La démocratisation dans l'ombre de crises et violences politiques en Afrique: rétrospective et...

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CONFERENCE INTERNATIONALE DE DAKAR Deux décennies de démocratie et de gouvernance en Afrique: leçons retenues, défis et perspectives Organisée par la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique ( CEA), Addis-Ababa, le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (CODESRIA), Dakar, et l’Université Johns Hopkins, Washington, DC Date: 20-22 juin 2011 La démocratisation dans l’ombre de crises et violences politiques en Afrique : rétrospective et prospective sur le rôle des opérations de maintien de la paix Par BALINGENE KAHOMBO * Introduction La fin de la guerre froide revêt une double signification en Afrique. D’abord, le triomphe de la démocratie libérale dans les anciennes démocraties populaires a réussi à envahir les pays africains, où l’opinion venait de suivre, fin 1989, la chute tragique du dictateur roumain, Ceausescu, qui fut chassé du pouvoir, traqué, arrêté, jugé et fusillé sommairement, à côté de son épouse. Partant, les dirigeants en place ont été contraints à l’ouverture au pluralisme politique et à l’organisation des élections en vue de l’alternance éventuelle au pouvoir. Les stratégies employées sont variées : la tenue tous azimuts des conférences nationales (Ch. Zorgbibe 2003 : 295-299), l’adoption de nouvelles constitutions ou la révision de celles préexistantes, les régimes de transition et l’organisation des élections. Ensuite, malheureusement, ce mouvement de démocratisation a été émaillé, depuis lors, de désordres. Les revendications citoyennes de la démocratie ou l’échec des processus pacifiques mis en place ont débouché, un peu partout, à de crises et conflits armés : Burundi, Comores, Congo-Brazzaville, Côte d’Ivoire, Liberia, République centrafricaine (RCA), République démocratique du Congo (RDC), Rwanda, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Tchad, etc. La stratégie de la lutte politique pacifique, ayant démontré ses limites face aux régimes qui ont voulu, à tout prix, se pérenniser au pouvoir, a été supplantée par celle de la démocratisation par le recours à la force. D’où l’apparition des rébellions soutenues de l’extérieur, des coups d’Etat aussi bien que des violences politiques de bas se intensité (Mwayila Tshiyembe 2006 : 36), qui traduisent, en toile de fond, la crise des processus démocratiques en Afrique (C. Kabuya-Lumuna Sando 1998 : 7-8). * E-mail: [email protected]

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CONFERENCE INTERNATIONALE DE DAKAR

Deux décennies de démocratie et de gouvernance en Afrique:

leçons retenues, défis et perspectives

Organisée par la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA),

Addis-Ababa, le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales

en Afrique (CODESRIA), Dakar, et l’Université Johns Hopkins, Washington, DC

Date: 20-22 juin 2011

La démocratisation dans l’ombre de crises et violences politiques en

Afrique : rétrospective et prospective sur le rôle des opérations de

maintien de la paix

Par

BALINGENE KAHOMBO*

Introduction

La fin de la guerre froide revêt une double signification en Afrique. D’abord, le triomphe

de la démocratie libérale dans les anciennes démocraties populaires a réussi à envahir les

pays africains, où l’opinion venait de suivre, fin 1989, la chute tragique du dictateur

roumain, Ceausescu, qui fut chassé du pouvoir, traqué, arrêté, jugé et fusillé

sommairement, à côté de son épouse. Partant, les dirigeants en place ont été contraints à

l’ouverture au pluralisme politique et à l’organisation des élections en vue de l’alternance

éventuelle au pouvoir. Les stratégies employées sont variées : la tenue tous azimuts des

conférences nationales (Ch. Zorgbibe 2003 : 295-299), l’adoption de nouvelles

constitutions ou la révision de celles préexistantes, les régimes de transition et

l’organisation des élections. Ensuite, malheureusement, ce mouvement de

démocratisation a été émaillé, depuis lors, de désordres. Les revendications citoyennes de

la démocratie ou l’échec des processus pacifiques mis en place ont débouché, un peu

partout, à de crises et conflits armés : Burundi, Comores, Congo-Brazzaville, Côte

d’Ivoire, Liberia, République centrafricaine (RCA), République démocratique du Congo

(RDC), Rwanda, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Tchad, etc. La stratégie de la lutte

politique pacifique, ayant démontré ses limites face aux régimes qui ont voulu, à tout

prix, se pérenniser au pouvoir, a été supplantée par celle de la démocratisation par le

recours à la force. D’où l’apparition des rébellions soutenues de l’extérieur, des coups

d’Etat aussi bien que des violences politiques de basse intensité (Mwayila Tshiyembe

2006 : 36), qui traduisent, en toile de fond, la crise des processus démocratiques en

Afrique (C. Kabuya-Lumuna Sando 1998 : 7-8).

* E-mail: [email protected]

Par ailleurs, cette période de crise des processus démocratiques marque le retour en

Afrique, après vingt-cinq ans d’absence (X. Zeebroek 2006), de la pratique des

opérations de maintien de la paix (OMP). En effet, entre 1990 et 2010, une vingtaine de

pays africains ont bénéficié des services de ces opérations de maintien de la paix. Au

cours de la même période, il apparaît qu’au moins une cinquantaine d’OMP ont été

menées sur le continent noir, dont au moins dix sont encore en cours d’exécution de leurs

mandats dans dix pays différents (Burundi, Côte d’Ivoire, Egypte, Liberia, Maroc du côté

du Sahara occidental, RDC, RCA, Sierra Leone, Somalie et Soudan). Parmi toutes ces

opérations, certaines affichent même, de par leurs dénominations, leurs véritables

finalités. C’est le cas du Groupe d’assistance des Nations Unies pour la période de

transition en Namibie (GANUPT), de la Mission des Nations Unies pour l’organisation

d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO), de la Mission de l’Union africaine

pour le soutien aux élections aux Comores (MUASEC), de la Mission d’assistance

électorale et sécuritaire de l’Union africaine aux Comores(MAES) ou encore de

l’« Opération démocratie aux Comores » en 2008.

Il en résulte que les opérations de maintien de la paix, conduites en Afrique depuis la

décennie 1990, peuvent être rangées en deux catégories : celles poursuivant des objectifs

démocratiques dans les Etats qui les ont accueillies et d’autres qui sont pratiquement

étrangères à ces objectifs (cas par exemple de la MINURCAT en RCA et au Tchad).

Par définition, la démocratisation est un processus d’ordre interne, qui procède d’une

« action par laquelle les gouvernements ou tout groupe social tendent ou prétendent

concrétiser l’affirmation théorique de la démocratie » (Ch. Debbash et al. 2001 : 136).

Elle est, d’après Patrick Quantin, « une dynamique d'ouverture de la participation

citoyenne et de la compétition pour l'accès au pouvoir » (A.-Cl. Kambaza Alfani 2004 :

1). Peuvent concourir à la réalisation de ce processus, aussi bien des gouvernements que

des acteurs internes et internationaux, étatiques ou non-étatiques. Les opérations de

maintien de la paix à objectifs démocratiques, qui sont, en principe, des instruments non-

coercitifs de résolution des conflits (P. Daillier et A. Pellet 2002 : 1010), procèdent de

l’action des organisations internationales, en temps de crises ou de guerre, par dérogation

aux principes classiques de souveraineté et de non-ingérence dans les affaires intérieures

des Etats. Ces OMP confirment l’idée de la relation dialectique entre la paix et la

démocratie : « pas de démocratie sans paix et pas de paix sans démocratie », (A. Shyaka

2003). Partant, elles doivent être considérées comme une dimension nouvelle du maintien

de la paix et de la sécurité en Afrique.

Cette étude vise précisément à mettre en relief, de manière concrète, le rôle et la

contribution des opérations de maintien de la paix dans la recherche concomitante de la

paix et de la démocratie en Afrique. Quels sont leurs procédés d’intervention ? Ces

opérations ont-elles conduit partout au succès des processus démocratiques ? Quels sont

les obstacles et les défis auxquels elles ont été confrontées. Dans quelle mesure ces

opérations peuvent encore s’avérer nécessaires dans les pays qui les accueillent une fois

les institutions démocratiques sont mises en place ? Quel est l’avenir des opérations de

maintien de la paix à objectifs démocratiques en Afrique ?

L’analyse commande, ainsi, le recours à l’interdisciplinarité, doublée d’une approche

comparative, combinant des éléments relevant à la fois de l’histoire, de la science

politique, de relations internationales et du droit. Aussi cette étude est-elle subdivisée en

deux principaux points. D’abord, il s’agit d’examiner l’avènement des OMP à objectifs

démocratiques en Afrique. En effet, leur historicité mérite d’être mise en exergue, en

inventoriant les Etats qui les ont, jusque-là, accueillis, et en décrivant le cadre juridique et

politique de leur création. Ensuite, on tentera de déterminer la quintessence de leurs

objectifs démocratiques, leurs modes d’action pour pouvoir les atteindre, leur bilan ainsi

que leur avenir.

1. L’avènement des opérations de maintien de la paix à objectifs démocratiques en

Afrique

Il est symptomatique de souligner que l’Afrique constitue un terrain d’expérimentation

des opérations de maintien de la paix dans le monde. Déjà en 1956, c’est l’Egypte qui

abrita la toute première véritable opération de ce genre, suite à la création par

l’Assemblée générale de l’ONU (1) de la Force d’Urgence des Nations Unies (FUNU I)

(2), entreprise dans le contexte d’un conflit ayant un caractère international, opposant

l’Etat d’Israël, la France et la Grande Bretagne à l’Egypte, à la suite de la nationalisation

par celle-ci du Canal de Suez ( R. Pinto 1956 : 1-16). Presque quatre années plus tard,

c’est le jeune Etat du Congo qui dut recevoir l’opération la plus importante,

multidimensionnelle, à caractère militaire, civil et technique, jusqu’alors jamais

constituée dans le cadre onusien : l’Opération des Nations Unies au Congo (ONUC) (3),

du 15 juillet 1960 au 30 juin 1964. Dès lors, plus aucun soldat de la paix ne mit le pied en

Afrique jusqu’en 1989 (4). Voici qu’à nouveau la primeur de l’inauguration de la

dimension nouvelle des opérations de maintien de la paix à objectifs démocratiques est

revenue à l’Afrique, suite à la mise en place effective du Groupe d’assistance des Nations

Unies pour la période de transition en Namibie (GANUPT), en 1990. Une flopée

d’opérations de ce genre allait, depuis lors, s’en suivre. Le cadre politique et juridique de

leur création semble convergent. Les Etats africains, qui les ont accueillis, ont été, dans

l’ensemble, frappés par la crise de la démocratisation, entraînant une forte implication

internationale pour y mettre un terme.

