Le théâtre de Valère Novarina, ou la littérature en résistance (2009)

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LA REVUE DES LETTRES MODERNES collection fondée et dirigée par Michel MINARD Éditeur de la Série Écritures contemporaines : Dominique VIART écritures ²contemporaines ²²11 Valère Novarina le langage en scène textes réunis et présentés par FRÉDÉRIK DETUE et OLIVIER DUBOUCLEZ ouvrage publié avec le concours du Centre National du Livre lettres modernes minard CAEN 2009

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LA REVUE DES LETTRES MODERNEScollection fondée et dirigée par Michel MINARD

Éditeur de la Série Écritures contemporaines : Dominique VIART

écritures ²²²contemporaines ²²²11Valère Novarina

le langage en scène

textes réunis et présentés par

FRÉDÉRIK DETUE et OLIVIER DUBOUCLEZ

ouvrage publié avec le concours du Centre National du Livre

lettres modernes minardCAEN2009

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PRODUIT EN FRANCE

ISBN 978-2-256-91148-4

ŒUVRES DE NOVARINA

SIGLES UTILISÉS

ADH L’Avant-dernier des hommes. Paris, P.O.L, 1997.AI L’Acte inconnu. Paris, P.O.L, 2007.AT L’Animal du temps. Paris, P.O.L, 1993.AV L’Atelier volant (repris dans Théâtre [Paris, P.O.L, 1989]).BCD Le Babil des classes dangereuses (repris dans Théâtre [Paris, P.O.L,

1989]).CH La Chair de l’homme. Paris, P.O.L, 1995.DA Le Discours aux animaux. Paris, P.O.L, 1987.DLP Devant la parole. Paris, P.O.L, 1999DV Le Drame de la vie. Paris, P.O.L, 1984.É L’Équilibre de la croix. Paris, P.O.L, 2003.EF L’Espace furieux. Paris, P.O.L, 1997.F Falstafe (repris dans Théâtre [Paris, P.O.L, 1989])I L’Inquiétude. Paris, P.O.L, 1993.JR Le Jardin de reconnaissance. Paris, P.O.L, 1997.JS Je suis. Paris, P.O.L, 1991.LC Lumière du corps. Paris, P.O.L, 2006.LM La Lutte des morts (repris dans Théâtre [Paris, P.O.L, 1989]).OI L’Opérette imaginaire. Paris, P.O.L, 1998.OR L’Origine rouge. Paris, P.O.L, 2000.PLM Pendant la matière. Paris, P.O.L, 1991.R Le Repas. Paris, P.O.L, 1996.S La Scène. Paris, P.O.L, 2003.TDP Le Théâtre des paroles (Lettre aux acteurs, Le Drame dans la langue

française, Entrée dans le théâtre des oreilles, Carnets, Impératifs, PourLouis de Funès, Chaos, Notre Parole, Ce dont on ne peut parler, c’estcela qu’il faut dire). Paris, P.O.L, 1989.

VHT Vous qui habitez le temps. Paris, P.O.L, 1989.

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avant-propos

C’EST au terme d’un long chemin de reconnaissance queValère Novarina s’est imposé comme un auteur majeur dans

le paysage complexe et arborescent du théâtre contemporain :commencé avec la mise en scène par Jean-Pierre Sarrazac deL’Atelier volant en 1974, il a trouvé son aboutissement lors del’entrée au répertoire de la Comédie-Française de L’Espacefurieux en 2006 et la création dans la Cour d’honneur du Palaisdes papes de L’Acte inconnu en juillet 2007. Dans le mêmetemps, les écrits de Novarina ont suscité des interrogations deplus en plus nombreuses et précises au sein des études littéraireset théâtrales. D’abord considérés comme des cas limites, réputésinjouables et inclassables, les textes et les pratiques dramatur-giques de Novarina se sont ouverts à une réflexion positivepermettant d’en mieux saisir l’insurrection linguistique tout enprenant la mesure de la «pensée dramatique» qui s’y déploie1,pour reprendre l’expression de Marco Baschera. Plusieurs collec-tifs et une monographie ont été édités depuis la publication duvolume inaugural Valère Novarina, théâtres du verbe en 2001,lequel, transcendant avec bonheur les champs disciplinaires, amontré qu’un travail à plusieurs voix — une rhapsodie critique,pour ainsi dire — était la forme toute désignée pour dévoiler lesmultiples aspects d’une œuvre si féconde2.

Le présent volume ne se contente pas de reprendre le filconducteur de cette recherche polyphonique. Il s’établit sur unedimension qui, quoique intime à l’écriture novarinienne, estdemeurée jusqu’ici en retrait, celle de son rapport à «l’étranger».Non seulement les langues étrangères sont activement présentesau cœur des textes novariniens, non seulement la langue française

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elle-même apparaît, sous la plume du dramaturge, comme unidiome fantasque et polyglotte, mais en outre l’œuvre de Nova-rina possède une audience considérable au-delà des limites de laseule communauté francophone. Contrairement à ce qu’unelecture superficielle pourrait laisser croire, à savoir qu’un françaissi radicalement mis en pièces, si obstinément renversé, n’estaccessible que dans sa version originale, la langue de Novarinas’est d’emblée imposée comme une «langue en partage», avidede traductions en anglais, en allemand, en italien, en espagnol, encatalan, en portugais, mais aussi en turc, en russe, en hongrois,en grec, en hébreu, en roumain, en slovaque, en tchèque, ensuédois ou encore en serbe3. Ouvrages où la traduction s’entendmoins comme le passage d’une langue à l’autre que comme larévélation «par d’autres moyens» du texte d’origine, en pour-suivant le travail d’invention et d’altération. Si Novarina nousinvite à voir «le langage en scène», il s’agit d’un langage quiignore toute monotonie et qui, en lui et au-delà de lui, fait feude toute parole humaine. C’est cette singulière économie linguis-tique qui s’est trouvée au centre du colloque de février 2005 «Lavoix étrangère de Valère Novarina», organisé à l’Universitéd’État de Moscou (MGU) par le Collège universitaire français deMoscou, en la présence de l’auteur, sous la direction de FrédérikDetue et Katia Dmitrieva. Il a trouvé son contrepoint notammentdans deux spectacles organisés à cette occasion : en français, Le Monologue d’Adramélech de Régis Kermorvant et BastienThelliez, dans une salle de spectacle du MGU, mais aussi, enrusse et en français, Valère Novarina parmi nous (titre provisoire)de Christophe Feutrier, à l’École d’art dramatique d’AnatoliVassiliev4.

La plupart des textes qui sont rassemblés ici sont directementissus de ce colloque; d’autres sont venus s’y ajouter parce qu’ilspermettaient, à partir d’un ensemble de thèmes et de principescommuns, d’en enrichir les propositions. On verra donc se dessi-ner, sous des modalités multiples, une réflexion sur le langage etsur son rapport à la scène : qu’il s’agisse de la scène de théâtreoù le texte de Novarina vient s’incarner, de la scène du langage

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elle-même, plan fondamental où s’épanouit l’écriture et oùs’ouvre, en deçà de toute représentation, l’espace du théâtre, ouencore de la scène du monde, des théâtres politiques, des tragé-dies humaines, des comédies sociales, du «drame de la vie» oùle langage se fait conducteur de la pensée et des passions.

