Le frontispice de la Pompe funèbre de Charles III: le mausolée d'un Prince de paix

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Le frontispice de la Pompe funèbre de Charles III : Le mausolée des vertus d’un prince de Paix Plutôt que de mettre l’accent sur les aspects lugubres du cérémonial funéraire 1 , le frontispice de la célèbre pompe funèbre de Charles III, dont Claude de la Ruelle se dit l’inventor et Mathieu Mérian le tout jeune graveur, expose aux yeux de la postérité deux éléments essentiels de la gloire de ce Prince : le triomphe d’un Prince de Paix, d’une part ; rituel de l’Etat, le panégyrique rappelle, à travers un monument funéraire de prestige, la dignité ducale immortelle exposée sur le cercueil au moyen d’une médaille. D’autre part, le frontispice s’offre comme un manifeste éclatant des prospérités de la Lorraine : le triomphe sur la mort se double ainsi d’une évocation des richesses de la province sur le mode bucolique et symbolique. Ce monument constitue en effet le point d’orgue du long cérémonial de deuil qui vient de s’achever (rituel ecclésiastique des obsèques et soins à rendre à l’âme et au corps du duc défunt avec célébration de messes presque sans arrêt, pendant quarante jours) et sa visée ultime est de juxtaposer à la gloire immortelle des vertus ducales un éloge de la paix qu’il a su préserver, garantie d’une prospérité économique de premier ordre. La Lorraine, terre de tous les arts, aux multiples ressources naturelles et techniques, est l’objet d’une invention graphique particulièrement foisonnante, dont les portraits vivants sous forme de tableautins déclinent la variété cornucopienne. Plusieurs aspects de ce monument méritent une attention spéciale : tout d’abord, sa composition, qui s’inspire de l’engouement alors prononcé pour le modèle des funérailles antiques, mais selon une formule dont le raffinement et la nouveauté surprennent. Cette planche inaugurale décline également un programme politique : l’empyrée constellée de vertus érige un manifeste sénéquien de l’art de bien gouverner. Les allégories servent de support aux maximes morales pour un bon gouvernement, à la manière dont Eusèbe décrivit le gouvernement post mortem de Constantin le Grand (Vie de Constantin, IV, 72). L’analyse précise du document permettra enfin de s’interroger sur la collaboration 1 Voir le frontispice du Luctus juventutis academiae mussipontanae in funere serenissimi Caroli III (Pont-à-Mousson, Melchior Bernard, 1608 ) qui consiste en une oraison funèbre composée par les étudiants de l’Université de Pont-à- Mousson en l’honneur de leur bienfaiteur, dont le frontispice orné est de figures macabres et de la devise sic transit gloria mundi

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Le frontispice de la Pompe funèbre de Charles III :

Le mausolée des vertus d’un prince de Paix

Plutôt que de mettre l’accent sur les aspects lugubres ducérémonial funéraire1, le frontispice de la célèbre pompe funèbrede Charles III, dont Claude de la Ruelle se dit l’inventor etMathieu Mérian le tout jeune graveur, expose aux yeux de lapostérité deux éléments essentiels de la gloire de ce Prince : letriomphe d’un Prince de Paix, d’une part ; rituel de l’Etat, lepanégyrique rappelle, à travers un monument funéraire de prestige,la dignité ducale immortelle exposée sur le cercueil au moyen d’unemédaille. D’autre part, le frontispice s’offre comme un manifesteéclatant des prospérités de la Lorraine : le triomphe sur la mortse double ainsi d’une évocation des richesses de la province surle mode bucolique et symbolique. Ce monument constitue en effet lepoint d’orgue du long cérémonial de deuil qui vient de s’achever(rituel ecclésiastique des obsèques et soins à rendre à l’âme etau corps du duc défunt avec célébration de messes presque sansarrêt, pendant quarante jours) et sa visée ultime est dejuxtaposer à la gloire immortelle des vertus ducales un éloge dela paix qu’il a su préserver, garantie d’une prospérité économiquede premier ordre. La Lorraine, terre de tous les arts, auxmultiples ressources naturelles et techniques, est l’objet d’uneinvention graphique particulièrement foisonnante, dont lesportraits vivants sous forme de tableautins déclinent la variétécornucopienne. Plusieurs aspects de ce monument méritent uneattention spéciale : tout d’abord, sa composition, qui s’inspirede l’engouement alors prononcé pour le modèle des funéraillesantiques, mais selon une formule dont le raffinement et lanouveauté surprennent. Cette planche inaugurale décline égalementun programme politique : l’empyrée constellée de vertus érige unmanifeste sénéquien de l’art de bien gouverner. Les allégoriesservent de support aux maximes morales pour un bon gouvernement, àla manière dont Eusèbe décrivit le gouvernement post mortem deConstantin le Grand (Vie de Constantin, IV, 72). L’analyse précise dudocument permettra enfin de s’interroger sur la collaboration

1 Voir le frontispice du Luctus juventutis academiae mussipontanae in funere serenissimiCaroli III (Pont-à-Mousson, Melchior Bernard, 1608 ) qui consiste en uneoraison funèbre composée par les étudiants de l’Université de Pont-à-Mousson en l’honneur de leur bienfaiteur, dont le frontispice orné est defigures macabres et de la devise sic transit gloria mundi

artistique qui fut à l’œuvre dans la conception de ces deuxplanches inaugurales.

I. La composition du monument

Le frontispice, en deux planches (H.325 x L. 382),présente un imposant monument dont la base compacte superposetrois portiques de styles dorique, ionique et corinthien,déployant chacun cinq tableautins dans leur entrecolonnements. Cepremier ensemble, dédié à l’évocation des prospérités de laLorraine, illustre l’inscription servant de stylobate à la partiesupérieure de l’édifice :

MUNERA A DEO OPTIMO MAXIMO. LOTHARINGIAE et BARRI DUCATIBUS ELARGITA.La devise souligne l’ampleur et la magnificence des bienfaits dontle duc a pourvu sa province.Un quatrième et ultime portique de trois tableaux seulement, etdont les chapiteaux composites sont cette fois ornés d’alérions etde palmettes, est flanqué de deux putti : hérauts des armoiries deLorraine et de Bar dont ils soutiennent d’imposants écus, ilsbrandissent également les armes pleines de la province, au moyende deux étendards gonflés par des vents contraires. Cette doubleostension n’est pas anodine, ni redondante. Aux étendards en bernedu deuil princier succède désormais la gloire éternelle de sesvictoires. Des bannières flottantes aux lourds écus, les armes deLorraine s’affirment selon une double modalité : les deux géniesdésignent d’un doigt pointé les bars et les alérions des armespleines, qui, selon la loi héraldique, sont réservées à la mémoiredu chef d’arme, tandis que les deux étendards gonflés soulignentla mosaïque des possessions, terres, dignités dont le duc s’estfait l’acquéreur. Ces deux hérauts encadrent donc toutnaturellement les trois tableautins qui interprètent les bataillesde trois des ducs de Lorraine. Le premier tableau célèbre lavictoire fondatrice, celle de René II lors du siège de Nancycontre le Téméraire (Renatus II Lotharingia et Barri Dux victoriosus Nanceiumobsidione liberavit) le 5 janvier 1477. Le second haut fait militaireretenu est la victoire du Duc Antoine sur les insurrectionspaysannes qui se sont développées en Alsace en 1523 et jusqu’à laprise de Saverne. Enfin, les triomphes de Charles III (pater patriaedit la devise) sont résumés par le dernier tableau, qui rappelleles prises de Jametz et de Bitche2. C’est sur le modèle de

