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Ces parlementaires qui en disent trop? La conciliation de la liberté de parole des parlementaires et du droit à la dignité des citoyens en droit comparé Mémoire Andrée-Anne Bolduc Maîtrise en droit Maître en droit (LL.M.) Québec, Canada © Andrée-Anne Bolduc, 2015

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Ces parlementaires qui en disent trop? La conciliation de la liberté de parole des parlementaires et du

droit à la dignité des citoyens en droit comparé

Mémoire

Andrée-Anne Bolduc

Maîtrise en droit

Maître en droit (LL.M.)

Québec, Canada

© Andrée-Anne Bolduc, 2015

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Résumé

Un conflit normatif caractérise aujourd’hui la relation entre le privilège parlementaire de la liberté de parole et le droit à la dignité et à la réputation des citoyens. Ce phénomène, qui a ressurgi récemment au Canada, n’est pas limité à notre espace géographique. En effet, certaines affaires portées devant la Cour européenne des droits de l’homme ont démontré que ce conflit pouvait être constaté dans certains pays européens. Face à ce constat, comment en arriver à une meilleure conciliation des droits fondamentaux, tout en préservant les prérogatives des assemblées législatives? À partir d’une approche de droit comparé, cette étude dégage du droit parlementaire et constitutionnel étranger des modes de résolution qui interviennent sur les différentes dimensions du conflit normatif identifié.

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Abstract

A normative conflict today characterizes the relationship between the parliamentary privilege of freedom of speech and the citizens’ right to the safeguard of their dignity and reputation. This phenomenon, which recently resurfaced in Canada, is not limited to our juridical system. Indeed, some cases before the European Court of Human Rights have shown that this conflict can be observed in some European countries. Given this situation, how to achieve a better balance between fundamental rights and the legislatures' prerogatives ? From a comparative law approach, this study tries to identify foreign parliamentary, constitutional and jurisdictional conflict resolution mechanisms that can be used to solve different facets of the identified normative conflict.

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Table des matières

Résumé ............................................................................................................................................... iii

Abstract ................................................................................................................................................ v

Table des matières ............................................................................................................................. vii

Remerciements .................................................................................................................................... ix

Introduction .......................................................................................................................................... 1

Partie 1 – La liberté de parole du parlementaire : conflits pratiques et conceptions théoriques ......... 11 Chapitre 1 – Du conflit entre la liberté de parole du député et le droit à la dignité et à la réputation ............ 13

1.1 La protection de la liberté de parole des parlementaires .................................................................... 13 1.2 La reconnaissance des droits et libertés au Canada et à l’étranger ................................................... 23 1.3 La liberté de parole confrontée aux droits des citoyens ..................................................................... 34

Chapitre 2 – De la contingence historique et des modèles de la liberté de parole du parlementaire ............ 47 2.1 La conception anglo-saxonne et la tradition des parlements de type britannique .............................. 48 2.2 Le système français et son influence.................................................................................................. 63

Partie 2 – Les modes de résolution tirés du droit canadien et étranger : analyse et évaluation ......... 79 Chapitre 1- L’acteur parlementaire ............................................................................................................... 81

1.1 Le principe d’autonomie des assemblées législatives .................................................................... 82 1.2 Les modes de résolution parlementaires ......................................................................................... 86

Chapitre 2 – Les acteurs externes aux assemblées parlementaires .......................................................... 113 2.1 La légitimité démocratique et l’équilibre des pouvoirs ..................................................................... 114 2.2. Les modes de résolution externes aux assemblées parlementaires ............................................... 119

Conclusion ....................................................................................................................................... 139

Bibliographie .................................................................................................................................... 145

Annexe 1- Droit de réplique des citoyens (Australie) ....................................................................... 159

Annexe 2- L’exclusion constitutionnelle des injures diffamatoires (Allemagne) ............................... 163

Annexe 3 - La levée du privilège par voie législative (Royaume-Uni) .............................................. 171

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Remerciements

L’adage est bien connu, un travail de recherche ne s’accomplit jamais seul.

À cet égard, je souhaite souligner l’apport de nombreux de mes collègues et amis, et l’inestimable soutien de

mes proches dans l’accomplissement de ce mémoire.

À Patrick Taillon, directeur de recherche, merci pour ton accompagnement, tes encouragements et ton appui

continu.

Aux collègues de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires, à François

Gélineau et à Éric Montigny, merci de m’avoir accueillie, encouragée et de m’avoir offert le milieu idéal pour la

recherche et la rédaction.

Aux collègues de l’Assemblée nationale, merci pour contribué à développer et alimenter cette passion pour le

droit politique et parlementaire.

À mes parents, merci pour m’avoir toujours appuyée et entourée dans mes différents projets.

À Benjamin, cent fois merci pour les interminables discussions, ta confiance en moi et tout le soutien que tu

auras pu m’apporter durant les hauts et les bas qu’amène la rédaction. Plusieurs nouvelles pages sont à

écrire.

À tous ceux qui ont pu apporter une petite pierre à cet édifice, merci beaucoup.

Je souhaite également remercier tous ceux qui ont contribué au soutien financier dont j’ai pu bénéficier pour

réaliser ce travail de recherche: le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), la

Faculté de droit de l’Université Laval, la Promotion de 1963 de la Faculté de droit de l’Université Laval et la

Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires.

En terminant, je tiens à souligner le soutien du personnel administratif de la Faculté de droit, dont le travail

exceptionnel doit être mis de l’avant. Je les remercie chaleureusement.

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Introduction

Lors de l’édification du système parlementaire de type britannique au Royaume-Uni, la mise en place

d’une protection particulière de la liberté d’expression des parlementaires a été déterminante afin de

permettre à ces derniers d’accomplir un contrôle sans entrave sur les activités du monarque.

Graduellement, la protection de cette liberté de parole des parlementaires est devenue un enjeu

d’une importance croissante au sein du Parlement britannique et a fait l’objet d’une lutte acharnée

des parlementaires contre le pouvoir royal pour la reconnaissance officielle de cette immunité de

poursuites1. En 1689, le privilège de la liberté de parole a été officiellement inscrit dans le Bill of

Rights britannique : « That the freedom of speech and debates or proceedings in Parliament ought

not to be impeached or questioned in any Court or place out of Parliament2. ». Au nom de la libre

délibération démocratique et de la séparation des pouvoirs, la légitimité de ce privilège parlementaire

ne sera pas contestée à la suite de cette reconnaissance législative3. De surcroît, cette liberté de

parole conférée aux parlementaires a favorisé le renforcement de fonctions aujourd’hui reconnues

comme essentielles aux assemblées législatives, soit l’adoption des projets législatifs et le contrôle

de l’exécutif.

La fondation des États modernes sur le principe de la séparation des pouvoirs a également eu

plusieurs influences au cœur du régime juridique de ceux-ci. Ce principe postule que chaque pouvoir

(exécutif, législatif et judiciaire) doit être distingué afin de maintenir l’équilibre entre ces pouvoirs4. Il a

ainsi justifié qu’une très large autonomie soit conférée aux assemblées parlementaires, qui est mise

en oeuvre, entre autres, par le biais des privilèges parlementaires, dont le privilège de la liberté de

parole.

Ce privilège de la liberté de parole5, soit la protection dont disposent les membres des assemblées

législatives à l’encontre de poursuites judiciaires qui résulteraient d’une opinion ou d’un vote

1 Joseph MAINGOT, Le privilège parlementaire au Canada, 2e éd., Ottawa/Montréal, Chambre des communes/McGill-Queen’s University Press, 1997, p. 27 et suiv. 2 ROYAUME-UNI, Bill of Rights 1688, 1 Will and Mar Sess. 2, c. 2, art. 9. 3 J. MAINGOT, préc., note 1. 4 Koen MUYLLE, « L’autonomie parlementaire à l’abri des droits de l’homme ? », (2010) 83 Rev. trim. dr. h. 705, 706. 5 Pour éviter toute confusion, nous utiliserons dans cette étude les termes « liberté de parole » pour décrire le privilège parlementaire de la liberté de parole, ou l’irresponsabilité parlementaire, à certains égards, dans un objectif d’alléger le texte. Bien que ces mêmes termes puissent également être utilisés par la doctrine pour désigner la liberté d’expression, cette dernière sera ici strictement identifiée par les termes « liberté d’expression ».

2

exprimé6, s’est graduellement répandu dans la majorité des systèmes parlementaires dans le monde,

sous diverses influences7. La liberté de parole du député français a par exemple été consacrée dans

la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen8 de 1789, sous l’impulsion de la Révolution

française. Elle s’est également transposée dans les systèmes parlementaires canadien, australien et

néo-zélandais, par l’héritage colonial au sein de ces États d’un système parlementaire de type

britannique. Selon les données dégagées dans les études de Robert Myttenaere et de Marc Van der

Hulst, la très grande majorité des systèmes parlementaires dans le monde protège aujourd’hui la

liberté de parole des membres de leur Parlement9.

Au Canada, les privilèges parlementaires (dont la liberté de parole) ont été intégrés au Canada par

l’Acte de l’Amérique de Nord britannique, devenue la Loi constitutionnelle de 186710. Leur

incorporation en droit canadien est également prévue dans la Loi sur le Parlement du Canada11.

Diverses lois provinciales ou territoriales portant sur l’organisation des assemblées législatives les

incorporent également en droit provincial12. Cependant, depuis l’arrêt-clé New Brunswick

Broadcasting c. Nouvelle-Écosse13, certains de ces privilèges, les privilèges parlementaires

inhérents, dont fait partie la liberté de parole14, se voient également conférer au niveau provincial un

statut constitutionnel en vertu du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867.

Au Canada, les privilèges parlementaires, particulièrement celui de la liberté de parole, ont été peu

confrontés à l’épreuve des tribunaux avant l’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et

libertés (ci-après Charte canadienne)15. Avant 1982, les principales décisions relatives aux privilèges

6 Robert MYTTENAERE, « The immunities of members of parliament », (1998) Constitutional and Parliamentary Information 100, 102. 7 Marc VAN DER HULST, Le mandat parlementaire. Étude comparative mondiale, Genève, Union interparlementaire, 2000, p.70. 8 FRANCE, Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789. 9 R. MYTTENAERE, préc., note 6 ; M. VAN DER HULST, préc., note 7. 10 Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., R.-U., c. 3, préambule et art. 18. 11 Loi sur le Parlement du Canada, LRC 1985, c. P-1, art. 5. 12 Loi sur l’Assemblée nationale, RLRQ, c. A-23.1, art. 42 et suiv. (Québec); Loi sur l’Assemblée législative, LRO 1990, c. L.10, art. 36 et suiv. (Ontario); Loi sur l’assemblée législative, LRN-B 1973, c. L 3, art. 1 (Nouveau-Brunswick); Loi sur l’assemblée législative, c L110, art. 44 et suiv. (Manitoba); Loi de 2007 sur l’assemblée législative et le Conseil exécutif, LS 2007, c. L-11.3, art. 28 et suiv. (Saskatchewan); Loi sur l’assemblée législative, LRY 2002, c. 136, art. 33 (Yukon); Loi sur l’assemblée législative et le conseil exécutif, LTN-O 1999, c. 22, art. 12.1 et suiv. (Territoires du Nord-Ouest); Loi sur les assemblées législatives et le conseil exécutif, LNun 2002, c. 5, art. 19 et suiv. (Nunavut). 13 New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319 (ci-après « NB Broadcasting »). 14 Id., 385. 15 Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11].

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ont généralement été prises au sein même des assemblées législatives16. Toutefois, avec l’arrivée de

nouveaux instruments de protection des droits et libertés individuels tant au Canada que dans les

pays occidentaux à la suite de la Seconde Guerre mondiale, le statut et le rôle des privilèges

parlementaires sont réévalués, et ce, en raison des importantes transformations au sein de ces

ordres juridiques.

En effet, depuis une trentaine d’années pour le Canada, mais de façon bien antérieure dans de

nombreux endroits à travers le monde, le privilège parlementaire se voit confronté aux droits et

libertés fondamentaux. L’adoption de la Charte canadienne a eu pour effet en droit canadien de

constitutionnaliser tous les droits et libertés qui s’y retrouvent inscrits. Cette nouvelle reconnaissance

de droits a ainsi généré de nouveaux litiges judiciaires impliquant les privilèges parlementaires17.

Malgré la multiplication des tensions entre Charte canadienne et privilèges, peu de solutions

semblent avoir été dégagées par les tribunaux aux problèmes opposant les droits et libertés de la

personne, d’un côté, et les privilèges parlementaires, de l’autre. Fidèles à leur tradition de retenue

judiciaire dans ce domaine18, les tribunaux canadiens ont donné aux privilèges parlementaires une

application et une interprétation prudente devant les droits protégés par les instruments de protection

des droits fondamentaux des citoyens. Pour les tribunaux, les privilèges bénéficient dans les

systèmes parlementaires issus de la tradition britannique d’un statut unique, incarnant la séparation

des pouvoirs et le principe de l’indépendance législative. Ils constituent au Canada l’un des rares

régimes d’exclusion de l’application du droit commun. Ils dérogent en ce sens au principe de la

primauté du droit et à la suprématie des droits et libertés de la personne. Ces privilèges conférés aux

assemblées et à leurs membres se justifient aujourd’hui par la nécessité de protéger les processus

délibératif et législatif de toute ingérence extérieure.

16 Entre autres, voir CANADA, Débats de la Chambre des communes, 2e sess., 33e légis., 5 mai 1987, « Question de

privilège » p. 5765‑5766 (M. le Président) ; CANADA, Débats de la Chambre des communes, 1ere sess., 35e légis.,

30 septembre 1994, « Recours au Règlement», p. 6371 (Le Président) ; QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats, 2e sess., 35e légis.,13 novembre 1997, « Décision du président », p. 8433-8435 (Le Président) ; QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats, 2e sess., 35e légis.,10 juin 1998, « Décision du président », p. 11815-11817 (Le Président). 17 Depuis 1982, trois arrêts-clés ont été rendus en droit canadien concernant les privilèges parlementaires : l’arrêt NB Broadcasting, préc., note 13, l’arrêt Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876 (ci-après « Harvey »], et l’arrêt Canada (Chambre des communes) c. Vaid, [2005] 1 R.C.S. 667 (ci-après « Vaid »). 18 NB Broadcasting, préc., note 13, 372.

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Les parlementaires ne se trouvant plus dans une situation aussi vulnérable qu’en 1689, les risques

d’abus de cette immunité absolue sont beaucoup plus importants aujourd’hui qu’au moment de la

formation de ces privilèges. En effet, parmi d’autres phénomènes, les médias scrutent assidument

leurs déclarations controversées alors que dans le même temps, la retranscription des débats

parlementaires est désormais accessible à tous via Internet quelques minutes suivant leur tenue.

Cette surmédiatisation et cette accessibilité accrue des débats parlementaires favorise l’atteinte à la

réputation d’un citoyen, puisque la diffusion des propos des parlementaires est démultipliée. Dans ce

contexte, sont survenus, tant au Canada qu’à l’étranger, des litiges opposant directement ces deux

notions, et qui ont démontré les difficultés auxquelles étaient confrontés les tribunaux lorsqu’amenés

à les concilier. Au Canada, ce conflit s’illustre concrètement avec l’affaire Michaud, survenue au

début des années 2000. Dans cette affaire, un citoyen avait fait l’objet d’une motion à l’Assemblée

nationale du Québec visant à blâmer certains propos qu’il avait tenus. Ce dernier a tenté de faire

valoir son droit à la réputation devant les tribunaux québécois, mais ce, sans succès19. Le tribunal

avait alors statué que le privilège parlementaire de la liberté de parole, exprimé collectivement par la

motion de l’Assemblée, devait recevoir préséance sur les droits invoqués de ce citoyen dans le

traitement de la Cour supérieure et de la Cour d’appel.

Un second cas ayant permis de constater l’existence de ce conflit normatif est l’affaire A. c.

Royaume-Uni, portée devant la Cour européenne des droits de l’homme20. Dans cette affaire, un

député de la Chambre des communes britannique avait exprimé des propos fort péjoratifs à

l’encontre d’une femme résidente de sa circonscription électorale. En raison des propos tenus par le

député, celle-ci a été victime d’intimidation et a dû être relogée. La femme a tenté d’obtenir justice

devant les tribunaux anglais, mais tous ont décliné l’affaire, en raison du privilège parlementaire de la

liberté de parole. La Cour, finalement saisie du litige quelques années plus tard, a elle aussi exprimé

la nécessité de préserver le privilège parlementaire de la liberté de parole, un principe essentiel au

maintien de la séparation des pouvoirs et à la protection de la liberté d’expression au Parlement21.

Cependant, cette interprétation de la Cour européenne des droits de l’homme se fait aussi au

détriment du droit à la réputation de la victime des propos du député.

19 Michaud c. Assemblée nationale du Québec (Président), [2005] R.J.Q. 576 (C.S.) ; Michaud c. Bissonnette, [2006] R.J.Q. 1552 (C.A.). 20 A. c. Royaume-Uni, no 35373/97, CEDH 2002-X. 21 Id., § 77.

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Bien que ce phénomène se révèle relativement à l’ensemble des privilèges reconnus aux

assemblées parlementaires et à leurs membres au Canada, le présent projet de recherche se

concentre spécifiquement sur le conflit normatif dégagé entre le privilège de la liberté de parole du

parlementaire et le droit à la dignité et à la réputation des citoyens. Il s’intéresse à la tension

existante entre la protection de la liberté de parole des parlementaires et la protection des droits et

libertés individuels, d’une part, et aux possibilités de faire évoluer le cadre institutionnel et juridique

en matière de privilèges parlementaires afin d’atténuer ces tensions, d’autre part. Il vise entre autres

à dégager des modes de résolution au conflit identifié, afin de rendre le fonctionnement interne des

institutions démocratiques plus en phase avec cette protection consacrée des droits et libertés qui a

largement évolué au cours du dernier siècle. L’institution parlementaire demeure le lieu de

représentation des intérêts du peuple par excellence et cette représentation peut être compatible

avec les droits et libertés des citoyens. La réalité institutionnelle n’est aujourd’hui peut-être plus

exactement ajustée à l’état du droit commun actuellement en vigueur. Le privilège parlementaire crée

deux catégories de citoyens, soit le parlementaire qui peut émettre ses opinions sans risque de

poursuite, et le citoyen qui risque d’être affecté par le débat parlementaire, et qui ne dispose en cette

matière d’aucun accès à la justice. Comment arriver à rétablir l’équilibre entre le privilège

parlementaire de la liberté de parole et le droit au respect de la dignité et de la réputation des

citoyens? Ce projet de recherche vise à résoudre cette question.

À ce jour, la littérature existante s’est peu intéressée à ce sujet. Au Québec et au Canada, de rares

auteurs ont analysé la question de la conciliation de la liberté de parole des parlementaires et des

droits des citoyens, mais en fixant leur analyse sur la perspective strictement canadienne22.

Quelques études comparatives portant sur les immunités parlementaires dans leur ensemble ont

également été réalisées, mais celles-ci n’examinent pas précisément le conflit normatif identifié23.

22 Ariane BEAUREGARD, La protection des droits des non-parlementaires dans le cadre des délibérations des assemblées législatives : la Charte canadienne des droits et libertés, le privilège parlementaire et le contrôle des tribunaux, mémoire de maîtrise, Québec, Faculté des études supérieures, Université Laval, 2011 ; Jean-Philippe DALLAIRE et Simon LAROUCHE, Le privilège parlementaire de la liberté de parole à l’époque de la prédominance des droits individuels : analyse et recommandations, mémoire de stage, Québec, Fondation Jean-Charles-Bonenfant, 2007 ; Colette Mireille LANGLOIS, Parliamentary Privilege : A Relational Approach, mémoire de maîtrise, Toronto, Faculty of Law, University of Toronto, 2009 ; Marc-André ROY, « Le Parlement, les tribunaux et la Charte canadienne des droits et libertés : vers un modèle de privilège parlementaire adapté au XXIe siècle », (2014) 55 C de D. 489. 23 Cécile GUÉRIN-BARGUES, Immunités parlementaires et régime représentatif : l’apport du droit constitutionnel comparé (France, Royaume-Uni, Etats-Unis), coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique », Paris, L.G.D.J., 2011 ; Sascha HARDT, Parliamentary immunity : A Comprehensive Study of the Systems of Parliamentary

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Il nous semble nécessaire dans l’état actuel du droit de chercher des pistes de solutions à ces

confrontations entre liberté de parole et droits et libertés, tant pour la revalorisation des assemblées

parlementaires et de leurs membres que pour assurer la cohésion de l’ordre normatif et le respect de

la primauté du droit. Ce projet de recherche cherche ainsi à aménager ces rapports d’une façon plus

conforme à l’évolution juridique des sociétés.

En guise de considération préalable, il faut préciser que ce projet ne vise pas à remettre en question

le privilège de la liberté de parole. Cette protection de la liberté de parole des députés est toujours

nécessaire pour assurer la pérennité d’une société démocratique et la liberté du débat politique, bien

qu’elle pose des risques pour les droits fondamentaux des tiers. La libre expression politique au sein

des institutions parlementaires constitue toutefois l’un des fondements essentiels du fonctionnement

de la démocratie actuelle sur lequel on ne peut reculer. De plus, la question de la séparation des

pouvoirs est toujours aussi nécessaire pour valoriser les institutions parlementaires et pour éviter que

les tribunaux ne s’ingèrent indûment dans les débats parlementaires et le travail législatif.

Cependant, une meilleure conciliation paraît pouvoir être opérée entre cette liberté de parole absolue

conférée aux parlementaires et les droits et libertés des citoyens protégés par un nombre croissant

de textes juridiques depuis une cinquantaine d’années, et ce, afin d’éviter les potentiels abus pouvant

découler de cette situation.

L’objectif général de ce projet de recherche cherche à déterminer par quels moyens il est possible de

concilier les tensions entre liberté de parole et droit à la dignité et à la réputation. Ces tensions

émanent tant de l’état actuel du droit canadien relativement à ce conflit, qui semble immuable devant

l’inaction des assemblées parlementaires et le refus des tribunaux canadiens de l’aborder

directement, que de la diversité des applications du droit parlementaire au sein des États étrangers.

Pour entamer une réflexion plus poussée au sujet de ce conflit, la question spécifique de recherche

vise à définir quels modes de résolution au conflit existant entre la liberté de parole et le droit à

la dignité et à la réputation peuvent être dégagés de l’étude de l’expérience canadienne et

étrangère et comment ces modes encadrent-ils de façon singulière ce conflit normatif ? Cette

question suppose qu’il existe plusieurs voies de résolution afin de répondre à la problématique

Immunity of the United Kingdom, France, and the Netherlands in a European Context, Cambridge, Intersentia, 2013 ; R. MYTTENAERE, préc., note 6.

7

identifiée. Cette pluralité des moyens provient entre autres du nombre d’acteurs qui détiennent la

capacité d’intervenir sur cette question.

L’expérience étrangère fournit une diversité de modes de résolution au conflit entre privilèges

parlementaires et droits et libertés individuels, entre autres en raison de la pluralité des acteurs

institutionnels desquels une solution peut émaner.

Les modes de résolution aux conflits pouvant survenir entre les privilèges parlementaires et les droits

et libertés individuels sont en effet développés par divers acteurs institutionnels, au niveau

parlementaire, constitutionnel, législatif et judiciaire. Ces différents acteurs jouent un rôle plus ou

moins important dans la hiérarchie des normes. Leurs solutions se trouvent de surcroît à être plus ou

moins contraignantes dans l’ordre juridique selon la partie qui tente de la mettre en oeuvre.

Dans un premier temps, une réponse à la tension entre privilèges parlementaires et droits et libertés

individuels provient des institutions parlementaires elles-mêmes. Ces dernières sont souveraines sur

leur procédure et elles sont les premières à pouvoir mettre en place des mécanismes pour pallier aux

abus que peuvent engendrer la liberté de parole des députés en raison de l’importante autonomie

organisationnelle et institutionnelle dont elles disposent. Une seconde réponse provient des acteurs

externes aux assemblées parlementaires. En effet, le pouvoir législatif, le pouvoir constituant et les

tribunaux sont d’autres organes étatiques qui peuvent encadrer le privilège de la liberté de parole par

des mesures précises adoptées à cet effet. Contrairement aux assemblées parlementaires, qui

disposent d’une importante capacité d’auto-régulation en raison de l’autonomie qui leur est conférée,

le pouvoir législatif et le pouvoir constituant agissent en fonction d’impératifs politiques. Cet

encadrement politique est formalisé par une procédure rigide d’adoption des projets de loi ou

d’amendement constitutitonnel, qui vise à y introduire un processus de discussion contradictoire afin

de rendre les mesures législatives et les amendements constitutionnels conformes au principe

démocratique et à l’État de droit. Même si ces pouvoirs agissent souvent matériellement au sein des

assemblées législatives, ils sont dits « externes aux assemblées parlementaires » en raison de

l’encadrement politique qui sous-tend ces mesures. Les tribunaux, qui doivent obéir aux principes de

l’indépendance judiciaire et de la séparation des pouvoirs, constituent, pour leur part, des lieux de

décision qui se veulent substantiellement détachés des assemblées parlementaires. Il apparaît donc

logique de les présenter comme un acteur externe aux assemblées.

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La stratégie de recherche préconisée vise à comparer des modes de résolution retenus par certains

États au conflit entre les privilèges et immunités parlementaires et le droit à la dignité et à la

réputation. En mobilisant une approche comparative du droit, ce projet utilise une grille d’analyse des

modes de résolution des conflits qui oppose la demande croissante de protection des droits et

libertés individuels par les citoyens et la vision historiciste des immunités parlementaires. Cette grille

de lecture consiste en une évaluation des modes de résolution identifiés par une analyse en six

étapes. Cette grille se trouve décrite plus en détail à la fin de la présente section introductive.

Après avoir observé la situation existant en droit constitutionnel canadien, les modes de résolution

des conflits entre privilèges et droits et libertés fondamentaux seront dégagés dans diverses sources

du droit parlementaire étranger. Les études de cas pourront être retrouvées tant dans le corpus de

droit parlementaire produit par les institutions, que dans certains documents de nature législative ou

constitutionnelle. Un dernier cas d’étude permet finalement de dégager des pistes de réflexion visant

à renouveler le test jurisprudentiel utilisé majoritairement par les tribunaux canadiens.

Afin de répondre à la question de recherche, nous retiendrons plusieurs cas, des modes de

résolution, qui émanent de différents États. La sélection des cas d’étude a été réalisée selon le

principe du « most different cases »24. En effet, bien que tous les États retenus partagent une

conception très similaire du privilège de la liberté de parole, ils ont recours à des modes de résolution

du conflit entre privilège et droits et libertés fondamentaux fort variés. Nous avons ainsi retenu les

modes de résolution qui étaient les plus différents dans leur fonctionnement et qui pouvaient parfois

être partagés par plusieurs États. Les modes retenus varient selon leurs auteurs et selon leur degré

de résolution. Il s’agit du droit de réplique (Australie), du droit de pétitionner (Royaume-Uni), des

règles disciplinaires (Royaume-Uni/France), de l’exclusion constitutionnelle des injures diffamatoires

(Allemagne), de la levée du privilège parlementaire par voie législative (Royaume-Uni), et finalement,

l’interprétation judiciaire contextuelle (Canada). Ce dernier mode de résolution n’est pas actuellement

en vigueur, mais constitue plutôt une proposition d’adaptation du test de nécessité opéré par les

tribunaux canadiens.

Puisque le conflit normatif ciblé en droit constitutionnel canadien est également partagé par d’autres

systèmes parlementaires, à divers degrés, l’exploration des modes de résolution développés par les

24 Ran HIRSCHL, « The Question of Case Selection in Comparative Constitutional Law », (2003) 55 Am. J. Comp. L. 125, 139.

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États étrangers permet de développer une analyse compréhensive du conflit normatif identifié et une

approche plus critique face à la situation canadienne25. Cette approche permet de s’intéresser aux

divers instruments juridiques qui ont défini les immunités conférées aux institutions parlementaires

dans certains États. Ces États relèvent de traditions juridiques différentes et n’ont pas connu la

même évolution que le Canada. L’approche de droit comparé exige également de s’ouvrir à d’autres

modèles que le modèle britannique du privilège parlementaire développé depuis la mise en place du

parlementarisme au Canada et à poser un nouveau regard compréhensif sur les privilèges

parlementaires. Ce projet de recherche vise ainsi à compléter et enrichir l’interprétation actuelle du

privilège de la liberté de parole en droit canadien.

Afin de procéder à une analyse compréhensive des modes de résolution identifiés, ce projet de

recherche s’articule autour de deux parties. Dans un premier temps, est exposé le conflit entre

privilège de la liberté de parole et droit à la dignité et à la réputation lui-même ainsi que les deux

principales conceptions de la liberté de parole en droit parlementaire; dans la seconde partie, les

modes de résolution retenus sont décrits et analysés en détail. La première partie de cette étude

détaille le conflit normatif qui constitue le fondement de la présente étude. Il en précisera tout d’abord

les composantes, soit le privilège de la liberté de parole et le droit à la dignité et à la réputation. Ces

deux notions feront l’objet d’une analyse détaillée. La seconde partie présente les modes de

résolution retenus dans le droit étranger et canadien, et examine ceux-ci en détail. Une grille

d’analyse spécifique est appliquée à chacun des modes détaillés.

Le recours au droit comparé et à des cas d’études issus de divers systèmes juridiques n’implique pas

de recourir uniquement à des solutions que l’on pourrait qualifier d’équivalentes. Afin de procéder à

une étude comparative des modes de résolution portant sur des concepts similaires et afin de faciliter

leur analyse, une grille de traitement composée de six étapes est appliquée à chacun d’entre eux. En

premier lieu, une description fonctionnelle et procédurale du mécanisme identifié est effectuée.

Deuxièmement, lorsque jugé pertinent, quelques notions historiques sont apportées, afin de mieux

saisir la contingence de ce mode de résolution et son rôle dans l’évolution du droit parlementaire

local. Dans un troisième temps, est examinée la question de savoir qui détient la possibilité de se

saisir du mode de résolution. En d’autres mots, qui dispose de l’intérêt pour agir quant à ce

25 Michel ROSENFELD et Andras SAJO, « Introduction », dans Michel ROSENFELD et Andras SAJO (éd.), The Oxford Handbook of Comparative Constitutional Law, Oxford, Oxford University Press, 2012, p.1 ; Horatia MUIR-WATT, « La fonction subversive du droit comparé », (2000) 52-3 Revue internationale de droit comparé 503.

10

mécanisme? Quatrièmement, le type de réparation pouvant être offert par le mode de résolution

retenu est détaillé. Dans ce contexte, la réparation est définie comme un processus général

d’indemnisation des victimes26. En guise de cinquième étape, la mise en oeuvre du mode de

résolution au sein du système juridique ou parlementaire et interne est considérée. Cette section vise

précisément à comprendre juridiquement de quelle façon ce mode de résolution a pu être mis en

place, d’un point de vue interne au système juridique ou parlementaire dont il émane. Cette analyse

du mode de résolution se termine sur une discussion sur son influence extérieure et sur les

principales critiques qu’il est possible de formuler à l’encontre de ce processus. Cette grille d’analyse

descriptive est appliquée aux cinq modes de résolution tirés du droit parlementaire étranger. Le

dernier mode de résolution, une proposition de réforme du critère de nécessité appliqué par les

tribunaux canadiens, est présenté, quant à lui, selon un modèle d’analyse de nature prescriptive qui

lui est propre. Tout d’abord, le fonctionnement du critère de nécessité est explicité. Ensuite, des

pistes de réformes à ce schème interprétatif judiciaire sont proposées et finalement, les effets

bénéfiques d’une telle réforme sont analysés.

26 Ce sens actuel de la réparation, qui ne semble pas avoir besoin d’identifier de responsable, est en opposition avec le sens classique de la réparation, indissociable de la notion de responsabilité. Voir en ce sens, Grégoire BIGOT, « Réparation » dans Denis ALLAND et Stéphane RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, p.1331 à 1335.

11

Partie 1 – La liberté de parole du parlementaire :

conflits pratiques et conceptions théoriques

Le privilège parlementaire de la liberté de parole est amené à évoluer aujourd’hui dans un contexte

particulier. En raison de la reconnaissance des droits fondamentaux, ses fondements juridiques sont

remis en question. De plus, la réalité politique, sociale et médiatique actuelle au sein de laquelle il

évolue est marquée par plusieurs transformations, dont une surmédiatisation des travaux

parlementaires, l’imposition de nouveaux standards éthiques et déontologiques aux parlementaires

et un appel à leur responsabilisation. La multiplication des instruments de protection des droits

fondamentaux sous-tend également les problèmes dégagés par les tribunaux relativement à

l’applicabilité des lois au Parlement. En effet, la promotion de nouveaux droits auxquels sont

confrontés les privilèges renvoie à ces rapports déjà ambigüs entre droit commun et assemblées

parlementaires.

Plus particulièrement, le droit à la dignité et à la réputation, inclus de façon directe ou implicite dans

la majorité des textes protégeant les droits fondamentaux, est au centre du conflit normatif qui fait

l’objet de cette étude. Ce droit individuel entretient des rapports spécifiques avec la liberté

d’expression et cette dernière est essentielle au déroulement des travaux parlementaires. Toutefois,

au carrefour où se heurtent le droit à la dignité et de la liberté d’expression se trouve la diffamation,

un concept qui n’est pas étranger aux travaux parlementaires.

En effet, la confrontation entre le privilège de la liberté de parole, qui assure la liberté d’expression

des parlementaires, et le droit à la dignité et à la réputation des citoyens est réelle et ce, tant en droit

canadien qu’étranger. Dans sa version canadienne, ce conflit peut être identifié dans les affaires

Michaud et Wong, qui ont défrayé la manchette au cours des dernières années. De surcroît, la Cour

suprême canadienne semble entretenir un double discours lorsqu’elle a été amenée à pondérer les

privilèges parlementaires et les droits et libertés fondamentaux. Ces situations mènent ainsi à un

besoin de considérer des modes de résolution externes aux tribunaux afin solutionner l’impasse

constitutionnelle et interprétative dégagée en droit canadien. Dans la version européenne, la Cour

européenne des droits de l’homme, un tribunal spécialisé en matière de droits de la personne, a été

amenée à analyser ce conflit entre la liberté de parole et le droit à la dignité dans les arrêts A. c.

12

Royaume-Uni27 et Cordova c. Italie (No. 2)28. Cette Cour, ayant dégagé plusieurs enseignements en

matière de liberté d’expression politique, a posé un regard particulier sur les privilèges

parlementaires en relation avec les droits de la personne.

Pour saisir les dimensions étrangères du conflit qui oppose la liberté de parole et le droit à la dignité

et à la réputation, il faut s’attarder aux deux conceptions dominantes de la liberté de parole des

parlementaires qui sont aujourd’hui intégrées dans les démocraties libérales et qui constituent des

équivalences fonctionnelles. Il y a tout d’abord la conception britannique de la liberté de parole,

héritée en partie du Bill of Rights de 1689. L’histoire de ce principe juridique est un enjeu central

dans l’établissement de la démocratie parlementaire moderne. Plusieurs systèmes parlementaires

sont aujourd’hui dotés de privilèges hérités du Royaume-Uni29. Il y a également la conception

française de la liberté de parole du parlementaire, appelée irresponsabilité parlementaire. Ses

origines historiques, en lien avec la Révolution française de 1789, sont aussi essentielles à sa

compréhension. La conception française de l’irresponsabilité a été reprise pour sa part dans une

grande proportion d’États d’Europe continentale30.

27 A c. Royaume-Uni, préc., note 20. 28 Cordova c. Italie (No 2), no 45649/99, CEDH 2003-I. 29 M. VAN DER HULST, préc., note 7, p.72. Il s’agit principalement du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, et de l’Inde. 30 Id., p.71.

13

Chapitre 1 – Du conflit entre la liberté de parole du député

et le droit à la dignité et à la réputation

Avant d’analyser directement les modes de résolution aux conflits normatifs identifiés, il apparaît

nécessaire de présenter les tenants et aboutissants de ce conflit. Il s’agit plus particulièrement de

prendre acte de ses éléments constitutifs, afin de saisir ses origines et le contexte juridique, politique

et social dans lequel il évolue. Pour ce faire, une analyse en deux temps permet d’opposer le

privilège parlementaire de la liberté de parole, d’une part, et le droit à la dignité et à la réputation,

d’autre part. Ce dernier est inclus directement ou implicitement dans le contenu de nombreux

instruments de protection des droits fondamentaux. À cela s’ajoute des illustrations du conflit entre

liberté de parole et droit à la dignité et à la réputation, et ce, afin de saisir ses résurgences tant

canadiennes qu’étrangères.

1.1 La protection de la liberté de parole des parlementaires

Afin de procéder à une analyse compréhensive des modes de résolution au conflit existant entre

privilèges parlementaires et droits et libertés fondamentaux, il appert essentiel d’examiner le paysage

institutionnel dans lequel évolue la liberté de parole du parlementaire au Canada.

Dans un premier temps, le fonctionnement particulier des privilèges parlementaires dans le système

constitutionnel canadien doit être détaillé afin de faciliter la compréhension de cette construction

juridique. Cette étude visant particulièrement le privilège de la liberté de parole, ses fondements

juridiques et les récents jugements rendus par les tribunaux canadiens en cette matière sont

examinés ensuite présentés afin de compléter ce bref portrait des privilèges parlementaires au

Canada.

Afin de fournir un portrait plus complet de la réalité contemporaine du privilège de la liberté de parole,

le contexte parlementaire et politique contemporain dans lequel il évolue est présenté dans un

deuxième temps. Les décisions parlementaires visant à responsabiliser les parlementaires, la

pression médiatique croissante qui pèse sur les parlementaires ainsi que les appels répétés des

spécialistes ou de la société civile pour une responsabilisation accrue des titulaires de charges

publiques sont diverses influences qui permettent de conclure que depuis l’instauration de la liberté

14

de parole en 1689 au Royaume-Uni, le contexte socio-politique et institutionnel dans lequel ce

privilège doit être mis en oeuvre a fortement changé.

1.1.1 La liberté de parole des parlementaires : le contexte juridique

Les privilèges et immunités parlementaires qui sont partie du droit parlementaire et constitutionnel

canadien permettent à une assemblée législative et à ses députés d’exercer les fonctions qui leur

sont dévolues sans entraves31. La définition qu’en fait Erskine May fait autorité auprès des tribunaux

et des spécialistes32 :

« Le privilège parlementaire est la somme des droits particuliers à chaque chambre, collectivement, […] et aux membres de chaque chambre individuellement, faute desquels il leur serait impossible de s’acquitter de leurs fonctions. Ces droits dépassent ceux dont sont investis d’autres organismes ou particuliers. On est donc fondé à affirmer que, bien qu’il s’insère dans l’ensemble des lois, le privilège n’en constitue pas moins, en quelque sorte, une dérogation au droit commun33. »

Sa compréhension est ainsi liée au fonctionnement de l’institution parlementaire, et à l’agencement

des pouvoirs au sein du système constitutionnel canadien.

Les privilèges parlementaires au Canada

Bien que les membres des premières assemblées législatives coloniales canadiennes disposaient

déjà de certaines immunités34 jugées nécessaires à l’exercice de leurs fonctions35, les parlementaires

canadiens bénéficient de la protection que leur offrent les privilèges parlementaires depuis

l’instauration des institutions politiques modernes au Canada en 1867. En effet, le préambule de la

Loi constitutionnelle de 1867 stipule expressément que la Constitution canadienne repose « sur les

mêmes principes que celle du Royaume-Uni36 ». Cette référence aux principes du Royaume-Uni

implique que le fonctionnement du système parlementaire canadien soit calqué sur le système

parlementaire en vigueur au Royaume-Uni. Ainsi, au moment de la création des institutions politiques

modernes, les assemblées législatives canadiennes ont hérité des privilèges parlementaires dont

31 Audrey O’BRIEN et Marc BOSC, La procédure et les usages de la Chambre des communes, 2e éd., Ottawa/Montréal, Chambre des communes/Éditions Yvon Blais, 2009, p.59. 32 Id., p. 60 ; J. MAINGOT, préc., note 1, p.12; NB Broadcasting, préc., note 13, p.379. 33 William McKAY (dir.), Erskine May's treatise on the law, privileges, proceedings and usage of Parliament, 23e éd., London, LexisNexis, 2004, p. 75, traduction dans A. O’BRIEN et M. BOSC, préc., note 31, p.60. 34 J. MAINGOT, préc., note 1, p.3. 35 Kielley c. Carson, (1842) 4 Moo. P.C. 63, 13 E.R. 225. 36 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 10, préambule.

15

jouissent les chambres du Parlement du Royaume-Uni et leurs membres. De plus, l’article 18 de la

Loi constitutionnelle de 186737 stipule que le Parlement du Canada peut légiférer en matière de

privilèges, mais ne peut se donner aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs qui excèdent ceux

possédés par la Chambre des communes du Royaume-Uni en 187538. Conformément à cette règle,

la Loi sur le Parlement du Canada39 énonce clairement à son article 4 que les privilèges et immunités

dont disposent le Sénat et la Chambre des communes sont ceux dont disposaient la Chambre des

communes britannique en 1867.

Les principaux privilèges parlementaires reconnus aujourd’hui aux assemblées législatives

canadiennes sont ainsi les mêmes qui étaient reconnus à l’époque à la Chambre des communes du

Royaume-Uni. Il est possible de les diviser en deux principales catégories : les privilèges

« individuels », rattachés à la personne du député, et les privilèges « collectifs », rattachés à la

Chambre comme entité. Les privilèges individuels reconnus aux députés à la Chambre des

communes et au Sénat canadiens sont les suivants : la liberté de parole; l’immunité d’arrestation

dans les affaires civiles; l’exemption de l’obligation de faire partie d’un jury et l’exemption de

l’assignation à comparaître comme témoin40. Les privilèges collectifs reconnus aux Chambres, quant

à eux, sont : le droit de réprimer l’outrage fait au Parlement, le droit de prescrire leur propre

constitution, et le droit de réglementer leurs affaires internes sans ingérence extérieure. Ce dernier

privilège inclut le droit de prendre des mesures disciplinaires contre leurs membres, le droit de

convoquer des témoins ou de requérir des documents et le droit d’établir leurs propres règles de

procédure41.

37 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 10, art. 18 : « Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada; mais de manière à ce qu’aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoirs ne donnera aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de l’adoption de l’acte en question, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande et par les membres de cette Chambre. » Il est à noter que l’article 18 original de la Loi constitutionnelle de 1867 a été modifié par la Loi de 1875 sur le Parlement du Canada, 38 & 39 Vict., R.-U., c. 38. 38 Bien que les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 ne font pas explicitement référence aux assemblées législatives des provinces, le Comité judiciaire du Conseil privé a confirmé en 1896 dans l’arrêt Fielding c. Thomas que cette situation prévalait également au sein des assemblées législatives provinciales ; Fielding c. Thomas, [1896] A.C. 600. 39 Loi sur le Parlement du Canada, préc., note 11. 40 J. MAINGOT, préc., note 1, p.15. 41 Id.

16

Le traitement judiciaire des privilèges parlementaires

Les privilèges parlementaires font l’objet d’une jurisprudence plus que parcimonieuse de la part des

tribunaux canadiens. Depuis l’adoption de la Charte canadienne, il y a un peu plus de 30 ans, la Cour

suprême du Canada ne s’est prononcée qu’à trois reprises sur le sujet, dans des arrêts ainsi

devenus incontournables en droit parlementaire canadien : New Brunswick Broadcasting Co. c.

Nouvelle-Écosse42, Harvey c. Nouveau-Brunswick (P.G.)43 et Canada (Chambre des communes) c.

Vaid44. Ces trois arrêts ont confronté l’économie des privilèges parlementaires au sein du nouvel

ordre constitutionnel canadien. Le premier de ces trois arrêts, rendu en 1993, a joué un grand rôle à

cet effet, puisqu’il a confirmé le statut constitutionnel des privilèges, traditionnellement jugés

nécessaires au bon fonctionnement des assemblées législatives45. Les deux arrêts suivants ont

renforcé l’idée qu’une fois que la Cour avait statué sur la « nécessité » du privilège réclamé aux fins

d’assurer les fonctions constitutionnelles du Parlement, il est ensuite impossible pour les tribunaux

d’en contrôler l’exercice46.

Ces arrêts ont également permis de déterminer qu’au Canada, les privilèges parlementaires et les

droits et libertés fondamentaux inclus dans la Charte canadienne disposent tous deux d’un statut

constitutionnel. Dès qu’un privilège est considéré comme « nécessaire » pour l’assemblée législative,

l’assemblée législative agit dans le cadre de ses pouvoirs constitutionnels47. Ce privilège ne saurait

donc être limité par une autre section de la Constitution, en l’occurrence les droits et libertés de la

Charte canadienne. Ces arrêts constituent ainsi des manifestations explicites du conflit normatif

existant au Canada entre droits et libertés et privilèges parlementaires. L’analyse de la Cour relative

à ce conflit est précisée dans une section ultérieure de ce chapitre48, et le test de nécessité

développé par la Cour suprême afin de le réguler est abordé plus longuement dans la seconde partie

de cette étude49.

Les rares arrêts de la Cour suprême constituent également une manifestation de l’importance du

droit parlementaire comparé pour les assemblées législatives et les tribunaux canadiens en matière

42 NB Broadcasting, préc., note 13. 43 Harvey, préc., note 17. 44 Vaid, préc., note 17. 45 NB Broadcasting, préc., note 13, 374 et 375. 46 Vaid, préc., note 17, 697-700. 47 NB Broadcasting, préc., note 13, 393. 48 Infra, p.34. 49 Infra, p.130.

17

de privièges parlementaires. La plus haute cour du pays a eu largement recours à la jurisprudence

étrangère sur les privilèges pour étayer son argumentaire. En effet, au Royaume-Uni, le critère de la

nécessité a été historiquement considéré comme déterminant50. En se justifiant sur le préambule de

la Loi constitutionnelle de 186751, la Cour suprême a recours à ce critère développé dans la

jurisprudence britannique pour l’appliquer à l’étendue des privilèges parlementaires au Canada. Une

très grande similitude dans le fonctionnement des systèmes parlementaires d’héritage britannique

explique l’importante perméabilité des solutions utilisées afin de répondre à un problème particulier

en matière de procédure et de privilèges parlementaires. Il ressort de cette proximité institutionnelle

une tendance naturelle à recourir au droit parlementaire comparé, tant pour les tribunaux que pour

les assemblées parlementaires. Toutefois, au-delà de ces similitudes, un privilège particulier est

conçu de façon quasi universelle à travers les systèmes parlementaires, soit le privilège

parlementaire de la liberté de parole52. Avant d’insister sur sa dimension comparative, il s’agit

toutefois dans un premier temps d’en présenter l’usage dans le système constitutionnel canadien.

Le privilège parlementaire de la liberté de parole au Canada

Le privilège de la liberté de parole consiste en une immunité de poursuites pour les propos tenus lors

des délibérations parlementaires. Au Canada, ce privilège est accordé aux membres du Parlement,

ainsi qu’aux personnes invitées à témoigner devant la Chambre ou ses comités53.

Bien que la protection de certains privilèges parlementaires au Canada ait fait l’objet de débats, celle

de la liberté de parole semble avoir été l’objet d’un nombre très restreint de litiges, du moins quant à

son essence. Elle est considérée comme l’un des privilèges les plus importants pour le

fonctionnement des institutions parlementaires. Elle est liée aux droits de la population dont les

membres du Parlement sont les représentants54. Elle permet en effet aux élus de s’exprimer sans

restriction et leur accorde le droit de dévoiler et de dénoncer les abus, ce qui est l’assurance d’une

vie démocratique saine55. Les propos des juges majoritaires de la Cour suprême dans l’arrêt New

Brunswick Broadcasting quant à l’importance de ce privilège sont sans équivoque : « La nécessité de

50 Stockdale c. Hansard, [1839] 9 Ad. & E. 1, 112 E.R. 1112, 1169. 51 NB Broadcasting, préc., note 13, 378. 52 M. VAN DER HULST, préc., note 7, p.72. 53 J. MAINGOT, préc., note 1, p.37. 54 Id., p.26. 55 Landers c. Woodworth, [1878] 2 R.C.S. 158, 197 et 198, traduit dans J. MAINGOT, préc., note 1, p.26.

