Communautés d’amateurs et création de valeur pour les musées : Le cas des Sociétés d’Amis...

11
Décisions Marketing N°60 Octobre-Décembre 2010 – 33 Création de valeur COMMUNAUTéS D’AMATEURS ET CRéATION DE VALEUR POUR LES MUSéES Le cas des Sociétés d’Amis des Musées (SAM) JULIETTE PASSEBOIS-DUCROS ET GUERGANA GUINTCHEVA D e nombreux auteurs annoncent depuis quelques années l’avènement d’un « nou- veau paradigme » en marketing marqué par une coopération plus grande entre les consomma- teurs et les marques. Comme l’explique Nicolas Riou (13) « [les marques] doivent aujourd’hui se réinitia- liser c'est-à-dire changer leurs codes génétiques et ap- prendre à travailler sur un mode nouveau, celui de la relation horizontale, d’égaux à égaux, afin de recréer du lien et de l’attachement ». Dans ce contexte, les tri- bus ou communautés de marque revêtent un intérêt nouveau pour les chercheurs et praticiens car elles favo- risent les échanges avec et autour de la marque, peuvent contribuer à l’innovation et sont susceptibles de favori- ser la fidélité à la marque (10, 14). Si les communautés de marque sont facilement repérables et relativement bien étudiées dans l’univers de la grande consomma- tion (Apple, Harley Davidson, Duccati …), elles font, à notre connaissance, l’objet de peu d’investigations dans le domaine artistique et culturel. Pourtant les activités culturelles, les artistes ou les institutions sont propices à l’expression de passions et d’attachements très forts (9) qui peuvent s’exprimer via un engagement collectif autour de cette passion. Ainsi on notera l’existence de nombreux cercles d’amateurs (ex. cercle des mécènes de l’Opéra de Lausanne), d’associations (ex. sociétés d’amis du théâtre de Biarritz, amis de Victor Hugo) ou de groupes de fans (ex. fan club d’un artiste populaire) qui servent de relais aux passionnés pour exprimer leur attachement à une activité, une institution ou un artiste (9, 12). Ces regroupements d’individus sur la base d’une passion commune peuvent-ils être considérés comme des « communautés » au même titre qu’une communau- té de marque ? Ont-ils des caractéristiques singulières qui les distinguent de communautés de marque ? D’un point de vue managérial, ont-ils la même « utilité prag- matique » que les communautés de marques vis-à-vis de l’institution ou de l’artiste ? Cet article propose des élé- ments de réponses à ces questions en prenant appui sur un cas singulier : les sociétés d’amis de musées (nous retiendrons l’abréviation SAM dans la suite de l’article). Peu connues du grand public, ces SAM sont des sociétés savantes indépendantes des musées qui rassemblent des passionnés d’un lieu (ex. les amis du Louvre) ou d’un Juliette Passebois-Ducros, IRGO Equipe de Recherche en Marketing. IAE de Bordeaux. Contact : [email protected] Guergana Guintcheva, EDHEC Business School, France. Contact : [email protected] Les auteurs remercient M. Ringeard, président des SAM de France, les présidents des SAM, ainsi que les responsables des musées interrogés qui ont permis la réalisation de cette étude. Les auteurs remercient également les trois lecteurs anonymes ainsi que le rédacteur en chef invité pour le dia- logue constructif engagé qui a permis l’amélioration de cet article. Cet article porte un regard sur l’organisation et le fonctionnement des Sociétés des Amis des Musées (SAM) étudiées en tant que communautés d’amateurs. Il analyse à travers seize études de cas (dyade président SAM/res- ponsable musée) les pratiques collectives des amateurs adhérents. Il propose également des lignes de recom- mandations pour les managers de la sphère muséale soucieux d’intégrer l’énergie créative des communautés de passionnés dans le processus de création de valeur.

Transcript of Communautés d’amateurs et création de valeur pour les musées : Le cas des Sociétés d’Amis...

Décisions Marketing N°60 Octobre-Décembre 2010 – 33

Création de valeur

Communautés d’amateurs et Création de valeur pour les musées

le cas des sociétés d’amis des musées (sam)

Juliette PASSeBOiS-DuCROS et GueRGAnA GuintCHeVA

De nombreux auteurs annoncent depuis quelques années l’avènement d’un « nou-veau paradigme » en marketing marqué

par une coopération plus grande entre les consomma-teurs et les marques. Comme l’explique Nicolas Riou (13) «  [les marques] doivent aujourd’hui  se  réinitia-liser c'est-à-dire changer leurs codes génétiques et ap-prendre à travailler sur un mode nouveau, celui de la relation horizontale, d’égaux à égaux, afin de recréer du lien et de l’attachement ». Dans ce contexte, les tri-bus ou communautés de marque revêtent un intérêt nouveau pour les chercheurs et praticiens car elles favo-risent les échanges avec et autour de la marque, peuvent contribuer à l’innovation et sont susceptibles de favori-ser la fidélité à la marque (10, 14). Si les communautés de marque sont facilement repérables et relativement bien étudiées dans l’univers de la grande consomma-tion (Apple, Harley Davidson, Duccati …), elles font, à notre connaissance, l’objet de peu d’investigations dans le domaine artistique et culturel. Pourtant les activités culturelles, les artistes ou les institutions sont propices à l’expression de passions et d’attachements très forts (9) qui peuvent s’exprimer via un engagement collectif

autour de cette passion. Ainsi on notera l’existence de nombreux cercles d’amateurs (ex. cercle des mécènes de l’Opéra de Lausanne), d’associations (ex. sociétés d’amis du théâtre de Biarritz, amis de Victor Hugo) ou de groupes de fans (ex. fan club d’un artiste populaire) qui servent de relais aux passionnés pour exprimer leur attachement à une activité, une institution ou un artiste (9, 12). Ces regroupements d’individus sur la base d’une passion commune peuvent-ils être considérés comme des « communautés » au même titre qu’une communau-té de marque ? Ont-ils des caractéristiques singulières qui les distinguent de communautés de marque ? D’un point de vue managérial, ont-ils la même « utilité prag-matique » que les communautés de marques vis-à-vis de l’institution ou de l’artiste ? Cet article propose des élé-ments de réponses à ces questions en prenant appui sur un cas singulier : les sociétés d’amis de musées (nous retiendrons l’abréviation SAM dans la suite de l’article). Peu connues du grand public, ces SAM sont des sociétés savantes indépendantes des musées qui rassemblent des passionnés d’un lieu (ex. les amis du Louvre) ou d’un

Juliette Passebois-Ducros, IRGO Equipe de Recherche en Marketing. IAE de Bordeaux.Contact : [email protected] Guintcheva, EDHEC Business School, France.Contact : [email protected] auteurs remercient M. Ringeard, président des SAM de France, les présidents des SAM, ainsi que les responsables des musées interrogés qui ont permis la réalisation de cette étude. Les auteurs remercient également les trois lecteurs anonymes ainsi que le rédacteur en chef invité pour le dia-logue constructif engagé qui a permis l’amélioration de cet article.

