La mort de Dieu dans la philosophie moderne - CORE

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE /. La problematique E N 1887, Nietzsche ecrivait: «L'evenement le plus actuel, a savoir que Dieu est mort, commence a jeter ses premieres ombres sur l'Europe» '. Ceux qui regardent le monde avec atten- tion, avec une certaine suspicion meme, remarquent que le soleil s'est couche, que la confiance de jadis s'est transformee en doute, que notre monde quotidien est devenu plus sombre, plus etrange, «vieux». Cependant cet evenement ne s'est pas encore annonce publiquement, continue Nietzsche, et on ne mesure pas encore les implications de la mort de Dieu: une longue suite de demolitions, de destructions, de declins, de renversements. II y aura une «logique de terreur», comme on ne l'aura pas encore vu sur la surface de la terre 2 . Nietzsche nous invite a considerer et la mort de Dieu et ses consequences. 1.1. La mort de Dieu La mort de Dieu est tout d'abord pour Nietzsche un evenement historique auquel tout notre Occident a collabore 3 . Elle signifie pour Nietzsche que Dieu et tout le divin n'est plus present parmi nous, n'a plus d'efficacite dans notre monde 4 . Notre vie ne con- nait plus le sacre, elle est devenue uniquement profane. Nietzsche ecrivait il y a plus d'un siecle. Aujourd'hui sa parole prend tout son sens, a l'echelle mondiale: a) pour la premiere fois dans l'histoire de l'humanite l'atheisme s'organise, est devenu une organisation politique; * b) mais un monde profane n'est pas necessairement un monde 1 Friedrich Nietzsche, Die frohliche Wissenschaft, par. 343. Werke in drei Banden (Hrsg. Karl Schlechta): Munchen, Carl Hanser, 1966. vol. 11, p. 205. 2 Ibid. 3 Ibid. par. 357 (Werke, II, 227). 4 cf. Martin Heidegger, Holzwege, (Frankfurt a/M.: Vittorio Klostermann. 1963 4 ) «Nietzsche's Wort «Gott ist tot». p. 200. 92 Cambridge Core terms of use, available at https:/www.cambridge.org/core/terms. https://doi.org/10.1017/S0012217300021971 Downloaded from https:/www.cambridge.org/core. University of Basel Library, on 10 Jul 2017 at 16:58:50, subject to the

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LA MORT DE DIEUDANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

La problematique

E N 1887 Nietzsche ecrivait laquoLevenement le plus actuela savoir que Dieu est mort commence a jeter ses premieres

ombres sur lEuroperaquo Ceux qui regardent le monde avec atten-tion avec une certaine suspicion meme remarquent que le soleilsest couche que la confiance de jadis sest transformee en douteque notre monde quotidien est devenu plus sombre plus etrangelaquovieuxraquo Cependant cet evenement ne sest pas encore annoncepubliquement continue Nietzsche et on ne mesure pas encore lesimplications de la mort de Dieu une longue suite de demolitionsde destructions de declins de renversements II y aura unelaquologique de terreurraquo comme on ne laura pas encore vu sur lasurface de la terre2

Nietzsche nous invite a considerer et la mort de Dieu et sesconsequences

11 La mort de Dieu

La mort de Dieu est tout dabord pour Nietzsche un evenementhistorique auquel tout notre Occident a collabore3 Elle signifiepour Nietzsche que Dieu et tout le divin nest plus present parminous na plus defficacite dans notre monde4 Notre vie ne con-nait plus le sacre elle est devenue uniquement profane

Nietzsche ecrivait il y a plus dun siecle Aujourdhui sa paroleprend tout son sens a lechelle mondialea) pour la premiere fois dans lhistoire de lhumanite latheismesorganise est devenu une organisation politique b) mais un monde profane nest pas necessairement un monde

1 Friedrich Nietzsche Die frohliche Wissenschaft par 343 Werke in dreiBanden (Hrsg Karl Schlechta) Munchen Carl Hanser 1966 vol 11 p 205

2 Ibid3 Ibid par 357 (Werke II 227)4 cf Martin Heidegger Holzwege (Frankfurt aM Vittorio Klostermann

19634) laquoNietzsches Wort laquoGott ist totraquo p 200

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

qui soppose a Dieu par une ideologie athee Cest un monde ouDieu et le sacre sont absents En ce sens les sciences moderneset la technique sont purement profanes Nos merveilleuses scien-ces et techniques qui permettent de reculer les frontieres de lamort qui par leurs inventions ont eleve notre niveau de vie etnous ont permis de combattre efficacement la pauvrete la famineet la maladie ces sciences et techniques nont pas de place pourle sacre Dans la mesure ou notre societe est dominee par lessciences modefnes elle est une societe purement profane Et ilsagit la dune negation de Dieu bien plus terrible que celle desideologies athees Nier Dieu implique quon lui accorde unegrande importance Ignorer Dieu implique quon ne lui en accordeaucune En ce sens le monde europeen et americain democra-tique est bien plus avance dans latheisme que le monde marxistecar il vit sans Dieu tandis que le monde marxiste vit encore contreDieu

12 Consequences de la profanisation du monde

Nietzsche prevoit comme consequence de cette profanisation dela terre une longue suite de demolitions de destructions de de-clins de renversements surtout une laquologique de terreurraquo

121 La terreur

Labsence de Dieu et du sacre implique la temporalisation dela vie qui nest plus la rencontre entre le temporel et leternelmais devient une succession devenements purement temporelsentre la naissance et la mort Nayant pas dechappatoire au deve-nir le non-croyant na plus de defenses contre les souffranceset la temporalite de lhistoire qui ainsi depourvue de sens devientterrifiante La terreur sinstalle dans la vie quotidienne qui nestplus quune marche ineluctable vers la mort Cette terreur face ala temporalite de la vie nous en voyons deja aujourdhui lespremieres manifestations dans la croissance de langoisse

122 La logique de terreur

Cette terreur a sa propre logique celle de la temporalite etdu relativisme La mort de Dieu fait sombrer notre monde dans latemporalite la plus absolue non seulement en ce qui concernelhistoire mais aussi en ce qui concerne les valeurs mdash si Dieunexiste pas il ny a plus de valeurs absolues verite personne

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humaine amour sont autant de valeurs qui disparaissentavec Dieu Ce qui reste cest lhomme dans toute sa temporaliteet son organisation du monde Et cette organisation constitueralexpression de la negation de toute verite de tout amour de toutrespect de la personne humaine Ce sera un monde ou avecune logique implacable et terrifiante5 toute aspiration de lhommevers lamour tout respect de la personne humaine seront consi-deres comme une attitude maladive et la vie humaine seradevenue une denree perissable6

13 Cosmologies religieusesPour le croyant lhistoire est la consequence du peche peche

qui survient apres la creation par suite dune faute rituelle7La creation tire lunivers du chaos et du nihil en y etablissantlordre divin si bien que la terre et en particulier lhomme parti-cipent pleinement a cet ordre divin Et puisque Dieu est eternelle monde paradisiaque na pas dhistoire Lhistoire est le resultatdu changement cosmique fondamental le peche qui a coupe larelation directe immediate avec Dieu Des lors lunivers seloigneprogressivement de Dieu et a travers lhistoire le capital divinqui y etait au commencement diminue avec lecoulement du tempsAvec lhistoire lhomme seloigne graduellement de Dieu et rejointa la fin des temps le chaos originel Lhistoire est terrifiante pourle croyant car elle lamene a son annihilation complete Cepen-dant il a une echappatoire Par le rituel qui repete rituellement lesactes divins en particulier celui de la creation il peut rejoindrelordre divin in illo tempore Chaque rite represente une parti-

5 Ernst Jiinger dans Ueber die Lime (Frankfurt aM Vittorio Klosterman1950) decrit la situation nihiliste par trois caracteristiquesa Le nihilisme ne signifie pas le chaos sauf comme consequence Au contraireil implique lorganisation la plus consequente comme par exemple dans lesgrandes institutions de destruction ou regne Iobjectivite Ihygiene et un ordrestrictb Le nihilisme na rien de maladif En fait il implique le quite de la santephysique et des efforts sportifs avec la negation de tout sentiment humainc Le nihilisme ne signifie pas limmoralite et peut se combiner a un philan-thropisme Seulement le nihilisme depasse la moralite vers lautomatisme (pp13-20)Les signes du nihilisme sont la reduction du monde dans toutes ses formes et ladisparition de tout ce qui fait appel au sens miraculeux (pp 22ff)

6 Gabriel Marcel Du refits a 1invocation (Paris Gallimard 1940) p 1267 cf Mircea Eliade Le mythe de Ieternel retour archetypes et repetition

(Paris Gallimard 1949)

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

cipation de lhomme a un acte divin paradigmatique par lequel lecroyant echappe a lhistoire Par le rite il vit dans un autre tempset un autre espace Aussi le croyant essaiera-t-il dincorporer leplus possible les evenements de sa vie a la vie sacrale afin de lesarracher a lhistoricite qui a titre de consequence du peche im-plique la souffrance sans sens aucun Pour avoir de la substancechaque acte de lhomme doit participer a lordre sacral Cest ledivin qui est Etre aussi le croyant cherche-t-il son etre danslordre divin supra-historique laquoen lui nous avons la vie le mou-vement et letreraquo8

Lhistoire est un devenir qui na de sens que sil participe alordre de letre Aussi une societe qui exclut le sacre est unesource de terreur pour le croyant aussi bien que pour le nitzscheenDans cette situation la question de Kant sadresse a lhomme avecune force renouvelee laquoque puis-je savoir que puis-je faire quepuis-je espererraquo9 La premiere question quoique purement spe-culative est fondamentale Car lhomme espere et agit en fonctionde ce quil sait de ce quil comprend de la situation historiqueet done de ses sources

Les sources du nihilisme

Selon Nietzsche laquonous sommes tous les assassins de Dieuraquo 10Comme jadis le peuple juif avait crucifie le Christ nous avonstue Dieu en lexcluant de notre vie Dieu est mort parce quenotre civilisation ne Lui laisse pas de place Ludwig Feuerbachjeune hegelien exprime la meme idee le christianisme na plus deplace dans notre societe il est une idee fixe laquoen contradictionflagrante avec nos assurances-vie nos assurances incendie noschemins de fer et nos locomotives avec nos pinacotheques etnos glyptotheques avec nos ecoles militaires et techniques avecnos theatres et nos cabinets dhistoire naturelleraquo Notre vie eco-nomique et technique notre culture notre systeme deducationet nos sciences ne saccordent pas au christianisme De sorte que

Actes 17 28 cf aussi Eric Voegelin Order and History vol I Israeland Revelation (Louisiana State University Press 1956) p 3 pour 1aspect divinde letre dans les cosmologies religieuses

9 Immanuel Kant Kritik der reinen Vernunft edition B p 833 (ci-apresKRVB 833)

10 Die Frohliche Wissenshaft par 125 (Werke II 127)

Samtliche Werke (Leipzig 1846) vol VII4 p 31

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notre civilisation meme est athee il ny a pas de place pour la foisauf le dimanche12

Schopenhauer disciple de Kant et contemporain de Hegelmaintient dune maniere semblable que notre monde na plus deplace pour Dieu laquoLe theisme pris au serieux presuppose neces-sairement quon divise le monde en ciel et terre les hommes semeuvent sur celle-ci Dieu qui gouverne les hommes se trouveen celui-la Mais quand lastronomie sempare du ciel elle sem-pare aussi de Dieu elle a agrandi le monde de telle maniere quilny a plus de place pour Dieu II sensuit que le theisme doitdisparaitre dans la mesure ou lastronomie devient populaireraquoCe que lEglise catholique a reconnu et cest pourquoi elle apersecute le systeme copernicien 13

Nietzsche egalement pense que la revolution copernicienne a eudes consequences incommensurables laquoOn dirait que lhomineglisse depuis Copernic sur un plan incline mdash quil seloigne deplus en plus rapidement du centre mdash dans quelle direction versle neantraquo 14

Schopenhauer et Nietzsche voient done la source historique denotre civilisation occidentale dans le systeme copernicien de luni-vers Ce qui est en jeu ici ce nest pas lastronomie en tant quetelle mais la vision copernicienne du monde vision qui presentedeux caracteristiques elle est basee sur la methode hypothetiquedes sciences modernes et elle implique le renversement des cos-mologies traditionnelles qui laissaient les cieux tourner autour de laterre Dans la mesure ou la cosmologie traditionnelle constituaitplus quune theorie scientifique mais representait une cosmogoniereligieuse son renversement par Copernic a ete plus quun faitscientifique il impliquait egalement le bouleversement des valeurstraditionnelles Et puisque la nouvelle cosmologie sinscrit dans lecadre des sciences modernes la conclusion parait suivre que lavision inspiree par les sciences modernes implique un renverse-ment des valeurs religieuses tel que notre societea glisse ineluc-tablement sur la pente du nihilisme athee Mais dans ce cas les

12 cf Karl Loewith Von Hegel zn Nietzsche (Stuttgart KohlhammerI9584) p 362

13 Parerga und Paralipomena Vol IV Sdmtliche Werke (Hrsg Frhr VonLohneysen) (StuttgartFrankfurt aM Cotta-Insel 1963) p 68

14 Genealogie der Moral laquo Was bedeuten asketische Ideale par 25 (WerkeII 893)

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LA MORT DE D1EU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

sciences modernes ne sont pas en premier lieu responsables carelles ont leurs bases philosophiques la vision scientifique dumonde est une vision philosophique puisque la science en tantque telle na pas de vision Mais de quelle philosophic sagit-ilQuelle est la philosophic qui peut se pretendre copernicienne

Cest Kant qui explicitement pretend avoir pense une philoso-phie copernicienne Selon Kant la revolution copernicienneconsiste en ce que Copernic na pas attribue les mouvements quonpeut voir aux objets du ciel mais aux spectateurs Et Kant proposede construire une metaphysique sur une hypothese semblablelaquo Jusqua maintenant on a suppose que nos connaissances devaientsaccorder aux objets Mais toutes les tentatives basees sur cettesupposition delargir ainsi a priori notre connaissance par desconcepts ont echoue Cest pourquoi il faudrait essayer une fois sinous pourrions avancer en metaphysique en supposant que les ob-jets doivent saccorder a nos connaissancesraquo1S Cette hypothesesapplique directement a la representation Car si la representationdoit saccorder aux objets de representation il est impossibledavoir des connaissances a priori de ces objets Mais si 1objetsaccorde a ma representation ceci devient tout a fait possible16Kant comprend lordre de la realite en termes dorganisation par lesujet Ainsi le temps et lespace sont des formes a priori qui nouspermettent dexperimenter le monde sous la forme dune organisa-tion spatio-temporelle De meme notre pensee est une activitedorganisation Connaitre la realite signifie pour Kant laquoetablir uneunite synthetique dans la pluralite de lexperience sensible raquo 17 Ce-pendant si la connaissance represente essentiellement lapplicationdun ordre de concepts a une realite qui en tant que telle na pascette organisation la connaissance se limite aussi au domaine de larealite experimentee et experimentable sensiblement Lactivite deIintelligence qui depasse le domaine de la realite empirique ne re-presente plus une connaissance proprement dite aussi Kantdistingue-t-il rigoureusement entre connaissance et pensee laquoPen-ser un objet nequivaut pas a le connaitre Car la connaissanceexige deux elements dabord le concept par lequel on pense 1objet(la categorie) et ensuite lintuition qui nous donne lobjetraquo 18 II en

15 KRV BXVI16 KRV B XVII17 KRV A 150 cf aussi B 9418 KRV B 146

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resulte que nos connaissances peuvent atteindre les objets qui tran-scendent notre experience sensible tel lame le cosmos et DieuJe peux penser Dieu mais je ne peux Le connaitre19 La metaphy-sique ne peut prouver lexistence de Dieu Ce qui ne signifie pasque Dieu nexiste pas mais que la metaphysique est strictementagnostique a son sujet Aussi lexistence de Dieu nest-elle pas unobjet de connaissance mais de la foi20 un postulat de la raisonpratique21 et toute connaissance que je puisse avoir de Dieu estune connaissance uniquement symbolique

Bien que selon Kant nous ne puissions connaitre Dieu au sensscientifique et philosophique du mot la pensee de Kant nest pasun atheisme car lexperience morale et religieuse nous assure queDieu existe et quil est sagesse et createur infiniment sacre etbeni22 Cependant comme latheisme a son apotheose cesse detreun atheisme pour devenir un nihilisme les origines de latheismene sont pas necessairement et apparemment athees non plus Cestce que Nietzsche et Schopenhauer pensaient car lastronomiecopernicienne nest pas atheisme en tant que telle

En effet la philosophic de Kant etablit un dualisme de prin-cipe entre la foi et la raison entre la theologie et la philosophic etce dualisme est le resultat direct de sa revolution copernicienneUne connaissance qui organise la realite ne peut avoir commemesure cette realite meme Son origine etant la spontaneite de lapensee meme23 elle ne peut decouvrir que ce qui est contenudans cette spontaneite meme Aussi une telle connaissance nepeut decouvrir ce qui la transcende Afin de decouvrir theori-quement Dieu intelligence infinie il faudrait une connaissancecapable de circonscrire et de contenir la nature divine24 Cetteconnaissance est synthetique elle est un modele de la realitequi pour sappliquer exige une matiere comme lieu de sa realisa-tion Puisquon peut supposer que Dieu est un etre supra-sensibleil ny a pas de matiere a laquelle notre concept de Dieu serait

19 I m m a n u e l K a n t Kritik der Urteilskraft (Hrsg Karl Vor lander H a m b u r g

Felix Meiner 19746) p 33720 Ibid p 34321 Immanue l K a n t Kritik der Urteilskraft (Hrsg Karl Vor lander H a m b u r g

H a m b u r g Felix Me ine r 19749) p p 142 ff

22 cf Ur te i l skraf t p 3 1 1 P r ak t V e r n p p 150 18123 KRVB9324 cf Ur te i l skraf t p 3 1 1

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LA MORT DEDIEU DANS LA PH1LOSOPH1E MODERNE

applicable25 La connaissance humaine dans la philosophic deKant est doublement agnostique les limites de sa spontaneite in-tellectuelle lempechent de produire un concept qui puisse etreadequat a Dieu et il lui manque toute possibility dexperiencequi puisse servir de lieu de verification au concept de Dieu

La philosophic poietique

Penetrant plys avant dans la structure de cette connaissancecopernicienne on remarque quelle est connaissance hypothetiqueau sens ou sa verite est sa verification et sa source nest pas1experience

La connaissance hypothetique est une connaissance synthetiquedu monde Ne representant pas la realite elle ne saurait etre vraieque si elle se realise dans la realite La realisation du modeleest sa verification La verification est le processus par lequel larealite saccorde au modele La realite est condition non critere dela verite inconnaissable en soi elle est la comme matiere pourla realisation de la connaissance Aussi la connaissance hypo-thetique est-elle un modele de la realite qui se realise dans lexpe-rience Un modele qui se realise implique la production dunproduit26 En effet toute production impliquant une transforma-tion de la realite le modele de production ne peut representer larealite et ne peut avoir comme source la realite experimentee sibien que toute connaissance productrice ou poietique a commepoint de depart une negation plus ou moins prononcee de la realiteexperimentee Une telle connaissance nest pas productrice parcequelle nie la realite experimentee au contraire elle nie la realiteparce quelle est productrice Si ce nest pas la realite objectivequi est mesure de cette connaissance la mesure en est neces-sairement la subjectivite reorganisant 1experience pour en formerun modele de la realite Ce qui ne signifie pas que la connais-sance poietique est arbitraire Au contraire elle Test si peu quellesaccorde parfaitement a lobjectivisme le plus radical27 A titredorganisation de la realite elle presente le systeme du monde par

25 Ibid p 34026 Dans le cas de la philosophic de Kant le produit est lexperience meme

laquodieses Produkt der Sinne und des Verstandesraquo Prolegomena zu einer jedenkiinftigen Metaphysik par 20 (Hrsg Karl Vorlander Hamburg Felix Meiner1969 p 56)

27 cf Martin Heidegger Holzwege laquoDie Zeit des Weltbildes raquo p 81

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la systematisation rigoureuse de la connaissance Systematisationqui depend comme toute connaissance humaine de lexpe-rience pour son contenu mais qui pour son organisation dependde la spontaneite subjective Cest linspiration qui opere la trans-position ideale des donnees de 1experience28

Puisque la connaissance poietique implique la realisationlinspiration amene a une analyse des possibilites de linspirationen fonction de leur realisation cette analyse est une connais-sance du possible comprenant la realite en termes de possibilitesde realisation Aussi affirme-t-elle le primat du possible par rapporta la realite comme lafnrme dailleurs Kant29 Ce nest quensaccordant a nos connaissances que les objets de connaissancesont reels ce qui equivaut a affirmer que les objets sont reelsdans la mesure ou cette connaissance du possible se realise

La relation entre inspiration et analyse de sa realisabilite estune relation dialectique au sens hegelien du terme entre 1idealsubjectif interieur et sa realisation manifeste exterieure oppositionqui exige un troisieme element comme synthese des deux premiers

Cette synthese est le projet proprement dit conclusion du rai-sonnement hypothetique Le projet synthetise parfaitement lidealde lhypothese avec les possibilites de sa realisation et ne demanderien pour sa perfection si ce nest sa realisation

Cette realisation qui est le travail du projet constitue le momentde la verification du projet La verite est verification productionde verite processus de realisation

La connaissance poietique implique alors les moments suivantsla negation plus ou moins explicite de lexperience comme mesurede connaissance linspiration comme connaissance spontanee im-pliquant lorganisation ideale des donnees de 1experience la consi-deration sur la realisabilite de linspiration le projet comme mo-dele concret synthetisant la realisabilite avec lidealite de linspi-ration le processus de realisation et le produit comme realitetransformee en fonction du projet

Cette analyse montre que la connaissance poietique nest niathee ni theiste car elle ne peut se bullprononcer sur Dieu puisquIl

28 cf M D Phi l ippe Lactivite arlistique t ome I (Par is Beauchesne 1970)

p 2522 9 cf K a n t K R V A 287

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

transcende necessairement tout projet humain Ceci vaut aussipour les differentes modalites de cette connaissance telles lessciences modernes et la technique De meme Kant reconnaissantles limites propres de cette connaissance exclut Dieu de touteconnaissance proprement dite

Mais quand la connaissance poietique devient exclusive de touteautre connaissance elle devient implicitement athee Au momentou la philosophie devient projet humain de la realite il ny a plusde place pour Dieu En ce sens la philosophie de Kant est sourcedatheisme Cependant la philosophie kantienne nest pas une pen-see exceptionnelle et isolee dans la tradition moderne En effettoute philosophie qui identifie la connaissance philosophique de larealite a la connaissance poietique est implicitement ou explicite-ment athee Dans la mesure ou la tradition principale de laphilosophie moderne concoit la connaissance exclusivement entermes de connaissance poietique elle represente une vision atheede la realite Cette vision nest pas des son commencement expli-citement athee La philosophie moderne jusqua Hegel parle deDieu Ce qui ne suffit pas pour la constituer en theisme Eneffet la ou la philosophie poietique parle de Dieu ex officio elleparle en realite dun ideal projete par linspiration Cest un idealhumain qui demande comme achievement de soi la realisationconcrete et cette fabrication de Dieu constitue la verification delidee de Dieu Lhistoire de latheisme moderne comprend alorsdeux mouvements Elle elimine dabord le Dieu de la foi deses considerations comme dun domaine qui nappartient pas enpropre a linspiration poietique de la realite Ensuite elle decouvregraduellement son propre atheisme elle decouvre graduellementque le Dieu de la philosophie poietique nest que la projectiondun ideal purement humain En ce qui suit nous toucherons lesphases les plus saillantes de la philosophie poietique athee danslhistoire de la philosophie moderne

IV Latheisme moderneHegel represente une synthese au double sens hegelien de con-

clusion et de point de depart de nouvelles antitheses Son geniefut de construire une philosophie poietique qui nexclut aucunaspect de la realite Puisque la mesure de la connaissance poieti-que nest pas la realite mais cette connaissance meme30 la con-

30 Enzyklopddie der philosophischen Wissenschaften par 213 laquodenn dieWahrheit ist dies dass die Objektivitat dem Begriffe entsprichtraquo

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naissance ultime de la realite (metaphysique) devient necessaire-ment chez Hegel connaissance de cette connaissance (logique)La philosophie de Hegel devient alors le systeme de cette connais-sance cest-a-dire de lEsprit La realite comprise en termes deprojet qui se realise implique la dialectique comme processus derealisation31 et lEsprit comme sujet de la dialectique Aussi Hegelreproche-t-il a Spinoza et a Schelling dinterpreter lEsprit unique-ment en termes didentite avec la realite (substance) sans tenircompte du dynamisme exige par la realisation de lEsprit meme32laquo Selon ma facon de voir qui doit seulement justifier la presen-tation du systeme tout depend de ce point essentiel saisir etexprimer le vrai (ie la realite dans sa totalite) non seulementcomme substance mais encore comme sujet raquo33 La substance quiest Esprit est le devenir et ce quil est en soi34 cest-a-diresujet35 La vie de lesprit est action (Tat) et Faction supposeune matiere qui est travaillee et transformee36 Ce travail delesprit ce processus dauto-realisation cest lhistoire par la-quelle lEsprit devient son propre produit37

Une telle philosophie qui regarde la realite comme projetpoietique qui se realise a travers le travail de lhistoire ne peutplus se taire au sujet de Dieu comme lavait fait Kant AussiHegel identifie-t-il Dieu a TEsprit et il developpe une theologieou la Trinite correspond exactement aux phases de lhistoire de

31 Wissenschaft der Logik (Hrsg Georg Lasson Hamburg Felix Meiner19672) Pars I p 36

32 Enzyklopddie par 573 laquo A m genauesten wiirden siedie Pantheismenals die Systeme best immt welche das Absolute nur als die Substanz fassen DerMangel dieser samtlichen Vorstellungsweisen und Systeme ist nicht zur Bestim-mung der Substanz als Siibjekt und als Geist fortzugehenraquo

33 Phanomenologie des Geistes (Hrsg Johannes Hoffmeister HamburgFelix Meiner 1952) p 19

34 Ibid p 55835 Ibid p 52836 Einleitung in die Geschichte der Philosophie (Hrsg Johannes Hoffmeister

Hamburg Felix Meiner I9664) p 13 laquoSeindes GeistesLeben ist Tat DieTat hat einen vorhandenen Stoff zu ihrer Voraussetzung auf welchen sie gerichtetist und den sie nicht etwa bloss vermehrt durch hinzugefiigtes Materialverbreitert sondern wesentlich bearbe i te t und umbildetraquo

37 Vorlesungen iiber die Philosophie der Weltgeschichte vol 1 Die Vernnnftin der Geschichte (Hrsg Johannes Hoffmeister Hamburg Felix Meiner I9705)p 72 laquoDer Geist ist wesentlich Resultat seiner Tatigheit raquo

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lEsprit38 Cependant le Dieu de la philosophic de Hegel nestpoint le Dieu dAbraham ni celui dailleurs du christianismeHegel comprend la vie divine en termes dhistoire qui constitueun developpement de Dieu39 Cette histoire comprend la negationantithetique de Dieu dans lhomme par la creation Car lespritetant connaissance de soi dans son autre40 Dieu doit devenir sonautre Dieu se connaissant en lhomme implique la connaissancepar lhomme de Dieu connaissance qui se developpe en la con-naissance de soi de lhomme en Dieu41 Aussi lhistoire divinedevient-elle lhistoire de la divinisation de lhomme par lui-memeEn realisant Dieu lhomme se realise si bien que le culte de Dieuest depasse par le culte de lEsprit et la theologie par la philoso-phie hegelienne42

Pour Hegel lantithese est une negation qui cache une identiteprofonde Les jeunes hegeliens sont antithetiques par rapport aHegel dans ce sens ils mettent en lumiere le dynamisme produc-teur de la philosophic poietique hegelienne ce qui a comme corol-laire lafnrmation explicite de latheisme Ainsi Feuerbachmaintient-il que Dieu nest que la projection de lldeal de lhuma-nite43 Dieu est la tache que lhumanite se donne a realiser et lesens de lhistoire cest la realisation dune humanite ideale Aussilathee est celui qui nie lexistence de Dieu sans pour autant nierles attributs divins comme autant dideaux humains44 Si lechristianisme maintient que Dieu est Personne et Amour cecisignifie que la personne et lamour est un ideal humain que lhom-me projette afin de le realiser dans lhistoire

38 Ibid p 58 laquoIm Christentum aber ist Gott als Geist offenbart undzwar ist er zuerst Vater Macht abstrakt Allgemeines das noch eingehiillt istzweitens ist er sich als Gegenstand ein Anderes seiner selbst ein sich Entzweien-des der Sohn Dieses Andere seiner selbst ist aber ebenso unmittelbar er selbst erweiss sich darin und schaut sich darin an mdash und eben dieses Sichwissen und Sich-anschauen ist drittens der Geist selberraquo

Ibid p 48 laquo Die Geschichte ist die Entfaltung der Natur Gottesraquo40 Phanomenologie p 52841 Enzyklopiidie pa r 56442 Enzyklopiidie par 572 577 Geschichte der Philosophies p 150 laquoDie

Philosophie ist also an sich schon eine weitere Bestimmtheit oder Charakterdes Geistes sie ist die innere Geburtstatte des Geistes der spater als Wirklichkeitauftrittraquo

41 cf Wesen des Christentiims vol IV Sumtliche Werke p 16 laquoDerMensch verlegt sein Wesen zuerst ausser sich ehe er es in sich findetraquo

44 Ibid p 17

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DIRK PEREBOOM

Marx reprend latheisme de Feuerbach en accentuant le liensecret entre atheisme et realisation dune humanite ideale Si laphilosophic devient anthropologie chez Feuerbach elle devientideologic pratique chez Marx45 Car seule une humanite atheepourrait realiser lideal et partant lepanouissement absolu delhumanite une humanite qui croit en Dieu projette son idealen Dieu et reste passive devant Dieu quelle croit parfait Aussilatheisme comme processus de reduction de Dieu a des dimen-sions anthropomorphiques est une condition sine qua non de larealisation de lhumanite46

Latheisme de Marx est un atheisme base sur la foi dans lave-nir glorieux de lhumanite47 II revient a Schopenhauer et aNietzsche de formuler un atheisme sans foi

Le christianisme ne met pas en doute lexistence de Dieu cequi est juste dit Schopenhauer car Kant a montre quil est impos-sible de prouver lexistence de Dieu par demonstration Ayantainsi donne le coup de grace a la theologie speculative Kant aessaye dadoucir son agnosticisme en avancant des arguments mo-raux en faveur de la foi en Dieu Cependant il ne sagit pas dunepreuve de lexistence de Dieu mais dun schema regulateur de lamorale car Dieu ny est considere que comme hypothese utile ala morale48 En effet il est impossible que le Dieu personnel dutheisme existe reellement Si Dieu a cree lhomme il Ia creeavec toutes ses caracteristiques qui determinent ses actions si bien

45 laquo T h e s e n iiber F e u e r b a c h XI dans Karl Marx Friedrich Engels Diedeutsche Ideologic (Hrsg V Adoratski j ) WienBer l in Verlag fiir Li t tera tur undPolitik 1932) 535 laquoDie Philosopher haben die Welt nur verschieden i n t e r p r e -tiert es kommt darauf an sie zu v e r a n d e r n raquo (c i -apres M E G A p 535)

46 Marx M E G A p 534 ( T h e s e 4 ) laquo Feuerbach geht von dem Fak tum derreligiosen Selbs tent f remdung der Verdopplung der Welt in eine religiose und eineweltlich aus Aber dass die weltlich Grundlage sich von sich selst abhebt undsich ein selbstandiges Reich in den Wolken fixiert ist nur aus der Selbstzerris-senhei t und Sichse lbs twidersprechen dieser weltl ichen Grundlage zu erklarenDiese selbst muss also in sich selbst sowohl in ihrem Widerspruch vers tanden als prakt isch revolut ioniert werden Also n a c h d e m z B die irdische Familie alsdas Geheimnis de r heiligen Familie en tdeck t ist muss nun ers tereselbsttheoret isch und prakt isch vernichtet we rden raquo

47 Pour Karl Loewi th le marx isme est une heresie du mess ianisme juda ique cf Meaning in His tory (Chicago Univers i ty of Chicago Press 1958) pp 44f

48 Ar thur Schopenhaue r Parerga und Paralipomena I laquo F r a g m e n t e zurGeschichte der Philosophieraquo par 13 laquoNoch einige erlauterungen zur KantischenPhilosophieraquo (Werke IV p 132 ff)

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LA MORT DE D1EU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

que la doctrine de la creation par Dieu ne peut saccorder avec ladoctrine de la liberte humaine sans laquelle on ne peut considererfhomme comme moralement responsable49 Dautre part la doc-trine de limmortalite de lame ne saccorde pas davantage a lideedune creation ex nihilo comment peut-on croire quune existencequi a commence il y a si peu dannees ne disparait pas avec lamort mais continuera miraculeusement a exister eternellement50Dailleurs la doctrine de la creation meme ne saccorde pas auxfaits de la vie Comment peut-on accepter que le monde soitlceuvre dune bonte dune sagesse et dune puissance infinies sion considere que la vie nest que necessite et angoisse souf-france et fardeau51 Loin de promouvoir le bonheur la vie nestque souffrance Aussi est-ce une erreur fondamentale rendant larealite absurde que de penser que le bonheur est la fin de la vie52Si la vie est tragique cest que la souffrance est un processusde purification Mourir est la seule fin de la vie53 cest le fruit dela vie laquoLa mort est levenement le resume ou le total de la viequi exprime dun coup la lecon que la vie nous a donnee succes-sivement et partiellement a savoir que tout leffort dans la vie estla manifestation dune force inutile vaine contradictoire si bienque le debarras de la vie est son salutraquo54 Objectivementparlant la seule conclusion qui simpose cest que la vie est unjeu qui laquonen vaut pas la chandelleraquo55 Et pourtant chaquehomme garde et defend sa vie comme si elle avait une valeurinfinie chacun aime la vie par-dessus tout et craint la mort plusque tout autre danger Cette opposition entre la misere de la vieet lamour de la vie ne sexplique que si Ton suppose que la vieest la manifestation dune volonte aveugle qui agit comme instinctde vie56 Le principe de la realite est la volonte qui cherche ase donner une forme objective a travers les diverses manifestationsde la nature57 Ce principe nest pas le resultat dune connais-

gt Ibid p p 152f50 Ibid p 156

51 Ibid p 151

Arthur Schopenhauer Die Welt als Wille und Vorstellung vol IICh 49 laquoDie Hei lsordnungraquo (Werke I I p 813)

53 Ibid p 81754 Ibid55 Ar thur Schopenhaue r Welt als Wille und Vorstellung vol I I C h 2 8

laquoCharakter is t ik des Willens zum L e b e n raquo (Werke I I p 463)56 Ib id p 464 57 Ib id p 411-423

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sance de la vie une conclusio ex praemissis mais a titre de prin-cipe de la realite la volonte est aussi principe de toute connais-sance58 Ainsi la croyance en Dieu nest pas le resultat dunecertaine connaissance mais de la volonte59 qui se cree un Dieuafin de donner a la vie lespoir de limmortalite et dune aidesurnaturelle dans les vicissitudes de lexistence60 Preparant lenihilisme athee de Nietzsche Schopenhauer revet dans lhistoirede 1atheisme moderne une place particulierement importante Lavolonte est lEtre de tout ce qui est et a titre de principe ultimede la realite elle determine la connaissance Dans le cadre de latradition philosophique moderne laffirmation de la volonte commeprincipe de realite est la consequence ultime dune philosophicpoietique La fin du projet nest pas la contemplation mais larealisation61 Aussi le principe du projet se sert-il de lintelligencepour la formulation du projet Et dans la mesure oii la connais-sance poietique implique ladaptation de la realite au projet memele principe du projet est ipso facto principe de la realite Aussilinterpretation poietique de la realite voit-elle comme principe dela realite un principe de realisation que Schopenhauer appelle lavolonte Cette volonte est alors principe du projet et de la realisa-tion Cest ainsi que la croyance en Dieu est une hypotheseavancee en fonction de la realisation de la realite Cependant ilsagit dun projet irrealisable car si Dieu existait la vie conduiraitau bonheur Mais la fin de la vie nest pas le bonheur62 la fin dela vie a lepoque moderne est la realisation du projet Puisque lesens de la vie est la realisation sans Dieu du projet de la subjec-tivite humaine il ne reste a lhomme que le pessimisme

Chez Nietzsche la volonte devient volonte de puissance et lepessimisme devient nihilisme sans Dieu Nietzsche constitue lafin de la philosophic moderne au double sens de terme de laphilosophie moderne et de celui qui en montre lessence

58 Ib id p 466 59 Pa re rga W e r k e I V p p 156f60 Ibid 14761 Ibid 147 Russell et Scheler parlent dans ce cadre d une connaissance pour

la martrise du monde cf Bernard Russell The Scientific Outlook (LondonGeorge Allen amp Unwin 1931) p 270 et Max Scheler Vom Ewigen im Menschen(Bern Francke 1968s) p 92

62 cf Aristote Ethique a Nicomaqne I 5 (1097 b I) laquo Le bonheur sembleetre au supreme degre une fin de ce genre car nous le choisissons toujours pourlui-meme et jamais en vue dune autre choseraquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

V Nietzsche

Le point de depart de la philosophie de Nietzsche est la negationde lexistence de Dieu Le christianisme et la foi en Dieu sonten train de disparaitre car Dieu nexiste pas63 Dieu est mort etnous lavons tue laquoNavez-vous pas entendu parler de ce fou quiayant allume une lanterne en plein midi courait sur la place dumarche et criait sans cesse laquo Je cherche Dieu Je cherche Dieu raquolaquoOu est Dieu cria-t-il je vais vous le dire Nous lavons tue mdashvous et moiraquo64 Nous dans la parabole de Nietzsche ce sont lesgens du marche lieu dexpression des valeurs et des mceurs quisont a la mode et qui constituent la civilisation Notre civilisationest profondement athee et cest pourquoi Dieu est mort Heideggerse demande si en annoncant la mort de Dieu Nietzsche ne faitpas que formuler ce que lhistoire de lOccident a toujours sous-entendu 65

Mais comment avons-nous tue Dieu Si Dieu existe II est im-mortel et ne peut mourir Nietzsche affirme bien que Dieu a existemais quil est mort maintenant et que notre societe avec ses com-pagnies dassurance etc a tue Dieu Dieu est mort parce quenotre civilisation Fa exclu de sa vie quotidienne Dieu est mortparce que la foi en Dieu nest plus une force efficace dans notrevie occidentale La mort de Dieu dans la philosophie de Nietzschesignifie la perte ou plus precisement labsence de foi en DieuMais labsence de foi en Dieu signifie plus que la negation deDieu Elle signifie aussi que la terre est desenchainee de sonsoleil et que lhorizon tout entier est efface Cet horizon ce sontles valeurs eternelles La mort de Dieu entraine la disparitiondes valeurs eternelles et absolues66 La consequence de la mort deDieu est le relativisme le plus absolu le relativisme qui est unelaquochute continue ou il ny a plus ni haut ni bas II ny a plusletre mais le devenir en dehors duquel il ny a rien et le devenirnest pas un but il na aucune valeur67 Si Dieu est mort lemonde est pur devenir et le devenir na plus de sens Avec lamort de Dieu le nihilisme le plus terrible des hotes frappe a la

Nietzsche Der Antichrist par 38 (Werke II 1199)Nietzsche Die Frohliche Wissenschaft par 125 (Werke II 127)Martin Heidegger Holzwege Nietzsches Wort laquoGott ist to traquo p 196Ibid p 200Wille znr Macht aph 617 (Werke III 884) ci-apres WzM 617

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porte68 Le nihilisme cest le sentiment penetrant du neant69cest le refus radical de toute valeur et tout sens dans la vie70 a lasuite de la negation de tout etre de tout ce qui est absolu de toutce qui est divin71 Le nihilisme cest vivre la vie comme uneabsurdite et la forme la plus extreme du nihilisme cest daffirmerleternite du neant de labsurde72 Nietzsche a compris quunmonde sans Dieu est un monde nihiliste sans verite sans valeursans espoir qui a sa logique de terreur Apres la mort de Dieunous errons a travers un neant infini le vide nous souffle dans lafigure il ny a plus que la nuit et la nuit devient toujours plusepaisse

Pour Nietzsche la mort de Dieu signifie leclipse de la racehumaine telle que nous la connaissons Afin de survivre a la mortde Dieu il faut necessairement que lhumanite change radicale-ment La mort de Dieu inaugure Fhistoire dune humanite impiesans Dieu73

laquoDieu est mort maintenant nous voulons que le surhommeviveraquo dit Zarathustra74 Le principe de cette transformation delhomme en surhomme se trouve dans la vie meme La mort deDieu impliquant la negation de tout principe transcendant le prin-cipe de la vie et de la survie doit etre strictement immanentII faut que la vie se donne la vie la vie doit se depasser conti-nuellement75 Cest limmanence qui devient principe de la trans-cendance Ce principe Nietzsche lappelle la volonte de puis-sance La volonte de puissance est laquola volonte generatrice ine-puisable de la vieraquo76 Or la volonte est principe daction elle estcause efficiente Aussi le principe de vie est-il un principe danslordre de lefficacite Et un principe nest principe que sil exercesa causalite Lexercice de lefficacite implique la transformation etla domination de la matiere sur laquelle cette cause exerce sonactivite Comme le dit Nietzsche lui-meme laquoLa vie nest pas

68 W z M Z u m Plan (Werke I I I 881)6 9 Ibid 1020 (Werke 111 661)70 Ibid Z u m Plan (Werke I I I 881)71 Ibid 15 (Werke I I I 555)7 2 Ibid 55 (Werke I I I 853)73 N ie t z sche Also sprach Zarathustra I I I laquo V o n der verkle inendern

T u g e n d 3 (Werke I I 420)7 4 Zarathustra IV laquo V o m h o h e r e m M e n s c h e n raquo 2 (Werke I I 523)75 Zarathustra I I laquo Von der Se lbs tuberwindungraquo (Werke I I 370)7 6 Ibid cf aussi Werke I I p p 578 729 819 I I I pp 480 854 896

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

adaptation de facteurs internes a des conditions exterieures elleest volonte de puissance qui depuis linterieur domine et incor-pore toujours plus son milieuraquo77 Aussi la volonte-efficacite est-elle une volonte de puissance non au sens ou elle cherche lapuissance a titre dun but a realiser Car la mort de Dieu impliquela negation de toute finalite La volonte-efficacite est volonte depuissance en ce sens quelle existe comme puissance qui sexercequi a titre de domination du milieu implique 1augmentation depuissance78 Cest cette augmentation de puissance qui permettraa la vie de survivre a la mort de Dieu A condition quelle soit leprincipe ultime de la vie et de tous les aspects de la realite AussiNietzsche comprend-il en particulier la connaissance et la tech-nique comme manifestations de la volonte de puissance

Nietzsche appelle la technique laquoartraquo et il en dit quelle acomme condition le sentiment de transport (Rausch) dintensifi-cation de la vie Ce sentiment peut prendre maintes formes depuislexcitation sexuelle jusquaux transes sous linfluence des drogueset les sentiments de transport dus a une volonte particulierementintensive Ce qui est essentiel a tous ces etats de transport cestle sentiment daugmentation de puissance et de plenitude Cesetats sont une source de richesse On enrichit tout a partir de etpar sa propre plenitude laquo Dans cet etat lhomme transforme leschoses jusqua ce quelles representent sa perfection Ce devoir mdashtransformer en sa perfection mdash cest lartraquo79 Nietzsche comprendlart en termes de transformation de la realite par la volonte depuissance Or la transformation est production Et la productionainsi comprise represente la perfection de la vie car elle constituelaugmentation de puissance La transformation de la realite repre-sentant lexercice meme de la volonte de puissance la productionconstitue pour Nietzsche le mode detre de la volonte de puis-sance le plus authentique Cest grace a la production que lhommesurvivra a la mort de Dieu Et le surhomme est lhomme quiproduit lhomo faber Aussi Nietzsche dit-il de lart quil est legrand stimulant de la vie la redemption des savants des gens quiagissent et qui souffrent80 Pour Nietzsche la survie de lhomme

77 WzM 681 ( W e r k e I I I 8 9 8 ) 78 Martin Heidegger Nietzsche (Pfullingen Neskel 1961) vol I pp 70-79Tgt Nietzsche Gotzen-Ddmmerung laquo Streifziige eines Unzeitgemassen raquo par 8

(Werke II 995)80 WzM 853 (Werke 111 693)

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moderne est done intimement liee a la production Or la genera-lisation de la production eest la technique si bien que pourNietzsche la survie de lhumanite ne saccomplit que par lhege-monie de la technique Lage athee est aussi lage de la technique

Et si la technique est le mode detre authentique de la volontede puissance Nietzsche comprendra la connaissance le savoir lascience non seulement comme modes de la volonte de puissancemais encore comme fonction de la technique Si la volonte depuissance est le principe de la vie la puissance est plus impor-tante que la verite81 de sorte que ce qui importe au niveau de laconnaissance ce nest pas en premier lieu la verite mais lapuissance La verite devient fonction de la puissance une con-naissance est vraie dans la mesure ou elle affirme et reflete lapuissance si bien que le critere de verite est laugmentation dusentiment de puissance82 Evidemment la connaissance ne trans-forme pas la realite elle ne realise rien Elle naugmente pasla puissance mais peut donner le sentiment daugmentation depuissance La verite nest pas quelque chose que Ton prouve queTon decouvre la verite est a creer Et sa creation a la fonctionde rendre la realite plus sure elle est une rationalisation unesystematisation du monde La verite organise le monde83 Ce quiimplique que la verite nest pas necessairement vraie La connais-sance nest quune perspective que jette la volonte de puissancesur la realite afin de sassurer de laugmentation de puissanceAussi Nietzsche maintient-il que la verite est laquo une sorte derreursans laquelle un type determine detre vivant ne pourrait vivreraquo84

De meme la croyance en Dieu est une fabrication une inventionde la volonte de puissance Cest ce que St Paul a compris LeDieu de St Paul ne represente en realite que la decision de StPaul85 Dieu est une creation et une fiction86 Cependant Dieua titre de principe transcendant soppose radicalement a la volontede puissance Dieu est lennemi et la contradiction de la vie87

81 N ie t z sche Menschliches Allzumenschliches vol I I laquoVermisch te Mei-nungen und Spr i icheraquo par 226 (Werke I 827)

82 W z M 534 (Werke I I I 919)83 W z M 552 ( W e r k e I I I 541)84 WzM 493 (Werke III 844)85 Antichrist pa r 47 (Werke I I 1212)86 W e r k e I 1073 1101 I I 208 297 891 943 III 588 60087 Antichrist p a r 18 ( W e r k e I I 1178)

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

I l l

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Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

DIRK PEREBOOMUniversite de Fribourg

96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

qui soppose a Dieu par une ideologie athee Cest un monde ouDieu et le sacre sont absents En ce sens les sciences moderneset la technique sont purement profanes Nos merveilleuses scien-ces et techniques qui permettent de reculer les frontieres de lamort qui par leurs inventions ont eleve notre niveau de vie etnous ont permis de combattre efficacement la pauvrete la famineet la maladie ces sciences et techniques nont pas de place pourle sacre Dans la mesure ou notre societe est dominee par lessciences modefnes elle est une societe purement profane Et ilsagit la dune negation de Dieu bien plus terrible que celle desideologies athees Nier Dieu implique quon lui accorde unegrande importance Ignorer Dieu implique quon ne lui en accordeaucune En ce sens le monde europeen et americain democra-tique est bien plus avance dans latheisme que le monde marxistecar il vit sans Dieu tandis que le monde marxiste vit encore contreDieu

12 Consequences de la profanisation du monde

Nietzsche prevoit comme consequence de cette profanisation dela terre une longue suite de demolitions de destructions de de-clins de renversements surtout une laquologique de terreurraquo

121 La terreur

Labsence de Dieu et du sacre implique la temporalisation dela vie qui nest plus la rencontre entre le temporel et leternelmais devient une succession devenements purement temporelsentre la naissance et la mort Nayant pas dechappatoire au deve-nir le non-croyant na plus de defenses contre les souffranceset la temporalite de lhistoire qui ainsi depourvue de sens devientterrifiante La terreur sinstalle dans la vie quotidienne qui nestplus quune marche ineluctable vers la mort Cette terreur face ala temporalite de la vie nous en voyons deja aujourdhui lespremieres manifestations dans la croissance de langoisse

122 La logique de terreur

Cette terreur a sa propre logique celle de la temporalite etdu relativisme La mort de Dieu fait sombrer notre monde dans latemporalite la plus absolue non seulement en ce qui concernelhistoire mais aussi en ce qui concerne les valeurs mdash si Dieunexiste pas il ny a plus de valeurs absolues verite personne

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humaine amour sont autant de valeurs qui disparaissentavec Dieu Ce qui reste cest lhomme dans toute sa temporaliteet son organisation du monde Et cette organisation constitueralexpression de la negation de toute verite de tout amour de toutrespect de la personne humaine Ce sera un monde ou avecune logique implacable et terrifiante5 toute aspiration de lhommevers lamour tout respect de la personne humaine seront consi-deres comme une attitude maladive et la vie humaine seradevenue une denree perissable6

13 Cosmologies religieusesPour le croyant lhistoire est la consequence du peche peche

qui survient apres la creation par suite dune faute rituelle7La creation tire lunivers du chaos et du nihil en y etablissantlordre divin si bien que la terre et en particulier lhomme parti-cipent pleinement a cet ordre divin Et puisque Dieu est eternelle monde paradisiaque na pas dhistoire Lhistoire est le resultatdu changement cosmique fondamental le peche qui a coupe larelation directe immediate avec Dieu Des lors lunivers seloigneprogressivement de Dieu et a travers lhistoire le capital divinqui y etait au commencement diminue avec lecoulement du tempsAvec lhistoire lhomme seloigne graduellement de Dieu et rejointa la fin des temps le chaos originel Lhistoire est terrifiante pourle croyant car elle lamene a son annihilation complete Cepen-dant il a une echappatoire Par le rituel qui repete rituellement lesactes divins en particulier celui de la creation il peut rejoindrelordre divin in illo tempore Chaque rite represente une parti-

5 Ernst Jiinger dans Ueber die Lime (Frankfurt aM Vittorio Klosterman1950) decrit la situation nihiliste par trois caracteristiquesa Le nihilisme ne signifie pas le chaos sauf comme consequence Au contraireil implique lorganisation la plus consequente comme par exemple dans lesgrandes institutions de destruction ou regne Iobjectivite Ihygiene et un ordrestrictb Le nihilisme na rien de maladif En fait il implique le quite de la santephysique et des efforts sportifs avec la negation de tout sentiment humainc Le nihilisme ne signifie pas limmoralite et peut se combiner a un philan-thropisme Seulement le nihilisme depasse la moralite vers lautomatisme (pp13-20)Les signes du nihilisme sont la reduction du monde dans toutes ses formes et ladisparition de tout ce qui fait appel au sens miraculeux (pp 22ff)

6 Gabriel Marcel Du refits a 1invocation (Paris Gallimard 1940) p 1267 cf Mircea Eliade Le mythe de Ieternel retour archetypes et repetition

(Paris Gallimard 1949)

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

cipation de lhomme a un acte divin paradigmatique par lequel lecroyant echappe a lhistoire Par le rite il vit dans un autre tempset un autre espace Aussi le croyant essaiera-t-il dincorporer leplus possible les evenements de sa vie a la vie sacrale afin de lesarracher a lhistoricite qui a titre de consequence du peche im-plique la souffrance sans sens aucun Pour avoir de la substancechaque acte de lhomme doit participer a lordre sacral Cest ledivin qui est Etre aussi le croyant cherche-t-il son etre danslordre divin supra-historique laquoen lui nous avons la vie le mou-vement et letreraquo8

Lhistoire est un devenir qui na de sens que sil participe alordre de letre Aussi une societe qui exclut le sacre est unesource de terreur pour le croyant aussi bien que pour le nitzscheenDans cette situation la question de Kant sadresse a lhomme avecune force renouvelee laquoque puis-je savoir que puis-je faire quepuis-je espererraquo9 La premiere question quoique purement spe-culative est fondamentale Car lhomme espere et agit en fonctionde ce quil sait de ce quil comprend de la situation historiqueet done de ses sources

Les sources du nihilisme

Selon Nietzsche laquonous sommes tous les assassins de Dieuraquo 10Comme jadis le peuple juif avait crucifie le Christ nous avonstue Dieu en lexcluant de notre vie Dieu est mort parce quenotre civilisation ne Lui laisse pas de place Ludwig Feuerbachjeune hegelien exprime la meme idee le christianisme na plus deplace dans notre societe il est une idee fixe laquoen contradictionflagrante avec nos assurances-vie nos assurances incendie noschemins de fer et nos locomotives avec nos pinacotheques etnos glyptotheques avec nos ecoles militaires et techniques avecnos theatres et nos cabinets dhistoire naturelleraquo Notre vie eco-nomique et technique notre culture notre systeme deducationet nos sciences ne saccordent pas au christianisme De sorte que

Actes 17 28 cf aussi Eric Voegelin Order and History vol I Israeland Revelation (Louisiana State University Press 1956) p 3 pour 1aspect divinde letre dans les cosmologies religieuses

9 Immanuel Kant Kritik der reinen Vernunft edition B p 833 (ci-apresKRVB 833)

10 Die Frohliche Wissenshaft par 125 (Werke II 127)

Samtliche Werke (Leipzig 1846) vol VII4 p 31

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notre civilisation meme est athee il ny a pas de place pour la foisauf le dimanche12

Schopenhauer disciple de Kant et contemporain de Hegelmaintient dune maniere semblable que notre monde na plus deplace pour Dieu laquoLe theisme pris au serieux presuppose neces-sairement quon divise le monde en ciel et terre les hommes semeuvent sur celle-ci Dieu qui gouverne les hommes se trouveen celui-la Mais quand lastronomie sempare du ciel elle sem-pare aussi de Dieu elle a agrandi le monde de telle maniere quilny a plus de place pour Dieu II sensuit que le theisme doitdisparaitre dans la mesure ou lastronomie devient populaireraquoCe que lEglise catholique a reconnu et cest pourquoi elle apersecute le systeme copernicien 13

Nietzsche egalement pense que la revolution copernicienne a eudes consequences incommensurables laquoOn dirait que lhomineglisse depuis Copernic sur un plan incline mdash quil seloigne deplus en plus rapidement du centre mdash dans quelle direction versle neantraquo 14

Schopenhauer et Nietzsche voient done la source historique denotre civilisation occidentale dans le systeme copernicien de luni-vers Ce qui est en jeu ici ce nest pas lastronomie en tant quetelle mais la vision copernicienne du monde vision qui presentedeux caracteristiques elle est basee sur la methode hypothetiquedes sciences modernes et elle implique le renversement des cos-mologies traditionnelles qui laissaient les cieux tourner autour de laterre Dans la mesure ou la cosmologie traditionnelle constituaitplus quune theorie scientifique mais representait une cosmogoniereligieuse son renversement par Copernic a ete plus quun faitscientifique il impliquait egalement le bouleversement des valeurstraditionnelles Et puisque la nouvelle cosmologie sinscrit dans lecadre des sciences modernes la conclusion parait suivre que lavision inspiree par les sciences modernes implique un renverse-ment des valeurs religieuses tel que notre societea glisse ineluc-tablement sur la pente du nihilisme athee Mais dans ce cas les

12 cf Karl Loewith Von Hegel zn Nietzsche (Stuttgart KohlhammerI9584) p 362

13 Parerga und Paralipomena Vol IV Sdmtliche Werke (Hrsg Frhr VonLohneysen) (StuttgartFrankfurt aM Cotta-Insel 1963) p 68

14 Genealogie der Moral laquo Was bedeuten asketische Ideale par 25 (WerkeII 893)

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LA MORT DE D1EU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

sciences modernes ne sont pas en premier lieu responsables carelles ont leurs bases philosophiques la vision scientifique dumonde est une vision philosophique puisque la science en tantque telle na pas de vision Mais de quelle philosophic sagit-ilQuelle est la philosophic qui peut se pretendre copernicienne

Cest Kant qui explicitement pretend avoir pense une philoso-phie copernicienne Selon Kant la revolution copernicienneconsiste en ce que Copernic na pas attribue les mouvements quonpeut voir aux objets du ciel mais aux spectateurs Et Kant proposede construire une metaphysique sur une hypothese semblablelaquo Jusqua maintenant on a suppose que nos connaissances devaientsaccorder aux objets Mais toutes les tentatives basees sur cettesupposition delargir ainsi a priori notre connaissance par desconcepts ont echoue Cest pourquoi il faudrait essayer une fois sinous pourrions avancer en metaphysique en supposant que les ob-jets doivent saccorder a nos connaissancesraquo1S Cette hypothesesapplique directement a la representation Car si la representationdoit saccorder aux objets de representation il est impossibledavoir des connaissances a priori de ces objets Mais si 1objetsaccorde a ma representation ceci devient tout a fait possible16Kant comprend lordre de la realite en termes dorganisation par lesujet Ainsi le temps et lespace sont des formes a priori qui nouspermettent dexperimenter le monde sous la forme dune organisa-tion spatio-temporelle De meme notre pensee est une activitedorganisation Connaitre la realite signifie pour Kant laquoetablir uneunite synthetique dans la pluralite de lexperience sensible raquo 17 Ce-pendant si la connaissance represente essentiellement lapplicationdun ordre de concepts a une realite qui en tant que telle na pascette organisation la connaissance se limite aussi au domaine de larealite experimentee et experimentable sensiblement Lactivite deIintelligence qui depasse le domaine de la realite empirique ne re-presente plus une connaissance proprement dite aussi Kantdistingue-t-il rigoureusement entre connaissance et pensee laquoPen-ser un objet nequivaut pas a le connaitre Car la connaissanceexige deux elements dabord le concept par lequel on pense 1objet(la categorie) et ensuite lintuition qui nous donne lobjetraquo 18 II en

