigiliae Christianae, 31).

17 E. A. Judge, The Social Pattern of the Christian Groups in the First Century, Londres, 1960; P. Lampe, Die stadtrömischen Christen in den ersten beiden Jahrhunderten, Tübingen, 1989 {^Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament, 2.18).

18 Voir toutefois les réserves de M. Simonetti, Una nuova proposta su Ippolito, dans Augustinianum, 36, 1996, p. 13-46, en particulier p. 33-36.

19 A. Brent, op. cit., p. 368-457. Cf. Id., Was Hippolytus a Schismatic?, dans Vigiliae christianae, 49, 1995, p. 215-244.

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A. Brent considèrent en conséquence qu'il s'agit du tombeau que possède Zéphyrin et dont il confie à Calliste l'aménagement d'une partie, souterraine, destinée aux membres les plus pauvres du groupe dont il a la charge20.

Cette explication ne rend pas compte du fait que le nom de Calliste est attaché, par la tradition, aux sépultures des papes et des martyrs21. C'est pourquoi je préférerais m'en tenir à une interprétation qui, au premier abord, paraît peu conciliable avec le contexte socio-historique décrit par A. Brent, à savoir que la tâche confiée à Calliste était celle d'aménager un tombeau collectif et professionnel22. Sur le plan symbolique, en effet, un tel projet peut fort bien avoir été un élément de la propagande en faveur de l'é- piscopat monarchique et ainsi l'intérêt porté par Hippolyte à cet élément de la biographie de Calliste s'en expliquerait mieux23.

J'ai rappelé, dans l'étude déjà citée, que rien, archéologiquement parlantine s'opposait à faire remonter les travaux de la Crypte des Papes à Calliste24. La principale difficulté est d'expliquer pourquoi le tombeau n'est pas utilisé avant au plus tôt 23025. En réalité, il suffit de penser que Zéphyrin et Calliste possédaient déjà tous deux leur propre lieu de sépulture : en surface, non loin de la Crypte des Papes, pour Zéphyrin; dans la catacombe de Calépode, sur la via Aurelia, pour Calliste26.

20 A. Brent, op. cit., p. 436-440; cf. P. Lampe, op. cit., p. 310-313. 21 Voir Liber pontificalis , éd. Duchesne, t. 1, p. 141 : «Qui fecit alium cymeterium

via Appia, ubi multi sacerdotes et martyres requiescunt, qui appelatur usque in hodier- num diem cymeterium Calisti».

22 Voir É. Rebillard, Κοιμητήριον et Coemeterium, art. cit., p. 990-993, avec la bibliographie antérieure.

23 En effet, les savants, parfois gênés par le caractère polémique des autres informations retenues par Hippolyte, n'ont pas su interpréter cette mention, sinon à voir dans l'emploi de το κοιμητήριον sans autre précision la volonté de minimiser la tâche remplie par Calliste. Cf. P. Testini, Le catacombe e gli antichi cimiteri in Roma, Bologne, 1966 (cité désormais Le catacombe), p. 66. Dans mon interprétation, la mention du tombeau entre facilement dans le programme de critique systématique de l'action de Zéphyrin et Calliste.

24 É. Rebillard, Κοιμητήριον et Coemeterium, art. cit., p. 991. 25 Le premier pape dont le nom soit attesté sans conteste dans la Crypte est An-

téros, mort en 236, mais il est très vraisemblable qu'Urbain, mort en 230, y ait été inhumé : voir les éléments du dossier et leur analyse dans É. Rebillard, Κοιμητήριον et Coemeterium, art. cit., p. 992-993.

26 Pour Zéphyrin, cela est confirmé par le Liber pontificalis éd. Duchesne, t. 1, p. 139 : «in cymeterio suo, iuxta cymeterium Calisti, via Appia». Pour Calliste, rien ne s'y oppose : la raison invoquée traditionnellement, à savoir que son corps a été déposé dans la catacombe la plus proche du lieu de son martyr à cause des persécutions, a été rejetée avec raison par J.-C. Picard, Étude sur l'emplacement des tombes des

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Au terme de ces analyses, je crois qu'il faut désormais renoncer à partir de la notice d'Hippolyte pour démontrer la prise en charge par l'Église de la sépulture des chrétiens dans un réseau de cimetières qu'elle administrerait directement27.

Pour reconstituer un tel système d'administration ecclésiastique des cimetières, G.-B. De Rossi se fondait aussi sur des notices du Catalogue Libérien (354) et du Liber Pontifwalis .

Dans la notice sur Fabien (236-250) du Catalogue Libérien telle que l'a restituée L. Duchesne à partir du Liber Pontificali, on lit : Hic regiones diuisit diaconïbus et multas fabrìcas per cymeterìa iussit2*. Ch. Pietri retient comme historique la division en sept régions à l'époque de Fabien, en tout cas à l'époque de la composition du Catalogue Libérien, soit avant 35429. En revanche, il a réfuté définitivement le rattachement aux circonscriptions régionales de l'administration des cimetières tel que l'avait imaginé G.- B. De Rossi en se fondant sur le rapprochement entre la division en sept régions et la mention de travaux dans les cimetières30. De même, il a exprimé de très grandes réserves sur le rôle des diacres défini par G.-B. De Rossi à partir de la notice d'Hippolyte sur Calliste et de la présente notice31. Quant aux travaux entrepris par Fabien et que G.-B. De Rossi a voulu retrouver dans l'area II du complexe callistien, tout indice concret manque pour accepter une telle identification32.

La seconde notice qui mérite mention est celle du pape Denys dans le

papes du IIIe au Xe siècle, dans Mélanges d'archéologie et d'histoire, 81, 1969, p. 725- 782, ici p. 731. Ce dernier, qui ne sait comment expliquer l'emplacement des tombes de Zéphyrin et de Calliste, n'envisage pas l'hypothèse proposée ici.

