Lea accords de Sykes picot et L'annexion du Grand Liban 1920

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CHAPITRE I LE MONT-LIBAN : Organisation socio-politique Introduction Ce chapitre essaie de traiter l’organisation sociale et politique du Mont-Liban surtout que toutes les études faites sur le Liban considèrent le mont-Liban comme l’axe principal sur lequel s’est fondé le grand-Liban et c’est à partir du mont-Liban que le pouvoir maronite s’est établi pour toucher enfin tout le Liban. La Lutte sur le pouvoir entre les druzes et les Maronites a pris une ampleur qui a permi aux puissances étrangères de trouver un pied à terre dans cette région ; et la France , par collaboration avec l’église Maronite et par la pénétration capitaliste européenne dans la montagne a bouleversé les rapports de force entre les familles des Muquata’ajis chrétiens et les paysans et en plus a provoqué un déséquilibre économique entre druzes et chrétiens paysans d’autrefois qui sont entrés dans des nouveaux rapports de force économique et politique. Section I : Confessions et familles des Muquata’jis : 1.ss. A- Les Maronites. Ils sont ainsi appelés du nom d’un saint moine, leur patron Mâroun , qui vécut au IVe siècle, dans les environs de la ville d’Apamée de l’Oronte en Syrie. 1 A cette époque,les. Maronites n’avaient connu le Liban que comme lieu de prière et de retraite de leurs ermites. Au VIIe siècle, un moine du couvent de Hama, appelé Youhanna Mâroun , avait acquis ,dans la région, une 1 Henri Lammens: “ La Syrie”. Précis historique, imprimerie catholique, Beyrouth 1961.P.62.

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CHAPITRE I

LE MONT-LIBAN : Organisation socio-politique

Introduction

Ce chapitre essaie de traiter l’organisation sociale et politiquedu Mont-Liban surtout que toutes les études faites sur le Liban considèrent le mont-Liban comme l’axe principal sur lequel s’estfondé le grand-Liban et c’est à partir du mont-Liban que le pouvoir maronite s’est établi pour toucher enfin tout le Liban.

La Lutte sur le pouvoir entre les druzes et les Maronites a pris une ampleur qui a permi aux puissances étrangères de trouverun pied à terre dans cette région ; et la France , par collaboration avec l’église Maronite et par la pénétration capitaliste européenne dans la montagne a bouleversé les rapportsde force entre les familles des Muquata’ajis chrétiens et les paysans et en plus a provoqué un déséquilibre économique entre druzes et chrétiens paysans d’autrefois qui sont entrés dans des nouveaux rapports de force économique et politique.

Section I   : Confessions et familles des Muquata’jis   :

1.ss. A- Les Maronites.

Ils sont ainsi appelés du nom d’un saint moine, leur patron Mâroun , qui vécut au IVe siècle, dans les environs de la ville d’Apamée de l’Oronte en Syrie.1 A cette époque,les. Maronites n’avaient connu le Liban que comme lieu de prière et de retraite de leurs ermites. Au VIIe siècle, un moine du couvent de Hama, appelé Youhanna Mâroun , avait acquis ,dans la région, une 1 Henri Lammens: “ La Syrie”. Précis historique, imprimerie catholique, Beyrouth 1961.P.62.

grande renommée de prédicateur. Elle parvint à la cour de Rome. L’envoyé du Pape à Antioche le fit sacrer évêque de Batroun au Liban, où les partisans de l’empereur avaient fait de grands progrès et l’y envoya exercer son apostulat2.Youhanna Mâroun y fitun grand nombre d’adeptes. Auxquels vinrent se joindre les chrétiens catholiques d’Antioche persécutés par les Grecs.3Quel rapport y a-t-il entre cesmaronites venus de la vallée de l’Oronte, et les Mardaîtes établis au Liban comme colonie, à uneépoque difficile à déterminer, et dont la tradition locale a faitd’eux et des Maronites un seul et même peuple ? Nous ne saurions trancher dans cette question socio-ethnique tant discutée et quiintéresse à la fois l’histoire générale de l’Orient et l’un des principaux secteurs de la population libanaise.4

Néanmoins, H.Lammens a émis l’hypothèse que ce fut peut êtredans la foulée d’une incursion de Mardaîtes envoyés par Byzance pour combattre les Arabes que les Maronites commercèrent à s’installer dans le nord du Liban.5

Après l’édit de compromission que publia Héraclius an 639 pour concilier les différents partis religieux de son empire alors menacé par l’avance des Arabes, les moines maronites acceptèrent le principe du monothéisme. Leur existence pâtit des troubles et des conflits provoqués par l’invasion musulmane et les schismes de l’Eglise orientale ; pour fuir ces conditions nouvelles, et pour échapper à l’autorité directe des souverains musulmans, ils se cantonnèrent peu à peu dans les hautes vallées du Liban septentrional, où ils menèrent avec leur communauté unevie isolée et obscure, en continuant à professer leur doctrine suivant, la liturgie de Saint Jacques.6 Ils purent ainsi former

2 Mgr. Pierre Dib : « Histoire de l’église Maronite ».Imprimeriecatholique , Beyrouth 1962, pp.31-55. 3 Ibid .P.644 Ismâîl, Adel : « Histoire du Liban du XVIIe siècle à nos jours ».Trome I, au temps de Fakhreddine II(1590-1633).Librairie orientale et américaine, g.p. Maisonneuve. M. Besson-Paris 1955, pp.33-34.5 Chevallier, D. : op. cit. p.6.6 Lammens : op. cit . p .45.

une concentration humaine assez homogène le long des gorges de laQâdichâ, cette « vallée sainte » des Maronites en amont de la plaine de la Kûra qu’habitèrent les Melkites.7

L’organisation sociale des Maronites est dominée par l’élément religieux. Isolés dans le monde islamique et traités de« sujets du Pape » ou de « Francs », les Maronites ont gardé une organisation sociale forte et cohérente autour de leur patriarche. Leur condition sociale fut, en général et pour la grand majorité, celle de cultivateurs occupant surtout le partie septentrionale du Liban. A l’origine, ils s’étaient contentés de la région rocheuse de Jubbat Bécharri. Ce peuple prolifique et à faible mortalité, tant du fait de la salubrité de son habitat montagneux que de l’absence de guerres, du déverser de temps à autre dans les régions avoisinantes, et notamment vers le sud, des colonies d’agriculteurs. Sous quelles influences cette marchevers le sud s’est-elle effectuée ?8

On sait que le Liban méridional, comprenant les régions qui s’étendent du Matn à Sayda et Wâdî-Taym, était, à l’origine le fief des émirs et cheikhs druzes ; c’était l’ancien « Jabal ad-Durouz », la montagne des Druzes. Ces Druzes, en nombre limité etsouvent en régression par suite des guerres qui dévastaient la Montagne,9 étaient incapables d’assurer par eux-mêmes la culture de leur vaste territoire. Ils reçurent chez eux ce que le Liban Nord avait d’excédent de population. Leurs chefs acceptèrent, en outre, volontiers, les services des chrétiens lettrés dans les emplois de secrétaires, de procureurs, de fermiers, d’hommes d’affaires… C’est ainsi que les Maronites finirent par occuper une bonne partie du Liban méridional.10

Un autre facteur d’importance devait intervenir dans ce mouvement des Maronites vers le sud. Pour nouer des relations avec les Puissances européennes, Fakhreddine I se vit obligé de recourir à leurs bons offices. Dans ce but, il encouragea leur 7 Chevallier , D.: op. cit. p. 7.8 Ismâîl, Adel: op. cit. p. 36.9 Ibid. p. 37.10 Ibid. p. 38.

immigration dans le Chouf, le Matn, le Gharb, le Sahel et dans les autres districts du Liban méridional, où il pouvait les avoirdavantage dans sa mouvance.11

B- Les Chiites et les Druzes

En dehors de ces enclaves, l’occupation du Liban au bas moyen âge se caractérise par la prépondérance du peuplement chiite.12 Les chiites duodécimains furent appelés ici Métoualis, les « fidèles » de Alî. Rappelons que le mot chiisme (de l’arabe chî’a, groupe des adeptes) désigne l’ensemble de ceux qui se rallient à l’idée de l’Imâmat, en la personne de ’Ali Ibn Abi Tâlib cousin et gendre du prophète par sa fille Fâtima et de ses successeurs, comme inaugurant le cycle de la wilâyat succédant aucycle du prophète. Le mot « Imâm » désigne celui qui se tient ou marche en avant. C’est le guide. Il désigne couramment celui qui « guide » les gestes de la prière à la mosquée. Mais du point de vue chiite, le même terme ne s’applique qu’à ceux des membres de la Maison du Prophète (ahl al-bayt) désignés comme les « impeccables » ; pour les chiites duodécimains, ce sont les « Quatorzes très-purs » Ma’sûm, c’est-à-dire le Prophète, Fatima,sa fille, et les Douzes Imâms.13

On peut mentionner ici les doctrines des deux principales branches du chiisme : le chiisme duodécimain ou « imâmisme » toutcourt, et le chiisme septimanien ou Ismaélisme dont font partie les Druzes. Pour l’imâmisme duodécimain, le « plérôme des Douzes»est maintenant achevé, le dernier d’entre eux fut et reste le douzième Imâm, l’Imâm de ce temps (Sâhib al-Zamân) ; c’est l’Imâm « caché au sens , mais présent au «  coeur, » présent à lafois au passé et au futur.14 Jusqu’au VIe Imâm, Ja’far al-Sâdiq(765), chiites duodécimains et ismaéliens vénèrent la même lignée imâmique. La cause prochaine de leur séparation fut le

11 Ibid. p. 38.12 Chevallier , D. : op. cit. p.813 Corbin, Henri: “Histoire de la philosophie islamique”. Des origines jusqu’à la mort d’Averroès1198. Edition Gallimard,1964, p. 50.14 Corbin, Henri: op. cit. p. 51

décès prématuré du jeune Imâm Ismâ’il, déjà investi par son père, Ja’far Sâdiq. Les adeptes enthousiastes qui, groupés autour d’Ismâ’il tendait à accentuer ce que l’on a appelé l’ultra-chiisme, se rallièrent à son jeune fils, Mouhamed Ibn Ismâ’il. Du nom de leur Imâm, ils furent appelés Ismaéliens. D’autres, en revanche, se rallièrent au nouvel Imâm investi par l’Imâm Ja’far, c’est-à-dire à Mûsâ Kâzem, frère d’Ismâ’il, comme VIIe Imâm. D’Imâm en Imâm, ils reportèrent leur obédience jusqu’au XIIe Imâm, Mohamed al-Mahdi, fils de l’Imâm Hassan ’Askari, mystérieusement disparu le jour même où décédait son jeune père. Ce sont les chiites duodécimains.15

Les chiites duodécimains du Liban se rattacheraient peut-être, selon Lammens, en partie à des tribus Yéménites, et à des Iraniens arabisés d’Iraq que le Calife Omeyade Mû’awiya transplanta dans cette bordure de la Syrie pour leurs qualités militaires.16 Quand à la communauté druze, elle apparut XIe siècle ; sa doctrine, issue de l’ismâélisme extrémiste et faisantdu Calife fâtimide d’Egypte Hâkim l’incarnation de l’intellect cosmique supérieur, avait peut-être d’abord servi en Syrie, d’idéologie à une vague de révoltes paysannes. Elle se maintient dans le Wâdi-Taym, parmi une paysannerie dirigée par des familles appartenant, d’après leur tradition, à de vieilles tribus arabes. De là, les Druzes s’étendirent au sud et au sud-est de Beyrouth, dans le Gharb et le Chouf, où les gouverneurs deDamas leur auraient confié la tâche de contenir les Croisés.17 Ilsformèrent une population théoriquement fermée, jalouse de ses coutumes particulières et soumise à ses propres familles notables. La distinction entre les familles notables et les familles paysannes, contribua à affermir chez les Druzes la fortehiérarchie sociale qui leur permit de s’imposer dans la Montagne.18

15 Ibid. p. 52.16 Dominique Chevallier: op. cit. p. 6.17 Kamâl Salibi : The Buthurids of the Gharb-Arabica VIII,1961, P. 81.18 D. Chevallier : op. cit. p. 7.

L’expansion druze se fit au milieu des zones déjà peuplées de chiites. Mais ceux-ci durent abandonner, dès le début du XIVe siècle, des positions qu’ils occupaient dans la partie médiane duLiban, car les Mamâlîks sunnites les accusèrent de pactiser avec les « Francs » et les Mongols, et dirigèrent contre eux, avec l’aide des émirs druzes du Gharb, des expéditions qui les décimèrent dans le Matn-Kesrwan.19

A l’époque ottomane, ils restèrent concentrés d’abord au sud, dans le Jabal ‘Amel, et à l’est et au nord, dans la région de Ba’lbek et dans le Hermel, où l’armée turque intervint à plusieurs reprises à la fin du XVIIe siècle pour contenir leur insubordination. Ils avaient aussi essayé de reprendre solidementpied dans le pays de Jobayl et dans le Kesrwan , et ils s’attaquèrent à des villages maronites en 1677 et en 1684 ; mais l’émir Ahmad Ma’n mena contre eux des expéditions punitives, incendia leurs villages et en contraignit beaucoup à retourner dans la région de la Ba’albek.20

2.s.s. Les Familles des muqâta’aji

«  La limite administrative de la rivière Mû’âmaltayn situe bien le lieu où se rencontrent deux types d’organisation politique et sociale. Mais elle ne constitue pas au XIXe siècle une frontière confessionnelle, puisque celle du peuplement druze passe plus au sud dans le Matn, et que les Chrétiens, les Maronites notamment, se sont largement répandus dans le Liban méridional ».21

Et on aboutit à la répartition confessionnelle suivante :

« Cette différence entre zones d’organisation et zones de peuplement permet de distinguer trois régions principales :

19 H. Laoust : “Les schisms dans l’Islam”, édition Payot, 1965, pp. 50-70.20 D. Chevallier : “La société du Mont-Liban… », op. cit. p. 8-9.21 Toufic Touma : « Paysans et Institutions féodales chez les druzes et les maronites du Liban » du XVIIe siècle à 1914. Beyrouth 1971, p. 34, publications de l’Université libanaise.  

-La première, au nord du nahr Ibrâhîm, où se trouve le vieux paysmaronite dans la partie la plus élevée, et l’enclave grecque-orthodoxe de la Kûra.

-La seconde entre le nahr Ibrâhîm et le sommet du versant méridional de la vallée du Nahr Beyrût, où la grosse majorité deshabitants est maronite mais qui relève du pachalik de Sayda et du« gouvernement des Druzes » - la vieille expression des voyageurset des consuls de « gouvernement des Druzes » est commode à utiliser parce qu’elle recouvre une réalité politique et humaine.

-La troisième, au sud de cette vallée, dans un pays qui est dominé de longue date par les Druzes mais où la population chrétienne n’a cessé de croître.

« Ces trois grandes parties qui s’étaient ainsi constituées avec des traits humains particuliers, furent, jusqu’à la fin du XVIIIesiècle, appelées respectivement ; Jbal Lubnân ou Bilad Jobayl (Mont Liban ou Pays de Jobayl), Jabal Kesrwân (Mont Kesrwan), Jabal al-Drûz ou Jabal al-Chûf (Mont des Druzes ou Mont Chûf) ».22

Ce sont bien ces trois régions qui désignent, historiquement, ce qu’on appelle le Mont-Liban à propos duquel la tradition historio-graphique chrétienne a tendance à accentuer sa « Particularité » dans le cadre du système ottoman.23

Les Ottomans avaient divisé la Syrie en trois grands Pachaliks ouWilâyâts : Damas, Alep et Tripoli, gouvernés par des Wâlis turcs.En 1660, ils ont créé un nouveau Wilâyât, celui de Sayda, pour surveiller de plus près les notables druzes du Mont-Liban, et cela à la suite de la révolte de l’Emir Fakhreddine Al Ma’ni II ;ce wilâyât fut créé en détachant des régions relevant des deux wilâyâts de Tripoli et de Damas. Le centre de ce wilâyât fut

22 Henri Lammens : La Syrie, op. cit. , T2, p.57.23 Wajih Kawtharâni : « Al Itijâhât al Ijtimâia wal siyâssia fi Jabal Lubnân wal Machrek al ‘Arabi (1860-1920) ». Ed . Ma’had al inmâ al ‘Arabi, Beyrouth, 1976, p. 72.« Les tendances socio-politiques au Liban et dans le Machreq arabe 1860-1920 ».

transféré en 1777 de Sayda à Saint-Jean d’Acre.24Cette division administrative de la Syrie resta la même jusqu’à l’occupation de la Syrie par Ibrahim Pacha en 1832. Et tout au long de cette période, le gouvernement druze du Mont-Liban dépendait du Wâli deSaint-Jean d’Acre, mais cela ne mettait pas le Mont-Liban à……de l’influence du wâli de Damas, et par la suite, du Pacha d’Egypte.