15 KRV BXVI16 KRV B XVII17 KRV A 150 cf aussi B 9418 KRV B 146

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resulte que nos connaissances peuvent atteindre les objets qui tran-scendent notre experience sensible tel lame le cosmos et DieuJe peux penser Dieu mais je ne peux Le connaitre19 La metaphy-sique ne peut prouver lexistence de Dieu Ce qui ne signifie pasque Dieu nexiste pas mais que la metaphysique est strictementagnostique a son sujet Aussi lexistence de Dieu nest-elle pas unobjet de connaissance mais de la foi20 un postulat de la raisonpratique21 et toute connaissance que je puisse avoir de Dieu estune connaissance uniquement symbolique

Bien que selon Kant nous ne puissions connaitre Dieu au sensscientifique et philosophique du mot la pensee de Kant nest pasun atheisme car lexperience morale et religieuse nous assure queDieu existe et quil est sagesse et createur infiniment sacre etbeni22 Cependant comme latheisme a son apotheose cesse detreun atheisme pour devenir un nihilisme les origines de latheismene sont pas necessairement et apparemment athees non plus Cestce que Nietzsche et Schopenhauer pensaient car lastronomiecopernicienne nest pas atheisme en tant que telle

En effet la philosophic de Kant etablit un dualisme de prin-cipe entre la foi et la raison entre la theologie et la philosophic etce dualisme est le resultat direct de sa revolution copernicienneUne connaissance qui organise la realite ne peut avoir commemesure cette realite meme Son origine etant la spontaneite de lapensee meme23 elle ne peut decouvrir que ce qui est contenudans cette spontaneite meme Aussi une telle connaissance nepeut decouvrir ce qui la transcende Afin de decouvrir theori-quement Dieu intelligence infinie il faudrait une connaissancecapable de circonscrire et de contenir la nature divine24 Cetteconnaissance est synthetique elle est un modele de la realitequi pour sappliquer exige une matiere comme lieu de sa realisa-tion Puisquon peut supposer que Dieu est un etre supra-sensibleil ny a pas de matiere a laquelle notre concept de Dieu serait

19 I m m a n u e l K a n t Kritik der Urteilskraft (Hrsg Karl Vor lander H a m b u r g

Felix Meiner 19746) p 33720 Ibid p 34321 Immanue l K a n t Kritik der Urteilskraft (Hrsg Karl Vor lander H a m b u r g

H a m b u r g Felix Me ine r 19749) p p 142 ff

22 cf Ur te i l skraf t p 3 1 1 P r ak t V e r n p p 150 18123 KRVB9324 cf Ur te i l skraf t p 3 1 1

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LA MORT DEDIEU DANS LA PH1LOSOPH1E MODERNE

applicable25 La connaissance humaine dans la philosophic deKant est doublement agnostique les limites de sa spontaneite in-tellectuelle lempechent de produire un concept qui puisse etreadequat a Dieu et il lui manque toute possibility dexperiencequi puisse servir de lieu de verification au concept de Dieu

La philosophic poietique

Penetrant plys avant dans la structure de cette connaissancecopernicienne on remarque quelle est connaissance hypothetiqueau sens ou sa verite est sa verification et sa source nest pas1experience

La connaissance hypothetique est une connaissance synthetiquedu monde Ne representant pas la realite elle ne saurait etre vraieque si elle se realise dans la realite La realisation du modeleest sa verification La verification est le processus par lequel larealite saccorde au modele La realite est condition non critere dela verite inconnaissable en soi elle est la comme matiere pourla realisation de la connaissance Aussi la connaissance hypo-thetique est-elle un modele de la realite qui se realise dans lexpe-rience Un modele qui se realise implique la production dunproduit26 En effet toute production impliquant une transforma-tion de la realite le modele de production ne peut representer larealite et ne peut avoir comme source la realite experimentee sibien que toute connaissance productrice ou poietique a commepoint de depart une negation plus ou moins prononcee de la realiteexperimentee Une telle connaissance nest pas productrice parcequelle nie la realite experimentee au contraire elle nie la realiteparce quelle est productrice Si ce nest pas la realite objectivequi est mesure de cette connaissance la mesure en est neces-sairement la subjectivite reorganisant 1experience pour en formerun modele de la realite Ce qui ne signifie pas que la connais-sance poietique est arbitraire Au contraire elle Test si peu quellesaccorde parfaitement a lobjectivisme le plus radical27 A titredorganisation de la realite elle presente le systeme du monde par

25 Ibid p 34026 Dans le cas de la philosophic de Kant le produit est lexperience meme

laquodieses Produkt der Sinne und des Verstandesraquo Prolegomena zu einer jedenkiinftigen Metaphysik par 20 (Hrsg Karl Vorlander Hamburg Felix Meiner1969 p 56)

27 cf Martin Heidegger Holzwege laquoDie Zeit des Weltbildes raquo p 81

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la systematisation rigoureuse de la connaissance Systematisationqui depend comme toute connaissance humaine de lexpe-rience pour son contenu mais qui pour son organisation dependde la spontaneite subjective Cest linspiration qui opere la trans-position ideale des donnees de 1experience28

Puisque la connaissance poietique implique la realisationlinspiration amene a une analyse des possibilites de linspirationen fonction de leur realisation cette analyse est une connais-sance du possible comprenant la realite en termes de possibilitesde realisation Aussi affirme-t-elle le primat du possible par rapporta la realite comme lafnrme dailleurs Kant29 Ce nest quensaccordant a nos connaissances que les objets de connaissancesont reels ce qui equivaut a affirmer que les objets sont reelsdans la mesure ou cette connaissance du possible se realise

La relation entre inspiration et analyse de sa realisabilite estune relation dialectique au sens hegelien du terme entre 1idealsubjectif interieur et sa realisation manifeste exterieure oppositionqui exige un troisieme element comme synthese des deux premiers

Cette synthese est le projet proprement dit conclusion du rai-sonnement hypothetique Le projet synthetise parfaitement lidealde lhypothese avec les possibilites de sa realisation et ne demanderien pour sa perfection si ce nest sa realisation

Cette realisation qui est le travail du projet constitue le momentde la verification du projet La verite est verification productionde verite processus de realisation

La connaissance poietique implique alors les moments suivantsla negation plus ou moins explicite de lexperience comme mesurede connaissance linspiration comme connaissance spontanee im-pliquant lorganisation ideale des donnees de 1experience la consi-deration sur la realisabilite de linspiration le projet comme mo-dele concret synthetisant la realisabilite avec lidealite de linspi-ration le processus de realisation et le produit comme realitetransformee en fonction du projet

Cette analyse montre que la connaissance poietique nest niathee ni theiste car elle ne peut se bullprononcer sur Dieu puisquIl

28 cf M D Phi l ippe Lactivite arlistique t ome I (Par is Beauchesne 1970)

p 2522 9 cf K a n t K R V A 287

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transcende necessairement tout projet humain Ceci vaut aussipour les differentes modalites de cette connaissance telles lessciences modernes et la technique De meme Kant reconnaissantles limites propres de cette connaissance exclut Dieu de touteconnaissance proprement dite

Mais quand la connaissance poietique devient exclusive de touteautre connaissance elle devient implicitement athee Au momentou la philosophie devient projet humain de la realite il ny a plusde place pour Dieu En ce sens la philosophie de Kant est sourcedatheisme Cependant la philosophie kantienne nest pas une pen-see exceptionnelle et isolee dans la tradition moderne En effettoute philosophie qui identifie la connaissance philosophique de larealite a la connaissance poietique est implicitement ou explicite-ment athee Dans la mesure ou la tradition principale de laphilosophie moderne concoit la connaissance exclusivement entermes de connaissance poietique elle represente une vision atheede la realite Cette vision nest pas des son commencement expli-citement athee La philosophie moderne jusqua Hegel parle deDieu Ce qui ne suffit pas pour la constituer en theisme Eneffet la ou la philosophie poietique parle de Dieu ex officio elleparle en realite dun ideal projete par linspiration Cest un idealhumain qui demande comme achievement de soi la realisationconcrete et cette fabrication de Dieu constitue la verification delidee de Dieu Lhistoire de latheisme moderne comprend alorsdeux mouvements Elle elimine dabord le Dieu de la foi deses considerations comme dun domaine qui nappartient pas enpropre a linspiration poietique de la realite Ensuite elle decouvregraduellement son propre atheisme elle decouvre graduellementque le Dieu de la philosophie poietique nest que la projectiondun ideal purement humain En ce qui suit nous toucherons lesphases les plus saillantes de la philosophie poietique athee danslhistoire de la philosophie moderne

IV Latheisme moderneHegel represente une synthese au double sens hegelien de con-

clusion et de point de depart de nouvelles antitheses Son geniefut de construire une philosophie poietique qui nexclut aucunaspect de la realite Puisque la mesure de la connaissance poieti-que nest pas la realite mais cette connaissance meme30 la con-

30 Enzyklopddie der philosophischen Wissenschaften par 213 laquodenn dieWahrheit ist dies dass die Objektivitat dem Begriffe entsprichtraquo

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naissance ultime de la realite (metaphysique) devient necessaire-ment chez Hegel connaissance de cette connaissance (logique)La philosophie de Hegel devient alors le systeme de cette connais-sance cest-a-dire de lEsprit La realite comprise en termes deprojet qui se realise implique la dialectique comme processus derealisation31 et lEsprit comme sujet de la dialectique Aussi Hegelreproche-t-il a Spinoza et a Schelling dinterpreter lEsprit unique-ment en termes didentite avec la realite (substance) sans tenircompte du dynamisme exige par la realisation de lEsprit meme32laquo Selon ma facon de voir qui doit seulement justifier la presen-tation du systeme tout depend de ce point essentiel saisir etexprimer le vrai (ie la realite dans sa totalite) non seulementcomme substance mais encore comme sujet raquo33 La substance quiest Esprit est le devenir et ce quil est en soi34 cest-a-diresujet35 La vie de lesprit est action (Tat) et Faction supposeune matiere qui est travaillee et transformee36 Ce travail delesprit ce processus dauto-realisation cest lhistoire par la-quelle lEsprit devient son propre produit37

Une telle philosophie qui regarde la realite comme projetpoietique qui se realise a travers le travail de lhistoire ne peutplus se taire au sujet de Dieu comme lavait fait Kant AussiHegel identifie-t-il Dieu a TEsprit et il developpe une theologieou la Trinite correspond exactement aux phases de lhistoire de

31 Wissenschaft der Logik (Hrsg Georg Lasson Hamburg Felix Meiner19672) Pars I p 36

32 Enzyklopddie par 573 laquo A m genauesten wiirden siedie Pantheismenals die Systeme best immt welche das Absolute nur als die Substanz fassen DerMangel dieser samtlichen Vorstellungsweisen und Systeme ist nicht zur Bestim-mung der Substanz als Siibjekt und als Geist fortzugehenraquo

33 Phanomenologie des Geistes (Hrsg Johannes Hoffmeister HamburgFelix Meiner 1952) p 19

34 Ibid p 55835 Ibid p 52836 Einleitung in die Geschichte der Philosophie (Hrsg Johannes Hoffmeister

Hamburg Felix Meiner I9664) p 13 laquoSeindes GeistesLeben ist Tat DieTat hat einen vorhandenen Stoff zu ihrer Voraussetzung auf welchen sie gerichtetist und den sie nicht etwa bloss vermehrt durch hinzugefiigtes Materialverbreitert sondern wesentlich bearbe i te t und umbildetraquo

37 Vorlesungen iiber die Philosophie der Weltgeschichte vol 1 Die Vernnnftin der Geschichte (Hrsg Johannes Hoffmeister Hamburg Felix Meiner I9705)p 72 laquoDer Geist ist wesentlich Resultat seiner Tatigheit raquo

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lEsprit38 Cependant le Dieu de la philosophic de Hegel nestpoint le Dieu dAbraham ni celui dailleurs du christianismeHegel comprend la vie divine en termes dhistoire qui constitueun developpement de Dieu39 Cette histoire comprend la negationantithetique de Dieu dans lhomme par la creation Car lespritetant connaissance de soi dans son autre40 Dieu doit devenir sonautre Dieu se connaissant en lhomme implique la connaissancepar lhomme de Dieu connaissance qui se developpe en la con-naissance de soi de lhomme en Dieu41 Aussi lhistoire divinedevient-elle lhistoire de la divinisation de lhomme par lui-memeEn realisant Dieu lhomme se realise si bien que le culte de Dieuest depasse par le culte de lEsprit et la theologie par la philoso-phie hegelienne42

Pour Hegel lantithese est une negation qui cache une identiteprofonde Les jeunes hegeliens sont antithetiques par rapport aHegel dans ce sens ils mettent en lumiere le dynamisme produc-teur de la philosophic poietique hegelienne ce qui a comme corol-laire lafnrmation explicite de latheisme Ainsi Feuerbachmaintient-il que Dieu nest que la projection de lldeal de lhuma-nite43 Dieu est la tache que lhumanite se donne a realiser et lesens de lhistoire cest la realisation dune humanite ideale Aussilathee est celui qui nie lexistence de Dieu sans pour autant nierles attributs divins comme autant dideaux humains44 Si lechristianisme maintient que Dieu est Personne et Amour cecisignifie que la personne et lamour est un ideal humain que lhom-me projette afin de le realiser dans lhistoire

38 Ibid p 58 laquoIm Christentum aber ist Gott als Geist offenbart undzwar ist er zuerst Vater Macht abstrakt Allgemeines das noch eingehiillt istzweitens ist er sich als Gegenstand ein Anderes seiner selbst ein sich Entzweien-des der Sohn Dieses Andere seiner selbst ist aber ebenso unmittelbar er selbst erweiss sich darin und schaut sich darin an mdash und eben dieses Sichwissen und Sich-anschauen ist drittens der Geist selberraquo

Ibid p 48 laquo Die Geschichte ist die Entfaltung der Natur Gottesraquo40 Phanomenologie p 52841 Enzyklopiidie pa r 56442 Enzyklopiidie par 572 577 Geschichte der Philosophies p 150 laquoDie

Philosophie ist also an sich schon eine weitere Bestimmtheit oder Charakterdes Geistes sie ist die innere Geburtstatte des Geistes der spater als Wirklichkeitauftrittraquo

41 cf Wesen des Christentiims vol IV Sumtliche Werke p 16 laquoDerMensch verlegt sein Wesen zuerst ausser sich ehe er es in sich findetraquo

44 Ibid p 17

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Marx reprend latheisme de Feuerbach en accentuant le liensecret entre atheisme et realisation dune humanite ideale Si laphilosophic devient anthropologie chez Feuerbach elle devientideologic pratique chez Marx45 Car seule une humanite atheepourrait realiser lideal et partant lepanouissement absolu delhumanite une humanite qui croit en Dieu projette son idealen Dieu et reste passive devant Dieu quelle croit parfait Aussilatheisme comme processus de reduction de Dieu a des dimen-sions anthropomorphiques est une condition sine qua non de larealisation de lhumanite46

Latheisme de Marx est un atheisme base sur la foi dans lave-nir glorieux de lhumanite47 II revient a Schopenhauer et aNietzsche de formuler un atheisme sans foi

Le christianisme ne met pas en doute lexistence de Dieu cequi est juste dit Schopenhauer car Kant a montre quil est impos-sible de prouver lexistence de Dieu par demonstration Ayantainsi donne le coup de grace a la theologie speculative Kant aessaye dadoucir son agnosticisme en avancant des arguments mo-raux en faveur de la foi en Dieu Cependant il ne sagit pas dunepreuve de lexistence de Dieu mais dun schema regulateur de lamorale car Dieu ny est considere que comme hypothese utile ala morale48 En effet il est impossible que le Dieu personnel dutheisme existe reellement Si Dieu a cree lhomme il Ia creeavec toutes ses caracteristiques qui determinent ses actions si bien

45 laquo T h e s e n iiber F e u e r b a c h XI dans Karl Marx Friedrich Engels Diedeutsche Ideologic (Hrsg V Adoratski j ) WienBer l in Verlag fiir Li t tera tur undPolitik 1932) 535 laquoDie Philosopher haben die Welt nur verschieden i n t e r p r e -tiert es kommt darauf an sie zu v e r a n d e r n raquo (c i -apres M E G A p 535)

46 Marx M E G A p 534 ( T h e s e 4 ) laquo Feuerbach geht von dem Fak tum derreligiosen Selbs tent f remdung der Verdopplung der Welt in eine religiose und eineweltlich aus Aber dass die weltlich Grundlage sich von sich selst abhebt undsich ein selbstandiges Reich in den Wolken fixiert ist nur aus der Selbstzerris-senhei t und Sichse lbs twidersprechen dieser weltl ichen Grundlage zu erklarenDiese selbst muss also in sich selbst sowohl in ihrem Widerspruch vers tanden als prakt isch revolut ioniert werden Also n a c h d e m z B die irdische Familie alsdas Geheimnis de r heiligen Familie en tdeck t ist muss nun ers tereselbsttheoret isch und prakt isch vernichtet we rden raquo

47 Pour Karl Loewi th le marx isme est une heresie du mess ianisme juda ique cf Meaning in His tory (Chicago Univers i ty of Chicago Press 1958) pp 44f

48 Ar thur Schopenhaue r Parerga und Paralipomena I laquo F r a g m e n t e zurGeschichte der Philosophieraquo par 13 laquoNoch einige erlauterungen zur KantischenPhilosophieraquo (Werke IV p 132 ff)

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que la doctrine de la creation par Dieu ne peut saccorder avec ladoctrine de la liberte humaine sans laquelle on ne peut considererfhomme comme moralement responsable49 Dautre part la doc-trine de limmortalite de lame ne saccorde pas davantage a lideedune creation ex nihilo comment peut-on croire quune existencequi a commence il y a si peu dannees ne disparait pas avec lamort mais continuera miraculeusement a exister eternellement50Dailleurs la doctrine de la creation meme ne saccorde pas auxfaits de la vie Comment peut-on accepter que le monde soitlceuvre dune bonte dune sagesse et dune puissance infinies sion considere que la vie nest que necessite et angoisse souf-france et fardeau51 Loin de promouvoir le bonheur la vie nestque souffrance Aussi est-ce une erreur fondamentale rendant larealite absurde que de penser que le bonheur est la fin de la vie52Si la vie est tragique cest que la souffrance est un processusde purification Mourir est la seule fin de la vie53 cest le fruit dela vie laquoLa mort est levenement le resume ou le total de la viequi exprime dun coup la lecon que la vie nous a donnee succes-sivement et partiellement a savoir que tout leffort dans la vie estla manifestation dune force inutile vaine contradictoire si bienque le debarras de la vie est son salutraquo54 Objectivementparlant la seule conclusion qui simpose cest que la vie est unjeu qui laquonen vaut pas la chandelleraquo55 Et pourtant chaquehomme garde et defend sa vie comme si elle avait une valeurinfinie chacun aime la vie par-dessus tout et craint la mort plusque tout autre danger Cette opposition entre la misere de la vieet lamour de la vie ne sexplique que si Ton suppose que la vieest la manifestation dune volonte aveugle qui agit comme instinctde vie56 Le principe de la realite est la volonte qui cherche ase donner une forme objective a travers les diverses manifestationsde la nature57 Ce principe nest pas le resultat dune connais-

gt Ibid p p 152f50 Ibid p 156

51 Ibid p 151

Arthur Schopenhauer Die Welt als Wille und Vorstellung vol IICh 49 laquoDie Hei lsordnungraquo (Werke I I p 813)

53 Ibid p 81754 Ibid55 Ar thur Schopenhaue r Welt als Wille und Vorstellung vol I I C h 2 8

laquoCharakter is t ik des Willens zum L e b e n raquo (Werke I I p 463)56 Ib id p 464 57 Ib id p 411-423

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sance de la vie une conclusio ex praemissis mais a titre de prin-cipe de la realite la volonte est aussi principe de toute connais-sance58 Ainsi la croyance en Dieu nest pas le resultat dunecertaine connaissance mais de la volonte59 qui se cree un Dieuafin de donner a la vie lespoir de limmortalite et dune aidesurnaturelle dans les vicissitudes de lexistence60 Preparant lenihilisme athee de Nietzsche Schopenhauer revet dans lhistoirede 1atheisme moderne une place particulierement importante Lavolonte est lEtre de tout ce qui est et a titre de principe ultimede la realite elle determine la connaissance Dans le cadre de latradition philosophique moderne laffirmation de la volonte commeprincipe de realite est la consequence ultime dune philosophicpoietique La fin du projet nest pas la contemplation mais larealisation61 Aussi le principe du projet se sert-il de lintelligencepour la formulation du projet Et dans la mesure oii la connais-sance poietique implique ladaptation de la realite au projet memele principe du projet est ipso facto principe de la realite Aussilinterpretation poietique de la realite voit-elle comme principe dela realite un principe de realisation que Schopenhauer appelle lavolonte Cette volonte est alors principe du projet et de la realisa-tion Cest ainsi que la croyance en Dieu est une hypotheseavancee en fonction de la realisation de la realite Cependant ilsagit dun projet irrealisable car si Dieu existait la vie conduiraitau bonheur Mais la fin de la vie nest pas le bonheur62 la fin dela vie a lepoque moderne est la realisation du projet Puisque lesens de la vie est la realisation sans Dieu du projet de la subjec-tivite humaine il ne reste a lhomme que le pessimisme

Chez Nietzsche la volonte devient volonte de puissance et lepessimisme devient nihilisme sans Dieu Nietzsche constitue lafin de la philosophic moderne au double sens de terme de laphilosophie moderne et de celui qui en montre lessence

58 Ib id p 466 59 Pa re rga W e r k e I V p p 156f60 Ibid 14761 Ibid 147 Russell et Scheler parlent dans ce cadre d une connaissance pour

la martrise du monde cf Bernard Russell The Scientific Outlook (LondonGeorge Allen amp Unwin 1931) p 270 et Max Scheler Vom Ewigen im Menschen(Bern Francke 1968s) p 92

62 cf Aristote Ethique a Nicomaqne I 5 (1097 b I) laquo Le bonheur sembleetre au supreme degre une fin de ce genre car nous le choisissons toujours pourlui-meme et jamais en vue dune autre choseraquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

V Nietzsche

Le point de depart de la philosophie de Nietzsche est la negationde lexistence de Dieu Le christianisme et la foi en Dieu sonten train de disparaitre car Dieu nexiste pas63 Dieu est mort etnous lavons tue laquoNavez-vous pas entendu parler de ce fou quiayant allume une lanterne en plein midi courait sur la place dumarche et criait sans cesse laquo Je cherche Dieu Je cherche Dieu raquolaquoOu est Dieu cria-t-il je vais vous le dire Nous lavons tue mdashvous et moiraquo64 Nous dans la parabole de Nietzsche ce sont lesgens du marche lieu dexpression des valeurs et des mceurs quisont a la mode et qui constituent la civilisation Notre civilisationest profondement athee et cest pourquoi Dieu est mort Heideggerse demande si en annoncant la mort de Dieu Nietzsche ne faitpas que formuler ce que lhistoire de lOccident a toujours sous-entendu 65

Mais comment avons-nous tue Dieu Si Dieu existe II est im-mortel et ne peut mourir Nietzsche affirme bien que Dieu a existemais quil est mort maintenant et que notre societe avec ses com-pagnies dassurance etc a tue Dieu Dieu est mort parce quenotre civilisation Fa exclu de sa vie quotidienne Dieu est mortparce que la foi en Dieu nest plus une force efficace dans notrevie occidentale La mort de Dieu dans la philosophie de Nietzschesignifie la perte ou plus precisement labsence de foi en DieuMais labsence de foi en Dieu signifie plus que la negation deDieu Elle signifie aussi que la terre est desenchainee de sonsoleil et que lhorizon tout entier est efface Cet horizon ce sontles valeurs eternelles La mort de Dieu entraine la disparitiondes valeurs eternelles et absolues66 La consequence de la mort deDieu est le relativisme le plus absolu le relativisme qui est unelaquochute continue ou il ny a plus ni haut ni bas II ny a plusletre mais le devenir en dehors duquel il ny a rien et le devenirnest pas un but il na aucune valeur67 Si Dieu est mort lemonde est pur devenir et le devenir na plus de sens Avec lamort de Dieu le nihilisme le plus terrible des hotes frappe a la

Nietzsche Der Antichrist par 38 (Werke II 1199)Nietzsche Die Frohliche Wissenschaft par 125 (Werke II 127)Martin Heidegger Holzwege Nietzsches Wort laquoGott ist to traquo p 196Ibid p 200Wille znr Macht aph 617 (Werke III 884) ci-apres WzM 617

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porte68 Le nihilisme cest le sentiment penetrant du neant69cest le refus radical de toute valeur et tout sens dans la vie70 a lasuite de la negation de tout etre de tout ce qui est absolu de toutce qui est divin71 Le nihilisme cest vivre la vie comme uneabsurdite et la forme la plus extreme du nihilisme cest daffirmerleternite du neant de labsurde72 Nietzsche a compris quunmonde sans Dieu est un monde nihiliste sans verite sans valeursans espoir qui a sa logique de terreur Apres la mort de Dieunous errons a travers un neant infini le vide nous souffle dans lafigure il ny a plus que la nuit et la nuit devient toujours plusepaisse

Pour Nietzsche la mort de Dieu signifie leclipse de la racehumaine telle que nous la connaissons Afin de survivre a la mortde Dieu il faut necessairement que lhumanite change radicale-ment La mort de Dieu inaugure Fhistoire dune humanite impiesans Dieu73

laquoDieu est mort maintenant nous voulons que le surhommeviveraquo dit Zarathustra74 Le principe de cette transformation delhomme en surhomme se trouve dans la vie meme La mort deDieu impliquant la negation de tout principe transcendant le prin-cipe de la vie et de la survie doit etre strictement immanentII faut que la vie se donne la vie la vie doit se depasser conti-nuellement75 Cest limmanence qui devient principe de la trans-cendance Ce principe Nietzsche lappelle la volonte de puis-sance La volonte de puissance est laquola volonte generatrice ine-puisable de la vieraquo76 Or la volonte est principe daction elle estcause efficiente Aussi le principe de vie est-il un principe danslordre de lefficacite Et un principe nest principe que sil exercesa causalite Lexercice de lefficacite implique la transformation etla domination de la matiere sur laquelle cette cause exerce sonactivite Comme le dit Nietzsche lui-meme laquoLa vie nest pas

68 W z M Z u m Plan (Werke I I I 881)6 9 Ibid 1020 (Werke 111 661)70 Ibid Z u m Plan (Werke I I I 881)71 Ibid 15 (Werke I I I 555)7 2 Ibid 55 (Werke I I I 853)73 N ie t z sche Also sprach Zarathustra I I I laquo V o n der verkle inendern

T u g e n d 3 (Werke I I 420)7 4 Zarathustra IV laquo V o m h o h e r e m M e n s c h e n raquo 2 (Werke I I 523)75 Zarathustra I I laquo Von der Se lbs tuberwindungraquo (Werke I I 370)7 6 Ibid cf aussi Werke I I p p 578 729 819 I I I pp 480 854 896

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

adaptation de facteurs internes a des conditions exterieures elleest volonte de puissance qui depuis linterieur domine et incor-pore toujours plus son milieuraquo77 Aussi la volonte-efficacite est-elle une volonte de puissance non au sens ou elle cherche lapuissance a titre dun but a realiser Car la mort de Dieu impliquela negation de toute finalite La volonte-efficacite est volonte depuissance en ce sens quelle existe comme puissance qui sexercequi a titre de domination du milieu implique 1augmentation depuissance78 Cest cette augmentation de puissance qui permettraa la vie de survivre a la mort de Dieu A condition quelle soit leprincipe ultime de la vie et de tous les aspects de la realite AussiNietzsche comprend-il en particulier la connaissance et la tech-nique comme manifestations de la volonte de puissance

Nietzsche appelle la technique laquoartraquo et il en dit quelle acomme condition le sentiment de transport (Rausch) dintensifi-cation de la vie Ce sentiment peut prendre maintes formes depuislexcitation sexuelle jusquaux transes sous linfluence des drogueset les sentiments de transport dus a une volonte particulierementintensive Ce qui est essentiel a tous ces etats de transport cestle sentiment daugmentation de puissance et de plenitude Cesetats sont une source de richesse On enrichit tout a partir de etpar sa propre plenitude laquo Dans cet etat lhomme transforme leschoses jusqua ce quelles representent sa perfection Ce devoir mdashtransformer en sa perfection mdash cest lartraquo79 Nietzsche comprendlart en termes de transformation de la realite par la volonte depuissance Or la transformation est production Et la productionainsi comprise represente la perfection de la vie car elle constituelaugmentation de puissance La transformation de la realite repre-sentant lexercice meme de la volonte de puissance la productionconstitue pour Nietzsche le mode detre de la volonte de puis-sance le plus authentique Cest grace a la production que lhommesurvivra a la mort de Dieu Et le surhomme est lhomme quiproduit lhomo faber Aussi Nietzsche dit-il de lart quil est legrand stimulant de la vie la redemption des savants des gens quiagissent et qui souffrent80 Pour Nietzsche la survie de lhomme

77 WzM 681 ( W e r k e I I I 8 9 8 ) 78 Martin Heidegger Nietzsche (Pfullingen Neskel 1961) vol I pp 70-79Tgt Nietzsche Gotzen-Ddmmerung laquo Streifziige eines Unzeitgemassen raquo par 8

(Werke II 995)80 WzM 853 (Werke 111 693)

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moderne est done intimement liee a la production Or la genera-lisation de la production eest la technique si bien que pourNietzsche la survie de lhumanite ne saccomplit que par lhege-monie de la technique Lage athee est aussi lage de la technique

Et si la technique est le mode detre authentique de la volontede puissance Nietzsche comprendra la connaissance le savoir lascience non seulement comme modes de la volonte de puissancemais encore comme fonction de la technique Si la volonte depuissance est le principe de la vie la puissance est plus impor-tante que la verite81 de sorte que ce qui importe au niveau de laconnaissance ce nest pas en premier lieu la verite mais lapuissance La verite devient fonction de la puissance une con-naissance est vraie dans la mesure ou elle affirme et reflete lapuissance si bien que le critere de verite est laugmentation dusentiment de puissance82 Evidemment la connaissance ne trans-forme pas la realite elle ne realise rien Elle naugmente pasla puissance mais peut donner le sentiment daugmentation depuissance La verite nest pas quelque chose que Ton prouve queTon decouvre la verite est a creer Et sa creation a la fonctionde rendre la realite plus sure elle est une rationalisation unesystematisation du monde La verite organise le monde83 Ce quiimplique que la verite nest pas necessairement vraie La connais-sance nest quune perspective que jette la volonte de puissancesur la realite afin de sassurer de laugmentation de puissanceAussi Nietzsche maintient-il que la verite est laquo une sorte derreursans laquelle un type determine detre vivant ne pourrait vivreraquo84

De meme la croyance en Dieu est une fabrication une inventionde la volonte de puissance Cest ce que St Paul a compris LeDieu de St Paul ne represente en realite que la decision de StPaul85 Dieu est une creation et une fiction86 Cependant Dieua titre de principe transcendant soppose radicalement a la volontede puissance Dieu est lennemi et la contradiction de la vie87

81 N ie t z sche Menschliches Allzumenschliches vol I I laquoVermisch te Mei-nungen und Spr i icheraquo par 226 (Werke I 827)

82 W z M 534 (Werke I I I 919)83 W z M 552 ( W e r k e I I I 541)84 WzM 493 (Werke III 844)85 Antichrist pa r 47 (Werke I I 1212)86 W e r k e I 1073 1101 I I 208 297 891 943 III 588 60087 Antichrist p a r 18 ( W e r k e I I 1178)

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

I l l

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Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

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96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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humaine amour sont autant de valeurs qui disparaissentavec Dieu Ce qui reste cest lhomme dans toute sa temporaliteet son organisation du monde Et cette organisation constitueralexpression de la negation de toute verite de tout amour de toutrespect de la personne humaine Ce sera un monde ou avecune logique implacable et terrifiante5 toute aspiration de lhommevers lamour tout respect de la personne humaine seront consi-deres comme une attitude maladive et la vie humaine seradevenue une denree perissable6

13 Cosmologies religieusesPour le croyant lhistoire est la consequence du peche peche

qui survient apres la creation par suite dune faute rituelle7La creation tire lunivers du chaos et du nihil en y etablissantlordre divin si bien que la terre et en particulier lhomme parti-cipent pleinement a cet ordre divin Et puisque Dieu est eternelle monde paradisiaque na pas dhistoire Lhistoire est le resultatdu changement cosmique fondamental le peche qui a coupe larelation directe immediate avec Dieu Des lors lunivers seloigneprogressivement de Dieu et a travers lhistoire le capital divinqui y etait au commencement diminue avec lecoulement du tempsAvec lhistoire lhomme seloigne graduellement de Dieu et rejointa la fin des temps le chaos originel Lhistoire est terrifiante pourle croyant car elle lamene a son annihilation complete Cepen-dant il a une echappatoire Par le rituel qui repete rituellement lesactes divins en particulier celui de la creation il peut rejoindrelordre divin in illo tempore Chaque rite represente une parti-

5 Ernst Jiinger dans Ueber die Lime (Frankfurt aM Vittorio Klosterman1950) decrit la situation nihiliste par trois caracteristiquesa Le nihilisme ne signifie pas le chaos sauf comme consequence Au contraireil implique lorganisation la plus consequente comme par exemple dans lesgrandes institutions de destruction ou regne Iobjectivite Ihygiene et un ordrestrictb Le nihilisme na rien de maladif En fait il implique le quite de la santephysique et des efforts sportifs avec la negation de tout sentiment humainc Le nihilisme ne signifie pas limmoralite et peut se combiner a un philan-thropisme Seulement le nihilisme depasse la moralite vers lautomatisme (pp13-20)Les signes du nihilisme sont la reduction du monde dans toutes ses formes et ladisparition de tout ce qui fait appel au sens miraculeux (pp 22ff)

6 Gabriel Marcel Du refits a 1invocation (Paris Gallimard 1940) p 1267 cf Mircea Eliade Le mythe de Ieternel retour archetypes et repetition

(Paris Gallimard 1949)

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

cipation de lhomme a un acte divin paradigmatique par lequel lecroyant echappe a lhistoire Par le rite il vit dans un autre tempset un autre espace Aussi le croyant essaiera-t-il dincorporer leplus possible les evenements de sa vie a la vie sacrale afin de lesarracher a lhistoricite qui a titre de consequence du peche im-plique la souffrance sans sens aucun Pour avoir de la substancechaque acte de lhomme doit participer a lordre sacral Cest ledivin qui est Etre aussi le croyant cherche-t-il son etre danslordre divin supra-historique laquoen lui nous avons la vie le mou-vement et letreraquo8

Lhistoire est un devenir qui na de sens que sil participe alordre de letre Aussi une societe qui exclut le sacre est unesource de terreur pour le croyant aussi bien que pour le nitzscheenDans cette situation la question de Kant sadresse a lhomme avecune force renouvelee laquoque puis-je savoir que puis-je faire quepuis-je espererraquo9 La premiere question quoique purement spe-culative est fondamentale Car lhomme espere et agit en fonctionde ce quil sait de ce quil comprend de la situation historiqueet done de ses sources

Les sources du nihilisme

Selon Nietzsche laquonous sommes tous les assassins de Dieuraquo 10Comme jadis le peuple juif avait crucifie le Christ nous avonstue Dieu en lexcluant de notre vie Dieu est mort parce quenotre civilisation ne Lui laisse pas de place Ludwig Feuerbachjeune hegelien exprime la meme idee le christianisme na plus deplace dans notre societe il est une idee fixe laquoen contradictionflagrante avec nos assurances-vie nos assurances incendie noschemins de fer et nos locomotives avec nos pinacotheques etnos glyptotheques avec nos ecoles militaires et techniques avecnos theatres et nos cabinets dhistoire naturelleraquo Notre vie eco-nomique et technique notre culture notre systeme deducationet nos sciences ne saccordent pas au christianisme De sorte que

Actes 17 28 cf aussi Eric Voegelin Order and History vol I Israeland Revelation (Louisiana State University Press 1956) p 3 pour 1aspect divinde letre dans les cosmologies religieuses

9 Immanuel Kant Kritik der reinen Vernunft edition B p 833 (ci-apresKRVB 833)

10 Die Frohliche Wissenshaft par 125 (Werke II 127)

Samtliche Werke (Leipzig 1846) vol VII4 p 31

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notre civilisation meme est athee il ny a pas de place pour la foisauf le dimanche12

Schopenhauer disciple de Kant et contemporain de Hegelmaintient dune maniere semblable que notre monde na plus deplace pour Dieu laquoLe theisme pris au serieux presuppose neces-sairement quon divise le monde en ciel et terre les hommes semeuvent sur celle-ci Dieu qui gouverne les hommes se trouveen celui-la Mais quand lastronomie sempare du ciel elle sem-pare aussi de Dieu elle a agrandi le monde de telle maniere quilny a plus de place pour Dieu II sensuit que le theisme doitdisparaitre dans la mesure ou lastronomie devient populaireraquoCe que lEglise catholique a reconnu et cest pourquoi elle apersecute le systeme copernicien 13

Nietzsche egalement pense que la revolution copernicienne a eudes consequences incommensurables laquoOn dirait que lhomineglisse depuis Copernic sur un plan incline mdash quil seloigne deplus en plus rapidement du centre mdash dans quelle direction versle neantraquo 14

Schopenhauer et Nietzsche voient done la source historique denotre civilisation occidentale dans le systeme copernicien de luni-vers Ce qui est en jeu ici ce nest pas lastronomie en tant quetelle mais la vision copernicienne du monde vision qui presentedeux caracteristiques elle est basee sur la methode hypothetiquedes sciences modernes et elle implique le renversement des cos-mologies traditionnelles qui laissaient les cieux tourner autour de laterre Dans la mesure ou la cosmologie traditionnelle constituaitplus quune theorie scientifique mais representait une cosmogoniereligieuse son renversement par Copernic a ete plus quun faitscientifique il impliquait egalement le bouleversement des valeurstraditionnelles Et puisque la nouvelle cosmologie sinscrit dans lecadre des sciences modernes la conclusion parait suivre que lavision inspiree par les sciences modernes implique un renverse-ment des valeurs religieuses tel que notre societea glisse ineluc-tablement sur la pente du nihilisme athee Mais dans ce cas les

12 cf Karl Loewith Von Hegel zn Nietzsche (Stuttgart KohlhammerI9584) p 362

13 Parerga und Paralipomena Vol IV Sdmtliche Werke (Hrsg Frhr VonLohneysen) (StuttgartFrankfurt aM Cotta-Insel 1963) p 68

14 Genealogie der Moral laquo Was bedeuten asketische Ideale par 25 (WerkeII 893)

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LA MORT DE D1EU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

sciences modernes ne sont pas en premier lieu responsables carelles ont leurs bases philosophiques la vision scientifique dumonde est une vision philosophique puisque la science en tantque telle na pas de vision Mais de quelle philosophic sagit-ilQuelle est la philosophic qui peut se pretendre copernicienne

Cest Kant qui explicitement pretend avoir pense une philoso-phie copernicienne Selon Kant la revolution copernicienneconsiste en ce que Copernic na pas attribue les mouvements quonpeut voir aux objets du ciel mais aux spectateurs Et Kant proposede construire une metaphysique sur une hypothese semblablelaquo Jusqua maintenant on a suppose que nos connaissances devaientsaccorder aux objets Mais toutes les tentatives basees sur cettesupposition delargir ainsi a priori notre connaissance par desconcepts ont echoue Cest pourquoi il faudrait essayer une fois sinous pourrions avancer en metaphysique en supposant que les ob-jets doivent saccorder a nos connaissancesraquo1S Cette hypothesesapplique directement a la representation Car si la representationdoit saccorder aux objets de representation il est impossibledavoir des connaissances a priori de ces objets Mais si 1objetsaccorde a ma representation ceci devient tout a fait possible16Kant comprend lordre de la realite en termes dorganisation par lesujet Ainsi le temps et lespace sont des formes a priori qui nouspermettent dexperimenter le monde sous la forme dune organisa-tion spatio-temporelle De meme notre pensee est une activitedorganisation Connaitre la realite signifie pour Kant laquoetablir uneunite synthetique dans la pluralite de lexperience sensible raquo 17 Ce-pendant si la connaissance represente essentiellement lapplicationdun ordre de concepts a une realite qui en tant que telle na pascette organisation la connaissance se limite aussi au domaine de larealite experimentee et experimentable sensiblement Lactivite deIintelligence qui depasse le domaine de la realite empirique ne re-presente plus une connaissance proprement dite aussi Kantdistingue-t-il rigoureusement entre connaissance et pensee laquoPen-ser un objet nequivaut pas a le connaitre Car la connaissanceexige deux elements dabord le concept par lequel on pense 1objet(la categorie) et ensuite lintuition qui nous donne lobjetraquo 18 II en

15 KRV BXVI16 KRV B XVII17 KRV A 150 cf aussi B 9418 KRV B 146

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resulte que nos connaissances peuvent atteindre les objets qui tran-scendent notre experience sensible tel lame le cosmos et DieuJe peux penser Dieu mais je ne peux Le connaitre19 La metaphy-sique ne peut prouver lexistence de Dieu Ce qui ne signifie pasque Dieu nexiste pas mais que la metaphysique est strictementagnostique a son sujet Aussi lexistence de Dieu nest-elle pas unobjet de connaissance mais de la foi20 un postulat de la raisonpratique21 et toute connaissance que je puisse avoir de Dieu estune connaissance uniquement symbolique

Bien que selon Kant nous ne puissions connaitre Dieu au sensscientifique et philosophique du mot la pensee de Kant nest pasun atheisme car lexperience morale et religieuse nous assure queDieu existe et quil est sagesse et createur infiniment sacre etbeni22 Cependant comme latheisme a son apotheose cesse detreun atheisme pour devenir un nihilisme les origines de latheismene sont pas necessairement et apparemment athees non plus Cestce que Nietzsche et Schopenhauer pensaient car lastronomiecopernicienne nest pas atheisme en tant que telle

En effet la philosophic de Kant etablit un dualisme de prin-cipe entre la foi et la raison entre la theologie et la philosophic etce dualisme est le resultat direct de sa revolution copernicienneUne connaissance qui organise la realite ne peut avoir commemesure cette realite meme Son origine etant la spontaneite de lapensee meme23 elle ne peut decouvrir que ce qui est contenudans cette spontaneite meme Aussi une telle connaissance nepeut decouvrir ce qui la transcende Afin de decouvrir theori-quement Dieu intelligence infinie il faudrait une connaissancecapable de circonscrire et de contenir la nature divine24 Cetteconnaissance est synthetique elle est un modele de la realitequi pour sappliquer exige une matiere comme lieu de sa realisa-tion Puisquon peut supposer que Dieu est un etre supra-sensibleil ny a pas de matiere a laquelle notre concept de Dieu serait

19 I m m a n u e l K a n t Kritik der Urteilskraft (Hrsg Karl Vor lander H a m b u r g

Felix Meiner 19746) p 33720 Ibid p 34321 Immanue l K a n t Kritik der Urteilskraft (Hrsg Karl Vor lander H a m b u r g

H a m b u r g Felix Me ine r 19749) p p 142 ff

22 cf Ur te i l skraf t p 3 1 1 P r ak t V e r n p p 150 18123 KRVB9324 cf Ur te i l skraf t p 3 1 1

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LA MORT DEDIEU DANS LA PH1LOSOPH1E MODERNE

applicable25 La connaissance humaine dans la philosophic deKant est doublement agnostique les limites de sa spontaneite in-tellectuelle lempechent de produire un concept qui puisse etreadequat a Dieu et il lui manque toute possibility dexperiencequi puisse servir de lieu de verification au concept de Dieu

La philosophic poietique

Penetrant plys avant dans la structure de cette connaissancecopernicienne on remarque quelle est connaissance hypothetiqueau sens ou sa verite est sa verification et sa source nest pas1experience

La connaissance hypothetique est une connaissance synthetiquedu monde Ne representant pas la realite elle ne saurait etre vraieque si elle se realise dans la realite La realisation du modeleest sa verification La verification est le processus par lequel larealite saccorde au modele La realite est condition non critere dela verite inconnaissable en soi elle est la comme matiere pourla realisation de la connaissance Aussi la connaissance hypo-thetique est-elle un modele de la realite qui se realise dans lexpe-rience Un modele qui se realise implique la production dunproduit26 En effet toute production impliquant une transforma-tion de la realite le modele de production ne peut representer larealite et ne peut avoir comme source la realite experimentee sibien que toute connaissance productrice ou poietique a commepoint de depart une negation plus ou moins prononcee de la realiteexperimentee Une telle connaissance nest pas productrice parcequelle nie la realite experimentee au contraire elle nie la realiteparce quelle est productrice Si ce nest pas la realite objectivequi est mesure de cette connaissance la mesure en est neces-sairement la subjectivite reorganisant 1experience pour en formerun modele de la realite Ce qui ne signifie pas que la connais-sance poietique est arbitraire Au contraire elle Test si peu quellesaccorde parfaitement a lobjectivisme le plus radical27 A titredorganisation de la realite elle presente le systeme du monde par

25 Ibid p 34026 Dans le cas de la philosophic de Kant le produit est lexperience meme

laquodieses Produkt der Sinne und des Verstandesraquo Prolegomena zu einer jedenkiinftigen Metaphysik par 20 (Hrsg Karl Vorlander Hamburg Felix Meiner1969 p 56)

27 cf Martin Heidegger Holzwege laquoDie Zeit des Weltbildes raquo p 81

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la systematisation rigoureuse de la connaissance Systematisationqui depend comme toute connaissance humaine de lexpe-rience pour son contenu mais qui pour son organisation dependde la spontaneite subjective Cest linspiration qui opere la trans-position ideale des donnees de 1experience28

Puisque la connaissance poietique implique la realisationlinspiration amene a une analyse des possibilites de linspirationen fonction de leur realisation cette analyse est une connais-sance du possible comprenant la realite en termes de possibilitesde realisation Aussi affirme-t-elle le primat du possible par rapporta la realite comme lafnrme dailleurs Kant29 Ce nest quensaccordant a nos connaissances que les objets de connaissancesont reels ce qui equivaut a affirmer que les objets sont reelsdans la mesure ou cette connaissance du possible se realise

La relation entre inspiration et analyse de sa realisabilite estune relation dialectique au sens hegelien du terme entre 1idealsubjectif interieur et sa realisation manifeste exterieure oppositionqui exige un troisieme element comme synthese des deux premiers

Cette synthese est le projet proprement dit conclusion du rai-sonnement hypothetique Le projet synthetise parfaitement lidealde lhypothese avec les possibilites de sa realisation et ne demanderien pour sa perfection si ce nest sa realisation

Cette realisation qui est le travail du projet constitue le momentde la verification du projet La verite est verification productionde verite processus de realisation

La connaissance poietique implique alors les moments suivantsla negation plus ou moins explicite de lexperience comme mesurede connaissance linspiration comme connaissance spontanee im-pliquant lorganisation ideale des donnees de 1experience la consi-deration sur la realisabilite de linspiration le projet comme mo-dele concret synthetisant la realisabilite avec lidealite de linspi-ration le processus de realisation et le produit comme realitetransformee en fonction du projet

Cette analyse montre que la connaissance poietique nest niathee ni theiste car elle ne peut se bullprononcer sur Dieu puisquIl

28 cf M D Phi l ippe Lactivite arlistique t ome I (Par is Beauchesne 1970)

p 2522 9 cf K a n t K R V A 287

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

transcende necessairement tout projet humain Ceci vaut aussipour les differentes modalites de cette connaissance telles lessciences modernes et la technique De meme Kant reconnaissantles limites propres de cette connaissance exclut Dieu de touteconnaissance proprement dite

Mais quand la connaissance poietique devient exclusive de touteautre connaissance elle devient implicitement athee Au momentou la philosophie devient projet humain de la realite il ny a plusde place pour Dieu En ce sens la philosophie de Kant est sourcedatheisme Cependant la philosophie kantienne nest pas une pen-see exceptionnelle et isolee dans la tradition moderne En effettoute philosophie qui identifie la connaissance philosophique de larealite a la connaissance poietique est implicitement ou explicite-ment athee Dans la mesure ou la tradition principale de laphilosophie moderne concoit la connaissance exclusivement entermes de connaissance poietique elle represente une vision atheede la realite Cette vision nest pas des son commencement expli-citement athee La philosophie moderne jusqua Hegel parle deDieu Ce qui ne suffit pas pour la constituer en theisme Eneffet la ou la philosophie poietique parle de Dieu ex officio elleparle en realite dun ideal projete par linspiration Cest un idealhumain qui demande comme achievement de soi la realisationconcrete et cette fabrication de Dieu constitue la verification delidee de Dieu Lhistoire de latheisme moderne comprend alorsdeux mouvements Elle elimine dabord le Dieu de la foi deses considerations comme dun domaine qui nappartient pas enpropre a linspiration poietique de la realite Ensuite elle decouvregraduellement son propre atheisme elle decouvre graduellementque le Dieu de la philosophie poietique nest que la projectiondun ideal purement humain En ce qui suit nous toucherons lesphases les plus saillantes de la philosophie poietique athee danslhistoire de la philosophie moderne

IV Latheisme moderneHegel represente une synthese au double sens hegelien de con-

clusion et de point de depart de nouvelles antitheses Son geniefut de construire une philosophie poietique qui nexclut aucunaspect de la realite Puisque la mesure de la connaissance poieti-que nest pas la realite mais cette connaissance meme30 la con-

30 Enzyklopddie der philosophischen Wissenschaften par 213 laquodenn dieWahrheit ist dies dass die Objektivitat dem Begriffe entsprichtraquo

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naissance ultime de la realite (metaphysique) devient necessaire-ment chez Hegel connaissance de cette connaissance (logique)La philosophie de Hegel devient alors le systeme de cette connais-sance cest-a-dire de lEsprit La realite comprise en termes deprojet qui se realise implique la dialectique comme processus derealisation31 et lEsprit comme sujet de la dialectique Aussi Hegelreproche-t-il a Spinoza et a Schelling dinterpreter lEsprit unique-ment en termes didentite avec la realite (substance) sans tenircompte du dynamisme exige par la realisation de lEsprit meme32laquo Selon ma facon de voir qui doit seulement justifier la presen-tation du systeme tout depend de ce point essentiel saisir etexprimer le vrai (ie la realite dans sa totalite) non seulementcomme substance mais encore comme sujet raquo33 La substance quiest Esprit est le devenir et ce quil est en soi34 cest-a-diresujet35 La vie de lesprit est action (Tat) et Faction supposeune matiere qui est travaillee et transformee36 Ce travail delesprit ce processus dauto-realisation cest lhistoire par la-quelle lEsprit devient son propre produit37

Une telle philosophie qui regarde la realite comme projetpoietique qui se realise a travers le travail de lhistoire ne peutplus se taire au sujet de Dieu comme lavait fait Kant AussiHegel identifie-t-il Dieu a TEsprit et il developpe une theologieou la Trinite correspond exactement aux phases de lhistoire de

31 Wissenschaft der Logik (Hrsg Georg Lasson Hamburg Felix Meiner19672) Pars I p 36

32 Enzyklopddie par 573 laquo A m genauesten wiirden siedie Pantheismenals die Systeme best immt welche das Absolute nur als die Substanz fassen DerMangel dieser samtlichen Vorstellungsweisen und Systeme ist nicht zur Bestim-mung der Substanz als Siibjekt und als Geist fortzugehenraquo

33 Phanomenologie des Geistes (Hrsg Johannes Hoffmeister HamburgFelix Meiner 1952) p 19

34 Ibid p 55835 Ibid p 52836 Einleitung in die Geschichte der Philosophie (Hrsg Johannes Hoffmeister

Hamburg Felix Meiner I9664) p 13 laquoSeindes GeistesLeben ist Tat DieTat hat einen vorhandenen Stoff zu ihrer Voraussetzung auf welchen sie gerichtetist und den sie nicht etwa bloss vermehrt durch hinzugefiigtes Materialverbreitert sondern wesentlich bearbe i te t und umbildetraquo

37 Vorlesungen iiber die Philosophie der Weltgeschichte vol 1 Die Vernnnftin der Geschichte (Hrsg Johannes Hoffmeister Hamburg Felix Meiner I9705)p 72 laquoDer Geist ist wesentlich Resultat seiner Tatigheit raquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

lEsprit38 Cependant le Dieu de la philosophic de Hegel nestpoint le Dieu dAbraham ni celui dailleurs du christianismeHegel comprend la vie divine en termes dhistoire qui constitueun developpement de Dieu39 Cette histoire comprend la negationantithetique de Dieu dans lhomme par la creation Car lespritetant connaissance de soi dans son autre40 Dieu doit devenir sonautre Dieu se connaissant en lhomme implique la connaissancepar lhomme de Dieu connaissance qui se developpe en la con-naissance de soi de lhomme en Dieu41 Aussi lhistoire divinedevient-elle lhistoire de la divinisation de lhomme par lui-memeEn realisant Dieu lhomme se realise si bien que le culte de Dieuest depasse par le culte de lEsprit et la theologie par la philoso-phie hegelienne42

Pour Hegel lantithese est une negation qui cache une identiteprofonde Les jeunes hegeliens sont antithetiques par rapport aHegel dans ce sens ils mettent en lumiere le dynamisme produc-teur de la philosophic poietique hegelienne ce qui a comme corol-laire lafnrmation explicite de latheisme Ainsi Feuerbachmaintient-il que Dieu nest que la projection de lldeal de lhuma-nite43 Dieu est la tache que lhumanite se donne a realiser et lesens de lhistoire cest la realisation dune humanite ideale Aussilathee est celui qui nie lexistence de Dieu sans pour autant nierles attributs divins comme autant dideaux humains44 Si lechristianisme maintient que Dieu est Personne et Amour cecisignifie que la personne et lamour est un ideal humain que lhom-me projette afin de le realiser dans lhistoire

38 Ibid p 58 laquoIm Christentum aber ist Gott als Geist offenbart undzwar ist er zuerst Vater Macht abstrakt Allgemeines das noch eingehiillt istzweitens ist er sich als Gegenstand ein Anderes seiner selbst ein sich Entzweien-des der Sohn Dieses Andere seiner selbst ist aber ebenso unmittelbar er selbst erweiss sich darin und schaut sich darin an mdash und eben dieses Sichwissen und Sich-anschauen ist drittens der Geist selberraquo

Ibid p 48 laquo Die Geschichte ist die Entfaltung der Natur Gottesraquo40 Phanomenologie p 52841 Enzyklopiidie pa r 56442 Enzyklopiidie par 572 577 Geschichte der Philosophies p 150 laquoDie

Philosophie ist also an sich schon eine weitere Bestimmtheit oder Charakterdes Geistes sie ist die innere Geburtstatte des Geistes der spater als Wirklichkeitauftrittraquo

41 cf Wesen des Christentiims vol IV Sumtliche Werke p 16 laquoDerMensch verlegt sein Wesen zuerst ausser sich ehe er es in sich findetraquo

44 Ibid p 17

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Marx reprend latheisme de Feuerbach en accentuant le liensecret entre atheisme et realisation dune humanite ideale Si laphilosophic devient anthropologie chez Feuerbach elle devientideologic pratique chez Marx45 Car seule une humanite atheepourrait realiser lideal et partant lepanouissement absolu delhumanite une humanite qui croit en Dieu projette son idealen Dieu et reste passive devant Dieu quelle croit parfait Aussilatheisme comme processus de reduction de Dieu a des dimen-sions anthropomorphiques est une condition sine qua non de larealisation de lhumanite46

Latheisme de Marx est un atheisme base sur la foi dans lave-nir glorieux de lhumanite47 II revient a Schopenhauer et aNietzsche de formuler un atheisme sans foi

Le christianisme ne met pas en doute lexistence de Dieu cequi est juste dit Schopenhauer car Kant a montre quil est impos-sible de prouver lexistence de Dieu par demonstration Ayantainsi donne le coup de grace a la theologie speculative Kant aessaye dadoucir son agnosticisme en avancant des arguments mo-raux en faveur de la foi en Dieu Cependant il ne sagit pas dunepreuve de lexistence de Dieu mais dun schema regulateur de lamorale car Dieu ny est considere que comme hypothese utile ala morale48 En effet il est impossible que le Dieu personnel dutheisme existe reellement Si Dieu a cree lhomme il Ia creeavec toutes ses caracteristiques qui determinent ses actions si bien

45 laquo T h e s e n iiber F e u e r b a c h XI dans Karl Marx Friedrich Engels Diedeutsche Ideologic (Hrsg V Adoratski j ) WienBer l in Verlag fiir Li t tera tur undPolitik 1932) 535 laquoDie Philosopher haben die Welt nur verschieden i n t e r p r e -tiert es kommt darauf an sie zu v e r a n d e r n raquo (c i -apres M E G A p 535)

46 Marx M E G A p 534 ( T h e s e 4 ) laquo Feuerbach geht von dem Fak tum derreligiosen Selbs tent f remdung der Verdopplung der Welt in eine religiose und eineweltlich aus Aber dass die weltlich Grundlage sich von sich selst abhebt undsich ein selbstandiges Reich in den Wolken fixiert ist nur aus der Selbstzerris-senhei t und Sichse lbs twidersprechen dieser weltl ichen Grundlage zu erklarenDiese selbst muss also in sich selbst sowohl in ihrem Widerspruch vers tanden als prakt isch revolut ioniert werden Also n a c h d e m z B die irdische Familie alsdas Geheimnis de r heiligen Familie en tdeck t ist muss nun ers tereselbsttheoret isch und prakt isch vernichtet we rden raquo

47 Pour Karl Loewi th le marx isme est une heresie du mess ianisme juda ique cf Meaning in His tory (Chicago Univers i ty of Chicago Press 1958) pp 44f

48 Ar thur Schopenhaue r Parerga und Paralipomena I laquo F r a g m e n t e zurGeschichte der Philosophieraquo par 13 laquoNoch einige erlauterungen zur KantischenPhilosophieraquo (Werke IV p 132 ff)