2 En août 1587, les huguenots d'Allemagne et le Duc de Bouillon,défenseur résolu de la cause protestante, traversèrent la Lorraine avecune armée protestante de 3000 hommes. Charles III décida alors d'enlever

l’enterrement de son aïeul Charles Quint, qui, en 1559, poussal’idée triomphale jusqu’à faire figurer dans le cortège funéraireun chariot rappelant ses victoires militaires, que le monument àla gloire de Charles III inscrit ses hauts faits dans unecontinuité dynastique. Toutefois, il s’agit surtout de mettrel’accent sur le rôle délicat que Charles III eut à maintenir,entre guerres nécessaires et idéal pacificateur. Ce paradoxeapparent sera redoublé plus bas par l’opposition Mars/Opificina, dontles panoplies guerrière et artistique s’inversent très exactement.Les vertus guerrières du Prince, ne sont en effet que la conditionde possibilité d’un règne prospère, selon les mots de Sénèque3 :

Je ne cesserai non plus de vous offrir l'image deCésar: tant qu'il gouverne le monde, et qu'il prouvecombien l'autorité se conserve mieux par les bienfaitsque par les armes, tant qu'il préside aux choseshumaines, vous ne courez pas risque de vous apercevoird'aucune perte.

C’est sans doute pour cette raison que les prouesses de guerresont cantonnées à la sélection de trois batailles emblématiques(victoire fondatrice, « révolte des rustauds » et éradication del’hérésie). Le mausolée fait la part belle à la représentation desbienfaits du prince, qui s’étage sur trois niveaux entiers enrassemblant pas moins de quinze tableaux. La figuration de sesvictoires se réduit ainsi à trois perspectives panoramiques,soucieuses d’exactitude dans la toponymie et dans la géographie duterrain, tandis que trois situations militaires types (un siège,une bataille rangée et trois places fortifiées vides de toutaffrontement) ménagent de possibles comparaisons sur l’évolutiondes arts et techniques de la guerre. L’ornementation de chacunedes trois métopes disposées au-dessus de chaque chapiteau déclinetrophées et armes de Lorraine . La structure architectonique du mausolée (une élévation deplusieurs portiques qui vont s’amenuisant pour servir de base autombeau du Prince) n’est pas sans rappeler ce que Claude Guicharddécrivait dans son ouvrage sur les funérailles de la Rome antique4.

les places, dont Jametz, relevant du Duché de Bouillon, pour punir ceseigneur d'avoir conduit une armée d'hérétiques à travers la Lorraine.3 Sénèque, Consolation à Polybe, XII, 3.4 Claude Guichard, Funérailles et diverses manières d’ensevelir des Rommains, Grecs et autres nations, tant anciennes que modernes, Lyon, Jean de Tournes, 1581, pp. 179-181.

Au chapitre XIII, « De la consécration et manière de déifier lesEmpereurs Rommains », Guichard décrit une construction éphémèredestinée à abriter une effigie du corps de l’empereur :

A l’endroit le plus large et commode, s’eslevoit ie nescay quelle charpenterie, en forme de bel édifice,quarrée, et ayant les faces egales, bastie de grossespièces de bois, et n’estant remplie par le dedans quede fagots, broussailles et autres matières seiches. Ledehors estoir richement paré de tapisseriesentretissées d’or, et orné de statues d’yvoire, et dediverses belles peintures. Au-dessus du premier étage,y en avoit un autre de façon, de figure et d’ornementtout semblable, ayant les portes et fenestres ouvertes,d’une part et d’autre : mais un peu plus petit que lepremier puis un troisième et un quatrième toujoursmoindre que le dessous, jusques au dernier, qui estoitle plus petit et raccourci de tous les étages, sur lepignon duquel posoit la carroche de l’Empereur défunct,dorée magnifiquement et assortie comme il faloit.Herodian compare la forme de ces batiments aux toursdes portes de mer (…) nommées Phares. Et vous pouvez envoir icy la figure, tirée de diverses médaillesantiques.

Insérer l’illustration de Guichard ici. L’illustration qui accompagne ce texte, reconstituée àpartir de médailles antiques également reproduites à sa suite,témoigne de la précision archéologique recherchée par cet homme deloi féru d’antiquités. Rapprocher cette audacieuse constructiond’un cabinet d’ébénisterie5 présente une difficulté notable : cellede ne pas rendre compte de la destination spécifique de cetédifice, qui est de servir de mausolée à la gloire d’un prince. Laconstruction adoptée par les graveurs de cette planche diffèrequelque peu de celle que décrit Claude Guichard, dont lesportiques, étagés et gigognes, diminuent progressivement. Elle

5 Paulette Choné, Emblèmes et pensée symbolique en Lorraine (1525-1633), Paris,Klincksieck, 1991, pp. 144-146 : « Mais pourquoi ne vas évoquer à proposdu frontispice de la Pompe funèbre l’un de ces cabinets d’ébénisteried’Augsbourg ou de Nuremberg dont nous savons qu’ils étaient très prisés àla cour de Lorraine ? (…)Retenons donc la parenté du frontispice avec uncabinet de marqueterie, architecture complète de petites dimensions muniede ‘tiroirs’, figurant les facettes d’un microcosme lorrain quis’élèverait dans l’empyrée des mérites du prince défunt. »

n’est vraisemblablement pas carrée non plus puisqu’elle seprésente sous la forme d’un ingénieux trompe l’œil au sein duquelchaque tableautin semble être plaqué sur une architecture sansprofondeur véritable ; la composition obéit cependant à unestructure pyramidale très visible, dont l’élément phare est leportrait en médaillon du Duc et l’apex la couronne ducale lauréeet nimbée tendue par l’allégorie de l’Eternité. Au dessus des victoires des ducs de Lorraine, siège unemonumentale table d’attente destinée à recevoir la longueinscription bipartite (latin et français) du titre de l’ouvrage,gravée sur deux colonnes, à la manière des tables de loisantiques, élevées sur le forum, à la vue de tous. Ce colossalsupport, dont la largeur et la longueur est à la mesure du dernierportique, sert de piédestal au sarcophage du prince, dont leparement porte la dédicace suivante :

CAROLO III LOTHARINGIAE ET BARRI DUCI PIO FELICI PATRI PATRIAE SACRUM.L’inscription funéraire, dans la tradition du mausolée antique,prolonge l’inscription qui ornait le stylobate : Gloire au paterpatriae qui par sa magnificence a comblé de bienfaits sa province.Paulette Choné a remarqué la création originale d’un nouvel ordrecomposite, selon une réflexion sur les ordres qui rappelle le DeArchitectura de Serlio. Aux trois ordres connus se superpose, selonune hiérarchie éloquente, un nouvel ordre lorrain, décoréd’alérions. Les alérions (aiglettes stylisées, sans pieds ni bec)sont le signe de reconnaissance par excellence des armoiries deLorraine, car ils commémorent le geste légendaire de Godefroy deBouillon transperçant d’un coup unique trois de ces volatiles,signe précurseur de son élection au trône de Jérusalem. La consécration du duc atteint sa forme la plus aboutie dansle quart supérieur de la gravure : du mausolée émerge son profilen médaillon, à la fois encerclé de lauriers et sommé de lacouronne ducale. A sa droite, la Lorraine, reconnaissable à sacuirasse semée de croix doubles et d’alérions, lui tend une palmed’une main, tandis que de l’autre, elle appuie une statuette de laVictoire sur l’imago clipeata de la conquête de Jérusalem parGodefroy de Bouillon. La posture d’ostension victorieuse de cetteallégorie de la Gloire reprend, sur le mode majeur, celle des deuxhérauts d’armes qui ornaient le registre des triomphes militaires.L’imago clipeata est bien plus qu’une oriflamme ou un simple écu,elle est le réceptacle et le trophée de la généalogie légendairedes ducs de Lorraine, elle rejoint ainsi les stemmata antiques,images-chiffres, emblèmes d’une filiation, mais aussi trophéesdestinés à animer la virtus de qui les regarde. L’inscription qui

