Cahiers d'études africaines, 193-194 - OpenEdition Journals

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Cahiers d’études africaines 193-194 | 2009 Tourismes La quête de soi par la pratique des autres Nadège Chabloz et Julien Raout (dir.) Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/14023 DOI : 10.4000/etudesafricaines.14023 ISSN : 1777-5353 Éditeur Éditions de l’EHESS Édition imprimée Date de publication : 20 juin 2009 ISBN : 978-2-7132-2207-8 ISSN : 0008-0055 Référence électronique Nadège Chabloz et Julien Raout (dir.), Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009, « Tourismes » [En ligne], mis en ligne le 25 juin 2009, consulté le 03 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/ etudesafricaines/14023 ; DOI : https://doi.org/10.4000/etudesafricaines.14023 Ce document a été généré automatiquement le 3 février 2021. © Cahiers d’Études africaines

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Cahiers d’études africaines 

193-194 | 2009TourismesLa quête de soi par la pratique des autres

Nadège Chabloz et Julien Raout (dir.)

Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/14023DOI : 10.4000/etudesafricaines.14023ISSN : 1777-5353

ÉditeurÉditions de l’EHESS

Édition impriméeDate de publication : 20 juin 2009ISBN : 978-2-7132-2207-8ISSN : 0008-0055

Référence électroniqueNadège Chabloz et Julien Raout (dir.), Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009, « Tourismes » [Enligne], mis en ligne le 25 juin 2009, consulté le 03 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/14023 ; DOI : https://doi.org/10.4000/etudesafricaines.14023

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Depuis les Indépendances, le tourisme en Afrique a été appréhendé par les chercheurs

tour à tour comme une forme de néo-colonialisme, un facteur de développement,

comme destructeur des sociétés traditionnelles locales, puis comme facteur de paix et

de rencontre entre les peuples.

La figure néo-coloniale du touriste blanc, riche et puissant, tant décriée par les

chercheurs des années 1970, laisse de plus en plus la place à celle du touriste culturel,

solidaire ou équitable, en quête de rencontre avec l’autre.

La vingtaine de contributions réunies dans ce numéro visent à déplacer la réflexion

d'une problématique trop souvent basée sur l'impact du tourisme en Afrique à un

questionnement sur les imaginaires touristiques portés sur ce continent, sur la manière

dont les acteurs locaux et les autorités publiques participent à leur création, se les

approprient ou les contestent. Ce volume met l'accent sur les circulations

transnationales, les réseaux, le politique, les enjeux identitaires. Il montre surtout que

le touriste n'est plus un simple spectateur. Du Maghreb à l'Afrique du Sud, les auteurs

révèlent la dimension participative des pratiques touristiques contemporaines sur le

continent.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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SOMMAIRE

Corps et âmes. Conversions touristiques à l’africanitéNadège Chabloz et Julien Raout

« Découvrir l’âme africaine ». Les temps obscurs du tourisme culturel en Afrique colonialefrançaise (années 1920-années 1950)Sophie Dulucq

Imaged or Imagined? Cultural Representations and the “Tourismification” of Peoples andPlacesNoel B. Salazar

« Guides, guidons et guitares ». Authenticité et guides touristiques au MaliAnne Doquet

Culture nomade versus culture savante. Naissance et vicissitudes d’un tourisme de déserten Adrar mauritanienSébastien Boulay

Du tourisme culturel au tourisme sexuel. Les logiques du désir d’enchantementCorinne Cauvin Verner

Antiquaires et businessmen de la Petite Côte du Sénégal. Le commerce des illusionsamoureusesChristine Salomon

Au rythme du tourisme. Le monde transnational de la percussion guinéenneJulien Raout

Danser l’Orient. Touristes et pratiquantes transnationales de la danse orientale au CaireJulie Boukobza

Inspiration triangulaire. Musique, tourisme et développement à MadagascarMarie-Pierre Gibert et Ulrike Hanna Meinhof

« La tarentule est vivante, elle n’est pas morte ». Musique, tradition, anthropologie ettourisme dans le Salento (Pouilles, Italie)Elina Caroli

“We Offer the Whole of Africa Here!”. African Curio Traders and the Marketing of a GlobalAfrican Image in Post-apartheid South African Cities1

Aurelia Wa Kabwe-Segatti

Les scènes de la danse. Entre espace touristique et politique chez les Peuls woDaaBe du NigerMahalia Lassibille

Le festival, le bois sacré et l’Unesco. Logiques politiques du tourisme culturel à Osogbo(Nigeria)Saskia Cousin et Jean-Luc Martineau

Imaginaire national et imaginaire touristique. L’artisanat au Musée national du NigerJulien Bondaz

Tourisme et primitivisme. Initiations au bwiti et à l’iboga (Gabon)Nadège Chabloz

Marketing Vodun. Cultural Tourism and Dreams of Success in Contemporary BeninJung Ran Forte

Back to the Land of Roots. African American Tourism and the Cultural Heritage of the RiverGambiaAlice Bellagamba

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“Find their Level”. African American Roots Tourism in Sierra Leone and GhanaAdia Benton et Kwame Zulu Shabazz

Les déçus de TombouctouMarco Aime

Désillusions et stigmates de l’exotisme. Quotidiens d’immersion culturelle et touristique auSénégalHélène Quashie

Tourisme d’oasis Les mirages naturels et culturels d’une rencontre ?Vincent Battesti

Chronique filmographique

Le tourisme et les images exotiquesJean-Paul Colleyn et Frédérique Devillez

Chronique bibliographique

De quelques dynamiques contemporaines en anthropologie du tourisme francophoneSébastien Roux

Analyse de textes

L’anthropologie du tourisme et l’authenticité. Catégorie analytique ou catégorie indigène ?Céline Cravatte

Analyses et comptes rendus

Aime, Marco. – TimbuctuElina Caroli

Barthélemy, Tiphaine & Couroucli, Maria (dir.). – Ethnographes et voyageursJean Copans

Campbell, James T. – Middle PassagesCristina D’Alessandro-Scarpari

Cauvin Verner, Corinne. – Au désertJulien Bondaz

Guyot, Sylvain. – Rivages zoulousCristina D’Alessandro-Scarpari

Jennings, Eric T. – Curing the ColonizersKatherine Luongo

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Kane, Momar Désiré. – Io l’AfricaineAnthony Mangeon

Kibicho, Wanjohi. – Tourisme en pays maasaï (Kenya)Julien Bondaz

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Corps et âmes. Conversionstouristiques à l’africanitéNadège Chabloz et Julien Raout

1 L’Afrique, souvent considérée comme le berceau de l’humanité, tient aujourd’hui une

place de choix dans l’imaginaire des touristes en quête de racines, d’authenticité et de

chaleur humaine. Selon l’Organisation mondiale du tourisme, le continent africain a

enregistré ces dernières années la plus forte augmentation de fréquentation touristique

au monde, même si l’Afrique ne représente que 4 %1 du volume touristique mondial.

Depuis les Indépendances, le tourisme en Afrique a été appréhendé par les chercheurs

tour à tour comme une forme de néo-colonialisme, un facteur de développement,

comme destructeur des sociétés traditionnelles locales, puis comme facteur de paix et

de rencontre entre les peuples. La figure néo-coloniale du touriste blanc, riche et

puissant, tant décriée par les chercheurs des années 1970, laisse de plus en plus la place

à celle du touriste culturel, solidaire, respectueux et en quête de rencontre avec l’autre.

Le « tourisme culturel » représenterait une forme de panacée : il permettrait la

rencontre, une meilleure compréhension mutuelle et un développement économique

tout en sauvegardant les coutumes et les expressions artistiques locales.

2 Ce numéro spécial des Cahiers d’Études africaines, en accordant une attention particulière

au sens que les touristes accordent à leur expérience du voyage, rompt avec les études

antérieures considérant le tourisme en Afrique principalement en termes d’impact2, de

domination, et le touriste comme un être mystifié, pris en charge par les agences de

voyages de telle façon qu’aucun événement ne mine ses certitudes ni le confronte à une

altérité autre que mise en scène à son attention (Boutillier et al. 1978). Sans occulter les

aspects inégalitaire et ambigu de la relation touristique entre Occidentaux et Africains,

les contributions présentées montrent qu’elle ne peut toutefois être réduite à des

questions d’opposition, de confrontation et de domination, trop exclusivement

mobilisées dans l’analyse du phénomène touristique sur le continent. Plusieurs articles

mettent par exemple en relief la manière dont les relations entre touristes et guides

s’insèrent également dans des relations sociales locales et des enjeux politiques

nationaux. Ce numéro s’inscrit ainsi dans la dynamique actuelle redessinant l’analyse

du tourisme francophone, présentée dans la chronique bibliographique de Sébastien

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Roux. Il réunit un nombre important de contributions, tant il nous a semblé important

de refléter la diversité des pratiques touristiques, des réseaux par lesquels elles

circulent, ainsi que la complexité des représentations et des enjeux identitaires à

l’œuvre, du Maghreb à l’Afrique du Sud. Ces Cahiers d’Études africaines présentent des

contributions analysant le phénomène touristique en Afrique ; cette lecture

régionaliste n’empêche toutefois pas les articles de soulever des thèmes universels se

retrouvant dans d’autres aires géographiques, comme en témoigne par exemple

l’article d’Elina Caroli sur le tarentisme en Italie du Sud, qui aborde notamment les

questions — que l’on retrouve en Afrique — de la patrimonialisation des cultures locales

et du rapport entre tourisme et savoirs ethnographiques. Les spécificités du tourisme

en Afrique ont peut- être davantage trait aux représentations sur lesquelles il se fonde,

en rapport avec l’histoire, notamment la traite atlantique des esclaves et la

colonisation, qu’aux processus de « touristification » et aux pratiques touristiques.

3 Si, à l’instar d’autres revues scientifiques ayant récemment consacré un numéro spécial

sur le tourisme3, ce volume met l’accent sur les circulations transnationales, les

réseaux, et, dans une moindre mesure, sur les enjeux politiques, il montre surtout

l’évolution et les diverses formes que revêt la dimension participative des pratiques

touristiques sur le continent. L’appel à contributions, portant sur le tourisme culturel

en Afrique d’une manière assez générale, a retenu l’attention de chercheurs dont les

articles évoquent majoritairement le thème de la conversion. Les « convertisseurs »

d’abord, occupent ici une place importante, que ce soient les « médiateurs culturels »

(guides, passeurs artistiques, artisans, prestataires sexuels) ou les médias (films

documentaires, de fiction, presse écrite, musique, danse, Internet). Les candidats à la

conversion ou les « convertis », ensuite, sont les touristes : plusieurs articles

s’intéressent à leurs représentations, leurs motivations et à leurs pratiques. Enfin, les

dynamiques et les processus de la conversion — ou du désir de conversion — sont

multiples et leur analyse montre qu’ils touchent parfois au plus intime des individus :

corps, sentiments, recherche d’identité et de sacré. La grande majorité des

contributions, à travers différentes approches méthodologiques, évoque un désir de

transformation par le tourisme, que ce soit par la rencontre avec un paysage (oasis,

désert, ville mythique), l’échange (verbal, sentimental, sexuel) avec des locaux, la

pratique artistique (danse, musique), rituelle et religieuse (vaudou, bwiti). Pour les

touristes, il s’agit en quelque sorte de s’« autoformer »4 par le voyage, de se trouver soi-

même en expérimentant les pratiques des autres ou en « pratiquant » directement les

autres (tourisme sexuel et/ou sentimental). Ces formes de conversions à l’africanité se

retrouvent de façon paroxystique dans le « tourisme de racines ». Basées

majoritairement sur des représentations issues de l’époque coloniale, ces quêtes

touristiques se confrontent souvent à une réalité locale bien différente de celle qui

avait été imaginée, rencontrent les propres stéréotypes, désirs et stratégies des

autochtones souvent liés à une volonté d’émigration et se soldent fréquemment par des

désillusions de part et d’autre. Mais ces quêtes trouvent parfois matière à satisfaction

en débouchant sur des relations amicales et amoureuses durables avec les autochtones

et donnent à certains touristes un sentiment de réalisation personnelle, voire une

nouvelle direction à leur vie. Il arrive que cette « conversion à l’africanité » soit

également opérante chez certains guides locaux qui, par le biais du tourisme,

redécouvrent parfois des traditions, une manière différente de voir ou de vivre leur

environnement et négocient avec leur « identité africaine ».

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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4 Ces pratiques consistant à voyager pour découvrir la culture des populations

autochtones s’inscrivent dans ce qu’il est convenu de nommer le « tourisme culturel ».

Difficile à définir et à quantifier, cette catégorie est souvent employée en opposition au

« tourisme de masse ». Le tourisme culturel apparaît minoritaire si on le considère du

point de vue des chiffres de fréquentation mais il reste un idéal à atteindre, comme le

montre Vincent Battesti à propos du tourisme d’oasis en Afrique du Nord. Pour cet

auteur, il n’y a pas des « touristes culturels » et d’autres qui ne le seraient point, mais

une propension chez les uns et les autres à plus ou moins pratiquer certains aspects de

ce nouvel éthos. D’autres auteurs soulignent le caractère non opératoire de cette

dénomination, qui s’inscrit dans une tradition de nomenclature des pratiques

touristiques (tourisme de masse, individuel, sédentaire, itinérant, à forfait, à la carte,

etc.) mais qui informe peu des modalités concrètes des séjours.

Imaginaires d'hier et d'aujourd'hui

5 En amont de la zone d’interaction touristique, il est nécessaire de prendre en

considération les flux d’images, d’idées, de sons, de bribes de récits qui conditionnent la

rencontre. Le roman, la presse populaire, les brochures touristiques participent

aujourd’hui moins à la construction de l’imaginaire collectif occidental que d’autres

productions culturelles comme les films documentaires, le cinéma hollywoodien, les

récits d’expériences publiés et en ligne, les expositions d’art et d’artisanat, ou les

musiques du monde. La consommation de ces produits culturels prépare les individus à

découvrir de nouveaux lieux, elle préforme le jugement et forge les attentes des

visiteurs. La visite du pays représente alors bien souvent la volonté de vérifier la

conformité de la copie à l’original, « la fidélité de l’image mentale ou physique avec la

réalité de l’objet, là sous les yeux » (Amirou 2000 : 30). Ces imaginaires touristiques, qui

constituent le moteur du déplacement, prennent parfois la forme de stéréotypes

standardisés circulant à l’échelle planétaire et encouragent la naissance de pratiques

touristiques visant à exhiber les signes de l’authenticité des cultures africaines.

Plusieurs articles attestent des diverses sélections opérées par ces « fabricants

d’imaginaire » orientant le regard touristique.

6 Par une approche historique, Sophie Dulucq montre comment les premiers guides

touristiques publiés sous l’égide de l’administration coloniale française à partir des

années 1920 contribuent à définir ce qui est « touristique- ment pertinent » sur le

continent africain. À côté du tourisme de nature, ces guides encourageaient les

touristes à découvrir « l’âme africaine » à travers les manifestations de danse et de

musique, les « scènes de marché », ou les productions artisanales traditionnelles. Si la

connaissance du colonisé à travers le déplacement touristique contribua à construire

l’identité coloniale et impériale de la France, la mise en tourisme des cultures locales

participa également aux prémisses de leur folklorisation et standardisation.

7 Plus que les écrits académiques ou les récits de voyage, ce sont les films documentaires

et les films semi-biographiques ou de fiction qui conditionnent les attentes des

visiteurs désirant retrouver en Tanzanie l’image romantique du viril guerrier massaï.

Avec Noël B. Salazar nous comprenons comment les Massaï, à travers le prisme de la

médiatisation, sont devenus les icônes de l’Afrique traditionnelle et les symboles

« involontaires » de la résistance aux valeurs de la modernité. En l’absence

d’alternatives économiques à l’industrie touristique, les Massaï se résignent à « être

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eux-mêmes pour les autres » en escamotant toutes traces de modernité du paysage

humain offert aux touristes. Dans leur chronique filmographique sur le tourisme, Jean-

Paul Colleyn et Frédérique Devillez montrent comment le cinéma construit plutôt qu’il

ne reflète une histoire de la vision et du regard, et accompagne le processus touristique

s’inscrivant dans un contexte de rencontres inégales car participant de la conquête du

monde par les peuples nantis.

8 Ce mécanisme d’imposition d’imaginaires globaux sur les sociétés visitées dont les

membres n’auraient d’autres choix que de se plier intégralement aux représentations

stéréotypées des visiteurs doit sans doute être nuancé. Ces imaginaires que E. Bruner

(2005 : 26) appelle des « récits maîtres » peuvent être personnalisés par l’expérience

touristique et se transformer au cours du voyage : « Master narratives provide a

preexisting structure, but they are not determinative, nor they possibly encompass the

many possible tourist responses. The tourist story is emergent in the enactment. » Sans

nier le fait que la demande d’authenticité des touristes, touchant à l’identité des

autochtones, comporte le risque pour les populations locales d’avoir toujours plus de

mal à former leur propre subjectivité en dehors de leur subjectivation par et pour le

tourisme, la majorité des contributions présentées dans ce numéro est représentative

d’une nouvelle manière d’envisager l’étude du tourisme, en considérant que « les

populations locales ne sont pas les objets passifs du regard touristique, mais des sujets

actifs qui construisent des représentations de leur culture à l’usage des touristes, des

représentations fondées à la fois sur leur propre système de références et sur leur

interprétation du désir des touristes » (Picard 2001 : 120).

Authenticités froide, chaude et existentielle

9 Depuis la « théorie du touriste » de Dean MacCannell (1976), la notion d’authenticité est

au cœur des débats qui animent la sociologie et l’anthropologie du tourisme, comme le

montre l’analyse de textes de Céline Cravatte qui questionne l’ambiguïté du concept

d’authenticité en tant que catégorie analytique ou indigène. Toutefois, le double usage

que MacCannell (ibid. : 3) a fait de cette notion a rendu son utilisation délicate. Dans sa

première acception, l’authenticité est considérée comme la quête principale des

touristes : « Pour les modernes, la réalité et l’authenticité sont considérées comme

étant ailleurs : dans d’autres périodes historiques, dans d’autres cultures, dans des

styles de vie plus purs et plus simples. » En se déplaçant, les touristes cherchent à

reconstruire une identité éclatée par la fragmentation de la vie moderne et

postmoderne. Le second usage de la notion d’authenticité intervient lorsque

MacCannell parle de mise en scène de l’authenticité (staged authenticity). Il montre

comment les touristes, dans leur quête d’authenticité, peuvent finalement être dupés :

là où ils pensent accéder aux coulisses de la culture visitée, l’endroit où les secrets sont

supposés être gardés, ils n’ont à faire qu’à d’autres pseudo-événements (Boorstin 1961),

d’autres mises en scène destinées à satisfaire leurs attentes. Tom Selwyn (1996), qui a

sans doute repéré le premier ce double usage de la notion d’authenticité chez

MacCannell propose de qualifier d’authenticité chaude (hot authenticity) la motivation

principale des touristes : la recherche de solidarité sociale, de fraternité avec les autres

(touristes ou populations locales) mais aussi la recherche de soi. Il qualifie

d’authenticité froide (cool authenticity) la qualité des connaissances acquises par les

touristes à propos de la destination choisie. Si le degré d’authenticité froide peut être

expertisé et se résume généralement à un ensemble de choses, d’hommes ou d’activités

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à observer, l’authenticité chaude est du domaine du ressenti (feeling of authenticity). Elle

est par conséquent beaucoup moins objectivable et mesurable. En effet, si le chercheur

peut constater le fossé qui sépare, par exemple, une cérémonie initiatique de sa mise en

scène touristique, comment évaluer l’authenticité d’une rencontre ou la sincérité d’une

amitié nouée entre visiteur et visité ?

10 Un certain nombre d’articles présentés dans ce numéro, comme ceux d’Anne Doquet

sur les guides touristiques au Mali, de Julien Raout sur le tourisme musical en Guinée, et

de Vincent Battesti sur le tourisme d’oasis en Tunisie et en Égypte, tenteront de

montrer comment l’authenticité, autant comme catégorie recherchée par les touristes

que comme notion utilisée par les chercheurs, tend à se « réchauffer ». L’observation

d’objets, d’hommes ou de paysages n’est plus l’activité favorite des touristes

contemporains. De même, l’analyse de l’impact de ce « regard touristique » (Urry 1990)

sur les populations visitées ne constitue plus la principale préoccupation des

chercheurs. Loin d’être les spectateurs passifs de spectacles organisés à leur intention,

les touristes désirent aujourd’hui s’impliquer en prenant part aux activités locales. Les

articles sur le tourisme sexuel (C. Cauvin Verner, C. Salomon), le tourisme musical (J.

Raout, J. Boukobza) ou le tourisme mystico-spirituel (N. Chabloz) montrent que le

tourisme n’est pas uniquement une activité visuelle mais implique également des

expériences corporelles et participatives. Ces articles s’efforcent de saisir les contours

de cette « authenticité chaude » recherchée par des touristes désirant se découvrir eux-

mêmes à travers le prisme des relations qu’ils entretiennent avec leurs hôtes.

L’« authenticité existentielle » (Wang 1999) recherchée pendant le voyage, qui

conduirait le touriste à découvrir son véritable moi intérieur, peut aussi, comme le

souligne Nadège Chabloz, se passer de rencontre avec l’autochtone. Les touristes

venant s’initier au bwiti gabonais désirent avant tout consommer la plante iboga et

avoir accès au savoir initiatique. Par conséquent l’initiateur peut être indistinctement

français ou gabonais, l’essentiel étant la découverte de soi grâce aux visions que

procure la plante.

Les guides : passeurs culturels et prestataires sexuels

11 La pratique du tourisme dans sa version culturelle se caractérise généralement par la

recherche du contact avec l’indigène. Les touristes s’y prêtant ne rencontreront que

ceux disposés à les rencontrer ou désignés implicitement pour jouer le rôle de

médiateur. C’est lorsque le tourisme se définit comme culturel qu’interviennent de

façon quasi systématique les médiateurs que sont les guides. On peut penser, comme le

montrent les articles d’Anne

12 Doquet et de Sébastien Boulay, que la présence des guides est nécessaire sans quoi la

rencontre touristique ne serait pas. Le guide est tenu de transmettre à son groupe des

informations sur sa culture, son histoire, la faune et la flore des zones traversées. Il

endosse le rôle de médiateur culturel, et a un rôle de représentation. Finalement,

l’échange possible avec le guide résout en partie le problème de l’échange quasi

impossible avec les autochtones rencontrés durant le circuit. Ce dernier permet, plus

que le passage, la conversion momentanée d’une identité culturelle à une autre.

Sébastien Boulay montre que le guide apparaît ainsi comme un équilibriste se

maintenant entre une occultation de certains éléments de sa culture et une

(sur)valorisation d’autres, tentant d’inscrire son discours dans le cadre des

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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représentations qu’ont les touristes tout en tâchant de faire évoluer leur conception.

Pourtant, malgré leur rôle prédominant, voire indispensable dans la rencontre

touristique, les guides ont jusque-là peu intéressé les chercheurs en sciences sociales, si

ce ne sont E. Cohen (1985, 2001), Wang (1999), Reisinger & Steiner (2006), dont le point

commun, comme ici l’article d’Anne Doquet, est d’atténuer le caractère mystificateur

du guide. Si les guides sont souvent perçus comme instigateurs du mensonge pour leurs

clients naïfs et dupés, ils ne peuvent être réduits, selon Anne Doquet, à des personnages

singeant la tradition. Cette auteure montre que ce qui se joue n’est pas de l’ordre du

dédoublement de l’authenticité décrit par MacCannell et ses successeurs et que tout

l’art du guide consiste à instaurer entre lui et ses clients une relation transférable aux

villageois.

13 La relation touristique entre guides et touristes est souvent empreinte d’ambivalence.

Selon Anne Doquet, cette ambivalence reflète celle des relations franco-africaines dans

lesquelles la solidarité et la fraternité flirtent avec les asymétries et le racisme. Ainsi, les

guides maliens induisent les visiteurs vers d’autres versions où l’authenticité ne répond

plus à la conception passéiste d’un idéal socioculturel de pureté et de solidarité, mais à

des réalités sociales et culturelles du Mali d’aujourd’hui. Cette ambivalence se retrouve

dans les relations sexuelles et/ou amoureuses qu’entretiennent les touristes avec les

guides.

14 Le « tourisme sexuel » serait une forme exacerbée de marchandisation où l’individu,

exploité, réduit à sa seule consommation, se voit refuser toute part d’humanité (Michel

2006). Cette vision tragique d’une exploitation sexuelle mondialisée est assez répandue,

notamment dans la littérature sur la prostitution dans le tourisme : le tourisme sexuel

apparaît comme une forme spécifique de prostitution qui, en jouant sur l’accumulation

des rapports de domination, exploiterait les individus les plus fragiles des destinations

touristiques. Cette perspective victimisante est discutée par quelques chercheurs

comme Sébastien Roux (2009 : 28-42) qui, en menant un travail ethnographique en

Thaïlande, a pu accéder à une réalité quotidienne différant de ces analyses indignées et

montrer la complexité des liens unissant touristes et populations locales. Cet auteur

montre notamment que la prostitution dans le tourisme ne se limite pas au différentiel

qui sépare les touristes des populations locales, en termes de pouvoir, de richesses ou

de mobilité. Les contributions de Corinne Cauvin Verner et de Christine Salomon

s’inscrivent dans ce mouvement de renouvellement théorique de l’anthropologie du

tourisme sexuel (Cohen 1971, 2001 ; Graburn 1983) en interrogeant la nature du

caractère prostitutionnel à l’œuvre dans le tourisme sexuel féminin au Maroc et au

Sénégal, ses formes culturelles et historiques spécifiques, ainsi que la nature de la

rencontre et de la confrontation d’individus inégalement dotés. Ces enquêtes de terrain

questionnent en des termes originaux les transformations sociales engendrées par la

mondialisation, et pensent le tourisme sexuel comme un terrain fécond pour réfléchir

aux articulations genre-classe-race.

15 Selon Corinne Cauvin Verner, l’échange sexuel permet aux touristes de dénier tout à la

fois la réalité économique de la relation et l’aspect ludique de l’expérience, en

détournant le rapport marchand en rapport interculturel. Cette relation entre touriste

et guide, sans être dépourvue de sentiments, est aussi le lieu très calculé d’une

circulation de biens et de services. L’analyse de Christine Salomon sur les échanges

économico-sexuels sur la Petite Côte du Sénégal entre des touristes européennes

quinqua ou sexagénaire et de jeunes hommes sénégalais, donne à voir une imbrication

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particulière des inégalités économiques, de genre et d’âge avec les stéréotypes racistes.

Elle montre également qu’il existe tout un continuum possible d’échanges économico-

sexuels entre le mariage et la prostitution, et bat en brèche la vision réductrice qui

ferait de ces jeunes hommes des personnages marginaux, présentés tantôt comme de

simples intermédiaires culturels, tantôt comme des prostitués, tantôt comme des

exploiteurs.

La rencontre touristique

16 La rencontre avec l’autochtone fait partie des motivations principales de ceux qui

partent dans le cadre d’un « tourisme culturel », et elle s’insère également dans la

doctrine du tourisme culturel diffusée notamment par l’Unesco (Cousin 2008 ; Picard

1992) et l’Organisation mondiale du tourisme. Vincent Battesti montre que le tourisme

culturel correspond à une exigence de la part des touristes d’attractions

socioculturelles et de pittoresque qui se porte aujourd’hui sur la dimension humaine :

rencontrer des « locaux », ce qui suggère finalement plus une variation des pratiques

qu’une nouvelle ère du tourisme. Ce n’est pas le contact avec les indigènes qui intéresse

les voyageurs du XIXe siècle, la rencontre touristique s’inscrivant alors dans les

dualismes observateur/observé, dominant/dominé. Selon cet auteur, ce n’est pas

vraiment l’intérêt porté au « culturel » qui fait la spécificité du tourisme culturel, mais

le passage du « pittoresque » à « l’authentique » ou de l’ethnocentrisme au relativisme

culturel. Aujourd’hui ce sont les « backpackers » qui partent à la découverte des oasis et

qui définissent le tourisme culturel comme la recherche d’une rencontre authentique

avec la population et la culture locales.

17 Les anthropologues étudiant le tourisme se sont emparé de cette rencontre (Amirou

1995 ; MacCannell 1992 ; Urbain 1991), sans toujours d’ailleurs s’essayer à en donner

une définition précise, mais en analysant sa nature et ses ressorts, en concluant parfois

que ne s’opère pas de « véritable rencontre » (C. Cauvin Verner). Si l’on part du

principe qu’il y a rencontre lorsque deux personnes entrent en contact et échangent,

on peut s’interroger sur le sens de cette « non rencontre » souvent observée par les

anthropologues sur leur terrain touristique. Est-ce que la rencontre ayant lieu n’est pas

conforme à celle qui a été promise et vendue par les voyagistes ? Estelle une « non

rencontre » du point de vue des touristes, des autochtones ou bien de l’anthropologue ?

L’effacement du caractère fortuit traditionnellement associé à la rencontre, fortement

réduit ou effacé par les voyages organisés serait-il responsable de la déqualification de

la rencontre ? Ou encore cette déqualification proviendrait-elle du fait que le terme

évoque dans la philosophie contemporaine5 un accord extrême se dévoilant entre deux

personnes désormais unies par la reconnaissance et la réciprocité ? Si la rencontre peut

également être considérée comme étant le résultat d’une conjonction (par exemple de

deux personnes se rencontrant au cours d’un séjour touristique), comme nouvel

élément, un fruit, est-ce à dire que ce fruit est obligatoirement lié aux registres de

l’entente, de l’amour, de la compréhension mutuelle ? Si ce fruit appartient aux

registres du malentendu, de l’ambivalence, de la méfiance ou de la haine, cela signifie-

t-il pour autant que la rencontre n’a pas eu lieu ou qu’elle n’est pas « véritable » ?

Sébastien Boulay montre comment les dispositifs sur lesquels repose la mise en

tourisme de la culture en Adrar mauritanien mobilisent et produisent des relations

entre individus, qui, sans la naissance de cette activité, ne seraient probablement

jamais entrés en contact les uns avec les autres. Ce type de tourisme instaure un

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contact, entre les habitants de ces zones et les touristes, beaucoup plus direct que celui

qui existait avec les coopérants et les militaires français présents à Atar, voire avec les

administrateurs coloniaux avant 1960. Mahalia Lassibille, analysant le phénomène

touristique comme une interaction, souligne que la relation créée ne se limite pas

toujours à un contact ponctuel avec un étranger de passage et qu’elle peut déboucher

sur un rapport durable qui a des répercussions considérables pour les

18 WoDaaBe et les touristes occidentaux. En mettant en regard un réseau et des histoires

individuelles, il devient possible de dépasser l’appréhension du tourisme culturel

comme une catégorie homogène pour l’envisager comme un ensemble de processus

interactionnels à décliner dans le temps.

Circulations transnationales

19 Longtemps cantonnées à l’analyse des interactions se produisant dans un cadre local,

les études touristiques ont souvent considéré les visités comme des « ré-acteurs » en

face du visiteur (Michaud 2001). Plusieurs articles présentés dans ce numéro proposent

de prendre en considération les flux, les circulations d’images et d’idées qui façonnent

les imaginaires touristiques, mais aussi les réseaux transnationaux mobilisés par les

acteurs organisant le déplacement touristique. Sur ce point, M. Lassibile montre que les

WoDaabe du Niger, encore peu connus du grand public, doivent mobiliser tout un

réseau international de relations tissé au gré de leur voyage ou user d’Internet et de

mailing-listes pour inviter des Occidentaux à leur assemblée annuelle. De la même

manière, les musiciens malgaches, étudiés par M.-P. Gibert et U. H. Meinhof, mettent à

profit leurs tournées internationales pour sensibiliser le public à s’investir dans les

actions humanitaires qu’ils coordonnent. La dichotomie tranchée entre hôtes et

visiteurs, qui réduit souvent un ensemble complexe de mouvements à un schéma

binaire, est remise en question par ces enquêtes multi-situées (Appaduraï 2001). Elles

soulignent le rôle des « intermédiaires culturels » (« cultural brokers ») maîtrisant à la

fois les codes culturels des pays émetteurs et ceux de la destination touristique et

montrent que les visités peuvent être très actifs dans leur propre « mise en tourisme ».

Plusieurs articles signalent également que le réseau relationnel transnational tissé au

cours de l’interaction touristique peut être mis à profit pour soutenir des projets de

migration à l’étranger (A. Bellagamba, J. Raout, C. Cauvin Verner). Adia Benton et

Kwame Zulu Shabazz montrent que le tourisme de racines au Ghana et en Sierra Leone

est le produit d’un complexe arrangement entre les intérêts personnels des acteurs, les

réseaux transnationaux de solidarité, les technologies et les contraintes des différents

acteurs à des niveaux aussi bien locaux, régionaux, continentaux que mondiaux.

Analysant le classement du bois sacré d’Osogbo au patrimoine mondial, Saskia Cousin et

Jean-Luc Martineau révèlent l’importance des réseaux internationaux dans la sélection

finale du site et sa détermination en tant que patrimoine culturel, en raison de la

présence des statues de l’artiste autrichienne Suzanne Wenger.

Enjeux identitaires autour de la musique, de la danse et de

l'artisanat

20 Comme le rappelle Sophie Dulucq à propos de l’Afrique coloniale française, le tourisme

en Afrique s’est très vite tourné vers les pratiques culturelles et artistiques. Compte

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tenu de la rareté des monuments et des sites archéologiques à visiter, on invitait les

touristes à acheter de l’artisanat, à assister à des « tam-tam » ou à des danses

cérémonielles. Même si l’on a reconnu au tourisme un rôle important dans le maintien

d’activités culturelles « traditionnelles » qui sans lui auraient disparues, la

marchandisation, les mises en scène touristiques ainsi que le développement d’un « art

d’aéroport » ont souvent été analysés en termes de dégradation et de

« dégénérescence » du patrimoine culturel (de Kadt 1979). Plusieurs articles de ce

numéro prennent position sur la question de l’authenticité et de la mise en scène des

pratiques artistiques et artisanales en montrant que le ménage de la culture et de

l’économie en situation touristique n’est finalement pas si houleux qu’on le pensait.

Alors que Mahalia Lassibille remet en question la distinction entre « danses

commerciales » et « danses cérémonielles » chez les Peuls woDaabe du Niger, Julien

Bondaz dépasse la dichotomie entre objets authentiques et objets touristiques en

montrant que les objets artisanaux présentés au Musée National du Niger représentent

des « points de contacts » entre l’imaginaire national nigérien et les imaginaires

touristiques.

21 Certaines études contemporaines, articulant plus particulièrement la musique ou la

danse et le tourisme, interrogent non pas la manière dont les musiques et les danses

reflètent une identité locale mais plutôt comment elles peuvent contribuer à la

« production » des identités et des lieux (Cohen 1997). L’intérêt pour les musiques et les

danses constituent la motivation principale de nombreux déplacements touristiques.

Celles-ci se trouvent ainsi projetées au centre de nouveaux enjeux économiques et

identitaires: « [...] arts and culture are promoted as major factors in individual’s choice

of destinations not only to visit, but to move to and live in, so that music is now

explicitly bound up with the politics of place and with the struggle for identity and

belonging, power and prestige » (Abram et al. 1997: 8). Plusieurs contributions

montrent que les danses, les musiques et l’artisanat jouent aujourd’hui un rôle

significatif dans le développement touristique en fonctionnant comme de puissantes

attractions. Elles montrent également que l’inscription de ces pratiques dans des

réseaux transnationaux peut contribuer aussi bien à des enrichissements qu’à des

réductions esthétiques et impulser localement de nouvelles dynamiques sociales et

identitaires.

22 Julien Raout, à travers la percussion guinéenne, et Julie Boukobza, avec la danse

orientale, s’intéressent à des pratiques touristiques éminemment participatives. Dans

les deux cas, l’objectif du voyage n’est pas d’assister à des spectacles de musique et de

danse mais de se former à une pratique artistique ou de la perfectionner dans le pays

« source ». Pour le tourisme musical en Guinée et le tourisme de la danse en Égypte

(mais aussi le tourisme mystico-spirituel au Gabon étudié par N. Chabloz), le

déplacement touristique constitue la prolongation d’une expérience démarrée dans le

pays d’origine des touristes. Le voyage est alors souvent conçu comme un pèlerinage

pour des apprenants en quête de légitimité artistique. Encouragés par des pratiques

communes, des réseaux se constituent entre les pays émetteurs de touristes et les pays

considérés comme étant à l’origine de la pratique étudiée. Julien Raout s’intéresse ainsi

aux relations développées entre les percussionnistes guinéens et les touristes venus des

quatre coins du globe pour pratiquer le jembé. Les réseaux transnationaux se

structurant à travers les solidarités et partenariats noués entre les apprentis et leur

maître contribuent non seulement à l’internationalisation des percussions guinéennes

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mais également, en retour, à des flux touristiques échappant aux tour-opérateurs

conventionnels. Julie Boukobza analyse les rapports qu’entretiennent les danseuses

orientales d’Égypte avec leurs concurrentes étrangères. Les enjeux identitaires

spécifiques à cette pratique, devenue transnationale, se cristallisent pendant le festival

international de danse orientale organisé au Caire. Alors que les danseuses étrangères

manifestent une volonté de conversion à l’« égyptiannité », les folkloristes locaux

enclenchent un mécanisme de récupération du savoir-danser sous une bannière locale.

23 En plus du tourisme et de la musique, l’article de Marie-Pierre Gibert et Ulrike Meinhof

introduit l’entité du développement. Il montre comment les passionnés de musique

malgache peuvent être amenés à développer des actions humanitaires à Madagascar.

Mais contrairement aux deux articles précédents, il montre une autre facette du

rapport entre musique et découverte d’un pays : le fait de séjourner à Madagascar pour

un séjour humanitaire peut également conduire à aimer la musique de ce pays. L’article

souligne alors l’importance que prennent les musiciens dans le monde du

développement. En procurant des images exotisantes et rassurantes, ces musiciens

contribuent à la construction et à l’expansion des réseaux d’aides, à la pérennité des

actions de développement ainsi qu’à l’atténuation des incompréhensions entre les

membres d’ONG venus du Nord et les paysans malgaches. Moins explicite sur la

question des réseaux, l’article d’Elina Caroli place néanmoins la circulation au centre de

son analyse des transformations de la musique et des rites liés à la Tarentelle. L’article

montre, en comparaison avec le phénomène d’« ethnologisation » de la culture dogon,

comment la relecture positive mais réductrice du tarentisme par le regard

anthropologique a conduit à un véritable revival de la musique pizzica. Façonnée par la

circulation de sa musique ainsi que par les écrits d’ethnologues, la région du Salento, au

Sud de l’Italie, est devenue une « région musicale » connue bien au-delà des frontières

nationales. Enfin, l’article d’Aurelia Wa Kabwe-Segatti, traitant des marchés d’objets

artisanaux africains en Afrique du Sud, met l’accent sur le rôle des migrants d’Afrique

de l’Ouest et du Congo dans cette économie. À travers la figure de l’« entrepreneur

ethnique » qu’incarnent ces migrants, l’auteure questionne l’imagerie de l’Afrique

développée sur ces marchés ainsi que la possibilité d’une insertion économique et

sociale des migrants africains dans un contexte sud- africain très tendu.

Détournements politiques

24 Les enjeux politiques du tourisme ont majoritairement été analysés par les biais des

États (Franklin 2003), des politiques touristiques (Wood 1997) et du nationalisme (David

2007 ; Hainagiu 2008). Les « détournements politiques » du tourisme dont il est question

dans ce numéro sont effectués par des autorités locales, des institutions culturelles et

des groupes sociaux. L’article de Saskia Cousin et Jean-Luc Martineau s’intéresse à la

manière dont les autorités politiques et traditionnelles du Nigeria s’approprient le

classement au patrimoine mondial du bois sacré et des œuvres de Suzanne Wenger qu’il

comprend pour augmenter la notoriété touristique du festival d’Osogbo, alors même

que ce dernier n’est pas classé et est présenté par l’Unesco comme une menace pour le

bois. Le classement sert le tourisme, lui-même utilisé pour légitimer le statut de

capitale régionale d’Osogbo et l’inscrire dans une histoire largement fantasmée. Ainsi,

le tourisme n’est pas une fin mais un outil au cœur des enjeux de pouvoir et de

représentation de soi, à l’échelle de la ville, de l’État nigérian et de sa représentation à

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l’Unesco. Julien Bondaz décrit le double enjeu du Musée National du Niger, lequel, en

tant que musée national vise la construction et le renforcement d’une unité nationale,

et en tant qu’institution culturelle, intègre des représentations plus larges de l’Afrique.

L’article de M. Lassibille démontre que les interactions touristiques ne prennent tout

leur sens que placées en relation avec celles établies localement, dans le cas de

l’Assemblée avec les Touaregs, les autorités nigériennes et l’ensemble des WoDaabe. Ce

n’est que dans un ensemble interactionnel que le tourisme culturel devient un levier.

S’il s’agit pour les WoDaaBe de faire venir les touristes à eux, c’est également par ce

biais touristique qu’ils cherchent à « porter leur voix » auprès des autorités

nigériennes. Il s’opère ainsi une forte relocalisation au cœur du phénomène de

mondialisation où le tourisme culturel s’insère et auquel il participe.

Retours aux sources

25 Des milliers d’Afro-américains sont allés en Afrique depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu’à

nos jours. Si certains s’y sont installés de façon permanente — notamment au Liberia au

XIXe siècle —, d’autres y sont allés simplement pour découvrir ce monde d’où étaient

partis leurs ancêtres. Comme le montre J. T Campbell (2006)6, les premières expériences

de « retour en Afrique », liées à l’épopée donnant lieu à la colonie de Sierra Leone en

1787, suivie par celle du Liberia, témoignent notamment des difficultés pratiques et

intellectuelles de toutes sortes que ces colons rencontraient. Ces Afro- américains

n’avaient en effet que peu de choses en commun avec les Africains qu’ils rencontraient.

La déception et la désillusion des Afro-américains face au continent noir que l’on

trouve dans les articles (A. Bellagamba) ne sont pas nouvelles et se retrouvent déjà dans

les écrits de ceux qui ont tenté l’expérience dans les années 19307. À la fin du XXe siècle,

on perçoit une renaissance de l’intérêt des Afro-américains pour le continent, un

sentiment renouvelé d’identification, dû en partie au succès avec lequel a été accueillie

la publication du roman Roots d’Alex Aley, et de la série télévisuelle qui en a été tirée,

mais également à la diffusion des théories et des idées afro- centristes. C’est ce

sentiment qui, selon J. T Campbell, explique le développement rapide d’une industrie

touristique vouée à ramener en Afrique les Afro-américains, à leur faire ressentir le

pathos du retour aux sources. Les États européens, anciennes puissances coloniales en

Afrique, ne seraient ainsi pas les seuls à avoir fait de ce continent à la fois leur alter ego,

leur terre exotique et primitive où l’on vient se ressourcer pour tenter d’échapper à la

société occidentale, car le Liberia, la Sierra Leone ou le Ghana seraient d’une certaine

manière des « colonies » des États-Unis. Trois contributions décrivent et analysent

l’élaboration et la mise en œuvre du tourisme de racines d’Afro-américains en Afrique,

ainsi que la nature de leur rencontre avec les autochtones. L’article d’Adia Benton et de

Kwame Zulu Shabazz compare un pays en développement, le Ghana, avec un pays

sortant d’un conflit armé (Sierra Leone) pour comprendre les possibilités, les limites et

les ambiguïtés de ce phénomène panafricain de « tourisme de racines africaines »

émergent.

26 Alice Bellagamba montre comment a été initiée une tradition de rencontres entre

Gambiens et touristes afro-américains depuis la publication du roman Roots d’Alex Aley

en 1976. La commémoration de la traite atlantique des esclaves, utilisée comme

ressource touristique en Gambie, est analysée notamment à travers la création d’un

musée de l’esclavage à Albreda et d’une cérémonie initiatique organisée par la petite

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communautée jola, destinée à « convertir » des adolescents afro-américains en « vrais »

fils et filles de l’Afrique. Alice Bellagamba choisit d’étudier leur rencontre du point de

vue des villageois plutôt que des touristes, contrairement à la plupart des études sur le

tourisme de racines en Afrique de l’Ouest.

27 Jung Ran Forte analyse l’appréhension de la production de l’« africa- nité » et de la

« tradition », ainsi que l’objectivation de la culture en biens marchands en examinant

les dynamiques qui ont transformé les cultes vaudou au Bénin en héritage culturel

national, mémoire de l’esclavage, et par la suite en attraction touristique. En

juxtaposant les politiques étatiques aux récits de vie de deux femmes béninoises (une

guide touristique et une prêtresse vaudou) engagées dans le tourisme, cet article traite

du tourisme de racines du point de vue des agents locaux et notamment des manières

par lesquelles ils performent et perçoivent leur culture dans la rencontre avec des

touristes africains-américains venus découvrir leurs origines africaines.

28 Au-delà d’une recherche de racines africaines, les touristes français « mystico-

spirituels », étudiés par Nadège Chabloz, s’initient au bwiti gabonais pour se soigner et

pour découvrir leur « moi intérieur » à travers les visions procurées par l’iboga, la

plante utilisée dans ce rite, considéré également comme une religion. Les articles

portant sur le vaudou au Bénin et le bwiti au Gabon interrogent les liens existant entre

tourisme et religion (Vukonic 1996 ; Dallen & Olsen 2006). Contrairement à ce que

montre la plupart des études réalisées sur le sujet, ce ne sont pas les lieux saints qui

sont recherchés et visités par ces touristes. En quête de « sacré sauvage » (Bastide

1975), ils expérimentent une religion en « dansant avec les dieux » ou en absorbant une

plante locale. Ce tourisme mystico-spirituel procède d’une combinaison entre la

spiritualité new age et des rites adaptés par des intermédiaires (autochtones et français)

et se fonde au Gabon sur une vision primitiviste de la nature, des populations et de la

« tradition » africaines.

Désillusions exotiques

29 La promotion de voyages à destination du continent africain s’appuie sur des images

spécifiques, inspirées et soutenues par l’ethnologisation de certaines régions, villes,

groupes sociaux et « rites traditionnels » africains, comme le montre ce numéro à

travers le pays dogon (A. Doquet) et la ville de Tombouctou au Mali (M. Aime, S.

Dulucq), les Pygmées et le rite initiatique du bwiti au Gabon (N. Chabloz). La

contribution d’Elina Caroli, comparant la « situation ethnologique » du Salento et du

tarentisme en Italie du Sud avec celle du pays dogon montre que l’Italie du Sud est

victime des mêmes fantasmes que l’Afrique, entre esthétisation et exaltation de son

primitivisme d’une part, et lieu de tout genre de corruption, voire enfer mafieux

d’autre part. Le succès du tourisme culturel et de l’ethnotourisme reposerait en partie

sur l’urgence d’aller voir (et d’expérimenter) des traditions en voie de disparition du

fait de la mondialisation, censée engendrer l’homogénéisation des cultures. L’identité

locale est mobilisée comme ressource dans les discours des autochtones, des

promoteurs touristiques et culturels, des agences de voyages, pour s’insérer dans le

« forum international » ou « le marché mondial des identités » (Amselle 2001 : 24-25).

Les destinations africaines peu connues pour leurs « trésors ethnologiques », comme le

Sénégal, se vendent davantage grâce à la promotion de leur environnement littoral que

par le biais d’attributs « typiques » évoquant généralement la « culture africaine ». Ce

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qui n’empêche pas les stéréotypes et les stigmates tirés du passé colonial de perdurer.

L’article d’Hélène Quashie analysant les interactions quotidiennes entre des

ressortissants européens semi-résidents et expatriés et des autochtones sénégalais

montre que leurs relations sont en grande majorité d’ordre conflictuel. Ces conflits, dus

en partie à l’important différentiel socio-économique caractérisant leurs niveaux de vie

et rendant inévitables certains types d’antagonismes, proviendraient également des

représentations sociales de part et d’autre mettant en péril l’établissement d’un lien

social et d’une confiance réciproque. L’idéal de la quête de l’autre n’entre pas en

adéquation avec la conception de la rencontre selon cet autre, ni avec le contexte social

dans lequel elle s’établit. On pourrait penser que le fait de vivre de manière prolongée

dans le pays permet aux touristes semi-résidents d’entretenir une relation de qualité

avec les autochtones, mais cela ne semble pas être le cas pour les touristes étudiés par

Hélène Quashie. Il leur manque la connaissance de leur statut au sein de leur

environnement social et l’établissement d’une distinction entre le sentiment de

compassion que leur inspire les Sénégalais et la volonté de faire leur connaissance. Les

auteurs sont nombreux à souligner la désillusion des touristes comme des autochtones

à propos de la rencontre. En Gambie (A. Bellagamba), les étudiants africains-américains

partent du village de Medina en ayant la conviction qu’ils n’ont pas eu un réel accès à la

culture locale, alors que les villageois se plaignent du peu de gains matériels apportés

par ces touristes et se sentent humiliés par les « vieux vêtements » qu’ils leur ont

laissés. Mais la désillusion des touristes peut aussi concerner leur rencontre avec un

lieu qu’ils avaient imaginé autre. Marco Aime nous invite à prendre la mesure du

décalage entre la réalité de « la Tombouctou d’aujourd’hui » et la vision romantique de

cette ville développée dans les récits des explorateurs et voyageurs européens des XIXe

et XXe siècles. Ces récits qui ont façonné l’imaginaire collectif occidental en décrivant

un lieu chargé d’histoire ne correspondent pas à ce que les touristes ont effectivement

sous les yeux lorsqu’ils visitent la ville. Les touristes occidentaux déterminés par leur

perspective préconçue du patrimoine culturel seraient ainsi incapables d’apprécier la

riche histoire de Tombouctou en l’absence de monuments prestigieux. Le décalage

entre les visions fantasmées de l’Afrique de la part des touristes — qu’ils soient

européens ou afro-américains — et les réalités locales, ne doit cependant pas occulter la

complexité et la richesse de la rencontre entre touristes et populations locales de plus

en plus étudiée par les chercheurs en sciences sociales. Un point aveugle demeure

cependant dans l’étude du tourisme sur le continent. En effet, si l’image de l’Occidental,

« touriste-roi en Afrique » (Dieng & Bugnicourt 1982) tend à être remplacée par celle du

« touriste-converti à l’africanité », nous savons encore peu de choses sur les

motivations, les représentations et les mobilités de loisirs des touristes africains en

Afrique.

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NOTES

1. Le Maghreb et l’Afrique du Sud captant la moitié de ce pourcentage, la part mondiale des

touristes se rendant dans le reste de l’Afrique est infime.

2. À partir de la fin des années 1970, les chercheurs se sont en effet principalement intéressés à

l’impact socioculturel du tourisme sur les populations locales (DE KADT 1979) ou à son impact

économique, en soulignant notamment le problème de la fuite des devises dans les pays du Tiers-

Monde (coût des investissements dans les équipements touristiques et rapatriements à l’étranger

des bénéfices effectués par les entreprises étrangères participant à l’industrie touristique)

(BOUTILLIER ET AL. 1978 : 23-46). Plus de dix ans après, le géographe G. CAZES (1989a, 1989b, 1992)

réaffirmait le bilan plus que mitigé du tourisme dans certains pays d’Afrique noire francophone.

3. Voir notamment les revues AUTREPART (2006), ACTES DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES (2007),

CIVILISATIONS (2008).

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

20

4. À propos de l’acte touristique comme perspective d’autoformation par le voyage, voir

notamment BOYER (1996), BERTHO-LAVENIR (1999). Au sujet du rapport entre augmentation du

temps libre et autoformation par le loisir, voir les ouvrages de Joffre DUMAZEDIER (1972

notamment), fondateur de la sociologie des loisirs et cofondateur du mouvement d’éducation

populaire Peuple et Culture.

5. D’une façon générale, la rencontre évoque le surgissement contingent d’un événement, lui-

même constitué par le croisement de deux individus. Le terme insiste traditionnellement sur le

hasard et la contingence qui président à ces croisements. Plus précisément, dans la philosophie

contemporaine, le terme évoque à la fois la contingence du croisement des vies et l’extrême

adéquation, l’accord extrême qui se dévoilent entre les deux consciences. Celles-ci sont alors

unies par la reconnaissance et la réciprocité (glossaire non exhaustif des termes employés par le

professeur Robert Misrahi dans le cadre de ses œuvres et de son séminaire, <//diplomarc.org/

files/Glossaire %20Robert %20Misrahi.doc>).

6. Voir également sur cet ouvrage, le compte rendu de Cristina D’ALLESSANDRO SCARPARI (dans ce

numéro).

7. Comme ceux de l’écrivain Langston Hugues qui quitte les États-Unis pour l’Afrique de l’Ouest

en 1923.

AUTEURS

NADÈGE CHABLOZ

Centre d’études africaines, EHESS, Paris.

JULIEN RAOUT

Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques, Université des sciences et

technologies de Lille I, Lille.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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« Découvrir l’âme africaine ». Lestemps obscurs du tourisme culturelen Afrique coloniale française(années 1920-années 1950)"Discovering the African Soul". The Dark Ages of Cultural Tourism in French

Colonial Africa (1920s-1950s)

Sophie Dulucq

NOTE DE L'AUTEUR

« Découvrir l’âme africaine »: Cette expression éminemment datée est tirée d’une

brochure touristique du début des années 1950 : Services d’information de l’AEF, Afrique

équatoriale française (brochure éditée à l’occasion de la participation de l’AEF à la foire

exposition de Brazzaville), 1951, p. 40.

1 C’est dans les termes suivants que la Revue des voyages vante, en 1958, les charmes de

nouveaux circuits touristiques organisés en Afrique occidentale française :

« Ces croisières [...] sont conçues de telle façon qu’en peu de jours, le touriste puissevoir le maximum de choses. Non seulement, au cours du voyage, les beautésnaturelles des pays traversés sont mises à la portée du voyageur, mais aussi lefolklore indigène, les tribus les moins accessibles, les curiosités de la vie locale avec,entre autres, les marchés si pittoresques de l’Afrique noire et une faune d’unevariété sans égale qui fera le bonheur des chasseurs d’images »1.

2 Depuis plusieurs décennies, en effet, les territoires français d’Afrique subsaharienne

sont devenus des destinations sinon courantes du moins prisées par une élite de

voyageurs à la recherche de dépaysement et d’exotisme. Certaines activités touristiques

y sont repérables dès la fin du XIXe siècle — liées à l’attrait de la chasse dans les savanes

sahéliennes ou en forêt —, mais en dépit d’un intérêt sans cesse réaffirmé par les

pouvoirs coloniaux, les infrastructures indispensables au développement du tourisme

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

22

ont été lentes à se mettre en place (Marcin 2006). On discerne néanmoins les prémisses

d’un développement touristique en Afrique « noire » française à mesure que les

conditions de transport s’améliorent — routes, trains, puis avions (Haumonté 2005) —

et que divers organismes publics ou privés commencent à encadrer les touristes. Certes

le nombre des visiteurs est encore réduit au moment des indépendances, même avec les

progrès du transport aérien dans l’après- guerre qui met Dakar ou Brazzaville à

quelques heures de Paris. Mais l’activité touristique, difficile à quantifier en l’état

actuel des recherches et compte- tenu de l’imprécision structurelle des sources, ne

cesse de progresser tout au long de la période coloniale, passant de quelques centaines

de voyageurs dans les années 1920 à quelques milliers dans la décennie 1950.

3 Parallèlement à cet engouement relatif pour les voyages en Afrique, une impulsion est

donnée par l’administration coloniale avec la publication des premiers guides, comme

ceux réalisés sous l’égide du gouvernement général de I’AOF à partir des années 1920,

régulièrement réédités au cours des années 1930-1940 puis relayés par les Guides Bleus

Hachette à partir des années 19502. En mobilisant administrateurs, militaires, mais

aussi savants et érudits, les autorités n’hésitent pas à inventorier des sites, à proposer

des circuits, à dispenser des conseils pratiques aux voyageurs, à définir ce qui est

« touristiquement pertinent » (Furlough 2002), tout en vantant les mérites de l’« œuvre

coloniale ». Il faut cependant bien garder en tête que le tourisme est demeuré une

activité très marginale avant les indépendances, mobilisant souvent davantage les

talents rhétoriques des administrateurs coloniaux que le financement effectif

d’infrastructures sur le terrain.

4 Plusieurs recherches en histoire ont commencé à explorer les aspects politiques,

administratifs et économiques de l’émergence du tourisme en Afrique (Marcin 2006 ;

Dulucq 2009), ainsi que ses liens avec l’entreprise coloniale (Zytnicki & Boumeggoutti et

al. 2006 ; Zytnicki & Kazdaghli 2009), travaux auxquels le lecteur pourra se reporter, s’il

le souhaite, pour saisir les contours et les objectifs de ces pratiques soutenues par les

autorités françaises. Celles-ci voient en effet dans le développement touristique un

moyen de prodiguer aux voyageurs une « leçon de choses » impériale dans les années

1920-1930 (Furlough 2002) puis, dans les années 1950, une voie possible de

développement (Dulucq 2009).

5 En remontant à cette genèse, on découvre que des expériences précoces ont contribué à

l’« invention » d’une Afrique touristique qui s’est appuyée sur la mise en scène

d’éléments relevant de la sphère culturelle. En l’absence de sites monumentaux à

visiter, le primo-tourisme s’est bien sûr essentiellement structuré autour de la

promotion de la chasse et de la nature, sur le modèle du safari développé dans les

colonies britanniques. Mais tous les touristes de l’époque ne sont pas exclusivement

chasseurs ou amateurs de faune et de flore. Beaucoup d’entre eux sont également mus

par l’idée d’une rencontre avec l’Afrique mystérieuse et éternelle, poussés au voyage

par leur curiosité pour des mœurs et des coutumes étranges, par le pittoresque d’un

folklore indigène aux contours exotiques et par l’attirance pour un artisanat local de

plus en plus valorisé. L’offre touristique s’est adaptée à cette demande — qu’il faut

resituer dans un contexte colonial profondément marqué par des logiques

économiques, politiques et idéologiques spécifiques3 (Zytnicki & Boumeggouti 2006 :

9-10) —, tout en la renforçant selon des mécanismes déjà bien rodés en Europe

occidentale (Boyer 1996 ; Bertho-Lavenir 1999).

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

23

6 Cet article se propose d’examiner les premières formes de mise en tourisme des

cultures locales en se concentrant particulièrement sur les activités « culturelles »

proposées aux voyageurs de l’époque. Ce sera l’occasion d’inscrire le fait touristique

dans une histoire plus globale des représentations et des savoirs coloniaux et de

souligner, en s’appuyant notamment sur les travaux d’Anne Doquet (1999, 2002) et de

Gaetano Ciarcia (1998, 2003) sur le pays dogon contemporain, les relations étroites qu’a

très tôt entretenues le tourisme en Afrique avec l’ethnographie. Il s’agira également de

saisir les premiers mécanismes de folklorisation et de patrimonialisation (peut-être

même de « marchandisation » ?) des cultures locales, prodromes d’un processus qui a

atteint aujourd’hui des dimensions particulièrement spectaculaires dans certaines

zones, comme justement chez les Dogons4.

7 Des sources variées — récits de voyage individuels, guides, rapports, documents

officiels ou privés — fournissent à l’historien un matériau précieux pour étudier la

manière dont les acteurs d’une activité touristique balbutiante se sont saisis des

cultures africaines à l’époque coloniale. Mais cette documentation présente des lacunes

de taille et ne permet pas, loin s’en faut, de répondre en détail à des interrogations

parfois simples. Ainsi, la documentation officielle consultée à ce jour n’a-t-elle fourni

que des chiffres fragmentaires et généralement très approximatifs du nombre de

touristes visitant I’AOF ou I’AEF5. Identifier les promoteurs du tourisme africain n’est pas

toujours facile avant la Seconde Guerre mondiale, dans la mesure où, par exemple, les

brochures de propagande touristique émanant des services d’information fédéraux ou

territoriaux sont rarement signées — voix anonymes de l’administration. Quant aux

traces documentaires laissées par/ou à propos des acteurs africains du tourisme

(guides, danseurs, artisans, employés de l’hôtellerie, etc.), elles sont sporadiques et, là

encore, ne donnent souvent lieu qu’à des allusions rapides et factuelles, difficilement

mobilisables pour une interprétation approfondie.

8 Tout en ayant pleinement conscience des limites auxquelles se heurte l’enquête

historique, nous avons l’ambition d’explorer dans cet article une facette d’un sujet qui

n’a guère retenu jusqu’ici l’attention des historiens du fait colonial, alors même que le

tourisme constitue un point d’entrée original dans l’histoire de l’Afrique sous

domination européenne. Nombreuses sont les pistes (documentaires, interprétatives)

qui mériteront à coup sûr d’être complétées, approfondies et enrichies. Dans l’état

actuel de nos recherches, il apparaît d’ores et déjà que les adeptes du tourisme culturel

contemporain ont eu des devanciers à l’époque coloniale, avides tout autant qu’eux de

découvrir l’Afrique « authentique » et « éternelle », ce qui ne fut pas sans conséquence

sur les populations visitées.

S'intéresser « aux hommes et à la terre d'Afrique » :quand le touriste se pique d'ethnologie et d'histoire

9 C’est sous l’égide du Gouverneur général Jules Carde qu’est publié, en 1924, le Bréviaire

du tourisme en Afrique occidentale française, édité par les services du gouvernement

général et imprimé par les services centraux de I’AOF. Dans la logique des directives

données par le ministre des Colonies Albert Sarraut, au début des années 1920, Carde

s’attache à encourager l’essor des territoires de la fédération dans un contexte de

relative croissance de l’économie coloniale6, ce que fera également son successeur Jules

Brévié. Cet intérêt pour les possibilités de développement touristique dans les colonies

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

24

africaines est le fait d’un nombre relativement restreint d’individus avant la Seconde

Guerre mondiale, les initiatives relevant souvent de personnalités isolées de

l’administration coloniale, de militaires aventureux, d’amateurs de voyages sportifs,

tous promoteurs d’un tourisme d’élite. On peut évoquer quelques figures remarquables,

comme l’administrateur Jules Leprince qui repère des itinéraires et des sites potentiels

au Fouta Jallon (Guinée) dès 19107. On rencontre aussi des aristocrates et des grands

bourgeois amoureux de la chasse et du voyage d’exception — l’incontournable Émile-

Louis Bruneau de Laborie (1929, 1931)8 ou le baron Jacques de Fouchaucourt (1928,

1938) — et divers polygraphes du Parti colonial, tel Maurice Rondet-Saint (1933), un

temps directeur de la Ligue maritime et coloniale et auteur de plusieurs récits de

voyage dans l’empire français.

10 Le tourisme, s’il n’a pas de poids économique réel, est toutefois un secteur susceptible

d’attirer en Afrique des hommes d’affaires, des décideurs, des colons ou des

investisseurs potentiels. La connaissance des colonies est aussi un vecteur de l’idée

coloniale et de construction d’une identité impériale, même auprès de ceux qui ne

voyageront jamais (Furlough 2002). Il n’est donc guère étonnant de voir fleurir la

propagande touristique à partir des années 1920 — vraisemblablement

disproportionnée par rapport au nombre réel de voyageurs —, relayée en métropole

par l’Office colonial puis par l’Agence générale des Colonies9. Après 1945, la tendance se

confirme, avec un infléchissement dans les objectifs de la promotion touristique : pour

les services centraux des colonies et des fédérations comme pour le ministère de la

France d’Outre-Mer ou les directeurs d’agences spécialisées dans le tourisme outre-

mer10, c’est avant tout l’argument du développement économique qui est mis en avant

pour soutenir les efforts touristiques, dans le cadre des plans d’investissement du FIDES

(Dulucq 2009).

11 Quelles que soient les motivations finales, les guides et les brochures de propagande

touristique qui organisent et amplifient le discours officiel s’accordent sur un constat

tout au long de la période coloniale : aux chasseurs de gibier ou d’images qui se rendent

pour leurs loisirs dans les colonies s’ajoutent les vacanciers qu’attirent « les excitants

plaisirs des découvertes de terres et d’hommes primitifs »11 et, plus généralement, tous

ceux qui « s’intéressent aux hommes et à la terre d’Afrique »12. De fait, « l’étude des

races et des mœurs indigènes » est aussi l’un des « motifs qui peuvent attirer des

visiteurs dans la Colonie »13. Tout un programme s’offre au visiteur que la découverte

culturelle intéresse, promu d’office au rang d’ethnographe amateur :

« Le touriste que retient particulièrement l’homme, ses mœurs, ses travaux, sesœuvres d’art n’a, lui aussi, que l’embarras du choix dans l’immense variété dupeuplement du centre africain français. À travers les tam-tam et les cérémoniesfétichistes du Sud, les fantasia et les rituels musulmans du Nord, il pourra chercherà découvrir l’âme africaine si mystérieuse et si attachante. Il s’attachera auxdifférents arts locaux : sculptures, poteries, peintures murales ; il s’intéressera à lamusique centrafricaine dont l’étude vient juste de commencer, mais laisse déjàentrevoir tout un monde de rythmes, de tons et de cadences, pleins d’attraits pourle chercheur soucieux de remonter aux sources de l’expression musicaleprimitive »14.

12 Il est remarquable de voir comment l’ensemble des promoteurs du tourisme place le

voyage en Afrique sous les auspices de la jeune science ethnographique ; ces savoirs

récents viennent pimenter le simple plaisir du dépaysement et légitimer la démarche

des voyageurs. Le touriste, du haut de sa supériorité d’Européen, est convié non pas à

simplement rencontrer des populations, mais à les étudier avec toute la distance

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

25

requise. Comme le précise une brochure de 1931 : « Pour avoir, au point de vue du

pittoresque, une réputation moins brillante que [la Guinée], la Côte-d’Ivoire offre

cependant aux amateurs de pittoresque et d’études ethnographiques de nombreuses

attractions et d’intéressants objets d’étude »15. Le touriste est ainsi invité à s’inscrire

dans la démarche de connaissance des populations colonisées, ce qui était au cœur de

l’émergence des savoirs coloniaux depuis le XIXe siècle (Cahiers Jussieu 1976 ; Nordman

& Raison 1980) et plus spécifiquement de l’africanisme (Sibeud 2002). On conseille

parfois aux voyageurs, en plus des cartes, du matériel de chasse, de camping et de

photographie, de se munir de « quelques-uns des ouvrages qui ont été publiés sur

l’histoire, l’ethnographie, les coutumes du pays, la faune, la flore, la documentation

économique, etc. »16.

13 Les guides touristiques puisent directement dans les travaux ethnohistoriques de

Maurice Delafosse ou de Georges Hardy, compilant et vulgarisant un certain nombre de

connaissances sur le passé africain, évoquant pêle-mêle les anciens empires soudanais

et les guerres de conquête du XIXe siècle. Les travaux des savants coloniaux —

historiens, ethnologues, archéologues, linguistes — sont une source importante où

s’alimentent les auteurs souvent anonymes des ouvrages touristiques des années

1920-1930.

14 La constitution d’un patrimoine touristique a en effet besoin de connaissances validées

et d’un discours d’autorité : il a déjà été fait allusion à l’utilisation massive de Maurice

Delafosse dont le classique, Haut-Sénégal-Niger (1912), sert de référence à toutes les

mises au point historiques destinées aux voyageurs curieux dès les premières

brochures de l’Entre-deux-guerres.

15 Des contacts fructueux sont même noués dans les années 1930 par les services des

gouvernements généraux des colonies avec des institutions savantes métropolitaines,

comme l’attestent les courriers échangés par Henri-Georges Rivière, alors directeur du

Musée de l’Homme (Byrne 2001) : « En retour de l’aide offerte par l’administration

coloniale [aux missions ethnographiques en AOF], le musée exposa et diffusa des

prospectus touristiques pour les colonies. Les missions de Griaule, en particulier,

suscitèrent beaucoup d’intérêt public, ce qui créa de la publicité pour les colonies »17.

Au Soudan français, on a d’ailleurs largement recours aux recherches assez largement

médiatisées de Marcel Griaule et de ses élèves, au détour d’exposés ethno-touristiques

sur la cosmogonie dogon18.

16 La vulgarisation scientifique à la sauce touristique s’amplifie après 1945, d’autant plus

que des institutions pérennes de recherche scientifique se sont installées en AOF sous

l’égide de l’Institut français d’Afrique noire de Dakar. Ainsi, les multiples co-auteurs du

premier Guide Bleu de I’AOF en 1958 sont, pour la plupart, des scientifiques reconnus,

chercheurs à I’IFAN. On trouve parmi les contributeurs Théodore Monod, zoologue,

botaniste et directeur de I’IFAN ; Bohumil Holas, chef de la section ethnographie-

sociologie ; Raymond Mauny, chef de la section archéologie-préhistoire ; Gérard

Brasseur, géographe et directeur du Centre IFAN de Bamako, etc. (Houlet 1958).

17 Cette mobilisation des spécialistes de sciences humaines et sociales est d’ailleurs un

classique, que ce soit en métropole — les recherches des érudits locaux y interviennent

également dans la construction des discours touristiques — ou dans les territoires

colonisés où ce discours appartient aux seuls savants européens (Zytnicki &

Boumeggouti et al. 2006 : 12-13). Dès lors, il n’est pas difficile d’imaginer qu’hier comme

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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aujourd’hui, les touristes sont « guidés par le besoin de confirmer leurs connaissances

livresques », qu’ils aient lu Griaule, Delafosse ou quelque roman colonial teinté

d’ethnographie. C’est là que réside l’essence même de la pratique touristique : aller

reconnaître plutôt que découvrir (Doquet 1999 : 250), contrairement au discours que

tiennent sur eux-mêmes les acteurs du secteur, qui se voient plutôt comme des

explorateurs des temps modernes. Cette vulgarisation ethnico- historique constitue

moins un outil de découverte ou de connaissance approfondie qu’un instrument de

légitimation de l’entreprise touristique qui s’installe résolument au carrefour du

divertissant et de l’instructif.

18 On a mis en évidence les mêmes processus dans les guides de voyages en Europe — des

guides Baedeker aux Guides Joanne, en passant par les Guides Bleus Hachette — qui, dès le

XIXe siècle, situent l’acte touristique dans une perspective d’autoformation par le

voyage (Boyer 1996 ; Bertho- Lavenir 1999). En cela, les bréviaires touristiques publiés

en AOF et en AEF sont le prolongement direct des guides métropolitains, comme l’étaient

déjà les premiers ouvrages touristiques sur le Maghreb à la fin du XIXe siècle (Zytnicki

2006 : 90-92). L’entrée de l’Afrique de l’Ouest dans la célèbre collection des Guides Bleus

(Houlet 1958) à la fin de la période coloniale confirme une forme de « normalisation »

du tourisme subsaharien, qui fait largement appel aux connaissances savantes de

l’époque, vulgarisées au profit d’un lectorat familier de la structure des guides de

voyage. C’est aussi une reconnaissance des frontières élargies de la Plus grande France.

19 Les guides ne se contentent pas de vulgariser les savoirs ethnographiques de l’époque.

Ils égrènent aussi les clichés habituels sur la « mentalité » des indigènes (bonhomie,

nonchalance, fatalisme, paresse, etc.). On y classifie les peuples selon la terminologie

psychologisante de l’époque, comme cela est d’ailleurs pratiqué dans les classifications

des populations européennes, proposée par la littérature touristique :

« Au nord-est de la colonie (de Côte-d’Ivoire), le voyageur visitera, non sans plaisir,Bondoukou, une des plus vieilles villes de l’AOF, habitée par des Mandésmusulmans, aux cases en pisé, qui forment un îlot au milieu des Abrous animistes.Ces Mandés venus du pays ashanti à la fin du seizième siècle, ont asservi lesautochtones, les Koulangos, peuple le plus doux et le plus paisible qu’il soit possiblede rencontrer »19.

20 Certaines considérations amènent aussi à évoquer, çà ou là, le corps des Africains,

agrément pour l’œil du touriste en mal d’émotions qui, de Paul Morand à Jean-Richard

Bloch (1929)20 en passant par Gide, évoque les silhouettes sculpturales des « indigènes ».

Pour attirer le voyageur à Odienné, on précise volontiers que la ville est « célèbre pour

la beauté des femmes, croisements de nègres et de peulhs, aux traits fins et réguliers,

aux corps sveltes et élégants [...] »21.

21 Dans un registre différent, le voyage en Afrique est parfois présenté comme une forme

de voyage dans le temps, qu’il s’agisse de remonter aux sources antiques22 ou vers

l’aube de l’humanité. Comme le proclame une brochure en trois langues (français,

anglais, allemand) de 1958 vantant les charmes de I’AEF : « Le voyageur y découvrira des

types physiques remarquables, des coutumes et des modes de vie inchangés depuis des

millénaires côtoyant les aspects de la vie la plus moderne »23.

22 Certes « les hommes plus que les sites constituent l’attrait principal du tourisme

africain »24. Mais la visite de monuments fait si intrinsèquement partie des pratiques

occidentales, en métropole (Boyer 1996 ; Bertho-Lavenir 1999) comme dans les colonies

nord-africaines (Zytnicki & Boumeggouti et al. 2006), que les promoteurs du tourisme

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

27

aofien et aefien partent eux aussi à la recherche de lieux valorisables. Bien souvent,

d’ailleurs, en l’absence de grands vestiges du passé, c’est vers les réalisations coloniales

que sont aiguillés les touristes, incités à visiter le quartier européen d’une ville ou, sur

telle ou telle rivière de l’Oubangui-Chari, à aller admirer un « pont splendide ». Quoi

qu’il en soit, plusieurs monuments sont mis en avant selon des modèles discursifs

éprouvés par nos rédacteurs anonymes. À Djenné, c’est bien sûr la grande mosquée qui

constitue un site touristique majeur, avec la vieille ville. À Gao, la visite s’impose au

tombeau de l’Askia Mohammed, « grande pyramide de briques sèches, hérissée de

poutres, témoignage du puissant État Sonrhaï disparu, qui subsista du VIIe au XVI e

siècle et dont les fondateurs auraient été des chrétiens convertis vers l’an mil à

l’Islam »25. À Tombouctou, il faut absolument aller voir la maison de Caillié et la

mosquée Sankoré. Près de Bandiagara, il ne faut pas manquer l’excursion aux grottes de

Deguembéré où périt El Hadj Omar Tall.

23 Les premiers guides des années 1920 —jusqu’au Guide Bleu de 1958 — exaltent avec

lyrisme les gloires d’antan, et ce d’autant plus volontiers que les vestiges du passé ne

sont pas toujours très spectaculaires :

« Que de souvenirs évoquent, chez le voyageur, le seul nom de Soudan ! C’est, auMoyen-Âge, le tumulte des empires de Gao et de Mali ; Songhrais et Mandés,affaiblis par leurs conquêtes, détruits par les guerres ; c’est la venue à Tombouctoude la petite armée marocaine dont les mousquetaires eurent raison des royaumesaffaiblis. [...] Dans la région de Gao et de Tombouctou, le touriste visitera avecémotion les villes autrefois si puissantes, tombées avant notre occupation sous lejoug des peuples voilés du Sahara, autrefois pillards du désert et qui sont devenus,sans l’organisation de la défense saharienne, nos utiles auxiliaires ; [...] encontinuant vers le sud [...] il séjournera à Sikasso qui résista à Samory et futinutilement assiégée par ce conquérant »26.

24 La mise en tourisme, qui passe immanquablement par l’« invention » de sites (Bertho-

Lavenir 1999 ; Zytnicki 2006 : 87-88), se fait parfois au risque de la déconvenue. C’est le

cas à Tombouctou, dont les touristes ont peut- être trop rêvé. On l’a dit, les touristes

vont souvent vérifier sur place ce qu’ils ont lu, et ressentir l’impression à laquelle ils se

sont préparés (Doquet 1999 : 251). Le désappointement est palpable chez Paul Morand

(1928 : 52) qui parle de Tombouctou comme d’un « gros village nègre », frustrant sur le

plan touristique — beaucoup ont d’ailleurs cherché à le dissuader d’y faire étape — et

où tout tombe en ruine. Même déception chez le baron de Foucaucourt qui s’exprime

dans un récit publié la même année que celui de Morand : « La déchéance de la grande

métropole africaine s’est depuis [l’époque de Caillié] poursuivie, et le touriste en

revient généralement déçu », n’ayant à visiter que des « cases médiocres » et les

modestes hébergements de Réné Caillié lui-même, de Heinrich Barth et de Gordon

Laing. En dehors de « quelques magasins assez riches en objets indigènes »,

Tombouctou « ne mérite guère qu’une visite d’une journée [...] » (de Foucaucourt 1928 :

107-108)27.

25 Il faut dire que la ville des portes du désert était devenue, dans le contexte des

explorations systématiques au début du XIXe siècle, un véritable « mythe

géographique », un « lieu de condensation » de l’imaginaire européen, la « synecdoque

d’une Afrique à explorer » (Surun 2002 : 131-132). Au moment de son « dévoilement »,

Tombouctou ne peut que désappointer les voyageurs européens, à l’instar de ses

premiers visiteurs du siècle précédent : « Tout se passe comme si le voyageur, qui

arrive porteur d’une certaine représentation de Tombouctou, se trouvait dépourvu

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

28

d’image parce que l’objet qu’il a soudain sous les yeux ne peut être saisi à travers cette

représentation » (ibid. : 143).

26 Le mythe a la vie dure28, de même que la déception sans cesse réitérée. Il semblerait que

« personne n’[a] rien appris sur Tombouctou entre-temps », qu’« aucun voyageur ne

prend en compte la déception de ses prédécesseurs » : la représentation mythique est

« décidément indétrônable » (ibid. : 143). Des premiers explorateurs du XIXe siècle aux

premiers touristes du XXe, le mécanisme est rigoureusement similaire : il convient

d’aller éprouver soi- même la force du mythe, et d’expérimenter en personne le

désappointement...

Une mise en scène folklorisée des cultures locales

27 Les guides et les brochures ne se contentent pas de produire des discours. Ils invitent

aussi les lecteurs à se lancer dans des activités concrètes, à développer des pratiques

touristiques. On engage le touriste à assister à des fêtes — les fameux « tam-tam »

systématiquement évoqués —, à acheter des souvenirs artisanaux, parfois à rencontrer

des notables « indigènes ». Il s’agit partout d’accéder à une Afrique à la fois authentique

et, par-dessus tout, la plus traditionnelle possible.

28 Dès les années 1920, les récits des voyageurs ne sont pas en reste, et vantent le charme

bigarré de la vie locale. Paul Morand (1928 : 74), traversant l’AOF en 1928, considère la

visite du marché de Danané, en Côte-d’Ivoire, comme « l’un des plus émouvants

spectacles de [s]on séjour ». En 1955 encore, sous la plume du directeur général de

l’Agence nationale pour le Développement du Tourisme Outre-Mer, le pittoresque des

marchés demeure la première curiosité proposée aux potentiels voyageurs :

« Comme dans tout centre africain, on ne saurait quitter Dakar sans aller faire untour au marché, le marché de Sandaga qui offre le spectacle haut en couleurs d’unefoule grouillante, faite de races multiples, vêtue de teintes très vives. Pourl’Européen arrivant en Afrique, les scènes de marché sont parmi les plus appréciéesdes amateurs d’exotisme. Sans doute parce qu’elles permettent de prendreimmédiatement contact avec la vie locale et de saisir sur le vif des manifestationsspontanées de populations pas toujours faciles à pénétrer »29.

29 Un autre spectacle prisé est celui du « tam-tam », terme générique qui désigne des

réalités variées : cérémonies impliquant chants et danses, spectacles organisés par les

autorités locales dans les années 1920-1930, spectacles en cours de folklorisation

comme les danses masquées dogon (Doquet 1999 : 259) ou spectacles intégralement

commerciaux, assurés par des professionnels à partir des années 1950. Dans la partie de

son récit intitulé « Conseils pratiques », Paul Morand donne un certain nombre

d’indications aux aspirants au voyage dans la boucle du Niger : s’ils veulent voir des

danses, des cérémonies et des festivités en tout genre, il leur faut télégraphier à

l’avance chez les administrateurs de cercle, « au premier interprète ou à l’écrivain ».

C’est justement parce qu’il n’a pas prévenu suffisamment tôt les autorités qu’il n’a pas

pu assister, à Banfora, au « fameux tam-tam coït » (sic) (Morand 1928 : 55). En pays

dogon, dans les années 1950, on conseille d’assister, à Sangha comme à Bandiagara, à la

danse des masques, dans une région qui « par ses sites comme par son folklore, peut

être rangée parmi les plus touristiques de l’Afrique occidentale »30.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

29

30 La danse est parfois une activité pratiquée par des professionnels, comme en atteste cet

exemple des années 1930, sans que l’on sache très bien si la professionnalisation est

directement liée à la présence de touristes :

« [...] Touba (en Côte-d’Ivoire), au milieu d’un paysage gracieux, est renommé pourses “tam-tam” variés, ses danseurs géants costumés montés sur des échassescachées sous d’amples pantalons ; [...] au nord d’Odienné, existe un corps dedanseurs et FN31 FN 32 de danseuses professionnels, composé de jeunes indigènesentraînés dès l’enfance, dont les danses mimées, les ballets, aux sons de nombreuxinstruments, sont des plus gracieux »33.

31 Vers 1955, on repère au hasard des sources consultées la mention de quelques

spectacles visiblement organisés en marge de certains équipements touristiques, sans

que l’on puisse clairement identifier les acteurs de ces attractions. Tout au plus, dans la

bourgade de Man (Côte-d’Ivoire) où a été installé un « campement-restaurant », note-t-

on la tenue de « danses pratiquées par des danseurs fétichistes masqués »34, sans qu’il

soit possible de savoir si ces danses sont déjà le fait d’individus salariés. Ailleurs, le

touriste est invité à faire coïncider sa visite avec les fêtes locales plus spontanées,

comme chez les Bororos de Bouar, sur l’itinéraire conseillé entre Bangui et Brazzaville :

« Le touriste aimera assister à une de leurs fêtes coutumières, telle la fameuse fêtedu Mouton, qui rassemble fréquemment plus de 2 000 personnes ; les dansesmartiales suivent les prières ; ce ne sont que bruits de tam-tam et de trompettes ;au milieu de tout cela, on admire les chefs en grand costume, montés sur leurschevaux richement caparaçonnés ; enfin, après le sacrifice de quelques moutons etbœufs, un immense festin groupe les participants, qui, au son des musiquesguerrières, s’égaient longuement près des cases »35.

32 Selon Anne Doquet (1999 : 259), il est difficile « de reconstruire l’évolution de ces

danses qui n’ont pratiquement jamais intéressé les ethnologues », compte tenu de la

rareté des écrits consacrés à leurs formes folkloriques. Cette ethnologue signale

cependant que « durant les années de la colonisation, des sorties occasionnelles étaient

imposées par l’administration coloniale pour honorer la visite d’un personnage

important » ; mais, « c’est dans les années cinquante qu’elles ont pris une tournure plus

régulière et qu’un salaire a été fixé pour chaque participant », avant une complète

professionnalisation de certains jeunes danseurs dogon, intégrés dans la troupe de

folklore national malien après l’indépendance. Les chercheurs ont par ailleurs mis en

évidence pour la période plus récente des années 1980-2000 des processus de

transformation et de standardisation des danses masquées dogon (ibid. : 260), au cours

desquelles les protagonistes doivent exhiber l’« authenticité » de la manifestation36.

C’est ce que déplore déjà l’ethnologue Bohumil Holas (cité dans Houlet 1958 : CXLIX),

lorsqu’il déclare que les danses masquées, à l’origine de caractère hiératique, sont

devenues « grâce à leur popularité bibliographique, une attraction touristique banale ».

33 Les « chefs indigènes » constituent eux aussi une quasi-attraction touristique pour les

premiers voyageurs des années 1920-1930 (Marcin 2006 : 21). Plusieurs globe-trotters

rendent ainsi visite à des dignitaires, comme en attestent les témoignages de Émile-

Louis Bruneau de Laborie (1931), de André Gide (1927) (qui, lors de son fameux voyage

d’investigation au Congo, a aussi des activités de nature pleinement touristique) ou de

Marcel Sauvage (1937). Ce dernier rencontre plusieurs chefs au Cameroun, notamment

Hamaloukou, sultan de Tibati, et Hayatou, sultan de Garoua. Il a droit à une parade de

guerriers en cotte de maille, organisée à son seul bénéfice (Marcin 2006 : 21). Certains

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

30

chefs se plient d’assez mauvaise grâce à des visites visiblement imposées par

l’Administration (ibid. : 209).

34 Mais, de façon générale, soit sous la contrainte des autorités soit en vertu d’un intérêt

bien compris, on peut imaginer que certains individus parmi les populations visitées,

ont directement contribué à mettre en scène, selon les desiderata des étrangers, telle ou

telle cérémonie, se faisant « les garants de l’image à présenter » (Doquet 1999 : 255) et

participant à une invention touristique de la tradition. À l’exemple des informateurs et

des premiers guides de la région de Sangha, certains membres des communautés

villageoises attractives ont su précocement identifier, capter et canaliser les attentes

des Occidentaux — tant auprès des ethnographes que des touristes attirés par les écrits

ethnographiques. Ainsi, « le succès durable de la société dogon [en tant qu’attraction

touristique] suppose la coïncidence entre l’objet de la quête des visiteurs et ce qu’ils

croient constater au cours de leur pérégrination : les Dogon se montrent bien dogon »

(Doquet 2002 : 2), ce qui suppose la participation active de quelques-uns à la mise en

scène touristique. Les sources de l’époque coloniale sont malheureusement muettes sur

cette co-création de l’espace et des pratiques touristiques par les Africains, telle que

peut l’étudier aujourd’hui l’ethnologue — co-création qui implique à la fois des formes

de duplicité (pour « berner » le tourisme crédule et lui donner à voir ce qu’il attend),

mais aussi des formes complexes de réappropriation d’une vision occidentale de la

« tradition » (ibid. : 9-10).

Artisanat, patrimonialisation, muséification

35 Le développement du tourisme en Afrique subsaharienne a eu, on s’en doute, de

multiples retombées sur les économies locales. Certes, la fréquentation des circuits

touristiques de I’AOF et de I’AEF n’atteint pas, loin s’en faut, celle de régions plus

précocement et plus massivement fréquentées comme les territoires britanniques ; son

impact est bien moindre qu’en Rhodésie (McGregor 2003), en Union sud-africaine ou au

Kenya, territoires où se développe notamment un tourisme pratiqué par la minorité

blanche locale. Mais, dans les colonies françaises comme ailleurs, il faut nourrir les

voyageurs, les loger, les guider, les transporter, les distraire. Le touriste du XXe siècle

n’est plus un voyageur au sens ancien du terme, mais un consommateur de sites, de

monuments, de spectacles — au bénéfice de qui une partie de ces activités est produite,

programmée, encadrée par des acteurs en voie de professionnalisation.

36 C’est aussi un grand consommateur d’objets, ces fétiches indispensables à l’étranger de

passage. Cet article ne se propose pas d’explorer la variété des retombées économiques

de l’activité touristique en Afrique française, mais de se concentrer sur quelques

domaines en rapport direct avec la thématique de la mise en tourisme des cultures. Le

secteur de l’artisanat en fait partie au premier chef. L’intérêt pour les « industries

indigènes » est en effet un leitmotiv des guides de voyages et l’on sait bien que, dès le

XIXe siècle, les touristes n’ont de cesse de ramener un souvenir de leurs vacances,

preuve matérielle autant que symbolique du statut que confère le voyage d’agrément

dans une société où le commun des mortels se déplace encore rarement pour son

simple plaisir (Bertho-Lavenir 1999).

37 Les guides consacrent de longs passages à répertorier la variété de ce que le voyageur

peut rapporter dans son bagage, preuve s’il en était besoin de la nécessité pour le

touriste d’acheter des objets d’artisanat. Ainsi, « les bijoutiers indigènes du Sénégal

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

31

sont habiles à fabriquer des bijoux en filigrane d’or, des bagues, colliers, bracelets

habilement travaillés. Les Maures du fleuve ont des poignards au manche d’ébène et au

fourreau d’argent, gravés et incrustés, ainsi que des colliers du même travail », tandis

que « les touristes pourront se procurer, en Côte-d’Ivoire, des spécimens intéressants

de l’art nègre : statuettes aux formes les plus diverses, sièges d’apparat finement

sculptés, masques aux formes humaines ou bestiales, cannes curieusement travaillées,

poteries portant en relief des images d’animaux, etc. »37. Au Dahomey, « les amateurs de

souvenirs historiques trouveront à Abomey de nombreux vestiges et souvenirs des

anciens rois de ce pays ; partout, les touristes rencontreront de nombreux articles de

l’art local : masques, sièges, armes et, notamment, de curieuses reproductions en cuivre

d’hommes et d’animaux ». Sur les marchés de Haute-Volta, « on pourra se procurer ces

étranges masques indigènes, ornés de longues fibres végétales qui cachent entièrement

le danseur, ainsi que des instruments de musique les plus divers (balafons, guitares,

etc.) » ; quant à la Mission des Pères Blancs de Ouagadougou, elle « fabrique des tapis de

haute laine qui peuvent rivaliser avec ceux du Maroc »38. À Djenné, on trouve dans les

années 1950 « des bijoux d’or, d’argent, de cuivre, des armes, des coussins de cuir, de

beaux tapis aux coloris éclatants et aux dessins originaux, des broderies et des poteries

intéressantes »39. Mais l’artisanat est parfois moins élaboré, ce que ne manquent pas de

déplorer les rédacteurs de brochures : « Les articles en vannerie et les cuirs travaillés

sont à peu près les seuls objets qu’un touriste puisse emporter comme souvenirs de la

Guinée »40.

38 Les artisans locaux commencent visiblement à sculpter des objets spécialement

destinés aux voyageurs. Certaines productions semblent déjà se standardiser et

s’orienter vers le goût des touristes. C’est ce que déplore Bohumil Holas, chef de la

section d’ethnologie-sociologie de I’IFAN, à propos des statuettes en fonte à cire perdue

des Fon du Dahomey :

« C’est de là que nous proviennent, après avoir parcouru tous les ports et tous lesmarchés de l’AOF dans les sacs des Haoussas et des Dioulas (commerçantsambulants) et dans les valises des touristes blancs, des milliers de ces statuetteseffilées, en bronze jaune, qui semblent douées de mouvement. [...] ces figurines —fabriquées toujours en séries suivant les mêmes modèles — perdent beaucoup deleur charme ; ravalées au rang d’objets banals d’exportation, de simples bibelotssouvenirs de voyage, elles satisfont davantage le touriste que le vrai connaisseurd’art africain » (Holas cité dans Houlet 1958 : CLXIII).

39 Le masque en bois — dont on sait qu’il a joué un rôle important dans l’émergence de

l’art d’avant-garde du début du XXe siècle — est également un objet prisé par le

voyageur étranger, auréolé tout à la fois de sa dimension artistique, ethnographique et

touristique, facile à transporter, mais aussi facile à fabriquer en série. Le Guide Bleu de

1958 atteste d’ailleurs une forme d’adaptation cocasse à la loi du marché : en plein pays

lobi, s’est développé depuis plusieurs années un artisanat d’inspiration baoulé, sous

l’impulsion d’un commandant de cercle, car les masques baoulé se vendent mieux aux

touristes de passage que les productions artisanales locales41. L’initiative semble isolée

et suffisamment exceptionnelle pour être mise en avant par le guide ; pour autant,

cette anecdote suggère des formes précoces d’homogénéisation culturelle, de

désacralisation des objets et de folklorisation de la culture sous l’impact de la demande

européenne.

40 Certaines formes de la modernité africaine peuvent néanmoins être données à voir aux

touristes, dans la mesure où elles attestent le succès généralisé de la « mission

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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civilisatrice ». Au Congo, l’émergence de nouvelles activités artistiques développées

dans le cadre du Centre d’art africain dirigé par M. Lods, est signalée et les visiteurs les

plus curieux sont invités à y découvrir les productions : « [que le touriste] n’oublie pas

de visiter [...] l’atelier de peinture d’où sont sortis des artistes africains d’un réel

talent »42. Les ateliers artisanaux soutenus par les missionnaires sont également

indiqués de façon systématique. Ailleurs, ce sont les écoles d’artisanat qui sont créées

et soutenues par les autorités coloniales.

41 Bien sûr, leur vocation première n’est pas de fournir en objets « typiques » le marché

étroit des touristes, mais de développer ou de sauvegarder des savoir-faire locaux, tout

en contribuant à la formation professionnelle des jeunes. Mais, dans le domaine de

l’artisanat d’art, les liens avec l’activité touristique ne sont pas inexistants dans la

mesure où les guides et les brochures incitent systématiquement leurs lecteurs à aller

acheter des objets auprès des créateurs formés dans ces centres, de l’ouvroir des Sœurs

blanches de Ouagadougou ouvert en 1917, à la Maison des Artisans fondée à Bamako en

1932. Dans la première moitié du XXe siècle, « l’ouvroir des tapis [...] était alors la

grande attraction de la capitale de la Haute-Volta, et faisait obligatoirement partie de la

visite de la ville » pour les personnalités de passage comme pour les visiteurs étrangers

(Bobin 2003 : 263). Quant au centre de Bamako — qui forme pendant trois ans des élèves

bijoutiers, cordonniers, maroquiniers, forgerons, tisserands, relieurs, sculpteurs —, il

garantit une formation artistique « conforme à la tradition, avec l’emploi des

techniques du pays et de la décoration locale » (Holas cité dans Houlet 1958 : 187).

42 Des travaux plus approfondis devraient permettre de mieux connaître ce volet de la

politique coloniale de formation professionnelle en Afrique subsaharienne et de voir

dans quelle mesure elle peut être rapprochée de la politique volontariste menée par

Lyautey43 au Maroc (Dulucq & Zytnicki 2007 : 14).

43 L’essor de l’artisanat d’art dans les territoires dominés va de pair avec un phénomène

croissant de patrimonialisation des cultures indigènes, soutenues d’abord par les

autorités coloniales (Oulebsir 2004 ; Dulucq & Zytnicki 2007 : 9-19) puis réappropriées

par les Africains eux-mêmes. C’est ce que montre Gaetano Ciarcia (2003 : 138-139) à

propos de la culture dogon : les Dogons, et les Maliens en général, ont transformé le

mythe ethnographique griaulien en « ressource naturelle » et en « patrimoine », au gré

d’une gestion « anthropologico-touristique de la région ». D’où la continuité probable,

des temps coloniaux au tourisme contemporain, d’une valorisation, d’un inventaire et

d’une promotion de la « tradition » africaine qui n’excluent pas le phénomène

d’invention de cette même « tradition » (Ciarcia 2001b). Dans un tel processus, les

populations sont parfois amenées à « cohabiter avec [leur] propre fiction » (Ciarcia

2003 : 195), dans une économie générale de l’exotisme.

44 L’émergence d’un patrimoine africain inventorié, collectionné, étudié, éventuellement

sauvegardé et mis en musées, est l’un des aspects culturels que les guides de l’époque

coloniale promeuvent dès qu’ils en ont la possibilité. Ils conseillent par exemple

d’inclure la visite des quelques musées existant dans les capitales où collections

ethnographiques, historiques et artistiques, constituent des vitrines valorisantes des

colonisés comme des colonisateurs (Adedze 1997). Ainsi, « lorsqu’on passe à Dakar, une

visite à Gorée s’impose. [...] À Gorée a été inauguré le 4 juin dernier (1955) un Musée

Historique de I’AOF. Les salles sont installées pour évoquer [sa] longue histoire, souvent

obscure [...] »42. Le musée a été installé « après une patiente restauration de l’ancienne

demeure “bourgeoise” de Gorée qui l’abrite »43 — indice supplémentaire du souci de

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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préservation du patrimoine bâti. Les institutions muséales ont en effet un rôle non

négligeable dans les politiques culturelles coloniales, en métropole comme dans les

territoires dominés, proclamant le rôle bénéfique des colonisateurs, seuls gardiens

légitimes des patrimoines autochtones (Oulebsir 2004 ; Dulucq & Zytnicki 2007). Si les

musées sont moins nombreux et bien moins dotés en AOF et en AEF qu’en Indochine ou

qu’au Maghreb, leur développement dans les années 1950 s’inscrit dans une mise en

scène de l’Afrique qui est aussi celle de la France comme puissance tutélaire et

protectrice des cultures locales : les touristes sont incités à venir y admirer à la fois les

objets et ceux qui les conservent.

45 On le voit, dès le début du XXe siècle, les promoteurs du tourisme en Afrique coloniale

française se sont appuyé sur une gamme d’arguments variés pour tenter d’attirer des

visiteurs encore peu nombreux. Si les touristes européens ou américains qui se rendent

en Afrique rêvent d’abord de chasse et de pêche sportive, de grands espaces

dépaysants, la valorisation d’éléments d’ordre culturel a fait partie dès l’origine de la

mise en tourisme.

46 Or, reconnaître plutôt que découvrir, prendre la mise en scène de la culture pour la

culture elle-même, telle a souvent été la seule attente des touristes. Cet état d’esprit

« émousse forcément la curiosité et limite l’intérêt des étrangers pour la réalité »

(Doquet 1999 : 250). On ne s’étonne guère de voir les voyageurs des années 1920-1950

venir chercher en Afrique coloniale la confirmation de ce qu’ils croient déjà savoir sur

la culture et sur l’« âme africaine » : ésotérisme des croyances animistes, hiératisme des

danses ancestrales, pittoresque des marchés, beauté des productions artisanales

« traditionnelles ».