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LA MORT DE D1EU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

que la doctrine de la creation par Dieu ne peut saccorder avec ladoctrine de la liberte humaine sans laquelle on ne peut considererfhomme comme moralement responsable49 Dautre part la doc-trine de limmortalite de lame ne saccorde pas davantage a lideedune creation ex nihilo comment peut-on croire quune existencequi a commence il y a si peu dannees ne disparait pas avec lamort mais continuera miraculeusement a exister eternellement50Dailleurs la doctrine de la creation meme ne saccorde pas auxfaits de la vie Comment peut-on accepter que le monde soitlceuvre dune bonte dune sagesse et dune puissance infinies sion considere que la vie nest que necessite et angoisse souf-france et fardeau51 Loin de promouvoir le bonheur la vie nestque souffrance Aussi est-ce une erreur fondamentale rendant larealite absurde que de penser que le bonheur est la fin de la vie52Si la vie est tragique cest que la souffrance est un processusde purification Mourir est la seule fin de la vie53 cest le fruit dela vie laquoLa mort est levenement le resume ou le total de la viequi exprime dun coup la lecon que la vie nous a donnee succes-sivement et partiellement a savoir que tout leffort dans la vie estla manifestation dune force inutile vaine contradictoire si bienque le debarras de la vie est son salutraquo54 Objectivementparlant la seule conclusion qui simpose cest que la vie est unjeu qui laquonen vaut pas la chandelleraquo55 Et pourtant chaquehomme garde et defend sa vie comme si elle avait une valeurinfinie chacun aime la vie par-dessus tout et craint la mort plusque tout autre danger Cette opposition entre la misere de la vieet lamour de la vie ne sexplique que si Ton suppose que la vieest la manifestation dune volonte aveugle qui agit comme instinctde vie56 Le principe de la realite est la volonte qui cherche ase donner une forme objective a travers les diverses manifestationsde la nature57 Ce principe nest pas le resultat dune connais-

gt Ibid p p 152f50 Ibid p 156

51 Ibid p 151

Arthur Schopenhauer Die Welt als Wille und Vorstellung vol IICh 49 laquoDie Hei lsordnungraquo (Werke I I p 813)

53 Ibid p 81754 Ibid55 Ar thur Schopenhaue r Welt als Wille und Vorstellung vol I I C h 2 8

laquoCharakter is t ik des Willens zum L e b e n raquo (Werke I I p 463)56 Ib id p 464 57 Ib id p 411-423

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sance de la vie une conclusio ex praemissis mais a titre de prin-cipe de la realite la volonte est aussi principe de toute connais-sance58 Ainsi la croyance en Dieu nest pas le resultat dunecertaine connaissance mais de la volonte59 qui se cree un Dieuafin de donner a la vie lespoir de limmortalite et dune aidesurnaturelle dans les vicissitudes de lexistence60 Preparant lenihilisme athee de Nietzsche Schopenhauer revet dans lhistoirede 1atheisme moderne une place particulierement importante Lavolonte est lEtre de tout ce qui est et a titre de principe ultimede la realite elle determine la connaissance Dans le cadre de latradition philosophique moderne laffirmation de la volonte commeprincipe de realite est la consequence ultime dune philosophicpoietique La fin du projet nest pas la contemplation mais larealisation61 Aussi le principe du projet se sert-il de lintelligencepour la formulation du projet Et dans la mesure oii la connais-sance poietique implique ladaptation de la realite au projet memele principe du projet est ipso facto principe de la realite Aussilinterpretation poietique de la realite voit-elle comme principe dela realite un principe de realisation que Schopenhauer appelle lavolonte Cette volonte est alors principe du projet et de la realisa-tion Cest ainsi que la croyance en Dieu est une hypotheseavancee en fonction de la realisation de la realite Cependant ilsagit dun projet irrealisable car si Dieu existait la vie conduiraitau bonheur Mais la fin de la vie nest pas le bonheur62 la fin dela vie a lepoque moderne est la realisation du projet Puisque lesens de la vie est la realisation sans Dieu du projet de la subjec-tivite humaine il ne reste a lhomme que le pessimisme

Chez Nietzsche la volonte devient volonte de puissance et lepessimisme devient nihilisme sans Dieu Nietzsche constitue lafin de la philosophic moderne au double sens de terme de laphilosophie moderne et de celui qui en montre lessence

58 Ib id p 466 59 Pa re rga W e r k e I V p p 156f60 Ibid 14761 Ibid 147 Russell et Scheler parlent dans ce cadre d une connaissance pour

la martrise du monde cf Bernard Russell The Scientific Outlook (LondonGeorge Allen amp Unwin 1931) p 270 et Max Scheler Vom Ewigen im Menschen(Bern Francke 1968s) p 92

62 cf Aristote Ethique a Nicomaqne I 5 (1097 b I) laquo Le bonheur sembleetre au supreme degre une fin de ce genre car nous le choisissons toujours pourlui-meme et jamais en vue dune autre choseraquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

V Nietzsche

Le point de depart de la philosophie de Nietzsche est la negationde lexistence de Dieu Le christianisme et la foi en Dieu sonten train de disparaitre car Dieu nexiste pas63 Dieu est mort etnous lavons tue laquoNavez-vous pas entendu parler de ce fou quiayant allume une lanterne en plein midi courait sur la place dumarche et criait sans cesse laquo Je cherche Dieu Je cherche Dieu raquolaquoOu est Dieu cria-t-il je vais vous le dire Nous lavons tue mdashvous et moiraquo64 Nous dans la parabole de Nietzsche ce sont lesgens du marche lieu dexpression des valeurs et des mceurs quisont a la mode et qui constituent la civilisation Notre civilisationest profondement athee et cest pourquoi Dieu est mort Heideggerse demande si en annoncant la mort de Dieu Nietzsche ne faitpas que formuler ce que lhistoire de lOccident a toujours sous-entendu 65

Mais comment avons-nous tue Dieu Si Dieu existe II est im-mortel et ne peut mourir Nietzsche affirme bien que Dieu a existemais quil est mort maintenant et que notre societe avec ses com-pagnies dassurance etc a tue Dieu Dieu est mort parce quenotre civilisation Fa exclu de sa vie quotidienne Dieu est mortparce que la foi en Dieu nest plus une force efficace dans notrevie occidentale La mort de Dieu dans la philosophie de Nietzschesignifie la perte ou plus precisement labsence de foi en DieuMais labsence de foi en Dieu signifie plus que la negation deDieu Elle signifie aussi que la terre est desenchainee de sonsoleil et que lhorizon tout entier est efface Cet horizon ce sontles valeurs eternelles La mort de Dieu entraine la disparitiondes valeurs eternelles et absolues66 La consequence de la mort deDieu est le relativisme le plus absolu le relativisme qui est unelaquochute continue ou il ny a plus ni haut ni bas II ny a plusletre mais le devenir en dehors duquel il ny a rien et le devenirnest pas un but il na aucune valeur67 Si Dieu est mort lemonde est pur devenir et le devenir na plus de sens Avec lamort de Dieu le nihilisme le plus terrible des hotes frappe a la

Nietzsche Der Antichrist par 38 (Werke II 1199)Nietzsche Die Frohliche Wissenschaft par 125 (Werke II 127)Martin Heidegger Holzwege Nietzsches Wort laquoGott ist to traquo p 196Ibid p 200Wille znr Macht aph 617 (Werke III 884) ci-apres WzM 617

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porte68 Le nihilisme cest le sentiment penetrant du neant69cest le refus radical de toute valeur et tout sens dans la vie70 a lasuite de la negation de tout etre de tout ce qui est absolu de toutce qui est divin71 Le nihilisme cest vivre la vie comme uneabsurdite et la forme la plus extreme du nihilisme cest daffirmerleternite du neant de labsurde72 Nietzsche a compris quunmonde sans Dieu est un monde nihiliste sans verite sans valeursans espoir qui a sa logique de terreur Apres la mort de Dieunous errons a travers un neant infini le vide nous souffle dans lafigure il ny a plus que la nuit et la nuit devient toujours plusepaisse

Pour Nietzsche la mort de Dieu signifie leclipse de la racehumaine telle que nous la connaissons Afin de survivre a la mortde Dieu il faut necessairement que lhumanite change radicale-ment La mort de Dieu inaugure Fhistoire dune humanite impiesans Dieu73

laquoDieu est mort maintenant nous voulons que le surhommeviveraquo dit Zarathustra74 Le principe de cette transformation delhomme en surhomme se trouve dans la vie meme La mort deDieu impliquant la negation de tout principe transcendant le prin-cipe de la vie et de la survie doit etre strictement immanentII faut que la vie se donne la vie la vie doit se depasser conti-nuellement75 Cest limmanence qui devient principe de la trans-cendance Ce principe Nietzsche lappelle la volonte de puis-sance La volonte de puissance est laquola volonte generatrice ine-puisable de la vieraquo76 Or la volonte est principe daction elle estcause efficiente Aussi le principe de vie est-il un principe danslordre de lefficacite Et un principe nest principe que sil exercesa causalite Lexercice de lefficacite implique la transformation etla domination de la matiere sur laquelle cette cause exerce sonactivite Comme le dit Nietzsche lui-meme laquoLa vie nest pas

68 W z M Z u m Plan (Werke I I I 881)6 9 Ibid 1020 (Werke 111 661)70 Ibid Z u m Plan (Werke I I I 881)71 Ibid 15 (Werke I I I 555)7 2 Ibid 55 (Werke I I I 853)73 N ie t z sche Also sprach Zarathustra I I I laquo V o n der verkle inendern

T u g e n d 3 (Werke I I 420)7 4 Zarathustra IV laquo V o m h o h e r e m M e n s c h e n raquo 2 (Werke I I 523)75 Zarathustra I I laquo Von der Se lbs tuberwindungraquo (Werke I I 370)7 6 Ibid cf aussi Werke I I p p 578 729 819 I I I pp 480 854 896

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

adaptation de facteurs internes a des conditions exterieures elleest volonte de puissance qui depuis linterieur domine et incor-pore toujours plus son milieuraquo77 Aussi la volonte-efficacite est-elle une volonte de puissance non au sens ou elle cherche lapuissance a titre dun but a realiser Car la mort de Dieu impliquela negation de toute finalite La volonte-efficacite est volonte depuissance en ce sens quelle existe comme puissance qui sexercequi a titre de domination du milieu implique 1augmentation depuissance78 Cest cette augmentation de puissance qui permettraa la vie de survivre a la mort de Dieu A condition quelle soit leprincipe ultime de la vie et de tous les aspects de la realite AussiNietzsche comprend-il en particulier la connaissance et la tech-nique comme manifestations de la volonte de puissance

Nietzsche appelle la technique laquoartraquo et il en dit quelle acomme condition le sentiment de transport (Rausch) dintensifi-cation de la vie Ce sentiment peut prendre maintes formes depuislexcitation sexuelle jusquaux transes sous linfluence des drogueset les sentiments de transport dus a une volonte particulierementintensive Ce qui est essentiel a tous ces etats de transport cestle sentiment daugmentation de puissance et de plenitude Cesetats sont une source de richesse On enrichit tout a partir de etpar sa propre plenitude laquo Dans cet etat lhomme transforme leschoses jusqua ce quelles representent sa perfection Ce devoir mdashtransformer en sa perfection mdash cest lartraquo79 Nietzsche comprendlart en termes de transformation de la realite par la volonte depuissance Or la transformation est production Et la productionainsi comprise represente la perfection de la vie car elle constituelaugmentation de puissance La transformation de la realite repre-sentant lexercice meme de la volonte de puissance la productionconstitue pour Nietzsche le mode detre de la volonte de puis-sance le plus authentique Cest grace a la production que lhommesurvivra a la mort de Dieu Et le surhomme est lhomme quiproduit lhomo faber Aussi Nietzsche dit-il de lart quil est legrand stimulant de la vie la redemption des savants des gens quiagissent et qui souffrent80 Pour Nietzsche la survie de lhomme

77 WzM 681 ( W e r k e I I I 8 9 8 ) 78 Martin Heidegger Nietzsche (Pfullingen Neskel 1961) vol I pp 70-79Tgt Nietzsche Gotzen-Ddmmerung laquo Streifziige eines Unzeitgemassen raquo par 8

(Werke II 995)80 WzM 853 (Werke 111 693)

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moderne est done intimement liee a la production Or la genera-lisation de la production eest la technique si bien que pourNietzsche la survie de lhumanite ne saccomplit que par lhege-monie de la technique Lage athee est aussi lage de la technique

Et si la technique est le mode detre authentique de la volontede puissance Nietzsche comprendra la connaissance le savoir lascience non seulement comme modes de la volonte de puissancemais encore comme fonction de la technique Si la volonte depuissance est le principe de la vie la puissance est plus impor-tante que la verite81 de sorte que ce qui importe au niveau de laconnaissance ce nest pas en premier lieu la verite mais lapuissance La verite devient fonction de la puissance une con-naissance est vraie dans la mesure ou elle affirme et reflete lapuissance si bien que le critere de verite est laugmentation dusentiment de puissance82 Evidemment la connaissance ne trans-forme pas la realite elle ne realise rien Elle naugmente pasla puissance mais peut donner le sentiment daugmentation depuissance La verite nest pas quelque chose que Ton prouve queTon decouvre la verite est a creer Et sa creation a la fonctionde rendre la realite plus sure elle est une rationalisation unesystematisation du monde La verite organise le monde83 Ce quiimplique que la verite nest pas necessairement vraie La connais-sance nest quune perspective que jette la volonte de puissancesur la realite afin de sassurer de laugmentation de puissanceAussi Nietzsche maintient-il que la verite est laquo une sorte derreursans laquelle un type determine detre vivant ne pourrait vivreraquo84

De meme la croyance en Dieu est une fabrication une inventionde la volonte de puissance Cest ce que St Paul a compris LeDieu de St Paul ne represente en realite que la decision de StPaul85 Dieu est une creation et une fiction86 Cependant Dieua titre de principe transcendant soppose radicalement a la volontede puissance Dieu est lennemi et la contradiction de la vie87

81 N ie t z sche Menschliches Allzumenschliches vol I I laquoVermisch te Mei-nungen und Spr i icheraquo par 226 (Werke I 827)

82 W z M 534 (Werke I I I 919)83 W z M 552 ( W e r k e I I I 541)84 WzM 493 (Werke III 844)85 Antichrist pa r 47 (Werke I I 1212)86 W e r k e I 1073 1101 I I 208 297 891 943 III 588 60087 Antichrist p a r 18 ( W e r k e I I 1178)

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

I l l

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DIRK PEREBOOM

Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

DIRK PEREBOOMUniversite de Fribourg

96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

cipation de lhomme a un acte divin paradigmatique par lequel lecroyant echappe a lhistoire Par le rite il vit dans un autre tempset un autre espace Aussi le croyant essaiera-t-il dincorporer leplus possible les evenements de sa vie a la vie sacrale afin de lesarracher a lhistoricite qui a titre de consequence du peche im-plique la souffrance sans sens aucun Pour avoir de la substancechaque acte de lhomme doit participer a lordre sacral Cest ledivin qui est Etre aussi le croyant cherche-t-il son etre danslordre divin supra-historique laquoen lui nous avons la vie le mou-vement et letreraquo8

Lhistoire est un devenir qui na de sens que sil participe alordre de letre Aussi une societe qui exclut le sacre est unesource de terreur pour le croyant aussi bien que pour le nitzscheenDans cette situation la question de Kant sadresse a lhomme avecune force renouvelee laquoque puis-je savoir que puis-je faire quepuis-je espererraquo9 La premiere question quoique purement spe-culative est fondamentale Car lhomme espere et agit en fonctionde ce quil sait de ce quil comprend de la situation historiqueet done de ses sources

Les sources du nihilisme

Selon Nietzsche laquonous sommes tous les assassins de Dieuraquo 10Comme jadis le peuple juif avait crucifie le Christ nous avonstue Dieu en lexcluant de notre vie Dieu est mort parce quenotre civilisation ne Lui laisse pas de place Ludwig Feuerbachjeune hegelien exprime la meme idee le christianisme na plus deplace dans notre societe il est une idee fixe laquoen contradictionflagrante avec nos assurances-vie nos assurances incendie noschemins de fer et nos locomotives avec nos pinacotheques etnos glyptotheques avec nos ecoles militaires et techniques avecnos theatres et nos cabinets dhistoire naturelleraquo Notre vie eco-nomique et technique notre culture notre systeme deducationet nos sciences ne saccordent pas au christianisme De sorte que

Actes 17 28 cf aussi Eric Voegelin Order and History vol I Israeland Revelation (Louisiana State University Press 1956) p 3 pour 1aspect divinde letre dans les cosmologies religieuses

9 Immanuel Kant Kritik der reinen Vernunft edition B p 833 (ci-apresKRVB 833)

10 Die Frohliche Wissenshaft par 125 (Werke II 127)

Samtliche Werke (Leipzig 1846) vol VII4 p 31

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notre civilisation meme est athee il ny a pas de place pour la foisauf le dimanche12

Schopenhauer disciple de Kant et contemporain de Hegelmaintient dune maniere semblable que notre monde na plus deplace pour Dieu laquoLe theisme pris au serieux presuppose neces-sairement quon divise le monde en ciel et terre les hommes semeuvent sur celle-ci Dieu qui gouverne les hommes se trouveen celui-la Mais quand lastronomie sempare du ciel elle sem-pare aussi de Dieu elle a agrandi le monde de telle maniere quilny a plus de place pour Dieu II sensuit que le theisme doitdisparaitre dans la mesure ou lastronomie devient populaireraquoCe que lEglise catholique a reconnu et cest pourquoi elle apersecute le systeme copernicien 13

Nietzsche egalement pense que la revolution copernicienne a eudes consequences incommensurables laquoOn dirait que lhomineglisse depuis Copernic sur un plan incline mdash quil seloigne deplus en plus rapidement du centre mdash dans quelle direction versle neantraquo 14

Schopenhauer et Nietzsche voient done la source historique denotre civilisation occidentale dans le systeme copernicien de luni-vers Ce qui est en jeu ici ce nest pas lastronomie en tant quetelle mais la vision copernicienne du monde vision qui presentedeux caracteristiques elle est basee sur la methode hypothetiquedes sciences modernes et elle implique le renversement des cos-mologies traditionnelles qui laissaient les cieux tourner autour de laterre Dans la mesure ou la cosmologie traditionnelle constituaitplus quune theorie scientifique mais representait une cosmogoniereligieuse son renversement par Copernic a ete plus quun faitscientifique il impliquait egalement le bouleversement des valeurstraditionnelles Et puisque la nouvelle cosmologie sinscrit dans lecadre des sciences modernes la conclusion parait suivre que lavision inspiree par les sciences modernes implique un renverse-ment des valeurs religieuses tel que notre societea glisse ineluc-tablement sur la pente du nihilisme athee Mais dans ce cas les

12 cf Karl Loewith Von Hegel zn Nietzsche (Stuttgart KohlhammerI9584) p 362

13 Parerga und Paralipomena Vol IV Sdmtliche Werke (Hrsg Frhr VonLohneysen) (StuttgartFrankfurt aM Cotta-Insel 1963) p 68

14 Genealogie der Moral laquo Was bedeuten asketische Ideale par 25 (WerkeII 893)

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LA MORT DE D1EU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

sciences modernes ne sont pas en premier lieu responsables carelles ont leurs bases philosophiques la vision scientifique dumonde est une vision philosophique puisque la science en tantque telle na pas de vision Mais de quelle philosophic sagit-ilQuelle est la philosophic qui peut se pretendre copernicienne

Cest Kant qui explicitement pretend avoir pense une philoso-phie copernicienne Selon Kant la revolution copernicienneconsiste en ce que Copernic na pas attribue les mouvements quonpeut voir aux objets du ciel mais aux spectateurs Et Kant proposede construire une metaphysique sur une hypothese semblablelaquo Jusqua maintenant on a suppose que nos connaissances devaientsaccorder aux objets Mais toutes les tentatives basees sur cettesupposition delargir ainsi a priori notre connaissance par desconcepts ont echoue Cest pourquoi il faudrait essayer une fois sinous pourrions avancer en metaphysique en supposant que les ob-jets doivent saccorder a nos connaissancesraquo1S Cette hypothesesapplique directement a la representation Car si la representationdoit saccorder aux objets de representation il est impossibledavoir des connaissances a priori de ces objets Mais si 1objetsaccorde a ma representation ceci devient tout a fait possible16Kant comprend lordre de la realite en termes dorganisation par lesujet Ainsi le temps et lespace sont des formes a priori qui nouspermettent dexperimenter le monde sous la forme dune organisa-tion spatio-temporelle De meme notre pensee est une activitedorganisation Connaitre la realite signifie pour Kant laquoetablir uneunite synthetique dans la pluralite de lexperience sensible raquo 17 Ce-pendant si la connaissance represente essentiellement lapplicationdun ordre de concepts a une realite qui en tant que telle na pascette organisation la connaissance se limite aussi au domaine de larealite experimentee et experimentable sensiblement Lactivite deIintelligence qui depasse le domaine de la realite empirique ne re-presente plus une connaissance proprement dite aussi Kantdistingue-t-il rigoureusement entre connaissance et pensee laquoPen-ser un objet nequivaut pas a le connaitre Car la connaissanceexige deux elements dabord le concept par lequel on pense 1objet(la categorie) et ensuite lintuition qui nous donne lobjetraquo 18 II en

15 KRV BXVI16 KRV B XVII17 KRV A 150 cf aussi B 9418 KRV B 146

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resulte que nos connaissances peuvent atteindre les objets qui tran-scendent notre experience sensible tel lame le cosmos et DieuJe peux penser Dieu mais je ne peux Le connaitre19 La metaphy-sique ne peut prouver lexistence de Dieu Ce qui ne signifie pasque Dieu nexiste pas mais que la metaphysique est strictementagnostique a son sujet Aussi lexistence de Dieu nest-elle pas unobjet de connaissance mais de la foi20 un postulat de la raisonpratique21 et toute connaissance que je puisse avoir de Dieu estune connaissance uniquement symbolique

Bien que selon Kant nous ne puissions connaitre Dieu au sensscientifique et philosophique du mot la pensee de Kant nest pasun atheisme car lexperience morale et religieuse nous assure queDieu existe et quil est sagesse et createur infiniment sacre etbeni22 Cependant comme latheisme a son apotheose cesse detreun atheisme pour devenir un nihilisme les origines de latheismene sont pas necessairement et apparemment athees non plus Cestce que Nietzsche et Schopenhauer pensaient car lastronomiecopernicienne nest pas atheisme en tant que telle

En effet la philosophic de Kant etablit un dualisme de prin-cipe entre la foi et la raison entre la theologie et la philosophic etce dualisme est le resultat direct de sa revolution copernicienneUne connaissance qui organise la realite ne peut avoir commemesure cette realite meme Son origine etant la spontaneite de lapensee meme23 elle ne peut decouvrir que ce qui est contenudans cette spontaneite meme Aussi une telle connaissance nepeut decouvrir ce qui la transcende Afin de decouvrir theori-quement Dieu intelligence infinie il faudrait une connaissancecapable de circonscrire et de contenir la nature divine24 Cetteconnaissance est synthetique elle est un modele de la realitequi pour sappliquer exige une matiere comme lieu de sa realisa-tion Puisquon peut supposer que Dieu est un etre supra-sensibleil ny a pas de matiere a laquelle notre concept de Dieu serait

19 I m m a n u e l K a n t Kritik der Urteilskraft (Hrsg Karl Vor lander H a m b u r g

Felix Meiner 19746) p 33720 Ibid p 34321 Immanue l K a n t Kritik der Urteilskraft (Hrsg Karl Vor lander H a m b u r g

H a m b u r g Felix Me ine r 19749) p p 142 ff

22 cf Ur te i l skraf t p 3 1 1 P r ak t V e r n p p 150 18123 KRVB9324 cf Ur te i l skraf t p 3 1 1

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LA MORT DEDIEU DANS LA PH1LOSOPH1E MODERNE

applicable25 La connaissance humaine dans la philosophic deKant est doublement agnostique les limites de sa spontaneite in-tellectuelle lempechent de produire un concept qui puisse etreadequat a Dieu et il lui manque toute possibility dexperiencequi puisse servir de lieu de verification au concept de Dieu

La philosophic poietique

Penetrant plys avant dans la structure de cette connaissancecopernicienne on remarque quelle est connaissance hypothetiqueau sens ou sa verite est sa verification et sa source nest pas1experience

La connaissance hypothetique est une connaissance synthetiquedu monde Ne representant pas la realite elle ne saurait etre vraieque si elle se realise dans la realite La realisation du modeleest sa verification La verification est le processus par lequel larealite saccorde au modele La realite est condition non critere dela verite inconnaissable en soi elle est la comme matiere pourla realisation de la connaissance Aussi la connaissance hypo-thetique est-elle un modele de la realite qui se realise dans lexpe-rience Un modele qui se realise implique la production dunproduit26 En effet toute production impliquant une transforma-tion de la realite le modele de production ne peut representer larealite et ne peut avoir comme source la realite experimentee sibien que toute connaissance productrice ou poietique a commepoint de depart une negation plus ou moins prononcee de la realiteexperimentee Une telle connaissance nest pas productrice parcequelle nie la realite experimentee au contraire elle nie la realiteparce quelle est productrice Si ce nest pas la realite objectivequi est mesure de cette connaissance la mesure en est neces-sairement la subjectivite reorganisant 1experience pour en formerun modele de la realite Ce qui ne signifie pas que la connais-sance poietique est arbitraire Au contraire elle Test si peu quellesaccorde parfaitement a lobjectivisme le plus radical27 A titredorganisation de la realite elle presente le systeme du monde par

25 Ibid p 34026 Dans le cas de la philosophic de Kant le produit est lexperience meme

laquodieses Produkt der Sinne und des Verstandesraquo Prolegomena zu einer jedenkiinftigen Metaphysik par 20 (Hrsg Karl Vorlander Hamburg Felix Meiner1969 p 56)

27 cf Martin Heidegger Holzwege laquoDie Zeit des Weltbildes raquo p 81

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la systematisation rigoureuse de la connaissance Systematisationqui depend comme toute connaissance humaine de lexpe-rience pour son contenu mais qui pour son organisation dependde la spontaneite subjective Cest linspiration qui opere la trans-position ideale des donnees de 1experience28

Puisque la connaissance poietique implique la realisationlinspiration amene a une analyse des possibilites de linspirationen fonction de leur realisation cette analyse est une connais-sance du possible comprenant la realite en termes de possibilitesde realisation Aussi affirme-t-elle le primat du possible par rapporta la realite comme lafnrme dailleurs Kant29 Ce nest quensaccordant a nos connaissances que les objets de connaissancesont reels ce qui equivaut a affirmer que les objets sont reelsdans la mesure ou cette connaissance du possible se realise

La relation entre inspiration et analyse de sa realisabilite estune relation dialectique au sens hegelien du terme entre 1idealsubjectif interieur et sa realisation manifeste exterieure oppositionqui exige un troisieme element comme synthese des deux premiers

Cette synthese est le projet proprement dit conclusion du rai-sonnement hypothetique Le projet synthetise parfaitement lidealde lhypothese avec les possibilites de sa realisation et ne demanderien pour sa perfection si ce nest sa realisation

Cette realisation qui est le travail du projet constitue le momentde la verification du projet La verite est verification productionde verite processus de realisation

La connaissance poietique implique alors les moments suivantsla negation plus ou moins explicite de lexperience comme mesurede connaissance linspiration comme connaissance spontanee im-pliquant lorganisation ideale des donnees de 1experience la consi-deration sur la realisabilite de linspiration le projet comme mo-dele concret synthetisant la realisabilite avec lidealite de linspi-ration le processus de realisation et le produit comme realitetransformee en fonction du projet

Cette analyse montre que la connaissance poietique nest niathee ni theiste car elle ne peut se bullprononcer sur Dieu puisquIl

28 cf M D Phi l ippe Lactivite arlistique t ome I (Par is Beauchesne 1970)

p 2522 9 cf K a n t K R V A 287

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

transcende necessairement tout projet humain Ceci vaut aussipour les differentes modalites de cette connaissance telles lessciences modernes et la technique De meme Kant reconnaissantles limites propres de cette connaissance exclut Dieu de touteconnaissance proprement dite

Mais quand la connaissance poietique devient exclusive de touteautre connaissance elle devient implicitement athee Au momentou la philosophie devient projet humain de la realite il ny a plusde place pour Dieu En ce sens la philosophie de Kant est sourcedatheisme Cependant la philosophie kantienne nest pas une pen-see exceptionnelle et isolee dans la tradition moderne En effettoute philosophie qui identifie la connaissance philosophique de larealite a la connaissance poietique est implicitement ou explicite-ment athee Dans la mesure ou la tradition principale de laphilosophie moderne concoit la connaissance exclusivement entermes de connaissance poietique elle represente une vision atheede la realite Cette vision nest pas des son commencement expli-citement athee La philosophie moderne jusqua Hegel parle deDieu Ce qui ne suffit pas pour la constituer en theisme Eneffet la ou la philosophie poietique parle de Dieu ex officio elleparle en realite dun ideal projete par linspiration Cest un idealhumain qui demande comme achievement de soi la realisationconcrete et cette fabrication de Dieu constitue la verification delidee de Dieu Lhistoire de latheisme moderne comprend alorsdeux mouvements Elle elimine dabord le Dieu de la foi deses considerations comme dun domaine qui nappartient pas enpropre a linspiration poietique de la realite Ensuite elle decouvregraduellement son propre atheisme elle decouvre graduellementque le Dieu de la philosophie poietique nest que la projectiondun ideal purement humain En ce qui suit nous toucherons lesphases les plus saillantes de la philosophie poietique athee danslhistoire de la philosophie moderne

IV Latheisme moderneHegel represente une synthese au double sens hegelien de con-

clusion et de point de depart de nouvelles antitheses Son geniefut de construire une philosophie poietique qui nexclut aucunaspect de la realite Puisque la mesure de la connaissance poieti-que nest pas la realite mais cette connaissance meme30 la con-

30 Enzyklopddie der philosophischen Wissenschaften par 213 laquodenn dieWahrheit ist dies dass die Objektivitat dem Begriffe entsprichtraquo

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naissance ultime de la realite (metaphysique) devient necessaire-ment chez Hegel connaissance de cette connaissance (logique)La philosophie de Hegel devient alors le systeme de cette connais-sance cest-a-dire de lEsprit La realite comprise en termes deprojet qui se realise implique la dialectique comme processus derealisation31 et lEsprit comme sujet de la dialectique Aussi Hegelreproche-t-il a Spinoza et a Schelling dinterpreter lEsprit unique-ment en termes didentite avec la realite (substance) sans tenircompte du dynamisme exige par la realisation de lEsprit meme32laquo Selon ma facon de voir qui doit seulement justifier la presen-tation du systeme tout depend de ce point essentiel saisir etexprimer le vrai (ie la realite dans sa totalite) non seulementcomme substance mais encore comme sujet raquo33 La substance quiest Esprit est le devenir et ce quil est en soi34 cest-a-diresujet35 La vie de lesprit est action (Tat) et Faction supposeune matiere qui est travaillee et transformee36 Ce travail delesprit ce processus dauto-realisation cest lhistoire par la-quelle lEsprit devient son propre produit37

Une telle philosophie qui regarde la realite comme projetpoietique qui se realise a travers le travail de lhistoire ne peutplus se taire au sujet de Dieu comme lavait fait Kant AussiHegel identifie-t-il Dieu a TEsprit et il developpe une theologieou la Trinite correspond exactement aux phases de lhistoire de

31 Wissenschaft der Logik (Hrsg Georg Lasson Hamburg Felix Meiner19672) Pars I p 36

32 Enzyklopddie par 573 laquo A m genauesten wiirden siedie Pantheismenals die Systeme best immt welche das Absolute nur als die Substanz fassen DerMangel dieser samtlichen Vorstellungsweisen und Systeme ist nicht zur Bestim-mung der Substanz als Siibjekt und als Geist fortzugehenraquo

33 Phanomenologie des Geistes (Hrsg Johannes Hoffmeister HamburgFelix Meiner 1952) p 19

34 Ibid p 55835 Ibid p 52836 Einleitung in die Geschichte der Philosophie (Hrsg Johannes Hoffmeister

Hamburg Felix Meiner I9664) p 13 laquoSeindes GeistesLeben ist Tat DieTat hat einen vorhandenen Stoff zu ihrer Voraussetzung auf welchen sie gerichtetist und den sie nicht etwa bloss vermehrt durch hinzugefiigtes Materialverbreitert sondern wesentlich bearbe i te t und umbildetraquo

37 Vorlesungen iiber die Philosophie der Weltgeschichte vol 1 Die Vernnnftin der Geschichte (Hrsg Johannes Hoffmeister Hamburg Felix Meiner I9705)p 72 laquoDer Geist ist wesentlich Resultat seiner Tatigheit raquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

lEsprit38 Cependant le Dieu de la philosophic de Hegel nestpoint le Dieu dAbraham ni celui dailleurs du christianismeHegel comprend la vie divine en termes dhistoire qui constitueun developpement de Dieu39 Cette histoire comprend la negationantithetique de Dieu dans lhomme par la creation Car lespritetant connaissance de soi dans son autre40 Dieu doit devenir sonautre Dieu se connaissant en lhomme implique la connaissancepar lhomme de Dieu connaissance qui se developpe en la con-naissance de soi de lhomme en Dieu41 Aussi lhistoire divinedevient-elle lhistoire de la divinisation de lhomme par lui-memeEn realisant Dieu lhomme se realise si bien que le culte de Dieuest depasse par le culte de lEsprit et la theologie par la philoso-phie hegelienne42

Pour Hegel lantithese est une negation qui cache une identiteprofonde Les jeunes hegeliens sont antithetiques par rapport aHegel dans ce sens ils mettent en lumiere le dynamisme produc-teur de la philosophic poietique hegelienne ce qui a comme corol-laire lafnrmation explicite de latheisme Ainsi Feuerbachmaintient-il que Dieu nest que la projection de lldeal de lhuma-nite43 Dieu est la tache que lhumanite se donne a realiser et lesens de lhistoire cest la realisation dune humanite ideale Aussilathee est celui qui nie lexistence de Dieu sans pour autant nierles attributs divins comme autant dideaux humains44 Si lechristianisme maintient que Dieu est Personne et Amour cecisignifie que la personne et lamour est un ideal humain que lhom-me projette afin de le realiser dans lhistoire

38 Ibid p 58 laquoIm Christentum aber ist Gott als Geist offenbart undzwar ist er zuerst Vater Macht abstrakt Allgemeines das noch eingehiillt istzweitens ist er sich als Gegenstand ein Anderes seiner selbst ein sich Entzweien-des der Sohn Dieses Andere seiner selbst ist aber ebenso unmittelbar er selbst erweiss sich darin und schaut sich darin an mdash und eben dieses Sichwissen und Sich-anschauen ist drittens der Geist selberraquo

Ibid p 48 laquo Die Geschichte ist die Entfaltung der Natur Gottesraquo40 Phanomenologie p 52841 Enzyklopiidie pa r 56442 Enzyklopiidie par 572 577 Geschichte der Philosophies p 150 laquoDie

Philosophie ist also an sich schon eine weitere Bestimmtheit oder Charakterdes Geistes sie ist die innere Geburtstatte des Geistes der spater als Wirklichkeitauftrittraquo

41 cf Wesen des Christentiims vol IV Sumtliche Werke p 16 laquoDerMensch verlegt sein Wesen zuerst ausser sich ehe er es in sich findetraquo

44 Ibid p 17

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Marx reprend latheisme de Feuerbach en accentuant le liensecret entre atheisme et realisation dune humanite ideale Si laphilosophic devient anthropologie chez Feuerbach elle devientideologic pratique chez Marx45 Car seule une humanite atheepourrait realiser lideal et partant lepanouissement absolu delhumanite une humanite qui croit en Dieu projette son idealen Dieu et reste passive devant Dieu quelle croit parfait Aussilatheisme comme processus de reduction de Dieu a des dimen-sions anthropomorphiques est une condition sine qua non de larealisation de lhumanite46

Latheisme de Marx est un atheisme base sur la foi dans lave-nir glorieux de lhumanite47 II revient a Schopenhauer et aNietzsche de formuler un atheisme sans foi

Le christianisme ne met pas en doute lexistence de Dieu cequi est juste dit Schopenhauer car Kant a montre quil est impos-sible de prouver lexistence de Dieu par demonstration Ayantainsi donne le coup de grace a la theologie speculative Kant aessaye dadoucir son agnosticisme en avancant des arguments mo-raux en faveur de la foi en Dieu Cependant il ne sagit pas dunepreuve de lexistence de Dieu mais dun schema regulateur de lamorale car Dieu ny est considere que comme hypothese utile ala morale48 En effet il est impossible que le Dieu personnel dutheisme existe reellement Si Dieu a cree lhomme il Ia creeavec toutes ses caracteristiques qui determinent ses actions si bien

45 laquo T h e s e n iiber F e u e r b a c h XI dans Karl Marx Friedrich Engels Diedeutsche Ideologic (Hrsg V Adoratski j ) WienBer l in Verlag fiir Li t tera tur undPolitik 1932) 535 laquoDie Philosopher haben die Welt nur verschieden i n t e r p r e -tiert es kommt darauf an sie zu v e r a n d e r n raquo (c i -apres M E G A p 535)

46 Marx M E G A p 534 ( T h e s e 4 ) laquo Feuerbach geht von dem Fak tum derreligiosen Selbs tent f remdung der Verdopplung der Welt in eine religiose und eineweltlich aus Aber dass die weltlich Grundlage sich von sich selst abhebt undsich ein selbstandiges Reich in den Wolken fixiert ist nur aus der Selbstzerris-senhei t und Sichse lbs twidersprechen dieser weltl ichen Grundlage zu erklarenDiese selbst muss also in sich selbst sowohl in ihrem Widerspruch vers tanden als prakt isch revolut ioniert werden Also n a c h d e m z B die irdische Familie alsdas Geheimnis de r heiligen Familie en tdeck t ist muss nun ers tereselbsttheoret isch und prakt isch vernichtet we rden raquo

47 Pour Karl Loewi th le marx isme est une heresie du mess ianisme juda ique cf Meaning in His tory (Chicago Univers i ty of Chicago Press 1958) pp 44f

48 Ar thur Schopenhaue r Parerga und Paralipomena I laquo F r a g m e n t e zurGeschichte der Philosophieraquo par 13 laquoNoch einige erlauterungen zur KantischenPhilosophieraquo (Werke IV p 132 ff)

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LA MORT DE D1EU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

que la doctrine de la creation par Dieu ne peut saccorder avec ladoctrine de la liberte humaine sans laquelle on ne peut considererfhomme comme moralement responsable49 Dautre part la doc-trine de limmortalite de lame ne saccorde pas davantage a lideedune creation ex nihilo comment peut-on croire quune existencequi a commence il y a si peu dannees ne disparait pas avec lamort mais continuera miraculeusement a exister eternellement50Dailleurs la doctrine de la creation meme ne saccorde pas auxfaits de la vie Comment peut-on accepter que le monde soitlceuvre dune bonte dune sagesse et dune puissance infinies sion considere que la vie nest que necessite et angoisse souf-france et fardeau51 Loin de promouvoir le bonheur la vie nestque souffrance Aussi est-ce une erreur fondamentale rendant larealite absurde que de penser que le bonheur est la fin de la vie52Si la vie est tragique cest que la souffrance est un processusde purification Mourir est la seule fin de la vie53 cest le fruit dela vie laquoLa mort est levenement le resume ou le total de la viequi exprime dun coup la lecon que la vie nous a donnee succes-sivement et partiellement a savoir que tout leffort dans la vie estla manifestation dune force inutile vaine contradictoire si bienque le debarras de la vie est son salutraquo54 Objectivementparlant la seule conclusion qui simpose cest que la vie est unjeu qui laquonen vaut pas la chandelleraquo55 Et pourtant chaquehomme garde et defend sa vie comme si elle avait une valeurinfinie chacun aime la vie par-dessus tout et craint la mort plusque tout autre danger Cette opposition entre la misere de la vieet lamour de la vie ne sexplique que si Ton suppose que la vieest la manifestation dune volonte aveugle qui agit comme instinctde vie56 Le principe de la realite est la volonte qui cherche ase donner une forme objective a travers les diverses manifestationsde la nature57 Ce principe nest pas le resultat dune connais-

gt Ibid p p 152f50 Ibid p 156

51 Ibid p 151

Arthur Schopenhauer Die Welt als Wille und Vorstellung vol IICh 49 laquoDie Hei lsordnungraquo (Werke I I p 813)

53 Ibid p 81754 Ibid55 Ar thur Schopenhaue r Welt als Wille und Vorstellung vol I I C h 2 8

laquoCharakter is t ik des Willens zum L e b e n raquo (Werke I I p 463)56 Ib id p 464 57 Ib id p 411-423

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sance de la vie une conclusio ex praemissis mais a titre de prin-cipe de la realite la volonte est aussi principe de toute connais-sance58 Ainsi la croyance en Dieu nest pas le resultat dunecertaine connaissance mais de la volonte59 qui se cree un Dieuafin de donner a la vie lespoir de limmortalite et dune aidesurnaturelle dans les vicissitudes de lexistence60 Preparant lenihilisme athee de Nietzsche Schopenhauer revet dans lhistoirede 1atheisme moderne une place particulierement importante Lavolonte est lEtre de tout ce qui est et a titre de principe ultimede la realite elle determine la connaissance Dans le cadre de latradition philosophique moderne laffirmation de la volonte commeprincipe de realite est la consequence ultime dune philosophicpoietique La fin du projet nest pas la contemplation mais larealisation61 Aussi le principe du projet se sert-il de lintelligencepour la formulation du projet Et dans la mesure oii la connais-sance poietique implique ladaptation de la realite au projet memele principe du projet est ipso facto principe de la realite Aussilinterpretation poietique de la realite voit-elle comme principe dela realite un principe de realisation que Schopenhauer appelle lavolonte Cette volonte est alors principe du projet et de la realisa-tion Cest ainsi que la croyance en Dieu est une hypotheseavancee en fonction de la realisation de la realite Cependant ilsagit dun projet irrealisable car si Dieu existait la vie conduiraitau bonheur Mais la fin de la vie nest pas le bonheur62 la fin dela vie a lepoque moderne est la realisation du projet Puisque lesens de la vie est la realisation sans Dieu du projet de la subjec-tivite humaine il ne reste a lhomme que le pessimisme

Chez Nietzsche la volonte devient volonte de puissance et lepessimisme devient nihilisme sans Dieu Nietzsche constitue lafin de la philosophic moderne au double sens de terme de laphilosophie moderne et de celui qui en montre lessence

58 Ib id p 466 59 Pa re rga W e r k e I V p p 156f60 Ibid 14761 Ibid 147 Russell et Scheler parlent dans ce cadre d une connaissance pour

la martrise du monde cf Bernard Russell The Scientific Outlook (LondonGeorge Allen amp Unwin 1931) p 270 et Max Scheler Vom Ewigen im Menschen(Bern Francke 1968s) p 92

62 cf Aristote Ethique a Nicomaqne I 5 (1097 b I) laquo Le bonheur sembleetre au supreme degre une fin de ce genre car nous le choisissons toujours pourlui-meme et jamais en vue dune autre choseraquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

V Nietzsche

Le point de depart de la philosophie de Nietzsche est la negationde lexistence de Dieu Le christianisme et la foi en Dieu sonten train de disparaitre car Dieu nexiste pas63 Dieu est mort etnous lavons tue laquoNavez-vous pas entendu parler de ce fou quiayant allume une lanterne en plein midi courait sur la place dumarche et criait sans cesse laquo Je cherche Dieu Je cherche Dieu raquolaquoOu est Dieu cria-t-il je vais vous le dire Nous lavons tue mdashvous et moiraquo64 Nous dans la parabole de Nietzsche ce sont lesgens du marche lieu dexpression des valeurs et des mceurs quisont a la mode et qui constituent la civilisation Notre civilisationest profondement athee et cest pourquoi Dieu est mort Heideggerse demande si en annoncant la mort de Dieu Nietzsche ne faitpas que formuler ce que lhistoire de lOccident a toujours sous-entendu 65

Mais comment avons-nous tue Dieu Si Dieu existe II est im-mortel et ne peut mourir Nietzsche affirme bien que Dieu a existemais quil est mort maintenant et que notre societe avec ses com-pagnies dassurance etc a tue Dieu Dieu est mort parce quenotre civilisation Fa exclu de sa vie quotidienne Dieu est mortparce que la foi en Dieu nest plus une force efficace dans notrevie occidentale La mort de Dieu dans la philosophie de Nietzschesignifie la perte ou plus precisement labsence de foi en DieuMais labsence de foi en Dieu signifie plus que la negation deDieu Elle signifie aussi que la terre est desenchainee de sonsoleil et que lhorizon tout entier est efface Cet horizon ce sontles valeurs eternelles La mort de Dieu entraine la disparitiondes valeurs eternelles et absolues66 La consequence de la mort deDieu est le relativisme le plus absolu le relativisme qui est unelaquochute continue ou il ny a plus ni haut ni bas II ny a plusletre mais le devenir en dehors duquel il ny a rien et le devenirnest pas un but il na aucune valeur67 Si Dieu est mort lemonde est pur devenir et le devenir na plus de sens Avec lamort de Dieu le nihilisme le plus terrible des hotes frappe a la

Nietzsche Der Antichrist par 38 (Werke II 1199)Nietzsche Die Frohliche Wissenschaft par 125 (Werke II 127)Martin Heidegger Holzwege Nietzsches Wort laquoGott ist to traquo p 196Ibid p 200Wille znr Macht aph 617 (Werke III 884) ci-apres WzM 617

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porte68 Le nihilisme cest le sentiment penetrant du neant69cest le refus radical de toute valeur et tout sens dans la vie70 a lasuite de la negation de tout etre de tout ce qui est absolu de toutce qui est divin71 Le nihilisme cest vivre la vie comme uneabsurdite et la forme la plus extreme du nihilisme cest daffirmerleternite du neant de labsurde72 Nietzsche a compris quunmonde sans Dieu est un monde nihiliste sans verite sans valeursans espoir qui a sa logique de terreur Apres la mort de Dieunous errons a travers un neant infini le vide nous souffle dans lafigure il ny a plus que la nuit et la nuit devient toujours plusepaisse

Pour Nietzsche la mort de Dieu signifie leclipse de la racehumaine telle que nous la connaissons Afin de survivre a la mortde Dieu il faut necessairement que lhumanite change radicale-ment La mort de Dieu inaugure Fhistoire dune humanite impiesans Dieu73

laquoDieu est mort maintenant nous voulons que le surhommeviveraquo dit Zarathustra74 Le principe de cette transformation delhomme en surhomme se trouve dans la vie meme La mort deDieu impliquant la negation de tout principe transcendant le prin-cipe de la vie et de la survie doit etre strictement immanentII faut que la vie se donne la vie la vie doit se depasser conti-nuellement75 Cest limmanence qui devient principe de la trans-cendance Ce principe Nietzsche lappelle la volonte de puis-sance La volonte de puissance est laquola volonte generatrice ine-puisable de la vieraquo76 Or la volonte est principe daction elle estcause efficiente Aussi le principe de vie est-il un principe danslordre de lefficacite Et un principe nest principe que sil exercesa causalite Lexercice de lefficacite implique la transformation etla domination de la matiere sur laquelle cette cause exerce sonactivite Comme le dit Nietzsche lui-meme laquoLa vie nest pas

68 W z M Z u m Plan (Werke I I I 881)6 9 Ibid 1020 (Werke 111 661)70 Ibid Z u m Plan (Werke I I I 881)71 Ibid 15 (Werke I I I 555)7 2 Ibid 55 (Werke I I I 853)73 N ie t z sche Also sprach Zarathustra I I I laquo V o n der verkle inendern

T u g e n d 3 (Werke I I 420)7 4 Zarathustra IV laquo V o m h o h e r e m M e n s c h e n raquo 2 (Werke I I 523)75 Zarathustra I I laquo Von der Se lbs tuberwindungraquo (Werke I I 370)7 6 Ibid cf aussi Werke I I p p 578 729 819 I I I pp 480 854 896

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

adaptation de facteurs internes a des conditions exterieures elleest volonte de puissance qui depuis linterieur domine et incor-pore toujours plus son milieuraquo77 Aussi la volonte-efficacite est-elle une volonte de puissance non au sens ou elle cherche lapuissance a titre dun but a realiser Car la mort de Dieu impliquela negation de toute finalite La volonte-efficacite est volonte depuissance en ce sens quelle existe comme puissance qui sexercequi a titre de domination du milieu implique 1augmentation depuissance78 Cest cette augmentation de puissance qui permettraa la vie de survivre a la mort de Dieu A condition quelle soit leprincipe ultime de la vie et de tous les aspects de la realite AussiNietzsche comprend-il en particulier la connaissance et la tech-nique comme manifestations de la volonte de puissance

Nietzsche appelle la technique laquoartraquo et il en dit quelle acomme condition le sentiment de transport (Rausch) dintensifi-cation de la vie Ce sentiment peut prendre maintes formes depuislexcitation sexuelle jusquaux transes sous linfluence des drogueset les sentiments de transport dus a une volonte particulierementintensive Ce qui est essentiel a tous ces etats de transport cestle sentiment daugmentation de puissance et de plenitude Cesetats sont une source de richesse On enrichit tout a partir de etpar sa propre plenitude laquo Dans cet etat lhomme transforme leschoses jusqua ce quelles representent sa perfection Ce devoir mdashtransformer en sa perfection mdash cest lartraquo79 Nietzsche comprendlart en termes de transformation de la realite par la volonte depuissance Or la transformation est production Et la productionainsi comprise represente la perfection de la vie car elle constituelaugmentation de puissance La transformation de la realite repre-sentant lexercice meme de la volonte de puissance la productionconstitue pour Nietzsche le mode detre de la volonte de puis-sance le plus authentique Cest grace a la production que lhommesurvivra a la mort de Dieu Et le surhomme est lhomme quiproduit lhomo faber Aussi Nietzsche dit-il de lart quil est legrand stimulant de la vie la redemption des savants des gens quiagissent et qui souffrent80 Pour Nietzsche la survie de lhomme

77 WzM 681 ( W e r k e I I I 8 9 8 ) 78 Martin Heidegger Nietzsche (Pfullingen Neskel 1961) vol I pp 70-79Tgt Nietzsche Gotzen-Ddmmerung laquo Streifziige eines Unzeitgemassen raquo par 8

(Werke II 995)80 WzM 853 (Werke 111 693)

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moderne est done intimement liee a la production Or la genera-lisation de la production eest la technique si bien que pourNietzsche la survie de lhumanite ne saccomplit que par lhege-monie de la technique Lage athee est aussi lage de la technique

Et si la technique est le mode detre authentique de la volontede puissance Nietzsche comprendra la connaissance le savoir lascience non seulement comme modes de la volonte de puissancemais encore comme fonction de la technique Si la volonte depuissance est le principe de la vie la puissance est plus impor-tante que la verite81 de sorte que ce qui importe au niveau de laconnaissance ce nest pas en premier lieu la verite mais lapuissance La verite devient fonction de la puissance une con-naissance est vraie dans la mesure ou elle affirme et reflete lapuissance si bien que le critere de verite est laugmentation dusentiment de puissance82 Evidemment la connaissance ne trans-forme pas la realite elle ne realise rien Elle naugmente pasla puissance mais peut donner le sentiment daugmentation depuissance La verite nest pas quelque chose que Ton prouve queTon decouvre la verite est a creer Et sa creation a la fonctionde rendre la realite plus sure elle est une rationalisation unesystematisation du monde La verite organise le monde83 Ce quiimplique que la verite nest pas necessairement vraie La connais-sance nest quune perspective que jette la volonte de puissancesur la realite afin de sassurer de laugmentation de puissanceAussi Nietzsche maintient-il que la verite est laquo une sorte derreursans laquelle un type determine detre vivant ne pourrait vivreraquo84

De meme la croyance en Dieu est une fabrication une inventionde la volonte de puissance Cest ce que St Paul a compris LeDieu de St Paul ne represente en realite que la decision de StPaul85 Dieu est une creation et une fiction86 Cependant Dieua titre de principe transcendant soppose radicalement a la volontede puissance Dieu est lennemi et la contradiction de la vie87

81 N ie t z sche Menschliches Allzumenschliches vol I I laquoVermisch te Mei-nungen und Spr i icheraquo par 226 (Werke I 827)

82 W z M 534 (Werke I I I 919)83 W z M 552 ( W e r k e I I I 541)84 WzM 493 (Werke III 844)85 Antichrist pa r 47 (Werke I I 1212)86 W e r k e I 1073 1101 I I 208 297 891 943 III 588 60087 Antichrist p a r 18 ( W e r k e I I 1178)

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

I l l

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Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

DIRK PEREBOOMUniversite de Fribourg

96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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notre civilisation meme est athee il ny a pas de place pour la foisauf le dimanche12

Schopenhauer disciple de Kant et contemporain de Hegelmaintient dune maniere semblable que notre monde na plus deplace pour Dieu laquoLe theisme pris au serieux presuppose neces-sairement quon divise le monde en ciel et terre les hommes semeuvent sur celle-ci Dieu qui gouverne les hommes se trouveen celui-la Mais quand lastronomie sempare du ciel elle sem-pare aussi de Dieu elle a agrandi le monde de telle maniere quilny a plus de place pour Dieu II sensuit que le theisme doitdisparaitre dans la mesure ou lastronomie devient populaireraquoCe que lEglise catholique a reconnu et cest pourquoi elle apersecute le systeme copernicien 13

Nietzsche egalement pense que la revolution copernicienne a eudes consequences incommensurables laquoOn dirait que lhomineglisse depuis Copernic sur un plan incline mdash quil seloigne deplus en plus rapidement du centre mdash dans quelle direction versle neantraquo 14

Schopenhauer et Nietzsche voient done la source historique denotre civilisation occidentale dans le systeme copernicien de luni-vers Ce qui est en jeu ici ce nest pas lastronomie en tant quetelle mais la vision copernicienne du monde vision qui presentedeux caracteristiques elle est basee sur la methode hypothetiquedes sciences modernes et elle implique le renversement des cos-mologies traditionnelles qui laissaient les cieux tourner autour de laterre Dans la mesure ou la cosmologie traditionnelle constituaitplus quune theorie scientifique mais representait une cosmogoniereligieuse son renversement par Copernic a ete plus quun faitscientifique il impliquait egalement le bouleversement des valeurstraditionnelles Et puisque la nouvelle cosmologie sinscrit dans lecadre des sciences modernes la conclusion parait suivre que lavision inspiree par les sciences modernes implique un renverse-ment des valeurs religieuses tel que notre societea glisse ineluc-tablement sur la pente du nihilisme athee Mais dans ce cas les

12 cf Karl Loewith Von Hegel zn Nietzsche (Stuttgart KohlhammerI9584) p 362

13 Parerga und Paralipomena Vol IV Sdmtliche Werke (Hrsg Frhr VonLohneysen) (StuttgartFrankfurt aM Cotta-Insel 1963) p 68

14 Genealogie der Moral laquo Was bedeuten asketische Ideale par 25 (WerkeII 893)

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LA MORT DE D1EU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

sciences modernes ne sont pas en premier lieu responsables carelles ont leurs bases philosophiques la vision scientifique dumonde est une vision philosophique puisque la science en tantque telle na pas de vision Mais de quelle philosophic sagit-ilQuelle est la philosophic qui peut se pretendre copernicienne

Cest Kant qui explicitement pretend avoir pense une philoso-phie copernicienne Selon Kant la revolution copernicienneconsiste en ce que Copernic na pas attribue les mouvements quonpeut voir aux objets du ciel mais aux spectateurs Et Kant proposede construire une metaphysique sur une hypothese semblablelaquo Jusqua maintenant on a suppose que nos connaissances devaientsaccorder aux objets Mais toutes les tentatives basees sur cettesupposition delargir ainsi a priori notre connaissance par desconcepts ont echoue Cest pourquoi il faudrait essayer une fois sinous pourrions avancer en metaphysique en supposant que les ob-jets doivent saccorder a nos connaissancesraquo1S Cette hypothesesapplique directement a la representation Car si la representationdoit saccorder aux objets de representation il est impossibledavoir des connaissances a priori de ces objets Mais si 1objetsaccorde a ma representation ceci devient tout a fait possible16Kant comprend lordre de la realite en termes dorganisation par lesujet Ainsi le temps et lespace sont des formes a priori qui nouspermettent dexperimenter le monde sous la forme dune organisa-tion spatio-temporelle De meme notre pensee est une activitedorganisation Connaitre la realite signifie pour Kant laquoetablir uneunite synthetique dans la pluralite de lexperience sensible raquo 17 Ce-pendant si la connaissance represente essentiellement lapplicationdun ordre de concepts a une realite qui en tant que telle na pascette organisation la connaissance se limite aussi au domaine de larealite experimentee et experimentable sensiblement Lactivite deIintelligence qui depasse le domaine de la realite empirique ne re-presente plus une connaissance proprement dite aussi Kantdistingue-t-il rigoureusement entre connaissance et pensee laquoPen-ser un objet nequivaut pas a le connaitre Car la connaissanceexige deux elements dabord le concept par lequel on pense 1objet(la categorie) et ensuite lintuition qui nous donne lobjetraquo 18 II en

15 KRV BXVI16 KRV B XVII17 KRV A 150 cf aussi B 9418 KRV B 146

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resulte que nos connaissances peuvent atteindre les objets qui tran-scendent notre experience sensible tel lame le cosmos et DieuJe peux penser Dieu mais je ne peux Le connaitre19 La metaphy-sique ne peut prouver lexistence de Dieu Ce qui ne signifie pasque Dieu nexiste pas mais que la metaphysique est strictementagnostique a son sujet Aussi lexistence de Dieu nest-elle pas unobjet de connaissance mais de la foi20 un postulat de la raisonpratique21 et toute connaissance que je puisse avoir de Dieu estune connaissance uniquement symbolique

Bien que selon Kant nous ne puissions connaitre Dieu au sensscientifique et philosophique du mot la pensee de Kant nest pasun atheisme car lexperience morale et religieuse nous assure queDieu existe et quil est sagesse et createur infiniment sacre etbeni22 Cependant comme latheisme a son apotheose cesse detreun atheisme pour devenir un nihilisme les origines de latheismene sont pas necessairement et apparemment athees non plus Cestce que Nietzsche et Schopenhauer pensaient car lastronomiecopernicienne nest pas atheisme en tant que telle

En effet la philosophic de Kant etablit un dualisme de prin-cipe entre la foi et la raison entre la theologie et la philosophic etce dualisme est le resultat direct de sa revolution copernicienneUne connaissance qui organise la realite ne peut avoir commemesure cette realite meme Son origine etant la spontaneite de lapensee meme23 elle ne peut decouvrir que ce qui est contenudans cette spontaneite meme Aussi une telle connaissance nepeut decouvrir ce qui la transcende Afin de decouvrir theori-quement Dieu intelligence infinie il faudrait une connaissancecapable de circonscrire et de contenir la nature divine24 Cetteconnaissance est synthetique elle est un modele de la realitequi pour sappliquer exige une matiere comme lieu de sa realisa-tion Puisquon peut supposer que Dieu est un etre supra-sensibleil ny a pas de matiere a laquelle notre concept de Dieu serait

