Écho et reprise dans les séries télévisées (III) - OpenEdition ...

281
TV/Series 6 | 2014 Écho et reprise dans les séries télévisées (III) : de la métafiction à la transmédialité TV Series Redux: Recycling, Remaking, Resuming (III): from metafiction to transmedia Florence Cabaret et Claire Cornillon (dir.) Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/tvseries/305 DOI : 10.4000/tvseries.305 ISSN : 2266-0909 Éditeur GRIC - Groupe de recherche Identités et Cultures Référence électronique Florence Cabaret et Claire Cornillon (dir.), TV/Series, 6 | 2014, « Écho et reprise dans les séries télévisées (III) : de la métaction à la transmédialité » [En ligne], mis en ligne le 01 décembre 2014, consulté le 22 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/tvseries/305 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/tvseries.305 Ce document a été généré automatiquement le 22 septembre 2020. TV/Series est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modication 4.0 International.

Transcript of Écho et reprise dans les séries télévisées (III) - OpenEdition ...

TV/Series 

6 | 2014Écho et reprise dans les séries télévisées (III) : de lamétafiction à la transmédialitéTV Series Redux: Recycling, Remaking, Resuming (III): from metafiction totransmedia

Florence Cabaret et Claire Cornillon (dir.)

Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/tvseries/305DOI : 10.4000/tvseries.305ISSN : 2266-0909

ÉditeurGRIC - Groupe de recherche Identités et Cultures

Référence électroniqueFlorence Cabaret et Claire Cornillon (dir.), TV/Series, 6 | 2014, « Écho et reprise dans les sériestélévisées (III) : de la métafiction à la transmédialité » [En ligne], mis en ligne le 01 décembre 2014,consulté le 22 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/tvseries/305 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tvseries.305

Ce document a été généré automatiquement le 22 septembre 2020.

TV/Series est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pasd'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

NOTE DE LA RÉDACTION

Ce numéro de TV/Series est paru initialement sur le site : http://revuetvseries.wix.com/

tvseries

TV/Series, 6 | 2014

1

SOMMAIRE

PréfaceÉcho et reprise dans les séries télévisées (III) : de la métafiction à la transmédialitéClaire Cornillon et Florence Cabaret

Les amorces narratives, ou le plaisir des histoires cousues de fil blancMarie Tréfousse

L’art du teaser : les séquences prégénériques dans quelques séries fantastiques américainesdes années 1990 et 2000Claire Cornillon

Échos en série : Formes et enjeux de la réplique dans The WireLivio Belloï

Échos et remake dans les séries télévisées des années 1960 à nos joursJean Du Verger

Relectures, réécritures, réinventions : Charmed ou l’art du recyclage postmoderneAlexis Pichard

High Fidelity: Adapting Fantasy to the Small ScreenShannon Wells-Lassagne

Par le petit écran de FringeAurélie Villers

À l’intérieur de Seinfeld : la sitcom JerryEric Gatefin

Game of Thrones: Quality Television and the Cultural Logic of GentrificationDan Hassler-Forest

Échos lointains pour reprise dissonante : la série catalane InfidelsJennifer Houdiard

Continuité, canonicité et complétude dans Doctor WhoFlorent Favard

Réappropriation et intertextualité dans la web-série GirltrashÉmilie Marolleau

Seriality and Transmediality in the Fan Multiverse: Flexible and Multiple NarrativeStructures in Fan Fiction, Art, and VidsAnne Kustritz

Varia

Une génération Sher-lockedMarie Maillos

Quatermass and the Pit: from British SF TV serial to Gothic Hammer filmGaïd Girard

TV/Series, 6 | 2014

2

Comptes-rendus

Jonathan Bignell’s conference: “Adventures between TV and film, and between Britain andAmerica” (Journée thématique GUEST-Normandie Séries/cinéma, Novembre 21st, 2014, Caen)Shannon Wells-Lassagne

Tara BENNETT (ed.), Showrunners: The Art of Running a TV ShowLondres, Titan Books, 2014 (240 p.)Florent Favard

TV/Series, 6 | 2014

3

PréfaceÉcho et reprise dans les séries télévisées (III) : de la métafiction à latransmédialité

Claire Cornillon et Florence Cabaret

1 Les séries télévisées offrent un terrain particulièrement adapté aux phénomènes de

récurrence, d’échos, d’intertextualité ou d’expansion narrative ou fictionnelle. Se

déployant dans le temps et jouant sur la tension entre rupture et continuité, elles

constituent une fiction aux différentes facettes. À la suite des numéros 3 (« Écho et

Reprise I : Reprise et intermédialité »1) et 4 (« Écho et Reprise II : Re-présentations,

enjeux socio-culturels, idéologiques et politiques de la reprise »2), le présent numéro

entend continuer à explorer la question des échos et reprises, cette fois sous l’angle de

la réflexivité et de la multimédialité, ou de la transmédialité. Les séries évoquées ici

proposent une complexification de leur écriture ou de leur format par une prise en

compte métafictionnelle de leur nature même de série ou bien par l’expansion de leur

univers sur plusieurs supports. Dès lors, elles ouvrent les possibilités de la fiction

sérielle en tenant compte à la fois des spécificités de la série télévisée ainsi que de ses

rapports avec les autres arts ou les autres médias.

2 Les articles proposés dans ce numéro proviennent de communications prononcées lors

de différents événements scientifiques mais rassemblés ici par les liens qui se sont

tissés entre eux, par delà les thématiques abordées à chaque occasion. Certains textes

sont issus de communications présentées au colloque « Écho et Reprise dans les Séries

Télévisées3 », d’autres lors du séminaire « Narrations sérielles et Transmédialité4 ». Les

communications issues du colloque tendent à explorer la notion de reprise sous l'angle

de l'intertextualité et de la réflexivité, confrontant la fiction sérielle à des stratégies

d'échos internes ou externes, tant sur le plan narratif qu'esthétique. Parallèlement,

celles qui sont issues du séminaire insistent davantage sur les connexions qui

s’établissent entre la série télévisée et les œuvres qui constituent la nébuleuse propre à

son univers fictionnel, qu’elles soient cinématographiques, télévisuelles, littéraires ou

ludiques, et qu’elles soient l’œuvre de professionnels ou d’amateurs. Ainsi, tous ces

articles envisagent la fiction sérielle dans un contexte qui est celui d’une interrelation

et d’une circulation des oeuvres autant que des univers fictionnels.

TV/Series, 6 | 2014

4

3 Tout d’abord, la série télévisée est par essence construite sur une tension entre l’unicité

et la multiplicité. La succession des épisodes y est propice à l’intratextualité, à une

densification narrative et fictionnelle qui peut passer d’une part par un travail sur la

structure de la série ou sur ses codes. Ainsi, Marie Tréfousse explore la question des

amorces narratives des soap operas (mais pas exclusivement) en montrant comment

elles construisent des récurrences qui créent un horizon d'attente sur lequel peuvent

jouer les scénaristes. Claire Cornillon analyse, quant à elle, la forme de la séquence

prégénérique, en particulier dans les séries fantastiques, pour souligner la tension

qu’elle présente entre autonomie et continuité entre les épisodes, entre récurrence et

originalité au sein de la série et entre séries. Silvio Belloï, enfin, traite d’échos

langagiers dans la série The Wire en examinant la notion de « réplique », au sens de

réplique de dialogue mais aussi de phénomène qui vient redoubler un phénomème

premier, potentiellement instigateur d’une série.

4 Or, ces procédés ne se limitent pas à l’auto-référence : ils construisent également des

échos avec d’autres œuvres, dans une dynamique intertextuelle. Jean du Verger dresse

ainsi un panorama de ce type de pratiques telles qu’elles s’élaborent dans les séries

américaines et anglaises depuis les années 1960. Alexis Pichard se penche sur le cas de

Charmed pour souligner les processus de recyclage et de références littéraires,

cinématographiques ou télévisuelles qui sont au cœur du processus narratif d’une série

dont le charme agit aussi par le biais de ce jeu de reconnaissances implicites par le

spectateur. Shannon Wells-Lassagne interroge, quant à elle, la notion d'adaptation en

étudiant les liens entretenus par Game of Thrones et True Blood avec les romans dont les

deux séries s’inspirent, mais aussi avec la tradition du genre (fantasy et vampire) que

ces séries recyclent et transforment, chacune de manière différente. Ces procédés

engagent souvent un processus réflexif qui amène la série à se penser elle-même, voire

à se représenter elle-même, complexifiant son rapport à la fiction par la mise en

abyme. Ainsi, Aurélie Villers suggère que la dynamique narrative de Fringe est liée à son

utilisation de l’écran dans l’écran, transformant la référence intertextuelle en un

processus de création de fiction au sein de la fiction. Dans une veine plus comique et

caustique, la série, analysée par Éric Gatefin, se met en scène elle-même et construit un

discours réflexif sur la création de la sitcom que les protagonistes conçoivent au sein de

Seinfeld.

5 Ces différents procédés, s’ils relèvent d’une esthétique, travaillent également la série

sur un plan idéologique. Ainsi, Dan Hassler-Forest réfléchit sur la gentrification de la

série Game of Thrones en interrogeant la manière dont elle se situe elle-même par

rapport au reste de la production audiovisuelle d’HBO, qui sort ici le genre de la fantasy

d’une niche relativement marginale pour le faire accéder au public de ses spectateurs

câblés. Dans le domaine hispanique, Jennifer Houdiard analyse la série catalane Infidels

sous un angle social et y décrypte la manière dont la série se construit par rapport à

quelques séries nord-américaines telles que Sex and the City et Desperate Housewives,

notamment autour de la question des représentations des rôles genrés.

6 Outre les connexions qui s’opèrent entre une oeuvre et d’autres productions, le cas des

œuvres transmédia développant leur univers fictionnel sur plusieurs supports offre

d’autres possibilités d’échos internes, sur une échelle plus grande. Ainsi, Florent Favard

s’attache à analyser la question de la continuité dans l’univers développé depuis plus de

cinquante ans autour de la série britannique Dr Who. Il interroge l’idée d’auctorialité et

de canonicité en abordant à la fois les différentes périodes de la série et les

TV/Series, 6 | 2014

5

novélisations, séries dérivées, aventures audios ou comics qui se sont développés

parallèlement. D’autre part, ces univers étendus brouillent les frontières entre

productions professionnelles et productions de fans ou d'amateurs, proposant ainsi

d’autres voies pour les reprises, les réécritures et, de manière générale, pour

l’expansion et la complexification d’un matériau de départ. Ainsi, Émilie Marolleau

évoque le cas de la websérie Girltrash et la manière dont elle négocie les représentations

de genre par rapport à sa propre inscription générique et à ses références

intertextuelles avec des séries telles que The L Word et Sex and the City. Enfin, plus

généralement, Anne Kustritz théorise les rapports que l'on peut établir entre les

productions de fans et la notion même de transmédia, montrant ainsi comment les vids

créées par les amateurs investissent pleinement un fonctionnement qui semblait

réservé au domaine professionnel des franchises.

7 Si un épisode de série ne fonctionne pas seul, une série entière ne fonctionne pas seule

non plus. La richesse et la complexité de sa narration et de son univers fictionnel sont

souvent fondés sur qui se crée entre les différents éléments de l'œuvre elle-même et

l'interaction qui se joue, en amont ou en aval, entre la série et l’ensemble des autres

productions, émanant de professionnels ou d'amateurs. Ce sont ces liens et ces échos

qui résonnent comme autant de niveaux d'interprétation de la fiction et qui offrent la

possibilité aux séries télévisées de dépasser un schéma unique pour atteindre à une

plus grande diversité et une épaisseur qui apparaît désormais incontestable.

NOTES

1. http://revuetvseries.wix.com/tvseries#!numero3/c1mvc

2. http://revuetvseries.wix.com/tvseries#!numero4/c22ng

3. Colloque « Écho et Reprise dans les séries télévisées », organisé par Sylvaine Bataille, Florence

Cabaret et Sarah Hatchuel à l’université de Rouen, du 12 au 14 septembre 2012. http://

rouenseriestv2012.mont-saint-jean.com/coll2programme.html

4. Séminaire « Narrations sérielles et Transmédialité » : saison 1 (2012-2013), saison 2

(2013-2014), université Sorbonne nouvelle-Paris 3, organisé par Danièle André, Claire Cornillon et

Anne Kustritz. En collaboration avec l’université d’Amsterdam. http://

transmedia.hypotheses.org

INDEX

Mots-clés : adaptation, genre, intertextualité, métafiction, transmédia, transposition

Keywords : adaptation, gender, intertextuality, metafiction, transmedia, transposition

TV/Series, 6 | 2014

6

AUTEURS

CLAIRE CORNILLON

Claire Cornillon est ingénieur de recherche postdoctoral à l'université du Havre. Elle est agrégée

de Lettres Modernes et docteure en Littérature Comparée. Ces recherches les plus récentes

portent sur les séries télévisées ainsi que sur le transmédia. Elle co-dirige le projet « Narrations

sérielles et Transmédialité » à l'université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 depuis 2012. Elle est par

ailleurs directrice de la rédaction de Lintermede.com.

FLORENCE CABARET

Florence Cabaret is a Lecturer at the University of Rouen, France. She mainly works on Indian

novelists writing in English, a central point of interest that she has recently managed to combine

with the study of certain ethnic British and American TV series, as well as with the study of

Indian films in English. She is also the translator of Hanif Kureishi’s and Chloe Hooper’s latest

novels and short stories. With Sylvaine Bataille, she co-edited the two 2013 volumes of TV/Series

dedicated to “Recycling, Remaking, Resuming”

TV/Series, 6 | 2014

7

Les amorces narratives, ou le plaisirdes histoires cousues de fil blancMarie Tréfousse

1 L’amorce narrative est définie par Gérard Genette dans Figures III. Il la classe aux côtés

de l’annonce, dans la catégorie prolepse, c’est-à-dire la catégorie de l’« anachronie par

anticipation1 » :

L’amorce, à la différence de l’annonce, n’est qu’un « germe insignifiant », etmême imperceptible, dont la valeur de germe ne sera reconnue que plustard, et de façon rétrospective. Encore faut-il tenir compte de l’éventuelle(ou plutôt variable) compétence narrative du lecteur, née de l’habitude, quipermet de déchiffrer de plus en plus vite le code narratif en général, oupropre à tel genre, ou à telle œuvre, et d’identifier les « germes » dès leurapparition2.

La terminologie anglo-saxonne, quant à elle, offre deux termes, foreshadowing et

telegraphing, que Hallie Ephton définit ainsi :

When you insert a hint of what’s to come, look at it critically and decidewhether it’s something the reader will glide right by but remember laterwith an Aha! That’s foreshadowing. If instead the reader groans and guesseswhat’s coming, you’ve telegraphed. Ultimately, the line betweenforeshadowing and telegraphing is in the eye of the beholder3.

2 Une amorce, même de type télégraphié, n’est qu’un « germe », un élément implicite qui

n’apporte pas de certitude – Hallie Ephton dit que le lecteur « devine », non qu’il est

certain. Le caractère implicite de l’amorce est ainsi ce qui la différencie de l’annonce4.

Par l’amorce, le spectateur est amené à deviner la suite de l’histoire. L’expression

populaire à teneur péjorative « cette histoire est cousue de fil blanc » peut donc

s’appliquer aux histoires qui contiennent de nombreuses amorces, chaque amorce étant

une partie apparente du fil en question.

3 En étudiant la stratégie mise en place par les amorces, cet article interrogera plus

particulièrement les histoires/séries cousues de fil blanc – même si notre corpus n’est

pas exempt de feuilletons diffusés sur de prestigieuses chaînes câblées comme HBO et

TV/Series, 6 | 2014

8

Showtime. Nos exemples seront issus de divers feuilletons mais Melrose Place (FOX,

1992-99) y occupe une place de choix puisqu’il nous servira à montrer qu’un seul et

même feuilleton peut réunir différents types d’amorces. Enfin, bien que les amorces

soient également présentes dans les séries à épisodes bouclés, notre étude se limitera

aux seuls feuilletons. Il sera donc tout d’abord question d’amorces simples (amorce,

attente, résolution) qui tendent à mettre un personnage en danger, avec des exemples

issus de Plus belle la vie (France 3, 2004-), Game of Thrones (HBO, 2011-), Melrose Place et

The L Word (Showtime, 2004-10). Puis, de ces exemples, nous dégagerons les fonctions

de l’amorce. Nous nous intéresserons ensuite à ce que nous appellerons des amorces

« filées », c’est-à-dire des amorces en série (amorce 1, attente, amorce 2, attente,

amorce 3, etc., jusqu’à la résolution) qui peuvent s’étendre sur un grand nombre

d’épisodes – ce qui explique aussi notre intérêt exclusif pour le feuilleton. Par le biais

des amorces filées, nous étudierons alors deux stratégies récurrentes dans les

feuilletons : celle qui consiste à susciter l’envie du spectateur de voir deux personnages

vivre une histoire d’amour, avec des exemples issus de Melrose Place et de Life on Mars

(ABC, 2008-09), puis celle qui déclenche l’envie qu’un personnage soit « le méchant »

(au sens du terme anglo-saxon « villain »), avec pour exemple Melrose Place, Dexter

(Showtime 2006-13) et Homeland (Showtime 2011-).

1. L’amorce simple : faire peser un danger sur unpersonnage par une amorce construite sur un hybris

4 L’hybris est une notion grecque qui repose sur la démesure et sur le destin. C’est une

sorte de péché d’orgueil puni par la destruction (némésis). Traditionnellement, il n’est

pas bon pour un personnage de présumer de son avenir ni de la part de bonheur qui lui

a été attribué : c’est offenser et outrager les dieux, ce qui appelle un châtiment. Dans les

films d’horreur, lorsqu’un personnage dit « I’ll be right back » alors que la situation est

plus ou moins dangereuse, il signe son arrêt de mort5. Dans le feuilleton, l’hybris est

également utilisé de deux manières : soit par un outrage direct, c’est-à-dire par une

vantardise du type « I’ll be right back », soit de façon dégradée sous la forme d’une

promesse, d’une interdiction ou d’un conseil. Un exemple d’outrage direct peut se

trouver dans l’épisode n°1513 de Plus belle la vie (France 3, 2004-). Vadim apprend une

très bonne nouvelle. Il boit une coupe de champagne avec sa femme Luna pour célébrer

son succès. Puis, alors qu’elle est sur le point de monter en voiture (le couple doit se

rendre à une soirée), Luna lui demande : « Tu es sûr qu’on prend la voiture ? On a bu

quand même !? » Vadim répond : « Aujourd’hui, c’est mon jour de chance ; il ne peut

rien m’arriver ! » Et, quelques minutes plus tard, au moment du cliffhanger, leur voiture

se fracasse contre le versant d’une montagne. Dans cet exemple, Vadim « offense les

dieux » de façon très explicite. Les amorces impliquent ainsi un fonctionnement en

trois temps : mise en germe, attente, résolution.

5 Le même procédé est à l’oeuvre dans le pilote de Game of Thrones, même si c’est de façon

un peu moins sensible : l’outrage n’est pas direct mais dégradé, se présentant sous la

forme d’une interdiction mêlée à une promesse. À la minute 15, la mère, Catelyn, dit à

son petit garçon, Bran, qui escalade une muraille : « I want you to promise me, no more

climbing6 ». Bran promet, mal assuré, et, bien que Catelyn lui dise qu’il ment mal, au

moment du cliffhanger, Bran tombe d’une muraille7. L’hybris étant puni par la

destruction, les amorces construites sur l’hybris trouvent systématiquement une

TV/Series, 6 | 2014

9

résolution à l’inverse : ce ne sera pas le jour de chance de Vadim, et Bran escaladera de

nouveau une muraille. Les phrases « aujourd’hui, c’est mon jour de chance, il ne peut

rien m’arriver » et « no more climbing » ont l’effet de phrases magiques, de paroles

performatives qui fonctionnent a contrario et à retardement. Ce retardement – c’est-à-

dire le temps d’attente entre l’amorce et sa résolution, que Gérard Genette appelle la

portée8 de l’amorce – est de longueur variable. Dans les deux exemples cités, la portée

de l’amorce est assez courte : elle ne dépasse pas le cadre de l’épisode, la résolution

ayant lieu lors du cliffhanger9. À l’inverse, dans les exemples à venir, la portée de

l’amorce dépassera le cadre de l’épisode.

6 L’hybris permet de faire peser un danger sur un personnage. Mais, ce danger n’est pas

nécessairement tragique et il peut prendre plusieurs formes, comique parfois, comme

dans l’une des intrigues de la saison 2 de Melrose Place. Dans l’épisode 2.13, Michael

Manccini ayant eu un grave accident, Jane, son ex-femme, accepte de l’héberger.

Michael lui promet : « You won’t regret this Jane, I promise10. » Et, quatre épisodes plus

tard11, Jane le met à la porte avec fracas, ayant largement matière à regretter de l’avoir

hébergé. Cette résolution se produit à la minute vingt-sept de l’épisode, dans le début

de l’acte trois, non lors du cliffhanger de l’épisode, ni même lors d’un cliffhanger de fin

d’acte12. Toutes les configurations sont possibles (la résolution de l’amorce pouvant

avoir lieu à tout moment) mais il est fructueux que l’amorce ait lieu lors d’un

cliffhanger : cela permet de se projeter dans la suite de la fiction et d’entretenir les

questionnements métadiégétiques sur lesquels repose le suspense. Ainsi, à la fin de la

saison 4 de The L World, alors que Bette vient de reconquérir l’amour de Jodi, cette

dernière lui confie : « You’d better not break my heart. » Cette phrase est la dernière de

la saison 4 : elle sert donc de cliffhanger à la saison, ce qui lui confère un poids

considérable. Il semble ainsi fort probable que, par la suite, Bette brisera le cœur de

Jodi, même si rien n’est moins certain.

7 Après ces quelques exemples d’amorces construites sur l’hybris, il est nécessaire

d’énoncer les fonctions de l’amorce, sur lesquelles nous reviendrons en détail dans la

suite de cet article :

8 1 – La fonction première de l’amorce, qui lui est inhérente, est d’introduire un

événement et de l’amener de façon à ce qu’il ne semble pas « parachuté ».

9 2 – L’amorce mène le spectateur à craindre (ou espérer) tel événement pour tel

personnage en posant indirectement la question « que va-t-il advenir de lui ? » Elle crée

donc du suspense, une attente. Aussi le procédé de l’amorce fonctionne-t-il en trois

temps : amorce, attente, résolution13.

10 3 – L’amorce crée, insidieusement, le désir que l’événement amorcé se produise. Il s’agit

probablement de la fonction la plus importante de l’amorce : créer et orienter les désirs

du spectateur, comme le souligne Umberto Eco, dans Eloge de MC, à propos de Dantès :

Il suffit de se reporter aux trois premiers chapitres et de voir combien de foisEdmond Dantès clame à qui veut l’entendre qu’il a l’intention de se marier etqu’il est heureux : quatorze ans au fond du château d’If, c’est encore trop peupour un pleurnichard de cet acabit14.

À force de dire qu’il est heureux, Dantès « énerve » le lecteur, qui finit par souhaiter

que les choses ne se passent pas aussi facilement. Dans cet exemple, Dantès clame son

bonheur à plusieurs reprises : il y a donc plusieurs amorces qui sont enchaînées avant

la résolution. Et c’est pourquoi nous avons décidé de les appeler « amorces filées ».

TV/Series, 6 | 2014

10

11 4 – L’amorce accroche le spectateur à la fiction en lui faisant espérer que ses

« prévisions » se réaliseront et en lui faisant attendre une « confirmation15 » de ses

prévisions.

12 5 – L’amorce permet au spectateur de « savourer16 » par avance.

13 6 – La résolution de l’amorce permet de flatter l’égo du spectateur car, ayant anticipé

l’événement, lorsque celui-ci se produira, le spectateur aura la satisfaction de pouvoir

se dire « j’en étais sûr, je le savais ». Il éprouve ainsi le plaisir de se sentir « plus fort »

que la fiction, « au-dessus » de la fiction – ce qui est somme toute logique puisque le

spectateur se trouve dans une attitude métadiégétique, consciemment ou

inconsciemment. L’amorce apporte donc au spectateur une sensation de contrôle.

14 7 – La résolution de l’amorce procure le plaisir de l’attente comblée.

15 C’est dans les amorces filées que les fonctions trois à sept de l’amorce sont les plus

effectives et que la manipulation du spectateur est la plus manifeste.

2. Créer le désir que deux personnages vivent unehistoire d’amour par des amorces filées construitessur des clichés narratifs

16 Les amorces filées qui contribuent à créer le désir que deux personnages vivent une

histoire d’amour sont le plus souvent construites sur un cliché narratif. Le cliché met le

spectateur face à un élément déjà connu, auquel il a eu affaire dans un autre feuilleton

et dont on lui a déjà représenté les conséquences – en l’occurrence, ici, l’union des deux

personnages. Selon Ruth Amossy et Anne Herschberg Pierrot, chaque cliché autorise

« une certaine mesure de prévisibilité17 ». Il est donc permis de considérer qu’une

amorce peut se construire autour d’un cliché narratif. Ce que nous entendons par cliché

narratif correspond aux éléments de la classe des « stéréotypes thématico-narratifs18 ».

Nous y ajoutons ce que Bernard Timberg appelle « stylized expressions »19, que nous

traduirons librement par « macro expressions » et qui sont proches des « têtes

d’expression » de Louis-Leopold Boilly, où le peintre amplifie la réaction émotionnelle

sur la physionomie du personnage. Le terme de « macro expressions » nous paraît

également faire écho aux sciences comportementales qui étudient les micro

expressions : puisque, ce dont il s’agit ici, est bien d’amplifier ces micro expressions

pour les rendre signifiantes dramaturgiquement. Les macro expressions sont si

constitutives du soap opera et du feuilleton en général qu’il en est question dans la série

Friends (NBC, 1994-2004) où le personnage de Joey, qui est lui-même comédien de soap

opera, donne un cours sur le jeu de l’acteur de soap. Il declare un jour à ses étudiants : «

Let’s say I wanna convey that I’ve just done something evil. That would be your basic

‘I’ve got a fish hook in my eyebrow and I like it.’20 » – et il exécute la mimique en même

temps qu’il la décrit21 (voir figure 1) :

TV/Series, 6 | 2014

11

Fig. 1 : La mimique de Joey

Friends, 3.07

17 Joey emploie le verbe « convey » : il s’agit donc de « transmettre » une information au

spectateur, de lui faire connaître les pensées et les intentions du personnage par une

mimique signifiante. Il est à noter que ces macro expressions sont également présentes

dans les romans-feuilletons du XIXe siècle22.

18 Dans cette partie, nous tenterons de comprendre comment les amorces filées créent et

orientent les désirs du spectateur. Pour commencer, nous allons présenter les neuf

amorces qui mènent à l’union d’Alison et Billy dans la saison 1 de Melrose Place. Afin de

prouver qu’il est bien question de clichés fréquemment employés dans les feuilletons,

nous nous référerons également à une autre relation amoureuse, celle d’Annie et Sam

dans la version américaine de Life on Mars. Par souci de clarté, notre présentation suivra

l’ordre chronologique de la relation d’Alison et Billy.

Amorce n° 1 : le sourire

19 Le premier signe annonciateur d’une relation amoureuse est généralement un sourire,

c’est-à-dire une macro expression. C’est le cas dans la relation d’Alison et Billy. Ils sont

colocataires – Billy vient tout juste d’emménager – et, lorsqu’au début de l’épisode

pilote, Alison aperçoit Billy torse nu, son sourire gêné fait comprendre qu’elle n’est pas

insensible à ce qu’elle voit23 (voir figure 2). Les scénaristes américains désignent

d’ailleurs ce type de situation dramatique par le terme « meet cute24 » (« la rencontre

du beau gosse »). La première amorce a pour effet d’éveiller la curiosité du spectateur.

TV/Series, 6 | 2014

12

Fig. 2 : Un meet-cute ?

Melrose Place, 1.01

20 S’agissant de la relation d’Annie et Sam, le sourire qu’ils échangent n’a pas lieu dans les

premiers moments de leur relation mais seulement lors de l’épisode 1.6 ; cependant il

s’agit bien de la première amorce de leur relation, et donc d’un meet cute. Par ailleurs,

c’est lors du cliffhanger de l’épisode qu’Annie et Sam échangent ce sourire, ce qui lui

confère un poids supplémentaire (voir figure 3) :

Fig. 3 : Le « meet cute » entre Annie et Sam

Melrose Place, 1.06

Amorce n°2 : la confidence

21 La confidence est une étape incontournable puisque c’est par son entremise que les

personnages accèdent à un certain degré d’intimité25. Dans l’épisode pilote de Melrose

Place, Billy, bien qu’embarrassé, avoue à Alison qu’il ne gagne pas sa vie en tant

qu’écrivain mais qu’il donne des cours de danse26. Dans Life on Mars, Annie avoue à Sam

qu’elle n’a jamais pris l’avion et qu’elle n’est jamais sortie de l’état de New York27.

TV/Series, 6 | 2014

13

Amorce n°3 : nier son état amoureux et préciser la nature de la

relation

22 Dans l’épisode 1.2 de Melrose Place, Alison se plaint à des amis de la nouvelle petite amie

de Billy28 :

ALISON. I know, I’m just…

JANE. (la coupe) – Jealous?!

ALISON. No! Why is everyone keep saying that?

MICHAEL. Well you and Billy are living together.

ALISON. Roommates, only roommates.

23 Alison nie être jalouse et précise la nature de leur relation de colocataires. Avec la

troisième amorce, le système est en place et le spectateur sent que quelque chose va se

passer. Dans Life on Mars, lorsque Maria tente de faire comprendre à Sam qu’il est

amoureux d’Annie, Sam répond : « Annie ? No, no, no, we’re friends29. » Sam nie être

amoureux et précise qu’Annie et lui sont amis.

Amorce n°4 : faire semblant d’être en couple

24 Faire semblant d’être en couple oblige les personnages à une certaine proximité

physique. Dans l’épisode 1.7 de Melrose Place, afin de se faire valoir, Billy fait croire à ses

parents qu’Alison est sa petite amie ; aussi Billy et Alison sont-ils amenés à dormir dans

le même lit. Dans Life on Mars, Annie et Sam étant policiers, c’est pour une infiltration

qu’ils font semblant d’être en couple tout au long de l’épisode 1.14.

Amorce n°5 : dans un état de conscience altéré, fantasmer sur

l’autre

25 Dans l’épisode 1.16 de Melrose Place, Billy prend des anti-douleurs pour apaiser une rage

de dent, puis il s’endort. Le spectateur assiste à un rêve dans lequel Alison et lui

s’embrassent. De même, dans Life on Mars, le spectateur voit le rêve de Sam qui a pris du

LSD à son insu : il fantasme sur plusieurs femmes, dont Annie30. Ce cliché, dont ces

exemples illustrent une première forme, en revêt parfois une seconde : dans un état de

conscience altérée, le personnage avoue son état amoureux. Dans l’épisode 4.11 de

Melrose Place, Jane, Jake et sa petite amie du moment ont bu quelques verres d’alcool, et

Jane dit à Jake, devant sa petite amie : « I’ve always liked you Jake, you’re a good guy,

you’re a really really decent guy. And so good looking. Isn’t he good looking !?31 » Ici,

l’alcool mène Jane à des compliments qui ressemblent à une déclaration d’amour. Dans

la relation entre Kimberly et Michael (toujours dans la saison 4 de Melrose Place), ce

cliché est poussé à l’extrême. Michael (qui est médecin), alors qu’il prétend faire une

injection de vitamines à Kimberly, lui injecte du sérum de vérité car il la soupçonne de

vouloir s’en prendre à lui. Kimberly, sous l’effet du sérum, lui dit qu’elle ne lui fera plus

jamais de mal car elle l’aime de tout son cœur et de toute son âme32. L’état de

conscience altérée engendre donc soit le fantasme soit l’aveu.

TV/Series, 6 | 2014

14

Amorce n°6 : sauver l’autre d’un danger

26 Sauver l’autre d’un danger équivaut au topos du prince charmant qui sauve la princesse.

C’est le cas dans la saison 4 de Melrose Place où Jake sauve Jane de la noyade33 et Michael

sauve Kimberly d’une explosion34. À partir du moment où un personnage sauve l’autre,

ils se retrouvent liés. Ce cliché arrive de façon un peu atténuée entre Alison et Billy :

dans l’épisode 1.18, alors qu’une une tumeur a été diagnostiquée à Alison, Billy trouve

l’argent nécessaire à l’intervention chirurgicale (ce qui constitue un vrai défi) et

soutient Alison de ses encouragements constants avant et après l’opération. Plus

ostensiblement dans Life on Mars, Sam sauve Annie des mains d’un tueur au cours de

l’épisode 1.7.

Amorce n°7 : nier son état amoureux (bis)

27 Chacun des deux personnages se doit de nier son état amoureux. Dans l’épisode 1.18 de

Melrose Place, Billy parle d’Alison à des amis communs, Jake et Jo35 :

JAKE. Billy, you know what I think: you should wonder how you really feel about

Alison.BILLY. I don’t have feelings for Alison!

28 La négation de Billy est très affirmée et très énergique, et sonne comme une

dénégation. Dans l’épisode 1.17 de Life on Mars, c’est au tour d’Annie de nier ses

sentiments lors d’une dispute avec Ray, arbitrée par le commissaire36 :

RAY. Ah, please! They’re in love! Tyler [Sam] burps and she looks at him like he’s

singing a melody. To me the all thing is nausia!LE COMMISSAIRE. All right, all right. Is that true Norris [Annie]?

ANNIE. No sir.

Amorce n°8 : hybris

29 L’hybris étant un stéréotype thématique, nous nous permettons de l’inclure à cette liste

d’amorces. On trouve l’hybris sous forme de conseil dans l’épisode 1.20 de Melrose Place.

Jo, voisine et amie d’Alison, lui dit : « Alison, some advise : never go out with anyone in

the building37 ». Il n’y a pas d’exemple similaire dans Life on Mars.

Amorce n°9 : la femme panse les plaies de l’homme blessé

30 Il faut évoquer un cliché qui, bien qu’absent de la relation d’Alison et Billy, est fort

courant. Il s’agit du personnage, quasi christique, de la femme qui panse les plaies de

l’homme, au sens littéral uniquement, et qui implique une proximité physique. Ce

cliché est présent à la minute 12 de l’épisode 1.9 de Life on Mars. On le trouve dans de

nombreux feuilletons ainsi que dans certains films.

Amorce n°10 : dernier retardement

31 Le dernier retardement est une étape presque obligatoire. Dans Melrose Place, Billy se

met en couple avec Amanda depuis l’épisode 1.23 jusqu’à l’épisode 1.24 ; l’union

d’Alison et Billy semble donc compromise. Dans l’épisode 1.16 de Life on Mars, Sam tente

de partir38, ce qui équivaudrait à ne plus jamais revoir Annie.

TV/Series, 6 | 2014

15

32 Revenons maintenant sur les fonctions 3 et 4 de l’amorce filée. Il est donné au

spectateur de nombreuses amorces, le spectateur les remarque, consciemment ou

inconsciemment (selon sa « compétence narrative ») et présume qu’un événement va se

produire – en l’occurrence l’union des couples Alison/Billy et Annie/Sam. Quelque soit

le nombre d’amorces qui compose l’amorce filée, le spectateur ne peut qu’émettre des

hypothèses, car l’amorce n’apporte jamais de certitude. Dans Lector in fabula, Umberto

Eco écrit : « le lecteur, en faisant ces prévisions, assume une attitude proportionnelle (il

croit, il désire, il souhaite, il espère, il pense) quant à l’évolution des choses39. » Les

possibilités diégétiques sont donc ouvertes et le spectateur est tiraillé entre deux

possibilités : l’événement peut se produire ou non. Dans les feuilletons, le spectateur est

amené à faire des prévisions sur la suite de la diégèse et devient, en quelque sorte, un

enquêteur métadiégétique ; or, il est humain d’espérer être un bon enquêteur plutôt

qu’un mauvais. C’est ici qu’opère la troisième fonction de l’amorce – celle de créer et

d’orienter les désirs du spectateur. Car, après avoir remarqué une ou plusieurs

amorces, le spectateur finit par espérer qu’il a su décoder la fiction, au point d’espérer

que ses prévisions se vérifient. L’espoir d’être un bon enquêteur étant plus de l’ordre de

l’inconscient que du conscient et les prévisions de l’ordre de « l’intime conviction »,

c’est très sincèrement que le spectateur désire l’union des couples Alison/Billy et

Annie/Sam – et, peut-être, sans vraiment savoir pourquoi. L’acte est manipulateur car

le spectateur croit que ce désir provient de lui, alors que tout cela lui a été savamment

insufflé par les créateurs.

33 De plus, à partir du moment où le spectateur est mu par l’espoir qu’un événement

précis advienne, il est légitime de penser qu’il continue de suivre la fiction au moins en

partie parce qu’il attend que cet événement se produise, parce qu’il attend d’avoir

confirmation que ses prévisions étaient justes. Il s’agit de la quatrième fonction de

l’amorce filée : accrocher le spectateur à la fiction où il espère trouver la preuve qu’il

est un bon enquêteur métadiégétique. Même si l’accumulation des amorces porte à

croire que ces couples finiront par se former, rien non plus ne l’assure. Les propos

d’Umberto Eco quant aux redondances dans Le Comte de Monte-Cristo peuvent

s’appliquer aux amorces filées :

On découvre que les horribles intempérances stylistiques [les redondances]sont, certes, des « chevilles », mais qu’elles ont une valeur structurale,comme les barres de graphite dans les réacteurs nucléaires, ralentissant lerythme pour rendre nos attentes plus lancinantes, nos prévisions plushasardeuses40.

34 Chaque amorce est une pique qui constitue l’effet lancinant – chaque amorce est une

partie visible du fil blanc dont est cousue l’histoire – et certaines amorces rendent « nos

prévisions plus hasardeuses », comme l’amorce n°10 (le dernier retardement).

35 Bien qu’il soit évident, que l’événement amorcé se produira, le spectateur est maintenu

dans un état de doute. Certes, ce doute est « mince » mais il est justement calibré pour

titiller le spectateur et lui faire convoiter une confirmation. Les amorces filées créent,

puis attisent des désirs que le spectateur croit siens, et accrochent ce dernier à la

fiction en lui faisant guetter le moment où ses prévisions se réaliseront. Le procédé est

donc doublement fructueux et « manipulateur » par essence.

36 En ce qui concerne les relations amoureuses, ce procédé peut s’étendre sur une longue

période : neuf mois41 pour Alison et Billy, cinq mois 42 pour Annie et Tyler. La

TV/Series, 6 | 2014

16

confirmation sait se faire attendre43. Or, l’attente est un élément primordial du

feuilleton44. Billy et Alison s’embrassent enfin dans l’épisode 1.28, et Annie et Sam dans

l’épisode 1.

3. Créer le désir qu’un personnage soit le « méchant »

37 Le personnage du méchant est très fréquent dans les feuilletons. Le plus souvent, il est

immédiatement identifié par des signes explicites mais, parfois, il l'est par des amorces,

c’est-à-dire par des signes implicites. Nous illustrerons ce propos en analysant les

amorces qui, dans les épisodes 1.7 et 1.8 de Dexter, mènent le spectateur à souhaiter que

Rudy, petit ami de la sœur du héros, soit le méchant.

38 De nombreux éléments, plus souvent métadiégétiques (hybris, cliché, émotion

stéréotypée) que diégétiques, vont mener le spectateur à penser que Rudy est le tueur –

mais, de son côté, Dexter n’aura accès à aucun de ces éléments d’information et restera

dans l’ignorance jusqu’au dernier moment. Umberto Eco définit cette « reconnaissance

contrefaite » en ces termes :

Avec la reconnaissance contrefaite, le personnage tombe des nues lors de larévélation, tandis que le lecteur sait déjà ce qui se passe. Exemple type : lesmultiples dévoilements de Monte-Cristo à ses ennemis, que le public attendet savoure dès la moitié du roman45.

39 Par le biais des amorces, non seulement le public attend (quatrième fonction de

l’amorce), mais il savoure aussi à l’avance le moment du dévoilement (cinquième

fonction). De même, Jennifer Hayward insiste sur la notion de plaisir :

Soap viewers, far from being ‘tricked’ into expecting a climax that neverarrives, profoundly enjoy the extended suspense, which has been refined toan art over centuries of serialization46.

Le moment dont parle Jennifer Hayward, moment de suspense étendu très apprécié des

spectateurs, correspond au moment dont parle aussi Umberto Eco, où le public

« savoure » par avance. En ce qui concerne l’amorce filée, ce moment commence avec la

première amorce et se termine avec la résolution.

40 Précisons une particularité de l’intrigue de Dexter : le spectateur, en visionnant

l’épisode 7, a plus ou moins oublié le personnage de Rudy qui n’a fait qu’une brève

apparition dans l’épisode 1.547, et les scénaristes, avant de créer le désir que Rudy soit le

tueur, vont d’abord créer celui que Neil Perry, individu présumé coupable par la police,

ne le soit pas. Résumons le début de la première saison de Dexter. Le commissariat

central de Miami est sur la piste d’un tueur en série nommé « the ice truck killer » (« le

tueur au camion réfrigéré »). Dexter, le héros, qui travaille au département scientifique

du commissariat, en partie pour mieux cacher qu’il est lui même tueur en série, a été

contacté par « the ice truck killer » et, sans qu’ils ne se soient jamais vus, un jeu, puis

un respect mutuel, s’instaurent entre les deux hommes. Dexter admire les techniques

sophistiquées de cet autre tueur et voit en lui la personne qui, enfin, pourrait le

comprendre et l’accepter tel qu’il est. Dans l’épisode 7, tous les membres de l’équipe de

police sont persuadés de la culpabilité du suspect numéro un, un homme du nom de

Neil Perry. Dexter craint donc que son « ami » ait été pris et ne le dénonce. Mais, en

voyant la photo de Neil Perry, Dexter et le spectateur découvrent un visage, et surtout

TV/Series, 6 | 2014

17

une expression, en totale contradiction avec ce que l’on est en droit d’attendre de la

part de quelqu’un que l’on admire (voir figure 4) :

Fig. 4 : Découverte de Neil Perry

Dexter, 1.07

41 Dexter demande à sa sœur Deb, qui fait partie de l’équipe de police : « You really think

this is the guy !? Hardly look like a guy capable of terrorising Miami, a science camp

maybe48. » Ce jugement ironique et méprisant de Dexter – et drôle, ce qui désacralise

d’autant plus le suspect – est fondé sur l’apparence physique. Or, l’apparence physique

n’est pas une preuve, ni même un indice. Il s’agit d’une amorce sous forme

d’enthymème (« the ice truck killer » est sophistiqué, Neil Perry semble frustre, il est

donc peu probable que Neil Perry soit « the ice truck killer »). Cela engage le spectateur

dans une attitude métadiégètique, qui le conduit à espérer, pour le bien de la diégèse,

que le grossier personnage de la photo, Neil Perry, ne soit pas le tueur en série

ardemment recherché depuis l’épisode pilote.

42 La deuxième amorce est dans le prolongement de la première. Elle a lieu vingt minutes

plus tard. L’équipe de police fouille le domicile de Neil Perry, insalubre et empli d’objets

hétéroclites plutôt kitsch, parmi lesquels on trouve de nombreux animaux empaillés –

ce qui incite le spectateur à souhaiter que Neil Perry ne soit pas « the ice truck killer »

car son domicile ne correspond pas à l’image sophistiquée que Dexter s’est faite du

tueur. Aussi Dexter, avec qui le spectateur est donc en accord, assène-t-il à sa sœur : « I

hate to break this to you, Deb, but you know you got the wrong guy here49. » Une

troisième amorce, cinq minutes plus tard, réitère la thèse du contraste entre

l’intelligence supposée du tueur et l’aspect frustre de Neil Perry. Dexter pense en voix

off : « The first time I saw his work I felt like a Spanish explorer landing on the shores of

a new world; no blood in the victims, no spatter, no stain; Deb is wrong about him50. »

TV/Series, 6 | 2014

18

Puis Dexter, et le spectateur avec lui, commence à avoir des doutes et à envisager la

culpabilité de Neil Perry qui, lors de son interrogatoire (interrogatoire retransmis par

vidéo – si bien que Dexter voit Neil Perry sans être vu de lui) est un peu plus raffiné que

ce à quoi l’on s’attendait. Dexter doute. En observant le visage de Neil Perry sur l’écran

vidéo, il confie à la caméra : « At least I hope he’s a fraud51. » Cette quatrième amorce a

pour fonction de rendre « nos prévisions plus hasardeuses ». Il s’agit donc moins d’une

amorce que d’un leurre52. Mais, dès le plan suivant, le spectateur est aiguillé sur la piste

de Rudy. Voici les deux plans successifs53 :

Fig. 5 : Plans successifs de Neil Perry à Rudy

Dexter, 1.07

43 Après un gros plan sur Neil Perry, que le spectateur et Dexter espèrent être un

imposteur, vient un plan large dans lequel Rudy se trouve au centre, comme au bout

d’un tunnel. Or Rudy, qui avait fait une brève apparition dans l’épisode 1.5, est médecin

spécialisé en membres artificiels, ce qui fait de lui un suspect potentiel, « the ice truck

killer » ayant la particularité de démembrer ses victimes. Rudy est de surcroît bien plus

séduisant et raffiné que Neil Perry. Cette cinquième amorce repose sur la succession de

deux plans, c’est-à-dire sur un effet de montage. Le fondement de l’amorce est donc

différent de celui de l’indice des romans policiers, qui repose sur des éléments de la

diégèse54, alors que l’amorce repose sur des éléments métadiégétiques ; on pourrait dire

que l’amorce est un indice métadiégétique.

44 Une sixième amorce, sous forme de cliché narratif, vient tout de suite renforcer l’effet

de la cinquième qui, certes, était ténu. Il faut savoir que Deb, la sœur de Dexter, que l’on

peut voir à gauche de Rudy sur les images ci-dessus et ci-dessous, a été présentée

depuis le début de la série comme le personnage dont les histoires sentimentales

s’avèrent toujours catastrophiques – elle représente la jeune fille qui ne cesse de faire

de mauvais choix amoureux (« who falls for the wrong guy »). Or, Deb semble sous le

charme de Rudy, comme on peut le voir dans l’image suivante55 :

TV/Series, 6 | 2014

19

Fig. 6 : L’attirance de Deb pour Rudy

Dexter, 1.07

45 À la fin de la scène, Deb accepte d’aller dîner avec Rudy en tête-à-tête. Aux yeux du

spectateur, Rudy devient alors un suspect idéal car, en plus d’avoir les connaissances

médicales nécessaires et en plus d’être plutôt raffiné et séduisant, il met

potentiellement Deb en danger de par leur nouvelle proximité sentimentale, ce qui

n’est pas le cas de Neil Perry, et ce qui fait de Rudy un méchant bien plus intéressant.

Pourtant, cinq minutes plus tard56, la septième amorce sème le doute (il s’agit donc d’un

leurre) : Neil Perry, dont l’interrogatoire se poursuit, revendique son crime et, pour

donner foi à ses propos, explique les procédés techniques utilisés avec une précision

qui convainc l’assemblée (y compris Dexter) de sa culpabilité. Le spectateur, bien

qu’engagé sur la piste de Rudy, est maintenu dans un état de doute. Cinq autres

minutes plus tard57, lorsque Deb et Rudy s’embrassent (ce qui constitue une amorce

sous forme de cliché narratif), le spectateur est de nouveau orienté sur la piste de Rudy.

Il est donc ballotté d’une piste à l’autre. Mais, malgré tout, il en sait plus que Dexter qui,

lui, n’a jamais été orienté sur la piste de Rudy.

46 Enfin, lors du cliffhanger de l’épisode, Dexter et le spectateur ont la confirmation que

Neil Perry n’est pas « the ice truck killer ». Dexter, qui n’a jamais vu Neil Perry que par

écran vidéo interposé, trouve l’occasion de se faufiler dans la salle d’interrogatoire.

Précisons que si Dexter ne connaît pas le visage du tueur, ce dernier connaît le sien. Or,

Neil Perry, lorsqu’il se retrouve face à Dexter, lui demande : « Who the fuck are you !?58

» sur un ton méprisant qui ne saurait provenir de la personne avec qui Dexter

entretient une relation de respect. Cette confirmation est soulignée par un changement

de musique, passant d’une atmosphère tendue à une atmosphère joyeuse, voire

victorieuse (la scène est presque comique), et par le changement de l’expression faciale

de Dexter qui clôt l’épisode en passant d’un visage sombre à un sourire de

contentement.

47 La confirmation que Neil Perry n’est pas le tueur étant un moment dramatique fort, il

est cohérent qu’elle advienne lors du cliffhanger, qui est le point culminant – de plus,

elle atténue la frustration inhérente à ce moment de séparation d’avec la fiction. Cette

TV/Series, 6 | 2014

20

confirmation comble l’attente provoquée par l’amorce et apporte au spectateur une

sensation de contrôle par la satisfaction d’avoir su anticiper (combler et flatter sont à

notre sens deux plaisirs distincts qui ici se cumulent). En cela, l’amorce est un élément

structurel, constitutif de ce qu’Umberto Eco, en parlant de « la dynamique sollicitation-

solution59 » des romans populaires, appelle une « machine gratifiante ». La métaphore

de la « machine gratifiante » nous semble particulièrement appropriée pour décrire

Dexter car, après avoir eu la confirmation que Neil Perry était un imposteur, le

spectateur attend de savoir que Rudy est bien « the ice truck killer ».

48 Dans l’épisode 1.8, quatre amorces viennent titiller le spectateur avant qu’il n’obtienne

cette dernière confirmation lors du cliffhanger. Tout d’abord, à la suite de leur premiers

ébats amoureux, Rudy dit à Deb : « I love your legs, I love your arms, I couldn’t have

made them better myself60. » Rudy parle de jambes et de bras dans des circonstances où

l’on s’attend à l’évocation de parties du corps plus spécifiquement féminines – cette

amorce repose donc sur un cliché non conforme – et sa comparaison implicite avec son

travail dénote une certaine mégalomanie. Puis, plus tard dans l’épisode, le spectateur

partage le malaise de Deb lorsque Rudy lui demande s’il peut réaliser un moulage de ses

jambes afin de fabriquer une prothèse pour l’une de ses patientes : « I wanna give her a

smoking new pair of legs. Yours.61 » Dans cette même scène, le sourire malicieux de

Rudy, filmé de surcroît en contre-plongée, constitue une amorce construite sur une

macro expression : celle du sourire, non plus amoureux comme pour le meet cute, mais

cette fois malicieux (voir figure 7)62.

Fig. 7 : La macro expression de Rudy

Dexter, 1.08

49 Une dernière amorce est présente dans la scène finale de l’épisode (elle précède la

confirmation de peu). Deb et Rudy, chacun chez soi, se parlent au téléphone63 :

RUDY. And, I’m a neat freak.

DEB. You’re just full of surprises, ah?!

RUDY. Oh you have no idea!…

50 Le terme « monstre » (freak) est employé. Si Deb ne peut imaginer que Rudy soit un

monstre, les propos sont des plus explicites pour le spectateur. La confirmation a lieu

TV/Series, 6 | 2014

21

quelques secondes après. Notons que la confirmation se doit d’être absolue et ne laisser

aucun doute possible. Après avoir raccroché, Rudy se dirige vers son bureau, sur lequel

on découvre un exemplaire similaire de la poupée Barbie offerte à Dexter par « the ice

truck killer ». Cet élément est suffisant pour incriminer Rudy mais la confirmation est

loin d’être aboutie. De la poupée sur le bureau, la caméra passe à l’écran d’ordinateur ;

s’y trouve le mail que Dexter à envoyé au tueur : « frozen barbie looking for Ken. Dear

Ken, I’m in pieces. Why the cold shoulder? Love, Barbie ». À ce mail, Rudy

répond : « Barbie, be patient. One day we’ll share a cold one.64 »La réponse de Rudy est

l’élément le plus important de cette confirmation (qui n’est toujours pas finie) car le

spectateur a accès au sens second de la phrase « one day we’ll share a cold one » quand

Dexter n’aura accès qu’au sens premier. Le spectateur comprend immédiatement que

l’indéfini « one » représente Deb et non un cocktail. Ainsi, le cliffhanger contient la

confirmation mais active le suspense en soulignant le danger encouru par Deb65. De

plus, la position de supériorité du spectateur sur les personnages, sur Dexter en

l’occurrence, est réaffirmée par ce procédé typique de l’ironique dramatique66. Rudy

quitte son bureau et se rend dans une pièce (voir figure 8) ; la caméra s’approche très

lentement de la porte dont s’échappe une fumée qui semble provoquée par le froid, qui

est une des caractéristiques de « the ice truck killer » (voir figure 9):

Fig. 8 et 9 : confirmation a et b

Dexter, 1.08

51 Toujours lentement, la caméra s’approche du seuil de la porte et l’on aperçoit des

bocaux dont le contenu reste indéterminé, comme pour ralentir une confirmation qui

pourtant est déjà là. Puis, la caméra entre enfin dans la pièce. Du fait de la

surexposition, on discerne le premier plan avant le second. Au premier plan, des

membres découpés et empaquetés à la façon de « the ice truck killer » ; au second, Rudy

qui a eu le temps de mettre un tablier, des lunettes de protection et ses gants. Ensuite,

on voit Rudy prendre une perceuse, puis la caméra s’éloigne mais on entend le son de la

perceuse. L’épisode se termine ainsi. La confirmation que Rudy est le tueur repose sur

l’accumulation de cinq preuves : la poupée Barbie, le mail de Dexter, la réponse de

Rudy, le froid qui s’échappe de la pièce secrète de Rudy, et Rudy s’apprêtant à découper

des cadavres. Plus la confirmation a été attendue, plus elle se doit d’être magistrale.

52 Ce stratagème est également présent dans d’autres feuilletons : par exemple, dans

l’épisode 1.22 de Melrose Place, où Jo retrouve un ami de lycée, Reed. Les amorces

menant à croire que Reed est mal intentionné sont les suivantes. La première repose

sur son apparence physique : Reed ressemble fortement à l’ex petit-ami de Jo, Jake,

mais les traits de son visage sont un peu moins parfaits. C’est Jake en moins bien. Or, le

feuilleton n’a pas besoin d’un second Jake (la place est déjà prise). La deuxième amorce

est un élément diégétique : Reed dit à Jo qu’il sort de prison, qu’il a été inculpé pour

TV/Series, 6 | 2014

22

trafic de stupéfiants mais qu’il était innocent. Puis une troisième amorce est mise en

relief par un élément structurel, le cliffhanger de l’épisode 1.22, où Reed fait à Jo la

surprise d’emménager soudainement dans la même ville qu’elle. Les amorces

s’accumulent dans les épisodes suivants, jusqu’à nous montrer enfin Reed entreposer

de la drogue dans la soute de son bateau dans l’épisode 1.24. De l’épisode 1.22 à

l’épisode 1.24, le spectateur attend, espère, désire, « savoure » à l’avance, le fait que

Reed soit le méchant, et que Jo ne le sache pas. Il en va de même du premier au dernier

épisode de la saison 1 de Homeland. Le spectateur anticipe et se régale avant l’heure à

l’idée que Brody, soldat américain de retour au pays après huit ans de captivité en Irak,

ait été « retourné » lors de sa captivité, et qu’il incarne un danger pour le pays. Le

spectateur est conduit à ce désir, d’une part, pour le bien du personnage de Carrie,

agent de la CIA convaincue que Brody est passé à l’ennemi et qui prend de grands

risques pour le prouver à sa hiérarchie ; d’autre part, pour le bien de la diégèse car si

Brody n’est pas dangereux, la fiction n’a pas lieu d’être67.

53 Les amorces sont la matière première du suspense et, insidieusement, elles accrochent

le spectateur à la fiction. Elles orientent les désirs du spectateur qui, inconscient ou

même conscient de cette manipulation, « attend et savoure » à l’avance. Enfin, la

résolution de l’amorce procure le plaisir de l’attente comblée tout en flattant le

spectateur d’avoir su anticiper. Elles incitent donc le spectateur à être « actif », en lui

donnant la sensation de « participer » à la fiction, ainsi que l’illusion d’un contrôle. Par

ailleurs, elles sont utilisées dans trois cas : pour mettre un personnage en danger, pour

orienter les relations amoureuses des personnages et pour introduire le personnage du

méchant. Elles jouent donc sur les points les plus forts sur lesquels repose la

dramaturgie – la mort, l'amour, le bien et le mal. Nous avons insisté sur l’aspect

manipulateur des amorces, qui abusent le spectateur en créant des désirs que ce

dernier croit sien tout en excitant un besoin de confirmation et de consolation, mais

nous n’avons pas abordé le plaisir intellectuel qu’elles peuvent provoquer, celui de

prévoir les éléments dramatiques et leurs combinaisons. Les feuilletons dont il a été ici

question correspondent à ce qu’Umberto Eco appelle « la fabula à l’état pur, sans

scrupule et libre de tensions problématiques68 », c’est-à-dire des fictions dont la

dynamique est centrée sur la dramaturgie et où chaque amorce est une « perche » que

l’auteur tend au spectateur, une invitation au grand jeu de la lecture métadiégétique.

Selon Umberto Eco, ce type de dramaturgie « va de Tom Jones aux Trois Mousquetaires

jusqu’aux descendants actuels du roman-feuilleton » :

Ici, l’histoire, en résolvant ses propres nœuds, se console et nous console. Lafin est point pour point ce que l’on attendait. […] Mais ce faisant, il [le romanpopulaire] déploiera une telle énergie, il libérera un tel bonheur, sinoninventif du moins combinatoire, qu’il proposera une jouissance qu’il seraithypocrite de nier69.

54 Dans cet article, nous avons déterminé deux éléments sur lesquels les amorces peuvent

se construire : l’hybris et les clichés – du cliché narratif au cliché de l’expression

physionomique. Mais nous savons qu’il existe d’autres éléments à partir desquels des

amorces peuvent se construire car, comme nous l’avons vu, l’une des amorces étudiée

dans Dexter est construite sur la succession de deux plans, c’est-à-dire sur un effet de

montage. Il faudrait poursuivre cette étude afin de déterminer une typologie des

amorces. Pour cela, il serait sans doute intéressant d’effectuer une étude du cliffhanger :

en effet, certaines des amorces que nous avons étudiées ont lieu à ce moment précis

TV/Series, 6 | 2014

23

(dans Life on Mars, le meet cute à lieu lors du cliffhanger de l’épisode 1.6 ; dans The L Word,

c’est au moment du cliffhanger de la saison 4 que Jodi dit à Bette « You’d better not

break my heart ») – ceci parce que le cliffhanger contient intrinsèquement une amorce.

Il nous reste donc à déterminer sur quels éléments autres que l’hybris et le cliché les

amorces peuvent se construire.

55 Par ailleurs, nous avons traité ici d’amorces narratives mais il existe, à un niveau

microstructural, des amorces de texte, c’est-à-dire des phrases dont on devine la suite.

À ce sujet, Jennifer Hayward indique : « one particularly active soap pleasure is […]

predict plot moves (or scenes or lines)70 ». Ainsi, dans l’épisode 2.29 de Melrose Place.

Michael Mancini dit à Kimberly Shaw : « Okay, so what are you saying? » Ce à quoi

Kimberly répond : « That before, we did things your way… This time, we’re gonna do

things my way71. » Dans cet exemple, le parallélisme guide le spectateur vers la

certitude de l’épiphore. Notons que la comédienne marque évidemment une pause

entre les deux parties du parallélisme. Avant que le lexème « way » soit énoncé une

seconde fois, le spectateur sait qu’il le sera. Le spectateur est donc dans une attitude

métatextuelle, à la recherche du texte. La stratégie des amorces est une machine à

multiples ressorts.

BIBLIOGRAPHIE

AMOSY Ruth et Anne HERSCHBERG PIERROT, Stéréotypes et clichés, Paris, Armand Colin, 1997.

ECO Umberto, De Superman au surhomme, Paris, Grasset, 1993.

ECO Umberto, Lector in fabula, Paris, Grasset, 1985.

EPHRON Hallie, Writing and Selling your Mystery Novel, Writer’s Digest Books, 2005.

GENETTE Gérard, Figures III, Paris, Seuil, 1992.

HAYWARD Jennifer, Consuming Pleasures, Lexington, The University Press of Kentucky, 1997.

NOTES

1. Gérard Genette, Figures III, Paris, Seuil, 1972, p. 105.

2. Ibid., p. 113.

3. Hallie Ephron, Writing and Selling Your Mystery Novel, Writer’s Digest Books, 2005, p. 165.

4. L’annonce est explicite et apporte une certitude. Selon Gérard Genette, « la formule canonique

en est généralement un ‘nous verrons’, ou ‘on verra plus tard’ », in Figures III, p. 111.

5. Ceci est porté à l’état de théorie dans Scream (Wes Craven, 1996), à la minute 69, lorsque Randy

énonce les règles qui permettent à un personnage de survivre dans un film d’horreur.

6. Catelyn : « Je veux que tu me promettes d’arrêter l’escalade. » (notre traduction, comme pour

les autres citations en anglais de cet article)

7. Notons que l’ hybris n’est pas du fait de Bran mais de sa mère ; la némésis sera donc

proportionnelle à sa faute : par sa chute, Bran ne perdra pas la vie mais l’usage de ses jambes.

TV/Series, 6 | 2014

24

8. Genette définit la portée en ces termes : « une anachronie peut se porter, dans le passé ou dans

l’avenir, plus ou moins loin du moment « présent » […] : nous appellerons portée de l’anachronie

cette distance temporelle. » in Figures III, p.89.

9. Le cliffhanger est le moment de suspense mais, dans le cadre d’une réception sérielle, il s’agit

également d’un moment de frustration puisque la fiction s’interrompt. Préparer le cliffhanger par

une amorce est peut-être un moyen d’atténuer la frustration inhérente au cliffhanger et de laisser

le spectateur sur une satisfaction, celle d’avoir pu anticiper.

10. Melrose Place, épisode 2.13, minute 27 : « Tu ne le regretteras pas, Jane : je te le promets. »

11. Ibid., épisode 2.18, minute 27.

12. Sur les chaînes du network américain, les feuilletons sont entrecoupés de quatre pauses

publicitaires, si bien que la structure en cinq actes est très apparente. Les scénaristes écrivent

donc en fonction des pauses publicitaires et ménagent un cliffhanger pour chaque interruption. Ce

n’est pas du tout le cas en France, car le moment de la pause publicitaire n’est jamais déterminé à

l’avance.

13. La résolution en elle-même est un événement : ainsi, l’accident de voiture de Vadim, la chute

de Bran, le renvoi de Michael ou la rupture amoureuse entre Bette et Jodi.

14. Umberto Eco, De Superman au surhomme, Paris, Grasset, 1993, p. 89.

15. Nous empruntons les termes utilisés par Umberto Eco dans Lector in fabula, Paris, Grasset,

1985, p. 145 : « Une fois qu’il [le lecteur] aura lu, il se rendra compte si te texte a confirmé ou non

sa prévision. Les états de la fabula confirment ou infirment (vérifient ou falsifient) la portion de

fabula anticipée par le lecteur. »

16. Nous empruntons le terme utilisé par Umberto Eco dans « Eloge de Monte-Cristo » : « les

multiples dévoilements de Monte-Cristo à ses ennemis, qui le public attend et savoure dès la

moitié du roman », in De Superman au surhomme, p. 30.

17. Ruth Amosy et Anne Herschberg Pierrot, Stéréotypes et clichés, Paris, Armand Colin, 1997, p. 75.

18. Ibid., p. 74.

19. Hayward cite Bernard Timberg : « stylized expressions of pity, jealousy, rage, self-doubt »,

p. 156.

20. Friends, épisode 3.7 : « Imaginons que je veuille faire comprendre que j’ai fait quelque chose

de mal, ce serait la situation classique du ‘j’ai un hameçon coincé dans un sourcil et j’aime ça.’ »

21. Scène disponible à l’adresse suivante :

http://www.youtube.com/watch?v=wsVqP4_kAT0, lien consulté le 11 décembre 2014.

22. Umberto Eco dit du Comte de Monte-Cristo : « le roman est mécanique et gauche dans la

description des sentiments : ses personnages frémissent ou pâlissent, ou essuient de grosses

gouttes de sueur coulant de leur front […] ou se lèvent brusquement d’une chaise pour y

retomber aussitôt… », in De Superman au surhomme, p. 86. En effet, les termes « frémir »,

« tressaillir », « rougir » et « pâlir » sont extrêmement fréquents dans le texte. Le lexème

« sourire » est un peu moins fréquent puisque nous ne croisons pas plus d’un sourire toutes les

dix pages. Le lexème « soupir » est également présent, en moindre quantité. Enfin, le lexème

« sourcil » (général au pluriel et accompagné de l’adjectif « froncés ») est le moins fréquent de

tous ceux que nous avons cités.

23. Melrose Place, épisode pilote, minute 21.

24. « A meet-cute is a scene in film, television, etc. in which a future romantic couple meets for

the first time in a way that is considered adorable, entertaining, or amusing. » http://

en.wikipedia.org/wiki/Meet_cute « Le meet-cute est une scène de film, de série télévisée, etc. dans

laquelle un futur couple d’amoureux se rencontre pour la première fois d’une manière que l’on

décrit comme mignonne, divertissante ou amusante ».

25. À noter que la confidence peut être remplacée par un point commun insoupçonné entre les

deux personnages.

26. Melrose Place, minute 38.

TV/Series, 6 | 2014

25

27. Life on Mars, épisode 1.14, minute 12.

28. Melrose Place, épisode 1.2, minute 37. Alison : « Je sais, je suis juste… » Jane (la coupe) :

« Jalouse ?! » Alison : « Non ! Pourquoi est-ce que tout le monde n’arrête pas de dire ça ? »

Michael : « Ben, toi et Billy, vous vivez ensemble. » Alison : « Colocataires, on est juste

colocataires. »

29. Life on Mars, épisode 1.14, minute 27. « Annie ? Non, non, non, on est amis. »

30. Life on Mars, épisode 1.4, minute 29.

31. Melrose Place, épisode 4.11, minute 23. « Je t’ai toujours apprécié, Jake. T’es un mec bien. T’es

un mec vraiment honnête, franchement. Et puis, super beau. (S’adressant à la petite amie de Jake)

N’est-ce pas qu’il est beau !? »

32. Melrose Place, Épisode 4.19, minute 28. Notons que les scénaristes ont donc de nouveau

employé ce cliché huit épisodes seulement après la déclaration d’amour alcoolisée de Jane.

33. Ibid., épisode 4.18, minute 43.

34. Ibid., épisode 4.20, minute 55. Notons qu’ici le cliché est utilisé dans deux épisodes

consécutifs.

35. Ibid., épisode 1.18, minute 18. Jake : « Billy, tu devrais te demander ce que tu ressens vraiment

pour Alison. » Billy : « Je ne ressens rien pour Alison ! »

36. Life on Mars, episode 1.17, minute 21. Ray : « Ils s’aiment ! Tyler [Sam] rote et elle le regarde

comme s’il chantait une chanson. Moi je trouve ça écoeurant. » Le commissaire : « Ça va, ça va.

Est-ce que c’est vrai Norris [Annie] ? » Annie : « Non monsieur. »

37. Melrose Place, épisode 1.20, minute 25. Jo : « Alison, un conseil : ne sors jamais avec quelqu’un

de la résidence. »

38. La diégèse se déroule en 1973. Sam, un homme qui vient du futur (on ne sait comment), est

bloqué en 1973 depuis l’épisode pilote. Dans l’épisode 1.16, Sam, se croyant prisonnier d’un rêve,

est prêt à se suicider pour y mettre un terme et rentrer chez lui.

39. Eco, Lector in fabula, p. 145.

40. Eco, De Superman au surhomme, p. 101.

41. Neuf mois de diffusion se sont écoulés entre la première amorce et la résolution, c’est-à-dire

entre l’épisode pilote (diffusé le 8 juillet 1992) et l’épisode 1.28 (diffusé le 7 avril 1993).

42. Cinq mois de diffusion (quatre mois et demi pour être exact) se sont écoulés entre l’épisode

1.6 (diffusé le 13 novembre 2008) et l’épisode 1.17 (diffusé le 1er avril 2009).

43. À ce titre, dans Plus belle la vie, la relations de Samia Nassri et Jean-Paul Boher, dont les

amorces reposent sur sept des clichés narratifs que nous avons évoqués ici (à l’exception des

amorces que nous avons numérotées 1, 5 et 9), s’étend sur une période de deux ans.

44. Cf. la célèbre phrase de Wilkie Collins : « Make them laugh, make them cry, make them wait ».

45. Eco, De Superman au surhomme, p. 30.

46. « Les spectateurs de soap, loin d’être trompés par l’attente d’un paroxysme qui n’arrive

jamais, trouvent un grand plaisir dans le prolongement du suspense, lequel est devenu un

véritable art au bout de deux siècles de sérialité. » Jennifer Hayward, Consuming Pleasures,

Lexington, The University Press of Kentucky, 1997, p. 151. De même, Ruth Amossy et Anne

Herschberg Pierrot considèrent que « les stéréotypes sont sources de suspense et de plaisir », op.

cit., p. 81.

47. Genette, Figures III, p. 112, cite comme exemple d’amorce : « par exemple faire apparaître dès

le début un personnage qui n’interviendra vraiment que beaucoup plus tard ».

48. Dexter, coffret DVD Showtime Entertainment et Paramount Pictures (2007), épisode 1.7,

minute 9.

49. Ibid., minute 20.

50. Ibid., minute 25.

51. Ibid., minute 37.

TV/Series, 6 | 2014

26

52. Genette définit le leurre ainsi : « C’est d’ailleurs sur cette compétence même [la compétence

narrative du lecteur] que se fonde l’auteur pour tromper le lecteur en lui proposant parfois de

fausses, ou leurres », in Figures III, p. 114.

53. Dexter, épisode 1.7, plan 1 de la minute 37:40 à 37:45, plan 2 de 37:45 à 37:49.

54. Permettons-nous une comparaison avec le roman policier. Disons que la diégèse d’un roman

policier est une « équation à une inconnue », que le lecteur, parallèlement au détective de la

fiction, cherche à résoudre. Il est reconnu par la critique que le roman policier nécessite un

récepteur « actif ». En revanche, on ne peut pas vraiment dire que la diégèse d’un feuilleton soit

une « équation à une inconnue ». Dans Monte-Cristo par exemple, il est évident dès le premier

chapitre que Dantès est le héros, et à partir du moment où l’Abbé Faria complète l’équation du

titre du roman en disant à Dantès qu’il y a un trésor sur l’île de Monte-Cristo, il est évident que

Dantès trouvera le trésor (car le personnage dont le roman porte le nom pour titre ne saurait

être autre que le héros), et se vengera ensuite (il ne saurait en être autrement selon l’idéologie de

la consolation émise par Umberto Eco dans De Superman au surhomme : si Dantès n’obtenait pas

vengeance, ce ne serait pas « juste » et l’équilibre du quasi-monde ne serait pas rétabli). Le

feuilleton ne nécessite donc pas un récepteur particulièrement actif ; mais il encourage l’activité

de son récepteur en portant l’attention de ce dernier sur l’énonciation et sur les procédés

d’anticipation. Selon nous, le feuilleton engage donc davantage son récepteur dans un rôle

d’enquêteur de la narration.

55. Dexter, épisode 1.7, minute 37.

56. Ibid., minute 42.

57. Ibid., minute 46.

58. Ibid., minute 51. « Putain, vous êtes qui vous ?! »

59. Eco, De Superman au surhomme, p. 22.

60. Dexter, episode 1.8, minute 19. « J’aime ton corps, j’aime tes jambes, j’aime tes bras. Je n’aurais

pas su faire mieux. »

61. Ibid., minute 34. « Je veux lui donner une paire de nouvelles jambes superbe. Les tiennes. »

62. La macro expression du sourire malicieux est fréquemment utilisée dans les feuilletons, en

particulier par le personnage de J.R. dans Dallas (CBS, 1978-91).

63. Dexter, épisode 1.8, minute 51. Rudy : « Et je suis un monstre de propreté. » Deb : « Tu es

vraiment plein de surprises, hein !? » Rudy : « Oh, tu n’as pas idée !... »

64. L’échange de mails entre Dexter et le tueur : « Barbie frigorifiée cherche Ken. Cher Ken, je

suis en morceaux. Pourquoi me bats-tu froid ? Bises, Barbie » « Barbie, sois patiente. Un jour, on

s’en offrira un à deux, bien frais. »

65. Il en était de même dans le cliffhanger de l’épisode 1.7 qui, en apportant la confirmation de

l’imposture de Neil Perry, ouvrait la question « mais si ce n’est pas lui, qui est-ce ? »

66. Ainsi, dans les épisodes suivants le spectateur aura plaisir à voir Dexter côtoyer Rudy sans

savoir que ce dernier est le tueur qu’il recherche et avec qui il a déjà établi une relation.

67. Si Brody n’était pas dangereux pour le pays, ce début d’histoire ressemblerait à une fin (le

retour du héros dans son pays).

68. Eco, De Superman au surhomme, p. 19.

69. Ibid., p. 18-19.

70. Jennifer Hayward, Consuming Pleasures, p. 186. “Un des plaisirs les plus forts du soap, c’est de

pouvoir anticiper une action (ou une scène ou une réplique). »

71. Melrose Place, épisode 2.29, minute 14. Michael : « D’accord, mais qu’est-ce que tu veux dire ? »

Kimberly : « Qu’avant, on faisait les choses à ta manière ; cette fois, on va les faire à ma

manière ».

TV/Series, 6 | 2014

27

RÉSUMÉS

Afin de créer chez le spectateur la nécessité de connaître la suite de la fiction, les feuilletons

mettent en place une manipulation très précise, presque mécanique, fondée sur la redondance si

souvent reprochée au genre. Dans Éloge de Monte-Cristo, Umberto Eco écrit : « on découvre que les

horribles intempérances stylistiques [les redondances] sont, certes, des « chevilles », mais

qu’elles ont une valeur structurale, comme les barres de graphite dans les réacteurs nucléaires,

ralentissant le rythme pour rendre nos attentes plus lancinantes, nos prévisions plus

hasardeuses ». Par l’étude d’un cas particulier de redondance, l’amorce, nous montrons ici

comment les auteurs de feuilletons télévisés manipulent nos attentes et nos prévisions. L’amorce

fait partie intégrante des procédés d’anticipation ; sa fonction est de préparer et d’engager la

suite. Cette « préparation », constituée d’une seule ou de plusieurs amorces, a la forme d’un écho,

mais un écho « à l’envers », l’information la plus forte étant la dernière.

Nous nous proposons d’étudier les amorces narratives qui visent à orienter les désirs du

spectateur, amorces de courte portée (trouvant leur écho final dans l’épisode), puis amorces

portant sur plusieurs épisodes en examinant deux grands classiques : la création du désir que

deux personnages entretiennent une relation amoureuse et la création du désir que tel

personnage soit l’assassin, ou plutôt « le méchant ». Nous aborderons ainsi la question du besoin

de confirmation du spectateur, qui semblerait presque plus fondamental que le besoin d’être

surpris. Chaque type d’amorce sera illustré d’un exemple issu de Melrose Place et doublé d’un

deuxième exemple issu d’un autre feuilleton afin de vérifier la validité du procédé.

In order to incite the spectator to need to know the continuation of the story, serials employ a

very precise, almost mechanical form of manipulation, founded upon the very redondancy of

which the genre is so often reproached. In Éloge de Monte-Cristo, Umberto Eco writes, “we discover

that the horrible stylistic intemperances [the redundancies] are, of course, ‘fillers,’ but that they

do have a structural value, like graphite rods in nuclear reactors, slowing the rhythm to make

our expectations more nagging, our predictions more risky”. Through the study of a particular

case of redundancy, the teaser, we will show how authors of TV series manipulate our

expectations and predictions. The teaser is an integral technique of anticipation; its function is to

prepare for and to lay out the coming action. This “preparation”, formed through one or more

teaser, takes the form of an echo, but an echo “in reverse”, the most important information

coming last.

We will study narrative teasers that aim to orient the spectators’ desires, short-term teasers

(which play out within the episode), then teasers concerning multiple episodes by examining two

classics: the creation of desire that characters enter into a romantic relationship and the creation

of the desire that some character be the murderer, or rather “the bad guy”. Accordingly, we will

address the question of the spectator’s need for confirmation, which would seem almost more

fundamental than the need to be surprised. Each type of teaser will be illustrated by an example

from Melrose Place and coupled with a second example from another series to verify the validity

of the procedure.

INDEX

Mots-clés : Melrose Place, redondance, amorce, annonce narrative

Keywords : Melrose Place, redundancy, incipit, narrative prefiguration

TV/Series, 6 | 2014

28

AUTEUR

MARIE TRÉFOUSSE

Marie Tréfousse a obtenu un Master de Langue Française, spécialité rhétorique, avec mention

Très Bien à l’université Paris IV où elle a été Tutrice pendant trois ans. Son sujet de recherche

portait sur le roman-feuilleton et le feuilleton télévisé, comme l’indique le titre de son mémoire

de Master 1, « La Répartition de l’information ou la manipulation du récepteur », ainsi que celui

de Master 2, « Le Feuilleton et son au-delà ».

TV/Series, 6 | 2014

29

L’art du teaser : les séquencesprégénériques dans quelques sériesfantastiques américaines des années1990 et 2000Claire Cornillon

1 La série télévisée est une œuvre qui se construit autour d’un format et de contraintes

financières, structurelles ou narratives souvent bien délimitées. Depuis le début des

années 1990, les séries télévisées américaines connaissent de fortes mutations en

termes de structures, de narration et d’esthétique. Au modèle qui s’était imposé

jusqu’alors, dans lequel chaque épisode était une variation autonome sur une structure

similaire, se substitue un modèle semi-feuilletonnant. La terminologie dans ce domaine

distingue en effet « la série », qui propose une suite d’épisodes mettant en scène des

personnages récurrents mais qui constituent des unités relativement indépendantes, et

« le feuilleton », dont l’intrigue unique se poursuit d’épisode en épisode. Dans le modèle

qui s’impose au cours des années 1990, si chaque épisode raconte bien une histoire

close, la saison, voire la série dans son ensemble, développent une intrigue, un arc

narratif, qui se poursuit de semaine en semaine. Stéphane Benassi le constatait en ces

termes dans son ouvrage paru à cette même période :

Depuis quelques temps, nous assistons en effet à l’émergence de fictions quisemblent tendre vers un compromis presque « parfait » entre la série et lefeuilleton. Ainsi, certaines fictions sérielles, telles que Code Quantum ou Slider,sont-elles constituées d’épisodes narrant les aventures de personnagesrécurrents et possédant une unité diégétique propre, bien que la fin dechacun de ces épisodes annonce le début de l’épisode suivant, créantl’attente chez le spectateur comme le ferait un feuilleton. D’autres fictions,quant à elles, apparaissent comme étant des feuilletons dont chaque épisodepossède une unité diégétique propre. C’est le cas, par exemples, d’Urgences oude New York Police Blues. Bien que ces compromis entre série et feuilleton nesoient pas nouveaux et remontent aux années soixante, il semble intéressant

TV/Series, 6 | 2014

30

d’observer de quelles façons ils tendent aujourd’hui à se diversifier et à secomplexifier1.

2 Le format de la fiction sérielle connaît donc des mutations qui relèvent d’une forme

d’hybridation entre la série et le feuilleton. L’approche du personnage s’en trouve dès

lors modifiée, comme l’ajoute par ailleurs Stéphane Benassi : « Le héros de la série

classique a également ceci de particulier qu’il ne subit aucune évolution au fil des

épisodes […]2. » En revanche, dans les séries des années 1990 et 2000, l’évolution du

personnage devient un des enjeux majeurs de la narration au point que celui-ci en vient

à structurer la série, assurant précisément la continuité de celle-ci au-delà de

l’autonomie des épisodes.

3 Par ailleurs, le format de l’épisode lui-même entretient une ambivalence similaire entre

l’autonomie et la continuité. Chacun reprend en effet la même structure, qui s’impose

dans cette décennie 1990 : le résumé des épisodes précédents3, puis la séquence

prégénérique, précèdent le générique lui-même et le corps de l’épisode. Ce teaser4, ou

séquence prégénérique, devient le lieu fondamental qui doit happer le téléspectateur

pour éviter qu’il ne zappe ; il se construit donc entre deux éléments récurrents plus ou

moins fixes, et se doit à la fois d’introduire l’épisode et de laisser des éléments en

suspens afin de susciter la curiosité. Plus encore, la séquence prégénérique est le seuil

qui porte l’identité de la série, puisqu’elle plonge le spectateur dans les codes d’un

genre, dans une certaine spécificité de l’image, de la mise en scène et de la musique,

tout en renouvelant constamment l’intérêt du spectateur. Dès lors, cette séquence se

construit sur une dialectique entre répétition et nouveauté et oscille entre, d’un côté,

une continuité très forte avec le reste de la série et le corps de l’épisode lui-même et, de

l’autre, une autonomie relative par rapport à l’épisode qu’il introduit et à l’ensemble de

la série. Si certaines séries choisissent de centrer le teaser sur des personnages

secondaires, d’autres mettent en scène les héros de l’intrigue dès les premières images ;

d’aucunes installent, dès cette séquence, le sujet de l’épisode quand d’autres y voient

l’occasion d’une digression fertile. Les stratégies sont multiples, d’une série à l’autre,

mais aussi d’un épisode à l’autre.

4 Ce modèle, s’il persiste encore aujourd’hui5, et pas seulement dans la fiction

américaine6, est concurrencé depuis le début des années 2000 par d’autres tendances :

la vogue des séries entièrement feuilletonnantes comme 24 (Fox, 2001-2010) offre

d’autres stratégies narratives7. Par ailleurs, certaines séries ne proposent plus de teaser

(c'est le cas de nombreuses séries HBO), alors que le générique lui-même a eu tendance,

dans certains cas, à disparaître au profit d’un simple logo, comme dans Supernatural8.

Ces nouvelles formules travaillent le format de la série d’une autre manière, tout en

s’appuyant sur les expériences narratives qui les ont précédées. La tendance actuelle

n’est plus à l’unicité mais à la pluralité. Dans l’abondance de l’offre, toutes les stratégies

peuvent cohabiter, et les créateurs usent désormais des normes comme ils le

souhaitent, s’inscrivant dans la tradition sur certains points et innovant sur d’autres,

d’autant que la conscience même d’une historicité du genre amène les auteurs à

revendiquer leur généalogie9.

5 Remarquons également que la séquence prégénérique n’est pas la prérogative des

seules séries et qu’elle existe déjà au cinéma. On pense, parmi de nombreux exemples, à

l’ouverture célèbre du film Kiss Me Deadly de Robert Aldrich (1955). Le film commence in

medias res alors qu'une jeune femme court pieds nus sur une route la nuit. Elle arrête

une voiture et son conducteur la prend en stop. L'ouverture plonge ainsi le spectateur

TV/Series, 6 | 2014

31

dans l'action et le suspense par le biais d'une séquence mystérieuse qui vient s'imposer

avant même que les crédits du film n'apparaissent. On peut d’ailleurs faire l’hypothèse

d’une influence réciproque des deux arts sur ce sujet. Alexandre Tylski souligne ce

phénomène dans le cinéma des années 1960 :

Mais une autre technique de fragmentation des génériques est égalementemployée à cette époque, les pré-génériques – qui pourraient aisément fairel’objet d’un livre entier. Leur emploi dans les épisodes de La Panthère rose etautres épisodes de James Bond reste célèbre et témoigne souvent d’unevolonté de stratégie narrative (et économique) motivée en grande partie parle succès des schémas télévisuels d’alors10.

6 Au-delà – ou peut-être en deçà – de ces remarques esthétiques, il est nécessaire de

resituer tout discours sur les séries nord-américaines dans un contexte qui est celui de

la dimension économique de l’industrie télévisuelle des États-Unis. Les créateurs de ces

œuvres travaillent dans un contexte extrêmement contraignant lié au support de

diffusion (les exigences des networks ne sont, par exemple, pas les mêmes que celles

des chaînes payantes du câble) mais aussi au problème des coupes publicitaires, de la

censure, ou de l’autocensure, ainsi que des usages liés aux formats (le format court est

ainsi généralement réservé aux sitcoms quand les séries dramatiques se déploient le

plus souvent sur 40 à 50 minutes) et au nombre d’épisodes par saisons. Tous ces

éléments influencent de manière très nette la création mais il est notable que les

auteurs des œuvres que nous évoquerons usent de ces contraintes comme d’une source

de créativité et les exploitent souvent de manière originale.

7 De fait, avec les séries fantastiques, dans lesquelles l’univers fictionnel est, par

définition, le lieu de tous les possibles, la séquence d’ouverture d’un épisode est

l’occasion pour le téléspectateur de découvrir également quelles en seront les règles

cette semaine-là. C’est aussi l’occasion de jouer sur le statut fictionnel de l’image. Dans

le teaser d’une série fantastique, puisque le contexte n’est pas encore fourni, et que l’on

ne connaît pas toujours avec certitude l’ancrage spatio-temporel, il serait tout à fait

possible que nous soyons dans une dimension parallèle, un rêve ou une illusion

quelconque. Les scénaristes vont jouer de cette possibilité en trompant le

téléspectateur ou en cherchant à le surprendre, en brisant ses repères.

8 Cette analyse s’appuiera essentiellement sur des exemples tirés de The X-Files, de Chris

Carter (Fox1993-2002), Buffy the Vampire Slayer, de Joss Whedon (WB, UPN 1997-2003), et

Supernatural11, créée par Eric Kripke, (CW 2005-). L’article s’attachera à déterminer les

fonctions de la séquence prégénérique dans ces trois séries, ainsi que son

fonctionnement en termes structurels, narratifs et esthétiques avant de montrer

comment cette séquence est une matrice, un lieu privilégié de la sérialité.

1. Essai de typologie

9 Pour établir une typologie des séquences prégénériques, quatre critères semblent

essentiels : la question de la continuité avec l'épisode précédent, la présence des

protagonistes de la série, le sujet de la séquence et sa durée. Ces critères posent les

fondements du fonctionnement narratif de la séquence en interrogeant son lien avec

l'épisode précédent et avec le corps de l'épisode auquel elle appartient. Ils permettent

TV/Series, 6 | 2014

32

de comprendre comment la séquence pose son identité et son autonomie tout en

s'articulant avec le reste de la série.

La séquence prégénérique est-elle feuilletonnante ?

10 Certains teasers reprennent l’intrigue exactement là où le cliffhanger de la fin de

l’épisode précédent l’avait laissée. C'est le cas notamment dans les épisodes en deux

parties, comme « What’s my line » dans la saison 2 de Buffy the Vampire Slayer. La

première partie se termine sur Kendra qui se présente à Buffy comme étant la Tueuse,

et la seconde commence exactement après cette réplique, enchaînant simplement la

suite de cette scène. Les exemples sont nombreux. Dans ce cas, le statut de la séquence

prégénérique repose sur le fait qu'elle doit replonger le téléspectateur dans la réalité de

la semaine d’avant : elle construit une continuité non pas seulement avec ce qui va

suivre mais avec ce qui a précédé, ce qui relativise d’autant sa possible autonomie.

Les personnages récurrents de la série sont-ils présents dans la

séquence prégénérique ?

11 The X-Files ou Supernatural mettent rarement en scène les protagonistes de la série dans

les teasers. Lorsque cela arrive, l’épisode est précisément repérable comme un épisode

particulièrement important parce qu’il se démarque de la norme présentée comme

telle au spectateur. Ainsi, de nombreux épisodes de The X-Files, qui développent sa

mythologie, c'est-à-dire son intrigue feuilletonnante, font apparaître Mulder ou Scully

dès la séquence prégénérique, ce qui n'est pas la cas dans la plupart des autres

épisodes. Dans ces deux séries fantastiques, dans lesquelles chaque épisode est une

enquête sur un phénomène surnaturel, le prégénérique est le plus souvent le lieu de la

présentation de la première victime, et le générique coïncide avec le moment

d'apparition du surnaturel. L'apparition même du titre dans Supernatural, qui explose

littéralement à l'écran, suivant des modalités qui varient de saison en saison, qualifie

finalement ce qui vient d'être vu par le spectateur : un élément surnaturel (voir figure

1). Le générique, qui n’est qu’un logo, est une sorte d’étiquette qui agit rétroactivement

sur la séquence prégénérique : ce que vous avez vu, il faut l’identifier comme un

événement surnaturel et comme un événement qui appartient à l’univers de

Supernatural.

Fig. 1 : Générique de la saison 5 de Supernatural

12 Le principe est le même dans The X-Files. La plupart du temps, ce n’est que dans la scène

qui suit le générique que les protagonistes de la série apparaissent et entament leur

enquête. En revanche, Buffy the Vampire Slayer montre les protagonistes le plus souvent

TV/Series, 6 | 2014

33

dès le prégénérique – précisément parce que le surnaturel est, dans cette série, plutôt

un prétexte à l'évolution des personnages et davantage une métaphore d'expériences

de la vie. Les personnages principaux et les relations qui se tissent entre eux

constituent donc l’enjeu majeur de chacun des épisodes, faisant de l’intrigue autonome

un catalyseur de leur évolution. La présence des protagonistes est donc essentielle dès

la séquence prégénérique. Si les deux premières séries jouent souvent sur les

mécanismes du film d’horreur, et présentent donc des premières victimes destinées à

mourir de manière spectaculaire dans les séquences prégénériques, la dernière ne vise

que très rarement à faire peur au téléspectateur. Ces diverses visées expliquent en

partie les différences de stratégies narratives.

Le teaser annonce-t-il le sujet de l’épisode ?

13 La réponse à cette question n’est pas aussi évidente qu’on pourrait le croire car le

prégénérique peut aussi proposer une ouverture que l’on peut qualifier d’anecdotique,

c’est-à-dire qui ne fait pas avancer la narration et qui joue simplement le rôle d’une

accroche. Par conséquent, l’isolement relatif du prégénérique peut être utilisé selon des

objectifs différents : il peut, par exemple avoir une visée humoristique. Dans l’épisode

« Teacher’s pet » (4.1) de Buffy, qui se concentre sur la vie amoureuse de Xander, le

prégénérique présente une scène qui se déroule au Bronze, bar bien connu des

téléspectateurs, où Buffy est attaquée par des vampires. Cette scène pourrait paraître

banale dans la série mais l’image d’ouverture – un gros plan sur la bouche d’une jeune

fille hurlant et un zoom arrière qui laisse découvrir son visage – s’inscrit dans un

décalage burlesque et une exagération qui laissent entendre la dimension comique de la

scène. Buffy ne parvient pas à se tirer de ce traquenard mais elle est sauvée in extremis

par Xander – situation qui paraît encore possible bien que surprenante à ce stade de la

série, où Xander n'est pas encore considéré comme un combattant efficace. Xander se

débarrasse rapidement de l’ennemi avant de demander à Buffy si elle va bien, d’une

voix sourde de héros séducteur. Il monte sur scène, empoigne sa guitare, sous les yeux

de l’héroïne qui le contemple forcément avec amour (voir figure 2).

TV/Series, 6 | 2014

34

Fig. 2 : Le rêve de Xander dans « Teacher’s pet » (1.4)

14 Il s’agit bien sûr d’un rêve et Xander est rappelé à la réalité – son cours de biologie

durant lequel il s’était assoupi. Le prégénérique joue de sa nature même de

commencement en utilisant le fait que le téléspectateur ne peut pas identifier le statut

de l’image qu’il voit dans la mesure où aucune autre information ne lui a encore été

donnée et qu’il est donc amené à accepter la première scène comme étant a priori la

réalité. Même si des indices lui sont fournis, qui indiquent que la scène n’est pas une

scène habituelle, il n’en connaît pas encore le statut. En effet, dans Buffy, à la question

du fantastique s’ajoute la question de l’humour : puisque certains épisodes sont

extrêmement burlesques, le spectateur est prêt à envisager et à accepter presque tous

types d’intrigues.

15 Cette stratégie du prégénérique permet aux auteurs de mettre en place, dans cet

exemple, un tableau particulièrement comique mais aussi, par une voie détournée et

expressive, de poser une problématique essentielle du personnage de Xander – son

désir d’être un héros. Il est l’humain du groupe, celui qui, en ce tout début de série, ne

semble pas encore y trouver sa place et son utilité. Comme nous l’avons dit plus haut,

Buffy est avant tout une série fondée sur les personnages, leur évolution et les relations

qui se tissent entre eux, et c’est pourquoi le prégénérique peut se concentrer moins sur

les événements et l’intrigue que sur la psychologie du personnage qui en sera le moteur

principal. Dans notre exemple, l’épisode va ensuite mettre en scène une femme,

professeur de biologie remplaçante, qui séduit Xander, mais se révèle être une mante

religieuse. La séquence d’ouverture annonce donc bien le sujet de l’épisode (Xander et

la séduction érotique) mais elle le fait non pas en termes d’intrigues mais

d’approfondissement du personnage, de ses angoisses et fantasmes.

TV/Series, 6 | 2014

35

Quelle est la longueur du prégénérique ?

16 Si dans certaines séries ou dans certains épisodes, la séquence d’ouverture peut être

très courte, dans d’autres, elle dure plusieurs minutes. Les exemples de teasers de cinq à

dix minutes sont nombreux. Dans les deux cas, le statut de cette séquence varie

considérablement : de simple scénette d’ouverture, la séquence prégénérique peut

aussi bien constituer un acte entier, comme dans Alias (ABC, 2001-2006). Ainsi la

séquence prégénérique de l'épisode 1.4 dure-t-il plus de huit minutes. Elle consiste en

la suite exacte de la fin de l'épisode précédent, puisque celui-ci se terminait sur un

cliffhanger : Sidney ouvre, avec une autre agent ennemi, une valise et semble effrayée

par le contenu qui reste invisible pour le spectateur. L'épisode 4 commence sur ces

mêmes images, révélant par la suite que la valise contient une bombe. L'ensemble de la

séquence porte sur la confrontation de Sidney avec cette ennemie. En effet, plus qu'il

ne commence ce nouvel épisode, le teaser termine l'épisode précédent, non pas de

manière anecdotique mais bien par une séquence qui constitue presque le quart de

l'épisode. Dès lors, il ne s’agit plus seulement pour le prégénérique d’ouvrir l’épisode,

mais bien d'en constituer une partie aussi conséquente que les autres actes. La question

de l’isolement de la séquence se pose ici de manière plus problématique dans la mesure

où elle joue presque à armes égales avec les autres parties de l'épisode. Ainsi, le statut

de la séquence prégénérique se conçoit-il en fonction de la distribution des données

narratives : quel est exactement l’apport du teaser dans l'ensemble de l'épisode ou de la

série ?

2. Jouer avec les codes : entre rupture et continuité

17 Au-delà des différentes fonctions narratives que nous venons d’évoquer, le

prégénérique endosse également des fonctions esthétiques ainsi que des fonctions

d’identification générique de l’épisode et de la série. Les différentes stratégies de la

typologie qui précède se mêlent à d’autres jeux, métatextuels, inter- ou intratextuels,

qui complexifient davantage encore la séquence prégénérique. Celle-ci inscrit l’épisode

qui va suivre dans un certain genre, dans un ton et une esthétique spécifiques, mais elle

rattache aussi ce même épisode à l’identité narrative et visuelle de la série dans son

ensemble. Elle est un seuil qui permet au téléspectateur de reconnaître immédiatement

la série qu’il regarde. La séquence prégénérique est, par conséquent, essentiellement

fondée sur un jeu de variations à partir de données fixes.