18

la liberté de parole est tellement évidente qu’elle se passe de commentaires56 ». En raison de ce

caractère essentiel, la liberté de parole se voit reconnaître peu d’exceptions57.

Le principal écueil de la liberté de parole dans les assemblées parlementaires de type britannique est

qu’il existe un risque pour les membres du Parlement d’abuser de cette liberté, et ce, sans porter

atteinte aux privilèges de la Chambre :

« Members are protected by Privilege, the House has always been jealous to see that that Privilege is not abused. But to abuse Privilege is not in itself to commit a breach of the Privilege of this House, and it has never been so regarded, although the House has, from time to time, punished Members for offensive words spoken before the House58. »

Bien que l’abus de sa liberté de parole ne constitue pas une atteinte à la Chambre ou un outrage au

Parlement, il s’agit toutefois d’une situation qui impose considération59. En raison du contexte

politique qui entoure les débats parlementaires, et de l’importance qui est accordée aux propos que

tiennent les membres du Parlement, les abus de parole ont possiblement plus d’effets néfastes au

XXIe siècle qu’à l’époque de l’émergence de ce privilège.

1.1.2 La liberté de parole des parlementaires : le contexte médiatique,

social et politique

En raison des privilèges parlementaires, un contexte juridique singulier entoure le travail des

assemblées législatives. Cette réalité déjà distincte du reste des institutions publiques se dédouble

en raison d’une situation sociale et politique unique, le Parlement constituant l’incarnation du principe

démocratique au sein de l’État. De ce fait, une attention majorée est portée sur les discussions qui

s’y déroulent et, de façon corollaire, envers les agissements des membres qui composent cette

institution législative. Les défis qui marquent l’usage contemporain de la liberté de parole des

parlementaires ainsi sont ainsi démultipliés.

Les agissements des représentants de l’État font en effet aujourd’hui l’objet d’une surveillance

médiatique sans précédent, qui s’est accentuée au cours des dernières années avec l’apparition des

médias sociaux. En lien avec cette attention permanente qui leur est portée, des appels répétés à 56 NB Broadcasting, préc., note 13, 385. 57 La plupart des exceptions à la liberté de parole au Canada concernent des propos prononcés à l’extérieur de l’enceinte parlementaire ou les retranscriptions des débats parlementaires. Voir J. MAINGOT, préc., note 1, p. 25 et suiv. 58 ROYAUME-UNI, House of Commons Parliamentary Debates (Hansard), 16 November 1960, « Complaint of privilege », p. 385 (Mr. Speaker). 59 Id., p.386 ; CANADA, Débats de la Chambre des communes, 5 mai 1987, préc., note 16, p. 5765‑ 5766.

19

une éthique irréprochable et une responsabilité accrue sont adressés aux titulaires de charges

publiques au sein de l’État, y compris les membres du Parlement. Cette responsabilisation a en effet

aujourd’hui gagné les assemblées législatives ainsi que leur procédures internes. Au XXIe siècle, la

liberté de parole du député ne s’exerce donc plus dans le même paysage médiatique, social et

politique que celui dans lequel s’inscrivaient les délibérations des députés britanniques à l’époque du

Bill of Rights.

Une pression médiatique sur les parlementaires

Au Royaume-Uni, jusqu’au XIXe siècle, répéter des propos tenus au Parlement constituait un

outrage60. Les débats parlementaires avaient en effet à l’époque une teneur confidentielle qui a

aujourd’hui largement disparu. Aujourd’hui, les débats sont publics et accessibles, et les citoyens

sont même invités à y assister en personne dans les tribunes des assemblées parlementaires.

Non seulement le contenu des débats parlementaires n’est-il plus confidentiel, il est aujourd’hui

surexposé61. Les médias de toutes sortes vont relayer en direct l’information qui émane de

l’assemblée parlementaire. En raison de la vocation démocratique et représentative de l’institution,

les échanges des membres du Parlement vont recevoir une couverture continue, que ce soit par le

biais des médias traditionnels, ou des médias de l’institution elle-même. La tendance générale

encourage de surcroît à plus de transparence dans la gestion des affaires publiques, ainsi qu’à des

gouvernements dits « ouverts »62. La très forte publicité accordée aux débats parlementaires par les

médias s’inscrit dans cette tendance.

Les médias, et particulièrement les médias sociaux, rendent donc aujourd’hui plus difficile la

protection de l’image d’une personne ou d’une institution. Ceci peut être au détriment de celle du

Parlement et de ses membres, mais également au détriment des tiers qui pourraient faire l’objet des

débats parlementaires. Une attaque diffamatoire peut avoir aujourd’hui un effet « boule de neige » en

raison de la multiplication des médias et de la facilité de diffusion de propos ou d’actes litigieux63.

60 J. MAINGOT, préc., note 1, p. 25, note 4. 61 Beccy ALLEN, Joel BLACKWELL, Luke BOGA-MITCHELL et al., #futurenews. The Communication of Parliamentary Democracy in a Digital World, London, Hansard Society, 2013, p.31 et suiv. 62 Archon FUNG et David WEIL, « Open Government and Open Society », dans Daniel LATHROP et Laurel RUMA (dir.), Open Government, Collaboration, Transparency and Participation in Practice, Sebastopol, O’Reilly, 2010, p.105. 63 Charles ROBERT et Vince MacNEIL, « Shield or Sword? Parliamentary Privilege, Charter Rights and the Rule of Law » (2007) 75 The Table 17, 28.

20

Dans les assemblées parlementaires de type britannique, une transcription intégrale des débats

parlementaires dans les médias est par ailleurs protégée de façon absolue en raison du privilège de

la liberté de parole64. Un compte rendu « juste et fidèle » des débats parlementaires est couvert par

un privilège limité, mais est toutefois à l’abri des accusations en diffamation, puisque l’intention

délictuelle liée aux propos diffamatoires peut être réfutée65. Pour le député, la publication à plus large

échelle de ses propos tenus lors des débats parlementaires n’a donc aucune influence sur l’immunité

dont il dispose, qui demeure entière66.

Des appels à une éthique irréprochable

Bien que l’intérêt public commande aujourd’hui selon certains les dérogations au droit commun

qu’impliquent les immunités parlementaires67, d’autres standards extérieurs s’imposent également à

une assemblée législative. Une tendance récente vise à imposer aux membres des assemblées le

respect de règles éthiques et déontologiques dans l’exécution de leurs fonctions parlementaires.

En 2004, des modifications apportées à la Loi sur le Parlement du Canada68 ont mis en place le

cadre légal permettant de fixer des balises à la conduite des membres des deux assemblées

fédérales : mise en place d’un conseiller sénatorial en éthique et d’un commissaire à l’éthique à la

Chambre des communes (aujourd’hui devenu le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique). Le

Code régissant les conflits d’intérêts des députés69 s’applique aujourd’hui aux 308 députés de la

Chambre des communes, tandis que le Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des

sénateurs70 a été adopté par la Chambre haute canadienne. Le Québec s’est également doté, en

2010, d’un tel Code d’éthique et de déontologie pour ses parlementaires, cette fois par voie

législative71.

64 J. MAINGOT, préc., note 1, p.47. 65 Wason v. Walter, [1868] L.R. 4 Q.B. 73; J. MAINGOT, préc., note 1, p.45 66 J. MAINGOT, préc., note 1, p.51-52. 67 David McGEE, Parliamentary practice in New Zealand, 3e éd., Wellington, Dunmore Publishing Limited, 2005, p. 605. 68 Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada (conseiller sénatorial en éthique et commissaire à l’éthique) et certaines lois en conséquence, L.C. 2004, ch. 7. 69 CANADA, CHAMBRE DES COMMUNES, Code régissant les conflits d’intérêts des députés, annexe au Règlement de la Chambre des communes du Canada. 70 CANADA, SÉNAT, Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, Sénat du Canada, 16 juin 2014. 71 Le Québec a adopté un Code d’éthique et de déontologie applicable aux députés de l’Assemblée nationale du Québec par voie législative en 2010 (Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale du Québec, RLRQ, c. C-23.1).

21

Ces textes ne régissent pas directement les propos des parlementaires durant les débats en

Chambre. Toutefois, ils imposent des valeurs que ces derniers doivent mettre en oeuvre dans le

cadre de leurs fonctions. Le Code sénatorial prévoit à son article 7.2 que le sénateur exerce ses

fonctions parlementaires avec dignité, honneur et intégrité72. Le Code d’éthique imposé aux députés

québécois définit le respect envers les citoyens comme une valeur de l’Assemblée73, et stipule que la

conduite du député doit être « empreinte de bienveillance, de droiture, de convenance, de sagesse,

d’honnêteté, de sincérité et de justice74. ». Une surveillance accrue est donc portée envers les

comportements, et surtout, la morale dont fait preuve le parlementaire dans l’exécution de son rôle

de député.

Par conséquent, la liberté de parole s’exerce aujourd’hui au Canada dans un contexte où les attentes

du public sont beaucoup plus élevées de la part des parlementaires. En vertu des valeurs qui sont

incluses dans les codes d’éthique qui leur sont imposés, il apparaît donc antinomique que leurs

propos puissent violer les droits fondamentaux d’un tiers sans qu’aucun recours ne puisse être

entrepris contre eux. Cette tendance à imposer des normes éthiques et déontologiques aux

parlementaires est présente au Canada, mais elle constitue également une tendance de plus en plus

répandue à l’étranger, dont en France75 et au Royaume-Uni76.

Une responsabilisation au sein des assemblées parlementaires

Dans ce contexte, les assemblées, qui disposent d’un important pouvoir disciplinaire sur leurs

membres en raison du privilège de gestion de leurs affaires internes sans ingérence extérieure, sont

largement conscientes des risques que posent un usage abusif de la liberté de parole. Elles ont en

ce sens directement un rôle à jouer en la matière, particulièrement dans la responsabilisation des

parlementaires. Il revient aux Chambres d’imposer les normes jugées nécessaires « en matière

d’éthique parlementaire pour protéger la liberté de parole des députés77. » Le respect de ces normes

est d’une importance particulière pour la confiance que portent les citoyens envers l’institution

législative.

72 Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, préc., note 70, art. 7.2. 73 Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale du Québec, préc., note 71, art. 6(1). 74 Id., art. 6(2). 75 FRANCE, ASSEMBLÉE NATIONALE, Code de déontologie ; FRANCE, ASSEMBLÉE NATIONALE, Décision du Bureau du 6 avril 2011 relative au respect du Code de déontologie des députés. 76 ROYAUME-UNI, HOUSE OF COMMONS, The Code of Conduct, 12 March 2012 ; ROYAUME-UNI, HOUSE OF COMMONS, The Guide to the Rules relating to the Conduct of Members, 9 February 2009. 77 J. MAINGOT, préc., note 1, p.63.

22

À quelques reprises, le président de la Chambre des communes canadienne, qui dispose de

l’autorité en matière disciplinaire, a rappelé l’importance que les parlementaires doivent accorder à

leur liberté de parole, et veiller à ne pas en abuser sans considération :

« Un tel privilège donne de lourdes responsabilités à ceux qu’il protège. Je songe en particulier aux députés. Les conséquences d’un abus risquent d’être terribles. Des innocents risquent d’être victimes de diffamation sans avoir aucun recours. Des réputations risquent ainsi d’être ruinées par de fausses rumeurs. Tous les députés se rendent compte qu’ils doivent exercer avec prudence le privilège absolu qui leur confère une liberté de parole totale. C’est pourquoi de vieilles traditions visent à prévenir de tels abus à la Chambre.78. »

Le plus grand défi auquel est confronté l’usage de la liberté de parole des parlementaires est de

veiller, dans ce contexte, à respecter les droits fondamentaux des tiers qui pourraient être affectés

par la teneur des débats. En effet, la protection des droits fondamentaux, y compris le droit à la

dignité et à la réputation a pris une place croissante dans le contexte juridique et social dans lequel

évoluent les privilèges parlementaires aujourd’hui.

En 2003, le président de la Chambre des communes avait émis la suggestion suivante aux députés,

dans le but de porter un souci particulier aux droits et libertés fondamentaux dont disposent les

citoyens :

« La présidence décourage les députés de désigner les personnes par leur nom dans leurs discours s’ils disent du mal de ces dernières car, le privilège parlementaire s’appliquant à ce qu’ils disent, leurs propos portant atteinte à la réputation d’une personne ou à la personne elle-même pourraient être publiés et protégés par le privilège parlementaire, empêchant la personne visée d’intenter la moindre action à l’égard de ces déclarations.79 »

Par cette mise en garde, le président démontre qu’il est bien au fait que le droit à la dignité et à la

réputation reçoit une protection aujourd’hui qui est souvent incompatible avec de tels abus de la

liberté de parole des parlementaires.

Une résolution a également été adoptée au Sénat australien dans la foulée de l’adoption de la

procédure du droit de réplique afin de conscientiser les parlementaires à l’impact que peut avoir leur

droit de parole sur les tiers extérieurs à la Chambre80.

78 CANADA, Débats de la Chambre des communes, 5 mai 1987, préc., note 16, p.5765. 79 CANADA, Débats de la Chambre des communes, 2e sess., 37e légis., 2 avril 2003, « Recours au Règlement », p. 5040. 80 AUSTRALIE, SENATE, Parliamentary privilege resolutions agreed to by the Senate, 25 February 1988, Resolution 9, dans Harry EVANS et Rosemary LAING (dir.), Odgers’ Australian Senate Practice, 13e éd., Canberra, Department of the Senate, 2012, p.765.

23

1.2 La reconnaissance des droits et libertés au Canada et à

l’étranger

Le droit à la dignité et à la réputation des citoyens est aujourd’hui largement reconnu et sanctionné

par les tribunaux. Ce droit est partie d’une série de droits et libertés fondamentaux qui font l’objet

d’une protection accrue depuis plusieurs années tant dans l’ordre juridique canadien qu’international.

Cette reconnaissance de nouveaux droits fondamentaux est survenue à la suite de la crise

provoquée par la Seconde Guerre mondiale, à la faveur de normes substantielles et

hiérarchiquement supérieures protectrices de l’individu. Les prérogatives des assemblées

parlementaires, dont font partie les privilèges parlementaires, sont reconnues, quant à elles, pour

favoriser l’expression du principe démocratique et la séparation des pouvoirs, et visent ainsi à

protéger les individus des abus des gouvernants. Ces prérogatives institutionnelles n’ont pas été

amenées à évoluer de la même facon que les droits et libertés individuels, qui ont été élevés durant

la même période au statut de droits quasi-universels. Elles sont toutefois amenées aujourd’hui à

interagir au sein d’un même système juridique qui doit viser à protéger à la fois ces deux schèmes

normatifs.

Cette section aborde dans un premier temps la reconnaissance fulgurante de nouveaux droits

fondamentaux en général, et du droit à la dignité et à la réputation, en particulier, et le rapport des

assemblées législatives avec ce phénomène. Par la suite, le droit à la dignité et à la réputation des

citoyens est analysé en détail, ainsi que son corrolaire, l’interdiction des propos diffamatoires.

1.2.1 La montée en puissance des droits et libertés

« Everyone understands that the introduction of a constitutional bill of rights has made a difference in

the way we think about courts and legislatures81. » En effet, comme le mentionne Janet Ajzenstat, les

changements introduits par l’adoption de la Charte canadienne ont eu d’énormes répercussions sur

les Parlements. Non seulement les droits qui y sont enchassés ont permis de remettre en cause le

principe de la souveraineté parlementaire au Canada82, mais la constitutionnalisation de nouveaux

droits fondamentaux a permis de remettre en cause des principes juridiques centenaires, tels que les

81 Janet AJZENSTAT, « Reconciling Parliament and Rights: A.V. Dicey Reads the Canadian Charter of Rights and Freedoms », (1997) 30-4 Canadian Journal of Political Science 645, 647. 82 Michael MANDEL, The Charter of Rights and the legalization of politics in Canada, Toronto, Wall & Thompson, 1989.

24

privilèges parlementaires, pour lesquels une nouvelle justification institutionnelle est désormais

exigée. Si cette citation introductive s’applique à l’exemple canadien, ce dernier n’est toutefois pas le

seul État où une réflexion sur les privilèges parlementaires a dû s’amorcer en raison des droits

fondamentaux reconnus aux citoyens. La montée en puissance des droits et libertés constitue en

effet un phénomène international, amorcé à la suite de la Seconde Guerre mondiale, sous l’impulsion

de la Déclaration universelle des droits de l’homme83. Plusieurs législatures ont ainsi été amenées à

se remettre en question devant ce phénomène émergent, les menant à une responsabilité et une

transparence accrue.

Afin de revenir sur la transformation qui s’est imposée aux assemblées législatives, le phénomène de

multiplication des instruments de protection des droits fondamentaux dans la seconde moitié du XXe

siècle est abordé dans un premier temps. Les rapports ambigüs qu’ont pu entretenir les assemblées

législatives avec le droit commun sont détaillés dans un deuxième temps. Les tribunaux se sont en

effet longtemps abstenus d’intervenir relativement aux questions qui concernaient les assemblées,

mais l’avènement des droits fondamentaux a forcé une redéfinition en profondeur de leurs rapports

respectifs.

La multiplication des instruments de protection des droits fondamentaux

Depuis l’adoption des premiers textes juridiques en matière de droits et libertés, à commencer par la

Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, l’évolution des démocraties libérales a mené

à une reconnaissance sans cesse croissante des droits individuels84. Adoptée en 1960, la

Déclaration canadienne des droits85 constitue le premier texte législatif canadien visant à reconnaître

les droits de la personne. Au cours des années 1960 et 1970, les provinces canadiennes se sont

dotées l’une après l’autre d’instruments de protection des droits fondamentaux. Entre autres, en

Ontario, le Code des droits de la personne86 a été adopté en 1962, le Human Rights Code87 de la

Colombie-Britannique en 1972, et au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne88 a été

adoptée en 1975. Au niveau fédéral, un dernier évènement marquant en cette matière constitue

83 Déclaration universelle des droits de l’homme, Rés. 217 A (III), Doc. Off. A.G.N.U., 3e sess., suppl. no 13, p.17, Doc. N.U. A/810 (1948). 84 Henri BRUN, Guy TREMBLAY et Eugénie BROUILLET, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014. 85 Déclaration canadienne des droits, L.C. 1960, c. 44. 86 Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, c. H.19. 87 Human Rights Code, RSBC 1996, c. 210. 88 Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. 12.

25

l’adoption de la Charte canadienne en 1982. Ce texte juridique a été de surcroit intégré au corpus

constitutionnel de l’État en tant qu’annexe à la Loi constitutionnelle de 1982.

D’autres textes internationaux d’une importance accrue pour le développement des droits de la

personne ont aussi été adoptés, dont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques89 et le

Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels90, en 1966. Au niveau

régional, la Convention européenne des droits de l’homme91, qui joue aujourd’hui un rôle majeur

dans la mise en oeuvre des droits fondamentaux en Europe et dont l’influence est analysée dans

cette étude, a été signée en 1950 et est aujourd’hui ratifiée par 47 États.

Cette recrudescence de la protection des droits et libertés ne s’est cependant pas réalisée sans

conséquences. De nouveaux conflits normatifs en ont émané dans plusieurs domaines du droit. À cet

effet, les privilèges parlementaires ne représentent qu’un secteur juridique parmi d’autres. Comme

l’explique Joseph Maingot, il était prévisible d’envisager au Canada une confrontation entre les

privilèges et les droits et libertés inclus dans la Charte :

« La Charte a donné lieu à une avalanche de litiges constitutionnels, investi les tribunaux canadiens d’un rôle de surveillance accru à l’égard du gouvernement et modifié en profondeur la forme et le fond du débat politique. Il était donc inévitable qu’un jour ou l’autre les assemblées législatives et les Chambres du Parlement aient à trouver des accommodements avec la Charte92. »

Au Canada, les droits et libertés sont de nature constitutionnelle, ce qui crée un conflit entre deux

normes constitutionnelles.

Ailleurs, des conflits similaires se sont manifestés entre les privilèges et d’autres textes visant à

promouvoir les droits et libertés, dont la Convention européenne des droits de l’homme. En

particulier, l’article 6 de cet instrument juridique protège l’accès à la justice et le droit que sa cause

soit entendue. Plusieurs recours invoquant cette disposition ont ainsi été portés devant la Cour

européenne des droits de l’homme afin de mettre en cause l’application des privilèges

89 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, 999 R.T.N.U. 171. 90 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966, 993 R.T.N.U 3. 91 Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, S.T.E. no 5 [Convention européenne des droits de l’homme]. 92 J. MAINGOT, préc., note 1, p.317.

26

parlementaires, qui privent les tiers de tout recours à l’encontre du Parlement ou de ses membres.

Cette question sera approfondie dans la dernière section du présent chapitre93.

Le problème de l’application des lois au Parlement

Outre cette reconnaissance de droits fondamentaux au moyen de l’adoption de nombreux textes

visant à les encadrer, les relations entre assemblées législatives et tribunaux reposent depuis

toujours sur des tensions inhérentes aux privilèges parlementaires et à l’autonomie institutionnelle

qu’ils impliquent.

En effet, l’incompatibilité constatée entre les privilèges et les droits et libertés ne se limite pas à ces

derniers. L’assemblée législative et les tribunaux ont de longue date une relation ambiguë en ce qui a

trait au contrôle judiciaire du privilège parlementaire. Ce fait se concrétise particulièrement dans les

assemblées de type britannique, en raison des privilèges de la liberté de parole, mais surtout, de la

gestion des affaires internes sans ingérence extérieure. Ce dernier privilège permet aux chambres

d’avoir un droit de gestion unique et exclusif sur leurs propres affaires, tant en matière de procédure,

qu’en matière administrative94.

L’opinion du juge Lamer dans l’arrêt New Brunswick Broadcasting résume bien l’histoire des conflits

qui ont traditionnellement marqué la relation entre les tribunaux et les assemblées législatives :

« À l'origine, les chambres du Parlement […] prétendaient ainsi être les arbitres absolus de leurs propres privilèges et, également, que leurs jugements relatifs à ces privilèges n'étaient pas susceptibles de contrôle par un autre tribunal. Les tribunaux, par contre, considéraient que la lex parliamentis faisait partie de la loi du pays et qu'à ce titre ils pouvaient en prendre connaissance d'office. Tout particulièrement lorsque la question en litige portait sur les droits de tiers, les tribunaux considéraient que c'était leur rôle d'interpréter la loi du Parlement et de l'appliquer95. »

Antérieurement à la reconnaissance des droits et libertés, une rivalité s’est donc établie entre les

assemblées légisatives et les tribunaux quant à l’application du droit ordinaire à ces institutions. Des

balises ont toutefois été dégagées par les tribunaux afin de fixer la ligne de conduite qu’ils devaient

suivre, tout en respectant les prérogatives des Chambres. Par exemple, dès 1839, l’arrêt Stockdale

93 Infra, p.42. 94 ROYAUME-UNI, HOUSE OF COMMONS/HOUSE OF LORDS, Parliamentary Privilege, Joint Committee on Parliamentary Privilege, Report of Session 1998-99, 30 March 1999, par. 229 (ci-après « Joint Committee Report 1999 »). 95 NB Broadcasting, préc., note 13, 348 et 349.

27

v. Hansard a permis de déterminer que le pouvoir de gestion interne des assemblées parlementaires

n’était pas absolu et que toutes les requêtes invoquant les privilèges n’étaient pas fondées. Les

assemblées devaient ainsi revendiquer un droit légitime pour que le privilège soit reconnu comme

applicable96.

En raison des privilèges et de la retenue des tribunaux, une tendance s’est développée à percevoir

les assemblées parlementaires comme une zone de non-droit97. Pourtant, à l’extérieur de la

protection que confèrent les privilèges, les lois ordinaires, telles que le Code criminel, continueront de

s’appliquer aux députés98. Au Canada, depuis les arrêts New Brunswick Broadcasting, Harvey et

Vaid, il est reconnu que les tribunaux peuvent contrôler l’étendue et la portée des privilèges, mais ils

ne peuvent contrôler leur exercice précis. De surcroît, la tendance est à percevoir de moins en moins

le Parlement comme un sanctuaire à l’abri des lois99. L’état de la jurisprudence canadienne démontre

ce fait, avec le critère de nécessité dont l’interprétation est de plus en plus rigoureuse comme en

témoigne l’évolution du raisonnement de la Cour suprême de l’arrêt New Brunswick Broadcasting, en

1993, à l’arrêt Vaid, en 2005.

Après avoir présenté l’avènement de cette confrontation entre privilèges parlementaires et droits et

libertés, et le contexte dans lequel celle-ci se place en droit canadien, il importe désormais de

s’intéresser au droit à la dignité et à la réputation, un droit particulier parmi le répertoire aujourd’hui

reconnu aux citoyens canadiens et étrangers.

1.2.2 Le droit à la vie privée et à la sauvegarde de sa dignité et de sa

réputation

Le privilège parlementaire de la liberté de parole se rapproche, dans son essence, de la liberté

d’expression. En effet, la Cour suprême du Canada a déjà défini, dans l’arrêt S.D.G.M.R c. Dolphin

Delivery100 que la liberté d’expression « constitue l’un des concepts fondamentaux sur lesquels

repose le développement historique des institutions politiques, sociales et éducatives de la société

96 Stockdale v. Hansard, préc., note 50. 97 Enid CAMPBELL, Parliamentary privilege, Annandale, Federation Press, 2003, p.177; Geoffrey MARSHALL, « The Future of Parliamentary Privilege in the United Kingdom », dans Mélanges Pierre Avril. La République, Paris, Montchrestien, 2001, p.587, à la page 600. 98 Joint Committee Report 1999, préc., note 94, par. 242. 99 ROYAUME-UNI, OFFICE OF THE LEADER OF THE HOUSE OF COMMONS, Parliamentary Privilege, April 2012, p.49. 100 Syndicat des détaillants, grossistes et magasins à rayons c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, 583.

28

occidentale101. » La Cour indique également que la préservation de la démocratie représentative

actuelle, en tant que vecteur des idées divergentes et d’en débattre, dépend de la protection de la

liberté d’expression dans notre système juridique102. La liberté d’expression comprend le droit

d’exprimer les opinions et les critiques103, comme la liberté de parole des parlementaires leur permet

d’exprimer en toute liberté la diversité de leurs points de vue et de débattre de ceux-ci sans

contraintes.

Cette liberté d’expression, aussi fondamentale qu’elle soit, peut toutefois se heurter à d’autres droits

également reconnus de façon implicite ou dans les instruments de protection des droits

fondamentaux. Dans le cadre de la présente recherche, le conflit normatif ciblé est celui entre la

liberté d’expression des parlementaires, leur privilège de la liberté de parole, et le droit au respect de

sa dignité et sa réputation dont disposent les citoyens. Dans une première section, ce droit d’autrui

au respect de sa réputation est détaillé. Dans une seconde section, la recherche par les tribunaux

d’un équilibre entre liberté d’expression et droit au respect de sa réputation est brièvement analysée.

Finalement, la question de l’interdiction des propos et libelles diffamatoires, qui découle directement

de la recherche d’équilibre entre ces deux droits, est aussi étudiée.

Le droit au respect de sa dignité et de sa réputation

Le droit au respect de sa dignité et de sa réputation est établi dans plusieurs types d’instruments de

protection des droits fondamentaux, et ce, tant de façon directe qu’implicite. Dans un premier temps,

il se trouve inscrit dans certains textes internationaux d’une importance majeure en matière de droits

de la personne. À titre d’exemple, il est consigné à l’article 12 de la Déclaration universelle des droits

de l’homme104, ainsi qu’à l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques105. À la

suite des analyses effectuées par la Cour européenne des droits de l’homme106, il est aussi

considéré comme implicitement inclus dans le droit au respect de la vie privée qui se trouve à l’article

101 Id., 583. 102 Id., 583. 103 H. BRUN, G. TREMBLAY, E. BROUILLET, préc., note 84, p.1105. 104 « Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. » 105 « 1. Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation 2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. » 106 Pfeifer c. Autriche, no 12556/03, 15 novembre 2007, § 35; Chauvy et autres c. France, no 64915/01, CEDH 2004-VI, §70.

29

8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Bien que le libellé de cet article n’y fasse pas

explicitement référence, une jurisprudence étoffée de la Cour européenne des droits de l’homme

démontre en effet que le droit à la réputation est un élément constitutif de la vie privée des individus.

Dans un deuxième temps, le droit à la réputation se trouve inscrit dans les instruments législatifs

nationaux. Au Canada, les droits à la dignité et à la réputation d’une personne ont été reconnues

comme valeurs sous-jacentes à la Charte canadienne, mais ne constituent pas des droits autonomes

inclus dans cette dernière107. Un principe sous-jacent à la Constitution canadienne sert toutefois à

compléter son interprétation108. Le respect de la dignité et de la réputation d’une personne sont des

valeurs qui sous-tendent les droits protégés par la Charte :

« Bien qu’elle ne soit pas expressément mentionnée dans la Charte, la bonne réputation de l’individu représente et reflète sa dignité inhérente, concept qui sous-tend tous les droits garantis par la Charte. La protection de la bonne réputation d’un individu est donc d’importance fondamentale dans notre société démocratique109. »

Ce passage de l’arrêt Hill c. Église de scientologie de Toronto démontre en fait la nécessité de

protéger la réputation des individus malgré son non-enchâssement parmi les droits autonomes de la

Charte canadienne. Le droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation est

toutefois reconnu directement dans d’autres textes de protection des droits fondamentaux canadiens,

dont à l’article 4 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne110. Il se trouve même

intégré à l’article 3 du Code civil du Québec111.

Au Royaume-Uni, le droit à la réputation est par ailleurs assuré en vertu du Human Rights Act

1998112. Il y est en effet considéré comme un droit de la Convention, intégré au droit anglais par

l’article 1 du Human Rights Act 1998. Cet instrument juridique vise en effet à incorporer les droits

protégés par la Convention européenne des droits de l’homme au droit britannique. Le droit d’autrui

107 Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, 353 et suiv. 108 H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 84, p.212. 109 Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 120. 110 « Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. », Charte des droits et libertés de la personne, préc. note 88, art. 4. 111 « Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l'inviolabilité, à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée. », Code civil du Québec, RLRQ, c. C-1991, art. 3. 112 ROYAUME-UNI, Human Rights Act 1998, c. 42.

30

au respect de sa réputation a été considéré comme intégré à l’article 8 de la Convention à son tour

par les tribunaux britanniques113.

La concept de dignité a une nature polysémique et multiple, mais est central dans la reconnaissance

des droits fondamentaux : « C’est parce qu’elles sont intrinsèquement dignes que l’on doit

reconnaître aux personnes humaines des droits et libertés114». En effet, selon Christian Brunelle,

reprenant Kant, le sens moderne de cette « dignité fondamentale » découle de la valeur

hégémonique conférée à l’être humain et qui exige une déférence absolue115. Le droit fondamental

qui en résulte et qui est reconnu par les tribunaux dans sa dimension universaliste impose le respect

de la dignité (de soi ou de l’autre) et une solidarité envers l’autre116. La matérialisation du droit à la

sauvegarde de la dignité dans certains instruments de protection des droits de la personne fait

ouverture à « un recours et à une demande de réparation en justice fondés sur une atteinte à la

dignité en soi117 ».

La nature du droit au respect de sa réputation, autre principe juridique qui matérialise le droit à la

dignité, fait référence à une dimension extérieure de l’individu. En effet, ce droit en appelle à l’opinion

publique et « implique la reconnaissance par les autres de la valeur et des qualités de la

personne118 ». Cette dimension est particulièrement importante lorsque l’on réfère à un potentiel

conflit avec le privilège de la liberté de parole. Comme il le fut démontré dans la section

précédente119, en raison de la résonance médiatique importante des travaux parlementaires, les

impacts sur la réputation d’une déclaration faite durant les débats peuvent être majeurs.

Comme le conclut l’arrêt Hill sur le nécessaire respect de la réputation d’un individu : « La réputation

d’une personne mérite effectivement d’être protégée dans notre société démocratique et cette

protection doit être soigneusement mesurée en regard du droit tout aussi important à la liberté

113 Prince Radu of Hohenzollern v. Houston & Anor, [2007] EWHC 2735 (QB) ; Roberts & Anor v. Gable & Ors, [2007] EWCA Civ 721 ; Charman v. Orion Publishing Group Ltd & Ors, [2006] EWHC 1756 (QB) ; Galloway MP v. The Telegraph Group Ltd, [2006] EWCA Civ 17. 114 Christian BRUNELLE, « Justice, société et personnes vulnérables », dans Collection de droit 2008-2009, École du Barreau du Québec, vol. 13, Justice, société et personnes vulnérables, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p.21, à la page 24. 115 Id. 116 C. BRUNELLE, préc., note 114, p.28. 117 Daniel PROULX, « Le concept de dignité et son usage en contexte de discrimination : deux Chartes, deux modèles », (2003) (numéro spécial) R. du B. 487, 497. 118 Sylvain BOURASSA, « Les personnes physiques », dans Collection de droit 2013-2014, École du Barreau du Québec, vol. 3, Personnes, famille et successions, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p.31, à la page 79. 119 Supra, p.18.

31

d’expression120. » Ce droit à la réputation ne s’exerce donc pas seul, sa mise en oeuvre doit être

soupesée avec l’exercice d’autres libertés tout aussi essentielles au fonctionnement d’une société

démocratique. Si le droit à la réputation peut être réclamé par les individus comme un droit autonome

ou implicite, il est également considéré comme une limite légitime à la liberté d’expression.

L’équilibre entre droit d’autrui au respect de sa réputation et liberté d’expression

Au carrefour du droit au respect de la dignité et de la réputation dont dispose tout individu, et du

privilège de la liberté de parole, outil indispensable à la réalisation des fonctions du parlementaire, se

trouve le domaine du droit de la diffamation. Il s’avère donc important d’en traiter brièvement dans le

cadre de cette étude.

Le droit de la diffamation appelle à un équilibre entre deux droits fondamentaux : la liberté

d’expression et le droit à la réputation. Pour cette raison, en droit canadien, la liberté d’expression n’a

jamais été considérée comme un droit absolu121. L’exercice du droit d’autrui au respect de sa

réputation a toujours été reconnu comme imposant une limite légitime à la liberté d’expression. La

Cour suprême du Canada a ainsi précisé dans l’arrêt Hill que le respect de la réputation constitue

une limite acceptable à la liberté d’expression dans une société fondée sur des principes

démocratiques. Les propos diffamatoires nuisent à l’épanouissement personnel, et, de ce fait, à la

saine participation aux affaires de la collectivité. Elles sont en ce sens directement nuisibles à l’état

de la démocratie :

« Les démocraties ont toujours reconnu et révéré l’importance fondamentale de la personne. Cette importance doit, à son tour, reposer sur la bonne réputation. Cette bonne réputation, qui rehausse le sens de valeur et de dignité d’une personne, peut également être très rapidement et complètement détruite par de fausses allégations. Et une réputation ternie par le libelle peut rarement regagner son lustre passé. Une société démocratique a donc intérêt à s’assurer que ses membres puissent jouir d’une bonne réputation et la protéger aussi longtemps qu’ils en sont dignes122. »

Les tribunaux canadiens vont donc reconnaître l’importance de la bonne réputation d’un individu pour

la vie publique, et ce, même si le droit au respect de sa réputation n’est pas enchâssé comme un

droit autonome dans la Charte canadienne des droits et libertés. De la même façon, le droit au

120 Hill c. Église de scientologie de Toronto, préc., note 109, par. 121. 121 Id., par. 102 ; Prud’homme c. Prud’homme, [2002] 4 R.C.S. 663, par. 43. 122 Hill c. Église de scientologie de Toronto, préc., note 109, par. 108.

32

respect de sa réputation est énoncé dans le texte de l’article 10(2) de la Convention européenne des

droits de l’homme à titre de restriction autorisée à la liberté d’expression123.

La pondération entre ces deux droits varie cependant grandement d’un système juridique à l’autre.

Aux États-Unis, par exemple, une très grande importance est accordée dans le système

constitutionnel à la liberté d’expression, qui est inscrite au premier amendement de la Constitution

américaine124. La vérité des propos considérés diffamatoires y est ainsi présumée125. Le plaignant

doit démontrer la fausseté des propos litigieux. De plus, la vérité des propos constitue en droit

américain une défense acceptable aux accusations de diffamation126.

À l’opposé, en droit britannique, le fardeau de la preuve repose sur le défendeur dans les procès en

diffamation. Ainsi, un individu accusé de libelle est considéré coupable jusqu’à ce qu’il prouve son

innocence127. Ce qui a mené au développement d’un « libel tourism » au Royaume-Uni128. L’État a

en effet constaté une augmentation dans les cas de diffamation devant ses tribunaux, en raison des

principes juridiques favorables aux demandeurs en cette matière.

En Australie, les tribunaux ont dégagé de la liberté de communiquer en matière politique129 un

principe constitutionnel implicite. Cette liberté découle du système de gouvernement représentatif

inscrit dans la Constitution australienne, qui prévoit que les représentants doivent être élus

directement par le peuple. Ce principe implicite à la Constitution vise donc à protéger ce système

représentatif en restreignant les atteintes législatives et tout type de contrôle légal sur le libre choix

de la population envers ses élus. Cette liberté de choix étant favorisée par le libre discours en

123 « L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. » 124 « Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercice thereof ; or abridging the freedom of speech, or of the press ; or the right of the people peaceably to assemble, and to petition the Government for a redress of grievances », ÉTATS-UNIS, Constitution of the United States, Amend. I. 125 Elizabeth SAMSON, « The Burden to Prove Libel : A Comparative Analysis of Traditional English and U.S. Defamation Laws and the Dawn of England’s Modern Day », [2012] 20 Cardozo J. of Int’l & Comp. Law 771, 779. 126 E. SAMSON, préc., note 125, 781 127 Id., 772. 128 OSCE Representative on Freedom of the Media, Libel and Insult Laws : A Matrix on Where we Stand and What We Would Like to Achieve, Vienna, OSCE 2005, p.170. 129 Pour plus de précisions sur ce principe, voir l’arrêt Lange v. Australian Broadcasting Corporation, (1997) 145 ALR 96.

33

matière politique, les restrictions imposées à ce dernier doivent être absolument limitées. Une telle

protection est particulière au système constitutionnel australien.

Dans la majorité des États, les propos jugés diffamatoires ne se voient pas opposer une telle limite

liée à l’importance de l’expression politique. Toutefois, les règles liées à la diffamation constituent

toujours une limitation justifiée à la liberté d’expression de façon générale.

L’interdiction des propos diffamatoires

Devant la nécessaire pondération entre liberté d’expression et droit au respect de sa réputation, les

États ont mis en place des règles visant à interdire les propos ou les publications de nature

diffamatoire, ces derniers étant aussi appelés libelles diffamatoires.

La Cour suprême canadienne a défini la diffamation comme étant « la communication de propos ou

d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son

égard des sentiments défavorables ou désagréables130. » Elle constitue un acte fautif, qui engendre

la responsabilité de celui qui émet les propos ou les écrits diffamatoires. Bien que l’on y retrouve

généralement une recherche d’équilibre entre la liberté d’expression et le droit au respect de sa

réputation, il est possible de recenser une importante diversité dans la mise en oeuvre du droit de la

diffamation au sein des systèmes juridiques.

Pour exemple, au Canada, deux régimes juridiques distincts sont applicables en matière de

diffamation : le régime criminel et le régime de droit privé. Pour ce qui est du premier type de régime,

deux dispositions dans le Code criminel, les articles 300 et 301, interdisent la publication de libelles

diffamatoires131. En lien avec le privilège de la liberté de parole des parlementaires, les articles 306

et 307(1) confèrent toutefois des exclusions à ce régime lorsque le libelle peut constituer un

document parlementaire, ou un compte rendu loyal des délibérations du Parlement.

Il a été démontré par la Cour suprême, dans l’arrêt R c. Lucas132, que la protection de la réputation

des personnes, soit l’objectif derrière les dispositions visant à interdire la diffusion de libelles

diffamatoires, est un objectif urgent et réel dans la société canadienne133. Il participe en effet à la

130 Prud’homme c. Prud’homme, préc., note 121, par. 33. 131 Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, art. 300 et 301. 132 R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439. 133 Id., par. 48

34

sauvegarde de la dignité d’un individu et favorise sa participation dans une société démocratique.

Dans l’arrêt Lucas, les articles visés du Code criminel ont été jugés conformes au droit

constitutionnel canadien, et ce, malgré la protection de la liberté d’expression incluse à l’article 2b) de

la Charte canadienne des droits et libertés. La validité des articles 298, 299 et 300 a ainsi été

confirmée en vertu de l’article premier de la Charte canadienne134.

Pour ce qui est des litiges privés, les provinces diffèrent également entre elles quant aux modalités

d’application du droit de la diffamation. Au Québec, où un régime civiliste régit les questions de droit

privé, la diffamation est partie du droit de la responsabilité qui découle de l’article 1457 du Code civil

du Québec135. Dans les autres provinces, ces actions sont régies en vertu des lois provinciales sur la

diffamation136 et les principes de common law applicables137.

Dans le régime de droit commun, les citoyens disposent de recours juridiques pour répondre aux

atteintes qui sont portées à leur réputation. Dans un cas où les propos ou les actes litigieux émanent

d’un parlementaire dans le cadre des délibérations de la Chambre, cette possibilité de réparation

disparaît, en raison du privilège parlementaire de la liberté de parole138. Cette situation ne se

constate pas uniquement qu’en théorie. Les tribunaux canadiens, et internationaux, ainsi que les

assemblées parlementaires elles-mêmes, ont été amenés à traiter de cas où des tiers ont souhaité

invoquer le droit au respect de leur réputation en raison de propos protégés par le privilège

parlementaire.

1.3 La liberté de parole confrontée aux droits des citoyens

Les paroles portées par un député dans le cadre des débats parlementaires ou une motion adoptée

par la Chambre sont tant d’usages de la liberté de parole qui peuvent atteindre la réputation d’un

134 Id., par. 97. 135 Prud’homme c. Prud’homme, préc., note 121, par. 32. 136 Defamation Act, R.S.A 2000, c. D-7 (Alberta); Libel and Slander Act, R.S.B.C. 1996, c. 263 (Colombie-Britannique); Defamation Act, C.C.S.M., c. D20 (Manitoba); Loi sur la diffamation, L.R.N.-B. 2011, c. 139 (Nouveau-Brunswick); Defamation Act, R.S.N. 1990 c. D-3 (Terre-Neuve et Labrador); Defamation Act, R.S.N.S. 1989, c. 122 (Nouvelle-Écosse); Libel and Slander Act, R.S.O. 1990, c. L.12 (Ontario); Defamation Act, R.S.P.E.I. 1988, c. D-5 (Ile-du-Prince-Édouard); Libel and Slander Act, R.S.S. 1978, c. L-14 (Saskatchewan); Loi sur la diffamation, L.R.T.N.-O. 1988, c. D-1 (Territoires du Nord-Ouest); Loi sur la diffamation, L.R.Y. 2002, c. 52 (Yukon). 137 Philip H. OSBORNE, The Law of Torts, 3e éd., Toronto, Irwin Law, 2007, p.385 et suiv. 138 Il est intéressant de constater qu’entre les élus, l’immunité pour propos diffamatoires varie énormément d’un niveau de responsabilité à l’autre. Alors que les parlementaires bénéficient du privilège de la liberté de parole, les élus municipaux ne possèdent aucune immunité pour les propos tenus lors d’un conseil municipal, par exemple. Voir à cet effet Prud’homme c. Prud’homme, préc., note 121.

35

tiers. Malgré l’importance du privilège de la liberté de parole du parlementaire, les possibilités d’abus

de ce privilège constituent une réelle menace pour la démocratie :

« Under the Bill of Rights […] we have the very precious right of freedom of speech which cannot be called into question outside the Parliament. Unfortunately, from time to time, that right is abused, and people use the privilege to make not only very savage but also, in some cases, unproven or even unprovable allegations about people outside the Parliament139. »

Des parlementaires, par l’usage de leur parole à l’assemblée, peuvent donc porter atteinte à la

dignité et à la réputation de tiers. De surcroît, ces droits fondamentaux participent du processus

démocratique, au même titre que les privilèges parlementaires tendent à favoriser l’exercice des

fonctions d’une assemblée. Il n’en tient qu’aux parlementaires à assurer leur respect en première

ligne.

Au carrefour de la reconnaissance croissante des droits et libertés et de cette mise en oeuvre des

privilèges parlementaires dans un contexte politique en mouvement, se sont donc trouvés

directement opposés liberté de parole du parlementaire et droit à la dignité et à la réputation. Les

tribunaux saisis de ces affaires, à l’instar des autres cas impliquant les privilèges parlementaires, ont

fait preuve de leur réserve habituelle, en établissant que la liberté de parole se justifiait par ses

objectifs démocratiques, ou en raison de son caractère constitutionnel. Cependant, de ces

expériences se dégage également un malaise de la part de certains juges quant à l’impossibilité de

concilier droits et libertés fondamentaux et privilèges parlementaires.

Cette section revient ainsi sur des cas où se sont vus opposer liberté de parole des parlementaires et

droit à la réputation des citoyens, et ce, tant dans l’espace juridique canadien qu’européen. Dans ce

dernier cas, un tribunal spécialisé en matière de droits de la personne, la Cour européenne des droits

de l’homme, a été amené à rendre quelques arrêts déterminants sur le sujet.

1.3.1 L’expérience judiciaire canadienne : l’inévitable confrontation

Pour saisir plus concrètement le conflit normatif visé dans la présente recherche, il est possible de

l’illustrer à l’aide d’exemples tirés du droit canadien qui ont opposé la liberté de parole des

parlementaires et le droit à la réputation de citoyens canadiens. En ce sens, les affaires Michaud et

139 AUSTRALIE, SENATE, Parliamentary Debates, 25 February 1988, p.626 (Senator Durack), reproduit dans Alice JONES, Should Australian parliaments retain the citizens’ right of reply procedure?, Australia and New Zealand Association of Clerks-at-the-Table (ANZACATT) Parliamentary Law, Practice and Procedure Course, 2010, p.1.

36

Wong, qui se sont déroulées respectivement en 2000 et en 2006, sont présentées dans un premier

temps. L’ambiguïté du discours de la Cour suprême lorsqu’elle a été amenée à traiter de la

conciliation entre privilèges parlementaires et droits fondamentaux est opposée aux affaires Michaud

et Wong dans un deuxième temps. Cet état de fait, soit les risques d’abus de la liberté de parole

doublé d’un discours judiciaire sibyllin, mène naturellement à envisager des solutions extrajudiciaires

au conflit entre privilèges parlementaires et liberté de parole.

Les affaires Michaud et Wong

« L’affaire Michaud » constitue une première illustration adéquate des tensions pouvant survenir

entre le privilège de la liberté de parole et le droit à la réputation des citoyens. À l’origine de cette

affaire se trouve une motion de blâme adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec le

14 décembre 2000140. Celle-ci visait à dénoncer des propos tenus la veille par M. Yves Michaud, un

ancien député de cette Assemblée. À la suite de l’adoption de cette motion, ce dernier a tenté à

quelques reprises d’être entendu devant l’Assemblée nationale afin de dénoncer la décision de la

Chambre et de rendre sa version des faits. Comme il ne fut donné suite à aucune de ces tentatives,

exprimées par le biais de deux pétitions déposées devant l’Assemblée, Michaud a ensuite entamé

des poursuites judiciaires contre l’institution afin de démontrer que l’Assemblée avait outrepassé ses

pouvoirs en adoptant cette motion.

