Phalangistes et réactionnaires dans la littérature espagnole

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catholica Hiver 2003-04 N° 82 Dossier: la question de Vautorité Florent Gaboriau et la théologie fran^aise L'Art contemporain, nouveau christianisme ? Sécularisation, la'icisisation et philosophie de Phistoire L'obéissance chrétienne, ou le fondement oublié Albert Camus, solidaire et solitaire

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catholica Hiver 2003-04 N° 82

Dossier: la question de Vautorité

Florent Gaboriau et la théologie fran^aise

L'Art contemporain, nouveau christianisme ?

Sécularisation, la'icisisation et philosophie de Phistoire

L'obéissance chrétienne, ou le fondement oublié

Albert Camus, solidaire et solitaire

CATHOLICA HIVER 2003-04

Sommaire

4 Lien social et souveraineté Bernard Dumont Il ne faut pas se cacher que la crise de l'autorité découle de l'absolutisation du concept de souveraineté propre á la philosophie moderne. Elle ne saurait étre résolue sans que les perspectives démesurées de celle-ci soient révisées á la baisse.

DOSSIER 12 L'autorité et ses conditions Claude Polin

Elucidation d'un concept maintenu dans le flou comme á plaisir. 32 Sur Pobéissance chrét ienne Jean-Paul Maisonneuve

La crise de l'obéissance dans l'Eglise vient d'abord d'une carence de l'autorité. Celle-ci doit oser s'affirmer d'une maniere juste, comme don de soi dans une paternité désintéressée qui, en méme temps, s'implique entiérement. Toute autorité repose en fait sur une vulnérabilité fondamentale, qui lui donne toute sa forcé parce qu'elle peut alors étre icóne de la Paternité éternelle.

43 Serment et laicité Pietro Giuseppe Grasso Considérations dans le cadre du droit italien. La pratique du serment judiciaire est privée de contenu des lors que toute transcendance est évacuée.

50 Le christianisme revu et corrige Christine Sourgins par l 'Ar t contemporain Analyse du livre de Catherine Grenier L'Art contemporain est-il chrétien ?

64 Guerre et hégémonie Bernard Wicht Entretien sur le théme de la longue durée dans l'histoire des civilisations et son utilité dans l'interprétation des rapports géopolitiques.

78 Albert Camus, l'Algérie Jean Sarocchi et les ambigui'tés de la solidarité Bonnes feuilles d'une étude sur le recueil de nouvelles L'Exil et le royanme, présentée dans le cadre du V e Colloque international Albert Camus (Poitiers, mai 2003).

86 La théologie h e r m é n e u t i q u e francaise Ansgar Santogrossi Approche synthétique de l'ouvrage posthume de Florent Gaboriau Trente ans de théologie francaise.

91 Un entretien avec le doyen Pierre Courthial Pierre Courthial Sur les liens entre les courants internes affectant le catholicisme et le protestantisme, en margo du livre de Florent Gaboriau.

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99 Le chant grégorien Marcel Peres est-il oecuménique ? Bernhard Groebler Rencontre avec les animateurs luthériens du Cercle liturgique d'Iéna et Marcel Peres, directeur de l'ensemble Organum.

110 La Promesse, entre judai'sme et christianisme André Paul Analyse critique, du point de vue exégétique, du dernier livre du cardinal Lustiger.

126 Des évéques pour la messe non conciliaire Claude Barthe La logique interne du motu proprio Ecclesia Dei adflicta peut conduire á élargir le nombre d'évéques de rite pré-conciliaire.

131 Phalangistes et réact ionnaires Jerónimo Molina dans la l i t téra ture espagnole Un certain nombre d'écrivains espagnols de talent restent totalement ignores parce qu'ils ont commis l'erreur, aux yeux d'une certaine intelligentsia, de s'engager dans le camp nationaliste durant la Guerre civile.