27 Je ne reviens pas ici sur la notice de la Tradition apostolique. Comme je l'ai souligné dans Κοιμητήρνον et Coemeterium, art. cit., p. 993-995, le texte même du canon n'est pas assez sûrement établi, sans même mentionner les problèmes historiques soulevés par la Tradition apostolique dans son ensemble.

28 Liber pontificalL·, éd. L. Duchesne, t. 1, p. 5. 29 Pour la composition du Catalogue Libérien, inclus dans le célèbre Chrono-

graphe de 354, voir L. Duchesne, Le Liber pontificalL· , t. 1, p. vi-xii. 30 G.-B. De Rossi, RS, 1, p. 117, p. 199; RS, 3, p. 514-526; cf. P. Testini, Le cata

combe, p. 226-230. Ch. Pietri, Roma Christiana. Recherches sur l'Église de Rome, son organisation, sa politique, son idéologie de Miltiade à Sixte III (311-440), Rome, 1976, t. 1, p. 133-135 (cité désormais RC, 1) et surtout, parce que la démonstration y est plus vigoureuse et les conclusions plus fermes, Régions ecclésiastiques et paroisses romaines, art. cit., ici p. 1050-1054.

31 RC, 1, p. 133-134. 32 G.-B. De Rossi, RS, 2, p. 278-279 : la seule preuve avancée est la concomit

ance entre le creusement de l'area II daté par G.-B. De Rossi de la première moitié du IIIe siècle et les travaux à l'initiative de Fabien mentionnés dans le Catalogue Libé-

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Liber Pontiflcalis : «Hic presbyterìs ecclesias dédit et cymeteria et parrocias diocesis constituit33». Cette notice est interprétée en général à la lumière de la Lettre du pape Innocent Ier à Decentius de Gubbio où il est question du fermentum34. Ch. Pietri retient que les parrociae sont les églises suburbaines qui, du fait de leur éloignement, sont constituées en diocesis3*. Du moins telle était la situation à la fin du IVe siècle36 : les informations du chroniqueur du Liber Pontificalis en matière d'administration ecclésiastique sont de peu de valeur historique, car elles reflètent le plus souvent des institutions contemporaines et se contredisent sur l'histoire de leurs origines37. Les cymeteria dans ce cas désigneraient non pas les cimetières, mais les basiliques suburbaines selon un sens bien attesté dans le Liber Pontificalis39 : Innocent I confirme que les cymeteria étaient traités comme les parrociae susmentionnées pour la pratique du fermentum39.

L'activité dans les cimetières prêtée aux papes antérieurement à la paix constantinienne, qu'elle soit d'organisation administrative ou qu'il s'agisse de travaux, n'a donc pas grande valeur historique. Il n'y a pas là assurément matière à prouver l'existence de cimetières chrétiens communautaires possédés et gérés par l'Église.

2 - Église et sépulture des papes de Zéphyrin à Miltiade

II faut aborder à présent un autre argument, lié au précédent, en faveur de la possession par l'Église de Rome de catacombes dès le IIIe siècle : l'inhumation qui y est faite des pontifes romains. Les savants raisonnent comme si l'inhumation d'un pape dans une catacombe impliquait que celle-ci soit tout entière propriété de l'Église. C'est donc à un examen des données archéologiques sur les inhumations des papes, de Zéphyrin à Miltiade, qu'il faut procéder.

33 Liber pontificalis , éd. Duchesne, p. 157. 34 Voir le commentaire de L. Duchesne, p. 157. Sur cette pratique, voir RC, 1,

p. 630-631. 35 Ch. Pietri, Régions ecclésiastiques et paroisses romaines, art. cit., p. 1045. 36 Ibid. 37 Voir le cas de la création des tituli décrit par Ch. Pietri, Régions ecclésiastiques

et paroisses romaines, art. cit., p. 1045-1046. 38 Voir L. Duchesne, t. 1, p. 277 et n. 11; cf. É. Rebillard, Κοιμητήριον et Coeme-

terium, art. cit., p. 996. 39 Innocent Ier, Ep. 25, 5, 8 avec le commentaire de R. Cabié, La lettre du pape In

nocent I à Decentius de Gubbio, Louvain, 1973, p. 26-29.

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La catacombe de Calépode

Toute tentative d'identification du monument de surface où le pape Zéphyrin a été inhumé étant vaine40, c'est avec la sépulture de Calliste en 222 dans la catacombe de Calépode, au IIIe mille de la via Aurelia, qu'il faut commencer41. Le loculus où prit place la sépulture de Calliste se trouve au pied de l'escalier primitif de la catacombe qui compte une vingtaine de galeries de petites dimensions dans le premier état qui peut être défini avant les premiers aménagements, dus très vraisemblablement à Jules I (337- 352) qui établit sa sépulture dans une basilique semi-enterrée adjacente à la catacombe. En l'état des publications, il est impossible de déterminer le nombre de sépultures que son premier état pouvait accueillir, mais les savants s'accordent à y voir une catacombe privée42. Nul n'a revendiqué, à ma connaissance, la propriété de l'Église pour cette catacombe. Le contexte socio-historique plaide par ailleurs, je l'ai rappelé, en faveur de la possession par Calliste de sa propre sépulture : un loculus qu'il aurait acquis à l'avance, au pied de l'escalier d'un nouvel hypogée, dans un environnement relativement privilégié.

L'area I de la catacombe de Calliste

Sinon à partir d'Urbain, du moins avec les sépultures d'Antéros et de Pontien, la Crypte des Papes devient le lieu de sépulture normal des pontifes romains jusqu'au début du IVe siècle43.

Les phases du développement de l'area I de la catacombe de Calliste, qui est la zone la plus ancienne du complexe callistien, telles que les a reconstruites P. Styger, font l'objet d'une relative unanimité44. Il est acquis en particulier que le creusement de la Crypte des Papes intervient au terme du

40 Voir sur ce point avec la bibliographie antérieure J.-C. Picard, art. cit., p. 730, n. 1.

41 Voir A. Nestori, L'area cimiteriale sopra la tomba di S. Callisto sulla via Amelia, dans RAC, 44, 1968, p. 161-172; La catacomba di Calepodio al IH Miglio dell'Aure- lia Vetus e i sepolcri dei papi Callisto I e Giulio I (I parte), dans RAC, 47, 1971, p. 169- 278; (II parte), dans RAC, 48, 1972, p. 193-233; La tomba di S. Cattato sull'Amelia antica, dans Atti del Vili Congresso internazionale di archeologia cristiana, Cité du Vatican, 1972, p. 367-372; Nuovi reperti nella catacomba di Calepodio, dans RAC, 51, 1975, p. 135-141.

