Le "Trou de Han" à Han-sur-Lesse, in Chr. Frébutte (dir.), Coup d'oeil sur 25 ans de recherches...

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69COUP D'OEIL SUR 25 ANS DE RECHERCHES ARCHÉOLOGIQUES À ROCHEFORT, DE 1989 À 2014Le « Trou de Han » à Han-sur-Lesse

LE « TROU DE HAN » À HAN-SUR-LESSE

1. Introduction

Les grottes de Han à Han-sur-Lesse sont le pro-duit de la traversée souterraine par la Lesse du massif calcaire de Boine. Après l'avoir contourné sur 1 km, en effet, la Lesse s'y perd en totalité par le Gouffre de Belvaux, dans lequel elle plonge verticalement. Elle reparaît dans la «  Salle d'Armes », qui fait partie du réseau visité par les touristes, et ressort au jour au « Trou de Han ». La grande majorité des trouvailles archéologiques faites dans les grottes vient des plongées menées systématiquement dans la Lesse à cet endroit par le Centre de Recherches Archéologiques Fluviales, animé par Marc Jasinski.

2. Le site subaquatique

Le gisement subaquatique de la grotte namuroise n'a pas son pareil en Europe occidentale, livrant depuis les années 1960 des milliers d'artéfacts appartenant à différentes époques 1. Les plus anciennes visites du réseau pourraient remonter au Paléolithique supérieur récent, mais elles ne deviennent fréquentes qu'à la fin du Néolithique. L'Âge du Bronze final, cependant, semble bien la période la mieux représentée, tant en quantité qu'en qualité de matériel.

La grotte est aussi fréquentée à différents mo-ments du Second Âge du Fer, ainsi qu'à l'Époque gallo-romaine. Les occupations les plus récentes

1 Dernière synthèse, avec bibliographie  : Warmenbol, 2009.

du réseau, enfin, datent des Temps modernes et de la Seconde Guerre mondiale, lorsque la population des villages environnants vient s'y mettre à l'abri.

Nous nous intéresserons principalement ici au Néolithique récent/final et au Bronze final du «  Trou de Han  ». Nous aborderons toutefois les deux périodes dans l'ordre chronologique inverse, parce que l'interprétation des vestiges de la première se trouve éclairée par celle des ves-tiges de la seconde. Nous traiterons ensuite, mais plus brièvement, des découvertes du Second Âge du Fer et de l'Époque gallo-romaine de la grotte.

3. L'Âge du Bronze

La majorité des découvertes provient du lit de la Lesse, à hauteur de la «  Galerie de la Grande Fontaine » et de la « Galerie des Petites Fontaines », l'une et l'autre livrant également des couches d'occupation, dont nous traiterons plus loin.

Il s'agit dans la rivière d'un matériel parfois peu roulé, manifestement retrouvé là où il a été ori-ginellement, et délibérément, déposé.

Les objets en alliage cuivreux, armes, outils et parures, parfois intacts, occasionnellement, et délibérément, brisés ou dépareillés 2, sont pro-portionnellement surreprésentés. Ils constituent l'ensemble d'objets métalliques de l'Âge du Bronze de loin le plus important de Belgique. Parmi les armes, nous signalerons (en nous

2 Ces objets ne sont pas anodins (voir aussi plus loin).

EugènE WarmEnbol

Le « Trou de Han », à la résurgence de la Lesse. La « Galerie de la Grande Fontaine » s'ouvre sur la droite.Photographie C. Frébutte © SPW, DPat.

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limitant aux pièces complètes) trois épées, quatre pointes de lance et une cinquantaine de pointes de flèche ; parmi les outils, une vingtaine de haches, une quinzaine de couteaux 3, trois faucilles, une dizaine de burins et de ciselets, une gouge, une scie ; parmi les parures, plus de deux cents épingles, une vingtaine de bracelets, sept appliques de ceinture à griffes, toutes sortes de

3 Nous avons pu, récemment, obtenir un certain nombre de dates absolues sur du bois conservé dans les armes et outils à douille  : Warmenbol & Van Strydonck, 2011  ; Warmenbol & Van Strydonck, 2012.

perles et de boutons, des dizaines et des dizaines d'anneaux. Le lit de la Lesse a livré en outre un certain nombre de parures en or, extrêmement rares ailleurs en Belgique et dans le sud des Pays-Bas, des pièces qui peuvent, à nouveau, être intactes ou, parfois, intentionnellement fragmentées.