1.1. Les Etats africains ayant accueilli des opérations de maintien de la paix à

objectifs démocratiques

Une distinction doit être faite entre les opérations conduites sous l’autorité de

l’Organisation des Nations Unies (ONU) et celles proprement interafricaines. Il en ressort

un double constat : d’une part, l’inflation des opérations de maintien de la paix à objectifs

démocratiques ; d’autre part, le contraste ONU-Afrique, qui ne peut laisser indifférent

aucun esprit scientifique éclairé, concernant leur participation respective au règlement

des crises et violences politiques liées au problème de l’instauration de la démocratie en

Afrique.

1.1.1. L’inflation des opérations de maintien de la paix à objectifs démocratiques

Arithmétiquement, de 1990 jusqu’au 31 avril 2011, le nombre total des OMP à objectifs

démocratiques, déployées en Afrique, s’élève à cinquante : trente-trois opérations

onusiennes, dont huit sont encore d’actualité ; neuf missions de l’Organisation de l’unité

africaine et de l’Union africaine, sept OMP conduites sous l’autorité de communautés

économiques régionales (CER) et sous-régionales, ainsi que la Mission de surveillance

des accords de Bangui (MISAB). On peut, statistiquement, résumer la situation dans un

tableau, qui démontre qu’il existe, entre les cinq sous-régions africaines, une grande

disparité quantitative.

Tableau n°1. Classement des OMP à objectifs démocratiques par sous-région

africaine

N° Sous-régions Nombre d’OMP Pourcentage

01 Afrique centrale 22 44

02 Afrique de l’Ouest 17 34

03 Afrique orientale 7 14

04 Afrique australe 3 6

05 Afrique du Nord 1 2

Il en résulte que l’Afrique centrale est la sous-région la plus gâtée en OMP à objectifs

démocratiques. Au total, six de ces opérations sont en cours d’exécution de leurs

mandats. Il s’agit, d’abord, de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la

Stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), qui a succédé, depuis

le 1er

juillet 2010, à la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République

démocratique du Congo (MONUC), dont la création remonte au 30 novembre 1999.

Ensuite, c’est la Mission de consolidation de la paix en Centrafrique (MICOPAX) et du

Bureau intégrée des Nations Unies pour la consolidation de la paix en République

centrafricaine (BINUCA). Il y a aussi la Mission des Nations Unies et de l’Union

africaine au Darfour (MINUAD) et la Mission des Nations Unies au Soudan. Enfin, le

Bureau des Nations Unies au Burundi (BNUB).

Politiquement, cela signifie que l’Afrique centrale est, en tout cas, la sous-région la plus

instable du continent, avec un taux d’intervention des OMP à objectifs démocratiques

évalué à 44%, qui contraste, par exemple, avec le 2% obtenu pour l’Afrique du Nord ou

le 6% pour l’Afrique australe. Evidemment, la question qui se pose est de savoir si

l’Afrique centrale en tire ou en a tiré un profit tangible, conjurant toutes les crises

démocratiques, lourd de conséquences parmi les populations civiles. Telle une question

de bilan, qui mérite d’avoir une réponse ultérieurement.

Quand on la compare à l’Afrique de l’Ouest, où le taux des OMP à objectifs

démocratiques est évalué à 34%, il s’en dégage deux constats majeurs. Premièrement,

trois pays (Côte d’Ivoire, Liberia et Sierra Leone) contre six en Afrique centrale (Angola,

Burundi, RDC, RCA, Rwanda et Soudan) ont abrité des OMP à objectifs démocratiques.

En second lieu, seules trois de ces opérations sont encore opérationnelles, alors même

qu’au plus fort des crises politiques et conflits armés, les trois pays susvisés en

hébergeaient, concomitamment, six. Il s’agit de l’Opération des Nations Unies en Côte

d’Ivoire (ONUCI), de la Mission des Nations Unies au Liberia (MINUL) et du Bureau

intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en Sierra Leone. On verra, plus

loin, si cette évolution, apparemment positive, permet de formuler une conclusion

prédictive sur le dénouement heureux des crises démocratiques dans ces trois pays.

La Somalie et les Comores font de l’Afrique orientale l’un des bourbiers du continent. A

eux seuls, les Comores ont abrité quatre OMP à objectifs démocratiques : Mission de

l’OUA aux Comores (MIOC), Mission de l’Union africaine pour la surveillance des

élections aux Comores (MUASEC), Mission d’assistance électorale et sécuritaire aux

Comores (MAES) et l’Opération « Démocratie aux Comores ».

L’Afrique australe interpelle aussi à plus d’un titre. En effet, seuls trois pays ont été

servis en OMP à objectifs démocratiques et juste au lendemain de la fin de la guerre

froide : la Namibie avec le GANUPT, l’Afrique du Sud avec la Mission d’observation

des Nations Unies en Afrique du Sud (MONUAS) et le Mozambique avec l’Opération

des Nations Unies au Mozambique (ONUMOZ). La dernière de ces opérations dut plier

bagage en décembre 1994. Depuis lors, aucune autre situation conflictuelle n’a conduit à

une intervention internationale du genre. Mieux encore, l’Afrique du Nord n’a connu

qu’une opération de maintien de la paix, au Maroc, à savoir la Mission des Nations Unies

pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO). En tout état de

cause, on ne peut conclure hâtivement qu’on est, ici, en face de deux sous-régions les

plus démocratiques du continent, bien qu’elles apparaissent, visiblement, comme les plus

stables, qui n’ont pas connu, hormis les événements du printemps arabe de 2011 en

Afrique du Nord, des cycles de crises et de conflits armés à répétition depuis 1990.

1.1.2. Le contraste ONU-Afrique

Il ressort des développements précédents que, dans la majorité des cas, le soutien aux

processus africains de démocratisation est provenu des Nations Unies. Quantitativement

(5), en effet, plus de 77% des casques bleus se trouvent actuellement en Afrique. Les neuf

missions, dont huit proprement onusiennes et une à caractère hybride ONU-UA, coûtent

près de 80% du budget de toutes les opérations de maintien de la paix ; autrement dit, il

s’agit des interventions les plus vastes et les plus complexes menées par l’ONU. Les trois

missions les plus chères sont : la MONUSCO en RDC, la MINUAD au Soudan et la

MINUL au Liberia. Ce sont également ces trois opérations qui comptent plus de

personnel, avec notamment 20016 membres pour la MONUSCO (6) et 25987 pour la

MINUAD (7), du moins sur le papier. Depuis 1999, près de 60% de tous les décès

d’agents en mission ont eu lieu en Afrique.

La doctrine n’a pas hésité de dénoncer cette sorte de recherche de la « paix par offrande »

(A.N. Ayissi 2001 : 183), ruinant pratiquement la position politique de principe, élaborée

par l’OUA, selon laquelle « les crises et conflits africains doivent être résolus, en

Afrique, par les africains et dans un cadre strictement africain » (P.-F. Gonidec 1996 :

167).

Toutefois, la contribution africaine aux opérations de maintien de la paix à objectifs

démocratiques n’est pas à négliger. En réalité, parmi les quinze premiers pays qui

fournissent des casques bleus, sept sont africains. Il s’agit de l’Ethiopie (3.412), du

Nigeria (2.721), du Ghana (2.554), de l’Afrique du Sud (2.010), du Maroc (1.707), du

Sénégal (1.594) et du Kenya (1.446). Le premier pays européen (l’Ukraine) est 20ème

, les

Etats-Unis 31ème

et l’Espagne 39ème

. Au total, 33 pays africains fournissent 25000

hommes et femmes dans les opérations de maintien de la paix des Nations Unies en

Afrique (P.M. Joana 2010), soit près de 30% de l’effectif total des opérations onusiennes.

Mais, l’ampleur des interventions onusiennes est telle que les casques bleus africains y

sont, malgré tout, minoritaires. Ce sont les soldats pakistanais, bangladeshis, népalais et

indiens qui sont les plus nombreux.

En tout état de cause, l’Afrique a aussi le mérite d’avoir déployé ses propres opérations

de maintien de la paix à objectifs démocratiques. Mais, son effort demeure très limité.

Ainsi, l’OUA et l’Union africaine n’ont agi qu’en Afrique orientale (Comores et

Somalie) et en Afrique centrale (Burundi, Rwanda et Soudan). Le tableau ci-dessus en

fournit un aperçu général.

Tableau n°2. OMP à objectifs démocratiques de l’OUA et de l’Union africaine

N° Pays hôte Opérations de maintien de la paix Création

01 Rwanda Groupe d’observateurs militaires

neutres de l’OUA (GOMN)

Communiqué de l’Organe central du

13 septembre 1993

02 Burundi Mission de l’OUA au Burundi

(MIOB)

Communiqué de l’Organe central du 7

décembre 1993

03 Comores Mission de l’OUA aux Comores

(MIOC)

Communiqué de l’Organe central du

22 août 1998

04 Burundi Mission africaine au Burundi

(MIAB)

Communiqué Central

Organ/MEC/AMB/Comm.(XCI) de

l’Organe central du 2 avril 2003

05 Soudan Mission de l’Union africaine au Soudan (MUAS)

Accord portant sur les modalités de la mise en place de la Commission de

cessez-le-feu et le déploiement

d’observateurs militaires dans la

région du Darfour du 28 mai 2004 ;

Décision de la Conférence de l’Union

du 8 juillet 2004

06 Comores Mission de l’Union africaine pour la

surveillance des élections aux

Comores (MUASEC)

Communiqué PSC/PR/Comm.1

(XLVII) du Conseil de paix et de

sécurité du 21 mars 2006

07 Somalie African Mission in Somalia

(AMISOM)

Communiqué PSC/PR/Comm (LXIX)

du Conseil de paix et de sécurité du 19

janvier 2007

08 Comores Mission d’assistance électorale et

sécuritaire aux Comores (MAES)

Communiqué PSC/MIN/Comm.1

(LXXVII) du Conseil de paix et de sécurité du 9 mai 2007

09 Comores Opération « Démocratie aux

Comores »

Décision Assembly/AU/Dec.186 (X)

de la Conférence de l’Union du 2

février 2008

En revanche, de huit communautés économiques régionales, seules la CEDEAO et la

CEEAC ont eu à conduire, effectivement, des opérations de maintien de la paix à

objectifs démocratiques. L’histoire retiendra l’expérience de l’ECOMOG au Liberia en

1990, en Sierra Leone en 1997, en Guinée Bissau en 1998 ainsi que l’ECOFORCE en

Côte d’Ivoire en 2002. Pour la CEEAC, elle a mis en place la Mission de consolidation

de la paix en Centrafrique (MICOPAX) depuis 2008, en remplacement de la Force

multinationale en Centrafrique (FOMUC), constituée par la CEMAC, la seule

communauté économique sous-régionale à s’être courageusement lancée sur la voie de

l’institution des opérations de maintien de la paix à objectifs démocratiques en Afrique.