19 I m m a n u e l K a n t Kritik der Urteilskraft (Hrsg Karl Vor lander H a m b u r g

Felix Meiner 19746) p 33720 Ibid p 34321 Immanue l K a n t Kritik der Urteilskraft (Hrsg Karl Vor lander H a m b u r g

H a m b u r g Felix Me ine r 19749) p p 142 ff

22 cf Ur te i l skraf t p 3 1 1 P r ak t V e r n p p 150 18123 KRVB9324 cf Ur te i l skraf t p 3 1 1

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LA MORT DEDIEU DANS LA PH1LOSOPH1E MODERNE

applicable25 La connaissance humaine dans la philosophic deKant est doublement agnostique les limites de sa spontaneite in-tellectuelle lempechent de produire un concept qui puisse etreadequat a Dieu et il lui manque toute possibility dexperiencequi puisse servir de lieu de verification au concept de Dieu

La philosophic poietique

Penetrant plys avant dans la structure de cette connaissancecopernicienne on remarque quelle est connaissance hypothetiqueau sens ou sa verite est sa verification et sa source nest pas1experience

La connaissance hypothetique est une connaissance synthetiquedu monde Ne representant pas la realite elle ne saurait etre vraieque si elle se realise dans la realite La realisation du modeleest sa verification La verification est le processus par lequel larealite saccorde au modele La realite est condition non critere dela verite inconnaissable en soi elle est la comme matiere pourla realisation de la connaissance Aussi la connaissance hypo-thetique est-elle un modele de la realite qui se realise dans lexpe-rience Un modele qui se realise implique la production dunproduit26 En effet toute production impliquant une transforma-tion de la realite le modele de production ne peut representer larealite et ne peut avoir comme source la realite experimentee sibien que toute connaissance productrice ou poietique a commepoint de depart une negation plus ou moins prononcee de la realiteexperimentee Une telle connaissance nest pas productrice parcequelle nie la realite experimentee au contraire elle nie la realiteparce quelle est productrice Si ce nest pas la realite objectivequi est mesure de cette connaissance la mesure en est neces-sairement la subjectivite reorganisant 1experience pour en formerun modele de la realite Ce qui ne signifie pas que la connais-sance poietique est arbitraire Au contraire elle Test si peu quellesaccorde parfaitement a lobjectivisme le plus radical27 A titredorganisation de la realite elle presente le systeme du monde par

25 Ibid p 34026 Dans le cas de la philosophic de Kant le produit est lexperience meme

laquodieses Produkt der Sinne und des Verstandesraquo Prolegomena zu einer jedenkiinftigen Metaphysik par 20 (Hrsg Karl Vorlander Hamburg Felix Meiner1969 p 56)

27 cf Martin Heidegger Holzwege laquoDie Zeit des Weltbildes raquo p 81

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la systematisation rigoureuse de la connaissance Systematisationqui depend comme toute connaissance humaine de lexpe-rience pour son contenu mais qui pour son organisation dependde la spontaneite subjective Cest linspiration qui opere la trans-position ideale des donnees de 1experience28

Puisque la connaissance poietique implique la realisationlinspiration amene a une analyse des possibilites de linspirationen fonction de leur realisation cette analyse est une connais-sance du possible comprenant la realite en termes de possibilitesde realisation Aussi affirme-t-elle le primat du possible par rapporta la realite comme lafnrme dailleurs Kant29 Ce nest quensaccordant a nos connaissances que les objets de connaissancesont reels ce qui equivaut a affirmer que les objets sont reelsdans la mesure ou cette connaissance du possible se realise

La relation entre inspiration et analyse de sa realisabilite estune relation dialectique au sens hegelien du terme entre 1idealsubjectif interieur et sa realisation manifeste exterieure oppositionqui exige un troisieme element comme synthese des deux premiers

Cette synthese est le projet proprement dit conclusion du rai-sonnement hypothetique Le projet synthetise parfaitement lidealde lhypothese avec les possibilites de sa realisation et ne demanderien pour sa perfection si ce nest sa realisation

Cette realisation qui est le travail du projet constitue le momentde la verification du projet La verite est verification productionde verite processus de realisation

La connaissance poietique implique alors les moments suivantsla negation plus ou moins explicite de lexperience comme mesurede connaissance linspiration comme connaissance spontanee im-pliquant lorganisation ideale des donnees de 1experience la consi-deration sur la realisabilite de linspiration le projet comme mo-dele concret synthetisant la realisabilite avec lidealite de linspi-ration le processus de realisation et le produit comme realitetransformee en fonction du projet

Cette analyse montre que la connaissance poietique nest niathee ni theiste car elle ne peut se bullprononcer sur Dieu puisquIl

28 cf M D Phi l ippe Lactivite arlistique t ome I (Par is Beauchesne 1970)

p 2522 9 cf K a n t K R V A 287

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

transcende necessairement tout projet humain Ceci vaut aussipour les differentes modalites de cette connaissance telles lessciences modernes et la technique De meme Kant reconnaissantles limites propres de cette connaissance exclut Dieu de touteconnaissance proprement dite

Mais quand la connaissance poietique devient exclusive de touteautre connaissance elle devient implicitement athee Au momentou la philosophie devient projet humain de la realite il ny a plusde place pour Dieu En ce sens la philosophie de Kant est sourcedatheisme Cependant la philosophie kantienne nest pas une pen-see exceptionnelle et isolee dans la tradition moderne En effettoute philosophie qui identifie la connaissance philosophique de larealite a la connaissance poietique est implicitement ou explicite-ment athee Dans la mesure ou la tradition principale de laphilosophie moderne concoit la connaissance exclusivement entermes de connaissance poietique elle represente une vision atheede la realite Cette vision nest pas des son commencement expli-citement athee La philosophie moderne jusqua Hegel parle deDieu Ce qui ne suffit pas pour la constituer en theisme Eneffet la ou la philosophie poietique parle de Dieu ex officio elleparle en realite dun ideal projete par linspiration Cest un idealhumain qui demande comme achievement de soi la realisationconcrete et cette fabrication de Dieu constitue la verification delidee de Dieu Lhistoire de latheisme moderne comprend alorsdeux mouvements Elle elimine dabord le Dieu de la foi deses considerations comme dun domaine qui nappartient pas enpropre a linspiration poietique de la realite Ensuite elle decouvregraduellement son propre atheisme elle decouvre graduellementque le Dieu de la philosophie poietique nest que la projectiondun ideal purement humain En ce qui suit nous toucherons lesphases les plus saillantes de la philosophie poietique athee danslhistoire de la philosophie moderne

IV Latheisme moderneHegel represente une synthese au double sens hegelien de con-

clusion et de point de depart de nouvelles antitheses Son geniefut de construire une philosophie poietique qui nexclut aucunaspect de la realite Puisque la mesure de la connaissance poieti-que nest pas la realite mais cette connaissance meme30 la con-

30 Enzyklopddie der philosophischen Wissenschaften par 213 laquodenn dieWahrheit ist dies dass die Objektivitat dem Begriffe entsprichtraquo

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naissance ultime de la realite (metaphysique) devient necessaire-ment chez Hegel connaissance de cette connaissance (logique)La philosophie de Hegel devient alors le systeme de cette connais-sance cest-a-dire de lEsprit La realite comprise en termes deprojet qui se realise implique la dialectique comme processus derealisation31 et lEsprit comme sujet de la dialectique Aussi Hegelreproche-t-il a Spinoza et a Schelling dinterpreter lEsprit unique-ment en termes didentite avec la realite (substance) sans tenircompte du dynamisme exige par la realisation de lEsprit meme32laquo Selon ma facon de voir qui doit seulement justifier la presen-tation du systeme tout depend de ce point essentiel saisir etexprimer le vrai (ie la realite dans sa totalite) non seulementcomme substance mais encore comme sujet raquo33 La substance quiest Esprit est le devenir et ce quil est en soi34 cest-a-diresujet35 La vie de lesprit est action (Tat) et Faction supposeune matiere qui est travaillee et transformee36 Ce travail delesprit ce processus dauto-realisation cest lhistoire par la-quelle lEsprit devient son propre produit37

Une telle philosophie qui regarde la realite comme projetpoietique qui se realise a travers le travail de lhistoire ne peutplus se taire au sujet de Dieu comme lavait fait Kant AussiHegel identifie-t-il Dieu a TEsprit et il developpe une theologieou la Trinite correspond exactement aux phases de lhistoire de

31 Wissenschaft der Logik (Hrsg Georg Lasson Hamburg Felix Meiner19672) Pars I p 36

32 Enzyklopddie par 573 laquo A m genauesten wiirden siedie Pantheismenals die Systeme best immt welche das Absolute nur als die Substanz fassen DerMangel dieser samtlichen Vorstellungsweisen und Systeme ist nicht zur Bestim-mung der Substanz als Siibjekt und als Geist fortzugehenraquo

33 Phanomenologie des Geistes (Hrsg Johannes Hoffmeister HamburgFelix Meiner 1952) p 19

34 Ibid p 55835 Ibid p 52836 Einleitung in die Geschichte der Philosophie (Hrsg Johannes Hoffmeister

Hamburg Felix Meiner I9664) p 13 laquoSeindes GeistesLeben ist Tat DieTat hat einen vorhandenen Stoff zu ihrer Voraussetzung auf welchen sie gerichtetist und den sie nicht etwa bloss vermehrt durch hinzugefiigtes Materialverbreitert sondern wesentlich bearbe i te t und umbildetraquo

37 Vorlesungen iiber die Philosophie der Weltgeschichte vol 1 Die Vernnnftin der Geschichte (Hrsg Johannes Hoffmeister Hamburg Felix Meiner I9705)p 72 laquoDer Geist ist wesentlich Resultat seiner Tatigheit raquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

lEsprit38 Cependant le Dieu de la philosophic de Hegel nestpoint le Dieu dAbraham ni celui dailleurs du christianismeHegel comprend la vie divine en termes dhistoire qui constitueun developpement de Dieu39 Cette histoire comprend la negationantithetique de Dieu dans lhomme par la creation Car lespritetant connaissance de soi dans son autre40 Dieu doit devenir sonautre Dieu se connaissant en lhomme implique la connaissancepar lhomme de Dieu connaissance qui se developpe en la con-naissance de soi de lhomme en Dieu41 Aussi lhistoire divinedevient-elle lhistoire de la divinisation de lhomme par lui-memeEn realisant Dieu lhomme se realise si bien que le culte de Dieuest depasse par le culte de lEsprit et la theologie par la philoso-phie hegelienne42

Pour Hegel lantithese est une negation qui cache une identiteprofonde Les jeunes hegeliens sont antithetiques par rapport aHegel dans ce sens ils mettent en lumiere le dynamisme produc-teur de la philosophic poietique hegelienne ce qui a comme corol-laire lafnrmation explicite de latheisme Ainsi Feuerbachmaintient-il que Dieu nest que la projection de lldeal de lhuma-nite43 Dieu est la tache que lhumanite se donne a realiser et lesens de lhistoire cest la realisation dune humanite ideale Aussilathee est celui qui nie lexistence de Dieu sans pour autant nierles attributs divins comme autant dideaux humains44 Si lechristianisme maintient que Dieu est Personne et Amour cecisignifie que la personne et lamour est un ideal humain que lhom-me projette afin de le realiser dans lhistoire

38 Ibid p 58 laquoIm Christentum aber ist Gott als Geist offenbart undzwar ist er zuerst Vater Macht abstrakt Allgemeines das noch eingehiillt istzweitens ist er sich als Gegenstand ein Anderes seiner selbst ein sich Entzweien-des der Sohn Dieses Andere seiner selbst ist aber ebenso unmittelbar er selbst erweiss sich darin und schaut sich darin an mdash und eben dieses Sichwissen und Sich-anschauen ist drittens der Geist selberraquo

Ibid p 48 laquo Die Geschichte ist die Entfaltung der Natur Gottesraquo40 Phanomenologie p 52841 Enzyklopiidie pa r 56442 Enzyklopiidie par 572 577 Geschichte der Philosophies p 150 laquoDie

Philosophie ist also an sich schon eine weitere Bestimmtheit oder Charakterdes Geistes sie ist die innere Geburtstatte des Geistes der spater als Wirklichkeitauftrittraquo

41 cf Wesen des Christentiims vol IV Sumtliche Werke p 16 laquoDerMensch verlegt sein Wesen zuerst ausser sich ehe er es in sich findetraquo

44 Ibid p 17

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Marx reprend latheisme de Feuerbach en accentuant le liensecret entre atheisme et realisation dune humanite ideale Si laphilosophic devient anthropologie chez Feuerbach elle devientideologic pratique chez Marx45 Car seule une humanite atheepourrait realiser lideal et partant lepanouissement absolu delhumanite une humanite qui croit en Dieu projette son idealen Dieu et reste passive devant Dieu quelle croit parfait Aussilatheisme comme processus de reduction de Dieu a des dimen-sions anthropomorphiques est une condition sine qua non de larealisation de lhumanite46

Latheisme de Marx est un atheisme base sur la foi dans lave-nir glorieux de lhumanite47 II revient a Schopenhauer et aNietzsche de formuler un atheisme sans foi

Le christianisme ne met pas en doute lexistence de Dieu cequi est juste dit Schopenhauer car Kant a montre quil est impos-sible de prouver lexistence de Dieu par demonstration Ayantainsi donne le coup de grace a la theologie speculative Kant aessaye dadoucir son agnosticisme en avancant des arguments mo-raux en faveur de la foi en Dieu Cependant il ne sagit pas dunepreuve de lexistence de Dieu mais dun schema regulateur de lamorale car Dieu ny est considere que comme hypothese utile ala morale48 En effet il est impossible que le Dieu personnel dutheisme existe reellement Si Dieu a cree lhomme il Ia creeavec toutes ses caracteristiques qui determinent ses actions si bien

45 laquo T h e s e n iiber F e u e r b a c h XI dans Karl Marx Friedrich Engels Diedeutsche Ideologic (Hrsg V Adoratski j ) WienBer l in Verlag fiir Li t tera tur undPolitik 1932) 535 laquoDie Philosopher haben die Welt nur verschieden i n t e r p r e -tiert es kommt darauf an sie zu v e r a n d e r n raquo (c i -apres M E G A p 535)

46 Marx M E G A p 534 ( T h e s e 4 ) laquo Feuerbach geht von dem Fak tum derreligiosen Selbs tent f remdung der Verdopplung der Welt in eine religiose und eineweltlich aus Aber dass die weltlich Grundlage sich von sich selst abhebt undsich ein selbstandiges Reich in den Wolken fixiert ist nur aus der Selbstzerris-senhei t und Sichse lbs twidersprechen dieser weltl ichen Grundlage zu erklarenDiese selbst muss also in sich selbst sowohl in ihrem Widerspruch vers tanden als prakt isch revolut ioniert werden Also n a c h d e m z B die irdische Familie alsdas Geheimnis de r heiligen Familie en tdeck t ist muss nun ers tereselbsttheoret isch und prakt isch vernichtet we rden raquo

47 Pour Karl Loewi th le marx isme est une heresie du mess ianisme juda ique cf Meaning in His tory (Chicago Univers i ty of Chicago Press 1958) pp 44f

48 Ar thur Schopenhaue r Parerga und Paralipomena I laquo F r a g m e n t e zurGeschichte der Philosophieraquo par 13 laquoNoch einige erlauterungen zur KantischenPhilosophieraquo (Werke IV p 132 ff)

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LA MORT DE D1EU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

que la doctrine de la creation par Dieu ne peut saccorder avec ladoctrine de la liberte humaine sans laquelle on ne peut considererfhomme comme moralement responsable49 Dautre part la doc-trine de limmortalite de lame ne saccorde pas davantage a lideedune creation ex nihilo comment peut-on croire quune existencequi a commence il y a si peu dannees ne disparait pas avec lamort mais continuera miraculeusement a exister eternellement50Dailleurs la doctrine de la creation meme ne saccorde pas auxfaits de la vie Comment peut-on accepter que le monde soitlceuvre dune bonte dune sagesse et dune puissance infinies sion considere que la vie nest que necessite et angoisse souf-france et fardeau51 Loin de promouvoir le bonheur la vie nestque souffrance Aussi est-ce une erreur fondamentale rendant larealite absurde que de penser que le bonheur est la fin de la vie52Si la vie est tragique cest que la souffrance est un processusde purification Mourir est la seule fin de la vie53 cest le fruit dela vie laquoLa mort est levenement le resume ou le total de la viequi exprime dun coup la lecon que la vie nous a donnee succes-sivement et partiellement a savoir que tout leffort dans la vie estla manifestation dune force inutile vaine contradictoire si bienque le debarras de la vie est son salutraquo54 Objectivementparlant la seule conclusion qui simpose cest que la vie est unjeu qui laquonen vaut pas la chandelleraquo55 Et pourtant chaquehomme garde et defend sa vie comme si elle avait une valeurinfinie chacun aime la vie par-dessus tout et craint la mort plusque tout autre danger Cette opposition entre la misere de la vieet lamour de la vie ne sexplique que si Ton suppose que la vieest la manifestation dune volonte aveugle qui agit comme instinctde vie56 Le principe de la realite est la volonte qui cherche ase donner une forme objective a travers les diverses manifestationsde la nature57 Ce principe nest pas le resultat dune connais-

gt Ibid p p 152f50 Ibid p 156

51 Ibid p 151

Arthur Schopenhauer Die Welt als Wille und Vorstellung vol IICh 49 laquoDie Hei lsordnungraquo (Werke I I p 813)

53 Ibid p 81754 Ibid55 Ar thur Schopenhaue r Welt als Wille und Vorstellung vol I I C h 2 8

laquoCharakter is t ik des Willens zum L e b e n raquo (Werke I I p 463)56 Ib id p 464 57 Ib id p 411-423

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sance de la vie une conclusio ex praemissis mais a titre de prin-cipe de la realite la volonte est aussi principe de toute connais-sance58 Ainsi la croyance en Dieu nest pas le resultat dunecertaine connaissance mais de la volonte59 qui se cree un Dieuafin de donner a la vie lespoir de limmortalite et dune aidesurnaturelle dans les vicissitudes de lexistence60 Preparant lenihilisme athee de Nietzsche Schopenhauer revet dans lhistoirede 1atheisme moderne une place particulierement importante Lavolonte est lEtre de tout ce qui est et a titre de principe ultimede la realite elle determine la connaissance Dans le cadre de latradition philosophique moderne laffirmation de la volonte commeprincipe de realite est la consequence ultime dune philosophicpoietique La fin du projet nest pas la contemplation mais larealisation61 Aussi le principe du projet se sert-il de lintelligencepour la formulation du projet Et dans la mesure oii la connais-sance poietique implique ladaptation de la realite au projet memele principe du projet est ipso facto principe de la realite Aussilinterpretation poietique de la realite voit-elle comme principe dela realite un principe de realisation que Schopenhauer appelle lavolonte Cette volonte est alors principe du projet et de la realisa-tion Cest ainsi que la croyance en Dieu est une hypotheseavancee en fonction de la realisation de la realite Cependant ilsagit dun projet irrealisable car si Dieu existait la vie conduiraitau bonheur Mais la fin de la vie nest pas le bonheur62 la fin dela vie a lepoque moderne est la realisation du projet Puisque lesens de la vie est la realisation sans Dieu du projet de la subjec-tivite humaine il ne reste a lhomme que le pessimisme

Chez Nietzsche la volonte devient volonte de puissance et lepessimisme devient nihilisme sans Dieu Nietzsche constitue lafin de la philosophic moderne au double sens de terme de laphilosophie moderne et de celui qui en montre lessence

58 Ib id p 466 59 Pa re rga W e r k e I V p p 156f60 Ibid 14761 Ibid 147 Russell et Scheler parlent dans ce cadre d une connaissance pour

la martrise du monde cf Bernard Russell The Scientific Outlook (LondonGeorge Allen amp Unwin 1931) p 270 et Max Scheler Vom Ewigen im Menschen(Bern Francke 1968s) p 92

62 cf Aristote Ethique a Nicomaqne I 5 (1097 b I) laquo Le bonheur sembleetre au supreme degre une fin de ce genre car nous le choisissons toujours pourlui-meme et jamais en vue dune autre choseraquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

V Nietzsche

Le point de depart de la philosophie de Nietzsche est la negationde lexistence de Dieu Le christianisme et la foi en Dieu sonten train de disparaitre car Dieu nexiste pas63 Dieu est mort etnous lavons tue laquoNavez-vous pas entendu parler de ce fou quiayant allume une lanterne en plein midi courait sur la place dumarche et criait sans cesse laquo Je cherche Dieu Je cherche Dieu raquolaquoOu est Dieu cria-t-il je vais vous le dire Nous lavons tue mdashvous et moiraquo64 Nous dans la parabole de Nietzsche ce sont lesgens du marche lieu dexpression des valeurs et des mceurs quisont a la mode et qui constituent la civilisation Notre civilisationest profondement athee et cest pourquoi Dieu est mort Heideggerse demande si en annoncant la mort de Dieu Nietzsche ne faitpas que formuler ce que lhistoire de lOccident a toujours sous-entendu 65

Mais comment avons-nous tue Dieu Si Dieu existe II est im-mortel et ne peut mourir Nietzsche affirme bien que Dieu a existemais quil est mort maintenant et que notre societe avec ses com-pagnies dassurance etc a tue Dieu Dieu est mort parce quenotre civilisation Fa exclu de sa vie quotidienne Dieu est mortparce que la foi en Dieu nest plus une force efficace dans notrevie occidentale La mort de Dieu dans la philosophie de Nietzschesignifie la perte ou plus precisement labsence de foi en DieuMais labsence de foi en Dieu signifie plus que la negation deDieu Elle signifie aussi que la terre est desenchainee de sonsoleil et que lhorizon tout entier est efface Cet horizon ce sontles valeurs eternelles La mort de Dieu entraine la disparitiondes valeurs eternelles et absolues66 La consequence de la mort deDieu est le relativisme le plus absolu le relativisme qui est unelaquochute continue ou il ny a plus ni haut ni bas II ny a plusletre mais le devenir en dehors duquel il ny a rien et le devenirnest pas un but il na aucune valeur67 Si Dieu est mort lemonde est pur devenir et le devenir na plus de sens Avec lamort de Dieu le nihilisme le plus terrible des hotes frappe a la

Nietzsche Der Antichrist par 38 (Werke II 1199)Nietzsche Die Frohliche Wissenschaft par 125 (Werke II 127)Martin Heidegger Holzwege Nietzsches Wort laquoGott ist to traquo p 196Ibid p 200Wille znr Macht aph 617 (Werke III 884) ci-apres WzM 617

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porte68 Le nihilisme cest le sentiment penetrant du neant69cest le refus radical de toute valeur et tout sens dans la vie70 a lasuite de la negation de tout etre de tout ce qui est absolu de toutce qui est divin71 Le nihilisme cest vivre la vie comme uneabsurdite et la forme la plus extreme du nihilisme cest daffirmerleternite du neant de labsurde72 Nietzsche a compris quunmonde sans Dieu est un monde nihiliste sans verite sans valeursans espoir qui a sa logique de terreur Apres la mort de Dieunous errons a travers un neant infini le vide nous souffle dans lafigure il ny a plus que la nuit et la nuit devient toujours plusepaisse

Pour Nietzsche la mort de Dieu signifie leclipse de la racehumaine telle que nous la connaissons Afin de survivre a la mortde Dieu il faut necessairement que lhumanite change radicale-ment La mort de Dieu inaugure Fhistoire dune humanite impiesans Dieu73

laquoDieu est mort maintenant nous voulons que le surhommeviveraquo dit Zarathustra74 Le principe de cette transformation delhomme en surhomme se trouve dans la vie meme La mort deDieu impliquant la negation de tout principe transcendant le prin-cipe de la vie et de la survie doit etre strictement immanentII faut que la vie se donne la vie la vie doit se depasser conti-nuellement75 Cest limmanence qui devient principe de la trans-cendance Ce principe Nietzsche lappelle la volonte de puis-sance La volonte de puissance est laquola volonte generatrice ine-puisable de la vieraquo76 Or la volonte est principe daction elle estcause efficiente Aussi le principe de vie est-il un principe danslordre de lefficacite Et un principe nest principe que sil exercesa causalite Lexercice de lefficacite implique la transformation etla domination de la matiere sur laquelle cette cause exerce sonactivite Comme le dit Nietzsche lui-meme laquoLa vie nest pas

68 W z M Z u m Plan (Werke I I I 881)6 9 Ibid 1020 (Werke 111 661)70 Ibid Z u m Plan (Werke I I I 881)71 Ibid 15 (Werke I I I 555)7 2 Ibid 55 (Werke I I I 853)73 N ie t z sche Also sprach Zarathustra I I I laquo V o n der verkle inendern

T u g e n d 3 (Werke I I 420)7 4 Zarathustra IV laquo V o m h o h e r e m M e n s c h e n raquo 2 (Werke I I 523)75 Zarathustra I I laquo Von der Se lbs tuberwindungraquo (Werke I I 370)7 6 Ibid cf aussi Werke I I p p 578 729 819 I I I pp 480 854 896

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

adaptation de facteurs internes a des conditions exterieures elleest volonte de puissance qui depuis linterieur domine et incor-pore toujours plus son milieuraquo77 Aussi la volonte-efficacite est-elle une volonte de puissance non au sens ou elle cherche lapuissance a titre dun but a realiser Car la mort de Dieu impliquela negation de toute finalite La volonte-efficacite est volonte depuissance en ce sens quelle existe comme puissance qui sexercequi a titre de domination du milieu implique 1augmentation depuissance78 Cest cette augmentation de puissance qui permettraa la vie de survivre a la mort de Dieu A condition quelle soit leprincipe ultime de la vie et de tous les aspects de la realite AussiNietzsche comprend-il en particulier la connaissance et la tech-nique comme manifestations de la volonte de puissance

Nietzsche appelle la technique laquoartraquo et il en dit quelle acomme condition le sentiment de transport (Rausch) dintensifi-cation de la vie Ce sentiment peut prendre maintes formes depuislexcitation sexuelle jusquaux transes sous linfluence des drogueset les sentiments de transport dus a une volonte particulierementintensive Ce qui est essentiel a tous ces etats de transport cestle sentiment daugmentation de puissance et de plenitude Cesetats sont une source de richesse On enrichit tout a partir de etpar sa propre plenitude laquo Dans cet etat lhomme transforme leschoses jusqua ce quelles representent sa perfection Ce devoir mdashtransformer en sa perfection mdash cest lartraquo79 Nietzsche comprendlart en termes de transformation de la realite par la volonte depuissance Or la transformation est production Et la productionainsi comprise represente la perfection de la vie car elle constituelaugmentation de puissance La transformation de la realite repre-sentant lexercice meme de la volonte de puissance la productionconstitue pour Nietzsche le mode detre de la volonte de puis-sance le plus authentique Cest grace a la production que lhommesurvivra a la mort de Dieu Et le surhomme est lhomme quiproduit lhomo faber Aussi Nietzsche dit-il de lart quil est legrand stimulant de la vie la redemption des savants des gens quiagissent et qui souffrent80 Pour Nietzsche la survie de lhomme

77 WzM 681 ( W e r k e I I I 8 9 8 ) 78 Martin Heidegger Nietzsche (Pfullingen Neskel 1961) vol I pp 70-79Tgt Nietzsche Gotzen-Ddmmerung laquo Streifziige eines Unzeitgemassen raquo par 8

(Werke II 995)80 WzM 853 (Werke 111 693)

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moderne est done intimement liee a la production Or la genera-lisation de la production eest la technique si bien que pourNietzsche la survie de lhumanite ne saccomplit que par lhege-monie de la technique Lage athee est aussi lage de la technique

Et si la technique est le mode detre authentique de la volontede puissance Nietzsche comprendra la connaissance le savoir lascience non seulement comme modes de la volonte de puissancemais encore comme fonction de la technique Si la volonte depuissance est le principe de la vie la puissance est plus impor-tante que la verite81 de sorte que ce qui importe au niveau de laconnaissance ce nest pas en premier lieu la verite mais lapuissance La verite devient fonction de la puissance une con-naissance est vraie dans la mesure ou elle affirme et reflete lapuissance si bien que le critere de verite est laugmentation dusentiment de puissance82 Evidemment la connaissance ne trans-forme pas la realite elle ne realise rien Elle naugmente pasla puissance mais peut donner le sentiment daugmentation depuissance La verite nest pas quelque chose que Ton prouve queTon decouvre la verite est a creer Et sa creation a la fonctionde rendre la realite plus sure elle est une rationalisation unesystematisation du monde La verite organise le monde83 Ce quiimplique que la verite nest pas necessairement vraie La connais-sance nest quune perspective que jette la volonte de puissancesur la realite afin de sassurer de laugmentation de puissanceAussi Nietzsche maintient-il que la verite est laquo une sorte derreursans laquelle un type determine detre vivant ne pourrait vivreraquo84

De meme la croyance en Dieu est une fabrication une inventionde la volonte de puissance Cest ce que St Paul a compris LeDieu de St Paul ne represente en realite que la decision de StPaul85 Dieu est une creation et une fiction86 Cependant Dieua titre de principe transcendant soppose radicalement a la volontede puissance Dieu est lennemi et la contradiction de la vie87

81 N ie t z sche Menschliches Allzumenschliches vol I I laquoVermisch te Mei-nungen und Spr i icheraquo par 226 (Werke I 827)

82 W z M 534 (Werke I I I 919)83 W z M 552 ( W e r k e I I I 541)84 WzM 493 (Werke III 844)85 Antichrist pa r 47 (Werke I I 1212)86 W e r k e I 1073 1101 I I 208 297 891 943 III 588 60087 Antichrist p a r 18 ( W e r k e I I 1178)

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

I l l

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Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

DIRK PEREBOOMUniversite de Fribourg

96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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LA MORT DE D1EU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

sciences modernes ne sont pas en premier lieu responsables carelles ont leurs bases philosophiques la vision scientifique dumonde est une vision philosophique puisque la science en tantque telle na pas de vision Mais de quelle philosophic sagit-ilQuelle est la philosophic qui peut se pretendre copernicienne

Cest Kant qui explicitement pretend avoir pense une philoso-phie copernicienne Selon Kant la revolution copernicienneconsiste en ce que Copernic na pas attribue les mouvements quonpeut voir aux objets du ciel mais aux spectateurs Et Kant proposede construire une metaphysique sur une hypothese semblablelaquo Jusqua maintenant on a suppose que nos connaissances devaientsaccorder aux objets Mais toutes les tentatives basees sur cettesupposition delargir ainsi a priori notre connaissance par desconcepts ont echoue Cest pourquoi il faudrait essayer une fois sinous pourrions avancer en metaphysique en supposant que les ob-jets doivent saccorder a nos connaissancesraquo1S Cette hypothesesapplique directement a la representation Car si la representationdoit saccorder aux objets de representation il est impossibledavoir des connaissances a priori de ces objets Mais si 1objetsaccorde a ma representation ceci devient tout a fait possible16Kant comprend lordre de la realite en termes dorganisation par lesujet Ainsi le temps et lespace sont des formes a priori qui nouspermettent dexperimenter le monde sous la forme dune organisa-tion spatio-temporelle De meme notre pensee est une activitedorganisation Connaitre la realite signifie pour Kant laquoetablir uneunite synthetique dans la pluralite de lexperience sensible raquo 17 Ce-pendant si la connaissance represente essentiellement lapplicationdun ordre de concepts a une realite qui en tant que telle na pascette organisation la connaissance se limite aussi au domaine de larealite experimentee et experimentable sensiblement Lactivite deIintelligence qui depasse le domaine de la realite empirique ne re-presente plus une connaissance proprement dite aussi Kantdistingue-t-il rigoureusement entre connaissance et pensee laquoPen-ser un objet nequivaut pas a le connaitre Car la connaissanceexige deux elements dabord le concept par lequel on pense 1objet(la categorie) et ensuite lintuition qui nous donne lobjetraquo 18 II en

15 KRV BXVI16 KRV B XVII17 KRV A 150 cf aussi B 9418 KRV B 146

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resulte que nos connaissances peuvent atteindre les objets qui tran-scendent notre experience sensible tel lame le cosmos et DieuJe peux penser Dieu mais je ne peux Le connaitre19 La metaphy-sique ne peut prouver lexistence de Dieu Ce qui ne signifie pasque Dieu nexiste pas mais que la metaphysique est strictementagnostique a son sujet Aussi lexistence de Dieu nest-elle pas unobjet de connaissance mais de la foi20 un postulat de la raisonpratique21 et toute connaissance que je puisse avoir de Dieu estune connaissance uniquement symbolique

Bien que selon Kant nous ne puissions connaitre Dieu au sensscientifique et philosophique du mot la pensee de Kant nest pasun atheisme car lexperience morale et religieuse nous assure queDieu existe et quil est sagesse et createur infiniment sacre etbeni22 Cependant comme latheisme a son apotheose cesse detreun atheisme pour devenir un nihilisme les origines de latheismene sont pas necessairement et apparemment athees non plus Cestce que Nietzsche et Schopenhauer pensaient car lastronomiecopernicienne nest pas atheisme en tant que telle

En effet la philosophic de Kant etablit un dualisme de prin-cipe entre la foi et la raison entre la theologie et la philosophic etce dualisme est le resultat direct de sa revolution copernicienneUne connaissance qui organise la realite ne peut avoir commemesure cette realite meme Son origine etant la spontaneite de lapensee meme23 elle ne peut decouvrir que ce qui est contenudans cette spontaneite meme Aussi une telle connaissance nepeut decouvrir ce qui la transcende Afin de decouvrir theori-quement Dieu intelligence infinie il faudrait une connaissancecapable de circonscrire et de contenir la nature divine24 Cetteconnaissance est synthetique elle est un modele de la realitequi pour sappliquer exige une matiere comme lieu de sa realisa-tion Puisquon peut supposer que Dieu est un etre supra-sensibleil ny a pas de matiere a laquelle notre concept de Dieu serait

19 I m m a n u e l K a n t Kritik der Urteilskraft (Hrsg Karl Vor lander H a m b u r g

Felix Meiner 19746) p 33720 Ibid p 34321 Immanue l K a n t Kritik der Urteilskraft (Hrsg Karl Vor lander H a m b u r g

H a m b u r g Felix Me ine r 19749) p p 142 ff

22 cf Ur te i l skraf t p 3 1 1 P r ak t V e r n p p 150 18123 KRVB9324 cf Ur te i l skraf t p 3 1 1

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LA MORT DEDIEU DANS LA PH1LOSOPH1E MODERNE

applicable25 La connaissance humaine dans la philosophic deKant est doublement agnostique les limites de sa spontaneite in-tellectuelle lempechent de produire un concept qui puisse etreadequat a Dieu et il lui manque toute possibility dexperiencequi puisse servir de lieu de verification au concept de Dieu

La philosophic poietique

Penetrant plys avant dans la structure de cette connaissancecopernicienne on remarque quelle est connaissance hypothetiqueau sens ou sa verite est sa verification et sa source nest pas1experience

La connaissance hypothetique est une connaissance synthetiquedu monde Ne representant pas la realite elle ne saurait etre vraieque si elle se realise dans la realite La realisation du modeleest sa verification La verification est le processus par lequel larealite saccorde au modele La realite est condition non critere dela verite inconnaissable en soi elle est la comme matiere pourla realisation de la connaissance Aussi la connaissance hypo-thetique est-elle un modele de la realite qui se realise dans lexpe-rience Un modele qui se realise implique la production dunproduit26 En effet toute production impliquant une transforma-tion de la realite le modele de production ne peut representer larealite et ne peut avoir comme source la realite experimentee sibien que toute connaissance productrice ou poietique a commepoint de depart une negation plus ou moins prononcee de la realiteexperimentee Une telle connaissance nest pas productrice parcequelle nie la realite experimentee au contraire elle nie la realiteparce quelle est productrice Si ce nest pas la realite objectivequi est mesure de cette connaissance la mesure en est neces-sairement la subjectivite reorganisant 1experience pour en formerun modele de la realite Ce qui ne signifie pas que la connais-sance poietique est arbitraire Au contraire elle Test si peu quellesaccorde parfaitement a lobjectivisme le plus radical27 A titredorganisation de la realite elle presente le systeme du monde par

25 Ibid p 34026 Dans le cas de la philosophic de Kant le produit est lexperience meme

laquodieses Produkt der Sinne und des Verstandesraquo Prolegomena zu einer jedenkiinftigen Metaphysik par 20 (Hrsg Karl Vorlander Hamburg Felix Meiner1969 p 56)

27 cf Martin Heidegger Holzwege laquoDie Zeit des Weltbildes raquo p 81

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la systematisation rigoureuse de la connaissance Systematisationqui depend comme toute connaissance humaine de lexpe-rience pour son contenu mais qui pour son organisation dependde la spontaneite subjective Cest linspiration qui opere la trans-position ideale des donnees de 1experience28

Puisque la connaissance poietique implique la realisationlinspiration amene a une analyse des possibilites de linspirationen fonction de leur realisation cette analyse est une connais-sance du possible comprenant la realite en termes de possibilitesde realisation Aussi affirme-t-elle le primat du possible par rapporta la realite comme lafnrme dailleurs Kant29 Ce nest quensaccordant a nos connaissances que les objets de connaissancesont reels ce qui equivaut a affirmer que les objets sont reelsdans la mesure ou cette connaissance du possible se realise

La relation entre inspiration et analyse de sa realisabilite estune relation dialectique au sens hegelien du terme entre 1idealsubjectif interieur et sa realisation manifeste exterieure oppositionqui exige un troisieme element comme synthese des deux premiers

Cette synthese est le projet proprement dit conclusion du rai-sonnement hypothetique Le projet synthetise parfaitement lidealde lhypothese avec les possibilites de sa realisation et ne demanderien pour sa perfection si ce nest sa realisation

Cette realisation qui est le travail du projet constitue le momentde la verification du projet La verite est verification productionde verite processus de realisation

La connaissance poietique implique alors les moments suivantsla negation plus ou moins explicite de lexperience comme mesurede connaissance linspiration comme connaissance spontanee im-pliquant lorganisation ideale des donnees de 1experience la consi-deration sur la realisabilite de linspiration le projet comme mo-dele concret synthetisant la realisabilite avec lidealite de linspi-ration le processus de realisation et le produit comme realitetransformee en fonction du projet

Cette analyse montre que la connaissance poietique nest niathee ni theiste car elle ne peut se bullprononcer sur Dieu puisquIl

28 cf M D Phi l ippe Lactivite arlistique t ome I (Par is Beauchesne 1970)

p 2522 9 cf K a n t K R V A 287

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

transcende necessairement tout projet humain Ceci vaut aussipour les differentes modalites de cette connaissance telles lessciences modernes et la technique De meme Kant reconnaissantles limites propres de cette connaissance exclut Dieu de touteconnaissance proprement dite

Mais quand la connaissance poietique devient exclusive de touteautre connaissance elle devient implicitement athee Au momentou la philosophie devient projet humain de la realite il ny a plusde place pour Dieu En ce sens la philosophie de Kant est sourcedatheisme Cependant la philosophie kantienne nest pas une pen-see exceptionnelle et isolee dans la tradition moderne En effettoute philosophie qui identifie la connaissance philosophique de larealite a la connaissance poietique est implicitement ou explicite-ment athee Dans la mesure ou la tradition principale de laphilosophie moderne concoit la connaissance exclusivement entermes de connaissance poietique elle represente une vision atheede la realite Cette vision nest pas des son commencement expli-citement athee La philosophie moderne jusqua Hegel parle deDieu Ce qui ne suffit pas pour la constituer en theisme Eneffet la ou la philosophie poietique parle de Dieu ex officio elleparle en realite dun ideal projete par linspiration Cest un idealhumain qui demande comme achievement de soi la realisationconcrete et cette fabrication de Dieu constitue la verification delidee de Dieu Lhistoire de latheisme moderne comprend alorsdeux mouvements Elle elimine dabord le Dieu de la foi deses considerations comme dun domaine qui nappartient pas enpropre a linspiration poietique de la realite Ensuite elle decouvregraduellement son propre atheisme elle decouvre graduellementque le Dieu de la philosophie poietique nest que la projectiondun ideal purement humain En ce qui suit nous toucherons lesphases les plus saillantes de la philosophie poietique athee danslhistoire de la philosophie moderne

IV Latheisme moderneHegel represente une synthese au double sens hegelien de con-

clusion et de point de depart de nouvelles antitheses Son geniefut de construire une philosophie poietique qui nexclut aucunaspect de la realite Puisque la mesure de la connaissance poieti-que nest pas la realite mais cette connaissance meme30 la con-

30 Enzyklopddie der philosophischen Wissenschaften par 213 laquodenn dieWahrheit ist dies dass die Objektivitat dem Begriffe entsprichtraquo

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naissance ultime de la realite (metaphysique) devient necessaire-ment chez Hegel connaissance de cette connaissance (logique)La philosophie de Hegel devient alors le systeme de cette connais-sance cest-a-dire de lEsprit La realite comprise en termes deprojet qui se realise implique la dialectique comme processus derealisation31 et lEsprit comme sujet de la dialectique Aussi Hegelreproche-t-il a Spinoza et a Schelling dinterpreter lEsprit unique-ment en termes didentite avec la realite (substance) sans tenircompte du dynamisme exige par la realisation de lEsprit meme32laquo Selon ma facon de voir qui doit seulement justifier la presen-tation du systeme tout depend de ce point essentiel saisir etexprimer le vrai (ie la realite dans sa totalite) non seulementcomme substance mais encore comme sujet raquo33 La substance quiest Esprit est le devenir et ce quil est en soi34 cest-a-diresujet35 La vie de lesprit est action (Tat) et Faction supposeune matiere qui est travaillee et transformee36 Ce travail delesprit ce processus dauto-realisation cest lhistoire par la-quelle lEsprit devient son propre produit37

Une telle philosophie qui regarde la realite comme projetpoietique qui se realise a travers le travail de lhistoire ne peutplus se taire au sujet de Dieu comme lavait fait Kant AussiHegel identifie-t-il Dieu a TEsprit et il developpe une theologieou la Trinite correspond exactement aux phases de lhistoire de

31 Wissenschaft der Logik (Hrsg Georg Lasson Hamburg Felix Meiner19672) Pars I p 36

32 Enzyklopddie par 573 laquo A m genauesten wiirden siedie Pantheismenals die Systeme best immt welche das Absolute nur als die Substanz fassen DerMangel dieser samtlichen Vorstellungsweisen und Systeme ist nicht zur Bestim-mung der Substanz als Siibjekt und als Geist fortzugehenraquo

33 Phanomenologie des Geistes (Hrsg Johannes Hoffmeister HamburgFelix Meiner 1952) p 19

34 Ibid p 55835 Ibid p 52836 Einleitung in die Geschichte der Philosophie (Hrsg Johannes Hoffmeister

Hamburg Felix Meiner I9664) p 13 laquoSeindes GeistesLeben ist Tat DieTat hat einen vorhandenen Stoff zu ihrer Voraussetzung auf welchen sie gerichtetist und den sie nicht etwa bloss vermehrt durch hinzugefiigtes Materialverbreitert sondern wesentlich bearbe i te t und umbildetraquo

37 Vorlesungen iiber die Philosophie der Weltgeschichte vol 1 Die Vernnnftin der Geschichte (Hrsg Johannes Hoffmeister Hamburg Felix Meiner I9705)p 72 laquoDer Geist ist wesentlich Resultat seiner Tatigheit raquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

lEsprit38 Cependant le Dieu de la philosophic de Hegel nestpoint le Dieu dAbraham ni celui dailleurs du christianismeHegel comprend la vie divine en termes dhistoire qui constitueun developpement de Dieu39 Cette histoire comprend la negationantithetique de Dieu dans lhomme par la creation Car lespritetant connaissance de soi dans son autre40 Dieu doit devenir sonautre Dieu se connaissant en lhomme implique la connaissancepar lhomme de Dieu connaissance qui se developpe en la con-naissance de soi de lhomme en Dieu41 Aussi lhistoire divinedevient-elle lhistoire de la divinisation de lhomme par lui-memeEn realisant Dieu lhomme se realise si bien que le culte de Dieuest depasse par le culte de lEsprit et la theologie par la philoso-phie hegelienne42

Pour Hegel lantithese est une negation qui cache une identiteprofonde Les jeunes hegeliens sont antithetiques par rapport aHegel dans ce sens ils mettent en lumiere le dynamisme produc-teur de la philosophic poietique hegelienne ce qui a comme corol-laire lafnrmation explicite de latheisme Ainsi Feuerbachmaintient-il que Dieu nest que la projection de lldeal de lhuma-nite43 Dieu est la tache que lhumanite se donne a realiser et lesens de lhistoire cest la realisation dune humanite ideale Aussilathee est celui qui nie lexistence de Dieu sans pour autant nierles attributs divins comme autant dideaux humains44 Si lechristianisme maintient que Dieu est Personne et Amour cecisignifie que la personne et lamour est un ideal humain que lhom-me projette afin de le realiser dans lhistoire

38 Ibid p 58 laquoIm Christentum aber ist Gott als Geist offenbart undzwar ist er zuerst Vater Macht abstrakt Allgemeines das noch eingehiillt istzweitens ist er sich als Gegenstand ein Anderes seiner selbst ein sich Entzweien-des der Sohn Dieses Andere seiner selbst ist aber ebenso unmittelbar er selbst erweiss sich darin und schaut sich darin an mdash und eben dieses Sichwissen und Sich-anschauen ist drittens der Geist selberraquo

Ibid p 48 laquo Die Geschichte ist die Entfaltung der Natur Gottesraquo40 Phanomenologie p 52841 Enzyklopiidie pa r 56442 Enzyklopiidie par 572 577 Geschichte der Philosophies p 150 laquoDie

Philosophie ist also an sich schon eine weitere Bestimmtheit oder Charakterdes Geistes sie ist die innere Geburtstatte des Geistes der spater als Wirklichkeitauftrittraquo

41 cf Wesen des Christentiims vol IV Sumtliche Werke p 16 laquoDerMensch verlegt sein Wesen zuerst ausser sich ehe er es in sich findetraquo

44 Ibid p 17

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Marx reprend latheisme de Feuerbach en accentuant le liensecret entre atheisme et realisation dune humanite ideale Si laphilosophic devient anthropologie chez Feuerbach elle devientideologic pratique chez Marx45 Car seule une humanite atheepourrait realiser lideal et partant lepanouissement absolu delhumanite une humanite qui croit en Dieu projette son idealen Dieu et reste passive devant Dieu quelle croit parfait Aussilatheisme comme processus de reduction de Dieu a des dimen-sions anthropomorphiques est une condition sine qua non de larealisation de lhumanite46

Latheisme de Marx est un atheisme base sur la foi dans lave-nir glorieux de lhumanite47 II revient a Schopenhauer et aNietzsche de formuler un atheisme sans foi

Le christianisme ne met pas en doute lexistence de Dieu cequi est juste dit Schopenhauer car Kant a montre quil est impos-sible de prouver lexistence de Dieu par demonstration Ayantainsi donne le coup de grace a la theologie speculative Kant aessaye dadoucir son agnosticisme en avancant des arguments mo-raux en faveur de la foi en Dieu Cependant il ne sagit pas dunepreuve de lexistence de Dieu mais dun schema regulateur de lamorale car Dieu ny est considere que comme hypothese utile ala morale48 En effet il est impossible que le Dieu personnel dutheisme existe reellement Si Dieu a cree lhomme il Ia creeavec toutes ses caracteristiques qui determinent ses actions si bien

45 laquo T h e s e n iiber F e u e r b a c h XI dans Karl Marx Friedrich Engels Diedeutsche Ideologic (Hrsg V Adoratski j ) WienBer l in Verlag fiir Li t tera tur undPolitik 1932) 535 laquoDie Philosopher haben die Welt nur verschieden i n t e r p r e -tiert es kommt darauf an sie zu v e r a n d e r n raquo (c i -apres M E G A p 535)

46 Marx M E G A p 534 ( T h e s e 4 ) laquo Feuerbach geht von dem Fak tum derreligiosen Selbs tent f remdung der Verdopplung der Welt in eine religiose und eineweltlich aus Aber dass die weltlich Grundlage sich von sich selst abhebt undsich ein selbstandiges Reich in den Wolken fixiert ist nur aus der Selbstzerris-senhei t und Sichse lbs twidersprechen dieser weltl ichen Grundlage zu erklarenDiese selbst muss also in sich selbst sowohl in ihrem Widerspruch vers tanden als prakt isch revolut ioniert werden Also n a c h d e m z B die irdische Familie alsdas Geheimnis de r heiligen Familie en tdeck t ist muss nun ers tereselbsttheoret isch und prakt isch vernichtet we rden raquo

47 Pour Karl Loewi th le marx isme est une heresie du mess ianisme juda ique cf Meaning in His tory (Chicago Univers i ty of Chicago Press 1958) pp 44f

48 Ar thur Schopenhaue r Parerga und Paralipomena I laquo F r a g m e n t e zurGeschichte der Philosophieraquo par 13 laquoNoch einige erlauterungen zur KantischenPhilosophieraquo (Werke IV p 132 ff)

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LA MORT DE D1EU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

que la doctrine de la creation par Dieu ne peut saccorder avec ladoctrine de la liberte humaine sans laquelle on ne peut considererfhomme comme moralement responsable49 Dautre part la doc-trine de limmortalite de lame ne saccorde pas davantage a lideedune creation ex nihilo comment peut-on croire quune existencequi a commence il y a si peu dannees ne disparait pas avec lamort mais continuera miraculeusement a exister eternellement50Dailleurs la doctrine de la creation meme ne saccorde pas auxfaits de la vie Comment peut-on accepter que le monde soitlceuvre dune bonte dune sagesse et dune puissance infinies sion considere que la vie nest que necessite et angoisse souf-france et fardeau51 Loin de promouvoir le bonheur la vie nestque souffrance Aussi est-ce une erreur fondamentale rendant larealite absurde que de penser que le bonheur est la fin de la vie52Si la vie est tragique cest que la souffrance est un processusde purification Mourir est la seule fin de la vie53 cest le fruit dela vie laquoLa mort est levenement le resume ou le total de la viequi exprime dun coup la lecon que la vie nous a donnee succes-sivement et partiellement a savoir que tout leffort dans la vie estla manifestation dune force inutile vaine contradictoire si bienque le debarras de la vie est son salutraquo54 Objectivementparlant la seule conclusion qui simpose cest que la vie est unjeu qui laquonen vaut pas la chandelleraquo55 Et pourtant chaquehomme garde et defend sa vie comme si elle avait une valeurinfinie chacun aime la vie par-dessus tout et craint la mort plusque tout autre danger Cette opposition entre la misere de la vieet lamour de la vie ne sexplique que si Ton suppose que la vieest la manifestation dune volonte aveugle qui agit comme instinctde vie56 Le principe de la realite est la volonte qui cherche ase donner une forme objective a travers les diverses manifestationsde la nature57 Ce principe nest pas le resultat dune connais-

gt Ibid p p 152f50 Ibid p 156

51 Ibid p 151

Arthur Schopenhauer Die Welt als Wille und Vorstellung vol IICh 49 laquoDie Hei lsordnungraquo (Werke I I p 813)

53 Ibid p 81754 Ibid55 Ar thur Schopenhaue r Welt als Wille und Vorstellung vol I I C h 2 8

laquoCharakter is t ik des Willens zum L e b e n raquo (Werke I I p 463)56 Ib id p 464 57 Ib id p 411-423

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sance de la vie une conclusio ex praemissis mais a titre de prin-cipe de la realite la volonte est aussi principe de toute connais-sance58 Ainsi la croyance en Dieu nest pas le resultat dunecertaine connaissance mais de la volonte59 qui se cree un Dieuafin de donner a la vie lespoir de limmortalite et dune aidesurnaturelle dans les vicissitudes de lexistence60 Preparant lenihilisme athee de Nietzsche Schopenhauer revet dans lhistoirede 1atheisme moderne une place particulierement importante Lavolonte est lEtre de tout ce qui est et a titre de principe ultimede la realite elle determine la connaissance Dans le cadre de latradition philosophique moderne laffirmation de la volonte commeprincipe de realite est la consequence ultime dune philosophicpoietique La fin du projet nest pas la contemplation mais larealisation61 Aussi le principe du projet se sert-il de lintelligencepour la formulation du projet Et dans la mesure oii la connais-sance poietique implique ladaptation de la realite au projet memele principe du projet est ipso facto principe de la realite Aussilinterpretation poietique de la realite voit-elle comme principe dela realite un principe de realisation que Schopenhauer appelle lavolonte Cette volonte est alors principe du projet et de la realisa-tion Cest ainsi que la croyance en Dieu est une hypotheseavancee en fonction de la realisation de la realite Cependant ilsagit dun projet irrealisable car si Dieu existait la vie conduiraitau bonheur Mais la fin de la vie nest pas le bonheur62 la fin dela vie a lepoque moderne est la realisation du projet Puisque lesens de la vie est la realisation sans Dieu du projet de la subjec-tivite humaine il ne reste a lhomme que le pessimisme

Chez Nietzsche la volonte devient volonte de puissance et lepessimisme devient nihilisme sans Dieu Nietzsche constitue lafin de la philosophic moderne au double sens de terme de laphilosophie moderne et de celui qui en montre lessence

58 Ib id p 466 59 Pa re rga W e r k e I V p p 156f60 Ibid 14761 Ibid 147 Russell et Scheler parlent dans ce cadre d une connaissance pour

la martrise du monde cf Bernard Russell The Scientific Outlook (LondonGeorge Allen amp Unwin 1931) p 270 et Max Scheler Vom Ewigen im Menschen(Bern Francke 1968s) p 92

62 cf Aristote Ethique a Nicomaqne I 5 (1097 b I) laquo Le bonheur sembleetre au supreme degre une fin de ce genre car nous le choisissons toujours pourlui-meme et jamais en vue dune autre choseraquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

V Nietzsche

Le point de depart de la philosophie de Nietzsche est la negationde lexistence de Dieu Le christianisme et la foi en Dieu sonten train de disparaitre car Dieu nexiste pas63 Dieu est mort etnous lavons tue laquoNavez-vous pas entendu parler de ce fou quiayant allume une lanterne en plein midi courait sur la place dumarche et criait sans cesse laquo Je cherche Dieu Je cherche Dieu raquolaquoOu est Dieu cria-t-il je vais vous le dire Nous lavons tue mdashvous et moiraquo64 Nous dans la parabole de Nietzsche ce sont lesgens du marche lieu dexpression des valeurs et des mceurs quisont a la mode et qui constituent la civilisation Notre civilisationest profondement athee et cest pourquoi Dieu est mort Heideggerse demande si en annoncant la mort de Dieu Nietzsche ne faitpas que formuler ce que lhistoire de lOccident a toujours sous-entendu 65

Mais comment avons-nous tue Dieu Si Dieu existe II est im-mortel et ne peut mourir Nietzsche affirme bien que Dieu a existemais quil est mort maintenant et que notre societe avec ses com-pagnies dassurance etc a tue Dieu Dieu est mort parce quenotre civilisation Fa exclu de sa vie quotidienne Dieu est mortparce que la foi en Dieu nest plus une force efficace dans notrevie occidentale La mort de Dieu dans la philosophie de Nietzschesignifie la perte ou plus precisement labsence de foi en DieuMais labsence de foi en Dieu signifie plus que la negation deDieu Elle signifie aussi que la terre est desenchainee de sonsoleil et que lhorizon tout entier est efface Cet horizon ce sontles valeurs eternelles La mort de Dieu entraine la disparitiondes valeurs eternelles et absolues66 La consequence de la mort deDieu est le relativisme le plus absolu le relativisme qui est unelaquochute continue ou il ny a plus ni haut ni bas II ny a plusletre mais le devenir en dehors duquel il ny a rien et le devenirnest pas un but il na aucune valeur67 Si Dieu est mort lemonde est pur devenir et le devenir na plus de sens Avec lamort de Dieu le nihilisme le plus terrible des hotes frappe a la

Nietzsche Der Antichrist par 38 (Werke II 1199)Nietzsche Die Frohliche Wissenschaft par 125 (Werke II 127)Martin Heidegger Holzwege Nietzsches Wort laquoGott ist to traquo p 196Ibid p 200Wille znr Macht aph 617 (Werke III 884) ci-apres WzM 617

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porte68 Le nihilisme cest le sentiment penetrant du neant69cest le refus radical de toute valeur et tout sens dans la vie70 a lasuite de la negation de tout etre de tout ce qui est absolu de toutce qui est divin71 Le nihilisme cest vivre la vie comme uneabsurdite et la forme la plus extreme du nihilisme cest daffirmerleternite du neant de labsurde72 Nietzsche a compris quunmonde sans Dieu est un monde nihiliste sans verite sans valeursans espoir qui a sa logique de terreur Apres la mort de Dieunous errons a travers un neant infini le vide nous souffle dans lafigure il ny a plus que la nuit et la nuit devient toujours plusepaisse

Pour Nietzsche la mort de Dieu signifie leclipse de la racehumaine telle que nous la connaissons Afin de survivre a la mortde Dieu il faut necessairement que lhumanite change radicale-ment La mort de Dieu inaugure Fhistoire dune humanite impiesans Dieu73

laquoDieu est mort maintenant nous voulons que le surhommeviveraquo dit Zarathustra74 Le principe de cette transformation delhomme en surhomme se trouve dans la vie meme La mort deDieu impliquant la negation de tout principe transcendant le prin-cipe de la vie et de la survie doit etre strictement immanentII faut que la vie se donne la vie la vie doit se depasser conti-nuellement75 Cest limmanence qui devient principe de la trans-cendance Ce principe Nietzsche lappelle la volonte de puis-sance La volonte de puissance est laquola volonte generatrice ine-puisable de la vieraquo76 Or la volonte est principe daction elle estcause efficiente Aussi le principe de vie est-il un principe danslordre de lefficacite Et un principe nest principe que sil exercesa causalite Lexercice de lefficacite implique la transformation etla domination de la matiere sur laquelle cette cause exerce sonactivite Comme le dit Nietzsche lui-meme laquoLa vie nest pas