47 Ces attentes encouragent la naissance de pratiques touristiques relativement bien

circonscrites qui visent à exhiber les signes tangibles de la « tradition » et de

l’« authenticité » des cultures africaines. Cérémonies rituelles calibrées et art nègre

convenu sont donc au rendez-vous, dans un processus de folklorisation et de

standardisation où les autorités coloniales comme les acteurs africains sont partie

prenante, mais échappent sans doute en partie aux visiteurs. L’expérience coloniale

n’est certes pas l’unique matrice de la mise en tourisme stéréotypée des cultures

africaines contemporaines, mais certains mécanismes y sont déjà repérables. Ils

renvoient tout autant à la nature de l’activité touristique en général (mise en scène des

identités, invention de sites, création d’objets et d’images « souvenirs », etc.) qu’à des

processus plus insidieux, liés à la domination impériale elle-même et au sentiment de

supériorité qui en découlait. Découvrir l’« âme africaine », c’est aussi aller constater de

visu le fossé séparant l’Européen de l’Africain, le colonisateur du colonisé, dans la mise

en spectacle de ce dernier.

48 Le primo-tourisme culturel de l’époque coloniale a indubitablement concouru, comme

l’ont montré Anne Doquet et Gaetano Ciarcia pour une période plus récente, à

enclencher des phénomènes d’« ethnologisation » d’un groupe particulièrement visité.

Les savoirs coloniaux ont en effet participé au devenir touristique de certains lieux, —

de Tombouctou à Sangha —, de certains groupes — des Touaregs aux Dogons. Dans le

cas de ces derniers, on peut même parler de « cadeaux mythologiques » fort bienvenus

légués par les colonisateurs. L’État malien aurait ainsi hérité d’« une matrice

scientifico-coloniale instrumentalisée pour valoriser la culture locale » (Ciarcia 2003 :

139), au gré d’un développement rapide du tourisme à partir des années 1970-1980.

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34

49 Tout cela n’a pas été sans conséquences sur les cultures des populations ainsi « mises

en tourisme ». On peut inférer du cas dogon l’existence de réappropriations, au moins

partielles, par certains acteurs « indigènes », de la vision projetée sur eux, dans la

mesure où il allait de l’intérêt économique de ces populations de séduire les touristes.

Cette évolution sous l’œil fasciné des étrangers a ainsi pu contribuer à encourager des

mutations culturelles importantes : fixation de styles à succès (artistiques,

cérémoniels), repli éventuel sur un éventail restreint de manifestations

« spectaculaires », patrimo- nialisation de la « tradition », etc.

50 Pour autant, l’historien a, bien moins que l’ethnologue — qui bénéficie d’un accès direct

à ses informateurs —, la possibilité de valider ces intuitions. Les sources coloniales ne

lui donnent guère accès à cette dimension passionnante du phénomène touristique

vécu par les populations concernées, le cantonnant dans une position d’extériorité

comparable peut-être à celle d’un touriste en pays étranger...

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des années 1950 et s’inspire partiellement de ces guides antérieurs publiés par les autorités

aofiennes.

3. Il ne s’agit pas de considérer, de façon simpliste, que les pratiques touristiques actuelles sont

directement héritées des expériences de l’époque coloniale. Ce serait tomber dans le cliché

réducteur assimilant tourisme et (néo-)colonialisme. Pour autant, il paraît légitime et éclairant

de réinscrire les usages du tourisme contemporain en Afrique dans la longue durée.

4. Il convient d’avoir pleinement conscience des biais qu’induit l’utilisation, dans une recherche

historique, d’enquêtes ethnologiques récentes. Le risque principal est évidemment de plaquer les

analyses contemporaines sur le passé, sans possibilité d’étayer et de documenter solidement le

propos. Alors que l’ethnologue peut solliciter directement les acteurs du tourisme en pays dogon

et construire son objet scientifique en interaction avec eux, l’historien se trouve démuni : les

sources coloniales des années 1930-1950 n’envisagent pratiquement pas le rôle des Dogons dans

la mise en tourisme de leur patrimoine, pas plus que leur éventuelle perception de l’activité

touristique. Pour autant, les avantages heuristiques d’un tel rapprochement sont tangibles : il

permet de poser l’importante question historiograhique de l’agency des populations africaines en

situation coloniale (leur marge de manœuvre et leur « quant à soi ») et de décentrer le regard des

colonisateurs vers les colonisés. La référence aux recherches ethnologiques actuelles rend

possible l’hypothèse de formes de continuité historique depuis l'époque coloniale. Le rôle

complexe joué par les populations locales lors de la mise en tourisme de leur espace et de leur

patrimoine peut, dès lors, être repensé dans la longue durée, sans qu'il faille perdre de vue l'idée

qu'il s'agit d'une piste d'interprétation non corroborée par la documentation directe.

5. Renseignements de toutes les façons difficiles à obtenir, dans la mesure où les voyageurs

semblent assez souvent combiner le voyage d’affaires et le voyage d’agrément. Sans doute cette

question importante de la quantification trouvera-t- elle des éléments de réponse dans une

collecte systématique de la documentation adaptée : rapports de services divers (Police et Sûreté,

Douanes...), registres des ports et des aéroports, rapports politiques et économiques...

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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6. Jules Carde, gouverneur de 1923 à 1930, est le promoteur de la politique de « mise en valeur »

des colonies et le propagateur du mot d’ordre selon lequel il fallait « faire du Noir ».

7. Jules LEPRINCE (1910) a été tour à tour administrateur du Moyen-Congo, commandant du cercle

de Labé (Guinée) et maire de Conakry en 1918.

8. Issu de l’aristocratie parisienne, militaire, pilote, cet apologue du duel (Les lois du duel, Paris,

Éditions de la revue Les Armes, 1912) est aussi l’auteur de multiples récits de ses exploits

cynégétiques en Afrique (où il meurt d’ailleurs d’un accident de chasse en 1930).

9. Transmuée ultérieurement en Agence économique de la France d’outre-mer.

10. Voir par exemple, dans les années 1950, le rôle d’un zélateur infatigable du tourisme

subsaharien, Charles Duvelle, directeur général de l’ANTOM (Association nationale pour le

Développement du Tourisme dans les Territoires d’OutreMer) ou l’implication personnelle du

gouverneur de l’AEF.

11. Services d’information de l’AEF, Afrique équatoriale française, op. cit. (Académie des Sciences

d’Outre-mer, Af carton 15, no 167).

12. Chroniques d’Outre-mer, no 29, octobre 1956, p. 35.

13. Gouvernement général de l’AOF, Bréviaire du tourisme en Afrique occidentale française, Paris,

Larose, 1924, p. 5.

14. Services d’information de l’AEF, Afrique équatoriale française, op. cit., p. 39-40.

15. Exposition coloniale internationale de Paris, Commissariat de l’AOF, Le tourisme en Afrique

occidentale française, 1931, p. 17.

16. Gouvernement général de l’AOF, Bréviaire du tourisme en Afrique occidentale française, op. cit.,

p. 6.

17. Bibliothèque du Musée de l’Homme, MS 134 : prospectus de propagande touristique, Lettres

de G.-H. Rivière aux Gouverneurs des colonies, cité par Alice BYRNE (2001).

18. Encyclopédie mensuelle d’Outre-Mer, numéro spécial : Le tourisme en Afrique française, 1955,

pp. 140-141.

19. Exposition coloniale internationale de Paris, op. cit., p. 19.

20. Pour lui, le Noir est « comme l’accomplissement de l’obscur idéal physique ».

21. Exposition coloniale internationale de Paris, Commissariat de l’AOF, op. cit., p. 19.

22. « Partout le voyageur aura sous les yeux une vie indigène extrêmement pittoresque, une vie

rappelant par sa rusticité, mais aussi par son mouvement ordonné, et, disons-le, par sa grandeur,

les plus beaux tableaux de l’Antiquité », in Gouvernement général de l’AOF, Guide du tourisme en

Afrique occidentale française, Paris, Agence économique des Colonies, Larose, 3e édition, 1935, p. 7.

23. Service de l’Information du Haut-commissariat de la République française à Brazzaville,

L’Afrique équatoriale française, Casablanca, Édition Fontana, 1958,

p. 88.

24. Chroniques d’Outre-mer, no 18, août-septembre 1955, pp. 61-62.

25. Encyclopédie mensuelle d’outre-mer, op. cit., p. 138.

26. Exposition coloniale internationale de Paris, op. cit., p. 20.

27. Voir également dans ce numéro, l’article de Marco AIME, « Les déçus de Tombouctou ».

28. Félix Dubois, à la fin des années 1890, contribue à retourner la réalité (le déclin effectif de la

ville) en un nouvel attrait : Tombouctou « la mystérieuse » cache sa splendeur sous des dehors

misérables et ne livre son secret qu’aux voyageurs initiés (cité dans Isabelle SURUN 2002).

29. Encyclopédie mensuelle d’outre-mer, op. cit., p. 136 (numéro spécial dirigé par Charles Duvelle,

directeur général de l’ANTOM).

30. Encyclopédie mensuelle d’outre-mer, op. cit., p. 141.

31. Exposition coloniale internationale de Paris, op. cit., p. 19.

32. Encyclopédie mensuelle d’outre-mer, op. cit., p. 152.

33. Encyclopédie mensuelle d’outre-mer, op. cit., p. 206.

34. Pas de chaussures de sport, pas de lunettes de soleil, pas de montres, etc.

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35. Exposition coloniale internationale de Paris, op. cit., pp. 16 sq.

36. Exposition coloniale internationale de Paris, op. cit., pp. 16 sq.

37. Encyclopédie mensuelle d’outre-mer, op. cit.

38. Exposition coloniale internationale de Paris, op. cit.

39. Exposition coloniale internationale de Paris, op. cit.

40. Encyclopédie mensuelle d’outre-mer, op. cit., p. 210.

41. Lyautey fut non seulement un promoteur zélé des arts et traditions populaires (HOUSEFIELD

2004), mais aussi un ardent partisan du développement touristique dans le protectorat (LLANES

2006 : 149 sq).

42. Encyclopédie mensuelle d’outre-mer, op. cit., p. 137.

43. IFAN, Guide du musée historique de Gorée, Dakar, IFAN, 1955, p. 7.

RÉSUMÉS

Des années 1920 aux années 1950, des formes précoces de tourisme ont émergé en Afrique

tropicale sous domination française. Ce tourisme s'est essentiellement structuré autour

d'activités de nature (safari, pêche), mais il s'est également concentré sur la découverte des

cultures locales, contribuant dès l'Entre-deux-guerres à leur « mise en forme » et à leur « mise en

scène ». Administrateurs coloniaux, opérateurs privés et voyageurs eux-mêmes ont ainsi amorcé

un processus d'« invention » du patrimoine touristique africain, autour de sites repérés

(Tombouctou, falaise dogon, etc.) et d'activités codifiées (achats d'objets artisanaux sur les

marchés, assistance à des « tam-tam » et des danses cérémonielles, etc.). Si peu développé qu'ait

alors été ce tourisme, il a néanmoins eu des effets de retour sur les sociétés et les cultures locales

et a construit des représentations pérennes de ce qui était « touristiquement pertinent » en

Afrique.

Early forms of tourism developed in French tropical Africa from the 1920s to the 1950s. Tourism

was essentially focussed on nature- related activities (safari, fishing) but touristic interest was

also aroused by the discovery of local cultures, thus shaping or reshaping them. Colonial officers,

private investors and travellers themselves initiated the "invention" of an African patrimony,

shedding light on special spots of interest (Timbuktu, Dogon cliffs, etc.) and on codified activities

(shopping for artefacts in market places, watching "tam-tam" and other ceremonial dances, etc.).

Even if tourists were rare back then, feedback effects on local societies and cultures were induced

by tourist activities, which also promoted perennial representations of what is "touristically

consistent" in Africa.

INDEX

Keywords : French colonial Africa, invention of an heritage, representations, tourism

Mots-clés : Afrique coloniale française, invention des sites, patrimonialisation, représentations,

tourisme

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AUTEUR

SOPHIE DULUCQ

Laboratoire FRAMESPA (France méridionale & Espagne), Université de Toulouse- Le Mirail,

Toulouse.

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Imaged or Imagined? CulturalRepresentations and the“Tourismification” of Peoples andPlacesImagé ou imaginé ? Les représentations culturelles et la « tourismification » des

peuples et des lieux

Noel B. Salazar

AUTHOR'S NOTE

This article is based on research supported by the National Science Foundation under

Grant No. BCS-0514129, and additional funding from the School of Arts and Sciences,

University of Pennsylvania (USA). The ethnographic fieldwork in Tanzania was

conducted under the auspices of the Tanzanian Commission for Science and

Technology (Research Permit No. 2007-16-NA-2006-171) and kindly sponsored by the

University of Dar es Salaam. An earlier version was presented at the 10th Zanzibar

International Film Festival Conference in 2007. I am most grateful to Joseph Ole

Sanguyan and Monica C. Espinoza for their thoughtful comments and support.

1 Peoples and places around the globe are continuously (re)invented, (reproduced, and

(re)created as tourism marketers create powerful representations of them. This

happens in a competitive bid by potential destinations to obtain a piece of the lucrative

tourism pie, in a world marked by rapidly changing travel trends and mobile markets.

If anything, tourism is part of what David Harvey (1989: 290-293) calls the “image

production industry”, in which the representation of peoples and places has become as

open to production and ephemeral use as any other. Because image-making has

emerged as a crucial marketing tool, it variously influences peoples’ attitudes and

behaviours, confirming and reinforcing them as well as changing them. Images travel,

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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together with tourists, from predominantly tourismgenerating regions to tourism

destinations and back, leading to a “tourismification” of everyday life—“a socio-

economic and socio-cultural process by which society and its environment have been

turned into spectacles, attractions, playgrounds, and consumption sites” (Wang 2000:

197). Paradoxically, tourismification proceeds not from the outside but from within a

society, by changing the way its members see themselves (Picard 1996)1.

2 As Adrian Franklin and Mike Crang (2001: 10) point out, tourism “is not simply a

function of changing local cultures caught in the stream of globalizing flows or the

touristification of localities [...]. Touristic culture is more than physical travel, it is the

preparation of people to see other places as objects of tourism, and the preparation of

those places to be seen”. Rather than asking whether a given culture has become

polluted or enhanced by tourism (and other global processes), a more salient question

to ask is how tourism and its imaginaries are contributing to the (re)shaping of culture

and society (Salazar 2005).

3 Tourismification is a universal phenomenon and an integral element of globalization.

Global tourismification rapidly interlinks and intensifies the circulation of people,

capital, images, and commodities. However, this is often a highly ambivalent

development, not the least in zones of poverty. Tourismification can result in loss of

cultural pride and complete reliance on tourism for subsistence. In many cases, tourism

development has been largely responsible for forcing irreversible changes, either

directly, by destroying or prohibiting traditional means of livelihood, or more subtly,

by providing a potentially easy way to earn badly needed resources (Mowforth & Munt

2003). People in the margins often have little (economic) choice but to accept and to

adapt to the tourismified identities and cultural views that are created for them. While

cultural alienation is one possible outcome, tourism and tradition do not necessarily

stand in polar opposition to each other (as the latter attracts the former), and tourism

can lead to a resurgence and affirmation of local (ethnic) identities and competing

discourses of heritage—be these real or imagined, authentic or invented (van der Duim

et al. 2005). In other words, peoples and places are not simply re-presented, displayed,

or enacted; the tourismification process involves performative relations of

contestation, reification, and negotiation (Coleman & Crang 2002; Hall & Tucker 2004).

4 Tourismified communities borrow from traditional anthropology an ontological and

essentialist vision of cultures, conceived as static entities with clearly defined

characteristics, to represent themselves to visitors. Ideas of old-style ethnology—

objectifying, reifying, homogenizing, and naturalizing peoples—are widely used by all

kinds of groups, staking their claims of identity and cultural belonging on strong

notions of place and locality. Ironically, this is happening at a time when scholars

prefer more constructivist approaches to culture, taking it for granted that cultures

and societies are not passive, bounded, and homogeneous entities (Gupta & Ferguson

1997). Of course, academic writings are only one among many sources of inspiration

that shape tourism imaginaries of peoples and places2. The influence of popular culture

media forms—the visual and textual content of documentaries and movies; art and

museum exhibitions; trade cards, video games, and animation; photographs, slides,

video, and postcards; travelogues, blogs, and other websites; guidebooks and tourism

brochures; coffee-table books and magazines; literature; advertising; and quasi-

scientific media like National Geographic—is much bigger (Morgan & Pritchard 1998).

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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Throughout this article, the term “cultural representations” will be used to refer to

such content.

5 In the case of sub-Saharan Africa, western imagery of the region has often been

presented in the most literal sense of the word, in visual forms. These visual

representations, which flourished especially during the colonial era, lay at the basis of

stereotypical “us” versus “them” categorizations (Salazar 2007a). During colonial rule,

for example, the British in East Africa highlighted Maasai life because, as colonizers,

they wanted to promote an image of Africans as different and nobly primitive. Some

authors have interpreted contemporary tourism as a continuation and silent

perpetuation of these old processes of stereotyping and “measuring” African cultures

in a hierarchical relation to western civilization (Mowforth & Munt 2003). According to

Harry Wels (2002: 64), “we have replaced the stage for the African Other from Europe’s

World Exhibitions, journals, scientific ethnographies, National Geographic, television-

documentaries and so on, to Africa itself”. Tourism imaginaries often depict Africa in

the same way as the continent was portrayed during the colonial period. Consequently,

tourists long for

“pristine African landscapes with the picturesque thatched roofs dotted andblending into it and expect to hear the drums the minute they arrive in Africa, withAfricans rhythmically dancing to its ongoing cadenza. That is Africa. That is theOtherness [...] for which they are prepared to pay money. This is the imagery towhich the tour-operators have to relate in their brochures in order to persuadeclients/tourists to book a holiday with them” (ibid.: 64).

6 In this paper, I use the example of the visual cultural representations surrounding the

Maasai of East Africa to analyze how the (re)construction of Maasai society in Tanzania

and its socio-cultural tourismification are framed within well-established notions of

western dominance and superiority (for similar analyses in the Kenyan context Akama

2002; Berger 1996; Norton 1996; Wels 2002)3. I show how the romanticized imagery of

the virile Maasai warrior—reinforced by different types of popular visual media such as

nature documentaries, mainstream Hollywood entertainment, and semi-biographic

films—has led to a true Maasai-mania that is profoundly affecting the daily life and

culture of Maasai as well as other ethnic groups in the country. The ethnographic data

for this study were collected during two periods in which I conducted fieldwork in

Tanzania: three months in 2004 and eight months in 2007. They consist of participant

observation notes of cultural tourism activities in southern Maasailand, transcripts of

indepth interviews with locals (Maasai and others) and short semi-structured

interviews with international tourists, and collected secondary sources related to

tourism and visual cultural representations of the Maasai (Salazar 2008). The

interviews with locals were conducted either by me or by my Maasai research assistant.

I did background literature research at the University of Dar es Salaam, the Economic

and Social Research Foundation, Research on Poverty Alleviation, and the Professional

Tour Guide School in Tanzania; the University of Pennsylvania in the USA; and the

University of Leuven in Belgium.

Maasai imaginarles

“The word was passed round that the Masai had come [...]. Passing through theforest, we soon set our eyes upon the dreaded warriors that had been so long thesubject of my waking dreams, and I could not but involuntarily exclaim, ‘What

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splendid fellows!’ as I surveyed a band of the most peculiar race of men to be foundin all Africa” (Thomson 1885).

7 The Maasai, speakers of the Eastern Nilotic Maa tonal language, are a widely dispersed

ethnic group of semi-nomadic pastoralists and small-scale subsistence agriculturists

who occupy arid and semi-arid rangelands in southern Kenya and northern Tanzania—

collectively known as Maasailand. In Tanzania, they are said to have lived in the whole

of the Serengeti plains and Ngorongoro highlands for some two centuries. Through

their powerful (and stereotyped) media image, the Maasai have become “icons” of

African traditionalism and unwitting symbols of resistance to modernist values (Galaty

2002).

8 For decades, the Maasai have been a source of fascination among tourists and cultural

advocates who have been struck by their adamant refusal to abandon their culture.

Overseas professional photographers have immortalized them in pictures carried in

publications and on postcards. Multiple tales about their audacity are told and

environmentalists laud their ability to sustain balance with nature, which allows them

to co-exist with their cattle and wild game. However, this “pictorial fame” (Galaty 2002:

347) bears considerable political costs. The tacitly pejorative images that proliferate in

film, tourism brochures, and advertising convey unspoken cultural presuppositions

that shape public (mis)understandings of Maasai communities. These images speak

confidently about who the Maasai are, what they represent, and what their fates will

be.

9 Ideas of Maasai traditionalism and conservatism are closely bound together with

images of the Maasai male, alternately as a fierce warrior or obstinate pastoralist (Coast

2001). For early European explorers who encountered this nomad warrior “race”,

Maasai ilmurran (warriors) represented the epitome of a wild and free lifestyle 4. By

publishing embellished accounts of their encounters with Maasai, these explorers

reinforced the mythic images of Maasai as noble savages and icons of wildest Africa,

and enhanced their own reputation for bravery and boldness (Hodgson 2001). Joan

Knowles and David Collett (1989) sketch how the warrior archetype, one of several

possibilities found in early explorers’ texts, was elaborated in ways that justified

colonial policies, and later became the basis for postcolonial development initiatives5.

In part due to these historical (mis)representations, Maasai are now considered an

integral part of the African wilderness, an image that corresponds with a stereotyped

western idea of the primitive, sexual, violent African, or the romanticized image of the

noble savage (Hughes 2006). Edward Bruner (2002: 387) nicely summarizes the

representational narrowing of Maasai culture as follows: “The basic story about the

Maasai [...] is a gendered Western fantasy of the male warrior- proud, courageous,

brave, aristocratic, and independent, the natural man, and the freedom-loving

pastoralist. Associated with this warrior narrative are artifacts and adornments—shield

and spear, beads, earrings, red ochre, sandals.”

Silver Screen "Maasai"

“He, who has travelled far, sees far”, Maasai proverb.

10 According to Neal Sobania (2002), the Maasai were amongst the earliest African peoples

specified and named in mass-produced European images.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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11 As far as the commercial film industry is concerned, the Maasai have been over-

exposed probably to a greater extent than any other ethnic group in Africa. This

fascination with a “tribe”, whose traditional pastoral lifestyle and tall dignified bearing

have come to symbolize “Africa” to many in the West, has increased dramatically over

the past decades. The intensifying commercialization of the Maasai and their culture in

movies, for instance, is a consequence of the high profile they have developed over the

years, through their reputation for courage and unspoilt culture and the promotion of

this image by international photographers, producers of documentary and

ethnographic films, writers, and the tourism industry.

12 Among the first Maasai to acquire international celebrity status was Tanzania’s Tepilit

Ole Saitoti, who appeared in a National Geographic documentary, titled Man of the

Serengeti (1972), about his work as a game warden in the Serengeti National Park during

the early 1970s. Due to the success of the documentary, Saitoti was awarded

scholarships that enabled him to study in the USA as well as in Germany, writing a thesis

on the cohabitation of people and animals. His ethnographic books (Saitoti 1987, 1988)

are considered accurate and sensitive in portraying Maasai traditions and culture. After

completing his studies, Saitoti returned to Tanzania, where the National Geographic

traced him again to document the changes in his life, from a game warden to an

accomplished scholar, in Serengeti Diary (1989). To some, Saitoti’s efforts at representing

Maasai are highly commendable, while others see it as heralding a new genre of Maasai

disparagingly labelled the “professional Maasai”—denoting those who have amassed

wealth for simply trading in the group’s culture. Interesting is the fact that Saitoti has

become a tourism icon in his own right, with regular cultural tours being organized to

his Olbalbal house in the Ngorongoro District. Ethnographic filmmakers have played an

important role in disseminating nostalgic Maasai imagery too. Take the example of

Melissa Llewelyn-Davis, who made five movies about the Maasai (and never completed

her PhD in anthropology because she decided to stay in East Africa). Her first films

(directed by Chris Curling), Masai Women (1974) and Masai Manhood (1975), were

traditional authoritative documentaries. Both visual ethnographies were part of

Granada Television’s Disappearing World Series. They are successful as colourful and

dramatic pictures of an exotic society that has long appealed to Westerners as just what

romantic savages should be like. As anthropological accounts, they are rather

disappointing, although at the time they were among the best accounts available

describing Maasai life.

13 Given the representational history of the Maasai briefly sketched above, it is not

surprising that a number of feature films fit the Maasai within a postcolonial

glorification and visual representation of colonial life, a recuperation of the era of

those who conquered Africa. One of the clearest examples of this is the classic

autobiographic movie Out of Africa (1985) in which Maasai—as African male “Others”—

are seen as a sexual danger towards white women. While presenting a nostalgic picture

of colonial times, the film also focuses on the relentless decline of Maasai culture and

tradition in the face of inevitable modernization. Likewise, the romantic German

production, Nowhere in Africa (2001), tells the true story of a German Jewish refugee

family moving to and adjusting to farm life in East Africa in the 1930s. When the father

is suffering from malaria, he is being nursed back to health by his Maasai cook and

bodyguard—a prime example of noble savage ethos. The young daughter falls in love

with Africa and black culture, easily absorbing Maasai culture.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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14 The casting of Maasai actors has broken new terrain in terms of the culture’s exposure

to the mainstream entertainment audience. Unfortunately, most films play on the line

of exoticism and innocence, without bothering to tell the Maasai’s own story or create

parts that bring out their culture and intrinsic values. Rather than celebrating the

Maasai, the movie industry is treating this people as it once treated Native Americans

(Red Indians)—as a foil of adventure films, a convenient community of nameless,

faceless “barbarians” who can be counted on to foolishly ride into a hail of bullets and

lose every battle to the good guys. Some lobby groups, including Richard Gere’s

Survival International, have emerged to speak against the ridiculing of minority

cultures, dealing with the issue at global level and listing protection of the Maasai

among its priorities. Even without forcing Maasai to play degrading roles, commonly

their parts do not require any acting skills. Typical poses display warriors resting on

one leg while leaning on a huge spear as the African sun sets or rises on the

background, herding cattle, or doing their trademark cultural jig, jumping high in the

air. They are largely faceless, pliable, and with no speaking roles other than occasional

chanting, mainly appearing as symbols to satisfy the filmmakers’ ideal of exotic Africa.

Newly emerging Tanzanian film directors understand the monetary value of Maasai

warrior representations as well. Half the space of the promotional poster for the movie

Bongoland (2003), for example, was taken in by a group of Maasai standing in front of a

typical hut topped by a grass-thatched roof. During the Philadelphia premiere of the

movie, filmmaker Josiah Kibira confessed that this was “purely done for marketing

purposes”, because the entire storyline of the film is situated in the USA.

15 In the 1990s, Hollywood caught the Maasai bug and some major movies carried

representations of the ethnic group, purely for visual effect. The Ghost and the Darkness

(1996), which was shot in South Africa and based on a story about the man-eaters of

Tsavo (Kenya), had a Maasai scene despite the fact that this does not appear in the

original colonial story written by Colonel John Patterson. The band of brave warriors

accompanies a maverick white hunter, brought in to dispatch the man-eating lions that

no one else has been able to kill. This film heightened the already selective nature of

popular images of Maasai pastoralists, presenting only male characters and offering

lurid caricatures of their warrior nature. Sydney Kasfir (2002) was able to research how

the Samburu actors experienced the filming as well as how they portrayed the Maasai6.

The actors were kept at a distance, unaware of the film’s storyline and not always

involved either in setting the terms of their employment. By the end of the shooting,

however, they had become increasingly sophisticated about the sale and display of

their own image. In the 1996 box office hit, Independence Day (1996), another group of

Maasai was seen at the end of the movie, crawling out of a bush in Africa to join the rest

of the world in the celebration when the United States saves the world from an

invading alien force. In Lara Croft Tomb Raider: The Cradle of Life (2003), some cheaply

paid Maasai extras clad in bright red colours featured as mere exotic background image

for star actress Angelina Jolie. It is telling that the casting agent tapped Benin movie

star Djimon Hounsou to play the main Maasai character.

16 Although, or maybe because, Maasai are almost always represented as fierce warriors

and excellent hunters of wild animals, they are remarkably absent in wildlife movies.

Take the example of John Wayne’s Oscar-winning wildlife adventure film Hatari! (1962),

about a group of men trapping wild animals and selling them to zoos. This movie is

widely believed to have put Tanzania on the Hollywood map of the world and greatly

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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assisted in opening up the country’s major tourism attractions. Although the movie was

shot inside Arusha National Park with the help of Maasai to locate places and supplies,

no Maasai figure prominently in the film. One notable exception to the rule is the

spectacular IMAX production Africa: The Serengeti (1994), in which the migration of

wildebeests and zebras is compared to the nomadic existence of “the proud Maasai

people, ever seeking good grazing for their cattle herds”. The documentary focuses on

the exotic warrior diet—a mixture of milk and blood—and puts the Maasai in a time-

frozen past by stressing how, “once the most formidable warriors in East Africa, the

Maasai still defend their cattle and families with spears”. However, not all wildlife

lovers seem to appreciate that Maasai live close to their preferred animals (Árhem

1985). On the Image Database website, one of the largest Internet movie databases, a

reviewer of this documentary left the following comment:

“This is a great documentary with some amazing footage of wild animals. My onlycomplaint is that they showed humans; that ruined it for me. They showed about 5minutes of Africans [Maasai] in the Serengeti and how they live [...]. We see humansevery day and it’s too bad that they included some here7.”

17 The French-made Masai: The Rain Warriors (2004) is the first production to be solely

populated by real-life Maasai and spoken entirely in their native Maa tongue. The cast

had no previous acting experience and everything was shot in the highlands of Kenya,

presented as a timeless place untouched by modernity. The storyline, seemingly based

on a Maasai legend, follows a group of courageous teenagers who are sent out to secure

the mane of the fiercest of all lions, as an offering to the rain gods—a traditional Maasai

rite of passage. While this is a much more realistic cultural representation, it still

capitalizes heavily on the warrior stereotype. However, as Bruner (2001: 894) argues,

“the colonial image of the Maasai has been transformed in a post-modern era so that

the Maasai become the pleasant primitives, the human equivalent of the Lion King, the

benign animal king who behaves in human ways. It is a Disney construction, to make

the world safe for Mickey Mouse”. His assessment is nicely illustrated in The White

Massai (2005), a German autobiographical movie evocating the fantasy of what it is like

to step outside western culture and into Maasai culture (actually Samburu). It is a

hopelessly romantic love story about a young Swiss lady who falls for a Samburu while

on holiday with her boyfriend in Kenya. After overcoming many obstacles, she moves

into a tiny mud hut with him and spends four years in Kenya, until the dream starts to

crumble and she finally flees back to Europe with her baby daughter.

18 In animations, Maasai frequently appear as tourism attractions for Westerners. In the

Wild Thornberrys episode Critical Masai (2000), the explorer family is camping near a

Maasai village. When the natives visit the Thornberry camp, the children of the family

run into their Maasai friend who is trying to prove himself as a warrior. This inspires

the kids to compete to see which one of them is more of a warrior themselves. Simpson

Safari (2001) tells the hilarious story of The Simpsons family safari to Tanzania. Of

course, their holiday includes a visit to a Maasai village as well. The Simpsons are

portrayed sitting by the campfire with the chieftain, drinking a traditional Maasai

beverage from calabashes. The family does a spit-take when their local guide tells them

it is cows’ blood and the villagers find their behaviour uproarious. The Simpsons

children show off some of the “tribal” body adornments the Maasai gave them—neck

rings (of the style most commonly found among the Ndebele people in South Africa and

Zimbabwe) and a clay lip plate (as worn by the Mursi people of the Omo Valley in

south-western Ethiopia). Later, the family goes more or less completely native and

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dances around the fire with the Maasai. Through exaggeration and irony, the makers

succeeded in presenting a highly self-critical analysis of western representations of

wildest Africa. Finally, it is worth mentioning that The Lion King (1994), undoubtedly the

most influential animation made about (East) Africa, does not feature any Maasai, even

if the landscapes unmistakably refer to the wide Serengeti plains and the Ngorongoro

area—the latter still the home of many Maasai in Tanzania.

Tourismified Maasai

“Visual tropes of traditionalism and martial virtue, contemporary images ofpastoralists are seemingly dependent on the tourist gaze. In industrially designedencounters, tourists at once absorb, reflect, and mentally recreate the pictorialpastoralists they view while on safari through some of the world’s most spectacularlandscapes and its most unusual herds of wild animals” (Galaty 2002: 351).

19 Apart from the amazing wildlife, it is an undisputed fact that the Maasai are the flag-

bearer of Tanzanian tourism. The relationship between tourism and Maasai culture in

the country has been largely determined by safari imaginaries. This can be partly

explained by the fact that the most popular “northern circuit” game areas are situated

in regions where Maasai reside. The well-established representational attraction of the

Maasai in (western) tourist-generating countries is another explanation for their

relationship with safari tourism. In fact, until recently Maasai were virtually the only

ethnic group extensively used to represent the Tanzanian people on the one hand (e.g.

the global Tanzania, Authentic Africa campaign of the Tanzania Tourist Board), and to

fulfil the tourists’ expectations to see typical authentic Africans on the other hand8.

Although the country is populated by over 120 different ethnic groups, most foreign

visitors only think of the Maasai as “local people” (Bachmann 1988; Spear & Waller

1993). Unsurprisingly, ilmurran with their distinctive long ochre dyed plaited hair,

colourful blankets, and jewellery, are one of the main features associated with Maasai

by the large numbers of international tourists who visit Maasailand. As participant

observation and short semi-structured interviews during safari tours confirmed,

international tourists want to catch a glimpse of warriors with their lion hunting

equipment (spears, clubs, and knives) and women decorated with beads and a child on

their back in their most traditional habitat9. They not only want to set eyes on the

Maasai—“as seen on television”— but also want to immortalize the experience by

taking their pictures or filming them and buying tangible souvenirs to be reminded of

the “historical” encounter.

20 In conventional tourism circles, the Maasai have traditionally been represented as a

unique and esoteric community that represents the essence of real Africa, namely as a

people who have managed to resist western influence and to retain their “exotic”

culture. As a consequence, overseas tour operators and travel agents often market the

Maasai as one of those extraordinary, mysterious indigenous African communities that

have remained untouched by western influence and the global forces of modernization.

These forms of tourism imaginaries are usually represented as ideal for tourists,

particularly Euro-American tourists, who are keen on exoticism and adventure in the

manner of the early European explorers (although fieldwork showed that Asian visitors

touring Maasailand also liked this). In most instances, foreign tourists, and particularly

those from North America and Europe, want to see Africans and the African landscape

in the same way as they saw it during their formative years of image-moulding, when

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images of the black continent were usually based on information dating back to the

colonial period (Wels 2002: 64). Therefore, many Westerners long for pristine African

landscapes dotted with picturesque huts topped by grass-thatched roofs. They also

expect to hear the sound of drums the minute they arrive in Africa, and to see African

natives rhythmically dancing to the ongoing cadence, representing real and

quintessential Africa (Norton 1996). As the visual cultural representations discussed

above, tourism projects the Maasai as primitive people who “walk tall” amidst the

deadly Africa wildlife.

21 John Akama (2002), who did a historical analysis of the development of the Maasai

image and the representation of their culture in the tourism industry, argues the latter

has taken over colonial images to use Maasai culture as “additional anecdotes” in the

safari experience. Many stories and elements of Maasai culture therefore have been

torn from their sociocultural context to function as entertainment around the safari

campfire. Examples of this are the jumping warriors and their heroic stories about the

killing of lions and their sexual potency, as expressed by the number of wives. This

Maasai image is being used to contribute to the adventurous and authentic atmosphere

of the wildlife safari. These Maasai representations fit perfectly within the fantasy of

authentic indigenous Africa: living in mud huts, herding cattle, seemingly untouched

and unaware of the globalized world. The romance of the safari pairs the viewing of

game with the scenes of nomadic Maasai. Because of their presence near the most

popular game parks and their worldwide image, the Maasai are both being pushed and

pulled into the front region of tourism, resulting in the apparent freezing or standstill

of their culture. Their lasting place in tourists’ imagination is partly due to the common

belief that they still live in harmony with nature. While true to a degree, this idea leads

to the attitude, reinforced by tourism promotions, that the Maasai are part of the

landscape, not so unlike wildebeest and zebras. In reality, the same protected areas that

draw tourists were often created by removing the Maasai people from their lands

(Neumann 1998)10. However, Tanzanian tour guides now jokingly say that foreign

visitors do not come to see the “big five”—a hunting term historically used to denote

the five most dangerous African animals: lion, leopard, rhinoceros, elephant, and

buffalo—but the “big six”: the big five plus the Maasai11.

Maasai (Images) on the Move

“It was also in Zanzibar that we started seeing the famous Maasai people, abeautiful tribe mostly living in Kenya and Tanzania now but I believe originallyfrom Ethiopia (don’t quote me on that). I had read about them some and had heardmany interesting things about them, particularly how eccentric and colourful theirappearance is. There is a small number of Maasai in Zanzibar. They sell jewellery,the traditional beaded jewellery that they themselves wear and we of course allmanaged to have half our bodies adorned with it by the end of our island stay”12.

22 Due to popular cultural representations such as the ones discussed earlier, every

tourist seems to “know” the Maasai—a fact some business-minded Maasai themselves

exploit (Bruner 2001; Bruner & Kirshenblatt-Gimblett 1994). Indeed, many Maasai now

portray “traditional” versions of themselves for tourists, maintaining a well-developed

sense of selfobjectification and self-commoditisation. Those not wanting to take part in

the tourism game, often motivated by a strong wish to protect traditional Maasai

culture, are forced to retreat to remote locations. However, Maasai culture, like any

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other culture, is dynamic and evolves to adapt to new circumstances. Group members

are now intermarrying, adopting the languages and livelihoods of neighbouring

communities, and participating in various national and international development

activities. Martha Honey (1999: 220) nicely illustrates these changes:

“It was a classic African scene: A Maasai elder, caught in a time warp, entering hiskraal, as his ancestors had done for hundreds of years. But there was a twist to thisphoto-perfect panorama. The Maasai was Moringe Parkipuny, former Member ofParliament, former college professor, and social activist, and his compound was anewly built Maasai secondary boarding school.”

23 The forces of modernization and globalization have visibly penetrated into traditional

gear as well. The customary animal skins have been replaced by polyester tartan

blankets produced in Pakistan. The beads used in ornaments that undergo frequent

revisions to keep up with the latest fashions come from the Czech Republic. The

traditional knives are cheaply imported from China, the blades sharpened and made

smaller so that they fit locally made protective sheaths. The ilmurran are increasingly

seen using cell phones, smoking cigarettes with filters, wearing socks and shoes or

putting on watches (which are often taken off the moment foreign visitors shows up).

Finally, many Maasai children are now attending primary and secondary school and

there is a rapidly growing group of well-educated urban(ized) Maasai, although there is

still a very clear gender bias (Coast 2002).

24 Tourism generally has been a nuisance because photographic safaris have

commoditized much of Maasai culture (van der Cammen 1997). Of course, the degree of

influence of tourism on Maasai settlements varies according to their location relative

to main access roads. However, virtually no communities are left completely untouched

by visiting foreigners. Whereas tourism alone should not be held responsible for all

changes Maasai communities are currently undergoing, the tourismification process

has quickly turned their traditions into a cultural tourism commodity, part of an all-

inclusive package13. One of the major predicaments is that so many of the traditional

activities of the Maasai are now against the law; and precisely those illegal activities are

most appealing to tourists14. The conversion of culture into an object of tourism means

that traditional values are transformed into commercial ones, in a bid to meet

(projected) tourist expectations and desires. This transformation comes with several

semantic changes, both positive and negative to vernacular traditions. Many Maasai

themselves, like other indigenous groups, seem to be selling their own marginality.

Were they not marginal to and different from the tourists, they would not have

attracted the latter’s attention. In order to sustain such commodity and to continue

attracting customers, they have to maintain their difference. They may try to put on a

show, for example (Bruner & Kirshenblatt-Gimblett 1994). Blue jeans, watches, and cell

phones are concealed behind spears, feathers, and other ornaments or may be taken off

for the duration of the show. However, in order to sustain itself over time, such a show

has to be well disguised. It would be self-defeating if it were too blatant (Bruner 2001).

Spears, clubs, jewellery and artwork were initially just part of the culture of the Maasai.

Normally they only produced them for their own subsistence, but eventually they

discovered that it is worthwhile selling these artifacts to tourists. Nowadays, an

extensive manufacturing system is set up to produce tourist art. Even used machetes

and leaking calabashes used to transport milk are sold to eagerly paying visitors.

25 The fact that Maasai are seen as an auxiliary to wildlife tourism strengthens the

marginality argument regarding the Maasai as an object of tourism attraction. Maasai

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are seen as an extension of wildlife; hence, they are regarded as most marginal (almost

as marginal as wild animals) from the centrality of the so-called “civilized” human

existence and society. Many have become voiceless warrior performers. When learning

to be themselves they are asked to participate in a predetermined representation of

themselves, for others. Maasai artistry is today being harnessed to meet the growing

tourist souvenir market, and age-old ceremonies are being turned into visitor shows.

Culture has become a flexible capital to be used profitably and has to yield a return.

Interlocking Maasai communities with tourism maintains, defends, or contests some

key societal institutions. A new development within boma (settlements) along touristic

circuits, for instance, is the permanent presence of warriors. These ilmurran play an

important role in performing dances and seem to be extending their interests into the

market place, whereas traditional customary practice stipulated that they should live

together in their own temporary manyatta in surrounding bush areas (Ritsma & Ongaro

2002: 132). My fieldwork observations and findings from short interviews confirmed

that tourists usually do not realize that most of the Maasai settlements they visit were

specifically built for tourism purposes.

26 Some Maasai themselves have been accused of peddling falsehoods as a means of

enticing foreign visitors. It is partly because of poverty, but more and more Maasai are

exploiting the situation and, as some confessed to my Maasai research assistant, they

do not mind fabricating untruths about their culture to make money. People in some

areas have resorted to begging or seeking to be photographed for cash (Turton 2004).

They have become so aware of how to extract money from tourism that foreign visitors

on occasion have been horrified at their boisterous and frantic attempts to be

photographed and videoed, in exchange for hard cash. According to Akama (2002),

“various forms of unwanted behaviour and vices of mass tourism have been notedin Maasailand. They include incidents of prostitution, alcoholism, smoking, anddrug taking. The Maasai youth are especially influenced by tourist behaviour andare enticed to indulge in such deviant activities.”

27 Not only Maasai culture in general is changing; some Maasai themselves are exploring

new horizons. In the coastal towns of Kenya and on the beaches of Zanzibar, the places

where most of the package tourists stay, there are many Maasai. Attracted by potential

employment opportunities and the seeming wealth of touristic regions, up-country

Maasai have migrated to these coastal areas. Benefiting from their image, they take up

jobs as security guards, sell artefacts and adornments along the beach or in towns, and

perform traditional dances in hotels. In Zanzibar’s Stone Town, for example, there are

plenty of Maasai tourist art traders. They all migrated from the northern districts of

Arusha and Kilimanjaro, basically following the tourist movements. Many of them were

first employed as walinzi (guardians) in hotels, but then—being extremely popular with

tourists who tour the national parks in the north of Tanzania—became an attraction

themselves and now perform for tourists. Most have been in the tourism souvenir trade

for a while and travel regularly between the mainland and Zanzibar. Quite a number of

them got into tourism after the severe droughts of the 1990s, when most of their cattle

died. They are well aware of their aesthetic appeal to a foreign tourism gaze.

Interestingly, most of Stone Town’s Maasai or Maasai-style tourist art is actually made

by Zanzibari people. The Maasai men who make beaded jewellery are a cultural oddity,

because, in their own culture, beading is a woman’s task. Recently, also Tanzanian

Maasai women started migrating from Maasailand to Dar es Salaam and other cities,

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even as far as Zanzibar, Kampala, and Nairobi. They produce and sell beads and

traditional medicines for cash to support their families.

28 This phenomenon of migration is indicative of an overall intensifying impoverishment

of the Maasai (Coast 2002). Only very few migrated for frivolous reasons, and those few

are seen by others as deviants, likely to stay in town and become “lost” to the more

traditional Maasai community (May 2003: 17). Many Maasai blame the recent decline in

economic circumstances on their lack of schooling. Formal education was historically

shunned, partly due to the mobile life style, and also because the relevance of it for

pastoralism was not evident. Young Maasai men who travel to the coast to become

“beach boys” may expand the sense of roaming adventure long associated with their

age grade, but elders are concerned about their moral decline from encounters with

western tourists (Hodgson 2001). The new migrants usually profess a profound dislike

for life in the city, and an expressed goal to earn enough to replenish their shrunken

livestock herds and return home; a wish to remain pastoralists (albeit not in a

traditional way, but making use of modern commodities and new information and

communication technologies) and politically as well as socio-culturally independent.

Unfortunately, few Maasai seem to be reaping substantial financial benefits from

tourism.

Tourism Trap?

“Pastoral peoples find themselves in a kind of trap. To the extent that they want ashare of the tourist dollar, or want the income derived from selling their images tothe Western media, then they are required to enact the Western fantasy. But to theextent that they enact the Western fantasy, they then reproduce and henceperpetuate that fantasy. To enact is to construct” (Bruner 2002: 389).

29 Through the tourismification process, many Maasai have discovered their culture’s

capacity to make its own impact upon the global economic scene. This has quickly

resulted in a loss of some of its characteristics, mainly because tourism development is

embedded in Maasai cultural factors. Cultural narratives are ambivalent and cannot

exist any longer without reference to tourism. Instead of providing an accurate

representation of Maasai history and culture, tourism has continued to present the

colonial images and stereotypes concerning the Maasai as a backward community that

provide additional anecdotes to western tourism lurking for exoticism and adventure

in the African wilderness. The incorporation of ilmurran into an “economy of

performance” for tourists evidences how the selfexploitation of one’s own culture

—“being-themselves-for others”—predominates where few economic alternatives

prevail (Bruner & Kirshenblatt-Gimblett 1994).

30 When human agents occupy a contested space that they are striving to legitimize, they

reproduce their identity through the confirmation of cultural representations that

speak to their conceptions of themselves and their interpretation of what they perceive

to be tourists’ perceptions of them. Therefore, un-coordinated tourism development

presents an immense power to destroy territorial and local identities. According to

Akama (2002: 43), “it can be argued that instead of tourism assisting to ameliorate

social and economic problems that are confronting the Maasai, it has become part of

the process of marginalization of the Maasai and the distortion of their historical and

cultural values”. At the same time, tourism has proved to be an integral part of the

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Maasai cultural process and it provides institutionalized and prestigious forms through

which these cultural and ideological processes can be mediated.

31 In tourism, culture is always re-worked, re-packaged, and re-produced for new

audiences (Bruner 2001). This mediation of culture need not necessarily lead to

homogenization (the “end of history” approach) but can also create hybridization

(whereby cultures learn and adapt from each other). Dean MacCannell (1976: 14) argues

that “what remains of the primitive world are ex-primitives, recently acculturated

peoples lost in the industrial world, and another kind of ex-primitive, still going under

the label primitive’, a kind of performative primitive’”. While it brings in

modernization of local traditions, often making destinations unattractive to the eyes of

cultural tourists, the process of tourismification also leads to a movement of identity

affirmation, variously called “traditionalization”, “indigenization”, or, in this case,

“maasaiization”. This case study of the tourismified Maasai culture has tried to move

beyond chronicling the “invention of tradition” for tourists to a more nuanced

examination of the ways in which history, politics, and touristic performances are

intertwined. There may be a monolithic romanticized, distorted, and exoticized image

of the Maasai in international tourism discourse, but what is crucial for an

understanding of tourism imaginaries is to ethnographically examine particular sites to

determine how global imageries are locally enacted. One of the points I have tried to

make in this article is that popular visual media play a huge factor in influencing

tourist expectations, and, ultimately, the attitudes and behaviours of those that are

visited as well. In the case of Africa, Amy Staples (2006: 394) recently reminded us that

“largely as a result of independent and commercially sponsored safari films, as well as

the Hollywood safari films that followed in their wake, African cultures with

spectacular dances, colourful costumes, and exotic practices became emblematic of the

continent”. These kind of images-as-imaginaries are so powerful because “they not

only enact but also construct peoples, places, and stories” (Bruner 2002: 387). It is

important to acknowledge that images are never politically neutral; they have real

world consequences, sometimes unintended ones, and sometimes consequences that

contradict precisely what the images were designed to convey. No matter how, cultural

representation of ethnic groups is a political act. As far as Maasai are concerned,

“a diffuse train of associations is triggered by distinctive cloth-wrapped bodies,selfconsciously designed hair-pieces, patterns of lobe extension and scarification,arrays of jewellery, and weapons seemingly joined to bodies, which transcendsparticularities of time, place, and cultural affinity. Those associations includetenacious traditionalism, localism, difference” (Galaty 2002: 348).

32 Everybody seems to “know” the Maasai—with spears and shields dancing or charging

across the open plains—at a time these pastoral communities are faced with political

marginalization and are often being dispossessed of their land. The silent assertions

that are partners of the explicit images through which they are conveyed suggest,

wrongly, that pastoralists are unready to grasp the opportunities of modernization, are

unproductive in their use of the rangelands, and represent unworthy trustees of the

environmental resources of the great East African savannah (ibid.). The cinematic

exploitation of Native Americans only began to break down when big-name Hollywood

luminaries such as Marlon Brando spoke out against their negative portrayals15. Who is

willing to do the same for the Maasai?

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1985 Out of Africa (Los Angeles: Mirage Entertainment): 150 mins.

NOTES

1. Other scholars, including PICARD (1996) and WANG (2000), call this “touristification”. I prefer

tourismification as a term because it is not the mere presence of tourists that is shaping this

phenomenon but, rather, the ensemble of actors and processes that constitute tourism as a

whole.

2. Imaginaries are representational systems that mediate reality and form identities. As

institutionally grounded representations implying power, hierarchy, and hegemony, they

represent possible worlds that are different from the actual world, and are tied in to projects to

change it in particular directions (GAONKAR & LEE 2002). Tourism imaginaries are heavily

influenced by mythologized (often western) visions of “Otherness” from popular culture, (travel)

literature, and academic writings in disciplines like anthropology, archaeology, art, and history

(PRATT 1992; SAID 1994; TORGOVNICK 1990).

3. This article is part of a larger project in which I examine how local tourism actors and

intermediaries in Tanzania and Indonesia represent their cultural and natural heritage to a

global audience of tourists (SALAZAR 2005, 2006, 2007b, 2008).

4. An ilmurran describes a stage in a Maasai youth’s life when he has been circumcised and

incorporated into the newest age set. Circumcised young men are junior warriors, a traditional

period of life associated with the establishment of a manyatta, a camp to protect their

neighbourhood.

5. Major colonial accounts that contributed to creating lasting stereotypes of Maasai culture

include Richard Burton’s The Lake Regions of Central Africa (1860), Joseph Thomson’s Through

Masailand (1885), Karl Peters’ New light on dark Africa (1891), Sidney and Hildegarde Hinde’s The

last of the Masai (1901), and Marguerite Mallett’s A white woman among the Masai (1923).

Representative traditional ethnological writings on the Maasai comprise Alfred C. Hollis’s The

Masai: Their language and folklore (1905), Meritz Merker’s The Masai: Ethnographic monograph of an

East African Semite people (1910), Louis S. B. Leakey’s Some notes on the Masai of Kenya Colony (1930),

Henry A. Fosbrooke’s An administrative survey of the Masai social system (1948) and George W. B.

Huntingford’s The southern Nilo-Hamites (1953).

6. The Samburu are the northernmost of several Maa-speaking groups of cattle pastoralists. The

merging of Maasai and Samburu identities in this film reflects both historical reality and current

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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cultural politics. One of the casting reasons for using Samburu instead of Maasai is that they were

considered more “traditional”, referring to their relative lack of experience with the cash

economy, hence financially more attractive to the filmmakers (KASFIR 2002).

7. <http://www.imdb.com/title/tt0109049/>.

8. The much smaller ethnic group of Hadzabe bushmen of Karatu District (Eastern Rift Valley) are

now being promoted aggressively by Tanzania’s tourism industry as the last “authentic” hunter-

gatherers of East Africa.

9. Visitors to Maasai-inhabited areas in Tanzania do not come to see only, or primarily, the

Maasai. Their attraction is mainly to the wildlife and a visit to a Maasai settlement is combined

with a wildlife-viewing safari through the African savannah. This was not different in the past.

Although the Maasai and their cattle have been crucial elements in the Serengeti ecosystem, they

were merely a footnote to Theodore Roosevelt’s hunting safari of 1909, the event that turned

America’s attention to East Africa.

10. In 1959, with the establishment of Serengeti National Park, the Maasai who lived there were

evicted and moved to the Ngorongoro Conservation Area. In 1974, they were forced to evacuate

some parts of Ngorongoro as well, because their presence was believed to be detrimental to

wildlife and landscape. In the 1980s, they faced further restrictions as the conservationist

attitude of the government stiffened. In 2006, the Tanzanian government even gave an

ultimatum to Maasai communities living inside Ngorongoro—around 60.000 people—to vacate

the area by end of the year.

11. While observing a classroom interaction in a tour guide school in Arusha, I heard a teacher

tell the apprentice driver-guides (only a minority of whom were Maasai) that many western

female tourists travel all the way to Tanzania for only two things: to see a lion and [...] a Maasai

penis (confirming the widely spread imaginary that Maasai men are well endowed).

12. <http://www.travelpod.com/travel-blog-entries/gracielastanley/preparations/1142082900/

tpod.htm>.

13. Other factors that have greatly contributed to transforming the Maasai way of life are (global)

trade, missionary activities (including schooling), and, increasingly, new information and

communication technologies (e.g. the use of mobile phones and the Internet).

14. The British banned, unsuccessfully, the practices of the ilmurran in 1921, and the postcolonial

East African governments all have laws against lion hunting, cattle raiding, and female

circumcision.

ABSTRACTS

The various ways in which peoples and places around the globe are represented and documented

in popular media have an immense impact on how tourists imagine and anticipate future

destinations. Even though tourism discourses take a variety of forms, visual imagery seems to

have the biggest influence on shaping tourists' pretrip fantasies. Based on ethnographic

fieldwork, this paper illustrates the dynamic processes of cultural tourismification in Tanzania's

so-called "northern circuit". In many parts of the world, famous nature documentaries,

mainstream Hollywood entertainment, and semi-biographic films about this region have become

fashionable icons for sub-Saharan Africa as a whole, often reinforcing a perfect nostalgic vision

of the black continent as an unexplored and time-frozen wild Eden. While tourism

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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representations have overwhelmingly focused on wildlife, an increasing demand for "meet-the-

people" cultural tourism is increasingly bringing local people into the picture. Interestingly,

locals are commonly portrayed while engaging in vibrant rituals or in inauthentic, staged poses

wearing celebrative costumes. As an example, the paper discusses how the romanticized image of

the virile Maasai warrior, dressed in colourful red blankets and beaded jewellery, has led to a

true Maasai-mania that is profoundly affecting the daily life and culture of Maasai and other

ethnic groups.

Les différentes façons dont les peuples et les lieux sont représentés dans les médias populaires

ont un impact immense sur la manière qu'ont les touristes d'imaginer et de prévoir leurs futures

destinations. Bien que les discours sur le tourisme prennent des formes diverses et variées, les

images semblent avoir la plus grande influence sur la façon dont les touristes rêvent leurs

voyages. Basé sur un travail de terrain ethnographique, ce texte illustre les processus

dynamiques de tourismification culturelle dans ce qu'on appelle « le circuit du nord » de

Tanzanie. Dans beaucoup d'endroits du monde, les documentaires célèbres sur la nature, les

divertissements grand-public de Hollywood et les films plus ou moins biographiques de cette

région sont devenus des icônes à la mode pour l'Afrique subsaharienne, renforçant souvent une

vision nostalgique du continent noir comme un Eden sauvage inexploré et figé dans le temps.

Alors que les représentations du tourisme se sont principalement centrées sur la faune et la flore,

une large demande « de rencontrer des gens » se fait sentir. De plus en plus, le tourisme culturel

fait entrer la population dans le paysage. On montre fréquemment les habitants pratiquant des

rituels vibrants ou habillés de costumes de cérémonie dans des mises en scène sans authenticité.

En exemple, ce texte traite de l'image idéalisée du guerrier massaï, viril, paré dans des

couvertures rouges et orné de bijoux, qui mène à une vraie « massaïmania » qui affecte

profondément la vie quotidienne et la culture des Massaï et d'autres groupes ethniques.

INDEX

Mots-clés: Tanzanie, Massaï, représentation culturelle, imaginaire touristique, tourismification

Keywords: Tanzania, Maasai, cultural representation, tourism imaginary, tourismification

AUTHOR

NOEL B. SALAZAR

The Research Foundation - Flanders (FWO) and Marie Curie Fellow (7th European Community

Framework Programme) at the Interculturalism, Migration and Minority Research Centre,

University of Leuven, Belgium, and Visiting Research Associate at the Centre for Tourism and

Cultural Change, Leeds Metropolitan University, UK.

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« Guides, guidons et guitares ».Authenticité et guides touristiquesau Mali« Guides, Handlebars and Guitars ». Authenticity and Touristic Guides in Mali

Anne Doquet

1 Sur la page d’ouverture du site du ministère du Tourisme malien, le mot saute aux

yeux : « Mali, un pays authentique. » Notion-clé depuis un quart de siècle de la

promotion touristique depuis le pays comme des agences extérieures, l’authenticité est

devenue la première caractéristique du Mali et préside toujours dans ce pays à un

tourisme qui, malgré de récentes tentatives de diversification, a toujours été et reste

culturel. Cette forme de voyage au succès croissant suppose de la part de ses adeptes un

esprit de partage et de rencontre. Les interactions qu’elle promet et promeut se veulent

les plus sincères, donc les plus immédiates. Celles-ci devraient donc logiquement être

dénuées de toute médiation susceptible de les dénaturer. Or, — et le constat n’est pas

propre au Mali —, c’est précisément là où le tourisme se définit comme culturel

qu’interviennent de façon quasi systématique les médiateurs que sont les guides. Est-ce

à dire que la rencontre touristique est impossible ? Sans aller si loin, on peut penser

que la présence des guides est nécessaire, sans quoi elle ne serait pas. Dans un pays où

le français est langue d’État, il est difficile de la justifier par le seul obstacle

linguistique. Le manque d’indications et les aléas des moyens de transport constituent

eux aussi un élément explicatif, mais insuffisant encore. Enfin, le harcèlement peut

aussi user la patience des touristes rétifs, préférant finalement supporter un guide pour

en éloigner cent. Mais ces éléments n’épuisent pas les raisons de l’appel à ces

médiateurs, dont le rôle ne se limite sûrement pas à conduire les touristes vers tel ou

tel lieu réputé. Alors que le gouvernement malien tentait il y a une dizaine d’années

d’organiser les métiers du tourisme, Moussa, un jeune guide, adressa au ministre, qui

considérait que tout restait à faire, cette sentence : « Y’a des guides, des guidons, et des

guitares »*. Les guidons sont ceux dont le rôle se limite à conduire les visiteurs, les

guitares sont les beaux parleurs qui connaissent la chanson, mais pas le terrain. Et puis

il y a les guides qui, bien avant que le gouvernement1 ne se préoccupe de leur sort (et de

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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celui de leurs clients), ont construit leur profession, mais en même temps les bases du

tourisme malien d’aujourd’hui. Derrière l’humour, Moussa rappelait aux autorités que

le travail des guides avait un sens qu’on essaiera d’éclairer ici. Dans ce pays où

l’authenticité constitue l’idée phare des visiteurs et de la promotion touristique, à quoi

servent réellement ces médiateurs ? Leur présence nécessaire traduirait-elle le fait que

l’objectif premier du voyage n’est qu’une illusion nécessitant une mise en scène pour

les yeux des visiteurs ? Si tel était le cas, ils seraient instigateurs de mensonge et de

tromperie pour leurs clients naïfs et dupés. C’est ainsi que les guides, personnages

souvent mal aimés et par les Maliens, et par les étrangers, sont souvent perçus. Cette

schématisation de leur rôle ne va pas sans préjugés. Elle découle d’une part d’une

appréhension positiviste qui rend la présence des étrangers incompatible avec

l’authenticité culturelle. Cette dernière serait alors vouée au dédoublement : d’un côté

réelle et protégée du regard inquisiteur, de l’autre factice et fabriquée pour ce même

regard. Ce même point de vue prête au tourisme un caractère autodestructeur, les

visiteurs poursuivant une authenticité que leur seule présence détruit par la facticité

des mises en scène. Mais n’y a-t-il rien de vrai dans cette facticité apparente ?

L’authenticité est-elle seulement une extrapolation occidentale mise en forme par les

populations visitées ? En d’autres termes, ne fait-elle aucun sens chez ces populations ?

La question reste posée dans un pays où les frontières entre les politiques culturelles et

touristiques n’ont jamais été nettes et où des manifestations destinées aux touristes

remportent un succès local certain. En parallèle, cette conception de l’authenticité

comme caractéristique intrinsèque des objets, objective et mesurable, réduit la quête

touristique à un ensemble d’objets et d’hommes à voir. Personnage insensible, dénué

d’émotion, le touriste ne viendrait que reconnaître et se satisferait de scènes et de

relations taillées à son image. C’est oublier que sa quête est aussi et peut-être avant

tout une recherche de soi dans le vécu de relations sociales avec l’Autre, qui ne peut

être nourrie par une simple présentation d’objets à regarder. C’est aussi tomber dans

les clichés dont souffre le touriste, résumés par l’expression de J.-D. Urbain (1991)

« idiot du voyage ». Natifs rusés contre étrangers naïfs, telle est la conception que peut

mettre en question une ethnographie des relations guides- touristes. Car si les guides

peuvent apparaître comme trompeurs et créateurs de facticité, ils savent répondre à

des désirs que les mises en scène ne peuvent assouvir. Leur engagement dans diverses

actions en fait en même temps des acteurs culturels plus que des personnages. Enfin, ils

entretiennent avec leurs clients des relations profondément ambivalentes. Leur activité

semble finalement répondre à la quête d’authenticité tout autant que la contrarier.

Mais en creusant ces ambivalences, on retrouve une authenticité dont le propre est

peut-être d’émerger là où elle n’est pas attendue.

Tu n'es pas un touriste, tu es un frère...

2 Utilisée un peu à tort et à travers en anthropologie et en sociologie du tourisme, la

notion d’authenticité a fait l’objet de diverses analyses théoriques dévoilant ses

acceptions multiples. En 1976 MacCannell introduisait le concept dans la sociologie du

tourisme, en en faisant la motivation centrale des visiteurs : « Pour les modernes, la

réalité et l’authenticité sont considérées comme étant ailleurs : dans d’autres périodes

historiques, dans d’autres cultures, dans des styles de vie plus purs et plus simples »

(MacCannell 1976 : 3). Mû par cette unique perspective, le touriste de MacCannell se

verrait du coup servir une simulation montée par les visités en réponse à son

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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aspiration. En ce sens, et pour de nombreux auteurs en sociologie ou anthropologie du

tourisme, les populations visitées s’évertueraient à protéger leur culture en en offrant

une représentation aux touristes, tandis que les traditions significatives se

poursuivraient en coulisse. Disqualifiée par certains, la théorie de MacCannell a été

nuancée par d’autres. Selwyn (1996), le premier, a insisté sur le double sens contenu

dans son usage. Il parle d’authenticité chaude (hot authenticity) lorsque MacCannell se

réfère à la principale motivation des touristes, la recherche de relations sociales

harmonieuses et solidaires que la vie moderne et postmoderne aurait anéanties.

Parallèlement, il qualifie de froide (cool authenticity) l’authenticité mise en scène (stage

authenticity), en lien cette fois avec la qualité de la connaissance associée à l’expérience

touristique, et alimentée par les musées, les guides (écrits) ou même les anthropologues

(Selwyn 1996 : 7). Pour nourrir les désirs de leurs clients, les guides devront faire avec

cette double nature de l’authenticité.

3 Répondre à la recherche d’authenticité « froide », située du côté de la connaissance,

implique de leur part de mesurer tant les connaissances réelles que le désir de

connaissance de leurs clients. À des degrés très variables, ces derniers ont acquis des

savoirs sur la culture visitée, savoirs théoriques dont ils recherchent des illustrations

vivantes. S’il est admis dans la littérature consacrée aux touristes que ces derniers

cherchent moins à connaître qu’à reconnaître ce que leurs lectures ou visionnages leur

ont appris, les guides doivent cerner cette pré-connaissance du terrain et doublement

la conforter par leurs explications et par des scènes de vie. Or la plupart des guides du

Mali, hormis les quelques diplômés de ces dernières années, ont eu une scolarisation

très limitée, quand ils ne sont pas analphabètes. Beaucoup ont eu des enfances

douloureuses, voire ont grandi dans la rue. Les nouveaux diplômés des quelques

formations aux métiers du tourisme récemment mises en place au Mali seraient

certainement mieux placés que les guides auxquels on se réfère ici pour répondre aux

interrogations des visiteurs, notamment en matière d’histoire. Aussi ces derniers

doivent-ils pallier leur manque de culture générale et écrite en multipliant les

stratégies pour déjouer le rôle de donneurs d’explications qui leur est dévolu. Mais le

désir des visiteurs est-il vraiment d’apprendre ? Sans maîtriser les connaissances pré-

acquises par leurs clients, les guides ont une nette intuition du contenu de

l’authenticité froide : les Blancs cherchent une Afrique intacte, préservée, qui n’aurait

pas été confrontée aux valeurs de la modernité. Il leur suffit alors d’attirer l’attention

des touristes sur toutes les scènes de vie respirant l’ancestralité. Que des vieillards se

reposent à l’ombre d’un baobab et aussitôt l’idée de l’arbre à palabres s’illustre

magnifiquement. Ainsi, bien souvent, le décor colle au texte sans les besoins d’une mise

en scène contraignante. Le meilleur guide ne sera finalement pas celui qui donnera le

plus d’explications, mais celui qui saura pointer les objets, les personnages et les scènes

de vie les plus à même d’évoquer la tradition, quelques personnages du village

seulement (tel le forgeron qui vendra son travail) jouant cette dernière contre une

compensation lucrative. Ce qui importe est donc moins l’étendue du savoir théorique

du guide sur la zone qu’il fait visiter que la connaissance de la quête de son client. Les

« guidons et guitares » de Moussa sont ceux qui conduisent les visiteurs sur les sites et

leur livrent des explications théoriques. Mais si ces deux catégories, visant

explicitement d’une part les jeunes guides inexpérimentés qui restent muets une fois

rendus sur le site et, d’autre part les nouveaux diplômés qui récitent leur savoir sans le

rendre vivant, sont clairement distinguées de celle de « guide », c’est que c’est ailleurs

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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que se jouent les connaissances et la maîtrise du métier de guide, du côté de

l’« authenticité chaude ».

4 En effet, les tactiques permettant de pallier les lacunes théoriques des guides

s’apparentent à des stratégies de mise en contexte du voyageur en quête de ressenti

social authentique.

5 Les guides esquivent les questions de ceux qui cherchent des traces de leurs lectures en

revendiquant une autre connaissance : « Ça, c’est les Africains des livres, ça c’est pour

les Toubab. Moi, je vous parle des Africains vrais, vrais, vrais » (A., guide de Mopti). Plus

subtilement encore, ils s’emparent des techniques de transmission du savoir

traditionnel pour placer le touriste en position d’initié ne devant pas dépasser son

maître : « Vous les Blancs, vous êtes trop curieux. Il ne faut pas connaître d’un coup.

Tout s’apprend un peu un peu » (C., guide de Sangha). Et d’ajouter un proverbe en

langue locale replaçant cette conception de la connaissance dans la tradition (tels que

« Petit à petit, l’oiseau fait son nid » ; « Ne fabrique pas une outre plus grande que celle

de l’homme qui t’a appris à connaître la brousse »).

6 Ces formules qui sont bien des esquives préparent en même temps les visiteurs au

ressenti de l’authenticité dans le partage. Or le guide, bien plus qu’un simple

traducteur, est le pivot de la relation visiteurs-visités. C’est lui que les touristes voient

et fréquentent le plus, et leur lien concret avec ce personnage déterminera l’empathie,

ainsi que le sentiment de rencontre profonde avec les autres. Aussi les guides insistent-

ils en permanence sur leur propre expérience, et en particulier sur les rituels, réels ou

fictifs, qu’ils ont vécus. Ils se démarquent volontairement de la littérature pour se faire

les témoins vivants des êtres imaginaires que les touristes rêvent de rencontrer.

Souvent vêtus de costumes traditionnels, bardés d’amulettes ostentatoires qu’on

pourrait penser destinées à leurrer leurs clients, accentuant les gestes et attitudes

traditionnelles les plus typiques, ils peuvent être regardés comme des personnages

folkloriques décalés de la réalité. La part de théâtralité est belle dans ces récits et ces

présentations de soi. Mais ne sont-ils que dans la représentation lorsqu’ils racontent

une trajectoire vécue ou désirée, et qu’ils se parent des attributs de la coutume ? Leurs

références constantes à la sorcellerie, dont l’effet sur les touristes est garanti,

comportent souvent une part d’exagération mais ne sont pas toujours mensongères.

Les amulettes qu’ils portent ne sont ainsi pas décoratives : personnages extrêmement

jalousés du fait de leurs biens (nombre d’entre eux parviennent par exemple à

construire des maisons en dur très jeunes), les guides se surprotègent des attaques de

sorcellerie sous la menace desquelles ils vivent. Aussi, même si une part de leur

personnage est surjouée, leurs attitudes et accoutrements ne sont en réalité pas

réservés à leurs clients. En saison « morte », lorsqu’une occasion de fête leur est

donnée, ils portent ces mêmes costumes, et les musiques de leurs idoles (Bob Marley

tout particulièrement) alternent avec des morceaux locaux traditionnels qu’ils

chantent et dansent entre eux et pour eux. Dès lors, en dépit du fait que certains

amateurs jouent faux et deviennent de véritables caricatures dont l’artifice est

difficilement supportable pour leurs clients, les guides les plus expérimentés ne

peuvent être réduits à des personnages singeant la tradition. Leur regard sur cette

dernière est certainement plus distant que celui des villageois, leur métier leur

imposant ce recul. Mais distance n’est pas forcément synonyme de détachement : leur

rapport à la tradition peut être étroit, et reste déterminant pour la sensation qu’auront

les touristes d’effleurer ou d’atteindre l’authentique, non seulement dans leur relation

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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à ce personnage qui accompagnera leur séjour, mais au-delà, dans leur relation au

monde étranger qu’ils viennent découvrir.

7 En effet, si le guide parvient à inspirer au touriste le sentiment de pénétrer à travers lui

dans la tradition, ce lien se prolongera dans la relation aux personnes rencontrées par

son intermédiaire. Quelques petites clés détermineront ces rencontres. Sachant très

bien que sa relation à ses clients déterminera toutes les autres, le guide prendra des

précautions pour que rien ne vienne la noircir. L’épineuse question de l’argent,

considéré comme l’un des éléments de corruption les plus redoutables, sera en

particulier traitée au préalable, afin qu’elle intervienne le moins possible durant le

tour. Conscients de l’image négative que les visiteurs, venant chercher un monde

autarcique où seul le don et le troc définissent les échanges, ont des transactions

financières, les guides les confortent dans cette conception, leur conseillant par

exemple de ne jamais donner de monnaie aux villageois pour ne pas les « gâter », mais

de préférer offrir fournitures scolaires ou médicaments au chef du village, censé se

charger d’une répartition équitable. De même, ils proposent des tours « tout compris

sauf boissons » incluant l’hébergement, la nourriture et leur salaire, mais aussi tous les

frais liés à la visite des villages qui échappent totalement aux visiteurs. Ces tours

atteignent parfois des sommes exorbitantes qui peuvent générer quelques tensions en

début de séjour. Mais au fil de la visite, la question s’évanouit doucement non

seulement entre les touristes et leur guide, mais aussi entre eux et les villageois. Un

guide de Sangha m’explique ainsi : « Tu sais, les touristes n’aiment pas voir qu’on paie

l’argent partout. Si ils veulent prendre des vieux en photos, les vieux veulent l’argent.

Si je leur dis ça, ils disent que c’est pas bon, ils ont la déception. Donc ils prennent la

photo, et après je vais donner 1 000 francs aux vieux. » Nullement conscients des

sommes laissées au village pendant leur passage, pas plus que des pourcentages

récupérés par le guide une fois leurs achats effectués, les clients peuvent vivre quelques

journées en dehors de la transaction monnayée, mis à part l’achat de souvenirs. Pas de

question d’argent entre le guide et ses clients, pas non plus entre eux et les villageois.

Ce transfert de la relation touriste-guide à la relation touriste-population ne se limite

pas à la question financière. Pressentant la quête de fraternité de ses clients, le guide

met en place avec eux des relations sociales quasi familiales facilement prolongeables

dans les rencontres ponctuelles avec les villageois. La distribution de noms et prénoms

locaux ainsi que l’apprentissage des salutations en langue locale en constituent un

élément. Lorsque les touristes viennent à croiser des villageois, le guide les présente

par leur nouveau patronyme qui aussitôt déclenche le jeu local des relations à

plaisanterie. Toujours amusée lorsque des Blancs balbutient maladroitement quelques

mots en langue locale, la population se prête facilement au jeu, se permettant à

l’occasion de glisser à l’égard des visiteurs quelques moqueries incompréhensibles. Le

guide aura également pris soin d’apprendre à ses clients un ou deux proverbes

classiques que ceux-ci tenteront de placer au bon moment. Les logiques de

l’enchantement décrites par Winkin (2001) fonctionnent alors à merveille au profit

d’une sensation de rencontre éphémère mais authentique, faite de sourire et de

convivialité, dénuée de services monnayés. Ainsi, en préparant des moments de

rencontre furtifs mais efficaces, le guide assouvit le désir de solidarité et de fraternité

de ses clients. Ceci sans trop de difficultés. En effet, on est loin d’une mise en scène

généralisée, nécessaire sans doute dans les villages ethniques construits spécialement

pour le tourisme. L’idée souvent évoquée dans la littérature, qu’à la vue des touristes

les Massaï se mettent à jouer aux Massaï et les Papous aux Papous, est largement

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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abusive. Ici, si le guide perçoit finement les intentions de ses clients et prépare

correctement la découverte de scènes de vie et la rencontre avec les habitants, la mise

en scène reste minime. Ce qui se joue n’est pas de l’ordre du dédoublement de

l’authenticité décrit par MacCannell et ses successeurs. Et c’est tout l’art du guide

d’instaurer entre lui et ses clients une relation transférable aux villageois. C’est ainsi

qu’il doit les convaincre d’une fraternité sincère. Quel touriste ne s’est pas entendu dire

que lui, précisément, n’était pas un touriste mais un frère, et que pour cette raison, il

assistait à des scènes et partageait des moments que les autres n’avaient pas la chance

de vivre ? Les guides récemment entrés dans le métier s’étonnent souvent de l’aversion

des touristes pour leurs homologues : « Vraiment, je ne sais pas pourquoi les Blancs ne

s’aiment pas. Moi si je vais en Europe et si je vois un Malien, je vais être content et je

vais bien causer. Mais les Blancs s’ils voient un autre Blanc, ils se fâchent tout de suite »

(E., guide de Siby). En revanche, les plus expérimentés connaissent bien le « complexe

du faux » (Urbain 1991) dont sont atteints les touristes et s’évertuent à les soustraire

symboliquement à cette catégorie en créant une illusion de fraternité. Il faut, pour y

parvenir, une conscience très juste de leurs désirs et aspirations, qui fait certainement

défaut aux « guidons » et aux « guitares » de Moussa.

8 Dans la sociologie du tourisme, E. Cohen est un des rares chercheurs à s’être intéressé

aux guides. Si D. Nash (1981) pressentait leur importance dans un des articles

fondateurs de la discipline, l’idée n’a eu que peu de relais. Ap et Wong (2001) ont

pourtant estimé le rôle du guide déterminant dans la réussite du voyage car il

transformerait la visite de tour en expérience. Auparavant, le travail de Cohen (1985,

2001 : 89) sur le tourisme thaïlandais a défini l’évolution du rôle des guides par quatre

fonctions : instrumentale (essentiellement, montrer le chemin), sociale (entretenir la

convivialité et la sociabilité du groupe), interactionnelle (servir de médiateur entre les

touristes et les locaux), et enfin communicative (faire remarquer les points d’intérêts et

expliquer les sites mais surtout les interpréter en fonction des expériences et des

attentes touristiques). Quatre types de guides sont alors identifiés selon les fonctions

qu’ils remplissent : Originals, Animators, Tour leaders et Professionals. La dernière

catégorie suppose quatre composantes : sélectionner l’itinéraire, fournir des

informations correctes et détaillées, interpréter ce que les touristes voient et ce dont ils

font l’expérience, présenter de fausses informations comme si elles étaient vraies

(« fabrication »). L’interprétation des sites en fonction des expériences et des attentes

touristiques constitue donc selon Cohen l’apanage des guides professionnels. Il ne s’agit

pas juste de décrire, mais de parvenir à faire ressentir. Les clés de mise en contexte

décrites plus haut sont un des outils de ce processus. Depuis le travail de Cohen,

quelques articles se sont attachés à redéfinir la question de l’authenticité puis à

reformuler le travail des guides en conséquence. En 1999 Wang invitait à « repenser

l’authenticité » et, se rapprochant de l’authenticité chaude de Selwyn, crée le concept

d’authenticité « existentielle ». L’authenticité, explique-t-il, n’est pas seulement celle

des hommes et des objets visités, mais une « expérience existentielle impliquant des

sentiments personnels ou intersubjectifs activés par le processus liminal de l’activité

touristique » (Wang 1999 : 351). Libérées des contraintes de leur quotidien, les

personnes engagées dans ce processus se retrouvent. En ce sens, l’authenticité

existentielle n’a rien à voir avec le vrai ou le faux des lieux visités ou des personnes

rencontrées. Se sentir soi-même vrai, en harmonie avec le monde, ne dépend pas de la

fiabilité de ce qui nous entoure. Le concept de « faux authentique » de D. Brown (1999)

résume bien cette position. À propos du hall d’exposition du parc de la paix à

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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Hiroshima, il écrit : « Bien que le site ait pour centre un faux, il suscite des émotions

profondes et authentiques. » Ici, l’authenticité de l’objet n’est plus en jeu, car « le faux

authentique n’est pas simplement l’objet en lui-même mais la relation entre les

visiteurs et les guides, relation dont l’objet n’est que le médiateur ». Le rôle des guides,

plus que de fournir des explications, consisterait à pousser le touriste vers cette mise

en phase avec le monde. C’est à cette conclusion que parviennent Reisinger et Steiner

(2006 : 495), dont l’article définit les guides comme « éclaireurs de chemin ». Pour ces

auteures en effet, ces derniers ne doivent pas expliquer aux touristes ce que signifie

leur expérience, pas plus que les conseiller sur les réactions qu’ils doivent avoir, mais

encourager l’engagement personnel de ces derniers.

9 Ces différents articles tentant d’éclairer le rôle du guide ont pour point commun

d’atténuer son caractère mystificateur. L’un des premiers et principaux détracteurs de

MacCannell, Urry (1990 : 51), a depuis longtemps considéré que réduire la recherche

des touristes à une quête d’authenticité ressortait d’une théorie simpliste et inadéquate

aux réalités du tourisme contemporain, et a entre autres insisté sur sa part ludique. En

effet, les visiteurs dénommés « post-touristes » se complairaient dans l’inauthenticité

de l’expérience touristique et leur plaisir dépendrait de leur faculté à pénétrer le jeu

(ibid. 1990). Plus nuancée, la même comparaison élaborée par Cohen (1988), dessine le

tourisme comme un jeu qui « s’enracine profondément dans la réalité, mais pour le

succès duquel une grande dose d’imagination, de la part des acteurs comme des

spectateurs, est nécessaire. De leur plein gré, même si c’est souvent de manière

inconsciente, ils participent avec espièglerie à un jeu de “comme si”, prétendant qu’un

produit arrangé est authentique même si tout au fond d’eux-mêmes ils ne sont pas

convaincus de cette authenticité » (ibid. : 383)2. Experts dans ce « faire-semblant », les

guides seraient peut-être les maîtres, voire les créateurs des règles de ce jeu, auquel ils

ont su adapter les logiques occidentales. Là réside sans doute le cœur de leur talent. Dès

lors, si la sociologie et l’anthropologie du tourisme, restées longtemps sous l’emprise de

l’optique muséale et de la théorie du touriste de MacCannell, ont largement privilégié

la question de l’authenticité des objets visités, les guides qui ont une fréquentation de

longue haleine des Blancs ont certainement compris avant les chercheurs que leur

quête était souvent moins tournée vers les objets que vers eux- mêmes. Percevant

l’aversion des touristes pour leur société et pour eux- mêmes, jouant de leur

culpabilité, ils ont créé progressivement une relation entre eux et leur client qui

permettrait à ce dernier d’atteindre son objet sans que le monde qu’il traverse ne soit

celui d’une authenticité artificielle et construite à sa mesure. Pour ce faire il leur a fallu

apprendre de manière progressive et de plus en plus affinée les désirs du monde blanc,

tout comme ils ont dû présenter et expliquer ce monde étranger aux populations

visitées. Ainsi, si une des composantes de la catégorie de guides professionnels

construite par Cohen est la « fabrication », à savoir la présentation d’objets « faux »

comme s’ils étaient vrais, les guides ne sont des fabricants d’inauthenticité que dans

une moindre mesure. Variant les doses d’authenticité « froide » ou « chaude » selon les

clients à qui ils ont affaire, ils en sont les véritables baromètres, tout comme les

metteurs en scène et les créateurs. Dans ce dosage précis en lequel seuls les bons guides

sont experts, il y a bien une part d’authenticité mise en scène au sens où l’entend

MacCannell, c’est-à-dire destinée à satisfaire la soif d’exotisme des touristes. Mais celle-

ci est-elle pour autant factice ? Ce caractère lui est logiquement prêté dans une

perspective positiviste, propre d’une conception occidentale découlant notamment des

activités muséales. Mais si l’authenticité n’est plus considérée comme une propriété

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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objective et mesurable des objets, mais comme une construction sociale à laquelle

contribuent des acteurs de tous les niveaux (locaux, nationaux et internationaux),

autrement dit, si on adopte une perspective constructiviste, les frontières entre la

création d’inauthenticité et la création culturelle s’estompent, et le rôle des guides peut

prendre un autre éclairage.

Les guides dans la fabrique de l'authenticité

10 Depuis une quinzaine d’années et encore aujourd’hui, l’idée d’authenticité inonde le

marché touristique malien. Le mot revient dans toutes les brochures des agences, les

guides édités, mais aussi toute forme promotionnelle locale émanant tant du ministère

que d’organismes privés. En même temps, les guides usent et abusent du terme pour

répondre aux attentes de leurs clients dont sont également averties les personnes

croisées par les touristes sur les sentiers aménagés pour eux. Cette même authenticité

semble avoir été dès le départ décisive dans le choix des zones touristiques officielles,

et ce en dehors de tout choix gouvernemental. Ainsi, le directeur général de la SMERT3

expliquait en 1979 (Soundjata, 12 : 29) : « Qu’il s’agisse de Tombouctou ou du pays dogon,

l’origine des courants touristiques vers ces sites est partie non pas d’une volonté

interne d’y promouvoir le tourisme, mais d’une conséquence des écrits des

explorateurs et chercheurs qui ont été très tôt frappés par l’originalité de la culture

malienne à travers ces sites. » L’idée d’authenticité avait effectivement germé dans les

écrits de différents explorateurs, administrateurs ou chercheurs occidentaux. Aux

travaux précurseurs de Delafosse, qualifié par Amselle (2001 : 173) de « père de

l’authenticité malienne », succédaient ceux de Griaule dont le best-seller, Dieu d’eau

(1948), fournissait le socle de l’idée d’une Afrique authentique, formulée par la suite par

les esprits les plus imaginatifs. L’authenticité froide gagnait donc du terrain dans les

publications auxquelles répondaient les circuits mis en place par la SMERT3

(Tombouctou, Pays dogon-Djenne-Mopti, combinaison des deux). Mais si une quête

d’authenticité déterminait ces destinations, on peut s’étonner que dans le dossier de

trente pages que la revue culturelle Soundjata éditait en 1979 afin de faire le point sur

l’activité touristique au Mali, on ne trouve qu’une seule fois le terme (Soundjata, 12 : 27).

Tout au long du dossier, le tourisme est qualifié de culturel, d’humain, et le touriste en

quête d’« empathie humaine ». Ne peut-on penser que si les activités touristiques ne

constituaient qu’une réponse à la soif d’authenticité des visiteurs, le terme apparaîtrait

dans les propos des nombreux fonctionnaires interrogés (directeur de la SMERT,

commissaire du tourisme, cadres de Douentza, Mopti, Gao, etc.) ? Est-ce à dire qu’au

Mali l’idée d’authenticité n’émanerait pas de la sphère touristique ?

11 En réalité, les archives de la politique culturelle du Mali sous les régimes du premier

président Modibo Keita et de son successeur Moussa Traore laissent transparaître

l’évolution de la notion, de plus en plus prégnante dans les discours officiels. Ces

derniers concernent particulièrement les ouvertures des biennales culturelles,

manifestations nées après l’indépendance du pays et poursuivies pendant trente ans,

qui mettaient en compétitions sportives et artistiques les régions administratives du

pays. De 1962 à 1988, la biennale occupait une place de choix dans les programmes de

politique culturelle des deux gouvernements. Nées d’un besoin d’unité et de

stabilisation du pays en voie d’adoption de valeurs socialistes peu compatibles avec

l’organisation sociopolitique traditionnelle, ces manifestations jetaient les fondations

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de la culture nationale. Pour ce faire elles mettaient en avant la fraternité, la solidarité

et l’égalité des cultures maliennes : la reconnaissance et le respect des spécificités

culturelles, qui ne devaient en aucun cas être hiérarchisées, constituaient un principe

mis en œuvre dans l’organisation pendant la biennale du jatiguiya, où chaque quartier

devait accueillir dans des conditions optimales les membres d’une des délégations

régionales.

12 La biennale, annonçait le discours d’ouverture, devait faire connaître l’« humanisme »

malien. L’humanité et l’hospitalité des cultures maliennes, présentées comme égales,

solidaires et formant une unité faisant la richesse du pays ne sont pas sans rappeler

l’« authenticité chaude » recherchée par les touristes : on prête aux cultures harmonie

et fraternité, sans évincer leur richesse historique. En même temps, si l’idée

d’authenticité n’est pendant longtemps pas explicitée dans les discours d’ouverture de

la biennale, elle y apparaît dans les années 1980, à travers la voix d’Alpha Oumar

Konare, futur président du pays démocratisé et de N’T. I. Mariko, alors ministre de la

Jeunesse4. Mais ce qui est intéressant est de voir comment cette explicitation

s’accompagne d’un glissement de sens. La thèse que Y. Toure (1996) consacra à la

biennale explicite ainsi la « folklorisation » des cultures maliennes à laquelle ont

largement contribué les biennales. « Une composition pour le jury bamakois est réussie

lorsqu’elle est tirée du patrimoine local et qu’elle est représentée de façon

authentique », écrit-il (ibid. : 285). Et il montre comment des titres anciens dénomment

les œuvres contemporaines, comment des danses traditionnelles sont imaginées, ou

encore rapporte l’anecdote de la « supercherie » d’un directeur régional présentant des

costumes et des armes tachées de sang attribuées à un roi bambara du XVIIIe siècle. On

passe donc, au sein de cette grandiose manifestation nationale, de la conception

implicite d’une authenticité « chaude » à l’explicitation d’une idée d’authenticité

« froide » et à sa concrétisation par la mise en scène. Or dans ces mêmes années, la

promotion touristique ne s’est pas encore emparée du terme, et les mêmes notions

d’humanité, de solidarité ou d’hospitalité y prédominent. C’est dire que la notion fut

d’abord lancée comme ciment d’une culture construite par et pour l’État avant d’être

utilisée, voire reconvertie, dans le monde touristique en suivant un cheminement

similaire. Légèrement décalés, ces parcours dans les sphères politiques et touristiques

devaient se rejoindre quelques années plus tard dans la fusion des ministères de la

Culture et du Tourisme, présidée par Aminata Traore. Sous son mandat, la promotion

gouvernementale du tourisme a clairement pris appui sur le maaya (l’humanisme) et le

jatiguiya (l’hospitalité). Elle a entre autres organisé trois consultations nationales,

dénommées « Toguna » », au cours desquelles devait être définie la stratégie

d’intervention de l’administration dans le domaine de la culture et du tourisme. Il

s’agissait, pour la ministre, de promouvoir une approche du tourisme culturel qui

participerait au développement humain durable. « Le développement humain et social

durable du Mali » se ferait « à travers une réinterprétation de la gestion économique et

de la démocratie à la lumière de valeurs traditionnelles de société qui restent à

découvrir et à partager » (Ministère de la Culture 1997 : 50), « le retour à l’humain »

constituant la valeur ultime. Cette valeur préexistait en fait au mandat d’Aminata

Traore, comme l’illustre cet extrait du dossier « tourisme » de la revue Soundjata (1979,

10 : 37) : « Si nous voulions caractériser le tourisme au Mali, nous dirions qu’il est

essentiellement humain. Ici, pas de grandes plages au bord de la mer, pas de safaris aux

grands fauves. Mais le dépaysement, la richesse culturelle, les styles architecturaux et

le pittoresque des rassemblements humains. Enfin, tout y gravite autour de l’humain. »

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La présentation de la clientèle va également dans ce sens : « Ceux-là pour qui des

vacances ne veut pas dire passivité physique et intellectuelle, mais participation et

empathie avec le peuple et la civilisation visitée. » Cette insistance sur l’humain devait

plus tard rejoindre les préoccupations d’A. O. Konare qui dirigea le pays durant une

décennie (19922002), et su insuffler dans divers programmes son penchant pour les

sciences humaines et encourager les actions visant à promouvoir les valeurs culturelles.

Le maaya et le jatigya fondèrent donc l’assise des politiques non seulement touristiques,

mais culturelles, et lorsque le Mali fut chargé en 2002 d’organiser la Coupe africaine des

Nations (CAN), elles furent largement mises en avant, le jatigya des biennales étant

reproduit à Bamako où chaque quartier se devait d’accueillir dans les conditions

optimales l’équipe et les supporters d’un des pays en compétition. Même si les

commerçants déplorèrent quelque peu cette hospitalité contrainte, les deux valeurs

promues lors de la CAN gagnèrent du terrain et les caractères humaniste et hospitalier

des Maliens font aujourd’hui partie du sens commun. Cette adhésion procède

certainement d’un nationalisme prégnant depuis les années 1960. Pourtant, si les

biennales artistiques et culturelles en ont accompagné la formation entre 1962 et 1988,

leur reprise en 2003 s’est traduite par un échec cuisant. Reflet et moteur d’une culture

nationale aujourd’hui désuète, elles sont boudées par les Maliens, qui leur préfèrent les

festivals culturels dont la prolifération a accompagné les processus de démocratisation

et de décentralisation du pays. Alliant des visions locales, nationales et internationales,

ces nouvelles manifestations « prennent » grâce à cette plurivocalité constitutive des

identités maliennes contemporaines (Doquet 2008). Les festivals ont en effet la

particularité de gagner l’enthousiasme du public malien, tandis que leurs subventions

visent l’essor du tourisme culturel. Cette destinée ne les empêche cependant pas de

figurer sur la carte culturelle du Mali établie par la Direction nationale des Arts et de la

Culture — dont la tâche est de « promouvoir une culture vivante et authentique ».

Entre politiques touristique et culturelle (qui aujourd’hui dépendent de ministères

distincts), les frontières sont ténues, tout comme dans les activités qu’elles mettent en

œuvre. Et l’on y retrouve aujourd’hui le même processus de glissement d’une

« authenticité chaude » non explicitée, mais contenue dans la mise en exergue du

couple maaya-jatigya à une « authenticité froide » exprimée, le terme couvrant la

promotion de tous ces événements. Les festivals relèvent en effet d’entreprises

dialogiques où l’authenticité culturelle d’aujourd’hui se construit dans le croisement de

visions endogènes et exogènes de la tradition. Les partenaires internationaux

contribuent à leur mise en scène, tout autant que les ministères et les « entrepreneurs

culturels » locaux, et l’authenticité des cultures maliennes est clairement affichée dans

leur promotion. Or, dans cette construction plurielle, les guides peuvent jouer un rôle

de premier plan.

13 Leur double connaissance des logiques organisationnelles occidentales et des réalités

de terrain en font les partenaires les plus efficaces des bailleurs occidentaux. Par leurs

va-et-vient permanents entre les deux mondes et les traductions qu’ils induisent, ils

constituent les personnes privilégiées pour faciliter les interactions et les actions

entreprises. Ce rôle n’est pas sans rappeler celui des « courtiers en développement »

étudiés par ailleurs. La décentralisation a entraîné une « prolifération d’acteurs et

d’organisations intermédiaires » (Bierschenk et al. 2000 : 11), et les guides se sont

logiquement intégrés dans la fabrication et l’organisation des nouvelles manifestations

culturelles. Si certains d’entre eux ont intégré les conseils municipaux de leur

commune, la majorité se sont investis dans des ONG aux objectifs variés. Les

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recompositions et les reformulations engendrées à tous les niveaux par la réforme de la

décentralisation ont fait émerger de nouveaux besoins. En parallèle, les clients des

guides, aux fonctions et compétences variées, éprouvent souvent durant leur voyage le

désir d’aider ou de construire. Souvent déjà intégrés dans divers réseaux locaux ou

internationaux, ils ont trouvé l’occasion de contribuer activement à la prise en charge

inédite des traditions induites par les réformes politico-administratives. Le rôle du

guide peut ici s’apparenter à celui du courtier de développement dont il partage les

compétences « rhétoriques, organisationnelles, scénographiques et relationnelles »

(ibid. : 23, 26, 27). La similitude ne s’arrête pas là. Le courtier, médiateur actif entre deux

unités sociales, en tire un bénéfice (ibid. : 16) et les guides agissent aussi dans ce sens :

même les plus généreux d’entre eux n’ont aucune vocation altruiste. Mais le caractère

profiteur ne suffit pas à définir un courtier : « On peut même penser que la sincérité,

d’autres diraient la foi développementaliste [...] est une qualité importante du courtier,

qui doit croire en la cause qu’il plaide : ce rôle s’accommoderait sans doute mal d’une

perversité désabusée » (ibid. : 24-25). Or les guides sont animés d’une même sincérité et

l’attachement à leur culture est souvent bien plus profond qu’il ne paraît. C’est dans cet

esprit qu’ils s’investissent dans le renouveau culturel et pas seulement dans de simples

mises en scènes folkloriques. Si elle leur profite, leur implication dans divers réseaux

(mairie, associations, ONG...) amène certains d’entre eux à intégrer les nouvelles élites

qui côtoient les tenants du pouvoir traditionnel dans les reconstructions politiques et

sociales en cours. Et il est à noter que si l’illettrisme frappe une grande partie des

guides, ils sont de plus en plus nombreux à entreprendre des descriptions de leur

culture par des essais d’ethnographie autodidactes, dont quelques-uns parviennent à la

publication. Ainsi, si l’authenticité est devenue le maître mot de la promotion du Mali

et si on la considère dans son aspect « froid » comme une construction intellectuelle

dont le parcours s’étend de nos musées aux mises en scènes in situ et impliquant bon

nombre d’agents locaux, nationaux et internationaux, on peut incontestablement

compter les guides au nombre de ces agents.

14 Par ailleurs, si les frontières entre politiques culturelle et touristique présentent une

convergence elle-même poursuivie dans des manifestations comme les festivals

culturels, faut-il vraiment considérer les mises en scènes de l’authenticité comme

artificielles et les dissocier du processus permanent de reconstruction culturelle ?

Hobsbawn et Ranger (2006) ont depuis longtemps montré comment les sociétés

traditionnelles ont toujours réinterprété ou « inventé » des traditions pour légitimer

leur identité ou leur autorité politique. Les manipulations de traditions évolutives

affichées comme immuables constituent un des ressorts de toute culture. N’en va-t-il

pas de même pour l’authenticité ? Dès lors qu’on adopte une perspective

constructiviste et qu’on ne la considère plus comme une qualité intrinsèque de ces

objets, mais comme un outil de légitimation, son invention ne diffère pas vraiment de

celle des traditions. Pour cette raison, les frontières entre tourisme et culture sont

délicates à établir et les guides, agents essentiels de l’activité touristique, sont aussi des

acteurs de la reconstruction culturelle.

15 Parce que l’idée d’authenticité émane avant tout des politiques culturelles du pays, elle

ne peut être envisagée comme un simple produit élaboré pour nourrir les espoirs des

visiteurs. Sa réactivation depuis un quart de siècle traduit les recompositions d’un pays

engagé dans un double processus de démocratisation et de décentralisation, mais aussi

dans des logiques mondialisées au sein desquelles les cultures maliennes se livrent à

des branchements internationaux (Amselle 2001) et dont le tourisme n’est qu’un

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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élément. Les remaniements consécutifs à cette modernité malienne sont nombreux et

divers. Dans ce vaste mouvement, l’authenticité resurgit pour se loger autant dans les

dynamiques identitaires et culturelles que dans la promotion touristique du pays.