Cet article porte un regard sur l’organisation et le fonctionnement des Sociétés des Amis des Musées (SAM) étudiées en tant que communautés d’amateurs. Il analyse à travers seize études de cas (dyade président SAM/res-ponsable musée) les pratiques collectives des amateurs adhérents. Il propose également des lignes de recom-mandations pour les managers de la sphère muséale soucieux d’intégrer l’énergie créative des communautés de passionnés dans le processus de création de valeur.

34 – Juliette PASSEBOIS-DUCROS et Guerguana GUINTCHEVA

Communautés d’amateurs et création de valeur pour les musées

artiste (ex. les amis de Picasso) et qui ont pour voca-tion première d’en soutenir le développement et d’en assurer le rayonnement. À travers l’examen minutieux de plusieurs études de cas portant sur la dyade « musée/SAM » (encadré 1), nous nous sommes intéressées à ces collectifs afin de montrer qu’ils peuvent être considérés comme des communautés d’amateurs et qu’en consé-quence ils pouvaient être traités comme des commu-nautés de marque par les managers de musées afin de devenir de véritables acteurs dans la mise en œuvre des stratégies relationnelles des institutions culturelles.

La première partie de ce travail situe les SAM dans l’uni-vers communautaire en insistant sur la spécificité des collectifs d’amateurs dans la sphère muséale. La deu-xième partie traite de la manière dont les SAM peuvent contribuer aux stratégies de création de valeur des mu-sées ainsi que des contraintes pouvant en réduire la portée. Enfin, des recommandations et un exemple de bonnes pratiques de fonctionnement du tandem SAM/musée sont développés dans la dernière partie.

Les SAM : des communautés de marque

Si la littérature marketing a vu apparaître la notion de communauté dès le milieu des années 90 (2, 5, 15), elle est pour la sociologie un concept fondamental depuis le début du XIXe (8). À l’origine la communauté désigne un mode de regroupement, une forme de vie sociale ré-gie par une morale communautaire caractérisée par l’at-tachement, l’affection vis-à-vis de la communauté (elle s’oppose à la société). Sa définition s’affine à mesure que

les recherches se multiplient et on retient généralement qu’une communauté a deux caractéristiques fondamen-tales : l’agrégation (rassemblement d’individus ayant des choses communes à partager) et l’opposition (ensemble qui se distingue d’un autre, les frontières pouvant être tangibles – géographiques, linguistiques, raciales – et/ou symboliques – issues d’une construction mentale) (4). Le marketing s’est ensuite réapproprié ce concept, no-tamment pour rendre compte de la dimension sociale de la consommation et de l’importance de l’environ-nement – en particulier de la culture- dans l’activité de consommation. En effet le concept de communauté de-vient pertinent (avec ceux de tribu et de sous-culture) pour appréhender la formation de « petits groupes » unis par la reconnaissance du partage de valeurs liées à une consommation commune. La notion de communauté de marque, définie comme « une communauté spécialisée, non  délimitée  géographiquement,  basée  sur  un  en-semble de structures de relations entre les admirateurs de  la marque  »  (11, p. 412) s’impose très rapidement dans la littérature et la pratique managériale. Cette dé-finition, inspirée mais très éloignée de la définition ini-tiale, semble plus appropriée pour rendre compte des phénomènes observés aujourd’hui vis-à-vis des marques, c'est-à-dire la capacité à se rassembler autour d’un amour pour une marque et de déployer un vaste réseau social (et parfois virtuel) caractérisé par ses propres mythes, valeurs, rituels, vocabulaire et hiérarchie (1, 6, 10). L’exis-tence de ces groupes transforme l’équation relationnelle habituelle « client / marque » en introduisant un nou-veau pôle : la communauté. Cela impose de repenser les relations non seulement avec la communauté dans son ensemble (en tant que groupe) mais aussi de considérer l’importance des interactions au sein du groupe dans la construction de la relation à la marque (10).

Encadré 1 : Méthodologie de l’étude

Échantillon et collecte des données Seize études de cas (dyade SAM/musée), ont été réalisées entre mai et octobre 2009 sur cinq régions différentes. Nous avons veillé à l’hétérogénéité de notre échantillon en choisissant des musées divers de par leur taille, leur nature, leur renom-mée, la taille et le type de SAM (annexe 1).Pour chaque musée un représentant de la SAM ainsi que du musée ont été interviewés. Les entretiens ont été administrés en face-à-face et enregistrés, leur durée était de 40 minutes à deux heures. Chaque étude de cas a été complétée par une étude documentaire (articles de presse, site Internet, bulletins rédigés par les SAM, prospectus de présentation des musées et des SAM). Par ailleurs huit cas ont fait l’objet d’une étude uniquement documentaire (Versailles, le Louvre, les Beaux Arts de Nantes etc.) au moyen d’une revue de presse approfondie. Objectifs des guides d’entretienDeux versions du guide d’entretien ont été utilisées, respectivement, une pour les présidents des SAM et une autre pour les respon-sables des musées. Les entretiens cherchaient à identifier les rôles et ambitions d’une SAM en général ; à décrire le rapport SAM/musée ; à analyser les activités mises en place par la SAM en particulier.Afin de respecter la confidentialité des répondants, les verbatim cités sont identifiés par l’affiliation de l’interviewé (conservateur, directeur, SAM etc.) et la région (Nord, Sud etc.).Analyse des entretiensLes entretiens ont été entièrement retranscrits et ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique. Deux juges ont lu plusieurs fois et séparément le corpus obtenu. Une première grille d’analyse a été réalisée par l’un des chercheurs, puis complétée par le se-cond. Les deux chercheurs ont ensuite analysé conjointement les entretiens et attribué les verbatim aux différents thèmes répertoriés dans la grille. L’analyse effectuée est fondée sur la confrontation des points de vue «musées » et « SAM ».