42 Voir infra pour cette notion. 43 Voir supra et J.-C. Picard, art. cit., p. 731-733. 44 P. Styger, L'origine del cimitero di s. Callisto sull'Appia, dans Rendiconti della

Pontifìcia Accademia romana di archeologia, 4, 1924-1925, p. 91-153. Cf. P. Testini, Le catacombe, p. 128-135.

Illustration non autorisée à la diffusion

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développement de l'area I et qu'il donne ainsi un terminus ante quem pour les phases antérieures.

Le creusement de la Crypte des Papes appartient en effet à la troisième phase définie par P. Styger (fig. 1) : un deuxième abaissement général, d'1 m, permet, dans la galerie L, le creusement des cubicula Ll (la Crypte des Papes) et L2; dans la même phase de travaux, trois cubicula (A1-A3 ) sont creusés dans les parois de la galerie A45. P. Styger attribue cette phase de

Fig. 1 - Catacombe de Calliste : area I dans sa troisième phase de développement. D'après P. Styger, art. cit., fig. 21

45 P. Styger, art. cit., p. 119-120; cf. P. Testini, Le catacombe, p. 130-131.

LE DÉVELOPPEMENT DES CATACOMBES 749

travaux concomitants à Calliste, comme si le projet de creusement de la Crypte des Papes (cubiculum Ll) avait entraîné les autres aménagements. Il ne semble pas possible de prouver archéologiquement que l'ensemble des travaux est lié au creusement de la Crypte des Papes46. Celui-ci pourrait plus simplement avoir eu lieu dans la même phase de développement que le creusement d'autres cubiculo., sans avoir conditionné le développement de la zone environnante.

La transformation subie par le mur du fond du cubiculum Ll n'irait- elle pas dans le sens de cette interprétation? P. Styger a montré en effet que dans un premier état un simple loculus occupait ce mur et que sa transformation en tombeau à mensa revêtu de marbre a eu lieu avant toute utilisation47. Le cubiculum existait donc peut-être avant que l'Église ne décide d'en faire (après acquisition?) le tombeau des pontifes romains.

Il me paraît donc possible de conclure qu'une fois écarté le témoignage, abusivement interprété, de la notice d'Hippolyte, rien n'impose de considérer l'area I tout entière comme la propriété de l'Église de Rome.

Les cryptes de Lucine

L. Reekmans a reconstitué deux phases, antérieures au IVe siècle, dans l'histoire de cette partie du complexe de la catacombe de Calliste où le pape Corneille a été enterré48. La catacombe s'est développée à partir de deux hypogées indépendants, implantés dans une zone où de nombreux monuments funéraires, païens et chrétiens, occupaient tant la surface que le sous-sol49. Dans une deuxième phase ont lieu des travaux importants et concomitants : la jonction des deux hypogées, l'approfondissement et la consolidation des galeries ainsi que la création d'un étage inférieur50. Selon L. Reekmans, ces travaux sont liés à l'inhumation des restes du pape Corneille translatés de Centumcellae où il était mort en 253 et ont été accomplis sous le pontificat d'Etienne (2 54-2 5 7) 51. Il n'est pas possible d'évaluer précisément le nombre de sépultures procurées par un tel programme

46 Voir ibid., p. 119, où il est écrit, sans autres précisions : «Tutto concorre ad ammettere che i successivi lavori siano stati incominciati presso la galleria L».

47 Ibid., p. 130-139; cf. P. Testini, Le catacombe, p. 132-135. 48 L. Reekmanns, La tombe du pape Corneille et sa région cimétériale, Cité du Vat

ican, 1964, p. 185-226. 49 Ibid., p. 187-202. 50 Ibid., p. 203-208. 51 Ibid., p. 208-209.

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d'aménagement, mais il est certain qu'on assiste là, selon les mots de L. Reekmans, à «la création d'une catacombe52».

S'il est indéniable que la translation et l'inhumation à Rome du pape Corneille impliquent la responsabilité de l'Église, l'extension de cette responsabilité à l'ensemble des travaux de la deuxième phase ne va pas de soi. L. Reekmans fonde cette conclusion sur la concomitance des différents travaux et sur leur envergure : une telle campagne «porte la marque d'une puissante organisation, qui ne peut être, en ce cas, que l'Église romaine elle-même53». Pourtant, le seul fait établi avec une relative certitude54 est que l'Église de Rome a acquis un emplacement de choix pour la tombe de Corneille au moment même où était créé un nouveau complexe funéraire. Il n'existe de fait aucun indice concret de la responsabilité de l'Église dans le reste des travaux.

Le complexe cimétérìal de Gaius

Ce que L. Reekmans a appelé le complexe cimétérial du pape Gaius est un complexe de tombes vénérées qui a été aménagé dans la seconde moitié du IVe siècle pour la visite de pèlerins qui venaient de la Crypte des Papes55. Les aménagements sont non seulement des travaux de consolidation et de monumentalisation, mais aussi la création d'un parcours de visite avec l'ouverture d'une jonction avec la Crypte des Papes et la fermeture des galeries non concernées où les visiteurs auraient pu se perdre. C'est le pape Da- mase qui semble être le responsable de cet ensemble de travaux destinés en fait à mettre en valeur la tombe d'un autre pape, Eusèbe, mort en Sicile en 309, dont le corps a été ramené à Rome par le pape Miltiade (311-314)56.