La Cour d’appel du Québec, dans son arrêt de 2006 sur cette affaire, a rejeté les arguments de

Michaud en établissant que le privilège de la liberté de parole protège également l’opinion de

l’Assemblée exprimée collectivement141. Toutefois, dans ce même arrêt, le juge Baudouin a exprimé

dans son opinion concordante les limites de la protection absolue de la liberté de parole des

parlementaires dans un ordre juridique où les droits et libertés individuels sont amenés à être de plus

en plus valorisés:

« Pour préserver la démocratie parlementaire, et donc la libre circulation des idées, le Droit à l'époque des Chartes et de la prédominance des droits individuels permet qu'un individu soit condamné pour ses idées (bonnes ou mauvaises, politiquement correctes ou non, la chose importe peu), et ce, sans appel et qu'il soit ensuite exécuté sur la place publique sans, d'une

140 Texte complet de la motion : « Que l’Assemblée nationale dénonce sans nuance, de façon claire et unanime, les propos inacceptables à l’égard des communautés ethniques et, en particulier, à l’égard de la communauté juive, tenus par Yves Michaud à l’occasion des audiences des états généraux sur le français à Montréal le 13 décembre 2000 » QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Procès-verbal, 1ere sess., 36e légis., no 153, 14 décembre 2000, p.1440. 141 Michaud c. Bissonnette, préc., note 19., par. 48-49.

37

part, avoir eu la chance de se défendre et, d'autre part, sans même que les raisons de sa condamnation aient préalablement été clairement exposées devant ses juges, les parlementaires142. »

Dans cet extrait, le juge Baudouin révèle sa perplexité quant à l’impossibilité de concilier plus

adéquatement droits et libertés et privilèges parlementaires, et que de surcroît, ces derniers portent

atteinte aux principes de l’équité procédurale normalement applicables lors de la mise en accusation

d’un tiers.

Une seconde illustration des risques que présente un abus de la liberté de parole des parlementaires

pour la réputation des citoyens est incarnée par l’affaire Wong. Ce cas compte plusieurs

ressemblances avec l’affaire Michaud. Le 20 septembre 2006, une motion143 a été adoptée à

l’unanimité par la Chambre des communes canadienne pour condamner des propos écrits par Mme

Jan Wong, journaliste au Globe and Mail. Cette motion avait été largement dénoncée à l’époque

puisque, comme dans le cas de l’affaire Michaud, elle ne semblait pas répondre aux critères de

l’équité procédurale et un droit de réplique n’avait pas été accordé à la principale intéressée144.

Importante différence entre ces deux exemples : Wong, contrairement à Michaud, n’a jamais porté

plainte devant les tribunaux contre la Chambre des communes en raison de la motion adoptée. La

contestation judiciaire de cette motion aurait pu permettre d’étayer à nouveau la jurisprudence

canadienne sur ce conflit entre le droit à la réputation et le privilège de la liberté de parole. En effet,

les tribunaux, lorsque amenés à traiter des privilèges parlementaires, ont abordé cette difficile

conciliation avec les droits fondamentaux. Toutefois, ils semblent malencontreusement plonger dans

un discours plutôt ambigü quant à leur volonté de pondérer ce conflit.

Le double discours des tribunaux canadiens

À ce jour, comme il le fut détaillé précédemment, la réponse des tribunaux canadiens à cette

opposition entre droits fondamentaux et privilèges n’est pas réellement satisfaisante, puisqu’elle ne

parvient pas à concilier efficacement les deux notions. Pourtant, la Cour suprême a manifesté sa

volonté d’avoir une influence sur la question :

142 Id., par. 65. 143 Texte complet de la motion : « Que, de l’avis de la Chambre, des excuses soient présentées au peuple du Québec pour les propos offensants de Mme Jan Wong écrits dans le Globe and Mail par rapport à la récente tragédie du Collège Dawson ». CANADA, CHAMBRE DES COMMUNES, Journaux, 1ere sess., 39e légis., no 49, 20 septembre 2006, p.403. 144 C. ROBERT et V. MacNEIL, préc., note 63, p.23.

38

« Cela ne signifie pas que les tribunaux n’ont aucun rôle à jouer dans le débat qui survient lorsqu’on allègue l’existence d’un conflit entre des droits individuels et le privilège parlementaire. On peut soutenir que, sous le régime britannique de la suprématie du Parlement, les tribunaux ne jouent aucun rôle dans la surveillance de l’exercice du privilège parlementaire. Au Canada, la situation a changé du fait que la Charte énonce des valeurs qui, dans certains cas, peuvent entrer en conflit avec l’exercice de ce privilège. Pour éviter que des abus sous le couvert d’un privilège éclipsent des droits légitimes garantis par la Charte, les tribunaux doivent examiner la légitimité d’une revendication de privilège parlementaire. Comme notre Cour l’a précisé dans l’arrêt New Brunswick Broadcasting, les tribunaux peuvent, à juste titre, se demander si le privilège revendiqué existe vraiment. […] Si la Cour conclut par l’affirmative, aucun autre examen n’est nécessaire145. »

En raison de la nature constitutionnelle des droits fondamentaux et des privilèges, la Cour se refuse

à toute analyse sur la conciliation possible de ces droits. Bien qu’elle évoque avoir directement un

rôle dans ce conflit entre les privilèges parlementaires et les droits conférés par la Charte, elle limite

ce rôle au strict minimum, soit à établir l’existence et ultérieurement la nécessité du privilège, s’il ne

s’agit pas d’un privilège inhérent146.

À cet effet, la Cour avait déjà relevé la nécessité de concilier Charte et privilèges parlementaires en

raison de l’important statut qu’ils revêtent en droit canadien : « Lorsque surgissent des conflits

apparents entre différents principes constitutionnels, il convient non pas de résoudre ces conflits en

subordonnant un principe à l’autre, mais plutôt d’essayer de les concilier147. » Aurait-elle pu faire

évoluer les privilèges afin de les concilier plus adéquatement avec les nouveaux droits fondamentaux

inscrits dans la Charte? Une telle approche aurait été possible en considérant l’usage et la pratique

contemporaine liée aux privilèges parlementaires.

À ce titre, la Cour mentionne elle-même la nécessité de prendre en compte l’évolution historique du

privilège dans son analyse :

« Quand l’existence d’une catégorie (ou une sphère d’activité) à l’égard de laquelle un privilège inhérent est revendiqué […] est contesté, le tribunal ne doit pas seulement prendre en compte les origines historiques de la revendication, mais aussi déterminer si la catégorie de privilège inhérent demeure, encore aujourd’hui, nécessaire au bon fonctionnement de l’organe législatif148. »

L’analyse de l’existence du privilège parlementaire ne doit pas se faire uniquement au niveau

historique. Elle doit aussi être ancrée dans l’activité et la pratique contemporaine de l’assemblée

145 Harvey, préc., note 17, par. 71. 146 Vaid, préc., note 17, par. 37. 147 Harvey, préc., note 17, par. 69. 148 Vaid, préc., note 17, par. 29(6); NB Broadcasting, préc., note 13, 387.

39

législative. Dans ce cas, pourquoi ne pas faire évoluer le privilège de la liberté de parole dans le

contexte politique et social présenté précédemment, où les médias tiennent une place prépondérante

et les risques d’atteinte à la dignité et à la réputation se trouvent démultipliés? La Cour aura peut-être

la chance de répondre à cette question dans un prochain arrêt portant sur les privilèges

parlementaires. Un changement de cap ou une démonstration d’ouverture restent à espérer de sa

part.

De la nécessité de se tourner vers les solutions extrajudiciaires

Devant cette impasse constitutionnelle et interprétative, et loin de vouloir remettre en cause

l’autonomie des assemblées en matière de privilèges parlementaires, il s’avère pertinent de

s’interroger sur les solutions alternatives à ce conflit en droit canadien et sur les acteurs qui peuvent

être appelés à intervenir à ce sujet. De toute évidence, le Parlement est la première instance visée

par cette question. Plusieurs auteurs en appellent à l’intervention des assemblées législatives pour

réformer les privilèges parlementaires au Canada149

De surcroît, ce pouvoir du Parlement pour réguler le conflit entre liberté de parole et droits

fondamentaux a été reconnu à maintes reprises directement par la Cour suprême : « [u]ne fois la

catégorie (ou la sphère d’activité) établie, c’est au Parlement, et non aux tribunaux qu’il revient de

déterminer si l’exercice de ce privilège est nécessaire ou approprié dans un cas particulier150 ». De

cette façon, la Cour met fin à son analyse lorsque le privilège est établi et elle identifie l’auteur

responsable de contrôler l’exercice de la liberté de parole.

Tout compte fait, l’intervention parlementaire peut s’avérer préférable à l’interprétation des tribunaux.

Selon Charles Robert et Vince MacNeil, le risque que constitue le fait de laisser seuls les tribunaux

gérer le conflit entre liberté de parole et droits et libertés est double : il y a tout d’abord un risque à

reléguer la modernisation de l’institution parlementaire entre les mains des tribunaux, ensuite,

149 C. ROBERT et V. MacNEIL, préc., note 63 ; Evan FOX-DECENT, « Le privilège parlementaire, la primauté du droit et la Charte après l’affaire Vaid », (2007) 30-3 Revue parlementaire canadienne 29 ; Floyd McCORMICK, Reconciling Parliamentary Privilege with the Canadian Charter of Rights and Freedoms: Who Gets to Decide?, Australia and New Zealand Association of Clerks-at-the-Table (ANZACATT) Conference, Norfolk Island, January 2009. 150 Vaid, préc., note 17, par. 29(9).

40

l’utilisation du privilège à l’encontre des droits individuels risque de porter atteinte à la réputation de

l’institution et alimenter le cynisme dans la population151.

Il y a donc lieu d’analyser plus longuement le rôle de différents acteurs sur le conflit normatif identifié

entre la liberté de parole et la droit à la dignité et à la réputation. Cependant, avant de procéder à

cette analyse, il s’agit de démontrer que ce conflit n’est pas unique à la scène juridique canadienne.

En fait, le risque d’abus de la liberté de parole des parlementaires se pose dans plusieurs autres

États, et ce, toujours au détriment du droit à la dignité et à la réputation des citoyens. Afin de

démontrer que les solutions étrangères sur cette question peuvent également s’avérer pertinentes

pour le système parlementaire et juridique canadien, quelques cas d’espèce traités par la Cour

européenne des droits de l’homme doivent être considérés.

1.3.2 L’expérience judiciaire européenne : un risque qui dépasse la

sphère juridique canadienne

Afin de conclure cette présentation du conflit normatif entre le privilège de la liberté de parole et les

droits fondamentaux, quelques mots s’imposent sur l’étendue de ce conflit dans les autres systèmes

juridiques. En effet, le privilège de la liberté de parole est reconnu dans une majorité de systèmes

parlementaires152 sous deux principales conceptions, celle d’origine britannique153, et la seconde

d’origine française154. Ces deux conceptions de la liberté ont cependant pour même objectif de

mettre à l’abri de toute poursuite le parlementaire pour les propos et les actes qu’il tient dans le cadre

des débats parlementaires.

L’espace régional européen protège sur toute sa zone géographique un ensemble de droits

fondamentaux qui sont inscrits dans un instrument régional de protection des droits : la Convention

européenne des droits de l’homme (CEDH). Les droits reconnus dans ce texte impliquent

d’importantes obligations supra-nationales auxquelles doivent se conformer les 47 États parties à la

Convention. De ce fait, dans le contexte d’application de la CEDH, le privilège de la liberté de parole

des parlementaires a été amené à être confronté avec le droit à la dignité et à la réputation des

citoyens.

151 C. ROBERT et V. MacNEIL, préc., note 63, p.22. 152 M. VAN DER HULST, préc., note 7, p.72. 153 Infra, p.49. 154 Infra, p.63.

41

L’intérêt de la Cour européenne des droits de l’homme

La Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, connue

principalement sous le nom de Convention européenne des droits de l’homme a été adoptée en 1950

par le Conseil de l’Europe. Depuis son entrée en vigueur, de nombreuses interrogations ont émergé

en Europe quant à la compatibilité des privilèges parlementaires avec les droits garantis par la

CEDH, dont le droit d’accès à un tribunal (article 6), le droit à la vie privée (article 8) et la liberté

d’expression (article 10155). Le droit à la dignité et à la réputation a été considéré par la Cour

européenne des droits de l’homme comme implicitement inclus à l’article 8 de la CEDH156.

Par conséquent, la Cour européenne des droits de l’homme a été amenée à débattre du privilège de

la liberté de parole du parlementaire en relation avec les droits que confère la CEDH. Quelques

jugements de cette Cour ont traité du rôle et du statut de ce privilège depuis la fin des années 1960.

Sa jurisprudence sur ce conflit normatif constitue un intérêt particulier pour cette recherche en vertu

de deux principaux aspects. En premier lieu, la Cour européenne des droits de l’homme est un

tribunal supranational et a compétence auprès des 47 États signataires de la Convention. Pour cette

raison, son expérience en matière de privilèges parlementaires est vaste et plurielle. En effet, au sein

des États membres de l’Europe, on retrouve des États qui adoptent une conception britannique de la

liberté de parole, alors que d’autres ont repris la conception française de l’irresponsabilité. En second

lieu, il s’agit d’un tribunal spécialisé en matière de droits fondamentaux, qui a fait largement évoluer

l’interprétation des droits qui sont inclus dans la CEDH. Il apporte de ce fait un éclairage nouveau au

privilège de la liberté de parole, qui se trouve généralement évalué par des cours constitutionnelles,

ou, comme au Canada, par des tribunaux d’appels qui disposent d’une compétence très large.

La Cour européenne des droits de l’homme et la liberté d’expression politique

Dans l’arrêt Jérusalem c. Autriche, la Cour européenne des droits de l’homme a précisé, au sujet des

institutions parlementaires, que « dans une démocratie, le parlement ou des organes comparables

sont des tribunes indispensables au débat politique. Une ingérence dans la liberté d'expression

exercée dans le cadre de ces organes ne saurait donc se justifier que par des motifs impérieux157 ».

155 Koen MUYLLE, « L’immunité parlementaire face à la Convention européenne des droits de l’homme », (2007-2008) 3 Administration publique 207. 156 Voir entre autres, Pfeifer c. Autriche, préc., note 106, §35; Chauvy et autres c. France, préc., note 106, §70. 157 Jérusalem c. Autriche, no 26958/95, CEDH 2001-II, §40.

42

De ce fait, la séparation des pouvoirs ne devient plus la seule justification des immunités

parlementaires158, qui s’imposent également en vertu du principe démocratique, valeur primordiale

dans l’espace européen post-Seconde Guerre mondiale.

En ce qui concerne le principe démocratique, la Cour européenne des droits de l’homme a

développé une très grande tolérance quant à l’expression de nature politique, au-delà des propos

tenus par les parlementaires dans le cadre des débats institutionnels. Selon la Cour, la liberté

d’expression protège en premier lieu la liberté d’opinion, une liberté de pensée propre à chaque

citoyen garante du pluralisme politique et du respect de la démocratie. Liberté silencieuse,

« intérieure », elle est soustraite à toute forme de restriction de la part des États159.

La protection de la liberté d’expression, la variante « externe » de la liberté d’opinion, se trouve de

surcroît décuplée en contexte électoral. En effet, au nom de l’intérêt général du discours et de la

pluralité des opinions, la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît qu’une part d’exagération

supplémentaire est tolérée dans le message de l’homme politique durant une campagne électorale.

Elle a ainsi mentionné dans une série d’arrêts que « si tout individu qui s’engage dans un débat

public d’intérêt général, est tenu de ne pas dépasser certaines limites quant au respect de la

réputation et des droits d’autrui, il lui est permis de recourir à une certaine dose d’exagération, voire

de provocation160 ». Seul l’électeur dispose du pouvoir ultime de juger du message transmis par

l’homme politique, par le biais du processus démocratique. Afin de favoriser le bon déroulement de

ce dernier, la Cour souhaite encourager la multiplicité des messages et impose peu de limites à la

parole des hommes politiques.

Conséquemment, ce traitement privilégié par la Cour de la liberté d’expression politique constitue la

trame de fond dans laquelle sont rendus les deux principaux arrêts où la Cour aborde directement

l’opposition entre privilèges parlementaires et droits fondamentaux.

158 Victor FERRERES COMELLA, « Freedom of Expression in Political Contexts : Some Reflexions on the Case Law of the European Court of Human Rights », dans Wojciech SADURSKI (dir.), Political Rights Under Stress in 21st Century Europe, Oxford/New York, Oxford University Press, 2006, p.84, à la page 111. 159 Yannick LÉCUYER, Les droits politiques dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, coll. « Bibliothèque parlementaire et constitutionnelle », Paris, Dalloz, 2009, p.189. 160 Lopes Gomes da Silva c. Portugal, no 37698/97, CEDH 2000-X ; Desjardin c. France, no 22567/03, 22 novembre 2007, §48 ; Mamère c. France, no 12697/03, CEDH 2006-XIII, §25.

43

Les affaires A c. Royaume-Uni et Cordova c. Italie (No.2)

Le conflit de normes observé dans l’arrêt Michaud n’est pas limité à l’ordre juridique canadien. Il s’est

particulièrement révélé dans un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme rendu en

2002 : A. c. Royaume-Uni161. Les privilèges parlementaires britanniques étant fortement similaires

encore aujourd’hui aux privilèges dont disposent les assemblées parlementaires canadiennes, il y a

fort à croire qu’une telle situation pourrait également survenir au Canada. Dans cet arrêt, un député

avait tenu à plusieurs reprises devant la Chambre des communes britannique des propos très

péjoratifs à l’encontre de la plaignante, en donnant même jusqu’à son nom et son adresse. En raison

des conséquences très malheureuses encourues par la plaignante à la suite de cet événement

(injures à son encontre, relocalisation dans un nouveau logement, etc.), celle-ci a tenté d’obtenir

réparation de la part du député devant les tribunaux britanniques, et ce, sans succès, puisque la

Chambre des communes a de son côté invoqué la liberté de parole des députés pour exonérer le

parlementaire de toute responsabilité.

Saisie de ce litige, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu que l’immunité

parlementaire de la liberté de parole avait été plaidée par la Chambre des communes à bon escient,

puisque cela avait été fait en vertu des buts légitimes « que constituent la protection de la liberté

d’expression au Parlement et le maintien de la séparation des pouvoirs entre le législatif et le

judiciaire162 ». Toutefois, dans cet arrêt, le juge Costa, à l’instar du juge Baudouin dans l’arrêt

Michaud c. Bissonnette, manifeste dans son opinion concordante un grand malaise à l’encontre de la

problématique ayant émergé de ce litige. Il écrit :

« Comme le rappellent les tierces interventions, les immunités parlementaires existent partout en Europe, avec des nuances, et je ne mets nullement en doute leur fondement. Il est certainement crucial pour la démocratie que les élus du peuple puissent parler librement dans une enceinte parlementaire (en dehors de celle-ci, c’est déjà une autre affaire), sans redouter la moindre poursuite à raison de leurs opinions (et de leurs votes). Mais ce principe sacro-saint, ne faudrait-il pas l’aménager ? Depuis le Bill of Rights de 1689 ou la Constitution française de 1791 (qui, la première, l’a établi en France), les rapports entre les Parlements et le monde extérieur ont changé. Il ne s’agit plus, seulement ou principalement, de protéger leurs membres contre le souverain ou l’exécutif. Il s’agit aussi d’affirmer l’entière liberté d’expression des parlementaires mais, peut-être, de la concilier avec d’autres droits et libertés respectables163. »

161 A. c. Royaume-Uni, préc., note 20. 162 Id., §77. 163 A. c. Royaume-Uni, préc., note 20, opinion concordante du Juge Costa.

44

Cet extrait démontre, une nouvelle fois, la confusion de certains juges quant à l’impossibilité de

dégager une solution qui soit conforme à la nature universaliste des droits fondamentaux et moins

ancrée dans les principes historiques que semblent vouloir protéger les tribunaux.

Dans l’arrêt Cordova c. Italie (No.2)164, rendu quelques mois à la suite de l’arrêt A c. Royaume-Uni, la

Cour vient imposer certaines limites à l’irresponsabilité parlementaire qui découle de cette liberté de

parole. Elle y précise en effet l’étendue de cette immunité. Selon la Cour, l’irresponsabilité et la

limitation du droit d’accès à un tribunal se justifient uniquement lorsque celles-ci concernent les

opinions exprimées dans l’exercice direct de la fonction parlementaire165. De plus, tout ce qui excède

les fonctions parlementaires ou la reproduction de discours tenus à l’assemblée n’est pas couvert par

la protection que confère la liberté de parole : « De l'avis de la Cour, l'absence d'un lien évident avec

une activité parlementaire appelle une interprétation étroite de la notion de proportionnalité entre le

but visé et les moyens employés166. » De surcroît, la Cour favorise dans ses arrêts la notion du « lieu

parlementaire167 », puisqu’elle a reconnu qu’un parlementaire qui s’exprime hors de l’enceinte

parlementaire ne peut recevoir la protection de l’immunité168.

Bien que cet arrêt s’applique particulièrement au contexte politique et parlementaire italien, et non à

tous les États, la Cour vise pourtant dans l’affaire Cordova à définir certaines frontières aux

immunités parlementaires et à évoquer les limites de cette exception au droit commun qu’elle a

magnifiée au bénéfice du principe démocratique et de la séparation des pouvoirs dans l’arrêt A c.

Royaume-Uni. Devant ces démonstrations manifestes des risques d’abus que pose la liberté de

parole des parlementaires pour les droits des individus qui ne disposent d’aucun recours additionnel,

les tribunaux ont néanmoins tranché en faveur de la protection des prérogatives institutionnelles

historiques, et ce, malgré l’expression d’un inconfort partagé par plusieurs juges quant à cette

situation.

Ce constat partagé au Canada et en Europe doit ouvrir la voie à de nouvelles solutions, à certaines

réformes, afin que soit tracé un terrain d’entente entre la liberté de parole et le droit à la dignité et à la

réputation. Plusieurs acteurs détiennent une responsabilité pour repenser la gestion des privilèges à

164 Cordova c. Italie (No 2), no 45649/99, CEDH 2003-I. 165 Voir Koen MUYLLE, préc., note 4, 720. 166 Cordova c. Italie (no2), préc., note 164, §64. 167 Y. LÉCUYER, préc., note 159, p.212. 168 De Jorio c. Italie, no 73936/01, 3 juin 2004, §54.

45

cet effet, y compris les parlementaires eux-mêmes. C’est du moins ce que prétendent Robert et

MacNeil :

« Even when privilege is successfully asserted, many will regard it as an abuse when privileges trump the rights of individuals. Where there is conflict between individual rights and parliamentary privileges, the first instinct of parliamentarians has been to defend privilege at the expense of individual rights. In fact, such conflicts present an opportunity to re-evaluate and modernize the privilege in question, so that to the greatest extent possible, the claimed privilege can co-exist with individual rights169 ».

Les parlementaires sont souvent les premiers à recourir aux privilèges afin de défendre leurs

prérogatives institutionnelles. Ils sont cependant les premiers à pouvoir mettre en œuvre une vision

plus contemporaine de la liberté de parole et à la concilier avec droits fondamentaux.

Comme il le fut démontré dans ce premier chapitre, la liberté de parole a évolué de 1867 à

aujourd’hui170. Le contexte politique, médiatique et juridique est plus éclaté et les risques de porter

atteinte aux droits d’un tiers sont plus importants qu’auparavant. De surcroît, il serait conforme au

rôle des assemblées parlementaires de revenir vers une conception moins attentatoire des

privilèges. À cet effet, Robert et MacNeil utilisent efficacement la métaphore de l’épée et et du

bouclier :

« It is essential that parliamentarians come to grips with the fact that in modern times privilege is rarely claimed as a shield against attacks by the executive or by the judiciary acting as a proxy for the executive. In reality and in public perception, privilege has become a sword, with the practical effect of denying, or at least interfering with, the rights and freedoms guaranteed to individuals by the Constitution171 ».

La nécessaire conciliation entre privilèges parlementaires et droits et libertés permettrait de ce fait

aux immunités parlementaires de repasser de la conception de l’épée, à celle du bouclier, plus en

phase avec la vocation historique de la liberté de parole des parlementaires.

Après avoir présenté le portrait du contexte actuel dans lequel interagissent les privilèges et le droit à

la dignité et à la réputation, l’analyse porte désormais sur les modes de résolution au conflit normatif

identifié. Pour ce faire, une étude comparative des solutions empruntées dans divers États doit être

réalisée. Afin de donner à cette comparaison une nature compréhensive, les deux principales

versions de la liberté de parole qui fondent les immunités que l’on trouve mises en oeuvre dans les

169 C. ROBERT et V. MacNEIL, préc., note 63, p. 24. 170 Id., p.28. 171 Id., p.37.

46

systèmes parlementaires à ce jour sont tout d’abord présentées dans le prochain chapitre. Il s’agit de

la conception d’origine britannique et de la conception d’origine française. Cette mise en contexte

permet de mieux situer par la suite les modes de résolution retenus dans leur ordre parlementaire

respectif.

47

Chapitre 2 – De la contingence historique et des modèles

de la liberté de parole du parlementaire

La notion de privilège ou d’immunité parlementaire au sein de l’ordre constitutionnel d’un État est

directement liée à l’évolution du système parlementaire dans lequel il a été conçu. L’histoire politique

tient une large place dans la compréhension des privilèges parlementaires, tout comme dans la

pérennité de ces immunités.

Le Royaume-Uni et la France ont mis en place, dans le cadre d’évènements politiques exceptionnels

historiquement qualifiés de révolutions172, les deux principaux systèmes de protection des privilèges

ou immunités parlementaires toujours actuellement en vigueur173. Ces deux systèmes sont

également ceux ayant eu le rayonnement le plus important. Ils se retrouvent aujourd’hui implantés

dans une majorité d’États, principalement en raison des grands mouvements de colonisation174.

Au Royaume-Uni, le système du « freedom of speech » a été institué officiellement par les

évènements de la Glorieuse Révolution de 1688-1689, qui ont conduit à l’adoption du Bill of Rights175

et de son article 9. Une centaine d’années plus tard, en France, la Révolution française a mené à

une grande réorganisation du système politique dans son ensemble et, de ce fait, à l’instauration

d’une Assemblée nationale composée de députés auxquels certains privilèges particuliers furent

spécifiquement octroyés, dont l’irresponsabilité.

Le développement du parlementarisme au sein de ces deux États s’est fait en faveur de conjonctures

fort différentes et les immunités qui en ont émergé relèvent par conséquent certaines distinctions

conceptuelles. Elles manifestent malgré tout plusieurs équivalences fonctionnelles au plan de la mise

en oeuvre et des objectifs.

Quant à ces équivalences fonctionnelles, il faut retenir que ces deux conceptions des immunités

parlementaires présentent un risque de conflit avec les droits fondamentaux des citoyens au sein de

l’ordre juridique qui les met en oeuvre, dont le droit à la dignité et à la réputation, puisqu’il s’agit dans

172 La Glorieuse Révolution de 1688-1689 d’un côté et la Révolution française de 1789 de l’autre. 173 R. MYTTENAERE, préc., note 6 et M. VAN DER HULST, préc., note 7, p.70. Nous pourrions évoquer également le système américain, qui a des origines distinctes, mais qui a eu peu d’influence au sein des États modernes. À des fins de concision, et en raison de sa moindre influence, ce système ne sera pas abordé dans ce mémoire. 174 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.43. 175 Id., p.39.

48

les deux cas d’immunités qui visent à soustraire les parlementaires de l’application du droit commun

pour les actes commis dans l’exercice de leurs fonctions. Par exemple, cette protection se trouve

confrontée en France au principe constitutionnel de l’égalité entre les citoyens. L’article 1er de la

Constitution française prévoit en effet que la République « assure l’égalité devant la loi de tous les

citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion176. » L’irresponsabilité a cependant été

décrite comme une « inégalité qui est un fondement de la démocratie parlementaire177 ».

Pour comprendre la situation actuelle des immunités parlementaires et le particularisme des

systèmes de type britannique et d’influence française et, par le fait même, la diversité des modes de

résolution au conflit entre privilèges et droits fondamentaux, il apparaît nécessaire de procéder à une

étude compréhensive de la liberté de parole des parlementaires. Il s’agit de s’attarder en premier lieu

à l’évolution de la protection de la liberté de parole du parlementaire par le biais des grands

évènements historiques qui l’ont marqué. Pour reprendre l’expression de la commission

parlementaire australienne sur les privilèges parlementaires : « Parliamentary privilege in its present

form cannot be understood fully without regard to its historic origin and to constitutional development

over the last 400 years178 ». Cette citation, qui réfère aux privilèges britanniques, s’applique

également au cas français.

En plus des événements historiques fondateurs, il s’avère de surcroît pertinent de s’attarder aux

éléments qui caractérisent aujourd’hui ces deux conceptions de la liberté de parole auxquelles

correspondent indirectement la justification actuelle de ces privilèges parlementaires. Comme elles

dérogent au principe de l’égalité entre citoyens et au droit commun en général, l’étendue et la

pratique de ces immunités doivent être strictement délimitées afin d’éviter les risques d’abus de ce

privilège.

2.1 La conception anglo-saxonne et la tradition des

parlements de type britannique

La première reconnaissance législative de la protection de la liberté de parole des parlementaires se

retrouve dans le texte de l’article 9 du Bill of Rights de 1689, adopté lors de la Glorieuse Révolution,

176 FRANCE, Constitution du 4 octobre 1958, art.1er. 177 François LUCHAIRE et Gérard CONAC (dir.), La Constitution de la République française : analyses et commentaires, Paris, Économica, 1980, p. 440. 178 Joint Committee Report 1999, préc., note 94, par. 8.

49

au Royaume-Uni. L’inscription officielle de ce privilège parlementaire dans un texte de loi est un

moment historique incontournable : il représente à la fois le fondement de la liberté de parole dans

les assemblées de type britannique179 ainsi qu’une influence notable pour les autres systèmes

parlementaires qui se développeront au cours des années suivantes (France, États-Unis) et qui

introduiront dans leur cadre institutionnel et juridique ce type de privilège.

Le libellé exact de l’article 9 du Bill of Rights, toujours en vigueur au Royaume-Uni à ce jour, est

manifeste : « That the freedom of speech and debates or proceedings in Parliament ought not to be

impeached or questioned in any Court or place out of Parliament180. »

Afin de mieux saisir la signification de cette liberté de parole et de ce qu’elle implique, il importe de

faire un bref retour historique sur les épisodes importants de l’évolution de ce privilège parlementaire.

La compréhension des évènements qui ont mené à la rédaction du Bill of Rights et de son article 9

permet de saisir non seulement l’origine du privilège parlementaire de la liberté de parole, mais aussi

le lot de traditions que sa mise en oeuvre véhicule encore à ce jour. Cette démarche vise par la suite

à dégager les caractéristiques et les valeurs qui qualifient ce privilège au Royaume-Uni, et qui ont été

majoritairement importées dans les systèmes parlementaires d’influence britannique.

2.1.1 Historique du « freedom of speech »

Le Royaume-Uni est le premier lieu d’émergence des revendications pour la liberté de parole des

parlementaires. Une lutte étendue sur plusieurs siècles entre les représentants du Parlement et ceux

de la Couronne britannique est à l’origine de la protection de cette liberté et de la reconnaissance

des privilèges parlementaires. L’octroi officiel du privilège de la liberté de parole est en effet

l’aboutissement d’une série de condamnations de parlementaires et de pétitions adressées au Roi.

Cette rivalité historique entre le Parlement et la Couronne justifie le statut exceptionnel qui a été

conféré par la suite à cette liberté de parole, considérée comme la pierre d’assise des privilèges que

détiennent aujourd’hui les assemblées législatives et leurs représentants. Les épisodes les plus

marquants de cette rivalité doivent être présentés afin d’en illustrer l’intensité, qui justifie à la fois le

caractère exceptionnel de la liberté de parole et la protection dont elle bénéficie aujourd’hui.

179 A. O’BRIEN et M. BOSC, préc., note 31, p.65; D. McGEE, préc., note 67, p.606 et 607; M. VAN DER HULST, préc., note 7, p.72 ; B.C. WRIGHT (dir.), House of Representatives Practice, 6e éd., Canberra, Department of the House of Representatives, 2012, p.735. 180 ROYAUME-UNI, Bill of Rights 1688, préc., note 2.

50

À sa fondation, le Parlement britannique avait une nature juridictionnelle181, ce qui justifie à l’origine

sa quête pour une protection à l’encontre des agissements de la Couronne. Au cours des années,

cette nature évoluera en fonction principalement délibérative, grâce, notamment, à la reconnaissance

graduelle de la liberté de parole et de débat des parlementaires.

L’apparition et la consolidation de la liberté de parole ont beaucoup plus d’importance dans l’histoire

des institutions politiques qu’il n’y appert aujourd’hui. En effet, l’assurance de ce privilège a

graduellement transformé l’institution parlementaire d’une structure consultative en un « véritable lieu

de contrôle et de délibération182 ». La garantie de la liberté de parole est aussi fortement liée à

l’élargissement du champ d’intervention des parlementaires183, au détriment de la prérogative royale.

La liberté de parole des parlementaires a émergé au même moment que le principe constitutionnel

de la souveraineté parlementaire, caractéristique marquante du système constitutionnel anglais. Il

faut ainsi voir dans ce privilège parlementaire une revendication historique qui se justifiait

grandement à l’époque, mais qui n’a peut-être plus la même résonance aujourd’hui. Néanmoins,

l’histoire de la liberté de parole est à l’origine du statut privilégié que détient ce privilège dans les

assemblées parlementaires, et en quelque sorte, à l’origine de la protection particulière qu’ils

reçoivent aujourd’hui de la part des tribunaux.

La phase de renforcement

Le premier litige d’importance concernant la protection des parlementaires est recensé en 1397.

Thomas Haxey, un député de la Chambre des communes, est condamné à mort puisqu’il est

considéré à l’origine d’un acte du Parlement visant à dénoncer l’importante charge fiscale qu’imposait

la cour du Roi Richard II184. Toutefois, en raison de pressions de la part du Parlement, sa

condamnation n’a jamais été mise à exécution et Haxey a reçu a posteriori le pardon du Roi. Cet

évènement est le premier élément d’une première phase de l’histoire de la liberté de parole des

parlementaires britanniques, qui peut être qualifiée de phase de renforcement. Une tradition voulant

181 Voir à cet effet C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.34-35. 182 Id., p.141. 183 Id., p.158. 184 Carl WITTKE, The History of English Parliamentary Privilege, New York, Da Capo Press, 1970, p.23.

51

que les membres du Parlement disposent d’une certaine liberté de parole s’est en effet établie

graduellement durant le 15e siècle185.

En 1512, Richard Strode, membre du Parlement, est détenu et mis à l’amende pour avoir présenté

un projet de loi visant à réguler les abus dans l’industrie de l’étain. Le Parlement, afin d’affirmer son

indépendance devant la prérogative royale, adopte alors une loi, connue plus tard sous le nom de

« Strode’s Act », pour annuler tout jugement et toute charge à l’égard de Strode et stipulant que

toutes les poursuites ou charges futures qu’il pourrait encourir pour toute chose discutée devant le

Parlement seraient nulles et non avenues186.

En 1523, Thomas More, le président de la Chambre des communes, adresse pour la première fois

une pétition au roi Henri VIII, lui demandant de donner une interprétation favorable aux travaux du

Parlement : « to take all in good part, interpreting every man’s words, how uncunningly soever they

may be couched, to proceed yeat of a good zeale towardes the profit of your Realme187 ». Bien que

cette adresse ne constitue pas une revendication directe de la liberté de parole, elle marque une

évolution considérable dans les rapports entre les parlementaires et le Roi et constitue le fondement

d’une pratique toujours contemporaine. En effet, depuis cet évènement, il est devenu coutume à la

Chambre des communes britannique que le speaker (ou président) revendique les privilèges de la

chambre auprès du monarque à l’ouverture de chaque nouveau Parlement188. Quelques années plus

tard, en 1542189, le président de la Chambre des communes revendique directement dans sa pétition

l’existence du privilège de la liberté de parole pour la première fois.

Au début de la période du règne élisabéthain, la pratique des privilèges semble être bien établie,

puisque les réclamations pour ces derniers dans la pétition adressée à la Reine en 1563 étaient

justifiées « as according to the old ancient order190 ». Toutefois, durant cette période, quelques

185 C. WITTKE, préc., note 184, p.22 ; Imelda HIGGINS, « Parliamentary privilege and free speech in the Oireachtas », (2010) 32 Dublin University Law Journal 94. 186 C. WITTKE, préc., note 184, p.25. 187 W. McKAY, préc., note 33, p.80 ; Malcolm JACK (dir.), Erskine May's treatise on the law, privileges, proceedings, and usage of Parliament, 24e éd., London, LexisNexis, 2011, p.207 (ci-après « Erskine May »). 188 « At the commencement of every Parliament it has been the custom for the Speaker, in the name, and on behalf of the Commons, to lay claim by humble petition to their ancient and undoubted rights and privileges; particularly to freedom of speech in debate, freedom from arrest, freedom of access to Her Majesty whenever occasion shall require; and that the most favourable construction should be placed upon all their proceedings », Erskine May, préc., note 187, p.206 ; C. WITTKE, préc., note 184, p.21. 189 Henry ELSYNGE, The Manner of Holding Parliaments in England, London, Richardson and Clark, 1768, p.176. 190 Erskine May, préc., note 187, p.207.

52

accrochages surviennent entre la Reine et le Parlement sur des questions successorales et

religieuses. Ces questions relevaient, selon la Reine, uniquement de la prérogative royale et ne

pouvaient être débattues par le Parlement191. Diverses mesures (convocations, arrestations,

emprisonnement) furent employées par la Reine auprès des membres du Parlement afin de

restreindre leur droit de parole sur ces sujets précis. De plus, au même moment où la Chambre

continue de revendiquer l’idée que la liberté de parole de ses membres est essentielle, une grande

importance est accordée par le Parlement au décorum et à l’obéissance qui est vouée au Souverain.

La chambre est par conséquent amenée à prendre de son côté des mesures punitives contre ses

membres qui allaient trop loin192. Un certain équilibre semble finalement s’installer au sein du

Parlement.

La phase de dégradation

Sous le règne de Jacques 1er (1603-1625), à l’époque où l’absolutisme royal est une idéologie en

vogue, le conflit entre prérogative royale et privilèges des parlementaires est vivement relancé. La

lutte pour la reconnaissance de la liberté de parole entre alors dans une phase de dégradation.

En 1604, Jacques 1er affirme qu’il n’a pas l’intention de nier l’existence des privilèges du Parlement,

mais que ceux-ci découlent néanmoins des faveurs royales193. La Chambre des communes adresse

conséquemment une réponse au roi intitulée « Form of Apology and Satisfaction ». Ce document

indique que contrairement à ce qu’affirme le Roi, les privilèges ne sont pas dûs à la grâce royale et

renouvelés à chaque Parlement sur pétition194. Ils n’ont pas la portée limitée que lui attribuent le Roi.

En 1621, Jacques 1er réaffirme dans une lettre adressée au Parlement que leurs privilèges, dont leur

liberté de parole, sont dûs à la grâce royale et à la bonne volonté des monarques : « their Privileges

were derives from the grace and permission of our ancestors ands Us […], rather a toleration than

inheritance […].195 ». La Chambre des communes réplique par la Protestation196 de 1621, un texte

191 C. WITTKE, préc., note 184, p.26. 192 Erskine May, préc., note 187, p.207. 193 Id. 194 Id. 195 John HATSELL, Precedents of Proceedings in the House of Commons, Vol. I, London, Hansard and Sons, 1818, p.78. 196 Texte complet de la Protestation: « […] That the Liberties, Franchises, Privileges, and Jurisdictions of Parliament, are the antient and undoubted birthright and inheritance of the subjects of England and that the arduous and urgent affairs concerning the King, State, and the Defence of the Realm, and of the Church of England, and the Making and Maintenance of Laws, and Redress of Mischiefs and Grievances, which daily happen within this realm, are proper

53

qui rappelle que la « freedom of speech » est plutôt une liberté que possèdent les parlementaires de

plein droit197. La Protestation est officiellement consignée dans le compte rendu des séances. Le Roi

s’oppose à cet « affront » du Parlement en ordonnant d’arracher la page des débats officiels où était

inscrite cette Protestation et il proclame par la suite la dissolution du Parlement198. Lors de cet

épisode, l’idéologie anti-absolutiste des Communes se confronte à la vision du Roi, qui perçoit sa

prérogative royale comme outil de contrôle efficace du Parlement199. En présentant les privilèges du

Parlement comme des droits ancestraux, une forme de coutume constitutionnelle, la Protestation

vise à remettre sur un pied d’égalité privilèges et prérogative du Roi.

Cette protestation constitue un point de rupture marquant dans les revendications du Parlement. En

effet, il ne s’agit plus de réclamer la liberté de parole des parlementaires pour défendre le respect

d’un domaine d’intervention pré-assigné à la Chambre des communes, mais d’utiliser cette liberté de

manière clairement offensive, de façon à débattre librement de sujets déterminés qui étaient jusque-

là soustraits à l’appréciation de la Chambre. La liberté de parole devient graduellement l’instrument

de conquête d’un pouvoir délibérant du Parlement200.

Un dernier épisode majeur du conflit entre les parlementaires et le Roi est l’arrestation de Sir John

Eliot, membre de la Chambre des Communes, et de deux de ses collègues. En 1629, à la suite de la

dissolution du Parlement, Eliot, et deux de ses collègues, Holles et Valentine, sont mis à l’arrêt pour

propos jugés séditieux et violences contre le speaker. Ils avaient entre autres refusé de voter pour la

perception d’un impôt jugé excessif201. Pour justifier leur interpellation, la Couronne plaide que les

privilèges conférés aux parlementaires ne protègent pas les propos séditieux tenus en Chambre202.

Eliot meurt quelques années plus tard en prison, et le Parlement n’est pas reconvoqué pour une

subjects and matter of counsel and debate in Parliament : And that, in the handling and proceeding of those businesses, every Member of the House hath, and of right ought to have, Freedom of Speech to propound, treat, reason, and bring to conclusion the same : And that the Commons in Parliament have like Liberty and Freedom to treat of those matters in such order, as in their judgments shall seem fittest : And that every such Member of the said House hath like Freedom from all Impeachment, Imprisonment, of Molestation (other than by censure of the House itself) for or concerning any Bill, speaking, reasoning, or declaring of any matter or matters touching the Parliament, or Parliament business : And that, if any of the said Members be complained of, or questioned for any thing done or said in Parliament, the same is to be shewed to the King, by the advice and assent of all the Commons assembled in Parliament, before the King give credence to any private information. », dans Id., p.78-79. 197 Erskine May, préc., note 187, p.208. 198 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.157. 199 Id., p.155. 200 Id., p.156. 201 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.38. 202 Erskine May, préc., note 187, p.208.

54

période de onze années. En 1641, à la première séance du Parlement suivant l’arrestation de Eliot et

de ses collègues, les Communes adoptent une résolution déclarant que toute procédure contre l’un

de leurs membres constituait une atteinte à leurs privilèges203.

Pendant la période de la Restauration, à la suite du Protectorat de Cromwell (1649-1660), les

parlementaires, toujours éprouvés, prennent une série de résolutions visant à établir le caractère

absolu de leur liberté de parole et de débats204. Entre autres, en 1667, ils votent une proposition qui

affirme que le « Strode’s Act » de 1512, garantissant la liberté de parole, était une loi générale

déclaratoire des droits et privilèges ancestraux nécessaires au Parlement205. La même année, un

comité de la Chambre des communes chargé d’étudier l’affaire Eliot déclare que celle-ci constituait

une atteinte aux droits et privilèges du Parlement206.

La phase de reconnaissance

À la suite de la détention de Eliot207, la dernière phase du conflit entre parlementaires et Couronne se

dessine : la reconnaissance officielle du « freedom of speech ». Quelques derniers écueils se

déroulent toutefois entre la Couronne et les parlementaires dans les années précédant la rédaction

du Bill of Rights.

En 1684, le speaker de la Chambre des communes, Sir William Williams, est accusé et mis à

l’amende parce qu’il avait autorisé la publication d’un rapport d’une commission parlementaire faisant

état d’un « complot papiste » impliquant des personnalités de l’entourage du Roi Charles II208. Ces

derniers faits sont directement liés à la rédaction de l’article 9 du Bill of Rights. En effet, dans les

débats du comité de rédaction de ce texte, plusieurs références sont faites à la condamnation de Sir

Williams209. De plus, on retrouve dans le préambule du Bill of Rights une dénonciation des procès

faits par la Cour du Roi sur des matières relevant exclusivement du Parlement210.

203 C. WITTKE, préc., note 184, p. 30. 204 Id., p. 30; C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.38. 205 C. WITTKE, préc., note 184, p.30. 206 Id. 207 Id., p. 104. 208 Erskine May, préc., note 187, p. 180 ; C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.39. 209 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p. 39. 210 « Whereas the late King James the Second by the Assistance of diverse evill Councellors Judges and Ministers imployed by him did endeavour to subvert and extirpate the Protestant Religion and the Lawes and Liberties of this

55

À la suite de ce dernier évènement, un contexte favorable au Parlement et un affaiblissement

considérable du pouvoir de la Couronne permet d’inscrire définitivement la liberté de parole du

parlementaire à l’article 9 du Bill of Rights. Ce texte, adopté dans le contexte de la Glorieuse

Révolution de 1688, établit des balises pour restreindre la prérogative royale et rééquilibre les

pouvoirs institutionnels au profit du Parlement. La liberté de parole du député britannique est donc

revendiquée et finalement accordée afin de protéger les droits des parlementaires, mais également

les droits des sujets, de qui le Parlement était le garant.

Comme le précise Cécile Guérin-Bargues, la consolidation des privilèges parlementaires au

Royaume-Uni est fortement liée à l’évolution du rôle que joue le Parlement dans la vie politique

anglaise de l’époque: « À partir du moment où la Chambre des communes commence à exercer un

pouvoir d’initiative en matière législative et à assurer un embryon de contrôle sur l’action du

gouvernement, le Parlement s’inscrit dans un mouvement d’autonomisation vis-à-vis de la

Couronne211. » L’adoption du Bill of Rights officialise cette autonomie et la suprématie de l’institution

législative.

Plus que la simple reconnaissance d’un droit, l’article 9 du Bill of Rights participe au renforcement de

l’idée que la démocratie parlementaire constitue un système politique fondé sur le respect des

libertés et des droits des sujets de l’État. La longue période d’émergence de la liberté de parole

laisse ainsi en héritage plusieurs principes qui fonderont l’interprétation et l’évolution de cette

immunité dans les Parlements qui hériteront ou s’inspireront de la conception britannique des

immunités parlementaires. La gestion contemporaine et l’attitude protectrice développée envers le

privilège parlementaire de la liberté de parole au sein des institutions législatives est par conséquent

fortement marquée par cette période de luttes et de revendications des parlementaires. Le fait que la

reconnaissance de cette liberté de parole soit à l’origine de l’émancipation des démocraties

modernes sous-tend de surcroît l’analyse qui en est faite par les tribunaux. Finalement, les

principales caractéristiques qui fondent aujourd’hui la mise en oeuvre de la liberté de parole sont

marquées à la fois par ses origines historiques et son évolution contemporaine.

Kingdome. […] By Prosecutions in the Court of Kings Bench for Matters and Causes cognizable onely in Parlyament and by diverse other Arbitrary and Illegall Courses. » 211 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.40.