LECTURES 140 Profaner ou célébrer Bernard Dumont 142 Sainte Colére Éric Werner 144 Katyn, crime et mensonge Marie Raynaud 146 Un évéque moderniste Alexis Campo 149 Sécularisation et philosophie de l'histoire Gilíes Mignot 152 Au nom de l'idéologie humanitaire M.R. 154 Conseils en marketing ecclésial Denis Mestre

CORRESPONDANCE 157 Autour du pontificat de Pie X I Fabrice Bouthillon 159 Les Américains en Irak Teodoro Klitsche de la Grange

161 BIBLIOGRAPHIE

176 AVIS

CLAUDE BARTHE

la cristallisation s'est faite autour de la célébration de la messe, du fait m é m e i l faut que des évéques la rendent possible sacramentellement (par leurs ordinations). Or, l 'épiscopat se « reprodu i t» collégialement. I I est done part icul iérement intéressant d'observer cette « logique » en marche qui, á terme, devrait conduire des évéques conciliaires á « en-gendrer » des évéques non conciliaires. A moins que ees catégories elles-mémes ne soient en voie de disparition.

CLAUDE BARTHE

Phalangistes et réactionnaires dans la littérature espagnole

Cela fait longtemps que les ouvrages traitant de l'engagement des écrivains relévent d'un sous-genre littéraire qui exprime á la fois l'ardeur moralisatrice de ceux qui le cultivent et la stigmatisation de

l'ceuvre, quelle qu'elle soit, des auteurs qualifiés habituellement de « po-litiquement compromis ». Mais i l n'est pas rare qu'on abuse de la condi-t ion académique pour régler des comptes avec le passé, spécialement lorsque celui-ci, sans étre encoré devenu complé tement irréel, s'est dé taché de l 'actual i té comme Fécorce inerte d'un arbre. Tout est, sem-ble-t-il , permis en Europe, et personne n'est censé se justifier pour ce qu'il dit ou écrit, car la profonde idéologisation qui a alteré durant plus d'un siécle le sens de la réalité constitue pour ainsi diré une grille limpide de valeurs evidentes par elles-mémes. On dit que les souffrances des hommes et des peuples du X X e siécle nous ont douloureusement enseigné ce que l 'on doit ou ne doit pas penser, tracant ainsi en dernier ressort une ligne infranchissable entre un bien et un mal absolus, entre les beaux esprits et les ennemis de l 'humani té . L'histoire ne serait done pas autre chose qu'une grande Cause venant repartir les roles de ma­niere inégale, entre vainqueurs et vaincus : les uns ne pouvant trouver de salut qu'en acceptant de chanter des palinodies pour prouver publique-ment leur repentir; les autres jouissant avec un bonheur autosatisfait de se savoir du cóté de la justice. Une dichotomie aussi élémentaire permet malgré tout de souligner le caractére complémenta i re des deux arché-types spirituels qui ont respectivement profité ou souffert dans leur propre chair des folies de la raison politique : l'intellectuel dénonciateur et le réactionnaire, dichotomie qui a pour corollaire la distinction entre l'engagement de la gauche (Famour de l 'humani té) et celui de la droite (la trahison). Les philosophes les plus représentatifs de l'une et de l'autre

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position pourraient étre Jean-Paul Sartre et Mart in Heidegger, sur les-quels on a écrit jusqu'á la saturation 1.

Malgré le légendaire vae victis!, on peut diré que, du point de vue de la politique contemporaine, ce n'est qu'assez récemment que la persécution des vaincus s'est t ransformée en vengeance implacable. Avec tous leurs défauts, les moyens déployés par la politique libérale classique — régie, comme le rappelait Julien Freund, par la convention constitutionnelle du «tiers inclus », y compris dans les situations d'exception — présentaient un certain aspect ludique 2 , incompatible avec le sérieux et la gravité que Schmitt attribuait au politique 3 . Les intellectuels (idéologues, lettrés, journalistes et conspirateurs divers) dont la cause était perdue ne se risquaient guére en general á supporter les inconvénients de l'exil, au-quel ils ne se résolvaient que lorsque la véritable agitation débutait , parfois alertes par leurs propres adversaires. Punitions que l 'on considé-rera comme douces si on les compare aux mesures d 'épura t ion que subirent un grand nombre d'entre eux aprés la Seconde Guerre mon-diale. Dans le pire des cas, ce fut une purge regrettable, qui ne fut cependant jamáis érigée au rang de politique d'Etat 4. L'exil de Miguel de Unamuno, decreté par le general Primo de Rivera, á File de Fuerteventura (1924), d 'oü i l s 'échappa de maniere volontaire et sans véritable opposi-t ion vers Paris, n'a absolument rien á voir avec les assassinats politiques (« paseos ») de Ramiro de Maeztu ou de Federico García Lorca (1936), l 'exécution de Robert Brasillach (1945) ou l'attentat qui coüta la vie á Giovanni Gentile (1944).

