Tracéologie appliquée aux objets et oeuvres d'art en bois des musées de France

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Introduction

Le russe Sergueï Semenov est considéré comme l’inventeur de la tracéologie dans les années 1930. Il a élaboré une méthode d’étude des traces laissées par l’usage des outils en silex avec pour but de définir la fonction de l’objet, sur le principe de l’analogie expérimentale, c’est-à-dire par compa-raison avec des répliques [Semenov, 1964]. Fondée sur l’ob-servation macro- et microscopique des stigmates liés à l’usage d’un outil, elle a assez rapidement été appliquée à d’autres artefacts lithiques. Par extension, elle s’est appli-quée à chaque matière ouvragée par l’homme, comme les os, l’ivoire, les bois de cervidés et le bois, puisque chacune de ces matières possède encore des empreintes plus ou moins lisibles d’utilisation [Mille, 2002, 2006]. Enfin, si l’analyse fonctionnelle s’applique aux traces d’usage, l’étude techno-

logique a, quant à elle, permis de mieux comprendre la fabrication de l’objet considéré [Mille, 1993 ; Morin, Lavier, Fontugne, Guiomar, 2006].

Parmi les matériaux employés par l’homme depuis plusieurs millénaires, le bois est sans doute celui qui offre la plus large palette de mise en œuvre (chauffage, habitat, outil, transport, art, etc.) [Lavier, Locatelli, Pousset, 2005]. Et il se prête bien à ce type d’examen du fait des caractéris-tiques de son état, ligneux, hétérogène et anisotrope. Les signes de débitage, de façonnage [Locatelli, Pousset, 2002, ;Chapelot, Pousset, 2004], d’usage et d’usure sont alors restituables dans les différentes séquences de produc-tion, depuis l’arbre en forêt jusqu’aux objets exposés dans nos musées [Lavier, 2006].

Reposant sur des observations optiques de type macro- et microscopique direct, elles ne permettaient pas vraiment

Tracéologie appliquée aux objets et œuvres d’art en bois des musées de France Premiers exemples d’adaptations, de développements techniques et de résultats au sein du C2RMF

Catherine Lavier Thierry Borel Daniel Vigears

Catherine Lavier, archéodendrométrie, C2RMF. Thierry Borel, photographie et radiotomographie, C2RMF. Daniel Vigears, photographie et radiotomographie, C2RMF.

Résumé. L’archéodendrométrie est l’étude du bois travaillé par le genre humain dans le passé s’appuyant, entres autres, sur la tracéologie. Celle-ci, dérivée des techniques archéologiques d’observation, permet de restituer les procédés techniques de fabrication, d’usage et d’usure d’un objet. La démonstration s’appuie sur la présentation d’analyses tracéologiques à partir d’objets en bois, de leurs procédés, de leurs résultats et de leurs interprétations. Elle sera notamment illustrée par trois exemples, distincts en provenance géographique et chronologique, plus particulièrement la statue d’un homme-oiseau de l’île de Pâques du XIX e siècle (musée du quai Branly), et quelques spécificités pour des objets de la tombe d’un enfant grec en Érétrie du IV e siècle av. J.-C. (musée du Louvre) et d’une massue tupinamba brésilienne du XIV e siècle (musée du quai Branly). Bien qu’en cours de développement au C2RMF, les techniques mises en œuvre offrent déjà de nombreuses perspectives de restitution des chaînes opératoires (fonction et technologie), complémentaires des autres disciplines d’analyses du bois.

Mots-clés. Bois, tracéologie, photographie, radiotomographie, objets d’art.

TE C H N È n° 29, 2009 Le bois

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Abstract. Archaeodendrometry is the study of wood crafted by mankind in the past. Amongst other things, it relies on traceology, which is based on archaeological observation techniques and enables us to establish the manufacturing processes, uses and extent of deterioration of an object. This article will present traceological analyses of wooden objects, the processes involved, the results and interpretations. It will be illustrated by three main examples, all geographically and chronologically distinct, namely a 19th-century statue of a Bird-Man from Easter Island (Musée du Quai Branly), objects found in the tomb of a Greek child in Eretria dating from the 4th century BC (Louvre) and a 16th-century Brazilian club made by the Tupinamba tribe (Musée du Quai Branly). Although still in the development stages at C2RMF, the techniques used already offer numerous prospects for reconstructing working methods (function and technology), complementary to other wood analysis disciplines.