Ce complexe appartient à une zone, l'area III, qui s'est développée à la fin du IIIe siècle et au début du IVe siècle57. L'inhumation du pape Gaius, mort en 296, serait donc contemporaine du creusement de l'escalier 1 et de la galerie o, où se trouve la chambre sépulcrale (oli) qui a reçu sa dépouille (fig. 2). A 17 m de cette chambre, un diacre du nom de Severus mentionne sur son épitaphe l'autorisation que lui a donné le pape Marcellin (296-304)

52 C'est le titre descriptif donné à la deuxième phase. 53 Ibid., p. 209. 54 Relative, car fondée uniquement sur le fait que les papes antérieurs ont reçu

eux-mêmes une sépulture dans le tombeau «professionnel» des pontifes romains. 55 L. Reekmans, Le complexe cimétérìal du pape Gaius dans la catacombe de Cal-

lixte, Cité du Vatican, 1988. 56 Ibid., p. 198-202 et p. 207-223. 57 Ibid., p. 191.

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10 20

γ-

Fig. 2 - Catacombe de Calliste : com

plexe cimétérial du pape G

aius [S = cubiculum de Severus]. D'après L. R

eekmans, op. cit., PI. I.

752 ÉRIC REBILLARD

d'aménager une sépulture pour lui et pour les siens58. En 311, le pape Mil- tiade fait enterrer le corps d'Eusèbe dans une chambre voisine (olO) de celle de Gaius59. Nous avons bien ici un faisceau d'indices suggérant que cette zone était une propriété de l'Église de Rome.

L'Église de Rome pourrait très bien avoir acquis quelques cubiculo., quand le besoin s'en est fait sentir, sans être le responsable du creusement de tout le réseau de galeries. L'absence toutefois d'étude du développement des galeries voisines du complexe cimétérial du pape Gaius interdit toute conclusion d'ensemble.

La catacombe de Priscille

Si l'on écarte la notice du Liber Pontificalis qui situe la sépulture d'Urbain dans la catacombe de Prétextât et que l'on préfère la situer dans la Crypte des Papes60, il reste à étudier le cas des sépultures de Marcellin, mort en 304, et de Marcel, mort en 309.

D'après le Liber Pontificalis, Marcellin a été enterré «dans le cimetière de Priscille, dans un cubiculum bien éclairé qui est visible encore aujourd'hui, ce qu'il avait lui-même demandé touché de repentir alors qu'on le conduisait à la mort, dans une crypte à côté du corps de saint Crescen- tius61». Le rédacteur du Liber Pontificalis emprunterait cette notice à une Passio Marcellini (aujourd'hui perdue) sans grande valeur historique, mais dont l'information relative à la sépulture est acceptée unanimement62. La relative quod ipse praeceperat implique que Marcellin aurait pourvu à l'avance à sa sépulture comme l'avaient fait Zéphyrin et très probablement Calliste. Cela pourrait expliquer qu'il n'ait pas été inhumé dans la Crypte des Papes, ni même dans la galerie du complexe de Corneille où un de ses diacres aménage un cubiculum avec son autorisation63.

Quoi qu'il en soit, il semble possible de localiser le cubiculum où Marcellin aurait été inhumé, bien qu'aucune preuve ne soit restée en place. Les savants s'accordent à situer cette sépulture dans la région de l'hypogée dit des Acilii. Il ressort des analyses topographiques de F. Tolotti que les cubi- cula de Marcellin et du martyr Crescentius appartiennent à un ensemble

58 Ibid., p. 2. Cf. RS, 3, p. 44-49. ICUR IV, 10183. 59 Ibid., p. 212-218. 60 Voir supra. 61 Liber pontificalis (éd. Duchesne, p. 162) : «in cymiterio Priscillae, in cubiculum

qui patet usque in hodiernum diem, quod ipse praeceperat paenitens dum traheretur ad occisionem, in crypta iuxta corpus sancti Crìscentionis».

62 Voir le commentaire de L. Duchesne, p. XCLX. 63 Voir supra.

LE DÉVELOPPEMENT DES CATACOMBES 753

creusé au début du IVe siècle dans une deuxième phase d'extension de la zone située au nord-ouest de l'hypogée dit des Acilii (fig. 3)64. Il conclut un peu hâtivement que «pour loger les tombeaux de Crescention et de Marcel- lin, on agrandit exprès un espace exigu situé à proximité immédiate de l'hypogée en gamma65». Même si les travaux du petit ensemble individualisé appartiennent à une seule phase, rien ne permet de faire de la sépulture des deux martyrs la cause de ces travaux. La zone adjacente à l'hypogée dit des Acilii, ou hypogée en gamma, se développe régulièrement de la fin du IIIe siècle au milieu du IVe siècle : c'est dans un des nouveaux espaces ainsi disponibles pour des sépultures que Marcellin acquiert de son vivant (?) un emplacement. Sans accorder trop de crédit à ces données biographiques, il demeure clair que rien dans le contexte archéologique de l'inhumation du pape Marcellin ne permet d'en déduire l'appartenance à l'Église de Rome de l'entière catacombe66.

Le lieu de sépulture de Marcel ne nous retiendra pas longtemps. Non seulement sa localisation n'est pas attestée archéologiquement, ce qui est assez commun, mais les sources divergent et les savants ne semblent pas être parvenus à un accord. Traditionnellement, et conformément aux témoignages tardifs, on retient que Marcel reçut une sépulture à la surface dans la basilique de Saint-Sylvestre67. F. Tolotti s'est efforcé de prouver qu'en réalité, il ne s'agissait pas d'une basilique, mais bien plutôt d'un mausolée souterrain, partie intégrante de la catacombe de Priscille68. Toutefois, l'une comme l'autre des deux précédentes localisations ne tiennent pas compte des problèmes posés par la personne historique de Marcel. A. Amore a ainsi essayé de montrer dans un examen exhaustif des sources hagiographiques que le pape Marcel avait été enterré dans le cimetière de Balbina près de la via Appia69. Il ne m'appartient pas de trancher, mais il est clair qu'en l'état de nos connaissances il paraît difficilement acceptable de fonder quelque raisonnement que ce soit sur le lieu de sépulture du pape Marcel.