borde la face convexe du bouclier rappelle le présage victorieuxde la croisade « Godefridus Bilionoeus Lotharingiae Dux invictus in expugnationeHierosolymorum primus in muros evasit ponte jacto a linea turri quem ipse murisadmonitus Hierosolymorum Rex creatus est Sarazenos profligavit totamque terramSanctam et Syriam armis subedit » : Godefroy de Bouillon, invincible ducde Lorraine, franchit le premier les murs lors de la prise deJérusalem, et grâce au pont jeté depuis la tour du mur même où illui fut annoncé qu’il deviendrait Roi de Jérusalem, il terrassales Sarrasins et marcha contre les armées syriennes et la terresainte dans son entier. Le glorieux écu déroulant la bataille dela prise de Jérusalem aux pieds du tombeau de Charles III subsumetoutes les victoires de son règne pour les inscrire dans la lignéede celle de son illustre ancêtre. Cette remontée aux sources de lafiliation la plus auguste abolit le temps de l’Histoire dansl’Eternité de la Gloire.A sa gauche, l’allégorie symétrique du duché de Bar, parée d’unerobe semée de bars héraldiques adossés deux à deux et decroisettes, tend un rameau d’olivier vers le cénotaphe ducal, touten serrant sur son flanc gauche un caducée ailé orné de deuxcornes d’abondance : ce sont là les attributs traditionnels de laFélicité. Gloire et Félicité se détachent devant l’empyrée oùs’amoncellent vingt-huit allégories. Par l’ostension manifeste deleurs attributs, elles invitent l’œil à pénétrer dans l’éther dontelles se sont momentanément extraites. Deux mains à l’indexpointé, issantes de la nue qui surplombe la couronne ducale,désignent à gauche, le groupe des allégories des vertus du Prince(virtutes) et à droite, celles des services qu’il a rendu à saprovince (merita), selon une logique de correspondance binaire :ainsi la vertu de Pietas engendre-t-elle l’action louable Religionempropagavit. Cette relation entre la vertu et l’acte vertueux estsoulignée par la convergence des attributs. Pietas est figurée sousles traits d’une femme voilée, une flamme auréole sa tête tandisque le livre, la croix et la cigogne lui servent d’attributs.Religionem propagavit reprend l’allégorie d’une femme voilée, mais quicette fois accueille sur ses genoux la maquette d’une église. Dela même façon, Virtus heroica, une femme en casque à cimier etcuirasse, armée d’une lance et d’une bannière non éployée, le piedsur une sphère, tisse un écho visuel direct avec l’autre femmecasquée, une lance à la main et à ses pieds un bouclier orné de latête de Méduse qui accompagne l’inscription Hostium impetus fortiterrepressit.Hormis la partition droite/gauche qui distingue vertus et actionsvertueuses, la disposition des allégories en demi-cercles

concentriques, à la manière d’une cour céleste, n’indique aucunehiérarchie prédéterminée. Seule l’éternité de mémoire se présentesous la forme une triade indissociable, dont les liens sont tisséspar une inscription unifiante : Aeternae et Gloriosae Memoriae OptimiPrincipis quem ad Aethera vehunt Virtutes / Merita : La mémoire éternelle etglorieuse de ce prince très bon transportent ses vertus et sesmérites jusqu’au cieux.Ce modèle de chaîne associative semble applicable néanmoins àd’autres groupes : le voisinage des Charites avec Moderatio et Liberalitaspourrait éventuellement gagner en intelligibilité si on lerapproche du discours des Bienfaits de Sénèque : les Charites, emblèmesde la nature réversible des bienfaits6, voisinent avec Moderatio etLiberalitas, car la prodigalité nous dit Sénèque est un défaut, et labienfaisance sans discernement n’est plus de la bienfaisance.Ce procédé est plus clair dans la triade qui réunit trois devisessimilaires quant à leur forme « Omnium divitiae ex illius beneficentia »,« omnium somnus ex illius vigilantia », « omnium otium ex illius labore ». Cestrois formules s’inspirent, à de menues modifications près, de laConsolation à Polybius de Sénèque (7,2) :

Caesari quoque ipsi, cui omnia licent, propter hocipsum multa non licent: omnium somnos illius vigiliadefendit, omnium otium illius labor, omnium deliciasillius industria, omnium vacationem illius occupatio.Ex quo se Caesar orbi terrarum dedicavit, sibi eripuit,et siderum modo, quae inrequieta semper cursus suosexplicant, numquam illi licet subsistere nec quicquamsuum facere.

Et César lui-même, à qui tout est permis, est par celaseul loin de pouvoir tout se permettre. Toutes lesfamilles sont protégées par sa vigilance, la paixpublique par ses travaux, les jouissances et lesloisirs de tous par son ingénieuse activité. Du jour oùCésar s'est voué au bonheur du genre humain, il s'estravi à lui-même; pareil aux astres qui poursuivent leurcours sans fin comme sans relâche, il lui est défendude s'arrêter jamais, de disposer d'un seul instant.

Cette source textuelle permet de préciser l’identité de l’homme enarmure, un leurre à la main et un bœuf couché à ses cotés : ils’agit sans doute d’un portrait en abyme de Charles III, icinouveau « César voué au bonheur du genre humain », oscillant entre

6 Senèque, Des Bienfaits, II, 5-9.

otium représenté par le leurre servant à chasser les oiseaux etlabor ; le bœuf couché signifiant « le fruict des labeurs » selonValeriano, comme l’a signalé Paulette Choné. Le thème, trèsprégnant dans l’ensemble du monument, du prince « père de lapatrie » est évoqué avec précision par la devise Cum subditis quasiparens cum liberis, citation explicite du panégyrique de Pline àTrajan7, mais aussi dans le choix de figurer ce thème par unvieillard coiffé d’un bonnet conique (un prophète ?) abritanttrois putti, variation sur le thème de la charité du paterfamilias8. Si les allégories des vertus déclinent souvent leursattributs de manière tout à fait traditionnelle, le traitementiconographique des bienfaits s’adapte parfois de manière assezneuve à la spécificité des actions de Charles III. Les figures quiaccompagnent les devises « Claram academiam mussipontinem instituit, dotavit,fovit, et florere fecit », « Commercia erexit », « Exercitui quem contra hostes 16.annis habuit stipendium » et « Foedus cum finitimis firmavit » illustrent demanière originale des phrases déclaratives, sans recherchestylistique particulière, qui commémorent des événementshistoriques concrets ou des mesures ponctuelles : la fondationrécente de l’Université de Pont-à-Mousson (1572), l’instaurationd’une politique commerciale de grande envergure9, l’impôt perçu surl’armée adverse pendant 16 ans, l’affirmation des frontières de laprovince10. Choisir de glorifier telle ou telle action en la dotanttout exprès de la dignité allégorique participe d’un double