Malheureusement, le destín des écrivains ou artistes qui, aprés la Seconde Guerre mondiale, ont été ajoutés á la liste, selon les pays, des « collaborateurs », « nationaux-socialistes »,« fascistes »,« phalangistes » (ou « franquistes ») ne semble pas avoir de relation claire avec un jugement de la Providence sur leurs vertus littéraires, n i m é m e avec ce qui valut en d'autres temps á Fhomme de lettres la condition d'écrivain maudit. Tel

1. Depuis la parution de Víctor Farias, Heidegger et le nazisme, Paris, LGF, 1989 [nouvelle édition corrigée], la campagne de diffamation intellectuelle la plus remarquable a été celle dirigée contre Cari Schmitt. Sur ses derniers rebondissements, voir Alain de Benoist, « Cari Schmitt et les sa-gouins », dans Eléments pour la civilisation européenne, n. 100, octobre 2003.

2. Johan Huizinga, Homo ludens. Essai sur lafonction sociale dujeu, Paris, Gallimard, 1998. 3. Cf. Cari Schmitt, La Notion du politique, Théorie du partisan, Paris, Flammarion, 1992. 4. Sur la premiére tentative enregistrée en Europe occidentale d'un harcélement politique systé-

matique de l'« ennemi » et d'assassinats massifs (politique étatique), ce que fut seulement une partie de la persécution religieuse, on pourra lire le livre récent et bien documenté de César Vidal, Checas de Madrid. Las cárceles republicanas al descubierto [Les tchékas de Madrid. Les prisons républicaines á découvert], Barcelone, Belacqua/Carroggio, 2003.

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fut le cas de Knut Hamsun, par exemple, ou de Louis-Ferdinand Céline, Ernst Jünger, Curzio Malaparte et, dans un autre registre artistique, Leni Riefenstahl. Au siécle de la politique idéologisée, le crédit littéraire a dépendu trop f réquemment d'une distribution du pouvoir entre amis et ennemis, en confondant canons littéraires et l i t térature aux ordres, ce qui expose trop facilement cette derniére á Finévitable « renversement des alliances ». D'autre part, i l est toujours tres choquant que ce qui agit dans certains cas comme un mot i f de stigmatisation puisse apparaítre comme méri toire dans d'autres. Ainsi, tandis que Brasillach fut pol i t i -quement inculpé d'« intelligence avec Fennemi » 5 , le poete espagnol Rafael Alberti, gráce á ses services rendus á la cause stalinienne, put acquérir une place privilégiée dans le panthéon des mythes de la transition espagnole méme une fois que sa poésie commenca á devenir répétitive 6.

Le cas de l'Espagne présente peut-étre un certain intérét si on le compare á la situation d'autres pays européens oü, malgré la censure médiat ique, on se penche par écrit et par oral, comme sur un objet digne d'attention, sur les auteurs politiquement engagés aux cotes des puissances vaincues lors de la Seconde Guerre mondiale. I I y a certainement une singularité hispanique sur ce terrain, puisque, malgré le temps écoulé, i l n'est pas facile de trouver des études sereines et objectives sur quelques figures notables de la culture espagnole du X X e siécle 7 . L'explication conven-tionnelle de ce p h é n o m é n e reste superficielle : un certain esprit de re-vanche intellectuelle est de toutes les époques — á un régime et á son iconographie succédent un autre régime et une autre iconographie. La terrible polémique espagnole autour de ses écrivains fascistes ou fasci-sants, á laquelle ont participé une poignée d'auteurs par ailleurs tres bien documentes 8, ne s'est pas encoré attelée á un fait politique capital:

5. Voir Alice Kaplan, Intelligence avec Fennemi. Leprocés Brasillach, Paris, Gallimard, 2003. 6. Sur les «intelligences avec Fennemi» (stalinien) du parti républicain durant la guerre d'Espagne, le

lecteur obtiendra d'intéressantes précisions dans les deux derniers titres de la nouvelle historio-graphie espagnole : Pío Moa, Los Mitos de la Guerra civil española, Madrid, La Esfera de los libros, 2003; et Ricardo de la Cierva, Historia actualizada de la Segunda República y la Guerra de España (1931-1939), Madrid, Fénix, 2003.

7. L'« oubli » coupable auquel on a soumis la plus importante promotion de juristes et écrivains politiques espagnols du siécle dernier, la Escuela española de Derecho político (1935-1969) [L'E-cole espagnole du droit politique] — entre autres : Javier Conde, Carlos Ollero, Luis Díaz del Corral, Rodrigo Fernández-Carvajal et, prés d'eux, Fernández de la Mora — est l'exemple par-fait d'une attitude intellectuelle irresponsable, mais aussi de l'ingratitude humaine.

8. Bien qu'ils ne soient pas totalement étrangers á un certain esprit sectaire, spécialement dans le cas de seconde référence qu'on citera ci-aprés, qualifiée de Nuremberg pólice, on peut encoré considérer comme ouvrages de référence ceux de José-Carlos Mainer, Falange y literatura, Bar­celone, Labor, 1971; Julio Rodríguez Puértolas, Literatura fascista española, 2 vol., Madrid, Akal, 1986 ; et André Trapiello, Las Armas y las letras, Barcelone, Planeta, 1994.

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celui de la reconstruction nationale, á partir de 1936-39, période fonda-trice d 'oü est sortie une dictature constituante de développement qui, avec toutes les caractéristiques idéologiques de l 'époque, mais en m é m e temps en les dépassant, a finalement d o n n é une structure étatique á la forme politique traditionnelle de l'Espagne, avec la nationalisation de la dynastie des Bourbons et Finstauration d'une monarchie nouvelle 9. Cette guerre fut, qu'on le veuille ou non, le debut d'un changement politique projeté dans Favenir. C'est ce que demontre, a contrario, Fabon-dante lit térature antifranquista Accepter les conséquences de sa Révolu-tion, nationaliser ses symboles (Marianne, le drapeau tricolore, etc.) demanda á la France plus d'un siécle. Au nom de quoi l'Espagne échap-perait-elle á cette regle de l'histoire des nations ? Quelques signes dans cette direction laissent cependant espérer une reconstruction historio-graphique 1 0.

I I est nécessaire de passer par tous ees préliminaires au moment d'évo-quer un ouvrage qui traite de la li t térature phalangiste, car i l n'existe pas de philologue ou de spécialiste qui ne recourre á des lieux communs de l'historiographie politique sur le franquisme. Tout examen relatif aux ceuvres de cette catégorie doit done se diviser en une critique politique (externe) d'une part, et une analyse strictement littéraire (interne) d'au-tre part. C'est ainsi qu'il convient d'aborder la lecture de La Corte literaria de José Antonio11, de Mónica et Pablo Carbajosa, Fun des der­niers livres parus sur le sujet en Espagne. I l n'est certes pas unique, puisqu'il a coincide avec la publication de la traduction espagnole de Y Habilitationsschrift de Mechthild Albert, actuellement professeur á FU-niversité de la Sarre, Vanguardistas de camisa azul [L'avant-garde á la chemise bleue], sur Févolution littéraire des phalangistes Tomás Borras (1891-1976), Felipe Ximénez de Sandoval (1903-1978), Samuel Ros (1904-1945) et Antonio de Obregón (1909-1945), qui étudient com-ment leur « avant-garde déshumanisée » laissa la place á la « littérature

9. Pour plus de détails, voir J. Molina, « Raymond Aron y el régimen de Franco », dans Razón española, n. 121, septembre-octobre 2003, spécialement pp. 206-211.

