Corniches modillonnaires par assemblage : une spécificité de l’architecture gallo-romaine dans...

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H a u t e - N o r m a n d i e a r c h é o l o g i q u e Haute-Normandie de archéologiques Journées Rouen, 24-26 mai 2013

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P R E S S E S U N I V E R S I T A I R E S D E R O U E N E T D U H A V R E

ISBN : 979-10-240-0145-6ISSN : 2272-9801

31 €

H a u t e - N o r m a n d i e a r c h é o l o g i q u e

Haute-Normandiede archéologiques Journées

Monique Remy-Watté Le rôle de la Haute-Normandie dans les problématiques préhistoriques du xixe siècle : chronologie et stratigraphie du paléolithique inférieur et moyen (1870-1894) • Jean-Pierre Watté Le « Clactonien » des plages du Havre et de Sainte-Adresse (Seine-Maritime) • Jean-Pierre Watté Un menhir à Saint-Gilles-de-Crétot (Seine-Maritime), au lieu-dit « La Bouteillerie » ? • Maud Le Saint Allain Louviers (Eure), rue des Oiseaux : d’une occupation de l’âge du bronze à un établissement rural de l’âge du fer • Vincent Dartois Authevernes-Vesly (Eure), la structure 18 : un petit lot céramique du milieu de l’âge du fer • Jérôme Spiesser La villa gallo-romaine du « Grésil » à Orival (Seine-Maritime) • Julien Boisson et Érik Follain Découverte d’une basilique romaine à Harfleur (Seine-Maritime), première approche • Érik Follain Corniches modillonnaires par assemblage : une spécificité de l’architecture gallo-romaine dans le bassin de la Seine ? • Étienne Mantel et Stéphane Dubois L’agglomération gallo-romaine de Briga (Eu, « Bois-l’Abbé », Seine-Maritime) au Haut-Empire : mise au jour des premiers îlots d’habitation • Sandrine Bertaudière et Sébastien Cormier Le grand sanctuaire central du Vieil-Évreux (Eure). Résultats de la campagne 2012 • Stéphanie Zeller Étude d’un lot d’objets découverts au début du xixe siècle par François Rever sur le site antique du Vieil-Évreux (Eure) • Rozenn Colleter, Noémie Gryspeirt, David Jouneau, Noémie Rolland, avec la collaboration de Mark Guillon Au cœur d’une communauté villageoise du premier Moyen Âge dans la vallée de l’Andelle : l’église Saint-Crespin de Romilly-sur-Andelle (Eure) et son cimetière (fin du vie - milieu du xie siècle) • David Jouneau et Élisabeth Lecler-Huby Cadre et évolution d’un prieuré manorial normand : le prieuré Saint-Crespin de Romilly-sur-Andelle, dans l’Eure (milieu du xie - fin du xviiie siècle) • Jacques Le Maho, James Morganstern et Éric Broine Fragments de vitraux romans provenant de l’ancienne abbaye de Jumièges (Seine-Maritime) • Astrid Lemoine-Descourtieux Une maison médiévale en pierre sur le site de l’ancien tribunal de Verneuil-sur-Avre (Eure) • Sarah Beslagic et Jérôme Belliard L’apport des sciences de l’environnement à la compréhension de l’histoire des milieux : l’exemple des peuplements de poissons du bassin de la Seine au regard des données archéologiques et historiques • Bénédicte Guillot, avec la collaboration d’Élisabeth Lecler-Huby et de Guillaume Lemaître Rouen (Seine-Maritime), rue Verte, rue Pouchet, premiers résultats de la fouille du « heurt du Chastel » (xvie siècle) • Patrick Sorel Essai d’interprétation des moulins à eau de Villequier (Seine-Maritime) • Jean-Louis Camuset Ivry-la-Bataille (Eure), la grotte du Sabotier, résultats d’une fouille programmée • Véronique Le Borgne, Jean-Noël Le Borgne, Gilles Dumondelle L’archéologie aérienne et les activités connexes dans le département de l’Eure en 2012.

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Journées archéologiques régionales organisées par

– le Centre de recherches archéologiques de Haute-Normandie, Société normande d’études préhistoriques et historiques Hôtel des sociétés savantes - 190 rue Beauvoisine 76000 Rouen

– la Direction régionale des affaires culturelles de Haute-Normandie, Service régional de l’archéologie 7 place de la Madeleine 76000 Rouen

Ouvrage publié par la Direction régionale des affaires culturelles de Haute-Normandie, service régional de l’archéologie

Directeur de la publication : Luc Liogier, directeur régional des affaires culturelles de Haute-Normandie

Textes réunis par Nathalie Bolo, ingénieur d’études, Florence Carré, conservateur en chef du patrimoine avec la collaboration de Marie-Clotilde Lequoy

Comité de lecture : Nathalie Bolo, Florence Carré, Marie-Clotilde Lequoy, Olivier Kayser, Muriel Legris, Laurence Eloy, Christophe Chappet, Dominique Pitte et Philippe Fajon

Mise en pages : Sandra Lemonnier

Illustrations de couverture : Romilly-sur-Andelle, plan des cuisines (C. Ugo et D. Jouneau) et plaque-boucle de la sépulture 736 (R. Colleter)

La publication des actes des journées archéologiques régionales reste un exercice délicat compte tenu de la diversité des approches, des méthodes et des moyens de travail des chercheurs. Aussi, les analyses et commentaires développés dans les articles n’engagent que les auteurs, qui ont été libres de suivre ou non les suggestions de fond et de forme du comité de lecture.

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction, sous quelque forme que ce soit, réservés pour tous pays.

© Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2014 Rue Lavoisier 76821 Mont-Saint-Aignan Cedexhttp://purh.univ-rouen.fr/

ISBN : 979-10-240-0145-6ISSN : 2272-9801

Journées archéologiques de Haute-Normandie

Rouen, 24-26 mai 2013

Presses un ivers ita ires de Rouen et du Havre

R O U E N

JOURNEES ARCHEOLOGIQUES REGIONALES

ipns

24, 25, 26 Mai 2013

Préfecture de la Région Haute-Normandie7 place de la Madeleine

HAUTE-NORMANDIE

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A n t i q u i t é

C o r n i c h e s m o d i l l o n n a i r e s p a r a s s e m b l a g e

ARCHITECTURE, ASSEMBLAGE, CORNICHE, GALLO-ROMAIN, MODILLON.

Des sites antiques du quart nord-ouest de la Gaule ont livré, en quantités parfois importantes, des blocs architectoniques nommés indifféremment corbeaux, consoles ou encore modillons. Comme le démontre l’architecture des monuments les plus prestigieux et quelques observations de vestiges bien plus modestes découverts en Haute-Normandie, ces pièces sont l’un des constituants d’assemblages destinés à réaliser, tant dans l’habitat que dans les sanctuaires, des corniches modillonnaires.

Modillion cornices: specific features of Gallo-Roman architecture in the Seine river basin?Ancient sites in the north-eastern quarter of Gaul revealed, sometimes in significant quantities, architectural blocks that are known interchangeably as corbels, consoles or even modillions. As shown by the architecture of the most prestigious monuments and some discoveries of much more modest remains in Haute-Normandie, these pieces are one of the main components used to assemble modillion cornices both in homes and in sanctuaries.

érik Follain

Corniches modillonnaires par assemblage : une spécificité de l’architecture gallo-romaine dans le bassin de la Seine ?

Depuis près d’un siècle, dans le quart nord-ouest de la France, de nombreux articles mentionnent la découverte d’un élément lapidaire qualifié indiffé-remment de corbeau, de modillon ou de console. S’il est fréquemment dessiné ou photographié, son interprétation est systématiquement négligée, voire erronée. En effet, cet élément est encore trop sou-vent interprété comme un corbeau destiné à soute-nir le poutrage d’un plafond. Il n’en est rien et seul le terme de modillon s’applique1. Grossièrement décrit, il se présente toujours sous la forme d’un bloc de faible section, (de 0,1 à 0,2 m), pouvant atteindre un mètre de longueur, et dont l’extrémité est taillée en forme de console. Ce sont les configura-tions de cette console qui permettent de différencier des ensembles et justifient l’essai d’une typologie.En cherchant à localiser la provenance de ces élé-ments, à la fois par l’examen des collections conser-vées dans les dépôts de fouille de Haute-Normandie et par le récolement de la bibliographie pour toutes les autres régions, on obtient une aire de diffusion limitée au bassin de la Seine. Il faut bien concéder qu’il reste à explorer de nombreux dépôts archéolo-giques ainsi que de nombreuses réserves de musées, et que les publications ne sont pas forcément repré-sentatives des éléments mobiliers recueillis en fouilles. Il faut également reconnaître que l’impor-tance des séries n’est pas réellement précisée dans

la documentation publiée. Cependant, la cartogra-phie des résultats (fig. 1), encore à affiner, donne l’impression que c’est bien le long de la Seine que se diffusent ces assemblages. Il reste à déterminer si les découvertes faites en Bourgogne révèlent une extension de la diffusion ou indiquent la région où ce procédé aurait été mis au point2. Par ailleurs, des dessins et des photographies d’éléments comparables provenant du site de Mandeure, en Franche-Comté, suggéreraient d’en étendre la diffusion vers l’est3.Les pièces architecturales présentées ici sont rares dans les grands monuments publics, à l’excep-tion des exemplaires associés à la basilique d’Har-fleur (Boisson, Follain, 2013) et aux thermes publics de la rue Edmond-Pigoreau à Lillebonne,

1 Tout au moins en ce qui concerne leur fonction. Le terme console peut être employé pour définir la forme que prend leur partie saillante.

2 Dans le principe, ces assemblages sont une pratique courante de l’architecture romaine. C’est dans la mise en œuvre qu’il faut chercher les particularismes permettant de définir leurs spécificités à l’échelon régional ou inter-régional.

3 C’est l’occasion de remercier ici Séverine Blin, doctorante en charge de l’étude architecturale de ce site, qui a attiré notre attention sur une série de consoles découvertes au théâtre au xixe siècle et sur un autre groupe trouvé à la villa de Longevelle.

Fig. 1. Carte de répartition des modillons indépendants

dont l’aire de diffusion semble limitée au bassin de

la Seine (Haute-Normandie, Picardie, Île-de-France et

Bourgogne ; © É. Follain).

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en Seine-Maritime (fig. 4 et 11). Les contextes, lorsqu’ils sont clairement identifiés, à la fois topogra-phiquement et architecturalement, renvoient aussi bien à la sphère privée qu’à la sphère publique. On note également qu’il s’agit plus souvent du monde rural que de l’environnement urbain4. Les sites de Fontaine-près-Vézelay (yonne), Condécourt (Val-d’Oise), Le Vieil-évreux, au lieu-dit « l’Aubue » (Eure), et Val-de-Reuil (Eure) sont caractérisés comme des habitats, tout comme Aubevoye (Eure) et Escolives-Sainte-Camille (yonne), mais les plans et les emprises de ces deux derniers sites en font des établissements d’exception. Châteaubleau (Seine-et-Marne) et surtout Le Vieil-évreux (Eure) sont des sanctuaires importants et l’emploi de modillons indépendants paraît y être limité à des construc-tions annexes, des exèdres du péribole, pour le pre-mier, et des constructions restant à identifier pour le second. quant aux sanctuaires d’évreux (LEP Hébert) et de Saint-Aubin-sur-Gaillon (Eure), il s’agit de simples groupements de fana qui n’ont rien de particulier. L’impression générale reste donc celle d’une utilisation dans le cadre d’une architecture « gallo-romaine » où, selon un pragmatisme certain, on tente de concilier l’aspect du grand appareil, la rapidité d’exécution et, peut-être, le manque de moyens économiques.écartant, a priori, les découvertes isolées ainsi que celles où le nombre d’exemplaires n’est pas