Keywords. Wood, traceology, photography, radio-tomography, artefacts.

Traceology applied to wooden artefacts and works of art in French national museums: initial examples of adaptations, technical developments and results at C2RMF

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de qualifier et de quantifier les constatations. Les analyses tracéologiques s’appuient désormais sur des techniques macronumériques directes et en lumière rasante [Lavier, 2004, 2005], mais aussi sur des méthodes optiques de profi-lométrie de surface sans contact (scanographie et microto-pographie, avec restitution en 2D et 3D) ou encore à l’aide de traitements radiotomographiques, eux-mêmes dérivés du monde médical. Ne pouvant ici tout expliciter, la radiotomo-graphie sera plus particulièrement décrite car elle permet de « visiter » la matière sans la détériorer.

La tomographie

Les scanners médicaux (ou tomographes, CT scans, etc.) sont de merveilleux outils qui évitent de faire tourner les patients sur eux-mêmes à une vitesse proche d’un tour par seconde (ce qui serait très pénible). Pour cela, la machine comprend, de part et d’autre du patient, un tube émetteur de rayons X et des détecteurs qui tournent très rapidement face à face, le patient restant immobile. Cette grande vitesse de rotation est nécessaire pour éviter les mouvements du corps (respiration, rythme cardiaque, déglutition). La taille des détails perceptibles est choisie en fonction des besoins diagnostiques, souvent une résolution proche du millimètre suffit. Certains scanners médicaux ou dentaires permettent de visualiser des détails de l’ordre du dixième de millimètre (100 µm).

Les objets étant le plus souvent immobiles, le principe des tomographes dits industriels est au contraire de faire tour-ner l’objet entre le tube RX et le(s) détecteur(s). Cette disposition permet d’utiliser des tubes de forte puissance (420 kilovolts au C2RMF) ou des rayonnements synchro-trons issus d’énormes machines (ligne ID 19 de l’ESRF) ou même des neutrons sortant de réacteurs nucléaires (Orphée), pour étudier des objets de grandes dimensions (jusqu’à des moteurs de fusée), ou composés de matériaux peu transpa-rents aux RX. Un tube RX à microfoyer utilisé avec des posi-tionneurs très précis permet de faire de la microtomographie, révélant des détails internes de quelques micromètres [Baru-chel et al., 2000].

Dans le cas des objets et des œuvres d’art de nos musées, la tomographie1 vient en complément des autres techniques d’examen et d’analyse. Absolument non destructive, elle donne accès à l’intérieur des matériaux composant ces objets. Les variations de densité de l’image radiographique habituelle (2D) peuvent provenir en partie de superposi-tions accidentelles d’épaisseurs d’un même matériau. Au contraire, la tomographie affiche toutes les parties de l’objet constituées d’un même matériau avec une unique densité. Le point fort de la tomographie ? Elle permet de se prome-ner dans l’objet [Noël et al., 2005], en supprimant par exem-ple virtuellement toute la matière jusqu’au plan de coupe !

Plusieurs centaines d’images radiographiques de l’objet sont prises, avec des points de vue variant successivement. En général, on effectue une rotation autour du centre de l’objet, avec un déplacement angulaire égal ou inférieur au degré. Un logiciel de reconstruction calcule ensuite la posi-tion de chaque point contenu dans l’objet, en combinant les informations existant sur chaque image. Le résultat est un volume de points dans l’espace, représentatif des divers matériaux de l’objet.

L’attribution, à chaque type de matériau, d’une couleur d’affichage plus ou moins transparente, met en évidence les plus infimes variations de l’objet, l’emplacement d’une armature métallique dans une statue, des mastics de surface (car la tomographie visualise également l’aspect de la surface de l’objet vue par les rayons X).