56

2.1.2 Caractéristiques du « freedom of speech »

L’étude des luttes historiques entre le Parlement et la Couronne britannique permet de retracer les

quelques principes fondamentaux qui transcendent cette liberté de parole et les objectifs visés à

l’époque par les membres du Parlement britannique. Ces principes ont guidé sa revendication en tant

que droit propre plutôt que simple permission du souverain. Ils permettent de mieux comprendre les

mécanismes mis en place au sein des assemblées pour gérer cette liberté de parole. Les valeurs qui

la sous-tendent ont été en partie déterminées par l’histoire, mais la pratique actuelle de la liberté de

parole des parlementaires est également le fait de leur évolution depuis la fin du XVIIe siècle. Il s’agit

aujourd’hui d’un privilège accordé aux assemblées parlementaires en vertu d’un objet précis, assurer

la liberté du débat parlementaire et l’indépendance de l’institution législative. De plus, la liberté de

parole révèle une nature à la fois collective, protectrice et inclusive, mais son étendue n’est toutefois

pas illimitée, sa mise en oeuvre ayant permis de lui dégager certaines balises intrinsèques.

L’objet de la liberté de parole : Liberté du débat et indépendance de l’institution

législative

La reconnaissance de la liberté de parole dans le Bill of Rights en 1689 avait deux objectifs distincts.

D’une part, elle visait à assurer la liberté de parole et de débat au sein de l’enceinte parlementaire.

D’autre part, elle souhaitait assurer l’indépendance de l’institution législative vis à vis les autres

pouvoirs de l’État, et tout particulièrement la protéger des atteintes de la Couronne sur le

Parlement212.

La formulation de l’article 9 du Bill of Rights permet donc de dégager deux composantes à l’immunité

qui y est conférée aux parlementaires. On y reconnaît la liberté de parole (freedom of speech), mais

également la liberté des débats (freedom of debates). L’article 9 protège la liberté des parlementaires

de dire ce qu’ils veulent, mais également de discuter de ce qu’ils veulent213. Même si les rapports

entre l’exécutif et le Parlement ne sont plus aussi conflictuels, qu’au XVIIe siècle lorsque la liberté de

parole et de débat a été intégrée au Bill of Rights, il demeure impératif d’assurer encore aujourd’hui

la liberté de parole et de débat au sein d’une institution délibérative démocratique214. Le respect de

212 Oonagh GAY et Hugh TOMLINSON, « Privilege and Freedom of Speech », dans Alexander HORNE, Gavin DREWRY et Dawn OLIVER (dir.), Parliament and the Law, Oxford/Portland, Hart Publishing, 2013, p. 35, à la page 37. 213 Joint Committee Report 1999, préc., note 94, par. 36. 214 O. GAY et H. TOMLINSON, préc., note 212, p.37.

57

ce principe est indispensable, afin que cette institution et ses membres, des représentants élus

directement par la population, puissent assurer leurs fonctions de législateur et de contrôleur de

l’exécutif sans contrainte. L’assurance de la liberté de parole et de débat constitue une valeur

fondamentale essentielle servant à définir les risques d’atteinte à cette immunité parlementaire.

Le privilège parlementaire de la liberté de parole vise en outre à inscrire l’indépendance de

l’institution délibérative vis à vis l’exécutif. Cet objet se révèle dans le texte de l’article 9 du Bill of

Rights, alors qu’on y indique que les « proceedings in Parliament » ne doivent être remis en

question. Ces termes ont mené à l’émergence du droit de la Chambre de règlementer ses affaires

internes, qui est également considéré comme un privilège parlementaire inhérent à l’article 9 du Bill

of Rights215. Ce second privilège de la gestion des affaires internes est ainsi décrit par le Comité

mixte sur les privilèges parlementaires de la Chambre des communes : « Parliament must have sole

control over all aspects of its own affairs: to determine for itself what the procedures shall be, whether

there has been a breach of its procedures and what then should happen216. » Ce privilège de la

gestion des affaires internes renforce le fait que les tribunaux ne peuvent remettre en cause les

débats tenus en Chambre, et a pour effet que seules les assemblées parlementaires sont

compétentes pour régir cette liberté de parole, en conformité avec le principe de séparation des

pouvoirs. Ce dernier principe, institué au sein des régimes politiques selon diverses configurations,

suggère que les pouvoirs de l’État (législatif, exécutif et judiciaire) se distinguent en personnalité et

en fonctions afin de préserver le bon fonctionnement de l’État de droit217.

L’organisation particulière du parlementarisme britannique, caractérisée par une séparation stricte

entre les pouvoirs législatif et judiciaire, enrichit l’idée que les privilèges parlementaires, dont celui de

la liberté de parole, contribuent à l’indépendance de l’institution législative. La pratique actuelle de

cette séparation des pouvoirs assure ainsi le respect d’un équilibre entre tribunaux et assemblées

parlementaires. D’un côté, les tribunaux n’interviennent pas dans les matières qui tiennent de la

procédure interne du parlement, et en contrepartie, les assemblées ne traitent pas de sujets qui font

l’objet de procédures judiciaires ou quasi-judiciaires (principe de l’affaire sub judice). Le Comité mixte

215 Erskine May, préc., note 187, p.227. 216 Joint Committee Report 1999, préc., note 94, par. 13. 217 Richard BENWELL et Oonagh GAY, The Separation of Powers, House of Commons Library, Parliament and

Constitution Centre, Standard Note SN/PC/06053, p. 2.

58

sur les privilèges parlementaires de la Chambre des communes a décrit avec exactitude cette

relation particulière entre Parlement et tribunaux :

« The courts have a legal and constitutional duty to protect freedom of speech and Parliament's recognised rights and immunities, but they do not have power to regulate and control how Parliament shall conduct its business. Parliament in turn is careful not to interfere with the way the judges discharge their judicial responsibilities. Parliament enacts the law, but the courts are then left to interpret and administer it without interference by Parliament218. »

Les tribunaux et les assemblées législatives disposent de leurs compétences propres sur lesquelles

l’autre ne peut interférer. Ce principe de la séparation des pouvoirs est également à l’origine de la

difficulté des tribunaux dans l’application des lois ordinaires au Parlement, phénomène qui a été

décrit précédemment219.

La nature de la liberté de parole : Une protection collective et inclusive

L’objet premier du privilège parlementaire de la liberté de parole est d’assurer la liberté de discussion

au sein du Parlement. Du fait que ce privilège garantit une libre délibération, il se trouve aussi à

garantir la protection des droits des citoyens. Il s’agit d’un privilège obtenu de longue haleine par les

parlementaires, qui à l’époque prévenait des abus du souverain. La liberté de parole assure le

respect des droits des individus. Ce droit a aujourd’hui une nature protectrice plutôt que préventive.

Ce privilège parlementaire protège les députés qui s’expriment, mais son extension aux témoins

entendus au Parlement vise de plus à protéger l’information qui peut être reçue par les

parlementaires et favorise la « constitution d’une opinion publique bien informée220 ». Cette

conception de la liberté de parole est en lien direct avec la théorie classique que la souveraineté

parlementaire mène à la protection des droits des sujets221.

Le privilège de la liberté de parole revêt à la fois une dimension collective et individuelle. Il permet à

l’assemblée, collectivement, de remplir ses rôles institutionnels (représentation, contrôle de l’exécutif,

processus législatif) en l’absence de toute menace extérieure. Toutefois, ce droit revêt aussi un

caractère individuel, puisqu’il permet aux députés de s’exprimer personnellement sur les sujets

218 Joint Committee Report 1999, préc., note 94, par. 23. 219 Supra, p. 25. 220 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.248. 221 J. AJZENSTAT, préc., note 81, 645.

59

désirés, sans crainte de préjudice. Ce privilège met à l’abri de poursuites judiciaires les députés en

tant qu’individus222.

La liberté de parole telle qu’elle émane de l’article 9 du Bill of Rights a de surcroît une nature

inclusive, à l’étendue très large. L’inclusion dans cet article des termes « proceedings in Parliament »

souhaitait protéger l’autonomie de l’Assemblée et sa souveraineté sur ses affaires internes.

Cependant, en raison de l’imprécision de ces termes223, la liberté de parole se voit reconnaître une

portée assez large. Ainsi, une importante partie de la jurisprudence ayant traité au Royaume-Uni de

l’article 9 du Bill of Rights précisait ce qu’englobait cette « procédure parlementaire224 ». L’Australie,

dont le régime parlementaire fonctionne sur les mêmes fondements que le Royaume-Uni, est le seul

pays ayant déterminé l’étendue exacte des « proceedings in Parliament », en incluant une définition

de cette expression dans le Parliamentary Privileges Act, adopté en 1987225. Cette initiative du

législateur australien est citée par certains comme un exemple à suivre226, toutefois, aucun autre

Parlement de type britannique n’a encore agi à ce sujet. Ironiquement, l’interprétation de ces termes

repose toujours entre les mains des juges constitutionnels. Pour d’autres, l’absence de définition est

une source de flexibilité du privilège de la liberté de parole227. La conséquence de ce débat demeure

néanmoins que le privilège de la liberté de parole a, selon les contextes, une portée qualifiée

d’inclusive.

L’étendue de la liberté de parole : des balises internes et structurelles

Le texte de l’article 9 du Bill of Rights définit en partie l’étendue du privilège parlementaire de la

liberté de parole. Il prévoit que l’immunité concerne trois principaux éléments, soit les paroles

prononcées par les parlementaires, le sujet des débats en Chambre et les procédures du Parlement.

222 ROYAUME-UNI, OFFICE OF THE LEADER OF THE HOUSE OF COMMONS, préc., note 99, par. 23. 223 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p. 240. 224 Voir par exemple R. v. Chaytor, [2010] UKSC 52. 225 « For the purposes of the provisions of article 9 of the Bill of Rights, 1688 as applying in relation to the Parliament, and for the purposes of this section, "proceedings in Parliament" means all words spoken and acts done in the course of, or for purposes of or incidental to, the transacting of the business of a House or of a committee, and, without limiting the generality of the foregoing, includes: (a) the giving of evidence before a House or a committee, and evidence so given; (b) the presentation or submission of a document to a House or a committee; (c) the preparation of a document for purposes of or incidental to the transacting of any such business; and (d) the formulation, making or publication of a document, including a report, by or pursuant to an order of a House or a committee and the document so formulated, made or published. » AUSTRALIE, Parliamentary Privileges Act 1987 (Cth), art. 16(2). 226 Voir Joint Committee Report 1999, préc., note 94, par. 128 et 129. 227 ROYAUME-UNI, OFFICE OF THE LEADER OF THE HOUSE OF COMMONS, préc., note 99, par. 60.

60

Cependant, l’évolution moderne du privilège de la liberté de parole a défini les limites qui peuvent lui

être opposées dans sa mise en application.

Limités aux débats et à l’enceinte parlementaires

En ce qui concerne l’étendue « physique» du privilège de la liberté de parole, celle-ci est

généralement réservée aux endroits où siège le Parlement et où se déroulent les débats

parlementaires. De ce fait, la liberté de parole ne couvre pas les propos tenus à l’extérieur de

l’enceinte parlementaire. Dans l’éventualité où les parlementaires répéteraient des propos litigieux à

l’extérieur de la Chambre228, ou s’ils les prononcent dans le cadre d’une activité extérieure à leurs

fonctions parlementaires, ils pourront encourir des poursuites à cet effet229.

Le privilège de la liberté de parole n’est cependant pas limité au plan « personnel », puisqu’il protège

aussi les propos tenus par les non-parlementaires lorsqu’ils sont amenés à participer aux travaux de

la Chambre, par un témoignage en commission parlementaire par exemple230. Cet élargissement de

la protection à ces tiers est dû, encore une fois, aux termes « proceedings in Parliament ». L’article 9

du Bill of Rights ne fait référence qu’au type d’actes protégés et ne limite d’aucune façon leurs

auteurs231.

Finalement, sur la dimension « temporelle », les limites de l’immunité sont incontestées : elles sont

relatives à la durée du mandat parlementaire, et ne peuvent excéder ce dernier.

Limités par les règles internes

Ces privilèges ont également des limites intrinsèques. Dès 1704, il fut attesté qu’aucune chambre du

Parlement ne disposait du pouvoir de se créer tout nouveau privilège qui n’était pas préalablement

garanti par les lois et les coutumes du Parlement232. Plusieurs privilèges ont donc été limités,

supprimés ou modifiés à travers les années233.

228 E. CAMPBELL, préc., note 97, p.13 ; A. O’BRIEN et M. BOSC, préc., note 31, p.96-97. 229 Duhaime c. Mulcair, [2005] R.J.Q. 1134 (C.S.) ; Boisclair c. Duchesneau, 2014 QCCS 767. 230 ROYAUME-UNI, OFFICE OF THE LEADER OF THE HOUSE OF COMMONS, préc., note 99, par. 47. 231 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.250. 232 Erskine May, préc., note 187, p.218. 233 Id.

61

Le parlementaire est soumis en premier lieu aux règles de discipline internes du Parlement. Il s’agit

d’un mode de contrôle prospectif des actes des parlementaires en édictant des règles internes afin

que leurs propos ne dépassent pas certaines limites :

« Subject to the rules of order in debate, a Member may state whatever he thinks fit in debate, however offensive it may be to the feelings, or injurious to the character, of individuals; and he is protected by parliamentary privilege from any action of defamation, as well as from any other question or molestation234. »

Le membre du Parlement dispose d’une liberté de parole quasi absolue, cependant, celle-ci est

toujours limitée en premier lieu par les règles du débat parlementaire235.

La mise en application de ces règles de discipline interne ne relève en dernier lieu que de

l’assemblée elle-même, en vertu du privilège de gestion des affaires internes, et ce, sans ingérence

extérieure. Ces règles sont généralement précisées dans les règlements internes qui organisent les

travaux parlementaires et se déclinent des propos anti-parlementaires jusqu’à l’expulsion de la

Chambre.

Une limite additionnelle qui s’impose au privilège de la liberté de parole et qui est mise en oeuvre à la

discrétion des autorités chargées de la discipline parlementaire est la règle du sub judice236. Cette

règle, qui interdit de discuter des affaires en cours devant une instance juridictionnelle ou quasi-

juridictionnelle, a été instituée, comme il le fut mentionné précédemment, au nom de la séparation

des pouvoirs ou, à tout le moins, du principe constitutionnel de l’indépendance judiciaire. Celle-ci est

appliquée de façon plus ou moins stricte dans les diverses assemblées, et les règles en cette matière

peuvent même diverger entre les deux chambres d’un même Parlement, comme ce fut le cas au

Royaume-Uni237.

Limité par la sanction démocratique

La liberté de parole conférée aux parlementaires implique qu’ils n’aient pas de comptes à rendre à

des organismes à l’extérieur de la Chambre. Toutefois, elle n’exclut pas de toute responsabilité vis à

234 Erskine May, préc., note 187, p.222. 235 L’application et la diversité des règles disciplinaires visant à encadrer le débat parlementaire seront discutées plus longuement à titre de mode de résolution au conflit entre liberté de parole et droit à la dignité et à la réputation. Infra, p.105. 236 O. GAY et H. TOMLINSON, préc., note 212, p.51. 237 Id.

62

vis la Chambre elle-même. Cette responsabilité est un principe fondamental que partagent tous les

parlements de type britannique238. Sur cette question, David McGee écrit :

« The fact that such a legal immunity exists does not prevent the legislature proceeding against its own members (or anyone else) for a breach of privilege or contempt. Furthermore, the fundamental democratic right of free election to Parliament cannot be inhibited by parliamentary privilege. A political party does not breach privilege by withdrawing electoral support from a sitting member of Parliament on account of that member’s actions, whether they occurred within Parliament or in the country at large239 ».

Le concept de la responsabilité envers la Chambre en est un qui dépasse strictement l’application de

la liberté de parole et qui strucure le système parlementaire de type britannique de façon générale.

Le privilège de la liberté de parole a pour effet qu’on ne peut opposer la contrainte judiciaire aux

actes d’un parlementaire tenus dans le cadre des travaux parlementaires et lorsqu’il est membre du

Parlement. Lors de chaque période électorale, il est toutefois possible d’appliquer à ces actes une

sanction de nature politique. L’équilibre démocratique se trouve de cette façon assuré.

Tel que le précisent Oonagh Gay et Hugh Tomlinson, l’article 9 du Bill of Rights a eu une très grande

influence sur la propagation du privilège de la liberté de parole dans les pays anglo-saxons et du

Commonwealth :

« The principle embodied in Article 9 has had a very substantial impact on the development of free speech protection. The principle crossed to the United States with the colonists and is found in the speech and debate clause in the US Constitution. It also found its way into the law of a number of Commonwealth states. As a result, developments abroad may have a direct bearing on the interpretation of Article 9. For example, Australian and New Zealand case law is cited in courts in England and Wales. The Australian Commonwealth Parliament legislated to codify its understanding of privilege in the Parliamentary Privileges Act 1987240 […]. »

Plusieurs États, dont le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et

l’Irlande241 revendiquent aujourd’hui la liberté de parole des parlementaires fondée historiquement

sur l’article 9 du Bill of Rights.

Les caractéristiques du privilège de la liberté de parole, telles qu’elles émanent de l’expérience

britannique, sont aussi applicables à ces États ayant hérité d’un système parlementaire de type

238 D. McGEE, préc., note 67, p.619. 239 Id. 240 O. GAY et H. TOMLINSON, préc., note 212, p. 38. 241 I. HIGGINS, préc., note 185.

63

britannique242, sous réserve de légères distinctions243. L’histoire de la reconnaissance de ce privilège

au XVIIe siècle et les leçons qu’il est possible d’en tirer demeurent malgré tout une constante pour

chacun de ces systèmes.

L’article 9 du Bill of Rights, qui constituait une réelle innovation dans le système anglais, a inspiré des

mouvements antimonarchistes au-delà de l’Angleterre et a fortement contribué à l’apparition de

l’irresponsabilité, une seconde conception de la liberté de parole des parlementaires. L’analyse de

cette autre conception de la liberté de parole permet encore une fois de saisir les subtilités des

modes de résolution mis en place dans les systèmes d’influence française. Malgré ses origines

fondées dans l’expérience britannique, l’irresponsabilité détient son histoire propre et fonctionne

aujourd’hui sur des principes particuliers qui la distinguent de la « freedom of speech ».

2.2 Le système français et son influence

À première vue, le principe inscrit à l’article 26 de la Constitution française de 1958 est similaire à

l’objet de l’article 9 du Bill of Rights : « Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi,

recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de

ses fonctions244. » Bien qu’opérant suivant d’autres modalités, il s’agit d’un équivalent fonctionnel. Il a

pour objet, tout comme la liberté de parole d’inspiration britannique, de mettre à l’abri du droit

commun les actes des parlementaires effectués dans le cadre de leurs fonctions. Malgré les

nombreuses similitudes entre ces deux articles, il est toutefois utile de dégager les différentes

particularités de l’immunité parlementaire française afin de mieux saisir son fonctionnement. En effet,

celles-ci nous permettront de procéder à une étude compréhensive des modes de résolution au

conflit entre liberté de parole et droits fondamentaux qui émanent de la sphère d’influence de

l’irresponsabilité française.

La première distinction notable quant à l’étude comparée de la liberté de parole des parlementaires

est la distinction de son appellation dans le système français : l’irresponsabilité. Contrairement à la

conception britannique, où l’on réfère explicitement à une liberté de parole du parlementaire,

242 A. O’BRIEN et M. BOSC, préc., note 31, p.91; D. McGEE, préc., note 67, p.606-607; B.C. WRIGHT, préc., note 179, p.735; M. VAN DER HULST, préc., note 7, p.72. 243 M. VAN DER HULST, préc., note 7, p.72. 244 FRANCE, Constitution du 4 octobre 1958, préc., note 176, article 26(1).

64

l’irresponsabilité renvoie directement aux effets du principe et sous-tend déjà les distances qui ont

été prises en France par rapport à l’exemple britannique.

L’origine de ces différences se situe entre autres dans l’historique de l’irresponsabilité en France.

Dans l’établissement du système des immunités françaises, la « brutalité de l’époque

révolutionnaire » constitue un important contraste devant la consolidation progressive de la liberté de

parole au sein du système politique britannique245. La reconnaissance de l’irresponsabilité aux

députés français est en fait un héritage de la Révolution française246.

Malgré quelques distinctions d’origine, l’irresponsabilité en France a été néanmoins inspirée du

Royaume-Uni. Il est en effet possible de tracer une certaine filiation, parfois palpable, parfois ténue,

entre l’irresponsabilité et la liberté de parole des parlementaires tel que conférée par l’article 9 du Bill

of Rights. Cependant, après 1789, l’irresponsabilité a continué d’évoluer et de se distancier des

privilèges parlementaires de type britannique grâce, entre autres, à la succession de plusieurs

formes de régimes politiques en France à la suite de la République de 1789. Malgré un objet et une

origine similaire au « freedom of speech », l’irresponsabilité a développé ses caractéristiques

propres, soit sa nature personnelle, absolue et permanente et sa conception plutôt restreinte de

l’immunité parlementaire.

Pour détailler les tenants et aboutissants de cette conception française de la liberté de parole des

parlementaires, les étapes marquantes du développement historique de l’irresponsabilité doivent être

retracées. Celles-ci permettent, comme pour le privilège britannique, d’en dégager les

caractéristiques et valeurs dominantes.

2.2.1 Histoire de l’irresponsabilité parlementaire

De l’histoire de l’irresponsabilité en France se dégagent trois influences encore marquantes sur sa

pratique contemporaine. Premièrement, il est possible de retracer la naissance de ce principe dans la

période de la Révolution française, en particulier dans l’adoption par l’Assemblée nationale de la

motion du 23 juin 1789. Deuxièmement, se dégage de la période révolutionnaire une influence du

modèle britannique, qui laisse ses marques sur l’irresponsabilité en France. Troisièmement, la

245 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.142. 246 M. VAN DER HULST, préc., note 7, p.70-71.

65

constitutionnalisation du principe et l’expérience des divers régimes parlementaires en France

fondent l’évolution plus récente de cette immunité.

La période révolutionnaire

L’histoire de l’irresponsabilité débute par la convocation des États généraux, à l’aube de la

Révolution française. En 1789, les États généraux, assemblée formée de députés de la noblesse, du

clergé et du Tiers État, et de laquelle émergera l’Assemblée nationale française, sont convoqués par

le roi. Ces derniers doivent se réunir afin de dégager une solution à la situation désastreuse des

finances de l’État247. À l’origine, le Règlement électoral des États généraux du 24 janvier 1789, qui

organise l’élection et la convocation de ses membres, ne prévoit aucune protection pour les

députés248.

L’ouverture des États généraux se tient le 5 mai 1789249, mais devant l’absence d’organisation et de

programme, l’objectif de leur réunion dérive rapidement. Dès le lendemain, les trois ordres ne se

réunissent plus collectivement, et seul le Tiers État siège en public250. Dans le désordre qui émane

des réunions des États généraux, Mirabeau tente rapidement d’encadrer les délibérations du Tiers

État et de mettre en place un règlement d’assemblée, celui-ci ayant persuadé une majorité de

députés que « la liberté suppose la discipline251 ». Le 6 juin, est rejeté par le Tiers État un projet de

règlement fortement inspiré de la tradition anglaise, « tel que l’orateur ne se fût adressé qu’au

président de l’assemblée et non à celle-ci tout entière252. » Ce fait historique démontre l’influence

relative du droit parlementaire britannique sur les révolutionnaires français qui s’inspirent et

s’éloignent à la fois de ce modèle.

Les États généraux se trouvant dans l’impasse la plus totale, le 17 juin 1789, le Tiers État se

constitue en Assemblée nationale par la « Déclaration sur la Constitution de l’Assemblée253 ». La

Nation se voit reconnaître la souveraineté constituante et l’Assemblée nationale devient le lieu

247 Jean GARRIGUES et Éric ANCEAU (dir.), Histoire du Parlement de 1789 à Nos Jours, Collection d’Histoire parlementaire, Paris, Armand Colin, 2007, p.32. 248 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.24. 249 J. GARRIGUES et E. ANCEAU, préc., note 247, p.32. 250 Id. 251 Id., p.33. 252 Id. 253 Un extrait de cette déclaration est reproduit dans J. GARRIGUES et E. ANCEAU, préc., note 247, p.35.

66

exclusif de l’expression de la volonté générale254. Les États généraux ne se veulent plus une

institution servant au bon conseil du Roi. La nouvelle Assemblée revendique alors un pouvoir

délibérant et une réelle prérogative décisionnelle255.

Cette nouvelle institution fonde son existence sur sa représentativité :

« La dénomination d’Assemblée nationale est la seule qui convienne à l’Assemblée dans l’état actuel des choses, soit parce que les Membres qui la composent sont les seuls Représentants légitimement et publiquement reconnus et vérifiés, soit parce qu’ils sont envoyés directement par la presque totalité de la Nation, soit enfin parce que la représentation étant une et indivisible, aucun des Députés, dans quelque Ordre ou Classe qu’il soit choisi, n’a le droit d’exercer ses fonctions séparément de la présente assemblée256. »

Cette caractéristique sera marquante pour les étapes ultérieures de la Révolution française, mais

également pour les régimes parlementaires qui se succèderont en France, le principe représentatif

demeurant un concept phare.

Le 20 juin 1789, les 577 députés du Tiers État prêtent serment envers cette nouvelle Assemblée

dans la salle du Jeu de Paume257. L’Assemblée nationale s’engage par ce serment à fournir au

Royaume de France une nouvelle Constitution. Par ce serment, le groupe lie également la légitimité

de son action à la représentativité du Tiers État258.

Le 23 juin 1789, le Roi, s’adressant aux députés, se prononce sur la motion du 17 juin, et la déclare

nulle. De plus, il exige que l’ancienne distinction des trois ordres de l’État soit conservée et qu’ils

délibèrent en commun259. L’Assemblée nationale, qui s’exprime encore une fois en la personne de

Mirabeau, refuse systématiquement ces demandes de revenir à l’ancienne forme de gouvernance du

Royaume. Devant les risques imminents d’ingérences et de représailles de l’exécutif envers

l’Assemblée, cette dernière adopte à la fin de cette journée du 23 juin la motion suivante260 :

« L'Assemblée nationale déclare que la personne de chaque député est inviolable ; que tous particuliers, toutes corporations, tribunal, cour ou commission qui oseraient, pendant ou après la présente session, poursuivre, rechercher, arrêter ou faire arrêter, détenir ou faire détenir un député, pour raison d'aucunes propositions, avis, opinions, ou discours par lui faits aux Etats

254 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p. 25; J. GARRIGUES et E. ANCEAU, préc., note 247, p.35. 255 J. GARRIGUES et E. ANCEAU, préc., note 247, p.35. 256 Id. 257 Id., p.38; C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.27. 258 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.28. 259 Id. 260 Le résultat du vote sur cette motion sera de 493 voix contre 34.

67

généraux; de même que toutes personnes qui prêteraient leur ministère à aucun desdits attentats, de quelque part qu'ils fussent ordonnés, sont infâmes et traîtres envers la nation, et coupables de crime capital. L'Assemblée nationale arrête que, dans les cas susdits, elle prendra toutes les mesures nécessaires pour rechercher, poursuivre et punir ceux qui en seront les auteurs, instigateurs ou exécuteurs261. »

Ce texte, qui incarne pour les députés une protection devant les futures conséquences de leur

rébellion262, constitue le fondement de la reconnaissance de l’irresponsabilité dans le régime

parlementaire français. Il s’agit de la première occurrence du principe dans l’histoire politique du

Parlement français.

Cette motion, qui constitue la suite logique de la déclaration du 17 juin visant à constituer

l’Assemblée nationale, souligne à nouveau la souveraineté de cette dernière. En effet, de par la

proclamation de leur immunité parlementaire, les députés manifestent la volonté de bénéficier d’une

protection en tant que membre de l’Assemblée nationale, et non pas de profiter d’une immunité qui

serait le corollaire de celle du Roi. Il s’agit de surcroît d’un outil utilisé par l’Assemblée nationale pour

marquer et arriver à faire reconnaître son pouvoir délibérant de même que la souveraineté de la

nouvelle institution.

L’irresponsabilité des députés français s’établit de façon drastique sous l’impulsion de la Révolution

française et de la récente constitution de l’Assemblée nationale. Un dernier épisode de cette période

révolutionnaire mérite d’être évoqué afin de définir avec précision l’objet que les constituants

entendaient donner à l’époque à cette nouvelle protection. Lors de la séance de l’Assemblée

nationale du 10 octobre 1789, un député, Malouet, réclame une protection particulière à l’Assemblée.

Ce dernier ayant été victime d’agressions physiques, il demande que l’Assemblée adopte un décret

visant à élargir l’immunité conférée aux parlementaires. Il souhaite en effet que celle-ci englobe entre

autres une protection de leur sécurité personnelle ainsi que l’interdiction des libelles publiés à leur

encontre263.

261 Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première série, Tome VIII, Paris, Librairie administrative de Paul Dupont, 1875, p.147. 262 Jean FOYER, Le député dans la société française, Économica, Paris, 1991, p.46. 263 Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première série, Tome IX, Paris, Librairie administrative de Paul Dupont, 1877, p.397.

68

Mirabeau rejette cette conception absolue de l’immunité, assimilée à celle que possédait le

souverain264 :

« Je m’oppose à ce qu’il soit rendu un décret sur l’inviolabilité des députés, parce qu’il en existe déjà un. Je m’oppose à ce qu’il soit renouvelé, parce que le premier suffit […]. Cependant tous les citoyens ont un droit égal à la protection de la loi; la liberté même dans son acception la plus pure est l'inviolabilité de chaque individu : le privilège de la vôtre est donc relatif aux poursuites judiciaires et aux attentats du pouvoir exécutif265. »

L’irresponsabilité est dirigée spécifiquement à l’encontre du pouvoir exécutif et ne saurait être

ramenée à une immunité absolue telle que détenait le roi. Le décret demandé par Malouet ne fut

donc jamais adopté et seule la motion du 23 juin demeure applicable. Durant le reste de la période

révolutionnaire, et ce, jusqu’à l’intégration du principe dans la Constitution de 1791, seule cette

motion incarne le principe de l’irresponsabilité.

L’influence britannique

Un changement radical dans la protection traditionnellement conférée aux conseillers du monarque

n’est pas une spécificité française266. Le processus français découle en effet de l’expérience

précédente établie au Royaume-Uni avec l’établissement du « freedom of speech » dans le Bill of

Rights. Ces influences, et les points de discorde avec le modèle britannique, permettent de

comprendre que le fondement des deux principes est fortement lié par l’histoire et que plusieurs

points de concordance entre ces deux immunités ont une origine ancienne et un objet commun.

Dans les deux cas britannique et français, la revendication de la liberté de parole des députés a

procédé d’une modification radicale des équilibres constitutionnels267.

Les principes de la liberté de parole et de l’irresponsabilité sont deux concepts fortement similaires

tant dans leurs effets que dans leur mise en oeuvre au sein des assemblées parlementaires.

L’irresponsabilité en France résulte en partie d’un phénomène d’inspiration constitutionnelle, ce qui

264 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.30. 265 Archives parlementaires de 1787 à 1860, préc., note 263, p.404. 266 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.33. 267 Id.

69

expliquerait la très grande ressemblance entre les deux principes268. En effet, il est possible de

retracer plusieurs canaux de diffusion du modèle anglais en France durant le siècle des Lumières269.

Selon Pierre Avril et Jean Gicquel, bien que l’influence du droit parlementaire anglais sur les

institutions françaises naissantes ne soit pas mentionnée dans certains documents historiques, voire

niée, elle est indéniable270. Cette influence se constate auprès de certaines personnalités

marquantes de la Révolution française. Par exemple, Mirabeau a été fortement imprégné des

commentaires de Blackstone271. Ce fait ressort particulièrement du Règlement qu’il a souhaité faire

adopter par l’assemblée du Tiers État le 6 juin 1789.

Selon Cécile Guérin-Bargues, il y a fort à croire que la motion du 23 juin 1789 lui ait été inspirée par

sa connaissance des mécanismes britanniques : « L’hypothèse paraît d’autant plus plausible, que

l’adoption d’une protection tendant à garantir la liberté de débat au sein de l’Assemblée se situe au

début de la Révolution, période durant laquelle le modèle anglais se trouve le plus sollicité272. » Par

exemple, le Règlement de la Constituante, qui sera adopté le 29 juillet 1789, reprend à plusieurs

égards les règles délibératives anglaises273 (formulation des motions, droits de parole, etc.).

Cependant, même si certains éléments comme l’irresponsabilité peuvent avoir été inspirés du

Royaume-Uni pendant la Révolution française, la solution politique retenue en France consiste, à

terme, de rompre en totalité avec le régime monarchique en place. Le premier Comité de

constitution, à l’origine majoritairement anglophile, rejette ainsi en septembre 1789 les propositions

d’imitation constitutionnelle du modèle britannique274.

L’influence britannique se dissipe au fil des mois, pour laisser place à d’autres modèles, entre autres

celui de la révolution américaine et de son régime présidentiel prônant une séparation stricte des

pouvoirs institutionnels. Toutefois, en ce qui a trait à la liberté de parole dont disposent les

parlementaires, l’influence britannique est incontestable275. L’irresponsabilité connaît ainsi une

268 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.159; Didier BAUMONT, « Liberté d’expression et irresponsabilité des députés », (2003) 2 CRDF 33, 35. 269 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p. 160. 270 Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, Droit parlementaire, 4e éd., Paris, Montchrestien, 2010, p.2. 271 William BLACKSTONE, Commentaries on the Laws of England, London, Dawsons, 1966. 272 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.161. 273 Archives parlementaires de 1787 à 1860, préc., note 261, p.300 à 303. 274 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.162. 275 Id., p.164.

70

évolution au sein d’un régime politique entièrement distinct de celui en place au Royaume-Uni et

l’enchaînement des régimes, des coups d’État et des Révolutions teinteront le particularisme de

l’irresponsabilité vis à vis son équivalent anglais.

La phase constitutionnelle

Après la période révolutionnaire, le principe de l’irresponsabilité est intégré définitivement au droit

constitutionnel français dès la rédaction du premier texte constitutionnel de 1791 : « Les

représentants de la Nation sont inviolables: ils ne pourront être recherchés, accusés, ni jugés en

aucun temps pour ce qu’ils auront dit, écrit ou fait dans l’exercice de leurs fonctions de

représentants276. » Malgré les multiples changements apportés au régime parlementaire français en

raison de la succession des textes constitutionnels, ces derniers ont toujours intégré des dispositions

assurant une protection des actes liés au mandat parlementaire277.

Au cours des régimes politiques qui se sont succédés, le principe n’a pas été brutalement modifié, il

est resté assez similaire dans son objet, qui est celui de protéger la liberté d’expression des

parlementaires et leur indépendance. Les modalités de la protection se sont cependant précisées et

la rédaction de l’article s’est affinée. En effet, chaque constitution française depuis 1791, à

l’exception de la Constitution de 1819, contient une disposition qui protège l’irresponsabilité des

députés. Depuis 1875, le texte de cette disposition est de surcroît pratiquement le même. En effet, la

rédaction de l’article 26 de la Constitution de 1958 reprend intégralement l’article 21 de la

Constitution de 1946278. L’article de 1946 reprenait lui-même le libellé de l’article 13 de la Constitution

de 1875279, en le détaillant plus amplement quant à l’effet de l’immunité.

Aucune remise en cause du principe de l’irresponsabilité n’a ainsi été faite en France lors de la

succession des textes constitutionnels. Malgré les changements de régime, le système se démarque

en effet par une remarquable continuité historique en ce qui concerne l’irresponsabilité280. Les débats

276 FRANCE, Constitution du 3 septembre 1791, article 7, section V. 277 D. BAUMONT, préc., note 268, 35; Hélène PONCEAU, « Privilèges et immunités parlementaires », (2005) 55 Informations Constitutionnelles et Parlementaires 51, 53. 278 FRANCE, Constitution du 27 octobre 1946, article 21 : « Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. » 279 FRANCE, Constitution du 16 juillet 1875, article 13 : « Aucun membre de l’une ou de l’autre Chambre ne peut être poursuivi ou recherché à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. » 280 S. HARDT, préc., note 23, p.144.

71

qui ont généralement cours sur ce concept ont trait à son étendue et à la définition de ce qui

constitue les lieux et l’étendue de « l’exercice des fonctions » du parlementaire281.

2.2.2 Caractéristiques de l’irresponsabilité

Grâce à son origine révolutionnaire et à son évolution distincte, le principe de l’irresponsabilité a

développé plusieurs caractéristiques distinctes. Les deux immunités conservent toutefois quelques

similitudes, dues principalement à leur objet commun : la protection de la liberté d’expression et de

l’indépendance des parlementaires.

Le libellé de l’article 26 de la Constitution de 1958 indique que l’irresponsabilité protège les opinions

ou votes émis dans l’exercice des fonctions parlementaires. La doctrine et la jurisprudence sur le

sujet lient « l’exercice des fonctions » directement au mandat parlementaire282. L’irresponsabilité est

ainsi au statut de « représentants de la Nation » des parlementaires et se voit accorder un statut

relatif à l’importance de la fonction dans le système démocratique français.

Dans la construction constitutionnelle française des institutions politiques, le Parlement est le

représentant de la Nation et incarne la volonté générale. Les députés expriment la souveraineté

nationale :

« La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents283. »

Le parlementaire agit en vertu des intérêts propres à la société française comme entité. Des actes

parlementaires se dégage de ce fait une dimension collective et égalitaire.

La doctrine et la jurisprudence qui ont traité de l’irresponsabilité jusqu’à aujourd’hui insistent sur

l’objet de cette immunité, soit la protection de la liberté d’expression du parlementaire et de

l’indépendance nécessaire à l’exercice de son mandat284. De surcroît, il est possible de qualifier ce

281 D. BAUMONT, préc., note 268, 36. 282 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p. 235. 283 FRANCE, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, article VI. 284 P. AVRIL et J. GICQUEL, préc., note 270, p.49.

72

privilège de personnel, absolu et permanent. Son étendue paraît cependant plus restreinte que celle

du « freedom of speech » britannique.

L’objet de l’irresponsabilité : la liberté d’expression et de décision du représentant

de la Nation

L’objectif premier de l’irresponsabilité est fort similaire à celui du « freedom of speech », soit de

protéger la liberté d’expression et de décision285 du représentant élu de la Nation de toute ingérence

des autres pouvoirs de l’État. En France comme au Royaume-Uni, les immunités conférées au droit

de parole des parlementaires ont été prévues afin de permettre un débat sans entrave au sein des

assemblées législatives.

L’irresponsabilité est en effet une exemption d’application du droit commun qui s’attache aux

exigences du régime représentatif et au jeu des institutions dans un gouvernement constitutionnel286.

Elle assure l’indépendance du parlementaire dans l’exercice de ses fonctions. L’irresponsabilité se

trouve donc directement liée au mandat parlementaire. « La grandeur de la fonction parlementaire

est de ne soumettre la détermination de l’élu qu’à sa conscience […].287 » L’irresponsabilité s’assure

ainsi de protéger la sincérité et l’efficacité du débat parlementaire288.

Cette protection des parlementaires est également attribuable à la logique de séparation des

pouvoirs qui caractérise le régime politique français. « Les immunités dont bénéficient députés et

sénateurs visent donc à ce que leurs travaux ne soient pas entravés par les citoyens, et

indirectement par les juges, mais également par le Gouvernement289. » L’irresponsabilité place en

premier lieu le parlementaire à l’abri des poursuites judiciaires qu’il pourrait encourir en raison de sa

participation au travail parlementaire.

La seule responsabilité qui demeure pour le parlementaire dans le cadre de ses fonctions est la

responsabilité politique : « La particularité majeure relative aux dirigeants, dans un système

représentatif, est d’être responsables […]. La situation dans laquelle se trouve le représentant de la

Nation est évidemment de nature différente. La responsabilité du parlementaire ne peut être que

285 P. AVRIL et J. GICQUEL, préc., note 270, p.50. 286 D. BAUMONT, préc., note 268, 34. 287 J. FOYER, préc., note 262, p.41. 288 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.182-183. 289 D. BAUMONT, préc., note 268, 35.

73

politique et se manifester par un mandat de durée limitée290. » Cette responsabilité particulière est

donc la seule qui saurait tenir dans le cadre d’un mandat représentatif. Cette immunité reflète

finalement le principe de l’interdiction du mandat impératif, institué lors de la Révolution française291.

La nature de l’irresponsabilité : une mesure d’ordre public individuelle, absolue et

permanente

L’irresponsabilité a plusieurs « personnalités », qui se rattachent directement à la perception du rôle

parlementaire dans le régime politique français. En premier lieu, elle est dite « personnelle», puisque

rattachée principalement à un individu, élu par le peuple pour exécuter en son nom un mandat

représentatif. Par la suite, elle est dite « absolue et permanente » puisque ce mandat parlementaire

ne peut connaître ni réserve, ni exception.

Personnelle

A contrario du Royaume-Uni, l’irresponsabilité n’apparaît pas comme appartenant à la chambre

délibérative comme un tout. Bien que cette immunité soit instituée dans le strict intérêt de l’institution

parlementaire292, la protection rattachée est de nature strictement personnelle. Celle-ci était en effet

à l’origine liée au seul parlementaire293 et ne pouvait s’étendre à toute autre personne en lien avec le

travail parlementaire.

L’irresponsabilité étant directement associée au mandat parlementaire, elle revêt un caractère

fortement individuel. Ainsi, les témoins ou les individus impliqués dans les travaux parlementaires ne

pouvaient, avant 2008, bénéficier officiellement d’une protection légale. Une loi adoptée le 14

novembre 2008294 a toutefois étendu la protection attribuée juridiquement aux délibérations du

Parlement français, en reconnaissant aux témoins entendus par une commission parlementaire une

immunité relative intégrée à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse295. Ceux qui bénéficient

de la protection que confère l’irresponsabilité sont toutefois au premier rang les membres des

290 D. BAUMONT, préc., note 268, 34. 291 Id. 292 Pierre LAMBERT, « L’immunité constitutionnelle à l’épreuve d’un conflit de normes », dans En hommage à Francis Delpérée : itinéraires d’un constitutionnaliste, Bruxelles, Bruylant, 2007, p.743. 293 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.251. 294 FRANCE, Loi no 2008-1187 du 14 novembre 2008 relative au statut des témoins devant les commissions d’enquête parlementaires. 295 FRANCE, Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, art. 41; C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.258.

74

assemblées parlementaires296. Il s’agit de la qualité de député ou de sénateur qui engendre cette

protection liée à leur personne en raison de ce titre particulier.

Absolue et permanente

Toutefois, comme l’a précisé Hélène Ponceau, « [au]-delà de la personne, c’est le mandat et à

travers lui le Parlement lui-même dont on assure l’indépendance ». Selon Eugène Pierre, la

reconnaissance des immunités est une mesure d’ordre public297. On ne peut de ce fait se départir

d’une mesure d’ordre public créée afin d’assurer l’indépendance de l’assemblée législative.

Cette perception explique entre autres le caractère absolu qui est attribué à l’irresponsabilité. Les

parlementaires ne peuvent lever cette immunité, ni la moduler d’aucune façon298. L’Assemblée elle-

même ne peut lever cette immunité299, et n’a pas les mêmes pouvoirs dont disposent les assemblées

de type britannique à cet effet. Soulignant cette forte divergence des modèles français et britannique,

Baumont affirme :

« Contrairement au modèle britannique, l’irresponsabilité française a historiquement un caractère absolu. En effet, la « freedom of speech » dont bénéficient les parlementaires d’outre-Manche n’a qu’un caractère relatif. […] Historiquement, ce sont les Chambres anglaises qui apprécient les limites à l’application de la liberté de parole des parlementaires […]. Cela participe de l’autonomie classique des Chambres […]. »300

En France, le principe de l’irresponsabilité ne semble être soumis à aucune appréciation subjective

de l’assemblée parlementaire. Si l’immunité s’applique, le débat s’arrête.

Afin d’illustrer ce caractère de l’irresponsabilité, l’affaire Martinez301 permet de prendre la mesure des

limites à la capacité des parlementaires à encadrer le comportement de leurs collègues. En 1986, un

député du Front national avait rédigé un rapport spécial de commission qui comportait des termes

« infamants et injurieux302 ». Ce rapport avait été toutefois pu être déposé à l’Assemblée nationale,

malgré les nombreuses critiques. Cette affaire avait ainsi démontré la nature absolue du principe de

l’irresponsabilité, celui-ci ne trouvant aucune exception, y compris dans une telle situation. Elle a

296 S. HARDT, préc., note 23, p.186. 297 Eugène PIERRE, Traité de droit politique, électoral et parlementaire, Paris, Éditions Loysel, 1989, §1059. 298 D. BAUMONT, préc., note 268, p.39. 299 Id. 300 Id. 301 FRANCE, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal officiel. Débats parlementaires, 3 novembre 1986, 2e séance, p.5698. 302 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.249.

75

toutefois permis au Président de Commission de rappeler que le privilège de l’irresponsabilité impose

« un devoir de réserve, un souci de mesure et de discernement303. »

Malgré cette caractéristique de l’irresponsabilité, il est important de rappeler que le président de

l’Assemblée nationale dispose toutefois d’un pouvoir disciplinaire qu’il peut exercer en cas d’abus. En

effet, le président détient le pouvoir de sanctionner un député pour les propos qu’il aurait tenus dans

le cadre de ses fonctions. Ces pouvoirs sont institués par les articles 72 et 73 du Règlement de

l’Assemblée. L’article 72 stipule que la censure peut être prononcée contre un député qui a provoqué

une « scène tumultueuse » à l’Assemblée. L’article 73 limite toutefois le pouvoir de censure avec

exclusion temporaire de l’Assemblée aux « injures, provocation ou menaces envers le Président de

la République, le Premier ministre, les membres du Gouvernement et les assemblées prévues par la

Constitution. »

Considérée comme une mesure d’ordre public dans le système constitutionnel français,

l’irresponsabilité est également permanente. La protection des actes visés par l’irresponsabilité

s’étend au-delà du mandat parlementaire304. Ces actes ne peuvent être l’objet d’aucun recours une

fois le mandat du député ou sénateur visé terminé.

L’étendue de l’irresponsabilité : une conception restreinte de l’immunité

Contrairement à la conception britannique de la liberté de parole, où les termes « proceedings in

Parliament » laissaient place à une large interprétation, l’expérience française attribue plutôt une

interprétation stricte à « l’exercice des fonctions » des députés. Faute d’une énumération précise

dans l’article 26 de la Constitution, la doctrine et la jurisprudence ont lié l’exercice des fonctions des

députés au mandat parlementaire305.

L’irresponsabilité se trouve donc limitée à un type d’actes précis, ceux qui sont directement liés au

mandat parlementaire, soit les propos et votes en séance, en commission, au sein des groupes, les

rapports et propositions, et les activités en mission306. Plus précisément, « l’irresponsabilité couvre

en France l’ensemble des actes accomplis, par les parlementaires, au sein des assemblées et dans

303 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.249. 304 P. AVRIL et J. GICQUEL, préc., note 270, p.50. 305 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.235. 306 P. AVRIL et J. GICQUEL, préc., note 270, p.50.

76

l’exercice des missions dévolues par la Constitution au Parlement »307. Tous les propos tenus par un

parlementaire, au cours des séances publiques, des réunions du Bureau, de la Conférence des

Présidents, du collège des Questeurs, des commissions permanentes ou spéciales, des

commissions d’enquête sont donc réputés couverts par l’irresponsabilité308.

Les arrêts Forni309 et Vanneste310, rendus par la Cour de cassation française, ont précisé que seules

les activités prévues aux titres IV et V de la Constitution de 1958 caractérisent l’exercice des

fonctions parlementaires qui bénéficient de l’immunité. Cette interprétation est toutefois très

restrictive des fonctions parlementaires. Elle démontre, selon certains auteurs, la rigidité de la

conception française de la liberté de parole des parlementaires311. En effet, certaines fonctions du

Parlement ne se retrouvent pas dans ces sections, telle que la ratification des traités et des accords

internationaux, règle qui se trouve au titre VI de la Constitution (art. 53). Il en va de même de

l’élection des membres de la Haute Cour de Justice (article 67, titre IX). Il s’agit en fait d’une position

critiquée par plusieurs auteurs en droit parlementaire français312.

