Du mode d’existence des théories dans les organisations. La fabrique de la décision comme praxis...

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L’objet de cet article est de renouveler la compréhension du rôle joué par la théorie, comme par exemple la théorie du choix rationnel, dans la fabrication des décisions organisationnelles. Nous approchons la prise de décision comme une praxis performative, c’est-à-dire un ensemble d’activités par lesquelles les acteurs produisant des décisions transforment des théories en réalité sociale. Nous généralisons l’approche en termes de praxis performative, qui articule les processus de conventionnalisation, d’ingénierie et de marchandisation, pour rendre compte des formes de mobilisation directes et indirectes des représentations théoriques par les acteurs dans la fabrique de la décision organisationnelle. LAURE CABANTOUS ESCP Europe JEAN-PASCAL GOND HEC Montréal, Canada Du mode d’existence des théories dans les organisations La fabrique de la décision comme praxis performative DOI:10.3166/RFG.225.61-81 © 2012 Lavoisier DOSSIER

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L’objet de cet article est de renouveler la compréhension du

rôle joué par la théorie, comme par exemple la théorie du

choix rationnel, dans la fabrication des décisions

organisationnelles. Nous approchons la prise de décision

comme une praxis performative, c’est-à-dire un ensemble

d’activités par lesquelles les acteurs produisant des décisions

transforment des théories en réalité sociale. Nous

généralisons l’approche en termes de praxis performative, qui

articule les processus de conventionnalisation, d’ingénierie et

de marchandisation, pour rendre compte des formes de

mobilisation directes et indirectes des représentations

théoriques par les acteurs dans la fabrique de la décision

organisationnelle.

LAURE CABANTOUS ESCP Europe

JEAN-PASCAL GONDHEC Montréal, Canada

Du mode d’existencedes théories dans les organisations

La fabrique de la décision comme praxis performative

DOI:10.3166/RFG.225.61-81 © 2012 Lavoisier

D O S S I E R

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Si les manuels de gestion regorgent deconseils pour aider les managers àprendre de bonnes décisions, les

théories exprimées dans ces ouvrages n’ontparadoxalement presque jamais été consi-dérées comme l’un des ingrédients dont senourrissent les pratiques décisionnellesdans les organisations. Comment expliquerune telle absence de la théorie dans les tra-vaux sur la décision organisationnelle ?Trois caractéristiques de cette littératureexpliquent selon nous ce paradoxe. Toutd’abord, la littérature sur la décision organi-sationnelle néglige le fait qu’elle contribue àconstruire son propre objet d’étude et ainsi àréifier la notion de décision (Langley et al.,1995, p. 264) qui est en général tenue pouracquise (Laroche, 1995). Ensuite, ces tra-vaux – même lorsqu’ils sont de nature cri-tique (Brunsson, 1982 ; Sfez, 1972) – adhè-rent généralement à la séparation artificielleentre, d’une part, les approches normatives,et de l’autre, les approches descriptives de ladécision. Enfin, la plupart des recherchessur la décision négligent la dimension maté-rielle des processus décisionnels et n’envi-sagent donc pas la façon dont les outils – quimatérialisent souvent des représentationsthéoriques de la décision – cadrent la pra-tique décisionnelle, contribuant de ce fait àréduire l’écart entre pratique et théorie.Pour résoudre ces trois problèmes et ainsiréintégrer la théorie comme un élémentconstitutif de la fabrication des décisions,cet article combine deux perspectives :celle de la fabrique de la stratégie qui per-met de rendre compte de la réflexivité desacteurs et de conceptualiser la prise de déci-sion comme une praxis impliquant desoutils et de nombreux acteurs (Golsorkhi,2006 ; Golsorkhi et al., 2010 ; Rouleau,

2005 ; Whittington, 2003) ; et celle de laperformativité, qui suggère que les théories,et en particulier la théorie économique,influencent les phénomènes qu’elles décri-vent, parfois même au point de créer desprophéties autoréalisatrices renforçant leurvalidité empirique et/ou la plausibilité deleurs postulats (Callon, 1998, 2007, 2010 ;Ferraro, Pfeffer, et Sutton, 2005 ; Latour,1996b ; MacKenzie et Millo, 2003). L’intégration de ces deux perspectives per-met d’envisager la fabrique de la décisionorganisationnelle comme une praxis perfor-mative c’est-à-dire un ensemble d’activitésau travers desquelles les acteurs produisentcollectivement des décisions et transfor-ment des théories de la décision organisa-tionnelle en réalité sociale dans les organi-sations (Cabantous et Gond, 2011,p. 577-579). Plus précisément, ce cadred’analyse articule les relations entre lesthéories de la décision organisationnelle,les outils d’aide à la décision, les acteursintervenant dans la prise de décision et lapraxis décisionnelle au travers de trois pro-cessus qui traversent les frontières organisa-tionnelles : l’ingénierie (matérialisation dela théorie dans les outils), la conventionna-lisation (encastrement cognitif des acteursdans des conventions liées à la théorie), etla marchandisation (vente des outils etconcepts issus de la théorie par les consul-tants, notamment) (Cabantous et Gond,2011 ; Cabantous et al., 2008). La généralisation du modèle de praxis perfor-mative à d’autres théories que celle du choixrationnel (Cabantous et Gond, 2011) permeten outre de proposer un agenda de rechercherenouvelé sur la fabrique de la décision. Cetteapproche invite en effet à analyser et à éva-luer le caractère performatif de toutes les

théories de la décision organisationnelle(théorie politique du choix, modèle de la pou-belle, modèle du surcodage, etc.), et àconceptualiser l’organisation comme unespace privilégié de performation des théo-ries du social (Latour, 1996b) – au-delà ducas spécifique de la théorie économiqueaujourd’hui bien documenté (Ferraro et al.,2005 ; Ghoshal, 2005). Un tel projet derecherche vise ainsi à mettre en lumière letravail qui soutient le rapprochement entred’une part, différentes représentations théo-riques de la décision, et, d’autre part, les pra-tiques décisionnelles. Réintégrer le rôle de lathéorie dans la fabrique de la décision amèneaussi à dépasser le constat selon lequel les organisations façonnent les décisions(Barker, 1993 ; Weber, 1978) pour prendreconscience du fait que la conception desorganisations et des processus décisionnelsest une opportunité de transformer demanière délibérée certaines théories en réalitésociales. Enfin, cet agenda de recherche viseà mettre en lumière les potentiels conflits deperformativité opposant de multiples théoriesde la décision s’incarnant dans les processusde prise de décision des organisations.Cet article contribue au renouvellement del’étude de la fabrication de la décision detrois manières : en spécifiant les processusau travers desquels les théories contribuentà la fabrique de la décision, en proposantune version consolidée et généralisée dumodèle de praxis performative et enfin enoffrant un agenda de recherche renouvelésur la fabrique de la décision.Après avoir analysé les conséquences de lanégligence du rôle de la théorie dans la lit-térature sur la décision organisationnelle, lemodèle généralisé de « praxis performa-tive » est présenté puis illustré en mobili-sant le cas de la prise de décision ration-

nelle. Finalement, un nouvel agenda estproposé pour éclairer le rôle de la théoriedans la pratique décisionnelle.

