Müller, Birgit 2009 - "Rendre technique un débat politique. Controverses autour des...
Transcript of Müller, Birgit 2009 - "Rendre technique un débat politique. Controverses autour des...
TSANTSA *t lrt "2009: 27-36
COMMENT RENDRE TECHNIQUE
UN DEBAT POLITIQUEMilTROVERSES AUTOUR DES BIOTECHNOLOGIES AGRICOLES AU SEIN DE LA FAO
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f,sIRAcT: Hotl, T0 TRANSFoRM A PoLlTlcAL ISSUE lNTo A TECHNICAL 0NE:
lÜINOVERSIES CONCERNING AGRICULTURAL BIOTECHNOLOGIES AT THE FAO
lßarticle explores how the dispositif inwhich the policy guidelines of the FAo are embedded depoliticizes conflicts about property
nisation tries to neutralise the controversies surrounding
ety organisations, thereby reducing political controversies to
the institution is, however, less its essence than a recurring
antsbecomethesubjectofpoliticalandeconomiccontentionas4focusingonthetheme«AgriculturalBiotechnologiesMeetingthe
llnß of the Poor?» is produced and published.
Ed6s: Expertise . participation . lnstitutions internationales' Politique alimentaire et agraire ' Dispositif de ddpolitisation
IET TÜLLER
'ton
ans
pQ a soutev6 au moins trois contentieux' PremiÖrement'
lbprtisans de la transg6nÖse voient tes OGM comme un
tm de surmonter les contraintes environnementales qui
Iaedture et le brevetage des ptantes transg6niques ont sus-
,tdes controverses sans pr6c6dent dans le monde entier'
fuoduction des organismes g6n6tiquement modifi6s
trition dans le monde et la muttiplication des 6meutes de
[a faim. les recommandations politiques de Ia FAO qui pro-
meuvent les nouvelles technologies agricoles ont 6t6 profon-
d6ment remises en cause. Pourtant te d6bat sur les enjeux
cruciaux [i6s aux technologies est d6potitis6 par les prati-
ques de Ia gouvernance internationale de Ia FA0' Ces der-
niöres entretiennent un semblant dharmonie et de consen-
sus lä oü existe en fait une large gamme de points de vue et
des conflits f6roces. Les recommandations politiques sur tes
technologies agricoles sont l6nifi6es pour les rendre accepta-
bles, nettoy6es de leurs 6t6ments conflictuels, bref, rendues
«techniques>>.'fl est pourtant difficile de concevoir un projet
d6mocratique oü la neutralisation et le d6placement du poti-
tique sont toujours pr6sents (Garsten 2007)' La d6mocratie
en tant quorganisation sp6cifique du politique, ordonn6e ä
certaines vateurs universelles - libert6 et 6gatit6 - est struc-
tur6e de telle fagon que le conflit y occupe une place recon-
nue comme centrale. Formuler en d6mocratie un problöme
comme 6tant potitique signifie tenir compte des forces adver-
ses. des ideologies et des int6r6ts divergents qui sbpposent
en public (Mouffe 1994). Quet iqpact la neutralisation dujeu
d6mocratique a-t-elle sur le rÖ1ä politique de Ia FA0?
D'un point de vue pratiqr., ,ont concern6s par tes politiques de Ia FAO tous les consommateurs de nourriture dans le
monde, c'est-ä-dire tout un chacun. Sont plus sp6cialement
concern6s les producteurs de nourriture (paysans, agricul-
teurs, bergers, chassgurs,.et cueilleurs. ouvriers agricoles
qrposants mettent en garde contre les consequences
rfvisibtes que la diss6mination des plantes g6n6tique-
modifi6es dans l'environnement pourrait entrainer'
llintroduction des OGM soulöve des ques-
sant6 et de s6curit6 alimentaire. Ses partisans sou-
qu'elle est indispensable pour combattre la faim et
ition, alors que ses opposants mettent en avant Ie
er potentiel que fait courir leur consommation, les ris-
pourla sant6 näyant pas 6t6 suffisamment test6s' Troi-
s Par ces controverses ont marque
Nations Unies Pour läimentation
elle soulöve des questions sur la redistribution
et sur le contrOle de la production agricole (Mütler
2OO6b, 2008) puisque cinq compagnies agrochimr-
sulement (Bayer Crop Science, Monsanto, Syngenta,
DuPont) d6tiennent Ia plupart des brevets sur les
transg6niques dans le monde entier.
icutture, mandat6e pour promouvoir une nourriture
et suffisante pour la population mondiale' Avec
du nombre de personnes souffrant de d6nu-
D0s§rER | 27
DOSSIER
-!- --'i1;. .
et ouvriers de l'industrie agro-alimentaire), mais aussi les
entrepreneurs et les actionnaires de Iindustrie agro-alimen-
taire, de par [impact des politiques promulgu6es sur leurs
activit6s et par cons6quent sur leurs profits. Dans un sens
plus restreint, le pubtig de la FAO est forme par tous tes
citoyens que cela soit sous une forme individuelle ou col-
lective en ce qui conceriib les interactions avec Uinstitution
dans le cadre de forums, de programmes dässistance techni-que et sur ljlnternet. Les <<ruraux pauvres» constituent une
cible particuliäre pour ta FAO dont llobjectif fondateur est
«däm6liorer le bien-6tre des pauvres en ville et ä Ia campa-
gne» et d'encoürager leur participation aux <<actions de ter-
rain et au dialogue potiti.que» (FA0 1999: 5). Aujourd'hui,les
paysans pauvres. qui 6taient auparavant r6duits au r6le de
<<victimes sans voix», 6mergent comme une force nouvelle:
ils s'organisent, proposent des atternatives et participent ä
des forums parallöles aux conf6rences de Ia FA0.