Quant à la Mission de soutien à la paix de l’IGAD en Somalie (IGASOM), bien que

légalement constituée depuis 2004, elle n’a jamais connu le moindre déploiement sur le

terrain, avant que l’AMISOM ne vienne à sa succession depuis l’an 2007.

Tableau n°3. OMP à objectifs démocratiques des communautés économiques

régionales et sous-régionales africaines

N° Pays hôte Opérations de maintien de la paix Création

01 Liberia ECOMOG au Liberia Décision A/DEC.1/8/90 du

Comité permanent de médiation

de la CEDEAO du 7 août 1990

02 Sierra Leone ECOMOG en Sierra Leone Décision A/DEC.7/8/97 de la

Conférence des chefs d’Etat et

Gouvernement de la CEDEAO

du 28-29 août 1997

03 Guinée-Bissau ECOMOG Guinée-Bissau Décision de la Conférence des chefs d’Etat et Gouvernement

de la CEDEAO du 26 décembre

1998

04 Côte d’Ivoire Force de paix de la CEDEAO en Côte

d’Ivoire (ECOFORCE)

Décision de la Conférence des

chefs d’Etat et Gouvernement

de la CEDEAO du 18 décembre

2002

05 RCA Force multinationale en Centrafrique

(FOMUC)

Décision de la Conférence des

chefs d’Etat et de

Gouvernement de la CEMAC

du 2 octobre 2002

06 RCA Mission de consolidation de la paix en

Centrafrique (MICOPAX)

Communiqué final du Conseil

de Ministres du Conseil de paix

et de sécurité de l’Afrique central du 25-26 février 2008 ;

Décision de la Conférence des

chefs d’Etat et de

Gouvernement de la CEEAC du

12 juillet 2008

06 Somalie Mission de soutien à la paix de l’IGAD

en Somalie (IGASOM)

Décision du Sommet de l’IGAD

du 15 octobre 2004 ;

Communiqué PSC/Comm.

(XXIX) du Conseil de paix et

de sécurité du 12 mai 2005

A vrai dire, certaines de ces opérations ont été déployées en attendant juste la mise en

place des interventions plus robustes, conduites par l’ONU. Ainsi, la MINUAR succéda

au Groupe d’observateurs militaires neutres de l’OUA au Rwanda, l’ONUCI à la Force

de paix de la CEDEAO en Côte d’Ivoire (ECOFORCE). De même, la MIAB fut

remplacée par l’Opération des Nations Unies au Burundi (ONUB) (8). L’AMISOM

s’inscrit dans la même logique et devrait, à terme, être relevée par une opération

onusienne, tandis que la MUAS s’est fondue dans la Mission des Nations Unies et de

l’Union africaine au Darfour (MINUAD) (9). Par conséquent, la relève des organisations

internationales africaines par les Nations Unies est une technique fermement établie en

pratique. Encore faut-il examiner, cependant, dans quel cadre juridique et politique ces

opérations de maintien de la paix à objectifs démocratiques sont créées.

1.2. Le cadre juridique et politique de création des opérations de maintien de la paix

à objectifs démocratiques

Le déploiement des OMP à objectifs démocratiques en Afrique a été occasionné par la

crise des processus africains de démocratisation, d’une part, et, d’autre part, l’extension

subséquente des compétences des organisations internationales à intervenir sur les

territoires de leurs Etats membres lorsqu’ils basculent dans des situations de crises

politiques et conflits armés de nature fondamentalement interne.

1.2.1. L’extension de la compétence du maintien de la paix à l’action en vue de

l’instauration et de la promotion de la démocratie

Classiquement, le maintien de la paix se limitait aux conflits entre les Etats. D’une

manière générale, la Charte des Nations Unies interdit à celles-ci de s’ingérer dans les

affaires qui relèvent de la compétence nationale (10). Toutefois, grâce au consensus

politique entre les membres permanents du Conseil de sécurité, il touche désormais à la

conflictualité d’ordre interne (J.-J. Patry 2007 : 1).

Par définition, d’après Boutros Ghali, le maintien de la paix consiste à établir, avec le

consentement de principales parties intéressées, dans une zone de tension ou de conflit,

une force civile et militaire sous l’autorité des Nations Unies (B. Boutros Ghali 1992 : 6)

ou, faut-il ajouter, de toute autre organisation internationale compétente. Evidemment, il

s’agit là d’une définition restrictive, d’autant que le maintien de la paix est au cœur des

buts de la Charte des Nations Unies et impliquent, lato sensu, les domaines économique,

social et culturel ainsi que les droits de l’homme. Par contre, c’est l’expression

« opération de maintien de la paix » qui semble bien correspondre à cette définition

restrictive du maintien de la paix.

Jusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique et la fin de la guerre froide, les opérations

de maintien de la paix sont, à l’exception notable de l’ONUC en 1960, des forces

d’interposition, commises à la surveillance des lignes de séparation entre les belligérants.

A cette première génération des opérations de maintien de la paix est venue s’ajouter une

deuxième génération. Désormais, ces opérations peuvent avoir pour but la promotion de

la réconciliation nationale entre plusieurs forces politiques et sociales, la stabilisation de

l’Etat ou sa reconstruction, le suivi de la mise en œuvre d’un processus démocratique, la

promotion et la défense de la démocratie, etc.

Cette pratique répond à la préoccupation essentielle, depuis une vingtaine d’année, de la

démocratisation de l’Etat et du rôle de l’ONU à cet égard. Elle fut particulièrement

abordée lors de la Conférence mondiale sur les droits de l’homme, tenue à Vienne, en

1993. En effet, la Déclaration de vienne a clairement établi le rapport entre la démocratie,

les droits de l’homme et le développent, en énonçant que ces trois concepts sont

interdépendants et se renforcent mutuellement (L.-A. Sicilianos 2002 : 26). Ils constituent

les conditions de la réalisation concrète de la paix durable, à long terme. Aussi, les trois

agendas de Boutros Ghali (paix, développement et démocratie) ont-ils, à nouveau, mis en

exergue cette relation entre la paix et la démocratie (B. Boutros Ghali 2002), si bien que,

de nos jours, on peut affirmer que la démocratisation est devenue une véritable politique

publique internationale (M. Gounelle 1998 : 201-213) en faveur de la paix. Tout le

dispositif de la Charte est mis à contribution et le Conseil de sécurité fait constamment

recours au chapitre VI, VII et VIII pour maximiser l’efficacité de ses opérations de

maintien de la paix à objectifs démocratiques. Bref, l’impératif démocratique est devenu

un fondement de l’intervention (G. Basue Babu Kazadi 2007 : 182), au nom du maintien

de la paix et de la sécurité internationale.

Du côté africain, l’OUA et l’Union ont défini, depuis 1990, un cadre juridique, très

détaillé, leur permettant d’accompagner les Etats membres dans la réalisation de leurs

projets démocratiques et de lutter contre toutes velléités de retour en arrière vers

l’autocratie et les régimes totalitaires. Il existe désormais une sorte de code panafricain

de la démocratie, des élections et de la gouvernance, regroupant, notamment, la

Déclaration de Lomé sur la réaction de l’OUA en cas de changement anticonstitutionnel

de gouvernement, l’Acte constitutif et son Protocole relatif à la création du Conseil de

paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine, le Mécanisme africain d’évaluation par les

pairs (MAEP) et la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.

Bref, il s’agit d’une véritable stratégie pour la continentalisation du régime

démocratique. Dorénavant, puisque n’étant plus une question de souveraineté nationale,

un régime totalitaire et autocratique ne peut être librement choisi par un Etat africain.

L’article 4.m de l’Acte constitutif énonce, parmi les principes de fonctionnement de

l’Union, le respect des principes démocratiques, des droits de l’homme, de l’Etat de droit

et de la bonne gouvernance. A cet égard, la Conférence de l’Union détient le pouvoir de

déclencher une intervention dans un Etat membre. Quant à l’article 7 du Protocole relatif

à la création du CPS, il donne à cet organe la compétence d’autoriser l’organisation et le

déploiement des missions d’appui à la paix, tandis que son article 16 reconnaît l’existence

de mécanismes régionaux, autrement dit de systèmes de sécurité collective spécifiques

aux communautés économiques régionales, qui peuvent aussi, sur la base des textes qui

les organisent, mettre en place des opérations de maintien de la paix à objectifs

démocratiques, souvent dans de contextes politiques très compliqués.

1.2.2. La crise des processus africains de démocratisation : de la violence politique à

la légitimation de l’intervention internationale

Les processus de démocratisation en Afrique, qui furent entamés au début de la décennie

1990, ont été conduits suivant un paradigme théorique à trois étapes (Boketsu Bosoki

W’Elima 1994 : 3). La première est de nature politique et porte sur l’ouverture au

multipartisme, au pluralisme syndical et à l’abrogation des institutions anciennes. La

deuxième est dite transitoire et comporte à la fois un élément politique et juridique. Cette

période de transition est, généralement, la résultante de larges consultations nationales,

suite à l’organisation des conférences nationales. A ce stade interviennent l’élaboration

d’un projet pour la société future, la confrontation des forces en présence et l’adoption

d’un cadre constitutionnel du nouvel Etat démocratique. La dernière étape concerne

l’établissement, dans le fait et à l’issue de la période transitoire, d’institutions

démocratiques à travers les élections libres, honnêtes et transparentes.