68 W z M Z u m Plan (Werke I I I 881)6 9 Ibid 1020 (Werke 111 661)70 Ibid Z u m Plan (Werke I I I 881)71 Ibid 15 (Werke I I I 555)7 2 Ibid 55 (Werke I I I 853)73 N ie t z sche Also sprach Zarathustra I I I laquo V o n der verkle inendern

T u g e n d 3 (Werke I I 420)7 4 Zarathustra IV laquo V o m h o h e r e m M e n s c h e n raquo 2 (Werke I I 523)75 Zarathustra I I laquo Von der Se lbs tuberwindungraquo (Werke I I 370)7 6 Ibid cf aussi Werke I I p p 578 729 819 I I I pp 480 854 896

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

adaptation de facteurs internes a des conditions exterieures elleest volonte de puissance qui depuis linterieur domine et incor-pore toujours plus son milieuraquo77 Aussi la volonte-efficacite est-elle une volonte de puissance non au sens ou elle cherche lapuissance a titre dun but a realiser Car la mort de Dieu impliquela negation de toute finalite La volonte-efficacite est volonte depuissance en ce sens quelle existe comme puissance qui sexercequi a titre de domination du milieu implique 1augmentation depuissance78 Cest cette augmentation de puissance qui permettraa la vie de survivre a la mort de Dieu A condition quelle soit leprincipe ultime de la vie et de tous les aspects de la realite AussiNietzsche comprend-il en particulier la connaissance et la tech-nique comme manifestations de la volonte de puissance

Nietzsche appelle la technique laquoartraquo et il en dit quelle acomme condition le sentiment de transport (Rausch) dintensifi-cation de la vie Ce sentiment peut prendre maintes formes depuislexcitation sexuelle jusquaux transes sous linfluence des drogueset les sentiments de transport dus a une volonte particulierementintensive Ce qui est essentiel a tous ces etats de transport cestle sentiment daugmentation de puissance et de plenitude Cesetats sont une source de richesse On enrichit tout a partir de etpar sa propre plenitude laquo Dans cet etat lhomme transforme leschoses jusqua ce quelles representent sa perfection Ce devoir mdashtransformer en sa perfection mdash cest lartraquo79 Nietzsche comprendlart en termes de transformation de la realite par la volonte depuissance Or la transformation est production Et la productionainsi comprise represente la perfection de la vie car elle constituelaugmentation de puissance La transformation de la realite repre-sentant lexercice meme de la volonte de puissance la productionconstitue pour Nietzsche le mode detre de la volonte de puis-sance le plus authentique Cest grace a la production que lhommesurvivra a la mort de Dieu Et le surhomme est lhomme quiproduit lhomo faber Aussi Nietzsche dit-il de lart quil est legrand stimulant de la vie la redemption des savants des gens quiagissent et qui souffrent80 Pour Nietzsche la survie de lhomme

77 WzM 681 ( W e r k e I I I 8 9 8 ) 78 Martin Heidegger Nietzsche (Pfullingen Neskel 1961) vol I pp 70-79Tgt Nietzsche Gotzen-Ddmmerung laquo Streifziige eines Unzeitgemassen raquo par 8

(Werke II 995)80 WzM 853 (Werke 111 693)

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moderne est done intimement liee a la production Or la genera-lisation de la production eest la technique si bien que pourNietzsche la survie de lhumanite ne saccomplit que par lhege-monie de la technique Lage athee est aussi lage de la technique

Et si la technique est le mode detre authentique de la volontede puissance Nietzsche comprendra la connaissance le savoir lascience non seulement comme modes de la volonte de puissancemais encore comme fonction de la technique Si la volonte depuissance est le principe de la vie la puissance est plus impor-tante que la verite81 de sorte que ce qui importe au niveau de laconnaissance ce nest pas en premier lieu la verite mais lapuissance La verite devient fonction de la puissance une con-naissance est vraie dans la mesure ou elle affirme et reflete lapuissance si bien que le critere de verite est laugmentation dusentiment de puissance82 Evidemment la connaissance ne trans-forme pas la realite elle ne realise rien Elle naugmente pasla puissance mais peut donner le sentiment daugmentation depuissance La verite nest pas quelque chose que Ton prouve queTon decouvre la verite est a creer Et sa creation a la fonctionde rendre la realite plus sure elle est une rationalisation unesystematisation du monde La verite organise le monde83 Ce quiimplique que la verite nest pas necessairement vraie La connais-sance nest quune perspective que jette la volonte de puissancesur la realite afin de sassurer de laugmentation de puissanceAussi Nietzsche maintient-il que la verite est laquo une sorte derreursans laquelle un type determine detre vivant ne pourrait vivreraquo84

De meme la croyance en Dieu est une fabrication une inventionde la volonte de puissance Cest ce que St Paul a compris LeDieu de St Paul ne represente en realite que la decision de StPaul85 Dieu est une creation et une fiction86 Cependant Dieua titre de principe transcendant soppose radicalement a la volontede puissance Dieu est lennemi et la contradiction de la vie87

81 N ie t z sche Menschliches Allzumenschliches vol I I laquoVermisch te Mei-nungen und Spr i icheraquo par 226 (Werke I 827)

82 W z M 534 (Werke I I I 919)83 W z M 552 ( W e r k e I I I 541)84 WzM 493 (Werke III 844)85 Antichrist pa r 47 (Werke I I 1212)86 W e r k e I 1073 1101 I I 208 297 891 943 III 588 60087 Antichrist p a r 18 ( W e r k e I I 1178)

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

I l l

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Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

DIRK PEREBOOMUniversite de Fribourg

96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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resulte que nos connaissances peuvent atteindre les objets qui tran-scendent notre experience sensible tel lame le cosmos et DieuJe peux penser Dieu mais je ne peux Le connaitre19 La metaphy-sique ne peut prouver lexistence de Dieu Ce qui ne signifie pasque Dieu nexiste pas mais que la metaphysique est strictementagnostique a son sujet Aussi lexistence de Dieu nest-elle pas unobjet de connaissance mais de la foi20 un postulat de la raisonpratique21 et toute connaissance que je puisse avoir de Dieu estune connaissance uniquement symbolique

Bien que selon Kant nous ne puissions connaitre Dieu au sensscientifique et philosophique du mot la pensee de Kant nest pasun atheisme car lexperience morale et religieuse nous assure queDieu existe et quil est sagesse et createur infiniment sacre etbeni22 Cependant comme latheisme a son apotheose cesse detreun atheisme pour devenir un nihilisme les origines de latheismene sont pas necessairement et apparemment athees non plus Cestce que Nietzsche et Schopenhauer pensaient car lastronomiecopernicienne nest pas atheisme en tant que telle

En effet la philosophic de Kant etablit un dualisme de prin-cipe entre la foi et la raison entre la theologie et la philosophic etce dualisme est le resultat direct de sa revolution copernicienneUne connaissance qui organise la realite ne peut avoir commemesure cette realite meme Son origine etant la spontaneite de lapensee meme23 elle ne peut decouvrir que ce qui est contenudans cette spontaneite meme Aussi une telle connaissance nepeut decouvrir ce qui la transcende Afin de decouvrir theori-quement Dieu intelligence infinie il faudrait une connaissancecapable de circonscrire et de contenir la nature divine24 Cetteconnaissance est synthetique elle est un modele de la realitequi pour sappliquer exige une matiere comme lieu de sa realisa-tion Puisquon peut supposer que Dieu est un etre supra-sensibleil ny a pas de matiere a laquelle notre concept de Dieu serait

19 I m m a n u e l K a n t Kritik der Urteilskraft (Hrsg Karl Vor lander H a m b u r g

Felix Meiner 19746) p 33720 Ibid p 34321 Immanue l K a n t Kritik der Urteilskraft (Hrsg Karl Vor lander H a m b u r g

H a m b u r g Felix Me ine r 19749) p p 142 ff

22 cf Ur te i l skraf t p 3 1 1 P r ak t V e r n p p 150 18123 KRVB9324 cf Ur te i l skraf t p 3 1 1

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LA MORT DEDIEU DANS LA PH1LOSOPH1E MODERNE

applicable25 La connaissance humaine dans la philosophic deKant est doublement agnostique les limites de sa spontaneite in-tellectuelle lempechent de produire un concept qui puisse etreadequat a Dieu et il lui manque toute possibility dexperiencequi puisse servir de lieu de verification au concept de Dieu

La philosophic poietique

Penetrant plys avant dans la structure de cette connaissancecopernicienne on remarque quelle est connaissance hypothetiqueau sens ou sa verite est sa verification et sa source nest pas1experience

La connaissance hypothetique est une connaissance synthetiquedu monde Ne representant pas la realite elle ne saurait etre vraieque si elle se realise dans la realite La realisation du modeleest sa verification La verification est le processus par lequel larealite saccorde au modele La realite est condition non critere dela verite inconnaissable en soi elle est la comme matiere pourla realisation de la connaissance Aussi la connaissance hypo-thetique est-elle un modele de la realite qui se realise dans lexpe-rience Un modele qui se realise implique la production dunproduit26 En effet toute production impliquant une transforma-tion de la realite le modele de production ne peut representer larealite et ne peut avoir comme source la realite experimentee sibien que toute connaissance productrice ou poietique a commepoint de depart une negation plus ou moins prononcee de la realiteexperimentee Une telle connaissance nest pas productrice parcequelle nie la realite experimentee au contraire elle nie la realiteparce quelle est productrice Si ce nest pas la realite objectivequi est mesure de cette connaissance la mesure en est neces-sairement la subjectivite reorganisant 1experience pour en formerun modele de la realite Ce qui ne signifie pas que la connais-sance poietique est arbitraire Au contraire elle Test si peu quellesaccorde parfaitement a lobjectivisme le plus radical27 A titredorganisation de la realite elle presente le systeme du monde par

25 Ibid p 34026 Dans le cas de la philosophic de Kant le produit est lexperience meme

laquodieses Produkt der Sinne und des Verstandesraquo Prolegomena zu einer jedenkiinftigen Metaphysik par 20 (Hrsg Karl Vorlander Hamburg Felix Meiner1969 p 56)

27 cf Martin Heidegger Holzwege laquoDie Zeit des Weltbildes raquo p 81

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la systematisation rigoureuse de la connaissance Systematisationqui depend comme toute connaissance humaine de lexpe-rience pour son contenu mais qui pour son organisation dependde la spontaneite subjective Cest linspiration qui opere la trans-position ideale des donnees de 1experience28

Puisque la connaissance poietique implique la realisationlinspiration amene a une analyse des possibilites de linspirationen fonction de leur realisation cette analyse est une connais-sance du possible comprenant la realite en termes de possibilitesde realisation Aussi affirme-t-elle le primat du possible par rapporta la realite comme lafnrme dailleurs Kant29 Ce nest quensaccordant a nos connaissances que les objets de connaissancesont reels ce qui equivaut a affirmer que les objets sont reelsdans la mesure ou cette connaissance du possible se realise

La relation entre inspiration et analyse de sa realisabilite estune relation dialectique au sens hegelien du terme entre 1idealsubjectif interieur et sa realisation manifeste exterieure oppositionqui exige un troisieme element comme synthese des deux premiers

Cette synthese est le projet proprement dit conclusion du rai-sonnement hypothetique Le projet synthetise parfaitement lidealde lhypothese avec les possibilites de sa realisation et ne demanderien pour sa perfection si ce nest sa realisation

Cette realisation qui est le travail du projet constitue le momentde la verification du projet La verite est verification productionde verite processus de realisation

La connaissance poietique implique alors les moments suivantsla negation plus ou moins explicite de lexperience comme mesurede connaissance linspiration comme connaissance spontanee im-pliquant lorganisation ideale des donnees de 1experience la consi-deration sur la realisabilite de linspiration le projet comme mo-dele concret synthetisant la realisabilite avec lidealite de linspi-ration le processus de realisation et le produit comme realitetransformee en fonction du projet

Cette analyse montre que la connaissance poietique nest niathee ni theiste car elle ne peut se bullprononcer sur Dieu puisquIl

28 cf M D Phi l ippe Lactivite arlistique t ome I (Par is Beauchesne 1970)

p 2522 9 cf K a n t K R V A 287

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

transcende necessairement tout projet humain Ceci vaut aussipour les differentes modalites de cette connaissance telles lessciences modernes et la technique De meme Kant reconnaissantles limites propres de cette connaissance exclut Dieu de touteconnaissance proprement dite

Mais quand la connaissance poietique devient exclusive de touteautre connaissance elle devient implicitement athee Au momentou la philosophie devient projet humain de la realite il ny a plusde place pour Dieu En ce sens la philosophie de Kant est sourcedatheisme Cependant la philosophie kantienne nest pas une pen-see exceptionnelle et isolee dans la tradition moderne En effettoute philosophie qui identifie la connaissance philosophique de larealite a la connaissance poietique est implicitement ou explicite-ment athee Dans la mesure ou la tradition principale de laphilosophie moderne concoit la connaissance exclusivement entermes de connaissance poietique elle represente une vision atheede la realite Cette vision nest pas des son commencement expli-citement athee La philosophie moderne jusqua Hegel parle deDieu Ce qui ne suffit pas pour la constituer en theisme Eneffet la ou la philosophie poietique parle de Dieu ex officio elleparle en realite dun ideal projete par linspiration Cest un idealhumain qui demande comme achievement de soi la realisationconcrete et cette fabrication de Dieu constitue la verification delidee de Dieu Lhistoire de latheisme moderne comprend alorsdeux mouvements Elle elimine dabord le Dieu de la foi deses considerations comme dun domaine qui nappartient pas enpropre a linspiration poietique de la realite Ensuite elle decouvregraduellement son propre atheisme elle decouvre graduellementque le Dieu de la philosophie poietique nest que la projectiondun ideal purement humain En ce qui suit nous toucherons lesphases les plus saillantes de la philosophie poietique athee danslhistoire de la philosophie moderne

IV Latheisme moderneHegel represente une synthese au double sens hegelien de con-

clusion et de point de depart de nouvelles antitheses Son geniefut de construire une philosophie poietique qui nexclut aucunaspect de la realite Puisque la mesure de la connaissance poieti-que nest pas la realite mais cette connaissance meme30 la con-

30 Enzyklopddie der philosophischen Wissenschaften par 213 laquodenn dieWahrheit ist dies dass die Objektivitat dem Begriffe entsprichtraquo

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naissance ultime de la realite (metaphysique) devient necessaire-ment chez Hegel connaissance de cette connaissance (logique)La philosophie de Hegel devient alors le systeme de cette connais-sance cest-a-dire de lEsprit La realite comprise en termes deprojet qui se realise implique la dialectique comme processus derealisation31 et lEsprit comme sujet de la dialectique Aussi Hegelreproche-t-il a Spinoza et a Schelling dinterpreter lEsprit unique-ment en termes didentite avec la realite (substance) sans tenircompte du dynamisme exige par la realisation de lEsprit meme32laquo Selon ma facon de voir qui doit seulement justifier la presen-tation du systeme tout depend de ce point essentiel saisir etexprimer le vrai (ie la realite dans sa totalite) non seulementcomme substance mais encore comme sujet raquo33 La substance quiest Esprit est le devenir et ce quil est en soi34 cest-a-diresujet35 La vie de lesprit est action (Tat) et Faction supposeune matiere qui est travaillee et transformee36 Ce travail delesprit ce processus dauto-realisation cest lhistoire par la-quelle lEsprit devient son propre produit37

Une telle philosophie qui regarde la realite comme projetpoietique qui se realise a travers le travail de lhistoire ne peutplus se taire au sujet de Dieu comme lavait fait Kant AussiHegel identifie-t-il Dieu a TEsprit et il developpe une theologieou la Trinite correspond exactement aux phases de lhistoire de

31 Wissenschaft der Logik (Hrsg Georg Lasson Hamburg Felix Meiner19672) Pars I p 36

32 Enzyklopddie par 573 laquo A m genauesten wiirden siedie Pantheismenals die Systeme best immt welche das Absolute nur als die Substanz fassen DerMangel dieser samtlichen Vorstellungsweisen und Systeme ist nicht zur Bestim-mung der Substanz als Siibjekt und als Geist fortzugehenraquo

33 Phanomenologie des Geistes (Hrsg Johannes Hoffmeister HamburgFelix Meiner 1952) p 19

34 Ibid p 55835 Ibid p 52836 Einleitung in die Geschichte der Philosophie (Hrsg Johannes Hoffmeister

Hamburg Felix Meiner I9664) p 13 laquoSeindes GeistesLeben ist Tat DieTat hat einen vorhandenen Stoff zu ihrer Voraussetzung auf welchen sie gerichtetist und den sie nicht etwa bloss vermehrt durch hinzugefiigtes Materialverbreitert sondern wesentlich bearbe i te t und umbildetraquo

37 Vorlesungen iiber die Philosophie der Weltgeschichte vol 1 Die Vernnnftin der Geschichte (Hrsg Johannes Hoffmeister Hamburg Felix Meiner I9705)p 72 laquoDer Geist ist wesentlich Resultat seiner Tatigheit raquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

lEsprit38 Cependant le Dieu de la philosophic de Hegel nestpoint le Dieu dAbraham ni celui dailleurs du christianismeHegel comprend la vie divine en termes dhistoire qui constitueun developpement de Dieu39 Cette histoire comprend la negationantithetique de Dieu dans lhomme par la creation Car lespritetant connaissance de soi dans son autre40 Dieu doit devenir sonautre Dieu se connaissant en lhomme implique la connaissancepar lhomme de Dieu connaissance qui se developpe en la con-naissance de soi de lhomme en Dieu41 Aussi lhistoire divinedevient-elle lhistoire de la divinisation de lhomme par lui-memeEn realisant Dieu lhomme se realise si bien que le culte de Dieuest depasse par le culte de lEsprit et la theologie par la philoso-phie hegelienne42

Pour Hegel lantithese est une negation qui cache une identiteprofonde Les jeunes hegeliens sont antithetiques par rapport aHegel dans ce sens ils mettent en lumiere le dynamisme produc-teur de la philosophic poietique hegelienne ce qui a comme corol-laire lafnrmation explicite de latheisme Ainsi Feuerbachmaintient-il que Dieu nest que la projection de lldeal de lhuma-nite43 Dieu est la tache que lhumanite se donne a realiser et lesens de lhistoire cest la realisation dune humanite ideale Aussilathee est celui qui nie lexistence de Dieu sans pour autant nierles attributs divins comme autant dideaux humains44 Si lechristianisme maintient que Dieu est Personne et Amour cecisignifie que la personne et lamour est un ideal humain que lhom-me projette afin de le realiser dans lhistoire

38 Ibid p 58 laquoIm Christentum aber ist Gott als Geist offenbart undzwar ist er zuerst Vater Macht abstrakt Allgemeines das noch eingehiillt istzweitens ist er sich als Gegenstand ein Anderes seiner selbst ein sich Entzweien-des der Sohn Dieses Andere seiner selbst ist aber ebenso unmittelbar er selbst erweiss sich darin und schaut sich darin an mdash und eben dieses Sichwissen und Sich-anschauen ist drittens der Geist selberraquo

Ibid p 48 laquo Die Geschichte ist die Entfaltung der Natur Gottesraquo40 Phanomenologie p 52841 Enzyklopiidie pa r 56442 Enzyklopiidie par 572 577 Geschichte der Philosophies p 150 laquoDie

Philosophie ist also an sich schon eine weitere Bestimmtheit oder Charakterdes Geistes sie ist die innere Geburtstatte des Geistes der spater als Wirklichkeitauftrittraquo

41 cf Wesen des Christentiims vol IV Sumtliche Werke p 16 laquoDerMensch verlegt sein Wesen zuerst ausser sich ehe er es in sich findetraquo

44 Ibid p 17

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Marx reprend latheisme de Feuerbach en accentuant le liensecret entre atheisme et realisation dune humanite ideale Si laphilosophic devient anthropologie chez Feuerbach elle devientideologic pratique chez Marx45 Car seule une humanite atheepourrait realiser lideal et partant lepanouissement absolu delhumanite une humanite qui croit en Dieu projette son idealen Dieu et reste passive devant Dieu quelle croit parfait Aussilatheisme comme processus de reduction de Dieu a des dimen-sions anthropomorphiques est une condition sine qua non de larealisation de lhumanite46

Latheisme de Marx est un atheisme base sur la foi dans lave-nir glorieux de lhumanite47 II revient a Schopenhauer et aNietzsche de formuler un atheisme sans foi

Le christianisme ne met pas en doute lexistence de Dieu cequi est juste dit Schopenhauer car Kant a montre quil est impos-sible de prouver lexistence de Dieu par demonstration Ayantainsi donne le coup de grace a la theologie speculative Kant aessaye dadoucir son agnosticisme en avancant des arguments mo-raux en faveur de la foi en Dieu Cependant il ne sagit pas dunepreuve de lexistence de Dieu mais dun schema regulateur de lamorale car Dieu ny est considere que comme hypothese utile ala morale48 En effet il est impossible que le Dieu personnel dutheisme existe reellement Si Dieu a cree lhomme il Ia creeavec toutes ses caracteristiques qui determinent ses actions si bien

45 laquo T h e s e n iiber F e u e r b a c h XI dans Karl Marx Friedrich Engels Diedeutsche Ideologic (Hrsg V Adoratski j ) WienBer l in Verlag fiir Li t tera tur undPolitik 1932) 535 laquoDie Philosopher haben die Welt nur verschieden i n t e r p r e -tiert es kommt darauf an sie zu v e r a n d e r n raquo (c i -apres M E G A p 535)

46 Marx M E G A p 534 ( T h e s e 4 ) laquo Feuerbach geht von dem Fak tum derreligiosen Selbs tent f remdung der Verdopplung der Welt in eine religiose und eineweltlich aus Aber dass die weltlich Grundlage sich von sich selst abhebt undsich ein selbstandiges Reich in den Wolken fixiert ist nur aus der Selbstzerris-senhei t und Sichse lbs twidersprechen dieser weltl ichen Grundlage zu erklarenDiese selbst muss also in sich selbst sowohl in ihrem Widerspruch vers tanden als prakt isch revolut ioniert werden Also n a c h d e m z B die irdische Familie alsdas Geheimnis de r heiligen Familie en tdeck t ist muss nun ers tereselbsttheoret isch und prakt isch vernichtet we rden raquo

47 Pour Karl Loewi th le marx isme est une heresie du mess ianisme juda ique cf Meaning in His tory (Chicago Univers i ty of Chicago Press 1958) pp 44f

48 Ar thur Schopenhaue r Parerga und Paralipomena I laquo F r a g m e n t e zurGeschichte der Philosophieraquo par 13 laquoNoch einige erlauterungen zur KantischenPhilosophieraquo (Werke IV p 132 ff)

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LA MORT DE D1EU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

que la doctrine de la creation par Dieu ne peut saccorder avec ladoctrine de la liberte humaine sans laquelle on ne peut considererfhomme comme moralement responsable49 Dautre part la doc-trine de limmortalite de lame ne saccorde pas davantage a lideedune creation ex nihilo comment peut-on croire quune existencequi a commence il y a si peu dannees ne disparait pas avec lamort mais continuera miraculeusement a exister eternellement50Dailleurs la doctrine de la creation meme ne saccorde pas auxfaits de la vie Comment peut-on accepter que le monde soitlceuvre dune bonte dune sagesse et dune puissance infinies sion considere que la vie nest que necessite et angoisse souf-france et fardeau51 Loin de promouvoir le bonheur la vie nestque souffrance Aussi est-ce une erreur fondamentale rendant larealite absurde que de penser que le bonheur est la fin de la vie52Si la vie est tragique cest que la souffrance est un processusde purification Mourir est la seule fin de la vie53 cest le fruit dela vie laquoLa mort est levenement le resume ou le total de la viequi exprime dun coup la lecon que la vie nous a donnee succes-sivement et partiellement a savoir que tout leffort dans la vie estla manifestation dune force inutile vaine contradictoire si bienque le debarras de la vie est son salutraquo54 Objectivementparlant la seule conclusion qui simpose cest que la vie est unjeu qui laquonen vaut pas la chandelleraquo55 Et pourtant chaquehomme garde et defend sa vie comme si elle avait une valeurinfinie chacun aime la vie par-dessus tout et craint la mort plusque tout autre danger Cette opposition entre la misere de la vieet lamour de la vie ne sexplique que si Ton suppose que la vieest la manifestation dune volonte aveugle qui agit comme instinctde vie56 Le principe de la realite est la volonte qui cherche ase donner une forme objective a travers les diverses manifestationsde la nature57 Ce principe nest pas le resultat dune connais-

gt Ibid p p 152f50 Ibid p 156

51 Ibid p 151

Arthur Schopenhauer Die Welt als Wille und Vorstellung vol IICh 49 laquoDie Hei lsordnungraquo (Werke I I p 813)

53 Ibid p 81754 Ibid55 Ar thur Schopenhaue r Welt als Wille und Vorstellung vol I I C h 2 8

laquoCharakter is t ik des Willens zum L e b e n raquo (Werke I I p 463)56 Ib id p 464 57 Ib id p 411-423

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sance de la vie une conclusio ex praemissis mais a titre de prin-cipe de la realite la volonte est aussi principe de toute connais-sance58 Ainsi la croyance en Dieu nest pas le resultat dunecertaine connaissance mais de la volonte59 qui se cree un Dieuafin de donner a la vie lespoir de limmortalite et dune aidesurnaturelle dans les vicissitudes de lexistence60 Preparant lenihilisme athee de Nietzsche Schopenhauer revet dans lhistoirede 1atheisme moderne une place particulierement importante Lavolonte est lEtre de tout ce qui est et a titre de principe ultimede la realite elle determine la connaissance Dans le cadre de latradition philosophique moderne laffirmation de la volonte commeprincipe de realite est la consequence ultime dune philosophicpoietique La fin du projet nest pas la contemplation mais larealisation61 Aussi le principe du projet se sert-il de lintelligencepour la formulation du projet Et dans la mesure oii la connais-sance poietique implique ladaptation de la realite au projet memele principe du projet est ipso facto principe de la realite Aussilinterpretation poietique de la realite voit-elle comme principe dela realite un principe de realisation que Schopenhauer appelle lavolonte Cette volonte est alors principe du projet et de la realisa-tion Cest ainsi que la croyance en Dieu est une hypotheseavancee en fonction de la realisation de la realite Cependant ilsagit dun projet irrealisable car si Dieu existait la vie conduiraitau bonheur Mais la fin de la vie nest pas le bonheur62 la fin dela vie a lepoque moderne est la realisation du projet Puisque lesens de la vie est la realisation sans Dieu du projet de la subjec-tivite humaine il ne reste a lhomme que le pessimisme

Chez Nietzsche la volonte devient volonte de puissance et lepessimisme devient nihilisme sans Dieu Nietzsche constitue lafin de la philosophic moderne au double sens de terme de laphilosophie moderne et de celui qui en montre lessence

58 Ib id p 466 59 Pa re rga W e r k e I V p p 156f60 Ibid 14761 Ibid 147 Russell et Scheler parlent dans ce cadre d une connaissance pour

la martrise du monde cf Bernard Russell The Scientific Outlook (LondonGeorge Allen amp Unwin 1931) p 270 et Max Scheler Vom Ewigen im Menschen(Bern Francke 1968s) p 92

62 cf Aristote Ethique a Nicomaqne I 5 (1097 b I) laquo Le bonheur sembleetre au supreme degre une fin de ce genre car nous le choisissons toujours pourlui-meme et jamais en vue dune autre choseraquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

V Nietzsche

Le point de depart de la philosophie de Nietzsche est la negationde lexistence de Dieu Le christianisme et la foi en Dieu sonten train de disparaitre car Dieu nexiste pas63 Dieu est mort etnous lavons tue laquoNavez-vous pas entendu parler de ce fou quiayant allume une lanterne en plein midi courait sur la place dumarche et criait sans cesse laquo Je cherche Dieu Je cherche Dieu raquolaquoOu est Dieu cria-t-il je vais vous le dire Nous lavons tue mdashvous et moiraquo64 Nous dans la parabole de Nietzsche ce sont lesgens du marche lieu dexpression des valeurs et des mceurs quisont a la mode et qui constituent la civilisation Notre civilisationest profondement athee et cest pourquoi Dieu est mort Heideggerse demande si en annoncant la mort de Dieu Nietzsche ne faitpas que formuler ce que lhistoire de lOccident a toujours sous-entendu 65

Mais comment avons-nous tue Dieu Si Dieu existe II est im-mortel et ne peut mourir Nietzsche affirme bien que Dieu a existemais quil est mort maintenant et que notre societe avec ses com-pagnies dassurance etc a tue Dieu Dieu est mort parce quenotre civilisation Fa exclu de sa vie quotidienne Dieu est mortparce que la foi en Dieu nest plus une force efficace dans notrevie occidentale La mort de Dieu dans la philosophie de Nietzschesignifie la perte ou plus precisement labsence de foi en DieuMais labsence de foi en Dieu signifie plus que la negation deDieu Elle signifie aussi que la terre est desenchainee de sonsoleil et que lhorizon tout entier est efface Cet horizon ce sontles valeurs eternelles La mort de Dieu entraine la disparitiondes valeurs eternelles et absolues66 La consequence de la mort deDieu est le relativisme le plus absolu le relativisme qui est unelaquochute continue ou il ny a plus ni haut ni bas II ny a plusletre mais le devenir en dehors duquel il ny a rien et le devenirnest pas un but il na aucune valeur67 Si Dieu est mort lemonde est pur devenir et le devenir na plus de sens Avec lamort de Dieu le nihilisme le plus terrible des hotes frappe a la

Nietzsche Der Antichrist par 38 (Werke II 1199)Nietzsche Die Frohliche Wissenschaft par 125 (Werke II 127)Martin Heidegger Holzwege Nietzsches Wort laquoGott ist to traquo p 196Ibid p 200Wille znr Macht aph 617 (Werke III 884) ci-apres WzM 617

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porte68 Le nihilisme cest le sentiment penetrant du neant69cest le refus radical de toute valeur et tout sens dans la vie70 a lasuite de la negation de tout etre de tout ce qui est absolu de toutce qui est divin71 Le nihilisme cest vivre la vie comme uneabsurdite et la forme la plus extreme du nihilisme cest daffirmerleternite du neant de labsurde72 Nietzsche a compris quunmonde sans Dieu est un monde nihiliste sans verite sans valeursans espoir qui a sa logique de terreur Apres la mort de Dieunous errons a travers un neant infini le vide nous souffle dans lafigure il ny a plus que la nuit et la nuit devient toujours plusepaisse

Pour Nietzsche la mort de Dieu signifie leclipse de la racehumaine telle que nous la connaissons Afin de survivre a la mortde Dieu il faut necessairement que lhumanite change radicale-ment La mort de Dieu inaugure Fhistoire dune humanite impiesans Dieu73

laquoDieu est mort maintenant nous voulons que le surhommeviveraquo dit Zarathustra74 Le principe de cette transformation delhomme en surhomme se trouve dans la vie meme La mort deDieu impliquant la negation de tout principe transcendant le prin-cipe de la vie et de la survie doit etre strictement immanentII faut que la vie se donne la vie la vie doit se depasser conti-nuellement75 Cest limmanence qui devient principe de la trans-cendance Ce principe Nietzsche lappelle la volonte de puis-sance La volonte de puissance est laquola volonte generatrice ine-puisable de la vieraquo76 Or la volonte est principe daction elle estcause efficiente Aussi le principe de vie est-il un principe danslordre de lefficacite Et un principe nest principe que sil exercesa causalite Lexercice de lefficacite implique la transformation etla domination de la matiere sur laquelle cette cause exerce sonactivite Comme le dit Nietzsche lui-meme laquoLa vie nest pas

68 W z M Z u m Plan (Werke I I I 881)6 9 Ibid 1020 (Werke 111 661)70 Ibid Z u m Plan (Werke I I I 881)71 Ibid 15 (Werke I I I 555)7 2 Ibid 55 (Werke I I I 853)73 N ie t z sche Also sprach Zarathustra I I I laquo V o n der verkle inendern

T u g e n d 3 (Werke I I 420)7 4 Zarathustra IV laquo V o m h o h e r e m M e n s c h e n raquo 2 (Werke I I 523)75 Zarathustra I I laquo Von der Se lbs tuberwindungraquo (Werke I I 370)7 6 Ibid cf aussi Werke I I p p 578 729 819 I I I pp 480 854 896

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

adaptation de facteurs internes a des conditions exterieures elleest volonte de puissance qui depuis linterieur domine et incor-pore toujours plus son milieuraquo77 Aussi la volonte-efficacite est-elle une volonte de puissance non au sens ou elle cherche lapuissance a titre dun but a realiser Car la mort de Dieu impliquela negation de toute finalite La volonte-efficacite est volonte depuissance en ce sens quelle existe comme puissance qui sexercequi a titre de domination du milieu implique 1augmentation depuissance78 Cest cette augmentation de puissance qui permettraa la vie de survivre a la mort de Dieu A condition quelle soit leprincipe ultime de la vie et de tous les aspects de la realite AussiNietzsche comprend-il en particulier la connaissance et la tech-nique comme manifestations de la volonte de puissance

Nietzsche appelle la technique laquoartraquo et il en dit quelle acomme condition le sentiment de transport (Rausch) dintensifi-cation de la vie Ce sentiment peut prendre maintes formes depuislexcitation sexuelle jusquaux transes sous linfluence des drogueset les sentiments de transport dus a une volonte particulierementintensive Ce qui est essentiel a tous ces etats de transport cestle sentiment daugmentation de puissance et de plenitude Cesetats sont une source de richesse On enrichit tout a partir de etpar sa propre plenitude laquo Dans cet etat lhomme transforme leschoses jusqua ce quelles representent sa perfection Ce devoir mdashtransformer en sa perfection mdash cest lartraquo79 Nietzsche comprendlart en termes de transformation de la realite par la volonte depuissance Or la transformation est production Et la productionainsi comprise represente la perfection de la vie car elle constituelaugmentation de puissance La transformation de la realite repre-sentant lexercice meme de la volonte de puissance la productionconstitue pour Nietzsche le mode detre de la volonte de puis-sance le plus authentique Cest grace a la production que lhommesurvivra a la mort de Dieu Et le surhomme est lhomme quiproduit lhomo faber Aussi Nietzsche dit-il de lart quil est legrand stimulant de la vie la redemption des savants des gens quiagissent et qui souffrent80 Pour Nietzsche la survie de lhomme

77 WzM 681 ( W e r k e I I I 8 9 8 ) 78 Martin Heidegger Nietzsche (Pfullingen Neskel 1961) vol I pp 70-79Tgt Nietzsche Gotzen-Ddmmerung laquo Streifziige eines Unzeitgemassen raquo par 8

(Werke II 995)80 WzM 853 (Werke 111 693)

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moderne est done intimement liee a la production Or la genera-lisation de la production eest la technique si bien que pourNietzsche la survie de lhumanite ne saccomplit que par lhege-monie de la technique Lage athee est aussi lage de la technique

Et si la technique est le mode detre authentique de la volontede puissance Nietzsche comprendra la connaissance le savoir lascience non seulement comme modes de la volonte de puissancemais encore comme fonction de la technique Si la volonte depuissance est le principe de la vie la puissance est plus impor-tante que la verite81 de sorte que ce qui importe au niveau de laconnaissance ce nest pas en premier lieu la verite mais lapuissance La verite devient fonction de la puissance une con-naissance est vraie dans la mesure ou elle affirme et reflete lapuissance si bien que le critere de verite est laugmentation dusentiment de puissance82 Evidemment la connaissance ne trans-forme pas la realite elle ne realise rien Elle naugmente pasla puissance mais peut donner le sentiment daugmentation depuissance La verite nest pas quelque chose que Ton prouve queTon decouvre la verite est a creer Et sa creation a la fonctionde rendre la realite plus sure elle est une rationalisation unesystematisation du monde La verite organise le monde83 Ce quiimplique que la verite nest pas necessairement vraie La connais-sance nest quune perspective que jette la volonte de puissancesur la realite afin de sassurer de laugmentation de puissanceAussi Nietzsche maintient-il que la verite est laquo une sorte derreursans laquelle un type determine detre vivant ne pourrait vivreraquo84

De meme la croyance en Dieu est une fabrication une inventionde la volonte de puissance Cest ce que St Paul a compris LeDieu de St Paul ne represente en realite que la decision de StPaul85 Dieu est une creation et une fiction86 Cependant Dieua titre de principe transcendant soppose radicalement a la volontede puissance Dieu est lennemi et la contradiction de la vie87

81 N ie t z sche Menschliches Allzumenschliches vol I I laquoVermisch te Mei-nungen und Spr i icheraquo par 226 (Werke I 827)

82 W z M 534 (Werke I I I 919)83 W z M 552 ( W e r k e I I I 541)84 WzM 493 (Werke III 844)85 Antichrist pa r 47 (Werke I I 1212)86 W e r k e I 1073 1101 I I 208 297 891 943 III 588 60087 Antichrist p a r 18 ( W e r k e I I 1178)

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

I l l

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Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

DIRK PEREBOOMUniversite de Fribourg

96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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LA MORT DEDIEU DANS LA PH1LOSOPH1E MODERNE

applicable25 La connaissance humaine dans la philosophic deKant est doublement agnostique les limites de sa spontaneite in-tellectuelle lempechent de produire un concept qui puisse etreadequat a Dieu et il lui manque toute possibility dexperiencequi puisse servir de lieu de verification au concept de Dieu

La philosophic poietique

Penetrant plys avant dans la structure de cette connaissancecopernicienne on remarque quelle est connaissance hypothetiqueau sens ou sa verite est sa verification et sa source nest pas1experience

La connaissance hypothetique est une connaissance synthetiquedu monde Ne representant pas la realite elle ne saurait etre vraieque si elle se realise dans la realite La realisation du modeleest sa verification La verification est le processus par lequel larealite saccorde au modele La realite est condition non critere dela verite inconnaissable en soi elle est la comme matiere pourla realisation de la connaissance Aussi la connaissance hypo-thetique est-elle un modele de la realite qui se realise dans lexpe-rience Un modele qui se realise implique la production dunproduit26 En effet toute production impliquant une transforma-tion de la realite le modele de production ne peut representer larealite et ne peut avoir comme source la realite experimentee sibien que toute connaissance productrice ou poietique a commepoint de depart une negation plus ou moins prononcee de la realiteexperimentee Une telle connaissance nest pas productrice parcequelle nie la realite experimentee au contraire elle nie la realiteparce quelle est productrice Si ce nest pas la realite objectivequi est mesure de cette connaissance la mesure en est neces-sairement la subjectivite reorganisant 1experience pour en formerun modele de la realite Ce qui ne signifie pas que la connais-sance poietique est arbitraire Au contraire elle Test si peu quellesaccorde parfaitement a lobjectivisme le plus radical27 A titredorganisation de la realite elle presente le systeme du monde par

25 Ibid p 34026 Dans le cas de la philosophic de Kant le produit est lexperience meme

laquodieses Produkt der Sinne und des Verstandesraquo Prolegomena zu einer jedenkiinftigen Metaphysik par 20 (Hrsg Karl Vorlander Hamburg Felix Meiner1969 p 56)

27 cf Martin Heidegger Holzwege laquoDie Zeit des Weltbildes raquo p 81

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la systematisation rigoureuse de la connaissance Systematisationqui depend comme toute connaissance humaine de lexpe-rience pour son contenu mais qui pour son organisation dependde la spontaneite subjective Cest linspiration qui opere la trans-position ideale des donnees de 1experience28

Puisque la connaissance poietique implique la realisationlinspiration amene a une analyse des possibilites de linspirationen fonction de leur realisation cette analyse est une connais-sance du possible comprenant la realite en termes de possibilitesde realisation Aussi affirme-t-elle le primat du possible par rapporta la realite comme lafnrme dailleurs Kant29 Ce nest quensaccordant a nos connaissances que les objets de connaissancesont reels ce qui equivaut a affirmer que les objets sont reelsdans la mesure ou cette connaissance du possible se realise

La relation entre inspiration et analyse de sa realisabilite estune relation dialectique au sens hegelien du terme entre 1idealsubjectif interieur et sa realisation manifeste exterieure oppositionqui exige un troisieme element comme synthese des deux premiers

Cette synthese est le projet proprement dit conclusion du rai-sonnement hypothetique Le projet synthetise parfaitement lidealde lhypothese avec les possibilites de sa realisation et ne demanderien pour sa perfection si ce nest sa realisation

Cette realisation qui est le travail du projet constitue le momentde la verification du projet La verite est verification productionde verite processus de realisation

La connaissance poietique implique alors les moments suivantsla negation plus ou moins explicite de lexperience comme mesurede connaissance linspiration comme connaissance spontanee im-pliquant lorganisation ideale des donnees de 1experience la consi-deration sur la realisabilite de linspiration le projet comme mo-dele concret synthetisant la realisabilite avec lidealite de linspi-ration le processus de realisation et le produit comme realitetransformee en fonction du projet

Cette analyse montre que la connaissance poietique nest niathee ni theiste car elle ne peut se bullprononcer sur Dieu puisquIl

28 cf M D Phi l ippe Lactivite arlistique t ome I (Par is Beauchesne 1970)

p 2522 9 cf K a n t K R V A 287

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

transcende necessairement tout projet humain Ceci vaut aussipour les differentes modalites de cette connaissance telles lessciences modernes et la technique De meme Kant reconnaissantles limites propres de cette connaissance exclut Dieu de touteconnaissance proprement dite

Mais quand la connaissance poietique devient exclusive de touteautre connaissance elle devient implicitement athee Au momentou la philosophie devient projet humain de la realite il ny a plusde place pour Dieu En ce sens la philosophie de Kant est sourcedatheisme Cependant la philosophie kantienne nest pas une pen-see exceptionnelle et isolee dans la tradition moderne En effettoute philosophie qui identifie la connaissance philosophique de larealite a la connaissance poietique est implicitement ou explicite-ment athee Dans la mesure ou la tradition principale de laphilosophie moderne concoit la connaissance exclusivement entermes de connaissance poietique elle represente une vision atheede la realite Cette vision nest pas des son commencement expli-citement athee La philosophie moderne jusqua Hegel parle deDieu Ce qui ne suffit pas pour la constituer en theisme Eneffet la ou la philosophie poietique parle de Dieu ex officio elleparle en realite dun ideal projete par linspiration Cest un idealhumain qui demande comme achievement de soi la realisationconcrete et cette fabrication de Dieu constitue la verification delidee de Dieu Lhistoire de latheisme moderne comprend alorsdeux mouvements Elle elimine dabord le Dieu de la foi deses considerations comme dun domaine qui nappartient pas enpropre a linspiration poietique de la realite Ensuite elle decouvregraduellement son propre atheisme elle decouvre graduellementque le Dieu de la philosophie poietique nest que la projectiondun ideal purement humain En ce qui suit nous toucherons lesphases les plus saillantes de la philosophie poietique athee danslhistoire de la philosophie moderne

IV Latheisme moderneHegel represente une synthese au double sens hegelien de con-

clusion et de point de depart de nouvelles antitheses Son geniefut de construire une philosophie poietique qui nexclut aucunaspect de la realite Puisque la mesure de la connaissance poieti-que nest pas la realite mais cette connaissance meme30 la con-

30 Enzyklopddie der philosophischen Wissenschaften par 213 laquodenn dieWahrheit ist dies dass die Objektivitat dem Begriffe entsprichtraquo

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naissance ultime de la realite (metaphysique) devient necessaire-ment chez Hegel connaissance de cette connaissance (logique)La philosophie de Hegel devient alors le systeme de cette connais-sance cest-a-dire de lEsprit La realite comprise en termes deprojet qui se realise implique la dialectique comme processus derealisation31 et lEsprit comme sujet de la dialectique Aussi Hegelreproche-t-il a Spinoza et a Schelling dinterpreter lEsprit unique-ment en termes didentite avec la realite (substance) sans tenircompte du dynamisme exige par la realisation de lEsprit meme32laquo Selon ma facon de voir qui doit seulement justifier la presen-tation du systeme tout depend de ce point essentiel saisir etexprimer le vrai (ie la realite dans sa totalite) non seulementcomme substance mais encore comme sujet raquo33 La substance quiest Esprit est le devenir et ce quil est en soi34 cest-a-diresujet35 La vie de lesprit est action (Tat) et Faction supposeune matiere qui est travaillee et transformee36 Ce travail delesprit ce processus dauto-realisation cest lhistoire par la-quelle lEsprit devient son propre produit37

Une telle philosophie qui regarde la realite comme projetpoietique qui se realise a travers le travail de lhistoire ne peutplus se taire au sujet de Dieu comme lavait fait Kant AussiHegel identifie-t-il Dieu a TEsprit et il developpe une theologieou la Trinite correspond exactement aux phases de lhistoire de

31 Wissenschaft der Logik (Hrsg Georg Lasson Hamburg Felix Meiner19672) Pars I p 36

32 Enzyklopddie par 573 laquo A m genauesten wiirden siedie Pantheismenals die Systeme best immt welche das Absolute nur als die Substanz fassen DerMangel dieser samtlichen Vorstellungsweisen und Systeme ist nicht zur Bestim-mung der Substanz als Siibjekt und als Geist fortzugehenraquo

33 Phanomenologie des Geistes (Hrsg Johannes Hoffmeister HamburgFelix Meiner 1952) p 19

34 Ibid p 55835 Ibid p 52836 Einleitung in die Geschichte der Philosophie (Hrsg Johannes Hoffmeister

Hamburg Felix Meiner I9664) p 13 laquoSeindes GeistesLeben ist Tat DieTat hat einen vorhandenen Stoff zu ihrer Voraussetzung auf welchen sie gerichtetist und den sie nicht etwa bloss vermehrt durch hinzugefiigtes Materialverbreitert sondern wesentlich bearbe i te t und umbildetraquo

37 Vorlesungen iiber die Philosophie der Weltgeschichte vol 1 Die Vernnnftin der Geschichte (Hrsg Johannes Hoffmeister Hamburg Felix Meiner I9705)p 72 laquoDer Geist ist wesentlich Resultat seiner Tatigheit raquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

lEsprit38 Cependant le Dieu de la philosophic de Hegel nestpoint le Dieu dAbraham ni celui dailleurs du christianismeHegel comprend la vie divine en termes dhistoire qui constitueun developpement de Dieu39 Cette histoire comprend la negationantithetique de Dieu dans lhomme par la creation Car lespritetant connaissance de soi dans son autre40 Dieu doit devenir sonautre Dieu se connaissant en lhomme implique la connaissancepar lhomme de Dieu connaissance qui se developpe en la con-naissance de soi de lhomme en Dieu41 Aussi lhistoire divinedevient-elle lhistoire de la divinisation de lhomme par lui-memeEn realisant Dieu lhomme se realise si bien que le culte de Dieuest depasse par le culte de lEsprit et la theologie par la philoso-phie hegelienne42

Pour Hegel lantithese est une negation qui cache une identiteprofonde Les jeunes hegeliens sont antithetiques par rapport aHegel dans ce sens ils mettent en lumiere le dynamisme produc-teur de la philosophic poietique hegelienne ce qui a comme corol-laire lafnrmation explicite de latheisme Ainsi Feuerbachmaintient-il que Dieu nest que la projection de lldeal de lhuma-nite43 Dieu est la tache que lhumanite se donne a realiser et lesens de lhistoire cest la realisation dune humanite ideale Aussilathee est celui qui nie lexistence de Dieu sans pour autant nierles attributs divins comme autant dideaux humains44 Si lechristianisme maintient que Dieu est Personne et Amour cecisignifie que la personne et lamour est un ideal humain que lhom-me projette afin de le realiser dans lhistoire

38 Ibid p 58 laquoIm Christentum aber ist Gott als Geist offenbart undzwar ist er zuerst Vater Macht abstrakt Allgemeines das noch eingehiillt istzweitens ist er sich als Gegenstand ein Anderes seiner selbst ein sich Entzweien-des der Sohn Dieses Andere seiner selbst ist aber ebenso unmittelbar er selbst erweiss sich darin und schaut sich darin an mdash und eben dieses Sichwissen und Sich-anschauen ist drittens der Geist selberraquo

Ibid p 48 laquo Die Geschichte ist die Entfaltung der Natur Gottesraquo40 Phanomenologie p 52841 Enzyklopiidie pa r 56442 Enzyklopiidie par 572 577 Geschichte der Philosophies p 150 laquoDie

Philosophie ist also an sich schon eine weitere Bestimmtheit oder Charakterdes Geistes sie ist die innere Geburtstatte des Geistes der spater als Wirklichkeitauftrittraquo

41 cf Wesen des Christentiims vol IV Sumtliche Werke p 16 laquoDerMensch verlegt sein Wesen zuerst ausser sich ehe er es in sich findetraquo

44 Ibid p 17

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Marx reprend latheisme de Feuerbach en accentuant le liensecret entre atheisme et realisation dune humanite ideale Si laphilosophic devient anthropologie chez Feuerbach elle devientideologic pratique chez Marx45 Car seule une humanite atheepourrait realiser lideal et partant lepanouissement absolu delhumanite une humanite qui croit en Dieu projette son idealen Dieu et reste passive devant Dieu quelle croit parfait Aussilatheisme comme processus de reduction de Dieu a des dimen-sions anthropomorphiques est une condition sine qua non de larealisation de lhumanite46

Latheisme de Marx est un atheisme base sur la foi dans lave-nir glorieux de lhumanite47 II revient a Schopenhauer et aNietzsche de formuler un atheisme sans foi

Le christianisme ne met pas en doute lexistence de Dieu cequi est juste dit Schopenhauer car Kant a montre quil est impos-sible de prouver lexistence de Dieu par demonstration Ayantainsi donne le coup de grace a la theologie speculative Kant aessaye dadoucir son agnosticisme en avancant des arguments mo-raux en faveur de la foi en Dieu Cependant il ne sagit pas dunepreuve de lexistence de Dieu mais dun schema regulateur de lamorale car Dieu ny est considere que comme hypothese utile ala morale48 En effet il est impossible que le Dieu personnel dutheisme existe reellement Si Dieu a cree lhomme il Ia creeavec toutes ses caracteristiques qui determinent ses actions si bien

45 laquo T h e s e n iiber F e u e r b a c h XI dans Karl Marx Friedrich Engels Diedeutsche Ideologic (Hrsg V Adoratski j ) WienBer l in Verlag fiir Li t tera tur undPolitik 1932) 535 laquoDie Philosopher haben die Welt nur verschieden i n t e r p r e -tiert es kommt darauf an sie zu v e r a n d e r n raquo (c i -apres M E G A p 535)

46 Marx M E G A p 534 ( T h e s e 4 ) laquo Feuerbach geht von dem Fak tum derreligiosen Selbs tent f remdung der Verdopplung der Welt in eine religiose und eineweltlich aus Aber dass die weltlich Grundlage sich von sich selst abhebt undsich ein selbstandiges Reich in den Wolken fixiert ist nur aus der Selbstzerris-senhei t und Sichse lbs twidersprechen dieser weltl ichen Grundlage zu erklarenDiese selbst muss also in sich selbst sowohl in ihrem Widerspruch vers tanden als prakt isch revolut ioniert werden Also n a c h d e m z B die irdische Familie alsdas Geheimnis de r heiligen Familie en tdeck t ist muss nun ers tereselbsttheoret isch und prakt isch vernichtet we rden raquo

47 Pour Karl Loewi th le marx isme est une heresie du mess ianisme juda ique cf Meaning in His tory (Chicago Univers i ty of Chicago Press 1958) pp 44f

48 Ar thur Schopenhaue r Parerga und Paralipomena I laquo F r a g m e n t e zurGeschichte der Philosophieraquo par 13 laquoNoch einige erlauterungen zur KantischenPhilosophieraquo (Werke IV p 132 ff)

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LA MORT DE D1EU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

que la doctrine de la creation par Dieu ne peut saccorder avec ladoctrine de la liberte humaine sans laquelle on ne peut considererfhomme comme moralement responsable49 Dautre part la doc-trine de limmortalite de lame ne saccorde pas davantage a lideedune creation ex nihilo comment peut-on croire quune existencequi a commence il y a si peu dannees ne disparait pas avec lamort mais continuera miraculeusement a exister eternellement50Dailleurs la doctrine de la creation meme ne saccorde pas auxfaits de la vie Comment peut-on accepter que le monde soitlceuvre dune bonte dune sagesse et dune puissance infinies sion considere que la vie nest que necessite et angoisse souf-france et fardeau51 Loin de promouvoir le bonheur la vie nestque souffrance Aussi est-ce une erreur fondamentale rendant larealite absurde que de penser que le bonheur est la fin de la vie52Si la vie est tragique cest que la souffrance est un processusde purification Mourir est la seule fin de la vie53 cest le fruit dela vie laquoLa mort est levenement le resume ou le total de la viequi exprime dun coup la lecon que la vie nous a donnee succes-sivement et partiellement a savoir que tout leffort dans la vie estla manifestation dune force inutile vaine contradictoire si bienque le debarras de la vie est son salutraquo54 Objectivementparlant la seule conclusion qui simpose cest que la vie est unjeu qui laquonen vaut pas la chandelleraquo55 Et pourtant chaquehomme garde et defend sa vie comme si elle avait une valeurinfinie chacun aime la vie par-dessus tout et craint la mort plusque tout autre danger Cette opposition entre la misere de la vieet lamour de la vie ne sexplique que si Ton suppose que la vieest la manifestation dune volonte aveugle qui agit comme instinctde vie56 Le principe de la realite est la volonte qui cherche ase donner une forme objective a travers les diverses manifestationsde la nature57 Ce principe nest pas le resultat dune connais-

gt Ibid p p 152f50 Ibid p 156

51 Ibid p 151

Arthur Schopenhauer Die Welt als Wille und Vorstellung vol IICh 49 laquoDie Hei lsordnungraquo (Werke I I p 813)

53 Ibid p 81754 Ibid55 Ar thur Schopenhaue r Welt als Wille und Vorstellung vol I I C h 2 8

laquoCharakter is t ik des Willens zum L e b e n raquo (Werke I I p 463)56 Ib id p 464 57 Ib id p 411-423

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sance de la vie une conclusio ex praemissis mais a titre de prin-cipe de la realite la volonte est aussi principe de toute connais-sance58 Ainsi la croyance en Dieu nest pas le resultat dunecertaine connaissance mais de la volonte59 qui se cree un Dieuafin de donner a la vie lespoir de limmortalite et dune aidesurnaturelle dans les vicissitudes de lexistence60 Preparant lenihilisme athee de Nietzsche Schopenhauer revet dans lhistoirede 1atheisme moderne une place particulierement importante Lavolonte est lEtre de tout ce qui est et a titre de principe ultimede la realite elle determine la connaissance Dans le cadre de latradition philosophique moderne laffirmation de la volonte commeprincipe de realite est la consequence ultime dune philosophicpoietique La fin du projet nest pas la contemplation mais larealisation61 Aussi le principe du projet se sert-il de lintelligencepour la formulation du projet Et dans la mesure oii la connais-sance poietique implique ladaptation de la realite au projet memele principe du projet est ipso facto principe de la realite Aussilinterpretation poietique de la realite voit-elle comme principe dela realite un principe de realisation que Schopenhauer appelle lavolonte Cette volonte est alors principe du projet et de la realisa-tion Cest ainsi que la croyance en Dieu est une hypotheseavancee en fonction de la realisation de la realite Cependant ilsagit dun projet irrealisable car si Dieu existait la vie conduiraitau bonheur Mais la fin de la vie nest pas le bonheur62 la fin dela vie a lepoque moderne est la realisation du projet Puisque lesens de la vie est la realisation sans Dieu du projet de la subjec-tivite humaine il ne reste a lhomme que le pessimisme

Chez Nietzsche la volonte devient volonte de puissance et lepessimisme devient nihilisme sans Dieu Nietzsche constitue lafin de la philosophic moderne au double sens de terme de laphilosophie moderne et de celui qui en montre lessence

58 Ib id p 466 59 Pa re rga W e r k e I V p p 156f60 Ibid 14761 Ibid 147 Russell et Scheler parlent dans ce cadre d une connaissance pour

la martrise du monde cf Bernard Russell The Scientific Outlook (LondonGeorge Allen amp Unwin 1931) p 270 et Max Scheler Vom Ewigen im Menschen(Bern Francke 1968s) p 92

62 cf Aristote Ethique a Nicomaqne I 5 (1097 b I) laquo Le bonheur sembleetre au supreme degre une fin de ce genre car nous le choisissons toujours pourlui-meme et jamais en vue dune autre choseraquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

V Nietzsche

Le point de depart de la philosophie de Nietzsche est la negationde lexistence de Dieu Le christianisme et la foi en Dieu sonten train de disparaitre car Dieu nexiste pas63 Dieu est mort etnous lavons tue laquoNavez-vous pas entendu parler de ce fou quiayant allume une lanterne en plein midi courait sur la place dumarche et criait sans cesse laquo Je cherche Dieu Je cherche Dieu raquolaquoOu est Dieu cria-t-il je vais vous le dire Nous lavons tue mdashvous et moiraquo64 Nous dans la parabole de Nietzsche ce sont lesgens du marche lieu dexpression des valeurs et des mceurs quisont a la mode et qui constituent la civilisation Notre civilisationest profondement athee et cest pourquoi Dieu est mort Heideggerse demande si en annoncant la mort de Dieu Nietzsche ne faitpas que formuler ce que lhistoire de lOccident a toujours sous-entendu 65

Mais comment avons-nous tue Dieu Si Dieu existe II est im-mortel et ne peut mourir Nietzsche affirme bien que Dieu a existemais quil est mort maintenant et que notre societe avec ses com-pagnies dassurance etc a tue Dieu Dieu est mort parce quenotre civilisation Fa exclu de sa vie quotidienne Dieu est mortparce que la foi en Dieu nest plus une force efficace dans notrevie occidentale La mort de Dieu dans la philosophie de Nietzschesignifie la perte ou plus precisement labsence de foi en DieuMais labsence de foi en Dieu signifie plus que la negation deDieu Elle signifie aussi que la terre est desenchainee de sonsoleil et que lhorizon tout entier est efface Cet horizon ce sontles valeurs eternelles La mort de Dieu entraine la disparitiondes valeurs eternelles et absolues66 La consequence de la mort deDieu est le relativisme le plus absolu le relativisme qui est unelaquochute continue ou il ny a plus ni haut ni bas II ny a plusletre mais le devenir en dehors duquel il ny a rien et le devenirnest pas un but il na aucune valeur67 Si Dieu est mort lemonde est pur devenir et le devenir na plus de sens Avec lamort de Dieu le nihilisme le plus terrible des hotes frappe a la