4 On pourrait voir une corrélation entre l’usage de ces assemblages et les questions d’approvisionnement en pierre de taille : l’isolement des constructions rurales ou péri-urbaines, comme le fanum du LEP Hébert à Évreux, très éloigné de la rivière Iton desservant la ville antique d’Évreux, induirait un coût de transport plus élevé des matériaux ; il serait alors plus facile de construire ces assemblages, consommateurs de simples petits blocs, que de faire venir de véritables carreaux de carrières.

précisé, il semble bien que ces modillons indépen-dants soient souvent recueillis en nombre, jusqu’à former des séries égalant ou dépassant la dizaine d’individus. À Aubevoye, un seul type est repré-senté par 62 unités5 (Guiller, 2013, p. 291), à Escolives-Sainte-Camille, il est fait mention d’une trentaine de pièces (Devauges, 1974, p. 448), sur le site de Mercin-et-Vaux (Aisne) les réemplois recueillis dans une cave sont au nombre de sept (Barbet, 1981, p. 72-73) et enfin, à Val-de-Reuil, l’ensemble comprend neuf exemplaires6. Il y a là l’indice d’un emploi en nombre de ces modillons. Revenant sur les mentions de découvertes isolées on rappellera que le réemploi de ces pièces, particuliè-rement aisées à convertir en moellons, est de toute évidence un phénomène qui a dû être très fréquent. C’est à la fois le renvoi aux techniques connues de l’architecture romaine et des observations récentes qui permettent de définir ces modillons comme les pièces essentielles de corniches modillonnaires par assemblage. En retenant cette hypothèse et en consi-dérant l’importance numérique de certaines séries, on est amené à imaginer des linéaires de corniches d’un développement important aptes à couronner de nombreux bâtiments.L’interprétation de ces petits blocs, qualifiés indif-féremment de corbeaux, consoles ou modillons, nécessite au préalable de rappeler leurs définitions respectives. Ils ont en commun d’être placés en

5 Sébastien Cormier décompte 57 exemplaires (type 6 de la typologie proposée ici). Il faut y ajouter un exemplaire oublié dans les locaux de l’INRAP à Grand-Quevilly (dessiné à la fig. 12, Aubevoye B, avec l’aimable autorisation de Gérard Guiller), un autre découvert en 2001 (Aubry, 2001, p. 19 et dessiné fig. 12, Aubevoye) et enfin trois éléments issus du diagnostic de 2003 (Maret, 2003, p. 29 et pl. 11).

6 L’opération est en cours de post-fouille sous la responsabilité d’Y.-M. Adrian, INRAP. L’étude du mobilier lapidaire a été confiée à l’auteur et les corniches par assemblage de ce site sont illustrées par les fig. 15-17.

Fig. 2. Utilisation de console pour porter un

décor détaché de la paroi, macellum de Pouzzoles

(© É. Follain).

Fig. 3. Exemple de corbeau destiné à

supporter une solive de plancher, parc

archéologique d’Ostie (© É. Follain).

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peuvent ainsi être qualifiés de modillons (fig. 4-6). S’agissant ici de corniches qui ne conservent de l’ordre corinthien que l’essentiel, c’est l’appellation corniche modillonnaire qui a été préférée. Il faut bien constater, en parcourant la littérature archéo-logique, qu’il y a hésitation non seulement sur la dénomination de ces pièces architectoniques, mais aussi et surtout sur leur fonction, quand elle sus-cite un intérêt. La notice concernant Condécourt (Piganiol, 1963, p. 353) fait état de la découverte de quatre corbeaux destinés à porter les poutres de la toiture. Pour le site de Mercin-et-Vaux, les blocs sont prudemment associés à un décor quelconque (Barbet, 1981, p. 72). Plus récemment et concer-nant les habitats du Vieil-évreux, on regrette de voir les exemples qui ont été découverts qualifiés de corbeaux (Hartz, 2010, annexe 3, p. 74 et fig. 3, p. 76) et interprétés comme des supports destinés à soutenir les étages (Hartz, 2011, p. 103). On peut, heureusement, lire que ces pièces « …devaient être engagées et supporter la corniche » (Piganiol, 1965, p. 313), quand il s’agit du site de Châteaubleau, en Seine-et-Marne.Un premier élément d’interprétation peut être trouvé dans l’observation de certains parmi les plus prestigieux des monuments de Rome. Il convient alors de s’intéresser exclusivement à ceux qui, tech-niquement, associent béton, parements de briques

boutisse dans une maçonnerie et de voir leurs extré-mités taillées, et parfois sculptées, saillir de la paroi. Le corbeau et la console (fig. 2 et 3) sont clairement destinés à porter une charge (Pérouse de Montclos, 1972, no 121, p. 93). Certains distinguent la charge décorative portée par la console (comme une statue) de la charge architecturale (plancher, plafond ou colonnes) soutenue par le corbeau (Ginouvès, 1992, p. 147). Fondamentalement, le modillon, dont la forme est proche d’une petite console, est avant tout un élément de décor (Pérouse de Montclos, 1972, no 121, p. 93, rubrique Modillon). À ce titre, il est caractéristique de la corniche corinthienne et peut prendre de multiples formes (Ginouvès, 1992, p. 124). Les blocs recensés ici sont intégrés à un assemblage et ont une valeur décorative ; ils

Fig. 5. Vue de dessous d’un modillon indépendant provenant des fouilles de Rouen (sans plus de précision) ; dépôt archéologique du SRA Haute-Normandie (© É. Follain).

