Introduction aux oeuvres d'Igor mac rams

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1 PRESENTATION DES OEUVRES D’IGOR MAC RAMS 1965 -2010

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PRESENTATION DES ŒUVRES D’IGOR MAC RAMS

1965 -2010

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Cosmogonie de la révolte

Au commencement était la musique. Car avant toutes choses, Igor était un astre errant,

une comète qui avait volé des sons aux confins de l’univers. Tombé sur terre par hasard,

il s’efforçait comme les gnostiques de retrouver des sons venus d’ailleurs.

Il composait à l’époque une musique incorporelle, mystérieusement détachée de la

chair, tout à la fois céleste et infernale, faite de volutes sonores, d’envolées, de

tournoiements de sons lancinants et répétitifs. Parfois, une voix féminine salvatrice

accompagnait le maëlstrom des mélodies naissantes, en réminiscence probable d’un

lointain paradis perdu…

Et puis il y avait eu la chute. Un déluge d’eau, une inondation qui avait emporté ses

compositions et ses projets, noyé ses rêves et son matériel.

Une chute dure et incompréhensible comme le Fatum, chassant définitivement la

musique dans un au-delà inaccessible, exilant l’artiste sur une terre battue par les

embruns marins, l’enfermant dans les frontières étriquées du petit port de Trouville.

Le peintre ayant toujours représenté pour Igor un musicien et un ange déchu, il s’était

alors tourné vers la peinture, en espérant y transcrire la voix et la musique intérieure qui

continuaient à lui parler secrètement. Il n’était pas question, pour lui, de s’y adonner de

manière mièvre et gentille, en cherchant à se souvenir du monde perdu. Pas plus que de

représenter une jolie fresque figurative de la réalité, ou encore de jouer avec les

savantes combinaisons de l’abstraction.

Puisqu’il se retrouvait englué dans la

matière, il allait la saisir à pleines mains, la

projeter dans les moindres recoins de ses

tableaux, l’amener à se reproduire jusqu’à la

nausée, en occupant le moindre centimètre de

toile vierge, avec une rage et une violence

confinant au défoulement obsessionnel.

Comme si, en triturant et en entassant cette

matière dans ses toiles, elle allait finalement

s’épuiser et le libérer –à l’image du gnostique Simon le Magicien et de ses disciples du

premier siècle qui prônaient la débauche et l’orgie pour faire jaillir l’étincelle divine

d’une chair épuisée.

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Et puisque le monde n’a plus rien à voir avec la nature, il chasserait impitoyablement

cette dernière de ses œuvres, pour ne montrer

qu’un enchevêtrement de villes, de voitures, de

machines et de tuyaux, d’animaux plus ou

moins humanisés contrastant cruellement avec

des hommes bestiaux ou robotisés. Tout cela

sous un ciel apocalyptique, dans des cités

surpeuplées qui étouffent et semblent à

l’agonie.

N’y a t’il pas, dans ce geste indéfiniment

répété qui l’amène à entasser les uns sur les

autres les éléments de notre environnement

moderne, un défi ou une révolte démiurgique

qui l’amène à recréer l’univers à sa manière, à renvoyer au Créateur et à ses créatures

l’image de ce que la terre déchue est devenue, de manière parfaitement obscène ?

Langage transversal aux œuvres : une grammaire de la métamorphose

Le monde peint et restitué par Igor Mc Rams repose sur plusieurs principes, qui ne

cherchent aucunement à reproduire le réel ou à inventer une nouvelle abstraction. Elles

tendent plutôt à rendre au réel son aspect étrange et inquiétant, par une logique de la

métamorphose perpétuelle qui se moque des principes de la logique identitaire. Sans

être aucunement exhaustif, citons en quelques uns :

-Le principe de démultiplication, de mise en abysse et d’emboîtement, empêche de

croire en l’unicité d’une figure ou existence. A peine Igor dessine t’il un humain ou un

animal, qu’il va en effet le reproduire quasiment à l’infini dans l’espace de sa toile, mais

aussi dans les tableaux suivants, si bien que ses personnages sont toujours, à l’instar des

poupées russes emboîtées les unes dans les autres, unes et multiples ; à la fois ici et déjà

ailleurs, ne cessant de circuler et de se métamorphoser pour se retrouver en d’autres

lieux, dans des situations qu’il faudrait parcourir simultanément pour tenter de suivre

leur destin individuel –ce qui est bien entendu parfaitement impossible.