Le prégénérique du pilote et le recyclage des codes

18 Dans l’analyse de la sérialité, le cas de la séquence prégénérique du pilote constitue

bien sûr un cas particulier, au sens où rien ne le précède mais que tout découle de lui.

Cette séquence est, par bien des aspects, une matrice, c'est-à-dire un modèle, mais aussi

une ouverture sur les possibles que déclineront ensuite les prégénériques des autres

épisodes. Elle peut d’ores et déjà mettre en place une formule et se situer par rapport

aux codes génériques ou, au contraire, se poser en hapax pour entrer dans l’univers

fictionnel sans pour autant en dévoiler tous les secrets.

19 À propos des séries fantastiques, nous avons déjà évoqué l’idée selon laquelle le teaser

est souvent l’occasion de présenter une première victime d’un fait surnaturel : il

TV/Series, 6 | 2014

36

s’inscrit ainsi dans une codification du genre avec laquelle la série va pouvoir jouer. Le

cas du teaser du pilote de Buffy the Vampire Slayer est tout à fait remarquable car non

seulement il installe un schéma qui sera celui des épisodes suivants mais il met

également en place les éléments qui distinguent Buffy d’autres séries fantastiques, en

opérant un renversement des attentes du téléspectateur. Le prégénérique y joue en

effet des codes des séries fantastiques par son usage de repères spatio-temporels

spécifiques, par l’ambiance inquiétante et par la musique qui souligne le suspense. Le

spectateur sait qu’une menace pèse mais, puisque le jeune homme semble pousser la

jeune fille à le suivre, il pense que c’est elle qui sera la victime. Or, cette jeune fille n’est

autre que Darla, très vieux vampire qui assassine le garçon avant que le générique ne

commence. Ainsi, la jeune fille blonde, qui paraît sans défense et qui serait une victime

désignée dans n’importe quel film d’horreur, révèle-t-elle son identité de prédateur et

sa force sous son apparence inoffensive. Bien sûr, le personnage même de Buffy relève

de ce schéma puisqu’elle aussi est une adolescente blonde qui endosse cette fois le rôle

de super-héroïne. Le prégénérique inscrit par conséquent la série dans les codes du

genre tout en les subvertissant, et anticipe sur ce qui sera un principe fondateur de

l’ensemble de la série. Enfin, alors qu’on pense qu’il présente des personnages tout à

fait secondaires (les malheureuses victimes que l’on ne revoit jamais ensuite), ce teaser

met en fait en scène un personnage qui s’avèrera récurrent, le vampire Darla.

20 True Blood (HBO, 2008-), dans les années 2000, joue du même procédé. Autre série sur

des vampires, elle renverse, dans sa première séquence d’ouverture, l’ensemble des

codes et des attentes du spectateur. Elle met en scène un couple de jeunes qui

possèdent toutes les caractéristiques des victimes potentielles mais qui sont finalement

épargnés. Par ailleurs, le vampire de la séquence n’est précisément pas celui que l’on

croit. Alors que le propriétaire du drugstore avec ses tatouages, sa bague en forme de

crâne et son bracelet de munitions, laisse augurer un danger – d’autant qu’il parle de

vampires en disant « nous » –, il apparaît qu’il est humain et ne fait que plaisanter. Et

c’est le client banal qui est en fait un vampire (voir figure 3).

Fig. 3 : Première séquence du pilote de True Blood

21 La séquence joue donc sur les codes de représentation des personnages pour déjouer

leur identification. Mais elle se poursuit avec humour puisque le vampire ne fait aucune

TV/Series, 6 | 2014

37

victime et clôt la scène avec un sourire qui fait ressortir ses canines, en lançant un

joyeux « Have a nice day ». Le prégénérique joue donc sur les contrastes et sur la

déconstruction humoristique des codes du genre. Les vampires de Louisiane n’y ont

rien de commun avec la tradition des dandys des romans d’Anne Rice mais peuvent

tout aussi bien être des Américains moyens qui cherchent à se faire une place au sein

de la société. Il s’agit donc bien d’installer l’identité de la série en la caractérisant par

rapport au corpus préexistant et aux codes génériques. Comme déjà avec Buffy, mais ce

sera le cas de manière plus évidente encore dans les séries des années 2000, nous

sommes entrés, au tournant du siècle, dans une ère référentielle où les séries se situent

de plus en plus explicitement vis-à-vis de ce qui précède, citent ouvertement leurs

modèles, les subvertissent ou les parodient avant de faire de même avec leurs propres

codes, une fois le modèle installé au cours des saisons.

Le prégénérique du pilote et l’instauration de codes esthétiques

22 La séquence prégénérique d’une série impose aussi ses particularités propres en termes

de choix esthétiques. Ainsi, The X-Files, du fait de son exigence visuelle et de la mise en

place de motifs récurrents en termes de mise en scène, impose-t-elle de nouveaux

standards de qualité et de structuration, en se rapprochant du cinéma, ce que

revendique d’ailleurs son créateur Chris Carter12. Par exemple, la série s’ouvre sans

véritable prégénérique puisque l’épisode 1 ne comporte pas de générique, comme

c’était souvent le cas des pilotes dans les années 1990. Pourtant, les crédits apparaissent

après la première séquence, en surimpression sur l’image, comme à la suite d’un

générique dans un épisode normal. De plus, comme dans le reste de la série, cette

première séquence, qui est quand même isolée formellement de la suite, expose

l’affaire sur laquelle les agents vont enquêter, tandis que le corps de l’épisode débute

par l’entrée en scène des personnages principaux de la série, en l’occurrence Scully.

Sans véritable coupure, le pilote présente donc une séquence qui correspond à tous les

critères du prégénérique.

23 Cette séquence est une scène de nuit tournée dans une forêt où une jeune fille court en

chemise de nuit ; une lumière apparaît derrière les arbres, un jeune homme arrive à cet

endroit et tous deux sont pris dans cette lumière. L’ancrage spatio-temporel – la forêt,

la nuit – est un motif central de la série et l’approche réaliste de la mise en scène choisit

d’ancrer le fantastique dans le monde le plus contemporain et le plus quotidien qui soit.

Le pilote s’ouvre d’ailleurs sur une mention qui n’apparaîtra plus par la suite, indiquant

que les événements racontés dans l’épisode sont inspirés de faits réels. La deuxième

scène de cette séquence présente le corps de la jeune fille entouré de policiers sur ce

qui semble bien être une scène de crime. Le lieu de l’action s’affiche à l’écran comme

s’il était tapé à la machine à écrire, autre particularité de l’esthétique réaliste de la

série À cela s’ajoute la musique électronique de Mark Snow qui travaille peu sur des

mélodies et compose davantage des ambiances inquiétantes qui contribuent largement

à l’esthétique de la série. Nombreux sont donc les repères esthétiques qui définissent

l’identité de la série et qui sont mis en place dès cette séquence. Or, une fois cette

identité posée, la séquence prégénérique des épisodes suivants devient un moment de

rappel de ces principes.

24 Le teaser, qui est habituellement le lieu de l’identification de la série et de la

reconnaissance de ses codes de fonctionnement, peut cependant devenir, l’espace d’un

TV/Series, 6 | 2014

38

épisode, le lieu de la surprise, du décalage, de la référence intertextuelle, du

commentaire méta-narratif ou de tout autre procédé qui isole l’épisode.

Des prégénériques marqués

25 Un dernier critère pourrait donc s’ajouter à la typologie dressée précédemment, qui

permettrait de dire si le prégénérique possède une esthétique propre, se démarquant

de l’ensemble de la série (prégénérique marqué) ou si, au contraire, posant les jalons de

l’esthétique de la série, il s’y intègre harmonieusement (prégénérique non marqué) ?

Cette dimension est aussi un indicateur pour le téléspectateur qui peut alors sentir, dès

les premières images d’un épisode, que celui-ci sera spécial. C'est le cas de l'épisode

musical de Buffy, « Once more with feeling » (6.7). On aurait pu imaginer que le démon

de la danse arrive en ville et que les numéros musicaux ne commencent que dans

l’épisode proprement dit, mais l'effet est bien sûr décuplé par l'ouverture musicale dès

le prégénérique, qui plonge immédiatement le spectateur dans l'ambiance d’un épisode

qu'il sait être exceptionnel au sein d’une série qui n’est pas musicale.

26 Le cas de « The Post-modern Prometheus » (5.5) de The X-Files en est un autre exemple

remarquable. L’épisode est en noir et blanc et utilise les codes du cinéma fantastique

(voir figure 4), renvoyant notamment, comme son titre l’indique, à Frankenstein.

Fig. 4 : The X-Files, “The post-modern Prometheus” (5.5)

27 Mais il détourne aussi ces codes de manière burlesque puisqu’il met en scène un

personnage monstrueux par son apparence mais inoffensif, dont la particularité, outre

son physique, est d’être fan de la chanteuse Cher, ce que révèle le prégénérique

particulièrement déroutant et incompréhensible au premier abord. Alors que, dans le

teaser du pilote de Buffy évoqué plus haut, la série fonde ses propres codes en

renversant ceux des œuvres qui l’ont précédée (la jeune fille super-héroïne plutôt que

victime du vampire), The X-Files, à l’inverse, déjoue temporairement ses codes propres

en se fondant sur une reprise de codes antérieurs, sur le mode à la fois de l’hommage et

de la parodie ponctuels.

28 Les exemples de ce type sont nombreux. On peut penser à l’épisode 8 de la saison 5 de

Supernatural, « Changing Channels », dont la scène d’ouverture présente les

TV/Series, 6 | 2014

39

personnages habituels de la série mais comme si Supernatural était une sitcom et non pas

une série fantastique – en utilisant des rires enregistrés, un décor unique filmé toujours

du même angle ainsi qu’une palette de couleurs très vives, contrastant radicalement

avec l’esthétique de la série (voir figure 5).

Fig. 5 : Générique de « Changing channels », Supernatural (5.8)

29 Le prégénérique est ici une scène qui se passe chronologiquement au milieu de

l’histoire de l’épisode. Mais le choix de l’isoler au tout début de l’épisode crée un effet

de contraste et de surprise redoublé parce que le spectateur l'aborde sans contexte et

sans y être préparé.

30 Ainsi, la séquence prégénérique est un moment privilégié au sein de la narration

sérielle et les auteurs s’en servent diversement depuis le début des années 1990,

exploitant l’ensemble des possibilités de ce format, soit pour établir des normes, des

procédés d’identification et de reconnaissance qui permettent au spectateur d’entrer

progressivement dans un univers ou de le retrouver confortablement chaque semaine,

soit pour ouvrir un espace de création autonome où les possibilités sont décuplées en

raison de l’isolement relatif de cette section narrative. Espace du rêve, de la

transgression, du comique, de la référence, de la réflexivité, la séquence prégénérique

est le lieu d’une expérimentation potentielle et cristallise les enjeux de la narration

sérielle par sa position cruciale et son ambivalence entre la continuité et la rupture au

sein de l’épisode même, mais aussi plus largement au sein de la série. C’est un seuil qui

fournit de manière directe ou indirecte des informations sur l’épisode à venir. Dans les

séries fantastiques, elle permet souvent de frapper un grand coup dès le début de

l’épisode, pour capter le téléspectateur, tout en interrogeant la nature véritable de

l’événement ou de l’individu surnaturel qui est soumis à notre attention, soulignant

ainsi le questionnement du rapport à la « réalité » posé par la série. En outre, la

séquence prégénérique ne doit pas être pensée comme la première unité narrative

d’une chaîne chronologique. Elle peut l’être mais ce n’est pas toujours le cas. Son

véritable enjeu réside dans la manière dont elle met en valeur un aspect de l’épisode ou

de la série en l’isolant. Point de suture tout autant que point de rupture, au sein de la

série mais également au sein de l’épisode qu’elle ouvre, la séquence prégénérique peut

TV/Series, 6 | 2014

40

jouer le rôle d’une petite poupée russe ou celui d’un jack in the box et acquiert ainsi un

statut de « micro film » à l’ouverture de séries qu’elle alimente et grignote tout à la fois.

BIBLIOGRAPHIE

AUBRY Danielle, Du roman-feuilleton à la série télévisuelle. Pour une rhétorique du genre et de la sérialité,

Berne, Peter Lang, 2006.

BÉNASSI Stéphane, Séries et feuilletons T.V. Pour une typologie des fictions télévisuelles, Liège, Éditions

du CEFAL, 2000.

COLONNA Vincent, L’Art des séries télé, Paris, Éditions Payot et Rivages, 2010.

HUDELET Ariane, « Un cadavre ambulant, un petit-déjeuner sanglant, et le quartier Ouest de

Baltimore : le générique, moment-clé des séries télévisées », GRAAT On-Line, Anglophone Studies,

No. 6, décembre 2009. http://www.graat.fr/backissuepiegesseriestv.html, lien consulté le 11

décembre 2014.

ROMAN James, From Daytime to Primetime, The History of American Television Programs, Westport,

Greenwood Press, 2005.

SOULEZ Guillaume (éd.), Sérialité : densités et singularités, Mise au Point, No. 3, 2011. http://

map.revues.org/75, lien consulté le 11 décembre 2012.

TYLSKI Alexandre, Le Générique de cinéma. Histoire et fonctions d’un fragment hybride, Toulouse,

Presses Universitaires du Mirail, 2008.

VÉRAT Éric, Génériques ! Les séries américaines décryptées, Lyon, Les Moutons électriques, 2012.

NOTES

1. Stéphane Benassi, Séries et feuilletons T.V. Pour une typologie des fictions télévisuelles, Liège,

Editions du CEFAL, 2000, p. 37.

2. Ibid., p. 84.

3. Le résumé des épisodes précédents est parfois remplacé par une brève présentation de la série

que l’on retrouve au début de chaque épisode et qui est destinée elle aussi à exposer le contexte

au téléspectateur néophyte – mais ceci dans le cadre de la série en général et non pas seulement

des épisodes qui précèdent. C’est le cas, par exemple, dans la première saison de Buffy The

Vampire Slayer.

4. Le terme « teaser » a deux sens. Il peut désigner une pré-bande annonce [c'est-à-dire une bande

annonce très courte]. Ici, nous l’employons au sens de « séquence prégénérique » [c'est-à-dire

une séquence de l'épisode qui se situe avant le générique].

5. Supernatural (The WB, 2005-) en est un exemple parmi d’autres.

6. The Fades (BBC Three, 2011) exploite les mêmes principes.

7. Dans le cas d'une série entièrement feuilletonnante, le rapport entre la séquence prégénérique

et le reste de l'épisode ou l'épisode précédent est différent puisqu'il est déterminé par la

chronologie des événements.

TV/Series, 6 | 2014

41

8. Sur la question du générique, voir Ariane Hudelet « Un cadavre ambulant, un petit-déjeuner

sanglant, et le quartier Ouest de Baltimore : le générique, moment-clé de séries télévisées », in

Sarah Hatchuel et Monica Michlin (éds.), Les Pièges des nouvelles séries télévisées américaines :

mécanismes narratifs et idéologiques, in GRAAT, No. 6, décembre 2009. http://www.graat.fr/

backissuepiegesseriestv.htm, lien consulté le 11 décembre 2014.

Voir aussi Eric Vérat, Génériques ! Les séries américaines décryptées, Lyon, Les Moutons électriques,

2012.

9. Bones (Fox, 2005- ) ou Fringe (Fox, 2008- ), par exemple, citent très rapidement The X-Files (Fox,

1993-2002), série fondatrice s’il en est, et il s’agit bien ici de clins d’œil « en hommage » plus que

de formes d’allégeance à une série « maître ».

10. Alexandre Tylski, Le Générique de cinéma. Histoire et fonctions d’un fragment hybride, Toulouse,

Presses Universitaires du Mirail, 2008, p. 43.

11. Série d’autant plus intéressante qu’elle s’inscrit dans une certaine tradition des années 1990,

empruntant notamment à The X-Files, tout en adoptant des stratégies propres à des séries plus

contemporaines.

12. Ce rapport au cinéma dans le discours des showrunners est fréquente au début des années

1990. On peut penser à Twin Peaks (ABC, 1990-1991) ou à E.R. (NBC, 1994-2009).

RÉSUMÉS

Le teaser ou séquence prégénérique est une lieu clef de la sérialité. Placé avant le générique, il

constitue à la fois une entrée dans la fiction, un retour à un monde fictionnel que l'on connaît

déjà et une ouverture vers quelque chose d'inédit. Jouant sur les codes, et les effets de reprises, il

se construit à la fois comme entité autonome et comme moment d'articulation entre un avant et

un après, tant à l'échelle de l'épisode qu'à l'échelle de la série. Les séries télévisées des années

1990-2000 ont particulièrement travaillé cette forme pour en tirer toutes les possibilités

narratives, structurelles ou esthétiques. Les séries de genre, et notamment les séries fantastiques,

y trouvent un lieu propice à l'élaboration de leurs propoes codes génériques. L'article se propose

donc d'analyser quelques cas de séquences prégénériques, dans le cadre de séries fantastiques

américaines des années 1990-2000.

The teaser or pre-credit sequence is key feature of seriality. Situated before the credits, it

constitutes simultaneously an entry into the fiction, a return to the familiar fictional world, and

an opening to something entirely new. Playing with codes and reprisal effects, the teaser is

constructed as an autonomous entity and as a moment of articulation between a before and an

after, both on the scale of the episode and on the scale of the series. Television series from the

years 1990–2000 particularly developed this form to draw out all of its narrative, structural, and

aesthetic possibilities. Genre series, and especially fantasy series, found teasers to be fertile

ground for the elaboration of their own generic codes. The article will thus analyze several

examples of pre-credit sequences, within the framework of American fantasy TV series from the

years 1990–2000.

TV/Series, 6 | 2014

42

INDEX

Mots-clés : X-Files : Aux frontières du réel, Supernatural, Buffy contre les vampires, teaser,

séquence prégénérique

Keywords : X-Files (The), Supernatural, Buffy the Vampire Slayer, teaser, pre-opening credits

sequence

AUTEUR

CLAIRE CORNILLON

Claire Cornillon est ingénieur de recherche postdoctoral à l'université du Havre. Elle est agrégée

de Lettres Modernes et docteur en Littérature Comparée. Ces recherches les plus récentes

portent sur les séries télévisées ainsi que sur le transmédia. Elle co-dirige le projet « Narrations

sérielles et Transmédialité » à l'université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 depuis 2012. Elle est par

ailleurs directrice de la rédaction de Lintermede.com.

TV/Series, 6 | 2014

43

Échos en série : Formes et enjeux dela réplique dans The WireLivio Belloï

1 Au terme de l’ultime séquence de The Wire (HBO, 2002-2008), vaste radioscopie de la

ville américaine de Baltimore (Maryland), tout peut recommencer à zéro. Constat

troublant ou amer, c’est selon, qui s’impose en images au regard désabusé de l’ex-

inspecteur Jimmy McNulty : la grande roue a tourné d’un cran, mais les mécanismes

sont restés identiques à eux-mêmes, prêts à entrer de nouveau en action1.

2 Créée par un ex-journaliste (David Simon) et un ex-policier (Ed Burns), The Wire obéit,

en termes de structure, à un ample mouvement cyclique, qui constitue l’une des

modalités de sa « complexité narrative » (pour reprendre l’expression, devenue

fameuse, de Jason Mittell2). Dans la séquence finale de la série, cette structure en boucle

se trouve accusée par la reprise d’un thème musical familier à l’oreille du spectateur : il

s’agit de Way Down in the Hole, chanson composée par Tom Waits, modulée au fil des

différentes saisons3, mais ici interprétée par les Blind Boys of Alabama, soit la musique

même qui aura ponctué le générique du tout premier épisode de la série. La fin comme

retour au début, en quelque sorte, au prix d’un puissant effet de bouclage dans lequel se

cristallisent emblématiquement les déterminismes en chaîne que la série aura

contribué à porter au jour.

3 En pareil univers, la reprise occupe, l’on s’en doute, un rôle cardinal. De fait, elle touche

la série sous de multiples aspects, du plus circonscrit au plus général, et peut prendre

des formes extrêmement diversifiées. La présente étude se bornera à examiner les

effets d’écho et de reprise en tant qu’ils se jouent en territoire langagier.

4 Il y aurait de toute évidence mille choses à dire sur The Wire en tant qu’objet de langage.

Ainsi Flore Coulouma veut-elle voir dans cette série une véritable « expérience en

matière de linguistique de terrain4 ». Partant de cette observation, l’auteure s’attache à

étudier les tropes et autres stéréotypes qui émaillent les propos tenus par les

trafiquants de drogue tout au long de la première saison de The Wire. Dans ces tours de

parole où les mêmes expressions fleurissent inlassablement, ne se refusant aucune

formulation tautologique (« The game’s the game »), Coulouma discerne

TV/Series, 6 | 2014

44

essentiellement des enjeux d’ordre identitaire et clanique. Dans une autre optique,

Mathieu Potte-Bonneville a, pour sa part, émis l’hypothèse selon laquelle le langage

constitue peut-être « le véritable personnage central de The Wire5 ». D’un point de vue

général, Potte-Bonneville croit pouvoir distinguer à cet égard trois grandes fonctions

du langage. Sur les trottoirs de Baltimore, le langage peut ainsi prendre valeur,

alternativement ou simultanément, de « marqueur d’appartenance », de « vecteur de

pouvoir » et d’« opérateur de singularisation ». Comme marqueur d’appartenance, le

langage a en propre, selon l’auteur, de « retrempe[r] les formes d’un entre-soi où les

acteurs trouvent d’abord à se définir, à parler pour dessiner ce qui entre eux va sans

dire6 ». En tant que vecteur de pouvoir, le langage, à suivre Potte-Bonneville, « trace en

permanence le diagramme des dominations stratégiques qui s’exercent pour autant

qu’elles se disent, mais s’exposent aussi en s’énonçant à se voir déjouées dans l’ironie,

renversées dans l’humour7 ». À titre d’opérateur de singularisation enfin, le langage

« double l’inscription sous les règles communes de la possibilité de s’y faire entendre, et

jouer, une variation propre, comme un méandre ou un bief dans le flot des paroles

échangées8 ».

5 Dans ce qui suit, il s’agira de dégager et d’explorer une possible quatrième fonction du

langage, qu’il faudra elle aussi nommer, et qui, dans le registre de la parole, est bel et

bien affaire de reprise. Il sera plus précisément question d’un micro-phénomène qui, de

prime abord, pourra paraître négligeable, mais qui, tout bien considéré, permet, en

raison de son caractère aussi discret que systématique, non seulement d’éclairer l’un

des enjeux majeurs de The Wire en tant qu’objet linguistique, mais aussi de déterminer

avec plus de précision la nature du regard dont la série tout entière procède.

6 La première manifestation du phénomène en question se produit très tôt dans la série :

elle prend place, en l’occurrence, au début de l’épisode 1.2 (« The Detail »). Nous

sommes dans le bureau du juge Phelan. Ce dernier écoute distraitement l’inspecteur

McNulty, qui lui rapporte qu’un certain William Gant, témoin oculaire dans une affaire

de meurtre liée au clan Barksdale, vient de se faire assassiner d’une balle dans la tête.

Alors qu’il mange un sandwich, Phelan souille sa cravate d’un peu de moutarde. La

conversation, assez tendue, se poursuit, cependant que le juge s’efforce de nettoyer sa

cravate à l’aide d’une serviette en papier. À un certain moment, au beau milieu de ses

récriminations, McNulty, cadré en plan rapproché à l’épaule, fait incidemment

remarquer à Phelan qu’il « a raté un endroit » (« You missed a spot »). Sans autre

transition qu’une simple coupe franche, la séquence suivante nous transporte dans le

sous-sol désaffecté où officiera désormais la nouvelle équipe dirigée par le lieutenant

Cedric Daniels. L’inspecteur Santangelo est occupé à nettoyer le sol à l’aide d’une

serpillière. L’un de ses collègues plus âgés (Patrick Mahone) lui fait observer, index

tendu et regard moqueur, que, dans son opération de nettoyage, il a « raté un endroit »

(« Hey, you missed a spot »). Si l’énoncé est sensiblement le même, il ne véhicule pas

des connotations identiques : dans la bouche de McNulty, ces mots résonnent comme

une marque d’attention, alors que, du côté de Mahone, il s’agit plutôt de pointer une

négligence, sur le ton de la raillerie.

7 Petit moment de bégaiement apparent de la série, d’autant plus frappant qu’un

intervalle très court (moins d’une minute) sépare les deux prises de parole. En termes

sémantiques, rien de plus gratuit que la phrase en question : parole triviale,

anecdotique, dépourvue de la moindre incidence sur un plan narratif. Mais ce qui

importe en la circonstance, c’est sans doute moins l’énoncé en lui-même que son

TV/Series, 6 | 2014

45

inscription au sein d’une structure d’écho. Paradoxalement, le phénomène se rend

d’autant plus manifeste qu’il fait fond sur une parole pauvre, une parole qui, par là, fait

d’autant mieux ressortir le mécanisme, le fait même de la répétition.

8 Une telle itération n’est évidemment pas sans danger en termes de vraisemblance

narrative. D’un côté, la répétition des mêmes lignes de dialogue peut être reçue, par le

spectateur, sinon comme une paresse d’écriture, du moins comme une maladresse dans

laquelle l’appareil énonciatif de la série se serait fourvoyé. Pire encore, dès lors qu’il se

réitère, tout particulièrement dans un laps de temps à ce point réduit, l’énoncé verbal

attire potentiellement l’attention sur lui-même ; il tend à se donner pour ce qu’il est,

ligne de dialogue articulée par un acteur, et non acte de locution assumé par un

personnage. En d’autres termes, la répétition concourt à accuser l’énoncé verbal comme

réplique. Dans cette mesure, la réplique, entendue au double sens du terme, tout

ensemble élément de dialogue et fait d’itération, porte virtuellement atteinte à l’effet

diégétique.

9 « You missed a spot » – le même énoncé, anodin en apparence, fait retour d’une

séquence à l’autre : c’est là un risque, à n’en pas douter, mais, semble-t-il, un risque

calculé et pleinement assumé. D’une certaine façon, il ne pouvait en aller autrement.

Puisqu’il s’agit en effet d’une première occurrence, le procédé se devait d’être

pleinement perceptible – et peu importe l’effet local de doublon ou de redite. Par son

office, The Wire invite d’ores et déjà son spectateur à « écouter attentivement »

(conformément au leitmotiv de la première saison) et à s’inquiéter de divers

phénomènes de reprise affectant la sphère du langage9. Dans le cas qui nous occupe, on

pourrait parler de reprise in absentia, en ce qu’elle affecte deux lignes narratives isolées,

sans que les personnages concernés soient présents l’un à l’autre et sans qu’ils soient en

outre conscients des prises de parole assumées par leur homologue10. Dans cette

occurrence inaugurale, il est par ailleurs à noter que la réplique n’engage nullement à

postuler un rapport d’homologie entre les personnages concernés ; elle correspond

plutôt à l’exposition d’un procédé, ici actualisé dans toute sa nudité, sans autre

véritable enjeu que lui-même, mais que la série s’attachera, par la suite, à investir sous

de multiples formes.

10 Dans la dernière séquence de l’épisode 3.11 (« Middle Ground »), le personnage de

Stringer Bell, lieutenant et ami d’enfance du tout-puissant gangster Avon Barksdale, se

retrouve en bien fâcheuse posture : non seulement parce que ses investissements

immobiliers s’avèrent beaucoup plus coûteux que prévu (comme il vient de s’en ouvrir,

non sans courroux, à l’entrepreneur Andrew Krawczyk), mais aussi – et surtout – parce

qu’au terme d’une course effrénée dans l’immeuble à appartements qu’il a entrepris de

faire rénover, il tombe dans un piège tendu de concert par Omar Little, son ennemi de

toujours, et par Brother Mouzone, tueur à gages dont il a trahi les attentes et failli

précipiter la perte. Séquence particulièrement tendue que celle-ci, par laquelle se

clôture un processus enclenché dès la première saison (avec le meurtre

particulièrement sauvage de Brandon, l’amant d’Omar, révélé au début de l’épisode 1.6)

et qui apporte un point final à un cycle de vengeances en chaîne, cortège ininterrompu

d’assauts et de ripostes11.

11 Mis en joue par ses deux adversaires, Bell n’a d’autre choix que de multiplier les

manœuvres dilatoires : en premier lieu, il se plaindra implicitement de l’inégalité du

combat, soulignant le fait que, pour sa part, il n’est pas armé (« I ain’t strapped ») ;

ensuite, il invoquera un détachement, une prise de distance en regard de sa vie de

TV/Series, 6 | 2014

46

gangster (« I ain’t involved, I ain’t involved in that gangster bullshit no more ») ; enfin,

manœuvre désespérée, il se retranchera derrière un argument financier, proposant de

l’argent contre une vie sauve. Mais ni Omar, ni Mouzone n’en font, à l’évidence, une

question d’argent : à leurs yeux, c’est bel et bien d’une affaire d’honneur qu’il s’agit. À

mesure que le cadre se resserre sur lui, l’enfermant progressivement à la manière d’un

étau, Bell se rend compte que rien n’entamera la détermination de ses deux assaillants

et que, par conséquent, sa fin est proche (« It seem like I can’t say nothing to change

your minds »). Sur son visage à présent cadré en gros plan (voir figure 1), se succèdent

diverses mimiques qui traduisent la résignation de l’homme se sachant condamné – ce

qui ne l’empêchera toutefois pas, ultime sursaut d’orgueil, de hausser le ton une

dernière fois (« Well, get on with it, motherfuck… ! »), avant de succomber sous les feux

croisés d’Omar et de Mouzone et d’être laissé, seul et gisant, dans une pièce à présent

désertée12.

Fig. 1 : L’ultime réplique de Stringer Bell (3.11)

12 À cette exécution effective et armée, fait pendant, dans l’épisode suivant (3.12 :

« Mission Accomplished »), une exécution d’ordre symbolique quant à elle : celle dont

fait l’objet le Major Howard « Bunny » Colvin. Dans le cadre de la saison 3, Colvin,

pressé par sa hiérarchie, cherche par tous les moyens à faire baisser, dans le district

ouest de Baltimore, le pourcentage des délits engendrés par le trafic de stupéfiants aux

coins des rues. Face à une situation qu’il perçoit comme désespérée, le Major décide, à

l’insu de ses supérieurs, d’instaurer trois « zones libres » à l’intérieur desquelles le

trafic et la consommation de drogues sont tolérés (épisode 3.4 : « Hamsterdam »).

Projet audacieux et relativement efficace, mais qui, progressivement, suscitera la

désapprobation des policiers de terrain. Excédé, l’un d’entre eux, Thomas « Herc »

Hauk, finira par vendre la mèche en passant un coup de fil au Baltimore Sun et en

TV/Series, 6 | 2014

47

invitant un journaliste incrédule à venir visiter les trois zones libres, devenues autant

de modernes Cours des miracles (épisode 3.9 : « Slapstick »).

13 Pour le projet « Hamsterdam », c’est bien évidemment le début de la fin. Certes, les

coins de rue ont recouvré leur calme et les statistiques criminelles affichent une baisse

significative, ainsi que Colvin le démontre à William Rawls et Ervin Burrell, ses

supérieurs hiérarchiques, à l’occasion de la traditionnelle réunion hebdomadaire

(épisode 3.10 : « Reformation ») – mais c’est au prix d’un grave contournement de la loi

(Rawls : « Don’t you see what he’s done ? He legalized drugs ! »). Pour Colvin, les

conséquences ne se feront pas attendre. Vers la fin de l’épisode 3.12, le Major fera en

effet les frais de son initiative au cours d’une véritable séance d’humiliation publique,

non seulement devant ses supérieurs, mais aussi sous les yeux de ses collègues. Après

avoir énuméré les multiples fautes professionnelles imputables à Colvin, Rawls y va

d’une dernière provocation (« Not much you can say, is there ? Not to real police ») –

assertion empreinte de mépris à laquelle le Major répond en gros plan, sur un ton à la

fois décidé et dégoûté : « Get on with it, motherfucker », avant de quitter, seul, la salle

quelconque et aseptisée qui aura abrité la scène de sa destitution (voir figure 2).

Fig. 2 : L’ultime réplique du Major Colin (3.12)

14 Exécution symbolique – équivalant, pour l’intéressé, à une perte de grade – mais

exécution tout de même et non moins sommaire, en cela pas très éloignée de celle que

dut subir Stringer Bell dans le cadre de l’épisode précédent. Une fois encore, de

singuliers parallélismes se font jour d’épisode à épisode : de part et d’autre, c’est un

homme seul (Bell/Colvin) qui endosse le statut de victime face à deux bourreaux (les

duos Omar/Mouzone et Burrell/Rawls, respectivement) ; de part et d’autre, c’est la

victime qui exhorte ses bourreaux à ne pas faire durer le plaisir, en usant d’une

injonction et d’une insulte en tous points identiques, effet de réplique au travers

TV/Series, 6 | 2014

48

duquel se suggère cette fois une possible homologie entre les deux personnages,

disposés symétriquement des deux côtés d’une barrière nommée Loi13.

15 Comme fait d’intratextualité, la réplique constitue un procédé d’écriture que The Wire

exploite en tous sens et tout au long de ses cinq saisons. Pour s’en convaincre, il suffira

de se projeter, au prix d’un nouveau bond dans le temps, dans la quatrième saison de la

série et de se pencher plus spécifiquement sur son deuxième épisode (« Soft Eyes »).

Une première actualisation de répliques en écho se joue autour des personnages

respectifs de Dennis « Cutty » Wise et de Bubbles, le vagabond magnifique, Charlot des

temps post-modernes.

16 Repris de justice, ancien bras armé du clan Barksdale, Dennis Wise a trouvé du travail

dans une petite entreprise de jardinage à domicile, où il côtoie essentiellement des

collègues mexicains, eux aussi passés par la case « prison ». Au début de l’épisode 4.2,

une brève séquence nous montre Wise au travail, alors qu’il adresse quelques mots en

espagnol à ses collègues sud-américains. Intrigué par cette compétence linguistique, le

patron de Wise lui adresse la proposition suivante : « Si on faisait équipe, on pourrait

couvrir deux fois plus de terrain et gagner deux fois plus » (« […] if we put in together,

we could be coverin’ twice the ground, makin’ twice as much ») (voir figures 3 et 4).

Flatté par cette proposition, Wise n’y donnera cependant pas suite, prétextant d’autres

obligations (nommément, la gestion de sa salle de boxe).

Fig. 3 : « covering twice the ground » (4.2)

TV/Series, 6 | 2014

49

Fig. 4 : « covering twice the ground » (4.2)

17 Plus loin dans le même épisode, un plan-séquence long d’une minute environ nous

montre, en plan large, Bubbles arpentant une ruelle avec sa boutique ambulante

(« Bubble’s Depo »), en compagnie de Sherrod, un adolescent déscolarisé qu’il a pris

sous son aile. En substance, la discussion tourne autour des lacunes du jeune homme en

matière d’arithmétique élémentaire et de leurs répercussions négatives sur la petite

entreprise que Bubbles porte littéralement à bout de bras. La situation incite ce dernier

à placer Sherrod face à ses responsabilités : « Si je pouvais te laisser gérer l’argent seul,

on pourrait couvrir deux fois plus de terrain et vendre deux fois plus » (« If I can cut

you loose to handle the money, we can cover twice the ground, selling twice the

merchandise ») (voir figures 5 et 6). Moins de dix minutes séparent les deux

occurrences, et l’effet d’écho s’y fait d’autant plus sensible que les phrases invoquées,

circulant dans les deux cas de l’employeur vers l’employé, obéissent à la même

structure grammaticale (une proposition conditionnelle, une proposition principale

scandée par l’adverbe « twice » – lequel, éloquemment, dit deux fois la répétition) et

répondent au même principe, celui, à la fois, d’une collaboration et d’une possible

extension en termes de « parts de marché » (comme le dira Bubbles peu après), et cela

au moment même où les barons de la drogue ont décrété que, pour leur part, le produit

devait désormais primer sur le territoire14.

TV/Series, 6 | 2014

50

Fig. 5 : « cover twice the ground » (4.2)

Fig. 6 : « cover twice the ground » (4.2)

18 Cet effet de rime interne tend à indiquer qu’entre le patron de Dennis Wise et Bubbles,

les situations sont homologues à bien des égards – indice ponctuel, mais

particulièrement significatif, de ce que ces destins sont, d’une façon ou d’une autre,

TV/Series, 6 | 2014

51

liés, connectés à distance, sans que ces personnages se croisent effectivement dans la

trame du récit15.

19 Dans le cadre du même épisode 4.2, un autre effet de réplique se laisse repérer,

légèrement plus complexe et plus audacieux quant à lui, dans la mesure où il convoque

deux sphères sociales que tout semble devoir opposer. Juste après le plan-séquence

mettant en scène la discussion entre Bubbles et Sherrod, le récit nous transporte sur le

seuil d’une maison, où conversent notamment trois des quatre adolescents dont la

quatrième saison de The Wire suit les trajectoires contrastées. C’est la fin de l’été. La

rentrée scolaire n’est pas loin, et les personnages respectifs de Namond Brice, Randy

Wagstaff et Michael Lee envisagent cet événement avec une certaine impatience. Ces

bavardages innocents sont cependant interrompus par l’entrée en scène de Monk,

premier lieutenant du dealer en chef Marlo Stanfield. Dépêché par son patron, Monk

vient distribuer de l’argent liquide à ce groupe d’adolescents, façon d’acheter leur

silence et/ou leur complicité. Souvent présenté comme le membre le plus indépendant

du groupe, Michael refuse cet argent, ce qui provoque la stupéfaction de Marlo

Stanfield en personne, lequel traverse la rue pour venir l’interpeller, occasion d’un

champ/contrechamp particulièrement intense. Momentanément suspendue, la

séquence reprend quelques minutes plus tard. En travelling latéral, puis arrière, la

caméra suit les personnages de Namond, Randy et Michael alors qu’ils déambulent dans

les rues, évoquant l’argent distribué par le clan Stanfield. Si Michael a refusé, c’est, dit-

il, parce qu’il n’aime pas être redevable envers qui que ce soit (« That owin’ niggas for

shit, man. That ain’t me »). Moins scrupuleux, Namond – pourtant le plus favorisé des

trois adolescents en termes de capital matériel – résume quant à lui sa position en une

seule phrase : « Je prendrai toujours son foutu blé s’il a envie de le distribuer » (« I’ll

take any motherfuckin’ money if he givin’ it away now ») (voir figures 7 et 8).

Fig. 7 : « giving it away » (4.2)

TV/Series, 6 | 2014

52

Fig. 8 : « giving it away » (4.2)

20 Indice de la cupidité du personnage, cet énoncé, plutôt banal en apparence, fera retour

quelques minutes plus tard, en un contexte tout différent, à hauteur d’une des autres

grandes lignes narratives explorées par cet épisode. Alors que l’étau se resserre autour

de sa personne et qu’il vient de recevoir une très officielle assignation à comparaître, le

sénateur corrompu Clay Davis, dont la première saison de The Wire a déjà pris soin de

détailler la vénalité, entend exprimer son courroux au maire Clarence Royce, principal

bénéficiaire de ses malversations financières. Au beau milieu de son plaidoyer pro domo,

sous le regard résigné du maire, Davis pose à son tour, sur un mode presque oratoire, la

question de la provenance de l’argent : « Tu crois que j’ai le temps de demander à un

mec pourquoi il me donne de l’argent ? Ou bien d’où il provient ? Je prendrai l’argent

de n’importe quel enfoiré s’il a envie de me le donner » (« You think I have time to ask a

man why he givin’ me money ? Or where he gets his money from ? I’ll take any

motherfucker’s money if he givin’ it away ») (voir figures 9 et 10).

TV/Series, 6 | 2014

53

Fig. 9 : « giving it away » (4.2)

Fig. 10 : « giving it away » (4.2)

21 Nouvelle itération, nouvel effet de réplique. Qu’il s’agisse de Namond Brice ou de Clay

Davis – deux personnages qui, à nouveau, ne se croiseront jamais dans l’espace du récit

–, le principe est le même : peu importe l’origine effective de l’argent, pour autant qu’il

TV/Series, 6 | 2014

54

puisse être mis à profit par son destinataire (en vue d’acheter des vêtements dans le

chef de l’adolescent, en vue de financer des campagnes électorales dans celui du

sénateur). Entre la culture de la rue et les coulisses de la scène politique, The Wire met

de la sorte en relief des analogies, au travers d’échos ou de reprises dans les actes de

parole endossés par les différents protagonistes. C’est là une autre façon, pour la série,

de traiter du tissu urbain en termes d’interconnexions, même si celles-ci sont peu

apparentes au premier abord. Dans The Wire, l’acte de parole lui-même est ainsi pensé

dans sa dimension de réseau.

22 Telle serait peut-être, incarnée dans le procédé de la réplique, une quatrième fonction

du langage dans The Wire : marqueur d’homologies entre les différents univers que la

série entend passer au crible. Sous cet angle, la réplique dit bien le caractère

profondément systémique de la perspective déployée par David Simon et Ed Burns – un

caractère systémique qui n’est d’ailleurs pas sans évoquer, dans ses objets comme dans

sa méthode, la grande tradition de l’anthropologie urbaine américaine (William Foote

Whyte, Elliot Liebow, etc.), à l’aune de laquelle la série gagnerait assurément à être lue,

notamment dans une visée généalogique16.

23 Fait assez remarquable de ce point de vue et occasion d’une ouverture finale : dans la

post-face de The Corner. A Year in the Life of an Inner-City Neighbourhood17, l’étude que

Simon et Burns ont publiée en 1997 au terme d’une année passée à observer le trafic de

stupéfiants tel qu’il se déroulait alors, en plein jour, au coin de Fayette Street et de

Monroe, les deux auteurs se réclament explicitement d’Elliot Liebow et de son ouvrage

le plus célèbre, Tally’s Corner, paru en 1967 et disponible depuis peu en traduction

française18. Issu d’une thèse de doctorat soutenue à la Catholic University of America,

Tally’s Corner est une étude d’ethnographie urbaine consacrée à une communauté noire

américaine dans un quartier défavorisé de Washington, au départ d’un travail de

terrain effectué entre janvier 1962 et juillet 1963. De toute évidence, il y aurait une

riche réflexion à mener autour des multiples homologies qui semblent devoir unir les

démarches adoptées respectivement par Liebow et par le tandem Simon/Burns. En tout

état de cause, The Corner, comme œuvre de narration non-fictionnelle, mais aussi

comme mini-série (HBO, 2000), semble marquer la gestation d’un véritable regard

anthropologique qui informera en sous-main tout le propos de The Wire. Comme micro-

phénomène, la réplique pourrait constituer la manifestation exemplaire de ce regard

immergé, attentif aux moindres détails (homologies, modulations, échos, etc.).

BIBLIOGRAPHIE

AARONS Kieran, Chamayou Grégoire, « Contradictions », The Wire. Reconstitution collective,

Emmanuel Burdeau et Nicolas Vieillescazes (éds.), Paris, Les Prairies Ordinaires/Capricci, 2011, p.

65-87.

ALVAREZ Rafael, The Wire. Truth Be Told, Edimbourg, Londres, New York, Melbourne, Canongate,

2009, p. 246-250.

TV/Series, 6 | 2014

55

COULOUMA Flore, « ‘That’s the game, yo’: Stereotype and Identity in The Wire », TV/ Series, No. 1,

juin 2012, p. 144-162.

KINDER Marsha, « Re-Wiring Baltimore: The Emotive Power of Systemics, Seriality, and The City »,

Film Quarterly, Vol. 62, No. 2, hiver 2008-2009, p. 50-57.

LIEBOW Elliot, Tally’s Corner: A Study of Negro Streetcorner Men, Maryland, Rowman & Littlefield

Publishers, 1967, 2003 (2nd edition).

LIEBOW Elliot, Tally’s Corner. Les Noirs du coin de la rue (1967), trad. Célia Bense Ferreira Alves,

Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010.

LUCASI Stephen, « Networks of Affiliation: Familialism and Anticorporatism in Black and White »,

The Wire. Urban Decay and American Television, éd. Tiffany Potter et C. W. Marshall, New York,

Londres, Continuum, 2009, p. 135-148.

MITTELL Jason, « Narrative Complexity in Contemporary American Television », The Velvet Light

Trap, No. 58, hiver 2006, p. 29-40.

NANNICELLI Ted, « It’s All Connected: Televisual Narrative Complexity », The Wire. Urban Decay and

American Television, Tiffany Potter et C. W. Marshall (éds.), New York, Londres, Continuum, 2009,

p. 190-202.

POTTE-BONNEVILLE Mathieu, « All in the game », The Wire. Reconstitution collective, Emmanuel

Burdeau et Nicolas Vieillescazes (éds.), Paris, Les Prairies Ordinaires/Capricci, 2011, p. 147-166.

READ Jason, « Stringer Bell’s Lament: Violence and Legitimacy in Contemporary Capitalism », The

Wire. Urban Decay and American Television, op. cit., p. 122-134.

SIMON David, BURNS Ed, The Corner. A Year in the Life of an Inner-City Neighbourhood, Edimbourg,

Londres, New York, Melbourne, Canongate, 2009.

WILLIAMS Linda, On The Wire, Durham, Londres, Duke University Press, 2014.

NOTES

1. Sur ce point, voir par exemple Marsha Kinder, « Re-Wiring Baltimore: The Emotive Power of

Systemics, Seriality, and The City », in Film Quarterly, Vol. 62, No. 2, hiver 2008-2009, p. 57 [p.

50-57].

2. Jason Mittell, « Narrative Complexity in Contemporary American Television », in The Velvet

Light Trap, No. 58, hiver 2006, p. 29-40. S’agissant de The Wire, les propositions de Mittell ont fait

l’objet d’un premier approfondissement par Ted Nannicelli, « It’s All Connected: Televisual

Narrative Complexity », in The Wire. Urban Decay and American Television, éd. Tiffany Potter et C.

W. Marshall, New York, Londres, Continuum, 2009, p. 190-202.

3. Sur les différentes versions de cette chanson dans The Wire, véritables variations autour d’un

même thème, voir par exemple Rafael Alvarez, The Wire. Truth Be Told, Edimbourg, Londres, New

York, Melbourne, Canongate, 2009, p. 246-250.

4. Flore Coulouma, « ‘That’s the game, yo’: Stereotype and Identity in The Wire », in TV/ Series, No.

1, juin 2012, p. 144-162 (p. 144 pour le passage cité).

5. Mathieu Potte-Bonneville, « All in the game », in The Wire. Reconstitution collective, éd.

Emmanuel Burdeau et Nicolas Vieillescazes, Paris, Les Prairies Ordinaires/Capricci, 2011, p. 164

[p. 147-166].

6. Ibid., p. 164-165.

7. Ibid., p. 165.

TV/Series, 6 | 2014

56

8. Ibid.

9. Cette idée de « rater un endroit » fera du reste retour beaucoup plus tard dans la série, créant

presque les conditions d’un running gag en bonne et due forme. Vers le milieu de l’épisode 4.1

(« Boys of Summer ») en effet, le sergent Carver, accompagné de l’agent Colicchio, rend visite à

Bodie et à son équipe de dealers de rue. Tirant prétexte d’une certaine complicité, Carver profite

de son passage pour réaffirmer devant Bodie et ses comparses les vertus de la courtoisie

élémentaire. Vers le milieu de cette séquence, le dialogue quelque peu sardonique entre Carver et

Bodie se suspend et se déplace : le sergent interpelle en effet Lex, l’homme à tout faire de ce coin

de rue, occupé à balayer le trottoir. Après les politesses habituelles et convenues, Carver fait

observer au jeune homme : « Je ne veux pas critiquer, mais je crois que tu as raté un endroit »

(« Not to criticize or anything, but I think you missed a spot there »). Réplique à distance cette

fois qui, ironiquement, confère à Lex le même statut que l’inspecteur Santangelo au début de

l’épisode 1.2 et qui vaut comme clin d’œil à la mise en œuvre inaugurale du procédé.

10. À la reprise in absentia, pourrait utilement s’opposer, en termes typologiques, la reprise in

praesentia, elle aussi assez abondante dans The Wire. À l’enseigne de la reprise in praesentia, il

convient de placer tous les cas de figure impliquant qu’une ou plusieurs lignes de dialogue

transitent d’un personnage à l’autre sur le double mode de la répétition consciente et du retour

d’ascenseur verbal. Pour ne prendre qu’un exemple, la première saison de The Wire se trouve

pour ainsi dire encadrée par un remarquable effet de reprise in praesentia. Au début de l’épisode

1.1, la série nous donne à voir le procès de D’Angelo Barksdale. Deux témoins se succèdent à la

barre : William Gant (personnage auquel nous avons déjà fait allusion) et Nakeisha Lyles. Alors

que Gant confirme que c’est bien D’Angelo qui est le coupable, Nakeisha Lyles, pour sa part, se

rétracte subitement, probablement en raison des pressions exercées sur sa personne par le clan

Barksdale. McNulty comprend vite la combine et, dépité, quitte la salle d’audience. Au passage, il

souffle à Stringer Bell, assis au fond de la salle : « Joli coup » (« Nicely done »). À l’autre bout de la

saison, c’est-à-dire à la fin de l’épisode 1.13, c’est au procès du clan Barksdale en son ensemble

que nous assistons, avec sa panoplie d’arrangements tacites et autres chicanes juridiques. À

nouveau déçu par la tournure des événements (notamment par le fait qu’en définitive, D’Angelo,

convaincu par sa mère, reste muet comme une carpe quant aux agissements d’Avon Barksdale et

de ses complices), McNulty décide d’aller s’asseoir en dehors de la salle d’audience. Accompagné

par la mère de D’Angelo, Stringer Bell sort à son tour de la salle et adresse à McNulty la phrase

même que celui-ci avait prononcée au début du premier épisode : « Joli coup » (« Nicely done »).

Autour du même énoncé, le destinateur devient destinataire et vice-versa. Notons que la reprise

in praesentia joue en l’espèce d’autres effets de symétrie : dans la séquence de l’épisode 1.1,

Stringer Bell est assis, alors que McNulty est debout et en mouvement ; dans la scène de l’épisode

1.13, c’est exactement le contraire : McNulty est affalé, songeur, sur un banc, cependant que

Stringer Bell est pour sa part debout et en mouvement. Cas assez extrême, cette reprise in

praesentia se déploie sur l’arc entier d’une saison : elle sollicite fortement et l’attention, et la

mémoire du sujet spectatoriel (lequel peut ne pas percevoir du premier coup cet effet de rime à

distance). Un tel cas d’espèce devrait inciter à s’interroger sur la portée, en termes temporels, de

l’effet de réplique (de séquence à séquence, d’épisode à épisode, de saison à saison).

11. Pour une généalogie de l’alliance relativement inattendue entre Omar et Mouzone, voir Ted

Nannicelli, op. cit., p. 194-195.

12. Dans cette séquence, certains commentateurs ont voulu voir une manière de retour de

flammes. L’exécution de Stringer Bell ferait en effet écho, sous bien des aspects, à celle que lui-

même avait commanditée à l’égard du jeune Wallace dans le cadre de l’épisode 1.12 (« Cleaning

Up »). Sur ce point, voir par exemple Stephen Lucasi, « Networks of Affiliation: Familialism and

Anticorporatism in Black and White », in The Wire. Urban Decay and American Television, op. cit., p.

142 [p. 135-148].

TV/Series, 6 | 2014

57

13. Sur ce point, voir par exemple Kieran Aarons et Grégoire Chamayou, « Contradictions », in

The Wire. Reconstitution collective, op. cit., p. 65-87. Selon ces deux auteurs, les personnages de

Colvin et de Bell se ressemblent en ce qu’ils sont essentiellement des « réformateurs »,

instigateurs d’utopies « développée[s] en miroir » (p. 73).

14. Tel est bien le sens du véritable credo que le personnage de Stringer Bell, probablement

inspiré par les cours de macro-économie qu’il suit assidûment au Community College de

Baltimore, prononce devant ses ouailles au début de l’épisode 3.1 : « On arrête de se préoccuper

du territoire, des rues ou des cités qui nous appartiennent. Le trafic, ce n’est plus ça : ce qui

compte, c’est le produit » (« We’re done worrying about territory, man, what corner we got, what

project. Game ain’t about that no more : it’s about product »). L’on sait par ailleurs que cette

approche réformée et en quelque sorte pacifiée du trafic de stupéfiants sera à l’origine de

dissensions de plus en plus profondes entre Stringer Bell et son « patron » Avon Barksdale. Sur

les postulats qui informent la prise de position de Bell, voir notamment Jason Read, « Stringer

Bell’s Lament: Violence and Legitimacy in Contemporary Capitalism », in The Wire. Urban Decay

and American Television, op. cit., p. 122-134.

15. D’un autre point de vue, ce phénomène d’écho nous renseigne tout autant sur la dimension

quasiment structuraliste de l’écriture développée par Simon et Burns que sur les effets de

symétrie qu’elle cultive volontiers. Dans le cas de Dennis Wise, c’est ainsi une compétence qui est

pointée du doigt par l’employeur alors que, dans le cas de Sherrod, c’est précisément une

déficience ; dans le premier cas de figure, la compétence est en outre de nature linguistique, alors

que, dans le second, elle est précisément d’ordre arithmétique.

16. Sur ce point, voir notamment Linda Williams, On The Wire, Durham, Londres, Duke University

Press, 2014 et, plus particulièrement, le premier chapitre intitulé « Ethnographic Imagination.

From Journalism to Television Serial », pp. 11-36.

17. David Simons et Ed Burns, The Corner. A Year in the Life of an Inner-City Neighbourhood,

Edimbourg, Londres, New York, Melbourne, Canongate, 2009, p. 614.

18. Tally’s Corner. Les Noirs du coin de la rue, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010 – avec

une très intéressante introduction de la part de Célia Bense Ferreira Alves, la traductrice.

RÉSUMÉS

Vaste « roman visuel » (David Simon), la série The Wire (HBO, 2002-2008) se donne pour ambition

d’explorer sous toutes ses coutures la ville américaine de Baltimore. En termes de construction

narrative, les soixante épisodes composant cette série s’ordonnent à un ample mouvement

cyclique, au terme duquel rien, en définitive, n’a vraiment changé : The Wire se clôture en effet

par un cinglant retour à la case départ. Au sein de cette structure en boucle, les phénomènes

d’écho et de reprise foisonnent et affectent la série sous de multiples aspects. Le présent article

s’emploie à dégager divers effets d’écho en tant qu’ils se jouent dans la sphère du langage. Il

s’agit plus précisément de porter au jour un curieux micro-phénomène selon lequel, tout au long

de la série, certains personnages sont amenés à prononcer les mêmes lignes de dialogue, tantôt

de manière délibérée, tantôt de manière inconsciente. Après avoir débusqué la première

occurrence de ce phénomène dans la trame complexe de The Wire, nous nous attacherons à

examiner quelques cas de figure précis, dans une perspective qui se veut d’abord morphologique.

Chemin faisant, une notion s’impose : celle de réplique, que The Wire, comme objet de langage,

nous invite à entendre dans un fécond double sens – ligne de dialogue et fait d’itération.

TV/Series, 6 | 2014

58

A vast “visual novel” (David Simon), the series The Wire (HBO 2002–2008) aims to explore the

American city of Baltimore in all of its aspects. In terms of narrative construction, the sixty

episodes that make up the series are organized in a sweeping cyclic movement, at the end of

which nothing, definitively, has truly changed: The Wire ends effectively with a crushing return

to square one. Within the framework of this looped structure, the phenomena of echo and

repetition abound and affect the series in multiple ways. The present article applies itself to

bring out the various effects of echo in the way that they play out in the sphere of language.

More precisely, it seeks to bring to light a strange micro-phenomenon according to which, for

the whole length of the series, certain characters are lead to deliver the same lines of dialogue,

either deliberately or unconsciously. After having brought to light the first occurrence of this

phenomenon within the complex framework of The Wire, we will set out to examine several

precise cases, in a perspective that is intended to be principally morphological. Along the way, a

key notion will emerge: the “réplique”, which The Wire, as an object of language, invites us to

understand in the rich double sense of the French – a line of dialogue and a retort.

INDEX

Mots-clés : Wire (The), itération, dialogue, réplique

Keywords : Wire (The), anaphora, dialogue, cue

AUTEUR

LIVIO BELLOÏ

Livio Belloï est chercheur qualifié du Fonds National de la Recherche Scientifique (Bruxelles) et

Maître de conférences à l’université de Liège. Ses recherches portent essentiellement sur le

cinéma des premiers temps, sur le cinéma expérimental (Brakhage, Deutsch, Morrison, Sharits,

etc.), sur les séries télévisées américaines et sur la bande dessinée expérimentale contemporaine

(cf. http://orbi.ulg.ac.be/simple-search?query=belloi). Ses deux derniers ouvrages s’intitulent

Film ist. La pensée visuelle selon Gustav Deutsch (Lausanne, L'Âge d'Homme, coll. « Histoire et

esthétique du cinéma », 2013) et La Mécanique du détail. Approches transversales (Lyon, ENS Editions,

coll. « Signes », 2014, en co-direction avec Maud Hagelstein).

TV/Series, 6 | 2014

59

Échos et remake dans les sériestélévisées des années 1960 à nosjoursJean Du Verger

1 L’un des plaisirs ou, pour reprendre l’expression de Barthes, l’une des jouissances que

nous éprouvons en regardant des séries télévisées repose notamment sur notre faculté

à déceler et à reconnaître telle ou telle allusion ou référence dans telle ou telle série.

2 Depuis les années 1950, la télévision omniprésente a révolutionné la culture et donné

naissance à ce que Dominic Strinati appelle « a postmodern popular culture1. » C’est

dans le cadre de cette culture postmoderne où, comme le note Strinati, tout peut se

transformer en blague, citation ou pastiche2, que nous allons examiner le rôle de l’écho

à travers un certain nombre de séries télévisées des années 1960 à nos jours. La notion

même de culture populaire repose sur des paramètres extrêmement fluctuants, tels que

le genre et les contextes historique, économique et social. Il nous faut donc tenir

compte de ces « nomadic subjectivities3 » comme les appelle John Fiske. En effet, de par

sa nature propre, la culture populaire implique que les lecteurs-spectateurs ne

perçoivent pas toujours les mêmes choses à la lecture du texte télévisé4, comme l’a

d’ailleurs fort justement remarqué Fiske :

By “showing” rather than “telling”, by sketching rather than drawingcompletely, popular texts open themselves up to a variety of socialrelevances […]. Showing the obvious leaves the interior unspoken,unwritten; it makes gaps and spaces in the text for the producerly reader tofill from his or her social experience and thus to construct links between thetext and that experience5.

3 Tentons maintenant de définir brièvement la notion d’écho, dont la tradition en

littérature et en musique remonte à l’Antiquité. L’étymologie grecque du mot inclut les

notions de réverbération et de résonance. Par conséquent, l’écho repose sur le principe

rhétorique de la reduplicatio, de la répétition, mais une répétition qui se fonde à la fois

sur la similitude et la différence. Le phénomène acoustique de l’écho prolonge le son de

TV/Series, 6 | 2014

60

la voix originelle qui se réverbère, se fragmente et se dissémine dans l’espace – en

l’occurrence ici, le texte télévisé ou filmique. L’écho n’est donc pas simple répétition

mais, comme le souligne John Hollander6, il participe à la réécriture perpétuelle du

texte culturel populaire – une culture qui repose elle-même, comme l’écrit Fiske, sur la

répétition7. L’écho participe à la consolidation de cette culture populaire qui s’érige peu

à peu en une véritable chambre d’échos dans laquelle la mémoire du lecteur-spectateur

est sans cesse ravivée par les multiples citations et allusions dont sont parsemés les

textes télévisés. L’écho, qui peut être assimilé à l’allusion ou à la citation, se répercute

de texte en texte et fait ainsi résonner le texte source comme pour mieux tester la

mémoire culturelle du lecteur-spectateur.

4 Il serait vain de vouloir faire ici un relevé exhaustif de tous les types d’échos dont se

nourrissent les textes télévisuels. On peut cependant en isoler un certain nombre,

parmi les plus fréquemment utilisés. Par ailleurs, loin de constituer une taxinomie

hermétique, notre classification se révélera parfois perméable puisque certains des

échos répertoriés pourraient parfaitement se retrouver simultanément dans plusieurs

catégories.

1. Ébauche d’une taxinomie de l’écho télévisuel

Le personnage écho

5 Le personnage écho par excellence, c’est d’abord le héros lui-même, puisque le principe

de la série télévisée repose sur cet élément fondateur, comme le souligne Thomas

Elsaesser : « the serial form was meant to tie an audience to a star, or to make the

viewer come back »8. Mais nous allons plutôt parler du personnage récurrent du

« méchant » qui, dans les séries télévisées des années 1960-1970, pose à la fois la

question de l’écho et du stéréotype. En effet, l’acteur incarnant le méchant se trouve

cantonné à ce type de rôles de telle sorte que le spectateur l’identifie immédiatement à

l’intérieur d’une série ou bien d’une série à l’autre. Comme l’a d’ailleurs bien remarqué

Martin Esslin, « the recurring characters […] remain constant and become ever more

familiar to their audiences9 », soulignant ainsi la standardisation des séries télévisées à

l’époque. Nous n’examinerons ici que quelques exemples tirés de trois séries cultes, à

savoir Les Mystères de l’Ouest (CBS, 1965- 69), Batman (ABC, 1966-68) et Hawaï, police d’État

(CBS, 1968-80).

6 Les Mystères de l’Ouest ne seraient pas ce qu’ils sont devenus sans le docteur Miguelito

Quixote Loveless10 et, dans une moindre mesure, le comte Carlos Mario Vincenzo

Robespierre Manzeppi, incarnés respectivement par Michael Dunn et Victor Buono. Au

cours de leur brève carrière ces deux acteurs ont incarné de nombreux personnages de

méchants. En 1964, dans Le Tueur de Boston (The Strangler) de Bob Topper, Victor Buono

joue le rôle d’un psychopathe, Leo Kroll, qui assassine des jeunes femmes. L’année

suivante, dans la série Voyage to the Bottom of the Sea (ABC, 1964-68), il incarne le docteur

Tabor Ulrich, un scientifique fou et obèse en fauteuil qui cherche à diriger le monde à la

tête d’une armée de cyborg (« The Cyborg », 2.4). En 1966, on le retrouve dans le rôle du

très sanguinaire colonel Hubris dans un épisode des Agents très spéciaux (The Man from

U.N.C.L.E., NBC, 1964-68 : « The Deadly Goddess Affair », 2.17). De 1966 à 1968, il endosse

le costume du maléfique King Tut dans la série Batman. On le retrouve à la fin des

années 1970 dans L’Homme de l’Atlantide (NBC, 1977-78) où il joue encore le rôle d’un

TV/Series, 6 | 2014

61

savant fou, le docteur Schubert, qui cherche à faire fondre la banquise pour immerger

la terre sous les océans11… Attardons-nous un instant sur le rôle de Buono, ou plutôt ses

rôles, dans Les Mystères de l’Ouest. Dans le pilote de la série, intitulé « La nuit des

ténèbres » (« The Night of the Inferno »), il joue le double rôle de l’inquiétant Chinois

Wing Fat, qui n’est autre que Juan Manolo, révolutionnaire mexicain recherché par

James West et Artemus Gordon. Il tient ensuite à deux reprises le rôle du comte

Manzeppi, magicien et illusionniste maléfique. Il incarne enfin le docteur Henry

Messenger, secrétaire d’État américain12, dans le deuxième téléfilm intitulé More Wild

Wild West (1980), qui vient définitivement clore la série, où il s’allie avec l’adversaire de

West et Gordon, un certain Albert Paradine II (voir figure 1).

Fig. 1 : Les « méchants » incarnés par Victor Buono

7 Michael Dunn, quant à lui, endosse les habits du nain diabolique et ennemi juré de West

et Gordon à pas moins de dix reprises au cours des quatre saisons de la série. Lors de ses

trois premières apparitions, il est accompagné d’un géant muet et simple d’esprit

prénommé Voltaire, incarné par l’acteur Richard Kiel, qui deviendra célèbre pour son

rôle de Jaws dans L’Espion qui m’aimait (1977) et Moonraker (1979). Hors Les Mystères de

l’Ouest, en 1965, Michael Dunn incarne le rôle du méchant, Mr Big, dans le pilote de Max

la menace ( Get Smart, CBS, 1965-70). Deux ans plus tard, il joue le rôle d’un clown

diabolique qui remplace les membres de l’équipage du Seaview par des mannequins de

cire dans Voyage au fond des mers (« The Waxmen », 3.24). Il incarne enfin le personnage

inquiétant de George Korbal dans la série Run for Your Life (NBC, 1965-68) aux côtés de

Ben Gazara13 (voir figure 2).

Fig. 2 : Les « méchants » incarnés par Michael Dunn

8 Le cas du personnage de l’énigmatique Wo Fat, interprété par Knigh Alx Dheigh14,

ennemi implacable de Steve MacGarrett dans la série Hawaï, police d’État est tout aussi

intéressant (voir figure 3). Il apparaît à onze reprises au cours de la série et,

notamment, dans le pilote « Cocoon », ainsi que dans l’ultime épisode de la série « Woe

to Wo Fat » (12.19), dans lequel il est finalement mis sous les verrous par MacGarrett.

Wo Fat réapparaît dans le récent remake de la série Hawai 5-O (CBS, 2010-) sous les traits

de l’acteur Mark Dacascos. Mais c’est la réapparition du personnage d’August March qui

a attiré notre attention (voir figure 4). Ed Asner, qui joue donc March dans la série

TV/Series, 6 | 2014

62

originale (dans l’épisode intitulé « Wooden Model of a Rat », 8.14), reprend le même

rôle trente après, dans le remake de la série, dans l’épisode « Kalele » (2.19), au cours

duquel on peut voir un flashback de l’épisode de 1975... Bel exemple de personnage

écho, comme le souligne le journaliste Greg Braxton : « Producers say it may be the first

time in television history that a guest performer has played the same role in separate

versions of the [same] show15. »

Fig. 3 : Knigh Alx Dheigh : Wo Fat dans Hawaï, police d’État

Fig. 4 : Ed Asner et ses incarnations de March

9 La structure formatée des séries télévisées des années 1960-1970 a donc favorisé

l’apparition de personnages stéréotypés, souvent incarnés par les mêmes acteurs.

Cependant, le personnage écho, et notamment le personnage du méchant, permettait

aussi de créer une continuité, de tisser un lien dans des séries où chaque épisode était

cependant autonome et pouvait donc se voir sans obéir à l’ordre chronologique. Sa

présence récurrente créait un phénomène d’anticipation chez le lecteur-spectateur,

celui-ci attendant avec délectation la réapparition de son « méchant préféré16 ». Le

personnage de Wo Fat constitue, à cet égard, un parfait exemple de l’importance

scénaristique du personnage écho dans la mesure où il permet de clore de manière

logique la série au bout de douze saisons. Comme Wo Fat le fait remarquer à

TV/Series, 6 | 2014

63

MacGarrett : « A fitting end, MacGarrett. Through a dozen adventures which have had

no resolution we come now to the final act of this… this morality play17. »

10 Ces personnages constituent, par ailleurs, de véritables chambres d’échos culturelles,

littéraires et historiques. Les discours des personnages tels que le comte Manzeppi et

King Tut, dans Batman, sont parsemés d’échos et parodies shakespeariens. Dans « La

Nuit de la pierre philosophale » (« The Night of the Winged Fury », 2.17), outre des

locutions latines plus ou moins farfelues ainsi que ses références répétées et erronées à

Hérodote18, le comte Manzeppi n’hésite pas à citer le Barde (« Strive mightily, but eat

and drink as friends19 »). C’est surtout la citation parodique de la pièce Julius Cæsar,

déclamée par King Tut dans Batman au moment où il s’apprête à ébouillanter le héros

dans un sarcophage, qui est la plus amusante : « Friends, Egyptians, henchmen, lend me

your ears!/ I come to bury Batman, not to praise him./ The evil that men do lives after

them,/ The good is oft interred with their bones:/ So let it be with Batman20. »

11 D’un point de vue culturel, l’un des méchants les plus intéressants en termes d’échos

est le personnage de l’excentrique docteur Loveless. L’onomastique définit le

personnage : Miguelito en espagnol signifie « le petit Michel », référence, s’il était

nécessaire, à sa petite taille. Son patronyme Quixote renvoie à la dimension vaine et

illusoire de ses tentatives pour diriger le monde. Quant à son nom, il indique bien que le

personnage est dépourvu d’amour ou souffre de ne pas être aimé21. Loveless symbolise à

la perfection le savant fou dont les motivations semblent échapper au commun des

mortels : « Observe the classical magistrate’s mind […] The good judge doesn’t

understand me ergo I am mad » (4.12). Sa quête d’un monde meilleur, d’un monde

parfait, dans lequel tous les hommes seraient « equal in stature » (4.12), passe

inéluctablement par la destruction du nôtre. Comme le comte Manzeppi, Loveless est

un fin connaisseur d’art, « a helpless admirer of all that is rare and fine in nature and

art » (4.12), ainsi qu’un grand amateur de musique. Sans parler de la manière

extrêmement sophistiquée avec laquelle il s’exprime22, une manière pour les

scénaristes de souligner qu’il est un homme de culture. Si l’on considère d’un peu plus

près cet aspect culturel des personnages de Loveless et Manzeppi on peut y voir

l’illustration de l’antagonisme entre ce qu’Umberto Eco nomme « la culture avec un C

majuscule23 » et la culture populaire, cette dernière étant toujours prompte à souligner

que la première est l’apanage d’un nombre très limité de gens.

12 D’un point de vue historique, le personnage de Wo Fat, qui évolue dans les soubresauts

de la guerre froide, constitue une véritable chambre d’échos d’événements réels. Du

pilote où il incarnait un espion chinois, il devient peu à peu un parrain de la mafia

chinoise, reflétant ainsi l’évolution des relations sino-américaines. Le monde fictionnel

de la série devient le miroir du monde réel.

13 Ces personnages ont un autre point commun : ils sont tous affligés d'un handicap.

Loveless est un nain et son acolyte pour trois épisodes, Voltaire, est un géant simple

d’esprit. Les personnages incarnés par Victor Buono sont à l’image de l’acteur :

opulents. Ce handicap physique est le reflet de leur statut de déviants. À cela s’ajoute le

fait que Manzeppi et Miguelito Loveless ont des noms à consonance étrangère et

symbolisent, en ces temps de Guerre froide, la menace venue de l’étranger24. Wo Fat,

qui est d’origine asiatique, pourrait d’ailleurs être vu comme un écho du héros

maléfique de Sax Rohmer, Fu Man Chu, symbole du péril jaune.

14 Ces personnages échos interrogent donc le rapport à l'altérité dans la société

américaine de l’époque, une société dans laquelle l'autre est souvent perçu comme une

TV/Series, 6 | 2014

64

menace. Hors norme, ils représentent une réification du social, de ses peurs et de la

façon dont les différences sont pensées. Il y a bien sûr des contre-exemples : les

personnages de Robert Dacier, le détective en fauteuil roulant de la série Ironside (NBC,

1967-1975), et de Frank Cannon, détective privé grand amateur de cuisine au physique

pour le moins imposant, dans la série Cannon (CBS, 1971-1976). Une série sort bien sûr

complètement de cette logique, c’est Columbo (NBC, 1968-2003). À notre connaissance,

c’est la première série télévisée qui subvertit à ce point cette stéréotypie des

personnages puisque nombre des meurtriers de la série sont incarnés par les héros

d’autres séries télévisées25. Le héros éponyme est quant à lui un homme de petite taille

au physique quelconque, vêtu d’un vieil imperméable fripé et crasseux, conduisant une

vieille guimbarde.

15 Depuis les années 1980, la psychologie et la représentation des personnages ont

énormément évolué. Les héros des séries contemporaines seraient plutôt à l’image de

personnage comme Profit ou Dexter : des anti-héros, des personnages à l’intérieur

desquels la frontière entre le bien et le mal tend à se dissoudre, voire à disparaître.

Aujourd’hui, les mêmes acteurs incarnent une multiplicité de rôles, la réalité morale est

plus mouvante et instable. L’acteur Lance Reddick joue ainsi tour à tour le rôle de

Marvin, un drogué, dans la mini-série The Corner (HBO, 2000), puis celui du détective

Johnny Basil dans OZ (HBO, 1997-2003), infiltré au cœur de la prison et qui, pour mener

à bien sa mission, devra commettre un meurtre, puis enfin celui du colonel Cedric

Daniels dans The Wire (HBO, 2002-2008), personnage éminemment paradoxal. Reddick a

aussi joué le rôle complexe de « scientifique fou » de Walter Bishop dans la série Fringe

(FOX, 2008-2013). Ces changements à vue surprennent le lecteur-spectateur et

montrent la complexification psychologique des personnages et des structures

narratives qui reposent de moins en moins sur des stéréotypes26. On retrouve, par

ailleurs, dans les séries de David Simon diffusées sur HBO (The Corner, The Wire et, de

2010 à 2013, Treme) une galerie d’acteurs qui, bien que jouant des rôles parfois très

différents d’une série à l’autre, créent pour le spectateur un univers familier.

Les échos parodiques

16 Nous allons maintenant examiner quelques exemples d’ échos parodiques, qu’on peut

définir, à l’aide des termes de Linda Hutcheon dans son ouvrage A Theory of Parody

(1985), comme une forme de répétition qui possède « [a] critical ironic distance »27. Si,

dans les séries d’animation contemporaines telles que Les Simpson (FOX, 1989-) ou South

Park (Comedy Central, 1997-)28, la parodie est pour ainsi dire le ressort essentiel, il nous

a semblé intéressant d’examiner plutôt trois exemples d’écho parodique dans quelques

séries télévisées des années 1960 à nos jours afin de voir comment elles tournent en

dérision certains aspects de la culture populaire et, notamment, le cinéma et la bande

dessinée.

17 L’épisode « Le Vengeur Volant » (« The Winged Avenger », 5.6) de Chapeau melon et

bottes de cuir (ITV, 1961-69) constitue un parfait exemple d’écho parodique. Dans cet

épisode, John Steed utilise des planches de BD pour venir à bout du méchant et l’on voit

apparaître en énormes caractères des POW ! et des SPLAT ! C’est un retentissant BAM !

qui viendra à bout du vengeur volant. Cette scène fait clairement écho à la série

américaine Batman, elle-même ouvertement parodique, diffusée à la même époque par

le réseau ABC, où chaque épisode s’achève par une bagarre épique entre Batman, Robin

TV/Series, 6 | 2014

65

et leurs adversaires, bagarres ponctuées de KAPOW ! BAM ! ZOK ! et autres WHAMM !

Comme le fait remarquer Patrick MacNee, « the show […] was a lighthearted comics

strip at the time »29… Cet épisode illustre parfaitement la mise en abyme qui résulte

d’une parodie postmoderne et vient souligner la dérision et l’humour qui caractérisent

ce processus parodique (voir figure 5).

Fig. 5 : Onomatopées dans Chapeau melon et bottes de cuir (5.6)

18 Dans le pilote de la série The Middle (ABC, 2009-), qui évoque les tribulations d’une

famille américaine de la classe moyenne, le personnage de la fille de la famille peu

gâtée par la nature, Sue Heck, se retrouve seule sur scène lors d’un spectacle scolaire

que sa maladresse a transformé en véritable désastre. Cette scène n’est pas sans nous

rappeler la célèbre scène du film de Brian De Palma, Carrie (1976), au cours de laquelle

le bal de fin d’année s’achève en tragédie. L’image de la pauvre Sue renvoie à l’image de

Carrie, seule sur scène, en sang, alors que tout s’écroule et s’enflamme autour d’elle –

mais, ici, le ridicule a remplacé l’horreur… (voir figure 6)

Fig. 6 : The Middle (ABC, 2009-) et Carrie (1976)

19 Au cours de la troisième saison de Breaking Bad (AMC, 2008-2013), Walter White, alias

Heisenberg, est la cible de deux tueurs mexicains. L’un d’eux est abattu et l’autre

gravement mutilé par Hank, le beau-frère de Walter. Une scène de l’épisode « I See

TV/Series, 6 | 2014

66

You » (3.8), qui se déroule à l’hôpital, montre les collègues de Hank, lui-même

gravement blessé par les tueurs, qui invitent Walter, en visite, à venir voir le tueur

survivant. En voyant Walter/Heisenberg, le tueur, dont les jambes ont été amputées, se

jette au bas de son lit et se met à ramper vers lui dans une scène sidérante, qui rappelle

la scène du film de Tod Browning, Freaks (1932), dans laquelle les monstres s'en

prennent à Hercule (voir figure 7).

Fig. 7 : De Breaking Bad (AMC, 2008-2013) à Freaks (1932)

20 On voit par cet exemple comment l’écho parodique nécessite impérativement la

participation du lecteur-spectateur. En effet, pour être efficace la parodie implique de

la part du lecteur-spectateur à la fois une distance critique et la capacité à reconnaître

la référence ou citation à laquelle il est fait allusion.

L’écho diégétique

21 Nous allons maintenant nous tourner vers une autre forme d’écho, l’écho narratif ou

diégétique. Des épisodes de Chapeau melon et bottes de cuir et des Mystères de l’Ouest

constituent ainsi des échos aux trames narratives provenant, entre autre, de la

littérature populaire de la fin du XIXe siècle. Les épisodes « The Night of the Burning

Diamond » (1.26, diffusé en avril 1966) des Mystères de l’Ouest et « The See Through

Man » (5.5, diffusé en février 1967) de Chapeau melon font ainsi écho au livre de H.G.

Wells, L’Homme invisible (1897)30. Les trames narratives de « Escape in Time » (Chapeau

melon, 5.2, diffusé en janvier 1967) et « The Night of the Lord of Limbo » (Les Mystères de

l’Ouest, 2.15, diffusé en décembre 1967) sont des variations thématiques d’un autre

ouvrage de Wells, La Machine à explorer le temps (1895). La structure narrative ainsi que

le personnage du méchant, le marquis Philippe de la Mer, dans l’épisode des Mystères de

l’ouest « The Night of the Watery Death » (2.9), renvoient au personnage du capitaine

Nemo et au livre de Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers (1869). Nous pourrions

multiplier les exemples de ce type. Indépendamment des romans populaires, on trouve,

comme sources d’inspiration de ces mêmes séries télévisées, des nursery rhymes. Ces

célèbres comptines font intimement partie de la culture populaire anglo-saxonne et

constituent, par conséquent, un moyen efficace de capter l’attention des lecteurs-

spectateurs31. Or, les nursery rhymes sont elles-mêmes fondées sur la répétition et la

structure en écho, avec des jeux de mots et de rimes qui évoquent souvent des

situations étranges et insolites.

22 L’épisode des Mystères de l’Ouest « The Night of Miguelito’s Revenge » (4.12)32 est calqué

sur la structure de la comptine « Monday’s Child », censée prédire le caractère de

chaque enfant selon le jour de sa naissance. Le docteur Loveless a décidé d’enlever tous

TV/Series, 6 | 2014

67

ceux qui, au cours de sa carrière criminelle, se sont opposés à lui ou lui ont nui, et de les

faire juger par un tribunal composé de marionnettes. Lors de l’enlèvement du juge

Alonzo Fairlie, il laisse un énigmatique message, « Thursday’s child has far to go », qui

va rapidement mettre nos agents sur la piste. West et Jeremy Pike découvrent alors que

cet enlèvement en cache d’autres : à chaque jour de la semaine égrenés par la comptine

correspond un type de caractère – et une victime33 :

Monday’s child is fair of face (Lynn Carstairs, l’actrice)Tuesday’s child is full of grace (Ivan Kalinkovith, le maître de ballet)Wednesday’s child is full of woe (Biff Trout, le jokey)Thursday’s child has far to go (Judge Alonzo Fairlie, le magistrat)Friday’s child is loving and giving (Cyrus Barlow, le philantrope)Saturday’s child works hard for his living (Tiny, le maréchal ferrand)And the child that is born on the Sabbath day (James West)Is bonny and blithe, and good and gay.

23 Au cours de l’enquête West est enfermé dans un cercueil et envoyé au fond d’un lac.

Pendant ce temps, on entend, dans le gramophone placé dans le cercueil, le docteur

Loveless chanter un célèbre « Sea Shanty » anglais intitulé « What Shall We Do with the

Drunken Sailor ? ». La chanson populaire vient à la fois commenter l’action qui se

déroule sous nos yeux tout en y imprimant son propre rythme. L’utilisation d’une

chanson populaire souligne aussi, en un contrepoint ironique, la dimension parodique

et fantaisiste de la série en dédramatisant cette scène :

What shall we do with the drunken sailor (3×),Early in the morningRefrain:Hoo-ray and up she rises (3×),Early in the morningSling him in the long boat till he’s sober (3×)Pull out the plug and wet him all over, (3×)

24 Loveless échappe à nouveau à West et Jeremy Pike. Ils croient lui avoir enfin mis la

main dessus, mais c’est un pantin à l’effigie du bon docteur, doté d'une boîte vocale à

travers laquelle ses dernières paroles (« There will surely be another time gentlemen,

surely another time… another time… another time… another time34 ») résonnent aux

oreilles du lecteur-spectateur, véritable écho qui laisse en suspens la possibilité d’un

éventuel retour. Cette voix humaine enregistrée puis projetée à travers un pantin

traduit à la fois la dématérialisation de la voix qu’induit l’écho et l’effacement d’une

présence, annonçant ainsi la mort métaphorique du personnage. On voit dans cet

épisode comment les scénaristes empruntent la structure narrative de la comptine

pour construire le scénario et la manière dont ils recourent aux procédés propres à la

versification des nursery rhymes pour renforcer l’effet de l’écho.

25 Un autre exemple de scénario repose sur une comptine : c’est l’épisode de la série

Chapeau melon « The House that Jack Built » (4.23). Emma Peel hérite d’une maison, qui

se révèle un piège tendu par le professeur Keller, un ingénieur en automatisation qui

travaillait dans l’entreprise du père d’Emma et qu’elle a renvoyé parce qu’il voulait

remplacer l’homme par la machine. La maison diabolique est gérée par un ordinateur

et constitue un immense labyrinthe en trompe-l’œil, dans lequel chaque porte ouvre

sur une pièce identique. Le but est de rendre Emma Peel folle puis de la pousser au

suicide. La nursery rhyme « This Is the House that Jack Built » correspond au genre de la

TV/Series, 6 | 2014

68

chanson cumulative35. L’effet cumulatif est multiplié ici par la répétition des pièces à

l’infini. La tension particulière qui se dégage de cet épisode vient aussi de la dimension

inexorable des événements, de la fatalité contenue dans ce type de comptine.

26 Enfin Emma, errant dans la maison, rencontre un homme hagard et inquiétant. On l’a

vu au début de l’épisode se réfugier dans la maison pour échapper à des poursuivants.

Piégé, devenu fou, il chantonne de manière itérative l’air lancinant de la nursery rhyme

« The House that Jack Built » : « This is the dog that tossed the horse, that killed the cat

that closed the cow, that bit the rat, that lived in the house that Jack built »… En

reprenant ainsi dans un ordre aléatoire les vers de la comptine, il accentue brutalement

le jeu sur le non-sens propre aux nursery rhymes – et souligne qu’il a basculé

irrémédiablement dans la folie. À l’instar de la comptine, l’épisode s’achève

brutalement. Les producteurs de la série utiliseront une trame narrative similaire,

variation de la maison diabolique, au cours la seconde saison de The New Avengers (ITV,

1976-77) dans l’épisode intitulé « Complex » (2.10) (voir figure 9).

Fig. 9 : L’effet cumulatif : de la nursery rhyme à l’espace (The New Avengers, 2.10)

L’écho cinématographique

27 Du fait de la proximité de la télévision et du cinéma, sur laquelle nous revenons ci-

dessous, l’écho cinématographique joue un rôle important dans les scénarii des séries

télévisées et constitue parfois l’un des principaux ressorts narratifs. C’est le cas par

exemple de la série N.C.I.S. : Enquêtes spéciales (CBS, 2003-), où le personnage de Tony

DiNozzo, fort d’une vaste culture cinématographique et télévisuelle, commente les

situations auxquelles l’équipe se trouve confrontée en faisant des parallèles avec des

scènes ou circonstances similaires tirées de divers films ou d’autres séries télévisées.

Dans d’autres cas, l’hommage au cinéma est plus flamboyant, comme dans ces trois

TV/Series, 6 | 2014

69

exemples, qui permettent d’étudier le rôle de ce type d’écho dans l’élaboration du

scénario36.

28 Dans l’un des meilleurs épisodes de la première saison des Mystères de l’Ouest, « The

Night of the Puppeteer » (1.21), un marionnettiste fou, Zachariah Skull, a décidé de se

venger de ceux qui l’ont jugé et condamné à tort. Il utilise des marionnettes afin

d’accomplir sa vengeance. Si l’histoire peut nous rappeler le film de Tod Browning The

Devil-Doll (1936), c’est avant tout aux maîtres du cinéma expressionniste allemand des

années 1920 que le réalisateur Irving J. Moore entend rendre hommage37. Le rapport

entre ombre et lumière et l’importance du clair-obscur contribuent à rendre

l’atmosphère de l’épisode oppressante, parfois cauchemardesque. Le repaire dans

lequel se terre Skull, au fond d’un souterrain profond et obscur, symbolise à la fois

l’hostilité du monde38 à son égard et son refus du monde réel. À la fin de l’épisode on

découvre Skull tapi dans l’ombre, tel une araignée au milieu de sa toile d’où il contrôle

ses marionnettes, toile dont il est lui-même prisonnier comme il l’est de sa propre folie.

La manière dont Irving filme l’espace fait écho à la vision expressionniste de l’espace

monstrueux qui finit par engloutir le personnage du marionnettiste dans les ténèbres

et le chaos (voir figure 10).

Fig. 10 : De « The Night of the pupeteer » à The Devil-Doll

29 L’épisode de la série Columbo intitulé « How to Dial a Murder ? » (7.4) et réalisé en 1978

constitue, lui aussi, un très bel exemple d’écho cinématographique. La question

purement rhétorique contenue dans le titre fait écho à celui du célèbre film d’Alfred

Hitchcock Dial “M” for Murder (1954). Elle n’appelle qu’une seule réponse : en composant

le M de Dial “M” for Murder... Mais cet épisode rend avant tout hommage au film d’Orson

Welles, Citizen Kane (1941). En effet, le plan d’ouverture s’ouvre sur une vue en plongée

qui nous fait passer par-dessus les grilles d’une demeure ; après quoi, la caméra

TV/Series, 6 | 2014

70

s’attarde brièvement sur la lettre K surplombant la grille. Un fondu enchaîné nous fait

ensuite pénétrer à l’intérieur d’une demeure qui contient une collection importante

des objets mythiques du film, telle la célèbre luge sur laquelle est gravé le mot

« Rosebud ». Dans cet épisode l’assassin, le docteur Eric Mason (Nicol Williamson), a mis

au point un moyen fort astucieux pour tuer sa victime. Il a dressé ses deux dobermans à

attaquer au son du mot « Rosebud ». Sa victime, le docteur Garrison, qui est aussi son

meilleur ami, s’occupe de ses chiens en son absence. Mason l’appelle et, au cours de la

conversation, lui demande quelle était la dernière parole prononcée par Charles Foster

Kane dans le film Citizen Kane. Garrison lui répond « Rosebud » – ce qui a pour effet de

déclencher l’attaque fatale des deux dobermans. Ainsi « Rosebud » était-il le dernier

mot prononcé par Kane : il en va de même pour la victime du docteur Mason. Toutefois,

si dans le film de Welles, Jedemiah Leland, le journaliste de The Inquirer, doit découvrir

la mystérieuse signification du mot « Rosebud », l’inspecteur Columbo devra lui,

inversement, découvrir l’arme, ou plutôt le mot du crime, pour résoudre l’enquête. On

voit ici comment les scénaristes jouent sur l’ironie, l’inversion et la variation

thématique pour élaborer, à partir du film de Welles, un scénario fondé sur l’écho

cinématographique.

30 Terminons notre analyse de l’écho cinématographique par une rapide étude de

l’épisode « Rencontre sportive » (« Sports Medicine », 1.12) de Dr House (FOX,

2004-2012). Dans cette série, chaque épisode peut se voir comme un tout autonome

grâce au formatage des histoires médicales résolues par le docteur House. L’épisode

s’ouvre sur le réalisateur Bryan Singer, dans son propre rôle, en train de tourner une

publicité avec un joueur de baseball sur le retour. Au cours du tournage ce dernier se

fracture le bras. À l’hôpital de Princeton Plainsboro, les examens révèlent un problème

osseux. House soupçonne le sportif de se doper. Lorsque Chase communique à House les

premiers résultats des examens il lui annonce : « None of the usual suspects », à savoir

lupus, sarcoïdose, etc. Il semble bien que cela soit la première occurrence de cette

expression dans la série. Elle fait inévitablement référence au film de Bryan Singer, The

Usual Suspects (1995)39. Le film trouvera un autre écho dans la deuxième saison de la

série danoise The Killing (Forbrydelsen II) diffusée en 2009 sur la chaîne danoise DR1.

L’enquête de Sarah Lund se déroule cette fois-ci sur fond de crimes politiques. Dans cet

univers sombre et labyrinthique, les personnages se télescopent et les indices sont

insérés de manière fragmentaire au cours des différents épisodes de la saison. Ces

images s’imprègnent dans la mémoire du lecteur-spectateur et prennent

progressivement forme, à la manière d’un puzzle offrant ainsi l’opportunité au

spectateur et à Sarah Lund de découvrir le criminel. Dans le film de Singer, l’agent

fédéral Kujan s’aperçoit que les noms et les détails de l’histoire que lui a racontée Roger

« Verbal » Kint proviennent des photos et coupures de presse épinglées sur le tableau,

dans le bureau où il l’interrogeait. La combinaison de photos et de coupures de presse

collées sur les murs du local loué par le présumé coupable ainsi qu’une affiche sur le

mur qui fait face à l’entrée du local et un livre exposé dans la vitrine d’un libraire vont

donner la solution de l’énigme à Lund. Mais là, le coupable ne s’échappe pas comme

dans Usual Suspects (voir figure 11).

TV/Series, 6 | 2014

71

Fig. 11 : Forbrydelsen II (2009) empruntant à The Usual Suspects (1995)

L’écho métafictionnel

31 Bon nombre de séries télévisées se font écho entre elles, que ce soit par l’intermédiaire

des spin-offs ou autres cross-overs. En se référant ainsi les unes aux autres, elles

produisent une série de réverbérations verbales, musicales ou visuelles qui contribuent

à la construction d’un véritable palais des glaces dans l’imaginaire et la mémoire des

lecteurs-spectateurs. D’une certaine manière, ces échos constituent des auto-citations,

des renvois obliques et des citations qui convoquent un fragment de la vaste toile

culturelle dont se nourrissent les scénaristes et qu’il appartient aux spectateurs de

déceler et d’interpréter. Récemment, un certain nombre de séries américaines se sont

ingéniées à jouer de manière allusive ou explicite avec les références

cinématographiques et télévisuelles. Nous pensons tout particulièrement au héros de la

sitcom Community (NBC, 2009-2014), Abed, jeune étudiant en cinéma, porteur d’un

syndrome d’Asperger, qui structure sa vie en établissant une analogie permanente

entre son quotidien et la culture populaire, en empruntant tout particulièrement à la

télévision et au cinéma40. Nous ne prendrons ici que quelques exemples plus anciens

pour illustrer notre propos.

32 Dans l’épisode « Identity Crisis » (5.3) de la série Columbo, Patrick McGoohan, qui

interprète le rôle de l’agent de la CIA Nelson Brenner, emploie le célèbre salut du

Prisonnier : « Be seeing you ». Les échos sont parfois plus explicites, comme dans

l’épisode de N.C.I.S. intitulé « The Meat Puzzle » (2.13), à la fin duquel Kate demande à

Gibbs à quoi ressemblait Ducky dans sa jeunesse. Gibbs lui répond, impassible : « Illya

Kuryakin ». Or, l’interprète de Ducky, David MacCullum, est devenu célèbre pour son

interprétation de l’agent russe Illya Kuryakin, aux côtés de Robert Vaughn, qui incarne

TV/Series, 6 | 2014

72

le rôle de Napoléon Solo dans la série Des Agents très spéciaux (The Man from U.N.C.L.E.,

diffusée sur NBC entre 1964 et 1968).

33 Dans certains épisodes de The Corner (2000, épisode 6, « Everyman’s Blues »), The Wire

(3.1) et Treme (1.2), on peut entendre les dealers s’écrier « Five O, Five O!! » à l’approche

de la police. Et en effet, l’expression « Five O » désigne désormais en argot les forces de

police. Et, pourtant, elle trouve bel et bien son origine dans le titre original de la série

Hawaï, police d’État, Hawaï Five-0… L’expression « Five O » a ainsi intégré le langage

populaire, avec la symbolique véhiculée par la série et particulièrement son héros,

Steve MacGarrett, policier incorruptible et infatigable adversaire du crime. On a donc

ici un phénomène très intéressant d’une série télévisée qui s’est profondément ancrée

dans la culture populaire, mais aussi dans l’inconscient collectif, au point de donner

corps à une expression populaire qui ressurgit dans deux séries fictionnelles fortement

inspirées par la réalité du ghetto (The Corner et The Wire).

34 Il arrive parfois que ces échos soient musicaux, comme par exemple dans le premier

épisode de la saison 3 de The Wire, « Time After Time ». Lors d’une poursuite entre

policiers et dealers, retentit la bande originale de la musique du film Shaft. La musique

fait ainsi écho au film de la blaxploitation réalisé en 1971 par Gordon Parks qui raconte

les aventures d’un détective afro-américain de Harlem, et les paroles – « Who is the

man that would risk his neck/For his brother man?/Shaft! » –soulignent l’amitié forte

qui lie l’inspecteur Thomas R. « Herc » Hauk et l’inspecteur Ellis Carver.

35 Très brièvement, un dernier type d’écho métafictionnel est de nature visuelle. Dans le

récent remake du Prisonnier (AMC, 2009), un certain nombre d’échos visuels rappellent

la filiation dont se réclame la reprise de la série culte des années 1960. Dès l’ouverture

du premier épisode, « Arrival », un vieil homme en fuite porte une veste qui rappelle

celle que portait Patrick McGoohan dans la série originale et, dans les épisodes 5 et 6,

on aperçoit le célèbre grand-bi ou Penny-farthing bicycle41 ainsi que l’effrayant gardien

du Village, le « rôdeur ». Mais, peut-on encore parler d’échos dans une série qui se

revendique elle-même comme un remake de la série anglaise des années 1960, diffusée

sur ITV et qualifiée par Alain Carrazé de « chef-d’œuvre télévisionnaire » ?