7 Pline, Second panégyrique de Trajan, XXI- Des mérites si éclatants ne vousdonnaient-ils pas des droits à quelques honneurs, à quelques titresnouveaux ? (…) C'est ainsi que, seul de tous les hommes, il vous futdonné d'être le père de la patrie avant de le devenir. Vous l'étiez dansnos cœurs, dans notre estime ; et peu importait à la piété publiquecomment vous seriez appelé, s'il n'y eût eu de l'ingratitude à voustraiter simplement d'Empereur et de César, quand c'était un père qu'elletrouvait en vous. Et par quelle bonté, par quelle douceur vous justifiezce nom ! oui, vous vivez avec vos concitoyens comme un père avec safamille ! (ut cum civibus tuis quasi cum liberis parens).8 Voir aussi Charles le Pois, Makarismos.. p.128: “ Cum igitur a naturàlenitatem mire esset compositus Princeps, (…) cum civibus suis quasiparens cum liberis viveret. »9 Son règne est qualifié par Charles le Pois de « praeclara sapientis oeconomiae exempla ». p.215 du même ouvrage.10 C’est à Charles III que la Lorraine est redevable des traités qui règlent les limites et les prétentions de tous ses voisins (transaction de Joinville avec l’Evêque de Metz, celle de Longeville avec le Comte de Nassau, le traité de Marville avec les Archiducs et la Gouvernante des Pays-Bas).

mouvement : on donne à certaines actions la valeur de maximespolitiques applicables dans d’autres circonstances et on inventeun langage iconique capable de synthétiser de nouvelles valeurs ausein d’un langage commun, déjà vulgarisé et consacré. Sur un fondd’architecture triomphale qui maintient la continuité avec lepassé, on vise au dépassement du modèle en inventant un nouveaulangage propre à la célébration de la Lorraine.

II- Un éloge de la Lorraine, terre de prospérité en temps de

paix.

Le dispositif des quinze tableaux relatant les prospéritésde la Lorraine est particulièrement soigné : chaque tableautin estencadré en haut par un entablement dont les inscriptions latineset des incrustations d’emblèmes11 dans chaque métope se rapportentà la scène centrale, tandis que le stylobate rappelle en lettrescapitales le nom des personnages symboliques qui se présentent,tantôt seuls, tantôt par paires.  « Doctrina », trônant sur une chaire jonchée d’attributs,développe l’inscription Doctrinarum liberaliumque artium facultates, dans sarelation avec l’emblema dont la figure forme trois cercles sécantsinscrits dans un cercle plus vaste. Le sens étymologique de ladevise encyclopaedia renvoie à son sens premier, celui de orbisdisciplinarum, i.e. « cycle d’études ». Ce montage souligne le projetdidactique prôné par les jésuites de cette toute jeune université.Chaque discipline est alors représentée avec insistance : lestrois facultés (Droit, Théologie et Médecine) sont à la foissymbolisées par trois livres qui portent les inscriptions Leges,Biblia et Medicina et par trois objets tenus par Doctrina (le glaive dejustice, le crucifix et le bâton d’Esculape) alors que les septarts libéraux sont figurés soit par des livres (un volume pourGrammatica, deux pour Dialectica), soit par des objets (le caducéepour la rhétorique, l’album pour la musique, une ardoise chargéede chiffres pour l’arithmétique, la mappemonde pour l’astronomieet le compas pour la géométrie). Au loin à droite, on reconnaît lepont qui sert d’armoiries à la ville de Pont-à Mousson. S’il est difficile de définir une logique d’ensembled’organisation des panneaux entre eux, la triade initiale Doctrina,Mars, Offficina semble néanmoins former une unité de sens, en déclinant11 Paulette Choné est la première à les remarquer et à en donner une interprétation très fine et suggestive : op.cit, pp. 149-150.

les objectifs prioritairement poursuivis par Charles III pendantson règne. Aussi est-il caractéristique de voir Mars, d’ailleursreplié en position défensive, le bouclier opposé à son bras gauchepour parer aux coups de l’ennemi, secondé par Doctrina et Officina,qui bénéficient de sa protection efficace. Le parallèle visuel estéclairant : une inversion s’opère entre la panoplie guerrière deMars (entre étendards et gonfanons aux armes de Lorraine -bars,alérions, croisettes et double croix- on distingue des lances,hallebardes, haches, glaives, rapières, masses d’armes, dont leshampes sont groupées autour d’un tambour hérissé de deuxtrompettes) et celle, pacifique, d’Officina (compas, niveau,tenailles, équerre, chevalet, mètre, sextant…). Les inscriptionsexplicitent ce diptyque saisissant : on adjoint à la bravoure et àla prouesse des Lorrains, placées sous les auspices de Mars(Praeclari belli Duces, virique armis apti), les prouesses au moins égalessinon supérieures d’Officina, dont les arts, qui créent des œuvresnées de la main comme du génie, alimentent la paix comme la guerre(Officina earum artium quarum opera ingenio simul et manu fiunt, pacemque et bellumalunt). La multitude d’artefacts, tels des trophées, qui jonchent lesol aux pieds d’Officina, le paysage urbain qui s’étend au loin ainsique le hameau figuré sur sa droite, attestent de la prospérité deses atouts. Les deux tableautins qui achèvent ce rang célèbrent lafertilité de la province, ses vignobles abondants, ses fertileschamps de blé (Bacchus et Cérès sont encadrés par deux emblèmesconcordants : les nourrices de Bacchus -Bacchi nutrices- et Maturitas)tandis que les jardins paysagers de Flore et les vergers de Pomonese déploient sous l’emblème de la fécondité des potagers (hortensesubertas) orné d’une guirlande de fruits. L’accent est mis surl’agrément des parterres, des topiaires et des serres du jardintandis que le potager abrite des espèces très estimées (speciebuslaudatississimis). Le second portique poursuit cette églogue12 en s’ouvrant surles figures de Pales, déesse des bergers et des pâturages, iciaffublée d’une baratte et de Melissa , caressant une ruche d’ungeste paisible. L’inscription biblique « Terra melle ac lacte fluens13 »,conjuguée à l’emblème intitulé Serenitas, illustré d’un arc-en-ciel,achève de composer le tableau idéal d’une campagne prospère. Dansla seconde scène, une dryade, assise sous un chêne et sur un cerfqu’elle apprivoise en l’ayant sans doute guéri14, célèbre les

12 Cf. Ovide, Fastes, IV, 746.13 Nb: XIII, 27; Deut : XXVI, 9.14 Voir l’analyse du sens de l’emblème du cerf blessé, accompagné du motto sanatio, que mène Paulette Choné, op.cit., p. 149.

forêts bonnes à couper (sylvae caeduae), les bois renfermant despâturages (saltus, nemora), riches en espèces utiles : conifères,résineux et arbres porteurs de glands (glandiferis resinaceis et coniferis).Les deux tableautins qui suivent forment une nouvelle triade,selon la catégorisation habituelle de la chasse dans l’Antiquité.Venatio (chasse au quadrupèdes), Aucupium (chasse aux oiseaux),Piscatio (chasse de toute espèce aquatique) sont toutes troispersonnifiées : la première femme, telle une Diane chasseresse,s’appuie sur une lance tout en retenant un lévrier ; à l’arrière,cavaliers et rabatteurs rivalisent d’exploits cynégétiques ;Aucupium tient un leurre et un oiseau de proie : derrière elle, unrapace saisit sa victime au vol alors que deux cavalierss’élancent, faucon au poing. Aucupium reprend de manière plusnaturaliste le leurre, ici réduit à une paire d’ailes, qui étaitl’attribut de l’allégorie du duc chassant à ses heures d’otium.Piscatio, munie d’une ligne et d’une épuisette, réunit autour d’ellesquatre divinités fluviales. Une couronne de joncs sur la tête,couchées au milieu des roseaux, elles s’appuient sur une urne d’oùl’eau du cours auquel elles président s’écoule. Aux rivières(Moselle, Meuse et Sarre) on a donné la figure d’une nymphe,tandis que l’étang du Lindre est représenté sous les traitshabituels du dieu-fleuve (vieillard barbu). Cette accumulationmiraculeuse des trois rivières et étang de la Lorraine en un seulendroit (l’orientation des figures ne correspond aucunement àcelle de leurs cours) fait peut-être écho du quatrième livre desGéorgiques, lorsque Virgile, en réunissant dans une seule et uniquegrotte, à la source de Pénée, tous les fleuves de la terre,célèbre leur naissance commune. De là, ils jaillissent à grandbruit, et partent dans des directions différentes, par des canauxsouterrains, pour aller çà et là dans le monde entier répandre,avec leurs eaux bienfaisantes, la vie et la fécondité.L’inscription correspondant à Piscatio souligne la variété,l’abondance et la saveur délicate des poissons issus de ces lieuxde pêche, mais aussi leur qualité nutritive (Fluvii lacus stagna ex quibuscapiuntur pisces commendatissimi delicatissimi, maxime sapidi et nutrimenti optimiinfinita fere varietate et copia). La personnification de Salina est unecréation originale : elle emprunte aux dieux-fleuves sa pose, maiscette fois, la nymphe déverse l’eau salée de trois conques tandisqu’elle se maintient dans un équilibre instable sur deux autrescoquillages et qu’une sixième coquille laisse s’écouler un filetplus mince. L’inscription mentionne ces six sources d’eaux salées,défendues par des cités fortifiées et d’où un sel très blanc y estépuré par le feu (Sex aquae salsae fontes in sex oppidis erumpentes, ex quibus sal