Toutefois, ce paradigme est loin d’avoir été couronné de succès partout. De manière

générale, sauf dans des cas rares comme le Bénin, où la Constitution du 10 décembre

1990 et le régime issus de la Conférence nationale sont restés en place, les processus de

démocratisation sont vite tombés en panne. Un peu partout, les Etats africains se sont

enlisés dans les crises, violences et conflits politiques, souvent avec une ou plusieurs

ingérences extérieures. Leurs causes réelles sont, au-delà d’une approche économique et

ethnique de la conflictualité africaine, la confiscation de fait du pouvoir politique par des

procédés non-démocratiques et la volonté parallèle effrénée de prise du pouvoir d’Etat

par la force, au mépris de la volonté du souverain primaire (P.F. Ngayap 2001 : 59-61).

Par ailleurs, la crise des processus africains de démocratisation s’est développée par un

nombre important d’accords de paix, censés mettre fin aux crises, violences et conflits

politiques. D’une manière générale, ces accords présentent quelques caractéristiques

communes. D’abord, ils procèdent à un partage du pouvoir d’Etat entre tous les

protagonistes. Ensuite, ils refondent une période transitoire au cours de laquelle ils sont

censés être la seule source de légitimité politique. Il s’agit là de ce que d’aucuns

qualifient de « contractualisation du pouvoir d’Etat » (D. Kaluba Dibwa 2010), c’est-à-

dire de la gestion de celui-ci au moyen des accords de paix, sans qu’il n’y ait eu la

moindre expression de la volonté du souverain primaire. Toutefois, ces accords de paix

ont l’ambition de donner à ce dernier la possibilité de s’exprimer, par le vote, à l’issue de

la période transitoire, dont le mérite aura été la relance du projet démocratique. Enfin, ces

accords de paix en appellent à l’intervention d’un tiers impartial, chargé d’en superviser

la mise en œuvre par toutes les parties. D’où, la création et la légitimation des OMP à

objectifs démocratiques, bien que un nombre réduit d’entre elles ait été déployé sans la

conclusion préalable de tels accords, soit à la demande unilatérale d’un gouvernement

légitime (cas de l’ECOMOG en Sierra Leone et des opérations de l’OUA et de l’Union

africaine aux Comores), soit en application d’une décision coercitive internationale (cas

de l’ECOMOG au Liberia). Le tableau ci-dessous fournit un aperçu général sur ces

accords de paix.

Tableau n°4. Aperçu sur les principaux accords de paix en Afrique

N° Pays Accords de paix Parties OMP

mises en

place

01 Afrique du

Sud

Accord national de paix

pour une Afrique du Sud

multiraciale, démocratique

et unie, du 7 septembre

1993

Toutes les forces sociales de

l’Afrique du Sud (noirs, blancs et

indiens) et les partis politiques, dont

l’ANC de Nelson Mandela

MONUAS

02 Angola a) Accords de paix de Bicesse du 1er mai 1991

b) Accord de paix de

Lusaka ou Plan du 17 mars

1994

a) Le gouvernement, contrôlé par le MPLA

b) La rébellion de l’UNITA, dirigé

par Jonas Savimbi

UNAVEM II et III,

MONUA

03 Burundi a)Accord d’Arusha du 28

août 2000

b) Accord de paix global de

Dar-es-Salam du 16

novembre 2003

a) Le gouvernement burundais et les

forces politiques du Burundi, dont le

FRODEBU de Domitien Ndayizeye

a) Le gouvernement burundais et le

principal mouvement rebelle, le FDD

de Pierre Nkurunziza, à l’exception

du FNL d’Agato Rwasa

MIAB,

ONUB

04 Côte

d’Ivoire

a) Accord de cessez-le-feu

du 17 octobre 2002 b) Accord de Linas-

Marcoussis du 24 janvier

2003

c) Accord de Ouagadougou

du 4 mars 2007

a) Le gouvernement de Laurent

Gbabo et la rébellion du MPCI b) Le gouvernement de Laurent

Gbabo, les factions rebelles et les

principaux partis politiques ivoiriens

c) Le gouvernement de Laurent

Gbabo, la rébellion de Forces

nouvelles de Guillaume Soro et les

principaux partis politiques ivoiriens

ECOFORCE

, MINUCI,

ONUCI

05 Guinée-

Bissau

Accord de paix d’Abuja du

1er novembre 1998

Le gouvernement du Président João

Bernardo Vieira et la rébellion menée

par le général Ansumane Mané

ECOMOG, BANUGBIS

06 Libéria a) Accord de Cotonou du 25

juillet 1993 ; Accord

d’Abuja du 19 août 1995

b) Accord de paix compréhensif du 18 août

2003 ; Accord de cessez-le-

feu et de cessation des

hostilités du 17 juin 2003

a) Le gouvernement du

Liberia et les factions rebelles, dont

le National Patriotic Front of Liberia

(NPFL) de Charles Taylor b) Le gouvernement du

Liberia et les Libériens unis pour la

réconciliation et la

démocratie (LURD), le Mouvement

pour la démocratie

au Liberia (MODEL) et les partis

politiques

a)MONUL,

BANUL

b) MINUL

07 Mozambique Accord général de paix du 4

octobre 1992

Le gouvernement du Mozambique,

contrôlé par le FRELIMO de

Joaquim Chissano, et la rébellion du

RENAMO

ONUMOZ

08 Namibie Accords de Brazzaville,

signés à New York le 22 décembre 1988

Afrique du Sud, Angola et Cuba,

sous la pression diplomatique des Etats-Unis et de l’Union soviétique

GANUPT

09 RCA Accords de Bangui du 25

janvier 1997

Le gouvernement d’Ange Félix

Patassé et les forces vives de la

nation centrafricaine

MISAB,

MINURCA

10 RDC a) Accord de paix de

Lusaka du 10 juillet 1999

b) Accord global et inclusif

du 17 décembre 2002

a) Les Etats belligérants : RDC,

Angola, Namibie, Zimbabwe,

Ouganda et Rwanda ; deux groupes

rebelles : RCD et MLC

b) Le gouvernement de la RDC, les

factions rebelles, l’opposition

politique non-armée et la société civile

MONUC,

FMIB

(Artemis),

EUFOR-

RDC

11 Rwanda Accords de paix d’Arusha

(1992-1993)

a) Le gouvernement du Président

Juvénal Habyarimana et la rébellion

du FPR

GOMN,

MINUAR

12 Sierra Leone Accord de paix du 10 mars

1996 ; Accord de paix de

Lomé du 7 juillet 1999 ;

Accord de paix d’Abuja du

10 novembre 2000

Le gouvernement de Sierra Leone et

le Front révolutionnaire uni de Sierra

Leone (RUF) du Caporal Foday

Sankoh

MONUSIL,

MINUSIL

13 Soudan a) Accord de paix global et

final de Nairobi du 9 janvier

2005

b) Accord portant sur les

modalités de la mise en place de la Commission de

cessez-le-feu et le

déploiement d’observateurs

militaires dans la région du

Darfour du 28 mai 2004 ;

Accord de paix d’Abuja

pour le Darfour du 5 mars

2006

a) Le Gouvernement central d’Omar

El Bachir et la rébellion du SPLM/A

b) Le Gouvernement central d’Omar

El Bachir, les rébellions du MLS/A

et du MJE

a) MINUS

b) MUAS,

MINUAD

14 Somalie Accord de paix de Nairobi

de janvier 2004

Les factions et groupes armés en

Somalie

AMISOM

De ce qui précède, on peut donc retenir que les crises, violences et conflits armés ont

troublé la paix et la sécurité, de sorte que, suite à la conclusion des accords de paix, des

opérations de maintien de la paix ont été mises en place et chargées, dans le cadre de ces

accords, à appuyer, surtout, la réalisation du projet démocratique en vue de la pacification

de la compétition politique pour l’accès au pouvoir d’Etat ou sa conservation. Par

conséquent, il convient d’examiner la portée des objectifs démocratiques de ces

opérations de maintien de la paix et d’en esquisser un bilan succinct.

2. Les objectifs démocratiques des opérations de maintien de la paix en Afrique :

modes d’action, bilan et perspectives

Quel que soit le degré d’implication internationale dans un processus interne de

démocratisation, celui-ci demeure, avant tout, un problème local que les acteurs

nationaux ont le devoir historique de résoudre, eux-mêmes, dans l’intérêt de leur pays et

de leur population. On ne peut donc pas attendre des miracles des OMP à objectifs

démocratiques sans une véritable appropriation nationale du projet démocratique. Ceci

est d’autant plus vrai que ces opérations interviennent dans un environnement politique

délétère. D’abord, il s’agit d’une « démocratisation en temps de guerre » (Said Abass

Ahamed 2005-2006 : 287-306), quand les protagonistes se font rarement confiance dans

le jeu politique. Ensuite, les pays hôtes sont souvent frappés de faillite généralisée ou,

selon la juste expression de Ntumba Luaba Lumu, de « statocide » (Ntumba Luaba Lumu

1998 : 48), si bien que ces opérations, pour ne pas perdre leur légitimité populaire au

niveau local, doivent procéder à une substitution internationale concernant l’exercice de

certaines fonctions régaliennes de l’Etat. Enfin, malheureusement, leurs moyens humains

et matériels ainsi que leurs mandats peuvent s’avérer limités, voire insuffisants.

Pour toutes ces raisons, il apparaît que la participation des OMP à la construction

africaine des ordres politiques démocratiques est plutôt une mission délicate. Ceci

explique pourquoi leur bilan est resté, jusque-là, mitigé. Il comporte à la fois des

expériences réussies et des espoirs déçus, qui permettent de parler d’un difficile

enfantement de la démocratie en Afrique, en dépit de nombreuses et importantes

interventions internationales.

2.1. La délicate participation à la construction africaine des ordres politiques

démocratiques

Cette participation des OMP à objectifs démocratiques comporte deux dimensions :

l’accompagnement international de la transition à l’organisation des élections et l’usage

de la force pour la défense coercitive de la légitimité démocratique.

2.1.1. L’accompagnement international de la transition politique à l’organisation

des élections

L’expérience africaine des OMP à objectifs démocratiques montre que, conformément à

leurs mandats respectifs et très variés en fonction de la spécificité de la situation de

chaque pays, celles-ci ont été autorisées à mener leurs actions dans trois domaines

différents : l’arbitrage politique des conflits pouvant résulter de l’application des accords

de paix ; la sécurisation des institutions de l’Etat et des animateurs de la transition ;

l’appui technique et logistique à l’organisation des élections.