Jonglant avec les spécificités locales et l’internationalité de leurs clients, les guides

s’inscrivent dans ce processus avec une aisance que leur vaut leur longue fréquentation

de touristes aux origines diverses. N. Salazar (2005) a ainsi montré comment cette

position en fait des acteurs privilégiés pour l’étude de ce qu’il est convenu d’appeler la

« glocalisa- tion ». Naviguant dans le local comme dans l’international, les guides

contribuent à la construction et à la reconstruction d’une authenticité reflétant les

réalités contemporaines du pays. Cet investissement minimise ce qui est souvent vu

comme une tromperie, à savoir le talent des guides pour falsifier les réalités en les

transformant au goût des touristes. Et à regarder de plus près les relations entre les

guides et leurs clients, la même relativité s’impose dans l’analyse de l’authenticité

« chaude ».

Frères et sujets

16 La reprise du titre de l’ouvrage de J.-P. Dozon (2003), lui-même emprunté à

l’impérialisme d’Hannah Arendt (2006), vient pour finir démythifier le tableau quelque

peu idyllique des relations décrites plus haut et que beaucoup de touristes aux

expériences malheureuses pourraient considérer comme de la pure spéculation

anthropologique. En effet, le rôle du guide comme éclaireur de chemin gagnant la

sympathie et la confiance de ses clients pour les aider à atteindre l’esprit fraternel et

solidaire dont ils sont en quête, ne recouvre en rien la complexité des rapports qui se

jouent entre eux et leurs clients. Oscillantes et ambivalentes, ces relations ne sont pas

sans rappeler leur réciproque. En mettant en perspective les relations franco-

africaines du XVIIe siècle à aujourd’hui, J.-P. Dozon a éclairé les contradictions du

traitement des colonisés par la France, et en particulier le paradoxe consistant à les

traiter à la fois comme frères et comme sujets. Les « doses de fraternité » instillées dans

l’assujettissement des colonisés (ibid. : 341) s’inscrivent dans un grandissant « besoin

d’Afrique » ne pouvant être réduit à des motivations d’ordre matériel. Inversement à

leur périodisation officielle, les relations franco-africaines sont passées « d’une période

de relative dissociation à des phases de rapprochement de plus en plus organique »

(ibid.). Cette proximité croissante explique que se soit en parallèle graduellement

installé un « désir de France ». Aussi, si l’ambivalence a toujours guidé les rapports de

la France à ses colonies, elle a en même temps nourri le rapport des colonisés à la

France et la décolonisation n’a en rien empêché l’imprégnation durable des liens ainsi

créés. Par un effet de miroir, le traitement paradoxal des colonisés par les colons se

reproduit dans celui des excolons par les ex-colonisés.

17 La relation des Maliens à l’ancienne puissance coloniale oscille toujours entre

admiration et haine, entre rejet et assimilation, et sur place, les relations franco-

maliennes en pâtissent. Loin de se détecter au premier coup d’œil, cette fluctuation

d’attitudes et de sentiments devient souvent perceptible lorsque les situations

relationnelles se font délicates. Parce qu’ils aspirent peut-être plus que d’autres à

entrer en contact avec les populations, les touristes y sont particulièrement exposés. Et

parce que la position d’intermédiaire du guide lui confère un rôle décisif dans toutes les

rencontres touristiques, la dégradation de la relation touriste-guide fait rapidement

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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tourner le voyage au cauchemar. Car si « l’enfer, c’est les autres », l’enfer du touriste, ce

peut être simplement l’Autre, incarné dans l’unique personne du guide.

18 D’une certaine façon, la rencontre touristique est bien héritière de situations de

violence et de domination coloniales, dont les attitudes condescendantes ou agressives

de certains visiteurs portent parfois les marques. Au cœur de ces interactions, les

guides n’entendent nullement laisser ces situations se reproduire et la moindre

arrogance envers eux peut déclencher une violence, qui, pour symbolique qu’elle soit,

n’en est pas moins inattendue. Le client réfractaire à leurs initiatives et à leurs

injonctions risque alors d’être rapidement mis en difficulté, l’entourage local faisant

cause commune avec ses compatriotes. Comme ils jouent par ailleurs souvent avec la

culpabilité supposée des visiteurs, les guides mettent le doigt sur une corde sensible qui

peut susciter une violente irritation. Tapie sous la convivialité, l’agressivité est prête à

surgir et les altercations ne sont pas rares. Cette ambivalence relationnelle est sous-

tendue par une ambivalence globale vis- à-vis du monde blanc. Les guides adhèrent

dans une certaine mesure au mode de vie occidental dont ils adoptent des éléments, pas

sur le plan matériel uniquement. L’éducation qu’ils offrent à leurs propres enfants et ce

à différents niveaux (scolarité, santé...) illustre par exemple cette adaptation.

L’Occident, et plus particulièrement la France, constitue un important repère de leur

identité. Mais ils peuvent en même temps éprouver de la répugnance pour ce pays dont

ils sont si proches et pourtant si lointains, surtout pour ceux qui n’ont jamais trouvé le

moyen de s’y rendre. Jalousés par les populations envieuses de leurs biens et

désapprouvant leur conduite déviante, infériorisés par une administration qui n’a

jamais reconnu leurs talents, méprisés par la population blanche résidente qui les fuit,

ils vivent une marginalité parfois difficile à assumer. Aussi n’est-il pas rare d’entendre

de leur bouche que tout ceci est la faute des Blancs qui les ont « contaminés ». La

métaphore récurrente de la contamination est révélatrice du mépris parfois éprouvé.

Mais en même temps les guides, généralement partis de rien et ayant pour la plupart

vécu une enfance difficile, se sont construits dans des interactions avec les étrangers

qui donnent lieu à des amitiés sincères et durables. Propices à cette sincérité, les

rapports qu’ils entretiennent avec leurs clients sont aussi faits de curiosité, de partage

et cette complicité est rendue possible par les valeurs communes qui les animent. Alors,

aux imputations de contamination font place des sentiments de proximité et

d’adhésion à des valeurs opposées à celles des sociétés maliennes. Alors ils se mettent à

part des maux dont tous les Maliens s’accusent, et cela n’est rendu possible que par leur

assimilation aux Occidentaux : les Maliens sont hypocrites, menteurs ou malveillants,

les Blancs (et donc eux-mêmes) sont sincères, francs et généreux. Ces oscillations

récurrentes sont particulièrement criantes lorsque la relation du guide à ses clients, et

en l’occurrence à ses clientes, se fait plus intime. Énoncée par Fanon, la thèse de la

revanche par voie sexuelle peut s’appliquer à eux. Ainsi C. Cauvin Verner (2007 : 248)5

écrit-elle à leur propos au Sud du Maroc : « Les anciens nomades ne sont plus dissidents

et ne dressent plus armes ou chapelets devant les Français mais, en séduisant, en

s’enivrant, d’une manière générale en provoquant, les jeunes générations continuent la

guerre par d’autres moyens. » La métaphore guerrière de l’entreprise de séduction des

guides n’est pas forcément abusive, comme le prouvent nombre de couples au destin

très sombre. Néanmoins, des conversations privées avec certains guides ne mettant pas

en jeu l’étalage de leurs exploits sexuels, laissent transparaître leur heureux

étonnement à s’être laissés prendre dans des complicités de couple auxquels les

rapports de genre habituels ne les avaient pas préparés.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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19 Si l’ambivalence donc, traverse globalement le rapport des guides au monde blanc, elle

imprègne plus précisément leur relation aux touristes. Et au double traitement comme

frères et comme sujets autrefois infligé aux colonisés fait écho celui qui est aujourd’hui

réservé à leurs clients. Les premières décennies du tourisme malien éclairent la part de

fraternité contenue dans la relation. Le bilan établi en 1979 dans la revue Soundjata

évoque les « ratés insignes » de la politique malienne en matière de tourisme entre

1968 et 1979 (Sounjdata, 10 : 35) et donne en exemple « le déferlement de “touristes-

hyppies” sur le Mali avec toutes les multiples conséquences que cela pouvait sous-

entendre “trafic divers, drogue, comportements sociaux de marginaux, etc.” ». Un

cadre de Douentza renchérit : « Et puis, le comble est que ce peu d’argent qu’ils

dépensent chez nous, c’est au Mali qu’ils le prennent. Une grande partie de ces

touristes sont des trafiquants. Ils font du trafic de voitures, de motos à grosses

cylindrées, de whisky, etc. entre le Mali, l’Europe et nos pays Africains voisins » (ibid. :

36). Ce profil du touriste est précieux car la prise en charge des activités touristiques

par l’État, instituant des « tours » balisés et impersonnels, dans lesquels l’esprit

convivial devait avoir du mal à percer (séjours chronométrés, arrêt obligatoire aux

postes administratifs pour la délivrance de diverses autorisations...), n’engageait en

réalité qu’une faible part de la clientèle : « Certains spécialistes pensent que sur les

25 000 touristes visitant annuellement le Mali, seuls 5 000 environ passent par la SMERT.

Tout le reste fait du tourisme individuel plus ou moins sauvage » (ibid., 11 : 38). Cette

distinction est éclairante pour comprendre quels types de liens ont pu se nouer entre

les guides et leurs clients. En effet, une large part des accompagnateurs autodidactes de

ces années relevait d’un monde social difficile, et nombre d’entre eux étaient

quasiment livrés à eux-mêmes. Cette autonomie juvénile induisait des pratiques

illicites, comme des petits trafics, et des activités transgressives. Or, la fréquentation

des Blancs deux décennies seulement après la décolonisation n’était pas forcément

regardée d’un bon œil. D’autres, issus de « bonne famille », attirés par le monde

occidental, expliquent quelles réprimandes leur ont values cette curiosité : battus,

attachés pour certains d’entre eux, ils ne se livraient à leur activité que dans la

clandestinité. Il y a un quart de siècle, leur métier contenait donc une part de

transgression que présentait en même temps la pratique du tourisme sauvage,

officiellement interdite par l’État. Des pratiques déviantes communes liaient donc les

guides et les touristes, instaurant sans doute entre eux une certaine connivence. Aussi

leur échange revêtait-il une dimension égalitaire, dans laquelle les clients étaient

quasiment des pairs. C’est dans ce partage que s’est construite la relation guide-

touriste, et elle perdure même si le profil des visiteurs a changé.

20 Néanmoins, le partage et la complicité alternent avec des attitudes injonctives dans

lesquelles le Blanc se réduit à un sujet devant suivre sans résistance le parcours qui lui

est imposé. Les guides s’expliquent de ce comportement délibéré par le fait qu’ils sont

responsables aux yeux des populations et du gouvernement des actes de leurs clients,

qui doivent en conséquence se plier à leur autorité. La dénomination des visiteurs qu’ils

adoptent entre eux et dans la langue locale traduit par ailleurs cet assujettissement : ce

sont les Blancs de X ou les Blancs de Y. Si comme l’écrit Mbembe (2000 : 217), les

colonisés ont été réduits à néant et placés dans un « hors-monde », un même rejet de la

réalité frappe parfois les touristes, avec bien entendu un degré de violence

incomparablement moindre. Les visiteurs sont alors baladés — comme, pour poursuivre

les métaphores de Mbembe, on promènerait un animal — dans des circuits sur lesquels

il n’ont pas mot à dire et dans des relations qu’ils ne choisissent pas. Plus aucune

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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attention n’est alors portée à leurs désirs, leurs questionnements, leurs sensations, bref

à leur singularité.

21 Et ce déni de la qualité de sujet se retrouve, de façon plus discrète, dans les relations

furtives et médiatisées des touristes à la population. Le touriste est tout d’abord

naturellement positionné dans un hors-monde linguistique, et des commentaires

moqueurs et provocateurs entourent souvent celui qui ne peut les entendre. Les rires et

les regards complices qui les accompagnent ne font qu’écarter le visiteur avide de

proximité. Mais l’indice le plus probant de ce rejet reste l’indifférence marquée à son

égard. Là où l’étranger cherche à nouer le contact, il se heurte souvent à un mur

constitué non d’insultes ou de protestations, mais d’une simple ignorance de son être.

Là encore, il serait abusif de réduire l’ensemble des relations à ce rejet. Nourrie de

sentiments envieux envers des êtres dont les moyens et la mobilité ne semblent pas

connaître de limites, la rencontre touristique suscite aussi admiration et curiosité

bienveillante. Malgré son caractère furtif, elle autorise des moments partagés où

quelques gestes ou sourires suffisent à esquisser un lien, aussi éphémère soit-il. Les

visités déplorent ainsi la difficulté de rencontrer les visiteurs accaparés par leurs

guides. Et dans les rares moments de rencontre offerts aux deux parties,

l’enchantement peut fonctionner à merveille et dans les deux sens.

22 Peut-être révélatrice des relations franco-maliennes dans leur ensemble, l’ambivalence

se fait criante dans le comportement qu’adoptent les guides à l’égard de leurs clients.

Présente à différents niveaux relationnels, elle paraît fort éloignée du désir de partage

fraternel qui compose l’authenticité « chaude », où tout est harmonie et solidarité. Mais

si les guides insupportent autant bon nombre d’étrangers, et particulièrement les

résidents, n’est-ce pas parce que dans un sens, ils expriment directement et

franchement toute l’ambivalence des relations franco-africaines dans lesquelles la

solidarité et la fraternité flirtent avec les asymétries et le racisme ? En ce sens, si l’on

sort de l’utopie de relations sociales solidaires et harmonieuses, le caractère ambivalent

de la relation guide-touriste, parce qu’il reflète en l’inversant le traitement des

colonisés et comme frères et comme sujets, n’est-il pas le plus authentique qui soit ?

*

23 « Authenticité » est devenu un mot-clé de l’anthropologie et de la sociologie du

tourisme depuis MacCannell. Cependant la notion se décline dans diverses pratiques et

acceptions qui obscurcissent ses contours. Sa version touristique présente elle-même

une double nature, « chaude » ou « froide », qui nécessite chez les guides la

connaissance des lieux et des hommes vers lesquels ils mènent leurs clients, mais aussi,

et peut-être surtout, celle des désirs et aspirations de ces derniers. Quelle que soit sa

température, l’authenticité recherchée relève d’un fantasme qui ne peut être nourri

sans une déformation, une falsification et une mythification de la réalité. Ce décalage

entre la quête touristique et le monde réel peut faire du guide un marchand d’illusions.

Pourtant, si on creuse les différentes acceptions de la notion, on s’aperçoit que tout en

abreuvant celle de l’imaginaire occidental, les guides induisent les visiteurs vers

d’autres versions où l’authenticité ne répond plus à la conception passéiste d’un idéal

socioculturel de pureté et de solidarité, mais à des réalités sociales et culturelles du

Mali d’aujourd’hui. Cette contemporanéité est en premier lieu due à ses usages

politiques locaux. Mobilisée dès l’indépendance par les programmes et les

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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manifestations culturelles du gouvernement, elle intégra par la suite le domaine

touristique pour se traduire dans des pratiques fusionnelles, à l’instar des festivals dont

on ne sait plus trop s’ils sont destinés aux touristes ou aux populations locales. Cette

construction dans le politique explique sa résurgence au moment où le pays

entreprenait d’importantes réformes et où cette revitalisation occasionnait de

nouvelles mises en scène des traditions dont les guides, maîtrisant les réalités locales,

traversant de multiples réseaux, rejoignant parfois les élites, sont souvent devenus

d’importants agents. Par leur implication dans le renouveau culturel, ils permettent

aux étrangers d’aborder l’authenticité dans une optique plus réaliste. Enfin, la relation

complexe qu’ils entretiennent avec eux porte les traces d’un passé colonial dont la

lente digestion reproduit certaines attitudes en les inversant. La rencontre touristique

porte en elle une ambivalence convoquant ces douloureux moments de l’histoire. Si

elles déçoivent certainement leurs espoirs, ces relations oscillantes ramènent les

visiteurs à des réalités historiques, sociales, politiques et culturelles en leur offrant

l’occasion de s’extraire de leur condition d’« idiots du voyage ». Pour ce faire, les

mouvements d’un guidon ou les sons d’une guitare ne suffisent pas. Seuls les guides

nourriront leur quête sans les enfermer dans un monde fictif construit à leur image,

mais en éclairant d’autres voies d’accès vers les réalités d’un Mali certes

« authentique », mais contemporain.

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NOTES

1. Moussa était un des guides les plus fins et les plus créatifs que j’ai eu la chance de rencontrer.

Ce texte veut lui rendre hommage.

2. Traduit in BROWN (1999 : 49).

3. Société malienne d’Exploitation des Ressources touristiques, société anonyme d’économie

mixte créée en 1975 dont les actionnaires principaux étaient les sociétés d’État.

4. Les discours d’ouverture des biennales sont reproduits en annexes dans la thèse de Y. TOURE

(1996).

5. Voir également CAUVIN VERNER (dans ce numéro).

RÉSUMÉS

Au Mali, pays toujours perçu et vendu comme une terre d'authenticité où prévaut le tourisme

culturel, l'esprit de rencontre et de partage avec les populations, le touriste de MacCannell prend

tout son sens. Mais la rencontre escomptée est-elle possible ? Pour différentes raisons (pas

uniquement linguistiques), elle est médiatisée par des acteurs très peu analysés dans la

littérature sur le tourisme. Cet article tente d'éclairer les liens entre les guides touristiques et la

quête d'authenticité de leurs clients. La question de l'authenticité est d'abord questionnée dans

sa double nature, que Selwyn qualifie de « froide » et « chaude ». Les stratégies des guides pour

nourrir cette double quête sont analysées, en même temps qu'est relativisé le caractère trompeur

de leur activité. Si les guides parviennent à instaurer avec leurs clients une relation fraternelle

transférable à l'ensemble des villageois, leur talent réside plus dans la connaissance et

l'adéquation des réponses aux désirs touristiques que dans des mises en scène factices et

artificielles. La question de l'authenticité est alors reconsidérée sur le terrain malien.

Préexistante au tourisme, l'émergence de la notion dans les politiques culturelles du pays

inaugurait la convergence des politiques culturelles et touristiques, et celle de leurs

manifestations. Cette fusion met en question l'idée de simples mises en scène nourrissant les

désirs étrangers au profit du dynamisme culturel. Tels des courtiers en développement, les

guides peuvent devenir des acteurs sociaux et culturels du Mali contemporain, rejoignant une

élite politico- intellectuelle active dans la reconstruction contemporaine des identités. Enfin,

l'article se penche sur la nature des relations entre les guides et leurs clients, fortement

marquées par l'ambivalence. Le traitement paradoxal des colonisés par les colons semble

aujourd'hui se reproduire dans celui des ex-colons par les ex-colonisés. Héritière de situations

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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antérieures de violence et de domination coloniales, la rencontre touristique porte en elle ce

paradoxe et s'avère pour cette raison plus authentique qu'elle ne paraît.

In Mali, a country almost perceived and praised by its promoters as an authentic land where

tourism is predominantly cultural and travelers are willing to meet local people and interact

with them, what MacCannell wrote about the tourist gets its whole significance. But can the

travelers really live such an experience? For several reasons (not always linked to language), it

needs intermediaries scarcely studied by tourism specialists. In this paper I aim to throw light

upon how the touristic guides deal with their customers' search of authenticity. Firstly I shall call

to mind the dual nature of authenticity, which Selwyn calls "cool" or "hot". While examining

how the guides manage to respond to that double search, I shall seek to show their behavior is

not as insincere as it seems. If they succeed in setting in with their customers a brotherhood than

can be extended to all the villagers, it is rather by their knowledge and their cleverness to adapt

to the tourists' purpose than by presenting arranged scenarios. Then I intend to regard

authenticity from a Malian point of view. Previous to tourism, the emergency of that concept

incited the cultural and touristic ministries to join into the same designs and the same events.

Such a merger calls into question the idea of a counterfeit authenticity merely staged to feed the

foreigners' desires while increasing cultural dynamism. Just as development brokers, the guides

may become social and cultural agents of modern Mali, contributing with a politico-intellectual

active elite to the current attempts to reconstruct identities. I shall examine the relationships

existing between the guides and their customers, which are deeply ambiguous. The

discriminatory treatment of colonized people by colonists seems nowadays to be reproduced in

the one of the ex-colonists by the ex-colonized. As the heir of violent and oppressive colonial

circumstances, that paradox interferes in the touristic contacts, thus revealed more authentic

that they seem to be.

INDEX

Mots-clés : Mali, authenticité, dynamisme culturel, guides, politiques culturelles, tourisme

Keywords : Mali, authenticity, cultural dynamism, guides, cultural policies, tourism

AUTEUR

ANNE DOQUET

IRD, Bondy ; Centre d’études africaines, EHESS, Paris.

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Culture nomade versus culturesavante. Naissance et vicissitudesd’un tourisme de désert en AdrarmauritanienNomad culture versus Erudite Culture. Birth and Vicissitudes of the Desert

Tourism in the Adrar Region of Mauritania

Sébastien Boulay

1 Profitant des difficultés d’autres destinations sahariennes comme l’Algérie, le Mali ou le

Niger, le tourisme organisé prend son essor en Mauritanie à partir de 1996, grâce à

l’ouverture d’une ligne aérienne entre Paris, Marseille et la ville d’Atar, chef-lieu de la

région de l’Adrar1. Les voyages proposés sont présentés comme relevant à la fois de la

catégorie du « tourisme d’aventure », proposant des séjours d’une semaine de

« randonnée chamelière » ou de 4x4 dans le désert, et de celle du « tourisme culturel »,

ciblant la découverte de la culture locale et la visite de sites historiques. Jusqu’en 2007,

le volume des touristes français se rendant en Adrar par ligne aérienne directe reste

limité à environ 10 000 personnes par an. Le « marché » est disputé par une quinzaine

de voyagistes, français pour la plupart, représentés sur place par des agences

mauritaniennes qui assurent la réalisation des circuits. La grande majorité de ces

derniers passe par la petite cité de Chinguetti, faisant d’elle le site touristique le plus

visité de la région.

2 La naissance du fait touristique en Adrar suppose des processus de représentation et de

mise en visite de la « culture locale », concept absent de l’univers lexical des Adrarois

jusque récemment et résultat d’une construction à plusieurs voix : voyagistes

étrangers, institutions internationales, État et professionnels mauritaniens, touristes

enfin. Le projet de ce texte sera précisément d’interroger, à l’appui de matériaux

d’enquête recueillis en 2005 et 20062, ces processus et dispositifs d’invention3 et de

transmission suscités par l’implantation de cette nouvelle activité économique. Comme

le note M. Picard (2001 : 120), « les populations locales ne sont pas les objets passifs du

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regard touristique, mais des sujets actifs qui construisent des représentations de leur

culture à l’usage des touristes, des représentations fondées à la fois sur leur propre

système de références et sur leur interprétation du désir des touristes ». Quels éléments

de la culture locale sont qualifiés pour représenter celle-ci ? Comment ces éléments

sont représentés et transmis, pour quelle « efficacité » aux yeux des touristes ? Quelles

nouvelles relations sociales suscitent ces processus ?

3 La première partie du texte sera consacrée à une description du produit touristique le

plus vendu par les voyagistes français intervenant en Adrar, la « randonnée

chamelière » dans le désert, en tant que cadre de rencontre des protagonistes et

d’échanges interculturels. Nous procéderons ensuite à une analyse des modalités de

reconstitution et de transmission d’une culture « nomade » dans le cadre de cette

équipée singulière. Puis nous verrons comment, à travers l’exemple de la ville de

Chinguetti, une autre version de la culture locale, savante et citadine, est fabriquée et

présentée aux visiteurs. La dernière partie du texte s’intéressera aux nouvelles

relations sociales générées ainsi qu’aux modalités d’instrumentalisation du patrimoine

dans la défense d’intérêts économiques et politiques locaux.

Le circuit de « randonnée chamelière » : une équipéeinterculturelle singulière

L'aérogare d'Atar : lieu du basculement

4 Entre fin octobre et fin avril, deux voire trois avions charters desservent chaque

dimanche l’aérogare d’Atar, chef-lieu de la région de l’Adrar, en provenance de Paris et

de Marseille. Ils sont affrétés par la société Point- Afrique voyages, suivie, depuis 2002,

par l’affréteur GO Voyages. L’embarquement des touristes se fait en France, au petit

matin, et l’arrivée des avions à Atar a lieu vers 12 h 00, heure locale, soit au moment le

plus chaud de la journée. Les touristes quittent généralement un climat froid et humide

pour trouver à leur arrivée en Mauritanie un climat très sec et des températures

diurnes assez élevées (souvent supérieures à 35o à l’ombre en début et en fin de saison).

Le dépaysement4 est avant tout une affaire de perception sensorielle et la première

impression de changement que ressentent les touristes en sortant de l’avion tient dans

la chaleur écrasante de la mi-journée.

5 Ce tourisme séduit avant tout des individus relevant des classes moyennes et

supérieures et travaillant dans les domaines de l’Enseignement, de la Santé, des

grandes et moyennes entreprises. Les groupes comprennent davantage de femmes que

d’hommes5. La moyenne d’âge est de 41 ans. Un tiers des participants sont des

célibataires et beaucoup de personnes menant une vie de couple en France choisissent

de faire ce voyage seules, soit parce que le conjoint n’est pas intéressé par le trekking6,

soit pour des contraintes de congés ou professionnelles. Le trek dans le désert est

souvent un projet individuel au cours duquel on fera le point sur sa vie : les enquêtes

ont en effet montré que la randonnée dans le désert mauritanien était souvent

effectuée à un moment important de la biographie individuelle (reconversion

professionnelle, rupture affective, etc.). Inversement, lorsque ce voyage est fait en

couple, il peut être choisi pour sceller un moment important de la vie conjugale

(voyage de noces, anniversaire de mariage). Le désert permet de « faire le vide » pour

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mieux repartir dans la vie. L’épreuve physique dans cet environnement a également

valeur d’initiation (Urbain 2002 : 230).

6 Une fois les formalités de douane accomplies et les bagages récupérés, les touristes

sortent du bâtiment et se dirigent vers le parking de l’aéroport, où les attendent des

hommes en boubous bleus ou blancs qui brandissent des affichettes portant les noms

des différents voyagistes qui commercialisent des séjours en Mauritanie7. Chaque

guide-accompagnateur accueille et regroupe ses clients. Il se présente et demande au

visiteur de décliner son identité afin de vérifier que celui-ci figure bien sur la liste que

lui a confiée sa société8. Les arrivants restent ensuite auprès de « leur » guide le temps

que celui-ci rassemble les autres membres du groupe. Les vendeurs de chèches

profitent de ce temps d’attente pour venir proposer aux uns et aux autres des turbans,

dont ils vantent les vertus contre le vent et le soleil tout en les enroulant autour de la

tête de Français médusés et en proie à la fatigue.

7 Ces turbans sont volontairement appelés « chèches » par ces vendeurs lorsqu’ils

s’adressent aux touristes, car ils savent que c’est le nom9 couramment employé en

français pour évoquer le turban de « l’Homme du désert », tandis que les Maures

appellent le turban hawli dans leur dialecte arabe, le hassâniyya. Il est vendu aussi bien

aux femmes qu’aux hommes alors qu’en Mauritanie, il n’est porté que par les hommes,

les femmes s’enveloppant le corps dans une melhafa, voile léger et coloré de cinq mètres

de long. Ce rituel d’« enchèchement » des touristes revêt une grande force symbolique,

pour l’Occidental d’une part, qui voit dans le chèche l’attribut caractéristique du

nomade saharien et dont l’adoption participe grandement au dépaysement du voyage10,

pour les Maures, d’autre part, pour qui l’intégration de l’étranger passe avant tout par

la transmission de la langue et des habitudes vestimentaires, deux éléments essentiels

et immédiatement repérables de leur identité.

8 L’espace de l’aérogare n’est pas un espace anodin : il inaugure et clôt le voyage. Le

visiteur en gardera un souvenir marquant. Cet espace apparaît à la fois, pour le

touriste, comme une rupture avec son environnement socioculturel habituel, et une

mise en contact avec l’inconnu, le différent11, l’ailleurs.

Le personnel mauritanien du circuit : origines et rôles

9 Le guide est le premier interlocuteur du groupe de touristes (dont le nombre varie

entre huit et quinze) et le restera durant toute la durée de leur séjour. Les guides

mauritaniens que nous avons côtoyés lors des quatre circuits auxquels nous avons

participé, étaient francophones et avaient, pour un bon nombre d’entre eux, fait des

études supérieures. Âgés en moyenne de 35 ans, ils ont passé leur enfance et leur

jeunesse en milieu urbain et ont avoué avoir découvert dans leur métier, non

seulement la culture française des touristes mais aussi celle des habitants du désert.

Durant les trois premières années, les guides ont appris, dans l’urgence, le métier sur le

terrain, parfois avec des formateurs français. Les générations suivantes ont été

recrutées sur la base de leur niveau d’étude et ont reçu une double formation,

théorique (en français et en histoire notamment) et pratique (connaissance des

itinéraires, logistique, cuisine, premiers soins, etc.).

10 Le cuisinier qui accompagne le guide dans les circuits est formé « sur le terrain ». Il doit

rester discret — ce qui ne l’empêche pas de sympathiser avec des trekkeurs — et

efficace, car la réussite du circuit dépendra beaucoup de sa ponctualité et de la qualité

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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des repas qu’il préparera. La fonction de cuisinier précède bien souvent celle de guide

et la plupart des cuisiniers n’aspirent qu’à accéder à ce statut, comme leur frère aîné ou

leur cousin12. La réussite du circuit repose grandement sur la bonne entente entre ces

deux personnages-clés.

11 Les chameliers, au nombre de trois en général, n’apparaissent dans l’histoire du circuit

que le matin du deuxième jour (lundi), au commencement de la « randonnée

chamelière », au moment du chargement des bagages du « groupe » sur la dizaine de

dromadaires mobilisés pour la randonnée. Durant le circuit, ils sont spécifiquement

chargés du soin dispensé aux animaux, mais aussi du chargement et du transport des

bagages, des personnes qui souhaitent monter, de l’approvisionnement en eau, de la

collecte du bois mort, du feu, et enfin de la préparation du thé. Même si leur statut

professionnel dans le secteur du tourisme est des moins valorisés, leur présence est

absolument centrale dans la logistique du voyage. De fait, les chameliers sont bien

souvent des éleveurs qui vivent encore avec leur famille dans le désert, même s’ils ne

nomadisent plus guère — contrairement à d’autres régions du pays où le pastoralisme

nomade est encore bien vivace.

12 Le circuit de « randonnée chamelière » suit un programme standard, fruit d’une

collaboration entre le voyagiste et son agence réceptive mauritanienne. Sur un séjour

de huit jours, cinq sont consacrés à la marche dans le désert, soit entre 80 et 100 km à

pied13, avec passage éventuel dans des villages ou près de campements. Le trek est très

souvent inauguré et/ou achevé par la visite guidée d’une ville ancienne, Ouadane ou

plus fréquemment Chinguetti, incluant la visite d’une bibliothèque familiale et de ses

manuscrits anciens. Cette équipée, aux étapes programmées, rythmée par les nuits en

bivouac et les repas partagés après des heures de marche, laisse paradoxalement une

place importante à la surprise et à l’imprévu, qui participent grandement de

l’« authenticité » de l’expérience aux yeux des participants.

La méharée : reconstitution d'une « culture nomade »vivante

Le circuit dans le désert : un espace-temps hybride

13 La logistique du voyage a tout d’une expédition au long cours, telles que celles relatées

par les explorateurs occidentaux du Sahara des XIXe et XX e siècles, dont les récits

bercent l’imaginaire de certains touristes. Mais c’est une logistique hybride, composée

à la fois d’objets habituels du déplacement chez les Maures, d’équipements et de vivres

pensés par l’encadrement mauritanien comme nécessaires aux touristes et enfin des

bagages de ces derniers. Le décor est planté et le rêve des touristes, nourri également

par les images des catalogues des voyagistes, commence à se réaliser : « chameaux » et

« nomades », dans leurs vêtements traditionnels d’éleveurs, sont devant eux et le

désert est aux portes de l’auberge.

14 La marche du groupe dans le désert est ensuite une succession de prises de distances et

de contacts entre individus. Les touristes marchent généralement en tête avec le guide,

tandis que les chameliers se trouvent à l’arrière du convoi. Durant le premier jour de

marche, les touristes maintiennent une certaine distance entre eux, puis ils

sympathisent assez facilement durant les jours suivants, l’expérience physique vécue

collectivement jouant un rôle évident de rapprochement des personnes. Au cours du

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voyage, les deux composantes du groupe — touristes d’une part et personnel

mauritanien d’autre part — sont bien différenciées. Elles prennent deux repas distincts,

dans deux espaces distincts, la priorité étant toujours donnée au groupe- touristes qui

doit manger vers midi, « comme en France ». Seul le guide, responsable du circuit, fait

des va-et-vient entre les deux emplacements.

15 Au cours des cinq ou six jours de trek, la vie du circuit s’organise ainsi autour des

étapes de marche à pied ponctuées par la pause du midi et le bivouac, traversant des

paysages de dunes, de plateaux rocailleux et de palmeraies. Pour les touristes, les temps

forts du circuit sont les heures de marche dans le désert, conçues comme propices au

recueillement et au bilan personnel. Pour les chameliers, au contraire, les moments les

plus prisés sont ceux où ils se retrouvent autour du repas et du cérémonial du thé. Dans

la société maure, le voyage est conçu comme dangereux car consistant en la traversée

d’une étendue « vide », domaine privilégié des djinns (appelés « gens du vide »). On est

par conséquent en présence de deux conceptions culturelles du voyage dans le désert,

presque diamétralement opposées. Finalement, la « randonnée chamelière » concrétise

assez fidèlement la représentation qu’avaient les trekkeurs de la « méharée » tout en

comportant une grande découverte : le fait que le désert soit habité.

Le guide-accompagnateur : passeur culturel ou équilibriste de

l'entre-deux ?

16 Échanger verbalement avec le guide est a priori plus aisé qu’avec les chameliers,

puisqu’il est « là pour ça » et qu’il parle la langue de ses clients. Le guide est tenu,

durant le circuit, de transmettre à son groupe des informations sur sa culture, son

histoire, sur la faune et la flore des zones traversées. Lors du passage dans une ville

ancienne, il doit procurer un minimum d’informations sur celle-ci, sa vie sociale passée

et présente. Non seulement il endosse le rôle de médiateur culturel, mais il a aussi un

rôle de représentation : pour le groupe, il est le peuple mauritanien à lui tout seul.

Finalement, l’échange possible avec le guide résout en partie le problème de l’échange

quasi-impossible avec les « autochtones » rencontrés durant le circuit.

17 Ce dernier permet en outre, plus que le passage, la conversion momentanée d’une

identité culturelle à une autre, même si cette conversion reste éphémère et s’effectue

bien souvent sur un mode ludique. Par exemple, certains guides profitent du premier

repas du dimanche midi, où chacun doit se présenter succinctement, pour débaptiser

les touristes et pour leur donner un nom local : un tel se voit ainsi appeler Mokhtar, un

autre Mohammed, une telle Aminatou, une autre cAysha. Cette conversion a pour

contrepartie celle du cuisinier et des trois chameliers qui se voient affublés de prénoms

français ! Cette pratique consistant à donner un nom local à l’étranger est courante

dans la société maure et vise à favoriser son assimilation dans la culture locale14.

18 L’effort de conversion15 de la part du guide est perceptible également dans le discours

qu’il tient aux touristes. Convertir signifie en quelque sorte pour le guide présenter aux

touristes sa culture (dont il a lui-même une certaine représentation) en des termes et

surtout des concepts compréhensibles par eux, tel un interprète qui doit choisir, dans

la langue de l’auditeur, le bon mot pour exprimer une idée. Cet effort de conversion

exige de connaître la psychologie et la culture des touristes, ce qui est souvent le cas

des guides qui, pour beaucoup, ont déjà effectué plusieurs séjours en France à

l’invitation de touristes (Boulay 2006) et qui, surtout, côtoient environ 150 clients

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français pendant six mois chaque année. Finalement, dans l’acte de conversion, le guide

élude ce qui peut, à son sens, poser des problèmes de « réception » (culturelle) par le

touriste et au contraire met en avant ce qui sera compréhensible, voire plaira au

touriste.

19 Durant les premières années, les guides et le personnel des agences réceptives ont dû

procéder à des ajustements de leurs représentations et pratiques du désert et du

voyage avec celles des visiteurs, comme l’illustrent les propos du responsable d’une des

agences réceptives les plus importantes :

« [...] dans les premières années, les chameliers et les guides ne comprenaient pasles goûts des touristes. Par exemple, ils installaient les bivouacs dans les oueds, prèsdes arbres, plutôt que dans les zones de dunes prisées et demandées par lestouristes. J’ai eu beaucoup de mal à les convaincre qu’il fallait répondre auxattentes des touristes qui recherchent avant tout le désert. Et puis, petit à petit, cesquelques familles se sont adaptées, comprenant que cette activité pouvait êtresource de revenus »16.

20 Le guide apparaît ainsi comme un équilibriste se maintenant, non sans une certaine

adresse, entre une occultation de certains éléments de sa culture et une

(sur)valorisation d’autres, tentant d’inscrire son discours dans le cadre des

représentations qu’ont les touristes des « nomades » et du désert, tout en tâchant de

faire évoluer leur conception. Les touristes, outre leur intérêt pour le désert, sont en

effet fascinés par l’image du nomade chamelier, fier et résistant, que la littérature et

l’iconographie occidentales sur le Sahara véhiculent. Pour cette raison, communiquer

et échanger avec des « nomades » sera pour eux un objectif important de leur voyage.

Les chameliers incarneront leur représentation du nomade et de sa culture. Cette

incarnation agira avec d’autant plus de force que, lors du circuit, la vie nomade dans le

désert sera en quelque sorte reconstituée sous leurs yeux.

21 La pratique assidue de l’islam par le personnel accompagnant mauritanien est

également un canal important de représentation et de transmission de la « culture

locale » aux touristes, d’autant que beaucoup d’entre eux viennent au désert dans une

sorte de démarche mystique (Urbain 2002). Le guide, les chameliers et le cuisinier

profitent des pauses du groupe pour faire leurs cinq prières quotidiennes. La simplicité

de l’acte surprend toujours les étrangers ainsi que le fait que la prière puisse se faire

presque n’importe où, y compris au milieu d’un groupe de personnes occupées à tout

autre chose.

« Quand ils voient que nous prions, ils nous respectent énormément, se tiennent àl’écart, tout le monde se tait, s’il y a des enfants, ils leur disent d’attendre la fin dela prière pour venir nous voir ! Alors que chez nous, pendant la prière la viecontinue et les enfants peuvent jouer à côté de nous s’ils le souhaitent. Il arrivemême que certains touristes nous rappellent à l’ordre sur l’heure de la prière : alorsque nous n’avons pas vraiment d’heure fixe pour prier. Les touristes sont toujourssurpris de notre ferveur »17.

22 Ces prières viennent rythmer la vie du circuit et, pour ces touristes qui n’ont pour la

plupart jamais vécu au contact de musulmans pratiquants, participent pleinement du

dépaysement du voyage. Aux yeux des visiteurs, la pratique religieuse des

accompagnateurs mauritaniens apparaît comme un pan d’une culture contemporaine

vivante, une pratique qui participe à l’authenticité du voyage et à son esthétique. Par

ailleurs, alors que les guides s’efforcent durant le circuit de ne pas aborder les

questions religieuses de peur qu’elles ne suscitent des débats houleux entre les

trekkeurs, ils évoquent souvent la curiosité des touristes vis-à-vis de l’islam et surtout

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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de ses implications dans la vie sociale et matérielle : l’alcool, la polygamie et les

rapports hommes-femmes, le jeûne.

La rencontre avec les « nomades » a-t-elle finalement lieu ?

23 Les chameliers étant tenus de garder une certaine distance avec le groupe, les échanges

avec eux seront d’abord de l’ordre de l’observation discrète : les touristes observent la

façon dont les chameliers harnachent les bêtes, préparent le thé ou guident le convoi ;

les chameliers commencent à disséquer la composition du groupe et essaient de

comprendre les relations existant entre ses membres. Voir des femmes arpenter le

désert sans objectif autre que la distraction, en pantalon, avec un turban, « comme des

hommes », est toujours pour eux une curiosité. Dans leur société, les femmes ne

s’aventurent pas hors du monde quotidien de l’habitation (jadis la tente, aujourd’hui le

plus souvent, la maison) sans raison.

24 Rapidement, de premiers contacts s’opèrent. Ce sont toujours les touristes qui font le

premier pas. Certains d’entre eux souhaitent monter sur le dos d’une des montures du

convoi prévues à cet effet. Des mots sont échangés, les chameliers connaissant quelques

mots de français, les touristes leur demandant le nom de certaines choses en arabe.

Bien sûr le guide peut faciliter la communication, notamment lorsque le touriste

souhaite poser une question précise (sur l’âge d’une bête, sur la quantité d’eau qu’elle

peut ingurgiter, le nombre de jours qu’elle peut passer sans être abreuvée, etc.). Mais

l’essentiel de la communication interculturelle passe par des mots, des signes, des

attitudes.

25 Souvent, quelques touristes souhaitent participer aux tâches dont les chameliers sont

chargés : certains les aident à harnacher les bêtes, d’autres à allumer et attiser le feu du

bivouac, d’autres enfin à préparer, avec le cuisinier cette fois, la pâte à base de farine et

d’eau servant à préparer la galette, que l’on fera rôtir dans le sable sous la braise.

Derrière ces initiatives, il y a une réelle volonté de se départir de l’image du touriste

consommateur passif, pour aller vers celle d’un touriste « frère », « solidaire », qui se

met au même niveau que ses hôtes. Ces contacts se traduisent souvent par une

« fraternisation » qui contribuera grandement, aux yeux des touristes, à la réussite de

leur voyage. Celle-ci sera souvent attestée par le don, à la fin du circuit, d’un objet de la

part du chamelier avec qui cette fraternisation aura opéré : son bâton d’orientation, sa

pince à échardes... Cet objet « authentique » scellera, pour le touriste, le lien

effectivement noué avec la figure tant convoitée du « nomade », et donc la réussite de

son voyage. Ce don provoquera quasi-systématiquement le contre-don d’un objet de la

part du touriste : couteau suisse, lampe frontale, tee-shirt, dans le meilleur des cas

chaussures de randonnée ou sac de couchage. Pour le chamelier, cet objet revêtira une

valeur utilitaire et marchande réelle, sans pour autant annuler la trace de la relation

d’amitié établie18.

26 Cette découverte de la culture locale durant le circuit s’opère également à l’occasion

des soirées en bivouac. Celles-ci sont animées et préparées par le guide. Lors de ces

veillées, c’est une culture orale populaire et vivante qui est présentée au « groupe » :

ces veillées sont consacrées au jeu des devinettes, à la poésie ou au conte, au chant et à

la danse. Lors d’un circuit auquel nous avions participé, les touristes avaient pris part à

des jeux d’adresse traditionnels avec les chameliers. Bien évidemment,

l’environnement de ces veillées, sous un ciel étoilé, près du feu de camp, au milieu des

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dunes, donnait aux yeux des touristes une efficacité supplémentaire à la transmission

de ces « échantillons » de la culture locale. Les touristes ne restaient pas des acteurs

passifs ; certains proposaient à leur tour des jeux collectifs ou des contes.

27 Au moment de la pause du midi ou du bivouac, des femmes, habitant un campement

voisin, viennent s’installer autour des nattes du groupe pour vendre de l’artisanat

qu’elles présentent comme « traditionnel » et de fabrication « locale » (bijoux,

calebasses, pinces à échardes, tabatières, vanneries, pieds de palanquin, pointes de

flèches néolithiques, etc.). Ces femmes ont parfaitement assimilé les itinéraires des

groupes, connaissent très bien le nom des différents guides, leurs région et tribu

d’origine, ainsi que le nom de l’agence réceptive et du voyagiste pour lesquels ils

travaillent. Elles savent très bien faire la différence entre des touristes « Allibert » et

des touristes « Terre d’Aventure », qui n’auront pas le même comportement ni le même

pouvoir d’achat, et dont les guides n’agiront pas avec elles de la même manière. Elles

connaissent leurs goûts, quelques mots de leur langue, leurs faiblesses aussi. Elles

savent que leurs habitudes de négoce ne sont pas les mêmes que les leurs. Elles ont

forgé, au fil des années, leur propre représentation du « touriste », se résumant à celle

d’un naçrâni19, venu découvrir leur pays et leur culture, et prêt à dépenser quelques

milliers d’ouguiyas pour de menus objets d’artisanat local.

28 Généralement, ces vendeuses ambulantes s’approvisionnent auprès de grossistes du

marché d’Atar, voire de Nouakchott. Bien souvent, elles doivent délaisser

momentanément le domicile familial pour leur commerce et sont les seules personnes

locales, outre les chameliers, avec lesquelles les Nçâra (pl. de naçrâni) peuvent échanger.

À travers leur rencontre, les touristes découvrent un statut local de la femme

musulmane très éloigné de ce qu’ils avaient pu imaginer. Ces commerçantes venues des

campements ou villages alentours féminisent leur représentation des « nomades » et du

« désert ».

29 Les objets d’artisanat acquis auront la valeur d’échantillons de culture locale prélevés

et constitueront des traces gardées20 d’une culture nomade « vivante » et

« authentique ». Les carnets de bord, la photographie (plus courante que la vidéo

numérique), sont également des moyens privilégiés par les trekkeurs pour s’approprier

et mettre en mémoire les découvertes glanées lors du voyage, ainsi que les

« événements » qui ponctuent son déroulement.

Mise en scène d'une « culture savante » : l'exemple deChinguetti

Construction d'un patrimoine culturel bon à visiter

30 Parallèlement à cet effort de reconstitution de la « culture nomade » pour des touristes

il est vrai avant tout attirés par le désert et ses habitants, certains sites sont aménagés

spécifiquement pour la visite. Pour comprendre comment cette conversion s’est

opérée, nous prendrons l’exemple de la petite cité de Chinguetti, modelée par les

promoteurs de la culture et du tourisme en « patrimoine culturel » d’intérêt

touristique. Il semble en effet que les démarches des instances de qualification du

patrimoine culturel rejoignent celles des promoteurs du tourisme en Mauritanie : elles

visent à fabriquer un « patrimoine »21 prioritairement utile pour le développement

économique de la région par le tourisme.

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31 Le classement de Chinguetti au Patrimoine mondial de l’Unesco a été obtenu en 1996,

l’année même du lancement du tourisme en Adrar. Certes, cette démarche avait été

initiée quelques années auparavant22, mais le fait que cet événement coïncide avec

l’arrivée des premiers charters sur l’Adrar semble refléter la collusion entre les

logiques des opérateurs de la patrimo- nialisation et celles des agents de la mise en

tourisme de la région. Cette liste est le label par excellence d’une culture globale

consensuelle, émis par une institution des Nations Unies spécialement mandatée pour

qualifier « les plus dignes traces du passé » (Fabre 2000b : 205) pouvant entrer dans cet

héritage mondial. L’Unesco a joué un rôle moteur dans la mise en patrimoine de la cité

de Chinguetti, même si cette intervention était souvent très mal adaptée au contexte

local :

« Il y a eu deux projets Unesco relatifs à la sauvegarde des manuscrits deChinguetti. Le premier a été financé par le Japon. Il s’agissait de restaurer unemaison de la vieille ville achetée par l’Unesco pour abriter les livres de l’ensembledes bibliothèques. Ce projet a été mené sans aucune concertation avec lespropriétaires de bibliothèques et les habitants. La maison achetée était bien troppetite pour recueillir des collections d’ouvrages anciens et surtout elle étaitinondable en cas de forte pluie. Le jour de l’inauguration officielle de cette maison,en présence du Président de la Fondation nationale de Sauvegarde des villesanciennes, il a plu et tout le monde s’est aperçu qu’il y avait un problème avec cettemaison. Le projet a ensuite été abandonné.Le second projet a consisté à construire une maison sur un autre terrain de la vieilleville. Celle-ci est aujourd’hui achevée. Mais comment voulez-vous faire entrerplusieurs milliers d’ouvrages dans des pièces aussi exiguës. C’est bien trop petit. Etpuis les livres bénéficient dans nos bibliothèques familiales d’une climatisationnaturelle alors que la climatisation artificielle de la maison Unesco posera desproblèmes en cas de panne de courant ou autre. Finalement il a été décidé que cettemaison servirait plus de bureau d’accueil des visiteurs, avec l’exposition dequelques ouvrages de valeur. L’autre problème est que ce projet a été monté enpriorité avec une famille, et ne reçoit pas l’accord de tous les détenteurs debibliothèques familiales. Le chef de cette famille avait également passé un accord de“gérance éternelle” de cette maison avec la Fondation et l’Unesco, alors que nousdemandions une gérance collégiale et tournante. Finalement, quelquespropriétaires de bibliothèques se sont retirés du projet. Cette famille avait, qui plusest, déjà bénéficié de nombreuses aides [...] »23.

32 Aujourd’hui, de nombreuses institutions et ONG de développement intervenant au sein

de la commune de Chinguetti, séduites par la rapidité apparente de la greffe de ce

secteur touristique sur l’économie locale (Boulay 22 23 2006), reprennent à leur compte

ce discours patrimonial dans la formulation de leurs projets et dans leur lecture de la

ville, alimentant ainsi le processus en cours. Les projets de développement

d’institutions internationales (Union européenne à Chinguetti de 2003 à 2006,

Coopération espagnole à Ouadane de 2006 à 2008), sont également des « arènes »

(Olivier de Sardan 2005) ou se confrontent et s’ajustent des représentations

divergentes, émanant d’acteurs différents (agents de développement, fonctionnaires

internationaux, décideurs mauritaniens, ONG locales), quant au choix des éléments de la

culture locale qui doivent donner corps à cette notion exogène de « patrimoine

culturel ». Ces projets constituent d’importants vecteurs de production d’un

« patrimoine culturel » prêt à être consommé par les touristes. Depuis quelques années

en effet, le tourisme dit « équitable », « durable » ou « culturel », est présenté comme

un levier privilégié de développement et un outil de lutte contre la pauvreté par les

institutions internationales (Unesco en tête)24.

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33 Ce discours promotionnel reprend en fait assez fidèlement celui des guides touristiques

et des catalogues des voyagistes qui sont également des acteurs très importants de ce

processus de mise en monument de la ville, passant largement par sa sanctuarisation25.

Chinguetti est en effet très souvent présentée comme la « Septième ville sainte de

l’islam »26. Cette forge- rie récente, est non seulement méconnue des Mauritaniens et

des habitants de Chinguetti eux-mêmes, mais également démentie par les intellectuels.

Celle-ci participe du dispositif performatif exogène de patrimonialisation de la ville.

34 Parallèlement à l’engouement médiatique étranger dont la ville fait l’objet depuis les

années 1980 et 1990 surtout, Chinguetti, fondée vers le VIIe siècle de l’hégire (le XIIIe ap.

J.-C.), occupe localement une place de tout premier plan dans la construction politique

de la mémoire de la nation mauritanienne. La cité de Chinguetti est toujours

représentée par le minaret de sa mosquée, surmonté de cinq œufs d’autruche

distinctifs. Ce bâtiment est devenu, par métonymie, le « monument » mis pour la ville

de Chinguetti, mais aussi et surtout, par un processus de « logoïsation » (Anderson

1991) largement encouragé par les militaires nationalistes arabes, l’emblème de

l’héritage historique et culturel de la nation tout entière, dont le seul ciment incontesté

entre ses différentes composantes sociolinguistiques demeure l’islam. Néanmoins, le

classement de l’Unesco reste inconnu de la grande majorité des Mauritaniens27.

35 Du côté mauritanien, on a une forme de patrimonialisation par sélection et

emblématisation d’un édifice religieux, le petit minaret de la Mosquée de Chinguetti :

dans ce cas, c’est le patrimoine religieux qui nourrit et signifie le patrimoine culturel de

la nation tout entière. Alors que, du côté des acteurs étrangers, la patrimonialisation

opère par la production d’un discours performatif sur la ville au prestigieux passé : le

patrimoine religieux semble alors servir de simple support d’un patrimoine culturel

prêt à être consommé par les touristes. Il s’agit donc là de deux constructions

patrimoniales autonomes, mais qui peuvent s’alimenter : l’une, « locale », représente la

religion de toute une nation, ciment de la société, l’autre, « globale », met plutôt en

avant l’aspect civilisationnel de l’islam, à travers ses bibliothèques notamment, et est

destinée à un public étranger et non musulman.

Un patrimoine culturel contre-nature ?

36 La visite de la ville de Chinguetti est de courte durée : une heure environ28. Le guide-

accompagnateur commence toujours par une promenade de quelques minutes dans les

rues de la vieille ville avec son groupe. Puis il s’arrête à proximité de l’enceinte de la

mosquée historique, si possible sur une hauteur qui permet de découvrir le minaret et

l’intérieur de cet espace, interdit aux non-musulmans. Une fois cette introduction faite,

il mène son groupe dans l’une des bibliothèques29 familiales de la ville, généralement

sise à proximité de la mosquée.

37 Le conservateur des lieux, qui se présente comme un membre de la famille propriétaire,

prononce d’abord un discours introductif sur Chinguetti et sur l’histoire de la

collection. Puis il propose au groupe de pénétrer dans la pièce renfermant les précieux

manuscrits. Les visiteurs s’installent en cercle autour de lui. Le conservateur parle à

voix basse, dans ce minuscule espace, frais et sombre. L’ambiance est presque au

recueillement. Il montre délicatement à l’assistance quelques exemplaires de différents

types d’ouvrages (Coran, Vie du Prophète, ouvrages de droit, de grammaire, etc.),

certains anciens de plus de cinq siècles, leur explique le système de pagination

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employé, présente les techniques utilisées à l’époque pour la fabrication de ces

ouvrages (type de papier utilisé, matières à encres et instruments d’écriture) et pour

leur conservation. Pour mieux convaincre, le conservateur de la bibliothèque choisit

des ouvrages représentatifs (les plus beaux, les plus vieux, ceux recélant une astuce

technique...). Les photos sans flash sont autorisées. Se révèle alors aux touristes toute

une culture religieuse savante, en relations avec le reste du monde arabo-musulman

depuis des siècles. La bibliothèque devient bien le sanctuaire gardant les « trésors

inestimables »30 de la ville, à savoir ses manuscrits, et compense la visite interdite de la

mosquée.

38 Ces bibliothèques sont fréquentées par presque tous les groupes de passage à

Chinguetti, et ceci pour deux raisons essentielles. D’une part, les bibliothèques sont

actuellement les seuls espaces « culturels » de la ville destinés à la visite31. D’autre part,

ces lieux présentent une forte capacité à capter la curiosité de touristes issus de

catégories sociales dans lesquelles l’écrit est valorisé et le livre conçu comme un objet

prestigieux. En sortant de la bibliothèque, les visiteurs ne peuvent guère faire

autrement que de tomber sur des vendeuses d’artisanat installées sous des tentes qui

ceignent la mosquée historique. Le site ressemble, de fait, à un petit campement

commercial en pleine ville. L’émotion ressentie par les visiteurs devant ces manuscrits

peut donc rapidement laisser la place à un sentiment de tourisme commercial et de

saturation.

39 Lors de la visite de la ville, un certain nombre de sujets et de lieux ne sont pas abordés.

On circule autour du site religieux sans que jamais on ne puisse y pénétrer. Par ailleurs,

les principales bibliothèques familiales se trouvent autour de la mosquée — ainsi que

les tentes-boutiques des vendeuses d’artisanat — soulignant sa présence interdite. On

regarde les manuscrits sans pouvoir les toucher. On est bien là dans l’une des

définitions du sanctuaire : espace exclusif entourant quelque chose de sacré, de

précieux. Les conservateurs de bibliothèques mauritaniens jouent un rôle ambigu dans

la transmission de leur culture, sélectionnant des éléments au détriment d’autres : la

religion n’est évoquée que de façon allusive et historique, on parle d’un islam savant, de

savoirs « traditionnels », de cité historique, d’architecture, de bibliothèques, de

manuscrits anciens, etc. Bref, lors des visites, les expressions matérielles, intellectuelles

et historiques de l’islam à Chinguetti sont mises en avant, mais pas la pratique de la

religion aujourd’hui. Comme si la production patrimoniale destinée à des étrangers

devait nécessairement procéder d’une mise au passé de la culture et comme si l’islam

au présent n’était pas bon à montrer au regard de l’actualité internationale qui fait, il

est vrai, en Occident, une large place au « terrorisme islamiste ».

40 La transmission de la culture, dans le cas d’un site comme Chinguetti, semble passer

obligatoirement par la fabrication d’un « patrimoine » bien défini et balisé, labellisé par

les instances internationales et prêt à l’usage de visiteurs étrangers. Elle contraint

d’une part les Mauritaniens à mettre quelque chose derrière le concept emprunté de

« culture » 32, qui reste un concept très englobant. On assiste ainsi à une

« essentialisation » de la culture (Maffi 2004), autour du manuscrit et de la bibliothèque

par exemple, processus qui laisse souvent également le sentiment, chez le destinataire

de cette mise en scène, d’un manque (la mosquée historique interdite mais visible) ou

d’un phénomène tronqué (le présent d’une pratique de l’islam). Ce manque ressenti lors

de la visite de Chinguetti est largement accentué par l’aspect commercial de cette mise

en scène et surtout par l’expérience inverse que vivent les touristes lors de la marche

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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dans le désert33. Cet effort de transmission conduit par ailleurs les Mauritaniens à

matérialiser une culture essentiellement immatérielle (poésie, histoire orale, chants

des griots, chants de louange, etc.), pour des étrangers habitués à une version très

matérielle du patrimoine culturel34. Il exige enfin une professionnalisation d’un des

membres de la famille dans ce nouveau « métier » :

« Dans le passé, celui qui s’occupait des manuscrits familiaux était souvent le plusâgé et/ou le plus érudit de la famille. Il était choisi par l’ensemble de la familleélargie. Aujourd’hui, de nouveaux critères se sont ajoutés, voire ont remplacé lesanciens : il faut que cet homme connaisse au moins une ou deux langues de plus quel’arabe, dont le français parfaitement puisque l’essentiel des touristes sontfrancophones, et qu’il ait de bonnes dispositions à communiquer avec les visiteurset à donner des explications claires. Hier, c’était le commerce caravanier qui nousfaisait connaître dans tout le monde arabe, aujourd’hui c’est le tourisme qui faitparler de Chinguetti partout dans le monde. Mon frère est un jour tombé sur uneinterview de moi dans une émission d’une chaîne de télévision allemande. Il a étésurpris d’une part de me voir à la télévision, d’autre part de m’entendre parlerallemand ! En fait, j’étais doublé. J’ai vu aussi un jour ma photo dans un guidetouristique » 35.

41 Ce dispositif fait passer ces bibliothèques et ces ouvrages religieux, normalement et

encore parfois destinés à l’étude, aux statuts respectifs de musée et d’objets de

mémoire voire de « beaux objets ». Normalement fréquentés par les membres des

familles propriétaires, ces lieux deviennent soudain accessibles à des étrangers non

musulmans, qui ne sont pas en situation d’étude, ni en demande d’instruction

religieuse ou juridique, mais de visite, de découverte et de loisir.

Nouvelles relations sociales générées et ajustementssociaux

42 La mise en tourisme de la culture en Adrar mauritanien repose donc sur des dispositifs

de transmission, que ce soit dans le cadre de la « randonnée chamelière » dans le désert

ou dans celui de la visite d’une « ville ancienne » classée. Ces dispositifs mobilisent et

produisent des relations entre individus qui, sans la naissance de cette activité, ne

seraient probablement jamais entrés en contacts les uns avec les autres. L’implantation

d’une économie touristique dans une région comme l’Adrar se traduit également par le

développement de stratégies d’instrumentalisation du patrimoine culturel à des fins

économiques et/ou politiques, qui donnent lieu à un certain nombre d’ajustements

sociaux.

Partenariats « translocaux »

43 Ces dispositifs de visite ont été mis en place dans le cadre de collaborations étroites

entre voyagistes français et agences de voyage mauritaniennes dans la seconde moitié

des années 1990. Il s’agissait alors de concevoir dans l’urgence36 des « produits » à

même de répondre à la fois aux exigences de l’État, qui, dans sa déclaration de politique

générale de 1994, prônait notamment la mise en place d’un « tourisme saharien,

culturel, [...], écologique et méditatif », non aliénant et respectueux des valeurs

islamiques37, et à l’engouement occidental pour de nouvelles formes de tourisme,

« d’aventure » ou « solidaire ». Dans ce cadre, la société française Point-Afrique, qui

affréta les premiers avions charters sur l’Adrar en 1996, et son partenaire mauritanien,

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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la SOMARSET (filiale de la société nationale d’industrie minière- SNIM qui exploite le

minerai de fer dans la région de Zouérate)38, jouèrent un rôle moteur non seulement

dans l'identification des sites d’intérêt touristique et des premiers itinéraires de

trekking, mais surtout dans la formation des premiers guides-accompagnateurs. Malgré

l’effondrement des activités trekking de la SOMARSET depuis 2005, les guides qu’elle a

formés jouent aujourd’hui un rôle-clé à l’interface entre attentes et stratégies des

voyagistes français et agences réceptives locales.

44 Leur expérience (du terrain, des touristes, des populations fréquentées sur les circuits)

en fait des personnages absolument indispensables aux voyagistes. Ces derniers, basés

en France, savent en effet que la réussite de ce type de tourisme, axé sur la découverte

d’une culture locale « vraie » et sur la « chaleur de l’hospitalité nomade », repose en

grande partie sur les épaules du guide. Raison pour laquelle certaines sociétés

représentées39 en Mauritanie font presque chaque année venir « leurs » guides en

France pour renforcer leur formation, concevoir avec eux de nouveaux produits et faire

la promotion de leur pays auprès de clients potentiels, à l’occasion par exemple d’une

manifestation comme « Eldorando », premier festival international de « randonnée »

organisé par La Balaguère dans les Pyrénées françaises en 2005, puis dans l’Aude en

200740.

45 Parallèlement à ces échanges professionnels naissent des partenariats sur la base de

relations nées durant le circuit entre les guides et certains touristes, désireux d’aller

plus loin que la simple relation guide-client, et de se départir ainsi de leur image de

« touristes ». En effet, durant le circuit, des amitiés se nouent, se prolongeant ensuite

par des échanges d’adresses, de courriers électroniques ou d’appels téléphoniques

réguliers entre le guide et certains de ses anciens clients. Des associations sont mises

sur pied et donnent lieu à des micro-projets de solidarité entre des localités de l’Adrar

et des communes ou écoles françaises : construction de salles de classe, fourniture de

motopompes, envoi de matériel médical pour un dispensaire ou de matériel

pédagogique pour une école, résultat direct de cette idéologie du « tourisme solidaire »

portée par bon nombre des touristes visitant l’Adrar. Chaque année, les guides partent

en France rendre visite à leurs amis disséminés dans tout l’hexagone. Quelques-uns ont

monté une petite troupe de conteurs et se produisent dans des écoles ou dans des

centres culturels, à l’occasion de réunions dédiées à la découverte de la Mauritanie ou

du sahara. Cette circulation des guides répond en quelque sorte aux séjours effectués

par les touristes français en Adrar, entretient le réseau de contacts, constitue un mode

de diffusion privilégié de la « culture » mauritanienne, et est mis à profit pour le

montage de projets « culturels » ou « humanitaires ».

46 Chaque guide constitue ainsi, au fil de sa carrière, un carnet d’adresses qu’il peut ainsi

activer à tout moment, selon le projet qu’il souhaite mettre en œuvre (Boulay 2006).

47 Une fois ce réseau constitué, il arrive souvent que le guide crée sa propre agence

réceptive et organise des circuits « à la carte » pour ses anciens clients, présentés

comme des « amis », et pour les amis de ses amis. Ainsi, assiste-t-on depuis quelques

années à une multiplication d’agences, bien souvent matérialisées par une simple carte

de visite et une adresse Internet ! Néanmoins, seules quelques-unes d’entre elles

parviennent à survivre dans un secteur extrêmement concurrentiel. Celui-ci est

contrôlé par moins d’une dizaine d’agences réceptives de poids, qui sont parfois

contraintes de vendre des prestations à perte pour conserver leurs partenaires du

Nord.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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« Ce que je n’acceptais pas c’était le diktat de certains tour-opérateurs avec nous.J’étais toujours très ferme avec eux, contrairement à [mon directeur]. À la fin, jen’étais plus sur la même longueur d’ondes avec [lui], qui acceptait souventl’inacceptable, notamment de travailler à perte et d’accepter des petitsarrangements informels. Le colonialisme c’est fini depuis longtemps, et il n’y avaitaucune raison d’accepter les décisions des tour-opérateurs, jusqu’au choix desguides avec lesquels ils souhaitaient faire partir leurs groupes de touristes. Alorsqu’en principe nous devions être les seuls à décider du choix des guides à fairetravailler. Les TO ont facilement tendance à diviser les prestataires locaux entreeux, pour mieux contrôler la situation du tourisme en Adrar, “diviser pour mieuxrégner” en quelque sorte. D’une saison à l’autre ils n’ont aucun scrupule à mettre enconcurrence leur réceptif avec un autre pour faire pression sur les prix parexemple. Ce rapport des sociétés françaises à l’“indigène” me déplaisaitprofondément »41.

48 Derrière les discours de tourisme « solidaire » ou « durable » des voyagistes français, on

assiste donc, depuis quelques années, à une forte détérioration de cette économie, à la

fois sous la pression et les décisions des voyagistes qui cassent sans cesse les prix d’une

destination commençant à s’essouffler, après avoir bénéficié de l’effet de nouveauté des

premières années, et face à la démission de l’État42 dans son rôle de régulation et

d’organisation du secteur.

49 Plus que de partenariats transnationaux, il nous semble pertinent ici de parler de

partenariats « translocaux », puisqu’on est en présence de liens entre le local « ici » et

le local « ailleurs » (Appadurai 2005). La majorité des voyagistes de randonnée

proposant l’Adrar comme destination revendiquent en effet un ancrage dans un terroir

particulier : les Alpes pour Allibert, les Pyrénées pour La Balaguère, l’Ardèche pour

plusieurs autres. Cette stratégie, à laquelle s’ajoute souvent la volonté affichée de

promouvoir un tourisme « équitable », leur permet de se distinguer des agences

« parisiennes » qui apparaissent d’emblée comme de grosses organisations à visées

exclusivement commerciales. Par ailleurs, nous avons vu que les liens noués entre

guides et touristes sont entretenus entre les lieux de vie respectifs du guide et du

trekkeur.

50 Nous avons enfin observé des expériences de partenariats économiques locaux entre

Français, qui investissent dans le secteur et que l’on retrouve à la tête d’agences

réceptives ou de structures d’hébergement locales, et Mauritaniens. Ces stratégies

d’alliance, parfois constituées sur la base de mariages mixtes entre une Française et un

Mauritanien, sont souvent considérées comme la clé de la réussite dans le secteur. Elles

répondent au besoin qu’ont les Mauritaniens de mieux connaître la culture et les

attentes des touristes français. Sans cette connaissance en effet, les produits proposés

n’ont que peu de chances de satisfaire la demande des touristes. De même, les

investisseurs étrangers peuvent difficilement, au moins durant les premières années, se

passer d’un collaborateur mauritanien pour réussir à se faire une place dans l’économie

locale.

Réseaux locaux, solidarités, compétitions

51 Le réseau professionnel du tourisme en Adrar semble a priori plaqué hermétiquement

sur la société adraroise. N’y entre pas n’importe qui, n’importe quand. Faire partie du

réseau, c’est travailler pour l’une des agences réceptives de la place, comme guide,

comme cuisinier, secondairement comme chauffeur ou chamelier. Un grand nombre de

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personnes travaillant dans ces agences ne sont pas originaires de l’Adrar.

Généralement, on entre dans une agence par recommandation et on commence par le

bas de l’échelle. Par exemple, chez le réceptif du voyagiste Allibert, le personnel est

d’abord recruté comme aide-cuisinier, puis, devient cuisinier après quelques mois ou

années, et plus tard guide si une place se libère. À la SOMARSET, les cas de promotion

d’un cuisinier au poste de guide sont plus rares. Il existe une hiérarchie des métiers qui

est difficile à gravir et l’accès au statut de guide, conçu comme lucratif et stratégique

car pourvoyeur de relations avec l’Europe, est délicat. Intégrer le réseau du tourisme en

Adrar c’est y jouer un rôle, ne serait-ce que modique, acquérir une place et un statut

connus et reconnus par les autres membres du réseau.

52 Autour du réseau de personnels d’agences, on trouve une sorte de réseau périphérique

constitué par les gérants d’auberges, les vendeurs de cartes postales, les vendeurs

d’artisanat, les conservateurs de bibliothèques et de petits musées locaux. Ce réseau se

situe aux franges du réseau principal et est complètement dépendant de lui. Il apparaît

en effet que ceux qui sont au cœur du réseau touristique sont les personnels travaillant

au contact direct des touristes, à savoir les guides, les cuisiniers et les chameliers. Cette

proximité avec la « ressource » leur confère une certaine importance dans le système

touristique. Ces éléments du réseau, les guides en particulier, sont caractérisés par une

grande mobilité d’une agence à une autre, qui s’opère au gré des opportunités et de la

santé des agences. Beaucoup de guides formés jadis par la SOMARSET travaillent par

exemple aujourd’hui pour d’autres réceptifs, se connaissent et bien souvent

entretiennent des liens d’amitié. Chaque dimanche, jour d’arrivée et de départ des

touristes, ils se retrouvent sur l’esplanade d’accueil de l’aéroport, qui devient un espace

de rencontre et d’échanges très important, parfois de disputes générées par les rivalités

et la compétition qui existent entre les différentes agences réceptives de la place.

Chacun sait parfaitement qui travaille pour qui, depuis combien de temps, qui est

originaire de l’Adrar ou ne l’est pas, etc.

53 Les responsables des agences réceptives les plus importantes sont connus de tous mais

restent en arrière-plan, aux commandes de l’organisation des circuits. Ils sont moins

d’une dizaine et sont devenus des personnalités locales influentes. Leurs noms circulent

beaucoup dans la petite ville d’Atar. Autour d’eux gravitent guides, cuisiniers et petites

mains du tourisme. Ces figures deviennent les principaux points nodaux du réseau :

entrer dans le réseau consiste à se placer sous la protection de l’une d’elles. Se

dessinent ainsi des groupes éponymes qui s’appuient bien souvent sur les liens de

parenté existant entre les différents membres du personnel. Les guides ont parfois pour

cuisinier un frère plus jeune, un neveu ou un cousin. Ils peuvent également avoir la

même origine géographique et tribale.

54 Une compétition naît entre ces groupes constitués. Chacun représente et est appuyé

par le(s) partenaire(s) étranger(s) pour le(s)quel(s) il travaille. Mais, en même temps,

chacun est susceptible de perdre ce(s) partenaire(s) au profit d’une autre agence, ou

inversement de gagner la faveur d’un voyagiste au détriment d’une autre agence de la

place. Certains voyagistes n’ont en effet aucune difficulté à se libérer d’un prestataire

local pour recruter son concurrent direct, pour une simple question de réduction des

coûts de prestation ou suite à une mésentente. Ce sont eux qui, de toutes façons, sont

souverains sur la constitution ou la dissolution de ces partenariats. Les réceptifs n’ont

pas de marge de négociation.

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Le patrimoine culturel comme ressource et comme instrument

55 Depuis 1996, les Adrarois ont appris à connaître les dispositifs de visite mis en place, les

professionnels du secteur, les itinéraires des groupes, les comportements des

Européens lors des visites et des marches dans le désert. Cette connaissance acquise au

fil des années leur a permis de s’impliquer dans un secteur qui, dès le départ, était

promis à un certain succès mais qui était complètement nouveau. Travailler au contact

des touristes, dans une région entretenant pourtant depuis le début du XXe siècle des

relations très fortes avec la France, était très mal vu par la population lors des

premières années de développement de ce secteur. Encore aujourd’hui, l’afflux

saisonnier de ces visiteurs est perçu de manière très ambivalente par les populations

fréquentées : d’un côté, le tourisme est apprécié pour la nouvelle ressource économique

qu’il constitue, de l’autre, le fait que ces visiteurs ne soient pas musulmans suscite

souvent, notamment chez les habitants des espaces ruraux traversés, des commentaires

d’incompréhension face à « ces gens qui ne prient pas comme nous ». Ce type de

tourisme instaure un contact entre les habitants de ces zones et les touristes beaucoup

plus direct que celui qui existait avec les coopérants et militaires français présents à

Atar, voire avec les administrateurs coloniaux avant 1960.

56 Progressivement, quelques individus ont essayé de s’impliquer dans la « valorisation »

de leur « patrimoine culturel », avec généralement pour objectif essentiel de glaner

quelques ressources économiques. L’Adrar étant une région extrêmement riche en

vestiges archéologiques, on assiste par exemple depuis plusieurs années à une

multiplication de petits musées locaux, sis dans les villes anciennes (on en compte

plusieurs à Ouadane) ou près de villages nés récemment dans le désert. Ce fait révèle un

réajustement d’attitude des familles bédouines vis-à-vis des objets archéologiques qu’ils

vendaient ou donnaient aux touristes il y a encore quelques années, et qu’ils présentent

aujourd’hui aux étrangers moyennant un droit d’entrée modique, dans de petites

huttes situées près des itinéraires des circuits. Les éleveurs maures, qui collectent les

objets archéologiques le long de leurs parcours pastoraux, accordaient jadis peu

d’importance aux objets « anciens » qu’ils attribuent volontiers à une population

disparue (les Bafour, en Adrar et au Tagant). Ce changement d’attitude a révélé

l’intégration par les nomades de la valeur mémorielle de ces objets, et surtout la prise

de conscience du fait que l’histoire locale est un motif d’attraction des étrangers,

synonyme de fréquentation et donc de génération de revenus économiques. Ces objets

historiques sont ainsi passé, aux yeux des habitants du désert, du statut de vestiges

inutiles et sans valeur (avant le tourisme) à celui de biens marchands (dans les premiers

temps du tourisme) et deviennent maintenant des attractions capables de générer une

économie de la visite. Cette dernière a d’ailleurs eu un effet direct sur le repeuplement

des localités les plus fréquentées :

« De nombreuses familles originaires de cette cité, mais qui étaient parties depuisplusieurs années voire plusieurs décennies à Nouakchott ou Nouadhibou, sont entrain de revenir y habiter ou restaurent la maison familiale pour la louer à unaubergiste ou à un projet financé par des Occidentaux (Union européenne,Coopération espagnole ou autre), ou encore placent leurs économies dans desterrains dont les prix ne cessent, actuellement, d’augmenter »43.

57 Néanmoins, depuis 2004, le produit « désert mauritanien » montre des signes

d’essoufflement, que les professionnels locaux imputent généralement à une absence

de renouvellement du produit, d’organisation du secteur, de professionnalisation des

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métiers. Ainsi un ancien guide insiste sur l’effort que doivent fournir les Mauritaniens,

les communes fréquentées par les touristes, les investisseurs privés, l’État, afin d’être

plus dynamiques et de se renouveler en permanence, dans un secteur qui évolue très

vite :

« Concernant la stagnation actuelle du volume de touristes, il y a diverses causes àmon avis. Tout d’abord, il faut que les opérateurs réinjectent une partie de leursgains dans des infrastructures et des investissements, sinon nous n’évolueronsjamais et ne proposerons jamais rien de nouveau aux touristes. Il faut aussi qu’uneville comme Atar améliore son apparence : propreté des rues, plantations d’arbresou de palmiers dans les rues, etc. Il n’y a pas assez de publicité faite pour le pays :on ne peut plus se satisfaire du simple bouche à oreille. Il faut que l’Office nationaldu Tourisme et la direction du tourisme ainsi que la Fédération soient plusdynamiques dans ce sens [...]. À Chinguetti, depuis le commencement du tourisme,rien n’a vraiment changé. Certaines rues ont été désensablées par un programme[de l’Union européenne], les vendeuses ambulantes d’artisanat sont toujours lesmêmes et courent toujours après les touristes, malgré les consignes que nous leurdonnons. La ville n’est pas mieux apprêtée pour le tourisme qu’il y a dix ans. Onvisite toujours les mêmes lieux, on y voit toujours les mêmes choses. Il faut évoluerun peu, sinon les touristes ne reviennent pas »44.

58 Le « patrimoine culturel » n’est pas seulement vu comme une source potentielle de

revenus. Il peut être aussi, surtout lorsqu’il détient le précieux label d’une institution

comme l’Unesco, un nouveau « lieu » d’expression de compétitions politiques et

l’instrument de contestation de pouvoirs locaux. L’installation en 2005 d’un pylône de

télécommunications en plein cœur de la ville ancienne de Ouadane, classée sur la liste

du Patrimoine mondial en 1996, a ainsi été l’occasion saisie par les habitants

« historiques » de cette ville pour dénoncer l’« ignorance » du maire en place à l’époque

et de son clan. Elle a été l’occasion choisie par les Idaw el-Hâj de Ouadane — tribu

religieuse revendiquant la fondation de la ville, un statut d’élite cultivée et de

gardienne de la mémoire de Ouadane —, pour dénoncer également l’emprise politique

sur leur ville de bédouins récemment sédentarisés, les Amgarîj, qualifiés d’illettrés, de

statut social inférieur, n’accordant aucune place au « patrimoine culturel » et à

l’histoire45. L’érection du pylône de télécommunications était ainsi présentée par les

Idaw el-Hâj comme la preuve de cette ignorance et comme un acte qui allait faire fuir

les touristes et pénaliser lourdement la jeune et encore fragile économie touristique de

Ouadane. Aujourd’hui, les discours des touristes visitant la ville de Ouadane ont

confirmé cette crainte, mais les facilités apportées par le téléphone sans fil semblent

avoir rapidement fait oublier cet « événement ». Néanmoins, le « patrimoine culturel »

reste une arme privilégiée par l’opposition municipale pour reprendre la ville des

mains des Amgarîj, considérés comme des usurpateurs.

59 Même si ces contestations n’ont pas permis aux Idaw el-Hâj, alliés à d’autres tribus

moins nombreuses, de reconquérir la ville lors des dernières élections municipales de

2006 et de destituer le maire sortant, elles constituent pour notre propos un exemple

parfait de l’assimilation puis de l’instrumentalisation de ces discours patrimoniaux

exogènes, par un groupe d’individus porteur de revendications politiques et

économiques. Le projet de création d’une aire protégée dans la région de Ouadane,

projet conçu et porté depuis plusieurs années par un ressortissant des Idaw el-Hâj de

Ouadane, qui est également représentant en Mauritanie d’une puissante ONG

internationale de conservation de la nature, semble également s’inscrire dans le même

type de démarche.

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*

60 On assiste en Adrar à la construction d’une « culture locale » autour de deux catégories

bien distinctes voire opposées : une culture « nomade » populaire et authentique d’un

côté, version proposée aux touristes durant leur voyage dans le désert et au cours de

leurs rencontres avec les Adrarois, une culture « savante » de l’autre, mise en scène lors

de la visite de villes anciennes comme Chinguetti et Ouadane. Cette construction

s’opère au sein de cette nouvelle arène que constitue le fait touristique et est le fruit de

rencontres et d’ajustements entre les représentations occidentales du Sahara, d’une

part, et des conceptions locales de la culture, d’autre part, que le tourisme pousse à

essentialiser autour de quelques éléments emblématiques.

61 Ces représentations et pratiques sont la résultante d’échanges et de partenariats qui

restent fragiles et reposent sur des réseaux d’acteurs nécessitant des conditions

favorables pour se déployer. L’attentat contre des voyageurs français dans le sud du

pays, perpétré le 24 décembre 2007 par des Mauritaniens revendiquant une

appartenance à des mouvances fondamentalistes, suivi de l’annulation très médiatisée

du rallye automobile Paris-Dakar, ont porté un coup sévère à ce tourisme prônant la

rencontre directe avec la population locale et le dialogue des cultures. Le pays, jusque-

là épargné par ce type d’événement, est en train de connaître un sort comparable à

celui connu par ses voisins malien et algérien. Et le nouveau coup d’État militaire

survenu le 6 août 2008 ne va sans doute qu’accentuer cette tendance.

62 Dans ce contexte, on est en droit de s’interroger sur l’avenir de la position attribuée à la

« Septième ville sainte de l’islam » par les voyagistes français et les professionnels

mauritaniens du tourisme dans les stratégies de promotion de la destination en France

et dans le dispositif de visite de l’Adrar. De même, il sera intéressant de suivre

l’évolution des discours des guides locaux sur leur culture, des représentations

produites par les trekkeurs européens sur la destination et des comportements des

populations visitées vis-à-vis de ces petits groupes de touristes « solidaires ».

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NOTES

1. Le rôle joué par l’ancien président de la République Maaouiya Ould Sid Ahmed Taya

(1984-2005), originaire de l’Adrar, dans le choix de cette région pour donner une impulsion au

secteur touristique, a sans doute été décisif, même s’il est vrai que l’Adrar présentait d’emblée un

« potentiel touristique » important en termes de renommée à l’étranger, de variété des paysages

et des sites, ainsi que des relations anciennes avec la France. L’Adrar reste aujourd’hui l’une des

régions les moins peuplées du pays : 69 542 habitants au Recensement général de la population et

de l’habitat de 2000 (dpt d’Aoujeft : 20 181 ; dpt d’Atar : 38 962 ; dpt de Chinguetti : 6 704 ; dpt de

Ouadane : 3 695). Sur l’Adrar, voir notamment les travaux de P. BONTE (1998, 2008).

2. Recherche post-doctorale encadrée par l’USM 105 « Objets, cultures et sociétés » du Muséum

national d’Histoire naturelle, et soutenue par la SOMASERT (Société mauritanienne de services et

de tourisme).

3. A. APPADURAI (2005 : 22) a montré que le « local » n’existe pas de lui-même, qu’il est invention

permanente et que ce sont les conditions et modalités d’invention de ce « local » qui doivent être

analysées.

4. Selon J.-D. URBAIN (2002 : 146), l’inadaptation du code de perception à un nouvel

environnement fonde précisément l’expérience du dépaysement et de la révélation.

5. Un public comparable à celui décrit par C. CAUVIN VERNER (2007) dans le Sud marocain.

6. Nous employons à dessein dans ce texte les termes « trekking », « trek » et « trek- keur » qui

sont couramment employés par les touristes et les professionnels de ce type de tourisme. Ces

termes renvoient à une expérience physique éprouvante, vécue collectivement, dans un

environnement extrême.

7. Les plus connus et les plus importants du point de vue du nombre de voyageurs pris en charge

sont : Nomade Aventures, Explorator, Zig-Zag, Club Aventure, Point-Afrique voyages, La

Balaguère, Désert, Terre d’aventure, Atalante, Traces, Chemins de Sable, Allibert, Visage, La

Burle.

8. Ces sociétés, qui prennent en charge les touristes à destination, sont appelées, dans le jargon

du tourisme, « agences réceptives », ou plus communément « réceptifs ». Elles sont dirigées et

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gérées soit par des Mauritaniens, soit par des étrangers installés dans le pays, ici bien souvent des

Français.

9. Mot de l’arabe algérien qui est passé en français durant la période coloniale.

10. Rituel qui n’est pas sans rappeler celui du collier de fleurs par lequel on accueille les visiteurs

dans le Pacifique, mais qui revêt néanmoins, nous semble-t-il, une force symbolique bien plus

importante.

11. Même si certains touristes n’en sont pas à leur premier voyage en Mauritanie, on sait que le

passage d’un milieu à un autre, même peu différent, suscite toujours un sentiment de décalage,

d’étrangeté, de dépaysement.

12. Car bien souvent le guide recrute une personne de confiance pour travailler avec lui, issue de

son cercle de parents ou d’amis.

13. L’expérience physique est vivement recherchée par les touristes, pour la plupart d’entre eux

marqués par la représentation initiatique voire biblique du désert (ROUX 1996).

14. Cette pratique peut également s’inscrire dans une stratégie de séduction de la part des guides

vers les touristes (CAUVIN VERNER dans ce numéro) et se retrouve fréquemment lors

d’observations des interactions entre guides et touristes, notamment en Afrique de l’Ouest.

15. Même si le terme « conversion » renvoie d’abord au fait de « passer d’une croyance

considérée comme fausse à la vérité présumée », il renvoie aussi et surtout au fait de « changer

une chose en une autre » (REY & REY-DEBOVE 1991).

16. Entretien fait à Nouakchott, 21 septembre 2005.

17. Entretien avec un guide de la SOMASERT, le 29 avril 2006, Atar.

18. Comme l’a montré J.-P. WARNIER (1999 : 125), les objets sont plus et surtout autre chose que

des mots, ils sont un « espace autonome de production de sens ».

19. Terme apparaissant dans le Coran pour désigner les Chrétiens, et que les Maures emploient

plus généralement pour désigner les Occidentaux. Il a le sens implicite de non musulman, mais

marque également l'appartenance à l'une des trois religions révélées, synonyme d'une certaine

proximité religieuse et culturelle avec l'islam, qui confère donc à l'étranger un statut bien plus

valorisé que celui d'athée ou de polythéiste.

20. Voir à ce sujet l’article de A. ZISMAN (2004) sur le statut conféré par les ex- trekkeurs aux

objets rapportés du Sahara mauritanien.

21. Une notion qui a fait son apparition en Mauritanie dans le courant des années 1980 et 1990

surtout, notamment avec la création en 1993 de la Fondation nationale des villes anciennes

(FNSVA), puis le classement des quatre cités historiques sur la liste du Patrimoine mondial de

l’Unesco (1996) et le colloque inaugural du Projet de sauvegarde et de valorisation du patrimoine

culturel mauritanien (PSVPCM) en 1999, financé par la Banque Mondiale. Ce soudain

« engouement » patrimonial s’inscrivait dans une démarche très claire de valorisation d’une

culture « arabe » conçue comme la seule légitime par le pouvoir militaire en place en Mauritanie

de 1985 à 2005. Voir, au sujet de la construction politique du patrimoine culturel et de la

mémoire nationale en Mauritanie, A. W. O. CHEIKH (à paraître).

22. Un appel à la sauvegarde des quatre villes anciennes de Mauritanie (Chinguetti, Ouadane,

Tichit et Oualata) avait été lancé du haut du minaret de Chinguetti en 1981 par Moctar M’Bow,

alors directeur de l’Unesco, suivi d’un second lancé en 1988 par son successeur Fedérico Mayor,

également depuis Chinguetti. En 1993, le ministère de la Culture et de l’Orientation islamique

publiait un arrêté portant classification des quatre villes historiques, patrimoine national

protégé (DEY 1999 : 61-62).

23. Entretien avec le gérant d’une bibliothèque de Chinguetti, 2 octobre 2005.

24. Le Sahara des Cultures et des Peuples. Vers une stratégie pour un développement durable du tourisme

au Sahara dans une perspective de lutte contre la pauvreté, 2003.

25. La notion de sanctuaire, qui renvoie à « un lieu protégé, fermé, secret, sacré » (R EY & REY-

DEBOVE 1991), me semble pertinente ici car très proche de celle de « monument » que D. FABRE

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(2000a : 27) a définie comme « la partie la plus précieuse d’un tout ». Elle sous-tend des idées

d’exception, d’exclusion, de démarcation spatiale.

26. Entre autres qualificatifs : « ville mythique du désert », « ancienne cité caravanière »,

« capitale spirituelle de la Mauritanie », « oasis aux prises avec l’ensablement », « ville de départ

des pèlerins ouest-africains pour La Mecque », etc.

27. Il faut dire que le patrimoine bâti en Mauritanie, et dans la culture maure en particulier, et le

patrimoine tangible en général, ne sont pas valorisés, contrairement au patrimoine intangible et

à la tradition orale, qui font l’objet de démarches spontanées et populaires de conservation

(poésie, musique, conte) au sein de la société.

28. Ce laps de temps varie néanmoins selon que la visite de Chinguetti est placée en début ou en

fin de circuit, selon également la période de fréquentation (hors ou pendant les vacances

scolaires françaises), selon enfin le profil et les attentes des touristes évalués par le guide.

29. La ville en compte une quinzaine, mais seules trois ou quatre sont régulièrement visitées et

organisées pour recevoir des groupes de visiteurs. La bibliothèque la plus visitée, celle des Ahl

Habott, se trouve néanmoins dans un autre quartier mais est très bien située puisque donnant

sur la place centrale de la vieille ville, près de la Maison du Livre et du Château d’eau, édifices

remarquables de la cité.

30. Catalogue 2004/2005 du voyagiste La Balaguère, p. 77.

31. Une Maison Théodore Monod (financement Union européenne) est en projet ainsi qu’une

Maison des Manuscrits (financement Unesco).

32. Ils ont recours au terme thaqâfa, emprunté à l’arabe littéraire, pour trouver un équivalent au

terme français culture.

33. Quand la visite de Chinguetti est placée en début de trek, on visite rapidement la ville car les

touristes sont impatients de découvrir le désert, objet véritable de leur séjour. Quand la visite de

Chinguetti est placée en fin de trek, la ville est l’objectif symbolique et géographique de la

marche mais l’empreinte physique et mentale de cette dernière amoindrira largement l’intérêt et

l’enthousiasme pour la visite de la ville.

34. Voir également dans ce numéro l’article de Marco AIME sur Tombouctou.

35. Entretien avec un gérant d’une bibliothèque de Chinguetti, 2 octobre 2005.

36. Contrairement au tourisme de trekking dans le désert marocain, qui s’implante dans le cadre

d’une économie touristique nationale développée depuis plusieurs décennies et de dispositifs de

visite déjà très élaborés et variés (CAUVIN VERNER 2007 : 88), le trekking dans le désert

mauritanien est la première véritable offre touristique organisée d’un pays pour ainsi dire

dépourvu de tradition touristique.

37. Engagement qui sera confirmé dans la loi 96.023 du 7 juillet 1996 organisant l’activité

touristique (PANAROTTO 2003).

38. Ce partenariat s’inscrivait dans la continuité des liens historiques unissant la société

française MIFERMA, qui devint SNIM en 1974 suite à sa nationalisation, et la région de l’Adrar,

qui fournit, rappelons-le, dans les années 1960 et 1970, une grande partie du personnel de cette

société (BONTE 2001).

39. Les voyagistes français n’accordent pas la même importance et les mêmes moyens à la

fidélisation de leurs guides. Cette fidélisation passe par l’organisation de séjours de formation en

France ou par l’octroi de primes ou de petites aides familiales aux guides.

40. Il était question, avant l’assassinat de quatre touristes français en Mauritanie le 24 décembre

2007, de « délocaliser » l’édition 2009 d’« Eldorando » en Mauritanie. Au sujet du festival de 2005,

voir BOULAY (2006).

41. Entretien avec un ancien cadre d’une importante agence réceptive locale, Nouakchott, 15 juin

2006.

42. L’État s’est longtemps appuyé sur la SOMASERT, filiale touristique de la société publique

SNIM, qui contrôlait dans les premières années plus de 50 % du marché de l’organisation des

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circuits, pour organiser le secteur, homogénéiser les prestations et les prix des professionnels, au

point que cette société était souvent accusée de concurrence déloyale par les agences réceptives

privées.

43. Un instituteur de Chinguetti, natif de cette ville, 30 septembre 2005.

44. Entretien fait à Nouakchott, le 15 juin 2006.

45. Cette conception de la culture, structurée autour d’une opposition entre le monde bédouin,

considéré comme fruste et sauvage, et le monde citadin, vu comme civilisé et raffiné, est

omniprésente dans la société maure et dans le monde arabo- berbère en général. On retrouve

cette opposition entre cumrân al-badawî et cumrân al-hadarî dans la vision khaldunienne de

l’histoire et de la société (CHEIKH 2006 : 139).

RÉSUMÉS

Le tourisme organisé a pris son essor dans la région de l'Adrar (Mauritanie) à partir de 1996. Les

circuits commercialisés par leurs promoteurs français articulent « tourisme d'aventure »,

proposant des randonnées chamelières dans le désert, et « tourisme culturel », ciblant la

découverte du patrimoine culturel local. La naissance du fait touristique en Adrar suppose des

processus de fabrication et de mise en visite d'une « culture locale », mobilisant différents types

d'acteurs et suscitant des ajustements de représentations et de pratiques. Ce sont ces processus à

l'interface que ce texte se propose de décrire et d'analyser.

Starting in 1996, organised tourism has developed rapidly in the Adrar region of Mauritania. The

package tours sold by French travel agents focus on "adventure tourism", with camel trips in the

desert, or "cultural tourism" for discovering the local cultural heritage. The advent of tourism in

Adrar implies the fabrication of a "local culture" for tourists to visit. This involves a variety of

players and has required certain adjustments to be made to both representations and practices.

This paper attempts to describe and analyse these interface processes.

INDEX

Mots-clés : Mauritanie, région de l'Adrar, Sahara, Chinguetti, désert, méharée, patrimoine,

réseaux, tourisme, trekking

Keywords : Mauritania, Adrar, Sahara, Chinguetti, desert, safari, patrimony, network, tourism,

trekking

AUTEUR

SÉBASTIEN BOULAY

UR 200 « Patrimoines locaux et stratégies », IRD/Muséum national d’Histoire naturelle.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

103

Du tourisme culturel au tourismesexuel. Les logiques du désird’enchantementFrom Cultural Tourism to Sexual Tourism: the Logics of Desire for Enchantment

Corinne Cauvin Verner

1 Depuis les années 1990, la guerre civile ayant tari le flux des randonneurs dans le Sud

algérien, les franges sahariennes du sud-est marocain voient la progression constante

d’un tourisme international d’excursion dans le désert. Profitant de cette manne, de

nombreux habitants de la province du Drâa se font commerçants, rabatteurs de

clientèle, entrepreneurs de circuits, de campings, de bivouacs ou de maisons d’hôtes,

chauffeurs de 4x4, guides ou chameliers, selon leurs compétences et leur niveau

d’instruction. Mon attention s’est portée sur quelques-uns de ces prestataires issus

d’une tribu sahraouie qui, en partenariat avec un voyagiste français adhérant aux

principes du tourisme équitable, ont créé à Zagora une petite agence d’excursion

saharienne proposant des circuits de randonnées allant de sept à quinze jours. Au

terme d’une enquête conduite auprès de ce groupe de 1994 à 2004, au cours de laquelle

je me suis jointe, au même titre que d’autres touristes, à huit circuits de randonnées, il

est apparu que malgré le souhait commun au voyagiste, aux touristes et aux guides de

voir mis en pratique un tourisme de découverte, il ne s’opérait pas de véritable

rencontre. Pendant les circuits, touristes et accompagnateurs forment deux groupes

distincts entre lesquels les interactions restent limitées. L’authenticité appelant des

processus de vérification et les randonneurs n’étant pas des experts (Warnier 1996),

ceux-ci doutent constamment de la conformité des lieux traversés, des rôles sociaux et

des pratiques culturelles de leurs hôtes, ainsi que de la singularité de leur séjour auquel

ils prêtaient le caractère d’une aventure. Pour les touristes de sexe féminin, un type

d’interaction transcende toutefois cette mécanique de la déception lorsqu’une « idylle »

se noue avec l’un des accompagnateurs — le plus souvent le guide. Vécu comme un rite

de passage où se trouveraient réactualisées les représentations romantiques du Sahara

et des « Hommes bleus », l’échange sexuel dissipe les frustrations liées à la perception

d’une véritable rencontre avec les populations locales. Mais, presque tous les circuits

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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voyant naître une relation entre une touriste et un guide qui, sans être dépourvue de

sentiments, est aussi le lieu très calculé d’une circulation de biens et de services, la

question se pose de savoir s’ils n’instituent pas un tourisme sexuel au Sahara

marocain1.

2 Lorsque j’effectuais mes premiers séjours à Zagora, en 1994, le tourisme n’était pas

l’objet de mon enquête : je m’appliquais à étudier l’imaginaire du désert des oasiens.

Mais dans cette zone frontalière du Maroc et de l’Algérie, agitée par des attaques du

Polisario jusqu’en 1980, mes informateurs me soupçonnaient d’activisme politique en

faveur de la dissidence sahraouie. Le titre d’ethnologue ne me donnait aucun statut et

ne me permettait pas de m’inscrire dans un rapport social. En conséquence, je dus

réfléchir à la place que je pouvais occuper légitimement sur ce terrain. Le tourisme

était une activité économique importante de la région, qui mobilisait de nombreux

acteurs, oasiens ou nomades sédentarisés qui, tout en faisant mine de se rendre

disponibles à mes recherches, cherchaient surtout à me vendre une excursion dans le

désert. Au bout d’un an, je décidais de modifier mon projet initial : puisque mes

informateurs voulaient que je sois touriste, je ferais du tourisme mon objet d’étude.

Assumant ce statut, je n’étais plus l’objet de soupçons sur les dimensions politiques de

mon enquête et, assez paradoxalement, des procédures d’adoption se mettaient en

place avec un groupe de Nwâjî, nomades arabophones de dialecte hassaniya,

sédentarisés à Mhamîd puis à Zagora après les dernières grandes vagues de sécheresse

des années 1970, dont les cadets avaient monté une petite agence de randonnées en

partenariat avec le voyagiste français Croq’Nature. Auprès de ce groupe, plusieurs

types d’investigations ont été combinés.