C’est la tension entre l’espace de la parole et l’espace de lascène — ou l’impossibilité de les distinguer — qui a constitué lepoint de départ des réflexions proposées, soit que l’on aborde lamétamorphose de la scène en mettant en lumière la nature «prag-masémiotique» du théâtre novarinien (Marco BASCHERA), soit quel’on cherche la «quadrature» de l’espace scénique à partir desdéterminations picturales et architecturales de la perspective,explicites et actives dans les textes de Novarina (CélineHERSANT). Une telle réflexion sur la mise en scène du langage etsur l’originalité de la dramaturgie et de la théorie du drame quien procède a donné lieu à plusieurs rencontres : avec Artaud etles avant-gardes où la dynamique de la création théâtrale s’estnourrie, dès les années Vingt, de «scissiparité» linguistique etde jeux de langage (Elena GALTSOVA); avec Bataille qui connaît,comme Novarina, la «négativité» vertigineuse de la transgressionet qui, à tout instant, fait l’épreuve paradoxale de ses propreslimites (Désirée LORENZ / Tatiana WEISER). Mais si le théâtre deNovarina demande à être, non pas seulement décrit, mais investipar la pensée, s’il est toujours aussi «théâtre du monde» (KatiaDMITRIEVA), c’est que le langage lui-même ne saurait constituerune totalité hermétiquement close et étrangère au réel. L’étran-geté ou l’“étrangèreté” de ce théâtre n’est pas celle d’un monu-ment magnifique et inopérant qui se tiendrait en face de nous età l’extérieur de nous : par sa passion de l’action négative, de ladéformation et de la rupture, une telle œuvre nous place devantl’énigme d’une réalité qui est à la fois autre et nôtre, incom-mensurable avec ce que nous vivons et pourtant enracinée en celamême. C’est de ce débordement dans le réel, de cette manièreque le théâtre novarinien a de nous toucher qu’il faut alors parler(Didier PLASSARD). Le travail sur la langue est, en ce sens, unforage consciencieux dans la chair du réel, une percée jusqu’au

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vrai monde. La mise en pièces du langage est, au fil de la créa-tion néologique et de sa radicalité poétique, destinée à mettre enlumière notre «maladie humaine» (Nadia BUNTMAN); l’écrituredu nom propre manifeste elle aussi la nécessité de ce bascule-ment, pure génération verbale et en même temps dévoilementd’une réalité anonyme, d’un peuple grouillant et bigarré (OlivierDUBOUCLEZ), tandis que le travail critique exercé contre lesstéréotypes de la communication et les métamorphoses comiquesde la parole du pouvoir font apparaître la dimension politique decet activisme linguistique (Julie SERMON). Ce débordement dansle réel s’opère cependant suivant un rapport dialectique à la théo-rie romantique de la littérature; le théâtre de Novarina est un«théâtre politique», mais marqué par la confrontation de la litté-rature à l’histoire au XXe siècle (Frédérik DETUE). Le volumes’achève par un entretien avec un praticien du théâtre novarinien(Christophe FEUTRIER) : revenant sur son travail de metteur enscène, il se propose, à partir d’un tout autre point de vue, demieux cerner l’anthropologie élémentaire, l’atome de réalité, qui est en perpétuelle variation dans les pièces du dramaturge.

C’est une telle traversée que propose ce volume : une explo-ration de la scène du langage où, mot à mot, s’édifie la scène duthéâtre, en même temps que se tisse avec le monde, c’est-à-direavec nos langues et nos dialectes, quelle que soit leur originehistorique, ethnique, sociale ou politique, un dialogue désorienté.

Frédérik DETUEOlivier DUBOUCLEZ

1. Marco BASCHERA, «Pour une pensée dramatique», pp. 173–82 in Le Théâtrede Valère Novarina : une scène de délivrance, Louis DIEUZAYDE ed. (Aix-en-Provence, P.U.P., «Textuelles», 2004).

2. Valère Novarina, théâtres du verbe, Alain BERSET ed. (Paris, José Corti,«Les Essais», 2001). Depuis ce premier volume collectif, ont paru d’autres étudesimportantes : Le Théâtre de Valère Novarina (op. cit.1); La Voix de ValèreNovarina, Pierre JOURDE ed. (Paris, L’Harmattan, «L’Écarlate», 2004); LaBouche théâtrale : études de l’œuvre de Valère Novarina, Nicolas TREMBLAY ed.

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(Montréal, XYZ éditeur, «Documents», 2005); Olivier DUBOUCLEZ, ValèreNovarina, la physique du drame (Dijon, Les Presses du réel, «L’espace litté-raire», 2005). Citons le numéro de la revue Europe, no 880-881 : “ValèreNovarina”, août-septembre 2002, ainsi que celui de L’Annuaire théâtral, no 42 :“Valère Novarina : Paroles de théâtre”, automne 2007. Voir aussi : Lydie PARISSE,La “parole trouée” — Beckett, Tardieu, Novarina (Caen, Lettres ModernesMinard, «Archives des lettres modernes» 292, 2008).

3. On trouvera le détail des références de toutes ces traductions sur le site trèscomplet et régulièrement actualisé de Valère Novarina :

http://www.novarina.com/livres/livres.html#B. 4. Le spectacle créé par Christophe Feutrier était une lecture scénique; il était

fondé sur un montage de plusieurs extraits de pièces de Novarina, dont la plupartavaient été traduits en russe par Katia Dmitrieva et Natalia Mavlevitch. Les extraitsen russe étaient lus par des acteurs du Théâtre d’art et du Théâtre Tchelovek deMoscou, les extraits en français, par Novarina lui-même.

Le succès de la manifestation artistique et universitaire de février 2005 aoffert en outre à Nikita Chiriaev, metteur en scène et directeur artistique russe duthéâtre de Tambov, de pouvoir recréer Le Jardin de reconnaissance de Novarinaà Moscou (au Théâtre sur Strastnoj Bulvar, le 1er octobre 2005), dans la traduc-tion russe de Katia Dmitrieva, Sad priznanija (Moscou, OGI, 2001).

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LE THÉÂTRE DE VALÈRE NOVARINA,

OU LA LITTÉRATURE EN RÉSISTANCE

par FRÉDÉRIK DETUE

JE voudrais inscrire ma réflexion sur le théâtre de Valère Nova-rina dans le cadre d’un débat actuel, qui concerne la mort, ou

la survie, de la littérature. Ce débat annonce peut-être une contro-verse majeure de ce début de siècle, or l’œuvre de Novarina,souvent considérée comme l’une des plus novatrices de la litté-rature contemporaine, peut l’éclairer de façon décisive.

S’il est vrai qu’avec le premier Romantisme, celui d’Iéna, «lalittérature annonce qu’elle prend le pouvoir»1, on fait le constatdeux siècles plus tard que ce pouvoir, la littérature l’a perdu. Unedoxa sur la fin de la littérature est ainsi en train de supplantercelle sur la fin de la modernité : on procède à une mise en pers-pective de ce dernier discours, qui a pour effet de le réorienter.Tout se passe comme si l’on avait délaissé le projet théoriqued’opposer une littérature postmoderne à une littérature moderne,et que l’on était plutôt enclin à présent à recevoir, après quelquevingt à trente ans pour certains, les travaux de théoriciens telsque Gérard Genette, Tzvetan Todorov ou Jean-Marie Schaeffer.On considère toujours, plus ou moins explicitement, qu’unerupture postmoderne s’est produite vers la fin des annéesSoixante-dix, mais ce qui est nouveau est que l’on ressaisit la période dite moderne à partir du point de départ romantique.On analyse que le Romantisme a donné naissance à l’idée de

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littérature, et que l’échec de la modernité met fin, de fait, à cetteidée de littérature; que la validité théorique de la doctrine roman-tique est devenue discutable et qu’en un sens, l’idée de littératureest désormais anachronique.

Que l’on redécouvre la théorie romantique, alors que, selonTodorov, elle a été «subie passivement, pendant près de deuxsiècles»2, est forcément déterminant pour la réflexion critique etthéorique contemporaine, mais on peut s’interroger sur les enjeuxde cette redécouverte car, au demeurant, la validité de l’idée delittérature romantique est contestée essentiellement sur un planthéorique, sans que l’on se fonde sur les pratiques d’écriture. Oril est problématique de décréter la mort clinique de l’idée de litté-rature si les pratiques d’écriture continuent de la faire vivre. Ontente bien de justifier le regain d’intérêt théorique contemporainpour les genres par le fait que ces pratiques seraient en réalitéplus soucieuses d’inscription générique que d’inscription littéraire,mais l’idée qu’un art d’écrire serait sorti du champ de créationouvert par le Romantisme reste néanmoins à démontrer. Enl’occurrence, quelque grand que soit le souci de Novarina d’écrirevers le théâtre, il apparaît que son œuvre est profondémentmarquée par l’idée de littérature romantique. Je le montreraid’ailleurs en m’appuyant sur les textes les plus réflexifs deNovarina, or l’idée de réflexivité critique dans une œuvre occupeune place centrale dans la théorie romantique. À moins donc deprétendre voir dans cette œuvre une survivance de la littératureaprès sa fin, on doit reconnaître que la théorie romantique estencore active aujourd’hui.