Selon la jurisprudence et la doctrine, l’irresponsabilité ne protège pas les actes extérieurs à

l’Assemblée tels que les discours en réunion publique et les articles de presse auxquels le droit

commun s’applique. Elle ne protège pas non plus les actes distincts du mandat parlementaire

effectués par les députés (par exemple, une mission effectuée en vertu du Code électoral français). Il

faut en effet distinguer le mandat parlementaire du mandat politique qu’effectue le député. Sont ici

désignées les affaires de nature politique ou partisane auxquelles le parlementaire est amené à

participer313. À ce titre, les tribunaux français ont une conception plutôt extensive du mandat politique

puisqu’ils ont tendance à condamner députés et sénateurs pour « délit d’expression », généralement

dans les médias314.

En ce qui concerne l’influence extérieure du système de l’irresponsabilité, la conception française

des immunités parlementaires, à l’instar de la Révolution française, s’est répercutée à travers la

majorité des démocraties constitutionnelles d’aujourd’hui : « In nearly all constitutions (particularly in 307 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.238. 308 Id. 309 Crim. 7 mars 1988, Bull.crim, no 113. 310 Crim., 12 novembre 2008, Bull.crim, no 229. 311 D. BAUMONT, préc., note 268, p.47; C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p. 237; T.S. Renoux, p.251. 312 D. BAUMONT, préc., note 268, p.47; C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p. 237; T.S. Renoux, p.251. 313 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.238. 314 Mamère c. France, préc., note 160; Crim., 12 novembre 2008, préc., note 310.

77

Europe), there is provision for the status and privileges of MPs. These privileges vary greatly, but

they often include both a statement of non-liability for what is said or done in the course of

parliamentary debate (l’irresponsabilité) […].315 » Le modèle français des immunités parlementaires

semble en effet avoir eu une influence prédominante dans la zone géographique de l’Europe

continentale316 (Belgique, Allemagne, etc) et parmi ses anciennes colonies, nombreuses sur le

continent africain. Il est donc considéré comme le second système juridique de protection de la

liberté de parole des parlementaires dans le monde317, puisque plusieurs caractéristiques le

distinguent aujourd’hui du système d’origine britannique.

Les principales représentations du privilège parlementaire de la liberté de parole ayant été détaillées

et mises en relation, il est possible de conclure à leur proximité tant historique que conceptuelles. La

prochaine section de cette étude prend acte de constat en guise d’introduction à une évaluation

comparative des modes de résolution retenus au conflit dégagé entre la liberté de parole dont

disposent les parlementaires et le droit à la dignité et à la réputation. En plus de cette conception

pluraliste, mais apparentée, de la liberté de parole, il se dégage de cette comparaison une pluralité

d’interventions possibles pour réguler ce principe et le concilier avec les droits et libertés

fondamentaux.

315 Anthony W. BRADLEY et Cesare PINELLI, « Parliamentarism », dans M. ROSENFELD et A. SAJO, préc., note 25, p.650, à la page 661. 316 Marilia CRESPO ALLEN, Parliamentary immunity in the Member States of the European Community and in the European Parliament, Working Papers, Legal Affairs Series, W-4, Luxembourg, European Parliament, 1993, p.10. 317 M. VAN DER HULST, préc., note 7, p. 70

79

Partie 2 – Les modes de résolution tirés du

droit canadien et étranger : analyse et

évaluation

Devant la situation que pose ce conflit entre la liberté de parole et le droit à la dignité et à la

réputation et le manque flagrant de solutions juridictionnelles disponibles pour en découdre dans le

système juridique canadien, il appert désormais nécessaire de s’intéresser aux modes de résolution

mis en place pour répondre à ce conflit par les différents acteurs du droit constitutionnel étranger.

Comme elle fut présentée précédemment, la conception de la liberté de parole des parlementaires

est relativement uniforme à travers les États qui la protègent, sous réserve de quelques

différences318 conceptuelles. De ce fait, le répertoire des modes de résolution mis en place dans

l’expérience étrangère peut être d’un grand intérêt pour toute assemblée parlementaire intégrant ce

privilège ou cette immunité de la liberté de parole. En effet, chacune d’entre elles, à diverses

mesures, court le risque d’être confrontée à une situation où cette exception au droit commun est

opposée à l’exercice d’un droit fondamental reconnu à un citoyen.

Ces modes varient selon plusieurs modalités, telles que l’acteur responsable de sa mise en œuvre,

la force contraignante du mécanisme au sein du système juridique étatique, ou le degré de résolution

du conflit qu’il permet d’atteindre. Par souci de concision, la présente étude retient la première

variable, soit l’acteur responsable de sa mise en œuvre, aux fins de la classification des modes de

résolution retenus. Les deux autres variables, soit la force contraignante du mécanisme et le degré

de résolution du conflit, sont appréhendées en filigrane des discussions sur les différents modes de

résolution présentés et examinées en conclusion de cette étude319.

Les acteurs pouvant interagir pour mettre en place une solution au conflit entre privilèges et droits et

libertés sont en pratique nombreux. Il y a l’assemblée parlementaire elle-même, qui dispose d’une

grande autonomie organisationnelle et procédurale, de même que le pouvoir constituant, le pouvoir

législatif et le pouvoir judiciaire. En raison de leur autonomie, les assemblées disposent d’un

important pouvoir d’auto-régulation consensuel assimilable à un pouvoir réglementaire en vertu

318 M. VAN DER HULST, préc., note 7, p.70. 319 Infra, p.139.

80

duquel elles n’ont pas de comptes à rendre à l’extérieur de l’institution (sauf exceptions320). De leur

côté, les pouvoirs législatif et constituant répondent à des impératifs de nature politique qui sont

formalisés et neutralisés par le biais des procédures d’étude et d’adoption des projets de loi et des

formules d’amendement constitutionnel. Finalement, le pouvoir juridictionnel incarne une troisième

voie qui obéit à des principes apolitiques, tels que la séparation des pouvoirs et l’indépendance

judiciaire.

Bien que ces instances soient toutes légitimées et outillées à intervenir sur le conflit entre la liberté

de parole des parlementaires et le droit à la dignité et à la réputation, les assemblées parlementaires,

de par leur autonomie, participent à une vision interne de la procédure parlementaire tandis que les

pouvoirs législatif, constituant et judiciaire contribuent plutôt à une perspective externe de cette

matière321.

320 Comme il le sera démontré dans la prochaine section, un contrôle de nature constitutionnelle pourra être exercé sur l’autonomie des assemblées législatives, comme cela est le cas en France. Supra, p.83. 321 Il est à noter que bien que le pouvoir législatif repose entre les mains des membres du Parlement, il ne faut pas confondre l’autonomie de l’assemblée parlementaire sur sa propre institution et le pouvoir qui est dévolu constitutionnellement aux membres d’un Parlement pour adopter des lois. De plus, le pouvoir législatif, dans le cas d’un État fondé sur un système parlementaire bicaméral, dépendra de deux assemblées parlementaires distinctes, alors que chacune d’entre elle est généralement libre d’adopter ses propres règles de procédure interne.

81

Chapitre 1- L’acteur parlementaire

L’assemblée parlementaire est la principale instance qui détient la capacité normative d’agir sur le

conflit identifié entre le privilège de la liberté de parole et le droit à la dignité et à la réputation des

citoyens. En raison de la théorie de la séparation des pouvoirs et de l’agencement constitutionnel des

institutions qui en a découlé au sein des États322, les assemblées disposent généralement d’une

grande autonomie, à laquelle les immunités parlementaires contribuent largement323, qui leur permet

d’organiser leur fonctionnement interne :

« L’irresponsabilité, en permettant la soumission exclusive des paroles prononcées par les parlementaires dans l’exercice de leurs fonctions à un droit produit par l’assemblée représentative elle-même, apparaît bien comme une conséquence du principe de séparation des pouvoirs. Elle favorise en effet l’autonomie de la Chambre en lui permettant de sanctionner le comportement de ses membres, sans que l’intervention d’une institution extérieure soit nécessaire324. »

Il s’avère légitime pour les assemblées, en raison de cette autonomie qui leur est conférée dans

l’ordre institutionnel, de mettre en place leurs règles organisationnelles propres : ce que l’on appelle

le droit parlementaire325. Afin de caractériser cet ordre juridique, Pierre Avril et Jean Gicquel vont

l’identifier comme une « légalité particulière », qui exprime la traditionnelle autonomie des

assemblées et « qui résulte de leur pouvoir d’auto-organisation326 ».

L’autonomie des assemblées parlementaires est nécessaire afin que ces dernières puissent exercer

les fonctions qui lui sont attribuées en vertu de la Constitution et de la loi : il s’agit d’une autonomie

fonctionnelle327. « L’autonomie parlementaire doit permettre la réalisation de la volonté exacte, juste

et libre des Assemblées parlementaires328 », écrit Laurent Domingo. L’acteur parlementaire est donc

le premier à pouvoir intervenir sur un conflit entre une norme constitutionnelle qui lui confère cette

autonomie, la liberté de parole, et l’ordre juridique externe, qui prévoit la protection des droits

fondamentaux.

322 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.188. 323 Laurent DOMINGO, Les actes internes du Parlement. Étude sur l’autonomie parlementaire (France, Espagne, Italie), Fondation Varenne/L.G.D.J., Clermont-Ferrand, 2008, p.190. 324 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.187. 325 Jean-Louis PEZANT, « Quel droit régit le Parlement? », (1993) 64 Pouvoirs 63, 63. 326 P. AVRIL et J. GICQUEL, préc., note 270, p.2. 327 L. DOMINGO, préc., note 323, p.172. 328 Id., p.173.

82

L’autonomie de l’assemblée parlementaire se partage en deux domaines : l’autonomie politique et

l’autonomie administrative. L’autonomie politique porte sur le travail parlementaire, tandis que

l’autonomie administrative porte sur l’intendance de l’assemblée parlementaire329. Celle qui intéresse

la présente recherche est principalement l’autonomie politique qui permet à une assemblée de régir

et d’organiser ses travaux et sa procédure.

Certaines des règles de droit parlementaire concernent directement la liberté de parole des

parlementaires et mitigent ses effets. Celles-ci peuvent être tant des règles disciplinaires, réprimant

en amont les abus de cette liberté de parole, que des procédures visant à traiter des violations de

droit, qui ont un impact a posteriori sur l’abus. Les assemblées disposent donc d’une importante

liberté d’action quant à la possibilité de mettre en place des mesures internes afin de prévenir ou de

réprimer les attaques portées par les parlementaires au droit à la dignité et à la réputation des

citoyens.

1.1 Le principe d’autonomie des assemblées législatives

Le principe de l’autonomie des assemblées législatives se conjugue cependant avec quelques

différences entre les assemblées parlementaires d’influence britannique et les assemblées

d’influence française. Des modalités distinctes dans la mise en oeuvre de cette autonomie peuvent

être exigées pour mettre en place des solutions adaptées au conflit entre la liberté de parole des

parlementaires et le droit à la dignité et à la réputation des citoyens.

1.1.1 La conception britannique de l’autonomie parlementaire

Dans une assemblée parlementaire de type britannique, les tribunaux n’ont pratiquement aucun droit

de regard sur la procédure parlementaire, en raison du privilège parlementaire de la gestion des

affaires internes sans ingérence extérieure. Ce privilège, de large portée, est fortement lié au

privilège de la liberté de parole des parlementaires et à la rédaction de l’article 9 du Bill of Rights330. Il

crée une distinction entre la « loi du parlement », la lex parlamenti, et la « loi terrestre », lex

terrae331 : « Accordingly, the principle of exclusive cognizance lies at the basis of the notion of the law

of Parliament as a separate legal system, and hence of Parliament as a place or entity which lies

329 L. DOMINGO, préc., note 323, p.174. 330 Erskine May, préc., note 187, p.227. 331 S. HARDT, préc., note 23, p.74.

83

outside the realm of the law of the land332. » En vertu de ce principe, les chambres d’une assemblée

parlementaire sont entièrement autonomes dans la mise en place des règles de procédure qui

s’imposent à leurs membres.

Conformément à ce privilège, il a été reconnu que chaque chambre parlementaire a le droit d’établir

sa propre constitution, le droit de juger de la légalité de sa propre procédure et d’établir à cet effet

son code de procédure, le droit de mettre en place des enquêtes et de faire comparaître des témoins

et d’exiger des documents de même que le droit d’administrer les affaires se déroulant dans

l’enceinte du Parlement333.

Les assemblées peuvent ainsi mettre en place leur propre code disciplinaire, et les procédures à

suivre en cas d’une violation de droits commise par l’un de leurs membres. La liberté d’expression

des parlementaires se trouve alors fortement encadrée dans certaines assemblées, où il est entre

autres interdit en vertu des règles de procédure de tenir des propos séditieux ou de faire référence à

des affaires en cours devant les tribunaux, etc334. Le président de l’assemblée dispose généralement

d’un très large pouvoir discrétionnaire afin de faire respecter les règles applicables en cette matière.

Les tribunaux ont statué à de nombreuses reprises335 qu’ils refusent de se prononcer sur la

procédure parlementaire et sur le maintien du privilège actuel : « So far as the courts are concerned,

they will not allow any challenge to be made to what is said or done within the walls of Parliament in

performance of its legislative functions and protection of its established privileges. »336 Cette citation

se retrouve dans un jugement du Comité judiciaire du Conseil privé rendu sur une cause néo-

zélandaise. Le principe de l’autonomie du Parlement est de même fortement établi dans les

assemblées d’influence britannique, dont l’Australie et le Canada337, où les tribunaux ont également

statué que la procédure interne à l’Assemblée, y compris la façon dont cette procédure était mise en

oeuvre, était une matière qui relevait exclusivement de la compétence du Parlement.

332 S. HARDT, préc., note 23, p.70. 333 Joint Committee Report 1999, préc., note 94, par. 229 et suiv. 334 ROYAUME-UNI, Standing Orders of the House of Commons, 19 December 2013, art. 42 à 47; C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.200. 335 Bradlaugh v. Gossett, [1884] 12 Q.B.D. 271. 336 Prebble v. Television New Zealand Ltd, [1995] 1 AC 321, par. 332. 337 Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753; Bertrand c. Bégin, [1995] R.J.Q. 2500 (C.S.).

84

1.1.2 La conception française de l’autonomie parlementaire

En France, le principe de la séparation des pouvoirs a été inscrit dès 1789 dans la Déclaration des

droits de l’homme et du citoyen. Il était alors impératif pour l’organisation institutionnelle qui allait

découler de la Révolution française que l’assemblée législative puisse disposer d’une autonomie

suffisante pour disposer de ses affaires. L’irresponsabilité a été garantie aux députés afin d’assurer

entre autres le bon fonctionnement du nouveau régime représentatif338.

L’autonomie de l’Assemblée nationale est assurée par l’organisation de l’État sur le régime de la

séparation des pouvoirs339. Elle est rapidement avalisée par le pouvoir judiciaire. En 1879, la Cour de

cassation reprend les observations du rapporteur général R. De Chenevières concernant la

nécessaire indépendance de l’assemblée législative :

« […] soit la Chambre des députés, soit le Pouvoir exécutif, font partie des pouvoirs constitués dans lesquels l’exercice de la souveraineté se résume, et qu’à moins de substituer la confusion à la séparation des pouvoirs, base de notre régime politique, il ne peut appartenir à aucun tribunal de les traduire indirectement à sa barre, en leur demandant compte de leurs agissements340. »

Afin de marquer sa légalité particulière, l’assemblée s’est investie de son propre droit parlementaire,

cette autonomie marquant le principe de la souveraineté parlementaire.

Aujourd’hui, la tendance est au parlementarisme rationalisé, donc à la multiplication et à la

codification des règles de droit parlementaire qui encadrent « les rapports entre le Parlement et le

Gouvernement et donc l’activité des assemblées341 ». Ce qui découle de l’autonomie de l’assemblée

parlementaire est la mise en place d’un nombre plus important de règles visant à encadrer l’action

des parlementaires, et, accessoirement, leur imposer une certaine discipline dans l’exercice de leurs

fonctions.La nécessité pour l’assemblée parlementaire de disposer d’un pouvoir disciplinaire est un

corollaire de l’existence de l’irresponsabilité342. Ainsi, « vu sous l’angle du droit disciplinaire, l’ordre

juridique parlementaire apparaît dans une situation de très forte autonomie par rapport à l’ordre

338 S. HARDT, préc., note 23, p. 145. 339 L. DOMINGO, préc., note 323, p. 171. 340 E. PIERRE , préc., note 297, p.1270. 341 J.-L. PEZANT, préc., note 325, 64. 342 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.204.

85

juridique étatique343. » L’application du droit disciplinaire est donc une manifestation évidente et

directe de l’autonomie de l’assemblée parlementaire.

Bien que le tribunal de la Seine ait déclaré dans une décision du 24 février 1880 que « le pouvoir

disciplinaire découle du droit essentiel qui appartient à tout corps délibérant de régler son propre

fonctionnement et d’assurer l’ordre de ses discussions344 », cette autonomie que l’on retrouve en

France ne s’exerce pas en l’absence de tout contrôle. La principale différence avec l’autonomie

complète des assemblées parlementaires de type britannique veut que le droit parlementaire

d’influence française demeure un droit « contrôlé ». Il est en effet soumis à un examen de sa

conformité avec le droit constitutionnel de l’État. C’est le cas en France, en Allemagne, en Italie, où

les cours constitutionnelles peuvent apprécier la conformité constitutionnelle des règlements des

assemblées345, voire même interpréter les dispositions que ces règlements contiennent en cas de

litiges. L’Assemblée nationale française doit même soumettre systématiquement ses réformes

parlementaires à un contrôle préalable de conformité avec la Constitution346, en vertu de l’article 61

de la Constitution du 4 octobre 1958. Ces contrôles constituent une limitation manifeste de

l’autonomie des assemblées, qui peuvent être soumises en ces matières au pouvoir judiciaire.

Cette différence entre l’autonomie dont disposent les assemblées d’Europe continentale et celle

d’influence britannique ne porte pas ombrage au fait que les assemblées parlementaires demeurent

les institutions qui devraient, au premier rang, prendre en considération le conflit existant entre le

privilège de la liberté de parole des parlementaires et les droits fondamentaux accordés aux citoyens.

Tant en vertu de leur autonomie politique qu’administrative, les assemblées sont en mesure de

mettre en place un processus d’enquête, des règles disciplinaires, ou toute procédure estimée

nécessaire qui permettrait la prise en charge directe par les assemblées des litiges qui pourraient

survenir en raison des propos tenus par un parlementaire dans l’exercice de ses fonctions. De plus,

cette responsabilité des assemblées serait grandement profitable puisqu’elle permettrait à ces

dernières de renforcer leur autonomie institutionnelle, plutôt que de laisser une instance tierce étudier

une affaire qui relève de la procédure interne à une assemblée.

343 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.209. 344 Décision confirmée par la Cour d’appel de Paris et la Cour de cassation, le 30 janvier 1882. Citation reproduite dans Id., p.229. 345 ITALIE, Constitution de la République italienne du 27 décembre 1947, traduction de l’italien au français, Rome, Senato della Repubblica, art. 34; ALLEMAGNE, Loi fondamentale du 23 mai 1949, art. 93-1; voir J.-L. PEZANT, préc., note 325, 67. 346 FRANCE, Constitution du 4 octobre 1958, préc., note 176, art. 61.

86

Certaines chambres ont ainsi mis en place des moyens qui ont pour effet de répondre directement ou

indirectement au conflit entre liberté de parole et droit à la dignité et à la réputation. Dans le cadre de

cette recherche, sont décrits et analysés le droit de réplique australien, le droit de pétitionner à la

Chambre des communes britannique et certaines règles disciplinaires liées aux propos des

parlementaires visant à réduire le risque d’abus de droit en France et au Royaume-Uni.

1.2 Les modes de résolution parlementaires

En raison de cette importante autonomie dont disposent les assemblées parlementaires décrite dans

la section précédente, celles-ci ont pu aménager leur procédure interne afin de répondre plus

adéquatement aux besoins des citoyens et de protéger les tiers contre d’éventuels abus liés à la

liberté de parole des parlementaires. Ces moyens relèvent de la capacité d’auto-régulation dont

disposent les assemblées législatives d’influence britannique ou française. En vertu de leur

autonomie, ces assemblées peuvent mettre en place diverses mesures afin d’aménager leur

procédure parlementaire et leur fonctionnement interne. Les assemblées parlementaires ont tous les

pouvoirs nécessaires pour organiser de telles procédures, en marge du processus judiciaire347.

Certains de ces moyens ont alors été élaborés expressément afin d’accorder directement une tribune

au citoyen s’estimant lésé au sein de l’assemblée parlementaire, tel que le droit de réplique

australien et le droit de pétitionner britannique. Les règles disciplinaires, quant à elles, consistent

généralement en un bloc imposant de règles qui s’appliquent aux parlementaires dans le cadre des

débats et qui ont pour effet de limiter les risques que représente le privilège de la liberté de parole

pour les tiers.

1.2.1 Le droit de réplique

Le droit de réplique (« Citizen’s right of reply ») est une procédure dont la création relève d’une

résolution du Sénat australien, adoptée en 1988348. Cette procédure constitue une possibilité pour les

citoyens de saisir la Chambre lorsqu’ils estiment que leur réputation peut avoir été affectée par les

propos tenus à leur sujet au cours des travaux parlementaires :

347 E. CAMPBELL, préc., note 97, p.177-178. 348 AUSTRALIE, SENATE, Parliamentary privilege resolutions agreed to by the Senate, 25 February 1988, Resolution 5. Le texte de cette résolution est reproduit à l’Annexe 1.

87

« A person who has been referred to in a debate in the House may make a submission, claiming that he or she has been adversely affected in reputation or in respect of dealings or associations with others, or injured in occupation, trade, office or financial credit, or that his or her privacy has been unreasonably invaded, by reason of that reference, and requesting that an appropriate response be incorporated in the parliamentary record349. »

Le citoyen doit ainsi avoir été personnellement affecté par le contenu des débats parlementaires et le

préjudice causé pour invoquer cette procédure peut dépasser la simple atteinte à la réputation.

Bien que la majorité des assemblées législatives au sein des entités fédérées australiennes aient

intégré un droit de réplique citoyen dans leurs règles internes350, seuls les mécanismes mis en place

dans les Chambres fédérales australiennes ont été analysés dans le cadre de la présente étude.

Après avoir décrit le fonctionnement pratique de cette procédure, un court retour historique doit être

effectué afin de saisir les motivations ayant mené à la mise en place du droit de réplique dans les

assemblées australiennes. Une analyse du mécanisme est également réalisée afin de dégager les

données suivantes : à qui bénéficie cette procédure, quelle réparation offre-t-elle, quelle mise en

oeuvre demande-t-elle au sein du système juridique australien et quelle influence extérieure a eu

cette procédure.

Le fonctionnement du droit de réplique des citoyens

La procédure en place à la Chambre des représentants australienne est fort similaire à celle

instaurée au Sénat fédéral, tel qu’il appert du libellé quasi identique des deux résolutions qui

permettent leur mise en oeuvre351. Dans les deux cas, le fonctionnement de cette procédure est

simple. Les demandes sont reçues par le président, qui, après avoir établi leur recevabilité à

première vue, les transmet au Comité sur les privilèges de l’assemblée concernée. Les principaux

critères de recevabilité d’une demande que doit évaluer le président sont les suivants : un membre

de l’assemblée doit avoir fait référence à la personne, que ce soit par son nom ou de toute autre

façon qui permette de l’identifier; la personne doit invoquer un dommage causé à sa réputation, ou

une atteinte déraisonnable à sa vie privée causée par les propos du parlementaire; le sujet de la

349 B.C. WRIGHT, préc., note 179, p.774. 350 E. CAMPBELL, préc., note 97, p.75; A. JONES, préc., note 139, p.3. 351 AUSTRALIE, HOUSE OF REPRESENTATIVES, Right of reply of persons referred to in the House, Resolution adopted 27 August 1997, amended 13 February 2008. Le texte de cette résolution est reproduit à l’Annexe 1.

88

demande de réponse ne doit pas être entièrement dénué d’importance; la réponse proposée ne doit

pas avoir un caractère frivole, vexatoire ou offensant352.

Une fois saisi de la demande, le Comité sur les privilèges détermine sa recevabilité sur le fond, et

peut étudier la question plus en profondeur. Il peut décider a priori de rejeter la demande si le sujet

ne lui paraît pas suffisamment sérieux ou si la réponse proposée est frivole, vexatoire ou

offensante353. Dans les deux assemblées fédérales, le Comité doit entendre la demande du citoyen à

huis clos, ses travaux ne pouvant être publics354. Le Comité est la seule entité à pouvoir prendre une

décision relative à la publication de la réponse. À la suite de son examen, il peut recommander

qu’aucune action subséquente ne soit entreprise quant à l’affaire entendue, ou il peut recommander

qu’une réponse soit publiée par le Sénat ou incorporée dans les journaux officiels (Hansard)355. Si le

Comité autorise la publication d’une réponse, celle-ci doit être succincte et ne doit contenir aucun

propos offensant356.

Afin d’établir les critères pour déterminer de la recevabilité des demandes, les assemblées se sont

fondées sur les critères applicables à une procédure préexistante mise à la disposition des députés :

la question de fait personnel357. Cette procédure permet à des députés de donner des précisions à la

Chambre sur des faits qui les concernent358.

Lorsqu’elle procède à l’examen de la demande est-il possible pour le Comité d’évaluer ou non la

vérité des propos contestés tenus par le député? Tant au Sénat359 qu’à la Chambre des

représentants360, la réponse est catégorique, il n’est pas possible d’évaluer le caractère véridique,

tant des propos qui sont protégés par le privilège que ceux contenus dans la réponse du citoyen. De

surcroît, la Chambre ne peut être tenue ni responsable, ni en accord avec la réponse qui pourrait se

trouver reproduite dans les débats officiels: « Neither the recommendation, nor the agreement of the

352 AUSTRALIE, SENATE, préc., note 348, par.1; AUSTRALIE, HOUSE OF REPRESENTATIVES, préc., note 351, par.1. 353 AUSTRALIE, SENATE, préc., note 348, par.2; AUSTRALIE, HOUSE OF REPRESENTATIVES, préc., note 351, par.2. 354 AUSTRALIE, SENATE, préc., note 348, par.4; AUSTRALIE, HOUSE OF REPRESENTATIVES, préc., note 351, par.4. 355 AUSTRALIE, SENATE, préc., note 348, par.7; AUSTRALIE, HOUSE OF REPRESENTATIVES, préc., note 351, par.7. 356 AUSTRALIE, SENATE, préc., note 348, par.8; AUSTRALIE, HOUSE OF REPRESENTATIVES, préc., note 351, par.8. 357 AUSTRALIE, SENATE, Parliamentary Privilege : Precedents, Procedure and Practice in the Australian Senate 1966-2005, Senate Standing Committee of Privileges, Report No. 125, 19 December 2005, par.3.9. Une procédure similaire existe également au Canada. 358 AUSTRALIE, House of Representatives Standing Orders, 14 November 2013, art. 68 ; AUSTRALIE, Senate Standing Orders, art. 190. 359 H. EVANS et R. LAING, préc., note 80, p.95. 360 B.C. WRIGHT, préc., note 179, p.775.

89

House to the question ‘That the report be adopted’ and the subsequent incorporation, can be taken

as implying that either the committee or the House agrees with the content of the response361. » Seul

le parlementaire est responsable de la teneur de ses propos et doit faire un usage responsable de sa

liberté de parole. Ainsi, le droit de réplique citoyen ne saurait pour cette raison, et plusieurs autres, se

comparer à un processus judiciaire, où les droits de chaque partie seraient évalués et

éventuellement mis en balance362.

Afin de mieux saisir les motivations qui ont soutenu l’idée d’instaurer un droit de réplique citoyen en

Australie et de relever les particularités de cette mesure, un bref retour sur les réformes

parlementaires qui ont mené à son adoption doit être effectué.

Historique de la procédure

La question relative au droit des non-membres de répondre à des commentaires faits à leur sujet

sous la couverture du privilège parlementaire de la liberté de parole intéresse de longue date les

parlementaires australiens. En 1935, la Chambre fédérale des représentants a adopté une résolution

établissant que les citoyens possédaient un droit de se défendre contre les attaques faites à leur

encontre au Parlement. La résolution précisait que ce droit des citoyens ne portait pas atteinte au

droit des membres de la Chambre de traiter de tout sujet dans l’intérêt public363.

Plusieurs années plus tard, en 1982, le Joint Select Committee on Parliamentary Privilege est mis

sur pied au sein du Parlement australien. Le comité dépose son rapport en juin 1984364, et y fait part

de sa préoccupation concernant le risque d’abus du privilège de la liberté de parole, pouvant affecter

un tiers non-membre du Parlement. Pour cette raison, le comité formule dans son rapport une

recommandation à l’effet que puissent être entendues par le Parlement les plaintes des citoyens dont

la dignité ou la réputation auraient pu être attaquée dans le cours des débats parlementaires365. La

recommandation effectuée par le comité présente un mécanisme qui ressemble fortement à la

solution retenue et entrée en vigueur depuis au sein du Sénat et de la Chambre des Représentants

australiens.

361 B.C. WRIGHT, préc., note 179, p. 776. 362 Infra, p.93. 363 A. JONES, préc., note 139, p.2. 364 AUSTRALIE, HOUSE OF REPRESENTATIVES/SENATE, An Exposure Report for the Consideration of Senators and Members, Joint Select Committee on Parliamentary Privilege, June 1984. 365 Id., p.57.

90

La procédure du droit de réponse a donc été adoptée par une assemblée législative dans le but

conscient et affirmé de réduire les risques d’abus de privilège que pose la liberté de parole des

parlementaires:

« These resolutions were adopted after a great deal of attention had been given to the possibility that members of the Parliament may abuse the absolute immunity which attaches to their parliamentary speeches by grossly and unfairly defaming individuals who have no legal redress and who, if they are not themselves members, have no forum for making a widely-publicised rebuttal366. »

Elle marque une avancée notable dans la démarche de responsabilisation que plusieurs institutions

semblent adopter quant à leurs privilèges parlementaires. Au Sénat australien, une résolution a aussi

été adoptée afin que les sénateurs fassent usage de leur liberté de parole de façon responsable367.

En plus de cette volonté de réduire les abus de privilèges et de responsabiliser les parlementaires,

un autre facteur structurant du droit de réplique citoyen est que l’adoption de cette procédure s’est

faite dans le cadre d’un grand processus de réforme en matière de privilèges parlementaires, dont le

Joint Select Committee on Parliamentary Privileges précédemment évoqué a été chargé. L’année

précédant l’adoption de la résolution portant sur le droit de réplique citoyen, le Parlement australien

avait marqué un grand pas dans cette réforme en adoptant une loi encadrant ses privilèges. À cet

effet, le Parliamentary Privileges Act 1987368 constitue une oeuvre de grande envergure et demeure

à ce jour la plus importante du genre au sein des parlements de type britannique. En effet, cette loi

encadre l’usage qui peut être fait des privilèges parlementaires, mais également leurs effets et leur

étendue369. Elle définit également plusieurs termes370, dont le fameux « proceedings in Parliament »

de l’article 9 du Bill of Rights371. La procédure du droit de réplique citoyen s’intègre ainsi dans un

système plutôt ouvert aux réformes parlementaires et prédisposé à encadrer l’usage de ses

privilèges parlementaires.

Le Sénat fédéral fut ainsi la première assemblée législative australienne à adopter la procédure

recommandée par le Joint Committee en 1988372, mais il fut également la première assemblée au

366 H. EVANS et R. LAING, préc., note 80, p.96. 367 AUSTRALIE, SENATE, préc., note 80, Resolution 9. 368 AUSTRALIE, Parliamentary Privileges Act 1987, préc., note 225. 369 Id., art. 15. 370 Id., art. 3. 371 Id. art. 16(2). 372 E. CAMPBELL, préc., note 97, p.62

91

monde à mettre en place un tel mécanisme de réponse373. Plusieurs institutions australiennes ont

suivi l’exemple du Sénat, y compris la Chambre fédérale des représentants en 1997374. La majorité

des institutions représentatives territoriales mettent aujourd’hui un droit de réplique à la disposition de

leurs citoyens375.

Son utilisation n’apparaît pas excessive376 : « Since the Senate adopted the procedure in 1988, only

45 responses have been recommended for publication, with another six not proceeded with because

the person concerned chose not to pursue the matter further after the committee had made contact.

The committee has refused a right of reply three times377. » À la Chambre des représentants, moins

d’une vingtaine de rapports concernant des demandes de réponse ont été produits par le Comité des

privilèges depuis 1997378.

Qui peut avoir recours au droit de réplique?

Le droit de réplique peut être réclamé par toute personne qui estime avoir subi un dommage à la

suite d’une déclaration la concernant effectuée dans le cadre des travaux parlementaires. Cette

procédure est spécifiquement désignée pour les personnes estimant avoir vu leur réputation ou leur

dignité atteinte par les propos d’un ou plusieurs députés. Le droit de réplique s’applique aux propos

tenus devant la Chambre, mais également devant les commissions parlementaires379.

Les textes produits par le Sénat sur cette procédure traitent directement d’abus de privilège380, alors

que la Chambre des représentants n’évoque pas cette expression. La procédure est ainsi accessible

à ceux qui estiment avoir été victimes d’un abus de privilège en raison de propos tenus à leur égard.

Il n’est pas clair si la procédure pourrait également être revendiquée ou non par une personne

morale381. Au Sénat, la procédure semble avoir été utilisée par des dirigeants d’entreprises ou des

373 AUSTRALIE, SENATE, préc., note 357, par.3.1. 374 B.C. WRIGHT, préc., note 179, p.775. 375 E. CAMPBELL, préc., note 97, p.76-77; A. JONES, préc., note 139, p.3 ; O. GAY et H. TOMLINSON, préc., note 212, p. 58. 376 AUSTRALIE, SENATE, préc., note 357, par.3.3. 377 AUSTRALIE, SENATE, préc., note 357, par.3.2. 378 PARLIAMENT OF AUSTRALIA, « Standing Committee of Privileges and Members’ Interests, Completed Inquiries and Reports », en ligne : http://www.aph.gov.au/Parliamentary_Business/Committees/House/Privileges_and_Members_Interests (consulté le 9 juin 2014). 379 H. EVANS et R. LAING, préc., note 80, p.96. 380 Id., p. 94.

92

organisations382, même si le libellé de la résolution qui introduit le mécanisme ne réfère qu’à des

personnes physiques. À la Chambre des représentants, il semble manifeste que des personnes

morales ne pourraient recourir au droit de réplique383.

Au Sénat, les étrangers peuvent recourir à cette procédure384, alors qu’à la Chambre des

représentants385, elle n’est ouverte qu’aux citoyens et aux résidents de l’État australien.

Puisque le caractère véridique des propos du parlementaire et de la réponse du citoyen ne fait pas

l’objet d’un examen dans le cadre de cette procédure, le membre du Parlement visé par cette

procédure ne paraît pas en subir de préjudice. Les autorités britanniques, chargées d’étudier la

procédure à des fins d’incorporation dans leur système, ont toutefois relevé que la publication d’une

réponse pouvait constituer en apparence une critique de la conduite du parlementaire386.

Une fois le bénéficiaire de cette procédure identifié, il apparaît pertinent, aux fins de notre analyse,

de s’intéresser au type de réparation qu’elle offre au citoyen qui affirme avoir été lésé.

Quel type de réparation offre-t-elle?

La réparation qu’offre ce type de résolution tient à l’appréciation personnelle du citoyen et peut être

tout à fait variable. En effet, si un particulier estime que son droit à la dignité a été bafoué, le droit de

réplique ne lui permet pas d’obtenir résolution au sens judiciaire du conflit: « Simply to publish the

text of any reply would mean that the truth or falsity of the criticism would not be established. No

financial redress would be forthcoming387. » Il ne peut obtenir de compensation de nature pécunière.

Le caractère indemnitaire de la procédure n’est pas ce qui est recherché par les institutions qui ont

mis ce mécanisme en place : « Because the committee does not judge the truth of the original

comments or the proposed response, and makes no finding of wrongdoing on the part of a senator,

the only role of the committee is to ensure that a response channel is available388. » Elle ne vise qu’à

accorder une tribune aux individus s’estimant lésés par la Chambre. La seule réparation que le

381 E. CAMPBELL, préc., note 97, p.72. 382 H. EVANS et R. LAING, préc., note 80, p.95. 383 B.C. WRIGHT, préc., note 179, p.775. 384 H. EVANS et R. LAING, préc., note 80, p.95. 385 B.C. WRIGHT, préc., note 179, p.775. 386 Joint Committee Report 1999, préc., note 94, par. 220. 387 Id., par. 221. 388 AUSTRALIE, SENATE, préc., note 357, par. 3.7.

93

citoyen peut obtenir relève de la perception de satisfaction qu’il éprouve à la suite du processus, et

qui est plus ou moins ressentie selon les individus.

La procédure permet certainement aux individus d’obtenir une réponse plus rapide à leur grief389. Au

Sénat australien, on affirme avoir traité et publié une telle réponse en une seule journée390.

Au Sénat, la procédure ne va pas chercher à établir le caractère véridique d’aucun propos, toutefois,

le comité parlementaire reconnaît qu’un dommage a été causé à l’individu pour que la réponse soit

publiée dans le Hansard. Ainsi, le citoyen se voit reconnaître tout au plus l’existence d’un

« dommage ».391 Les critères de recevabilité de la procédure étant relativement les mêmes à la

Chambre des représentants et au Sénat, la conclusion précédente paraît opposable aux deux

assemblées.

Bien qu’elle n’offre pas de réelle réparation, au sens d’indemnisation, la procédure protège à

plusieurs égards le citoyen qui demande un droit de réponse à une assemblée législative. Dans un

premier temps, le contenu des délibérations sur la demande de réponse est privé, puisqu’elles

doivent se tenir à huis clos. Dans un deuxième temps, lorsque la réponse est intégrée au journal

officiel des débats (Hansard), celle-ci se trouve protégée à son tour par le privilège parlementaire392.

Le droit de réponse citoyen peut de surcroît offrir une tribune à ces citoyens, puisque les règles

établies tant au Sénat qu’à la Chambre des représentants autorisent le Comité sur les privilèges à

convoquer le citoyen pour l’entendre sur cette affaire. Le parlementaire qui a tenu les propos litigieux

pourra également être appelé à témoigner devant le Comité393.

Le droit de réponse ne peut ainsi offrir de réparation judiciaire en compensation du préjudice moral

qui peut avoir été causé, mais la procédure semble tout de même accorder au citoyen certaines

protections et offre certaines des garanties procédurales que peuvent offrir un processus judiciarisé,

telles que le principe du audi alteram partem et de l’audition à huis clos.

389 H. EVANS et R. LAING, préc., note 80, p.95. 390 Id. 391 A. JONES, préc., note 139, p. 4. 392 H. EVANS et R. LAING, préc., note 80, p.104; 393 B.C. WRIGHT, préc., note 179, p. 775.

94

Afin de poursuivre l’analyse du mode de résolution que constitue le droit de réplique des citoyens,

après avoir identifié les bénéficiaires et le type de réparation visés par cette procédure, les acteurs

qui permettent sa mise en oeuvre au sein du système juridique doivent être examinés.

Quelle mise en oeuvre au sein du système juridique australien?

La mise en oeuvre de la procédure se fait strictement au sein des assemblées législatives

australiennes. Celles-ci ont intégré un droit de réplique via l’adoption de résolutions, qui se trouvaient

intégrées à la procédure de l’assemblée législative. Plus précisément, ce sont les comités traitant

des questions de privilèges qui étudient les demandes qui sont présentées par les citoyens394.

En raison du privilège parlementaire de gestion des affaires internes sans ingérence extérieure,

corollaire de la liberté de parole395, les assemblées parlementaires de type britannique peuvent

mettre en place toute procédure sans que les tribunaux puissent avoir un droit de regard à cet

effet396. Ce principe, qui permet entre autres aux chambres d’adopter des règles de procédure pour

la conduite de leurs propres affaires, a été intégré à l’article 50 de la Constitution australienne397.

C’est pourquoi l’introduction du droit de réplique dans leurs règles de procédure a été entièrement

mise en place par les assemblées parlementaires australiennes elles-mêmes. C’est aussi pourquoi

seules ces assemblées sont compétentes pour déterminer des critères applicables à la mise en

oeuvre du droit de réplique. Ces critères peuvent être modifiés directement par l’assemblée ou par le

comité responsable de traiter ces affaires.

De surcroît, les demandes de répliques reçoivent la qualification de « proceedings in

Parliaments »,398 en vertu de l’article 16(2) du Parliamentary Privileges Act 1987, qui vient préciser

l’article 9 du Bill of Rights. Elles bénéficient de toute la protection qui relève du privilège de la liberté

de parole et du privilège parlementaire de la gestion des affaires internes.

394 E. CAMPBELL, préc., note 97, p.73. 395 Ce privilège est intégré, tout comme le privilège de la liberté de parole, par les articles 49 et 50 de la Constitution australienne : AUSTRALIE, Commonwealth of Australia Constitution Act (Cth), art. 49 et 50. 396 E. CAMPBELL, préc., note 97, p.177-178. 397 « 50. Each House of the Parliament may make rules and orders with respect to -

(i.) The mode in which its powers, privileges, and immunities may be exercised and upheld: (ii.) The order and conduct of its business and proceedings either separately or jointly with the other House. »

398 E. CAMPBELL, préc., note 97, p.74.

95

La liberté de parole des parlementaires étant un privilège qui touche la majorité des assemblées

parlementaires, le modèle du droit de réplique des citoyens a eu une très grande résonance au sein

des États étrangers, particulièrement auprès des institutions d’influence britannique.

Influence extérieure et critiques

En raison du caractère très innovant de cette procédure, plusieurs régimes de type britannique se

sont intéressés de près au droit de réplique des citoyens tel que développé en Australie. Les

critiques les plus virulentes à l’égard de ce modèle sont provenues du Joint Committee britannique

sur les privilèges parlementaires de 1999, chargé d’étudier cette procédure afin de savoir si celle-ci

pouvait être instaurée au Royaume-Uni.

Le Joint Committee avait alors référé à un rapport du Comité de la procédure de la Chambre des

communes publié en 1988-89399, à la suite de l’adoption du droit de réplique en Australie. Ce rapport

avait identifié trois désavantages notables au droit de réponse, qui selon lui, surpassaient les

avantages du système400. D’une part, le délai entre les propos préjudiciables tenus par le

parlementaire et la publication de la réponse dépouillerait la procédure de tout caractère

« immédiat ». D’autre part, bien que le Comité chargé d’étudier la demande ne s’attarde pas à la

vérité des propos tenus par le parlementaire ou du contenu de la réponse, la publication d’un tel

document peut facilement donner l’impression que la Chambre passe un jugement sur les propos du

parlementaire. Finalement, si le système devenait plus publicisé et utilisé fréquemment, une

personne qui ferait l’objet d’une critique en Chambre se trouverait obligée de demander un droit de

réplique, puisqu’une absence de réponse pourrait être considérée comme la reconnaissance du

caractère véridique des propos du parlementaire401.

Le Rapport du Joint Committee conclut son analyse du mécanisme en établissant que l’usage qui

avait été fait de cette procédure en Australie n’avait pas réussi à compenser les désavantages

identifiés 10 ans plus tôt402. De surcroît, il précise que la procédure soulève de très grandes attentes

qu’elle ne permet pas de remplir. La réponse n’attirerait pas autant de visibilité que les propos

litigieux. Finalement, le Joint Committee considère que, par principe, les propos de non-membres ne

399 ROYAUME-UNI, HOUSE OF COMMONS, First Report, Select Committee on Procedure, Session 1988-89. 400 Joint Committee Report 1999, préc., note 94, par. 223. 401 Id., par. 220. 402 Id., par. 221.

96

devraient pas bénéficier du privilège parlementaire qui découle de la publication de ses propos dans

les journaux officiels403. Nous pouvons toutefois opposer certaines critiques face aux propos du Joint

Committee. Les propos tenus par les témoins dans le cadre des travaux des comités parlementaires

sont fréquemment l’objet de publication dans les journaux officiels. Deuxièmement, il appert de

l’expérience australienne que la procédure n’est pas utilisée très fréquemment. Finalement,

concernant le manque de rapidité de la procédure, les délais relatifs à une procédure judiciaire ne

seraient certainement pas inférieurs à ceux qu’offre le droit de réplique.

Bien que le Joint Committee n’ait pas recommandé l’introduction d’une telle procédure au Royaume-

Uni404, quelques États ont tout de même intégré un droit de réponse dans leur procédure

parlementaire. Un droit de réplique des citoyens a ainsi été instauré à la Chambre des représentants

de Nouvelle-Zélande, où il est appelé « droit de réponse405 ». Toutefois, dans cette institution, tant

les personnes morales que physiques peuvent bénéficier de cette procédure406. Un certain droit de

réplique existe également à la Chambre des Lords britannique depuis 2010. En effet, un individu qui

fait l’objet de critiques dans le rapport d’un comité de cette Chambre peut demander à voir le projet

(« draft ») de ce rapport et faire des représentations à cet effet devant le comité407. Cette procédure

du droit de réplique existe finalement également en Irlande et en Afrique du Sud408.

Il n’est pas étonnant que le droit de réplique ait été repris dans plusieurs États, malgré les critiques

qui lui ont été opposées. En effet, il s’agit d’un mécanisme simple, facile à mettre en place au sein

des assemblées qui disposent du privilège de régir leurs règles de procédure interne. Les résultats

qu’elle produit peuvent de surcroît produire un sentiment de réparation chez les individus qui

s’estiment lésés par le privilège parlementaire de la liberté de parole. De plus, il permet à l’institution

de se responsabiliser relativement à ses propres privilèges parlementaires et gagner davantage

d’autonomie par rapport aux tribunaux, qui seront moins sollicités par rapport aux abus de privilège

qui pourraient survenir. Le droit de réplique remplit de ce fait les objectifs visés par le privilège

parlementaire de la liberté de parole, soit assurer la liberté du débat et l’indépendance de l’institution

législative.

403 Joint Committee Report 1999, préc., note 94, par. 221. 404 Id., par. 217 à 223. 405 Traduction libre du terme « response », NOUVELLE-ZÉLANDE, Standing Orders of the House of Representatives, art. 156 à 159. 406 E. CAMPBELL, préc., note 97, p.72. 407 O. GAY et H. TOMLINSON, préc., note 212, p. 58. 408 C.M. LANGLOIS, préc., note 22, p.28.

97

Tout comme le droit de réplique australien, le droit de pétitionner dont disposent les citoyens dans la

majorité des assemblées parlementaires de type britannique peut permettre au tiers lésé par les

propos d’un parlementaire d’obtenir une tribune auprès de la Chambre. Le fonctionnement de cette

procédure originaire du Royaume-Uni sera ainsi décrit plus en détail dans la prochaine section.

1.2.2 Le droit de pétitionner

Une pétition est une requête officielle écrite qu’une ou plusieurs personnes adressent à la Couronne,

au gouvernement ou au Parlement409. Le droit de pétitionner est un droit fondamental, naturel et

traditionnel historiquement reconnu par plusieurs assemblées parlementaires à leurs citoyens410, afin

que ceux-ci puissent adresser des griefs directement à l’institution parlementaire. Ainsi, le recours à

la pétition est souvent le principal mode de communication dont disposent les citoyens à l’égard des

assemblées parlementaires, et ce, pour toute doléance qu’ils souhaiteraient formuler à leurs députés.