3 J’ai participé à huit circuits de randonnées. Le premier fut réglé au voyagiste au tarif

habituel, les suivants directement à l’agence de Zagora et à moindre coût. L’entreprise

était familiale. Le patriarche, qui en était le garant moral, voulut dès le deuxième

circuit que la location des dromadaires ne me soit pas facturée. J’ai également séjourné,

plusieurs fois par an pendant dix ans, au sein de l’unité domestique de ce groupe de

Nwâjî — une ferme en pisé à la périphérie de Zagora transformée progressivement en

gîte d’étape pour les touristes. Cette petite ruche avait sa démographie : le patriarche,

né dans les années 1930, avait été successivement berger, méhariste dans l’armée

française, mineur au Tafilalt, commerçant, puis soldat de l’armée marocaine, jusqu’à sa

retraite en 1975. De sa dernière épouse, il avait huit enfants, cinq garçons et trois filles,

nés entre 1965 et 1990, qui tous vivaient sous le toit familial. Auxquels s’ajoutaient

encore la mère et les sœurs de son épouse, des orphelins du lignage, ainsi que plusieurs

tributaires issus des anciens esclaves. Les cinq garçons, qui n’avaient fréquenté que

l’école coranique et n’avaient suivi aucune formation professionnelle, exerçaient tous

le métier de guide et ne recrutaient de guides et de chameliers qu’en fonction du

critère tribal. Le principe, c’était de rester entre Nwâjî. À leurs côtés, j’ai rendu visite à

leurs alliés et collatéraux, je me suis déplacée en pèlerinage au sanctuaire de Sidi Nâjî,

le saint fondateur de leur tribu. J’ai également reçu des guides nwâjî en séjour à Paris et

divers membres de la tribu lorsque, à partir de 2000, je me suis installée à Marrakech.

4 Tous mes interlocuteurs étaient informés de ma recherche. Le voyagiste y était

indifférent. Le patriarche et les femmes du groupe préféraient me croire appliquée à

étudier la généalogie du groupe, réputé chorfa, (descendant du prophète). De fait, j’eus

avec eux de longs entretiens sur la parenté et devais ces dernières années publier des

articles sur l’historique de la tribu dans des magazines marocains. Parmi les cadets,

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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j’eus pour informateur privilégié l’aîné des fils, délibérément provocateur et tenu à

l’écart des circuits par le voyagiste, qui lui reprochait son agressivité à l’égard des

touristes lorsqu’il avait consommé alcool ou haschich. Pas plus que le voyagiste, les

touristes ne se sentaient concernés par ma recherche. Ils ne concevaient pas d’être un

objet d’étude. Il allait de soi qu’étant ethnologue, je devais m’intéresser aux

populations sahariennes. Pourtant, jamais ils ne m’interrogeaient sur ma connaissance

du terrain. Ils réservaient leurs questions à leur guide, instructeur légitime supposé

objectiver sa culture au plus près d’une vérité sociale. Ils ne se tournaient vers moi que

pour être renseignés sur le déroulement d’un circuit dont le guide était excédé de

répéter les détails et dont il était manifeste que j’étais familière. Ces touristes étaient

majoritairement français, provinciaux, d’âge mûr, issus des classes moyennes, et

comptaient une plus forte proportion de femmes qui, célibataires ou non, voyageaient

le plus souvent sans leur conjoint.

5 Sur ce terrain et cet objet d’étude, j’ai réalisé quatre films documentaires (Cauvin

Verner 2001a, 2001b, 2002a, 2002b) et j’ai soutenu une thèse (ibid. 2005). Les touristes

avec lesquels je suis restée en relation ont vu mes documentaires, ainsi que chaque

membre du groupe de Nwâjî enquêté. Les guides possèdent des copies de ces films, ainsi

qu’un exemplaire de la version publiée de ma thèse (ibid. 2007) mais, étant

analphabètes, la plupart ne l’ont pas lue. Des touristes ou des résidents français leur ont

fait le compte rendu, principalement sur les questions relatives à la sexualité avec les

étrangères qui occupent l’un des deux derniers chapitres. Des rumeurs selon lesquelles

les guides me reprocheraient d’avoir écrit sur un sujet, qui ne ferait pas « une bonne

publicité » à la vallée du Drâa me sont rapportées. Toutefois, lorsque je séjourne au sein

du groupe ou qu’il me visite à Marrakech, personne ne me cherche querelle sur ce

point, manifestement écarté des conversations.

Le tourisme culturel comme ressource promotionnelle

6 Peu ou prou, le tourisme n’a-t-il pas toujours été motivé par un désir de découverte

culturelle, celui-là même qui fonde le « Grand tour », voyage entre les grandes

universités de l’Europe initié dès le XVIIe siècle ? Institutionnalisé depuis 1976, grâce à

une charte2 révisée tous les six ans par l’Icomos, principal conseiller de l’Unesco en

matière de protection des monuments et des sites, ce tourisme qualifié de culturel n’est

pourtant ni un secteur d’activité économique, ni même vraiment un marché

puisqu’aucun critère ne permet d’évaluer sa rentabilité (Cousin 2006). La charte qui y

réfère énonce des principes, des recommandations et des objectifs dont les différents

acteurs du tourisme peuvent tenir compte mais qu’ils sont aussi en droit d’ignorer. S’y

trouvent évoquées des questions d’éducation, de citoyenneté, de libéralisme, de

développement ou d’inégalités sociales qui ne sont pas nécessairement des

compétences des producteurs et des consommateurs d’activités de tourisme. En l’état

actuel du marché, l’application des dispositions est difficilement repérable. Aucun

indicateur ne permet d’en mesurer la portée et l’efficacité. Il n’en est pas fait mention

dans les bilans statistiques de la fréquentation touristique au Maroc qui est, avec les

transferts financiers des résidents à l’étranger, la principale source de devises du pays

et une option prioritaire du développement : le roi Mohammed VI s’est engagé à

recevoir dix millions de touristes à l’horizon 2010. Ces bilans ne reconnaissent le

tourisme culturel qu’en termes de destinations. Par exemple, la ville impériale de

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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Marrakech, riche en monuments (palais, médersas), folklore (place Jemaa el Fna) et

traditions artisanales (souks), motiverait un tourisme culturel, tandis que la ville

côtière d’Agadir ne justifierait qu’un tourisme balnéaire. Mais aucune donnée ne nous

renseigne sur la pratique effective des touristes séjournant dans un riad de Marrakech

ou dans un complexe hôtelier d’Agadir. À la faveur de ma propre enquête, jamais je n’ai

été tentée de qualifier de « tourisme culturel » le type de pratique touristique que

j’étudiais, tout autant susceptible de relever d’un tourisme sportif, pèlerin, de

découverte ou d’aventure, voire d’affaires, certains touristes commerçant de l’artisanat

local pour financer des voyages ultérieurs. Outre que la dénomination « tourisme

culturel » s’inscrit dans une tradition de nomenclature des pratiques touristiques

(tourisme de masse, individuel, sédentaire, itinérant, à forfait, à la carte, etc.),

paradoxalement elle informe peu les modalités concrètes des séjours. Elle est si peu

opératoire qu’on la trouve fréquemment mentionnée entre guillemets.

7 On ne saurait toutefois la considérer comme une fiction marketing. Les clients du

voyagiste Croq’Nature, sans jamais se définir comme des « touristes culturels »

prévoient en effet de pratiquer un tourisme alternatif, marginal, leur permettant

d’entrer en contact avec des nomades et de se familiariser avec leur culture. En ce sens,

on peut dire que la plupart se reconnaissent dans l’idéal-type du « touriste lettré »3 : ils

souhaitent parcourir le désert à pied ou à dos de dromadaire plutôt qu’en véhicule tout

terrain. Ils préfèrent des nuitées à la belle étoile dans les conditions d’un déplacement

caravanier à des étapes confortables dans des bivouacs. Ils occupent leurs soirées par

différents travaux de plume : correspondance, journal de bord, croquis ou aquarelles.

Ils s’essayent à mémoriser un peu d’arabe, s’appliquent à vérifier leur itinéraire sur les

cartes IGN qu’ils ont emportées avec eux et sur lesquelles ils inscrivent les toponymes

indiqués par leur guide. Ils procèdent de la sorte à une intellectualisation du voyage.

8 Assez significativement, le discours promotionnel du voyagiste Croq’Nature adjoint à

cette perspective d’un tourisme culturel celui d’un « tourisme- développement » plus

apte à être objectivé et que la brochure s’applique d’ailleurs à rendre transparente.

Titrée « Voyages équitables et solidaires. À la rencontre des cultures et des peuples de

l’Atlas et du Sahara »4, cette volumineuse brochure insère en effet de longs

développements sur l’historique du coude du Drâa, l’économie du village d’Oulad Driss

à partir duquel s’effectue le départ des circuits, mais aussi un rapport d’activités où des

historiques et des graphiques détaillent les modalités des partenariats avec les

populations locales, la gestion des recettes et la division du travail5. Les touristes y

voient garantie une triple authenticité, de la société locale (des accompagnateurs issus

des tribus bédouines), des prestations du voyagiste (fondées sur des liens personnalisés

avec des groupes locaux), de l’expérience touristique (le temps d’un circuit, vivre « avec

des nomades, comme des nomades »6). En contribuant à redynamiser le pastoralisme, à

créer des dispensaires, des puits et des écoles, à endiguer l’exode rural, ou encore à

sensibiliser à l’écologie moderne, les touristes se sentent ainsi investis d’une mission de

« bienfaiteurs » donnant un sens à leur voyage, autre que l’hédonisme. Ils trouvent le

moyen de se distinguer du touriste de masse (Urbain 1991).

9 Guides et chameliers ne distinguent pourtant pas le touriste de masse du touriste

culturel, pas plus qu’ils ne conçoivent de différence entre un touriste et un voyageur.

Cela étant, ils ne considèrent pas que tous les touristes sont équivalents. Ils se moquent

par exemple volontiers du touriste « FRAM » dont ils détournent le sigle en devise :

« Faut Rien Acheter au Maroc. » Ils préfèrent les touristes individuels voyageant à la

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carte, sans programme défini, dont ils estiment pouvoir tirer toutes sortes d’avantages.

Selon leurs témoignages, le « meilleur » des touristes est âgé de moins de quarante ans,

il voyage seul ou avec un groupe d’amis, il exerce une profession libérale, idéalement

dans la presse car s’en trouveront garanties des conversations animées et une bonne

publicité en Europe, il aime faire la fête, c’est-à-dire qu’il voyage avec des bouteilles

d’alcool et du haschich, et il est enfin une femme, disposée aux aventures amoureuses.

Mécanismes de la déception et rhétoriques del'authenticité

10 Sociologues et anthropologues établissent fréquemment une homologie de structures

entre le tourisme et le pèlerinage, entre le tourisme et les rites de passage. Dean

MacCannell (1976) parle des sites touristiques en termes de lieux sacrés. « Sous le

conformisme grégaire, le rite collectif. Sous le circuit, la cérémonie », écrit Jean-Didier

Urbain (1991 : 231). La brochure du voyagiste Croq’Nature vulgarise le thème de la

quête mystique en évoquant la « magie » de paysages inondés de lumière, et ne manque

pas de citer le proverbe dit touareg : « Dieu a créé des pays pleins d’eau pour y vivre et

des déserts pour que l’homme y trouve son âme. » Elle ménage les effets de rupture ou

de démarcation propres aux scénarii initiatiques : les lieux sont décrits comme « hors du

commun », « paradisiaques », éloignés des grands pôles d’agitation touristique. Elle

annonce épreuves et rites cérémoniels : endurer le manque de confort, faire l’ascension

de la grande dune de Chigaga, boire successivement trois thés dont le premier serait

âcre comme la vie, le deuxième doux comme l’amour, le troisième suave comme la

mort. Le déroulement même des randonnées est susceptible d’être décrit comme un

rite de passage : la « séparation » se ferait au départ du circuit lorsque les touristes se

délestent d’une partie de leurs encombrants bagages et qu’ils se travestissent en

revêtant chèche et sarouel. L’« initiation » se réaliserait tout au long du parcours, avec

un point d’acmé dans les grandes dunes où la caravane fait halte une demi-journée et

une nuit. La « réintégration » aurait lieu au retour en France, accompagnée

d’hypothétiques prises de conscience et d’effets de nostalgie. Pourtant, malgré la petite

efficacité rituelle de ce programme7, un nombre significatif de touristes expriment une

insatisfaction au cours de leur séjour. Ils sont déçus, pour des raisons qui tiennent à

une série de paradoxes : comment authentifier des Bédouins devenus des « nomades de

profession » ? Comment se singulariser dans le cadre d’une expérience collective ?

Comment vivre une aventure tout en respectant un programme ?

11 J’ai en mémoire la protestation d’une touriste lorsqu’un campement fut établi à

proximité d’une maison en terre où, à la fin du jour, une pompe à eau se mit à

fonctionner à grand bruit. Le guide eut beau expliquer que le désert était peuplé

d’habitants vivant de l’irrigation de minuscules parcelles de terre et de l’élevage de

petit bétail, les randonneurs doutaient de se trouver géographiquement au Sahara8. Ils

imaginaient traverser un espace monotone et désolé, sans eau, sans végétation,

impropre à toute autre chose qu’au parcours, où toute vie brusquement se serait

arrêtée pour ne laisser place qu’au vide, au néant. Ils rêvaient d’un au-delà des

frontières, désert des déserts absolu hanté de métaphores maritimes d’où ils auraient

perdu la grève. Au lieu de cela, leur périple s’effectue à l’est de Mhamîd dans des

steppes semi-arides où résistent armoises, alfas, tamaris, acacias, euphorbes et

coloquintes. Ils ne sont jamais bien loin d’une oasis ou d’un puits. Ils suivent des

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sentiers, des pistes, le long desquels ils croisent des troupeaux de chèvres et de

dromadaires, des bergers, parfois même d’autres groupes de touristes, la concurrence

entre les agences locales entraînant une surexploitation des sites. Hors l’erg Chigaga,

atteint à mi-parcours à raison d’environ trente kilomètres par jour, les paysages ne leur

offrent que très peu de ces hauts reliefs dunaires qui illustrent les brochures des

voyagistes et servent de décor à la promotion des destinations sahariennes.

12 Ils doutent également de se trouver en présence de « vrais nomades » et d’être les

témoins de traditions culturelles ancestrales. Méconnaissant la société qui les accueille,

ils cherchent à distinguer le vrai du faux, l’hérité de l’inventé, le spontané du folklorisé,

comme en témoigne ce dialogue enregistré avec ma caméra en 2000 auprès de touristes

allemands, étudiants en art et en architecture :

« — Je n’ai pas ressenti ça comme typiquement nomade.— Moi j’ai trouvé qu’ils faisaient beaucoup de choses pour eux-mêmes [...]. Quand ilsont chanté, dansé, ça leur faisait vraiment plaisir. Ils ne l’ont pas fait par obligation,pour nous divertir. J’ai trouvé ça très authentique.— S’ils étaient seulement entre eux, s’ils n’avaient pas besoin de l’argent destouristes, leur vie serait différente, ils conserveraient davantage leurs racinesculturelles [...]. Je ne dirais pas que j’ai trouvé ça très authentique, comme la vraievie des nomades. »

13 En effet, leurs guides nwâjî s’adaptent à ce qu’ils perçoivent de leurs attentes. Par

exemple, il leur arrive de se dénommer Touareg, alors qu’ils ne le sont pas (Cauvin

Verner 2009). Lorsqu’ils n’accompagnent pas des groupes dans le désert, ils s’habillent

quelquefois à la mode occidentale. Dès qu’un client se présente, ils revêtent la tenue

traditionnelle de « l’Homme bleu ». Mais ces folklorisations restent mesurées, sinon

maîtrisées. Toute gandoura bleue n’identifie pas un professionnel du tourisme ou un

« faux guide »9 et ses usages ne se limitent pas au seul champ de l’activité touristique.

Plusieurs des guides nwâjî auprès desquels j’ai enquêté s’habillent occasionnellement

de cotonnades bleues lorsqu’ils séjournent à Marrakech ou même à Paris. Il s’agit alors

d’afficher comme une distinction leur identité culturelle de nomades sahariens.

14 Le nombre des accompagnateurs varie selon le volume des groupes. Il faut compter un

dromadaire par touriste et un chamelier pour deux à trois dromadaires. Seul le guide

parle une langue européenne. Les touristes ne parlant pas l’arabe, les interactions avec

les chameliers sont donc très limitées. Pendant les temps d’arrêt des circuits, ceux-ci

sont très actifs à prendre soin des dromadaires, installer le campement, préparer le feu,

les repas, puiser l’eau et ramasser du bois mort. Bien qu’ils aient souhaité s’initier à la

vie nomade, les touristes restent oisifs. Au fil des péripéties du circuit (inconfort,

fatigue, mélancolie), leurs intentions initiales se délitent. Lorsque le guide leur propose

d’aller chercher du bois, les uns déclarent être trop fatigués, les autres qu’il ne s’en

trouve plus à des kilomètres à la ronde. Ils n’aident pas à éplucher les légumes et se

lassent assez vite de décharger les dromadaires ou d’aider à la mise en place des

campements. Un peu comme s’ils séjournaient à l’hôtel, ils attendent d’être servis et

leur guide ne manque pas de finir par leur adresser la remarque grinçante « alors, ça va

l’Hôtel mille étoiles ? ».

15 De la sorte, touristes et chameliers forment deux groupes distincts qui se maintiennent

à distance l’un de l’autre pour manger, dormir, causer et s’amuser. Entre ces deux

groupes, le guide assure une fonction de médiateur : il est le seul à comprendre la

langue et les attentes des clients. Plusieurs séjours en Europe pendant la saison estivale

lui ont généralement permis de parfaire cet apprentissage. Il est éclaireur, leader, et

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également mentor : il dirige la troupe, indique les choses à voir, montre la marche à

suivre, programme les rencontres avec les populations locales. Il est le responsable de

toute l’organisation, de l’approvisionnement en nourriture, en eau, de la sécurité du

groupe, tout autant que de sa cohésion : il lui faut éviter que survienne un conflit,

veiller à ce que s’instaurent des sociabilités et à ce que se maintienne une « bonne

ambiance ». Il veille à ce que les randonneurs ne manquent de rien mais il ne leur

délivre pas spontanément de discours interprétatif de sa culture et paraît souvent las

de répondre à leurs questions. Il ne se mêle à eux ni pour manger, ni pour dormir, et ne

se rend disponible qu’au moment où l’on sert le thé, peu après l’établissement des

campements. Aussi les touristes essaient-ils de capter son attention, afin de bénéficier

de ses commentaires ou simplement d’entrer en interaction avec lui, car de la qualité et

l’intensité de cette interaction dépend pour une grande part leur perception d’un

voyage réussi.

La sexualité avec un guide comme performancerituelle

16 La recherche de plaisir et d’émotions est une des motivations importantes des

randonneurs. Ayant conscience que le temps des vacances est en quelque sorte

« chronométré », ils souhaitent profiter de chaque instant, auquel ils cherchent à

donner une intensité particulière. Ainsi les voit-on trouver une incomparable saveur à

une simple salade de crudités, un moment de repos ou de complicité avec leur guide,

qu’ils ne confondent pas avec les immigrés maghrébins qu’ils ont l’occasion de

fréquenter dans leur pays. Ils prêtent en effet aux nomades du Sahara toutes sortes de

valeurs d’exception : courage, fierté, liberté, sens de l’honneur, hospitalité. À cette

altérité codifiée du Bédouin romantique (Pouillon 1996), s’ajoutent des attributs

physiques et comportementaux perçus comme séduisants : drapés élégants de

cotonnades bleues, virilité tempérée de féminité, visage voilé, regard souligné de khôl,

aptitude au jeu, à la musique et à la danse, langue inconnue à laquelle suppléerait un

langage du corps « instinctif et animal, doux et délicat » (Bowles 1952 : 250). Le désert

lui-même est surinvesti de sensualité : les randonneurs ne manquent pas de comparer

les courbes des dunes à un corps de femme. Leurs perceptions sont aiguisées en maints

« frémissements » de la peau au contact du sable, « caresses » du vent, « morsures » du

soleil, « vertiges » face à l’immensité... Combinée à la force des éléments naturels, à

l’inconfort, à la fatigue et à la perte des repères habituels, cette érotisation de l’espace

désertique prédispose à un échange sexuel vécu au même titre que le rythme soutenu

de la marche comme une performance.

17 La brochure du voyagiste Croq’Nature recommande de « s’abandonner », « de vivre le

désert de l’intérieur, de façon à se perdre et se reconquérir pour trouver l’essentiel ».

Les randonneurs ont conscience de cette parodie de rite de passage. Au terme de leur

séjour, ils savent bien qu’ils n’ont fait que « jouer » à suspendre leur vie ordinaire. Un

randonneur, philosophe de formation, qui encadrait un séminaire de ressourcement

pour des éducateurs de l’institution Les Orphelins Apprentis d’Auteuil, le formulait en

ces termes :

« Pouvoir courir dans les dunes, c’est une histoire d’enfance [...]. Dormir à la belleétoile, c’est une histoire d’enfance [...]. C’est une très belle autorisation au jeu, on

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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peut faire comme si tout était possible, comme si les règles habituelles n’étaientplus en vigueur [...]. On peut se salir, ne pas se laver pendant dix jours [...]. »

18 Le guide n’a pas à déployer toutes sortes de ruses pour séduire une touriste de son

groupe. Il lui suffit de marquer son intérêt par quelques flatteries et attentions

particulières. Dès le premier jour, il met en place une stratégie de séduction auprès

d’une touriste déterminée dont il ne modifiera pas le choix, quand bien même celle-ci

repousserait ses avances. Lors du premier campement nocturne, comme c’est

l’habitude à chaque circuit, il questionne chaque randonneur sur son activité

professionnelle, son nom, son âge, son lieu de résidence, etc. En fonction des

indications recueillies, avec la complicité des chameliers, il attribue un surnom à

chacun10. La femme convoitée hérite de prénoms flatteurs : Zahra, « la fleur », Dâwiya,

« celle qui illumine », Adju, « celle qui revient », tandis que celles qui l’indiffèrent,

parce qu’il les trouve vieilles, laides ou peu sympathiques, se voient affubler de

prénoms dont il est évident qu’ils ne leur plairont pas — par exemple Fatima, que les

touristes exècrent pour les connotations vulgaires qu’il reçut à l’époque coloniale, ou

même « la chiante ». Une fois le repas terminé, le guide vient s’asseoir auprès de la

touriste convoitée, il converse avec elle, se montre tendre et affectueux. Ses qualités de

séducteur ne reposent pas seulement sur son apparence physique, sa gestuelle, son

charme ou sa capacité à établir une relation de confiance mais aussi sur l’acquisition

des codes sociaux européens liés à l’égalité des sexes, la sophistication vestimentaire,

les manières de table ou d’hygiène, l’expression orale et l’humour. Au bout d’un certain

temps, il cherche généralement à entraîner la touriste à l’écart du groupe pour

contempler le ciel étoilé : un échange sexuel se produit alors parfois dès ce premier

soir, auquel les touristes déclarent ne pas avoir la tentation de résister, comme si elles

ne s’appartenaient plus. Le cours des choses semblant relever d’une nécessité

intérieure, l’issue est dédaignée. Ce qui se joue, c’est le sens de la vie11.

19 Les touristes ne cherchent pas à dissimuler que le guide est leur amant. Tout au

contraire, elles semblent en éprouver une certaine fierté : une intimité se construit, qui

crée un état de « permanence euphorique » et transcende la situation touristique par

un équivalent de rite d’agrégation faisant défaut aux interactions habituelles.

L’idéalisation romantique du Sahara et des « Hommes bleus » trouve là un point

d’ancrage : l’échange sexuel permet de dénier tout à la fois la réalité économique de la

relation et l’aspect ludique de l’expérience. Il détourne le rapport marchand en rapport

interculturel (Winkin 1999). À une touriste devenue l’amie d’un guide, l’équipe des

accompagnateurs réserve en effet des attentions particulières. À la fin du circuit, ou à

l’occasion d’un prochain voyage, l’étrangère est invitée à séjourner au domicile familial

de son amant, où les sœurs et les tantes s’amuseront à la vêtir à la mode sahraouie, à

dessiner au henné sur ses mains, à l’emmener en visite au sanctuaire. Selon les cas, les

partenaires se reverront, à Zagora où la touriste s’efforcera de venir plusieurs fois par

an, ou en Europe où le guide voyagera s’il réussit à obtenir un visa. Dans ces conditions,

l’échange sexuel avec un guide tient-il de l’accident ou de la norme ? Il satisfait tout à la

fois un désir d’exotisme, d’aventure, de romantisme, et de revalorisation du statut.

Mais s’y profile également une métaphore de conquête qui, en raison de l’aspect

économique de la situation, se trouve nourrie d’hostilité et d’agressivité. Les touristes

ont dépensé de l’argent pour accéder à l’authenticité d’un monde. En couchant avec un

guide, ne produisent-elles pas l’équivalence d’une relation de prostitution ?

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111

Logiques transactionnelles

20 Lorsque je commençais mon enquête sur le tourisme au Sahara marocain, je

n’imaginais pas être prise à témoin d’échanges sexuels. Pourtant, dès ma première

randonnée, il apparut que trois femmes eurent une liaison avec chacun des trois guides

qui encadraient le groupe12. Plusieurs des circuits auxquels je devais participer par la

suite virent ces échanges se répéter. À chacun de mes séjours, une « copine »13

étrangère était accueillie au sein de l’unité domestique de ces Nwâjî auprès desquels

j’enquêtais. Avec certaines d’entre elles, je devais maintenir des liens d’amitié et me

trouver malgré moi en position de confidente comme si, compte tenue de ma

familiarité avec les guides, j’avais été en mesure de leur prodiguer des conseils. Je fus

de la sorte prise à témoin, assez intimement, de plusieurs aventures. Depuis la

publication de ma thèse, plusieurs touristes auprès desquelles je n’ai jamais séjourné à

Zagora ont pris contact avec moi pour me confier leur témoignage. D’autres, que je

rencontre fréquemment et dont j’aimerais recueillir l’histoire, au contraire refusent de

me la communiquer. S’il arriva que je fus moi-même courtisée, ce n’était pas des plus

fréquents : j’étais mariée et mère de deux enfants qui souvent m’accompagnaient

lorsque je ne devais pas randonner. J’étais sous la protection des femmes et du

patriarche, perçue comme une sorte de cousine lointaine qui engrangeait de la

mémoire nwâjî. Appliquée à maintenir ces liens d’adoption, je percevais ce qu’il y aurait

eu d’inconfortable à entretenir une liaison avec l’un des cadets. Enfin, à être le témoin

des conflits et des chagrins qu’occasionnaient ces échanges, je n’avais plus aucune

illusion romantique. J’étais affranchie.

21 Peu d’ethnographies ont été consacrées à des cas analogues d’échanges sexuels entre

des touristes féminins et des indigènes masculins. Je ne peux mentionner que celles

conduites à Jérusalem par Cohen (1971) et Bowman (1990), à la Barbade par Karch &

Dann (1981), en Jamaïque par Pruitt & Lafont (1995), et en Équateur par Meisch (2005).

En France, le film Vers le Sud (2005)14, leur a donné une visibilité auprès du public. Elles

posent une double difficulté : celle de leur problématisation en termes de tourisme

sexuel, et celle de leur spécificité en termes de genre : les dynamiques de ces échanges

sont-elles différentes selon que les touristes et leurs partenaires sexuels sont masculins

ou féminins ? En l’absence d’enquête comparative, je peux difficilement répondre à ces

questions. N’ayant jamais réfléchi aux types de pratiques susceptibles de caractériser

un « tourisme sexuel », aucun de mes travaux n’avait, jusqu’à ce jour, formulé en ces

termes la sexualité avec les étrangères. Je m’y risque pour la première fois, sans

prétendre pouvoir développer la question de sa pertinence.

22 Étudiant les échanges sexuels entre des touristes masculins et des indigènes féminins

en République dominicaine, Brennan introduit la notion de sexscape, en référence aux

travaux d’Appadurai (2001) classant les flux culturels globaux en cinq paysages

construits par l’imagination. Sa définition du sexscape — consommation de sexe tarifée ;

inégalités de race, de genre, de classe, de nationalité et de mobilité entre les acheteurs

et les vendeurs ; érotisation de l’altérité, présente dans les imaginations et promue par

l’industrie touristique (Brennan 2004 : 16) — ne s’applique que partiellement à la

situation que j’ai étudiée au Sahara marocain. En effet les différences culturelles y sont

érotisées sur la base de stéréotypes racialisés : d’un côté la femme occidentale riche,

indépendante, éduquée, moderne et désinhi- bée qui, en opposition à la sexualité

normée caractérisant la relation matrimoniale dans les sociétés musulmanes, « accepte

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de faire l’amour dévêtue dans les dunes et même en plein jour », commentent les

guides ; de l’autre le nomade saharien exotisé en « Homme bleu », démuni et

analphabète mais orgueilleux, romantique, inaliénable (incarnant une sorte de contre-

culture), sensuel et si ardent qu’« une boîte de préservatifs n’aurait pas suffi pour

passer la nuit », expliquent les randonneuses pour justifier de n’en avoir pas utilisés.

23 Toutefois, l’échange sexuel n’est pas tarifé et il motive rarement le premier voyage. La

plupart des touristes auprès desquelles j’ai enquêté, si elles y étaient disposées, ne

l’avaient en aucune façon programmé ni même imaginé15. Aucune expertise ne fait

mention du Sahara comme une destination de tourisme sexuel bien que, dès les années

1920, des films de fiction aient commencé de mettre en scène les amours interdites du

Bédouin et de l’Occidentale16 et que des échanges analogues puissent être observés au

Mali, au Niger ou encore en Jordanie. Ces échanges présentent un caractère de

permanence et d’affection. Les partenaires restent en relation téléphonique et

épistolaire. De nombreux guides ne sachant pas lire le français, requièrent l’aide des

étrangers de passage. J’ai de la sorte été chargée de la lecture et de la rédaction de ce

courrier du cœur. Les lettres des touristes sont très sentimentales, fréquemment

accompagnées de poèmes sur « la simplicité de la vie des nomades et la sagesse de leur

philosophie ». Leurs amants souhaitent y répondre par le souvenir de moments

d’intimité sexuelle et la perspective de retrouvailles. S’ils tendent à nier qu’ils sont

« amoureux », certains m’ont dit s’être senti « écrasés » par la femme étrangère, au

point de consulter un fqîh17 avec une mèche de cheveux lui appartenant pour se

délivrer de ses sortilèges. Il m’est arrivé d’être prise à témoin du chagrin de l’un d’eux

après que « sa copine » lui ait signifié qu’elle rompait et ne reviendrait jamais plus. Il

était recroquevillé à son domicile, il avait prit froid, il toussait et me déclara que sa

peine était aussi grande que celle ressentie le jour où il avait perdu un bébé chameau. Je

vis un autre sangloter un jour, de ne pouvoir se lier durablement ni à une Marocaine,

dont il jugeait qu’elles avaient le cœur endurci, ni à une Française, qu’il percevait au

contraire comme trop sentimentales et au sujet desquelles j’ai entendu maintes fois :

« Elles sont chiantes ! » Le plus souvent, les touristes reviennent au moins une fois

visiter leur amant. Selon les cas, les liaisons peuvent conduire à une émigration

définitive ou temporaire, du guide en Europe, ou plus rarement de la touriste au Maroc.

Certaines ont vu naître des enfants. Faut-il pour autant les qualifier de « tourisme

d’idylle » (Pruitt & Lafont 1995) ?

24 Sans être l’objet d’un commerce de type strictement monétaire, ces liaisons procurent

aux guides de randonnées toutes sortes de gratifications. Conformément aux

prescriptions islamiques de ségrégation sexuelle, chez les Nwâjî la mixité est prohibée :

les possibilités de rencontre entre hommes et femmes sont donc limitées, codifiées,

voire ritualisées par le cadre strict des mariages, hors lequel tout échange hétérosexuel

est proscrit. Dès lors, les célibataires trouvent dans la fréquentation des touristes une

compensation. Sur le caractère transgressif de ces échanges au regard des normes et

des valeurs de la société bédouine, il est prévu de conduire une enquête

complémentaire. En effet, ils sont loin d’être généralisés : les touristes masculins ne

peuvent y prétendre, ni les « déclassés » (anciens esclaves ou métayers). Ils sont

transgressifs, puisque l’islam reconnaît dans le mariage la seule forme légale et admise

de sexualité, mais ils sont explicitement reconnus par l’ensemble des acteurs sociaux et

restent solidement normés18.

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25 Paradoxalement, ils peuvent même garantir une revalorisation du statut. Les Nwâjî

sont marginalisés dans la masse berbérophone des Aït Atta établis au nord du coude du

Drâa. Les citadins les qualifient avec dédain de ‘arû- biya, Bédouins, dans le sens

péjoratif de « péquenauds ». Identifiés au plan national comme des Sahraouis, ils sont

très surveillés par les autorités. La plupart n’ont fréquenté que l’école coranique et ne

savent ni lire ni écrire19. La fréquentation intime des étrangères atténue les effets de

cette marginalisation : à leur bras, ils sont admis dans les bars des hôtels quatre étoiles

de la ville. La relation est également gratifiante du point de vue intellectuel : les guides

entretiennent avec les touristes de longues conversations qui les renseignent sur le

vaste monde où ils ont les plus grandes difficultés à voyager. Confrontés à la monotonie

d’un travail répétitif et dévalorisant, ils y trouvent un élargissement du champ

d’expérience et du réseau social, et même une certaine ivresse, confortant la thèse du

sociologue libanais Sélim Abou (1981 : 75) selon laquelle il y a multiplication des

aventures sexuelles lorsque, d’une part, les cadres de référence de la société d’origine

et les normes de comportement y attenant n’ont plus de prise sur la conscience, et

lorsque, d’autre part, les individus n’ont pas encore intériorisé les cadres et les normes

de la culture de l’autre. « Ils traversent alors une sorte de chaos culturel, dans lequel

une activité sexuelle débordante compense un vide psychologique et moral angoissant,

et tient pour ainsi dire le rôle d’une drogue. » La fréquentation d’une étrangère

améliore également leur niveau de vie. Elle est en quelque sorte rétribuée par des

cadeaux divers : achat de kif, de cigarettes, d’alcool, d’un logement et parfois même

obtention d’un visa20 ; prêt, non remboursé, pour l’achat de terres ou de dromadaires,

etc. Le secteur touristique étant très compétitif et l’activité saisonnière aléatoire, les

prestataires en viennent à produire une équivalence entre leurs compétences de guide

et de séducteur. Plus que de séduire, il s’agit alors de conquérir, et ces conquêtes sont

véritablement capitalisées, comme autant de chances de promotion sociale et de

revanche. On observe par exemple que les lettres écrites par les touristes sont l’objet

d’une compétition. Les adresses ne se donnent pas, ne s’échangent pas, ne se vendent

pas. Chance d’émigration, c’est à qui en détiendra le plus. Les frères se querellent pour

une visite en Europe chez une touriste qui ne figurait pas dans le carnet du visiteur. Ils

se comportent en rivaux. Ils ne sympathisent pas avec la copine de l’autre. Plutôt, ils la

dénigrent, jugeant qu’elle est laide, maigre, vieille ou peu généreuse. À moins qu’ils ne

tentent de la séduire, pour prouver qu’elle est prête à coucher avec n’importe qui. La

conquête des étrangères est alors susceptible de réactiver un ressentiment de race, de

genre et de classe illustrant la thèse de Roger Bastide (1970 : 78) selon laquelle « c’est

dans l’étreinte même de deux partenaires sexuels de couleur différente ou dans la

courtisa- tion qui la précède, dans ces moments privilégiés qui semblent être un défi au

racisme et la redécouverte de l’unicité de l’espèce humaine, que nous allons voir se

glisser le racisme, paradoxalement, sous ses formes les plus haineuses, les plus

méprisantes ».

Des rapports de pouvoir discontinus

26 « Qui baise l’autre ? », pourrait-on questionner à la suite de l’article de Bowman (1990)

intitulé « Fucking Tourists ». Captant le guide, sorte de cultural broker attitré (Cohen

1985), dans une intimité faisant défaut aux interactions avec les autres touristes, les

touristes voient satisfaites leurs prétentions à un tourisme de découverte culturelle.

Bien qu’elles évaluent que la relation se soit établie sur la base d’une attraction

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réciproque, elles ont rarement choisi leur amant : un circuit n’emploie qu’un seul guide

et les échanges avec les chameliers sont, comme on l’a vu, très limités, voire proscrits.

Elles sont donc plus courtisées qu’elles ne courtisent elles-mêmes. Les séducteurs de

touristes ne formulent pas de jugements de valeur sur les étrangères qu’ils savent

indépendantes économiquement et donc libres de voyager seules. Mais ils pensent

qu’elles sont toutes potentiellement à la recherche d’une aventure et ils les imaginent

souvent plus riches qu’elles ne le sont. Certains séduisent une touriste à chaque

randonnée, quelquefois sur le mode du harcèlement (des plaintes sont alors déposées

auprès du voyagiste), quand d’autres sont plus réservés. Ils sont curieux

d’expérimenter une sexualité différente, de nouveaux modes de relation entre hommes

et femmes, mais ces mêmes raisons qui ont justifié leur attirance sont aussi susceptibles

d’éveiller un sentiment de honte, voire de répulsion. En effet, les séducteurs restent

dépendants des touristes, économiquement et même affectivement puisqu’il leur

appartient rarement de décider de la poursuite d’une relation : ils ne sont pas en

mesure, ni d’obtenir un visa, ni de s’offrir un séjour en Europe. Ce sont les touristes qui

décident, ou non, de revenir, de faire des démarches administratives ou de pourvoir

aux frais d’un voyage.

27 Certaines d’entre elles, parmi les plus âgées, qui se sont installées à Zagora, peuvent

être amenées à changer de partenaire pour quelqu’un qu’elles jugent plus désirable,

plus fidèle ou plus éduqué. Elles gardent le contrôle de la situation, formulent des

exigences — quand, en regard des normes locales, il est impensable qu’une femme dicte

ses volontés affectives. Si accepter leur aide financière n’entache pas leur

respectabilité, il ne sied pas qu’elles évaluent trop précisément l’importance de leurs

dons. Lorsqu’elles ont créé en partenariat avec leur amant une petite affaire d’artisanat

ou d’hôtellerie locale, elles ont fourni les capitaux et restent aux commandes de

l’entreprise. L’amant se trouve alors en opposition avec ses normes culturelles : un

homme n’est pas supposé être entretenu par une femme que tout le monde raille en

l’appelant « la grand-mère ». Au lieu d’être gratifié, il se sent humilié, doublement

exploité à des fins sexuelles et économiques : l’étrangère « profiterait » de lui pour

séjourner gratuitement dans le pays, acquérir au meilleur tarif de l’artisanat, etc.

28 Mais il existe une marge de fabrication d’une autonomie, voire d’une résistance au sein

de cette situation postcoloniale. Les dernières années de l’enquête ont vu certains

guides mettre brutalement un terme à leur liaison pour épouser la fille de leur oncle

paternel — conformément aux règles de l’endogamie pratiquée chez les Nwâji — alors

même qu’ils élaboraient un projet d’émigration, et étaient le père d’enfants mâles avec

des étrangères. Nous avons également observé que certains autres, généralement les

plus démunis économiquement, s’absentaient à l’occasion d’une visite qu’ils avaient

pourtant appelée de leurs vœux, ou se livraient en présence de leur « copine » à la

conquête ostensible d’autres touristes. Par là, ils tentent de stabiliser les rapports

sociaux en réintroduisant leurs propres normes relatives à la séduction et à la

sexualité.

29 Dans certains cas assez rares mais qui marquent durablement les rapports sociaux, les

touristes s’offrent si facilement qu’il n’est plus besoin de les séduire. Les guides se

sentent alors dépossédés de leur virilité. Les pôles masculin/féminin, actif/passif, se

renversent : au lieu de conquérir, ils se sentent chassés, c’est-à-dire dire traités comme

des femmes et des prostitués : « Elles viennent toutes pour profiter de l’amour ! »

Lorsqu’ils se sentent harcelés, ils expriment une forme de dégoût : « Mais pour qui elles

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115

se prennent, tu as vu comme elles sont belles les Marocaines ! » Leur estime d’eux-

mêmes se trouvant bousculée, ils jugent alors que les touristes sont trop émancipées

(ils insistent notamment sur leurs exigences sexuelles), et ils se mettent à valoriser, par

contraste, les normes locales d’inégalité des sexes. Ils songent avec nostalgie aux filles

des tribus et se promettent de ne plus toucher une étrangère. Le soir, dans les bars, ils

ne parlent que de l’argent qu’ils ont réussi à soutirer aux touristes de passage et du

nombre de femmes qu’ils sont arrivés à séduire — vente et séduction sont toujours

entrelacées. Se crée ainsi une sorte d’arène de compétition où ils paradent, au sens

quasi rituel du terme (Goffman 2004), pour rendre publique leur compétence à vaincre

l’intégrité économique et corporelle d’une touriste construite comme une adversaire.

Ils exagèrent le nombre des occasions qui se sont offertes à eux — le refus de certaines

propositions redouble le prestige d’un séducteur. Ils se vantent d’avoir possédé les

femmes en des endroits qu’ils jugent peu convenables (un coin de dune), et parfois

même en cachette de leur mari — preuve qu’ils seraient irrésistibles. Les touristes

masculins ont conscience de cette compétition à la virilité. Un jour, j’ai entendu l’un

d’eux s’exclamer : « Non mais ils font quoi avec les femmes françaises ? ! [...]. Ils nous

prennent nos femmes mais nous, les leurs, on ne peut pas les approcher ! »

30 Dans leurs conversations, les séducteurs de touristes opposent souvent les chrétiennes

aux musulmans et, plus curieusement, les Blanches aux Noirs. Les Nwâjî ne sont pas

noirs de peau. En s’attribuant de la couleur, ils créent de l’adversité : s’ils parviennent à

transgresser l’interdit de « la femme blanche », n’est-ce pas qu’ils sont plus forts, plus

virils que les touristes, ou bien que leurs femmes sont « des filles à nègres » ? De

nombreux récits exposent des situations où une touriste aurait couché successivement

avec plusieurs guides, ou bien se serait munie de préservatifs. Il y va du rétablissement

de la masculinité locale.

31 De leur côté, les touristes délaissées par un amant infidèle peuvent être amenées à faire

des commentaires peu élogieux sur sa sexualité, jugée bestiale et inexpérimentée.

Lorsqu’elles sont accueillies au sein des unités domestiques, elles sont invitées à

partager le repas avec les aînées — et il faut voir dans ce partage du pain et du sel un

geste d’adoption qui fait défaut à l’accueil des autres touristes. Selon leur statut, il leur

est permis, en l’absence de leur amant, de partager la chambre des femmes ou des

jeunes filles21. Elles participent aux travaux collectifs : cueillette des légumes,

préparation des repas, corvées de vaisselle, de lessive ou de ménage. Toutefois, la

cohabitation n’est pas exempte de tensions au regard des normes sociales et religieuses

du groupe. Elles restent des étrangères, dénommées nasrâniyât, chrétiennes. L’échange

sexuel ne scelle aucune alliance. Les guides ont toujours en tête de courtiser d’autres

touristes ou d’épouser leur cousine, et l’hospitalité comporte autant de droits que de

devoirs : l’étrangère qui ne tient pas la place qui lui est assignée, qui perturbe

l’équilibre de la vie familiale, tente de modifier les règles de ségrégation sexuelle et

reçoit des touristes comme s’ils étaient ses propres invités provoque l’indignation

générale. Les aînées ne manquent pas, entre elles, de protester et de dénigrer ces

femmes qui leur prennent leurs enfants, favorisent leur adoption de valeurs

occidentales et les incitent à émigrer. Certaines formulent la prière suivante à

l’occasion des visites aux sanctuaires : « Faites que nos garçons n’aillent plus avec les

femmes blondes, elles sont comme des vipères. »

32 Pour ceux qui occupent à Zagora le bas de la hiérarchie (militaires, nomades

sédentarisés, métayers agricoles), l’échange sexuel avec une touriste est un moyen

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d’ascension sociale : seuls les nantis et les puissants possèdent beaucoup de femmes.

Mais ils pensent que ces touristes libres de voyager sans la protection d’un mari ou d’un

parent masculin témoignent de la décadence des sociétés occidentales. Ceux qui

bénéficient à Zagora d’une reconnaissance sociale (fonctionnaires, lettrés, notables)

associent ce commerce sexuel à une activité frauduleuse qui porterait atteinte à la

dignité des hommes du pays. Ils dénoncent la corruption des mœurs que provoquerait

le dévergondage des touristes, assimilées à des prostituées. Les autorités répriment

sévèrement tout manquement à la loi : un Marocain et une étrangère ne sont pas

acceptés dans une chambre commune à l’hôtel et ne sont pas autorisés à habiter

ensemble à moins d’être mariés ou de justifier d’un certificat de concubinage établi en

France.

33 Dès lors, des scandales éclatent régulièrement. À titre d’exemple, en voici deux d’entre

eux. Le premier impliquait une Française, âgée d’une quarantaine d’années, venue

créer une maison d’hôtes à Zagora. Elle hébergeait un employé marocain avec lequel

elle entretenait une liaison. Le couple fut dénoncé et comparut devant le tribunal. Lors

de son entretien avec le procureur, la femme fut accusée de prostitution, qualification

impropre au vu des données économiques de la relation, mais il n’existait aucun cadre

législatif à l’expérimentation de cette nouvelle division du travail. Le second impliquait

une femme hollandaise d’une soixante d’années, éprise d’un chamelier nwâjî marié et

père de famille. Les femmes de la tribu s’opposèrent à cette union qui signifiait

l’abandon de l’épouse et des enfants. Alors la Hollandaise négocia : le chamelier aurait

un visa pour la Hollande ; il recevrait un salaire dont il verserait une partie à son

épouse, auprès de laquelle il reviendrait périodiquement. Quelques semaines plus tard,

le couple était marié devant le cadi et la Hollandaise convertie à l’islam, pour prévenir

toute attaque juridique ou morale. De Hollande, elle envoyait l’argent nécessaire à

l’édification d’une maison. Mais lorsqu’elle revint à Zagora, elle dut constater que celle-

ci était occupée par la première épouse. Elle négocia alors que, le temps de son séjour,

le chamelier lui accorde toutes ses nuits et, afin d’être obéie, menaça de suspendre

toute aide matérielle. L’amour, disait-elle, « ne devait pas faire oublier que la relation

reposait sur un contrat ». Elle ignorait alors que le chamelier, en possession de ses

nouvelles richesses, avait profité de son absence pour se marier à une troisième femme.

De la sorte, il trouvait le moyen de s’affirmer affranchi de toute domination. Aussi, bien

que les touristes expérimentent une certaine revanche sociale à voyager

indépendamment des hommes, suspendre leur morale sociale, s’affirmer comme

« sujets » de leur sexualité (Tabet 1987) en prenant un amant indigène qu’elles

dominent économiquement, on les voit échouer à renverser le rapport d’inégalité entre

les sexes : leur autonomie crée un être socialement dangereux, proche de la

délinquance morale. Quels que soient les sentiments qui les fondent, les échanges

restent déterminés par un ordre stratégique à l’allure agonistique très marquée. Les

guides en saisissent l’occasion pour renverser les positions de domination instituées

par la situation touristique et rétablir une hiérarchie où prévalent leur masculinité et

leurs valeurs sociales.

34 Ce ne sont donc pas tant les discours promotionnels des séjours qui définissent la

pratique touristique, que le type de relations susceptibles de se construire entre les

touristes et les indigènes. Les interactions étudiées au Sahara marocain montrent que

la prétention à un tourisme culturel crée les conditions d’un tourisme sexuel qui, sans

être tarifé, est gouverné par une logique transactionnelle de biens matériels et

immatériels qui l’institue comme une composante de l’économie locale : la séduction

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des étrangères est capitalisée et elle est l’objet d’une compétition, notamment parce

qu’elle permet de s’enrichir, de renégocier sa marginalité et même d’émigrer.

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133-143.

NOTES

1. Je remercie Sébastien Roux pour sa lecture attentive de plusieurs versions de cet article. Ses

commentaires m’ont conduite à mieux préciser les conditions de mon enquête et engagée à

davantage de prudence et de rigueur dans la mobilisation de notions dont il convenait de

discuter la pertinence. Je remercie également Nadège Chabloz pour ses encouragements

bienveillants à chacune des étapes de l’écriture, qui m’ont permis de mener cet article à son

terme.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

120

2. « Charte révisée du tourisme culturel », <http://www.icomos.org/tourism/patintrans.html>,

1999. Un des objectifs du Millénaire de l’ONU pour le développement durable et la lutte contre la

pauvreté est actuellement de mettre en œuvre un projet « Le Sahara des cultures et des

peuples ». Les dispositions visent au renforcement des coopérations aux niveaux local, national

et international, à la sauvegarde et à la valorisation du patrimoine au bénéfice des populations en

situation de pauvreté, à la promotion des cultures et des civilisations du Sahara, à l’amélioration

des conditions de préservation des écosystèmes sahariens, à l’encouragement de politiques

touristiques responsables, et à la promotion de la gouvernance participative locale.

3. Un guide d’Afrique du Nord d’époque coloniale, dirigé par le général Charbonneau en

collaboration avec un collectif de militaires, d’ecclésiastiques et d’administrateurs, vante les

qualités du touriste lettré en ces termes : « Le touriste lettré c’est par exemple ce scout, ce jeune

étudiant, ce prêtre, cet instituteur de campagne, cet industriel cultivé, ce professeur, ce retraité

demeuré alerte qui, à pied ou à bicyclette, s’en va à travers son canton notant dans son esprit ou

sur son calepin tel ou tel détail amusant ou caractéristique, telle vieille chanson du folklore local.

Ce n’est donc point une question de mode de locomotion, de distance à parcourir, de situation

sociale ou même de haute culture. Définissons le touriste lettré celui qui cherche à profiter de ses

déplacements pour enrichir son intelligence et son cœur » (CHARBONNEAU 1951 : 15).

4. <www.croqnature.com>.

5. Pendant les huit mois de la saison touristique (d’octobre à mai), l’activité du voyagiste permet

à l’agence de Zagora d’employer une trentaine de personnes, la plupart rémunérées à la journée :

25 euros pour les guides, 15 pour les cuisiniers, 10 pour les chameliers. Aux salaires, s’ajoutent

pourboires et commissions, et les employés sont affiliés à la CNSS (Caisse de sécurité sociale

marocaine). Six pour cent du chiffre d’affaires financent une aide au développement au Maroc, au

Mali, au Niger, en Mauritanie et en Algérie où, selon la conjoncture politique du moment, sont

organisés des circuits de randonnées équivalents.

6. Les guides nwâjî de Zagora, avant même de s’associer au voyagiste Croq’Nature en 1994,

avaient élaboré avec l’aide d’un touriste français un petit prospectus énonçant : « Aimeriez-vous

mener la vie d’un nomade touareg durant une journée, voire une semaine ? Allal Touareg, de

naissance, vous propose cette promenade à dos de chameau et une vie dans la liberté du désert

tout comme ses parents. »

7. En testant les oppositions symboliques désert/ville, nomade/sédentaire, sauvage/ civilisé,

tradition/modernité, Orient/Occident, les randonneurs réactualisent le mythe du désert comme

« envers de la civilisation » (HENRY 1983).

8. Les géographes dessinent pourtant la frontière nord du Sahara sur la ligne du djebel Bani, au

sud duquel s’effectuent les circuits de randonnées.

9. Une édition du Guide du Routard identifiait comme étant des « faux-guides » les indigènes

coiffés d’un chèche bleu, tandis que ceux coiffés d’un chèche noir étaient distingués comme de

« vrais nomades ». Cette appellation de « faux- guide » est problématique : on les dit « faux »

parce qu’ils ne détiennent pas de plaque minéralogique délivrée par le ministère du Tourisme

mais, comme il n’existe pas au Maroc de licence officielle de guide dans le désert, tout individu

accompagnant des touristes et ne justifiant pas d’un emploi dans une agence ou d’une

autorisation à exercer comme chamelier, est donc susceptible d’être qualifié de « faux-guide » et

d’être inquiété par les autorités locales. Dans l’acception commune, un « faux-guide » désigne

aussi un rabatteur qui, sous prétexte de guider les touristes, s’efforce de les entraîner dans une

boutique où il perçoit une commission de trente pour cent sur leurs achats. L’activité est

clandestine. Une brigade de police spécialisée est chargée de la réprimer, surtout dans les grands

centres urbains de Fès et de Marrakech. Il en va de l’amende à la peine de prison. Dans la vallée

du Drâa, cette activité de « faux-guide » est pourtant une alternative au chômage et à

l’émigration vers les grandes métropoles du pays.

10. On observe ce même jeu d’attribution d’un nom indigène au Burkina Faso (CHABLOZ 2007).

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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11. La plupart des touristes n’utilisent ni préservatifs, ni parfois même contraception. À ce jour,

aucun cas grave de maladie sexuellement transmissible n’a été signalé. En revanche, quelques

femmes ont été enceintes. Des grossesses ont du être interrompues, quand d’autres ont été

poursuivies à leur terme. Il n’existe pas de dépistage HIV à Zagora. Aucune campagne de

prévention n’y est mise en œuvre. Les guides connaissent l’existence du Sida mais ils sont dans le

déni de la possibilité d’une contamination. Plus curieusement, les touristes dénient aussi, voire

défient cette éventualité. Sur ces « conduites à risques », rites intimes de fabrication du sens, voir

JEFFREY, LE BRETON & LÉVY (2005).

12. Ce premier circuit auquel je participai, en 1994, testait le début du partenariat avec le

voyagiste Croq’Nature. Trois accompagnateurs nwâjî susceptibles d’exercer la fonction de guide

encadraient le groupe quand, les années suivantes, chaque circuit ne mobiliserait plus qu’un seul

guide.

13. Pour désigner les touristes avec lesquelles ils ont des échanges sexuels, les guides emploient

le terme français de « copine », auquel ils ne cherchent pas à trouver d’équivalent en arabe.

14. Vers le Sud, le film réalisé par Laurent Cantet, est adapté d’une nouvelle de Dany Laferrière

parue dans La chair du maître (1997).

15. Certains guides soutiennent toutefois qu’ils ont repéré des préservatifs dans leurs bagages.

C’est une information que je n’ai pas vérifiée mais dont j’estime devoir tenir compte. Alors qu’en

Tunisie, les séducteurs de touristes sont dénommés « bezness » », terme francarabe vulgarisé par

un film de Nouri Bouzid pour désigner ceux qui font de la « baise » un « business », aucun terme

ne désigne, au Maroc, les séducteurs de touristes que l’on voit pourtant dans chaque grande ville

du pays courtiser activement touristes ou résidents. Selon les cas, ils sont assimilés à des

prostitués.

16. The Son of the Sheik, George FITZMAURICE (1926). La croix du Sud, André HUGON (1931). Et, plus

récent, Un thé au Sahara, Bernardo B ERTOLUCCI (1990), adapté du roman de Paul BOWLES, The

Sheltering Sky (1949).

17. Fqîh : interprète de la loi religieuse, jurisconsulte, petit lettré de campagne.

18. Les échanges sexuels avec les chameliers sont rares et provoquent du scandale. J’ai en

mémoire le cas d’une touriste russe immigrée en France, âgée d’une vingtaine d’années, et d’un

jeune chamelier de dix-sept ans, qui s’étaient épris l’un de l’autre sans avoir eu d’échanges

sexuels. Ce chamelier n’était pas un descendant d’esclave. Il était issu des Nwâji mais, orphelin de

père, avait été adopté par le groupe responsable de l’agence. Les guides sous les ordres desquels il

travaillait lui ordonnèrent de ne plus poursuivre de relation téléphonique ou épistolaire avec

l’étrangère et de renoncer à la courtiser. Le couple brava l’interdit. Il se retrouva sous la tente de

la mère du jeune chamelier. Mais au bout de quelques temps, la touriste fut convaincue qu’on

cherchait à l’empoisonner. Elle renonça à voyager au Maroc et, ses demandes de visas restant

vaines, elle finit par perdre contact. Le chamelier abandonna l’activité touristique et partit faire

du commerce de bétail à Smara, au Sahara occidental. Depuis, il a fait la rencontre d’une autre

touriste et, à ce jour, il a émigré en Hollande.

19. Certains ont étudié jusqu’à la licence à Marrakech ou à Agadir mais, parce qu’ils n’ont pas

trouvé d’emploi, finissent par revenir à Zagora pour y exercer le métier de guide et ainsi ne plus

être à la charge de leurs parents.

20. Un grand nombre de jeunes de la vallée du Drâa rêvent de partir vivre en Europe, aux États-

Unis ou au Canada. Ce rêve n’est pas motivé que par l’argent. Il traduit une aspiration à un

« mieux-vivre » : trouver le partenaire idéal, disposer de ses revenus à titre individuel, vivre

indépendamment de la famille ou du groupe tribal. Quotidiennement, il est entretenu par les

touristes, qui diffusent l’image d’individus riches et libres de voyager, ainsi que par les rumeurs

de réussites que ne dément pas, chaque été, le retour ostentatoire des « Résidents marocains à

l’étranger » (RME). L’idée même de migrer est un facteur d’équilibre. Elle nourrit des journées

entières de bavardages qui permettent de se soustraire aux aléas du quotidien sans pour autant

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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s’engager dans un vrai processus de rupture. À ce jour, cinq guides auprès desquels j’ai enquêté

ont émigré, en France, en Allemagne, en Espagne, en Hollande et aux États-Unis.

21. L’intégration est mise en œuvre selon les critères locaux qui distinguent les jeunes filles (bnât)

des épouses (sing. mrâ. pl. ‘ayâlât). Une touriste qui n’a jamais été mariée est traitée comme une

jeune fille, tandis qu’une touriste déjà mariée peut prendre place dans le cercle des épouses.

RÉSUMÉS

Une enquête monographique conduite au Maroc sur des circuits de randonnées « à la rencontre

des peuples du Sahara » montre que les touristes sont fréquemment déçus. Ils ne parviennent ni

à authentifier des Bédouins devenus des professionnels du tourisme, ni à se singulariser en

voyageant en groupe, ni à vivre une aventure tout en respectant un programme. Un type

d'interactions semble toutefois réaliser les prophéties d'enchantement délivrées par les

brochures, lorsque les randonneuses ont un échange sexuel avec leur guide : une intimité se

construit qui transcende alors la situation touristique par un équivalent de rite d'agrégation.

Mais ces romances, en ce qu'elles permettent de renégocier les statuts et les rapports de pouvoir,

présentent aussi un caractère agonistique très marqué.

A monographic study conducted in Morocco on camel treks for tourists, "seeking to encounter

peoples from the Sahara", demonstrates that the tourists are often disappointed. They are unable

to authenticate the Bedouins who have become tourism professionals. Furthermore, the tourists

can neither affirm themselves as individuals when travelling in a group, nor can they experience

adventure while sticking closely to the itinerary. One sort of interaction does seem nonetheless

to accomplish the enchanting prophecies delivered by the brochures, when female tourists have

a sexual encounter with their local guide. An intimacy is established which transcends the tourist

situation through the equivalent of a rite of re-incorporation. However, renegotiating the status

and power relationships, these romances are also characterized by significant tensions.

INDEX

Mots-clés : Maroc, Sahara, identités de genre et de race, postcolonialisme, rencontre des

cultures, tourisme sexuel féminin

Keywords : Morocco, Sahara, identities of gender and race, postcolonialism, cultural encounters,

female sexual tourism

AUTEUR

CORINNE CAUVIN VERNER

Centre d’Histoire sociale de l’islam méditerranéen, EHESS, Paris.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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Antiquaires et businessmen de laPetite Côte du Sénégal. Lecommerce des illusions amoureusesAntique Dealers and Businessmen from Petite Côte in Senegal: The Trade in

Amorous Illusions

Christine Salomon

NOTE DE L'AUTEUR

Cette étude a bénéficié d’un financement de l’Agence nationale de recherche sur le

Sida. Je remercie France Lert, directrice de l’Unité 687 de l’Inserm, qui m’a permis de la

mener à bien ainsi qu’Emmanuel Lagarde et d’Abdoulaye Sidibé Wade pour leur

implication dans le projet et la mise en place de l’étude. Mon travail doit énormément à

l’amitié et à l’aide de Falilou Ndiaye et d’Éric Kanago et à ma collaboration avec

Youssou Sarr et Nini Diouf. À la faculté des Lettres et Sciences humaines de l’UCAD, je

tiens particulièrement à remercier Bacary Sarr et Oumar Ndao pour les lectures qu’ils

m’ont conseillées ainsi qu’Ousseynou Faye pour son investissement scientifique dans ce

travail et pour ses commentaires sur une première version de ce texte. Merci enfin à

Papa Alioune Ndao et à Mamadou Dieng pour leur relecture attentive.

1 Au Sénégal, surtout sur la Petite Côte, la destination touristique la plus fréquentée du

pays, les échanges économico-sexuels entre jeunes hommes sénégalais et touristes

européennes — des Françaises dans leur grande majorité, généralement plus âgées

qu’eux — ont acquis une visibilité certaine. À la figure stéréotypée du vieux Blanc

escorté d’une jeune et jolie Sénégalaise, s’ajoute désormais celle de la touriste quinqua

ou sexagénaire, main dans la main avec un athlète en maillot de corps exhibant sa

musculation, un boy doolé ( doolé, force en wolof), ou un artiste portant dreads et

patchwork coloré, à la manière du musicien Cheikh Lô.

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2 Dans ces deux situations, souvent désignées comme prostitutionnelles, où la jeunesse

est l’attribut du service sexuel tandis que l’âge mûr est celui de la contrepartie

économique, il s’agit de commerce informel, sans tarification de la sexualité, ni réelle

professionnalisation de ses fournisseurs. La négociation économique n’est pas

forcément explicite avant l’acte sexuel si bien que les termes de la transaction sont loin

d’être clairs ainsi que le montrent les études qui se sont attachées aux jeunes femmes

fréquentant les bars ou les discothèques en quête de rencontres (Smette 2001 ; Fouquet

2007). L’enchevêtrement des significations entre sexualité commerciale et non

commerciale paraît d’autant plus complexe que les relations vont de l’éphémère, ou de

la durée des vacances, à des formes plus stables, des sortes d’amitiés ou d’abonnements

au service sexuel plus ou moins rétribué, parfois des cohabitations ou des mariages.

L’aspect économique revient toutefois sur le devant de la scène lors des différends qui

surgissent et alimentent la chronique des faits divers de la région de Mbour, des

Européens (hommes ou femmes) se plaignant régulièrement d’être volés ou spoliés par

leur partenaire ou encore victimes de « mariages d’intérêt » qu’ils souhaitent annuler

pour cette raison1.

3 Dans des revues françaises, des articles dénonçant les « ravages du tourisme sexuel » se

sont emparés de ces relations2, citant le Sénégal comme destination du « tourisme

sexuel de masse » avec la Gambie voisine. Des reportages photographiques et télévisés

ont complaisamment montré les couples contrastés que forment des femmes

européennes, d’un certain âge et suffisamment aisées pour voyager, avec des hommes

africains, apparemment plus jeunes et plus pauvres qu’elles3. Une telle fascination, qui

touche à la pornographie, s’enracine dans un processus dont Colette Guillaumin (1992),

dans un article sur le rapport entre pratique du pouvoir et idée de nature, a démontré

qu’il était à la base de l’idéologie raciste. En effet, à partir d’une naturalisation de

l’altérité, c’est bien la même logique qui « racise » des groupes sociaux en fonction de la

couleur de la peau mais aussi du genre, ou de l’âge, ces trois opérateurs de

catégorisation se cumulant dans le cas des « jeunes Black » et des « vieilles Blanches »

(Salomon 2007).

4 Le type de relations sociales étudié ici, lié aux renégociations contemporaines du genre

en Occident, semble être apparu au Sénégal avec l’essor du tourisme hôtelier (Dieng &

Bugnicourt 1982). Dès les années 1990, le phénomène était devenu suffisamment

perceptible pour que ses protagonistes masculins soient localement qualifiés de Sex

Machines (Biaya 2001 : 82). Mais il plonge à l’évidence également ses racines dans le

passé colonial et s’inscrit dans une histoire ancienne de « mariages à la mode du pays »4

dans les comptoirs portugais de la Petite Côte. Cependant, la reconfiguration mondiale

actuelle, où les migrations touristiques du Nord vers le Sud s’amplifient — notamment

vers les destinations d’Asie et d’Afrique5, alors même que les citoyens des pays de ces

régions sont partout empêchés d’aller au Nord par des politiques terriblement

restrictives —, paraît propice à son déploiement à grande échelle. Ses localisations

incluent de nombreux sites touristiques du bassin méditerranéen, d’Asie et de la région

caraïbe. Les destinations balnéaires d’Afrique subsaharienne où des recherches rendent

compte d’un tourisme sexuel féminin sont la Gambie (Brown 1992 ; Ebron 2002 ; Nyanzi

et al. 2005 ; Wagner 1977 ; Wagner & Yamba 1986), Zanzibar en Tanzanie (Sumich 2002),

la région de Malindi au Kenya (Kibicho 2004) et le lac Malawi (Prowse 2004). Les

chercheurs en sciences sociales qui se sont intéressés aux divers beach-boys ont

généralement souligné le côté professionnel des amitiés qu’ils nouent avec les touristes,

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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les assimilant à de petits entrepreneurs (entrepreneurs), des travailleurs indépendants

(freelancers), aventureux (risk-takers) et débrouillards (hustlers). Alors que certains

auteurs leur ont attribué en Afrique un rôle de médiateurs culturels (culture brokers),

entre les éléments les plus « traditionnels » de leur société et les touristes (Brown 1992 ;

Sumich 2002), d’autres ont souligné la créativité de leur style de vie et la spécificité des

relations sociales qu’ils nouent où l’ensemble des inégalités sont fortement racialisées

(Ebron 2002 ; Nyanzi et al. 2005 ; Prowse 2004).

5 Ma présentation des jeunes hommes sénégalais — travaillant souvent déjà dans le

tourisme ou dans le commerce — dont la cible privilégiée est constituée par des

vacancières seules auxquelles ils proposent diverses prestations, y compris sexuelles,

s’inscrit dans cette seconde perspective. Parfois nommés avec un certain mépris « topp

tubaab » ( « topp », « suivre » en wolof), ceux qui tournent autour des Blancs, sont

généralement appelés sur la Petite Côte « antiquaires », en référence aux marchands

d’objets, prétendument anciens, proposés aux touristes, ce qui identifie clairement leur

activité comme commerciale6. La plupart des concernés préfèrent néanmoins se définir

comme des boutiquiers, des guides ou mieux des « businessmen ».

6 J’examine ici leurs compétences et leurs stratégies pour réussir dans un univers

compétitif, dont certaines relèvent de mises en scène d’une identité africaine

correspondant largement aux clichés occidentaux. Je m’intéresse également aux

arbitrages entre conduites individuelles et normes sociales en fonction de la part de

stigmate et de clandestinité attachée aux transactions sexuelles avec les touristes. Ma

description donne à voir une imbrication particulière des inégalités économiques, de

genre et d’âge avec les stéréotypes racistes. Elle met également en lumière, au-delà

d’une forme persistante d’aliénation postcoloniale, l’extraversion de la jeunesse

sénégalaise urbaine et son inscription, pour échapper à la pauvreté et à son système

national, dans ce que Tshikala Biaya (2000 : 2) a appelé « la globalisation et la

mondialité, sa culture universelle d’aujourd’hui ».

7 L’enquête repose sur l’observation des lieux de drague et des interactions avec les

femmes touristes ainsi que sur une vingtaine de récits d’hommes âgés de 22 à 37 ans

régulièrement engagés dans des relations suivies avec elles. Une majorité de ceux

exerçant à Saly ou aux alentours avaient déjà été sollicités entre 1999 et 2001 pour

répondre à un court questionnaire dans le cadre du mémoire de maîtrise de Nini Diouf

sur les unions mixtes à Mbour ou celui du mémoire de DEA de Youssou Sarr sur le

tourisme sexuel7. C’est ainsi que j’ai pu les contacter en 2005 et qu’ils ont accepté un

entretien approfondi. Deux ans plus tard, en 2007, j’ai interrogé à nouveau une dizaine

d’entre eux, qui se trouvaient toujours dans la même activité8, afin de mieux cerner

leurs trajectoires. Les conditions de mon enquête ont été évidemment en partie

déterminées par ma situation de femme tubaab « libre » (non accompagnée d’un mari)

qui me plaçait dans une position ambiguë, que la déclinaison de ma qualité de

chercheure ne suffisait pas à lever9. La consultation des registres des mariages à la

mairie de Mbour est venue compléter mes données en permettant de prendre la mesure

de la partie légalisée du phénomène.

La Petite Côte : « une banlieue tropicale de l'Europe »10

8 L’on se souvient peut-être du tube (près d’un million de disques vendus en France), du

groupe Martin Circus, Je m’éclate au Sénégal11, sorte de manifeste du tourisme de masse

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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qui coïncidait avec le lancement de la politique de développement de ce secteur par

l’État sénégalais dans les années 1970. Aujourd’hui, l’on continue, semble-t-il, de

s’éclater au Sénégal puisque le nombre de visiteurs est estimé, en l’absence de chiffres

officiels, de 500 000 à 700 000, dont plus de la moitié est constituée de Français. Le

tourisme constitue un secteur-clé de l’économie, qui a devancé l’arachide et figure au

deuxième rang après la pêche. Bien que le produit balnéaire soit désormais saturé et

concurrencé, le gouvernement sénégalais affiche l’objectif ambitieux d’attirer un

million et demi de touristes à l’horizon 2010. La Petite Côte, à seulement 80 km de

Dakar, qui a profité de la désertion de la Casamance, draine 70 % des visiteurs.

9 Initié par l’implantation d’un club de vacances allemand et d’un hôtel grand standing

dans un parc forestier, le développement du tourisme a été confié dans cette région à la

Société d’aménagement et de promotion de la Petite Côte (SAPCO, créée en 1975), une

société d’économie mixte transformée en société anonyme à participation publique

majoritaire. Celle-ci construisit, en bord de mer, à 5 km de Mbour, la station de Saly

comprenant plusieurs hôtels bâtis autour d’un centre commercial, avec parking,

pharmacie, cafés, discothèques, boutiques destinées aux touristes, plus un « marché

artisanal » à proximité. Cet aménagement, conçu pour fixer sur place les vacanciers,

complété aujourd’hui par des banques avec distributeurs de billets, des cybercafés, des

locations de voitures, de scooters, de quads et un port de plaisance, continue de

s’étendre, employant plus de 3 000 personnes et proposant un hébergement d’une

capacité de 8 000 lits.

10 Les prestations et les prix proposés attirent désormais une clientèle assez populaire et

pour une bonne part âgée, essentiellement française, qui vient surtout en haute saison,

de décembre à avril. Le séjour type, très encadré, dure une semaine, l’hôtel ou le club

de vacances proposant aux clients dans la journée des animations ou quelques circuits

dans les environs, et le soir des spectacles au bord de la piscine. Tout est fait pour les

décourager de s’aventurer hors des sentiers balisés. Ils ne peuvent lier connaissance

qu’avec les employés des hôtels, les boutiquiers et les taximen, ou alors avec les guides

autorisés à se poster au sein de la station pour proposer des excursions. Tous les autres

« artistes des relations humaines », ainsi qu’ils se plaisent à se définir, sont réduits à

accrocher leur attention soit sur la partie de la plage qui reste en libre accès, sur

laquelle ils vendent des souvenirs et où vers le soir, des garçons viennent faire du sport

et exhiber leur plastique corporelle, soit dans les boîtes de nuit, si toutefois ils ont les

moyens d’y entrer. L’infrastructure de Saly est complétée par des résidences para-

hôtelières vendues en copropriété. Chaque résidence est composée de constructions

identiques enserrées dans un enclos gardé, avec piscine, bar-restaurant et espaces verts

soigneusement entretenus. Quelques-uns de ces logements sont achetés par des

Sénégalais fortunés, mais la grande majorité l’est par des Français, souvent des

retraités venus précédemment en vacances, qui ont décidé de s’établir sur place une

partie de l’année et louent leur logement le reste du temps. Ces résidents constituent

une population un peu moins captive que celle des clubs de vacances et génèrent des

restaurants et des petits commerces à proximité, formels ou non.

11 On trouve encore d’autres types d’hébergements touristiques en bord de mer dans les

localités adjacentes. Ils vont d’établissements chics et fermés surveillés par des gardes

en uniforme armés de chicote pour dissuader les jeunes d’approcher les clients, à des

hôtels familiaux et des « campements » plus modestes, souvent tenus par des couples

franco-sénégalais, ainsi qu’à des villas louées meublées. Des habitants des villages

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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voisins proposent même des chambres d’hôtes. Le littoral présente ainsi un continuum

d’habitations jusqu’à Mbour, ville qui connaît une explosion démographique et fournit

la majeure partie de la main-d’œuvre des hôtels et des bases de loisirs de la Petite Côte.

Alors que Saly comptait officiellement 7 556 habitants en 2002 (Diouf 2003), quatre ans

plus tard le chiffre de 20 000 personnes est avancé par le guide Lonely Planet Sénégal et

Gambie, du moins en haute saison. Au delà des employés du secteur touristique, tout un

monde de pauvreté et de débrouille côtoie celui des vacanciers et des retraités, s’efforce

de se mettre à son diapason et de calquer son emploi du temps sur le sien, ce qui donne

à ses acteurs une connaissance certaine des modes de vie occidentaux dans ce

qu’Achille Mbembé (2000 : 41) nomme « l’économie des désirs inassouvis », c’est-à-dire

l’économie des biens vus, à portée de main, convoités, mais dont il apparaît comme fort

improbable qu’on parvienne à les posséder. Ainsi peut-on observer dès le matin sur la

plage des jeunes désœuvrés, « les conjoncturés », emboîter le pas aux promeneurs en

leur parlant « réveil musculaire », puis jouer à la pétanque avec les retraités dans les

résidences, promener en laisse le chien d’une « copine » européenne, tandis que des

jeunes femmes sénégalaises déambulent en compagnie de Pa tubaab (vieux Blancs) et

lézardent en maillot de bains autour des piscines. Les mixités entre jeunes Sénégalais,

hommes ou femmes, et touristes ou résident(e)s européen(ne)s deviennent encore plus

visibles à partir du moment de l’apéritif, dans les bars, et le soir dans les restaurants et

les discothèques. Pour créer une ambiance « sénégauloise » rassurante pour les

vacanciers, les enseignes des boutiques, ou les cartes professionnelles des taxis

annoncent : « Ahmed Le Breton », « Omar Le Belge » ou « Aux Girondins » en référence

au club de football. Malick se fait appeler Mike, Maguette, Max, Mustapha, Taf et

Souleymane, Jules, ce qui est courant dans la jeunesse sénégalaise urbaine, mais

Mouhamad va aussi prendre un nom d’emprunt (Pascal) pour se « toubabiser ».

12 S’inscrivant dans une série d’efforts aussi répétés que vains des pouvoirs publics pour

faire disparaître les pauvres12 des lieux publics et protéger les touristes, une association

pour le développement du tourisme à Saly a été constituée et distribue des badges à ses

membres, seuls autorisés à aborder les vacanciers au sein de la zone hôtelière13.

Pareillement, le parking et le marché artisanal sont tenus par des associations dont les

adhérents (les « adras ») se différencient ainsi des taximen « clando » et des marchands à

la sauvette. Le droit d’entrée à ces associations, qui fonctionnent également comme

caisses de secours pour leurs membres, est élevé14. Par conséquent, ceux qui arrivent

sur le marché du travail et ne peuvent débourser cette somme se trouvent interdits

d’accès à la zone hôtelière, au marché artisanal et au parking, obligés d’y aller

furtivement ou nuitamment et sont alors exposés à la répression. Aussi la façon dont ils

abordent les touristes estelle généralement plus pressante et directe, souvent

maladroite, parfois désespérée, y compris dans la proposition de services sexuels15.

13 Ce sont les membres des associations, plus faciles à contacter car leur activité s’est

officialisée, qui constituent, avec quelques employés d’hôtels, la majorité des hommes

qui ont participé à mon enquête, laquelle s’est déroulée en français. Bien que leur

niveau scolaire ne dépasse généralement pas le CM216 et qu’ils aient commencé à

travailler tôt, à force de fréquenter les touristes et de partager leur intimité, leur

français parlé est devenu excellent, et certains se plaisent même à rémailler de jurons

ou de « verlan » pour démontrer à quel point ils maîtrisent des codes linguistiques

communs avec les vacanciers. Bien que tous racontent avoir « eu leur première

Française » alors qu’ils étaient simples vendeurs ambulants, rabatteurs ou laveurs de

voiture, ils qualifient sans état d’âme les débutants dans le métier de « gigolos qui sont

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à la plage et cherchent les dames du troisième et quatrième âge » ou encore

d’« arnaqueurs qui embêtent les touristes ». On peut considérer, par analogie avec

l’aristocratie ouvrière, qu’ils représentent l’aristocratie du secteur informel17.

Beaucoup accusent même les « antiquaires », arnaqueurs de petite envergure, d’être

responsables de la baisse de l’activité touristique. Un guide badgé, 37 ans, qui sept ans

auparavant, démobilisé de l’armée et embauché comme gardien d’hôtel, a rencontré

une Française et s’est fait financer par elle son permis de conduire et son adhésion à

l’association (elle continue toujours de le « sponsoriser »), relaie le discours répressif :

« Chaque boutique a droit à deux personnes et comme ça si on voit une personnequi traîne, on voit que c’est un rabatteur, un antiquaire, on le fait arrêter. Dans levillage artisanal, ce sont des boutiquiers, pas des antiquaires, l’antiquaire, c’estcelui qui vous racole, il gère rien, il te propose un restaurant et le lendemain il s’esttaillé avec ton argent. Il y a des gardiens en uniforme que l’association a recrutés, lagendarmerie peut aussi te demander le badge. »

14 À l’omniprésence de gardiens d’allure martiale, recrutés préférentiellement parmi

d’anciens militaires, s’ajoute les rafles par les gendarmes, surtout le soir, qui infligent

des amendes à tous ceux identifiés comme des figures de la marginalité — jeunes

traînards désargentés ou femmes suspectées de se prostituer — dont la seule présence

dans l’espace public serait néfaste à l’image du Sénégal et de ses valeurs.

15 Dans une société plutôt prude, où il importe de savoir se tenir, avec une norme

homophobe affirmée18, l’organisation à Saly, dans une boîte de nuit à la mode, d’un

défilé de travestis en 1999, puis la diffusion d’un reportage de M619 sur la pédophilie

dans cette localité20 et des articles à sensation dans la presse locale21, amènent souvent

à considérer l’endroit comme la capitale de la débauche. Un ancien « antiquaire » de

Mbour (31 ans, vivant habituellement à Genève où il travaille comme cuisinier,

interrogé alors qu’il est revenu en vacances), lui-même séparé d’une professeure

d’université rencontrée quand il avait 17 ans, épousée quatre ans plus tard et rejointe

en Suisse, de s’indigner :

« Moi quand j’étais ici j’ai tout vu, mais à cette époque, le tourisme était deux foisplus propre. Moi je mets pas les pieds à Saly, c’est la prostitution. C’est la faute augouvernement, il ne devrait pas accepter les résidents. Les résidents, y a pas decontrôle. C’est la faute du PS, la SAPCO a vendu toute la plage. Ils ont tout ratissé, ilsont regardé que l’argent. Ça devient comme la Thaïlande. Un jour il y aura la mêmechose à Saly que le tsunami, le bon dieu va nettoyer tout ce qui est dégueulasse. »

16 La presse locale, extrêmement diserte sur les « fléaux sociaux » susceptibles de ternir

l’image du pays et sur la « dégradation des mœurs », n’épargne pas les relations

étudiées ici. Quand des litiges opposent les partenaires d’un couple mixte d’âge

discordant et que l’un d’eux recourt à la police, les affaires sont présentées comme un

effet de la prostitution si le plaignant est un homme qui s’est fait dépouiller par une

jeune Sénégalaise (ou par le copain de celle-ci, à qui elle a facilité l’entrée dans la villa

ou la résidence). Mais lorsque c’est une Européenne qui incrimine un homme sénégalais

plus jeune qu’elle22, les faits sont rapportés dans la rubrique pédophilie, au motif que la

différence d’âge est « astronomique »23. Que des femmes soient nettement plus âgées

que leurs amants semble donc constituer un objet de scandale dans une société qui en

revanche tolère que les hommes entretiennent, dans le mariage, surtout polygame, ou

la prostitution, des relations avec des femmes bien plus jeunes qu’eux24, la séniorité

venant dans ce cas renforcer l’autorité masculine. Autre inversion des normes, alors

que les obligations de prise en charge des besoins économiques du ménage sont en

principe masculines et que « le défaut d’entretien » reste la principale cause de divorce

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des épouses25, les femmes ici occupent le rôle de pourvoyeur économique. Leur

supériorité en matière d’âge et de ressources serait-elle susceptible d’ébranler le cadre

normatif des relations hétérosexuelles ? C’est bien ce que semble redouter l’éditorial

cité de L’intelligent intitulé « À nous les petits Sénégalais » qui commente la plainte

déposée par une Européenne désireuse de récupérer la voiture et la maison « données »

à son partenaire (majeur puisqu’en âge de conduire), rapportant en caractères gras la

« découverte » du commandant de gendarmerie « horrifié » de Mbour : « Un contrat

secret imposait au garçon trois rapports par jour. Une cadence qu’il n’a pas pu tenir.

D’où le courroux de la vieille dame. » La femme incarne ici la dangerosité sociale et la

dépravation. En revanche l’infantilisation et la victimisation de l’homme impliqué le

déresponsabilisent et permettent de l’affranchir du stigmate de prostitué (Pheterson

2001).

Des businessmen

17 Les entretiens publiés dans « Touristes Rois en Afrique » (Dieng & Bugnicourt 1982)

indiquent que les échanges économico-sexuels de ce type sont apparus dès l’essor du

tourisme au Sénégal. Sur un total de 56 employés d’hôtel interrogés à Dakar, sept

d’entre eux mentionnent avoir obtenu une rémunération pour des services sexuels. Un

cuisinier explique que les touristes femmes « paient parfois les hommes comme les

hommes touristes paient les filles sénégalaises » (ibid. : 75) et un « boy de chambre » fait

le récit d’une transaction :

« Un jour une Italienne m’a demandé de lui tenir compagnie en ville pendant lanuit. Je lui ai montré tous les meilleurs night-clubs et les grands bars de la ville. Auretour elle m’a offert une jolie montre et m’a invité à manger dans sa chambre.Après le repas elle m’a proposé de lui faire la cour. J’étais très réticent, je n’avaisjamais fait la cour à une tubaab. Elle m’a offert 5 000 F pour me convaincre et j’aiaccepté. J’ai passé plusieurs nuits avec elle jusqu’à son départ. Je rencontre detemps en temps des femmes de la sorte, mais toujours moyennant quelque chose :un cadeau ou de l’argent » (ibid. : 46).

18 Le montant habituel de la compensation, 5 000 FCFA plus une montre, est corroboré par

un taximan : « J’ai dormi avec elle [une femme suisse] et elle m’a donné 5 000 F et une

belle montre comme souvenir car elle devait repartir pour la Côte-d’Ivoire le

lendemain » (ibid. : 80). Toutefois, une certaine discrétion semble avoir été de mise à

cette époque, les salariés redoutant d’être licenciés en cas de découverte par leur

patron.

19 Mon enquête, en 2005 et 2007, révèle que les employés d’hôtel, notamment les gardiens

et les animateurs, demeurent toujours bien placés pour nouer ce type de relations dont

l’acceptation sociale dans le milieu de l’hôtellerie est devenue telle que la part de

clandestinité paraît désormais réduite, voire inexistante. Les hôtels de la Petite Côte

tirent même ouvertement profit des rencontres sexuelles entre les touristes et les

locaux puisque tout(e) client(e) invitant quelqu’un pour la nuit paye pour son hôte une

nuitée supplémentaire, dont le prix oscille de 30 000 à 60 000 FCFA (46 à 92 euros) selon

les établissements. Cette barrière financière non négligeable n’existe pas dans les

résidences qui se contentent de demander — ce que font également les hôtels — que le

visiteur laisse sa pièce d’identité aux gardiens, lesquels peuvent d’ailleurs fermer les

yeux moyennant un pourboire. En outre, l’activité, considérée comme annexe au

salariat il y a vingt ans, est de nos jours envisagée comme « une porte de sortie », « une

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source de survie pour sortir de la galère », une opportunité à ne pas laisser passer

d’autant que « en une journée tu peux gagner le salaire d’un mois à l’hôtel » et qui, au-

delà d’un gain ponctuel, ouvre, si la relation se pérennise, sur une vie supposée

meilleure, que ce soit au Sénégal ou en Europe. Il ne s’agit donc plus de prestations

rapides, réduites à un ou des actes physiques impliquant peu la personne et conçus

comme un travail ponctuel et rémunéré, mais de relations à plus long terme qui

requièrent un investissement psychologique et social où la sexualité ne peut être

facilement dissociée des autres aspects de la vie personnelle et, bien évidemment, de

certaines formes d’attachement.

20 Non seulement les salariés du tourisme ne craignent plus ni le licenciement ni

l’opprobre, mais ils se déclarent prêts à démissionner pour saisir les occasions qui se

présenteraient, comme l’affirme ce gardien d’hôtel célibataire de 30 ans employé

durant la haute saison pour un salaire mensuel de 50 000 FCFA (76 euros)26 : « Si tu fais

une rencontre, que la personne t’aide, que la femme t’emmène, c’est la chance. Ici tu

n’as pas de travail. Beaucoup sont partis comme ça. Ce sont des Françaises, des Belges

ou des Suisses. » Et un tailleur d’une boutique d’hôtel, 35 ans, marié avec trois enfants,

de renchérir : « Si tu as 60 ans et que tu es Sénégalaise, on dira : elle est folle cette

vieille. Mais si tu es tubaab, ce n’est pas pareil. Moi si je rencontre une femme qui

m’aide, je l’épouse, je suis partant : chacun y trouve son intérêt, même si ce n’est pas le

même. »

21 Cette idée qu’une liaison avec une Européenne, même d’une autre génération, peut

changer radicalement la vie, reflète la puissance de la monétarisation et

l’instrumentalisation de la sexualité qui se développent dans un contexte de crise

économique et dont l’un des effets est l’individualisation des conduites, quitte à ce que

ces manifestations soient réprouvées par la morale sociale dominante (Marie 1997).

22 La valeur des cadeaux et la compensation monétaire reçues par ceux dont les visées se

concrétisent demeurent difficiles à estimer, à cause de l’aspect non tarifé des

prestations masculines. Mes entretiens indiquent cependant que la voiture a

définitivement supplanté la montre comme cadeau-type valorisé. Un guide de 35 ans,

adhérent de l'association du parking de Saly, décrit le rôle de sa première voiture dans

son ascension sociale :

« Quand je suis arrivé à Mbour, je dormais dans la gare routière, je lavais lesvoitures. Pour avoir le permis, j’ai fait saisonnier dans le Saloum pendantl’hivernage pour l’arachide. J’ai commencé à travailler comme chauffeur, mais à cemoment- là, ce n’était pas ma voiture. C’est comme ça que j’ai rencontré le coupletubaab qui avait un hôtel dans le Sud de la France. Ils m’ont envoyé l’argent pourmon passeport et je suis allé travailler chez eux là-bas, j’ai fait la cuisine, j’ai faitaussi les vignes, tout. Quand je suis rentré ici, ils m’ont donné la 505 pour faire dutransport et aider mes parents. Maintenant qu’ils se sont séparés, elle, elle estrepartie à zéro, et on ne se cache plus. »

23 La femme en question, désormais à la retraite, a construit une maison sur la Petite Côte

où elle passe une partie de l’année. Elle a aidé son amant à acheter une voiture

supplémentaire — un minibus (il emploie désormais un jeune frère comme chauffeur de

la 505) —, et même une « maison tubaab avec une bonne », également sur la Petite Côte,

où, lorsqu’elle n’est pas là, il habite en semaine et invite ses copains « à manger du

bœuf bourguignon ». De plus, elle lui a donné la somme de 500 000 FCFA (760 euros)

nécessaire pour se marier au village : « Elle m’a dit elle-même : pour ton avenir, tu dois

avoir des enfants. C’est mes parents qui ont choisi une cousine et arrangé tout. C’est

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une fille de mon village qui n’a pas fait les bancs. Tout le monde le sait, la tubaab, elle

était au mariage, c’est elle qui a donné l’argent pour la dot. » Deux ans plus tard, il vit

toujours entre sa famille au village (il a maintenant deux enfants) et la « copine

française » dont il dit qu’elle lui « a appris beaucoup de choses, à faire la cuisine, à

économiser, à investir surtout ». Il possède maintenant une carte bleue et a acquis

depuis peu une quincaillerie à Mbour que tiennent ses sœurs. Le minibus a été

remplacé par une luxueuse berline climatisée et il a — toujours grâce à l’aide de la

« copine » car lui-même n’est pas allé à l’école et ne lit pas — des cartes de visite et un

site Internet, ce qui lui fait dire qu’il est devenu « tour operator ». La « copine » était,

selon lui, prête à payer 1 500 000 FCFA (2 287 euros) pour des faux papiers afin qu’il

puisse voyager à nouveau avec elle en France mais finalement, jugeant l’opération trop

risquée, ils sont en train de faire le nécessaire pour se marier à la mairie27.

24 Un autre homme, loueur de quads rétribué à la commission, âgé de 27 ans en 2005,

confirme que, dans le milieu, l’achat d’une voiture mesure le succès. Après avoir quitté

l’école en CM2, travaillé comme ouvrier boulanger puis pêcheur, il était lui aussi laveur

de voitures lors de sa rencontre avec une touriste :

« J’étais un gamin, c’était il y a six ans, c’était une dame de 41 ans, on a passé unesemaine ensemble. Elle était très gentille [comprendre généreuse], mais elle étaitvieille. Elle est encore venue il y a 5 mois. En fait, j’ai pas qu’une seule copinefrançaise. Elles achètent des voitures. Moi j’ai deux voitures : une 405, plus uneRenault 21, elles font des cadeaux. J’ai un pote à moi il est taximan ici, maintenant ilest marié avec une Française qui a acheté une voiture à 9,5 millions [14 483 euros],une 4X4 Mitsubishi. Ils se sont connus une semaine, après elle est rentrée et aenvoyé les 9,5 millions. Y a pas que lui, y a tout le monde qui est dans le business. »

25 En 2007, il travaille toujours dans la location de quads, mais a aussi pris sa carte

d’« adra » comme chauffeur-guide au parking. Son apparence a changé, il a troqué ses

dreads contre une coupe de cheveux courte. Il s’est marié (à la mosquée) avec la jeune

femme sénégalaise dont il avait déjà un enfant — « quand tu as un gosse et que tu n’es

pas marié, c’est gênant » — et avec laquelle il a eu un second enfant. Mais, comme

l’interlocuteur précédent, il adapte librement à sa situation la version musulmane de la

polygamie, qui implique une régularité impartiale des tours de l'homme, même s'il n'y

a pas co-résidence des épouses. En effet, outre ses anciennes conquêtes qui reviennent

en vacances à Saly et qu'il revoit alors, il entretient depuis un an une liaison avec une

« copine » attitrée, avec qui il cohabite deux ou trois mois d'affilée lorsqu'elle vient :

« Dans le tourisme, tu as envie de rencontrer des femmes qui te donnent des coupsde main, qui t’aident, qui t’achètent des voitures. Ma copine maintenant elle a 58ans, mais elle est bien dans sa tête, elle fait des placements à la banque, elle a desactions, j’apprends à économiser. Elle est veuve, on s’est connu en 2006, et elle adéjà construit ici une maison à 50 millions [76 225 euros] avec piscine [...]. Quand tuas des projets, tu ne peux pas larguer, tu fais un an avec elle, elle te donne 10 000euros, deux ans ça fait 20 000, trois ans 30 000. »

26 La place de la voiture dans la réussite personnelle est encore évoquée par un détenteur

d'un badge de guide — que par coquetterie, il ne porte jamais sur lui —, âgé de 30 ans,

qui a démarré comme pâtissier dans un hôtel. Ce dernier ne renie ni la dénomination

d’« antiquaire », ni même celle d'« arnaqueur », mais préfère néanmoins lui aussi

désormais se définir comme businessman :

« Pour ce qui est de l’argent tu ne peux pas trouver mieux que Saly au Sénégal. J'aieu cinq voitures, j'en ai vendu deux, maintenant je me lance dans l'immobilier,j'achète des parcelles pour des amis, je construis des maisons pour eux, mais je

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voudrais aussi importer des pièces détachées pour les 607, la 607 c'est la voiture desministres. Si tu trouves une dame qui est sympa, elle te file 100 000 F dans le mois,elle t'envoie une voiture, comme ça tu fais tout pour la satisfaire. Mais ce n’est pasl’argent qui compte, c’est le cœur, si elle envoie 20 000, 30 000 ou 50 000 par mois,c’est toujours ça. »

27 À partir des récits recueillis, se dessinent ainsi les qualités requises pour réussir dans

cet entreprenariat : croire suffisamment en soi pour oser et tenter sa chance, savoir

saisir l’aubaine qui vous met le pied à l’étrier, faire fructifier ses gains28 et être capable

d’acquérir de nouvelles connaissances en matière de développement commercial

(économiser et investir).

28 Les généreuses donatrices, qui envoient de l’argent entre leurs visites pour maintenir

les relations29, n’appartiennent cependant pas toujours aux catégories

socioprofessionnelles favorisées. Interrogés sur les professions de leurs « copines », les

hommes mentionnent effectivement des commerçantes, des femmes d’affaires, des

avocates, une notaire, une sociologue, mais aussi des postières, des infirmières, des

institutrices et des secrétaires. Si l’on examine la profession déclarée par les conjointes

européennes dans les registres des mariages à la mairie de Mbour, la catégorie des

petites employées apparaît la plus représentée. Néanmoins, comme ces femmes ont un

certain âge30, qu’elles sont divorcées ou veuves pour la plupart et n’ont pas (ou plus)

d’enfants à charge, elles semblent disposer de revenus ou d’économies susceptibles

d’alimenter l’envoi de mandats réguliers, à la différence des jeunes filles au sujet

desquelles un « antiquaire » du marché artisanal note : « Elles n’ont pas grand chose,

alors que les femmes âgées, elles te disent : je veux t’aider, qu’est ce que je peux faire

pour toi, j’ai envie de te donner un coup de main. » Et le loueur de quads déjà cité

insiste : « C’est les vieilles qui peuvent t’apporter tout de suite une jolie maison, une

jolie voiture, mettre beaucoup d’argent dans ton compte, pas une jeune fille. Tu sais, les

Sénégalais ils aiment l’argent, tu leur donnes 200 ou 300 euros ils n’hésitent pas quoi.