Les informations apportées par la tomographie concer-nent, par exemple :

– l’homogénéité d’une terre cuite, l’emplacement de grains plus denses, de cavités liées au modelage de la terre, l’importance et l’orientation des fentes de séchage ;

– les renforts de la structure, l’aspect du métal coulé (les bulles, les emplacements de clous distanciateurs, les variations d’épaisseur du métal sont des indices qui révèlent les étapes de la fabrication de l’objet) ;

– dans le cas du bois, les assemblages plus ou moins complexes et ses qualités : débit, croissance, ondulations du fil du bois, régularité, nœuds et départs de branches, scarifi-cations, galeries d’insectes, etc. ;

– ainsi que l’étendue, l’emplacement, les procédés et les matériaux employés pour les restaurations [Badde et al., 2005].

Applications

Un abrégé et un aperçu des observations et des résultats, obtenus à partir de l’ensemble des approches citées, vont ici être exposés à partir de trois exemples très différents et ils permettront sans doute de mieux saisir l’importance de leur combinaison.

Statuette de l’île de Pâques

Il s’agit d’une sculpture en bois de l’île de Pâques2 ou Rapa-nui (Chili) représentant un homme-oiseau (Moai tanga manu), typique de l’art de la métamorphose [Mohen, Orliac, Orliac 2006]. Elle daterait du début du X I X e siècle et serait peu antérieure à l’époque où un marin l’a rapportée. On ne connaît qu’une quinzaine d’hommes-oiseaux en bois réper-toriés de par le monde et ils ont tous des propriétés à la fois ornithomorphes et anthropomorphes. L’oiseau est en effet un thème prédominant dans les cultures océaniennes, à la fois guide des navigateurs et messager du dieu qui brisa la coquille de l’œuf primordial. Cette statuette (figure 1.II)

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vient augmenter la collection pascuane que possède le musée du quai Branly et son acquisition, en 2006, en fait le premier homme-oiseau des collections nationales3. Le bois employé est un Sophora toromiro, arbre endémique aujourd’hui disparu de l’île.

De tels objets ne peuvent absolument pas être analysés par des méthodes invasives ou intrusives. Fin 2005, la mise en place d’un groupe datation au sein du département Recherche du C2RMF a permis de développer d’autres protocoles d’accès aux informations que par la seule analyse dendrochronologique. Des tests radiotomographiques, alliés au dossier photographique, ont notamment montré le potentiel de cette technique dans le domaine de l’archéo-dendrométrie ; la statuette en a été un point de départ. Trois principales observations ont ainsi pu définir l’orientation du sens de croissance longitudinal, les fentes et le type de crois-sance transversale

Pour résumer toutes les observations, on a constaté qu’elle a d’abord été débitée sur brin4 : ébranché et écorcé, l’homme-oiseau a été façonné dans la tige principale, son allure nonchalante suivant en fait sa forme d’origine. La présence de rayons ligneux, minces et nombreux, explique en partie la présence des fentes. Celles-ci sont séparables en trois types, dont les deux premiers sont d’origine naturelle et environnementale, et le dernier d’origine anthropique. Lors du séchage de l’artefact, une fente principale s’est formée, comme pour toutes les espèces ligneuses à rayons médullaires : elle est dite « à cœur ». D’autres fentes, dites secondaires, se sont produites après la réalisation de l’objet mais sont essentiellement dues à une conservation dans des conditions plus ou moins naturelles et à des chocs de mani-pulations, utilisations, transports, etc.

Si on peut restituer assez fidèlement le processus de façonnage avec les coups portés et leurs angles, et si les gestes donnés indiquent que l’artisan était droitier, il n’est actuel-

lement pas possible de définir le ou les types d’outils employés ; on observe seulement qu’il s’agit de lame(s), peut-être en obsidienne (?).

