Contestation, délibération et représentation : trois figures du débat comme procédure de...

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- 1 - CONTESTATION, DÉLIBÉRATION ET REPRÉSENTATION : TROIS FIGURES DU DÉBAT COMME PROCÉDURE DE LÉGITIMATION Jean-Michel FOURNIAU Directeur de recherche au DEST-IFSTTAR Chercheur associé au GSPR, EHESS courriel : [email protected] Le rapport public 2011 du Conseil d’État Consulter autrement, participer effectivement définit les grands principes d’une « administration délibérative » qu’il propose d’inscrire dans une loi-code, « principes directeurs qui régiraient le recours à des concertations ouvertes précédant, chaque fois que nécessaire, la prise de décision » (p. 84). Ce rapport installe dans la conception de la bonne administration de l’action publique le vocabulaire de la démocratie délibérative dont nombre d’acteurs considéraient pourtant qu’il ne pourrait pas prendre en France, le terme de délibération y étant trop étroitement associé, contrairement à son sens anglo-américain, à l’idée de décision que les élus voient toujours comme leur prérogative exclusive. Le rapport s’appuie sur un changement de références théoriques : l’administration consultative avait été la réponse au diagnostic d’une société bloquée, portée dans les années 1960 par Michel Crozier, alors que le développement de la participation depuis la fin des années 1990 procéduralise les critères qui fondent la légitimité de la décision publique, ainsi que l’a analysé Jürgen Habermas ; l’administration délibérative entend alors répondre à la généralisation de la défiance politique pointée par Pierre Rosanvallon (idem, pp. 11-12). Ce rapport, le premier consacré à la participation, apparaît donc comme le point d’orgue d’un renouvellement profond de la doctrine administrative de l’action publique entamée assez timidement quinze ans plus tôt, en particulier avec le rapport public du bicentenaire du Conseil d’État, dédié à l’intérêt général (1999). Ce papier se propose de documenter le changement de référentiel de l’action publique qu’acte le rapport du Conseil d’État. Celui-ci fonde plus particulièrement sa réflexion sur l’analyse de l’expérience de la Commission nationale du débat public (CNDP). « En peu de temps, le débat public est apparu comme l’expression emblématique des mutations qui touchent l’action publique et des sollicitations qui s’exercent sur les autorités publiques afin qu’elles s’ouvrent à l’examen critique par les usagers et les citoyens. La figure du “débat public”, née de la volonté de traiter de manière originale, ouverte et collective, les questions d’aménagement et d’environnement, s’est banalisée et a tendance à recouvrir désormais “toute forme, instance, ou procédure de mise en discussion publique des choix collectifs” » (Conseil d’État, 2011, p. 48, souligné dans le texte, citation tirée de Rui (2004)). Il s’agit donc de préciser cette « figure du “débat public” » mise en exergue de la transition vers une administration délibérative, en procédant à l’examen de l’institutionnalisation du débat public et de l’activité de la CNDP. L’analyse des rapports des acteurs à l’institutionnalisation de la participation ne conduit pas à voir dans ce processus un changement univoque et irréversible d’une administration consultative vers une administration délibérative, ni un « impératif délibératif » (Blondiaux et Sintomer, 2002) dominant dorénavant l’action publique, formule que le Conseil d’État ne reprend d’ailleurs pas. Trois figures contrastées du débat comme procédure de légitimation de la décision publique se distinguent à l’examen du processus d’institutionnalisation du débat

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CONTESTATION, DÉLIBÉRATION ET REPRÉSENTATION : TROIS FIGURES DU DÉBAT COMME PROCÉDURE DE LÉGITIMATION

Jean-Michel FOURNIAU Directeur de recherche au DEST-IFSTTAR Chercheur associé au GSPR, EHESS courriel : [email protected]

Le rapport public 2011 du Conseil d’État Consulter autrement, participer effectivement définit les grands principes d’une « administration délibérative » qu’il propose d’inscrire dans une loi-code, « principes directeurs qui régiraient le recours à des concertations ouvertes précédant, chaque fois que nécessaire, la prise de décision » (p. 84). Ce rapport installe dans la conception de la bonne administration de l’action publique le vocabulaire de la démocratie délibérative dont nombre d’acteurs considéraient pourtant qu’il ne pourrait pas prendre en France, le terme de délibération y étant trop étroitement associé, contrairement à son sens anglo-américain, à l’idée de décision que les élus voient toujours comme leur prérogative exclusive. Le rapport s’appuie sur un changement de références théoriques : l’administration consultative avait été la réponse au diagnostic d’une société bloquée, portée dans les années 1960 par Michel Crozier, alors que le développement de la participation depuis la fin des années 1990 procéduralise les critères qui fondent la légitimité de la décision publique, ainsi que l’a analysé Jürgen Habermas ; l’administration délibérative entend alors répondre à la généralisation de la défiance politique pointée par Pierre Rosanvallon (idem, pp. 11-12). Ce rapport, le premier consacré à la participation, apparaît donc comme le point d’orgue d’un renouvellement profond de la doctrine administrative de l’action publique entamée assez timidement quinze ans plus tôt, en particulier avec le rapport public du bicentenaire du Conseil d’État, dédié à l’intérêt général (1999).

Ce papier se propose de documenter le changement de référentiel de l’action publique qu’acte le rapport du Conseil d’État. Celui-ci fonde plus particulièrement sa réflexion sur l’analyse de l’expérience de la Commission nationale du débat public (CNDP).

« En peu de temps, le débat public est apparu comme l’expression emblématique des mutations qui touchent l’action publique et des sollicitations qui s’exercent sur les autorités publiques afin qu’elles s’ouvrent à l’examen critique par les usagers et les citoyens. La figure du “débat public”, née de la volonté de traiter de manière originale, ouverte et collective, les questions d’aménagement et d’environnement, s’est banalisée et a tendance à recouvrir désormais “toute forme, instance, ou procédure de mise en discussion publique des choix collectifs” » (Conseil d’État, 2011, p. 48, souligné dans le texte, citation tirée de Rui (2004)).

Il s’agit donc de préciser cette « figure du “débat public” » mise en exergue de la transition vers une administration délibérative, en procédant à l’examen de l’institutionnalisation du débat public et de l’activité de la CNDP.

L’analyse des rapports des acteurs à l’institutionnalisation de la participation ne conduit pas à voir dans ce processus un changement univoque et irréversible d’une administration consultative vers une administration délibérative, ni un « impératif délibératif » (Blondiaux et Sintomer, 2002) dominant dorénavant l’action publique, formule que le Conseil d’État ne reprend d’ailleurs pas. Trois figures contrastées du débat comme procédure de légitimation de la décision publique se distinguent à l’examen du processus d’institutionnalisation du débat

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public sur une vingtaine d’années, que ce papier se propose de caractériser. Ce que débattre veut dire, qui est légitime pour parler au nom de l’intérêt général, quelles sont les garanties procédurales d’un “vrai” débat, à quoi sert le débat public, quels sont ses effets sur la décision : la diversité des positionnements des acteurs sur ces enjeux, les variations de leurs réponses peuvent, sans réduire leur multiplicité jusqu’à la simplification, se décrire en trois pôles qu’actualise chaque nouvelle institutionnalisation du débat public, trois figures dont la tension alimente la dynamique du processus.

Nous proposons dans ce papier de caractériser ces figures du débat public — consultative, délibérative, contestataire — en examinant pour chacune d’elle d’abord les conditions de son émergence comme façon de poser les conditions de légitimité de l’action publique, puis les conséquences procédurales de ce positionnement, enfin la pratique du débat public qui lui est liée. Cet examen conduit en conclusion à s’interroger sur les rapports qu’entretiennent ces trois figures, sur leur coexistence que manifestent encore aujourd’hui des propositions contradictoires de réformes touchant à la démocratie participative, et le faible écho des préconisations du Conseil d’État en la matière.

I. L’ANCRAGE DE LA FIGURE CONSULTATIVE DANS LA TRADITION D’ÉVALUATION DE L’ACCEPTABILITÉ SOCIALE DES DÉCISIONS

La tradition consultative de l’administration française est bien illustrée par l’histoire des enquêtes d’utilité publique (Piechaczyk, 2000). La décision est prise par les élus au nom de l’intérêt général, tandis que la consultation des citoyens en aval de la décision, ne porte ni sur les justifications des projets ni sur leur opportunité, mais seulement sur leurs conditions de réalisation. La mise en œuvre de l’enquête repose sur l’exercice non professionnel d’une fonction publique par des commissaires enquêteurs répondant à l’image de l’« honnête homme », semblable à ses concitoyens mais ayant le souci de l’intérêt général au nom duquel il rend un avis. L’exercice constitue un dispositif de délégation du jugement au nom de l’intérêt général, cette faculté n’étant pas exercée directement par les citoyens. Les conditions matérielles de l’enquête — pas d’interpellation directe du maître d’ouvrage, individualisation des relations avec le commissaire enquêteur, dépôt de remarques par écrit uniquement, etc. — renforcent ce caractère : il s’agit d’un dispositif organisant la délégation entre des individus titulaires de droits (droit de propriété à l’origine) et l’État « propriétaire » de l’intérêt général. La possibilité pour le commissaire enquêteur d’organiser un débat mettant en présence (mais pas face à face) le public et le maître d’ouvrage n’a été introduite qu’en 1985, et elle n’est pas devenue la modalité générale d’organisation de l’enquête d’utilité publique.