Concernant l’arbitrage politique des conflits, la pratique constante, qui se développe,

consiste en l’institutionnalisation des organes ad hoc auxquels les OMP à objectifs

démocratiques participent d’une manière active. Quatre pays peuvent servir de modèle.

En RCA, en 1996, le Comité international de suivi (CIS), présidé par le chef d’Etat

malien, le général Amadoudou Toumani Touré, est créé. Au Burundi, on mit en place le

Comité de suivi de l’Accord de paix d’Arusha (CSA), présidé par le Représentant spécial

du Secrétaire général de l’ONU et où ont siégé le Représentant spécial de l’Union

africaine, chef de la MIAB, l’Union européenne et d’autre bailleurs de fonds du Burundi

(J. Nimubona et A. Shyaka 2004 : 171-209). En Côte d’Ivoire, les protagonistes ont établi

le Comité de suivi de l’application de l’Accord de Linas-Marcoussis. Mais, c’est surtout

le cas de la RDC qui semble plus emblématique. En effet, l’Accord global et inclusif mit

en place le Comité international d’Accompagnement de la Transition (CIAT). Il était

composé de cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité (Chine, Etat-Unis,

France, Grande-Bretagne et Russie), de la Belgique, du Canada, de l’Afrique du Sud, de

l’Angola, du Gabon, de la Zambie, de l’Union européenne (Commission et Présidence),

de l’Union africaine (Commission et Présidence) et de la MONUC.

Le rôle du CIAT était de garantir la bonne mise en œuvre de l’Accord global et inclusif et

de soutenir le programme de la transition en RDC. Pour cela, il reçut le pouvoir d’arbitrer

et trancher « tout désaccord pouvant survenir entre les parties au présent Accord» (11).

En pratique, le CIAT a aidé la Commission congolaise de suivi de l’Accord global et

inclusif à accomplir sa mission de préparation de l’installation des institutions de la

transitions, en exerçant des pressions sur les différentes parties et en offrant sa médiation

dans un certain nombre de conflits (Balingene Kahombo 2006 : 50-52). Lorsqu’en 2003

les négociations sur la répartition des postes au sein de l’état-major général des armées

ont connu un blocage, le CIAT a proposé une solution qui a servi de base au

mémorandum signé à Kinshasa, en présence de l’Envoyé spécial du Secrétaire général

des Nations Unies pour le dialogue inter-congolais. Sous la coordination de la MONUC,

le Comité tenait des réunions mensuelles avec le Président de la République afin

d’évaluer les progrès accomplis dans le déroulement de la transition et d’identifier les

domaines dans lesquels le gouvernement devait agir rapidement pour maintenir le

processus sur les rails.

S’agissant du volet sécuritaire, la première responsabilité des OMP à objectifs

démocratiques est d’assurer la protection des responsables politiques et des animateurs

des institutions de la transition. L’opérationnalité d’une force de protection au sein des

opérations de maintien de la paix se justifie par le fait que, généralement, les anciens

belligérants se font rarement confiance, si bien qu’aucun d’entre eux ne pourrait laisser sa

propre sécurité être garantie par les forces armés du gouvernement sortant. Ainsi, en

RDC, au début de la période transitoire, en avril 2003, la MONUC dut déployer une unité

armée, dite « Force neutre », à Kinshasa. Elle permit de rassurer les anciens rebelles du

Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) et du Mouvement de Libération du

Congo (MLC) à venir occuper leurs postes dans la capitale, dans le cadre du

« gouvernement un plus quatre » (12). Au Burundi, la MIAB est autorisée à se déployer,

le 2 avril 2003, dotée d’une Force spécifique de protection des responsables politiques,

provenant notamment de l’ancienne rébellion du FDD de Pierre Nkurunziza, constituée

de 700 soldats sud-africains.

L’autre responsabilité est la sécurité de l’Etat, de ses institutions et des populations

civiles. Cette responsabilité conduit à une fluctuation quasi permanente des mandats des

OMP à objectifs démocratiques. Toutefois, il est arrivé que ces opérations n’aient pas les

moyens conséquents pour répondre à la situation du terrain et que l’organisation dont

elles dépendent ne veille pas, compte tenu de l’imbrication des enjeux géopolitiques,

procéder au renforcement de leurs mandats respectifs.

Tel fut le cas de la MINUAR au Rwanda, en 1994. Elle assista impuissante face au

génocide des tutsi et hutu modérés, puisque le Conseil de sécurité, au lieu d’augmenter

ses effectifs et de lui conférer un mandat coercitif en vertu du chapitre VII de la Charte de

l’ONU, décida de les réduire et de lui donner pour mission principale, la protection du

Représentant spécial du Secrétaire général, chargé d’une mission de bons offices et de

faciliter la reprise des opérations humanitaires (J.-F. Guilhaudis 2007 : 113). Il a fallu

attendre les résolutions S/RES/918 et S/RES/925, respectivement du 17 mai et du 8 juin

1994, pour qu’elle soit dotée d’un mandat et des moyens d’action renforcés, du moins sur

le papier. Car, malheureusement, la logistique ne suivra pas. Aussi, le Conseil de sécurité

était-il contraint à autoriser, au comble de massacres, tardivement et nonobstant

l’opposition de la rébellion du FPR de Paul Kagame, le déploiement d’une force

multinationale, avec la France comme nation-cadre, baptisée « Opération Turquoise »

(13).

En RDC, en revanche, on peut se féliciter du changement d’attitude du Conseil de

sécurité, bien que, ici encore, l’incapacité opérationnelle de la MONUC ait été également

palliée avec retard. La nouveauté, c’est que la MONUC a, trois fois de suite, fait l’objet

de renforcement extérieur, avant que son mandat ne soit devenu concrètement plus

robuste.

La première fois, ce renforcement fut motivé par la détérioration de la situation

sécuritaire dans la Province orientale en Ituri et dans le Kivu (Nord et Sud). En Ituri, le

Conseil de sécurité autorisa le déploiement d’une opération militaire sous

commandement de l’Union européenne (14), avec la France comme nation-cadre,

dénommée la Force multinationale intérimaire à Bunia (FMIB), rebaptisée « opération

Artemis ». Elle avait pour mission d’aider à mettre fin aux massacres des civils, plus

précisément à Bunia, suite à l’éclatement d’un conflit interethnique (15), opposant

principalement les Hema aux Lendu (16). Cette opération permit de conforter la mission

onusienne, lors de la mise en place de la Task Force II, ou, en d’autres termes, la Brigade

de l’Ituri (A. Wadini 2003) de la MONUC, déployée particulièrement à Bunia. Dans le

Kivu, l’insurrection du général dissident Laurent Nkunda, à Bukavu (Sud-Kivu), le 26

mai 2004, a pu envahir le Nord-Kivu et menaçait la survie de toutes les institutions de la

transition. A cela s’ajoutait l’activisme de plusieurs autres groupes armés, dont les Forces

démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Aussi la MONUC a-t-elle bénéficié des

effectifs suffisants pour constituer la Task force I, composée de trois bataillons de la

Brigade du Sud-kivu et de trois bataillons de la Brigade du Nord-Kivu.

La deuxième et la dernière fois, le renforcement extérieur de la mission onusienne

résultait de la nécessité de la sécurisation du processus électoral de 2006. Pour cela,

l’Union européenne déploya, sur autorisation du Conseil de sécurité (17), sa deuxième

mission de maintien de la paix en RDC, baptisée « opération EUFOR RD.Congo »,

composée aussi, majoritairement, du contingent français. Le Conseil de sécurité y ajouta

un renfort ponctionné sur les effectifs de l’ONUB, puisqu’au Burundi, des élections

venaient d’avoir lieu, consacrant la victoire aux présidentielles de l’ancien rebelle, Pierre

Nkurunziza, et permettant, ainsi, d’espérer en un retour à la paix durable. Il s’agissait

d’un bataillon d’infanterie, d’un hôpital militaire et jusqu’à 50 observateurs militaires

(MILOBs) (18).

En fin de compte, les OMP à objectifs démocratiques ont également apporté leur appui

technique et logistique à l’organisation des élections, notamment en ce qui concerne la

formation des agents et le transport des kits électoraux. On n’imagine mal, par exemple,

comment les élections de 2006, en RDC, auraient pu se tenir n’eût été cet appui

considérable de la MONUC, dans un pays où les infrastructures routières étaient

complètement à l’embua, tandis que l’avion devenait pratiquement le seul moyen viable

de transport. Dans certains pays, des OMP à objectifs démocratiques ont été

essentiellement vouées à une mission électoraliste, comme ce fut le cas de la MONUAS

en Afrique du Sud, en 1994, ou de l’UNAVEM II en Angola, en 1991, après que son

mandat ait été étendu par le Conseil de sécurité à la surveillance et à l’observation des

élections de septembre 1992 (19). Ce fut également le cas, pour ce qui est de l’Union

africaine au Comores, de la MUASEC en 2006 et de la MAES en 2007.

En tout état de cause, on peut relever que ces efforts des OMP à objectifs démocratiques

pourraient s’avérer vains si elles n’étaient pas, dans certains cas, pourvues de la capacité

de défendre la légitimité démocratique, lorsque celle-ci vient à être militairement

contestée par une reprise généralisée de la guerre.

2.1.2. L’usage de la force pour la défense coercitive de la légitimité démocratique

L’usage de la force est une question très controversée dans le cadre des opérations de

maintien de la paix (A. Novosseloff 2010 : 1-4), surtout lorsqu’elles sortent de leur statut

de force impartiale pour interférer dans les affaires sur lesquelles les animateurs

politiques de la transition sont en parfait désaccord. Il en est d’abord ainsi de l’exercice

de la contrainte en vue de la proclamation des résultats électoraux, de leur certification ou

de leur respect. Tout de suite, le bouclier de la souveraineté est soulevé. C’est pourquoi

on a coutume de limiter, dans le passé, outre leur mission sécuritaire, le mandat des OMP

à objectifs démocratiques à la surveillance et à l’observation des élections. En effet, en

tant que force impartiale, leur présence constitue une stratégie susceptible de dissuader

toute tentative de tripatouillage électoral et un outil de prévention contre d’éventuelles

crises postélectorales.