Il s'agit, pour les pièces complètes, de cinq disques à bossette centrale, de deux ornements de coiffure (?) en forme de panier, ainsi que de neuf anneaux penannulaires (ou hair-rings) ayant conservé la tôle d'or les recouvrant. Parmi

Relevé de la grotte de Han, de la « Salle du Dôme » au « Trou de Han ».Relevé et infographie © CRAF.

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les fragments, nous noterons trois morceaux d'au moins deux perles creuses ou épingles à tête creuse ornées de filigrane et de granulation, cer-tainement importées du monde méditerranéen 4.

Les vases en céramique ne sont pas moins remarquables, puisque la céramique fine s'avère apparentée à celle du «  groupe Rhin-Suisse-France orientale ». Quatre cent cinquante pièces ont pu être individualisées, dont un grand nombre de gobelets à épaulement et d'écuelles diversement décorées. La matrice loessique de la pâte ne laisse toutefois aucun doute quant à leur production locale 5.

4 L'analyse des ors (Guy Demortier, LARN, Namur) a permis de séparer très nettement ces bijoux des autres  ; voir  : Warmenbol, 2004, p. 208-221. L'analyse des verres (Bernard Gratuze, CNRS, Orléans) a montré la présence de perles de fabrication nord-italienne  ; voir  : Cosyns et al., 2005, p. 326-330.

5 Leclercq, 2012 ; ce travail replace ces céramiques fines et décorées dans leur contexte.

La grotte de Han offre, en fait, un contexte très particulier. Il ne s'agit ni d'un habitat, ni d'une nécropole. Les objets métalliques retrouvés dans l'eau n'appartenaient pas à un ou des dépôts «  classiques  ». La nature des découvertes, qui s'étalent entre le Bronze final IIa et le Bronze final IIIb, ne permet pas non plus, a priori, de les assimiler aux innombrables trouvailles faites dans les fleuves. Une partie du matériel, délibé-rément jeté dans la Lesse, s'avère volontairement fragmenté, ce qui n'est pas « normal » pour du matériel « fluviatile ».

Comme le note Muriel Mélin, opposant dépôts « terrestres » et dépôts « fluviatiles » : « du point de vue du traitement des objets, les disparités entre les deux pratiques sont flagrantes. Le trai-tement des objets déposés en milieu fluvial est très stable dans le temps et privilégie à toute époque les objets intacts. À l'inverse, à certaines périodes les objets enfouis sont conservés dans leur entier, mais présentent à d'autres périodes (au Bronze final en particulier), un taux de fragmentation

Les disques en or à bossette centrale, du lit de la Lesse.Photographie G. Evrard.

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important. Si la fragmentation a longtemps été liée a l'interprétation des dépôts terrestres en tant que dépôts de fondeurs (objets cassés, hors d'usage et/ou cassés pour pouvoir être placés dans un creuset pour leur refonte), elle est de plus en plus considérée comme délibérée et mise en lien avec une destruction rituelle » 6.

Nous pensons par ailleurs, que la topogra-phie du site de la grotte de Han invite à une interprétation spécifique des lieux. Il s'agit d'une grotte traversée d'une rivière, articulant ombre et lumière. Nous avons donné ailleurs 7 les arguments qui permettent d'y voir une Bouche des Enfers ou, éventuellement, une Porte de l'Au-delà. Les dépôts subaquatiques du «  Trou de Han  » seraient dès lors des dépôts liés au monde des morts, une interprétation que rejoint celle de Walter Torbrügge à propos des dépôts métalliques dans les fleuves…

Un site comparable, par certains aspects, à notre grotte, est celui de Fengate/Flag Fen, dans le Cambridgeshire, où nous avons affaire, comme à Han-sur-Lesse, à un site articulant deux mondes, réels comme imaginaires. Une espèce de pont y barre l'estuaire de la rivière Nene, une structure auprès de laquelle, ou du haut de laquelle, quantité d'objets métalliques ont été confiés à l'eau. Il s'agit d'armes, d'outils et de parures, qui se retrouvent en grande majorité côté « eaux douces », interprétés comme dépôts funéraires hors tombe. Parmi les ossements, quelques restes humains.