I – LES ÉTUDESORGANISATIONNELLES DE LA DÉCISION : DES THÉORIESSANS THÉORIE ?

Une brève mise en perspective de l’évolutiondes théories organisationnelles met en évi-dence trois limites des approches contempo-raines qui expliquent l’absence de prise encompte du rôle de la théorie : une réificationimplicite du concept de décision, un « grandpartage » artificiel entre approches norma-tive et descriptive de la décision, et l’ab-sence de prise en compte du rôle des objetset des dispositifs matériels dans l’étude dela décision.

1. De la critique de la rationalité à la déconstruction de la décision

Depuis les travaux de l’école de Carnegiedans les années 1960 (Cyert et March, 1963 ;March et Simon, 1958), la prise de décisionest un thème central de l’étude des fonction-nements organisationnels. Il existe donc unegrande variété de perspectives sur la décisionorganisationnelle. Certaines recherches parexemple, se sont centrées sur l’étude desantécédents et des conséquences de l’adop-tion de processus de décision rationnels dansles organisations (Dean et Sharfman, 1993 ;Forbes, 2007 ; Fredrickson, 1984). D’autrestravaux ont établi des typologies de proces-sus de décision (Nutt, 1984) ou ont étudié enprofondeur ces processus (Elbanna, 2006 ;Elbanna et Child, 2007) et ont révélé lastructure implicite des processus décision-nels (Mintzberg et al., 1976).Comme le font remarquer Eisenhardt et Zbaracki (1992) et ainsi que l’illustre

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l’œuvre d’un auteur tel que James March(Gond et al., 2005 ; Weil, 2000), un largepan des travaux sur la décision organisation-nelle s’est attaché à remettre systématique-ment en question les hypothèses du modèleéconomique de choix rationnel. Au sein dece courant critiquant la validité empirique dumodèle économique, on trouve la perspec-tive politique sur la décision organisation-nelle (March, 1962 ; March et Olsen, 1989 ;Pettigrew, 1973) qui montre que la décisioncollective émergeant des jeux d’acteursrationnels n’est pas nécessairement la déci-sion la plus rationnelle au sens économiquedu terme, quand bien même les acteurs fontpreuve d’une rationalité « stratégique » limi-tée (Crozier et Friedberg, 1980).D’autres travaux ont critiqué de façon plusradicale l’approche économique en ques-tionnant l’idée même de décision. Ces der-nières approches incluent par exemple lathéorie de l’action (Starbuck, 1983), lathéorie du chaos (Thiétart et Forgues,1995), les travaux de Brunsson (1982)consacrés à l’irrationalité des organisations,ou bien encore le modèle du garbage canqui pousse cette logique à son paroxysme(Cohen et al., 1972). Le modèle du garbagecan remet en cause l’idée selon laquelle lesorganisations cherchent à se comporter defaçon cohérente et conséquentialiste, etconsidère que l’action organisationnellerésulte d’un couplage faible entre des pro-blèmes, des solutions à la recherche de pro-blèmes, et des acteurs organisationnels. Si ces approches ont enrichi notre connais-sance des processus de décision organisa-tionnels en mettant en lumière de nouveauxprocessus, la logique de déconstruction etde mise en question systématique desconcepts de rationalité et de décision àlaquelle elles obéissent semble avoir atteint

ses limites. Comme le soulignaient déjàAnn Langley et al. en 1995 à la suite d’unerevue de la littérature extensive : « aprèsplus de trente ans de recherche, la littératuresur la prise de décision organisationnelleexpose sa propre léthargie » (Langley et al.,1995, p. 260-261). Ces travaux se heurtenten effet à trois problèmes fondamentaux quilimitent notre compréhension de la fabriquede la décision organisationnelle et appellentun renouvellement théorique.

2. Trois angles morts des étudesorganisationnelles de la décision

Une première limite inhérente à cettelogique de développement théorique est sonincapacité à rendre compte du fait que lesobjets qu’elle déconstruit semblent avoiracquis une certaine épaisseur empirique ettemporelle. Une lecture critique ethnomé-thodologique (Garfinkel, 1967) des travauxsur les processus décisionnels tels que ceuxde Mintzberg et al. (1976) ou Nutt (1984)suggère que la décision se laisse difficile-ment observée en contexte organisationnel,et qu’elle est donc en grande partie un pro-duit du chercheur, qui va identifier lesétapes de la décision, les labelliser et ainsiconstruire son propre objet (Langley et al.,1995). Laroche (1995) complète cette ana-lyse en montrant clairement comment leconcept même de décision s’est réifié en semaintenant comme une représentation utilepour les acteurs organisationnels et revêt uncaractère potentiellement autoréalisateur.Une seconde limite tient à la construction etau maintien d’un partage, entre d’un côtédes approches dite « normatives », commepar exemple l’approche économique ; et del’autre côté des approches dites « descrip-tives », comme par exemple les études surles processus de décision organisationnels