Décisions Marketing N°60 Octobre-Décembre 2010 – 35

Création de valeur

Encadré 2 : Cartographie des SAM françaises

Il existe en France plus de 300 SAM affiliées à la FFSAM (Fédération Française des Sociétés des Amis des Musées) qui comptent 150 000 membres. Ce sont des structures à géométrie variable : taille, ancienneté, nature de l’activité soutenue (ex. Beaux Arts, civilisation/histoire naturelle, infanterie, dentelle) mais toutes fonctionnent sur un même principe. Les cotisations de leurs adhérents (de 25 € à 1500 € selon les SAM et le statut du membre) ainsi que les subventions (mairie, département, région, DRAC) permettent au président (élu par les membres), aidé de son bureau, de proposer aux membres :– des rétributions monétaires : gratuité d’entrée ou tarifs réduits au musée ou dans d’autres musées de la région ou de la ville, rabais au restaurant et/ou à la libraire– des rétributions symboliques : lettres d’information, invitation aux vernissages, salles privatives– des activités en relation avec le musée ou ayant trait à l’art et la culture : visites guidées, conférences, spectacles, ateliers, voyages, excursion, visite privative du musée en compagnie du conservateur ou commissaire d’exposition.Les budgets résiduels des SAM sont mis à la disposition des conservateurs pour contribuer au fonctionnement du musée et/ou à sa politique d’acquisition. Également les SAM mettent à disposition des musées des bénévoles pour tenir la boutique du musée, organiser des visites guidées, surveiller les salles, participer aux grandes manifestations telles que la nuit des musées.Si toutes les SAM fonctionnent sur ce principe, elles sont très différentes quant à leur taille, le degré de professionnalisation (« petits clubs » non formalisés, SAM « puissantes et professionnelles », structures « semi professionnelles » ayant plus d’indépendance vis-à-vis du musée) ou leur participation à la vie du musée (plus ou moins active).

Dans le domaine muséal, les SAM sont des rassemble-ments d’amateurs (entre 50 à 60 000 membres) réunis autour d’une même passion pour l’art et la culture et un musée en particulier (encadré 2). Dès lors nous avons voulu, grâce à notre étude, mieux comprendre ces struc-tures afin d’analyser dans quelle mesure elles pouvaient s’assimiler à des communautés de marque tradition-nelles. Nous admettons par là que les musées peuvent être assimilés à des marques. En effet, les musées sont do-tés d’une identité et d’une personnalité propres, forgées par leur réputation et les stratégies de communication, qui garantissent au public la constance de leur promesse dans le temps. Perçus par le public comme de véritables marques, ils sont capables de s’étendre vers de nouveaux territoires géographiques tel le musée Guggenheim.

Fort de ces postulats (la SAM comme communauté et le musée comme marque) nous avons analysé les SAM sous l’angle des trois critères caractérisant une communauté de marque (11) : la conscience de former un groupe à part, le sens de responsabilité morale et le partage de rituels/traditions. Notre analyse permet également de mettre en évidence que les communautés formées par les SAM ont des caractéristiques complémentaires : la nature du rapport à l’objet communautaire (produit/marque), son identité, ses contours géographiques (figure 1).

Les caractéristiques principales des SAM

•• La•conscience•de•former•un•groupe•à•part•

Pour les individus, l’existence d’une communauté de marque se caractérise par l’existence d’un lien fort unissant les membres (11). Elle se définit aussi, au ni-veau collectif, par le ressenti de différence du groupe par rapport aux non-membres (ex. les « Nikonians » vs. les « Powershot » de Canon) (5). Dans le cas des SAM, de façon similaire, les amateurs ressentent fortement le

lien d’appartenance à un collectif qui peut être défini comme un lien intra-communautaire (les présidents de SAM s’expriment toujours à la 1re personne du plu-riel). En revanche, à la différence des communautés de marque, les SAM cherchent le lien et la coopération avec les « autres » (autres SAM, autres musées).

•• Le•sens•de•responsabilité•morale•et•de•devoir•envers•les•autres

Cette deuxième caractéristique renvoie au sentiment de devoir par rapport aux membres de la communauté consistant à : 1) intégrer des nouveaux membres et fidé-liser les anciens ; 2) aider les membres dans l’usage de la marque (11). De façon similaire, les SAM ont comme mis-sion de faire adhérer des nouveaux fans à leur passion pour le musée, mais surtout, à la différence des commu-nautés de marques, elles se tournent vers la société en général pour partager et disséminer un héritage culturel qui a une valeur universelle sans attendre d’adhésion en retour. Elles estiment avoir un devoir envers « l’hu-manité » avec l’ambition d’ériger la culture comme un fondement de la société : « ça fait partie de notre rôle, […] la connaissance en histoire de l’art c’est le point de départ d’une culture » (SAM, Aquitaine). Des actions sont dès lors engagées en direction de publics défavori-sés, de jeunes enfants ou vers un public handicapé.

•• Le•partage•de•rituels•

L’existence de pratiques et rituels est également centrale dans la définition d’une communauté de marque (ex. salut échangé par les motards en Harley Davidson). Au sein des SAM, un certain nombre de rituels ponctuent la vie de la communauté. Ils se manifestent au cours de l’expérience culturelle (visite, voyage) et se caractéri-sent par des savoirs-être et des comportements codifiés (discussions au sein du groupe, silences, tenues vesti-mentaires, …) (12). Des réunions régulières de membres

36 – Juliette PASSEBOIS-DUCROS et Guerguana GUINTCHEVA

Communautés d’amateurs et création de valeur pour les musées

(assemblées générales, visites annuelles, conférences) marquent également la vie de la communauté et sont une manière de ritualiser l’expérience esthétique, de la partager. Enfin, le collectif se réunit autour de grandes opérations telles que les souscriptions populaires pour matérialiser le mythe, l’achat d’œuvre emblématique de-venant un peu le « totem » de la communauté.

Les caractéristiques complémentaires des SAM

•• La•communauté•et•le•lien•géographiqueLes communautés de marque se construisent toujours sans attache géographique (11), tendance accentuée par la vulgarisation des nouvelles technologies (1). Les SAM, elles, se construisent autour d’un musée géographi-quement tangible. Elles sont donc limitées au territoire de leur musée. Il n’existe pas, à notre connaissance, de communautés d’amateurs « transversales » qui s’organi-seraient autour d’un thème ou d’un intérêt qui englobe plusieurs musées situés sur des lieux géographiques distincts. Même si les nouvelles formes de communi-cation et les média sociaux favorisent les connexions entre les SAM (ex. création de profil Facebook, blogs), ces initiatives n’arrivent pas à dépasser le territoire géographique du musée. Néanmoins, une nouvelle tendance, récemment initiée en France, de répliquer un musée comme une marque sur de nouveaux espaces géographiques (ex. Beaubourg à Metz, le Louvre à Lens), pourrait donner aux SAM une envergure nouvelle,

au-delà du territoire de leur musée d’origine.