candidissimum ibidem excoquitur, tanta copia quantum multis provinciis satis esse potest,unde principi uberes reditus et magnae divitiae accedunt). Les villes deRozières, Salonne, Moyenvic, Marsal, Dieuze et Château-Salinservent d’arrière-plan à la représentation d’une saline en pleineactivité, avec, à droite un puits d’extraction, actionné par desbêtes de somme, devant une pile de grumes, au centre, une panoplied’outils (pelles, palans, sauts) et à gauche, un poêle àsel.L’emblème correspondant, « Sal terrae » (Mt V, 13)15, cristallise leslectures bibliques possibles de la scène. Le dernier portique, encadré par deux blasons ornés desarmoiries de Claude de la Ruelle et d’Eve Pullenois, sa femme,s’ouvre sur l’évocation des thermes de Plombières, célèbres pourses eaux guérisseuses de maux variés (Notissimae plombariae thermae,aegritudinis variis salubres). Un paysage montagneux enserre la villethermale développée autour d’une large piscine à l’air libre,tandis qu’au premier plan, une nymphe coiffée d’une couronnefleurie s’accoude sur une urne au goulot trilobé d’où jaillit unesource. L’emblème correspondant (un luth et une viole, assorti demusica) souligne sans doute l’agrément du lieu. Les perles de laVologne sont le sujet du tableau suivant : Volona est une nymphedont le cou et les avant-bras sont parés de colliers. Assise surune énorme conque d’où coule une eau chargée de mulettes à perles,elle brandit à bout de bras des rangs de ces « unions » dontVolcyr de Sérouville fut le premier à mentionner la taille et lafinesse remarquables16  :

15 Tel le sens que Matthieu a donné à la parole de Jésus « Vous êtes lesel de la terre » : le croyant doit conserver et rendre savoureux lemonde dans son alliance avec Dieu.16 Claude de la Ruelle veille à cette récolte, comme en témoignent lespièces justificatives des comptes de l’année 1619 : « F.55. Par unmandement de S.A. en datte du 6 septembre 1619, il fut ordonné à sesofficiers comptables de faire pescher et prendre des perles en la rivièrede Vologne et au ruisseau de Neusné, ce qu’ilz auraient faict et envoyé àNancy ez mains de Monsieur de la Ruelle, conseiller et secrétaired’Estat, pour les représenter à S.A. (…) ». Une autre pièce, signéeHenri, des comptes de décembre 1617 consigne que « ledit receveur nous acejourd’huy, présentées, aulcunes desquelles sont rondes, nettes, bienlustrées et de pris, et les austres restantes en partie plattes, enpartie longuettes et en partie caboches, dont aulcunes sont assez belleset en quoy nous avons pris grand plaisir. » documents cités par D. A.Godron, « Les perles de la Vologne et le Château-sur-Perle » Mémoires del’Académie de Stanislas, 1870, pp. 10-31.

Nous adjouterons que en la rivière de Voullognedécourant entre Arches et Bruyères, venant du costé del’ancienne tour de Perle, se trouvent margarites etunions que l’on nomme perles de bonne apparence etfines…Et en y avait de la grosseur d’ung pois,lesquelles selon l’advis des orfèvres lapidaires etmaistres ouvriers approchent les orientales17.

L’emblème correspondant porte la devise margaritaris decus « parure deperles » et illustre un croissant de lune, qui rappelle la formesouvent adoptée pour ces ornements féminins (lunulae). Sous lesauspices d’une cornucopie, assortie de la devise ubertas argentea,Metallica, entourée de divers outils (marteau, pointerolle, tamis,pelles, seau et brouette) s’affaire devant un paysage minier,munie d’une baguette divinatoire, d’une litharge et d’un récipientdestiné à récolter le minerai issu du plomb argentifère. Lacoutume de chercher des métaux à l’aide d’une baguette divinatoireest, depuis Basile Valentin, un sujet qui passionne : Paracelse,Kircher, Goclénius et Ménestrier débattront longuement desorigines de cette pratique18. Le paysage minier très détaillé del’arrière-plan, calqué sur les planches de l’édition de 1550 de laCosmographie Universelle de Sébastien Münster, repose sur plusieurscoupes de profil montrant, selon une vue en éclaté, lesdifférentes activités du mineur en exercice : prospection etextraction sont représentées dans des espaces cloisonnés tandisqu’une fonderie se signale à droite par une nuée puissante,abritée dans un baraquement jouxté par une roue à augets que vientfaire tourner le courant d’une rivière toute proche. Au loin, onlit, au-dessus de toits stylisés, les toponymes de Lusse, Bussang,Wissembach, La Croix-aux-Mines, Thillot et Vaudrevange.L’inscription Inexhaustae argenti tabuli aeris et Plombi fodinae, quibus hic tractusscatet souligne le pullulement inépuisable de ces mines. Metallica estle pendant de Vitriaria qui lui fait face ; l’allégorie du travail du

17 Volcyr de Sérouville, Nicole, Cronicque abrégée Por petits vers huytains desEmpereurs, Roys et Ducz Daustrasie ; avecques le Quinternier et singlaritez du Parc d’honneur et leTraite des Singularitez du Parc d’honneur, Paris, 1530, in 4°, fol. xlvij.18 Dans son De Re Metallica (Bâle, Froben, 1556, in fol°), Rodolphe Agricolas’interroge sur les pratiques ordinaires des hommes à baguette.Cependant, il se prononce contre cet usage, qu’il regarde comme unsouvenir des opérations des magiciens antiques. Selon lui, on ne voit queles petits ouvriers des mines, « gens sans religion » employer labaguette pour chercher les métaux. Un disciple de Paracelse, Goclénius,admet l’efficacité et approuve l’emploi de la baguette de coudrier pourdécouvrir les métaux.