10. Le tres singulier négationnisme espagnol, qui existe encoré et recrute ses adeptes tant á droite qu'á gauche, soutient comme doctrine officielle la continuité Active entre le régime actuel et l'Espagne d'avant le 18 juillet. Dans cinquante ans, un tel enfouissement de l'histoire nationale deviendra un objet d'étude.

11. Mónica Carbajosa et Pablo Carbajosa, La Corte literaria de ¡osé Antonio, la primera generación cultural de la Falange, Barcelone, Crítica, 2003.

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de propagande » sur la guerre civi le 1 2 . Ce qui donne un intérét particu-lier au livre des Carbajosa est sans doute le fait qu'il soit o rdonné autour de la figure de fosé Antonio Primo de Rivera, dont on a fété le centenaire cette a n n é e 1 3 . Les auteurs croient comme de coutume nécessaire d'ap-porter des justifications, pour la galerie, á un travail tres bien documen­té, agréable á lire, et qui en réalité se défend tres bien tout seul. lis précisent ainsi que la « réhabilitation littéraire [de ees écrivains] n'en-traíne d'aucune maniere leur réhabilitation morale » 1 4 et qu'il s'agit dans tous les cas d'un « corpus [littéraire] deja normalisé par FAcadémie espagnole » 1 5 . Si le premier point est louable, le second est beaucoup moins év iden t ; si c'était le cas, les auteurs n'estimeraient pas nécessaire de multiplier ce genre d'affirmations. Ce qui ne fait pas de doute, c'est que les deux auteurs veulent étre véridiques et éviter tout sectarisme, qualités qui honorent de maniere certaine cet ouvrage. Par ailleurs, plus que telle ou telle limite occasionnelle (existe-t-il un livre pouvant préten-dre ne pas en avoir ?), ce qu'on ressent le plus dans cette étude, c'est tout ce qu'elle doit á d'autres auteurs, pa r t i cu l i é remen t aux historiens consensuéis 1 6 , que les intéressés considérent comme acceptables. Ainsi

12. M . Albert, Vanguardistas de camisa azul, Madrid, Visor, 2003. Le professeur Albert a également edité Vencer no es convencer. Literatura e ideología del fascismo español [ Vaincre n'est pas convain-cre. Littérature et idéologie du fascisme espagnol], Madrid-Francfort, Vervuert-Iberoamericana, 1998. Ces pages sont le recueil de Communications lúes á lena lors de journées organisées en 1997 sur le théme « Littérature et culture du fascisme espagnol ». Leur contenu est tres inégal; on y trouve des textes informatifs (sur le sefardí dans l'ceuvre d'Ernesto Giménez Caballero) et quelques libelles infamants (sur le théátre de Juan Ignacio Luca de Tena ou sur l'art du román chez Fernando Vizcaíno Casas).

13. L'ignorance de cet anniversaire dans les moyens de communication n'a pas empéché une florai-son éditoriale autour de la figure de l'« Absent ». Edites durant ces derniers mois : E. de Agüi­nada et S. G. Payne, José Antonio Primo de Rivera, Barcelone, éditions B, 2003 ; A. Gómez Molina, Las Gafas de José Antonio [Les lunettes de J.A.], Madrid, Actas, 2003 ; M . Parra Celaya, José Antonio Eugenio d'Ors: Falangismo y catalanidad, Madrid, Plataforma 2003, 2003 ; José A. Baonza, José Antonio Primo de Rivera. Historia de una familia, Madrid, La Esfera de los libros, 2003. Présente également un grand intérét, au-delá de son contenu inégal, la collection infieri, « Biblioteca del Centenario », patronee par la « Plataforma 2003 » (www.plataforma2003.org): A. Imatz, José Antonio : Falange española y el nacionalsindicalismo, Madrid, Plataforma 2003, 2003 ; M . Simancas Tejedor, José Antonio: génesis de su pensamiento, Madrid, Plataforma 2003, 2003 ; J. Suárez Álvarez, Introducción a José Antonio, Madrid, Plataforma 2003,2003 ; J. M . Gar­cía de Tuñón Aza, José Antonio y los poetas, Madrid, Plataforma 2003,2003. Remarquable mais ardu, le travail bibliographique de J. Díaz Nieva et E. Uribe Lacalle, José Antonio : visiones y revi­siones. Bibliografía de, desdey sobre José Antonio Primo de Rivera, Madrid, Plataforma 2003,2002.