« Les relations socio-économiques firent des familles dirigeantesles intermédiaires naturels et obligés du Souverain ottoman, parce que la fonction fiscale qu’elles étaient aptes à remplir à son service était fondée sur leur emprise sociale, économique et politique. Ce point fixe exactement la nature des intérêts réciproques : l’Etat n’a pu se passer de ces familles pour manifester sa souveraineté en même temps qu’elles ont eu besoin de lui garantir leur supériorité par la parcelle de pouvoir qu’ila dû leur déléguer pour être responsables du fisc sur un territoire »25 .

C’est dans le cadre de la relation liant les familles notables du Mont-Liban au pouvoir du wâlî ottoman qu’on est à même de comprendre la structure du pouvoir au Mont-Liban basée sur la fonction fiscale de prendre en charge le tribut «mîrî» :

« Comme le Liban est une ferme que le Pacha d’Acre accorde au plus offrant et dernier enchérisseur, chaque émir(Chihâb) qui propose de payer plus d’argent que son rival, est le bienvenu à Saint-Jean d’Acre et reçoit l’investiture de gouverneur ».26

Mais à ce facteur économique vient s’ajouter un facteur socio-politique d’emprise familiale, il ne suffit pas qu’un émir « propose de payer », il faut qu’il se révèle apte à réunir les

24 Henri Lammens, op. cit. p. 81.25 D. Chevallier, op. cit. p. 50.26 Michaud et Poujoulat: “Correspondance d’Orient 1830-1831”, Paris 1835, t. VI, p. 351-cité par D.Chevallier, op. cit. p. 82.

sommes exigées. Cette aptitude suppose une forte ‘Açabya27 capablede faire valoir le supériorité de l’Emir.

La cadre territorial où s’exerce l’influence des familles dominantes sur des groupes familiaux d’agriculteurs répartis en plusieurs villages, est le district dont l’appellation, mûqâta’a,se confond avec la charge fiscale qu’il représente.28

Au Liban, cette responsabilité fiscale n’est pas assumée parun notable mais par une famille notable, dont les membres portentconjointement le titre de « mûqâta’aji » à ne pas confondre avec le « féodal » européen.

Sur le territoire du Mont-Liban, quelles sont les familles dont les membres ont pu prendre le titre de mûqâta’ji ? D’après les chroniqueurs du XIXe siècle, la qualité d’Emir distingue les membres de deux familles autres que les Chihâb : les Arslan, druzes, ont dominé tout le Gharb au XVIIe siècle, mais, divisés entre les branches yéménite et qaysite, ils n’ont occupé qu’une position réduite à l’époque des Chihâb ; en revanche, les Abîllama, d’origine druze et convertis au christianisme, ont été élevés à ce rang en 171, et leur prestige a été rehaussé par le fait qu’ils ont été les seuls à être liés aux Chihâb  par des mariages. Viennent ensuite huit familles de cheikhs. Chez les Druzes, deux d’entre elles, les ‘Imâd et les Abû Nakad, ont déjàoccupé ce rang sous les Ma’an les Junblât, installés dans la Montagne, au XVIIe siècle, peut-être d’origine Kurde, ont commencé leur ascension à la suite du combat de Ayn dârâ, en 1711, de même que les Talhûq et les ‘Abdel-Malek. Ces familles de Cheikhs druzes ne contractent théoriquement de mariages qu’entre elles. Parmi les trois familles de cheikhs maronites, Khâzen, Hûbaych et Dahdâh, la famille Khâzen est la plus ancienne, tandis que les deux dernières n’occupent qu’une place secondaire, et sont assez comparables en importance à certaines 27 ‘Açabya :Concept Khaldounien synonyme de « solidarité » traduit en français par « esprit de corps ».Voir à ce propos IvesLacoste : Ibn Khaldoun, et Georges Labica : Politique et religionchez Ibn Khaldoun.28 D. Chevallier : op. cit… p. 82.

familles de notables maronites du Nord. Les Khâzen qui contrôlentla plus grande partie du Kesrwân, ont en effet une position affirmée dès le VIIe siècle, et prééminente par rapport aux Hubaych et Dahdâh qui sont moins nombreux et dont l’influence estsurtout beaucoup plus limitée et subordonnée comme « fermiers » de l’impôt.29

Du côté Druze, la famille Junblât, qui regroupe sous son influence plusieurs mûqâta’a-s, a acquis un rôle particulièrementimportant dans le sud de la Montagne à la fin du XVIIIe siècle, et au début du XIXe siècle.30 Les mûqâta’ajis maronites se trouvent dans la partie centrale du Liban où la population druze est numériquement très faible. Cependant la majorité des famillesde mûqâta’ajis est druze ou d’origine druze.31

Section II   : Le conflit druzo-maronite et le régime de Moutaçarrifyat.

« La perception des impôts était une bonne occasion pour attiser l’animosité entre les cheikhs d’une famille qui n’avaientpas de responsabilités égales. Aux mûqâta’aji-s qui voulaient garder pour eux une trop grande part du tribut perçu, il opposaitles plaintes des paysans qu’en justicier il écoutait, et dont parlà-même il captait la clientèle à son profit. 32A ceux qui tardaient trop à lui remettre les sommes demandées, il envoyait des garnisaires. Par ces méthodes, il contint aussi les notables maronites du Kesrwân et du Matn… ».

Cette politique interne suivie par l’émir Bachîr , sunnite converti au christianisme, et qui a pu se débarrasser des familles notables druzes qui s’opposaient à son pouvoir les unes après les autres , n’a été réalisable qu’après la mort de Jazzar Pacha, le wâli d’Acre en 1804, et la nouvelle alliance conclue

29 D. Chevallier : op. cit… p. 88.30 Henri Lammens : op. cit. p. 185.31 Touma Toufic : “Paysans et institutions… op. cit. pp. 35-36.32 D. Chevallier : op. cit… p. 98

par l’émir Bachîr avec son remplaçant en 1806, Soleiman Pacha quin’a cessé de la soutenir contre le wâlî de Damas.33

1.ss. Transfert du Pouvoir

Le conflit opposant le wâli d’Acre au wâli de Damas, s’est répercuté sur la position du pouvoir au Mont-Liban , toujours tiraillé entre ces deux pôles ; c’est ainsi que les liquidations perpétrées par l’émir Bachîr contre le parti Yazbaki, ont eu lieugrâce au soutien apporté par le wâli d’Acre Soleiman Pacha (1806-1819) ; et avec l’éclatement du conflit entre le nouveau wâli d’Acre ‘Abdallah Pacha et le wâli de Damas Darwiche Pacha, l’émirBachîr s’est trouvé dans une mauvaise posture, d’autant plus que seul était resté puissant face à son autorité au niveau interne, le cheikh Bachîr Junblât, dernier chef druze soutenu par le wâli de Damas; ce qui obligea l’émir Bachîr à se réfugier en Egypte, où il a pu conclure une nouvelle alliance avec Mohamed‘Alî Pacha.Fort de ce nouvel appui, il a pu se débarasser de son dernier rival, cheikh Bachîr Junblât, qu’on a pendu à Acre en 1825 à l’instigation de Mohamed’Alî Pacha.34

Cet évènement a eu des conséquences graves sur l’équilibre du pouvoir au Mont-Liban, étant donné que le cheikh Bachîr Junblât n’était pas seulement le chef du parti Junblât, mais aussi et surtout le dernier chef puissant des Druzes. En le liquidant, l’émir Bachîr est devenu le maître absolu du Mont-Liban, et il a réussi à liquider le pouvoir des notables druzes au profit de la communauté maronite montante dans le cadre des nouveaux rapports capitalistes européens qui commençaient à s’infiltrer dans la région.35

33 Dr. ‘Abbâs Abou Sâleh : « L’histoire politique de l’Emirat chéhâbiste au Mont-Liban(1697-1842) », p. 189.Voir l’Emir Haydar Al Chéhâbi, «  Lubnân fi ‘ahd al omarâ’al chéhâbyin ». « Le Liban sous les Emirs Chéhâb », t.II, 1969, Beyrouth, publication de l’U.L.P. ,p. 66.34 Dr. Assad Rustom: « Bachir entre le sultan et le ‘Aziz ». Beyrouth, édition de l’Université libanaise – Section étude historique, pp. 40-62, Beyrouth 1956. 35 Dr. ‘Abbâs Abou Sâleh: op. cit… p. 234.

Il convient de signaler à ce niveau, deux facteurs qui ont déterminé le transfert du pouvoir des Druzes aux Maronites : l’intervention égyptienne en Syrie (1832-1840), et la pénétrationcapitaliste européenne.

La politique interne de l’émir Bachîr, consistant à liquiderl’autorité des familles notables druzes, l’une après l’autre, l’amis dans une position de dépendance par rapport à son nouvel allié égyptien, Mohamed ’Alî Pacha. Lorsque ce dernier mit à exécution ses plans expansionnistes, et dirigea son armée contre le pouvoir central ottoman, l’émir Bachîr n’était pas en mesure de choisir son camp; son sort était déjà lié à l’aventure du maître de l’Egypte.36 En occupant Cotahia en 1833, Ibrâhîm Pacha mit les Puissances européennes devant le danger d’une nouvelle force montante ; et la convention de Cotahia conclue entre les grandes Puissances, la Sublime Porte et Mohamed’Alî, est venue épargner la capitale ottomane, en reconnaissant la main mise égyptienne sur la Syrie et le Liban.37

Il va de soi que les notables druzes, adversaires et victimes de l’émir Bachîr, s’opposent à son protecteur Ibrâhîm Pacha tandis que les chrètiens sur lesquels s’est appuyé l’émir Bachîr ont vu dans la victoire égyptienne une ère nouvelle qui commence au Mont-Liban38, d’autant plus que la nouvelle administration instaurée par Ibrâhîm Pacha, est venue saper les fondements du système mûqâta’ajis et imposer l’égalité de tous les sujets.39

En d’autres termes, les Maronites voyaient dans le nouveau régime, une occasion de consolider leur pouvoir acquis grâce à lapolitique de l’émir Bachîr hostile aux notables druzes. Mais ces illusions n’ont pas tardé à se dissiper à partir 1835, lorsque

36 Dr. Assad Rustom: op. cit…. p. 65.37 Joseph Hajjâr: « L’Europe et les destinées du Porche Orient (1815-1848) », édition Blond et Gay,1970, p. 122.38 Salibi Kamâl: «Târikh Lubnân al Hadith », Beyrouth, éd. Al Nahar1969, p. 13. “Histoire moderne du Liban”.39 Voir Guys Henri: « Rapport d’un séjour de plusieurs années à Beyrouth et dans le Liban. » Paris 1847, Tome I, p.201

l’émir Bachîr les soumet à des impôts extraordinaires, dont notamment la conscription militaire, jusqu’alors inconnue au Liban ; mais il ne les laissera pas jouir des faveurs qui pourraient leur être accordées. Ainsi lorsque les chrétiens eurent coopéré avec l’armée égyptienne pour réduire l’insurrection druze du Houran, Ibrâhîm Pacha leur fit distribuerquatre mille fusils(1831), dont ils se serviront du reste contre lui par la suite.40

A cause de ce régime d’oppression militaire et de perception d’impôts arbitraires, les Chrétiens finirent par épouser la révolte des Druzes contre Ibrâhîm Pacha et contre l’émir Bachîr. Une lutte sanglante s’engagea entre les deux parties. Les Chrétiens mirent à leur tête un Français, le Vicomte Ouffroy, et appelèrent à leur aide les Chiites de Ba’lbeck, ayant pour chef l’émir Khanjar al-Harfouche.41

‘Abbas Pacha était, avec une forte armée égyptienne, accouruau secours d’Ibrâhîm Pacha. En peu de temps il se rend maître duKesrwân et, désarmant les habitants, il expédie leurs armes en Egypte. La révolte, commencée deux mois auparavant, semble presque étouffée, lorsque l’escadre anglaise apparaît dans la rade de Beyrouth.42

Bachîr, voyant son protecteur égyptien vaincu, entreprend aussitôt de négocier avec le seraskier Mohamed ‘Iazzat Pacha et l’amiral anglais Stopford. Ses négociations échouent et il est obligé de se rendre sans condition. On le déporte à Malte, puis àIstanboul, pendant qu’un firman du Sultan ‘Abdul-Majid nommait, pour gouverner le Liban, l’émir Bachîr III Qassem.43

Parallèlement à cette histoire politique et militaire, se dessinent des transformations économiques qui secouent la

40 Dr. ‘Abbâs Abou Sâleh: op. cit… p. 190.41 Nadra Moutrân: “ La Syrie de demain “, Paris, librairie Plon-Nouiret et cie imprimeurs éditeurs, 8, rue Garancière, 6˚, 1916, p. 106. 42 Nadra Moutrân: op. cit… p. 107.43 Ibd. p. 109.

structure sociale de la société et lui donnent sa nouvelle physionomie. En effet, la production des villes du Moyen-Orient où la confection de tissu représentait une activité essentielle, fut directement concurrencée par les premières cotonnades à bon marché venues des fabriques européennes.44Le Mont-Liban, par sa production de soie et son ouverture « chrétienne » sur l’Occident, fut en mesure de tirer un profit de l’action commerciale européenne au lieu d’en subir la concurrence ou les fâcheux effets monétaires. Sa position générale tranchait donc sur celle du reste de Bilâd Al Châm mais cette situation économique n’en contribua pas moins à rendre plus sensibles les déséquilibres internes puisque les régions et les groupes confessionnels furent différement touchés, et parce que ce furentles négociants qui en bénéficièrent, alors que les mûqâta’ajis déjà fortement atteints, en pâtirent et n’en parurent que plus oppressifs, comme intermediaires et comme privilégies, aux paysans.45

Les familles les plus prestigieuses de la Montagne étaient endettées, l’infortune politique aggravant leurs difficultés matérielles ; tels que les fils et les petits-fils de l’émir Bachîr II.46 Les Abillama’ et les Khâzen étaient « tenus » par descommerçants de leur propre communauté. La pénétration capitalisteeuropéenne dans la Montagne, s’est répercutée donc de façons inégales selon les régions et les communautés ; on peut dire qu’avec l’intensification de cette pénétration européenne, la contradiction s’est de plus en plus approfondie entre les supports et les agents locaux des nouveaux intérêts européens d’une part, et les anciennes forces sociales. Les tables surtout musulmans-dans les villes et affiliées à l’ancien système de pouvoir basé sur l’artisanat et le commerce interne d’autre part.47 C’est ce décalage entre deux systèmes qui était à la base

44 D. Chevallier: op. cit … p. 188.45 D. Chevallier : op. cit … p. 202.46 D. Chevallier : « Aux origines des troubles agraires libanais en 1858 ». Les annales, Mars 1959, Paris, p. 55.47 Weulersse, J. : “Paysans de Syrie et de Proche-Orient”, Galimard, 1946, p. 11.

des troubles agraires de 1858 au Mont-Liban, troubles opposant les paysans maronites de plus en plus intégrés aux nouveaux rapports sociaux européens regroupés autour de l’Eglise maronite représentant la communauté contre les familles, aux notables maronites (les cheikhs Al-Khâzen) attachés à l’ancien système de pouvoir ottoman (mûqâta’aji, iltizam, etc…) ;48 c’est parmi les paysans d’hier que les profils de nouveaux notables se dessinèrent à la Montagne et c’est pour cette raison que les évènements de 1860 ont pris par la suite un caractère confessionnel en débordant le cadre du Mont-Liban pour embrasser les autres régions de la Syrie. Mais à cette analyse économique qui peut éclairer la redistribution du pouvoir entre les famillesnotables et la communauté maronite regroupant les paysans sous labannière de l’Eglise, il faut ajouter d’autres facteurs dont le plus important est le fait que les Druzes du Liban(communauté et familles notables), qui étaient mieux situés que les Maronites dans l’ancien système de pouvoir (mûqâta’aji, iltizam), se sont trouvés sous le règne de Bachîr II dans une situation qui va en se dégradant aussi bien sur le plan politique que sur le plan économique, et cela sous l’influence de la pénétration capitaliste européenne au sein de l’empire ottoman. C’est ce qui les a conduits à défendre, à partir de 1840, l’ancien pouvoir qu’ils ont perdu sous Bachîr II, contre le nouveau pouvoir maronite montant et lié aux nouveaux rapports sociaux européens ;c’est cet anachronisme entre la révolte druze pour demeurer fidèle au passé et le mercantilisme chrétien misant sur l’avenir du capitalisme, qui explique la transformation des victoires militaires druzes, tout au long des évènements parvenus entre 1840 et 1860, en défaites politiques profitant aux Maronites du Mont-Liban.49

De ces troubles, sortirent les modifications radicales qui furent apportées au système du double Qaîmaqamyat. Elles constituent le « Règlement de Chékib Effendi »du nom du ministre 48 Wajih Kawtharâni, op. cit… pp. 49-50.49 Souheil Al –Kache : «Convaincre discours de répression». Thèsede doctorat d’Etat en philosophie, Paris, Sorbonne, 1979, sous ladirection de François Châtelet, p. 404-405.

des affaires étrangères de Turquie, qui en prit l’initiative.50 A cette date, la clientèle libanaise s’était déjà concentrée autourde chacune des Puissances européennes. La France assurait la protection des Catholiques en général, les Maronites occupant la position centrale. La Russie revendiquait quant à elle la protection des Grecs-Orthodoxes de l’Empire. Quant à l’Anglettere, à la communauté protestante en formation elle avaitajouté la protection des Druzes contre les Maronites.51

La mesure prise par ce « Règlement » parut révolutionnaire ;elle consiste à soumettre aux mêmes contributions, mûqâta’ajis cheikhs et simples individus; ce qui amenait, dans ce domaine au moins, la suppression des inégalités fiscales, source des plaintes acerbes des paysans. Ce fût le premier coup porté à l’édifice mûqâta’aji. Mais ce « Règlement » n’en entraîna pas moins la consolidation du statut communautaire, qui servira, depuis lors, d’axe confessionnel mobile autour duquel se déploiera la vie politique du Liban.