Pour autant, la consultation n’est pas réductible à l’idée d’information à sens unique, contre laquelle se retournent les critiques jugeant le processus de décision trop peu démocratique. Au contraire, la transparence de la décision et la concertation avec le public sont devenues les leitmotivs des directives de modernisation du service public depuis les années 1980. Une des premières évolutions de l’enquête d’utilité publique, avant la loi de démocratisation de 1983, a été impulsée dès 1976 par une circulaire du Premier ministre, qui explicite l’idée de la consultation comme information à double sens : il s’agit pour les pouvoirs publics tout autant de prendre connaissance des suggestions des habitants, d’évaluer leurs réactions avant de décider d’un projet, que d’informer le public1. Cette conception, faisant de l’évaluation de 1. « L’information du public trouve ses fondements dans la nécessité d’expliquer et de faire comprendre les

raisons qui ont conduit les pouvoirs publics à retenir tel ou tel projet. Elle s’impose aussi pour obtenir des habitants intéressés le maximum de réactions et de propositions susceptibles d’éclairer l’autorité publique avant le choix ou la mise en œuvre d’un projet. Ainsi, c’est bien dans une double perspective qu’il convient

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l’acceptabilité sociale l’objet essentiel de la consultation, est depuis devenue un lieu commun de la modernisation administrative. Cette évolution, qui trouve dans la mise en politique de l’environnement (Charvolin, 2003) un terrain d’élection, se marque par la diffusion du terme de concertation, dont la formalisation est liée à l’histoire de la planification à la française, à la « fonction de concertation du Plan » (Nizard, 1972).

La transparence de l’action publique en réponse aux conflits d’aménagement

L’idée du débat public concourt à cette première évolution : elle fait son apparition pour répondre aux conflits territoriaux du tournant des années 1980/1990, mettant en cause de grandes infrastructures linéaires (TGV Méditerranée, autoroute A16 au nord de la région parisienne, ligne électrique à très haute tension France-Espagne à travers les Pyrénées), dans lesquels la participation aux processus de décision est revendiquée à partir d’une critique de l’enquête d’utilité publique. La remontée générale de la conflictualité autour des usages du territoire (Guérin, 2005) nécessite une réponse sortant des chemins battus de la tradition consultative de l’administration2. L’adoption de la circulaire du ministre des Transports instaurant fin 1992 un débat en amont des études d’avant-projet, portant sur les principaux enjeux des grands projets, constitue (avec en janvier 1993 une circulaire analogue sur les lignes électriques à très haute tension) la première institutionnalisation du débat public (Ollivier-Trigalo et Piechaczyk, 2001). Elle consacre le dialogue amorcé — souvent de manière indirecte, parfois de manière directe comme lors du Collège des experts du TGV Méditerranée (Lolive, 1999) — entre les revendications portées dans les conflits par des associations locales de défense et les réflexions de grands commis de l’État qui élaborent pour y répondre des projets de réforme des processus de décision. Plusieurs groupes de hauts fonctionnaires prennent en effet la mesure de la « panne de la démocratie » que révèlent les conflits et élaborent une refonte de la conception d’ensemble de la conduite des projets, pour « décider mieux »3, autour de l’idée d’une phase de débat public en amont du processus de décision, ouverte « aux élus, aux forces sociales, économiques, associatives, à chaque citoyen »4.

S’inscrivant dans un mouvement déjà bien entamé de modernisation administrative, la circulaire « Bianco » en systématise le vocabulaire dans son exposé des motifs : « La transparence est une dimension désormais nécessaire de l’efficacité et de la crédibilité de l’action publique : transparence des enjeux, transparence des stratégies, transparence des compétences et des responsabilités, transparence des choix par la proposition de véritables

d’agir : celle d’une meilleure information des habitants au sujet des projets mis au point par les pouvoirs publics, et celle d’une meilleure connaissance par les pouvoirs publics des besoins des habitants. » Circulaire du 14 mai 1976. Signée par le Premier ministre, Jacques Chirac, cette circulaire « qui a pour objet de commenter le décret n° 76-432 du 14 mai 1976 relatif aux enquêtes publiques », s’adresse essentiellement aux services de l’Équipement et est publiée sous le timbre du ministère de l’Équipement.

2. Revenant en 1997 sur l’expérience tirée de sa mission de médiation auprès des élus locaux, en 1991, pour la recherche d’un tracé acceptable, un conseiller d’État indiquait : « Sans doute le TGV Méditerranée restera-t-il la dernière grande opération d’infrastructure que l’État aura entreprise avec la bonne conscience, pour ne pas dire l’innocence, qui peut habiter l’esprit des responsables lorsque, affranchis de toute espèce de doute sur l’utilité publique, ils s’apprêtent à cheminer sereinement entre logique des projets et légitimité sociale, celle-ci étant assurée d’avance par le respect des procédures classiques » (Querrien, 1997).

3. Les deux expressions sont des titres du rapport d’étape d’avril 1992 du « débat national sur les infrastructures de transport » conduit par le préfet Gilbert Carrère, Transports – destination 2012 (Carrère, 1992). Ce rapport d’étape met en forme les idées émises au cours de la rencontre tenue à Lyon le 26 avril 1992 sur le thème de la décision, dans laquelle les associations contestant le projet de TGV Méditerranée étaient très présentes. Le rapport final remis au ministre en novembre développe ces idées et avance les principales dispositions qui seront mises en forme dans la circulaire Bianco.

4. Termes de la circulaire Bianco du 15/12/1992 (Bianco, 1993).

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alternatives, transparence enfin des résultats par la vérification publique » (Bianco, 1993). La tradition consultative de l’administration structure néanmoins fortement les dispositions de la circulaire : l’organisation du débat est confiée à un préfet ; il est assisté d’une commission de suivi chargée « d’assurer la transparence du débat », mais le bilan du débat est établi par le préfet. La mise en œuvre de la circulaire, une dizaine de débats durant les années 1990, construit une figure pédagogique qui reste très active jusqu’à aujourd’hui. En effet dans ces premières réformes, l’enjeu de la participation du public n’est pas clairement dégagé. Ainsi la loi Barnier, en 1995, qui en instaure pour la première fois le principe et crée la CNDP, réduit la participation à l’accès à l’information5. La participation ne se distinguera de la transparence de l’information que progressivement, après quelques années de pratique du débat public, celle-ci mettant en son centre la question de l’échange argumenté.

La figure consultative inscrit donc le débat public comme phase supplémentaire — en amont — dans l’instruction des projets, pour une meilleure transparence des enjeux, mais sépare fortement les rôles : la définition des problèmes à résoudre et les modalités de résolution relève de l’expertise propre des maîtres d’ouvrage qui garantit l’efficacité des décisions ; la prise en compte de la parole des citoyens pour améliorer le projet est très fortement contrainte, sans reconnaissance de la capacité autonome de proposition des habitants ; la décision reste l’apanage des seuls élus.

Une vision pédagogique de l’intérêt général

La figure consultative repose sur un triptyque de critères que les acteurs mobilisent dans les conflits territoriaux et les débats publics pour défendre la légitimité de leurs propres positions au regard de l’intérêt général, et combattre celles de leurs adversaires. Nature des intérêts, degré de représentativité et niveau de compétences sont les trois critères substantiels constitutifs de cette grille d’évaluation avec laquelle les protagonistes s’entre-évaluent (Rui, 2001). Chacun des critères renvoie à un registre de validité habituellement attaché à la discussion rationnelle. Aussi, la figure consultative s’appuie-t-elle sur une vision pédagogique de l’intérêt général, qu’exprimait clairement un rapport parlementaire présentant début 2002 le titre de la loi de démocratie de proximité portant sur le débat public (titre IV) :

« En somme, le débat public doit permettre d’expliquer au public le sens du projet, de susciter son adhésion, d’améliorer le dispositif proposé, bref, de remplir un rôle pédagogique. Il ne s’agit pas de remettre en cause la légitimité de la démocratie représentative, qui doit rester le principe fondamental du fonctionnement de la République. C’est dire que la “fenêtre de tir” est étroite et mérite d’être clairement précisée, si nous voulons respecter la légitimité du débat public, tout en conservant aux élus le pouvoir de décision, et garantir, en fin de compte, la réalisation efficace des projets »6.

Cette grille normative a été bâtie par les maîtres d’ouvrage autour des qualités qui établissent, à leurs propres yeux, leur légitimité à travailler pour l’intérêt général. Leur dénonciation du syndrome Nimby (Jobert, 1998) montre qu’ils ont construit une représentation du riverain et 5. L’article 1er de la loi du 2 février 1995 introduit dans le code rural les principes du développement durable :

précaution, action préventive, pollueur-payeur, et « le principe de participation, selon lequel chaque citoyen doit avoir accès aux informations relatives à l'environnement, y compris celles relatives aux substances et activités dangereuses » (Code rural, art. L200-1).

6. Présentation du titre IV au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, avant la discussion générale de la loi, lors de la séance publique du Sénat du 8 janvier 2002. Site Internet du Sénat : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl00-415.html. Il faut noter que le rapporteur, Patrick Lassourd, sénateur RPR d’Ille-et-Vilaine, a ensuite été nommé, au titre du Sénat, membre de la CNDP.

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de sa forme collective, l’association locale de défense, en miroir de la leur propre. Le riverain est reconnu comme faisant valoir des intérêts particuliers déclinés en termes de droits divers : droit de propriété, droit à la tranquillité, droit d’accès à l’infrastructure, etc. Le riverain dispose par ailleurs d’une compétence pratique et personnelle (et donc subjective) du site qui doit accueillir l’aménagement. Enfin, le riverain est un individu qui ne représente que lui-même et ne peut donc participer au débat sur l’intérêt général. Cette construction en miroir, opposant les défenseurs de l’intérêt général aux détenteurs d’intérêts particuliers, assigne à chaque protagoniste une place déterminée dans le débat et délimite ses droits à la parole, ce qui fût vivement contesté dans les premiers débats publics.