Cependant, et c’est le plus important, cela ne signifie pas quel’on reçoive celle-ci sans la moindre critique. En réalité, la litté-rature n’a pas attendu le sursaut théorique de la fin du XXe sièclepour se critiquer elle-même dans sa détermination romantique.Suivant le Romantisme, il y a une promesse de la littérature dene faire qu’un avec la réalité, ou de se trouver sur le point de laproduire, or, du moment qu’elle a manqué à cette promesse, etau XXe siècle de façon spectaculaire, la littérature s’est interrogéesur son pouvoir; si la phrase d’Adorno sur l’impossibilité d’écrire

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des poèmes après Auschwitz a pu paraître fausse, il reste que,comme le suggérait Adorno après-coup, la littérature a dû s’affronter dialectiquement à ce type de verdict. Ainsi, sansrejeter l’idée de littérature tout uniment, beaucoup d’œuvres,depuis le XXe siècle, entretiennent un rapport complexe auRomantisme. La question n’est pas tant alors de savoir si uneœuvre est porteuse de l’idée de littérature romantique, mais si ellel’est de façon critique ou non. Si un parti pris engage aujourd’huile destin de la littérature, c’est peut-être celui-là. On comprendqu’il concerne l’articulation de la littérature et du politique, orc’est comme si les thèses sur la fin de la littérature visaient à dis-simuler cet enjeu. Si Novarina reçoit la théorie romantique, c’estprécisément qu’elle est pour lui une condition nécessaire pour«faire du théâtre politique sans pour autant singer le réel» (LC,27); mais son œuvre est critique : nous verrons qu’en aucun cas,il ne s’agit d’y faire advenir un âge d’or.

«Quelle chance d’avoir devant, rien.» (TDP, 32)

Que le théâtre de Novarina procède de l’idée de littératureromantique se lit d’abord dans sa forte revendication d’auto-nomie. Quand Novarina écrit que «[l]a scène est au présentd’apparition» (PLM, 7, 14), il donne à entendre que son théâtre estune «libre apparence», au sens où Schiller définissait l’œuvred’art. Se trouve rejetée la contrainte qui rapporte l’apparence àune réalité, et c’est pourquoi cette scène au présent d’apparitionest «une scène qui ne représente rien» (7), n’est «rien d’autreque la représentation d’un trou» (TDP, 114). Le principe classiquede l’imitation, avec lequel le Romantisme rompt, rapportant l’actecréateur à l’être libre, conscient de soi, et non plus à quelque codede représentation, est ici encore battu en brèche, et de la façonla plus radicale qui soit : car il est question d’une «véritable etpensable création à partir du néant»3, dans le sens de la traditionrelativiste qui, en philosophie, nie le monde comme donnépréalable. «Les grandes choses sont faites par ceux qui osenttravailler avec le vide, la nullité, l’inexistence, traversent une

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chute, un effondrement. L’avenir est à ceux qui n’ont pas peurdu vide» (TDP, 79-80), martèle Novarina.

Au commencement, donc, dans ce théâtre, on peut dire qu’iln’y a rien. Le premier événement, c’est quand apparaît l’acteur :«[...] c’est, pour ainsi dire, la condition de possibilité du drame,action qui est à la racine de toute action : se montrer.»4. SiNovarina ne veut pas d’un théâtre «de la mysancène et dumétheuranscène», s’il n’écrit pas «pour, mais vers le théâtre,avec l’acteur comme objet de désir» (TDP, 31), c’est que, fonda-mentalement, il s’agit ici de prendre le drame à sa racine, et quec’est seulement quand l’acteur entre sur scène que le drame peutse produire. Or cela implique que la revendication d’autonomiese fonde, comme dans le Romantisme, sur une conception dulangage poétique — et précisément sur une conception roman-tique du langage poétique. Le drame ne commence pas en effetavec l’entrée sur scène de l’acteur, car rien n’est, non seulementhors de l’acteur, mais encore en lui : celui-ci doit entrer sur scène«en ayant tout perdu» (PLM, 14), doit «retire[r] tout le théâtre delui en entrant» (12); il est alors comme «un homme portant soncorps devant soi» (13). Cependant, l’acteur va se mettre à parler,et c’est là que le drame commence — dans l’action de parler elle-même.

L’acteur est «le seul endroit où ça se passe» (TDP, 18), c’esten lui que se joue le drame, parce que «le théâtre vient rappe-ler que parler est un drame» (PLM, 9), et que l’acteur est préci-sément celui qui «enten[d] que parler est un drame» (8). Prendrele drame à sa racine, c’est ainsi chez Novarina constammentmettre en scène «le mystère de parler [qui sépare l’homme del’animal]» (DLP, 13), «le mystère verbal [qui est plus que tout ausecret de la matière]» (37), et, dans ce sens, on peut bien parlerd’une sacralisation novarinienne du théâtre héritière du roman-tisme, car c’est le Romantisme qui a théorisé la fonction exta-tique de la littérature, censée révéler des vérités transcendantes,inaccessibles aux activités cognitives profanes.

Tout vient de ce que, pour Novarina comme pour les Roman-tiques, «[l]e messie c’est la parole» (DLP, 34). Il s’agit de répé-

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ter le geste romantique à l’origine de l’idée de littérature et dedénoncer l’enseignement des «sciences communicatives», quivéhiculent une «image mécanique et instrumentale du langage»(14). Novalis soulignait déjà que «[c]’est une erreur prodigieuse-ment ridicule que cette opinion des gens, qu’ils parlent en fonc-tion des choses» (p. 435), et Novarina de renchérir : «Parler n’estpas communiquer. Parler n’est pas s’échanger et troquer — desidées, des objets —, parler n’est pas s’exprimer, désigner, tendreune tête bavarde vers les choses, doubler le monde d’un écho,d’une ombre parlée» (DLP, 16). Pour les Romantiques, l’histoiredu langage suivant cette conception mécanique et instrumentaleétait celle d’une décadence; «le langage passe de la pure expres-sion à l’usage en vue de la représentation; mais quand l’arbi-traire devient son caractère dominant, la représentation, c’est-à-dire la connexion du signe avec le désigné, disparaît»6, analy-sait A. W. Schlegel. Or, pour Novarina, force est de redécouvrirau présent que le langage se révèle comme obstacle s’interposantentre le sujet et le monde, et interdisant une saisie «directe» dece dernier, car c’est comme si la vocation entropique du langagese précipitait, dans un «temps où le matérialisme dialectique,effondré, livre passage au matérialisme absolu» (14) : l’image quedonne le dramaturge de «notre actuel français littéraire plat,linéaire B», de «cette petite langue française guindée de laradio, qui est comme une petite bourgeoise qui s’étrique, unpauvre petit idiome laïc, un espéranto de plus en plus étroit»(TDP, 154), est particulièrement frappante, à cet égard.