« Pour la première fois de l’histoire, les six grandes communautés sont l’objet, en un acte officiel communiqué aux Puissances et approuvé par elles, non seulement d’une reconnaissance formelle de leur existence en tant qu’entités politiques, mais aussi de leurs fonctions d’organes moteurs, dansle mouvement des institutions politiques en proportion pour chacune d’elles de son importance numérique et du caractère plus ou moins accentué de ses activités historiques. »52

Mais ce « Règlement » n’a pas tardé à éclater en 1860 avec le déclenchement des hostilités, presque en même temps sur tous les points où Druzes et Chrétiens vivaient ensemble.53 Ces

50 Wajih Kawtharâni : op. cit… p.71. Voir Emerit Marcelli “La crise syrienne et l’expansion économique française en 1860. » Revue historique e.e.VIII, 1952, 67˚ année, pp. 211-232.51 Nadra Moutrân : op. cit… p. 85.52 Rabbath Edmond : “La formation historique du Liban politique et constitutionnel”, Beyrouth1973,librairie orientale, p. 207.53 Ibid. p. 212. Voir aussi : Témoin Oculaire : « Souvenirs de Syrie », Plon. 1903.

évènements avaient eu entre autres conséquences, de faire définitivement pencher la balance en faveur de la communauté maronite, protégée et privilégiée par la France. En effet, l’accord des cinq Puissances-La France, La Grande Bretagne, la Russie, la Prusse et l’Autriche - s’était fait, à Paris pour déléguer en Syrie une commission internationale composée de leursreprésentants, en vue de procéder, en collaboration avec le ministre ottoman des affaires étrangères, non seulement à la recherche des causes des évènements, à la détermination des responsabilités encourues et à la fixation des réparations dues aux victimes, mais aussi et surtout à placer le Liban sous un régime administratif, contrôlé par l’Europe.54

2.s.s. Le Moutaçarrifyat

La commission se déplace à Istamboul, où les négociations commencèrent.

Elles aboutirent, le 9 juin 1861, à un premier protocole avec, enannexe, le Statut Organique du Mont-Liban. Ce sont ces deux textes qui ont conféré au Mont-Liban un statut de droit international, dénommé Moutaçarrifyat du Mont-Liban. Il a maintenu le Mont-Liban sous la souveraineté ottomane – souveraineté formelle d’ailleurs – en plaçant ce –pendant sa vie publique sous le contrôle des cinq Etats signataires d’Europe, représentés sur place par leurs consuls à Beyrouth.55 Le 6 septembre1864, un nouveau texte, portant le même nom, est substitué au règlement de 1861. A peine différent du premier, il procure certains avantages aux Maronites. C’est le Règlement Organique de 1864qui a régi, depuis lors, le Mont-Liban jusqu’à l’entrée de la Turquie dans la guerre de 1914.56

54 E. Rabbath : op. cit… p. 213.55 L’Emir Haydar al Chéhâby, op. cit… t.II, pp. 19-49.56 E. Rabbath : op. cit… p. 212.

Dix-huit articles composent le Règlement Organique, les principaux traits portent sur :

-Le territoire et ses limites : l’organisation régionale couvrit sept « arrondissements » ou Kadâ’s qui sont : le district de la Koura, le Liban-Nord comprenant Bécharré-Ehden-la Zaouié et Batroun, Zahlé et ses alentours, le Metn avec le Sâhel Chrétien ainsi que tout le territoire situé au sud de la route de Damas jusqu’à Jezzine, c’est-à-dire le Liban central et méridional, avec le Chouf noyau historique du Liban politique. Chacun de ces Kadâ’s est administré par un Qaîmaqam, nommé par le gouverneur ouMoutaçarrif.

-Le Moutaçarrif : « le Mont-Liban sera administré par un gouverneur chrétien nommé par la Sublîme Porte, et relevant d’elle directement ». La désignation de ce fonctionnaire ottoman extérieur du Mont-Liban était néanmoins subordonné à l’assentiment des cinq Etats européens signataires.57

-Le conseil représentatif – auprès du pouvoir exécutif que détient le Moutaçarrif, un conseil administratif central, destiné, non à légiférer mais à seconder le Moutaçarrif dans ses tâches administratives. Il est composé « de douze membres délégués par les moudirats » renouvables par tiers tous les deuxans :

-Deux maronites pour chacun des cazas de Batroun et de Kesrwân.

-Un maronite, un druze, un sunnite pour le caza de Jezzine.

-Un maronite, un grec-orthodoxe, un druze et un chiite pour le caza du Metn.

-Un druze pour le caza de Chouf.

-Un grec-orthodoxe pour le caza de Koura.

-Un grec-catholique pour le caza de Zahlé.58

57 E. Rabbath : op. cit… p. 214.58 Ibid. p. 215.

Quatre sièges sont ainsi attribués aux maronites, trois aux druzes, deux aux grecs-orthodoxes, un aux grecs-catholiques, un aux sunnites et un dernier aux chiites; au total douze sièges surlesquels sept sont réservés aux chrétiens et cinq aux trois communautés musulmanes, autre manifestation du caractère délibérément chrétien et plus particulièrement maronite que le règlement a voulu conférer au Liban. La caractéristique essentielle à retenir de ce règlement, consiste dans le fait que règlement est venu instaurer le système confessionnel libanais, àla place du système mûqâta’aji qui prévalait au Mont-Liban. C’était le noyau historique autour duquel est venu se constituer l’Etat libanais agrandi en 1920, par le mandat français.59 En 1915, une ordonnance de Jamal Pacha paraissait, qui portait dissolution du conseil administratif, dont les membres étaient suspects d’avoir entretenu dans le passé des rapports suivis avecles consuls des puissances ennemies.

Mais cet intervalle de la première guerre mondiale n’a pu contrecarrer la transformation structurelle de la société du Mont-Liban, entammée au XIXe siècle, et aboutissant à l’émergence de l’entité politique libanaise en 1920.

CHAPITRE II : L’ANNEXION DES REGIONS AU MONT-LIBAN

Nous avons envisagé dans les pages précédentes l’organisation sociale des seules communautés Druze et Maronites ; nous avons parlé des Chiites dans leur répartition confessionnelle au Mont-Liban, mais sans parler de leur 59 Al-Kache Souheil : op. cit… pp. 341-342

organisation, c’est que, durant plus de quatre siècles sous les ottomans il n’y eut jamais une « Question Musulmane », alors que la question Druze et « la Question Maronite », occupèrent longtemps les chancelleries.60Parce-que, pour des raisons différentes, ils étaient considérés par l’Empire ottoman, comme deux épines enfoncées dans sa chair, et deux éléments aberrants.

Tandis que la communauté Grecque et surtout Grecque Orthodoxe qui s’apparentait à l’immense communauté balkanique jouissait, par l’intermédiaire du Patriarche du phanar, de la Bienveillance des sultans à laquelle n’était pas épargnée non plus la protection de la Russie Orthodoxe. En tout cas le loyalisme de cette communauté ne leur paraissait pas suspect, sonintégration dans l’Empire était plus entière et plus sûre que ne l’était celle des Maronites, irrésistiblement et séculairement orientés vers Rome et l’Occident Catholique, celle des druzes, invinciblement axée sur une farouche indépendance.61

C’est seulement sous le mandat (1920-1943) que les Musulmans, après dix siècles environ de gouvernement du Liban « compte tenu de l’Interrègne du royaume de Jérusalem, de celui de Fakr ed-dine et du règlement organique(1864), se virent par lasuite de la défaite Ottomane, dépossédés du pouvoir et soumis à une autorité européenne.

C’est à partir de ce moment que prit naissance « la QuestionMusulmane ». Si l’on peut appeler ainsi, un mouvement de résistance, souvent passive, de sa collaboration avec la puissance mandataire.62

C’est dans cette section de ce chapitre que nous allons traiter la situation socio-politique des régions annexées au Mont-Liban lors des Accords Sykes-Picot 1916, et la réaction de

60 ‘Adel Ismâil : “Histoire du Liban “ du VIIX˚ siècle à nos jours (tome premier), librairie orientale et américaine G.P. Maisonneuve, M.Besson,Suce,Paris1955, p. 27.61 Ibidem, p. 28.62 ‘Adel Ismâil : “ Histoire du Liban”, op. cit. , page 27.

ces régions même à l’égard de la puissance étrangère établir son pouvoir.

Les régions : extérieures au Mont-Liban puis annexées à ce dernier en 1920 pour constituer le Grand-Liban comprennent Beyrouth –Jabal ‘Amel (le Sud Liban)- la Békâa- Tripoli et ‘Akkar(le Nord Liban).

SECTION I : La Politique Franco-Britannique et la Question Arabe.

Avant la guerre 1914-1918, la cause arabe traversa trois étapes :

-L’étape de l’éveil et de la prise de conscience sous le règne du Sultan ‘Abdel Majid et puis du Sultan ‘Abdel ‘Aziz.

-L’étape de l’organisation sous le règne du Sultan ‘Abdel Hamid.

-L’étape de la revendication et de l’action dans le cadre des sociétés de l’union et du progrès.

Ces étapes ne dépassant pas les limites des théories et des espoirs, et cela dans le cadre de la consultation et de laréflexion secrète. Mais la première guerre mondiale inséra la cause arabe dans le cadre de la politique internationale, et celaen raison de la participation militaire des arabes et les négociations qui en découlèrent par la suite.63

Les chefs des sociétés arabes révolutionnaires à Damas, telles que la société « al Fatât » et la société « Al’ahd » et bien d’autres, sympathisaient avec le sultanat ottoman et craignaient sa chute, ce sentiment s’est manifesté à travers une décision prise par la société « Al Fatât » en mars 1915 de soutenir l’Etat ottoman, et cela dans une réunion tenue à la maison de Churki al-Ayoubi.64

63 Mouhammad Jamil Beykoum – convois et cortèges de l’arabisme, page 30-31, Tome2, 1950.64 Khairieh Qâsmiseh – le gouvernement arabe à Damas, p. 19.

Le Chérif Hussein et ses fils, surtout l’émir ‘Abdallah, étaient très influencée par les émissaires anglais65 et croyaient que c’était le moment propice pour réaliser l’indépendance, d’autant plus que les Anglais se sont employés à gagner la sympathie des arabes, surtout à la suite de leur défaite militaire dans les Dardanelles. C’est Lawrence d’arabie qui a étéchargé de cette mission.

La conviction de l’émir Fayçal de s’allier avec les Anglais s’est approfondie lorsque Jamal Pacha exécuta les patriotes arabes le 6 mai 1916, et cela malgré la sollicitation de l’émir lui-même ainsi que de son père le chérif Hussein.

Mais le chérif Hussein n’a pas tardé à réagir contre les agissements des Etats européens à son égard, surtout lorsque les Anglais et les Français refusèrent de reconnaître son titre de roi du Hedjaz.66 D’autant plus que lorsque l’alliance des Arabes avec les alliés était acquise, ces derniers se désintéressaient de plus en plus du chérif Hussein jusqu’à le mettre dans une situation critique ; il a donc fini par sortir sa fameuse déclaration du 30 août 1918 concernant l’arrêt de l’aide apportéeaux alliés qui n’ont pas tenu les promesses données aux Arabes.67

Les négociations Hussein/Mac Mahon

Le premier contact entre les Anglais et le chérif Hussein a eu lieu au printemps de 1912 par l’intermédiaire du Lord Kitchner ; mais les contacts ont été repris lors de l’engagement de la Turquie dans la guerre à côté de l’Allemagne ; c’est alors que les négociations ont été engagées entre le chérif Hussein et Sir Henri Mac Mahon, négociations qui ont traîné pendant 18 mois ; le contexte politique au cours de cette période assistait à de multiples déclarations de Londres, de Paris et de Washingtonpleines de promesses à l’égard des Arabes et faisant prévaloir les bonnes intentions des alliés à leur égard. Toutes ces

65 Ibidem, page 179.66 Mouhammad Jamil Beyhoum; convois et cortèges de l’arabisme, page 30.67 Georges Antonios; le réveil des Arabes, page 64.

déclarations ont encouragé les Arabes à se révolter tout en attachant des grands espoirs sur la victoire des alliés, surtout à la suite de la fameuse déclaration du président Wilson en 1916 contenant ses 14 principes fondamentaux concernant la paix mondiale.68

L’accord Sykes-Picot.

Parallèlement aux négociations entamées par Sir Henri Mac Mahon avec le chérif Hussein, l’Angleterre menait des négociations secrètes avec la France et la Russie, qui ont abouti à un accord conclu entre les trois Etats le 4 mars 1916 stipulant la partition de l’empire ottoman entre les trois Etats.Ce fut l’accord connu par l’accord Sykes-Picot qui contredit les engagements des alliés auprès du chérif Hussein. A la suite de larévolution d’octobre 1917 en Russie, le nouveau gouvernement bolchévic , ayant dénoncé la politique de l’ancien régime, s’est employé à rendre public tous les accords secrets conclus avec l’Angleterre et la France , y compris l’accord Sykes-Picot.69C’esten se rendant compte de l’affaire que le chérif Hussein adressa une lettre à Mac Mahon lui demandant des explications à ce propos, et le représentant officiel du gouvernement britannique de lui assurer que « les Anglais continuent à respecter leur parole donnée, et que ce ne sont là que des rumeurs et des mensonges ».70

Pour apaiser l’inquiétude des Arabes à ce propos, l’Angleterre et la France publièrent une déclaration commune le 7novembre 1918 dans laquelle on peut lire :

« Conformement à leurs objectifs, la France et la Grande Bretagne vont former immédiatement des gouvernements et des administrations nationaux en Syrie et en Irak qui ont été libéréspar les alliés, ainsi que dans les autres pays que les alliés comptent libérer ; la France et la Grande Bretagne n’ont pas

68 Mouhammad Jamil Beyhoum; convois et cortèges de l’arabisme à travers les époques, T.2, p. 33.69 Khairieh Qâsmiseh; Le gouvernement arabe à Damas, p. 53.70 Qâsmieh; op. cit. p. 55.

l’intention d’imposer aux populations de ces pays aucune forme d’institutions gouvernementales, leur ultime objectif consiste à assurer le bon fonctionnement des gouvernements et des administrations choisis par les populations elles-mêmes, en se contentant de les munir de l’aide nécessaire. »71

Les alliés occupèrent la Syrie au moment où l’émir Fayçal, àla tête des forces arabes, poursuivait l’armée turque de Transjordanie jusqu’à Damas, où il a pu entrer le 1ͤ ͬ octobre 1918après avoir obligé l’armée turque à se replier vers le nord. L’émir Fayçal désigna Chekri Pacha al Ayoubi comme gouverneur général de Beyrouth et du Mont-Liban, et d’autres fonctionnaires pour gouverner les deux régions d’Antioche et d’Alexandrette.72

Les réserves présentées par Mac Mahon au Chérif Hussein le 24 octobre 1915 à propos des intérêts français dans les côtes syriennes, étaient interprêtées par Fayçal comme se rapportant auMont-Liban.

Loyd Georges avait déjà déclaré, dans une lettre adressée à Clémenceau le 18 octobre 1918 :

« Que les promesses données par les alliés au chérif Husseinavaient comme but de pousser les Arabes à se révolter contre lesTurcs à un moment critique de la guerre, où l’on avait besoin de percer le mur dressé par la Turquie, qui empêchait le contact vital entre les alliés en Occident et les armées russes en Orient ».73

L’accord Sykes-Picot stipulant la partition de l’empire ottoman, comportait entre autres, les points suivants :

« La France s’est emparée d’une grande partie du sud de l’Anatolie, la partie nord de la Syrie naturelle, et la région du Mossoul. »

71 Mouhammad Jamil Beyhoum ; op. cit. p. 32.72 Soleiman Moussa; Le movement arabe, page 63.73 D. Khayrié Qâsmyé; Le gouvernement arabe à Damas 1918-1920, page 36.

« La part de la Grande Betragne comportait les deux willayats de Bossra et de Bagdad, la région de Karkouk, ainsi quela partie sud de la Syrie naturelle, à partir de la Ghaza et d’Akaba au sud ouest jusq’aux frontières de l’Irak au milieu du désert ».

« Les deux Etats se sont engagés à mettre la Palestine mis àpart la région du Naqab sous l’autorité d’un gouvernement international spécial. »74

L’émir Fayçal se comportait comme étant le représentant de son père dans cette région du royaume arabe, tandis que l’Angleterre et la France le traitaient comme étant le chef de l’armée arabe affiliées aux troupes d’Egypte.