De nombreuses assemblées parlementaires reconnaissent ce droit, toutefois, la procédure mise en

œuvre à la Chambre des communes britannique est le cas d’étude retenu dans le cadre de cette

recherche, en raison de son statut fondateur.

Les pétitions adressées au Parlement demandent généralement d’apporter des modifications à la loi

existante ou de reconsidérer une décision administrative. Elles peuvent aussi demander réparation

pour un grief de nature personnelle411. Ce dernier type de requête peut s’appliquer aux situations où

les droits fondamentaux d’un citoyen se retrouvent brimés par l’usage qu’a pu faire une assemblée

parlementaire de la liberté de parole qui lui est conférée. Les citoyens qui se sentent ainsi lésés

pourraient déposer une telle pétition devant la Chambre afin que leur plainte soit entendue.

En plus des pétitions régulières, le règlement de la Chambre des communes prévoit qu’un type

particulier de pétition peut être reconnu devant cette assemblée : les pétitions liées à un grief actuel

et personnel (« Petitions relating to present personal grievances »). Une pétition peut obtenir cette

qualification si elle vise à dénoncer un grief personnel et actuel, pour lequel il peut y avoir une

urgente nécessité d’y apporter un remède immédiat412. Ce type de pétition appelle la discussion sur

409 HOUSE OF COMMONS INFORMATION OFFICE, Public Petitions, Factsheet P7, London, House of Commons, 2010, p.2. 410 A. O’BRIEN et M. BOSC, préc., note 31, p. 1159-1160 ; Erskine May, préc., note 187, p.483; B.C. WRIGHT, préc., note 179, p.629 ; P. AVRIL et J. GICQUEL, préc., note 270, p.319. 411 Erskine May, préc., note 187, p.483. 412 ROYAUME-UNI, Standing Orders of the House of Commons, préc., note 334, art. 155.

98

cette dernière dès sa présentation, contrairement aux autres types de pétitions, qui ne peuvent être

débattues en chambre413.

Les pétitions régulières et les pétitions liées à un grief actuel et personnel constituent des modes de

résolution accessibles qui détiennent chacun des avantages considérables pouvant être bénéfiques

aux citoyens qui se considérent lésés et qui souhaitent s’adresser directement au Parlement.

Le fonctionnement du droit de pétitionner au Royaume-Uni

En raison de la multiplication des pétitions adressées aux Chambres, une procédure de plus en plus

formelle entourant leur présentation s’est établie dans les assemblées parlementaires414. Aujourd’hui,

le format exigé par la Chambre des communes doit être strictement respecté si le citoyen souhaite

que celle-ci soit effectivement présentée.

Les règles relatives au dépôt des pétitions au Royaume-Uni sont des directives établies par

l’assemblée législative afin de favoriser et faciliter leur présentation. La pétition doit être directement

adressée à la Chambre et indiquer clairement l’origine de la pétition et son auteur. Elle doit indiquer

le grief adressé à la Chambre et doit comprendre une requête qui relève de la compétence du

Parlement. Elle ne doit pas réclamer l’attribution de fonds publics, sauf sur recommandation de la

Couronne ou par voie législative415.

La pétition est présentée à la Chambre par un député, qui accepte de parrainer la pétition pour son

dépôt. Toutefois, ce dernier doit le faire de façon volontaire. Aucun député ne peut être contraint à

déposer une telle pétition416. La présentation d’une pétition par un député n’implique pas non plus

que ce dernier en appuie le contenu417. De plus, par convention, puisque la majorité des pétitions

sont adressées au gouvernement, les ministres ne présentent pas de pétitions devant la Chambre418.

Au moment de la présentation de la pétition devant la Chambre des communes, le député doit faire

une brève allocution concernant l’auteur de la pétition, le sujet qu’elle aborde, le nombre de

413 ROYAUME-UNI, Standing Orders of the House of Commons, préc., note 334, art. 154(3) 414 Erskine May, préc., note 187, p.483. 415 ROYAUME-UNI, Standing Orders of the House of Commons, préc., note 334, art. 48. 416 Chaffers v. Goldsmid, [1884] 1 QB 186. 417 HOUSE OF COMMONS INFORMATION OFFICE, préc., note 409, p.3. 418 ROYAUME-UNI, HOUSE OF COMMONS, Public Petitions and Early Day Motions, Procedure Committee, First Report of Session 2006-07, 8 May 2007, par. 7.

99

signatures qu’elle porte et doit lire la requête qu’elle adresse à la Chambre419. Les pétitions ne sont

pas débattues au moment de leur présentation420, à l’exception de celles portant sur un grief actuel et

personnel. En effet, comme le stipule l’article 155 du Règlement de la Chambre des communes:

« In the case of a petition presented […] and complaining of some present personal grievance, for which there may be an urgent necessity for providing an immediate remedy, the matter contained in such petition may be brought into discussion on the presentation thereof and proceedings under this order may be proceeded with, though opposed, until any hour421. »

Cette règle précise que pour certains sujets qui consistent en un grief de nature personnelle, un

débat immédiat peut s’ensuivre de la présentation de la pétition en Chambre.

Après la présentation devant la Chambre, les pétitions qui n’ont pas fait l’objet d’un tel débat

immédiat seront publiées dans le Hansard, le journal officiel de la Chambre des communes422. Les

pétitions sont aussi transmises depuis 2005 au comité de la Chambre des communes concerné par

le sujet de la pétition423. Certaines des pétitions portant sur un grief de nature personnelle ont été

déférées directement, après débat, au Comité sur les privilèges424. Il s’agit d’un mécanisme

intéressant pour que l’assemblée parlementaire soit informée d’un grief dénoncé par un citoyen, et

qu’elle soit éventuellement amenée à le traiter par le biais de ses comités.

Il faut distinguer la pétition dite « publique » (Public Petition425), une requête écrite par un seul

individu ou un groupe de citoyens adressée à la Couronne, au Gouvernement ou au Parlement, de la

pétition « privée » (Private Bill Petition426), un document produit par un citoyen personnellement

affecté par un projet de loi privé et qui souhaite obtenir son rejet ou son amendement. Afin de régir le

conflit qui nous intéresse, seul le premier type de pétition est pertinent. C’est pourquoi la présente

recherche ne s’intéresse qu’à la procédure qui leur est applicable.

419 ROYAUME-UNI, Standing Orders of the House of Commons, préc., note 334, art. 153. 420 Erskine May, préc., note 187, p.483. 421 ROYAUME-UNI, Standing Orders of the House of Commons, préc., note 334, art. 155. 422 Id., art. 156. 423 HOUSE OF COMMONS INFORMATION OFFICE, préc., note 409, p.5. 424 Erskine May, préc., note 187, p.490. 425 « A petition is a formal written request from one or more people to the Sovereign, the Government or to Parliament. » HOUSE OF COMMONS INFORMATION OFFICE, préc., note 409, p.2. 426 « A petition against a Private Bill is not the same as a public petition. It is a document, in a particular format, outlining how you are affected by a Private Bill and why you think it shouldn't be proceeded with or how you would like it altered. » UNITED KINGDOM PARLIAMENT, How to petition against a private bill, en ligne : http://www.parliament.uk/get-involved/have-your-say/petitioning/privatebillpetition/ (consulté le 13 juin 2014).

100

L’encadrement élaboré et bien précis de cette procédure est certainement redevable aux lointaines

origines du droit de pétitionner à la Chambre des communes britannique.

Historique du droit de pétitionner

Le droit des citoyens de pétitionner auprès d’une assemblée législative est l’un des droits politiques

les plus anciens dont ceux-ci disposent. Ce droit était reconnu dans la Magna Carta, en 1215, et

dans une loi britannique de 1406. Il s’agit d’un droit antérieur à la reconnaissance de la liberté de

parole des parlementaires. Il fut exprimé par deux résolutions des Communes en 1669 :

« That it is the inherent right of every commoner in England to prepare and present petitions to the House of Commons in case of grievance, and the House of Commons to receive the same; That it is an undoubted right and privilege of the Commons to judge and determine, touching the nature and matter of such petitions, how far they are fit and unfit to be received427. »

Le droit de pétitionner fut rappelé quelques années plus tard dans le Bill of Rights de 1689 : « […] it

is the Right of the Subjects to petition the King and all Commitments and Prosecutions for such

Petitioning are Illegall428 ». Il s’agit d’un droit jugé essentiel au fonctionnement du système

parlementaire de type britannique, au même titre que la liberté de parole des parlementaires. Ce droit

de pétitionner avait été institué en raison de la fonction juridictionnelle qui fut conférée à l’origine au

Parlement britannique429. Cependant, avec la disparition de cette fonction, les pétitions ont

graduellement adopté leur objectif actuel : l’adresse de demandes au gouvernement et la critique des

politiques publiques.

La procédure concernant les pétitions se rapportant à des griefs actuels et personnels, quant à elle,

existe au Royaume-Uni depuis 1842430. Elle a cependant été invoquée à de très rares reprises

devant la Chambre, dont en 1960, et en 1989431.

Bien que le droit de pétitionner ait de lointaines origines, il demeure encore aujourd’hui le principal

moyen dont disposent les citoyens pour interpeller directement leurs institutions et les membres du

Parlement et du gouvernement.

427 Erskine May, préc., note 187, p.483. 428 ROYAUME-UNI, Bill of Rights 1688, préc., note 2. 429 ROYAUME-UNI, HOUSE OF COMMONS, préc., note 418, Ev. 17, « Memorandum from the Clerk of the House of Commons. » 430 Id., Ev. 17, par. 22; HOUSE OF COMMONS INFORMATION OFFICE, préc., note 409, p.4. 431 Erskine May, préc., note 187, p.490-491.

101

Qui peut avoir recours au droit de pétitionner?

Chaque assemblée dispose de règles différentes concernant les bénéficiaires du droit de pétition.

Certaines assemblées n’accordent ce droit qu’aux résidents nationaux, alors que d’autres institutions

ouvrent le droit de pétitionner aux résidents de l’étranger, voire aux étrangers de façon générale.

Au Royaume-Uni, le droit de pétitionner est ouvert à tous, y compris aux entreprises432. Il s’agit donc

d’une procédure accessible, qui participe à une stratégie visant à permettre aux individus de

s’engager et de s’investir auprès de leur institution parlementaire433. Bien que les critères

d’admissibilité soient peu restrictifs, le style et les critères relatifs à la présentation de la pétition sont

toutefois plus contraignants. Le pétitionnaire doit se charger de s’assurer que la pétition respecte

tous les critères quant à sa forme avant de la soumettre à son député-parrain. Relativement au fond

de la procédure, aucune restriction n’est établie concernant le sujet de la pétition.

Quel type de réparation offre-t-il?

Le droit de pétition est tout d’abord bénéfique pour le citoyen, puisqu’elle lui accorde une tribune au

sein du Parlement. Les bénéfices qu’il peut en retirer sont fort similaires à ceux obtenus par le

recours au droit de réplique en Australie. Il ne peut obtenir d’indemnisation de nature financière via le

droit de pétitionner. La réparation obtenue est donc en lien direct avec son appréciation personnelle

de la procédure, et ne peut servir à judiciariser le conflit. Le traitement de la pétition est néanmoins

plus rapide que celui accordé à une procédure judiciaire en diffamation.

De surcroît, si elle n’est pas débattue en Chambre par le biais de la procédure admissible aux griefs

actuels et personnels, une pétition déposée devant la Chambre est assurée de se voir publiée dans

le Hansard (ou Official Report)434, le journal officiel des débats de la Chambre des communes. Cette

récente procédure a été adoptée à la suite de la recommandation du Comité sur la procédure, en

2007435. Elle visait à donner une meilleure visibilité aux pétitions présentées en Chambre436. Le fait

qu’une pétition soit rendue publique via le Hansard accentue le rapprochement avec la procédure du

432 UNITED KINGDOM PARLIAMENT, Petitioning, en ligne : http://www.parliament.uk/get-involved/have-your-say/petitioning/ (consulté le 13 juin 2014). 433 ROYAUME-UNI, HOUSE OF COMMONS, préc., note 418, par. 1. 434 ROYAUME-UNI, Standing Orders of the House of Commons, préc., note 334, art. 156. 435 ROYAUME-UNI, HOUSE OF COMMONS, préc., note 418, par. 36. 436 Id., par. 36.

102

droit de réplique australien. Un citoyen peut de ce fait obtenir une forme de dédommagement par le

biais de la publicisation de son litige dans un tel médium.

Mise en oeuvre de la procédure

Les règles de procédure qui mettent en oeuvre le droit de pétitionner sont régies exclusivement par

les assemblées parlementaires elles-mêmes, comme dans le cas du droit de réplique australien.

Toutes les modalités concernant la réception, le traitement et la présentation d’une pétition sont en

effet prévues par ces dernières. Quelques dispositions qui prévoient les règles de base concernant le

dépôt des pétitions et leur recevabilité se retrouvent dans le Règlement de la Chambre des

communes437 du Royaume-Uni. Des directives complétant ces règles ont été établies par le Comité

sur la procédure, dans le cadre de consultations visant à moderniser les institutions ou à répondre à

des problèmes d’efficacité de la procédure déjà existante438. L’autonomie entière de la Chambre pour

établir ces règles et directives et pour prendre en charge ces pétitions est possible, de la même

façon que pour le droit de réplique australien, en raison du privilège parlementaire de la gestion des

affaires internes sans ingérence extérieure, l’un des principaux privilèges accordés au Parlement au

Royaume-Uni439.

Les pétitions se référant aux politiques gouvernementales sont transmises à la suite de leur

présentation devant la Chambre au département ministériel concerné440. Le gouvernement

britannique s’est ainsi engagé depuis 2007 à répondre aux pétitions qui lui sont présentées441, sur

recommandation du Comité de la procédure de la Chambre des communes. Cette recommandation

avait été faite en prenant l’exemple du Parlement canadien qui en effet a intégré une telle obligation

de réponse dans son Règlement442. Puisque cet engagement relève du gouvernement britannique et

qu’il ne peut ainsi être appliqué à une pétition adressée directement au Parlement, cette spécificité

n’est pas détaillée plus longuement dans la présente recherche.

437 ROYAUME-UNI, Standing Orders of the House of Commons, préc., note 334, art. 153 à 157. 438 Pour exemple, voir les derniers rapports du Comité sur la procédure abordant les pétitions : ROYAUME-UNI, HOUSE

OF COMMONS, préc., note 418; ROYAUME-UNI, HOUSE OF COMMONS, Public Petitions, Procedure Committee, First Report of Session 2003-04, 10 November 2004. 439 Pour plus de détails concernant ce privilège, Supra, p.83. 440 ROYAUME-UNI, Standing Orders of the House of Commons, préc., note 334, art. 156. 441 OFFICE OF THE LEADER OF THE HOUSE OF COMMONS, The Governance of Britain – Petitions. The Government’s response to the Procedure Committee’s First Report, session 2006-07, on Public Petitions and Early Day Motions, July 2007, p.5. 442 ROYAUME-UNI, HOUSE OF COMMONS, préc., note 418, par. 44 ; CANADA, Règlement de la Chambre des communes, Janvier 2014, art. 36(8)a).

103

Influence extérieure et critiques

Bien que la pétition constitue un mode de résolution très accessible pour le citoyen, le principal écueil

qui la caractérise est le manque de suivi qui pourrait être accordé à la pétition, une fois cette dernière

présentée à la Chambre443. En effet, suite à leur présentation, l’assemblée législative accorde un

traitement minimal aux pétitions qu’elle reçoit. Le fait de ne pas rendre la réponse à la pétition

obligatoire lui retire également une importante force d’impact qu’elle pourrait avoir auprès des

institutions concernées.

De plus, contrairement au droit de réplique, les pétitions adressées à une assemblée législative

constituent un moyen pour adresser au Parlement et au gouvernement tout type de réquisition. Elles

ne constituent pas, contrairement au droit de réplique à l’australienne, un mode de résolution

spécifiquement dédié à prendre en charge les conflits engendrés spécifiquement en raison des

privilèges de la Chambre.

Finalement, la procédure relative aux griefs actuels et personnels, qui peut être d’une utilité

particulière dans le cadre du conflit normatif identifié, est également peu utilisée. Le dernier cas

recevable fut présenté en 1960 et le dernier cas jugé irrecevable fut présenté en 1989. Il est difficile

d’identifier les raisons du désintéressement des citoyens envers cette procédure, puisque peu de

renseignements sont disponibles à cet effet. Est-ce par méconnaissance de ce moyen ou en raison

des critères de recevabilité de cette procédure qui pourraient être difficiles à atteindre?

Le droit de pétitionner est aujourd’hui reconnu aux citoyens dans la majorité des systèmes

parlementaires, d’origine britannique ou non444. Il peut aussi être reconnu dans un ordre juridique à

titre de droit démocratique et politique. Par exemple, au Québec, le droit des citoyens de pétitionner

à l’Assemblée nationale a été intégré dans la Charte des droits et libertés de la personne, à son

article 21445. Lors de l’affaire Michaud, abordée dans le premier chapitre de la présente étude446, la

Cour d’appel du Québec avait toutefois reconnu que la rédaction de cet article ne permettait pas aux

citoyens de recourir aux tribunaux afin d’obtenir la mise en œuvre d’une pétition déposée à

443 HOUSE OF COMMONS INFORMATION OFFICE, préc., note 409, p.5. 444 CANADA, Règlement de la Chambre des communes, préc., note 442, art. 36 ; AUSTRALIE, House of Representatives Standing Orders, préc., note 358, art. 204 et suiv. ; FRANCE, Règlement de l’Assemblée nationale, Juin 2012, art. 147 et suiv. 445 Charte des droits et libertés de la personne, préc. note 88, art.21. 446 Supra, p.35.

104

l’Assemblée, puisque la procédure relevait exclusivement à cet effet des privilèges de l’Assemblée

nationale447.

Pour son caractère discrétionnaire et généraliste, le droit de pétitionner dont disposent les citoyens

britanniques n’apparaît pas constituer le mode de résolution le plus optimal qui soit pour des

personnes qui s’estimeraient lésées par les propos ou les actes d’un député, dans le cadre des

travaux parlementaires. Il est cependant possible d’agir plus strictement dans le cadre des débats

parlementaires sur les agissements des parlementaires. En effet, les règles disciplinaires visent à

imposer une structure afin que les débats au sein des assemblées ne se déroulent pas dans un

contexte complètement dépourvu de normes et qu’ils respectent certains principes élémentaires, tel

que la séparation des pouvoirs.

1.2.3 Les règles disciplinaires

L’instauration d’un droit disciplinaire au sein des assemblées parlementaires constitue le corollaire du

privilège parlementaire de la liberté de parole qui est accordé à leurs membres. En effet, les règles

disciplinaires servent à imposer une certaine structure aux débats parlementaires, afin de prévenir

les abus qui pourraient être liés à une liberté de parole absolue. L’article 9 du Bill of Rights prévoit

donc la soumission de l’élu au pouvoir disciplinaire de la Chambre448. Il s’agit d’une exception prévue

expressément au privilège de la liberté de parole des parlementaires. Le rapport entre ce privilège et

les règles disciplinaires prévues pour encadrer les débats parlementaires est ainsi très important et

ne pouvait être évité dans le cadre de cette recherche.

La Constitution française, de son côté, ne mentionne pas à son article 26, qui stipule l’irresponsabilité

des parlementaires, le pouvoir disciplinaire de l’assemblée parlementaire sur ses élus. Ce fait n’est

pas étonnant, en raison de la nature absolue de l’immunité française. Malgré cette absence des

textes fondateurs, l’exception disciplinaire à la liberté de parole des parlementaires français est

447 Michaud c. Bissonnette, préc., note 19, par. 52 à 62. Il est à noter qu’en 2009, sous l’influence de l’affaire Michaud, l’Assemblée nationale du Québec a modifié son règlement pour y prévoir que les pétitions provenant d’une personne physique concernant une motion de blâme adoptée par l’Assemblée à son encontre pour des paroles prononcées ou un acte accompli en dehors de l’exercice d’une charge publique devaient être transmises à la Commission de l’Assemblée nationale, laquelle pourra entendre cette personne si elle le juge opportun (QUEBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Règlement de l’Assemblée nationale, Juin 2014, art. 64.2 al.2 et 64.6). 448 « Freedom of speech and debates or proceedings in Parliament ought not to be impeached or questioned in any Court or place out of Parliament. » ROYAUME-UNI, Bill of Rights 1688, préc., note 2, art. 9.

105

reconnue de longue date dans d’autres instruments juridiques, tels que le Règlement de l’Assemblée

nationale ou le Règlement du Sénat.449.

L’établissement de règles disciplinaires est essentiel au bon fonctionnement du privilège

parlementaire de la liberté de parole. Elles visent à éviter les abus éventuels et à interdire les

comportements qui pourraient porter atteinte à la « libre expression des opinions divergentes450 ». À

l’opposé des autres modes de résolution détaillés dans cette recherche, les règles parlementaires

agissent en amont du conflit, afin de le prévenir, plutôt que de le traiter a posteriori. Bien que son

efficacité sur ce conflit normatif soit difficile à évaluer, ce moyen de prévention assure indirectement

la protection des individus qui pourraient être visés lors des débats parlementaires et à diminuer le

risque de débordements qui pourraient en découler.

Le droit disciplinaire parlementaire peut également être considéré comme la principale manifestation

de l’autonomie des assemblées parlementaires: « [Il] recouvre l’ensemble des règles juridiques

produites par une Assemblée donnée, dans son propre intérêt et sous la seule sanction du pouvoir

de coercition dont elle dispose451. » Il s’agit d’un droit produit par la Chambre, pour la Chambre.

Les règles disciplinaires étant diversifiées d’une assemblée législative à l’autre, elles sont présentées

comme un ensemble de normes plutôt que détaillées de façon exhaustive. Ce mode de

« prévention » étant similaire dans ses modalités d’application (sanctions et peines) dans les

conceptions britannique et française du droit parlementaire452, le fonctionnement des règles

disciplinaires en usage à la Chambre des communes du Royaume-Uni et à l’Assemblée nationale

française est présenté parallèlement dans le cadre de la présente recherche.

Le fonctionnement des règles disciplinaires

Le droit disciplinaire parlementaire tire sa source des règlements des chambres, qui contiennent des

règles particulières visant à instaurer une certaine discipline au sein des débats parlementaires et à

régir les abus de langage ou de comportement de leurs membres. Ces règles prévoient aussi les

sanctions pouvant être prononcées à l’égard des membres qui porteraient atteinte au bon

déroulement des travaux. Particulièrement au Royaume-Uni et dans les parlements de type

449 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.202. 450 Id., p.203. 451 Id., p.209. 452 Id., p.226.

106

britannique, les précédents et la pratique établie en matière disciplinaire complètent ce corpus

normatif écrit453.

À la Chambre des communes britannique, les règles disciplinaires suivantes sont en vigueur afin de

contrôler l’usage par les parlementaires de leur liberté de parole : interdiction de tenir des propos non

parlementaires454, interdiction d’utiliser le nom de sa Majesté de façon irrespectueuse455, mais

également, de discuter d’affaires en attente d’une décision judiciaire456 (principe du sub judice). Pour

faire respecter ces règles, le Président de la Chambre dispose d’un pouvoir de sanction, qu’il mettra

en oeuvre de façon proportionnée. Les sanctions, établies par le Règlement de la Chambre457 sont

appliquées de façon graduelle. Ainsi, la gradation des sanctions à l’encontre d’un manquement à ces

règles va du rappel à l’ordre, à la réprimande, jusqu’à la suspension ou l’expulsion du parlementaire.

Le parlementaire peut de surcroît se voir dépourvu d’une partie de son salaire s’il fait l’objet d’une

suspension458. En cas de désordre grave, le Président détient toujours le pouvoir d’ajourner le

débat459.

La règle qui interdit de discuter des affaires judiciaires en cours d’instruction ou en attente de

jugement, la règle du sub judice, est la conséquence directe, tout comme le privilège parlementaire

de la liberté de parole, du souci que porte le Parlement envers le principe de la séparation des

pouvoirs. En appliquant la règle du sub judice lors des débats parlementaires, la Chambre vise

directement à ne pas porter atteinte aux travaux des tribunaux et des instances judiciaires, tout

comme les tribunaux respectent l’indépendance des assemblées parlementaires quant à leurs

affaires internes. À la Chambre des communes britannique, une résolution adoptée le 15 novembre

2001460 précise l’usage et l’application de cette règle.

Comme il le fut précisé précédemment, la mise en application des règles disciplinaires à la Chambre

des communes tient compte des précédents en la matière, qui contribuent à enrichir le droit

453 Erskine May, préc., note 187, p.62, 429 et 452. 454 Id., p.444. 455 Id., p.440. 456 ROYAUME-UNI, Standing Orders of the House of Commons, préc., note 334, art. 42A; Erskine May, préc., note 187, p. 441. 457 ROYAUME-UNI, Standing Orders of the House of Commons, préc., note 334, art. 42 à 46. 458 Id., art. 45A. 459 Id., art. 46. 460 ROYAUME-UNI, Journals of the House of Commons, 2001-2002, 50 & 51 Eliz II, Vol. 258, 15 November 2001, « Matters sub judice », p.194-195 (Mr Stephen Twigg) ; voir aussi Richard KELLY, The sub judice rule, House of Commons Library, Parliament and Constitution Centre, Standard Note SN/PC/1141, 31 July 2007.

107

parlementaire en cette matière : « The Speaker’s rulings constitute precedents by which subsequent

Speakers, Members, and officers are guided. […] Such precedents are collected and in course of

time may be formulated as principles or rules of practice. They are an important source of

determining how the House conducts its business461. » Ainsi, la présidence doit interpréter la

situation au cas par cas, en fonction des précédents qui s’y appliquent, et peut donc bénéficier d’un

corpus normatif très large pour prendre la décision la mieux adaptée en cas de manquement

disciplinaire d’un député.

À l’Assemblée nationale française, le Règlement prévoit également des règles encadrant strictement

le contenu et le déroulement des débats parlementaires, mais surtout l’usage de la liberté de parole

des parlementaires462. En vertu de celles-ci, il est entre autres interdit d’interrompre le cours du

débat463, de prononcer des injures, provocations ou menaces464, de provoquer une scène

tumultueuse465 ou de faire appel à la violence466. Ces règles prévoient de la même façon des

sanctions et des peines précises censées être appliquées en cas de manquement. Ces sanctions

font l’objet d’une gradation, comme à la Chambre des communes britannique : le rappel à l’ordre, le

rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal, la censure et la censure avec exclusion

temporaire467. Ces sanctions peuvent être assorties de la privation d’une partie de l’immunité

mensuelle du député468.

Selon Guérin-Bargues, le droit disciplinaire parlementaire français est bien effectif, mais il est

possible de dégager une grande souplesse dans son application à l’Assemblée nationale française,

voire une « certaine réticence de l’Assemblée à appliquer dans toute sa rigueur ses dispositions

disciplinaires469 ». En effet, les règles sont bien définies470 par le Règlement, toutefois, les sanctions

et les peines accordées aux députés sont souvent indéterminées, malgré l’apparence du principe de

461 Erskine May, préc., note 187, p.62 462 FRANCE, Règlement de l’Assemblée nationale, préc., note 444, art. 70 à 76. 463 Id., art. 71(2) 464 Id., art. 71(5) 465 Id., art. 72(3) 466 Id., art. 73(3) 467 Id., art. 70. 468 Id., art. 76. 469 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.208. 470 FRANCE, Règlement de l’Assemblée nationale, préc., note 444, art. 70 et suiv.

108

légalité qu’il est possible de dégager de la lecture des articles du Règlement de l’Assemblée471. Les

sanctions et les peines sont accordées aux députés au cas par cas, en fonction de la gravité des

évènements. Pourtant, il n’est pas toujours possible de dégager une tendance claire des sanctions

qui sont imposées lors de manquements, sauf si ce n’est qu’une « sévérité renouvelée » dans les

décisions plus récentes du Bureau de l’Assemblée nationale472.

Qui peut invoquer ce type de procédure?

Le Président, tant à la Chambre des communes du Royaume-Uni qu’à l’Assemblée nationale

française, dispose de l’autorité nécessaire pour imposer et faire appliquer les règles disciplinaires. Il

lui revient de faire appliquer ces règles en fonction des précédents en la matière. Il agit à titre de

« police de l’assemblée »473 et son pouvoir en matière disciplinaire lui est conféré en vertu des règles

des assemblées474.

Au Royaume-Uni, les députés qui ne sont pas mis en cause ont aussi un pouvoir d’intervention

indirect en matière disciplinaire. À la Chambre des communes, ils peuvent soulever un rappel au

règlement auprès du Président pour souligner une violation par l’un de leurs collègues des règles

disciplinaires475.

À l’Assemblée nationale française, le Bureau de l’Assemblée dispose de tous les pouvoirs pour régir

les délibérations parlementaires476 ainsi que pour déterminer les modalités d’application du

Règlement de l’Assemblée477. Il peut donc décider des sanctions à prendre contre un député qui

aurait manqué aux règles disciplinaires prévues par le Règlement.

À l’Assemblée nationale française, les cas de censure simple, ou avec exclusion, sont prononcés par

l’Assemblée elle-même, sur proposition du Président478. Cependant, le député concerné par l’une de

ces peines dispose toujours du droit d’être entendu devant la Chambre à cet effet avant que la

471 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.209. 472 Id., p.208, note 132. 473 FRANCE, Règlement de l’Assemblée nationale, préc., note 444, art. 52(2). 474 FRANCE, Règlement de l’Assemblée nationale, préc., note 444, art. 71; ROYAUME-UNI, Standing Orders of the House of Commons, préc., note 334, art. 42; 475 Erskine May, préc., note 187, p.455. 476 FRANCE, Règlement de l’Assemblée nationale, préc., note 444, art. 14 477 Id., art. 17. 478 Id., art. 75(1).

109

décision à son égard soit adoptée479. Ainsi, bien que les pouvoirs disciplinaires principaux reviennent

dans les deux cas à la présidence de l’assemblée parlementaire, plusieurs intervenants détiennent

un pouvoir particulier en matière disciplinaire et peuvent contribuer à mettre en oeuvre ces règles

durant les débats.

Quel type de réparation offre-t-elle?

L’irresponsabilité, ou le privilège de la liberté de parole, est « sans conséquence sur la responsabilité

disciplinaire du parlementaire480 ». Un député se trouve redevable devant la Chambre de ses propos

ou de ses actes. L’assemblée est donc la première, grâce aux règles disciplinaires, à pouvoir

intervenir sur un tel abus de cette liberté de parole. C’est « parce que les institutions parlementaires

disposent d’une compétence exclusive en matière disciplinaire qu’existe une irresponsabilité

judiciaire481 ». La protection de la liberté de parole des parlementaires est indissociable de la mise en

application effective des règles internes en matière de discipline.

Les règles disciplinaires constituent une entrave à l’abus du privilège de la liberté de parole,

puisqu’elles prévoient des conséquences pour des fautes commises par les parlementaires qui ne

sauraient être sanctionnées juridiquement. Elles représentent le principal risque que peut encourir un

parlementaire pour ses propos. Elles constituent à proprement parler une protection, plutôt qu’une

réparation, pour les citoyens qui pourraient se voir lésés dans le cours des débats parlementaires.

La mise en oeuvre de la discipline parlementaire demeure la façon la plus simple d’éviter les conflits

entre les droits fondamentaux des citoyens et la liberté de parole des députés. Il faut cependant pour

ce faire que tous les intervenants impliqués dans le cadre des débats demeurent vigilants afin

d’éviter les abus de langage et les mauvais usages du privilège de la liberté de parole. Il faut aussi

rappeler que cette application des règles disciplinaires reste majoritairement à la discrétion de la

présidence et de l’assemblée parlementaire elle-même en raison de l’autonomie dont elle dispose

relativement à sa procédure.

479 FRANCE, Règlement de l’Assemblée nationale, préc., note 444, art. 75(2). 480 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.204. 481 Id., p.205.

110

Quelle mise en oeuvre nécessite cette procédure?

À la Chambre des communes britannique, tout comme dans les parlements de type britannique, les

règles disciplinaires sont établies par la Chambre elle-même. Comme il le fut précisé dans

l’introduction de cette section, le texte même de l’article 9 du Bill of Rights est à l’origine de cette

autonomie en matière disciplinaire : « Sont ainsi consacrées, par le même texte fondamental,

l’existence de la compétence exclusive des chambres en matière disciplinaire et l’irresponsabilité

judiciaire des parlementaires pour les paroles prononcées dans l’exercice de leurs fonctions482 ». De

ce fait, il s’avère évident que l’édiction et la mise en œuvre des règles disciplinaires, tout comme la

liberté de parole des parlementaires, tiennent de l’autonomie normalement dévouée aux affaires

internes d’une assemblée parlementaire. En Australie, le pouvoir de la Chambre de régir la liberté de

parole des parlementaires pourrait être cependant restreint par la reconnaissance constitutionnelle

de la liberté d’expression de nature politique483.

Du côté des assemblées d’influence française, l’autonomie des Chambres en la matière est aussi

avérée. « Seule l’institution la plus directement intéressée par la défense de cette liberté [de parole]

est susceptible de mettre en place les règles les plus à même d’en garantir l’exercice484 ». Comme la

liberté de parole des parlementaires et les règles disciplinaires sont intrinsèquement liées en

pratique, il revient à la chambre de mettre en place et d’appliquer la discipline nécessaire à la mise

en oeuvre de l’irresponsabilité.

Bien que seules les assemblées française et britannique aient été examinées dans le cadre de cette

analyse, la majorité des pays limitent par des règles disciplinaires internes la liberté de parole des

députés, afin d’éviter certains comportements et déclarations qui seraient considérées inadmissibles

dans le cadre des débats parlementaires485. L’étude effectuée par Myttenaere sur les immunités

dans les parlements détaille ces règles en vigueur dans certains États486. Il est possible d’en dégager

que la plupart des règles disciplinaires sont similaires à celles sanctionnées dans les deux

assemblées présentées précédemment.

482 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.200. 483 E. CAMPBELL, préc., note 97, p. 64 ; Supra, p.30. 484 C. GUÉRIN-BARGUES, préc., note 23, p.203. 485 R. MYTTENAERE, préc., note 6 , p.111. 486 Id., p.111 à 113.

111

Finalement, dans la mise en oeuvre du droit disciplinaire parlementaire, il faut rappeler qu’un

important travail de responsabilisation doit également être effectué par les assemblées

parlementaires auprès des députés. La présidence de la Chambre des communes du Canada a

insisté dans l’une de ces décisions sur la responsabilité que détiennent les députés à cet effet :

« […] la liberté de parole est un élément fondamental de notre régime politique et parlementaire. Tout député a le droit de se lever à la Chambre et d’exprimer librement son opinion. Toutefois, lorsque le débat porte sur un sujet délicat, comme c’est souvent le cas, les députés doivent songer aux répercussions possibles de leurs déclarations et, par conséquent, être prudents dans le choix des mots et du ton employés487 […] ».

Une telle mise en garde s’avère nécessaire pour conscientiser les membres des assemblées aux

risques que comporte leur liberté de parole et que son usage ne se trouve pas sans conséquences.

Un important travail dans ce domaine a été accompli par le Sénat australien qui a adopté, le

25 février 1988, des directives visant à encadrer l’exercice de la liberté de parole des parlementaires,

dans la foulée de la mise en place de la procédure du droit de réplique décrite précédemment488.

En conclusion, comme il le fut démontré dans cette première section du présent chapitre, des

réponses au conflit entre liberté de parole des parlementaires et droit à la dignité et à la réputation

des citoyens peuvent provenir, comme il le fut démontré par l’expérience des institutions

australiennes, britanniques et françaises, des assemblées parlementaires elles-mêmes.

Les modes de résolution émanant des assemblées démontrent de nombreux avantages. Ces

procédures demandent une mise en œuvre simplifiée, en raison de l’autonomie dont les assemblées

parlementaires font preuve quant à leur procédure interne. De façon générale, leur gestion est

également plus flexible, puisqu’elle ne réfère qu’à l’institution elle-même. De surcroît, ces modes de

résolution respectent entièrement les prérogatives dont disposent ces assemblées.

487 CANADA, Débats de la Chambre des communes, préc., note 16, p.6371. 488 « 1) The Senate considers that, in speaking in the Senate or in a committee, senators should take the following matters into account:

(a) the need to exercise their valuable right of freedom of speech in a responsible manner; (b) the damage that may be done by allegations made in Parliament to those who are the subject of such allegations and to the standing of Parliament; (c) the limited opportunities for persons other than members of Parliament to respond to allegations made in Parliament; (d) the need for senators, while fearlessly performing their duties, to have regard to the rights of others; and (e) the desirability of ensuring that statements reflecting adversely on persons are soundly based.

(2) The President, whenever the President considers that it is desirable to do so, may draw the attention of the Senate to the spirit and the letter of this resolution. » AUSTRALIE, SENATE, préc., note 80.

112

Cependant, il est possible de constater plus de réticence de la part des assemblées législatives à

mettre en place des mécanismes qui pourraient donner l’impression de blâmer les députés. Cette

tendance apparaît plutôt logique, puisque les réformes parlementaires sont généralement initiées par

les députés eux-mêmes. Pour cette raison, il appert pertinent de s’intéresser désormais aux pistes de

solutions au conflit entre liberté de parole et droit à la dignité et à la réputation qui émanent d’autres

acteurs étatiques qui gravitent autour des assemblées législatives. Ces nouveaux modes de

résolution permettent ainsi de poser un regard différent, externe, sur la procédure parlementaire.

113

Chapitre 2 – Les acteurs externes aux assemblées

parlementaires

Bien que l’acteur parlementaire soit naturellement le mieux placé pour intervenir sur les conflits

pouvant survenir entre liberté de parole des parlementaires et droit à la dignité et à la réputation, en

raison de la protection de l’autonomie des assemblées parlementaires et du principe de la séparation

des pouvoirs, d’autres acteurs liés à ces institutions peuvent également interagir sur cette

problématique particulière.

Le pouvoir constituant, le législateur489 et le pouvoir judiciaire peuvent agir, chacun à leur manière,

afin de résoudre ce conflit normatif. Pour plus de clarté, le pouvoir constituant est ici défini comme le

pouvoir de modifier la constitution qui « appartient tantôt aux différents parlements (fédéral ou

provinciaux), tantôt à un ensemble d’organes plus complexe qu’un seul parlement exerçant la

fonction législative490. » alors que le pouvoir législatif est entendu comme le pouvoir de l’État

d’édicter « des règles de droit de portée générale appelées lois491 ». Des limitations au privilège

parlementaire de la liberté de parole ou à l’irresponsabilité peuvent ainsi être aménagées par ces

instances. Émanant d’institutions élues ou spécialisées dans la gestion des conflits normatifs, ces

modes de résolution respectent les principes démocratiques et de l’État de droit. Elles peuvent

cependant être perçues comme plus controversées par l’acteur parlementaire, puisque ces

interventions n’ont plus comme seul objectif de protéger l’équilibre interne des délibérations du

Parlement.

Les pouvoirs législatif et constituant opèrent selon des impératifs à l’origine politiques, qui sont

formalisés et neutralisés par le processus d’étude et d’adoption des projets de loi et les procédures

d’amendement constitutionnelles. Ces démarches, bien qu’elles peuvent se dérouler matériellement

dans une assemblée législative, ne répondent plus de la simple autonomie parlementaire et doivent

respecter des formalités procédurales parfois lourdes afin d’être validées. En raison de cet

489 Pour rappel, le législateur est entendu ici comme une construction distincte de l’acteur parlementaire, ayant pour

vocation d’étudier et d’adopter les lois qui constitueront le droit commun de l’État. L’acteur parlementaire est entendu dans sa vocation de réguler et d’encadrer les débats parlementaires et de mettre en place sa propre procédure. Supra, note 321. 490 Henri BRUN, Guy TREMBLAY et Eugénie BROUILLET, Droit constitutionnel, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p.76. 491 Id., p.76.

114

encadrement distinct et puisqu’ils ne relèvent pas entièrement de l’autonomie administrative et

procédurale des assemblées, ces pouvoirs sont ici décrits comme externes à l’assemblée

parlementaire. Le pouvoir judiciaire, quant à lui, doit répondre de principes tels que la séparation des

pouvoirs et l’indépendance judiciaire qui ont logiquement pour effet direct de le distancier des

assemblées parlementaires.

Tout comme pour l’acteur parlementaire, les solutions externes au conflit entre liberté de parole et

droit à la dignité et à la réputation peuvent être apportées selon plusieurs configurations. Sont

retenus aux fins de cette étude certains cas distincts qui diffèrent entre eux et qui s’avèrent

représentatifs des moyens retenus par les institutions pour aménager les privilèges accordés aux

parlementaires ou les pondérer par rapport aux droits existants. Les effets du privilège parlementaire

de la liberté de parole peuvent être levés en vertu de dispositions législatives, comme dans le cas de

l’article 13 du Defamation Act britannique de 1996. Des limitations à la protection de liberté de parole

se trouvent intégrées dans la Constitution, tel que l’article 46 de la Loi fondamentale allemande.

Finalement, des critères interprétatifs sont développés par les tribunaux afin de limiter l’usage des

immunités et des privilèges parlementaires.

2.1 La légitimité démocratique et l’équilibre des pouvoirs

Cette section vise en premier lieu à préciser les pouvoirs dont disposent les acteurs constitutionnel,

législatif et juridictionnel à l’égard des privilèges parlementaires, dans l’objectif de réguler un éventuel

conflit normatif entre ceux-ci et les droits fondamentaux, et ce tant en fonction de la conception

britannique de la liberté de parole que de la conception française de l’irresponsabilité.

2.1.1 Les immunités parlementaires et la légitimité politique du

constituant et du législateur

Le privilège parlementaire de la liberté de parole fut officiellement reconnu par son inscription dans

un texte législatif, le Bill of Rights de 1689 pour ensuite inspirer, de près ou de loin, la plupart des

démocraties parlementaires. Au-delà de sa reconnaissance législative et constitutionnelle qui paraît

constante, son étendue est amenée à varier fortement.

115

Comme il l’a été mentionné précédemment492, le pouvoir constituant est le pouvoir de modifier le

texte constitutionnel d’un État, au moyen d’une procédure d’amendement généralement prévue dans

le texte même de la Constitution. Le pouvoir législatif est le pouvoir d’édicter des lois qui vont régir la

société et procède également en vertu de règles précises édictées dans les règlements des

assemblées législatives ou dans les lois de l’État. Cependant, malgré ces différences substantielles,

une importante similitude peut être dégagée de la mise en œuvre de ces deux pouvoirs : elle opère à

l’origine d’une volonté politique représentative. Les procédures visant à réguler le pouvoir constituant

et le pouvoir législatif servent à conformer leur mise en œuvre à l’État de droit. Ces procédures

incluent également une discussion contradictoire, qui renforce l’adhésion de ces pouvoirs au principe

démocratique. Le gouvernement d’un État, qui détient généralement l’initiative du pouvoir législatif ou

des amendements constitutionnels, pourra ainsi recourir à ces moyens pour moduler l’étendue et

l’usage des privilèges parlementaires.

Tant en vertu de la conception britannique que française du privilège parlementaire, la liberté de

parole peut être délimitée, voire restreinte par l’action du pouvoir constituant ou du législateur. Les

privilèges que détiennent les assemblées peuvent être détaillées dans un instrument législatif, que ce

soit une loi ordinaire ou directement dans la Constitution de l’État493.

Dans le système constitutionnel français, l’importance des règles juridiques écrites est considérable.

Ainsi, les immunités parlementaires sont définies par la Constitution et le droit parlementaire français

tire de surcroît son fonctionnement de plusieurs autres sources écrites, qui organisent le

fonctionnement du Parlement, dont les lois organiques, les lois ordinaires et les Règlements des

assemblées494. Ces textes peuvent venir préciser l’usage des immunités parlementaires, comme le

fait entre autres la Loi sur la liberté de presse du 29 juillet 1881, modifiée à cet effet par plusieurs

autres textes de nature législative, dont la Loi no 2008-1187 du 14 novembre 2008. Le pouvoir

constituant et le législateur ont donc un rôle important dans la détermination de l’usage et de

l’étendue des immunités parlementaires.

Un important pouvoir est aussi constitutionnellement reconnu à l’acteur législatif en matière de

privilèges parlementaires dans les États de tradition britannique. Au Canada, l’article 18 de la Loi

492 Supra, p.113. 493 D. McGEE, préc., note 67, p.605. 494 P. AVRIL et J. GICQUEL, préc., note 270, p. 4 à 9.

116

constitutionnelle de 1867 fait clairement mention du rôle que détient le Parlement dans l’édification

des privilèges parlementaires : « Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et

exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront

ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada […].495 » Le rôle de l’acteur législatif

en matière de privilèges est aussi consacré de la même façon dans la Constitution australienne, à

son article 49496.

Le législateur se voit reconnaître une plus grande légitimité que l’acteur parlementaire dans la mise

en place de nouvelles immunités : « The House of Commons acknowledged, as long ago as 1704,

that it had no power to create any new privilège not recognized by the known laws and customs of

Parliament. If a new privilege is to be created for the House of Representatives, as for the House of

Commons, this must be accomplished by legislation497. » Seul l’acteur législatif peut créer de

nouveaux privilèges, voire abroger les privilèges existants498, en raison de sa légitimité issue du

mandat représentatif et démocratique.

Un extrait de l’arrêt Prebble v. Television New Zealand démontre un autre cas d’application de ce

principe : « Such matters lie entirely within the jurisdiction of the House, subject to any statutory

exception such as exists in New Zealand in relation to perjury under section 108 of the Crimes Act

1961. »499 En Nouvelle-Zélande, la loi encadrant les actes de nature criminelle exclut ainsi de la

protection de l’immunité parlementaire les déclarations qui constitueraient un acte de parjure.

Devant une interprétation des privilèges parlementaires qu’il considère erronée ou dommageable de

la part des tribunaux, le Parlement demeure souverain pour édicter une législation plus appropriée500.

Le Parliamentary Papers Act de 1840501, au Royaume-Uni, et le Parliamentary Privileges Act de

1987502, en Australie, ont été adoptés afin de répondre, respectivement, aux arrêts Stockdale v.

495 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 10, art. 18. 496 AUSTRALIE, Commonwealth of Australia Constitution Act, préc., note 395, art. 49 : « The powers, privileges, and immunities of the Senate and of the House of Representatives, and of the members and the committees of each House, shall be such as are declared by the Parliament, and until declared shall be those of the Commons House of Parliament of the United Kingdom, and of its members and committees, at the establishment of the Commonwealth. » 497 D. McGEE, préc., note 67, p.609 ; W. McKAY, préc., note 33, p.176. 498 D. McGEE, préc., note 67, p.610. 499 Prebble v. Television New Zealand Ltd, préc., note 336, p.337. 500 ROYAUME-UNI, HOUSE OF COMMONS/HOUSE OF LORDS, Parliamentary Privilege, Joint Committee on Parliamentary Privilege, Report of Session 2013-14, 18 June 2013, par. 32 (ci-après « Joint Committee Report 2013 »). 501 ROYAUME-UNI, Parliamentary Papers Act 1840, 3 & 4 Vict., c.9. 502 AUSTRALIE, Parliamentary Privileges Act 1987, préc., note 225.

117

Hansard503 et R. v. Murphy504. Cependant, même si le Parlement est libre de mettre en place des lois

afin de clarifier l’approche des tribunaux relative aux privilèges, une telle escalade législative n’est

pas souhaitable, puisqu’elle risquerait de rigidifier l’interprétation de ces derniers :

« if Parliament feels that the limits of its exclusive cognisance have been eroded to the extent that it can no longer effectively perform its core work, it can change the law. But this is a last resort, and such legislation carries the risk that statute law, and the judicial interpretation of that law will, over time, ossify privilege, taking away the possibility of evolution and adaptation to changing circumstances505. »

Une abondance de règles visant à préciser l’usage des privilèges pourrait en effet alourdir leur mise

en oeuvre, et ce, tant au Parlement que devant les tribunaux. Les privilèges devraient ainsi être

conciliés avec l’évolution du contexte législatif dans lequel ils opèrent, y compris les droits

fondamentaux et les lois relatives à la diffamation.