J'examinerai dans cet article comment des acteurs indivi-duels et collectifs qui interagissent directement avec linsti-tution sont absorb6s dans I'espace organis6 par te dispositif
de d6politisation de la FAO et comment d'un autre cÖt6 its
tentent d€laborer une contre-conduite (Foucault 2004) ren-
dant possibte [e conflit. la controverse et [äction strat6gique.
Michel de Certeau appelle «strat6gie» le «calcul des rapports
de forces qui devient possible ä partir du moment oü un sujet
de voutoir et de pouvoir est isotable d'un <environnement).
Elle postule un lieu susceptibte de servir de base ä une ges-
tion de ses relations avec une ext6riorit6 distincte» (Certeau
1990: XLVI). Quelqu'un qrii ne peut compter ni sur un tieu
propre, ni sur une frontiÖre nette qui le.distingue de l'autre
comme une totalit6 clairement visible, fait rin'calcul tacti-que. La tactique par contre ägit dans l'espace de läutre dans
lequel on s'insinue sans pouvoir garder Ia distance. La tacti-que doitjouer avec des 6vönements pour les transformer en
«occasions» pour avoir un impact qui ne durera pas'
Je regarderai Uinstitution non pas comme une totalit6
confin6e mais comme un dispositif (Foucault 1994) qui attire
constamment de nouveaux acteurs pour les imptiquer comme
experts, interlocuteurs et donneurs dopinion en les enga-
geant avec des formes de calcul, de raisonnement technique,
ütcapacity building.Le dispositif de ta FAO essaie de produire
des r6cits coh6rents sur le politique que ces acteurs vont
int6grer ou contester. Pour Foucault, lbbjectif des disposi-
tifs de pouvoir n'est pas la socialisation, la stabilit6 structu-
relte, ltquilibre ou Ia r6duction de la complexit6, mais lbr-
donnancement des multiplicit6s humaines (Foucault 1975:
218). Le dispositif libÖre tout en r6glementant, autrement
diL il r6glemente la tibert6. Le role du dispositif n'est pas
d'imposerun certain type de comportement mais dbrganiser
un espace qui contraint sans contraindre selon des objectifs
determin6s (Fusulier et Lannoy 1999: 189). Dans cet espace
les acteurs instituent tout en 6tant institu6s, c'est-ä-dire
quils participent ä la production des normes et des rögles
et sont eux-mdmes int6gr6s dans le systÖme de contraintes
(Boudon et Bourricaud 7986:327) ä des degr6s divers.
Discuter des OGM en termes d'environnement et de sant6,
ainsi que de la fagon dont its peuvent am6liorer les condi-
tions de vie des «pauvres», ouvre un d6bat technique qui
suppose une base morale commune aux participants ä cette
discussion. Uam6tioration de la sant6 de la population mon-
diale, la lutte contre la faim et Ia r6duction de la destruc-
tion de ttnvironnement sont des objectifs 6nonc6s dans les
0bjectifs du Mitl6naire de 1'0NU. Ces derniers sont donc la
base d'un consensus gtobal qui limite le d6bat aux moyens
techniques ä mettre en euvre pour atteindre ces objectifs.
Ces debats font partie de ce que Marc Ab61Ös (2006) appetle
la potitique de la survie. Au lieu de demander quels m6ca-
nismes font que les pauvres deviennent et restent pauvres,
ou ä travers quels m6canismes un groupe social appauvrit
un autre, on s'interroge sur la fagon dont les pauvres pour-
raient 6tre capables eux-mEmes de sortir de la pauvret6 et
de prot6ger leur sant6 et leur environnement.
Le d6bat sur tes OGM concerne une dimension politique
en termes de droits de propri6t6 intellectuelle sur [es plantes
agricoles, en mettant läccent sur les conflits entre agricul-
teurs et compagnies semenciÖres, entre d6tenteurs de bre-
vets au Nord et fournisseurs de mat6riel g6n6tique au Sud.
Pourtant. ces questions sur llappropriation des ressources
et sur te controle des moyens de production par les grandes
compagnies ont 6t6 longtemps bannies en tant que «ques-
tions politiques>> des documents produits par [a FAO. Pour-
tant, comme nous allons le voir, lbp6ration visant ä ren-
dre techniques ces questions politiques est de fait un projet
en cours de r6alisation qui naboutit jamais entiÖrement (Li
2007: 10). Dans Ia premidre partie de cet article. jänaty-
serai comment ta FAO emprunte le röle institutionnel d'un
courtier impartial en arbitrant le d6bat sur la biotechnolo-gie ä partir d'un point de vue neutre et technique. Dans la
deuxiöme partie, j'examinerai comment elle vise ä neutrali-
ser les conflits, via [e premier rapport annuel th6matique sur
The State of Food and Agriculture. Agricultural Biotechnology.
Meeting the Needs of the Poor? (2004) Enfin, dans [a troisiÖme
partie. je consid6rerai les r6actions ä cette publication qui
font 6merger des controverses politiques d'une fagon inat-
tendue. Je mäppuierai sur des documents (imprim6s et en
ligne sur Internet) produits par et ä travers llinstitution,ainsi que sur des enqu€tes de terrain men6es lors des conf6-
rences de la FAO aux niveaux r6gional et international, en
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2003, 2004 et 2006, ainsi que sur de nombreux entretiensavec les administrateurs de la FAO et les membres de la Coor-
dination internationale de la soci6t6 civite (ICP). UICP est
compos6e dägriculteurs, de p6cheurs, de groupes environne-mentaux et dbrganisations des peuples autochtones, ä qui Ie
directeur g6n6ra[ avait fait la promesse formelle de renforcer
leur «participation ä la recherche sur les politiques agricoles
et aux activites dänalyse de la FAO» (Diouf 2003).