Le dispositif de débat définit le régime de parole

Dans le cas de la circulaire « Bianco », la discussion publique est découpée en phases qui séparent les objets de débat en les hiérarchisant rationnellement du plus général au plus détaillé, de manière à ce que le citoyen appelé à débattre sur les fonctions du projet soit séparé du riverain que mobilisent ses impacts. En confiant l’organisation du débat et le choix des interlocuteurs au seul maître d’ouvrage, et en ordonnant les objets de débat selon la logique d’instruction des projets, la circulaire Bianco cherche à définir une « répartition optimale des parts » (Rancière, 1995) : les citoyens peuvent se mettre d’accord, en généralité, sur les objectifs socio-économiques d’un bon projet, mais l’examen des impacts ne peut créer que des victimes, du dissensus (Tapie-Grime, 1997). Le riverain est donc repoussé à l’aval, et avec lui le public qui cherche d’abord à exposer le tort que la réalisation du projet lui ferait. Cette répartition des parts relève d’une logique consensuelle et conduit à ne jamais trouver le « bon » public du débat (Rui, 2005).

Relevant de la loi « Barnier », le débat public sur la branche sud du TGV Rhin-Rhône, en 1999, fournit un autre exemple du même processus. La plaquette présentant le débat prononce en effet un partage préalable : « Il résulte des textes applicables que le débat doit être animé par trois acteurs, qui ont chacun leur rôle : le public, le maître d’ouvrage et la Commission particulière »7. Le dispositif des réunions publiques matérialise cette répartition : l’intervention du public est réduite à poser des questions au maître d’ouvrage, la présence de la commission particulière du débat public (CPDP) garantissant l’obtention de réponses. Ce régime de parole construit le public comme collection de participants indifférenciés — désignés par les vocables « Mme Michu » ou « M. Lamda » —, sujets d’un droit à la parole, à l’expression de propositions et à l’obtention de réponses, mais il n’en fait jamais le sujet d’un « nous », pouvant éprouver dans la discussion son rapport au projet et à l’intérêt général qui le fonde. L’inégalité entre ce public indifférencié, jamais constitué comme collectif, et le maître d’ouvrage justifie la position médiatrice de la CPDP.

Là où la circulaire « Bianco » cherchait à définir le régime de parole par le découpage du débat en plusieurs phases, selon l’ordonnancement de l’instruction des projets, la commission particulière du TGV Rhin-Rhône cherche à faire coïncider le régime de parole avec un partage des rôles préétabli. Dans les deux cas, l’identité du régime de parole à un dispositif institutionnel ne permet pas au public d’acquérir une existence collective à faire valoir dans le processus de décision. Ainsi, la figure consultative, procédant d’une conception non conflictuelle du débat, vise plus l’information du maître d’ouvrage par l’expression des

7. Avant-propos du président de la commission particulière du débat public sur la branche sud du TGV Rhin-

Rhône, brochure de 5 p., mars 2000. Le président de la commission, Charles Gosselin, membre de la CNDP au titre du Conseil d’État, a systématiquement exposé cette « théorie des trois acteurs du débat » dans chacune des réunions publiques.

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différentes positions existant dans l’opinion que la confrontation des points de vue des habitants argumentant sur l’intérêt général en concurrence avec les décideurs.

II. L’EXPÉRIENCE DE LA FIGURE DÉLIBÉRATIVE DANS LA CRITIQUE SOCIALE DES PROJETS

L’institutionnalisation du débat public marque pourtant une bifurcation par rapport au mouvement de la tradition consultative de l’administration vers plus de transparence de l’information, elle ouvre une trajectoire distincte que laissaient seulement entrevoir les motifs de la circulaire Bianco sur la « transparence des compétences et des responsabilités », les « propositions de véritables alternatives » et la « vérification publique des résultats ». La pratique du débat public s’est progressivement dégagée de l’objectif d’une meilleure acceptabilité sociale des projets, pour faire de la participation un moment de libre expression de la critique sociale que ceux-ci suscitent8. Les conflits territoriaux, ceux dans lesquels les associations locales de défense luttent pour être reconnues comme ayant part à la construction de l’intérêt général, ont permis d’opérer ce déplacement touchant à la manière de produire de la légitimité des décisions. La loi de démocratie de proximité donne en 2002 forme institutionnelle à ces transformations (Revel et al., 2007) et marque une inflexion décisive par rapport à la succession des réformes précédentes. La loi pose en effet qu’il y a un intérêt général propre à la participation des citoyens à l’élaboration d’une décision, qu’il convient de distinguer de l’intérêt général qui s’attache au projet soumis à décision9. Transformée en autorité administrative indépendante, la CNDP est chargée de garantir et mettre en œuvre ce nouvel intérêt général reconnu dans la loi. Elle a, depuis 2002, organisé 75 débats publics en 12 ans, large expérience dans laquelle s’est forgée une figure délibérative du débat.

L’invention du débat public dans les conflits d’aménagement

Quand, au tournant des années 1980-1990, les riverains font irruption sur la scène de l’élaboration des projets d’aménagement, ils retournent la grille d’évaluation de la légitimité de l’action publique contre les maîtres d’ouvrage. Dans le conflit du TGV Méditerranée, tout particulièrement, les associations locales qui contestaient le projet de la SNCF ont inventé le débat public pour équilibrer une situation vécue comme une « lutte du pot de terre contre le pot de fer ». Les trois principaux réseaux associatifs animant les six années de ce conflit régional (1990-1995) n’ont cessé d’approfondir une critique du projet disputant finalement chacun des trois critères de légitimité à la SNCF. Ils ont contesté l’opportunité d’un projet radial créant une nouvelle trouée dans le paysage provençal sans être articulé aux dessertes régionales, et ont mis plus largement en question la pertinence de la rentabilité comme critère central de l’élaboration du schéma directeur des TGV. Le poids de ce critère de rentabilité, excluant la prise en compte des dommages créés aux territoires traversés, démontrait que la 8. Dans un article de 1999, intitulé « Conduire un projet, c’est construire sa légitimité », le vice-président du

Conseil général des ponts et chaussées formule cette idée de critique sociale : « L’expertise de toute chose est également présente dans la société civile, c’est-à-dire à l’extérieur du petit cercle de professionnels en charge du projet. Aucun savoir-faire professionnel, aussi élaboré soit-il, ne peut se présenter comme inaccessible à la critique issue de compétences comparables présentes dans la société. (…) Ce débat public ne concerne pas seulement des opinions prenant parti sur des valeurs ; il est aussi un débat public de compétences diversifiées…» (Mayet, 1999).

9. Le rapport pour avis sur le titre IV de la loi de démocratie de proximité, présenté au nom de la Commission de la production et des échanges de l’Assemblée nationale par Pierre Cohen, député socialiste de Haute-Garonne, indique que l’objectif de la loi est de « concilier d’une part, l’intérêt général d’une plus grande participation de nos concitoyens aux choix qui ont des conséquences lourdes sur leur cadre de vie et d’autre part, l’intérêt général qui s’attache à ces projets », Assemblée nationale, 11e législature, rapport n° 3105 du 5 juin 2001.

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SNCF poursuivait son propre intérêt d’entreprise commerciale et non l’intérêt général. En défendant des paysages, les associations locales se préoccupaient au contraire de la sauvegarde d’un patrimoine commun et non des seuls intérêts particuliers des riverains. Les associations ont ouvert la « boîte noire » des études techniques de la SNCF et en ont obtenu la vérification par un Collège d’experts indépendants qui a examiné, à égalité, leurs propres propositions alternatives. Elles ont fait valoir leur capacité de rassembler la population par de multiples pétitions et manifestations dans lesquelles les élus étaient largement présents alors que la SNCF mobilisait les sondages pour montrer que les contestataires étaient minoritaires (mais ils bénéficiaient de la sympathie majoritaire des sondés même favorables au projet).

Mais, en plus de ces formes classiques de protestation, certaines réseaux associatifs ont choisi de faire valoir leur capacité de représenter des problèmes non pris en compte par le maître d’ouvrage (l’articulation des dessertes régionales et du TGV, l’inscription du tracé dans le paysage, la protection des riverains,…) en organisant des forums où ils invitaient les différents protagonistes à discuter à égalité leurs propositions alternatives et le projet, invitation que préfet, maître d’ouvrage et grands élus ont accepté ensemble à plusieurs reprises. Ces forums ouvrent un espace d’argumentation contradictoire là où la consultation impose l’autorité d’une expertise unique. Ils permettent la confrontation publique des points de vue des élus, du maître d’ouvrage et des associations là où la négociation discrète est habituellement la règle. Les responsables associatifs ont eux-mêmes fortement insisté sur la nouveauté de l’organisation de tels débats publics, « avant tout un exercice pratique de vie démocratique »10. Cette pratique constitue même un axe stratégique de la Fédération d’action régionale pour l’environnement (Fare Sud) qui se crée durant le conflit en regroupant « des collectifs du type CARDE, tous confrontés au même mur de la décision publique, tous désireux de participer à la définition de l’intérêt général » (Pourchier, 1994). La figure délibérative est ainsi attachée à l’émergence de nouveaux sujets politiques, les « citoyens en tant que riverains » (Fourniau, 2007b) qui, sous la forme collective d’associations locales de défense, refusent le partage des rôles prescrit par les procédures d’utilité publique, revendiquent au contraire d’être à la fois citoyens et riverains, et mettent en acte cette affirmation en inventant le débat public pour prendre part à la construction de l’intérêt général.