36 La question que posent, en creux, les différents échos que nous venons d’examiner

brièvement est celle de leur rôle dans l’élaboration des scénarii puisqu’ils sont une

constante source d’inspiration pour les scénaristes. Mais ils tissent aussi une trame

bien plus importante sur laquelle repose la culture populaire et qui participe à

l’homogénéisation de la culture télévisuelle42. La télévision s’érige en une véritable

caisse de résonance de cette culture perpétuellement en mouvement. La réverbération

et la répétition de ces différents échos, en renforçant la mémoire des lecteurs-

spectateurs, participent à l’édification permanente de ce que l’on appelle la culture

populaire. Nous allons maintenant aborder une autre facette de cette question : celle du

remake et de son rôle dans l’évolution des séries télévisées.

2. Remakes et échos : les deux faces de Janus ?

37 Dans son ouvrage Film Remakes (2006), Constantin Verevis définit avec pertinence

l’aspect intertextuel de la reprise et de la sérialité. La dimension éminemment

intertextuelle du cinéma américain en particulier, est, comme l’explique Verevis,

« related to the radical extension of film literacy and the enthusiasm for [American]

film history that took hold in the United States during the 1960s and early 1970s »43.

TV/Series, 6 | 2014

73

Dès les années 1950, les tournages des séries télévisées quittent les studios de la côte Est

pour Hollywood, ce qui aura pour conséquence, comme le note Michael Easton,

d’accroître « the increasing mutual interdependence of the [two] institutions »44. Nous

n’examinerons ici la question de la reprise que dans le cadre de la série télévisée et sous

un angle chronologique et nous laisserons de côté le cas des spin-offs qui, de toute

évidence, a son importance, depuis L’Homme qui valait trois milliards (ABC, 1974-78) et

Super Jaimie (ABC-NBC, 1976-1978) ou Columbo et Madame Columbo (NBC, 1979), pour ne

citer que deux exemples. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous avons caractérisé quatre

étapes qui nous semblent clefs dans l’évolution du remake et dans son influence sur les

séries télévisées depuis les années 1960.

38 Mais avant cela, il convient de définir ce que nous entendons par le terme remake. Dans

son ouvrage, Verevis suit la thèse de Thomas M. Leitch. Selon Leitch, le remake

s’articule autour de trois éléments centraux : la réadaptation, la réactualisation et

l’hommage. La définition de Leitch se fonde sur une approche textuelle de la question.

En effet, à l’image de l’écho, la reprise induit de facto un phénomène de répétition :

« repetition of specific shots, sequences and themes »45. Le remake, ou reprise, ne peut

donc se concevoir que dans le contexte de l’intertextualité.

39 Au cours des années 1960-1970, un certain nombre de films donnèrent naissance à

plusieurs séries télévisées. Le film de science-fiction Le Sous-marin de l’apocalypse (Voyage

to the Bottom of the Sea) réalisé par Irwin Allen en 1961 est ainsi repris dans la série

éponyme Voyage au fond des mers, produite et réalisée par le même Irwin Allen entre

1964 et 1968 et diffusé sur ABC. Les films policiers se révèlent eux aussi une source

d’inspiration majeure pour les réalisateurs de séries télévisées de l’époque. Nous

pensons tout particulièrement à Shaft (1971) de Gordon Parks, qui connaît deux suites

cinématographiques, Shaft’s Big Score (1972) du même réalisateur et Shaft in Africa en

1973 par John Guillermin, et qui est encore à l’origine d’une série télévisée diffusée au

cours de la saison 1973-1974 sur CBS. On peut citer également le film de Sidney Lumet,

Serpico (1973), qui raconte l’histoire vraie d’un policier du 22e District de New York qui

entreprend de dénoncer la corruption au sein des services de police de la ville. Le film

engendre, lui aussi, une série télévisée diffusée sur le réseau NBC entre 1976 et 1977,

David Birney reprenant le rôle créé par Al Pacino au cinéma. Le film de science fiction

de Michael Anderson, Logan’s Run (L’Âge de cristal, 1976), est repris l’année suivante dans

une série télévisée du même nom sur CBS (1977-78).

40 Ce ne sont là que quelques exemples parmi d’autres. À notre avis, c’est La Planète des

singes, inspiré de l’œuvre de Pierre Boulle, qui constitue le cas le plus emblématique et

le plus intéressant de la reprise. Le film originel de 1968, signé Franklin J. Schaffner

(The Planet of the Apes), va donner lieu à pas moins de quatre autres films : on peut

parler d’une véritable mini-série cinématographique46. Le début du deuxième film, Le

Secret de la Planète des singes (Beneath the Planet of the Apes, 1970), fonctionne d’ailleurs

comme un véritable recap du film, ou plutôt de « l’épisode » précédent, puisqu’il résume

les dernières scènes du premier film. Dans les trois autres films, ce sont les

personnages47 qui assurent le lien et font le rappel des événements qui se sont déroulés

dans les épisodes/films précédents. Cette série de films va à son tour donner naissance

à une série télévisée éponyme, en 1974. Elle peut être vue, d’une certaine manière,

comme le développement du dernier volet de la série de films, à savoir La Bataille de la

planète des singes (1973). En 1975, cette série télévisée connaît à son tour une suite, sous

la forme cette fois-ci d’une série d’animation, intitulée Return to the Planet of the Apes,

TV/Series, 6 | 2014

74

dont la trame narrative s’inspire en revanche du second film de la série, Le Secret de la

planète des singes (Beneath the Planet of the Apes, 1970). Au cours du premier épisode de la

série animée, les héros se retrouvent, comme Taylor et Nova dans le deuxième volet, en

proie aux hallucinations provoquées par les mutants télépathes qui peuplent le sous-sol

de la zone interdite48. Il y a maintenant une douzaine d’années, Tim Burton fit un

remake de La Planète des singes (2001), Rupert Wyatt réalisera dix ans plus tard La Planète

des singes : les origines (Rise of the Planet of the Apes, 2011) et, tout dernièrement, Matt

Reeves vient de réaliser la suite, La Planète des singes : l’affrontement (Dawn of the Planet of

the Apes, 2014), preuve s’il en est de la vitalité de l’histoire.

41 Au cours de la décennie 1980-1990, on note un phénomène relativement nouveau49 dans

le domaine des séries télévisées, connu sous le nom de revival ou updating, qui s’inspire

des romans d’aventure populaires du XIXe siècle, et notamment celui d’Alexandre

Dumas, Vingt ans après (1845). Le ressort narratif est le suivant : des héros vieillissants

se croyant retirés des affaires sont rappelés pour effectuer une nouvelle mission. Sur ce

principe, le réseau CBS diffuse, en 1979 et 1980, deux téléfilms tirés des Mystères de

l’Ouest : The Wild Wild West Revisited, qui fut un réel succès, et More Wild Wild West, au

destin décevant – ce qui, d’une certaine façon, était prévisible. En 1983, Ray Austin

reforme le célèbre duo Napoléon Solo-Illya Kuryakin (Robert Vaughn et David

McCallum) le temps d’un téléfilm, Le Retour des agents très spéciaux (The Return of the Man

from U.N.C.L.E. – The Fifteen Years Later Affair). Cette production nous intéresse tout

particulièrement dans la mesure où le film résonne véritablement d’échos : George

Lazenby (James Bond) fait une apparition au volant d’une Aston Martin DB5 ; le rôle du

superviseur de Solo et Kuryakin est incarné par Patrick MacNee, célèbre pour avoir

interprété le rôle John Steed ; enfin, le rôle du méchant, Justin Sepheran, est tenu

comme il se doit par Anthony Zerbe50, personnage écho du méchant par excellence.

Lors de la scène d’ouverture, la musique est un habile mélange de la musique originale

de la série et de celle de… Mission impossible.

42 À propos de cette dernière série, un revival réapparaît sur nos écrans vers la fin de la

décennie, qui dans la version américaine conserve le même titre mais, et ce n’est

certainement pas un hasard, est diffusé en France sous le titre Mission impossible : 20 ans

après (CBS, 1988-90). La présence de Peter Graves dans le rôle de Jim Phelps, un peu à

l’image de John Steed dans The New Avengers, permet d’assurer le lien avec la série

originelle. Par ailleurs, le fils de Greg Morris (qui joue Barney Collier dans la première

série), Phil Morris, incarne le rôle du fils de Barney, Grant51. Les séries télévisées

semblent ainsi se calquer sur la réalité ou, en tout cas, une certaine réalité dans laquelle

les séries pourraient se poursuivre éternellement, chaque héros ou héroïne étant

remplacé par son fils ou sa fille. Ainsi de la suite, dans les années 1990, de la série Kung

Fu (ABC, 1972-1975), intitulée Kung Fu, la légende continue (Kung Fu: The Legend Continues,

Syndication, 1993-97), qui raconte les aventures du petit-fils de Kwai Chang Caine

(toujours incarné par David Carradine), lequel porte opportunément le nom de son

grand-père52. Véritable transposition des aventures de Caine à notre époque, la série

contribue à ce phénomène qui tend à conférer aux héros de séries télévisées une sorte

d’immortalité. Ce phénomène peut s’expliquer par les effets de la crise économique qui

affecta la production des séries télévisées à partir du milieu des années 1970, ainsi que

par un esprit créatif en berne. Mais ces reprises reposent également sur la fibre

nostalgique des téléspectateurs et sont intéressantes à cet égard. En effet, elles sont

l’illustration de la manière dont les Américains perçoivent leur passé. Un passé qui se

conçoit, comme l’a fort bien remarqué Umberto Eco, comme une véritable

TV/Series, 6 | 2014

75

réincarnation : « il existe une constante de l’imagination et du goût [des] Américains

moyens pour qui le passé doit être conservé et célébré sous forme de copie absolue […]

une philosophie de l’immortalité avec duplicata53. »

43 Pendant la période des années 1990-2000, on assiste à un véritable retour en force des

séries télévisées au cinéma sous forme de reprises. Le remake obéit inévitablement aux

lois du marché dans la mesure où il permet aux réalisateurs et producteurs de proposer

un produit déjà connu et de limiter, par conséquent, les risques financiers sur des

productions aux budgets parfois pharaoniques. On voit donc apparaître un nouveau

type de film dont le scénario repose sur la notoriété d’une série dite culte. Quelques

productions sortent un peu du lot, tels les films d’Andrew Davis Le Fugitif (1993)54 et de

Brian De Palma, Mission : Impossible (1996). Mais, dans l’ensemble, ces films sont de bien

piètre qualité. Citons pour exemple : Le Saint (1997) de Philip Noyce, Chapeau melon et

bottes de cuir (1998) de Jeremiah S. Chechnik, Wild Wild West (1999) de Barry Sonnenfeld

ainsi que Charlie’s Angels (2000) et Charlie’s Angels: Full Throttle (2003) de McG. Le

phénomène s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui puisque l'adaptation de la série Miami

Vice a été réalisée en 2005 par Michael Mann, Sex and the City (HBO, 1998-2004) a donné

lieu à deux adaptations cinématographiques (Sex and the City : le film en 2008 et Sex and

the City 2 en 2010) et, dernièrement, la série 21 Jump Street (FOX, 1987-1991) a été portée

sur les écrans à deux reprises par Phil Lord et Chris Miller (21 Jump Street en 2012 et 22

Jump Street en 2014).

44 Les années 2000-2010 sont marquées, sur les chaînes de télévision, par une série de

remake de séries cultes telles que Battlestar Galactica (Sky One-SciFi Channel, 2004-2009),

V (ABC, 2009-2011), Le Prisonnier (AMC, 2009) et, plus récemment, Hawai 5-O (CBS, 2010-)

et Drôles de Dames (ABC, 2011). La récente reprise de Drôles de Dames, qui n’aura duré

qu’une seule saison, ressemble d’ailleurs plus aux adaptations cinématographiques qu’à

la série originale. Les scènes d’actions se succèdent, et le rythme endiablé du scénario

n’est pas sans rappeler celui du remake d’Hawaï, police d’État. La reprise du Prisonnier se

présente quant à elle comme une sorte de méta-commentaire de la série originale, son

scénario reposant sur un réagencement des épisodes de la série des années 196055. Au

cours de l’ultime épisode, peu avant les funérailles de son fils 1112, le n°2, interprété

par Ian McKellen, s’adresse ainsi aux habitants du Village :

You like Six, don’t you? Trust him? Is he someone who can give us betterVillage, moral Village? Freedom within the prison? And when the momentcomes, you will stand beside Six and you will call out, « Six… is the One »56.

45 Le discours du numéro 2 se présente donc comme une interprétation de l’épisode « Fall

Out » (épisode 17) de la série originale. Au cours de cet épisode, le n°1 porte un masque

de singe que le prisonnier lui arrache, révélant le visage du… numéro 6. Par

conséquent, la phrase du n°2 dans le remake pourrait s’interpréter de la manière

suivante : « Six… is [Number] One ». Outre ces commentaires et références parfois

simplistes, l’utilisation répétée du flashback qui est censé nous permettre de

reconstituer, à la manière d’un puzzle, les raisons pour lesquelles le n°6 est prisonnier

du Village n’apporte pas grand-chose à une structure narrative qui manque

cruellement de fond. Comme l’a fort bien écrit Tim Goodman, « Any time you change a

classic you lose. The original “Prisoner” opened the door to decades of innovative

television. Remaking it now seems pointless57. » Toutefois, nous nous garderons

d’ériger cette remarque en vérité absolue : la reprise de Battlestar Galactica est, par

TV/Series, 6 | 2014

76

exemple, bien supérieure à l’original. En effet, la qualité du scénario et le jeu des

acteurs en font une œuvre bien plus riche et complexe que la version originale.

46 En proposant une typologie de l’écho, mode allusif par excellence, nous avons voulu

montrer à la fois l’importance et la richesse du procédé dans l’élaboration des scenarii

de différentes séries télévisées. D’une part, le personnage écho du méchant permet

d’établir un lien narratif entre des épisodes qui se caractérisent à l’époque par leur

autonomie narrative ; d’autre part, les échos diégétiques ou cinématographiques

illustrent comment les scénaristes pouvaient à la fois utiliser et détourner les

structures narratives traditionnelles. Par ailleurs, on a relevé des échos parodiques ou

métafictionnels qui reposent sur l’ironie, la distanciation et la culture du spectateur-

lecteur. Dans tous les cas, l’écho permet aux scénaristes de se réapproprier et de

réactualiser le texte original, qu’il soit écrit ou filmique. On voit donc bien ici comment

l’on est passé imperceptiblement de l’écho à la reprise. En effet, le remake peut se

définir comme une réactualisation et une réappropriation de l’œuvre originelle. L’écho

et la reprise reposent tous deux sur une certaine forme de nostalgie qui permet de

réverbérer la voix du texte original à travers le temps et l’espace culturel.

47 Échos et remake ne sont, au fond, que les reflets d’un même processus culturel qui

repose sur la nature éminemment intertextuelle et fragmentée de la culture populaire

postmoderne. La nature répétitive de l’écho et de la reprise vient à la fois réveiller et

consolider en permanence la mémoire du téléspectateur. Comme l’écrit Mikhail

Iampolski, « repetition thus simultaneously asserts and denies that meaning is

univocal »58. Par conséquent, grâce à la nature foncièrement créatrice de l’écho, le texte

télévisé reste ouvert à de multiples interprétations, qui reposent sur ces subjectivités

nomadiques que nous avons mentionnées au début de cet article. Comme un Tirésias

postmoderne, le lecteur-spectateur puise dans sa mémoire, véritable bibliothèque, les

fragments et échos à travers lesquels il déambule, afin d’y consulter les multiples

allusions qui se réverbèrent dans le vaste texte télévisé. Mais, laissons plutôt au comte

Manzeppi le soin de conclure : « Hi, Ho! Another chapter closed, another horizon to

turn one’s eyes to. My friends, farewell […]. Later, gentlemen, later. At my choice of

time, and place. I assure you. We shall meet again.59 »

BIBLIOGRAPHIE

BOOKER M. Keith, Strange TV: Innovative Television from the Twilight Zone to the X-Files, Westport,

CT, Greenwood Press, 2002.

BRAXTON Greg, « Another Day in Paradise for Ed Asner », The Los Angeles Times, March 19th, 2012.

EASTON Michael, « Cinema and Television: From Eden to the Land of Nod », Thomas Elsaesser &

Kay Hoffmann (eds.), Cinema Futures: Cain, Abel or Cable? The Screen Arts in the Digital Age,

Amsterdam, Amsterdam University Press, 1998, p. 137-142.

ECO Umberto, La Guerre du Faux, Paris, Le Livre de Poche, collection Biblio essais, 1985.

TV/Series, 6 | 2014

77

ECKENSTEIN Lina, Comparative Studies in Nursery Rhymes, Londres, Duckworth & Co., 1906.

EISNER Lotte H., L’Écran démoniaque, Paris, Eric Losfeld, Le Terrain Vague, 1965.

ELSAESSER Thomas, « Fantasy Island: Dream Logic as Production Logic », Thomas Elsaesser & Kay

Hoffmann (eds.), Cinema Futures: Cain, Abel or Cable? The Screen Arts in the Digital Age, Amsterdam,

Amsterdam University Press, 1998, p. 143-158.

ESSLIN Martin, The Age of Television, San Francisco, W.H. Freeman and Company, 1982.

FISKE John, Understanding Popular Culture, Londres et New York, Routledge, 2009.

GOODMAN Tim, « “Prisoner” Remake Captive of the Past », San Francisco Gate, November 13th, 2009.

HASSAN Ihab, The Dismemberment of Orpheus. Toward a Postmodern Literature, Madison, University of

Wisconsin Press, 1982.

HOLLANDER John, The Figure of Echo. A Mode of Allusion in Milton and After, Berkeley, Los Angeles,

Londres, Quantum Books, University of California, 1981.

HUTCHEON Linda, A Theory of Parody. The Teachings of Twentieth-Century Art Forms, Urbana, Chicago,

University of Illinois Press, 2000.

IAMPOLSKI Mikhail, The Memory Of Tiresias. Intertextuality and Film, Berkeley, University Press of

California, 1998.

JASTER Margaret Rose, « The Earnest Equivocator: Columbo Undoes Macbeth », Journal of American

Culture, Vol. 22, No. 4, 1999, p. 51-55.

KING Susan, « Retro: Kung Fu: Alive and Kicking », The Los Angeles Times, January 24th, 1993.

LIARDET Didier, Les Mystères de l’Ouest. Les reflets de l’étrange, Marseille, YRIS, 1999.

LYOTARD Jean-François, La Condition postmoderne, Paris, Les Editions de Minuit, 1979.

MILLER Toby, The Avengers, Londres, BFI Publishing, 1998.

NÄNNY Max, « Textual Echoes of Echoes », Swiss Papers in English Language and Literature 7,

Tübingen, Gunter Narr, 1994, p. 115-143.

OPIE Iona et Peter, The Oxford Dictionary of Nursery Rhymes, Oxford, Clarendon Press, 1952.

OPIE Iona et Peter, The Lore and Language of Schoolchildren, New York, The New York Review of

Books, 2001.

STRINATI Dominic, An Introduction to Studying Popular Culture, Londres, Routledge, 2000.

VEREVIS Constantin, Film Remakes, Edimburgh, Edinburgh University Press Ltd, 2006.

WELLS-LASSAGNE Shannon, « Transforming the Traditional Sitcom: the Postmodern Reflexivity of

Abed in Community », TV Series, No. 1, juin 2012, http://revuetvseries.wix.com/tvseries#!

numero1/c26q.

WHITE Matthew, JAFFER Ali, The Official Prisoner Companion, New York, Warner Books, 1988.

NOTES

1. Dominic Strinati, An Introduction to Studying Popular Culture, London and New York, Routledge,

2000, p. 236. Ce point de vue est partagé par M. Keith Booker. Ce dernier part en effet du postulat

selon lequel « by virtue of the social, historical, and technological positioning of the medium

TV/Series, 6 | 2014

78

itself, all television is postmodern », in M. Keith Booker, Strange TV: Innovative Television Series from

the Twilight Zone to the X-Files, Westport, CT, Greenwood Press, 2002, p. 2. Jean-François Lyotard

situe le début de « l’âge dit postmoderne […] depuis au moins la fin des années 50 », in Jean-

François Lyotard, La Condition postmoderne, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979, p. 11. Voir aussi

Ihab Hassan sur la difficulté qu’il y a à donner une définition claire et précise du

postmodernisme : « no clear consensus about its meaning exists upon scholars », in The

Dismemberment of Orpheus. Toward a Postmodern Literature (1971), Madison, University of Wisconsin

Press, 1982, p. 263.

2. Strinati, op. cit., p. 240.

3. John Fiske, Understanding Popular Culture (1989), London and New York, Routledge, 2009, p. 24.

4. J’emprunte cette expression à John Fiske qui parle de « television text », op. cit., p. 61.

5. Fiske, op. cit., p. 122.

6. John Hollander remarque en effet : « as in the realm of echo, the prior voice produces new

copia or verbal substance », in John Hollander, The Figure of Echo. A Mode of Allusion in Milton and

After, Berkeley, Los Angeles, London, University of California Press, Quantum Books, 1981, p. 34.

On consultera avec profit le très intéressant article de Max Nänny, « Textual Echoes of Echoes »,

jn Swiss Papers in English Language and Literature 7, Tübingen, Gunter Narr, 1994, p. 115-143.

7. Fiske, op. cit., « popular culture is built on repetition », p. 126.

8. Thomas Elsaesser, « Fantasy Island: Dream Logic as Production Logic », in Cinema Futures: Cain,

Abel or Cable? The Screen Arts in the Digital Age, éd. Thomas Elsaesser et Kay Hofmann, Amterdam,

Amsterdam University Press, 1998, p. 143-158, p. 143.

9. Martin Esslin, The Age of Television, W.H. Freeman and Company, San Francisco, 1982, p. 41-42.

10. Dans le premier téléfilm de la série, qui fut diffusé en 1979 sur CBS, The Wild Wild West

Revisited, les producteurs ne pouvant plus compter sur Michael Dunn qui était décédé, firent

appel à Paul Williams pour interpréter le fils du docteur, Miguelito Jr.. En 1999, dans le film de

Barry Sonnenfeld, Wild Wild West, le rôle du docteur Loveless fut confié à Kenneth Branagh,

preuve s’il en est de la dimension incontournable du personnage. Pour en savoir plus sur cette

série, on peut consulter le livre de Didier Liardet, Les Mystères de l’Ouest. Les reflets de l’étrange,

Marseille, YRIS, 1999.

11. Il incarnera à nouveau au cinéma le personnage d’un boucher psychopathe dans le film d’un

certain Guido Zurli, The Mad Butcher (Lo strangolatore di Vienna, 1971) ainsi que celui du diable dans

The Evil (1978) de Roger Corman.

12. On ne peut pas ne pas voir ici un clin d’œil des réalisateurs à l’ancien secrétaire d’État

américain Henry Kissinger.

13. Dans l’épisode intitulé « The Dark Beyond the Door » (2.4). Cette série fut diffusée de 1965 à

1968. Il n’y a que dans l’épisode « It’s a Small World » (11.14) de la série Bonanza qu’il incarne le

rôle d’un personnage attachant mais rejeté par la société du fait de sa différence.

14. Knigh Alx Dheigh était, comme Buono et Dunn, abonné aux rôles de méchants. Dans Les

Mystères de l’Ouest, il incarne tour à tour le Baron Saigo dans « The Night of the Samurai » (3.6) et

Din Chang dans « The Night of the Pelican » (4.13).

15. Greg Braxton, « Another day in Paradise for Ed Asner », The Los Angeles Times, March 19th,

2012. Ed Asner est célèbre pour son rôle de Lou Grant dans la sitcom The Mary Tyler Moore Show

(CBS, 1970-77) et dans son spin-off, la série dramatique Lou Grant (CBS, 1977-82).

16. Le phénomène atteindra son acmé au début des années 1980 dans la série Dallas avec le

personnage de J.R., incarné par l’acteur récemment disparu Larry Hagman.

17. Hawaï, police d’État, « Woe to Wo Fat » (12.9). Victor Buono aura, d’une certaine manière, un

rôle similaire puisqu’il incarne le personnage du méchant dans le pilote des Mystères de l’Ouest et

il sera présent, aux côtés de l’adversaire de West et Gordon, dans l’ultime téléfilm de la série.

18. Dans Les Nuits attiques, Aulu-Gelle traite Hérodote d’« homo fabulator », in Nuits attiques, Livre

III, chapitre X. On pourrait donc envisager ces multiples références à l’historien grec à la fois

TV/Series, 6 | 2014

79

comme une sorte de mise en abyme culturelle qui tendrait à tourner en dérision la culture

« élitiste » et de présenter le personnage de Manzeppi comme bonimenteur et fat.

19. William Shakespeare, The Taming of the Shrew, 1.2, ll. 269-277. Margaret Rose Jaster note à ce

propos : « for the majority of modern Americans, the Shakespeare canon remains high culture »,

in « The Earnest Equivocator: Columbo Undoes Macbeth », Journal of American Culture, Vol. 22, No.

4, 1999, p. 51-55, p. 51. Je remercie Nathalie Vienne-Guerrin de m’avoir communiqué cette

référence.

20. Batman, « King Tut’s Coup », 2.53, diffusé en 1967. On peut voir l'épisode complet sur YouTube

à l'adresse suivante : http://youtu.be/Bvkyt2r87Ak, consulté le 8 septembre 2014. Il s'agit ici de

l'acte III, scène 2, ll. 65-69, de Julius Cæsar. King Tut est, en réalité, un professeur d'égyptologie de

l'université de Yale. Ce dernier souffre d’« amnesia [and] identity transferrence » et, lorsqu’il

reçoit un choc à la tête, il se transforme en une créature maléfique, réincarnation de King Tut.

21. Dans « La Nuit de la mort du docteur Loveless » (« The Night Dr Loveless Died », 3.4), il

apparaît déguisé sous les traits d’un neurologue suisse, le docteur Werther Otto Liebknichtet, en

allemand, « Lieb[k]nicht » signifie également « sans amour ».

22. On peut ainsi entendre Loveless s’exprimer en ces termes : « At last. A small light begins to

glow in the dark corners of my benighted mind » dans « The Night the Wizzard Shook the Earth »

(1.3).

23. Umberto Eco, « Culture comme spectacle », in La Guerre du faux, Paris, Le Livre de Poche,

collection Biblio essais, 1985, p. 236.

24. Dans l’épisode intitulé « The Night the Wizard Shook the Earth » (1.3), le docteur Loveless

revendique une partie du territoire de la Californie qui aurait appartenu à ses ancêtres. Cette

revendication peut être perçue comme un désir de fragmenter l’unité territoriale et nationale.

L’étranger est donc vu comme un élément de déstabilisation et, par conséquent, dangereux.

25. Nous pensons notamment à Gene Barry, pour le pilote de la série « Prescription: Murder ».

Mais aussi à Ross Martin dans « Suitable for Framing » (1.4), Richard Baseheart dans « Dagger of

the Mind » (2.4), Robert Kulp dans « Double Exposure » (3.4), Robert Conrad dans « An Exercise in

Fatality » (4.1), Patrick McGoohan dans « By Dawn’s Early Light » (4.3), Robert Vaughn dans

« Troubled Water »(4.4), Ricardo Montalban dans « A Matter of Honor » (5.4) et William Shatner

dans « Fade in to Murder » (6.1).

26. Bien évidemment, les faits ne sont pas aussi simples que cela et l’acteur Jack Lord, archétype

s’il en est du héros, incarna dans le western d’Anthony Mann, Man of the West (1958) et, dans les

séries télévisées The Man From U.N.C.L.E (Pharos Mondor) et The Invaders (ABC, 1967-68, George

Vikor), des personnages de méchants. Mais, si l’on étudie la question de manière plus générale, il

paraît indéniable que les rôles tenus par des acteurs comme Anthony Zerbe ou Theodore Marcuse

sont, en majeure partie, ceux de méchants – si on les compare notamment avec les rôles de héros

tenus par un acteur comme Robert Conrad par exemple : Assignment Vienna (ABC, 1972-1973) ; Baa

Baa Black Sheep (NBC, 1976-1978) et A Man Called Sloane (NBC, 1979-1980).

27. Linda Hutcheon, A Theory of Parody. The Teachings of Twentieth-Century Art Forms (1985),

Urbana, Chicago, University of Illinois Press, 2000, p. 37.

28. Dans l’épisode intitulé « The China Problem » (12.8), Stan fait un rêve dans lequel il voit le

personnage d’Indiana Jones se faire violer par Steven Spielberg et George Lucas, parodiant ainsi

la terrible scène du viol du film de John Boorman, Delivrance (1970) – un exemple parmi d’autres

des parodies acides de South Park...

29. Patrick MacNee cité dans l’ouvrage de Toby Miller, The Avengers (1997), BFI Publishing,

London, 1998, p. 20.

30. Le livre de Wells connut de nombreuses adaptations télévisées. Dès 1959, la télévision

britannique produit une série éponyme de 26 épisodes. Edgar G. Ulmer en tire un film en 1960 et

la télévision américaine diffuse la série L’Homme invisible (NBC, 1975-1976) en 1975, avec David

MacCullum dans le rôle du docteur Daniel Westin. On note que le pilote de la série réunit à

TV/Series, 6 | 2014

80

nouveau le duo MacCullum-Robert Vaughn, ce dernier interprétant le rôle du docteur Maggio,

clin d’œil aux Agents très spéciaux. Cette série sera suivie l’année suivante par Le Nouvel homme

invisible (NBC, 1976) et, plus récemment, par Invisible Man (SciFi Channel, 2000-2002).

31. Iona et Peter Opie remarquent : « By its nature a nursery rhyme is a jingle preserved and

propagated not by children but by adults, and in this sense it is an “adult” rhyme », in The Lore

and Language of Schoolchildren (1959), New York, The New York Review of Books, 2001, p. 1.

32. Le scénario de cet épisode rappelle celui de « The Night of the Puppeteer » (1.21). Dans les

deux cas, les victimes sont considérées comme responsables de la situation de leur bourreau et

James West est jugé par un tribunal composé de marionnettes. En outre, les criminels laissent

derrière eux suffisamment d’indices pour que l’on remonte rapidement jusqu’à eux. Par ailleurs,

les marionnettes de Skull portent toutes un stigmate qui symbolise les meurtrissures qui

parsèment le corps du marionnettiste. L’épisode constitue, par conséquent, un véritable écho

diégétique à l’intérieur même de la série.

33. La correspondance entre trait de caractère et meurtre rappelle immanquablement Seven de

David Fincher (1995).

34. Comme le note Max Nänny, « echoes of speech return as truncated fragments of the last part

of a verbal utterance », op. cit., p. 117.

35. Voir l’ouvrage de Lina Eckenstein, Comparative Studies in Nursery Rhymes, Duckworth & Co.,

Londres, 1906. Selon Eckenstein, la forme cumulative se définit par « a form of verse that

depends for its consistency on repetition », p. 115.

36. On notera par ailleurs que l’épisode « The Night of the Raven » (2.3) des Mystères de l’Ouest et

l’épisode intitulé « Mission… Highly Improbable » (6.8) de Chapeau melon et bottes de cuir font

explicitement référence au film de Jack Arnold, L’Homme qui rétrécit (1957). Par ailleurs, le titre de

l’épisode de Chapeau melon se réfère à la série américaine Mission impossible. Comme le souligne

Toby Miller, « Mission: Impossible is called up by “Mission… Highly Improbable” », op. cit., p. 139.

37. Nous devons l’essentiel de notre analyse à l’ouvrage fondamental de Lotte H. Eisner sur le

cinéma expressionniste allemand, L’Écran démoniaque, Eric Losfeld, Paris, Le Terrain Vague, 1965.

On consultera tout particulièrement les chapitres II, III, VI, VIII et IX.

38. James West lui dit d’ailleurs : « The world of people offends you, so you create your own

world… of puppets. »

39. On note également que l’un des épisodes de la série X-Files (FOX, 1993-2002) est intitulé « The

Unusual Suspects » (5.2).

40. Voir l’article de Shannon Wells-Lassagne, « Transforming the Traditional Sitcom: the

Postmodern Reflexivity of Abed in Community », in TV/Series, No. 1, juin 2012, p. 453-464, http://

revuetvseries.wix.com/tvseries#!numero1/c26q. Nous pensons, entre autre, à l’épisode 20 de la

première saison (« The Science of Illusion ») qui fait référence à différentes séries policières, de

manière explicite (Cagney et Lacey) et implicite (Starsky et Hutch).

41. Cette bicyclette est apparue au début des années 1870. Elle possède une roue avant d’un très

grand diamètre et une roue arrière plus petite. Patrick McGoohan avait choisi ce type de

bicyclette parce que, selon lui, elle constitue « an ironic symbol of progress. The feeling is that we

are going too fast… I wish we could go a bit slower, but we can’t », in Matthew White & Jaffer Ali,

The Official Prisoner Companion, New York, Warner Books, 1988, p. 122.

42. Martin Esslin note : « television thus has what might be called a homogenizing effect on

world culture », op. cit., p. 89.

43. Constantin Verevis, Film Remakes, Edinburgh, Edinburgh University Press Ltd, 2006, p. 25.

44. Michael Easton, « Cinema and Television: From Eden to the Land of Nod », in Cinema Futures:

Cain, Abel or Cable? The Screen Arts in the Digital Age, Thomas Elsaesser et Kay Hoffmann (dir.),

Amsterdam, Amsterdam University Press, 1998, p. 137-142, p. 137.

45. Constantin Verevis, op. cit., p. 8.

TV/Series, 6 | 2014

81

46. Il convient de rappeler ici que la notion de sérialité au cinéma n’est pas un phénomène

nouveau ; il suffit de se référer à la série comique des Kri Kri produite en Italie en 1913, ou aux

films de Louis Feuillade en France, la série des 5 Fantômas (1913-1914), Les Vampires, film en 10

épisodes réalisé en 1915 ainsi que le ciné-roman Judex produit en 1916. Sans parler de séries plus

récentes comme La Guerre des étoiles (Star Wars, de 1977 à 1983 pour la trilogie originelle et de

1999 à 2005 pour la « prélogie ») ou la saga Jason Bourne (quatre films entre 2002 et 2012), etc.

47. Le lien entre le second et le troisième film de la série est incarné par le couple Cornelius-Zira

et le professeur Milo. Le personnage du Señor Armando incarné par Ricardo Montalban sert, lui,

de lien entre Les Évadés de la planète des singes (Escape from the Planet of the Apes, 1971) et le film

suivant intitulé La Conquête de la planète des singes (Conquest of the Planet of the Apes, 1972), le lien

entre cet épisode et le dernier film de la série, La Bataille de la planète des singes (Battle for the Planet

of the Apes, 1973), est assuré par le personnage central César et celui de MacDonald, qui joue un

rôle clef dans le destin du héros.

48. Cet épisode, intitulé « Flames of Doom », est disponible sur YouTube à l’adresse suivante :

http://youtu.be/-2KZh-kbkQw. Consulté le 12 décembre 2014.

49. En réalité, ce phénomène a commencé au cours des dernières années de la décennie

précédente et s’expliquait par le désir des producteurs de relancer un certain nombre de séries

célèbres.

50. Anthony Zerbe a incarné à de nombreuses reprises des rôles de méchants dans les séries

télévisées des années 1960 et 1970. Les Mystères de l’Ouest « The Night of the Legion of Death »

(1967) et Hawaï, police d’État « Mother’s Deadly Helper » (1974), etc.

51. On note aussi le cas dans le récent remake de Dallas (2012) diffusé sur TNT : on retrouve les

acteurs de la série originelle, à savoir Larry Hagman (J.R.), Patrick Duffy (Bobby Ewing), Linda

Gray (Sue Ellen), Ken Kercheval (Cliff Barnes) et Charlene Tilton (Lucy). La série a par ailleurs

réalisé les meilleures audiences TNT de la saison.

52. La série se présente donc comme « a sequel to the 1972-1975 offbeat ABC western series ».

Voir Susan King, « Retro: Kung Fu: Alive and Kicking », The Los Angeles Times, January 24th, 1993.

53. Umberto Eco, « Les forteresses de la solitude », in La Guerre du faux, op. cit., p. 21.

54. Le film d’Andrew Davies est adapté de la série éponyme qui fut diffusée entre 1963 et 1967.

Cette série donna lieu, quelques années plus tard, à un curieux spin-off, Joe le fugitif (Joe, Run, Joe,

NBC, 1974-1976), dont le héros est un berger allemand recherché pour avoir attaqué son maître,

crime qu’il n’a bien évidemment pas commis.

55. L’ordre des épisodes fait l’objet d’un grand débat entre les fans de la série. Voir à ce sujet

Matthew White & Jaffer Ali, The Official Prisoner Companion, New York, Warner Books, 1988,

p. 160-162.

56. « Fall Out », épisode 6.

57. Tim Goodman, « “Prisoner” Remake Captive of the Past », San Francisco Gate, Friday,

November 13th, 2009.

58. Mikhail Iampolski, The Memory Of Tiresias. Intertextuality and Film, Berkeley-Los Angeles-

London, University of California Press, 1998, p. 38.

59. Les Mystères de l’Ouest, « The Night of the Feathered Fury » (2.17).

TV/Series, 6 | 2014

82

RÉSUMÉS

Depuis les années 1960, les séries télévisées britanniques et américaines proposent aux lecteurs-

spectateurs des scenarii reposant souvent sur un jeu d’échos et de références intertextuelles

voire intra-textuelles, jeu fondé notamment sur l’interpicturalité, la citation verbale ou visuelle ou

le ré-emploi d’un acteur/actrice – nous pensons ici tout particulièrement au personnage

récurrent du « méchant ». Pour séduire les téléspectateurs en jouant sur leur mémoire, les

scénaristes tissent une toile de références implicites ou explicites qui contribuent à l’élaboration

d’un monde fictionnel, fonds culturel commun dans lequel chacun peut puiser.

Notre étude se propose de donner une définition de l’écho dans le cadre de la série télévisée afin

d’en mieux appréhender le sens, avant d’ébaucher une taxinomie de l’écho à partir d’exemples

tirés d’un certain nombre de séries : Batman, Chapeau melon et bottes de cuir, Les Mystères de l’Ouest,

Hawaï, police d’État, Le Prisonnier, Columbo, South Park, Dr House, N.C.I.S. : Enquêtes spéciales, Breaking

Bad et The Middle. Cette classification devrait nous permettre de mieux comprendre le rôle de

l’écho dans l’élaboration du scénario d’une série télévisée. Nous examinerons ensuite la question

du remake (pour les films et séries Voyages au fond des mers, Le Prisonnier, Les Mystères de l’Ouest,

Hawaï, police d’État, L’Âge de cristal, La Planète des singes, Mission impossible, Kung Fu) afin de savoir si

l’écho et la reprise sont, d’une certaine manière, le reflet d’un même processus narratif et

culturel.

Since the 1960s, British and American TV series offer their reader-spectators scenarios that rely

upon the play of echoes and intertextual or intratextual references. This play is founded upon

interpicturality, verbal or visual citation or the re-usage of an actor or actress — particularly the

recurring figure of the “bad guy”. To captivate spectators by playing on their memory, the

screenwriters weave a web of implicit or explicit references that contribute to the elaboration of

a fictional world, a common cultural background from which everyone can draw.

Our study proposes to provide a definition of the echo in the frame of the TV series in order to

better apprehend its sense, before drafting a taxonomy of the echo based on examples from a

certain number of shows: Batman, The Avengers, The Wild Wild West, Hawaii Five-O, The Prisoner,

Columbo, South Park, House, N.C.I.S., Breaking Bad, The Middle. This classification should permit us to

better understand the role of the echo in the development of a TV series. Subsequently, we will

examine the question of the remake (for the films and series Voyage to the Bottom of the Sea, The

Prisoner, The Wild Wild West, Hawaii Five-O, Logan’s Run, The Planet of the Apes, Mission Impossible, Kung

Fu) in order to understand whether echo and repetition are, in a certain sense, the reflection of a

single cultural and narrative process.

INDEX

Mots-clés : Batman, Mystères de l'Ouest (Les), Prisonnier (Le), Columbo, citation, référence,

réemploi, remake

Keywords : Batman, Wild Wild West (The), Prisoner (The), Columbo, quotation, reference,

reusing, remake

TV/Series, 6 | 2014

83

AUTEUR

JEAN DU VERGER

Jean Du Verger enseigne actuellement l’anglais à l’ENSMM à Besançon après avoir enseigné à

Paris V et Paris XI. Il a aussi enseigné à l’université de Paris IV-Sorbonne où il a donné des cours

sur le théâtre britannique contemporain. Il est l’auteur de trois articles portant sur l’œuvre de

Shakespeare. Il est aussi l’auteur d’un article intitulé « Géographie et cartographie fictionnelles

dans l’Utopie de Thomas More » publié dans la revue Moreana (décembre 2010), ainsi que d’un

article sur le rôle de la cosmographie dans le Baldus de Teofilo Folengo (à paraître dans la revue

Moreana en décembre 2014). Il a par ailleurs écrit deux articles sur les séries télévisées dans les

revues GRAAT et TV/Series, ainsi que trois articles sur la contre-culture aux États-Unis des années

1950 à 1970 publiés dans la revue EOLLE. Il prépare actuellement une thèse sur la parodie dans le

théâtre de Tom Stoppard sous la direction d’Elisabeth Angel-Perez.

TV/Series, 6 | 2014

84

Relectures, réécritures,réinventions : Charmed ou l’art durecyclage postmoderneAlexis Pichard

1 Cette formule inaugurale prononcée par Phoebe Halliwell dans le premier épisode de

Charmed (The WB, 1998-2006) place la question de la filiation et de l’influence au cœur

de la série. La jeune femme invoque, sans le savoir, les pouvoirs ancestraux et, avec eux,

tout un héritage intertextuel qui va donner cette saveur particulièrement ludique à

Charmed. Le titre de la série lui-même suggère cette influence du passé : Charmed, soit

« charmé », « ensorcelé » en français. Un sort a été jeté et l’on peut dès lors se

demander qui en est la cible. S’agit-il des sœurs Halliwell que les prophéties nomment

les « Charmed Ones », puissantes enchanteresses attendues de tout temps, ou bien des

spectateurs que la série va ensorceler ? À moins que l’objet du charme ne soit la série

elle-même.

2 La formule magique prononcée par Phoebe prend alors une dimension métafictionnelle

car elle peut être entendue comme le manifeste de la série : à peine née, celle-ci affirme

son identité. Le vers « in this night and in this hour » semble faire allusion au moment

de la diffusion, impression renforcée par la présence de deux pronoms démonstratifs

(« this »), qui ancrent la diégèse dans une situation d’énonciation partagée, et par le fait

qu’un épisode dure une heure. Cette identité sera façonnée par les dieux et pouvoirs

anciens qui sont convoqués. Le couplet final est en cela intéressant puisqu’il démontre

l’aspect revendiqué de cette exhortation. Les sœurs seront, en effet, investies de tout

un héritage culturel, par un pouvoir intertextuel consenti qui va accompagner leurs

aventures. Dès ses premiers instants, Charmed se présente comme la série de la reprise

et du recyclage et s’ancre dans la mouvance postmoderne cathodique typique de son

époque, aux côtés d’autres séries telles que Buffy the Vampire Slayer (The WB, 1997-2003)

ou Xena, Warrior Princess (Syndication, 1995-2001). Ces séries datant des années 1990

sont caractérisées par leur usage détourné et amusé de la culture aussi bien populaire

qu’élitaire, phénomène qui est constitutif de l’esthétique postmoderne1. Ainsi, pendant

huit années, Charmed n’a eu de cesse de réinventer son héritage culturel, lequel lui a

TV/Series, 6 | 2014

85

souvent servi de moteur narratif. L’intertextualité est cependant ici plus complexe et

ne se limite pas au simple recyclage. En effet, la série propose une dynamique originale

qui vise progressivement à se détacher de l’influence initiale pour façonner son propre

héritage. Le recyclage postmoderne servirait alors à poser les fondations d’un nouveau

cycle que Charmed tente de transmettre lors de son ultime épisode.

3 C’est précisément cette dynamique que nous nous proposons d’étudier au cours de cet

article. Après avoir démontré que Charmed est une œuvre où foisonnent les références

intertextuelles qui sont néanmoins recyclées de telle sorte qu’elles participent

pleinement de la narration, nous analyserons la dimension palimpseste de la série,

c’est-à-dire la manière dont elle se réécrit elle-même, rature ou efface certaines

histoires ou bien certains personnages. Enfin, ces résurgences du passé intertextuel, de

même que cette idée de palimpseste, trouvent pour symbole le manoir Halliwell qui

officie comme le temple de toutes ces transformations. C’est un lieu hanté par le passé

au sein duquel l’hypotexte – aussi bien le texte référence que la couche inférieure du

palimpseste – prend vie, s’incarne, se répand et représente une menace que la série

tente d’annihiler.

1. Charmed, série hybride sous influence

4 La série créée par Constance M. Burge se présente donc de prime abord comme un

condensé ludique d’influences multiples. Films, livres, jeux vidéo, bandes dessinées, les

sœurs Halliwell évoluent dans un maelström de références qu’elles réinventent au gré

de leurs aventures magiques. Cette intertextualité est revendiquée dès le titre des

épisodes. Substrat herméneutique de l’intrigue, le titre procède de la mise en relation

d’une référence culturelle et d’un élément de la diégèse et est ainsi doublement

référentiel. Ainsi, l’épisode « Womb Raider2» (4.21) pastiche le titre du jeu vidéo Tomb

Raider qui suit les aventures de l’archéologue Lara Croft. Ce détournement drolatique

tient au fait que, dans l’épisode, la diabolique Prophétesse tente l’impossible pour

s’emparer du fœtus démoniaque de Phoebe dans le but de régner sur le monde

souterrain. La corrélation entre le titre et l’intrigue opère aussi dans « Save Private

Leo » (4.17) qui fait référence à la fresque guerrière de Steven Spielberg, Save Private

Ryan (1998). En effet, l’épisode relate le passé méconnu de Léo, l’ange gardien des sœurs

Halliwell, qui servit d’infirmier et périt à Guadalcanal en 1942. Il est à présent traqué

par ses anciens compagnons d’armes devenus fantômes en quête de vengeance. Le film

de Spielberg se déroule également pendant la seconde guerre mondiale mais suit le

débarquement de Normandie de 1944 et la recherche du soldat James Francis Ryan.

Enfin, dernier exemple, « The Importance of Being Phoebe » (5.11) qui renvoie à la

pièce The Importance of Being Earnest (1898) d’Oscar Wilde. L’épisode met en scène une

démone avide de pouvoir qui va prendre l’apparence de Phoebe auprès de ses sœurs

dans le but de les mener à leur perte. Cette duplicité identitaire n’est pas sans rappeler

le jeu des dandys complices de la pièce de Wilde, Jack Worthing et Algernon Moncrieff,

qui empruntent tous deux le nom d’Earnest (Constant en français) et s’inventent une

vie parallèle afin d’échapper aux bienséances de la société victorienne3.

5 Si Charmed s’approprie de grandes références culturelles à un niveau préliminaire, elle

présente également de nombreux recyclages formels. Ainsi, sa nature générique est-

elle mise à l’épreuve et rendue hybride par les péripéties que traversent les sœurs

Halliwell. Sur un ton toujours très amusé et décalé, la série va ainsi basculer d’un genre

TV/Series, 6 | 2014

86

à l’autre, le plus souvent de manière inattendue. Dans l’épisode « The Good, the Bad and

the Cursed » (3.14), dont le titre fait référence au célèbre western spaghetti The Good,

the Bad and the Ugly (1966) réalisé par Sergio Leone, la série revisite le western italien en

déclinant toute l’esthétique du genre, des ralentis aux combats de saloons. Puis, dans

les doubles épisodes « Oh My Goddess » (5.22-23) et « Valhalley of the Dolls » (6.1-2), la

série revêt des allures de péplum. Phoebe, Piper et Paige sont successivement

transformées, malgré elle, en déesses grecques pour venir à bout des Titans libérés des

glaces, puis en Valkyries, ces divinités de la mythologie nordique qui recueillent et

entraînent les âmes des meilleurs guerriers humains pour l’Ultime Combat. Dans ce

dernier cas, il est amusant de remarquer que Charmed multiplie les clins d’œil en

utilisant un extrait bien connu de « La Chevauchée des Valkyries » de Richard Wagner.

Armures, épées, tridents, toges, gladiateurs, tous les clichés du genre sont tournés en

dérision. Dans l’épisode « Charmed Noir » (7.8), Paige est piégée dans l’univers du film

noir des années 1930. Devenue femme fatale, incontournable figure du genre, elle est

confrontée à des gangsters en quête du convoité faucon birman dont le faucon maltais

– allusion au roman de Dashiel Hammett et à l’adaptation filmique de John Huston – ne

serait qu’une réplique. Entre fusillades, courses poursuites de voitures aux freins

crissant et visites à des détectives véreux, la série s’amuse à nouveau avec les codes du

genre, tout en les respectant à la lettre. Du point de vue de la technique, les

particularités visuelles du film noir sont également rendues avec un souci

d’authenticité puisque le réalisateur Michael Grossman multiplie les dutch angles (types

de plans obliques), les contre-plongées et les projections d’ombres inquiétantes de

gangsters sur les murs de sombres ruelles. En outre, l’épisode est en grande partie en

noir et blanc, fait très rare à la télévision américaine contemporaine, et s’achève sur un

« The End » dont la typographie réaffirme l’ambiance codifiée du genre.

Fig. 1 : Plan final de l’épisode « Charmed Noir » (7.8)

TV/Series, 6 | 2014

87

6 Le recyclage effectué par la série s’effectue donc principalement sur le ton de

l’hommage ou du pastiche. L’influence hypotextuelle affleure par moments pour être

réinventée. Dans l’épisode « Primrose Empath » (3.8), Prue Halliwell libère un innocent

d’une terrible malédiction : celui-ci est en effet capable de ressentir toutes les peines du

monde qui l’entoure. Sans le savoir, Prue vient de venir en aide à un démon et se

retrouve affublée de ce don qui va progressivement la conduire à la folie. Dans l’ultime

affrontement qui l’oppose au démon Vincere, la sorcière parvient à maîtriser cette

empathie destructrice et s’en sert alors comme une force. Le combat qui s’ensuit est un

pastiche de The Matrix (Wachowski, 1999), film de science-fiction dont l’esthétique

singulière est passée à la postérité. Charmed propose une relecture croisée de deux

scènes de combat du film. En premier lieu, Prue s’élance dans les airs pour accabler

Vincere d’une série de coups de pieds, mouvements similaires à l’attaque portée par

Neo contre l’agent Smith lors de leur vigoureux corps à corps dans la station de métro.

La fin du combat est, quant à elle, une relecture de la scène finale entre Neo et Smith.

Prue prend alors l’avantage et se bat d’une seule main, son autre bras derrière le dos

(en gros plan), avant de projeter son ennemi au sol d’un violent coup de poing. Cet

enchaînement suit exactement celui de Neo, à l’exception du coup de pied qui devient

coup de poing dans Charmed. Enfin, le coup de grâce porté par les deux héros se révèle

identique. Neo et Prue s’élancent bras en avant et pénètrent le corps de leur opposant.

Sous la pression interne, leur ennemi respectif convulse et se déforme avant de se

disperser en mille morceaux dans une explosion d’un vert matriciel.

7 Si nous avons ici explicité et expliqué la nature et la dynamique de la relation

intertextuelle, il semble important d’en interpréter la fonction au sein de la diégèse. En

plus d’un hommage conscient, l’affleurement de l’hypotexte dans la série à un moment

donné se révèle également porteur de sens. S’opère alors une corrélation entre la

signification de la scène dans l’hypotexte et celle dans sa reprise hypertextuelle. La

reprise est aussi bien stylistique que sémantique. Ainsi, la réécriture du combat final

entre Neo et Smith joue le même rôle dans les deux récits. Il s’agit à chaque fois de

l’acceptation et de la maîtrise d’un pouvoir démesuré. The Matrix suit précisément

l’avènement de Neo et son parcours initiatique. La cinglante défaite de l’agent Smith

démontre alors que l’ancien informaticien a embrassé sa destinée et qu’il sait se servir

du pouvoir dont il a été investi. Il est l’Élu. C’est un cheminement semblable que l’on

retrouve dans « Primrose Empath », où Prue finit par transcender ses peurs et sa

souffrance pour finalement accepter ses dons.

8 D’autres passages illustrent cette imbrication de l’esthétique et du sens. Dans l’épisode

« The Torn Identity » (8.18), Coop – l’un des Cupidons – essaie tant bien que mal de

réconcilier Phoebe avec l’amour. Tel un agent matrimonial, il pousse Michael, collègue

de travail de Phoebe, à la courtiser. Hélas, celui-ci, franc et direct, s’avère récalcitrant

aux exigences de son mentor. Néanmoins, convaincu que Michael est un parfait

prétendant pour Phoebe, Coop promet de l’aider à lui faire la cour. Cela donne lieu à un

dialogue qui pastiche la célèbre scène du balcon de Cyrano de Bergerac4 (Rostand, 1897)

dans laquelle Cyrano aide son rival Christian à courtiser Roxane, dont les deux hommes

sont épris. Incapable de parler d’amour, Christian accepte de répéter les mots doux,

poétiques et passionnés que lui souffle Cyrano, dissimulé sous le balcon de Roxane.

Charmed détourne cette configuration avec humour (au lieu de répéter « no, I’m not » il

dit « no, I’m hot, » effectuant un saut de registre qui ne correspond pas au rôle qu’il

doit tenir). Alors que Phoebe s’avance sur son balcon, elle est surprise de découvrir

TV/Series, 6 | 2014

88

Michael en contrebas, les bras chargés de roses rouges. Comme chez Rostand, la belle se

laisse séduire par la déclaration d’amour que le prétendant lui délivre, sans savoir que,

tapi dans l’ombre du balcon, se cache le réel auteur de ces mots. À l’instar de Cyrano

qui aime Roxane, Coop est éperdument épris de Phoebe. Une nouvelle fois, on observe

que l’hypotexte n’est pas seulement l’objet d’une reprise ludique et amusée, mais qu’il a

aussi une fonction narrative presque identique.

9 On peut également s’attarder sur l’épisode « Malice in Wonderland » (8.2) qui pastiche

ostensiblement la série Sex and the City. À la différence des autres exemples mentionnés,

la référence est annoncée dès le début de l’épisode. Les sœurs Halliwell, après de

nombreuses péripéties, ont feint leur mort et ont embrassé une nouvelle existence sous

de fausses identités. Le prologue de l’épisode met l’accent sur les difficultés qu’elles

rencontrent dans cette quête d’une vie normale, chacune étant confrontée à des choix

déterminants. Elles en viennent à évoquer la récente prémonition de Phoebe, laquelle

s’est vue épouser Dex, collègue de travail qu’elle connaît à peine. Au cours de la

discussion, Phoebe mentionne Carrie Bradshaw qu’elle va prendre comme modèle :

Piper. We were watching Sex and the City...Phoebe. Speaking of which, did Carrie ever have to marry a man that she did notknow, huh ?Leo. Carrie ?Paige. Don’t ask, they’re on Sex and the City again.Phoebe. No, the answer is no. Why can’t we live our lives like they did?

10 Et alors que cette dernière s’empare du coffret DVD, Charmed s’imprègne soudain des

codes et de l’ambiance de Sex and the City (voir figure 2). Phoebe devient la voix

narrative de l’épisode, à la manière de Carrie dans Sex and the City. Charmed se pare alors

de la dimension métaleptique de son aînée, autre procédé typiquement postmoderne

qui « consiste en la transgression de la frontière entre deux niveaux narratifs en

principe étanches, pour brouiller délibérément la frontière entre réalité et fiction5. » La

métalepse est souvent l’apanage des séries à narration en voix-off qui tendent à rompre

le quatrième mur entre la fiction et le réel6. Le pastiche de Sex and the City est ici

favorisé par la proximité des deux héroïnes, Carrie et Phoebe, qui tiennent chacune une

chronique sur l’amour dans un journal. Par ailleurs, la musique de l’épisode reprend

soigneusement les teintes jazzy de la série d’origine. Enfin, la dernière scène, qui

s’achève sur un gros plan de l’écran d’ordinateur, rappelle un passage présent dans la

plupart des épisodes de Sex and the City, durant lequel Carrie prononce sa célèbre

réplique-ritournelle introductive : « I couldn’t help but wonder… »

TV/Series, 6 | 2014

89

Fig. 2 : Sex and the City pénètre l’univers diégétique de Charmed (8.2)

11 Venant parachever cet épisode pastiche, la présence de l’acteur Jason Lewis offre un cas

intéressant d’hypertextualité puisque celui-ci a également tenu un rôle régulier dans

Sex and the City. Il y interprétait Smith Jerrod, un acteur en devenir propulsé dans le

show bizness par Samantha. Dans Charmed, il joue Dex Lawson, prétendant et mari – le

temps de quelques heures – de Phoebe. Si le passage d’un acteur d’une série à une autre

est un phénomène fréquent, il est néanmoins plus rare d’employer un acteur au sein

d’une série qui pastiche celle dans laquelle il tenait auparavant un rôle semblable. Plus

qu’un acteur, on a le sentiment que c’est un personnage de Sex and the City qui est

transféré dans Charmed. Ainsi, la présence de Lewis dans les deux séries semble aller

plus loin que l’acception traditionnelle de l’hypertextualité définie par Gérard Genette.

Il ne s’agit plus d’une simple transformation d’un univers fictionnel par un autre mais

bien d’une transgression de l’un dans l’autre. L’univers de Sex and the City pénètre la

diégèse de Charmed et l’on observe ainsi une coprésence des deux séries. Cela est rendu

d’autant plus patent que le prénom du personnage joué par Jason Lewis est Dex, qui

s’entend presque comme le « sex » de Sex and the City. Cette assonance est d’ailleurs

soulignée par un jeu réflexif de Piper :

Last year you had a premonition that you would have a daughter whichmeans that this year you have to have a little sex and get pregnant. And sinceDex, which coincidentally rhymes with sex, could be the father! (noussoulignons)

12 Cet épisode représente donc un cas peu fréquent qui mêle hypertextualité et

intertextualité : alors que Charmed pastiche minutieusement Sex and the City, ce qui tient

de l’hypertextualité, la série donne aussi à voir des espaces diégétiques aux frontières

ténues, espaces qui se fondent sans distinction les uns dans les autres, ce qui illustre

TV/Series, 6 | 2014

90

une définition plus étroite de l’intertextualité. L’esthétique postmoderne est à son

comble.

13 L’influence s’exerce également à travers la citation qui se révèle aussi porteuse de sens.

Dans l’épisode « The Seven Year Witch » (7.16) qui voit le retour momentané de Cole

Turner, grand amour maléfique de Phoebe, Piper tombe dans le coma après avoir été

infectée par un poison mortel. Dans les limbes, elle rencontre l’esprit errant de Cole.

Voyant passer Phoebe devant lui, celui-ci cite un vers de Romeo and Juliet : « O [beauty],

she doth teach the torches to burn bright !7 » Ces quelques mots sont prononcés par

Romeo alors qu’il vient d’apercevoir Juliet chez les Capulet. Interloqué par la beauté de

la jeune femme, il exprime son admiration avant d’être découvert par Tybalt, neveu de

lady Capulet. C’est la première rencontre entre les deux amants maudits (I, 5). Charmed

intègre la citation dans un contexte semblable. Cole prononce ce vers alors que Phoebe

ne peut le voir, ce qui est aussi le cas de Romeo. Étrangement, au moment où Cole

déclame ce vers, Phoebe s’arrête brusquement et recule pour regarder dans sa

direction, croyant avoir entendu quelque chose. Mais elle ne voit rien. La citation

traverserait les différents mondes comme elle traverse les âges. Cependant, alors que

Romeo prononce sa tirade enflammée (« the torches to burn bright ») au premier

regard porté sur Juliet, présageant la relation passionnée des deux amants, Cole se

limite au premier vers, deux ans après avoir été vaincu par Phoebe8. On entend ici

l’ironie et l’amertume de l’utilisation de ce vers qui ne suggère pas l’idylle à venir mais

bien la fin de l’histoire des deux amants. Il faut rappeler que le couple formé par Cole et

Phoebe était déjà très inspiré par Romeo et Juliet, tous deux appartenant à des camps

antagonistes, le bien et le mal. Ainsi, l’intertexte shakespearien convoque la

connaissance de la pièce et celle de l’histoire de la série9.

14 Charmed se présente donc comme une série dans laquelle on retrouve les traces plus ou

moins subtiles d’autres œuvres artistiques. Ces jeux de reprises et d’échos donnent lieu

à d’étonnantes transformations, telles que le pastiche ou bien la réécriture, et illustrent

ainsi l’aspect métafictionnel et postmoderne de la série. On peut d’ailleurs remarquer

que Charmed ne se limite pas seulement à une réécriture intertextuelle puisqu’elle

procède également de sa propre réécriture, ce qui lui permet de mettre doublement

l’accent sur son caractère fictionnel.

2. Réécrire la diégèse : entre alternative et altération

15 La réécriture, processus essentiel pour insérer la référence dans un nouveau cycle, celui

de la série, s’opère également au niveau de la diégèse. On ne cherche alors plus à

réécrire et à réévaluer l’héritage intertextuel mais bien l’histoire proposée dans la

série. Ces phénomènes émaillent les huit saisons de Charmed et donnent à voir une série

palimpseste. Gérard Genette définit le palimpseste comme « tout texte dérivé d’un

texte antérieur, par transformation […] ou par […] imitation10. » Il s’agit plus

généralement d’une œuvre d’art dans laquelle on perçoit en filigrane les traces d’une

autre œuvre d’art. On s’appuiera ici, d’une part, sur les voyages dans le temps qui sont

légion au sein de la série et, d’autre part, sur les fins alternatives proposées par certains

épisodes.

16 Dans Charmed, le saut dans le temps repose toujours sur l’idée que le passé doit être

altéré afin de réécrire le présent et ainsi sauver la lignée des sœurs Halliwell sans cesse

menacée. Dans l’épisode « That 70s show» (1.17), les sœurs doivent retourner dans les

TV/Series, 6 | 2014

91

années 1970 pour empêcher leur mère Patty de conclure un pacte maléfique avec un

démon qui l’immunisera face au pouvoir des trois. Dans « All Halliwell’s Eve » (3.4),

elles sont envoyées dans l’Amérique des Pères Fondateurs afin de permettre la

naissance de Melinda Warren, fondatrice de la lignée Halliwell. Enfin, l’intrigue de la

sixième saison repose entièrement sur ce procédé en inversant la perspective. Cette

fois, c’est Chris, jeune homme âgé d’une vingtaine d’années, qui surgit du futur pour

prévenir les sœurs Halliwell qu’un danger plane sur l’avenir de Wyatt, fils de Piper.

L’intrigue principale tournera autour de ce mystère : quelle est cette menace ? Et

comment l’arrêter ? Nous apprendrons à mi-parcours que Chris est en fait le frère cadet

de Wyatt revenu pour empêcher celui-ci de basculer vers la magie noire. Ainsi, par ses

distorsions et manipulations temporelles, Charmed semble se rapprocher des récits non-

linéaires qui sont l’apanage du roman postmoderne.

17 Au-delà de ces altérations narratives, la série propose aussi un autre type de

réécriture : les fins alternatives. On retrouve ce mécanisme constitutif du

postmodernisme littéraire dans de nombreuses œuvres, comme dans The French

Lieutenant’s Woman (1969) de John Fowles qui nous propose pas moins de trois fins

possibles à son récit sans en privilégier aucune. Dans Charmed, la portée de ce procédé

est limitée par la nature sérielle du programme qui impose que la dernière fin offerte

dans un épisode apporte la conclusion de l’intrigue. Nul doute ne doit subsister,

l’épisode doit être bouclé de manière à ce que le spectateur sache où la série

recommencera.

18 Le couple d’épisodes formé par « Déjà Vu All Over Again » (1.22) et « All Hell Breaks

Loose » (3.22) donne à voir deux processus de réécriture enchâssés, qui semblent se

faire écho. Ces deux season finales reposent sur la même idée d’un temps circulaire,

d’une journée qui se répète à l’infini. On retrouve le même démon, Tempus (David

Carradine), responsable de la boucle temporelle dans les deux cas, que l’on découvre

dans « Déjà Vu All Over Again » et qui est à nouveau mentionné dans « All Hell Breaks

Loose ». Ce couple d’épisodes forme ainsi un doublon qui repose sur une série de

répétitions et d’échos comportant malgré tout quelques différences très sensibles. Si la

journée dans le final de la saison 1 se répète deux fois, celle du final de la saison 3 ne se

répète qu’une fois. Autre écho intéressant, les sœurs, au cours d’un combat semblable,

sont projetées à travers différentes pièces du manoir. Dans le premier cas, Piper

traverse une porte vitrée donnant sur le solarium. Dans le second cas, Prue et Piper

traversent le mur situé juste à côté de cette même porte. Une nouvelle fois la scène

semble identique alors qu’elle est subrepticement déformée. On mentionnera

également que, dans les deux épisodes, un personnage important perd la vie : d’abord

Andy Trudeau, l’ami des sœurs, puis Prue. Enfin, tandis que le dernier plan montre les

portes du manoir Halliwell se refermer, dans le premier cas, c’est Prue qui les referme

par magie et, dans le second cas, c’est le démon Shax qui, ayant accompli sa mission, se

replie dans une tornade dont la violence va jusqu’à briser les vitres teintées des portes.

S’opère donc ici un recyclage interne qui donne lieu à une réécriture de la diégèse : le

même en différent. Sans oublier que l’histoire des deux épisodes se fonde sur le

principe de réécriture puisque la journée est relancée pour que son issue soit

différente.

19 Par ailleurs, l’histoire familiale des Halliwell a aussi été sujette à des altérations ayant

trait à la production même de la série. Le père des sœurs, Victor Bennett, apparaît pour

la première fois dans l’épisode « Thank you for not morphing » (1.03) sous les traits

TV/Series, 6 | 2014

92

d’Anthony Denison. L’acteur n’ayant pas souhaité reprendre son rôle, Victor Bennett

est ensuite interprété par James Read. La série, tel un palimpseste, est ainsi émaillée de

ratures et d’effacements. L’exemple le plus probant est sans doute la résurrection du

pouvoir des trois dans l’épisode « Charmed Again » (4.01-02). À l’issue de la troisième

saison, le départ de Shannen Doherty11, interprète de Prue Halliwell, marque la fin du

premier pouvoir des trois. Les dernières secondes de l’épilogue apocalyptique nous

montrent la victoire de la Source et de son assassin Shax, lequel est parvenu à tuer

Piper et Prue, laissant le téléspectateur désemparé face à ce cliffhanger inédit.

« Charmed Again » constitue le renouveau de la série et du pouvoir des trois, comme

l’indique la présence de l’adverbe « again ». Pour la première fois dans l’histoire de la

série, le titre d’un épisode contient le mot « charmed » (ce ne sera pas la dernière). Ce

procédé sert à réaffirmer l’identité de la série après une période de doute et à amorcer

un nouveau cycle. Le sort va de nouveau opérer, le pouvoir des trois va être ressuscité,

la série va se réinventer. Cet épisode charnière sonne comme un nouveau départ,

marqué par l’inhumation de Prue dès les premières minutes12, et pourrait signifier

l’enterrement symbolique des trois premières années de la série. Pourtant, le titre de

l’épisode semble d’abord annoncer que la série restera la même, que Charmed sera

encore Charmed. Cette promesse apparaît dans toute son ambiguïté dans les premières

secondes de l’épisode lorsque Piper, assise dans le grenier, essaie désespérément

plusieurs formules magiques afin de faire revenir Prue. En effet, une voix se fait

entendre dans le couloir. Piper, filmée en plan rapproché poitrine, relève la tête et

prononce le nom de sa défunte sœur avec un soudain regain d’espoir. À ce moment

précis, le spectateur rejoint ce sentiment et veut aussi croire au retour de Prue. Le

contre-champ qui suit nous montre l’entrée du grenier, vide. Prue est bien morte, elle

ne reviendra pas, comme l’annonce Phoebe au cours d’une réplique qui semble aussi

bien destinée à sa sœur qu’au spectateur : « We have tried every magical way to bring

her back. But we can’t. She’s gone. »

20 Le titre de l’épisode apparaît dès lors comme une tromperie. Charmed ne sera plus

jamais Charmed. Pour autant, comment continuer à justifier un tel titre ? La dynamique

de la série reposant sur un trio de sorcières, les scénaristes vont créer une nouvelle

sœur pour reformer le pouvoir des trois. Au personnage de Prue succèdera Paige. À

travers ce prénom, la série affirme son désir de renouveau, renouveau ambivalent

puisqu’il repose sur un recyclage. Notons d’abord que la phonie du prénom « Paige » est

identique à celle de « page » en anglais. Cette quatrième sœur, dont l’existence nous est

révélée et expliquée au cours de l’épisode, est donc intrinsèquement liée à l’écriture et

à la page vierge qui reste à écrire. Cette relation est mise en exergue par l’épisode « A

Paige from the Past » (4.10), titre qui substitue à la page le nom de Paige. Néanmoins,

cette page vierge ne l’est peut-être qu’en apparence puisque Paige semble être une

nouvelle version, certes différente à certains égards, de Prue. En effet, comme elle, son

prénom commence par un « P ». Toutes deux sont brunes, peuvent déplacer les objets

par la pensée et se transporter dans un espace différent. Autrement dit, Paige serait un

personnage palimpseste derrière lequel on retrouve l’influence de Prue que l’on devine

en transparence.

21 Ainsi, les métamorphoses physiques au sein de la famille Halliwell illustrent un cas de

réécriture diégétique qui voit un personnage13 interprété par différents acteurs. À cela,

nous pouvons ajouter deux types de réécritures « métamorphiques ». Comme l’indique

l’étymologie du terme en grec ancien, nous sommes à présent « au-delà » (méta) de la

« forme » (morphê). La transformation métamorphique se comprendrait alors comme

TV/Series, 6 | 2014

93

un changement aussi bien physique qu’identitaire, formel et structurel. On distingue,

d’une part, les cas où un acteur incarne différents personnages et, d’autre part, ceux où

un personnage incarne un autre personnage.

22 Connue pour son rôle de rédactrice en chef du Bay Mirror, journal où travaille Phoebe,

Rebecca Balding a d’abord fait une apparition dans la première saison14 de Charmed sous

les traits d’un autre personnage, celui de Jackie, tante d’Aviva, jeune sorcière sous

l’influence d’une démone. La même actrice incarne donc deux personnages différents,

situation que la série oblitère complètement. On peut aussi voir dans ce procédé un

nouvel hommage au théâtre de Shakespeare qui, tel qu’il était joué au XVIIe siècle, était

marqué par le fait que les acteurs jouaient souvent plusieurs rôles au sein d’une même

pièce, ce qui rendait prépondérante la question du masque. Imitant le théâtre

élisabéthain, Charmed va recourir au masque dans le cas de l’acteur Michael Bailey

Smith, qui incarne à lui seul quatre démons réguliers de la série. L’aspect

« métamorphique » de la transformation est rendu évident du fait que chaque démon

se démarque par un physique idiosyncratique, de Shax, monstre imposant au corps

bleu, à Belthazor, à la peau rouge marquée de volutes noires, en passant par les

Grimlocks, démons souterrains à la peau blanche et aux yeux cerclés de rouge sang.

L’acteur est ainsi devenu cette roche altérée par transformation métamorphique (au

sens scientifique de ce terme), ici générées par l’univers fictionnel. Ainsi, par ce

recyclage conscient des acteurs, lesquels sont amenés à jouer plusieurs rôles, Charmed

réaffirme son caractère métafictionnel en revendiquant précisément son statut une

fiction. Le cas précité de Belthazor illustre bien ce point, de même qu’il montre la mise

en abyme métafictionnelle à l’œuvre dans la série puisque le maquillage du démon est

inspiré de celui de Darth Maul, Sith malfaisant de Star Wars: The Phantom Menace (Lucas,

1999). Autrement dit, on recycle consciemment un acteur pour un autre rôle au sein du

même programme mais, afin de le masquer, on le grime en reprenant les traits d’un

personnage d’une autre fiction.

23 À ces métamorphoses diégétiques s’ajoutent des métamor-phoses intradiégétiques, qui

voient un personnage incarner un autre personnage. La série en propose un nombre

considérable tant la magie invite au déguisement, aux apparences et à la tromperie, se

rapprochant une nouvelle fois du théâtre shakespearien dont ces pratiques étaient

constitutives15. Les sœurs Halliwell sont les premières victimes de ces transformations,

en particulier Phoebe, qui aura tour à tour été une Banshee, démone aux allures de

vampire, une ménagère tout droit sortie des années cinquante, une sirène, une super

héroïne digne des comics américains ou bien encore Cendrillon. La récurrence de ces

métamorphoses la conduit d’ailleurs à de savoureux constats ironiques, notamment

lorsque, devenue génie, elle s’exclame : « And why do I always get stuck with the

wig16? » Une nouvelle fois, ce commentaire se pare d’une résonnance métafictionnelle,

ne sachant plus très bien si le locuteur est Phoebe ou son interprète, Alyssa Milano. Ces

mises en abyme fictionnelles sont également le fondement de nombreux épisodes

reposant sur l’usurpation d’identité, le plus souvent à des fins machiavéliques, dans

lesquels l’identité et l’histoire des sœurs sont réécrites.

TV/Series, 6 | 2014

94

Fig. 3 : Phoebe et son double démoniaque (5.11)

24 C’est notamment l’objet de « The Importance of Being Phoebe » qui voit la démone

Kaira prendre l’apparence de Phoebe (voir figure 3), mais aussi de « The Power of Three

Blondes » (6.04) où les sœurs Halliwell sont remplacées par un trio de sœurs

démoniaques. Plus tard, ce motif narratif est une nouvelle fois décliné dans « Repo

Manor » (8.13) au cours duquel trois sœurs démones prennent l’identité des sœurs

Halliwell pour s’emparer de leurs pouvoirs dans le but de mettre à mal le système

esclavagiste qui régit le monde souterrain. On voit donc que chacune de ces

transformations métamorphiques conjugue changement physique et identitaire. Les

personnages réinterprétés voient leur génome réécrit, modifié, pérennisant l’image

d’une série au caractère instable où les identités sont volatiles.

25 Ces exemples mettent ainsi en évidence l’aspect palimpseste de Charmed, laquelle ne

recycle pas seulement les textes qui l’ont précédée mais aussi son propre texte. En

donnant à voir les expérimentations auxquelles elle se livre, les effacements et les

altérations qu’elle opère sur sa propre diégèse, la série revendique une nouvelle fois

son caractère fictif et s’engage à nouveau dans un jeu ironique et métafictionnel

typique de l’esthétique postmoderne. Finalement, si l’on essaie de résumer l’ensemble

des analyses faites à propos du recyclage intertextuel et de l’idée de palimpseste, on

peut théoriser une certaine poétique de l’influence à l’œuvre dans Charmed. En effet, la

série serait travaillée par une tension entre désir d’imitation et désir d’originalité, à

laquelle elle proposerait une résolution dialectique. Afin d’explorer ce cheminement,

nous nous proposons d’examiner ici ce lieu central et hautement symbolique de la

série : le manoir Halliwell.

3. Le Manoir Halliwell : temple palimpseste

26 Nous avons démontré jusqu’ici que Charmed est une série hybride, sous influences

multiples, au sein de laquelle s’enchâssent différentes réécritures. Dans cette dernière

TV/Series, 6 | 2014

95

partie, nous nous attarderons plus particulièrement sur le lieu où se réalisent la plupart

des mécanismes intertextuels, le manoir Halliwell. Il symbolise à lui seul la notion

d’héritage présente au cœur de la série. L’étymologie même du terme « manoir » nous

invite à cette interprétation puisqu’il provient du verbe latin manere, autrement dit

« demeurer », « habiter ». Ce qui demeure, dans un premier temps, c’est la magie de la

lignée Halliwell depuis Mélinda Warren jusqu’à Chris Halliwell (deuxième fils de Piper

né à la fin de la sixième saison). Cette filiation est incarnée par le Livre des Ombres,

grimoire transmis et complété de génération en génération, véritable encyclopédie sur

le monde de la magie. Il comporte à lui seul toute la mythologie propre à Charmed,

établit un dialogue entre passé et présent et agit ainsi comme le métonyme de

l’intertextualité. Par ailleurs, le manoir est aussi le garant de la pérennité de

l’influence. De manière récurrente, il déclenche l’intertextualité. Il exerce une

influence ambiguë tant l’hypotexte conjuré peut être salvateur, comme nous l’avons vu

dans l’épisode « Primrose Empath » où Prue est investie des pouvoirs de Neo, héros de

la séries des films The Matrix (1998-2003), ou bien, au contraire, mortifère. On peut dès

lors voir affleurer une « angoisse de l’influence » (« anxiety of influence »), concept

énoncé par Harold Bloom17 à propos de la poésie. Le critique anglais argue que la

créativité d’un poète est naturellement inspirée par les poètes qui l’ont précédé. Cette

réflexion montre le caractère ambivalent de cette relation qui inspire et nuit dans le

même temps à l’originalité. En effet, cette angoisse de l’influence réside dans

l’impossibilité supposée de produire un texte neuf et authentique qui soit libéré de

toute influence. Selon Bloom, tout texte est tributaire de ceux qui l’ont précédé.

Appliqué à Charmed, ce concept permet d’entrevoir la tension existante entre une

influence fondatrice qui perdure jusqu’à nuire in fine et un désir d’originalité. Le

manoir apparaît alors comme l’épicentre de ce conflit interne et joue un rôle

particulièrement ambigu.

27 L’histoire même du lieu a longtemps fait la part belle à la légende. En effet, durant des

années, on raconta que le manoir Halliwell était précisément celui qui avait été bâti à la

fin des années 1950 pour les besoins du film Psycho d’Alfred Hitchcock. Dès le début, le

manoir apparaissait donc habité par une influence inquiétante et dévoilait sa nature

palimpsestueuse. Néanmoins, malgré d’indéniables similitudes, les bâtisses présentes

dans les deux œuvres s’avèrent différentes et ne partagent pas la même histoire. Le

légendaire manoir de Psycho, construit dans les studios d’Universal, fut détruit à la fin

des années 1970 puis reconstruit en 1981 pour le tournage de Psycho 2 de Richard

Franklin. Le manoir Halliwell, quant à lui, a été bâti à la fin du XIXe siècle sur les

hauteurs en bordure de Los Angeles et il est encore habité. Malgré tout, la filiation

légendaire est exploitée dans Charmed, comme si le manoir victorien était toujours

hanté par Norman Bates. Le passé se fait des plus néfastes. On mentionnera, par

exemple, le Nexus, source de pouvoir instable qui jaillit des entrailles de la cave à

plusieurs reprises au cours de la série et opère une influence des plus funestes. Dans

l’épisode « Is there a Woogie in the House? » (1.15), le Nexus prend possession du corps

de Phoebe et, par là-même, du manoir. L’hypotexte, partie inférieure du palimpseste,

semble reprendre ses droits et combattre l’histoire nouvelle qui s’écrit. Cela est

particulièrement remarquable dans l’épisode où Prue tente de rentrer dans le manoir

et qu’elle en est alors rejetée violemment, mais aussi, de manière plus métaphorique,

quand le papier peint aux murs se décolle, ce qui symbolise bien les couches

constitutives du palimpseste. Néanmoins, cette possession mortifère est finalement

TV/Series, 6 | 2014

96

mise en échec par les sœurs et le Nexus – sorte de dense fumée noire – est aspirée par la

faille dont il s’était échappé plus tôt.

28 Sur un ton plus drolatique, l’influence hichcockienne originelle surgit aussi lors dans

l’épisode « Chick Flick » (2.18) où des personnages de films d’horreur traversent l’écran

de cinéma et assaillent le manoir. Poursuivie par l’un d’entre eux, Piper se réfugie dans

la douche avant de s’apercevoir de son erreur : « I am being stalked by psycho killers

and I hide in the shower ! » L’occurrence du mot « psycho » réaffirme l’intertexte, de

même que la douche, métonyme mémorable du film d’Hichcock (voir figure 4). Mais

l’influence est à ce moment-là déjouée et Piper ne subira pas le même sort que Marion

Crane. En effet, l’ombre menaçante qui se dessine sur le rideau de douche n’est autre

que celle de sa sœur, Prue.

Fig. 4 : Charmed pastiche le film Psycho (2.18)

29 Cette influence du passé est aussi visible dans les résurgences diégétiques et

extradiégétiques que le manoir provoque. Qu’il s’agisse de vies ou de carrières

antérieures, le manoir ancre la série dans le passé à différents niveaux narratifs.

L’épisode « Pardon My Past » (2.14) s’ouvre sur une scène tout à fait anodine. Piper et

Prue organisent une soirée avec des amis. Phoebe, en pleines révisions pour ses

examens, descend signaler à ses sœurs qu’elle a besoin de silence. La fête prend

doucement fin, les invités s’en vont. C’est alors que Phoebe entend une musique jazzy

et une ambiance festive dans le salon. Courroucée par ce vacarme qu’elle impute à ses

sœurs, la jeune femme descend à nouveau mais, contre toute attente, elle trouve le

manoir vide. Soudain, elle se retrouve plaquée contre un mur par ce qui paraît être un

fantôme, avant de se voir déshabillée puis caressée sensuellement. Une lampe tombe.

Piper et Prue sont alertées. Que s’est-il donc passé ? Les sœurs découvrent vite que

cette présence invisible est celle d’Anton, démon capable de changer d’apparence. Ce

dernier était en fait l’amant de la diabolique P. Russell, sorcière ayant vécu au manoir

TV/Series, 6 | 2014

97

Halliwell au cours des années 1920 avec ses cousines, P. Bowen et P. Baxter (les

prénoms ne sont jamais révélés mais on peut facilement les deviner). On découvre très

vite que ces trois cousines sont en fait les vies antérieures des sœurs Halliwell. La

résurgence du passé signifie la mort imminente de Phoebe Halliwell, de même que son

destin semble intimement lié à celui de sa vie antérieure18. Le manoir exerce donc une

influence néfaste puisqu’il arrime la série à un passé familial tragique et l’attache à un

destin voué à se répéter, malédiction qui semble ne pas pouvoir être rompue. Mais

l’héritage est déjoué et Phoebe parvient à se détacher de sa vie antérieure, à

s’affranchir de l’influence mortifère du passé.

30 Par ailleurs, la résurgence des carrières artistiques des acteurs attache la série à un

passé extradiégétique et semble hanter la série. Nous nous concentrerons

essentiellement sur la filmographie d’Alyssa Milano, qui offre une belle illustration de

cet argument. En 1989, les studios Disney sortent The Little Mermaid, inspiré du conte du

danois Hans Christian Andersen paru en 1837. Le film d’animation suit les aventures et

la jeune et très belle sirène Ariel qui rêve d’avoir des jambes pour pouvoir vivre sur la

terre avec les humains et notamment Eric, prince dont elle s’est éprise. Pour donner

corps et âme au personnage d’Ariel, les dessinateurs décident de s’inspirer de jeunes

actrices dans le vent dont Alyssa Milano, alors vedette de la sitcom Who’s the Boss ?

(ABC, 1984-1992). À partir de photos de l’actrice et en s’inspirant de sa personnalité, ils

ont ainsi façonné l’apparence et le caractère de l’héroïne de leur dessin animé. C’est en

gardant à l’esprit cette anecdote biographique que l’on doit aborder l’épisode « A

Witch’s Tail » (5.1-2) qui ouvre la saison 5. En voulant aider Mylie, une sirène devenue

humaine, qui rappelle étrangement Ariel, Phoebe se métamorphose en sirène (voir

figure 5). L’influence du dessin animé est ici à l’œuvre et la référence évidente. À

nouveau, la transformation se passe au manoir. Alyssa Milano, à travers le personnage

de Phoebe, réincarne Ariel et on ne manquera pas de noter la ressemblance des

costumes. Mais, alors qu’Ariel souhaite devenir humaine, Phoebe aspire davantage à la

liberté que représente l’océan ; renversement qui semble indiquer un retour au passé.

Néanmoins, la fin de l’épisode marque une nouvelle fois la puissance du présent face au

passé. L’influence menaçante est mise en échec.

TV/Series, 6 | 2014

98

Fig. 5 : Après avoir inspiré Ariel, Alyssa Milano redevient sirène dans Charmed (5.1-2).

31 Ainsi, on peut arguer que tout le parcours de la série vise à se défaire de cette influence.

Il semble d’ailleurs qu’un lien métaphorique se tisse entre les démons et l’intertexte,

lien parfaitement mis en évidence par celui que l’on nomme « The Source ». Ce démon,

qui apparaît pour la première fois dans l’épilogue de la saison 3 avant d’être vaincu

quelques épisodes plus tard, se révèle être l’instigateur de toutes les attaques dont ont

souffert les Halliwell. Son nom, « The Source », peut être interprété de plusieurs

manières : il s’agit aussi bien de la source du mal que de la source textuelle, origine de

l’influence. Le manoir se serait donc imprégné de toute cette énergie démoniaque et

textuelle accumulée au fil des années. D’où le recours à un « witch doctor » dans

l’épisode « House Call » (5.13) pour purifier le manoir. Les sœurs Halliwell sont en effet

excédées par les multiples esprits démoniaques qui hantent le manoir et font de leur

vie un véritable enfer. Leo essaie tant bien que mal de rassurer Piper :

[It’s] residual energy left over the years from all the demons you vanquishedhere. Besides the Elders said they would dissipate over time.

32 Cette « énergie résiduelle » condamnée à se dissiper selon l’être de lumière des sœurs

ne serait-elle pas l’intertextualité « démoniaque » qui hante la série depuis ses

origines ? Les Halliwell font donc appel à un guérisseur afin que ce dernier éradique

tous les esprits errants. « These walls are clogged with evil waste » s’exclame-t-il après

un premier repérage. L’intertexte semble présent dans chaque mur. Ce constat peut se

lire comme un commentaire métafictionnel qui arrive juste après le centième épisode

de la série. Charmed semble consciente de l’ensorcellement qui l’accable et cherche

maintenant à l’éradiquer. La manière dont la série va procéder se révèle assez radicale.

Envoûtée par le guérisseur, qui est convaincu que les Halliwell ne sont plus aptes à

contrôler leurs obsessions et donc leurs pouvoirs, Piper va jusqu’à faire disparaître le

manoir. En une formule, elle balaie ainsi tout le passé aussi bien démoniaque que

TV/Series, 6 | 2014

99

textuel. Avec la disparition du manoir, la série se libère de l’angoisse bloomienne de

l’influence. Désormais, elle va pouvoir affirmer son identité propre sans peur de voir

surgir de nouveau l’intertexte démoniaque. C’est ce que confirme Piper dans une

réplique hautement métafictionnelle :

Paige. Piper, what did you do with the house?Piper. Oh, I thought it would be better to start from scratch.

33 Repartir de zéro, faire table rase du passé, voilà ce qu’annonce désormais la série.

Néanmoins, Piper s’aperçoit rapidement qu’en faisant disparaître le manoir, elle a aussi

fait disparaître Phoebe. Elle recrée alors le manoir. Cette scène semble indiquer

finalement qu’éradiquer l’influence serait comme détruire une partie de l’identité de la

série, puisque cela revient à tuer Phoebe. La série doit alors trouver un moyen de

concilier influence et originalité et non pas seulement de chercher à annihiler le

charme. C’est là l’argument défendu par Markus Reisenleitner pour qui le manoir

Halliwell ne représente pas tant une menace – le topos du manoir hanté fut repris par

nombre d’écrivains romantiques et victoriens19 –, que la source d’un immense pouvoir

pour les sœurs. Cette source s’acquière par un dialogue avec le passé et non par sa

négation. La connaissance du passé (l’histoire du manoir et celle de la lignée Halliwell)

amène le pouvoir présent et futur :

(…) The sisters’ commitment to their home and their willingness (and ability)to encounter its horrors, to bring the demons home, as it were, as well as tolearn from the histories its walls remember, are presented as sources ofempowerment.

34 Pourtant, elle réitère sa tentative, de manière plus radicale encore, dans le pénultième

épisode intitulé « Kill Billie: Vol. 2 » (8.21). L’épilogue voit le combat final entre les

sœurs Halliwell et les sœurs Jenkins qui, à forces égales, s’engagent dans un

affrontement voué à la perte des deux parties. Alors que les déflagrations jaillissent de

toutes parts, tous les objets symboliques du manoir et de la série sont détruits dans un

ordre révélateur. Un premier jet percute le lustre mythique que l’on voit trembler et

scintiller à plusieurs reprises au cours de la série, notamment lors de la naissance et de

la renaissance du pouvoir des trois (1.01 ; 4.01), moments charnières qui emblématisent

l’héritage et la passation de pouvoir. Puis, c’est au tour de l’horloge, détruite une

vingtaine de fois au cours des huit saisons, de recevoir une charge électrique létale.

Tout cycle, passé et à venir, est donc réduit en cendres. Renier le passé implique

l’impossibilité d’un futur. Quelques plans plus tard, le grenier est pris par la

déflagration grandissante, dernière étape avant l’explosion du manoir. Tout s’achève à

l’endroit où tout a commencé. Toutes les parties symboliques de la série sont détruites

; du manoir, il ne restera qu’un champ de ruines (voir figure 6).

TV/Series, 6 | 2014

100

Fig. 6 : Piper dans les décombres du manoir (8.22)

35 En une trentaine de secondes, tout ce qui était constitutif de Charmed, jusqu’à ses

héroïnes, est réduit à néant. La scène post apocalyptique qui suit montre que seule

Piper a survécu. Encore une fois, la morale est univoque : éradiquer l’influence ne

prélude d’aucun avenir possible. Sans origine, pas d’originalité. Et c’est finalement

cette maxime qu’embrasse la série lors des dernières minutes du bien nommé « Forever

Charmed » (8.22). Après avoir remporté leur ultime bataille, les sœurs Halliwell se

réunissent autour du Livre des Ombres, prêtes à y inscrire leur histoire et à s’intégrer à

leur tour dans le cycle éternel de l’héritage et de la transmission :

Piper. Well I think we should write everything down, everything that happened,everything we want the futuregenerations to know so that we can pass it down justlike it was passed down to us.

36 Cette idée est développée dans la dernière scène de l’épisode où la voix de Piper se

dédouble, faisant le lien entre présent et futur. C’est en effet une Piper âgée de 80 ans

que l’on retrouve assise avec son arrière-petite-fille à feuilleter le Livre des Ombres.

Elle lit les mots qu’elle y a inscrits quelques décennies plus tôt :

Piper. And although we certainly had our struggles and heart aches over the yearswe’re a family of survivors and we will always be. Which is why we’ve truly beenCharmed.Son arrière-petite-fille. Again, Grandmama, again.Piper. Oh, dear. No, I can’t. I need to rest. But you can look at it for a little while ifyou’d like. After all, it’ll be yours one day.

37 « Après tout, ce livre sera tien un jour », promesse d’éternité de Charmed à son public

qui peut aussi se lire comme l’héritage qu’elle s’apprête à léguer aux séries à venir.

Comme le suggère le titre de l’épisode, Charmed survivra dans le cœur des fans et dans

d’autres univers sériels. Après avoir été imprégnée par toutes les œuvres qui l’ont

précédée, la série s’apprête à devenir le modèle pour les futures créations et à faire

l’objet de tous les recyclages. Comme le résume Tiphaine Samoyault, « le rapport au

TV/Series, 6 | 2014

101

modèle implique aussi une recherche de constitution de soi en modèle20. » La preuve en

est avec la récente et éphémère The Secret Circle (The CW, 2011-2012), série dramatique

fantastique dont beaucoup de spectateurs ont noté la filiation avec Charmed. Outre des

similitudes d’ordre narratif, on peut relever notamment la présence d’un Livre des

Ombres, rappel symbolique imparable du grimoire des sœurs Halliwell, ou bien une

forte ressemblance architecturale – et décorative – entre la maison de l’héroïne, Cassie,

et le manoir de Charmed qu’une internaute n’a pas manqué de repérer :

If you’re a diehard Charmed fan who has seen the new CW show, The SecretCircle, you’ve probably noticed the eerie resemblance between the home ofCassie Blake and the Halliwell Manor. Other than a moved staircase, the floorplan is almost 100% identical, complete with the stained glass door21.

38 Charmed se présente ainsi comme une série postmoderne à bien des égards. Par son

recyclage de la culture populaire et lettrée, ses réécritures multiples allant jusqu’à

transgresser les niveaux narratifs, elle s’est façonnée une identité hybride et ludique

parfaitement ancrée dans son époque. Cette filiation consciente et recherchée dans un

premier temps s’est ensuite transformée en héritage pesant que la série a cherché à

estomper. L’influence fondatrice est alors devenue indésirable – étape nécessaire dans

l’affirmation d’une identité propre. Elle n’a cependant pas cessé de surgir et est peu à

peu devenue un ennemi à éliminer, incarné par le manoir Halliwell où demeurent les

fantômes familiaux et culturels du passé. Nous l’avons vu, la série essaie dans ses

dernières saisons de se soustraire à toutes ces influences. Mais, à faire table rase de ses

origines, il semble qu’elle efface aussi une partie de ce qui la définit et fait son succès.

La résolution de ce conflit entre passé et présent ne peut donc être le produit d’une

négation mais plutôt d’un dialogue. Écrire son histoire ne peut se faire sans prendre en

compte celle qui nous précède et c’est en embrassant ses origines et en s’inscrivant

dans le cycle immuable de l’héritage et de la transmission que Charmed transcende ses

ambitions premières et parvient à affirmer son originalité. Elle se situe dès lors à la

croisée des chemins, entre passé, présent et futur. Le charme a opéré, opère et opèrera

toujours et nous serons « Forever Charmed ».

BIBLIOGRAPHIE

BEELER Karen & BEELER, Stan (éds.), Investigating Charmed: The Magic Power of TV, London, I.B. Tauris,

2007.

BLOOM Harold, The Anxiety of Influence: A Theory of Poetics, New York, Oxford University Press, 1997.

CRUSIE Jennifer, Totally Charmed: Demons, Whitelighters And the Power of Three, Dallas, BenBella, 2005.

GENETTE Gérard, Palimpsestes : la littérature au second degré, Paris, Éditions du Seuil, 1982.

--, Métalepse, Paris, Éditions du Seuil, 2004.

MARSHALL Jill and WERNDLY Angela, The Language of Television, London, Routledge, 2002.

TV/Series, 6 | 2014

102

O’DAY Marc, « Postmodernism and Television », in Stuart Sim (ed.), The Routledge Companion to

Postmodernism, New York, Routledge, Second edition, 2005.

OTT Brian L., The Small Screen: How Television Equips Us to Live in the Information Age, London, Wiley-

Blackwell, 2006.

PICHARD Alexis, Le Nouvel âge d’or des séries américaines, Paris, Le Manuscrit, 2011.

SAMOYAULT Thiphaine, L’Intertextualité : Mémoire de la littérature, Paris, Armand Colin, 2005.

NOTES

1. « Buffy: The Vampire Slayer, Xena: Warrior Princess, Dark Angel and Charmed (…) combined

fantastic spectacle with a knowing recycling of plots and fragment from the media past. (…) Since

the 1990s, the intertextuality, recycling and self-referentiality of the postmodern form have also

passed into the TV mainstream », in Marc O’Day, « Postmodernism and Television », in Stuart

Sim (ed.), The Routledge Companion to Postmodernism, New York, Routledge, Second edition, 2005, p.

103-110.