LE COURTIER: HONNETE, NEUTRE, OBJECTIF
Le röte que la FAO a tent6 de se tailler au cours des derniöres
ann6es et qui correspond ä des tendances similaires percep-
tibtes dans d'autres institutions des Nations Unies est cetui
dun «courtier» op6rant entre les gouvernements, le secteurpriv6 et la soci6te civile. Un courtier dans le sens le plus fon-
damentat est un interm6diaire entre lächeteur et le vendeur;
it aide ä n6gocier une transaction 6conomique ä [a satisfac-
tion des deux parties. Ladministration de [a FAO a jou6 untel röle entre les pays donateurs et receveurs au cours des
derniöres ann6es. Les fonds propres attribu6s ä llnstitutionayant consid6rablement diminuE depuis Ie d6but des annees
1990, la FAO a 6t6 r6duite, dans de nombreux cas, au cour-
tage de projets financ6s par des pays donateurs avec le pays
r6cipiendaire. L:6galit6 politique que tous les Etats ont en
principe dans lässembt6e de la FAO devient ainsi n6gocia-
ble par les modes de financement des projets, par läppro-che donor driven, qti donne aux pays donateurs le droit de
d6finir les politiques qu'ils veulent soutenir. Au lieu d'inter-venir de maniöre identique sur lägriculture et la nutritiondans le monde entier, ta FAO a eu tendance ä agir comme une
agence de d6veloppement distinguant les pays «d6velopp6s>»,
les plaEant de facto en dehors de sa sphöre d'influence, et
ceux <<devant 6tre d6velopp6s>>. La FAO participe ainsi ä «ta
volont6 däm6liorer» (Li 2007) qu'ele partage avec däutres
organismes de d6veloppement. La pr6tendue expertise de la
FAO pour optimiser ta vie däutrui est en soi une revendication
de pouvoir (Li ?007: 5), puisqu'ette justifie toute action sur [e
comportement des autres soi-disant dans leur propre int6r6t.tironie de ce type d'autoritd est qu'elte rend les bureaucraties
puissantes pr6cis6ment en leur donnant I'apparence d'6tre
d6potitis6es, c'est-ä-dire de ne pas 6tre motiv6es par des int6-r€ts contradictoires (Barnett et Finnemore 1999: 708).
Le r61e de courtier entre en conflit avec [e röle normatifde llnstitution: la formulation et [a promotion des droits de
üromme ä lalimentation (Directives volontaires en matiÖre de
droit ä lätimentation 2004), ä ta terre (D6claration finale de [a
TSANTSA*14.2009
Conf6rence CIRADR [Conf6rence internationale sur la r6forme
agraire et le d6veloppement rurat] 2006) et aux semences
(Trait6 international sur les ressources phytog6netiques pour
lälimentation et lägriculture 2004). Le röle de gardien de
valeurs morales et de normes universetles tend ä 6tre devanc6
par celui de <<courtier fort» ou de «courtier objectif», qui fonde
sa force sur Ia «comp6tence» et le «savoir». Ce röle reldve de
l'expertise de la FAO et de sa capacit6 ä pr6tendre de Ia sorte
ä une autorit6 normative sup6rieure sur les pays donateurs
et r6cepteurs. Bien qu'6tant toujours officiellement une ins-titution d6mocratique oü les diff6rentes valeurs et visions
du monde peuvent 6tre exprim6es et n6goci6es ä lAssembl6e
entre les gouvernements des pays membres, la FAO devientde facto rne institution r6gissant les affaires du monde par Ia
recherche de «la v6rit6» sur la base du savoir expert.
Dans [a controverse sur les biotechnologies, [a FAO
revendique le röte d'un «courtiel honn6te et ind6pendant>>
entre les infgrr-nations contradictoires. IJambiguit6 de ce
role de courtier ressort dans läuto-pr6sentation du travailde la FAO sur Ia biotechnologie: <<Chaque fois que le besoin
s'en fait sentir, la FAO sert <d'honn€te courtier> en offrantun forum de d6bat. [...] La FAO s'efforce en permanence de
d6terminer les avantages, les potentiels et les risques asso-
ci6s ä llutilisation des technologies modernes pour accroitrela productivit6 de [a production v6g6tate et animale. Tou-
tefois, c'est aux gouvernements membres qu'i[ incombe de
formuler des potitiques en [a matiöre.»1 Ainsi, la FAO four-nit des analyses, d6termine les risques et les avantages et,
de sa position de savoir sup6rieur, elle intervient comme
m6diatrice dans les d6bats. Dans le m6me temps, Uinstitu-tion d6cline toute responsabilit6 sur les cons6quences que
les orientations techniques qu'elle a d6velopp6es auraientsur däutres, affirmant plutot que Ia responsabilit6 reviententiörement aux goüvernements qui les ont approuv6es.
Dans son effort global pour d6finir, classer et mesurer ce
qu'elle entend par la «faim», la «<nourfiture» et la «production
agricole», la FAO a contribu6 ä un systöme de gouvernance qui
repose sur la normalisation de ceux qui ont faim. Ces derniers
sont transform6s en unit6s statistiques, qui chacune repr6-
sente une infime partie des 850 millions däffam6s qui doivent6tre nourris pour parvenir ä remplir l'engagement du Sommet
mondial de lalimentation de 1996 de:f6duire de moiti6 dlci ä
2015 le nombre de personnes souffrant'de la faim. Le styte de
ce raisonnement produit des fagons aöteptabtes de d6couvrir
la «v6rit6»> sur les peuples, les populations, Ies nourritureset la nutrition pendant que les premiers deviennent de nou-
veaux objets d'enqudte et, finalement, des objets connus sans
' http://www.fao.orgibiotech/stat.asp?lang=fr (page consult6e le 9 octobre 2008).