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-Le jeu du branchement machinique et erratique du désir. Pour parodier les premières

lignes de l’Anti-Œdipe de Deleuze : partout, dans ses tableaux, ça pète, ça copule, ça

jouit et ça souffre, ça crie et ça tue, ça se met

ensemble et ça se sépare, la vie étant un

immense courant d’énergie panthéiste qui

relie entre elles les formes animées et

inanimées, au prix de monstrueux

croisements qui ne sont pas sans rappeler,

parfois, le souffle d’un Jérôme Bosch qui se

serait perdu en plein milieu du vingtième

siècle…

-La projection et la reproduction de machines sociales qui, partout, tentent de contrôler

ces flux perpétuellement mouvants du désir. Si les êtres vivants se démultiplient sans

cesse dans des tableaux métamorphosés en autant de kaléidoscopes, si le désir semble

circuler anarchiquement au mépris de toute norme morale ou sociale, ce premier

mouvement se heurte en effet perpétuellement à un ordre social qui est là pour le

contenir, le réprimer et le normaliser, en rêvant de produire un citoyen lobotomisé,

robotisé, parfaitement standardisé et interchangeable. Les tuyaux, rouages et

machineries du monde moderne, omniprésents, reçoivent ironiquement chez Igor Mac

Rams la double fonction de contenir une vie anarchique qui déborde de toutes parts, et

de constituer le cadre même du tableau…

-La trame ésotérique de mandalas aléatoires : la rencontre entre les êtres « vivants »

démultipliés à l’infini et les machineries

sociales s’organise autour de pôles latents,

répond à des logiques et à des formes qui

renouent avec les archétypes les plus profonds

de l’esprit humain. Les tableaux se déploient en

effet, tantôt sur un modèle symétrique faisant

penser à des reproductions fractales du monde,

tantôt sur des modèles énigmatiques de

mandalas, ces représentations géométriques

Huile sur toile 100x100

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tibétaines et ésotériques supposées représenter autant le macrocosme se déployant à

partir d’un point central, que le microcosme se résorbant en un point originel. Comme

pour inciter à un autre type de lecture de chacun des tableaux, appelé à se déployer et se

résorber en chacun de nous…

Lecture chronologique : Première période microscopique et moléculaire

Sur la centaine d’œuvres d’Igor, la première partie de ses oeuvres a en commun

d’explorer la vie en se situant sur un plan microcosmique et moléculaire, c’est-à-dire en

cherchant à saisir ses manifestations humaines ou animales dans ses dimensions les plus

intimes et les plus sauvages.

Le peintre ressemble alors à un

entomologiste examinant ses congénères

comme s’il les voyait entassés dans un

zoo surpeuplé. D’où ces représentations

saisissantes d’instincts primaires : la rage

intérieure d’automobilistes coincés dans

d’improbables embouteillages,

l’abrutissement d’humains en phase de

robotisation, le déchaînement de leurs pulsions sexuelles, sodomites ou meurtrières, qui

les amènent à créer le chaos autour d’eux et à se transformer en bêtes, en découvrant ce

devenir-animal que Deleuze disait tapis au fond de chacun d’entre nous.

Dans cette première série de toiles, les personnages sont encore un minimum figuratifs

et reconnaissables, même s’ils sont issus parfois

d’un croisement entre homme et animal, souvent

sous les traits ironique d’un cochon humain. Le

monde dans lequel évoluent ces personnages est

surpeuplé et pollué, les foules étant entassées

indifféremment dans des automobiles-autocars

fantasmagoriques, des fusées ou des cités

improbables du futur, des usines d’hier et

d’aujourd’hui. Malgré l’entassement et le

confinement, la vie explose de toutes parts, avec

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une violence qui naît à chaque fois de l’intérieur : elle semble innerver chaque artère,

chaque vaisseau sanguin, au point que le tableau peut apparaître comme la métaphore

d’un écorché vivant, cette coupe du corps permettant de voir les viscères et les humeurs

habituellement cachées.

La construction des tableaux est beaucoup moins géométrique que courbe, faite de

formes qui se pénètrent, se mélangent, se métamorphosent et s’agrègent comme autant

de cellules vues sous l’objectif grossissant d’un microscope.

Et puis, peu à peu, au fil des toiles, les formes commencent à s’organiser de manière

plus stable, le principe d’un ordre caché semblant de plus en plus interpeller l’artiste,

jusqu’à atteindre un point d’équilibre fragile où le mouvant chaos semble enfin contenu.

Mais à quel prix ?

Seconde période macrocosmique et molaire

Dans la seconde partie de ses œuvres, Igor s’attaque à ce principe d’ordre qui structure,

encadre et organise inéluctablement le mouvant

chaos de la vie, en montrant que c’est au prix

d’un terrible nivellement, d’une standardisation

du vivant, l’individu étant alors condamné à

devenir un numéro, un rouage dans la grande

machine de la société.