verre est construite sur un modèle identique : les outils de sonmétier (canne, moules, creuset, ferret, mailloche) tissent un lienentre les multiples artefacts qui jonchent le sol au premier planet la scène très dynamique du second plan (panorama varié desphases de cuisson, de moulage et de façonnage, avec, sur lagauche, la mention des toponymes de Dompaire et de Darney).L’emblème associé à la scène figure la Fortune, voile gonflée etpied posé en équilibre sur une sphère, tandis que la devise « Vitreaest » invite à reconstituer la maxime de Publius Syrus : « Fortunavitrea est tum cum splendit frangitur » (La fortune est semblable au verre,plus elle est brillante, plus elle est fragile). L’inscription,plus longue que de coutume (Officinae vitriariae, in quibus vasa et opera vitreaconficiuntur praesertim vitriariae tabulae tam grandes, translucidae et ad omnes coloresaccipiendos aptae, ut nullae cum iis compari possint, ideoque per totam Europamrequiruntur et emuntur) loue la taille et la qualité de ce travail duverre, capable de prendre toutes les couleurs et jugé incomparabledans l’Europe entière. L’exaltation des ressources de la Lorrainerelève bien souvent d’une stratégie publicitaire. Enfin, cedernier registre se clôt par le pendant des deux figures deMarmorina et Alabastrina, assises l’une en face de l’autre surd’imposants blocs de pierre, extraits des carrières de marbre etd’albâtre représentées dans les roches escarpées au second plan.Rappel discret des fins dernières, ces deux figures garantissentla beauté et la pérennité du mausolée princier. L’inscriptionLapicidinae ex quibus variegati coloris marmora et candidissimus alabastrites eruuntur,haud procul ab oppidis hic expressis évoque la proximité de ces carrières,dont sont extraites des marbres de couleurs variées et desalbâtres d’un blanc très pur, d’avec les villes fortifiéesreprésentées schématiquement sur la gravure, et uniquementreconnaissables au moyen des toponymes de Boulay, Nancy, Charmes,Marsal et Clermont. On inscrit là encore cette dernière scène dansla géographie de la Lorraine ducale, selon un procédé récurrent.Cette insistance manifeste sur une toponymie à la fois méticuleuseet très peu descriptive donne une charge symbolique forte à chaquenom de lieu, auquel on reconnaît une dimension territoriale sansdoute, mais aussi commémorative, honorifique et poétique. Les deuxemblèmes qui encadrent l’entablement du dernier tableau servent debornes conclusives : le chrisme, accosté habituellement de l’alphaet de l’oméga, est ici associé au dieux romain Salus, et figurecomme pendant des deux termes qui accompagnent le tout dernieremblème : Terminus. La signification voilée de la devise, coupée deson contexte par un laconisme de bon aloi, invite à plusieurslectures, sans discrimination aucune. Placée sur la dernière

colonne du monument, la devise pourrait d’abord signifier que lesmerveilles de la Lorraine décrites jusqu’ici ne peuvent aller plusloin. S’agirait-il d’une maxime morale, conçue pour un individu,elle pourrait s’exprimer de la sorte : « C’est à ceci que je meborne » rappelant la devise Hic terminus haereret, et ses usages parErasme ou Choiseul-Gouffier19. Mais, dans l’optique qui est ici lanôtre, celle d’un mausolée, cette toute dernière incrustationemblématique nous oriente davantage vers une méditation d’ordremétaphysique et religieux : « La mort fixe un terme à touteschoses ».

Le dispositif extrêmement fécond de ce mausolée révèle àl’examen, un fonctionnement bien moins élémentaire qu’il n’yparait. Aucune hiérarchie monotone ne vient coder cet ensemblefoisonnant. Le tour cornucopien de la panoplie d’Officina révèle lanature infiniment plurielle de ses applications, vecteurd’émulation des arts entre eux, et source d’invention inégalée.Loin de s’en tenir à la morne répétition ou à la simple expansion,la présentation de cette copia procède par variations fécondes, enmaintenant l’équilibre délicat entre copia et brevitas. Aussi lesdevises forment-elles des exemples significatifs de cetteattitude : prenant le contre-pied des formules arbitraires, ellessont riches d’implications morales et évangéliques.

III) Charles Le Pois et son Makarismos Seu felicitatis, et virtutum egregioPrincipe dignarum coronae Ex Sapientiae hortis lectae, congestaeque in Honorarium eiusTumulum20.

L’éloge des prospérités de la Lorraine ici représenté sousforme de trois séries de quinze tableautins s’inscrit, de touteévidence, dans la continuité du Traité des singularités du parc d’honneur,que Nicolas Volcyr de Sérouville, historiographe du Duc Antoine,avait composé vers 1530, en adoptant la forme du septénaire. Lesdifférentes richesses du duché étaient alors présentéessuccessivement, et par séries de sept. La convergence thématiquedes deux éloges est très nette. D’une part, Volcyr célèbrel’industrie du verre, les salines, les perles de la Vologne, les19 Cf. Jean Guillaume, “Hic terminus haereret Du terme d’Erasme à la devise deChoiseul-Gouffier : la fortune d’un emblème à la Renaissance. » Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 44, 1981, pp. 186-19220 Caroli III Sereniss. potentiss. duc Lothar. March. Duc. Calab. Barri. Gueld. etc. Makarismos Seufelicitatis, et virtutum egregio Principe dignarum coronae Ex Sapientiae hortis lectae,congestaeque in Honorarium eius Tumulum, Jacob Garnich, Pont-à-Mousson, 1609.

ressources de la province en marbre, albâtre, calcédoine et autrespierres fines, sans omettre les sources chaudes de Plombières. Ilne manque pas, d’autre part, de glorifier « l’art et pratique defaulconnerie et vénerie », la chasse au gibier ainsi que la pêcheet les multiples espèces spécifiques à la Lorraine ducale(barbeaux, perches, lamproies, chavennes, tanches…). Dans lamesure où Volcyr évoque à plusieurs reprises des « tableaux » quine viennent pas, il semblerait que l’illustration prévue àl’origine n’ait pas été réalisée21. La composition choisie par lethuriféraire de la Lorraine du duc Charles III s’inscrit donc à lasuite de ce projet, mais le choix du quinquénaire (trois série decinq tableaux) offre une garantie de brevitas plus conforme audessein d’en faire une base pour y élever un mausolée.

L’hommage en forme de tombeau funéraire que le médecin CharlesLe Pois22 compose en latin et en grec mérite également d’êtreexaminé de près, dans la mesure où il participe de la même veined’exaltation des richesses du duché et qu’il semble parfois gloserexplicitement certains tableautins de ce frontispice si prolixe.

21 Voir l’article éclairant de Pierre Demarolle, « Nicolas Volcyr de Sérouville, Défenseur et Illustrateur de la Lorraine du Duc Antoine » : http://www.academie-stanislas.org/Demarolle00.pdf.22 Charles Le Pois (Carolus Piso) est né à Nancy dans un milieud’humanistes et de médecins. Son aïeul, Louis Le Pois (élève de J.Sylvius) était un apothicaire renommé, à qui le Duc de Lorraine conféraen 1528 des lettres de noblesse. Son oncle, Antoine Le Pois, premiermédecin de Charles III et grand helléniste, fut notamment consulté parFoës pour sa publication des œuvres d’Hippocrate. Son père, enfin,Nicolas Le Pois, célèbre praticien, lui assure une éducation solide enl’envoyant à Paris étudier au Collège de Navarre sous la férule de LouisDuret et Simon Piètre, qui lui enseignent les récents acquis de lamédecine galénique. Un séjour de deux ans à Padoue, affermi par lesleçons d’Alexandre Messarie sur Hippocrate et par des multiplesrencontres avec les médecins italiens, précède l’obtention en 1588 dugrade de bachelier, et de celui de licencié en 1590. Le Pois quitteraParis sans s’être fait recevoir docteur faute d’argent. L’Université dePont-à-Mousson, créée en 1572 et dirigée par 60 jésuites, s’accroît en1598 d’une faculté de médecine : c’est l’occasion pour le Pois, que leDuc Charles honorait d’une faveur toute particulière, d’être nommé doyenet premier professeur. L’histoire de l’Université a conservé le souvenirde ses cuisantes démêlées avec les jésuites qui voulurent l’obliger àprêter un serment d’obéissance, auquel il se refusa. Le Pois entretenaitune vaste correspondance avec les savants de son temps. Outre le Grec etle Latin, Le Pois connaissait l’Italien, l’Arabe, l’Hébreu et l’Espagnol.Il meurt au cours d’une épidémie de typhus qui sévit à Nancy en 1563.