Suivant Novarina, l’enjeu romantique de rendre le langage «denouveau poétique», en opposant à son «pôle représentatif, réfé-rentiel et où les signes sont arbitraires [...] un pôle expressif,autotélique et motivé» (p. 247), demeure donc plus que jamais d’actualité — en tout cas, si nous ne voulons pas «deven[ir]muets à force de communiquer», «enfin égaux aux animaux [qui]n’ont jamais parlé mais toujours communiqué très-très bien»(DLP, 13). Par opposition à l’image mécanique et instrumentale dulangage, il faut considérer, avec Novalis, que le propre du langageest «qu’il ne se soucie simplement que de lui-même», et cela,

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non pas parce qu’il est un jeu autosuffisant, mais «parce qu’ilest déjà en lui-même expérience de monde et texte de savoir,parce qu’il dit lui-même, avant nous, cette expérience» (p. 435),parce que, à l’instar des formules mathématiques, il exprime dansses jeux internes le jeu singulier des rapports entre les choses.«[Les mots] en savent plus que nous; ils ont résonné bien avantnous; ils s’appelaient les uns les autres bien avant que nous nesoyons là» (DLP, 15), écrit Novarina, et il expose ainsi ce pour-quoi il entend «pratiqu[er] la littérature non comme un exerciceintelligent mais comme une cure d’idiotie» (TDP, 72). Il faut sedéfaire de l’idée que l’on peut «être, par la langue, le maître deschoses» (71) et «désapprendre, ne plus parler la langue qui dicte,qu’on nous a dictée» (67), car, bien qu’elle distingue l’homme del’animal, «[t]out au fond, la parole n’est pas humaine» (DLP, 20),elle «nous est étrangère» (PLM, 10), et c’est avec cette parole quin’a rien d’humain que la littérature doit renouer.

Tel est le projet à mettre en œuvre : se soucier moins de «ceque par [le langage] nous croyons pouvoir exprimer [que de] cequi en lui se communique»8, pour le dire dans les termes deWalter Benjamin. «Ce “se” est une essence spirituelle», ajoutecelui-ci, et en effet, la théorie romantique ne pense pas le langagepoétique autrement que comme l’expression d’une subjectivitétranscendantale, la manifestation de l’âme du monde. Or c’estbien ainsi que l’entend encore Novarina. C’est ce qui s’affirme,d’abord, dans l’enchaînement d’idées qui énonce que «[r]ienn’est sans langage» (DLP, 33), que «[t]oute la matière repose surla parole» (PLM, 28), que, donc, «l’homme n’[est] pas dans unmonde, mais dans une langue, jeté» (TDP, 80) et que «le langageest le lieu d’apparition de l’espace» (DLP, 19). On reconnaît dansces propositions l’image, chère aux Romantiques d’Iéna, de lanature comme poème écrit en un langage chiffré, leur credo méta-physique suivant lequel tout réel est un être pensant : c’est sur«[l]’enchaînement mutuel de toutes choses par une symbolisationininterrompue [que] repose la première formation de la langue»(p. 3459), soutient A. W. Schlegel; il y a une puissance de langageimmanente à tout, qui vient de ce que tout réel effectif se

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dédouble, est symbole pour lui-même (en révélant son essencepar la manifestation), exprime, en se présentant, l’esprit qui l’aproduit. Or ce credo est au fondement de la théorie romantiquedu langage poétique, car le travail littéraire se définit alorscomme «recréation de la langue [originaire]» (p. 3459) : c’est àla littérature qu’il revient de faire venir au jour l’enchaînementmutuel de toutes choses par une symbolisation ininterrompue. Onretrouve ainsi chez Novarina l’idée que la tâche de l’écrivain estd’imiter la natura naturans, que la liberté subjective de l’écrivains’identifie, de façon contradictoire, à la formation objective d’unEsprit en devenir. «Pour remplir l’étendue, la nature doit répé-ter à l’infini chacune de ses combinaisons originales : toujourset partout le même drame, le même décor, sur la même scèneétroite» (OR, 9), dit un personnage de L’Origine rouge, or c’estce drame de la vie naturelle — cette «infinité de la connexion»10

qui est «pure expression» — qui sert de modèle à la créationdramatique selon Novarina. C’est dans ce sens que celui-cirappelle l’exigence d’«[e]ntendre poiein dans poésie et que lapoésie est le passage à l’acte» (PLM, 76). Car, suivant l’ontologieesthétique du Romantisme d’Iéna, qui identifie le dire et le faire,«[l]e langage poétique n’est plus parole qui porte sur le Monde :l’Univers s’y dit, et se disant se fait» (p. 267).

«Montrée de la matière du dramedans la langue, appel au crime.» (TDP, 30)

On a bien affaire, dans un sens, à ce qui fait le propre del’idée de littérature romantique, et qui, selon Jacques Rancière,se fonde dans «l’identité d’une démarche consciente et d’uneproduction inconsciente, d’une action voulue et d’un processusinvolontaire, en bref [dans] l’identité d’un logos et d’un pathos»(p. 3111). Ce n’est pas à son terme que l’œuvre se détache de soncréateur, mais dès son commencement, car, dès lors qu’on sefrotte au langage pour créer, on éprouve nécessairement qu’«au-dedans de nous est le plus étranger» (PLM, 36), que «l’intérieurest le lieu non du mien, non du moi, mais d’un passage, d’une

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brèche par où nous saisit un souffle étranger» (DLP, 14-5), c’est-à-dire que «la parole existe en nous, hors de tout échange, horsdes choses, et même hors de nous» (15), que «[n]ous ne sommespas des parlants, mais des animaux parlés, des êtres inanimésà qui la parole parle» (PLM, 10). Il y a ainsi, dès le commen-cement, «solidarité entre le caractère poétique du langage etson caractère chiffré», non pas au sens où ce chiffrage seraitla dissimulation de quelque science secrète, mais en ce qu’«[i]ln’est finalement rien d’autre que l’inscription du processus mêmepar lequel [la] parole se trouve produite» (p. 3011). Or on peutreconnaître à partir de là que le théâtre de Novarina répond, sansdoute le plus radicalement possible, à l’exigence romantique defaire œuvre en visant «le pur langage» (p. 25112) — cet «incom-municable» qui est aussi «Révélation» (p. 25812).

Revenons ici sur la question que pose souvent l’inventionlinguistique si caractéristique des drames de Novarina. Commecelui-ci le rappelle dans un essai, si notre condition d’animauxparlés fait que nous sommes jetés dans une langue, cette langueest en ce qui le concerne le français :

La langue française est mon suaire. C’est le suaire dans lequel je suis né.Lange, suaire, la langue française, je suis dedans. C’est le tissu où j’ai vécu.La chair où j’ai été pris. La chair qui m’a pris. (TDP, 80)

Pourtant, le moins qu’on puisse dire est que cette langue fran-çaise paraît bien méconnaissable, dans le théâtre de Novarina. Àce propos, celui-ci invoque l’exemple de Rabelais, qui lui rappelleque «ce français qu’on dit parfois inaccentué, raisonneur etguindé, est une langue très invective, très germinative, très native,très secrète et très arborescente, faite pour pousser» (TDP, 153),et l’on comprend donc qu’il s’agit de mener une guerre révolu-tionnaire contre la langue amène et lisible de l’échange commu-nautaire, contre le caractère mortifère du «français civique,médiagogique, morse inodore plat» (154), de façon à redonner vieà cette langue, à la faire de nouveau respirer. «Pourpre, ardente,mortelle est la loi de la révolution» (p. 15113), et en effet, dès laphase d’écriture théâtrale, le dramaturge «ne cherch[e] pas à

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dominer le français, le posséder, mais au contraire à l’empirer,à le mener à sa fin» (TDP, 67); mais la loi de la révolution estdialectique, la mort qu’elle provoque «est destinée à concevoirune vie nouvelle, un astre» (p. 15113) : «j’ai toujours voulu ache-ver pour que ça recommence tout le temps, l’achèvement de toutest un appel» (PLM, 18), précise Novarina, et c’est confirmer que«[l]’écriture est résurrectionnelle» (TDP, 154), en définitive.