Un débat ouvert à la critique sociale des projets

L’invention du débat public dans les conflits a eu comme conséquence essentielle l’institutionnalisation d’un débat ouvert, alors qu’au même moment, et durant toute la décennie 1990, le mouvement de modernisation de l’État se traduisait, en particulier dans les lois de protection de l’environnement, par la multiplication de comités de concertation fermés11. Les associations y sont désignées par l’administration en vertu de l’agrément qu’elle leur a accordé parce qu’elles représentent tel ou tel intérêt, soit localisé, soit spécialisé (protection des oiseaux, etc.). Certes, la création de ces comités de concertation constituait 10. « la Coordination [associative régionale de défense de l’environnement, CARDE] née à cette occasion a

permis la rencontre de gens qui ne se fréquentaient jamais : cadres ou techniciens vivant dans des lotissements, villageois, agriculteurs. (…) Tout ce monde-là, très hétérogène, a délaissé son poste de télévision le soir pour rejoindre les salles des fêtes et débattre (…) Le travail de la CARDE consistait à orchestrer ces débats, organiser les montées en pression, porter la synthèse des revendications devant les élus et devant les pouvoirs publics. Il s’agissait au fond de les aider à mieux faire leur travail, en attirant leur attention sur les changements de notre époque » (Pourchier, 1994).

11. À l’échelle locale — comité local de l’eau, comité local d’information sur le nucléaire — comme à l’échelle départementale ou régionale sur différents objets de planification — déchets, qualité de l’air, risques, etc. — ou à l’échelle nationale. À l’échelle locale, le fonctionnement de ces comités s’est, dans la pratique, ouvert à partir du milieu des années 2000.

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une ouverture du processus de décision à de nouveaux acteurs, mais elle cantonnait leurs possibilités d’expression à la défense des intérêts dont ils étaient les représentants attitrés par leur désignation. La création de la CNDP inaugure une autre démarche : d’emblée le débat a été ouvert à tout citoyen, sans autre qualification préalable que de vouloir y participer. Puisque ce n’est plus le décideur qui désigne et qualifie les publics avec lesquels il se concerte, l’objectif de constituer dans le débat un public représentatif a vite dû être abandonné. La CNDP a rapidement constaté que, malgré l’effort d’information très large dans chaque débat, le public rassemblé est essentiellement composé d’opposants : les personnes répondant volontairement à l’annonce des réunions, plus encore celles qui s’y expriment, le font très majoritairement pour formuler des objections aussi bien sur l’opportunité que sur les caractéristiques du projet. La figure délibérative se construit alors avec une conception inclusive « car, si le débat public est destiné par définition à l’ensemble du public, les associations apportent leur expérience et sur certains points leur expertise, contribuent à éclairer le public et à structurer le débat public »12.

La seconde conséquence majeure, à l’encontre de la tradition consultative préexistante, a été d’ouvrir le débat non seulement en amont des décisions (ce qu’énonçait la circulaire Bianco dès 1992), mais également sur leur opportunité, ce qui n’a été effectivement inscrit dans la loi qu’en 2002, après avoir été repoussé lors des débats parlementaires sur la loi Barnier de 1995. Placé en amont, le débat sur l’opportunité du projet installe les participants dans une position d’égalité avec les autorités pour élaborer la décision à prendre. Avec l’expérience, la CNDP a progressivement dégagé l’idée selon laquelle l’utilité du débat tient alors à « une fonction critique, d’ailleurs plus large qu’une simple critique environnementale, une critique sociale. [Les débats] font le tour des arguments pertinents, un tour exhaustif, parce que leur analyse est stimulée par des gens concernés et motivés, et qu’elle est travaillée par des experts et contre experts appelés par l’organisateur » (Mercadal, 2010). Le débat public ne permettrait pas de « faire le tour des arguments » si on lui imposait d’être représentatif, comme s’il était possible de fixer, avant même que le débat ait eu lieu, la totalité des points de vue à représenter13. Le débat est ainsi ouvert au conflit sur la définition de ce que sont les enjeux, les publics qui les portent et les territoires concernés.

L’expérience de la CNDP souligne ainsi le lien intrinsèque entre la façon d’envisager la participation et la façon de définir le public. La tradition consultative de l’administration française conduit à définir et à contrôler les rôles dans des dispositifs où chacun ne prend la parole qu’au titre des compétences que l’État lui reconnaît. En revanche, la figure délibérative s’expérimente par l’ouverture du débat à tous les publics et par la mise à l’épreuve de règles de discussion permettant l’expression la plus large de la critique et l’échange le plus ouvert.

L’exercice de la critique par l’expression des attachements des publics concernés

Dès les premiers débats organisés par la CNDP, les critères procéduraux de conduite du débat public sont élaborés et mis en pratique. La place donnée à une solution alternative portée par une association contestant le projet Port 2000, équivalente à celle du projet du Port autonome du Havre, a attaché la crédibilité du débat public, dès sa première édition (1997), à sa capacité à accueillir les projets alternatifs pour créer un dialogue équilibré entre les acteurs. Les disputes sur la conduite du débat dans le dossier suivant (1998), le projet très conflictuel

12. Communiqué de la CNDP du 19 octobre 2005 prenant acte, pour le regretter, du retrait d’associations anti-

nucléaires du débat sur l’EPR, suite à la « crise du secret-défense ». Voir plus loin. 13. Dans la théorie délibérative, c’est d’ailleurs une objection qui pourrait être faite à la proposition d’une

« Chambre des discours » faite par Dryzek et Niemeyer (2008), un argument n’existant comme tel que s’il est confronté à un (des) contre-argument(s).

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de ligne électrique à très haute tension traversant le Verdon, ont permis la formulation plus systématique des critères adoptés depuis par la CNDP : l’ouverture du débat et la transparence de l’information, l’équivalence des participants, l’argumentation et le pluralisme des échanges. Le troisième débat, sur la branche sud du TGV Rhin-Rhône (2000), a créé les « cahiers d’acteurs » qui matérialisent les nouvelles possibilités d’expression ouvertes par le débat public et l’égalité de traitement des différents participants. D’autres débats, à partir de 2004, ont systématisé l’usage d’Internet pour faciliter l’accès à l’information — les usages interactifs étant plus récents — ou d’autres modalités comme le « débat mobile » dans les lieux très fréquentés, pour mieux concrétiser le caractère inclusif du débat.

Dès les trois premières éditions, différentes pratiques de conduite du débat public voient le jour, que les usages du web vont encore diversifier (Mabi, 2014). Nous avons mentionné la logique consultative attachée à la « théorie des trois acteurs du débat », énoncée lors du débat sur la branche sud du TGV Rhin-Rhône, qui exige de donner la même information, sans enrichissement du début à la fin du débat, sous peine de rompre l’égalité de traitement entre les participants. La logique dialogique mise en pratique dès les deux précédents débats instaure au contraire un régime de parole permettant la confrontation des points de vue en concurrence et leur évolution par la discussion. L’exercice du débat public varie depuis notablement entre ces deux logiques opposées.

La figure délibérative est celle du « débat sur le débat ». C’est moins l’énoncé de principes de fonctionnement qui structure le déroulement d’un débat que les épreuves auxquelles les participants les soumettent. La vérification des critères procéduraux de conduite du débat tient une place remarquable dans l’apprentissage des participants et donne lieu à l’invention des solutions pratiques pour garantir les échanges les plus ouverts. À l’opposé de la rationalité du soupçon qui, dans la logique consultative, trie les acteurs en fonction de leur représentativité politique, de leurs compétences techniques et du degré de généralité des intérêts qu’ils défendent, s’engager dans la délibération réclame un travail de re-présentation de ces catégories : celles-ci doivent pouvoir être jugées non comme des caractéristiques des participants, mais qualifier la dynamique propre du débat. Les règles du débat font donc l’objet d’une construction locale au fur et à mesure que se déploie la critique de l’opportunité du projet, celle-ci ouvrant une dynamique d’élargissement du périmètre de la discussion bien au-delà de ce que contient le dossier du maître d’ouvrage. Dans le cours du débat, il s’agit d’apprécier son équilibre, le respect de son caractère égalitaire plutôt que la représentativité des acteurs ; il s’agit d’estimer les capacités de convaincre et d’être convaincu plutôt que les compétences des uns et des autres ; il s’agit d’évaluer la qualité de la participation au débat, son caractère pluraliste et contradictoire, plutôt que la généralité des intérêts défendus.

La figure délibérative est également celle de la reconnaissance des émotions, des sentiments collectifs14, des attachements.

« Les attachements constituent au contraire une catégorie que le public refuse de traiter comme des intérêts. Les attachements, et plus généralement les sentiments collectifs, par exemple l’attachement à son identité territoriale, sont incommensurables à des intérêts, quels qu’ils soient, qu’il s’agisse de diminution de temps de parcours, d’énergie meilleur marché, de capacité de production de maïs permise par un barrage, et même d’évitement de tonnes de CO2 grâce à des éoliennes. L’irruption des sentiments collectifs dans le débat public, les émotions

14. Elle illustre ainsi les théories délibératives contemporaines qui, à l’encontre de la conception

habermassienne, n’opposent plus raison et émotion et prennent en compte les formes « chaudes » de délibération (Mansbridge et al., 2010).

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qu’elle soulève, font de cette incommensurabilité une véritable coupure dans la conception unitaire de l’intérêt général » (Mercadal, 2012, p. 99-100).