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dans la lignée de March et Simon (1958), etde Mintzberg et al. (1976). Cette structura-tion du champ d’étude est confortable(March, 2006) : elle permet aux approchescritiques d’éviter tout dialogue avec lestenants des approches normatives en consi-dérant que ces théories n’ont pas d’in-fluence sur les phénomènes organisation-nels (Eisenhardt et Zbaracki, 1992). Cetteopposition, dont la vérité empirique(March, 1978) et la validité épistémolo-gique (Putnam, 2002) sont douteuses, posecependant quelques problèmes. Elle ne per-met pas de rendre compte du rôle structu-rant des théories de la décision (et des outilsissus de ces approches théoriques) sur lespratiques organisationnelles. En effet, dupoint de vue des approches critiques, lesapproches normatives, reléguées dans unetour d’ivoire, n’ont pas d’influence sur lemonde organisationnel. Les approches« descriptives » ne sont pas non plus sus-ceptibles d’avoir une quelconque portée surles phénomènes organisationnels puis-qu’elles sont censées « décrire » une réalitéqui leur préexiste et n’ont pas la prétentiond’être prescriptives.Une troisième limite des approches cri-tiques de la décision organisationnelle estleur surfocalisation sur les dimensionshumaines, sociales et symboliques de ladécision comme mécanisme explicatif de laformation des décisions au détriment desactants non humains (Latour, 1996a, 2005).Pourtant, toutes ces « masses manquantes »(Latour, 1992) des processus de prise dedécision pourraient être l’un des refugesdes dimensions normatives exclues parconstruction des travaux adoptant une pers-pective descriptive sur la décision organisa-tionnelle. Cette négligence du rôle desobjets et outils dans les études organisation-

nelles est surprenante étant donné la placeaccordée aux dispositifs, instruments etoutils de gestion dans les travaux decontrôle de gestion qui ont mis en lumièrel’importance de la calculabilité des déci-sions de gestion (Aggeri et Labatut, 2010 ;Miller, 2001) ou dans les travaux consacrésaux rôles que jouent les technologies del’information dans la pratique décisionnelledans les organisations récemment synthéti-sés par Orlikowski et Scott (2008).Le renouvellement de l’étude organisation-nelle de la prise de décision passe donc parla construction d’une approche susceptiblede tenir compte de ces trois limites.

II – LA DÉCISIONORGANISATIONNELLE COMME PRAXIS PERFORMATIVE

Afin de réintégrer la théorie comme un élé-ment à part entière dans la fabrique desdécisions, nous proposons de généraliser lecadre d’analyse de la prise de décision orga-nisationnelle comme praxis performativeque nous avons développé dans des travauxantérieurs (voir Cabantous et Gond, 2011 ;Cabantous et al., 2008).

1. Un modèle conceptuel pour étudier la praxis décisionnelle

La réintégration du rôle de la théorie et desoutils d’aide à la décision dans la fabrique dela décision organisationnelle nécessite de sedoter d’une approche qui intègre la capacitéréflexive des acteurs et permette de décrirede manière fine les pratiques décisionnellesdans les organisations. Cette démarcheimplique également de rendre compte de lafaçon dont la théorie peut entrer en jeu ausein des différents éléments qui soutiennentet définissent les pratiques décisionnelles.

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La perspective de la fabrique de la décisionstratégique offre une grille d’analyseconceptuelle permettant de relever le pre-mier défi (Hendry, 2000 ; Jarzabkowski,2003 ; Whittington, 2006) en suggérant quela décision n’est pas une propriété de l’or-ganisation mais le produit d’un travail déli-béré (Langley, 1989). Autrement dit, ladécision organisationnelle est une praxis,un « faire » (Seidl et al., 2006), c’est-à-direun ensemble d’activités réalisées par diffé-rents types de praticiens qui s’appuient surdes outils, des cadres cognitifs et desméthodes pour « fabriquer » des décisionsorganisationnelles (Reckwitz, 2002).Les études sur la performation des théories(Callon, 1998 ; Callon et al., 2007 ; MacKenzie et Millo, 2003) complètentcette perspective en mettant en lumière lafaçon dont la théorie est mise en jeu dansles différents éléments constitutifs qui sou-tiennent la praxis décisionnelle dans lesorganisations : les outils et méthodes mobi-lisés par les acteurs peuvent être conçus demanière à refléter des postulats théoriquesou des cadres d’analyse (MacKenzie,2006). La cognition managériale et lesnormes qui gouvernent la prise de décisionpeuvent aussi être le produit d’un « encas-trement cognitif » des acteurs dans cer-taines théories (Callon, 1998). Selon cecourant de recherche, les outils et disposi-tifs de calculs peuvent jouer un rôle de« prothèse cognitive » pour les acteurs (Callon, 1998, 2007), rendant possible laréalisation de comportements économiquessur les marchés (Callon et Muniesa, 2005)et la prise de décision dans les organisations(Miller, 2001 ; Power, 2004).En intégrant ces deux approches, il est pos-sible de proposer une perspective sur la déci-sion organisationnelle comme praxis perfor-

mative, c’est-à-dire comme un ensembled’activités déployées par un collectif d’ac-teurs et dont le résultat est non seulement deproduire une décision mais aussi de trans-former une (ou plusieurs) théorie(s) de ladécision organisationnelle en réalité socialeau sein des organisations. Ce processus deconstruction sociale de la réalité organisa-tionnelle à l’image de la théorie peutprendre plusieurs formes. La praxis déci-sionnelle peut faire « exister » socialementles catégories et concepts propres à la théo-rie, selon la logique de la performation« générique » (Callon, 1998 ; Giraudeau,2008 ; MacKenzie, 2004), performer lesrelations postulées par la théorie et ce fai-sant affecter les processus économiques(Gond et Palazzo, 2008) en créant ainsi uneperformativité « effective » (MacKenzie,2007), ou bien encore façonner des proces-sus autoréalisateurs qui vont renforcer lavalidité empirique de la théorie (Ferraro etal., 2005 ; MacKenzie et Millo, 2003) etainsi créer une forme de performativité« barnésienne » (MacKenzie, 2007).La figure 1 présente les relations entre lesconcepts de théorie, outil, praxis et acteur-praticien de la décision qui forment le socled’une approche de la décision organisation-nelle comme praxis performative (Cabantouset Gond, 2011). Ce cadre d’analyse articuleces éléments et théorise leurs relations dyna-miques au travers de trois processus : laconventionnalisation, l’ingénierie et la mar-chandisation. Ces processus traversent lesfrontières organisationnelles et décrivent lesconditions qui permettent à une théorie d’êtreperformée via la décision organisationnelle.La conventionnalisation correspond au pro-cessus grâce auquel les acteurs sont pro-gressivement « encastrés cognitivement »(Callon, 1998) dans des représentations