La position de neutralité prise apparemment par l’Angleterredonnait l’impression d’une position d’hésitation et de concessionqui a mis le congrès de Paris dans l’embarras, en menant dans l’impasse la contradiction opposant Fayçal à la France, contradiction ayant traversé deux étapes : la première du mois d’octobre 1918 jusqu’au mois d’octobre 1919, c’est l’étape de la rivalité entre la France et l’Angleterre. La deuxième étape, du 15 septembre 1919 au 25 juillet 1920 ; c’est l’étape de la concordance entre les deux grandes puissances.

L’étape de la rivalité entre   l’Angleterre et la France .

Après avoir déclaré la formation du gouvernement arabe, l’émir Fayçal se dirigea vers la France le 22 octobre 1918 pour représenter son père au congrès de la paix ; mais ce voyage a étémal accueilli par la France qui lui a fait savoir sa surprise à ce propos , et l’impossibilité de le considérer comme chargé d’une mission officielle dont elle n’était pas averti au préalable ; sur ce, la France s’est opposée à ce que Fayçal soit accepté comme membre du Congrès, après son arrivée à Paris le 6 janvier 1919 venant de Londres.75

74 Ibid, page 37.375 Zein Noureddine Zein; Le conflit international au moyen-orientet la naissance des deux Etats de la Syrie et du Liban, page 73.

La position de Clémenceau vis-à-vis de Fayçal n’a changé que grâce à l’intervention du Lord Gurzon, et le gouvernement arabe fut représenté au congrès de la paix, tenu le 18 janvier 1919, par l’émir Fayçal et Rustom Haydar.76

Après avoir exposé la question arabe, l’émir Fayçal demande au congrès d’accepter la formation d’Etats arabes unis sous l’autorité de l’état du Hedjaz, tout en reconnaissant les privilièges du Mont-Liban et le droit de la France d’assurer sa protection ; il a également reconnu la spécifité de la Palestine,ainsi que la position distinguée de l’Angleterre en Irak , mais il a refusé l’ingérence dans les affaires des régions arabes indépendantes, à moins que les autorités locales de ces régions ne demandent l’aide étrangère de bon gré lorsque cela leur semblera nécessaire. Le congrès décida de former un comité américain de référendum ayant comme objectif de sonder la volontédu peuple syrien.

C’est ainsi que le congrès s’est terminé par la consacrationdes 14 principes du Président Wilson, et la France s’est trouvée dans l’obligation de suivre une politique souple cherchant à gagner la sympathie des patriotes syriens avant le référendum ; àcette fin, la France reconnut à Fayçal le droit de gouverner la Syrie, en s’engageant à lui assurer le consentement des chrétiens du Liban d’œuvrer pour l’unité syrienne, eux qui sont connus pour leur hostilité à toute forme d’union avec la Syrie ; d’autant plus que certaines sociétés libanaises, surtout la sociétés syrienne à Paris présidée par Chekri Ghanem se sont opposées à l’idée de l’annexion du Liban à l’Etat arabe et se sont plutôt employées à revendiquer l’union syrienne sous la protection de la France, tandis que le conseil administratif du Mont-Liban réclama l’indépendance du Liban sous le mandat français.77

Avec l’arrivée du comité américain King-Crane, le congrès syrien tenu le 17 juin 1919, s’est prononcé au nom de tous les

76 Khairieh Qâsmieh; Le gouvernement arabe à Damas, page 180.77 Zein Noureddine Zein; op. cit…

Arabes de la Syrie et de la Palestine, pour l’unité, la liberté et l’indépendance de la Syrie naturelle, sans aucune forme de protection ou de mandat ; cette position dénonçait en fait l’article 22 de la charte de la société des Nations qui considérait la Syrie comme faisant partie des nations ayant besoin du mandat.

Tandis qu’au Liban, les communautés chrétiennes ont opté pour le mandat français, au moment où les musulmans ont adopté les décisions du congrès syrien.

Reste à signaler la position des Grecs orthodoxes qui n’étaient pas dans la même lignée pro-française, mais ils étaientplus proches du courant arabe ; il convient de mentionner à ce propos le « parti de l’union syrienne » qui s’est formé en 1918 ayant comme but l’unité syrienne intégrale, y compris le Liban, et regroupant une majorité d’intellectuels orthodoxes tels que lepère Youssef Istfân, Khalil Khoury, l’émir Hareth Chéhab, Nassif Rayes, Metri Trâd, ‘Aziz Mâlek, Georges Bâz, Dr. Farid Kassab, Dr. Assaâd ‘Ofeiche.78

L’étape de la concordance entre les deux alliée   :

Les Français cédèrent le Mossoul à l’Angleterre qui n’a pas hésité à l’accepter, et cela en débit de la colère manifestée en Syrie devant le comité américain, lorsque Fayçal fut mis au courant de l’intention des deux puissances d’établir un foyer national juif en Palestine,79à cela s’ajoute l’accord militaire conclu entre l’Angleterre et la France, au terme duquel la Francese chargera de gérer les affaires de la cilicie et de l’ouest de la Syrie (le Liban), tandis que l’est de la Syrie revient à Fayçal tout en reconnaissant à la France le droit de fournir les aides conformes à l’accord Sykes-Picot. Quant à la Palestine et àl’Irak, l’accord les a mis sous le mandat anglais ; cette partition de la Syrie suit des limites au pouvoir du général Allemby dans la région. Ce pouvoir fut dorénavant partagé par le général Gouraud qui arriva à Beyrouth en novembre 1919.78 Mouhammad Jamil Beyhoum; op. cit. page 39.79 Soleiman Moussa; Al-Nahâr 4/8/1968.

Loyd Georges convoqua alors l’émir Fayçal dans une tentatived’apaiser sa réaction contre cet accord, en le conseillant de se rendre afin de se mettre en contact direct avec la France avec laquelle il doit s’entendre surtout après le boycotage du congrèsde la paix de la part des Etats-Unis et la déception du PrésidentWilson.80

Au moment où Fayçal poursuivait les négociations avec les autorités françaises à Paris par l’intermédiaire de Clémenceau, les patriotes syriens s’employaient à confronter militairement l’occupation française, afin de faire pression sur les négociations en cours en manifestant leur hostilité à toute occupation étrangère ; en apprenant la nouvelle de l’accord conclu entre l’Angleterre et la France, l’émir Zayd n’a pas hésité à présenter sa démission à son frère fayçal, qui l’a refusée en le chargeant du commandement militaire ; c’est alors que l’émir Zayd convoqua le congrès syrien, le 24 novembre 1919 en vue de prendre position vis-à-vis de cet accord.81

Un comité représentant toutes les régions de la Syrie fut constitué dans le but d’organiser la défense nationale ; à la même période, la révolution s’est déclenchée en cilicie, avec le soutien de Moustafa Kamal, et a réussi à l’emporter sur les troupes françaises, ce qui a encouragé les patriotes syriens à poursuivre la lutte armée contre l’armée française, comme étant le seul moyen efficace à même de faire reculer la France ; tandisque Fayçal, lui était moins enthousiaste pour ce choix surtout après avoir perdu le soutien de l’Angleterre et des Etats-Unis, il a donc choisi la ligne des concessions dans les négociations qui ont abouti à l’accord du 6 janvier1920, aux termes duquel la France reconnait le gouvernement de Damas à condition que ce dernier reconnaisse la priorité de l’aide française ; cet accord devait rester secret jusqu’au retour de Fayçal à Damas. Il s’est trouvé face à une volonté générale déterminée à réaliser l’indépendance intégrale et hostile à cet accord. Fayçal s’est trouvé acculé à se plier aux aspirations de ce courant général,

80 Khairieh Qâsmieh; op. cit. page 53-54.81 E. Rabbath, op. cit. page 303.

et décida d’ajourner son voyage en Europe, en prenant comme prétexte le remplacement du premier ministre Clémenceau par Millérand.82

Le 3 mars, Fayçal convoqua le congrès syrien à se réunir, etle congrès décida la déclaration de l’indépendance de la Syrie naturelle avec le roi Fayçal à sa tête. Cette décision a été immédiatement dénoncée par l’Angleterre et la France et le général Gouraud s’est employé à s’opposer sur place à cette décision.83

Après la mise en échec de l’accord Fayçal Clémenceau, les Français se sont employés à poursuivre la consolidation de leur pouvoir au Liban ; dès leur arrivée au Liban en 1918, ils ont réorganisé l’ancien conseil administratif du Mont-Liban délaissé par la Turquie pendant la guerre, en désignant à sa tête un gouverneur français. Le Wilayat de Beyrouth fût régi par une administration particulière sous contrôle français ; le gouvernement au Mont-Liban et à Beyrouth pratiqua une autorité militaire directe par l’intermédiaire de fonctionnaires coloniauxqui ont porté atteinte à la renommée de la France même parmi ses partisans qui n’ont pas manqué de critiquer les méthodes et les abus du pouvoir.

Le congrès de San Remo s’est tenu en avril 1920, et décida de mandater la France sur la Syrie, le Liban et la cilicie. Le premier ministre français, Millérand, adressa alors une lettre dans ce sens au roi Fayçal qui a refusé cette décision par un télégramme de protestation84 ; et les emeutes nont pas tardé à sedéclencher dans les régions de la Syrie, ce qui poussa la Franceà accepter un compromis avec Moustafa Kamal, afin de consacrer ses effectifs à faire face au gouvernement de Damas. Le roi Fayçal décida alors de voyager à Londres pour assister au congrèsde la paix et envoya Nouri al-Sa’id à Beyrouth pour préparer le programme de ce voyage avec le général Gouraud, mais ce dernier

82 E. Rabbath, op. cit. page 304.83 M. Jamil Beyhoum; op. cit. page 42.84 E. Rabbath, op. cit. page 314.

lui adressa une mise en garde l’ordonnant de démobiliser l’armée arabe, d’accepter les papiers de la monnaie syrienne mis en circulation par la France, et de livrer les chemins de fer à l’armée française ; le voyage du roi Fayçal en Europe était alorslié à ces conditions.85

L’armée française ne tarda pas à marcher sur Damas après avoir écrasé les troupes de Youssef al Azmé à Maysaloun, et fit son entrée à Damas le 20 juillet 192086, et le général Gouraud prit la décision de détourner le roi Fayçal ,de Dissoudre l’armée arabe et de désarmer la population tout en procédant à l’arrestation des chefs nationaux qui ont joué un rôle dans les événements.

C’est ainsi que le général Gouraud établit son Etat local sous le mandat, sur les décombres du gouvernement de Fayçal, et déclara le 1ͤ ͬ septembre la naissance de l’Etat du Grand Liban indépendant de la Syrie, avec Beyrouth comme capitale.

Mais comment les régions annexées au Mont-Liban pour formerle Grand-Liban, ont-elles réagi ?

Le sujet de la deuxième section vise à démontrer la situation et la position politique de ces régions qui visaient l’indépendance sous le règne du roi Fayçal, lequel a été vaincu par les forces d’occupation étrangère, les émeutes « avortées » de ces régions en l’absence d’une organisation socio-économique et surtout avec l’absence d’un projet politique.

85 E. Rabbath, op. cit. page 312-313.86 E. Rabbath, op. cit. page 319.

SECTION II : ANNEXION DE BEYROUTH ET DES AUTRES RÉGIONS.

Beyrouth faisait partie du Wilâyat de Damas jusqu’à 1887 : c’est avec Fakhreddine II qu’elle devint un centre politique. Il a bâti le port et autorisé l’installation des agences consulaireset commerciales.87

1.ss. Beyrouth et la politique française.

Beyrouth devint au XIXe siècle ; et surtout à partir de la seconde moitié du siècle, un carrefour culturel en orient. L’année 1834 constitue un tournant dans ce domaine à partir de cette date, les missionnaires occidentaux se sont installes à Beyrouth, et la prirent comme point de départ pour leur expansion à Bilâd Al-Châm. La rivalité entre les différentes missions (Catholiques et Protestantes) se répercuta à travers unerenaissance de la langue arabe, et par un mouvement intellectuel qui n’a pas tardé à étendre ses préocupations littéraires pour embrasser le domaine politique88 cette année(1834) est marquée, à ce niveau, par quatre évènements culturels qui méritent d’être mentionnés :

1-La réouverture du collège de

Aîntoura pour garçons par les pères Lazaristes.

2-Le transfert de l’imprimerie de la mission américaine de Malte à Beyrouth.

3-Elie Smith (curé protestant) et sa femme entreprirent à Beyrouth la fondation d’une école pour jeunes filles.

4-L’application d’un programme large pour l’enseignement primairedes garçons, inspiré du régime de Mohamed Ali Pacha en Egypte.

87 Dr. Said Chéhâbeddine : “ Géographie humaine de Beyrouth”, Beyrouth 1960. Thèse presentée à la faculté des letters de Paris (Sorbonne), 12 juin 1953, p. 65.88 Georges Antonios : “Yaqazat al-‘Arab: “Le réveil des Arabes”, éd. Dâr al-‘Ilm lil malayin, Beyrouth 1966, p. 182.

Les écoles antérieures n’étaient que des écoles primaires ; les plus importantes étaient :

-L’école protestante fondée à Beyrouth en 1886 ;

- les Jésuites, quant à eux, créérent des écoles à Beyrouth à partir de 1839 ; ils ont transféré leur école connue après sous le nom de l’Université Saint-Joseph.89

Quant aux journaux et revues ; il faut mentionner, qu’à la suite des évènements de 1860, Boutros Al-Boustâny, fonda à Beyrouth un journal hébdomadaire sous le nom de « Nafir Sourya » (Alarme de la Syrie) ; c’était le premier journal politique dans le pays90. Sa position politique consistait à apaiser les esprits des deux camps après les massacres de1860.91

En 1847, Nassif al-Yâziji et Boutros Al-Boustâny, avec quelques missionnaires Protestants américains, fondèrent la première association à Beyrouth, « Société des Lettres et des Sciences », ses membres arabes étaient tous des Chrétiens.92

Les Jésuites fondèrent en 1850 « La Société Orientale »qui était également limitée aux seuls Chrétiens, et elle n’a pas tardé à sedissoudre en même temps que la première. Ensuite apparut en 1857 la « Société Scientifique Syrienne » qui comporta 150 membres de toutes les confessions ; dans son conseil directeur figuraient lesavant druze l’émir Mohamed Arslân, qui a présidé son conseil plusieurs années, et Hussein Bayhoum ; suspendue en 1860 à causedes évènements ; elle a été reconnue officiellement par l’Etat en186893.

89 Voir: Georges Antonios: op. cit… p. 75. Mohamad ‘Izzat Darwasi: “ Nachât al haraka al ‘arabia al haditha”, éd. Librairiemodern, Saida 1949, p. 130. Ou: “Genèse du mouvement arabe moderne.”90 Zein Noureddine Zein : “ Nouchou’ al Kawmia al’arabia”. « Genèse du nationalisme arabe », éd. Dar al Nahâar, Beyrouth 1968, p. 51.91 Antonios: op. cit… p. 64.92 Zein Noureddine Zein: op. cit… pp. 60-64.

A la suite des évènements de 1860, commence un mouvement d’émigration du Mont-Liban vers Beyrouth, émigration qui s’est répercutée sur la démographie confessionnelle de la ville qui était à majorité Sunnite et Grecque-Orthodoxe94.

A)-Beyrouth center politique   :

Cette ville est devenue un centre international, et un lieu de contact entre les notables du pays et les consuls européens ; cequi accentua l’influence de ces derniers sur la population de plus en plus francisée. C’est ainsi que l’idée de nationalisme commença à se manifester dans les journaux.95

« Il est à constater dans le courant du panarabisme que les représentants de ce courant, tout en insistant sur la revendication de la libération de leur pays, tenaient compte de la conjoncture politique et se contentaient de rappeler les gloires du passé et préchaient l’idée de l’union.96 »

Les panarabistes se divisaient en deux catégories : les notables du pays et l’élite estudiantine.97

Quelques étudiants du Collège Protestant Syrien de Beyrouth – appelé aujourd’hui « l’Université Américaine de Beyrouth A.U.B » - ont fondé une société en 1875 ayant pour objectif l’indépendance de Bilâd al Châm dans le cadre de la décentralisation dans les régions de l’empire ottoman.98

93 Antonios : op. cit… p. 62. Voir: Mohamad Jamil Bayhoum : “Qawâfel al ‘ourouba wa mawâkibouha”(Convois et cortèges de l’arabisme), t.2, p. 14, Beyrouth 1957.94 Dr. Said Chéhâbeddine: op. cit… p. 67.95 Albert Hourani : “Al fikr al ‘arabi fi ‘asr al nahda, 1798-1939”(La pensée arabe à l’époque de la renaissance).Ed. dar al Nahâr, Beyrouth1968, pp. 316-319.96 Mohamed Jamil Bayhoum: “Qawafel al ‘ourouba wa mawâkibouha”,(Convois et cortèges de l’arabisme), éd. Al Machrek,Beyrouth1957,p. 16.97 Ibid ; p. 18.98 Hassân Hallâk: “Mouzakarât Salim ‘Ali Salam”(Mémoires de Salim‘Ali Salam(1868-1938), éd. al Jami , Beyrouth, 1981, pp. 20-21.