2. Ce titre pourrait se traduire littéralement par « La pilleuse d’utérus » tandis que Tomb Raider

signifie « La pilleuse de tombeaux ».

3. Pour l’analyse de l’intertextualité des titres de la série Charmed, nous renvoyons le lecteur à

Alexis Pichard, Le Nouvel âge d’or des séries américaines, Paris, Le Manuscrit, 2011, p. 48-49.

4. III, 7.

5. http://www.signosemio.com/genette/narratologie.asp, lien consulté le 11 décembre 2014.

6. Que l’on songe à Meredith dans Grey’s Anatomy (ABC, 2004- ) ou à Mary Alice dans Desperate

Housewives (ABC, 2004-2012).

7. Romeo and Juliet (1597), I, 5. Notons que la citation est signalée par la réplique de Piper : « Since

when do you quote Shakespeare? »

8. « Centenial Charmed » (5.12).

9. On pourra relever d’autres références à l’univers shakespearien, notamment à MacBeth (1606).

Ainsi, la présence dans Charmed d’un trio de sorcières n’est pas sans rappeler celui de la pièce de

Shakespeare. Cet écho est d’autant plus marquant que le titre du premier épisode de la série

emprunte à une réplique de MacBeth prononcée par l’une des sorcières : « By the pricking of my

thumbs, Something wicked this way comes. » Charmed reprend la dernière partie de cette

réplique et la détourne, comme à son habitude, en « Something wicca this way comes ». On voit

ainsi s’établir un dialogue entre les sorcières shakespeariennes (« weird sisters ») et celles de

Charmed, nettement moins effrayantes. Il n’est d’ailleurs pas anodin que le mot « wicked » ait été

remplacé par « wicca » : à la cruauté et à la laideur promise, se substituent la magie et le charme

enchanteur. Le tragique de la pièce est d’emblée déjoué dans la série.

10. Gérard Genette, Palimpsestes : la littérature au second degré, Paris, Éditions du Seuil, 1982.

11. Ce départ inattendu fut très médiatisé en mai 2001 mais les raisons en restent néanmoins

assez obscures. Beaucoup de journalistes ont expliqué la décision de Shannen Doherty par les

différends artistiques qu’elle rencontrait avec la production, qui souhaitait donner une

orientation plus sombre à la série afin de l’éloigner d’un public trop féminin. Officieusement, ce

serait la rivalité avec sa partenaire, Alyssa Milano, qui aurait poussé la production à se séparer de

Doherty. Ce départ fracassant n’était alors pas le premier de l’actrice puisque, quelques années

plus tôt, elle quittait brusquement Beverly Hills suite à une mésentente avec la production. Ou

quand le recyclage dépasse le cadre de la diégèse…

TV/Series, 6 | 2014

103

12. Cette scène d’enterrement inaugurale semble d’ailleurs annoncer l’épisode « Still Charmed

and Kicking » (8.1) au début duquel se déroule une veillée funèbre en l’honneur des sœurs

Halliwell, mortes aux yeux du monde entier.

13. Considérons ici Prue et Paige comme un seul et même personnage car elles ont toutes deux

un rôle similaire au sein de la famille et de la série.

14. « The Fourth Sister » (1.7).

15. On peut penser au roi Polixenes qui se déguise en berger dans The Winter’s Tale pour empêcher

le mariage de son fils avec une bergère.

16. « I Dream of Phoebe » (6.15).

17. Harold Bloom, The Anxiety of Influence: A Theory of Poetics, New York, Oxford University Press,

1997.

18. L’épisode se déroule le 17 février 2000, soit 76 ans jour pour jour après la mort de P. Russell.

19. On peut penser à de nombreux romans tels Jane Eyre de l’Anglaise Charlotte Brontë (1847) ou

encore The House of the Seven Gables (1851) de l’Américain Nathaniel Hawthorne dans lesquels les

manoirs sont tout aussi effrayants que dangereux. On notera que, dans le roman d’Hawthorne,

l’un des personnages principaux se prénomme Phoebe... Dans la même veine horrifique, « The

Fall of the House of Husher » (1839), nouvelle ténébreuse écrite par Edgar Allan Poe, présente un

huis-clos obsédant dans un manoir hanté. Dans toute cette littérature gothique, la menace

s’incarne dans chaque mur et est le plus souvent une résurgence d’un passé douloureux et caché.

20. Tiphaine Samoyault, L’Intertextualité : Mémoire de la littérature, Paris, Armand Colin, collection

128, 2005.

21. http://answers.yahoo.com/question/index?qid=20120217105605AA8WVle, lien consulté le 11

décembre 2014.

RÉSUMÉS

Cet article se propose d’étudier l’esthétique postmoderne à travers la série fantastique Charmed.

En nous reposant sur les travaux du théoricien français Gérard Genette, nous envisageons l’une

des caractéristiques majeures des œuvres postmodernes : l’intertextualité, c’est-à-dire, au sens

large, la relation référentielle qu’entretient un texte B avec un texte A. Charmed est bien une série

intertextuelle dans la mesure où elle recycle des œuvres passées et foisonne de références et de

clins d’œil aux cultures populaire et élitaire. La série fait néanmoins un usage original de ces

œuvres antérieures qui surgissent au fil des épisodes en les incorporant au sein de la diégèse et

en leur conférant un rôle et un sens narratifs. La référence est réécrite pour amener un écho, une

profondeur supplémentaire. Au-delà de ce recyclage intertextuel, Charmed procède aussi de sa

propre réécriture et mobilise une autre figure clé de l’esthétique postmoderne que Gérard

Genette définit également : le palimpseste. Par son recours récurrent aux sauts dans le temps et

aux fins alternatives, la série se présente comme une œuvre qui expérimente des trames

narratives, se rature et se réécrit. En dernier lieu, nous nous intéressons au rapport ambigu que

Charmed entretient avec l’influence, autrement dit les œuvres qui l’ont précédée. En partant du

concept d’« anxiety of influence » théorisé par le critique américain Harold Bloom, qui joue sur

l’idée que l’influence est une source d’angoisse mais aussi une source ardemment recherchée

(polysémie du terme « anxiety » en anglais), nous montrons que la série propose une résolution

TV/Series, 6 | 2014

104

dialectique à cette tension : elle semble arguer du fait que l’acceptation de l’origine permet à

terme de faire naître l’originalité.

This article proposes a study of postmodern aesthetics through the fantasy series Charmed. With

the works of the French theoretician Gérard Genette as a basis, we will consider one of the major

characteristics of postmodern works: intertextuality, which is to say, in the broad sense, the

referential relationship that a text B maintains with a text A. Charmed is an intertextual series

insofar as it recycles past works and abounds with references and nods to popular and elitist

culture. Nevertheless, the series makes an original use of these past works that appear across the

episodes by incorporating them into the diegesis and giving them a narrative role and sense. The

reference is rewritten to introduce an echo, an additional depth. Beyond this intertextual

recycling, Charmed undertakes its own rewriting and mobilizes another key figure in the

postmodern aesthetic that Gérard Genette defines as well: the palimpsest. By its recurrent

recourse to shifts in time and alternative endings, the series presents itself as a work that

experiments with narrative frames, crossing out and rewriting itself. Finally, we will focus on the

ambiguous relationship that Charmed sustains with influence, in other words the works that

preceded it. From the concept of the “anxiety of influence” theorized by the American critic

Harold Bloom, who situates the idea influence as not only a source but also something ardently

sought (the double sense of the word “anxiety” in English), we will show that the series offers a

dialectic resolution to this tension: it seems to argue that acceptance of influence’s origin

permits, in the end, the emergence of originality.

INDEX

Mots-clés : Charmed, postmoderne, recyclage, intertextualité

Keywords : Charmed, postmodern, recycling, intertextuality

AUTEUR

ALEXIS PICHARD

Alexis Pichard est agrégé d’anglais et ATER à l’université Paris Ouest Nanterre la Défense. Il

prépare une thèse de doctorat sur les séries américaines de l’après 11-Septembre et il est

notamment l’auteur du Nouvel âge des séries américaines (Le Manuscrit, 2011, 2e éd. 2013) et des

Séries américaines, la société réinventée ? (L’Harmattan, 2013) avec Aurélie Blot.

TV/Series, 6 | 2014

105

High Fidelity: Adapting Fantasy tothe Small ScreenShannon Wells-Lassagne

1 When considering issues like echoes and refrains in relation to television, the theme of

adaptation seems an obvious one: adaptations necessarily imply a distance (in format, if

not in content) between source text and television adaptation, and the resulting

reverberations make for a profitable analysis of the specificities of television and text.

In recent years, there have been two notable fantasy adaptations to grace our screens:

Game of Thrones (HBO, 2011- ) and True Blood (HBO, 2008- ). Adaptations are nothing new

to the small screen – like feature-length films, adaptations have long been a mainstay

of commercial television, but for the most part, they have been what British and

American people refer to as mini-series, short-lived series of adaptations of generally

classic novels that are not destined to see another season, like the many BBC

adaptations of classic 19th-century novels (Austen, Dickens…) or American miniseries

like Roots (ABC, 1997) or Lonesome Dove (CBS, 1989) – or, less prestigiously, countless

Danielle Steele novels. The recurring television adaptations tend to fall into the

category of genre fiction, as with Agatha Christie’s Poirot novels (or in France,

Simenon’s Maigret) and this is no doubt to be expected – genre fiction privileges the

sequels and long-running series more adapted to TV format with its voracious need for

a large number of stories. In genre fiction, most of these are detective stories or

procedurals – genres that are not only already well-established on the small screen, but

also less expensive and less risky than the other very popular type of genre fiction,

fantasy. Fantasy after all necessarily requires special effects, with budgets that may not

be within reach for television shows, and fantasy has – until now – remained more of a

niche market, with a die-hard audience, but which did not necessarily translate into a

popular following in the general public.

2 Things have changed, however – in the wake of Buffy the Vampire Slayer (The WB,

1997-2001, UPN, 2011-03), X-Files (FOX, 1993-2002), Xena: Warrior Princess (Syndication,

1995-2001) Lost (ABC, 2004-10), or Supernatural (The WB, 2005-2006, The CW, 2006- ) –

the fantastic has made its successful appearance on the small screen1, no doubt

explaining HBO’s willingness to translate the works of Charlaine Harris and George R.R.

TV/Series, 6 | 2014

106

Martin to the screen. The supernatural series I have just mentioned, however, are all

original series without a source text (unless you count the feature-length film version

of Buffy, which creator Joss Whedon has essentially disowned as having little to

nothing to do with his original idea and/or screenplay2). Having fantasy adaptations is

new, and though Vampire Diaries (The CW, 2009-) has since followed in the wake of True

Blood (partially in response to the popularity of True Blood and the Twilight franchise),

Alan Ball brought this innovation to the screen after his previous success with Six Feet

Under (HBO, 2001-05) or American Beauty (1999).

3 The fact that these are adaptations rather than original series may seem relatively

unimportant when talking about television series; indeed, given the number of

predecessors, one could perhaps call into question the extent to which these series are

novel at all. But their role as adaptation is in fact crucial. After all, these series were

largely chosen because of a significant fan base of faithful readers, implying a built-in

audience, as well as an impressive pool of stories from which to draw for inspiration3:

these are sound reasons to take on sagas that otherwise imply intimidatingly large

budgets in order to convince its audience. Indeed, Game of Thrones cost approximately

60 million dollars for Season 1, and the budget increased by 15% for Season 2, each of

which was only 10 episodes to the traditional 12 for HBO series4.

4 To a large extent this paper was inspired by an article in The Atlantic, where writer

Alyssa Rosenberg compares The Game of Thrones to True Blood in an attempt to pinpoint

the ways in which the first succeeds where the older series fails5. In the end, the author

determines that it all comes down to fidelity: Alan Ball’s show has added to the cast and

the themes without building a convincing world for them to people, while Game of

Thrones has remained true to the George R.R. Martin novel from which it draws its

name, streamlining and adding to the characterization, rather than the character list.

5 Of course the fact that fidelity is the core issue argued here to explain the success or

failure of a series is ironic for several reasons: not only is it at odds with everything

that adaptation theory has argued for decades6, but historically filmmakers originally

turned to less “high literature” source texts in order to avoid the necessity to be

faithful to a text made sacred by the canon, thus spawning some of the more successful

if less faithful noir films. Beyond this, Alan Ball himself has argued against fidelity,

insisting on its unfeasibility since the novel is in the first person, and he has to tell

everyone’s story, and adding that he wants readers of the original Charlaine Harris

novels to be surprised7. As such, I would like to examine the way that each approaches

this specific issue of echoes of the source text in the finished product. Are these series

“faithful”? To what? To whom? Fidelity, I would like to suggest, is not so simple as the

relationship between text and television: the two series contain echoes not only of the

source texts, but of their genre, their medium, their audience, and above all, their

respective creators’ vision. As such, though I’ll mention the relationship between text

and series briefly, I’ll be focusing on those other influences – the hidden source texts

that the series are also adapting.

6 My initial comment that the obsession with fidelity is ironic is somewhat disingenuous:

after all, though hard boiled novels allowed for new innovation both in terms of themes

and aesthetics in film, conversely popular literature often has harsher standards for

fidelity than does classic literature: thus the rumor about David Selznick not worrying

about fidelity to Jane Eyre, but being frantic about retaining the essence of Daphne Du

Maurier’s Rebecca or Margaret Mitchell’s Gone with the Wind, because “people have

TV/Series, 6 | 2014

107

actually read them”8. It is clear that more people were attentive to the fidelity of the

Harry Potter adaptations than they were to the adaptations of Vanity Fair, for example,

and cult series like A Song of Ice and Fire or the Southern Vampire Mysteries could

definitely expect to garner the same type of critical attention. Rosenberg’s criticisms,

then, are unsurprising, but they are important in that the ultimate success of the series

is linked to their success at translating as much of the source text as possible to the

screen. Anyone who has seen faithful but lifeless adaptations of classic texts knows that

this is not the case, and as such, we must ask ourselves if this is a case of the writer

being overwhelmed with a case of “the book-was-better-itis” common in fans or if

there are specific problems in adapting fantasy that should be addressed.

7 Upon first glance, it seems clear that Game of Thrones plays the fidelity game much more

than does True Blood: author George R.R. Martin is an executive producer for the series

and writes at least one episode per season, and the series goes to great pains to

reproduce the feel of the world of Westeros in which the series takes place, even going

so far as to mimic the structure of the novels themselves (each chapter is told from a

different character’s point of view, set in a different place and focusing on a different

plot than the one before; the series makes very effective use of cross cutting to similar

effect). Alan Ball, on the other hand, seems resolutely opposed to fidelity to his source

texts – in the fifth season, the series barely touched on the primary plot of the

corresponding novel, Dead as a Doornail, where shapeshifters, having recently gone

public like the vampires at the beginning of the series, are now subject to attack. This

idea was minimized (shifters are still secret, and the recently retired local sheriff and

square dancing champion is the “evil genius” behind the plot – his own ludicrous status

tells the viewer much about the import of the plotline as a whole), while original

storylines and characters largely dominated the season. Though season 1 was most

faithful to the source text, from the incipit the nature of the narrative structure (told

wholly from Sookie’s first-person perspective) is willfully forsaken: rather than an

intimate subjective vision of an increasingly crazy world, the series makes the decision

to focus on an ensemble cast, and many of the characters that are soon killed off or

disappear from the novels take on a storyline of their own as the seasons go by.

8 However, to come back once again to the original Atlantic article, the author insisted

not only on fidelity to the source text, but to its world: fantasy (along with science

fiction) is unusual in that it creates a world adjacent to our own, and that world must

be as believable as the characters or the plotlines if the fiction is to succeed. Ultimately,

I will argue that True Blood seeks to increase the echo between text and TV series, by

creating a constant distance not only from its source text but also from its characters

and the events its recounts. After all, True Blood recounts a world much like our own,

that just so happens to be populated by supernatural creatures – by creating various

defamiliarizing elements (including invented episodes, but also comic or outrageous

effects to distance the viewer from the characters’ emotions), the show creators force

us to pull back from the story and consider its implications. Game of Thrones, on the

contrary, wants to pull the reader in, minimizing this “echo”: when creating a world

more typical of the fantasy genre, with religions, languages, and political hierarchies

that are familiar to the characters but not the viewer, a distancing effect would be

disastrous to the suspension of disbelief necessary to enter these new worlds. This is

perhaps best reflected in the opening credits of the series, where the maps that open

TV/Series, 6 | 2014

108

Martin’s novel become three-dimensional and take shape before our eyes, literally

bringing the viewer into this new world. (see plate 1)

Plate 1: A world coming to life for the viewer

Game of Thrones opening credits

9 Though I refer to both of these series as fantasy, they in fact harken back to very

different traditions and contexts, to which they must also refer in order to position

themselves for the audience: one is not just faithful to a text, but to the literary

tradition that inspired the authors. Making a series about vampires like True Blood

implies taking into account representations of vampires from Bram Stoker onwards, as

symbols of animal nature, sexuality, exoticism, inner darkness, etc. Making a series

about vampires in the wake of Twilight mania implies positioning oneself in relation to

the metaphor for abstinence and self-control. It is no coincidence that our main

character is a virgin that is soon corrupted by a vampire, and who thereafter spends

most of her time naked. Nor is it surprising that the previous exoticism of the vampires

takes on a decidedly Orientalist bent when the True Blood vampires become the symbol

of otherness, of a minority that may or may not be dangerous to the “American way of

life” attempting to fight for its rights, where the vampire authority figure (Eric

Northman) makes his living by creating a theme bar that, we are told, is the Disneyland

version of a vampire bar (1.4), complete with souvenir T-shirts9. Clearly, Harris chose

this theme as a contradiction of a previous tradition, and Ball has taken that innovation

and expanded on it. Its notes of comedy and camp could in fact be attributed to yet

another tradition, the supernatural sitcoms mentioned earlier, since the premise is

essentially the same – here, too, supernatural creatures are attempting to assimilate

into American society more or less successfully, and comedy is the result as often as

tragedy.

10 Likewise, high fantasy like A Game of Thrones is also a fairly recent literary genre:

though it harkens back to Arthurian legends from Sir Thomas Malory’s Le Morte

d’Arthur on, it was J.R.R. Tolkien who created the genre of an imaginary medieval world

as an allegory for the onslaught of industrialization in Jolly old England, i.e. The Shire.

Martin seems to be explicitly referencing the master – it is no coincidence that he goes

TV/Series, 6 | 2014

109

by “GRR” Martin, like “JRR” Tolkien, and though he admits his fascination for Tolkien’s

classic series The Lord of the Rings10, his saga chooses to counter Tolkien’s nostalgia with

issues like slavery, corruption, sexual violence, and oppression, making it an echo of

our own imperfect society. At the same time, Tolkien spawned not only literary, but

cultural progeny – from Dungeons and Dragons to World of Warcraft, adapting high fantasy

implies taking into account gaming fans as well as literary fans. As such, once again, the

opening credits are a stroke of genius: the maps are reminiscent of Tolkien’s maps of

Middle Earth (as well as the ever-broadening maps of Westeros with each new tome of

A Song of Ice and Fire), and the camera movement from one area to another is very

similar to the imagery and movement of role-playing video games. Thus both True Blood

and Game of Thrones acknowledge the tradition implicit in their source texts, though

once again both undermine these traditions.

11 In order to give a practical example of the use of echo in True Blood and Game of Thrones,

it seems appropriate to take a closer look at the framework each series provides in

their opening moments; as such I will examine the cold opens of each pilot, to see

exactly how they navigate this idea of proximity and distance in their world-building.

The cold opens are important because in neither of the series do they include major

characters or storylines that will be followed up in the ensuing episodes (at least not

directly); instead, they serve to introduce the viewer to this new world, and give a

concrete example of their relation to source text and to the viewer’s world.

12 The most striking thing about the opening of Game of Thrones is the silence, the

solemnity with which it begins – clearly this is a series that is going to take its time

setting the scene before advancing the action. The opening image of faces behind a gate

initially show little difference from our own universe, and though we then see them

dressed in medieval garb and on horseback, the defamiliarisation is minimal: they are

not dressed gaudily, or in hose and doublet, or even stylishly, in leather catsuits à la

Xena – these are dark, practical clothes, quite similar to our own when attempting to

stay warm. Though this is clearly not our world, it is a recognizable one. (see plate 2)

TV/Series, 6 | 2014

110

Plate 2: A recognizable world

Pilot of Game of Thrones

13 The fact that we cut from a gate opening to our characters going through a tunnel

again emphasizes the idea that we are being drawn in to this world. It is only once we

are “through the rabbit hole”, if you will, that we get our first glimpse of a truly

fantastic element, the Wall (an enormous 700-foot tall wall of ice meant to separate

civilization from the Wildlings and the monsters who supposedly live on the other

side). Even this sight is given to the viewer without fanfare or commentary, and is

followed by yet another silence which allows the viewer to both absorb this new

information and dread what this now-ominous silence portends. We are not

disappointed, of course: the violence and the fantastical elements then come fast and

furious. It is once the Rangers first encounter the dead bodies that the series picks up

the prologue largely as Martin wrote it, with one marked difference: the circle of body

parts. In the novel, the scout assumes the bodies are dead because they are not moving,

but can not be absolutely sure they are not simply sleeping, and this change made to

the textual blueprint is made all the more violent in its contrast to the quiet opening.

Beyond this, the circle seems to echo the astrolabe of the credit sequence: now that the

series has drawn in its viewer, it emphasizes the unique nature not only of Westeros,

but also the unique nature of the television series. The authors, while attempting to

hew closely to the novels, also declare their independence.

14 True Blood also begins with an entirely invented sequence, immediately showing that

these will not be the Sookie Stackhouse adventures; the consequences of vampires

coming out of the shadows obviously outweigh a simple concern with the protagonist’s

love life. The opening teaser is voluntarily as close to our world as possible (in possibly

sleazier), whether it be bored over-sexed college students looking for a cheap thrill, the

reference to Hurricane Katrina, or the political comedy show Real Time with Bill Maher

(HBO, 2003-) broadcasting on the TV at a Quick-E Mart (given its libertarian leanings,

perhaps that is the least likely of the elements of the opening). We are lulled into

TV/Series, 6 | 2014

111

complacency, only to have our expectations confounded when it is the hillbilly, rather

than the goth who is a vampire. (see plate 3)

Plate 3: Confounding expectations

Pilot of True Blood

15 Thus, rather than constantly attempting to pull us in to this world, Ball seems to be

constantly pulling us back out: though we recognize this world, we should not be

drawing assumptions. The vampire figure is not a vampire, the hillbilly character is not

a hillbilly, and this is not reality, but TV.

16 Indeed, one of the ways that True Blood pulls us out of the story is quite simply by

referencing its very nature as TV series on HBO. Real Time with Bill Maher is also an HBO

show, and the pilot will go on to show Arlene, a fellow waitress at the bar where

protagonist Sookie Stackhouse works, on the phone to her children, commenting: “If

René thinks you’re too young to watch a scary movie on HBO, I’m gonna side with him.”

(1.01) Later, one vampire will immobilize another by braining her with a plasma

television – literally, we are being hit over the head with the idea that this is TV. (see

plate 4)

TV/Series, 6 | 2014

112

Plate 4: TV is a weapon.

pilot of True Blood

17 Though the pilot also shows Sookie’s Gran reading a Charlene Harris book, thus

explicitly acknowledging the source text, Sookie’s beloved mentor then puts the novel

away to listen to Sookie’s story about the first sighting of Vampire Bill at Merlotte’s bar

– clearly, the book has been read, and then abandoned11.

18 Just as the viewer is constantly reminded not to get too sucked in to the story, that it is

only TV, so Ball will continually frustrate viewers who tune in for the love stories that

dominate the novels: Eric and Sookie might finally have their famous shower scene

(4.8), a titillating set piece that kicks off their romantic relationship and remains a

favorite of fans of the novel, but showrunner Alan Ball will not allow the viewer to

simply bask the romanticism or the eroticism of it all; instead, this will be a surreal

episode of a drug high, reminiscent of the relationship between Jason Stackhouse and

psychopath Amy (1.9), whose drug-fueled relationship led to murder (of a vampire and

Amy herself). (see plates 5 to8)

Plates 5 and 6: A fantasy sequence that hearkens back to season 1

True Blood, 4.8

TV/Series, 6 | 2014

113

Plates 7 and 8: The apparently idyllic (but drug-fuelled) dream

True Blood, 1.9

19 In so doing, the viewer must take a step back – not just from the source text, but from

the TV series itself, and acknowledge that the series is not simply a plotline (who will

Sookie sleep with next?), but a series of metaphors or allegories about difference,

religion, and sexuality in contemporary America. Though titillation remains a major

part of the series, Ball never allows us to lapse into complacency, passively enjoying the

eye candy: instead we are forced to acknowledge our voyeurism and the sentimental

nature of our desire for the heroine to end up with our favorite sexy vampire,

whichever character that may be. If we can take up the metaphor of the echo once

again, we could say that by increasing the distance between novel and series, between

story and suspension of disbelief, the resonance (political and artistic) increases.

20 Of course “it’s not TV, it’s HBO”! The premium cable channel has made itself not just a

studio, but a brand, characterized as “quality television”, with complex and often

unlikeable protagonists, provocative topics, and lots of sex and violence. Both True

Blood and Game of Thrones are noticeably more sexy and gory than their sources (as the

body parts in the Game of Thrones cold open can attest), and the actors and producers

are insistent that these are HBO shows – it could only happen on HBO, says Peter

Dinklage12, while Kit Harington declares that despite the fantasy trappings, Game of

Thrones is like any other HBO show13. Both True Blood and Game of Thrones have come

under fire for their provocative sexuality, making TV critics regard the one as a guilty

pleasure, while the other comes under fire for its use of “sexposition” – sex scenes

going on in the background while exposition is given, in an attempt to keep the

viewer’s interest (though perhaps not his whole attention)14.

21 I would like to conclude by discussing a comment made by George R.R. Martin in an

interview about Game of Thrones15. He spoke of “The Butterfly Effect” in relation to

adaptation, referring of course to the Ray Bradbury short story where the rich can go

back in time and hunt dinosaurs – but one of them steps off the path and steps on a

butterfly, and the world they come back to is unrecognizable. Martin suggests that for

each change made to the original story, there is a domino effect for the rest of the story

to come (he was speaking specifically of a character who is injured in a way that makes

his further participation in the plot impossible). Going along with that, I would say that

adapting these novels for the screen is changing the past, and therefore creating a new

future – though we create perhaps parallel universes rather than obliterating the past.

Though these two series take very different stances towards fidelity, whether it be to

text, genre, medium, or channel, their end goals are essentially the same: to create an

enjoyable experience that allows viewers to ponder the relationship between their

world and ours. Given the audiences and the debates waged every Sunday night, I

would argue that both these series are therefore successful adaptations.

TV/Series, 6 | 2014

114

BIBLIOGRAPHY

CARTMELL Deborah, WHELEHAN Imelda, Screen Adaptation: Impure Cinema, London, Palgrave

Macmillan, 2010.

ELLIOTT Kamilla, Rethinking the Novel/Film Debate, Cambridge, Cambridge University Press, 2003.

GROSSMAN Lev, “George R.R. Martin’s Dance with Dragons: A Masterpiece Worthy of Tolkien”, Time,

July 7th, 2011, www.time.com/time/arts/article/0,8599,2081774,00.html, last consulted December

2014.

HARRIS Charlaine, Dead Until Dark, New York, Ace Books, 2001.

--, Living Dead in Dallas, New York, Ace Books, 2002.

--, Club Dead, New York, Ace Books, 2003.

--, Dead to the World, New York, Ace Books, 2004.

--, Dead as a Doornail, New York, Ace Books, 2005.

--, Definitely Dead, New York, Ace Books, 2006.

--, All Together Dead, New York, Ace Books, 2007.

--, From Dead to Worse, New York, Ace Books, 2008.

--, Dead and Gone, New York, Ace Books, 2009.

--, Dead in the Family, New York, Ace Books, 2010.

--, Dead Reckoning, New York, Ace Books, 2011.

--, Deadlocked, New York, Ace Books, 2012.

--, Dead Ever After, New York, Ace Books, 2013.

HUTCHEON Linda, A Theory of Adaptation, New York, Routledge, 2006.

LACOB Jace, “Kit Harington on ‘Game of Thrones’, Fame, and playing emo hero Jon Snow”, The

Daily Beast, April 9th, 2012, http://www.thedailybeast.com/articles/2012/04/09/kit-harington-on-

game-of-thrones-fame-and-playing-emo-hero-jon-snow.html, last consulted December 2014.

LEITCH Thomas, Film Adaptation and Its Discontents: From Gone with the Wind to The Passion of the

Christ, Baltimore, John Hopkins University Press, 2007.

MARTIN George R. R., A Game of Thrones, New York, Bantam Books, 1996.

--, A Clash of Kings, New York, Bantam Books, 1999.

--, A Storm of Swords, New York, Bantam Books, 2000.

--, A Feast for Crows, New York, Bantam Books, 2005.

--, A Dance with Dragons, New York, Bantam Books, 2011.

MCNAMARA Mary, “HBO, you’re busted”, Los Angeles Times, July 3rd, 2011.

NAREMORE James, “Introduction”, Film Adaptation, New Brunswick, NJ, Rutgers University Press,

2000, p. 11-12.

TV/Series, 6 | 2014

115

PASICK Adam, “George R.R. Martin on his favorite Game of Thrones actors, and the Butterfly Effect

of TV Adaptations”, Vulture, October 20th, 2011, http://www.vulture.com/2011/10/

george_rr_martin_on_his_favori.html, last consulted December 2014.

PONIEWOZIK James, “Breast Practices: Too many boobs in Game of Thrones?”, Time, July 7th, 2011.

ROSENBERG Alyssa, “Fantasy on TV: How ‘Game of Thrones’ succeeds where ‘True Blood’ fails”, The

Atlantic, August 31, 2011, http://www.theatlantic.com/entertainment/archive/2011/08/fantasy-

on-tv-how-game-of-thrones- succeeds-where-true-blood-fails/244365/, last consulted December

8th, 2014.

SAÏD Edward, Orientalism, New York, Random House, 1979.

STACK Tim, “‘True Blood’: Alan Ball and Charlaine Harris discuss Sunday’s shocking death of

[SPOILER]”, Entertainment Weekly, July 12th, 2011, www.insidetv.ew.com/2011/07/12/true-blood-

alan-ball-claudine-death/, last consulted December 2014.

STAM Robert (ed.), Literature and Film: A Guide to the Theory and Practice of Film Adaptation, Malden,

MA, Blackwell, 2005.

THOMAS June, “How much gold is Game of Thrones worth?”, Slate, March 29th, 2012, http://

www.slate.com/articles/arts/culturebox/2012/03/

game_of_thrones_how_hbo_and_showtime_make_money_despite_low_ratings_.html, last

consulted December 8th 2014.

NOTES

1. The supernatural was fairly popular in the 1960s and 70s, with supernatural sitcoms like

Bewitched (ABC, 1964-72), The Munsters (CBS,1964-66), or The Addams Family (ABC, 1964-66), or

action shows like The Incredible Hulk (CBS, 1978-82) or Wonder Woman (ABC, 1975-79), but had since

died out, and had never really been treated in the guise of drama.

2. With the notable exception of the comic-book adaptations The Incredible Hulk and Wonder

Woman, as mentioned above; one may of course question whether or not superhero fiction

constitutes fantasy or not, though a complete definition is beyond the boundaries of this analysis.

3. The Southern Vampire Mysteries upon which True Blood is based had just published its 12 th

installment of Sookie Stackhouse adventures (Deadlocked, published in May 2012), and A Song of

Ice and Fire, the source text for Game of Thrones, has five volumes, doorstoppers of about 800 pages

each, the last of them (A Dance with Dragons) clocking in at 1100 pages.

4. June Thomas, “How much gold is Game of Thrones worth?”, Slate, March 29th, 2012, http://

www.slate.com/articles/arts/culturebox/2012/03/

game_of_thrones_how_hbo_and_showtime_make_money_despite_low_ratings_.html, last

consulted December 8th, 2014.

5. Alyssa Rosenberg, “Fantasy on TV: How ‘Game of Thrones’ succeeds where ‘True Blood’ fails”,

The Atlantic, August 31, 2011. http://www.theatlantic.com/entertainment/archive/2011/08/

fantasy-on-tv-how-game-of-thrones- succeeds-where-true-blood-fails/244365/, last consulted

December 8th 2014.

6. Current adaptation theory has essentially been constructed on a refusal of the premise that

adaptations can only be analysed in relation to their faithfulness to their sources; cf. Kamilla

Elliott, Rethinking the Novel/Film Debate, Cambridge, Cambridge University Press, 2003; Linda

Hutcheon, A Theory of Adaptation, New York, Routledge, 2006; Thomas Leitch, Film Adaptation and

Its Discontents: From Gone with the Wind to The Passion of the Christ, Baltimore, John Hopkins

University Press, 2007; Robert Stam (ed.), Literature and Film: A Guide to the Theory and Practice of

TV/Series, 6 | 2014

116

Film Adaptation, Malden, MA, Blackwell, 2005; Deborah Cartmell and Imelda Whelehan, Screen

Adaptation: Impure Cinema, London, Palgrave Macmillan, 2010.

7. Tim Stack, “‘True Blood’: Alan Ball and Charlaine Harris discuss Sunday’s shocking death of

[SPOILER]”, Entertainment Weekly, July 12th, 2011. www.insidetv.ew.com/2011/07/12/true-blood-

alan-ball-claudine-death/, last consulted December 2014.

8. James Naremore, “Introduction”, Film Adaptation, New Brunswick, NJ, Rutgers University Press,

2000, p. 11-12.

9. In his now canonical work Orientalism that essentially began Postcolonial studies, Edward Saïd

suggests that the European vision of “Orientals” (read: non-Westerners) makes them primarily

representations of “Otherness”, both in a negative sense, garnering all of the West’s most

pernicious qualities (licentiousness, violence, laziness, bestiality, etc.) as well as in a more

positive sense, as exotic and mysterious. Thus, Saïd insists that Western culture has largely been

built in response to this Oriental other. More importantly, Saïd suggests that this vision has not

only shaped the West, but “the Orient” as well, which has come to conform to Western

expectations. This conformity to well-known stereotypes is of course the basis of Fangtasia’s

success, though Eric Northman is portrayed as being self-aware, profiting from the implicit

racism rather than seeking to curtail it. Edward Saïd, Orientalism, New York, Random House, 1979.

10. Lev Grossman, “George R.R. Martin’s Dance with Dragons: A Masterpiece Worthy of Tolkien”, in

Time, July 7th, 2011, www.time.com/time/arts/article/0,8599,2081774,00.html, last consulted

December 2014.

11. In fact, Gran herself will soon suffer the same fate as the novel, as she is soon the victim of a

vampire-hating serial killer; she is dismissed from the plot of the series, but will be occasionally

revived later in the show for the purposes of the narrative.

12. The actor said as much during his Emmy acceptance speech: www.youtube.com/#/watch?

v=lu8pSihUJvM&desktop_uri=%2Fwatch%3Fv%3Dlu8pSihUJvM, consulted September 2014.

13. Jace Lacob, “Kit Harington on ‘Game of Thrones’, Fame, and playing emo hero Jon Snow”, The

Daily Beast, April 9th, 2012. http://www.thedailybeast.com/articles/2012/04/09/kit-harington-on-

game-of-thrones-fame-and-playing-emo-hero-jon-snow.html, consulted December 2014.

14. See for example Mary McNamara, “HBO, you’re busted”, Los Angeles Times, July 3rd, 2011; or

James Poniewozik, “Breast Practices: Too many boobs in Game of Thrones?”, Time, July 7th, 2011.

15. Adam Pasick, “George R.R. Martin on his favorite Game of Thrones actors, and the Butterfly

Effect of TV Adaptations”, Vulture, October 20th, 2011. http://www.vulture.com/2011/10/

george_rr_martin_on_his_favori.html, last consulted December 2014.

ABSTRACTS

In an article in The Atlantic, Alyssa Rosenberg compares HBO series Game of Thrones to True Blood

in an attempt to pinpoint the ways in which the first succeeds where the older series fails. In the

end, the author determines that it all comes down to fidelity: Alan Ball’s show has added to the

cast and the themes without building a convincing world for them to people, while Game of

Thrones has remained true to the George R.R. Martin novel from which it draws its name,

streamlining and adding to the characterization, rather than the character list.

Of course the fact that fidelity is the core issue argued here is ironic for several reasons: not only

is it at odds with everything that adaptation theory has argued for decades, but historically

TV/Series, 6 | 2014

117

filmmakers originally turned to less “high literature” source texts in order to avoid the necessity

to be faithful to a text made sacred by the canon, thus spawning some of the more successful if

less faithful noir films. Beyond this, Ball himself has argued against fidelity, insisting that as the

novel is in the first person, he has to tell everyone’s story, and that he wants readers of the

original Charlaine Harris novels to be surprised. As such, I would like to examine the way that

each approaches this specific issue of echoes of the source text in the finished product.

Ultimately, I will argue that True Blood seeks to increase the echo, by creating a constant distance

not only from its source text but also from its characters and the events its recounts. After all,

True Blood recounts a world much like our own, that just so happens to be populated by

supernatural creatures – by creating various defamiliarizing elements (including invented

episodes, but also comic or outrageous effects to distance the viewer from the characters’

emotions), the show creators force us to pull back from the story and consider its implications.

Game of Thrones, on the contrary, wants to pull the reader in, minimizing this “echo”: when

creating a world more typical of the fantasy genre, with religions, languages, and political

hierarchies that are familiar to the characters but not the viewer, a distancing effect would be

disastrous to the suspension of disbelief necessary to enter these new worlds.

I will also argue that the “source text” is not singular in either case – the two series adapt not just

a novel or series of novels, but a tradition. True Blood cannot be studied separately from the long

tradition of vampire texts equating vampirism with sexuality, and certainly is set up in echo (and

contrast) to the more recent phenomenon of teenage vampire romances, where the “messy”

aspects of sex (and its inevitable moral and political ramifications) become manifest in the death

and gore characteristic of the series. Likewise, Game of Thrones clearly harkens back to that

founding text of the fantasy genre, The Lord of the Rings (as well as its film adaptation), and

replaces Tolkien’s nostalgia with a voluntarily “gritty” realism, where rape, murder, corruption

and general injustice makes it an echo of our own imperfect society. As such, we can argue that

though the two series take very different approaches to the idea of fidelity, their end goal seems

to be similar: they seek to heighten the viewer’s awareness of the political ramifications of these

fantasy worlds, and so acknowledge the echoes to be found in the world outside the television

screen.

Dans un article paru dans The Atlantic, Alyssa Rosenberg compare la série Game of Thrones (HBO) à

True Blood dans une tentative d’identifier les manières dont la première réussit tandis que l’autre

échoue. Enfin, l’auteure détermine qu’il s’agit d’une question de fidélité : la série d’Alan Ball

rajoute des personnages et des thématiques, sans pour autant leur construire un univers

convaincant à peupler, alors que Game of Thrones demeure fidèle au roman de George R.R. Martin

dont il tire son titre, tout en rationalisant le récit et en enrichissant la représentation des

personnages, plutôt qu’en en augmentant la liste. Bien entendu, le fait que la fidélité soit l’enjeu

principal de ce raisonnement paraît bien ironique, et pour plusieurs raisons : il est non seulement

en contradiction avec tout ce que la théorie de l’adaptation maintient depuis des décennies, mais

aussi, sur le plan historique, avec le fait que les réalisateurs ont à l’origine privilégié des textes-

source provenant d’une littérature moins « haute » dans le dessein d’éviter la nécessité d’être

fidèle à un texte consacré par le canon, ainsi engendrant certains des films noirs les plus réussis,

à défaut d’être fidèles. En outre, Ball a lui-même avancé des arguments contre la fidélité, en

insistant qu’il lui revenait de raconter l’histoire de tous les personnages, étant donné que le

roman est écrit à la première personne, et qu’il voulait que les lecteurs des romans originaux de

Charlaine Harris soient surpris. Ainsi, je voudrais étudier la façon dont chacun des réalisateurs

aborde cette problématique spécifique des échos du texte-source dans le produit fini. En fin de

compte, je souhaite soutenir que True Blood cherche à augmenter cet écho, en créant une distance

constante non seulement avec son texte-source mais aussi avec ses personnages et les

événements que la série raconte. Enfin, True Blood dépeint un monde très similaire au nôtre, qui

TV/Series, 6 | 2014

118

se trouve, par la même occasion, peuplé d’êtres fantastiques — en produisant de divers effets de

dépaysement (dont des épisodes inventés, mais aussi des effets comiques ou scandaleux mis en

place afin de créer une distance entre le spectateur et les émotions des personnages), les

concepteurs de la série nous forcent à nous prendre du recul par rapport au récit et à réfléchir à

ses implications. En revanche, Game of Thrones veut attirer le lecteur, en réduisant cet écho au

maximum : lors de la création d’un univers plus typique du genre fantastique, avec des religions,

des langues, et des hiérarchies politiques qui sont familières aux personnages mais inconnues des

spectateurs, un effet de dépaysement serait désastreux à la suspension d’incrédulité nécessaire

pour entrer dans ces mondes nouveaux. Je soutiendrai aussi que le « texte-source » n’est pas

unique dans les deux cas — les deux séries adaptent non seulement un roman ou une série de

romans, mais une tradition. Il est impossible d’isoler True Blood de la longue tradition des textes

sur les vampires, qui relie le vampirisme à la sexualité, et du phénomène récent des romances de

vampires pour adolescents, où les aspects « chaotiques » du sexe (et ses conséquences morales et

politiques inévitables) se manifestent par la mort et le sang qui caractérisent la série. De même,

Game of Thrones rappelle clairement un texte fondateur du genre fantastique, Le Seigneur des

anneaux (ainsi que son adaptation cinématographique), et remplace la nostalgie éprouvée pour

l’univers de Tolkien par un réalisme « cru », où le viol, le meurtre, la corruption et l’injustice

générale font de la série un écho de notre propre société imparfaite. Alors, nous pouvons

soutenir que si les deux séries abordent la notion de la fidélité de deux manières très différentes,

leurs buts paraissent similaires : elles cherchent à rendre les spectateurs plus conscients des

implications politiques de ces mondes fantastiques, afin de reconnaître les échos de celles-ci dans

le monde en-dehors de l’écran.

INDEX

Mots-clés: True Blood, Game of Thrones, fantasy, adaptation

Keywords: True Blood, Game of Thrones, fantasy, adaptation

AUTHOR

SHANNON WELLS-LASSAGNE

Shannon Wells-Lassagne is an associate professor (maître de conférences) at the Université de

Bretagne Sud in Lorient, France. She works primarily on the relationship between literature and

film and television. She is the co-author (with Laurent Mellet) of Étudier l’adaptation filmique:

cinéma anglais, cinéma américain (Presses Universitaires de Rennes, 2010), and the co-editor (with

Ariane Hudelet) of Screening Text: Critical Perspectives on Film Adaptation (McFarland, 2013), De la

page blanche aux salles obscures: l’adaptation filmique dans le monde anglophone (Presses Universitaires

de Rennes, 2011), and (with Delphine Letort) of L’Adaptation cinématographique: premières pages,

premiers plans (Mare et Martin, 2014). She has also edited special issues of Interfaces (“Expanding

Adaptations”, No. 34, with Ariane Hudelet) and GRAAT Online (“Television and Narratology: New

Avenues in Storytelling”, No. 15, with Georges-Claude Guilbert). Her work has appeared in The

Journal of Adaptation in Film and Performance, Critical Studies in Television, Études britanniques

contemporaines, Irish Studies Review, The Journal of the Short Story in English, Cinémaction, and Études

irlandaises.

TV/Series, 6 | 2014

119

Par le petit écran de FringeAurélie Villers

1 Deuxième série phare de J.J. Abrams après Lost (ABC, 2004-2010), Fringe (Fox, 2008-2013)

étale sur ses cinq saisons la vie trépidante de ses personnages principaux (de classiques

agents du FBI faisant équipe avec un savant fou), explore le paranormal, replie les

univers, verse dans le genre dystopique et ne se refuse pas de pertinentes réflexions

métafictionnelles. Elle se place dans une tradition de séries et de films de science-

fiction à suspense auxquels elle rend hommage tout en innovant et en présentant des

complexités narratives et formelles. On peut rendre compte de cette diversité formelle

en prenant la série par le petit bout de la lorgnette – en examinant ici la présence des

écrans, et tout particulièrement des écrans de télévision.

1. Jeu de pistes intertextuel

2 Fringe est par excellence une série « jeu de pistes » qui cultive le plaisir de la

reconnaissance et celui de la citation, voire de l’autocitation dans le cas d’objets

récurrents (la main, l’hippocampe, le papillon, la fleur, la pomme, la grenouille, etc.).

Nous commencerons par dresser une rapide typologie de citations intertexuelles des

œuvres du petit écran, voire du grand écran, telles qu’elles sont insérées dans la série,

qu’elles prennent la forme de clin d’œil, d’hommage ou de commentaire.

3 Repère intertexuel fondamental, le clin d’œil à d’autres œuvres est la première forme

de jeu de piste que l’on remarque. Ainsi, pour cultiver le plaisir de la reconnaissance

chez les fans, la série parsème ses épisodes de fugaces références, comme elle le fait

avec ses objets fétiches. Le spectateur attentif pourra ainsi, au détour d’un plan rapide,

repérer un oiseau de cartoon ou une créature des Monthy Pythons (5.9), de vieux écrans

vus dans Brazil (Terry Gilliam, 1985) (5.1), une ouverture à la StarWars (George Lucas,

1977) (4.19), mais aussi quelques plans classiques issus de Lost (3.19, 5.1). La série Fringe

s’ouvre en effet elle aussi sur un crash d’avion qui va être l’occasion de phénomènes

surnaturels. Dans presque tous les épisodes de la saison 5, on retrouve également une

trappe semblable à celle qui est découverte par Boone et Locke et qui donne accès au

bunker souterrain. De même, l’épisode 15 de la saison 1 débute, après le générique, sur

TV/Series, 6 | 2014

120

l’œil d’Olivia, comme dans la célèbre ouverture de Lost sur l’œil de Jack, plan d’ailleurs

repris et dérivé tout au long de la série. Enfin, les vidéos de Walter qui jalonnent la

saison 5 ne peuvent que rappeler aux fans celles de l’initiative Dharma dans Lost : un

scientifique en blouse blanche qui évoque des projets obscurs, et dont le discours est

d’autant plus cryptique que la bande des vidéos est endommagée. Une deuxième forme

de citation intertextuelle est celle du passage obligé. Comme bien d’autres, Fringe a cédé

à cette tendance avec l’épisode « Black Betty » (2.20), qui se veut à la fois un épisode de

comédie musicale, comme dans Buffy (WB, UPN, 1997-2003), et un épisode « Noir »,

comme dans Castle (ABC, 2009- ), rendant ainsi doublement hommage aux premières

séries qui ont eu recours au passage obligé ainsi qu’à ces deux genres du grand écran.

4 Dépassant l’hommage fugace, la série se place aussi parfois directement sous l’égide

d’une référence classique. Fringe se laisse à l’occasion envahir, voire contaminer, par

l’esthétique unique et reconnaissable d’un chef d’œuvre du grand écran : le procédé

rotoscopique de A Scanner Darkly (Richard Linklater, 2006) dans l’épisode 9 de la saison

3, cartoon « à la Gilliam » dans l’épisode 9 de la saison 51, traitement de l’image comme

dans Vidéodrome (David Cronenberg, 1983), par exemple. Dans le cas de A Scanner Darkly

et du cartoon, la série s’offre pour ainsi dire un voyage métaleptique dans un film ou

une série remarquables en raison de la prouesse technique mobilisée (voir figures 1 et

2). Lors de la reprise du procédé de A Scanner Darkly, l’esthétique d’une autre œuvre

s’adapte aux personnages de Fringe. Dans celui de la séquence typique des Monty

Pythons, les personnages des deux œuvres se mêlent. Néanmoins, à chaque fois, le

spectateur fait l’expérience du paradoxe d’un voyage défamiliarisant alors même qu’il

est projeté dans un insert dont la forme est connue, à défaut d’être familière. Il trouve

l’inconnu dans le connu. L’hommage intertextuel sert aussi à cultiver la rupture.

Fig. 1 : Hommage à A Scanner Darkly (3.19)

Fig. 2 : Hommage aux cartoons de Terry Gilliam (5.9)

TV/Series, 6 | 2014

121

5 Le cas du traitement de l’image rappelant Vidéodrome est plus ambigu et pas toujours

explicite. Néanmoins, par la répétition des emprunts, ce procédé en vient à connoter

positivement la série qui se colore du cachet de l’esthétique singulière de son modèle.

Cette image vieillie et diaprée des années 1970 est notable et n’est pas utilisée par

hasard, d’autant qu’elle est associée à l’objet-clé du film : un écran de télévision (voir

figure 3). C’est celui sur lequel Walter regarde ses vidéocassettes au cours des cinq

saisons. Mais même ce que contenait l’écran de Vidéodrome se retrouve dans Fringe : des

parties du corps qui le traversent pour sortir littéralement de l’écran et envahissent le

monde de référence (virus informatique qui tue l’utilisateur : 2.12), des femmes et des

jeunes filles dont on abuse (2.1) et qui sont les objets des expériences scientifiques de

Walter Bishop et William Bell.

Fig. 3 : Hommage à Vidéodrome (2.1)

6 Enfin, déplaçant la simple référence, l’hommage intertextuel est utilisé comme

commentaire (souvent proleptique) de la scène dans laquelle il est inséré. Dans

l’épisode qui ouvre la saison 5, le personnage de Markham déjeune tranquillement

devant la série télévisée Maverick de Roy Huggins (1957). Plus qu’une citation destinée

aux fans, ce cas nous montre que l’intertextualité, par petit écran interposé, explique la

scène en cours. Markham prend l’épisode pour ce qu’il est – une fiction divertissante –

TV/Series, 6 | 2014

122

et ne lui accorde que peu d’importance. La scène est pourtant comiquement

proleptique car l’un des personnages met Maverick en garde : « Let’s get out of here

Maverick, you don’t want any trouble ». Ce à quoi l’intéressé répond : « You’re right

Doc, not that kind »2 avant de frapper son adversaire. Juste après, Markham, qui n’a pas

écouté le conseil de la fiction et qui est toujours là, s’empare de son fusil pour se

défendre face à Peter qui le désarme aussi vite que Maverick a réduit son adversaire à

l’impuissance.

7 Les emprunts et hommages sont toujours faits en ayant pleinement conscience de leur

impact. Du clin d’œil au commentaire, les auteurs ont montré qu’ils savaient utiliser la

comparaison pour la dépasser. Ce n’est donc pas un hasard si l’on aperçoit brièvement

un épisode de X-Files (Fox, 1993-2002) qui passe sur un téléviseur en arrière-plan de

l’enquête du premier épisode de la saison 2. La première saison de Fringe avait souvent

été accusée de n’être qu’une pâle copie de son célèbre prédécesseur des années 1990. En

débutant la saison 2 par cet hommage explicite, les créateurs entendaient montrer

qu’ils étaient conscients du reproche. Mais le modèle encadré est inséré dans l’écran

englobant de la série Fringe, qui suggère peut-être ainsi qu’elle va la dépasser et donner

au modèle initial une autre dimension. L’écran est donc souvent une petite fenêtre

annexe, ouverte dans un coin pour le spectateur, plus qu’il ne s’adresse aux

personnages auxquels il est originellement destiné. Dans la série, les citations jouent

avec le cadre de l’écran pour lui donner différentes valeurs. Mais ce cadre doit rester

matérialisé et ne devrait pas être transgressé car, alors, il contamine le réel qui

l’entoure (ce que nous apprenait Vidéodrome). La leçon de Fringe, c’est bien qu’il ne faut

jamais confondre les univers. Toute métalepse est à proscrire, nous explique l’épisode

12 de la saison 1, dans lequel un programme virus, quand il est activé, attaque

matériellement l’utilisateur : une main sort de l’écran et tue la victime.

2. L’écran comme lieu de fiction

8 Au-delà des hommages, la majorité des écrans jouent un rôle central dans le propos de

la série ou de l’épisode. Ils diffusent des programmes ou des informations que les

personnages regardent et utilisent, qu’il s’agisse d’indices de réalisme ou de

fictionnalité. Ils servent à créer un effet de réel, ont une valeur programmatique ou

permettent de regarder de la fiction.

9 La plupart du temps, l’écran est inoffensif et signale même la banalité du réel. À la fin

du premier épisode de la série, l’équipe fait irruption dans l’appartement du suspect,

lequel vient juste de fuir. Mais la télévision est encore allumée sur un programme

culinaire, connotant à la fois le quotidien de l’univers domestique, qui est loin de

correspondre au profil du suspect, et l’anormalité de l’absence de ce dernier,

annonciatrice de sa culpabilité. Comme dans bien des séries, les téléviseurs de Fringe

ont cette fonction paradoxale qui consiste à connoter le réel et à rappeler en retour au

spectateur la nature fictionnelle de ce qu’il regarde. Ainsi, systématiquement, les

multiples téléviseurs du bureau du FBI retransmettent les programmes d’information,

généralement une version « officielle » et donc tronquée de l’enquête qui nous occupe,

mais qui s’avère paradoxalement beaucoup plus réaliste que l’enquête surnaturelle que

l’épisode s’apprête à raconter. Dans l’épisode 15 de la première saison, alors que

l’équipe enquête sur une chimère monstrueuse, le flash info évoque les attaques d’un

« monstre » mais se clôt sur l’image d’un puma. Les écrans des ordinateurs suggèrent

TV/Series, 6 | 2014

123

eux une intense activité de recherche dont le spectateur ne verra jamais le détail

(portraits robots, rapports, cartes, etc.). Toujours en arrière-plan, aucun personnage

principal ne les regarde ni ne les commente. Ils ne servent qu’à évoquer le travail en

cours et à souligner, par métonymie, les efforts mis en œuvre par le FBI. De façon

similaire, même si Walter ne travaille sur aucun cas, les écrans de son laboratoire de

Harvard montrent toujours quelque traduction visuelle d’un procédé scientifique

(graphique, équation). Cherchant à promouvoir la vulgarisation scientifique, l’écran

donne à voir la science, l’image étant plus compréhensible que des termes abscons, ou

que le simple fait de voir des scientifiques qui s’activent. Mais il sert avant tout à

définir le lieu où il est placé de façon métonymique, tout en créant un effet un réalisme

absolument improbable.

10 Plus il y a d’écrans allumés, plus l’heure est grave, plus les équipes s’affairent en vue de

faire progresser l’enquête, doit-on comprendre. Mais l’écran réaliste doit rester un

objet passif que l’on active. Lorsqu’il s’allume seul et devient quasiment agissant,

comme dans l’épisode 9 de la saison 1, il signale l’anormal. Vecteur de surnaturel, il

permet alors à un John Scott décédé de contacter Olivia. Le phénomène est identique

dans les cas où l’on nous montre des écrans de surveillance : plus il y en a, plus

l’enfermement est strict et plus la menace est grande. Les écrans sont ainsi utilisés lors

des scènes qui se déroulent dans la prison allemande qui détient Jones, et dans l’hôpital

psychiatrique Saint Claire où Walter retourne momentanément pour le bien d’une

mission. La succession des plans directs et de plans montrés par le biais d’une caméra

de surveillance est croissante et redouble l’idée d’enfermement. Dans le cas de Jones, ce

procédé dénote l’idée d’enfermement absolu et rend encore plus spectaculaire son

évasion. En ce qui concerne Walter, ce montage montre qu’une simple visite est vouée à

se prolonger anormalement. Walter ne ressortira pas aussi rapidement ni aussi

aisément qu’on aurait pu le croire. Mais, plus que cela encore, lorsque ces plans sont

directement montrés au spectateur et non aux personnages, ils annoncent leur échec

de façon presque programmatique : Jones s’évadera forcément ; Walter, visiteur

temporaire de Saint Claire retenu contre toute attente, finira bien par ressortir le

lendemain. Ces écrans de surveillance ne sont finalement que des obstacles narratifs,

des péripéties. Ils ont une valeur programmatique qu’il convient de considérer à

présent.

11 Fringe est une série sur la contamination et la peur des épidémies de masse. Ce que l’on

nous montre dans un écran finit invariablement pas dépasser ses limites et sortir de

son cadre. La fiction vient contaminer le réel, de façon parfois relativement inoffensive.

Il faut alors accorder à ces écrans une valeur programmatique. Dans l’épisode noir

« Black Betty » (2.20), Olivia observe Nina qui complote avec William Bell par

l’intermédiaire d’un écran (voir figure 4). Ce cadre signale que l’on rend présent un être

éloigné. Mais, de façon plus intéressante, la représentation de Bell annonce l’épisode

rotoscopique qui nous sera donné à voir dans la saison suivante (3.9) et qui évoque A

Scanner Darkly (voir figure 5). L’écran est programmatique, ou plutôt, il joue sur l’effet

d’annonce qui invite au re-visionnage.

TV/Series, 6 | 2014

124

Fig. 4 : Allusion programmatique à A Scanner Darkly (2.20)

Fig.5 : Épisode rotoscopique et référence à A Scanner Darkly (3.9)

12 L’écran, en dernière analyse, délimite un espace permettant de regarder ailleurs. Le

regard passe dans l’autre monde, le cadre signale un changement de régime

métaleptique, donnant en retour une pseudo réalité au monde qui le contient. Le va-et-

vient est constant entre deux tendances : d’une part, utiliser les écrans pour renforcer

le caractère réel du monde qui les contient (pour preuve, dans l’écran, Bell est plus

proche de la fiction, d’un personnage de dessin animé, que d’un être humain réel) ;

d’autre part, jouer sur des effets de cadrage pour rappeler la nature fictionnelle de ce

qui se joue. Un Walter qui regarde un interrogatoire de l’autre côté d’un miroir sans

teint (qui a la forme d’un grand écran) va par exemple s’exclamer : « This is wonderful,

don’t you agree ? Just like a good detective movie. »3 (1.13, 16’07)

13 C’est en se plongeant dans l’écran que l’on s’immerge dans la fiction. L’un des premiers

gadgets futuristes que Walter ait inventé est une fenêtre (qui ressemble beaucoup à un

écran) au début de l’épisode 16 de la saison 2, épisode qui replonge dans le passé de

1985. Il utilise cet écran pour espionner Walternate (son double dans le monde

parallèle) et voir en temps réel ce qui se passe dans cet univers parallèle, fiction du

monde d’origine. La première visée de cet espionnage est noble : le simple passage du

regard dans l’autre monde est donc apparemment aussi inoffensif que le visionnage

d’un film, suggérant peut-être même que la fiction recèle des remèdes qui nous sont

encore inconnus. Walter suit les recherches de son alter-ego, Walternate, qui tente de

TV/Series, 6 | 2014

125

mettre au point un remède pour son fils atteint d’un mal incurable (ce qui est

également le cas du fils de Walter). Par le moyen de cet écran, les deux personnages

unissent indirectement leurs forces pour un Bien plus grand. Dans les faits, ce sera

l’étape initiale du drame qui va motiver toute la série. En un sens, par cet écran

enchâssé, et dans cet épisode analeptique, nous assistons à la genèse de Fringe : ce n’est

pas tant la naissance d’un enfant, mais sa mort, qui va pousser le parent à aller plus loin

que la création d’une fiction mentale de sauvetage ou de résurrection. Walter va passer

dans la fiction pour rendre son fantasme réel et aller chercher dans l’autre univers le

double du fils qu’il vient de perdre.

14 Mais, dans Fringe, le dedans sort irrémédiablement du cadre. Le contenant échoue à

circonscrire le contenu. Il en est de même des deux univers : regarder ne suffit jamais.

La vision crée la tentation et les deux univers vont se contaminer à travers l’écran.

Walter étant le personnage qui a créé cette perméabilité et cette contamination, il aura

pour caractéristique de souvent confondre réel et fiction. Il prend le réel pour un film

policier, on l’a vu, mais il prend parfois la fiction pour sa propre réalité. Ainsi dans

l’épisode 7 de la saison 5 (8’00), il raconte ce qui est arrivé à Bell (qui les a trahis et a

pris le parti des «Observers »), et qui terrifie tout le monde, les personnages comme les

spectateurs ; pour entendre Astrid lui répondre : « Walter, this is the movie Marathon

Man!4 » L’écran, c’est aussi le portail, un passage dimensionnel que Walter va inventer.

Le but est louable, mais l’homme est faible. Walternate a mis au point l’antidote qui

permet de sauver son fils mourant mais il ne l’a pas compris, au contraire du Walter qui

l’observait depuis son monde. Walter passe donc dans le monde parallèle pour aller

chercher Peter et le ramène pour le guérir. Cependant, la tentation de combler le vide

laissé par son fils mort est trop grande : il garde auprès de lui son enfant fictif. Il vole à

la fiction, en concrétise une part et déclenche toute une série de collisions entre les

mondes. Les écrans permettent de laisser passer plus que le regard, mais la fenêtre et le

portail sont assimilables à un autre titre. La fenêtre se présente comme un écran de

télévision, et au retour, le portail est activé par Walter au moyen d’une « simple »

télécommande. Une fois ce portail ouvert débute la contamination. Nina tente de le

traverser, mais il se referme sur son bras et le coupe. La partie qui est restée dans

l’autre univers sera remplacée par une prothèse, tandis que son irruption dans l’écran

la rapproche un peu plus de l’état de personnage et l’éloigne de celui d’être humain.

Quand Robert David Jones, lui, tente de fuir dans l’univers parallèle (1.20) au moyen du

même portail (activé cette fois par des ordinateurs dont on ne voit que les écrans), c’est

l’ensemble du monde « réel » qui subit une fictionnalisation. À mesure que s’ouvre le

portail, le monde se change en film d’horreur. Le portail prend l’apparence d’un écran

de cinéma qui projetterait un vieux film en noir et blanc à la Nosferatu (F.W. Murnau,

1922), tandis que le monde d’origine se change en parodie des X Files ou d’un film

d’horreur dont il reprendrait les clichés (décor de forêt nocturne, orage, monstre

couvert de bandelettes, musique). La leçon donnée par le sort qu’a connu Nina annonce

la chute de la scène. Le portail se referme au moment où Jones allait passer. Il se

retrouve donc coupé en deux. La science, même fiction, ne peut alors vraiment plus

rien pour lui. L’équipe, impuissante, n’a plus qu’à regarder le film qui se joue là.

15 Quand l’écran n’est pas poreux, c’est le monde qui l’entoure qui l’est, ce qui conduit le

spectateur à hésiter encore plus entre réel et fiction. Une scène est remarquable à cet

égard. Dans l’épisode 7 de la saison 3, on découvre un extrait du film Casablanca

(Michael Curtiz, 1942) intégré à l’intrigue (41’-42’). À ce moment, Fauxlivia (double

d’Olivia vivant dans l’univers alternatif) a été transférée dans le monde initial en se

TV/Series, 6 | 2014

126

faisant justement passer pour Olivia. Elle vit avec Peter, qui la prend pour Olivia. C’est à

l’occasion du visionnage du film qu’il va comprendre la véritable identité de la femme

avec laquelle il vit : elle est une autre version de celle qu’il aime, une fiction, d’autant

plus qu’elle lui ment sur son identité. Ce qui se passe dans l’écran permet de révéler la

porosité du réel puisque Fauxlivia se trahit en faisant référence à la version de son

monde parallèle où le rôle de Bogart est joué par Ronald Reagan. Par la suite, les

versions respectives de Fauxlivia et de Peter divergeront encore. Fauxlivia imaginera

une fin de conte de fée, tandis que celle de Peter sera la version réelle : la rupture du

couple. Fauxlivia est alors reconnue pour ce qu’elle est : un mensonge, une fiction. Et la

version réelle annonce la chute de l’épisode suivant : « All the best love stories are

tragedies ». Fauxlivia répond : « Only in the movies.5 » Puisqu’elle connaîtra une fin

tragique, c’est donc bien qu’elle est un personnage de film. Chose étonnante, Casablanca

est une fiction connue aussi bien du spectateur que des personnages de ce monde (en

l’occurrence, Peter), ce qui produit une fois de plus un effet de réel. Casablanca est aussi,

dans cet épisode de Fringe, ce qui se rapproche le plus de notre monde de référence,

comme si un morceau de l’univers du spectateur s’inscrivait dans la série avec ce

paradoxe que notre univers de spectateur y est représenté par une fiction. Peter a

besoin d’un écran pour comprendre le réel qui l’entoure, comme c’est le cas, à un

niveau quelque peu différent, pour Walter. Ce dernier doit revoir les vidéocassettes des

expériences qu’il a menées dans le passé pour retrouver son histoire et comprendre qui

il était et qui il est. La fiction aide à comprendre le réel, une fois de plus.

3. L’écran révélateur

16 Markham est un personnage secondaire qui apparaît à la saison 1. Ce bouquiniste aux

allures de marginal est un homme attaché au papier qui peut dénicher de rares

manuscrits utiles à l’équipe. Lorsqu’on le revoit à la saison 5 (qui se déroule en 2036), il

est reclus dans son appartement où il recueille des antiquités, au nombre desquelles les

très vieux écrans de télévisions qui nous rappellent Brazil. Dans cette saison 5, le monde

extérieur à son appartement est celui des tablettes et des projections holographiques

en 3D. Entre Markham et les Observers, entre ces deux extrêmes techniques, entre la

première et la dernière saison, Fringe a donc retracé toute l’histoire des écrans pour

connoter ce qui les entourait. Par effet métonymique, encore, nous comprenons que

l’homme aux téléviseurs des années 1950 est un homme du passé – et que le téléviseur

sert d’indicateur temporel. Par opposition, dès la saison 1 (qui se déroule à notre

époque), lorsqu’un personnage entre dans le building de la multinationale « Massive

Dynamic », il est surpris par des écrans ultra modernes dont le seul but est de donner

une apparence futuriste à cette entreprise. C’est donc là une autre utilisation

métonymique de l’écran : créer un effet passéiste ou futuriste qui contaminera le lieu

ou les personnages qui les utilisent. Dans le laboratoire, le téléviseur de Walter

participe de la même démarche. Intellectuellement, Walter est resté bloqué au moment

qui a précédé son internement à Saint Claire. Il continue donc à utiliser sa télévision de

l’époque et à regarder des vidéocassettes. Dans la saison 5, c’est en grande partie par

leurs projections holographiques qu’est présenté l’aspect futuriste des Observers (ils

peuvent se dématérialiser et projeter leur image), et c’est par différents types d’écrans

que l’on comprend la nature dystopique de la société qu’ils ont instaurée. Ainsi, les

écrans qui permettent d’observer sont matérialisés dans la rue, à la différence des

projections 3D qu’ils utilisent entre eux. Le règne humain est celui de la

TV/Series, 6 | 2014

127

matérialisation. Quant aux Observers atemporels, ils ont aussi bien recours à l’écrit

(dans leur carnet de notes au langage obscur), qui signale un passé encore antérieur,

qu’à la projection immatérielle.

17 Au fil des saison, Fringe se révèle donc être une histoire de la dématérialisation. On peut

l’expliquer en faisant un détour par la mise en scène des « fringe events » (événements

paranormaux sur lesquels les personnages enquêtent), qui signalent dans leur

surgissement que tout ce qui permet le déplacement est potentiellement source de

problème. En effet, ces « fringe events » se produisent tout particulièrement dans les

moyens de transports (avion, bus, train, voiture, hall de gare, tunnels de métro). La

série prône donc indirectement l’immobilisme, le conservatisme et la nostalgie puisque

tout ce qui bouge ou favorise le transport / transfert est invariablement le lieu d’un

événement paranormal qui cause la mort des citoyens ordinaires qui s’y trouvent, au

point que nombre de protagonistes en viennent à regretter la technologie antérieure.

C’est une leçon que l’on peut également tirer de l’étude des écrans. Au fil des saisons, ils

se dématérialisent ou deviennent mobiles, ce qui semble refléter la décadence du

monde ou, en tout cas, son invasion par les Observers, êtres dénués d’émotions qui

peuvent se téléporter dans l’espace et le temps et qui finissent par régner en maîtres

tyranniques sur la Terre. L’opposition entre les Observers et la résistance, tous deux se

livrant à des activités de surveillances du groupe adverse, sera concrétisée par cette

représentation des écrans : à la projection des Observers s’opposent ainsi les écrans de

l’Underground, matérialisés et nombreux (voir figures 6 à 9). La forme de l’écran que

l’on aperçoit dans le décor est donc un signe imparable du temps diégétique. Mais, au-

delà de cette utilité, l’écran a souvent un rôle narratif. Tout récit comporte des ellipses,

et dans Fringe, les écrans viennent soit les combler, soit les créer.

Fig.6 : Vieux écrans de Markhams (5.4)

TV/Series, 6 | 2014

128

Fig.7 : Projection 2D des Observers (5.1)

Fig. 8 : Projection holographique des Observers (5.3)

Fig. 9 : Mur d’écrans de l’Underground (5.1)

18 Les passages didactiques pouvant être laborieux, les écrans sont parfois utilisés pour

venir combler les parties de l’enquête que les personnages n’auraient pas expliquées. Le

premier épisode de la série fournit le tout premier exemple de ce type de procédé

narratif : ce n’est pas un agent du FBI ou une quelconque autorité qui fait part de la

décision de brûler l’avion qui s’est écrasé, mais une présentatrice d’informations lors

d’un flash diffusé par l’un des écrans dans les bureaux du FBI, en arrière-plan d’un

dialogue entre Broyles et Olivia. On retrouve ici la technique du jeu de piste qui offre

des informations supplémentaires mais non capitales au spectateur attentif.

19 La saison 5, qui clôt la série en 13 épisodes, est particulièrement savoureuse en ce

qu’elle devient réflexive et métanarrative. C’est ce qu’il y a dans un écran que l’on

TV/Series, 6 | 2014

129

regarde qui dicte l’épisode, ses intrigues, sa complexité, ses manques, ses ellipses et sa

quête. Pour devenir acteurs, les héros doivent d’abord être spectateurs. Dans cette

saison, l’équipe se « réveille » en 2036 et Walter, comme toujours, est à la fois ingénieux

et partiellement amnésique. Se connaissant et sachant qu’ils allaient tous subir une

longue stase, il avait non seulement mis au point un plan pour vaincre les futurs

envahisseurs, mais il avait également prévu qu’il l’oublierait. Il a donc disséminé dans

son laboratoire des vidéocassettes sur lesquelles est enregistré son plan d’action pour

détruire les Observers, avant de figer le tout dans l’ambre pour les protéger. Chaque

cassette numérotée contient une partie de son plan, qui constitue une étape menant

théoriquement à la défaite des Observers. À chaque épisode, l’équipe récupère une

cassette et s’efforce de mener à bien la mission qu’elle recèle. La cassette et sa

projection à l’écran sont donc des matérialisations de l’intrigue. Plus encore, l’état de la

bande même représente et incarne la difficulté de la quête. De façon fort peu logique,

alors que les cassettes étaient bien protégées dans leur boîte, la bande passante se

révèle systématiquement endommagée. À chaque brouillage correspondent donc les

inconnues de l’épisode et par conséquent une péripétie. Dès lors, le passé est à nouveau

valorisé. L’écran est créateur d’ellipses quand ce qu’il présente est partiellement

brouillé. Plus exactement, il est l’instigateur des paralipses qui redonneront de l’intérêt

à l’intrigue. Par exemples, dans la saison 5 épisode 8, on n’entend que les coordonnées

d’un lieu sans savoir ce que l’équipe y trouvera parce que la suite de la bande est trop

abîmée. À l’épisode de montrer au spectateur ce que la cassette endommagée cachait

aux personnages.

20 Enfin, les tendances au désordre de Walter, généralement utilisées comme facteur

d’humour autant que comme concrétisations de ses amnésies partielles, amplifient le

suspense et les attentes du spectateur. Du fait que Walter n’a pas rangé ces cassettes,

celles-ci sont récupérées de façon aléatoire et visionnées à mesure qu’on les trouve.

Elles livrent alors une succession non logique de quêtes au fil de la saison. Les

personnages trouvent la cassette n°7 avant la n°5, ce qui permet une résolution

partielle de l’intrigue. La quête de l’épisode est achevée, mais le mystère de l’arc

narratif qui couvre la saison reste entier. L’objet cassette est présent avant que les

personnages sachent à quoi il servira. Une fois le spectateur familiarisé avec cette

routine, le lien entre la diégèse de l’épisode et le contenu des cassettes projetées sur la

vieille télévision du labo entre dans une dialectique métaleptique associant contenu de

la cassette et diégèse de l’épisode. En plus de cela, le caractère inséparable de Walter et

de sa vieille télévision font de cette dernière la représentation métonymique du

scientifique. Dans cette saison, il n’est pas d’épisode sans cassette vidéo, ni de cassette

sans Walter : à qui en douterait, cela confirme qu’il est bien le héros de la série. Dans

l’épisode 6 de la saison 5, les scènes alternent entre le contenu de la vidéo de l’époque

(Walter se rendant sur les lieux où se trouve le nouvel indice) et l’action des

personnages (le Walter de 2036 se rendant à la même adresse) : la diégèse de l’épisode

redouble donc celle d’une histoire passée, l’écran plus grand rejoue l’écran plus petit.

Ceci est doublé d’une paralipse cruciale : est coupé le moment où Walter regarde la fin

de la cassette puis part sur les lieux. Les autres personnages butant comme le

spectateur sur cette paralipse, ils le croient disparu. Ils referont alors le cheminement

de Walter : regarder la vidéo (cette fois partiellement, et s’arrêtant là où le montage

nous faisait croire que Walter s’était arrêté), puis se rendre sur les lieux avec une

caméra qui leur permet de regarder la suite « en direct ». C’est une technique narrative

irréaliste mais qui a son utilité. L’équipe aurait pu prendre quelques minutes

TV/Series, 6 | 2014

130

supplémentaires pour regarder la vidéo en entier, mais ils en auront besoin sur place,

dans l’immeuble partiellement détruit où s’est rendu Walter, car elle leur servira de

mode d’emploi afin de passer dans l’autre dimension. D’autre part, ce procédé de

révélation « aléatoire » permet de morceler l’information et de ne fournir au spectateur

que le segment informatif qui va lui servir dans les minutes qui suivent son visionnage.

Dans ce cas précis, l’utilisation de la caméra qui permet de regarder la cassette est aussi

une alternative à une technique narrative plus communément utilisée dans la série :

Astrid reste au laboratoire, décrypte ce qui pose problème pendant que l’équipe se rend

sur les lieux, puis l’informe de ses découvertes grâce au téléphone portable. Ce dernier

est d’ailleurs fréquemment utilisé par les personnages pour regarder des vidéos ou

chercher des informations visuelles sur le terrain. La vieille télévision matérialise donc

le récit, tout comme elle est la métonymie de Walter à bien des égards. Il est le seul à

l’utiliser et, quand il disparaît du labo, c’est un écran vide que trouvent les

personnages.

21 On peut regarder les écrans de Fringe d’un œil distrait. Pourront bien sûr échapper au

spectateur des clins d’œil culturels, des hommages secondaires, des références

intertextuelles qui font sourire les avertis ou rappellent la tradition dans laquelle se

situe la série. Mais, progressivement, en s’immergeant un peu plus dans son écran, le

spectateur sort du cadre référentiel pur et est amené à lire les écrans comme autant

d’indices disséminés – sorte d’alphabet à reconstruire, comme celui qui est proposé à

chaque coupure de publicité au cours d’un l’épisode. L’écran devient paradoxalement

ce qu’il y a de plus réel dans cette fiction. Il commente, annote, puis donne forme à

l’épisode qu’il finit par dicter. Les mondes de Fringe sont poreux, nous disait l’intrigue.

La forme transmet exactement la même idée lorsqu’elle utilise son propre cadre pour

commenter le propos et montrer la perméabilité des univers englobants et englobés.

L’écran regarde en arrière, en avant et à côté. La série est conservatrice par bien des

aspects, mais aussi futuriste et alternative. Et, si le temps y est chronologique, le propos

comme la forme ne sont a priori qu’histoire d’enchâssement de cadres. Mais la diversité

des jeux de cadrage auxquels les auteurs se livrent, le caractère équivoque du cadre lui-

même, la perméabilité des univers fictionnels et leurs références protéiformes au réel

font de Fringe une série à la complexité narrative au moins aussi étourdissante et

palpitante que celles de Lost.

BIBLIOGRAPHIE

BENNET Tara, TERRY Paul, Fringe, September’s notebook, The Bishop Paradox, Saint-Raphael, California,

Insight Editions, 2013.

BLOT Aurélie, « Fringe : ‘Aux frontières du réel’ », TV/Series, No. 1, 2012, http://media.wix.com/

ugd/93a9a2_e0c654ab340f46deb14b852291ff6ba6.pdf, lien consulté le 27 décembre 2014,

ÉCO Umberto, Lector in Fabula. Le Rôle du lecteur ou la coopération interprétative dans les textes

narratifs, trad. Myriem Bouzaher, Paris, Grasset, Le Livre de Poche, Biblio Essais, 1979, 1989.

TV/Series, 6 | 2014

131

ÉCO Umberto, Les Limites de L’interprétation, Paris, Livre de Poche, Biblio essais, 1992.

FISKE John, HARTLEY John, Reading Television, Londres, Routledge, 2003.

GENETTE Gérard, Figures III, Paris, Seuil, Poétique, 1972.

--, Métalepse, Paris, Seuil, Poétique, 2004.

PIER John, SCHAEFFER Jean-Marie, Métalepses, entorses au pacte de la représentation, Paris, Éditions de l’

École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2005.

RICOEUR Paul, Temps et récit, 3. Le temps raconté, Paris, Seuil, 1985.

WAGNER Frank, « Glissements et déphasages », Poétique, No. 130, Avril 2002.

NOTES

1. Le cartoon est visible en entier à l’adresse suivante : http://www.youtube.com/watch?v=t9Uq-

yXc7x0D, lien consulté le 26 décembre 2014.

2. « Sortons d’ici, Maverick, tu n’as aucune envie d’avoir des problèmes. » « Tu as raison, Doc,

pas des problèmes de ce genre, en tout cas. »

3. « C’est merveilleux, n’est-ce pas ? C’est comme un bon vieux polar ».

4. « Walter, c’est l’histoire du film Marathon Man ».

5. « Toutes les meilleures histoire d’amour sont des tragédies. » « Seulement dans les films ».

RÉSUMÉS

Fringe est une œuvre qui se montre hautement consciente de son statut de série télévisée, que se

soit par le jeu de pistes intertextuel qu’elle offre au spectateur dans des écrans disséminés dans le

décor, par la dialectique entre réel et fiction qui s’y cristallise ou encore par l’aspect réflexif et

métanarratif des œuvres qui y sont projetées.

Dans les téléviseurs et moniteurs placés dans le décor passent d’anodines références

intertextuelles qui, de clins d’œil adressés aux fans et de références à d’augustes chefs d’œuvres

du petit et du grand écran, deviennent vite des commentaires de l’histoire en cours. L’écran se

pose comme cadre qui renforce le caractère réel de ce qui l’entoure et la nature fictionnelle des

images enchâssées. Il permet de regarder la fiction avant de se faire poreux au fil des saisons et

de pousser les protagonistes à entrer et sortir du cadre, à changer littéralement d’univers et de

régime fictionnel. Le petit écran délimite l’espace, donc, mais signale aussi la temporalité. Des

vieux téléviseurs des années 1950 placés dans le décor aux projections 3D des Observers venus

envahir le monde, il montre que Fringe est une histoire de dématérialisation des cadres. Ainsi les

écrans sont les lieux privilégiés des ellipses narratives que, tour à tour, ils comblent (en projetant

des éléments que les protagonistes passent sous silence) ou créent (lorsque, dans la saison 5, ce

sont de vieilles vidéocassettes qui dictent le programme de chaque épisode).

Fringe is a work that shows itself to be highly aware of its status as a TV series, whether by the

intertextual scavenger hunts it offers to spectators in the screens placed in the background, by

the dialectic between fiction and the real that crystallizes there, or by the reflexive and

TV/Series, 6 | 2014

132

metanarrative aspects of the works that are shown there.

Negligible intertextual references appear on the televisions and monitors placed in the scenes,

which, nodding to fans and making references to venerable masterpieces of the small and big

screens, quickly become commentaries on the story in progress. The screens pose themselves as

frames that reinforce the real nature of what surrounds them and the fictional nature of the

images enshrined in them. These screens permit spectators to watch the fiction before it

becomes porous over the seasons and pushes the protagonists into and out of the frame, literally

changing universes and fictional regimes. The small screen defines the scope of space, but also

indicates temporality. From old televisions from the 1950s placed in the decor to the 3D

projections of the Observers, who have come to invade the world, the screen shows Fringe to be a

story of the dematerialization of frames. Thus, screens are the principal places of the narrative

ellipses that, one after another, they fill in (by projecting elements that the protagonists leave

out) or create (when, in season 5, old video cassettes dictate the program of each episode).

INDEX

Mots-clés : Fringe, enchâssement, écran réflexif, méta-narration

Keywords : Fringe, embedded structure, reflexive screen, meta-narration

AUTEUR

AURÉLIE VILLERS

Aurélie Villers est Docteur en littérature américaine, traductrice et enseignant-chercheur à

l’université de Picardie-Jules Verne. Spécialiste de science-fiction américaine contemporaine, elle

a coorganisé plusieurs colloques internationaux sur ce genre. En plus de la littérature de science-

fiction, elle s’intéresse aux séries américaines contemporaines, en particulier Lost et Fringe.

TV/Series, 6 | 2014

133

À l’intérieur de Seinfeld : la sitcom JerryEric Gatefin

1 Un comique new-yorkais, ses amis, ses amours. Ainsi résumée, la sitcom Seinfeld (NBC,

1989-1998) ne semble pas devoir surprendre le téléspectateur. Produite peu avant des

séries comme Dream on (HBO, 1990-1996), Friends (NBC, 1994-2004) ou Mad About You

(NBC, 1992-1999), elle entretient avec elles de fortes parentés thématiques. Situations,

personnages, gags, rythme, le téléspectateur ne peut qu’être parfois troublé par ces

univers si voisins. Il est aussi nécessairement dérouté par la singularité de Seinfeld, à

l’intérieur de ce champ en apparence si balisé. L’arc narratif principal de la saison 4 est

à cet égard emblématique de l’audace des auteurs de Seinfeld : voilà le personnage

principal Jerry Seinfeld, qui semble jouer son propre rôle, contacté pour créer une

sitcom sur le network NBC. Tout est donc en place pour une stricte mise en abyme de la

série, avec ses risques et ses complexités.

2 Comment ce processus est-il montré dans la sitcom ? Considérée sur l’ensemble de la

saison, la représentation de la fabrication d’une série semble reprendre assez

fidèlement les étapes principales de production : contacté par NBC, le personnage de

Jerry Seinfeld saisit l’opportunité de voir une série bâtie autour de lui. Avec le concours

de son ami George, il propose un concept. Après un accord de principe ont lieu les

négociations sur le salaire. Une fois soumis le scénario d’un pilote, les auteurs

attendent le verdict des décideurs de la chaîne. La décision leur est favorable. George et

Jerry sont donc invités à choisir des comédiens lors d’un casting, avant que le tournage

n’ait lieu dans le dernier épisode de la saison.

3 Derrière ce résumé linéaire se cache une grande disparité de traitement des différentes

étapes. D’abord, cet arc narratif, qui donne bien une perspective d’ensemble à la saison,

n’est pas évoqué dans quelques épisodes tandis qu’il est présent seulement en filigrane

dans d’autres. Ensuite, ce qui intéresse paradoxalement les auteurs de la série, c’est la

mise en scène de l’écriture – la recherche du concept d’abord, de l’histoire ensuite et

des dialogues. Le casting et le tournage n’occupent que l’épisode final de la saison, alors

qu’ils semblent plus aisés à montrer. Cette prégnance s’explique par le dispositif de la

sitcom. Contrairement à certains autres formats télévisés, ce genre est par excellence

TV/Series, 6 | 2014

134

celui de l’écriture. L’auteur, au sens où la critique française l’entend, ne peut être que

celui qui imagine dialogues, situations, entrelacs des lignes d’intrigue, puisque le

metteur en scène suit une grammaire visuelle particulièrement basique. Ainsi, nous

montrerons que Larry David et son équipe proposent moins à voir une mise en abyme

directe de la série au sens où un épisode serait montré dans un épisode, qu’une image

de leur travail d’écriture de la série. La mise en branle de la sitcom Jerry offre un

nouveau moyen de mettre à jour le mécanisme de la création et d’exhiber le

fonctionnement de cette machine à effets que constitue tout programme télévisé.

1. La petite histoire d’une création

4 Seinfeld porte sur le processus même de la réalisation d’une série le même regard acide

et décapant que sur les autres domaines qu’il aborde au cours de chaque épisode. On

trouve dans cette saison 4 la trace d’un certain nombre de critiques habituelles contre

le médium télévisé et ses productions. Reste à voir jusqu’où les créateurs peuvent aller,

d’une part compte tenu de la censure qui s’exerce sur leurs scripts, d’autre part pour ne

pas heurter un public qui verrait d’un mauvais œil une critique trop radicale de ce qu’il

est en train de regarder.

Satire de l’univers télévisé

5 La satire de l’univers télévisé est étrangement poussée assez loin tout au long de la

saison. Pour une série diffusée sur un network généraliste (NBC), le fait peut

surprendre. Plusieurs éléments viennent expliquer cette relative liberté accordée aux

auteurs de la sitcom. D’abord, Seinfeld n’est pas jusque-là une série phare de la chaîne.

Diffusée après la très populaire Cheers (NBC, 1982-1993), elle retient l’attention d’un

public de fidèles mais ne connaîtra un large succès que lors de cette quatrième saison1.

Par ailleurs, dans leurs premiers développements, les péripéties de la création de la

série paraissent ridiculiser principalement les auteurs de sitcoms. Seule une vue

rétrospective sur l’ensemble de la saison permet de saisir le caractère corrosif du

propos pour l’ensemble de ce milieu.

6 De prime abord, les dirigeants de NBC passent simplement pour assez naïfs et peu

regardants sur la valeur des programmes qui leur sont proposés. Leur goût paraît assez

peu sûr, à l’inverse de leur sens de la négociation financière qui tournera en défaveur

des deux auteurs. Une vue plus détaillée sur le destin du projet conduit par les

personnages de Jerry et George montre que les incertitudes qui entourent la création

de ce pilote sont d’abord entretenues par les fluctuations des désirs et caprices des

dirigeants. C’est parce que Susan, conseillère du président de la chaîne, va désirer

George que les auteurs auront une chance d’écrire leur pilote ; c’est parce que George

va jeter un œil un peu trop insistant sur le décolleté de la fille du producteur de NBC

que la réalisation de ce même pilote sera remise en cause. Enfin, si le producteur

change d’avis, c’est qu’il est obsédé par Elaine, après avoir été charmé, à son tour, par

son décolleté. Rejetées au second plan, les interrogations sur la valeur de la création

proposée ne jouent guère de rôle dans la mise au point du pilote. Ce dernier est

subordonné à un chantage sexuel, dont créateurs et producteurs sont parfaitement

conscients et dont ils savent jouer quand l’occasion se présente.

TV/Series, 6 | 2014

135

7 Du côté du public, la même indifférence au contenu règne. Si les producteurs de NBC

n’ont guère à se préoccuper des programmes qu’ils diffusent, c’est aussi parce que les

téléspectateurs n’ont pas la moindre exigence artistique sur ce qu’ils regardent. À Jerry

qui s’inquiète de ne pouvoir écrire pour la télévision, George rétorque : « Come on

Jerry, it’s just TV » (4.3). Meuble central de l’appartement de Jerry, la télévision est

accaparée par les personnages et fonctionne comme une drogue, qui conditionne les

individus. Regards habités, fascinés s’abîment dans la contemplation de jeux ou de

programmes enfantins2. L’invisible enfant-bulle auquel George et Susan rendent visite

est un tyran domestique par la maîtrise qu’il a de la télécommande (4.7). Son caractère

acariâtre passe aisément pour la conséquence de son immersion permanente dans

l’univers du petit écran. Kramer, incapable de maîtriser son addiction, fait fi de ce qui

l’entoure pour mieux participer à la version américaine de Jéopardy (4.10), comme dans

cette scène :

Fig. 1 : Kramer plongé dans le petit écran ou la figuration de l’absence complète de distance avec latélévision

8 L’intégration de ses répliques dans le flux du dialogue entre Jerry et George souligne

l’absence totale de relation à l’autre induite par le rapport fusionnel au téléviseur.

9 La sitcom Jerry créée par George et Jerry n’a pas vocation à dépareiller dans cet univers

où superficialité et abrutissement sont de mise. Réaffirmé à plusieurs reprises, le projet

des deux auteurs est d’être simplement amusant. Jerry ambitionne de donner une

nouvelle ampleur à sa carrière de comique. George pense pouvoir gagner beaucoup

d’argent et séduire des femmes grâce à ce métier. Bien vite, cependant, les auteurs de

Seinfeld donnent à voir la réalité face à ces fantasmes. Maigrement rétribué pour

l’écriture du pilote, George est par ailleurs raillé par une femme qui souligne la

médiocrité du genre de la sitcom.

TV/Series, 6 | 2014

136

10 On voit que la critique de l’univers de la télévision est acerbe. Conformément au ton

général de la série, le rire se veut grinçant, dans la mesure où sont visées toutes les

instances participant à la création d’une sitcom : la charge contre les producteurs

devient notamment, par degrés, particulièrement sévère tout comme celle qui vise le

public. La satire de la création audiovisuelle atteint toutefois une toute autre portée,

quant on touche au contenu du programme proposé et à l’écriture de la sitcom. Cette

fois, les auteurs de la série Seinfeld se prennent en quelque sorte pour objet de la

création et offrent une étrange représentation de leur activité.

« A show about nothing »

11 Il est assez significatif que l’initiateur du projet de série soit George. Conçu après

quelques tâtonnements, son concept se veut, au choix, révolutionnaire ou absurde. Il

prétend imaginer « a show about nothing » (4.3, voir figure 2) :

Fig. 2 : L’artiste et son concept ou la vanité d’une idée de génie

12 Encore convient-il de définir ce « rien », sujet de débat avec les producteurs de NBC

mais aussi entre George et Jerry. Dans une première acception, le « rien » signifie

l’absence de récit progressif dirigé vers une fin et contenant un message. En somme, la

fiction ne dirige pas l’esprit du spectateur vers un univers imaginaire qu’il s’agirait de

représenter et donc d’abord de concevoir. Se substitue à ce récit classique une peinture

de la vie quotidienne, de ce qu’on pourrait appeler des riens. Il s’agit de petits détails a

priori sans intérêt, sans importance, qui prennent pourtant une place inopportune dans

l’esprit de chacun et qui se trouvent à leur place à la télévision, écran destiné au

familier plus qu’au spectaculaire.

13 Mais ce projet, George semble vouloir le radicaliser, passant des petits riens au Rien

avec un grand « R » : il n’est plus alors question de mettre en relief certains aspects de

TV/Series, 6 | 2014

137

la vie quotidienne mais de la représenter dans son absolue banalité, voire en en ôtant

tout ce qui pourrait être de l’ordre de l’événement. À la question de Dalrymple : « Why

am I watching it ? », George, triomphal, réplique : « Because it’s on TV ! » (voir figure

3).

Fig. 3 : Vers la téléréalité : le programme comme flux sans contenu

14 En somme, le média occupe une place tellement banale dans la vie de tous les jours que

le programme conçu n’a plus d’importance en soi. On n’est pas loin du projet de la

téléréalité, du moins sur le principe. Cette idée s’accorde particulièrement à la paresse

de George dans la mesure où l’écriture consiste alors à collecter des faits, sans

invention ni travail de dramatisation.

15 Or, très vite, pour George comme pour les concepteurs de programmes bas de gamme,

la question du contenu se pose à nouveau et implique un changement de perspective.

La concession du créateur ne règle pourtant rien. Après le vide revendiqué vient le vide

subi, signe d’impuissance. Longtemps, Jerry reste une coquille vide que les deux auteurs

ne savent pas remplir. Des pitches hasardeux qui ne mènent nulle part, une absence de

motivation dans les idées qui feraient plus qu’agacer un Robert Mc Kee, des dialogues

navrants ne dépassant pas « Hello ! » et « How are you doing ? », Jerry semble bien

appelée à rester un rien (4.8). Cette sitcom est le signe de la paresse de ses auteurs à

consentir le moindre effort intellectuel et à développer une idée personnelle. Dès lors,

le temps pendant lequel les deux auteurs devraient composer Jerry est consacré à

trouver un prétexte pour ne pas écrire, à dormir ou encore à regarder la télévision.

Processus d’évitements, mais aussi d’aveuglement, car dans le même temps que le

scénario ne se construit pas, Jerry et George vivent une existence scénarisée avec brio,

dont Jerry repère même, pour le téléspectateur, le caractère brillamment construit

(4.10). Il fait ainsi remarquer à George que sa situation présente un aspect singulier.

D’abord, il a obtenu une situation socialement enviable en séduisant Susan : le voilà

TV/Series, 6 | 2014

138

auteur de sitcom. Mais l’obtention de ce statut ne lui permet pas d’en bénéficier pour

séduire une femme puisqu’il ne le détient que dans la mesure où il est le petit ami de

Susan3. Coïncidence et ironie du sort, voilà deux artifices d’écriture que les auteurs de

Seinfeld pointent aux yeux du téléspectateur par l’intermédiaire du dialogue, comme si

la mise à jour du procédé ne nuisait pas à son efficacité comique. Surtout, cette mise en

exergue est à double détente, puisqu’une autre ironie du sort échappe aux personnages.

En effet, leurs situations vécues fourniraient la matière de la fiction au second degré

qu’ils désespèrent d’inventer.

16 Passant ainsi à côté de ce qui constituerait le contenu d’une sitcom dans leur existence,

George et Jerry lancent un pitch typique d’un comique de situation, sans intérêt aux

yeux de Jerry, mais qui retient toute l’attention des producteurs. D’un concept

audacieux on passe donc à une histoire conventionnelle peu vraisemblable. Jerry ne

sera pas « a show about nothing ».

Une fiction-miroir : Jerry dans Seinfeld

17 L’objet final obtenu constitue-t-il une mise en abyme de Seinfeld, au sens d’une

représentation fidèle de la fiction au premier degré ? Si Jerry n’est pas une sitcom sur

rien, peut-elle être perçue comme un double exact de Seinfeld ?

18 Le trouble principal introduit par la mise en scène du tournage du pilote consiste dans

l’identité des acteurs-personnages. Un écart se crée entre les acteurs, lié à celui qui

transparaît dans la sitcom Seinfeld. À un premier niveau en effet, Jerry Seinfeld

interprète son propre rôle dans la série que nous regardons. Son personnage a donc un

statut particulier par rapport à ceux d’Elaine, George et Kramer. Effet redoublé ici :

Seinfeld joue son rôle en train de jouer son rôle dans la sitcom Jerry. Problème : cette

mise en abyme ne fonctionne pas de la même manière pour ses comparses. George,

Elaine et Kramer, personnages de fiction, sont repris dans la fiction au second niveau

sous les traits d’acteurs jouant le rôle d’acteurs censés les interpréter (voir figure 4).