64 F. Tolotti, // cimitero di Prìscilfo : studio di topografìa e architettura, Cité du Vatican, 1970, p. 283-291. Cf. Id., Le cimetière de Priscille : synthèse d'une recherche, dans Revue d'histoire ecclésiastique, 73, 1978, p. 281-314, plus particulièrement p. 289-298. Il s'agit de la galerie C5 et des deux cubicula C 1 et C 2.

65 Le cimetière de Priscille, art. cit., p. 298. Dans son ouvrage, il reste d'ailleurs beaucoup plus prudent.

66 Cf. J.-C. Picard, art. cit., p. 735. 67 Voir J.-C. Picard, art. cit., p. 736. 68 F. Tolotti, op. cit., p. 252-257. 69 A. Amore, È esistito Papa Marcello?, dans Antonianum, 33, 1958, p. 57-75. Cf.

A. Amore, / martiri di Roma, Rome, 1975, p. 71-75.

MEFRA 1997, 2 49

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754 ÉRIC REBILLARD

5m

Fig. 3 - Catacombe de Priscille : l'hypogée des Acuii (il à i3) et les cubicula de Marcellin et Crescentius (Cl et C2). D'après F. Tolotti, art. cit., fig. 3.

Les pontifes romains sont donc inhumés comme bien d'autres chrétiens dans les catacombes autour de Rome. Il est assuré que l'Église de

LE DÉVELOPPEMENT DES CATACOMBES 755

Rome est propriétaire de la dite Crypte des Papes, c'est-à-dire d'un cubi- culum dans la zone la plus ancienne de la catacombe de Calliste. De fortes présomptions la désignent aussi comme propriétaire d'un petit ensemble de cubicula dans la région de Corneille dans la même catacombe. Est-elle même propriétaire du cubiculum de la catacombe de Priscille où a été inhumé Marcellin?

Comme vient de le montrer l'examen des données archéologiques, les aménagements liés à des sépultures appartenant sûrement à l'Église ne sont ni à l'origine d'aucune catacombe, ni le point de départ d'aménagements plus importants. L'Église de Rome ne semble donc pas avoir, pour la période pré-constantinienne, à laquelle je m'en tiens ici, de statut privilégié dans les catacombes : elle a pu se porter acquéreur de certains emplacements, comme de simples particuliers ont pu le faire; ce n'est pas suffisant pour en faire le promoteur des catacombes.

3 - La catacombe de Novatien et les cimetières d'hérétiques

La conviction que l'Église de Rome ait possédé ses propres cimetières a entraîné la conviction que les hérétiques et autres schismatiques devaient posséder les leurs puisque l'accès à ceux de l'Église ne pouvait que leur être refusé70. Inversement l'existence de cimetières de communautés hérétiques tendrait à prouver que l'Église possèdent les siens. C'est pourquoi il est nécessaire de rouvrir un dossier dont bien des éléments depuis la publication en 1944 de l'ouvrage de Cecchelli ne sont plus retenus71.

Le cas le plus sérieux est celui de la catacombe de Novatien. La tendance à identifier le martyr Novatianus enterré dans cette catacombe de la via Tiburtina avec l'hérétique du milieu du IIIe siècle semble en effet maintenant l'emporter72. Je n'entrerai dans ce débat que dans la mesure où une telle identification semble faire ipso facto de la catacombe le cimetière d'une communauté d'hérétiques.

Le développement pré-constantinien de la catacombe de Novatien est assez bien connu grâce à quatre inscriptions datées découvertes in situ. Il

70 Cette conviction, le plus souvent implicite, est le fondement de l'enquête de C. Cecchelli, Monumenti cristiano-eretici di Roma, Rome, 1944.

71 Voir la mise au point de P. Testini, Le catacombe, p. 141-143, où la notion elle- même est toutefois acceptée sans autre discussion.

72 Voir, en dernier lieu et avec discussion de la bibliographie antérieure, R. Giordani, «Novatiano beassimo martyri Gaudentius diaconus fecit». Contributo all'identificazione del martyre Novaziano della catacomba anonima sulla via Tiburtina, dans RAC, 68, 1992, p. 233-258.

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faut préférer maintenant au schéma de P. Styger celui que propose U. Fa- sola à partir des dernières découvertes archéologiques (fig. 4)73. Presqu'au pied de l'escalier s'ouvre, à droite, la galerie principale, vrai decumanus d'où partent des cardines, prolongés au fur et à mesure en fonction des besoins. C'est au début du troisième cardo à gauche du decumanus que se trouve l'inscription suivante : Novatiano beassimo / martyri Gaudentius diac(onus) / fec(it). Novatien est mort en 258, en exil, martyr de la persécution de Valerien. Sa présence dans une catacombe romaine supposerait donc tout d'abord le rapatriement de son corps, ce qui ne saurait constituer une réelle objection à cette identification. La nécessité d'un délai pour rapatrier le corps pourrait même expliquer que l'excavation des galeries voisines soit datée des alentours de 270 par des inscriptions in situ74. Une

CATACOMBA cd. di NOVAZIANO

mu tI«IH* MAtOMMtA

Fig. 4 - Catacombe de Novatien : première phase de développement. D'après U. Fasola, art. cit., p. 193, fig. 3.

73 Voir U. Fasola, dans Atti del IX Congresso internazionale di archeologia cristiana, t. 1, Cité du Vatican, 1978, p. 191-194. Pour une description de la catacombe, voir E. Josi, Cimitero alla sinistra della via Tiburtina al viale Regina Margherita, dans RAC, 10, 1933, p. 187-233 et RAC, 11, 1934, p. 7-47 et p. 203-247.

74 Voir sur ce point R. Giordani, art. cit., p. 240-244, qui reprend et rectifie légèrement la position d'A. Ferrua, Novatiano beatissimo Martyri, dans Civiltà cattolica, 95, 1944, p. 232-239, repris dans Scritti vari di epigrafia e antichità cristiane, Bari, 1991, p. 171-178, ici p. 173-175.