L’expansion de ce courant arabiste encouragea le nouveau sultan ‘Abdel Hamid II, couronné en 1876, à adopter une politique d’alliance avec le courant arabiste en proclamant un projet  d’ union islamique99 afin de consolider son pouvoir et accentuer les divergences opposant les Chrétiens aux Musulmans, surtout à Beyrouth qui représentait la base et le centre du nationalisme arabe à la fin du siècle dernier.

Face à cette situation, les représentants de ce courant lancèrent, à partir de l’Europe, plusieurs journaux arabes.

Le Docteur Louis al-Sâbonji fonda en 1881 à Londres un journal « Al-Khilâfa » et une revue « l’Union Arabe », alimentés tous deux par la Grande-Bretagne ; un autre journal, « Al-Bachir » fûtfondé à Paris par Khalîl Ghânem, journal financé par la France. D’autres opposants à la politique d’Abdel Hamid se réfugièrent enEgypte pour continuer leurs activités de journalistes et d’écrivains ; parmi eux : l’écrivain ‘Abdel Rahman al-Kawâkibi qui a quitté Alep pour l’Egypte en 1897, où il pouvait être à l’abri des espions du Sultan ‘Abdel Hamid.100

En 1908, sous la direction des officiers libres la société « Union et Progrès » prit le pouvoir. Cet évènement était bien accueilli à Beyrouth par les intellectuels de toutes les appartenances.101

Ce mouvement d’officiers libres s’est employé à appliquer une politique de turquisation basée sur la suprématie de l’élément ouranien et l’exclusion de l’élément arabe.102

99 Hassân Hallâk : op. cit… p. 22.100 ‘Ali al-Mohâfaza: « Les tendances politiques et intellectuelles chez les arabes» (Al itijâhât al fikriyat wal siâsia ‘ind al ‘arab). Ed. dâr al ahlia, Beyrouth 1975, pp. 95-109.101 Hassân Hallâk : op. cit… p. 22-24.102 Khairieh Qâsmieh: « Le gouvernement arabe à Damas 1918-1920 », « Al houkouma al ‘arabia fi Dimachk »,éd. al Mou’assassa al ‘arabya lil dirâssât wal nachir”, Beyrouth 1982, p. 17.

Les Arabes n’ont pas tardé à riposter faisant valoir leurs droits à l’égalité dans les fonctions publiques. Une partie des beyrouthins œuvrait en vue de se libérer de la domination turque,et travaillait à cette fin, en accord avec la France dans le cadre d’une société secrète qui comptait parmi ses membres le consul de France à Beyrouth ; cette société avait comme objectif l’annexion des villes côtières au Mont-Liban tout en réclament l’indépendance sous la protection de la France.103

Les Musulmans de Beyrouth, en dépit du fait qu’ils revendiquaient la décentralisation et ne cessaient de réclamer les droits des Arabes au sein de l’empire, tenaient à leur appartenance à l’Etat ottoman et n’acceptaient guère de le voir remplacer par un Etat européen et donc « étranger ».104

Pour rapprocher les deux points de vue divergents entre les réformistes, - partisans de la France, et ceux de la décentralisation à majorité musulmane, - une réunion s’est tenue à la municipalité de Beyrouth le 31 janvier 1913, groupant 90 délégués représentant les deux tendances, réunion qui s’est terminée par une pétition réconciliant les deux tendances ; il était question de décentralisation d’une part ; et d’autre part la nécessité d’avoir recours à des conseillers européens dans le gouvernement local en plus d’un contrôleur étranger dans chaque district.105

C’est ainsi que prit naissance le « Comité de la Réforme »groupant des notables de Beyrouth aussi bien musulmans que chrétiens ; parmi eux figuraient : Salim ‘Ali Salâm, Ahmad Moukhtâr Bayhoum, Khalil Zaynyé, D. Ayoub Thâbet, Cheikh Ahmad Hassan Tabbâra, Albert Sursoq, Iskandar ‘Azâr, Rizkalla Arquache,Salim Tabbâra, Kâmel al-Solh, Jean Boutros, Pétro Trad, Hussein al-Nâtour, Habib Feraoun, Salim Bawâb, Hanna Naqqach et autres.106

103 Albert Hourani : “op. cit… pp. 311-324.”104 Khairieh Qâsmieh : op. cit… pp. 176-177.105 Georges Antonios : op. cit… p. 94.106 Sleiman Moussa : “Al haraka al ‘arabia “ (Le mouvementr arabe). Ed. Al Nahâr, Beyrouth1977, é˚ edition, p. 54. Voir: les cuments on British Foreign Policy, 1st series, Vol.XII, London

Les Unionistes ont eu recours à la répression violente, écartant les officiers arabes de leurs postes dans les régions arabes, intervenant directement dans les suffrages du parlement

Une décision a été prise concernant l’interdiction des journaux réformistes, et des poursuites ont été lancées contre tout les suspects d’avoir encouragé et animé le mouvement de revendication, ce qui s’est répércuté par une démobilisation générale et par la cessation de la grève en échange de la libération de certains prisonniers.107

En 1914, les Unionistes ont changé de tactique, en remplaçant leur ouranisme par une politique basée sur l’idée d’union islamique, et utilisant à cette fin le califat et le slogan de « Guerre Sainte », surtout après la décision de l’Etat ottoman de participer à la guerre à côté de l’Allemagne à la première guerre mondiale 1914 ; cette nouvelle tactique visait à mobiliser les Arabes contre l’occupation étrangère.108

Les Unionistes ne pouvaient plus ménager les Arabes ; Jamâl Pacha mit en œuvre une répression directe, en procédant à l’arrestation puis à l’exécution de « leaders » arabes ; d’autresont été exilés en Anatolie.109

C’est ainsi que les Arabes ont fini par se dresser contre les Trucs110, sociétés et personnalités arabes se sont mises à rivaliser dans leur lutte pour l’indépendance. La Grande-Bretagnes’était déjà mise en contact avec le Chérif Hussein afin de contrecarrer la politique islamique des Unionistes ; en échange d’une promesse britannique assurant au Chérif Hussein

1963.107 M. ‘Izzat Darwazé : “Genèse du movement arabe”, op. cit… p. 337. 108 Mohamed Jamil Bayhoum : “Al ‘Ahd al Moukhadram fi Sourya wa Lubnân”, 1918-1922”. (L’époque de transition en Syrie et au Liban1918-1922), Dâr al tali’a, Beyrouth 1972, p. 50.109 Georges Antonios : “Le réveil… op. cit. p. 185.110 Zein Noureddine Zein : “Genèse du movement arabe” op. cit. p.40.

l’indépendance des pays arabes, ce dernier s’est révolté contre les Turcs, soutenu en cela par les Anglais.111

Lors du déclenchement de la guerre mondiale, certains notables musulmans sont entrés en contact avec les Anglais afin de parvenir à l’indépendance des pays arabes, séparés de l’Empireottoman.112 Parmi eux figuraient ‘Abdel Karim Al-Khalil qui a tenté de gagner le soutien de quelques personnalités de Beyrouth et de Sayda, comme la famille Bayhoum, Rida Al-Solh et son fils Rida ainsi que Salim Tabbâra et bien d’autres.113 Jamâl Pacha était au courant des réunions clandestines entre ces personnalités, par le biais de Kâmel Al-Ass’ad qui les a dénoncées.114 Jamâl Pacha ne tarda pas à les arrêter ; ‘Abdel Karim Al-Khalil fût condamné à mort, tandis que Rida Al-Solh et son fils Rida furent exilés.115

L’année 1916 est l’année des martyrs, au cours de laquelle furent exécutés : Cheikh Ahmad Tabbâra, ‘Omar Hamad, ‘Abdel GhaniAl-‘Oreissi, Seif Eddin Al-Khatib , Toufiq Al-Bissat, Georges Haddad, Saïd Fâdel ‘Akl, Pétro Paoli, Phillipe et Farid Al-Khâzen.116

En 1917, plusieurs tendances politiques se sont manifestées parmi les libanais, aussi bien au Liban, qu’à l’étranger parmi ces tendances on retient :

-Une tendance centrée au Caire et soutenue par la Grande-Bretagne. Son but consistait à unifier Bilâd al Châm dans le cadre d’un royaume ayant à sa tête le Chérif Hussein, Chérif de la Mecque.

111 Qâsmieh Khairieh : “ Le gouvernement arabe à Damas…”, op. cit. p. 18.112 Qâsmieh Khairieh : op. cit… p. 20.113 Annexe du journal Al Chark, Mai 1916 (Document historique à Damas).114 Youssef al Sawda : “Min ajl al Istiklal” (Pour l’indépendance), édition Dar al Talia, 1967, p. 93.115 Mohamed Jamil Bayhoum : « Convois et cortèges de l’arabisme », op. cit… pp. 18-20.116

-Une tendance centrée à Paris et soutenue par la France. Son but consistait à unifier Bilâd al Châm, et à la mettre d’une façon oud’une autre sous l’égide de la France, que ce soit sous forme de contrôle, de protection ou de mandat.117

B- Beyrouth dans le conflit Arabo-français :

Les Français débarquèrent à Beyrouth en 1918 et s’employèrent à jouer sur les divergences confessionnelles en faisant savoir aux Chrétiens qu’ils sont venus les soutenir face à la majorité musulmane. Ce qui a suscité l’inquiétude des Libanais, Chrétiens et Musulmans qui etaient contre l’ingerence francaise. La population s’est trouvée divisée entre deux camps.118

-Celui des Musulmans groupant les habitants de la côte et les quatre districts. Leur but consistait à réaliser l’indépendance totale, pour en finir avec l’ingérence étrangère. Ils sont favorables à l’Emir Fayçal (fils du Chérif Hussein) et àl’Unité Arabe.

-Le camp des Chrétiens englobant les habitants du Mont-Liban, avait comme objectif l’indépendance sous une protection française à même de garantir la séparation du Liban du reste de la région en lui annexant les zones que le Mont-Liban a déjà perdues lors de la déclaration du Protocole de 1861.

Le conflit n’a pas tardé à éclater entre les deux tendances tant sur le plan interne qu’externe ; le conseil administratif duMont-Liban choisit en janvier 1919 une délégation de ses membres pour le représenter au Congrès de la paix 1919 et présenter les revendications suivantes.119

1-L’élargissement des frontières du Liban en lui annexant les régions dont il a été séparé à l’époque ottomane.

117 Document on British foreign policy(1919-1939), 1st series, Vol. IV, 1919, London 1952, pp. 479-480.118 Antonios : “Le réveil des Arabes”, op. cit… p. 180.119 Hassân Hallâk : “Mouzakarat Salim ‘Ali Salam”, op. cit. pp. 44-46.

2-La reconnaissance de sa pleine indépendance et de son droit de choisir le régime qui lui convient.

3-La formation d’un parlement élu selon le principe de la représentativité relative.

4-La France sollicite l’aide nécessaire à son gouvernement et le soutien pour son indépendance.120

L’Emir Fayçal représentait évidemment le premier camp qui revendiquait l’unité de Bilâd Al Châm. Il assista alors au Congrès de la paix où il réclama le 5 février 1919 l’indépendance, rappelant les promesses tenues à son père, le Chérif Hussein par les Britanniques.121

En dépit du fait que le Congrès de la paix ne s’est pas prononcé sur ce sujet, des pourparlers se sont tenus en coulisse entre l’Emir Fayçal et Georges Clemenceau premier ministre français. Ils ont abouti à un accord de principe, ce qui a été considéré comme un coup porté à la délégation libanaise qui s’est trouvée jouée par les français122 qui s’engageaient, selon cet accord bilatéral, à reconnaître un pouvoir à l’Emir Fayçal sur la régionde Bilâd Al Châm, en échange de quoi, ce dernier s’engagea à reconnaître le mandat français et à convaincre ses sujets de mettre un terme à leurs révoltes contre la France.123

120 Mohamed Jamil Bayhoum : “L’époque de transition en Syrie et au Liban”, op. cit. p. 87. Voir :Râched-Eddin Khan : « Islamic culture », Vol. XL.II, p. 90, London, p. 90.121 Les pourparlers entre Clemenceau et Fayçal étaient dirigés par (Guo) directeur des affaires orientales au Ministère des affaires étrangères et Berthelot le directeur général du ministère, M.Robert de Caix l’attaché de presse et d’information de la campagne française en Syrie.122 Les pourparlers entre Clemenceau et Fayçal étaient dirigés par (Guo) directeur des affaires orientales au Ministère des affaires étrangères et Berthelot le directeur général du ministère, M.Robert de Caix l’attaché de presse et d’information de la campagne française en Syrie.123 Sâté ‘Al Houssari : “Ya oum Mayssaloun” (Le jour de Mayssaloun. Ed. Dar Al Itihâd, Beyrouth 1964, p. 115.

Malgré le bon accueil réservé à la délégation libanaise à Paris, d’autant plus que ses revendications ne faisaient qu’exprimer le point de vue de la France, les responsables français se sont employés, après la conclusion de l’accord entreFayçal et Clémenceau, à convaincre les libanais de s’aligner sur les positions de Damas, et d’accepter le fait accompli.124

Mais cet accord a été dénoncé des deux côtés, en effet par les partisans de Fayçal qui, ayant eu connaissance de cet accord,se sont soulevés contre, et l’ont contraint à le refuser. Tandis que les libanais pro-français l’avaient accepté avec amertume, les communautés libanaise d’Egypte et des Amériques ont aussi protesté contre cet accord lorsque le représentant français à Beyrouth a tenté d’inciter le patriarche maronite Elias Al-Hoyekà accepter le rattachement du Mont-Liban au gouvernement arabe à Damas, ce dernier n’a pas manqué de répondre : « il vaut mieux pour nous mourir sur nos rochers, plutôt que d’être annexés à Damas ».125 Et Amine Al Rihani de mentionner que le clergé représentait l’esprit même de la politique consistant à revendiquer un Liban agrandi sous la protection de la France.126

L’Emir Fayçal continua à garder des contacts avec les membres du Congrès de Versailles, réclamant l’annulation des accords Sykes-Picot 1916 et le retrait des troupes françaises 127 ; en échange de quoi, il s’engagea à maintenir les experts militaires français, ainsi que les économistes, les ingénieurs et les missions scientifiques. Les politiciens français se sont rendus compte que l’application de cet accord risquait de conduire en déclin l’influence française dans la région, et cela au bénéfice des britanniques. Pour ces raisons,

124 Documents: op. cit… pp. 499-500.125 Bayhoum : “L’époque de transition…”, op. cit. , p. 86.126 Amine Al Rihâni : “Moulouk Al ‘Arab” (Les rois des Arabes), éd. Al Nahar, Beyrouth 1924, p. 43. 127 Le roi Fayçal a déclaré au correspondant de “times”, Jeffriesqui a écrit « Palestine the reality », London1939 le mois de mars1920 : « Je crois que je pourrais convaincre les français à reconnaître notre indépendance et je négocierai avec eux sur l’aide qu’ils peuvent nous fournir. » Jeffries, p. 234.

la France chercha à se dérober à ses engagements vis-à-vis de Fayçal 128 au moment où les forces arabes radicales refusaient toute présence étrangère dans leur pays, et que les forces pro-françaises tenaient des réunions pour réclamer l’indépendance d’un Liban agrandi sous la protection de la France129. Le Patriarche maronite arriva au mois d’octobre1919 à bord d’un navire français, pour présenter au Congrès de la paix «  au nom de tous les libanais» une intervention réclamant l’agrandissement du Mont-Liban pro- français, et sans tenir compte des aspirations de l’autre moitié des libanais. Cette notice comportait les revendications suivantes 130:

1-La reconnaissance de l’indépendance du Liban proclamée le 20 mai 1919 par le gouvernement libanais.

2-La reconstitution de l’entité libanaise dans ses « frontières historiques et naturelles ».

3-L’application de la loi sur les Turcs et les Allemands pour leur faire payer le prix des crimes commis au Liban pendant la premiere guerre mondiale , et la nécessité de venir en aide aux libanais sinistrés par cette guerre.