Le site fait inévitablement penser à celui de La Tène, comme Francis Pryor le faisait déjà remar-quer, ou à celui de Cornaux, également sur la Thielle. À Han-sur-Lesse, des pieux en bois ont été observés au fond de la rivière à hauteur de la «  Galerie des Petites Fontaines  », suggérant l'existence à cet endroit d'une plate-forme s'avançant dans la rivière. Le bois n'a pas été préservé, semblerait-il, mais la date 14C d'un des

6 Mélin, 2012, p. 119-120 ; Warmenbol, à paraître a.

7 Warmenbol, 1996.

pieux montrerait que celui-là au moins daterait du Haut Moyen Âge 8.

La « Galerie de la Grande Fontaine »

La «  Galerie de la Grande Fontaine  » a été explorée dès le début du 20e siècle. C'est là que fut prélevé, en 1902, sous les auspices d'Édouard de Pierpont, le « Pilier stratigraphique » de Han-sur-Lesse, toujours conservé dans les caves de la Société archéologique de Namur. La moitié en fut fouillée en 1981-1982 sous la direction de Pierre-Paul Bonenfant.

Celui-ci signale que « l'accent fut mis sur des as-pects de la recherche insoupçonnables au début du siècle » et annonce qu'une « série d'analyses sont en cours dans différents laboratoires  » 9. Aucune de ces analyses, cependant, n'a été publiée, cer-taines n'ont pas été entreprises à l'époque. Tout récemment, toutefois, pour donner un premier cadre aux études futures sur le matériel du « Pilier stratigraphique », une série de dates 14C (AMS) a été réalisée, confirmant l'importance de l'occupation du Néolithique récent/final, et révé-lant celle du Second Âge du Fer à cet endroit 10.

Pour ce qui est du Néolithique récent/final, la qualité d'habitat de la «  Galerie de la Grande Fontaine » reste à vérifier. Une utilisation de la galerie comme sépulture collective ou multiple est parfaitement envisageable. Il est déjà ques-tion d'ossements humains, dont un «  morceau de crâne » dans une lettre de Jean Godelaine, le « maître-fouilleur » de la Société archéologique de Namur à Édouard de Pierpont, dont les col-lections contiennent, par ailleurs, un lot de dents humaines.

8 La date (Lv-689) est mentionnée dans un des « Liber », c'est à dire un des carnets de fouille, des plongeurs (le volume VI, à la page DSC0016 de sa version électronique) : « Pieu du 6 août 72 – analysé au C14 par Gilot (UCL) : 570 + 100 », AD il s'entend. Elle figure dans : Dauchot-Dehon et al., 1982, p. 329. Il s'agit d'une date inattendue, le matériel archéologique de cette époque étant fort rare !

9 Bonenfant, 1982, p. 115.

10 Van Strydonck & Warmenbol, 2012.

ps

ps

psps

ps

pierre

charbon

os

tesson

plancher stalagmitique

100

50

0

ps

1A

1B

1C

2A

2B3A

3B

4

4

5A5B

6

7A

7B

8A8B

8C9

10

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Lors de fouilles plus récentes, à peine publiées 11, d'autres ossements humains ont été découverts, dont au moins un, daté au 14C, remonte au Néolithique récent, ou, plus exactement, au Seine-Oise-Marne 12.

11 Mariën, 1982.

12 Matériel étudié dans le cadre d'un mémoire de maî-trise inédit : André, 2013.

4. Le Néolithique

La majorité des trouvailles provient en fait du lit de la Lesse, toujours à hauteur de la « Galerie des Petites Fontaines » et de la « Galerie de la Grande Fontaine  ». Celle-ci, comme nous venons de le voir, a aussi livré des niveaux d'occupations néolithiques ayant produit, entre autres, de magnifiques cuillères en os, d'un type exclusi-vement connu dans le Namurois 13. Le matériel retrouvé en plongée est, comme celui de l'Âge du Bronze, en excellent état, et n'a généralement pas beaucoup roulé avant de se sédimenter. Il n'y a pas de doute qu'il s'agisse aussi d'objets confiés à la rivière, absences comme présences montrant qu'il ne s'agit pas d'un ensemble « domestique » 14.