C’est l’argent qui roule ici. » Bien que les cadeaux pécuniaires puissent atteindre des

sommes conséquentes, c’est évidemment loin d’être toujours le cas. Un enquêté, 26 ans,

chauffeur pour le compte de son frère, évoque des situations moins favorables : « Les

vieilles tubaab, elles te font beaucoup de promesses mais c’est juste pour passer des

vacances. » Amertume exprimée également par un guide plus expérimenté de 34 ans :

« Il y en a qui te font des promesses, qui te disent : au retour je vais t’envoyer cela,et puis rien du tout, elles t’oublient, ça me fait mal au cœur. Quand j’accompagnedes clients à l’aéroport, je vois des femmes qui ouvrent leur sac devant lespoubelles, sortent des adresses, déchirent et mettent dans les poubelles. Et c’est passeulement une ou deux fois que j’ai vu ça ! Tu peux tomber sur quelqu’un à lalongue, ça aboutit à quelque chose, mais quelquefois c’est pour trois nuits ou unesemaine et c’est fini. »

29 Chaque rencontre fait en réalité courir le risque d’une mésaventure. En se conformant

d’une part à l’adage selon lequel « un homme ne dit jamais non », qui exprime

l’obligation sociale de virilité, et d’autre part à la règle implicite qui veut que le

montant de la compensation ne soit jamais négocié avant l’acte sexuel, mais donné

dans l’après-coup, comme dans un élan de générosité féminine, les hommes se

retrouvent parfois piégés par un simple repas offert, d’une valeur moyenne de 5 000

FCFA31. Ainsi le loueur de quads qui affirme recevoir de sa copine actuelle 10 000 euros

dans l’année, auquel je demande s’il s’est déjà trouvé dans une situation de contrainte

sexuelle : « Il y avait une Française qui était là-bas, elle m’avait invité à manger. J’ai

mangé, après je dis : OK, bonne soirée. Elle me dit : non, tu ne t’en vas pas, tu veux pas

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rester avec moi ? Et après, ben, ça ne me plaisait pas, mais tu vois, je l’ai fait aussi pour

lui faire plaisir, elle m’a invité à manger, elle était très sympa, faut que je sois nice

aussi. » De fait, dans l’espoir d’un gain à venir, les hommes se placent dans un rapport

de type serviciel et subordonné. Et quand ce n’est pas la partenaire elle-même qui fait

« bien sentir que c’est elle le chef », ils doivent fréquemment affronter l’hostilité et les

vexations de la part des employés des restaurants et des hôtels qui n’hésitent pas, par

exemple, à demander d’un ton soupçonneux à la touriste accompagnée d’un jeune

(d’allure pauvre) : « Mais il est avec vous ? »

30 Se montrer capable d’accepter les rebuffades des touristes, les échecs, les humiliations

des mieux nantis (parfois des gendarmes lors des rafles) et se remettre rapidement des

difficultés sont donc également des qualités nécessaires à cet entreprenariat. Non

seulement il faut supporter les déboires et pouvoir en plaisanter 32, mais il convient

d’acquérir ce savoir-faire commercial particulier qui consiste à tourner à son avantage

les revers subis, en mettant les personnes qui les ont infligés en dette d’amitié, ce

qu’explique un guide de 30 ans, relatant un malentendu avec deux vacancières

recrutées pour une excursion au Lac Rose. Voulant s’arrêter pour déjeuner avec elles

chez sa sœur et donner quelque chose à cette dernière, il leur avait demandé une

avance. Il s’était alors aperçu qu’au lieu de 65 000 F, elles avaient compris 6 500 F. Le

conflit les avait conduits chez les gendarmes et le commandant avait expliqué aux

touristes que « quand même elles exagéraient, il fallait au moins donner 20 ou 30 000

F ». Sur ce, le guide avait rétorqué que l’important était qu’elles soient contentes, qu’il

n’y avait pas de problème et que, puisque la voiture lui appartenait, il allait carrément

leur offrir l’excursion. Au retour, il les avait même emmenées visiter le port de Mbour

ce qui n’était pas compris dans le contrat de départ. L’atmosphère s’étant détendue, les

touristes avaient proposé 20 euros de plus, ce qu’il avait refusé et elles l’avaient invité

alors à dîner. Au final, l’habile businessman conclut : « Maintenant j’ai leurs numéros de

portables, on se téléphone de temps en temps, elles m’ont déjà envoyé huit clients. »

31 Afin toutefois de limiter les incidents de ce genre, une catégorisation des touristes

s’opère en fonction d’un repérage d’ordre économique33 : les femmes d’âge mûr sont,

ainsi que développé plus haut, opposées aux jeunes filles incapables d’« épauler »

financièrement le partenaire et, les Françaises, avec lesquelles il est aussi plus facile de

faire connaissance grâce à la langue, sont de façon générale préférées aux Espagnoles

« radines », qui discuteraient trop les prix, et aux Allemandes jugées trop « fermées ».

Mais, au sein du groupe le plus intéressant potentiellement, les Françaises d’âge moyen,

sont encore différenciées : celles qui voyagent sur Air France et résident dans des hôtels

chics de celles qui viennent en charter et en club bon marché (comme FRAM dont on se

moque en disant que c’est l’acronyme de « Français Rien à Manger »).

Faire découvrir la vraie Afrique

32 La détermination, l’habileté et l’intelligence des situations de ces hommes se déploient,

comme nous venons de le voir, dans plusieurs activités commerciales connexes. Elles

leur permettent non seulement de vivre et de faire vivre leur famille mais aussi

subjectivement de sortir d’un statut social marginal et de se construire une identité

socialement valorisée, d’hommes d’affaires, ne serait-ce d’ailleurs qu’en partie sur un

mode fantasmatique, grâce aux bénéfices escomptés d’une rencontre avec une touriste

généreuse. La station de Saly apparaît ainsi comme un espace où se joue, pour attirer

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l’attention et amorcer une relation censée améliorer radicalement la position sociale

des acteurs, une série de mises en scènes genrées de soi34 dans lesquelles le corps, au

travers du vêtement, de la coiffure et du maintien, joue un rôle important.

33 Parmi ces mises en scène, se remarquent d’emblée deux constructions masculines assez

stéréotypées : d’une part celle de l’artiste baay-fall métissé de rastaman35 et, d’autre part,

celle du boy doolé qui renvoie à la fois à l’adepte de la lutte sénégalaise et au rappeur

africain-américain. Ces figures hybrides ont en commun de capter et d’hypertrophier

des caractéristiques que les clichés occidentaux attribuent aux Africains : un goût

extraverti pour la parure, la musique et la danse, l’étalage non inhibé de la force

physique, traits qui sont en net décalage avec l’idéal social de pondération et de

retenue (kersa) dominant au Sénégal. Ainsi battre le jembe, porter des couleurs

chatoyantes, parler fort, gesticuler et danser de façon suggestive constituent des

habitus et des pratiques propres à une caste — les batteurs, les griots, les sculpteurs

lawbe experts en techniques de massage et en danses érotiques (Ly 1999). Ou encore le

fait de s’entourer d’objets et de rituels mystiques comme le font les adeptes de la lutte,

une pratique anciennement rurale, connaît un énorme succès dans la jeunesse urbaine

déshéritée (Havard 2001). La rupture avec les convenances sociales se trouve en outre

accentuée par la consommation ostentatoire de tabac et d’alcool — certains se targuant

d’être des musulmans « tantôt à droite tantôt à gauche » —, et l’affichage de codes

contestataires mondialisés, comme fumer de l’herbe à la manière rasta ou proférer,

comme dans le rap, des paroles de violente dénonciation sociale.

34 La désirabilité sociale s’exprime également au travers d’une troisième construction,

surtout chez les plus âgés des hommes rencontrés : celle du trentenaire « sérieux » qui

en attendant le « vrai amour » s’est consacré à sa famille. Il se présente par conséquent

comme un célibataire attardé, propre sur lui — coupe de cheveux courte comme il faut,

vêtements de marque, maintien impeccable et digne — défenseur des valeurs morales,

musulman convaincu et ennemi des aventures sans lendemain, pour qui la sexualité

hors mariage n’est pas concevable, sinon dans un transport amoureux passager

incontrôlable, mais qu’il faut officialiser rapidement à la mosquée, sinon à la mairie.

35 Quelles que soient cependant la construction de la masculinité choisie et l’activité

professionnelle déclarée, aux yeux de la plupart de ces hommes, leur atout essentiel,

voire leur fond de commerce, réside dans leur virilité, pensée comme indissociable de

leur africanité, dans une logique d’acceptation revendicative et de réappropriation d’un

stigmate tiré évidemment du passé colonial (Guillaumin 1992 ; Sayad 1999). La

dénomination Sex Machines qui les désignait dans les années 1990 perpétue d’ailleurs

sans fard les clichés de l’hyper-sexualité africaine et du « beau jeune Noir » construit

comme « jeune poulain, étalon » (Fanon 1952 : 135). Au stéréotype ancien de

« l’Africain-bête de sexe » répond un stéréotype féminin plus récent : celui de la Sugar

Mummy occidentale36 qui tente de s’approprier cette hyper sexualité masculine. Cette

construction ne fait qu’ajouter la séniorité au tableau des inégalités qui

défavoriseraient les hommes sénégalais dans leurs relations avec des Européennes. En

effet, et ceci illustre la façon dont hiérarchies coloniales et postcoloniales influent sur

les représentations du genre dans l’acception commune, le Sénégalais qui vit avec une

Française ne peut qu’abdiquer sa supériorité masculine pour devenir l’esclave (jaam) de

cette femme, son valet (dag) ou son subordonné (suq). L’image de prédatrice, aussi

décrépie physiquement que puissante économiquement, de la Sugar Mummy occidentale

paraît assez éloignée de la figure de la Diriyaanke, une Sénégalaise aisée et élégante, elle

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aussi d’âge moyen, pouvant être une femme libre avec des amants plus jeunes et moins

fortunés qu’elle, mais qui reste néanmoins une « dame » dont le raffinement continue

de séduire. Ce qui est loin d’être le cas de nombreuses touristes européennes, habillées

avec le laisser-aller vestimentaire propre aux vacances, issues en outre, comme indiqué

plus haut, de milieux populaires et souvent marquées par l’âge et la vie.

36 Certes, une série de phrases toutes faites — « la beauté est éphémère, l’important c’est

le cœur », « l’âge, ça ne compte pas », « le bonheur se trouve sur tous les continents » et

des références fréquentes à Khadija la femme du Prophète, de 15 ans son aînée —, sont

destinées à apaiser les inquiétudes des femmes quant à leur âge et à leur apparence

physique. Le sont aussi les premières phrases échangées, entendues à de nombreuses

reprises et rejouées lors des entretiens non sans cynisme par plusieurs de mes

interlocuteurs :

Lui : « Alors la jeune [variantes : la miss, la gazelle] ça va ? »Elle : « Mais je ne suis plus toute jeune [variante : je pourrais être votre mère] ! »Lui : « On dirait pas, vous faites du sport [variante : quel est votre secret] ? »

37 Au-delà des dénégations et des énoncés lénifiants qui leur sont réservés, ces

Européennes vieillissantes sont généralement vues comme exploitant la puissance

sexuelle des hommes sénégalais, et ce dans l’espoir d’échapper à leur condition décatie.

Ainsi, le businessman dont les talents commerciaux ont été relatés plus haut, développe :

« La majorité des Françaises qui viennent ici, c’est pour les hommes, elles ont 50 ans, 55

ans, les Sénégalais, ils te rendent jeunes. Tu vois même un couple qui sont venus, et

l’année prochaine, y a la femme qui vient seule. J’ai discuté avec une femme de 50 ans,

elle me dit : “quand même, les Sénégalais sont durs à faire le goulou- goulou et après le

goulou-goulou, le matin je me sens bien”. » Les interactions avec les vacancières sont

interprétées au travers de ce prisme : « C’est pas des propositions mais c’est des trucs

ou des gestes qui te font savoir que... comme moi je suis barman, des fois tu vois des

femmes... elle te montre qu’elle veut faire l’amour avec des hommes, elle passe derrière

le bar avec un paquet de cigarettes par exemple. Les Blanches, elles disent que les

Sénégalais ils sont forts pour le sexe et les Sénégalais, c’est à cause de la pauvreté et du

miroitement du pouvoir et des richesses » explique un homme de 24 ans, qui est allé

jusqu’en classe de troisième et vient de se marier civilement avec une Française de 38

ans, aide-comptable, qu’il a connue au bar où il travaille37. Son ami, un « artiste

tatoueur » de 26 ans, auparavant tailleur, qui explique posséder « la créativité

africaine » et a également une « copine française », une notaire de 32 ans avec laquelle

il vient de passer une semaine dans le plus luxueux hôtel de la région, abonde dans le

même sens : « Il y a des Françaises qui te le disent carrément : vous avez une belle peau,

vous êtes comme ci, comme ça, qui te montrent que... qui te parlent de tout, du sexe et

de tout. C’est ce qui les motive dans ce sens parce qu’au Sénégal pour avoir des

relations sexuelles c’est facile, c’est même écrit sur le Guide du Routard que c’est gratuit

au Sénégal soit avec les filles soit avec les garçons. »

38 Un loueur de parasols de 35 ans assimile à du vampirisme l’insatiabilité sexuelle de ces

femmes (point de vue qui transparaît également dans l’article « À nous les petits

Sénégalais » du journal L’intelligent) : « On voit des petits avec des femmes qui ont deux

fois l’âge de leur maman. Ces femmes qui sont avec ces jeunes-là, elles ont besoin de

sang frais. Moi si je couche avec une vieille maman qui a l’âge de ma mère, c’est elle qui

gagne. Et pour quoi ? Pour 1 000 euros ? Pour 2 000 euros ? »

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

136

39 Les transactions sexuelles sont ainsi placées par les hommes impliqués dans un registre

d’inégalités si massives que serait renversé du même coup le sens de la domination

dans les rapports hétérosexuels. Par conséquent, afin d’éviter de se faire avoir et

vampiriser en ayant des relations « gratuites », et afin de conserver une image

d’homme viril, c’est-à-dire dominant, ils légitiment l’instrumentalisation des

partenaires, l’utilisation de stratagèmes qui parfois relèvent de l’extorsion de fonds, en

décalage avec les règles qui régissent, par ailleurs dans la société sénégalaise, les

rapports sociaux de sexe. Se justifiant de ce que « situation oblige », leurs pratiques

s’inscrivent dans cette « esthétique de la prédation et de l’accaparement » qu’évoque

Achille Mbembe (2000 : 41).

40 Dans ce contexte, leur proposition récurrente de « faire découvrir la vraie Afrique » aux

touristes ne se superpose ni à la découverte du mode de vie des membres de leur

propre famille38, ni aux excursions qu’ils organisent dans un ou deux villages aux

alentours. Dans un article sur les relations entre touristes et beach boys à Zanzibar,

Sumich (2002) observe que la visite d’un village constitue une étape obligée d’un voyage

touristique en Afrique. Mais alors que les acteurs du tourisme, qui ont un intérêt

commercial à organiser ces excursions pour lesquelles on les paye si cher, insistent

plutôt sur les points communs qu’ils ont avec les touristes car ils se voient eux-mêmes

comme des gens « modernes », la plupart des voyageurs en quête d’authenticité

construisent le village comme un zoo humain de la différence culturelle (a human zoo of

cultural difference) qui leur permet enfin de voir l’Autre et l’Afrique véritable (real

Africa). À leurs yeux, les beach boys et les guides zanzibari constituent, par leur

connaissance de la langue et de la culture locale, une porte d’entrée incontournable

vers cet Autre exotique, mais ils sont considérés comme déjà trop occidentalisés pour

être réellement intéressants.

41 Bien entendu, pour les touristes français(es) qui viennent la première fois au Sénégal, le

village représente également un passage obligé. Aussi chaque guide de Saly propose-t-il

un circuit comportant une halte dans un village sereer et un village pë’l. En prévision de

cet arrêt (une heure environ), il recommande à ses client(e)s « d’apporter des stylos,

des bonbons, et sur place d’acheter du riz et du sucre », bref de se conformer au

comportement stéréotypé du Blanc en Afrique. Ceci lui permet d’avoir à la fois un

statut de bienfaiteur et des obligés dans le village en question et de se présenter aux

touristes comme le seul interlocuteur et centre d’intérêt possible, par contraste avec le

dénuement d’un monde villageois qui sert de repoussoir. Comme le formule le loueur

de quads, guide à ses heures : « Elles vont au village une fois, ça leur suffit pour

découvrir l’Afrique typique. » En effet, de cette excursion, comme de la visite effectuée

dans la famille, l’on attend des touristes un apitoiement — les larmes versées sont

particulièrement appréciées car annonciatrices de gestes généreux par la suite —, mais

surtout que soit retenue la leçon résumée par une résidente à l’ethnographe : « À part

ici [Saly, plus quelques localités proches de la Petite Côte], il n’y a rien à voir, tout

autour il n’y a que de la misère. »

42 « L’Afrique véritable », incarnée par les dragueurs eux-mêmes, est distinguée de

« l’Afrique typique », qu’elle soit rurale ou urbaine (une partie des familles des guides

et des « antiquaires » résident en effet en ville, à Mbour ou Thiès). Cette dernière est

perçue comme miséreuse et sans intérêt, si ce n’est de servir de faire-valoir aux

diverses mises en scène masculines décrites, qui, à elles seules, incarnent la « vraie

Afrique » et méritent l’attention. Lorsqu’une « copine » européenne revient

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137

régulièrement rendre visite à un amant, ou même s’installe toute ou une partie de

l’année avec lui, sa connaissance de la société sénégalaise ne semble guère s’étendre et

s’approfondir : tout concourt à ce que l’univers balnéaire qui lui est familier reste le

seul fréquentable. Même Dakar — perçue comme poussiéreuse et dangereuse — n’est

pratiquée que pour aller à l’aéroport. La langue utilisée dans le couple demeure le

français et l’énoncé d’une salutation basique en wolof — bonjour, ça va ?, bien merci —

est considéré par son compagnon comme une insertion largement suffisante. La

dynamique de la relation, quand cette dernière s’avère durable, est tournée vers la

poursuite d’une vie dans laquelle la Petite Côte serait une banlieue tropicale du Nord. Et

dans les cas où l’union s’officialise par un mariage à la mairie, elle s’inscrit dans la

perspective d’un départ pour l’Europe39.

43 Dans la mesure où le mariage, pour les générations précédentes, devait s’effectuer dans

son rang social (nawle), se marier avec un(e) Blanc(he) était considéré comme une

mésalliance extrême (génn xeet, sortir de sa race), sauf peut-être chez les personnes

castées40, où ce pouvait être un moyen de s’affranchir de l’étau social de la caste. Or,

depuis presque une décennie maintenant, les mariages mixtes célébrés à la mairie de

Mbour qui unissent des Sénégalais et des Européens, fluctuent, selon l’année

considérée, de 16 à 24 % du total des mariages enregistrés41, un phénomène dont

l’ampleur ne peut évidemment pas s’expliquer par la seule question des castes mais est

à rapporter au désir qui traverse toutes les couches sociales chez les jeunes d’« aller en

kaw » (kaw, le haut donc le Nord), et devient de plus en plus difficile à réaliser

autrement. Parmi ces mariages, ceux unissant des hommes sénégalais à des conjointes

européennes, des Françaises dans 73 % des cas, dépassent désormais largement les

mariages de femmes sénégalaises avec des conjoints européens (198 versus 127 sur la

période 2004-2007).

*

44 Les hommes dont les propos décomplexés sont retranscrits ici, propulsés en quelques

années de gagne-petit en hommes d’affaires, grâce à leur débrouillardise, à leur

mobilisation d’un savoir-faire genré particulièrement efficace et à leur connaissance

des langues et mode de vie occidentaux, ne sont pas sans rappeler Camara, le

personnage du roman de Williams Sassine, Le Zéhéros n’est pas n’importe qui (1985).

Comme lui, ils apparaissent tantôt comme « des zéros qui se prennent pour des héros »,

tantôt comme un « mélange de zéros et de héros » (ibid. : 217). Comme lui également, ils

ne sont pas n’importe qui. En effet, pour accéder à une situation meilleure, au style de

vie et aux biens tant convoités dans un contexte de pauvreté extrême, il leur faut

déployer une énergie et des aptitudes particulières, dont celle de prendre des risques et

de faire face aux échecs et aux humiliations sans se décourager. Il leur faut aussi

s’affranchir d’un certain nombre de limitations sociales afin de continuer à consolider

leur autonomie tout en évitant de se marginaliser totalement car, n’étant plus dans leur

prime jeunesse, ils sont pris dans des obligations sociales telles qu’aider leurs parents et

pour certains élever des enfants. Ils doivent de ce fait en permanence improviser pour

s’orienter avec adresse entre des exigences qui paraissent contradictoires. Et dans cette

mesure, ils sont représentatifs ainsi qu’ils le prétendent de « la vraie Afrique » urbaine

d’aujourd’hui.

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138

45 Les arrangements entre eux et les femmes qu’ils fréquentent, autant les touristes

européennes que les femmes sénégalaises d’ailleurs, montrent bien qu’il existe tout un

continuum possible d’échanges économico-sexuels entre le mariage et la prostitution

(Tabet 2004)42 et qu’à la différence de la fiction produite par l’imaginaire occidental

contemporain, amour et argent sont loin d’être des mondes antagonistes (Zelizer 2001).

Si mon enquête éclaire le contexte et les pratiques sexuelles transactionnelles de ces

acteurs masculins du tourisme en restituant le sens qu’ils donnent à celles-ci, elle ne

s’est en revanche qu’accessoirement attachée à leurs partenaires européennes et ne

permet pas de trancher, à leur sujet, entre tourisme sexuel et « tourisme sentimental »

(« romance tourism »), concept développé pour la Jamaïque par Pruitt et Lafont (1995) et

contesté par d’autres chercheurs travaillant également dans la Caraïbe qui récusent

toute différence entre ce tourisme féminin et le tourisme sexuel masculin et avancent

que ces femmes ont recours à une prostitution masculine. Dans Performing Africa, une

étude sur les griots de Gambie où, dans la partie sur la marchandisation de la culture,

un chapitre est consacré aux relations entre les femmes scandinaves et leurs « amis

professionnels », Paulla Ebron (2002 : 169) juge, quant à elle, que les histoires de ces

femmes ne constituent pas une simple inversion des récits masculins de vacances : elles

n’imaginent nullement les hommes gambiens comme des proies faciles, ce que

confirment par ailleurs les entretiens avec eux qui n’ont rien de récits de victimisation.

Les hommes que j’ai interrogés au Sénégal ne se présentent pas non plus comme des

victimes, loin s’en faut, ce dont témoigne entre autres leur attachement à une identité

de businessman. La drague professionnalisée s’inscrit parmi d’autres activités qui

relèvent d’une économie à la fois informelle et spéculative où les frontières du légal et

du moral sont aisément franchies. Il n’apparaît pas chez eux de dissociation complète

entre le service sexuel comme travail et la sexualité comme expression et vie

personnelle, et ils construisent leurs partenaires féminines européennes non comme

des clientes, mais comme des « copines », avec lesquelles cohabitation et mariage sont

envisagés comme une issue possible à la pauvreté, un accès au voyage et une meilleure

inscription dans un monde globalisé. Aussi, la complexité et la fluidité qui se dégagent

des productions de leurs identités, tant professionnelle que genrée, contredisent-elles

la vision réductrice qui ferait d’eux des personnages marginaux, présentés tantôt

comme de simples intermédiaires culturels, tantôt comme des prostitués, tantôt encore

comme des exploiteurs.

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NOTES

1. Les employés consulaires utilisent d’ailleurs parfois cet argument pour décourager les

candidats au mariage et n’accordent le visa au conjoint sénégalais qu’après un parcours dissuasif.

2. Voir notamment Marianne (27 août 2000), L’Express (3 juillet 2003), Le Nouvel Observateur (18-24

août 2005), Le Monde Diplomatique (août 2006).

3. Voir notamment « African gigolos » dans Biba (avril 2000), « Sable brûlant » dans Strip-tease (6

mai 2003), et « Charters pour l’amour » dans Envoyé spécial (6 avril 2006).

4. Au XVIIe siècle, les premières unions de ce type entre femmes sereer et hommes portugais

installés à Saly-Portudal, Joal et Rufisco étaient plutôt durables. Leurs enfants, garçons et filles

(les Signares, dames en portugais), prospéraient dans le commerce. Par la suite, à Gorée et à Saint-

Louis, où ils émigrèrent avec l’arrivée des Français et des Anglais au XVIIIe siècle, le mariage à la

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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« mode du pays » devint temporaire, bien que reconnu par l’Église catholique et le Roi de France.

Il unissait le temps de leur séjour des hommes puissants, français et anglais, et des Signares dont

les familles espéraient constituer avec l’Europe des réseaux d’alliance et d’affaires protecteurs.

5. Voir le baromètre de l’Organisation mondiale du tourisme no 3 du 10 novembre 2008.

6. Le terme antiquaire renvoie aux différents artisans castés — bijoutiers, sculpteurs, cordonniers

et tisserands — qui vendaient chaque fin de semaine leurs produits sur la plage aux militaires

français du camp de repos de Mbour implanté lors de la Seconde Guerre mondiale.

7. Département de sociologie, Université Cheikh Anta Diop, Dakar.

8. En 2007, deux hommes interrogés en 2005 n’ont pas désiré continuer à participer. Trois se

trouvaient à l’étranger, deux ayant obtenu un visa pour rejoindre leur femme en Europe, un

autre voyageait pour « affaires » aux États-Unis. Un seul avait quitté l’activité de guide

touristique et de drague : il s’était installé comme mareyeur à Mbour.

9. L’anthropologue africaine-américaine Paulla E BRON (2002 : 178) souligne elle aussi cette

difficulté en Gambie : « Indeed it became essential to my research to separate myself from tourist

women. And yet I, too, as an anthropologist traveling without the guardianship of a male

protector, was implicated in many of the same ways as other women travelers. »

10. L’expression est empruntée à un article « Le tourisme en AOF », L’Illustration, 29 février 1936,

supplément, p. XIII.

11. Au refrain éloquent : « Je suis à poil [...] je m’éclate au Sénégal, avec une copine de ch’val. »

12. Mendiants, prostituées, « faux guides » et marchands ambulants (FAYE & THIOUB 2003).

13. En Gambie, en 1989, les autorités avaient tenté de contrôler le secteur informel du tourisme

en attribuant des badges et parfois des uniformes à certains « bom- sas » » ou « bumsters » »,

nom donné aux jeunes hommes qui traînent et, entre autres activités, draguent les femmes

touristes. Tous devaient s’enregistrer auprès du ministère et ceux qui étaient sélectionnés

recevaient l’autorisation de stationner près de tel ou tel hôtel, sans pour autant être payés

(BROWN 1992). Une nouvelle campagne, plus répressive, fut entreprise en 2002-2003 (NYANZI ET AL.

2005). Au Malawi, des séances de formation ont été également organisées en 2002-2003 par le

ministère du Tourisme pour les soi-disant guides. Ceux qui réussissaient l’examen final étaient

accrédités et recevaient un badge (PROWSE 2004). Dans ces deux cas cependant, comme au Sénégal,

le badge s’est révélé peu utilisé car il va à l’encontre de la mise en scène du caractère fortuit des

rencontres amicales ou amoureuses.

14. Il se monte à 100 000 FCFA, 152 euros, ce qui équivaut à deux mois de salaire d’un employé au

SMIG.

15. Un rastaman qui a observé à la plage plusieurs marchands ambulants proposer des colifichets

à l’ethnographe, vient vers elle à son tour et lui déclare en la regardant droit dans les yeux :

« Moi, c’est toi que je veux. » Citons encore cet homme parlant mal le français et apostrophant

une Européenne, la soixantaine bien sonnée, toujours sur la plage : « Tu sais, je suis un bon

étalon » et ce garçon, en ville, à une dame aux cheveux blancs : « Vous ne cherchez pas quelqu’un

qui baise bien ? » (C. Enel, communication personnelle, 2007).

16. Parmi les hommes qui ont accepté les entretiens formalisés, la plupart venaient de familles

urbaines et étaient allés jusqu’au CM2 avant de rentrer dans la vie active. L’un d’entre eux avait

atteint un niveau de 3e et deux autres n’avaient pas été scolarisés du tout et avaient appris le

français sur le tas.

17. En Gambie, des niveaux de compétence différents ont également été décrits chez les

« bumsters », allant du niveau amateur au niveau intermédiaire et confirmé (NYANZI ETAL. 2005).

18. En février 2008, le tollé suscité par l’organisation d’une fête homosexuelle, qualifiée de

célébration d’un mariage gay, est allé jusqu’à un appel à manifester publiquement contre

l’homosexualité au sortir de la prière du vendredi à Dakar.

19. Dans le magazine Ça me révolte (7 mai 2003).

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143

20. L’année d’avant, Avenir de l’Enfant (ADE), un Observatoire pour la protection des enfants

contre les abus et l’exploitation sexuels avait été mis en place à Mbour par une ONG sénégalaise

qui dénonçait non seulement les abus perpétrés par les touristes, mais également ceux commis

au sein des familles.

21. Du style « Confidences d’un homosexuel de Saly Portudal : Mon copain que je partage avec sa

femme », L’Observateur, 14 avril 2006.

22. Au Sénégal, la majorité sexuelle est de 18 ans et civique de 21 ans.

23. L’intelligent, no 2208, mai 2003.

24. Cet écart d’âge est associé à l’entrée en union précoce pour les femmes, tardive pour les

hommes, généralisée pour les deux sexes (avec remariage dans l’immense majorité des divorces)

et à l’organisation du marché matrimonial polygamique. L’analyse de questionnaires

biographiques recueillis à Dakar en 1990 montrait qu’au premier mariage féminin, l’écart avec le

conjoint était de 10 ans dans une union monogamique et de 20 dans une union polygamique

(ANTOINE & NANITELAMIO 1995). On observe cependant que l’âge au premier mariage des femmes

augmente et que l’écart entre conjoints de ce fait se réduit (ADJAMAGBO, ANTOINE & DIAL 2004 ;

HERTRICH 2002).

25. Même s’il y a une certaine évolution des rôles au sein des couples urbains où la femme est

salariée, l’adhésion à la norme d’entretien de l’épouse reste très forte chez les femmes

(ADJAMAGBO & ANTOINE 2004 ; ANTOINE, DJIRÉ & NANITELAMIO 1998 ; DIAL 2007 ; DIOP 1985).

26. Cette somme, qui correspond au salaire mensuel minimum garanti, équivaut au prix

journalier de pension payé par une touriste dans un hôtel de standing moyen.

27. Au Sénégal, les registres des mariages à la mairie mentionnent le régime choisi : monogamie

ou polygamie. Lorsque l’un des conjoints est Européen, pour que le mariage soit reconnu dans

son pays, l’option est obligatoirement la monogamie. Cela reste envisageable ici car le précédent

mariage de l’homme s’est effectué « au village » (mariage traditionnel et religieux) mais n’a pas

été officialisé par l’état-civil.

28. Soulignons de ce point de vue la différence avec les jeunes femmes décrites par Thomas

FOUQUET (2007) qui claquent en dépenses ostentatoires l’argent qu’elles obtiennent de leurs

clients.

29. Elles sont qualifiées de « ressource », de « grenier » voire de « Banque Mondiale » par les

parents des « antiquaires », quant à eux parfois nommés péjorativement « Western Union », en

référence au message publicitaire de la Radio télévision sénégalaise : « Pour transférer de l’argent

liquide rapidement je fais confiance à Western Union. »

30. Dans les mariages enregistrés pour l’année 2007 à Mbour entre des femmes européennes et

des hommes sénégalais, l’âge moyen des femmes est de 42 ans et l’écart d’âge moyen entre les

conjoints est de 10 ans de plus pour la femme. Remarquons cependant que dans 25 % des cas, les

femmes ont de 0 à 6 ans de moins que le conjoint, dans 25 % des cas de 1 à 14 ans de plus, dans

25 % des cas de 15 à 24 ans de plus, et au-delà de 25 ans dans 25 % des cas.

31. Ceci est corroboré par les propos tenus devant l’ethnographe sur la plage d’un hôtel de Saly

par une résidente, dans les 70 ans, s’adressant à deux autres vacancières françaises de sa

génération : « Les hommes sénégalais, tu donnes 5 000 F [8 euros] et tu couches avec. »

32. Il est courant d’entendre ainsi apostropher la touriste qui refuse de discuter et passe son

chemin : « Alors, tu es fâchée ou fauchée ? »

33. À Zanzibar, les riches touristes sont appelés kuku, ce qui en swahili signifie poulet, ceux qui

sont moins aisés sont désignés par le terme vigorodo qui désigne le matelat peu épais utilisé par

les gens du commun, et les routards (ainsi que les non Européens, à savoir les touristes

asiatiques) sont quant à eux nommés kishuka, merde d’oiseau (SUMICH 2002).

34. Ce qui corrobore l’analyse de Linda MALAM (2003: 7) à propos des hommes thai employés dans

les bars et les bungalows en Thaïlande du Sud: « By “ad- libbing” identity categories in spaces of

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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intense interaction with Western tourists, bar and bungalow workers have the opportunity to

contest their marginal status in some spaces/contexts and re-write new identity script. »

35. La profession d’artiste est l’une de celles les plus souvent déclarées aux registres des mariages

par les conjoints sénégalais de femmes européennes. Ces Baay-fall sont souvent qualifiés de Baay-

faux (AUDRAIN 2004).

36. Cette dénomination est utilisée dans une pièce de Tanika Gupta, Sex, Sand and Sugar Mummies

in a Carribean Beach Fantasy, jouée au Royal Court à Londres en 2006 et dont l’intrigue se situe sur

la plage de Négril à la Jamaïque.

37. Deux ans plus tard, j’apprends qu’il a obtenu son visa et l’a rejointe en France, mais qu’il s’en

est séparé rapidement et est parti travailler en Espagne.

38. Emmener la touriste dans la famille, lui faire mesurer l’écart entre les conditions de vie

locales et celles de l’Europe, apparaît non seulement être une façon de créer de l’intimité et de la

confiance, mais aussi de la mettre en face de ses responsabilités financières. Cette tactique a été

également relevée chez les beach boys de Bakau en Gambie (BROWN 1992) et de Cape Maclear au

Malawi (PROWSE 2004).

39. Une étude par questionnaire réalisée en 2002 dans la région de Malindi au Kenya auprès de 73

hommes impliqués dans des échanges économico-sexuels avec des touristes montre que 18 %

d’entre eux avaient déjà rendu visite à des client(e)s ou ami(e)s (KIBICHO 2004).

40. Dans la plupart des groupes ethniques du Sénégal, et notamment chez les Wolofs, une

stratification rigide oppose aux personnes libres les anciens esclaves et surtout les membres de

groupes endogames d’artisans (forgerons, boisseliers, peaussiers...) et de musiciens (griots),

appelés castes. À ces groupes, est associée une notion d’impureté qui vient soutenir l’interdiction

pour toute personne libre (ou même d’origine captive) de se marier avec un(e) casté(e) et un

certain nombre de représentations qui sont à la source de discriminations sociales et politiques

(MBOW 2000).

41. Nini D IOUF (2004) avait, dans son mémoire de maîtrise, relevé 16 % de mariages mixtes en

2000/2001 et 19 % en 2002/2003. L’étude des registres par année indique 17 % en 2004, 24 % en

2005, 18 % en 2006 et 17 % en 2007, arrêtée à la date du 5 décembre.

42. Son champ d’investigation concerne les relations hétérosexuelles impliquant une

compensation (les hommes paient les femmes), mais le concept peut être étendu aux relations

dans lesquelles la transaction économique se fait dans l’autre sens. L’auteure souligne d’ailleurs

l’intérêt des études sur les rapports dans lesquels des hommes sont rémunérés ou entretenus par

des femmes et la « formidable occultation sociale de ce phénomène » (TABET 2004 : 171).

RÉSUMÉS

Dans un contexte de précarité économique et d'obstacles à partir au Nord, l'arrivée massive de

touristes — dont des femmes seules — susceptibles de fournir des compensations pour des

services rendus, paraît avoir engendré au Sénégal une proposition de prestations sexuelles qui

n'existait pas, du moins à cette échelle et sous cette forme. Le phénomène a acquis sur la Petite

Côte, première destination touristique du pays, une visibilité incontestable. L'article s'appuie sur

les récits d'hommes, désignés sous le terme générique d'« antiquaires », qui ne vendent pas

forcément des objets, mais s'engagent dans des transactions sexuelles avec des vacancières

venues d'Europe, souvent plus âgées qu'eux. Il décrit les compétences mobilisées pour réussir

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dans cette activité, interroge la réorganisation des rapports sociaux de sexe qu'elle implique et

souligne la complexité des significations possibles pour les acteurs eux- mêmes. L'étude discute

enfin le rôle de culture brokers parfois attribué aux beach boys ailleurs en Afrique.

Against a backdrop of economic precariousness combined with obstacles to going North in search

of work, the massive influx of tourists to Senegal, including women travelling alone and willing

to pay for services rendered, has given rise to an offer of sexual services that was previously

unknown—or at least not on that scale and in that form. The phenomenon is clearly visible in

Petite Côte, the country's leading tourist destination. The article is based on the stories of the

men generically known as "antique dealers", not because they necessarily sell objects, but rather

because they engage in sexual transactions with European female holiday makers, often far older

then they are. It describes the skills used to succeed in the business, questions the reorganisation

of social sexual relations that it implies, and underscores the complexity of meanings this may

have for the players themselves. The study also discusses the role of the culture brokers

sometimes attributed to beach boys elsewhere in Africa.

INDEX

Mots-clés : Sénégal, Petite Côte, commerce, tourisme féminin, transactions sexuelles, Sugar

Mummy, virilité

Keywords : Senegal, Petite Côte, trade, female tourism, sexual transactions, Sugar Mummy,

virility

AUTEUR

CHRISTINE SALOMON

Inserm, Centre d’épidémiologie et de santé des populations, U 687, Villejuif, France.

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Au rythme du tourisme. Le mondetransnational de la percussionguinéennePulse of Tourism. The Transnational World of Guinean Drum

Julien Raout

1 La République de Guinée n’est pas un pays touristique. L’Etat guinéen n’a pas construit

de discours sur l’hospitalité légendaire de sa population comme c’est le cas au Mali, au

Sénégal ou au Maroc. Malgré la beauté et la diversité de ses paysages, la Guinée n’a pas

su, pour l’instant, attirer les tour operator internationaux extrêmement frileux à

intégrer la destination dans leur catalogue en raison de l’instabilité politique chronique

du pays1. Mis à part le tourisme d’affaires et quelques circuits de trekking dans le Fouta-

Jalon, le tourisme en Guinée est porté par un engouement international grandissant

pour les percussions et les danses traditionnelles du pays. Le tambour jembé,

l’instrument emblématique de la culture guinéenne aujourd’hui pratiqué dans le

monde entier, attire chaque année, pendant la saison sèche (de novembre à février) des

centaines de touristes désirant perfectionner leur pratique musicale et découvrir le

pays d’origine de leur instrument d’élection. Nous proposons d'étudier ce tourisme du

rythme, émergent en Guinée depuis la fin des années 1980, en replaçant le phénomène

dans le cadre de l’accélération des transformations musicales et de la circulation des

artistes depuis la décolonisation.

2 Longtemps préoccupées par les dégradations du patrimoine musical occasionnées par

le tourisme, les problématiques contemporaines liant musique et tourisme insistent

aujourd’hui sur le rôle de la musique dans le combat pour le prestige d'un lieu à travers

l'organisation de festivals ou la création de musées dédiés à des artistes locaux (Abram

et al. 1997 ; Dewitt 1999 ; Gibson & Connell 2005 ; Doquet 2008). En 1999, les autorités

ont tenté de mettre en œuvre la construction d’un Centre international de percussion

(CIP) à Conakry. Ce projet, qui donnait suite à la première et unique biennale de

percussion, fut abandonné par la Commission européenne, le principal financeur. En

l’absence d’un investissement de la part des institutions culturelles guinéennes, le

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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phénomène touristique est essentiellement pris en charge par le monde associatif. Une

multitude d’associations de danse et de percussion africaines basées à l’étranger (en

Europe, en Amérique du Nord et du Sud, au Japon) organisent des séjours de formation

sur place. D’abord encadrés par une diaspora d’artistes des ballets nationaux de Guinée,

les touristes organisent également leur formation auprès de jeunes artistes guinéens

restés au pays. Le phénomène s’amplifie alors pour générer des réseaux transnationaux

d’artistes, de solidarités et de partenariats noués entre les visiteurs et leurs hôtes.

3 La mise en tourisme de la Guinée à travers ces réseaux nous amène à nous interroger.

Comment les imaginaires des touristes et ceux des artistes guinéens entrent-ils en

résonance (mais aussi en conflit) pour donner naissance à ces réseaux transnationaux

qui alimentent le phénomène touristique sans l’intervention ni des tour operator

conventionnels ni de politiques touristiques d’envergure ?

4 En replaçant la circulation des individus au centre de l’analyse nous espérons montrer,

en premier lieu, les opérations de formatage préalables à la mise en tourisme de la

musique guinéenne. Ensuite, notre article s’attachera à décrire les réseaux qui

permettent l’organisation du voyage et les différentes modalités d’apprentissage

musical proposées aux visiteurs. Ces données nous permettront de mieux saisir les

imaginaires de ces visiteurs activement engagés dans les pratiques musicales locales.

Enfin, nous montrerons comment cette nouvelle économie touristique suscite

localement des vocations artistiques, mais génère également des tensions autour d’un

patrimoine musical désormais partagé.

5 Cette enquête, effectuée entre 2003 et 2008, est basée sur une série d’entretiens avec

des artistes guinéens résidant dans leur pays ou à l’étranger, anciens maîtres musiciens

des ballets nationaux ou jeunes artistes en voie de professionnalisation, et des

apprentis percussionnistes internationaux en formation en Guinée. Une observation

participante multi-située, entre la France et la Guinée, m’a conduit à endosser

alternativement le rôle d’apprenti percussionniste dans le cadre de stages collectifs, de

musicien accompagnateur dans les ballets ou les cérémonies populaires de Guinée mais

aussi d’observateur plus distancié de manière à ne pas être soumis au point de vue

univoque d’un seul maître de musique.

La Guinée comme « pays de percussion » : réseau depratique et communauté d'interprétation de lapercussion guinéenne

6 Avant d’aborder la manière dont les musiques de percussion guinéenne se

reconstruisent aujourd’hui « avec et à travers le tourisme » (Doquet & Le Menestrel

2006), voyons d’abord comment la réinvention de ces musiques, dans le cadre des

politiques culturelles de la post-indépendance puis dans le contexte de la globalisation,

a permis leur appropriation par un public international et contribué à construire le

territoire guinéen comme une destination attractive, un « pays de percussion »2.

De la réinvention à la globalisation

7 La Première République de Guinée, de l’indépendance du pays en 1958 à la mort du

président Sékou Touré en 1984, ne fut pas favorable au développement du tourisme3. En

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revanche, le régime d’obédience marxiste contribua de manière significative à la

promotion des arts populaires, en particulier de la musique. Les efforts de Sékou Touré

et de son Parti démocratique de Guinée (PDG), pour réhabiliter et revigorer la culture

locale dénigrée pendant la période coloniale, ont culminé dans le développement de

politiques culturelles destinées à construire « l’imaginaire national » (Anderson 1983).

Une des premières mesures du gouvernement guinéen fut de dissoudre les groupes

musicaux jouant des musiques d’inspiration française. Trop associés à l’oppression

coloniale, ces groupes, jouant de la valse, de la polka ou du tango, furent sommés

d’effectuer des séjours à l’intérieur du pays pour se ressourcer à la base de la culture

populaire guinéenne. Les groupes de « musique moderne » guinéenne, tels que le

Bembeya jazz ou les Amazones de Guinée, interprétant le folklore local avec guitares

électriques et saxophones, donnèrent ainsi naissance à une musique nouvelle qui

inspirera tous les musiciens d’Afrique de l’Ouest. L’autre versant de cette politique

culturelle fut la revalorisation et la réinvention des musiques traditionnelles locales. Le

découpage colonial des territoires africains avait laissé au nouveau gouvernement la

nécessité de gérer une multiplicité de groupes « ethniques », ou « ethnicisés » par le

pouvoir colonial : les Peuls dans les montagnes du Fouta- Jalon à l’Ouest du Pays, les

Baga, Landouma et Soussou sur la côte atlantique, les Malinké sur les plateaux de

Haute-Guinée, et une mosaïque de communautés en Guinée forestière au sud-est du

pays, Kissi, Toma, Guerzé, Manon, Konianké, regroupés sous l’appellation de Forestiers.

Dès les premiers jours de l’indépendance, le pays entier fut quadrillé par des agents du

gouvernement qui eurent pour mission de recruter les meilleurs danseurs et musiciens

dans toutes ces régions de Guinée. Ces artistes, souvent de jeunes paysans analphabètes

qui animaient les cérémonies populaires ou religieuses dans leurs communautés

d’origine, furent regroupés dans la capitale, Conakry, au sein de groupes musicaux

appelés ensembles instrumentaux nationaux ou ballets nationaux. Ces ensembles

musicaux pluri-ethniques, dont le plus fameux fut certainement le « Ballet africain de

la République de Guinée »4 qui donnera des représentations à travers le monde,

devaient révéler toute la diversité culturelle du pays et en proposer une synthèse

démontrant l’unité de la nouvelle nation. Parmi les instrumentistes engagés lors de ces

recrutements, les joueurs de jembé, les jembefolaw, (littéralement, ceux qui font parler le

jembé en malinké, sing. jembefola), sont particulièrement prisés. Ce tambour en forme de

calice que l’on frappe à mains nues, utilisé en Haute- Guinée pour encourager les

paysans lors des travaux agricoles, des cérémonies populaires (mariages, baptêmes) ou

religieuses (sortie des masques, circoncisions, fête du mouton), devient vite, grâce à sa

puissance, sa polyvalence et le côté spectaculaire de sa pratique, « l’instrument roi du

ballet » (Zanetti 1996 : 171).

8 Selon ses concepteurs, cette politique culturelle n’était pas un simple retour au passé

précolonial. Face aux supputations récurrentes de primitivité des peuples africains, il

fallait offrir aux yeux du monde une culture débarrassée des traditions considérées

comme archaïques. En portant les masques sacrés sur scène, en transformant les

mythes et les fétiches en spectacles populaires, les ballets et ensembles musicaux

furent mis au service d’une politique systématique de lutte contre les religions

traditionnelles5 (Rivière 1969). À partir de l’indépendance du pays, tous les Guinéens

seront encouragés à pratiquer des instruments de musique comme la kora ou le balafon

et à chanter en public alors que ces activités étaient auparavant exclusivement

réservées aux familles de griots. En tant que principal véhicule de l’idéologie du Parti,

la musique était considérée comme une obligation civique, et tous les citoyens se

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devaient de pratiquer une activité musicale6. À travers cette grande entreprise

d’ingénierie culturelle, de modernisation et de rationalisation des traditions, le

gouvernement guinéen contribua à transformer singulièrement et durablement la

culture locale.

9 En 1984, suite à la mort brutale et inattendue de Sékou Touré, un groupe d’officiers,

dirigé par le général Lansana Conté, prit le pouvoir. Le nouveau régime opta pour le

libéralisme économique. Dès 1985, fut lancé le premier plan d’ajustement structurel

instauré par le Fonds monétaire international (FMI). Dans le cadre de ce plan

d’ajustement structurel, plus de 12 000 fonctionnaires furent licenciés (Devey 1997 :

153). Parmi ces fonctionnaires éconduits se trouvaient, en première ligne, les artistes

des ballets et orchestres nationaux. Seuls les directeurs artistiques et certains solistes,

musiciens ou danseurs des ballets nationaux eurent la possibilité de garder leur statut

de fonctionnaire. Avec la fin de la Première République, les préoccupations du

gouvernement s’écartèrent radicalement de la promotion des arts, renvoyant pour un

temps la plupart des artistes à la marginalité.

10 Mais, après vingt-six années d’isolement, l’ouverture des frontières permit aux

étrangers d’entrer librement en Guinée. Les pionniers du tourisme musical se rendant

en Guinée dès la fin du régime communiste pour voir sur place les fameux Ballets

africains furent d’abord accueillis avec étonnement par les artistes guinéens. Famoudou

Konaté, soliste virtuose des Ballets africains pendant plus de vingt ans, fut

certainement l’un des premiers batteurs de jembé guinéens à recevoir ces apprenants

d’un nouveau genre :

« Les Blancs sont entrés en Guinée en 1986. C’était une surprise car la Guinée n’étaitpas populaire. Des Allemands sont venus aux répétitions des ballets africains aupalais du peuple. On a commencé à faire connaissance. Après la répétition du ballet,ils demandaient de donner le cours de tam-tam [...]. Au début c’était dur detransmettre, ils m’ont dit “il faut donner le cours”. Je ne connaissais même pas lemot ! » (entretien, 25 avril 2005, Conakry).

11 L’avènement de la Seconde République permet désormais aux musiciens de faire

commerce de leur art. Mais le contexte de paupérisation engendré par l’abandon du

soutien étatique conduit la plupart d’entre eux, en particulier les jembefolaw et les

danseurs ayant acquis une réputation internationale grâce à leurs tournées avec les

ballets nationaux, à s’installer à l’étranger. La réouverture des frontières en 1984

marque le début d’une période de circulation accrue pour les artistes guinéens en quête

de nouveaux « patronages ». Grâce aux contacts noués en Guinée, Famoudou Konaté

sera invité en Allemagne pour animer des cours de jembé. Il vit aujourd’hui entre Berlin

et Conakry et mène une brillante carrière internationale. Mamady Keïta, certainement

le plus connu des jembefolaw, recruté à l’âge de huit ans dans le ballet national Djoliba

passera par Abidjan et le ballet Koteba de Souleyman Koly avant de s’installer en

Belgique. En 1991, il ouvre sa propre école de percussion à Bruxelles, Tam-tam

Mandingue. L’engouement mondial pour la percussion africaine à partir des années

1990 conduit le maître guinéen à développer son activité. En moins de cinq ans, l’école

de Mamady Keïta devient une véritable « multinationale de la percussion ». Il ouvre des

succursales à Paris, Munich, Conakry, aux États-Unis, au Japon et en Israël. Il a

également mis en place un diplôme de percussion délivré sur concours à ses apprenants

internationaux leur permettant d’ouvrir une école certifiée conforme par le maître. Il y

a aujourd’hui plus de vingt-cinq écoles TamTam Mandingue dans lesquelles Mamady

Keïta anime régulièrement des stages de jembé. Sur le même modèle, de nombreux

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artistes guinéens formés dans les ballets nationaux ouvrent des écoles ou animent

ponctuellement des stages de percussion ou de danse à travers le monde. Aujourd’hui

ces anciens des ballets nationaux doivent partager le florissant marché de la percussion

avec une nouvelle génération de jeunes artistes formés en Guinée après 1984 dans les

petits ballets privés de la capitale.

L'authenticité reconstruite et le voyage virtuel en Afrique

12 Dès le début des années 1990, le jembé est certainement l’instrument de musique extra-

européen le plus populaire à travers le monde. L’instrument fait désormais partie de la

culture des jeunes urbains à travers des pratiques collectives et conviviales (au sein des

Maisons des jeunes et de la culture, des écoles, des parcs, des associations...), à travers

la danse ou les arts de rue. La robustesse de l’instrument, la facilité de se le procurer et

les images tribales qui lui sont associées en font un instrument de choix pour des

individus désireux, comme le promet la plupart des stages de percussions, de découvrir

la « culture africaine ». Si certains apprenants détournent l’instrument pour créer une

musique nouvelle, la plupart d’entre eux désirent s’approcher au plus près du jeu

« traditionnel ». Un artiste guinéen résidant en France depuis la fin des années 1980

remarque qu’il y a deux types de public pour les percussions africaines en France :

« Il y a ceux qui veulent le traditionnel et ceux qui veulent la World Music. C’est despublics différents. Ceux qui prennent des cours de percu veulent vraiment latradition, le roots, pas le moderne [...] donc il faut jouer le jeu » (entretien, 7décembre 2004, Paris).

13 Il n’est pas rare aujourd’hui d’entendre des groupes composés uniquement de jeunes

percussionnistes français, japonais ou mexicains reproduire, presque à la perfection, les

polyrythmies7 de Haute-Guinée. Dans le cadre des cours de jembé dispensés hors

d’Afrique, les artistes guinéens sont concurrencés par les Maliens, les Burkinabè, les

Ivoiriens et les Sénégalais ainsi que par leurs anciens élèves, les « jembefolaw blancs »8.

Mais les compétences des musiciens guinéens formés « à la dure » sous le régime de

Sékou Touré en apprenant une multitude de rythmes au sein des ballets confèrent à

leur enseignement un attrait particulier.

14 Il est toutefois frappant de remarquer que l’histoire des ballets est systématiquement

éludée des récits prodigués lors de cette transmission. Pendant le cours, le professeur

de percussion explique le contexte culturel « originel » dans lequel se pratiquent les

danses et les rythmes qu’il interprète. Tous les rythmes transmis sont ainsi associés à

une cérémonie particulière et à une ethnie spécifique (le rite de circoncision chez les

Malinké pour le rythme soli, la danse de séduction soussou pour le rythme yankadi, la

sortie du masque kakilembe chez les Baga pour le rythme du même nom...). Les cours de

percussion constituent ainsi de véritables voyages virtuels au cœur d’une Afrique

imaginée. Les enseignants guinéens se sont faits spécialistes de ce type d’informations

« ethnographiques ». L’évocation des fêtes traditionnelles et leurs cortèges de

représentations plus ou moins stéréotypées, que les maîtres guinéens appellent des

« histoires culturelles », vont de pair avec la transmission des musiques et danses

d’Afrique. Les ballets guinéens dans lesquels « même les sourires étaient mis en scène

par les cadres du parti »9 correspondent assez mal aux qualités de spontanéité souvent

attribuées aux musiciens africains. Les professeurs africains tirent ainsi parti des

stéréotypes occidentaux, largement hérités de la période coloniale, en se « branchant »

directement sur les cultures villageoises, au détriment des références aux ballets dans

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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lesquels ils ont été formés. En évitant de faire référence aux diverses opérations de

rationalisation (démystification, décas- tisation...), qui ont pourtant permis cette

transmission standardisée, ils donnent l’illusion d’une culture pure, authentique, vierge

de toute influence occidentale, ou de toute instrumentalisation politique. Cette

primitivisation de l’expression musicale, co-construite par les maîtres guinéens et leurs

apprentis internationaux, suggère que cette musique prend son sens dans un contexte

« traditionnel » indissociable de la vie sociale africaine10. Cet imaginaire d’une musique

enracinée dans un terroir, tel que véhiculé par les stéréotypes ethnomusicaux des cours

de percussion ou de danse africaine mais aussi par les industries culturelles (les films

documentaires ou les productions de World Music), constitue un puissant moteur du

déplacement touristique.

15 Des stages de percussion sont aujourd’hui proposés presque partout en Afrique de

l’Ouest11. La Guinée reste, en revanche, la destination la plus prisée. Bien que pendant la

période Sékou Touré les musiques guinéennes « traditionnelles » et « modernes »12

furent singulièrement réinventées, les visiteurs retiennent généralement que

l’isolement antérieur du pays confère à sa musique une authenticité particulière. La

faible fréquentation touristique actuelle renforce également ce sentiment

d’authenticité des styles musicaux locaux. Pour J. M., percussionniste amateur, le choix

de la destination s’effectua sur ce critère d’une authenticité procurée par l’isolement du

pays :

« On avait déjà une petite idée sur la musique guinéenne parce qu’on nous a dit quec’était un pays qui était resté longtemps fermé sur lui-même à cause de SékouTouré et tout. Donc il y avait une certaine authenticité qui était restée au niveau dela musique, et puis c’était pas perverti entre guillemets avec tout ce qui est afro-jazz, afro-rock et tous ces machins là » (entretien, 15 février 2004, Tayiré, Basse côteGuinée).

16 Pour les percussionnistes professionnels ou semi-professionnels, souvent plus au fait de

l’histoire musicale du pays, le voyage d’apprentissage en Guinée est également motivé

par une quête de prestige et de légitimité. Le curriculum vitae d’un percussionniste non

originaire du pays dont il pratique la musique fait aujourd’hui état de tous les séjours

de formation qu’il a effectués à l’étranger en Afrique de l’Ouest mais aussi

éventuellement à Cuba ou en Inde. Professionnels ou amateurs, ces touristes musicaux

pratiquent tous le jembé depuis plusieurs années dans leur pays d’origine, et leur

déplacement en Guinée repose sur l’activation de réseaux transnationaux au centre

desquels se trouvent les artistes guinéens migrants.

Le tourisme musical : de l'apprentissage instrumentalau désir de communauté

17 L’enquête fait apparaître deux types de voyages musicaux : des stages collectifs

organisés et des formes d’apprentissage plus solitaires et informelles.

Les stages collectifs

18 L’organisateur de stages collectifs est généralement un artiste guinéen réputé, installé

à l’étranger et recrutant des stagiaires au sein de l’école dans laquelle il enseigne son

art ou lors des stages ponctuels qu’il anime à travers le monde. Mamady Keïta et

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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Famoudou Konaté seront parmi les premiers à amener des groupes de touristes en

Guinée à la fin des années 1980. La nationalité des touristes varie en fonction du réseau

qu’a su tisser le maître au gré de ses voyages. Ainsi, Famoudou reçoit majoritairement

des Allemands, mais aussi des Russes, des Polonais, des Finlandais et des Australiens.

Mamady Keïta accueille des Belges, des Japonais, des Français, des Israéliens et des

Américains. Aujourd’hui, l’organisateur est également un jeune artiste guinéen ayant

émigré récemment ou un artiste étranger ayant effectué de nombreux séjours en

Guinée.

19 Les organisateurs accueillent généralement les touristes dans des villas à Conakry ou

sur les îles de Kassa ou de Room proches de la capitale.

20 Ces villas achetées grâce aux nouveaux revenus procurés par leurs activités

internationales peuvent accueillir jusqu’à soixante visiteurs. S’y dérouleront les cours

de danse, de percussion (quatre heures par jour). Les stagiaires pourront y déguster des

spécialités culinaires guinéennes et parfois acheter des souvenirs aux boutiquiers qui

s’installent dans la cour. L’organisateur aura ainsi la possibilité de faire bénéficier d’une

manne financière non négligeable à quelques individus de son choix. Il engagera

généralement des membres de sa famille ou des artistes du ballet dans lequel il jouait

avant sa migration pour encadrer les touristes, animer les cours, préparer les repas ou

assurer la sécurité des visiteurs. Dans les villas de la capitale comme sur les îles, ce sont

des stages « tout compris ». Les touristes payent un forfait d’environ neuf cents euros

pour trois semaines de stage13. Ils sont pris en charge depuis leur arrivée à l’aéroport

jusqu’à leur départ. Pendant leur séjour, des excursions sont organisées, à la plage ou

au marché. On propose également aux touristes d’assister à des fêtes populaires et aux

répétitions des ballets. L’apprentissage musical et le tourisme culturel sont assez bien

séparés. Le stage collectif de percussion en Guinée est similaire à celui prodigué lors des

cours à l’étranger. Les visiteurs apprennent des rythmes et des pas de danse lors des

cours formalisés dispensés par un maître. Les apprenants apprécient toutefois

l’immersion dans le contexte guinéen. La pratique artistique fait ici partie de la vie

quotidienne. Elle est répétitive et redondante. Comme l’explique un stagiaire français,

la coupure entre la vie artistique et la vie sociale y est atténuée :

« Apprendre en Guinée, c’est être au milieu des gens, être dans le match, on va dire.Forcément ton rythme de vie, ton alimentation, les odeurs, tout ce qui t’entoure teperturbe [...]. C’est pas comme à Paris où il faut sortir de chez soi, prendre savoiture, ça casse le charme. Ici on va à l’atelier pour partager, pour vivre auquotidien. On est toujours dans un truc musical » (entretien, 26 juillet 2003,Conakry).

21 Ces stages collectifs se terminent invariablement par un dundunba. Cette danse

originaire de la région du Hamanah, en Haute-Guinée14, a été réappropriée récemment

par les artistes de la capitale, principalement soussou. Elle se pratique par exemple

lorsque deux artistes se marient. À cette occasion, tous les ballets « amis » seront

invités à participer à la fête. À ce titre, le dundunba est devenu un marqueur

d’appartenance à la communauté des batteurs et danseurs de la capitale, régulièrement

amenés à travailler ensemble à l’animation de spectacles ou de cérémonies.

Aujourd’hui, le dundunba est également organisé pour fêter la fin d’un stage de danse

ou de percussion.

22 Cette cérémonie, à laquelle tous les stagiaires étrangers doivent participer en

effectuant quelques pas de danse devant l’assemblée (les autres stagiaires, les artistes

qui encadrent le stage mais aussi les habitants du quartier) ou en accompagnant ces

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

153

danses à la percussion, constitue un moment fort du voyage. À travers ce rite de

clôture, les organisateurs offrent aux visiteurs l’occasion d’une mise en situation qui

dépasse le cadre rigide des cours habituels, mais aussi le sentiment de faire partie de la

communauté d’artistes.

23 Le marché des stages de percussion en Guinée étant devenu de plus en plus

concurrentiel, certains organisateurs diversifient leur offre. À l’issue du stage organisé

à Conakry, Famoudou Konaté propose aux stagiaires de prolonger leur séjour en

effectuant une préparation à l’intérieur du pays, à Sangbarala, son village natal de

Haute-Guinée. Les touristes pourront assister à des fêtes organisées par les villageois et

continuer leur formation avec un membre de sa famille resté au village. Le danseur

Lamine Keïta, basé à Paris, propose un stage « découverte » à travers toutes les régions

de Guinée. Les touristes circulent de village en village en minibus accompagnés par des

artistes de Conakry. Un guide accompagnateur précède le convoi pour prévenir les

villageois de l’arrivée imminente du groupe de touristes. Les villageois également

informés de l’arrivée des visiteurs par la « radio rurale » les accueilleront avec des

chants et des danses comme ils le feraient pour une haute autorité politique guinéenne.

Comme l’affirme son organisateur, ce « stage découverte » permettrait aux touristes de

découvrir la « vraie Afrique » :

« Je me suis dit pourquoi ne pas emmener ces élèves-là dans les vrais villages,qu’elles partagent tout avec les villageois, qu’elles dansent avec eux, qu’elles voientles traditions des villages, qu’elles dorment dehors, qu’elles sentent que réellementelles sont en Afrique. Alors quand elles rentreront chez elles, elles se sentiront àl’aise et fortes parce qu’elles savent qu’elles sont venues vraiment en Afrique et pasà Conakry avec toutes les lumières, les voitures. C’est ça qui m’a donné l’idée defaire une différence avec les autres, de faire des stages découvertes » (entretien, 7avril 2004, Kindia).

24 Le tourisme musical itinérant, qui procure des images conformes à celles développées

pendant les cours de percussion où de danse à l’étranger, comble les stagiaires qui non

seulement peuvent regarder danser les villageois mais ont aussi la possibilité de danser

avec eux ou de soumettre, à leur approbation, les chorégraphies qu’ils ont répétées.

Cette entrée musicale et participative permet, d’après les visiteurs, d’éviter un rapport

marchand trop frontal avec les locaux. « Apprendre d’eux », pratiquer une activité

commune comme la musique et la danse permet d’attirer un regard bienveillant de la

part de la population et désamorce les possibles critiques de voyeurisme à leur

encontre. La pratique artistique sur place constitue pour eux un moyen de « rencontrer

les gens », une « porte d’entrée » sur la culture hôte. Elle est une médiation entre

visiteurs et visités. En outre, lors de ces stages collectifs itinérants encadrés par des

artistes de Conakry, des formes de sociabilités autarciques se développent. Pour les

visiteurs, le groupe d’appartenance n’est plus le groupe de stagiaires originaires d’un

même pays mais le groupe international d’artistes travaillant ou voyageant ensemble à

travers le pays. C’est à partir de ce nouveau groupe de référence, soudé par la pratique

artistique, que les visiteurs disent partir à la rencontre des autochtones villageois.

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154

Cours de jembé dispensé par un jeune mai ̂tre de Conakry

Photo de l’auteur, 2005.

Représentation publique à l'issue d'un stage collectif dans le quartier de Matam à Conakry

Photo de l'auteur, 2005.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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Cours de danse sur la place d’un village de Haute-Guinée lors d’un stage itinérant

Photo de l'auteur, 2005.

25 Si ce type de séjour dans les régions rurales de Guinée semble faire de plus en plus

d’adeptes, la plupart des maîtres tambours remarquent une certaine désaffection pour

les stages collectifs qu’ils organisent. Un nombre grandissant d’apprentis

percussionnistes organisent maintenant leur stage en Guinée quasiment sans

intermédiaire.

L'apprentissage informel

26 Ces apprenants ont parfois séjourné en Guinée une première fois dans le cadre d’un

stage collectif au cours duquel ils ont tissé localement un réseau de relations. Ils

reviendront ensuite seuls chez un jeune artiste qu’ils ont rencontré lors de leur

premier séjour. D’autres arrivent pour la première fois en Guinée avec une adresse, un

contact (souvent un membre de la famille de leur professeur installé en Europe, ou le

maître de leur maître) et organisent leur formation artistique sur place. Le « savoir

circuler » (Tarrius 2000) des touristes se développe grâce aux réseaux personnels qu’ils

ont su développer, mais également grâce aux différents forums Internet par lesquels ils

peuvent organiser leur départ (comment obtenir une fiche d’invitation, un visa, de

bonnes adresses pour apprendre le jembé ou la danse en Guinée, où loger...). Ces

apprenants, souvent solitaires, séjournent en Guinée pour une durée plus longue,

généralement entre un et six mois. Ils sont souvent plus aguerris et parfois

professionnels (intermittents du spectacle, professeurs de danse ou de percussion).

Dans le cadre de ces stages informels, tous les tarifs sont négociés séparément (cours

individuels de danse ou de jembé, hébergement, nourriture...) et le séjour est

généralement plus économique que lors des stages collectifs. L’apprenant sera souvent

exposé à la précarité en matière d’hébergement, de restauration et, en l’absence de

tarification claire, entretiendra parfois des rapports financiers conflictuels avec son ou

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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ses formateurs. En revanche, il vivra au quotidien avec son maître et accédera à des

modes d’apprentissage semblables aux apprentis percussionnistes guinéens. En plus des

cours individualisés (environ 25 000 francs guinéens de l’heure, soit 4 euros),

l’apprenant sera intégré au ballet de son maître et jouera les accompagnements au

jembé pendant les répétitions quotidiennes. Aucun ballet n’a, à ce jour, fixé de tarif pour

intégrer temporairement un apprenant étranger. La rétribution éventuelle dépend de

la relation d’amitié qu’entretiennent l’apprenant et le membre du ballet qui l’a invité et

du bon vouloir du directeur du ballet. Un deuxième mode d’apprentissage spécifique au

tourisme individuel consiste à accompagner des artistes locaux lors des cérémonies

populaires qu’ils animent. Lorsque les stagiaires entretiennent des rapports

particulièrement amicaux avec leur professeur, ils seront invités lors des cérémonies de

mariages (sabar), de baptême ou de circoncision. Avec d’autres apprenants guinéens, ils

joueront le jembé pour accompagner les solos du maître au sein d’un groupe musical

composé de tambours basse (dundun), d’une guitare électrique et d’une ou plusieurs

griottes (jeli- musso en maliké ou jeliguiné en soussou). Dans ce cas, l’apprenant ne paie

pas. Au contraire, il est systématiquement rémunéré par son maître grâce à l’argent

gagné auprès des organisateurs de la cérémonie. Un percussionniste français, déçu par

l’aspect trop « touristique » d’un stage collectif sur l’île de Room, prolonge ainsi son

séjour dans un quartier populaire de Conakry :

« Le contrat, bon [...] il était simple, c’était j’habite avec mon prof, sa copine et sespotes, on passe nos journées ensemble. S’ils allaient dans les ballets, j’allais dans lesballets. Si on avait un dundunba, un sabar ou un truc comme ça, eux, c’est pourgagner leur vie hein [...], on allait accompagner ces trucs-là, si y avait un mariage,un truc plus éloigné, ben on bougeait. Le but, c’était de travailler quoi. Et là, je mesentais pas en trop, j’accompagnais, et même on me payait des fois. Eux m’ontdonné de l’argent [...]. On m’a dit que j’avais un bon son, ils m’ont dit quej’accompagnais bien. Ça c’était bien, j’avais l’impression d’avoir ma place »(entretien, 4 décembre 2004, Paris).

27 Animer avec son maître les cérémonies locales de baptême ou de mariage est perçu par

les apprentis étrangers comme une preuve d’adoption par la communauté des artistes

locaux. Être payé par son maître au même titre que les autres, même si la somme est

dérisoire (souvent deux ou trois euros), contribue à inverser la relation marchande.

L’apprenant n’est plus un consommateur ou un client, mais devient un partenaire. De

plus, la reconnaissance par le public local, notamment par les femmes qui viendront

danser lors de la cérémonie, constitue une forme de validation de la virtuosité et de

l’endurance de l’apprenti jembefola.

28 Ce tourisme musical individuel et informel, que les autorités guinéennes qualifient de

« tourisme sauvage », est en plein essor dans la capitale guinéenne mais aussi à

l’intérieur du pays. À la différence des stages collectifs assez formalisés (quatre heures

de cours par jour), l’apprentissage se fait ici par imprégnation et par mimétisme. Au

sein des ballets, les apprenants travaillent l’endurance physique et l’énergie collective.

Dans les cérémonies populaires, ils travaillent la coordination entre la danse et le

marquage rythmique ainsi que l’improvisation. Ces situations d’interactions musicales

avec les artistes des ballets, et avec les habitants du quartier qu’ils font danser lors des

cérémonies, donnent aux apprentis étrangers le sentiment d’une meilleure inscription

dans le contexte sociomusical local. Ainsi, les stages collectifs organisés dans les villas,

qui sont pour les participants une façon d’accéder à une connaissance plus authentique

que lors de la transmission déterritorialisée, sont souvent qualifiés par les apprenants

solitaires de « stage bunker », de « stage à caractère industriel » (Zanetti 2005 : 104) ou

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

157

encore de « safari percu » pour les stages itinérants en zones rurales. Pour ces

apprenants voyageant seuls, les touristes « parqués dans des villas » ne pourraient ni

connaître les « réalités du pays », ni accéder à un savoir musical authentique.

29 Sans reprendre l’ancienne distinction entre voyageurs accédant à une connaissance

authentique, en coulisses, et touristes dupés par les mises en scène (Boorstin 1961), qui

recouperait partiellement une distinction entre musiciens professionnels et amateurs,

tentons plutôt de comprendre les imaginaires communs liés à la participation musicale.

Les imaginaires de la participation musicale

30 Au-delà de la simple acquisition de techniques musicales, la participation aux activités

de danse et de musique dans un village de Haute-Guinée ou dans un quartier populaire

de Conakry procure aux apprenants étrangers le sentiment d’expérimenter une

nouvelle relation avec leurs hôtes africains et de s’absoudre de la domination

symbolique associée à leurs statuts d’Occidentaux. Que le but soit d’effectuer un « beau

voyage » ou de réellement se perfectionner musicalement, les imaginaires du tourisme

musical semblent converger vers un même objectif : s’absoudre de sa différence aux

yeux des

31 Guinéens à travers une opération de « conversion » à l’africanité. Pour réaliser cette

inclusion au sein de la communauté des batteurs et danseurs locaux, les touristes

s’évertuent à vivre « à la guinéenne ». Emprunter les transports collectifs locaux, loger

chez l’habitant, ne pas dépenser plus d’argent que le « Guinéen moyen », parler de son

mieux le soussou ou le malinké ou manger le riz à la main dans le plat collectif (même si

on propose une cuillère), l’objectif est de se fondre dans la masse, de ne pas être trop

identifiable parmi la foule des locaux. L’immersion de ces « touristes clandestins »

(Urbain 1991) au sein des quartiers populaires de Conakry a parfois rendu l’enquête

difficile. Dans les cas les plus extrêmes, cette identification à leurs hôtes conduit les

apprentis percussionnistes à éviter les autres Blancs, surtout s’ils sont ethnologues et

posent des questions qui pourraient leurs rappeler leurs origines. Dans cette forme de

pérégrination touristique fusionnelle, l’ethnologue est lui-même perçu comme un

touriste par les apprenants solitaires intégrés aux quartiers populaires de la capitale. Il

s’agit pour ces apprenants en immersion de casser la « solidarité de Blancs » que

Benedict Anderson (1983 : 156) qualifie de caractéristique des relations entre colons.

32 Au cours de ce voyage en Afrique, qui fait aujourd’hui pleinement partie de la

construction identitaire d’un nombre grandissant de jeunes Occidentaux, la musique

est souvent au cœur d’une quête existentielle. Cette quête de sens pour des visiteurs

affirmant avoir « reçu une leçon de vie », « avoir retrouvé ce qui est essentiel mais que

nous avons perdu », « être devenu plus humain », passe par l’imprégnation de la vie

locale, le fait de vivre avec les Guinéens, de participer à leurs activités quotidiennes et à

leurs difficultés. Ces musiciens en mouvements sont bien semblables aux touristes

décrits par Dean MacCannell (1976) pour qui le déplacement touristique est caractérisé

par la recherche d’une authenticité supposée perdue dans les sociétés industrielles. Le

tourisme musical participatif manifeste à la fois la recherche d’une authenticité

musicale et la quête d’une « authenticité existentielle » (Wang 1999). Il reflète la

duplicité de l’authenticité recherchée dans le déplacement touristique telle que Tom

Selwyn (1996) l’a mise en lumière. Selon lui, les touristes recherchent des

« connaissances authentiques » à propos de la société de la destination choisie

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

158

(l’authenticité froide), mais aussi des « relations sociales authentiques » avec les

populations visitées (l’authenticité chaude) (ibid. : 8). Cette authenticité froide des

connaissances et des savoirs, prodiguée par les guides ou les musées, selon Selwyn, est

ici apportée par les maîtres musiciens guinéens. Les touristes, équipés en caméra et

enregistreurs numériques, « stockent de la connaissance ». Ils répertorient les rythmes,

décrivent souvent dans leur journal de bord les danses et rituels auxquels ils ont accès.

Leur séjour en Afrique s’apparente ainsi à une forme d’ethnomusicologie populaire15.

Bien qu’ils n’y trouvent pas toujours confirmation des images qu’ils s’étaient forgées

avant le voyage, la quête des formes musicales et chorégraphiques authentiques

poussera les touristes à s’enfoncer de plus en plus loin dans les villages mais aussi dans

certains quartiers populaires de la capitale guinéenne.

33 La recherche d’une « authenticité chaude », celle concernant les relations sociales

solidaires et harmonieuses entretenue avec les hôtes, semble également commune à

l’ensemble des visiteurs. Au-delà d’un simple apprentissage de techniques musicales,

l’enjeu du déplacement de ces apprenants en quête de légitimité artistique est aussi

d’être reconnu comme étant « un des leurs ». Pendant leur séjour en Guinée, les

voyageurs recherchent les signes de leur adoption par la communauté des batteurs et

danseurs guinéens. Cette reconnaissance peut passer par différents canaux. Le signe

d’adoption le plus évident et le plus courant est certainement l’attribution d’un

nouveau patronyme. Dès qu’il se présente chez son maître, l’apprenti étranger se voit

presque à chaque fois attribuer un prénom local, voire un nom de famille africain. Ce

changement de patronyme dure généralement le temps du voyage, mais certains le

gardent comme nom de scène16. Travailler avec son maître de jembé à l’animation des

cérémonies populaires est également considéré comme un signe d’adoption. L’idée

qu’une relation marchande entre le maître et l’apprenant puisse faire barrage à une

amitié sincère les conduit à développer diverses solidarités et partenariats. Pour rendre

justice à son maître, l’apprenti s’évertue à lui trouver des contrats en Europe pour

l’animation de stages ou de spectacles. Il effectuera souvent de longues démarches

administratives pour procurer un visa aux artistes et s’improvisera tour manager.

Certains entreprennent également un commerce d’instruments entre la Guinée et leur

pays d’origine procurant ainsi un revenu substantiel aux partenaires guinéens qui les

fabriquent.

34 Enfin, la dimension sensuelle et sexuelle de ce tourisme musical impliquant hommes et

femmes dans des activités communes est certainement la composante la plus

fondamentale de cette « authenticité chaude » recherchée par les visiteurs. Les

relations sexuelles et amoureuses fréquemment entretenues entre touristes et artistes

locaux aboutissent souvent à des mariages17. Ces relations manifestent une quête

d’adoption de part et d’autre, mais témoignent également d’un rapport libidinal à

l’Afrique et à sa musique. Toutefois, à la différence d’autres types d’échanges sexuels ou

de mariages mixtes en situation touristique impliquant généralement des touristes,

hommes ou femmes, d’âge mûr et de jeunes locaux (Cauvin Verner et Salomon dans ce

numéro), ces relations se contractent ici entre individus de même classe d’âge. Comme

nous allons le voir, ces relations, notamment lorsqu’elles aboutissent à un mariage,

tiennent une place prépondérante dans la constitution des réseaux transnationaux

d’artistes mais aussi dans la perpétuation du phénomène touristique en Guinée. Mais

observons à présent la manière dont les artistes guinéens mettent à profit cette double

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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exigence d’authenticité du tourisme musical dans le cadre de stratégies économiques et

migratoires.

De l'imaginaire national à l'imaginaire transnational

35 Inédits à la fin des années 1980, les cours de danse et de percussion prodigués aux

touristes constituent aujourd’hui une source de revenu de plus en plus importante. Si la

mise en tourisme de la musique guinéenne a d’abord profité aux grands artistes des

ballets formés sous Sékou Touré, qui furent les investigateurs des premiers stages

organisés, l’intensification du tourisme musical informel permet maintenant aux

artistes restés au pays de bénéficier de nouvelles ressources. La pratique de la danse et

de la percussion en Guinée procure des revenus à travers l’animation des fêtes et des

cérémonies populaires locales, mais l’occasion (même si c’est plus rare) d’avoir un élève

étranger est beaucoup plus lucratif. « Avoir son Blanc », comme disent souvent les

jeunes Guinéens, offre non seulement un soutien financier ponctuel, mais aussi la

possibilité de voyager à l’étranger en fonction des diverses solidarités nouées avec son

apprenti.

36 Nous tenterons de montrer comment l’imaginaire musical n’est plus encadré par des

institutions solides comme l’État ou le rite mais plutôt par les flux de populations en

mouvements, touristes et artistes migrants. Explorons deux quartiers de Conakry,

devenus à la fois des quartiers de musique et de tourisme, pour comprendre le

processus actuel de revitalisation des musiques traditionnelles dans le cadre de la

globalisation.

Revalorisation du statut du jembefola et réappropriation sociale des

ballets de la Révolution

37 Dans le quartier de Symbaya, on croise beaucoup d’artistes depuis que Famoudou

Konaté y a construit une villa pour accueillir des stagiaires étrangers au début des

années 1990. Des jeunes Français en boubou africain, coiffés de dread locks rasta,

répètent dans une cour avec des jeunes Guinéens de même allure ; un Japonais installé

à la terrasse d’un café bredouille quelques mots en soussou avec son maître de jembé ;

un groupe de Néerlandaises mange un plat de riz/sauce sur le bord de la route... Depuis

quelques années, quelques boutiques d’artisanat se sont également installées dans le

quartier. On y vend des housses de jembé, et divers souvenirs comme des bracelets en

cuir ou des mini jembé en pendentifs. Kapisco (35 ans) fait partie de ces artistes

gravitant autour de la villa de Famoudou Konaté. Recruté en 1984 à Kouroussa en

Haute-Guinée pour intégrer les Ballets africains à Conakry, il a vécu le changement

d’orientation de la politique culturelle de la Seconde République renvoyant la plupart

des artistes à la marginalité. En travaillant avec Famoudou à l’animation des stages de

percussion, il a connu l’essor du tourisme musical dans le quartier.

« Les jeunes, comme ils voient tous les Blancs derrière Famoudou Konaté pourconnaître le jembé, ils pensent que Famoudou il a des milliards. Tu as compris ?Parce qu’on sait que si tu rentres en Europe, bon, quand tu reviens, même si tu n’aspas gagné beaucoup, mais le peu que tu as gagné, quand tu rentres chez nous, tupeux devenir patron » (entretien, 1er avril 2005, Conakry).

38 Le prestige social que la mobilité confère à l’artiste migrant, ce « héros du retour » (de

Latour 2003), lorsqu’il revient au pays avec un groupe d’apprentis percussionnistes

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étrangers, a contribué à transformer singulièrement le statut du joueur de jembé en

Guinée. Les grands artistes des ballets nationaux, comme Famoudou Konaté, de retour

d’Europe ou d’ailleurs, affichent, souvent de manière ostentatoire, les signes de leur

réussite. Ils construisent des « villas à étages », achètent des voitures au port de

Conakry, ont toujours une liasse de billets en poche et racontent leurs expériences à

l’étranger, au « pays des Blancs » (Foté ta en soussou). Même s’il est toujours recruté

dans les milieux populaires, le jembefola porte des vêtements à la mode (en bogolan ou

inspirés par les rappeurs américains), parle plusieurs langues, voyage à travers le

monde. À l’aéroport, on remarque toujours un nombre important d’artistes venus

chercher ou raccompagner des touristes ou voyageant eux-mêmes à l’étranger. Avec les

diplomates et les hommes d’affaires, les artistes sont certainement la catégorie

socioprofessionnelle la plus mobile à l’international. On dit d’ailleurs aujourd’hui en

Guinée : « Si tu veux que ton fils sauve sa famille, il vaut mieux lui apprendre à jouer le

jembé que de lui faire faire des études de médecine » (Kokelaere 2000).

39 Au sein des ballets urbains créés par Sékou Touré, les artistes avaient acquis un statut

social plus valorisant que celui des jembefolaw de village. Ils restaient néanmoins au bas

de l’échelle sociale. Les artistes de la Révolution ne pouvaient pas s’enrichir

personnellement et devaient reverser tous leurs gains au Parti. Avec l’avènement de la

Seconde République, en 1984, l’abandon du soutien étatique aux orchestres et ballets

avait conduit à la dissolution de la plupart d’entre eux. Le président Lansana Conté

avait d’ailleurs déclaré à l’époque sur les ondes de la RTG : « [...] pendant la première

République on ne faisait que danser. Maintenant si quiconque vient taper à la porte

pour demander à sa fille de venir faire du théâtre ou de la musique que l’on prenne un

bâton pour le frapper »18.

40 Après une période où il fut difficile de recruter des artistes au sein des ballets devenus

« privés », on assiste à une véritable revitalisation des ballets de danse et de percussion

de la capitale. En 2008, l’Alliance pour le développement de la percussion et de la danse

guinéenne (ADPG) a recensé 1 250 artistes percussionnistes et danseurs répartis dans les

48 ballets de Conakry. Alors que les ballets guinéens étaient, pendant la Première

République, un instrument privilégié de propagande pour le régime, ils sont

aujourd’hui des centres de formation dans lesquels les jeunes artistes rêvent d’une

carrière internationale.

41 Ainsi, le quartier de Matam est devenu un haut lieu du tourisme musical grâce aux

centaines d’artistes qui répètent au sein des nombreux groupes de musique et de danse.

Il est le passage obligé pour les groupes de touristes participant à un stage sur l’île de

Room ou de Kassa, pour les élèves de Famoudou Konaté qui désirent assister aux

répétitions des ballets et aussi pour les apprenants solitaires qui logeront dans le

quartier et organiseront leur formation sur place. Les jeunes batteurs et danseurs,

encadrés par d’anciens fonctionnaires des ballets nationaux touchant une maigre

pension de l’État, répètent quotidiennement dans les ballets et se livrent à une

concurrence acharnée pour se faire repérer par les quelques promoteurs de spectacles

de passage ou par les touristes.

42 Jigla Sylla, ancien danseur du ballet militaire de Guinée, a fondé son ballet privé à la fin

des années 1980. S’il a eu, dans un premier temps, beaucoup de difficultés à enrôler des

artistes, il obtient aujourd’hui un retour sur investissement :

« Au début du ballet, les familles des artistes n’étaient pas contentes. Elles disaientque j’avais dérangé leurs enfants avec le jembé et la danse. J’ai sensibilisé la famille

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et maintenant ce sont ces enfants-là qui ont gagné la chance d’aller en Europe. Dansle ballet, présentement, il y a seize artistes à l’étranger : en France, aux États- Uniset au Canada. Maintenant ils gagnent leur pain et chacun a construit quelque chosepour leur famille ici en Guinée. Certains reviennent nous voir, ils apportent ducordage pour les jembé, ils nous donnent de l’argent pour acheter des instruments.Je remercie Dieu, je remercie le contact qui a aidé les enfants à aller en Europe »(entretien, 11 juillet 2005, Conakry).

La connexion au réseau touristique comme mode de circulation

43 Les jeunes se réinvestissent massivement dans la pratique des arts dits

« traditionnels », mais la difficulté à vivre de leur art en Guinée conduit la plupart

d’entre eux à tenter leur chance à l’étranger en intégrant des réseaux professionnels

internationaux. Le désir d’exil des jeunes artistes guinéens, nourri par les artistes

migrants, trouve une possibilité de concrétisation grâce à la présence des touristes. Le

réseau touristique est utilisé comme une véritable « porte de sortie » du pays et, à plus

long terme, comme une possibilité de « sortir de la misère ». Dans ce contexte,

l’Européen, l’Américain ou le Japonais venant dialoguer avec ces jeunes devient le

réceptacle de tous les fantasmes et constitue une opportunité de concrétiser une

nouvelle vie à l’étranger. Une pression s’exerce sur le visiteur pour développer des

solidarités ou des partenariats transnationaux. Ces solidarités ou partenariats, quand

ils aboutissent, peuvent prendre différentes formes : faire du business d’instruments

entre l’Europe et l’Afrique, se marier à un(e) touriste qui deviendra peut-être le ou la

manager de l’artiste, obtenir un contrat pour l’animation d’un spectacle. Ces demandes

insistantes d’obtenir « une aide », un « coup de pouce », virant souvent au harcèlement,

sont parfois mal vécues par certains apprenants étrangers. Elles entrent toutefois en

résonance avec l’imaginaire de nombreux touristes désirant nouer des solidarités avec

leur maître et valider ainsi leur appartenance à la communauté des artistes locaux.

Cette « authenticité chaude » (Selwyn 1996) recherchée par les visiteurs est largement

mise à profit dans les stratégies d’extraversion des jeunes artistes guinéens :

« Tous les batteurs du quartier ont commencé le jembé pour pouvoir partir enEurope. Donc ils apprennent le jembé pendant un an, deux ans et puis ils peuventapprocher les Blancs et dire “bon..., je t’aime..., je veux qu’on se marie... Tu vas, euh,m’inviter, je t’aime, euh, je veux qu’on se marie...”. S’ils gagnent une femme ou unbon ami ou un partenaire blanc, il va l’aider pour rentrer en Europe » (Kapisco,entretien, 1er avril 2005, Conakry).

44 L’engouement international pour le jembé suscite de nouvelles vocations et de

nombreux jeunes Guinéens démarrent ainsi une pratique artistique par opportunisme,

en haute saison touristique19. Ces jeunes artistes, lorsqu’ils parviennent à migrer en se

connectant au réseau touristique, vivent souvent des situations dramatiques à

l’étranger, dans la clandestinité après l’expiration de leur visa ou circulant au gré des

diverses invitations et expulsions. Ceux qui parviennent toutefois à régulariser leur

situation administrative dans le pays d’accueil, puis à ouvrir un cours de danse ou de

percussion grâce à une association locale, voire à se produire sur scène avec un groupe,

reviendront en Guinée en faisant bénéficier leur famille et leur ballet de nouveaux

revenus procurés par leur carrière internationale. Mais en organisant à leur tour des

stages de percussion en Guinée, ils amèneront également des touristes, sources de

revenus et de « contacts » pour leur maître de ballet :

« Un ancien membre de mon ballet, Amara Karabane, est parti à Clermont-Ferranden 1992. C’est lui le premier qui m’a envoyé des stagiaires ici en 1994. C’est lui qui

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encadrait le stage mais on a travaillé ensemble au ballet pour former les étrangers.Donc les stagiaires sont venus chez moi pendant un mois, on a pris contact. L’annéesuivante, ils sont passés directement par moi pour revenir ici. Donc chaque annéeils viennent ici, ça fait dix ans. Et puis ces Français m’ont invité moi-même enFrance. Je suis parti à Clermont-Ferrand avec des batteurs et des danseurs deSaâmato. Ça a bien marché avec ce groupe. Maintenant quatre garçons et une fillese sont mariés avec ces stagiaires de Clermont-Ferrand. Ma fille même s’est mariéeavec un stagiaire d’Amara Karabane. Il s’appelle Tony, il vient à Conakry dans deuxsemaines. Maintenant il organise lui aussi des stages et il a dit “comme je suis mariéavec ta fille donc je viens chez toi”. Donc il est correct » (entretien, 11 juillet 2005,Conakry).

45 Le système d’allégeance qui lie un membre du ballet à son maître conduit l’organisateur

du stage à faire bénéficier à son maître des revenus du tourisme en amenant les

stagiaires chez lui. Les touristes dans leur volonté de couper les intermédiaires

(d’accéder aux coulisses) reviennent directement au ballet Saâmato. Une collaboration

de long terme, faite d’invitations en France et de stages annuels à Conakry, débouche

sur cinq mariages entre les membres du ballet Saâmato et le groupe d’artistes de

Clermont-Ferrand. L’un des stagiaires français marié à la fille du directeur du ballet

(qui anime maintenant des cours de danse en France) amène de nouveaux stagiaires

pour un voyage en Guinée qui débouchera peut-être sur d’autres mariages ou d’autres

invitations.

46 L’intensification de la fréquentation touristique produit donc plus de départs d’artistes

guinéens vers l’étranger (à travers les mariages ou les différents partenariats). Les

artistes qui « réussissent » à l’étranger reviendront en Guinée avec des groupes de

touristes. Grâce à ce réseau transnational d’artistes en circulation constitué par les

touristes et les artistes guinéens qui partent animer des stages ponctuels ou s’installent

durablement à l’étranger, le tourisme nourrit la diffusion de la pratique de la danse et

de la percussion à travers le monde. En retour, cette profusion de stages et d’écoles de

percussion dans presque toutes les métropoles des pays industrialisés accroît le nombre

de touristes musicaux potentiels qui visiteront la Guinée et noueront des solidarités

avec d’autres musiciens locaux.

Sentiment de désappropriation et transmission

47 La recherche d’une « authenticité chaude » lors du déplacement touristique entre en

résonance avec les aspirations des musiciens guinéens désirant mieux vivre de leur art

en circulant à travers le monde. En revanche, la recherche d’« authenticité froide »,

manifestée par les touristes désirant accéder à des connaissances musicales

authentiques, semble plus problématique.

48 D’une part, l’intérêt quasi exclusif des touristes pour les musiques et danses

traditionnelles conduit à une certaine dichotomie entre, d’un côté des musiques

consommées par les publics locaux ou des pays avoisinants — souvent basées sur le

répertoire griotique mais interprétées avec des guitares électriques et des

synthétiseurs — et, de l’autre, des musiques dites « traditionnelles » produites

essentiellement pour le public international et les touristes. Ainsi, les percussionnistes

Mamadi Keïta et Famoudou Konaté restent inconnus du grand public guinéen et leurs

disques sont introuvables sur les marchés de Conakry alors qu’ils se vendent par

milliers à l’étranger. Les élites guinéennes déplorent parfois cette focalisation de

l’intérêt international sur ce qu’elles considèrent comme les aspects les plus

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stéréotypés de la culture guinéenne, affirmant à propos du jembé « pour nous c’est très

commun, c’est de la musique de village », ou « Le jembé ? Mais il n’y a pas que ça en

Guinée ! ». Toutefois, cette revitalisation des musiques traditionnelles en milieu urbain

semble faire la joie des milieux populaires. Les habitants font aujourd’hui largement

appel à ces musiciens pour l’animation des mariages ou des baptêmes, et ce, à moindre

coût vu le nombre impressionnant d’artistes en concurrence dans la capitale.

49 D’autre part, la situation de tourisme musical en Guinée complexifie le processus de

transmission du patrimoine musical. Dans les quartiers où il n’existe pas de ballet (le

quartier de Symbaya par exemple), le contexte de marchandisation de la percussion

conduit certains maîtres à faire payer leurs apprentis guinéens au même titre que les

étrangers pour leur enseigner les différents rythmes du pays et les « histoires

culturelles » qui les accompagnent. Dans ce contexte, les étrangers sont largement

favorisés. Ils ont les moyens de payer les maîtres qui leur transmettront leurs

connaissances, et ils ont également les moyens de se déplacer où bon leur semble à

l’intérieur du pays pour apprécier les différents rythmes joués dans leur contexte, alors

que de nombreux artistes guinéens ne sont jamais sortis de Conakry. Dans les quartiers

où ils ne sont pas encadrés par les anciens au sein de ballets, les jeunes artistes

guinéens éprouvent bien souvent un sentiment de désappropriation de leur propre

culture au profit des apprenants étrangers, et analysent parfois la situation de tourisme

musical comme une forme de pillage de la culture guinéenne20. Ce sentiment de

désappropriation, exprimé par une jeunesse peu sûre de ses connaissances musicales,

et face à une clientèle internationale devenant peu à peu une concurrence sérieuse, fait

même peser une certaine inquiétude sur le maintien à long terme de l’activité

touristique. Des stratégies de rétention du savoir peuvent éventuellement être mises en

place par certains artistes craignant, comme me le confiait l’un d’entre eux, que « si on

donne tout aux étrangers, ils ne viendront plus car ils connaîtront le jembé mieux que

nous ».

50 En revanche, dans les quartiers où le dispositif des ballets est revitalisé, la transmission

des doyens vers les jeunes apprentis guinéens est motivée, d’une part, par les enjeux

économiques et de mobilité et, d’autre part, dans l’optique d’une résistance face au

déplacement des savoirs. Constatant toute l’énergie déployée par les étrangers pour

apprendre, répertorier et enregistrer les rythmes guinéens, un maître de ballet

souligne la nécessité de transmettre le patrimoine musical aux jeunes du quartier :

« On s’est dit “non, ne laissons pas nos enfants comme ça”, pour ne pas que vous lesBlancs, un jour ce que vous faîtes comme cela, nos enfants ne le font pas. Qu’unjour, au moins, on ne me demande pas de payer un billet d’avion à mon petit-filspour aller apprendre sa culture. Alors voici notre lutte ici à Matam » (entretien,Morciré Camara, 17 juillet 2003, Conakry).

*

51 Les imaginaires portés sur les musiques africaines, construits lors des cours de

percussion ou de danse à l’étranger par les films documentaires ou l’industrie du

disque, tendent à concevoir celles-ci comme des musiques pures, authentiques,

inextricablement liées à la vie des Africains. Comme l’écrit É. Da Lage (2008 : 21) à

propos des représentations véhiculées par les productions discographiques du label

Occora : « Le monde musical authentique est un monde pré-colonial, dans lequel un

passé fantasmé pourrait servir de référence pour un monde a-historique et idyllique,

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

164

dans lequel les interprètes ne seraient que des instruments, de simples maillons quasi

mécaniques d’une chaîne continue et fragile. » Nous espérons avoir montré ici que les

traditions ou les cultures musicales qui passionnent les touristes sont en réalité le fruit

de diverses constructions (notamment politiques), emprunts, et revendications, mais

aussi le produit de réappropriations des stéréotypes internationaux par les musiciens

qui affirment en être les détenteurs. Les récits liés à l’instrumentalisation politique de

la musique guinéenne après l’indépendance sont systématiquement écartés de la

transmission. Les maîtres percussionnistes préfèrent délivrer à leurs apprentis

internationaux des versions plus conventionnelles du passé en insistant sur le contexte

traditionnel et ethnique de leur pratique musicale ou en manifestant leur volonté de

leur faire découvrir la « vraie Afrique sans voiture ni électricité ». Ces exemples

témoignent de la réappropriation d’une « Afrique rêvée » par les artistes guinéens eux-

mêmes. C’est au sein de ce monde éminemment transnational, dans lequel les

imaginaires sont façonnés par les flux d’images, de sons, et d’individus (Appadurai

2001) que se reconstruisent aujourd’hui les musiques dites traditionnelles. Les ballets

guinéens, autrefois instruments de propagande du régime de Sékou Touré, sont

aujourd’hui des tremplins pour des carrières internationales. Cette revitalisation des

ballets manifeste bien la globalisation des enjeux liés à la vie musicale. En même temps,

elle signale que le tourisme, plutôt que de détruire l’authenticité des musiques locales,

vient relayer les politiques culturelles dans la dynamique d’appropriation des musiques

traditionnelles par les jeunes urbains.

52 Dans le monde transnational de la percussion guinéenne, le rôle du tourisme nous a

semblé central. Les touristes, d’abord fascinés par l’objet musical qui motive leur

déplacement, développent également des solidarités et des partenariats avec les

artistes résidant en Guinée. Ces « relations sociales authentiques », également

recherchées dans le déplacement touristique (Selwyn 1996), cette volonté d’appartenir

à une communauté transnationale d’artistes, sont largement mises à profit par les

artistes guinéens, désirant vivre de leur art en internationalisant leur carrière. Dans un

contexte où les frontières de l’Europe deviennent des barricades, la difficulté pour les

artistes africains (en particulier les jeunes) d’obtenir un visa, même lorsqu’ils ont un

contrat de travail à l’étranger21, place, désormais, tous les espoirs de mobilité

internationale sur la connexion au réseau touristique. Les réseaux transnationaux se

constituant au fil des rencontres au sein de cette communauté de pratiques contribuent

à l’internationalisation de la musique guinéenne, mais aussi, en échange, au maintien

de l’activité touristique encouragée par les artistes migrants de retour au pays pour

organiser des stages. Grâce à ce réseau d’artistes en circulation, le tourisme musical en

Guinée se passe aussi bien de politiques touristiques que de tour operator

conventionnels. La fluidité de ces réseaux personnels et associatifs permet, en outre,

une suspension puis une reprise rapide des stages en cas d’instabilité politique.

53 Cependant, si le tourisme favorise la circulation des artistes, il encourage certainement

le conservatisme plutôt que la créativité musicale. La Guinée, réputée dans toute

l’Afrique de l’Ouest depuis les années 1960 pour ses orchestres modernes22 et

aujourd’hui pour sa foisonnante scène hip hop, reste, dans l’imaginaire des touristes, un

« pays de percussion ».

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NOTES

1. Début 2007 une grève générale contre l’incurie du président Lansana Conté a paralysé le pays

et fait plus de trois cents morts parmi la population. En décembre 2008, suite au décès de Lansana

Conté, le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), emmené par le

général putschiste Moussa Dadis Camara, suspend la constitution, les activités politiques et

syndicales, dissout le gouvernement et toutes les institutions républicaines.

2. « Guinée : pays de percussion » est le nom d’un projet de festival organisé par une agence

culturelle de Conakry (Festikaloum) qui n’a finalement pas eu lieu.

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3. Pour appuyer l’idée que le tourisme peut être à l’origine de phénomènes de subversion dans

les pays socialistes (prise de conscience de la rareté de certains biens de consommation...), J.-L.