TV/Series, 6 | 2014

139

Fig. 4 : Kramer et son double : Michael Richards face à l’acteur qui aurait pu jouer son rôle dans lafiction Seinfeld

19 Les acteurs interprétant les personnages de la fiction au second degré induisent tous un

trouble dans leur rapport avec leur rôle (4.23 et 24). Le Kramer au second degré se

détache du Kramer joué par Michael Richards qui convoitait le rôle. Il est indépendant,

marginal et retrouve paradoxalement les traits du personnage de Kramer en refusant la

fusion, l’imitation. L’actrice qui interprète Elaine veut au contraire s’immerger

totalement dans son personnage. Puisqu’Elaine a couché avec Jerry, elle le fera aussi.

Elle rompra aussi dans une scène où, pour elle, fiction et réalité semblent se mêler.

Enfin, le comédien interprétant George panique tant à l’approche du tournage qu’il

entre ainsi dans le rôle même qu’il craint de ne pouvoir jouer. Le spectateur de Seinfeld

se retrouve également face à un trouble compte tenu des ressemblances physiques

entre les personnages et les acteurs les incarnant dans la fiction au second degré. Tout

se passe comme si ces acteurs étaient des caricatures des personnages de Seinfeld, ayant

avec eux une vague parenté mais paraissant simultanément incapables d’incarner à nos

yeux Elaine, George et Kramer.

20 Au-delà de la question des acteurs se pose celle du contenu de la série. Le téléspectateur

n’a qu’une perception fragmentaire de ce qu’est le pilote Jerry. Les auditions, le

tournage offrent quelques éléments, qui semblent indiquer que les personnages

recyclent des répliques et situations de leur vécu dans la fiction Seinfeld. Pour autant,

ces échos ne s’articulent pas à l’histoire du pilote. Ils sont autant de morceaux détachés,

de références sans lien avec l’intrigue appelée à être traitée. De manière significative,

les trois scènes montrées lors de la diffusion du pilote sont entrecoupées des réactions

de différents personnages de la saison devant leur petit écran. Ainsi, le caractère

fragmentaire de ce qui est montré est souligné. Dans le même temps, les effets

comiques sont plus efficaces dans les scènes de téléspectateurs, car ils fonctionnent en

écho avec des situations issues des autres épisodes de la saison, ce qui est impossible

TV/Series, 6 | 2014

140

pour le pilote de Jerry. Plus exactement, la seule façon dont les extraits de Jerry peuvent

faire rire tient aux liens qu’ils entretiennent avec la fiction Seinfeld. Le rire est alors

pure affaire de ressemblance, de familiarité mais il est simultanément désamorcé par le

décalage qui fait que Jerry n’est pas un épisode de la fiction Seinfeld mais bien une autre

fiction peu innovante en tant que telle.

21 Incapable d’adhérer au jeu d’acteurs interprétant des personnages au second degré, à

un pitch peu enthousiasmant et à une sitcom qui semble singer la fiction au premier

degré sans en capter la singularité, le téléspectateur ne peut, à l’instar de la nouvelle

productrice, que porter un jugement négatif sur le produit final. Difficile en réalité de

définir clairement les intentions des auteurs de Seinfeld dans les extraits du pilote

diffusé. Il semble qu’il leur fallait nécessairement attester de l’existence de la fiction au

second degré en en proposant des images, mais il est évident qu’ils avaient plus à dire

sur le processus de création que sur son aboutissement. Ce qui ressort justement de ce

processus est l’idée d’une vanité absolue, qui tient autant aux créateurs qu’aux

récepteurs du projet. De cette vanité naît Jerry, une sitcom comme les autres, mais ce qui

transparaît en filigrane, c’est bien sûr que ce vide absolu est aussi celui de Seinfeld, de

sorte qu’à travers la conception de la sitcom, c’est bien à une vertigineuse mise en crise

de la fiction que le lecteur assiste (voir figure 5).

Fig. 5 : Du naufrage d’un texte à celui d’une fiction

2. George, « the nothing man »

George, personnage principal

22 Cette crise de la fiction est avant tout, me semble-t-il, celle d’un personnage qui fait

exploser le cadre classique de la sitcom. George est, en effet, de manière assez

TV/Series, 6 | 2014

141

paradoxale, le personnage central de la série Seinfeld. On sait que l’écriture de la sitcom

est supervisée, pendant les sept premières saisons, par Larry David et Jerry Seinfeld. Le

premier a volontiers reconnu avoir beaucoup mis de lui dans la figure de George, avant

d’en venir à une autoreprésentation directe dans Curb your Enthousiasm4 (HBO,

2000-2011). Le concept initial et les apparences mettent en exergue Jerry Seinfeld.

Donnant son titre à la série et interprétant son propre rôle, il accueille le téléspectateur

et les autres personnages dans son appartement. Des extraits de ses spectacles de stand-

up ponctuent chaque épisode pendant les sept premières saisons. Les personnages

d’Elaine, Kramer et George sont censés graviter autour de lui, au point que dans un

épisode, George et Elaine éprouvent de la gêne à rester tous les deux (3.4), Seinfeld

étant, finalement, leur seul point commun. Figure indispensable, Jerry vaut donc

d’abord comme lien. Aux yeux du téléspectateur, il peine parfois à exister pleinement

comme personnage. À l’inverse, tout en déroutant complètement les habitudes du

téléspectateur, George apparaît d’emblée comme une figure nettement caractérisée.

Son instabilité, sa singularité lui valent d’imprimer son ton et son rythme à la série.

Un danger pour la fiction

23 Co-créateur de la série Jerry, George est à la fois l’élément moteur et l’obstacle

fondamental de la production du programme. Face à un Jerry d’abord inhibé, il estime

qu’il est facile d’écrire pour la télévision, vu ce qui y passe. Il est ensuite à l’initiative de

pitches peu brillants mais qui témoignent de son implication. C’est au final l’une de ses

idées peu pertinentes qui servira de base à la réalisation du pilote. Par ailleurs, George

est l’inventeur du concept du « show about nothing », concept-limite qui lui vaut la

méfiance des dirigeants de NBC. Sa relation instable avec Susan, le regard qu’il dirige

vers le décolleté de la fille du président de NBC (4.17) sont autant d’erreurs qui

remettent en cause l’existence de la série. Symboliquement donc, Larry David et Jerry

Seinfeld, auteurs de la série, font de George celui qui est au fondement et qui empêche

simultanément la fiction de se faire. La mise en abyme offre une lecture de la fonction

du personnage de George dans la sitcom Seinfeld : il est à la fois la condition sine qua non

de l’existence de la série (quel intérêt aurait-elle sans lui ?) et ce qui fait obstacle à son

aboutissement, en ce sens peut-être qu’il l’empêche d’être une sitcom comme les autres

et de se dérouler suivant des codes classiques. Les pathologies du personnage, son

caractère souvent antipathique, perpétuellement dysfonctionnel enraient les processus

classiques d’attachement et de continuité du récit. George, en effet, se montre

incapable d’apprendre de ses erreurs ; il ne manifeste aucun désir de s’amender et

condamne son entourage à suivre le même processus. Ainsi, la figure de Jerry Seinfeld,

peu marquée au début de la série, rejoindra progressivement celle de George.

Initialement chargé de l’analyser, de mettre à jour ses nombreuses pathologies, Jerry

incarne d’abord le discours de la norme. Mais, progressivement, son personnage tend,

avec son caractère propre, à évoluer suivant une mécanique identique à celle de

George5. Spectateur de ses errances, il en devient parfois aussi l’initiateur en même

temps qu’il expose lui aussi au grand jour ses tares et multiples obsessions6. Ainsi, il

apparaît que, dans une grande mesure, George entraîne les autres et l’ensemble de la

sitcom Seinfeld, vers le vide et la folie.

TV/Series, 6 | 2014

142

Portrait d’un instable

24 À l’instar des grandes figures de marginaux, George est un être des extrêmes. Quand il

défend l’idée d’une « série sur rien », il est, selon les points de vue, génial ou ridicule.

Mais son attitude même à l’égard de cette idée passe d’un extrême à l’autre. D’un

sentiment de supériorité, il passe à une compromission totale en renonçant à ce à quoi

il semblait croire. Dans les autres domaines, George navigue ainsi d’une position à

l’autre. Après avoir maudit Susan, employée de NBC à laquelle il doit tout mais qui

l’empêche de séduire d’autres femmes (4.10), il se mue en amoureux désespéré,

déclamant sa passion sous le regard indifférent de ses amis auxquels il se donne en

spectacle (4.13). Plus que de sentiments sujets à variation, c’est bien le rôle qui importe

et surtout la compassion et l’intérêt qu’ils peuvent provoquer. Tout se passe comme si

George se trouvait face à un auditoire et qu’il continuait à interpréter son rôle malgré

la perplexité de son public, concentré sur une fiction en laquelle il est le seul à croire. À

peine Susan reconquise, il cherchera d’ailleurs immédiatement comment rompre avec

elle (4.13). Ce grand écart est aussi celui de la hiérarchie entre l’essentiel et l’accessoire.

Au moment où la série qu’il a contribué à concevoir s’apprête à voir le jour (4.24),

George est miné par deux préoccupations : il veut savoir s’il est atteint d’un cancer et si

l’acteur interprétant Kramer a réellement volé des raisins secs lors de son audition. Ce

qui est ainsi mis en scène, c’est la manière dont l’esprit du personnage oblitère ce qui

pouvait être un enjeu majeur pour lui. Il substitue à cela deux obsessions d’importance

tout à fait inégales. Ce jeu des disproportions sur lequel les auteurs construisent les

lignes d’intrigue concernant George permet à de multiples reprises de remettre en

cause les conventions sociales et les normes de comportement. Fréquemment, l’attitude

de George lève certains tabous : il est prêt à rompre avec sa compagne qui vient d’être

renvoyée de son emploi par sa faute (4.10) et négocie une réduction pour un voyage par

avion en profitant de la mort de la tante de sa petite amie (4.19). On voit que si George

est un personnage des extrêmes, il n’est jamais question pour les auteurs de lui

attribuer la moindre forme de grandeur.

25 Ces contradictions et cette faiblesse morale font de George un être vain. Pour rompre

avec une compagne trop éprise, il affiche sa vacuité, proclamant : « I’m nothing »

(4.16), écho évident de l’expression « a show about nothing » (voir figure 6).

TV/Series, 6 | 2014

143

Fig. 6 : Un personnage à l’image de sa fiction : la vacuité assumée

26 Mais même de cette insignifiance, George ne parvient pas à convaincre son

interlocutrice. Il lui faudra par conséquent endosser des rôles pour espérer susciter le

dégoût de sa compagne. Il sera d’abord un homosexuel, ensuite une star de cinéma

pornographique, sans que ces changements d’identité lui permettent de démontrer son

insignifiance à la jeune femme. La déviance entraîne inévitablement la déviance, et tout

semble indiquer que cette compagne est elle-même dérangée. Ce spectre de la folie

rôde significativement autour de George. Parmi les personnages récurrents de cette

quatrième saison se trouve Joey De Vola, qui fréquente le même psychiatre qu’Elaine.

Sa première apparition coïncide avec un moment de panique chez George avant de

rencontrer les dirigeants de NBC. Une continuité apparaît alors entre les deux

personnages, tous deux aspirants scénaristes. Tandis que De Vola menace la vie de

Jerry, George présente un sérieux danger pour sa réussite professionnelle. La suite

confirmera ce risque : Jerry conseille à George d’aller voir une assemblée de psychiatres

pour traiter son cas après sa conduite désastreuse lors du rendez-vous à NBC. Aussi

incontrôlable que l’inquiétant De Vola, George verbalise ce que l’humanité ordinaire

enfouit, il agit souvent en dépit du bon sens et se meut dans son propre univers, guidé

par ses obsessions.

27 Que nous dit finalement George sur les figures de la série ? En bien des occasions, elles

ne font qu’endosser des rôles sociaux sans y croire véritablement. Une sorte de distance

s’établit entre le personnage et le rôle qu’il devrait tenir. Par ailleurs, c’est l’ensemble

des conduites déviantes qui trouvent un lieu de manifestation dans la série. La norme

guette, la censure morale, la réprobation aussi mais de manière pulsionnelle, viscérale

émerge l’anormalité triomphante, fruit d’un fonctionnement social absurde par ses

conventions. Quel récit construire alors ? Comment redonner sens à ce qui n’en a pas ?

TV/Series, 6 | 2014

144

3. Variations critiques

28 Larry David et Jerry Seinfeld ne vont pas mettre leurs ressources d’écriture au service

du récit. S’affranchissant des codes en se donnant pour visée la maxime « No hugging,

no learning »7, ils fondent un nouveau registre d’attachement ou, plus exactement, de

séduction. On sait qu’une sitcom repose sur la répétition, que la familiarité joue un rôle

essentiel. De ce point de vue, Seinfeld suit les codes en mettant en place un univers

étriqué, réduit à quelques décors8. Mais de manière assez retorse, les auteurs font aussi

un usage dévoyé de la répétition, source d’une démarche critique de commentaire. Les

rapprochements les plus osés et improbables sont établis pour nourrir un comique qui

ne naît plus alors de la scène proprement dite et des traits d’humour qu’elle contient

mais de la relation qui se met en place entre des éléments disparates. Série de la reprise

et de la variation, Seinfeld nourrit son rire d’une prise de distance et d’un dispositif qui

ravale au même rang des éléments auxquels on n’assignerait pas a priori la même

valeur.

Combinaisons virtuoses

29 L’épisode « The implant » (4.19) peut donner une idée de ce système : les situations, les

dialogues entrent dans un jeu de références vertigineux, déployé tout au long de

l’épisode, mais qui va aussi fonctionner à l’échelle de la saison et de l’ensemble de la

série. Prenons à un premier niveau une situation-clef: tout comme Jerry se demande s’il

a à faire à une femme qui s’est fait refaire les seins, Kramer voudrait savoir si c’est bien

Salman Rushdie qui fréquente le club de gym. On voit que l’écart est maximal entre une

situation frivole et une autre qui implique une personnalité mêlée à une actualité

grave9. Ce doute est à l’origine d’une enquête, de renversements de situation qui

s’articulent autour d’une scène-clef qui établit la connexion :

SEINFELD. There is Sidra.

KRAMER. There is Salman.

SEINFELD. Where?

KRAMER. Talking to that woman.

SEINFELD. Talking to Sidra?

KRAMER. If that’s Sidra, she’s talking to Salman.

SEINFELD. I don’t think that’s Salman.

KRAMER. Well, I don’t think they’re real.

SEINFELD. If that’s Rushdie, they’re real.

KRAMER. If they’re real, that’s Rushdie.

SEINFELD. Well, I’ve got to know, I’m talking to Sidra.

KRAMER. I’ve got to know, I’m talking to Salman. (4.19)

30 La vitesse du dialogue, les répétitions, parallélismes et chiasmes étourdissent le

téléspectateur. Si l’écriture d’une sitcom se nourrit d’échos, on atteint dans Seinfeld

certaines limites : d’une part, il y a quelque chose d’irrévérencieux à évoquer les

opérations de chirurgie esthétique dans le milieu du spectacle ; d’autre part, évoquer la

situation de Salman Rushdie s’entraînant à la salle de gym pour pouvoir mieux fuir les

Musulmans fondamentalistes constitue une approche plutôt grinçante du drame vécu

par l’écrivain. Enfin, la mise en rapport des deux situations constitue une satire d’un

principe fondateur de la fiction, qui est la recherche de la vérité. Les deux quêtes

présentent un aspect dérisoire et ne font que souligner les traits majeurs des deux êtres

TV/Series, 6 | 2014

145

assoiffés de vérité : Kramer s’empêtre dans son rapport au réel tandis que Jerry fait

montre d’une grande superficialité.

31 La répétition avec variation, la mise en parallèle n’ont pas vocation à la gratuité, elles

sont chargées d’une dimension critique. Le téléspectateur acquiert une distance qui le

fait rire en jugeant le personnage en même temps qu’il peut s’amuser de la répétition

pour elle-même. L’attitude de George lorsque sa compagne apprend la mort de sa tante

donne à voir cette double détente du rire (4.19). Si le téléspectateur s’amuse de voir

George mimer en quelque sorte les paroles de la jeune femme, il rit aussi bien sûr de

l’inconvenance de son comportement. La caricature qu’offre le mime produit un

décalage très caractéristique de la série. La scène est par ailleurs insérée par le montage

dans une séquence où Elaine et Jerry discutent de la poitrine de la compagne de celui-

ci. Miné de tous côtés, le coup de téléphone tragique devient une nouvelle dérisoire. Le

tabou du deuil explose : le personnage incarnant une réaction normale est falot,

n’entraîne aucune identification. Seuls importent le dédoublement du discours en

mime et le potentiel comique qu’annonce le détachement de George à l’égard de cette

mort. À l’échelle de la série, les reprises avec variation de cet épisode abondent. Le

personnage de la petite amie fait écho aux relations sentimentales de George avec des

personnages fragiles, leitmotiv de la série. Par ailleurs, la dérision appliquée au

domaine de la mort fait penser bien sûr à la manière dont George réagit à la mort

accidentelle de Susan, qu’il s’apprêtait à épouser par incapacité à rompre (8.1). Ainsi,

chaque épisode de Seinfeld devient un puzzle constitué de pièces familières qui

produisent des combinaisons surprenantes et entrent en réseaux avec les situations

d’autres épisodes.

Les images du bas corporel

32 L’arc narratif de la saison 4 se trouve lui-même pris dans ce tourbillon de signes, où les

mises en réseaux exploitent sans limite ce qui est de l’ordre du bas corporel. Corps et

création sont intimement liés sans que jamais ce lien soit ouvertement énoncé. La

première évocation du projet d’une série intervient juste après une discussion où

George s’interroge sur l’histoire du papier-toilette à travers les siècles (4.3). Papier

fonctionnel produit en grande quantité, le papier-toilette peut être l’équivalent d’une

page de sitcom aisément produite, du moins selon George. Plus tard, le vomissement

viendra se substituer à un échange sur le script rédigé par les deux auteurs de la sitcom

Jerry. Pris de nausées, le président de NBC ne sera pas en mesure de formuler ce qui ne

convient pas dans le scénario (4.17). On voit bien alors une volonté de mettre de côté

l’intellect et la dimension artistique au profit d’un élément qui a trait au corps et à son

contrôle. La dévalorisation de la création connaîtra son apogée lors du dernier épisode

de la saison, où le tournage du pilote est mis en parallèle avec les problèmes de

constipation de Kramer (4.24). Le règlement de cette difficulté intervient en effet juste

au moment où la série est enfin diffusée ou, pourrait-on dire, évacuée.

33 Si la dimension scatologique est régulièrement reprise, ce sont plus encore les

métaphores sexuelles qui jouent un grand rôle dans cette saison qui marque une

progression dans la liberté de ton de la série par rapport à ces questions. Il semble que,

dans une certaine mesure, la mise en abyme de la série et les mises en scène de la

virginité, de l’homosexualité et de la masturbation entrent dans une même logique de

test des limites de ce que les producteurs et téléspectateurs sont susceptibles

TV/Series, 6 | 2014

146

d’accepter. L’écriture et les modalités d’approche de ces thèmes constituent le nœud de

la série : tout se passe comme s’il s’agissait de montrer au public les risques pris pour

ensuite les désamorcer par un traitement habile qui emporte l’adhésion et suscite le

rire.

34 A priori, les épisodes traitant explicitement des questions sexuelles ne sont pas ceux où

se déploie l’arc narratif de la création de la série. Pourtant, le jeu des mises en réseaux

permanentes dont nous avons vu des exemples fonctionne une nouvelle fois dans ce

cas. Le travail d’écriture à deux de Jerry et George offre d’abord une piste pour

confirmer leur éventuelle homosexualité. Dans l’épisode « The Outing » (4.16), les deux

personnages s’entretiennent avec une journaliste dans une scène aux quiproquos

multiples où leur travail en commun passe pour un indice de plus d’une complicité qui

dépasse le stade de l’amitié10. Plus tôt dans la saison, l’épisode traitant de la virginité

(4.10) permet de remettre au premier plan le manque d’expérience des scénaristes

ignorant leur métier, maladroits dans l’approche de leur sujet, incapables de se mettre

en action. L’épisode « The Virgin » commence ainsi par une scène où Jerry s’inquiète de

ne pas être parvenu à écrire – les hésitations de la vierge pour le passage à l’acte feront

écho aux excuses que se sont trouvés George et Jerry pour ne pas écrire.

La masturbation: impuissance ou création?

35 Enfin, de manière plus fondamentale, la masturbation traitée dans l’épisode « The

Contest » (4.11) s’associe étroitement au processus créatif. Reprenons au moment où

George fait preuve d’une absence de fierté risible face aux producteurs de NBC qui lui

demandent de revenir sur l’idée d’une série ne parlant de rien. Prêt à tout pour obtenir

les faveurs des producteurs, il s’exclame : « Without a story, this is just

masturbation ! », phrase accueillie avec surprise et réserve par tout l’entourage (voir

figure 7).

TV/Series, 6 | 2014

147

Fig. 7 : Le nouveau dogme de George : ne pas écrire pour se faire plaisir

36 En quoi la création d’une série comme Jerry peut-elle être associée à l’onanisme ? Une

première réponse consisterait à revenir sur la première réaction de Kramer et de

George à l’évocation d’une sitcom sur Jerry (4.3). Chacun des deux va proposer des idées

incongrues et peu convaincantes. Ces propositions ne tiennent aucun compte de ce qui

est susceptible de séduire un large public. Elles reflètent plutôt le caractère déviant ou

dérangé des deux personnages qui cherchent à se faire plaisir plutôt qu’à s’interroger

sur la validité de leurs idées. La proposition est l’équivalent d’une pulsion irréfléchie où

la satisfaction personnelle passe au premier plan. Ainsi, la création ressemble bien dans

ce cas à la masturbation : elle passe par un fantasme, une idée personnelle à partir de

laquelle l’imaginaire de l’individu travaille. Dans les deux cas, tout destinataire est nié,

notamment parce que Kramer et George s’attachent à la première idée qui leur vient à

l’esprit.

37 Autre caractéristique de l’écriture de la sitcom Jerry : composée par deux hommes, elle

intègre avec difficulté l’élément féminin. Dans « The Shoes » (4.17), George et Jerry sont

prêts à évacuer le personnage d’Elaine, qu’ils ont oublié dans leur pilote et pour

laquelle ils ne parviennent pas à imaginer le moindre dialogue. Comment savoir ce qui

se passe dans l’esprit d’une femme ? L’affaire paraît insurmontable. Si Elaine parvient à

intégrer la série, ce n’est que par l’intermédiaire de deux scènes de voyeurisme, où la

convoitise masculine finit par rendre indispensable une présence féminine. Ce regard

concupiscent porté sur la femme sera évidemment l’un des leitmotivs de l’épisode

« The Contest » (4.10) : George observe une patiente qui se dénude derrière un drap à

l’hôpital ; Kramer et Jerry profitent de la présence d’une voisine qui se déshabille face à

leurs fenêtres.

38 Par un savant jeu de miroirs, c’est sur la série Seinfeld que le principe de George finit

par trouver un écho. « The Contest », comme épisode, représente au premier degré le

sens de la phrase prononcée par George. Puisqu’il n’y a pas d’histoire, il n’est question

TV/Series, 6 | 2014

148

que de masturbation. C’est pourtant de ce vide que naît un épisode. Ce qui apparaît

n’être rien, pur plaisir personnel qui n’a que soi pour visée, se révèle en fait plus

productif qu’on ne l’imagine. Comme le dit Jerry un peu plus tôt, « Nothing is

something. » (voir figure 8)

Fig. 8 : Jerry et le compromis théorique : produire à partir du néant

39 Plus largement, donc, ce qui n’intéresse que soi, qui ne semble avoir de signification

que pour soi vaut en réalité d’être partagé. Les histoires anodines vécues par les

auteurs ou racontées à eux sont susceptibles d’être investies par autrui. La

masturbation associée à l’écriture de la série Seinfeld signifie certes à un premier niveau

que les auteurs n’ont rien à transmettre, en termes de valeurs, ou de messages.

Constamment réaffirmée, l’idée de transgression présente la particularité de ne

produire dans un second temps aucun retour à la norme, à laquelle une morale pourrait

aisément se greffer. Mais le triomphe de ce cynisme, de cette méchanceté gratuite

demeure une création, une production de l’esprit qui, aussi dévalorisée soit-elle,

persiste à affirmer son existence. Ainsi, l’impuissance fondamentale à construire un

récit classique aux repères identifiables contraste avec le pouvoir des auteurs de bâtir

sur des ruines. L’onanisme n’est pas qu’un pis-aller, pour poursuivre la métaphore

sexuelle. Il ne fait pas que s’associer négativement aux refoulements et frustrations

vécus par les personnages. Ce pur témoignage de l’égotisme est aussi partie prenante

de la création. Si mettre en abyme la fiction risque à coup sûr de passer pour un

exercice d’autosatisfaction des auteurs s’occupant seulement d’eux-mêmes, c’est

encore, quoiqu’il en soit, une production. Aussi, l’arc narratif de la saison 4 ne fait que

mettre à jour le dispositif fondamental de la série où du rien naît quelque chose. Plus

que ce qui est produit, c’est bien le processus qui importe, le moment où ce qui n’est

pas, ce qui semble infinitésimal, se transforme en quelque chose. D’un détail anodin

surgit une interrogation dont la démesure fait le comique. Pour l’acteur, c’est le

TV/Series, 6 | 2014

149

mouvement qui le conduit à endosser un rôle qui est mis en scène au gré de chaque

épisode. On peut penser au jeu décalé de Jerry Seinfeld semblant parfois incarner à

peine un rôle – ou peut-être n’est-il, comme le dit la productrice de NBC, qu’un comique

de stand-up ne sachant pas jouer la comédie (4.24). George est évidemment la

représentation extrême de cette capacité à endosser des rôles contradictoires et d’une

impossibilité fondamentale à les conserver11. Logiquement, dans un temps où la sitcom

lorgne vers le feuilleton en ménageant des évolutions aux personnages et en cherchant

à utiliser le facteur temporel, Seinfeld sera marquée par une remarquable discontinuité :

on laisse, au choix, George à la merci d’un tueur en série dans les toilettes d’un avion

(4.12) ou dans les bras d’une amoureuse un peu trop passionnée (4.16) pour le retrouver

seul et vivant, sans mémoire de ce passé embarrassant à l’épisode suivant. Chaque

élément repris l’est dans une perspective non temporelle, sur le mode de la citation, du

clin d’œil, dans un mouvement référentiel que nous avons déjà analysé.

40 Dans cette recherche du plaisir immédiat, qui naît d’un rien et se revendique infécond,

c’est la culture du stand-up qui innerve la série (voir figure 9).

Fig. 9 : Le rire du stand-up : la culture de l’autoréférentiel

41 À travers un format qui reste parfaitement standardisé, cette culture fait exploser les

codes de la sitcom. Mais ce dépassement est aussi celui du stand-up lui-même, dans la

mesure où les auteurs créent d’épisode en épisode, de saison en saison, un écheveau

complexe de signes, dans lequel importe plus la relation entre les éléments qu’une

situation comique prise en elle-même.

42 Modestie et vanité se confondent dans le projet, comme le soulignent les auteurs dans

le dialogue entre George et Jerry12. Le substantif « fun » résume à lui seul l’objectif visé

par la création (voir figure 10). Débarrassée d’hypocrites fonctions qui alourdissent son

contenu, la sitcom apparaît pour ce qu’elle est : petit produit, fait de peu de choses dès

lors que les conventions attachées aux personnages et aux intrigues sont abandonnées.

TV/Series, 6 | 2014

150

Fig. 10 : Faire rire : un projet dérisoire ou modeste ?

43 Les auteurs de Seinfeld veulent à chaque instant rappeler au téléspectateur le caractère

purement artificiel de ce qui se joue à l’écran, mais aussi dans l’existence. Dans la série,

on joue donc perpétuellement le jeu du dévoilement des mécanismes et d’exhibition

des clichés. Si les personnages de Seinfeld sont à coup sûr des voyeurs, c’est bien pour

que ceux qui les regardent prennent conscience du spectacle qu’on leur joue, des

fictions improbables qu’on leur conte. Face aux voyeurs dupés, le téléspectateur

retiendra enfin peut-être d’une création que le soupçon et la lucidité critique sont les

deux seules attitudes pertinentes devant l’écran.

BIBLIOGRAPHIE

AHL Nils, FAU Benjamin (dir.), Dictionnaire des séries télévisées, Paris, Philippe Rey, 2011.

COLONNA Vincent, L’Art des séries télé, Paris, Payot, 2010.

GOULD Charlotte, « ‘Not That’s There Anything Wrong With That’: A Queer Reading of Seinfeld »,

GRAAT, issue #2, June 2007, http://www.graat.fr/queertv04.pdf

TV/Series, 6 | 2014

151

NOTES

1. Sur ce point, comme sur les conditions de production de la saison 4 de Seinfeld, voir le

documentaire « La saison du succès » dans les bonus du coffret de la saison 4, chez Sony Pictures

(2005).

2. Dans l’épisode « The Contest » (4.11), Jerry escompte maîtriser ses pulsions sexuelles en

regardant un programme pour enfants.

3. Pour un autre exemple, voir l’épisode « The Cheever letters » (4.8) : George a reçu du père de

Susan des cigares cubains qu’il n’aime pas. Il les a offerts à Kramer. Plus tard, invité à passer un

week-end dans la cabane que le père de Susan possède, il a vu cette habitation partir en fumée à

cause de la négligence de Kramer qui a déposé un cigare dans cette cabane. George aura bien du

mal à faire apprécier au père de Susan toute l’ironie de la situation.

4. La question du récit spéculaire est au cœur des créations de Larry David. Il poussera plus avant

encore le travail de mise en abyme de Seinfeld dans Curb your Enthousiasm qui fait intervenir les

acteurs de la première série dans leur identité de comédiens traçant leur route après l’arrêt de

Seinfeld. Il n’est évidemment pas anodin que Larry David ait aussi fini par interpréter un rôle

principal chez Woody Allen (Whatever Works, 2009), cinéaste lui aussi préoccupé par la question

de l’auto-représentation dans plusieurs de ses films, parmi lesquels on peut citer Crimes and

Misdemeanors (1989) ou Deconstructing Harry (1997).

5. Sur ce point, voir aussi Nils Ahl et Benjamin Fau (dir.), Dictionnaire des séries télévisées, Paris,

Philippe Rey, 2011, p. 792.

6. Le premier épisode de la septième saison (« The Engagement ») offre un bon exemple de cette

évolution. George et Jerry prennent la résolution de donner un sens à leur existence en faisant

preuve d’une plus grande maturité dans leurs relations sentimentales respectives, ceci devant les

conduire au mariage. Tandis que George franchit le pas avec Susan, Jerry hésite et rompt le pacte,

témoignant d’une inaptitude viscérale à évoluer.

7. Que l’on pourrait traduire par « Pas de câlins, pas de transmission de savoir ».

8. Seinfeld est, en effet, une sitcom qui fait paradoxalement exploser les cadres d’un genre, sans

s’affranchir pour autant du carcan des règles qui le constituent. Sur ce point, voir Vincent

Colonna, L’Art des séries télé, Paris, Payot, 2010, p. 276.

9. En l’occurrence, une condamnation à mort pour avoir écrit Les Versets sataniques, roman

qualifié de blasphématoire par l’ayatollah Khomeiny en 1989.

10. Pour une analyse de cet épisode, cf. Charlotte Gould, « ‘Not That’s There Anything Wrong

With That’: A Queer Reading of Seinfeld », in GRAAT, issue #2, June 2007, http://www.graat.fr/

queertv04.pdf, lien consulté le 10 décembre 2014.

11. Ce statut aléatoire du rôle et des signes qui le constituent est explicitement mis à jour par les

auteurs dans l’épisode « The Opposite » (5. 24), où Elaine et George voient leur situation

professionnelle évoluer de manière diamétralement opposée au même moment, tandis que Jerry

voit sa situation changer pour devenir strictement identique à ce qu’elle était au départ. La part

de l’expérimentation théorique l’emporte sur toute recherche de la vraisemblance.

12. À la fin de l’épisode « The Shoes » (4. 17), George et Jerry, contraints de s’enthousiasmer pour

une idée d’Elaine, lui appliquent les termes qu’ils réservaient au dialogue qu’ils avaient eux-

mêmes imaginé plus tôt dans l’épisode :

GEORGE. Well, it’s a funny idea.

SEINFELD. It’s funny.

GEORGE. Come on. Funny is funny.

SEINFELD. Funny’s funny. We’re here to entertain, right?

TV/Series, 6 | 2014

152

RÉSUMÉS

L’arc narratif principal de la saison 4 de Seinfeld, diffusée sur NBC, consiste en une mise en abyme

de la création du show. Cette saison s’intègre en fait dans un processus transgressif global.

L’écriture de Seinfeld repose en effet sur une dénonciation sans concession des conventions

sociales, des dogmes moraux mais aussi des codes télévisuels liés aux sitcoms. Cette dénonciation

s’opère sur le mode de la charge. Montrer ce qui échappe en principe au regard, tel semble être le

projet des scénaristes qui, dans leur entreprise de démystification des tabous, incluent les

mécanismes de production de la sitcom Seinfeld.

Les étapes de création du show présentées dans la saison 4 font l’objet d’un traitement corrosif.

De l’absence fondamentale d’idées de la part des personnages soi-disant créatifs aux pitches

douteux, en passant par une négociation financière peu reluisante, la série avance cahin-caha

vers sa création. Au-delà des soubresauts qui conduisent de la rencontre avec NBC à la diffusion

d’un épisode, le caractère provocant de la mise en abyme vient principalement du concept arboré

fièrement par le personnage de George : « a show about nothing », concept qui met au premier

plan la démarche critique et démystificatrice de la série.

Loin de figurer comme une astuce scénaristique, l’arc narratif relatant la fabrication du show

exhibe au contraire la volonté de déconstruction à l’œuvre tout au long de la série. Il entre

également dans un jeu d’échos au sein d’une sitcom qui fait de l’auto-référence son mode de

fonctionnement principal. Ainsi, les étapes qui conduisent à la réalisation du pilote s’articulent

aux questions sexuelles traitées dans plusieurs épisodes : la virginité, la masturbation, la

frustration, l’homosexualité et l’impuissance. De manière directe ou implicite, la création et les

pulsions sexuelles des personnages interfèrent et s’éclairent entre elles.

The principal narrative arc of the season 4 of Seinfeld, broadcasted on NBC, consists of a mise en

abyme of the creation of the show. As it happens, this season fits into a more global transgressive

process. The writing of Seinfeld is effectively founded upon an uncompromising denunciation of

social conventions, moral dogmas, but also televisual codes related to sitcoms. This denunciation

takes effect in the form of a charge. To show what, as a rule, escapes from view seems to be the

goal of the screenwriters who, in their initiative to demystify taboos, include the mechanisms of

production of the sitcom Seinfeld.

The steps of the show’s creation presented in season 4 are the object of a corrosive treatment.

From the fundamental absence of ideas among the supposedly creative characters to

questionable pitches, passing by a far from brilliant financial negotiation, the show advances

with difficulty toward its creation. Beyond the jolts that lead from the meeting with NBC to the

broadcasting of an episode, the provocative character of the mise en abyme comes principally

from the concept proudly sported by the character George: “a show about nothing”, a concept

that puts the critical and demystifying approach of the show in the forefront.

Far from figuring screenwriting cleverness, the narrative arc recounting the creation of the show

exhibits, on the contrary, a will to deconstruct at work throughout the show. It enters as well

into a game of echoes within a sitcom that makes self-reference its principal mode of function. In

this way, the steps that lead to the production of the pilot articulate themselves with the sexual

questions dealt with in several episodes: virginity, masturbation, frustration, homosexuality, and

impotence. Directly or indirectly, creation and the characters’ sexual impulses interfere and shed

light on one another.

TV/Series, 6 | 2014

153

INDEX

Mots-clés : Seinfeld, Jerry, mise en abyme, auto-référence, transgression des codes, sitcom

Keywords : Seinfeld, Jerry, mise en abyme, self-reference, code transgression, sitcom

AUTEUR

ERIC GATEFIN

Éric Gatefin est docteur en Lettres Modernes (XVIIIe siècle) et actuellement en poste en collège.

Membre de l’équipe « Histoire des représentations » de l’université de Tours, il a publié plusieurs

articles sur la littérature du XVIIIe siècle (notamment sur Diderot, le romanesque et les

mémoires) et sa réception au XIXe siècle. Auteur de contributions sur le cinéma fantastique de

Jacques Tourneur et sur les films de Bruno Podalydès, il a également écrit deux articles sur The

West Wing d’Aaron Sorkin ainsi qu’une contribution sur Homeland pour l’IFRI (Institut Français des

Relations Internationales).

TV/Series, 6 | 2014

154

Game of Thrones: Quality Televisionand the Cultural Logic ofGentrificationDan Hassler-Forest

1 It has become commonplace to proclaim that we live in a new Golden Age of television

drama. Since the late 1990s, we have experienced a veritable deluge of serialized

television narrative that is routinely compared (and often favorably) to the literary

masterworks of Shakespeare, Dickens, Balzac, and Pynchon. HBO evangelists have

proclaimed that the television series is already the dominant narrative form for the 21st

century, as film had been for the twentieth, and the novel had been for the nineteenth1.

Whether or not this kind of hyperbole is justified remains to be seen, but when the

most frequently discussed question within a university’s English literature department

is no longer ‘what book do you recommend?’ but ‘which series should I be watching?’, it

seems obvious that something has certainly changed.

2 Ironically, this transformation of television culture has occurred during the exact

period in which television itself has in many ways experienced its demise: the

medium’s third era, in which its boundaries are challenged and reframed by the rise of

digital culture and media convergence2, is referred to as ‘post-television’ in the same

way that its second era was ‘post-network3’. In certain ways, the television medium

therefore seems to be experiencing this Golden Age posthumously, though perhaps we

should be careful before we proclaim yet another narrative medium officially deceased.

3 One of the most remarkable transformations in this period of widespread acclaim for

certain kinds of new televisual content has been the prominence of fantastical genres.

Long a fringe phenomenon within scripted television drama4, genres like fantasy,

horror, and science fiction have played an increasingly dominant role in the

development of 21st-century ‘Quality TV’: American network hits like Lost (ABC,

2002-2010) and Heroes (NBC, 2006-2010), basic cable phenomena like Battlestar Galactica

(SyFy, 2004-2009) and The Walking Dead (AMC, 2010- ), and premium cable productions

from Dead Like Me (Showtime, 2003-2004) to True Blood (HBO, 2008-2014) are among the

most widely acclaimed serialized television narratives5. HBO’s hit fantasy series Game of

TV/Series, 6 | 2014

155

Thrones (2011- ) is not only the most successful exponent of this development, but it

also demonstrates clearly how television’s adaptation of the content, the forms, and the

discursive practices of other media have resulted in its recent increase in cultural

capital6. It adapts not only a series of novels that had developed a small but very

devoted fan base, but also a larger set of aesthetic and discursive practices that relate

back to the institutional framework of American premium cable and ‘Quality TV.’

4 As a case study that illuminates some of the key transformations in serialized television

drama, it therefore suits not only the framework of shifting hierarchies of adaptive

value in the context of media convergence and globalization: the narrative’s emphasis

on political conflict in an imaginary world brings into sharp focus the relationship

between fictional geopolitics and our own ‘post-ideological’ moment7. While the

franchise’s status as a global cross-media phenomenon constitutes its own politics of

adaptation, the ideology reflected by its world-building process simultaneously makes

up an illuminating adaptation of politics. The overwhelming success of the Game of

Thrones brand thus provides us with a unique opportunity to study not only the ways in

which the ongoing transformation of media culture has affected traditional methods of

adapting literary texts to other media, but also the complex cultural hierarchies that

shape our reading of them.

5 In the following essay, I will argue that this transformation of media value constitutes a

politics of adaptation that revolves around appealing to a desirable global elite

audience through elaborate processes of branding and gentrification. In the first

section, I introduce and unpack the term ‘Quality TV’ as a meta-genre that has shaped

the recent development of what we might term ‘cine-literary television.’ The second

part of this article will offer a critical reflection of how the creation of imaginary

worlds relies on its own form of politics, which in the case of Game of Thrones involves

the mapping out of a pseudo-medieval geopolitical landscape that relates back to an

imagined global past. Then, in the third and final section, my article brings together

these elements in its discussion of ‘grittiness’ and ‘authenticity’ as concepts that can be

applied to better understand Game of Thrones as a particularly relevant case study that

places ‘Quality TV’ within the cultural logic of gentrification.

1. ‘Quality television’ and cine-literary culture

6 As network audiences declined in the face of competition from the proliferation of

cable and satellite channels in the 1980s, the networks became less concerned with

attracting mass audiences and increasingly concerned with retaining the most valuable

audiences: affluent viewers that advertisers were prepared to pay the highest rates to

address. In other words, the compulsiveness of ‘must see’ television is designed to

appeal to affluent, highly educated consumers who value the literary qualities of these

programs, and they are used by the networks to hook this valuable cohort of viewers

into their schedules.

7 The first and most important obstacle for the producers of Game of Thrones to overcome

was the low-brow perception of the fantasy genre. Many television critics initially

sneered at the notion that a premium cable network like HBO would include this type

of genre material in their established ‘Quality TV’ brand, with the New York Times

describing it as ‘boy fiction patronizingly turned out to reach the population's other

half8’. But audiences and critics alike were soon won over, and Game of Thrones now

TV/Series, 6 | 2014

156

stands as one of the most widely acclaimed series in HBO’s current roster of programs,

with its fourth season breaking the network’s viewership record previously held by the

final series of The Sopranos9.

8 A key element in the series’ success has been its producers’ successful negotiation of

the text’s relationship to its generic affiliation on the one hand, and its position within

the format of premium cable ‘Quality TV’ on the other. This concept of ‘Quality TV’ is

constructed around the notion of appealing to a particular audience with abundant

disposable income, and has traditionally been organized around hybrid texts that

combined familiar television formats with themes and aesthetics drawn from more

celebrated sources such as the Hollywood gangster film, romantic comedy, and

European arthouse cinema. Following the basic format established in the early 1980s by

production company MTM, HBO was the first cable TV company to foreground its

programming’s high art connections by emphasizing ‘character development,

structural complexity, reflexivity, [and] aesthetic innovation10’. This formula ensured

the critical success of series ranging from HBO’s own The Sopranos (1999-2007) and Sex

and the City (1998-2004) to Showtime hits like Homeland (2011- ) and Californication

(2007-2014), all of which are designed to appeal primarily to premium cable’s coveted

audience of upper-middle class subscribers with abundant disposable income.

9 The ‘quality TV’ meta-genre should therefore be read primarily as a form of adaptation,

successfully ‘remediating11’ the aesthetics of cinema on the one hand, and the narrative

structure of the 19th-century realist novel on the other. But at the same time,

television’s strategic incorporation of elements from other media occurred within a

context in which all narrative media were fully engaged in a complex process of

technological and cultural convergence12. Jim Collins describes the resulting alignment

between cinema and literature as a new kind of ‘cine-literary culture,’ allowing for ‘an

unprecedented interdependency of the publishing, film, and television industries,

which can reach that “public at large” wherever it may be with ever greater

proficiency13’. The flattening out of former cultural hierarchies therefore results in an

environment in which changing social practices alongside the increasing

conglomeration of media industries has made the consumption of ‘quality TV’ a cine-

literary experience that creates new value for corporate producers like HBO.

10 This appeal hinges on HBO’s identity as a premium brand offering boutique

programming, perpetually constructing for itself ‘an air of selectivity, refinement,

uniqueness, and privilege14’. For HBO and other television producers in the post-

network era, the careful development of this brand identity has relied on the way in

which it ‘offers consumers a place where it’s okay to be transgressive with regard to

mainstream television15’. Premium cable’s drama series tend to offer this kind of

televisual transgression by including depictions of nudity, sex, and violence, alongside

generous profanity, thus differentiating itself from ‘normal’ network TV drama and its

traditional policy of offering ‘least objectionable programming (LOP)16’. These

characteristics have become so institutionalized and predictable that the term ‘Quality’

in this context should be taken not so much as an actual qualitative distinction, but as

identifying ‘a set of generic traits that distinguishes a group identity17’.

11 This group identity, spearheaded for over a decade now by HBO’s corporate brand,

distinguishes itself by offering what might be described as ‘most objectionable

programming,’ but in ways that are experienced as literary rather than televisual,

ground-breaking rather than gratuitous, challenging rather than accessible. Celebrated

TV/Series, 6 | 2014

157

by enthusiastic audiences as complex texts that use the television medium to combine

the production values and visual style of cinema with the narrative complexity of the

19th-century novel, ‘Quality TV’ has in recent years bestowed a bourgeois sense of

respectability upon a medium all too frequently maligned by highbrow audiences:

HBO must continuously promote discourses of ‘quality’ and ‘exclusivity’ ascentral to the subscription experience. These discourses aim to brand notonly HBO, but its audience as well. In this manner, pay cable sells culturalcapital to its subscribers, who are elevated above the riffraff that merelyconsume television, a medium long derided as base and feminizing in itsunabashed embrace of consumerism18.

12 Described by some as ‘The Sopranos meets The Lord of the Rings19’, Game of Thrones

combines the cinematic visual spectacle of pseudo-medieval high fantasy with the tonal

register of adult-oriented Quality TV, adapting what was generally viewed as an

immature niche genre to HBO's upmarket brand identity. Commensurate with this seal

of cultural respectability is the explicit identification of an author figure who is

responsible for the text – which, in the case of Game of Thrones, is not only identified in

the writerly persona of George R.R. Martin, but also in the series’ celebrated duo of

executive producers, David Benioff and Daniel B. Weiss. Their co-authorship of the

television adaptation, which is emphasized throughout the series’ promotional

materials, reflects the historical development through which show runners and

executive producers gained ever greater public prominence as celebrated creative

forces, ‘because their names proved more attractive to demographically desirable

audiences than did the network brand20’.

13 This foregrounding of author figures activates specific discourses of fidelity and

literacy, and in a way that places ‘a high premium on the kind of authorship more

commonly associated with traditional art forms carrying high cultural kudos: theater,

international art cinema, and literature21’. In the case of Game of Thrones, the series’

systematic incorporation of brutal violence and explicit sex scenes thus functions not

only to ‘liberate television fiction from the laws governing established creative

practices and writing styles22’, as is by now customary for premium cable productions;

it also adapts the fantasy genre in a way that makes it more attractive and accessible to

a very particular and explicitly adult audience, thus dramatically increasing its

commodity value.

14 Game of Thrones should therefore be seen as an adaptation in multiple senses: not only

as a television show that adapts a series of novels, but also as the adaptation of an

industrial framework that expands the existing parameters of what constitutes ‘Quality

TV’ in the post-network era. At the same time, the series has managed to re-articulate

and re-organize key generic features of high fantasy and its audience. Premium cable

appeals to its core viewers because it ‘minimizes the value of popular television and

popular culture in general while marketing and addressing seemingly non-televisual

programs to upscale television audiences23’. The development of Quality TV is also an

intensely gendered form of cultural discourse:

if TV feminizes all who watch it, and feminization is linked to a loss of powerand status brought about through the act of consumption, then HBO’s brandoffers to “re-mark” subscribers as “masculine,” thus repositioning itsaudience as powerful bearers of cultural capital that is free from thecommercialized trappings of regular television24.

TV/Series, 6 | 2014

158

15 This makes it irrelevant whether the actual audience is predominantly male or female:

either way, the dispositif that defines the viewer’s relationship to the medium has been

changed from ‘passive,’ ‘feminine’ spectatorship to that of an ‘active,’ and therefore

‘masculine’ connoisseur.

2. Topofocal Storytelling: Fantasy Maps and thePolitics of World-Building

16 The promotional material surrounding the first season of Game of Thrones generally

emphasized the ways in which it departed from general preconceptions about the

fantasy genre, most noticeably in the emphasis on complex, adult storytelling. One of

the generic features of the fantasy genre that has been left intact both in Martin's

novels and in the TV adaptation is the strong emphasis on the mapping of imaginary

geographical spaces, as is so often the case with ‘secondary worlds25’. With many

varieties of high fantasy literature, one is all but forced to keep the accompanying

maps handy while reading, as one’s understanding of the narrative is mostly predicated

on the ability to follow the characters' trajectories through this fictitious geography. In

many fantasy franchises devoted to the development of imaginary worlds, this

emphasis on mapping out the diegetic environment shifts the audience’s focus from the

narrative’s causal chain to the complex environment that sustains it, something Stefan

Ekman refers to as a ‘topofocal’ – or place-centric – approach, in which ‘setting is as

important as character and plot’26.

17 The books in the series include multiple maps of the lands of Westeros and the

franchise's other notable imaginary areas, which prove to be essential in order to form

a basic understanding of the narrative events. Similarly, the opening credits of the TV

version present an animated rendition of this geographical map, offering the viewer

helpful weekly reminders of the spatial relations between the story’s key locations27. In

addition, fan-made maps and highly detailed breakdowns of the series’ various national

histories and geographies have proliferated on the web, further emphasizing the

crucial role played by the literal mapping of space in this fantasy environment28.

18 This obsession with spatio-temporal integrity is by no means unique to fantasy. One

might say that the mapping out of multiple characters’ trajectories through measurable

time and space has been an organizing feature in narrative fiction from the early

modern novel onwards: Robinson Crusoe (1719) and Pride and Prejudice (1813), perhaps

the two most widely read and most frequently copied novels in the English literary

tradition, are only the most obvious examples of a similarly obsessive textual mapping

of characters in relation to coherent temporal and geographical coordinates. As David

Harvey has noted in regard to this way of mapping out and thereby controlling space,

The Renaissance revolution in concepts of space and time laid the conceptualfoundations in many respects for the Enlightenment project. What manynow look upon as the first great surge of modernist thinking, took thedomination of nature as a necessary condition of human emancipation. Sincespace is a ‘fact’ of nature, this meant that the conquest and rational orderingof space became an integral part of the modernizing project29.

19 The high fantasy genre and its insistent mapping of imaginary space is therefore all the

more remarkable for the fact that its narratives are resolutely anti-modern, even as

TV/Series, 6 | 2014

159

they rely so heavily on quintessentially modern organizations of space and time that

produce what Harvey calls ‘a homogenization and reification of the rich diversity of

spatial itineraries and spatial stories,’ while ‘eliminating little by little all traces of the

practices that produce it30’. Or, as Negri and Hardt would put it: ‘Modernity replaced

the traditional transcendence of command with the transcendence of the ordering

function31’. In other words, the kind of mapping so commonly associated with fantasy

world-building automatically suggests a politics of conquest and imperialism, as the

individual character’s abilities to navigate these spaces become the default focus.

20 20th-century modernist literature destabilized this early modern sense of spatio-

temporal coherence, fracturing the integrity of space and time by its intensely

subjective forms of representation32, and late 20th-century postmodernism represented

an even more radical challenge to our ability to develop what Jameson describes as a

cognitive map of our environment33. The contemporary popularity of high fantasy may

therefore be understood in part at least as a response to the genre’s dialectical tension

between the pre-modern worlds they tend to articulate, and their fundamentally

modern ways of organizing and representing them.

21 The most problematic aspect of this preoccupation with the mapping out of geopolitical

spaces is the way this naturalizes a fundamentally political dichotomy between a

Western ‘us’ and non-Western ‘Other,’ occupying ‘a specific place in a spatial order that

was ethnocentrically conceived to have homogeneous and absolute qualities34’. The way

in which these maps organize the narrative’s physical and conceptual space into a basic

binary distinction between the civilized world of Westeros and the more mystical,

dangerous, and generally more primitive areas to the east and south reflect a very

specific tradition of the high fantasy genre that articulates a distinctly Eurocentric

perspective35. Visits to the foreign lands surrounding the central kingdoms of Westeros

demonstrate the conventional forms of Orientalism, as both the non-Western

geographies and their inhabitants are portrayed as mysterious, unchanging,

backwards, and treacherous. Therefore, although Game of Thrones does not entirely

duplicate Tolkien's more rampant xenophobia, the series’ structural distinction

between a Western ‘us’ and a mystical, foreign ‘other’ does clearly re-articulate the

genre’s traditional Eurocentric construction of global geopolitics.

22 In the series, this distinction is made most obvious in the plot strand that follows the

exiled Daenerys Targaryen, one of several candidates who seek to claim the Iron

Throne and become the single ruler of Westeros and its seven kingdoms. She has spent

all of her time in the five novels that have been completed as of spring 2014, and the

four seasons of the television series, in the lands of Essos, located to the east and across

the sea from the franchise’s central kingdoms. As Daenerys moves around the larger

but far more thinly populated lands of Essos, she encounters several different cultures,

many of which exist either as tribal hunter-gatherers (e.g. the Dothraki) or as vaguely

Orientalist city-states (e.g. Qarth). What all the lands outside of Westeros have in

common is that they are presented as more primitive and implicitly unchanging than

the more advanced Seven Kingdoms. And while these cultures are not presented with

the same degree of callous disdain that Tolkien famously demonstrated for any peoples

from outside the borders of Middle-earth, the overwhelmingly Eurocentric perspective

that organizes the series’ topofocal world couldn’t be more obvious: the central ‘game

of thrones’ illustrates vividly how the central dramatic conflict in the franchise

TV/Series, 6 | 2014

160

revolves around gaining control of the proto-European area of Westeros, with all the

more primitive lands of decidedly secondary importance.

23 The series’ racial politics in relation to its spatial organization is even more

pronounced in the television adaptation, where the ‘Common Tongue’ in Westeros is

English36, while the inhabitants of Essos speak in made-up languages like ‘High

Vallyrian,’ which are subtitled. The result is that the distinction between the ‘normal’

space of the kingdoms of Westeros, as a fantastical hybrid that fuses the British isles

with continental Europe, systematically privileges the Eurocentric perspective over its

available alternatives. While the series does go out of its way to cast its characters in

such a way that none of these more ‘primitive’ lands can be directly related to a single

real-world equivalent, the overall effect strongly reinforces the Orientalist conceit that

projects a radical otherness onto the East37.

24 The politics of this patronizing representation of non-Western spaces becomes most

painfully obvious in the extended subplot of Daenerys’s quest to liberate the slaves in

several city-states in the southern region of Essos, located around Slaver’s Bay. The

motif of an enlightened ‘white messiah’ liberating non-Western cultures from their

backward ways has a long history in Western literature and cinema, with countless

examples ranging from Rudyard Kipling’s ‘White Man’s Burden’ (1899) to Steven

Spielberg’s Indiana Jones and the Temple of Doom (1984). The fact that Daenerys happens

to be a female white messiah whose naïve actions produce unexpected complications

should not be interpreted as especially progressive in terms of the series’ fundamental

Orientalism: the key point is that the civilizations outside of Westeros, populated by

people of color, are once again shown to be unable to control their own destinies,

requiring the intervention of a ‘more advanced’ outsider. In spite of Game of Thrones’

aesthetic sophistication, narrative complexity, and adult sensibilities, the way it

therefore maps out its world still tends to fall in line with a reactionary form of politics

that privileges the Western perspective while applying generic but nevertheless

egregious stereotypes to its imagined, non-Western ‘other.38’

3. Gentrification and the construction of ‘authenticity’

25 The mapping out of difference within the diegetic world of Game of Thrones reflects and

enhances the current transformation of television as an important bearer of cine-

literary cultural capital. As described above, the series’ appeal to its largest audience

derived not from its relationship to its literary source, which for most viewers formed

an obstacle rather than an attraction. While the publicity campaign made good use of

the novels’ readership as online ‘influencers’ whose extensive use of social media

provided the first season with positive ‘buzz’, most promotional materials distributed

by HBO foregrounded the show’s complexity, its maturity, and its novelty.

Paradoxically, the series’ respectability came to rely on familiar ‘Quality TV’

ingredients like its harsh violence, its uncompromising cynicism, and its frank

depiction of sexual acts. The class-based prejudice that has legitimized this practice

‘implies that pay cable consumers can handle graphic language, sex, and violence in a

more thoughtful and productive way than broadcast viewers39’.

26 In its depiction of sex and (female) nudity, the series pays lip service to the books’

cynical perspective on sex and the female body as a form of currency in its pseudo-

medieval society. But more than this, several critics have pointed out that the show's

TV/Series, 6 | 2014

161

constant flaunting of naked female bodies, quickly and astutely dubbed 'sexposition' by

blogger and cultural critic Myles McNutt40, has more to do with the kind of audience

the series is addressing, and its obvious attempts to rid itself of those genre elements

that have limited high fantasy to a primarily fan-driven audience. Indeed, ‘the show’s

softly lit and erotic staging of any scene involving a naked woman evokes Playboy of

the 1960s and ’70s more than it underscores sexual politics or a culture of violence41’. At

the same time, the series makes sure that it caters to progressive tastes and female

viewers by including many women characters in non-traditional gender roles,

including Brienne, Arya, and Daenerys.

27 The inclusion of such sexually explicit material simultaneously adapts fantasy as a

genre that is appropriate for an adult audience. Just as cultures of fandom are

derogatorily viewed as immature or even childish, many of the key texts in popular

cultures of fandom are marked by a peculiarly chaste or even puritanical approach to

nudity and sexuality. Star Wars, The Lord of the Rings, Harry Potter, and many other key

fan-driven franchises in the broad ‘popular fantasy’ genre display little interest in

sexuality or eroticism, with romantic relationships defined primarily by fairy-tale

concepts of chivalric love and extremely chaste depictions of romantic relationships.

Taken together with the fantasy genre’s prominent association with role-playing, flat

characters, and fantastical creatures, the general perception has been one of a

pervasive and perhaps even fundamental lack of maturity. And while the breakthrough

success of Peter Jackson’s filmed Tolkien adaptations has certainly contributed to the

genre’s wider acceptance among mainstream audiences, the franchise’s depiction of

Middle-earth did little to alter the larger sense that the genre thrived on childish

spectacles of good versus evil. A key aspect of the transformation of the fantasy genre

orchestrated by Game of Thrones is therefore its deliberate appeal to an explicitly

upscale and (crucially) adult audience, which was accomplished primarily through the

established aesthetic paradigms of Quality TV.

28 These elements bestow upon the show a critical sense of discursive authenticity that

aligns itself with what sociologist Sharon Zukin has described as the cultural logic of

gentrification. In her book Naked City: The Death and Life of Authentic Urban Places (2010),

she describes gentrification as a hegemonic cultural process in which a political and

economic elite continuously seeks out both physical spaces and (sub)cultural practices

that are specifically associated with a ‘gritty’ sense of authenticity:

Critics praised gritty novels, plays, and art for their honest aestheticqualities, their ability to represent a specific space and time, and identified‘gritty’ with a direct experience of life in the way that we have come toexpect of authenticity. … Today the use of ‘gritty’ in the media depicts adesirably synergy between underground cultures and the creative energythey bring to both cultural consumption and real estate development, not asan alternative to but as a driver of the city’s growth42.

29 Game of Thrones’ discursive authenticity as an example of the cultural logic of

gentrification resides not only in the many paratextual reassurances that the show is

faithful to its literary source. It is also and perhaps even more visible in its

uncompromising dedication to premium cable’s familiar kind of ‘most objectionable

programming’ involving sex and violence. While distancing itself from popular

perceptions of the supposedly infantile fantasy genre, Game of Thrones offers value to

those ‘hipsters and gentrifiers’ who continuously seek out novel but crucially

TV/Series, 6 | 2014

162

‘authentic’ experiences43, and who of course also happen to make up HBO’s most

desirable audience.

30 The show’s tendency to court controversy therefore makes more sense once we

perceive it from this perspective of gritty, uncompromising authenticity, and the way it

continuously distinguishes HBO’s brand identity from ‘normal’ network television. As

the series has developed throughout its first four seasons, it has in fact adapted the

most violent and controversial moments from the novels by making them even more

extreme than the already somewhat notorious source texts44. For instance, in the third-

season episode that adapts the ‘Red Wedding’ chapter from the novel A Storm of Swords

(2000), the mass murder that takes place on-screen involves not only the grisly deaths

of popular leading characters Robb and Catelyn Stark, but also that of Robb’s fiancée,

whose pregnant belly is graphically stabbed several times before her throat is slit. The

show-runners thus made the scene not only as graphically violent as possible, but

adapted it for television in a way that made an already grisly sequence a great deal

more upsetting and controversial, resulting in a great deal of desirable media attention

that once again emphasized the show’s ‘gritty’ and ‘uncompromising’ authenticity.

31 This moment and others like it demonstrate clearly that the traditional logic of film

and television adaptations, in which the most potentially offensive elements are either

removed or softened, finds its opposite in the cultural logic of gentrification and its

politics of adaptation. The creation of value in this context hinges on the hegemonic

appropriation and adaptation of subcultures and genres in ways that are experienced

as overwhelmingly ‘gritty’ and ‘authentic.’ But while their Quality TV aesthetics align

such offerings with recognizably branded commodities that hold enormous value for

‘distinguished’ viewers, the ideological organization of the franchise’s story-world

articulates the same kind of politics that underlies global processes of gentrification.

32 Much in the same way that AMC's popular TV adaptation of the comic book series The

Walking Dead (2010-) has made the zombie genre accessible to a new audience, Game of

Thrones has played a key role in the gentrification of the fantasy genre. While carefully

working to remain inclusive towards the fan cultures that have traditionally sustained

such texts, the HBO adaptation makes Martin’s story-world accessible to a ‘quality’

audience that does not define itself in terms of fandom. Instead, high-culture categories

of authorship, novelistic narrative complexity, psychological realism, and adult-

oriented scenes of sex and violence connect to a larger discourse of innovative quality

television that is innovative and ‘edgy’ in ways that remain tasteful to bourgeois

viewers.

33 But while some of the most noticeable characteristics of traditional fantasy fiction have

been tweaked or altered to adapt to the show's envisioned audience, Game of Thrones’

rewriting of genre conventions leaves the most ideologically problematic building

blocks largely intact: while the show resists the traditional Manichean structure of high

fantasy, its larger plot still revolves around the concept of a monstrous exterior threat

to its central proto-European geography; while the genre’s most rampant xenophobic

tendencies are at the very least tempered, the governing framework of Orientalist

prejudice and racist assumptions is left intact; and even as the series’ narrative

critiques institutionalized sexism, it continuously fills up the screen with naked female

bodies subjected to the male gaze. The franchise’s success amongst upscale audiences

can therefore be related more convincingly to cosmetic changes that bestow prestige

TV/Series, 6 | 2014

163

on a disreputable genre than with any substantial attempts to address the reactionary

ideological premises that ultimately continue to delimit the high fantasy genre.

BIBLIOGRAPHY

BEAUMONT-THOMAS Ben, ‘Game of Thrones fans create an interactive map of Westeros… via Google

Maps’, The Guardian: Radio & TV Blog, April 15th, 2014.

BELLAFANTE Ginia, ‘A Fantasy World of Strange Feuding Kingdoms,’ The New York Times, 14 April

2011.

BOLTER Jay David, GRUSIN Richard, Remediation: Understanding New Media, Cambridge, MIT Press,

2000.

BOURDIEU Pierre, Distinction: A Social Critique of the Judgment of Taste, London, Routledge, 2010.

CALDWELL John T., Televisuality: Style, Crisis and Authority in American Television, New Brunswick,

Rutgers University Press, 1995.

CARDWELL Sarah, ‘Is Quality Television Any Good?’, in J. McCabe and K. Akass (eds.), Quality TV:

Contemporary American Television and Beyond, New York, I.B. Taurus, 2007, p. 19-34.

COLLINS Jim, Bring On the Books for Everybody: How Literary Culture Became Popular Culture, Durham,

Duke University Press, 2010.

DASGUPTA Sudeep, ‘Policing the People: Television Studies and the Problem of “Quality”’, NECSUS,

Vol. 1, No.1, Spring 2012.

EKMAN Stefan, Here Be Dragons: Exploring Fantasy Maps and Settings, Middletown, Connecticut,

Wesleyan University Press, 2013.

EDGERTON Gary R., JONES Jeffrey P., The Essential HBO Reader, Lexington, University of Kentucky

Press, 2009.

FEUER Jane, ‘The MTM Style’, in S. Feuer, P. Kerr and T. Vahimagi (eds.), MTM ‘Quality Television’,

London, BFI, 1984.

FRANKEL Valerie E., Women in Game of Thrones: Power, Conformity and Resistance, Jefferson,

McFarland, 2014.

HARVEY David, The Condition of Postmodernity, Malden, Blackwell Publishing, 1990.

HOLMES Anna, ‘Skin is Wearing Thin on HBO’s Game of Thrones’, in The Washington Post, April 27th,

2012.

HUGHES Sarah, ‘“Sopranos Meets Middle-earth”: How Game of Thrones Took Over Our World’, The

Guardian, March 22nd, 2014.

JAMESON Fredric, ‘Cognitive Mapping’, C. Nelson and L. Grossberg (eds.), Marxism and the

Interpretation of Culture, Champaign, University of Illinois Press, 1990, p. 347-60.

TV/Series, 6 | 2014

164

JARAMILLO Deborah L., ‘The Family Racket: AOL Time Warner, HBO, The Sopranos, and the

Construction of a Quality Brand’, Journal of Communication Inquiry, Vol. 26, No. 1, 2002, p. 59-75.

JENKINS Henry, Convergence Culture: Where Old and New Media Collide, New York, New York

University Press, 2006.

JOHNSON Catherine, ‘Tele-branding in TVIII: The network as brand and the programme as brand’,

New Review of Film and Television Studies, Vol. 5, No. 1, 2007, p. 5-24.

KENNEALLY Tim, ‘Game of Thrones Becomes Most Popular Series in HBO’s History’, The Wrap, June

5th, 2014.

LEVERETTE Marc, ‘Cocksucker, Motherfucker, Tits’, in M. Leverette, B.L. Ott and C.L. Buckley (eds.),

It’s Not TV: Watching HBO in the Post-Television Era, New York, Routledge, 2008, p. 123-51.

MCCABE Janet, AKASS Kim, ‘It’s Not TV, It's HBO’s Original Programming: Producing Quality TV’, in

M. Leverette, B.L. Ott and C.L. Buckley (eds.), It’s Not TV: Watching HBO in the Post-Television Era,

New York, Routledge, 2008, p. 83-94.

MITTELL Jason, Genre and Television: From Cop Shows to Cartoons in American Culture, Florence,

Psychology Press, 2004.

NEGRI Antonio, HARDT Michael, Empire, Cambridge, Massachusetts & London, England, Harvard

University Press, 2000.

NELSON Robin, ‘Quality TV Drama: Estimations and Influences Through Time and Space’, in J.

McCabe and K. Akass (eds.), Quality TV: Contemporary American Television and Beyond, London,

Tauris, 2007.

NEWITZ Annalee, ‘A Fantastically Detailed Geological History for Game of Thrones’, http://io9.com/

a-fantastically-detailed-geological-history-for-game-of-1561092800, April 8th, 2014.

PEARSON Roberta E., “Lost in Transition: From Post-Network to Post-Television”, J. McCabe and K.

Akass (eds.), Quality TV: Contemporary American Television and Beyond, London, Tauris, 2007.

SAÏD Edward, Orientalism: 25th Anniversary Edition, New York, Vintage, 2004.

SANTO Avi, ‘Para-Television and Discourses of Distinction: The Culture of Production at HBO’, in M.

Leverette, B.L. Ott and C.L. Buckley (eds.), It’s Not TV: Watching HBO in the Post-Television Era, New

York, Routledge, 2008, p. 19-45.

WHEELER Brian, ‘Why are Fantasy World Accents British?’, BBC News, March 30th, 2012.

WOLF Mark J.P., Building Imaginary Worlds: The History and Theory of Subcreation, London, Routledge,

2012.

ŽIŽEK Slavoj, The Sublime Object of Ideology, London, Verso Books, 1989.

ZUKIN Sharon, Naked City: The Death and Life of Authentic Urban Places, Oxford, Oxford University

Press, 2010.

NOTES

1. Gary R. Edgerton and Jeffrey P. Jones, The Essential HBO Reader, Lexington, University of

Kentucky Press, 2009.

2. Henry Jenkins, Convergence Culture: Where Old and New Media Collide, New York, New York

University Press, 2006.

TV/Series, 6 | 2014

165

Catherine Johnson, “Tele-branding in TVIII: The network as brand and the programme as brand”,

in New Review of Film and Television Studies, Vol. 5, No. 1, 2007, p. 5-24.

3. Roberta E. Pearson, “Lost in Transition: From Post-Network to Post-Television”, in J. McCabe

and K. Akass (eds.), Quality TV: Contemporary American Television and Beyond, London, Tauris, 2007.

4. Jason Mittell, Genre and Television: From Cop Shows to Cartoons in American Culture, Florence,

Psychology Press, 2004.

5. While American productions remain the global norm for trends in serialized TV drama, recent

European productions such as the British In the Flesh (BBC, 2013- ), British-Canadian co-

production Orphan Black (BBC America, 2013- ), and the French Les Revenants (Canal+, 2012- )

demonstrate that the interest in fantastical genres is not limited to US television.

6. Pierre Bourdieu, Distinction: A Social Critique of the Judgment of Taste, London, Routledge, 2010.

7. Slavoj Žižek, The Sublime Object of Ideology, London, Verso Books, 1989.

8. Ginia Bellafante, ‘A Fantasy World of Strange Feuding Kingdoms’, in The New York Times,

April 4th, 2011.

9. Tim Kenneally, ‘Game of Thrones Becomes Most Popular Series in HBO’s History’, in The Wrap,

June 5th, 2014.

10. Jane Feuer, ‘The MTM Style’, in S. Feuer, P. Kerr and T. Vahimagi (eds.), MTM ‘Quality

Television’, London, BFI, 1984, p. 34.

11. Jay David Bolter and Richard Grusin, Remediation: Understanding New Media, Cambridge, MIT

Press, 2000.

12. Henry Jenkins, op. cit.

13. Jim Collins, Bring On the Books for Everybody: How Literary Culture Became Popular Culture,

Durham, Duke University Press, 2010, p. 33.

14. John T. Caldwell, Televisuality: Style, Crisis and Authority in American Television, New Brunswick,

Rutgers University Press, 1995, p. 141.

15. Marc Leverette, ‘Cocksucker, Motherfucker, Tits’, in M. Leverette, B.L. Ott and C.L. Buckley

(eds.), It’s Not TV: Watching HBO in the Post-Television Era, New York, Routledge, 2008, [p. 123-51], p.

144.

16. Robin Nelson, ‘Quality TV Drama: Estimations and Influences Through Time and Space’, in J.

McCabe and K. Akass (eds.), Quality TV: Contemporary American Television and Beyond, London,

Tauris, 2007, p. 39.

17. Sarah Cardwell, ‘Is Quality Television Any Good?’, in J. McCabe and K. Akass (eds.), Quality TV:

Contemporary American Television and Beyond, New York, I.B. Taurus, 2007, [p. 19-34], p. 32.

18. Avi Santo, ‘Para-Television and Discourses of Distinction: The Culture of Production at HBO’,

in M. Leverette, B.L. Ott and C.L. Buckley (eds.), It’s Not TV: Watching HBO in the Post-Television Era,

New York, Routledge, 2008 [p. 19-45], p. 20.

19. Sarah Hughes, ‘“Sopranos Meets Middle-earth”: How Game of Thrones Took Over Our World’,

The Guardian, March 22nd, 2014.

20. Roberta E. Pearson, op. cit., p. 241.

21. Janet McCabe and Kim Akass, ‘It's Not TV, It’s HBO’s Original Programming: Producing Quality

TV’, in M. Leverette, B.L. Ott and C.L. Buckley (eds.), It’s Not TV: Watching HBO in the Post-Television

Era, New York, Routledge, 2008, [p. 83-94], p. 87.

22. Ibid., p. 89.

23. Sudeep Dasgupta, ‘Policing the People: Television Studies and the Problem of “Quality”’,

NECSUS, Vol. 1, No. 1, Spring 2012.

24. Avi Santo, op. cit., p. 34.

25. Mark J.P. Wolf, Building Imaginary Worlds: The History and Theory of Subcreation, London,

Routledge, 2012.

26. While Ekman’s study acknowledges that many fantasy books are published without

accompanying maps, his empirical work as well as his own specialized engagement with the topic

TV/Series, 6 | 2014

166

demonstrates quite vividly the commonly assumed equivalence between fantasy narratives and

maps of imaginary lands. See Stefan Ekman, Here Be Dragons: Exploring Fantasy Maps and Settings,

Middletown, Connecticut, Wesleyan University Press, 2013, p. 2.

27. As the series moves through its yearly seasons, the animated map in the opening credits has

changed to reflect the importance of new locations as well as changes to existing ones.

28. See for example the interactive Google Map of Westeros created by fans (see Ben Beaumont-

Thomas, ‘Game of Thrones fans create an interactive map of Westeros… via Google Maps’, in The

Guardian: Radio & TV Blog, April 15th, 2014), or the elaborate geological map created by a team of

geologists and map designers at Stanford University (see Annalee Newitz, ‘A Fantastically

Detailed Geological History for Game of Thrones’, http://io9.com/a-fantastically-detailed-

geological-history-for-game-of-1561092800, April 8th, 2014).

29. David Harvey, The Condition of Postmodernity, Malden, Blackwell Publishing, 1990, p. 249.

30. Ibid., p. 253.

31. Antonio Negri and Michael Hardt, Empire, Cambridge, Massachusetts & London, England,

Harvard University Press, 2000, p. 88.

32. David Harvey, op. cit., p. 10-38.

33. Fredric Jameson, ‘Cognitive Mapping’, in C. Nelson and L. Grossberg (eds.), Marxism and the

Interpretation of Culture, Champaign, University of Illinois Press, 1990, p. 347-60.

34. David Harvey, op. cit., p. 252.

35. One central irony of the series is that the larger threat to the inhabitants of Westeros actually

comes from the North, beyond The Wall.

36. Tellingly, characters who live in ‘the North’ of Westeros have (mostly) Northern-English or

Scottish accents, like the Sheffield-born actor Sean Bean, while those in the more southern

capital of King’s Landing have fancier-sounding southern accents (see Brian Wheeler, ‘Why are

Fantasy World Accents British?’, in BBC News, March 30th, 2012). Characters from even further

south in the seven kingdoms, such as those from the kingdom of Dorne, speak English with

vaguely mediterranean-sounding accents, and have cast actors like the Chilean-American actor

Pedro Pascal and the Indian-Swiss actress Indira Varma.

37. Edward Saïd, Orientalism: 25th Anniversary Edition, New York, Vintage, 2004.

38. While some may argue that Game of Thrones depicts many of its Western characters

negatively, there is an obvious difference between portraying individual characters as good or

evil, or rendering judgment on an entire culture. This franchise clearly engages in the latter,

especially in its depiction of non-Western countries that have not yet ‘developed beyond’ the

slave trade, or in the show-runners’ decision to invent non-European-sounding languages for

nations outside Westeros.

39. Deborah L. Jaramillo, ‘The Family Racket: AOL Time Warner, HBO, The Sopranos, and the

Construction of a Quality Brand’, in Journal of Communication Inquiry, Vol. 26, No. 1, 2002 [p. 59-75],

p. 66.

40. See Valerie E. Frankel, Women in Game of Thrones: Power, Conformity and Resistance, Jefferson,

McFarland, 2014, p. 7.

41. Anna Holmes, ‘Skin is Wearing Thin on HBO’s Game of Thrones’, in The Washington Post, April

27th, 2012.

42. Sharon Zukin, Naked City: The Death and Life of Authentic Urban Places, Oxford, Oxford University

Press, 2010, p. 53.

43. Ibid., p. 7.

44. In the fourth-season episode ‘Oathkeeper,’ the transformation of an already-incestuous sex

scene between Jaime and Cersei that was consensual in the book was dramatized as a rape scene

in the series, an adaptive choice that follows the same logic but (for once) seemed to overreach in

its attempt to be as ‘gritty’ as possible: it resulted in a great deal of negative criticism, which at

TV/Series, 6 | 2014

167

the same time of course also brought more free publicity to the franchise as a form of ‘mature

and edgy’ fantasy.

ABSTRACTS

The success of the television adaptation of Game of Thrones marks a crucial transitional moment

in the relationship between cult audiences and the global élite associated with ‘quality

television’. By looking not only at the specific changes made to the novels as they were adapted

for television, but also at the reception practices that have surrounded the series on fan forums

and social media, this essay argues that the ‘mainstreaming’ of cult genres has troubling political

implications. Increasingly, fan activity is in the process of being commodified by corporations

that mobilize their most loyal consumers as brand-name ambassadors and online ‘influencers’.

La réussite de l’adaptation télévisuelle de Game of Thrones représente un moment de transition

crucial dans le rapport entre les publics de séries cultes et l’élite mondiale associée à la

« télévision de qualité ». En examinant non seulement les changements spécifiques faits aux

romans lors de leurs adaptations télévisuelles, mais aussi les pratiques de réception qui

entourent les séries sur les fan forums et les médias sociaux, cet essai soutient que « l’intégration

au courant dominant » des genres cultes ait des implications politiques troublantes. Petit à petit,

l’activité des fans est marchandisée par des sociétés qui mobilisent leurs clients les plus loyaux

comme des ambassadeurs de marque et des « vecteurs d’influence » sur Internet.

INDEX

Mots-clés: Game of Thrones, télévision de qualité, gentrification, fantasy, réception

Keywords: Game of Thrones, quality TV, fantasy, gentrification, reception

AUTHOR

DAN HASSLER-FOREST

Dan Hassler-Forest currently works as an assistant professor of film and literature based in the

English department of the University of Amsterdam, and is a frequent public lecturer on

contemporary film, adaptation theory, animation and digital cinema, urban studies, and

theoretical approaches to popular culture. He also teaches at Amsterdam University College. He

wrote Capitalist Superheroes: Caped Crusaders in the Neoliberal Age (Zero Books, 2012) on the Bush-

era superhero movie genre. All of his work is informed by a critical approach to commodity

culture and globalized capitalism, with a special focus on the political and ideological

implications of fantasy genres.

TV/Series, 6 | 2014

168

Échos lointains pour reprisedissonante : la série catalane InfidelsJennifer Houdiard

1 La série Infidels a été diffusée durant trois saisons, de 2009 à 2011, sur TV3 ainsi que sur

Internet. Il s’agit de la première série « féminine » produite par Diagonal TV et diffusée

sur la chaîne publique catalane : l’action d’Infidels est centrée sur cinq protagonistes,

cinq amies barcelonaises qui ne sont pas sans évoquer les héroïnes de Desperate

Housewives (ABC, 2004-2012) ou de Sex and the City (HBO, 1998-2004). Cependant, ses

créateurs la définissent comme une fiction originale et résolument catalane, une série

« féminine, mais sur des femmes de chez nous, qui n’a rien à voir avec les séries

féminines étrangères.1 » Pour Jordi Roure, directeur des programmes de fiction de TV3,

Infidels est un pari, un nouveau défi pour une chaîne dont les fictions s’adressent

habituellement à toute la famille, sans cibler un genre en particulier : « Pendant

longtemps, nous avons été obligés de proposer des productions qui visaient à satisfaire

l’ensemble de la famille. [Infidels] est une série différente, qui fait appel aux émotions et

aux sentiments et met en scène des femmes qui ont décidé de vivre leur vie en prenant

tous les risques2. »

2 En tant que chaîne catalane publique, TV3 est doublement contrôlée par le CAC (Consell

Audiovisual de Catalunya) et par la Generalitat, le gouvernement autonome catalan3 : les

programmes sont donc soumis à d’importantes exigences en matière de lutte contre les

inégalités entre hommes et femmes. En effet, parmi les missions des médias publics

catalans figure « la promotion active de l’égalité entre femmes et hommes, qui inclut

l’égalité de traitement et d’opportunités, le respect de la diversité et de la différence,

l’intégration de la perspective de genre, la promotion d’actions positives et l’emploi

d’un langage non sexiste4, » comme le stipule la loi du 29 décembre 2005 régissant la

communication audiovisuelle publique en Catalogne. On peut s’interroger sur les

implications de ce code de conduite non-sexiste dans une fiction comme Infidels,

revendiquée comme « une série dans laquelle les personnages masculins sont le

contrepoint », où l’on a choisi de privilégier « un regard féminin sur le monde, et non

un regard sur le monde féminin5. »

TV/Series, 6 | 2014

169

3 Il faut commencer par rappeler que l’autonomie des médias catalans face au pouvoir

politique a justement été remise en question par les fidèles d’Infidels au moment où a

été annoncée la fin de la série : certains y ont vu la trace d’une intervention des

conservateurs de Convergència i Unió6, prétendument choqués par une série qualifiée

d’« immorale7. » La rumeur a été vigoureusement démentie, tant par les responsables

politiques que par les instances dirigeantes de la chaîne. Qu’ils soient fondés ou non,

ces soupçons de censure méritent que l’on s’interroge : est-ce l’originalité revendiquée

de la série, notamment en ce qui concerne la construction de ses protagonistes

féminines, qui en fait un objet controversé ? Le cahier des charges anti-sexiste auquel

sont soumis les programmes de TV3 participe-t-il de cette originalité, et contribue-t-il,

d’une manière ou d’une autre, à faire d’Infidels une série subversive ?

4 Fait original, la réputation sulfureuse de la série a précédé son arrivée sur les écrans, et

pas seulement à cause de son titre : en effet, TV3 a proposé au public une campagne de

promotion constituée de cinq vidéos d’une trentaine de secondes chacune, diffusées

quelques jours avant le premier épisode. Chaque teaser présente l’une des cinq

protagonistes d’Infidels ; plus exactement, chaque personnage se présente aux futurs

téléspectateurs, en regardant la caméra et en prononçant une phrase qui évoque son

rapport personnel à l’infidélité, fil conducteur apparent de la série. Penchons-nous, par

exemple, sur la vidéo consacrée au personnage d’Arlet8, la benjamine. La phrase que

prononce Arlet annonce qu’elle est en train de préparer la scène de l’infidélité qu’elle

s’apprête à commettre : « Je n’ai jamais été infidèle. Jusqu’à maintenant9. » La musique

qui accompagne chacune des vidéos, par son rythme lent et la voix de la chanteuse qui

susurre plus qu’elle ne chante, achève de créer un horizon d’attente teinté d’érotisme10.

Ces petites mises en bouche annoncent une série centrée sur la vie amoureuse et

sexuelle de cinq femmes fictives que rien ne semble a priori distinguer des habitantes de

Wisteria Lane ou de la bande de New-Yorkaises branchées gravitant autour de Carrie

Bradshaw (voir figure 1).

TV/Series, 6 | 2014

170

Fig. 1 : Les cinq protagonistes d’Infidels

5 Cela nous amène à nous poser la question du cadre spatio-temporel, qui joue un rôle

déterminant dans des séries telles que Desperate Housewives et Sex and the City. En effet,

l’action de la première série ne se conçoit que dans une banlieue résidentielle états-

unienne dans la mesure où la fiction est centrée sur les « femmes au foyer » de la classe

moyenne aisée. Quant au New York de Sex and the City, il s’agit en réalité de la

recréation d’un microcosme, le petit monde de la communication, de la mode et de l’art

contemporain dans lequel évoluent des personnages féminins culturellement,

artistiquement et sexuellement avant-gardistes. En revanche, Infidels donne à voir des

figures féminines qui esquissent un portrait assez contrasté de la classe moyenne

barcelonaise. Le rôle symbolique du cadre apparaît comme limité dans la mesure où il

semble avoir peu d’influence sur la construction des personnages qui le peuplent ; tout

du moins, il n’est pas lié à une unité entre les cinq protagonistes de la série, qui sont

toutes issues de milieux différents (une institutrice, une gestionnaire de patrimoine,

une psychiatre, une journaliste et une femme au foyer).

6 Pourtant, comme dans toutes les fictions catalanes, l’accent est mis sur la recréation

d’un contexte extrafictionnel identifiable comme réel par les téléspectateurs : la ville

de Barcelone est copieusement nommée et montrée, et l’ancrage de la fiction en

Catalogne est régulièrement rappelé par la mention d’éléments de la réalité catalane

actuelle, comme par exemple les groupes de musique qu’écoutent les personnages de la

série11. C’est peut-être l’un des points communs les plus importants entre les cinq

protagonistes d’Infidels : ces femmes d’âges et de milieux différents, que les hasards de

la vie ont fait se rencontrer, partagent une langue et une culture qui non seulement

s’imposent comme des évidences, mais qui jouent également un rôle non négligeable

dans l’économie du récit. En effet, c’est grâce au comportement linguistique de son

mari que Joana découvre qu’il mène une double vie : la fille de Joana, intriguée

d’entendre son père parler en castillan au téléphone, ne le croit pas lorsqu’il lui dit qu’il

TV/Series, 6 | 2014

171

parlait avec sa mère. Un peu plus tard, la fillette évoque les mensonges de son père

auprès d’une des amies de sa mère :

MARINA. Je l’ai entendu parler au téléphone, et il a dit qu’il parlait avec maman.

ARLET. Et pourquoi est-ce que cela ne serait pas vrai ?

MARINA. Parce qu’il parlait en castillan, et qu’ils ne font jamais ça. (1.2)

7 Face à l’argument imparable de la petite Marina, Arlet reste bouche bée : un couple

catalan n’a aucune raison d’employer le castillan au quotidien. C’est donc à cause de

l’utilisation d’une langue plutôt que d’une autre que Joana finit par apprendre que son

mari a fondé une autre famille à Buenos Aires, ville où ses affaires le retiennent une

partie de l’année.

8 Parmi les protagonistes, seule Cruz s’exprime parfois en castillan, lorsqu’elle parle avec

sa mère : la plus fortunée des cinq amies est la fille d’une femme de ménage d’origine

andalouse. Cruz, à l’instar d’autres personnages de séries diffusées sur TV3, incarne le

« rêve catalan12 » : elle est l’exemple d’une ascension sociale fulgurante allant de pair

avec une irréprochable intégration culturelle et linguistique, dans la mesure où elle est

presque exclusivement catalanophone. De fait, Cruz est l’épouse d’Eduard De Queralt,

dont le patronyme ne laisse aucun doute quant à son appartenance à la vieille

bourgeoisie catalane. Les repas de famille donnent d’ailleurs une curieuse impression :

la mère de Cruz est la seule à s’exprimer en castillan, tandis que Cruz, Eduard et le père

de celui-ci n’utilisent que le catalan, y compris lorsqu’ils s’adressent à elle (1.2). La

visibilité du castillan est réduite au strict minimum dans la série, comme si le catalan

était la seule langue parlée au quotidien, alors que la situation réelle est bien plus

complexe. Ce traitement des langues dans les fictions de TV3 correspond à une

stratégie de promotion de la langue catalane13. Peter, le voisin de Joana, constitue un

autre exemple de la volonté des concepteurs de la série de montrer le catalan comme la

seule langue du quotidien : le jeune homme, originaire de Boston et récemment arrivé à

Barcelone, parle un catalan presque parfait, à peine teinté d’un léger accent, et aucun

des autres personnages de la série ne semble en être spécialement étonné.

9 La présence du personnage de Peter peut être vue comme une sorte de clin d’œil à un

univers fictionnel ayant largement inspiré les créateurs d’Infidels, celui des séries états-

uniennes. D’ailleurs, le fait que Joana, la maladroite de la bande, tombe sous le charme

de son séduisant voisin (voir figure 2), ne peut qu’évoquer l’attirance de Susan Mayer

pour Mike Delfino dans les premiers épisodes de Desperate Housewives.

TV/Series, 6 | 2014

172

Fig. 2 : Peter, le voisin de Joana

10 À bien y regarder, les références plus ou moins évidentes aux fictions produites outre-

Atlantique sont nombreuses et jouent sur la culture télévisuelle du spectateur, sur un

ensemble de références partagé car faisant partie de l’encyclopédie du public

contemporain. Lorsque la femme au foyer Joana quitte son mari infidèle et décide de

subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants, Peter lui propose de l’aider à rédiger son

CV. À la question : « Quel est ton profil ? », elle répond : « Femme divorcée et

désespérée » (1.7). On pourrait multiplier les exemples mais il semble plus intéressant

de s’interroger sur la fonction de ces nombreuses citations, références et clins d’œil.

L’apparente ressemblance entre Joana et Susan Mayer se révèle être, au fur et à mesure

que la diégèse se déroule, une sorte de fausse piste : certes, ces deux femmes

maladroites et gaffeuses ont également en commun de s’être retrouvées seules suite à

l’infidélité de leurs époux respectifs et de tomber amoureuses de séduisants voisins,

mais les similitudes s’arrêtent là. Tout au long de la série Desperate Housewives, le

personnage campé par Teri Hatcher est une femme-enfant rêveuse, immature, dont la

préoccupation première semble être le regard des autres, qu’il s’agisse de l’homme

qu’elle souhaite séduire ou des femmes avec lesquelles elle passe son temps à rivaliser.

En revanche, la comédienne Montse Germán incarne un personnage beaucoup plus

« rond14, » à plus d’un égard. Certes, sa fixation sur ses rondeurs sert de prétexte à

plusieurs séquences comiques : par exemple, dès le premier épisode, elle apparaît face à

un miroir, s’efforçant d’enfiler un bustier. Son fils, hors champ, lui demande : « Maman,

quand est-ce qu’on dîne ? » et elle répond, l’air désabusé : « Vous, tout de suite. Moi,

dans trois jours. » (1.1) Cependant, lorsqu’elle découvre la double vie de son mari, Joana

décide de le quitter et de reprendre les rênes de sa vie, après des années passées à

s’occuper uniquement de sa maison et de ses enfants. C’est seulement bien après son

divorce, une fois que Joana est indépendante, financièrement et émotionnellement, que

commence sa relation avec son jeune voisin Peter : au lieu de se réfugier dans les bras

d’un homme et de chercher à combler le vide laissé par son ex-mari, Joana se bat pour

acquérir une autonomie qu’elle refuse de remettre en question. Quand Peter lui

propose de venir vivre avec elle, Joana hésite, puis décline son offre : « Je ne me vois

pas partager les tâches ménagères avec toi, emmener les enfants à l’école ou repasser

ton linge.» (1.16) La formation d’un nouveau couple n’est pas présentée comme le but à

TV/Series, 6 | 2014

173

atteindre par le personnage féminin : la relation que Joana entretient avec Peter est un

des éléments d’une nouvelle vie qu’elle s’est forgée à la force du poignet ; elle participe

de son bonheur et de son équilibre sans toutefois les conditionner totalement.

11 L’un des traits d’originalité d’Infidels est l’importance donnée à l’activité

professionnelle de certaines des protagonistes : elle joue parfois un rôle fondamental

dans l’économie du récit. C’est le cas pour Cruz, qui apparaît très régulièrement dans

son bureau, occupée à des tâches qui évoquent la complexité et la technicité de son

métier de gestionnaire de patrimoine. C’est d’ailleurs sur le terrain de la finance que

s’exprime sa rivalité avec la maîtresse de son mari, et non dans un domaine plus

classique comme celui de la séduction. Lorsqu’elle découvre la liaison adultère d’Eduard

avec Carlota, une riche héritière dont elle gère la fortune, Cruz se venge en investissant

délibérément une partie de l’argent de sa rivale sur une opération qu’elle sait vouée à

l’échec (1.4). Un peu plus tard, quand Eduard hérite de son père une agence

immobilière criblée de dettes, Carlota lance à Cruz une sorte de provocation en duel :

elle a les moyens d’aider Eduard à remettre à flot l’entreprise familiale et elle défie Cruz

de pouvoir en faire autant. En bonne épouse aimante, tant pour sauver l’élu de son

cœur que pour neutraliser une fois pour toutes son encombrante rivale, Cruz se livre à

une opération financière aussi complexe qu’illégale (1.9). Alors qu’elle se rend ainsi

coupable d’un délit d’initié et qu’elle met de côté l’éthique qui lui est pourtant chère,

avec les risques que cela suppose pour sa carrière, Cruz s’inscrit dans une longue

tradition de personnages féminins sacrificiels pour lesquels amour rime avec

renoncement15. Ce qui est original ici, c’est la manière dont s’exprime l’abnégation de la

femme amoureuse, à travers ses compétences professionnelles. Le personnage de Cruz

est en cela à la fois désespérément classique et extrêmement original. La figure de la

maîtresse d’Eduard met justement en valeur cette originalité, par contraste : Carlota,

fille de bonne famille sans métier connu, n’apparaît qu’à travers sa relation avec

Eduard, qu’elle côtoie depuis l’enfance et dont elle est amoureuse depuis presque aussi

longtemps. Lorsqu’Eduard l’informe de son désir de mettre fin à leur liaison adultère,

Carlota, au bord des larmes, plaide sa cause dans un monologue qui n’a rien à envier

aux déclarations enflammées des personnages torturés de soap operas ou de culebrones

(voire figure 3). Elle évoque la première fête à laquelle elle a participé, à l’âge de seize

ans, dans la résidence familiale de Cadaqués, et l’éveil de ses sentiments pour Eduard :

« Ce soir-là, je me suis promis que nous serions ensemble un jour. » (1.4) Contrairement

aux cinq protagonistes d’Infidels, Carlota évolue dans un milieu social fermé qui

apparaît comme isolé du monde réel, et elle semble n’avoir d’autre préoccupation dans

l’existence que son apparence et ses déconvenues sentimentales : elle est sans doute à

lire comme une sorte de transfuge venue d’autres univers fictionnels, clin d’œil aux

feuilletons dont la télévision catalane a toujours eu à cœur de se démarquer, et contre-

point aux figures féminines originales que donne à voir la série.

TV/Series, 6 | 2014

174

Fig. 3 : Carlota, transfuge d’un soap opera

12 Les protagonistes d’Infidels ont en commun un certain nombre de caractéristiques qui

les opposent à la grande majorité des figures féminines qui peuplent les fictions

télévisées. Il n’y a, dans la série, ni femme boniche, ni femme potiche16 : seule Joana,

mère au foyer, est parfois montrée en train d’exécuter des tâches ménagères. C’est

également la seule des protagonistes à exprimer explicitement une préoccupation pour

son apparence, et cet élément est traité, comme nous l’avons vu, de manière plutôt

comique. Une fois séparée de son mari, Joana se met à travailler17, n’apparaît plus que

très sporadiquement avec une serpillière ou une casserole à la main et ne semble plus

s’inquiéter de son surpoids imaginaire, comme si le fait de commencer à vivre pour

elle-même et non plus pour sa famille avait radicalement bousculé ses préoccupations.

Le rôle nourricier traditionnel des femmes et son complément contemporain, celui

d’objet esthétique et sexuel, sont remis en question par la série d’une manière qui

mérite commentaire. De la même façon que la diégèse s’ancre dans un univers

politique, culturel et linguistique idéal – une sorte de Catalogne utopique, qui ne

parlerait que catalan –, elle a pour cadre une société dont le sexisme semble avoir été

pratiquement éliminé, ou tout du moins être en voie d’extinction. Dans les différentes

sphères professionnelles qui sont données à voir, le plafond de verre n’a pas l’air

d’exister, les femmes ont les mêmes perspectives d’évolution de carrière que leurs

homologues masculins et elles occupent souvent des postes à responsabilités. Quand

Paula se voit proposer une promotion, elle dit à son mari Marc qu’elle pense la refuser

car elle craint d’être trop accaparée par de nouvelles responsabilités qui risquent de la

retarder dans l’écriture de son roman. Marc, journaliste comme Paula, reproche

vivement à son épouse son manque d’ambition (1.1) : le relativisme de genre habituel

est ici absent – Marc voit Paula comme une professionnelle, comme une égale censée se

consacrer corps et âme à son travail et à la compétition pour atteindre le plus haut

niveau de responsabilités et de prestige.