Cette stratégie a fait ses preuves dans trois pays de l’Afrique australe, pour ce qui est de

l’ONU : Afrique du Sud, Mozambique et Namibie. Aux Comores, la stratégie de l’Union

africaine a également été un succès relatif. En effet, depuis son accession à

l’indépendance en 1975, l’histoire de ce pays est parsemée de crises politiques

permanentes (20) : mercenariat, régularité des coups d’Etat et sécession de deux îles de

Mohéli (1997) et d’Anjouan (1997 et 2008). L’Accord entre Mohéli, la Grande Comores

et Anjouan, intervenu en décembre 2001, avait pour objectif de stabiliser l’Union de

Comores. Il prévoit l’institution d’un gouvernement et d’un président semi-autonomes

dans chacun des trois îles de l’Union ainsi que la rotation de la présidence fédérale entre

elles. Toutefois, le climat politique est resté explosif jusqu’à la veille du processus

électoral de 2006, qui devait conduire au remplacement du président fédéral, Assoumani

Azali, représentant de la Grande Comores, par un représentant de l’île d’Anjouan. C’est

ainsi que le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, après une mission

d’évaluation technique et à la demande du président Assoumani Azali, autorisa, le 21

mars 2006, le déploiement de la MUASEC, avec l’Afrique du sud comme nation-cadre,

en vue de l’observation et de la supervision de l’ensemble du processus électoral aux

Comores, de primaires à Anjouan, le 16 avril 2006, à la présidentielle fédérale, le 14 mai

2006 (21). Ces élections ont abouti, sous l’œil vigilant d’une équipe d’observateurs

panafricains et de près de 500 soldats de la MUASEC, à l’accession au pouvoir, dans un

calme relatif, du guide religieux islamiste modéré, Ahmed Abdallah Sambi.

En revanche, pour ce qui est de l’Angola, la stratégie fut un réel échec. L’UNAVEM II,

constituée pour la supervision de la mise en œuvre des accords de paix de Bicesse entre la

rébellion de l’UNITA et le gouvernement contrôlé par le MPLA, après le succès de

l’UNAVEM I, qui réussit à superviser le retrait des troupes cubaines de l’Angola

jusqu’au 25 mai 1991 (J.-F. Guilhaudis 2007 : 116), était vite dépassée par les

événements. Les résultats du scrutin du 28 et 29 septembre 1992 furent une défaite

cuisante pour l’UNITA. La présidentielle vit le candidat du MPLA, José Eduardo Dos

Santos, l’emporter de 51, 54% contre 38,83% pour le leader de l’UNITA, Jonas Savimbi ;

tandis qu’aux législatives, le MPLA l’emportait avec 123 députés contre 70 pour

l’UNITA (Mwayila Tshiyembe 2003 : 158). Sans mandat approprié et sans effectifs

suffisants (moins de 500 personnes), l’UNAVEM II assista impuissante à la contestation

de ces résultats par l’UNITA, qui débouchait sur la reprise totale de la guerre civile (J.-F.

Guilhaudis 2007 : 115).

C’est sur les traces de ce précédent malheureux, pour l’ONU, qu’ont été construits les

développements ultérieurs. En RDC, par exemple, la victoire de Joseph Kabila, pour le

compte de l’Alliance pour la majorité présidentielle (AMP), sur le candidat du MLC et de

l’Union pour la Nation (UN), Jean-Pierre Bemba, au second tour de l’élection

présidentielle du 29 octobre 2006, ont été vigoureusement contestés par ce dernier. Mais,

il est clair que la présence massive de la MONUC dans ce pays, avec un mandat coercitif,

comprenant l’usage de la force pour la protection des civils, et surtout le déploiement de

la force de l’Union européenne pour la sécurisation du processus électoral ont permis de

contenir les violences et de les circonscrire dans la ville de Kinshasa.

Mieux encore, le précédent ivoirien interpelle sur la portée de l’action des OMP à

objectifs démocratiques, qui peuvent procéder, pratiquement, à l’imposition du respect

du résultat du scrutin électoral pour favoriser le retour de la paix civile. L’ancien

président Laurent Gbagbo, ayant perdu l’élection présidentielle du 28 novembre 2010,

selon la Commission électorale ivoirienne, face à son challengeur, Alassane Ouattara, a

pu confisquer le pouvoir et déjouer toutes les médiations internationales , y compris celle

de l’Union africaine, pendant plus de quatre mois, après qu’il se soit fait proclamer, de

droit, par le Conseil constitutionnel, président élu de la Côte d’Ivoire, le 3 décembre

2010. Le pays a vite basculé dans la violence jusqu’à ce que le Conseil de sécurité de

l’ONU, renforçant les effectifs de l’ONUCI à partir de la MINUL au Liberia, autorisa

l’anéantissement pur et simple des forces de Laurent Gbagbo par l’opération onusienne,

appuyée par la force française de l’Opération Licorne. Le 11 avril 2011, Laurent Gbagbo

est arrêté par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire, fidèles à Alassane Ouattara. Ce

dernier prête serment le 6 mai 2011, date à laquelle l’impasse constitutionnelle est censée

avoir définitivement pris fin.

Ce précédent, encourageant pour l’internationaliste, décevant pour le souverainiste,

rappelle la voie choisie par la CEDEAO en Sierra Leone, en 1997, où l’ECOMOG fit

usage de la force pour restaurer l’ordre démocratiquement établi, qui venait d’être

renversé par le coup d’Etat du 25 mai courant, évinçant du pouvoir le président élu,

Ahmed Tejan Kabbah. Les troupes nigérianes, sous le pavillon de l’ECOMOG, réussirent

à le rétablir aux commandes de l’Etat, suite à une campagne qui débuta, le 13 février

1998, à Freetown, contre la junte militaire du caporal Foday Sankoh (D. Bangoura 2001 :

102-104).

De même, lorsqu’en 2007, la sécession anjouanaise, proclamée par le Colonel Mohamed

Bacar, président autoproclamé semi-autonome de l’Île d’Anjouan, menaçait la survie de

l’ordre démocratique établi en 2001, l’Union africaine autorisa l’opération « démocratie

aux Comores », en février 2008, pour faciliter la restauration de l’autorité du

gouvernement centrale sur l’Île, d’une part, et assister les forces comoriennes afin de

permettre la tenue d’élections pour les présidents des îles, d’autre part. Cette opération,

qui débarqua à Anjouan le 25 mars 2008, impliqua plus de 1500 soldats, dont 800

militaires tanzaniens et soudanais ainsi que des éléments ponctionnés sur les effectifs de

la MAES, forçant le Colonel Mohamed Bacar à fuir vers Mayotte, sous contrôle français

(22).

Donc, en résumé, la pratique montre que les OMP à objectifs démocratiques peuvent

faire usage de la force, si évidemment leurs mandats les y autorisent, soit pour la

restauration de l’ordre démocratiquement établi soit pour l’imposition du respect

des résultats électoraux. Ce sont là, probablement pour l’avenir, les nouveaux visages

des OMP à objectifs démocratiques, à l’ère de la continentalisation du régime

démocratique en Afrique.

2.2. Les opérations de maintien de la paix et le difficile enfantement de la démocratie

en Afrique

On ne peut pas dire que partout où les OMP à objectifs démocratiques sont intervenus, du

coup la démocratie s’y est établie. Tout au moins, grâce à leur appui ou avec leur

surveillance, beaucoup de pays africains ont pu tenir une ou plusieurs scrutins électoraux et

se sont, plus ou moins, stabilisés. Sur l’état de la démocratie, le bilan des OMP à objectifs

démocratiques demeure mitigé. Il y a eu, certes, des succès relatifs, mais aussi des espoirs

déçus, notamment pour ce qui est de l’Afrique centrale. Cela étant, quel peut être l’avenir de

telles opérations de maintien de la paix, surtout celles qui sont en cours d’exécution de leurs

mandats ?

2.2.1. Les succès relatifs et les espoirs déçus en Afrique centrale

L’Afrique centrale (23) est la sous-région où les crises démocratiques ont été les plus

tragiques du continent. En une seule décennie (1990-2000), elle a expérimenté toutes

sortes de violences et haine politiques : massacres au Burundi, depuis surtout l’assassinat,

le 21 octobre 1993, du premier président Hutu démocratiquement élu, Melchior Ndadaye,

par des militaires extrémistes tutsi ; génocide des tutsi et hutus modérés au Rwanda en

1994 ; guerre dite de libération contre la dictature du président Mobutu dans l’ex Zaïre

(1996-1997) ; « première guerre mondiale africaine » (L. Sindjoun 2002 : 58 ; C.

Braeckman 1999 : 11 ; B. Kabamba et O. Lanotte 1999 : 99), impliquant au moins huit

pays africains (24) dans les combats en RDC (1998-2003) ; spirale de violences

politiques en Angola, en RCA et au Soudan. Même le Congo-Brazzaville n’a pas échappé

aux crises, alors même qu’à l’instar de l’Ouganda, de la Tanzanie et de la Zambie, il n’a

connu aucune OMP à objectifs démocratiques. Avec le concours de l’Angola, en 1997,

Dénis Sasou Nguesso réussit à renverser le président Pascal Lisuba.

Ces pays ne semblent pas pour autant avoir tiré un profit démocratique tangible, durable,

de l’action des opérations de maintien de la paix, bien que tous (cinq au total), à

l’exception du Rwanda, ont pu tenir des élections sous leur emprise.

Au Burundi, les massacres qui ont suivi l’assassinat du président Melchior Ndadaye ont

conduit l’OUA à mettre sur pied la MIOB. Déployé dans un contexte difficile, cette

opération se solda par un échec. D’abord, ses effectifs étaient insuffisants, puisque la

MIOB s’est retrouvée avec 47 policiers et cinq civils sur le cinq mille initialement prévus

(J.D. Biyogue Bi Ntougou 2010 : 25). Ensuite, la situation au Burundi se dégrada très

rapidement avec l’implosion au Rwanda en 1994, si bien que l’OUA résolût de retirer son

contingent, le 25 juillet 1996, après le coup d’Etat perpétré par Pierre Buyoya. Depuis

lors, la guerre civile s’est enlisée jusqu’à la conclusion des Accords d’Arusha, qui mirent

sur pied une période de transition de 36 mois, qui s’acheva par une série de scrutins, en

2005, par lesquelles l’ancien rebelle, Pierre Nkurunziza, est devenu président de la

République. Mais, l’environnement politique s’avère déjà difficile. Le président Pierre

Nkurunziza s’est adjugé un nouveau mandat de cinq ans, suite à l’élection du 28 juin

2010, boycottée par les partis de l’opposition, stigmatisant une sorte de farce du

processus électoral. Ce recul de la démocratie risque de mettre en danger la paix civile,

alors que l’ONUB s’est retirée du pays en 2006, laissant la place à une lilliputienne

opération onusienne de consolidation de la paix : le Bureau des Nations Unies pour le

Burundi (BNUB) (25).