Ces situations sont révélatrices du conflit existant entre tribunaux et Parlement pour définir et

interpréter les privilèges parlementaires. Malgré cette « rivalité », le rôle des tribunaux dans

l’interprétation des privilèges est inévitable, puisqu’ils contribuent à un équilibre des pouvoirs, et

incarnent des éléments de permanence et d’équilibre506 devant l’assemblée législative dont la

composition est changeante et soumise à des impératifs de nature politique.

2.1.2 Les immunités parlementaires et l’équilibre des pouvoirs

constitués

Les assemblées parlementaires et les cours constitutionnelles tirent généralement leur existence et

leurs pouvoirs directement du texte constitutionnel. Le fonctionnement des tribunaux, comme

troisième pouvoir de l’État, est marqué par les principes de la séparation des pouvoirs et de

l’indépendance judiciaire. Les tribunaux obéissent à diverses prérogatives institutionnelles qui

garantissent leur rôle d’arbitre au sein de l’État. Toutefois, certains de leurs arbitrages, effectués au

cœur des pouvoirs de l’État, sont plus conflictuels que d’autres. Dans les États d’héritage

britannique, un difficile travail de conciliation doit être effectué entre le rôle des tribunaux de contrôler

503 Stockdale v. Hansard, préc., note 50, p.147-148. 504 R. v. Murphy, [1986] 5 NSWLR 18. 505 Joint Committee Report 2013, préc., note 500, par. 40. 506 Alain DELCAMP, « Cours constitutionnelles et parlements ou comment se conjuguent aujourd’hui principe de souveraineté et État de droit », (2013) 38 Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel 181, 184.

118

la Constitution et le respect de l’autonomie des Parlements quant à leurs affaires intérieures507.

Lorsque cet équilibre doit de surcroît être opéré en tenant compte des droits fondamentaux qui sont

reconnus aux citoyens, l’opération se trouve évidemment complexifiée.

Depuis l’arrêt Stockdale v. Hansard508, rendu en 1840, les tribunaux britanniques ont déterminé que

les assemblées parlementaires ne détenaient pas de façon exclusive la compétence pour déterminer

l’étendue de leurs privilèges509. Les tribunaux du Royaume-Uni ont rappelé récemment dans l’arrêt

R. v. Chaytor, rendu en 2010, qu’ils pouvaient intervenir sur cette question : « the extent of

parliamentary privilege is ultimately a matter for the court510 ». Au Canada, dans les arrêts New

Brunswick Broadcasting et Vaid, la Cour suprême a déterminé qu’il était possible de définir l’étendue

des privilèges via l’interprétation constitutionnelle, mais que l’exercice du privilège relève

exclusivement de l’assemblée parlementaire. Selon Audrey O’Brien et Marc Bosc :

« Comme le privilège parlementaire est issu de la Constitution, les tribunaux peuvent déterminer l’existence et l’étendue d’un privilège revendiqué. Cependant, compte tenu du fait qu’une décision établissant l’existence d’un privilège entraîne une exemption de contrôle judiciaire, les tribunaux ne peuvent se pencher sur l’exercice d’un privilège ou sur une question qui relève du privilège. Une fois que l’existence et l’étendue d’un privilège ont été déterminées, leur rôle cesse. Il appartient uniquement à la Chambre de trancher les questions qui relèvent du privilège parlementaire511. »

Un test précis a été développé par la Cour afin d’évaluer la nécessité du privilège parlementaire, son

existence et son étendue, afin de ne pas empiéter sur les prérogatives des assemblées législatives.

Un test similaire portant sur la nécessité du privilège est aussi utilisé par les tribunaux au Royaume-

Uni512.

En France, la jurisprudence constitutionnelle vient également encadrer et limiter l’étendue des

immunités. Pour exemple, une décision rendue par le Conseil constitutionnel en 1989513 a permis

d’établir que les actes « distincts » des actes directement rattachés à l’exercice du mandat

507 Warren J. NEWMAN, « Parliamentary Privilege, the Canadian Constitution and the Courts », (2007-2008) 39 Ottawa L. Rev. 573, 575. 508 Stockdale v. Hansard, préc., note 50, p.147-148. 509 Joint Committee Report 2013, préc., note 500, par. 31. 510 R. v. Chaytor, préc., note 224, par. 15-16. 511 A. O’BRIEN et M. BOSC, préc., note 31, p.78. 512 Joint Committee Report 2013, préc., note 500, par. 21 ; R. v. Chaytor, préc., note 224. 513 Conseil constitutionnel, Décision no 89-262 DC du 7 novembre 1989.

119

parlementaire ne sont pas protégés par l’article 26 de la Constitution514. Cependant, le rôle de la cour

constitutionnelle quant au contrôle des immunités y est moins controversé. En effet, celle-ci s’est fait

reconnaître le droit constitutionnel de contrôler les règlements des assemblées515. Ce pouvoir

empiète donc sur la compétence de l’Assemblée de déterminer seule sa propre procédure, qui voit

son autonomie réduite en cette matière.

Les sections suivantes présenteront le rôle que vont jouer en pratique les acteurs externes aux

assemblées sur les immunités et privilèges parlementaires afin de les concilier avec le droit à la

dignité et à la réputation des citoyens. L’exclusion constitutionnelle des propos diffamatoires que l’on

retrouve en Allemagne est présentée dans un premier temps. La levée de l’immunité parlementaire

autorisée par une disposition du Defamation Act 1996, au Royaume-Uni, est examinée dans un

deuxième temps. Finalement, le concept de nécessité, un critère interprétatif développé par la Cour

suprême canadienne est envisagé sous de nouvelles perspectives, qui pourraient permettre d’en

arriver à une meilleure résolution du conflit entre les immunités parlementaires et les droits

fondamentaux.

2.2. Les modes de résolution externes aux assemblées

parlementaires

Au sein de l’État, une multitude d’acteurs permet généralement de réguler des conflits normatifs

émergents. La question du conflit entre liberté de parole du parlementaire et droit à la dignité et à la

réputation ne fait pas exception à ce principe, malgré la nature particulière du privilège ou de

l’immunité parlementaire dans le système juridique étatique. À cet effet, cette section analyse

comment les pouvoirs constituant et législatif et les tribunaux, trois organes étatiques distincts des

assemblées législatives, peuvent influencer la gestion de ce conflit normatif, et ce, dans le respect

des prérogatives institutionnelles des assemblées parlementaires.

514 À titre d’exemple, un rapport produit par un député chargé par l’exécutif d’une mission établie en vertu du Code électoral. Voir P. AVRIL et J. GICQUEL, préc., note 270, p.50. 515 FRANCE, Constitution du 4 octobre 1958, préc., note 176, art. 61.

120

2.2.1 L’exclusion constitutionnelle des injures diffamatoires

De façon générale, il est fréquent que la reconnaissance des immunités parlementaires au sein d’un

État soit précisée directement516, ou indirectement517, dans le texte constitutionnel. Il appert de cette

pratique que les risques posés par l’immunité parlementaire de la liberté de parole pour les citoyens

qui ne disposeraient d’aucun recours dans le cas d’une utilisation préjudiciable de cette dernière

peuvent être directement assumés dans la rédaction constitutionnelle de l’État. En effet, des États

prévoient certaines exceptions à ce privilège directement dans le libellé des articles qui organisent le

régime des immunités parlementaires. Des réserves peuvent être formulées à l’égard de plusieurs

modalités d’application des immunités. Par exemple, l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867

limite leur étendue et leur appartenance historique et culturelle518. Toutefois, certains textes

constitutionnels émettent également des restrictions quant aux propos de nature diffamatoire.

Le fonctionnement de l’exclusion constitutionnelle des injures diffamatoires

De telles exclusions à la protection que confère le privilège se retrouvent à titre d’exemple à

l’article 46 de la Loi fondamentale allemande, qui stipule que l’immunité qui protège les députés du

Bundestag pour les propos et les votes tenus en Chambre ne couvre pas les injures diffamatoires. Le

texte de cette constitution, à l’instar de la Constitution française, confère deux principales immunités

aux parlementaires allemands, l’irresponsabilité519, et l’inviolabilité520 face aux poursuites judiciaires.

Le premier alinéa de l’article 46 de la Loi fondamentale allemande est ainsi rédigé :

« Un député ne peut à aucun moment faire l’objet de poursuites judiciaires ou disciplinaires, ni sa responsabilité mise en cause d’une quelconque façon hors du Bundestag, en raison d’un

516 Pour exemple : Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 10, art. 18 ; FRANCE, Constitution du 4 octobre 1958, préc., note 176, art. 26 ; AUSTRALIE, Commonwealth of Australia Constitution Act, préc., note 395, art. 49 ; ALLEMAGNE, Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne, traduction de l’allemand au français, Berlin, Bundestag allemand, 2012, art. 46. 517 Au Canada, le statut constitutionnel des privilèges a été révélé via le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 10. 518 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 10, art. 18: « Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada; mais de manière à ce qu’aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoirs ne donnera aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de l’adoption de l’acte en question, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande et par les membres de cette Chambre. » 519 ALLEMAGNE, Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne, préc., note 516, art. 46(1). 520 Id., art. 46(2).

121

vote émis ou d’une déclaration faite par lui au Bundestag ou dans l’une de ses commissions. Cette disposition ne s’applique pas aux injures diffamatoires521. »

L’objectif visé par la dernière phrase de l’article est d’exclure les injures pouvant être qualifiées de

diffamatoires de la protection de l’immunité précédemment conférée par le même article. Cette

exclusion est toutefois plus complexe à mettre en oeuvre qu’il n’y appert de sa rédaction. Le

Bundestag dispose en effet d’un pouvoir décisionnel relatif aux demandes de levée d’immunité qui lui

sont présentées.

Du point de vue historique, cette rédaction de l’article 46 se retrouvait dans la version originale de la

Loi fondamentale allemande adoptée en 1949, au lendemain de la Seconde guerre mondiale522.

Cette exception attribuée aux propos diffamatoires en 1949 est en phase avec l’esprit général de la

Loi fondamentale allemande, qui protège de façon très stricte les droits fondamentaux des

individus523. La lecture des 19 premiers articles de la Loi fondamentale démontre le caractère avant-

gardiste de leur rédaction et le caractère solennel que les constituants allemands ont souhaité leur

donner524. En particulier, le premier article de la Loi fondamentale allemande stipule à son premier

alinéa que « [l]a dignité de l’être humain est intangible » et que « [t]ous les pouvoirs publics ont

l’obligation de la respecter et de la protéger525 ». La restriction au sein de l’assemblée législative des

propos diffamatoires, qui portent directement atteinte à la dignité des individus, se pose donc dans

l’esprit véhiculé par le pouvoir constituant allemand.

Comme l’article 46 le mentionne clairement, les injures diffamatoires ne bénéficient pas de facto de

la protection de l’immunité parlementaire. Ces propos peuvent donc faire l’objet de poursuites en

vertu du droit criminel allemand, tel que détaillé dans la section suivante. Cependant, il s’agit de

521 Id., art. 46(1) (Les italiques ont été ajoutées par l’auteure de cette étude). L’article 36 du Code criminel allemand, « Strafgesetzbuch », reprend intégralement cet article, mais en étendant la protection au Parlement fédéral et à l’Assemblée fédérale, et aux assemblées législatives des entités fédérées allemandes (Länder). 522 Michel FROMONT, « RFA : les modifications apportées à la loi fondamentale depuis 1949 », (1978) 7 Pouvoirs 131. 523 Dieter GRIMM, « L’interprétation constitutionnelle. L’exemple du développement des droits fondamentaux par la Cour constitutionnelle fédérale », (2011) 6 Jus politicum, p.5-6. 524 De surcroît, l’article 79 al.3 de la Loi fondamentale allemande exclut toute révision constitutionnelle des droits fondamentaux qui y sont inscrits. ALLEMAGNE, Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne, préc., note 516, art. 79 al.3. 525 ALLEMAGNE, Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne, préc., note 516, art. 1, al.1.

122

distinguer ces injures diffamatoires des insultes de nature politique, ces dernières ne pouvant

bénéficier d’une telle levée d’immunité526.

L’annexe 6 aux Règles de procédure du Bundestag, intitulée « Décision du Bundestag relative à la

levée de l’immunité des membres du Bundestag527 » précise les modalités applicables en ces

matières528. Ces consignes529, annexées aux règles de procédure de la Chambre, sont approuvées

de nouveau par un comité du Bundestag à chaque nouvelle législature.

L’article 1 de cette annexe stipule que le Bundestag doit donner son autorisation à toute ouverture de

procédures d’enquête à l’endroit de membres de la Chambre en matière criminelle, sauf dans le cas

d’insultes de nature politique530. Ainsi, l’ouverture d’une enquête sur un député pour des injures de

nature diffamatoire qu’il aurait prononcées dans le cadre des travaux parlementaires doit être

autorisée par le Bundestag531, la diffamation étant inscrite aux articles 185 à 200 du Code criminel

allemand. L’article 186 définit la diffamation comme la diffusion d’allégations fausses tenues

consciemment pouvant porter atteinte à la réputation d’une autre personne532.

Dans le cas des insultes de nature politique, l’annexe 6 du Règlement du Bundestag précise que

l’immunité des parlementaires ne doit pas être levée533. Concrètement, celles-ci peuvent être définies

comme des paroles de nature diffamatoire prononcées dans le contexte précis du débat politique, en

lien avec l’exécution du mandat parlementaire534. Ces propos ne peuvent être la source de

poursuites pour diffamation. Cette exclusion apparaît logique, puisque le débat politique appelle

526 ALLEMAGNE, Rules of Procedure of the German Bundestag and Rules of Procedure of the Mediation Committee, traduction de l’allemand à l’anglais, Berlin, German Bundestag, 2013, Annexe 6, art. A.5. Cette annexe est reproduite à l’annexe 2 de la présente recherche. 527 ALLEMAGNE, Règlement du Bundestag, traduction de l’allemand au français, Berlin, Bundestag allemand, 2003, Annexe 6. 528 Cette annexe est établie en vertu du paragraphe 2 de l’article 197 du Règlement du Bundestag, qui prévoit que le Comité de validation des élections, des immunités et du Règlement doit définir les principes applicables pour le traitement des demandes de levée d’immunité des parlementaires. Ce paragraphe du Règlement stipule également que ces principes doivent servir de fondement à la prise de décision du Bundestag sur chaque cas qui lui sera adressé à cet effet. Voir ALLEMAGNE, Rules of Procedure of the German Bundestag and Rules of Procedure of the Mediation Committee, préc., note 526, R.107 (2). 529 Id., Annexe 6. 530 Id., Annexe 6, art. 1. 531 M. CRESPO ALLEN, préc., note 316, p.26. 532 ALLEMAGNE, German Criminal Code, traduction de l’allemand à l’anglais, Berlin, Bundesministerium der Justiz und für Verbraucherschutz, 2013, art. 186. 533 ALLEMAGNE, Rules of Procedure of the German Bundestag and Rules of Procedure of the Mediation Committee, préc., note 526, Annexe 6, art. A.5. 534 M. CRESPO ALLEN, préc., note 316, p.26

123

souvent à la tenue de propos peu modérés entre ses adversaires. Elle souhaite réduire le nombre

d’exclusions admissibles et à éviter que les parlementaires et politiques se menacent mutuellement

sans arrêt au moyen de procédures judiciaires.

En terminant, les insultes qui ne pourraient être considérées comme diffamatoires ne peuvent

évidemment bénéficier de l’exemption d’immunité. Des poursuites ne pourraient être entreprises

contre un député pour de tels propos, et l’immunité parlementaire s’appliquerait intégralement dans

de tels cas.

Qui peut invoquer cette procédure?

Les procédures nécessaires pour entamer des poursuites contre un député en matière de diffamation

sont ouvertes à tout individu qui s’estime être victime de tels propos535, à l’exception des insultes de

nature politique. La victime doit déposer une demande afin que des procédures criminelles soient

entamées contre la personne ayant prononcé les injures diffamatoires536. Au plan procédural, la

seconde section de l’annexe 6 du Règlement du Bundestag, intitulée « Principes applicables en

matière d'immunité et pour l'octroi de l'autorisation prévue à l'art. 50, par. 3 du Code de procédure

pénale et à l'art. 382, par. 3 du Code de procédure civile ainsi que pour les autorisations prévues aux

articles 90 b, par. 2 et 194, par. 4 du Code pénal537 », précise en détail à son article A.1 qui dispose

de l’intérêt pour requérir une levée de l’immunité parlementaire auprès du Bundestag, soit, entre

autres, le ministère public, les tribunaux ou la commission de validation des élections, des immunités

et du Règlement538.

Quel type de réparation offre-t-elle?

Les tiers ayant fait l’objet des propos diffamatoires tenus par un député allemand, si leur recours

s’avère bien fondé, peuvent éventuellement obtenir pleine réparation auprès des tribunaux, dans les

limites prévues par le droit allemand applicable. En cette matière, il est possible d’entamer des

poursuites criminelles contre la personne fautive, en vertu des articles 185 à 200 du Code criminel

535 ALLEMAGNE, German Criminal Code, préc., note 532, art. 194. 536 Id. 537 ALLEMAGNE, Règlement du Bundestag, préc., note 527, Annexe 6. 538 ALLEMAGNE, Rules of Procedure of the German Bundestag and Rules of Procedure of the Mediation Committee, préc., note 526, Annexe 6, art.A.1.

124

allemand539 qui encadrent l’interdiction de la diffamation. Les individus reconnus coupables de

diffamation en Allemagne risquent en effet des amendes et des peines d’emprisonnement n’excédant

pas cinq ans540.

La réparation obtenue par la victime est ici relative au régime juridique applicable en matière de

propos réputés diffamatoires. Elle peut fortement varier entre un régime de droit criminel, un régime

de common law ou un régime de droit civil. Au Québec, comme il le fut mentionné dans le premier

chapitre de la première partie de cette étude541, le régime de responsabilité civile est applicable pour

des propos diffamatoires exprimés en public, et la victime d’une telle faute pourrait ainsi recevoir des

dommages et intérêts pécuniaires pour le préjudice subi. La victime de tels propos obtient réparation

dans les limites de ce que prévoit le droit de l’État en matière de diffamation.

Quelle mise en oeuvre au sein du système juridique allemand?

Évidemment, la mise en place de mesures pour limiter le conflit entre privilèges parlementaires et

droits fondamentaux à l’intérieur même de la Constitution d’un État est le mode de résolution qui

demande la mise en oeuvre la plus ambitieuse. Elle exigerait, pour un État qui n’a pas prévu

directement cette exclusion, de recourir à un amendement constitutionnel pour le faire. Selon les

États, une telle procédure peut être fort complexe, puisqu’elle doit répondre à des exigences

procédurales élevées542.

L’exemple allemand implique de plus qu’une procédure relative aux demandes de levée d’immunité

soit instituée au sein de l’assemblée parlementaire, et que les règles applicables au traitement des

demandes y soient définies. Ce mode de résolution au conflit entre liberté de parole et droit à la

dignité et à la réputation fait en effet appel à trois pouvoirs distincts, le pouvoir constituant,

l’assemblée parlementaire et les tribunaux, qui sont chargés d’entendre les procédures en matière de

diffamation dans un dernier temps.

539 ALLEMAGNE, German Criminal Code, préc., note 532, art. 185 à 200. 540 Id., art. 186-187. 541 Supra, p.32 et suiv. 542 Claude KLEIN et Andras SAJO, « Constitution-Making : Process and Substance », dans M. ROSENFELD et A. SAJO, préc., note 25, p.419, à la page 438.

125

Influence extérieure et critiques

Bien que spécifique à l’expérience nationale allemande, ce mécanisme d’exclusion constitutionnelle

des injures diffamatoires apparaît comme un excellent mode de résolution aux conflits entre liberté

de parole et droits fondamentaux, puisqu’il préserve le système d’immunités parlementaires ainsi que

l’autonomie de l’assemblée parlementaire. L’autorisation nécessaire du Bundestag pour entamer les

procédures contre un député permet de respecter l’intégrité et les prérogatives de l’institution. De

surcroît, cette exclusion des propos diffamatoires a pour effet de placer le citoyen et le député

comme égaux devant la justice. Elle contribue de plus à ce que l’immunité parlementaire de la liberté

de parole ne soit pas perçue comme un « privilège » du parlementaire, mais comme une

composante réellement légitime de l’institution législative543.

D’autres États ont également inscrit dans leur texte constitutionnel des exclusions similaires à

l’exemple allemand. La Grèce dispose par exemple d’un tel mécanisme d’exclusion des propos

diffamatoires. En effet, le second alinéa de l’article 61 de la Constitution grecque prévoit, après avoir

assuré la liberté de parole des parlementaires au premier alinéa544, les modalités suivantes :

« Le député est poursuivi uniquement pour diffamation calomnieuse, selon la loi, et après autorisation de la Chambre des députés. La cour d’appel est compétente pour ce contentieux. L’autorisation est considérée comme définitivement refusée si la Chambre ne se prononce pas à son égard dans les quarante-cinq jours à compter de la réception de la plainte par le président de la Chambre. Si la Chambre refuse d’accorder l’autorisation, ou si le délai susmentionné s’est écoulé sans qu’une résolution ne soit prise, l’acte incriminé est considéré comme ne pouvant plus faire l’objet d’une plainte545. »

Après avoir prévu la possibilité de poursuivre le député pour des propos diffamatoires, l’article

encadre ensuite strictement l’usage de cette exception à la liberté de parole des députés. Ainsi, la

Chambre doit avoir autorisé cette poursuite dans les 45 jours de la réception de la plainte pour

propos diffamatoires, sans quoi celle-ci est considérée comme non avenue546.

Au regard de ses nombreux avantages, le principal écueil de ce mode de résolution demeure son

exigeante incorporation au droit de l’État, au moyen d’un amendement constitutionnel. Toutefois, il

543 M. CRESPO ALLEN, préc., note 316, p.26. 544 GRÈCE, Constitution de la Grèce, traduction du grec au français, Athènes, Parlement Héllénique, 2008, art. 61(1) : « Le député n’est ni poursuivi, ni interrogé de quelque manière que ce soit, à l’occasion d’une opinion ou d’un vote émis par lui dans l’exercice de ses fonctions parlementaires. » 545 Id., art. 61(2). 546 M. CRESPO ALLEN, préc., note 316, p. 40.

126

serait possible d’aménager une telle exclusion des propos de nature diffamatoire au moyen d’un

texte législatif ordinaire, dans la mesure où cette exclusion législative est compatible avec le régime

des immunités parlementaires en place. La levée du privilège par voie législative constitue à cet effet

un exemple pertinent d’aménagement de la liberté de parole au moyen d’un simple texte de loi.

2.2.2 La levée du privilège parlementaire par voie législative

Le législateur, comme expression de la volonté générale, détient la légitimité d’intervenir pour

encadrer l’usage des privilèges parlementaires. Le pouvoir législatif est ici entendu de façon externe

à l’assemblée parlementaire, même si ces deux concepts peuvent se confondre au plan politique.

Juridiquement, ce sont deux instances fort distinctes. Le pouvoir législatif fait référence au pouvoir de

l’État d’adopter des règles de droit à portée générale547, au moyen d’une procédure délibérative et

contradictoire qui réfère à plus d’une institution, au-delà de l’unique assemblée parlementaire548.

S’il est entièrement souverain en cette matière, le législateur se veut généralement peu

interventionniste sur cette question des privilèges. Il agira le plus souvent pour remédier à des

interprétations jurisprudentielles qu’il perçoit comme erronées ou dommageables pour l’état du

droit549. Au Royaume-Uni, l’inclusion de l’article 13 dans le Defamation Act de 1996 tire également

son origine d’une telle situation. Cet article a en effet été institué afin de répondre à l’impossibilité

pour des parties à un procès en diffamation de présenter le contenu des débats parlementaires en

preuve devant les tribunaux. Cependant, ce mode de résolution au conflit entre droits et libertés et

privilèges parlementaires, dont l’instauration par le pouvoir législatif britannique a nécessité un fort

consensus, demeure l’un des plus controversés de cette étude.

Historique de la procédure

L’origine de l’article 13 du Defamation Act tient à l’affaire Hamilton, un scandale politique qui a

secoué le Royaume-Uni dans les années 1990550. Hamilton, un député de la Chambre des

communes, avait été accusé dans plusieurs articles du journal britannique The Guardian d’avoir reçu

547 H. BRUN, G. TREMBLAY, E. BROUILLET, préc., note 84, p.79. 548 À titre d’exemple, le processus législatif français nécessite l’adoption par les deux assemblées législatives du projet de loi, l’Assemblée nationale, et le Sénat, ainsi que la promulgation de la loi par le Président de la République afin que celle-ci puisse entrer en vigueur. Voir, P. AVRIL et J. GICQUEL, préc., note 270, p.177 à 228. 549 Joint Committee Report 2013, préc., note 500, par. 32-40. 550 Id., par. 164.

127

d’importantes sommes d’argent en échange de questions posées à la Chambre des communes.

Hamilton, dans l’objectif de rectifier les faits et de blanchir sa réputation, a démissionné de son poste

de député et a intenté des poursuites en diffamation contre le journal551. Lors du procès, le quotidien

a toutefois déposé une requête en arrêt des procédures, invoquant qu’il ne pouvait se défendre dans

cette action sans invoquer les propos de Hamilton tenus à la Chambre des communes552. Le juge du

procès a accédé à cette requête, reconnaissant que la preuve qui relevait des débats parlementaires

ne pouvait être reçue devant le tribunal en raison de l’article 9 du Bill of Rights, et que le journal ne

pouvait ainsi produire efficacement sa défense devant le tribunal553. Le juge, dans son appréciation

de l’affaire, a fondé son interprétation sur l’arrêt Prebble v. Television New Zealand Ltd.554,

contemporain à l’affaire Hamilton.

L’article 13 a donc été intégré par un amendement sénatorial au projet de loi britannique sur la

diffamation555. Malgré l’adoption de cet article, qui visait manifestement à permettre à Hamilton de

continuer ses démarches judiciaires contre le journal, celles-ci n’ont pas été poursuivies par l’ancien

député556. Ce dernier a cependant utilisé le pouvoir conféré par l’article 13 afin d’entamer de

nouvelles poursuites à l’égard d’un homme d’affaires ayant allégué avoir payé Hamilton en échange

de questions au Parlement557.

Le fonctionnement de la levée de l’immunité

L’article 13 du Defamation Act 1996 permet aux membres du Parlement du Royaume-Uni, ainsi

qu’aux non-membres (tels que les individus invités à témoigner devant un comité parlementaire) de

lever leur privilège de la liberté de parole afin que puissent être admis à titre de preuve le contenu de

débats parlementaires dans un procès pour diffamation558 :

« Where the conduct of a person in or in relation to proceedings in Parliament is in issue in defamation proceedings, he may waive for the purposes of those proceedings, so far as

551 Andrew SHARLAND et Ian LOVELAND, « The Defamation Act 1996 and Political Libels », (1997) 1 P.L. 113. 552 E. CAMPBELL, préc., note 97, p.130 553 Hamilton v. Hencke; Greer v. Hencke (21 July 1995), unreported. 554 Prebble v. Television New Zealand Ltd, préc., note 336. 555 A. SHARLAND et I. LOVELAND, préc., note 551, p.115. 556 Id., p. 119; E. CAMPBELL, préc., note 97, p.132. 557 Hamilton v. Al Fayed, [2001] 1 AC 395. 558 E. CAMPBELL, préc., note 97, p. 129.

128

concerns him, the protection of any enactment or rule of law which prevents proceedings in Parliament being impeached or questioned in any court or place out of Parliament559. »

La rédaction de cet article est évidemment restrictive. L’individu concerné ne peut lever le privilège

que sur la part du privilège qui l’implique directement en tant que membre du Parlement, témoin ou

pétitionnaire560.

La levée du privilège ne peut être utilisée que pour admettre le contenu des débats parlementaires à

titre de preuve dans une affaire pour diffamation devant un tribunal. La responsabilité judiciaire de la

personne pour les propos tenus ne saurait être remise en question par cette procédure561.

Qui peut invoquer cette procédure?

Seul le membre du Parlement ou le non-membre bénéficiant de la protection du privilège

parlementaire peuvent lever ce dernier. Ce pouvoir de levée est utilisé de façon discrétionnaire, au

gré de l’individu qui bénéficie de la protection. Cette modalité constitue le principal inconvénient de

ce mode de résolution, qui ne joue en quelque sorte qu’à l’avantage du parlementaire concerné. Il est

toutefois intéressant de constater que la levée peut être invoquée par tous les participants aux

débats parlementaires (témoins et pétitionnaires inclus), et non pas uniquement les membres du

Parlement562.

Le pouvoir de lever l’immunité est donc individuel et non collectif. Une Chambre ne pourrait recourir à

ce pouvoir. De surcroît, cette levée du privilège ne peut être demandée qu’aux fins d’un procès en

diffamation563.

Quel type de réparation offre-t-elle?

La rédaction de l’article 13 permet de lever le privilège parlementaire sur les débats parlementaires

identifiés afin que ceux-ci puissent être admis à titre de preuve dans un procès pour diffamation.

Cette levée permet au juge du procès d’évaluer l’entièreté de preuve pour des procès en diffamation

559 ROYAUME-UNI, Defamation Act 1996, c. 31, art. 13(1). 560 E. CAMPBELL, préc., note 97, p.131. 561 ROYAUME-UNI, Defamation Act 1996, préc., note 559, art. 13(4). 562 E. CAMPBELL, préc., note 97, p.131. 563 ROYAUME-UNI, Defamation Act 1996, préc., note 559, art. 13(1).

129

pouvant impliquer des extraits des débats parlementaires. Elle peut permettre à une partie de

construire sa défense564, assurant par le fait même la garantie d’une défense pleine et entière.

Cette levée du privilège n’a cependant pas pour effet de rendre responsable juridiquement le

parlementaire pour les propos qu’il a tenu devant la Chambre. Cette précision se retrouve à l’alinéa 4

de l’article 13 : « Nothing in this section affects an enactment or rule of law so far as it protects a

person (including a person who has waived the protection referred to above) from legal liability for

words spoken or things done in the course of, or for the purposes of or incidental to, any proceedings

in Parliament565. » De ce fait, la réparation que ce mode de résolution peut offrir au citoyen semble

incertaine au niveau juridique. Ce mode peut permettre à un procès en diffamation de se dérouler

sans entraves en ce qui a trait à la recevabilité de la preuve, mais il ne résout pas à proprement dit le

conflit entre privilèges et droits fondamentaux, puisqu’il ne permettra pas au citoyen de voir la

responsabilité du parlementaire ou du témoin impliquée directement.

Quelle mise en oeuvre au sein du système juridique britannique?

Ce mode de résolution est mis en place par le Parlement, dans le cadre du processus législatif, et

bénéficie de ce fait de toute la légitimité démocratique rattachée à ce dernier. Il doit ainsi répondre

aux impératifs de cette procédure. Au Royaume-Uni, le processus législatif implique qu’un projet de

loi doit franchir plusieurs étapes au sein de la Chambre où il est d’abord présenté, pour ensuite être

étudié et débattu au sein de la seconde chambre. Au cours de son passage dans chacune des

assemblées, le projet de loi a été étudié en détail par un comité parlementaire566.

Chaque chambre prend finalement en considération les amendements apportés au projet de loi au

cours de ses différentes lectures. Les deux chambres doivent en arriver à un consensus sur le texte

final du projet de loi567. Toutes ces étapes impliquent un vote de la Chambre à la majorité afin de

pouvoir procéder à l’étape suivante. Une fois adopté par le Parlement britannique, le pouvoir de

levée du privilège appartient strictement à l’individu dont les propos sont protégés par le privilège.

564 A. SHARLAND et I. LOVELAND, préc., note 551, p.115. 565 ROYAUME-UNI, Defamation Act 1996, préc., note 559, art. 13(4). 566 UNITED KINGDOM PARLIAMENT, « Passage of a Bill », en ligne : http://www.parliament.uk/about/how/laws/passage-bill/ (consulté le 3 août 2014). 567 Id.

130

Influence extérieure et critiques

La procédure de la levée du privilège de l’article 13 du Defamation Act demeure controversée. Le

Parlement lui-même est à l’origine des critiques les plus virulentes à l’égard de ce moyen législatif.

Le Joint Committee sur les privilèges parlementaires de 1999 a statué dans son rapport final que

l’article 13 du Defamation Act était défaillant et qu’il minait les fondements du privilège parlementaire

: « Freedom of speech is the privilege of the House as a whole and not of the individual in his own

right, although an individual member can assert and rely on it568. » Le Comité a ainsi recommandé

son abrogation569. Alors que le Joint Committee de 1999 recommandait en contrepartie l’adoption

d’un nouveau pouvoir de levée modifié570, le Joint Committee sur les privilèges de 2013, s’inscrivant

dans le sillon de son prédécesseur, recommandait plutôt de strictement l’abroger, sans autoriser de

nouveau pouvoir de levée aux Chambres571. Tout porte à croire que ce mode de résolution risque de

disparaître un jour ou l’autre de l’ordre juridique britannique.

Le principal défaut de la levée du privilège qu’autorise l’article 13 du Defamation Act est l’asymétrie

qu’il crée dans un conflit déjà largement inégal entre liberté de parole des parlementaires et droits

fondamentaux. En effet, comme le mentionne avec exactitude Geoffrey Marshall : « Since the other

parties to litigation are not able to waive parliamentary privilege when it suits them it leaves a serious

imbalance between the rights of members and everyone else that does not sit very well with the rule

of law572 ». La levée du privilège telle qu’instaurée par cet article n’est utilisée que dans les cas qui

avantageront les bénéficiaires du privilège de la liberté de parole uniquement, et creuse cet écart qui

existe déjà entre les citoyens et eux. Il s’agit d’un mode de résolution qui, bien que prometteur, ne

risque d’être utilisé qu’au bénéfice des « privilégiés » et qui ne parviendra probablement jamais en

pratique à concilier privilège et droits fondamentaux des citoyens.

Le cas du Parlement britannique n’est par ailleurs pas tout à fait unique. En 1997, la levée du

privilège parlementaire a également été autorisée par voie législative dans l’État du New South

Wales (ou Nouvelle-Galles du Sud), dans le cadre de l’affaire Arena v. Nader573. Des amendements

ont en effet été intégrés à une loi du Parlement de l’État, le Special Commissions of Inquiry Act 1983,

568 Joint Committee Report 1999, préc., note 94, par. 68. 569 Id., par. 69. 570 Id., par. 81. 571 Joint Committee Report 2013, préc., note 500, par. 170. 572 G. MARSHALL, préc., note 97, p.599. 573 Arena v. Nader (1997) 42 NSWLR 427; [1997] 71 ALJR 1604.

131

afin de permettre la tenue d’une commission d’enquête visant à faire la lumière sur les accusations

portées par une membre du Conseil législatif à l’encontre de plusieurs personnalités publiques, dont

un juge de la Cour suprême de l’État574. Les amendements permettaient aux Chambres du

Parlement de lever le privilège sur les propos visés par une résolution adoptée aux deux-tiers des

membres575. Le pouvoir accordé de façon législative aux assemblées était toutefois temporaire,

l’amendement adopté devant expirer dans un délai de 6 mois576.

Devant les résultats plutôt insatisfaisants produits par cette levée de l’immunité par voie législative,

sont analysées, à titre de dernier cas d’étude de cette recherche, les perspectives que pourraient

offrir aux tribunaux canadiens la conception d’un test de nécessité renouvelé.

2.2.3 L’interprétation judiciaire contextuelle

Malgré les difficultés rencontrées jusqu’à ce jour pour concilier privilèges parlementaires et droits

fondamentaux devant les tribunaux canadiens, ce rapprochement n’apparaît pas entièrement

impossible. Même si ces derniers manifestent encore beaucoup de déférence pour les assemblées

parlementaires lorsqu’ils sont amenés à traiter des questions qui touchent aux privilèges et

immunités, il a été établi à de maintes reprises qu’ils étaient entièrement compétents pour délimiter

leur étendue577. De ce fait, ils ont été amenés à mettre en oeuvre dans leur jurisprudence des

critères interprétatifs visant à fixer des limites aux privilèges, dont le critère de nécessité, développé

par la Cour suprême du Canada.

Ce critère pourrait être reconsidéré pour en arriver à une interprétation jurisprudentielle qui

réconcilierait plus adéquatement le droit à la dignité et à la réputation et l’étendue du privilège

parlementaire de la liberté de parole. Les pistes interprétatives qui sont présentées dans cette

dernière section sortent du cadre analytique descriptif proposé dans la dernière partie de ce

mémoire. Elles constituent des bases de réflexion visant une meilleure conciliation des privilèges et

des droits fondamentaux devant les tribunaux, cet acteur juridictionnel. Après avoir procédé à

l’évaluation de nombreux modes de résolution qui émanent du droit parlementaire étranger, cette

étude se plonge en guise de conclusion dans les réformes qui peuvent être envisagées au test de la

574 E. CAMPBELL, préc., note 97, p.134. 575 Id., p.134. 576 AUSTRALIE, Special Commissions of Inquiry Amendment Act 1997, No. 84 (NSW), Schedule 1. 577 R. v. Chaytor, préc., note 224 ; NB Broadcasting, préc., note 13; Vaid, préc., note 17.

132

nécessité de la Cour suprême pour en dégager une interprétation qui permettrait de rendre plus

compatible les privilèges et immunités avec l’état du droit et le statut prépondérant des droits

fondamentaux dans nos sociétés.

Le fonctionnement du critère de nécessité

Le « test de nécessité », cadre interprétatif développé par la Cour suprême du Canada,

principalement dans les arrêts New Brunswick Broadcasting578 et Vaid579, rendus respectivement en

1996 et en 2005, peut permettre de concilier les droits fondamentaux et les privilèges parlementaires

devant les tribunaux. Ce test établit que la protection que confère le privilège parlementaire peut être

réclamée avec succès dans les cas où sa mise en oeuvre est nécessaire aux délibérations du

Parlement. Dans l’arrêt Vaid, le plus récent de ces deux arrêts, le juge Binnie, qui rend jugement au

nom de la Cour unanime, a défini ce critère de nécessité : « Si une sphère d’activité de l’organe

législatif pouvait relever du régime de droit commun du pays sans que cela nuise à la capacité de

l’assemblée de s’acquitter de ses fonctions constitutionnelles, l’immunité ne serait pas nécessaire et

le privilège revendiqué inexistant580. » Il établit également que cette nécessité est le fondement

historique des privilèges.

Dans ce même arrêt, le juge Binnie résume le test applicable lorsqu’une assemblée revendique un

privilège. Ce test doit déterminer si ce privilège revendiqué lui est réellement nécessaire :

« Pour justifier la revendication d’un privilège parlementaire, l’assemblée ou le membre qui cherchent à bénéficier de l’immunité qu’il confère doivent démontrer que la sphère d’activité à l’égard de laquelle le privilège est revendiqué est si étroitement et directement liée à l’exercice, par l’assemblée ou son membre, de leurs fonctions d’assemblée législative et délibérante, y compris leur tâche de demander des comptes au gouvernement, qu’une intervention externe saperait l’autonomie dont l’assemblée ou son membre ont besoin pour accomplir leur travail dignement et efficacement581. »

Le travail du juge s’arrête au même moment. Dès que l’application du privilège est reconnue comme

étant nécessaire, il revient à l’assemblée parlementaire uniquement de juger de l’exercice particulier

de ce privilège. L’exercice du privilège, contrairement à son étendue, n’a pas à être déterminé en

fonction de sa nécessité. La Chambre est considérée par la Cour comme la seule compétente pour

578 NB Broadcasting, préc., note 13. 579 Vaid, préc., note 17. 580 Id., par. 29. 581 Id., par. 46.

133

déterminer de l’exercice du privilège582. Plusieurs auteurs ont critiqué ce critère de nécessité dégagé

par la Cour suprême583. Afin d’être plus respectueuse des droits fondamentaux, l’interprétation du

juge pourrait intégrer, au-delà de la stricte distinction quant à l’étendue et à l’exercice du privilège,

une perspective plus conforme aux jugements rendus en matière de droits et libertés.

Des pistes de réforme au critère de nécessité

Le test de nécessité énonce de façon très simple l’approche de la Cour suprême en matière de

privilèges parlementaires. Cependant, ce test paraît très incertain, et surtout, démontre une grande

subjectivité. De plus, le privilège de la liberté de parole, privilège inhérent dont la nécessité est déjà

démontrée, ne pourrait connaître aucune exception. En se fondant sur ce même critère de nécessité,

mais en déconstruisant quelque peu le privilège de la liberté de parole, il devient contestable que

toutes les déclarations soient nécessaires aux délibérations du Parlement. En reprenant

l’argumentation de l’arrêt Vaid, est-il réellement nécessaire que les propos diffamatoires des députés

bénéficient de la protection du privilège de la liberté de parole, afin d’accomplir leur travail

« dignement et efficacement »? Il est légitime d’avancer cette question, dans un contexte juridique où

les droits et libertés sont devenus garants d’un État démocratique et de chercher une interprétation

juridique qui pourrait être plus conforme au droit à la dignité et à la réputation des citoyens.

Dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec584, citant l’arrêt R. c. Oakes585, la Cour suprême

présente les valeurs dites « inhérentes à la notion de démocratie » que les tribunaux doivent

considérer dans leurs interprétations. Ces valeurs démocratiques incluent entre autres « le respect

de la dignité inhérente de l’être humain586 ». Les tribunaux, lorsque amenés à concilier les droits

fondamentaux et les privilèges parlementaires, doivent être conscients qu’il devrait être compatible

avec l’approche du test de la Cour suprême d’intégrer les droits et libertés fondamentaux dans

l’évaluation de la nécessité du privilège. Comme le mentionne la juge McLachlin dans ses motifs

concordants de l’arrêt Harvey :

« Vu que le privilège parlementaire jouit d’un statut constitutionnel, il n’est pas « assujetti » à la Charte […]. Le privilège parlementaire et la Charte constituent tous deux des parties

582 Harvey, préc., note 17, par. 71 ; D. McGEE, préc., note 67, p. 606. 583 Entre autres : M.-A. ROY, préc., note 22 ; E. FOX-DECENT, préc., note 149. 584 Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217. 585 R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. 586 Id., p. 136, cité dans Renvoi relatif à la sécession du Québec, préc., note 584, par. 64.

134

essentielles de la Constitution du Canada. De même qu’il faut maintenir le privilège parlementaire et l’immunité contre l’intervention appropriée des tribunaux dans le processus parlementaire, il faut aussi maintenir les garanties démocratiques fondamentales de la Charte587. »

La juge McLachlin avait ainsi rappelé dans cet arrêt la nécessité de concilier les principes de nature

constitutionnelle. Pourtant, la notion de conciliation n’implique pas de trancher au profit d’un principe

au détriment du second. Ainsi, une nouvelle étape au test de la Cour devrait être prévue afin que les

droits et libertés des tiers soient mieux pris en compte dans l’évaluation de la nécessité d’un

privilège.

Cette nouvelle étape pourrait s’inspirer des analyses effectuées par les tribunaux canadiens dans le

cadre de limitations imposées aux droits et libertés fondamentaux. Elle pourrait entre autres retenir

du critère de l’atteinte minimale, qui constitue généralement la seconde étape du test auquel

recourent les tribunaux afin de vérifier si une atteinte aux droits et libertés de la Charte est justifiée en

vertu de son article premier588. Comme le mentionne la Cour suprême dans l’arrêt Alberta c.

Hutterian Brethren of Wilson Colony, « le critère de l’atteinte minimale consiste à se demander s’il

existe un autre moyen moins attentatoire d’atteindre l’objectif de façon réelle et substantielle589». De

la même façon, lorsque amenée à traiter de situations opposant privilèges parlementaires et droits et

libertés, la Cour pourrait tenter de dégager la solution la moins attentatoire pour les droits

fondamentaux du tiers concerné.

D’une autre façon, les litiges opposant privilèges parlementaires et droits et libertés pourraient

également être résolus au moyen d’une analyse qui pourrait avoir recours à l’approche de la

pondération contextuelle, utilisée récemment par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. N.S.590, et qui

vise à dégager un « équilibre juste et proportionnel entre deux droits de même nature591 ». Cette

approche vise à résoudre le conflit normatif tout en conciliant les deux droits qui s'opposent. Ceci

pourra être fait en cherchant « d’autres mesures raisonnables qui permettent d'éviter le conflit » et

« une solution qui respecte chacun des droits et convient à chacune des parties592 ». Si aucune

solution mitoyenne ne peut être dégagée, il s’agit de faire la balance des effets préjudiciables et des

587 Harvey, préc., note 17, par. 70. 588 Christian BRUNELLE, « Les droits et libertés fondamentaux », dans Collection de droit 2013-2014, École du Barreau du Québec, vol. 7, Droit public et administratif, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p.21, à la page 95. 589 Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, [2009] 2 R.C.S. 567, par. 55. 590 R. c. N.S., [2012] 3 R.C.S. 726. 591 Id., par. 31. 592 R. c. N.S., préc., note 590, par. 32.

135

effets bénéfiques d’une mesure593. Dans le cadre du conflit entre privilèges et droits et libertés, une

telle approche utilisée par les tribunaux pourrait ainsi permettre de dégager une solution à la fois

respectueuse des prérogatives des assemblées législatives qui répondrait aux revendications des

tiers et aux exigences de l’équité procédurale.

Les effets bénéfiques d’un critère de nécessité amélioré

Un critère de nécessité amélioré permettrait aux tribunaux canadiens de procéder à une analyse plus

à même de répondre au conflit normatif entre privilèges parlementaires et droits et libertés de façon

générale, au-delà du conflit entre liberté de parole et droit à la dignité et à la réputation qui est l’objet

plus précis de cette étude. Comme le mentionne à juste titre Marc-André Roy :

« L’inclusion d’une pondération souple du privilège parlementaire et des valeurs de la Charte au sein du critère de nécessité pourrait grandement contribuer à établir un meilleur équilibre entre les protections nécessaires au fonctionnement harmonieux d’une assemblée législative et les attentes contemporaines en matière de respect des droits et libertés de la personne594 ».

Une approche interprétative qui intégrerait les droits fondamentaux serait à priviléger, puisqu’il

s’avère probable que les privilèges soient précisément confrontés le plus souvent avec ce type de

droits dans les années à venir595. Une approche mieux adaptée à la prise en compte des droits

fondamentaux pourra faciliter le travail des tribunaux, qui pourront dégager des solutions

jurisprudentielles respectueuses à la fois des fonctions des assemblées législatives et des droits des

citoyens.

De surcroît, un examen amélioré par les tribunaux d’un tel conflit avec les droits fondamentaux

devrait permettre une meilleure prise en compte de la pratique moderne de la liberté de parole des

parlementaires. Comme il le fut démontré plus tôt dans cette étude, le contexte politique et

médiatique dans lequel évoluent les parlementaires a grandement évolué et la Cour suprême

canadienne a elle-même mentionné, dans les arrêts Vaid et New Brunswick Broadcasting, qu’elle

devait considérer si la catégorie de privilège inhérent demeurait toujours aussi nécessaire dans sa

pratique moderne596.

593 Id., par. 34. 594 M.-A. ROY, préc., note 22, 523. 595 J. MAINGOT, préc., note 1, p.317. 596 Vaid, préc., note 17, par. 29(6); voir aussi NB Broadcasting, préc., note 13, p.387.