Les objets en pierre semblent surreprésentés, et plus spécifiquement les haches et les pointes de flèche, sachant qu'un premier décompte a établi que le « Trou de Han » n'a pas livré plus de 150 lames ou lamelles retouchées (ou utilisées).

Parmi les armes, nous signalerons en particulier un poignard en silex du Grand-Pressigny à polissage dorsal et un «  ciseau  » en silex tou-jours, au tranchant partiellement poli. En outre, une bonne soixantaine de pointes de flèche du Néolithique récent et final, dont des exemplaires cassés, ont été découvertes au « Trou de Han », parmi lesquelles figurent d'une part (seulement) trois armatures à tranchant transversal, d'autre part quatre pointes pédonculées à ailerons bien développés 15.

Quatre haches polies en silex et de nombreux éclats ont également été découverts, ces derniers étant le produit de mises en pièces délibérées  ; trois haches ou hachettes en roches dures viennent s'y ajouter, ainsi que cinq fragments de tels outils. Parmi ces derniers, nous noterons un talon de hache du type Puy, en jadéite ou

13 Warmenbol, 2013.

14 Pleuger, 2011.

15 Fourny, 1995.

La coupe du «  Pilier stratigraphique  » prélevé dans la « Galerie de la Grande Fontaine ».Dessin © M.-A. De Spiegeleir  ; infographie © Anja Stoll.

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omphacitite fine, sans nul doute originaire du Mont Viso 16. Ainsi, dès le Néolithique, des maté-riaux « exotiques » sont abandonnés dans le lit de la Lesse.

Comme autres matériaux, nous mentionnerons des racloirs à encoches longitudinalement oppo-sées, bien typiques du Gord/Deûle-Escaut, mais aussi présents dans le « groupe des urnes à décor plastique ».

La céramique néolithique, quant à elle, n'a pas été étudiée jusqu'à présent, mais à côté de formes Michelsberg incontestables, apparaissent des formes Seine-Oise-Marne tout aussi incontes-tables, mais les unes et les autres, apparemment, en petit nombre. Par ailleurs soit le Gord/Deûle-Escaut, soit le « groupe des urnes à décor plas-tique » est également représenté. Ce dernier est déjà connu, il est vrai, dans les grottes mosanes, comme à Godinne (Yvoir) 17.

Les dépôts subaquatiques du Néolithique ré-cent/final de Han-sur-Lesse, ainsi, constituent un ensemble qui rappelle, par bien des aspects, les dépôts lacustres des palafittes français ou suisses, dont le caractère non aléatoire reste à démontrer, ce qui semble chose faite pour les dépôts du Bronze final 18.

Bien plus pertinent, toutefois, nous semble le rapprochement avec les sépultures collectives de la fin du Néolithique, à propos tant de la nature des dépôts que de leur distribution spatiale. Les découvertes faites dans la «  Galerie de la Grande Fontaine  », qui fait office de porche, nous semblent particulièrement significatives. Ainsi en est-il des cuillères à grand cuilleron elliptique, signalées également dans la sépulture collective de Martouzin-Neuville (Beauraing) et celle de Vaucelles (Doische)  ; ainsi de la gaine

16 L'analyse des « jadéites » a été réalisée par Michel Errera (Musée royal de l'Afrique centrale, Tervueren) dans le cadre du projet JADE mené par Pierre Pétrequin.

17 Van Impe, 1983.

18 Fischer, 2012.

de hache en bois de cerf, signalée aussi dans le même ensemble de Vaucelles, mais également dans l'ensemble sépulcral, en grotte toujours, d'Anseremme « Abri du Grogneau » (Dinant) 19. Dès le Néolithique récent/final, la « Galerie de la Grande Fontaine » ferait office d'entrée à un vaste ensemble funéraire, à un espace consacré aux morts, voire à la Mort. La « Galerie des Petites Fontaines  », qui n'a certes pas donné d'objets néolithiques en stratigraphie (érodée…), en formerait déjà l'articulation la plus importante, entre lumière et ombre, certes, mais peut-être aussi entre espaces «  collectifs  » (cérémoniels, par exemple) et espaces « individuels » 20.

La « Galerie des Petites Fontaines »

La « Galerie des Petites Fontaines », manifes-tement située à un point d'articulation majeur dans la grotte, celui du « Tournant du Jour », où l'on perd la lumière, a été explorée dès le début du 20e siècle, tout comme la « Galerie de la Grande Fontaine  ». Nous sommes malheureusement fort mal informés sur les résultats des fouilles ici, quoique M.-E. Mariën ait publié une coupe stratigraphique, révélant, entre autres, l'absence de niveaux néolithiques, vraisemblablement lessivés par la Lesse.