La figure délibérative prend alors forme quand « le modèle d’élaboration de la critique dans le débat (…) ressemble à “un travail de groupe”, auquel on assigne une tâche, et dont on observe les comportements que déploient les membres pour atteindre leur objectif. Dans le débat public, la tâche, c’est justement la critique du projet soumis à examen, en confrontation avec ceux qui défendent ce projet. » (idem, p. 69) La capacité du débat public à « faire le tour des arguments » tient essentiellement, si l’on suit l’analyse de Georges Mercadal, au « travail de groupe » que le débat public permet de faire sur les sentiments collectifs qu’exprime une « foule ». C’est dans ce « travail de groupe », de mise en partage d’attachements, que se construit une « communauté débattante » (Fourniau, 2007a). La délibération sur les intérêts généraux dont relèvent les enjeux du projet soumis au débat (mais pas forcément sa réalisation), met cette communauté débattante en capacité de porter à la suite du débat l’intelligence collective qui s’y est construite, la vision globale et « profane » de la problématique du projet, et de faire vivre la reconnaissance sociale acquise par les associations locales de défense.

III. LA MONTÉE DE LA FIGURE CONTESTATAIRE DANS L’EXPÉRIENCE DE LA PARTICIPATION

Le rapport entre débat public et décision est défini dans la loi d’abord négativement : la CNDP ne donne pas d’avis, contrairement à un commissaire enquêteur, justement parce que la valeur de cet avis est au centre des critiques des procédures d’utilité publique depuis 40 ans (avis personnel, donc non représentatif, d’un commissaire suspecté d’être insuffisamment compétent et trop proche de l’administration pour être neutre…). Mais l’absence d’avis rendu fait craindre aux participants l’inanité du débat public. Le lien entre la participation et la décision est ainsi l’objet de vives disputes dans le processus d’institutionnalisation et n’a été que très progressivement formalisé au fil des lois organisant le débat public15. La CNDP a considéré l’interdiction qui lui était faite de produire un avis comme une grande innovation par rapport à la tradition consultative de l’administration : elle rend compte du débat sans avoir à hiérarchiser les arguments échangés pour fonder son propre avis16. La pratique du débat souligne alors une vertu de la discussion : plutôt que de déléguer à une autorité tierce, fut-elle indépendante, la formulation d’un avis, il s’agit de construire une vision partageable des problèmes, de poser le rapport à la décision non en termes tranchés mais en termes d’intelligence collective. Une telle construction est problématique dans l’expérience des acteurs : elle suppose leur coopération. La commission incarne alors dans le débat public les conditions de la coopération entre les acteurs ou, plus exactement, les conditions de rapports productifs entre conflit et coopération. Mais, quand ces dernières ne sont pas (ou plus) remplies, l’espace du débat public n’est plus celui où continuer le combat. Aussi les mouvements contestataires sont-ils vigilants sur les situations délibératives, surtout quand l’opportunité de la décision est fortement controversée, sur la promesse du débat de transformer les rapports entre les acteurs. 15. La loi Barnier, en 1995, n’abordait pas le sujet. La loi de 2002, au contraire, tout en rendant la saisine de la

CNDP obligatoire, a introduit un lien explicite sans pour autant contraindre la décision : elle rend obligatoire la publication d’une décision du maître d’ouvrage dans un délai de trois mois après la publication du bilan de la CNDP et du compte rendu de la commission particulière. La loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010 complète : le maître d’ouvrage doit préciser dans sa décision « les mesures qu’il juge nécessaires de mettre en place pour répondre aux enseignements qu’il tire du débat public » (art. L. 121-13 du Code de l’environnement), sans que cette obligation de motivation soit juridiquement contraignante.

16. Sur les diverses manières de clore une délibération, voir l’article de Luigi Bobbio dans cet ouvrage.

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Des relations différentes construites entre débat public et rapport de forces

L’histoire de la CNDP montre de nombreux cas où ces conditions ne sont pas réunies à l’ouverture du débat ou rompues en cours de débat. Aussi, la figure contestataire est-elle d’abord celle qui porte une critique de son fonctionnement réel, pour qu’il n’aboutisse pas à une « parodie du débat public ». « Comment en sommes-nous arrivés là ? Quels sont les ingrédients qui ont figé les acteurs dans des postures aussi décevantes que stériles, ratant l’occasion d’une confrontation fertile des logiques et des visions ? »17 s’interrogeaient plusieurs personnalités investies dans le débat sur la régulation des nanotechnologies de 2009-2010. La place qu’accordent à l’argumentation les différentes composantes du milieu associatif varie fortement selon les manières d’évaluer les ressources, la reconnaissance et les prises sur la décision qu’offre le débat, d’anticiper sa capacité à créer les conditions d’une coopération, à transformer les termes du conflit. Pour les réseaux associatifs nationaux comme France Nature Environnement (FNE), l’épreuve centrale de crédibilité du débat public tient, dès que l’opportunité est fortement contestée, à la place faite à l’expertise contradictoire et indépendante, comme dans le cas du nucléaire où « la contradiction est historiquement venue de la société civile, prise au sens des associations opposées au développement de l’énergie nucléaire, et d’un nombre très limité de cabinets d’expertise ou de personnalités qualifiées »18. Un réseau régional comme Fare Sud, en Paca19, qui ne peut prétendre à la représentativité des grandes fédérations nationales, joue sa reconnaissance dans chaque dossier sur sa capacité à susciter des contre-expertises, à fédérer des coordinations associatives plus larges, et sur son rôle d’agitateur autonome dans l’espace public. Les associations de défense plus locales manifestent beaucoup de méfiance vis-à-vis des dispositifs institutionnels de concertation et vis-à-vis des grands réseaux associatifs, dont l’expertise technique les rapproche trop des maîtres d’ouvrage.

Les associations régionales ou locales s’engagent néanmoins souvent dans les débats publics où elles font reconnaître leurs capacités à traduire dans l’espace public les expériences partagées dans leur territoire. Dès les premiers débats publics, elles avaient formulé le dilemme qu’ouvre leur participation : l’énergie consacrée à s’y investir leur permettra-t-elle de faire avancer leur cause mieux que d’autres formes d’action, protestation ou recours en justice ; le rapport de forces à l’issue du débat sera-t-il modifié en leur faveur ? Questionnement d’autant plus aigu que l’exercice du débat public fait entendre la dissonance des deux logiques qui s’expriment dans la discussion, la logique de l’argumentation et la logique de la décision : le compte des arguments en débat n’est pas celui du poids des parties à la décision. Cette séparation était formulée dès 1998 par un responsable associatif lors de la réunion de clôture du débat public sur la ligne électrique à très haute tension entre Boutre et Carros, le deuxième débat organisé par la CNDP :

17. Tribune de Bernadette Bensaude-Vincent, Marie-Christine Blandin, Yves Le Bars et Dorothée Benoît-

Browaeys, « Nanotechnologies : oser mettre en débat les finalités », Le Monde du 18 février 2010, publiée à une semaine de la clôture d’un débat dont plusieurs réunions publiques n’avaient pu se tenir. Le quotidien rendait compte de l’achèvement du débat en analysant « Les raisons d’un fiasco », constatant que « Le débat public sur les nanotechnologies n’a pas fait bouger les positions », articles parus le 25/02/2010.

18 « Propositions pour un débat public exemplaire sur le projet de réacteur EPR », document de 5 p. accompagnant le communiqué du 25/11/2004 cosigné par Agir pour l’Environnement, Les Amis de la Terre, France Nature Environnement, Greenpeace, Réseau Action Climat, WWF, cité note 23, http://debatpublicatomise.free.fr/a_telecharger/CP_lettres/04_11_25_prop_ONG_debat_exemplaire.pdf.

19. Nous nous appuyons sur une analyse des transformations du milieu associatif régional de défense de l’environnement en Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) au cours des quarante dernières années qui distingue trois grandes composantes et précise leurs rapports aux dispositifs de concertation (Leborgne, 2013).

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« Ce débat public a démontré nos capacités à débattre, en particulier sur le plan technique, des avantages et inconvénients de ce projet de ligne à très haute tension. Il a montré que notre société était capable, face à des enjeux importants, de choisir le débat plutôt que l’emploi de méthodes dirigistes, trop souvent utilisées jusqu’ici. Aujourd’hui, grâce à l’expertise complémentaire, nous savons que des solutions alternatives existent et qu’elles sont techniquement et économiquement viables. La vraie bataille démocratique et politique commence maintenant. Nous allons passer du débat technique à la confrontation des rapports de force qui donneront naissance à une décision politique. »20

La figure contestataire est ainsi attachée à l’expérience de la séparation entre pouvoir de prise en compte et pouvoir d’ordonnancement, pour reprendre la distinction qu’a proposé d’institutionnaliser Bruno Latour (1999). Ce partage met en tension l’engagement des associations pour s’opposer à un projet, en empêcher la décision ou en obtenir la transformation, et leur participation au débat. Il ouvre à différentes constructions du rapport entre débat et décision : confrontation des expertises contradictoires pour trancher la décision ; construction de la crédibilité de solutions alternatives plus soucieuse du développement durable ; reconnaissance des attachements au territoire pour en faire un patrimoine commun… Si la stratégie des grands réseaux associatifs les pousse souvent à négocier leur place dans un cadre représentatif démocratisé par la prise en compte de leur propre expertise, l’action de nombreux réseaux régionaux ou associations locales attache en revanche la figure contestataire à ce que Fung nomme l’« activisme délibératif », dont l’éthique politique vise, la plupart du temps dans des situations d’« hostilité incorrigible » de la part des autorités, « à faire avancer la délibération de façon persuasive, mais sans s’astreindre à la seule persuasion » (Fung, 2005, p. 399).