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sociales qui peuvent être mises en jeu dansle processus de prise de décision. Ce phéno-mène est bien illustré dans l’étude de laconstruction sociale d’un marché auxfraises en Sologne proposé par Garcia-Parpet (1986). La connaissance de la théo-rie économique par l’un des acteurs cen-traux du cas étudié a été un élément crucialpour construire les conditions organisation-nelles permettant de faire se rencontreracheteurs et demandeurs dans une situationproche de la concurrence « pure et par-faite ». Le modèle micro-économique joueici le rôle d’une convention (Faverau,1986), au sens où il se constitue comme unereprésentation partagée qui facilite la coor-dination des acteurs dans une situationincertaine (Dupuis, 1989). De manièresimilaire les représentations théoriques dela décision nourrissent et structurent lesreprésentations cognitives que les acteurs sefont de la décision et facilitent ainsi la coor-dination au sein des organisations (Hendry,2000 ; Laroche, 1995). Ainsi, une théorie

minimale de la décision organisationnelleperformée dans les pratiques managérialesdans la plupart des organisations est cellequi suppose l’existence même de décisions.Les acteurs peuvent toutefois avoir étéexposés à d’autres modèles décisionnels –politique, stratégique, rationnel, administra-tif ou légal – qui constituent autant de res-sources cognitives susceptibles d’être enga-gées dans des processus de coordination etsupportant la fabrique de la décision organi-sationnelle. Le processus de conventionna-lisation renvoie donc indirectement aux ins-titutions de formation et d’enseignement ouaux normes professionnelles qui constituentautant de vecteurs par lesquels les théoriesde la décision deviennent peu à peu lescadres d’analyse au travers desquels lesacteurs voient et interprètent les phéno-mènes organisationnels (DiMaggio etPowell, 1983 ; Ferraro et al., 2005). Ce pro-cessus se distingue toutefois de l’approcheinstitutionnaliste : les acteurs ne sont pasnécessairement cadrés cognitivement à leur

Figure 1 – La prise de décision organisationnelle comme praxis performative

Source : figure construite d’après Cabantous et Gond (2011, p. 578).

insu par des théories « tenues pouracquises » (Suchman, 1995) mais peuventmobiliser délibérément des ressources théo-riques dans leur pratique décisionnelle, parexemple afin d’élaborer des justificationsde choix ou d’approche décisionnelle (Boltanski et Thévenot, 1991).L’ingénierie renvoie à l’incorporation dethéories et de postulats théoriques au seindes outils et artefacts mobilisés par lesacteurs dans les processus décisionnels. Ceprocessus renvoie donc à la conception desoutils plutôt qu’à leur seule mobilisation en contexte organisationnel (Aggeri etLabatut, 2010). Les décisions organisation-nelles sont en effet en grande partie copro-duites via la mobilisation d’outils et d’arte-facts (ex. tableur Excel, ERP, Siad, outils detravail de groupe, salle de réunion, etc.)dont la conception peut intégrer des hypo-thèses et postulats liés à un cadre théoriquespécifique. Ce processus invite à étudiertoutes les formes de traduction de la théorieen objets décisionnels (Callon, 1998 ;Latour, 2005), dans la lignée des travaux surles outils de gestion comme « technologiesinvisibles » structurant les processus orga-nisationnels (Aggeri et Labatut, 2010 ;Berry, 1983 ; Moisdon, 1997) mais en sefocalisant sur le substrat théorique des pos-tulats sous-jacents aux outils.La marchandisation articule de manièredynamique les relations entre théorie, acteurset outils, à la praxis organisationnelle. Ceprocessus souligne le rôle des consultants etautres prescripteurs (Callon, 2007 ; Hatchuel,1995) comme vecteurs de diffusion d’outilsincorporant la théorie et comme facilitateursde l’encastrement des acteurs dans des cadrescognitifs dérivés de théories de la décisionorganisationnelle. Ce processus, qui s’inscritdans une tendance plus générale des théories

du management et de l’organisation à êtremarchandisées (Gabriel, 2002), peut-êtreanalysé en se focalisant sur le rôle de traduc-teur joué par les consultants. La coexistencede ces trois processus dans le cadre d’analyseprésentée sur la figure 1 permet de rendrecompte de la fabrique de la décision organi-sationnelle comme praxis en considérant lesrelations qu’entretient cette praxis avec desprocessus extra-organisationnels. Ces troisprocessus permettent aussi de rendre comptede la façon dont les théories peuvent êtremobilisées, et ce faisant performées via lapraxis décisionnelle, parfois au point dedevenir empiriquement plus plausibles. L’intérêt d’une approche de la décision orga -nisationnelle en termes de praxis performa-tive a été mis en évidence par Cabantous etGond (2011) dans le cas spécifique de lathéorie du choix rationnel (encadré ci-après). Plusieurs raisons justifient une tellefocalisation sur la décision rationnelle : laprévalence de la théorie économique de ladécision dans les sociétés contemporainesoccidentales (Czarniawska, 2003 ; March,2006) et plus spécifiquement en manage-ment (Ferraro et al., 2005) et dans larecherche sur la décision organisationnelle(March 2006) ; et l’importance de ce queMarch (2006) a appelé les « technologiesfondées sur des modèles rationnels » dansla pratique managériale (Ghoshal, 2005).

2. L’artisanat de la décision rationnelle :le cas des Decision Analysts

L’approche en termes de praxis performa-tive permet donc de rendre compte des pro-cessus grâce auxquels la rationalité s’actua-lise dans les pratiques décisionnelles ausein des organisations (cf. encadré). Elleinvite également à étudier de façon fine lespratiques des acteurs qui s’efforcent de

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La manufacture de La décision rationneLLe