BOUTILLIER (1978 : 68) note que le seul pays d’Afrique de l’Ouest resté à l’écart du développement

touristique est celui qui a connu l’expérience politique la plus radicale : la Guinée.

4. Le « Ballet africain », créé à Paris à la fin des années 1940 par l’intellectuel militant

anticolonialiste Keïta Fodeba, fut la première troupe africaine à se produire dans les théâtres

français (KEÏTA 1957 ; CHARRY 2000 ; DECORET-AHIHA 2004). Il fut « nationalisé » par Sékou Touré en

1958.

5. Cette opération de démystification a permis d’enrichir le répertoire populaire de rythmes

sacrés jusqu’alors réservés à l’initiation. Ces rythmes sacrés comme kawa, soliwoulen ou kakilembe

sont aujourd’hui joués à travers le monde dans les spectacles ou les cours de percussion.

6. Certains maîtres actuels du jembé furent à l’époque contraints de pratiquer la musique. Ainsi

Lamine Lopez Soumah, qui « voulait être footballeur » fut menacé par les cadres du PDG de ne

pas être ravitaillé en riz s’il n’exploitait pas ses compétences de percussionniste dans le ballet

communal (entretien du 17 juillet 2003, Conakry).

7. La polyrythmie est constituée par la superposition de plusieurs patterns rythmiques différents.

8. Certains « jembefolaw blancs », comme l’Italien Bruno Généro, sont aujourd’hui considérés

comme des maîtres et leur enseignement est prisé tout autant que celui des maîtres africains.

9. Comme l’affirme Minkailou Bangoura, percussionniste de l’Ensemble instrumental national de

Guinée depuis 1971 (entretien, 15 mars 2004, Conakry).

10. Sur l’ancienneté de cette conception essentialiste des « musiques africaines » perçues comme

fondamentalement attachées à la vie quotidienne, notamment au travail et au fétichisme, voir A.

SCHAEFFNER (1926).

11. En Guinée, mais aussi au Mali, au Sénégal ou à Bobo Dioulasso au Burkina Faso.

12. Musiques « traditionnelle » et « moderne » sont les catégories autochtones forgées au cours

de la Première République. Elles sont toujours utilisées en Guinée. La musique « moderne »

intègre les instruments électriques et importés (guitares, saxophones, batteries). La musique

« traditionnelle » est celle des ballets et ensembles instrumentaux. Les musiques rurales sont

appelées « folklore ».

13. Ce forfait n’inclut pas le billet d’avion. Ces associations n’ont généralement pas de licence

d’agent de voyage et, par conséquent, ne peuvent pas « faire d’aérien ».

14. Selon C. M EILLASOUX (1968), le dundunba est traditionnellement dansé lors des grandes

occasions, une victoire militaire, ou pour accompagner le rite de circoncision.

15. La participation musicale est aussi une méthode d’investigation pour les ethnomusicologues

ou les anthropologues (CHARRY 2000 ; EBRON 2002).

16. Pour les plus célèbres : Thomas Lambert, jeune artiste français, devient Toma Sidibé en

empruntant le patronyme de son maître de jembé, le percussionniste suisse Vincent Zanetti est

assimilé au clan des Jara, le musicien français François Glowinski, qui se convertit également à

l’islam, est rebaptisé Ousman Danedjo.

17. En 2005, sur les vingt-deux touristes musicaux interrogés, huit étaient mariés à une ou un

artiste guinéen.

18. Propos rapportés par Célestin Camara, conseillé à l’Alliance pour les danses et percussions

guinéennes (ADPG) (entretien, Conakry, 30 juin 2005).

19. Ces jeunes, qui se revendiquent maîtres après seulement quelques mois de pratique,

contribuent, selon les autorités guinéennes, à dégrader l’image de la percussion en Guinée.

Plusieurs personnes interrogées se rejoignent sur ce constat : Tellivel Diallo (directeur national

de la culture de 1982 à 2001), Riad Chaloud (Bureau guinéen des droits d’auteurs), Célestin

Camara (ADPG), et aussi certains maîtres musiciens. Aujourd’hui, pour réguler l’activité,

certaines associations ou institutions concernées par le phénomène tentent de mettre en place

un système de diplômes destiné aux Guinéens (attestant du statut de « maître percussionniste »,

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d’« accompagnateur » ou de « répétiteur »), et également aux apprenants étrangers attestant de

la participation à un stage avec tel ou tel maître. Mais ce système a peu de chance de se mettre en

place. D’une part, les jeunes musiciens guinéens sont extrêmement réticents à l’idée d’une

institutionnalisation du phénomène. Ils craignent la prédation de leur source de revenu la plus

conséquente. D’autre part, le système de diplômes correspond assez peu aux imaginaires des

touristes en quête d’oralité et de spontanéité.

20. D’autant plus que, lorsqu’ils estiment ne pas profiter suffisamment de la manne financière du

tourisme, les jeunes comparent l’appropriation de la culture guinéenne par les touristes à

l’exploitation de la bauxite par les compagnies étrangères. La Guinée est premier producteur

mondial de bauxite, mais la population profite peu de cette manne. Ce pays riche en matières

premières se retrouve en bas de l’échelle de développement humain établie par le Programme

des Nations Unies pour le Développement (PNUD) (160e rang sur 177).

21. Sur les difficultés que connaissent actuellement les musiciens africains pour circuler en

Europe voir l’excellent dossier du réseau Zone Franche <http://www.zonefranche.com/pdf/

synthesedebat11mai.pdf>.

22. Les orchestres modernes guinéens des années 1960, restés longtemps méconnus du public

occidental, font néanmoins l’objet d’un récent engouement. De nombreux enregistrements

d’époque sont réédités par les labels Syllart et Oriki Music.

RÉSUMÉS

Mis à part le tourisme d'affaires et quelques circuits de trekking dans le Fouta-Jalon, le tourisme

en Guinée est porté par un engouement international grandissant pour les percussions et les

danses traditionnelles. Le tambour jembé, l'instrument emblématique de la culture guinéenne,

attire chaque année des centaines de touristes désirant perfectionner leur pratique musicale et

découvrir le pays d'origine de leur instrument d'élection. Nous proposons d'étudier ce tourisme

du rythme, émergent en Guinée depuis la fin des années 1980, en replaçant le phénomène dans le

cadre de l'accélération des transformations musicales et de la circulation des artistes depuis la

décolonisation. Comment cette nouvelle économie du tourisme musical génère des réseaux

transnationaux d'artistes, suscite localement des vocations artistiques mais provoque également

des tensions autour d'un patrimoine musical désormais partagé ?

Apart from business tourism and a few hiking journeys in the Fouta-Jalon, tourism in Guinea is

supported by a growing international craze for traditional music and dance. The jembe drum,

true emblematic instrument of Guinean culture, attracts every year hundreds of tourists who

wish to improve their musical practice and discover the country of origin of their chosen

instrument. We aim to study this rhythm tourism which has risen from the late 1980's, by

considering this phenomenon as a part of the quickening of musical transformations and

increasing movements of artists since decolonization. How does this new tourism based economy

generate artistic transnational networks and create artistic callings on a local level while causing

tensions around a musical heritage that is shared from now on?

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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INDEX

Mots-clés : Guinée, danse, jembé, percussion, réseaux transnationaux, tourisme musical

Keywords : Guinea, dance, jembé, percussion, transnational networks, musical tourism

AUTEUR

JULIEN RAOUT

Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques, Université des sciences et

technologies de Lille I, Lille.

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Danser l’Orient. Touristes etpratiquantes transnationales de ladanse orientale au CaireDancing the Orient. Tourists and Transnational Apprentices in Oriental Dance in

Cairo

Julie Boukobza

1 Les notions d’Orient, d’Occident, de Monde arabe, comme d’orientalité et

d’occidentalité sont largement mobilisées dans les discours des danseuses orientales

professionnelles qui exercent au Caire. Elles s’imbriquent dans des revendications

identitaires et sont jugées d’après des critères d’authenticités variablement définis. Car,

depuis la fin des années 1980, la danse orientale est l’objet d’un engouement mondial,

et des jeunes femmes originaires du monde entier viennent la pratiquer au Caire en

tant que professionnelles. Elles s’établissent aussi comme des personnes-relais dans les

réseaux internationaux de sa transmission et occupent une situation d’entre-deux

propice à leur conférer des fonctions de passeuses. Les spectacles de la danse orientale

au Caire sont destinés aux touristes occidentaux et à ceux venus du Golfe Persique. Ce

sont aussi des divertissements appréciés des publics cairotes et l’on voit des danseuses

orientales à la télévision, au cinéma et aux fêtes des mariages. Des publics égyptiens

fréquentent donc des lieux d’abord conçus pour les touristes1. À partir des années 1980,

les hôtels internationaux se multiplient au Caire et de luxueux cabarets éclosent sur

l’avenue des Pyramides. Ces endroits, aujourd’hui encore, sont dédiés aux spectacles de

la danse orientale professionnelle2.

2 Il fut noté, à propos de la danse féminine amateur dans les mariages tunisois, que la

danse en public s’adresse à un destinataire et qu’elle participe d’un échange : l’on tient

des « comptes de danse » (Nicolas 2002). Cette réciprocité présente la danse en public

comme un don qui postule un retour et l’inscrit dans une temporalité de l’échange qui

mobilise un « tabou de l’explicitation », selon l’expression de Pierre Bourdieu (1994),

c’est-à-dire l’affirmation d’une gratuité de l’action par les délais observés entre ces

dons et la dénégation volontaire du caractère automatique du retour du don. La danse

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professionnelle porte des enjeux différents, mais qui se cristallisent eux aussi autour de

la question de l’échange et même, de manière prosaïque, du paiement. Ce sont les

variations dans les façons d’aborder ce paiement et les modalités des échanges entre

des danseuses professionnelles et leur public ainsi qu’entre des professeurs de danse et

leurs élèves qui structurent les enjeux conférés à la danse en contexte. Parce que ces

deux circonstances d’échange de la danse façonnent les dominances d’aspect de celle-ci

et la font accéder au statut de représentante d’identités plus vastes, illustrant certains

aspects des pratiques touristiques qui génèrent des rencontres mais aussi érigent

certains traits culturels comme les formes représentatives d’une société.

3 Les contacts des acteurs de la danse orientale en Égypte avec des étrangers sont décrits

depuis plusieurs siècles et le XIXe, particulièrement, a vu s’ériger des représentations

stéréotypées des danseuses qui influencent encore la façon de les envisager, tant dans

les mondes dits occidentaux et arabes qu’en Égypte. Les divers enjeux actuels de la

danse scénique sont déjà discernables dans les témoignages historiques qui nous sont

parvenus.

4 Parmi ces divers enjeux actuels, l’on trouve celui d’une cristallisation identitaire de la

danse s’exprimant dans un groupe de professionnels marqué par l’influence folklorique

et qui utilise un événement explicitement touristique pour recentrer autour de lui le

vaste réseau des pratiquantes hors d’Égypte. La création il y a quelques années d’un

festival de la danse orientale porte les nouveaux enjeux économiques et symboliques

conférés à cette danse.

Publics et acteurs de la danse orientale au Caire

Spectateurs du passé

5 L’histoire sociale des publics étrangers des danses féminines d’Égypte permet une mise

en perspective des pratiques scéniques actuelles. Les voyageurs des mondes arabes et

européens ont rapporté et commenté leurs expériences personnelles à ce propos. Les

productions littéraires témoignent d’approches plurielles de l’objet, mais aussi d’une

certaine importance du rôle des danseuses féminines dans diverses sphères sociales

égyptiennes. Elles sont massivement évoquées au XIXe siècle par les écrivains

voyageurs orientalistes et leur existence en Égypte est attestée dès le XVIe siècle durant

lequel elles étaient soumises à de lourdes taxes en tant que professionnelles du

divertissement (Raymond 1999). L’imam égyptien Ibn Hajar Al-Asqalani, au XVe siècle,

témoigne même d’une présence plus ancienne de ces femmes lors des célébrations des

saints locaux (mouled-s) en Égypte (Mayeur-Jaouen 2006). Certains récits savants

évoquant les danseuses d’Égypte se sont attachés à les condamner pour leur rôle dans

ces cérémonies et pour leurs pratiques corporelles tôt déclarées transgressives. C’est

l’opinion du chroniqueur égyptien

6 Jabarti qui relate les événements de l'expédition de Bonaparte en Égypte entre le XVIIIe

et le XIXe siècle et c’est également l’opinion des réformistes musulmans dès la fin du

XIXe siècle (ibid.). Leurs textes et leurs idées reflètent les positions des penseurs de la

réforme musulmane dans l’ensemble du Moyen-Orient durcissant l’opposition entre un

islam sacré et licite et une religiosité populaire et profane. À cet égard, l’Égypte occupe

un statut particulier dans cette aire géopolitique plus vaste. Elle y est représentante

d’autorités sunnites internationales : « Depuis le XIXe siècle, l’État égyptien se veut le

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principal promoteur de l’islam réformiste, standard de modernité dont il dispute

aujourd’hui l’exclusivité aux islamistes. L’histoire des institutions d’enseignement de la

religion montre que leur rencontre avec le réformisme musulman a profondément

modernisé le système qui légitime les ulémas, sans pour autant modifier la base de leur

pouvoir » (Luizard 2000). Pour autant, le pays est également connu depuis plusieurs

siècles pour ces pèlerinages festifs auxquels se joignent prostituées et danseuses

(Mayeur-Jaouen 2006). Ces dimensions explicitement transgressives, condamnées par

divers pouvoirs politiques et religieux, rendent difficiles les recherches historiques.

Judith E. Tucker fait état des passerelles qui existaient entre les professions de

danseuse et de prostituée et d’une opposition entre des danseuses de rues destinées à

des publics populaires et d’autres qui se produisaient dans des cercles privilégiés. Elle

souligne néanmoins combien

« leurs professions particulières leur donnaient un statut à part et reléguaient la viefamiliale et ce qui lui était lié au niveau de considérations très secondaires. Cemonde demeure voilé dans l’obscurité, car les stigmates liés à de telles activitésplaidaient contre une reconnaissance officielle de ces femmes dans les comptesrendus du tribunal et ailleurs. Les informations sur l’organisation des métiersreconnus comme “honteux” sont donc rares, et nous devons nous rabattre sur lesobservations des voyageurs européens dont la fascination pour l’exotisme et lasensualité produisit des descriptions détaillées de cette catégorie de femmes »3

(Tucker 1986 : 150).

7 Le corpus littéraire des voyageurs orientalistes sur les danseuses d’Égypte se structure

autour de la recherche de sensations exotiques. Les danseuses s’y imposent

progressivement comme des passages obligés du voyage en Orient. Ce genre

autobiographique revendique et assume la subjectivité de son approche, comme en

témoigne l’intitulé de l’ouvrage d’Alphonse de Lamartine (1961) : Souvenirs, impressions,

pensées et paysages pendant un voyage en Orient, 1932-1933. De Lamartine condamne

durement les danseurs travestis qu’il a l’occasion d’observer au Liban. Pour certains

auteurs, comme Gustave Flaubert et Gérard de Nerval, expérimenter l’Orient revêt les

allures d’une quête d’émotions puissantes de type exotique. Comme l’exprime Tzvetan

Todorov (1989 : 346) à propos de Loti, le voyage est l’occasion d’un « renouvellement de

la sensation grâce à l’étrangeté ». L’objectif affiché est la recherche d’expériences

sensationnelles. Les danseuses et les prostituées d’Égypte répondent à ces attentes, car

elles rendent possibles des expériences érotiques et transgressent les règles du

comportement féminin. Les voyageurs romantiques ouvrent la voie du tourisme en

Égypte, entendu ensuite en tant qu’expérience massivement vécue et aux parcours

banalisés. Le processus est déjà préfiguré chez ces voyageurs écrivains par

l’intertextualité récurrente de leurs récits viatiques, qui ressassent les mêmes topoi et

ancrent les voies incontournables du voyage et les manières dont il doit être vécu. Le

premier guide touristique paraît en 1839, inaugurant l’édition de nombreux ouvrages

du même type. La systématisation des étapes du voyage semble s’accompagner d’une

baisse dans l’intensité affichée de l’expérience. Parallèlement, les conditions de voyage

par bateaux et par trains à vapeur deviennent plus sûres et plus rapides. Les

expériences vécues par le voyageur sont prévues et anticipées, comme le montre la

réaction d’Émile Guimet (1867) qui regrette de n’avoir pas vu les pittoresques

crocodiles du Nil et les danseuses de Haute-Égypte, lors du voyage qu’il relate dans ses

Croquis égyptiens. Journal d’un touriste. Ainsi que le pressent Maurice Barrès dans ses

récits de voyages au Moyen-Orient en 1923, « Le général Gouraud a créé de grandes

routes qui ouvrent ces régions aux curiosités les plus paresseuses. Des touristes iront

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bailler, où le cœur me battait si fort [...]. J’aurais clos en juin 1914 la longue série des

pèlerins du mystère » (Barrès cité dans Berchet 1985 : 9).

8 En Europe, au cours du XIXe siècle, le traitement artistique de la femme orientale

devient un espace érotique investi pour sa permissivité relative par les écrivains, les

peintres et les photographes européens et américains. S’opère alors la typification d’un

modèle féminin, tendance explicite sous la plume de Flaubert (1910) dans son ironique

Dictionnaire des idées reçues : « Bayadère : Ce mot entraîne l’imagination. Toutes les

femmes de l’Orient sont des bayadères »4. Les figures de la danseuse et de la prostituée

sont utilisées comme les métaphores d’une population féminine générale. Les

représentations de ces femmes se répandent dans les sociétés européennes et sont

recyclées à l’époque coloniale dans le contexte des expositions universelles. Ces

manifestations festives à l’usage des peuples, en favorisant la circulation des images et

des personnes, ont fait émergé de nouvelles formes chorégraphiques. Celles-ci

influencèrent tant les pays coloniaux, où un engouement massif pour la pratique des

danses dites exotiques a perduré jusqu’à nos jours, que les pays colonisés où des

générations de danseurs ont imprégné leurs pratiques des expériences vécues à

l’étranger. Dès la première moitié du XXe siècle s’élabore au Caire la forme moderne de

la danse orientale et les célèbres productions cinématographiques égyptiennes qui la

donnent à voir sont diffusées du Maghreb jusqu’aux pays du Golfe. Les grands noms

égyptiens de la danse et de la chanson attirent les spectateurs, tandis que les scénarii

soulignent leur statut social ambigu. Le premier lieu public dédié aux spectacles de

cette nouvelle danse fut créé en 1926 par la syrienne Badea Masabni dans le centre-ville

du Caire et fut nommé al- kasinu5 (Dougherty 2005). Masabni a injecté dans cette danse

des éléments esthétiques et chorégraphiques propres au classicisme européen.

Pourtant, les comédies musicales égyptiennes présentent ces danseuses comme des

produits de la société égyptienne. Ces deux tendances complémentaires se nourrissent

l’une de l’autre et introduisent une rupture symbolique avec les manipulations

européennes d’une danse de l’Orient fantasmée par l’Occident, exhibée dans les

expositions universelles, les music-halls et les films d’Hollywood. Présentée comme une

pratique localement signifiante, la danse orientale n’apparaît donc ni comme un

produit purement colonial ni purement local. C’est cette évolution historique qui

justifie une conception de la danse orientale en tant que produit partiellement global et

localement réinvesti.

Des projets situés de démonstration de soi

9 Ce détour historique permet d’appréhender les forces qui s’exercent à double sens

entre les intentions des acteurs de la danse et les réceptions des publics étrangers. La

danse en public apparaît comme le fruit de cette interaction, comme un acte porteur

d’un sens immédiat, inscrit dans un contexte d’action et modelé par la position de ses

acteurs et de ses récepteurs. L’approche de l’activité dansée comme un bien symbolique

en circulation qui entraîne des contre-dons permet de porter l’analyse sur le plan de

ses contextes et des interactions entre les groupes en présence (Nicolas 2002). De la

même manière, la métaphore commune de la danse comme langage, si elle présente des

limites, permet d’appréhender celle-ci à travers le filtre romanesque et d’opérer une

distinction heuristique entre les instances d’auteur, de narrateur et de lecteur. La danse

n’est pas le miroir naïf de celui qui la produit ni de sa société. Elle porte au contraire le

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projet plus ou moins explicite d’une « présentation de soi », selon la notion d’Erving

Goffman (1973). La réception envisagée d’un certain public influence les choix des

danseurs, comme l’écrit Anne Décoret-Ahiha (2004 : 201) à propos d’Uday Shankar,

danseur indien se produisant en France dans les années 1930 : « Toute la démarche de

Shankar consista ainsi à adapter la spécificité des langages chorégraphiques et

musicaux indiens en un langage spectaculaire compréhensible par le public occidental

mais aussi par les élites européanisées de l’Inde. » Le concept d’exotisation de soi6 fut

élaboré lors de recherches sur les danses actuelles de sociétés anciennement colonisées.

Stavros Stavrou Karayanni (2005 : 132) l’a employé à propos de la rencontre entre

Flaubert et une danseuse de Haute-Égypte. Il définit l’exotisation de soi comme « un

effort pour offrir au riche client en visite le produit qu’il s’attendait à recevoir ».

10 Visant des fins commerciales selon l’auteur, ce stratagème est construit à partir de la

vision présupposée qu’un autre porte sur soi. Il s’agit de se conformer aux critères

discernés dans des définitions exogènes de sa propre identité.

11 Les préoccupations des spectateurs du passé ainsi transmises à la danse par les

danseurs eux-mêmes, semblent se retrouver dans les lieux actuels de la danse orientale

scénique au Caire. Aujourd’hui, deux tendances majoritaires parcourent ces lieux et

leurs usages de l’espace, opposant les nightclubs aux cabarets. Ces types de lieux sont

destinés à des publics différents, bien qu’ils soient tous les deux également fréquentés

par des Égyptiens. Chacun de ces publics confère à la danse professionnelle des

fonctions distinctes. Cette opposition est précieuse pour l’analyse, bien que les

observations montrent parfois une réalité plus nuancée. Les night-clubs sont

principalement destinés aux touristes occidentaux et les cabarets sont à l’usage de ceux

venus des pays du Golfe Persique. Les spectacles de la danse orientale dans les night-

clubs des hôtels internationaux constituent un passage obligé des séjours touristiques

organisés au Caire et sur les bateaux de croisière en province. Ils sont aussi fréquentés

par une élite financière égyptienne assez large. Le spectacle de la danse orientale dans

ces night-clubs s’est progressivement figé autour d’un schéma récurrent qui a intégré

des passages de danses folkloriques. Ces spectacles s’inscrivent ainsi dans le modèle de

la danse figurée. Ils extirpent la danse du contexte d’une pratique collective et assurent

une distance physique constante entre la danseuse et son public : personne ne se

permet de monter sur scène à moins d’y être expressément invité. La participation du

public au spectacle se limite au fait que, parfois, des femmes du public se lèvent et

dansent près de leur tablée, à l’attention de leurs convives. Les codes de franchissement

de l’espace font de la danseuse professionnelle un être inaccessible. Une

décontextualisation de la danse y est élaborée, qui installe une relation entre danseuses

et publics fondée sur la distance et l’imaginaire. La distance permet paradoxalement

des « présentations de soi » fortement érotisées, qui s’expriment par des nudités, par

des mimiques faciales de séduction et par l’expression conventionnelle d’une émotivité

féminine. Selon cette même érotisation, les danseuses orientales font subir aux règles

chorégraphiques du folklore les entorses qui sont le propre de leur personnage

scénique et lui font porter des enjeux de séduction. Les danses folkloriques qui sont

désignées en dialecte égyptien par l’adjectif cha‘bī (du peuple), proposent des

représentations du groupe identitairement orientées. Un trait d’union entre folklore et

danse orientale est mis en scène à travers la danse qu’on appelle baladi, adjectif qui

signifie communément populaire, mais avec un ancrage étymologique dans le territoire

davantage que dans le groupe social (balad signifie ville). La danse baladī présente une

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forme amateur de la danse orientale fondée sur l’improvisation, qui exploite un

contexte musical et des formes chorégraphiques spécifiques. L’expression « ār-raqṣ āl-

baladī », c’est-à-dire « la danse baladī » est couramment employée pour désigner « la

danse orientale », tandis que l’appellation stricte de « ār-raqṣ āš-šarqī », littéralement

« la danse orientale », est davantage usitée dans le cadre de ses prestations scéniques.

Danse féminine urbaine mise en folklore dans les années 1960, selon certains

observateurs, la danse baladī est conçue comme une pratique répandue et ancrée dans

le local (Buonaventura 1994). Elle construit un cadre au discours de la représentativité

sociale de la danse orientale. Elle reflète également l’implication des institutions

folkloriques dans les pratiques dansées égyptiennes, créations du pouvoir socialiste qui

visent à mettre en images l’identité nouvelle et indépendante du pays7. L’entreprise

nationaliste avait condamné les danseuses orientales et les films musicaux où elles

apparaissaient pour leurs liens avec le pouvoir khédival et avec l’Occident (Armbrust

2000). Aujourd’hui encore, les professionnels du folklore prennent soin de se distinguer

de celles-ci. Mais leur autorité grandissante dans l’activité de la danse orientale de

scène est particulièrement sensible depuis les années 1980, où ils ont négocié un statut

de professeurs et d’experts chorégraphiques. Sous leur influence, les scènes des hôtels

internationaux exhibent aujourd’hui une forme spectacularisée de la danse,

étroitement associée avec des formes dansées présentées comme endogènes.

12 Au contraire, les cabarets du Caire se différencient dans une large mesure des night-

clubs. Ils sont massivement fréquentés par les « Arabes », ainsi qu’on désigne au Caire

les touristes venus des pays du Golfe et majoritairement d’Arabie Saoudite. De

nombreux Cairotes évoquent en souriant l’existence d’une « saison des Arabes » qui

s’étend chaque année du mois d’août jusqu’à la fin du mois de septembre. Ces touristes

« arabes » représentent des enjeux financiers majeurs dans l’industrie égyptienne du

divertissement depuis les années 1980. Ils ont financé des films, des revues, des

cassettes vidéos et des chaînes transmises par satellite, ont contribué à donner au Caire

son rôle de capitale du divertissement et à l’entretenir malgré les crises économiques et

touristiques qui ont marqué la dernière décennie. Nombreuses sont les vedettes

égyptiennes de la musique, de la chanson et de la danse qui se sont enrichies grâce à

leurs soutiens financiers. À la différence des night-clubs, les cabarets possèdent une

réputation sulfureuse du fait d’un possible franchissement de leur frontière scénique

par le public. La danseuse de cabaret a pour fonction d’ouvrir l’espace de la scène aux

spectateurs. Il leur est possible d’y danser et d’interagir avec elle. Les danseuses font

preuve d’une expérience pratique des façons d’interagir dans la proximité des corps.

C’est ce parfum d’immoralité que les publics saoudiens ainsi que certains publics

égyptiens viennent chercher. Les directeurs de cabarets rémunèrent modestement les

danseuses qui doublent leur salaire grâce aux pourboires du public, s’assurant ainsi à

moindre coût que la danseuse s’impliquera dans une relation directe. C’est donc afin

d’obtenir un pourboire que la danseuse entretient une interaction constante avec le

public, allant de table en table et plaisantant. Le pourboire est consécutif à l’expérience

de la danse sur scène par une personne du public. Lorsqu’un membre du public monte

sur scène quelques instants, il donnera en général un pourboire avant de retourner

s’asseoir. Si c’est une femme, son père ou son mari remplira cette tâche pour remercier

la danseuse ou le chanteur de ce moment accordé à sa parente. Il jette alors une liasse

de billets au-dessus du destinataire. Il peut aussi les égrainer un à un sur sa tête et ses

épaules afin de faire durer l’instant et d’entretenir l’incertitude du moment où il

s’arrêtera. Un employé est là pour ramasser promptement les billets à terre juste après

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le moment du pourboire. Le donateur peut aussi déléguer un membre du personnel, le

chanteur le plus souvent, pour accomplir ce geste. Ce dernier remercie alors plusieurs

fois au micro la générosité du client et souligne au besoin sa nationalité : « Mille mercis

à notre frère saoudien ! » est une rengaine souvent entendue. Lié à la porosité de la

frontière scénique, le pourboire est une pratique spécifique aux cabarets qui permet

aux Saoudiens d’exprimer un statut financier confortable et souvent envié (de

nombreux Égyptiens partent travailler en Arabie Saoudite). De fait, la sortie au cabaret

est l’occasion, pour certains, de fêter une réussite financière ponctuelle, ou encore de

divertir un hôte. Ces mises en scène font du pourboire un geste ostentatoire, situé dans

une sphère du paraître qui souligne la générosité et le statut de mécène du donateur.

Cette surexposition du paiement va à l’encontre du procédé d’enchantement décrit par

Pierre Bourdieu (1994) à propos de l’échange des biens symboliques : loin de dissimuler

la dimension marchande de l’événement, le procédé du pourboire ostensible la

souligne. Ceci semble orienter la compréhension de la situation vers le schéma du

donnant-donnant immédiat plutôt que vers celui d’un don et d’un contre- don, si l’on

en croit l’importance fondamentale que Bourdieu confère à l’intervalle temporel entre

chaque partie de l’échange, intervalle ici inexistant. Le rôle de l’argent exhibé est

probablement à mettre en relation avec une pratique valorisée de l’aumône, ici conçue

comme une forme d’évergé- tisme artistique, religieusement fondée dans une société

musulmane, où la prodigalité construit le prestige de celui qui la dispense.

13 Les danseuses qui ont suivi les enseignements du folklore, pour la plupart, ne

conçoivent l’exercice de leur profession que dans le cadre des nightclubs où la

présentation de soi est orientée vers la dimension identitaire. Les danseuses des

cabarets sont l’objet de dénigrements justifiés par la place conférée au pourboire et à la

danse collective. Les observations dans ces deux types de lieux révèlent donc une

adéquation relative entre les spectacles proposés et les attentes spécifiques des publics.

Des influences sont actives entre les groupes en présence. Les danses des night-clubs

sont orientées vers la présentation d’une identité de groupe dans la danse répondant à

une demande d’expérience « exotique » des publics occidentaux. Ces scènes portent

d’ailleurs des noms aux consonances orientales : Harun Al-Rachid, Balbek, Casablanca,

Aladin. Les publics saoudiens ont quant à eux accès à un espace dédié aux

comportements transgressifs qui en constituent l’intérêt, avec la possibilité de mettre

en scène leur statut de bienfaiteurs des arts. Les noms des cabarets reflètent une

attirance pour l’Ouest (Parisiana, du nom d’un music-hall parisien du début du XXe

siècle, Al-Andalus, Cave de Roi, Tivoli). Il existe un jeu de renvois référentiels croisés

autour d’un axe Est-Ouest qui rappelle l’importance que revêt la dimension « exotique »

de l’événement, renvoyé dans un ailleurs pour mieux expérimenter les sensations de

l’étrange et de la marge comportementale et sociale. Les ajustements sur les attentes

des publics montrent l’existence d’un dispositif d’adaptation anticipée des

professionnels de la danse orientale envers ces attentes exogènes. Il s’agit de rendre

accessible et lisible la danse, mais aussi de la rendre satisfaisante pour les différents

publics. Ces rencontres situées mettent des groupes en présence dont l’un, de part sa

position d’occupant de la scène, est porté à exhiber un profil particulier. Ce stratagème

d’exotisation de soi soulève la question des forces dominatrices à l’œuvre d’ordres à la

fois politique et économique. Les spectacles touristiques de la danse orientale offerts à

ces deux types de publics vérifient les définitions d’Edward Said (2003) sur un Orient

créé par l’Occident. Par un effet retour des représentations sur un Autre, celui-ci s’en

trouve modifié et, comme l’écrit Said, contenu dans un univers réducteur et conçu

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comme essentiellement étranger. L’exotisation de soi révèle aussi l’incorporation de

symboliques féminines imposées par un système dominant. Elle montre combien la

relation de pouvoir est déséquilibrée. Des chercheurs ont interrogé les relations des

danses coloniales et postcoloniales aux dispositifs de pouvoir. Ils distinguent la

chorégraphie perçue comme la normalisation voire la domestication de la danse du

mouvement excessif. Ils intègrent donc la danse dans une dialectique opposant des

politiques de l’ordre à des politiques du désordre. Marta Savigliano (1995), par exemple,

tente de voir dans les mouvements excessifs du tango argentin une démarche

symbolique qui vise à s’affranchir de la domination coloniale. Mais la volonté de se

dégager du contrôle extérieur sur soi s’incarne principalement dans la revendication de

marqueurs identitaires. Retourner les définitions exogènes, souvent finalement

dépréciatives, et en faire les fiers supports d’une spécificité du groupe, voilà le

mécanisme qui, dans le cas de la danse orientale, a renversé la situation. Ce phénomène

apparaît dans le cas spécifique des danses exhibées dans les night-clubs, qui

revendiquent une assise identitaire à la danse. L’idéologie du folklore, en durcissant les

frontières identitaires, revendique un caractère strictement endogène de la danse et

une transmissibilité limitée aux individus issus d’une société égyptienne idéale. Ces

distanciations identitaires sont observables dans le cadre du festival annuel de danse

orientale Ahlān wa Sahlān et dans le rapport qu’entretiennent les danseuses égyptiennes

avec les danseuses étrangères venues au Caire pratiquer la danse en professionnelles.

L'identité comme enchantement. Danseusesétrangères et participantes au festival

Passer la ligne

14 Depuis la fin des années 1980, des danseuses étrangères sont apparues au Caire,

originaires d’Europe de l’Ouest, de Russie, des États-Unis et d’Amérique du Sud. D. est

française, elle habite au Caire depuis une dizaine d’années. Anciennement danseuse

orientale, elle exerce depuis plus de cinq années le métier de professeur de danse et

possède une clientèle d’élèves internationale et fidèle. D. évoque les changements

qu’elle perçoit dans les raisons qui ont motivé ses choix de danser au Caire, hier et

aujourd’hui :

« On danse au Caire parce qu’on a une vraie scène, parce qu’on a des éclairages,parce qu’on a un public qui est arabophone, d’accord, c’est ça les vraies raisons,mais les raisons qui nous poussent à venir danser au Caire, c’est tout à fait d’autresraisons, d’accord, c’est, je sais pas, La Mecque de la danse orientale, c’est laconsécration aussi j’imagine, enfin bon, toutes ces raisons-là elles sontintéressantes, donc j’ai moi aussi, j’avais ces raisons-là, je voulais aller au Cairecomme tout le monde, je suis allée au Caire, voilà. » (D., 46 ans, été 2003, discussionen français dans son appartement à Doqqi).

15 Aujourd’hui, comme la plupart des danseuses étrangères installées au Caire, D. voyage

pour enseigner. Elle se rend régulièrement en France et en Europe, mais aussi au Japon

ou en Afrique du Sud. Elle s’est lancée dans la recherche d’une méthode explicative et

descriptive pour enseigner la danse. Plus largement, elle a amorcé une démarche

intellectuelle qui remet en cause la manière dont elle a appris la danse et tente de la

déstructurer pour reconstruire sa conception même de la danse. Elle veut mettre en

parole et comprendre la nature des mouvements pour être plus à même de les

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transmettre. Elle enseigne principalement à des étrangères en stages intensifs au Caire,

vend ses chorégraphies et dispense aussi des cours réguliers, collectifs et individuels.

Comme D., les danseuses étrangères connaissent les attentes des élèves internationales

en termes de méthodes d’enseignement et savent s’y adapter. Elles ont conscience de

cet atout qui est le leur et cherchent à le développer par une réflexion sur des

méthodes pédagogiques efficaces. C’est pour elles un moyen de revaloriser leur

enseignement qui souffre de la concurrence égyptienne. Car D., comme d’autres

étrangères, se sent mal à l’aise avec ses élèves égyptiennes. Elle ne se donne pas le droit

de sortir de son propre statut d’élève vis-à-vis de l’ensemble des femmes égyptiennes.

Elle compense parfois cette frustration en les dénigrant, en affirmant qu’elles sont de

mauvaises élèves, qu’elles ne sont ni régulières ni fiables. D’ailleurs, les danseuses

étrangères jouissent d’une réputation de fiabilité et de professionnalisme auprès de

certains responsables de salles, et savent exploiter cette image pour accuser les

danseuses égyptiennes d’être souvent en retard et même absentes au travail. Certaines

danseuses étrangères soulignent la vulgarité des danseuses égyptiennes pour les

déprécier, voire des défauts physiques conçus comme récurrents, tels qu’une mauvaise

qualité de peau. Ce sentiment de la différence, construit par l’attitude même de rejet

des danseuses égyptiennes, est retourné en faveur d’elles-mêmes et exploité contre

leurs professeurs et rivales. Les frontières identitaires s’enracinent donc dans une

répartition des qualités et des défauts pour la danse qui sont en partie conçues comme

des compétences naturelles. Les danseuses venues d’ailleurs oscillent entre la volonté

de devenir identiques à leurs modèles et l’expression de leur propre particularité.

Après s’être formées à la pratique de la danse orientale, ces danseuses étrangères font

leurs débuts, pour les plus jeunes, directement sur les scènes du Caire. Elles participent

au renouveau de l’engouement mondial pour les danses dites exotiques. Leurs discours

pour définir une belle danse récupèrent les critères égyptiens et pointent leurs efforts

pour s’y conformer. Lors de leur apprentissage, la première vague de ces danseuses

étrangères consacrèrent un temps conséquent à une expérience d’itinérance

professionnelle. Elles exercèrent d’abord dans leur pays d’origine, puis multiplièrent

les expériences d’une ou deux années à l’étranger, dans les pays du Moyen-Orient, du

Golfe et du Maghreb, mais aussi en Inde, au Sri Lanka ou en Afrique du Sud. Elles s’y

produisent sur les scènes des hôtels internationaux, pour des cérémonies familiales et

des réunions professionnelles. Au contraire, le parcours des plus jeunes danseuses

étrangères les a menées directement au Caire depuis leur pays d’origine. Les plus

anciennes revendiquent ces expériences itinérantes comme des valeurs ajoutées et les

chargent des notions d’une renaissance à un nouveau statut et d’un apprentissage

complet et accrédité lorsque débute la pratique au Caire. Leurs discours portent les

marques de la conscience d’une supériorité. Les danseuses étrangères tentent de

montrer, autant qu’elles le peuvent, qu’elles sont proches de leur modèle féminin

égyptien. La recherche de légitimité identitaire oriente les démarches des danseuses

étrangères vers le groupe des folkloristes en tant que source de savoirs et

d’apprentissages. En découle une hiérarchie des figures dans l’échelle de l’autorité en

matière de danse orientale.

16 Le passage de la ligne identitaire par les danseuses étrangères exige un changement de

nature. Pour certaines, un processus d’adoption symbolique a rendu possible ce

franchissement. Une jeune danseuse russe a repris le nom de scène d’une danseuse

égyptienne, vedette en son temps, qui l’a formée et soutenue dans sa démarche, et qui

lui a donné son nom. Le mariage avec un homme égyptien est encore une manière

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d’intégrer la nouvelle communauté. L’intégration symbolique s’accompagne d’une

philosophie du quotidien et d’attitudes corporelles conçues comme orientales.

Certaines parmi ces étrangères disent s’être adaptées à leur nouvel environnement au

point d’être devenues elles-mêmes des femmes orientales. Cette orientalité recouvrirait

un art quotidien de la patience et du calme ainsi qu’une habileté à contourner les

désagréments du Caire. La valorisation d’un comportement calme conçu comme

oriental pourrait être mise en relation avec l’apprentissage au Caire par les danseuses

de la lenteur dans leur danse, spécificité exigée selon elles par le public égyptien. Car la

lenteur chorégraphique, en laissant un espace à l’exhibition d’un personnage émotif, au

mime sur les lèvres des paroles du chant, permet d’afficher sur scène ses connaissances

des codes en vigueur. Les étrangères vérifient cette remarque de Georges Devereux

(1985 : 192) à propos de la quête d’intégration au groupe : « L’identité ethnique est

parfois mise le plus fortement en œuvre précisément par ceux qui, selon les critères

habituels, ne seraient pas censés la posséder. » Une danseuse anglaise, installée au

Caire depuis plusieurs années, utilise ses origines familiales iraniennes pour légitimer

le fait qu’elle se considère comme une personne orientale. Née en Iran de parents

iraniens, sa famille a émigré à Londres au cours de ses premières années, mais elle ne se

considère pas comme une européenne. Ce statut identitaire privilégié est ensuite

mobilisé pour porter un jugement sur les tendances de la danse orientale en Europe.

Selon elle, les Européennes ne respectent pas les règles appliquées au Caire : elles ne

sauraient pas ce qu’est la véritable danse orientale. De même, le public européen ignore

ce qu’il devrait exiger d’une danseuse. Ces reproches normatifs sont la marque d’une

pratique qui, pour une personne, s’est façonnée selon des critères extérieurs conçus

comme incontournables. Le manquement aux règles est vivement ressenti, du fait de

ses coûteux efforts en leur faveur. Cette danseuse récupère donc à son profit une

logique instaurée pour légitimer un statut de référence vis- à-vis de ses comparses

d’Europe. Son discours impose des frontières identitaires peu flexibles : l’on naît d’un

côté ou de l’autre de la ligne sans possibilité de franchissement. L’instrumentalisation

des généalogies s’opère aussi dans des circonstances a priori moins favorables : large est

le prisme des origines familiales qui permettent le rattachement au groupe dominant.

Une jeune danseuse américaine évoque ses origines amérindiennes pour démontrer ses

affinités avec l’univers oriental du spectacle :

« C’était très étrange au début, parce que, tu vois, étant occidentale, on n’a pasvraiment l’habitude d’avoir des spectateurs qui participent, et on n’a pas l’habituded’avoir leurs enfants qui montent sur la scène avec soi, et qui restent là, tu vois ! Etj’ai beaucoup de chance parce que ma mère est Indienne [d’Amérique] et donc j’aides [...] les Indiens sont très [...]. Ils rient et plaisantent tout le temps et quand ilsvont à un spectacle, ils vont parler à l’artiste (performer) et des choses comme ça[...]. Je l’avais déjà, c’était à l’intérieur de moi, mais je voulais être très formelle et jevoulais être très professionnelle quand je suis venue, alors j’ai du changer çacomplètement. C’était dur au début. » (L., 26 ans, Le Caire, été 2003, ma traductiond’une discussion en anglais dans son appartement près de l’avenue des Pyramides).

17 On trouve ici l’idée d’une transmission par le sang de traits comportementaux qu’il faut

chercher en soi et (re)découvrir. Il s’agirait d’une forme d’héritage biologique et

inconscient. N’importe quelle origine qui n’est pas conçue comme occidentale semble

permettre de pénétrer dans la communauté orientale, définie ici comme la

communauté des Autres en général, de ceux qui ne font pas partie de cet Occident. La

fracture distribue d’une part l’idée d’un souci des règles formelles dans la danse, et de

l’autre une forme de convivialité et de relations humaines plus consistantes. Les

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représentations de la ligne à franchir pour accéder à l’orientalité sont donc diverses,

mais toujours corrélées à la conception que chacune a de sa propre nature et de sa

position vis-à-vis de la référence égyptienne.

Le festival Ahlān wa Sahlān

18 La plupart des danseuses étrangères, lorsqu’elles arrivent au Caire, suivent un

enseignement dispensé par une ancienne danseuse folklorique qui a su s’établir en

passeuse vers la danse orientale. La plupart des danseuses égyptiennes des night-clubs

ont également d’abord exercé les danses folkloriques égyptiennes, d’une manière

professionnelle ou amateur. Elles sont elles aussi façonnées par cet apprentissage et par

ses idéologies. Aujourd’hui, les folkloristes détiennent une autorité incontestée, ils

vendent des chorégraphies et construisent une vitrine internationale de la danse en

voyageant à travers le monde pour organiser des ateliers à la demande des danseuses

hors d’Égypte. La hiérarchie du savoir structure donc aussi une répartition des tâches

dans l’enseignement. Cette hiérarchie s’illustre à l’intérieur du réseau des pratiquantes

internationales qui se regroupent chaque année au festival Ahlān wa Sahlān. Ce festival

restructure à grande échelle un système de marchandisation des compétences

chorégraphiques qui lui préexistait. En centralisant ce marché mondial, il s’impose

comme incontournable. C’est le premier festival de danse orientale au Caire à être

destiné aux pratiquantes du monde entier. Inauguré en juin 2000, il a su rapidement

s’établir comme un lieu d’apprentissage privilégié. Créé par des personnalités du milieu

des danses folkloriques, l’événement diffuse une danse orientale présentée comme un

support identitaire, tendance qui est spécifique à ce groupe. Les activités proposées

dans le festival mêlent le registre touristique et le registre artistique. Les spectacles et

les ateliers se tiennent dans de haut lieux du tourisme égyptien. Le premier festival

s’est tenu près de Sharm El-Sheikh, célèbre station balnéaire de la mer Rouge. Puis il a

investi des hôtels internationaux du centre-ville du Caire, avant de se déplacer vers

l’extrémité sud de la ville, au prestigieux hôtel Mena House, au pied des pyramides de

Guizeh. L’organisation du festival propose une formule qui inclut et prend en charge les

déplacements entre l’aéroport et l’hôtel, l’hébergement avec petit-déjeuner,

l’inscription au festival et l’entrée au gala d’ouverture. Des excursions touristiques sont

proposées par un partenaire exclusif. Les prix pratiqués par le festival s’alignent sur

ceux d’un tourisme de luxe au regard des critères égyptiens : les cours de danse

orientale coûtent 60 $ chacun, et ceux de danse folklorique 30 $. Les organisateurs

imputent le faible succès de l’édition de 2003 au déclenchement de la guerre en Irak et

aux craintes de la contamination par le SRAS8. Des réticences envahirent les deux

principaux pays dont sont originaires les participantes au festival : les États-Unis et le

Japon. En juin 2005 le succès fut au rendez-vous avec plus d’une trentaine de

nationalités représentées. Le festival dure sept jours et son déroulement est encadré

par les deux temps forts que sont les galas d’ouverture et de clôture. La tendance

explicite est de faire du gala d’ouverture un événement artistique, et les danseuses qui

s’y produisent sont sélectionnées pour leurs qualités professionnelles. Les danseuses

présentées en 2003 et 2005 étaient des célébrités du moment, majoritairement

égyptiennes. Une étrangère y figurait à chaque fois, qui avait été formée par les

danseurs folkloriques. Toutes se produisaient alors régulièrement dans les night-clubs

du Caire. Celles-ci montrent au festival les mêmes spectacles que ceux qu’elles

présentent d’habitude, mais plus courts9. En 2003, des professeurs du Maroc et de

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Tunisie avaient été inclus au programme. En 2005, il y avait une danseuse indienne. S’y

tient également un défilé de mode d’une créatrice égyptienne de costumes de danse

orientale. Le gala de clôture, quant à lui, présente des célébrités d’hier et des danseuses

moins connues. Pendant le reste de la semaine, des ateliers de danse orientale et de

danses folkloriques ont lieu pendant la journée. Ils sont animés par quelques grands

noms égyptiens de la danse orientale au Caire et majoritairement par des danseuses et

danseurs folkloriques, mais également par quelques représentants du reste du monde

arabe. Chaque soir de la semaine se tient une scène ouverte où les pratiquantes venues

d’ailleurs peuvent faire la démonstration de leurs talents.

19 L’intitulé du festival, Ahlān wa Sahlān, est une formule d’accueil répandue qui signifie

bienvenue. Sur le site Internet officiel, un encadré des partenaires touristiques

annonce : « Venez en invité et repartez en ami. » Ces deux amorces font émerger le

registre de l’enchantement décrit par Pierre Bourdieu à propos de l’économie des biens

symboliques. Situant la relation sur le terrain du don (à l’« invité ») et de l’amitié, ces

formulations passent sous silence les aspects économiques de l’échange. Une salle de

l’hôtel est dédiée aux paiements qui n’interviennent pas dans la relation directe entre

l’élève et le professeur lors des cours. Les esprits se focalisent alors sur la transmission

qui a lieu et peuvent prétendre à une relation dépourvue d’enjeux financiers. Au

festival de 2005, D., la danseuse orientale égyptienne la plus en vue dans le Caire

d’aujourd’hui, n’a donné que deux heures d’atelier au lieu des trois heures prévues.

Face à ses élèves, elle a invoqué à sa décharge ses difficultés personnelles liées à des

indiscrétions médiatiques dont elle fut victime et qui faisaient d’elle l’objet

d’innombrables rumeurs. C’est ainsi que la sensation d’avoir côtoyé les états d’âmes de

D. a fait passé à beaucoup d’élèves l’amertume de l’argent déboursé. Cette complicité

affichée exploite l’image d’une convivialité amicale et durable entre le professeur et

l’élève. L’amitié promise par les slogans du festival fait miroiter une relation d’égalité

et de proximité. Le festival donne néanmoins lieu à d’innombrables mises en scène du

paraître qui structurent une hiérarchie implicite. Par les robes de soirée, les

maquillages et les brushings, ou encore par les costumes de scène portés lors des

ateliers, les pratiquantes montrent une volonté de s’identifier à un certain modèle de la

danseuse orientale égyptienne, apprêtée et habillée avec soin telle qu’on la voit sur

scène. Ces modalités de présentation de soi nous renseignent sur l’objectif de

l’apprentissage qu’offre le festival, qui semble être de s’assimiler à un modèle jusqu’à

tenter de lui devenir semblable. Ces manières de se rendre similaire au modèle

empruntent des voies diverses. Par exemple, lorsqu’un présentateur évoque au micro

les diverses nationalités présentes, un concert de youyous s’élèvent à la mention de la

France, connue pour rassembler des pratiquantes dont les origines familiales plongent

dans le monde arabe. Des élèves qui se produisent le soir en semaine dans le festival

demandent au présentateur d’évoquer leur identité arabe. Des termes égyptiens liés à

la danse ou au vocabulaire usuel sont abondamment employés par les participantes.

Pendant les galas, un important dispositif filme les personnes du public, qui se lèvent

pour danser et dont l’image est restituée en direct sur un écran géant. Les danses

présentées par les participantes à ces occasions ou lors des scènes ouvertes copient

celles de leurs idoles. L’originalité n’est pas de mise, au contraire, tout concourt à

souligner la conformité avec le modèle. La plupart de ces femmes n’exercent que

rarement la danse en public mais sont professeurs. Les exhibitions scéniques d’une telle

dimension leur sont donc peu habituelles. L’enjeu de l’enchantement à l’œuvre au

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festival consisterait-il à glisser les pratiquantes dans la peau d’une danseuse orientale

égyptienne ? On semble vendre ici le rêve d’une similarité.

20 Mais l’idéologie folkloriste est parfois mise à mal par les participantes. N., ancien

danseur folklorique égyptien et conférencier, finit en 2003 sa communication dans un

brouhaha et un désintérêt général. L’attention des participantes s’échappe vers

d’autres horizons. En juin 2003, une danse masculine provoque une certaine dissipation

pendant un cours de danse folklorique. Lors d’un atelier, une femme de Louxor était

présentée comme étant la dernière représentante des ġawāzī10. Celle-ci ne parlant pas

l’anglais, une américaine parlait pour elle et s’attachait à souligner la valeur

d’authenticité particulière dont elle l’accréditait. Une chose imprévue arriva : un des

musiciens de l’orchestre, lassé par la situation, se leva et se mit à danser en imitant la

danse orientale féminine. J’assistais là à un spectacle que j’avais déjà vu dans d’autres

contextes, l’imitation exubérante de la danse des femmes par un homme, sur le ton du

jeu, du défi et de l’humour. Certaines participantes à l’atelier se sont laissées prendre

au jeu de danser avec lui ou de l’admirer. Mais sur son site Internet, une participante

américaine, originaire de l’Iowa, donne de cet épisode un récit accablant pour l’homme.

Son intrusion provoqua l’indignation de S., car il avait détourné l’attention des

personnages principaux à ses yeux qu’étaient les professeurs de danse :

« Ses mouvements n’avaient rien à voir avec aucune des danses saidi11 d’hommesque j’ai vues dans les documentaires vidéo, et j’ai commencé à soupçonné [sic] qu’ilétait en train d’inventer des trucs juste pour s’amuser à voir toutes ces femmesnaïves l’imiter. Ça me fait peur de penser que ces gens vont rentrer chez eux etenseigner ces saletés à leurs élèves en les faisant passer pour la danse desghawazi »12 (S., 45 ans environ, journal en ligne).

21 S. assiste à une imitation non pas d’une danse folklorique mais de la danse orientale

féminine, imitation qui est une pratique masculine assez répandue. Mais le musicien de

l’orchestre ne présente pas à ses yeux la garantie d’authenticité des professeurs

officiels du festival. Si S. condamne l’événement, de nombreuses participantes à

l’atelier en revanche se sont laissées entraînées par la danse de l’homme, ouvrant ainsi

une brèche dans l’effort de contrôle exercé par les dirigeants du festival. On voit

affleurer ici les influences que portent les pratiques de la danse en dehors des cadres

égyptiens. Les cours de danse orientale en France sont également souvent menés par

des professeurs issus du Maghreb et véhiculent les influences d’une pratique spécifique

à ces pays. Quelques hommes amateurs de danse orientale participaient en tant

qu’élèves aux festivals auxquels j’ai assisté. Ils exhibaient leurs danses lors des soirées,

sous les regards désapprobateurs et ironiques des professeurs : les danseurs masculins

de danse orientale sont une spécificité non égyptienne. Il existe au Caire des hommes

professeurs de danse orientale, mais ceux-ci s’attachent à ne pas la pratiquer

publiquement en dehors des cours. Ils ont des formations voire des carrières de

danseurs folkloriques. L’émergence de la danse orientale masculine en public au

festival impose donc une manifestation peu convenable en Égypte mais permise dans le

réseau international. Les usages des espaces au sein du festival révèlent que la

prestigieuse scène des galas n’est accessible qu’aux danseuses sélectionnées par les

dirigeants. Celles qui proposent leurs danses aux caméras pendant les pauses le font

autour de leurs tablées au milieu du public. L’espace central du public est occupé par le

groupe des organisateurs, professionnels du folklore et danseuses orientales

égyptiennes. Ils relèguent plus loin de la scène les participantes au festival. Cette

organisation des tables dans l’espace rappelle à tous la hiérarchie symbolique. La

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notoriété des danseuses présentées est soulignée par le martèlement de leur nom au

micro. Il est formellement interdit de prendre des photos et de filmer les spectacles.

Ces mesures mettent en scène et construisent aussi une image du succès égyptien à la

destination du public présent.

L'émotion comme spécificité locale

22 Les enseignements techniques et chorégraphiques apportés dans le cadre des ateliers se

structurent principalement autour de la transmission de chorégraphies.

L’enseignement n’aborde pas les principes de la création chorégraphique, mais

présente un savoir déjà construit et formalisé. Pourtant, l’essentiel de la danse

orientale ne se situe pas, du point de vue même des folkloristes et des publics

égyptiens, dans la structure chorégraphique mais plutôt dans l’expression d’une

émotion qui se situe au niveau du mouvement. Comme l’exprime L., égyptienne et

ancienne danseuse folklorique, professeur de danse orientale au festival et

chorégraphe :

« [les étrangères] ont un ressenti différent, nous, nous sommes nés avec cetteémotion (feeling), en tant qu’Égyptiens, n’importe qui peut écouter la musique etdanser quelque chose, parce que nous sommes nés avec ce style de musique. Maisles autres, elles l’apprennent. Elles apprennent comment écouter la musique etcomment bouger avec la musique, c’est [...], elles sont différentes [...], c’est le styleoriental, les gens orientaux, oui. Elles se concentrent sur la technique, pas sur lesémotions. Pour nous, c’est les émotions en premier, en second et en troisième !L’émotion en premier, c’est sûr, et la technique vient après ça, c’est sûr [...] » (L., 45ans, Le Caire, été 2003, ma traduction d’une discussion en anglais dans sonappartement du côté de l’avenue des Pyramides).

23 Les conventions dansées liées à cette émotion ne font pas l’objet d’un apprentissage

dans le festival. Elles n’y sont pas non plus évoquées. Selon cette ancienne danseuse

folklorique, les ateliers sont orientés selon les attentes spécifiques des pratiquantes

étrangères qui possèdent déjà des bases techniques. Cette justification de l’orientation

pédagogique permet aussi de maintenir la différence identitaire. La danse est présentée

comme authentique et les manipulations subies à l’occasion de sa transmission sont

passées sous silence. La similarité exaltée dans le festival se dissout dans une relation

de maître à élève verrouillée par une transmission sélective. La frustration entretenue

par un savoir en partie confisqué incite les participantes à revenir puiser indéfiniment

à la source de la connaissance. R. est une exdanseuse égyptienne de la troupe

folklorique nationale Réda, chorégraphe, elle est la figure centrale de la formation des

danseuses orientales des nightclubs et du festival. Elle critique l’incompétence des

danseuses à l’étranger, surtout celle des femmes d’origine arabe « qui pensent tout

savoir »13. Elle accuse les étrangères de vouloir considérer la danse comme sacrée et

d’ainsi la figer dans un état à préserver de toute évolution. Cette position la révolte :

« Qu’est-ce que cela veut dire, qu’elle est sacrée ? Qu’elle est enfermée à double tour ?

C’est stupide ! » De nombreuses danseuses américaines aiment en effet évoquer la

danse orientale comme une forme de communion mystique et archaïque. Émerge ici

une incompréhension entre deux conceptions de ce que recouvre la notion de sacré.

C’est donc au niveau d’une définition idéologique de la danse que R. revendique son

expertise. La hiérarchisation des idées sur la danse est finalement reconnue par les

pratiquantes puisque celles-ci considèrent leur participation au festival comme une

expérience légitimante dans leur parcours. N., égyptien et ancien danseur folklorique, a

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lui aussi travaillé pour l’État égyptien, il est aujourd’hui chorégraphe et formateur.

C’est lui qui tient pendant le festival une conférence sur les danses d’Égypte. Dans son

discours, il situe l’origine de la danse orientale à l’époque de l’Antiquité pharaonique :

« La danse orientale est reliée à la danse pharaonique, où une danseuse particulière

était choisie pour sa beauté, son adresse, son agilité et sa présence féminine. À l’époque

actuelle, beaucoup de professionnelles pratiquent cet art, il y a celles qui le font dans

l’intimité de leurs chambres, celles qui dansent pour le profit et celles qui dansent pour

l’art »14. Rattacher la danse actuelle à une époque lointaine permet d’ancrer cette

pratique dans une dimension historique. C’est l’ériger en patrimoine culturel national.

L’auteur condamne implicitement les danseuses des cabarets. L’idée du profit diabolise

la danseuse, rappelant l’enchantement de la relation économique au festival qui

apparaît comme un mécanisme conférant de la valeur à la danse. L’art est idéalisé

comme un projet désintéressé, sans prix exprimable et sans arrière-pensée. Lié à

l’entreprise chorégraphique nationale amorcée avec l’indépendance et le socialisme, ce

chorégraphe projette dans son discours leurs valeurs politiques : la liberté et

l’insoumission aux pouvoirs extérieurs sont corrélées à la démonstration sans fard de

son identité, grâce à la métaphore du lien marchand aboli. Mais, selon les enquêtes

menées auprès des danseuses des lieux plus modestes et des cabarets, elles aussi

considèrent pourtant la danse comme un art. Émerge ainsi, au sein du festival, la

volonté de restreindre les manifestations licites de la danse orientale à des formes

canonisées.

24 La construction d’une charge identitaire de la danse orientale par les danseurs

folkloriques les a érigés en détenteurs du savoir et des compétences. La présentation de

la danse orientale par le biais du folklore, qui exploite le registre identitaire du local, a

relancé les débats sur les qualités nécessaires à une belle danse et à sa transmission.

L’enjeu en est une définition de la femme égyptienne : on affirme aujourd’hui au Caire

que toutes les femmes égyptiennes savent bien danser et ce savoir-danser est présenté

comme fondateur d’une certaine fierté. On postule une transmission génétique de ce

savoir-faire, qui est parfois conçu comme une faculté innée. Vu sous cet angle, ce savoir

appartient à un patrimoine biologique transmis de façon exclusive à l’intérieur du

groupe. D’autres danseuses et publics égyptiens le formulent en termes de talent et des

gradations apparaissent alors au sein de la population nationale : les femmes

d’Alexandrie sont connues pour faire de bonnes danseuses. D’autres encore définissent

cette aptitude comme un savoir culturel. Une danseuse égyptienne a comparé

l’aptitude des femmes originaires de son pays dans la danse à celle des Italiennes dans

la préparation des pâtes. Il s’agit dans les deux cas d’une spécialité locale renommée,

l’accent étant mis sur une transmission du savoir de génération en génération. Les

étrangères, celles qui n’ont pas reçu la même éducation, peuvent être performantes

mais n’atteindront jamais le degré de perfection de celles qui bénéficient d’une

transmission familiale et sociale. Le savoir est ici perçu comme le résultat d’une

tradition locale qui s’enrichit au cours des générations et se développe par l’expérience

personnelle. L’individu égyptien est dans la plupart des cas considéré comme le maillon

d’une chaîne privilégiée de la transmission. L’héritage du savoir culturel, par sa

dimension strictement intergénérationnelle, s’ajoute à l’exclusivité exprimée par un

savoir inné donné avec la naissance et le lignage.

25 La notion d’émotion cristallise ces enjeux identitaires féminins. Elle m’a souvent été

présentée comme le principe créateur d’une belle danse orientale. Cette émotion est

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propre aux femmes égyptiennes, parfois propre aux Égyptiens en général, et à l’Orient.

Comme l’explicite L., professeure égyptienne de danse citée plus haut, posséder cette

émotion constitue un marqueur donnant la preuve d’une appartenance à une identité

égyptienne et féminine, conçue comme orientale. L’expérience de cette émotion

explique l’aptitude à la danse : l’on sait bien danser parce que l’on ressent cette

émotion. Elle désigne une transcendance, révèle l’unité du groupe et structure

l’expérience de l’existence pour les individus selon les conventions désignées par l’idée

d’émotion. L’appréciation esthétique de la danse du côté du public masculin se fonde

également sur cette aptitude émotive. Comme l’évoque Y., égyptien et amateur de

spectacles de danse orientale :

« Toutes, ou la plupart des filles égyptiennes sont des danseuses du ventre parnature. Non, c’est quelque chose à l’intérieur, très profond, peut-être avec lesgènes, peut-être génétique, quelque chose de génétique, qui sait, mais c’est [...] laplupart d’entre elles, disons facilement 99,9 %, elles savent danser la danse duventre, et elles savent, en fait, te divertir. Ce mot est très précieux : divertissement[entertainment]. C’est quand tu regardes quelque chose et que tu y prends plaisir,c’est cela le divertissement. Venant d’un homme, ça ne peut pas me divertir. Jeparle de moi- même, parce que ça doit être exécuté [performed] par une danseuse.[...] Je parle des mouvements lents, [...] ça doit être fait d’une manière très lente, tuvois, comme si [...] un chanteur très célèbre chantait pour toi. Et parfois tu écoutesce chanteur et tu fais cela, tu pars avec lui, tu pars avec la musique, tu fermes mêmeles yeux. Parfois je ressens ça avec les danseuses du ventre. Parfois lorsque ça meplaît, alors je pars avec la musique exactement comme ça. Et je fais descommentaires, tu sais, “Allah ! Allah ! C’est beau ! C’est merveilleux !” » (Y., 40 ansenviron, Le Caire, été 2003, ma traduction d’une discussion en anglais au siège de lacompagnie de tourisme pour laquelle il travaille)15.

26 L’émotion permet d’évoquer une spécificité commune à toutes les femmes égyptiennes

car elle relègue les dimensions techniques de la danse au second plan. Un lien unit

l’émotion à l’audition de la musique. C’est en écoutant la musique égyptienne que se

déclenche le processus émotif source d’inspiration d’une belle danse. La connaissance

des musiques sur lesquelles on danse est donc avancée comme un facteur important

dans la construction du savoir-danser, au même titre que la compréhension des paroles

chantées. C’est donc sur un terrain intime qu’est située l’aptitude féminine à la danse.

Une distribution restreinte dans l’expérience d’une telle émotion refuse ainsi aux

étrangères, et surtout aux Occidentales, une aptitude complète à la danse.

*

27 Le détour par les contextes historiques dans lesquels s’est en partie développée la danse

orientale permet d’observer une adaptation aux attentes des publics, soit l’existence

d’influences exogènes considérables. Un effet retour des influences des divers publics

de la danse s’est opéré sur la manière de la mettre en scène en Égypte. Les échanges

marchands à l’œuvre ont façonné les contenus mêmes de la danse, afin de les

conformer aux attentes et aux intérêts des divers publics. Ces évolutions de la danse

sont observables aujourd’hui, à travers les deux cas distincts de la danse

spectacularisée, porteuse d’identité et d’enchantement des night-clubs et celle des

cabarets qui permet un autre type de transgression corporelle tout en mettant en scène

le geste du paiement. Mais cette dernière particularité de la danse scénique est

dénoncée comme une concession à des exigences exogènes par les porteurs de

l’idéologie folklorique. Ceux-ci tentent de rapatrier la danse à l’intérieur de frontières

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identitaires et de contrôler les influences extérieures sur celle- ci, en sélectionnant le

contenu des transmissions aux danseuses étrangères.

28 Pour les touristes, les spectacles de danse orientale proposent un exotisme reconstruit,

et le festival offre aux danseuses venues d’ailleurs l’enchantement qui consiste à revêtir

momentanément les oripeaux de cet exotisme. Les spectacles en s’adressant aussi aux

cercles égyptiens aisés, contribuent à entretenir une réflexion collective et une

orientation des valeurs identitaires portées ainsi par la danse, ainsi exhibée dans des

lieux à vocations touristiques où siège, même virtuellement, un observateur étranger.

En Égypte, en théorisant dans certains contextes les limites de la transmission de cette

danse aux Autres, on lui revendique un caractère endogène irréductible. Or le tourisme

en Égypte, en dehors des lieux de la danse orientale, constitue aussi l’expérience d’une

relation à forte tension. Depuis les attentats new- yorkais de 2001, l’industrie

touristique est en berne du fait de la désertion partielle des publics occidentaux. À la

manière des définitions tranchées des groupes aptes à la danse orientale sur les sites

touristiques historiques, l’humanité semble se décliner en deux cercles distincts, les

locaux s’opposant aux touristes. À cette bipolarité s’ajoute une relation marchande

toujours ressassée qui provoque une mise à distance. L’un des enjeux symboliques de la

danse orientale actuelle au Caire se situe dans la récupération du pouvoir de se définir

soi-même. Les constructions idéologiques constituent ici des forces réductrices :

dresser des stéréotypes, ériger des frontières identitaires définies comme naturelles,

uniformiser les approches et les discours dans le festival. Mais l’engouement mondial

pour la danse orientale dépasse la simple mascarade festive et son importation dans de

nombreux pays construit aujourd’hui de nouvelles manières de l’envisager. L’évolution

transnationale des pratiques a déclenché des mécanismes dynamiques de redéfinitions

stratégiques. Des valeurs exogènes sont ainsi reformulées au sein de nouveaux projets.

Les vacillements du cadre posé d’autorité au festival semble refléter la confrontation

construite par Arjun Appadurai (2005) entre une nation fonctionnant comme entité

centralisée, ici représentée par les folkloristes, et des réseaux globaux, plus mobiles et

aux références multiples. Les redéfinitions actuelles de la danse orientale au sein des

nightclubs sous l’influence folklorique dépassent ainsi l’univers clos des salles de

spectacle pour se répercuter dans la société égyptienne et dans les réseaux mondiaux

de sa pratique actuelle.

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NOTES

1. Les touristes étrangers commencent à affluer en masse vers l’Égypte lorsque Anouar el-Sadate

signe l’accord de paix de Camp David en 1978 avec Israël et alors que le Liban a sombré depuis

plus de trois années dans la guerre civile (GAMBLIN 1996).

2. Les observations et les entretiens retranscrits ici ont été menés pendant les années 2003 à

2005.

3. C’est ma traduction de l’anglais.

4. Le mot bayadère, d’origine portugaise, désigne une danseuse.

5. Le mot casino est d’origine italienne : il montre les influences européennes dans l’apparition

de ces types d’établissements au Caire.

6. C’est ma traduction du terme anglais auto-exoticization de Karayanni.

7. Pour des précisions sur les acteurs principaux et les productions cinématographiques des

danseurs folkloriques d’Égypte, se reporter à l’article de FRANKEN (1996).

8. L’épidémie du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) a débuté en Chine à la fin 2002. En

mars 2003, l’OMS déclenche une alerte mondiale.

9. Un spectacle de danse orientale au night-club ou au cabaret dure environ une heure.

10. Les ġawāzī étaient des danseuses de rues, selon les descriptions qu’en donnent les écrivains-

voyageurs au XIXe siècle.

11. Le said désigne le sud de l’Égypte.

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12. S. s’exprime en anglais. C’est ma traduction.

13. R., 56 ans, Le Caire, mai 2003, ma traduction d’une discussion en anglais dans son

appartement à Doqqi.

14. N., ancien danseur folklorique, professeur, extrait d’une conférence inédite donnée en anglais

au festival, Le Caire, hôtel Mena House, juin 2003. Ma traduction.

15. Y. possède aussi une formation de danseur folklorique. Il dispense parfois, par plaisir, des

cours de danse orientale aux touristes qu’il accompagne. Lorsqu’il était jeune adulte, sa famille l’a

convaincu de s’investir dans des études de tourisme et d’abandonner l’idée d’une carrière dans

les danses folkloriques.

RÉSUMÉS

La danse orientale professionnelle au Caire est une activité touristique. Les professionnels de ces

spectacles ont adapté leurs prestations aux attentes des publics. La relation de domination

imposée par la demande touristique est renversée par un mécanisme de récupération du savoir-

danser sous une bannière locale. Une large audience cairote est présente à ces spectacles,

montrant combien cette danse fonctionne comme une vitrine de soi, agréée par une partie de la

population. Les danseuses étrangères, présentes au Caire depuis un quart de siècle, oscillent

entre la conformité au modèle et des stratégies de défense de leurs différences. Un festival

annuel au Caire cristallise ces enjeux au niveau du réseau actuel des pratiquantes mondiales de la

danse orientale.

Professional oriental dance in Cairo is meant for tourists. Professional of entertainment adjusted

their performances to audiences' expectations. The relationship of domination the tourists'

demands imposed has reversed by a recovering of oriental dance under a local banner. A broad

Egyptian audience attend those performances. It presents the dance as a window of the identity

of the group, approved by a part of the population. Oriental dancers from abroad, present in

Cairo since a quarter of century, hesitate between the accordance with a model and strategies to

promote their own differences. Every year, a festival in Cairo crystallize those stakes at the level

of the current world-wide network of the apprentices of oriental dance.

INDEX

Mots-clés : Égypte, Caire, corps, danse orientale, féminité, tourisme

Keywords : Egypt, Cairo, body, oriental dance, femininity, tourism

AUTEUR

JULIE BOUKOBZA

Institut de recherches et d’études sur le Monde arabe et musulman/CNRS, Aix-en- Provence.

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Inspiration triangulaire. Musique,tourisme et développement àMadagascarInspirational Triangle. Music, Tourism and Development in Madagascar

Marie-Pierre Gibert et Ulrike Hanna Meinhof

1 Maintien ou réinvention d’une vision inégalitaire évolutionniste et postcolonialiste

entre Nord et Sud, incompréhensions réciproques, relations superficielles, non prise en

compte des populations « visitées », autant de critiques qui ont longtemps été adressées

tant aux projets de développement qu’aux activités touristiques1. Dans une tentative de

réponse, un tournant a été amorcé dans les années 1990 vers des pratiques

encourageant la « participation locale » 2, l’empowerment ou le « développement

durable » d’une part, l’émergence des concepts de « tourisme solidaire » ou « tourisme

responsable »3 imaginés et valorisés par les professionnels du tourisme et du

développement de l’autre. Ces solutions ne semblent pas pour autant être exemptes de

problèmes, et en premier lieu celui d’un décalage entre rhétorique et pratique. Certes,

la nécessité de « rendre la parole » aux premiers concernés est énoncée et encouragée

par tous, et les grands organismes d’aide au développement (Banque Mondiale, FMI,

etc.) ne sont pas en reste, mais cela ne semble pas toujours être le cas sur le terrain et

les relations de pouvoir demeurent souvent inégales (Chabloz 2007 ; Goedefroit 2007 ;

Pottier et al. 2003 ; Woost 1997). Dans le même temps, certains auteurs s’interrogent sur

le rôle que joue « la nébuleuse des ONG du Sud » (Atlani-Duault 2005) dans une période

où les grandes agences d’aide au développement encouragent l’action de la « société

civile » locale.

2 C’est dans ce contexte que nous a semblée intéressante la découverte, au fil d’une

recherche portant sur tout autre chose ou presque, de plusieurs situations où se

construisent des relations d’échange et de soutien mutuel entre musiciens et

organisations humanitaires et dans lesquelles le tourisme joue tantôt le rôle de

déclencheur, tantôt au contraire découle de cette rencontre entre membres d’une ONG

et artistes. Ces configurations nous sont apparues en explorant les réseaux de relations

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construites par des musiciens malgaches avec lesquels nous travaillons actuellement

dans le cadre d’une recherche sur les réseaux transnationaux d’artistes à travers

l’Afrique et l’Europe4.

3 Si les trois domaines — tourisme, développement5 et musique — sont aujourd’hui de

plus en plus étudiés par les chercheurs en sciences humaines et sociales, soit pour eux-

mêmes, soit dans leur articulation deux à deux, la triple mise en relation l’est encore

rarement. C’est donc ce triangle d’interrelations où l’articulation entre ces trois entités

peut s’effectuer selon différentes modalités, que nous nous proposons d’explorer ici en

analysant les trajectoires et les motivations de différents acteurs. Les exemples sur

lesquels s’appuie cet article présentent trois parcours différents qui mettent tous en

relation un groupe de personnes associées à une ONG ou une association caritative6

allemande ou autrichienne, des populations malgaches vivant dans des régions souvent

très pauvres du pays, et plusieurs musiciens malgaches engagés socialement et/ou

politiquement dans leur propre pays. Dans les trois cas, ce qui nous intéresse

particulièrement n’est pas tant de questionner la relation entre touristes et musiciens,

touristes et habitants, ou encore touristes et « développeurs », que d’envisager

l’expérience touristique comme « un moment » dans un parcours qui articule membres

d’une ONG venus « du Nord », musiciens d’un pays dit « du Sud », et population locale.

4 Nous faisons l’hypothèse que l’arrivée dans le duo développement-tourisme d’une

troisième dimension, celle des pratiques culturelles (ici la musique), et plus

particulièrement de leurs acteurs, les musiciens, contribue à la fois à dépasser les

incompréhensions entre membres d’une ONG venus d’Europe et population malgache

qu’ils sont venus « aider », ainsi qu’à rééquilibrer — en partie au moins — les inégalités

inévitablement créées par ces pratiques d’aide à sens unique7.

Tourisme, musique et développement : des relationsduelles

5 Tourisme et musique partagent une longue histoire commune : des découvertes

musicales faites aux siècles précédents par les grands voyageurs aux répertoires dansés

et musicaux locaux revisités pour animer des soirées touristiques, en passant par les

festivals de musique d’abord inspirés par Wagner il y a plus d’un siècle (Boret et al.

2005) ou la mise en valeur d’une ville ou d’une région grâce à son importance dans

l’histoire de la musique. Ces différentes configurations, ainsi que leurs effets et raisons

d’être, font l’objet de nombreuses recherches en sciences sociales depuis quelques

décennies8. S’articulant en un débat sur les avantages et inconvénients de la mise en

valeur d’un territoire par la présentation de ses pratiques artistiques9, ces recherches

placent plus particulièrement les questions du « contact culturel » et de

l’« authenticité » au centre de la réflexion. De fait, ces deux positions opposées étaient

déjà soulignées par de Kadt (1979) à la fin des années 1970 dans son rapport rédigé pour

l’Unesco et la Banque Mondiale. D’un côté, le tourisme est envisagé comme conduisant

à la transformation (négative), voir à la « dégénérescence » des pratiques culturelles ou

de l’artisanat d’une région ou d’un pays. De l’autre, le tourisme est vu comme

permettant la conservation de produits ou de pratiques artistiques qui auraient sinon

disparu, et/ou stimulant la créativité et l’innovation des artistes et artisans (de Kadt

1979)10, à tel point que certains auteurs parlent même de « commercial value of art for

tourism » (Zeppell & Hall cités dans Smith 2003 : 137). Le présent article n’a cependant

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pas l’intention de prendre directement position dans ce débat, mais de se pencher plus

particulièrement sur la relation de découverte réciproque qui lie musique et tourisme.

La découverte d’une musique peut en effet faire naître le désir d’aller dans le pays

d’origine des musiciens, et réciproquement, séjourner dans un pays mène souvent à en

aimer la (une, des) musique(s).

6 Cette question de mise en valeur d’un lieu par l’utilisation de pratiques artistiques nous

conduits vers le pôle du développement puisqu’elle est extrêmement présente tant

dans la littérature du développement que dans celle, critique, sur le développement.

D’autres liens existent entre ces deux domaines, mais ils ne font encore qu’assez

rarement l’objet de recherches empiriques. Il existe ainsi des ONG qui tendent à intégrer

dans leurs programmes le financement de projets dits « culturels » en soutenant les

artistes locaux11 et/ou qui utilisent les arts comme vecteurs de certaines de leurs

actions. Par ailleurs, un certain nombre de musiciens de renom participent de façon

ponctuelle à diverses campagnes de sensibilisation d’aide et de développement, ces

actions étant souvent connues grâce à leur large médiatisation12. Quoique cette

utilisation de la musique comme vecteur de sensibilisation soit présente dans certains

parcours analysés dans cet article, la relation entre musique/musiciens et ONG explorée

ici est un peu différente : les musiciens malgaches jouent ici le rôle d’interface entre

associations humanitaires européennes et paysans malgaches.

7 Enfin, et comme cela a déjà été mentionné en introduction, au croisement, d’une part,

de la réorientation des politiques de développement vers des méthodes de

« participation locale » et, d’autre part, des nombreuses recherches menées depuis

plusieurs décennies sur les impacts sociaux, culturels et environnementaux du

tourisme, a émergé le concept de « tourisme durable ». C’est particulièrement le cas à

Madagascar depuis la fin des années 1980 comme le montre B. Sarrasin (2005 : 171 sq.)

qui parle d’une « instrumentalisation du tourisme pour l’environnement ». Les travaux

récents montrent cependant que les relations construites dans ces nouveaux contextes

entre touristes « responsables » et habitants des régions dites « à développer »

demeurent problématiques13. L’une des formes extrêmes de ce type de tourisme à la

frontière des pratiques humanitaires est celle de volontariat ou de bénévolat14 dans

certaines ONG : des voyageurs curieux ou engagés socialement découvrent ces

programmes de volontariat et décident d’y participer comme alternative à un tourisme

« plus direct ». Ils deviennent alors travailleurs humanitaires temporaires et cela les

mène parfois à occuper ensuite un poste permanent dans une ONG. Toutefois, quoique

de tels liens entre expérience touristique et engagement dans les pratiques caritatives

et humanitaires apparaissent parfois furtivement ou implicitement au détour de

certains travaux de chercheurs en sciences sociales15, seuls quelques-uns de ces travaux

questionnent directement ce point de contact entre tourisme et développement. C’est

le cas notamment de X. Zunigo (2007) qui envisage le volontariat comme « figure

spécifique du tourisme »16 ou d’E. Grégoire (2006) qui montre comment séjours

touristiques et naissances de petites oNG sensibilisées aux conditions de vie des

populations touaregs du Niger sont intimement liés. C’est donc sous cet angle, tant

thématique que méthodologique, que nous nous proposons d’explorer la relation

développement-tourisme.

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Analyse des discours, représentations et perceptions

8 Logique d’exposition et logique de recherche sont souvent différentes. Notre point

d’entrée dans ce travail ne fut ni Madagascar, ni les ONG européennes, mais d’abord un

musicien malgache, Zafimahaleo Rasolofondraosolo — dit Dama —, membre du groupe

Mahaleo, puis l’ensemble des Mahaleo et finalement d’autres artistes malgaches. C’est

en suivant le parcours de chacun que sont apparus ces multiples liens avec des ONG

européennes, ainsi que les points de contacts qui existent entre ces ONG. C’est donc déjà

selon la perspective de ces deux groupes d’acteurs — musiciens et membres d’ONG —

que nous avons pénétré le « monde du développement ». Ce sera cette même

perspective que nous adopterons dans le présent article, cherchant à interroger leurs

discours, leurs perceptions, et leurs motivations, concernant des rencontres et une

expérience d’aide au développement qu’ils considèrent comme réussies.

9 Partant des récits que font les membres de trois associations européennes (l’une

allemande, les deux autres autrichiennes), nous chercherons à comprendre comment

ce qu’ils disent d’eux-mêmes et de leurs expériences guide et influence leurs pratiques

sur le terrain. Selon S. Goedefroit et J.-P. Revéret (2007 : 14), « Madagascar est peut-

être, plus que d’autres pays, le réceptacle d’un déversement de projets de

développement, sans doute à cause des fantasmes que fait naître la situation d’extrême

pauvreté dans laquelle se trouve la population, opposée à l’extrême richesse de la

biodiversité de celle qu’on appelle la Grande Île ». Or ce qui nous intéresse ici est

justement la manière dont les protagonistes de ces trois histoires de vie articulent cette

tension entre un imaginaire misérabiliste et/ou paternaliste souvent prégnant dans les

représentations de « la pauvreté dans le Tiers Monde » (Street 1994) et une perspective

plus égalitaire fondée sur une relation d’échange qu’ils mettent peu à peu en place avec

des artistes malgaches.

10 Une large partie de ce travail prendra donc appui sur les discours — d’où le parti pris de

publier de longs extraits d’entretiens —, que l’on mettra en regard des expériences de

vie quotidienne de ces acteurs, de leurs différents projets et de leurs réseaux de

connaissances17. L’approche sera résolument constructiviste puisqu’il s’agira de saisir

au plus près les relations qui se développent entre les différents acteurs, ainsi que les

réseaux qu’ils mobilisent et/ou mettent en place. Adoptant le point de vue des

« développeurs » et des artistes pour mieux le questionner, cet article n’a en revanche

pas pour but d’analyser la mise en pratique de ces discours dans les villages malgaches

concernés, ni d’en évaluer les conséquences en termes de développement. D’autre part,

dans la mesure où, au commencement de ce travail se trouve une recherche portant sur

les réseaux des artistes, et non sur des questions touchant au développement ou aux

organisations humanitaires, il ne s’agit ici que de résultats exploratoires, d’une

première étape de réflexion sur ces relations triangulaires qui lient tourisme,

développement et musique.

11 Dans un premier temps nous nous pencherons de manière très empirique et

volontairement très peu analytique sur trois cas de « développeurs » : quelle est leur

trajectoire, quel rôle joue le tourisme dans ce parcours, et comment la musique et les

musiciens entrent à leur tour dans l’histoire. Dans une seconde partie, nous nous

arrêterons sur les points qui, communs à tous ces récits, nous semblent concourir à ce

qui est perçu par les acteurs comme un rééquilibrage des relations entre

« développeurs » et « populations locales » par l’intermédiaire d’une troisième

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catégorie d’acteurs que sont les musiciens, et la mise en place d’un système de réseaux

qui s’articulent à la fois au niveau du local, du régional, du national et du

transnational18.

Histoires d'une rencontre

Du tourisme à l'aide au développement, via la musique : l'histoire

d'Anne et Erich et l'association Freunde Madagaskars

12 L’activité touristique est au point de départ de tout le parcours d’A. et E., couple

d’Allemands vivant à Munich19. Au milieu des années 1980, ils découvrent Madagascar

« par hasard » lors d’un voyage touristique à l’île Maurice au cours duquel leur avion

survole la Grande île. Ils s’y rendent quelques années plus tard et, enchantés par ce

séjour, ils multiplient leurs voyages pendant les années qui suivent.

« C’était en 1987, notre premier voyage à Madagascar, et on s’est baladé dans tout lepays avec un sac à dos, sans plans précis. On est tombés amoureux du pays, on nepouvait plus partir de là, on a rencontré des gens, et l’année d’après on était deretour. Et ainsi de suite pendant ces 20 dernières années, on est retournés àMadagascar très régulièrement, une fois par an, des fois même deux [...] » (Erich)20.

13 Ces nombreuses et régulières demandes de visa pour Madagascar finissent par attirer

l’attention du conseiller honoraire de l’ambassade malgache en Allemagne qui leur

téléphone un jour pour leur proposer d’adhérer à l’association d’envergure nationale

Deutsch-Madagassischer Verein (Association germano-malgache), qui organise et

finance divers projets de développement à Madagascar21. Puis, lors de la première

réunion de cette association, ils découvrent l’existence d’une petite ONG, Freunde

Madagaskars22 (Les Amis de Madagascar), nouvellement créée par des Munichois à leur

retour d’un séjour touristique à Madagascar, et destinée à aider les enfants d’une école

de la petite ville de Belo-sur-Tsiribihina, à l’ouest de l’île. E. et A. en deviennent

également membres23. Leur entrée dans ces deux associations marque donc leur

passage vers le monde de l’humanitaire et du caritatif. S’impliquant toujours davantage

dans les projets de l’une et l’autre des associations, ils multiplient leurs voyages à

Madagascar, combinant désormais accompagnement de la mise en place de projets de

développement et tourisme. Mais, peu à peu, ils réalisent que ce type de projets ne va

pas sans problèmes, car ils sont construits sur des illusions d’Européens désireux de

faire le bien en allant aider les « pauvres Malgaches dans le besoin », mais ne

parviennent pas à saisir la réalité du terrain. E. et A. ressentent donc de plus en plus le

besoin d’une médiation locale. Ce faisant, ils prennent conscience, à l’échelle de leur

propre expérience, de ce que les anthropologues du développement montrent du doigt

depuis plusieurs décennies, à savoir les incompréhensions réciproques et la non-

viabilité de projets créés hors du contexte local de leur application. L’association

engage alors un enseignant malgache également formé à la mise en place de projets de

développement, et désireux d’aller travailler à Belo car il vient originellement de cette

région. Il met en place un large programme qui ne concerne plus seulement les

conditions de travail dans l’école et le bien-être des enfants, mais s’intéresse plus

largement aux familles de ces élèves.

14 Puis une autre rencontre va permettre à E. et A. de poursuivre dans cette direction de

médiation « locale ». Lors d’une célébration, à Berlin, du jour de l’Indépendance

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malgache, ils font la connaissance d’un musicien malgache venu jouer pour l’occasion

et, par son intermédiaire, établissent le contact avec son frère Ricky, musicien

renommé vivant à Antananarivo. Ricky est également co-créateur, avec le musicien

Dama du groupe malgache Mahaleo24, du projet malgache Voajanahari dont le but est

de sensibiliser divers publics (malgaches et étrangers, ruraux et urbains) à la situation

de Madagascar par l’intermédiaire de concerts-débats donnant la parole au public25.

Ainsi, lorsque Ricky, Dama et Hajazz (autre musicien malgache) viennent présenter ce

projet près de Cologne quelques temps plus tard, E. et A. s’y rendent puis rejoignent les

artistes après le concert. Enthousiasmés et fascinés par Ricky et Dama, tant par leur

dimension d’artistes que d’êtres humains, et par les buts de l’association Voajanahari,

ils leur proposent de collaborer à l’un des projets mené par Freunde Madagaskars.

« Dama et Ricky ont accepté et ont donné un concert formidable à Belo [...]. Les gensnous ont dit que c’était l’événement culturel le plus important dans toute l’histoirede la ville. [...] Et tout le public a mis ses plus beaux habits, et tous les gensimportants de la ville étaient présents aussi, et au final il est venu près de 500personnes » (Erich).

15 Grâce au concert bénévole organisé en soutien à l’association Freunde Madagaskars, et

plus généralement à la venue de ces artistes à Belo-sur- Tsiribihina, les habitants de la

ville venus assister au concert commencent véritablement à s’ouvrir de leurs

préoccupations devant E. et A., par l’intermédiaire des musiciens.

« Lors de notre dernière visite liée au concert de Dama et Ricky à Belo, lesreprésentants des associations de paysans sont venus à l’hôtel où était Dama etpendant toute une matinée, Dama a dû discuter des problèmes des paysans aveceux. Et c’est à ce moment-là que nous nous sommes rendus compte que noslimitations à l’école, le professeur et les enfants, n’étaient pas tenables à longterme, mais qu’au contraire nous devions nous attaquer à une perspective pluslarge. Et comme 90 à 95 % de la population est constituée de paysans, l’éducationdes enfants est directement liée aux problèmes d’agriculture, donc maintenant oncomprend que c’est absolument central, et maintenant on essaie de l’inclure, parexemple en incluant des livres pour adultes dans notre bibliothèque » (Erich).

16 Selon A. et E., cette médiation permet aux membres de Freunde Madagaskars d’être

davantage au fait de l’ensemble du contexte dans lequel ils travaillent, et d’ajuster leur

projet aux véritables besoins de la population.

17 La rencontre avec deux musiciens malgaches, eux-mêmes engagés dans les questions

d’aide dans leur propre pays, semble donc venir désamorcer le manque de

compréhension qui prévalait jusque-là, en mettant en place des relations plus

profondes entre les différents acteurs. En outre, l’événement que représente la venue

jusqu’à Belo de ces deux musiciens célèbres donne de l’importance à l’association

étrangère aux yeux des habitants de cette petite ville, puisque c’est grâce à elle que

Dama et Ricky sont venus.

18 Enfin, dernière étape dans la mise en place de ce circuit d’échange, E. et A. commencent

à trouver des dates de concerts pour Ricky et Dama à Munich, ces spectacles

permettant ensuite aux artistes d’établir à leur tour des contacts avec d’autres

organisateurs en Allemagne et en Europe. Ces concerts remplissent plusieurs rôles qui

semblent mettre en place un véritable échange. D’un côté, l’association allemande voit

son prestige rehaussé tant à Madagascar — où les activités de cette ONG et ses membres

jouissent désormais d’une visibilité allant jusqu’à Antananarivo26 — qu’en Allemagne —

pour sa capacité à pouvoir mettre en contact divers promoteurs culturels avec

d’excellents artistes malgaches. En outre, les membres de l’association allemande se

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sentent honorés par la présence de ces musiciens célèbres et sont enchantés de pouvoir

ainsi les côtoyer à un niveau interpersonnel. Cela leur permet également de mettre en

place des liens étroits avec la diaspora malgache en Allemagne et en Europe. Par

ailleurs, en participant à ces tournées co-financées par l’association, les artistes

malgaches accèdent à des scènes musicales européennes à la fois plus nombreuses et

plus variées, sortant ainsi, en partie du moins, du réseau exclusivement

communautaire.

19 Et la boucle est finalement bouclée : en contribuant à faire connaître Madagascar à

l’étranger (« To put Madagascar on the map »)27, les musiciens participent à leur

manière à cette « mise en tourisme de la culture » dans une phase qui précède le

voyage lui-même puisque ces concerts européens se font également devant de

potentiels futurs touristes.

De la musique au tourisme via l'aide au développement : l'histoire

d'Hildegard et Sepp et l'association Baobab

20 H. et S. sont un couple d’Autrichiens catholiques très pratiquants, qui se décrivent

comme « touchés depuis toujours par les problèmes du TiersMonde ». Cherchant à faire

prendre conscience de ces problèmes au reste de la population autrichienne, ils entrent

régulièrement en contact avec d’autres groupes qui partagent les mêmes

préoccupations. C’est ainsi qu’ils rencontrent l’association Welthaus-Linz dont l’une des

activités est justement de coordonner les différentes actions de bénévoles de cette

région. En 1998, le directeur de la Welthaus-Linz leur propose de les aider à trouver des

lieux de concert pour un groupe de musiciens venus de Madagascar, les Mahaleo.

« Je pense qu’il y avait entre 100 et 150 personnes au concert, et ça a été un vraisuccès, et avant ça [...] ils avaient fait un atelier dans un collège [Gymnasium], etl’après-midi on les avait invités à la maison [...] et nous avions beaucoup discuté. [...]Dama était tellement dedans, de tout son cœur et de toute son âme [...]. Ça nousfascinait, que eux, des musiciens, soient si engagés pour leur propre pays. [...] Nousconnaissons plein de gens qui participent à des projets de ce genre, [...]principalement des gens d’Église, et c’était formidable pour nous de rencontrer,pour une fois, des gens non religieux. Et en plus de ça des gens qui sont trèscélèbres et qui sont tellement au courant de la pauvreté dans leur propre pays etqui essaient de s’en occuper, et de régler ces problèmes avec de nouvellesméthodes. Ils nous ont raconté [...] comment ils vont dans les villages avec leurcaméra et font parler les gens, ça nous a fascinés, nous n’avions jamais rencontréquelque chose comme ça [...]. Et c’est comme ça que l’idée est née, j’ai senti que,vraiment, ces gens-là avaient besoin de soutien, et donc on a créé un groupe de self-taxation pour récolter de l’argent » (Hildegard, Altmünster, septembre 2007).

21 Une seconde visite des musiciens malgaches en Autriche deux ans plus tard renforce les

liens précédemment créés, réactive la motivation nécessaire à la fondation d’une

structure, et contribue à créer un réseau de personnes désireuses de « faire quelque

chose pour aider les Malgaches ». S’appuyant alors sur ce réseau autrichien qui se

développe peu à peu, H. et S. créent en 2001 l’association Verein Baobab-Solidarität mit

Madagaskar28 afin de pouvoir solliciter des aides pour financer les divers projets des

Mahaleo à Madagascar.

22 Les débuts sont parfois compliqués par des problèmes de communication (grande

distance géographique, français hésitant des Autrichiens), mais la situation se simplifie

peu à peu, notamment grâce au fait que l’un des musiciens des Mahaleo, Charle, vient

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régulièrement en Autriche rendre visite à son fils installé dans le pays. Des liens plus

étroits s’établissent alors entre le couple autrichien et ce musicien, et se doublent d’une

étroite collaboration entre l’association Baobab et la structure malgache CICAFE (Centre

d’information, communication, animation, formation, éducation) que Charle coordonne

depuis sa création en 199929. Celle-ci devient la structure médiatrice entre projets

malgaches locaux et association Baobab, se chargeant entre autres d’évaluer les besoins

locaux et de suggérer quels projets entreprendre et financer. L’instauration de cette

relation qui articule les niveaux du social et du professionnel marque une étape

suivante dans la structuration de cette association et dans la perception qu’ont H. et S.

de leur travail.

23 Finalement, H. et S. qui n’étaient jamais allés à Madagascar décident de s’y rendre en

2006 afin de visiter les projets auxquels ils ont contribué, et de découvrir le pays. En

effet, depuis le début de leurs activités d’aide (et pas seulement pour Madagascar), leur

rapport aux pays aidés est ambivalent : leur volonté de se distancier de l’expérience

touristique est telle qu’ils participent à divers projets de développement sans ressentir

le besoin d’aller voir ce qui se passe sur le terrain.

« C’était notre premier voyage dans l’hémisphère sud, même si depuis qu’on a 20ans on participe à des choses de ce genre, mais on avait toujours dit que l’on n’a pastoujours besoin d’être dans le pays en question pour savoir ce que l’on doit y faire.Je pense que l’on voit cela à la télévision, on entend ça à la radio, on le lit dans lesjournaux. [...] Nous avions toujours ressenti très fortement que c’était comme ça,mais maintenant je sais [...] que cela m’a complètement dévastée, je veux direressentir ce que cela veut dire pour quelqu’un de vivre comme un illettré, ce quec’est que vivre dans un village pareil, ce que l’on ressent en travaillant avecquelqu’un comme ça, et de l’aider à changer quelque chose dans sa vie, que c’estvraiment difficile à faire. Je pense qu’en tant qu’Européen ordinaire, c’est trèsdifficile de s’imaginer ça. Ce sont des choses que l’on ne voit pas à la télévision, devraiment ressentir les angoisses véritables des gens là-bas, c’était vraimentintéressant » (Hildegard et Sepp).

24 Ils reviennent ainsi de ce voyage avec des sentiments partagés. D’un côté, leur position

de départ, largement ancrée dans une vision d’un « Nord riche » se devant de partager

avec un « Sud pauvre » en vertu des préceptes de la charité chrétienne qui sont les

leurs, est confortée tant ils ont été choqués par la pauvreté. Mais cette vision est en

même temps remise en doute par ce séjour au cours duquel, expliquent-ils, ils ont été

très impressionnés par la manière dont les villageois auxquels ils ont rendu visite

surmontent ces situations difficiles et souhaitent traiter d’égal à égal avec leurs

visiteurs. Ce séjour achève alors de transformer leur manière d’envisager l’activité

d’aide : jusque-là action « que chacun doit faire » (Hildegard) mais qui reste

relativement abstraite, elle devient une relation avec des êtres humains spécifiques

avec lesquels ils ont échangé :

« Et quand tu vois leurs trois enfants et leurs minuscules possessions, c’est vraimenttrès bouleversant, et cependant, cela te donne le sentiment que maintenant tuconnais les gens [...]. Mais ces liens nous les avons maintenant dans nos cœurs, sibien que maintenant je peux me représenter ces gens, et quand nous allons àl’église le dimanche, ils vont aussi à l’église. Et chacun pense à l’autre, c’est devenuun magnifique et solide lien pour moi. Et maintenant je connais de manièrebeaucoup plus intense les raisons qui nous font faire ce que l’on fait, parce que [...]les années précédentes étaient très dures, et le contact avec Madagascar a souventété marqué par les difficultés, et pour moi, ce n’était pas toujours facile de motiverles autres, [...] j’ai aussi eu des périodes où je me sentais déprimée [...] [mais]maintenant je suis plutôt dans une période où je dis que je peux aussi être faible, je

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sais qu’il y a quelqu’un qui porte le fardeau avec moi, et c’est bien que ce soitmaintenant devenu un réseau de personnes » (Hildegard).