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mystöre (Ilcan et Phitlips 2003: 450)' La faim' la propri6t6
intellectuelle, la bio-s6curit6 et mdme le libre-6change sont
consid6r6s comme des probtämes techniques pour lesquels des
solutions techniques peuvent 6tre trouv6es'
Des ONG et des organisations de la soci6t6 civile ontjou6
un röIe croissant dans lßIaboration et Iinitiation des cadres
r6glementaires et volontaires n6goci6s sous l€gide de ta FAO'
lans un document officiel de cette agence sur ta strat6gie de
cooperation avec tes ONG et la soci6t6 civite (FA0 1993)' les
auteurs soulignent les avantages mutuels d6coulant d'une
telle de la FAO Pour
influ la FAO cherche
leur leurs Prises de
d6cision» (FA0 1999: 6). IJimpact que Ia soci6t6 civile peut
avoir sur t'6laboration des politiques ä llint6rieur de tlnsti-
tution et Par son biais est
ptexes que les organisation
tariat de Ia FAO ont avec les tinfluencer les politiques. Les gouvernements donnent leur
mandat ä la FAO et assument la responsabilit6 pour les poli-
tiques qui y sont men6es. Beaucoup d'0NG sont parties int6-
grantet aoaispositif international et servent de prestatai-
res de services pour r6atiser les projets de ta FA0'
N6anmoins tors des sommets mondiaux de Ualimentation
de 1996 et 2002, des ONG qui n€taient pas officiellement
accr6dit6es aupräs de ta FAO ont mis au point des strat6giesa-
1a
h-
niques pourraient 6tre trouv6es, elles ont attir6 lattention
sur les in6galit6s de
ont engendr6 la faim
natif, elles ont rejet6
et son soutien au libre-6change pour tancer le concept de
<<souverainet6 alimentaire»> d6fini comme le <<droit des peu-
Forum for Food Sovereignty 2OO2:8) 'Une des revendications
fortes 6tait Ie libre accäs des paysans aux semences qu'ils
estimaient menac6es par lärriv6e des semences transg6ni-
ques brevet6es sur le march6. Leurs points de vue ont regu
des m6dias une attention consid6rable' En cons6quence' en
2OO2,le directeur g6n6ral de la FA0,'Jacques Diouf' r6agit ä
cette cdtique en invitant le Comit6 international de planifi-
cation (IPC), organisateur du forum alternatif, ä faciliter de
nouvelles formes de <<dialogue» entre tes ONG, tes organisa-
tions de la soci6t6 civile, les mouvements sociaux et Ia FA0'
Les membres du Comit6 international de planification
r6agirent ä cette invitation avec prudence' Dans leurs
n6gociations avec le directeur g6n6ral, ils r6sistörent ä
Uinstitutionnatisation de leur fonction d'interm6diaire
et soulign r le fait
qu'ils ne fficielle
auprös de enrr un
comit6 de des ONG
et des mouvements sociaux vis-ä-vis de Ia FAO' 0fficieUe-
ment, toutes les organisations ayant particip6 ä la plani-
fication du forum atternatif paralläle au Sommet mondial
de llalimentation 2002 6taient membres de IIPC' Toute-
fois, aucune rÖgle formelle n'existait pour d6terminer
comment des organisations qui n'avaient pas particip6 ä
ll6v6nement initial seraient autoris6es ä assister aux r6u-
nions internes en tant qu'observateurs et aux 6v6nements
Yinterm6diaire de IiPC. Dans Ie
s de I'IPC voulaient sässurer que
nt ä ce <<dialogue>> (Diouf 2003)
adh6raient aux principes 6nonc6s dans la ptateforme sur
la souverainet6 alimentaire formul6e en 2002' Ils exigÖ-
rent un systöme de quotas permettant d'inviter en prio-
rit6 des repr6sentants des <<mouvements sociaux des pays
en d6veloppement>» et s'assurÖrent que les gouvernements
n'excluaient pas des membres de ta soci6t6 civile dont UIPC
avait facilit6 La participation (entretien 10'5'2006)'
La proposition de Ia FAO mit en cause le fonctionnement
interne de IIIPC et beaucoup de temps fut consacr6 dans les
r6unions internes de I'IPC ä la ren6gociation des processus
internes et aux questions de responsabilit6 vis-ä-vis de ses
membres de base. Tout en tentant de r6sister ä Iinstitution-
nalisation de son dialogue avec la FAO, UIPC dut concilier
Ia formalisation de ses relations internes et la pr6servation
de son caractöre de forum ouvert. IJIPC accepta le dialogue
avec la FA0, ä la condition qu'il soit fond6 sur Ia «recon-
naissance mutuelle» et sur le <<respect de leurs espaces
propres» (entretien 10.5'2006). IjIPC tenta ainsi de bouger
ä'rr,. faqo. <<strat6gique» par rapport ä la FA0, par opposi-
tion ä une approche <<tactique» - pour reprendre ta distinc-
tion de Michel de Certeau (1990: XLVI)' IJobjectif strat6gi-
que explicite de IIIPC fut de renforcer la part des Nations
ünies qui s'occupe des questions alimentaires contre l'im-
pact mue par llOMC, de libre-6change et
de g propri6t6 intellectuetle' Les mem-
bres ue Ia FAO devienne une institution
<<pour le peupte et non pas seulement des gouvernements»
(entretien, 5.5.2006). Des membres de IIPC coopärent avec
Ies administrateurs de la FAO partageant leurs pr6occupa-
tions de mettre en pratique des valeurs et normes globales
sur le droit ä Ia nourriture, ä la terre et aux semences' Bien
DOSSIER
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30 l TSAllTsA * 14' 2009
qdayant un accÖs facile ä certaines sections de llinstitu-
li*, ift navaient pas accös ä d'autres sections opposees ä
hrs visions du monde et leur analyse politique'
IJobjectif leur influence
stesgouve embre dellIPC:
&ur Diouf, lobbYing'Ilne
ulement se donner le lustrde montrer: 0h, je suis tout6galement que les ONG fas
ltupernements au sujet de certaines questions'» (entre-
6*, f.rr.zO06) Inversement, Ies ONG esp6raient asseoir