Il convient de rappeler que l’intervention du patriarche maronite faite au Congrès de la paix suite aux échecs de l’émir Fayçal pour faire accepter à ses partisans son accord avec Clémenceau, ont assuré au Patriarche des conditions favorables ausuccès de sa mission en date du 10novembre1919, lui confirmant lavolonté de la France d’assurer l’indépendance du Liban. M. Jamil Bayhoum considère, à ce propos, que cette lettre de Clémenceau constitue « la pierre de touche dans la formation de l’entité 128 Sâté ‘Al Houssari : op. cit… p. 95.129 Béchara Khalil El Khoury : “Haqâ’eq Lubnânieh” (Vérités libanaises), t. I, éd. Awrâq Lubnânieh, Beyrouth 1960, p. 96. 3 tomes. Dans la delegation figuraient : le Patriarche Elias Hoyek,l’éveque Aghnâtius Moubârak, l’évêque Feghali, l’évêque Choukrallah, le père Stéphane Douayhi, l’évêque Cyrille Mougabgab(Grec orthodoxe), père Melhem Ibrâhim ainsi que Laoun Hoyek le frère du Patriarche.130 Ibid. pp. 101-105.

libanaise selon le désir du Patriarche maronite et de sa communauté confessionnelle. »131

Les Congrès de Saint-Rémo, 25avril1920, n’a pas tenu compte des décisions prises par le Congrès syrien général ; il s’est plutôt engagé à distribuer les mandats conformèment aux accords préalablement conclus entre les alliés, et confirmés par le congrès de la paix à Versailles ; c’est ainsi que la France, en accord avec l’Angleterre, a imposé son mandat sur la Syrie et le Liban éliminant le gouvernement de Fayçal.132

Ils ont pu mettre en échec le projet de l’unité syrienne adopté par les membres du congrès syrien, d’autant plus qu’ils étaient soutenus en cela par une autre partie des libanais qui militaient pour un autre projet, celui de l’indépendance du Libanagrandi. Le projet syrien a reçu son coup de grâce, la bataille de Mayssaloun le 14 juillet 1919 mit fin au gouvernement arabe deDamas et la voie du mandat était pavée.133

Le 1 septembre1920, en présence des consuls et des délégués des Puissances étrangères, des patriarches, des évêques chrétiens, des Chefs de toutes les confessions, le Général Gouraud proclama officiellement la constitution du Grand-Liban, avec Beyrouth pour capitale134. Le Commandant Trabot fut désignégouverneur général de ce nouvel Etat à partir du 1 octobre 1920135.

131 Tibâwi: “Syrie from the peace conference to the fall of Damascus”, Islamic quarterly, Decembre1967, p. 106.132 Les reunions se sont tenues à San Rémo en Italie au palais (Duvachin). Il appartenait à un anglais qui a passé sa vie en Inde. C’est un nom Buddiste qui veut dire (donner le bonheur).133 H. Lammens: “La Syrie…”, op. cit. p. 263.134 Béchara Al-Khoury : “Vérités libanaises”, t. 1, op. cit. p. 113.135 Camille Chamoun : “Crise au Moyen-Orient”. Ed. Documents « L’air du temps », Gallimard, Paris 1963, pp. 50-56.

2. ss. Jabal ‘Amel

Jabal ‘Amel se divise en deux parties : nord et sud, séparées par le fleuve du Litâni. La partie sud est connue sous le nom du pays de Béchâra.136

Jabal ‘Amel est connu aussi sous le nom de pays des « Métaoulis », ce nom est apparu récemment pour désigner les Chiites de cette région. Cheikh ‘Ali Zein considère que « le terme arabe « Matâwilas » est le pluriel de métwâli qui veut direse subordonner à la dynastie du prophète Mohamed. Cette allégeance est un élément de base dans la doctrine chiite »137.

Quand aux frontières de Jabal ‘Amel, Ahmad Rida les décrit ainsi138 :

« Les frontières de Jabal ‘Amel sont tracées par la ligne qui commence du nord au débouché du fleuve d’Al-Awali séparant Jabal ‘Amel de la région du Chouf ; cette ligne part d’Al-Awali jusqu’à Toumât Niha en dépassant Roum et Jezzine pour aboutir à Machghara et le fleuve du Litâni au nord du village de Youhmor etcontinue jusqu’à la source du fleuve Al-Hâsbâni et poursuit le cours de ce fleuve qui débouche dans le lac d’Al-Houla, cette ligne contourne la rive occidentale de ce lac et se dirige vers l’ouest pour aboutir au tombeau du prophète Youcha’ et s’arrêterdans le débouché de vallée Al-Qarn »139.

Le recensement de la population de Jabal ‘Amel date du débutdu XXe siècle , et n’est pas précis ; Mohamed Jâber Ȃl-Safa dit àl’intà l’intérieur140 .

136 M.Jaber Ȃl Safa: “Târikh Jabal ‘Amel” (L’histoire de Jabal ‘Amel), éd. Dâr Al Nahâr, Beyrouth 1981, p.25.137 Cheikh ‘Ali Zein : « A la recherche de notre histoire »( Fi al bahth‘an târikhina), 1ère édition, Beyrouth 1973, p. 169.138 Ahmad Rida : Revue Al ‘Orfân, Vol. 33, tome9, Sayda 1920, “Mouzâkara fil Târikh”, p. 989.139 Ahmad Rida : Revue Al ‘Orfân, t. 31, p. 22.140 M. Jâber Ȃl-Safa : op. cit… p. 24.

La revue Al ‘Orfan nous donne des statistiques plus détaillées remontant à 1921 :

Chiites 63.000 habitants

Sunnites 13.397 habitants

Druzes 3.500 habitants

Maronites 17.500 habitants

Grecs-Orthodoxe 5.673 habitants

Protestants 1.434 habitants

Juifs 629 habitants

Total 106.257 habitants141.

A- Le Mouvement Arabe à Jabal ‘Amel  :

Les ‘Amelites ont participé au mouvement arabe après le coup d’Etat de 1908142. Ils ont essayé de se libérer de la politique Unioniste Turc qui les obligeait à faire le service militaire, à cela s’ajoute la famine qui a sévi dans la région1914, en plus l’expropriation de leurs productions, enfin l’exécution des Nationalistes1916. La répression qui s’est abattue sur les ‘Amelites les poussa à se regrouper de plus en plus autour de leurs « leaders  143. Parmi eux figurait ‘Abdel Karim Al-Khalil quiavait été l’un des fondateurs de plusieurs sociétés, et avait 141 Al ‘Orfan, t. 8, p. 5.142 Monzer Jâber : « pages de l’histoire de Jabal ‘Amel », Article : « L’entité politique de Jabal ‘Amel avant1920 »,édition Al Fârâbi, « Safahât min târikh Jabal ‘Amel », Beyrouth 1979, page 94-95.

joué un rôle efficace dans le club littéraire arabe à Istanboul. ‘Abdel Karim Al-Khalil faisait la liaison entre le mouvement national arabe en général et son antenne à Jabal ‘Amel et à Sayda, centres qui ont préparé le terrain de la révolte144. Le 30 septembre 1918 l’armée arabe entre à Damas où Fayçal proclama laformation du gouvernement arabe au moment même où les forces Britanniques faisaient leur entrée en Syrie.

Les Arabes ne tardèrent pas à être déçus par la grande Bretagne, surtout après la révélation par les Bolchéviques 1917 de l’accordSykes-Picot prévoyant le partage de Bilâd Al Châm entre la Franceet l’Angleterre ; à cette déception s’ajoute la déclaration Balfour 1914 qui promettait aux juifs la création d’un foyer national juif en Palestine 145.

A l’entrée des alliés à Jabal ‘Amel, les ‘Amelites avaient célébré leur joie pour la libération de leur pays ; d’autant plusque la France et l’Angleterre avaient diffusé un communiqué en novembre 1918 dans lequel « les gouvernements des deux Puissancess’engagent à encourager la formation de gouvernements locaux enSyrie et en Irak146, que les alliés ont libérés, et dans les autres pays que les alliés comptent libérer, et à venir en aide àces gouvernements dans la fondation des institutions civiles nécessaires pour le pays. Les alliés n’ont pas l’intention

143 Hassan Mohamed Sa’d : « Jabal ‘Amel entre les turcs et les français 1914-1920», « Jabal ‘Amel bayn al Atrâk wal faranciyn », édition Dâr Al Kitâb, Beyrouth 1979, page 38-39.144 Ibidem, page 37.145 Qasmieh Khairieh : Le gouvernement arabe à Damas, op. cit., page39-40. Voir Weizman : trial and error, London1949, pp. 252-255.Anis Sâyeg : “ Les Hachemites et l’affaire palestinienne”, “Al Hachimiin wal qadia al falastinia”, Beyrouth1966, page 43-47.146 Zein Nour Ed-Din Zein : “Al Syrâ Al Dawli fi Al Chark al Aoussat”, «Le conflit international au Moyen-Orient», édition Al Nahâr 1971, Beyrouth, page 17.

d’imposer à la population de ces régions un régime qui ne leur convient pas ».147

Mais les divergences entre les partisans de l’Emir Fayçal et les Chrétiens pro-français n’ont pas tardé à éclater à Jabal ‘Amel, aussi les divergences entre les alliés et Fayçal ont préparé le terrain à une révolte.

B- Les Bandes armées   :

Les bandes armées sont apparues à Jabal ‘Amel sous la tutelle desforces française148 , réflexe naturel après l’échec de toutes les tentatives politiques visant à faire valoir les aspirations de Jabal ‘Amel à l’indépendance et à l’unité149. L’action armée de ces bandes était essentiellement dirigée contre les français et les forces locales qui la soutenaient. Ces bandes étaient dirigées par les officiers arabes de l’armée de Fayçal 150, avec le concours de nombreux soldats arabes. Cette tactique visait à trouver une issue à l’impasse dans laquelle l’Emir Fayçal s’est engagé, car il était dans une situation très critique, d’une partil était l’objet des menaces continuelles du Général Gouraud, le nouveau Haut Commissaire de la Syrie et du Liban 151, et d’autre part il était obligé de ménager ses partisans qui ne cessaient dele pousser à déclarer la guerre contre la France, et lui d’hésiter ne sachant quoi faire152. C’est pour ces raisons que l’Emir Fayçal, s’il n’a pas encouragé la formation de ces bandes armées, au moins il les a tolérées pour ne pas dire qu’il a conseillé de les créer153.

147 Hassan Mohamed Sa’d : op. cit., page 54.148 Hassan Mohamed Sa’d : Jabal ‘Amel entre les Trucs et les Français 1914-1920, Dâr Al-Kitâb, Beyrouth, page 58. 149 Ibid., page 59.150 Le journal Al Bachir, pro-français, le 22 novembre 1919 , page 4.151 Zein Nour Ed-Din Z. : « le conflit international… », op. cit., page 145.152 Qasmieh khairieh : op. cit., page 199.153 Ibidem. Page 201.

Et le Chef de l’armée Arabe d’Alep de déclarer en avril 1919 l’opinion officielle du gouvernement Arabe à ce sujet154 :

« Tant que nous ne pouvons déclarer officiellement la guerre contre les français, nous sommes obligés de multiplier le nombre des bandes à même les harceler partout dans le pays ; nos officiers vont diriger ces troupes et le gouvernement prendra en charge les familles des martyrs ».

1-Les principales bandes hostiles aux-français   :

a-La bande de Sâdeq Hamzé :

C’est la bande la plus importante par le nombre de ses éléments et par l’étendue de son action qui concernait toute la région de Jabal ‘Amel. Le Chef de cette bande (Sâdeq Hamzé) est originaire du village de Dab’al à côté de Tyr, et appartient à la famille Wâ ‘ilite d’Ali Al-Saghir, (la même famille de Kâmel Al-Ass’ad)155 ; mais il était de la branche pauvre de cette famille, ce qui lui a valu, entre autres raisons, la sympathie des ‘Amelites et leur soutien. Sa troupe mobilisait plus de 150 combattants, au dire du Cheikh Ahmad Rida156 :

« La nouvelle au couru aujourd’hui que Sâdeq Hamzé, un des leaders de la révolution, s’est rendu au village de ‘Odeyssé où il a dressé le drapeau du gouvernement Arabe, de même qu’au village de Bilat en passant par le village de Taybeh avec ses 150combattants ».

b-La bande d’Adham Khanjar   :

Le Chef de cette bande, Adham Bey Khanjar, appartient à la famille Al-Darwiche, une branche de la famille Sa’b. Sa famille

154 Quadri Qual’aji: “ Jil Al Fidâ’”, « La génération de la rédemption », édition Dâr Al Kitâb Al ‘Arabi, Beyrouth, sans date, page 386.155 Ahmad Rida : Souvenirs pour l’histoire, Al-‘Orfan, V.33, T. 7, page 733.156 Le journal Al-Bachir 18 décembre1919, page3.

était connue à travers l’histoire par sa tolérance religieuse. En1860, elle avait protégé les Chrétiens de la région157. La bande d’Adham Khanjar avait comme champ d’action la région d’Al-Chaqif.

c-La bande de Mahmoud Al-Ahmad Bazzi   :

Le Chef de cette bande est un notable de Bint Jobayl, sa bande concordait son action avec la bande de Sâdeq Hamzé, son champ d’action se limitait à la région de Bint Jobayl158.Les sources historiques ne signalent aucun affrontement entre cette bande et l’armée française; ses attaques étaient plutôt dirigées contre levillage chrétien d’Aïn Ibil, ce qui a donné à l’armée française un prétexte pour intervenir dans la région et «protéger » les Chrétiens.159

Toutes ces bandes ‘amelites étaient appuyées par des bandes de larégion de Houla (en Palestine) et du Golan (en Syrie), bandes œuvrant dans la région de Mardj’youn. La plus connue d’entre elles, était la bande de l’Emir Mahmoud Al-Fâ’our groupant les bédouins des tribus d’Al-Fâ’our et d’Al-Fadl et autres160. Ces bandes se caractérisaient par le nombre élevé de leurs membres, àtel point que les bandes ‘Amelites Chiites agissaient souvent sous la direction de l’Emir Mahmoud Al-Fâ’our.

Ces bandes étaient indisciplinées, elles étaient toutes d’accord en général sur le principe de la résistance contre l’occupation française, mais sans pouvoir formuler un plan d’action précis surla répartition des tâches et la discipline à suivre ; ce qui donna libre cours à certains actes de destruction, de vol et de pillage, qui ont été condamnés par les leaders Chiites eux-mêmes161.

157 Salâm Al Râssi : “Li’ala Tadi’”, “ Pour qu’elle ne se perde pas “, Institut Nawfal, T.1, Beyrouth 1973, p. 161.158 Hassan Mohamed Sa’d: Jabal ‘Amel entre les trucs et les français 1914-1920, op. cit., page63-64.159 Le journal Al-Bachir , 3 avril 1920, page 3.160 Ibidem., page4.161 Ahmad Rida : Souvenirs pour l’histoire, Al’Orfan, V. 33, T.8,p. 857.

Malgré leur nombre élevé, les forces françaises ne cessaient de subir des pertes importantes sous les coups des bandes ‘Amelites.Celles-ci ne faisaient que manifester les aspirations de la population ‘amelite hostile à l’occupation française, à l’exception des leaders « féodaux » qui voyaient dans cette action armée une menace pour leurs propres intérêts162.

2-Les bandes pro-françaises   :

Le banditisme n’était pas le monopole des seules bandes hostiles à l’occupation française de Jabal ‘Amel. A côté d’elles figuraient des bandes armées pro-françaises soutenues par les officiers français, sous couvert de s’assurer l’auto-défense163desvillages contre les attaques des « hors-la-loi » musulmans. Ils visaient par cette tactique deux objectifs164 :

1-Semer la discorde entre les ‘amelites afin de préparer le terrain à l’intervention militaire française dans la région.

2-Impliquer les Chrétiens ‘amelites dans des actions armées afin de les contenir en tant que forces de réserve disposées à soutenir les opérations de l’armée française.

Ces bandes ont commencé leur action à Jabal ‘Amel sous la direction de Toufiq ‘Aziz, Rachid ‘Atyeh et Georges Khoury dans la région de Jbâ’ à côté de Sayda165.

Une troisième bande Chrétienne s’est manifestée dans la région deWâdi Al-Kfour, en coupant la route menant du Khan de Mohamed ‘Aliau village de Habbouche. Le Chef de cette bande était le nommé ‘Eid Al Hourâny originaire du village Al-Kfour166.

3-Le Congrès d’Al Houjayr et ses conséquences (l’annexion)

162 Wajih Kawtharâni : “Bilâd Al-Châm”, édition Ma’had Al Inmâ’ Al ‘Arabi, 1ère édition 1980, Beyrouth, p. 96.163 Ahmad Rida : Al ‘Orfan, T. 33, 1910, p. 4639.164 Al-Rihâni Amine : “Les rois des Arabes”, op. cit. , p. 317.165 Ahmad Rida : Al ‘Orfan, Vol. 33, p. 469.166 Ibid… V. 35, T. 7, p. 1029-1030.

Ahmad Rida signale à ce propos :

« Un télégramme envoyé à Sayda demandait aux habitants de Nabatyeh de se préparer à accueillir le Général Gouraud ; lorsqueles Chefs des villages et les notables de la région ont pris connaissance de ce télégramme, ils ont décidé de boycotter cette manifestation, et le Général Gouraud n’a trouvé que quelques dizaines d’hommes pour l’accueillir »167.

La France s’est alors employée à gagner à sa cause les « leaders » de Jabal ‘Amel, elle convoqua à un rassemblement au Pont Khardali au mois de mars 1920 afin de se prononcer contre Faycal 168. Les notables ont refusé la proposition française, touten confirmant leur précédente option politique.

Cette attitude conduisit la France à changer de tactique, moyennant pression et violence169. La riposte des révolutionnaires ne s’est pas faite attendre, et une série d’attaques a été lancée contre les français à Jdaydit Mardj’younle 29 mars, puis à Deir Mimâs, Kherbé et Qoley’a170.