Nietzsche Der Antichrist par 38 (Werke II 1199)Nietzsche Die Frohliche Wissenschaft par 125 (Werke II 127)Martin Heidegger Holzwege Nietzsches Wort laquoGott ist to traquo p 196Ibid p 200Wille znr Macht aph 617 (Werke III 884) ci-apres WzM 617

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porte68 Le nihilisme cest le sentiment penetrant du neant69cest le refus radical de toute valeur et tout sens dans la vie70 a lasuite de la negation de tout etre de tout ce qui est absolu de toutce qui est divin71 Le nihilisme cest vivre la vie comme uneabsurdite et la forme la plus extreme du nihilisme cest daffirmerleternite du neant de labsurde72 Nietzsche a compris quunmonde sans Dieu est un monde nihiliste sans verite sans valeursans espoir qui a sa logique de terreur Apres la mort de Dieunous errons a travers un neant infini le vide nous souffle dans lafigure il ny a plus que la nuit et la nuit devient toujours plusepaisse

Pour Nietzsche la mort de Dieu signifie leclipse de la racehumaine telle que nous la connaissons Afin de survivre a la mortde Dieu il faut necessairement que lhumanite change radicale-ment La mort de Dieu inaugure Fhistoire dune humanite impiesans Dieu73

laquoDieu est mort maintenant nous voulons que le surhommeviveraquo dit Zarathustra74 Le principe de cette transformation delhomme en surhomme se trouve dans la vie meme La mort deDieu impliquant la negation de tout principe transcendant le prin-cipe de la vie et de la survie doit etre strictement immanentII faut que la vie se donne la vie la vie doit se depasser conti-nuellement75 Cest limmanence qui devient principe de la trans-cendance Ce principe Nietzsche lappelle la volonte de puis-sance La volonte de puissance est laquola volonte generatrice ine-puisable de la vieraquo76 Or la volonte est principe daction elle estcause efficiente Aussi le principe de vie est-il un principe danslordre de lefficacite Et un principe nest principe que sil exercesa causalite Lexercice de lefficacite implique la transformation etla domination de la matiere sur laquelle cette cause exerce sonactivite Comme le dit Nietzsche lui-meme laquoLa vie nest pas

68 W z M Z u m Plan (Werke I I I 881)6 9 Ibid 1020 (Werke 111 661)70 Ibid Z u m Plan (Werke I I I 881)71 Ibid 15 (Werke I I I 555)7 2 Ibid 55 (Werke I I I 853)73 N ie t z sche Also sprach Zarathustra I I I laquo V o n der verkle inendern

T u g e n d 3 (Werke I I 420)7 4 Zarathustra IV laquo V o m h o h e r e m M e n s c h e n raquo 2 (Werke I I 523)75 Zarathustra I I laquo Von der Se lbs tuberwindungraquo (Werke I I 370)7 6 Ibid cf aussi Werke I I p p 578 729 819 I I I pp 480 854 896

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

adaptation de facteurs internes a des conditions exterieures elleest volonte de puissance qui depuis linterieur domine et incor-pore toujours plus son milieuraquo77 Aussi la volonte-efficacite est-elle une volonte de puissance non au sens ou elle cherche lapuissance a titre dun but a realiser Car la mort de Dieu impliquela negation de toute finalite La volonte-efficacite est volonte depuissance en ce sens quelle existe comme puissance qui sexercequi a titre de domination du milieu implique 1augmentation depuissance78 Cest cette augmentation de puissance qui permettraa la vie de survivre a la mort de Dieu A condition quelle soit leprincipe ultime de la vie et de tous les aspects de la realite AussiNietzsche comprend-il en particulier la connaissance et la tech-nique comme manifestations de la volonte de puissance

Nietzsche appelle la technique laquoartraquo et il en dit quelle acomme condition le sentiment de transport (Rausch) dintensifi-cation de la vie Ce sentiment peut prendre maintes formes depuislexcitation sexuelle jusquaux transes sous linfluence des drogueset les sentiments de transport dus a une volonte particulierementintensive Ce qui est essentiel a tous ces etats de transport cestle sentiment daugmentation de puissance et de plenitude Cesetats sont une source de richesse On enrichit tout a partir de etpar sa propre plenitude laquo Dans cet etat lhomme transforme leschoses jusqua ce quelles representent sa perfection Ce devoir mdashtransformer en sa perfection mdash cest lartraquo79 Nietzsche comprendlart en termes de transformation de la realite par la volonte depuissance Or la transformation est production Et la productionainsi comprise represente la perfection de la vie car elle constituelaugmentation de puissance La transformation de la realite repre-sentant lexercice meme de la volonte de puissance la productionconstitue pour Nietzsche le mode detre de la volonte de puis-sance le plus authentique Cest grace a la production que lhommesurvivra a la mort de Dieu Et le surhomme est lhomme quiproduit lhomo faber Aussi Nietzsche dit-il de lart quil est legrand stimulant de la vie la redemption des savants des gens quiagissent et qui souffrent80 Pour Nietzsche la survie de lhomme

77 WzM 681 ( W e r k e I I I 8 9 8 ) 78 Martin Heidegger Nietzsche (Pfullingen Neskel 1961) vol I pp 70-79Tgt Nietzsche Gotzen-Ddmmerung laquo Streifziige eines Unzeitgemassen raquo par 8

(Werke II 995)80 WzM 853 (Werke 111 693)

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moderne est done intimement liee a la production Or la genera-lisation de la production eest la technique si bien que pourNietzsche la survie de lhumanite ne saccomplit que par lhege-monie de la technique Lage athee est aussi lage de la technique

Et si la technique est le mode detre authentique de la volontede puissance Nietzsche comprendra la connaissance le savoir lascience non seulement comme modes de la volonte de puissancemais encore comme fonction de la technique Si la volonte depuissance est le principe de la vie la puissance est plus impor-tante que la verite81 de sorte que ce qui importe au niveau de laconnaissance ce nest pas en premier lieu la verite mais lapuissance La verite devient fonction de la puissance une con-naissance est vraie dans la mesure ou elle affirme et reflete lapuissance si bien que le critere de verite est laugmentation dusentiment de puissance82 Evidemment la connaissance ne trans-forme pas la realite elle ne realise rien Elle naugmente pasla puissance mais peut donner le sentiment daugmentation depuissance La verite nest pas quelque chose que Ton prouve queTon decouvre la verite est a creer Et sa creation a la fonctionde rendre la realite plus sure elle est une rationalisation unesystematisation du monde La verite organise le monde83 Ce quiimplique que la verite nest pas necessairement vraie La connais-sance nest quune perspective que jette la volonte de puissancesur la realite afin de sassurer de laugmentation de puissanceAussi Nietzsche maintient-il que la verite est laquo une sorte derreursans laquelle un type determine detre vivant ne pourrait vivreraquo84

De meme la croyance en Dieu est une fabrication une inventionde la volonte de puissance Cest ce que St Paul a compris LeDieu de St Paul ne represente en realite que la decision de StPaul85 Dieu est une creation et une fiction86 Cependant Dieua titre de principe transcendant soppose radicalement a la volontede puissance Dieu est lennemi et la contradiction de la vie87

81 N ie t z sche Menschliches Allzumenschliches vol I I laquoVermisch te Mei-nungen und Spr i icheraquo par 226 (Werke I 827)

82 W z M 534 (Werke I I I 919)83 W z M 552 ( W e r k e I I I 541)84 WzM 493 (Werke III 844)85 Antichrist pa r 47 (Werke I I 1212)86 W e r k e I 1073 1101 I I 208 297 891 943 III 588 60087 Antichrist p a r 18 ( W e r k e I I 1178)

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

I l l

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Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

DIRK PEREBOOMUniversite de Fribourg

96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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la systematisation rigoureuse de la connaissance Systematisationqui depend comme toute connaissance humaine de lexpe-rience pour son contenu mais qui pour son organisation dependde la spontaneite subjective Cest linspiration qui opere la trans-position ideale des donnees de 1experience28

Puisque la connaissance poietique implique la realisationlinspiration amene a une analyse des possibilites de linspirationen fonction de leur realisation cette analyse est une connais-sance du possible comprenant la realite en termes de possibilitesde realisation Aussi affirme-t-elle le primat du possible par rapporta la realite comme lafnrme dailleurs Kant29 Ce nest quensaccordant a nos connaissances que les objets de connaissancesont reels ce qui equivaut a affirmer que les objets sont reelsdans la mesure ou cette connaissance du possible se realise

La relation entre inspiration et analyse de sa realisabilite estune relation dialectique au sens hegelien du terme entre 1idealsubjectif interieur et sa realisation manifeste exterieure oppositionqui exige un troisieme element comme synthese des deux premiers

Cette synthese est le projet proprement dit conclusion du rai-sonnement hypothetique Le projet synthetise parfaitement lidealde lhypothese avec les possibilites de sa realisation et ne demanderien pour sa perfection si ce nest sa realisation

Cette realisation qui est le travail du projet constitue le momentde la verification du projet La verite est verification productionde verite processus de realisation

La connaissance poietique implique alors les moments suivantsla negation plus ou moins explicite de lexperience comme mesurede connaissance linspiration comme connaissance spontanee im-pliquant lorganisation ideale des donnees de 1experience la consi-deration sur la realisabilite de linspiration le projet comme mo-dele concret synthetisant la realisabilite avec lidealite de linspi-ration le processus de realisation et le produit comme realitetransformee en fonction du projet

Cette analyse montre que la connaissance poietique nest niathee ni theiste car elle ne peut se bullprononcer sur Dieu puisquIl

28 cf M D Phi l ippe Lactivite arlistique t ome I (Par is Beauchesne 1970)

p 2522 9 cf K a n t K R V A 287

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

transcende necessairement tout projet humain Ceci vaut aussipour les differentes modalites de cette connaissance telles lessciences modernes et la technique De meme Kant reconnaissantles limites propres de cette connaissance exclut Dieu de touteconnaissance proprement dite

Mais quand la connaissance poietique devient exclusive de touteautre connaissance elle devient implicitement athee Au momentou la philosophie devient projet humain de la realite il ny a plusde place pour Dieu En ce sens la philosophie de Kant est sourcedatheisme Cependant la philosophie kantienne nest pas une pen-see exceptionnelle et isolee dans la tradition moderne En effettoute philosophie qui identifie la connaissance philosophique de larealite a la connaissance poietique est implicitement ou explicite-ment athee Dans la mesure ou la tradition principale de laphilosophie moderne concoit la connaissance exclusivement entermes de connaissance poietique elle represente une vision atheede la realite Cette vision nest pas des son commencement expli-citement athee La philosophie moderne jusqua Hegel parle deDieu Ce qui ne suffit pas pour la constituer en theisme Eneffet la ou la philosophie poietique parle de Dieu ex officio elleparle en realite dun ideal projete par linspiration Cest un idealhumain qui demande comme achievement de soi la realisationconcrete et cette fabrication de Dieu constitue la verification delidee de Dieu Lhistoire de latheisme moderne comprend alorsdeux mouvements Elle elimine dabord le Dieu de la foi deses considerations comme dun domaine qui nappartient pas enpropre a linspiration poietique de la realite Ensuite elle decouvregraduellement son propre atheisme elle decouvre graduellementque le Dieu de la philosophie poietique nest que la projectiondun ideal purement humain En ce qui suit nous toucherons lesphases les plus saillantes de la philosophie poietique athee danslhistoire de la philosophie moderne

IV Latheisme moderneHegel represente une synthese au double sens hegelien de con-

clusion et de point de depart de nouvelles antitheses Son geniefut de construire une philosophie poietique qui nexclut aucunaspect de la realite Puisque la mesure de la connaissance poieti-que nest pas la realite mais cette connaissance meme30 la con-

30 Enzyklopddie der philosophischen Wissenschaften par 213 laquodenn dieWahrheit ist dies dass die Objektivitat dem Begriffe entsprichtraquo

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naissance ultime de la realite (metaphysique) devient necessaire-ment chez Hegel connaissance de cette connaissance (logique)La philosophie de Hegel devient alors le systeme de cette connais-sance cest-a-dire de lEsprit La realite comprise en termes deprojet qui se realise implique la dialectique comme processus derealisation31 et lEsprit comme sujet de la dialectique Aussi Hegelreproche-t-il a Spinoza et a Schelling dinterpreter lEsprit unique-ment en termes didentite avec la realite (substance) sans tenircompte du dynamisme exige par la realisation de lEsprit meme32laquo Selon ma facon de voir qui doit seulement justifier la presen-tation du systeme tout depend de ce point essentiel saisir etexprimer le vrai (ie la realite dans sa totalite) non seulementcomme substance mais encore comme sujet raquo33 La substance quiest Esprit est le devenir et ce quil est en soi34 cest-a-diresujet35 La vie de lesprit est action (Tat) et Faction supposeune matiere qui est travaillee et transformee36 Ce travail delesprit ce processus dauto-realisation cest lhistoire par la-quelle lEsprit devient son propre produit37

Une telle philosophie qui regarde la realite comme projetpoietique qui se realise a travers le travail de lhistoire ne peutplus se taire au sujet de Dieu comme lavait fait Kant AussiHegel identifie-t-il Dieu a TEsprit et il developpe une theologieou la Trinite correspond exactement aux phases de lhistoire de

31 Wissenschaft der Logik (Hrsg Georg Lasson Hamburg Felix Meiner19672) Pars I p 36

32 Enzyklopddie par 573 laquo A m genauesten wiirden siedie Pantheismenals die Systeme best immt welche das Absolute nur als die Substanz fassen DerMangel dieser samtlichen Vorstellungsweisen und Systeme ist nicht zur Bestim-mung der Substanz als Siibjekt und als Geist fortzugehenraquo

33 Phanomenologie des Geistes (Hrsg Johannes Hoffmeister HamburgFelix Meiner 1952) p 19

34 Ibid p 55835 Ibid p 52836 Einleitung in die Geschichte der Philosophie (Hrsg Johannes Hoffmeister

Hamburg Felix Meiner I9664) p 13 laquoSeindes GeistesLeben ist Tat DieTat hat einen vorhandenen Stoff zu ihrer Voraussetzung auf welchen sie gerichtetist und den sie nicht etwa bloss vermehrt durch hinzugefiigtes Materialverbreitert sondern wesentlich bearbe i te t und umbildetraquo

37 Vorlesungen iiber die Philosophie der Weltgeschichte vol 1 Die Vernnnftin der Geschichte (Hrsg Johannes Hoffmeister Hamburg Felix Meiner I9705)p 72 laquoDer Geist ist wesentlich Resultat seiner Tatigheit raquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

lEsprit38 Cependant le Dieu de la philosophic de Hegel nestpoint le Dieu dAbraham ni celui dailleurs du christianismeHegel comprend la vie divine en termes dhistoire qui constitueun developpement de Dieu39 Cette histoire comprend la negationantithetique de Dieu dans lhomme par la creation Car lespritetant connaissance de soi dans son autre40 Dieu doit devenir sonautre Dieu se connaissant en lhomme implique la connaissancepar lhomme de Dieu connaissance qui se developpe en la con-naissance de soi de lhomme en Dieu41 Aussi lhistoire divinedevient-elle lhistoire de la divinisation de lhomme par lui-memeEn realisant Dieu lhomme se realise si bien que le culte de Dieuest depasse par le culte de lEsprit et la theologie par la philoso-phie hegelienne42

Pour Hegel lantithese est une negation qui cache une identiteprofonde Les jeunes hegeliens sont antithetiques par rapport aHegel dans ce sens ils mettent en lumiere le dynamisme produc-teur de la philosophic poietique hegelienne ce qui a comme corol-laire lafnrmation explicite de latheisme Ainsi Feuerbachmaintient-il que Dieu nest que la projection de lldeal de lhuma-nite43 Dieu est la tache que lhumanite se donne a realiser et lesens de lhistoire cest la realisation dune humanite ideale Aussilathee est celui qui nie lexistence de Dieu sans pour autant nierles attributs divins comme autant dideaux humains44 Si lechristianisme maintient que Dieu est Personne et Amour cecisignifie que la personne et lamour est un ideal humain que lhom-me projette afin de le realiser dans lhistoire

38 Ibid p 58 laquoIm Christentum aber ist Gott als Geist offenbart undzwar ist er zuerst Vater Macht abstrakt Allgemeines das noch eingehiillt istzweitens ist er sich als Gegenstand ein Anderes seiner selbst ein sich Entzweien-des der Sohn Dieses Andere seiner selbst ist aber ebenso unmittelbar er selbst erweiss sich darin und schaut sich darin an mdash und eben dieses Sichwissen und Sich-anschauen ist drittens der Geist selberraquo

Ibid p 48 laquo Die Geschichte ist die Entfaltung der Natur Gottesraquo40 Phanomenologie p 52841 Enzyklopiidie pa r 56442 Enzyklopiidie par 572 577 Geschichte der Philosophies p 150 laquoDie

Philosophie ist also an sich schon eine weitere Bestimmtheit oder Charakterdes Geistes sie ist die innere Geburtstatte des Geistes der spater als Wirklichkeitauftrittraquo

41 cf Wesen des Christentiims vol IV Sumtliche Werke p 16 laquoDerMensch verlegt sein Wesen zuerst ausser sich ehe er es in sich findetraquo

44 Ibid p 17

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Marx reprend latheisme de Feuerbach en accentuant le liensecret entre atheisme et realisation dune humanite ideale Si laphilosophic devient anthropologie chez Feuerbach elle devientideologic pratique chez Marx45 Car seule une humanite atheepourrait realiser lideal et partant lepanouissement absolu delhumanite une humanite qui croit en Dieu projette son idealen Dieu et reste passive devant Dieu quelle croit parfait Aussilatheisme comme processus de reduction de Dieu a des dimen-sions anthropomorphiques est une condition sine qua non de larealisation de lhumanite46

Latheisme de Marx est un atheisme base sur la foi dans lave-nir glorieux de lhumanite47 II revient a Schopenhauer et aNietzsche de formuler un atheisme sans foi

Le christianisme ne met pas en doute lexistence de Dieu cequi est juste dit Schopenhauer car Kant a montre quil est impos-sible de prouver lexistence de Dieu par demonstration Ayantainsi donne le coup de grace a la theologie speculative Kant aessaye dadoucir son agnosticisme en avancant des arguments mo-raux en faveur de la foi en Dieu Cependant il ne sagit pas dunepreuve de lexistence de Dieu mais dun schema regulateur de lamorale car Dieu ny est considere que comme hypothese utile ala morale48 En effet il est impossible que le Dieu personnel dutheisme existe reellement Si Dieu a cree lhomme il Ia creeavec toutes ses caracteristiques qui determinent ses actions si bien

45 laquo T h e s e n iiber F e u e r b a c h XI dans Karl Marx Friedrich Engels Diedeutsche Ideologic (Hrsg V Adoratski j ) WienBer l in Verlag fiir Li t tera tur undPolitik 1932) 535 laquoDie Philosopher haben die Welt nur verschieden i n t e r p r e -tiert es kommt darauf an sie zu v e r a n d e r n raquo (c i -apres M E G A p 535)

46 Marx M E G A p 534 ( T h e s e 4 ) laquo Feuerbach geht von dem Fak tum derreligiosen Selbs tent f remdung der Verdopplung der Welt in eine religiose und eineweltlich aus Aber dass die weltlich Grundlage sich von sich selst abhebt undsich ein selbstandiges Reich in den Wolken fixiert ist nur aus der Selbstzerris-senhei t und Sichse lbs twidersprechen dieser weltl ichen Grundlage zu erklarenDiese selbst muss also in sich selbst sowohl in ihrem Widerspruch vers tanden als prakt isch revolut ioniert werden Also n a c h d e m z B die irdische Familie alsdas Geheimnis de r heiligen Familie en tdeck t ist muss nun ers tereselbsttheoret isch und prakt isch vernichtet we rden raquo

47 Pour Karl Loewi th le marx isme est une heresie du mess ianisme juda ique cf Meaning in His tory (Chicago Univers i ty of Chicago Press 1958) pp 44f

48 Ar thur Schopenhaue r Parerga und Paralipomena I laquo F r a g m e n t e zurGeschichte der Philosophieraquo par 13 laquoNoch einige erlauterungen zur KantischenPhilosophieraquo (Werke IV p 132 ff)

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LA MORT DE D1EU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

que la doctrine de la creation par Dieu ne peut saccorder avec ladoctrine de la liberte humaine sans laquelle on ne peut considererfhomme comme moralement responsable49 Dautre part la doc-trine de limmortalite de lame ne saccorde pas davantage a lideedune creation ex nihilo comment peut-on croire quune existencequi a commence il y a si peu dannees ne disparait pas avec lamort mais continuera miraculeusement a exister eternellement50Dailleurs la doctrine de la creation meme ne saccorde pas auxfaits de la vie Comment peut-on accepter que le monde soitlceuvre dune bonte dune sagesse et dune puissance infinies sion considere que la vie nest que necessite et angoisse souf-france et fardeau51 Loin de promouvoir le bonheur la vie nestque souffrance Aussi est-ce une erreur fondamentale rendant larealite absurde que de penser que le bonheur est la fin de la vie52Si la vie est tragique cest que la souffrance est un processusde purification Mourir est la seule fin de la vie53 cest le fruit dela vie laquoLa mort est levenement le resume ou le total de la viequi exprime dun coup la lecon que la vie nous a donnee succes-sivement et partiellement a savoir que tout leffort dans la vie estla manifestation dune force inutile vaine contradictoire si bienque le debarras de la vie est son salutraquo54 Objectivementparlant la seule conclusion qui simpose cest que la vie est unjeu qui laquonen vaut pas la chandelleraquo55 Et pourtant chaquehomme garde et defend sa vie comme si elle avait une valeurinfinie chacun aime la vie par-dessus tout et craint la mort plusque tout autre danger Cette opposition entre la misere de la vieet lamour de la vie ne sexplique que si Ton suppose que la vieest la manifestation dune volonte aveugle qui agit comme instinctde vie56 Le principe de la realite est la volonte qui cherche ase donner une forme objective a travers les diverses manifestationsde la nature57 Ce principe nest pas le resultat dune connais-

gt Ibid p p 152f50 Ibid p 156

51 Ibid p 151

Arthur Schopenhauer Die Welt als Wille und Vorstellung vol IICh 49 laquoDie Hei lsordnungraquo (Werke I I p 813)

53 Ibid p 81754 Ibid55 Ar thur Schopenhaue r Welt als Wille und Vorstellung vol I I C h 2 8

laquoCharakter is t ik des Willens zum L e b e n raquo (Werke I I p 463)56 Ib id p 464 57 Ib id p 411-423

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sance de la vie une conclusio ex praemissis mais a titre de prin-cipe de la realite la volonte est aussi principe de toute connais-sance58 Ainsi la croyance en Dieu nest pas le resultat dunecertaine connaissance mais de la volonte59 qui se cree un Dieuafin de donner a la vie lespoir de limmortalite et dune aidesurnaturelle dans les vicissitudes de lexistence60 Preparant lenihilisme athee de Nietzsche Schopenhauer revet dans lhistoirede 1atheisme moderne une place particulierement importante Lavolonte est lEtre de tout ce qui est et a titre de principe ultimede la realite elle determine la connaissance Dans le cadre de latradition philosophique moderne laffirmation de la volonte commeprincipe de realite est la consequence ultime dune philosophicpoietique La fin du projet nest pas la contemplation mais larealisation61 Aussi le principe du projet se sert-il de lintelligencepour la formulation du projet Et dans la mesure oii la connais-sance poietique implique ladaptation de la realite au projet memele principe du projet est ipso facto principe de la realite Aussilinterpretation poietique de la realite voit-elle comme principe dela realite un principe de realisation que Schopenhauer appelle lavolonte Cette volonte est alors principe du projet et de la realisa-tion Cest ainsi que la croyance en Dieu est une hypotheseavancee en fonction de la realisation de la realite Cependant ilsagit dun projet irrealisable car si Dieu existait la vie conduiraitau bonheur Mais la fin de la vie nest pas le bonheur62 la fin dela vie a lepoque moderne est la realisation du projet Puisque lesens de la vie est la realisation sans Dieu du projet de la subjec-tivite humaine il ne reste a lhomme que le pessimisme

Chez Nietzsche la volonte devient volonte de puissance et lepessimisme devient nihilisme sans Dieu Nietzsche constitue lafin de la philosophic moderne au double sens de terme de laphilosophie moderne et de celui qui en montre lessence

58 Ib id p 466 59 Pa re rga W e r k e I V p p 156f60 Ibid 14761 Ibid 147 Russell et Scheler parlent dans ce cadre d une connaissance pour

la martrise du monde cf Bernard Russell The Scientific Outlook (LondonGeorge Allen amp Unwin 1931) p 270 et Max Scheler Vom Ewigen im Menschen(Bern Francke 1968s) p 92

62 cf Aristote Ethique a Nicomaqne I 5 (1097 b I) laquo Le bonheur sembleetre au supreme degre une fin de ce genre car nous le choisissons toujours pourlui-meme et jamais en vue dune autre choseraquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

V Nietzsche

Le point de depart de la philosophie de Nietzsche est la negationde lexistence de Dieu Le christianisme et la foi en Dieu sonten train de disparaitre car Dieu nexiste pas63 Dieu est mort etnous lavons tue laquoNavez-vous pas entendu parler de ce fou quiayant allume une lanterne en plein midi courait sur la place dumarche et criait sans cesse laquo Je cherche Dieu Je cherche Dieu raquolaquoOu est Dieu cria-t-il je vais vous le dire Nous lavons tue mdashvous et moiraquo64 Nous dans la parabole de Nietzsche ce sont lesgens du marche lieu dexpression des valeurs et des mceurs quisont a la mode et qui constituent la civilisation Notre civilisationest profondement athee et cest pourquoi Dieu est mort Heideggerse demande si en annoncant la mort de Dieu Nietzsche ne faitpas que formuler ce que lhistoire de lOccident a toujours sous-entendu 65

Mais comment avons-nous tue Dieu Si Dieu existe II est im-mortel et ne peut mourir Nietzsche affirme bien que Dieu a existemais quil est mort maintenant et que notre societe avec ses com-pagnies dassurance etc a tue Dieu Dieu est mort parce quenotre civilisation Fa exclu de sa vie quotidienne Dieu est mortparce que la foi en Dieu nest plus une force efficace dans notrevie occidentale La mort de Dieu dans la philosophie de Nietzschesignifie la perte ou plus precisement labsence de foi en DieuMais labsence de foi en Dieu signifie plus que la negation deDieu Elle signifie aussi que la terre est desenchainee de sonsoleil et que lhorizon tout entier est efface Cet horizon ce sontles valeurs eternelles La mort de Dieu entraine la disparitiondes valeurs eternelles et absolues66 La consequence de la mort deDieu est le relativisme le plus absolu le relativisme qui est unelaquochute continue ou il ny a plus ni haut ni bas II ny a plusletre mais le devenir en dehors duquel il ny a rien et le devenirnest pas un but il na aucune valeur67 Si Dieu est mort lemonde est pur devenir et le devenir na plus de sens Avec lamort de Dieu le nihilisme le plus terrible des hotes frappe a la

Nietzsche Der Antichrist par 38 (Werke II 1199)Nietzsche Die Frohliche Wissenschaft par 125 (Werke II 127)Martin Heidegger Holzwege Nietzsches Wort laquoGott ist to traquo p 196Ibid p 200Wille znr Macht aph 617 (Werke III 884) ci-apres WzM 617

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porte68 Le nihilisme cest le sentiment penetrant du neant69cest le refus radical de toute valeur et tout sens dans la vie70 a lasuite de la negation de tout etre de tout ce qui est absolu de toutce qui est divin71 Le nihilisme cest vivre la vie comme uneabsurdite et la forme la plus extreme du nihilisme cest daffirmerleternite du neant de labsurde72 Nietzsche a compris quunmonde sans Dieu est un monde nihiliste sans verite sans valeursans espoir qui a sa logique de terreur Apres la mort de Dieunous errons a travers un neant infini le vide nous souffle dans lafigure il ny a plus que la nuit et la nuit devient toujours plusepaisse

Pour Nietzsche la mort de Dieu signifie leclipse de la racehumaine telle que nous la connaissons Afin de survivre a la mortde Dieu il faut necessairement que lhumanite change radicale-ment La mort de Dieu inaugure Fhistoire dune humanite impiesans Dieu73

laquoDieu est mort maintenant nous voulons que le surhommeviveraquo dit Zarathustra74 Le principe de cette transformation delhomme en surhomme se trouve dans la vie meme La mort deDieu impliquant la negation de tout principe transcendant le prin-cipe de la vie et de la survie doit etre strictement immanentII faut que la vie se donne la vie la vie doit se depasser conti-nuellement75 Cest limmanence qui devient principe de la trans-cendance Ce principe Nietzsche lappelle la volonte de puis-sance La volonte de puissance est laquola volonte generatrice ine-puisable de la vieraquo76 Or la volonte est principe daction elle estcause efficiente Aussi le principe de vie est-il un principe danslordre de lefficacite Et un principe nest principe que sil exercesa causalite Lexercice de lefficacite implique la transformation etla domination de la matiere sur laquelle cette cause exerce sonactivite Comme le dit Nietzsche lui-meme laquoLa vie nest pas

68 W z M Z u m Plan (Werke I I I 881)6 9 Ibid 1020 (Werke 111 661)70 Ibid Z u m Plan (Werke I I I 881)71 Ibid 15 (Werke I I I 555)7 2 Ibid 55 (Werke I I I 853)73 N ie t z sche Also sprach Zarathustra I I I laquo V o n der verkle inendern

T u g e n d 3 (Werke I I 420)7 4 Zarathustra IV laquo V o m h o h e r e m M e n s c h e n raquo 2 (Werke I I 523)75 Zarathustra I I laquo Von der Se lbs tuberwindungraquo (Werke I I 370)7 6 Ibid cf aussi Werke I I p p 578 729 819 I I I pp 480 854 896

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

adaptation de facteurs internes a des conditions exterieures elleest volonte de puissance qui depuis linterieur domine et incor-pore toujours plus son milieuraquo77 Aussi la volonte-efficacite est-elle une volonte de puissance non au sens ou elle cherche lapuissance a titre dun but a realiser Car la mort de Dieu impliquela negation de toute finalite La volonte-efficacite est volonte depuissance en ce sens quelle existe comme puissance qui sexercequi a titre de domination du milieu implique 1augmentation depuissance78 Cest cette augmentation de puissance qui permettraa la vie de survivre a la mort de Dieu A condition quelle soit leprincipe ultime de la vie et de tous les aspects de la realite AussiNietzsche comprend-il en particulier la connaissance et la tech-nique comme manifestations de la volonte de puissance

Nietzsche appelle la technique laquoartraquo et il en dit quelle acomme condition le sentiment de transport (Rausch) dintensifi-cation de la vie Ce sentiment peut prendre maintes formes depuislexcitation sexuelle jusquaux transes sous linfluence des drogueset les sentiments de transport dus a une volonte particulierementintensive Ce qui est essentiel a tous ces etats de transport cestle sentiment daugmentation de puissance et de plenitude Cesetats sont une source de richesse On enrichit tout a partir de etpar sa propre plenitude laquo Dans cet etat lhomme transforme leschoses jusqua ce quelles representent sa perfection Ce devoir mdashtransformer en sa perfection mdash cest lartraquo79 Nietzsche comprendlart en termes de transformation de la realite par la volonte depuissance Or la transformation est production Et la productionainsi comprise represente la perfection de la vie car elle constituelaugmentation de puissance La transformation de la realite repre-sentant lexercice meme de la volonte de puissance la productionconstitue pour Nietzsche le mode detre de la volonte de puis-sance le plus authentique Cest grace a la production que lhommesurvivra a la mort de Dieu Et le surhomme est lhomme quiproduit lhomo faber Aussi Nietzsche dit-il de lart quil est legrand stimulant de la vie la redemption des savants des gens quiagissent et qui souffrent80 Pour Nietzsche la survie de lhomme

77 WzM 681 ( W e r k e I I I 8 9 8 ) 78 Martin Heidegger Nietzsche (Pfullingen Neskel 1961) vol I pp 70-79Tgt Nietzsche Gotzen-Ddmmerung laquo Streifziige eines Unzeitgemassen raquo par 8

(Werke II 995)80 WzM 853 (Werke 111 693)

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moderne est done intimement liee a la production Or la genera-lisation de la production eest la technique si bien que pourNietzsche la survie de lhumanite ne saccomplit que par lhege-monie de la technique Lage athee est aussi lage de la technique

Et si la technique est le mode detre authentique de la volontede puissance Nietzsche comprendra la connaissance le savoir lascience non seulement comme modes de la volonte de puissancemais encore comme fonction de la technique Si la volonte depuissance est le principe de la vie la puissance est plus impor-tante que la verite81 de sorte que ce qui importe au niveau de laconnaissance ce nest pas en premier lieu la verite mais lapuissance La verite devient fonction de la puissance une con-naissance est vraie dans la mesure ou elle affirme et reflete lapuissance si bien que le critere de verite est laugmentation dusentiment de puissance82 Evidemment la connaissance ne trans-forme pas la realite elle ne realise rien Elle naugmente pasla puissance mais peut donner le sentiment daugmentation depuissance La verite nest pas quelque chose que Ton prouve queTon decouvre la verite est a creer Et sa creation a la fonctionde rendre la realite plus sure elle est une rationalisation unesystematisation du monde La verite organise le monde83 Ce quiimplique que la verite nest pas necessairement vraie La connais-sance nest quune perspective que jette la volonte de puissancesur la realite afin de sassurer de laugmentation de puissanceAussi Nietzsche maintient-il que la verite est laquo une sorte derreursans laquelle un type determine detre vivant ne pourrait vivreraquo84

De meme la croyance en Dieu est une fabrication une inventionde la volonte de puissance Cest ce que St Paul a compris LeDieu de St Paul ne represente en realite que la decision de StPaul85 Dieu est une creation et une fiction86 Cependant Dieua titre de principe transcendant soppose radicalement a la volontede puissance Dieu est lennemi et la contradiction de la vie87

81 N ie t z sche Menschliches Allzumenschliches vol I I laquoVermisch te Mei-nungen und Spr i icheraquo par 226 (Werke I 827)

82 W z M 534 (Werke I I I 919)83 W z M 552 ( W e r k e I I I 541)84 WzM 493 (Werke III 844)85 Antichrist pa r 47 (Werke I I 1212)86 W e r k e I 1073 1101 I I 208 297 891 943 III 588 60087 Antichrist p a r 18 ( W e r k e I I 1178)

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

I l l

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Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

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96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

transcende necessairement tout projet humain Ceci vaut aussipour les differentes modalites de cette connaissance telles lessciences modernes et la technique De meme Kant reconnaissantles limites propres de cette connaissance exclut Dieu de touteconnaissance proprement dite

Mais quand la connaissance poietique devient exclusive de touteautre connaissance elle devient implicitement athee Au momentou la philosophie devient projet humain de la realite il ny a plusde place pour Dieu En ce sens la philosophie de Kant est sourcedatheisme Cependant la philosophie kantienne nest pas une pen-see exceptionnelle et isolee dans la tradition moderne En effettoute philosophie qui identifie la connaissance philosophique de larealite a la connaissance poietique est implicitement ou explicite-ment athee Dans la mesure ou la tradition principale de laphilosophie moderne concoit la connaissance exclusivement entermes de connaissance poietique elle represente une vision atheede la realite Cette vision nest pas des son commencement expli-citement athee La philosophie moderne jusqua Hegel parle deDieu Ce qui ne suffit pas pour la constituer en theisme Eneffet la ou la philosophie poietique parle de Dieu ex officio elleparle en realite dun ideal projete par linspiration Cest un idealhumain qui demande comme achievement de soi la realisationconcrete et cette fabrication de Dieu constitue la verification delidee de Dieu Lhistoire de latheisme moderne comprend alorsdeux mouvements Elle elimine dabord le Dieu de la foi deses considerations comme dun domaine qui nappartient pas enpropre a linspiration poietique de la realite Ensuite elle decouvregraduellement son propre atheisme elle decouvre graduellementque le Dieu de la philosophie poietique nest que la projectiondun ideal purement humain En ce qui suit nous toucherons lesphases les plus saillantes de la philosophie poietique athee danslhistoire de la philosophie moderne

IV Latheisme moderneHegel represente une synthese au double sens hegelien de con-

clusion et de point de depart de nouvelles antitheses Son geniefut de construire une philosophie poietique qui nexclut aucunaspect de la realite Puisque la mesure de la connaissance poieti-que nest pas la realite mais cette connaissance meme30 la con-

30 Enzyklopddie der philosophischen Wissenschaften par 213 laquodenn dieWahrheit ist dies dass die Objektivitat dem Begriffe entsprichtraquo

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naissance ultime de la realite (metaphysique) devient necessaire-ment chez Hegel connaissance de cette connaissance (logique)La philosophie de Hegel devient alors le systeme de cette connais-sance cest-a-dire de lEsprit La realite comprise en termes deprojet qui se realise implique la dialectique comme processus derealisation31 et lEsprit comme sujet de la dialectique Aussi Hegelreproche-t-il a Spinoza et a Schelling dinterpreter lEsprit unique-ment en termes didentite avec la realite (substance) sans tenircompte du dynamisme exige par la realisation de lEsprit meme32laquo Selon ma facon de voir qui doit seulement justifier la presen-tation du systeme tout depend de ce point essentiel saisir etexprimer le vrai (ie la realite dans sa totalite) non seulementcomme substance mais encore comme sujet raquo33 La substance quiest Esprit est le devenir et ce quil est en soi34 cest-a-diresujet35 La vie de lesprit est action (Tat) et Faction supposeune matiere qui est travaillee et transformee36 Ce travail delesprit ce processus dauto-realisation cest lhistoire par la-quelle lEsprit devient son propre produit37

Une telle philosophie qui regarde la realite comme projetpoietique qui se realise a travers le travail de lhistoire ne peutplus se taire au sujet de Dieu comme lavait fait Kant AussiHegel identifie-t-il Dieu a TEsprit et il developpe une theologieou la Trinite correspond exactement aux phases de lhistoire de

31 Wissenschaft der Logik (Hrsg Georg Lasson Hamburg Felix Meiner19672) Pars I p 36

32 Enzyklopddie par 573 laquo A m genauesten wiirden siedie Pantheismenals die Systeme best immt welche das Absolute nur als die Substanz fassen DerMangel dieser samtlichen Vorstellungsweisen und Systeme ist nicht zur Bestim-mung der Substanz als Siibjekt und als Geist fortzugehenraquo

33 Phanomenologie des Geistes (Hrsg Johannes Hoffmeister HamburgFelix Meiner 1952) p 19

34 Ibid p 55835 Ibid p 52836 Einleitung in die Geschichte der Philosophie (Hrsg Johannes Hoffmeister

Hamburg Felix Meiner I9664) p 13 laquoSeindes GeistesLeben ist Tat DieTat hat einen vorhandenen Stoff zu ihrer Voraussetzung auf welchen sie gerichtetist und den sie nicht etwa bloss vermehrt durch hinzugefiigtes Materialverbreitert sondern wesentlich bearbe i te t und umbildetraquo

37 Vorlesungen iiber die Philosophie der Weltgeschichte vol 1 Die Vernnnftin der Geschichte (Hrsg Johannes Hoffmeister Hamburg Felix Meiner I9705)p 72 laquoDer Geist ist wesentlich Resultat seiner Tatigheit raquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

lEsprit38 Cependant le Dieu de la philosophic de Hegel nestpoint le Dieu dAbraham ni celui dailleurs du christianismeHegel comprend la vie divine en termes dhistoire qui constitueun developpement de Dieu39 Cette histoire comprend la negationantithetique de Dieu dans lhomme par la creation Car lespritetant connaissance de soi dans son autre40 Dieu doit devenir sonautre Dieu se connaissant en lhomme implique la connaissancepar lhomme de Dieu connaissance qui se developpe en la con-naissance de soi de lhomme en Dieu41 Aussi lhistoire divinedevient-elle lhistoire de la divinisation de lhomme par lui-memeEn realisant Dieu lhomme se realise si bien que le culte de Dieuest depasse par le culte de lEsprit et la theologie par la philoso-phie hegelienne42

Pour Hegel lantithese est une negation qui cache une identiteprofonde Les jeunes hegeliens sont antithetiques par rapport aHegel dans ce sens ils mettent en lumiere le dynamisme produc-teur de la philosophic poietique hegelienne ce qui a comme corol-laire lafnrmation explicite de latheisme Ainsi Feuerbachmaintient-il que Dieu nest que la projection de lldeal de lhuma-nite43 Dieu est la tache que lhumanite se donne a realiser et lesens de lhistoire cest la realisation dune humanite ideale Aussilathee est celui qui nie lexistence de Dieu sans pour autant nierles attributs divins comme autant dideaux humains44 Si lechristianisme maintient que Dieu est Personne et Amour cecisignifie que la personne et lamour est un ideal humain que lhom-me projette afin de le realiser dans lhistoire

38 Ibid p 58 laquoIm Christentum aber ist Gott als Geist offenbart undzwar ist er zuerst Vater Macht abstrakt Allgemeines das noch eingehiillt istzweitens ist er sich als Gegenstand ein Anderes seiner selbst ein sich Entzweien-des der Sohn Dieses Andere seiner selbst ist aber ebenso unmittelbar er selbst erweiss sich darin und schaut sich darin an mdash und eben dieses Sichwissen und Sich-anschauen ist drittens der Geist selberraquo

Ibid p 48 laquo Die Geschichte ist die Entfaltung der Natur Gottesraquo40 Phanomenologie p 52841 Enzyklopiidie pa r 56442 Enzyklopiidie par 572 577 Geschichte der Philosophies p 150 laquoDie

Philosophie ist also an sich schon eine weitere Bestimmtheit oder Charakterdes Geistes sie ist die innere Geburtstatte des Geistes der spater als Wirklichkeitauftrittraquo

41 cf Wesen des Christentiims vol IV Sumtliche Werke p 16 laquoDerMensch verlegt sein Wesen zuerst ausser sich ehe er es in sich findetraquo

44 Ibid p 17

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Marx reprend latheisme de Feuerbach en accentuant le liensecret entre atheisme et realisation dune humanite ideale Si laphilosophic devient anthropologie chez Feuerbach elle devientideologic pratique chez Marx45 Car seule une humanite atheepourrait realiser lideal et partant lepanouissement absolu delhumanite une humanite qui croit en Dieu projette son idealen Dieu et reste passive devant Dieu quelle croit parfait Aussilatheisme comme processus de reduction de Dieu a des dimen-sions anthropomorphiques est une condition sine qua non de larealisation de lhumanite46

Latheisme de Marx est un atheisme base sur la foi dans lave-nir glorieux de lhumanite47 II revient a Schopenhauer et aNietzsche de formuler un atheisme sans foi

Le christianisme ne met pas en doute lexistence de Dieu cequi est juste dit Schopenhauer car Kant a montre quil est impos-sible de prouver lexistence de Dieu par demonstration Ayantainsi donne le coup de grace a la theologie speculative Kant aessaye dadoucir son agnosticisme en avancant des arguments mo-raux en faveur de la foi en Dieu Cependant il ne sagit pas dunepreuve de lexistence de Dieu mais dun schema regulateur de lamorale car Dieu ny est considere que comme hypothese utile ala morale48 En effet il est impossible que le Dieu personnel dutheisme existe reellement Si Dieu a cree lhomme il Ia creeavec toutes ses caracteristiques qui determinent ses actions si bien

45 laquo T h e s e n iiber F e u e r b a c h XI dans Karl Marx Friedrich Engels Diedeutsche Ideologic (Hrsg V Adoratski j ) WienBer l in Verlag fiir Li t tera tur undPolitik 1932) 535 laquoDie Philosopher haben die Welt nur verschieden i n t e r p r e -tiert es kommt darauf an sie zu v e r a n d e r n raquo (c i -apres M E G A p 535)

46 Marx M E G A p 534 ( T h e s e 4 ) laquo Feuerbach geht von dem Fak tum derreligiosen Selbs tent f remdung der Verdopplung der Welt in eine religiose und eineweltlich aus Aber dass die weltlich Grundlage sich von sich selst abhebt undsich ein selbstandiges Reich in den Wolken fixiert ist nur aus der Selbstzerris-senhei t und Sichse lbs twidersprechen dieser weltl ichen Grundlage zu erklarenDiese selbst muss also in sich selbst sowohl in ihrem Widerspruch vers tanden als prakt isch revolut ioniert werden Also n a c h d e m z B die irdische Familie alsdas Geheimnis de r heiligen Familie en tdeck t ist muss nun ers tereselbsttheoret isch und prakt isch vernichtet we rden raquo

47 Pour Karl Loewi th le marx isme est une heresie du mess ianisme juda ique cf Meaning in His tory (Chicago Univers i ty of Chicago Press 1958) pp 44f

48 Ar thur Schopenhaue r Parerga und Paralipomena I laquo F r a g m e n t e zurGeschichte der Philosophieraquo par 13 laquoNoch einige erlauterungen zur KantischenPhilosophieraquo (Werke IV p 132 ff)

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LA MORT DE D1EU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

que la doctrine de la creation par Dieu ne peut saccorder avec ladoctrine de la liberte humaine sans laquelle on ne peut considererfhomme comme moralement responsable49 Dautre part la doc-trine de limmortalite de lame ne saccorde pas davantage a lideedune creation ex nihilo comment peut-on croire quune existencequi a commence il y a si peu dannees ne disparait pas avec lamort mais continuera miraculeusement a exister eternellement50Dailleurs la doctrine de la creation meme ne saccorde pas auxfaits de la vie Comment peut-on accepter que le monde soitlceuvre dune bonte dune sagesse et dune puissance infinies sion considere que la vie nest que necessite et angoisse souf-france et fardeau51 Loin de promouvoir le bonheur la vie nestque souffrance Aussi est-ce une erreur fondamentale rendant larealite absurde que de penser que le bonheur est la fin de la vie52Si la vie est tragique cest que la souffrance est un processusde purification Mourir est la seule fin de la vie53 cest le fruit dela vie laquoLa mort est levenement le resume ou le total de la viequi exprime dun coup la lecon que la vie nous a donnee succes-sivement et partiellement a savoir que tout leffort dans la vie estla manifestation dune force inutile vaine contradictoire si bienque le debarras de la vie est son salutraquo54 Objectivementparlant la seule conclusion qui simpose cest que la vie est unjeu qui laquonen vaut pas la chandelleraquo55 Et pourtant chaquehomme garde et defend sa vie comme si elle avait une valeurinfinie chacun aime la vie par-dessus tout et craint la mort plusque tout autre danger Cette opposition entre la misere de la vieet lamour de la vie ne sexplique que si Ton suppose que la vieest la manifestation dune volonte aveugle qui agit comme instinctde vie56 Le principe de la realite est la volonte qui cherche ase donner une forme objective a travers les diverses manifestationsde la nature57 Ce principe nest pas le resultat dune connais-

gt Ibid p p 152f50 Ibid p 156

51 Ibid p 151

Arthur Schopenhauer Die Welt als Wille und Vorstellung vol IICh 49 laquoDie Hei lsordnungraquo (Werke I I p 813)

53 Ibid p 81754 Ibid55 Ar thur Schopenhaue r Welt als Wille und Vorstellung vol I I C h 2 8

laquoCharakter is t ik des Willens zum L e b e n raquo (Werke I I p 463)56 Ib id p 464 57 Ib id p 411-423

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sance de la vie une conclusio ex praemissis mais a titre de prin-cipe de la realite la volonte est aussi principe de toute connais-sance58 Ainsi la croyance en Dieu nest pas le resultat dunecertaine connaissance mais de la volonte59 qui se cree un Dieuafin de donner a la vie lespoir de limmortalite et dune aidesurnaturelle dans les vicissitudes de lexistence60 Preparant lenihilisme athee de Nietzsche Schopenhauer revet dans lhistoirede 1atheisme moderne une place particulierement importante Lavolonte est lEtre de tout ce qui est et a titre de principe ultimede la realite elle determine la connaissance Dans le cadre de latradition philosophique moderne laffirmation de la volonte commeprincipe de realite est la consequence ultime dune philosophicpoietique La fin du projet nest pas la contemplation mais larealisation61 Aussi le principe du projet se sert-il de lintelligencepour la formulation du projet Et dans la mesure oii la connais-sance poietique implique ladaptation de la realite au projet memele principe du projet est ipso facto principe de la realite Aussilinterpretation poietique de la realite voit-elle comme principe dela realite un principe de realisation que Schopenhauer appelle lavolonte Cette volonte est alors principe du projet et de la realisa-tion Cest ainsi que la croyance en Dieu est une hypotheseavancee en fonction de la realisation de la realite Cependant ilsagit dun projet irrealisable car si Dieu existait la vie conduiraitau bonheur Mais la fin de la vie nest pas le bonheur62 la fin dela vie a lepoque moderne est la realisation du projet Puisque lesens de la vie est la realisation sans Dieu du projet de la subjec-tivite humaine il ne reste a lhomme que le pessimisme

Chez Nietzsche la volonte devient volonte de puissance et lepessimisme devient nihilisme sans Dieu Nietzsche constitue lafin de la philosophic moderne au double sens de terme de laphilosophie moderne et de celui qui en montre lessence

58 Ib id p 466 59 Pa re rga W e r k e I V p p 156f60 Ibid 14761 Ibid 147 Russell et Scheler parlent dans ce cadre d une connaissance pour

la martrise du monde cf Bernard Russell The Scientific Outlook (LondonGeorge Allen amp Unwin 1931) p 270 et Max Scheler Vom Ewigen im Menschen(Bern Francke 1968s) p 92

62 cf Aristote Ethique a Nicomaqne I 5 (1097 b I) laquo Le bonheur sembleetre au supreme degre une fin de ce genre car nous le choisissons toujours pourlui-meme et jamais en vue dune autre choseraquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

V Nietzsche

Le point de depart de la philosophie de Nietzsche est la negationde lexistence de Dieu Le christianisme et la foi en Dieu sonten train de disparaitre car Dieu nexiste pas63 Dieu est mort etnous lavons tue laquoNavez-vous pas entendu parler de ce fou quiayant allume une lanterne en plein midi courait sur la place dumarche et criait sans cesse laquo Je cherche Dieu Je cherche Dieu raquolaquoOu est Dieu cria-t-il je vais vous le dire Nous lavons tue mdashvous et moiraquo64 Nous dans la parabole de Nietzsche ce sont lesgens du marche lieu dexpression des valeurs et des mceurs quisont a la mode et qui constituent la civilisation Notre civilisationest profondement athee et cest pourquoi Dieu est mort Heideggerse demande si en annoncant la mort de Dieu Nietzsche ne faitpas que formuler ce que lhistoire de lOccident a toujours sous-entendu 65

Mais comment avons-nous tue Dieu Si Dieu existe II est im-mortel et ne peut mourir Nietzsche affirme bien que Dieu a existemais quil est mort maintenant et que notre societe avec ses com-pagnies dassurance etc a tue Dieu Dieu est mort parce quenotre civilisation Fa exclu de sa vie quotidienne Dieu est mortparce que la foi en Dieu nest plus une force efficace dans notrevie occidentale La mort de Dieu dans la philosophie de Nietzschesignifie la perte ou plus precisement labsence de foi en DieuMais labsence de foi en Dieu signifie plus que la negation deDieu Elle signifie aussi que la terre est desenchainee de sonsoleil et que lhorizon tout entier est efface Cet horizon ce sontles valeurs eternelles La mort de Dieu entraine la disparitiondes valeurs eternelles et absolues66 La consequence de la mort deDieu est le relativisme le plus absolu le relativisme qui est unelaquochute continue ou il ny a plus ni haut ni bas II ny a plusletre mais le devenir en dehors duquel il ny a rien et le devenirnest pas un but il na aucune valeur67 Si Dieu est mort lemonde est pur devenir et le devenir na plus de sens Avec lamort de Dieu le nihilisme le plus terrible des hotes frappe a la

Nietzsche Der Antichrist par 38 (Werke II 1199)Nietzsche Die Frohliche Wissenschaft par 125 (Werke II 127)Martin Heidegger Holzwege Nietzsches Wort laquoGott ist to traquo p 196Ibid p 200Wille znr Macht aph 617 (Werke III 884) ci-apres WzM 617

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porte68 Le nihilisme cest le sentiment penetrant du neant69cest le refus radical de toute valeur et tout sens dans la vie70 a lasuite de la negation de tout etre de tout ce qui est absolu de toutce qui est divin71 Le nihilisme cest vivre la vie comme uneabsurdite et la forme la plus extreme du nihilisme cest daffirmerleternite du neant de labsurde72 Nietzsche a compris quunmonde sans Dieu est un monde nihiliste sans verite sans valeursans espoir qui a sa logique de terreur Apres la mort de Dieunous errons a travers un neant infini le vide nous souffle dans lafigure il ny a plus que la nuit et la nuit devient toujours plusepaisse

Pour Nietzsche la mort de Dieu signifie leclipse de la racehumaine telle que nous la connaissons Afin de survivre a la mortde Dieu il faut necessairement que lhumanite change radicale-ment La mort de Dieu inaugure Fhistoire dune humanite impiesans Dieu73

laquoDieu est mort maintenant nous voulons que le surhommeviveraquo dit Zarathustra74 Le principe de cette transformation delhomme en surhomme se trouve dans la vie meme La mort deDieu impliquant la negation de tout principe transcendant le prin-cipe de la vie et de la survie doit etre strictement immanentII faut que la vie se donne la vie la vie doit se depasser conti-nuellement75 Cest limmanence qui devient principe de la trans-cendance Ce principe Nietzsche lappelle la volonte de puis-sance La volonte de puissance est laquola volonte generatrice ine-puisable de la vieraquo76 Or la volonte est principe daction elle estcause efficiente Aussi le principe de vie est-il un principe danslordre de lefficacite Et un principe nest principe que sil exercesa causalite Lexercice de lefficacite implique la transformation etla domination de la matiere sur laquelle cette cause exerce sonactivite Comme le dit Nietzsche lui-meme laquoLa vie nest pas

68 W z M Z u m Plan (Werke I I I 881)6 9 Ibid 1020 (Werke 111 661)70 Ibid Z u m Plan (Werke I I I 881)71 Ibid 15 (Werke I I I 555)7 2 Ibid 55 (Werke I I I 853)73 N ie t z sche Also sprach Zarathustra I I I laquo V o n der verkle inendern

T u g e n d 3 (Werke I I 420)7 4 Zarathustra IV laquo V o m h o h e r e m M e n s c h e n raquo 2 (Werke I I 523)75 Zarathustra I I laquo Von der Se lbs tuberwindungraquo (Werke I I 370)7 6 Ibid cf aussi Werke I I p p 578 729 819 I I I pp 480 854 896

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

adaptation de facteurs internes a des conditions exterieures elleest volonte de puissance qui depuis linterieur domine et incor-pore toujours plus son milieuraquo77 Aussi la volonte-efficacite est-elle une volonte de puissance non au sens ou elle cherche lapuissance a titre dun but a realiser Car la mort de Dieu impliquela negation de toute finalite La volonte-efficacite est volonte depuissance en ce sens quelle existe comme puissance qui sexercequi a titre de domination du milieu implique 1augmentation depuissance78 Cest cette augmentation de puissance qui permettraa la vie de survivre a la mort de Dieu A condition quelle soit leprincipe ultime de la vie et de tous les aspects de la realite AussiNietzsche comprend-il en particulier la connaissance et la tech-nique comme manifestations de la volonte de puissance

Nietzsche appelle la technique laquoartraquo et il en dit quelle acomme condition le sentiment de transport (Rausch) dintensifi-cation de la vie Ce sentiment peut prendre maintes formes depuislexcitation sexuelle jusquaux transes sous linfluence des drogueset les sentiments de transport dus a une volonte particulierementintensive Ce qui est essentiel a tous ces etats de transport cestle sentiment daugmentation de puissance et de plenitude Cesetats sont une source de richesse On enrichit tout a partir de etpar sa propre plenitude laquo Dans cet etat lhomme transforme leschoses jusqua ce quelles representent sa perfection Ce devoir mdashtransformer en sa perfection mdash cest lartraquo79 Nietzsche comprendlart en termes de transformation de la realite par la volonte depuissance Or la transformation est production Et la productionainsi comprise represente la perfection de la vie car elle constituelaugmentation de puissance La transformation de la realite repre-sentant lexercice meme de la volonte de puissance la productionconstitue pour Nietzsche le mode detre de la volonte de puis-sance le plus authentique Cest grace a la production que lhommesurvivra a la mort de Dieu Et le surhomme est lhomme quiproduit lhomo faber Aussi Nietzsche dit-il de lart quil est legrand stimulant de la vie la redemption des savants des gens quiagissent et qui souffrent80 Pour Nietzsche la survie de lhomme

77 WzM 681 ( W e r k e I I I 8 9 8 ) 78 Martin Heidegger Nietzsche (Pfullingen Neskel 1961) vol I pp 70-79Tgt Nietzsche Gotzen-Ddmmerung laquo Streifziige eines Unzeitgemassen raquo par 8

(Werke II 995)80 WzM 853 (Werke 111 693)

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moderne est done intimement liee a la production Or la genera-lisation de la production eest la technique si bien que pourNietzsche la survie de lhumanite ne saccomplit que par lhege-monie de la technique Lage athee est aussi lage de la technique

Et si la technique est le mode detre authentique de la volontede puissance Nietzsche comprendra la connaissance le savoir lascience non seulement comme modes de la volonte de puissancemais encore comme fonction de la technique Si la volonte depuissance est le principe de la vie la puissance est plus impor-tante que la verite81 de sorte que ce qui importe au niveau de laconnaissance ce nest pas en premier lieu la verite mais lapuissance La verite devient fonction de la puissance une con-naissance est vraie dans la mesure ou elle affirme et reflete lapuissance si bien que le critere de verite est laugmentation dusentiment de puissance82 Evidemment la connaissance ne trans-forme pas la realite elle ne realise rien Elle naugmente pasla puissance mais peut donner le sentiment daugmentation depuissance La verite nest pas quelque chose que Ton prouve queTon decouvre la verite est a creer Et sa creation a la fonctionde rendre la realite plus sure elle est une rationalisation unesystematisation du monde La verite organise le monde83 Ce quiimplique que la verite nest pas necessairement vraie La connais-sance nest quune perspective que jette la volonte de puissancesur la realite afin de sassurer de laugmentation de puissanceAussi Nietzsche maintient-il que la verite est laquo une sorte derreursans laquelle un type determine detre vivant ne pourrait vivreraquo84