Fig. 7. Séries de consoles prises entre les débords de lits de briques et formant des corniches modillonnaires dans la paroi extérieure du tambour de la coupole du panthéon à Rome (© É. Follain).

Fig. 4. Un modillon découvert sur le site de la basilique d’Harfleur ; la faible section de sa partie scellée dans la maçonnerie, dont on voit l’amorce à gauche de la photographie, n’est pas compatible avec la charge pondérale générée par un plancher (fouille : Archéopole ; © É. Follain).

Fig. 6. Vue de dessous d’un modillon recueilli sur le site de la grande villa d’Aubevoye ; conservé au dépôt archéologique de Canteleu (fouille : Aubry 2001, INRAP ; © É. Follain).

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et insertions ou placages de décors en pierre. Ces caractéristiques sont, grossièrement et définitive-ment, celles de l’architecture des antonins et des périodes suivantes ; par exemple c’est au Panthéon (fig. 7) et au marché de Trajan7 que l’on commence à voir des modillons de pierre placés sur des encor-bellements de lits de briques et en attente d’un cou-ronnement de moulures pour former des corniches, intermédiaires ou sommitales. La postérité de cet usage dans la construction est illustrée, par exemple, à la basilique de Maxence (fig. 8) et aux thermes de Dioclétien, où les nombreuses maçonneries entou-rant l’église Sainte-Marie-des-Anges-et-des-Martyrs

7 L’emploi de ces modillons indépendants y est plus anecdotique et se remarque encore aujourd’hui aux deux extrémités de l’ensemble dominant les forums impériaux.

ont conservé de tels modillons débordant des pare-ments de briques (fig. 9). Sans aller géographique-ment aussi loin, quelques monuments de Gaule, bien préservés dans leurs élévations, ont également valeur d’argument pour l’interprétation de ces modillons indépendants. Les vestiges de l’amphithéâtre de Bordeaux, construit dans le courant du iie siècle et dit « Palais Gallien », montrent toujours au som-met du mur périmétral de petites consoles de cal-caire (étienne, 1962, pl. XVII, p. 193). Le second exemple gallo-romain peut être observé à Arles, aux thermes de Constantin8, autrefois connus comme « Palais de la Trouille ». L’observation depuis le sol des murs extérieurs du caldarium semble indiquer une différence dans la composition de l’assemblage mis en œuvre : chaque élément de pierre comporte-rait un modillon et une métope associés9.Malgré la description des vestiges du fanum d’évreux et la restitution graphique publiées ensemble il y a quelques années10, la découverte d’un pan de mur conservé au sol n’a pas clairement et définitivement établi la fonction de ces modillons indépendants dans des assemblages visant à la réalisation de cor-niches. Cette observation constitue ainsi le second élément de l’argumentaire et il convient donc d’en rappeler le détail. L’effondrement est celui d’un mur plein dont le parement interne et une bonne partie du blocage ont été érodés par les récupérations et le temps. C’est donc essentiellement le parement extérieur qui subsiste. La succession de rangs de moellons ne présente bien évidement aucun intérêt, contrairement à l’appareil complexe qui les surmonte (fig. 13). De bas en haut, Paola Calderoni (INRAP) a pu relever : trois rangs de plaquettes calcaires de 0,035 m d’épaisseur, une série de cinq modillons et enfin une rangée de tegulae aux rebords dirigés vers le haut. Les plaquettes, listel, quart de rond et biseau, sont disposées en débord les unes par rap-port aux autres et montrent des traces de peinture rouge. Ces plaques forment le soubassement de la corniche. La disposition des cinq modillons a été quelque peu perturbée par la chute du mur, mais on constate qu’ils sont placés à une distance régu-lière équivalente à leur largeur. Par ailleurs, ils sont posés en boutisse et pénètrent donc des deux tiers dans la maçonnerie. Le rang de tegulae est porté

8 Il s’agit de l’arrière du caldarium avec sa piscine contenue dans l’exèdre axiale et donc du sommet de ses murs. Les modillons sont mis en œuvre à la fois dans une courbe, des tronçons rectilignes horizontaux et des rampants. Ils sont observables depuis la place Constantin, en bordure du Rhône.

9 Ce point demanderait à être vérifié, mais ne remet pas en question le principe d’un assemblage pour former la corniche et donc la validité de l’exemple.

10 Une première restitution a été proposée par l’auteur de cet article pour accompagner la notice de Dominique Doyen (Doyen, 2003).

Fig. 8. Les consoles sont les seuls éléments subsistants de la corniche modillionnaire de cette abside de la basilique de Maxence à Rome (© É. Follain).

Fig. 9. De très nombreuses maçonneries extérieures

des thermes de Dioclétien (Rome) présentent encore

des séries de consoles utilisées comme modillons

dans les corniches rythmant les élévations

(© É. Follain).

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Fig. 10. Type 1 de modillons indépendants ; ce choix d’exemples montre, par leur diffusion, qu’ils sont probablement les plus courants (© É. Follain).

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Fig. 11. Types de modillons connus en

très petits nombres ; les exemplaires de Lillebonne

(type 2) et d’Aubevoye (type 5) pourraient ne

pas appartenir à des corniches modillonnaires

par assemblages de modèle courant

(© É. Follain).