Avec l’aggravation du conflit, le Roi Fayçal demanda à Kâmel Al-Ass’ad de prendre une position nette et franche à l’égard du gouvernement Arabe. Kamel Al-Ass’ad décida de réunir les Oulémâs (savants religieux) afin de les consulter. C’était la cause directe de la réunion du Congrès d’Al-Houjayr qui devait discuterde la voie à suivre, et traiter marginalement les abus commis parles bandes armées171.

Le Congrès groupait les ‘Oulémâs : Al-Sayyed ‘Abdel Hussein Charafeddine, Al-Sayyed Jawâd Mourtada et le savant, Cheikh Moussa Qabalân, ainsi que les notables des familles ‘Amelites,

167 Ahmad Rida : Al ‘Orfan, V. 33, T. 7, p. 733.168 Ibid., V. 33, T. 7, p. 734.169 Ibid., p. 736.170 H.Mohamed Sa’d : op. cit., p. 72-73.171 Voir le journal Al Bachir, 29 avril 1920, p. 3.

ainsi que les représentants des bandes172. Le Congrès finit par prendre les décisions suivantes173 :

-Charger une délégation formée de ‘Abdel Hussein Charafeddine et ‘Abdel Hussein Noureddine de se rendre à Damas chez le savant religieux Al-Sayyed Mohsen Al-Amine afin de se rendre avec lui chez le Roi Fayçal pour lui transmettre le point de vue de Jabal ‘Amel.

-Féliciter le Roi Fayçal pour son couronnement comme Roi des Arabes.

-Réclamer l’indépendance et l’unité de Bilâd Al-Châm sous la direction du Roi Fayçal.

-Refuser catégoriquement le mandat français.

Le Congrès était principalement composé de Chiites, ce qui suscita la peur dans les villages chrétiens174.

Les Français n’ont pas raté l’occasion pour faire courir les rumeurs175 qui n’ont pas été de nature à calmer les esprits des Chrétiens, disant entre autre que le congrès avait pris la décision de massacrer les Chrétiens de Jabal ‘Amel176 ; la tactique française consistait donc non seulement à jouer sur les contradictions confessionnelles, mais encore à les aggraver ; dans ce but, les autorités françaises ont encouragé les bandes chrétiennes à tenir des « meetings » de solidarité avec la Francedans le village de ‘Ayn Ibil177, afin de provoquer une réaction

172 Al Sayyed ‘Abdel Hussein Charafeddine : “Les pages de ma vie”, « Safahât min hayâti », édition Al Alwatt, N˚15, Beyrouth, p. 2.173 Ahmad Rida : op. cit., V. 33, T. 9, p. 989.Voir M.Jâber Ȃl Safa : “l’histoire de Jabal ‘Amel”, op. cit., p. 226.174 M. J. Ȃl Safa : op. cit. page 236.175 Al Bachir, 6 mai 1920, page3. 176 Al Bachir, 20 mai 1920, page3.177 Amine Rihâni : op. cit., T.2, pp. 315-316.

qui n’a pas tardé à se manifester par l’attaque de ce village178. Le prétexte était ainsi fourni, aux bandes pro-françaises pour intervenir afin de protéger les villages chrétiens contre les agressions chiites. La France mobilisa alors une armée de 4.000 soldats, soutenue par l’aviation et les Blindés et entreprit l’invasion systématique des villages Chiites, ce qui provoqua la migration d’une bonne partie de la population chiite en Palestine179. Quant à Kâmel Al-Ass’ad, il a ordonné de ne pas confronter l’armée française180 ; conscient du nouveau rapport de forces, il s’est abstenu de venir en aide aux partisans du Roi Fayçal. Cette invasion à causé des pertes humaines considérables,et des dégats matériels énormes.

 La liquidation de la révolte ‘Amelite a permis à la France d’annexer Jabal ‘Amel à l’Etat du Grand-Liban.181

Les Français, quant à eux, ont donné une importance toute particulière aux minorités, surtout aux « schismes dans l’Islam », cherchant ainsi à disséquer les Musulmans et travaillant à une partition entre Chiites et Sunnites, tout en essayant de nouer des relations avec le pouvoir chiite local, telcelui de Kâmel Al-Ass’ad au Sud-Liban (Jabal ‘Amel)182.

Le Consul de France à Beyrouth, M. Coulondre déclare dans une lettre en date du 14 octobre 1912 au Président Poincarée  :

« J’ai demandé aux évêques, qui sont plus ou moins affiliés au consulat, de soutenir sa condidature. J’ai aussi suggéré, à l’arrivée des navires militaires français dans la rade syrienne, de profiter de cette occasion pour lui rendre une visite officielle en compagnie du Commandant en chef »183. Ensuite il continue178 Al Bachir, 18 mai 1920, page 2.179 Ahmad Rida : Al ‘Orfan, V.34, T.2, p. 199-200.180 Ibid., V. 34, T. 2, page 200.181 Massoud Dâher : “Târikh Lubnân al Ijtimâ’I”, « Histoire sociale du Liban » 1974, édition Al Matba’at Al Charkia, Beyrouth, p. 51.182 Ahmad Rida : Al’Orfan, op. cit., page 201.183 Documents, Ref. A.E., T. 117, 1912, pp. 29-30.

« Le rapprochement avec Kâmel Ȃl-Ass’ad est un acte important et significatif. Il procure à la France un accroissement notable d’autorité dans une région qui était jusqu’alors tout à fait à l’écart de notre influence… Ce rapprochement nous assure le soutien de quelques sept mille combattants en cas de nécessité. En plus de cela, il démontre que l’autorité de la France en Syrieest infaillible 184 ».

Peut-on conclure que les Français sont pravenus à nouer des relations avec les Chiites à travers Kâmel Al-Ass’ad ? Le rapportsus-mentionné indique la volonté des Français de se rapprocher des communautés autres que les Maronites et les Grecs-Catholiques185. Cela ne veut pas dire, qu’à travers Kâmel Al-Ass’ad, ils ont réussi à se lier avec les Chiites par des rapports semblables à ceux qui ont été maintenus avec les Chrétiens ; en plus du fait que Kâmel Al-Ass’ad avait de bonnes raisons à cette période, pour collaborer avec les Français afin d’accroître sa propre autorité sur la région186.

C’est ce qu’il a d’ailleurs fait en d’autres circonstances187. En1914-1915, il s’était repproché de Jamal Pacha afin d’affaiblir ses deux rivaux, Rida Al-Solh et ‘Abdel Karim Al-Khalil, leaders du « Mouvement de la Réforme ». Cela ne l’a pas empêché, par la suite, de soutenir Fayçal au congrès de « Wâdi al Houjayr ». Puisde faire volte-face et d’approuver la proclamation de l’Etat du Grand-Liban, sous prétexte qu’à la suite de la compagne de Nieger1920 le mandat français avait mis la main sur ses propriétés.

184 Ref. A.E., Turquie, T. 117, page 30-32. Consulat général de France en Syrie, Beyrouth, 14 octobre 1912.185 Mohamed Jâber Ȃl-Safa : Histoire de Jabal ‘Amel, op. cit., page 214-215.186 Wajih Kawtharâni : Bilâd Al Châm, édition Ma’had Al Inmâ’ al ‘Arabi, Beyrouth, pp. 197-198.187 Ibidem, page 199.

3. ss. LA BÉKȂ’   :

La plaine de la Békâ’ se situe entre deux chaines de montagnes : la chaine ouest, et la chaine est, connue sous le nom d’Anti-Liban. C’est la région la plus vaste du Liban, la plus riche pourla production agricole188

Quant à la population, nous ne disposons pas d’un recensement précis pour la région, à l’exception de celui effectué par le Haut Commissariat Français en Syrie et au Liban en 1921-1922189 :

Chiites

Sunnites Druzes Maronites

Grecs Catholiques

Grecs Orthodoxes

Hermel 8124 227 5 410 25 -

Balbeck 19534 3556 8 3018 4626 991

Békâ’ Ouest

3001 11979 239 7535 706 5161

188 ‘Issa Iskandar Al Ma’louf : “Histoire de Zahlé », « Târikh Zahlé », édition Zahlé Al-fatât, Zahlé, 1977.189 Réf. A.E. 1921-1922, Série Levant, Liban-Syrie, Haut Commissariat Français.

Râchya 17 3087 4590 406 359 4071

% 33,43 20,48 5,26 12,33 16,72 11,29

Le recensement effectué en 1941-1942 par le service de recensement en Syrie et au Liban révèle les données suivantes :190

-Grecs-catholiques 23411 15,86 %

-Chiites 50588 34,28 %

-Druzes 6819 4,62 %

-Sunnites 29443 19,95 %

-Maronites 21411 14,42 %

-Protestants 1059 0,7 %

-Jacobites 1523 1,3 %

190 Recensement effectué en 1941-42 par le service du recensement en Syrie et au Liban.

-Assyriens Catholiques

423 0,2 %

-Chaldéens Orthodoxes

222 0,1 %

TOTAL :

-Chrétiens 60731 41,15 %

-Musulmans 86841 59,85 %

Les Chiites habitent dans le Békâ’ du Nord, c’est-à-dire dans lesrégions de Hermel et de Ba’lbeck où ils sont majoritaires ; tandis qu’une minorité chiite habite dans la Békâ’ ouest. Les Chiites de la Békâ’, constituent le tiers de la population, et engrande majorité travaillent dans le secteur agricole191.

Les Sunnites appartiennent à la communauté la plus nombreuseen Syrie, tandis qu’à la Békâ’, ils figurent au second rang aprèsles Chiites et travaillent, eux aussi, dans le secteur agricole. Ils se répartissent dans toutes les régions de la Békâ’, à l’exception de la ville de Zahlé, à majorité grec-catholique192.

Les Druzes, quant à eux, sont en nombre restreint.Leur présence est limitée aux deux régions de Râchaya et de Hâsbaya, où des relations étroites les lient à leurs frères, les Druzes deHauran en Syrie193.

La présence démographique des Maronites s’est accrue dans laBékâ’ lors de la première guerre mondiale du fait de la famine qui sévissait au Mont-Liban, c’est elle qui a poussé une partie des montagnards maronites à quitter leurs villages et à venir s’installer dans les villes de la Békâ’ telle que Ba’lbeck et 191 Histoire de Ba’lbeck : Dr. Hassan ‘Abbâs Nasrallah, Institut Al-Wafâ, développement de la Mohâfaza de la Békâ’, étude faite par la conférence des études du développement, page 102.192 ‘Issa Iskandar Ma’louf : op. cit. , page 17.193 Dr. Hassan Abbâs Nasrallah : “Târikh Ba’lbeck”, “Histoire de Ba’lbeck”, edit. Beyrouth 1982, page 82.

Zahlé, où ils ont pu travailler dans les secteurs de l’artisanat , du commerce tout en gardant des liens étroits avec leurs parents du Mont-Liban194 .

« La moitié des Grec-Catholiques habitent la ville de Zahlé,le reste est réparti dans les autres régions de la Békâ’, à l’exception du Hermel. Ils détiennent les secteurs clefs de l’industrie et du commerce à Zahlé et Ba’lbeck »195. Les grecs-catholiques sont connus pour leurs liens étroits avec les autorités religieuses d’Europe de l’ouest ; tandis qu’à la Békâ’,ils rivalisent avec les Chiites pour le rôle principal dans la région. Quant aux Grecs-Orthodoxes, on les retrouve un peu partout à la Békâ’, à l’exception de la région de Hermel.

A-La Békâ’ et le mouvement Arabe.

Après le repli de l’armée turque 1918, la region était divisés en deux catégories, ceux favorables au mandat français etceux favorables au gouvernement arabe de l’Emir Fayçal, les premiers étaient à majorité chrétienne tandis que les seconds à majorité musulmane196 .

Zahlé était la première ville de la Békâ’ à avoir présenté une pétition aux Grandes Puissances réclamant l’annexion de la Békâ’ au Mont-Liban en 1913, réclamation qu’- elle n’a cessé de renouveler à toute occasion après la guerre197.

Les pétitions se sont multipliées dans les régions de la Békâ’ réclamant la protection française et refusant la soumission à l’Etat Arabe de Fayçal. Toutes ces pétitions étaient signées par

194 Interview special faite par l’auteur, à Zahlé avec M.Mikaêl Abou Takka, ancien officier de l’armée libanaise qui a participé à la formation d’une armée pro-française. Il était le responsabled’une milice à Zahlé 1918-1927 contre Fayçal et les partisans de l’insurrection. Interview donnée en mois d’octobre 1981.195 Le Journal Al Bachir 1920, N˚320, page 3.196 Mickaêl Alouf : “Mouzakarât”, “Mémoires”, non édité, Librairie de l’Université Américaine à Beyrouth, p. 97.197 Réf. A.E. Série Syrie-Liban, Dossier N˚ 44, p. 8-9. Voir : Mickaêl Alouf : op. cit., p. 106.

des Chrétiens qui ne manquaient pas de rappeler leur possession de terres dans la Békâ’, possession qui les distinguait des Musulmans de la région198.

Quant aux Musulmans de la Békâ’, Mickaêl alouf nous décrit leur position199 :

« La majorité des Musulmans soutenait le gouvernement arabe et réclamait l’indépendance totale et l’attachement de la Békâ à Bilâd Al-Châm ».La contradiction s’est de plus en plus approfondie entre partisans et adversaires du gouvernement arabe.Le litige était axé sur l’alternative entre une annexion des 4 districts au Mont-Liban ou une autre à la Syrie200.

Mikaêl Abou Takka, un ancien officier à l’armée française declare :

« La France encouragea quelques Zahliotes – surtout les Maronites – à former un rassemblement hostile au gouvernement arabe, et le commandant français de la gendarmerie leur fournit les moyens d’affronter les partisans du gouvernement arabe. Parmicette bande pro-française figuraient : Mikhaêl Bou ‘Inayn, Mikhaêl Abou Takka, Louis Al-Fahl, Mikhaêl Harrouk, Najib Mârouni, Saïd Ghrayeb (tous Maronites).

Lors de l’arrivée du comité King-Crane à Zahlé, un meeting de soutien à la France fut organisé par ce rassemblement, le meetingne regroupait que des Maronites, à l’exception d’Iskandar Riachi »201.

Mikhaêl Bou ‘Iynan disait à ce propos :198 Mickaêl Alouf : « Mémoires », p. 105.199 Ibid… PP. 106-110.200 Abou Kaldoun Sâte’ al Houssari : “Yaoum Maysaloun”, “Le jour de Maysaloun”, dâr al-Itihâd, imprimerie Byblos, 1964, pge 29.Voir Interview avec Abou Takka Mickaêl, op. cit., 1981, publiée dans le journal Al  Maquassed.201 Abou Takka : op. cit., page 20; voir aussi : Interview avec Abou Nayef Al-Masri fils de la Bande pro- fayçalienne 1918-1924, et gendarme à la Békâ’, publié dans le journal al-Makâssed par l’auteur, 1982.

« Ibrâhim Abou Khater était complice avec les partisans de l’Etatarabe, ainsi que Youssef Braydi – membre du Conseil administratifdu Mont-Liban – et son gendre Makhlouf Kassouf, tous deux achetéspar l’Etat arabe ; quant à Chéhâdé Chéhâdé, il était le plus enthousiaste pour l’Etat arabe. Le Docteur Youssef Jerayssâti m’ademandé de signer une pétition pro-arabe, contre la somme de 100 livres égyptiennes ; la pétition contenait 500 signatures, et parmi les signatures, il ne figurait pas un seul non maronite »202.

Le Général Gouraud fut nommé Haut Commissaire en Syrie et au Liban, il s’est employé à masser ses forces militaires sur les contours de la Békâ’ dans le but de l’occuper, comme il l’avait fait savoir au Général Allenby dans sa déclaration du 27 janvier 1918 ; ce dernier n’a pas manqué d’envoyer un officier anglais auprès des membres du gouvernement arabe, pour les convaincre d’être plus compréhensifs à l’égard des Français203.

Avec l’intensification des combats opposant les Turcs aux troupesfrançaises au mois de janvier 1920, « le Général Gouraud demanda à Fayçal de mettre le chemin de fer à la disposition de l’armée française204, mais devant le refus de Fayçal, Gouraud a accepté uncessez-le-feu sur le front turc afin de s’occuper des affaires internes de la Syrie. »

Le 7 mars 1920, le congrès syrien général adopta la déclaration d’indépendance totale de la Syrie ou Bilâd Al-Châm ainsi que l’unité de ses territoires sans distinction ni répartition205. Cette déclaration a été très mal accueillie par le Conseil administratif du Mont-Liban ainsi que par l’Eglise Maronite.

202 Mikhaêl Bou ‘Inayn : “Sirâ ‘Al Hazem wal zoulm”, « La lutte entre la fermeté et l’oppression », édité par l’auteur lui-même au Brésil, p. 329.203 Times, July 20, 1920, p. 12. Voir Al Houssari : op. cit., p. 199-305, (l’ultimatum du Général Gouraud).204 Qasmieh Khairieh : op. cit., p. 196.205 Saté’ Al Houssari : op. cit., p. 158. Voir Amine Al Saïd; Lessecrets de la révolution arabe, « Asrâr Al thawra Al ‘Arabia », p. 99.