Cependant, il faut bien voir que, dans cette expérience laby-rinthique de mort et de régénération, l’enjeu n’est autre que deviser le pur langage, et très exactement d’adopter le point de vuedu pur langage — de ce que Novarina appelle la parole le plussouvent, ou encore, confondant littérature et texte sacré, le verbe.Le dramaturge se donne pour tâche, dans ce sens, la tâche queBenjamin confiait au traducteur. Il évoque «une lutte depuistoujours entre la parole et les idoles» (DLP, 17), or, s’il s’attaqueà la langue comme il le fait, non sans cruauté, s’il peut aller,comme écrit Roland Barthes, «jusqu’à jouir d’une défigurationde la langue»14, c’est que les mots eux-mêmes, «une fois arrê-tés, coupés de notre souffle, hors de notre corps qui les respire,de notre amour qui les porte, hors du drame de les parler, [...]deviennent des idoles» (35), et qu’il faut donc les briser et lesrenverser. Il s’agit de révéler, par une activité ironique, une désar-ticulation essentielle dans la langue, devenue matière pour la mort«parce que le langage s’en est retiré» (33), et, par l’action duverbe, de «lib[érer] [la] langue des mots» (23).

Si les mots deviennent des idoles, c’est que la langue se chargedu sens, lourd et étranger, or il faut rompre avec l’hypothèse d’uncontenu communicable qui se distinguerait rigoureusement del’acte linguistique de la communication, car «[n]ous parlons dece qu’on ne peut nommer» (DLP, 29), et «ouvrir par notre boucheun passage dans la mort» (28). Débarrasser la langue de tout cesens dont elle s’est enrichie en ouvrant un passage dans la mort,c’est alors partir à rebours de son évolution, remonter dans letemps de la langue, de façon à rejoindre «le monde des languesen fusion» (TDP, 70). On comprend ici ce qui contribue essentiel-lement à rendre le français méconnaissable dans ce théâtre :

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Novarina parle d’écrire «en français crépusculaire, en languenaissante» (77), et tout se passe en effet comme si le drame dela parole dans ses pièces consistait dans la mort de cette languenationale qu’est le français et dans sa régénération comme langueindistincte quant à sa nationalité. Car, «[n]’importe quel motcont[enant] toutes les langues» (PLM, 22), la remontée dans letemps de la langue tend à montrer plus nettement la parenté deslangues dont parle Benjamin : ainsi la finalité de la traductionselon celui-ci, qui est d’«exprimer le rapport le plus intime entreles langues» (p. 24812), devient-elle une finalité dans le théâtre de Novarina, qui fait apparaître que le français, «c’est à la foisdu grec de cirque, du patois d’église, du latin arabesque, del’anglais larvé, de l’argot de cour, du saxon éboulé, du bataved’oc, du doux-allemand, et de l’italien raccourci» (TDP, 153).

sens du chaos, théâtre de la déformation

Élargir et approfondir sa langue maternelle en la rendant à sondevenir-transnational, à la façon d’un traducteur, c’est, suivant laréflexion de Benjamin, faire signe vers «un lieu promis et inter-dit où les langues se réconcilieront et s’accompliront» (p. 25212),— vers un lieu utopique d’avant Babel, mais à venir. C’est là uneversion benjaminienne, au début des années Vingt, du mytheromantique de l’âge d’or, or la question se pose de savoir ce qu’iladvient exactement de ce mythe chez Novarina. Car, si la théo-rie romantique de la littérature a fait l’objet d’une critique au XXe siècle, c’est essentiellement à cause de ce mythe. Le Roman-tisme se définissant en premier lieu par son refus de l’inconciliéopposé à la modernité, sa théorie de la littérature vise l’avène-ment d’une nouvelle époque ontologique : dans son idée, contreles divisions et autres scissions du monde moderne, la littératureest capable de faire advenir un âge de l’unité et de l’harmonieuniverselle. Or, au XXe siècle, il est apparu que le projet, inéditen politique, de faire advenir une nouvelle époque ontologique aproduit des régimes totalitaires : «nazisme et communisme annon-cent la résolution des conflits qui déchirent le monde moderne et

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ont toujours déchiré, sous une autre forme, l’humanité» (pp. 199-20015). C’est ainsi une préoccupation politique qui a conduit unelittérature à se démarquer de la tradition romantique : dès lorsqu’on s’engageait ou se sentait engagé contre le totalitarisme, onne pouvait en effet s’inscrire sans la dialectiser de façon critiquedans une tradition qui avait conditionné sa possibilité.

Est-ce à dire, alors, que «le messianisme, cœur du roman-tisme»16, demeure à l’œuvre dans le théâtre de Novarina dansl’ignorance de cette tradition critique du XXe siècle? On peutanalyser que c’est très discutable, en réalité.

Il est bien question d’une réunion de l’homme au monde, pour-tant. Quand Novarina dit que «[l]e messie c’est la parole» (DLP,34), il entend par là que «[l]’univers et nous, nous sommes réunisdans l’ins-temps parlé» (31), en effet. Car, certes, «[l]e langagen’a pas de prise, il se débat avec l’espace, il chasse et ne peutcapturer» (22-3), mais il reste qu’à défaut de pouvoir nommer,«la parole appelle» et qu’en conséquence nous sommes «desanimaux de prophétie» (24); «[t]out ce dont nous disons le nommanque» (25), et le désir du mot que la chose soit ne peut qu’êtreincessamment déçu, mais, dans ce temps de l’appel où «[l]e motdit à la chose qu’elle manque», où «il tient réunis dans un mêmesouffle son être et sa disparition», la chose est tout de même«devant nous» (33) : «[n]ous entendons dedans les mots leschoses en suspens, le monde suspendu à nos lèvres», de sorteque «[n]ous sommes réunis au monde par un suspens àl’intérieur des mots» (30).

La réunion de l’homme au monde chez Novarina, autrementdit, repose sur ce monisme ontologique dont il a été question plushaut et suivant lequel, «[c]omme dit Jean : “L’être et la penséene font qu’un”» (TDP, 128); elle implique «que le monde exté-rieur est à l’intérieur de nous et que, contrairement aux animaux,nous passons au monde par-dedans», dans la mesure où «le réelest un langage» et où «[n]ous n’approchons du réel qu’enrejouant son drame parlé» (PLM, 82-3); elle se produit avec «lerangement absolu de tout et l’apparition soudain de l’universdans une langue ordonnée» (DLP, 35-6). Cependant, malgré cette

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dernière formule, on ne peut pas dire qu’advient dans cette œuvre une nouvelle époque ontologique, au sens d’une fin del’histoire qui résoudrait tous conflits et constituerait ainsi une èrede repos.

Novarina reprend l’idée de Friedrich Schlegel que «[s]eule estun chaos la confusion d’où peut jaillir un monde»17; il a cettevision romantique d’un «univers [...] sans repos» (DLP, 33), où«tout est désordre à voir» (36), et il conçoit à la façon roman-tique un langage poétique dynamique qui possède le sens duchaos, capable de procéder à une représentation positive duTout : «[d]escendre au chaos entendre ce qui l’ordonne» (PLM,54), programme-t-il ainsi. L’image qu’il donne alors de cette«descente au chaos» est celle d’une grande destruction, car «[l]eréel n’apparaît un instant qu’à celui qui le déchire» (DLP, 22), etla destruction est double, la parole «frapp[ant] le monde exté-rieur comme un fouet, [non] pas simplement, naturellement —comme une arme, un outil —, mais après s’être renversée etretournée contre elle-même en suivant son chemin négatif» (23-24). Mais le réel apparaît donc, «soudain et surgi, déchiré et nonpas dévoilé» (22), dès lors qu’on est parvenu à «[p]orter la néga-tion jusqu’à la joie d’avoir nié jusqu’au oui» (PLM, 51).