Rapport•à•l’objet•communautaire•:•spécificité•de•l’expérience•muséale

Dans les communautés de marque, le rapport à l’ob-jet et à sa possession est très prégnant (1) : certaines communautés regroupent des fans-utilisateurs d’une marque, d’autres des fans-admirateurs qui ne possèdent pas la marque mais qui aspirent/rêvent de l’acquérir (ex. motos et voitures de luxe) et enfin, d’autres des fans-ex-consommateurs qui ne peuvent plus acquérir le produit mais qui maintiennent un lien communautaire fort (2CV, Apple Newton etc.). À la différence des com-munautés de marque, les membres des SAM n’aspirent pas à la possession physique des œuvres. Au contraire, certains membres, collectionneurs privés, lèguent leur patrimoine artistique au musée et refusent ainsi toute possession. En conséquence la SAM se réunit davantage autour d’expériences que d’objets, la participation à la communauté est une façon d’être actif dans son rapport à l’objet, dans son expérience (9).

•• Une•communauté•avec•une•identité•double•:•synergie•entre•deux•visions

L’identité des communautés de marque traditionnelles est créée par leurs membres à la différence de celle des SAM qui se construit par synergie autour d’une identité représentée par le président et les membres mais aussi par le directeur/conservateur du musée. Dans le cas des

Figure 1 : Caractéristiques communauté de marque vs. communauté d’amateurs (SAM)

Décisions Marketing N°60 Octobre-Décembre 2010 – 37

Création de valeur

communautés traditionnelles, la marque est rarement partie prenante. Parfois l’entreprise peut même empê-cher l’existence de la communauté (ex. engagement de poursuites par Ferrero contre les communautés construites autour de la marque Nutella par ses fans, (6). Dans le cas des SAM, une synergie bénéfique naît entre la vision du conservateur qui représente la politique scientifique du musée en se positionnant comme le ga-rant de la collection et les SAM, collectifs d’amateurs érudits qui ont un rapport émotionnel à leur musée et qui construisent une légitimité « passionnelle ».

Bien qu’elles possèdent certaines singularités, les SAM ont donc les caractéristiques essentielles d’une commu-nauté. Quels rôles peuvent-elles jouer pour les musées auxquels elles sont affiliées ?

Les SAM : un collectif de passionnés au service des musées

Le point suivant décrit d’abord comment les commu-nautés peuvent être utilisées comme un outil pertinent au service de la mise en place d’une stratégie marketing pour les acteurs du monde culturel. Ensuite, il présente un ensemble de limites du déploiement des SAM en tant que véritable communauté de marque.

Les leviers d’action des SAM

Par quels biais ces communautés d’amateurs peuvent-elles s’inscrire dans une véritable stratégie marketing pour les musées ? Le processus par lequel ces collectifs créent de la valeur pour les marques s’articule autour de quatre activités (14) : la gestion des impressions (ou communication), le réseautage social, l’organisation de l’engagement communautaire et l’utilisation du produit. Les analyses thématiques de nos entretiens mettent en évidence l’existence de ces quatre activités et leur ma-nifestation au sein des SAM.

•• Un•vecteur•de•communication•et•de•trans-mission•des•valeurs•du•musée•

Le premier but d’une communauté de marque est de transmettre à la société toute entière une image favo-rable de la marque. Cette dimension se retrouve très clai-rement dans notre étude puisque les SAM sont décrites comme « une vitrine du musée sur la société » (direc-teur musée, Midi Pyrénées), un « porte-parole du musée » auprès des publics. C’est dans la capacité des Amis à se réapproprier le langage scientifique du conservateur que se joue cette transmission : « […] Ils ont certaine-ment un langage vis-à-vis du public qui est plus facile que  le nôtre. Si moi  je  fais  l’explication d’un tableau dans une salle,  j’ai peut-être du mal à me mettre au niveau de quelqu’un pour qui tout est nouveau dans ce  discours.  Les  amis  du  musée  ont  entendu  le  mes-sage scientifique, mais ils savent aussi parler avec une spontanéité qui est plus facile » (directeur musée, Nord).

Les SAM disséminent les valeurs du musée auprès du grand public mais aussi des pouvoirs publics et des ins-titutions directement ou par le réseau qu’elles peuvent mobiliser («  ils ont  le bras  long,  ils  connaissent beau-coup  de  monde » conservateur, Musée Sud). En effet, ponctuellement, les SAM peuvent soutenir un projet ou un conservateur et faire pression sur les pouvoirs publics. Ce fut le cas à Roubaix lors du projet de création, au sein de la Piscine, de l’espace Bouchard, dédié à cet artiste qui a collaboré avec le régime de Vichy. Face au débat, le président de la SAM, avec l’appui des 1500 adhérents de l’association a soutenu le projet en nuançant le débat, en utilisant son réseau pour créer un lobbying en faveur de l’atelier, en publiant un communiqué de presse et en or-ganisant une discussion avec les responsables du musée.

•• Un•réseau•amical•pour•valoriser•l’expé-rience•de•visite•individuelle•

Dans une communauté de consommation les relations avec la marque ne se limitent pas à un lien transaction-nel ponctuel entre la marque et ses consommateurs mais s’inscrivent dans un réseau de relations entre des individus au sein d’un groupe (1). Cette dimension est présente au sein des SAM où des liens affectifs très forts se tissent entre les membres (« Des groupes se forment, les gens se rencontrent à nouveau, donc se sont créés des liens entre des gens qui ne se connaissaient pas » SAM, Sud-ouest). Le caractère éminemment social de la visite d’un musée donne à ce groupe d’amis toute son importance (7). Non seulement le groupe facilite la vi-site (« Ce qu’ils veulent justement c’est aller à la FIAC mais ne pas y aller tout seul » SAM, Sud-ouest) mais il permet aussi d’accroître la valeur de l’expérience (« Le groupe ça donne des audaces aux gens,  la réflexion de  l’un donne aux autres une occasion d’intervenir. On est très interactif. […] Il y a quelque chose qui se passe au niveau du groupe » SAM, Sud). Ces relations ainsi créées représentent une véritable compétence col-lective détenue par les SAM qui peut parfaitement s’ins-crire dans les politiques marketing des musées visant à optimiser l’expérience vécue par le visiteur.