Dans un article sur l’éternel retour de la rationalité, Cabantous et Gond (2011) approchent ladécision rationnelle comme une pratique socialement construite et située que les trois méca-nismes de conventionnalisation, d’ingénierie et de marchandisation rendent possible.L’expérience quotidienne montre que la prise de décision rationnelle – au sens instrumentaldu terme – s’impose comme une « norme sociale » dans de nombreuses organisations(Czarniawska, 2003), c’est-à-dire qu’une grande partie des acteurs considèrent qu’il estsouhaitable de faire des choix qui permettent d’atteindre le plus efficacement possible desobjectifs définis à l’avance. Dans ce contexte, les modèles de prise de décision rationnelss’offrent comme des conventions utiles, susceptibles d’être mobilisées par les acteurs. Unetelle conventionnalisation de la rationalité dans la sphère professionnelle ne va pas de soi.Elle a été rendue possible par divers processus, tels que l’enseignement de l’économie et dedisciplines connexes (théorie des jeux, théorie financière, recherche opérationnelle) dansles écoles de commerces et autres lieux de formation des cadres depuis les années 1950(Augier et March, 2007; Gordon et Howell, 1959).La volonté de s’engager dans des processus de décision rationnels est par ailleurs soutenuematériellement par une véritable ingénierie de la rationalité qui constitue la toile de fond dela vie organisationnelle. Ces outils d’aide à la décision peuvent prendre la forme de cadresde réflexion qui organisent et structurent la pensée stratégique (ex. SWOT, analyse de scéna-rios). Mais les entreprises recourent également à des outils informatiques sophistiqués inté-grant des développements récents de recherche opérationnelle (ex. logiciels de gestion desstocks), et de mathématiques appliquées (par exemple, réseaux bayésiens utilisés pour la ges-tion des risques technologiques). L’existence d’une architecture matérielle supportant ladécision et intégrant souvent les prémisses de la théorie du choix rationnel facilitent l’adop-tion de pratiques routinières de prise de décision rationnelle, parfois à l’insu des acteurs. Parexemple, ces outils peuvent étendre les capacités cognitives limitées des acteurs – leur per-mettant ainsi d’identifier la décision optimale au sens de la théorie –, ou cadrer les pratiquesdécisionnelles en obligeant les acteurs à évaluer les alternatives d’un choix de manière cohé-rente et logique. Ainsi, l’ingénierie de la rationalité, en donnant aux acteurs accès à des outilsqui incorporent une forme de rationalité, rapproche-t-elle les acteurs organisationnels del’idéal de « manager rationnel ».La mobilisation de ces outils et la diffusion des conventions de rationalité sont finalementfacilitées par les processus de marchandisation de la décision rationnelle. La présence de« traducteurs » joue un rôle important dans la diffusion et l’adoption de pratiques décision-nelles rationnelles au sein des organisations. Ces praticiens de la décision rationnelle peuventêtre des acteurs organisationnels chargés d’étudier en détail les conséquences d’une décisionstratégique, comme l’illustre l’étude proposée par Langley (1989). Ils peuvent égalementêtre des acteurs externes, comme par exemple des consultants installant des logiciels d’aideà la décision dans des entreprises, ou intervenant ponctuellement pour aider à résoudre desproblèmes stratégiques ou opérationnels.

fabriquer des décisions rationnelles au seindes organisations (Cabantous et al., 2010).Dans une célèbre remise en question desapproches sociologiques critiques de l’éco-nomie, Callon (1998) soulignait qu’au lieude documenter les écarts entre le modèleéconomique de comportement des acteurs etles pratiques réellement observées, lessociologues devraient plutôt s’étonner qu’unmodèle aussi désincarné et irréaliste quecelui proposé par la théorie économiquepuisse parfois être observé dans la réalitésociale et produire des effets dans les écono-mies réelles. Cabantous et al. (2010) adop-tent une perspective similaire sur la décisionrationnelle au sens de la théorie écono-mique, en ne la considérant non pas commeun phénomène susceptible d’exister sponta-nément dans les organisations, mais plutôtcomme une fabrication artisanale, fragile etméticuleusement élaborée grâce à laconstruction d’un environnement hospita-lier. Ces auteurs proposent de suivre etd’étudier les pratiques des « analystes de ladécision » (décision analysts) – des cher-cheurs et consultants spécialisés en théoriede la décision (Howard et Matheson, 1984)qui sont approchés comme des artisans de larationalité. L’analyse de la décision (déci-sion analysis) est une discipline qui aémergé dans les années 1950 aux États-Unis(Miles, 2007) et se définit comme étant uneversion appliquée de la théorie du choix

rationnel ou théorie de la décision, dont lesfondements axiomatiques ont été posés parSavage (1954) à la suite des travaux de vonNeumann et Morgenstern (1947).Grâce à une analyse détaillée d’une cinquan-taine d’applications publiées dans le journalInterfaces – la revue appliquée de la divisiondécision analysis de INFORMS – Cabantouset al. (2010) mettent en lumière les pratiquesdéployées par les analystes de la décisionpour aider des managers à « prendre debonnes décisions ». Cette étude révèle lespratiques, techniques, et astuces concrète-ment mises en œuvre par ces acteurs pourtransformer des problèmes organisationnelsconfus et entachés d’incertitude en pro-blèmes susceptibles de faire l’objet d’uneanalyse de la décision.Ce processus débute par une étape de contex-tualisation consistant à reconstruire les situa-tions organisationnelles de manière à les rap-procher de celle décrite par les manuelsd’aide à la décision. Ce travail nécessite deconstituer un réseau d’alliés (Latour, 1987 ;Porter, 1995) afin d’accéder à l’informationnécessaire, mais aussi de se mettre d’accordsur la représentation du problème de déci-sion, et la façon de l’aborder. Par exemple,l’application écrite par Philip Beccue, lui-même analyste de la décision dans unegrande entreprise du secteur de la biotechno-logie, illustre ce travail de contextualisation.Beccue (2001) explique comment les tech-

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L’analyse de la fabrique de la décision comme praxis performative permet donc de mettre enlumière les processus de conventionnalisation, d’ingénierie et de marchandisation grâce aux-quels la prise de décision organisationnelle s’imprègne de rationalité. À un niveau plusmicrosocial, elle permet aussi d’étudier la façon dont les acteurs s’efforcent de construire desdécisions rationnelles au sens économique du terme dans des contextes organisationnels quine s’y prêtent pas toujours.