De meme la croyance en Dieu est une fabrication une inventionde la volonte de puissance Cest ce que St Paul a compris LeDieu de St Paul ne represente en realite que la decision de StPaul85 Dieu est une creation et une fiction86 Cependant Dieua titre de principe transcendant soppose radicalement a la volontede puissance Dieu est lennemi et la contradiction de la vie87

81 N ie t z sche Menschliches Allzumenschliches vol I I laquoVermisch te Mei-nungen und Spr i icheraquo par 226 (Werke I 827)

82 W z M 534 (Werke I I I 919)83 W z M 552 ( W e r k e I I I 541)84 WzM 493 (Werke III 844)85 Antichrist pa r 47 (Werke I I 1212)86 W e r k e I 1073 1101 I I 208 297 891 943 III 588 60087 Antichrist p a r 18 ( W e r k e I I 1178)

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

I l l

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Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

DIRK PEREBOOMUniversite de Fribourg

96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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naissance ultime de la realite (metaphysique) devient necessaire-ment chez Hegel connaissance de cette connaissance (logique)La philosophie de Hegel devient alors le systeme de cette connais-sance cest-a-dire de lEsprit La realite comprise en termes deprojet qui se realise implique la dialectique comme processus derealisation31 et lEsprit comme sujet de la dialectique Aussi Hegelreproche-t-il a Spinoza et a Schelling dinterpreter lEsprit unique-ment en termes didentite avec la realite (substance) sans tenircompte du dynamisme exige par la realisation de lEsprit meme32laquo Selon ma facon de voir qui doit seulement justifier la presen-tation du systeme tout depend de ce point essentiel saisir etexprimer le vrai (ie la realite dans sa totalite) non seulementcomme substance mais encore comme sujet raquo33 La substance quiest Esprit est le devenir et ce quil est en soi34 cest-a-diresujet35 La vie de lesprit est action (Tat) et Faction supposeune matiere qui est travaillee et transformee36 Ce travail delesprit ce processus dauto-realisation cest lhistoire par la-quelle lEsprit devient son propre produit37

Une telle philosophie qui regarde la realite comme projetpoietique qui se realise a travers le travail de lhistoire ne peutplus se taire au sujet de Dieu comme lavait fait Kant AussiHegel identifie-t-il Dieu a TEsprit et il developpe une theologieou la Trinite correspond exactement aux phases de lhistoire de

31 Wissenschaft der Logik (Hrsg Georg Lasson Hamburg Felix Meiner19672) Pars I p 36

32 Enzyklopddie par 573 laquo A m genauesten wiirden siedie Pantheismenals die Systeme best immt welche das Absolute nur als die Substanz fassen DerMangel dieser samtlichen Vorstellungsweisen und Systeme ist nicht zur Bestim-mung der Substanz als Siibjekt und als Geist fortzugehenraquo

33 Phanomenologie des Geistes (Hrsg Johannes Hoffmeister HamburgFelix Meiner 1952) p 19

34 Ibid p 55835 Ibid p 52836 Einleitung in die Geschichte der Philosophie (Hrsg Johannes Hoffmeister

Hamburg Felix Meiner I9664) p 13 laquoSeindes GeistesLeben ist Tat DieTat hat einen vorhandenen Stoff zu ihrer Voraussetzung auf welchen sie gerichtetist und den sie nicht etwa bloss vermehrt durch hinzugefiigtes Materialverbreitert sondern wesentlich bearbe i te t und umbildetraquo

37 Vorlesungen iiber die Philosophie der Weltgeschichte vol 1 Die Vernnnftin der Geschichte (Hrsg Johannes Hoffmeister Hamburg Felix Meiner I9705)p 72 laquoDer Geist ist wesentlich Resultat seiner Tatigheit raquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

lEsprit38 Cependant le Dieu de la philosophic de Hegel nestpoint le Dieu dAbraham ni celui dailleurs du christianismeHegel comprend la vie divine en termes dhistoire qui constitueun developpement de Dieu39 Cette histoire comprend la negationantithetique de Dieu dans lhomme par la creation Car lespritetant connaissance de soi dans son autre40 Dieu doit devenir sonautre Dieu se connaissant en lhomme implique la connaissancepar lhomme de Dieu connaissance qui se developpe en la con-naissance de soi de lhomme en Dieu41 Aussi lhistoire divinedevient-elle lhistoire de la divinisation de lhomme par lui-memeEn realisant Dieu lhomme se realise si bien que le culte de Dieuest depasse par le culte de lEsprit et la theologie par la philoso-phie hegelienne42

Pour Hegel lantithese est une negation qui cache une identiteprofonde Les jeunes hegeliens sont antithetiques par rapport aHegel dans ce sens ils mettent en lumiere le dynamisme produc-teur de la philosophic poietique hegelienne ce qui a comme corol-laire lafnrmation explicite de latheisme Ainsi Feuerbachmaintient-il que Dieu nest que la projection de lldeal de lhuma-nite43 Dieu est la tache que lhumanite se donne a realiser et lesens de lhistoire cest la realisation dune humanite ideale Aussilathee est celui qui nie lexistence de Dieu sans pour autant nierles attributs divins comme autant dideaux humains44 Si lechristianisme maintient que Dieu est Personne et Amour cecisignifie que la personne et lamour est un ideal humain que lhom-me projette afin de le realiser dans lhistoire

38 Ibid p 58 laquoIm Christentum aber ist Gott als Geist offenbart undzwar ist er zuerst Vater Macht abstrakt Allgemeines das noch eingehiillt istzweitens ist er sich als Gegenstand ein Anderes seiner selbst ein sich Entzweien-des der Sohn Dieses Andere seiner selbst ist aber ebenso unmittelbar er selbst erweiss sich darin und schaut sich darin an mdash und eben dieses Sichwissen und Sich-anschauen ist drittens der Geist selberraquo

Ibid p 48 laquo Die Geschichte ist die Entfaltung der Natur Gottesraquo40 Phanomenologie p 52841 Enzyklopiidie pa r 56442 Enzyklopiidie par 572 577 Geschichte der Philosophies p 150 laquoDie

Philosophie ist also an sich schon eine weitere Bestimmtheit oder Charakterdes Geistes sie ist die innere Geburtstatte des Geistes der spater als Wirklichkeitauftrittraquo

41 cf Wesen des Christentiims vol IV Sumtliche Werke p 16 laquoDerMensch verlegt sein Wesen zuerst ausser sich ehe er es in sich findetraquo

44 Ibid p 17

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Marx reprend latheisme de Feuerbach en accentuant le liensecret entre atheisme et realisation dune humanite ideale Si laphilosophic devient anthropologie chez Feuerbach elle devientideologic pratique chez Marx45 Car seule une humanite atheepourrait realiser lideal et partant lepanouissement absolu delhumanite une humanite qui croit en Dieu projette son idealen Dieu et reste passive devant Dieu quelle croit parfait Aussilatheisme comme processus de reduction de Dieu a des dimen-sions anthropomorphiques est une condition sine qua non de larealisation de lhumanite46

Latheisme de Marx est un atheisme base sur la foi dans lave-nir glorieux de lhumanite47 II revient a Schopenhauer et aNietzsche de formuler un atheisme sans foi

Le christianisme ne met pas en doute lexistence de Dieu cequi est juste dit Schopenhauer car Kant a montre quil est impos-sible de prouver lexistence de Dieu par demonstration Ayantainsi donne le coup de grace a la theologie speculative Kant aessaye dadoucir son agnosticisme en avancant des arguments mo-raux en faveur de la foi en Dieu Cependant il ne sagit pas dunepreuve de lexistence de Dieu mais dun schema regulateur de lamorale car Dieu ny est considere que comme hypothese utile ala morale48 En effet il est impossible que le Dieu personnel dutheisme existe reellement Si Dieu a cree lhomme il Ia creeavec toutes ses caracteristiques qui determinent ses actions si bien

45 laquo T h e s e n iiber F e u e r b a c h XI dans Karl Marx Friedrich Engels Diedeutsche Ideologic (Hrsg V Adoratski j ) WienBer l in Verlag fiir Li t tera tur undPolitik 1932) 535 laquoDie Philosopher haben die Welt nur verschieden i n t e r p r e -tiert es kommt darauf an sie zu v e r a n d e r n raquo (c i -apres M E G A p 535)

46 Marx M E G A p 534 ( T h e s e 4 ) laquo Feuerbach geht von dem Fak tum derreligiosen Selbs tent f remdung der Verdopplung der Welt in eine religiose und eineweltlich aus Aber dass die weltlich Grundlage sich von sich selst abhebt undsich ein selbstandiges Reich in den Wolken fixiert ist nur aus der Selbstzerris-senhei t und Sichse lbs twidersprechen dieser weltl ichen Grundlage zu erklarenDiese selbst muss also in sich selbst sowohl in ihrem Widerspruch vers tanden als prakt isch revolut ioniert werden Also n a c h d e m z B die irdische Familie alsdas Geheimnis de r heiligen Familie en tdeck t ist muss nun ers tereselbsttheoret isch und prakt isch vernichtet we rden raquo

47 Pour Karl Loewi th le marx isme est une heresie du mess ianisme juda ique cf Meaning in His tory (Chicago Univers i ty of Chicago Press 1958) pp 44f

48 Ar thur Schopenhaue r Parerga und Paralipomena I laquo F r a g m e n t e zurGeschichte der Philosophieraquo par 13 laquoNoch einige erlauterungen zur KantischenPhilosophieraquo (Werke IV p 132 ff)

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LA MORT DE D1EU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

que la doctrine de la creation par Dieu ne peut saccorder avec ladoctrine de la liberte humaine sans laquelle on ne peut considererfhomme comme moralement responsable49 Dautre part la doc-trine de limmortalite de lame ne saccorde pas davantage a lideedune creation ex nihilo comment peut-on croire quune existencequi a commence il y a si peu dannees ne disparait pas avec lamort mais continuera miraculeusement a exister eternellement50Dailleurs la doctrine de la creation meme ne saccorde pas auxfaits de la vie Comment peut-on accepter que le monde soitlceuvre dune bonte dune sagesse et dune puissance infinies sion considere que la vie nest que necessite et angoisse souf-france et fardeau51 Loin de promouvoir le bonheur la vie nestque souffrance Aussi est-ce une erreur fondamentale rendant larealite absurde que de penser que le bonheur est la fin de la vie52Si la vie est tragique cest que la souffrance est un processusde purification Mourir est la seule fin de la vie53 cest le fruit dela vie laquoLa mort est levenement le resume ou le total de la viequi exprime dun coup la lecon que la vie nous a donnee succes-sivement et partiellement a savoir que tout leffort dans la vie estla manifestation dune force inutile vaine contradictoire si bienque le debarras de la vie est son salutraquo54 Objectivementparlant la seule conclusion qui simpose cest que la vie est unjeu qui laquonen vaut pas la chandelleraquo55 Et pourtant chaquehomme garde et defend sa vie comme si elle avait une valeurinfinie chacun aime la vie par-dessus tout et craint la mort plusque tout autre danger Cette opposition entre la misere de la vieet lamour de la vie ne sexplique que si Ton suppose que la vieest la manifestation dune volonte aveugle qui agit comme instinctde vie56 Le principe de la realite est la volonte qui cherche ase donner une forme objective a travers les diverses manifestationsde la nature57 Ce principe nest pas le resultat dune connais-

gt Ibid p p 152f50 Ibid p 156

51 Ibid p 151

Arthur Schopenhauer Die Welt als Wille und Vorstellung vol IICh 49 laquoDie Hei lsordnungraquo (Werke I I p 813)

53 Ibid p 81754 Ibid55 Ar thur Schopenhaue r Welt als Wille und Vorstellung vol I I C h 2 8

laquoCharakter is t ik des Willens zum L e b e n raquo (Werke I I p 463)56 Ib id p 464 57 Ib id p 411-423

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sance de la vie une conclusio ex praemissis mais a titre de prin-cipe de la realite la volonte est aussi principe de toute connais-sance58 Ainsi la croyance en Dieu nest pas le resultat dunecertaine connaissance mais de la volonte59 qui se cree un Dieuafin de donner a la vie lespoir de limmortalite et dune aidesurnaturelle dans les vicissitudes de lexistence60 Preparant lenihilisme athee de Nietzsche Schopenhauer revet dans lhistoirede 1atheisme moderne une place particulierement importante Lavolonte est lEtre de tout ce qui est et a titre de principe ultimede la realite elle determine la connaissance Dans le cadre de latradition philosophique moderne laffirmation de la volonte commeprincipe de realite est la consequence ultime dune philosophicpoietique La fin du projet nest pas la contemplation mais larealisation61 Aussi le principe du projet se sert-il de lintelligencepour la formulation du projet Et dans la mesure oii la connais-sance poietique implique ladaptation de la realite au projet memele principe du projet est ipso facto principe de la realite Aussilinterpretation poietique de la realite voit-elle comme principe dela realite un principe de realisation que Schopenhauer appelle lavolonte Cette volonte est alors principe du projet et de la realisa-tion Cest ainsi que la croyance en Dieu est une hypotheseavancee en fonction de la realisation de la realite Cependant ilsagit dun projet irrealisable car si Dieu existait la vie conduiraitau bonheur Mais la fin de la vie nest pas le bonheur62 la fin dela vie a lepoque moderne est la realisation du projet Puisque lesens de la vie est la realisation sans Dieu du projet de la subjec-tivite humaine il ne reste a lhomme que le pessimisme

Chez Nietzsche la volonte devient volonte de puissance et lepessimisme devient nihilisme sans Dieu Nietzsche constitue lafin de la philosophic moderne au double sens de terme de laphilosophie moderne et de celui qui en montre lessence

58 Ib id p 466 59 Pa re rga W e r k e I V p p 156f60 Ibid 14761 Ibid 147 Russell et Scheler parlent dans ce cadre d une connaissance pour

la martrise du monde cf Bernard Russell The Scientific Outlook (LondonGeorge Allen amp Unwin 1931) p 270 et Max Scheler Vom Ewigen im Menschen(Bern Francke 1968s) p 92

62 cf Aristote Ethique a Nicomaqne I 5 (1097 b I) laquo Le bonheur sembleetre au supreme degre une fin de ce genre car nous le choisissons toujours pourlui-meme et jamais en vue dune autre choseraquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

V Nietzsche

Le point de depart de la philosophie de Nietzsche est la negationde lexistence de Dieu Le christianisme et la foi en Dieu sonten train de disparaitre car Dieu nexiste pas63 Dieu est mort etnous lavons tue laquoNavez-vous pas entendu parler de ce fou quiayant allume une lanterne en plein midi courait sur la place dumarche et criait sans cesse laquo Je cherche Dieu Je cherche Dieu raquolaquoOu est Dieu cria-t-il je vais vous le dire Nous lavons tue mdashvous et moiraquo64 Nous dans la parabole de Nietzsche ce sont lesgens du marche lieu dexpression des valeurs et des mceurs quisont a la mode et qui constituent la civilisation Notre civilisationest profondement athee et cest pourquoi Dieu est mort Heideggerse demande si en annoncant la mort de Dieu Nietzsche ne faitpas que formuler ce que lhistoire de lOccident a toujours sous-entendu 65

Mais comment avons-nous tue Dieu Si Dieu existe II est im-mortel et ne peut mourir Nietzsche affirme bien que Dieu a existemais quil est mort maintenant et que notre societe avec ses com-pagnies dassurance etc a tue Dieu Dieu est mort parce quenotre civilisation Fa exclu de sa vie quotidienne Dieu est mortparce que la foi en Dieu nest plus une force efficace dans notrevie occidentale La mort de Dieu dans la philosophie de Nietzschesignifie la perte ou plus precisement labsence de foi en DieuMais labsence de foi en Dieu signifie plus que la negation deDieu Elle signifie aussi que la terre est desenchainee de sonsoleil et que lhorizon tout entier est efface Cet horizon ce sontles valeurs eternelles La mort de Dieu entraine la disparitiondes valeurs eternelles et absolues66 La consequence de la mort deDieu est le relativisme le plus absolu le relativisme qui est unelaquochute continue ou il ny a plus ni haut ni bas II ny a plusletre mais le devenir en dehors duquel il ny a rien et le devenirnest pas un but il na aucune valeur67 Si Dieu est mort lemonde est pur devenir et le devenir na plus de sens Avec lamort de Dieu le nihilisme le plus terrible des hotes frappe a la

Nietzsche Der Antichrist par 38 (Werke II 1199)Nietzsche Die Frohliche Wissenschaft par 125 (Werke II 127)Martin Heidegger Holzwege Nietzsches Wort laquoGott ist to traquo p 196Ibid p 200Wille znr Macht aph 617 (Werke III 884) ci-apres WzM 617

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porte68 Le nihilisme cest le sentiment penetrant du neant69cest le refus radical de toute valeur et tout sens dans la vie70 a lasuite de la negation de tout etre de tout ce qui est absolu de toutce qui est divin71 Le nihilisme cest vivre la vie comme uneabsurdite et la forme la plus extreme du nihilisme cest daffirmerleternite du neant de labsurde72 Nietzsche a compris quunmonde sans Dieu est un monde nihiliste sans verite sans valeursans espoir qui a sa logique de terreur Apres la mort de Dieunous errons a travers un neant infini le vide nous souffle dans lafigure il ny a plus que la nuit et la nuit devient toujours plusepaisse

Pour Nietzsche la mort de Dieu signifie leclipse de la racehumaine telle que nous la connaissons Afin de survivre a la mortde Dieu il faut necessairement que lhumanite change radicale-ment La mort de Dieu inaugure Fhistoire dune humanite impiesans Dieu73

laquoDieu est mort maintenant nous voulons que le surhommeviveraquo dit Zarathustra74 Le principe de cette transformation delhomme en surhomme se trouve dans la vie meme La mort deDieu impliquant la negation de tout principe transcendant le prin-cipe de la vie et de la survie doit etre strictement immanentII faut que la vie se donne la vie la vie doit se depasser conti-nuellement75 Cest limmanence qui devient principe de la trans-cendance Ce principe Nietzsche lappelle la volonte de puis-sance La volonte de puissance est laquola volonte generatrice ine-puisable de la vieraquo76 Or la volonte est principe daction elle estcause efficiente Aussi le principe de vie est-il un principe danslordre de lefficacite Et un principe nest principe que sil exercesa causalite Lexercice de lefficacite implique la transformation etla domination de la matiere sur laquelle cette cause exerce sonactivite Comme le dit Nietzsche lui-meme laquoLa vie nest pas

68 W z M Z u m Plan (Werke I I I 881)6 9 Ibid 1020 (Werke 111 661)70 Ibid Z u m Plan (Werke I I I 881)71 Ibid 15 (Werke I I I 555)7 2 Ibid 55 (Werke I I I 853)73 N ie t z sche Also sprach Zarathustra I I I laquo V o n der verkle inendern

T u g e n d 3 (Werke I I 420)7 4 Zarathustra IV laquo V o m h o h e r e m M e n s c h e n raquo 2 (Werke I I 523)75 Zarathustra I I laquo Von der Se lbs tuberwindungraquo (Werke I I 370)7 6 Ibid cf aussi Werke I I p p 578 729 819 I I I pp 480 854 896

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

adaptation de facteurs internes a des conditions exterieures elleest volonte de puissance qui depuis linterieur domine et incor-pore toujours plus son milieuraquo77 Aussi la volonte-efficacite est-elle une volonte de puissance non au sens ou elle cherche lapuissance a titre dun but a realiser Car la mort de Dieu impliquela negation de toute finalite La volonte-efficacite est volonte depuissance en ce sens quelle existe comme puissance qui sexercequi a titre de domination du milieu implique 1augmentation depuissance78 Cest cette augmentation de puissance qui permettraa la vie de survivre a la mort de Dieu A condition quelle soit leprincipe ultime de la vie et de tous les aspects de la realite AussiNietzsche comprend-il en particulier la connaissance et la tech-nique comme manifestations de la volonte de puissance

Nietzsche appelle la technique laquoartraquo et il en dit quelle acomme condition le sentiment de transport (Rausch) dintensifi-cation de la vie Ce sentiment peut prendre maintes formes depuislexcitation sexuelle jusquaux transes sous linfluence des drogueset les sentiments de transport dus a une volonte particulierementintensive Ce qui est essentiel a tous ces etats de transport cestle sentiment daugmentation de puissance et de plenitude Cesetats sont une source de richesse On enrichit tout a partir de etpar sa propre plenitude laquo Dans cet etat lhomme transforme leschoses jusqua ce quelles representent sa perfection Ce devoir mdashtransformer en sa perfection mdash cest lartraquo79 Nietzsche comprendlart en termes de transformation de la realite par la volonte depuissance Or la transformation est production Et la productionainsi comprise represente la perfection de la vie car elle constituelaugmentation de puissance La transformation de la realite repre-sentant lexercice meme de la volonte de puissance la productionconstitue pour Nietzsche le mode detre de la volonte de puis-sance le plus authentique Cest grace a la production que lhommesurvivra a la mort de Dieu Et le surhomme est lhomme quiproduit lhomo faber Aussi Nietzsche dit-il de lart quil est legrand stimulant de la vie la redemption des savants des gens quiagissent et qui souffrent80 Pour Nietzsche la survie de lhomme

77 WzM 681 ( W e r k e I I I 8 9 8 ) 78 Martin Heidegger Nietzsche (Pfullingen Neskel 1961) vol I pp 70-79Tgt Nietzsche Gotzen-Ddmmerung laquo Streifziige eines Unzeitgemassen raquo par 8

(Werke II 995)80 WzM 853 (Werke 111 693)

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moderne est done intimement liee a la production Or la genera-lisation de la production eest la technique si bien que pourNietzsche la survie de lhumanite ne saccomplit que par lhege-monie de la technique Lage athee est aussi lage de la technique

Et si la technique est le mode detre authentique de la volontede puissance Nietzsche comprendra la connaissance le savoir lascience non seulement comme modes de la volonte de puissancemais encore comme fonction de la technique Si la volonte depuissance est le principe de la vie la puissance est plus impor-tante que la verite81 de sorte que ce qui importe au niveau de laconnaissance ce nest pas en premier lieu la verite mais lapuissance La verite devient fonction de la puissance une con-naissance est vraie dans la mesure ou elle affirme et reflete lapuissance si bien que le critere de verite est laugmentation dusentiment de puissance82 Evidemment la connaissance ne trans-forme pas la realite elle ne realise rien Elle naugmente pasla puissance mais peut donner le sentiment daugmentation depuissance La verite nest pas quelque chose que Ton prouve queTon decouvre la verite est a creer Et sa creation a la fonctionde rendre la realite plus sure elle est une rationalisation unesystematisation du monde La verite organise le monde83 Ce quiimplique que la verite nest pas necessairement vraie La connais-sance nest quune perspective que jette la volonte de puissancesur la realite afin de sassurer de laugmentation de puissanceAussi Nietzsche maintient-il que la verite est laquo une sorte derreursans laquelle un type determine detre vivant ne pourrait vivreraquo84

De meme la croyance en Dieu est une fabrication une inventionde la volonte de puissance Cest ce que St Paul a compris LeDieu de St Paul ne represente en realite que la decision de StPaul85 Dieu est une creation et une fiction86 Cependant Dieua titre de principe transcendant soppose radicalement a la volontede puissance Dieu est lennemi et la contradiction de la vie87

81 N ie t z sche Menschliches Allzumenschliches vol I I laquoVermisch te Mei-nungen und Spr i icheraquo par 226 (Werke I 827)

82 W z M 534 (Werke I I I 919)83 W z M 552 ( W e r k e I I I 541)84 WzM 493 (Werke III 844)85 Antichrist pa r 47 (Werke I I 1212)86 W e r k e I 1073 1101 I I 208 297 891 943 III 588 60087 Antichrist p a r 18 ( W e r k e I I 1178)

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

I l l

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Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

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96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

lEsprit38 Cependant le Dieu de la philosophic de Hegel nestpoint le Dieu dAbraham ni celui dailleurs du christianismeHegel comprend la vie divine en termes dhistoire qui constitueun developpement de Dieu39 Cette histoire comprend la negationantithetique de Dieu dans lhomme par la creation Car lespritetant connaissance de soi dans son autre40 Dieu doit devenir sonautre Dieu se connaissant en lhomme implique la connaissancepar lhomme de Dieu connaissance qui se developpe en la con-naissance de soi de lhomme en Dieu41 Aussi lhistoire divinedevient-elle lhistoire de la divinisation de lhomme par lui-memeEn realisant Dieu lhomme se realise si bien que le culte de Dieuest depasse par le culte de lEsprit et la theologie par la philoso-phie hegelienne42

Pour Hegel lantithese est une negation qui cache une identiteprofonde Les jeunes hegeliens sont antithetiques par rapport aHegel dans ce sens ils mettent en lumiere le dynamisme produc-teur de la philosophic poietique hegelienne ce qui a comme corol-laire lafnrmation explicite de latheisme Ainsi Feuerbachmaintient-il que Dieu nest que la projection de lldeal de lhuma-nite43 Dieu est la tache que lhumanite se donne a realiser et lesens de lhistoire cest la realisation dune humanite ideale Aussilathee est celui qui nie lexistence de Dieu sans pour autant nierles attributs divins comme autant dideaux humains44 Si lechristianisme maintient que Dieu est Personne et Amour cecisignifie que la personne et lamour est un ideal humain que lhom-me projette afin de le realiser dans lhistoire

38 Ibid p 58 laquoIm Christentum aber ist Gott als Geist offenbart undzwar ist er zuerst Vater Macht abstrakt Allgemeines das noch eingehiillt istzweitens ist er sich als Gegenstand ein Anderes seiner selbst ein sich Entzweien-des der Sohn Dieses Andere seiner selbst ist aber ebenso unmittelbar er selbst erweiss sich darin und schaut sich darin an mdash und eben dieses Sichwissen und Sich-anschauen ist drittens der Geist selberraquo

Ibid p 48 laquo Die Geschichte ist die Entfaltung der Natur Gottesraquo40 Phanomenologie p 52841 Enzyklopiidie pa r 56442 Enzyklopiidie par 572 577 Geschichte der Philosophies p 150 laquoDie

Philosophie ist also an sich schon eine weitere Bestimmtheit oder Charakterdes Geistes sie ist die innere Geburtstatte des Geistes der spater als Wirklichkeitauftrittraquo

41 cf Wesen des Christentiims vol IV Sumtliche Werke p 16 laquoDerMensch verlegt sein Wesen zuerst ausser sich ehe er es in sich findetraquo

44 Ibid p 17

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Marx reprend latheisme de Feuerbach en accentuant le liensecret entre atheisme et realisation dune humanite ideale Si laphilosophic devient anthropologie chez Feuerbach elle devientideologic pratique chez Marx45 Car seule une humanite atheepourrait realiser lideal et partant lepanouissement absolu delhumanite une humanite qui croit en Dieu projette son idealen Dieu et reste passive devant Dieu quelle croit parfait Aussilatheisme comme processus de reduction de Dieu a des dimen-sions anthropomorphiques est une condition sine qua non de larealisation de lhumanite46

Latheisme de Marx est un atheisme base sur la foi dans lave-nir glorieux de lhumanite47 II revient a Schopenhauer et aNietzsche de formuler un atheisme sans foi

Le christianisme ne met pas en doute lexistence de Dieu cequi est juste dit Schopenhauer car Kant a montre quil est impos-sible de prouver lexistence de Dieu par demonstration Ayantainsi donne le coup de grace a la theologie speculative Kant aessaye dadoucir son agnosticisme en avancant des arguments mo-raux en faveur de la foi en Dieu Cependant il ne sagit pas dunepreuve de lexistence de Dieu mais dun schema regulateur de lamorale car Dieu ny est considere que comme hypothese utile ala morale48 En effet il est impossible que le Dieu personnel dutheisme existe reellement Si Dieu a cree lhomme il Ia creeavec toutes ses caracteristiques qui determinent ses actions si bien

45 laquo T h e s e n iiber F e u e r b a c h XI dans Karl Marx Friedrich Engels Diedeutsche Ideologic (Hrsg V Adoratski j ) WienBer l in Verlag fiir Li t tera tur undPolitik 1932) 535 laquoDie Philosopher haben die Welt nur verschieden i n t e r p r e -tiert es kommt darauf an sie zu v e r a n d e r n raquo (c i -apres M E G A p 535)

46 Marx M E G A p 534 ( T h e s e 4 ) laquo Feuerbach geht von dem Fak tum derreligiosen Selbs tent f remdung der Verdopplung der Welt in eine religiose und eineweltlich aus Aber dass die weltlich Grundlage sich von sich selst abhebt undsich ein selbstandiges Reich in den Wolken fixiert ist nur aus der Selbstzerris-senhei t und Sichse lbs twidersprechen dieser weltl ichen Grundlage zu erklarenDiese selbst muss also in sich selbst sowohl in ihrem Widerspruch vers tanden als prakt isch revolut ioniert werden Also n a c h d e m z B die irdische Familie alsdas Geheimnis de r heiligen Familie en tdeck t ist muss nun ers tereselbsttheoret isch und prakt isch vernichtet we rden raquo

47 Pour Karl Loewi th le marx isme est une heresie du mess ianisme juda ique cf Meaning in His tory (Chicago Univers i ty of Chicago Press 1958) pp 44f

48 Ar thur Schopenhaue r Parerga und Paralipomena I laquo F r a g m e n t e zurGeschichte der Philosophieraquo par 13 laquoNoch einige erlauterungen zur KantischenPhilosophieraquo (Werke IV p 132 ff)

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LA MORT DE D1EU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

que la doctrine de la creation par Dieu ne peut saccorder avec ladoctrine de la liberte humaine sans laquelle on ne peut considererfhomme comme moralement responsable49 Dautre part la doc-trine de limmortalite de lame ne saccorde pas davantage a lideedune creation ex nihilo comment peut-on croire quune existencequi a commence il y a si peu dannees ne disparait pas avec lamort mais continuera miraculeusement a exister eternellement50Dailleurs la doctrine de la creation meme ne saccorde pas auxfaits de la vie Comment peut-on accepter que le monde soitlceuvre dune bonte dune sagesse et dune puissance infinies sion considere que la vie nest que necessite et angoisse souf-france et fardeau51 Loin de promouvoir le bonheur la vie nestque souffrance Aussi est-ce une erreur fondamentale rendant larealite absurde que de penser que le bonheur est la fin de la vie52Si la vie est tragique cest que la souffrance est un processusde purification Mourir est la seule fin de la vie53 cest le fruit dela vie laquoLa mort est levenement le resume ou le total de la viequi exprime dun coup la lecon que la vie nous a donnee succes-sivement et partiellement a savoir que tout leffort dans la vie estla manifestation dune force inutile vaine contradictoire si bienque le debarras de la vie est son salutraquo54 Objectivementparlant la seule conclusion qui simpose cest que la vie est unjeu qui laquonen vaut pas la chandelleraquo55 Et pourtant chaquehomme garde et defend sa vie comme si elle avait une valeurinfinie chacun aime la vie par-dessus tout et craint la mort plusque tout autre danger Cette opposition entre la misere de la vieet lamour de la vie ne sexplique que si Ton suppose que la vieest la manifestation dune volonte aveugle qui agit comme instinctde vie56 Le principe de la realite est la volonte qui cherche ase donner une forme objective a travers les diverses manifestationsde la nature57 Ce principe nest pas le resultat dune connais-

gt Ibid p p 152f50 Ibid p 156

51 Ibid p 151

Arthur Schopenhauer Die Welt als Wille und Vorstellung vol IICh 49 laquoDie Hei lsordnungraquo (Werke I I p 813)

53 Ibid p 81754 Ibid55 Ar thur Schopenhaue r Welt als Wille und Vorstellung vol I I C h 2 8

laquoCharakter is t ik des Willens zum L e b e n raquo (Werke I I p 463)56 Ib id p 464 57 Ib id p 411-423

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sance de la vie une conclusio ex praemissis mais a titre de prin-cipe de la realite la volonte est aussi principe de toute connais-sance58 Ainsi la croyance en Dieu nest pas le resultat dunecertaine connaissance mais de la volonte59 qui se cree un Dieuafin de donner a la vie lespoir de limmortalite et dune aidesurnaturelle dans les vicissitudes de lexistence60 Preparant lenihilisme athee de Nietzsche Schopenhauer revet dans lhistoirede 1atheisme moderne une place particulierement importante Lavolonte est lEtre de tout ce qui est et a titre de principe ultimede la realite elle determine la connaissance Dans le cadre de latradition philosophique moderne laffirmation de la volonte commeprincipe de realite est la consequence ultime dune philosophicpoietique La fin du projet nest pas la contemplation mais larealisation61 Aussi le principe du projet se sert-il de lintelligencepour la formulation du projet Et dans la mesure oii la connais-sance poietique implique ladaptation de la realite au projet memele principe du projet est ipso facto principe de la realite Aussilinterpretation poietique de la realite voit-elle comme principe dela realite un principe de realisation que Schopenhauer appelle lavolonte Cette volonte est alors principe du projet et de la realisa-tion Cest ainsi que la croyance en Dieu est une hypotheseavancee en fonction de la realisation de la realite Cependant ilsagit dun projet irrealisable car si Dieu existait la vie conduiraitau bonheur Mais la fin de la vie nest pas le bonheur62 la fin dela vie a lepoque moderne est la realisation du projet Puisque lesens de la vie est la realisation sans Dieu du projet de la subjec-tivite humaine il ne reste a lhomme que le pessimisme

Chez Nietzsche la volonte devient volonte de puissance et lepessimisme devient nihilisme sans Dieu Nietzsche constitue lafin de la philosophic moderne au double sens de terme de laphilosophie moderne et de celui qui en montre lessence

58 Ib id p 466 59 Pa re rga W e r k e I V p p 156f60 Ibid 14761 Ibid 147 Russell et Scheler parlent dans ce cadre d une connaissance pour

la martrise du monde cf Bernard Russell The Scientific Outlook (LondonGeorge Allen amp Unwin 1931) p 270 et Max Scheler Vom Ewigen im Menschen(Bern Francke 1968s) p 92

62 cf Aristote Ethique a Nicomaqne I 5 (1097 b I) laquo Le bonheur sembleetre au supreme degre une fin de ce genre car nous le choisissons toujours pourlui-meme et jamais en vue dune autre choseraquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

V Nietzsche

Le point de depart de la philosophie de Nietzsche est la negationde lexistence de Dieu Le christianisme et la foi en Dieu sonten train de disparaitre car Dieu nexiste pas63 Dieu est mort etnous lavons tue laquoNavez-vous pas entendu parler de ce fou quiayant allume une lanterne en plein midi courait sur la place dumarche et criait sans cesse laquo Je cherche Dieu Je cherche Dieu raquolaquoOu est Dieu cria-t-il je vais vous le dire Nous lavons tue mdashvous et moiraquo64 Nous dans la parabole de Nietzsche ce sont lesgens du marche lieu dexpression des valeurs et des mceurs quisont a la mode et qui constituent la civilisation Notre civilisationest profondement athee et cest pourquoi Dieu est mort Heideggerse demande si en annoncant la mort de Dieu Nietzsche ne faitpas que formuler ce que lhistoire de lOccident a toujours sous-entendu 65

Mais comment avons-nous tue Dieu Si Dieu existe II est im-mortel et ne peut mourir Nietzsche affirme bien que Dieu a existemais quil est mort maintenant et que notre societe avec ses com-pagnies dassurance etc a tue Dieu Dieu est mort parce quenotre civilisation Fa exclu de sa vie quotidienne Dieu est mortparce que la foi en Dieu nest plus une force efficace dans notrevie occidentale La mort de Dieu dans la philosophie de Nietzschesignifie la perte ou plus precisement labsence de foi en DieuMais labsence de foi en Dieu signifie plus que la negation deDieu Elle signifie aussi que la terre est desenchainee de sonsoleil et que lhorizon tout entier est efface Cet horizon ce sontles valeurs eternelles La mort de Dieu entraine la disparitiondes valeurs eternelles et absolues66 La consequence de la mort deDieu est le relativisme le plus absolu le relativisme qui est unelaquochute continue ou il ny a plus ni haut ni bas II ny a plusletre mais le devenir en dehors duquel il ny a rien et le devenirnest pas un but il na aucune valeur67 Si Dieu est mort lemonde est pur devenir et le devenir na plus de sens Avec lamort de Dieu le nihilisme le plus terrible des hotes frappe a la

Nietzsche Der Antichrist par 38 (Werke II 1199)Nietzsche Die Frohliche Wissenschaft par 125 (Werke II 127)Martin Heidegger Holzwege Nietzsches Wort laquoGott ist to traquo p 196Ibid p 200Wille znr Macht aph 617 (Werke III 884) ci-apres WzM 617

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porte68 Le nihilisme cest le sentiment penetrant du neant69cest le refus radical de toute valeur et tout sens dans la vie70 a lasuite de la negation de tout etre de tout ce qui est absolu de toutce qui est divin71 Le nihilisme cest vivre la vie comme uneabsurdite et la forme la plus extreme du nihilisme cest daffirmerleternite du neant de labsurde72 Nietzsche a compris quunmonde sans Dieu est un monde nihiliste sans verite sans valeursans espoir qui a sa logique de terreur Apres la mort de Dieunous errons a travers un neant infini le vide nous souffle dans lafigure il ny a plus que la nuit et la nuit devient toujours plusepaisse

Pour Nietzsche la mort de Dieu signifie leclipse de la racehumaine telle que nous la connaissons Afin de survivre a la mortde Dieu il faut necessairement que lhumanite change radicale-ment La mort de Dieu inaugure Fhistoire dune humanite impiesans Dieu73

laquoDieu est mort maintenant nous voulons que le surhommeviveraquo dit Zarathustra74 Le principe de cette transformation delhomme en surhomme se trouve dans la vie meme La mort deDieu impliquant la negation de tout principe transcendant le prin-cipe de la vie et de la survie doit etre strictement immanentII faut que la vie se donne la vie la vie doit se depasser conti-nuellement75 Cest limmanence qui devient principe de la trans-cendance Ce principe Nietzsche lappelle la volonte de puis-sance La volonte de puissance est laquola volonte generatrice ine-puisable de la vieraquo76 Or la volonte est principe daction elle estcause efficiente Aussi le principe de vie est-il un principe danslordre de lefficacite Et un principe nest principe que sil exercesa causalite Lexercice de lefficacite implique la transformation etla domination de la matiere sur laquelle cette cause exerce sonactivite Comme le dit Nietzsche lui-meme laquoLa vie nest pas

68 W z M Z u m Plan (Werke I I I 881)6 9 Ibid 1020 (Werke 111 661)70 Ibid Z u m Plan (Werke I I I 881)71 Ibid 15 (Werke I I I 555)7 2 Ibid 55 (Werke I I I 853)73 N ie t z sche Also sprach Zarathustra I I I laquo V o n der verkle inendern

T u g e n d 3 (Werke I I 420)7 4 Zarathustra IV laquo V o m h o h e r e m M e n s c h e n raquo 2 (Werke I I 523)75 Zarathustra I I laquo Von der Se lbs tuberwindungraquo (Werke I I 370)7 6 Ibid cf aussi Werke I I p p 578 729 819 I I I pp 480 854 896

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

adaptation de facteurs internes a des conditions exterieures elleest volonte de puissance qui depuis linterieur domine et incor-pore toujours plus son milieuraquo77 Aussi la volonte-efficacite est-elle une volonte de puissance non au sens ou elle cherche lapuissance a titre dun but a realiser Car la mort de Dieu impliquela negation de toute finalite La volonte-efficacite est volonte depuissance en ce sens quelle existe comme puissance qui sexercequi a titre de domination du milieu implique 1augmentation depuissance78 Cest cette augmentation de puissance qui permettraa la vie de survivre a la mort de Dieu A condition quelle soit leprincipe ultime de la vie et de tous les aspects de la realite AussiNietzsche comprend-il en particulier la connaissance et la tech-nique comme manifestations de la volonte de puissance

Nietzsche appelle la technique laquoartraquo et il en dit quelle acomme condition le sentiment de transport (Rausch) dintensifi-cation de la vie Ce sentiment peut prendre maintes formes depuislexcitation sexuelle jusquaux transes sous linfluence des drogueset les sentiments de transport dus a une volonte particulierementintensive Ce qui est essentiel a tous ces etats de transport cestle sentiment daugmentation de puissance et de plenitude Cesetats sont une source de richesse On enrichit tout a partir de etpar sa propre plenitude laquo Dans cet etat lhomme transforme leschoses jusqua ce quelles representent sa perfection Ce devoir mdashtransformer en sa perfection mdash cest lartraquo79 Nietzsche comprendlart en termes de transformation de la realite par la volonte depuissance Or la transformation est production Et la productionainsi comprise represente la perfection de la vie car elle constituelaugmentation de puissance La transformation de la realite repre-sentant lexercice meme de la volonte de puissance la productionconstitue pour Nietzsche le mode detre de la volonte de puis-sance le plus authentique Cest grace a la production que lhommesurvivra a la mort de Dieu Et le surhomme est lhomme quiproduit lhomo faber Aussi Nietzsche dit-il de lart quil est legrand stimulant de la vie la redemption des savants des gens quiagissent et qui souffrent80 Pour Nietzsche la survie de lhomme

77 WzM 681 ( W e r k e I I I 8 9 8 ) 78 Martin Heidegger Nietzsche (Pfullingen Neskel 1961) vol I pp 70-79Tgt Nietzsche Gotzen-Ddmmerung laquo Streifziige eines Unzeitgemassen raquo par 8

(Werke II 995)80 WzM 853 (Werke 111 693)

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DIRK PEREBOOM

moderne est done intimement liee a la production Or la genera-lisation de la production eest la technique si bien que pourNietzsche la survie de lhumanite ne saccomplit que par lhege-monie de la technique Lage athee est aussi lage de la technique

Et si la technique est le mode detre authentique de la volontede puissance Nietzsche comprendra la connaissance le savoir lascience non seulement comme modes de la volonte de puissancemais encore comme fonction de la technique Si la volonte depuissance est le principe de la vie la puissance est plus impor-tante que la verite81 de sorte que ce qui importe au niveau de laconnaissance ce nest pas en premier lieu la verite mais lapuissance La verite devient fonction de la puissance une con-naissance est vraie dans la mesure ou elle affirme et reflete lapuissance si bien que le critere de verite est laugmentation dusentiment de puissance82 Evidemment la connaissance ne trans-forme pas la realite elle ne realise rien Elle naugmente pasla puissance mais peut donner le sentiment daugmentation depuissance La verite nest pas quelque chose que Ton prouve queTon decouvre la verite est a creer Et sa creation a la fonctionde rendre la realite plus sure elle est une rationalisation unesystematisation du monde La verite organise le monde83 Ce quiimplique que la verite nest pas necessairement vraie La connais-sance nest quune perspective que jette la volonte de puissancesur la realite afin de sassurer de laugmentation de puissanceAussi Nietzsche maintient-il que la verite est laquo une sorte derreursans laquelle un type determine detre vivant ne pourrait vivreraquo84

De meme la croyance en Dieu est une fabrication une inventionde la volonte de puissance Cest ce que St Paul a compris LeDieu de St Paul ne represente en realite que la decision de StPaul85 Dieu est une creation et une fiction86 Cependant Dieua titre de principe transcendant soppose radicalement a la volontede puissance Dieu est lennemi et la contradiction de la vie87

81 N ie t z sche Menschliches Allzumenschliches vol I I laquoVermisch te Mei-nungen und Spr i icheraquo par 226 (Werke I 827)

82 W z M 534 (Werke I I I 919)83 W z M 552 ( W e r k e I I I 541)84 WzM 493 (Werke III 844)85 Antichrist pa r 47 (Werke I I 1212)86 W e r k e I 1073 1101 I I 208 297 891 943 III 588 60087 Antichrist p a r 18 ( W e r k e I I 1178)

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

I l l

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Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

DIRK PEREBOOMUniversite de Fribourg

96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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Marx reprend latheisme de Feuerbach en accentuant le liensecret entre atheisme et realisation dune humanite ideale Si laphilosophic devient anthropologie chez Feuerbach elle devientideologic pratique chez Marx45 Car seule une humanite atheepourrait realiser lideal et partant lepanouissement absolu delhumanite une humanite qui croit en Dieu projette son idealen Dieu et reste passive devant Dieu quelle croit parfait Aussilatheisme comme processus de reduction de Dieu a des dimen-sions anthropomorphiques est une condition sine qua non de larealisation de lhumanite46

Latheisme de Marx est un atheisme base sur la foi dans lave-nir glorieux de lhumanite47 II revient a Schopenhauer et aNietzsche de formuler un atheisme sans foi

Le christianisme ne met pas en doute lexistence de Dieu cequi est juste dit Schopenhauer car Kant a montre quil est impos-sible de prouver lexistence de Dieu par demonstration Ayantainsi donne le coup de grace a la theologie speculative Kant aessaye dadoucir son agnosticisme en avancant des arguments mo-raux en faveur de la foi en Dieu Cependant il ne sagit pas dunepreuve de lexistence de Dieu mais dun schema regulateur de lamorale car Dieu ny est considere que comme hypothese utile ala morale48 En effet il est impossible que le Dieu personnel dutheisme existe reellement Si Dieu a cree lhomme il Ia creeavec toutes ses caracteristiques qui determinent ses actions si bien

45 laquo T h e s e n iiber F e u e r b a c h XI dans Karl Marx Friedrich Engels Diedeutsche Ideologic (Hrsg V Adoratski j ) WienBer l in Verlag fiir Li t tera tur undPolitik 1932) 535 laquoDie Philosopher haben die Welt nur verschieden i n t e r p r e -tiert es kommt darauf an sie zu v e r a n d e r n raquo (c i -apres M E G A p 535)

46 Marx M E G A p 534 ( T h e s e 4 ) laquo Feuerbach geht von dem Fak tum derreligiosen Selbs tent f remdung der Verdopplung der Welt in eine religiose und eineweltlich aus Aber dass die weltlich Grundlage sich von sich selst abhebt undsich ein selbstandiges Reich in den Wolken fixiert ist nur aus der Selbstzerris-senhei t und Sichse lbs twidersprechen dieser weltl ichen Grundlage zu erklarenDiese selbst muss also in sich selbst sowohl in ihrem Widerspruch vers tanden als prakt isch revolut ioniert werden Also n a c h d e m z B die irdische Familie alsdas Geheimnis de r heiligen Familie en tdeck t ist muss nun ers tereselbsttheoret isch und prakt isch vernichtet we rden raquo

47 Pour Karl Loewi th le marx isme est une heresie du mess ianisme juda ique cf Meaning in His tory (Chicago Univers i ty of Chicago Press 1958) pp 44f

48 Ar thur Schopenhaue r Parerga und Paralipomena I laquo F r a g m e n t e zurGeschichte der Philosophieraquo par 13 laquoNoch einige erlauterungen zur KantischenPhilosophieraquo (Werke IV p 132 ff)

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LA MORT DE D1EU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

que la doctrine de la creation par Dieu ne peut saccorder avec ladoctrine de la liberte humaine sans laquelle on ne peut considererfhomme comme moralement responsable49 Dautre part la doc-trine de limmortalite de lame ne saccorde pas davantage a lideedune creation ex nihilo comment peut-on croire quune existencequi a commence il y a si peu dannees ne disparait pas avec lamort mais continuera miraculeusement a exister eternellement50Dailleurs la doctrine de la creation meme ne saccorde pas auxfaits de la vie Comment peut-on accepter que le monde soitlceuvre dune bonte dune sagesse et dune puissance infinies sion considere que la vie nest que necessite et angoisse souf-france et fardeau51 Loin de promouvoir le bonheur la vie nestque souffrance Aussi est-ce une erreur fondamentale rendant larealite absurde que de penser que le bonheur est la fin de la vie52Si la vie est tragique cest que la souffrance est un processusde purification Mourir est la seule fin de la vie53 cest le fruit dela vie laquoLa mort est levenement le resume ou le total de la viequi exprime dun coup la lecon que la vie nous a donnee succes-sivement et partiellement a savoir que tout leffort dans la vie estla manifestation dune force inutile vaine contradictoire si bienque le debarras de la vie est son salutraquo54 Objectivementparlant la seule conclusion qui simpose cest que la vie est unjeu qui laquonen vaut pas la chandelleraquo55 Et pourtant chaquehomme garde et defend sa vie comme si elle avait une valeurinfinie chacun aime la vie par-dessus tout et craint la mort plusque tout autre danger Cette opposition entre la misere de la vieet lamour de la vie ne sexplique que si Ton suppose que la vieest la manifestation dune volonte aveugle qui agit comme instinctde vie56 Le principe de la realite est la volonte qui cherche ase donner une forme objective a travers les diverses manifestationsde la nature57 Ce principe nest pas le resultat dune connais-

gt Ibid p p 152f50 Ibid p 156

51 Ibid p 151

Arthur Schopenhauer Die Welt als Wille und Vorstellung vol IICh 49 laquoDie Hei lsordnungraquo (Werke I I p 813)

53 Ibid p 81754 Ibid55 Ar thur Schopenhaue r Welt als Wille und Vorstellung vol I I C h 2 8

laquoCharakter is t ik des Willens zum L e b e n raquo (Werke I I p 463)56 Ib id p 464 57 Ib id p 411-423

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sance de la vie une conclusio ex praemissis mais a titre de prin-cipe de la realite la volonte est aussi principe de toute connais-sance58 Ainsi la croyance en Dieu nest pas le resultat dunecertaine connaissance mais de la volonte59 qui se cree un Dieuafin de donner a la vie lespoir de limmortalite et dune aidesurnaturelle dans les vicissitudes de lexistence60 Preparant lenihilisme athee de Nietzsche Schopenhauer revet dans lhistoirede 1atheisme moderne une place particulierement importante Lavolonte est lEtre de tout ce qui est et a titre de principe ultimede la realite elle determine la connaissance Dans le cadre de latradition philosophique moderne laffirmation de la volonte commeprincipe de realite est la consequence ultime dune philosophicpoietique La fin du projet nest pas la contemplation mais larealisation61 Aussi le principe du projet se sert-il de lintelligencepour la formulation du projet Et dans la mesure oii la connais-sance poietique implique ladaptation de la realite au projet memele principe du projet est ipso facto principe de la realite Aussilinterpretation poietique de la realite voit-elle comme principe dela realite un principe de realisation que Schopenhauer appelle lavolonte Cette volonte est alors principe du projet et de la realisa-tion Cest ainsi que la croyance en Dieu est une hypotheseavancee en fonction de la realisation de la realite Cependant ilsagit dun projet irrealisable car si Dieu existait la vie conduiraitau bonheur Mais la fin de la vie nest pas le bonheur62 la fin dela vie a lepoque moderne est la realisation du projet Puisque lesens de la vie est la realisation sans Dieu du projet de la subjec-tivite humaine il ne reste a lhomme que le pessimisme

Chez Nietzsche la volonte devient volonte de puissance et lepessimisme devient nihilisme sans Dieu Nietzsche constitue lafin de la philosophic moderne au double sens de terme de laphilosophie moderne et de celui qui en montre lessence

58 Ib id p 466 59 Pa re rga W e r k e I V p p 156f60 Ibid 14761 Ibid 147 Russell et Scheler parlent dans ce cadre d une connaissance pour

la martrise du monde cf Bernard Russell The Scientific Outlook (LondonGeorge Allen amp Unwin 1931) p 270 et Max Scheler Vom Ewigen im Menschen(Bern Francke 1968s) p 92

62 cf Aristote Ethique a Nicomaqne I 5 (1097 b I) laquo Le bonheur sembleetre au supreme degre une fin de ce genre car nous le choisissons toujours pourlui-meme et jamais en vue dune autre choseraquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

V Nietzsche

Le point de depart de la philosophie de Nietzsche est la negationde lexistence de Dieu Le christianisme et la foi en Dieu sonten train de disparaitre car Dieu nexiste pas63 Dieu est mort etnous lavons tue laquoNavez-vous pas entendu parler de ce fou quiayant allume une lanterne en plein midi courait sur la place dumarche et criait sans cesse laquo Je cherche Dieu Je cherche Dieu raquolaquoOu est Dieu cria-t-il je vais vous le dire Nous lavons tue mdashvous et moiraquo64 Nous dans la parabole de Nietzsche ce sont lesgens du marche lieu dexpression des valeurs et des mceurs quisont a la mode et qui constituent la civilisation Notre civilisationest profondement athee et cest pourquoi Dieu est mort Heideggerse demande si en annoncant la mort de Dieu Nietzsche ne faitpas que formuler ce que lhistoire de lOccident a toujours sous-entendu 65

Mais comment avons-nous tue Dieu Si Dieu existe II est im-mortel et ne peut mourir Nietzsche affirme bien que Dieu a existemais quil est mort maintenant et que notre societe avec ses com-pagnies dassurance etc a tue Dieu Dieu est mort parce quenotre civilisation Fa exclu de sa vie quotidienne Dieu est mortparce que la foi en Dieu nest plus une force efficace dans notrevie occidentale La mort de Dieu dans la philosophie de Nietzschesignifie la perte ou plus precisement labsence de foi en DieuMais labsence de foi en Dieu signifie plus que la negation deDieu Elle signifie aussi que la terre est desenchainee de sonsoleil et que lhorizon tout entier est efface Cet horizon ce sontles valeurs eternelles La mort de Dieu entraine la disparitiondes valeurs eternelles et absolues66 La consequence de la mort deDieu est le relativisme le plus absolu le relativisme qui est unelaquochute continue ou il ny a plus ni haut ni bas II ny a plusletre mais le devenir en dehors duquel il ny a rien et le devenirnest pas un but il na aucune valeur67 Si Dieu est mort lemonde est pur devenir et le devenir na plus de sens Avec lamort de Dieu le nihilisme le plus terrible des hotes frappe a la

Nietzsche Der Antichrist par 38 (Werke II 1199)Nietzsche Die Frohliche Wissenschaft par 125 (Werke II 127)Martin Heidegger Holzwege Nietzsches Wort laquoGott ist to traquo p 196Ibid p 200Wille znr Macht aph 617 (Werke III 884) ci-apres WzM 617

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porte68 Le nihilisme cest le sentiment penetrant du neant69cest le refus radical de toute valeur et tout sens dans la vie70 a lasuite de la negation de tout etre de tout ce qui est absolu de toutce qui est divin71 Le nihilisme cest vivre la vie comme uneabsurdite et la forme la plus extreme du nihilisme cest daffirmerleternite du neant de labsurde72 Nietzsche a compris quunmonde sans Dieu est un monde nihiliste sans verite sans valeursans espoir qui a sa logique de terreur Apres la mort de Dieunous errons a travers un neant infini le vide nous souffle dans lafigure il ny a plus que la nuit et la nuit devient toujours plusepaisse

Pour Nietzsche la mort de Dieu signifie leclipse de la racehumaine telle que nous la connaissons Afin de survivre a la mortde Dieu il faut necessairement que lhumanite change radicale-ment La mort de Dieu inaugure Fhistoire dune humanite impiesans Dieu73

laquoDieu est mort maintenant nous voulons que le surhommeviveraquo dit Zarathustra74 Le principe de cette transformation delhomme en surhomme se trouve dans la vie meme La mort deDieu impliquant la negation de tout principe transcendant le prin-cipe de la vie et de la survie doit etre strictement immanentII faut que la vie se donne la vie la vie doit se depasser conti-nuellement75 Cest limmanence qui devient principe de la trans-cendance Ce principe Nietzsche lappelle la volonte de puis-sance La volonte de puissance est laquola volonte generatrice ine-puisable de la vieraquo76 Or la volonte est principe daction elle estcause efficiente Aussi le principe de vie est-il un principe danslordre de lefficacite Et un principe nest principe que sil exercesa causalite Lexercice de lefficacite implique la transformation etla domination de la matiere sur laquelle cette cause exerce sonactivite Comme le dit Nietzsche lui-meme laquoLa vie nest pas

68 W z M Z u m Plan (Werke I I I 881)6 9 Ibid 1020 (Werke 111 661)70 Ibid Z u m Plan (Werke I I I 881)71 Ibid 15 (Werke I I I 555)7 2 Ibid 55 (Werke I I I 853)73 N ie t z sche Also sprach Zarathustra I I I laquo V o n der verkle inendern

T u g e n d 3 (Werke I I 420)7 4 Zarathustra IV laquo V o m h o h e r e m M e n s c h e n raquo 2 (Werke I I 523)75 Zarathustra I I laquo Von der Se lbs tuberwindungraquo (Werke I I 370)7 6 Ibid cf aussi Werke I I p p 578 729 819 I I I pp 480 854 896

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

adaptation de facteurs internes a des conditions exterieures elleest volonte de puissance qui depuis linterieur domine et incor-pore toujours plus son milieuraquo77 Aussi la volonte-efficacite est-elle une volonte de puissance non au sens ou elle cherche lapuissance a titre dun but a realiser Car la mort de Dieu impliquela negation de toute finalite La volonte-efficacite est volonte depuissance en ce sens quelle existe comme puissance qui sexercequi a titre de domination du milieu implique 1augmentation depuissance78 Cest cette augmentation de puissance qui permettraa la vie de survivre a la mort de Dieu A condition quelle soit leprincipe ultime de la vie et de tous les aspects de la realite AussiNietzsche comprend-il en particulier la connaissance et la tech-nique comme manifestations de la volonte de puissance

Nietzsche appelle la technique laquoartraquo et il en dit quelle acomme condition le sentiment de transport (Rausch) dintensifi-cation de la vie Ce sentiment peut prendre maintes formes depuislexcitation sexuelle jusquaux transes sous linfluence des drogueset les sentiments de transport dus a une volonte particulierementintensive Ce qui est essentiel a tous ces etats de transport cestle sentiment daugmentation de puissance et de plenitude Cesetats sont une source de richesse On enrichit tout a partir de etpar sa propre plenitude laquo Dans cet etat lhomme transforme leschoses jusqua ce quelles representent sa perfection Ce devoir mdashtransformer en sa perfection mdash cest lartraquo79 Nietzsche comprendlart en termes de transformation de la realite par la volonte depuissance Or la transformation est production Et la productionainsi comprise represente la perfection de la vie car elle constituelaugmentation de puissance La transformation de la realite repre-sentant lexercice meme de la volonte de puissance la productionconstitue pour Nietzsche le mode detre de la volonte de puis-sance le plus authentique Cest grace a la production que lhommesurvivra a la mort de Dieu Et le surhomme est lhomme quiproduit lhomo faber Aussi Nietzsche dit-il de lart quil est legrand stimulant de la vie la redemption des savants des gens quiagissent et qui souffrent80 Pour Nietzsche la survie de lhomme