Après la confection, des traces ont été produites par des écrasements, comme ceux d’une cordelette coulissante (figure 1.II, détail), par des coups et par des coupes franches mais sciées au niveau du cou, du nez et du bras gauche (figure 1.II, détail) et par des grattages à de nombreux endroits (figure 1.II, détail). Les raisons ne sont pas très explicites : les marques pourraient être liées à des pratiques rituelles et les griffures à des « nettoyages » ultérieurs par un outil très pointu.

La présence de « cernes » de croissance et la figuration de quelques nœuds correspondant à des branches latérales, soulignent l’orientation de croissance (figure 1.I, détail). Enfin, le brin d’origine peut ainsi être restitué : un diamètre de 6,5-7 cm pour une soixantaine d’accroissements.

Tombe d’enfant en Érétrie

Redécouvert au musée du Louvre5 en 2005, le mobilier de la « tombe d’enfant d’Érétrie » n’avait pas été présenté au public depuis les années 19206. Acquis dans la seconde moitié du XIXe siècle en provenance d’Érétrie sur l’île d’Eubée (Grèce), le matériel comporte des éléments organi-ques tels que du mobilier miniature et des boîtes en bois, mais aussi des toupies en os, des graines, quelques éléments de plomb et d’argile, des pièces de monnaie et du fard rose dans une petite pyxide en bois (figure 2). La monnaie et l’étude stylistique placent ces objets au IVe siècle av. J.-C. Une quinzaine de spécialistes se sont penchés sur les divers objets et matériaux employés7, et l’étude tracéologique des objets en bois a permis de faire quelques découvertes intéressantes qui seront résumées ici.

Figure 2. Présentation d’une partie des objets de la tombe telle qu’elle était conservée au Louvre. © C2RMF, photo C. Lavier.

Le récipient en forme de noix a subi des aléas lors de son tournage : le point d’ancrage a été déplacé (flèche verticale) avec une reprise quelques

millimètres plus loin (flèche en biais) certainement à cause de la proximité d’un nœud dans le tronc d’origine : les cercles blancs, simulant les cernes, se déforment sous l’effet de la branche proximale. Les deux éléments de la boîte à fard s’emboîtent parfaitement : cette restitution

les positionne sur le plan transversal du tronc d’origine, le même arbre. L’orientation des cernes (lignes courbes noires) indique que le couvercle se place vers une proximité de nœud, ce que l’on ne détecte pas sur le récipient. © C2RMF, photo D. Bagault.

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L’ensemble des artefacts témoigne d’un soin tout parti-culier apporté à leur confection quant à la qualité du bois, du buis (Buxus sp.)8, essence particulièrement adaptée à ces objets miniatures et intentionnellement choisie avec de faibles croissances. Ces examens n’ont malheureusement pu totalement restituer les formes, diamètres, âges et nombres d’arbres ou arbustes employés, ni même assurer de leur totale contemporanéité, à la fois pour des problèmes techni-ques d’accès et de limitations de méthodes dendrologiques. Toutefois, l’association de divers procédés liés à l’imagerie nous a faits découvrir que le débit longitudinal respecte les fibres du bois, que le façonnage est réalisé par tournerie avec reconnaissance du point d’ancrage, que les finitions et les décorations extérieures, aussi bien tournées que manuel-les, sont minutieuses et raffinées, et que les ajustages pour

les assemblages sont manuels ; le tout à l’aide de lames à embouts biseautés et de pointes fines. Un repentir est toute-fois repéré et du, semble-t-il, à une proximité de branche (figure 2, détail).

On distingue également divers états des surfaces exté-rieures et intérieures de certains objets au « moment » du décès de l’enfant, et l’utilisation d’autres, peut être lors de ses jeux. On peut ainsi identifier des traces d’usure et de frottement ou encore des fragilisations9 dues aux divers modes de conservation entre le moment de leur découverte et l’arrivée au musée. On notera que les finitions intérieures des objets tournés sont plus sommaires car ces parties sont non-visibles et plus difficilement sculptables. De même, certains objets peuvent être partiellement replacés dans leur tronc d’origine (figure 2, détail), lui-même estimable en

Figure 3. Massue tupinamba. Musée du quai Branly, Paris. © C2RMF-61534, photo D. Vigears, dessin C. Lavier.