niques d’aide à la décision ont été utiliséespour choisir la stratégie de développement etde commercialisation d’un nouveau produit.L’équipe en charge du nouveau médicament,après avoir décidé d’utiliser les techniquesd’aide à la décision, a formé une équiperegroupant des employés d’horizons divers(scientifiques, gestionnaires de projets,membres de la division marketing, de la pro-duction, etc.). L’équipe s’est d’abord réuniepour discuter du problème et se mettre d’ac-cord sur la façon de l’envisager. Elle a ensuiteutilisé un outil d’aide à la décision appeléstrategy table pour réduire de façon significa-tive le nombre d’options possibles envisa-geables, passant ainsi de plus de 1000 optionsà 8 options plausibles (Beccue, 2001, p. 63).D’autres outils, tels que les diagrammesd’influen ce, ont également été utilisés pouridentifier les paramètres les plus importantsde chaque option, et ainsi orienter le travail decollecte de l’information nécessaire à la poursuite de l’analyse. Comme le rapporteBeccue (2001), les membres de l’équipe ont,après coup, reconnu qu’un processus de déci-sion aussi rigoureux est inhabituel dans leurentreprise, et que les outils d’aide à la déci-sion ont permis de rendre le processusgérable (p. 63). Suivre les principes de la théorie du choixrationnel accroît en effet significativementle travail des décideurs – peu habitués a êtreaussi systématiques et exhaustifs dans leuranalyse. Les outils d’aide à la décision leurfournissent alors le moyen d’être plus effi-cace dans la conduite d’un tel processus dedécision, en facilitant l’identification deséléments qui vont avoir un effet sur la déci-sion finale, et en réduisant ainsi le travail derecherche d’information.Ce travail de contextualisation doit êtrecomplété par un travail de quantification

permettant de donner vie aux entités théo-riques, telles que les fonctions d’utilité desacteurs et les probabilités subjectives parexemple, qui sont nécessaires à la prise dedécision d’après la théorie. Cette phase dequantification peut être très lourde et impli-quer beaucoup d’acteurs organisationnels.En effet, lorsque les informations néces-saires à la quantification ne sont pas collec-tées de façon routinière par des processusexistants, il faut mettre en place pour l’oc-casion une procédure spécifique d’accès àl’information. von Winterfeldt et Schweit-zer (1998) expliquent par exemple que ledépartement de l’énergie américain, obligéde repenser son système d’approvisionne-ment en tritium, a estimé les incertitudesliées à différents modes de production(réacteur, accélérateur, etc.) en recourantaux avis de trois panels de spécialistes com-prenant chacun des membres du départe-ment de l’énergie américain, des consul-tants et des fournisseurs, réunis pourl’occasion. D’une manière générale, laphase de quantification s’appuie souventsur des entrevues avec des experts tech-niques, et peut nécessiter l’organisation defocus group ou encore des questionnaires.Tous ces procédés de collecte d’informa-tion, qui ont pour but de rendre explicite laconnaissance des personnes compétentessur le domaine et de quantifier leur juge-ment relatif aux incertitudes et/ou auxconséquences associées aux différentesoptions envisagées, sont souvent inhabi-tuels pour les entreprises.Un travail de calcul permet finalementl’identification de la décision optimale ausens de la théorie du choix rationnel. Cetteétape s’appuie dans la très grande majoritédes cas sur des outils informatiques qui per-mettent de réaliser rapidement des calculs

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compliqués. Perdue et al. (1999) expli-quent ainsi que, dans le cadre d’un proces-sus d’évaluation de projets de RetD, lemodèle a été résolu en utilisant Excel et unlogiciel permettant de faire des simula-tions de Monte-Carlo. Dans d’autres cas,l’analyste de la décision doit développerun programme informatique spécifiquepour résoudre le modèle d’aide à la déci-sion élaboré en contexte avec les décideursorganisationnels. L’analyse de ces trois ensembles de pra-tiques montre que la prise de décisionrationnelle dans l’organisation – toutcomme l’action économique sur les mar-chés (Callon et Muniesa, 2005) – est renduepossible par l’établissement d’une infra-structure sociotechnique de calcul. Ellemontre aussi que la création d’une tellestructure peut être temporaire mais aussipermanente, par exemple lorsqu’elle prendla forme de nouvelles procédures et rou-tines organisationnelles ou s’incarne dansdes outils tels que les logiciels d’aide à ladécision. L’étude des pratiques des ana-lystes de la décision montre la grande créa-tivité dont il faut faire preuve pour arriver àperformer la théorie de la décision encontexte organisationnel. Leur pratique –que les analystes de la décision qualifienteux-mêmes « d’art » – s’apparente souventau « bricolage » des ingénieurs mis en évi-dence par Latour (1996a).

III – PERSPECTIVES POURL’ÉTUDE DE LA FABRIQUE DE LADÉCISION ORGANISATIONNELLE

L’extension du cadre d’analyse de la déci-sion organisationnelle comme praxis per-formative invite à proposer un agenda derecherche renouvelé sur la fabrique de la

décision. Ce cadre d’analyse s’offre en effetcomme un outil pour guider l’investigationdu caractère plus ou moins performatifd’une grande diversité de théories de mana-gement, invite les managers à concevoir lesprocessus décisionnels à partir de théorieset peut rendre compte des processus de luttede performation.

1. Évaluer la performativité des théoriesde la décision (et du management)

Si nos travaux antérieurs soulignent le poten-tiel d’une approche en termes de praxis per-formative pour l’analyse de la prise de déci-sion rationnelle telle que formalisée ensciences économiques (Cabantous et Gond,2011 ; Cabantous et al., 2010), la versionplus générale du cadre d’analyse proposéedans cet article ouvre un agenda derecherche plus vaste pour guider l’investiga-tion du rôle des nombreuses théories de ladécision – et plus généralement des théoriesmanagériales – dans les organisations. Ainsi,cette approche permet d’étudier l’influence,sur les décisions organisationnelles, demodèles qui se sont construits en réaction aumodèle rationnel, tels que les modèles poli-tiques de prise de décision (Allison, 1971 ;Crozier et Friedberg, 1980), le modèle de lapoubelle (Cohen et al., 1972) ou encore lemodèle de décision proposé par les tenantsde la prospect theory (Kahneman et al.,1982). Dans quelle mesure les hypothèses etrelations postulées dans ces modèles sont-elles performées ? Dans quelle mesure lesacteurs sont-ils encastrés dans les représenta-tions de la décision inhérente à ces modèleset comment ces représentations rentrent-elles en jeu dans les processus décisionnels ?Comment ces modèles ont-ils ou peuvent-ilscontribuer à la conception d’outils de prisede décisions managériales ?