25 Plus pragmatiquement, c’est également un moyen pour eux de découvrir les conditions

de vie sur place et ainsi de mieux saisir le travail de leurs partenaires et de « mieux

comprendre pourquoi certaines choses ne peuvent pas être atteintes si facilement »

(S.).

26 Ainsi l’expérience du voyage reproduit-elle, mais sous une autre forme et en la

renforçant, celle de la rencontre avec les musiciens : elle permet de personnaliser les

êtres et les lieux auxquels sont destinées leurs activités caritatives, donnant ainsi un

visage et un but plus palpable à leur implication, et consolidant de ce fait leur

engagement.

Du développement au tourisme via la musique, puis retour à l'aide au

développement : l'histoire de Heribert et l'association WelthausLinz

27 Depuis de longues années, H. travaille à plein temps dans la branche locale de

l’organisation catholique Welthaus de la ville autrichienne de Linz30. Les buts de cette

organisation sont à la fois d’aider des communautés en difficulté dans « le Tiers-Monde

et l’Europe de l’Est et du Sud »31 en privilégiant le développement de l’éducation, et

d’attirer l’attention des Autrichiens sur ces problèmes par différents moyens afin de

récolter des fonds pour les divers projets financés par la Welthaus. Le lobby est un de

ces moyens, l’organisation de représentations données par des personnes venant elles-

mêmes des régions « à aider » (manifestations intitulées Begegnungen mit Gasten,

Rencontres avec des invités32) et de concerts par des artistes de ces régions, en est un

autre :

« On a remarqué que les contacts directs laissent une impression bien plus profondeque si c’est l’un de nous qui parle de la situation dans le pays [...]. Via la musique etle théâtre on touche de nombreux sens [...] ça ouvre les cœurs. [...] Dans le sensd’une compréhension holistique, d’une compréhension globale, cela devientévident que là tu as un effet beaucoup plus grand que si c’était moi qui faisaisn’importe quelle présentation » (Heribert, Linz, Septembre 2007).

28 Lorsque H. rencontre les membres du groupe malgache Mahaleo en 1997, il est

immédiatement séduit par la dimension artistique de leur travail, mais aussi par leur

engagement social, environnemental et politique dans leur propre pays. Cette

rencontre se fait par l’intermédiaire d’une autre branche de la Welthaus, celle de la

ville autrichienne de Graz, avec laquelle les Mahaleo avaient déjà développé des projets.

H. entraîne alors les musiciens dans une succession de représentations dans les églises

et les écoles des environs. Puis c’est à nouveau le renforcement de la dimension sociale

de la relation qui semble agir comme pivot : se retrouvant un soir tard après l’un des

concerts, H. et les musiciens mettent au point une plus grande tournée en Autriche

pour l’année suivante33, et répètent l’expérience en 2000. La nature des activités

menées ensemble se transforme ensuite peu à peu :

« Pendant les premières années, nous collaborions uniquement à travers la musiqueet la culture, parce que les Mahaleo insistaient sur le fait que leur but premier étaitd’établir une globalisation de l’amitié et que l’amitié doit fonctionner sans argent etsans dépendance. Cependant après quelques temps nous avons suggéré que puisquenous sommes une organisation qui finance des projets, s’ils voulaient proposer desprojets nous serions très heureux de les évaluer. Et c’est comme ça que petit à petit

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199

nous avons fini par faire du travail de développement dans des projets dedéveloppement avec eux » (H.).

29 Ainsi, alors qu’à cette époque, la Welthaus-Linz n’a pas de lien avec Madagascar, car

d’autres pays sont considérés comme « prioritaires » (selon la terminologie de la

Welthaus), cette rencontre avec les Mahaleo change le regard de H. Il suit alors les

suggestions de l’un des musiciens, Raoul, et finance divers projets dans un village de la

région de Tomasinoa (côte est de Madagascar) où celui-ci vit et exerce en tant que

médecin. Raoul articule ainsi la participation d’H. aux différentes étapes de son propre

engagement auprès de la population du village :

« À 5 ou 6 km de Tamatave [Tomasinoa] j’ai acheté un terrain [...] je commençais àdéfricher et puis il y a les paysans qui viennent petit à petit me voir [...] pour medemander beaucoup de choses. [...] ils ont une volonté de se développer. Et puis moije leur ai dit d’abord, il faut que vous vous organisiez entre vous. [...] Donc ils ontpensé de créer un centre pour se rencontrer. Et lorsqu’on était en Autriche on aproposé le projet à Heribert et tout de suite ils ont dit bon, il faut faire le projetchiffré [...], et l’aventure a commencé là-dessus. [...] On a construit un centre, unemaison communautaire où les gens peuvent se réunir, organiser une fête et tout ça.[...] Et on a construit aussi un petit centre médical, qui est tenu par une fille duvillage que j’ai formée pendant 4 ans à Tamatave à mon cabinet. [...] Elle est capablede faire des sutures, des accouchements et tout ça. [...] Et on a construit une écolemaintenant, pour les enfants, pour pouvoir libérer les femmes pour les travaux deschamps »34.

30 Finalement, ce n’est qu’au milieu des années 2000 que H. se rend à Madagascar. Il part

avec un autre membre de la Welthaus-Linz pour visiter l’un des projets exploratoires

financé par l’association et revoir les membres de Mahaleo. Il y visite également de

nombreux programmes locaux de développement, ainsi que les projets d’une autre

association autrichienne, l’association Baobab dont il a été question dans le récit

précédent. Ces multiples visites lui permettent ainsi de découvrir les solutions choisies

par les uns et les autres35, créant ainsi un réseau entre différentes ONG. Ce séjour

l’enchante. Son regard constitue donc une opposition très nette avec la perception de S.

et H. présentée ci-dessus. Pour autant, l’un des résultats de ce séjour est similaire en ce

sens qu’il contribue à renforcer l’implication de H., et de ce fait celle de la Welthaus-

Linz, dans son travail d’aide. En effet, de retour en Autriche, il décide de faire de

Madagascar l’un de leurs « pays prioritaires », et la principale destination des travaux

de développement menés par l’association.

Soutiens et bénéfices mutuels : vers un rééquilibragesymbolique et pratique des relations Sud/Nord ?

31 Les trois parcours qui précèdent, quoique distincts dans leur déroulement, aboutissent

tous à la mise en place d’une médiation entre les associations caritatives et les besoins

des populations malgaches que ces dernières souhaitent aider, le rôle de médiateur

étant pris en charge par des artistes rencontrés en Europe par certains membres de

l’association. Discussions informelles et entretiens avec artistes et « développeurs »

laissent apparaître le sentiment qu’une telle collaboration les satisfait et leur semble

efficace sur le terrain, même si certaines difficultés surviennent parfois, nous y

reviendrons. Parler ici d’« efficacité » ne renvoie donc pas, comme cela a été dit en

introduction, à une évaluation pratique, dans les villages, des activités de

développement menées par les différentes associations. Il s’agit en revanche de rendre

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200

compte de deux autres types d’évaluation. D’une part, la perception de deux catégories

d’acteurs (les artistes et les membres des ONG) et, d’autre part, le fait que ces

associations non seulement se maintiennent à Madagascar au fil des années, ayant ainsi

acquis une certaine viabilité, contrairement à de nombreuses structures qui ne durent

que le temps d’un projet, mais en plus se développent, obtenant davantage de

ressources et s’impliquant toujours plus dans divers projets locaux. Il s’agira donc ici, à

travers les récits faits par les « développeurs » et certains entretiens menés avec les

artistes, d’analyser les différents mécanismes, symboliques ou pratiques, qui semblent

concourir à cette « efficacité ».

Plaisir artistique et engagement social

32 Si les rencontres entre musiciens et membres des associations étudiées surviennent à

des moments différents dans les trajectoires des individus, dans les trois cas la

combinaison « plaisir artistique ressenti » plus « mise en place de liens

interpersonnels » plus « intérêt pour l’engagement préalable des artistes dans des

questions sociales, environnementales et/ou politiques » est récurrente. Elle forme le

point de départ et le point d’ancrage de cette relation entre musicien(s) et membres des

associations caritatives.

33 Au fil des entretiens et des observations de terrain, il apparaît que le plaisir artistique

et émotionnel ressenti à l’audition de cette musique est l’un des premiers déclencheurs

d’un désir de renouveler les rencontres. Même si nous ne partageons pas l’idée selon

laquelle « la musique est un langage universel » (Campbell 1997) — celle-ci étant au

contraire en large partie culturellement et socialement construite — et encore moins

l’adage disant que « la musique adoucit les mœurs », il n’en demeure pas moins que l’on

puisse effectivement ressentir beaucoup de plaisir à la première écoute d’un style de

musique totalement inconnu. À cela s’ajoute le lien particulier qui se construit entre

émotion musicale et lieu auquel on associe certains répertoires musicaux, lien analysé

par S. Cohen (1997 : 77-78) : « Music’s peculiar ability to affect or articulate mood and

atmosphere, and consequently to trigger the imagination, contributes to people’s

experiences of places and attitudes toward them, and this occurs in a multitude of

different ways and contexts. [...] [Music is a] particularly precious resource in the

social, sensual and symbolic production of place and local subjectivity. »

34 Ainsi, c’est d’abord par l’intermédiaire de leur activité artistique que les musiciens

malgaches jouent un rôle important dans la (re)formulation de l’imaginaire

qu’entretiennent les « développeurs » européens vis-à-vis de Madagascar. En

introduisant cette dimension de plaisir, ils se dégagent, au moins temporairement, du

carcan que charrient les représentations de misère et de pauvreté le plus souvent

associées à « l’Afrique » en général et à Madagascar en particulier (Street 1994). En

contrepartie ils contribuent, en partie du moins et sans que cela soit le fruit d’une

volonté de leur part, à l’élaboration d’une image exotisante et rassurante de ce pays36.

En déclenchant de manière plus émotionnelle un intérêt pour Madagascar et sa

population, les musiciens participent donc activement à la relation subjective

qu’entretiennent les membres des associations caritatives vis-à-vis de « leur terrain ».

En ce sens, c’est bien le fait qu’ils soient musiciens, et non pas simplement malgaches,

qui est à l’œuvre ici.

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201

35 À cette dimension de plaisir artistique s’ajoute celle d’un plaisir social, plaisir « d’être

ensemble », formule trop vague mais à laquelle renvoie cette référence, récurrente

dans les trois récits, à un moment-clé où artistes et membres d’une association se

retrouvent dans une situation de socialisation qui leur permet de se rencontrer sur un

terrain plus personnel (boire un verre après le concert ; inviter les musiciens « à la

maison »). Dans les trois cas, ce moment est vécu comme déclencheur car il permet de

basculer dans la sphère du privé et d’envisager la relation sur un plan interpersonnel.

36 Finalement, l’implication de ces individus « tellement au courant de la pauvreté dans

leur propre pays et qui essaient de s’en occuper, et de régler ces problèmes avec de

nouvelles méthodes » (Hildegard) est également un facteur déclencheur. Cette

dimension d’engagement social des artistes touche d’autant plus la corde sensible des

« développeurs » qu’elle les renvoie à l’image positive qu’ils ont — ou souhaitent avoir

— d’eux-mêmes et à leur volonté de « faire le bien ». S. Goedefroit (2007 : 53) souligne

cette importance d’un engagement commun lorsqu’elle analyse les relations qui se

mettent en place entre villageois se proposant de représenter la communauté

villageoise et ONG ou médiateurs extérieurs : « C’est sans doute là que se produit “la”

véritable rencontre entre les “étrangers” (travaillant dans le cadre d’une ONG) et ceux

qui, perçus également comme “étrangers” au sein de leur village de résidence, voient

dans ce rendez-vous un moyen, d’une part, d’être reconnus comme représentants d’une

communauté qui tarde à les reconnaître et, d’autre part de faire “évoluer” les choses. »

37 Sur ce point, je pense que les expressions habituellement employées pour qualifier ce

comportement (« courtage », « comportements adaptatifs », « effets pervers ») ne

recouvrent qu’imparfaitement la complexité de la réalité. Ce n’est pas forcément par

intérêt personnel, mais aussi par engagement, que certains revêtent, de manière

opportune, des habits de courtiers. Qu’ils soient bénévoles d’ONG, « facilitateurs » ou

encore « médiateurs environnementaux », appointés par un projet de transfert de

gestion de la biodiversité, ou encore laissés-pour-compte dans le village où ils vivent,

tous sont mus par un engagement qui les fait se rejoindre.

38 La combinaison de ces trois facteurs (plaisir émotionnel, lien social et engagement

commun) contribue alors à développer un intérêt réciproque entre ces deux groupes

d’acteurs, et constitue un terreau fertile pour la construction d’une relation qui est

perçue comme égalitaire, car basée sur des échanges marqués par une curiosité, un

dialogue et un respect réciproques pour les activités et les engagements des uns et des

autres. De plus, cet intérêt pour des êtres humains désormais « personnalisés », avec

lesquels se sont tissés des liens affectifs, et non plus pour « des Malgaches » d’un côté et

« des Européens » ou « des développeurs » de l’autre, s’étend aux proches des uns et des

autres et permet finalement à chacun d’entrer dans l’intimité du pays de l’autre par un

canal complètement différent de celui qui avait été emprunté jusque-là — à savoir la

dimension bureaucratique des associations humanitaires et caritatives. Cette

personnalisation participe en outre de la construction d’un regard différent sur les

« richesses » de

39 Madagascar qu’ont à cœur de promouvoir certains des artistes37, souhaitant déplacer

l’accent mis en général sur la diversité biologique de l’île38 pour le placer sur celle de la

diversité humaine.

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202

Tourisme et pratiques culturelles : déclencher,alimenter et transformer le parcours des« développeurs »

40 Dans les trois situations analysées ici, la rencontre avec Madagascar a d’abord été

fortuite, le pays ne faisant pas partie des « priorités » des individus ou des différentes

associations. Mais une fois que cette rencontre a lieu, Madagascar devient le cœur de

leurs occupations qui se réarticulent alors en une activité mixte, « à facettes multiples »

(Larsen, Urry & Axhausen 2006), associant tourisme et visite de projets :

« Pour le moment, nous prévoyons un voyage à Madagascar — une partie pour dutravail sur les projets, et l’autre partie avec toute la famille pour leur montrer lesbeautés de Madagascar et pour rencontrer nos amis malgaches » (Heribert, e-mail àU. H. M., février 2008).

41 Le tourisme devient donc partie intégrante du travail des ONG en s’insérant dans un

cycle d’activités et de développement de réseaux. Le travail sur des projets entraîne de

nouvelles visites (où cohabitent tourisme et développement) à Madagascar ; ces visites

donnent à leur tour naissance à de nouveaux projets, permettent d’élargir le cercle de

connaissances des membres des ONG, et suscitent éventuellement la participation de

nouveaux individus ou groupes de soutien. En parallèle, les concerts donnés en Europe

éveillent de nouveaux désirs de tourisme vers Madagascar, ce qui, dans un certain

nombre de cas, mène à son tour à la participation de ces touristes aux activités des

associations, à de nouveaux projets de développement, et ainsi de suite.

42 Par ailleurs, dans certaines trajectoires étudiées ici, un phénomène intéressant survient

lors du séjour touristique effectué, phénomène qui correspond à ce que Bruner (2005 :

24) analyse comme la transformation d’un « preexisting tourist tale from an abstract

text into an embodied narrative, a somatic experience ». Bruner (ibid. : 23 et sq.)

s’intéresse en effet à ce qu’il nomme les récits et narrations touristiques (touristic tales,

touristic narratives) et analyse la manière dont ceux-ci évoluent d’une version

« prévoyage » fondée sur un certain nombre de présupposés, vers une version

transformée et personnalisée par l’expérience vécue du voyage. Ici, c’est la manière

d’envisager l’activité humanitaire qui constitue la narration et se trouve transformée :

après la rencontre avec des musiciens malgaches, c’est le séjour à Madagascar qui

achève souvent de transformer une activité d’aide envisagée de manière abstraite et

idéologique — « quelque chose que l’on doit faire » (Hildegard) — en une relation

personnalisée, établie avec des êtres humains spécifiques pendant le séjour. Cela

apparaît de façon particulièrement saisissante dans le récit de H. et S. : ce processus de

personnalisation, qui avait débuté avec le tissage d’une relation privilégiée avec Charle

et sa famille, se poursuit dans cette étape fondamentale qu’est le voyage à Madagascar.

Celui-ci leur permet désormais de se représenter vraiment les gens qu’ils aident. En

outre, cette expérience touristique les entraîne dans une première étape de remise en

question de leur vision de ce qu’est cette « aide » en percevant l’importance du contre-

don.

« Il y avait cette femme qui est venue à l’église [...]. Je lui ai donné une petite boîted’allumettes, et j’ai coupé un petit morceau de savon pour elle, et cette femme aalors beaucoup insisté pour qu’on l’accompagne à sa hutte, et là, de ses petitesprovisions de riz, et c’était vraiment sa dernière réserve, elle nous a donné un petitsac de riz. Oh, c’était tellement touchant pour nous [...] tu ne peux même pas

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commencer à comparer ce que nous lui avions donné avec ce qu’elle nous donnait »(H.).

43 De fait, l’importance de ce processus de personnalisation de l’aide a été parfaitement

perçue par de nombreux organismes d’aide humanitaire de par le monde, qui en font le

moteur de leurs programmes de parrainage d’enfants : chaque donneur peut suivre les

« progrès »39 de son « filleul » et, ainsi, « voir réellement la différence qu’il [le donneur]

fait [...] dans les vies des enfants les plus pauvres du monde et de leurs

communautés »40.

Don et contre-don

44 Et justement, l’une des critiques les plus récurrentes faites depuis plusieurs décades

aux divers projets d’aide ou de développement porte sur l’inégalité du processus : les

populations locales ne sont pas envisagées comme des acteurs mais comme de simples

receveurs de ces projets, ce qui les confine dans un rôle passif. Or, comme cela a été

montré par M. Mauss ([19231924]) il y a déjà plus de quatre-vingts ans, sans contre-don,

toute pratique de don instaure un rapport de pouvoir inégal entre les acteurs, plaçant

le receveur qui ne peut rendre dans une position d’infériorité et de dépendance.

45 L’idée a déjà été esquissée dans un paragraphe précédent : si les projets sont perçus

comme « plus efficaces » après l’arrivée des musiciens dans le travail des associations,

ce serait parce que cette arrivée s’est traduite par la mise en place des relations de

dialogue et d’échange entre les différents acteurs. Cette nécessité de transformer les

relations d’aide en relations d’une autre nature est clairement exprimée par Dama

lorsqu’il explique que les Mahaleo « ne désirent pas être aidés » mais veulent

« travailler avec des amis », thème qu’il reprend régulièrement lorsqu’il s’adresse, en

concert, à un public non malgachophone. Il présente alors le concert comme

participant d’une « globalisation de l’amitié »41. Qu’en est-il donc exactement de ces

échanges ?

46 D’un côté, on l’a vu, les musiciens apportent aux ONG leurs compétences de médiateurs.

De part leurs propres expériences, ils sont davantage capables de faire le lien et

l’interface entre les ONG et les habitants des villages où œuvrent ces associations, et le

plus souvent d’établir eux-mêmes des projets en fonction de leur compréhension des

réalités locales. Pour ce faire, ils proposent aux villageois et aux paysans des espaces de

dialogues que ceux- ci — aux dires des artistes et des « développeurs » — investissent

volontiers, lorsqu'ils ne les ont pas eux-mêmes sollicités, comme c'est le cas lorsque des

paysans de Belo viennent trouver Dama avant le concert.

47 En parallèle, la venue des musiciens dans différents lieux (tant à Madagascar qu’en

Europe) ne recevant que rarement des événements culturels de cette envergure, est un

don important pour le public. Et l'apport est encore plus grand si musiciens et public

sont proches et se connaissent personnellement : ainsi les membres des différentes

associations européennes se sentent-ils particulièrement redevables aux musiciens du

moindre concert auquel ils ont la chance d'assister.

48 En outre, concerts et tournées permettent d'attirer l'attention — y compris celle des

médias — sur le travail des ONG, localement mais aussi à un niveau national et

international. Ainsi par exemple, tandis que les habitants de Belo commencent à

considérer avec plus d'intérêt et de respect l'association étrangère installée dans leur

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village depuis plusieurs années parce que celle-ci a réussi le tour de force d’y organiser

un concert de Dama et Ricky, à l’autre bout de la chaîne, I’ONG devient beaucoup plus

séduisante pour les bailleurs de fonds grâce à son partenariat avec des artistes

s’engageant à la fois au Nord et au Sud et encourageant la « participation » de leur

public42. L’engagement des musiciens est donc un atout précieux pour les ONG dans un

contexte où, comme le souligne S. Goedefroit (2007 : 50), « en matière de

développement local, il existe une concurrence importante entre les ONG œuvrant dans

la même région et occupant le même créneau. Ces organisations partagent les mêmes

contraintes (l'urgence, le nombre d'actions à réaliser) et les mêmes ressources

(financements) ». Finalement, et de manière plus générale, le fait que ces ONG soient

ainsi en liens étroits avec des musiciens est ressenti comme un formidable laissez-

passer par les membres de ces associations. Il en va de même dans le cas de E. et de A.

dont les réseaux de connaissances s'élargissent de plus en plus, jusqu'à les mener dans

les salons diplomatiques d’Antananarivo ou de Munich43. Ils rencontrent également

l’ensemble de la communauté malgache installée en Allemagne, dont certains membres

participent désormais aux activités de l’association Freunde Madagaskars. Celle-ci est

de fait devenue peu à peu un point de convergence des activités musicales malgaches à

Munich.

« [...] à travers cette culture, et à travers les concerts ici aussi, ce n’est passeulement que nous sommes devenus beaucoup plus connus à Belo, parce que leconcert à été annoncé par la petite station de radio [locale] et qu’il y a eu uneinterview d’une heure avec Dama et Ricky, mais aussi ici, en Allemagne, on a réussià établir de bien meilleures relations avec la diaspora malgache, parce que des gensviennent de toute l’Allemagne pour les concerts que nous avons organisés. C’est pastous les jours que les Malgaches qui vivent ici ont la chance de rencontrer leurspropres artistes » (Erich).

49 De leur côté, les associations autrichiennes et allemandes offrent en échange leurs

infrastructures et leurs financements pour mener à bien les projets choisis localement.

Ce faisant, ils apportent de l’aide aux villageois, mais également aux musiciens puisque

ces derniers, on l’a vu, sont eux-mêmes engagés dans divers projets.

50 Mais c’est également sur le plan artistique que l’échange est vécu comme très bénéfique

par les musiciens, car ces infrastructures associatives leur fournissent de nouvelles

ouvertures professionnelles en Europe. Outre l’obtention d’un support financier pour

une partie au moins de leurs tournées, elles leur donnent également accès à des

audiences européennes plus larges et à des lieux de concerts différents44. Or, de

manière générale dans ce milieu professionnel, et de manière particulièrement aiguë

pour les artistes malgaches au vu des faibles débouchés professionnels à Madagascar et

de l’infrastructure très limitée de l’industrie musicale malgache, les musiciens doivent

s’intégrer dans des réseaux professionnels internationaux pour pouvoir vivre de leur

musique45. Ces nouveaux points d’entrée les conduisent également à dépasser les

réseaux communautaires malgaches dans lesquels la plupart de leurs spectacles étaient

inscrits jusque-là. Finalement, cette plus large exposition à un public varié les amène à

nouer des contacts avec divers organisateurs qui leur font à leur tour des propositions

de concerts.

51 Au niveau des communautés villageoises enfin, s’il est impossible d’établir ici ce

qu’elles-mêmes estiment retirer des situations étudiées, il est en revanche possible de

regarder ce que les associations considèrent recevoir en contrepartie de leur travail.

D’une part, et nous l’avons déjà évoqué, l’une des monnaies d’échange est la confiance

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que donnent les villageois aux associations lorsqu’ils constatent qu’elles collaborent

avec des artistes malgaches célèbres. Leur seconde forme de contribution correspond à

ce que les différents acteurs du développement souhaitent tout particulièrement : la

connaissance intime qu’ont les villageois de la situation locale et leurs savoir-faire dans

de nombreux domaines. Ainsi, dans les trois cas étudiés ici, la quasi totalité des travaux

sont effectués par les artisans locaux. Contrairement à ce qui se passe dans d’autres

actions de développement, rares sont les « experts » venus du dehors qui interviennent

dans ces projets. Les associations privilégient également des solutions « low-tech » que

les habitants pourront construire et entretenir eux-mêmes46.

52 Ainsi semblent donc s’être mis en place un certain nombre de rapports de bénéfice

mutuel qui impliquent don et contre-don entre différents types d’intermédiaires ou

groupes d’acteurs (population locale, artistes, membres des associations caritatives

européennes) mettant en jeu plusieurs dimensions (personnelle, artistique,

professionnelle, communicationnelle). Ce faisant, l’élaboration de tels échanges peut

être envisagée comme un moyen d’enrayer en partie au moins le déséquilibre entre

« développeurs » et « développés » en contrecarrant — ou du moins en allégeant — le

problème de l’altruisme, ou du don sans contre-don à ceux que l’on considère comme

« dans le besoin », au nom de certaines règles de morale (charité chrétienne,

humanisme, etc.) qui sous-tendent, au moins implicitement, les sentiments et les

activités des « développeurs ».

*

53 Selon les artistes et les développeurs rencontrés, dans les trois cas étudiés ici — et nous

sommes conscientes de leur degré de spécificité —, l’articulation entre tourisme et

pratique culturelle (musique) semble participer positivement d’une « action entreprise

par des sociétés se construisant ou se reconstruisant avec et à travers le tourisme »

(Doquet & Le Menestrel 2006). L’intérêt mutuel que se portent ces deux catégories

d’acteurs, ainsi que les relations de confiance qui se sont développées entre eux,

donnent aux acteurs le sentiment d’être parvenus à dépasser la plupart des

frustrations, décalages ou « malentendus » (Chabloz 2007) qui prévalaient auparavant

dans leur travail de « développeurs » grâce au dialogue ouvert établi entre les

partenaires. Tout ceci contribue à mettre en place de meilleures bases pour des projets

et des collaborations qui se renouvellent d’année en année. Ainsi l’action des

associations qui a souvent commencé à une très petite échelle grandit peu à peu, le

nombre de projets pris en charge se multiplie et leur durée de vie s’allonge.

54 Cette inscription des projets et des associations dans une perspective plus « durable »

s’ancre en outre dans un processus qui est apparu peu à peu au fil de l’analyse, celui du

développement exponentiel de réseaux qui s’articulent à la fois au niveau du local, du

national et du transnational.

55 Les ONG sont situées dans des réseaux d’inter-connaissance qui se construisent et se

diversifient peu à peu à la fois en Europe et à Madagascar. Les deux associations

autrichiennes sont d’abord directement liées par une histoire et des actions communes

au niveau local, tandis que de leur côté E. et A. participent conjointement aux activités

de plusieurs organisations allemandes. Puis, lorsque les membres de ces différentes

associations voyagent à Madagascar, elles entreprennent de se rendre mutuellement

visite. Rencontrant alors les artistes partenaires locaux de ces projets, des

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« développeurs » qui ne se connaissaient pas en Europe découvrent l’existence d’autres

associations via leur passage à Madagascar.

« J’ai trouvé cela très excitant pendant ce voyage le fait que nous en tantqu’étrangers qui visitions Madagascar pour la première fois, nous étions malgrétout capables de mettre en place des réseaux » (Heribert).

56 Ce type de réseaux est envisagé très positivement par les membres de ces petites

associations car ils y voient un moyen de faire circuler des idées entre les différentes

ONG. Ils constituent une plate-forme d’échange de contacts, d’individus, mais aussi de

savoirs et de solutions techniques qui leur semblent fonctionner dans un contexte

culturel relativement similaire, et qui leur permettent ainsi de ne pas perdre de temps

(et d’argent) dans les mêmes tâtonnements, de ne pas refaire les mêmes erreurs à

chaque nouveau projet, mais au contraire de mutualiser les idées47. Ces réseaux

contribuent ainsi largement à une meilleure compréhension entre les différents

partenaires.

57 D’autre part, un réseau intense de relations entoure depuis plusieurs décades les sept

musiciens de Mahaleo puisque ceux-ci sont ensemble sur scène depuis trente-cinq ans

et avant cela étaient camarades de classe et/ou frères. Ainsi, tandis que chacun est

engagé dans des projets sociaux et/ou environnementaux différents, il leur arrive

fréquemment de travailler ensemble sur des projets ponctuels ou de partager leurs

carnets d’adresses. Ces réseaux combinent donc à la fois des raisons artistiques,

familiales, amicales, professionnelles et idéologiques. Ils ne se concentrent pas

uniquement au niveau local de Antananarivo et de sa région, mais ils s’étendent vers

Antsirabe (où travaille Bekoto), et plus loin encore, vont jusqu’à la côte est dans la

région de Toamasina (où vit Raoul) et à l’Ouest dans la région de Morondava (où se

trouve la ferme-école de Dama). Les réseaux de chacun dépassent également les

frontières de la grande île, à la fois vers l’Autriche et l’Allemagne comme nous l’avons

vu, mais également vers d’autres pays européens ou nord-américains, combinant là

aussi différents niveaux et catégories d’acteurs (monde du développement, milieux

artistiques, liens familiaux). Des réseaux professionnels dans le domaine artistique

prennent également forme en Europe où, après chaque concert ou presque, les

musiciens malgaches rencontrent des organisateurs susceptibles de leur offrir d’autres

dates, ou des membres de l’audience désireux de soutenir leurs projets (Meinhof 2005 :

125-126). La multiplication des réseaux dans lesquels s’inscrivent les différents acteurs

apparaît ainsi à la fois comme l’un des « effets secondaires » des projets de

développement, et comme l’un des moyens qui leur permettent de fonctionner et de se

maintenir. Cette vie sociale propre, qui n’est pas issue des pratiques de développement

stricto sensu mais en est l’un des produits dérivés, nourrit et favorise le déploiement des

projets. Le choix de pénétrer le monde de l’humanitaire et du caritatif à travers l’étude

des « développeurs », du rôle du tourisme et de la rencontre avec des artistes, permet

d’éclairer différemment la situation. Cette étude montre que l’arrivée des musiciens

comme interface entre les « donneurs » du Nord et la population malgache à un niveau

local entraîne la mise en place d’une relation d’échange où tous les individus concernés

deviennent acteurs de la situation. Basées sur des nécessités pratiques et symboliques

« des deux côtés », ces relations se développent de manière plus égalitaire par la

création de réseaux qui lient intrinsèquement « ceux qui aident » venus du Nord et les

musiciens « du Sud » engagés socialement. Ce sont ceux que l’on est « venu aider » et

« développer » qui deviennent ceux qui aident et apportent aux « développeurs », à la

fois par leur musique et leur connaissance fine du contexte culturel, battant ainsi en

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brèche l’idée selon laquelle les richesses se trouvent au Nord et les besoins au Sud. Les

artistes ne jouent donc pas seulement un rôle de médiateurs sur le terrain, mais ils

interviennent aussi malgré eux dans la relation plus émotionnelle et imaginaire que les

« développeurs » entretiennent avec Madagascar. Ainsi, quoique les musiciens

malgaches soient aussi des « Autres », les « développeurs » se sentent proches d’eux sur

de nombreux plans, à la fois parce qu’ils partagent leur engagement et certains de leurs

points de vue, et parce que des liens plus privés se sont tissés entre leurs histoires de

vie, réduisant de ce fait l’altérité représentée par les villageois de Madagascar pour les

membres des associations européennes. Finalement, il semble que cette modification de

leur regard et la remise en question de leurs représentations initiales que traduisent les

discours valorisant l’égalité entre les différents acteurs, permettent ensuite, par

ricochet, de modifier leurs pratiques de développement48. Il serait donc intéressant, à

ce stade, de prolonger ce travail par une étude de terrain dans les villages malgaches où

travaillent ces associations49. Entendre la voix du troisième groupe d’acteurs

apporterait ainsi un nouvel éclairage et permettrait de confronter les discours analysés

ici.

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NOTES

1. La littérature critique portant sur les actions de développement est immense. Pour trois étapes

de la réflexion, voir par exemple ESCOBAR (1991), GOEDEFROIT & REVÉRET (2007), GRILLO & STIRRAT

(1997).

2. Les Participatory Poverty Assessments (PPAS) sont ainsi mis en place par la Banque Mondiale

et le FMI au milieu des années 1990 (POTTIER 2003 : 24-25). Voir notamment POTTIER ET AL. (2003)

sur le rôle de(s) « savoir(s) local(aux) » dans les actions de développement.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

212

3. Ou encore « tourisme responsable », « solidaire », « équitable », « alternatif », etc. Certains

auteurs emploient chacun de ces termes dans une perspective différente (ZYSBERG 2004 : 19),

d’autres les envisagent au contraire comme pouvant être utilisés comme des synonymes (CHABLOZ

2007 : 33). C’est cette seconde position que nous adopterons dans le présent article. Voir

également E. COHEN (2002) pour un bilan sur ce rapport entre tourisme et « sustainability » ».

4. L’ensemble du projet TNMundi est effectué grâce au financement du Arts and Humanities

Research Council (Royaume-Uni) que nous tenons à remercier ici. Nos remerciements vont

également à Sébastien Lodeiro, Dama, Laurent Berger, Natacha Borrel et les évaluateurs

anonymes pour leurs remarques extrêmement constructives.

5. Nous adopterons ici la position de G ARDNER & LEWIS (1996 : 2) concernant le terme

« développement » : étant lui même porteur des connotations « évolutionnistes » que l’on

cherche à éviter, il nous est pourtant nécessaire de l’employer si l’on veut justement analyser ces

pratiques et relations puisqu’il est de fait « un ensemble de pratiques et de relations » où

agences, programmes de développement ou travailleurs sont des « entités objectives ».

6. Dans cet article, nous utiliserons les termes « ONG » et « association caritative et/ou

humanitaire » comme synonymes. L’expression « pratiques caritatives et humanitaires » sera

envisagée au sens large, englobant à la fois les grosses structures institutionnelles (de type ONU

ou Banque Mondiale) et les actions de coopérations organisées en petites structures

indépendantes. C’est toutefois de ces dernières qu’il sera plus particulièrement question dans les

cas présentés en détail ici.

7. Quoique pas toujours explicitement envisagée dans une perspective maussienne, et donc en

termes de rupture du cycle de don et contre-don (MAUSS 1997), cette construction d’une inégalité

entre donneurs et receveurs tient une grande place dans la littérature critique des pratiques de

développement. Nous y reviendrons.

8. Le thème du tourisme était ainsi au cœur du 4 e colloque de l’International Council of

Traditional Music (ICTM) il y a plus de vingt ans (KAEPPLER & LEWIN 1986), et il vient à nouveau

d’être choisi pour le 25th Symposium of the ICTM Study Group on Ethnochoreology. Pour autant,

le tourisme lui-même a mis longtemps à s’imposer en anthropologie sociale et sociologie comme

sujet d’étude « sérieux », et peut-être davantage encore dans l’espace francophone comme le

rappellent souvent les éditeurs de divers numéros spéciaux parus récemment (PICARD & MICHAUD

2001 ; DOQUET & LE MENESTREL 2006 ; RÉAU & POUPEAU 2007).

9. Depuis les premières conclusions du rapport rendu par DE KADT (1979) jusqu’à aujourd’hui, et

concernant des lieux extrêmement divers : du Royaume-Uni (COHEN 1997) à Bali (BRUNER 2005) en

passant par Goa (SALDANHA 2002) ou certaines régions rurales de l’Australie (GIBSON 2002 ; GIBSON &

CONNELL 2005).

10. Sur cet intérêt des grands organismes de développement pour l’activité touristique dès les

années 1960, voir MICHAUD (2001 : 15).

11. C’est le cas notamment de l’une des ONG présente à Madagascar et étudiée dans le cadre de

notre recherche, Azafady, <http://www.azafady.org/>. Ce type de financement se lit également

en filigrane dans de nombreux articles sans pour autant être traité directement ; voir par

exemple GILMAN & FENN (2006) ou PARDUE (2004).

12. On pensera ainsi aux nombreux musiciens et chanteurs sollicités par les organismes d’aide au

développement tel que l’Unesco ou la Banque Mondiale. Un exemple parmi tant d’autres est celui

d’une dizaine d’artistes africains célèbres (et parmi eux le musicien malgache Jaojoby)

enregistrant We are the Drums (2004) dans le cadre d’un des projets destinés à atteindre les « UN

Millennium Development Goals ». Une autre forme de cette imbrication entre musique,

engagement politique et ONG est celle que l’on retrouve dans le travail de l’ONG britannique

Sandblast, <http://www.sandblast-arts.org> avec le groupe saharawi Tiris, ou encore du projet

Desert Rebel, <http://desertrebel.com> auquel F. BENSIGNOR (2006) a dernièrement consacré un

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

213

article et F. BERGERON (2005) un film documentaire. De manière différente, et souvent contestée,

citons les concerts multisites du Live 8, organisés par Bob Geldof en collaboration avec le

mouvement Global Call to Action Against Poverty. À ce sujet, voir l’article de BICCUM (2007 : 111)

qui envisage ce spectacle du Live 8 comme une « popularisation du développement » largement

prise en charge par l’État britannique.

13. Un certain nombre de travaux récents se penchent sur les relations entre touristes et

populations locales : CHABLOZ (2007) analyse les décalages ou « malentendus » qui persistent entre

chacun ; BRUNER (2005) développe la notion de « touristic borderzone » ; CAUVIN VERNER (2007)

s’intéresse aux imaginaires réciproques et aux stratégies — calculées ou non — de

repositionnement qui ont lieu dans ces interactions ; ou encore MOWFORTH & MUNT (1998).

14. Sur la différence entre volontariat et bénévolat, voir SIMÉANT (2001) et ZUNIGO (2007).

15. C’est le cas par exemple dans CHABLOZ (2007 : 47), ROTH (2007 : 8) et SIMÉANT (2001 : 49). Pour

des travaux analysant plus particulièrement les trajectoires de divers membres d’organismes

humanitaires, voir KAUFMANN (1997), ROTH (2007), SIMÉANT (2001), ainsi que le chapitre 5 de

MOWFORTH & MUNT (1998).

16. L’article de ZUNIGO (2007) montre bien cette possible superposition entre tourisme et pratique

humanitaire et caritative, non pas dans la perspective habituelle des travaux portant sur le

tourisme solidaire mais en étudiant les ambiguïtés qui entourent la pratique du volontariat.

17. Le « terrain » ethnographique n’est donc pas ici à envisager en termes de lieu, mais

d’individus que l’on suit au fil de leurs activités, de leurs déplacements et de leurs rencontres.

18. Dans leur introduction au récent numéro de la revue Autrepart intitulé « Tourisme culturel,

réseaux et recompositions sociales » DOQUET et LE MENESTREL (2006) déploraient le manque

d’études empiriques qui dépassent le cadre avant tout local des travaux portant sur le tourisme,

alors même qu’elles étaient convaincues de l’existence de réseaux beaucoup plus larges.

19. Retraités tous les deux depuis quelques années à peine. Erich est titulaire d’un master de

sociologie et a mené pendant trente ans des recherches sur la jeunesse au sein du German Youth

Institute de Munich. De son côté, Anne fut longtemps directrice d’un large centre comprenant

plusieurs jardins d’enfants et garderies.

20. Sauf indication contraire, les entretiens retranscrits ici ont été menés en allemand (ou

dialecte autrichien de la région de Altmünster dans le cas de H. et S.) par Ulrike H. Meinhof, puis

traduits en français par les auteurs pour les besoins de cette publication.

21. <http://www.dmve.de>.

22. <http://www.freunde-madagaskars.de>.

23. Leur participation à cette association est devenue de plus en plus centrale au fil des années, à

tel point qu’Erich en est aujourd’hui le président.

24. Dama est l’un des sept membres d’un des groupes les plus connus à Madagascar, Mahaleo,

créé en 1972 lors des mouvements de protestation populaire qui secouent Madagascar et mènent

finalement au renversement du gouvernement néo-colonial. De cet engagement politique dans

les années 1970 découle la direction prise jusqu’à aujourd’hui par chacun des musiciens dans

divers engagements sociaux, environnementaux et/ou politiques. Dama (chant, guitare et

harmonica) est socio-

25. logue et agriculteur de formation. Il a créé une ferme dans la région côtière de Morondava

dans laquelle il développe et transmet de nouvelles méthodes d’agriculture biologique ; il a

également été membre du Parlement malgache à deux reprises (candidat indépendant). Bekoto

(chant et guitare) est sociologue de formation, il travaille en particulier pour la défense des droits

des paysans au sein de l’association malgache IREDEC (Institut de recherche et d’application des

méthodes de développement communautaire). Fafah est chanteur à temps plein, mais il lutte

également pour la réhabilitation des quartiers les plus pauvres d’Antananarivo. Nono (chant et

guitare basse) est chirurgien. Dadah (chant et guitare) est également chirurgien. Nous

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

214

reviendrons plus loin dans cet article sur Charle (batterie) dirigeant de la CICAFFE, et Raoul

(chant et guitare), médecin et frère de Dama. Sur le groupe Mahaleo, voir <http://

www.mahaleo.com>, ainsi que MEINHOF (2005 : 121 et sq.).

Pour une présentation du projet, voir <http://www.myspace.com/voajanahari>.

26. À tel point qu’ils sont désormais reçus pour diverses cérémonies du corps diplomatique

allemand à Madagascar et malgache en Allemagne.

27. Expression régulièrement utilisée par les artistes malgaches désireux d’utiliser leur art pour

faire découvrir l’existence même de ce pays à un public non malgache.

28. <http://www.verein-baobab.at/>.

29. Pour un bref aperçu du travail mené par Charle et la CICAFE à Madagascar, ainsi que sur

l’engagement social et politique des autres membres du groupe Mahaleo en général, voir le film

Mahaleo de PAES & RAJAONARIVELO (2005).

30. La Welthaus regroupe sept organisations dont les buts sont communs, mais les différentes

branches disposent d’une large autonomie dans la définition de leurs priorités et de leurs

activités, <www.welthaus.at>. Pour la branche de Linz, voir <http://www.dioezese-linz.at/

pastoralamt/wekef/>.

31. Selon la terminologie de la Welthaus.

32. Pour une description de ces Begegnungen mit Gästen, voir <www.welthaus.at>.

33. Tournée à l’occasion de laquelle ils travaillent avec H. et S., ce qui mènera à la création de

l’association Baobab dont il a été question dans le récit précédent.

34. Entretien avec Raoul et Dama des Mahaleo, mené en français par Ulrike Meinhof et Marie-

Pierre Gibert.

35. En particulier en termes d’équipement faiblement technologique.

36. Sur ce lien entretenu par les publics occidentaux avec la dite « world music », à grand renfort

d’imaginaire et le plus souvent sans aucune contextualisation, voir MEINHOF (2005), RAOUT (2006)

et MALLET (2002 b).

37. Dama et Ricky, discussions informelles. Voir aussi le texte de présentation du projet

Voajanahari.

38. Concernant la prédominance des discours sur l’environnement et la biodiversité dans le

déploiement de politiques de développement à Madagascar, et leur exploitation pour promouvoir

le tourisme, voir SARRASIN (2005).

39. <https://www.worldvision.ca/Sponsor-a-Child/Pages/HowitWorks.aspx>.

40. <http://www.charitybasics.co.uk/ch_plan.php> (traduction des auteurs).

41. Cité par MEINHOF (2005 : 132).

42. Ce qui va dans le sens de BLANC-PAMARD & FAUROUX (2004) ou de ATLANI-DUAULT (2005) qui

montrent comment la dimension « participative » des projets est devenue l’un des critères

particulièrement prisés par les bailleurs de fonds.

43. Ils ont ainsi été invités lors de la visite du président malgache Marc Ravaloma- nana en

Allemagne.

44. Ainsi les contacts de Anne avec la municipalité de Munich ont permis l’organisation de

concerts au Seebuehne, à la Muffathalle et au Musée d’Ethnologie (Staatliches Museum fur

Volkerkunde).

45. Voir les travaux de J. MALLET (2002a, 2004, 2007) sur les musiciens de la région de Tuléar. C’est

également ce qui se dégage de nos nombreux entretiens avec des musiciens malgaches installés

en Europe, ainsi que des discussions entre artistes, promoteurs culturels et chercheurs ayant eu

lieu lors du colloque organisé par TNMundi à Antananarivo en Novembre 2007, <http://

www.tnmundi.soton.ac.uk/events.htm>.

46. Paradoxalement, ce parti pris d’adopter des solutions « low-tech » est parfois l’un des points

d’achoppement entre « développeurs » et villageois.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

215

47. Il s’agit bien entendu toujours de la perspective des « développeurs ». L’argument contraire

pouvant en effet être avancé, selon lequel cette circulation d’informations pourrait également

être la source non plus d’une transmission de « solutions » mais d’une transmission d’« erreurs »,

ou du moins de solutions qui satisfont les « développeurs » mais pas les villageois.

48. Ce que S. GOEDEFROIT (2007 : 53) note également : « Cette façon de penser “ce qui est bien pour

l’autre” recèle une capacité d’agir sur le réel. »

49. Ce prolongement serait d’autant plus fascinant que les travaux de S. GOEDEFROIT (2007) ou de

BLANC-PAMARD & FAUROUX (2004) montrent que, bien souvent à Madagascar, les expériences de

développement donnant en théorie la parole et le droit de décision à tous ne sont qu’une

« illusion participative ».

RÉSUMÉS

Cet article explore les relations complexes liant musique, tourisme et développement à

Madagascar et en Europe. Trois parcours de « développeurs » sont analysés, où se construisent

des relations d'échange et de soutien mutuel entre musiciens et organisations humanitaires et

dans lesquels le tourisme a tantôt joué le rôle de déclencheur, tantôt au contraire découle de

cette rencontre entre membres d'une ONG et artistes. Nous faisons l'hypothèse que l'arrivée dans

le duo développement-tourisme d'une troisième dimension, celle des pratiques culturelles (ici la

musique), et plus particulièrement de leurs acteurs, les musiciens, permet de dépasser les

incompréhensions entre membres d'une ONG venus d'Europe et population malgache qu'ils sont

venus aider. Ce triangle de support mutuel permet de rééquilibrer — en partie au moins — les

inégalités inévitablement créées par ces pratiques d'aide à sens unique.

This article explores intricate interconnections between music, tourism and development in

Madagascar and Europe. We analyze three trajectories of actors in humanitarian work whereby a

relationship of exchange, friendship and mutual support has developed between members of

humanitarian organizations and artists. In some instances, this relationship has been triggered by

a prior experience of tourist visits to Madagascar, and in others has led to it. Using data from our

fieldwork in Madagascar and Europe, our paper develops the hypothesis, that the cultural

practices (here music), and in particular their actors, the musicians, create a third dimension in

the duality development-tourism, which overcomes the frequent misunderstanding between

NGOs' members coming from Europe and local Malagasy people whom they have come to assist.

This triangle of mutual support rebalances some of the inevitable inequalities arising from one-

way practices.

INDEX

Keywords : Madagascar, artists, development, music, tourism, NGO

Mots-clés : Madagascar, artistes, développement, musique, tourisme, ONG

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

216

AUTEURS

MARIE-PIERRE GIBERT

Centre for Transnational Studies, University of Southampton, Grande-Bretagne.

ULRIKE HANNA MEINHOF

Centre for Transnational Studies, University of Southampton, Grande-Bretagne.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

217

« La tarentule est vivante, elle n’estpas morte ». Musique, tradition,anthropologie et tourisme dans leSalento (Pouilles, Italie)“The Tarantula is Alive, it is not Dead”. Music, Tradition, Anthropology and

Tourism in Salento (Apulia, Italy)

Elina Caroli

NOTE DE L'AUTEUR

« Ballati tutti quanti ballati forti / ca la taranta è viva e nun è morta » (« dansez tous

dansez vite / car la tarentule est vivante, elle n’est pas morte ») : couplet d’un morceau

traditionnel de pizzica, la musique qui — notamment dans sa forme de pizzica tarantata

— était le plus souvent jouée pendant les rituels du tarentisme.

Le Salento contemporain : une identité pour vivre etpour vendre

1 Depuis une dizaine d’années, on assiste dans le Salento, l’extrême bout des Pouilles où

se situent le finis terrae et le point le plus oriental de la péninsule italienne, à la mise en

œuvre de politiques culturelles visant à promouvoir une identité locale. Celle-ci,

comme le souhaitent ses artisans, devrait permettre à ce petit territoire de « faire

entendre sa voix » à l’échelle globale. Ce mouvement tout à fait contemporain prend

son essor à partir d’une relation nouvelle au territoire, à ses ressources patrimoniales

et à son passé. Ainsi, il s’agira ici d’analyser « la façon dont le passé et son récit sous

forme d’histoire sont mobilisés comme une ressource dans les processus de

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

218

construction des identités » : de ce point de vue, il s’agit d’une mobilisation du passé

qui a un sens pour le présent (de L’Estoile 2001 : 123).

2 La redécouverte des racines et la revitalisation des traditions locales serviraient à

entretenir une différence essentielle par rapport à un monde dont on appréhende et on

craint tout d’abord l’homogénéisation. Sont tout à fait actuelles les affirmations de

maints hommes politiques ou des opérateurs culturels salentins qui, très souvent,

lorsqu’ils parlent des traditions ancestrales qui seraient le propre de leur région,

finissent par se référer à la mondialisation. L’identité locale, dans ces discours, est une

ressource qu’il faut valoriser pour gagner sa place dans le combat mondial pour la

présence, pour le droit d’exister et pour ne pas être effacé par une culture, soupçonnée

comme dominante, uniformisant les autres. De ce point de vue, ce mouvement

contemporain salentin s’insère à juste titre dans ce que Jean-Loup Amselle (2001 :

24-25) a appelé « le forum international » ou « le marché mondial des identités ».

Le salento dans les Pouilles, Italie du Sud

3 De plus, cette crainte d’une homogénéisation culturelle que la mondialisation serait

censée pouvoir engendrer « suscite l’urgence d’aller voir et recueillir ce que le monde

globalisé de demain ne nous permettra plus de voir » et garantit le succès du tourisme

culturel ou de l’ethnotourisme en quête de cultures « authentiques » (Doquet 2002 :

115-116). D’où le fait que les artisans de cette identité locale — ce que l’on appelle

localement « salentinità » — misent sur cette dernière et affirment qu’elle devrait

également constituer le socle sur lequel bâtir un modèle alternatif et durable de

développement, nourri en large partie par l’essor touristique du territoire.

4 Une identité ainsi construite est en effet, comme le savent très bien les hommes

politiques et les opérateurs culturels salentins, l’attrait principal du tourisme

contemporain, notamment culturel. La renaissance culturelle du territoire et le succès

touristique qui l’accompagne ces derniers temps demeurent par conséquent les

éléments fondamentaux du modèle alternatif de développement imaginé par la classe

politique au pouvoir. Ainsi, les buts des politiques culturelles dépassent largement le

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

219

domaine culturel, l’enjeu étant d’ailleurs celui du développement économique de l’aire

via le succès touristique.

5 C’est pourquoi j’ai cité la formule forgée par Sergio Blasi d’une « identité pour vivre et

pour vendre » (Santoro & Torsello 2002 : 184) : si, du point de vue notamment des

institutions locales, il s’agit dans la plupart des cas d’opérations de marketing territorial

s’appuyant sur la revivification de certaines traditions locales, la communauté locale et

en particulier les jeunes sont également impliqués dans cette démarche, en y puisant

des chances nouvelles d’occupation professionnelle et également un sens

d’appartenance et un orgueil nouveaux-nés.

6 La comparaison est tout à fait possible, voire nécessaire1 — car la similitude est

frappante — avec ce qu’affirme Anne Doquet (2002 : 119-120) par rapport aux

commencements du tourisme culturel au Mali, en l’occurrence dans le Mande : « Il ne

fait aucun doute que les motivations de ces nouveaux montreurs de culture soient

avant tout d’ordre économique. Néanmoins, il est intéressant d’entendre dans leurs

discours que cette réinvention des traditions répond aussi à un désir de la jeunesse de

mieux comprendre son passé pour mieux savoir qui elle est. »

7 Dans cette contribution, je tâcherai de comparer les résultats de mes enquêtes de

terrain et l’analyse de la situation salentine2 avec des études qui se penchent sur la mise

en patrimoine et la touristification des traditions au Mali, notamment en Pays dogon.

Comme on le verra, cela est possible tout d’abord du fait de l’essor touristique de ces

deux régions très éloignées et différentes et du lien de cet essor avec une situation que,

toujours d’après Anne Doquet, on pourrait nommer « situation ethnologique ». S’il

existe en effet « un regard ethnologique continu porté sur les Dogon de Sangha » (ibid.

1999 : 15), il en va de même pour le Salento et le tarentisme. Le tarentisme, la

littérature et les récits produits sur lui ne sont point étrangers au récent succès du

Salento qui, pour certains, est devenu une véritable mode. La Grecïa (l’Union de onze

communes de la province de Lecce situées au cœur de la péninsule salentine) est

l’épicentre de cette véritable « révolution territoriale » (Di Mitri 2006-2007 : 28) qui a

engendré un succès touristique. C’est ainsi que sont nés le projet de promotion du

dialecte d’origine grecque, le griko (depuis 1999 langue minoritaire de l’État italien),

qui a joué un rôle majeur dans la construction identitaire locale et celui du renouveau

de la musique traditionnelle, central dans la promotion de la région tout entière. C’est

dans la Grecïa salentine que se déroule, depuis 1998, le festival le plus connu de

musique salentine et notamment de pizzica, à savoir La Notte della Taranta (La Nuit de la

Tarentule).

8 Il s’agit d’un festival ayant lieu en août, durant deux semaines avec des concerts dans

tous les villages de la Grecìa3, dont le point culminant est le grand concert (le

concertone) de Melpignano. C’est cette nuit — qui donne d’ailleurs son nom au festival —

la plus longue et la plus fréquentée du Salento, qui a changé la destinée de ces quelques

villages et finalement de toute la province.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

220

La Grecìa salentine

9 Ainsi, ce n’est pas un hasard si j’ai cité Sergio Blasi : le maire de Melpignano, président

de l’institut Diego Carpitella (créé en 1997 dans le but de promouvoir le patrimoine

immatériel salentin et étroitement lié au festival), affirme que, même si la « mère » de

La Notte della Taranta est la Grecïa, il peut en être considéré à juste titre comme le

« père »4. Durant ces dix dernières années, grâce à une promotion avisée, cette

manifestation a su se développer, en attirant un public toujours plus nombreux et en

élargissant considérablement son champ d’action, dans le temps et dans l’espace. Il ne

fait aucun doute que ce festival tire aussi son succès extraordinaire de sa référence à un

phénomène anthropologique majeur tel que celui du tarentisme5.

10 Dans le prochain paragraphe, je montrerai comment la patrimonialisation du

tarentisme s’est produite à partir d’une image particulière de ce dernier, à savoir celle

d’Ernesto de Martino et des chercheurs et anthropologues qui l’ont suivi dans « ce topos

de l’ethnologie italienne qui est le Salento » (Bevilacqua 2005 : 74). Si aujourd’hui on

peut parler de « l’empire de l’Araignée ressuscitée à Melpignano et dans ses

environs »6, toute opération de récupération prend sa valeur et pour ainsi dire son

« appellation d’origine contrôlée de la référence à l’œuvre scientifique la majeure qui a

fondé le mythe ethnographique salentin », à savoir La Terre du remords (ibid. : 73).

11 Le Salento peut être de la sorte considéré comme une région « ethnologisée », puisqu’il

a été sillonné par nombre d’anthropologues après la saison inaugurale demartinienne

et qu’il a été de plus en plus souvent l’objet d’une anthropologie autochtone. De plus,

c’est à partir du mythe ethnographique ainsi créé que l’on a procédé à la construction

des identités locales. Grâce notamment à une inversion des signifiés du phénomène

d’antan, les événements créés autour de la « tarentule » ou les discours sur le

tarentisme construisent aujourd’hui une nouvelle identité locale (Fumarola &

Lapassade 2006-2007 : 63) très à la mode, comme nous le verrons plus loin.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

221

12 Or, cette identité locale, surgie de l’interaction de chercheurs venant d’ailleurs, érudits,

opérateurs culturels, musiciens et hommes politiques locaux, pose problème. La

question foncière (abordée dans la dernière partie de cette contribution), est celle de la

promotion d’une image réductrice de la culture salentine qui se vend pourtant très bien

sur le marché touristique. La « renaissance » dont parlent les élites locales cacherait le

risque d’une vitrification de la culture et de la société salentines prises au piège d’un

regard — externe ou interne — exotisant. Des traits culturels sélectionnés et réifiés sont

mis en avant en tant qu’étendards identitaires et labels distinctifs à utiliser sur le

marché touristique.

Ab « La terra del rimorso » condita

13 Sur le site officiel du festival le plus connu du Salento, on peut lire que « La Notte delta

Taranta est une grande fête de sons et de gens qui n’a rien à voir avec le rite du

tarentisme »7. Ceci est sans doute vrai dans la mesure où les performances qui ont lieu

aujourd’hui sur la scène de Melpignano ou ailleurs, n’ont rien en commun avec le

tarentisme d’antan. Rien en commun sauf peut-être leur propre volonté de s’y

brancher. En réalité, localement on ne peut pas se passer du symbole de la tarentule

(cela est d’ailleurs évident déjà à partir du nom même de l’événement) car on sait que

la tradition du tarentisme attire, amplifie le charme du Salento et rend La Notte della

Taranta avec sa panoplie de produits (concerts en Italie et à l’étranger, CD, DVD, livres)

beaucoup plus appréciée sur le marché touristique et sur celui de la revitalisation

folklorique. Il est évident que la mise en spectacle, voire la folklorisation du rituel de

jadis et de la musique qui l’accompagnait ont pris appui, de façon très consciente, sur le

rituel lui-même et notamment sur une description et une analyse particulières de ce

dernier, à savoir celles de l’historien des religions et ethnologue Ernesto de Martino.

14 Avec la parution de sa monographie, en 1961, de Martino (1999 : 45) dévoilait la misère

matérielle et psychologique de la « terre du remords », strictu sensu le Salento où,

comme il l’affirmait, le tarentisme influençait à l’époque « l’idéologie et le

comportement de quelques milliers de personnes » alors que, en considérant les

renseignements occasionnellement recueillis durant les visites dans les villages

salentins, il lui est possible d’affirmer que, « durant la saison de 1959, les tarentulés

étaient, dans l’ensemble, un peu plus de cent ». De ces « mordus de la tarentule » de

Martino (ibid. : 29-30) décrit l’« exorcisme musical » effectué à domicile grâce à

l’intervention de musiciens, en l’occurrence le petit orchestre (orchestrina) du coiffeur-

violoniste Stifani, et la visite successive à Galatina, à la chapelle de Saint- Paul, censé

être le protecteur à la fois des araignées et des tarentulés. La taranta, autrement dit la

tarentule, est le « monstrum mythique » (ibid. : 70), « le symbole suprême, le mythe

unificateur de tout l’ordre symbolique du tarentisme » (ibid. : 235) : c’était sa morsure

qui était censée plonger le « piqué » dans un état d’extrême agitation ou, au contraire,

catalectique et dépressif. Le but de la musique était alors de faire sortir le tarentulé de

son état en le faisant danser (même pendant plusieurs journées) jusqu’à expulser le

venin et à recevoir la grâce de saint Paul.

15 La Notte della Taranta par antonomase, c’est-à-dire le concert final du festival ainsi

nommé, a lieu à l’entrée de Melpignano, près de l’ancien couvent des Augustiniens. Il

s’agit du même lieu que l’on voit encore à l’état d’abandon dans les premières scènes de

La Taranta (1961) de Gianfranco Mingozzi, le premier documentaire sur le tarentisme

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

222

(Mingozzi 2002 : 10, 20)8. Dans le documentaire, le couvent n’est que l’exemple visuel

qui accompagne les mots du poète Salvatore Quasimodo sur les églises qui « sèchent et

tombent dans le silence », dans un Salento qui n’est que Sud oublié et immobile (ibid. :

45).

16 Le couvent n’est qu’une des nombreuses images récurrentes qui parsèment l’histoire du

regard posé sur le tarentisme à partir de « Salento 1959 », c’est-à-dire à partir à la fois

de l’arrivée de l’équipe de de Martino dans le Salento et de sa description du terrain

dans la première partie de La terre du remords. En fait, comme on le verra par la suite, on

est ici aussi, comme l’affirme Sory Camara dans sa préface à l’ouvrage d’Anne Doquet

(1999 : 10) sur les masques dogon, « sous l’empire du regard » où, d’image en image,

dans un jeu de miroirs, la popularité de l’objet ethnographique en marque la fixation,

voire l’aliénation.

17 D’ailleurs, de Martino (1999 : 28) affirma lui-même avoir décidé d’entreprendre sa

recherche sur le tarentisme après avoir vu des clichés d’André Martin pris « du haut de

la tribune ad audiendum sacrum » et « représentants les scènes qui, chaque année, du 28

au 30 juin, se déroulent dans la chapelle de Saint-Paul en Galatina ». Le pouvoir de

l’image qui fige immédiatement l’objet du regard est tellement fort que de Martino

(ibid. : 29) se placera avec des membres de son équipe dans la même tribune d’où Martin

avait photographié les « mordus de la tarentule ». Après lui d’autres feront de même,

comme Mingozzi — dont chaque documentaire sur le tarentisme sera un hommage

explicite à de Martino — et comme Luigi Chiriatti (1995 : 26), un spécialiste et musicien

local.

18 On peut aisément affirmer l’existence d’un fil rouge entre ces différentes

« représentations » du tarentisme mais ici il est important de souligner que l’œuvre

demartinienne « jette les fondations » d’un nouveau regard qui pèsera lourd sur la

destinée du phénomène. C’est pourquoi l’anthropologue Giovanni Pizza (2006-2007 : 65)

parle de l’existence d’une véritable « trace demartinienne » qui a fait du Salento un

« site de la mémoire » de l’anthropologie italienne. Immédiatement après « Salento

1959 » commence « le pèlerinage salentin d’anthropologues post-demartiniens » (ibid. :

72), composé de certains membres de l’équipe qui accompagna de Martino lors du

premier terrain.

19 Cette tendance, évidente dans la publication de nombreux ouvrages post- demartiniens

qui souvent ne franchissent pas les limites de la province de Lecce, s’est accentuée

dernièrement. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que pendant longtemps de Martino fut

l’objet d’une sorte de « damnatio memoriae »9 10. La traduction française de son ouvrage

parut chez Gallimard en 1966 ; l’intellectuel local Sergio Torsello (2006 : 30) souligne

cependant qu’en 1961 la publication de La terra del rimorso passa presque inaperçue dans

le monde intellectuel salentin et qu’en réalité, dans le Salento, ce livre fut découvert

beaucoup plus tard11. Or, après la réédition de La terre du remords en 1994 — à laquelle

contribua, dit-on, un intellectuel salentin en contact avec la maison d’édition (ibid. : 47)

— la monographie sur le tarentisme, jadis considérée (toujours d’après Torsello) comme

une « œuvre mineure » dans la bibliographie demartinienne (ibid. : 25), a connu un

nouveau succès et, notamment dans le Salento, est devenue un véritable best-seller,

étalé dans les vitrines des librairies à côté d’ouvrages d’histoire locale ou de guides

touristiques.

20 L’an 1994 est considéré comme une date charnière concernant cette redécouverte car,

par la suite, les publications et les événements liés à La terre du remords ou au

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

223

tarentisme se multiplient. Alors que la bibliographie sur le tarentisme s’accroît11, les

intellectuels salentins ont l’impression qu’à nouveau, comme à l’époque des enquêtes

de de Martino et de ses collaborateurs, le Salento est devenu un terrain privilégié de

recherche pour les sciences sociales (ibid. : 39-40). Entre l’intérêt anthropologique et

l’attrait touristique il n’y a qu’un pas, surtout lorsqu’il s’agit d’impulser un tourisme en

quête de « derniers lieux authentiques ». C’est ainsi que ces dernières années, on

observe à la fois une revitalisation de la pensée demartinienne dans l’anthropologie en

Italie et à l’étranger12 mais également, parallèlement, une mise en patrimoine du

tarentisme impulsée par les politiques culturelles locales (Pizza 2006-2007 : 66).

21 Mise à part l’arrivée dans le Salento de nombreux chercheurs liés de façon plus ou

moins directe à de Martino et à sa recherche fondatrice, la référence continuelle et très

claire à de Martino se perpétue aujourd’hui et appartient également à tout regard

endogène, qu’il s’agisse des nombreux ouvrages d’ethnologie autochtone, de films ou de

réélaborations de morceaux traditionnels.

22 Dans le premier cas, on pourrait citer l’exemple du livre de Luigi Chiriatti13 Morso

d’amore (Morsure d’amour) dont le titre souligne clairement la dimension psychologique

liée à une désillusion amoureuse de la crise de tarentisme. Or, il s’agit justement de la

lecture faite par de Martino de la crise de la seule tarentulée dont il put observer à la

fois le cycle complet de l’exorcisme chorégrapho-musical à domicile et la visite à la

chapelle de Saint-Paul à Galatina. La tarentulée était « Maria di Nardo », d’après le nom

conventionnel que lui donne de Martino, nom sous lequel elle sera d’ailleurs toujours

connue ; Mingozzi (2002 : 19), qui la filma dans son documentaire La taranta, nous

révélera par la suite son vrai prénom, Assuntina.

23 À partir de ce même personnage, on peut donner un autre exemple concernant cette

fois les films réalisés au sujet du tarentisme, tel que Pizzicata (1996) dans lequel le

réalisateur Edoardo Winspeare14 reconstruit le milieu d’un Salento populaire encore

culturellement homogène par rapport à l’idéologie qui sous-tendait le phénomène du

tarentisme. D’après Chiriatti (1995 : 17), c’est la figure de Maria di Nardo, telle qu’elle a

été présentée par de Martino dans La terre du remords, qui « inspire » Winspeare.

24 Enfin, pour donner un dernier exemple de la présence d’un tarentisme de matrice

demartinienne dans les regards et récits successifs, je citerai le cas du morceau

traditionnel salentin Lu rusciu de lu mare (Le bruit de la mer) dans la version du groupe

Alla Bua. Il ne s’agit pas d’une pizzica tarantata, c’est-à-dire d’une pizzica liturgique,

originairement jouée et dansée lors des crises de tarentisme ; ce n’est pas non plus une

pizzica profane 15. Le texte de ce morceau révèle tout de suite qu’il s’agit d’un chant

d’amour, dont le rythme est très lent. Ceux qui prétendent que le chant « naît » à

Gallipoli, affirment également que sa fonction était d’accompagner les coups des rames

des pêcheurs (on expliquerait de la sorte le rôle majeur que joue la mer dans le texte

d’un chant de travail de pêcheurs). Néanmoins, suivant une tendance désormais

généralisée parmi la plupart des groupes du folk revival salentin, Alla Bua exacerbe le

rythme et structure le morceau comme s’il s’agissait d’une véritable pizzica. Qui plus

est, le vidéoclip16 du morceau est construit suivant la description de l’exorcisme de la

tarentule faite par de Martino, avec des références visuelles tout d’abord à la tarentulée

vêtue de blanc ; à la corde au bout de laquelle elle se balançait parfois dans les moments

d’identification avec l’araignée qui l’avait piquée ; aux chaises entre les barres

desquelles les tarentulés se contorsionnaient parfois durant les crises ; à la figure du

pont, faisant partie du moment identificatoire avec l’araignée du cycle chorégraphique

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

224

et dont de Martino (1999 : 84) affirma que « c’était l’arc hystérique classique ». Enfin,

certaines scènes du clip montrent les musiciens du groupe dans une voiture et elles

rappellent non seulement une fameuse photographie de de Martino dormant sur le

siège arrière d’une voiture lors de son terrain salentin, mais surtout les scènes

désormais classiques de Maria di Nardo amenée en voiture à Galatina et filmées par

Mingozzi dans La taranta.

25 Cette permanence de la description demartienne et son ubiquité ont fait parler, à

propos de La terre du remords, d’« œuvre ouverte »17 justement parce qu’il s’agirait d’une

œuvre très revisitée, et d’« image totale » (Tari 2004 : 14) ou, finalement, d’une

véritable « identification du passé salentin avec la mémoire demartinienne de Salento

1959 » (Pizza 2002 : 45). C’est pourquoi j’ai adapté la célèbre formule latine à l’héritage

de de Martino et de son œuvre dans le Salento en parlant d’une époque qui peut être

calculée « ab La terra del rimorso condita ».

26 Or c’est justement cette persistance qui pose problème. À présent, le lecteur qui connaît

la situation des Dogon au Mali aura déjà remarqué plusieurs points communs entre

cette démarche dans le Salento et celle par laquelle « les Dogon du Mali sont devenus

les Dogon de Griaule, puis les Dogon des ethnographes, et pour finir, les Dogon pour

touristes » (Camara 1999 : 11). Anne Doquet (1999 : 15) remarque en fait que, déjà, à la

suite de la mission Dakar-Djibouti, l’ethnologie n’a plus cessé de poser « sur la société

qu’elle a tant chérie un regard permanent », en l’érigeant en modèle. Mais c’est en

considérant à la fois Dieu d’eau (1948) de Marcel Griaule et La terre du remords d’Ernesto

de Martino que l’on décèle les analogies les plus surprenantes18. Non seulement par

rapport à leur réception et à leur usage contemporains dans les sociétés qui ont fait

l’objet de leurs enquêtes respectives, mais également pour ce qui concerne leurs

terrains réciproques.

27 Tout d’abord, concernant les Dogon et l’ethnologie, on peut distinguer deux phases :

l’avant et l’après Dieu d’eau (Doquet 1999 : 26,121). Gaetano Ciarcia (2001 : 106), lorsqu’il

parle de « la vulgarisation du discours érudit, véhiculée surtout par le livre Dieu d’eau,

de l’ethnologue Marcel Griaule » en Pays dogon, ne fait que constater l’importance

fondatrice de cet ouvrage. Un autre point en commun, qui n’est sans doute pas étranger

au grand succès de ces ouvrages même en dehors de leur milieu disciplinaire d’origine

et à leur utilisation actuelle à des fins de promotion touristique, c’est qu’il ne s’agit pas

de simples œuvres d’anthropologie, de froids comptes rendus de terrain. D’après

Ciarcia (ibid. : 106), Dieu d’eau est un texte « qui prétend être scientifique et littéraire à

la fois ». On peut dire la même chose de La terre du remords dont certaines pages

possèdent un lyrisme émouvant qui a sans doute contribué à la vulgarisation du texte

auprès d’un large public.

28 Concernant l’informateur de Griaule, Ciarcia continue en soulignant que « Griaule

manie les mots d’Ogotemmêli [...] en présentant ce personnage comme une figure

romanesque de maître à penser exotique ». Et d’en conclure qu’« une telle création

conditionnera la transformation du livre en emblème » (ibid.). Passons maintenant à La

terre du remords : au départ, la situation est différente mais on peut affirmer que le

résultat est semblable. De Martino a été accusé d’avoir, pour ainsi dire, « occulté » son

informateur privilégié, le barbier-violoniste Luigi Stifani. Quelqu’un a remarqué que de

Martino ne le nomme jamais (Torsello 2000 : 21). On a même parlé d’une « stratégie du

silence » mise en place par de Martino, en considérant cette omission comme une

limite majeure qui entame le rapport du chercheur avec son informateur privilégié (Di

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

225

Mitri 2005 : 43). Et pourtant, même si Stifani demeure anonyme, cela n’a pas empêché le

violoniste de jouer un rôle de premier plan dans La terre du remords, pour ensuite

devenir une figure emblématique du tarentisme tout court et l’informateur privilégié

de tous ceux qui sillonneront les mêmes lieux en suivant les traces demartiniennes.

29 De Martino se réfère à plusieurs reprises à Stifani en l’appelant « notre barbier

violoniste ». Et lorsqu’il s’attarde sur la description de l’exorcisme musical, Stifani est le

personnage central, au même titre que la tarentulée. En lisant ces pages, on se trouve

face à un « maître » du tarentisme, qui, justement grâce à ce rôle, a pu par la suite

devenir une figure « presque mythique du Salento » (Collu 2004 : 53) dont l’activité a

été définie comme étant « pseudo-chamanique » (Nocera 2000 : 30). Les anecdotes

citées par de Martino ont sans aucun doute contribué à donner cette impression. De

Martino raconte avoir demandé à Stifani, durant une pause de la cure domiciliaire de

Maria, de lui donner son pronostic sur la grâce que saint Paul aurait faite à la

tarentulée, lui permettant ainsi d’arrêter la danse. « Sur le ton assuré et bureaucratique

d’un employé de chemins de fer donnant au voyageur un renseignement d’horaire, il

nous déclara : “Le saint accorde sa grâce soit à midi, soit à treize heures ou alors à

quinze heures ou à dix- sept heures”. » Et de Martino (1999 : 84-85) de constater que

« la grâce s’était produite exactement à 14 h 55 ».

30 Qui plus est, lorsqu’il décrit l’exorcisme musical, de Martino s’attarde sur l’image du

violoniste se penchant sur la tarentulée de manière à ce que son archet aurait pu être

un prolongement du corps de la femme. De Martino nous renvoie à cette occasion

l’image d’un musicien thérapeute maîtrisant parfaitement le rituel. Georges Lapassade

(1976 : 134), en analysant la description demartinienne, affirmera par la suite que « le

rapport entre le violoniste, musicien principal, et la tarentulée [...] est décrit comme un

rapport entre hypnotiseur et hypnotisé ». Pourtant, dans son journal intime, Stifani

(2000 : 58) avoue avoir été parfois troublé par les tarentulés lorsqu’il jouait pour eux car

il craignait qu’ils puissent en quelque sorte faire de lui une nouvelle recrue.

31 Quoi qu’il en soit, Salento 1959 change à tout jamais la vie ordinaire de Stifani et aussi la

perception qu’il a de lui-même. Comme on l’a dit, Stifani deviendra par la suite

l’informateur privilégié de tous ceux qui voudront observer le phénomène : ce sera à lui

que s’adressera Mingozzi avec une lettre de recommandation de de Martino. Ainsi, ce

sera Stifani qui fixera par la suite les rendez-vous de Mingozzi avec les tarentulés et

leurs familles lors du tournage de La taranta. Stifani guidera également Mingozzi dans

tous les « hauts lieux » du tarentisme (Mingozzi 2002 : 18) et fixera les moments du

tournage. Parfois, il ira jusqu’à arrêter le rituel pour présenter l’équipe de Mingozzi aux

parents de quelque tarentulée (ibid. : 19) ; une autre fois, il résoudra une bagarre entre

le mari d’une tarentulée et un membre de l’équipe qui avait commencé à « travailler »

sans attendre l’arrivée du violoniste (ibid. : 25).

32 Mingozzi se présenta chez Stifani avec une lettre signée par de Martino lui-même et

put par la suite affirmer que Stifani se montra toujours « gentil et disponible » (ibid. :

17). Lorsque, quelques années plus tard, le chercheur local Chiriatti commence à son

tour son parcours de la mémoire du taren- tisme, la première étape ne peut qu’être

Nardo et la boutique de Stifani. Or, à la demande de renseignements faite par Chiriatti,

Luigi Stifani répondra en demandant très clairement à être payé. Ce qui poussera

Chiriatti (1995 : 57, 60) à affirmer, lorsqu’il rencontrera le frère de Stifani, Antonio, (lui

aussi musicien des tarentulés, n’ayant pas pour autant la renommée de Luigi),

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

226

qu’Antonio est beaucoup plus ouvert que le frère car il parle spontanément du

phénomène et ne veut pas être payé pour ses informations.

33 Conscient de son importance, Luigi Stifani se signera, dans son journal intime,

« informateur Stifani » et transformera sa boutique en « bureau sur le tarentisme ».

Rencontrer Stifani deviendra le passage et même « le départ obligé de toute étude,

recherche ou “approche” de la pizzica salentine » (Melissi 2005 : 19)19. À son tour, Stifani

tirera un certain orgueil de son rôle et de son « intégration dans le milieu international

des savants de la musique ethnique » (Bevilacqua 2005 : 76). Dans son journal intime, il

citera l’invitation qui lui fut adressée pour participer à un colloque à Lecce « avec

beaucoup de spécialistes d’ethnomusicologie de nombreux pays » (Stifani 2000 :

48-49)20.

34 La deuxième dramatis persona (Pizza 2002 : 43) de La terre du remords, Maria di Nardo,

réagira de façon tout à fait différente à cette montée d’intérêt, prouvant toutefois de

nouveau, l’importance de l’héritage demartinien. En effet, il existe dans le Salento une

sorte de « rituel de la mémoire » dès que l’on s’intéresse au tarentisme : interviewer

Maria di Nardo (Pizza 20062007 : 72). Dans son cas, il y a même eu de l’acharnement,

comme lors de l’interview d’Annabella Rossi présentée dans le documentaire de

Mingozzi, Sud e magia21 (1978) qui ressemble de façon troublante à un interrogatoire de

police, et qui s’achève sur le désespoir de Maria affirmant qu’« on ne fait pas ces

choses ».

35 Le passage du documentaire sur la deuxième chaîne de la télévision nationale provoqua

à l’époque de nombreuses réactions. En particulier, Edoardo Sanguineti souligna le

problème de la « spectacularisation de la recherche » et de l’exotisme implicite dans la

façon médiatisée de montrer ces « Autres » (Mingozzi 2002 : 70-71). Annabella Rossi se

justifia en ripostant qu’il s’agissait d’une opération nécessaire afin de « faire entrer

dans l’histoire une culture qui de l’histoire a toujours été exclue » (ibid. : 72-73).

36 Il ne s’agit que d’un autre cas de figure du regard ethnologique producteur d’« isolats

culturels » vendus par la suite sur le marché de l’ethnique. En 1995, en posant le même

problème, Germaine Dieterlen répondait ainsi à un journaliste de Libération : « Mais que

voulez-vous, les Dogon sont à la mode. Je suis effrayée par le regard qu’on porte sur

eux. Comme s’ils étaient des gens à part [...], comme s’ils étaient “isolés” sur notre

planète » (Doquet 1999 : 287).

37 Enfin, le problème général qui se pose par rapport à ces écrits, est celui de la

généralisation sans doute abusive des résultats des enquêtes ethnologiques. Dans le cas

de Dieu d’eau aussi bien que dans celui de La terre du remords, la situation est rendue plus

complexe du fait que ces textes ont façonné notre regard et qu’ils sont utilisés aussi

localement dans le processus de patrimonialisation. Autrement dit, étant donné qu’il

existe une « relation entre le mythe ethnologique et les pratiques de valorisation du

patrimoine » contemporaines (Ciarcia 2001 : 106), il faudrait à mon sens s’interroger

sur ces dernières et sur les conséquences de cette relation, et cela justement à cause du

moulage de la culture vécue, sans cesse mouvante, sur la culture décrite et par là figée.

38 En ce qui concerne le cas de de Martino, même si son enquête fut longuement préparée

et même si certains membres de son équipe se rendirent à plusieurs reprises dans le

Salento, le temps passé sur le terrain demeura assez limité, ce qui d’ailleurs est avoué

par de Martino lui-même (1999 : 8). Salento 1959 prend appui sur les observations faites

pendant une vingtaine de jours, du 20 juin au 10 juillet (Agamennone 2005 : 16). C’est

toujours de Martino qui révèle le rôle majeur joué par l’aléa dans sa démarche. Ce ne

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227

fut que par hasard, en parlant avec le gérant de l’hôtel où il se trouvait avec son équipe

à Galatina, qu’il eut vent de l’exorcisme de Maria de Nardo et de l’activité des deux

frères Stifani. De plus, même s’il affirme qu’à l’époque il aurait dû y avoir une centaine

de tarentulés dans le Salento, des trente-cinq qui se rendirent à la chapelle de Galatina

du 28 au 30 juin 1959, son équipe choisit d’en suivre dix-neuf (de Martino 1999 : 44-45).

Parmi eux, le cas de Maria di Nardo fut le seul à être entièrement observé par l’équipe,

au domicile de la tarentulée et à la chapelle de Galatina.

39 Certes, on pourrait affirmer que l’aléa est une donnée commune à toute enquête de

terrain. La question n’est pourtant pas là. En revanche, mon but était de montrer que ce

sont les écrits de de Martino qui changent la destinée de leurs personnages principaux.

Alors qu’à l’époque de l’enquête demarti- nienne, différentes formations musicales

jouant pour les tarentulés existaient dans le Salento (Agamennone 2005 : 32-35),

l’orchestre de Stifani est déjà essentialisé avec le compte rendu de La terre du remords

paru dans la revue L’Homme en 1962. On peut y lire que la musique est jouée « par un

orchestre composé d’accordéon, tambourin, violon et guitare » (Cassin 1962 : 131). Un

violoniste rencontré par hasard devient le violoniste des tarentulés, de surcroît

convoité par tout chercheur jusqu’à sa mort ; une tarentulée, la tarentulée. Finalement,

le caractère fortuit et la partialité du regard n’a pas empêché que, par la suite, le

tarentisme décrit par de Martino devienne le tarentisme tout court.

Le néo-tarentisme et la mode du Salento

40 Analysons à présent les pratiques contemporaines de valorisation du patrimoine dans

leur relation au mythe ethnologique. Pour décrire la situation plus récente du Salento,

on parle souvent de « néo-tarentisme » en se référant à la fois à la parution continue

d’ouvrages « post-demartiniens » et en général à la reprise du débat sur le tarentisme,

mais en incluant également dans cette formule le succès touristique de la région,

notamment parmi les jeunes, qui accompagne un large mouvement de renouveau

musical. Il s’agit d’ailleurs de différentes facettes d’un même processus déclenché dans

une société « ethnologisée », autrement dit, comme l’explique Anne Doquet, une société

« vivant en permanence sous le regard des chercheurs et sous d’autres regards

complices ». Et Doquet (1999 : 290) de poursuivre : « Toutes les cultures de ce type

semblent avoir été éclairées par un texte ou un ensemble de textes inauguraux, signés

d’une personne ayant fait autorité dans la discipline. » De la sorte, ce personnage

influent crée un « moule théorique » qui sera toujours remployé par les autres

chercheurs. En revenant au cas du Salento, que l’on s’accorde avec de Martino ou pas,

on ne s’en éloigne jamais dès que l’on parle de tarentisme.

41 C’est pourquoi d’ailleurs ceux qui parlent de néo-tarentisme en marquant une

différence essentielle entre ce mouvement contemporain et le phénomène d’antan

finissent par oublier un aspect pourtant important du processus, à savoir le lien

existant entre le passé — et le récit ethnologique du passé — et les opérations

contemporaines. Certes, aujourd’hui on ne pourrait plus étudier le tarentisme dans le

cadre d’une histoire religieuse du Sud, mais ce qui compte c’est d’observer au niveau

local la gestion de la mémoire et de la tradition et la construction de l’identité qui en

découlent et d’analyser les enjeux spécifiques de ces opérations.

42 Comme on le dit souvent localement en se référant à la situation du « tout-pizzica » et en

général à l’engouement pour la musique salentine et le Salento, la « tarantule » est

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

228

encore bien vivante. Alors que de Martino observait un phénomène qui d’après lui se

serait vite épuisé et dont ne restaient que des bribes, à partir de son enquête et de

celles qui viendront dans son sillage, l’araignée recommencera à mordre, même d’une

façon différente. Non seulement l’œuvre demartinienne fonde le tarentisme et oriente

les images qui, depuis l’enquête de 1959, ont marqué l’appréhension de sa fin, mais elle

marque surtout le début de sa « renaissance ».

43 Les valeurs sont toutefois renversées : on passe du « remords » d’autrefois au

« rachat », et du tarentisme on trie les différents aspects en ne gardant que ce qui se

vend le mieux. Ce n’est pas une « invention de la tradition » mais il y a eu à un certain

moment un renversement des signifiés. La douleur des tarentulés est effacée pour faire

place à la fête et aux rituels libérateurs des néo-tarentulés. La référence au rite

demeure, mais elle est maintenant vécue en clé positive, d’abord comme élément

distinctif. Le phénomène honteux de jadis, que l’on cherchait même à cacher, est

affiché à toute occasion, alors même qu’il n’y a plus de tarentulés, et demeure à la base

de l’orgueil nouveau-né d’être salentins et de participer d’une culture au centre de

l’intérêt de plusieurs sujets : chercheurs et touristes, tout d’abord. Le changement est

évident : devant la chapelle de Galatina, par exemple, où il n’y a que des jeunes curieux

— sans doute les mêmes que le public de La Notte della Taranta — prêts à filmer l’arrivée

d’une dernière tarentulée qui ne se produira pas ou ayant simplement l’envie de jouer

du tambourin.

44 Ce changement des sujets impliqués n’est toutefois pas récent. Mingozzi l’affirmait déjà

en 1982, non sans une certaine nostalgie et une nuance de regret. Son documentaire

Sulla terra del rimorso s’achève sur cette remarque de la voix-off : « Galatina, 29 juin 1982.

Nous sommes retournés, pour la troisième fois après 1961 et 1977, à la chapelle de saint

Paul. [...] Aujourd’hui, photographes, opérateurs de cinéma et touristes sont de plus en

plus nombreux et leur présence dépasse largement celle des malades d’autrefois. Une

vide manie de folklore s’accroche à ce néant qui reste d’un phénomène ethnographique

une fois imposant, assujettissant et dur [...] » (cité dans Mingozzi 2002 : 75). Pourtant,

Mingozzi fait partie du groupe qu’il observe, s’il est vrai, comme l’affirme de Martino,

qu’en 1959 il n’existait déjà que des reliquats de l’ancien rite. Par le biais de discours

comme celui de Mingozzi, c’est une distinction que l’on veut imposer, fondée sur

l’image d’une sorte d’« âge d’or » qui n’a jamais existé. C’est encore Mingozzi (ibid. : 82)

qui, en revenant sur son expérience de 1982, parle du « sens de désolation de l’ancienne

fête réduite à une marchandise et à la consommation », sans d’ailleurs vouloir se

rendre compte de sa part de responsabilité dans ce processus. Ce même sentiment est à

la base des commentaires de ceux qui regrettent « le tarentisme qui malheureusement

n’existe plus » (cité dans Pizza 2006-2007 : 69).

45 C’est toujours dans une situation « ethnologisée » que les changements majeurs, ayant

informé l’histoire du tarentisme et le passage vers ce qui est appelé aujourd’hui « néo-

tarentisme », se sont produits. Force est de considérer, par exemple, l’importance de la

rencontre du chercheur local Luigi Chiriatti22 — qui possède à l’heure actuelle les

archives les plus riches concernant les traditions salentines et qui arrive même à parler

d’« ethnie salentine » (Miscuglio & Chiriatti 2004 : 13, 17) — avec des sociologues ou des

ethnologues, tels que Pietro Fumarola et Georges Lapassade. Ce dernier a joué d’ailleurs

un rôle de premier plan dans la démarche qui a conduit au néo-tarentisme

d’aujourd’hui, même s’il semble qu’il ait voulu s’en éloigner par la suite. Pourtant, ces

réflexions sur le tarentisme ne sont pas exemptes d’erreur. Pour ne citer qu’un exemple

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

229

toutefois parlant, dans son ouvrage consacré aux transes et aux possessions, lorsqu’il se

penche sur le tarentisme, il confond la pratique de thérapie musicale avec la musique

utilisée pendant son déroulement, en affirmant que « le nom populaire de ce rituel est

pizzica-pizzica » (Lapassade 1982 : 123).

46 C’est le début de la surestimation de la pizzica et de la confusion aujourd’hui généralisée

entre la « tarentelle liturgique », autrement dit la pizzica tarantata jouée lors du rite

domiciliaire et la « tarentelle profane » (Carpitella 1999 : 454), c’est-à-dire la pizzica-

pizzica ou la pizzica du core, celle des danses de couple et de cour pendant les fêtes. On en

est aujourd’hui à appeler indifféremment tout morceau taranta, même lorsqu’il s’agit de

pizzica profane, alors que Carpitella, dans son appendice à La terre du remords qui reste

encore à présent l’étude d’ethnomusicologie la plus importante sur le tarentisme

(Agamennone 2005 : 23), soulignait péremptoirement que « lorsqu’on parle de modules

chorégraphiques du tarentisme, il faut exclure les modes de la danse profane » et, sur

un ton encore plus tranchant, que « la tarentelle qui est dansée dans le tarentisme n’est

pas la tarentelle profane » (ibid.). Malgré ces avertissements, on assiste souvent

aujourd’hui, lors des concerts de pizzica, à la présence simultanée dans la danse

d’éléments cinétiques renvoyant à la fois aux deux modèles. Ainsi, lorsque quelques

spectateurs d’un des très nombreux concerts de musique traditionnelle salentine se

mettent à danser, d’une façon qui d’ailleurs est souvent critiquée par les (prétendus)

connaisseurs ou par les anciens pour être issue de quelque école de danse, le fait d’être

engagé dans un bal de cour n’empêche pas la danseuse de « mimer » les mouvements

« tarentulés » comme on les a appris des pages demartiniennes, des photos d’archives

qui font de temps en temps l’objet de quelque exposition, des documentaires de

Mingozzi ou, plus récemment, des films de Winspeare.

47 Cette confusion des modèles s’accompagne des discours sur l’importance du rythme et

sur la transe. Ici Lapassade a joué le rôle principal. Lorsqu’il revient dernièrement sur

ce passage du tarentisme au néo-tarentisme, il affirme que de la thérapie de jadis « on

valorise aujourd’hui la musique ainsi que, dans un discours très idéologisé, sa liaison

ancienne avec la transe des tarentulés — ceci à la faveur d’une nouvelle mode de la

transe véhiculée par certains courants de la techno »23. Il passe par la suite en revue les

étapes essentielles de ce processus en soulignant surtout l’importance de l’expérience

théâtrale et culturelle de II ragno del dio che danza (L’araignée du dieu qui danse) de Luigi

Santoro, de l’Université de Lecce, en 1981 qui marqua aussi le début de sa participation

— de façon inconsciente, dit-il — à la constitution et au développement du néo-

tarentisme. Autre étape, toujours en 1981 : la publication de la version italienne de son

Essai sur la transe, alors qu’en 1986 parut la traduction italienne de La musique et la transe

de Gilbert Rouget. À ce propos, Lapassade affirme que le chapitre de cet ouvrage

consacré au tarentisme et basé sur les analyses de de Martino et de Carpitella, a joué un

rôle décisif dans la constitution « idéologique » du néo-tarentisme. Enfin, il mentionne

aussi l’organisation, par le sociologue Fumarola, de concerts de techno-pizzica.

48 Or, me semble-t-il, à une époque — la nôtre — où les anciens tenants de la pizzica

éprouvent l’envie de s’éloigner de la mode du néo-tarentisme et de ses dérapages,

Lapassade semble ne pas vouloir assumer sa partie de responsabilité dans le processus.

Dans le chapitre « La danse de l’araignée » de son Essai sur la transe, il reprend la

description faite par de Martino de la thérapie domiciliaire de Maria di Nardo pour en

conclure que « c’est une transe provoquée — mais le narrateur n’emploie jamais cette

expression » (Lapassade 1976 : 132). C’est encore Lapassade qui conçoit les tambourins

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

230

de la pizzica en tant qu’« éclateurs rythmiques » en expliquant ainsi le concept

d’éclatement : « Le rythme fort, de plus en plus intense et signifiant des tambourins

défonce la conscience ordinaire, la caisse et la fait éclater. » Et de conclure que « le

tambour peut ainsi faciliter ou provoquer ce passage qui définit l’entrée dans la

transe » (ibid. : 137).

49 Depuis, les tambourins connaissent un grand succès dans le Salento. Alors que, au

milieu des années 1970, Chiriatti (1995 : 33) n’arrivait plus à s’en procurer pour ses

concerts, aujourd’hui les fabricants se multiplient à nouveau et on peut même en

acheter sur Internet. Le nombre des cours de tambourin augmente dans toute l’Italie

comme à l’étranger, et dans le Salento sont prévus aussi des cours pour les enfants à

l’école.

50 On ne peut comprendre comment l’ouvrage de Rouget aurait pu provoquer tout cet

engouement sinon à partir d’un malentendu de sa pensée, étant donné que le but de La

musique et la transe était, d’après son auteur, celui de relativiser l’importance que l’on

donne communément à la musique dans les phénomènes de transe. Rouget se situe de

la sorte sur une position diamétralement opposée à celle de Lapassade qui, comme on

vient de le voir, utilise même le verbe « provoquer ». Au contraire, pour Rouget, la

musique manipule la transe, l’organise et la socialise plutôt que de la provoquer ou de

la déclencher. Comme le dit d’une façon très claire Michel Leiris (1980 : 12) dans

l’introduction à l’ouvrage de Rouget, « la musique, en tant que combinaison sonore

agissant par son seul impact sur les nerfs, [...], n’est en mesure d’engendrer la transe.

Cette constatation paraît donc réduire à néant l’idée reçue suivant laquelle ce serait le

paroxysme musical (jeu virulent des tambours, par exemple, ou de quelque instrument

que ce soit) qui, par une sorte de contagion, déclencherait directement et à lui seul cet

autre paroxysme, la transe ».

51 En revanche, il est sans aucun doute vrai que Lapassade a contribué directement — en

opérant par sa recherche-action dans le Salento sur les intersections entre musique

traditionnelle d’une part et musique reggae, techno ou phénomènes liés à la transe de

l’autre (et cela à partir du début des années 1980) — à l’inversion des signifiés qui a

provoqué le passage du tarentisme au néo-tarentisme. Il faut rappeler d’ailleurs que

c’est Lapassade (1982 : 127) qui s’adonne au comparatisme entre les comportements des

tarentulés (la fascination pour les couleurs, par exemple) et les effets de drogues telles

que le LSD. Ses théories ont été de la sorte beaucoup moins déformées que celles de de

Martino (qui espérait ardemment que le phénomène disparaisse) ou de Rouget, dont les

textes ont été utilisés malgré eux par les « militants » de la transe libératoire à la mode

aujourd’hui.

52 C’est en fait la prétendue qualité de la pizzica et de son jeu de tambourins, c’est-à-dire le

pouvoir de déclencher la transe, de conduire le sujet dans un état modifié de conscience

et aussi d’expérience nouvelle libératrice par rapport à son corps, qui la rend tellement

appréciée chez le peuple du néo-tarentisme. Pour contrer cette essentialisation, je me

bornerai à rappeler ce qu’avouait Stifani, un des « dieux tutélaires » du mouvement.

Lorsqu’il n’arrivait pas à scazzicare le tarentulé, autrement dit à le faire danser afin qu’il

sorte de sa crise, il mettait de côté les morceaux de pizzica tarantata et espérait avoir

plus de chance avec tout autre genre de musique, y compris des airs d’opéra.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

231

La Notte della Taranta et le mouvement de la pizzica

53 Comme le dit Cici Cafaro, poète-paysan octogénaire de la Grecïa, « lorsque j’étais petit,

il y avait les tarentulées [...] maintenant le tarentisme est devenu un grand amusement

parce que les tarentules ont presque complètement disparu mais on dit qu’elles sont

devenues marchandise savoureuse, parce qu’on tire profit des tarentules mais moi, je

ne peux pas me taire parce que je jouais l’harmonica pour les tarentulées et je sais

combien elles souffraient »24. Cafaro se réfère sans aucun doute tout d’abord au festival

La Notte delta Taranta, la manifestation qui a rendu célèbres le Salento, la pizzica, et le

tarentisme parmi un public de plus en plus large et international.

54 Ce festival est aujourd’hui l’événement le plus important pour ce qui concerne le

renouveau de la musique traditionnelle salentine et contribue fortement à la

renommée touristique du Salento. À chaque édition, notamment lors du concert de la

soirée finale, il attire de plus en plus de passionnés (cent cinquante mille spectateurs,

d’après les chiffres officiels en 2008), ceux qui sont appelés « néo-tarentulés ».

L’orchestre de La Notte delta Taranta, créé en 2004 par le musicien et ethnomusicologue

Ambrogio Sparagna, se produit désormais dans différents contextes et à toute époque

de l’année : ainsi, on a exporté la musique salentine et par conséquent le Salento à

Rome, Bologne, Venise (où en 2005 l’orchestre a clos le Carnaval), Turin (en ouverture

du concert-événement des Polices en 2007) mais aussi à l’étranger. Sur le site du

festival, on parle avec fierté de « la taranta nel mondo ».