77 WzM 681 ( W e r k e I I I 8 9 8 ) 78 Martin Heidegger Nietzsche (Pfullingen Neskel 1961) vol I pp 70-79Tgt Nietzsche Gotzen-Ddmmerung laquo Streifziige eines Unzeitgemassen raquo par 8

(Werke II 995)80 WzM 853 (Werke 111 693)

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moderne est done intimement liee a la production Or la genera-lisation de la production eest la technique si bien que pourNietzsche la survie de lhumanite ne saccomplit que par lhege-monie de la technique Lage athee est aussi lage de la technique

Et si la technique est le mode detre authentique de la volontede puissance Nietzsche comprendra la connaissance le savoir lascience non seulement comme modes de la volonte de puissancemais encore comme fonction de la technique Si la volonte depuissance est le principe de la vie la puissance est plus impor-tante que la verite81 de sorte que ce qui importe au niveau de laconnaissance ce nest pas en premier lieu la verite mais lapuissance La verite devient fonction de la puissance une con-naissance est vraie dans la mesure ou elle affirme et reflete lapuissance si bien que le critere de verite est laugmentation dusentiment de puissance82 Evidemment la connaissance ne trans-forme pas la realite elle ne realise rien Elle naugmente pasla puissance mais peut donner le sentiment daugmentation depuissance La verite nest pas quelque chose que Ton prouve queTon decouvre la verite est a creer Et sa creation a la fonctionde rendre la realite plus sure elle est une rationalisation unesystematisation du monde La verite organise le monde83 Ce quiimplique que la verite nest pas necessairement vraie La connais-sance nest quune perspective que jette la volonte de puissancesur la realite afin de sassurer de laugmentation de puissanceAussi Nietzsche maintient-il que la verite est laquo une sorte derreursans laquelle un type determine detre vivant ne pourrait vivreraquo84

De meme la croyance en Dieu est une fabrication une inventionde la volonte de puissance Cest ce que St Paul a compris LeDieu de St Paul ne represente en realite que la decision de StPaul85 Dieu est une creation et une fiction86 Cependant Dieua titre de principe transcendant soppose radicalement a la volontede puissance Dieu est lennemi et la contradiction de la vie87

81 N ie t z sche Menschliches Allzumenschliches vol I I laquoVermisch te Mei-nungen und Spr i icheraquo par 226 (Werke I 827)

82 W z M 534 (Werke I I I 919)83 W z M 552 ( W e r k e I I I 541)84 WzM 493 (Werke III 844)85 Antichrist pa r 47 (Werke I I 1212)86 W e r k e I 1073 1101 I I 208 297 891 943 III 588 60087 Antichrist p a r 18 ( W e r k e I I 1178)

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

I l l

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DIRK PEREBOOM

Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

DIRK PEREBOOMUniversite de Fribourg

96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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LA MORT DE D1EU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

que la doctrine de la creation par Dieu ne peut saccorder avec ladoctrine de la liberte humaine sans laquelle on ne peut considererfhomme comme moralement responsable49 Dautre part la doc-trine de limmortalite de lame ne saccorde pas davantage a lideedune creation ex nihilo comment peut-on croire quune existencequi a commence il y a si peu dannees ne disparait pas avec lamort mais continuera miraculeusement a exister eternellement50Dailleurs la doctrine de la creation meme ne saccorde pas auxfaits de la vie Comment peut-on accepter que le monde soitlceuvre dune bonte dune sagesse et dune puissance infinies sion considere que la vie nest que necessite et angoisse souf-france et fardeau51 Loin de promouvoir le bonheur la vie nestque souffrance Aussi est-ce une erreur fondamentale rendant larealite absurde que de penser que le bonheur est la fin de la vie52Si la vie est tragique cest que la souffrance est un processusde purification Mourir est la seule fin de la vie53 cest le fruit dela vie laquoLa mort est levenement le resume ou le total de la viequi exprime dun coup la lecon que la vie nous a donnee succes-sivement et partiellement a savoir que tout leffort dans la vie estla manifestation dune force inutile vaine contradictoire si bienque le debarras de la vie est son salutraquo54 Objectivementparlant la seule conclusion qui simpose cest que la vie est unjeu qui laquonen vaut pas la chandelleraquo55 Et pourtant chaquehomme garde et defend sa vie comme si elle avait une valeurinfinie chacun aime la vie par-dessus tout et craint la mort plusque tout autre danger Cette opposition entre la misere de la vieet lamour de la vie ne sexplique que si Ton suppose que la vieest la manifestation dune volonte aveugle qui agit comme instinctde vie56 Le principe de la realite est la volonte qui cherche ase donner une forme objective a travers les diverses manifestationsde la nature57 Ce principe nest pas le resultat dune connais-

gt Ibid p p 152f50 Ibid p 156

51 Ibid p 151

Arthur Schopenhauer Die Welt als Wille und Vorstellung vol IICh 49 laquoDie Hei lsordnungraquo (Werke I I p 813)

53 Ibid p 81754 Ibid55 Ar thur Schopenhaue r Welt als Wille und Vorstellung vol I I C h 2 8

laquoCharakter is t ik des Willens zum L e b e n raquo (Werke I I p 463)56 Ib id p 464 57 Ib id p 411-423

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sance de la vie une conclusio ex praemissis mais a titre de prin-cipe de la realite la volonte est aussi principe de toute connais-sance58 Ainsi la croyance en Dieu nest pas le resultat dunecertaine connaissance mais de la volonte59 qui se cree un Dieuafin de donner a la vie lespoir de limmortalite et dune aidesurnaturelle dans les vicissitudes de lexistence60 Preparant lenihilisme athee de Nietzsche Schopenhauer revet dans lhistoirede 1atheisme moderne une place particulierement importante Lavolonte est lEtre de tout ce qui est et a titre de principe ultimede la realite elle determine la connaissance Dans le cadre de latradition philosophique moderne laffirmation de la volonte commeprincipe de realite est la consequence ultime dune philosophicpoietique La fin du projet nest pas la contemplation mais larealisation61 Aussi le principe du projet se sert-il de lintelligencepour la formulation du projet Et dans la mesure oii la connais-sance poietique implique ladaptation de la realite au projet memele principe du projet est ipso facto principe de la realite Aussilinterpretation poietique de la realite voit-elle comme principe dela realite un principe de realisation que Schopenhauer appelle lavolonte Cette volonte est alors principe du projet et de la realisa-tion Cest ainsi que la croyance en Dieu est une hypotheseavancee en fonction de la realisation de la realite Cependant ilsagit dun projet irrealisable car si Dieu existait la vie conduiraitau bonheur Mais la fin de la vie nest pas le bonheur62 la fin dela vie a lepoque moderne est la realisation du projet Puisque lesens de la vie est la realisation sans Dieu du projet de la subjec-tivite humaine il ne reste a lhomme que le pessimisme

Chez Nietzsche la volonte devient volonte de puissance et lepessimisme devient nihilisme sans Dieu Nietzsche constitue lafin de la philosophic moderne au double sens de terme de laphilosophie moderne et de celui qui en montre lessence

58 Ib id p 466 59 Pa re rga W e r k e I V p p 156f60 Ibid 14761 Ibid 147 Russell et Scheler parlent dans ce cadre d une connaissance pour

la martrise du monde cf Bernard Russell The Scientific Outlook (LondonGeorge Allen amp Unwin 1931) p 270 et Max Scheler Vom Ewigen im Menschen(Bern Francke 1968s) p 92

62 cf Aristote Ethique a Nicomaqne I 5 (1097 b I) laquo Le bonheur sembleetre au supreme degre une fin de ce genre car nous le choisissons toujours pourlui-meme et jamais en vue dune autre choseraquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

V Nietzsche

Le point de depart de la philosophie de Nietzsche est la negationde lexistence de Dieu Le christianisme et la foi en Dieu sonten train de disparaitre car Dieu nexiste pas63 Dieu est mort etnous lavons tue laquoNavez-vous pas entendu parler de ce fou quiayant allume une lanterne en plein midi courait sur la place dumarche et criait sans cesse laquo Je cherche Dieu Je cherche Dieu raquolaquoOu est Dieu cria-t-il je vais vous le dire Nous lavons tue mdashvous et moiraquo64 Nous dans la parabole de Nietzsche ce sont lesgens du marche lieu dexpression des valeurs et des mceurs quisont a la mode et qui constituent la civilisation Notre civilisationest profondement athee et cest pourquoi Dieu est mort Heideggerse demande si en annoncant la mort de Dieu Nietzsche ne faitpas que formuler ce que lhistoire de lOccident a toujours sous-entendu 65

Mais comment avons-nous tue Dieu Si Dieu existe II est im-mortel et ne peut mourir Nietzsche affirme bien que Dieu a existemais quil est mort maintenant et que notre societe avec ses com-pagnies dassurance etc a tue Dieu Dieu est mort parce quenotre civilisation Fa exclu de sa vie quotidienne Dieu est mortparce que la foi en Dieu nest plus une force efficace dans notrevie occidentale La mort de Dieu dans la philosophie de Nietzschesignifie la perte ou plus precisement labsence de foi en DieuMais labsence de foi en Dieu signifie plus que la negation deDieu Elle signifie aussi que la terre est desenchainee de sonsoleil et que lhorizon tout entier est efface Cet horizon ce sontles valeurs eternelles La mort de Dieu entraine la disparitiondes valeurs eternelles et absolues66 La consequence de la mort deDieu est le relativisme le plus absolu le relativisme qui est unelaquochute continue ou il ny a plus ni haut ni bas II ny a plusletre mais le devenir en dehors duquel il ny a rien et le devenirnest pas un but il na aucune valeur67 Si Dieu est mort lemonde est pur devenir et le devenir na plus de sens Avec lamort de Dieu le nihilisme le plus terrible des hotes frappe a la

Nietzsche Der Antichrist par 38 (Werke II 1199)Nietzsche Die Frohliche Wissenschaft par 125 (Werke II 127)Martin Heidegger Holzwege Nietzsches Wort laquoGott ist to traquo p 196Ibid p 200Wille znr Macht aph 617 (Werke III 884) ci-apres WzM 617

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porte68 Le nihilisme cest le sentiment penetrant du neant69cest le refus radical de toute valeur et tout sens dans la vie70 a lasuite de la negation de tout etre de tout ce qui est absolu de toutce qui est divin71 Le nihilisme cest vivre la vie comme uneabsurdite et la forme la plus extreme du nihilisme cest daffirmerleternite du neant de labsurde72 Nietzsche a compris quunmonde sans Dieu est un monde nihiliste sans verite sans valeursans espoir qui a sa logique de terreur Apres la mort de Dieunous errons a travers un neant infini le vide nous souffle dans lafigure il ny a plus que la nuit et la nuit devient toujours plusepaisse

Pour Nietzsche la mort de Dieu signifie leclipse de la racehumaine telle que nous la connaissons Afin de survivre a la mortde Dieu il faut necessairement que lhumanite change radicale-ment La mort de Dieu inaugure Fhistoire dune humanite impiesans Dieu73

laquoDieu est mort maintenant nous voulons que le surhommeviveraquo dit Zarathustra74 Le principe de cette transformation delhomme en surhomme se trouve dans la vie meme La mort deDieu impliquant la negation de tout principe transcendant le prin-cipe de la vie et de la survie doit etre strictement immanentII faut que la vie se donne la vie la vie doit se depasser conti-nuellement75 Cest limmanence qui devient principe de la trans-cendance Ce principe Nietzsche lappelle la volonte de puis-sance La volonte de puissance est laquola volonte generatrice ine-puisable de la vieraquo76 Or la volonte est principe daction elle estcause efficiente Aussi le principe de vie est-il un principe danslordre de lefficacite Et un principe nest principe que sil exercesa causalite Lexercice de lefficacite implique la transformation etla domination de la matiere sur laquelle cette cause exerce sonactivite Comme le dit Nietzsche lui-meme laquoLa vie nest pas

68 W z M Z u m Plan (Werke I I I 881)6 9 Ibid 1020 (Werke 111 661)70 Ibid Z u m Plan (Werke I I I 881)71 Ibid 15 (Werke I I I 555)7 2 Ibid 55 (Werke I I I 853)73 N ie t z sche Also sprach Zarathustra I I I laquo V o n der verkle inendern

T u g e n d 3 (Werke I I 420)7 4 Zarathustra IV laquo V o m h o h e r e m M e n s c h e n raquo 2 (Werke I I 523)75 Zarathustra I I laquo Von der Se lbs tuberwindungraquo (Werke I I 370)7 6 Ibid cf aussi Werke I I p p 578 729 819 I I I pp 480 854 896

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

adaptation de facteurs internes a des conditions exterieures elleest volonte de puissance qui depuis linterieur domine et incor-pore toujours plus son milieuraquo77 Aussi la volonte-efficacite est-elle une volonte de puissance non au sens ou elle cherche lapuissance a titre dun but a realiser Car la mort de Dieu impliquela negation de toute finalite La volonte-efficacite est volonte depuissance en ce sens quelle existe comme puissance qui sexercequi a titre de domination du milieu implique 1augmentation depuissance78 Cest cette augmentation de puissance qui permettraa la vie de survivre a la mort de Dieu A condition quelle soit leprincipe ultime de la vie et de tous les aspects de la realite AussiNietzsche comprend-il en particulier la connaissance et la tech-nique comme manifestations de la volonte de puissance

Nietzsche appelle la technique laquoartraquo et il en dit quelle acomme condition le sentiment de transport (Rausch) dintensifi-cation de la vie Ce sentiment peut prendre maintes formes depuislexcitation sexuelle jusquaux transes sous linfluence des drogueset les sentiments de transport dus a une volonte particulierementintensive Ce qui est essentiel a tous ces etats de transport cestle sentiment daugmentation de puissance et de plenitude Cesetats sont une source de richesse On enrichit tout a partir de etpar sa propre plenitude laquo Dans cet etat lhomme transforme leschoses jusqua ce quelles representent sa perfection Ce devoir mdashtransformer en sa perfection mdash cest lartraquo79 Nietzsche comprendlart en termes de transformation de la realite par la volonte depuissance Or la transformation est production Et la productionainsi comprise represente la perfection de la vie car elle constituelaugmentation de puissance La transformation de la realite repre-sentant lexercice meme de la volonte de puissance la productionconstitue pour Nietzsche le mode detre de la volonte de puis-sance le plus authentique Cest grace a la production que lhommesurvivra a la mort de Dieu Et le surhomme est lhomme quiproduit lhomo faber Aussi Nietzsche dit-il de lart quil est legrand stimulant de la vie la redemption des savants des gens quiagissent et qui souffrent80 Pour Nietzsche la survie de lhomme

77 WzM 681 ( W e r k e I I I 8 9 8 ) 78 Martin Heidegger Nietzsche (Pfullingen Neskel 1961) vol I pp 70-79Tgt Nietzsche Gotzen-Ddmmerung laquo Streifziige eines Unzeitgemassen raquo par 8

(Werke II 995)80 WzM 853 (Werke 111 693)

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moderne est done intimement liee a la production Or la genera-lisation de la production eest la technique si bien que pourNietzsche la survie de lhumanite ne saccomplit que par lhege-monie de la technique Lage athee est aussi lage de la technique

Et si la technique est le mode detre authentique de la volontede puissance Nietzsche comprendra la connaissance le savoir lascience non seulement comme modes de la volonte de puissancemais encore comme fonction de la technique Si la volonte depuissance est le principe de la vie la puissance est plus impor-tante que la verite81 de sorte que ce qui importe au niveau de laconnaissance ce nest pas en premier lieu la verite mais lapuissance La verite devient fonction de la puissance une con-naissance est vraie dans la mesure ou elle affirme et reflete lapuissance si bien que le critere de verite est laugmentation dusentiment de puissance82 Evidemment la connaissance ne trans-forme pas la realite elle ne realise rien Elle naugmente pasla puissance mais peut donner le sentiment daugmentation depuissance La verite nest pas quelque chose que Ton prouve queTon decouvre la verite est a creer Et sa creation a la fonctionde rendre la realite plus sure elle est une rationalisation unesystematisation du monde La verite organise le monde83 Ce quiimplique que la verite nest pas necessairement vraie La connais-sance nest quune perspective que jette la volonte de puissancesur la realite afin de sassurer de laugmentation de puissanceAussi Nietzsche maintient-il que la verite est laquo une sorte derreursans laquelle un type determine detre vivant ne pourrait vivreraquo84

De meme la croyance en Dieu est une fabrication une inventionde la volonte de puissance Cest ce que St Paul a compris LeDieu de St Paul ne represente en realite que la decision de StPaul85 Dieu est une creation et une fiction86 Cependant Dieua titre de principe transcendant soppose radicalement a la volontede puissance Dieu est lennemi et la contradiction de la vie87

81 N ie t z sche Menschliches Allzumenschliches vol I I laquoVermisch te Mei-nungen und Spr i icheraquo par 226 (Werke I 827)

82 W z M 534 (Werke I I I 919)83 W z M 552 ( W e r k e I I I 541)84 WzM 493 (Werke III 844)85 Antichrist pa r 47 (Werke I I 1212)86 W e r k e I 1073 1101 I I 208 297 891 943 III 588 60087 Antichrist p a r 18 ( W e r k e I I 1178)

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

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Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

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96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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sance de la vie une conclusio ex praemissis mais a titre de prin-cipe de la realite la volonte est aussi principe de toute connais-sance58 Ainsi la croyance en Dieu nest pas le resultat dunecertaine connaissance mais de la volonte59 qui se cree un Dieuafin de donner a la vie lespoir de limmortalite et dune aidesurnaturelle dans les vicissitudes de lexistence60 Preparant lenihilisme athee de Nietzsche Schopenhauer revet dans lhistoirede 1atheisme moderne une place particulierement importante Lavolonte est lEtre de tout ce qui est et a titre de principe ultimede la realite elle determine la connaissance Dans le cadre de latradition philosophique moderne laffirmation de la volonte commeprincipe de realite est la consequence ultime dune philosophicpoietique La fin du projet nest pas la contemplation mais larealisation61 Aussi le principe du projet se sert-il de lintelligencepour la formulation du projet Et dans la mesure oii la connais-sance poietique implique ladaptation de la realite au projet memele principe du projet est ipso facto principe de la realite Aussilinterpretation poietique de la realite voit-elle comme principe dela realite un principe de realisation que Schopenhauer appelle lavolonte Cette volonte est alors principe du projet et de la realisa-tion Cest ainsi que la croyance en Dieu est une hypotheseavancee en fonction de la realisation de la realite Cependant ilsagit dun projet irrealisable car si Dieu existait la vie conduiraitau bonheur Mais la fin de la vie nest pas le bonheur62 la fin dela vie a lepoque moderne est la realisation du projet Puisque lesens de la vie est la realisation sans Dieu du projet de la subjec-tivite humaine il ne reste a lhomme que le pessimisme

Chez Nietzsche la volonte devient volonte de puissance et lepessimisme devient nihilisme sans Dieu Nietzsche constitue lafin de la philosophic moderne au double sens de terme de laphilosophie moderne et de celui qui en montre lessence

58 Ib id p 466 59 Pa re rga W e r k e I V p p 156f60 Ibid 14761 Ibid 147 Russell et Scheler parlent dans ce cadre d une connaissance pour

la martrise du monde cf Bernard Russell The Scientific Outlook (LondonGeorge Allen amp Unwin 1931) p 270 et Max Scheler Vom Ewigen im Menschen(Bern Francke 1968s) p 92

62 cf Aristote Ethique a Nicomaqne I 5 (1097 b I) laquo Le bonheur sembleetre au supreme degre une fin de ce genre car nous le choisissons toujours pourlui-meme et jamais en vue dune autre choseraquo

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

V Nietzsche

Le point de depart de la philosophie de Nietzsche est la negationde lexistence de Dieu Le christianisme et la foi en Dieu sonten train de disparaitre car Dieu nexiste pas63 Dieu est mort etnous lavons tue laquoNavez-vous pas entendu parler de ce fou quiayant allume une lanterne en plein midi courait sur la place dumarche et criait sans cesse laquo Je cherche Dieu Je cherche Dieu raquolaquoOu est Dieu cria-t-il je vais vous le dire Nous lavons tue mdashvous et moiraquo64 Nous dans la parabole de Nietzsche ce sont lesgens du marche lieu dexpression des valeurs et des mceurs quisont a la mode et qui constituent la civilisation Notre civilisationest profondement athee et cest pourquoi Dieu est mort Heideggerse demande si en annoncant la mort de Dieu Nietzsche ne faitpas que formuler ce que lhistoire de lOccident a toujours sous-entendu 65

Mais comment avons-nous tue Dieu Si Dieu existe II est im-mortel et ne peut mourir Nietzsche affirme bien que Dieu a existemais quil est mort maintenant et que notre societe avec ses com-pagnies dassurance etc a tue Dieu Dieu est mort parce quenotre civilisation Fa exclu de sa vie quotidienne Dieu est mortparce que la foi en Dieu nest plus une force efficace dans notrevie occidentale La mort de Dieu dans la philosophie de Nietzschesignifie la perte ou plus precisement labsence de foi en DieuMais labsence de foi en Dieu signifie plus que la negation deDieu Elle signifie aussi que la terre est desenchainee de sonsoleil et que lhorizon tout entier est efface Cet horizon ce sontles valeurs eternelles La mort de Dieu entraine la disparitiondes valeurs eternelles et absolues66 La consequence de la mort deDieu est le relativisme le plus absolu le relativisme qui est unelaquochute continue ou il ny a plus ni haut ni bas II ny a plusletre mais le devenir en dehors duquel il ny a rien et le devenirnest pas un but il na aucune valeur67 Si Dieu est mort lemonde est pur devenir et le devenir na plus de sens Avec lamort de Dieu le nihilisme le plus terrible des hotes frappe a la

Nietzsche Der Antichrist par 38 (Werke II 1199)Nietzsche Die Frohliche Wissenschaft par 125 (Werke II 127)Martin Heidegger Holzwege Nietzsches Wort laquoGott ist to traquo p 196Ibid p 200Wille znr Macht aph 617 (Werke III 884) ci-apres WzM 617

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DIRK PEREBOOM

porte68 Le nihilisme cest le sentiment penetrant du neant69cest le refus radical de toute valeur et tout sens dans la vie70 a lasuite de la negation de tout etre de tout ce qui est absolu de toutce qui est divin71 Le nihilisme cest vivre la vie comme uneabsurdite et la forme la plus extreme du nihilisme cest daffirmerleternite du neant de labsurde72 Nietzsche a compris quunmonde sans Dieu est un monde nihiliste sans verite sans valeursans espoir qui a sa logique de terreur Apres la mort de Dieunous errons a travers un neant infini le vide nous souffle dans lafigure il ny a plus que la nuit et la nuit devient toujours plusepaisse

Pour Nietzsche la mort de Dieu signifie leclipse de la racehumaine telle que nous la connaissons Afin de survivre a la mortde Dieu il faut necessairement que lhumanite change radicale-ment La mort de Dieu inaugure Fhistoire dune humanite impiesans Dieu73

laquoDieu est mort maintenant nous voulons que le surhommeviveraquo dit Zarathustra74 Le principe de cette transformation delhomme en surhomme se trouve dans la vie meme La mort deDieu impliquant la negation de tout principe transcendant le prin-cipe de la vie et de la survie doit etre strictement immanentII faut que la vie se donne la vie la vie doit se depasser conti-nuellement75 Cest limmanence qui devient principe de la trans-cendance Ce principe Nietzsche lappelle la volonte de puis-sance La volonte de puissance est laquola volonte generatrice ine-puisable de la vieraquo76 Or la volonte est principe daction elle estcause efficiente Aussi le principe de vie est-il un principe danslordre de lefficacite Et un principe nest principe que sil exercesa causalite Lexercice de lefficacite implique la transformation etla domination de la matiere sur laquelle cette cause exerce sonactivite Comme le dit Nietzsche lui-meme laquoLa vie nest pas

68 W z M Z u m Plan (Werke I I I 881)6 9 Ibid 1020 (Werke 111 661)70 Ibid Z u m Plan (Werke I I I 881)71 Ibid 15 (Werke I I I 555)7 2 Ibid 55 (Werke I I I 853)73 N ie t z sche Also sprach Zarathustra I I I laquo V o n der verkle inendern

T u g e n d 3 (Werke I I 420)7 4 Zarathustra IV laquo V o m h o h e r e m M e n s c h e n raquo 2 (Werke I I 523)75 Zarathustra I I laquo Von der Se lbs tuberwindungraquo (Werke I I 370)7 6 Ibid cf aussi Werke I I p p 578 729 819 I I I pp 480 854 896

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

adaptation de facteurs internes a des conditions exterieures elleest volonte de puissance qui depuis linterieur domine et incor-pore toujours plus son milieuraquo77 Aussi la volonte-efficacite est-elle une volonte de puissance non au sens ou elle cherche lapuissance a titre dun but a realiser Car la mort de Dieu impliquela negation de toute finalite La volonte-efficacite est volonte depuissance en ce sens quelle existe comme puissance qui sexercequi a titre de domination du milieu implique 1augmentation depuissance78 Cest cette augmentation de puissance qui permettraa la vie de survivre a la mort de Dieu A condition quelle soit leprincipe ultime de la vie et de tous les aspects de la realite AussiNietzsche comprend-il en particulier la connaissance et la tech-nique comme manifestations de la volonte de puissance

Nietzsche appelle la technique laquoartraquo et il en dit quelle acomme condition le sentiment de transport (Rausch) dintensifi-cation de la vie Ce sentiment peut prendre maintes formes depuislexcitation sexuelle jusquaux transes sous linfluence des drogueset les sentiments de transport dus a une volonte particulierementintensive Ce qui est essentiel a tous ces etats de transport cestle sentiment daugmentation de puissance et de plenitude Cesetats sont une source de richesse On enrichit tout a partir de etpar sa propre plenitude laquo Dans cet etat lhomme transforme leschoses jusqua ce quelles representent sa perfection Ce devoir mdashtransformer en sa perfection mdash cest lartraquo79 Nietzsche comprendlart en termes de transformation de la realite par la volonte depuissance Or la transformation est production Et la productionainsi comprise represente la perfection de la vie car elle constituelaugmentation de puissance La transformation de la realite repre-sentant lexercice meme de la volonte de puissance la productionconstitue pour Nietzsche le mode detre de la volonte de puis-sance le plus authentique Cest grace a la production que lhommesurvivra a la mort de Dieu Et le surhomme est lhomme quiproduit lhomo faber Aussi Nietzsche dit-il de lart quil est legrand stimulant de la vie la redemption des savants des gens quiagissent et qui souffrent80 Pour Nietzsche la survie de lhomme

77 WzM 681 ( W e r k e I I I 8 9 8 ) 78 Martin Heidegger Nietzsche (Pfullingen Neskel 1961) vol I pp 70-79Tgt Nietzsche Gotzen-Ddmmerung laquo Streifziige eines Unzeitgemassen raquo par 8

(Werke II 995)80 WzM 853 (Werke 111 693)

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moderne est done intimement liee a la production Or la genera-lisation de la production eest la technique si bien que pourNietzsche la survie de lhumanite ne saccomplit que par lhege-monie de la technique Lage athee est aussi lage de la technique

Et si la technique est le mode detre authentique de la volontede puissance Nietzsche comprendra la connaissance le savoir lascience non seulement comme modes de la volonte de puissancemais encore comme fonction de la technique Si la volonte depuissance est le principe de la vie la puissance est plus impor-tante que la verite81 de sorte que ce qui importe au niveau de laconnaissance ce nest pas en premier lieu la verite mais lapuissance La verite devient fonction de la puissance une con-naissance est vraie dans la mesure ou elle affirme et reflete lapuissance si bien que le critere de verite est laugmentation dusentiment de puissance82 Evidemment la connaissance ne trans-forme pas la realite elle ne realise rien Elle naugmente pasla puissance mais peut donner le sentiment daugmentation depuissance La verite nest pas quelque chose que Ton prouve queTon decouvre la verite est a creer Et sa creation a la fonctionde rendre la realite plus sure elle est une rationalisation unesystematisation du monde La verite organise le monde83 Ce quiimplique que la verite nest pas necessairement vraie La connais-sance nest quune perspective que jette la volonte de puissancesur la realite afin de sassurer de laugmentation de puissanceAussi Nietzsche maintient-il que la verite est laquo une sorte derreursans laquelle un type determine detre vivant ne pourrait vivreraquo84

De meme la croyance en Dieu est une fabrication une inventionde la volonte de puissance Cest ce que St Paul a compris LeDieu de St Paul ne represente en realite que la decision de StPaul85 Dieu est une creation et une fiction86 Cependant Dieua titre de principe transcendant soppose radicalement a la volontede puissance Dieu est lennemi et la contradiction de la vie87

81 N ie t z sche Menschliches Allzumenschliches vol I I laquoVermisch te Mei-nungen und Spr i icheraquo par 226 (Werke I 827)

82 W z M 534 (Werke I I I 919)83 W z M 552 ( W e r k e I I I 541)84 WzM 493 (Werke III 844)85 Antichrist pa r 47 (Werke I I 1212)86 W e r k e I 1073 1101 I I 208 297 891 943 III 588 60087 Antichrist p a r 18 ( W e r k e I I 1178)

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

I l l

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Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

DIRK PEREBOOMUniversite de Fribourg

96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

V Nietzsche

Le point de depart de la philosophie de Nietzsche est la negationde lexistence de Dieu Le christianisme et la foi en Dieu sonten train de disparaitre car Dieu nexiste pas63 Dieu est mort etnous lavons tue laquoNavez-vous pas entendu parler de ce fou quiayant allume une lanterne en plein midi courait sur la place dumarche et criait sans cesse laquo Je cherche Dieu Je cherche Dieu raquolaquoOu est Dieu cria-t-il je vais vous le dire Nous lavons tue mdashvous et moiraquo64 Nous dans la parabole de Nietzsche ce sont lesgens du marche lieu dexpression des valeurs et des mceurs quisont a la mode et qui constituent la civilisation Notre civilisationest profondement athee et cest pourquoi Dieu est mort Heideggerse demande si en annoncant la mort de Dieu Nietzsche ne faitpas que formuler ce que lhistoire de lOccident a toujours sous-entendu 65

Mais comment avons-nous tue Dieu Si Dieu existe II est im-mortel et ne peut mourir Nietzsche affirme bien que Dieu a existemais quil est mort maintenant et que notre societe avec ses com-pagnies dassurance etc a tue Dieu Dieu est mort parce quenotre civilisation Fa exclu de sa vie quotidienne Dieu est mortparce que la foi en Dieu nest plus une force efficace dans notrevie occidentale La mort de Dieu dans la philosophie de Nietzschesignifie la perte ou plus precisement labsence de foi en DieuMais labsence de foi en Dieu signifie plus que la negation deDieu Elle signifie aussi que la terre est desenchainee de sonsoleil et que lhorizon tout entier est efface Cet horizon ce sontles valeurs eternelles La mort de Dieu entraine la disparitiondes valeurs eternelles et absolues66 La consequence de la mort deDieu est le relativisme le plus absolu le relativisme qui est unelaquochute continue ou il ny a plus ni haut ni bas II ny a plusletre mais le devenir en dehors duquel il ny a rien et le devenirnest pas un but il na aucune valeur67 Si Dieu est mort lemonde est pur devenir et le devenir na plus de sens Avec lamort de Dieu le nihilisme le plus terrible des hotes frappe a la

Nietzsche Der Antichrist par 38 (Werke II 1199)Nietzsche Die Frohliche Wissenschaft par 125 (Werke II 127)Martin Heidegger Holzwege Nietzsches Wort laquoGott ist to traquo p 196Ibid p 200Wille znr Macht aph 617 (Werke III 884) ci-apres WzM 617

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porte68 Le nihilisme cest le sentiment penetrant du neant69cest le refus radical de toute valeur et tout sens dans la vie70 a lasuite de la negation de tout etre de tout ce qui est absolu de toutce qui est divin71 Le nihilisme cest vivre la vie comme uneabsurdite et la forme la plus extreme du nihilisme cest daffirmerleternite du neant de labsurde72 Nietzsche a compris quunmonde sans Dieu est un monde nihiliste sans verite sans valeursans espoir qui a sa logique de terreur Apres la mort de Dieunous errons a travers un neant infini le vide nous souffle dans lafigure il ny a plus que la nuit et la nuit devient toujours plusepaisse

Pour Nietzsche la mort de Dieu signifie leclipse de la racehumaine telle que nous la connaissons Afin de survivre a la mortde Dieu il faut necessairement que lhumanite change radicale-ment La mort de Dieu inaugure Fhistoire dune humanite impiesans Dieu73

laquoDieu est mort maintenant nous voulons que le surhommeviveraquo dit Zarathustra74 Le principe de cette transformation delhomme en surhomme se trouve dans la vie meme La mort deDieu impliquant la negation de tout principe transcendant le prin-cipe de la vie et de la survie doit etre strictement immanentII faut que la vie se donne la vie la vie doit se depasser conti-nuellement75 Cest limmanence qui devient principe de la trans-cendance Ce principe Nietzsche lappelle la volonte de puis-sance La volonte de puissance est laquola volonte generatrice ine-puisable de la vieraquo76 Or la volonte est principe daction elle estcause efficiente Aussi le principe de vie est-il un principe danslordre de lefficacite Et un principe nest principe que sil exercesa causalite Lexercice de lefficacite implique la transformation etla domination de la matiere sur laquelle cette cause exerce sonactivite Comme le dit Nietzsche lui-meme laquoLa vie nest pas

68 W z M Z u m Plan (Werke I I I 881)6 9 Ibid 1020 (Werke 111 661)70 Ibid Z u m Plan (Werke I I I 881)71 Ibid 15 (Werke I I I 555)7 2 Ibid 55 (Werke I I I 853)73 N ie t z sche Also sprach Zarathustra I I I laquo V o n der verkle inendern

T u g e n d 3 (Werke I I 420)7 4 Zarathustra IV laquo V o m h o h e r e m M e n s c h e n raquo 2 (Werke I I 523)75 Zarathustra I I laquo Von der Se lbs tuberwindungraquo (Werke I I 370)7 6 Ibid cf aussi Werke I I p p 578 729 819 I I I pp 480 854 896

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

adaptation de facteurs internes a des conditions exterieures elleest volonte de puissance qui depuis linterieur domine et incor-pore toujours plus son milieuraquo77 Aussi la volonte-efficacite est-elle une volonte de puissance non au sens ou elle cherche lapuissance a titre dun but a realiser Car la mort de Dieu impliquela negation de toute finalite La volonte-efficacite est volonte depuissance en ce sens quelle existe comme puissance qui sexercequi a titre de domination du milieu implique 1augmentation depuissance78 Cest cette augmentation de puissance qui permettraa la vie de survivre a la mort de Dieu A condition quelle soit leprincipe ultime de la vie et de tous les aspects de la realite AussiNietzsche comprend-il en particulier la connaissance et la tech-nique comme manifestations de la volonte de puissance

Nietzsche appelle la technique laquoartraquo et il en dit quelle acomme condition le sentiment de transport (Rausch) dintensifi-cation de la vie Ce sentiment peut prendre maintes formes depuislexcitation sexuelle jusquaux transes sous linfluence des drogueset les sentiments de transport dus a une volonte particulierementintensive Ce qui est essentiel a tous ces etats de transport cestle sentiment daugmentation de puissance et de plenitude Cesetats sont une source de richesse On enrichit tout a partir de etpar sa propre plenitude laquo Dans cet etat lhomme transforme leschoses jusqua ce quelles representent sa perfection Ce devoir mdashtransformer en sa perfection mdash cest lartraquo79 Nietzsche comprendlart en termes de transformation de la realite par la volonte depuissance Or la transformation est production Et la productionainsi comprise represente la perfection de la vie car elle constituelaugmentation de puissance La transformation de la realite repre-sentant lexercice meme de la volonte de puissance la productionconstitue pour Nietzsche le mode detre de la volonte de puis-sance le plus authentique Cest grace a la production que lhommesurvivra a la mort de Dieu Et le surhomme est lhomme quiproduit lhomo faber Aussi Nietzsche dit-il de lart quil est legrand stimulant de la vie la redemption des savants des gens quiagissent et qui souffrent80 Pour Nietzsche la survie de lhomme

77 WzM 681 ( W e r k e I I I 8 9 8 ) 78 Martin Heidegger Nietzsche (Pfullingen Neskel 1961) vol I pp 70-79Tgt Nietzsche Gotzen-Ddmmerung laquo Streifziige eines Unzeitgemassen raquo par 8

(Werke II 995)80 WzM 853 (Werke 111 693)

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moderne est done intimement liee a la production Or la genera-lisation de la production eest la technique si bien que pourNietzsche la survie de lhumanite ne saccomplit que par lhege-monie de la technique Lage athee est aussi lage de la technique

Et si la technique est le mode detre authentique de la volontede puissance Nietzsche comprendra la connaissance le savoir lascience non seulement comme modes de la volonte de puissancemais encore comme fonction de la technique Si la volonte depuissance est le principe de la vie la puissance est plus impor-tante que la verite81 de sorte que ce qui importe au niveau de laconnaissance ce nest pas en premier lieu la verite mais lapuissance La verite devient fonction de la puissance une con-naissance est vraie dans la mesure ou elle affirme et reflete lapuissance si bien que le critere de verite est laugmentation dusentiment de puissance82 Evidemment la connaissance ne trans-forme pas la realite elle ne realise rien Elle naugmente pasla puissance mais peut donner le sentiment daugmentation depuissance La verite nest pas quelque chose que Ton prouve queTon decouvre la verite est a creer Et sa creation a la fonctionde rendre la realite plus sure elle est une rationalisation unesystematisation du monde La verite organise le monde83 Ce quiimplique que la verite nest pas necessairement vraie La connais-sance nest quune perspective que jette la volonte de puissancesur la realite afin de sassurer de laugmentation de puissanceAussi Nietzsche maintient-il que la verite est laquo une sorte derreursans laquelle un type determine detre vivant ne pourrait vivreraquo84

De meme la croyance en Dieu est une fabrication une inventionde la volonte de puissance Cest ce que St Paul a compris LeDieu de St Paul ne represente en realite que la decision de StPaul85 Dieu est une creation et une fiction86 Cependant Dieua titre de principe transcendant soppose radicalement a la volontede puissance Dieu est lennemi et la contradiction de la vie87

81 N ie t z sche Menschliches Allzumenschliches vol I I laquoVermisch te Mei-nungen und Spr i icheraquo par 226 (Werke I 827)

82 W z M 534 (Werke I I I 919)83 W z M 552 ( W e r k e I I I 541)84 WzM 493 (Werke III 844)85 Antichrist pa r 47 (Werke I I 1212)86 W e r k e I 1073 1101 I I 208 297 891 943 III 588 60087 Antichrist p a r 18 ( W e r k e I I 1178)

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

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Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

DIRK PEREBOOMUniversite de Fribourg

96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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DIRK PEREBOOM

porte68 Le nihilisme cest le sentiment penetrant du neant69cest le refus radical de toute valeur et tout sens dans la vie70 a lasuite de la negation de tout etre de tout ce qui est absolu de toutce qui est divin71 Le nihilisme cest vivre la vie comme uneabsurdite et la forme la plus extreme du nihilisme cest daffirmerleternite du neant de labsurde72 Nietzsche a compris quunmonde sans Dieu est un monde nihiliste sans verite sans valeursans espoir qui a sa logique de terreur Apres la mort de Dieunous errons a travers un neant infini le vide nous souffle dans lafigure il ny a plus que la nuit et la nuit devient toujours plusepaisse

Pour Nietzsche la mort de Dieu signifie leclipse de la racehumaine telle que nous la connaissons Afin de survivre a la mortde Dieu il faut necessairement que lhumanite change radicale-ment La mort de Dieu inaugure Fhistoire dune humanite impiesans Dieu73

laquoDieu est mort maintenant nous voulons que le surhommeviveraquo dit Zarathustra74 Le principe de cette transformation delhomme en surhomme se trouve dans la vie meme La mort deDieu impliquant la negation de tout principe transcendant le prin-cipe de la vie et de la survie doit etre strictement immanentII faut que la vie se donne la vie la vie doit se depasser conti-nuellement75 Cest limmanence qui devient principe de la trans-cendance Ce principe Nietzsche lappelle la volonte de puis-sance La volonte de puissance est laquola volonte generatrice ine-puisable de la vieraquo76 Or la volonte est principe daction elle estcause efficiente Aussi le principe de vie est-il un principe danslordre de lefficacite Et un principe nest principe que sil exercesa causalite Lexercice de lefficacite implique la transformation etla domination de la matiere sur laquelle cette cause exerce sonactivite Comme le dit Nietzsche lui-meme laquoLa vie nest pas

68 W z M Z u m Plan (Werke I I I 881)6 9 Ibid 1020 (Werke 111 661)70 Ibid Z u m Plan (Werke I I I 881)71 Ibid 15 (Werke I I I 555)7 2 Ibid 55 (Werke I I I 853)73 N ie t z sche Also sprach Zarathustra I I I laquo V o n der verkle inendern

T u g e n d 3 (Werke I I 420)7 4 Zarathustra IV laquo V o m h o h e r e m M e n s c h e n raquo 2 (Werke I I 523)75 Zarathustra I I laquo Von der Se lbs tuberwindungraquo (Werke I I 370)7 6 Ibid cf aussi Werke I I p p 578 729 819 I I I pp 480 854 896

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

adaptation de facteurs internes a des conditions exterieures elleest volonte de puissance qui depuis linterieur domine et incor-pore toujours plus son milieuraquo77 Aussi la volonte-efficacite est-elle une volonte de puissance non au sens ou elle cherche lapuissance a titre dun but a realiser Car la mort de Dieu impliquela negation de toute finalite La volonte-efficacite est volonte depuissance en ce sens quelle existe comme puissance qui sexercequi a titre de domination du milieu implique 1augmentation depuissance78 Cest cette augmentation de puissance qui permettraa la vie de survivre a la mort de Dieu A condition quelle soit leprincipe ultime de la vie et de tous les aspects de la realite AussiNietzsche comprend-il en particulier la connaissance et la tech-nique comme manifestations de la volonte de puissance

Nietzsche appelle la technique laquoartraquo et il en dit quelle acomme condition le sentiment de transport (Rausch) dintensifi-cation de la vie Ce sentiment peut prendre maintes formes depuislexcitation sexuelle jusquaux transes sous linfluence des drogueset les sentiments de transport dus a une volonte particulierementintensive Ce qui est essentiel a tous ces etats de transport cestle sentiment daugmentation de puissance et de plenitude Cesetats sont une source de richesse On enrichit tout a partir de etpar sa propre plenitude laquo Dans cet etat lhomme transforme leschoses jusqua ce quelles representent sa perfection Ce devoir mdashtransformer en sa perfection mdash cest lartraquo79 Nietzsche comprendlart en termes de transformation de la realite par la volonte depuissance Or la transformation est production Et la productionainsi comprise represente la perfection de la vie car elle constituelaugmentation de puissance La transformation de la realite repre-sentant lexercice meme de la volonte de puissance la productionconstitue pour Nietzsche le mode detre de la volonte de puis-sance le plus authentique Cest grace a la production que lhommesurvivra a la mort de Dieu Et le surhomme est lhomme quiproduit lhomo faber Aussi Nietzsche dit-il de lart quil est legrand stimulant de la vie la redemption des savants des gens quiagissent et qui souffrent80 Pour Nietzsche la survie de lhomme

77 WzM 681 ( W e r k e I I I 8 9 8 ) 78 Martin Heidegger Nietzsche (Pfullingen Neskel 1961) vol I pp 70-79Tgt Nietzsche Gotzen-Ddmmerung laquo Streifziige eines Unzeitgemassen raquo par 8

(Werke II 995)80 WzM 853 (Werke 111 693)

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moderne est done intimement liee a la production Or la genera-lisation de la production eest la technique si bien que pourNietzsche la survie de lhumanite ne saccomplit que par lhege-monie de la technique Lage athee est aussi lage de la technique

Et si la technique est le mode detre authentique de la volontede puissance Nietzsche comprendra la connaissance le savoir lascience non seulement comme modes de la volonte de puissancemais encore comme fonction de la technique Si la volonte depuissance est le principe de la vie la puissance est plus impor-tante que la verite81 de sorte que ce qui importe au niveau de laconnaissance ce nest pas en premier lieu la verite mais lapuissance La verite devient fonction de la puissance une con-naissance est vraie dans la mesure ou elle affirme et reflete lapuissance si bien que le critere de verite est laugmentation dusentiment de puissance82 Evidemment la connaissance ne trans-forme pas la realite elle ne realise rien Elle naugmente pasla puissance mais peut donner le sentiment daugmentation depuissance La verite nest pas quelque chose que Ton prouve queTon decouvre la verite est a creer Et sa creation a la fonctionde rendre la realite plus sure elle est une rationalisation unesystematisation du monde La verite organise le monde83 Ce quiimplique que la verite nest pas necessairement vraie La connais-sance nest quune perspective que jette la volonte de puissancesur la realite afin de sassurer de laugmentation de puissanceAussi Nietzsche maintient-il que la verite est laquo une sorte derreursans laquelle un type determine detre vivant ne pourrait vivreraquo84

De meme la croyance en Dieu est une fabrication une inventionde la volonte de puissance Cest ce que St Paul a compris LeDieu de St Paul ne represente en realite que la decision de StPaul85 Dieu est une creation et une fiction86 Cependant Dieua titre de principe transcendant soppose radicalement a la volontede puissance Dieu est lennemi et la contradiction de la vie87

81 N ie t z sche Menschliches Allzumenschliches vol I I laquoVermisch te Mei-nungen und Spr i icheraquo par 226 (Werke I 827)

82 W z M 534 (Werke I I I 919)83 W z M 552 ( W e r k e I I I 541)84 WzM 493 (Werke III 844)85 Antichrist pa r 47 (Werke I I 1212)86 W e r k e I 1073 1101 I I 208 297 891 943 III 588 60087 Antichrist p a r 18 ( W e r k e I I 1178)

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

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Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

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96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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LA MORT DE DIEU DANS LA PHILOSOPH1E MODERNE

adaptation de facteurs internes a des conditions exterieures elleest volonte de puissance qui depuis linterieur domine et incor-pore toujours plus son milieuraquo77 Aussi la volonte-efficacite est-elle une volonte de puissance non au sens ou elle cherche lapuissance a titre dun but a realiser Car la mort de Dieu impliquela negation de toute finalite La volonte-efficacite est volonte depuissance en ce sens quelle existe comme puissance qui sexercequi a titre de domination du milieu implique 1augmentation depuissance78 Cest cette augmentation de puissance qui permettraa la vie de survivre a la mort de Dieu A condition quelle soit leprincipe ultime de la vie et de tous les aspects de la realite AussiNietzsche comprend-il en particulier la connaissance et la tech-nique comme manifestations de la volonte de puissance

Nietzsche appelle la technique laquoartraquo et il en dit quelle acomme condition le sentiment de transport (Rausch) dintensifi-cation de la vie Ce sentiment peut prendre maintes formes depuislexcitation sexuelle jusquaux transes sous linfluence des drogueset les sentiments de transport dus a une volonte particulierementintensive Ce qui est essentiel a tous ces etats de transport cestle sentiment daugmentation de puissance et de plenitude Cesetats sont une source de richesse On enrichit tout a partir de etpar sa propre plenitude laquo Dans cet etat lhomme transforme leschoses jusqua ce quelles representent sa perfection Ce devoir mdashtransformer en sa perfection mdash cest lartraquo79 Nietzsche comprendlart en termes de transformation de la realite par la volonte depuissance Or la transformation est production Et la productionainsi comprise represente la perfection de la vie car elle constituelaugmentation de puissance La transformation de la realite repre-sentant lexercice meme de la volonte de puissance la productionconstitue pour Nietzsche le mode detre de la volonte de puis-sance le plus authentique Cest grace a la production que lhommesurvivra a la mort de Dieu Et le surhomme est lhomme quiproduit lhomo faber Aussi Nietzsche dit-il de lart quil est legrand stimulant de la vie la redemption des savants des gens quiagissent et qui souffrent80 Pour Nietzsche la survie de lhomme

77 WzM 681 ( W e r k e I I I 8 9 8 ) 78 Martin Heidegger Nietzsche (Pfullingen Neskel 1961) vol I pp 70-79Tgt Nietzsche Gotzen-Ddmmerung laquo Streifziige eines Unzeitgemassen raquo par 8

(Werke II 995)80 WzM 853 (Werke 111 693)

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moderne est done intimement liee a la production Or la genera-lisation de la production eest la technique si bien que pourNietzsche la survie de lhumanite ne saccomplit que par lhege-monie de la technique Lage athee est aussi lage de la technique

Et si la technique est le mode detre authentique de la volontede puissance Nietzsche comprendra la connaissance le savoir lascience non seulement comme modes de la volonte de puissancemais encore comme fonction de la technique Si la volonte depuissance est le principe de la vie la puissance est plus impor-tante que la verite81 de sorte que ce qui importe au niveau de laconnaissance ce nest pas en premier lieu la verite mais lapuissance La verite devient fonction de la puissance une con-naissance est vraie dans la mesure ou elle affirme et reflete lapuissance si bien que le critere de verite est laugmentation dusentiment de puissance82 Evidemment la connaissance ne trans-forme pas la realite elle ne realise rien Elle naugmente pasla puissance mais peut donner le sentiment daugmentation depuissance La verite nest pas quelque chose que Ton prouve queTon decouvre la verite est a creer Et sa creation a la fonctionde rendre la realite plus sure elle est une rationalisation unesystematisation du monde La verite organise le monde83 Ce quiimplique que la verite nest pas necessairement vraie La connais-sance nest quune perspective que jette la volonte de puissancesur la realite afin de sassurer de laugmentation de puissanceAussi Nietzsche maintient-il que la verite est laquo une sorte derreursans laquelle un type determine detre vivant ne pourrait vivreraquo84

De meme la croyance en Dieu est une fabrication une inventionde la volonte de puissance Cest ce que St Paul a compris LeDieu de St Paul ne represente en realite que la decision de StPaul85 Dieu est une creation et une fiction86 Cependant Dieua titre de principe transcendant soppose radicalement a la volontede puissance Dieu est lennemi et la contradiction de la vie87

81 N ie t z sche Menschliches Allzumenschliches vol I I laquoVermisch te Mei-nungen und Spr i icheraquo par 226 (Werke I 827)

82 W z M 534 (Werke I I I 919)83 W z M 552 ( W e r k e I I I 541)84 WzM 493 (Werke III 844)85 Antichrist pa r 47 (Werke I I 1212)86 W e r k e I 1073 1101 I I 208 297 891 943 III 588 60087 Antichrist p a r 18 ( W e r k e I I 1178)

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

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Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

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96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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moderne est done intimement liee a la production Or la genera-lisation de la production eest la technique si bien que pourNietzsche la survie de lhumanite ne saccomplit que par lhege-monie de la technique Lage athee est aussi lage de la technique

Et si la technique est le mode detre authentique de la volontede puissance Nietzsche comprendra la connaissance le savoir lascience non seulement comme modes de la volonte de puissancemais encore comme fonction de la technique Si la volonte depuissance est le principe de la vie la puissance est plus impor-tante que la verite81 de sorte que ce qui importe au niveau de laconnaissance ce nest pas en premier lieu la verite mais lapuissance La verite devient fonction de la puissance une con-naissance est vraie dans la mesure ou elle affirme et reflete lapuissance si bien que le critere de verite est laugmentation dusentiment de puissance82 Evidemment la connaissance ne trans-forme pas la realite elle ne realise rien Elle naugmente pasla puissance mais peut donner le sentiment daugmentation depuissance La verite nest pas quelque chose que Ton prouve queTon decouvre la verite est a creer Et sa creation a la fonctionde rendre la realite plus sure elle est une rationalisation unesystematisation du monde La verite organise le monde83 Ce quiimplique que la verite nest pas necessairement vraie La connais-sance nest quune perspective que jette la volonte de puissancesur la realite afin de sassurer de laugmentation de puissanceAussi Nietzsche maintient-il que la verite est laquo une sorte derreursans laquelle un type determine detre vivant ne pourrait vivreraquo84

De meme la croyance en Dieu est une fabrication une inventionde la volonte de puissance Cest ce que St Paul a compris LeDieu de St Paul ne represente en realite que la decision de StPaul85 Dieu est une creation et une fiction86 Cependant Dieua titre de principe transcendant soppose radicalement a la volontede puissance Dieu est lennemi et la contradiction de la vie87

81 N ie t z sche Menschliches Allzumenschliches vol I I laquoVermisch te Mei-nungen und Spr i icheraquo par 226 (Werke I 827)

82 W z M 534 (Werke I I I 919)83 W z M 552 ( W e r k e I I I 541)84 WzM 493 (Werke III 844)85 Antichrist pa r 47 (Werke I I 1212)86 W e r k e I 1073 1101 I I 208 297 891 943 III 588 60087 Antichrist p a r 18 ( W e r k e I I 1178)

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

I l l

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DIRK PEREBOOM

Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

DIRK PEREBOOMUniversite de Fribourg

96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

112

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LA MORTDE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE

Comment la volonte de puissance peut-elle alors produire le prin-cipe de sa propre annihilation Nietzsche distingue a ce sujetentre deux modes de la volonte de puissance le mode authentiquepersonnifie par laristocrate et le surhomme et le mode de deca-dence qui anime les faibles les esclaves le dernier des hommesCe dernier mode de la volonte veut le neant plutot que de ne pasvouloir88 Le neant dans ce cas precis cest Dieu et Nietzschevoit en particulier deux situations qui donnent naissance a lacroyance en Dieu la souffrance et le ressentiment

Puisque la volonte de puissance signifie la transformation de larealite et que toute transformation porte avec elle la souffrance lasouffrance est essentielle a la vie89 comme lavait deja affirmeSchopenhauer Aussi Nietzsche maintient-il que plus on comprendprofondement la vie plus on comprend aussi la souffrance90 Et lacapacite de souffrance determine aussi le rang dune personne91Cependant si la souffrance depasse les capacites de resistance lavie invente un mensonge92 qui donne confiance en la vie qui se-duit

Dautre part la croyance en Dieu realise aussi la puissance deressentiment En proclamant la toute-puissance transcendante deDieu on exige lobeissance absolue a cette puissance Et on sim-pose soi-meme comme puissance93 Aussi lEglise et les pretressont-ils animes selon Nietzsche par une volonte de puissance94mais une volonte animee par le ressentiment Ne pouvant sim-poser directement lhomme mu par le ressentiment soumet sonmonde entier a letat desclavage95 Le Dieu des Chretiens est un

88 Genealogie der Moral laquo W a s bedeuten aske t i sche I d e a l e raquo par 28(Werke II 900) laquomdash das alles bedeu te t wagen wir e s dies zu begreifen einenWilier zum Nichts einen Widerwillen gegen das L e b e n eine Auflehnung gegendie grundsatzl ichsten Vorausse tzungen des L e b e n s aber es ist und bleibt einWille Und um es noch zum Schluss zu s a g e n l ieber will noch de r Menschdas Nichts wollen als nicht wol len raquo

89 Jenseits von Gut und Biise p a r 225 ( W e r k e I I 689) 90 Zaratlwstra I I I laquo V o m G e s i c h t u n d R a t s e l raquo I ( W e r k e I I 4 0 8 ) 91 Jenseits von Gut und Biise p a r 270 ( W e r k e I I 744) 92 W z M 853 1 ( W e r k e I I I 693 ) bull W z M 216 ( W e r k e I I I 568f)94 Zur Genealogie der Moral laquoWas bedeuten asketische Idealeraquo par 15

(Werke II 866)95 ur Genealogie der Moral laquoGut und Bose Gut and Schlechtraquo par 10

(Werke II 782)

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Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

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96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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Dieu de decadence et de ressentiment96 Le christianisme est nedu ressentiment et Dieu est linvention dun esprit malade97

Aussi le christianisme est-il destine a disparaitre Dieu ayantvecu doit mourir car la volonte de puissance saffirme inelucta-blement meme aux depens de sa propre invention decadente98Le reniement de Dieu est la redemption du monde

Nietzsche represente dans lhistoire de la philosophie modernele moment de la radicalisation de la philosophie poietique Saphilosophie represente le pari de lhumanite moderne occidentalepari dont lenjeu est la survie de lhomme meme Cependant ledepassement du dernier des hommes vers le surhomme repre-sente un projet de lhomme moderne aussi ce depassement est-ilnon un depassement de lhomme vers le surhomme mais de lhom-me vers le produit de son propre projet Cest lepoque de lavolonte de puissance selon Heidegger100

La reponse au subjectivisme nihiliste nest pas le fideismemais la decouverte de la connaissance pre-copernicienne commelont developpe Jaspers et Heidegger Cette connaissance est vraienon par verification mais dans la mesure ou elle saccorde a larealite A cette condition elle est pensee a lEtre pensee quiappartient a lEtre Cette pensee decouvre et les limites de lasubjectivite humaine et la transcendance comme principe teleolo-gique de lexistence De cette maniere elle assume la connais-sance poietique comme moyen depanouissement humain

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96 Antichrist p a r 51 ( W e r k e I I 1217) laquo i n h o c s igno s i eg te d ie decadenceraquo97 NietzscheEcce Homo laquoGenealogie der Moralraquo (Werke II 1143)98 Ecce Homo laquoWarum ich ein Schicksal binraquo par 8 (Werke 111 1159)

WzM 147 (Werke III 566) Gotzen-Dcimmerung laquoMoral als Widernaturraquo par 4(Werke II 968)

99 Gotzen-Ddmmerung laquo D i e v i e r g r o s s e n l r r t i i m e r raquo p a r 8 ( W e r k e I I 978) 100 Martin Heidegger Vortrdge und Aufsdtze laquoUeberwindung der Meta-

physikraquo (Pfullingen Neske 1954) pp 72ff Holzwege laquoWozu Dichterraquo p 258

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