•• Un•engagement•communautaire•pour•fidé-liser•les•visiteurs•au•musée•

Les communautés de marque sont structurées de telle sorte qu’elles permettent à chaque membre de progres-ser au sein du collectif (14). Au sein des SAM les amis se distinguent soit par leur statut (ex. membres d’honneur, académiques, bienfaiteurs et actifs, au sein de la SAM Midi Pyrénées) soit par l’implication effective dans la communauté (« Il y a le noyau dur,  les gens  sur qui on peut compter  […]. Et puis  il y a  les adhérents … ils  sont de deux sortes.  Il y a  les consommateurs  in-telligents.  Ils  sont attentifs,  intéressées,  amoureux de tout  ce qui  se  fait. Et puis  il  y a  les  consommateurs exigeants, ceux qui par exemple nous prennent pour une agence  » (SAM, Languedoc). L’analyse thématique révèle qu’au sein de la SAM et grâce à l’acquisition de connaissances nouvelles qu’elle permet, le membre est

38 – Juliette PASSEBOIS-DUCROS et Guerguana GUINTCHEVA

Communautés d’amateurs et création de valeur pour les musées

en mesure de passer d’un stade à un autre, de progresser dans son rapport à l’art et à l’institution («  l’idée c’est d’accompagner  un  cheminement  de  connaissances, de rencontres, d’ouverture… » SAM, Aquitaine ; « Avant d’être à l’association, les vernissages je n’y allais pas… Maintenant j’essaie de me libérer. C’est un autre lien, on offre une étape supplémentaire par rapport aux vi-siteurs lambda » SAM, Aquitaine). Les SAM apparaissent comme un dispositif visant à consolider la relation de l’individu à l’institution, elles renforcent la confiance et l’attachement à l’institution et favorisent l’identification au musée (3). Notre étude montre que les SAM sont en mesure de faire progresser l’individu dans sa relation à l’institution par les bénéfices qu’elle peut lui procurer (partage de connaissance, liens amicaux, appropriation des espaces et des objets …).

•• Un•usage•nouveau•de•l’offre•et•de•l’expé-rience•muséale

La quatrième activité des communautés pouvant créer de la valeur pour les marques réside dans l’usage fait de la marque c'est-à-dire les améliorations et propositions faites par les membres pour améliorer le produit (14). Au niveau des SAM, les connaissances acquises par les Amis sur les œuvres de leur musée (généralement très éle-vées) les conduisent à élaborer leurs propres supports (conférences, visites, fiches techniques…) pour valori-ser l’expérience des membres mais aussi la transmettre à d’autres (hors de la communauté). Par exemple, dans un musée du Sud-ouest, certains membres de la SAM ont créé des fiches techniques sur les objets du musée (arts décoratifs) servant aux autres membres, mais aussi à la création de supports ludiques pour diffuser leur savoir auprès des plus jeunes.

Les SAM peuvent aller encore plus loin dans l’usage qu’elles font de leur musée en intervenant au niveau des politiques d’acquisition (rôle de mécène). Dans la plu-part des cas les SAM se plient aux demandes formulées par les conservateurs (« Nous  ne  choisissons  jamais une  œuvre.  Nous  répondons  à  l’appel  du  conserva-teur » SAM, Aquitaine), mais elles peuvent aussi lui faire des propositions. Ce fut le cas à Montpellier lorsque les Amis ont proposé en 1998 au conservateur de lui « offrir » une enveloppe budgétaire confortable pour ac-quérir une œuvre. Comme l’explique la présidente de l’époque « On est allé  le voir et on lui a dit voilà : on trouve que notre musée souffre d’avoir peu de choses en  art  moderne  et  contemporain,  on  sait  que  vous êtes spécialiste du XVIIe siècle, mais on aimerait que ça  soit,  si  vous  le  voulez  bien,  des œuvres  du mou-vement support surface ». Ainsi, les SAM interviennent dans la manière dont l’offre muséale est constituée.

À travers ces quatre activités, intimement liées, les SAM sont en mesure de contribuer à 1) accroître la valeur de l’expérience vécue par les visiteurs - usage de la marque et transmission des valeurs ; 2) fidéliser les visiteurs – engagement communautaire 3) diversifier les collec-tions directement (de par les dons qu’elles effectuent)

ou indirectement (via les mécènes qu’elles seraient sus-ceptibles de rallier à la cause du musée) et 4) soutenir le musée dans son fonctionnement (personnel dévoué mis à disposition). Cependant cette création de valeur demeure potentielle et certains éléments soulignés dans les entretiens sont de nature à amoindrir ou limiter le rôle stratégique de ces SAM pour les musées.

Les facteurs pouvant limiter la création de valeur pour les musées Les entretiens réalisés avec les conservateurs ainsi que la revue de presse réalisée sur des cas conflictuels, per-mettent d’identifier trois facteurs pouvant limiter la création de valeur identifiée plus haut.

•• Le•vieillissement•des•SAM•et•de•leurs•membres•

L’un des problèmes majeur rencontré par les SAM aujourd’hui est le vieillissement des présidents et de leurs membres (à l’exception des grands musées et des musées d’art contemporain) : « Notre public se compose d’une population assez âgée, 80 ans, 70 ans,  la ma-jorité c’est 60 » (SAM, Aquitaine). Même si la conquête de jeunes membres est affichée comme une priorité, celle-ci reste difficile (« La fédération française insiste beaucoup pour qu’il y ait des  jeunes, et ça c’est  très très dur. […] On organise des choses mais souvent on est  déçu.  » Président régional SAM, Nord). Ce vieillis-sement peut avoir trois conséquences majeures sur le processus de création de valeur.

D’une part il pose la question même de la disparition des SAM ; certaines n’ont pas trouvé repreneur et ont été abandonnées. D’autre part le vieillissement peut amoindrir la capacité des SAM à proposer de nouvelles idées : « Je ne dis pas qu’il  faut  chasser  les vieux …mais si on ne fait pas entrer des amis d’un autre âge, on ne va pas confronter  les points de vues,  les  ima-ginaires…» (SAM, Languedoc). Enfin, le vieillissement peut être de nature à altérer les relations entretenues avec les conservateurs (« on souhaitait quelqu’un qui soit quand même disponible donc a priori quelqu’un en  retraite,  mais  pas  trop  âgé  pour  qu’il  puisse avoir des contacts encore frais avec le monde actif » Directeur musée, Nord).

Enfin, rappelons que de nombreuses SAM ont été à l’ori-gine de la création des musées, elles ont donc une vision historique du musée et s’imposent comme les gardiennes des valeurs fondatrices (« les gardiens du temple »). Cet héritage peut être lourd à porter pour les conservateurs voyant les SAM s’opposer à l’évolution de l’institution.