lk pouvoir de n6gociation avec les gouvernements en
mtrant que les questions qu'eltes poursuivaient 6taient
ldenues par la FAO. Certaines organisations d6clarärent
rmrtement qu'elles voulaient que le secr6tariat de la FAO
gouvernements pour qu'its facilitentNG aux politiques nationales' Les ONG
FAO tentÖrent ainsi de parvenir ä une
ue vis-ä-vis des gouvernements et entre
une autorit6 morale et l6gale au-delä des
ffir€ts particularistes des gouvernements'
IIIGE AU PAYS DES MERVEILLES ET LE RAPPORT SOFA
lh des questions centrales que la controverse sur ta bio-
Echnotogie souläve est la tension probl6matique entre les
qerts» et les citoyens mobilis6s' IJexpert est devenu Uin-
lHocuteur privil6gi6 des organismes publics et des orga-
ddions internationates, en tirant sa t6gitimit6 d'une
ddisant objectivit6 scientifique' Lexpertise est devenue
r mtit central dans les conflits de pouvoir au sein des
Hutions et par rapport aux citoyens' Pourtant' comme
Iü, Habermas et däutres llont soulign6, il n'y a pas de
ffiscientifiqued6pourvued'int6rdtsetind6pendantededcs normatifs. Les relations entre llexpert engag6' tra-
dantpoursacausesurunebaseprofessionnetle'etlesüns inpliqu6s dans une cause sur une base volontaire'
ildonccomplexes.Iiid6ed'uneproc6dured'expertisol6etrraleurs et des consid6rations morales. op6rant unique-
xE sur la base de connaissances de sp6cialistes' est un
rqilte- Dös que des connaissances sp6cialis6es sont utili-
Des d6clarations d'experts, la soi-disant <<bonne science»
(sound science) entrent en concurrence directe avec les
objectifs politiques que la soci6t6 civile avance'
d'un thÖme central pour [agriculture et te d6veloppement
6conomique fut ajout6e au corpus de statistiques' 0n com-
*"nq. pu, le thÖme le plus controvers6 qui soitl- Agricultural
Biotichnotogy. Meeting the Needs of the Poor? Le rapport du
nir ä la fois des avantages 6conomiques et environnementaux
pour les pays en d6veloppement» (Hegwood 2005:4)'
Avec ce rapport, ta FAO cesse dädopter une approche «neu-
tre» envers les OGM et <<tombe du cot6 pro-0GM de ce d6bat
La pr6face authentifie Ie rapport comme un document offi-
ciel dans la mesure oü elle porte la signature manuscrite du
matiöre de biotechnologie qui pr6occupent ses mandants' en
particulier ses effets sur
male» (FAO 2004: VIII) et
et soutien Pour les Politi
Le raPPort est Pass6 Par
rapport et ses grandes lignhi6rarchie administrativescientifiques sur la biotechnologie furent recueillis et' enfin'
TSANISA TT 14. ZOO9
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AUTEURE
Birgit Müuer (cambridge phD 1986) est chercheure au LAIoS-EHESS ä Paris. ElIe a travailt6 sur des usines post-socialistes et
sur des mouvements sociaux et environnementaux en Europe et en Am6rique latine. Elle entreprend actuellement un projet
de recherche multi-site ä Ia FAO et parmi des producteurs au Nicaragua et au canada, intituie Nourriture, propriötö et pouvoir:
lestechnologiesagricolescommepolitiquesgrobalesetpratiqueslocales.Parmisespublications: DisenchantmentwithMarket
Economics. East Germans and western capitalism (New York: Berghahn 2007) '
LAIOS-CNRS/EHESS, 54 bd Raspail. F-75006 Paris
36 | TSAilTSA * 14' 2009
rsition,
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internationale. Elles risquent ainsi de perdre leur espace
propre de revendication et dbpposition, ce qui r6duiraitteurs actions ä des actions tactiques.
Jäi montr6 comment lädministration de ta FAO auto-Elimine son r6le potitique d6mocratique en jouant le röle
du courtier objectif et neutre qui obscurcit plus les conflitsqu'il ne tes rend transparents. Elte minimise ainsi des dif-f6rences r6elles de pouvoir, des in6gatit6s 6conomiques et
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TSANTSA # 14. 2009
des rapports d'exptoitation r6duits ä des problömes techni-ques. Etle devient donc incapable de faire face aux enjeux
de pouvoir et de contrOte 6conomique dans [a r6glemgnta-
tion et t€valuation des biotechnotogies qui auraient pour-
tant besoin d'€tre r6gies par un acteur d6mocratique fort au
niveau international. Le vrai enjeu pour le futur röle politi-que la FAO est de redevenir une institution internationaleavec un financement propre capable de permettre aux anta-gonismes de s'exprimer et de se n6gocier en son sein.
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DossrER | 3s
DOSSIER
'i'lir
Les auteurs de cette lettre demandent si la FAO. en tantqubrganisme des Nations Unies, remplit toujours son man-
dat constitutionnel de servir les ruraux pauvres ou si elle
a perdu son ind6pendance au profit de grands acteurs 6co-
nomiques et politiques. Ils revendiquent pour [a soci6t6
civile un röle däct*,r potitique ä [int6rieur de Uinstitutionqui se justifie par L'<<engagement» de ta FAO ä consulter et
communiquer avec eux. Ils considörent par ailleurs comme
«un coup de poignard dans le dos des petits agriculteurs»
que cette consultätion näit pas eu tieu. Les auteurs souli-
gnent 6galement les divisions internes au sein de llinsti-tution sur lägro-liotechnologie et d6clarent que le rapport
insulte les gouvernäments membres de la FAO ayant «coura-
geusement» 16sist6 ä Iindustrie et aux pressions politiques,
ainsi que les scientifiques et les"administrateurs de ta FAO
qui ont d6vetopp6 des pratiques pälticipatives donnant [a
priorit6 au röle et aux droits des agricutteurs.