Le « vrai » débat en question : participer ou rester en dehors

L’activisme délibératif des associations qui veulent ouvrir un « vrai » débat sur l’opportunité des projets se traduit en premier lieu par la négociation avec la CPDP de leur position dans ou en dehors du débat. Les débats sur le nucléaire21 ont constitué les moments où les associations ont le plus explicité la tension ouverte entre la confiance qu’elles accordaient à la CNDP et le rapport de forces qu’elles souhaitaient établir avec le gouvernement. Par exemple, en novembre 2012, quarante-quatre associations environnementalistes nationales et locales demandent que le débat public sur le projet Cigéo, prévu en 2013, soit reporté après la discussion de la loi sur la transition énergétique22, susceptible de modifier la nature et le volume des déchets radioactifs à enfouir. N’ayant pas été entendues, la plupart décident de boycotter le débat public, considérant que son lancement résultait d’un forçage du lobby nucléaire et de divers intérêts locaux, ce qui ôtait toute crédibilité au respect de son équilibre. D’autres associations locales ont, quant à elles, empêché les réunions publiques de se tenir, 20. D. Colombo, vice-président de la coordination régionale pour les alternatives aux lignes à très haute

tension, réunion finale du 12 septembre 1998, Lettre du débat Boutre-Carros n° 16, p. 15 21. Trois débats organisés presque concomitamment en 2005, sur la construction du réacteur EPR à

Flamanville, la réalisation d’une ligne à très haute tension pour raccorder cette centrale au réseau électrique, et la politique de gestion des déchets nucléaires ; puis, en 2013, le débat sur le projet industriel de stockage géologique profond des déchets radioactifs à haute activité et vie longue, le projet Cigéo. La dénonciation d’une « parodie de débat » a été largement utilisée à leur propos par les associations anti-nucléaires, avant qu’elles n’y participent en 2005 mais le boycottent en 2013.

22. Lettre au Président de la République du 16 novembre 2012 cosignée par France Nature Environnement, l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (ACRO), le Groupe de scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN) et 41 associations régionales ou locales. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte n’a finalement été adoptée qu’en mars 2015.

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obligeant la CNDP à définir d’autres modalités du débat, sans réunion publique, entraînant une crise au sein de la CPDP (Métais et al., 2014).

Huit ans plus tôt, les principales ONG environnementalistes avaient considéré le débat public sur l’EPR comme « le seul lieu dans lequel un débat argumenté et sérieux puisse encore avoir lieu »23 et avaient participé à sa préparation et à son lancement. Mais elles s’en sont retirées24 quand le gouvernement a exigé la censure partielle du cahier collectif d’acteurs rédigé à la demande de la CPDP, dans lequel elles évoquaient des questions de sûreté nucléaire classées « secret défense », classement bloquant la possibilité d’en débattre. Les associations anti-nucléaires ont toutefois dédouané la CNDP de la responsabilité de la rupture (Chateauraynaud, 2011, pp. 135-143), sans pour autant toutes revenir dans le débat comme le sollicitait la Commission qui négociait avec le gouvernement de nouvelles garanties. En effet, la CNDP « lorsque s’instaure un rapport de forces entre certains acteurs, ne peut prendre parti sauf à compromettre sa neutralité ». Mais elle a choisi de traiter « ce conflit d’exigences [le respect du secret défense et la tenue d’un débat ouvert] nées l’une et l’autre de l’application de la loi » par l’affirmation des critères procéduraux garantissant « que le débat public, à la différence d’autres formes d’échanges parfois nommés “débats”, se caractérisera, comme tous ceux que la CNDP organise, par l’exhaustivité des questions traitées et le pluralisme des réponses apportées : aucune question ne sera considérée comme tabou et écartée de la discussion »25. Cette affirmation de l’indépendance de la CNDP, avec un débat finalement ouvert sur le secret défense, des solutions pratiques mises en place sur le secret industriel, en réponse aux revendications des associations antinucléaires, leur ont fait considérer les débats de 2005, sur l’EPR et les déchets radioactifs, comme des réussites, malgré leur peu d’influence directe sur les décisions ultérieures. Manque d’influence qui a, en revanche, pesé de façon déterminante dans leur décision de boycotter le débat sur le projet Cigéo en 2013.

La figure contestataire se forme ainsi quand le conflit sur l’opportunité d’un projet réclame d’évaluer le degré d’ouverture de la décision à la qualité du déroulement du débat. Les acteurs qui endossent cette figure critique négocient à cette aune leur participation avec la CNDP. Ce travail politique met à l’épreuve son indépendance et sa conception inclusive et délibérative de la conduite du débat que la CNDP, devenue une institution, tend autrement à rabattre sur la définition des seules modalités du débat qu’elle doit mener à son terme. C’est d’ailleurs la force potentielle de ce travail politique que soulignent, a contrario, les formes les plus radicales de critique — celles qui posent leurs raisons comme incommensurables à tout autres — quand elles entreprennent d’empêcher la tenue des réunions publiques.

Les frontières du partage du monde commun

Quand, sur le nucléaire, la CNDP était créditée en 2005 par les grandes ONG environnementales de sa capacité à ouvrir un débat jusque là confisqué par la technocratie, le jugement de la plupart de ces ONG sur le débat sur les nanotechnologies était inverse en 2009, et plusieurs s’en sont d’ailleurs vite retirées. Celui-ci a fait l’objet d’une contestation

23. « Le tardif débat public sur l’EPR devra être exemplaire », Communiqué du 25/11/2004 cosigné par Agir

pour l’Environnement, Les Amis de la Terre, France Nature Environnement, Greenpeace, Réseau Action Climat, WWF. http://www.rac-f.org/Le-tardif-debat-public-sur-l-EPR

24. Tribune « Quand le débat public rencontre le secret défense » dans Le Monde du 15/09/2005. 25. Communiqué CNDP du 20 septembre 2005, répondant à la Tribune précitée. Une conséquence de la « crise

du secret défense » est l’affirmation de ces principes d’organisation du débat — l’exhaustivité des questions traitées et le pluralisme des réponses apportées — en complément de la transparence de l’information, l’équivalence des participants et l’argumentation des échanges.

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inédite dans ses formes et son contenu de la part d’un groupe d’opposition radicale aux nanotechnologies. Pièces et Main d’œuvre (PMO) a non seulement contesté le débat, assimilé à une opération d’acceptabilité sociale, une « campagne nationale de manipulation », mais a également empêché la tenue de la plupart des réunions publiques, contraignant la CNDP à les tenir en studio avec diffusion sur Internet. En 2013, les réunions publiques du débat sur le projet Cigéo ont elles aussi été empêchées, par des associations locales cette fois, dont plusieurs avaient participé huit ans plus tôt au débat sur la politique de gestion des déchets nucléaires. Le compte rendu de ce premier débat s’ouvrait d’ailleurs sur une analyse des « refus et préalables » qui pesaient déjà en 2005 sans pour autant avoir conduit à un blocage. Ces raisons n’ont guère bougé en 2013, mais certaines associations en ont tiré la leçon que le débat n’ayant servi à rien, celui qui s’ouvrait ne pourrait qu’être une « mascarade »26 justifiant a contrario leur revendication, déjà portée en 2005, de formes directes de participation à la décision, avec un référendum.

On ne peut réduire les quelques cas où les réunions publiques n’ont pu se tenir au seul refus tactique/stratégique d’entrer dans une concertation pour lui préférer des formes de protestation plus susceptibles d’infléchir le rapport de forces. En effet, débattre suppose de partager un monde commun, que la confrontation et le débat font exister. Or, les refus de débattre qui se manifestent aujourd’hui sont systématiquement argumentés par le rejet du « monde qui va avec » les projets ou décisions soumis à examen. Alors que le mot d’ordre « Ni ici ni ailleurs » était sans doute devenu le plus fédérateur des mobilisations territorialisées dans la France des années 1990-2000, celles qui ont inventé le débat public et fortement contribué à son institutionnalisation, se diffuse aujourd’hui un autre mot d’ordre fédérateur, à l’origine formulé contre des projets techno-scientifiques27, avec quelques conflits territoriaux emblématiques contre les projets d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), de liaison à grande vitesse Lyon-Turin, de Center parc à Roybon (Isère) ou de barrage d’irrigation à Sivens (Tarn) : « Contre le projet et son monde ». Cette contestation de l’existence d’un monde commun dans lequel débattre aurait un sens se traduit par la sentence « participer, c’est accepter »28. La CNDP est alors mise en cause non seulement pour son « impossible neutralité »29, mais également pour sa position de tiers ne rendant pas d’avis, qui brouille l’établissement d’un rapport de forces binaire, pour ou contre. On sort de la figure contestataire quand le choix de l’activisme agonistique contre l’activisme délibératif prévaut pour des raisons classiques (Young, 2001), comme dans les quelques cas auxquels a été confrontée la CNDP, au risque également d’un repli de la figure délibérative30 face à la montée des antagonismes.

26. Collectif Meuse contre l’enfouissement des déchets nucléaires (Bure Stop), et autres associations locales,

« Le faux débat public Cigéo/Bure commence ! 42 associations et organisations dénoncent ce rendez-vous de dupes », communiqué du 15 mai 2013. Voir également, daté du même jour, le communiqué « Débat public sur l’enfouissement des déchets radioactifs : le Réseau "Sortir du nucléaire" dénonce une mascarade et une pure entreprise de communication ».