136

Au Canada, les institutions ont pris connaissance par elles-mêmes du besoin d’en arriver à une

meilleure conciliation entre privilèges et droit et libertés. En 2006, le Sénat canadien a proposé par

voie législative une approche pour régler dans un secteur précis le conflit entre droits et libertés et

privilèges parlementaires. Cette proposition était une réponse à l’arrêt Vaid, qui avait directement mis

en lumière le problème auquel ce projet de loi visait à répondre. Le projet de loi S-219597, Loi

modifiant la Loi sur les relations de travail au Parlement, présenté en 2006, prévoyait en effet rendre

admissible les litiges en matière de relations de travail au Parlement à la Loi canadienne sur les

droits de la personne. Le parrain du projet de loi souhaitait ainsi que les employés du Parlement

soient admissibles au même régime de protection que les employés de la fonction publique, et que le

déséquilibre qui lui apparaissait plutôt anormal pour une institution aussi « sensible à toute question

concernant les droits de la personne et aux questions liées aux minorités598 », soit comblé. Ce projet

de loi, mort au feuilleton à la suite de la prorogation du Parlement, aurait permis, tout comme un

critère de nécessité amélioré, de maximiser les droits fondamentaux des employés du Parlement

canadien, tout en maintenant une balance appropriée avec le privilège parlementaire.

Cet examen des modes de résolution extérieurs à l’assemblée parlementaire permet ainsi de

dégager à nouveau plusieurs voies de prise en charge du conflit entre privilèges et droits et libertés.

Que ce soit en excluant les injures diffamatoires de la protection de la liberté de parole conférée aux

parlementaires, en autorisant la levée de l’immunité des parlementaires par voie législative ou en

donnant une interprétation contextuelle plus adaptée aux droits fondamentaux, ces trois solutions

permettent une meilleure prise en charge du droit à la dignité et à la réputation des tiers, lorsqu’il

peut avoir été lésé dans le cadre des débats en Chambre. En tant que modes de résolution externes,

ils permettent de surcroît d’intervenir afin de faire respecter les droits des citoyens lorsque

l’assemblée elle-même peut avoir omis, ou refusé de le faire, dans le cadre de ses propres

procédures internes.

Ces trois exemples, ainsi que les modes de résolution émanant de l’assemblée parlementaire,

permettent de plus une mise en oeuvre différenciée des droits fondamentaux. En effet, chacun de

ces mécanismes permet d’en arriver à une réparation distincte pour la victime, qui soit entière,

597 Loi modifiant la Loi sur les relations de travail au Parlement, projet de loi noS-219 (dépôt et 1ere lecture – 26 juin 2006), 1ere sess., 39e légis. (Can.) 598 CANADA, Débats du Sénat, 1ere sess., 39e légis., 30 octobre 2006, « La Loi sur les relations de travail au Parlement », 20h50 (Sénateur Joyal).

137

comme dans le cas de la levée de l’immunité ou de l’exclusion des propos discriminatoires, ou plutôt

balancée avec les prérogatives de l’assemblée parlementaire, comme par exemple le droit de

réplique, ou le droit de pétitionner.

139

Conclusion

En prenant comme point de départ le constat partagé des juges Baudouin599 et Costa600 quant à

l’impossibilité pour les tribunaux d’opérer une conciliation entre la liberté de parole du parlementaire601,

quasi absolue, et les droits et libertés conférés aux citoyens par les multiples instruments de protection qui

les encadrent, cette étude a souhaité dégager les principaux moyens de pallier à ce « paradoxe » du droit

mis en oeuvre au sein de certains États. Cette situation, dégagée à la fois dans le paysage juridique

canadien qu’européen, a également permis de comparer les deux principales conceptions de la liberté de

parole qui peuvent être retrouvées dans les systèmes parlementaires dans le monde, ce qui explique la

similitude du constat dressé par les deux juges et, par le fait même, que cette situation opposant droits et

libertés et liberté de parole peut se révéler en vertu de ces deux conceptions dominantes. Afin de

comprendre comment il est concrètement possible de concilier le droit à la dignité et à la réputation et la

liberté de parole des parlementaires, six modes de résolution issus du droit public canadien et étranger ont

ainsi été analysés dans le cadre de cette recherche.

Les cas d’étude retenus ont été sélectionnés afin d’illustrer la plus grande variété des modes de résolution

en fonction de l’auteur responsable de sa mise en oeuvre et de l’ampleur de la conciliation ou de la

réparation opérée. De plus, cinq des modes de résolution furent analysés à l’aide d’une grille à partir de

laquelle il aura été possible d’évaluer les variables suivantes : comment fonctionne le mécanisme à

l’intérieur du système juridique national, quelles sont les origines historiques du mécanisme, qui peut avoir

recours au mécanisme, quel type de réparation autorise ce mode de résolution, quelle mise en oeuvre du

mécanisme est nécessaire au sein du système juridique national et, finalement, quelles sont les principales

critiques adressées à l’encontre du mode de résolution et quelle influence a-t-il pu avoir à l’extérieur de son

propre système. Un dernier mode de résolution, provenant de l’acteur juridictionnel, fut examiné au regard

d’un modèle d’analyse prescriptif, visant à proposer des pistes de réforme au critère de nécessité

développé par les tribunaux canadiens.

Les modes de résolution proviennent d’une diversité d’acteurs qui détiennent la légitimité d’intervenir sur le

conflit dégagé entre les privilèges parlementaires et les droits fondamentaux. Il y a tout d’abord les

assemblées parlementaires elles-mêmes, qui disposent d’un pouvoir d’auto-régulation quant à leur

599 Michaud c. Bissonnette, préc., note 19., par. 64-65. 600 A. c. Royaume-Uni, préc., note 20, opinion concordante du juge Costa. 601 Supra, p.35 et 42.

140

procédure et à leurs règles administratives. Des modes de résolution peuvent ensuite être mis en place par

d’autres organes de l’État dit « externes aux assemblées parlementaires », puisqu’ils ne relèvent pas de

l’autonomie dont ces assemblées disposent. Deux de ces organes, le pouvoir législatif et le pouvoir

constituant, opèrent sous un encadrement plutôt politique. Ces apports de nature politique sont

neutralisées par une procédure formelle : le processus législatif ou la formule d’amendement

constitutionnel. Un dernier organe externe, détaché de toute influence politique en vertu de la séparation

des pouvoirs et de l’indépendance judiciaire, peut agir sur la conciliation entre les privilèges parlementaires

et les droits fondamentaux : le pouvoir judiciaire.

Les modes de résolution issus de l’acteur parlementaire lui-même, comme le droit disciplinaire ou le droit

de réplique, sont généralement plus flexibles et simples à mettre en oeuvre dans le système juridique

national, en raison de l’autonomie qui est conférée aux assemblées elles-mêmes quant à leur organisation

procédurale. Ceci s’explique par le fait que ces modes de résolution ne concernent que le fonctionnement

interne des assemblées et n’impliquent aucune institution tierce. Toute la conciliation entre droits et libertés

du citoyen et liberté de parole du parlementaire s’opère au sein de l’assemblée parlementaire. Toutefois, la

réparation offerte par ces moyens n’est pas aussi optimale que celle qu’offrent d’autres modes de

résolution étudiés, telle que l’exclusion constitutionnelle des insultes diffamatoires, par exemple. Ces

modes étudiés permettent à la fois aux citoyens d’obtenir réparation et de respecter les prérogatives des

assemblées parlementaires. Cependant, un important coût d’opportunité est lié à leur mise en oeuvre,

puisqu’ils doivent être mis en place au moyen d’un amendement constitutionnel, ou via le processus

législatif, dans le cas de la levée de l’immunité par voie législative.

Après avoir examiné et analysé tous les modes de résolution dégagés de l’expérience constitutionnelle,

législative et parlementaire, et après avoir constaté qu’il semble en effet possible d’offrir une réponse au

conflit entre liberté de parole du parlementaire et droit à la dignité et à la réputation des citoyens, grâce aux

modes de résolution dégagés du droit canadien et étranger, il faut dorénavant tenter d’en établir les

enseignements généraux. En se fondant sur tous les modes de résolution étudiés, une analyse à deux

variables doit être effectuée en guise de conclusion. Elle permet de mieux caractériser la solution retenue,

ou envisagée. Deux axes guideront cette classification: la force contraignante du mode de résolution dans

l’ordre normatif interne qui en est à l’origine, et le degré de résolution du conflit entre liberté de parole du

parlementaire et droit à la dignité et à la réputation qu’il engendre (voir Figure 1).

141

Figure 1 – Axes de classification des modes de résolution

Par degré de résolution du conflit est entendue la capacité du mode de résolution à répondre entièrement

au conflit et à rétablir l’équilibre entre les deux principes juridiques. Afin d’établir ce degré de résolution du

conflit, l’effectivité602 du mode de résolution est aussi considérée, à savoir si ce mode de résolution est

réellement utilisé et quels résultats pratiques il arrive à produire. La force contraignante du mode de

résolution, quant à elle, peut être établie en fonction de l’auteur de cette solution et de la position de cet

auteur dans la hiérarchie des normes du système juridique de laquelle elle provient. La notion de force

contraignante réfère ici à l’idée de contrainte603, et vise entre autres à établir si la solution dégagée peut

être productrice d’obligations ou de sanctions pour l’une des parties. Cette classification a pour objectif de

situer dans leur contexte juridique et institutionnel les modes de résolution présentés.

Le droit de réplique australien démontre une grande flexibilité quant à sa mise en oeuvre et son

accessibilité pour le citoyen est exemplaire. Cependant, sa force contraignante et son degré de résolution

peuvent tous deux être qualifiés de faibles. En effet, dans le premier cas, il ne constitue qu’un mécanisme

de « dialogue » au sein de l’assemblée législative australienne, et n’impose à cette dernière aucune

obligation relative à la publication de la réplique. Elle dispose d’un pouvoir entièrement discrétionnaire à cet

effet. Quant à la seconde variable, la résolution du conflit est ici limitée, puisque le droit de réplique permet

uniquement au citoyen d’obtenir une tribune dans le Hansard, publication qui reçoit une couverture

extrêmement réduite. De plus, dans le cadre d’un abus de la liberté de parole qui aurait défrayé la

manchette, la réponse risque de ne pas recevoir autant de couverture que les propos diffamatoires.

602 Jacques COMMAILLE, « Effectivité », dans D. ALLAND et S. RIALS, préc., note 26, p.583. 603 Antoine JEAMMAUD, « Contrainte », dans D. ALLAND et S. RIALS, préc., note 26, p.274.

142

Cependant, il est nécessaire de considérer dans notre évaluation qu’il s’agit d’un mode de résolution

destiné spécifiquement à répondre au conflit entre privilèges parlementaires et droits et libertés. Son degré

de résolution du conflit normatif se trouve ainsi majoré.

Le droit de pétitionner britannique s’inscrit dans la même tendance que le droit de réplique australien. Sa

force contraignante est toutefois inférieure, puisqu’en droit parlementaire britannique, une réponse n’est

pas exigée lorsqu’une pétition est présentée à la Chambre des communes. Aucune obligation n’est ainsi

opposable à l’institution concernée par la pétition. Le degré de résolution du conflit normatif est, de son

côté, également faible, puisque les pétitions, de la même façon que le droit de réplique, reçoivent une

publication dans le Hansard. Une pétition ne reçoit donc que très peu de visibilité, à l’exception de celles

qui font l’objet de la procédure accordée aux pétitions portant sur un grief actuel et personnel. Cependant,

comme il le fut établi, cette dernière procédure est très peu utilisée à la Chambre des communes

britannique.

Les règles disciplinaires impliquent quant à elles une plus grande force contraignante, que l’on peut

qualifier d’élevée. Cependant, cet important pouvoir de contrainte se limite à l’ordre parlementaire interne. Il

n’aura en pratique aucune influence dans le système juridique étatique. La mise en oeuvre des règles

disciplinaires peut impliquer d’importantes conséquences pour les parlementaires visés, mais ce pouvoir ne

pourra être exercé qu’à l’intérieur du cadre institutionnel. Le degré de résolution du conflit normatif entre

privilèges et droits et libertés est également élevé, puisqu’il implique la responsabilité du parlementaire

pour les propos tenus ou les actes commis par ce dernier. L’assemblée législative reconnait par le fait

même que les propos ou les actes du député étaient problématiques, et empêche, grâce à l’application des

règles disciplinaires, la progression du préjudice potentiellement causé à un tiers. Le comportement fautif

du parlementaire est de ce fait révélé au public.

L’exclusion constitutionnelle des injures diffamatoires présente une force contraignante très élevée, voir la

plus forte de tous les modes de résolution analysés. En effet, le parlementaire est redevable devant le

système judiciaire allemand pour les propos diffamatoires prononcés. Il peut être poursuivi en vertu du droit

criminel à la suite d’une plainte effectuée par le tiers impliqué. Si cette poursuite s’avère fondée, il en

résultera nécessairement des obligations pour le député fautif, auquel est de surcroît octroyée la

responsabilité de ce comportement répréhensible. Le degré de résolution du conflit entre liberté de parole

et droit à la dignité et à la réputation est également élevé. En raison de l’exclusion constitutionnelle des

143

injures diffamatoires de la protection accordée en vertu des immunités parlementaires, la liberté de parole

ne sera que très rarement opposée au droit à la dignité et à la réputation des citoyens, et la mise en œuvre

de cette exclusion par les instances judiciaires est facilitée par son inscription dans le droit constitutionnel

de l’État, au sommet de la hiérarchie des normes juridiques.

La levée de l’immunité par voie législative révèle une force contraignante plutôt faible, puisque même en

levant l’immunité, le parlementaire ne peut être tenu responsable de ses propos devant le système

judiciaire. De plus, comme ce pouvoir de levée n’appartient qu’au seul député, en vertu du Defamation Act

1996, il y a fort à croire que celui-ci saura recourir à la levée de son immunité qu’en temps opportun,

réduisant d’autant la possibilité de le contraindre pour des fautes commises à l’égard des tiers. Pour les

mêmes raisons, le degré de résolution du conflit entre droits et libertés et privilèges qu’offre cette levée de

l’immunité est très faible, puisque les propos du parlementaire ne pourront être retenus qu’à titre de preuve

devant les tribunaux. Cette levée pourrait éventuellement contribuer à proprement dit à réparer une atteinte

portée aux droits d’un tiers, mais puisque cette levée n’est mise en oeuvre que par le parlementaire, il

semble plutôt improbable que l’immunité soit levée à cet égard.

En dernier lieu, l’interprétation contextuelle, qui consiste en une proposition d’interprétation améliorée du

test de nécessité de la Cour suprême canadienne, revêt une force contraignante évidemment élevée. Cette

démarche mènerait à l’obtention d’un jugement interprétant les privilèges parlementaires au regard des

droits fondamentaux. Ce jugement pourrait prescrire des obligations à l’égard des parties impliquées, que

ce soit un ou plusieurs membres du Parlement ou une assemblée parlementaire en son nom collectif.

Quant au degré de résolution du conflit normatif, il permettrait d’atteindre une solution mitoyenne, en

opérant une réelle conciliation entre deux principes de droit constitutionnel. Ainsi, les droits et libertés des

tiers seraient pris en considération, mais ce, sans omettre le rôle des privilèges parlementaires et leur

statut particulier en droit canadien.

Une fois cette analyse à deux variables complétée, il est possible de situer ces modes de résolution sur les

axes préalablement présentés, ce qui présente en un schéma unique les solutions retenues (Figure 2).

144

Figure 2 – Classification des modes de résolution retenus

Notre évaluation détaillée et cette dernière analyse auront permis d’identifier que, bien qu’une multitude de

modes de résolution puissent être dégagés au conflit juridictionnel entre liberté de parole et droit à la

dignité et à la réputation, ils mènent à une solution plus ou moins complète du problème en cause. Ainsi, ils

répondent tous différemment aux besoins des citoyens s’estimant lésés par la teneur des débats

parlementaires. De plus, pour un litige précis, un mode de résolution peut s’avérer particulièrement

pertinent, alors qu’un autre saurait répondre parfaitement aux besoins des parties impliquées dans un tout

autre litige. Ils contribuent toutefois chacun, à l’instar des souhaits du juge Costa604, à aménager « ce

principe sacro-saint » que constituent les privilèges et immunités parlementaires, et de les « concilier avec

d’autres droits et libertés respectables ». Ils inscrivent, pour la plupart, le privilège parlementaire dans une

cohabitation moderne avec ces droits fondamentaux qui ont reçu une interprétation large au cours des

dernières décennies. En terminant, il est permis de se demander s’ils n’inscrivent pas plus adéquatement

le privilège parlementaire en conformité avec l’État de droit. Ces modes de résolution peuvent ainsi

contribuer au développement d’un parlementarisme renouvelé, plus en phase avec un principe

démocratique qui inclut la reconnaissance de droits et libertés fondamentaux à chaque individu, et ce, tant

dans les régimes d’influence française que britannique.

604 A. c. Royaume-Uni, préc., note 20.

145

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DOCUMENTS PARLEMENTAIRES ET GOUVERNEMENTAUX

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AUSTRALIE, SENATE, Parliamentary Debates, 25 February 1988, p.626 (Senator Durack),

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CANADA, Débats de la Chambre des communes, 2e sess., 33e légis., 5 mai 1987, « Question de privilège » p. 5765‑ 5766 (M. le Président).

CANADA, Débats de la Chambre des communes, 1ere sess., 35e légis., 30 septembre 1994, « Recours au Règlement», p. 6371 (Le Président).

CANADA, Débats de la Chambre des communes, 2e sess., 37e légis., 2 avril 2003, « Recours au Règlement », p. 5040 (Le Président).

CANADA, Débats du Sénat, 1ere sess., 39e légis., 30 octobre 2006, « La Loi sur les relations de travail au Parlement », 20h50 (Sénateur Joyal).

CANADA, CHAMBRE DES COMMUNES, Journaux, 1ere sess., 39e légis., no 49, 20 septembre 2006.

CANADA, CHAMBRE DES COMMUNES, Code régissant les conflits d’intérêts des députés, annexe au Règlement de la Chambre des communes du Canada, Janvier 2014.

CANADA, SÉNAT, Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, 16 juin 2014.

CANADA, Règlement de la Chambre des communes, Janvier 2014.

FRANCE, Règlement de l’Assemblée nationale, Juin 2012.

FRANCE, ASSEMBLÉE NATIONALE, Code de déontologie.

FRANCE, ASSEMBLÉE NATIONALE, Décision du Bureau du 6 avril 2011 relative au respect du Code de déontologie des députés.

FRANCE, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal officiel. Débats parlementaires, 3 novembre 1986, 2e séance, p.5698.

NOUVELLE-ZÉLANDE, Standing Orders of the House of Representatives.

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QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats, 2e sess., 35e légis., 13 novembre 1997, « Décision du président », p. 8433-8435 (Le Président).

QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats, 2e sess., 35e légis., 10 juin 1998, « Décision du président », p. 11815-11817 (Le Président).

QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Procès-verbal, 1ere sess., 36e légis., no 153, 14 décembre 2000.

QUEBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Règlement de l’Assemblée nationale, Juin 2014.

ROYAUME-UNI, Journals of the House of Commons, 2001-2002, 50&51 Eliz II, Vol. 258, 15 November 2001, « Matters sub judice », p.194-195 (Mr Stephen Twigg).

ROYAUME-UNI, Standing Orders of the House of Commons, 19 December 2013.

ROYAUME-UNI, HOUSE OF COMMONS, The Code of Conduct, 12 March 2012.

ROYAUME-UNI, HOUSE OF COMMONS, The Guide to the Rules relating to the Conduct of Members, 9 February 2009.

Rapports parlementaires et autres documents

AUSTRALIE, HOUSE OF REPRESENTATIVES/SENATE, An Exposure Report for the Consideration of Senators and Members, Joint Select Committee on Parliamentary Privilege, June 1984.

AUSTRALIE, SENATE, Parliamentary Privilege : Precedents, Procedure and Practice in the Australian Senate 1966-2005, Senate Standing Committee of Privileges, Report No. 125, 19 December 2005.

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Loi modifiant la Loi sur les relations de travail au Parlement, projet de loi noS-219 (dépôt et 1ere lecture – 26 juin 2006), 1ere sess., 39e légis. (Can.)

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ROYAUME-UNI, HOUSE OF COMMONS, Public Petitions and Early Day Motions, Procedure Committee, First Report of Session 2006-07, 8 May 2007.

ROYAUME-UNI, HOUSE OF COMMONS, Public Petitions, Procedure Committee, First Report of Session 2003-04, 10 November 2004.

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ROYAUME-UNI, HOUSE OF COMMONS/HOUSE OF LORDS, Parliamentary Privilege, Joint Committee on Parliamentary Privilege, Report of Session 2013-14, 18 June 2013.

ROYAUME-UNI, OFFICE OF THE LEADER OF THE HOUSE OF COMMONS, Parliamentary Privilege, April 2012

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ROYAUME-UNI, OFFICE OF THE LEADER OF THE HOUSE OF COMMONS, The Governance of Britain – Petitions. The Government’s response to the Procedure Committee’s First Report, session 2006-07, on Public Petitions and Early Day Motions, July 2007.

159

Annexe 1- Droit de réplique des citoyens (Australie)

1. Résolution (no5) du 25 février 1988 adoptée par le Sénat fédéral australien

(1) Where a person who has been referred to by name, or in such a way as to be readily identified, in the Senate, makes a submission in writing to the President:

(a) claiming that the person has been adversely affected in reputation or in respect of dealings or associations with others, or injured in occupation, trade, office or financial credit, or that the person’s privacy has been unreasonably invaded, by reason of that reference to the person; and

(b) requesting that the person be able to incorporate an appropriate response in the parliamentary record, if the President is satisfied:

(c) that the subject of the submission is not so obviously trivial or the submission so frivolous, vexatious or offensive in character as to make it inappropriate that it be considered by the Committee of Privileges; and

(d) that it is practicable for the Committee of Privileges to consider the submission under this resolution, the President shall refer the submission to that committee.

(2) The committee may decide not to consider a submission referred to it under this resolution if the committee considers that the subject of the submission is not sufficiently serious or the submission is frivolous, vexatious or offensive in character, and such a decision shall be reported to the Senate.

(3) If the committee decides to consider a submission under this resolution, the committee may confer with the person who made the submission and any senator who referred in the Senate to that person.

(4) In considering a submission under this resolution, the committee shall meet in private session.

(5) The committee shall not publish a submission referred to it under this resolution or its proceedings in relation to such a submission, but may present minutes of its proceedings and all or part of such submission to the Senate.

(6) In considering a submission under this resolution and reporting to the Senate the committee shall not consider or judge the truth of any statements made in the Senate or of the submission.

(7) In its report to the Senate on a submission under this resolution, the committee may make either of the following recommendations:

(a) that no further action be taken by the Senate or by the committee in relation to the submission; or

(b) that a response by the person who made the submission, in terms specified in the report and agreed to by the person and the committee, be published by the Senate or incorporated in Hansard, and shall not make any other recommendations.

(8) A document presented to the Senate under paragraph (5) or (7):

(a) in the case of a response by a person who made a submission, shall be succinct and strictly relevant to the questions in issue and shall not contain anything offensive in character; and

(b) shall not contain any matter the publication of which would have the effect of:

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(i) unreasonably adversely affecting or injuring a person, or unreasonably invading a person’s privacy, in the manner referred to in paragraph (1); or

(ii) unreasonably adding to or aggravating any such adverse effect, injury or invasion of privacy suffered by a person.

2. Résolution du 27 août 1997 adoptée par la Chambre des Représentants fédérale (amendée le 13 février 2008)

The following resolution was agreed to by the House on 27 August 1997:

1. Where a person who has been referred to by name, or in such a way as to be readily identified, in the House, makes a submission in writing to the Speaker:

a. claiming that the person has been adversely affected in reputation or in respect of dealing or associations with others, or injured in occupation, trade, office or financial credit, or that the person's privacy has been unreasonably invaded, by reason of that reference to the person; and,

b. requesting that the person be able to incorporate an appropriate response in the parliamentary record;

and if the Speaker is satisfied:

c. that the subject of the submission is not so obviously trivial or the submission so frivolous, vexatious or offensive in character as to make it inappropriate that it be considered by the Committee of Privileges and Members' Interests; and

d. that it is practicable for the Committee of Privileges and Members' Interests to consider the submission under this resolution, the Speaker shall refer the submission to that Committee.

2. The Committee may decide not to consider a submission referred to it under this resolution if the Committee considers that the subject of the submission is not sufficiently serious or the submission is frivolous, vexatious or offensive in character, and such a decision shall be reported to the House.

3. If the Committee decides to consider a submission under this resolution, the Committee may confer with the person who made the submission and any member who referred in the House to that person.

4. In considering a submission under this resolution, the Committee shall meet in private session.

5. The Committee shall not publish a submission referred to it under this resolution or its proceedings in relation to such a submission, but may present minutes of its proceedings and all or part of such submission to the House.

6. In considering a submission under this resolution and reporting to the House the Committee shall not consider or judge the truth of any statements made in the House or of the submission.

7. In its report to the House on a submission under this resolution, the Committee may make either of the following recommendations:

a. that no further action be taken by the House or by the Committee in relation to the submission; or

161

b. that a response by the person who made the submission, in terms specified in the report and agreed to by the person and the Committee, be published by the House or incorporated in Hansard, and shall not make any other recommendations.

8. A document presented to the House under paragraph (5) or (7):

a. in the case of a response by a person who made a submission, shall be succinct and strictly relevant to the questions in issue and shall not contain anything offensive in character; and

b. shall not contain any matter the publication of which would have the effect of:

i. unreasonably adversely affecting or injuring a person, or unreasonably invading a person's privacy, in the manner referred to in paragraph (1); or

ii. unreasonably adding to or aggravating any such adverse effect, injury or invasion of privacy suffered by a person.

9. The Committee may agree to guidelines and procedures, not inconsistent with this resolution, to apply to the consideration by it of submissions.

10. This resolution shall continue in force unless and until amended or rescinded by the House in this or a subsequent Parliament.

3. Lignes directrices établies en vertu de l’article 9 de la résolution de la Chambre du 27 août 1997

Guidelines made under clause 9 of the resolution of the House of 27 August 1997.

Supplementary to the provisions of the resolution of the 27 August 1997

The Committee of Privileges and Members' Interests will consider each application for the publication of a response on its merits, but proposes that the following guidelines apply to the procedure:

1. an application must be received within 3 months of the making of the statement to which the person wishes to respond unless, because of exceptional circumstances, the committee agrees to consider an application received later;

2. applications should only be considered from natural persons, they should not be considered if lodged by or on behalf of corporations, businesses, firms, organisations or institutions;

3. applications should only be considered from persons who are Australian citizens or residents;

4. an application must demonstrate that a person, who is named, or readily identified, has been subject to clear, direct and personal attack or criticism, and has been damaged as a result;

5. applications must be concise, be in the character of a refutation or explanation only and must be confined to showing the statement complained of and the person's response and must not contain any offensive material;

6. applications concerning statements made in the Main Committee may be considered;

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7. applications should not be considered from persons who wish to respond to a statement or remarks made in connection with the proceedings of a standing or select committee - such persons should contact the committee direct on the matter; and

8. in considering applications, the committee will have regard to the existence of other remedies that may be available to a person referred to in the House and whether they have been exercised.

163

Annexe 2- L’exclusion constitutionnelle des injures diffamatoires (Allemagne)

1. Article 46 de la Loi fondamentale allemande

Article 46 - [Immunities of Members]

At no time may a Member be subjected to court proceedings or disciplinary action or otherwise called to account outside the Bundestag for a vote cast or for any speech or debate in the Bundestag or in any of its committees. This provision shall not apply to defamatory insults.

A Member may not be called to account or arrested for a punishable offence without permission of the Bundestag, unless he is apprehended while committing the offence or in the course of the following day.

The permission of the Bundestag shall also be required for any other restriction of a Member’s freedom of the person or for the initiation of proceedings against a Member under Article 18.

Any criminal proceedings or any proceedings under Article 18 against a Member and any detention or other restriction of the freedom of his person shall be suspended at the de- mand of the Bundestag.

2. Article 107 des Règles de procédure du Bundestag (Chambre basse fédérale allemande)

Rule 107 - Immunity

(1) Requests concerning matters relating to immunity shall be transmitted direct by the President to the Committee for the Scrutiny of Elections, Immunity and the Rules of Procedure.

(2) This committee shall lay down principles on the treatment of requests for the immunity of Members of the Bundestag to be waived (Annex 6) and shall use them as the basis for its recommendations to the Bundestag to be drawn up in each individual case.

(3) No time limit shall apply to the deliberations on a recommendation. They should begin at the earliest on the third day after distribution of the item (Rule 75, paragraph (1), subparagraph (h)). If the recommendation has not yet been distributed, it shall be read out.

(4) If the Committee for the Scrutiny of Elections, Immunity and the Rules of Procedure has not yet constituted itself, the President may submit a recommendation on matters concerning immunity to the Bundestag direct.

3. Annexe 6 aux Règles de procédure du Bundestag relative à la levée de l’immunité des membres

Annex 6 - Decision of the Bundestag relating to the waiver of immunity of Members of the Bundestag

1. The Bundestag shall grant permission, up to the end of this electoral term, for preliminary investigations to be conducted against Members of the Bundestag for criminal offences, with the exception of insulting statements of a

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political nature (Sections 185, 186, 187a, paragraph (1)1605 and 188, paragraph (1) of the Criminal Code). Before preliminary investigations are initiated, the President of the Bundestag and, insofar as this does not impede the process of ascertaining the truth, the Member of the Bundestag concerned shall be informed; if the Member of the Bundestag is not informed, the President shall likewise be advised of the fact and of the reasons therefor. The right of the Bundestag to demand the suspension of proceedings (Article 46, paragraph (4) of the Basic Law) shall remain unaffected. In such cases preliminary investigations may be initiated at the earliest 48 hours after receipt of the notification by the President of the German Bundestag. In calculating the time limit, Sundays, public holidays and Saturdays shall not be taken into account. The President of the German Bundestag can, in agreement with the chairperson of the Committee for the Scrutiny of Elections, Immunity and the Rules of Procedure, provide for an appropriate extension of the time limit.

2. This permission shall not cover

a) the institution of criminal proceedings for a criminal offence and the request for the issue of an order of summary penalty;

b) in proceedings pursuant to the Regulatory Offences Act, the statement by the court that a decision on the offence may also be taken on the basis of a penal law (Section 81, paragraph (1), second sentence of the Regulatory Offences Act);

(c) measures taken in the course of a preliminary investigation and involving deprivation or restriction of liberty;

(d) the continuation of preliminary investigations the suspension of which the Bundestag demanded in the previous electoral term pursuant to Article 46, paragraph (4) of the Basic Law.

3. To simplify procedure, the Committee for the Scrutiny of Elections, Immunity and the Rules of Procedure shall be instructed to take a preliminary decision on permission in the cases specified in number 2 relating to traffic offences. The same shall apply to criminal offences which, in the opinion of the Committee for the Scrutiny of Elections, Immunity and the Rules of Procedure, are to be regarded as petty offences. Authorisation to prosecute under Section 90b of the Criminal Code in cases of anti-constitutional disparagement of the German Bundestag and Section 194, paragraph (4) of the Criminal Code in cases of insulting statements about the German Bundestag may be granted by way of a preliminary decision. If, at the beginning of an electoral term, criminal proceedings are to be continued against a Member of the Bundestag against whom the Bundestag already permitted criminal proceedings to be conducted in the previous electoral term, the necessary permission may be granted by way of a preliminary decision.

4. The enforcement of a sentence of imprisonment or of coercive detention (Sections 96 and 97 of the Regulatory Offences Act) shall require the permission of the German Bundestag. To simplify procedure, the Committee for the Scrutiny of Elections, Immunity and the Rules of Procedure shall be instructed to take a preliminary decision on the permission required; in the case of sentences of imprisonment, this shall, however, apply only where a sentence not exceeding three months has been imposed, or, in the case of accumulation of sentences (Sections 53 to 55 of the Criminal Code, as well as Section 460 of the Code of Criminal Procedure), where none of the individual sentences imposed exceeds three months.

5. If permission has been granted for the execution of a search or seizure ordered in respect of a Member of the Bundestag, the President shall make this permission conditional on another Member of the Bundestag being present when the coercive measure is executed and – if it is to be executed on the premises of the Bundestag – on an additional represent- ative of the President being present; the Member of the Bundestag shall be appointed by the President in consultation with the chairperson of the parliamentary group of the Member of the Bundestag in respect of whom permission for the execution of coercive measures has been granted.

605 Section 187a, paragraph (1) of the Criminal Code has been repealed

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6. The Committee for the Scrutiny of Elections, Immunity and the Rules of Procedure may, by way of a preliminary decision, demand that proceedings be suspended pursuant to Article 46, paragraph (4) of the Basic Law.

7. As regards preliminary decisions, the decisions taken by the Committee for the Scrutiny of Elections, Immunity and the Rules of Procedure shall be notified in writing to the Bundestag by the President, without being placed on the agenda. They shall be deemed to be decisions of the German Bundestag, unless an objection is lodged in writing with the President within seven days of notification.

Principles governing matters relating to immunity and to cases of permission granted under Section 50, paragraph (3) of the Code of Criminal Procedure and Section 382, paragraph (3) of the Code of Civil Procedure as well as authorisations under Section 90b, paragraph (2) and Section 194, paragraph (4) of the Criminal Code

A. Principles governing matters relating to immunity606

1. Right to request a waiver of immunity

The following shall be entitled to request that immunity be waived:

a) public prosecutors‘ offices, courts, professional disciplinary courts under public law, as well as professional associations exercising supervision by virtue of a law;

b) the court in those cases in which private individuals may institute criminal proceedings, before it opens the main trial pursuant to Section 383 of the Code of Crimi- nal Procedure;

c) the creditor in executory proceedings insofar as the court cannot take action without his or her request;

d) the Committee for the Scrutiny of Elections, Immunity and the Rules of Procedure.

2. Notifying the President of the Bundestag and filing requests

a) Where the Bundestag has granted permission, for the duration of an electoral term, for preliminary investigations to be conducted against Members of the Bundestag for criminal offences, the President of the Bundestag and, insofar as this does not impede the process of ascertaining the truth, the Member of the Bundestag concerned, shall be informed before preliminary investigations are initiated; if the Member of the Bundestag is not informed, the President shall likewise be advised of the fact and of the reasons therefor. The right of the Bundestag to demand the suspension of proceedings (Article 46, paragraph (4) of the Basic Law) shall remain unaffected.

b) The requests of the public prosecutors‘ offices or courts shall be communicated through the proper channels to the Federal Minister of Justice, who shall submit them to the President of the Bundestag, requesting a decision on whether permission will be granted to prosecute a Member of the Bundestag, restrict his or her personal liberty or take any other measures envisaged.

c) The creditor referred to in number 1, paragraph (c) may address his or her request to the Bundestag direct.

606 The principles pursuant to Rule 107 (2) are adopted by the Committee for the Scrutiny of Elections, Immunity and the Rules of Procedure at the beginning of the electoral term.

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3. Position of the Members of the Bundestag concerned

In matters relating to immunity, the Member of the Bundestag concerned should in principle not be given leave to speak on the merits of the case in the Bundestag; requests by him or her for immunity to be waived shall not be con- sidered. The Committee for the Scrutiny of Elections, Immunity and the Rules of Procedure can, upon the request of a parliamentary group on the Committee, give the Member concerned the opportunity to speak.

4. Decisions in matters relating to immunity

The privilege of immunity is primarily intended to safe- guard the Bundestag‘s ability to work and function; the individual Member is entitled to a decision uninfluenced by extraneous, arbitrary motives. The decision to waive immunity is taken by the Bundestag on its own responsibility, weighing the interests of Parliament and those of other public authorities and taking into consideration the interests of the Member concerned. The evidence is not considered; the decision contains no ascertainment of right or wrong, guilt or innocence.

5. Insults of a political nature

Insults of a political nature shall, as a rule, not lead to a waiver of immunity.

In preparation for a decision on whether a request shall be made for permission to initiate criminal proceedings, the public prosecutors‘ office may inform the Member of the Bundestag of the charge and leave it to him or her to express his or her views thereon. The findings of the public prosecutors‘ office as to the character of the person filing a charge, and any other circumstances having an important bearing on assessing the seriousness of a charge, do not imply a „calling to account“ within the meaning of Article 46, paragraph (2) of the Basic Law.

Article 46, paragraph (1) of the Basic Law stipulates that a Member of the Bundestag may not at any time be prosecuted in the courts or subjected to disciplinary action or otherwise called to account outside the Bundestag for a vote cast or a statement made by him or her in the Bundestag or any of its committees, with the exception of defamatory insults (indemnity). Criminal proceedings may therefore not be initiated against him or her on account, for example, of a non- defamatory insulting statement in Parliament. From this the principle is deduced that where a non-defamatory insulting statement is made outside the Bundestag, immunity shall not be waived either insofar as the insult is of a political nature. An insulting statement which a Member of the Bundestag has made as a witness before a committee of inquiry shall also be deemed to have occurred „outside the Bundestag“, since a Member of the Bundestag has the same status in this respect as any other citizen called as a witness.

6. Apprehension of a Member of the Bundestag in the act of committing an offence

Where a Member of the Bundestag is apprehended in the act of committing an offence or in the course of the follow- ing day, the initiation of criminal proceedings against the Member or his or her arrest shall not require the permission of the Bundestag provided that such arrest is made „in the course of the following day“ at the latest (Article 46, para- graph (2) of the Basic Law). In the event of previous release or failure to deal with the matter on the day after the offence was committed, a new warrant for the Member‘s appearance in court or for his or her arrest shall again require the permission of the Bundestag; otherwise this would amount to a restriction of personal liberty (Article 46, paragraph (2) of the Basic Law), which is in no way connected with arrest „in the act of committing an offence“.

7. Arrest of a Member of the Bundestag

a) The permission, granted for the duration of an electoral term, to conduct preliminary investigations against Members of the Bundestag for criminal offences as well as the permission to institute proceedings for a criminal offence shall not include permission to make an arrest (Article 46, paragraph (2) of the Basic Law) or to issue compulsory attendance orders for their appearance in court.

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b) Arrest (Article 46, paragraph (2) of the Basic Law) shall only mean detention while awaiting trial; arrest for the purpose of enforcing a sentence shall again require special permission.

c) Permission to make an arrest shall imply permission to issue a compulsory attendance order.

d) Permission to issue a compulsory attendance order shall not imply permission to make an arrest.

8. Enforcement of sentences of imprisonment or of coercive detention (Sections 96 and 97 of the Regulatory Offences Act)

Permission to institute criminal proceedings on account of a criminal offence shall not imply the right to enforce a sentence of imprisonment. The enforcement of sentences of imprisonment or of coercive detention (Sections 96 and 97 of the Regulatory Offences Act) shall require the permission of the Bundestag. To simplify procedure, the Committee for the Scrutiny of Elections, Immunity and the Rules of Procedure shall be instructed to take a preliminary decision on the permission required; in the case of sentences of imprisonment, this shall, however, apply only where a sentence not exceeding three months has been imposed or, in the case of accumulation of sentences (Sections 53 to 55 of the Criminal Code, as well as Section 460 of the Code of Criminal Procedure), where none of the individual sentences imposed exceeds three months.

9. Disciplinary proceedings

The waiver of immunity for the purpose of conducting disciplinary proceedings shall not apply to criminal proceed- ings conducted by the public prosecutors‘ office in the same case. Conversely, the waiver of immunity for the purpose of conducting criminal proceedings shall not apply to disciplinary proceedings.

No further permission shall be required from the Bundestag for the enforcement of disciplinary measures.

10. Proceedings before professional disciplinary courts

Proceedings before professional disciplinary courts under public law may be conducted only after immunity has been waived.

11. Procedure in respect of traffic offences

Permission shall be granted without exception in the case of traffic offences. To simplify procedure, the Committee for the Scrutiny of Elections, Immunity and the Rules of Procedure shall be instructed to take a preliminary decision in all such cases.

12. Procedure in respect of petty offences

In the case of requests which, in the opinion of the Committee for the Scrutiny of Elections, Immunity and the Rules of Procedure, relate to a petty offence, the Committee shall be instructed to take a preliminary decision (number 13).

13. Simplified procedure (preliminary decisions)

Where, by virtue of authorisations granted to it (numbers 8, 11, 12, as well as B and C), the Committee for the Scrutiny of Elections, Immunity and the Rules of Procedure has taken a preliminary decision, the decision taken shall be notified to the Bundestag in writing by the President, without being placed on the agenda. It shall be deemed to be a decision of the Bundestag, unless an objection is lodged within seven days of notification.

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14. Need for permission in special cases

The permission of the Bundestag shall be required for:

a) The execution of non-criminal detention imposed with a view to enforcing forbearance or sufferance (Section 890 of the Code of Civil Procedure).Where a judgment or an injunction to enforce forbearance or sufferance provide for a penalty in the event of contravention, this shall constitute a penalty norm. Examining whether this norm, aimed at ensuring that the debtor fulfils his or her future obligation in respect of forbearance, is violated therefore implies a „calling to account“ within the meaning of Article 46, paragraph (2) of the Basic Law in respect of a „punishable offence“. In this connection it is immaterial whether the proceedings are aimed at imposing non- criminal detention or a fine.

b) The enforcement of detention imposed with a view to securing an affidavit from the debtor for the disclosure of assets (Section 901 of the Code of Civil Procedure). Since it is only the enforcement of a warrant of arrest which constitutes a restriction of personal liberty within the meaning of Article 46, paragraph (2) of the Basic Law, for which the permission of the Bundestag is consequently required, the Committee for the Scrutiny of Elections, Immunity and the Rules of Procedure holds the view that the execution of proceedings aimed at securing an affidavit for the disclosure of assets from a Member of the Bundestag as debtor, as well as the issuance, by the court, of a warrant for his or her arrest to secure such an affidavit, do not yet imply a „calling to account“ and therefore do not require the permission of the Bundestag.

(c) The enforcement of non-criminal detention or a compulsory attendance order on account of failure to appear as a witness (Section 51 of the Code of Criminal Procedure, and Section 380 of the Code of Civil Procedure).

. d) The enforcement of non-criminal detention for unjustified refusal to testify (Section 70 of the Code of Criminal Procedure, and Section 390 of the Code of Civil Procedure).

. e) The enforcement of coercive detention aimed at bringing about acts which may not be performed by a third party as representative (Section 888 of the Code of Civil Procedure).

. f) The enforcement of detention or any other measure involving a restriction of liberty imposed upon the debtor as security for the claims against him or her (Section 933 of the Code of Civil Procedure).

. g) The enforcement of non-criminal detention for contempt of court (Section 178 of the Act on the Organisation of Courts).

. h) The enforcement of a compulsory attendance order in respect of the debtor, and of detention in insolvency proceedings (Section 21, subsection 3 and Section 98, subsection 2 of the Insolvency Statute).

. i) Confinement, for a limited period of time, in a mental institution or psychiatric nursing home (Section 126 a of the Code of Criminal Procedure).

. j) Measures of corrective training and control measures involving deprivation of liberty (Sections 61 et seq. of the Criminal Code).

. k) The enforcement of a compulsory attendance order pursuant to Sections 134, 230, 236, 329 and 387 of the Code of Criminal Procedure.

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. l) The execution of a warrant of arrest pursuant to Sections 114, 125, 230, 236 or 329 of the Code of Criminal Procedure.

15. Protective measures under the Protection against Infection Act

Protective measures under the Protection against Infection Act are similar in nature to emergency measures. Measures under Sections 29 et seq. of this act therefore do not require the waiver of immunity, irrespective of whether they are taken to protect others from a Member of the Bundestag or to protect a Member of the Bundestag from others. However, the competent authorities shall be required to inform the President of the Bundestag immediately of the measures ordered against a Member of the Bundestag. The Committee for the Scrutiny of Elections, Immunity and the Rules of Procedure shall be entitled to check, or to have checked, whether the measures ordered are justified under the Protection against Infection Act. If the Committee considers these measures to be unnecessary, or no longer necessary, it may, by way of a preliminary decision, demand that they be suspended.

If the Committee is unable to meet within two days of receiving a communication from the competent authorities, the President of the Bundestag may in that respect exercise the rights of the Committee. The President shall immediately inform the Committee of his or her decision.

16. Pending criminal proceedings

When a Member of the Bundestag assumes his or her parliamentary mandate, all criminal proceedings pending as well as any detention ordered, enforcement of a sentence of imprisonment or other measure involving a deprivation of liberty (see number 14) shall be suspended ex officio. Where criminal proceedings are to be continued, a decision shall be obtained from the Bundestag beforehand, unless permission has already been granted for preliminary investigations into a criminal offence to be conducted.

17. Treatment of amnesty cases

The Committee for the Scrutiny of Elections, Immunity and the Rules of Procedure shall, in all cases where, owing to an amnesty already granted, criminal proceedings against a Member of the Bundestag would not be carried out, be authorised to ensure that the proceedings are discontinued because of the amnesty by stating that the Bundestag would not object to the application of the relevant law on amnesty. It shall not be necessary to bring such cases before the plenary of the Bundestag.

B. Authorisation to institute criminal proceedings under Section 90b, paragraph (2) and Section 194, paragraph (4) of the Criminal Code

An authorisation to institute criminal proceedings under Section 90b, paragraph (2) of the Criminal Code – anticonstitutional disparagement of the Bundestag – as well as under Section 194, paragraph (4) of the Criminal Code – insulting the Bundestag – may be issued by way of a preliminary decision pursuant to number 13 of the principles governing matters relating to immunity. The requests of the public prosecutors‘ offices drawn up in accordance with the guidelines for criminal proceedings and the guidelines for regulatory fine proceedings shall be addressed to the Federal Minister of Justice, who shall, in turn, submit them with the request that a decision be taken on whether the authorisation to institute criminal proceedings pursuant to Section 90b (2) or Section 194 (4) of the Criminal Code should be given.

C. Permission to hear witnesses in accordance with Section 50, paragraph (3) of the Code of Criminal Procedure and Section 382, paragraph (3) of the Code of Civil Procedure

Permission to depart from Section 50, paragraph (1) of the Code of Criminal Procedure and from Section 382, paragraph (2) of the Code of Civil Procedure, under which Members of the Bundestag must be interrogated at the

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seat of the assembly, may be granted by way of a preliminary decision pursuant to number 13 of the principles governing matters relating to immunity. The public prosecutors‘ offices and courts shall transmit their requests to the President of the Bundestag direct. No permission shall be needed if the date for the interrogation lies outside the weeks in which the Bundestag is sitting.

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Annexe 3 - La levée du privilège par voie législative (Royaume-Uni)

Article 13 du Defamation Act 1996 (UK, 1996, c.31) 13. Evidence concerning proceedings in Parliament.

(1) Where the conduct of a person in or in relation to proceedings in Parliament is in issue in defamation proceedings, he may waive for the purposes of those proceedings, so far as concerns him, the protection of any enactment or rule of law which prevents proceedings in Parliament being impeached or questioned in any court or place out of Parliament.

(2) Where a person waives that protection—

(A) any such enactment or rule of law shall not apply to prevent evidence being given, questions being asked or statements, submissions, comments or findings being made about his conduct, and

(B) none of those things shall be regarded as infringing the privilege of either House of Parliament.

(3) The waiver by one person of that protection does not affect its operation in relation to another person who has not waived it.

(4) Nothing in this section affects any enactment or rule of law so far as it protects a person (including a person who has waived the protection referred to above) from legal liability for words spoken or things done in the course of, or for the purposes of or incidental to, any proceedings in Parliament.

(5) Without prejudice to the generality of subsection (4), that subsection applies to—

(A) the giving of evidence before either House or a committee;

(B) the presentation or submission of a document to either House or a committee;

(C) the preparation of a document for the purposes of or incidental to the transacting of any such business;

(D) the formulation, making or publication of a document, including a report, by or pursuant to an order of either House or a committee; and

(E) any communication with the Parliamentary Commissioner for Standards or any person having functions in connection with the registration of members’ interests.

In this subsection “a committee” means a committee of either House or a joint committee of both Houses of Parliament.