Cette lettre provoqua une critique interne au sein de täd-
ministration de Ia FAO et poussa le directeur g6neral ä 6crire
une lettre de justification ä sgn personnel, soulignant tou-
tes les autres initiatives que la FAO avait prises pour rem6-
dier au probläme de la faim dans le monde (Diouf 2004). It se
distancia ainsi implicitement de son plein soutien ä la bio-
technologie exprim6 dans la pr6face du rapport S0FA. Lors
d'une r6union avec des membres de UIPC, iI promit de leur
fournir lbccasion et les ressources financiäres n6cessaires
pour 6crire un contre-rapport. La directrice-adjointe respon-
sable du rapport d6nitssionna en 2006 et fut remplac6e par
un directeur adjoint, membre du Parti Vert altemand, et qui
encouragea activement lägro-6cologie. ' "
Comment comprendre ce qui semble 6tre une r6action
forte aux protestations contre le rapport S0FA? Leur impact
montre les limites du dispositif de d6politisation. Les ONG
qui font partie de IIIPC ayant jalousement gard6 leur auto-
nomie et assumant ainsi une position strat6gique (au sens
de Certeau 1990) ä partir de l'ext6rieur de L'institution, ont
6t6 capables de communiquer avec llinstitution tout en met-
tant en cause ses mEcanismes de gouvernance. Leur exp6-
rience semble confirmer les observations de Sidney Tarrow
sur le rapport des mouvements sociaux aux institutions: nile plein accös aux institutions, ni son absence ne donnentplus d'influence (Tarrow 7998:77). Int6grer pleinement les
m6canismes de consultation aurait r6duit llimpact de leur
contestation, tandis que läbsence däccds aurait rendu toute
communication impossible. Leur impact fut renforc6 par [e
fait que UIPC r6ussit ä affirmer la capacit6 däction cotlective
des paysans et de leurs organisations. Ceci alla ä l'encontre
de ta politique de la FAO qui ignora lbrganisation collective
et politique des paysans et tenta de gouverner les ruraux
pauvres en tant que cat6gorie r6ifi6e. Depuis leur position,
Ies organisations de la soci6t6 civile pouvaient montrer que
la Lutte pour le contröte des semences et pour l'approptia-
tion des ressources g6netiques 6tait travestie et neutralis6e
sous la forme d'un discours dbbjectivit6 scientifique. N6an-
moins leur effort pour combiner llint6gration au m6canisme
de Iinstitution et [e maintien d'un statut informel ä t'ext6-
rieur ne fut pas toujours couronn6 de succäs, au vu de leur
incapacit6 ä saisir lbccasion offerte par le directeur g6n€ra1
ä r6diger un contre-rapport.
Lorsque tes organisations de la soci6t6 civile furent r6cem-
ment invit6es ä la s6ance pl6niäre des Etats membres lors de
la 32" session du comit6 de la FAO sur la s6curit6 alimentaire
mondiale en d6cembre 2006, ils purent mesurerle dangerinh6-
rent au fait de passer d'une position strat6gique ä l'ext6rieur
ä une position tactique de lint6rieur. En 6change de l'autori-
sation ä occuper un tiers des places r6serv6es aux gouverne-
ments dans un forum sp6cial, Ies organisations de Ia soci6t6
civite durent ajuster leurs modes d'expression au rythme de Ia
r6union et renoncer ä traiter des questions conflictuelles tel-
les que le brevetage des semences et le contröle des ressources
gen6tiques. Bien que le contenu des discours et les questions
des repr6sentants de Ia soci6t6 civile contrastÖrent fortement
avec les d6clarations des gouvernements, ils ne donnÖrent
pas lieu ä un d6bat, et leurs d6clarations ne furent pas inclu-
ses dans le compte-rendu officiel de la r6union. Les contro-
verses furent r6sum6es par Ie pr6sident dans un rapport de
synthöse qui effaqait les antagonismes. Certains membres
des organisations de la soci6t6 exprimÖrent leur frustrationä ce niveau de «dialogue», le consid6rant comme une perte de
temps tandis que däutres pensÖrent au contraire qu'it 6taitutile de garder ltspace qu ils avaient conquis et de faire pres-
sion pour thccroitre et pour lbfficialiser.
CONCLUSION
Dans cet article, jäi montr6 comment le dialogue devient un
mode de gouvernance pour la FAO qui neutralise les anta-gonismes politiques et requiert des strat6gies habiles de ta
part des interlocuteurs de la soci6t6 civile s'ils ne veulentpas se retrouver ä l6gitimer des politiques avec lesquelles
ils sont en d6saccord ou qu'ils sont incapables d'influencer.
En rendant les enjeux techniques, la FAO restreint constam-
ment les possibitit6s du jeu d6mocratique. Les organisa-
tions de la soci6t6 civile doivent toujours travailler ä rester
<<politiques» plutöt que de devenir «techniques». En mäme
temps, elles sont constamment sollicit6es ä occuper l'espace
du technique, ä devenir des experts pay6s ou non pay6s
pour Ia cause qutlles d6fendent au sein de Iinstitution
34lTSA1{TSA+l't'2009
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03).grös
pro-
grGs comme une «progression» qui nä pas n6cessairement
&destination, cette derniäre pouvant 6tre choisie une fois
trc la progression a 6td mise en mouvement. Uessentiel est
que [e mouvement se poursuive, devenant ainsi une fin en
sol un moteur qui alimente le systäme. Cette progression
crtpr6sent6e comme urgente, en d6pit du fait que la desti-
ration et Ie chemin ä prendre demeurent obscurs.