Cependant, on peut observer que la réunion de l’homme aumonde s’opère ainsi dans une tension dialectique irrésolue d’éloi-gnement et de rapprochement, de disparition et d’apparition, denégation et d’affirmation, et qu’elle ne peut donc pas être confon-due avec quelque forme de réconciliation. La condition d’êtredans le langage, commune à l’homme et au monde, permet àl’homme d’entendre par instants un ordre dans la matière, de voir«par aperçus fulgurants» (DLP, 22) une «gloire du réel non faitepour nos yeux» (35), et ces instants où l’on nie jusqu’au oui sontune délivrance. Mais cette expérience intérieure «qui fait peur»(36) relève donc d’une temporalité du kairos qui fait de l’hommeune sorte de phœnix; «les mots [...] nous mènent au mystère etmeurent, naturellement brûlés par notre souffle, dans la mêmecombustion que nous et en passant par nous» (29), de sorte quela parole ne doit jamais cesser de suivre son chemin négatif, qu’il

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faut toujours de nouveau conduire la parole «jusqu’au seuil etjusqu’à l’envers des mots» (25).

Tout étant «un renouvellement perpétuel de paroles» (PLM, 97),«dans un drame non réconcilié» (49), jamais l’ordre qui apparaîtpar instants ne peut prendre forme, et c’est pourquoi la littératurede Novarina est fondamentalement un théâtre de la déformationet/ou de la forme en gestation. Ce qui prend forme, c’est ce queNovarina appelle l’être, ou encore l’idole, et qu’il associe àl’image de la mort ou de la prison, or c’est ce que la parole dansses œuvres a vocation à combattre; de ce point de vue, le partipris du théâtre se révèle décisif, en déplaçant complètement laproblématique romantique de l’œuvre. Le problème des Roman-tiques, c’est que le Tout à représenter positivement dans l’œuvreest infini mais que l’œuvre, elle, est nécessairement finie; de làvient la théorie du fragment, liée à celle de l’ironie, suivantlaquelle l’œuvre doit comporter un «Witz architectonique», desorte qu’«en dépit de toute complétude quelque chose paraissemanquer, qui serait comme arraché»18 : même de façon para-doxale, en témoignant d’une impossibilité, l’œuvre doit «mett[re]l’apparence du fini en relation avec la vérité de l’éternel et[faire] que la première se fond[e] dans la seconde» (p. 297). PourNovarina, l’achèvement de l’œuvre est également lié à la ques-tion de la finitude; le dramaturge est quelqu’un qui se dépense«jusqu’aux derniers soubresauts» (TDP, 34), «quelqu’un qui setue en parlant» (68), et quant à l’œuvre, privée du souffle de sonauteur, ou plutôt de son «acteur» (85), elle meurt elle aussi plutôtqu’elle ne naît en se matérialisant. Mais d’aucune façon, alors,l’œuvre dans sa clôture ou son inachèvement n’est censée signi-fier le Tout; loin que le réel s’y déplie, elle entre dans le sommeilde la matière, n’est plus qu’une étendue de lettres mortes; elleprend forme comme l’on se fige dans la mort et elle «est enattendant», «[t]outes les formes [étant] des formes de l’attente»(PLM, 107).

Novarina écrit ses œuvres vers le théâtre parce que «[t]out cequi est écrit va toujours, veut toujours retourner à nouveaujusqu’au souffle et demande à se croiser une nouvelle fois à un

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parlant, à un qui appelle» (PLM, 66), et que le théâtre, «qui estle lieu où la parole revit» (7), offre aux œuvres de renaître «del’intérieur des acteurs» (67), de se réveiller du sommeil matéria-liste où elles ont fini par sombrer (et où elles retournent à la finde chaque spectacle). L’auteur est acteur de ses textes en écri-vant, or l’acteur qui joue ces textes, lui, «n’est pas un interprète»(TDP, 22); «[l]e texte devient pour [lui] une nourriture, un corps»,et son travail consiste donc à «[c]hercher la musculature dec’vieux cadavre imprimé, ses mouvements possibles, par où ilveut bouger; [à] le voir p’tit à p’tit s’ranimer quand on luisouffle dedans, [à] refaire l’acte de faire le texte, [à] le ré-écrireavec son corps» (20). Le parti pris du théâtre, fondamentalement,engage chez Novarina une transmission, laquelle pose la questionde l’humanité de l’homme en des termes qui ne sont plus roman-tiques.

transfiguration humaine et transmission

Le théâtre de Novarina donne l’idée de ce qu’il peut advenirde l’œuvre d’art totale — Gesamtkunstwerk — après le totalita-risme. L’expression lui convient encore, non seulement en raisonde son ambition cosmologique en elle-même, mais du fait, enoutre, que celle-ci passe par une volonté toute romantique desynthétiser les arts; l’importance, notamment, que Novarinaaccorde à la musique et à la peinture dans ses textes, l’analogiefrappante qu’il fait entre ces pratiques et son écriture poétique, lacorrespondance qui s’établit entre sa propre pratique picturale etcette écriture, sont autant d’éléments qui mériteraient un examenparticulier, à cet égard. Cependant, tout se passe comme si le senspolitique attaché depuis le Romantisme — et spécialement depuisWagner — à la notion d’œuvre d’art totale se trouvait brisé etrenversé.

D’abord, loin de fantasmer une fin de l’histoire, le théâtrenovarinien vise à interdire une telle issue, proprement catastro-phique : Novarina y insiste, «[l]a fin de l’histoire est sansparole» (DLP, 13), tandis que «[l]e théâtre est le dénouement de

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la parole dans l’espace» (PLM, 42). Ce qui est censé advenir authéâtre, «c’est une pensée qui se retourne, une parole quiremonte, un contre-temps, une utopie, uchronie, une utopie dutemps, une île imaginaire du temps» (TDP, 78), mais ce «contre-temps» est précisément tout le contraire d’une fin du temps.Fantasmer une fin de l’histoire, c’est viser, comme le pouvoirtotalitaire, «à s’enfermer dans une citadelle à l’abri des atteintesdu temps» (p. 20415), or le théâtre de Novarina se donne pour voca-tion, a contrario, d’exposer entièrement aux atteintes du temps.Le dramaturge de Novarina «croit être du temps, parler avec sonpropre temps, être le temps qui s’écoule en parlant» (TDP, 68),c’est pourquoi il est quelqu’un qui se tue en parlant. Le tempsest parole, la parole est temps, et la parole et le temps sont pureaffection, un mouvement qui s’oppose à tout processus d’identi-fication et défait toutes les identités. «On entend dans le verbe,dans l’action du verbe, que tout est non pour être mais pour êtredélivré» (DLP, 23), et on peut donc dire que, comme le temps est«le mouvement venu délivrer la matière» (PLM, 37), la parole vient«libérer la matière de sa présence morte» (23).

Le «spectacle de la transfiguration humaine» (PLM, 7) qu’offrealors le théâtre de Novarina est résolument antitotalitaire. S’en-fermer dans une citadelle à l’abri des atteintes du temps passepar le fait de construire une figure qui incarne une loi immuableet qui s’étende à la société tout entière; c’est ainsi que, dansles programmes visant à la construction d’une œuvre d’art totale,«la réunion ou la synthèse des arts jusqu’alors séparés et auto-nomes se donnait à la fois pour condition et pour but le ras-semblement d’un peuple dans la fabrication d’une œuvre com-mune qui, une fois achevée, se confondrait entièrement avec lavie de ce peuple» (p. 3519); et c’est ainsi que, dans une conti-nuation du projet d’œuvre d’art totale, le projet totalitaire vise àproduire l’homme nouveau, figure et mythe d’«un grand corps,tout à la fois organique et mystique, [lui-même] métaphore d’uncorps politique homogène et dont la finalité, en tant que tota-lité, lui est absolument présente — à lui-même et dans toutesses parties» (p.3519). Par opposition, l’exposition aux atteintes du

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temps fait apparaître que «nous sommes au-delà de nos noms,au-delà de nos images» (PLM, 66) et que, du coup, «[o]n ne pro-testera jamais assez contre ce nom qui nous est donné : ce qu’onappelle un homme mais qu’on devrait appeler autrement» (65) :

[...] il nous faut toujours renaître à nouveau, être sans nom et protestercontre toutes les manières dont nous sommes représentés, protester contrela figure humaine, contre toute science de l’homme, [...] briser sans cesseles images qu’on veut faire de nous, [...] refuser toujours de porter notrenom. (PLM, 66)