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Fig. 12. Type 6 ; sa diffusion semble limitée à la région d’Évreux jusqu’à la vallée de la Seine, autour de Gaillon. Il pourrait s’agir alors de la production d’un atelier œuvrant chez les Aulerques Éburovices (© É. Follain).

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par ces mêmes modillons. Au-dessus, la structure est trop perturbée pour être analysée. Le rang de tegulae, arrivé à cet état de l’analyse, peut donc tout aussi bien constituer la moulure de couronnement, un larmier, voire une cimaise (fig. 14). À titre de confirmation, on notera la découverte aux fana de Saint-Aubin-sur-Gaillon, en association avec des modillons, de plaquettes aux bords arrondis ou chanfreinés (Poulain, 1918, p. 141).Très récemment, la fouille d’une vaste villa, au lieu-dit le « Chemin aux Errants », sur la commune de Val-de-Reuil, a produit un ensemble venant en complément de la précédente découverte (fig. 17). Pour l’essentiel, il s’agit d’un comblement de puits qui comporte une série de modillons, quelques plaques épaisses de section carrée ainsi que des blocs de mortier grossier. D’un autre type, les modillons (fig. 15) ne devaient aucunement différer dans

leur mise en œuvre de ceux du LEP Hébert. Une des deux plaques montre un décor de croisillons en relief11 et il faut surtout remarquer la corres-pondance de sa section avec celle des modillons. Le matériau utilisé provient des carrières de l’Oise tout comme celui des modillons. Cet élément ne

11 Deux traits de scie sur les diagonales ont permis par enlèvements triangulaires la réalisation de ce décor.

Fig. 13. Arrière d’un pan de mur effondré appartenant probablement à la galerie

d’un fanum fouillé au LEP Hébert à Évreux (fouille :

D. Doyen, INRAP ; DAO : É. Follain d’après le relevé de P. Calderoni, INRAP).

Fig. 14. Proposition de restitution de la paroi couronnée

d’une corniche du fanum du LEP Hébert à Évreux,

d’après le vestige effondré de la galerie (© É. Follain).

Fig. 15. L’un des modillons de la villa du « Chemin aux Errants »

à Val-de-Reuil ; vue de dessous (fouille : Y.-M. Adrian, INRAP ; © É. Follain).

Fig. 16. Plaquette décorée d’un croisillon en relief interprétée comme un entre-modillon ou

métope, villa du « Chemin aux Errants » à Val-de-Reuil

(fouille : Y.-M. Adrian, INRAP ; © É. Follain).

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Fig. 17. Ensemble des éléments recueillis lors de la fouille de la villa du « Chemin aux Errants » à Val-de-Reuil pouvant appartenir à une corniche modillonnaire par assemblage (© É. Follain).

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peut avoir que deux fonctions dans l’assemblage : une métope (fig. 16) ou un soffite. Son profil, s’éva-sant vers la face décorée, ne se prête pas à son place-ment en soffite et il est plus aisé de le sceller entre deux modillons pour obtenir un entre-modillon ou une métope. Les blocs de mortier12 grossier se présentent comme les tronçons d’un cordon impar-faitement lissé. Il est de profil triangulaire, plat en dessous et se terminant en une pointe décalée vers l’un des bords. Il porte des empreintes de tegulae et d’imbrices à la base. Ainsi, on constate qu’il a dû être coulé entre les rebords de tuiles plates et qu’il se situe au contact d’une rive de toiture ; ceci

12 La présence de petits éléments permettrait même de le qualifier de béton. La surface paraît travaillée à la truelle et le lissage à la main ou au chiffon.

expliquerait la présence des empreintes de tegulae et de tuiles couvre-joints. Un tel cordon ne peut correspondre à un scellement sous les imbrices ou à un bourrelet d’étanchéité dans un arêtier de toiture. Malgré sa rusticité et l’absence de finition de ses faces principales, il est possible d’y voir une fausse-sima (fig. 17-18) plutôt qu’un véritable chéneau. Ceci prend tout son sens lorsque l’on considère la rareté des découvertes d’antéfixes sur les sites antiques, urbains ou ruraux, de Haute-Normandie. En effet, on voit mal comment des antéfixes viendraient en bout des lignes de couvre-joints avec un tel système qui les masquerait en totalité. Il y a là, peut-être, un

Fig. 18. Proposition de remontage de la corniche de la villa du « Chemin aux

Errants » à Val-de-Reuil (fouille : Y.-M. Adrian, INRAP ; © É. Follain).

Fig. 19. Modillon indépendant dont la console divisée axialement

en deux parties annonce deux rampants. Elle occupe

manifestement le sommet d’un fronton ; fouille des « serres

Chevrier » à Caudebec-lès-Elbeuf (fouille : L. Jego, étude M. Texier,

INRAP ; © É. Follain).

Fig. 20. Proposition de restitution synthétisant l’ensemble des

informations recueillies à ce jour ; c’est selon ce principe général

que beaucoup de constructions auraient vu leurs murs surmontés

de corniches modillonnaires, au même titre que les plus importants

monuments (© É. Follain).

Fig. 21. La coupe restituée montre que le scellement des tuiles dans le

béton de la fausse-sima pourrait justifier la rareté des découvertes

d’antéfixes antiques en Haute-Normandie (© É. Follain).

Fig. 22. Analyse stéréotomique de la

fabrication des modillons indépendants ; la simplicité

du procédé suggère à la fois une standardisation

poussée et une fabrication en grandes quantités

(© É. Follain).