LE DÉVELOPPEMENT DES CATACOMBES 757

autre objection tenait au texte de l'inscription qui ne mentionne pas le titre d'évêque de Novatien, mais elle a été résolue de façon convaincante par A. Ferma : l'inscription de Gaudentius n'est pas un titulus sépulcral, mais une inscription du IVe siècle commémorant l'embellissement du tombeau75.

L'objection selon laquelle il n'y a pas d'indice de novatianisme dans la catacombe n'est peut-être pas très consistante76, mais elle a le mérite de suggérer une question qui n'a pas été posée en tant que telle : la présence de la dépouille de Novatien fait-elle ipso facto de la catacombe le cimetière de la communauté novatianiste de Rome? La coïncidence entre le moment où la catacombe cesse d'être utilisée et le moment où les Novatianistes sont réduits à l'illégalité n'est pas un argument très fort : nombreuses sont les catacombes où l'on cesse d'inhumer au début du Ve siècle. Certes la catacombe n'a pas été visitée aux VIe et VIIe siècles et elle n'est pas mentionnée dans les itinéraires de pèlerinage, mais c'est un indice bien mince de sa damnatio memoriae11.

R. Giordani a apporté toutefois un élément nouveau dans ce débat ancien : il suggère que Laurent, enterré à quelques mètres de la catacombe de Novatien, de l'autre côté de la via Tiburtina, aurait reçu un culte d'autant plus grand, dépassant ce à quoi on pouvait s'attendre α prìorì, qu'il fallait faire pendant à un centre de culte schismatique78. La difficulté dans cette reconstruction est qu'elle repose sur l'idée que Laurent a été démesurément honoré, sans même mentionner le fait que jamais l'opposition des figures de Laurent et de Novatien n'est explicite dans les sources antiques, y compris celles qui sont censées avoir créé la légende du personnage au seul effet de l'opposer à Novatien.

De plus, ce dernier argument en faveur de l'identification du Novatien de la catacombe avec le schismatique du IIIe siècle implique très explicitement que la catacombe a servi de cimetière à la communauté schismatique jusqu'à son interdiction au début du Ve siècle. R. Giordani s'appuie sur un édit de Constantin qui autorise les Novatianistes à posséder en toute propriété ecclesiae suae domos et loca sepulcris opta (Code Théodosien XVI, 5, 2)79. Des 66 titres contenus dans le Code Thédosien sous la rubrique De hae-

75 A. Ferma, loc. cit., p. 172-173. 76 Cf. R. Giordani, art. cit., p. 238. 77 Voir R. Giordani, art. cit., p. 252, répétant, après A. Ferma, loc. cit., p. 172,

que la catacombe aurait été fermée d'autorité, sans en donner la moindre preuve. 78 R. Giordani, art. cit., p. 244-252. 19 Ibid., p. 254.

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reticis (XVI, 5), qui tous mentionnent, et souvent avec force détails, les confiscations dont les hérétiques sont les victimes, seul ce texte de 326 fait allusion à des lieux de sépultures80. Or cet édit évoque un autre édit contemporain, celui grâce auquel les catholiques sont autorisés à récupérer les tombes des martyrs précédemment confisquées81. Bien que l'expression loca sepulcrìs opta soit très générale, il pourrait s'agir d'une mesure semblable.

L'identification de la catacombe de Novatien avec le cimetière de la communauté novatianiste est encore affaiblie par l'absence d'autres cas. Depuis l'ouvrage de C. Cecchelli, le corpus des catacombes hérétiques a été ramené peu à peu à trois cas : l'hypogée des Aurelii sur le viale Manzoni, la catacombe de Vibia et l'hypogée de Trebius Justus sur la via Appia82. L'hypogée des Aurelii ne dépasse pas la taille d'un hypogée familial, même après le creusement de galeries au départ des deux cubicula inférieurs83. Tout jugement sur celui de Trebius Justus est soumis à la reprise de fouilles nécessaires pour déterminer si oui ou non il appartient à la catacombe voisine d'Apronianus et Eugenia84. Ces deux hypogées, avant même que soit abordée la question de leur iconographie et donc de leur caractère hétérodoxe, ne peuvent pas par conséquent être retenus dans une comparaison avec la catacombe de Novatien. Quant à leur iconographie, les études récentes ne sont plus gênées par leur caractère syncrétiste et ne cherchent plus à établir de corrélation simple et unique entre représentations et croyances85. Point n'est besoin d'imaginer des sectes hétérodoxes pour expliquer des choix iconographiques conformes à ce que nous savons de la culture contemporaine.

Le cas de la catacombe de Vibia est différent : c'est la découverte d'un

80 Cf. H. O. Maier, The Topography of Heresy and Dissent in Late-Fourth Century Rome, dans Historia, 44, 1995, p. 232-249.

81 Sur ce petit dossier, voir É. Rebillard, Κοιμητήριον et Coemeterium, art. cit., p. 981-983.

82 Voir P. Testini, / Cimiteri, p. 143. 83 Voir G. Bendinelli, // monumento sépulcrale degli Aurelii in Viale Manzoni in

Roma, dans Monumenti antichi, 28, 1922, p. 289-520; cf. H. Brandenburg, Überlegungen, art. cit., p. 19-20.

84 Voir E. Josi, Cimitero cristiano netta via Latina, dans RAC, 16, 1939, p. 19-48 et p. 197-240 et RAC, 17, 1940, p. 7-39.

85 Pour l'hypogée des Aurelii, voir Ν. Himmelmann, Das Hypogeum der Aurelier am Viale Manzoni. Ikonographische Beobachtungen, Mayence, 1975 et F. Bisconti, L'ipogeo degli Aureli in viale Manzoni : un esempio di sincresi privata, dans Augusti- nianum, 25, 1985, p. 889-903; cf. H. Brandenburg, art. cit., p. 20 et n. 21. Pour celui de Trebius Justus, voir C. Casalone, Note sulle pitture dell'ipogeo di Trebio Giusto a Roma, dans Cahiers archéologiques, 12, 1962, p. 53-64.