13 Lorsqu’elles sont évoquées, chose assez rare, les tâches domestiques sont

équitablement réparties entre les conjoints. Après la rupture entre Cruz et Eduard

(1.12), il suffit d’un seul plan pour que Joana et le téléspectateur découvrent que ce

dernier s’est installé chez sa maîtresse : Joana, qui fait du porte-à-porte pour vendre

TV/Series, 6 | 2014

175

des ustensiles de cuisine, se retrouve par hasard à proposer un de ses appareils miracles

à Carlota. Alors que celle-ci tente de décliner l’offre, Eduard apparaît dans le champ,

derrière elle, portant un tablier : il est ainsi immédiatement identifié comme habitant

de la maison et non comme simple visiteur (voir figure 4). Du même coup, l’association

automatique cuisine-personnage féminin est implicitement remise en question, une

fois de plus : le partage des tâches n’est pas l’exception mais la norme, du moins pour la

génération des personnages principaux.

Fig. 4 : Eduard, l’amant-au-foyer

14 En revanche, les choses sont bien différentes pour les personnages plus âgés, et le

contraste suggère une considérable évolution de la condition féminine et des rôles de

genre. Lorsque Cruz et Eduard annoncent à leurs parents qu’ils attendent un enfant, ces

derniers se réjouissent et imaginent que la future mère va mettre un frein, sinon un

terme, à sa brillante carrière. La mère de Cruz relativise l’importance du succès

professionnel de sa fille face à la maternité, priorité absolue selon elle. Quant au père

d’Eduard, il renchérit en disant qu’ « une femme ne se réalise complètement que quand

elle devient mère. » (1.2) De manière générale, la vision qu’ont les personnages âgés des

rôles de genre relève du cliché : la mère de Cruz et le père d’Eduard sont des figures

secondaires assez plates, dont la fonction essentielle semble être d’évoquer une

évolution fulgurante de la condition des femmes catalanes en quelques décennies. En ce

sens, on pourrait les rapprocher des parents d’Arlet, à travers lesquels est abordé le

thème de la violence conjugale. Si le père d’Eduard est une sorte d’archétype de

bourgeois catalan pétri de convictions surannées, celui d’Arlet concentre les traits

caractéristiques les plus sombres de l’homme machiste : il exige d’être servi en toutes

circonstances et maltraite sa femme. Lorsqu’il apprend que sa fille a rompu avec son

fiancé, il lui reproche de ne pas avoir fait assez d’efforts pour le « garder », comme si la

bonne marche d’une relation relevait de la responsabilité exclusive des femmes, et

comme si la rupture ne pouvait avoir eu lieu qu’à l’initiative du partenaire masculin –

comme si une femme, objet passif, ne pouvait qu’être abandonnée (1.11). Dans un

mouvement d’humeur, Arlet finit par avouer à ses parents le véritable motif de la

séparation : elle a quitté Víctor pour Dani, sa monitrice d’aquagym.

TV/Series, 6 | 2014

176

15 La relation entre Arlet et Dani se tisse progressivement, au fil des premiers épisodes,

alors qu’Arlet est en couple avec un homme et que Dani collectionne les conquêtes

masculines. Le trouble qui s’empare des deux jeunes femmes lorsqu’elles sont ensemble

apparaît comme évident, mais elles mettent beaucoup de temps à reconnaître qu’elles

sont attirées l’une par l’autre, jusqu’au moment où elles s’embrassent, timidement, à la

fin du cinquième épisode. Un peu plus tard, Arlet invite Dani à dîner, mais celle-ci lui

fait faux bond, visiblement mal à l’aise, comme le suggère l’explication qu’elle lui donne

le lendemain : « Arlet, nous sommes amies et tu es géniale, mais je ne ressens rien de

plus pour toi, le baiser de l’autre fois a été une erreur. [...] Je suis parfois un peu

embrouillée, mais s’il y a une chose qui est très claire pour moi, c’est que je ne suis pas

lesbienne ». Arlet lui répond : « Mais moi non plus ! » (1.6) Les deux femmes nient

l’attirance qu’elles ressentent l’une pour l’autre, car l’accepter les ferait entrer dans

une catégorie à laquelle elles refusent d’appartenir. Arlet et Dani tardent beaucoup à

accepter leurs sentiments et à officialiser leur relation, qui provoque des réactions

contrastées auprès de leur entourage. Les amies d’Arlet ne semblent pas choquées, ni

plus surprises que lorsque Joana leur présente son jeune amant américain. En revanche,

l’attitude d’autres personnages mérite commentaire, à commencer par celle du père

d’Arlet. Lorsqu’il rencontre Dani, il refuse de lui parler et lui dit à propos de sa fille :

« Elle était normale avant que tu ne t’en mêles. » (1.11) Dani ne relève pas l’accusation

implicite d’anormalité dont elle est l’objet mais réagit sur l’adjectif et renvoie le père

d’Arlet à son propre comportement, en répliquant calmement : « Je n’arrive pas à

comprendre votre conception de la normalité. Pour moi, il n’est pas très normal de

foutre des baffes à sa famille. » (1.11) Le père d’Arlet étant caractérisé de manière

négative dès sa première apparition, ce qui est rappelé ici à travers la mention de la

violence qu’il exerce à l’encontre son épouse, son jugement apparaît comme totalement

dépourvu de crédibilité : son rejet de l’homosexualité achève de le dépeindre comme

une caricature d’homme machiste et intolérant ; du même coup, associer l’homophobie

à ce personnage, c’est la condamner sans appel, c’est la dénoncer comme un

comportement primaire et agressif. L’attitude de Víctor face à la relation naissante

entre son ex-petite amie et Dani mérite également commentaire car Víctor refuse de

prendre acte de la rupture, considérant que les sentiments d’Arlet pour une femme ne

peuvent être qu’une passade : « Arlet, ce qui t’arrive, c’est que tu es aveuglée par cette

fille. [...] C’est temporaire. Tu veux expérimenter ? D’accord, expérimente. [...] Elle t’a

juste allumée, et quand ça te passera, je te manquerai » (1.10). Après le père d’Arlet,

Víctor offre une seconde variation sur le thème de l’hétérosexualité obligatoire : une

liaison entre deux femmes ne peut être qu’un caprice répondant à une pulsion

passagère, une toquade insatisfaisante qui se terminera invariablement par un retour à

l’homme, seul apte à combler les désirs et aspirations profondes d’une femme. Or,

Víctor brille davantage par sa plastique que par son intelligence : là encore, le message

est clair – Infidels évoque les idées reçues sur l’homosexualité (féminine, ici) et suggère

qu’elles sont aussi stupides qu’infondées.

16 Cependant, Arlet et Dani s’interrogent également sur leur attirance et leur orientation

amoureuse, n’ayant jamais connu, ni l’une ni l’autre, de relations autres

qu’hétérosexuelle :

ARLET (à Dani). Tu te considères comme lesbienne ?

DANI. Je suis avec toi, non ?

ARLET. Oui, mais on a toujours été avec des mecs.

DANI. Qu’est-ce que tu veux dire ? Qu’on est bisexuelles ?

TV/Series, 6 | 2014

177

ARLET. Mais pourquoi est-ce que les gens ont besoin de mettre des étiquettes

partout ? (1.13)

Fig. 5 : Deux amoureuses refusant l’étiquetage

17 C’est sur ces mots que se terminent le dialogue et la séquence : Arlet refuse de

« s’étiqueter » pour satisfaire les autres, et refuse de faire de son désir une

caractéristique définitoire. D’ailleurs, le couple formé par ces deux personnages remet

en question l’étanchéité des catégories d’orientation sexuelle, et jusqu’à leur existence :

ces deux femmes, qui jusqu’alors ne fréquentaient que des hommes, sont tombées

amoureuses l’une de l’autre, mais ne changent pas pour autant d’identité en

« devenant » lesbiennes. Comme le sexisme, l’homo-phobie et les idées reçues

hétéronormatives sont cantonnées à des personnages caractérisés négativement et/ou

représentant une époque révolue ; mais la série ouvre également des pistes de réflexion

sur le désir, l’amour et l’orientation sexuelle, sur les multiples formes qu’ils peuvent

prendre et sur l’inutilité, voire l’absurdité, des classements et des hiérarchisations dans

ce domaine.

18 Infidels, comme l’immense majorité des programmes diffusés sur TV3, s’inscrit dans la

continuité des fictions catalanes « maison », pensées et élaborées par des Catalans pour

des Catalans, et peut être considérée à cet égard comme un produit méritant son

« appellation d’origine contrôlée18, » bien qu’ayant selon toute vraisemblance été

inspiré par des recettes étrangères. Loin de se limiter à transposer à la réalité

barcelonaise les séries états-uniennes à succès, les concepteurs d’Infidels ont construit

tout un système de références ayant vraisemblablement un autre but que le simple

plaisir du jeu et de l’identification des clins d’œil. En effet, la série semble citer ses

apparents modèles pour mieux s’en démarquer ; cela participe de la construction de

figures féminines complexes et originales, et met en valeur leur dimension novatrice en

rappelant celles qui les ont précédées sur les écrans. Certes, on pourrait reprocher à

Infidels le manque de réalisme du cadre spatio-temporel dans lequel s’inscrit la diégèse :

en plus de donner l’image d’une Catalogne exempte de ques-tionnements quant à

l’identité nationale (caractéristique récurrente des fictions de TV3), la série donne à

voir un univers utopique dont le sexisme et l’homophobie semblent avoir été presque

totalement éliminés chez les nouvelles générations.

TV/Series, 6 | 2014

178

19 Cependant, en construisant une société fictionnelle libérée d’un certain nombre de

problèmes « réels » d’inégalités et de discrimination, Infidels propose un

questionnement qui aurait sans doute difficilement pu être abordé si la fiction s’était

inscrite dans un cadre plus « réaliste », par exemple en ce qui concerne les assignations

de genre, qui sont amplement questionnées. Les personnages masculins, que je me

propose d’étudier dans un travail ultérieur19, sont particulièrement intéressants à cet

égard. De plus, si la série fait l’impasse sur la répartition inégale des tâches ménagères

ou sur les difficultés qu’ont les femmes dans le monde du travail, on peut certes y voir

un traitement utopique de la condition féminine, mais il me semble qu’une autre

interprétation est possible, si l’on établit un parallèle avec la question linguistique et

culturelle : est-ce qu’il ne s’agit pas, tant pour les concepteurs du programme que pour

les instances dirigeantes de la chaîne publique catalane, d’offrir aux téléspectateurs

une représentation ayant valeur d’exemple ?

BIBLIOGRAPHIE

« TV3 aposta a partir de dijous que ve per una sèrie de dones, Infidels », El Punt, 19/III/2009, p. 38.

« El punt i final de la sèrie Infidels continua aixecant polèmica », Diari de Girona, 08/III/2011.

ALZON Claude, La Femme potiche et la femme boniche. Pouvoir bourgeois et pouvoir mâle, Paris, Maspéro,

1973.

CASTELLÓ Enric, LÓPEZ Bernat, Identitat cultural i societat a les séries de ficció catalanes : dels discursos a

la recepció, Estudis de Comunicació de la URV, Tarragone, Universitat Rovira i Virgili, 2007.

FORSTER Edward Morgan, Aspects of the Novel, Londres, Abinger edition, 1974 (1927).

GALLEGO Joana, « Els serials catalans : un nou producte amb denominació d’origen », Anàlisi, No. 23,

1999, p. 17-24.

HOUDIARD Jennifer, « La série catalane Ventdelplà, entre réalisme et utopie », TV/séries, No. 2, 2012,

p. 48-61.

NOTES

1. « TV3 aposta a partir de dijous que ve per una sèrie de dones, Infidels », El Punt, 19/III/2009, p.

38. Je traduis, comme pour les autres citations de la suite de l’article.

2. Ibid.

3. « Créé en l’an 2000, le CAC est le reflet de la volonté des politiques nationales de

communication de ces dernières années d’offrir aux médias une certaine indépendance vis-à-vis

du pouvoir politique. Il s’agit d’un organisme régi par des membres proposés par le Parlement

avec des mandats de six ans, afin de ne pas être lié excessivement aux législatures. Des

mécanismes comme celui-ci ont visé à consolider les politiques nationales de communication

contre les intérêts que pourrait avoir tel ou tel gouvernement. Ainsi, la Loi de la Corporation

Catalane des Médias Audiovisuels (2007) donne également à TVC et Catalunya Ràdio une certaine

TV/Series, 6 | 2014

179

indépendance vis-à-vis du gouvernement, même si la composition des instances dirigeantes de la

Corporation reste largement politisée ». Source : site web de la Generalitat,

http://www20.gencat.cat/portal/site/culturacatalana/[...], lien consulté le 17 juillet 2014.

4. Llei 22/2005, de 29 de desembre, de la comunicació audiovisual de Catalunya, p. 24,

http://www.cac.cat/pfw_files/cma/normativa_sa/Text_consolidat_Llei_22-2005.pdf, lien

consulté le 17 juillet 2014.

5. Déclaration du producteur exécutif Javier Olivares, « TV3 aposta a partir de dijous que ve per

una sèrie de dones, Infidels », op. cit.

6. Coalition des partis souverainistes de centre droit Convergència Democràtica de Catalunya et

Unió Democràtica de Catalunya, souvent désignée par le sigle CiU.

7. Le quotidien Diari de Girona évoque ainsi la polémique : « La fin précipitée de la série Infidels,

annoncée la semaine dernière par TV3 […], est à l’origine d’une forte polémique au sein du

public. Nombreux sont les spectateurs qui considèrent que la fin de la série […] répond à des

motifs politiques et moraux en rapport avec l’arrivée de CiU au Gouvernement de la Generalitat.

Le groupe Facebook « Nous ne voulons pas qu’on tue Infidels » est né, ainsi que le hashtag

#infidels sur Twitter, où de nombreux usagers dénoncent une censure. […] Selon plusieurs

médias en ligne, certains leaders du parti Unió Democràtica de Catalunya ont manifesté

publiquement leur rejet de cette série en raison de son contenu ‘immoral’ », « El punt i final de la

sèrie Infidels continua aixecant polèmica », Diari de Girona, 08/III/2011,

http://oci.diaridegirona.cat/tv/noticias/nws-9234-el-punt-i-final-serie-infidels-continua-

aixecant-polemica.html, lien consulté le 17 juillet 2014.

8. http://www.youtube.com/watch?v=wMejUSOONNU, lien consulté le 18 juillet 2014.

9. Pour plus de commodité, toutes les répliques de personnages citées dans cet article ont été

traduites en français.

10. Il s’agit des premières mesures de la chanson « Sweet dreams (Are Made Of This) », composée

et écrite par le groupe britannique Eurythmics (1983), reprise par la chanteuse québécoise Terez

Montcalm.

11. Dans l’épisode 6 de la saison 1, Arlet offre à son fiancé Víctor des places pour un concert du

groupe pop majorquin d’expression catalane Antònia Font.

12. Pensons, par exemple, au personnage de Rafa, fils d’immigrés andalous, dans la série

Ventdelplà. Cf. mon article « La série catalane Ventdelplà, entre réalisme et utopie », TV/ séries, No.

2, 2012, p. 57-58 [p. 48-61].

13. Selon la consultante linguistique d’une autre série de TV3, le traitement de la langue dans les

fictions véhicule une sorte de « code de conduite » pour les catalanophones : « La fonction de la

série avec les personnages d’immigrés est également de ‘donner des pistes’ aux gens sur la

manière dont il faut agir linguistiquement face à des communautés qui ne parlent pas catalan

[…]. Dans ce sens, on peut dire que la série de fiction intègre certains types de stratégies pour

promouvoir le catalan ». Propos de Núria Comas, consultante linguistique de la série El cor de la

ciutat, recueillis dans Enric Castelló, Bernat López, Identitat cultural i societat a les séries de ficció

catalanes : dels discursos a la recepció, Estudis de Comunicació de la URV, Tarragone, Universitat

Rovira i Virgili, 2007, p. 33.

14. Nous pensons à l’opposition entre flat characters et round characters établie par E.M. Forster

dans Aspects of the Novel, Londres, Abinger edition, 1974 (1927).

15. Nous pourrions proposer de nombreux exemples, tant ces personnages sont nombreux dans

les productions culturelles. Qu’il nous soit permis de faire ici une incursion dans le domaine de la

musique et d’évoquer la chanson de country « Stand by your man » (Tammy Wynette et Billy

Sherill, 1968), dont je reproduis ici un extrait qui, selon moi, parle de lui-même : « Sometimes it’s

hard to be a woman,/giving all your love to just one man. /You’ll have bad times and he’ll have

good times / doing things that you don’t understand. /But if you love him you’ll forgive him, /

even though he’s hard to understand./ And if you love him, /oh, be proud of him!/ Cause after all

TV/Series, 6 | 2014

180

he’s just a man./ Stand by your man, and show the world you love him. /Keep giving all the love

you can ».

16. Cf. Claude Alzon, La Femme potiche et la femme boniche. Pouvoir bourgeois et pouvoir mâle, Paris,

Maspéro, 1973.

17. Joana reprend également ses études dans la deuxième saison.

18. Cf. Joana Gallego, « Els serials catalans : un nou producte amb denominació d’origen », in

Anàlisi, No. 23, 1999, p. 17-24.

19. Ce questionnement a donné lieu à un article intitulé « Confusion des genres et troubles dans

les rôles : la série catalane Infidels », qui sera prochainement publié aux Presses Universitaires de

Limoges, dans la collection Féminin Masculin.

RÉSUMÉS

La série Infidels (TV3, 2009-2011), diffusée sur la chaîne catalane ainsi que sur internet durant

trois saisons, était attendue comme une sorte d’adaptation de séries « féminines » américaines

telles que Sex and the City (HBO, 1998-2004) ou Desperate Housewives (ABC, 2004). Cependant, une

fois les premiers épisodes diffusés, Infidels fut rapidement reconnue comme une production

originale, à double titre. En effet, loin de se limiter à transposer au cadre barcelonais des fictions

télévisées venues des États-Unis, les scénaristes ont réussi à concevoir une fiction « maison » de

qualité, fidèle à l’esprit de la chaîne TV3 par son ancrage dans la re-création d’un contexte

catalan identifiable comme réel et réaliste par le spectateur. Si des « clins d’œil » aux séries

américaines citées plus haut ou à la série britannique Mistresses (BBC One, 2008-2010) sont

aisément perceptibles, ils se limitent en général à un jeu sur l’intertextualité.

Au-delà de l’originalité et de la « catalanité » d’Infidels, les journalistes et critiques ont célébré le

traitement profondément novateur des figures féminines et, plus généralement, la remise en

question encore inédite des clichés et des rôles traditionnels dévolus aux femmes ainsi qu’aux

personnages féminins qui peuplent la grande majorité des fictions télévisées. Les cinq

protagonistes de la série ont en commun l’infidélité sexuelle et sentimentale, il est vrai, mais à

mesure que les épisodes s’enchaînent, la quête ontologique qui sous-tend la diégèse et lui sert de

fil conducteur se révèle de plus en plus clairement : Paula, Lídia, Cruz, Joana et Arlet sont,

finalement, infidèles aussi bien aux rôles de genre traditionnels qu’au modèle incarné par le

nouvel « Éternel féminin » des médias de masse, et ce n’est qu’ainsi qu’elles peuvent devenir

fidèles à elles-mêmes.

The show Infidels (TV3, 2009–2011), broadcasted on the Catalan channel as well as online for three

seasons, was anticipated as a sort of adaptation of American “feminine” shows such as Sex and the

City (HBO, 1998–2004) or Desperate Housewives (ABC, 2004). However, once the first episodes were

broadcasted, Infidels was rapidly recognized as an original production, for two reasons.

Effectively, from limiting itself to transposing televised fiction from the United States on to a

Barcelonian frame, the screenwriters succeeded in conceiving a “homemade” fiction of quality,

faithful to the spirit of the TV3 channel by its anchoring in the recreation of a catalan context,

identifiable as real and realistic by the audience. If the “nods” to the American shows cited above

or to the British show Mistresses (BBC One, 2008–2010) are easily visible, they are generally

limited to play on intertextuality.

Beyond the originality and the “Catalanity” of Infidels, journalists and critics praised its

TV/Series, 6 | 2014

181

profoundly innovative treatment of female figures and, more general, the new and profound

reassessment of clichés and traditional roles accorded to women as well as female characters that

populate the majority of televised series. While it is true that the five protagonists of the show

have sexual and sentimental infidelity in common, as the episodes go on, the ontological quest

that underlies and drives the diegesis becomes more and more clear: Paula, Lídia, Cruz, Joana,

and Arlet are, in the end, just as unfaithful to traditional gender roles as to the model incarnated

by the new “Eternal Feminine” of the mass media, and it is not only in this way that they are

enabled to become faithful to themselves.

INDEX

Keywords : Infidels, cliché, gender, intertextuality, subversion

Mots-clés : Infidels, cliché, genre, intertextualité, subversion

AUTEUR

JENNIFER HOUDIARD

Jennifer Houdiard est Maître de conférences à l’université de Nantes. Ses recherches portent sur

la prose narrative contemporaine espagnole et catalane, ainsi que sur la télévision catalane, et

s’intéressent tout particulièrement à la thématique de l’identité (nationale et de genre) et de ses

représentations dans la fiction. Elle est rattachée à titre principal au CRINI (Centre de Recherche

sur les Identités Nationales et l’Interculturalité, Université de Nantes), et au GRIC (Groupe de

Recherche Identités et Cultures, Université du Havre) en tant que membre associé.

TV/Series, 6 | 2014

182

Continuité, canonicité etcomplétude dans Doctor WhoFlorent Favard

1 Dans l’une des dernières séquences de The Day of the Doctor (7.14), le Docteur éponyme,

extraterrestre à l’apparence humaine voyageant à travers l’espace et le temps, vient à

la rescousse de sa planète natale, Gallifrey, prise d’assaut par les belliqueux Daleks.

Étant capable de se régénérer pour vivre des milliers d’années sous des visages

différents, il appelle à l’aide toutes ses incarnations, mises en scène via l’utilisation

d’images d’archives. Sont présents les sept Docteurs de la série dite « classique » (BBC

One, 1963-1989), le Huitième, issu du téléfilm américano-britannique de 1996, et les

trois Docteurs de la nouvelle série (BBC One, 2005-), qui se veut la continuation de la

précédente. Deux autres incarnations font leur première apparition dans cet épisode.

L’une, interstitielle, entre le Huitième et le Neuvième, complique la biographie du

Docteur. L’autre, future, permet de présenter aux spectateurs le prochain interprète du

rôle-titre, Peter Capaldi, alors même que le Docteur joué par Matt Smith ne se

régénèrera que plus tard dans la saison.

2 Cet épisode événement, mêlant le passé, le présent et le futur du programme tout en le

révisant, vient à point nommé : The Day of the Doctor, diffusé le 23 novembre 2013,

célèbre les 50 ans de la série britannique Doctor Who. La longévité du Docteur n’a d’égale

que la pérennité du programme qui, malgré une suspension1 dans les années 1990, a

développé un univers fictionnel dense et complexe s’étendant via des séries dérivées,

des aventures audio2, des comics, des romans et des jeux vidéo. Mais ce que révèlent

aussi The Day of the Doctor, et plus largement la période comprise entre 2010 et 2013, est

un rapport plus que jamais ambigu face à la continuité d’un programme qui a été, et est

encore, le fruit de nombreuses influences et figures auctoriales, et dont la politique

transmedia vise l’expansion plutôt que la cohérence. Au-delà de l’unfolding text perçu par

John Tulloch et Manuel Alvarado3, Doctor Who s’apparente à un texte-rhizome4, dont la

série principale est parfois, selon le point de vue, une racine parmi d’autres, tout en

restant la plus visible aux yeux des différents publics.

3 La présente analyse vise à détailler cette continuité problématique et à explorer les

moyens mis en œuvre par le texte et par la « marque » (brand) pour négocier la multi-

TV/Series, 6 | 2014

183

auctorialité du programme, une politique transmedia aux nombreuses ramifications et,

enfin, son monde fictionnel hétérogène.

1. Un programme en constante régénération

4 À l’image de son principal protagoniste, la série Doctor Who a souvent changé de visage

au fil des décennies. La régénération du Docteur est d’ailleurs le marqueur le plus

visible, lorsqu’il s’agit de catégoriser la série en ères successives, d’une activité menée

aussi bien par les fans que par les universitaires, comme le note Paul Booth. Dans son

article dédié à la périodisation de Doctor Who5, Booth détaille les nombreux autres

critères qui peuvent être retenus, liés au contexte de création, de production et de

diffusion du programme. Autre élément prépondérant : la succession des producteurs

et des scénaristes en chef, figures auctoriales de la série – que l’on pourrait qualifier, à

la suite de François Ronan-Dubois, de « primo-producteurs6 ».

5 Ces primo-producteurs – et productrices, dans le cas de Verity Lambert par exemple –

confèrent, de par leur influence, une « production signature » aux épisodes qu’ils

supervisent7 : un ton, des thématiques qui permettent de délimiter, par exemple, la

période « horreur gothique » sous la direction du producteur Philip Hinchcliffe, entre

1974 et 1977. Une telle catégorisation est d’ailleurs au centre de la méthodologie de

l’ouvrage de James Chapman, Inside the TARDIS. Paul Booth explique cependant que

toute catégorisation du programme sera toujours subjective, dépendante du contexte

dans lequel elle est formulée, et proposera une typologie plutôt qu’une définition. Il

suggère d’ailleurs de voir Doctor Who comme un « indefinable text8 ».

6 La succession des primo-producteurs, critère relatif dans le cadre d’une catégorisation

des ères du programme, permet toutefois d’analyser son évolution dans une

perspective diachronique. Le monde fictionnel de Doctor Who porte la trace des

différentes innovations, reconfigurations voire révisions narratives apportées par les

différentes équipes de production successives, et motivées par les contextes

économiques, sociaux et culturels. La faculté de régénération du Docteur, par exemple,

est un mécanisme inventé dans l’urgence pour justifier la transition entre le premier

interprète du rôle-titre, William Hartnell, et son successeur Patrick Troughton, dans

The Tenth Planet (saison 4, segment 29) en 1966. Les Daleks, ennemis mortels du Docteur,

voient leur genèse complètement remaniée à mesure qu’ils gagnent en popularité,

entre leur introduction dans The Daleks (saison 1, segment 2) et Genesis of the Daleks

(saison 12, segment 4). Une modification justifiée intra-diégétiquement lorsque le

Quatrième Docteur, explorant le passé, altère les conditions de leur création.

7 En 2005, le head writer (scénariste en chef) Russel T. Davies et son équipe choisissent de

relancer Doctor Who en manifestant, au sein du monde fictionnel, le fossé qui sépare

cette continuation de son aînée, la série classique. La Dernière Grande Guerre du Temps

a vu périr les Seigneurs du Temps, le peuple du Docteur, dans leur combat effroyable

contre les Daleks. Cette reconfiguration permet de resserrer le monde fictionnel autour

de la figure du dernier survivant, justifiant les changements thématiques et le rythme

narratif de la nouvelle série, et renouvelant le discours pour mieux explorer le contexte

culturel et politique des années 2000. Le traumatisme du Docteur est celui du soldat

revenu du front, et la destruction (supposée) de sa planète natale, l’équivalent

symbolique du gouffre laissé par les attentats du 11 septembre 2001. En 2010, lorsque

Steven Moffat succède à Russel T. Davies, son équipe de production décide d’opérer ce

TV/Series, 6 | 2014

184

que, manque d’une terminologie adéquate, je qualifierai de « reboot localisé », en

modifiant certains aspects de l’ère Davies tout en gardant intacte la continuité. Là

encore, la refonte de l’identité du programme par ses primo-producteurs est signalée

jusque dans le monde fictionnel, où l’Histoire est peu à peu effacée, et où l’univers doit

être, littéralement, redémarré (rebooted) par le Docteur – une marque de réflexivité

assumée sur laquelle nous reviendrons.

2. Une mosaïque d’auteur.e.s

8 Après avoir défait Davros et retrouvé la Terre dérobée par les Daleks dans un épisode

de la nouvelle série, Journey’s End (4.13), le TARDIS, le vaisseau du Docteur, ramène

notre planète dans le système solaire. À bord, les compagnes et compagnons du Docteur

apprennent à cette occasion que le TARDIS n’est pas fait pour être piloté seul (ce que

fait le Docteur dans la quasi-totalité des épisodes des deux séries) mais qu’il nécessite

un équipage de six personnes. De la même façon, Doctor Who ne se conduit pas seul.

9 La multi-auctorialité du programme peut paraître moins évidente dans une perspective

synchronique10. La nouvelle série, tout particulièrement, se trouve dans un état de

superposition parfois paradoxal. Depuis son retour en 2005, elle s’est peu à peu

construite comme une brand, une marque, une franchise. Un procédé qui, comme le

détaille Catherine Johnson, permet à la BBC de développer un modèle commercial

efficace, de distinguer le produit culturel qu’est Doctor Who du reste de sa production, et

de gérer les extensions du programme et les produits dérivés11. Mais le processus, selon

le brand manager de la série, Ian Grutchfield, est d’abord circonstanciel :

Within the BBC (Public Service) there wasn’t a strategic decision to managekey brands – it came about more through circumstances and individualpeople’s ideas. […][…] For Doctor Who, [it] came from the Showrunner model of managementdeployed by the two visionaries at its helm – i.e. Russel T. Davies writer andexecutive producer and Julie Gardner, head of drama Wales and executiveproducer12.

10 Le « showrunner model » (américain) auquel fait référence Grutchfield concerne le duo

formé par les executive producers13 Russel T. Davies, scénariste reconnu en Grande-

Bretagne, notamment pour son travail sur Queers as Folk (Channel 4, 1999-00) et Bob &

Rose (ITV, 2001) ; et Julie Gardner, dont le poste est l’équivalent d’une directrice de la

fiction pour l’antenne galloise de la BBC. Davies et Gardner maîtrisent ainsi les aspects

artistiques et économiques de Doctor Who, et supervisent la première ère de la nouvelle

série14, de son retour sur les écrans en 2005 à la passation de pouvoir en 2010. Le duo est

en quelque sorte le visage de la franchise, à une époque où la BBC cherche à produire

un contenu de qualité et à s’éloigner de l’image de programme carton-pâte, à la

continuité absconse, que possédait la série classique15. Ainsi, à une époque où, comme le

souligne Roberta Pearson, le nom d’une auteure est plus attractif que le nom de la

chaîne qui diffuse le programme16,

[…] the positioning of Davies in particular as “author” of the series equallycontributes to the construction of a specific brand identity for the series as aquality text created by a “visionary” that could appeal to the fan and non-fanaudience17.

TV/Series, 6 | 2014

185

Ce phénomène est encore plus prégnant durant l’ère Moffat : les executive producers se

succédant d’années en années à ses côtés, il apparaît comme une instance auctoriale

dominante, presque omnipotente.

11 Mais si Steven Moffat reste la figure de proue de la série depuis 2010, le paratexte de

Doctor Who a toujours insisté sur la multi-auctorialité du programme 18. La série

documentaire Doctor Who Confidential (BBC Three, 2005-11), diffusée immédiatement

après chaque épisode de la nouvelle série, met en lumière le travail de toute une équipe

sous l’égide du head writer : scénaristes, producteurs mais aussi Murray Gold, le

compositeur de la bande sonore musicale, les réalisateurs ou encore les spécialistes des

effets spéciaux. L’immense majorité des intervenants se réfèrent à Davies, puis à

Moffat, comme la plus haute autorité ; dans le même temps, Doctor Who Confidential met

en avant les scénaristes de chaque épisode, faisant valoir le modèle britannique : loin

des writing room américaines où l’écriture est collective, chaque épisode de Doctor Who

entame un dialogue entre son propre scénariste et le head writer, qui peut guider,

corriger, voire réécrire le script pour apporter plus de cohésion à la saison19. Ainsi, dans

le Confidential dédié à Victory of the Daleks (5.3) peut-on voir intervenir, en plus de Steven

Moffat, Mark Gatiss, scénariste-phare de la série. Gatiss et Moffat sont ici traités à

égalité, et c’est bien Gatiss que l’on voit visiter le Cabinet War Room de Churchill, qui a

servi d’inspiration pour l’épisode ; c’est son travail de recherche qui est mis en avant.

12 Si la série classique n’offrait pas autant d’informations sur son contexte de production,

le paratexte contemporain met en valeur sa multi-auctorialité. La BBC a produit, dans

le cadre du cinquantenaire de Doctor Who en 2013, un docu-fiction destiné à relater la

création du programme et ses premières années, jusqu’au remplacement de William

Hartnell par Patrick Troughton. Écrit par Mark Gatiss, An Adventure in Space and Time

dévoile les coulisses de la BBC en 1963, et met en scène la multiple paternité/maternité

du programme. Si le head of drama Sydney Newman est crédité de l’idée originale, le

docufiction insiste sur la position déterminante, mais malaisée, de deux icônes : Verity

Lambert, productrice dans un monde d’hommes, qui va sauver le programme malgré

des débuts difficiles ; et William Hartnell, acteur au fort caractère qui, d’abord dubitatif,

va s’accaparer le rôle, mais dont l’interprétation sera marquée par la maladie. An

Adventure in Space and Time dévoile aussi les figures moins connues de Waris Hussein,

réalisateur des premiers épisodes (quand on sait, aujourd’hui, l’importance de

l’esthétique proposée par un épisode pilote) ; et de Peter Brachacki, le designer qui,

exaspéré par l’insistance de Lambert, construit la maquette du TARDIS, le vaisseau du

Docteur, en deux temps trois mouvements, avec ce qui lui tombe sous la main. La

séquence de la maquette cristallise l’image carton-pâte de la série classique, que An

Adventure in Space and Time nous présente avec une certaine nostalgie et une évidente

fierté, alors que la qualité discutable des effets spéciaux et des décors de la série a été

l’un des critères déterminants dans la suspension de Doctor Who en 1989.

13 Ce que les paratextes contemporains dévoilent, ce sont d’abord des passionnés, et, tout

particulièrement en ce qui concerne la nouvelle série, des fans de Doctor Who. Matt Hills

détaille le processus qui a poussé de jeunes spectateurs et spectatrices de la série

classique à devenir professionnels, souvent par le biais d’activités de fans (fanzines,

fanfiction, etc.) puis via l’univers « étendu » de Doctor Who (écriture de romans,

production d’aventures audio, etc.) jusqu’à participer à la résurrection de la série en

2005. Hills note que cette « Doctor Who Mafia » va à l’encontre des thèses initiales de

Henry Jenkins, de l’idée d’une séparation stricte entre les primo-producteurs et les

TV/Series, 6 | 2014

186

fans20. Davies, puis Moffat, mais aussi David Tennant, interprète du Dixième Docteur, et

Peter Capaldi, du Douzième, s’avouent volontiers fans de la série classique, et ce

positionnement de fan-turned-gamekeepers (« fans devenus maîtres du jeu », comme les

nomme Hills) est valorisé par la communication de la BBC, qui y voit un gage de respect

du matériel narratif face aux fans les plus exigeants.

14 Cependant, le savoir encyclopédique ainsi partagé par les fans et les primo-producteurs

aurait un revers : le fanwanking21, qui consiste, au sein d’un épisode, à faire d’obscures

références au passé du programme pour le seul plaisir des fans, au risque d’aliéner des

publics profanes. Matt Hills relativise le phénomène, expliquant que la nouvelle série

parvient à faire référence à sa continuité tout en restant accessible aux non-initiés,

superposant des niveaux de lecture à densités variables22. Il critique du même coup une

vision binaire des publics de Doctor Who, entre fans assidus et profanes. La densité du

monde fictionnel, la variété des supports sur lesquels le programme se déploie depuis

ses débuts, et les degrés de canonicité du matériel narratif à disposition du public,

impliquent une approche multi-modale des « whovians » : il y a peut-être autant de

façon d’être fan de Doctor Who qu’il y a d’auteur.e.s et d’influences affiliées au

programme.

3. Un univers transmedia hétéroclite

15 L’univers « étendu » de Doctor Who ne s’apparente pas à du transmedia storytelling au

sens strict. Le concept, popularisé par Henry Jenkins23, insiste sur la dispersion des

éléments fictionnels sur divers médias, mais aussi sur le caractère « unifié » de

l’expérience transmédiatique vécue par les publics – un exemple canonique parmi

d’autres étant la campagne transmédia de la trilogie Matrix (Andy et Lana Wachowski,

1999, 2003). Les différents éléments, s’ils ne sont pas tous nécessaires à la

compréhension de l’histoire, augmentent l’impression de complétude du monde

fictionnel et permettent, par exemple, d’explorer des intrigues secondaires que l’œuvre

principale esquisse à peine.

16 Doctor Who est perçu par Lynette Porter comme l’une des plus vieilles licences

transmédia24 ; dans le même temps, Neil Perryman explique que les plus anciens

éléments « transmédia » de la série seraient aujourd’hui reconnus comme du «

franchising », des produits dérivés25 – par exemple, les novélisations des épisodes de la

série classique, parus entre 1964 et 1991 chez Target Books. Mais l’univers étendu de

Doctor Who, présent sur cinq décennies et une multiplicité de supports, ne peut pas être

si facilement catégorisé, car il marie des intentions esthétiques et commerciales

radicalement différentes selon les éditeurs, et une approche du monde fictionnel qui

mène parfois à des contradictions étonnantes.

17 À la télévision, Doctor Who possède deux séries dérivées, Torchwood (BBC 3, 2, 1, Starz,

2006-2011) et The Sarah Jane Adventures (CBBC, 2007-2011). Elles ont été lancées durant

l’ère Davies (toutes deux sont créées et supervisées par Davies et Julie Gardner) et

entretiennent des rapports étroits avec la série-mère. Elles possèdent donc le plus haut

niveau de canonicité : les événements mis en scène dans les séries dérivées

appartiennent au monde fictionnel de Doctor Who sans qu’aucun doute ne soit possible.

Le statut des mini-séries animées est plus ambigu : The Infinite Quest (CBBC, 2007) et

Dreamland (BBC Red Button, 2009) mettent en scène le Dixième Docteur de l’ère Davies

mais ne sont jamais directement référencées par la série-mère. En dehors du canon,

TV/Series, 6 | 2014

187

Scream of the Shalka, mini-série animée diffusée en 2003 sur Internet par la BBC, possède

un statut liminal. Elle met en scène un Neuvième Docteur « alternatif », dont l’existence

est invalidée lors du retour de Doctor Who en 2005, lorsque qu’un autre Neuvième

Docteur, incarné par Christopher Eccleston, devient de facto le Neuvième Docteur

canonique.

18 Au-delà de la télévision, Doctor Who et ses séries dérivées s’étendent via un réseau de

romans, d’aventures audio et de comics. En s’appuyant sur les données de Tardias.wikia,

le wiki anglophone le plus riche dédié à la série, on peut dater le début des publications

de romans originaux aux années 1980. Des séries de romans plus denses apparaissent

dans les années 1990 chez Big Finish et BBC Books. Elles permettent de découvrir des

aventures inédites du Docteur – ou plutôt, des Docteurs. BBC Books, par exemple,

propose plusieurs séries. Les Past Doctors Adventures concernent les Docteurs de la série

classique, et ne comprennent pas moins de 75 titres parus entre 1997 et 2005. À

l’arrivée de la nouvelle série en 2005, la BBC joue de son statut « officiel » de primo-

productrice en publiant des séries de romans dédiées à chacun des nouveaux Docteurs,

et dont la durée de vie est égale à leur présence sur les écrans. Ainsi, le Neuvième

Docteur, qui n’est apparu que dans la première saison de la nouvelle série, apparaît

dans six romans publiés en 2005. Entre 2006 et 2010, alors que David Tennant incarne le

Dixième Docteur à la télévision, le personnage vit aussi 57 aventures sur le papier entre

2005 et 2009. La lecture des romans n’est pas nécessaire pour comprendre la série

télévisée, mais la synchronisation entre diffusion télévisée et publication renforce le

lien symbolique entre les deux supports.

19 La BBC possède depuis 1996 un monopole auparavant détenu par Virgin Books (pour les

romans) et Big Finish (pour les aventures audio). Il est intéressant de constater que Big

Finish n’a le droit d’utiliser que les Docteurs de la série classique et celui du téléfilm de

1996, laissant à la BBC les Docteurs de la nouvelle série. Big Finish a néanmoins étendu

sa gamme en proposant les aventures audio des compagnes et compagnons du Docteur,

et notamment de Bernice Summerfield, apparue sur le papier chez Virgin Books en

1992. La canonicité des aventures de Summerfield peut paraître discutable : elle n’est

jamais apparue ni n’a été mentionnée à la télévision, alors même que le nombre

d’œuvres la mettant en scène approche la centaine en 2014, et qu’elle interagit avec

plusieurs incarnations du Docteur. Summerfield cristallise le caractère rhizomique de

l’univers étendu de Doctor Who : pour pallier aux restrictions imposées par la BBC, qui

contrôle l’univers transmédia autour de la nouvelle série, les éditeurs affiliés ont

étendu l’univers fictionnel dans des directions variées qui, parfois, deviennent presque

indépendantes.

20 Les éléments les plus contradictoires prennent place durant l’interstice26 qui sépare la

série classique (1989) de la nouvelle série (2005), et qui n’est marqué que par le téléfilm

de 1996 (à la continuité discutable, sur laquelle nous reviendrons). Entre 1989 et 1996

notamment, ce ne sont pas moins de trois primo-producteurs qui se disputent le monde

fictionnel : Virgin Book (romans), Big Finish (audio) mais aussi Doctor Who magazine,

publié mensuellement depuis 1980 (hebdomadaire à sa création en 1979), qui propose

des comics mettant en scène le Docteur. À cela s’ajoute l’arrivée de BBC Books en 1996,

qui va reprendre en main l’univers en niant, parfois, le travail des autres éditeurs et en

imposant sa continuité plus « officielle27 ». Un exemple intéressant est proposé par

Tardis.wikia : la biographie du Maître (un autre ennemi du Docteur) est rendue

chaotique par les différents éditeurs. Virgin Books continue à mettre en scène le Maître

TV/Series, 6 | 2014

188

dès 1994 et construit autour de lui toute une continuité qui sera invalidée par BBC

Books deux ans plus tard, afin de rendre la biographie du personnage plus cohérente

avec le téléfilm de 1996. Pendant ce temps, Big Finish, qui doit trouver des interprètes

pour ses aventures audio, choisit un acteur qui avait incarné le Maître dans la série

classique, avant d’être remplacé. Pour expliquer pourquoi « son » Maître a la voix d’une

incarnation que la série classique a enterrée, Big Finish altère la continuité pour le

« ramener à la vie »28.

21 Si d’autres problèmes similaires apparaissent dans la continuité de l’univers étendu de

Doctor Who, il n’en reste pas moins que le texte se prête aux reconfigurations narratives.

Non seulement le voyage dans le temps permet d’expliquer ces abrupts changements,

mais la structure même du texte, elliptique, autorise toutes les extensions. Dans la

série, il est rare que le Docteur et ses compagnons mentionnent l’ordre précis de leurs

différents voyages. Il est donc possible d’intercaler à loisir des aventures papier, audio,

voire vidéoludiques, entre des épisodes de la série. Si les modifications dans la

biographie du Maître, citées plus haut, s’apparentent sans ambiguïté au procédé de la

continuité rétroactive, la série repose plus largement sur un principe similaire que je

tiens cependant à distinguer : celui de la complétude rétroactive. Doctor Who ne modifie

pas tant sa continuité qu’elle l’augmente, remplissant les interstices et changeant le

point de vue des publics sur des éléments déjà établis, sans forcément modifier les

éléments eux-mêmes. Ainsi du War Doctor, l’incarnation interstitielle que The Day of The

Doctor impose en 2013 entre le Docteur du téléfilm et la neuvième incarnation de 2005 :

son existence ne brise pas la continuité mais étend la connaissance de la biographie du

Docteur et introduit une subtilité dans le décompte de ses incarnations qui ouvre, de

façon logique, la voie à de possibles autres incarnations interstitielles jamais

mentionnées auparavant. Plutôt que d’être une force centripète qui insisterait sur la

cohésion de l’univers fictionnel, le transmédia pratiqué par Doctor Who est centrifuge et

étend son univers de manière elliptique. Plus que du transmedia storytelling, le dispositif

s’apparente à du transmedia branding : il fait vivre la franchise de manière dynamique,

créant un univers hétérogène riche en possibilités et qui ne tourne pas en orbite autour

de la seule série-mère pour toucher une grande variété de publics.

22 Matt Hills voit une autre utilité au dispositif transmédia, dans le cas de la série dérivée

Torchwood. En plus de changer de chaîne chaque année, le programme a vu sa

production et sa narration évoluer au fil du temps. Les deux premières saisons de treize

épisodes chacune sont suivies d’une courte troisième saison au ton beaucoup plus

sombre, puis d’une quatrième co-produite avec la chaîne américaine Starz. Cette

dernière est perçue par une partie des fans comme niant ses origines en exportant les

personnages aux États-Unis. Hills détaille le contenu transmédia qui a accompagné la

série, et évoque la notion de « fanagement » (gestion des fans par les producteurs) : les

romans servent ici à tisser des liens entre les saisons pour « aplanir » l’univers

fictionnel et justifier la transition vers l’internationalisation de la série. Ils ont aussi

pour but d’apaiser les fans en expliquant les conséquences (invisibles à l’écran) de la

mort tragique d’un personnage majeur à la fin de la saison 3, tout en confisquant aux

fans la possibilité de remplir ces interstices via leurs fanfictions29. Sous couvert de

cohérence, ces œuvres dérivées visent, selon Hills, à taire les doléances des fans et à

imposer des changements drastiques dans le ton et la configuration du monde

fictionnel.

TV/Series, 6 | 2014

189

23 On trouve enfin, au sein de l’univers étendu de Doctor Who des exemples de transmedia

storytelling au sens strict du terme, mais ils sont soit discrets (les webisodes précédant

certains épisodes, diffusés sur Internet et servant de « préquelle », de prologue), soit

infructueux. Les Adventure Games, en ce sens, constituent un semi-échec. Mis à

disposition sur Internet par la BBC, ces jeux vidéo accompagnent les saisons 5 et 6 de la

nouvelle série, soit le début de l’ère Moffat (2010 et 2011). Ils sont écrits par Phil Ford et

James Moran, scénaristes sur Doctor Who, Torchwood et The Sarah Jane Adventures, et

mettent en scène le Onzième Docteur et sa compagne d’alors, Amy Pond, doublés par

les interprètes de la série, Matt Smith et Karen Gillan. Si les aventures qu’ils mettent en

scène ne sont pas mentionnées à la télévision, les Adventure Games sont bien censés se

dérouler à des moments spécifiques, entre deux épisodes de la saison 5 ou 6.

Concernant les quatre jeux publiés durant la saison 5, Piers Wenger, executive producer à

cette époque, explique :

There aren’t 13 episodes of Doctor Who this year. There are 17 – four of whichare interactive. Everything you see and experience within the game is part ofthe Doctor Who universe.

24 Neil Perryman détaille les efforts fournis par la BBC pour faire la publicité des jeux et

assurer les publics de leur authenticité – jusqu’à rappeler que Steven Moffat en

personne, le head writer de la série, a supervisé leur création 30. Malheureusement, les

jeux ne contribuent pas à l’intrigue de la saison 5 (la réécriture de l’Histoire et le reboot

de l’univers par le Docteur)31 et ne rencontrent pas le succès. L’idée de publier plusieurs

saisons de jeux est abandonnée.

25 Malgré ce revers, il n’est pas étonnant que les Adventure Games aient été publiés durant

l’ère Moffat : ils font partie d’un plus vaste projet qui consiste à prendre la mesure de la

cohérence de l’univers fictionnel, et à unifier l’expérience des publics après 50 ans d’un

transmedia branding hétéroclite, à la fois riche et hasardeux. Ce projet esthétique ne se

manifeste pas seulement en termes économiques, puisqu’il impacte jusqu’au monde

fictionnel lui-même.

4. « Reboot the universe »

26 Comptant parmi les éléments les plus problématiques de la continuité, le téléfilm de

1996 est pourtant conçu comme la première tentative de continuation de la série

classique. Coproduction américano-britannique (BBC, Universal, Fox), il s’ouvre avec le

Septième Docteur, joué par Sylvester McCoy – qui tenait déjà le rôle-titre à la fin de la

série classique. Alors qu’il transporte les restes de son ennemi de toujours, le Maître, il

est abattu par les membres d’un gang lorsque le TARDIS atterrit à San Francisco en

1999. Le téléfilm met en scène sa régénération, le remplaçant par sa huitième

incarnation, sous les traits de l’acteur britannique Paul McGann.

27 Si ce Huitième Docteur, supervisé en partie par la BBC et faisant directement suite à la

dernière incarnation de la série classique, paraît canonique, le téléfilm suggère que le

Seigneur du Temps est en réalité à moitié humain, entrant en contradiction avec les

éléments connus de sa biographie32. De plus, les taux d’audiences décourageants –

notamment aux États-Unis – condamnent une possible nouvelle série à une mort

prématurée. Le Huitième Docteur devient ainsi l’incarnation à la durée de vie la plus

courte à l’écran, 85 minutes.

TV/Series, 6 | 2014

190

28 Mais c’est sans compter sur l’univers étendu, qui s’empare du personnage, justifie ou

gomme son ascendance problématique de diverses manières33, et lui fait vivre au moins

autant d’aventures que ses prédécesseurs : plus de 73 romans chez BBC Books entre

1997 et 2005, et plus de 7334 audio chez Big Finish dans les diverses collections mettant

en scène le Docteur, entre 1999 et 2014. Paul McGann, l’interprète, a autorisé BBC Books

à utiliser son image et a joué son propre rôle dans les aventures audio, trouvant là

l’occasion de développer le personnage et de laisser sa marque dans la succession des

incarnations du Docteur. Bien qu’absent des écrans, le Huitième Docteur est donc, de

1996 à 2005, considéré comme le Docteur « actuel », avant l’arrivée de Christopher

Eccleston. La nouvelle série ne montre pas la régénération du Docteur de McGann en

celui de Eccleston, mais n’en respecte pas moins le décompte des incarnations,

achevant de donner au Huitième Docteur un statut canonique.

29 À l’occasion du cinquantenaire de la série en 2013, deux webisodes sont diffusés dans

les deux semaines qui précèdent l’épisode-événement The Day of the Doctor. Paul

McGann reprend, à l’écran, le rôle du Huitième Docteur dans The Night of the Doctor (BBC

iPlayer, 14 novembre 2013), alors que le personnage, au seuil de la mort, traverse la

régénération qui fait de lui le War Doctor interstitiel, interprété par John Hurt. Avant de

« mourir », le Huitième Docteur a l’occasion de mentionner les compagnes et

compagnons qui ont vécu de nombreuses aventures avec lui, mais ne cite que celles et

ceux issus des aventures audio Big Finish, ignorant les personnages rencontrés dans les

romans de BBC Books ou les comics. Ce webisode canonique écrit par Steven Moffat est

le premier à mentionner les productions Big Finish et à leur accorder le plus haut statut

canonique, un choix qui sonne comme la reconnaissance du travail de l’éditeur.

30 Cette référence à l’univers étendu de Doctor Who peut paraître contradictoire au sein

d’une ère qui, depuis 2010, prend ses distances avec la continuité sur la direction du

head writer Steven Moffat. La saison 5 de la nouvelle série marque en effet une rupture

unilatérale avec les saisons précédentes : le casting est renouvelé dans son intégralité35

avec l’arrivée d’un Onzième Docteur (Matt Smith) et d’une nouvelle compagne, Amy

Pond (Karen Gillan) ; les décors changent aussi, avec notamment une refonte complète

de l’intérieur du TARDIS ; derrière la caméra, Russel T. Davies cède sa place de head

writer à Steven Moffat tandis que Piers Wenger et Beth Willis remplacent Julie Gardner

au poste de executive producer. Moffat, qui a déjà écrit certains épisodes de l’ère Davies,

possède une signature particulière : une ambiance de dark fairy tale (« conte de

fée sombre »), un penchant pour les paradoxes temporels, la réflexivité et les récits

complexes. Une signature qu’il va déployer à l’échelle de la série, faisant notamment

des saisons 5 et 6 des ensembles feuilletonnants fonctionnant comme des puzzles36.

31 Ce changement abrupt est manifesté au sein du monde fictionnel dans la saison 5, la

première de l’ère Moffat : suite à l’apparition de mystérieuses failles dans l’espace et le

temps, le Docteur comprend au fil des épisodes que l’Histoire est effacée petit à petit.

Dès Victory of the Daleks (5.3), ce reboot « localisé » (seuls certains éléments sont annulés

ou reconfigurés) impacte le monde fictionnel. Le Docteur cherche à convaincre Winston

Churchill que les Daleks, malgré les apparences, sont tout sauf ses alliés dans la guerre

contre l’oppression nazie. S’ensuit cet échange révélateur :

LE DOCTEUR. Amy, tell him.

AMY. Tell him what?LE DOCTEUR. About the Daleks.

AMY. What would I know about the Daleks?LE DOCTEUR. Everything. They invaded your world, remember? Planets in the sky,

TV/Series, 6 | 2014

191

you don’t forget that. Amy, tell me you remember the Daleks.AMY. No, sorry.LE DOCTEUR. That’s not possible.

32 Le Docteur fait ici référence aux événements survenus dans le diptyque The Stolen

Earth/Journey’s end (4.12, 4.13), lorsque les Daleks ont déplacé la Terre à des années-

lumière du système solaire. Le dialogue ci-dessus a trois fonctions. Premièrement, il

sert de clin d’œil à la continuité en citant des épisodes de l’ère Davies – seuls les

spectateurs les plus assidus comprendront la référence. Moffat indique ici qu’il n’a pas

coupé les ponts avec le passé du programme, et que le monde fictionnel reste dans la

droite ligne de l’ère Davies. Deuxièmement, la référence permet aux spectateurs

profanes d’en découvrir plus sur le monde fictionnel et d’apprendre qui sont les Daleks.

Troisièmement, le dialogue permet de souligner l’effacement d’une continuité dont seul

le Docteur se souvient, et articule l’arc narratif de la saison. Si le Docteur reboot

l’Univers à la fin de la saison, rétablissant (de manière présumée) la continuité telle que

les fans la connaissent, cet éloignement temporaire d’avec les ères précédentes permet

à Moffat d’introduire de nouveaux antagonistes et protagonistes, mettant à égalité fans

et profanes, faisant de la saison 5 un point d’entrée possible pour de nouveaux publics.

Le head writer assume aussi ce processus de déconstruction de la continuité pour mieux

imposer sa marque sur Doctor Who.

33 La saison 7 de la nouvelle série, qui précède le cinquantenaire du programme, est

l’occasion d’un nouveau jeu avec la continuité : dans l’épisode qui conclut la saison, The

Name of the Doctor (7.14), Clara Oswald, la nouvelle compagne du Docteur, se retrouve

douée d’ubiquité et rencontre le Docteur sous toutes ses incarnations via l’utilisation

d’images d’archives. La technique n’est pas nouvelle : grâce à des flashbacks ou à la

consultation de banques mémorielles, l’apparition des anciennes incarnations à l’écran

est courante dans la nouvelle série, et l’ère Moffat en fait un usage marqué à deux

reprises : lors du premier épisode du Onzième Docteur, The Eleventh Hour (5.1) et dans

The Lodger (5.11). À chaque fois, il s’agit d’établir le personnage joué par Matt Smith

comme le dernier d’une longue lignée, alors même que la continuité est

temporairement mise en retrait au profit d’une reconfiguration des enjeux narratifs.

34 The Name of the Doctor a ceci de particulier qu’une interaction est suggérée entre Clara

et les Docteurs via la manipulation du son et de l’image ; William Hartnell, le Premier

Docteur, semble notamment lui répondre lorsqu’elle l’interpelle. Clara est ici pour

empêcher la Grande Intelligence (un autre antagoniste récurrent) de tuer le Docteur à

divers moments de son passé : elle a pour tâche de préserver la continuité en la

revisitant. C’est d’ailleurs à cette occasion que l’incarnation interstitielle créée par

Steven Moffat, et jouée par John Hurt, est aperçue pour la première fois. Clara a sauvé

la vie du Docteur et la continuité, mais l’épisode joue aussi sur la complétude

rétroactive, révélant ce que le Docteur avait tenu secret : qu’une de ses incarnations ne

portant pas le titre de « Docteur » avait participé à la Dernière Grande Guerre du

Temps.

35 Si Paul Booth voit, de façon plus conventionnelle, The Name of the Doctor comme une

forme de continuité rétroactive (alors que rien n’y est modifié ou annulé, seulement

complété), il dessine une analogie efficace dans son article sur la périodisation de la

série, voyant Doctor Who comme une archive. Empruntant à la notion de littérature

archontique proposée par Abigail Derecho, il explique que le fonctionnement de Doctor

Who comme des wikis qui documentent le programme se fonde sur le principe d’une

TV/Series, 6 | 2014

192

archive ouverte, en flux constant. Le texte n’est pas figé dans la pierre, mais peut être

sans cesse revu et corrigé, étendu, annulé, complété. De plus, il conserve la trace de ces

modifications : tout comme une archive, Doctor Who en tant que texte n’est pas

simplement un artefact mais un processus qui laisse une marge à la reconfiguration,

rejoignant ainsi la notion, évoquée par Booth, d’un indefinable text37.

36 L’exemple – ouvrant cette analyse – du sauvetage de la planète Gallifrey par toutes les

incarnations du Docteur, dans l’épisode anniversaire The Day of the Doctor, s’inscrit dans

une tradition qui date de la série classique : les épisodes à multiples Docteurs,

marquant généralement les décennies du programme (The Three Doctors en 1973, The

Five Doctors en 1983). Lorsque les Docteurs annulent la destruction de Gallifrey – jouant

ici, sans ambiguïté, sur la continuité rétroactive –, il apparaît évident que Moffat se sert

de la continuité comme d’une arme à double tranchant : il convoque tous les Docteurs

dans une séquence sans précédent pour rendre honneur à l’histoire du programme,

mais dans le même temps, il annule le dispositif narratif inventé par Davies (la

destruction de Gallifrey) pour expliquer la reconfiguration du monde fictionnel entre

les deux séries. Dans un mouvement paradoxal, Moffat présente comme possible un

retour à une configuration du monde fictionnel datant de la série classique, tout en le

mettant en scène comme une victoire, un événement, un renouveau dans le fond

comme dans la forme. Il permet au programme de rebondir en soulignant sa capacité

toujours intacte à se renouveler sans fin.

37 Après les événements de The Time of the Doctor (7.15), le Onzième Docteur, arrivé au

terme de son cycle de régénérations, se croit au seuil de la mort, lorsqu’il est sauvé in

extremis par les Seigneurs du Temps qu’il a secourus dans l’épisode précédent, et se voit

accorder de nouveau la capacité de se régénérer. Peter Capaldi, âgé de 56 ans, succède

ainsi à Matt Smith (32 ans), et devient de loin le plus vieux Docteur de la nouvelle série,

évoquant les figures de patriarches de la série classique en même temps que l’âge du

programme. Sa compagne Clara peine à le reconnaître ; dans l’ouverture de la saison 8

(« Deep Breath », 8.1), via le procédé du voyage dans le temps, le Docteur incarné par

Matt Smith adresse à Clara un ultime appel téléphonique38, et lui assure que l’homme

qui se tient à présent devant elle a beau avoir changé de visage, il est toujours lui-

même. Il n’a jamais la même apparence, peine parfois à être reconnu, parce que son

identité même est en flux permanent. Matt Hills, dans sa critique dédiée à « Deep

Breath »39, notait que la scène, chargée d’émotion, pouvait être perçue comme

irrespectueuse des fans, comme si ce clin d’œil réflexif trahissait un manque de

confiance de la part des primo-producteurs envers celles et ceux qui ont suivi la série

au travers de ses multiples changements.

38 Tout comme le Docteur, la nature même du programme est évidemment en flux

constant. Doctor Who assume sa multi-auctorialité, laquelle fait partie de l’image du

programme malgré une communication parfois centrée sur la seule figure du head

writer ou d’un.e producteur.ice. L’univers étendu, elliptique, centrifuge, rhizomique, a

gagné en cohérence pour les célébrations du cinquantenaire, les éditeurs affiliés

coordonnant leurs efforts pour proposer des collections spéciales40. Reste à voir

comment, dans un avenir proche, la BBC choisira d’embrasser ce vaste monde

fictionnel, dont la dynamique est intersticielle par essence ; monde fictionnel qui,

comme le montre l’épisode-événement du cinquantenaire, ne cesse, à l’image du

phénix, de se nourrir de lui-même, de renaître de ses cendres, de rester fidèle à lui-

même, quelle que soit son apparence.

TV/Series, 6 | 2014

193

BIBLIOGRAPHIE

BOOTH Paul, « Periodising Doctor Who », Science Fiction Film and Television, 7.2, 2014, p. 195-215.

BRITTON Pierce, « It’s All New Doctor Who: Authorising New Design and Redesign in the Steven

Moffat Era », Doctor Who, The Eleventh Hour, Andrew O’Day (éd.), Londres, New York, IB Tauris,

2014.

CHAPMAN James, Inside the TARDIS: The Worlds of Doctor Who, Londres, New York, IB Tauris, 2013

(édition révisée).

COLLINS Frank, « Monsters Under the Bed: Gothic and Fairy-Tale Storytelling in Steven Moffat’s

Doctor Who », Doctor Who, The Eleventh Hour, Andrew O’Day (éd.), Londres, New York, IB Tauris,

2014

DAVIES Russel T., COOK Benjamin, The Writer’s Tale: The Final Chapter, Londres, BBC Books, 2010.

DELEUZE Gilles, GUATTARI Félix, Capitalisme et schizophrénie : Tome 2, Mille plateaux, Paris, Éditions de

Minuit, 1980.

HILLS Matt, Triumph of a Time Lord, Londres, New York, I.B. Tauris, 2010.

--, « Torchwood’s trans-transmedia: Media tie-ins and brand “fanagement” », Participations, Vol. 9,

No. 2, novembre 2012.

-- (éd.), New Dimensions of Doctor Who, Londres, New York, I.B. Tauris, 2013.

--, « Fans can breathe again after Peter Capaldi’s captivating Doctor Who debut », The

Conversation, lien consulté le 3 septembre 2014.

JENKINS Henry, Convergence Culture: Where Old and New Media Collide, New York, New York

University Press, 2006.

JOHNSON Catherine, « Doctor Who as Programme Brand », New Dimensions of Doctor Who, Matt Hills

(éd.), Londres, New York, IB Tauris, 2013.

O’DAY Andrew (éd.), Doctor Who, The Eleventh Hour, Londres, New York, IB Tauris, 2014.

PEARSON Roberta, « The Writer/Producer in American Television », The Contemporary Television

Series, Michael Hamond et Lucy Mazdon (éds.), Édimbourg, Edinburgh University Press, 2005.

PERRYMAN Neil, « “I AM THE DOCTOR !”: Transmedia Adventures in Time and Space », Doctor Who,

The Eleventh Hour, Andrew O’Day (éd.), Londres, New York, IB Tauris, 2014.

PORTER Lynnette, Doctor Who, American Influence, Fan Culture and the Spinoffs, Jefferson, Londres,

McFarland & Company, 2012.

RONAN-DUBOIS François, « Auteurs, régies discursives et primo-producteurs », Contagions, lien

consulté le 3 septembre 2014.

TULLOCH John, ALVARADO Manuel, Doctor Who: The Unfolding Text, New York, Saint Martin’s Press,

1983.

TULLOCH John, JENKYNS Henry, Science Fiction Audiences: Watching Doctor Who and Star Trek, Londres,

New York, Routledge, 1995.

TV/Series, 6 | 2014

194

NOTES

1. Le vocabulaire de la BBC a toujours été nébuleux concernant l’arrêt de la série classique en

1989, mais elle n’a jamais été annulée, la chaîne laissant espérer une reprise du programme par

une autre société de production externe à la BBC. Voir James Chapman, Inside the TARDIS: The

Worlds of Doctor Who, Londres, New York, IB Tauris, 2013 (édition révisée), p. 172.

2. Diffusées à la radio ou directement disponibles à la vente.

3. John Tulloch, Manuel Alvarado, Doctor Who: The Unfolding Text, New York, Saint Martin’s Press,

1983.

4. Gilles Deleuze, Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie : Tome 2, Mille plateaux, Paris, Éditions

de Minuit, 1980.

5. Paul Booth, « Periodising Doctor Who », Science fiction film and television, 7.2, 2014, p. 195-215.

6. « […] le canon sépare implicitement les primo-producteurs, régies légitimes des discours, des

producteurs seconds qui, comme les fans, font vivre l’univers étendu sans nécessairement

respecter ses limites justement canoniques. Les primo-producteurs sont par exemple en mesure

de légitimer des manipulations thématiques et narratives de la fiction […]. » François Ronan-

Dubois, « Auteurs, régies discursives et primo-producteurs », Contagions, consulté le 3 septembre

2014.

7. On consultera John Tulloch, Henry Jenkins, Science Fiction Audiences: Watching Doctor Who and

Star Trek, Londres, New York, Routledge, 1995.

8. Booth, op. cit..

9. Il reste compliqué de choisir une dénomination pour les histoires de la série classique. Au

contraire des saisons contemporaines, les series (saisons) de l’époque étaient composées de

segments (stories) constituant une histoire complète, chaque segment rassemblant plusieurs

épisodes de 25 minutes. Je choisis ici de numéroter la saison, puis le segment, en comptant à

partir du début de chaque saison.

10. On consultera par exemple Matt Hills, qui distingue lui aussi une multi-auctorialité

diachronique (la succession des auteur.e.s dans le temps) et synchronique (multiplicité

d’influences sur un épisode ou une saison donnée). Voir Matt Hills, Triumph of a Time Lord,

Londres, New York, IB Tauris, 2010, p. 31.

11. Catherine Johnson, « Doctor Who as Programme Brand », in New Dimensions of Doctor Who, éd.

Matt Hills, Londres, New York, I.B. Tauris, 2013, p. 96. Voir l’article de Johnson, en particulier

pour les tensions qu’elle décrit entre l’aspect commercial du branding et la mission de service

public de la BBC.

12. Cité dans Johnson, ibid., p. 100.

13. De même que j’utilise showrunner et head writer, je me permets d’employer executive producer

puisque le terme n’a pas d’analogue exact dans la langue française (le plus proche étant

« producteur délégué »).

14. Si, en termes de production, l’ère Davies (2005-10) et l’ère Moffat (2010-) se ressemblent, elles

se distinguent par leur esthétique, leurs thématiques et leur approche de la continuité. De même

que pour la série classique, principale cible des réserves de Paul Booth, il est possible que la

catégorisation des ères Davies et Moffat paraisse désuète et grossière dans quelques dizaines

d’années ; pour le moment, par manque de recul, cette distinction reste efficace aux yeux des

fans et des universitaires.

15. Voir Hills, op. cit., p. 151 et sq.

16. Roberta Pearson, « The Writer/Producer in American Television », in The Contemporary

Television Series, Michael Hammond et Lucy Mazdon (éds.), Édimbourg, Edinburgh University

Press, 2005.

17. Johnson, op. cit., p. 101.

18. Hills, op. cit., p. 26, 42.

TV/Series, 6 | 2014

195

19. On consultera notamment Russel T. Davies, Benjamin Cook, The Writer’s Tale: The Final Chapter,

Londres, BBC Books, 2010.

20. Hills, op. cit., p. 54 et sq.

21. Pour des raisons qui apparaîtront évidentes, je laisse aux lecteur.ice.s la possibilité de

traduire ce terme grossier, popularisé par les fans de Doctor Who dans les années 1980, et qui a

très vite pris une connotation négative – certainement parce qu’une partie des fans persiste à

penser que les références obscures à la continuité ont été l’un des critères déterminants dans la

suspension de la série classique, hypothèse toujours débattue aujourd’hui.

22. Hills, op. cit., p. 58 et sq.

23. Henry Jenkins, Convergence Culture: Where Old and New Media Collide, New York, NYU Press,

2006.

24. Lynnette Porter, Doctor Who, American Influence, Fan Culture and the Spinoffs, Jefferson, Londres,

McFarland & Company, 2012, p. 78.

25. Neil Perryman, « “I AM THE DOCTOR !”: Transmedia Adventures in Time and Space », in

Doctor Who, The Eleventh Hour, Andrew O’Day (éd.), Londres, New York, IB Tauris, 2014, p. 232.

26. J’utilise « interstice » pour reprendre l’expression de Russel T. Davies, qui voit Doctor Who

comme un programme structuré autour de gaps : la suspension entre 1989 et 2005, mais aussi la

disparition de certains épisodes de la série classique. Il considère que ces interstices sont

attractifs pour des générations de fans qui vont chercher à les combler et, par là peut-être, à

entrer comme lui dans le métier. Cité dans Hills, op. cit., p. 55.

27. Le wiki anglophone le plus dense consacré à Doctor Who, Tardis.wikia, affiche, au-dessus des

pages concernant des éléments considérés comme non-canoniques, l’encadré suivant : « You can

believe this subject is part of the Doctor Who universe. But we don’t. » Le site, s’il affirme son

autorité en se fondant sur la continuité proposée par la BBC et ses éditeurs affiliés, reconnaît aux

fans le droit de définir leur propre canon. Lynnette Porter, quant à elle, insiste sur la différence

entre les séries canon (le matériel narratif proposé par la BBC à la télévision) et les romans et

aventures audio, sanctioned (approuvés par la BBC, mais avec un degré de canonicité moindre, ne

serait-ce que parce que ces produits culturels, vendus par des tiers, n’entrent pas dans la mission

de service public de la BBC). Voir Porter, p. 84.

28. On consultera sur la page « The Master » (consultée le 3 septembre 2014) l’encadré intitulé «

Making Sense of the 1990s ».

29. Matt Hills, « Torchwood’s trans-transmedia: Media tie-ins and brand “fanagement” », in

Participations, Vol. 9, No. 2, novembre 2012.

30. Perryman, op. cit., p. 232-233.

31. Perryman, op. cit., p. 236.

32. Un autre cas de continuité rétroactive : ici un élément clairement établi est modifié.

33. Tardis.wikia dénombre l’incertitude (McINTEE, David, Autumn Mist, BBC Books, 1999), des

procédés de procréation artificielle (MAGRS, Paul, The Scarlet Empress, BBC Books, 1998), le

mensonge éhonté (LEE, Tony, The Forgotten vol. 1-6, IDW Publishing, 2008-09) ou encore la vérité

(PARKIN, Lance, The Gallifrey Chronicles, BBC Books, 2005). On notera que trois de ces versions

contradictoires cohabitent chez le même éditeur…

34. J’emploie des chiffres approximatifs, me limitant aux aventures les plus canoniques, mais

d’autres apparitions peuvent entrer en ligne de compte.

35. Fait rare dans les deux séries, qui ont toujours cherché à conserver un personnage familier

pour « contrebalancer » les transitions entre les Docteurs. Voir Pierce Britton, « It’s All New

Doctor Who: Authorising New Design and Redesign in the Steven Moffat Era », in Doctor Who, The

Eleventh Hour, Andrew O’Day (éd.), Londres, New York, IB Tauris, 2014, p. 149.

36. Concernant l’écriture de Moffat, on consultera notamment Frank Collins, « Monsters Under

the Bed: Gothic and Fairy-Tale Storytelling in Steven Moffat’s Doctor Who », in Andrew O’Day, op.

cit.

TV/Series, 6 | 2014

196

37. Booth, op. cit.

38. De la même façon que, dans « The Bells of Saint John » (7.7), c’est elle qui l’appelle « par

erreur » avant leur première rencontre, bouclant la boucle.

39. Matt Hills, « Fans can breathe again after Peter Capaldi’s captivating Doctor Who debut », in

The Conversation, consulté le 3 septembre 2014.

40. Matt Hills, « Anniversary Adventures in Space and Time: The Changing Faces of Doctor Who’s

Commemoration », in Matt Hills, New Dimensions of Doctor Who, Londres, New York, I.B. Tauris,

2013, p. 229.

RÉSUMÉS

Cet article explore le rapport complexe à la continuité qu’entretient la série britannique Doctor

Who (BBC One, 1963-1989, 2005-), en se penchant sur sa multi-auctorialité d’un point de vue

diachronique puis synchronique, et en détaillant un monde fictionnel dispersé sur de multiples

supports suivant un processus qui ne se conforme pas à la définition stricte du transmedia

storytelling. La période de production la plus récente du programme (depuis 2010) est aussi

analysée, en ce qu’elle révèle une tension entre respect et reconfiguration de la continuité. Les

degrés de canonicité des diverses œuvres liées à la série-mère, la réception par les publics et les

processus de production du programme sont passés en revue afin de dresser le portrait le plus

complet d’une œuvre transmédiatique qui trouve sa dynamique dans l’ellipse via le procédé de

complétude rétroactive, dans un développement qui évoque le rhizome plutôt que l’arbre, et dans

un renouvellement constant et fluide de ses enjeux esthétiques et économiques.

This article explores the complex relation to continuity in the British show Doctor Who (BBC,

1963-1989, 2005-), by looking into its multi-auctoriality from a diachronic and then synchronic

point of view, and by detailing a fictional world dispersed between multiple media following a

process that does not conform to the strict definition of transmedia storytelling. The most recent

period of production of the program (since 2010) is also analyzed, in that it reveals a tension

between respect and reconfiguration of the continuity. The degrees of canonicity of the various

works related to the mother-seies, its reception by audiences, and the program’s process of

production are reviewed in order to establish the most complete portrait of a transmedia work

that finds its dynamic in ellipsis via the technique of retroactive completeness, in a development

that evokes the rhizome rather than the tree, and in a constant and fluid renewal of its aesthetic

and economic stakes.

INDEX

Keywords : Doctor Who, transmedia, ellipsis, multi-authoriality, reception

Mots-clés : Doctor Who, transmédia, ellipse, multi-auctorialité, réception

TV/Series, 6 | 2014

197

AUTEUR

FLORENT FAVARD

Florent Favard termine actuellement son doctorat en études cinématographiques à l’université

Bordeaux Montaigne sous la direction de Pierre Beylot. Il travaille sur l’unité narrative des séries

télévisées de science-fiction contemporaines, abordant les notions de clôture narrative, de

canonicité, la réception du récit ou encore la configuration des mondes fictionnels. Il s’intéresse

plus largement aux évolutions contemporaines du récit sous toutes ses formes et aux genres de

l’imaginaire.

TV/Series, 6 | 2014

198

Réappropriation et intertextualitédans la web-série GirltrashÉmilie Marolleau

1 Ces dernières années ont vu l’apparition d’un phénomène de plus en plus populaire, les

web-séries, qui sont des productions audiovisuelles au budget généralement limité,

réalisées par des amateurs ou bien par des professionnels, et diffusées exclusivement

sur Internet. Une des premières web-séries américaines à voir le jour dans les années

2000 s’intitule Red vs. Blue, créée par Burnie Burns en 2003 et mettant en scène les

personnages et l’univers du jeu vidéo Halo. De nombreuses autres productions ont suivi

et ont commencé à gagner en popularité sur Internet : ainsi, The Guild, une web-série

créée en 2007 par l’actrice américaine Felicia Day, présente le quotidien d’une guilde de

joueurs. Cette série a gagné un Streamy Award, prix qui récompense spécifiquement les

web-séries depuis 20091 et dont l’existence témoigne de l’importance du phénomène.

Parallèlement, la prolifération des web-séries peut être interprétée comme une

manifestation de l’ampleur que prennent les productions issues de la « culture

participative », où les spectateurs ne sont plus des consommateurs passifs mais

contribuent activement à la production de séries, par exemple, en se regroupant en

communautés autour d’un projet. Le terme « culture participative » a été popularisé

par Henry Jenkins, qui y voit un type de culture dans laquelle les consommateurs de

produits culturels, en particulier les communautés de fans, se réapproprient ces

produits et transforment leur expérience de spectateurs en un processus complexe qui

va au-delà de la simple consommation, et qui implique un infléchissement du contenu

d’origine2.

2 Les web-séries, dont une grande partie est produite en dehors des circuits

professionnels, ont des points communs avec la culture plus marginale du « Do It

Yourself » et de la création de « zines » ou « fanzines ». Les premiers « zines » sont

apparus dans les années 1930, leurs moyens de production ayant ensuite évolué en

même temps que les moyens d’impression et de diffusion de la culture mainstream.

Ainsi, la révolution du Web 2.0 en a permis une diffusion plus rapide et à plus grande

échelle, mais elle a aussi offert la possibilité de varier les formes d’expression, en

ouvrant notamment la voie à la production de web-séries3. Ces créations audiovisuelles

TV/Series, 6 | 2014

199

sont régies selon des modes de production et de réception différents de ceux des séries

télévisées, leur contenu étant le plus souvent disponible en accès gratuit, et consultable

en ligne au gré de l’internaute, sans les contraintes de programmation ou de contrôle

de contenu qui caractérisent généralement les productions télévisuelles. Même si, à

l’origine, la majorité des productions étaient réalisées par des amateurs, il existe

maintenant un grand nombre de web-séries conçues par des professionnels. C’est le cas

notamment de Girltrash, web-série à petit budget réalisée par Angela Robinson, qui a

travaillé en tant que scénariste et réalisatrice pour plusieurs séries télévisées, dont

The L Word (Showtime, 2004-2009), et pour plusieurs films. La web-série Girltrash a été

diffusée de juin à août 2007 et était à l’époque hébergée sur ourchart.com, site qui

rassemblait justement une communauté de téléspectateurs autour de la série The L

Word. Le but de ce site était d’offrir aux téléspectateurs la possibilité de s’exprimer sur

différentes séries télévisées, de participer à la rédaction du scénario d’un épisode

(« fanisode »), ou encore de publier des« fanfictions ». Ces productions avaient pour

point commun la problématique de la visibilité lesbienne et se proposaient d’examiner,

d’interroger, voire de remettre en question les images diffusées dans les séries

télévisées, y compris dans The L Word. C’est dans ce contexte d’interactivité qu’est née

la web-série Girltrash, financée d’une part par des bannières publicitaires et d’autre part

par les dons des internautes. La série, qui comporte 11 épisodes de courte durée (entre

2 et 4 minutes), met en scène la vie de deux jeunes femmes, Daisy et Tyler, et raconte

sur un ton décalé leurs démêlés avec le monde criminel de Los Angeles. L’objectif de cet

article est d’expliquer comment Girltrash crée une relation de connivence avec ses

spectateurs et spectatrices, qui appartiennent à une catégorie d’ailleurs bien définie, la

web-série étant diffusée sur un site communautaire rassemblant des personnes

s’identifiant comme « lesbiennes », « bi » ou « queer ». Nous utiliserons ici le terme

d’ « internautes » pour désigner le public des web-séries. Nous montrerons en quoi le

jeu des références intertextuelles de la web-série permet de s’adresser directement à

ces internautes, en renvoyant par exemple à des personnages de séries télévisées

prisées par la communauté à laquelle la web-série s’adresse. Nous décrirons également

la façon dont cette production diffusée sur le web reprend des conventions existantes,

notamment celles des séries télévisées particulièrement connues de ce groupe

d’internautes. Puis, nous analyserons comment Girltrash fait référence au cinéma, et

plus spécifiquement à l’univers de Quentin Tarantino. Enfin, nous étudierons en quoi la

web-série se réapproprie et « queerise » cet univers.

1. Un jeu intertextuel

3 Comme nous l’avons évoqué plus haut, certaines web-séries font directement référence

à des produits culturels existants. C’est le cas notamment pour Red vs. Blue, qui recycle

l’univers du jeu vidéo Halo en utilisant les mêmes décors et les mêmes personnages. En

ce qui concerne Girltrash, la référence semble plus complexe puisqu’il s’agit d’une

référence non pas seulement aux produits culturels eux-mêmes, mais également aux

productions de fans que ces produits ont généré. En effet, lors d’un panel dédié à la

web-série4, Angela Robinson a expliqué qu’elle avait conçu Girltrash comme une

« fanfiction mashup », soit un mélange de personnages et d’univers s’inspirant de

productions de fans (les fanfictions), qui s’inspirent elles-mêmes de séries télévisées, de

films ou d’ouvrages littéraires, et sont publiées sous forme de zines ou sur des sites

Internet. En définissant la web-série de la sorte, Robinson en souligne donc le lien avec

TV/Series, 6 | 2014

200

la culture fan, à laquelle la créatrice se rattache. On retrouve ce lien dans le casting des

rôles secondaires de Girltrash puisque la créatrice a fait appel à des actrices qui

incarnaient, ou avaient incarné, des personnages lesbiens du petit écran. On peut

penser à Rose Rollins, qui jouait le rôle de Tasha dans The L Word, à Amber Benson, qui

interprétait Tara dans Buffy the Vampire Slayer (The WB, 1997-2001 ; UPN, 2001-2003), ou

encore à Gabrielle Christian et Mandy Musgrave de South of Nowhere (The N, 2005-2008)

qui jouaient les rôles de Spencer et Ashley. Ainsi, le choix de ces actrices crée une

constellation de références qui entrent en résonance les unes avec les autres et

participent à la construction du sens dans la web-série, sachant que Girltrash s’adresse à

un public qui est avant tout une communauté de fans qui sont en mesure de décoder

ces références et qui maîtrisent ce recours à l’intertextualité et à la réappropriation,

deux caractéristiques typiques des productions de fans5.

4 En effet, les trois séries télévisées citées ci-dessus ont pour point commun d’avoir

généré une quantité importante de « fanfictions », publiées notamment sur la

plateforme ourchart.com, le site qui hébergeait Girtrash. Comme Henry Jenkins le

souligne dans Textual Poachers: Television Fans and Participatory Culture, ces fictions

produites par les fans sont une forme d’appropriation culturelle6. Jenkins s’appuie sur

l’idée de « braconnage » formulée par Michel de Certeau, selon laquelle les spectateurs

et autres « consommateurs culturels » influent sur les images qu’ils consomment en se

les réappropriant et, parfois même, en les détournant7. Les fans se réapproprient par

exemple les personnages de séries et les mettent en scène dans leurs propres récits, en

collant plus ou moins à l’univers des productions originales. En effet, très souvent les

« fanfictions » sont des exemples de lectures résistantes, mettant en avant des éléments

du sous-texte, ou bien allant à contre-courant de l’histoire telle qu’elle existe dans la

production originale8. Selon Jenkins, les fans éprouvent du plaisir à se réapproprier les

personnages et leurs histoires et les réécrivent afin qu’elles répondent à leurs attentes,

à leurs désirs.

5 Même si Girltrash ne reprend pas de personnages préexistants, le choix des actrices et

leurs rôles passés viennent complexifier la lecture que l’on peut faire de leurs

personnages dans la web-série. Cette lecture complexe repose alors sur la « compétence

encyclopédique » des spectateurs, pour reprendre l’expression d’Umberto Eco9. En

effet, seuls les spectateurs ou lecteurs « avertis » seront en mesure d’identifier le jeu

sur les références et allusions intertextuelles. Girltrash cite par exemple la série South of

Nowhere, lors d’un dialogue entre Colby et Misty, les personnages interprétés par

Gabrielle Christian et Mandy Musgrave, interprétant respectivement Spencer et Ashley

dans South of Nowhere. Dans la web-série, le dialogue entre Colby et Misty évoque une

histoire de tromperie avec une élève de l’université UCSC. Dans la série télévisée South

of Nowhere, Spencer a une relation avec une élève de la même université, relation qui

provoque la jalousie d’Ashley et qui aura des conséquences dramatiques sur le

déroulement de la trame narrative. Ainsi, Girltrash fait référence, sous forme de clin

d’œil intertextuel, à un événement marquant de la série South of Nowhere, ce qui a pour

effet de donner une certaine profondeur à la relation Colby/Misty, mais de manière

implicite. On voit donc apparaître ici ce qu’Eco appelle des « guillemets

imperceptibles », qui « ne peuvent être perçus que sur la base d’une connaissance

extratextuelle10. » Il est tout à fait possible de comprendre la scène sans reconnaître la

référence ; toutefois, l’identification de la citation entraîne les internautes dans un jeu

intertextuel, soulignant la participation des fans dans le processus de consommation

TV/Series, 6 | 2014

201

des produits culturels, et rendant hommage par la même occasion à des personnages et

des séries appréciés des fans. À travers ces références, Girltrash s’adresse directement

aux internautes et les invite à réfléchir et à s’impliquer, à la fois en tant que lecteurs

« avertis » et en tant que « braconneurs ». En d’autres termes, à travers ce jeu de

références intertextuelles, se tisse un réel lien de connivence avec les internautes, dont

les pratiques de visionnage et de lecture sont clairement mises en avant par la web-

série. Ce lien est même appuyé par les caractéristiques structurelles de la web-série,

puisqu’elle reprend de nombreuses conventions des séries télévisées, format bien

connu du public auquel Girltrash s’adresse.

2. La reprise des conventions des séries télévisées

6 Tout d’abord, chaque épisode comporte un générique de début et un générique de fin,

tous les deux associés à une musique de fond. Si le générique n’est pas un code

spécifique aux séries télévisées (puisqu’on le retrouve dans les films et les dessins

animés), son utilisation dans Girltrash s’apparente davantage à celle des séries télévisées

du fait qu’il participe à la fidélisation d’un public qui éprouve du plaisir à le voir au

début de chaque épisode11. Ici, le générique de début est constitué d’une animation

graphique dans laquelle apparaissent le titre de la série et le numéro de l’épisode, suivis

d’un zoom arrière laissant apparaître trois images fixes correspondant à trois moments

distincts de l’épisode, puis d’un zoom avant sur l’une de ces images, qui s’anime alors

pour signaler le début de l’épisode (voir figure 1).

Fig. 1 : Le générique d’ouverture (épisode 1)

7 Le générique de fin, quant à lui, a pour fonction de créditer les acteurs et les personnes

impliquées dans la réalisation et la production de la série. Par conséquent, les

génériques de début et de fin de Girltrash ont des fonctions similaires à ceux des séries

télévisées : ils servent de transition, signalant l’entrée et la sortie du monde diégétique

de la série, ils ont une visée informationnelle et ils constituent en quelques sortent la

signature de la série, à travers la répétition des graphismes et de la musique12.

8 Par ailleurs, la web-série est organisée selon une structure diégétique semblable à celle

que l’on peut trouver dans une série télévisée. La trame globale est centrée sur les deux

personnages principaux, Daisy et Tyler, qui sont présentes dans tous les épisodes et sur

lesquels on apprend de plus en plus, grâce notamment à leur interaction avec les

TV/Series, 6 | 2014

202

personnages secondaires13. En ce qui concerne la narration, Girltrash se rapproche des

séries feuilletonnantes, puisque l’histoire s’étend sur plusieurs épisodes, chaque

épisode apportant des informations essentielles au dénouement de l’histoire14. On y

retrouve aussi des éléments généraux, tel que le récapitulatif commençant par la

formule traditionnelle « Previously on… ». Les internautes auront donc le plaisir de

reconnaître dans Girltrash les éléments d’un format de production audiovisuelle qui

leur est familier, et ils y apprécieront une expérience de visionnage similaire, avec le

découpage en épisodes, l’attente entre les épisodes, etc. Parallèlement aux reprises des

conventions de séries télévisées, on trouve aussi dans la web-série des échos à un autre

média, le cinéma et, plus précisément, aux codes utilisés dans quelques films du

réalisateur américain Quentin Tarantino.

3. La réappropriation des codes de l’univers Tarantino

9 Ces échos se remarquent tout d’abord dans le thème de la web-série. En effet, au fil des

épisodes, on apprend que Daisy et Tyler sont menacées de mort par une dangereuse

femme surnommée « The Widow Maker », incarnée à l’écran par l’humoriste et actrice

Margaret Cho. Le premier épisode donne tout de suite le ton, puisqu’il met en scène la

première menace de mort et se termine avec un mystérieux appel téléphonique à l’issu

duquel Tyler annonce : « We’ve got a job ». Même s’il n’est pas clair qu’elles

appartiennent à une quelconque organisation mafieuse, ce clin d’œil à l’argot des

gangsters, tel qu’on le trouve dans par exemple dans les dialogues du film Reservoir Dogs

de Tarantino, suggère leur lien avec le monde criminel. Le langage utilisé dans Girltrash

est d’ailleurs un autre élément faisant écho aux codes de l’univers de ce réalisateur15.

De fait, les dialogues de la web-série empruntent à un registre cru où les insultes fusent.

On sait par exemple à quel point les films de Tarantino affectionnent le mot « fuck » et

tous ces dérivés. En effet, on peut l’entendre 269 fois dans Reservoir Dogs et 265 fois dans

Pulp Fiction16. Girltrash ne faillit pas à la règle : dans le seul premier épisode, qui dure 3

minutes 39, on peut compter plus d’une dizaine d’occurrences du terme.

10 On identifie également des échos aux films de Tarantino dans le choix des lieux.

L’action de Girltrash se déroule dans le centre ville de Los Angeles, loin des quartiers

chics. L’atmosphère est sombre, la majorité des scènes étant tournées de nuit, dans des

ruelles peu éclairées. On retrouve d’autres lieux emblématiques tels que la voiture (voir

figures 2 et 3), les bars et les restaurants (voir figures 4 et 5). L’univers de Girltrash nous

plonge ainsi dans un monde où il ne serait pas étonnant de croiser des personnages

tout droit sortis de Reservoir Dogs.

TV/Series, 6 | 2014

203

Fig. 2 : Tyler au volant de sa voiture Marcellus (épisode 2)

Fig. 3 : Vincent Vega et Wallace (Pulp Fiction, 1994)

Fig. 4 : Daisy et Tyler dans un bar à Los Angeles (épisode 1)

TV/Series, 6 | 2014

204

Fig. 5 : Scène dans un restaurant (Reservoir Dogs, 1992)

11 En ce qui concerne l’esthétique de la web-série, le choix du noir et blanc peut être

interprété comme une référence aux films de gangster des années 30, par exemple à la

première version de Scarface de 1932. Les quelques passages du noir et blanc à la

couleur peuvent aussi être lus comme un écho plus spécifique au style de Tarantino. En

effet, plusieurs de ses films contiennent au moins une séquence avec un passage du noir

et blanc à la couleur, et inversement. On peut citer Kill Bill : Volume I (2003), et sa scène

de combat lors du chapitre 5, et Kill Bill : Volume II (2004), dont le chapitre 6 est

entièrement en noir et blanc. On retrouve des séquences similaires dans Girltrash, de

façon ponctuelle, mais cette fois-ci avec des passages du noir et blanc à la couleur,

notamment lors de scènes de flashback. D’ailleurs, la présence de ces flashbacks peut

être entendue comme un autre clin d’œil au style de Tarantino, qui utilise ce procédé

narratif dans plusieurs films, dont Reservoir Dogs et Pulp Fiction.

12 En reprenant ces éléments, la web-série fait donc référence à un genre familier : les

internautes qui ont une connaissance, même relative, des films de Tarantino

éprouveront ainsi du plaisir à en reconnaître les codes dans Girltrash. La référence à ces

codes permet aussi de situer l’action dans un univers fictionnel particulier et de fournir

des informations très synthétiques sur les personnages de Daisy et Tyler, en particulier

en ce qui concerne leurs liens avec le monde criminel. Cet univers est d’ailleurs mis en

scène de manière très allusive par la web-série, comme on le voit par exemple avec ses

affiches promotionnelles, sur lesquelles apparaissent des mugshots des héroïnes (voir

figure 6). Ces mugshots permettent non seulement de présenter les personnages et le

casting, mais aussi d’évoquer les ennuis que les héroïnes s’attirent suite à certains actes

illégaux auxquels elles se livrent (vols, cambriolages, etc.).

Fig. 6 : Mugshots utilisés pour les bannières publicitaires,notamment sur le site www.afterellen.com

TV/Series, 6 | 2014

205

13 Toutefois, la reprise des codes des films cités plus haut ne sert pas seulement à établir

un univers diégétique qui leur est commun puisque la web-série n’en présente pas une

simple imitation. En effet, il semble y avoir une volonté de jouer avec les codes, signalée

notamment par l’ironie et l’humour de la web-série et qui se manifeste souvent par

l’excès, l’exagération, à travers la profusion d’insultes, les situations tirées par les

cheveux et la désinvolture des personnages. On retrouve également ce ton du fait de la

dimension « production à petit budget » très assumé, qui forme un net contraste avec

les grosses productions auxquelles la web-série fait écho. Il est évident que Girltrash ne

jouit pas du même statut que des films comme Reservoir Dogs ou Pulp Fiction, dont les

budgets se chiffrent en millions de dollars et qui appartiennent désormais au canon

cinématographique. Il n’y a pas de scène d’action spectaculaire dans Girltrash : les

rafales de balles y sont remplacées par des tempêtes de mots, les deux personnages

ayant un sens assassin de la répartie.

14 L’humour présent dans la web-série peut être alors interprété comme une stratégie de

distanciation. En effet, si les héroïnes de Girltrash et les situations dans lesquelles elles

se retrouvent constituent une forme d’hommage à certains films de Tarantino, la

réappropriation s’effectue en prenant aussi ses distances avec l’original. Dans son

ouvrage intitulé La Seconde main ou le travail de la citation, Antoine Compagnon identifie

le travail de la citation comme « l’appropriation ou la reprise, c’est-à-dire, le produit de

la force qui saisit la citation par le déplacement qu’elle lui fait subir17. » Dans le cas de

Girltrash, cette force, ce déplacement ont pour effet de mettre à l’épreuve, de

« queeriser18 » l’image de masculinité présente dans l’univers de Tarantino, en la

confrontant à de nouvelles formes de lectures et à de nouvelles significations.

4. « Queeriser » le genre

15 Tout d’abord, on peut remarquer que la web-série met clairement les personnages

féminins en avant, et renverse ainsi la marginalisation des femmes opérée dans

certains films de Tarantino. Cette mise en avant des personnages féminins, tout en

reprenant les codes d’un genre favorisant habituellement des personnages masculins,

ouvre la possibilité d’explorer d’autres formes de masculinité et de féminité, comme on

peut le voir par exemple avec le personnage de Tyler, dont le nom introduit déjà un

trouble dans le genre. Ce personnage présente une version particulière de masculinité,

détachée du corps masculin, et exprimée à travers le jeu et la performance de l’actrice.