27. Pièces et main d’œuvre, « Est-ce vraiment ce que vous voulez ? Le monde qu’ils nous imposent », Aujourd’hui le nanomonde, n° 9, décembre 2004 : http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?article57

28. Pièces et main d’œuvre, « Participer, c’est accepter », Aujourd’hui le nanomonde, éditorial du n° 16, 28 septembre 2009 : http://www.nanomonde.org/Participer-c-est-accepter

29. Pièces et main d’œuvre, « L’impossible neutralité de la CNDP », communiqué du 6 décembre 2009, http://www.nanomonde.org/L-impossible-neutralite-de-la

30. « Les ennemis du débat public sont en réalité les meilleurs alliés du projet qu’ils prétendent combattre », entretien sur le projet Cigéo avec Christian Leyrit, président de la CNDP, L’Est républicain, 8 septembre 2013. La CNDP a également rappelé que le blocage des réunions publiques était passible de poursuites judiciaires, après avoir sollicité en juillet 2013 la Direction des libertés publiques du ministère de l’Intérieur : la note produite montrait qu’empêcher un débat public que la loi a rendu obligatoire constitue une infraction pénale.

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IV. TROIS FIGURES ENTREMÊLÉES DANS L’EXPÉRIENCE DÉMOCRATIQUE

En appuyant ses préconisations pour une « administration délibérative » de références appuyées à la philosophie de Jürgen Habermas et à l’expérience de la CNDP, le rapport public 2011 du Conseil d’État pourrait faire penser que la « figure du débat public » mise en exergue s’apparente à « une institution d’inspiration Habermassienne » parce qu’« en plaçant par exemple au cœur de sa mission la “confrontation des arguments” et la formation d’une “intelligence collective”, la philosophie spontanée du débat public recoupe d’une manière étonnante les attendus de certaines théories de la démocratie délibérative » (Revel et al., p. 13). L’examen auquel nous avons procédé montre pourtant que les pratiques de débat public ne peuvent être rapportées aussi uniment à une inspiration théorique directe. Les trois figures du débat que nous avons décrites sont au contraire des réponses contrastées aux problèmes de légitimation des décisions publiques que posent les conflits territoriaux depuis vingt-cinq ans. La mise en forme de ces réponses résulte d’une activité soutenue des divers milieux attentifs depuis vingt-cinq ans à l’institutionnalisation du débat public, qui se différencie dans les conflits territoriaux et se traduit diversement dans des travaux parlementaires, des prises de position des maîtres d’ouvrage comme des milieux associatifs, des rapports de multiples groupes de travail administratifs, des recherches en sciences sociales. Les trois figures ne constituent pas des réponses successives, résultant d’un effet d’apprentissage induit par cet intense travail politique, mais désignent des pratiques concurrentes, toujours en tension dans l’exercice du débat public.

Des figures en concurrence dans l’exercice du débat public

La figure consultative assigne sa place à chacun des « trois acteurs du débat » en amont des projets, spécifie les modalités permettant de rassembler le « bon » public — selon des critères substantiels de sélection (représentativité, compétences, nature des intérêts défendus) —, à défaut du « grand » public, fantôme toujours attendu, et règle la pédagogie du débat pour que le respect des procédures n’autorise plus à contester la décision prise in fine par les élus, chaque citoyen s’étant vu offrir la possibilité de s’exprimer au préalable. La conduite de nombreux débats publics de la CNDP illustre cette pratique, qui est plus systématiquement celle des débats nationaux directement organisés par le gouvernement, en particulier les consultations ouvertes sur Internet. Cette figure est également endossée par de nombreuses critiques, quand elles pointent les manquements des procédures existantes : décision prise sans consultation préalable du grand public ou concertation ouverte trop tard pour pouvoir réellement influencer la décision, faiblesse des justifications du projet au regard de l’intérêt général, manque de transparence et de loyauté du dialogue… La figure consultative du débat est celle du « procéduralisme démocratique » (Urbinati, 2013) nécessaire pour redonner confiance dans la légitimité des décisions quand la tradition consultative de l’administration ne suffit plus à assurer le consentement de l’opinion.

Forgée contre les échecs de cette tradition, et entretenue par les critiques que la simple modernisation des procédures d’utilité publique continue de susciter, la figure délibérative met au cœur de l’exercice du débat public la critique sociale qu’expriment des citoyens concernés par un projet et désireux de prendre part à la construction de l’intérêt général. La confrontation la plus ouverte des points de vue, la vérification des critères procéduraux de conduite du débat public, la reconnaissance des attachements des participants structurent un travail collectif pour faire le tour des arguments. La qualité de la décision s’y juge alors à la capacité de faire émerger des solutions nouvelles, de clarifier les zones d’accord possible et de désaccord profond entre les points de vue confrontés. Inventée dans les conflits territoriaux, cette pratique s’est déployée dans les débats publics sur des projets très conflictuels grâce à l’existence d’un tiers indépendant garantissant l’ouverture et la transparence du débat,

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l’égalité des participants, l’argumentation, le pluralisme et l’exhaustivité des échanges, la confrontation des expertises. La figure délibérative est celle de l’intelligence collective de l’intérêt général quand celui-ci n’est plus la propriété d’un acteur mais résulte de la coopération de tous, de la « diversité cognitive » (Landemore, 2012) qu’exprime la critique sociale dans le débat public.

La figure contestataire surgit pour critiquer l’institutionnalisation de la participation, quand celle-ci devient un instrument de gestion ordinaire des conflits et conduit à privilégier aux résultats du débat les modalités permettant de le mener à son terme. Elle consiste en une surveillance de la qualité d’espaces de parole où l’égalité peut se vérifier, en une vigilance scrupuleuse aux conditions de composition du monde commun qu’offre le débat, en une attention particulière au lien entre la logique du débat et la logique de la décision. L’expérience de la dualité des logiques à l’œuvre réclame des diverses associations opposées à un projet un activisme délibératif pour faire du débat un moment de mise en partage de leurs causes. Autrement, l’expérience est celle de la duplicité. Si toutes les composantes du mouvement associatif n’escomptent pas des situations délibératives les mêmes résultats, elles jugent la loyauté du processus de décision à l’effectivité d’un débat contradictoire sur l’opportunité, à la vérité des expertises confrontées et à la réalité de l’association des citoyens. La figure contestataire du débat est celle de l’exigence de la « démocratie réelle, maintenant » (Ogien et Laugier, 2014) sans laquelle les écarts persistants entre les promesses de démocratisation et la réalité des processus de décision ne se résorbent pas.

Procéduralisme démocratique, intelligence collective, activisme délibératif désignent ainsi le travail politique spécifique qu’engagent des pratiques concurrentes du débat public comme procédure de légitimation des décisions. Ces figures ne résultent pas d’une typologie assignant tel acteur à telle posture, classant les manières de conduire le débat ou caractérisant les positions prises sur ce que débattre veut dire. Leurs conditions d’émergence dans les conflits territoriaux, les conséquences procédurales pour la légitimation de décisions et les pratiques du débat public examinées montrent au contraire que ces assignations, ces classements se recomposent continûment en fonction des situations et des problèmes à résoudre par l’exercice du débat public. Ces figures dessinent ainsi l’espace de la compétition, chaque fois renouvelée, dans laquelle s’expérimente ce qu’est un « bon », un « vrai » débat.

La contestation radicale en miroir des limites posées par l’administration consultative

Cette expérimentation est prise dans une double contrainte. D’un côté, la tradition consultative de l’administration dénie toute légitimité au débat public, trop en rupture avec la conception classique de l’intérêt général, ou met en cause son utilité par rapport aux procédures d’utilité publique déjà existantes. Dans les débats au Sénat pour l’adoption de la loi de démocratie de proximité du 27 février 2002 s’est exprimé, comme lors de la discussion de la loi du 2 février 199531, le refus de voir la délibération sortir de l’enceinte parlementaire : « Le premier lieu de débat public, c’est le Parlement. Et l’opinion n’a nul besoin d’une Commission nationale pour se saisir d’une question qui la préoccupe »32. En conséquence, le 31. Par exemple, Alain Vasselle, sénateur RPR de l’Oise intervient contre le débat public dans la discussion du

titre IV de la loi de démocratie de proximité (« Ne faut-il pas y voir le moyen d’atteindre de façon détournée certains objectifs en matière d’environnement — je songe aux usines nucléaires ou au troisième aéroport ? (…) Comment mieux que par un débat public bloquer un projet de ce type ? » (séance du 23 janvier 2002, site Internet du Sénat) comme il était déjà intervenu dans la discussion sur la loi « Barnier » en 1994 pour critiquer le nouveau dispositif qui lui paraissait superflu (JO Sénat, 12 octobre 1994, p. 4187).

32. André Lardeux, sénateur RPR du Maine-et-Loire, séance du 23 janvier 2002. La discussion porte sur l’article prévoyant la possibilité d’une saisine de la CNDP par le gouvernement sur des options générales. Le Sénat repousse cette disposition, finalement rétablie dans la loi par la commission mixte paritaire.

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débat doit revenir au service des projets, n’être qu’une phase en amont dans l’instruction des projets comme le prônait la circulaire Bianco. Ainsi, l’exposé des motifs du projet de loi sur le Grand Paris en 2009 souhaitait « un toilettage des procédures [impliquant la participation du public] afin de les mettre véritablement au service des projets » et proposait pour cela un « débat public ad hoc » revenant à une simple consultation33 conduite par le préfet. Le caractère récurrent de ces dénégations de l’utilité d’un débat ouvert par rapport à la simple consultation de l’opinion, de ces mises en cause de l’intérêt général attaché à la participation du public, pèse sur la figure consultative du débat. Quand la légitimité politique de la CNDP est attaquée34, le procéduralisme démocratique n’arrive pas à imposer le débat public comme figure de la modernisation de la décision face à d’autres dispositifs institutionnels de gouvernance que le Grenelle de l’environnement rénove (Lascoumes, 2011).