14. M . et P. Carbajosa, La Corte literaria de ¡osé Antonio, op. cit, p. XIX. 15. M . et P. Carbajosa, La Corte..., op. cit., p. XXI I I . 16. Les auteurs développent occasionnellement leur argumentation en s'appuyant sur l'essayiste

Gregorio Moran, auteur de livres comme El maestro en el erial. Ortega y Gasset y la cultura del franquismo (Barcelone, Tusquets, 1998), aux antipodes d'une critique sérieuse de la culture, et sur les opinions souvent frivoles de Francisco Umbral, grand romancier mais critique littéraire tres discrct.

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la « théorie politique du régime », qui est sous-jacente á ces pages et qui, comme nous l'avons suggéré, conditionne la « théorie littéraire de la génération de la Phalange », n'est qu'un catalogue de lieux communs ; pour n'en citer que deux exemples caractéristiques : l'assimilation de la Phalange au fascisme, et la « disparition des medias culturéis avec l'avé-nement du régime de Franco » 1 7 , corollaire du pré tendu « désert de la culture espagnole » de ces années-lá.

Le livre des Carbajosa expose le parcours d'une petite pléiade d'écri-vains dont les destins littéraires, bien que d'origines géographique (Ma­drid, provinces) ou idéologique (de la gauche socialiste á la droite monarchiste) différentes, restérent lies á Madrid durant les quelques années oü l'élite politique modérée sut maintenir la Constitution et l'ordre républ ica ins 1 8 , autour de la figure de José Antonio. Pedro Mour-nale Michelena (1888-1958), Jacinto Miquelarena (1891-1962), Rafael Sánchez Mazas (1894-1966), Eugenio Montes (1897-1982), Luys Santa-marina (1898-1980), Ernesto Giménez Caballero (1899-1988), Agustín de Foxá (1903-1959), Samuel Ros, José María Alfaro (1906-1994), et Dionisio Ridruejo (1912-1975), qui constituent la distribution, ne for-ment pas á proprement parler une « génération », n i littéraire, n i chro-nologique, p e u t - é t r e m é m e pas un « groupe ». Or nos auteurs parviennent á en parler comme de la « cour » des écrivains qui entourait le fondateur de la Phalange espagnole, qui inventa son « style » et qui, une fois la guerre terminée, cultiva, presque toujours dans les sphéres extérieures au pouvoir effectif, le mythe de l'« Absent » et d'une intell i­gence et d'une entreprise politiques br i sées 1 9 . Ce qui fut dé te rminant pour eux aura été de se retrouver dans les réunions et les díners de l 'époque — Tertulia de la Ballena Alegre, Cenas Carlomagno — lieux

17. M . et P. Carbajosa, La Corte literaria de José Antonio, op. cit, p. 301. 18. Démythifiant, le livre de Pío Moa, Los Personajes de la República, Madrid, Encuentro, 2000. 19. Si l'on suit ce modele, on pourrait alors rajouter Ximénez de Sandoval, Tomás Borras et Antonio