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élément d’explication pour cette absence que l’on se contentait jusqu’à aujourd’hui de mettre sur le compte des aléas de la fouille13. Enfin, revenant sur la question des métopes, il faut signaler que des plaques carrées taillées en biseau ont été recueillies à Saint-Aubin-sur-Gaillon (Poulain, 1918, p. 244) et qu’elles paraissent tout à fait comparables à celles de Val-de-Reuil.Jusqu’à présent, les observations réunies permettent d’envisager la restitution de corniches modillon-naires par assemblage au pied de nombreuses formes de toitures : pans de bâtière, appentis ou encore noues simples ou multiples. L’argumentaire déve-loppé impose de se limiter à une mise en œuvre horizontale des assemblages car tous les modillons recueillis possèdent des côtés perpendiculaires deux à deux. Un unique exemplaire, trouvé à Caudebec-lès-Elbeuf14, permet d’étendre l’hypothèse aux ram-pants des frontons et donc aux côtés des diverses pentes de toiture. Son dessin (fig. 10A) et sa photo-graphie (fig. 19) montrent que ce modillon occupe le sommet d’un fronton et sa console, divisée en deux parties, annonce clairement les amorces de deux pentes opposées.De ces observations découle un schéma de principe (fig. 20-21) pour la réalisation des corniches modil-lonnaires par assemblage. Préalablement, il faut souligner qu’elles gardent l’essentiel de la corniche corinthienne et sont particulièrement adaptées aux rives de toiture. Leur soubassement est formé par les débords d’une série de lits et soutient les modillons disposés selon un écartement régulier. Dans les inter-valles peuvent prendre place des petits blocs faisant fonction de métopes, qui ne semblent pas systéma-tiquement décorés. Les modillons associent parfois la forme de la console et une moulure de couronne-ment15. Ils soutiennent une fausse-sima qui se pré-sente comme un cordon de mortier coulé dans un lit

13 Seuls deux ou trois fragments d’antéfixes sont connus pour la Haute-Normandie.14 Cette opération, au lieu-dit « Les Serres Chevrier », est en cours de post-fouille sous la direction de Myriam Texier, INRAP, qui a

aimablement donné accès à ce mobilier.15 Selon le sens que leur donne Albéric Olivier (1989, p. 45 et fig. 1, p. 44). On pense ici surtout au type 1.

de tegulae et profilé. Ce dernier fait alors également fonction de soffite. Le fait marquant demeure donc la disparition du larmier, puisqu’un simple rang de tuiles ne saurait en tenir lieu.Il pourrait paraître prématuré d’établir une typo-logie16 de ces modillons indépendants car seuls les types 1 et 6 sont suffisamment représentés. Le pre-mier (fig. 10) est probablement le plus diffusé et le plus courant et le second (fig. 12) est issu de la pro-duction d’un atelier spécifique dont on commence à cerner la zone d’activité. Au préalable, on soulignera une relative unité dans les dimensions, tant pour les sections que pour les longueurs (fig. 10-12 et 17). Pour établir ce début de typologie, on prendra en considération avant tout la partie console : on voit bien avec le type 6 que le tronçon utilisé en bou-tisse peut être plus ou moins long et plus ou moins régulier17. Le type 1 est représenté pour l’Île-de-France à Châteaubleau18, pour la Picardie à Mercin-et-Vaux19, pour la Bourgogne à Fontenay-près-Vézelay20 et pour la Haute-Normandie (fig. 10) à Caudebec-lès-Elbeuf, Rouen21 et Le Vieil-évreux22. Son profil en S est fortement bombé à l’arrière et sa retombée est moins importante. Sa principale caractéristique est de posséder une moulure de cou-ronnement solidaire composée d’un réglet ou d’une baguette. Pour cette raison, la console proprement dite est en retrait des bords du bloc. Les types 2 à 5 sont manifestement plus rares. Le type 2 (fig. 11) est illustré dans les thermes publics de Lillebonne23 en Haute-Normandie. Il s’agit de trois blocs placés en boutisse dont la partie saillant de la maçonne-rie présente un profil mouluré : de bas en haut une feuillure, une doucine, un bandeau et un chanfrein. Il n’est pas certain que ces blocs, associés à deux absides, appartiennent à un assemblage de cor-niche tel que présenté ici. Il faut sans doute ima-giner, en raison du contexte monumental, que ces

16 Pour une qualification des différents modillons de la corniche corinthienne canonique, voir Ginouvès, 1992, p. 124-125.17 Il suffit de comparer l’exemplaire d’Évreux avec celui d’Aubevoye A, dans la fig. 12.18 Piganiol, 1965, p. 312-314 et fig. 24, p. 313. Le dessin est repris ici à la fig. 10.19 Barbet, 1981, p. 72-73 et fig. 12-13, p. 72. Le dessin est repris ici à la fig. 10.20 Martin, 1966, p. 405 et fig. 48. Le dessin est repris d’après la photographie publiée à la fig. 11.21 Cet exemplaire est conservé au dépôt de fouille du SRA de Haute-Normandie à Canteleu. Il ne comporte que l’indication Rouen, sans

précision de l’opération.22 Guyard, Bertaudière, 2010, p. 4, no 55, modillon 213. 544-015. Le dessin de la fig. 10 a été réalisé d’après cette photographie et reste

donc imprécis.23 Découverts lors de la fouille du frigidarium dirigée par Dominique Pitte, SRA, en 1985. Conservés au dépôt archéologique du SRA

Haute-Normandie et fig. 11.