Les griffures paraissent être le fait d’un raclement sur une surface rugueuse par saccades successives. D’autre part, les accroissements sont bien visibles et permettent de donner des informations sur sa position dans l’arbre. La massue a été façonnée dans le sens longitudinal du tronc et le diamètre est estimable à au moins une trentaine de centimètres. Les mots gravés sont interprétés comme « casteste des Iles du Sude » avec des imprécisions sûrement dues à des usures du bois l’ayant partiellement poli. De nombreuses petites fentes, postérieures à son usage, sont dues à des alternances en milieu de conservation. Le morceau manquant sur le côté du disque correspond à un choc : la massue a-t-elle percutée une surface assez dure lors de son « usage » de casse-tête ? Un autre choc a provoqué la fente centrale mais il s’agit probablement d’impacts différents à deux époques distinctes.

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section. L’exécution est régulière et délicate, et les repentis ou changements sont des signes d’une grande expérience artisanale pouvant alléguer d’une homogénéité de l’ensem-ble des objets en bois : l’enfant a pu être enterré avec ses « jouets » et d’autres, neufs, au moment de son décès.

Massue tupinamba

Il est rapporté que la massue10, appartenant à la tribu des Tupinambis, aurait été acquise par le frère cordelier A. The-vet (1515-1590) qui l’aurait offerte au roi pour son cabinet des Curiosités [Métraux, 1932]. On ne sait quelle est son origine réelle, si ce n’est que la massue faisait partie des collections du musée de l’Armée amassées entre 1860 et 1865. Définie comme « épée » au X V I e siècle, il s’agit d’un « casse-tête », ou « massue » (tacapes), long de « 5 à 6 pieds » avec un « rond » en bout « d’environ 2 palmes de main de largeur » et d’un « pouce par le milieu ». Thevet11 raconte avoir rapporté un tel casse-tête ayant appartenu à Quoniam-bec, un des plus puissants chefs tupinambis de la baie de Rio de Janeiro, lors de son voyage au fort Coligny en 1555-1556. N’existant pas de preuve tangible qu’il s’agisse là de cette massue (figure 3), des analyses12 ont été demandées par le musée du quai Branly.

Composée d’une seule pièce de bois avec un manchon de coton, de fibres végétales et de restes de plumes13, le bois serait en palmier « airi »14, effectivement employé par les tribus tupinambis. Malheureusement « trop » bien conser-vée, il a fallu, en 2006, développer de nombreuses observa-tions macrophotographiques et les croiser avec les différentes archives, elles-mêmes réinterprétées15. On a ainsi pu montrer que le bois, dont on distingue nettement des accroissements (contrairement au palmier), serait plutôt du pernambouc16.

Quelques indices de fabrication sont à souligner. Si son emplacement dans l’arbre d’origine est interprétable (figure 3, détail), le mode de coupe ne peut ici être restitué car aucune trace de tranchage ou de coupage n’est visible : le manche et le disque sont trop polis. Il n’est donc pas possi-ble de préciser si l’arbre a été abattu à la hache ou par la méthode du feu lent à la souche17. Bien que très lissé, plusieurs traces d’outil(s) sont encore visibles et sont de deux types distincts : les unes faites avec le tranchant d’une lame et d’autres avec une pointe (l’embout de la lame ?). La massue était probablement tenue de façon perpendiculaire à l’artisan (par exemple, sur ses genoux) avec le côté manche à sa droite et le disque sur sa gauche ; l’artisan faisant alors

tourner l’objet au fur à et mesure de l’exécution. Les lames pénètrent bien de droite à gauche : l’auteur serait donc droi-tier.

Les marques d’utilisations sont elles aussi repérables. Par exemple, le tranchant du disque, qui aurait servi à assommer les victimes, est effectivement porteur de stigma-tes. Les uns, sur les parties longitudinales du pourtour, concernent des écrasements de fibres sur les deux tranchants du disque : la massue a donc bien été employée en tant que telle ! D’autres, comme sur le bas, correspondraient plutôt à un « martèlement » de la massue sur le sol (modes de conservation successifs en position verticale ?). Des écrase-ments, des fentes, des inscriptions, etc. (figure 3, détails), sont les signes tribologiques et d’usages postérieurs à sa « découverte ».