Le terme « Makarismos » (littéralement celui qu’on estime heureux)aussitôt affublé de son équivalent latin seu felicitatis, renvoie sansdoute au célèbre makarismos qui se trouve à la fin des Géorgiques,chant II, v. 490 : « Felix qui potuit rerum cognoscere causas ».L’allusion à Lucrèce chez Virgile fait plus globalement référenceà son projet d’écrire de la poésie philosophique. La gravure dufrontispice illustre cette scène de couronnement post mortem : dixallégories féminines s’apprêtent chacune à orner l’effigie duprince d’une couronne différente, symbolisant le faisceau étendude ses vertus23.  pour laisser place, en toute fin de l’ouvrage auchant du Makarismos final. Le modèle de ce tombeau est ainsirattaché aux rites qui accompagnent les funérailles antiques de lapompa augusta des empereurs romains. Charles Le Pois justified’entrée son projet en citant Tacite (Hist. II,55) :

Le peuple promena par les temples avec des lauriers etdes fleurs, les images de Galba, et lui fit, d’un amasde couronnes, une espèce de tombeau près du lacCurtius ; au lieu même qu’avait ensanglanté le meurtrede ce prince. 

Dans le corps de l’ouvrage, la célébration de la Lorraine selon laveine virgilienne des Géorgiques reprend le registre bucoliquereprésenté par certains des tableautins du frontispice gravé.

N’est-t-il pas réjouissant de voir les terres deLorraine s’étendre largement, fertiles et gorgées desprésents dorés de Cérès ? N’est-il pas plaisantd’effleurer les coteaux bigarrés de couleur pourpre etde saliver devant le parfum plus agréable encore desprécieuses sèves de Bacchus s’exhalant au ciel ? Etcomment ne pas se réjouir à la vue des vaches, paissantçà et là dans de vastes pâturages ? N’est-il pas utileque des plantes courent à travers l’aspérité descollines, comme le serpolet, le thym et le fourrage siapprécié des brebis? N’est-il pas agréable de parcourirles monts boisés d’ arbres qui portent des glands,

23 La liste de ces couronnes structure l’ouvrage en entier, qui se présente comme un rite de couronnement sans fin : Corona laurea seu de felicitate externa, corona querna seu de feminibus virtutum, corona ex ilice, vite, malo, et olea, seu Fortitudinis, Modestiae, & Clementiae, Corona ex alice, amygdala, caprifico, malo, & cicere ; seu Temperantiae & Magnificentiae, Corona, ex palma et myrto, seu Iustitiae & Comitatis  EUTERPE ; Corona ex Moro, sive Prudentiae THALIA, Corona ex Loto, sive Pietatis, URANIA Corona e malo punica, sive amicitiae TERPSICHORE, Corona ex Cupresso, seu honoris, & iustorum funebrium.

d’épicéas et de sapins, parmi les assemblages de boisde construction de grande qualité ?24 

Concernant les richesses de la pêche, particulièrement intensivede septembre à avril, Le Pois la renseigne avec force détails ensoulignant la variété et l’abondance d’espèces nobles (brochet,perches, cyprins) ou viles, ainsi que des remarques précises surleur comportement :

On y voit des bancs de poisson attachés les uns auxautres, non pas à la manière des poissons endécomposition qui forment des conglomérats en hautemer, ou bien à la manière des rémoras, dont on a cruautrefois qu’elles se mettaient en travers des naviresparce qu’elle étaient mues par une force occulte, maisplutôt, à la faveur d’observations plus récentes, selonune formation triangulaire très compacte, où leminuscule poisson le plus étroit l’emporte autrement,car s’il est certain qu’il ne peut s’opposer à lamarche des navires, il peut toutefois la retarder.25

Plus loin, Charles le Pois mentionne les bains thérapeutiques dePlombières, connus tant en France qu’en Allemagne et encore lesmarbres variés, les gisements d’albâtre et d’agates, d’onyx,d’espèces de rubis (carchedonius carbunculus), de perles ou d’unionsdans les courants de la Vologne, les vergers cultivés, jardinsharmonieux, mais aussi des ressources en tout genre, comme parexemple les arts du métal et du feu (verreries dont la spécialité

24 Makarismos, p. 49 : « Ut juvat videre late patentes Lotharingiae camposflavae Cereris donis laetos et onustos ? Ut juvat adlambere collespurpureo varios colore et gratiorem spirantes caelo pretiosi succi(fucci ?) Bacchici odorem ? Ut juvat in latis pascuis videre errantesboves? Ut juvat aspere collium serpillo, thymoque, gratissimo lanigeraepecudi pabulo virentia percurrere? Ut juvat dense sylvarum glandiferarumardua picearum atque abietum, laquearibus praestantis materiae,lustrare?”25 Ibid. p. 49-50 “Videre est illic piscium greges eo numero confertos,ut non maiore haleces in mari conglobentur, aut remorae, quae olimocculta quadam vi naves sistere creditae sunt: sed observationerecentiorum agmine potius conferto, densissimoque, cuneo perexiguum aliaspiscuculum id praestare,et se se natium cursui obijcere,eumque, retardarecompertum est. Videre est ad hoc forum piscarium celeberrimum universamAlsatiam, et magnum Germaniae tracum vel quadraginta leucis germanicisdisjunctum quotidie confluerer.”

est le miroir convexe). Ces pages ajoutent un luxe de détailspropres à parfaire l’éloge des ressources des manufactures deLorraine.L’esprit de ce texte est très proche de certaines des citationslatines du frontispice, dont le vocabulaire est très précisémentdocumenté. Aussi ne peut-on pas complètement écarter l’hypothèseselon laquelle Le Pois aurait conseillé Claude de la Ruelle dansl’invention et la conception du frontispice. Pierre Marot aproposé le nom de Léonard Périn, professeur de rhétorique et dethéologie à l’Université de Pont-à-Mousson, auteur des deuxoraisons funèbres prononcées aux funérailles du duc26. Charles lePois a-t-il également conseillé le maître d’œuvre dans laconception de ces planches aux détails si particuliers ? Il estdifficile d’apporter une réponse définitive. Si sa collaborationeffective est seulement plausible, il demeure certain que sonéloge philosophique et poétique de l’apothéose ducale donne uneassise plus grande à la signification d’ensemble de ce monument.Plusieurs éléments méritent alors d’être soulignés : Charles lePois compose un éloge qu’il apparente à une véritable« dissertation philosophique » selon le modèle d’un manifestesénéquien servant de propédeutique à une vie heureuse et à lafélicité éternelle  L’éloge des vertus du prince conditionne selonlui la prospérité de la Lorraine. Charles III, image de vraienoblesse, propage la vertu, dompte les vices et propose un modèlede vie27 à ses sujets. La valeur exemplaire des vertus de Charles