Au Rwanda voisin, les espoirs de démocratisation pacifique inspirés des Accords

d’Arusha se sont amenuisés. Leur caducité est due à l’échec de la MINUAR, aux

circonstances du génocide et à la fin du règne du président Juvénal Habyarimana. Partant,

le nouveau régime du Front patriotique rwandais (FPR) est fondé sur l’armée et le parti

unique (Mwayila Tshiyembe 2003 : 103-107). Les opposants sont systématiquement

discriminés et éliminés du jeu politique, la rébellion hutu reste active à l’Est de la RDC,

tandis les élections sont devenues pratiquement des « vernis démocratiques », le président

Paul Kagame les ayant déjà gagnées deux fois, chaque fois pour un long mandat de sept

ans, avec des scores dépassant les 95% de suffrages exprimés. En vérité, on est là en face

d’une dictature, qui ne dit pas son nom.

La situation n’est guère encourageante en Angola. Pire encore, depuis la tentative de

démocratisation de 1991-1992, aucune nouvelle élection présidentielle n’a été organisée,

alors que la guerre civile est terminée depuis 2002, avec la mort du leader de l’UNITA,

Jonas Savimbi. On se dirigerait, peut-être, vers une présidence à vie, d’autant que le

président José Eduardo dos Santos est au pouvoir depuis 1979. En tout cas, les « élections

chaotiques » (26), sans organisation, du 5 septembre 2008, à la députation nationale ne

constitueraient absolument pas une circonstance atténuante à la dictature qui ne cesse de

se consolider.

En ce qui concerne la RCA, malgré la tenue de récentes élections, aux résultats contestés,

de mars 2011, le pays éprouve beaucoup de peine à se remettre de sa crise fort ancienne,

aggravée par la vague de trois mutineries successives d’avril, de mai et de novembre

1996 ainsi que par la guerre civile à l’issue de laquelle le président Ange Félix Patasse fut

renversé, le 14 mars 2004, par le général François Bosizé. Du reste, malgré la double

stratégie onusienne et africaine de consolidation de la paix, à travers la BINUCA et la

MICOPAX, la rébellion est loin de s’avouer vaincue, dans le nord du pays.

Au Soudan, le pays est dans l’implosion totale. Le Sud du pays vient de faire sécession

par le vote référendaire d’autodétermination du 9 au 15 janvier 2011, conformément à

l’Accord de paix global et final du 9 janvier 2005. Au Darfour, la situation est devenue

une quadrature du cercle. Entre temps, le président Omar El Bachir, en fonction depuis

1989, est poursuivi pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre par la

Cour pénale internationale. Toutefois, il demeure toujours en liberté et il vient de

s’adjuger un nouveau mandat politique, à la suite des élections présidentielles de 2010.

Tribalisme et arabisation du pays, islamisation de la vie nationale, complicité terroriste,

confiscation de l’appareil de l’Etat et guerre civile constituent, là, des facteurs politiques

aux antipodes de toutes les valeurs universelles de la démocratie.

En RDC, la situation semble un peu différente. La « première guerre mondiale africaine »

a officiellement pris fin en 2003, avec la constitution du gouvernement de la transition.

Des élections ont eu lieu et bien que les résultats des présidentielles aient été contestées,

une période de relative accalmie s’est installée au pays. Toutefois, deux dangers

subsistent. En premier lieu, l’insécurité persistante dans le Kivu, généralement due à la

présence de la rébellion rwandaise de FDLR, fait peser une grande menace à la

consolidation de la paix civile. En second lieu, la démocratie est menacée par l’atrophie

des acquis constitutionnels de la transition, qui suscite des soupçons d’une éventuelle

tentative d’aménager une présidence à vie pour Joseph Kabila. Malgré les protestations

des partis de l’opposition, la nouvelle Constitution du 18 février 2006 vient de subir, de

manière expresse (St. BOLLE 2011), sa toute première révision (27). Dorénavant, celle-

ci consacre l’élection du Président de la République au scrutin majoritaire à un seul tour,

renforce ses pouvoirs sur les provinces, en les subordonnant pratiquement à une tutelle

présidentielle déguisée, tuant la démocratie à la base, et instaure une sorte de « dictature

gouvernementale » sur le pouvoir judiciaire. Dans un tel environnement, les élections

présidentielles et législatives prévues au mois de novembre 2011 risqueraient de se passer

dans un climat politique malsain, en dépit de la présence de près de vingt mille

contingents de la MONUSCO. On ne peut donc pas oublier d’attirer l’attention des

décideurs sur le risque de voir s’effondrer les espoirs d’émergence d’une véritable

« République démocratique du Congo » avec l’appui de la communauté internationale.

Ainsi, il y a lieu de conclure que l’Afrique centrale n’est pas, en tout cas, la sous-région

la plus démocratique du continent. Par comparaison à l’Afrique de l’Ouest, on peut

constater que, hormis le cas ivoirien, encore plein d’incertitude, la situation au Liberia et

en Sierra Leone semble s’être beaucoup améliorée. Il suffit, pour cela, de compter le

nombre des OMP à objectifs démocratiques en cours, en nette régression en Afrique de

l’Ouest et encore important en Afrique centrale.

2.2.2. L’avenir controversé des opérations de maintien de la paix à objectifs

démocratiques en Afrique

L’importance des OMP à objectifs démocratiques vient d’être démontrée dans le contexte

africain de la démocratisation. Cependant, dès que la transition politique est arrivée à

terme, leur avenir dans les pays hôtes devient problématique. Soit l’organisation

intervenante n’a plus les moyens de maintenir son opération en place, alors même que le

nouveau gouvernement issu des élections n’est pas en mesure d’assumer toutes les

fonctions régaliennes de l’Etat, sans risque de basculer, à nouveau, dans la guerre ; soit

c’est le nouveau gouvernement qui en exige le retrait, en vertu du principe classique de

souveraineté, pendant que l’organisation intervenante estime que le maintien de la force

internationale est encore nécessaire à la consolidation de la paix. Dès lors, la tension

surgit, de telle manière que l’image de marque de la présence internationale est ternie par

l’impression politique, voire populaire, sinon d’une « occupation militaire », du moins

d’un contrôle tutélaire international sur les autorités nationales.

Le précédent congolais est particulièrement éloquent. En effet, une discorde a opposé les

autorités congolaises aux Nations Unies depuis mi-juin 2009, à propos de l’avenir de la

MONUC (I. Samset 2010 : 1-7). Le Président congolais, Joseph Kabila, avait demandé à

l’ONU de présenter, avant la date du 30 juin 2010 (cinquantenaire de l’indépendance de

la RDC), un plan de retrait progressif de la MONUC (28), lequel devrait s’achever

complètement en juin 2011, avant la tenue des prochaines élections présidentielles,

législatives nationales et provinciales (I. Samset 2010 : 1). De son côté, le Conseil de

sécurité dut voter la résolution S/RES/1906 du 23 décembre 2009 par laquelle il demanda

au Secrétaire général d’examiner les modalités de la reconfiguration progressive de la

mission onusienne, en concertation avec les autorités congolaises. En application de cette

résolution, le Secrétaire général dépêcha en RDC une Mission d’évaluation technique

(MET), du 22 février au 5 mars 2010, sous la présidence du Secrétaire général adjoint

chargé des opérations de maintien de la paix, Alain Le Roy. Cette MET a été suivie, peu

après, de la mission du Conseil de sécurité en RDC, menée du 13 au 16 mai 2010, sous la

conduite du Représentant permanent de la France au Conseil de sécurité, Gérard Araud.

Ce sont ces missions qui ont permis de dégager un consensus entre l’ONU et les autorités

congolaises sur l’avenir de la MONUC, et dont la traduction juridique se trouve dans la

résolution S/RES/1925 du 28 mai 2010, transformant la MONUC en MONUSCO.

A l’issue de la MET, les partenaires sont tombés d’accord sur trois points principaux,

mettant fin au « bras de fer autour du Congo » (X. Zeebroek 2010). D’abord,

l’acceptation par le Gouvernement congolais d’un retrait progressif de la mission

onusienne. A ce sujet, on peut penser que l’ONU a réussi à prendre le dessus sur les

autorités congolaises, contraintes d’épouser la vision stratégique des Nations Unies et de

ses membres les plus influents, au premier rang desquels se trouvent les « big five » du

Conseil de sécurité. Le diplomate français, Gérad Araud, l’a d’ailleurs nettement exprimé

lors de l’exposé au Conseil de sécurité des résultats de la mission conduite par lui-même

en RDC. L’objectif de cette mission, a-t-il dit, n’était pas de « négocier », mais

d’ « écouter » les positions des autorités congolaises ainsi que de la société civile, pour

définir ensemble les moyens d’atteindre au mieux l’objectif commun : le rétablissement

de la souveraineté de l’Etat congolais sur l’ensemble de son territoire (29). En

deuxième lieu, 2000 soldats de la MONUC devraient être retirés fin juin 2010 au plus

tard. Enfin, il y aura un examen périodique de la situation, chaque six mois, pour une

reconfiguration à venir de l’opération des Nations Unies.

Par conséquent, il n’y a pas de calendrier de retrait de la Mission de Nations Unies.

Gérard Araud a eu aussi à le souligner assez clairement devant les membres du Conseil

de sécurité en ces termes :

Nous ne devons pas être conduits par des calendriers artificiels. Nous ne devons

tenir compte que de la réalité de la situation sur le terrain (30).

C’est pourquoi, aux termes du paragraphe 6 de la résolution S/RES/1925 du 28 mai 2010,

le Conseil de sécurité de l’ONU a posé trois conditions essentielles à réunir pour

déclencher le retrait progressif et total de la MONUSCO du territoire de la RDC : a)

l’achèvement des opérations visant la réduction des groupes armés et la stabilité dans les

provinces du Kivu et la Province orientale ; b) la constitution d’une force congolaise

appropriée de défense et de sécurité ; c) le renforcement de l’autorité de l’Etat sur

l’ensemble du territoire national par la mise en place dans les zones libérées des groupes

armés d’une administration civile congolaise, en particulier d’une police, d’une

administration territoriale et d’organes garants de l’état de droit.