Ces renseignements ont récemment pu être complétés par des analyses radiocarbones sur des fragments de fibres et de bois extraits lors de sa restauration18 (mesures en AMS19). La valeur obtenue situe le bois entre les années 1398 et 1524 apr. J.-C. à 87,8 %20, ce qui en fait à la fois une des pièces les plus anciennes d’Amérique dans les collections françaises et la massue actuellement la plus ancienne connue. En outre, elle est bien contemporaine des expédi-tions d’A. Thevet.

Conclusion

Au travers de ces exemples, on comprend que ces études sont complémentaires et indispensables aux autres analyses archéo-dendrométriques comme l’anatomie du bois (défini-tion du genre végétal)21 et la dendrochronologie (datation précise à l’année basée sur la largeur des cernes des arbres)22. Elles n’apportent certes encore que des fragments de restitu-tions, à des degrés divers et variant suivant les objets, leurs qualités et leur conservation. Toutefois, cela offre déjà de nombreuses possibilités et de belles perspectives pour la compréhension technologique et fonctionnelle des objets de nos musées. Des protocoles sont en cours d’élaboration et pourront être étendus à des comparaisons d’objets similai-res d’autres musées français et internationaux, par exemple. D’autant que ces techniques sont appelées à s’adapter et s’améliorer voire se développer dans d’autres directions comme en microtopograhie23, en scanographie externe ou encore dans le domaine des holosystèmes et des terahertz24, par exemple.

Notes

1. Notre installation principale de radiographie des objets est disposée dans une grande salle plombée (7 m de longueur x 5 m de large x 6 m de hauteur), située au niveau inférieur du laboratoire. Elle peut accueillir des objets volumineux apportés sur palette. Le dispositif d’examen

se compose d’un tube de rayons X de 420 kilovolts (Seifert Isovolt foyer 1,8 mm x 1,8 mm) associé à un manipulateur permettant la rotation de l’objet et à un capteur sensible aux rayons X (Flashscan FS33 haute énergie, 30 cm x 40 cm, taille de pixel 127 µm). Pour la tomographie, il a été indispensable de compléter ce matériel avec un logiciel de reconstruction

3D (DigiCT de la société Digisens) qui traite les centaines d’images acquises pour créer le volume. Le tube RX et le capteur, suspendus sous deux ponts roulants, peuvent être positionnés librement dans le volume de la salle. Cette liberté permet d’adapter l’examen à la taille et à la géométrie de l’objet étudié, à deux conditions près : l’objet doit pouvoir tourner

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sur le plateau rotatif (poids maximal environ 100 kg) et il doit pouvoir être disposé verticalement (au moins l’axe de la partie concernée par le volume exploré doit être vertical). Dans les cas les plus favorables, notre installation permet de visualiser des détails proches de 150 µm, plus couramment de l’ordre de 300 à 450 µm. Pour cela, la taille importante du foyer est compensée par une grande distance entre le tube et l’axe de rotation (2,6 m), le capteur étant rapproché au maximun de l’axe de rotation (autant que le permet l’encombrement de l’objet).

2. Richardin P., Lavier C., Borel T., Vigears D., Dossier C2RMF61413, compte rendu d’étude n° 7863, février 2006.

3. Paris, musée du quai Branly, numéro d’inventaire (MQB) 70.2006.10.1.

4. Bois de brin : bois non débité (ni scié, ni fendu).

5. Hasselin-Rouss I., conservateur au département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, musée du Louvre, Paris.

6. Une partie du matériel est publié dans le catalogue collectif de l’exposition « Tanagra, mythes ou réalité », 2003, p. 235.