LE DÉVELOPPEMENT DES CATACOMBES 759

cubiculum manifestement païen dans un petit hypogée familial qui a longtemps plongé les savants dans l'expectative. Aujourd'hui la cohabitation de païens et de chrétiens, même au milieu du IVe siècle, ne gêne plus personne, comme le fait remarquer A. Ferma dans une étude de la topographie et du développement de cette catacombe86. Quoi qu'il en soit, là encore il n'y a pas de comparaison possible avec la catacombe de Novatien.

Dans la mesure où le dossier de la catacombe de Novatien ne contient aucune preuve décisive en faveur de son identification comme cimetière de la communauté novatianiste et où les autres cas évoqués de cimetières hérétiques ne résistent pas à la critique, force est de constater la circularité de l'argument. L'hypothèse de catacombes hétérodoxes ou hérétiques est en effet étroitement liée à celle de l'existence des catacombes de l'Église officielle : l'exclusion des hérétiques de celles-ci implique l'existence de celles- là. En l'état du dossier, l'argument n'est pas valide.

4 - Le parallèle des catacombes juives

Un raisonnement assez répandu consiste à faire remarquer que seuls les juifs et les chrétiens ont utilisé des catacombes - non de simples hypogées, mais des structures souterraines extensives - et que, par conséquent, cela doit tenir à leur comparable structure communautaire87. Pour décider de ce que vaut l'argument, il faut donc envisager les données disponibles sur les catacombes juives de Rome et sur leur organisation.

Parmi les catacombes juives de Rome88, seules les catacombes de Vigna Randanini, Villa Torlonia et Via Portuense (Monteverde) ont eu une

86 A. Ferma, La catacomba di Vibia, dans RAC, 47, 1971, p. 7-62. Plus généralement, voir en dernier lieu Mark J. Johnson, Pagan-Christian Burial Practices of the Fourth Century : Shared Tombs?, dans Journal of Early Christian Studies, 5, 1997, p. 37-59.

87 Voir, par exemple, M. -Y. Perrin, art. cit., p. 103-104. 88 Pour une description des catacombes juives de Rome, voir la contribution de

C. Vismara, / cimiteri ebraici di Roma, dans Società romana e impero tardoantico, voi. 2 : Roma, politica, economia, paesaggio urbano, Rome-Bari, 1986, p. 351-392 et p. 490-503 (notes), avec la bibliographie antérieure. Ajouter L. V. Rutgers, Überlegungen zu den jüdischen Katacomben Roms, dans Jahrbuch für Antike und Christentum, 33, 1990, p. 140-157 et Id., The Jews in Late Ancient Rome. Evidence of Cultural Interaction in the Roman Diaspora, Leyde, 1995 {Religions in the Graeco-Roman World, 126), p. 50-67.

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extension comparable aux catacombes chrétiennes. Les catacombes de la via Labicana et de Vigna Cimarra sont en effet des hypogées pour lesquels aucune organisation communautaire n'est de toute évidence nécessaire. En admettant sans autre discussion que ces catacombes aient été exclusivement utilisées par des juifs, les savants se divisent en deux camps pour ce qui est de leur administration. H. J. Leon a soutenu que chaque synagogue de Rome possédait et administrait son cimetière89, tandis que d'autres historiens préfèrent imaginer une administration centrale et commune à toutes les synagogues90. Récemment, toutefois, M. H. Williams a critiqué ces deux systèmes et proposé une solution alternative91.

Pas plus que les catacombes chrétiennes ne peuvent être rattachées aux différentes régions ecclésiastiques92, les catacombes juives ne peuvent être rattachées aux différentes synagogues : les données épigraphiques avancées par H. J. Leon sont insuffisantes et contradictoires93. La solution qui consiste à imaginer alors une gestion centrale n'est pas davantage convaincante : les données de la Palestine et des communautés juives de la Diaspora montrent que les autorités religieuses n'interviennent que très exceptionnellement dans un domaine qui reste avant tout du ressort de la famille94. Se tournant alors vers les pratiques contemporaines païennes, M. H. Williams suggère de façon très intéressante que les catacombes juives extensives sont en réalité l'œuvre de consortia spécialisés dans la fourniture d'emplacements funéraires de tout type, du simple loculus à Yar- cosolium le plus richement décoré95.

L'existence des catacombes juives ne peut donc plus être considérée en soi comme un argument en faveur de l'existence de catacombes communautaires chrétiennes. Il est d'ailleurs nécessaire de critiquer l'emploi qui est fait des mots communauté et communautaire à propos des catacombes.

89 H. J. Leon, The Jews of Ancient Rome, Philadelphie, 1960, chap. 7. 90 G. La Piana, Foreign groups in Rome during the first centuries of the Empire,

dans Harvard Theological Review, 20, 1927, p. 363; S. Baron, A Social and Religious History of the Jews, t. 2, New York, 1952, p. 199; cf. A. Konikoff, Sarcophagi from the Jewish Catacombs of Ancient Rome, Stuttgart, 1986, p. 34.

91 M. H. Williams, The Organisation of Jewish Burials in Ancient Rome in the Light of Evidence from Palestine and the Diaspora, dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 101, 1994, p. 165-182.

92 Voir Ch. Pietri, Régions ecclésiastiques et paroisses romaines, art. cit., passim. 93 M. H. Williams, art. cit., p. 166-170. 94 Ibid., p. 170-175. 95 Ibid., p. 177-178.

LE DÉVELOPPEMENT DES CATACOMBES 761

5 - Catacombes et communauté

II est généralement question de catacombes communautaires par opposition à des catacombes de droit privé. L'expression «catacombe de droit privé» a été créée par A. Ferma à la suite de la découverte de la catacombe de la via Latina (Dino Compagni) en 195696. La notion, qui n'a pas de fondement juridique, lui a paru nécessaire pour expliquer la présence de représentations que l'autorité ecclésiastique ne saurait avoir tolérées97. Le nombre des catacombes rangées dans cette catégorie s'est multiplié depuis sans que cela se soit accompagné malheureusement d'une réflexion sur la notion elle-même.