Selon la directrice adjointe, ce sont les scientifiquesqui doivent nous dire oü aller». La FAO devrait soutenir
ies proc6dures d€valuation «fond6es sur ta science» pour
<erminer objectivement les avantages et les risques de
draque 0GM. Le röle pacificateur des experts scientifiques
consiste ä traduire les pr6occupations en seuils chiffra-Ues. En transformant une question ouverte en une ques-
tfun timit6e par un chiffre, l'ensemble de [a question est de
hit recadr6 (Pestre 2007: 477) . Il ne sägit ptus de contester
ln6cessit6 des cuttures transg6niques, mais de d6finir des
normes selon lesquelles on peut cultiver des OGM «sans dan-
ger». Louise Fresco propose que la FAO fixe un cadre dans
bquet Les biotechnologies pourraient €tre r6gtement6es et
4lprivois6es dans llint6r6t de toutes les parties, rendues
rentables pour les soci6t6s au Nord et utilisables pour les
slriruvres» au Sud. Le röle principal de la r6gtementation
edministrative est donc de cr6er de nouvelles rögles pour
f,aire face ä lin6tuctabte progrös et aux int6r6ts 6conomi-
ques ou politiques et de r6pondre aux craintes et au refusque les nouveaux systÖmes suscitent, en les rendant sürs
ouen montrant qu'ils sont sürs (Pestre citant Boudia 2007:
411) - ou dans ce cas 6quitables.
Dans le rapport S0FA, Ies «pauvres» apparaissent
comme une cat6gorie homogöne et non comme des acteurs
sociaux ayant des int6rets et des strat6gies diff6rents.lrt€me si r6f6rence est faite presque constamment aux
«problömes des pauvres», aux «semences pour les pau-
wes>», ä «la recherche pour les pauvres», ä «[a technologiepour les pauvres», ni leurs besoins r6ets ni leurs capaci-
t6s ou leurs comp6tences ne sont pris en compte. Aucune
nention n'est faite des techniques de production comple-
res et efficaces dans I'usage des ressources que de nom-
breux petits producteurs utilisent dans [e monde entier'Ge que Ie rapport d6crit comme l'avantage des cuttures
fansg6niques pour les <<pauvres» est que ces derniÖres
semblent offrir une solution simple aux problÖmes de mal-
nutrition et au manque de productivit6. Le rapport indi-que que comme la technologie «est incorpor6e dans une
semence» (FAO 2004: 104), ette serait plus facile ä utiliserpar les petits agriculteurs pauvres en ressources que des
cultures plus complexes qui n6cessitent d'autres intrantsou des strat6gies de gestion complexes.
TSANTSA S 14. 2CI09
RENDRE POLITIOUE
Cette vision des «ruraux pauvres» comme b6n6ficiairespassifs de la biotechnologie a 6t6 6nergiquement r6fu-t6e dans une lettre de protestation de I'IPC au directeurg6n6ral de La FAO, dat6e du 14juin 2004 et sign6e par six
cent soixante-dix organisations de la soci6t6 civile et huitcent un individus:
«Nous, les organisations soussign6es, les mouvements
et les individus impliqu6s dans llagricutture et dans des
questions agricoles, tenons ä exprimer notre indignationet notre d6saccord avec le rapport de la FA0. [...] Ce rap-port a 6t6 utitis6 dans un exercice de relations pubtiques
politiquement motiv6 pour soutenir f industrie de la bio-
technologie. Il favorise [a manipulation g6n6tique des
semences et soutient le biais dans [e financement de larecherche en faveur de cette technologie aux d€pens de
m6thodes.,6cologiquement rationnelles d6velopp6es par
les agriculteurs.'La maniöre dont le rapport a 6t6 6tabtiet diffus6 dans les m6dias soulöve, malheureusement, de
graves questions aü sujet de ilnd6pendance et de fint6-grit6 intellectue[e d'une importante agence des Nations
Unies. Avec ce rapport, la FAO s'6loigne de la souverai-
net6 alimentaire et des besoins r6els des agriculteurs du
monde. I[ est un coup de poignard dans [e dos des agricul-teurs et des ruraux pauvres que la FAO est mandat6e ä sou-
tenir. [...] Nous sommes profond6ment d6gus que Ia FAO
ait manqu6 ä son enga4ement (et ä votre propre promesse)
de nous consulter et de maintenir un dialogue ouvert avec
les petits agriculteurs et avec [a soci6t6 civile. En omet-
tant de consulter leurs organisations dans [a pr6paration
de ce rapport, la FAO a tourn6 le dos ä ceux qui sont le
plus directement touch6s par les technotogies qu'elle pro-
meut.» (Mulvaney et at. 2004)
La lettre de protestation, coneue comme repr6sentant
la soci6t6 civile, souläve ptusieurs questions: elle souligne
ta nature politique des recommandations d'experts soi-
disant neutres sur les technologies agricötes. Elte accen-
tue la capacit6 d'agir des petits agricutteurs et met en
6vidence les controverses sur les biotechnologies en tantque lutte pour le controle des semences et pour llusage de
I'argent public de la recherqhei.Etle relÖve que les solu-
tions rapides promues par les culf,ures transg6niques ren-
forcent les structures m6mes qui produisent la faim en
concentrant 1-e pouvoir et le contröle dans les mains de
quelques compagnies agro-chimiques en donnant «moins
dbptions aux agriculteurs pour soutenir et d6velopper
davantage leurs propres systämes agricoles et moyens de
subsistance»>{Mulvaney.qt.at. 200a).