Sa performance forme un contraste considérable avec la performance de la féminité

des personnages de Daisy (voir figure 7) et de Lou Ann. La gestuelle, la manière de tenir

sa cigarette, la démarche, la façon de parler de Tyler sont autant d’échos à une forme

de masculinité exprimée par les personnages endurcis que l’on trouve, une fois encore,

dans les films de Tarantino cités plus haut. Le jeu de Michelle Lombardo, qui interprète

Tyler, révèle, à travers la répétition d’une gestuelle quelque peu exagérée, le caractère

performatif de la masculinité et, se réappropriant ces marqueurs de masculinité, il

remet en question l’équilibre du système sexe-genre. L’interprétation de l’actrice est un

exemple de renégociation de la masculinité et des formes qu’elle prend dans les films

auxquels la web-série renvoie. Ce jeu avec la masculinité rappelle d’ailleurs la

performance des drag kings. Dans son ouvrage intitulé Female Masculinity, Judith

Halberstam définit le terme drag king de la façon suivante: « A drag king is a female

(usually) who dresses up in recognizably male costume and performs theatrically in

TV/Series, 6 | 2014

206

that costume19. » Ainsi, les drag kings présentent une version dénaturalisée de la

masculinité, en signalant son artificialité. Alors que les performances des drag kings se

déroulent généralement sur scène (dans des bars, ou lors d’ateliers) en présence d’un

public dont la participation est parfois sollicitée, la performance de Tyler dans Girltrash

est présentée en différé, via l’intermédiaire d’un écran et permet donc moins

d’interactions. Le but reste néanmoins le même : déclencher le rire des spectatrices et

les inciter à porter un regard critique sur les modèles de genre dominants, à imaginer

d’autres formes de masculinité et de féminité non conformes aux normes dominantes.

Fig. 7 : La masculinité de Tyler et la féminité de Daisy (épisode 4)

16 Le personnage de Tyler, à travers sa réappropriation et renégociation de la masculinité,

bouleverse donc le statu quo du système binaire féminin/masculin, en brouillant en

quelque sorte les catégories, et remet ainsi en question la vision essentialiste du genre.

Ceci est également exprimé dans la web-série par une renégociation du « male gaze »,

pour reprendre la formulation de Laura Mulvey. Dans « Visual Pleasure and Narrative

Cinema », elle explique comment, dans le cinéma hollywoodien, les personnages

féminins sont systématiquement positionnés comme objets du regard masculin : celui

du personnage masculin et celui du spectateur masculin se combinant et ayant pour

résultat l’objectification du personnage féminin20. Lors d’une scène où Daisy et Tyler

entrent dans un bar, cette dernière aperçoit Lou Ann au fond de la pièce et se met à la

regarder fixement depuis le bar (voir figure 8). Lou Ann, qui comprend vite l’intérêt

qu’elle suscite, la regarde elle aussi fixement, jusqu’à ce qu’elle sorte par la porte de

derrière en suggérant à Tyler de la suivre. Le « male gaze » se retrouve ainsi

radicalement re-signifié. D’une part, le caractère érotique du regard est ici

recontextualisé pour signifier le désir lesbien : on pourrait alors dire qu’il devient le

« lesbian gaze ». D’autre part, la dynamique de pouvoir instauré par le « male gaze »,

c’est-à-dire la position du personnage féminin, passif, comme objet du regard masculin,

se trouve ici confronté à un regard en retour. En renvoyant le regard, Lou Ann résiste à

l’objectification (voir figure 9). Par ailleurs, son regard peut être lu comme un code

destiné à signifier son désir pour les femmes, ou du moins, pour Tyler.

TV/Series, 6 | 2014

207

Fig. 8 : Le regard (épisode 4)

Fig. 9 : Le regard en retour (épisode 4)

17 En somme, Girltrash subvertit l’univers souvent hétéronormatif des films de Tarantino,

en explorant de nouvelles formes de masculinité, en remettant en question la passivité

féminine, et en représentant une vision queer de la sexualité.

18 Le réseau de références intertextuelles et interpicturales au sein de la web-série

Girltrash implique les internautes dans un jeu de décodage et crée avec eux une relation

de connivence, les invitant par la même occasion à porter un regard critique sur les

représentations du genre et de la sexualité dans les films de Tarantino et, par

extension, dans la société en général. À travers l’exploration d’une forme de

masculinité alternative et la représentation de sexualités marginales, à travers la

référence à des pratiques culturelles qui leur sont familières, l’univers de Girltrash

s’adresse directement aux internautes appartenant à une communauté qui se définit

comme lesbienne, bi, queer. La web-série est un exemple de réappropriation d’un genre

dominant par la marge pour la marge – « for us, by us ». En interpellant

personnellement cette communauté, elle les encourage à s’investir dans la production

de séries ou de films évoquant des problématiques qui leur sont propres, dans le but de

leur donner plus de visibilité. C’est d’ailleurs grâce à cet investissement et aux dons des

internautes qu’Angela Robinson a pu produire le long métrage Girltrash: All Night Long

(2014), prequel de la web-série qui s’inscrit cette fois-ci dans le genre de la comédie

TV/Series, 6 | 2014

208

musicale. Le film reprend les personnages de la web-série, avec le même casting, et

explore plus en profondeur leurs relations. Par ailleurs, les performances chantées et

dansées des personnages sont autant d'occasions d'explorer le caractère performatif et

la fluidité du genre (gender) tels qu’ils ont déjà pu être mis en scène dans la web-série.

En outre, Girltrash a ouvert la voie à d’autres productions du même type, s’adressant à

la même communauté, et qui interrogent elles aussi des œuvres où ce n’est plus tant la

représentation de la masculinité qui fait l’objet de la reprise. C’est ainsi que la web-

série The Real Girl’s Guide to Everything Else, créée en 2010 par Carmen Elena Mitchell, se

réapproprie l’univers de la série américaine Sex and the City (HBO, 1998-2004) et

queerise les images de féminité que cette dernière véhiculait et qu’elle contribuait déjà

à réévaluer21. Où l’on voit bien le travail souterrain mais non moins efficace d’œuvres

qui pourraient sembler mineures mais qui prennent appuint sur l’ancrage culturel

maintenant solide du fonctionnement sériel de bon nombre de fictions audio-visuelles,

fonctionnement lui-même démultiplié par les moyens de diffusions du web.

BIBLIOGRAPHIE

BÉNASSI Stéphane, Séries et feuilletons T.V. : pour une typologie des fictions télévisuelles, Liège, Éditions

du Céfal, Collection Grand Écran Petit Écran, 2000.

BROWN Ray B., BROWN Pat (eds.), The Guide to United States Popular Culture, Madison, University of

Wisconsin Press, 2001.

CHRISTIAN Aymar Jean, « Fandom as Industrial Response: Producing Identity in an Independent

Web Series », Robin Anne Reid and Sarah Gatson (eds.), Transformative Works and Cultures, « Race

and Ethnicity in Fandom », special issue, No. 8, 2011 doi:10.3983/twc.2011.0250.

COMPAGNON Antoine, La Seconde main ou le travail de la citation, Paris, Seuil, 1979.

ÉCO Umberto, DAEDALUS, GAMBERINI Marie Christine, « Innovation et répétition : entre esthétique

moderne et postmoderne », Sociologie de la communication, Vol. 1, 1997, p. 131-148.

HALBERSTAM Judith, Female Masculinity, Durham, Londres, Duke University Press, 1998.

HALL Stuart, « Encoding, decoding », The Cultural Studies Reader, Simon During (ed.), New York,

Routledge, 2007.

HUDELET Ariane, « Un cadavre ambulant, un petit-déjeuner sanglant, et le Quartier Ouest de

Baltimore : le générique, moment-clé des séries télévisées », GRAAT Online, Issue #6, décembre

2009.

JENKINS Henry, Textual Poachers: Television Fans and Participatory Culture, New York, Routledge, 1992.

MULVEY Laura, « Visual Pleasure and Narrative Cinema », Visual and Other Pleasures, Bloomington,

Indiana University Press, (1989) 2009.

TV/Series, 6 | 2014

209

NOTES

1. http://www.streamys.org/nominees-winners/2009-nominees/, lien consulté le 9 décembre

2014.

2. Henry Jenkins, Textual Poachers: Television Fans and Participatory Culture, New York, Routledge,

1992, p. 23.

3. Paul Hodkinson, Media, Culture and Society: An Introduction, Londres, Sage Distribution Ltd, 2011,

p. 257-258.

4. Ce panel s’est déroulé le 9 juin 2007, dans le cadre d’une convention de fans de la série South of

Nowhere, où Angela Robinson, Gabrielle Christian, Mandy Musgrave et Maeve Quinlan ont

animé une conférence autour de Girltrash.

5. Jenkins, op.cit., p. 41.

6. Ibid., p. 23-24.

7. Ibid., p. 28.

8. Stuart Hall analyse cette notion de lecture résistante, ou lecture oppositionnelle, dans son

article « Encoding, decoding », et explique qu’elle relève d’un positionnement du spectateur, qui

décode un message, au moment de la lecture, en utilisant un code différent de celui qui est utilisé

pour encoder le même message, au moment de sa production.

Voir Stuart Hall, « Encoding, decoding », in The Cultural Studies Reader, ed. Simon During, New

York, Routledge, 2007, p. 102.

9. Umberto Eco, Daedalus, Marie-Christine Gamberini, « Innovation et répétition : entre

esthétique moderne et post-moderne », in Sociologie de la communication, 1997, Vol. 1, No. 1, p.

131-148.

10. Ibid., p. 142.

11. Ariane Hudelet, « Un cadavre ambulant, un petit-déjeuner sanglant, et le Quartier Ouest de

Baltimore : le générique, moment-clé des séries télévisées », in GRAAT Online, Issue #6, décembre

2009, p. 1.

12. Ibid.

13. On retrouve par exemple ce type de schéma narratif dans la série américaine Cagney and Lacey

(Orion/CBS, 1981-88) de Barbara Avedon et Barbara Corday. La trame narrative se concentrait sur

les deux personnages féminins et s’inscrivait dans la tradition des « buddy films », dont l’histoire

tourne principalement autour de deux personnages masculins. Voir Ray B. Brown and Pat Brown

(ed.), The Guide to United States Popular Culture, Madison, University of Wisconsin Press, 2001, p.

131.

14. Stéphane Bénassi, Séries et feuilletons T.V. : pour une typologie des fictions télévisuelles, Liège,

Éditions du Céfal, Collection Grand Écran Petit Écran, 2000, p. 79.

15. D’ailleurs, certains films de Quentin Tarantino font eux même échos à de nombreux films, le

réalisateur utilisant l’intertextualité à la fois en tant que jeu et en tant qu’hommage.

16. http://www.pajiba.com/seriously_random_lists/the-25-films-that-most-frequently-use-the-

word-fk.php, lien consulté le 9 décembre 2014.

17. Antoine Compagnon, La Seconde main ou le travail de la citation, Paris, Seuil, 1979, p. 9.

18. Nous entendons ici par « queeriser » l’action de troubler, requalifier et repenser les

expressions de genre et les normes.

19. Judith Halberstam, Female Masculinity, Duke University Press, 1998, p. 232.

20. Laura Mulvey, « Visual Pleasure and Narrative Cinema », in Visual and Other Pleasures,

Bloomington, Indiana University Press, 2009, p. 19.

21. Aymar Jean Christian, « Fandom as Industrial Response: Producing Identity in an

Independent Web Series », Robin Anne Reid and Sarah Gatson (eds.), Transformative Works and

Cultures, « Race and Ethnicity in Fandom », special issue, No. 8, 2011. doi:10.3983/twc.2011.0250.

TV/Series, 6 | 2014

210

RÉSUMÉS

Cette présentation portera sur la web-série Girltrash, issue d’un phénomène de création et de

diffusion de plus en plus populaire sur internet qui atteste de la centralité contemporaine de la

« culture participative. » À l’origine, cette web-série fut mise en ligne sur le site ourchart.com

dont le but était de rassembler une communauté de fans autour de The L Word et d’autres séries

télévisées afin de les commenter, mais aussi de participer à la rédaction du scénario d’un épisode

et de publier des « fanfictions ». Ces productions avaient pour point commun la question de la

visibilité lesbienne et cherchaient à interroger les images diffusées dans les séries télévisées, y

compris dans The L Word. C’est dans ce contexte qu’est née la web-série Girltrash, série au ton

décalé qui met en scène la vie de deux jeunes femmes et raconte leur démêlés avec le monde

criminel de Los Angeles. L’objectif de cet article est d’expliquer comment Girltrash crée une

relation de connivence avec son public. Nous démontrerons tout d’abord en quoi le jeu des

références intertextuelles de la web-série permet de s’adresser directement aux spectatrices-

internautes et encourage leur investissement dans la série. Nous analyserons également

comment Girltrash reprend certaines conventions d’un média bien connu de son public : les séries

télévisées. Enfin, nous étudierons la manière dont la web-série se réapproprie et « queerise »

l’univers du réalisateur américain Quentin Tarantino.

This presentation will concern the web series Girltrash, emerging from an increasingly re-

appropriated popular phenomenon of creation and broadcasting on the internet, which attests to

the contemporary centrality of “participative culture”. At its origin, this web series was uploaded

on the website http://ourchart.com, whose purpose was to bring together a community of fans of

The L Word and other televised series in order to discuss, but also to participate in the

composition of a screenplay of an episode and to publish “fan-fictions”. These productions share

the common theme of lesbian visibility and aim to question images transmitted in TV shows,

including The L Word. It is in this context that Girltrash emerged. With its quirky tone, the show

depicts the life of two young women and recounts their troubles with the criminal world of Los

Angeles. The objective of this article is to explain how Girltrash creates a relationship of

connivence with its public. We will first show how the play of intertextual references in the web

series permits direct contact with its internet audience and encourages their investment in the

show. We will also analyze how Girltrash takes on the conventions of a form of media well-known

to its public: the TV series. Finally, we will study the way in which the web series re-appropriates

and “queers” the universe of the American director Quentin Tarantino.

INDEX

Keywords : Girltrash, L Word (The), intertextuality, gender, reception, web-series

Mots-clés : Girltrash, L Word (The), intertextualité, genre, réception, web-série

AUTEUR

ÉMILIE MAROLLEAU

Émilie Marolleau est doctorante à l’université François Rabelais de Tours sous la direction de

Georges-Claude Guilbert. Ses recherches portent sur la question de la visibilité lesbienne dans les

séries et les films américains et se concentrent sur les axes suivants : la représentabilité

TV/Series, 6 | 2014

211

lesbienne dans les productions audiovisuelles américaines, les signes de cette visibilité, la

construction d’une entité « lesbienne » dans les films et les séries et, enfin, le lien entre cette

entité et les spectateurs / spectatrices qui se définissent comme « lesbienne », « gay », « queer »

et « trans ».

TV/Series, 6 | 2014

212

Seriality and Transmediality in theFan Multiverse: Flexible andMultiple Narrative Structures in FanFiction, Art, and VidsAnne Kustritz

1 Don’t stop me if you’ve heard this one before. Serial forms of repetition fundamentally

structure the audience’s experience of popular culture on numerous levels, from the

hit-hit-miss “rule of three” in slapstick comedy, to the cyclical nature of beats and arcs

in serialized television. Yet the incorporation of transmedia elements within an overall

story world requires essential reassessment of how seriality has changed in

contemporary digital culture, especially when professional and fan-produced

transmedia each contribute to the overall narrative whole. Thinking about fan works as

transmedia equalizes all narrative investments and promotes the freedom of any

audience member to author their own interpretations and desires into the official text.

At the same time, accepting fan works, including fan fiction, fan art, and fan video

collage or “vids”, as legitimate and equal parts of transmedia networks also requires

reassessment of the limits and effects of the serial narrative form in contemporary

transmedia environments. Fan works thus elucidate and complicate the picture of

seriality within professional transmedia franchises, while also introducing their own

unique processes for constructing a serial narrative backchannel and interpreting and

processing the underlying serial nature of representational structures across history

and media.

1. Authority, Ownership, and Legitimacy: Fan Works asTransmedia

2 Before dealing with the serial character of fan works, the ontological status of various

transmedia components must be addressed to resolve how fan production of fan

TV/Series, 6 | 2014

213

fiction, art, and video relates to the larger narrative whole1. Taking fan works seriously

requires challenging the authority of both authors and copyright holders to determine

a story’s meaning and legitimacy. The boundaries and components of corporate

transmedia narratives most often result from a combination between money and

power, making fan works a grassroots alternative that places emphasis on the

audiences’ preferences, contributions, and control. Many recent changes in

contemporary transmedia narration can be attributed to the shifting social and legal

meaning of authorship, and the industry’s evolving business models, rather than any

inherent artistic properties of new media. Yet, the industry’s turn toward telling stories

that take place across a variety of mediated formats is often framed as a new

development caused by the possibilities within web 2.0. As noted by Marie-Laure Ryan,

story worlds that multiple authors and artists interpreted in many media trace their

history far further back than the social web, at least to classical Greece and perhaps

even before2. Even if the definition of transmedia is restricted to stories that

incorporate so-called “old and new” media forms, fans as well as independent authors

and artists have been exploring the possibilities of on-line multi-media storytelling

since the very beginning of the internet. Nevertheless, often discussions of transmedia

only incorporate consideration of corporate forms of transmedia narration, ignoring or

sidelining independent and fan-produced material. In comparison to such non-

commercial material, hallmarks of early corporate transmedia like The Matrix

(1999-2003) and Lost (ABC, 2004-2010) arrived to the internet fairly late in the game.

Rather than unique moments in the history of narrative, these series pinpoint

important landmarks in media industry history because they mark changes in

corporate strategy.

3 Ryan recounts a conversation between scholar Henry Jenkins and an unnamed film

maker that encapsulates this change. The film maker explains that the mainstream

media’s historic preference for strong stories shifted over time toward strong

characters, around whom a series of stories might be told, and then shifted again to a

preference for fictional worlds, within which numerous characters and stories might

develop. However, many fans, genres of literature, and alternative media have long

treated stories as narrative worlds that could be rewritten and expanded in multiple

directions. For the industry this transformation revolves around changing strategies

for ownership, requiring cross-platform conglomeration, marketing, and licensing.

Because it makes little business sense to construct transmedia narratives unless the

same parent corporation owns all the necessary platforms, a conglomeration strategy

was necessary to first ensure that a single media corporation could simultaneously

produce and distribute or narrowly license TV, film, video games, comics, and web

content. Furthermore, a flexible approach to authorship and licensing was required to

dissociate these multiple story products from a single author so that each medium can

tell the stories most suited to its own format without diluting the authority of those

stories told in other media. This requires either a reinvestment in the notion of a single

authorial mastermind who oversees every aspect of the project and from whom studios

take all their cues, or a collaborative ethos in which the studio itself transparently

becomes the proxy author within which many artists, authors, producers, and

technicians work together.

4 These alterations in corporate strategy strongly influence the meaning and legitimacy

assigned to various components of transmedia narratives. Some franchises cling to the

TV/Series, 6 | 2014

214

central function of the author to provide overall coherency and limits to their story

world. Thus, for example, the boundaries of Harry Potter are determined by J.K.

Rowling’s somewhat dubious “intentions” and showrunners, like Battlestar Galactica’s

Ron Moore or Joss Whedon of Buffy the Vampire Slayer, Firefly, and Dollhouse fame 3, can

also take on this function of embodying the ultimate authority over the narrative’s

purpose and meaning, even when the studio acts in contradiction to the author/

auteur’s stated desires4. Yet increasingly studios more and more transparently treat

transmedia narratives as a piece of their own corporate intellectual property over

which no author holds an ultimate authoritative vision, as in the recent decision by

Alloy Entertainment to fire the original author of The Vampire Diaries (The CW, 2009- )

and continue publishing books under her name that were actually written by a ghost

writer5. Thus it becomes increasingly obvious that the limits of transmedia narrative

worlds are imposed by legal questions of ownership and licensing, not by the inherent

creative integrity of the story itself. The process of determining whether a particular

story should be considered a legitimate extension of a transmedia world often has little

to do with the ever illusive “intentions” or imagination of the author, and more to do

with the purely market considerations of corporations who grant legitimacy through

licensing agreements and deny official legitimacy to all those creative projects that

exist beyond the reach of their money-making preview.

5 Thus, because the limits and ontological status of transmedia story worlds become

increasingly muddled the more obviously corporations select official narrative

extensions on the basis of profitability rather than artistry or narrative, insisting upon

treating unlicensed fan works as legitimate parts of the overall story structure takes on

an even more clearly populist political resonance. Who determines characters’

personalities, the rules of a fictional universe, and ultimately what “really” happened?

While some answers to these questions might be more interesting, convincing, moving,

or pleasurable to imagine than others, there is no a priori reason to assume that these

will always be produced by authors recognized as “original” in the publication process,

or by authors contractually licensed by corporations. The “death of the author” settles

the moral question of who has the right to tell stories6; once it is accepted that

everyone has equal authority to participate in the co-creation of culture, and no

necessary reason remains to grant greater value to the first version of a story over the

many retellings, transformations, and adaptations that follow, the only remaining

hurdle to the proliferation of participatory story worlds is the artificial legal boundary

imposed by intellectual property law. Similarly, statements like Ryan’s consigning fan

works to the level of “apocrypha” or Carlos Scolari whose taxonomy would classify fan

works as “peripheral” undermine the full potential of fan works to unseat the

industry’s monopoly on public culture7. If fan works are considered fully legitimate and

ontologically valid contributions to the overall transmedia narrative, then not only

does the practice of transmedia gain a much longer and more democratic history than

that provided by corporate transmedia projects, but fan works also significantly

complicate the question of how transmedia serial narration can function.

TV/Series, 6 | 2014

215

2. Seriality in Professional and Fan ProducedTransmedia Narratives

6 Including fan works, namely fan fiction, fan art, and fan video collage or “vids”, within

a transmedia story world may at first appear to render sequential storytelling and

seriality nearly impossible. By their very nature, transmedia narratives may unfold in

different sequences and across a different timeframe for each audience member; yet

fan narratives not only publish events out of sequence, but also contain numerous

alternate interpretations and versions of the same events. However, these

complications need not negate the role of seriality; rather they call for a reevaluation

and expansion of the serial form and function. First, fan works emphasize the

increasingly complex nature of seriality in all transmedia and the way in which serial

effects do not vanish, but more and more depend upon the viewer’s choices. Secondly,

fan works create their own kind of flexible and multiple serial effects wherein meaning

does not depend on consuming a specific sequence of narratives, but instead upon

reading any collection of narratives within larger cycles or tropes to assemble a sense

of flowing norms, genres, and preferences. Finally, fan works also uniquely analyze and

reconfigure the serial effects of tropes found not only across the transmedia

components of individual stories, but also across the breadth of popular culture. By

remixing and reimagining repeated structures of representation, fan works often call

attention to latent forms of seriality within popular culture as a collective whole.

3. Retrospective Baselines and Flexible TransmediaSeriality

7 The first of three major principles to grasp in thinking about fan works as transmedia

seriality is that fan works further complicate the increasingly complex nature of

seriality in transmedia narration, emphasizing the mainstreaming of audience agency

over the speed and order of narrative events, while adding the option for the audience

to intervene and usurp corporate narration entirely. As noted by Ruth Page, scholars

have most often identified seriality as a result of the separation of a story into a fixed

sequence of installments, and the publishing schedule which requires that audiences

wait between installments8. The experience of shared waiting has historically

performed an important function in terms of narrative and social structure. As a

narrative form, the imposition of fixed blocks of time between installments allows for

the traditional “beats and arcs” structure of television and encourages writers to

increase tension at pre-defined climactic moments that precede periods of shared

waiting: before each commercial break, at the end of an episode, and at mid-season and

season finales. Such use of shared waiting as a technique to increase narrative tension

can also be seen in other serialized forms such as the novels of Dickens. As a social

form, shared waiting also intensifies the audience’s sense of themselves as an imagined

community, because all experience this period of anticipation together. The uproar

over First Lady Michelle Obama’s access to an early pre-screening of Downtown Abbey’s

third season exemplifies the extent to which even contemporary audiences still

construct shared periods of waiting for the next narrative installment as a key part of

community cohesion9.

TV/Series, 6 | 2014

216

8 Yet, both physical and social technologies have long allowed at least some segments of

the audience to undermine publishers’ installment schedule and follow a story at their

own pace. Serialized novels were often also eventually published as a compendium,

allowing readers to decide the speed of narration, while the arrival of home VHS

machines granted audiences an unprecedented level of control over television

scheduling. The binge-viewing and time-shifting common in recent years are often

attributed to the sale of television on DVD, as well as DVR, digital streaming, and file-

sharing technologies; yet in actuality these merely extend the behaviors of fan

communities to mainstream audiences. VHS recording combined with international fan

communities facilitated broad circulation of media even before the digital age. Because

fans distributed taped collections of episodes through the mail and at conventions, they

no longer remained at the mercy of the industry’s scheduling systems, and thereby

claimed the autonomy to rewatch and binge-view television long before the internet.

However, now that such practices have spread beyond cult audiences to the

mainstream public, serialized television can no longer take for granted that the bulk of

the audience will view installments at the same pace.

9 The fixed sequence of installments may seem like an even more critical characteristic

of seriality. It may appear wholly unintuitive and unpleasurable to imagine, for

example, reading the chapters of a novel out of sequence. Yet, increasingly, transmedia

franchises offer flexible narratives wherein pieces remain interdependent, while

encouraging the audience to choose their own sequence. In some ways this model is a

throw-back to earlier forms of episodic television wherein each episode offered new

permutations of the show’s themes, but always returned the characters to the same

“baseline” so that they could begin the next episode from the same starting point. Such

formats allowed viewers to pleasurably watch only a few episodes out of a season, and

critically facilitated syndication so that episodes could be rescreened multiple times in

any order without significantly disrupting audience interest. Yet, these older episodic

structures also inhibited significant growth and change, attributes increasingly vital to

the development of “quality television” and most transmedia franchises. How then can

a story world simultaneously support both a flexible, user-controlled sequence and

radical change in characters, plot, and setting?

10 Three concepts help explain the way in which both professionally and fan-produced

transmedia narratives may maintain both the highly prized markers of “complex

narration” and user-controlled, flexible seriality10: first, an understanding of narration

as a movement from “information-light” encounters to “information-heavy”

encounters, rather than movement through a fixed plot; second, the notion of a

quantum narrative multiverse rather than a unitary narrative world; and third,

consequently foregrounding seriality as an effect experienced by the audience rather

than a pre-determined and uniform intention of the producers. In her self-published

essay “The Advantages of Fan Fiction as an Art Form: A Shameless Essay”, Jane

Mortimer describes seriality as a relationship between the baseline and “the

momentary focus of intensity on two square inches11.” In other words, she argues that

very small statements, gestures, and moments in serials can carry incredible intensity

and payoff for audiences because of their relationship to a pre-existing baseline of

repeated and expected character psychology, behavior, or plot development. One of the

chief pleasures of fan fiction, she argues, is that authors may use the audience’s pre-

existing knowledge of the baseline to cut directly to the pay-off moment of

TV/Series, 6 | 2014

217

experimentation that becomes resonant in relation to audience expectations and

previous story segments. While this theory does explain the pleasures of many

transformative fan works, it cannot fully account for the relatively common practice of

reading or viewing fan works without having previously encountered the

professionally published source, nor transmedia narratives’ increasing tendency to

start from moments of complex conflict and require the audience to work backwards

and build the baseline in reverse.

11 Different pleasures are at play when an audience enters a narrative already in progress

and then must retrospectively move from a position of reading the text as an

information-light to an information-heavy interpreter. The narrative question

transforms from “what will happen” to “who are these people and why have these

things happened”, while seriality no longer offers a linear sequence of events, but

instead an a-linear flexible sequence of information, each piece of which enriches the

viewer, listener, or reader’s ability to re-interpret the central events. Lost and Once Upon

a Time (ABC, 2011- ) offer paradigmatic examples of this technique as both allowed the

audience to slowly piece together the characters’ histories and personalities from a

transmedia series of narratives presented out of order and on multiple platforms. In

fan communities, a game called “Stranger in a Strange Fandom” exemplified the

tendency of many audiences of fan works to engage with fan interpretations

independent from the professional text12. Participants were asked to watch a vid, which

is a form of fan remix video, for which they had never previously seen the professional

source. Participants then wrote a description of the source material based on what they

could piece together from the vid version, resulting in an enormous range from

hilarious to shockingly accurate inferences. Lost, Once Upon a Time, and Stranger in a

Strange Fandom all play upon the shifting process of interpretation as audiences slowly

gather more information about the narrative world by interacting with more of its

components. Importantly, the guesses and inferences made by audiences at the very

beginning of this process need not be considered “wrong” or “worse” than those made

later in the game by audience members acting with more information. This is a chief

point of difference from “Possible Worlds Theory” which postulates that readers and

viewers constantly compare the ontological validity of story segments to the real world

and other parts of the story world13. As the enjoyment of those playing the Stranger in

a Strange Fandom game imply, moving toward an information-heavy interpretative

position does not involve discovering the “truth;” there are merely different pleasures

available at different stages, and with different informational frames. Yet still, in all of

these examples, seriality and narrative continue to function. Particularly as producers

move toward a model of transmedia in which audiences are expected to enter a story

world from any medium, the primacy of one medium over the others has been

displaced by an expectation that audiences will move between different media

independently and unexpectedly, constructing their own serial sequence without

reference to publication dates. Audiences only access pieces of the narrative world one

at a time, and slowly accumulate a greater and greater understanding of the order of

events and the characters’ lives at their own pace and in their own order. They still

encounter the story in serial installments, but the order and speed of their travels, and

thus the narrative and serial structures, become self-directed.

12 In addition, the ability to simultaneously provide flexible forms of transmedia seriality

and maintain coherent narratives is facilitated by a transition from regarding the story

as one shared narrative world held in common by the entire audience and production

TV/Series, 6 | 2014

218

team to the notion of a quantum narrative multiverse. In her article “Transmedial

Storytelling and Transfictionality”, Ryan considers story segments that modify or

contradict character actions, key events, or core characteristics of other segments

difficult if not impossible for professional transmedia, and maintains that such internal

contradiction must remain the domain of “apocryphal” fan texts. Yet, this assertion

overlooks many genre forms that incorporate multiple timelines, and the narrative

possibilities of treating fan works as legitimate parts of the overall transmedia story

network, wherein they may either exist in parallel, or actually change and usurp the

audience’s understanding of the professional text. For example, comic books have long

mastered the ability to spin off multiple time lines so that each character may live

many different lives, and this tendency only magnified when comics expanded into

transmedia via film, television, and on-line components. Many of these function largely

by keeping most aspects of the baseline intact, and altering different components for

each timeline, creating a series of “what if?” proposals. Although fans of course

endlessly debate their preferences, the characters of one timeline are no less “real”

than those of any other; yet those who have read how a single character develops and

reacts in other timelines approach new storylines in a more information-heavy

position because that timeline will resonate and interact with their previous

knowledge, allowing them to assemble a much more layered narrative web than a fan

meeting a character for the first time. Thus, it does not take very much effort to

understand that in almost any Marvel timeline Wolverine is a tough Canadian with the

mutant ability to regenerate, and thus to construct a baseline; yet as opposed to new

viewers, fans seeing him for the second, third, fourth, or fifth time will receive

different pleasures from the first instance in a given timeline that he lights a cigar, or

in some iterations, his sudden surprising refusal to don yellow spandex14. The long-time

fan thus creates a unique serial experience gained through reading across multiple

timelines, learning more about the many paths individual characters and plots may

take depending on alterations in characteristics of the overall timeline.

13 Many franchises including James Bond and Star Trek have sought to duplicate this

comics-based multiverse success by rebooting their own storylines and characters

along a new, fundamentally altered timeline. Similarly, in short form the film Clue

(1985) directly demonstrates this principle by providing multiple endings to a murder

mystery, each of which reveals a different perpetrator. This fluidity is ultimately

undermined by a final ending that the film positions as “what really happened” in

opposition to the other endings referred to only as “how it could have happened;” yet

one might just as easily imagine a narrative structure like that presented in Clue

without its ultimate surrender to the need for narrative closure and certainty. In the

television format soap operas are notorious for illogically changing fundamental

aspects of their own previous narration, while the most infamous and transparent of

these television devices may be Dallas’ (CBS, 1978-1991) use of a dream sequence to

completely negate an entire season and re-start the narration with a different premise.

Many series experiment with less intrusive forms of these devices, such as Community

(NBC, 2009-) which repeatedly refers to an alternate “darkest timeline”, itself a

reference to the common trope wherein characters in many series spend one episode

locked in a hallucination in which they must decide whether the entire narration up to

that point was real, or only a psychotic break in which the real story takes place in a

mental institution.

TV/Series, 6 | 2014

219

14 Each of these examples explores some of the potential of the multiverse concept, which

allows for the investigation of an infinite variety of narrative adaptations across

multiple forms of media. No individual story or sequence need maintain ultimate

authority as “real” or “true” in a multiverse-style narrative as none actually negates

the others and all remain equally possible. Audiences thereby construct seriality

through multiverse transmedia narration in two directions: by creating a sequence of

story elements through one timeline that flow across multiple media, and also by

creating a sequential path across timelines. Further, in multiverse narration it does not

matter if audiences begin with a timeline created by a sanctioned or unsanctioned,

professional or transformative author. Wherever each audience member begins

becomes their starting point and because all timelines are valid, the audience is not

“missing” any information but rather gaining greater complexity no matter which

narrative path they choose.

15 Thinking of serial narration as increasing information acquisition within a multiverse

also foregrounds a turn toward considering seriality as an effect experienced by the

audience rather than a pre-determined intention of the producers or the publication

schedule. In her article “Seriality and Storytelling in Social Media”, Page argues that

scholars must consider the innovative forms of seriality constructed by new media

platforms like YouTube, Twitter, and Wikipedia. In a parallel move, transmedia stories

form a bridge between older forms of seriality and the new structures described by

Page, because while some components of a transmedia story may comply entirely with

conventional series television, transmedia multiverses allow individual audience

members to assemble their own cross-media narrative sequences, including

components with new forms of seriality and both professionally and fan-created

elements. Although unplanned and uncontrolled, the sequence of narrative encounters

that each individual audience member collects is experienced by that person as a

coherent series that gradually provides them more information, access, and insight

into the entire narrative multiverse. One might similarly call the narrative itself an

effect rather than an intentional design, by emphasizing the coherence and structure

that the audiences provides while interacting with a dispersed network of potential

narrative elements and choosing how to navigate, add to, nullify, and/or connect

them15. In this manner, even contradictory versions of the same events can still

function as a series from the perspective of the viewer/reader because each deviation

further investigates the possibilities within a given premise. Thus the addition of fan

works to a transmedia multiverse provides a serial effect that deepens understanding

of the story in multiple segments over time.

4. Information Acquisition in the Fan Multiverse

16 The second major principle of thinking about fan works as serial transmedia is that fan

works create their own unique kind of flexible and multiple serial effects wherein

meaning does not depend on consuming a specific sequence of narratives, but instead

upon reading any sequence of narratives across multiple media within larger cycles or

tropes to assemble a sense of flowing preferences, community norms, interpretive

frames, and genres, and thus progressively moving toward an increasingly

information-heavy interpretive position. “Misreadings” of fan texts offer a window into

the limitations of reading fan works only in relation to the professional source text, or

TV/Series, 6 | 2014

220

in relation to a singular notion of “fan culture.” Instead, working backwards to infer

the many different sequences of professional and fan texts that offer increasing layers

of meaning to a fan vid dramatizes the process by which individual audience members

approach fan texts from multiple serial trajectories, creating their own unique

narrative assemblages by reading and viewing across multiple timelines, and multiple

forms of fan and professional media.

17 The flexible transmedia seriality of fan works becomes obvious in those which have

“escaped” fan culture to become mainstream successes. Mainstream audiences often

attempt to retroactively build a baseline to make sense of fan works’ narrative and

aesthetic experimentation; yet, without access to the history of other fan works, they

start from a much more information-light interpretative position than those within the

fan community. Their interpretations are not “wrong”, as fan work is itself premised

upon audience autonomy and interpretative freedom, but they lack access to the

sequence of previous texts against which the fan work gains increased resonance. They

thereby read the climax of a serial narrative as if it were a stand-alone statement. In

her article “User Penetrated Content”, Julie Levin Russo discusses the ideological

consequences of how audiences contextualize fan works16. Russo recounts the

unauthorized uploading of a classic homoerotic or “slash” vid, based on Kirk and Spock

of the original Star Trek series (NBC, 1966-1969), which resulted in “Closer” by T. Jonesy

and Killa going viral on YouTube in 200617. Russo takes care to acknowledge that the

problem with mainstream audiences’ readings of “Closer”, which positioned the video

as camp or even homophobic comedy, was not that these readings were “wrong” or

usurped the “intended” meaning of the vid, but that these readings often reinforced

and exposed mainstream audiences’ homophobic assumptions while silencing the

underground history of same-sex storytelling that the vid rested upon. It is important

to note in this conclusion that fans who watch “Closer” also come from a variety of

viewing perspectives. However, no specific group of texts is necessary to understand

the vid’s narrative; instead, previous familiarity with any number of slash narratives

would provide a sense of the many common tropes the vid operates within. Because fan

works share no central index or canon and are self-published across multiple platforms

and real world locations, fan authors cannot depend on their audience’s familiarity

with any specific group of previous works; however, because fan works often respond

to each other and build upon each other’s experiments and insights, knowledge of a fan

work’s position within larger conversations, tropes, and genre forms appreciably

enriches a reader’s or viewer’s ability to trace the story’s baseline and interpret

multiple layers of serial narrative interactions. Understanding fan works as the apex of

an on-going serial thereby helps to explain why insider and outsider audiences often

react so differently, and how fan works can create such a dramatic analytic and

emotional impact, due to their often invisible connections to other professional and fan

narrative elements.

18 Unpacking the multiple, flexible series that provide increasing layers of meaning for a

single vid demonstrates this process by which transmedia seriality within fan works is

no longer strictly about order, but rather an interaction of multiple layers, which the

audience may enter and expand in any direction. The vid “Written by the Victors”

(2007) by Zulu, if taken on its own, functions as a piece of collage art combining video

from the television show Stargate: Atlantis (Sci-Fi Channel, 2004-2009) with original text

to narrate an intergalactic rebellion using an epistolary frame. Indeed, the vid may be

TV/Series, 6 | 2014

221

pleasurably consumed from this information-light position; yet it gains much greater

intensity and nuance if viewed at the apex of a flexible series of previous texts.

Knowledge of the intricacies of the Stargate franchise provides important background

about the meaning of many of the acronyms that appear in the text, and the original

narrative context of the video clips, as well as background for the central four

characters, Dr. Rodney McKay, a Canadian physicist, Lieutenant Colonel John Sheppard,

an American pilot, Teyla Emmagan, a native of the Pegasus galaxy and leader of the

planet Athos, and Specialist Ronon Dex, a native of the Pegasus galaxy from the planet

Sateda. Yet most of the vid refers to other fan works, both specific works and larger

aesthetic trends as well as fan-constructed genre forms both within and beyond

Stargate: Atlantis fandom.

19 Perhaps most importantly, the vid is a direct interpretation of a novel-length fan

fiction story of the same name by Speranza18. Reading the written version fills in many

of the narrative gaps of the vid, includes numerous scenes the vid chose not to

dramatize, and further explains the title. As the saying that “history is written by the

victors” implies, the novel is constructed by excerpts taken from thirty-six fictitious

academic texts as well as several other “primary artifacts” each purporting to tell the

history of Atlantis Expedition’s secession from Earth, which all become unreliable

narrators in contrast to the central narrative through line describing events from an

omniscient position. Perhaps because of the story’s sprawling scope and incorporation

of multiverse logic able to handle both expansion and contradiction, the story inspired

a multi-authored transmedia story world with numerous fan artists and authors

expanding Speranza’s narrative through drawings, spoken word, video, short stories,

and songs19. Each of these expansions and reinterpretations adds to the audience’s

understanding of the whole. For example, the vid ends with what appears to be an

antique scroll telling the genealogy of a great king in verse. This is perhaps one of the

more perplexing parts of the vid for someone who has not read the fan fiction story it is

based upon. Although set in a futuristic present with space ships and high technology,

the story frames our present day in the distant past and constructs Atlantis as a center

for cultural exchange between alien people with many levels of technology and social

forms, while John Sheppard becomes the city’s king. The story ends with a series of

histories in various genres and languages written by the descendants of the original

Atlantis characters. Thus, many interpreters of Written by the Victors create artifacts,

ceremonial chants, and historical records in many forms and languages including

scrolls and stone tablets, all recording overlapping and sometimes contradictory

versions of Atlantis’s history.

20 While all these fan works reflect upon each other and become interdependent, each

also caters to different desires and interests. One of the most obvious differences

between the various versions is the prominence of the relationship between Rodney

and John. Speranza’s novel melds at least three primary subjects: political intrigue

including a post-colonial critique, anthropological or sociological analysis of

multicultural traditions within speculative history, and interpersonal dynamics

including homoerotic romance. These overlap and interact in Speranza’s text,

especially when John and Teyla marry each other for political reasons (i.e. to solidify

intercultural alliances and provide a clear line of succession), while remaining

romantically involved with their other two teammates. The primary romance of the

story is between Rodney and John, although it often takes place between the lines as

most of the excerpts of “official” history omit or remain ignorant of this relationship

TV/Series, 6 | 2014

222

underlying the public royal marriage. As an indication of the story’s recognition as a

slash romance within fan genre markers, Written by the Victors won an award for “Best

Canon AU” in 2007 from the “Mackay/Sheppard Awards”, an annual contest for

outstanding fan fiction featuring a homoerotic relationship between Rodney and

John20.

21 Yet most works within the Written by the Victors story world focus only on “two square

inches”, minutely exploring or riffing off of one aspect of the overall narrative. Thus, of

the four official “book covers” for Written by the Victors, one features all four primary

characters, emphasizing their collective impact on history, one shows only John in

front of Atlantis with text in an alien language that stresses his ascension to the throne

and unification of Earth and alien cultures, and two show only John and Rodney in

front of scenes of conflict, highlighting the dramatic political context21. Yet, although

the latter covers could be understood solely in relation to the war of secession, the

choice to illustrate only John and Rodney gains much greater resonance when set in

relation to their romance in the novel, and their larger popularity as a commonly

slashed couple who star in thousands of other slash stories and pieces of art. The vid

version, like the two cover illustrations, can also be interpreted primarily in terms of a

political narrative; yet it too contains traces of the John/Rodney romance for audience

members interpreting it from an information-heavy perspective that includes

knowledge of slash. The middle of the vid portrays a meeting between representatives

of the newly independent Atlantis and an envoy from Earth, signaled by overlays of

several historical excerpts about the summit. The arrival of Earth personnel in Atlantis

is followed by a shot of John surrounded by pageantry and Teyla singing with the

subscript “pure political theater”, indicating Atlantis’s attempt to present itself as

strong and independent to the negotiators. To the words “promise after promise” the

vid then shows John’s stern face followed by a group of Teyla’s people presenting

ceremonial gifts. This sequence of words and images marks this section of the vid as

entirely about political staging to solidify the new government’s legitimacy and this

theme is important for interpreting the next two video clips, the first of which shows

John and Teyla kissing, and the next focused on a reaction shot of Rodney cringing.

These two shots are the vid’s only indication of the interpersonal plots of the novel,

which includes a romantic relationship between Teyla and Ronon as well as the John/

Rodney narrative and the political marriage. The vid provides enough visual

information for a very attentive viewer to grasp that the kiss should be interpreted

within the “pure political theater” frame and that Rodney’s pained expression indicates

some kind of discontent with the situation; however, previous general knowledge of

slash allows a viewer to infer that Rodney’s discontent arises from his love for John and

likely feelings of insecurity, while previous specific knowledge of the plot of Written by

the Victors, whether through reading the novel, listening to the spoken audiobook, or

viewing art and artifacts, allows a viewer of the vid to read a much richer depth of

emotion into that moment and feel Rodney’s fear for the future of his relationship with

John in a much more profound manner than viewers seeing the story for the first time

in vid form.

22 In this manner, the “Written by the Victors” vid may include a serial narrative back

channel that incorporates elements from many other fan works. Having read any slash

story before experiencing a version of Written by the Victors creates a flexible serial

narrative as the stories overlap and enrich each other, while reading any collection of

stories or vids within the Rodney/John pairing significantly intensifies and expands the

TV/Series, 6 | 2014

223

meaning of later stories as each refracts slightly different yet entwined sets of events,

emotions, and character choices. Watching Rodney stand aside while John and Teyla

marry, even just for show, feels differently dramatic for an audience member who has

read about John and Rodney’s epic true love hundreds of times and believes in their

destiny together, than for someone experiencing the idea of their relationship for the

first time. In this manner, serial repetition of the premise inherently changes its impact

and meaning.

23 These serial elements need not be restricted purely to overtly narrative elements but

also include aesthetic, stylistic, and thematic components, many of which may function

only on a subconscious level. For example, the primary coloration of “Written by the

Victors” is blue or blue-green, a palate shared by many vids based on Stargate: Atlantis

including most notably a vid simply called “Blue” by Kiki Miserychic, partly because

this color spectrum echoes the primary locations and visual effects of the show, namely

the ocean, the lights on many key pieces of alien technology, and the wormhole that

transports the characters between planets (and occasionally galaxies)22. At every level,

“Written by the Victors” rewards greater knowledge as even the song choice offers

special pleasures to those approaching the vid from an information-heavy position. The

vid’s soundtrack is the theme to the Canadian television series Traders (Global

Television Network, 1996-2000); a double reference for those with fan knowledge, it

highlights the shared media space of Canadian productions, since Stargate was also

produced in Canada, and the actor David Hewlett played both Rodney in Stargate and

Grant, one of the primary characters on Traders. The vid then becomes linked to two

more chains of seriality: one about Canadian media and the other around David

Hewlett’s star text23.

24 Furthermore, the “Written by the Victors” vid, like all the transmedia components of

the multi-authored and open-ended Written by the Victors serial multiverse, helps to

emphasize or reinterpret key parts of the novel, and connects with longstanding

narrative interventions into real world politics common within Stargate fandom.

Although filmed and produced in Canada with a mostly Canadian cast and revolving

around an international expedition featuring characters from across the globe and

eventually the universe, the Stargate franchise also maintains close ties to the USA

military and has been granted permission to include real US Air Force planes in several

episodes24. In addition, the series often thematized current events from

contemporaneous developments in the “War on Terror”, including an episode dealing

with the morality and efficacy of using torture against prisoners of war, which

coincided with public discussions surrounding the American military’s use of torture

on political prisoners in Iraq25. Many fan works thus engage with the relationship

between Stargate and contemporaneous US military policy and American foreign

relations. Thinking of these works as a series allows audience members to weigh a

range of characters’ decisions, feelings, and actions, comparing the varying accounts

and perspectives of many stories and works of art to determine their position about the

morality and practicalities of the real world political situation, as well as their

preferences and expectations about specific characters’ behavior. Thus interacting with

a series of narratives, including the official Stargate: Atlantis episode, creates an open-

ended conversation unimpeded by the normative effects of narrative closure.

25 The Written by the Victors novel engages with two primary forms of real world politics:

closeting and colonialism. Both of these had already been represented by fan works

TV/Series, 6 | 2014

224

numerous times, in every shade between outright critique of Stargate’s position on

these issues to pure reproduction or even intensification of Stargate’s sometimes

homophobic and racist tropes. The novel takes a strong position against many of

Stargate’s neo-colonial discourses of conquest by directly incorporating native people

into the new independent Atlantis government, and connecting Atlantis to the cultural

and economic life of the Pegasus galaxy, undermining its function in the aired series as

merely an outpost of Earth, parasitically funneling knowledge, technology, and

resources to the Milky Way without giving much of anything in return. Yet, because of

its multi-vocal form, told through many conflicting historical accounts, this anti-

colonial critique may become muddled in Written by the Victors’ written form. Partly

because the vid version cuts many of the novel’s events and focuses almost exclusively

on the political plot, the multicultural message of the story becomes much more

strikingly central. One of the key artistic choices creating this effect is the vidder’s use

of descriptions emphasizing intellectual talent paired with images of Teyla and Ronon,

the team’s two alien members, portrayed by actors of color. Especially for Ronon, these

descriptions, including “visionary”, “brilliant”, and “impeccable political judgment”,

reverse the stereotypical portrayal of these characters as primitive warrior figures in

the original series, reiterating over and over that they have more to offer than brawn.

Taken alone, the vid reverses common Western structures of representation by

repeatedly associating characters of color with intellectual attributes. Experienced as a

serial installment in relation to the Written by the Victors novel, the vid selects and

intensifies the impact of the novel’s anti-colonial themes and reinterpretation of

Ronon’s characterization. Connected to a larger series that includes the original

Stargate episodes and other fan works, the vid functions as a critique not only of

common cultural tropes, but of the specifically painful way Stargate has repeatedly cast

characters of color to play the same primitive stoic warrior role, and resonates against

the many ways that fans have reproduced, critiqued, and reinterpreted those

characterizations across time and across many forms of media.

26 In the other direction, the “Don’t Ask, Don’t Tell” or DADT policy of the American

military also strongly influenced fans’ explorations and interpretations of the Stargate

franchise. Despite the international character of the expedition and the presence of an

often antagonistic organization called the International Oversight Advisory (or IOA),

most professional versions of Stargate repeatedly emphasize the importance of keeping

the titular Stargate under American control. Its location in Colorado inside an

American military base thereby sets an expectation that although the Atlantis mission

includes personnel from around the world, American law and culture still hold

considerable sway, presumably including the DADT regulation which at the time that

Stargate: Atlantis aired supposedly allowed LGBTQ people to serve in the military if they

remained closeted, but in actuality resulted in a higher rate of military discharge on

the grounds of sexuality than the previous policy which completely forbid service by

LGBTQ personnel26. In addition, none of the characters on Stargate overtly identified as

LGBTQ, although after the series ended producers retroactively classified two

secondary characters as gay and lesbian27. Numerous slash stories and vids set within

the Stargate multiverse such as “Dreams” by Newkidfan thereby explore the pressures

and dilemmas faced by LGBTQ personnel of the Atlantis expedition living under DADT,

and how such individuals might navigate relationships both with colleagues and

potential lovers28. The political marriage that became the public mask of John and

Rodney’s relationship in Written by the Victors thereby resonates against multiple real-

TV/Series, 6 | 2014

225

world and fan written histories and stories of closeting, and the vid’s micro-citation of

those dynamics acts as both a reference and performance of the closet since it only

identifies the John/Rodney relationship to those already in the know.

27 Furthermore, “Written by the Victors” can also be situated within an artistic

movement in vidding toward increasingly experimental aesthetics combining words,

manipulated images and video, as well as increasingly original storylines and artistic

positions vis-a-vis the published material. To some extent this movement can be

observed in many fandoms, but it became a particularly important strand within

Stargate: Atlantis vidding, which one might even call a coherent artistic “school.” Once

again, one need not pin down a definitive timeline or canon since seriality in this sense

does not require a single linear progression; yet several vids became important

touchstones within this stylistic turn, any constellation of which could enrich and

contextualize “Written by the Victors.” For example, the John/Rodney vids “Scrapbook

of my Life” by Mamoru22, “My Brilliant Idea” by Lim, and “2 Atoms in a Molecule” as

well as “Absolutely Cuckoo” by Zoetrope, make extensive use of computer generated,

drawn, and manipulated images, to the degree that many frames consist mostly of

original rather than repurposed content29. Kiki Miserychic’s “Blue”, “Ambushed” by

Newkidfan, and “Wallpaper” by Lim create a kind of visual poetry employing thick

image overlays and repetition30. They utilize a series of largely static images and words

to meld the fiction and video formats, developing a kind of word and image collage

form, especially promoted by the Art/Word challenges which asked fans to transcend

the limiting separation between written and audio-visual media31.

28 In addition, many vidders increasingly also used external video to construct narratives

that confront the storytelling limits of the footage provided by the source. For example,

“Mission Report” by Lim uses primarily nature footage and words, and “Dreams” by

Newkidfan also uses nature footage as well as other films to reexamine the kinds of

stories that can be told in a fan vid32. In addition, Newkidfan’s John/Rodgey vid “The

Tree” became perhaps the most well-known of this experimental school of Stargate:

Atlantis vidding 33. In “The Tree” Newkidfan constructs extensive animated original

material and uses a primarily white frame to isolate only select images from the source.

Over the course of the vid the largely black, white, and blue images show Rodney

increasingly alone as he is dwarfed by the empty white frame after John rejects him. In

desperation and sadness he becomes a tree, watered by oppressive rain that mirrors his

own tears, rooted to the spot where his lover abandoned him. In the last frame a

retreating John is slowly engulfed by the roots and branches growing from Rodney’s

sorrow. The aesthetic choices in “The Tree” become additionally resonant for audience

members who view it in a sequence with a pair of other Canadian productions: the film

Nothing (2003) directed by Vincenzo Natali and also starring David Hewlett, which

utilizes aesthetic minimalism through which the protagonist’s emotional state erases

the world, dominating the frame with white emptiness, and Treed Murray (2001) ,

directed by William Phillips, in which David Hewlett’s character spends the bulk of the

storyline stuck in a tree after climbing there to escape an assault.

29 Watching any series of these vids and films provides viewers a sense of the developing

aesthetics within Stargate: Atlantis vidding in particular, and the broader vidding

culture as well. That sequence of serial encounters provides audience members with an

information-heavy history within which “Written by the Victors” gains increasing

complexity; unlike most academic interest in complex “Quality TV” focused on the

TV/Series, 6 | 2014

226

vision of a central showrunner, complexity in fan narratives, and perhaps all

transmedia narratives, develops in cooperation between the individual fan artists’ and

authors’ design and the audience’s active construction of connections between media,

as well as the community’s facilitation of a space where the publication and discussion

of interlinked amateur content becomes possible. However, viewers with less

information can still interact pleasurably with individual fan works like “Written By

the Victors”, and regardless of the probability, “truth”, or compatibility of various

narrative elements, some viewers may choose to disregard some of the information

they’ve encountered in order to retain a more pleasurable viewing position. For

example, rather than import the real world injustices of the DADT regulation into a

fictional galaxy, some fans prefer to discard that interpretive lens and construct

Atlantis as a utopian haven for free sexual expression and experimentation. Indeed,

some fans deliberately cultivate a series of interactions with fan and professional texts

that reinforce the interpretative framework they find most pleasurable. They are not

“wrong” to do so, but instead exploit an open narrative system’s ability to support

numerous expansions, contradictions, and investments. Fans thus exert control over a

flexible, multiple transmedia narrative by choosing how to navigate its many timelines

and forms of media, and additionally by deciding which information from those

encounters to incorporate into their own unique serial trajectory. A full understanding

of fan works therefore requires consideration of their construction and function at the

apex of multiple flexible serial readings.

5. Latent Seriality and Cultural Critique: Political,Aesthetic, and Emotional Serial Effects

30 Finally, fan works also uniquely analyze and reconfigure the serial effects of tropes

found not only within a particular transmedia multiverse, but also across the breadth

of popular culture. By remixing and reimagining repeated structures of representation,

fan works often call attention to latent forms of seriality within popular culture as a

collective whole. Genres, tropes, and structures of representation are never created in

one instance out of whole cloth, but instead are assembled one at a time, and

experienced by viewers one at a time in an unpredictable and unique order. Yet, taken

together this latent, unplanned form of serial repetition has strong social, artistic, and

ideological power. In ideological critiques of the mass media, it is difficult to nail down

any one representation to blame for the stereotypical and limited way in which women,

minorities, and Othered subjects appear in television, film, and music. Indeed, no single

representation can be all things for all people and each fails to fully and realistically

represent entire social groups, instead offering a mixed ideological landscape of both

regressive and progressive choices. Individual representations rarely become

politically problematic or powerful completely in isolation, but instead because they fit

within a much larger pattern of serial repetition found across history and across many

forms of media. By re-presenting collections of clips and tropes from many different

sources, some forms of fan creative work can reframe these isolated moments,

narrating them as part of a coherent process of serial repetition, and thereby act as an

important form of aesthetic commentary and media criticism.

31 In many cases, multi-fandom vids that chronicle a series of repeated tropes throughout

history have an overtly political purpose and message. Sometimes these collections

TV/Series, 6 | 2014

227

serve to gather evidence demonstrating just how pervasive a particular plot device has

become. Thus, in her vid “Stay Awake”, Laura Shapiro brings together clips from nine

science fiction series showing at least ten major incidents of forced impregnation,

sterilization, and other devices that turned main female characters to incubators34.

That these examples all come from the period from 1990 through 2010 only further

underscores how often series portray pregnancy as a form of horror or torture, and

how writers choose to reduce even otherwise strong and prominent female characters

to their female biology. Taken separately, each of these series may appear to have good

narrative reasons for using such plots, and most of these female characters recovered

from their reproductive trauma to continue growing and actively contributing to other

stories. Yet isolating and presenting these events as a series allows audiences to

experience the cumulative impact of these events throughout time. Watching the

bodies of intelligent, competent women turned against them over and over again

powerfully argues that the message such plot choices send casts the female body as

vulnerable and frightening, making female characters constantly susceptible to the

cruel whims of biology in a way that their male counterparts are not, since few if any of

these series ever included similar plots involving male impregnation or external forces

that steal male characters’ reproductive choices. However, without “Stay Awake” the

prevalence of these plot structures might easily pass unnoticed because their repetition

occurred across the span of two decades. By narrating them together into a single story

about what happens to women’s bodies on screen, Shapiro lays bare the perhaps

unconscious but still powerful cumulative effects of this series35.

32 Some overtly political vidding projects simultaneously critique a history of limited and

stereotypical depictions while also recovering and collecting counter-images

celebrating more affirmative representations. “Space Girl” and “I’m Your Man” by

Charmax as well as “Around the Bend” by Danegen each attempt to excavate both

histories of silence and misrepresentation, alongside histories of rebellion and

affirmation36. While “I’m Your Man” charts the history of lesbian representation, both

“Space Girl” and “Around the Bend” take up the question of women’s mobility, both

literally and metaphorically in terms of women’s access to transportation technologies,

but also the social mobility and independence implied by the ability to explore the

world, or even the universe. Collecting images throughout history of female characters

from science fiction in “Space Girl”, and women primarily with cars but also

motorcycles, planes, and spaceships in “Around the Bend”, these vids reexamine the

popular culture archive to find joyful moments when women and machines interact to

produce representations of women with technical skill, expansive lives, and a shared

community of other hyper-mobile female friends. “Around the Bend” in particular

builds a strong story about an inclusive community of women who love their cars,

motorcycles, and planes by incorporating fictional and real life examples of women of

all ages and racial or ethnic backgrounds, as well as transwomen. Yet these projects

also contain traces of the historical and contemporary limitations that made such

images relatively rare and excluded women from technical professions. Near its end

“Around the Bend” shows a magazine cover depicting professional race car driver

Danica Reys with the caption “Yes She Can.” In one sense this image affirms that

women can and do drive race cars just as well as men and the subtitle “Danica Reys Up

for Indy” attests to women’s inclusion at the top of the profession. However, the very

need to have a cover declaring “Yes She Can” also brings to mind echoes of the social

forces that for so long made “no she can’t” the reality of many women. The vid thereby

TV/Series, 6 | 2014

228

positions its citation of historical and fictional women who love motors, from early

aviators to modern “dykes on bikes” groups, against that shadow “no she can’t”,

transforming the vid from a random collection of themed clips into a political

statement about the imperative to keep loudly claiming women’s right to be in the

driver’s seat.

33 “Space Girl” likewise incorporates the history of women’s exclusion from both science

and science fiction in the lyrics of its soundtrack which repeatedly recount the

speaker’s mother warning her to keep away from space followed by her refusal to heed

that restraint. Thus the song’s first lines stating “My mama told me I should never

venture into space, / But I did, I did, I did”, structures the problematic of the vid’s

images, which recover a history of simultaneous presence and absence. The dream of

mobility and an expansive life full of adventure represented by the female characters of

“Space Girl” not only characterizes the desire for more women in science fiction

narratives, but may also represent the voice of the female science fiction fan, vocalizing

her awareness of social forces that exclusively gender science fiction and science

occupations as male pursuits, followed by her insistence on the right to follow her

imagination and “venture into space.” Thus, like “Around the Bend”, “Space Girl”

positions its characters and viewers against an implicit understanding that they often

disappear from official histories of science and science fiction, making the narration of

this series into a coherent collection again not a random assembly of similar images,

but instead a strident insistence that these women exist. “I did” in this case speaks

against the shadow script “you didn’t”, which would argue that women have not been

present in the history of science and science fiction and that women inherently have no

interest in these genres and pursuits.

34 Like “Stay Awake”, “Around the Bend”, and “Space Girl”, “I’m Your Man” also identifies

forms of serial repetition throughout the history of popular culture, bringing into

contact images that had been scattered by the passage of time. “I’m Your Man”, also by

Charmax, charts the history of lesbian representations, many of which include

stereotypes, ranging from the repeated aesthetic characteristics of female cross-

dressing to the unfortunate propensity for lesbian characters to die by murder or

suicide at the story’s close. The vid deconstructs these serial forms as destructive, while

at the same time offering the possibility of recognition for people overwhelmingly

underserved by mainstream media. Opening with a title sequence culminating in the

statement “A Celebration of Media Clichés”, “I’m Your Man” attests that, despite their

sometimes painful content, some of these stereotypical representations may also offer

pleasures because they at least allowed lesbian women to see themselves on screen in

some form. Importantly, many of the images collected by Charmax play at the very

edge of lesbian visibility and invisibility because within their original narrative context

the characters’ identities, desires, and relationships remained subtextual. However, by

placing them in a series with much more overt scenes, Charmax explicitly positions

these fragments as instances of desire between women, visualizing the archive of

images reclaimed and eroticized by generations of LBTQ audiences. By reconnecting

these cultural scraps and narrating their serial structure, all of these vids allow

audiences a unique opportunity to question the collective affects of repeated

representations and absences across history, and across media forms.

35 Yet not all multi-fandom vidding projects contain overtly political messages. Others

collect aesthetic or narrative serial structures that would otherwise remain implicit

TV/Series, 6 | 2014

229

across representations, while some unearth the emotional weight of serial structures

that evade articulation in any other form. In “Flow” Lim thematizes the aesthetics of

flexible serial transmedia narration37. By sampling from several contemporary

representations of the detective figure, all of which have cult audiences, Lim exposes a

surprising level of underlying similarity. Partly because these all include complex

mastermind or puzzle plots Lim is able to meld each series’ use of visual information

management into one overall conspiratorial collection of ordered and hidden

information. She also draws upon repeated gestures and locations, to the point that in

one sequence characters from two different shows appear to catch and throw each

other the same rubber ball. Yet in addition to the coincidence of thematic and visual

repetition, the title “Flow” also connects the vid to a classic concept in media studies:

Raymond Williams’ theory that television schedules structure a flow of images that

encourages the audience to keep watching one show after another in sequence38. The

vid performs this sequencing, melding these series together by unifying them

artistically and connecting them all within the underlying aesthetic of information

visualization wherein all ultimately surrender and dissolve into the 0s and 1s of digital

code. These cyberaesthetics partly resonate with the characters’ analytic minds and the

shows’ puzzle plots, but also act as an acknowledgement of the vid itself as digital art

and the modern internet fan community as the force that unifies these perhaps

otherwise disparate narratives into one overall serial flow. “Filthy Mind” by Sol Se

demonstrates a similar principle, following a flow of repeated themes, images, and

locations across an enormous array of cultish media sources39. The vid works

aesthetically because these representations function as one meta-series wherein,

perhaps more often than one might expect, characters repetitively scream at locked

doors, wear black trench coats, display snake tattoos, dance at the same club, watch

themselves on each other’s televisions, run their hands along windows, and cringe

while it rains blood. The message of “Filthy Mind” contains no clear or obvious

ideological slant, but rather echoes the paranoid conspiracy aesthetics of Lim’s “Flow”

wherein the practice of viewing mass media turns into a kind of pleasurable déjà vu. In

“Filthy Mind” the flow of televisual images becomes a question not of discrete

narratives but of one overall serial multiverse wherein all characters and all stories

interact and repeat the same imagery.

36 Finally, some meta-vids, or vids about vidding and fandom, unearth the serial processes

of reception, identification, interpretation, co-authorship, and conversation by which

media images resonate with a vast network of collective emotional connections. The

collaborative vid “The Long Spear”, primarily edited by jmtorres and Niqaeli et al., was

published with the eventual byline “Holy cow, it’s harder to hear people cry than to

hear them laugh”, because so many audience members burst into tears while

watching40. The vid’s emotional power derives from its layering of many eras of

resonant Star Trek images over each other, some professionally produced and others

fan created, some referencing important plot moments and others referring to

important social practices of Star Trek fandom. More than anything the vid is a love

letter not only to the official texts of the Star Trek franchise, but more importantly to

the community that collectively invests Star Trek with meaning through their shared

interpretative practices and relationships with each other.

37 jmtorres explains that the title describes the way in which fannish or cult media

develops emotional weight over time through serialization, noting with regard to Lois

McMaster Bujold’s Vorkosigan novels, “how the later novels like Brothers in Arms and

TV/Series, 6 | 2014

230

Memory are that sharp point on the long spear, they have an emotional impact because

of the history of the other novels they carry. I consider the Star Trek Reboot movie to be

the sharp point41.” By visually layering the history of older professional and fan created

Star Trek narratives onto video clips from the new Star Trek reboot film (2009) the

vidders formally show the way that fans watch cult media, allowing all the connections

made by an information-heavy viewer to float to the surface of the screen. At first these

images associate the new Star Trek reboot actors with the actors who played the same

character in the original series, showing the way these images bleed into each other for

a viewer who watched these in sequence. Then the vid’s premise widens to incorporate

not just memory of the same characters’ previous lives, but also all the many

characters from every version of Star Trek who all seem to walk through the bridge of

the Enterprise together, followed by integration of other Star Trek story world space

ships as well, pulling together the many diverse memories and emotional investments

of different generations of Star Trek fans, so that each may recognize “their Trek”

overlapping and joining together into one communal mythology.

38 Yet fans themselves and fan media are also present from the very beginning of the vid.

In her article “Women, ‘Star Trek,’ and the Early Development of Fannish Vidding”,

Francesca Coppa relates the story of Star Trek’s original pilot which included a female

First Officer who would later be replaced by First Officer Spock because test audiences

found a woman in such a position of authority implausible42. The actress who played

the original Number One, a woman too strong and analytic to be believed at the time,

became the voice of the Enterprise, the secondary character Nurse Chapel, and

eventually Mrs. Gene Roddenberry when she later married the creator of Star Trek.

Coppa argues that vidding echoes this mixed legacy of women in Star Trek because as a

predominantly female community vidding requires the very technical skill that test

audiences found unbelievable in women, and powerfully comments on a genre that

marginalized women from its inception by re-centering women’s desires and

perspectives. This history appears twice in “The Long Spear”, as Number One becomes

part of the collage of memories haunting the Enterprise, but also in the very opening

frames when the vid starts with an argument between Captain Kirk and his

misbehaving ship computer, which uses Number One’s analytic yet female voice to both

compute and sexualize the captain, insistently calling him “Dear” while performing the

equations he requested. Just as Coppa described, the vid begins by positioning vidders

and female fans in this dual role of analysis and desire wherein technological mastery

becomes a tool of communal artistic pleasure.

39 That this is a communal and collective practice reverberates throughout the vid, not

only because it was collaboratively edited, but also because it includes a section sung by

a fan, images from fan works, images representing fans, and images of fans themselves.

The soundtrack of the vid segues between “The Boxer”, “Both Sides Now”, and “Dante’s

Prayer” sung by a digital mix of Simon and Garfunkel, Joni Mitchell, Loreena McKennit,

and a fan. At the beginning as Simon and Garfunkel sing about “a poor boy whose

story’s seldom told” the vid shows an ironic juxtaposition of Chris Pine as the new film

version of Captain Kirk interspersed by images of women in 1960s-style fashions

reading and writing, an allusion to the many female fans who loved the original Star

Trek and loved each other’s often erotic reinterpretations enough to found the first

communities for transformative fan works. These fannish foremothers both loved the

text and fundamentally changed it by leaving a legacy of their own desires and dreams

layered upon the professional work. Thus the vid frames all that follows through the

TV/Series, 6 | 2014

231

lens of their passions, as later fans who read fan works knowingly or unknowingly

benefit from the community infrastructure and artistic experiments of those original

female fans.

40 As the vid proceeds, the music changes to “Both Sides Now” and the images double,

placing a series of small square pictures over the corner of video from the reboot film.

The pictures come from “Both Sides Now” by Kandy Fong, the first vidder and one of

the first vids ever made, and “Dante’s Prayer” by Killa, one of the early vids made on a

computer43. These sequences again recall founding moments in the history of Star Trek,

slash and creative fan communities, not only because they are often remembered as

“firsts”, but also aesthetically as the frame depicts the slide projector format. Seeing

these fan works layered upon the professional film again reinforces the flexible

seriality of transmedia narration by visualizing the rich associations that spring out of

the image for fans with knowledge of interconnecting webs of professional and fan

story components. Such fans situate the new Star Trek not only at the apex of the

official professional multiverse, but also within a flexible, multiple transmedia

multiverse that has been fundamentally reinterpreted and transformed by fan works

and practices.

41 To underscore this point, the vid ends by pulling images of actual fans out of the frame.

The section begins with Leonard Nemoy as the original Spock and Zachary Quinto as

the new Spock holding up their hands to each other in the Vulcan salute, meaning

“Live long and prosper.” From within Spock’s hand other images emerge of all the Star

Trek captains making the same gesture. Then between the two Spocks more Vulcan

salutes emerge, first by celebrities and President Obama, then a torrent of female fans

suddenly fills the screen, all making the gesture for “Live long and prosper”, each

claiming space within the frame, within the Star Trek fan community, and within the

ongoing story. The words of the song that play over the shared Vulcan greeting state in

a computer-enhanced multiple voice “we are more or less the same”, making a strident

claim that all these fans, and all these professional and fan images, are unified and

equal within the overall multivocal and multi-linear narrative. They all sing Star Trek

together.

6. Narrative Investments across Media, Space, andTime

42 Fan works incorporate a layered history of numerous stories, desires, investments, and

connections. Considering fan works as a form of transmedia seriality both aids in

understanding the styles, aesthetics, and function of modern transmedia serial

narration in its corporate and amateur forms, and focuses attention on audiences’ role

in the construction of serial effects. Coming to grips with fan works’ avoidance of any

centralized authority or canon that could provide (illusory) coherence and order to the

narrative’s pathway requires a flexible, multiple approach to serial forms. Thus in a

transmedia serial multiverse, audience members traverse narrative strands both across

media and across timelines, limited not (or not only) by a principle of realness, truth,

coherence, or compatibility, but by cultivation of a serial trajectory that they uniquely

find interesting and pleasurable to explore. Fans frequently navigate through and

between franchises, and that refusal of boundaries between media properties, and

possible and “impossible” worlds, facilitates an additional approach to media analysis

TV/Series, 6 | 2014

232

as a consideration of the serial effects of representations, stereotypes, and emotional

investments across professional and amateur media history. Unpacking the transmedia

serial structures within fan works thus reveals the complex narratives constructed by

fan communities ever since their “old media” story worlds crossed from slide projector

to song to VHS to print to spoken word, and back again, while also demonstrating the

vast richness of experience, aesthetics, and affect at play in fan engagement with

transformative works.

BIBLIOGRAPHY

“J.K. Rowling at Carnegie Hall Reveals Dumbledore is Gay; Neville Marries Hannah Abbott, and

Much More”, 2007, hosted by The Leaky Cauldron, http://www.the-leaky-cauldron.org/

2007/10/20/j-k-rowling-at-carnegie-hall-reveals-dumbledore-is-gay-neville-marries-hannah-

abbott-and-scores-more, May 10th, 2013.

“JK Rowling World Book Day Chat”, 2004, hosted by Mugglenet. http://www.mugglenet.com/

jkrwbd.shtml, May 10th, 2013.

“Michelle Obama Gets ‘Downton Abbey’ Season 3 Early”, Huffington Post, November 13th, 2012,

http://www.huffingtonpost.com/2012/11/13/michelle-obama-downton-abbey_n_2124284.html,

May 13th, 2013.

“Writers Cannot do Math”, hosted by TV Tropes, http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/

WritersCannotDoMath.

Air Force News, “Stargate SG-1 Movie - Cast filming with the U.S. Air Force”, 2007, Hosted by

YouTube, Uploaded by EMS808. http://www.youtube.com/watch?v=PyBs_aGa7-0, May 16th, 2013

BARTHES Roland, “The Death of the Author”, Image, Music, Text, New York, Hill & Wang, 1967

(1977), p. 142-148.

BHAGWATI Anuradha K., “Sexism and Racism Lurk in Don’t Ask, Don’t Tell Enforcement”, “It’s a

Free Blog”, WYNC, New York Public Radio, 2010, http://www.wnyc.org/blogs/its-free-blog/2010/

nov/30/sexist-and-racist-lurk-dont-ask-dont-tell-enforcement/, May 15 th, 2013.

BINDER Carl, “Critical Mass”, Andy Mikita (dir.), #213 Stargate: Atlantis, December 5th, 2005.

DE CERTEAU Michel, “Walking in the City”, The Practice of Everyday Life, Berkeley, University of

California Press, 2011 (1980), p. 91-110.

CHARMAX, “I’m Your Man”, 2008.

--, “Space Girl”, 2011.

COPPA Francesca, “Women, Star Trek, and the early development of fannish vidding”,

Transformative Works and Cultures, No. 1, 2008. http://journal.transformativeworks.org/

index.php/twc/article/view/44.

DANEGEN, “Around the Bend”, 2010.

TV/Series, 6 | 2014

233

EDELSBURG Natan, “Why First Lady Michelle Obama Shouldn’t Have Watched Season Three of

Downton Abbey Before it Aired in the U.S.”, Lost Remote, December 21th, 2012. http://

lostremote.com/why-first-lady-michelle-obama-shouldnt-have-watched-season-three-of-

downton-abbey-before-it-aired-in-the-u-s_b35708, May 13th, 2013.

FORCRYINOUTLOUD, “2007 Winners: McKay/Sheppard FanFiction & FanArt Awards”, 2007 Mcshep-

Awards, hosted by Livejournal, http://mcshep-awards.livejournal.com/41522.html, May 16th,

2013.

FOUCAULT Michel, “What is an Author?”, Paul Rabinow (ed.), The Foucault Reader, New York,

Pantheon Books, 1969 (1984), p. 299-314.

FRANK Nathaniel, “Research Note Assessing ‘Homosexuals and U.S. Military Policy: Current Issues’

a Congressional Research Service Report for Congress”, Palm Center Whitepaper, 2005.

GATES Gary J., “Discharges Under the Don’t Ask/Don’t Tell Policy: Women and Racial/Ethnic

Minorities”, The Williams Institute on Sexual Orientation and Gender Identity Law and Public

Policy at UCLA School of Law, 2010.

HILLS Matt, Fan Cultures, London, Routledge, 2002.

JARROW and SDWOLFPUP, “Stranger in a Strange Fandom”, 2007-2009, hosted by Livejournal, http://

strangefandom.livejournal.com, December 15th, 2010.

JENKINS Henry, Textual Poachers: Television Fans and Participatory Culture, New York, Routledge, 1992,

Twentieth Anniversary Edition, 2013.

JMTORRES and NIQAELI et al., “The Long Spear”, 2009.

JMTORRES, “Vid Announcement: Star Trek, The Long Spear”, 2009, hosted by Dreamwidth, http://

jmtorres.dreamwidth.org/1366457.html, May 10th, 2013.

JOHNSON, Mark, “The Narrative Context of Self and Action”, Moral Imagination: Implications of

Cognitive Science for Ethics, Chicago, University of Chicago Press, 1993, p. 150-184.

JONES, Sara Gwenllian, “Serial Form”, Routledge Encyclopedia of Narrative Theory, London, Routledge,

2005.

JONESY T. and Killa, “Closer”, 2004, http://fanlore.org/wiki/Closer_%28Star_Trek_vid%29.

KANDY FONG, “Both Sides Now”, 1980.

KIKI MISERYCHIC, “Blue”, 2008.

KILLA, “Dante’s Prayer”, 2001.

KUSTRITZ Anne, “Re: Public Sphere Theory”, Discussion following “Gender and Fan Culture (Round

Thirteen): Anne Kustritz and Derek Johnson“, 2007, hosted by Fandebate on Livejournal,

http://fandebate.livejournal.com/5330.html?thread=181458#t181458, August 31th, 2007.

LAURA SHAPIRO, “Stay Awake”, 2010.

LEAVENWORTH, Maria Lindgren, “Transmedial Texts and Serialized Narratives”, Textual Echoes,

special issue “Transformative Works and Cultures”, Vol. 8, 2011, doi:10.3983/twc.2011.0361.

LIM, “Flow”, 2013.

--, “My Brilliant Idea”, 2007.

--, “Mission Report”, 2006. http://fanlore.org/wiki/Mission_Report.

TV/Series, 6 | 2014

234

--, “Wallpaper”, 2006.

Mamoru22, “Scrapbook of my Life”, 2008.

MITTELL Jason, “Narrative Complexity in Contemporary American Television”, Velvet Light Trap,

No. 58, Fall 2006.

DE MORAES Lisa, “Did Michelle Obama Pull Strings to Get the Third Season of ‘Downton Abbey’

Before U.S. Launch?”, The Washington Post. November 13th 2012. http://

www.washingtonpost.com/blogs/tv-column/post/did-michelle-obama-pull-strings-to-get-the-

third-season-of-downton-abbey-before-us-launch/

2012/11/13/62639cd8-2def-11e2-89d4-040c9330702a_blog.html, May 13th, 2013.

MORTIMER Jane, “The Advantages of Fan Fiction As an Art Form: A Shameless Essay”, hosted by

AOL, September 20th, 1997, http://members.aol.com/janemort/fanfic.html, January 10th, 1998.

NEWKIDFAN, “Ambushed”, 2007.

--, “Dreams”, 2006.

--, “The Tree”, 2007.

NEWKIDFAN (founder), “Art/Word”, 2006, hosted by Livejournal. http://fanlore.org/wiki/Artword.

PAGE Ruth, “Seriality and Storytelling in Social Media”, in StoryWorlds: A Journal of Narrative Studies,

Vol. 5, 2013, p. 31-54.

PERENSON Melissa J., “Flair Force: Real-life Bluesuiters Advise the ‘Stargate SG-1’ Team”, The

Hollywood Reporter, September 4-10, 2001, p. S-11.

RUSSO Julie Levin, “User-Penetrated Content: Fan Video in the Age of Convergence”, Cinema

Journal, 48.4, Summer 2009, p. 125-130.

RYAN Marie-Laure, “Possible-Worlds Theory”, Routledge Encyclopedia of Narrative Theory, London,

Routledge, 2005, p. 446-450.

--, “Transmedial Storytelling and Transfictionality”, Poetics Today, Vol. 34, No. 3, 2013, p. 361-388.

SCOLARI Carlos Alberto, “Transmedia Storytelling: Implicit Consumers, Narrative Worlds, and

Branding in Contemporary Media Production”, International Journal of Communication, Vol. 3, 2009,

p. 586-606.

SLEEPWALKER FISH, MONANOTLISA, ASTRID V., and AVERILLOVESSEV, “Victorsverse Art and Artifacts:

Including the Ars Atlantiadae as well as Earth Documents”, hosted by Speranza, via Trickster,

http://trickster.org/speranza/cesper/victorsverse.html, May 16th, 2013.

SOL SE, “Filthy Mind”, 2007.

SPERANZA, Written by the Victors, 2007, hosted by Trickster, http://trickster.org/speranza/cesper/

Victors.html, May 15th, 2013.

Stanford Center for Internet & Society, “Harry Potter in the Restricted Section, NoticeID 522”,

2002, hosted by Chilling Effects.

VAN STEENHUYSE Veerle, “The Writing and Reading of Fan Fiction and Transformation Theory”,

CLCWeb: Comparative Literature and Culture, Vol. 13, No. 4, 2011, http://dx.doi.org/

10.7771/1481-4374.1691.

WARNER Michael, Publics and Counterpublics, Brooklyn, New York, Zone Books, 2002.

TV/Series, 6 | 2014

235

WILLIAMS Raymond, “Programming: Distribution and Flow”, Television: Technology and Cultural

Form, New York, Routledge, 1974, p. 77-120.

WOERNER Meredith, “So Who’s Gay On Stargate Atlantis?”, hosted by io9, December 12th, 2008,

http://io9.com/5107866/so-whos-gay-on-stargate-atlantis, May 14th, 2013.

ZOETROPE, “2 Atoms in a Molecule”, 2008.

--, “Absolutely Cuckoo”, 2006.

ZUEL Bernard, “Not So Shiny: Plenty of drama for Buffy creator Joss Whedon”, The Sydney Morning

Herald, Entertainment Section, August 5th 2010, http://www.smh.com.au/entertainment/tv-and-

radio/not-so-shiny-plenty-of-drama-for-buffy-creator-joss-whedon-20100825-13r81.html, May

10th, 2013.

ZULU, “Written by the Victors”, 2007.

NOTES

1. It should be noted that this article primarily addresses the production of transformative works

by organized groups of fans who see themselves as part of a community. Some of these

conclusions may apply to other types of fans and other fan practices, especially at the level of

metaphor, but they are grounded in the reflexive circulation of fan fiction, fan art, and fan vids.

2. Marie-Laure Ryan, “Transmedial Storytelling and Transfictionality”, Poetics Today, Vol 34,

No. 3, 2013, p. 361-388.

3. Harry Potter (2001-2011), Battlestar Galactica (Sci-Fi Channel, 2003-2012), Buffy the Vampire Slayer

(20th Century Fox and the WB, 1997-2003), Firefly (20th Century Fox, 2002-2003), Dollhouse (20th

Century Fox, 2009-2010).

4. While the author’s ideological authority creates a sense of coherence across multiple storylines

and media platforms, their public skirmishes with the media corporations who actually own and

produce these media often undermines that illusion, as do the author’s momentary lapses and

mistakes. Rowling’s book and film publishers often acted against her fans on matters of

intellectual property in contradiction to her own stated wishes, while Rowling’s contradictory

statements about the characters’ ages and retroactive back stories also internally destabilize a

unitary vision of the Harry Potter universe. Similarly, Joss Whedon’s very public disputes with his

television series’ networks over decisions that seriously alter his intended storylines leverage the

author’s authority not to provide overall coherence to a fragmented story world, but to further

delegitimize the published text.

“J. K. Rowling at Carnegie Hall Reveals Dumbledore is Gay; Neville Marries Hannah Abbott, and

Much More”, 2007, Hosted by The Leaky Cauldron. http://www.the-leaky-cauldron.org/

2007/10/20/j-k-rowling-at-carnegie-hall-reveals-dumbledore-is-gay-neville-marries-hannah-

abbott-and-scores-more, last consulted on May 10th, 2013.

“JK Rowling World Book Day Chat”, 2004, Hosted by Mugglenet. http://www.mugglenet.com/

jkrwbd.shtml, last consulted on May 10th, 2013.

Stanford Center for Internet & Society, “Harry Potter in the Restricted Section, NoticeID 522”,

2002, Hosted by Chilling Effects. http://www.chillingeffects.org/fanfic/notice.cgi?NoticeID=522,

last consulted on May 10th, 2013.

“Writers Cannot do Math”, hosted by TV Tropes. http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/

WritersCannotDoMath, last consulted on May 10th, 2013.

Bernard Zuel, “Not So Shiny: Plenty of drama for Buffy creator Joss Whedon”, in The Sydney

Morning Herald, Entertainment Section, August 25th 2010. http://www.smh.com.au/

TV/Series, 6 | 2014

236

entertainment/tv-and-radio/not-so-shiny-plenty-of-drama-for-buffy-creator-joss-

whedon-20100825-13r81.html, last consulted on May 10th, 2013.

5. Maria Lindgren Leavenworth, “Transmedial Texts and Serialized Narratives”, Textual Echoes,

special issue “Transformative Works and Cultures”, Vol. 8, 2011. <doi:10.3983/twc.2011.0361>.

6. Roland Barthes, “The Death of the Author”, in Image, Music, Text, New York, Hill & Wang, 1967

(1977), p. 142-148.

Michel Foucault, “What is an Author?”, in The Foucault Reader, Ed. Paul Rabinow, New York,

Pantheon Books, 1969 (1984), p. 299-314.

7. Ryan, op. cit., p. 361-388. Carols Alberto Scolari, “Transmedia Storytelling: Implicit Consumers,

Narrative Worlds, and Branding in Contemporary Media Production”, in International Journal of

Communication, Vol. 3, 2009, p. 586-606.

8. Sara Gwenllian Jones, “Serial Form”, in Routledge Encyclopedia of Narrative Theory, London,

Routledge, 2005, p. 527. Ruth Page, “Seriality and Storytelling in Social Media”, in StoryWorlds: A

Journal of Narrative Studies, Vol. 5, 2013, p. 31-54.

9. “Michelle Obama Gets ‘Downton Abbey’ Season 3 Early”, in Huffington Post, November 13th

2012.http://www.huffingtonpost.com/2012/11/13/michelle-obama-downton-

abbey_n_2124284.html, last consulted on May 13th, 2013.

Lisa de Moraes, “Did Michelle Obama Pull Strings to Get the Third Season of ‘Downton Abbey’

Before U.S. Launch?”, in The Washington Post, November 13th, 2012. http://

www.washingtonpost.com/blogs/tv-column/post/did-michelle-obama-pull-strings-to-get-the-

third-season-of-downton-abbey-before-us-launch/

2012/11/13/62639cd8-2def-11e2-89d4-040c9330702a_blog.html, last consulted on May 13th, 2013.

Natan Edelsburg, “Why First Lady Michelle Obama Shouldn’t Have Watched Season Three of

Downton Abbey Before it Aired in the U.S.”, in Lost Remote, December 21th, 2012. http://

lostremote.com/why-first-lady-michelle-obama-shouldnt-have-watched-season-three-of-

downton-abbey-before-it-aired-in-the-u-s_b35708, last consulted on May 13th, 2013.

10. Jason Mittell’s article illustrates the increasing interest among scholars in the emergence of

innovative narrative forms on television, marking a shift in the traditional artistic valuation of

film over TV toward what is often termed “Quality TV.” However, to do so Mittell also discounts

the “complexity” of many standard, often feminized TV forms, including the soap opera, which

certainly relies on very complex narrative maneuvers. Such works thereby often tie the

“complexity” concept to problematic definitions of “quality”, cultural value, and classed western

expectations about narrative and drama. The type of complexity produced by both fan and

corporate transmedia often challenge expectations about “quality” narration both because of

their experimental, user-driven form, and by their common refusal of many of the familiar

satisfactions of dramatic structure and narrative closure. Cf. Jason Mittell, “Narrative Complexity

in Contemporary American Television”, in Velvet Light Trap, No 58, Fall 2006.

11. Jane Mortimer, “The Advantages of Fan Fiction As an Art Form A Shameless Essay”, hosted by

AOL, September 20th, 1997, http://members.aol.com/janemort/fanfic.html.

12. Jarrow and Sdwolfpup, “Stranger in a Strange Fandom”, 2007-2009, hosted by Livejournal.

http://strangefandom.livejournal.com, last consulted on December 15th, 2010.

13. Veerle Van Steenhuyse applies Possible World Theory to fan fiction in her analysis of

narrative immersion, wherein she argues that readers of fan fiction narratives must find that the

characters, settings, and situations ring true and thus remain “possible”, in comparison to their

own personal cannon and the developing canon of the community. The theory developed here

shifts her work only slightly by questioning the hierarchical relationship created between texts

by the ontological question of the characters,’ settings,’ and situations’ ultimate “truth”,

“reality”, or relative “possibility” versus “impossibility”, replacing these concepts with an

egalitarian model of pleasurability, wherein all texts remain valid, even when ontologically

contradictory. In addition, this model foregrounds the problematic that members of fan

TV/Series, 6 | 2014

237

communities never share an identical baseline, and that what “rings true” or feels most

pleasurable to one reader will be completely wrong or unpleasurable to many others. This

contradiction means that the community as a whole never processes the narrative around one

fixed core, but instead becomes a space where numerous contradictory versions peacefully co-

exist.

Van Steenhuyse, “The Writing and Reading of Fan Fiction and Transformation Theory”, CLCWeb:

Comparative Literature and Culture, Vol. 13, No. 4, 2011. http://dx.doi.org/10.7771/1481-4374.1691.

Marie-Laure Ryan, “Possible-Worlds Theory”, in Routledge Encyclopedia of Narrative Theory,

London, Routledge, 2005, p. 446-450.

14. Fans who begin at different points in the multiverse, or who simply prefer different character

details, will thus accumulate different baselines. Only some fans will deem yellow spandex or a

particular height as fundamental parts of Wolverine’s character. The serial narratives these fans

collect will therefore resonate differently with the new representations they experience,

depending upon both which information they have encountered previously, but also which

elements they most value and enjoy.

15. This definition of narrative remains deliberately ambiguous and loose, partly to reserve space

for future narrative experimentation and the diversity of non-western narrative traditions, but

also to center the importance of audience interpretation and production in the process of

meaning creation. The increasing looseness of transmedia narrative stories emphasize Michel De

Certeau’s principle that, regardless of authorial intent and artistry, individual viewers, readers,

and listeners will cultivate their own unruly investments and narrative paths. Understanding

narrative thereby cannot remain at the level of the text’s formal properties, but also must

account for the way in which people make sense of the world. In this, a very loose definition also

follows from theories of narrative as the fundamental structure of human thought whereby

people make sense of the world by imposing coherence on the chaos of existence. Notably, this

definition refuses any clear separation between narrative and argument, art and rationality,

intervening in large-scale struggles about the place of poetics in politics as in Michael Warner’s

work, and specifically reworking the division between rationality and affect in fan cultures, as

discussed primarily by Matt Hills and Henry Jenkins. Within this approach, these divisions

become purely artificial, as Mark Johnson might argue that all human attempts to make

disparate events and actions coherent involve narrative elements.

Cf. De Certeau (1980, 2011), Johnson (1993), Hills (2002), Jenkins (1992, 2013) and Warner (2002).

16. Julie Levin Russo, “User-Penetrated Content: Fan Video in the Age of Convergence”, Cinema

Journal, Vol. 48, No. 4, Summer 2009, p. 125-130.

17. T. Jonesy and Killa, “Closer” (2004). http://fanlore.org/wiki/Closer_%28Star_Trek_vid%29,

last consulted on May 15th, 2013.

18. Speranza, Written by the Victors, 2007, hosted by Trickster, http://trickster.org/speranza/

cesper/Victors.html, last consulted on May 15th, 2013.

19. “Victorsverse Art and Artifacts: Including the Ars Atlantiadae as well as Earth Documents”,

hosted by Speranza, via Trickster, http://trickster.org/speranza/cesper/victorsverse.html, last

consulted on May 16th, 2013.

20. Forcryinoutloud, “2007 Winners: McKay/Sheppard FanFiction & FanArt Awards”, 2007,

Mcshep-Awards, hosted by Livejournal. http://mcshep-awards.livejournal. com/41522.html, last

consulted on May 16th, 2013.

21. Sleepwalker Fish, Monanotlisa, Astrid V., and Averillovessev, “Victorsverse Art and Artifacts:

Including the Ars Atlantiadae as well as Earth Documents”, hosted by Speranza, via Trickster.

http://trickster.org/speranza/cesper/victorsverse.html. Last consulted on May 16th, 2013.

22. Kiki Miserychic, “Blue” (2008).

23. Because fans frequently branch off from one media text to explore an enormous range of

related media, history, hobbies, and practices, it was common for fans of Atlantis to view the

TV/Series, 6 | 2014

238

complete filmography of the series’ actors, and that information was widely available and

discussed in Atlantis fan spaces. Thus it is not a stretch to assume that at least some fans who

viewed “Written by the Victors” had also seen Traders.

24. Air Force News, “Stargate SG-1 Movie - Cast filming with the U.S. Air Force” (2007), hosted by

YouTube, uploaded by EMS808. http://www.youtube.com/watch?v=PyBs_aGa7-0, last consulted

on May 16th, 2013.

25. The episode aired nearly one and a half years after torture by the American military against

prisoners of war in the Abu Ghraib prison in Iraq came to light; however, because official policy

on torture, or “enhanced interrogation”, had not changed, vigorous public debate on torture

continued even in that period, placing the Stargate storyline into direct dialogue with current

events. Carl Binder, “Critical Mass”, Andy Mikita (dir.), #213 Stargate: Atlantis, December 5th, 2005.

26. Anuradha K. Bhagwati, “Sexism and Racism Lurk in Don’t Ask, Don’t Tell Enforcement “, in

“It’s a Free Blog”, WYNC, New York Public Radio, 2010. http://www.wnyc.org/blogs/its-free-blog/

2010/nov/30/sexist-and-racist-lurk-dont-ask-dont-tell-enforcement/, last consulted on May 15th,

2013.

Nathaniel Frank, “Research Note Assessing ‘Homosexuals and U.S. Military Policy: Current Issues’

a Congressional Research Service Report for Congress”, Palm Center Whitepaper, 2005.

Gary J. Gates, “Discharges Under the Don’t Ask/Don’t Tell Policy: Women and Racial/Ethnic

Minorities” The Williams Institute on Sexual Orientation and Gender Identity Law and Public

Policy at UCLA School of Law, 2010.

27. Meredith Woerner, “So Who’s Gay On Stargate Atlantis?” hosted by io9, December 12 th, 2008.

http://io9.com/5107866/so-whos-gay-on-stargate-atlantis, last consulted on May 14th, 2013.

28. Newkidfan, “Dreams” (2006).

29. Lim, “My Brilliant Idea” (2007). Mamoru22, “Scrapbook of my Life” (2008). Zoetrope, “2 Atoms

in a Molecule” (2008). Zoetrope, “Absolutely Cuckoo” (2006).

30. Lim, “Wallpaper” (2006). Newkidfan, “Ambushed” (2007).

31. Newkidfan (founder), “Art/Word”, 2006, hosted by Livejournal.

http://fanlore.org/wiki/Artword, last consulted on May 20th, 2013.

32. Lim, “Mission Report” (2006). http://fanlore.org/wiki/Mission_Report, last consulted on

May 20th, 2013.

33. Newkidfan, “The Tree” (2007).

34. Laura Shapiro, “Stay Awake” (2010).

35. One might question whether “Stay Awake” functions as a narrative or essay; yet its aesthetics

and structure borrow from both, creating a hybrid story that argues, or an argument that also

evokes corporeal and emotional response. Elsewhere I have argued that fan works make

arguments in a “genre commensurate form”, meeting the strengths of video with video, and

narrative with narrative. By presenting her argument in audio-visual form, Shapiro calls upon

the same emotive, narrative, and aesthetic strengths which made the original materials she

critiques into powerfully compelling cultural icons. She thereby attacks them in the same

language with which they speak to audiences. Julie Levin Russo also takes up this line of inquiry.

Kustritz, “Re: Public Sphere Theory”, Discussion following “Gender and Fan Culture (Round

Thirteen): Anne Kustritz and Derek Johnson”, 2007, hosted by Fandebate on Livejournal. http://

fandebate.livejournal.com/5330.html?thread=181458#t181458, last consulted on August 31th,

2007. Russo, p. 125-130.

36. Charmax, “Space Girl” (2011). Charmax, “I’m Your Man” (2008). Danegen, “Around the Bend”

(2010).

37. Lim, “Flow” (2013).

38. Raymond Williams, “Programming: Distribution and Flow”, in Television: Technology and

Cultural Form, New York, Routledge, 1974, p. 77-120.