Le théâtre, comme épreuve du temps, de la parole, vient rappe-ler «que l’homme, ça se réinvente tout le temps, que ça se refa-brique chaque soir avec des paroles, que ça se déconstruit perpé-tuellement et refait» (TDP, 116), et, par une syllepse de sens, onpeut donc entendre que, toujours, «toute la pièce tend vers lesalut [de l’homme]» (PLM, 69). Il s’agit bien de sauver l’homme,puisque, parmi les animaux, il est «le seul vraiment en viande etqui parle, le seul troué par la parole» (TDP, 129), mais qu’à forced’oublier que parler est un drame, il tend vers un devenir-muet.Cependant, il s’agit de sauver l’homme en montrant qu’il n’y apas de limite à la destruction de l’homme, de sauver l’homme,autrement dit, comme ce qui reste après la destruction del’homme : parce que, loin de déterminer une essence de l’humain,le fait d’être troué par la parole fait de l’homme «l’être quimanque à soi, consiste seulement dans ce manquement et dansl’errance qu’il ouvre»; «parce que le lieu de l’homme estscindé, parce que l’homme a lieu dans la fracture entre le vivantet le parlant, entre non-humain et humain»20. Or cette compré-hension de ce que l’homme a lieu dans le non-lieu de l’hommedonne l’idée d’une différence, au regard de laquelle les hommesne peuvent au mieux former qu’une «communauté négative»21.

Ce qui est commun aux hommes, c’est la parole, qui non seu-lement leur vient d’ailleurs — «de la nuit» (PLM, 26) — maisencore les «porte ailleurs» (DLP, 27); c’est donc quelque chosequ’ils ont reçu mais qui ne leur appartient pas et qu’ils nepeuvent s’approprier, non quelque chose en plus mais «quelque

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chose en moins» qui les «dou[e] d’un manque» (PLM, 63),quelque chose enfin qui les traverse, les troue, de sorte qu’aufond d’eux-mêmes, «il n’y a personne», et qui les voue parconséquent à un devenir-indiscernable, en les «ouvr[ant] pardedans» (120). Dès lors, le souci humain de parler, d’attendre laparole, provoque, comme chez l’acteur, «[une] très grande honted’être» (113), de sorte qu’on n’a de cesse de «sort[ir] d’iden-tité» (TDP, 120) et d’«enlever ses vêtements humains» (118). Laliberté se pense chez Novarina à partir du point humain, maiselle n’est pas comme dans le Romantisme le fait d’un Moi libre,conscient de soi, dans l’exercice de sa puissance; elle consisteau contraire à refuser de porter le nom d’homme, à «[a]ller dansl’au-delà du moi» (PLM, 52), à se débarrasser, en soi, du sujet.Et, dans un sens, être «négateur d’homme» (TDP, 125), c’estdétruire, avec l’homme, toutes les formes instituées de domina-tion qui le capturent en société, à commencer par celles quis’exercent sur son corps22 : parce que tel est le caractère des-tructeur de la parole. Mais être «négateur d’homme», c’estaussi, dans le même temps, «entr[er] en solitude face à tous»(120), dans l’état au monde le plus nu, et c’est ainsi sembler vouéà une condition de paria politique, tel l’acteur qui paraît surscène «par arrachement à soi, toujours comme un étranger, unexilé et comme tombé de son vrai lieu» (PLM, 73). Or quelle com-munauté demeure possible dans une posture si radicale?

La question est d’importance, pour conclure, car il y va dela question de savoir comment, par-delà les totalitarismes du XXe siècle, la littérature peut s’articuler au politique en réinves-tissant l’utopie d’une vie commune. Que la figure de l’acteur quise dégage du théâtre de Novarina tende en dernier ressort à seconfondre avec celle du paria politique n’est déjà pas indifférent,puisque celle-ci est par excellence la victime du régime totalitaire.Un enjeu des témoignages issus des camps réside selon JeanAméry dans une transmission telle que le lecteur «devienne leprochain de la victime»23, or la littérature critique du XXe siècledoit au témoignage d’avoir redéfini son rapport au politique pré-cisément depuis cette position de victime ou de prochain de la

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victime. L’acteur novarinien, que l’écrivain décrit à l’occasioncomme «le plus grand de tous les désespérés qui soient» (TDP,117), apparaît bien ainsi comme un tel prochain de la victime,devant sur scène reconstruire un rapport au monde et aux hommesà partir d’une «expérience d’absolue non-appartenance aumonde», laquelle «est l’une des expériences les plus radicales etles plus désespérées de l’homme»24.

Or cette reconstruction d’un rapport au monde et aux hommespasse, comme dans le témoignage, par une transmission. Car, sil’expérience de la parole est celle d’«une séparation» (DLP, 22)— l’arrachement à soi en parlant défaisant de toute identité etdéliant de toute appartenance —, une communauté humaine peutvenir du partage de ce qui sépare — venir de ce que, «dans ladépense de la parole, quelque chose de plus vivant que nous setransmet» (23). C’est ainsi que l’écriture théâtrale de Novarina sedestine : par opposition à l’image romantique de l’œuvre closesur elle-même et pour laquelle la référence au récepteur se révèleinutile25, l’image qui lui convient est celle — forgée par OssipMandelstam et Paul Celan — de l’œuvre comme «bouteille à lamer» mettant le cap vers un possible destinataire26. L’idée quela parole est «[n]on quelque chose qui émet mais quelque chosequi reçoit» (PLM, 25), que l’on «jette ses mots comme des caillouxdivinatoires, comme des dés lancés», non «pour s’exprimer»mais «pour entendre» (DLP, 30), va dans ce sens. Un modèle decommunication se substitue ici à celui suivant lequel la paroleéchange du sens; à rebours de cette idée de la communication,il s’agit de penser que la parole «ouvre un passage», qu’elle«passe entre nous comme une onde», et que, ce faisant, «[c]’estle don de parler qui se transmet; le don de parler que nousavons reçu et qui doit être donné» (27).

Parler, c’est découvrir un abîme en soi par lequel on tend àdisparaître, mais, comme ce «secret de [notre] passage par laparole» (DLP, 27) se transmet, on peut dire de l’homme commedu monde : que «[c]’est d’une disparition [qu’il] est apparu»(PLM, 28). C’est ce qui se produit entre l’écrivain et le lecteur(mais aussi bien entre l’acteur et le spectateur) : «[e]ntre les

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deux, en lisant, en écrivant, il se produit de l’homme, il naît del’homme en parlant» (TDP, 154). La parole est toujours «la tracedu mystère d’autrui» (PLM, 10), et, en tant que telle, «par d’autresvoies, d’autres circuits, d’autres parties du cerveau que celles parlesquelles nous communiquons d’habitude» (71), elle émet donctout de même quelque chose : elle est même une telle «émissionsans cesse de figures humaines» (106) que s’y abandonner amèneà «[b]ruire comme une peuplade à soi tout seul» (104).

Novarina propose un «[p]ortrait des artistes en donateurs»,car ils sont «[c]eux qui offrent ce qui ne leur appartient pas»(PLM, 119), or ce qui ressort de leur économie du don, c’est endéfinitive que «nous sommes le sens, dans le partage de nosvoix»27, et que par conséquent le sens de la communauté sedégage d’une expérience de l’altérité. Le partage de nos voix,c’est en effet l’expérience commune d’une sortie hors de soi, parquoi l’on forme une communauté de ceux qui n’ont pas decommunauté; au théâtre, outre l’acteur qui sort de soi, «il y atout un jeu, un très grand travail, tout un voyage du spectateurhors de lui» (47). Et c’est encore l’expérience commune d’un sensinappropriable, soit d’un dissensus irréductible — loin de toutconsensus éthique —, par quoi l’on forme une communautédémocratique, irréconciliable, d’êtres divisés :

Les sens se croisent en tous sens comme des flèches lancées d’arcscontradictoires. On frôle joyeusement le chaos, le tohu-bohu; on voits’ouvrir des espaces sous les pieds qui font peur. (LC, 38)

1. Maurice BLANCHOT, L’Entretien infini (Paris, Gallimard, 1995), pp. 515–27 :«L’Athenaeum» (p. 520).

2. Tzvetan TODOROV, Préface, pp. 9-10 in Jean-Marie SCHAEFFER, La Naissancede la littérature : la théorie esthétique du romantisme allemand (Paris, P.É.N.S.,«Arts et langage», 1983) (p. 10).