D’un autre côté, l’insuffisance des prises que le débat offre pour influencer les décisions nourrit également des contestations du rôle de la CNDP, de sa légitimité, d’autant que son institutionnalisation croissante semble restreindre les possibilités d’expérimentation démocratique au choix entre modalités du débat. L’activisme délibératif s’épuise alors à imposer les conditions d’un débat public associant réellement les citoyens à la décision, et la figure contestataire s’estompe devant le choix de l’activisme agonistique. De nombreuses associations souhaiteraient en conséquence que la CNDP contribue à trancher en leur faveur les enjeux de leur combat. Cette logique a conduit FNE, dans la campagne présidentielle 2012, à préconiser un « élargissement du champ d’action et des compétences de la Commission nationale du débat public, afin qu’elle puisse donner un avis sur le fond d’un projet et sur les politiques publiques nationales et régionales »35. Des groupes radicaux comme Pièce et main d’œuvre en tirent une autre conclusion : « Le débat public n’a pas plus besoin d’une “commission nationale” et de commissaires, que la démocratie d’experts » (PMO, 19/09/200936). Pièces et main d’œuvre appelait d’ailleurs de ses vœux en 2013 l’échec du débat et la fin de la CNDP : « Au moins les décideurs politiques ne se cacheront plus derrière de pseudo-autorités indépendantes. L’échec de la CNDP-Cigéo permettrait de clarifier le rapport de forces entre les sans-pouvoir et le pouvoir »37.

33. 1er alinéa de l’art. 3 du projet de loi : « La participation du public au processus d’élaboration et de décision

du schéma d’ensemble du réseau de transport public du Grand Paris est assurée par une consultation ». La loi adoptée a été fortement modifiée sur ce point par le débat parlementaire, puisqu’elle a confié à la CNDP l’organisation du débat

34. Un rapport parlementaire préconisait même à l’automne 2010 la suppression de la CNDP au titre de la réduction du nombre des autorités administratives indépendantes. Dosière R. et C. Vanneste (2010), Rapport d’information fait au nom du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur les autorités administratives indépendantes, Assemblée nationale, rapport n° 2925 du 28 octobre 2010.

35. FNE, Appel des 3000 pour un contrat environnemental, janvier 2012. http://www.fne.asso.fr/fr/l-appel-des-3000-pour-un-contrat-environnemental.html?cmp_id=37&news_id=12577

36 Leur texte indique avant : « Rappelons que ce “grand débat national” [sur la régulation des nanotechnologies, en 2009] est motivé par la critique et l’agitation autour des nanotechnologies, portées par PMO depuis janvier 2003, et qu’il a pour objectif de noyer cette critique dans la mélasse des "débats participatifs" encadrés par les experts en “démocratie technique”. Nous n’avons cessé, quant à nous, de mettre sur la place publique, seul lieu légitime du débat, les menaces des hypertechnologies et des technologies convergentes, que les décideurs et les chercheurs auraient préféré garder dans la discrétion des laboratoires. » http://www.nanomonde.org/La-Commission-nationale-du-debat

37. Pièces et main d’œuvre, « Notes à l’intention des opposants à l’enfouissement des déchets nucléaires en Meuse/Haute-Marne et aux pseudo-débats de la CNDP-Cigéo ». Ce communiqué du 27 août 2013 indiquait avant ces deux phrases : « le dispositif CNDP est à bout de souffle. Trop de contestation, d’annulations, d’humiliation (le débat public sans public). Les pouvoirs publics observent l’opération CNDP-Cigéo avec attention : en cas de nouvel échec, ils enterreront ces procédures lourdes, pour en revenir à des délibérations parlementaires, notamment à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques » http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=432

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Cette contestation radicale se construit strictement en miroir des dénégations que formule la tradition consultative à l’encontre du débat public. L’une et l’autre opposent leurs lieux légitimes de discussion de l’intérêt général (la place publique vs le Parlement), leurs instances de légitimation (la critique en acte vs l’opinion) et leurs procédures (l’assemblée générale vs la consultation) aux pratiques de débat public que permet l’existence de la CNDP. Une telle opposition terme à terme dessine un espace de confrontation politique (démocratie directe vs démocratie représentative) dans lequel la délibération comme procédure de légitimation des décisions n’a guère de place.

Une figure délibérative fragile

L’espace d’affirmation politique de la figure délibérative du débat apparaît donc fragile. Le Grenelle de l’environnement a institué, avec la « gouvernance à cinq »38, une nouvelle forme de représentation pour la conduite des politiques publiques. Le « dialogue environnemental » assure à quelques grandes ONG une représentativité nationale indépendamment de leur participation aux débats organisés par la CNDP39. Celles-ci mesurent aujourd’hui leur engagement dans ces débats en fonction de son apport potentiel aux axes prioritaires de leur stratégie, et délèguent à des réseaux plus spécialisées la participation sur d’autres thématiques. Par ailleurs, les collectivités territoriales progressent dans la mise en œuvre d’une démocratie locale plus participative mais souvent peu délibérative. Bien que la loi Grenelle 2 renforce les prérogatives de la CNDP, lui reste-t-il un espace politique propre pour déployer à nouveau son activité et nourrir une figure délibérative du débat public ? Ou bien sera-t-elle réduite à un rôle d’« administration de la transparence », toujours soumise à une double contestation, en miroir, par une certaine technocratie pour qui la participation ne se conçoit qu’au service des projets et la critique radicale, pour qui la participation ne peut être qu’acceptabilité sociale ?

Force est de constater que les préconisations du Conseil d’État pour faire du débat public le modèle des « consultations ouvertes » caractérisant le fonctionnement d’une « administration délibérative », et le « projet de loi-code relative aux principes de l’administration délibérative », n’ont guère été repris, ni par les grands réseaux associatifs, ni par les élus, ni par les maîtres d’ouvrage, ni par les administrations sectorielles. Le tournant délibératif de la doctrine du Conseil d’État ne s’est pas traduit par un tournant institutionnel vers une démocratie plus délibérative. Les questions que posent à la légitimation des décisions, vingt-cinq ans après l’invention du débat public dans les conflits territoriaux, le regain des conflits s’emparant des enjeux globaux (transition écologique, exploitation du vivant, nanotechnologies) qui exposent l’humanité et bouleversent les agencements sociotechniques sur lesquels s’appuie notre appréhension du monde commun, réclament de nouveaux droits et des innovations procédurales susceptibles d’élargir à l’espace public démocratique dans son ensemble (Chambers, 2003) la délibération sur les choix collectifs.

38. Dans un discours sur la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, le 20 mai 2008 à Orléans, le

Président de la République déclarait : « nous avons mis en place une nouvelle gouvernance, le “dialogue à cinq” : les syndicats, les entreprises, les ONG, les élus et l’administration. Je ne cite pas dans l’ordre. Je dis que c’est une nouvelle façon de gouverner : cela a été la réussite du Grenelle. […] Je veux réaffirmer que je souhaite que ce “dialogue à cinq” devienne l’un des principes de la décision publique dans notre pays, dès lors que la question de la représentativité des ONG environnementales aura pu être tranchée ». La représentativité des associations de protection de l’environnement a été redéfinie par le décret n° 2011-832 du 12 juillet 2011, dans la préparation duquel FNE s’est fortement investi.

39. Notons que le rapport public 2011 du Conseil d’État n’oppose pas débat public et gouvernance à cinq et indique, au contraire, que le « Grenelle de l’environnement a joué un rôle de révélateur et de catalyseur de la richesse de la procédure du débat public », op. cit., p. 52.

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CONTESTATION, DÉLIBÉRATION ET REPRÉSENTATION : TROIS FIGURES DU DÉBAT COMME PROCÉDURE DE LÉGITIMATION

Jean-Michel FOURNIAU Directeur de recherche au DEST-IFSTTAR Chercheur associé au GSPR, EHESS courriel : [email protected]

Sommaire

Introduction........................................................................................................................ Erreur ! Signet non défini.

I. L’ancrage de la figure consultative dans la tradition d’évaluation de l’acceptabilité sociale des décisions.................................................................................... 2

La transparence de l’action publique en réponse aux conflits d’aménagement............ 3 Une vision pédagogique de l’intérêt général ............................................................... 4 Le dispositif de débat définit le régime de parole ........................................................ 5

II. L’expérience de la figure délibérative dans la critique sociale des projets .............. 6 L’invention du débat public dans les conflits d’aménagement ..................................... 6 Un débat ouvert à la critique sociale des projets......................................................... 7 L’exercice de la critique par l’expression des attachements des publics concernés ................................................................................................................... 8

III. La montée de la figure contestataire dans l’expérience de la participation............ 10 Des relations différentes construites entre débat public et rapport de forces............. 11 Le « vrai » débat en question : participer ou rester en dehors................................... 12 Les frontières du partage du monde commun............................................................ 13

IV. Trois figures entremêlées dans l’expérience démocratique ..................................... 15 Des figures en concurrence dans l’exercice du débat public ..................................... 15 La contestation radicale en miroir des limites posées par l’administration consultative .............................................................................................................. 16 Une figure délibérative fragile.................................................................................. 18