«  Une coupe fut exécutée, écrit le conservateur des Musées royaux d'Art et d'Histoire, qui révéla une couche d'habitat du Bronze final, remaniée par les eaux de la Lesse qui creusèrent dans la berge une petite crique dans laquelle se déposèrent dans la suite, après la formation d'un plancher stalagmitique, trois strates de l'âge du Fer » 21.

La strate IV livre une des découvertes les plus étonnantes de la grotte de Han : sept mandibules

19 Mariën, 1981.

20 Sohn, 2009.

21 Mariën, 1970, p. 256.

Fouille de M.-E. Mariën dans la « Galerie des Petites Fontaines » de la Grotte de Han.

Photographie © M. Jasinski.

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humaines, dont deux ou trois présentant des traces de décollation. Il s'agit vraisemblablement des vestiges de sept têtes séparées du corps, exposées ici à la lisière des ténèbres les plus profondes, à l'entrée d'un sanctuaire naturel qui donnait accès aux Enfers. Les dates radiocarbone (AMS) 22 montrent qu'il ne s'agit pas d'un groupe parfaitement homogène, puisque deux d'entre elles appartiendraient plutôt à La Tène moyenne, alors que les autres appartiendraient plutôt à La Tène finale, voire à l'époque julio-claudienne.

22 Warmenbol, 2007a ; Id., 2007b.

Les têtes les plus anciennes étaient-elles des pièces « de collection » ?

5. L'Âge du Fer et l'Époque gallo-romaine

Les dépôts subaquatiques reprennent, de fait, au Second Âge du Fer.

Pour La Tène ancienne, nous ne pourrons toutefois signaler qu'une –magnifique- phalère, quelques fibules et un peu de céramique, dont

La phalère du Second Âge du Fer, du lit de la Lesse.Photographie © Guy Deflandre.

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quelques vases décorés que nous rapprocherions volontiers des situles connues dans le « groupe méridional des tombelles ardennaises  ». Pour La Tène moyenne, quelques fibules encore et un peu de céramique aussi, que nous rapproche-rons inévitablement du matériel du «  Trou de l'Ambre  » à Éprave (à quelque 5 km) autrefois attribué à un mythique « groupe de la Haine » 23.Dans l'un et l'autre cas, il s'agit manifestement d'assemblages non domestiques.

Il se fait que La Tène finale (jusqu'à l'époque julio-claudienne  ?) est bien mieux représentée, avec de nombreux objets métalliques, outils comme parure, du verre et de l'ambre, ainsi que des centaines de vases, pratiquement tous des vases à provision du type Haltern 91.

Le niveau IV de la « Galerie des Petites Fontaines » leur est manifestement contemporain, comme l'atteste la série de dates radiocarbone sur les mâchoires humaines mentionnées plus haut. Nous avons là l'illustration parfaite du fait que les dépôts subaquatiques de la grotte de Han, qui ont toujours retenu l'attention, ne peuvent être bien compris sans un examen des vestiges stratifiés de la « Galerie de la Grande Fontaine » et de la « Galerie des Petites Fontaines ».

Le matériel gallo-romain est, à nouveau, com-posé de dépôts délibérés et sélectionnés. La majorité des découvertes semble appartenir au milieu, voire au troisième quart du 3e siècle 24, c'est-à-dire la période des empereurs « gaulois ». Nous avons une bonne centaine de monnaies, une bonne trentaine de fibules, un seau du type de Hemmoor, un plat ovale décoré avec la marque de son propriétaire 25. La pièce maîtresse est un diplôme militaire, datant de l'époque de Trajan, mais sans doute abandonné bien après, un document officiel dont nous ne pouvons imaginer la simple perte au fond d'une grotte 26.

23 Warmenbol, à paraître b.

24 Goffette, 2013.

25 Lallemand, 1994 ; Callewaert & Goffette, 2011.

26 Voir, dernièrement : Absil, 1988.

Quoi qu'il en soit, la céramique montre bien que nous n'avons pas affaire à un habitat, fut-il de refuge. Il n'y a à peu près que de la vaisselle de table dans la grotte, parmi laquelle de nombreux gobelets, comme aussi au « Trou des Nutons » de Presles (Aiseau-Presles), une autre « curiosité », et tout aussi délicate à interpréter.