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Répondre à ces questions invite à question-ner la capacité de théories alternatives à lavision rationnelle de la décision à être perfor-mée. Cela permettrait de répondre au défique Bazerman (2005) a lancé aux théoriciensdu management, en suggérant que la faibleinfluence des théories organisationnelles etmanagériales par rapport aux théories éco -nomiques est liée à leur difficulté à fournirdes prescriptions (voir aussi Bazerman etMalho tra, 2006).Dans sa réponse à l’analyse proposée par Ferraro et al. (2005) sur l’influence de lathéorie économique sur les pratiques mana-gériales, Bazerman (2005) prend ainsicomme exemple les travaux de Kahneman etses collègues sur les biais cognitifs. Il sou-tient que ces études ont nourri la constructionde produits financiers exploitant ces biais, etque l’émergence de ces produits financiers aamené à la disparition desdits biais de la partdes investisseurs via des processus d’arbi-trage. L’analyse de Bazerman suggère doncque la théorie de Kahneman et de ses col-lègues est susceptible d’être performée surles marchés, mais que sa validité empiriquepourrait diminuer d’autant plus qu’elle estadoptée, la théorie étant en somme « contre-performative » (MacKenzie, 2007). Maisqu’en est-il dans les organisations ? Laconnaissance et l’exploitation des biaiscognitifs par les acteurs conduisent-elles àune réduction de ces biais ? Quelle est l’in-fluence de la révélation de tels biais sur lespratiques de travail ?L’étude proposée par Tetlock (2000) offre deséléments de réponse à ces questions en mon-trant que la philosophie gestionnaire d’uneentreprise, reflétée par ses structures de gou-vernance et les dispositifs d’incitation, a ten-dance à correspondre à l’attribution par lesdirigeants de différents types de biais cogni-

tifs à leurs collaborateurs. De futurs travauxpourront généraliser ce raisonnement en éva-luant les conditions facilitant, par exemple, laperformativité d’un cadre d’analyse spéci-fique sur la décision, la capacité de certainesformes organisationnelles à performer enpratique certains modèles théoriques, ouencore le caractère intrinsèquement perfor-matif des théories organisationnelles de ladécision. Ainsi, les relations entre les théoriesde la décision organisationnelle – le modèlede la poubelle, le modèle de l’analyse straté-gique – et les pratiques des acteurs pourront-elles être reconstituées au prisme des troisprocessus de conventionnalisation, d’ingé-nierie et de marchandisation pour rendrecompte de la nature performative de ces théo-ries dans de futures analyses empiriques.

2. Concevoir des processus de décision à partir de théories

En révélant les soubassements théoriques dela décision organisationnelle, le modèle pro-posé dans cet article invite à ouvrir desdébats normatifs sur le bien fondé des théo-ries que les acteurs performent (ou souhai-tent performer) en contexte organisationnelet à s’interroger sur la manière de concevoirles organisations de manière à « faire existerdes théories » au travers des praxis performa-tive. Cette démarche s’inscrit dans la conti-nuité des critiques formulées par Ghoshal(2005) à l’encontre de théories managé-riales « brutales » qui peuvent conduire àl’adoption de comportements socialementinacceptables en contexte organisationnel.Elle va cependant au-delà de la dénoncia-tion du rôle des théories dans la productionde dysfonctionnements organisationnelspour poser la question de l’ingénierie desthéories jugées socialement acceptables ousouhaitables d’un point de vue normatif.

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Comment concevoir et construire des orga-nisations qui permettent aux acteurs de« performer » dans leurs pratiques desmodèles organisationnels durables ou socia-lement responsables ? Quels processus etobjets doivent être conçus pour nourrir unepraxis décisionnelle exprimant des théoriesde la décision organisationnelle délibéré-ment choisies pour leurs impacts humains,sociaux et environnementaux positifs ?La littérature abondante sur le design orga-nisationnel offre de nombreuses perspec-tives pour élaborer un tel programme derecherche, en mettant en lumière le rôle dela connaissance théorique des fonctionne-ments organisationnels pour concevoir desprocessus organisations (Denyer et al.,2008 ; Dougherty, 2008 ; Hatchuel, 2001).Les travaux récents d’économie comporte-mentale complètent ces perspectives enmontrant comment des théories peuventêtre mobilisées dans la conception de pro-cessus décisionnels. Thaler et Sunstein(2010) proposent en effet de tirer les consé-quences sociales et politiques des travauxde la théorie économique comportementalede la décision en construisant des situationsde prise de décision qui, au lieu d’exploiternégativement les biais et limites cognitivesdes citoyens et consommateurs, les exploi-tent positivement et les orientent à faire lechoix dont on pense qu’il leur est le plusfavorable. Ces auteurs proposent parexemple de faire en sorte que « l’option pardéfaut » – dont on sait qu’elle est rarementremise en cause par les gens qui ont ten-dance à préférer le statu quo – soit systéma-tiquement l’option qui leur est la plus favo-rable (comme par exemple souscrire àl’assurance lorsqu’on loue une voiture, oune pas recevoir de courriers publicitaireslorsqu’on souscrit à une liste de distribution

internet). Ainsi, les gens inattentifs auront-ils, dans la majorité des cas, l’option qu’ilspréfèreraient probablement s’ils prenaientle temps d’y réfléchir. Quant aux personnes– moins nombreuses – qui préfèrent l’op-tion inverse (ne pas souscrire l’assurancepar exemple), elles peuvent facilement fairele choix inverse et gardent toute leur libertéde choix. C’est pourquoi Thaler et Sunsteinparlent d’un « paternalisme doux » : leurperspective consiste en effet à orienter leschoix des gens dans un sens jugé sociale-ment favorable, tout en leur laissant leurliberté de décision. Le bien-fondé d’une approche centrée sur ledesign organisationnel pour performer lesdécisions socialement utiles est renforcé encreux par les résultats des expérimentationsde psychologie sociale qui ont mis enlumière l’influence cruciale des facteurssituationnels dans l’adoption de comporte-ments brutaux et dangereux. Ainsi, Zimbar do(2008) a-t-il démontré que la décision de secomporter de manière éthique ou non estpresque totalement conditionnée par lecontexte organisationnel, renforçant lathèse d’Hannah Arendt sur le rôle des fac-teurs bureaucratiques dans l’expression de« la banalité du mal » (Arendt, 1966). Cescorpus théoriques pourront être mobiliséspour étudier la façon dont des organisationsgénérant une praxis performative sociale-ment bénéfique pourraient être conçues.