•• Des•SAM•déconnectées•de•«•leur•»•musée•

« Le problème des SAM ce sont les musées ! ». Cette re-marque ironique d’une présidente de SAM est assez révé-latrice des tensions pouvant exister. Les SAM tiennent à leur indépendance vis-à-vis des musées (« indépendance 

Décisions Marketing N°60 Octobre-Décembre 2010 – 39

Création de valeur

et partenariat sont les deux maîtres mots de notre so-ciété » SAM, Languedoc), mais poussée à l’extrême celle-ci se transforme parfois en véritable autonomie. Ainsi, certaines SAM agissent seules, sans concertation avec le musée, programmant leurs activités sans se référer au musée et ne participant à aucun des événements organi-sés par l’institution. La SAM perd alors tout son sens et ne peut plus jouer son rôle dans la création de valeur pour le musée. Les conservateurs souhaiteraient plus de colla-boration dans les actions menées : « Je pense à leur cycle de conférences aussi, par exemple ne serait-ce que ca-ler leurs conférences sur la vie du musée.» (Chargé des publics, Musée Midi Pyrénées). Également, ils plaident pour une plus grande implication des membres dans la vie du musée : « […] On fait plein d’autres choses, des rencontres  avec  des  restaurateurs,  des  vidéo-musées, etc., et alors là ils [les amis] n’y sont jamais.» (Direc-teur musée, Midi-Pyrénées).

•• Un•rôle•altéré•par•des•contributions•financières•mineures•et•le•renforcement•du•mécénat•d’entreprise

De nombreux musées ont déployé d’importants moyens pour attirer des mécènes et y sont parvenus (ai-dés par les dispositions fiscales de la loi de 2001 sur le mécénat). Par exemple, à Montpellier 25 entreprises locales se sont associées au sein de la fondation d’entre-prises pour le musée Fabre (dons de 250 000 euros par an pendant 5 ans). L’émergence récente des fonds de dotations (2008) a vocation, en facilitant les dons et legs privés, à accroître encore la contribution des mécènes au financement des musées. Face à ces fondations et fonds de dotation, les SAM apparaissent comme de bien piètres mécènes et cette situation peut être de nature à affaiblir leur pouvoir dans la relation au musée (« [Pour une acquisition] ils (le musée, ndlr) nous ont demandé si on avait de  l’argent  si  les  enchères montaient un peu, pour avoir une petite marge. Très honnêtement nous ça ne nous intéresse pas d’être la petite marge ! » SAM, Sud). En effet, d’une part, elles perdent leur capacité à contribuer à la constitution de la collection (usage de la marque) et, d’autre part, elles ont moins de moyens de pression pour imposer un type d’action ou de vision à leur musée. Si la situation française est en-core loin de celle observée aux États-Unis, on peut s’at-tendre à ce que, à terme, elle s’en rapproche et que les mécènes les plus généreux aient un poids majeur dans la gouvernance des musées tant au plan de sa gestion (critères de performance, retour sur investissement) que sur sa politique d’acquisition (orientation des col-lections…). Dans cette optique, les SAM doivent réaf-firmer leur territoire et trouver, ailleurs que dans leurs dons, les sources de leur légitimité.

En dépit des limites évoquées ci-dessus, il apparaît que les SAM sont des alliés potentiels pour le développement des musées. La partie suivante met en évidence les condi-tions pour que cette valeur potentielle devienne réelle.

Quelles recommandations pour transformer les SAM en partenaires des politiques marketing des musées ?

À partir de l’observation des différents cas de figures, des pistes de réflexion managériales peuvent être iden-tifiées pour que les SAM soient un vecteur puissant des stratégies marketing mises en œuvre au sein des musées. Quatre principales recommandations seront présentées et illustrées au travers d’un cas exemplaire de dyade SAM/musée (encadré 3).

•• •Resserrer•les•liens•

Nous l’avons vu, certaines SAM se développent de façon totalement autonome vis-à-vis de « leur » musée éloi-gnant ainsi l’institution de ses « fans ». Comment resser-rer le lien entre les « amateurs » et leur musée ? Du côté du musée, il s’agira de montrer que l’on a identifié et reconnu l’expertise de ses passionnés (« il y a un conser-vateur qui est très ouvert et qui est très favorable à l’as-sociation, il a compris qu’il était dans son intérêt de travailler en synergie avec les amis du musée » (prési-dent régional SAM, Nord). Concrètement le conservateur pourrait associer les Amis à la politique du musée, leur offrir un espace physique pour accueillir leurs membres, les informer de la logique de la politique d’acquisition et des actions entreprises auprès des mécènes. Egalement, l’implication personnelle du conservateur/directeur du musée lors des visites ou des voyages des Amis est une fa-çon pour le musée de se rapprocher d’eux (« Quand on organise un voyage, elle [la directrice] vient avec nous. Elle  trouve  ça  important,  les  gens  ils  recherchent  ça. Que ce soit la directrice qui fasse visiter l’expo et pas le 20e sous-fifre je trouve ça important » (SAM, Sud-ouest).

De leur côté les SAM doivent faire participer le conser-vateur à la vie de leur association (tout en conservant leur autonomie) : invitations aux assemblées générales, consultation pour le choix du président, informations régulières sur les actions entreprises… De façon très concrète les Amis doivent aussi participer activement aux manifestations portées par le musée.

•• Optimiser•la•communication•verticale

La communication verticale, c'est-à-dire celle qui permet le dialogue entre la SAM et le musée, peut être amélio-rée en diversifiant les niveaux d’interactions SAM/Mu-sée. Aujourd’hui le dialogue ne se fait que de « président à directeur », le conservateur est l’unique interlocuteur. Du côté des musées, il serait souhaitable d’identifier les personnes clés pouvant être les interlocuteurs privilé-giés des SAM selon les domaines concernés (publics, acquisition, communication…). Enfin, l’usage des nou-veaux outils de communication (blogs, mailing, réseaux sociaux …) permettrait, de part et d’autre, d’améliorer la communication et de développer des synergies.

40 – Juliette PASSEBOIS-DUCROS et Guerguana GUINTCHEVA

Communautés d’amateurs et création de valeur pour les musées

dans la politique de fidélisation des musées (le maillon permettant l’engagement à l’institution), elles doivent tenir compte de la diversité des profils de leurs adhé-rents. Ainsi, nous recommandons une meilleure seg-mentation des membres fondée par exemple sur les niveaux d’engagement souhaités (amis, bienfaiteurs …), les niveaux d’expertise, le fait d’être adhérent individuel ou entreprise. Du côté des musées, cette segmentation des membres permettrait sans doute de créer plus de complémentarité entre les programmes de fidélisation qu’ils portent (abonnement) et ce que propose la SAM en termes de bénéfices relationnels, sociaux, et de com-pétences acquises.