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modillons recevaient une véritable mouluration de corniche constituée de blocs taillés profilés comme un larmier et une sima. On serait alors très proche des exemples de l’architecture monumentale cités précédemment. Le type 3 (fig. 11) a été découvert à Saint-Aubin-sur-Gaillon24 dans le département de l’Eure. Il est profilé selon un double bombe-ment. Le bombement avant est nettement plus petit que le bombement arrière. Une saignée marque la limite de la partie utilisée en boutisse25. Le type 4 (fig. 11) est connu à Harfleur26 et peut-être est-il le plus ancien. Il est peu bombé à l’arrière et sa retom-bée est très marquée et nettement dominante. Un réglet constitue sa moulure de couronnement. La section de sa partie en boutisse est très inférieure à celle de la console. Dans une telle configuration, il est évident que le modillon ne peut porter qu’une très faible charge. Le type 5 (fig. 11) a été identi-fié à Aubevoye en trois exemplaires27. Le modillon est parallélépipédique, souligné d’une mouluration (scotie et ovolo, à ce qu’il semble, malgré son mau-vais état) et surmonté d’un réglet. On ne peut écar-ter la possibilité qu’il s’agisse plutôt d’un support de décor28. L’atelier fabriquant le type 6 (fig. 12) est vraisemblablement à chercher dans le territoire des Aulerques éburovices dont évreux (Mediolanum Aulercorum) fut la capitale29. En effet, tous les exem-plaires répertoriés proviennent de ce secteur30. Ils ont en commun un fort bombement arrière, une retombée brusque et un décor de croisillon incisé sur la face antérieure. La retombée peut également montrer une série d’anglets31. Le profil de la console est au droit des côtés du bloc puisqu’aucun couron-nement n’existe. Au passage, on signalera que tous les modillons haut-normands, à l’exception de celui de Harfleur, sont taillés dans la pierre de l’Oise.Les circonstances des découvertes de ces éléments ne facilitent pas la fixation d’un cadre chronologique de leur usage. Aucun n’a vraiment été observé dans sa position primaire, et donc conservé dans une élé-vation. Le seul exemplaire attribuable au premier

24 Poulain, 1913, fig. 7, p. 61. Le dessin est repris à la fig. 11.25 Cette saignée est peu fréquente, mais on la retrouve sur les exemplaires de Rouen (fig. 10) et de Lillebonne (fig. 11).26 Fouille du Coteau du Calvaire, sous la direction de Julien Boisson, société Archéopole. Il pourrait être lié à la basilique qui fait l’objet

d’un article commun dans ce volume (voir aussi Boisson, Follain, 2013). Dessin fig. 11 et photographie fig. 4.27 D’après Guillier, 2013, p. 291. Il a été dessiné, fig. 11, avec l’aimable autorisation de Gérard Guillier, INRAP.28 D’autant que sa face supérieure est particulièrement marquée.29 Ou encore la zone géographique dans laquelle une équipe de tailleurs de pierre se déplaçait. 30 On citera successivement : les éléments du LEP Hébert d’Évreux (conservés au dépôt du SRA et figurés dans Doyen, 2002, pl. XV),

ceux de Saint-Aubin-sur-Gaillon (Poulain, 1913, fig. 2, p. 52), l’exemple du Vieil-Évreux (photographié dans Hartz, 2011, p. 102, fig. 9) et deux des modillons d’Aubevoye.

31 À Évreux, Aubevoye et Saint-Aubin-sur-Gaillon.

ier siècle de notre ère pourrait être celui d’Harfleur, mais il faudrait alors être certain de son emploi dans la basilique. Tous les autres éléments proviennent de contextes du Haut-Empire, des iie et iiie siècles, et ne sont jamais postérieurs aux niveaux de destruc-tion ou d’abandon de la fin du iiie siècle. Certains, comme ceux de Mercin-et-Vaux, sont clairement des réemplois de cette période. Une seule découverte pourrait être considérée comme réellement perti-nente chronologiquement : celle du LEP Hébert à évreux, puisqu’il s’agit de l’effondrement d’une paroi surmontée de sa corniche modillonnaire par assemblage. La création du fanum est datée de la seconde moitié du ier siècle par le fouilleur, mais les parties hautes de ce temple ont pu faire l’objet d’une réfection.En l’état actuel des connaissances, et en gardant à l’esprit le renvoi qui a été fait aux monuments de Rome, ces assemblages seraient donc une méthode de construction du Haut-Empire, des iie et iiie siècles. Rien, cependant, ne s’oppose à ce que sa pratique se soit prolongée au delà comme le montrent les exemples médiévaux évoqués en conclusion.Ce qui pourrait être considéré comme un détail de la construction en Gaule romaine est en réalité extrêmement révélateur d’une évolution vers une standardisation, une production en grande série et une architecture où l’apparence prime sur la qualité et la pérennité. Proposer une analyse stéréotomique (fig. 22) vise à reconstituer la méthode employée pour produire un modillon indépendant et à en tirer toutes les conséquences. En partant d’un parallélé-pipède de calcaire on s’aperçoit qu’un simple enlè-vement, de manière à obtenir le profil en console, associé à quelques coups de scie suffisent pour la fabrication d’un exemplaire de type 1. Ce qu’il faut retenir de cette analyse c’est la facilité déconcertante avec laquelle le modillon est fabriqué, confirmant ainsi une standardisation très poussée32 et une pro-duction en masse.