26 Pierre Marot, op.cit , p. 8 ; « un texte digne de foi nous autorise àproposer un nom, celui de Léonard Périn, professeur de Pont-à-Mousson,recteur de l’Université pendant sept ans, qui prononça l’oraison funèbrede Charles III. L’histoire manuscrite de l’université du Pont du PèreAbram attribue formellement au père Périn la rédaction du texte latin dela Pompe funèbre : «  Funus celebratum apparatu qui tabulis ingentibus aeneis decemaliisque minoribus non paucis et latina Leonardi Perini vernacula Claudii Ruelli oratione magnificedescriptus atque in lucem missus est… ». L’auteur de ce texte, le Père Abram, néen 1589, était déjà en 1608 à l’Université de Pont-à-Mousson où il avaitfait toutes ses études. Il y a tout lieu de le suivre, Périn, jésuite,professeur de rhétorique et de théologie, a pu également guider La Ruelledans la composition des attributs de Charles III et dans le choix de sessymboles de ses vertus. »27 Charles Le Pois, Makarismos, p.83: “ Sed quorsum haec seria &accurate de virtutis naturà praestantiàque repetita è Philosophorumscholis dissertatio? Nimirum de verà solidaque; felicitate CAROLI III.Felicis. Memoriae Principis nobis aliquid meditantibus aperienda eius reinatura fuit, in quà praecipue Beatitudo, quam mortals in hac vitaconsequi possunt, effloresceret, si quidem vere est antea demonstratum

III est le leitmotiv de ce panégyrique. Le Pois magnifie le rôleessentiel du spectacle28 de la vertu, dont la liste est abondammentdétaillée et dont les figures doivent être considérées avecattention par chacun (in tabella intuendas). Chaque vertu estprécisément considérée du point de vue de sa figurabilitéiconique. Elle est aussitôt illustrée par des exemples desbienfaits qui lui sont associés, dont on souligne la valeurexemplaire pour la postérité. Ainsi par exemple, l’éloge de lamagnanimité29 passe par l’évocation de l’érection de places fortes(Stenay, Marsal, Lunéville…) ou de l’aménagement desfortifications de Nancy, mais aussi par son usage des lois pourétendre l’enceinte des villes, que le Pois explique en citantTacite (Annales XII,23) :

virtutem ad bene beateque; vivendum sibi sufficere; caetera sine virtutequidem vana fluxaque, esse, cum eàdem autem felicitates adiumenta quaedamesse, certe ornamenta. Itaque; cum virtutum omnium complexu contineaturfelicitas, officij profecto nostri ratio postulat, ut virtutes omnes,quibus magnus ille Principe emicuit, sigillatim, percurramus, & veluti intabella intuendas proponamus.”28 Ibid. , p. 79: “Quid virtute dulcius, amabilius aut pulchrius? (…) O si spectari posset virtus, quantum sui amorem in hominis hominum excitaret!”29 Ibid. p.164-165 : “Atqui cum haec egregia suae magnificentiae exemplaad salutem publicam pertinentia dederit noster CAROLUS in suorum animisad memoria consignanda sempiternam, certé non minora ad stabilitatem, etrobur imerij maximé necessaria omnium oculis spectanda monumentareliquit.nam in limitibus quidem imperij Clarum-montem, Stannaeum, Motam,Marsalam, Salburgum, Bythim, Lunaevillam, aliaque oppida, & in ipsoumbilico Nancaeum propugnaculis, aggeribusque,& munimentis inaccessis,nulloque ferro quassabilibus, fossisque vastissimis, admirandis & omniumoculis stupendis operibus cinxit, sepsit, vallavit, & stativis firmavitpraesidijs : quin ipsum Nancaeum palatio superbo decoratum & potentissimoinstructum armamentario effudit in novam, & amplissimam urbem, vicisquelatis & pluribus foris distinxit, & omnis generis artificibus iisquenominis frequentem celebremque reddidit.ille enim profecto pomerium urbisaugendi ius habuit more prisco, quo ijs qui protulere imperium etiam terminos urbispropagare datur qui scilicet latè fines imperii praesertim Germaniampropter terrà Bythensi, Castro Palatino, Umburgo,à Sancto Avolo, aliisqueditionibus ei adiunctis prolatasset. Quae magnifica aeternaque MagniPrincipis opera si accurate & aequis oculis minimeque invidiscontemplemur, tanta sunt profectò, ut ab iis nunquam intermorituramnominis eius memoriam, & immortalem gloriam sperare debeamus.”

Claude étendit le pomérium , d'après un ancien usagequi donnait à ceux qui avaient reculé les bornes del'empire le droit d'agrandir aussi l'enceinte de laville.

L’auteur du Makarismos évoque en toute fin d’ouvrage, leconcert de monuments qui célébrèrent la Pompe funèbre de CharlesIII. Outre la magnificence des cérémonies elles-mêmes, qu’ildétaille rapidement, il faut noter qu’il range son ouvrage auxcotés de « la Pompe funèbre que le célèbre Claude de la Ruelle acomposée et à laquelle il a présidé, en la décrivant dans ledétail par des gravures et en l’illustrant par des figures,travail duquel il nous a dispensé »30. Son ouvrage s’inscrit dansun concert de louanges dont les supports sont les plus divers(monuments, arcs triomphaux, tripodes, patères, couronnes,oraisons solues…) mais dont la visée est identique : consacrer laBéatitude du Prince défunt31 dont il s’emploie à chanter ensuite unMakarisme, puisque, conclut Le Pois, il est d’une très grandeutilité de louer sa vertu droitement, car la vertu louée granditencore.

La prise en compte de la circulation du sens au sein de cettecomposition si prolixe a permis de ne pas laisser de coté l’enjeuultime de l’érection de ce mausolée. Chacun des registres de cemonument composite ne peut être dissocié, tant la circulation desallégories et leur plastique déclamatoire envahit le monument dansson entier. Les vertus du prince ne cessent jamais de dialoguer30 Ibid. p. 250-251: “ Sinite enim me praeterire honora & magnifica, quaein mortum facta, atratam universam aulam, & plebem, versos fasces,tubasque, cineres humeris comitum portatos, effigiem praepositam thoro,imagines et insignia circumfusa lecto, epulum regifico luxu paratum.Sinite praeterire me vota publica, immolationes, & sacrificia adMacarismum eius collata; aliaque; funerum solemnia, & justa regia, quaevir clarus Claudius de la Ruelle qui iis praesuit tanquam arbiter &designator, sigillatim, graphiceque descripsit, & iconibus illustravit;quo labore nos levavit.”31 Ibid. p. 251 : “Enimvero cum ex honoris generibus quaedam sint cumutilitate coniuncta, ut tripodes, paterae, coronae, annuli ex aurosolido, arma & eiusmodi munera; alia splendorem conferant, ut imagines;alia memoriam constantiorem reliquant, ut sepulchra, arcus triumphales,incisa notis marmora publicis; Elogia profecto, & monumenta honoriscarmine, vel oratione soluta, litterisq; exarata omne tulisse punctumvidentur. Nam cum omnium hominum consensu officii, aequiq; ratio postulatVirtuti meritum tribuere honorem.”

avec ses bienfaits : les bienfaits eux-mêmes empruntent la dignitéallégorique et accèdent à l’empyrée constellée régie parl’éternité de mémoire. La structure même du frontispice met ainsien évidence l’émulation que provoque le spectacle de la vertu.Figurer la vertu, ce n’est pas seulement commémorer le règneprospère d’un prince particulièrement vertueux, c’est proposer unfaisceau les maximes exemplaires d’un bon gouvernement. Figurerles bienfaits d’un duc défunt n’est pas davantage s’abandonner àla nostalgie d’églogues d’un âge révolu, il s’agit bien aucontraire de jeter les fondements efficaces et légitimes d’uneprospérité économique sans fin apparente. Cette pompe auguste, enmaintenant l’image d’un règne prospère par delà la mort du duc,devient aisni le fer de lance d’un manifeste des arts ettechniques d’une province, sous les auspices d’Officina, promue aurang de pivot central du mausolée tout entier.