de Obregón. C/. M . Albert, Vanguardistas de camisa azul. Et également le grand romancier na-varrais Rafael García Serrano (1917-1988), qui, s'il n'a pas traite directement de José Antonio, s'était bien associé aux activités de la Phalange depuis octobre 1934, et qui rédigea son premier román élégiaque, Eugenio o la proclamación de la primavera [Eugéne ou la proclamation du printemps] (1938), pour écrire la mémoire épique du leader fusillé á Alicante. Sa maniere d'é-crire est á l'opposé de la «littérature plaintive et lache » sur la guerre civile (cf. P. et M . Carbajosa, op. cit, p. 149). Celle de García Serrano était, selon ce qu'il disait lui-méme, une « guerre en bras de chemise », sympathique, enthousiaste et romantique. Le maitre de cette visión juvénile de la guerre, aux antipodes d'E.-M. Remarque, est présente dans toutes les ceuvres du Navarrais, des son superbe La Fiel Infantería [La fidéle infanterie], qui, en 1943, recut le « Prix national José Antonio » avant d'étre censuré et retiré des librairies. Mais ce n'est pas, loin de la, un cas isolé. CEuvre également magnifique, celle du sous-lieutenant de reserve Francisco Cavero y Cavero, Con la segunda bandera en el frente de Aragón [Avec le 2 e Legión sur le front d'Aragon] (1938).

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célebres de la culture d'un Madrid déjá t ransformé en ville du cinema avant-gardiste2 0, et qui était également en train de s 'européaniser dans sa partie nord avec l ' aménagement urbain des Nouveaux Ministéres. L'ceuvre de cette « cour » que la guerre dispersa — á l'abri des ambas-sades madri lénes ou des prisons, rarement sur le front — et que l 'aprés-guerre disperse définitivement, fut le résultat non seulement d'une « volonté de style », mais également des regles du jeu entre ses membres. Sur ce point, les auteurs de cet essai ont mis en valeur la continuité profonde qui unit leurs écrits, par-delá leur évolution fascisante, épisode malgré tout superficiel. Ceci est par t icul iérement évident en ce qui concerne le groupe basque (Mourlane, Miquelarena et Sánchez Mazas) qui, plongé dans le classicisme italianisant et l 'esthétique de l'Ecole romane de Jean Moréas, fit ses debuts avec la revue Hermes et la poésie de R a m ó n de Basterra. On peut diré également la m é m e chose du plus singulier des auteurs evoques, Giménez Caballero, qui introduisit le sur-réalisme en Espagne, fonda le premier cine-club, et fut un brillant adepte, presque solitaire avec le catalán Luys de Santamarina, de la lit térature des anciens combattants [Notas marruecas de un soldado, 1923), précurseur effectif, enfin, avec Sánchez Mazas, Ledesma Ramos et quelques autres, du nationalisme hispanique de source régénération-niste 2 1, impregné durant les années 1930 de la rhétor ique fasciste et catalyseur du phalangisme.

En réalité, le personnage central de ce livre n'est pas tant José Antonio — dont est esquissé un portrait tres bref et pas toujours bien précis puisque sont ignorées les véritables conditions intellectuelles dans les-quelles i l est intervenu — que Sánchez Mazas, á la biographie singu-l ié re 2 2 . Ce dernier eut un destín littéraire surprenant, se retrouvant ministre sans portefeuille durant un an (1939-1940) — distinction que ne méri ta aucun des autres, qui atteignirent leur sommet politique dans la neutrali té idéologique de quelque fonction diplomatique, parfois i m -

20. Cf. Esencia de verbena [Essencedeverveine],court-métrageréaliséen 1930 par Ernesto Giménez Caballero, dans lequel apparait l'écrivain Ramón Gómez de la Serna.

21. On appelle régénérationnisme la tentative de renouveau qui se manifesta dans la littérature espagnole sous l'impulsion de la génération de 1898, non sans quelques analogies avec l'ceuvre de Barres á la méme époque. [Ndt]

22. Son exécution manquee, presque á la fin de la guerre, gráce au charitable silence d'un milicien, a été mise en román avec talcnt par J. Cercas, Les Soldats de Salamine, Arles, Actes Sud, 2002.