39. Sol Se, “Filthy Mind” (2007).

TV/Series, 6 | 2014

239

40. jmtorres and Niqaeli et al., “Vid Announcement: Star Trek, The Long Spear”, 2009, hosted by

Dreamwidth. http://jmtorres.dreamwidth.org/1366457.html, last consulted on May 10th, 2013.

41. jmtorres, ibid.

42. Francesca Coppa, “Women, Star Trek, and the early development of fannish vidding”, in

Transformative Works and Cultures, No. 1, 2008. http://journal.transformativeworks.org/

index.php/twc/article/view/44.

43. jmtorres explains, “Killa’s Dante’s Prayer, because Killa is a seminal Trek vidder of the

modern era (Dante’s Prayer has been cited as ‘Hey, you guys! We can use those computers things

for vidding!’), and Kandy Fong’s Both Sides Now, which is, so far as I know, the earliest vid of

which we have visual record.”

jmtorres, “Vid Announcement: Star Trek, The Long Spear.”

ABSTRACTS

This article explores new forms of serial structure found in transmedia story worlds, with

particular attention to the innovations of amateur transmedia works. Although the term

transmedia has most often been associated only with corporate media at the center, taking

amateur works as the paradigmatic example produces new insights into the affordances of digital

technology, beyond the industry’s limitations, namely how transmedia creativity can function in

the absence of the need to remain marketable, to maintain a coherent brand, and to work within

a corporate family of conglomerated media companies. This study thereby focuses on fan fiction,

art, and “vids”, a form of remix video collage, to demonstrate how contemporary amateur

production interacts with professional content, but also produces its own type of complex

narration through unique forms, aesthetics, and story structures, likewise encouraging alternate

reception practices as a result. This article identifies at least three types of transmedial seriality

elucidated by studying amateur fan media. First, fan works emphasize the increasingly complex

nature of seriality in all transmedia and the way in which serial effects do not vanish, but

increasingly depend upon the viewer’s choices. Secondly, fan works create their own kind of

flexible and multiple serial effects wherein meaning does not depend on consuming a specific

sequence of narratives, but instead upon reading any collection of narratives within larger cycles

or tropes to assemble a sense of flowing norms, genres, and preferences. Finally, fan works also

uniquely analyze and reconfigure the serial effects of tropes found not only across the

transmedia components of individual stories, but also across the breadth of popular culture. By

remixing and reimagining repeated structures of representation, fan works often call attention

to latent forms of seriality within popular culture as a collective whole.

Cet article explore de nouvelles formes de la structure sérielle que l’on trouve dans les story

worlds transmédiaux, avec une attention particulière sur les innovations des œuvres amateurs de

transmédia. Si le terme transmédia est le plus souvent associé aux médias des entreprises,

prendre les œuvres d’amateurs comme exemples paradigmatiques donne un nouvel aperçu sur

les apports de la technologie numérique, au-delà des limitations de l’industrie : notamment, la

question de comment la créativité transmédiale peut fonctionner sans exigence de rester

commercialisable, de maintenir une marque cohérente et de s’intégrer dans une famille de

sociétés composée d’entreprises de média agglomérées. Cette étude se concentre donc sur la

fanfiction, l’art, et les « vids », une forme de collage vidéo remix, pour démontrer comment la

TV/Series, 6 | 2014

240

production d’amateur contemporaine et le contenu professionnel s’influencent mutuellement,

tout en produisant un type de narration complexe à travers des formes uniques, des esthétiques

et des structures narratives, ainsi encourageant des pratiques de réception alternatives. Cet

article identifie au moins trois types de sérialité transmédiale qui s’expliquent par l’étude des

médias faits par des fans amateurs. D’abord, les créations des fans mettent l’accent sur la nature

de plus en plus complexe de la sérialité dans les créations transmédiales et la manière dont les

effets de sérialité ne disparaissent pas, mais dépendent de plus en plus des choix des spectateurs.

En deuxième lieu, les créations des fans produisent leurs propres effets de sérialité, flexibles et

multiples, où le sens ne dépend plus de la consommation d’une séquence spécifique de récits,

mais de la lecture de n’importe quelle collection de récits dans des cycles ou des figures plus

larges afin de construire une impression de normes, de genres et de références fluides. Enfin, les

créations des fans analysent et restructurent de façon particulière les effets de sérialité des

figures qui traversent non seulement les éléments des récits individuels, mais aussi toute

l’étendue de la culture populaire. En remixant et en imaginant de nouveau les structures répétées

de la représentation, les créations des fans attirent notre attention sur les formes latentes de

sérialité dans la culture populaire dans son ensemble collectif.

INDEX

Mots-clés: transmédia, fan fiction, réception, reconfiguration, vid

Keywords: transmedia, fan fiction, reception, reconfiguration, vid

AUTHOR

ANNE KUSTRITZ

Anne Kustritz is currently a Visiting Scholar with the department of Media Studies and the

Amsterdam School for Cultural Analysis at the University of Amsterdam. She is also a co-

coordinator the Transmedia Serial Narration network, and organizer of the network’s

Amsterdam seminar sessions. Her research and scholarship focus on fan creativity, new media,

media ethnography, and queer and feminist theory. Her articles appear in Camera Obscura, The

Journal of American Culture, and Feminist Media Studies. She is also a contributor to and board

member of the journal Transformative Works and Cultures, associated with the nonprofit

Organization for Transformative Works.

TV/Series, 6 | 2014

241

Varia

TV/Series, 6 | 2014

242

Une génération Sher-lockedMarie Maillos

1 En novembre 2004 sortait aux États-Unis l’épisode pilote de House M.D (FOX, 2004-12).

Son personnage principal, directement inspiré de Sherlock Holmes et adapté au milieu

hospitalier, eut un succès certain, qui valut à la série de se poursuivre sur huit saisons.

Quatre ans plus tard, ce fut au tour de Patrick Jane –un héros à l’intuition tout aussi

étonnante – d’apparaître dans la série The Mentalist (CBS, 2008- ), qui en est à sa sixième

saison et est encore programmée aujourd’hui. Quelques mois après, c’était la série Lie to

Me (FOX, 2009-11) qui lui emboîtait le pas, avec un concept très proche mais encore plus

explicite : ce héros peut savoir si vous mentez rien qu’en vous regardant. Ce fut ensuite

au tour de la série anglaise Sherlock (BBC, 2010- ), puis de son pendant américain

Elementary (CBS, 2012- ), de captiver les audiences avec de nouvelles aventures inspirées

du détective centenaire, Sherlock Holmes. Enfin, Rustin Cohle, dans la première saison

de True Detective (HBO, 2014-), est une variante plus sombre et moins directement

inspirée du personnage narcissique et haut en couleur des romans. La succession de ces

adaptations à l’écran, qui reconnaissent plus ou moins leur parenté avec Sherlock

Holmes, est assez remarquable pour nécessiter un éclaircissement. Il s’agit de

comprendre pourquoi cette figure d’un autre siècle envahit notre quotidien, ce qu’elle

donne réellement à voir au spectateur contemporain, et pourquoi les séries sont le

support privilégié de ces héros que l’on pourrait appeler des « lecteurs », en ce qu’ils

« lisent » leur entourage comme un livre ouvert.

1. Ce que ces séries retiennent de Sherlock Holmes

2 La multiplication des séries inspirées du célèbre détective Sherlock Holmes est

remarquable en soi, mais ce qui l’est plus encore est ce que ces séries retiennent du

personnage d’Arthur Conan Doyle. Pour des raisons que l’on pourrait penser

budgétaires, toutes ces séries présentent une modernisation, parfois extrême, du

personnage. Le Sherlock de la série éponyme, écrite par Steven Moffat et Mark Gatiss,

utilise le téléphone et les réseaux sociaux en permanence, tandis que son acolyte

Watson retranscrit leurs aventures sur son blog ; le Docteur Lightman, dans Lie to Me,

jouit avec son entreprise d’un complexe architectural tout de verre et de métal ;

TV/Series, 6 | 2014

243

Docteur House est à la pointe de la médecine moderne. Cette modernisation indique

que ce n’est pas l’univers de Sherlock Holmes dans son ensemble qui intéresse le public

et les créateurs – hormis Sherlock et Elementary, aucune de ces séries ne donne d’ailleurs

de référence directe à son héros – mais le personnage lui-même et son « super-

pouvoir », qui peut être nommé ainsi puisque son intuition est tout à fait surhumaine.

3 Ce qui fait le point commun des héros de ces séries est leur capacité presque sur-

naturelle, donc, à « lire » ceux qui les entourent, c’est-à-dire à tirer de signes extérieurs

(ces signes formant un langage) un sens intérieur. Ce pouvoir de relier le signe et le

sens est typiquement celui de la lecture. Dans Sherlock, cette lecture est rendue

évidente par le fait que ce que Holmes découvre est justement écrit à l’écran, comme

traduit d’une langue étrangère, pour le spectateur (voir figures 1 et 2).

Fig. 1 : Sherlock

Fig. 2 : Sherlock

C’est aussi le cas dans le générique de Lie to Me (voir figures 3 et 4).

TV/Series, 6 | 2014

244

Fig. 3 : Lie to Me

Fig. 4 : Lie to Me

4 Comme l’indiquent d’ailleurs ces illustrations, ce sont les gens, particulièrement, qui

intéressent ces héros. Tandis que les personnages de séries policières stricto sensu se

concentrent davantage sur des « traces » et des indices matériels – balistiques,

chimiques, physiques – ceux de ces adaptations de Sherlock sont plutôt profilers et

comportementalistes, au point d’en être devins. Aucun d’eux n’est d’ailleurs « policier »

à proprement parler mais ils sont, fidèlement à l’œuvre originale, des consultants de la

police ou, dans le cas du Docteur House, médecins. Même les personnages de True

Detective ne font partie de la police que durant la moitié de la saison.

5 Là où les méthodes de ces consultants s’approchent du pouvoir magique et s’éloignent

justement de celles de leurs homologues policiers – auxquels ils n’ont de cesse de

prouver leur supériorité – c’est dans l’instantanéité absolue de leurs déductions. Un

seul regard permet à Cal Lightman de savoir si une personne ment, est en colère ou a

TV/Series, 6 | 2014

245

peur. Il faut quatre minutes en temps réel à Patrick Jane, dans The Mentalist, pour

dévoiler le rapport incestueux instauré par un père avec sa fille en interrogeant

simplement la mère, dès le début de l’épisode pilote. Les marques d’impatience de

Sherlock envers ses collègues sont à la mesure de sa propre célérité. Rustin Cohle dans

True Detective assure à des enquêteurs :

COHLE. I’ve never been in a room with a suspect for more than ten minutes without

knowing whether or not he did it1. (1.3).

6 C’est pourquoi, par ailleurs, ces personnages ont un débit de parole extrêmement

rapide, qui donne un aspect vertigineux à la moindre de leurs découvertes. Ce n’est pas

le cas de Rustin Cohle dans True Detective, qui, contrairement à ces autres héros, est

touché, personnellement et jusque dans son intégrité physique, par l’enquête qu’il

mène, et ne peut se permettre ce décalage presque comique entre la rapidité de son

discours et la lourdeur dramatique des scènes. Mais, si son discours reste lent, il est

dense et n’en reflète pas moins la rapidité de ses déductions.

7 Le travail qu’opèrent ces personnages dans leur lecture n’est pas un travail de synthèse

ou d’analyse, qui consisterait à construire ou à défaire des réseaux de sens à partir des

signes découverts (qui sont en l’occurrence des « indices »), mais un pouvoir immédiat

que l’on pourrait assimiler à la métonymie. Pour Cal Lightman, dans Lie to Me, le coin

droit relevé de la lèvre de son interlocuteur n’est pas un indice de mépris : il signifie «

mépris » ; au point que, très vite, il ne lui est même plus nécessaire d’indiquer ce qui

l’amène à telle ou telle déduction. Il se contente de regarder la personne, avec

justement les yeux à demi plissés de celui qui se concentre sur un texte difficile, et de

dire ce qu’il voit. Comme cela est propre à la métonymie, il remplace un élément par un

autre, alors qu’ils devraient être juxtaposés, ou reliés entre eux, ici par un lien causal.

Car, en effet, comme le montre Antin Fougner Rydning dans son article sur la

métonymie conceptuelle, au-delà d’une figure de style, la métonymie est aussi un

processus cognitif :

Nous retenons que la métonymie est un processus cognitif par lequel uneentité conceptuelle fournit un accès mental à une autre entité conceptuelle.Le principe en œuvre est celui de la contiguïté où un rapport est établi entredeux entités à l’intérieur de ce domaine. La nature de la contiguïté estconceptuelle, car la métonymie fait appel à une représentation mentale où lesujet mobilise ses connaissances extra-linguistiques. Si celles-ci font défaut,le mécanisme référentiel ne joue pas. Il s’ensuit qu’en l’absence d’uneconceptualisation le message reste lettre morte2.

8 Dans ces séries, en l’absence de conceptualisation, le message, plutôt que de rester

lettre morte, évoque un « pouvoir magique » puisque les spectateurs sont mis par le

détective dans l’incapacité de mettre en œuvre « le mécanisme référentiel », tant le

héros dissimule son chemin déductif. Ce « pouvoir » permet à ces Holmes divers de

mettre de côté les médiateurs inutiles de l’intuition, de l’enquête et même du

raisonnement, de sorte qu’il ne reste plus pour eux que la nécessité peu contraignante

de « lire ». Joan Watson souligne d’ailleurs dans Elementary ce travail métonymique

lorsqu’elle adresse à Sherlock ce compliment : « It’s incredible the way you can solve

people just by looking at them3» (1.1), ce qui paraît en effet l’une des meilleures façons

de décrire synthétiquement les méthodes de tous ces héros.

9 Ainsi, ces détectives, en faisant un lien immédiat entre la cause (interne) et l’effet

(externe), créent l’illusion de la transparence, qui est cette possibilité de voir, depuis

TV/Series, 6 | 2014

246

l’extérieur, ce qui se passe à l’intérieur et qui serait de l’ordre de l’intime. C’est

pourquoi l’accent est très souvent mis sur leurs regards, qui se veulent perçants – par

quoi on peut entendre qu’ils voient au-delà des apparences. Les photographies

promotionnelles ne manquent d’ailleurs pas de mettre en valeur cet aspect de leur

héros, au point de faire du portrait de face en plan serré un trope incontournable de ce

genre de séries (voir figures 5 à 8).

Fig. 5 : Sherlock

Fig. 6 : House M.D.

TV/Series, 6 | 2014

247

Fig. 7 : Lie to Me

Fig. 8 : Elementary

10 La transparence est l’objectif absolu de ces héros, lorsqu’elle est appliquée aux autres.

Eux-mêmes restent opaques, voire absurdes, comme en témoigne l’incompréhension

permanente de leurs « Watson » respectifs (Joan, John, John, Gillian, James). Ils sont les

seuls êtres pour qui le monde soit transparent et, de fait, ils sont absolument maîtres de

cette transparence. C’est pourquoi aucun d’eux n’hésite à mentir, à omettre ou à

manipuler. Dans le cas de Cal Lightman, cette manipulation par la transparence est

représentée très clairement par ce que les personnages appellent la « glass box », la

« boîte de verre », qu’un simple interrupteur qu’il est le seul à utiliser permet de rendre

transparente ou opaque. C’est donc ici qu’il procède à ses interrogatoires, trompant et

dévoilant tour à tour, cachant et donnant à voir. Le fait que les salles d’interrogatoires

soient équipées de miroirs sans tain n’a jamais manqué d’alimenter l’imaginaire des

cinéastes et les scènes de jeux de regards ; cependant, cette fois, le héros est

entièrement, et activement, maître de ce qu’il montre ou dissimule, comme dans cette

scène de Lie to Me (2.16 : voir figures 9 et 10).

TV/Series, 6 | 2014

248

Fig. 9 : Lie to Me

Fig. 10 : Lie to Me

11 Le nom même de Lightman est un indice évident que le personnage est celui qui fait la

lumière. De même, dans la série Sherlock, la fenêtre est un élément extrêmement

récurrent, depuis l’épisode pilote où Watson sauve Sherlock en tirant à travers deux

fenêtres en vis-à-vis, jusqu’à la re-fenestration de Sherlock dans le premier épisode de

la saison 3, en passant par les multiples indices que Sherlock récolte en regardant à

travers des vitrines et des fenêtres : la vitre est, pour le personnage, une nouvelle forme

de miroir sans tain, qui le dissimule et lui montre ce qu’il veut voir (voir figures 11 et

12).

TV/Series, 6 | 2014

249

Fig. 11 : Sherlock

Fig. 12 : Sherlock

12 Au-delà de ces représentations symboliques à l’écran, il y a, dans chacune de ces séries,

une glorification sans équivoque de la transparence, qui dépasse le cadre de la série

policière classique, où le policier recherche une vérité particulière, c’est-à-dire un

coupable. Ici, la recherche de la vérité s’étend aux personnes qui entourent le

personnage principal et à tous ceux qui croisent son chemin : il ne s’agit plus de

résoudre une enquête mais de résoudre le monde dans une pan-connaissance ; le

personnage devient « omniscient » et s’approche en cela d’une figure de « l’œil de

Dieu ».

TV/Series, 6 | 2014

250

2. Du « petit génie » des années 1990 au « lecteur designes »

13 Georg Lukács4 et Lucien Goldmann 5 supposaient, comme le rapportent Glaudes et

Reuter, que :

Le héros, parce qu’il est constitué en référence à l’idéologie dominante, est lafigure à partir de laquelle s’organisent dans le texte les oppositions devaleurs les plus significatives6.

14 Il est évident qu’il y a des oppositions de valeurs dans ces séries et, plus

particulièrement, dans ces personnages (celle de la transparence et de l’opacité, celle

de la vérité et du mensonge et, corrélatif immédiat, celle de la connaissance et de

l’ignorance), lesquelles s’avèrent en effet très significatives. Le renouveau des

personnages inspirés de Sherlock Holmes est propre à ces dix dernières années et ces

oppositions de valeurs sont particulièrement abordées dans les séries télévisées : s’il y a

bien eu des adaptations de Sherlock Holmes au cinéma ces derniers temps (réalisées

par Guy Ritchie), elles se penchent à l’inverse bien plus sur l’univers du personnage –

rendu sans mal vaguement rétro-futuriste – que sur son pouvoir de « lecteur », et

Sherlock y est un homme d’action plutôt qu’un intellectuel. De fait, la nature de ces

personnages de séries est révélatrice en ce qu’elle est représentative de notre époque et

prend place au cœur du dispositif sériel.

15 En effet, la série, parce qu’elle utilise comme support la télévision, objet populaire s’il

en est, et Internet (par le biais du streaming, du téléchargement, de la Video on Demand,

etc.), plus populaire encore actuellement, présente des héros particulièrement

constitués « en référence à l’idéologie dominante », et porte donc en elle des

oppositions de valeurs d’autant plus significatives. Ainsi, le héros, au cours de l’histoire

des séries télévisées, ne cesse de subir des transformations au gré des tendances. Mais

celles qui nous intéressent ici ont commencé dans les années 1990, avec une vague

importante de héros surdoués dont le quotient intellectuel était vanté plusieurs fois par

saison : dès 1989, Sam Beckett dans Quantum Leap (NBC, 1989-93) et, à partir de 1996,

The Pretender (NBC, 1996-2000), ou encore à travers les débats sans fin que peuvent

avoir les personnages de The West Wing (NBC, 1999-2006) sur leur intelligence

respective. Dans un autre registre, même Dewie, le frère de Malcolm dans la série

éponyme (FOX, 2000-06), est un surdoué dont le génie est utilisé certes à des fins

humoristiques, mais de façon récurrente. Cette multiplication de personnages brillants

entraîne d’ailleurs ce que Carole Desbarats, dans son cours sur The West Wing pour le

Forum des images7, appelait « l’érotisation de l’intelligence », laquelle est d’ailleurs

confirmée par un personnage de Sherlock, Miss Adler, lorsqu’elle déclare au détective :

« Brainy is the new sexy8 » (2.1). Or, s’il y a une multiplication de ces héros intelligents

d’une part, et si cette intelligence est érotisée d’autre part, c’est qu’elle se révèle être

une forme de puissance.

16 Cette nouvelle forme de puissance est due, en effet, à une transformation de la façon de

voir le monde et d’appréhender les rapports de forces et les conflits (qui sont à l’origine

de tout récit, du moins dans une logique structuraliste), glissant de critères quantitatifs

vers des critères qualitatifs dans la mesure de la force, notamment militaire, depuis la

guerre du Viet Nam et la prise de conscience du danger atomique9. Dans un monde ainsi

transformé dans son système de valeurs, l’information et le savoir deviennent les deux

TV/Series, 6 | 2014

251

piliers majeurs de la puissance et, de fait, l’homme intelligent – à proprement parler

qui peut « inter ligere », c’est-à-dire « lier les choses entre elles » – est celui qui détient

le pouvoir10. Le pouvoir du scientifique et, d’une autre façon, celui du diplomate,

transcendent donc celui du général d’armée. C’est ainsi qu’à partir de la fin de la guerre

froide, une génération de héros incarne ce tout nouveau « pouvoir ». À la même

époque, l’apparition de l’ordinateur personnel faisait pressentir les possibilités infinies

de la « puissance de calcul ». Par conséquent, dès les années 1990, le héros devait avoir

des capacités de calcul hors-normes pour faire valoir sa légitimité à l’attribut de

« héros ». Dans les années 2000, les capacités intellectuelles de ces héros ne sont

toujours pas remises en cause. D’ailleurs, toutes les séries inspirées de Sherlock Holmes

précédemment citées soulignent l’intelligence hors-norme de leur personnage. Celle-ci

est pour autant moins calculée sur des systèmes de valeurs pré-établis qu’elle ne l’était

auparavant : Sam Beckett, dans Quantum Leap, possède sept doctorats très variés

(musique, médecine, physique quantique, archéologie, langues anciennes, chimie et

astronomie) et un prix Nobel en physique quantique ; il a un quotient intellectuel de

267 et parle six langues (anglais, espagnol, français, russe, allemand et japonais). Il a

obtenu son diplôme de fin d’études secondaires à l’âge de 16 ans et suivi quatre années

d’études au MIT en seulement deux ans : son intelligence est rendue tout à fait

quantifiable. A contrario, rien n’indique précisément le niveau intellectuel des

personnages plus récents de Lie to Me ou même de House M.D., quoique leur niveau

d’étude et leur niveau de langue laissent entendre une culture certaine et les

présentent comme des hommes cérébraux. Mais, aujourd’hui, ces personnages

prouvent leur intelligence dans un cadre plus flottant, à l’image des ordinateurs qui, de

calculatrices géantes, se sont transformés en réservoirs inépuisables de connaissance,

de savoir, de débat et de communication. Cependant, à mesure que l’intelligence des

personnages devenait plus diffuse et moins quantifiable, ils devenaient aussi moins

psychologues et moins humains. Sam Beckett dans Code Quantum et Jarod dans The

Pretender ont tous deux des capacités d’empathie et de psychologie hors du commun,

qui sont une façon de pousser à l’extrême le concept même de ces séries : la rencontre

entre la sensibilité la plus parfaite et la plus exacerbée, et l’intellect le plus

mathématique et mécanique, dans une forme de sur-homme dont le quotient

intellectuel répond au quotient émotionnel. Aujourd’hui, l’accent est mis sur

l’intelligence des héros, mais sous une forme toute différente. Ce sont particulièrement

Internet et les réseaux sociaux qui ont permis la transition des personnages des années

1990 à ceux des années 2000. En effet, pour une génération dont les connaissances sont

à portée d’un clic, la supériorité ne peut plus se trouver seulement dans une

intelligence faite de connaissance et de savoir, mais dans une forme de perspicacité.

Comme l’indique Michel Serres :

De notre tête osseuse et neuronale, notre tête intelligente sortit. Entre nosmains, la boîte-ordinateur contient et fait fonctionner, en effet, ce que nousappelions jadis nos « facultés » : une mémoire, plus puissante mille fois quela nôtre ; une imagination garnie d’icônes par millions ; une raison aussi,puisque autant de logiciels peuvent résoudre cent problèmes que nousn’eussions pas résolus seuls. Notre tête est jetée devant nous, en cette boîtecognitive objectivée11.

17 Parce qu’il n’est plus besoin d’avoir les sept doctorats de Sam Beckett pour accéder à ce

qu’il sait et plus encore, les « lecteurs de signes » ont fait leur apparition. Le pouvoir de

ces génies n’est plus tant dans leur esprit mais à l’extérieur d’eux : le monde est leur

TV/Series, 6 | 2014

252

ordinateur. Comme dans cette image de « tête intelligente » sortie de notre « tête

osseuse, » même ce qui leur est le plus intime, leur mémoire, est projeté hors d’eux par

l’utilisation de la méthode des loci12, appelée aussi « méthode des lieux », qui consiste

pour eux en une mise en scène physique de leurs souvenirs. Sherlock l’utilise de

nombreuses fois en l’illustrant par la représentation d’un « memory palace13 » dans la

série anglaise. Il se réfugie d’ailleurs dans ce palais lorsqu’il se trouve à l’article de la

mort (3.3), chaque pièce représentant une partie de ses souvenirs, dans lesquels il

puisera la force et la volonté de revenir parmi les vivants. Sherlock Holmes, dans

Elementary, en fait une utilisation un peu moins visuelle (1.8) : alors qu’il découvre une

citation utilisée par un potentiel criminel et qu’il cherche à se souvenir de la dernière

fois qu’il l’a entendue, il s’écrie « I know where I was when I heard it14 » et se rue

physiquement à l’endroit en question, avant d’essayer de reformer en pensée la

disposition exacte de la pièce lorsqu’il y a entendu la citation. Patrick Jane, dans The

Mentalist (1.6), explique quant à lui qu’il mémorise les cartes au poker en associant

chacune d’elles à un personnage, et chaque position du paquet à une pièce de son «

memory palace », encore une fois.

18 Aussi, tout porte à penser que, comme n’importe quel individu devant son ordinateur,

ces héros ne savent pas, en tant que tel : ils lisent. Que l’ordinateur ne serve pas de

transition à leur lecture n’est en soi qu’un détail et, d’ailleurs, les concepteurs des

futures « Google glasses », véritables lunettes-ordinateur, prouvent que le fantasme

d’abandonner cet objet de transition au profit d’une lecture « au bout du regard » et

non plus « au bout des doigts » n’appartient pas qu’aux créateurs de séries. Mais,

comme nous l’avons constaté, leur lecture ne s’intéresse pas à toutes choses sans

discernement : elle porte particulièrement attention aux personnes. Nullement

étonnant que, dans House M.D, ce héros soit transposé dans le monde hospitalier où les

enquêtes matérielles sont largement moins déterminantes que celles qui concernent

l’individu lui-même. Or, « l’opposition de valeurs » la plus médiatisée de nos jours, à

l’échelle de la personne, est celle qui concerne le rapport de l’individu à son intimité,

c’est-à-dire la frontière, difficile à tracer aujourd’hui, entre le public et le privé. Cette

opposition de valeurs confronte donc d’une part la tentation individuelle et instinctive

de rendre l’intime public, d’autre part le besoin culturel et moral de garder l’intime

privé. La force de cette confrontation est que, dans un sens comme dans l’autre, le

« secret » devient la véritable richesse de ce siècle.

19 Facebook, à la suite de MySpace, est devenue la plateforme la plus célèbre et la plus

utilisée pour publiciser le privé. Les internautes y partagent leurs photos, leurs pensées

ou leurs coups de cœur. Les débats, les appels en justice et les jurisprudences se

multiplient pour déterminer si Facebook peut être considéré comme un espace public

ou un espace privé15 et soulignent cet évident changement : il n’y a jamais eu une aussi

grande part de nous-mêmes hors de nous16.

Aussi, même si en soi l’internaute a des capacités de « lecture » des autres proches de

ces héros, puisqu’il a accès à toute information au bout de ses doigts, ce n’est pas ce

point commun qui fait le succès de ces séries, mais l’idée que le pouvoir de l’un puisse

être utilisé sur l’autre : que le spectateur puisse être intimement déchiffré par son

héros détective. Le public de ces séries désire moins savoir sur les autres qu’être « su »

par les autres. Ce besoin de se laisser lire est d’ailleurs représenté dans Sherlock par le

comportement d’une jeune femme journaliste qui, dans l’épisode 3 de la saison 2, tente

avec succès d’être lue par Holmes en se faisant passer pour une fan (ce qui est un clin

TV/Series, 6 | 2014

253

d’œil volontaire aux véritables fans du héros de la série) : alors qu’elle semble ressentir

un plaisir certain à être déchiffrée par l’enquêteur, ce qui se traduit par des postures de

plus en plus langoureuses et sensuelles, le détective reste hautain, terminant sans

équivoque sa lecture par « You repel me17 » (voir figure 13).

Fig. 13 : Sherlock

20 Sherlock insiste donc sur un rapport de domination entre celui qui « lit » et celui qui

est « lu », puisqu’il ne se considère pas même dans l’obligation de respecter cette fan. Il

continue d’y avoir une érotisation de l’intelligence du détective mais elle passe cette

fois entièrement par ce rapport de domination. C’est aussi tout à fait le cas de l’épisode

de Sherlock mettant en scène Irène Adler (2.1), dominatrice qui démontre clairement

son pouvoir sur Holmes en lui rendant toute lecture impossible dès le début de

l’épisode (puisqu’elle est nue, telle une feuille blanche). L’envie qu’a la journaliste

d’être lue est condamnée comme étant une forme d’asservissement, tandis que le désir

qu’a Irène Adler d’être illisible est promu au rang de force de domination. L’équilibre de

mystère qu’Irène Adler essaie d’entretenir avec Sherlock est cependant fragile : par

exemple, Sherlock est capable de deviner qu’elle a utilisé ses propres mensurations

pour le code de son coffre-fort, mais pas avant qu’Irène Adler n’ait elle-même deviné

que Sherlock les avait mesurées du regard…

21 Si, par ailleurs, la notion de vie privée est défendue bien plus vigoureusement lorsqu’il

s’agit de la vente d’informations par Google ou Facebook à des entreprises privées, ou

de la surveillance des communications par la NSA, il est intéressant de reconnaître que,

pour condamnables ou non que soient ces pratiques, elles n’ont pas d’effet immédiat

sur l’usager lambda. Or – le but ici n’est pas de remettre en cause la gravité de ces

pratiques – les réactions des internautes et de la population ont été viscérales18, au

point qu’il est possible d’y lire une fascination intrinsèque : s’il y a une crainte globale

d’un monde dans lequel « Big brother is watching you19 », il est pourtant palpable à

travers l’utilisation qui est faite aujourd’hui des réseaux sociaux pour afficher sa vie

privée qu’il y a aussi une crainte équivalente d’un monde où « Big Brother is NOT

watching you20 ». Cette ambivalence se retrouve dans la caractérisation des détectives

de ces séries, dont le travail d’observation est utilisé pour le bien de la communauté

mais qui sont en eux-mêmes moralement ambigus : ils sont absolument tous et à leur

TV/Series, 6 | 2014

254

façon misanthropes, sociopathes, exaspérants voire dangereux. Ils sont d’ailleurs tous à

certains moments accusés des horreurs sur lesquelles ils enquêtent, et c’est à chaque

fois en raison de leur observation du monde : Sherlock, dans la série éponyme, est

accusé d’avoir commis les meurtres qu’il prétendait résoudre afin d’avoir l’admiration

de tous chaque fois qu’il viendrait à bout d’une enquête et, lorsque Watson insiste sur le

fait que Sherlock avait deviné du premier regard tout ce que son ami cachait sur sa

sœur, le détective lui dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas : « Nobody could

be that clever21 » (2.3) ; Docteur House est plusieurs fois accusé d’avoir mis en danger la

vie de ses patients, notamment lorsqu’il demande à plusieurs reprises à ses collègues

d’entrer par effraction chez eux pour observer l’intimité de leur quotidien ; Cal

Lightman est soupçonné du meurtre d’un combattant de rue qu’il venait seulement

regarder combattre (2.18) ; Rustin Cohle, dans True Detective, est le principal suspect de

meurtres qu’il ne cesse de dénoncer (saison 1), justement parce qu’il est photographié

en train d’observer les scènes de crime. Chacun des soupçons dont ils sont l’objet est

une façon de souligner le pouvoir actif de leur regard, de reconnaître qu’un savoir peut

être un danger en soi, surtout dans la mesure où ils obtiennent ce savoir sans empathie,

sans compassion, et sans aucun lien émotionnel avec les individus qu’ils appréhendent.

Ainsi, l’idée d’être observé est parfaitement ambivalente, comme le sont ces

personnages et, comme eux, elle se révèle être aussi attirante qu’inquiétante.

3. Glorification de la transparence et de la vérité

22 Pour autant, l’ambiguïté de ces héros n’est pas dans leurs découvertes, mais dans le

mystère qu’ils laissent planer sur leur propre personne : ils sont réceptacles, mais ne

sont pas distributeurs. C’est ce secret qui les rend suspects. Donc, ce n’est pas la

transparence et la vérité dont la moralité est mise en cause, mais l’absence de

transparence de ces personnages en particulier. La transparence reste une valeur

importante de ces séries et se fonde sur deux postulats majeurs : le premier est que ce

qui est secret et dissimulé est toujours la vérité, et le second, que la vérité est toujours

bénéfique.

23 En effet, comme on l’a montré, l’omniscience à proprement parler des héros leur

permet de résoudre leurs enquêtes, mais aussi les soucis de leurs acolytes : Sherlock

permet à Watson de découvrir, puis d’accepter, la véritable nature de sa femme Mary

dans Sherlock ; Rustin Cohle, dans True Detective, s’il en viendra malgré lui à détruire le

couple déjà fragile de Martin Hart, prêche un plus grand respect du mari pour sa

femme, dont il perçoit les fêlures ; Patrick Jane, dans The Mentalist (2.3), hypnotise sa

collègue Teresa Lisbon afin de « lire dans [ses] pensées », selon ses propres termes, et

permet de l’innocenter d’un meurtre. Cal Lightman aide quant à lui Gillian à découvrir

la vérité sur son petit ami du moment (2.20) en évitant à ce dernier une mort certaine.

Ce qui est d’ailleurs très représentatif est que chacun de ces acolytes rejette dans un

premier temps l’aide de son « Holmes » (Watson et Gillian se mettent en colère, tandis

que Teresa Lisbon résiste à son hypnose, pour revenir ensuite vers Patrick Jane bien

plus tard). Toutefois, ils finissent par se rendre, non pas en échange de leur droit à leur

propre intimité, mais en échange des connaissances que ces Holmes possèdent. Par

exemple, dans l’épisode de Lie to Me en question, Gillian est en colère contre Cal

Lightman pour avoir espionné son amant Burns et, pourtant, sa colère prend fin

lorsqu’elle obtient de Cal cette promesse : « No more secrets22 ». De fait, alors qu’elle lui

TV/Series, 6 | 2014

255

demandait un droit à une vie privée et à des secrets, c’est l’inverse qu’elle obtient de

lui.

24 Cette omniscience et la résistance apparente des personnages secondaires à cette

omniscience est une façon de créer un lien indéfectible entre le secret et la vérité.

C’est-à-dire que les héros n’ont pas particulièrement accès à la vérité par opposition à

l’erreur –laquelle a peu d’importance narrative dans ces séries – mais par opposition au

mensonge. Ils ne créent pas la transparence dans un univers flou (celui dans lequel

nous avançons et qu’il nous est difficile de « définir », littéralement), mais dans un

univers de secrets et d’opacité. En somme, ils recherchent la vérité qui a été dérobée,

qu’elle soit leur ou non. Lorsque Docteur House répète « Everybody lies23 », il entend

cela comme une provocation à découvrir la vérité derrière les mensonges qui lui sont

dits. C’est le cas aussi de Cal Lightman, qui nous met au défi de lui mentir – afin qu’il

puisse lui-même faire jour de la vérité – dès le titre de la série : « Lie to Me24 ».

25 Mais de l’idée que la vérité qu’ils recherchent est toujours cachée à celle que « tout ce

qui est caché est la vérité », il n’y a qu’un pas, aisément franchi. Ces Sherlock

n’accordent aucune valeur à ce qui se révèle au premier regard et au premier degré :

chaque geste, chaque comportement, est interprété comme un masque, la vérité étant

toujours dissimulée. Ces héros, en somme, ne trouvent pas la réalité dans ce que les

gens font mais dans ce que les gens sont – et qu’ils prétendent être les seuls à pouvoir

définir : leur existence à leurs yeux a moins de valeur que leur essence. Dans l’épisode

pilote de Sherlock, le héros prouve à John Watson que sa douleur à la jambe est

psychosomatique. Le fait même de le lui prouver a un effet immédiat sur Watson qui,

dès lors, n’a plus besoin de sa canne. Pourtant, rien n’obligeait l’existence de Watson,

dans laquelle sa jambe était douloureuse, à se plier à son essence d’homme sain. C’est

pourquoi la capacité de Sherlock à soigner par la vérité (ce que le Docteur House fera à

sa façon dans chaque épisode puisque ses méthodes médicales sont en tous points des

enquêtes sur la vie de ses patients) atteste de la vertu attribuée à la vérité. François Jost

compare d’ailleurs le pouvoir de ces héros à un pouvoir d’alchimiste :

Adossée à une théorie que la vérité se cache au plus profond des êtres, lascience de ces héros valorise épistémologiquement l’intime, comme lesalchimistes le faisaient à leur manière […] Portées par la soif de connaître dutéléspectateur, les séries américaines les plus regardées donnent sur lesterræ incognitæ d’une intimité conçue à l’image de conceptionspréscientifiques de la matière, valorisant tout ce qui est intérieur. De lasorte, en élargissant en apparence le champ du savoir, elles ouvrent en faitcelui de la croyance25.

26 Par cette comparaison avec l’alchimie, François Jost commente donc à la fois la

dimension magique – qui plonge dans l’intime pour y trouver la vérité comme on

plonge dans le plomb pour y trouver l’or – et l’échelle de valeurs – qui donne à l’intime

plus de valeur qu’à la surface comme à l’or plus de valeur qu’au plomb.

27 Il est possible d’aller plus loin en affirmant que, si la vérité se trouve dans l’intime,

alors la transparence, qui donne un accès immédiat à la vérité, se trouve dans

l’émotion, qui fait la transition du monde extérieur au monde de l’intime, puis celle du

monde de l’intime au monde extérieur. Ces personnages atteignent la vérité en faisant

ressentir aux autres les événements le plus fortement, et donc le plus violemment

possible. Quand Sherlock doit interroger la vieille gardienne de l’internat où deux

enfants ont été enlevés (2.3), il hurle « What are you: an idiot, a drunk or a

TV/Series, 6 | 2014

256

criminal26?! », en ôtant à la pauvre femme terrorisée la couverture qui lui avait été

donnée du fait de son état de choc. Lorsqu’elle lui explique ce qu’elle sait et le supplie

de la croire, il répond simplement qu’il voulait juste qu’elle s’exprime rapidement. En

somme, plus l’émotion de celui qui est interrogé est forte, plus la vérité est accessible

immédiatement, c’est-à-dire plus il atteint un état de transparence. De fait, il n’est pas

étonnant que l’opacité absolue de ces héros eux-mêmes, le mystère qui les entoure,

aille de pair avec toutes les caractéristiques du sociopathe, qui se définit par des

dysfonctionnements émotionnels : ils ont à la fois des troubles dans le ressenti des

émotions humaines des autres (ils lisent directement en eux la vérité, sans être

sensibles aux émotions de ceux qu’ils scrutent) et dans l’expression de leurs propres

émotions (ce qui les rend impossibles à lire). La vérité est donc liée à l’émotion, laquelle

est elle-même liée à la santé d’esprit. Les différents « Watson » sont représentés comme

des personnes saines et équilibrées, qui n’ont justement « rien à cacher », ce qui les

place moralement au-dessus de tous les autres personnages, héros ou personnages

secondaires. Ils échappent ainsi au « everybody lies » du Docteur House.

28 Ce qui est vrai à l’échelle des individus peut encore une fois être vu à l’échelle des états,

et François Jost commente encore :

En débusquant les mensonges, en offrant le spectacle d’une vérité à visagehumain, découverte par cette mise en relation de deux subjectivités, lesséries américaines apportent une consolation à la perte définitive de latransparence dans nos sociétés démocratiques. Le succès des sériess’explique moins par leur capacité à refléter de façon réaliste notre mondequ’à en fournir une compensation symbolique27.

29 C’est donc aussi bien la transparence des individus qui est louée dans ces différentes

séries que, symboliquement, la recherche de la transparence des gouvernements, des

sociétés et des états. Car, bien entendu, si l’une existe sans l’autre, un rapport de

domination s’instaure alors, rapport anti-démocratique et qui n’est pas sans évoquer

1984 : celui qui est visible est à la merci de celui qui garde les secrets. C’est pourquoi,

comme l’indique François Jost, ces personnages, qui entrent dans les pensées des autres

sans subir le même traitement, rappellent le mythe de Gygès et celui d’Asmodée : tous

deux ont le pouvoir d’observer, l’un par l’invisibilité que lui procure son anneau, l’autre

en soulevant les toits, et tous deux représentent le maléfice induit par un tel pouvoir.

Pour autant, et comme pour ces séries, la valeur maléfique est attachée entièrement à

celui qui regarde sans être vu, mais jamais à l’acte même de lire la vérité. Celle-ci reste

entièrement positive. C’est ce qu’exprime Cal Lightman en condamnant

systématiquement le mensonge :

CAL LIGHTMAN. In my experience, telling a lie can never be a good thing28. (Lie to Me,

2.21)

30 La série True Detective est pourtant moins catégorique quant à la valeur de la vérité.

Plutôt que de la discuter d’un point de vue moral, elle choisit d’adopter un point de vue

« extra-moral », c’est-à-dire ne tenant pas compte de sa valeur morale. D’ailleurs, le

nihilisme de Rustin Cohle n’est pas sans évoquer la philosophie de Nietzsche qui

affirmait dans son bien nommé « Vérité et Mensonge au sens extra-moral » :

Dans la mesure où l’individu veut se maintenir face à d’autres individus, iln’utilise l’intellect, dans un état de choses naturel, qu’à des fins detravestissement : or, étant donné que l’homme, à la fois par nécessité et parennui, veut vivre dans une société et dans un troupeau, il a besoin d’un

TV/Series, 6 | 2014

257

accord de paix et cherche du moins à faire disparaître de son univers le plusgrossier bellum omnium contra omnes. Cet accord de paix ressemble à unpremier pas dans l’acquisition de notre énigmatique instinct de vérité.Maintenant en effet se trouve fixé cela qui désormais sera de droit « lavérité », c’est-à-dire qu’on invente une désignation constamment valable etobligatoire des choses, et la législation du langage donne aussi les premièreslois de la vérité : car le contraste entre vérité et mensonge se produit ici pourla première fois29.

31 Nietzsche représente ici la vérité moins comme un besoin moral que comme une

nécessité sociale. C’est avec le même dédain mêlé de résignation que Rustin Cohle

considère la vérité « sociale », une vérité qui est un mensonge et qui permet

simplement de vivre :

COHLE. This is what I mean when I’m talkin’ about time, and death, and futility.

There are broader ideas at work, mainly what is owed between us as a society forour mutual illusions30. (1.3)

32 Quoique le dégoût de Rustin Cohle, comme celui de Nietzsche à d’autres occasions, soit

tourné principalement vers la religion, qui lui paraît être un mensonge confortable, il

observe le monde – à l’instar des autres héros présentés plus haut – comme si lui seul

avait accès à la vérité ; mais, pour lui, cette vérité conduit naturellement au néant, et à

la non-existence. L’un et l’autre sont d’ailleurs prétextes à de nombreux dialogues qui

alimentent depuis les recueils de citations de la série, qui fleurissent sur Internet.

COHLE. You gotta get together and tell yourself stories that violate every law of the

universe just to get through the goddamn day? What’s that say about your reality31?(1.3)COHLE. People… I have seen the finale of thousands of lives, man. Young, old, each

one so sure of their realness. […] The truth wills out, and everybody sees. Once thestrings are cut, all fall down32. (1.3)COHLE. We are things that labor under the illusion of having a self; an accretion of

sensory, experience and feeling, programmed with total assurance that we are eachsomebody, when in fact everybody is nobody33. (1.1)

Pour Rustin Cohle, la vérité première nie l’humanité, laquelle elle-même n’existe que

dans sa dimension sociale.

33 Le désir d’être « lus » qu’ont les spectateurs de ces séries possède d’ailleurs une

dimension sociale : s’il y est question de notre rapport au privé et, comme nous l’avons

montré, de notre rapport à la vérité, ce ne peut être que dans la place que nous avons et

souhaitons avoir dans la société ou notre communauté. Les Sherlock sont le fantasme

d’une population plongée dans l’anonymat, d’individus conscients de leur insignifiance

dans un monde presque intégralement interconnecté. Ces nouvelles lois sociales, sorte

de « mondialisation » de la communauté telle qu’elle est commentée par l’article

d’Armand Mattelard, « Vers une globalisation ? »34, rendent difficile le positionnement

des individus dans la société : c’est d’ailleurs ce mal-être de l’anonymat qui caractérise

la plupart des « Watson » de ces séries avant qu’ils ne rencontrent le héros. Ils sont

solitaires, parfois plongés dans une crise existentielle liée à leur éjection hors du

monde qui les définissait : John Watson dans Sherlock, très conformément à l’œuvre

originale, était médecin militaire en Irak avant d’être réformé pour blessure et Joan

Watson dans Elementary était chirurgienne avant de provoquer par erreur la mort d’un

patient. Dans une scène de l’épisode pilote de Sherlock, le frère du héros, Mycroft,

montre à John Watson d’où vient réellement son intérêt pour le détective : « You’re not

haunted by the war, Dr. Watson. You miss it.35 » Cela pourrait s’entendre comme

TV/Series, 6 | 2014

258

l’attrait pur et simple de l’adrénaline, mais, un peu plus tôt, Mycroft définit très bien

une opposition plus particulière entre la « guerre » et la « normalité » :

MYCROFT. Most people blunder around this city and all they see are streets and

shops and cars. When you walk with Sherlock Holmes you see the battlefield36. (1.1)

34 Par ailleurs, ce pouvoir qu’a Sherlock Holmes de sauver les gens du risque de la

normalité ne concerne pas uniquement Watson. Si le détective porte son attention sur

quelque individu que ce soit, il le sort par là même de son état de décor, de silhouette

ou de personnage secondaire et lui donne l’espace d’un instant une narration propre :

une caractérisation et un récit. Il les tire donc de l’anonymat pour en faire des

personnages. Qu’importe d’ailleurs que l’un ou l’autre Sherlock soit lui-même rebuté

par la médiocrité de ceux qui l’entourent : ils sont caractérisés de facto par son

attention, quelle que soit son opinion à leur égard.

35 La vérité que découvrent ces Sherlock a pourtant des limites certaines. Pour parvenir à

la caractérisation de ceux qui les entourent, par définition, ils peuvent procéder d’une

part par identification (à une famille, un groupe, une communauté) et d’autre part par

différenciation. En apparence, ces Sherlock donnent à ceux qu’ils observent la

possibilité d’une différenciation : les personnages qu’ils lisent sont individualisés grâce

à l’addition de leurs caractéristiques. Par exemple, lorsque Sherlock, dans Elementary,

est à la table d’un restaurant, il confronte instantanément le prix du restaurant dans

lequel il se trouve, l’usure du costume du jeune homme assis derrière lui et sa manie de

mettre la main sur la pochette de sa veste – comme pour vérifier que quelque chose de

précieux y est encore – et en conclut que le garçon s’apprête à demander la jeune fille

en face de lui en mariage (1.4). Ces héros donnent ainsi l’illusion de comprendre

l’individu dans son ensemble, et en tant qu’individu.

36 Cependant, pour lire les personnages qui les entourent, ces Sherlock utilisent en réalité

des « types », et donc une identification des suspects, ou des autres personnages qu’ils

lisent, à certaines catégories sociales, professionnelles ou culturelles. Le jeune homme

au restaurant dans Elementary, pour reprendre cet exemple, correspond exactement au

type d’une classe socio-professionnelle peu aisée (un seul costume, usé par les lavages à

sec successifs), tandis que le prix exorbitant du restaurant laisse entendre qu’il s’y rend

pour une occasion très particulière. Cette identification des individus à un type est

particulièrement évidente dans Sherlock37, lorsque le héros innocente un homme

suspecté d’un crime en expliquant tout simplement que ce n’est pas son genre :

SHERLOCK. Did you see him? Morbidly obese, the undisguised halitosis of a single

man living on his own, the right sleeve of an internet porn addict, the breathingpattern of an untreated heart condition. Low self-esteem, tiny IQ and a limited lifeexpectancy and you think he’s an audacious criminal mastermind38 ? (2.1)

37 Ce discours détermine le caractère de la personne en fonction de son apparence au

travers de constructions sociales pré-définies. On en retrouvera d’ailleurs la substance

dans un dialogue entre Martin Hart et Rustin Cohle à propos d’une assemblée réunie

autour d’un prêcheur :

COHLE. What do you think the average IQ of this group is, huh?

HART. Can you see Texas up there on your high horse? What do you know about

these people? COHLE. Just observation and deduction. I see a propensity for obesity. Poverty. A yen

for fairy tales. Folks puttin’ what few bucks they do have into a little wicker basketbeing passed around. I think it’s safe to say nobody here’s gonna be splitting theatom, Marty39. (1.3)

TV/Series, 6 | 2014

259

Or, la capacité des Sherlock Holmes à passer sans transition du type à l’individu est à

mettre en relation avec sa capacité métonymique de relier l’indice au sens : par le

même acte de lecture, le pouvoir de ces Sherlock s’étend donc du signe à l’intime, de

l’intime à une forme de vérité, et de cette vérité à l’individualité.

38 Ces personnages qui commentent, critiquent et définissent l’image, dont tout le

pouvoir réside dans les yeux (et l’intellect), ont très justement leur place dans les séries

télévisées, qui sont aujourd’hui le principal vecteur d’éducation du public à l’image :

elles sont plus populaires que le cinéma, et comportent aussi une plus grande

dimension sociale. François Jost décrivait ainsi la réalité des spectateurs de séries :

Ce mode d’appréhension de la réalité s’adresse évidemment aux « enfants dela télévision » pour qui le monde existe d’abord par la médiatisation et,particulièrement, celle de l’écran d’ordinateur. […] Dans le monde des séries,la vérité surgit toujours des images : images de l’actualité que déverse latélévision ou images indices qui confondent les coupables40.

C’est en effet par l’image et à propos d’elle que les séries – qui, à l’instar du cinéma, sont

de plus en plus métafictionnelles – traitent les questions de l’intimité, de la vérité et de

l’individualité qui, à l’époque des réseaux sociaux, sont des concepts en transformation.

39 À travers des personnages dont le don quasiment magique fait fi des frontières entre

les unes et les autres – l’intimité devenant une fenêtre vers la vérité, la vérité une façon

pour l’individu de se définir, et le tout étant découvert par la fameuse loupe de

Sherlock Holmes : son intelligence –, ces séries offrent la possibilité cathartique pour

les spectateurs de sortir de la pénombre, de toutes les pénombres, qu’elles soient liées à

l’ignorance, au mensonge ou à l’anonymat.

BIBLIOGRAPHIE

FOUGNER RYDNING Antin, « La métonymie conceptuelle », Romansk Forum, No.17, 2003, p. 71-85.

GLAUDES Pierre, Yves REUTER, Le Personnage, Paris, PUF, 1998.

GOLDMANN Lucien, Pour une sociologie du roman, Paris, Gallimard, 1964.

JOST François, De quoi les séries américaines sont-elles le symptôme ?, Paris, CNRS Éditions, 2011.

KUSTRITZ Anne, Mélanie E.S. KOHNEN, « Decoding the Industrial and Digital City: Visions of Security

in Holmes’ and Sherlock’s London », Sherlock and Transmedia Fandom: Essays on the BBC Series,

Jefferson, MacFarland, 2012, p. 85-102.

LUCKÁCS Georg, La Théorie du roman, Paris, Denoël, 1920.

MARKUS Hazel, Paula NURIUS, « Possible selves », American Psychologist, No. 41, 1986, p. 954-969.

MATTELARD Armand, « Vers une globalisation », Réseaux, Vol. 18, No. 100, 2000, p. 81-105.

MEHDIZADEH Soraya, « Self-Presentation 2.0: Narcissism and Self-Esteem on Facebook »,

Cyberpsychology, Behavior, and Social Networking, Vol. 13, No. 4, 2010, p. 357-364.

TV/Series, 6 | 2014

260

NIETZSCHE Friedrich, « Introduction théorétique sur la vérité et le mensonge au sens extra-

moral », Le Livre du philosophe, Paris, Aubier-Flammarion, 1969. Traduction par Angèle K. Marietti.

PIGNON Dominique, « La guerre-monde », Communications, No. 42, 1985, p. 87-102.

SERRES Michel, Petite Poucette, Paris, Éditions le Pommier, 2012.

YATES Frances, Danijel ARAS, Sreten MARIC, L’Art de la mémoire, Paris, Gallimard, 1987.

NOTES

1. « Je n’ai jamais passé plus de dix minutes dans une pièce avec un suspect sans savoir s’il était

coupable ou non. » (ma traduction pour les citations)

2. Antin Fougner Rydning, « La métonymie conceptuelle », in Romansk Forum, No. 17, 2003, p. 75

[p. 71-85].

3. « C’est incroyable cette façon que tu as de résoudre les gens, simplement en les regardant. »

4. Georg Luckács, La Théorie du roman, Bibliothèque Médiations, Paris, Denoël, 1920.

5. Lucien Goldmann, Pour une sociologie du roman, Idées, Paris, Gallimard, 1964.

6. Pierre Glaudes et Yves Reuter, Le Personnage, Que sais-je ? , Paris, PUF, 1998, p. 106.

7. http://collections.forumdesimages.fr/CogniTellUI/faces/details.xhtml?id=VDP40451, lien

consulté le 10 mars 2014.

8. « Maintenant, être intello, c’est être sexy. »

9. Jusque dans les années 1970, il était question dans l’armée essentiellement de quantités

d’armes, d’équilibre de forces, d’arsenaux militaires, de nombre de combattants, etc. À partir du

milieu des années 1970, la fin de la guerre du Viet Nam et la dissolution progressive de la guerre

froide font apparaître de nouveaux critères de puissance : les États-Unis se retirent en boitant

d’une guerre qui, selon des logiques quantitatives pures, aurait dû en faire des vainqueurs et, par

ailleurs, la bombe atomique a entièrement changé la donne stratégique entre les deux « grandes

puissances » : à la fois unique, et totale. Elle impliquait donc des stratégies évoluées telles que

celle d’une force nucléaire qui serait dite de « dissuasion », fondée sur l’idée que l’équilibre des

puissances serait le meilleur vecteur de la paix. Comme l’indique justement Dominique Pignon,

« brutalement, avec l’invention de la bombe A, le dispositif militaire traditionnel, issu de la

révolution industrielle du XIXe siècle, voyait apparaître en son sein une arme qui, par la rupture

dimensionnelle qu’elle introduisait, rendait caduques les organisations construites autour des

puissances de feu –artillerie, aviation – mises en jeu par la physique classique. » Dominique

Pignon, « La guerre-monde », in Communications, No. 42, 1985, p. 90 [p. 87-102].

10. On en trouve encore l’indice dans l’article de Dominique Pignon : « La sortie hors du champ

de l’échelle humaine, hors de la perception immédiate, oblige au détour de la formalisation et de

la simulation. La guerre nucléaire ne s’exprime plus que dans un langage code ́ inaccessible au

non-spécialiste. » Ibid., p. 94.

11. Michel Serres, Petite Poucette, Manifestes, Paris, Editions le Pommier, 2012, p. 28.

12. Méthode mnémotechnique consistant à associer à des lieux connus des éléments que l’on

veut mémoriser. Elle est utilisée depuis l’Antiquité, d’après l’étude qu’en fait Frances Yates : voir

Frances Yates, Danijel Aras et Sreten Maric, L’Art de la mémoire, Paris, Gallimard, Bibliothèque des

Histoires, 1987.

13. « Palais de la mémoire. »

14. « Je sais où j’étais quand je l’ai entendue. »

15. À l’exemple de l’arrêt du 10 avril 2013 de la Cour de Cassation : http://

www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_568/344_10_26000.html,

lien consulté le 15 mars 2014.

TV/Series, 6 | 2014

261

16. « A person’s conception of himself or herself can be distinguished by two categories: the

‘‘now self,’’ an identity established to others, and the ‘‘possible self,’’ an identity unknown to

others. […] Unlike anonymous online environments, nonymous settings place more constraints

on the freedom of identity claims. However, they provide an ideal environment for the

expression of the ‘‘hoped-for possible self,’’ a subgroup of the possible-self. This state emphasizes

realistic socially desirable identities an individual would like to establish given the right

circumstances. » (« La conception qu’une personne a d’elle-même peut être divisée en deux

catégories : le « moi actuel », une identité fondée aux yeux des autres, et le « moi possible », une

identité inconnue des autres. […] Contrairement aux sphères anonymes d’Internet, les

paramètres nonymes imposent plus de contraintes sur les prétentions à la liberté d’identité.

Cependant, ils assurent un environnement propice à l’expression du « moi possible espéré », une

sous-catégorie du moi-possible. Cet état met l’accent sur les identités réalistes et socialement

souhaitables qu’un individu voudrait établir dans les bonnes circonstances. ») Soraya

Mehdizadeh, « Self-Presentation 2.0: Narcissism and Self-Esteem on Facebook », Cyberpsychology,

Behavior, and Social Networking, Vol. 13, No. 4, 2010, p. 358 [p. 357-364].

Or, parce que l’internaute a une maîtrise apparente de ce qu’il laisse voir aux autres, il est en

même temps grisé par l’assurance d’une attention constante et ce qu’elle apporte à son estime

personnelle, comme l’indique d’ailleurs cet article sur le narcissisme et l’estime de soi sur

Facebook.

17. « Vous me répugnez. »

18. Les articles sur l’affaire Snowden par exemple se sont multipliés, à tel point que Wikipédia

propose dans ses sources près de 500 articles de la presse mondiale sur le sujet. Des pétitions ont

été créées dans plusieurs pays – dont la France – pour demander au gouvernement d’offrir l’asile

politique au célèbre informaticien.

19. « Grand frère te regarde », selon l’expression consacrée par le 1984 de George Orwell.

20. « Grand frère ne te regarde pas. »

21. « Personne ne peut être intelligent à ce point. »

22. « Plus de secrets. »

23. « Tout le monde ment. »

24. « Mens-moi. »

25. François Jost, De quoi les séries américaines sont-elles le symptôme ? , Paris, CNRS Éditions, 2011,

p. 47-49.

26. « Qu’êtes-vous : une idiote, une ivrogne ou une criminelle ?! »

27. Jost, p. 62.

28. « D’après mon expérience, mentir n’est jamais une bonne chose. »

29. Friedrich Nietzsche, « Introduction théorétique sur la vérité et le mensonge au sens extra-

moral », in Le Livre du philosophe, Paris, Aubier-Flammarion, Flammarion Bilingue, 1969, p. 2.

30. « C’est ce que je veux dire quand je parle du temps, de la mort, de futilité. Ça met en œuvre

des idées plus larges, principalement ce qui est dû entre nous, en tant que société, pour préserver

nos illusions respectives. »

31. « Vous devez vous rassembler, et vous raconter des histoires qui violent toutes les lois de

l’univers, juste pour survivre un jour de plus ? Qu’est-ce que ça dit sur votre réalité ? »

32. « Les gens… J’ai vu le dernier souffle de milliers de vies, mec. Des jeunes, des vieux, chacun si

sûr d’être réel. […] La vérité finit par se savoir, et tout le monde l’a sous les yeux : une fois qu’on

coupe les fils, tout s’effondre. »

33. « Nous sommes des choses qui nourrissent l’illusion que nous avons un « soi » ; nous sommes

un amalgame de sens, d’expérience et de sentiments, programmés pour avoir la certitude absolue

que chacun de nous est quelqu’un, alors qu’en réalité tout le monde n’est personne. »

34. Armand Mattelard, « Vers une globalisation », in Réseaux, Vol. 18, No. 100, 2000, p. 81- 105.

35. « Vous n’êtes pas hanté par la guerre, Dr. Watson. Elle vous manque. »

TV/Series, 6 | 2014

262

36. « La plupart des gens errent dans cette ville et tout ce qu’ils voient, ce sont des rues, des

boutiques et des voitures. Quand on marche avec Sherlock Holmes, on voit le champ de bataille. »

37. Pour plus de détails sur l’utilisation qui est faite des types dans Sherlock, et sur les limites de

cette démarche, consulter l’essai d’Anne Kustritz et de Mélanie E.S. Kohnen, « Decoding the

Industrial and Digital City: Visions of Security in Holmes’ and Sherlock’s London », in Sherlock and

Transmedia Fandom: Essays on the BBC Series, Jefferson, MacFarland, 2012, p. 85-102.

38. « Est-ce que vous l’avez regardé ? Obésité morbide, mauvaise haleine de célibataire vivant

seul, manche droite typique d’un accro au porno sur Internet, respiration d’une personne

atteinte d’une maladie cardiaque non traitée, peu d’amour-propre, QI médiocre et espérance de

vie limitée ; et vous pensez que c’est un audacieux génie du crime ? »

39. COHLE. Tu penses que le Q.I. de ce groupe est de combien ?

HART. Tu peux voir le Texas, de là-haut, monté sur ton grand cheval ? Qu’est-ce que tu sais de ces

gens ?

COHLE. Observation et déduction, c’est tout. Je vois une propension à l’obésité. De la pauvreté. Une

envie de conte de fées. Des gens mettant le peu d’argent qu’ils ont dans un petit panier en osier

qu’ils se font passer. Je pense qu’il n’est pas exagéré d’affirmer que personne ici ne va diviser

l’atome, Marty.

40. Jost, p. 15-16.

RÉSUMÉS

Les années 2000 ont vu apparaître cinq séries au concept très similaire : Sherlock, Elementary,

House M.D., Lie to Me et The Mentalist. Chacune d’elles présente un personnage principal dont le

pouvoir quasi-surnaturel consiste à lire les émotions, les mensonges et les caractéristiques de

tous d’un simple regard. Plus précisément, chacune d’elles offre à son public une adaptation plus

ou moins libre du célèbre personnage d’Arthur Conan Doyle : Sherlock Holmes. Plus tard, la série

True Detective donnera à voir, à partir d’un concept différent, un personnage tout aussi perspicace

et presque aussi surnaturel. Il s’agit ici de comprendre la variété et l’unité de ces adaptations, et

d’analyser pourquoi l’archétype de ce détective envahit aujourd’hui nos écrans de télévision. Car

s’il est transposé d’un univers de la fin du XIXe siècle à nos jours, c’est qu’il véhicule une idéologie

– un rapport à l’intelligence, à l’intime et à la vérité – résolument moderne. Ces séries seront

ainsi considérées en tant que symptôme des errances et mœurs de la génération 2.0, dont

Internet et les réseaux sociaux en particulier ont transformé et transforment encore les valeurs,

notamment celle du « secret », ce à quoi s’était déjà intéressé François Jost dans son essai sur « De

quoi les séries américaines sont-elles le symptôme ? ».

The 2000s saw the emergence of five TV shows with very similar concepts: Sherlock, Elementary,

House, Lie to Me, and The Mentalist. Each of these portray a principal character with a quasi-

supernatural power to read others’ emotions, lies, and personalities with a single glance. More

precisely, each show presents its public with a more or less free adaptation of Arthur Conan

Doyle’s famous character: Sherlock Holmes. Later, though founded on a different concept, the

show True Detective would portray another character just as perceptive and almost as

supernatural. Here, we aim to understand the variety and unity of these adaptations and to

analyze why the archetype of this particular detective has invaded our television screens today.

If he has been transported from a universe of the end of the nineteenth century to today, it is

TV/Series, 6 | 2014

263

because he carries a resolutely modern ideology — a relation to intelligence, to the intimate, and

to truth. These shows will thus be considered as symptoms of wanderings and habits of

generation 2.0, for whom the internet and social networks in particular have transformed and

still transform values, especially that of the “secret”, a topic that François Jost has already

addressed in his essay « De quoi les séries américaines sont-elles le symptôme ? [Of what are

American TV Shows Symptomatic?] ».

INDEX

Keywords : Sherlock, Elementary, True Detective, archetype, adaptation, detective story, secrecy

Mots-clés : Sherlock, Elementary, True Detective, archétype, adaptation, enquête policière,

secret

AUTEUR

MARIE MAILLOS

Marie Maillos est actuellement doctorante contractuelle au Laboratoire d’Analyse et de

Recherche en Audiovisuel (LARA) à l’université de Toulouse. Ses recherches portent sur les

showrunners et leurs personnages de séries télévisées. Elle a auparavant étudié l’écriture de

scénario à New York (School of Visual Arts – SVA) et en France (École Supérieure d’Audio-Visuel

– ESAV).

TV/Series, 6 | 2014

264

Quatermass and the Pit: from BritishSF TV serial to Gothic Hammer filmGaïd Girard

1. From series to film: a few elements of context

1 The Quatermass TV serials are a monument in the history of post-war British

television. The three hugely popular serials – The Quatermass Experiment (1953),

Quatermass II (1957), Quatermass and the Pit (1958-9) – were all written by Nigel Kneale

and broadcast by the BBC between 1953 and 1959. They were transmitted live and did

not resemble anything that had been done before; they gripped the entire nation –

including the Queen1, combining for the first time science fiction and horror in

sophisticated plots aimed at adults. In the early fifties, TV was basically “radio with

pictures” according to Nigel Kneale. When the shooting of the first serial began, The

BBC production team were unable to devise a credible man/monster; in order to signify

astronaut Carroon’s mutation, Kneale had to fabricate and operate huge fungus-like

puppet hands which he filmed at close range. Working with director Rudolph Cartier,

and using electronic music for the first time in this type of production, Kneale invented

a truly “televisual” style2.

2 The first two Quatermass stories were quickly adapted to the big screen by Hammer

films (Val Guest, 1955-1957) whereas Quatermass and the Pit, a colour film directed by

Roy Ward Baker, was released later in 1967. The original titles were retained in Britain,

except for the first one, which was slightly altered to The Quatermass Xperiment, in order

to cash in on the supposedly alluring power of the newly categorized Xrated films. But

contrary to British television, Hammer films which included American financing from

the start also targeted the American market3. Yet, Hammer productions always

retained a specifically British flavour, not only because plots were set in Britain but

also because the filming was done on location, in British country houses, landscapes,

and small villages rather than in studios4. The Hammer style was distinctly different

from that of Corman in the US or Bava in Italy, who also specialized in the horror

genre.

TV/Series, 6 | 2014

265

3 The Quatermass films were huge hits on both sides of the Atlantic. In fact, it was the

success of the first one, The Quatermass Experiment, that made Hammer shift its

production to concentrate on the horror genre, so successful in the following years;

films like The Curse of Frankenstein (1957), Dracula (1958), The Mummy (1959) developed a

highly sensational and intense – some would say rather crude – visual style,

foregrounding graphic violence and sexual titillation. This was also a response to the

increased popularity of television, made more powerful by the arrival in 1955 of ATV, a

new British commercial channel. Cinema audiences were starting to dwindle and

Hammer films, which had always used stories adapted from the radio or from

television, kept a close eye on what could draw spectators to see their films.

4 All these parameters should be kept in mind when working on the film adaptations of

the Quatermass stories. Moreover, the proximity between TV and the cinema worked

both ways: while Hammer adapted well-known TV serials to the big screen, the TV

producer and director of the Quatermass serials, Rudolph Cartier, claimed that his aim

was to “bring cinema effects to TV studios5”, using for example inserted film sequences

in his live studio recordings. Cartier, born in Austria, was a pupil of Max Reinhardt in

Vienna. He originally worked as a scriptwriter and director in Berlin for the UFA

studios, before fleeing nazism in 1935, following Billy Wilder to America; he finally

settled in Great Britain. The lighting and some of the close range shots on the mutating

astronaut’s face in The Quatermass Experiment, the crowd scenes in Quatermass II, the

mass killings in Quatermass and the Pit all bear obvious traces of Cartier’s Austrian/

German period, blended with American know-how. With the Quatermass stories, both

the BBC and Hammer productions broke aesthetic and visual ground in popular media6.

2. Recycling a British background

5 Quatermass and the Pit, the third and most acclaimed production of the Quatermass

serials is the only one for which Nigel Kneale wrote the scripts both of the TV serial and

the film. In an interview with Paul Wells, Kneale explains that when he started working

on science-fiction stories, he wanted to do something different from the usual

simplistic American science fiction movies, and that he aimed at “something British but

not flag-waving, something with real human interest and some good humour7.” He also

declared that he preferred the TV serial to the filmic version of his story, which

“suffered from shrinkage” and never allowed room for comic relief, to ease off the

melodrama. “Film story telling is cruder,” he bluntly concludes8. Obviously, six 35-

minute-long TV episodes can say more than a 93-minute-long film. But besides the

issue of time and length, one of the distinctive features of the TV serials which is not to

be found in the film lies in the way this obviously highly fictional story of ancient

beings coming from outer space and having caused the human race to mutate is deeply

anchored in British social reality.

6 An outline of the story has to be given here before going any further. As in all the other

Quatermass stories, the main character Bernard Quatermass, the head of the British

Experimental Rocket Group, has to wrestle with an alien threat from outer space. In

Quatermass and the Pit, the danger seems to have been lying in wait for over five million

years in the form of a strange capsule unearthed by construction workers in the heart

of London. Primitive humanoid skulls lying about and dead horned insects found in the

capsule point to the mind-boggling hypothesis offered by Quatermass and the

TV/Series, 6 | 2014

266

paleontologist, Roney: five millions years ago, Martians decided to colonize the earth

by proxy since life on their planet was doomed. They imported terrestrial apes and

through something akin to selected breeding and atomic surgery, they implanted in

them higher intelligence and new faculties, together with memories of life on Mars,

before bringing them back to earth.

7 The capsule found in the excavation must have been an accident in which all creatures

died, Martian insects and Earth apes alike. Other spaceships must have fulfilled their

mission to allow the implantation of Martian genes in humankind, thus enabling its

progression, in the manner of the black monolith in Kubrick's 20019. As TV Quatermass

claims: “We are the Martians now”; indeed, most of them are just that — mutated

human beings complete with dormant archaic memories of elimination and the mass

slaughter of deviant individuals. As the energy of the capsule is liberated, some humans

standing near it begin to experience headaches and visions of insect mass killings

which send them reeling and screaming away; those images look like ancient cave

drawings, descriptions of ghost sightings and uncanny phenomena in the area dating

back to the 17th century, thus bridging alien insect-like creatures with the dawn of

humanity.

8 In a climatic final scene, the capsule fed by a TV power line glows white and sends the

entire London population on a rampage; any human being immune to the mutation

that took place five million years before is ruthlessly killed. Roney, one of the few

immune people, who succeeds in escaping the murderous crowd hurls iron into the

mass of energy emanating from the capsule and ultimately destroys it, sacrificing his

life in the process. Londoners, and eventually the human race, are saved.

9 As was said, Nigel Kneale preferred the time and space given by the TV serial format,

which gives full scope to his view that a kind of balance between melodrama and

humour should be kept10. Indeed, the TV episodes are interspersed with funny and

typically British scenes linked with beer and whisky in the pub, tea (stretching as far as

reading tea leaves) in sitting room, and leisure (the audience is treated to a narrative of

a fantastic trout fishing party). They also draw on British reality and a tradition of

realistic British documentary on TV: the first episode mentions race riots, recalling for

contemporary audiences the Notting Hill race riots of 1958, while a black construction

worker is shown on screen together with other middle-aged workers. This does not

appear in the film.

10 Yet, the film retains from the TV serial several socially and politically related issues: an

obvious reference to images of the London Blitz, only a few years back and still vivid in

the memory of British people; a pointed criticism of narrow minded and dangerous

army bureaucrats11; a sexist attitude towards Roney’s assistant Barbara Judd; last but

not least, a surprisingly lucid awareness of media matters, and the role of television in

particular. Indeed, in both the TV serial and the film, a TV news bulletin broadcast live

from the pit is interrupted before the very eyes of pub customers who complain about

missing their next program. A cut back to the pit shows a scene of pandemonium where

camera and reporters are trampled over by a panic-stricken crowd. Disaster makes

reporting impossible, and television is outdone by the magnitude of the catastrophe.

Reality becomes too excessive for static TV to represent it adequately. Yet, the end of

the serial reinstates the BBC as the privileged medium to analyse and make sense of the

world and human nature. Contrarily, the film offers a very different conclusion by

showing a last image of utter disaster in deserted London.

TV/Series, 6 | 2014

267

3. Two endings / two widely different cultural agendas

11 In the serial ending, the destruction of the capsule is represented with much economy

and virtually no special effects. A white screen with appropriate soundtrack signifies

the destruction of the pulsating source of energy and the disappearance of Roney.

When the smoke clears, only white rubble is left scattered at the bottom of the

excavation. In the epilogue, Quatermass, filmed by the BBC, surrounded by all the

representatives of society, including a priest, delivers the moral of the story and

transforms Roney into a hero who singlehandedly defeated the not-so-alien force and

sacrificed himself for humanity. The menace of our own impulse for destruction is

channelled back into language in the form of a lucid, rational conclusion, appealing to

human reason, with a whiff of the allegorical12. Thus the BBC recovers its function as

the recording instrument of social normality and order; Quatermass’ concluding speech

partakes more of Shakespeare’s epilogues than of cinematographic last shots. This

ending can be seen as a hymn to the role of the BBC, with the last shot pointedly

showing the studio sign “SOUND ON/VISION ON”.

12 Drawing on much more extensive technical means, the ending of the Hammer film is

obviously more spectacular, but also deeply different in spirit and aesthetics. The shot

of the energy-laden horned devil rising hugely against the London sky cannot help

triggering memories of white atomic clouds and post-world-war-II angst. It is all the

more efficient as its appearance has been built throughout the film on the dialectics

between underground forces of the past and cosmic threats of elimination, in keeping

with Gothic vertical aesthetics. Contrary to the TV serial where the excavation was

carried out at ground level and the artefact was found lying horizontally, the film

locates the capsule deep in the London underground, at Hobb’s Lane tube station. This

shift creates a totally different sense of space, including numerous high- and low-angle

shots taken in the pit and many darkened shots typical of Gothic aesthetics. The depth

of the drilling allows very slimy earth to be shovelled out in order to unearth the space

ship. The sheer primitive physicality of the location is made much more impressive and

paves the way for the horrifying bodies of the insects, which putrefy under our gaze

the minute they are exposed to open air, in true Lovecraftian manner. Baker makes

extensive use of colour here: greenish fluid oozes out of the Martians’ bodies, turning

everybody's stomach inside out (see plate 1). The TV insects looked much more

civilized (see plate 2).

TV/Series, 6 | 2014

268

Plate 1: Green gore in the film version

Plate 2: BBC version of the Martians

4. Threatened British masculinity

13 From the film’s womb-like slimy pit, unleashed telluric forces are redirected upwards

into a highly phallic and cinematic idol-like shape shimmering in the sky (see plate 3).

This effigy which holds nearly the entire population in a zombie-like murderous trance

(Romero’s living dead are only a year away) is ultimately attacked by another thrusting

tower of strength, a metallic crane ridden by heroic Roney. An epic confrontation takes

place between two male powers fighting for the control of London/the earth and the

TV/Series, 6 | 2014

269

Human Mind. This highly sexualized scene – a hallmark of the Hammer manner –

points to a hysterical response to threatened British masculinity.

Plate 3: Unleashed telluric forces in the film version

14 Indeed, more obviously in the film than in the TV serial, Barbara Judd, Roney’s

assistant is an unstable construction: her brain is more susceptible than her male

counterparts’ to the influence of the forces emanating from the capsule, and she is the

medium through which Quatermass understands the pattern of ritual slaughter which

has been planted in most human brains for five million years13. She is also an efficient

and smart assistant, and the sexual focus of the whole film, reminiscent of James Bond

girls. But, in the last scene, she errs zombie-like in the street before Quatermass socks

her, knocks her out and slings her over his shoulder, in cliché barbaric fashion – a

rather extreme gesture which nevertheless seemed necessary for the rounding up of

the narrative and the final victory of civilization.

15 Physical mistreatment of women is frequent in the Hammer horror tradition and is also

a staple of the Gothic genre. Hammer's sensational treatment of the Quatermass and the

Pit story develops in a rather frenetic style what was already graphically present in the

TV serial, i.e. issues of uncertain masculinity. But whereas the serial reinstates male

control and order, turning a science fiction drama into a post-war meditation on

human nature, the film, shot nearly ten years later in 1967, leaves gender issues

stridently open. Gothic horror has always been a means of addressing unresolved social

and political contradictions and Hammer's Quatermass and the Pit is no exception.

16 Not only does it graphically echo nuclear holocaust through the white hot silhouette

towering over London but it also ends on a dire vision of defeated British manhood,

represented by a limp, slumping Quatermass, and pointing to the insignificance of a

nation squeezed between two cold war giants, especially after the Suez crisis (1956).

The credits roll on two broken characters, a man and a woman isolated in depressed

post-war London where only the siren of a firemen’s engine can be heard in the

distance. The ultimately philosophical BBC serial has given birth to a gothic disaster

film; the issue of post-holocaust humanity and the strictly gendered fabric of society lie

at the core of both narratives by pessimist Nigel Kneale. Paradoxically, Barker’s

wasteland leaves room for a totally new London to emerge, such as in Antonioni’s Blow

Up (1966) or Nicholas Roeg’s Performance (1970) where new media and altogether

another Britain will be given pride of place.

BIBLIOGRAPHY

BRUNDSON Charlotte, “‘A fine and private place’: the cinematic spaces of the London

Underground”, Screen 47(1), 2006, p. 1-17.

HUNTER I.Q. (ed.), British Science Fiction Cinema, London and New York, Routledge, 1999.

TV/Series, 6 | 2014

270

HUTCHINGS Peter, “We are the Martians now”, I.Q. Hunter, British Science Fiction Cinema, London,

Routledge, 1999, p. 33-47.

HUTCHINGS Peter, Hammer and Beyond: the British Horror Film, Manchester, Manchester University

Press, 1993.

JAMESON Fredric, Archaeologies of the Future, London, New York (2005), Verso, 2007.

JOHNSON William, “Mars Attacks”, Film Comment, March-April 1997, p. 64-67.

SUVIN Darko, “On the Poetics of the Science Fiction Genre”, College English, Vol. 34, No. 3,

December 1972.

WELLS Paul, “Apocalypse then! The ultimate monstrosity and strange things on the coast… An

interview with Nigel Kneale”, I.Q. Hunter (ed.), British Science Fiction Cinema, London and New

York, Routledge, 1999, p. 48-56.

WRIGHT Will, “The Face of Quatermass: National Identity in British Science-Fiction”, Offscreen,

2008, Vol. 12, No.10, http://www.screenonline.org.uk/people/id/1181098/, last consulted on

December 7th, 2014.

NOTES

1. Cf. “The Kneale tapes” in the BBC DVD bonus: when Nigel Kneale aired an adaptation of

Orwell’s 1984 after the first Quatermass serial, sections of the audience were shocked at the

violence shown on TV. Questions were asked in Parliament, but it turned out that Buckingham

Palace liked the programme and the outcry died off.

2. Ibid.: see “The Kneale tapes” and “Conversation between Nigel Kneale and Rudy Cartier”.

3. The Quatermass films were retitled for the American market since the name Quatermass did

not have the appeal it had for British audiences; respectively The Creeping Unknown (1955), Enemy

from Space (1957), Five Millions years to Earth (1967).

4. Will Wright, “The Face of Quatermass: National Identity in British Science-Fiction”, in

Offscreen, 2008, Vol. 12, No. 10, http://offscreen.com/view/face_of_quatermass, last consulted on

December 7th, 2014.

5. Cf. Nigel Kneale in the BBC DVD bonus: “Rudy put a lot on the small screen. He burst it open.

That really did break the bounds of Mrs Smith drawing room”.

6. Cf. BBC Screenonline: “Cartier exploded the myth that television was by its nature small-scale,

having to aspire to the ‘intimate’. He excelled in staging wide-ranging stories, large vistas, and

crowd scenes in the studio, spectacles hitherto believed inimical to television. To do this he often

inserted extensive pre-filmed sequences into his live productions. While other directors used

such inserts as little more than filler material or for scene setting, in Cartier’s hands they brought

the story to life, allowing it to expand beyond the cramped studio. (…) This highly visual aspect of

his work has led some to call Cartier’s style ‘cinematic.’ However, his large-scale images were not

big pictures as for a big screen, but images that challenged the confines of the domestic screen.

As such, his work is essentially ‘televisual.’ http://www.screenonline.org.uk/people/id/1181098/,

last consulted on December 7th, 2014.

7. “I wanted to write some strong characters, but did not want them to be like those horrible

people in those awful American science fiction films, chewing gum and stating the obvious. Not

that I wanted to do something terribly British, but I really didn’t like all the flag waving you got

in those films. I tried to get real human interest in the stories, and some good humour.”, in Paul

Wells, “Apocalypse then! The ultimate monstrosity and strange things on the coast… An

TV/Series, 6 | 2014

271

interview with Nigel Kneale”, in I.Q. Hunter (ed.), British Science Fiction Cinema, London and New

York, Routledge, 1999, p. 50.

8. Ibid., p. 54.

9. 2001 A Space Odyssey was released in 1968.

10. Cf. Paul Wells, op. cit., p. 54.

11. Kubrick’s Dr Strangelove was released in 1964.

12. Here is the end of Quatermass’ speech: “We are armed with knowledge. We also have

knowledge of ourselves and of the ancient destructive urges in us that grow more deadly as our

populations increase and approach the size and complexity of those of ancient Mars. Every war,

crisis, witch-hunt, race riot, purge, is a reminder and a warning. We are the Martians. If we

cannot control the inheritance within us, this will be their second dead planet.”

13. Roney has devised a machine which records the brain waves of individuals and projects them

on a screen for the others to see.

ABSTRACTS

This brief article aims at showing the shift of ideological and aesthetic perspective underlying

the transposition of the 1950s Quatermass British TV serials to the later Hammer film version of

the original BBC program. While the science fiction TV Quatermass reads as an obvious

declaration of philosophical faith in the restoration of social normality and order in spite of alien

threats from outer space, the Hammer films tend to enhance a more Gothic approach of a

disaster film where uncertainties of all kinds eventually prevails. Post-WWII convictions and Cold

War tensions either support or undermine the evolution of the plotline and its subterranean

vision of the world as we pass from tv serials to films.

Cet article tente de montrer le glissement de perspective idéologique et esthétique qui sous-tend

la transposition des feuilletons britanniques des années cinquante de Quatermass à la version

Hammer Films plus tardive de l’émission originale de la BBC. Tandis que la science-fiction de

Quatermass se lit comme une déclaration évidente d’une foi philosophique dans le rétablissement

de la normalité et de l’ordre sociaux malgré les menaces d’extraterrestres, les Hammer films ont

tendance à privilégier une approche plus gothique d’un film de désastre où des incertitudes de

toutes sortes prévalent. Les convictions d’après-guerre et les tensions de la Guerre Froide soit

soutiennent, soit ébranlent l’évolution du récit et sa vision souterraine du monde en passant des

feuilletons aux films.

INDEX

Keywords: Quatermass, transposition, science fiction, Gothic fiction, historical context

Mots-clés: Quatermass, transposition, science-fiction, fiction gothique, contexte historique

TV/Series, 6 | 2014

272

AUTHOR

GAÏD GIRARD

Gaïd Girard is a full professor at the UBO (University of Western Britanny). Her areas of interest

include the Gothic and the Fantastic, especially in Irish Literature and the Visual Arts

(she published a book on Irish author Sheridan Le Fanu and edited another one on the Uncanny

in Irish Literature). She has recently co-edited an on-line journal issue about Ireland and

photography. (Lisa Vol. 12, No. 3 | 2014, Freeze-Frame: Photography, Icons and Literature in Ireland /

Arrêt sur Image : Photographie, icônes et littérature en Irlande http://lisa.revues.org/5876). She has

also written extensively on cinema (Kubrick, Roeg, Epstein, Marker and SF in general). She is

currently working on representations of the Posthuman within the research group she heads in

Brest, Heritages and Constructions in Texts and Images (http://www.univ-brest.fr/hcti).

TV/Series, 6 | 2014

273

Comptes-rendus

TV/Series, 6 | 2014

274

Jonathan Bignell’s conference:“Adventures between TV and film,and between Britain and America” (Journée thématique GUEST-Normandie Séries/cinéma, Novembre 21st,2014, Caen)

Shannon Wells-Lassagne

1 Jonathan Bignell’s keynote address broached the central topic of the relationship

between film and television by focusing on the link between Ian Fleming’s iconic

character James Bond and the adventure series of the 1960s. As his talk made perfectly

clear, the topic is a very rich one, as it reveals largely unknown affiliations both

between television and film and between British and American productions.

2 To a large extent, the overlap was due to practical circumstances. Though Ian Fleming’s

character has come to represent the height of Britishness, and at the time participated

in the “cool Britannia” concept so popular in the 1960s, it turns out that transatlantic

concerns have always had an important role in bringing Bond to the screen. In fact, his

first screen appearance was not in film, but in a live TV broadcast in the US, where

“Jimmy Bond” faced off against Peter Lorre playing “Le Chiffre”; the first film

adaptation of the Bond novels, Dr. No, was originally developed as a treatment (and a

pilot episode) for a new television series, called James Gunn – Secret Agent, where the

title character was in fact an American; and before Daniel Craig and Martin Campbell

finally brought the first Bond novel to the screen, the premise of Casino Royale was

adapted for American television as The Man from UNCLE. Though today we may see Bond

as a British film icon, his associations with television and with the US are undeniable.

3 Likewise, if we look at some of the British spy series that were so popular in the 1960s

(The Prisoner, The Persuaders , The Saint , The Champions , Danger Man ), we can notice a

similar transatlantic bent. These series were all filmed largely in Pinewood and Elstree

studios, in many cases sharing studio space with the Bond films and their like, and

sought to emulate Bond by creating an international feel in their cosmopolitan

plotlines – but this transnational sentiment extended also to production, where series

TV/Series, 6 | 2014

275

were filmed rather than performed live so as to be able to export the series to the

American market, and made use of Americans fleeing McCarthyism or the Vietnam War

both in front of the camera and behind it. Indeed, series like The Saint, which was

originally conceived by the head of the production company as a means of interesting

an American audience in a British fiction, was filmed in color exclusively for American

use, as Britain would not use color television until 1967.

4 Diegetically, these series had a distinctive spatial aesthetic, using outdoor local

shooting (still a relative novelty at this time), and lots of stock footage of foreign

locales. Place and movement between those places is a real attraction, creating a sort of

transnational utopia, and focusing on “international non-places” like international

hotels, highways, etc., where different cultures meet. From this perspective, Bignell

suggests, these series were anticipating what we today refer to as media convergence,

both in their close association with film sets and audiences as well as with film plots –

international adventurers/spies who travel across space, police and manage space. As

the 60s continued, television became increasingly similar to film, using more expensive

locales (capital cities, Monte Carlo) and casting film stars (such as Tony Curtis in The

Persuaders) with an increased emphasis on an international cast (as can be seen in the

interaction between Roger Moore’s Brit and Tony Curtis’s Yank in that same series). The

Prisoner seems particularly relevant here, as its outdoor filming in Portmeirion, with its

medley of Mediterranean aesthetics seemed characteristic of the assortment of

international locations typical of the spy fiction, while its interiors made use of the

high-tech aesthetic recurrent in Bond films. As such, these spy series demonstrate a

mixture of national specificity and internationalism, and of the profound interactions

between television and film.

INDEX

Keywords: James Bond, cinema, television, adaptation, Great Britain, United States (the)

Mots-clés: James Bond, cinéma, télévision, adaptation, Grande-Bretagne, États-Unis

AUTHOR

SHANNON WELLS-LASSAGNE

Shannon Wells-Lassagne is an associate professor (maître de conférences) at the Université de

Bretagne Sud in Lorient, France. She works primarily on the relationship between literature and

film and television. She is the co-author (with Laurent Mellet) of Étudier l’adaptation filmique:

cinéma anglais, cinéma américain (Presses Universitaires de Rennes, 2010), and the co-editor (with

Ariane Hudelet) of Screening Text: Critical Perspectives on Film Adaptation (McFarland, 2013), De la

page blanche aux salles obscures: l’adaptation filmique dans le monde anglophone (Presses Universitaires

de Rennes, 2011), and (with Delphine Letort) of L’Adaptation cinématographique: premières pages,

premiers plans (Mare et Martin, 2014). She has also edited special issues of Interfaces (“Expanding

Adaptations”, No. 34, with Ariane Hudelet) and GRAAT Online (“Television and Narratology: New

TV/Series, 6 | 2014

276

Avenues in Storytelling”, No. 15, with Georges-Claude Guilbert). Her work has appeared in The

Journal of Adaptation in Film and Performance, Critical Studies in Television, Études britanniques

contemporaines, Irish Studies Review, The Journal of the Short Story in English, Cinémaction, and Études

irlandaises.

TV/Series, 6 | 2014

277

Tara BENNETT (ed.), Showrunners: TheArt of Running a TV ShowLondres, Titan Books, 2014 (240 p.)

Florent Favard

RÉFÉRENCE

Tara Bennett (ed.), Showrunners: The Art of Running a TV Show, Londres, Titan Books, 2014

(240 p.)

1 Conçu comme un companion book du documentaire Showrunners (Des Doyle, 2014),

Showrunners: The Art of Running a TV show est dirigé par Tara Bennett, spécialiste de ce

type de publication pour les séries et le cinéma : elle est notamment l’auteur (ou co-

auteur), entre autres, du September’s Notebook (Titan Books, 2013) qui accompagne la

série Fringe (Fox, 2008-2013), et de la Lost Encyclopedia (Brady Games, 2010).

2 Showrunners se veut le prolongement du film documentaire de Des Doyle, rassemblant

des entretiens, voire des participants, qui ne figurent pas dans les 90 minutes du long-

métrage (p. 13). Le but est le même : dévoiler l’envers du décor d’une profession encore

mal connue et pourtant très médiatisée aujourd’hui, celle des executive producers

responsables de l’équipe de scénaristes – la writing room – d’une série télévisée.

3 On y retrouve les grands noms de la télévision américaine, de Damon Lindelof à Joss

Whedon en passant par Jane Espenson (Once Upon a Time, ABC, 2011- ), mais aussi Janet

Tamaro (Rizzoli and Isles, TNT, 2010- ), Andrew Marlowe (Castle, ABC, 2009- ) ou Dee

Johnson (Nashville, ABC, 2012- ). Divisé en six chapitres, l’ouvrage s’articule de façon

thématique et Bennett se limite à l’introduction des rubriques en présentant le

contexte à grands traits. Place est faite aux entretiens et aux citations croisées sur des

domaines variés : les voix de différents showrunners s’enchaînent sur des sujets tels que

l’écriture d’un épisode pilote, la différence entre broadcast (networks accessibles

gratuitement) et cable, ou encore le rapport à la célébrité ; on croirait lire une

discussion riche et animée qui cherche à faire le tour de la question avec beaucoup de

TV/Series, 6 | 2014

278

sincérité et qui mobilise de nombreuses anecdotes. Cette plongée sans concessions dans

l’univers des showrunners est l’objectif visé – et atteint – dans cet ouvrage compilé par

Bennett.

4 Son premier chapitre s’intéresse au début de carrière des showrunners et, plutôt que de

dresser un parcours-type, il valorise les expériences variées des participants, en

mettant tout de même l’accent sur la hiérarchie très stricte de la writing room, les

exigences des studios et de la chaîne ainsi que sur les éventuels conflits qu’un

showrunner doit arbitrer. Le chapitre 3 poursuit cette réflexion sur les débuts de

carrière : l’importance des spec scripts est mise en exergue comme un moyen efficace de

faire connaître son style à une équipe en place, en écrivant un script non-sollicité. Là

aussi, les parcours sont variés, de l’écrivain dans l’âme qu’était Ronald D. Moore

(Battlestar Galactica, Sci-Fi, 2004-2009) aux brusques changements de carrière tels celui

de la journaliste Janet Tamaro, ou de l’avocat David Shore (House, Fox, 2004-2012). La

question des minorités encore trop peu représentées dans la profession est abordée via

les propos de Dee Johnson, Janet Tamaro et Ali LeRoi (Everybody Hates Chris, UPN>The

CW, 2005-2009), dans une rubrique dédiée d’une dizaine de pages qui ne fait guère le

tour de ce vaste problème. Le chapitre 5 conclut en évoquant les difficultés inhérentes à

la fonction de showrunner et, notamment, le moment où il faut décider de l’annulation

d’une série.

5 Au-delà de la profession elle-même, l’ouvrage de Bennett dévoile les ficelles du travail

d’écriture et permet de mieux connaître la perspective de celles et ceux qui conçoivent

les récits sur des questions déjà étudiées par les universitaires mais surtout du point de

vue du texte ou de la réception : les chapitres 2 et 4 abordent la différence entre les

séries « serialized » (feuilletonnantes) et procédurales, la composition et la répartition

du travail dans une équipe de scénaristes, les variations de l’écriture du câble aux

grands networks, chacun ayant ses avantages et inconvénients. C’est l’occasion d’avoir

un autre aperçu, pratique, empirique, qui tantôt valide les interprétations théoriques,

tantôt les défie ou les enrichit : la distinction cruciale entre les moves (les

retournements de situation) et les « moments » faite par Joss Whedon (p. 99), la

difficulté de trouver un clue path original pour un épisode de série procédurale (p. 77)

ou encore le risque perpétuel de « run out of story », de perdre l’inspiration (p. 83). Le

chapitre 6 ajoute à ces considérations l’exploration rapide de phénomènes récents : la

prise en compte des retours des fans, les interactions sur les réseaux sociaux, ou

l’importance croissante des webséries, par exemple.

6 Malgré ses 240 pages, l’ouvrage est encore trop court pour venir à bout de toutes les

problématiques abordées, qui mériteraient chacune un livre entier. En attendant

l’émergence de « showrunner studies », Showrunners: The Art of Running a TV Show reste un

ouvrage essentiel pour qui s’intéresse aux séries télévisées du point de vue des études

du récit, des fan studies et des media studies : il offre sur le travail de showrunner un

aperçu encore trop rare aujourd’hui, et dresse le portrait d’une profession complexe en

pleine mutation.

TV/Series, 6 | 2014

279

INDEX

Mots-clés : documentaire, entretien, showrunner, écriture sérielle, études de la culture fan,

études des média

Keywords : documentary, interview, showrunner, serial writing, fan studies, media studies

AUTEURS

FLORENT FAVARD

Florent Favard termine actuellement son doctorat en études cinématographiques à l’université

Bordeaux Montaigne sous la direction de Pierre Beylot. Il travaille sur l’unité narrative des séries

télévisées de science-fiction contemporaines, abordant les notions de clôture narrative, de

canonicité, la réception du récit ou encore la configuration des mondes fictionnels. Il s’intéresse

plus largement aux évolutions contemporaines du récit sous toutes ses formes et aux genres de

l’imaginaire.

TV/Series, 6 | 2014

280