ConclusionCet article soulève la question de l’intégration des béné-voles des SAM dans la gestion des musées. À l’heure de la multiplication de l’offre de loisir et de la raréfaction des subventions, les musées ont tout intérêt à s’appuyer sur les collectifs d’amateurs existants pour mettre en œuvre leurs stratégies marketing. Ces collectifs d’ama-teurs consacrent leur temps et leurs compétences au service des musées en l’absence de compensation fi-nancière. Même si la réalité du volontariat dans les musées en France n’a pas l’envergure de celle obser-vée aux États-Unis, les Amis se révèlent indispensables

•• Céder•du•terrain•pour•faciliter•la•co-•production

Les SAM sont forces de proposition, elles peuvent appor-ter des compétences nouvelles en termes de recherche de mécénat, de création d’événement, de communica-tion et même de politique d’acquisition. Ainsi, le mu-sée doit accepter de céder du terrain (« c’est la fin des chasses gardées », conservateur, musée Sud), mais la SAM doit aussi savoir s’approprier cet espace de pouvoir. Pour favoriser l’appropriation physique par les Amis, il est recommandé que le musée puisse leur accorder un espace d’accueil dédié pour permettre de recevoir leurs membres et de promouvoir leurs actions. Cet es-pace peut aussi être virtuel : valoriser la présence de la SAM dans les bulletins d’informations, les prospectus ou le site Internet du musée. De façon plus symbolique le musée doit veiller à gratifier les propositions des Amis, à récompenser leurs contributions. De leur côté les SAM doivent reconnaître la compétence du conservateur et savoir garder leur place dans « leur » musée (« ils se sen-tent chez eux », « ils sont en terrain conquis » sont des verbatim évoqués par les conservateurs).

•• Adapter•les•actions•aux•différents•profils•communautaires

Pour que les SAM puissent devenir de véritables alliés

Encadré 3 : Exemple de bonne pratique : le musée La Piscine à Roubaix

Créée en 1965 avant l’ouverture du musée en 2001, la SAM de La Piscine - musée d’art et d’industrie André Diligent de Rou-baix- compte actuellement 1600 adhérents. C’est une association dynamique en termes de communication (Facebook, newsletter, communiqués de presse, blog etc.) et d’activités proposées (visites, voyages, conférences, mais aussi projections de films, mise en réseau des SAM de la région). Ce dynamisme s’explique par la personnalité du président (jeune retraité et ancien journaliste) et par la parfaite entente entre le président de la SAM, le directeur du musée et les autorités culturelles régionales. Comment cette SAM s’inscrit-elle concrètement dans les leviers d’action évoqués ?Resserrer le lien avec les amateursÀ l’initiative de la SAM un rallye des musées de la région en collaboration avec les autres SAM a été organisé « Les amis des amis, un dimanche en été de musée en musée ». Des initiatives vers les publics défavorisés visent également à créer et entretenir un lien de responsabilité entre les déjà membres et les nouveaux publics via des actions auprès des associations d’insertion, les comités de quartier, les centres sociaux, les résidences pour personnes âgées. Ces actions visent à resserrer les liens, mais aussi à faire adhérer de nouveaux amis à la SAM.Optimiser la communication verticaleLe président de la SAM reconnaît que le succès de l’association « tient aussi au dynamisme du musée. L’un entraîne l’autre, c’est une espèce de roue vertueuse ». Au-delà, d’une amitié forte entre le conservateur et le président, l’association bénéficie d’un statut presque « internalisé » au musée : « … les gens de l’association font partie du musée. Ils ont leur bureau à l’intérieur, ils ont leur clé, ils ont le droit de circuler dans les espaces du musée sans autorisation particulière » (Directeur du musée). Céder du terrain pour faciliter la co-productionUn équilibre dans l’attribution des rôles entre conservateur (garant de la collection) et SAM (amateurs) a été trouvé grâce à la confiance dans la relation entre les parties. En effet, le président de la SAM reconnaît que « le grand danger pour une SAM c’est de vouloir s’immiscer dans la politique culturelle du conservateur… mais c’est une grande tentation ». Par ailleurs, le conservateur accepte d’écouter et de prendre en compte l’avis des amateurs membres de la SAM : « celui qui fait des propositions c’est le conser-vateur. Ça n’empêche pas qu’un conservateur normalement constitué accepte de regarder les suggestions qu’on peut lui faire, personne n’a la science infuse ». Ainsi, grâce à ces deux visions convergentes, un respect mutuel s’établit qui permet des synergies de co-production entre récepteurs (visiteurs) et conservateurs de l’héritage.Adapter les actions aux différents profils communautaires La SAM gère également une « filiale » des amis du musée : un club de cinquante entreprises mécènes de la région. C’est une autre association constituée par le musée et par la SAM, avec son propre tarif d’adhésion, une comptabilité à part, un autre président (mais qui est également vice-président dans la SAM « historique »). Les deux structures fonctionnent en synergie : la SAM histo-rique propose aux chefs d’entreprises adhérents au club d’offrir des cartes d’adhésion à leurs employés pour la SAM historique.

Décisions Marketing N°60 Octobre-Décembre 2010 – 41

Création de valeur

aux établissements culturels en raison de l’extension de leurs offres et services. L’étude réalisée montre que les SAM peuvent être un soutien intéressant pour leur musée, d’abord, pour optimiser l’expérience des visi-teurs dans la mesure où elles sont à même de procurer aux membres un certain nombre de bénéfices sociaux (échanges au sein du groupe) et cognitifs (capital cultu-rel), et ensuite, pour construire la relation du visiteur au musée puisque c’est un moyen privilégié de créer la confiance, la complicité, de renforcer les liens et de dé-velopper l’implication des visiteurs. Cependant, la ques-tion de l’intégration des SAM dans la stratégie de ges-tion des musées soulève également quelques risques. En effet, au-delà des questions institutionnelles d’entente entre le musée et son association d’amis, des frictions entre les salariés et les bénévoles peuvent se ressentir si les Amis se font trop présents dans la gestion quoti-dienne (accueil, visites guidées, projets éducatifs etc.). Afin de palier ce genre d’obstacles, cet article montre des leviers d’actions concrètes à engager pour « profes-sionnaliser » l’intégration des Amis au sein des musées et obtenir ainsi la réalisation de leurs missions.