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posee comme une sorte de douce condamnation á l ' ex i l 2 3 — puis se retira rapidement de la vie politique. Sánchez Mazas, auteur de La Vida nueva de Pedrito de Andía (1951) et de Rosa Krüger (1984, posthume), pourrait bien étre l'écrivain le plus représentatif de la cour de José Antonio. U n important travail journalistique qui precede et accom-pagne son incursión en politique, la récupérat ion de quelques symboles phalangistes, sans la capacité d'influencer en fin de compte les décisions politiques et, en dernier lieu, un art du román incomplé tement recon-nu : voilá ce qui reste de tout cela.

JERÓNIMO M O L I N A

Université de Murcie

á signaler JERÓNIMO MOLINA, « La ciencia política de Rodrigo Fernández-Carvajal » in Empresas políticas, n. 2, 1 e r semestre 2003, pp. 49-57 L'Espagne est un pays oü la philosophie du droit, et en particulier du « droit politique », est restée tres active pendant le XX e siécle, et notamment sous la période franquiste. Des influences variées se sont fait sentir, aussi diverses que celles de Leo Strauss, Cari Schmitt ou Julien Freund. Ce numero du semestriel publié par la revue semestrielle de Murcie — dont le titre est repris de l'ceuvre majeure du cardinal Saavedra Faxardo (1584-1648) —le laisse entrevoir, avec des articles sur une serie d'auteurs tres méconnus de ce cóté-ci des Pyrénées, tel Javier Conde, le grand théoricien du « caudillaje » du general Franco, et Rodrigo Fernández-Carjaval. Ce dernier, mort en 1997, fut un intellectuel de grande envergure qui s'efforca de donner un sens á la notion fort imprécise de science politique, en la ramenant á ses fondements philosophiques, plus précisément au concept de philosophie pratique, autrement dit á la Politique dans le sens oü Aristote et plus encoré saint Thomas l'ont exposée, en tant que sagesse du comportement humain, relevant de la praxis et non de la poiesis (c'est-á-dire de la technique, ou de la physique sociale). C'est á faire connaítre cet effort que Jerónimo Molina s'attache ici, autour de l'ceuvre principale du penseur, El Lugar de la ciencia política (1981). Notons dans le méme numero de la revue Empresas políticas, la présentation d'un autre grand penseur juridico-politique espagnol, Francisco Elias de Tejada, par Miguel Ayuso.

23. Tel fut le cas de Giménez Caballero, destiné pendant un temps á l'ambassade d'Espagne au Paraguay. Cet écrivain singulier eut peut-étre l'habileté de se mettre mal avec tout le monde et malgré cela, i l reste encoré aujourd'hui l'une des figures littéraires les plus injustement maltrai-tées de cette époque.

I W CATHQUCA HIVER 2003-04

PHALANGISTES ET RÉACTIONNAIRES.

ESTANISLAO CANTERO, « Sobre Acción española y la falsificación de la historia », Anales de la Fundación Francisco Elias de Tejada, VIII/2002, Madrid 2002, pp. 131-176 Faisant echo á l'apparition de YAction francaise au-delá des Pyrénées, la revue Acción Española fut publiée en Espagne á l'initiative de l'écrivain Ramiro de Maeztu, servant de póle de référence á toute une pensée littéraire et politique antilibérale. Plusieurs livres ont été écrits ces derniéres années sur le sujet. Citons Acción española. Teología política y nacionalismo autoritario en España (1913-1936), de Pedro Carlos González Cuevas (Tecnos, Madrid, 1998), et Raúl Morodo, Los orígenes ideológicos del franquismo : Acción española (Alianza Uni­versidad, Madrid, 1985), l'un et l'autre assez tendancieux du fait de confusions entretenues, dans un sens « politiquement correct », entre conservatisme tradi-tionnel et fascisme. Dans le présent article, tres substantiel, E. Cantero se livre á une réfutation point par point des affirmations de R. Morodo, qui rangeait Ramiro de Maeztu parmi les disciples d'Oswald Spengler, le grand penseur de la décadence. La richesse de la discussion menee par l'auteur permet de mieux comprendre le climat intellectuel tres vivant de la premiére moitié du siécle passé en Espagne, et de saisir ici encoré la différence spécifique du traditiona-lisme politique de ce pays. J3.D.