7. Collectif C2RMF, Van Elslande E. (dir.), compte rendu d’étude n° 8005, 2006.

8. Ravaud E., Comptes rendus d’étude n° X91 et X92, 2005.

9. Craquelures et fentes secondaires et perpendiculaires aux fibres du bois principalement dues à une conservation en milieux secs, à trop forte et rapide amplitude thermique et hygrométrique, etc.

10. Paris, musée du quai Branly, numéro d’inventaire (MQB) 71.1917.3.62.

11. Thevet A., 1557, Les singularités de la France antarctique autrement nommée Amérique.

12. Richardin P., Lavier C., Borel T., Vigears D., Dossier C2RMF61534, Massue tupinamba, Brésil, musée du quai Branly, compte rendu d’étude n° 8011, septembre 2006.

13. D’une dimension totale de 131 cm de longueur, elle pèse au total 2 204 g. La circonférence du bâton est de 3 cm vers le manchon à plus de 6 cm vers le disque qui, lui, est de 18 cm de diamètre pour 1 cm sur son bord et environ 3 cm à son renflement central.

14. Astrocaryum ayri d’après les sources.15. Par exemple, une fresque en bois

sculpté (Inv. 140), datant des années 1535, au musée des Antiquités de Rouen, décrit les différentes étapes d’une économie du bois du débit en forêt (abattage) à son mode de transport par bateau. Le cartel explique que « ces reliefs évoquent l’abattage et le transport des fûts d’un arbre brésilien, le Caesalpina brasiliensis, dont le cœur râpé constituait une teinture écarlate très efficace pour les draps rouennais. Ce bois fit l’objet d’un commerce très actif entre Rouen et le Brésil à partir de 1527 ». Or, l’appellation de l’espèce brasiliensis n’est taxonomiquement pas correcte (Henderson A.) et il s’agit de Caesalpina echinata.

16. Espèce endémique de la forêt atlantique du Brésil, appelée aussi Pau-Brasil, ou bois Brésil ; ces noms vernaculaires sont ceux du Caesalpinia echinata Lam., 1785.

Les sources citent d’ailleurs toujours du bois rougeâtre à noirâtre, très dur, ce qui ne correspond absolument pas au palmier, mais bien au pernambouc.

17. Les Tupinambis sont considérés comme un peuple de forêts tropicales et régulièrement, une partie de la forêt était éclaircie notamment en brûlant lentement des arbres à la base du tronc et en évitant que le feu monte sur le fût (par exemple, en y plaçant de l’argile mouillée, de la mousse, etc.). Une fois la base calcinée, il « suffisait » de coucher l’arbre à terre. Cet aspect est intéressant car cette technique s’applique surtout aux bois durs et épais, aux diamètres importants que leurs outils, comme les haches de pierre emmanchées sur bois, ne pouvaient couper.

18. Richardin P., Salomon J., Durieux J., Datation par le carbone14 d’une massue en bois tupinamba, Brésil (musée du quai Branly), complément au CRE-C2RMF n° 8011, juillet 2007.

19. AMS = Accelerator Mass Spectrometry, datation par le radiocarbone nécessitant moins de matière (de l’ordre de 30 milligrammes) que pour la datation par radiocarbone classique (de l’ordre de plusieurs dizaines grammes). Cette méthode est développée au département Recherche du C2RMF, sous la responsabilité de P. Richardin.

20 SacA8310 : âge radiocarbone de 450±50 BP donnant un âge calibré (cal AD) à 2 (95,4 %) de 1398-1524.

21. Article Amoros, Thomas, Guichard, Laronde dans ce numéro de Technè.

22. Articles Pousset, Locatelli, Heginbotham et Gassmann, Girardin dans ce numéro de Technè.

23. Journée d’étude sur la « Microtopographie et les systèmes 3D », 11 déc. 2007 et actes sous presse, Mélard N. (dir.).

24. Jackson J.-B., Mourou M., Labaune J., Whitaker J.-F., Duling I.N., Williamson S.L., Lavier C., Menu M., Mourou G.A., (2008), Terahertz pulse imaging for dendrochronological tree-ring analysis, Optical Society of America./sous presse.

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