Cette conclusion pourrait être élargie à d’autres activi-tés culturelles dans la mesure où les expériences cultu-relles quelles qu’elles soient (cinéma, théâtre, festival…) ont toutes un caractère éminemment social et sont toutes marquées par la volonté d’être partagées, diffu-sées, confrontées aux autres. Dans ces conditions, les communautés sont un moyen formidable de répondre à cette exigence des spectateurs tout en contribuant à consolider leurs connaissances. Une étude de même na-ture que celle menée auprès des musées pourrait être mise en œuvre dans d’autres domaines (cinéma, théâtre par exemple) pour vérifier cette conclusion et mettre en évidence d’éventuelles spécificités des SAM par rap-port à d’autres types de communautés de spectateurs. Par ailleurs, ce travail reste exploratoire et doit être considéré comme une étape dans un programme de re-cherche à plus long terme. Nous envisageons de le pour-suivre au travers d’une étude quantitative nous permet-tant de dresser une cartographie des SAM en France et d’établir une typologie des relations établies avec « leurs musées ». Cette étude à grande échelle nous permettrait de vérifier certaines des propositions établies dans cet article. Enfin, cette étude pourrait être prolongée en s’interrogeant sur la place que les SAM et autres com-munautés d’amateurs peuvent occuper face aux com-munautés en ligne type Facebook, MySpace ou Flickr. De nombreuses institutions ont en effet développé avec succès des communautés de fans (le MOMA réussit à fédérer 260 000 fans sur sa page Facebook), il convien-drait ainsi de s’interroger sur la place des communautés traditionnelles dans ce nouveau contexte.

Ces initiatives créées et gérées par les institutions elles-mêmes progressent fortement, et peuvent devenir des outils pour soutenir les communautés réelles, mais re-présentent aussi une véritable menace pour les collec-tifs traditionnels.

u

Références

(1) Amine A. et Sitz L. (2007), Emergence et structuration des communautés de marque en ligne, Décisions Marke-ting, 46, 63-75.

(2) Badot O. et Cova B. (1995), Communauté et consom-mation : prospective pour un marketing tribal, Revue Fran-çaise de Marketing, 151, 5-17.

(3) Bhattacharya C. B., Hayagreeva R. et Glynn M. A. (1995), Understanding bond of identification: An investiga-tion of its correlates among art museum members, Journal of Marketing, 59, 4, 46-56.

(4) Cohen A. (1985), The symbolic construction of commu-nity, London and New York, Routledge.

(5) Cova B. (1997), Community and consumption: Toward a definition of the linking value of products or services, European Journal of Matketing, 31, 3/4, 297-316.

(6) Cova B. (2006), Développer une communauté de marque autour d'un produit de base : l'exemple de My Nutella community, Décisions Marketing, 42, 53-62.

(7) Debenedetti S. (2003), Investigating the role of compa-nions in the art museum experience, International Journal of Arts Management, 5, 3, 52-63.

(8) Durkheim É. (1889), Communauté et société selon Tönnies, Revue philosophique, 27, 416 – 422.

(9) Hennion A. (1999), Les amateurs de musique – Socio-logie d'une pratique et d'un goût, Sociologie de l'Art, 12, 9-39.

(10) McAlexander J. H., Schouten J. W. et Koenig H. F. (2002), Building brand community, Journal of Marketing, 66, January, 38-54.

(11) Muniz J. A. M. et O'Guinn T. C. (2001), Brand com-munity, Journal of Consumer Research, 27, 4, 412-432.

(12) O'Sullivan T. (2009), All together now: A symphony orchestra audience as a consuming community, Consump-tion, Markets & Culture,12, 3, 209-223.

(13) Riou N. (2009), Marketing anatomy - Les nouvelles tendances du marketing passées au scaner, Paris, Eyrolles - Éditions d'organisation

(14) Schau H. J., Muñiz A. M. et Arnould E. J. (2009), How brand community practices create value, Journal of Marketing, 73, 5, 30-51.

(15) Schouten J. W. et McAlexander J. H. (1995), Subcul-tures of consumption: An ethnography of the new bikers, Journal of Consumer Research, 22, June, 43-61. n

42 – Juliette PASSEBOIS-DUCROS et Guerguana GUINTCHEVA

Communautés d’amateurs et création de valeur pour les musées

Décisions Marketing N°60 Octobre-Décembre 2010 – 42

Annexe 1 : Composition de l’échantillonLes musées ont été classés selon leur fréquentation annuelle de la manière suivante :

Moins de 10 000 De 10 000 à 40 000 De 40 000 à 300 000 De 300 000 à 1 000 0000 Plus de 1 000 0000

Confidentiels Petits Moyens GrandsTrès grands nationaux

(Louvre, Orsay...)

Musées étudiés Genre Taille Musée Taille SAM Entretiens Sources secondaires

SAM PETITS CLUBS

Musée 4 et 7 Nord Pas de Calais

Art moderne/Spécialisé (artisanat)

Grand musée/Confidentiel 1600/300 x x

Musée 8 et 9 Nord Pas de Calais

Beaux arts Petit musée 200/ 320 x x

Musée 12 Aquitaine

Arts décoratifs Petit musée 500 x x

Musée 13 et 14Midi Pyrénées

Beaux arts Musée moyen 500 x x

Musée 16 Midi Pyrénées

Arts décoratifs Confidentiel 500 x x

Musée 23 et 26 Rhône Alpes

Beaux arts Petit musée /Confidentiel 300/550 x

Musée 25 Normandie

Beaux arts Musée moyen 880 x

SAM SEMI-PROFESSIONNELLES

Musée 1, 2 et 3Nord Pas De Calais

Beaux arts/ Histoire naturelle/Moyen âge

Grand musée/ Petit musée/ Confidentiel

1000 x x

Musée 5 Île de France

Arts moderne et contem-porain

Très grand musée national 500 x x

Musée 6 Nord Pas de Calais

Art moderne Musée moyen 800 x x

Musée 10 et 11 Aquitaine

Art contemporain/Beaux arts

Petit musée/Musée moyen 60/1000 x x

Musée 15 et 17 Midi Pyrénées

Arts et civilisation/Art contemporain

Petit musée/Musée moyen 1200/nc x x

Musée 18 et 19 Languedoc Roussillon

Art contemporain/Beaux arts

Petit musée 1000 x x

Musée 20 et 21Languedoc Roussillon

Beaux arts/Thématique Grand musée/Confidentiel 2000/2000 x x

Musée 27 Loire atlantique

Beaux arts Grand musée 2000 x

SAM PROFESSIONNELLES ET PUISSANTES

Musée 22 et 24 Île de France

Patrimoine/Beaux artsTrès grand site/Très grand

musée60 000/150

000x

Copyright of Decisions Marketing is the property of AFM c/o ESCP-EAP and its content may not be copied or

emailed to multiple sites or posted to a listserv without the copyright holder's express written permission.

However, users may print, download, or email articles for individual use.