DossrER | 33
DOSSIER
le rapport fut remani6 pour r6pondre aux orientations poli-
tiques que [a FAO voulait rendre publiques. «Jusquäu niveau
du DG [directeur g6n6ra1], läccent est mis principalement
sur les questions techniques, la pr6cision, ll6quilibre, plus
vous montez U6chelte, plus läccent est mis srir tes messages,
les messages de la FA0,. Est-ce que le rapport encadre ces
messages correctement?{ (entretien, 4.5.2006)
Si llon ana§se sa trajectoire, le rapport S0FA n'est pas
technique et neutre comme iI täffiche, mais constitue une
d6claration potitique engageant ta FAO en tant qu'insti-
tution politique internationale diffusant ses messages
aux pays membres. It est egalement int6ressant de savoir
quelles sont les personnes qui n'ont pas 6t6 consult6es au
moment oü le rapport a 6t6 produit: certains administra-
teurs de l'institution qui n'6taient pas dhccord avec [e mes-
sage contenu dans le rapport soit nbnt'päs 6t6 contact6s,
soit ont refus6 de faire des observations sur un rapport dont
ils pensaient de ne pas pouvoir influencer la tendance g6n6-
rale. Cette publication ignora egalement le travail consid6-
rable de consultation et de discussion que la FAO s'enor-
gueitlissait dävoir accompli ä travers un forum 6lectronique
sur les biotechnotogies. Des milliers de pages d'opinions et
dänalyses accumul6es dans ce forum 6taient donc devenues
rien de plus que des voix perdues dans le d6sert. En outre,
IIPC nä pas 6t6 consult6 du tout.
Le rapport S0FA combine un langage d'impartialit6 et de
neutralit6 avec un discours qui pr6tend d6tenir ta v6rit6 et
affirme son emprise sur les f6alit6s objectives. La science, ou
plutöt une <<communaut6 scientifique internationate» dont
l'existence et la coh6rence est pr6suppos6e, seit'därgument
pour donner ä ces revendications une validit6 scientifique.
Les structures 6conomiques et politiques au niveau mondial
sont 6voqu6es comme un stafu quo invariable auquel tous les
acteurs 6conomiques et les acteurs politiques doivent sädap-
ter s'its veulent r6ussir dans te monde du libre-6change.
Un des administrateurs impliqu6s dans la production
du rapport explique: <<Pour 6tablir la v6rit6, nous tlouvons
les meilleures donn6es 6conomiques et scientifiques. Com-
ment pouvons-nous d6terminer ce qui est <le meilteur>? <Le
meilleur> est fond6 sur: Est-ce que le travail a 6t6 examin6s
par des pairs, est-ce qu'iL a 6t6 publi6 par un 6diteur respec-
table? Est-ce que la personne qui fait te travail a un partipris 6vident sur le sujet? Nous essayons de baser au mieux ce
que nous disons, surles meilleurs 6l6ments factuels. Quand
ily a des points de vue fort divergents, nous tenons compte
de ces diff6rents avis. La pr6pond6rance de la preuve pointe-
elte dans une certaine direction? Qa y est, et nous attons de
['avant!» (entretien, 4.5.2006)
La v6rit6 scientifique, comme cet administrateur la voit,
n'est pas 6tabtie sur un principe transcendant dbbjectivit6,
mais sur la r6putation acquise entre pairs, sur la r6putation
de ta revue oü te fait scientifique est pubti6, sur le nombre
de personnes qui ont le m6me point de vue et sur Ie senti-
ment subjectif de tädministrateur qui juge si le scientifi-que exprime ce qu'il pense pouvoir 6tre un parti pris. Cette
vue relationnelle de la science correspond, comme Latour et
Woolgar (1979) llont montr6, ä une pratique courante d6va-
luer le statut scientifique entre coltÖgues. Pourtant cet admi-
nistrateur estime qu'il peut 6tablir ä partir de critöres de
r6putation ce qui est le «meilleur» 6t6ment de preuve et en
fin de compte par l'Elimination de tous les autres points de
vue, ce qui est un fait. La <<bonne science» (sound science)
sur laquelle se base Ie rapport est ainsi fond6e sur un pro-
cessus social qui, en d6finitive, 6tablit une v6rit6 qui n'est
ni objective ni historique, mais qui a n6anmoins te pouvoir
de rel6guer toutes tes autres pr6tentions ä la v6rit6 ä t'6tat tle
fictions discr6dit6es. La bonne science est ici non seulement
politique, mais elle joue un type trÖs particulier de politique
du pouvoir et, ce faisant, etle n'est certainement pas d6sint6-
ress6e, mais plutöt l'expression de puissants int6r6ts.
Le discours sur le «progräs» scientifique est partie int6-grante de ce discours sur la bonne science. C'est aux LumiÖ-
res que remonte Uid6e de progrÖs, selon laquelle la connais-
sance s'appuie sur elte-m6me au fil du temps et conduit
finalement ä Uam6lioration. La directrice g6n6ra1e adjointe
de ta FAO. Louise Fresco, initiatrice du rapport S0FA sur
les biotechnologies, utilisa une image du roman Alice au
pays des merveilles pour cadrer son point de vue du progrÖs
scientifique. Je cite te d6but de son discours au Forum de
UUnion europ6enne sur lhgriculture durable en 2003: «I[
6tait une fois, perdue ä la crois6e des chemins, une petite
fille qui rencontre un chat. Le chat lui dit: <Si vous ne savez
pas oü vous voulez aller, alors la route que vous prenez napas d'importance.» Les mots du chat du Cheshire ont une
certaine pertinence pour nous aujourd'hui. Comme Alice,
ä travers le miroir de U6volution rapide du progrös scien-
tifique. nous jetons un coup d'eil sur un monde ä lävenirexcitant. Comme Alice, nous sommes ä ta crois6e des che-
mins avec de nombreuses voies qui s'ouvrent face ä nous, de
nouvelles opportunit6s cr66es par dtnormes progrös tech-
nologiques. Mais nous devons choisir soigneusement notre
destination, et les routes que nous pouvons prendre pour
y arriver.» (Fresco 2OO3) Et elle termine son discours ainsi:
«comme Alice lhpprend ä Ia fin, <vous €tes sür därriver guel-
que part, si seulement vous marchez assez longtemps>. Mais
soyons conscients que te temps est court» (Fresco 2003)-
Ce qui est remarquable par rapport ä sa vision du progräs
scientifique, c'est que la directrice adjointe congoit le pro-
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32 ITSAr{TSA S 14. 2009