Le seul critère pris en considération est apparemment celui de la taille98. La fameuse catacombe de la via Latina (Dino Compagni) contient 325 sépultures où ont été inhumées 400 personnes entre 315 et 360", ce qui donne une population d'environ 180 personnes. Le monument des affranchis de Livie a reçu un maximum de 1100 sépultures pour une période de 40 ans environ100, d'où une population de 500 personnes. Ce columbarium constitue toutefois une exception, de par sa taille et de par la population à qui il est destiné. Le columbarium I de la Vigna Codini contenait 450 sépultures; les 298 inscriptions conservées appartiennent toutes à des esclaves ou affranchis de Tibère et Claude101; une population d'environ 250 personnes peut être ainsi restituée.

La population de la catacombe «Aux deux lauriers», estimée par Jean

96 A. Ferma, Le pitture della nuova catacomba di via Latina, Cité du Vatican, 1960, p. 89-91. Cf. P. Testini, Le catacombe, Bologne, 1966, p. 141-143. Cf. G.-B. De Rossi, RS, I, p. 84, pour l'existence de lieux de sépultures communs et privés.

97 A. Ferma, op. cit., p. 90. 98 Pour tenter une évaluation de la population d'une catacombe, au sens démog

raphique du terme, il faut connaître non seulement le nombre des sépultures, mais aussi la durée de la période d'utilisation. Avec ces données propres à chaque catacombe et une donnée de démographie générale, le taux de mortalité (évalué ici à 50 pour mille : cf. B. Frier, Ulpian's Life Table, dans Harvard Studies in Classical Philology, 86, 1992, p. 213-251), il est possible d'évaluer la population d'une catacombe en faisant le calcul suivant : population = nombre de sépultures / durée χ taux de mortalité.

99 A. Ferma, op. cit., p. 89 pour le nombre de sépultures et p. 93 pour la période d'utilisation.

100 H. Kammerer Grothaus, Camere sepolcrali de liberti e liberté di Livia Augusta ed altri Caesari, dans MEFRA, 91, 1979, p. 315-342, p. 325 et n. 50 pour le nombre de sépultures, p. 326 pour la période d'utilisation.

ιοί Voir J. M. C. Toynbee, Morte e sepoltura nel mondo romano, Rome, 1993 (trad. it. de Burial in the Roman World, Londres, 1971), p. 89.

762 ÉRIC REBILLARD

Guyon à 9000 personnes pour les régions pré-constantiniennes102, est bien sans commune mesure avec les exemples précédents. Mais rapporter la taille de cette nécropole au service de la communauté n'est pas une solution. La notion de communauté, si elle doit avoir un sens propre et ne pas se confondre avec celle de groupe, ne peut pas en effet être employée sans autre examen à propos de l'Église ancienne.

Il y a indéniablement une dimension communautaire idéale : «unité de croyance et d'espérance, annonce et écoute de la Parole, correction fraternelle, mise en œuvre concrète de l'agape » sont les termes dans lesquels elle peut être décrite103. Il y a aussi des expériences de vie communautaire, ce qui implique cohabitation, commensalité et mise en commun des ressources : le collège apostolique est le modèle d'un tel idéal. Mais le processus d'institutionnalisation que connaît l'Église à partir du IIe siècle n'est pas la simple traduction d'une communion d'essence spirituelle dans une pratique institutionnelle104. L'idéal de vie communautaire ne disparaît certes pas, mais il ne s'est pas imposé à l'Église tout entière. L'emploi du mot communauté pour décrire les chrétiens des IIe et IIIe siècles entraîne donc une certaine confusion entre le plan d'un idéal spirituel et le plan d'une réalité sociale.

Sans que soit exclu qu'un souci communautaire ait pu présider à la naissance de certaines catacombes, à l'initiative de généreux bienfaiteurs chrétiens105, le développement des catacombes ne peut pas être présenté comme le fait d'une communauté chrétienne dont l'organisation, en dehors de l'Église, nous échapperait.

Renoncer à faire de l'Église de Rome le responsable du développement et de l'organisation des catacombes soulève beaucoup de questions auxquelles ce travail apporte peu de réponses, mais rejeter le rôle de l'Église

102 J. Guyon, Le cimetière aux deux lauriers. Recherches sur les catacombes romaines, Rome, 1987 (BEFAR, 264), p. 101.

103 A. Faivre, Ordonner la fraternité. Pouvoir d'innover et retour à l'ordre dans l'Église ancienne, Paris, 1992, p. 30.

104 A. Faivre, op. cit., p. 23-54 sur l'articulation délicate et conflictuelle entre communion d'essence spirituelle et pratique institutionnelle (chapitre 1 : La dimension communautaire et ses aspects insitutionnels).

105 C'est là une hypothèse traditionnelle, fondée sur le nom de quelques catacombes, Domitille, Priscille, Prétextât : cf. M. -Y. Perrin, art. cit., p. 106.

LE DÉVELOPPEMENT DES CATACOMBES 763

exclut de proposer une unique explication de substitution et veut, au contraire, inviter les spécialistes à reprendre le dossier de chaque catacombe.

Les enjeux historiques du problème sont importants. La thèse de la prise en charge par l'Église de la sépulture des chrétiens, même si elle intègre la possibilité pour les chrétiens de recourir à des sépultures individuelles et privées, est lourde de conséquences. Elle signifie que l'Église, dès le IIIe siècle, se serait substituée à la famille pour le soin des morts, ce qui impliquerait une transformation considérable des relations des vivants et des morts telles qu'elles sont gérées dans le monde romain et donc des structures sociales dans lesquelles ces relations sont enchâssées. L'histoire ultérieure de ces transformations est trop complexe pour que l'historien de l'Antiquité tardive ne reprenne pas un dossier qui n'a jamais été étudié dans cette perspective. La mise en cause du rôle de l'Église dans le développement des catacombes permet de ne pas considérer la question comme réglée dès l'origine.

Éric Rebillard