32 La diffusion du type 6, du Vieil-Évreux à Aubevoye, en est l’illustration.

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Parallèlement, il convient d’être attentif aux plus infimes traces de peinture. Un badigeon blanc dont les traces ont été fréquemment observées et, plus rarement, des traits de peinture rouge devaient achever de rendre ces assemblages semblables aux corniches monolithiques des grands monuments.La mise en évidence, fréquente, de l’usage de cor-niches modillonnaires par assemblage est un révé-lateur de certaines orientations prises par l’architec-ture gallo-romaine dans le bassin de la Seine. Ce phénomène témoigne de l’omniprésence de l’ordre corinthien et de la volonté, même avec des moyens limités, de s’approcher le plus possible de l’architec-ture monumentale, tant pour l’habitat des classes aisées que pour les plus modestes des sanctuaires. Cette découverte intéresse également la restitution des constructions antiques, dans ce secteur géogra-phique de la Gaule. Faute d’éléments lapidaires, les restitutions ou évocations des diverses constructions ont jusqu’à présent été traitées de manière « aus-tère ». Il convient donc de réviser quelque peu les

mises en images de ces hypothèses et a minima, lorsqu’au moins quelques modillons sont recueillis, de figurer ces corniches sous les toitures des villae et fana de Haute-Normandie, d’Île-de-France, de Picardie et de Bourgogne. Cette manière de construire des corniches n’est pas restée sans postérité. L’existence au haut Moyen Âge, puis à l’époque romane de pièces architecto-niques comparables, valide à posteriori, l’interpréta-tion qui vient d’être faite de ces modillons antiques indépendants. On pense alors aux modillons caro-lingiens en terre cuite du Val-de-Loire33, puis à la très grande majorité des chevets d’églises romanes dont les corniches sont portées par des modillons34 historiés ou sculptés, et surtout taillés individuelle-ment. Parallèlement, ces exemples médiévaux per-mettent de poser la question de la pérennisation de ces assemblages antiques au travers les siècles : s’agit-il du maintien d’un savoir-faire ou de la résurgence d’une conception par assemblage de la corniche ? g

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33 Liste des sites ayant livré ce type de mobilier dans Lelong (Lelong, 1964, p. 243).34 Parmi une foule d’exemples, on citera : en Saintonge (Kenaan-Kedar, Debies, 1986, pl. II, fig. 8 ou pl. V, fig. 19) ; en Haute-Normandie,

le clocher de l’église de Virville (Gauthier, 1994, p. 484-485, no 2949).

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T a b l e d e s m a t i è r e s

Table des matières

7 Préface

9 Monique Remy-WattéLe rôle de la Haute-Normandie dans les problématiques préhistoriques du xixe siècle : chronologie et stratigraphie du paléolithique inférieur et moyen (1870-1894)

23 Jean-Pierre WattéLe « Clactonien » des plages du Havre et de Sainte-Adresse (Seine-Maritime)

45 Jean-Pierre WattéUn menhir à Saint-Gilles-de-Crétot (Seine-Maritime), au lieu-dit « La Bouteillerie » ?

55 Maud Le Saint AllainLouviers (Eure), rue des Oiseaux : d’une occupation de l’âge du bronze à un établissement rural de l’âge du fer

65 Vincent DartoisAuthevernes-Vesly (Eure), la structure 18 : un petit lot céramique du milieu de l’âge du fer

73 Jérôme SpiesserLa villa gallo-romaine du « Grésil » à Orival (Seine-Maritime)

83 Julien Boisson et érik FollainDécouverte d’une basilique romaine à Harfleur (Seine-Maritime), première approche

95 érik FollainCorniches modillonnaires par assemblage : une spécificité de l’architecture gallo-romaine dans le bassin de la Seine ?

109 étienne Mantel et Stéphane DuboisL’agglomération gallo-romaine de Briga (Eu, « Bois-l’Abbé », Seine-Maritime) au Haut-Empire : mise au jour des premiers îlots d’habitation

127 Sandrine Bertaudière et Sébastien CormierLe grand sanctuaire central du Vieil-évreux (Eure). Résultats de la campagne 2012

137 Stéphanie zellerétude d’un lot d’objets découverts au début du xixe siècle par François Rever sur le site antique du Vieil-évreux (Eure)

143 Rozenn Colleter, Noémie Gryspeirt, David Jouneau, Noémie Rolland, avec la collaboration de Mark Guillon

Au cœur d’une communauté villageoise du premier Moyen Âge dans la vallée de l’Andelle : l’église Saint-Crespin de Romilly-sur-Andelle (Eure) et son cimetière (fin du vie - milieu du xie siècle)

T a b l e d e s m a t i è r e s

165 David Jouneau et élisabeth Lecler-HubyCadre et évolution d’un prieuré manorial normand : le prieuré Saint-Crespin de Romilly-sur-Andelle, dans l’Eure (milieu du xie - fin du xviiie siècle)

173 Jacques Le Maho, James Morganstern et éric BroineFragments de vitraux romans provenant de l’ancienne abbaye de Jumièges (Seine-Maritime)

179 Astrid Lemoine-DescourtieuxUne maison médiévale en pierre sur le site de l’ancien tribunal de Verneuil-sur-Avre (Eure)

191 Sarah Beslagic et Jérôme BelliardL’apport des sciences de l’environnement à la compréhension de l’histoire des milieux : l’exemple des peuplements de poissons du bassin de la Seine au regard des données archéologiques et historiques

199 Bénédicte Guillot, avec la collaboration d’élisabeth Lecler-Huby et de Guillaume LemaîtreRouen (Seine-Maritime), rue Verte, rue Pouchet, premiers résultats de la fouille du « heurt du Chastel » (xvie siècle)

203 Patrick SorelEssai d’interprétation des moulins à eau de Villequier (Seine-Maritime)

213 Jean-Louis CamusetIvry-la-Bataille (Eure), la grotte du Sabotier, résultats d’une fouille programmée

221 Véronique Le Borgne, Jean-Noël Le Borgne, Gilles DumondelleL’archéologie aérienne et les activités connexes dans le département de l’Eure en 2012

225 Les auteurs

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