6. Conclusion

Il nous paraît que les occupations du «  Trou de Han  », de la fin du Néolithique à la fin de l'Époque gallo-romaine, n'étaient pas de nature domestique, même si elles n'étaient pas toutes de nature identique. Les dépôts subaquatiques de la grotte de Han ont fait l'objet de sélection et souvent aussi de manipulation : nous ne pen-sons pas qu'on puisse identifier le site comme le seul habitat connu  (!) du Seine-Oise-Marne, ni comme l'«  habitat de refuge  » des Champs d'Urnes cher à M.-E. Mariën. Il s'agirait, comme nous l'avons suggéré ailleurs, d'un site où étaient célébrés les rites de la mort, probablement déjà à la fin du Néolithique, assurément encore à la fin de l'Âge du Bronze. Il nous semble, par ailleurs, que les dépôts subaquatiques du Second Âge du Fer, ou ceux de l'Époque gallo-romaine, ne peuvent pas non plus être interprétés comme le produit d'autant de pertes.

Sources

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Leclercq W., 2012. L'âge du Bronze final dans les bassins de l'Escaut et de la Meuse moyenne  : culture matérielle et cadre socio-économique, thèse de doctorat présentée à l'Université libre de Bruxelles.

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Warmenbol E., 2007a. Le dépôt d'ossements humains en grotte aux âges des Métaux en Belgique. Nouvelles questions. In : Barral P. et al. (dir.), L'âge du Fer dans l'arc jurassien et ses marges. Dépôts, lieux sacrés et territorialité à l'âge du Fer, Actes du XXIXe colloque international de l'Association Française pour l'Étude de l'Âge du Fer, Bienne, 5-8 mai 2005, vol. II, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, p. 537-547.

Warmenbol E., 2007b. Un dépôt de mandi-bules humaines dans la grotte de Han-sur-Lesse (Rochefort, Namur). In  : Actes du VIIe Congrès de l'Association des Cercles Francophones d'Histoire et d'Archéologie de Belgique, Congrès d'Ottignies-Louvain-la-Neuve, 26-28 août 2004, vol. 2, Bruxelles, Éditions Safran, p. 641-650.

Warmenbol E., 2009. Natures mortes. Les dépôts subaquatiques de Han-sur-Lesse (Belgique). In : Bonnardin S., Hamon C., Lauwers M. & Quilliec B. (dir.), Du matériel au spirituel. Réalités archéologiques et historiques des « dépôts » de la Préhistoire à nos jours.

XXIXe rencontres internationales d'archéologie et d'histoire d'Antibes, Antibes, Éditions APDCA, p. 143-154.

Warmenbol E., 2013. Un nouvel exemplaire de cuillère en os de type « Han-sur-Lesse », en provenance du site éponyme. Contexte et chro-nologie (B), Notae Praehistoricae, 33, p. 147-152.

Warmenbol E., à paraître a. Les dépôts d'objets métalliques fragmentés du Bronze final dans la grotte de Han (Rochefort, Belgique). « Les mor-ceaux choisis, c'est toujours les morceaux choisis par un autre ». In : Toune B. & Warmenbol E. (éd.), Pezzi scelti. Distruzione e manipolazione di beni tra età del Bronzo e del Ferro : dal riciclo al sacrificio. Atti del Convegno internazionale, Roma, 16-18 febbraio 2012, Rome, Institut histo-rique belge de Rome.

Warmenbol E., à paraître b, La grotte de Han-sur-Lesse au Second âge du Fer, Revue du Nord.

Warmenbol E. & Van Strydonck M., 2011. Quelques dates radiométriques pour les haches à douille (Bronze final) du «  Trou de Han  » à Han-sur-Lesse (province de Namur, Belgique), Lunula. Archaeologia protohistorica, XIX, p. 55-59.

Warmenbol E. & Van Strydonck M., 2012. Quelques dates radiométriques pour les cou-teaux à douille (Bronze final) du « Trou de Han » à Han-sur-Lesse (prov. de Namur, Belgique), Lunula. Archaeologia protohistorica, XX, p. 45-47.