3. La décision comme « espace de lutte »pour la performation

La généralisation de l’approche de lafabrique de la décision en termes de praxisperformative proposée dans cet article faitaussi émerger de nouvelles problématiques etpistes de recherche. Si le cadre d’analyse per-met de rendre compte de l’influence sur les

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pratiques de multiples théories de la décision,il se pose aussi comme une grille de lecturepermettant de rendre compte au sein desdécisions organisationnelles de véritables« luttes pour la performation » (Callon, 2007)lorsque de multiples théories entrent en com-pétition dans la fabrique de la décision.Notre cadre d’analyse suggère d’étudier cesluttes entre théories au prisme des proces-sus de conventionnalisation, d’ingénierie etde marchandisation dont la force relativepourrait expliquer pourquoi un cadre théo-rique peut s’imposer comme un modèledominant la fabrique organisationnelle desdécisions à un moment donné, dans uneorganisation. Une telle analyse pourrait sedécliner au travers des trois groupes dequestions suivantes.

Sur le plan cognitif

Comment des théories de la décisionacquièrent-elles le statut de convention ausein des organisations ? Comment lesacteurs font-ils sens des postulats et pres-criptions suggérés par des modèles alterna-tifs de la décision ? Les théories sont-ellestoutes perçues comme aussi crédibles et/oupersuasives auprès des acteurs et pourquelles raisons ?Pour répondre à ces questions, de futuresrecherches pourront opérationnaliser ledegré d’encastrement cognitif dans diffé-rentes théories d’acteurs participants auxprocessus décisionnels pour rendre comptede l’influence des facteurs liés à la conven-tionnalisation dans les processus de perfor-mation. Des observations participantes encontexte organisationnel permettraientaussi de mettre en lumière la mobilisationrhétorique d’arguments reprenant leslogiques propres à certaines représentationsthéoriques de la décision.

Sur le plan des outils

Comment des outils performant des théoriesalternatives entrent-ils en compétition dansles organisations ? Les outils véhiculant deshypothèses théoriques contradictoires peu-vent-ils être combinés dans des processusdécisionnels ? Est-ce que des théorisationscontradictoires ou alternatives peuvent êtreintégrées dans le même type d’outils d’aideà la décision ?Des études révélant les modèles inhérentsaux dispositifs, outils et instruments de ges-tions utilisés dans la fabrique des décisionspermettront de répondre à ces questions.D’autres études pourront suivre les trajec-toires et les transformations d’outils fondéssur des postulats théoriques divergents. Lestravaux de contrôle de gestion qui suggèrentl’existence d’outils dominants dans le pro-cessus de construction et de définition stra-tégique s’avéreront utiles dans cettedémarche (Mundy, 2010 ; Simons, 1995),tout comme les travaux relatifs à la pratiquede la comptabilité de gestion dans les orga-nisations (Ahrens et Chapman, 2007).

Sur le plan de la marchandisation

Certaines théories sont-elles plus facile-ment « vendables » que d’autres et pourquelles raisons ? Comment les consultantssélectionnent-ils les théories sur lesquelless’appuient directement ou indirectementleurs prescriptions ? Pour répondre à ces interrogations et explo-rer le processus de performativité réalisépar les prescripteurs qui est suggéré parCallon (2007), les travaux sur le rôle de laprescription offrent un cadre d’analyse utile(Hatchuel, 1995). Des études empiriquespourront se pencher sur le travail réalisé parles consultants pour transformer les théo-ries en outils actionnables et opérationnels

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et mettre en lumière la conciliation d’en-jeux marchands et d’enjeux de traductiondans ces processus de sélection et de trans-formation en pratiques des savoirs théo-riques sur la décision organisationnelle.

IV – IMPLICATIONS ET CONCLUSIONS

Dans cet article, nous avons proposé d’ap-préhender la décision organisationnellecomme une praxis performative. Cetteapproche intègre les recherches sur la per-formativité de l’économie et les travaux surla fabrique de la stratégie pour rendrecompte du rôle des outils et des théories dela décision dans les pratiques décisionnellesau sein des organisations. Le cadre d’ana-lyse proposé ouvre ainsi des perspectives derecherches renouvelées pour étudier lemode d’existence des théories de la déci-sion dans les organisations.Cette approche, qui révèle les soubasse-ments théoriques structurant les décisionsorganisationnelles et permet de mieux com-prendre le rôle des théories dans les pra-tiques décisionnelles, peut contribuer àréduire l’écart entre savoir académique etsavoir managérial sur la décision. Ses impli-cations managériales sont donc multiples.Tout d’abord, cette approche invite les ges-tionnaires à évaluer leurs pratiques déci-sionnelles au prisme des théories qu’ils sou-haitent performer. En révélant le lien entrela connaissance savante incorporée dans lesmodes de pensée des acteurs et les pratiquesconcrètes de décision, l’approche en termesde praxis performative permet d’évaluerl’écart entre, d’une part, la théorie de ladécision « en usage » et, d’autre part, lathéorie de la décision « professée » par lesacteurs. Or une condition sine qua non àtout apprentissage en matière de prise de

décision organisationnelle est la capacité àrapprocher ces deux types de théories(Argyris et Schön, 1996). Une deuxième implication de l’approche entermes de praxis performative concerne lerôle des outils comme vecteurs jusqu’alorsnégligés de la performation de certaines théo-ries de la décision organisationnelle mis enlumière par le processus d’engineering. Notreanalyse suggère de diagnostiquer dans lesorganisations les écarts entre les théoriesincorporées dans les instruments et outillagesmobilisés par les acteurs et à les rapprocherdes modèles normatifs de prise de décisiondont les organisations souhaitent se rappro-cher. Ces écarts peuvent contribuer à expli-quer le succès ou l’incapacité d’une théoriede la décision à structurer concrètement lesprocessus organisationnels. Ils constituentautant d’opportunité d’apprentissages organi-sationnels mettant en jeu cette fois les dimen-sions sociomatérielles de l’organisation et lesformes distribuées de cognition plutôt que lesseules dimensions cognitives. Finalement, l’agenda de recherche proposéconduit à recentrer l’attention des gestion-naires sur la conception des organisationscomme élément clé pour rendre action-nables les théories de la décision que l’onsouhaite voir émerger dans un contexteorganisationnel. Cet agenda invite donc àun débat sur les fondements normatifs inhé-rents à toute forme de conception organisa-tionnelle. Le gestionnaire sera alors vucomme un acteur qui, en fonction de sonsystème de valeur et de ses croyances, et autravers de la modification des paramètresdu design organisationnel, arbitre lesconflits de performativité entre théoriesalternatives et ce faisant façonne des orga-nisations dont les modes de fonctionnementsont jugés socialement acceptables et utiles.

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