Témoin de ce passage d’un ordre moléculaire (ou

nagual et invisible chez Castaneda), à un ordre

macro-social molaire (ou tonal et organisateur du

monde chez Castaneda), ses toiles changent d’ailleurs de dimension et de tonalité. Huile sur toile 100x100

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Leur surface augmente, empruntant la forme inhabituelle d’un carré d’à peu près 1m x

1m ; leur structure devient plus rigide et géométrique, évoquant de grands symboles,

rosaces chrétiennes et mandalas orientales ;

elles mettent en exergue, de manière

obsédante, de gigantesques machines dignes

des Temps Modernes de Chaplin, aux

mécanismes et aux roues dentelées, entre

lesquelles l’individu va être impitoyablement

broyé.

La dénonciation se fait alors beaucoup plus

politique, la figure énigmatique d’un Grand

Cerf omni-puissant évoquant, au grès de l’imagination de chacun, les grandes figures du

monothéisme, le culte du chef, de l’armée ou de la police -ces forces noires et

maléfiques dénoncées par Artaud, qui tout à la fois secrètent et défendent le monstre

froid de l’Etat et de l’Unité réductrice.

Comme s’il s’attaquait à une hydre dont les têtes repoussent aussitôt que peintes, les

peintures de cette seconde période prolifèrent, Igor semblant s’épuiser à pourchasser

chaque nouvelle formation territoriale, chaque nouvel agencement machinique destiné à

organiser le monde et à broyer l’individu.

Partout, des machines découpent des corps humains, des pinces cerclent des seins ou

des sexes, broient des membres, dans une

fumée apocalyptique et asphyxiante.

Jusqu’à ne plus présenter, à la fin de ce cycle,

qu’un univers machinique dont les êtres

humains, et même le Grand Cerf en tant que

Grand Ordonnateur paranoïaque, semblent

étrangement absents. La machinerie politico-

économique du monde moderne n’est-elle pas

devenue à ce point folle, qu’elle fonctionne

désormais de manière autonome, sans contrôle

et sans besoin des humains ? Huile sur toile 60 x 60 (à vérifier)

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Les apories de la dernière période

Plus le temps passe, plus Igor Mac Rams peint de manière frénétique, souvent toute la

nuit, sans s’arrêter pour prendre le temps de sortir ou de manger. Il nous disait alors

qu’il avait besoin de finir sa série pour s’en libérer et revenir, peut-être, à la musique.

Comme s’il avait besoin d’expulser ces créatures et ces formes démoniaques sur la toile,

pour mieux s’en libérer définitivement. Mais à chaque fois, il annonçait qu’il lui

faudrait encore quelques toiles, 4 ou 5 , pour définitivement finir son cycle...

Les machines et les personnages se démultiplient à l’infini, la plongée dans les tréfonds

du corps et dans ses viscères semble encore

s’approfondir : poumons, cœur, organes sexuels,

seins, cellules, apparaissent parfois au centre de

la toile, toujours encadrés par les forces de la

société et d’un corps machinique soumis aux lois

de la productivité. Ils sont souvent menacés,

gangrenés par la figure du Grand Crabe, comme

la menace d’un cancer innommable qui rongerait

la vie de l’intérieur.

Comme si le peintre pressentait la présence d’un mal invisible qui, tapi au plus profond

de ses chairs, s’apprêtait à ronger ses nerfs et à

s’étendre à tous ses organes, à tous ses

membres. Alors, comme pour exorciser ce mal,

il peint des tableaux qui ressemblent désormais

à des vitraux, dans les couleurs froides et

bleues du ciel, mais aussi de la mort…

A la fin, surgissent dans ses dernières toiles le

thème des têtes humaines, qui occupent

désormais tout l’espace de la toile, et dans

lesquelles on a l’impression que ses mondes

précédents viennent se résorber. Est-ce pour indiquer que, finalement, tout se trouve à

l’intérieur de soi, que le combat se livre dans la tête et le cerveau de chacun ? Nul ne

saurait le dire. Même pas Igor Mac Rams, qui s’est consumé et brûlé à son art, en étant

frappé soudainement par une terrible maladie qui allait le laisser la plupart du temps

Huile sur toile 60 x 60 (à vérifier)

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alité et incapable de se servir de ses pinceaux. Une nouvelle et seconde chute dont il ne

se remettrait pas.

Pourtant, je suis persuadé que jamais il n’a cessé d’entendre, même dans la symphonie

grinçante de ses tableaux et malgré les souffrances de sa maladie, les mesures cachées

d’un air de musique indicible, venue d’ailleurs : jusqu’à la fin, les rares amis qui lui

demeuraient fidèles ont pu le voir se raccrocher à sa guitare, à tenter de saisir des

gammes et des notes venues de nulle part…