La plus importante leçon qu’on peut tirer de ce précédent congolais, c’est que les OMP à

objectifs démocratiques deviennent, à la fin de la période transitoire, « des opérations de

construction et de consolidation de la paix » (L. Arbour 2009: 25). Cette pratique est

observée dans plusieurs autres pays africains, où il a été créé des missions et/ou bureaux

intégrés de consolidation de la paix : Burundi, RCA et Sierra Leone. Il en va de même de

la MINUL au Liberia. Ces opérations surveillent l’évolution générale des pays hôtes en

période post-conflits et peuvent participer au règlement des problèmes résiduels de

restauration de la paix : le parachèvement du programme de désarmement, démobilisation

et réinsertion (DDR) des ex-combattants, l’intégration des forces armées, leur formation,

celle des éléments de la police ainsi que la réforme du secteur de la justice. Ce faisant,

dans le cas de la RDC, force est de constater que les prochaines échéances électorales

pourront se tenir sous l’emprise de la MONUSCO, comme celles de 2006 ont eu lieu en

présence de la MONUC.

En tout état de cause, on ne saurait indéfiniment prolonger la présence des OMP à

objectifs démocratiques dans les pays africains. Dès que l’on est sûr que la paix civile est

solidement établie, que les armes se sont tues, que tous les belligérants font partie

désormais d’une seule force de défense et de sécurité et que tous les groupes armés ont

été démantelés, il convient que les unités militaires de maintien de la paix puissent se

retirer. L’action internationale d’accompagnement du processus de démocratisation

devrait rester de nature politique et technique. Elle devrait être orientée vers l’application

préventive des règles et principes démocratiques ainsi que l’éducation à la culture de la

paix, car une opération de maintien de la paix est toujours difficile à mener, compte tenu

surtout de son coût humain, financier et matériel aussi bien que de la jalousie qu’ont les

Etats de leur propre souveraineté.

Conclusion

Les processus de démocratisation en Afrique ont été marqués, depuis une vingtaine

d’années, par une forte internationalisation des paramètres politiques nationaux, induite

notamment par l’intervention d’une flopée d’opérations de maintien de la paix. Les

objectifs démocratiques assignés à ces opérations ont été au nombre quatre :

l’interposition et le maintien de la paix classique, en appui aux accords politiques internes

de paix ; l’accompagnement des processus politiques de transition par la sécurisation des

institutions, de leurs animateurs et de la population civile ; l’appui technique à

l’organisation des élections ainsi que, pour leur transparence, leur observation.

Toutefois, les méthodes du maintien de la paix n’ont eu cesse à évoluer à mesure que les

problèmes de la démocratisation se complexifiaient. Tout s’est construit sur la base des

faiblesses des techniques antérieures, puisqu’il est apparu, plusieurs fois, que des

élections soient organisées sans qu’elles ne débouchent à la paix civile et à la résolution

définitive de la problématique de la légitimité populaire. Tantôt elles ont été contestées

jusqu’à la reprise généralisée des hostilités, tantôt les régimes démocratiques, encore

faibles et fragiles, n’ont pas pu résister aux nouvelles velléités de prise de pouvoir par la

force.

Ce faisant, les opérations de maintien de la paix ont opéré un virage politique

spectaculaire, en se démarquant de leur caractéristique de forces neutres et impartiales

pour procéder, contre le camp des contestateurs, des putschistes ou des irrédentistes à la

démocratie, soit à l’imposition du respect des résultats électoraux, soit à la défense ou au

rétablissement coercitifs de l’ordre légitime et démocratique établi. Il s’agit là,

probablement pour l’avenir, de nouveaux visages du maintien de la paix et de la sécurité

en Afrique, et qui traduisent, en fin de compte, la réalité de la conception moderne de la

souveraineté limitée des Etats.

Notes

1. Résolution 998 (ES-1) du 4 novembre 1956.

2. C’est, en tout cas, la toute première véritable Opération de Maintien de la Paix (OPM) déployée

par l’ONU en tant que substitut au système onusien de sécurité collective, paralysé, suite à la

guerre froide, par l’usage abusif du droit de veto. Voir Kouassi, E.K., 1993, « Rôles respectifs du

Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale dans le traitement des opérations de maintien de la

paix : approches juridique et historique », in Dupuy, R.-J., (éd.), Le développement du rôle du Conseil de sécurité, peace keeping and peace building, Colloque de l’Académie de droit

international, La Haye, 21-23 juillet 1992, Londres, Nijhoff, Dordrecht. Cet auteur pense

cependant que les OMP sont des substituts au second degré au système onusien de sécurité

collective, le premier degré étant celui des alliances militaires, à savoir notamment l’OTAN en

1949 et le Pacte de Varsovie en 1955. Alors que la FUNU I fut créée en 1956, la FUNU II le fut le

25 octobre 1973 sur la base de la résolution 340 du Conseil de sécurité et était déployée entre

l’Egypte et l’Israël suite à la quatrième guerre israélo-arabe, dite la «Guerre de Kippour».

3. L’ONUC fut mise en place par le Secrétaire général en application de la résolution 143 (S/4387)

du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée le 14 juillet 1960.

4. La raison en est que les premiers pas de la communauté internationale en matière de résolution

pacifique des conflits en Afrique furent un vrai désastre. En effet, pendant quasiment quatre

longues années, soit du 15 juillet 1960 au 30 juin 1964, 20.000 casques bleus allaient se débattre dans une situation chaotique sans pouvoir valablement assumer leur mandat. L’opération coûta la

vie à 250 de ses membres et fut endeuillée par la disparition tragique du Secrétaire général Dag

Hammarskjöld. Opérant dans le contexte de la guerre froide, l’ONUC suscita par ailleurs une crise

politique et financière au sein de l’ONU.

5. Les chiffres fournis ici sont inspirés de l’étude de Zeebroek, X., 2006, « Le nouveau laboratoire

africain de l’ONU », http://www.operationspaix.net , consulté le 22 décembre 2010.

6. Résolution S/RES/1925 du Conseil de sécurité du 28 mai 2010.

7. Résolution 1769 (2007) du Conseil de sécurité de l’ONU du 31 juillet 2007.

8. Créée par la Résolution S/RES/1545 du 21 mai 2004, l’ONUB prit fin le 31 décembre 2006.

9. Créée par la Résolution S/RES/1769 (2007) du Conseil de sécurité de l’ONU du 31 juillet 2007.

10. Article 2, paragraphe7. 11. Accord global et inclusif sur la transition en République démocratique du Congo, Annexe IV : De

la garantie internationale, point 3, in J.O., 44ème année, N° spécial, 5 avril 2003.

12. Cette expression signifie « un gouvernement à la tête duquel se trouve le Président de la

République et quatre vice-présidents », dont l’un pour le RCD, l’autre pour le MLC, le troisième

pour l’opposition politique non-armée et le dernier provenant de la composante formée du

gouvernement sortant.

13. Résolution S/RES/929 du 22 juin 1994.

14. Résolution S/RES/1484 du 30 mai 2003.

15. Les principales milices animatrices de ce conflit ont été l’Union des patriotes congolais (UPC) de

Thomas Lubanga, groupe majoritairement Hema, créé en 2002 par l’Ouganda, avant que ce

dernier ne s’allie au Rwanda en janvier 2003 ; le Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI) de Floribert Ndjabu, groupe Lendu formé par l’Ouganda début 2003 ; le Parti pour la sauvegarde

de l’intégrité du Congo (PUSIC) de Kahwa Mandro, qui est une dissidence de l’UPC mise en

place en février 2003 après le rapprochement de ce dernier avec le Rwanda ; les Forces armées du

Peuple congolais (FAPC) de Gérôme Kakwavu, une autre dissidence de l’UPC créée en février

2003.

16. Pour plus de détails, lire Bagayoko, N., 2004, «L’opération Artemis, un tournant pour la politique

européenne de sécurité et de défense», Afrique contemporaine, n°209, 101-116 ; voir aussi

Shyaka, A., 2004, «La Force multinationale intérimaire d’urgence en Ituri : "Artemis". Quand la

géopolitique se sert de l’humanitaire», in Shyaka, A., (éd.), La résolution des conflits en Afrique

des Grands Lacs. Revue critique des mécanismes internationaux, Butare, UNR, 27-46.

17. Résolution S/RES/1671 du 25 avril 2006.

18. Résolution S/RES/1669 du 10 avril 2006, §1. 19. Résolution S/RES/747 du 24 mars 1992.

20. Renseignements tirés du site du Réseau des opérations de maintien de la paix :

www.operationspaix.net

21. Voir Communiqué PSC/Pr/Comm.1 (XLVII) sur la situation aux Comores, adopté lors de la 47ème

réunion du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, le 21 mars 2006, à Addis-Abeba

(Ethiopie).

22. Voir le Rapport du Président de la Commission sur la situation aux Comores depuis la 10ème session ordinaire de la Conférence de l’Union, tenue à Addis-Abeba du 31 janvier au 2 février

2008, PSC/Pr/2 (XXIV), 124ème réunion du Conseil de paix et de sécurité, Addis-Abeba, 30 avril

2008.

23. Dans le cadre de cette étude, la sous-région de l’Afrique centrale est volontairement contextualité,

pour besoin de restriction thématique, pour désigner la RDC et les neufs pays voisins qui

l’entourent.

24. RDC, Angola, Namibie, Tchad, Zimbabwe, Ouganda, Rwanda et Burundi.

25. Créé par le Conseil de sécurité le 16 décembre 2010, par sa résolution S/RES/1959, avec effet à

partir du 1er janvier 2011, en remplacement du Bureau intégré des Nations Unies au Burundi

(BINUB), mis en place en vertu de la résolution S/RES/17191er juillet 2007.

26. Voir Le quotidien Le Monde du 5 septembre 2008.

27. Voir la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République démocratique du Congo du 18 février 2006.

28. Trente et unième rapport du Secrétaire général sur la Mission de l’Organisation des Nations Unies

en République démocratique du Congo, Doc.ONU, S/2010/164, 30 mars 2010, §35.

29. Voir Conseil de sécurité, Compte-rendu, Doc.ONU, S/PV/6317, soixante-cinquième année,

6317ème séance, New York, mercredi 19 mai 2010.

30. Ibidem.

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