Nouri al-Saïd était à Beyrouth pour négocier avec le général Gouraud au sujet du voyage du Roi Fayçal à paris où il devait assister au Congrès de la paix. Ce fut une occasion pour Gouraud de menacer Fayçal d’annuler son voyage au cas où il persisterait à refuser les 5 points suivants206 :

-L’acception du mandat français.

-Mettre la voie ferrée à Rayak à la disposition de l’armée française.

-L’annulation du service militaire obligatoire.

-L’acceptation des papiers monnaie imprimés par la banque syrienne.

-Le châtiment des bandits ayant commis des actes de violence contre les forces françaises.

A la suite de cette rencontre, l’armée française occupa Ma’alaka et Rayak, et l’armée arabe s’est pliée sur l’axe de Majdal-Anjar.

C’est ainsi que commencèrent les préparatifs de l’attaque contre Damas à partir de la Békâ’ ; l’armée de Gouraud occupa unegrande partie de la Békâ’, en installant son Etat-Major à Te’nâyel et en servant de Sa’dnâyel comme centre de munitions207 .

B-L’annexion de la Békâ’ au Mont-Liban   :

Une partie des libanais considerait d’un mauvais œil lesagissements des autorités françaises et leur main mise directe sur le Liban208. D’autant plus que les Français avaient désigné leurs officiers aux postes-clefs, au point que le 206 Nouri Al Saïd était ministre dans le gouvernement Arabe de Fayçal à Damas, 1918-1920.207 Steven Hamstley Longrig : “Syria and Lebanon under french mandate”, Oxford 1958, p. 104.Voir Times, july “History of war” N˚ 17, 1920, p. 12.208 Mass’ad Boulos : « Le Liban et la Syrie pendant et après le mandat », « Lubnan wa Sourya athnâ’ wa ba’ad al-Inti- dâb », Edit, Le Caire 1929, p. 64-72.

Conseil administratif du Mont-Liban était devenu, de ce fait, un cadre formel incapable d’appliquer les décisions prises, plusieurs membres du dit Conseil s’étaient mis secrètement en contact avec le Roi Fayçal en vue de coordonner leurs efforts contre le mandat français afin de déterminer les rapports unissant le Liban à la Syrie 209.

L’armée française attaqua les villages de Tamnine, Qsarnaba et Bednâyel où ils ont pendu 9 hommes arrêtés au cours d’une opération militaire pro-fayçal. A la suite de la campagne militaire et la défaite de Mayssaloun le 24 juillet1920210, le Général Gouraud s’est rendu à Zahlé où il a tenu un discours à l’hôtel Qâdri déclarant l’annexion de la Békâ’ au Grand-Liban le mois d’août 1920.

Le lendemain, il s’est rendu à Ba’lbeck où il a été accueilli par certains notables comme Mohamed Qassem Al-Rifâ’i etAss’ad Haydar face auxquels il s’est engagé à assurer la sécuritéet la prospérité de la Békâ’211.

4. ss. Le Nord   :

A- TRIPOLI

Tripoli se distingue par la diversité de ses communautés : les ‘Alaouites et les Maronites, à côté d’une majorité citadine aussi bien grec-orthodoxe que sunnite212 . En plus de sa position commerciale stratégique qui domaine le commerce avec Damas et Alep, Tripoli constitue aussi une ville 209 Al Hayât (journal arabe) N˚ 2009 le 24 novembre 1952. Documents du conseil, les membres du conseil ont été condamné 1919 et envoyé à Corse et Arwad où ils sont demeurés une année etenfin à Paris, ils étaient libérés et sont retournés au Liban.210 Al Houssari : op. cit., p. 196; Voir Times, july 20, 1920, p.2. Le journal a declare que des allemands aidaient l’armée de Fayçal.211 Youssef Al Hakim : « Souria wal Intidâb al Farançi”, “La Syrie et le mandat français », édit. Al Nahâr, Beyrouth 1983, page 41.212 Khâled Ziâdé : L’image traditionnelle de la société citadine.Tripoli 1983, édition de l’université libanaise, pp. 24-30.

rurale dont la production prospérée accroit le rôle commercial213.La ville ne forme pas pour autant un centre citadin dans un milieu rural et campagnard, elle constitue plutôt avec Hama et Homs un triangle actif au niveau commercial et industriel214.

1-Tripoli et le Mouvement Arabe   :

L’Emir Saïd Al-Jazaîri a désigné, au nom du roi Fayçal, Sa’d Eddine al-Mounla comme gouverneur de Tripoli215. Mais les tripolitains n’ont pas accepté cette désignation préférant choisir ‘Abdul Hamid Karâmé216. L’Etat arabe indépendant fut accueilli partout par des manifestations quotidiennes dans la ville pour exprimer la joie et le soulagement des habitants de Tripoli217.

Neuf jours après la naissance de l’Etat Arabe, les troupes de l’armée anglaise se dirigèrent de Beyrouth à Tripoli le long de la route côtière. Le Commandant Français de La Roche occupa le Sérail où il accrocha sur la porte en arabe et en français : « Pays ennemi occupé, le gouverneur militaire »218.

Les gouverneurs français successifs se sont employés à désigner des fonctionnaires français, ce qui a suscité la réaction des tripolitains qui soutenaient massivement ‘Abdul Hamid Karâmé dans sa lutte contre les français219.213 Antoine ‘Abdel-Nour : Introduction à l’histoire urbaine de laSyrie ottoman (XVI˚ - XVIII˚ siècle) page 16. Thèse soutenue à Paris , IV Sorbonne, édition de l’université libanaise, Beyrouth 1982.214 Ibidem, page 18-19.215 M. ‘Aref Miqâti : “Trâblous fi al nisf al awal min al qarn al‘ichrin” , « Tripoli au cours de la 1˚ moitié du XX˚ siècle », 1978, édition Dar Al Inchâ’, Tripoli, pp. 148-149.216 Ibidem, op. cit., p. 152.217 Samih Wajih Al Zein : “Târikh Tarablous”, « l’histoire de Tripoli », édition Qadmous, Beyrouth, p. 399.218 Réf A.E. , Syrie-Liban , letter du général Gouraud à M. Millérand, 13 août, Vol. 125, p. 207.219 Hassân Hallâq : “ L’histoire Moderne du Liban”, «Târikh Lubnân Al Hadith », 1918-1943, édition Dâr Al Nahda Al ‘Arabia, Beyrouth, 1985, p. 58.

A l’arrivée du comité américain King-Crane pour sonder l’opinion de la population, Tripoli délégua ‘Abdul Hamid Karâmé pour exposer le point de vue de la ville devant le comité. ‘AbdulHamid refusa catégoriquement le mandat français, et revendiqua l’indépendance totale sous la tutelle du gouvernement arabe220 ; ces prises de position ont suscité la réaction des autorités françaises qui l’ont destitué de ses fonctions en tant que représentant du gouvernement Arabe et en tant que Mufti, lançant ainsi un défi aux Musulmans.221

2-L’annexion de Tripoli au Mont-Liban   :

Après la bataille de Mayssaloun, le général Gouraud déclara l’indépendance du Grand-Liban dans ses frontières dites « naturelles » et incluant avec les villes de : Beyrouth, Tripoli, Sayda, Tyr ainsi que les quatre districts, le 1˚ septembre 1920.

Le Général Gouraud remplaça le conseil administratif du Mont-Liban par un comité désigné; Tripoli fût représentée dans cecomité par Othman ‘Alam-Eddine, tandis que ‘Abdul Hamid Karâmé, est devenu le symbole de l’opposition patriotique à l’occupation étrangère222.

B-‘Akkar

La région de ‘Akkar constitue un grand district de la Mouhafazat du Liban Nord; cette région s’étend du fleuve Al-Bâredau Sud au « grand fleuve du Sud » au Nord, bordant les montagnes de ‘Akkar à l’Est, et la Méditerranée à l’Ouest ; ce qui fait quecette région englobe une chaîne montagneuse qui contraste avec une plaine côtière des plus importantes parmi les plaines figurants sur les côtes de l’est du bassin méditerranéen 223.

220 Samih El Zein : op. cit., page 230.221 H. Hallâq : op. cit., page 70.222 Samih Wajih El-Zein : op. cit., page 260.Voir : Hikmat Yassine : la politique française et la révolte arabe, Dâr Al Tunisia, p. 205-209.223 Elias Jreig : Mémoire sur l’évolution de la société de ‘Akkar, Maitrise d’histoire à l’université libanaise, Beyrouth

1-Répartition confessionnelle   :

A ‘Akkar les grecs-orthodoxes sont majoritaires, mais cette majorité s’est retrécie du fait de l’émigration rurale des grecs-orthodoxes vers la ville de Tripoli en 1868. Ils fondèrent leur évêché dans le village de Bayno224.

Les Protestants constituent une communauté récente dans l’Akkar. Elle s’est créée à partir de la conversion de membres des autres communautés depuis la fin du XIX˚ siècle225.

Tandis que la présence des grecs-catholiques prit naissance vers la fin du XVIII˚ siècle à la suite des scissions au sein deséglises orientales.

Les maronites ont commencé à former leur plus grand rassemblement à ‘Akkar dans le Nâhié d’Al Drayb, notamment à ‘Indqit et Qbayet. La communauté maronite se définissait en fonction de ses attaches spirituelles avec le Vatican, c’est pour- quoi elle était plus sensibilisée que d’autres à l’influence des missions religieuses venues d’Occident s’installer dans la région d’Akkar226.

Les Sunnites sont les plus nombreux dans la région. Ils sontoriginaires des villes côtières comme Tripoli, Jobayl, Beyrouth, Sayda et Tyr. Il existe encore des minorités comme les Ismaélites, turcomans et les tribus bédouines227.Le recensement de1912 indique que la population d’Akkar se chiffrait à 42.363 individus228.1981.224 Registres de l’église évangelique à ‘Akkar, N˚ 2, p. 21.225 M. Ducousso , A.E. p. 39, troubles survenues à ‘Akkar.226 Rafiq et Bahjat Mohamed : Wilâyat Beyrouth 1914, p. 281-296.227 Les Ismaélites : constituent une minorité dans la régions d’Akkar où ils habitent dans les zones de Halba et de Koruha.Les Turcomans sont originaires de la région de Golan syrien. Voirà ce propos Rafiq et Bahjat Mohamed : Wilâyat Beyrouth, p. 281-296.228 Abd El ‘Aziz Mohamed ‘Awad : “ Al Taqsimâts al Idâria al ‘Ossmania fi wilâyat souriya”, Maîtrise sous la direction du Docteur Ahmad ‘Izzat ‘Abdel Karim, Le Caire 1969, p. 304.

-Musulmans 20.307

-Grecs-Orthodoxes 12.769

-Maronites 8.208

-Grecs-Catholiques 669

-Protestants 360

2- ‘Akkar et le Mouvement Arabe:

La politique unioniste caractérisée par la dimension nationaliste turque n’a fait qu’accroître la crainte des Arabes. Les Maronites ont misé sur la France pour mettre un terme à l’ostracisme dont ils étaient l’objet, de la part des Pachas, Beys et Aghas Musulmans de la région de l’Akkar pour parvenir à réaliser l’Etat du Grand-Liban et l’annexion d’Akkar, en le reliant au reste de la région par des voies de communication dontla voie ferrée Tripoli-Homs achevée en 1911.

En 1916, Jamâl Pacha a accusé plusieurs notables d’Akkar d’entretenir des rapports suspects avec les responsables français229; en raison de cette accusation, le Cheikh ‘Abdallah Dâher de Qbayet, fut pendu à Aley, Georges Khoury fut exilé à Dar’a et Dimitri Khoury à Alep, Mohamed Rachid Yassine et Ya’qoubSarraf furent exilés en Turquie, et cela à l’instigation d’Ahmad Joudat, gouverneur d’Akkar230.

A la suite de l’évacuation de l’armée turque de la région d’Akkarà la fin d’octobre 1916, le Roi Fayçal y dépêcha son délégué Râouf Bey Al-Ayoubi arborant le drapeau arabe. Le geste entraîna une protestation des Maronites qui considéraient que leur

229 Sleiman Moussa : “Le mouvement Arabe”, op. cit., p. 102.230 Joseph ‘Abdallah : « Rapports du pouvoir politique à Qbayet », thèse de doctorat de 3ème cycle en sociologie, Paris 1983, sous la direction de Pierre Fougey-Rollas, Paris VII, jussien.

libération du pouvoir turc ne devait pas conduire à remplacer lesTrucs par le gouvernement arabe231.

Depuis longtemps, la France œuvrait à l’annexion de l’Akkar au Moutaçarrifyat du Mont-Liban, sur la base de ses rapports historiques avec les Maronites232.

Quant aux notables musulmans d’Akkar, ils ont immédiatement affiché leur soutien au gouvernement arabe, ce qui a mis les autorités françaises dans l’embarras. Mais la France n’a pas tardé à mettre en application l’accord Sykes-Picot, et son armée d’empresser d’occuper le Liban, obligeant l’armée arabe à se retirer.

La population d’Akkar était divisée entre deux tendances :

Une tendance qui réclamait l’unité Arabe, cette tendance était représentée par les notables musulmans ; une autre tendance représentée par les notables maronites, de la région de Qbayet etde ses alentours ; réclamait le mandat français233. Certains notables musulmans, préféraient attendre le résultat de cet affrontement pour se ranger du côté du vainqueur.

« A l’occasion du Congrès de la paix à Versailles en 1919, les bandes pro-arabes attaquèrent un convoi français entre Al-Biri et khirbit Al-Roumman… Mais l’armée française pénétra dans le village d’Al-Biri et occupa la maison de Moustafa Al-Saïd, et obligea les résistants à se replier sur Talkalkh » .

Il convient de signaler à ce propos la position de l’évêque grec-orthodoxe Grégorios Haddad, surnommé « Patriarche des Arabes », qui déclara devant le comité King-Crane :

231 Zein Nour El Dine Zein : « le conflit international au Moyen-Orient et la naissance du Liban et de la Syrie », op. cit., page 53.232 Asmieh airieh : op. cit., page 196-197.233 Elias Jrei : Evolution de la société d’Akkar… op. cit., Maîtrisse d’histoire, I.L. p. 45.

«  Nous les Grecs-Orthodoxes de ce pays, nous sommes des Arabes Ghassanides ; notre arabisme nous pousse à être solidairesavec nos compatriotes, et à soutenir l’Etat arabe chérifien ; la cause arabe n’est nullement une cause Islamique comme le prétendent les français, c’est avant tout une cause plutôt nationale. »234

3- L’annexion du ‘Akkar au Mont-Liban   :

La région d’Akkar n’a pas manqué d’assister le Congrès syrientenu à Damas pour soutenir le Roi Fayçal ; elle a été représentéeà ce Congrès par ‘Abdel-Razzaq et Khaled ‘Abdel Qader Al-Mer’ebi235. En vertu de l’accord San Rémo 1920, la France fut mandatée sur la Syrie rt le Liban. Après quoi le Général Gouraud déclara l’Etat Grand-Liban en lui annexant le wilâyat de Beyrouthdont faisait partie l’Akkar. Mais les troupes françaises se sontheurtées à la résistance des bandes militaires hostiles à la présence française, surtout dans la région d’Akkar. Les français ont fini par déclarer l’Etat du Grand-Liban au Sérail de Halba, en présence du Caïmacam d’Akkar Mohamed Makhzoumi236.

Toutes les révoltes contre la partition qu’on a essayé de décrireont abouti à une défaite complète, après s’être engagées dans un affrontement inégal contre l’armée française.

Toutes ces révoltes déclenchées sous la bannière de l’émir Fayçal, soutenues directement ou indirectement par l’Angleterre ou la Turquie, avaient perdu leur perspective après la capitulation et l’exil du roi Fayçal puis les accords conclus entre la France d’une part et l’Angleterre et la Turquie d’autre part.

Une fois imposée « la politique du fait accompli », la France a su profiter d’une conjoncture internationale favorable, pour

234 Salâm Râssi : Li’ala tadi’, op. cit., p. 123.235 Georges Antonios : Le Réveil des Arabes, op. cit., p. 596-599.236 Ibid…, page 83.

donner à sa présence militaire une couverture légale, celle du mandat ratifié en 1922 par la Société des Nations par conséquent.

L’antagonisme et la divergence régnaient entre les libanais eux-mêmes. Alors que les libanistes, si l’on peut les appeler ainsi, réclamaient un Liban indépendant et « la restitution de ses frontières naturelles », sur le littoral avec Beyrouth pour capitale et la Békâ’ pour grenier, ce qui a été déclarée par le « général Gouraud », les Arabistes par contre songeaient à la Nation Arabe dans les limites d’une patrie reliant le Liban à la Syrie indépendante de tout mandat étranger ; dans cette atmosphère une insurrection va se déclencher dans les années 25-27 et qui va remettre en question toutes ces divergences. Malgrél’effort déployé par le mandat français pour établir un Etat sousleur tutelle.