3. L’Absolu littéraire : théorie de la littérature du romantisme allemand, texteschoisis, présentés et traduits par Philippe LACOUE-LABARTHE et Jean-Luc NANCY,avec la collaboration d’Anne-Marie LANG (Paris, Seuil, «Poétique», 1978),pp. 53-4 : «Le Plus ancien programme systématique allemand» (p. 54).

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4. Olivier DUBOUCLEZ, Valère Novarina, la physique du drame (Dijon, LesPresses du réel, «L’espace littéraire», 2005), p. 26.

5. Voir Jacques RANCIÈRE, La Parole muette : essai sur les contradictions dela littérature (Paris, Hachette Littératures, «Pluriel Lettres», 2005).

6. Voir Tzvetan TODOROV, Théories du symbole (Paris, Seuil, «Poétique»,1977), p. 212.

7. J.-M. SCHAEFFER, La Naissance de la littérature (op. cit.2).8. Walter BENJAMIN, Œuvres, t. I, trad. de l’allemand par Maurice DE

GANDILLAC, Rainer ROCHLITZ et Pierre RUSCH (Paris, Gallimard, «Folio/ Essais»,2000), pp. 142–65 : «Sur le langage en général et sur le langage humain» (p. 143).

9. August Wilhelm SCHLEGEL, Leçons sur l’art et la littérature, pp. 341–68 inL’Absolu littéraire (op. cit.3).

10. Walter BENJAMIN, Le Concept de critique esthétique dans le romantismeallemand, trad. de l’allemand par Philippe LACOUE-LABARTHE et Anne-MarieLANG (Paris, Flammarion, «Champs», 2002), p. 57.

11. Jacques RANCIÈRE, L’Inconscient esthétique (Paris, Galilée, «La philoso-phie en effet», 2001). Dans ce sens, Novarina écrit que, «dans tout art, toutepensée, l’aventure passe par le vouloir et le renoncement, par volonté et abandon,par exercices de délaissement» (TDP, 137).

12. BENJAMIN, Œuvres (éd. citée8), pp. 244–62 : «La Tâche du traducteur».13. Evgueni ZAMIATINE, Le Métier littéraire : Portraits, études et manifestes,

trad. du russe par F. MONAT (Lausanne, L’Âge d’Homme, «Slavica», 1990),pp. 150–5 : «Littérature, révolution et entropie».

14. Roland BARTHES, Le Plaisir du texte (Paris, Seuil, «Points Essais», 1973),p. 61.

15. Claude LEFORT, La Complication : retour sur le communisme (Paris,Fayard, 1999).

16. Voir Philippe LACOUE-LABARTHE, «Avant-propos», pp. 7–25 in BENJAMIN,Le Concept... (op. cit.10), p. 14. Philippe Lacoue-Labarthe cite une lettre de WalterBenjamin à Ernst Schoen du 7 avril 1919.

17. Friedrich SCHLEGEL, Idées, pp. 206–23 in L’Absolu littéraire (op. cit.3),p. 213.

18. Fragments de l’Athenaeum, 383 (attribué à Friedrich SCHLEGEL), pp. 98–177 in L’Absolu littéraire (op. cit.3) (p. 161).

19. Éric MICHAUD, «Œuvre d’art totale et totalitarisme», pp. 35–65 in L’Œuvred’art totale, Jean GALARD, Julian ZUGAZAGOITIA eds (Paris, Gallimard / Musée duLouvre, «Art et artistes», 2003).

20. Giorgio AGAMBEN, Ce qui reste d’Auschwitz : l’archive et le témoin : HomoSacer III, trad. de l’italien par Pierre ALFERI (Paris, Éditions Payot & Rivages,«Rivages poche/Petite bibliothèque», 2003), p. 147.

21. Voir Maurice BLANCHOT, La Communauté inavouable (Paris, Éditions deMinuit, 1983), pp. 8–47 : «La Communauté négative». Dans ce texte, Blanchottâche de penser l’idée de Georges Bataille d’une «communauté de ceux qui n’ontpas de communauté», dans un temps où l’idée de communauté ne va plus de soi— car, quant aux mots communauté et communisme, «l’histoire, les mécomptesgrandioses de l’histoire nous les font connaître sur un fond de désastre qui vabien au-delà de la ruine» (p. 10).

22. Voir TDP, 15 : «[...] il n’y a pas de visite à faire pour trouver

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d’l’oppression, mais simplement vouloir bien descendre un peu dans son corps.»;TDP, 17 : «Les dominants passent une bonne partie de leur temps à veiller à ceque l’homme soit reproduit proprement. C’est pour étouffer l’boucan des corps,par où ça monte, qui va les renverser.».

23. Jean AMÉRY, Par-delà le crime et le châtiment : essai pour surmonterl’insurmontable, trad. de l’allemand par F. WUILMART (Arles, Actes Sud,«Babel», 2005), p. 156.

24. Hannah ARENDT, Les Origines du totalitarisme : 3. Le Système totalitaire,trad. de l’américain par Jean-Loup BOURGET et alii (Paris, Seuil, «Points Essais»,1995), p. 226.

25. Ce que formulait un Walter Benjamin sous influence romantique, en 1923 :«En aucun cas, devant une œuvre d’art ou une forme d’art, la référence au récep-teur ne se révèle fructueuse pour la connaissance de cette œuvre ou de cetteforme.» (p. 24412).

26. Voir Ossip MANDELSTAM, De la poésie, trad. du russe par MAYELASVETA(Paris, Gallimard, «Arcades», 1990), pp. 58–68 : «De l’interlocuteur»; PaulCELAN, Le Méridien & autres proses, trad. de l’allemand par Jean LAUNAY (Paris,Seuil, «La Librairie du XXIe siècle», 2002), pp. 55–8 : «Allocution de Brême».

27. Jean-Luc NANCY, Le Partage des voix (Paris, Galilée, 1982), p. 83.

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TABLE

NOVARINA — LE LANGAGE EN SCÈNE

avant-propos, par Frédérik DETUE et Olivier DUBOUCLEZ. 5

1. Personne. À propos des personnages dans La Scène, par MarcoBASCHERA. 11

2. Le Cercle et le carré (géométries de l’écriture et du plateau),par Céline HERSANT. 27

3. Le Théâtre de la parole : remarques sur la «poésie» au théâtrechez Novarina à partir d’Artaud et de Vitrac, par ElenaGALTSOVA. 47

4. Poétique de la transgression, de Georges Bataille à ValèreNovarina, par Désirée LORENZ et Tatiana WEISER. 65

5. Le Jardin de reconnaissance. Penser le théâtre de ValèreNovarina, par Katia DMITRIEVA. 85

6. Se désaliéner du réel : invitation à la (re)lecture de Vous quihabitez le temps, par Didier PLASSARD. 103

7. Dans le cabinet du néologue, par Nadia BUNTMAN. 1198. Nom de personne. L’écriture des noms propres chez Valère

Novarina, par Olivier DUBOUCLEZ. 1399. Slogan, inventaire, information : de la politique dans l’œuvre

de Valère Novarina, par Julie SERMON. 15910. Le Théâtre de Valère Novarina ou la littérature en résistance,

par Frédérik DETUE. 181

DOCUMENT«En face de l’archaïque et du conscient» : entretien avec

Christophe FEUTRIER, réalisé par Olivier DUBOUCLEZ. 203

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