55 C’est sans aucun doute à cause de la renommée de ce festival que le terme taranta est

désormais utilisé non seulement pour se référer à la fameuse araignée du tarentisme ou

pour parler du festival lui-même, mais il a carrément aussi remplacé, dans le discours

courant, celui de pizzica. Cette taranta, omniprésente dans les discours sur le Salento

sans que l’on sache pour autant de quoi on parle exactement, est présentée de

différentes manières. Comme le dit Cafaro, elle est une « marchandise savoureuse » et

ce symbole est même utilisé à l’occasion d’un spectacle théâtral de dégustation de

produits typiques25, Il pasto della tarantola (Le festin de la tarentule), mis en scène par une

compagnie de Lecce. D’ailleurs, n’importe quel site sur la musique traditionnelle

salentine, y compris les pages web des musiciens eux-mêmes, prévoient toujours des

liens d’informations touristiques.

56 Quoi qu’il en soit, le succès du festival fait débat. Des critiques fusent de toutes parts à

l’encontre d’un événement qui est taxé de trahison de la tradition, de gaspillage de

l’argent public (pour payer notamment les vedettes internationales qui, à chaque

édition, sont invitées à unir leurs voix et leurs traditions musicales à celles des

chanteurs et musiciens locaux : il y a eu, entre autres, Joe Zawinul et Stewart Copeland)

ou, enfin, de n’être qu’une « grotesque roulotte de cirque pour les vacanciers »26. À côté

des critiques, il y a aussi les efforts, fournis généralement par les mêmes détracteurs,

pour détrôner le festival de son monopole du renouveau de la musique traditionnelle

salentine. D’autres festivals voient ainsi le jour ces derniers temps. De nouveau, on

pourrait comparer la situation du Salento à celle décrite par Anne Doquet à propos de

Sangha. Elle affirme que « la réputation de certains lieux pour leur tradition originale

peut, en effet, être controversée par d’autres lieux revendiquant la primauté de la

cérémonie ». Et, à ce propos, Anne Doquet (2002 : 121-123) cite le cas de la région de

Bandiagara qui cherche à contrer le monopole touristique de Sangha et a mis en place

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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dans ce but en 2000 une nouvelle forme de danses masquées intitulée « festival des

masques ».

57 Dans le cas de Melpignano et du Salento, même si, au moins localement, les opérateurs

culturels sont conscients de la différence par rapport au passé et au tarentisme, des

conflits parfois très exacerbés naissent entre puristes d’une part et tenants du

métissage de l’autre, surtout à propos de la musique traditionnelle et du folk revival. Les

« montreurs de culture » (ibid. : 119) à l’instar de Blasi sont souvent conscients du fait

que les opérations contemporaines de remaniement de la tradition n’ont rien en

commun avec le tarentisme décrit par de Martino. Cependant, ils profitent (en termes

du succès du Salento sur le marché touristique) de la confusion générée par leur

démarche chez les touristes. Ainsi, les touristes quittent le Salento en ayant le plus

souvent une idée tout à fait altérée du tarentisme d’antan et des manifestations de ces

dernières années.

Entre succès et vitrification

58 Quoi que l’on en dise, le tarentisme, épuré de tout aspect non vendable, est à la base du

succès de cette péninsule dansante qu’est le Salento contemporain. Le pouvoir

libérateur de la pizzica, le caractère festif de tout rassemblement à l’occasion des

concerts, se manifeste de façon plus générale dans le rapport au terroir. Du Salento on

exalte la magie, l’authenticité et le caractère intacte et sauvage. C’est cette image qui

est vendue aux touristes. De plus, nombre de résidents secondaires notamment

étrangers affirment avoir retrouvé là-bas un rapport plus sain et pour ainsi dire

ancestral avec la « terre » et avec eux-mêmes27. Cette dimension est également promue

par le biais du cinéma qui renvoie une image peut-être édulcorée du Salento mais sans

aucun doute parfaite du point de vue de la promotion de ce dernier. Si les films du

réalisateur Edoardo Winspeare sont parfois critiqués pour renvoyer aussi bien une

image de carte postale qu’au thème pernicieux du « sang », des « racines », des

traditions et de l’authenticité (voir par exemple son film Sangue vivo), il est pourtant

certain que par ce biais, le Salento a su également se valoriser.

59 Enthousiastes de cet essor, les administrateurs locaux et nombre d’opérateurs culturels

ont alors parlé de « renaissance ». Autour notamment de la taranta dans tous ses

avatars, ont prospéré l’industrie touristique, du loisir et du spectacle. La pizzica d’abord

et la taranta ensuite sont devenues les emblèmes de la « salentinità » », c’est-à-dire de la

prétendue identité locale dont on est très fier.

60 Or, comme dans le cas des « montreurs de culture » maliens aux buts économiques, il

s’agit tout d’abord d’une opération de marketing territorial très avisée. Ce ne sont pas

simplement les élites locales qui profitent de ces remaniements, la population locale en

tire également bénéfice. Alors que les anciens profitent d’un nouveau statut et d’un

gain d’autorité en tant que porteurs d’une culture perçue comme originaire et

authentique — et chaque fois que l’un d’entre eux meurt c’est, comme le disent les

« entrepreneurs » locaux « de la tradition », un morceau entier de civilisation qui

disparaît — les jeunes trouvent de nouvelles chances d’épanouissement dans le

tourisme ou dans le milieu très dynamique des groupes du renouveau de la musique

traditionnelle.

61 Pourtant, une fois dévoilées les motivations « matérielles » des sujets impliqués dans ce

processus, il ne faudrait pas par la suite les accuser d’inauthenticité. Au contraire. Dans

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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le cas du Salento, le tourisme est effectivement un atout majeur pour la communauté

locale et pour le territoire. De plus, par ce biais on découvre un nouveau rapport à des

traditions qui autrement auraient sans doute été oubliées. Le tourisme peut bien être

aujourd’hui, comme le soutient Anne Doquet à propos des dogon touristifiés, un lieu

d’expression des identités. Et on le voit très clairement dans le Salento. Car, s’il peut y

avoir des mises en scène de la tradition, « dans les coulisses se jouent des négociations

qui font sens pour les acteurs et peuvent générer des resocialisations et des

reformulations identitaires qui sont bien contemporaines » (Doquet 2002 : 125).

62 Dans ce processus, les élites locales salentines ont eu dans les mains non seulement La

terre du remords comme référent privilégié par rapport au passé et aux traditions sur

lesquelles il fallait à nouveau se brancher tout en les patrimonialisant, mais aussi La

pensée méridienne (1996) du sociologue de Bari, Franco Cassano. Grâce à ce livre, ils ont

appris l’importance d’une pensée du Sud par le Sud lui-même, autrement dit d’un Sud

autonome par rapport au Nord, et l’importance d’atteindre le développement en

partant des ressources locales, sans mimétisme d’aucune sorte.

63 Celui de Cassano pourrait être considéré comme un nouveau méridiona- lisme, ou, en

utilisant une expression forgée par Jean-Loup Amselle (2008 : 232-233)28, un autre cas de

figure de « sud-alternisme ». Il s’agit d’un sud- revivalisme dans lequel le Sud devrait

devenir, d’après le sociologue de Bari, le sujet de sa propre pensée et cesser d’être

pensé par les autres. Ce qui signifie échapper au regard exotisant que l’on a souvent

jeté sur lui. Comme le rappelait Ernesto de Martino (1999 : 16) dans La terre du remords,

« lorsque, à partir de 1561, les jésuites entreprirent leur action missionnaire dans le

Vice-Royaume de Naples et disséminèrent leurs collèges dans les Abruzzes, la Pouille,

Naples et la Sicile, l’expression d’“Inde italienne” leur venait souvent aux lèvres pour

désigner cette partie de l’Italie ». Et, pour ne considérer que le cas du tarentisme, il y a

toujours eu une forte dose d’exotisme dans la façon d’appréhender ces corps se

mouvant de façon obscène, presque à mimer l’acte sexuel. Pizza (2002 : 53) voit dans

cette insistance sur « l’érotisme des corps dansant possédés par le rythme », l’existence

d’une projection orientaliste interne du regard occidental.

64 Première remarque : même si à l’origine du succès du Salento demeure le souci

idéologique de se penser par soi-même, c’est-à-dire devenir autonome par rapport aux

images fabriquées par les autres, il n’est pas du tout certain que l’on ait réussi à sortir

du piège de l’exotisme. Au contraire. Justement parce qu’il s’agit de quelque chose

fonctionnant très bien du point de vue de la promotion touristique, les élites locales ont

donné à voir une image figée et exotique de leur culture et de leurs traditions.

Certaines voix, de plus en plus nombreuses, critiquant la gestion contemporaine de la

tradition, mettent ainsi en garde les « montreurs de culture » salentins contre les

risques d’une construction d’images édulcorées qui finirait par transformer le Salento

en « un dépôt d’altérités exotiques » (Portelli 2002 : 72).

65 La seconde remarque concerne la mode du Salento. Le succès touristique et musical de

ce dernier suffit-il vraiment à parler de « renaissance » ? Suffit-il de croire que l’on ait

atteint le tant convoité développement alternatif de la région ? De périphérie

marginale d’un Sud perçu comme étant perpétuellement en retard et en manque de

développement par rapport au reste du pays, le Salento est devenu, au cours des dix

dernières années, une « région musicale », connue bien au-delà des frontières

nationales. Lorsque la nouvelle de la parution de l’édition anglaise de La terre du remords

— presque un demi-siècle après la publication en Italie — circula dans le milieu

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

234

salentin, l’élite locale se demanda tout d’abord si plus d’intellectuels anglophones

iraient acheter des résidences secondaires dans le Salento (Pizza 2005).

66 Or, face à la mode du Salento, force est de s’interroger sur les raisons de son succès et

aussi sur sa rançon. Encore une fois, il est possible de faire un parallèle entre l’Afrique

d’une part et le Salento de l’autre. D’après Jean-Loup Amselle (2002 : 47), il y aurait

actuellement deux représentations majeures de l’Afrique : tout compte fait, cette

dernière reviendrait à être, de façon contradictoire, une entité dégénérée et/ou une

source de régénération. Le Salento, comme d’ailleurs le Sud de l’Italie en général, me

paraîtrait être victime des mêmes fantasmes, entre esthétisation et exaltation de son

primitivisme d’une part et lieu de tout genre de corruption, voire enfer mafieux de

l’autre. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Salento a du succès auprès des résidents

secondaires, dans certains cas étrangers, c’est-à-dire auprès de gens qui s’impliquent

peu ou pas du tout dans la vie locale (Urbain 2002 : 47) et peuvent ainsi rester fascinés

même par des éléments de la vie locale qui ne renvoient qu’une image de retard et de

dégradation.

67 Ainsi, les politiques culturelles locales qui, par le biais de la patrimonia- lisation des

traditions, voient aujourd’hui le tourisme comme la panacée contre tous les maux,

risquent surtout de déboucher sur une « vitrification » (Amselle 2005) d’un Salento

esthétisé et réifié, c’est-à-dire sur un processus qui fait foncièrement bon marché de la

dimension sociale et des problèmes d’ordres politique et économique qui perdurent.

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NOTES

1. De ce point de vue, je m’éloigne partiellement de ce qu’affirme Salvatore Bevilacqua dans son

article sur le tarentisme et le patrimoine. Quoiqu’il souligne en fin d’article les ressemblances

entre Salento et Pays dogon, BEVILACQUA (2005 : 80) affirme, sans en expliquer clairement les

raisons, qu’en ce qui concerne par exemple le mythe ethnographique griaulien, « la comparaison

avec le mythe de La terre du remords est sans doute un peu forcée ».

2. Pour une étude plus détaillée du Salento contemporain, je renvoie à ma thèse de doctorat

(CAROLI 2008a). Pour un aperçu plus synthétique, voir également CAROLI (2008b). Ici, je ne prendrai

en compte que les quelques éléments qui permettent, à mon avis, la comparaison.

3. Les dernières éditions ont vu également la participation de villes ne faisant pas partie de la

susdite Union.

4. Voir l’interview d’Antonella Gaeta à Sergio Blasi parue dans La Repubblica- Bari du 24 août 2004,

p. II.

5. fait dernièrement l’objet au niveau international. D’ailleurs, après avoir explicité la recette du

succès grandissant de ce festival, l’article consacré à Melpignano s’attarde sur la description du

tarentisme dont on fait remonter l’origine jusqu’aux rites dionysiaques de l’Antiquité. De la

même manière, Salvatore BEVILACQUA (2005 : 73, 82) fait mention d’une description

ethnographique du tarentisme dans le guide Gallimard consacré à l’Italie du Sud et affirme que ce

n’est que le Salento qui profite de ce genre de commentaire.

6. Nistri, cité dans TORSELLO (2006 : 44-45).

7. <http://www.lanottedellataranta.it/decennale.php>. Il s’agit d’un extrait de l’introduction de

Sergio BLASI (2007 : 5) au livre de Dario Quarta paru à l’occasion de la dixième édition du festival.

8. Voir A GAMENNONE (2005 : 20). En 1960, un an avant Mingozzi, Diego Carpitella filma une

thérapie domiciliaire à Nardo et une « reconstruction artificielle » à Muro Leccese. Le film, qui

représente « la première documentation cinématographique du tarentisme », est présenté au VIe

Congrès International des Sciences anthropologiques et ethnologiques, qui s’est tenu à Paris du

30 juillet au 6 août 1960.

9. Gallini citée dans TORSELLO (2006 : 25, 44).

10. Valli cité dans TORSELLO (ibid. : 45).

11. En ce sens l’ouvrage édité par MINA et TORSELLO (2006) apporte une preuve irréfutable.

12. Il suffira de citer le numéro spécial de GRADHIVA (2000) consacré à de Martino ou la récente

parution de la première édition anglaise de son ouvrage (DE MARTINO 2005).

13. D’ailleurs, le mémoire de maîtrise de CHIRIATTI (1979) — auquel se réfère de même qu’à La terre

du remords Georges L APASSADE (1982 : 125-134) pour son analyse du tarentisme — s’intitule Le

tarentisme vingt ans après de Martino.

14. Winspeare a joué un rôle majeur dans la patrimonialisation de la tradition du tarentisme, la

redécouverte de la pizzica et finalement la construction d’une identité salentine et d’un Salento

« dansant ». D’après lui, le Salento est devenu « la Woodstock italienne » (SANTORO & TORSELLO

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

239

2002 : 174) notamment grâce au choix « politique », fait par lui et d’autres au début des années

1990, d’organiser à peu près deux cents fêtes partout dans le Salento. Bien que la musique

salentine ne puisse se réduire à la pizzica, ils choisirent cette dernière et cherchèrent à en faire la

musique du Salento (ibid. : 172). Voir également l’entretien avec Winspeare paru dans le numéro

d’ULYSSE (2008 : 57-59). Il est également intéressant de citer ce qu'affirme le réalisateur à propos

de son cinéma, par le biais duquel il aurait « “décidé” une représentation du “monde paysan”, de

la pizzica et du tarentisme que beaucoup auraient par la suite considérée comme “authentique” »

(SANTORO & TORSELLO 2002 : 174). « Bien sûr j’ai été influencé par Mingozzi, par les enregistrements

audio-visuels de Brizio Montinaro, de Luigi Chiriatti, d’Oronzo Marmone [...] », aveu qui confirme

l’existence et l’importance du fil rouge présent dans les représentations du tarentisme, même au-

delà du champ strictement scientifique.

15. Pour la différence, voir CARPITELLA (1999).

16. On peut visionner le clip sur Youtube, <http://www.youtube.com/watch ?v = 0jryWN38HfQ>.

D’ailleurs, sur ce site le morceau est présenté comme étant « typique de la tradition salentine de

la Taranta ». Ce qui est tout à fait faux mais constitue une des nombreuses preuves de la tendance

actuelle — consciente ou inconsciente — à tout vouloir renvoyer à la tradition du tarentisme. De

ce point de vue, Internet est un réservoir d'exemples des superpositions et des confusions qui

dérivent de la survalorisation contemporaine de la pizzica et du taren- tisme. Voir par exemple

<http://profile.myspace.com/index.cfm?fuseaction=user.viewprofile&friendID=162907206>, page

d’un garçon milanais de vingt-huit ans qui se présente en tant que « Lega italiana tutela de : Lu

rusciu de lu mare » (« Ligue italienne pour la protection de Lu rusciu de lu mare »). Il est

intéressant de noter que parmi les buts de la prétendue ligue, il y aurait celui de « trouver le

premier Rusciu de lu mare jamais chanté dans l’histoire : le point de départ de notre parcours

ethnomusical ».

17. Pizza, cité dans TORSELLO (2006 : 26).

18. Voir également AIME (2000). Dans ce livre, l’anthropologue creuse « dans le complexe jeu de

miroirs instauré par la triangulation dogon-ethnologues- touristes » (p. 11). Il ajoute qu’« environ un

demi siècle s’est écoulé depuis l’apparition de Dieu d’eau et pourtant une certaine griaulisation des

Dogon reste encore aujourd’hui » (ibid. : 13). Aime souligne le rôle joué par les « ethnologues

dogonneux » et par les milliers de pages concernant la mythologie et la philosophie dogon, dans

la construction de l’image devenue célèbre de ce peuple. Il rappelle que, par la suite, les Dogon

ont proposé leurs traditions en s’appuyant sur la lecture des textes de Griaule (ibid. : 15).

19. Dans ce numéro de la revue, publiée par la maison d’éditions Besa de Nardo et consacrée aux

cultures populaires, sont publiés les actes du colloque Da Luigi Stifani allo show business — Salento,

lo sviluppo possibile (De Luigi Stifani au show business — Salento, le développement possible),

organisé par Melissi et la mairie de Nardo, en hommage à la figure du violoniste récemment

disparu.

20. Stifani demeurera toujours à l’intérieur du système de croyance partagé à la base du

tarentisme. Ainsi, d’après lui, une morsure tout à fait réelle déclenche la crise et saint Paul

accorde la grâce. Néanmoins, il finira par s’approprier partiellement les discours des spécialistes

avec lesquels il entrera en contact. À ce propos, l’interview de Giorgio Di Lecce et Maurizio

Nocera avec Stifani en 1992 est très intéressante, en ce sens que l’informateur cite de Martino et

Carpitella pour expliquer certains aspects du phénomène (NOCERA 2005 : 19-25).

21. Le titre est évidemment un autre clair hommage à de Martino. Sud e magia (Italie du Sud et

magie) était en fait le titre d’une autre monographie demarti- nienne (1959), précédente à La terra

del rimorso mais où de Martino introduisait déjà, en appendice, le cas du tarentisme.

22. Mis à part son rôle d’érudit local et son activité d’éditeur (avec la maison d’éditions

Kurumuny), Luigi Chiriatti est également un musicien avant la lettre du revival de la musique

traditionnelle salentine, mais aussi un opérateur culturel fortement impliqué dans la

patrimonialisation des traditions salentines. Il a par exemple œuvré ces dernières années à la

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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revivification de la fête du 1er mai dans la campagne de propriété de sa famille et organisé le

renouveau de la tradition des chants de la passion du Christ grâce notamment à une

manifestation qui a lieu désormais dans la Grecîa salentine chaque année avant Pâques.

23. Voir Georges L APASSADE, Musiques traditionnelles et production d’identités culturelles locales,

<http://www.canzonieregrecanicosalentino.net/lapassade.htm> (site visité le 24 avril 2004).

24. On peut visionner cette interview dans le film documentaire de Paolo PISANELLI (2006), Il sibilo

lungo della taranta. Ce documentaire reste à mon sens ambigu, en hésitant entre promotion du

festival La Notte della Taranta et présentation des différentes critiques dont ce festival fait l’objet.

25. Cette combinaison entre promotion de la musique traditionnelle et promotion des produits

typiques locaux semble bien fonctionner : le 3 avril 2007, par exemple, s’est tenue à Prague la

manifestation Tarantula Passionata de caractère promotionnel du territoire salentin, qui

comprenait une conférence sur les traditions salentines et notamment le tarentisme, un concert

et un tour œnogastronomique des produits typiques des Pouilles et du Salento. Voir Rivista della

Camera di Commercio e dell’Industria Italo Ceca, avril 2007, p. 31 (petit article sans signature de la

revue de la Chambre de commerce italo-tchèque trouvé à l’ambassade italienne à Prague).

26. D’après Luca Ferrari, le 17 octobre 2005, < http://www.vincenzosantoro.it/

salentopizzicamusiche.asp?ID=268>.

27. Voir l’article d’Antonio Andrea CIARDO (2007 : 25) concernant l’achat d’une ancienne masseria

salentine de la part de l’actrice Helen Mirren.

28. Les ressemblances sont frappantes entre La pensée méridienne de Cassano et la communication

Our Modernity que Partha Chatterjee présenta la même année (1997) dans le cadre de conférences

organisées par le SEPHIS et le CODESRIA en Afrique, <http://www.sephis.org/pdf/partha1.pdf>.

RÉSUMÉS

Cet article montre comment dans le Salento, une région fortement ethnologisée, a été impulsé un

tourisme culturel qui prend appui sur la patrimonialisation et la mise en scène de traditions qui

ont fait l'objet du regard anthropologique. Le catalyseur du succès du Salento durant les dix

dernières années est la taranta, le produit de la relecture d'une manière positive du tarentisme,

comme il avait été décrit notamment par de Martino. Dans cette contribution, le cas de figure du

Salento a été analysé, à partir de mes propres matériaux d'observation, et en comparaison avec le

processus analogue qui se produit au Mali et notamment en Pays dogon.

This article aims to show the ways in which cultural tourism has been encouraged in a deeply

ethnologised Italian region, the Salento. Promotional attempts have been led by means of politics

of cultural heritage and of mise en scène of ancestral traditions, once studied by anthropologists.

In the last decade, the taranta has catalysed this process. Analysing the taranta, we especially deal

with de Martino's tarantism as it is now experienced in a new, positive way. Finally, the case

study of the Salento is enriched here by making a comparison with the same kind of processes

observed in the Dogon region of Mali.

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241

INDEX

Mots-clés : Italie du Sud, Salento, Pays dogon, anthropologie, musique, pizzica, tarentisme,

tourisme

Keywords : South Italy, Salento, Dogon country, anthropology, music, pizzica, tarantism,

tourism

AUTEUR

ELINA CAROLI

Centre d’études africaines, EHESS, Paris.

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“We Offer the Whole of AfricaHere!”. African Curio Traders andthe Marketing of a Global AfricanImage in Post-apartheid SouthAfrican Cities1

« Ici, nous offrons toute l'Afrique ! ». Commerçants de bibelots africains et

commercialisation d'une image africaine globale dans les villes sud-africaines

après l'apartheid

Aurelia Wa Kabwe-Segatti

AUTHOR'S NOTE

The author would like to thank Sarah Davies Cordova, Assistant Professor of French,

Marquette University, Wisconsin, for her editing of the English version of this paper.

1 Where as South Africa has become an increasingly popular destination for migrants

from all over the world and more specifically the African continent since the late 1980s,

this has also been accompanied by widespread xenophobic reactions that recently

degenerated into massive violent attacks (Mattes et al. 1999; Landau 2006; Crush 2001)2.

At the same time, tourism has become more and more important to the country’s

economy but also central in transforming its image internationally in the post-

apartheid context. Interestingly, one of the few areas of seemingly successful and

peaceful encounter of South Africans with African migrants is that of African curio or

crafts markets which have opened in most South African large cities and along tourist

routes. This article only focuses on those markets for their specific connection with

current African migration. In that respect, they are different from other markets (such

as the famous muti markets3 or the fresh produce market at City Deep, Johannesburg,

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

243

for instance) that might have been, at some stage in South African history, connected

to migration networks but no longer play that role. If the African crafts markets are

comparable in many ways to other markets in South Africa, in terms of formalisation

processes, management models and marketing of “Afrocentricity”, they are the only

ones that both “stage Africa” to a mostly non-African public and constitute a real

encounter with the rest of the continent. What I try to do in this article, beyond

documenting what is also a fairly new phenomenon in South Africa and one which has

not been researched extensively so far, is to assess the type of imagery of Africa that is

produced in the exchanges of goods taking place in these markets and whether it is

bound to transform otherwise prevalent stereotyped and negative images of the

continent and its inhabitants in South African society4.

2 The paper contends that the emergence of “African markets” in the postapartheid

urban landscapes filled the niches created by the production of commodified images of

the country (Rasool & Witz 1996) and, by extension, the continent. The nature of urban

transformation deriving from these “uplifting experiments” in formalising street trade

is referred to here but remains beyond the scope of the present paper5. Rather, the

analysis focuses on the creative process at work around the identification and

multilayered reading of a “cosmopolitan” African identity as a strategic and tactical

tool by different groups of actors (South African municipal authorities, retail private

actors and migrant traders)6. Based on empirical material collected over a two-year

period, the paper tries to show how this process has fulfilled actors’ immediate and

contrasted needs but has not necessarily led to countering negative clichés on African

migration in the long run. It thus tries to make use of the theoretical framework of the

notion of ethnic entrepreneurship in its application to the South African context.

3 The paper explores how and why these groups of actors identified a renewed image of

Africa as the catalyst of their various expectations, in the 1990s and 2000s South

African contexts of migration and of political and urban change. It documents the

practices and activities of the African curio trade in South African cities, the products

sold, the trade networks and the imaginarles on which the perceptions of migrants,

market managers and municipal councillors rely and in turn continue to fuel. After

painting the specific cultural and political context of the South African tourism

industry and offering a brief overview of the circulation of products and people, that is

the dissemination of new trade and migration networks towards and within South

African cities, the paper tries to unpack the imagery of Africa that is conveyed to South

Africans and international publics as well as its genealogy.

Conceptual Framework and Methods

4 Although this work is drawn from research aimed at reexamining our understanding of

transnational trade migration, this specific paper only partly makes use of that

conceptual framework. Transnational trade migration has essentially been envisaged in

the literature from two main perspectives: one inscribing migrant traders’ activities

within broader structural and historical constraint systems and another insisting on

the agency of actors and their capacity to overcome these systems and develop survival

strategies. Following the example of MacGaffey and Bazenguissa’s approach to

Congolese traders (2000) or Riccio’s work on Murid transnational networks in Italy

(2006), the present paper rather envisages a middle-path. Both tendencies have

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

244

demonstrated their limitations in offering convincing analyses, either because they are

looking at transnational trade networks from above (institutions, structural economic

constraints) or from below (traders’ strategies and tactics).

5 Our object here is in fact much more the encounter, in its cultural and political

dimensions, and its aftermaths and how the circulation of people, goods and images

concur to transform prevalent perceptions of African migrants and Africa in post-

apartheid South Africa. Therefore, I have tried to locate the dynamics observed within

the growing literature on post-apartheid cultural transformation and more specifically,

the role played by tourism in that transformation (Hugues 2007; Jansen van Veuren

2003; Koch & Massyn 2001; Schutte 2003). I have also taken into account historical

evidence in order not to consider those transnational traders as “free electrons”, who

would not only be isolated from their country of origin but also without a past and

cultural assets. In doing so, I have used available literature on African migration to

South Africa (Bouillon 1999; Landau 2007; Landau et al. 2006; Morris 1999) as well as

literature on the cultural dimension of African diasporic trade (Coombe & Stoller 1994;

Stoller 2003) and on new forms of mobility, liminality and urbanisation in Africa

(Landau 2005, 2006; Malaquais 2006). An approach in terms of ethnic entrepreneurship

(see part 4 “We Offer [...]”) was favoured here.

Tourism, Urban Regeneration and African Migrants

6 Tourism in post-apartheid South Africa has benefited from the post-1994

unprecedented opening to global tourist itineraries of various forms (classical game

and nature tourism, cultural and heritage tourism, and increasingly business and global

events tourism such as the World Summit on Sustainable Development in 2003 or the

coming 2010 Soccer World Cup). Whereas tourism used to be mainly domestic and

reserved to the white elite, its demographics have changed drastically in the 1990s. As

the number of foreign tourists has more than doubled since 1994, tourism is now the

fastest growing sector of the South African economy. In 2006, tourism represented 8.6%

of South Africa’s Gross Domestic Product and allowed for much hope in terms of

development potential (Pisanti 2007). However, there is much controversy around the

figures of tourism in South Africa. If it is estimated that the number of tourist permits

granted has gone from below a million a year in 1990 to over 9 million in 2007, one

should bear in mind that international tourists only account for one quarter of this

figure, the rest being people from the region, mostly travelling for non touristic

purposes (Barnes 2008; Hugues 2007). Tourism research literature on South Africa has

focused on certain cultural and identity aspects, notably the exploration of new forms

of heritage tourism (Nuttall & Coetzee 1999), of community tourism and its boom in

townships and rural areas (Preston-White & Rogerson 1990, 2003), or the exploration of

media constructed images of South Africa and its past that tend to essentialise the

country around animal wildlife, primitive tribalism and modernity (Rasool & Witz

1996). Mathers and Landau (2007) have recently explored the paradoxes of “Proudly

South African” tourism and the ethical problems it raises in terms of racism and

xenophobia.

7 But tourism in post-apartheid South Africa has not just been about increasing the

number of overseas tourists. It has, since 1994 in particular, become part and parcel of

the nation-building enterprise undertaken by the South African government as well as

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245

a grassroots trend to display the transformation of identities in the new political

dispensation and to exhibit it as a self-redefinition process and a new face to the rest of

the world (Hugues 2007: 273), with a specific emphasis on heritage sites, from struggle

“lieux de mémoire” such as Robben Island to cultural villages and township tours.

8 The literature on migrants’ trade activities in post-apartheid South Africa has paid

scant attention to the involvement of migrants in the tourism industry. It has

essentially focused on documenting trade as a self-generating income earning activity

or as an opportunity for job creation and capacitybuilding for local populations

(Rogerson 1997; Peberdy & Rogerson 1999). Other works try to understand the roots

behind xenophobic treatments of migrant traders by local authorities and populations

(Landau 2005, 2006).

9 The transformation of post-apartheid South Africa from a refugeegenerating nation

into a new “eldorado” for international migrants and refugees from all over the

continent and beyond has now been relatively well documented (Bouillon 1999; Crush

1998; Crush & Williams 1999; Wa Kabwe-Segatti 2006). One of the most visible loci of

this “new” African presence is the market. Historically, South African cities have been

characterised by racial and social segregation and a fluctuating sense of public and

private space. By African or European standards, South African markets are few and far

between, even in a city like Johannesburg considered as the economic hub of the

country and the continent. The large fresh produce market that used to be the

heartbeat of the city in Newtown before the arrival of the National Party to power, was

relocated outside the city, at City Deep, as part of the modernisation works that were

carried out in the 1960s and 1970s (Guillaume 2001; Chipkin 1993). Until the 1980s,

street trading and hawking in inner city Johannesburg and the suburbs was strictly

regulated. With the repeal of influx control and of the Group Areas Act in the

mid-1980s, this activity started to become a durable feature of the city (Morris 1999).

However, it is not before the early 1990s that markets of a new type appeared. With the

advent of democracy and the (re)opening of the country, African curio markets, first as

a transformation of already existing flea markets (the Rosebank Rooftop market or

Bruma Lake in Johannesburg), and then as specific ventures, became in their turn a

new feature of South African cities and tourist sites.

10 In this urban post-apartheid context, one spatially more marked by fragmentation than

by economic and social continuity (Tomlinson et al. 2003; Harrison et al. 2003), curio

markets seem to have fulfilled three types of expectations: those of African migrants in

search of “respectable” income generating activity and of market niches; those of

South African market management business entrepreneurs seeking to diversify their

activity and conquer new markets; and those of South African local/municipal

institutions in search of formal economic activities to counter “urban decay” problems.

The diversification of retail points was then a general trend in all South African cities, a

point confirmed by Landre (1999). In Rosebank, an upmarket shopping area of

Johannesburg, the African Craft Market has become a new identity marker while a

Community Improvement District, a public-private urban renewal partnership, was set

up. The initiatives allowed the suburb to compete with other upmarket shopping areas

like Sandton and Hyde Park while keeping that different, “laid-back” style. Purely

private ventures like the Bruma market in Johannesburg or the Chameleon Village

market near Hartbeespoort in the North West, have helped to formalise growing

informal retail nodes7. Increasingly, markets are conceived by these local stakeholders

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246

as nodes, combining a potential for job and growth creation with a social function, that

of endowing a suburb with a certain identity, and therefore marketing it locally,

regionally, nationally and internationally. It is now worth turning to the actual setting

up of the trade networks that allowed for the creation of these markets over the past

two decades.

The Circulation of Products and People: the Story ofan Encounter

11 Under apartheid and in the years immediately afterwards, South African “ethnic” craft

retail was fairly limited. It mainly offered crafts from neighbouring countries (Lesotho,

Mozambique, Swaziland and Zimbabwe). It was characterised by little variety and

adaptation to customers’ tastes and finally, by a geographical distribution in South

Africa that was shaped by apartheid heritage tourism policy, a policy that mainly

valued colonial sights. This scarcity and poor creativity was also a direct legacy of

apartheid policies in terms of basic and vocational education, entrepreneurship,

residential segregation and artistic and cultural policy. African curio markets were

therefore mainly informal, concentrated in the rural areas in the vicinity of touristic

sights and offered what locals were able to make there. The first markets to benefit

from the “ethnic” trend that materialised in the early 1990s were the “flea markets” of

Bruma Lake for instance in Johannesburg and Green Market Square in Cape Town,

although they did not offer at the time the variety and volume that exist today. The

curio market industry peaked around 1998-1999 and has stood on the verge of

saturation since, according to Bruce Jones, Managing Director of the B&B Company, one

of the major market management companies in Gauteng. The current context reflects

growing competition and therefore tension resulting from three main factors: first, the

import of Chinese crafts whose quality has significantly improved since the early 2000s

and which have since had a direct negative impact on South African craft making and

retail; second, the increase in the number of shopping malls, markets and broadly

speaking craft retail points throughout the country with malls evolving towards more

lifestyle and more interactive retail spaces in direct competition with markets; and

third, the lack of interest for crafts markets from the emerging black middle class,

characteristically more attracted to malls and other types of goods8.

12 Unsurprisingly, none of the first generation (late 1980s-early 1990s) African migrants

interviewed indicated having come to South Africa with the clear idea of establishing

themselves as curio traders. Most of the Congolese interviewed mentioned for instance

the constraints of the South African labour market as the main incentive for

entrepreneurship, mainly because their qualifications are not recognized and their

legal status (refugees, asylum seekers or temporary visitors) represents a liability. This

is consistent with what Bouillon (1999) or MacGaffey and Bazenguissa had documented

in the 1990s for Central Africans in particular, showing that they were initially mainly

involved in qualified occupations and trade or smuggling activities of a different nature

(MacGaffey & Bazenguissa 2000: 48-49) and with the results of the Wits-Tufts-IFAS 2003

and 2006 quantitative surveys undertaken in Johannesburg among 600 migrants in

selected neighbourhoods9. Occasionally, some brought samples of curio items in their

luggage as assets they could easily exchange for cash on their way South. Things such

as malachite beads or Kuba cloths from Congo or some “wood”, that is wooden masks

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247

and statues from Cameroon, were brought in people’s luggage during that period. Very

clearly, although the actual history of that trade remains to be written, some

diversification and stratification occurred. Over a few years, traders moved from

dealing in products originating from their home country only to a variety of sources,

from retail to wholesale and vice-versa and from informal to formal activities. Product

diversification seems to have been rather recent (since approximately the early 2000s)

whereas specialisation (or passage between) activities (retail, wholesale,

craftsmanship), supply strategies and retail techniques seem to have evolved rapidly

from the early 1990s onwards. The trajectory of BF is quite typical of these

diversification, segmentation and specialisation processes:

“Having arrived in South Africa in 1994 from the Democratic Republic of Congo(Zaïre at the time), BF started curio trade by asking his family back home to sendhim beads of malachite that he would transform into necklaces and bracelets andsell to retailers at the Bruma flea market on the road to the Johannesburg airport.This activity enabled him to save enough money to start his own business, on thestreet, outside the main Mall at Rosebank, one of Johannesburg’s affluent suburbs,in the late 1990s. From outside the market, he moved inside like others during theformalisation process of the Rosebank African Craft Market in 2000 and opened hisown shop. He prospered in this activity, passing from malachite to the selling ofKuba cloths and masks and statues from West and East Africa until January 2007when he decided to sell his shop to become a wholesaler in Kuba cloths only and useall his network of former colleagues from Rosebank, Bruma and beyond as his firstcustomers” (BF, former shop owner and currently independent wholesaler,Johannesburg, 19/05/2006, 18/08/2006 & 22/09/2007).

13 Whereas passage from retail to wholesale activities seem to depend more on traders’

good fortunes and sense of where they can make more profit than to follow some

economic model, supply strategies seem to have clearly evolved towards segmentation:

fewer and fewer traders still travel directly back home as most buy from wholesalers

who come to them, sometimes directly at the marketplace. Some orders are still placed

with relatives back home (that is particularly the case for Bamoum people,

Cameroonians originating from the Foumban region, South West of Cameroon,

neighbours of the Bamileke group, also traditionally involved in trade10) or some

Congolese specialising in Kuba cloths. In such instances, the family network is crucial in

organising the sending of a shipment by sea or air. Even for those using family

networks back home to replace stocks, some specialisation has occurred with those

back home increasingly becoming professional supplying agents (as well as craftsmen

sometimes, especially in Cameroon) and those in South Africa specialising in retail. BA,

from the Foumban region in Cameroon, who owns a shop in Rosebank, explains:

“In a way, I wouldn’t like my brothers and sister to come over here. I have threebrothers and one sister who are married. They make different products for me. Ifthey leave, it will be difficult to find replacement for that. We work like a clan, so ifthey travel, really, it will be difficult for me to replace them” (BA, shop owner,Rosebank African Craft Market, 05/09/2006).

14 The airfreight and money transfer agencies, operated by the Congolese in particular

(such as Full Service in Yeoville and Kin Express in Observatory, Johannesburg), are

pivotal in enabling those flows which have grown from informal and haphazard

suitcase arrangements in the 1990s to fairly professional transactions in the 2000s. As

BF, the Congolese trader quoted previously, explains, he now hardly ever travels back

home but has set up his own supply network, relying partly on personal ethnic/family

ties, partly on formal and semi-formal intermediaries:

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“I have a young one (‘un petit’) from Kasai' in Mweka [Kasai]. I call him to place myorders [...] he knows every nook and cranny there. I send him the money throughthe agencies and he then sends a parcel with Hewa Bora11. With my SARS VATnumber12, I can then take these through customs. We have invoices for that. Ofcourse, the amount is slightly inferior to the actual amount of the goods so that wepay less. There is absolutely no need to bribe anyone at O.R. Tambo [JohannesburgInternational Airport]. The only thing that is sometimes expensive is storage fees”(Interview with BF, independent wholesaler, Johannesburg, 22/09/2007).

15 The money transfer agencies do not operate within the South African exchange

regulation system as they normally should. In that sense, they remain informal or

illegal even if the cellphone cash transactions and reference number system they rely

on are efficient and reliable enough to allow for their durability. Kin Express for

instance opened in the mid-1990s and has since expanded its activity to airfreight and

bed and breakfast.

16 Another important transformation that has taken place since 2000 is the spread of

those markets along the main touristic roads and around touristic sights. From the

main centres in Johannesburg (Bruma, Rosebank), curio markets of various sizes and

degrees of formalisation have appeared in Soweto, outside the Hector Pieterson

Museum, and at the Hartbeestpoort Dam (Cramerview) along the R512 that leads to Sun

City and the Pilanesberg Nature Reserve and beyond. In Cape Town, from Green Market

Square and Long Street, they have spread throughout the region, along the wine route,

and are found in Stellenbosch, Franshoek, and along the Coast and the Garden Route, in

Hout Bay, Hermanus and Knysna. They can now also be found in all South African

major secondary cities (Nelson Mandela City, ex-Port Elizabeth, Durban, Bloemfontein)

and in small touristic towns, such as for instance Graskop in Mpumalanga (along the

Northern Drakensberg Route). Wholesalers, a little like 18th and 19th centuries peddlars

in the remote regions of the colony, get on buses with sports or shopping bags full of

their products and thus regularly replenish the stocks of their customers (either

African migrants or local shops) in those remote localities. Given this territorial

dispersal, African migrant shopkeepers no longer commute between large urban

centres and those smaller touristic towns. They tend to settle close to their shops and

only travel back to the larger centres whenever they need something out of the

ordinary or want to reconnect with the “home community”. Some have set up shops in

several places, as business ventures where the partners manage different shops and

buy stocks jointly. Mr and Mrs K., a couple of Congolese traders, started at the

Johannesburg Bruma Lake market in the 1990s, and then set up two shops at the

Hartbeespoort Chameleon Village Crafts Market and then another one across the street

at the municipal market. After having commuted between Johannesburg (an hour and a

half drive from there) for two years, they decided to keep one flat in Johannesburg for

their children (attending high school and university there) and one for the two of them

in Brits, a small town nearby, where most of the Chameleon Village African traders of

Congolese, Cameroonian and Senegalese origin, now stay13.

17 Except in the case of some better established Senegalese and Cameroonian traders who

travel directly to supplying countries about once a year (Côte-d’Ivoire, Senegal,

Cameroon and Gabon) to organise stock replacement, most traders interviewed have

become specialised in retail and wait for wholesalers to come and contact them at

regular intervals. The entire sector has developed over the last ten to fifteen years and

brought to the heart of South African cities products and people from the rest of the

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continent. The whole sector fulfilled a “need for Africa” that was not only aimed at

international tourists but at South Africans in a period of unprecedented

transformation of their political and cultural self-representations. Let us now turn to

the various functions filled by this specialised trade activity.

"We Offer the Whole of Africa here!": South AfricanCurio Markets as the Ultimate Simulation

18 After a more detailed depiction of these markets seen as performances, this last part

explores the somewhat classic paradox of the “ethnic entrepreneur” as theorised and

documented by C. Quiminal (1991) and M. Timera (1996) on Soninkes; or A. Tarrius

(1995), M. Peraldi (2001) and E. Ma Mung (2006) on North African traders in France and

Light (1972); A. Portes et al. (1989); R. Waldinger et al. (1990), R. Coombe and P. Stoller

(1994) in North America; or its application to the South African context and its specific

relation to Africa on the one hand, and to the notions of “global” and “modernity” on

the other.

19 The most formalised and specialised African crafts markets (Rosebank in Johannesburg,

Long Street in Cape Town and Chameleon Village near Hartbeespoort) offer different

variations around the theme of African crafts. One common feature is the profusion

which mobilises all senses and contributes to creating a specific atmosphere. The

multiplicity of colours, materials, products, sizes of shops, circulation patterns and

musical backgrounds (sometimes playing some distinctly Congolese rumba and

ndombolo or Senegalese yela), all compose striking scenes and produce a certain “vibe”

as South Africans like to put it. The main actors in this African “drama”, the traders,

have, over the years, learnt how to embody their roles skilfully. They may stand outside

their shops or at market entrances, especially at quiet times of the day, sometimes

adorned in the clothes or jewels they sell (large “boubous”, African “Madiba” shirts,

bead necklaces, large Zulu round hats for women). Some of them draw customers to

their stalls thanks to the typical reverberating sound of West African drums

(“djembes”) that easily fills the entire facility and seems to invite all to walk towards

the origin of the call. There is a subtle balance14 though between chaos and order,

between exuberant cascades of masks and colourful cloths hanging over from the

ceiling and clearly delimited paths and stalls, toilet signposting and credit card

payment tills. The traders’ more or less conscious and sophisticated performances are

also carefully framed in order for them to embody this “tamed” and apprehensible

Africa: typically, they will be wearing name tags and clearly identifiable security jackets

on top of their attire and where and how long they exactly stand and talk to customers

will be regulated by market managements.

20 Those three markets stand out as specialised in “African arts and crafts” and sharply

contrast with others such as the Sunday Rosebank Rooftop Market (or Flea Market), the

Bruma Flea Market in Johannesburg or the Green Point Arts and Crafts Flea Market in

Cape Town where African crafts stalls are interspersed with old European antiques,

Indian incense, German sausages and Italian fresh bread stalls. They are also different

because they are permanent, daily markets and not weekly events (except for Bruma).

Besides playing a different economic role (the permanent markets are the most regular

sources of income for market management companies), they bring in a more specific

type of customers drawn there either by the “African flavour” or a specific shopping

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250

purpose. Traders-customers interactions are as varied as the possible range of

transactions that can take place given the variety of products and it is beyond the scope

of this paper to investigate in depth customers’ perceptions but some recurrent trends

can be mentioned. Customers are equally distributed between international tourists of

all origins and mainly White and Indian South Africans. Strikingly in the minority,

Black South Africans might venture into those markets as part of a collective corporate,

school children or pensioners tour. This limited attendance reflects more general

cultural and shopping habits, as for instance in cinema or museum attendance. Most

traders interviewed perceive customers along stereotypical lines: Americans and

Germans are the “best buyers”, French, Italians and Spaniards like to bargain and chat

a lot, Indians are considered “difficult and mean” and Chinese are “complicated”

because they come in large groups, buy a lot but at very low prices. Customers from

tour operators have very limited perceptions of who the traders are and spend on

average between twenty and forty minutes in the markets. Traders either dissimulate

their non South African identity if they have the feeling customers are looking for

South African souvenirs or highlight it, especially in the case of Francophone traders

with French, Swiss and Belgian tourists when they think it might increase their sales.

The type of very insistent selling style displayed by “souk” traders in North Africa has

no place in South Africa. Any too insistent approach to customers will be reported to

management and will not be tolerated either by other traders or customers. If from

time to time young shop assistants try to stop customers by barring the way through

alleys and by “kindly forcing” them to enter a shop, they might be disciplined if their

behaviour is noticed by market management. The markets’ by-laws almost always

contain some paragraph about “the appropriate behaviour” for traders to adopt. When

it comes to transactions, those will be performed in a low voice and promises of a “very

good price” will materialise into offers that usually start by quadrupling the price

actually expected. Secrecy and harsh competition among traders may sometimes lead

to violence in the form of verbal abuse and even physical fighting over accusations of

“stealing customers” or “breaking market prices” but these remain the exception

rather than the rule15. Finally, increasing shares of the sales now come from online

corporate orders directly placed with market managers (particularly at the Rosebank

Market16), a dematerialised transaction that transforms the traders into manufacturers.

21 As an “ethnic” niche market, African craft sale in South Africa relies on a specific type

of marketing in which the salesman or shopkeeper is perhaps as important as the

product itself. In a way, the salesman, who is, most of the time, his own boss and wears

the two caps of trader and salesman, personifies the authenticity of the products on

display. As in any other similar “ethnic” niche markets worldwide, well described by

Alain Tarrius (1995) or Emmanuel Ma Mung (2006) in the case of “Arab” greengrocers

in France, products are only one part of the exchange taking place in the transaction.

The cultural background of the trader, the story he tells about the product, the contact

he develops with his customers, the bargaining, the language he speaks (especially

Francophones with French-speaking tourists) are all part of the game and tend to

transform the purchase into an experience that goes beyond the mere acquisition of

goods. As some traders in our survey note, some customers do not only come to these

markets to purchase goods but to meet with “Africans” and find out about their

country of origins, the language they speak, etc. Paradoxically but unsurprisingly given

the legacy of segregation in South Africa, for some tourists but also for some South

Africans, these brief encounters may be the only ones they have with black people in

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their everyday lives or during their visit to the country. In this respect, the curio

business in South Africa only constitutes one aspect of a wider process described by

Rasool and Witz (1996: 4):

“In this world where almost nothing is left to chance [the world of tourismmarketing], South Africa is being asked to negotiate its own images, to suggest thestyle of its wrapping. The possibilities are bounded by the dazzling promise of anordered modernity, with the United States as the yardstick, and a primordial tribalbackwardness, with images of Third World violence, chaos and poverty as itsmeasure [...]. Unable to escape these parameters, South Africa is having topropound its Africanness’ as the embodiment of the continent’s possibilities formodernity, the engine room’ of Africa’s economic development [...]. In the process,South Africa, in the peculiarities of its modernity, is being inscribed as a world inone country’, reflecting not merely human diversity, but the very image of theworld itself.”

22 African crafts markets in the post-apartheid period are one such expression of

purported “Africanness” inside a modernised “wrapping” in which the African

transnational trader is the willing, sometimes unconscious living embodiment (and

even raison d’être) of this primordial versus modern tension. It is specific to the type of

goods sold and the position of this retail sector in the South African tourism industry.

This in itself distinguishes it from the kind of cultural processes at work among the

Congolese traders described by MacGaffey and Bazenguissa (2000: 50) in Europe, which

corresponds more to a hybrid and syncretic cultural production geared towards a self-

definition in an alien context. The kind of cultural processes to be observed around

curio traders in South Africa is probably much closer to that of the Senegalese and

Malian traders described by Stoller (2003) in North America. Stoller documents how

West African traders have made use of African Americans’ taste for Afrocentric

products in order to develop their businesses. His argument is mainly that the mimetic

faculty is the main framework in which West African traders organise their trade in

North America: “By marketing Afrocentricity17 at outdoor markets, at trade

expositions, in mainstream retail stores, on catalogue pages or in the virtual markets

found on the Internet, a simulated Africa has emerged in North America. By

understanding the importance of the copy, West African merchants, who, like their

forebears, are known for their economic adaptability, have marked Afrocentricity and

profoundly enhanced the profitability of their enterprises in North America” (Stoller

2003: 91).

23 The South African situation bears many resemblances to that of West Africans in North

America in terms of an encounter between African traders and a local emerging

Afrocentric culture with its own economic, cultural and political dynamics. The main

difference is perhaps that the monolithic vision of Africa which is promoted in the

South African markets is not supported by the Afrocentric trend that can be observed

for instance in South African design (in black-owned brands such as Strange Love,

Stoned Cherrie or Sun Goddess) but by mainly white economic interests and their

concentration in the retail and tourism industries. This certainly explains both the

success of these markets and their limitations in terms of audiences reached in South

Africa. The opening of these markets has filled a gap in both tourist attractions and

crafts retail at an opportune time. For some, the “African” market has transformed the

image of the suburb and positioned it vis-à-vis tour operators and other business

districts in a more and more competitive environment (this is the case of Rosebank for

instance which offers an “outdoor, cosmopolitan relaxed vibe”, according to one

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interviewee, compared to Sandton, Johannesburg’s most affluent but more formal and

enclosed neighbourhood). For others, the opening of the market has simply placed

them on the map of tourist attractions, a goal that could only be achieved thanks to

their “African” identification18. However, as Stoller notes, considering marketing

Afrocentricity only as “an economically astute response to ever changing local market

conditions” does not explain the multiple dimensions encapsulated in the

phenomenon. The retail of “African” curios certainly represents a boon for corporate

South Africa, from interior design chains to market management companies. The retail

business in African curios is estimated to have more than doubled in the last ten years

(according to Bruce Jones, B&B Company and Richard Crooks, Chameleon Village). But

it certainly does not stop there.

24 As the Rosebank Market floor manager puts it, entering the market is almost “a shock

to your system” that comes from the “intensity of these foreign faces”19. Interestingly,

it is this “shock” that people, tourists and South Africans alike, are encouraged to seek.

The architectures of these markets have been designed to meet this ambition of

copying and recreating. A case in point is the Rosebank African Craft Market which,

like many instances of South African shopping mall (and leisure) architecture20 in fact,

vaguely mimics or replicates an external reference, here the Dogon architecture with

high terra cotta towers and hints at urban township culture with the use of corrugated

iron. The architect’s description is indicative of the intention:

“The building was designed to house street vendors who were seen as a securitythreat to surrounding business. The structure is simple and is wrapped in a richcrafted African fabric. It screens the ugly façade of the Mall parking garage. Thebuilding promotes accessibility and creates usable public open space within andaround it to encourage interaction, retail activity and public participation. Theinternal pedestrian street allows movement through the building. The interior isreminiscent of markets in Dar Es Alaam [sic] or Nairobi. The building is a touristattraction as much for what is on sale inside as for the building itself”, <http//www.kateottenarchitect.com>.

25 It thus reflects a series of tensions between primitiveness and modernity, authenticity

and artificiality, mystery of the origins and a positivist legal sale context, apparent

chaos and profusion, orderly organisation of the stalls and shops, and enclosed space

which easily gives rise to a somewhat parochial mentality and an open space where

people (customers as migrant traders) merely stroll through, village/local setting and

cosmopolitan networks and atmosphere, truly South African and global. I will try to

unpack some of these here.

26 This notion of replica or perhaps even, as Stoller shows for African markets in North

America, of simulation, as he calls it after J. Baudrillard’s use of the word (1983), is very

much present in the sense of feigning the symptoms of something to the point that

symptoms become the only tangible expressions of the new reality. Conducted

systematically in several markets, interviews revealed an ambition common to both

mall managers and traders, which is to make “Africa” entirely available to all (“We

offer the whole of Africa here!”). This undefined and holistic notion of “Africa”, a

primitive, creative, and decorative one (the notion of “décor” is central), is paired with

modernity as conveyed through the reassuring space of modern facilities, credit card

payment, “first class toilets” and secure parking lots21.

27 This monolithic but reassuring vision of Africa is not just the South African Eurocentric

avatar of the genre, it also expresses itself along the lines of essentialised ethnic (and

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sometimes gender) categories inherited from apartheid times. This imposed ethnicity is

not just expressed verbally as I could realise in many interviews, but it is also

translated in the markets’ by-laws that impose product exclusivity, to “prevent undue

competition”. For instance, South African women selling beadworks play the part of the

“Ndebele ladies” and cannot deal in other crafts, Kenyans are restricted to selling

giraffes and elongated Masaï figurines or colourful Masaï blankets, Senegalese deal in

either masks, djembés or Chinese imports (glasses and belts) and Congolese will

invariably offer Kuba cloths, malachite and colonial, Tintin-style figurines. However,

the availability of products described in the first part and increasing competition have

resulted in diversification. The markets’ by-laws tend to lapse over time and most

traders consider diversified and plethoric stocks as the best guarantees of better sales.

The result is that most stalls now offer a diversity of products, even if each shop

continues to specialise mostly in one type of items. KS, from the Chameleon Village

Market explains: “Before, as wholesalers, we would only sell things from our country of

origin, the DRC, but now as retailers, we get what sells most easily, ‘from Cape to Cairo’

(laughter)”22. What matters above all in the eyes of the traders is the abundance of

goods in the shop as BP, a Congolese trader from the Rosebank Market summarises: “If

you have stock, you’re fine. If you keep your cash, you’ll regret it. If you have stock, you

sell”23.

28 Not only have traders who were not familiar with curio trade acquired specialised

knowledge on the products’ origin, material, production processes, etc, but they have

also clearly developed those skills beyond the limits of their countries and communities

of origin. This type of knowledge transmission is empirical and relies on mutual

teaching as well as selfteaching through African arts and crafts books that most traders

possess and use regularly. Thus Senegalese or South Africans now sell Congolese Kuba

cloths and Congolese might sell Kenyan wooden animals. BP, the Congolese trader from

Rosebank quoted previously, explains:

“When I first came, a friend of mine, D., welcomed me. He was selling art stuff. But Ididn’t pay attention. To me, this was like a hobby [...]. My girlfriend of the timeencouraged me to do that and my friend D. too. My family back home didn’t knowabout it, even until today. They have no idea what it’s all about, selling wooden’things [...]. Back home, I wasn’t interested in that but as I’ve travelled throughoutthe country, I could remember the different styles and the sort of things that artistswould make in Kinshasa at the Academy of Fine Arts. And my friend D. had books Ilearnt from [...]. Now I sell things from the DRC, Angola, Congo-Brazzaville,Cameroon, Nigeria and Benin” (BP, 12/09/2006).

29 Economic interest certainly explains part of this diversification and readiness to learn

about other craft traditions. Yet, it also represents a deliberate tactic to circumvent and

resist what is neatly perceived as domination from management and categories

imposed from above. The circumventing is initially mainly economic as te market by-

laws are perceived by traders as limiting business but it is also a matter of resisting as a

group and offering a competing understanding of “African values” diverging from

those artificially imposed from the outside. It also contributes to show management

that, in this very constrained environment, where traders occupy inferior positions and

are subjected to the markets’ by-laws24, they still control the source of income and the

business culture around it. For instance, at the Rosebank African Craft market, despite

an absence of durable representation and organisation, traders managed to oppose

management’s vision of a payment system with the use of labelled prices and a single

till that would have transformed them into mere sales people. The market entrance

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254

now displays a sign that reads “This is Africa. We bargain!” It stands as the one by-law

imposed by traders and not management.

30 Interestingly, this motto (that can be found at other markets in various forms) also

defines a boundary between the inside and the outside on the basis of identification to

a monolithic Africa, secluded from the immediate outside world (South Africa). One of

the traders sheds further light on this demarcation by explaining: “Often people say,

when you’re outside you’re in South Africa, but when you’re inside you’re in Africa”25.

As Stoller indicates in the case of West Africans trading Chinese goods displaying

Afrocentric mottos in New York’s African markets, African traders in South Africa (as

well as South African vendors of similar goods) find themselves caught in a number of

ironies. Although they are geographically located on the African soil, the type of

Afrocentric discourse these traders face is far less structured than in North America

where its philosophical and pseudo-historical bases have translated directly into public

holidays (Kwanzaa) and the creation of a growing folklore. The marketing of African

curios has so far been rather unsuccessful with South African black audiences who

display little interest for crafts markets in general and have a clear preference for

trademarked goods26. The audience for this specific type of Afrocentric goods is thus

mostly from outside Africa and non-black South Africans. The other complexity is the

relation to Africa both in terms of boundaries and in terms of racial identity. Unlike in

North America where it is remote, in South Africa, Africa is present but at the same

time needs mediation (the Rosebank motto raises other questions: where does Africa

start? Where does it stop? How does one reach it?). Again unlike West Africans in North

America, who stand as ontological strangers, African traders and black South African

traders alike (that is the very insiders) are caught in this simulation of Africa thanks to

or because of the colour of their skins. The simulation reaches a kind of mise en abime in

the South African context and confirms that no singular reading of these phenomena

can be offered, notwithstanding the transnational dimension of these African import-

export networks in their Asian connections. A Cameroonian national passing for a

Congolese refugee and trading fake Senegalese masks made in China to a South African

interior decorator seeking to give an “African flavour” to an international guest house

is one of the most stereotypical situations observed in any of these South African

markets.

31 Products’ commodification is another interesting expression of the kind of cultural

hybridisation simulation may lead to. Information gathered by traders and market

managers over the years on customers’ tastes have progressively shaped the

manufacturing of products. The classic rules of retail marketing (constant trend

renewal, adaptation to travel requirements, price diversity in line with customers’

socio-economic backgrounds) and the competition of the South African retail context

have imposed themselves on African crafts. Products are either conditioned differently

from the place of production or by traders once in South Africa. Wooden sculptures will

be polished and varnished, Congolese elongated figurines will be painted black and

wrapped in beads, Kuba cloths will be sowed over cushions and bags, Senegalese batiks

framed, and malachite pieces carved into Mandela heads. Increasingly, those products

find their way into the more mainstream interior decoration retail chains (Mr Price

Home, @Home, Woolworths Home) where they do reach Black South African

customers.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

255

32 Those economic and social exchanges lend themselves to multiple readings that

pinpoint the various dimensions and frameworks at play. What is perhaps most specific

to the South African post-apartheid context is the fact that the mimicked reality

(Africa) acquires a reality of its own (crafts and their conveyors are this reality to

many) in the midst of the actual environment of the transaction (South Africa and its

people are part of Africa), an “Africa” that is both omnipresent and distant enough to

require mediation. The African unmarked goods sold on South African markets are not

trendy commodities such as for instance Mandela T-shirts or Malcom X caps in America

for which the power of the sign itself replaces the meaning it is based on. They are the

material culture through which Africa becomes real to many, international tourists,

white and black South Africans alike, in an African country today.

*

Tourism, Entrepreneurship and Migration in aGlobalised Regional Context

33 This paper intended to examine how African curio markets participate in a broader

process of image negotiation at work within South Africa and more broadly speaking

between Africa and the rest of the world.

34 In this game of perceptions and representations, African traders have little leeway to

offer more creative images of Africa than those they are expected to by either mall

managements or customers. These images are often conditioned by an essentialised

understanding of African identity prevalent among those who invest and regulate this

sector. These images revolve around ethnic specialisation, notions of primitiveness and

creativity, wilderness and profusion. The architectures adopted as well as the markets’

by-laws are based on the premises of these stereotyped images. Unlike North America

where Afrocentricity has become a repertoire (that some may deem fake) shared by

West African traders and African-American customers (Stoller 2003), such an encounter

has not (yet) happened between African traders and black South Africans, except when

commodified African crafts are sold in a depersonalised, branded manner in

mainstream retail shops. African curio trade in South Africa is not the locus of renewed

images of either Africans or the continent but rather the continuation of the South

35 African specific combination of primitiveness and modernity that has represented, for

several decades now, the main communication imagery of the South African tourism

industry.

36 In their attempt at copying and simulating a monolithic Africa, these markets provide

the various actors involved with several possible readings and positioning. To mall

managers, they offer new market niches with much expanding potential both

domestically and internationally, through tourism and the Internet (online sale), as

well as a social good conscience as experiments in formalisation. To local councillors

and managers, they offer possibilities to transform the image of their suburbs and to

adapt it to the new cultural icons of the country, thus participating in the

nationbuilding enterprise. To migrants, they offer multiple and flexible opportunities

to negotiate their more or less durable insertion in the host society. As a respectable

income-earning activity, curio markets allow them to merge into an otherwise

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256

unfriendly social fabric where their quality as African foreigner is more often than not

a stigma. Indeed, curio markets transform this into an asset: by showcasing their

“Africanness” and their global ties, they are acknowledged as legitimate participants

into the South African economy and society27. This seems to confirm the validity of

Waldinger et al. s interactive model of ethnic entrepreneurship (1990) which accords

equal importance to labour market constraints, the impact of State policies and the ties

of ethnic networks.

37 It is still difficult to assess whether the learning processes and mutual encounters at

work within these transcultural spaces outweigh the restrictive and reproductive

dimensions highlighted in this paper. They do foster new perceptions of Africans and

their historical background within the markets, between management and traders, and

among traders, and the products commodification at work is a form of cultural

hybridization. However, South African markets are going through difficult times and

have not generated the success they were expected to, which reduces the impact they

may have on society. This is perhaps the limitation of copying and simulating. The

primitiveness they promote returns many South Africans to an impression of historical

déjà-vu that falls short of aspirations for a different Afrocentric modernity 28, for

trademarks and symbols that complexify rather than simplify African identities.

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NOTES

2. The most complete report on the xenophobic attacks to date is the CORMSA Report, 2008.

3. Muti is a Zulu word meaning medicine. Muti markets are markets offering traditional

medicines sold by traditional healers/diviners (sangomas) and herbalists. They can be found in

most South African urban centres. Two famous muti markets in Johannesburg are the Mai-Mai

and the Faraday markets which have received much attention and investment from the

Johannesburg Municipality recently in a (so far unsuccessful) attempt at turning them into

tourist attractions (except in Durban where the muti market is part of the City’s tour). These still

mainly attract Black South Africans.

4. The paper is based on extensive fieldwork carried out in 2006 and 2007 in and around

Johannesburg and the observation of other cities such as Durban and Cape Town as part of a

research project entitled “African Traders and the City” pertaining to two research initiatives

(FSP-CEPED and ANR MITRANS CNRS research programmes, see www.ifas.org.za). It relies on

original qualitative data from this fieldwork (over 50 in-depths interviews with migrant traders

from Congo, Cameroon, Senegal, Kenya, South Africa, Zimbabwe and Malawi, market managers

and local authorities). The author would like to thank reviewers for their comments and

suggestions on the ethnographic data in particular.

5. These are part of the FSP Ceped and Mitrans projects mentioned in note 3.

6. This reading in terms of a strategic and tactical use of a “cosmopolitan” African identity was

first identified by Loren B. LANDAU and Iriann HAUPT (2009) in relation with migrants’ self-

exclusion practices. My intention here is to expand it to other actors and rather analyse it as a

repertoire offering many actors (public, private and migrants) multiple opportunities to

(re)position themselves in the South African context.

7. Interviews with The Mall managers (Nicole Greenstone, Leila Daya and Alvine Macaskill),

Rosebank, 18/09/2007; Bruce Jones and Vanessa Naidoo, B&B Markets Company, Rosebank,

14/08/2007 & 15/08/2006; Ian Ollis, Democratic Alliance Ward Councillor for Rosebank,

13/08/2007; James and Richard Crooks, owners and managers, Chameleon Village Market,

Cramerview, 12/10/2007.

8. Interviews quoted in note 6.

9. For more information in these surveys, see <www.wits.ac.za/migration>.

10. The Bamoum, from the Nigero-Congolese linguistic group and Ntu sub-group, probably date

back to the 17th century. Their expansion goes back to King Mbwe-Mbwe’s reign and the

organization of a professional army around the capital Foumban. Trade was then developed

towards the coast and the interior with cola nuts. The use of slaves in agriculture enabled an elite

of traders and specialized craftsmen to emerge and rule from Foumban, a town located between

Douala and Bafoussam, the Bamileke capital in the North-West (SELLIER 2005: 137).

11. Hewa Bora is a Congolese airline based in Lubumbashi, Katanga, with several direct flights a

week to Johannesburg.

12. SARS stands for South African Revenue Service. Most traders in formal markets and

wholesalers are now registered with SARS and pay VAT on their imports and sales. All traders

interviewed in Johannesburg and Cape Town concurred to confirm BF’s perception of customs

services at the airport and the reliability of the SARS number.

13. Interview with Mr and Mrs K., Chameleon Village Market, Cramerview, 01/10/2007 &

15/04/2008.

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261

14. Itself the result of sometimes harsh negotiations between shopkeepers and management.

15. Those observations are drawn from the months of participant observation conducted at all

three sites and visits to other markets. Although instances of fights were reported by all traders

interviewed and market managers, only one fight and a few minor arguments were witnessed

directly.

16. <http://www.craft.co.za/African.aspx>.

17. The term, borrowed from Stoller here, is preferred to “Afrocentrism” which bears a

resolutely negative connotation. Afrocentricity and Afrocentric are used here mainly to describe

what, in representations, discourses or forms, places African references in the centre or

enhances them.

18. Interviews quoted in note 6.

19. Vanessa Naidoo, B&B company, 15/08/2006.

20. The simulation of exotic cultural or historical themes characterises South African leisure,

retail and housing architecture. Famous instances are the Moyo restaurant chain or the Sun City

complex for “ethnic Africa”, the Emperor’s Palace and Montecasino Casinos for “Ancient Rome”

and most Gauteng gated communities and clusters for “Provence” or “Tuscany”.

21. Countering disorder and filth, two notions that were systematically associated with street

hawkers and their activities, is consistently presented as the goal pursued in these various

projects to formalize trade, according to interviewed mall owners, managers and councillors.

22. Interview with KS, 01/10/2007.

23. Interview with BP, 12/09/2006.

24. By-laws are established by management in all markets without any durable form of

representation or organisation on the side of traders. By-laws regulate shop rental, products,

behaviour on the market, access to the market and hiring of shop assistants. In all markets,

management imposes sanctions on those who contravene the by-laws. Sanctions can take the

form of temporary shop closure (the shop is taped and the owner is denied access) or even

exclusion from the market for disciplinary problems (mainly stealing and drinking). Most traders

interviewed found by-laws fairly acceptable and even desirable for some. Instances of severe

disciplinary measures were by and large very few according to information gathered from

management and traders. Rent prices were far more resented than the by-laws.

25. Interview with KP, Rosebank market, 01/09/2006.

26. Interviews quoted in note 6.

27. Of note is the fact that crafts market traders were not victims of the May 2008 xenophobic

attacks unlike Somali shopkeepers in the townships who have for a long time been the targets of

violent xenophobic and economic crime.

28. The extremely vibrant Afrocentric South African artistic and cultural scene is a fertile area of

such expressions and experiments but encounters with the rest of Africa mostly rely on imported

artistic skills supported by State and foreign cultural agencies and not on local African migrant

artistic communities (interview with Laurent Clavel, Cultural attaché, French Embassy in South

Africa, August 2008). On African migrants ' cultural input to Johannesburg 's life, see Aboumaliq

SIMONE (2000) in Nuttal & Michael.

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262

ABSTRACTS

Based on a two-year fieldwork in and around Johannesburg, this paper contends that the

emergence of "African markets" in the post-apartheid urban landscapes filled the niches created

by the production of commodified images of the country and, by extension, the continent. The

analysis focuses on the creative process at work around the identification and multi-layered

reading of a "cosmopolitan" African identity by different groups of actors (South African

municipal authorities, retail private actors and migrant traders). It tries to show how this process

has fulfilled actors' immediate and contrasted needs but has not necessarily led to countering

negative clichés on African migration in the long run. It thus tries to make use of the theoretical

framework of the notion of ethnic entrepreneurship in its application to the South African

context. The paper documents the practices and activities of the African curio trade in South

African cities, the products sold, the trade networks and the imaginaries on which the

perceptions of migrants, market managers and municipal councillors rely and in turn continue to

fuel. After painting the specific cultural and political context of the South African tourism

industry and offering a brief overview of the dissemination of new trade and migration networks

towards and within South African cities, the paper finally unpacks the imagery of Africa that is

conveyed to South Africans and international publics as well as its genealogy.

À partir d'un travail de terrain de deux ans dans et aux alentours de Johannesburg, cet article

montre comment l'émergence de « marchés africains », dans les paysages urbains post-

apartheid, est venue combler une niche créée par la production d'images commercialisables du

pays, et par extension, du continent. L'analyse se concentre sur le processus créatif à l'œuvre

autour de l'identification et des lectures multiples d'une identité africaine « cosmopolite » par

différents groupes d'acteurs (les municipalités sud-africaines, le secteur privé et les commerçants

migrants). On tente de montrer comment ce processus a servi les attentes immédiates et

contrastées des acteurs mais n'a pas nécessairement conduit à renverser durablement les clichés

négatifs sur la migration africaine. Le cadre théorique de la notion d'entrepreneur ethnique est

ainsi appliqué au contexte sud-africain. Cet article documente les pratiques et les activités de la

vente d'objets artisanaux africains dans les villes sud-africaines, les produits vendus, les réseaux

commerçants et les imaginaires sur lesquels les perceptions des migrants, des gérants de marché

et des conseillers municipaux reposent et à leur tour contribuent à alimenter. Après avoir décrit

le contexte culturel et politique de l'industrie touristique sud-africaine et donné un aperçu de

l'étendue des nouveaux réseaux commerçants et migratoires inter et intra- urbains, cet article

étudie l'imagerie de l'Afrique qui est véhiculée par les publics sud-africains et internationaux et

par sa généalogie.

INDEX

Mots-clés: Afrique du Sud, Afrique (imaginaires), tourisme et migration, commerce

transnational, régénération urbaine

Keywords: South Africa, Africa (imaginaries), tourism and migration, transnational trade, urban

regeneration

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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AUTHOR

AURELIA WA KABWE-SEGATTI

IRD Fellow, Forced Migration Studies Programme, University of the Witwatersrand,

Johannesburg

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

264

Les scènes de la danse. Entre espacetouristique et politique chez lesPeuls woDaaBe du NigerDancing Stages. Between the Touristic and Political Spaces Among WoDaaBe

Fulani of Niger

Mahalia Lassibille

1 L’engouement des sociétés du Nord pour l’Afrique a trouvé dans le tourisme culturel un

de ses moyens d’expression privilégié que l’Unesco (2003) a remarqué et tend à

soutenir. Cette organisation a d’ailleurs lancé en Algérie, Égypte, Libye, Mauritanie,

Tunisie mais aussi au Mali, Maroc, Soudan, Tchad, et Niger le projet intitulé « Le

Sahara, des cultures et des peuples ». Elle envisage d’intégrer le tourisme comme

activité de développement économique de ces pays et comme moyen de sauvegarde et

de valorisation de leur patrimoine naturel et culturel.

2 Dans cette perspective, les danses africaines forment un ressort non négligeable. Objet

de fascination pour les Occidentaux, décrites par les voyageurs et les ethnologues, elles

apparaissent régulièrement dans nos médias où elles sont dépeintes comme autant de

gestes ancestraux. Les guides de voyage et les agences touristiques font ainsi la

promotion de certaines destinations en louant des danses réputées pour leur beauté et

leur « authenticité » : danses masquées des Dogons du Mali, danses guerrières des Zulus

d’Afrique du Sud ou des Massaïs de Kenya/Tanzanie, danses de séduction des WoDaaBe

du Niger... Elles donnent lieu à des circuits touristiques qui se sont quelquefois

superposés aux missions ethnologiques.

3 Or, si ce phénomène peut être exploré par macro-analyse, c’est plutôt une micro-

anthropologie qui sera menée ici. En plus de révéler la complexité des processus à

l’œuvre dans la mise en tourisme des danses, elle permet de considérer les points de

vue des différents acteurs qui y prennent part et de saisir les interactions qui s’opèrent

entre eux comme le dénotent les enquêtes menées chez les Peuls woDaaBe du Niger.

4 Le Niger a pendant longtemps connu un faible développement touristique de par une

forte insécurité liée à la rébellion touarègue et au banditisme armé, et à un manque

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d’infrastructure. Je ne rencontrais, lors de mes premiers terrains chez les WoDaaBe au

début des années 1990, que quelques touristes de passage. Par la suite, de plus en plus

de touristes arrivèrent aux fêtes locales, notamment à la « Cure Salée » d’Ingall, grand

rassemblement des pasteurs qui fut intégré au circuit touristique par le gouvernement

en 1998. Or, en 2003, les WoDaaBe ont pris la décision de ne plus y participer. Ils

estiment en effet n’en retirer aucun bénéfice alors que les touristes viennent

principalement voir leurs danses. Ils organisent depuis « l’Assemblée générale des Peuls

wodaabe du Niger ». En 2006, je me suis rendue à ce nouveau rassemblement où les

danses semblent constituer, en tant que pôle d’attraction touristique, un enjeu

considérable pour le groupe. Mais tandis que mes questionnements de départ se

centraient sur les WoDaaBe, je me suis trouvée au cœur d’interrelations avec plusieurs

voyageurs. Ceux-ci venaient discuter et poser des questions à « l’anthropologue » ainsi

que j’étais identifiée. En plus de la triangulation qui s’opérait entre eux, les WoDaaBe et

moi, je constatais que, sous la figure unitaire du touriste, se profilait une grande variété

de situations qu’il me fallait analyser.

5 Pour cela, j’ai mené une enquête in situ, concentrée sur le lieu de l’Assemblée, mais

aussi hors de ce cadre auprès des WoDaaBe ainsi que des voyageurs qui m’avaient laissé

leurs coordonnées. Cette recherche s’étendit alors sur plusieurs pays, France, Belgique

et Niger essentiellement, et usa de tous les moyens de communication possible,

téléphone, messagerie instantanée, courriels. Ces différents modes d’entretiens, s’ils

impliquent des biais à prendre en compte, eurent finalement l’avantage d’aisément

glisser vers un mode conversationnel qui produisit des propos singuliers. De plus, ils

me permettaient de multiplier les interlocuteurs, et subséquemment de mettre en

lumière la diversité de leurs profils et de saisir le phénomène de réseaux qui se

dessinait et se trouvait être au cœur de mon travail. Cette enquête « multi-située »

(Appadurai 2005) reflète les caractéristiques d’un terrain globalisé et du phénomène

touristique étudié, et fut indispensable pour répondre aux questions qui se posaient :

par quels processus des acteurs si différents sont-ils arrivés en ce même lieu, dans la

brousse nigérienne ? À quels agencements entre touristes, WoDaaBe et autorités du

Niger le déroulement de l’Assemblée donne-t-il lieu ? En quoi la danse forme-t-elle le

nœud central du dispositif, entre espace touristique et politique ?

De la globalisation à la localisation : un tourisme enréseau

6 Après que les WoDaaBe m’aient plusieurs fois parlé de leur « Assemblée générale » qui

semblait revêtir une grande importance pour eux, je reçus en 2006 un courriel du

collectif Djingo qui regroupe les associations woDaaBe du Niger. Il m’annonçait la

réalisation de la troisième édition de l’Assemblée, à Azanghafa dans la région de

Tchintabaraden. Était joint un programme mentionnant les allocutions, réunions et

danses qui allaient s’y dérouler, et le bureau exécutif de l’événement avec pour

organisateur le président de l’association Kaourital.

7 Il y avait dans cette seule « entrée en terrain » toutes les caractéristiques et les

difficultés de l’enquête qui s’ouvrait : un contexte mondialisé qui conduit les WoDaaBe

à user d’Internet pour informer des Occidentaux dont je faisais partie et dont certains,

comme moi, allaient prendre le chemin de l’Assemblée ; un fonctionnement en réseau à

l’image d’un listing mail dont les connexions et les hors-ligne formaient un pan aussi

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mobile qu’insaisissable ; un ancrage local, dans une contrée aux échos lointains, dont

les tenants et les aboutissants woDaaBe restaient à préciser. Il y avait autant de

questions que de points mentionnés, et les éléments de réponse se sont révélés parfois

ardus à démêler et à écrire de par leur composante fortement interactive et leur

caractère déconcertant.

Quand les WoDaaBe décident d'« un forum social et culturel » :

histoire d'une cofondation

« J’ai rencontré Doutchi dans les rues de Paris, il sortait d’une boutique. Jeconnaissais déjà les WoDaaBe, j’avais rencontré Doula. Du coup, on a discuté. Il m’aexpliqué l’idée qu’il avait, d’une assemblée des présidents d’associations au départ.J’ai trouvé que son idée était bonne. Après, je suis revenue au Niger et j’ai vu queDoula écrivait avec d’autres WoDaaBe une lettre aux présidents d’associations pourdire de ne plus aller à la cure salée. Je lui ai alors parlé de l’idée de Doutchi, quec’était bête qu’il le fasse tout seul. Je leur ai dit de rentrer en contact. Ils ontorganisé la première Assemblée » (Sandrine1, 2006, Assemblée générale des PeulswoDaaBe).

8 L’idée et la mise en place de l’Assemblée sont tout d’abord le fait de jeunes WoDaaBe,

présidents d’associations au Niger. Ce dispositif associatif, initié principalement par la

possibilité de danser dans des festivals et de vendre des bijoux en Europe, États-Unis et

Canada, est particulièrement stratégique. En tant que cadre juridique, il permet aux

WoDaaBe de mener des activités dans les pays du Nord. Face à des conditions de plus en

plus difficiles pour des pasteurs nomades, ils ont dû trouver de nouveaux équilibres

économiques et des ressources alternatives aux seuls troupeaux. Les débouchés

touristiques et les ventes de bijoux et de danses furent alors utiles. Ce cadre associatif

permet également aux WoDaaBe de monter et de présenter des dossiers afin d’obtenir

des aides (puits, écoles, dispensaires...). Ils ont enfin, expliquent-ils, un statut pour faire

connaître leur culture et porter leurs revendications auprès des autorités nigériennes

et à l’étranger.

9 Or, d’une association au départ, elles se sont multipliées pour atteindre le nombre de

dix-neuf en 2006. Chacune regroupe un lignage, plus exactement une partie de lignage

vivant dans une région du Niger. Outre la volonté de faire bénéficier son groupe des

projets réalisés sans oublier des luttes de pouvoir, cette division correspond à un

fonctionnement lignager structurant dans la société des WoDaaBe. Cette situation

explique l’éparpillement sous-jacent au récit de Sandrine entre Doutchi (du lignage des

Bii Korony’en du nord d’Ingall, président de l’association des Éleveurs du Ténéré) et

Doula (Bii Nga’en du nord d’Agadez, président de l’association Baraka). Elle explique

aussi l’idée du rassemblement qui fut, avec l’enjeu touristique, un des tremplins

initiaux de l’Assemblée, et éclaire un premier pan de sa cofondation, celui entre

WoDaaBe. Sous l’impulsion de Doutchi et Doula, les dirigeants des associations se sont

réunis, ce qui s’institutionnalisa avec le collectif Djingo. Ils ont décidé de l’Assemblée,

se sont répartis les rôles (un bureau exécutif avec une direction tournante entre

associations) et les financements (chaque association donne sa contribution).

10 La part active des WoDaaBe est sur ce plan centrale : non seulement ils sont auteurs des

stratégies qu’ils élaborent et dans lesquelles leurs associations forment un élément

moteur, mais ils ont eu l’initiative de l’Assemblée. Ils ont à son sujet des actions et des

discours précis. Le contexte international dans lequel ils évoluent fait l’objet d’une

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réappropriation et de réaménagements locaux. Ainsi, les destinataires de l’Assemblée

ne sont pas seulement les touristes mais les WoDaaBe eux-mêmes.

11 Cependant, la dynamique est plus complexe et interactive. Ces responsables

d’associations viennent régulièrement dans les pays du Nord depuis les années 1990. Et

ce fut principalement via des relations nouées au Niger et les circulations

d’Occidentaux entre les continents que les WoDaaBe sont arrivés ici, à l’image de

Doutchi : invité par une Française rencontrée à la « Cure Salée », il a commencé en 2003

à vendre des objets artisanaux en France, Belgique, Italie, Allemagne... Ces relations se

déroulent dans des va-et-vient entre WoDaaBe et Européens qui les accueillent et

recherchent des débouchés pour leurs productions. Ces derniers se révèlent être des

interlocuteurs à part entière. La venue des WoDaaBe est également l’occasion de nouer

contact avec d’autres Européens comme ce fut le cas entre Doutchi et Sandrine, et de

développer un réseau de personnes qui les hébergent, les aident et peuvent intervenir

dans des projets locaux. S’opère au cours de ces déplacements une combinaison étroite

entre acteurs africains et occidentaux qui n’est pas sans lien avec la mise en place de

l’Assemblée.

12 En effet, les touristes qui sont allés au Niger et les personnes rencontrées dans les pays

du Nord ont été décisifs dans la prise de conscience des WoDaaBe, générée tant par les

références apportées que par la valorisation du regard posé. Doula Mokao mentionne

par exemple que ce sont des amis français qui ont attiré son attention sur la nécessité

pour les WoDaaBe de régulariser leurs droits de territoire et d’accès à l’eau. Leurs

interlocuteurs occidentaux ont de même contribué à l’acquisition d’outils de

revendication. Doula a ainsi participé à des conférences indigènes en Suède (1992, 1994)

et fut invité, en 1998 par une Brésilienne, à rencontrer des chefs de tribus indiens pour

aborder les problèmes des peuples autochtones. Les notions de « droits indigènes », de

« commerce équitable » et de « tourisme solidaire » ont été largement acquises lors de

ces interactions. Certaines se retrouvent dans le projet de l’Assemblée, dans son

positionnement et ses références.

13 De plus, ces interlocuteurs apportent une aide matérielle dans l’organisation du

rassemblement par leurs conseils, l’accompagnement dans le montage de dossiers, un

soutien logistique et la diffusion d’informations. Le courriel d’invitation des WoDaaBe

mentionne d’ailleurs que toute contribution est bienvenue, et ajoute « n’hésitez pas à

nous tenir informé si vous connaissez une structure ou une bonne volonté qui pourra

aider à sa réalisation. Nous demeurons attentifs à vos suggestions ». Les WoDaaBe

encouragent des actions participatives et sollicitent leurs relations.

14 Car les acteurs occidentaux occupent une place considérable par la mise en réseau

qu’ils permettent à un niveau international2 mais aussi entre WoDaaBe d’associations

différentes. Sandrine a été une actrice charnière par la relation qu’elle a suscitée entre

Doutchi et Doula. De par leur position internationale, les Occidentaux ont un rôle

d’intermédiaire local selon la logique non plus additive mais combinatoire du réseau

(Mercklé 2004 : 9) qui tend à se profiler. Le réseau, en tant que maillage

d’interconnaissances et d’interdépendances, commence lorsqu’« il y a une liaison entre

les liens eux-mêmes, ce qui a pour conséquence que ce qui arrive [...] entre une paire de

“nœuds” ne peut manquer d’affecter ce qui arrive entre une paire adjacente »3. C’est

dans ce cadre d’analyse que l’on peut donner toute leur dimension aux relations entre

WoDaaBe et Occidentaux.

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268

15 De rencontre en rencontre, la création de l’Assemblée se révèle foncièrement

interactive et imbriquée tout en étant profondément identitaire pour les WoDaaBe.

Dans cette initiative qui associe forum social et tourisme culturel, les Occidentaux ne

sont pas réduits à des spectateurs auxquels cette Assemblée serait destinée. Comme

interlocuteurs, ils en sont les co-acteurs en participant de façon directe ou non,

volontaire ou involontaire, à sa fondation. Ils participent des interconnexions opérées,

notamment au sein de la trame associative et lignagère qui constitue un des premiers

axes du réseau, mais aussi des disjonctions instaurées.

Une dynamique d'opposition : la critique de la « Cure Salée »

16 La « Cure Salée » est devenue un centre d’attraction touristique au Niger. Plusieurs

voyagistes spécialisés proposent des circuits incluant « les grandes fêtes des peuples du

désert » à des amateurs d’aventures et de vacances hors des sentiers battus. Ils jouent

avec un imaginaire saharien porteur (Cauvin Verner 2007) et promeuvent des critères

chers au tourisme culturel : la rencontre avec l’autre, la découverte de pratiques

différentes... Les agences insistent sur les relations directes nouées avec les « dernières

populations nomades » et sur l’éclat et l’authenticité de leurs fêtes. La « Cure Salée » fut

ainsi intégrée au circuit touristique et encadrée par le gouvernement nigérien qui en

fixe les dates et lieux afin de permettre un accès plus facile.

17 Les danses woDaaBe constituent également un intérêt majeur de la fête, ce que les Peuls

ont petit à petit mesuré. Les agences les vantent ; les touristes demandent à voir leurs

danses qui les fascinent pour leur beauté, la finesse des parures et l’élection du plus

beau danseur ; les WoDaaBe sont abondamment filmés et photographiés. Néanmoins,

alors que le gouvernement envoie des aides et que l’arrivée de touristes constitue un

apport financier, les WoDaaBe expliquent ne recevoir aucune compensation. Au

contraire, ils doivent payer leur transport, leur nourriture, trouver à se loger : « On ne

gagne que la fatigue » (Ibi). Ils critiquent les autorités de ne pas s’intéresser à leurs

difficultés et les Touaregs d’avoir la mainmise sur la fête selon une rivalité ancienne

entre les deux groupes. C’est donc une question financière, de reconnaissance et de

pouvoir qui se pose quand le tourisme culturel devient un enjeu économique croissant.

Ainsi, après l’édition 2003 qui connut un grand flux touristique, les WoDaaBe

décidèrent, sur proposition des associations, de boycotter la « Cure Salée ». « Celui qui

est venu en 2004 à In-Gall pour voir danser les Wodaabé est venu pour rien. Un petit

groupe veut bien faire entendre des chants traditionnels sur le podium officiel, mais ils

se produisent en habits de tous les jours [...] Touristes mécontents » (Thiry 2006 : 18).

18 Or non seulement les WoDaaBe ont décidé leur retrait de la « Cure Salée », mais ils

organisent leur Assemblée de façon parallèle telle une « réunion alternative » (Doula).

L’établissement de ses dates est révélateur de cet objectif : ils la programment

simultanément, ce qui entraîne les reproches de la part des Touaregs qui y voient une

rupture illégitime de « la tradition » et un lieu de concurrence. L’Assemblée forme à la

fois un mouvement d’opposition et d’affirmation économique, politique et identitaire, à

analyser en interaction avec les touristes, les autorités et les Touaregs. Le problème est

alors pour les organisateurs d’y drainer les acteurs espérés.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

269

Vers l'Assemblée générale via le canal touristique

« Marie : Bruxelloise, accueille Ali et fait des ventes de bijoux, tient le dispensaire àl’Assemblée. Pascal : dentiste à Niamey, dispensaire. Le groupe de Belges : cadresqui ont un projet de forage avec Ortoudo. Jean-Pierre : Français, a connu l’ONGAourinde au festival de Montignac. Sandrine : a rencontré Doula et Doutchi,documentaire sur l’Assemblée. Thomas : documentariste, m’a contactée pourapprocher les WoDaaBe. Carol (américaine), Bjorn (suédois) : photographe etanthropologue, ont divers projets. Iez : Anversoise, a écrit un article sur “la prise deconscience des WoDaaBe”, lien avec Doula. Gilles : photographe, a vu un reportage àla télé. Des touristes de passage français, italiens, espagnols, allemands, américains,hollandais, japonais » (journal de bord, Assemblée 2006).

19 Au fur et à mesure de mon terrain, je me demandais comment des personnes si

différentes avaient entrepris ce voyage jusqu’au fin fond du Niger pour se retrouver à

l’Assemblée des WoDaaBe.

20 C’est tout d’abord la venue des touristes de passage qui peut être retracée. Ils sont

arrivés par le biais d’agences de voyage et de guides accompagnateurs qui les ont

conduits à ce rassemblement où ils peuvent assister aux danses woDaaBe qu’ils

recherchent et apprécient. Car les organisateurs de l’Assemblée ont pris soin

d’informer agences et guides de la tenue de leur nouvelle réunion en indiquant le

programme et les tarifs appliqués (150 000 FCFA par agence en 2006). Les organisateurs

woDaaBe utilisent ainsi une première chaîne de transmission avec comme supports les

danses, et comme intermédiaires les agences et les guides avec leurs ressources

informationnelles et les sites Internet qu’ils alimentent. Ils peuvent par ce biais

atteindre et charrier jusqu’à eux un ensemble de touristes avec lesquels ils n’ont pas de

liens directs si ce n’est au moment de l’Assemblée. Ce mouvement fonctionne à partir

du moment où ce rassemblement se trouve à la croisée de plusieurs intérêts, lieu de

découverte pour les voyageurs, débouché pour les agences, atout touristique pour les

WoDaaBe.

21 Néanmoins, ce n’est pas la seule chaîne investie. Aux journalistes, photographes et

documentaristes qui se sont connectés à la fête pour des raisons professionnelles, et au

site Internet du collectif qui informe les voyageurs ne passant pas par une agence,

s’ajoutent des Occidentaux venus sur invitation des WoDaaBe et ce sont leurs

trajectoires qu’il s’agit également de définir.

« — Mon parcours, qui a fait que je me suis retrouvée là... C’était en 2001. J’ai fait unvoyage où j’ai rendu visite à un cousin en poste à Niamey. Ali était le gardien de lamaison. Cette année-là, il a émis l’envie de voyager en Europe pour vendre desbijoux et c’est comme ça que je lui ai offert de venir à la maison. Depuis, il vienttous les ans.— C’est le seul à venir ?— Il y a tout un réseau. Il y a Ortoudo (beau-frère d’Ali) qui vient régulièrement etqui a des accointances avec Bernard.— Il y a donc d’autres choses qui se sont greffées au fur et à mesure ?— Il y a beaucoup de choses. Il y a le projet de Bernard avec la famille d’Ortoudo... ily a Ali et ma famille. Comment dire... Là, il y a toute une histoire familiale. Macousine avait fait aussi un voyage au Niger. Elle y est allée avec ses deux enfants. Il ya eu un accident dramatique dans la famille, Jonathan est décédé... Et cet adolescentavait été très sensibilisé à la situation des WoDaaBe, il en avait parlé dans son école.Et à son décès, un peu en mémoire de lui, il y a eu une grande collecte de fonds pourcette école (au Niger). Depuis, ma cousine, ma famille soutient l’école de Tékinawa4.C’est une histoire familiale... C’est très affectif [...].

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— C’est donc par le biais d’Ali que tu es arrivée à l’Assemblée ? À sa demande ?— On ne va pas dire “demande”. Ce sont les liens et l’attachement qu’il y amaintenant entre nous, le fait qu’il vienne ici, donc tu vois, c’est un attachementquasi familial, et puis le fait que mes enfants soient allés là-bas voir la famille...C’est une rencontre » (Marie, 2007, entretien téléphonique).

22 Loin d’un récit aux paysages exotiques, c’est une histoire très chargée

émotionnellement, un parcours de vie qui est relaté et qui s’est construit à partir d’une

rencontre avec un BoDaaDo (singulier de WoDaaBe) pendant un voyage au Niger. Ce

sont des liens puissants et à long terme qui sont exprimés dès lors que cette rencontre

s’insère dans un ensemble de processus interactifs. Elle donna tout d’abord lieu à une

multiplication de voyages entre le Niger et les pays du Nord, de visites et de

retrouvailles : les WoDaaBe viennent régulièrement chez leurs hôtes tandis que ceux-ci

retournent au Niger, accueillis dans les campements woDaaBe. Ces voyages

s’accompagnent de membres de la famille et d’amis. Un tissu relationnel plus large

s’établit au fur et à mesure des contacts, un cercle d’interconnaissances dont les

relations se combinent et se renforcent. Ces micro-histoires ont souvent donné lieu à

l’élaboration de projets d’aide aux WoDaaBe et d’associations montées autour d’une

association boDaaDo et même d’une famille5. Les liens sont ainsi décrits en termes

familiaux, ce qui en manifeste l’importance pour les acteurs et fait écho au

fonctionnement des WoDaaBe, famille d’Ali et famille d’Ortoudo. Ce système est intégré

par les Occidentaux.

23 Les histoires individuelles, qui découlent d’un contexte touristique mais aussi

professionnel, ont abouti à des invitations à l’Assemblée. Les WoDaaBe concernés

l’expliquent par l’importance de ce rassemblement pour eux et par la place de ces

personnes dans leurs projets. D’autant que le nombre de « Blancs » qui se joindra à

l’Assemblée donnera du poids et de la visibilité à l’événement. Enfin, les invitations se

font plus appuyées lorsque la famille est organisatrice en raison des liens tissés et parce

que cette venue participera à sa propre renommée, plusieurs enjeux se superposant.

Chaque branche de WoDaaBe, chaque association, chaque BoDaaDo sollicite alors un

réseau de connaissances occidentales nouées au Niger et lors de leurs voyages afin de

venir à l’Assemblée, réseau dont je faisais moi-même partie. Nous arrivions avec des

groupes différents et selon des parcours personnels divers. Et ce maillage ne s’arrêta

pas là puisque certains d’entre nous avaient à leur tour invité d’autres personnes.

24 Ainsi, ce qui amena les Occidentaux à traverser le Niger jusqu’à l’Assemblée, c’est la

force du réseau. Si l’imaginaire touristique forme un moteur considérable du voyage

(Amirou 2000), c’est la dynamique relationnelle qui peut être son paramètre ultime. Ce

deuxième axe d’analyse présente l’intérêt de renforcer l’étude du phénomène

touristique comme une interaction (Picard & Michaud 2001 : 8). D’autant que la relation

créée ne se limite pas toujours à un contact ponctuel avec un étranger de passage. Dans

certains cas, elle débouche sur un rapport durable qui a des répercussions

considérables pour les WoDaaBe et les Occidentaux. Car ces interactions sont à

considérer dans l’ensemble de celles qu’elles impliquent. En plus des effets retour sur

chaque groupe, elles doivent être réinsérées dans la multiplicité des liens entre

WoDaaBe et Occidentaux et dans la pluralité des situations.

25 Dès lors, la figure unique du touriste éclate. Mettre en regard un réseau et des histoires

individuelles permet de dépasser l’appréhension du tourisme culturel comme une

catégorie homogène pour l’envisager comme un ensemble de processus interactionnels

à décliner dans le temps. L’imaginaire devient un paramètre composite et interactif du

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réseau, et mêle des images esthétiques, familiales, ethniques que les acteurs négocient

au fur et à mesure de leur parcours.

26 Néanmoins, ces interactions touristiques ne prennent tout leur sens que placées en

relation avec celles établies localement, dans le cas de l’Assemblée avec les Touaregs,

les autorités nigériennes et l’ensemble des WoDaaBe. Les organisateurs ont en effet

lancé des invitations auprès des autorités politiques nationales, régionales et locales,

woDaaBe et non woDaaBe, dont la participation au rassemblement est également

importante. Ce n’est qu’à cette condition que la présence occidentale prend toute sa

place ; ce n’est que dans cet ensemble interactionnel que le tourisme culturel devient

un levier. S’il s’agit pour les WoDaaBe de faire venir les touristes à eux, c’est également

par ce biais touristique qu’ils cherchent à « porter leur voix » (Doutchi) auprès des

autorités nigériennes.

27 Au cœur du phénomène de mondialisation où le tourisme culturel s’insère et auquel

lui-même participe, s’opère ainsi une forte relocalisation. Le canal touristique, par la

puissance du réseau qu’il comprend et l’importance des enjeux qu’il concentre, induit

ce mouvement qui se cristallise pour les WoDaaBe dans l’Assemblée générale. Deux

points le confortent : l’ancrage de l’événement au Niger, et son insertion dans des

questions économiques, politiques et identitaires locales. Le rôle des WoDaaBe s’y avère

capital. À l’initiative du projet, ils ont sollicité leurs connaissances, organisé le

rassemblement, engagé les réseaux par lesquels les différents protagonistes sont

arrivés au rassemblement. Cependant, une fois les WoDaaBe, les « touristes » et les

autorités nigériennes réunis à l’Assemblée, il faut cerner plus précisément la manière

dont ils interagissent au sein de l’événement et analyser les agencements auxquels ce

rassemblement donne effectivement lieu afin d’en saisir l’efficacité.

Dans les interstices de l'Assemblée : le tourismeculturel comme champ d'interférences

28 Jour après jour, les organisateurs de l’Assemblée ont programmé plusieurs temps

correspondant aux buts revendiqués, faire découvrir la culture des WoDaaBe, se

rassembler et échanger autour de leurs difficultés, alerter sur leurs besoins et obtenir

des aides, des objectifs qui s’enchevêtrent tout au long du rassemblement.

L'émergence d'une instance militante

29 L’Assemblée générale commence par les discours des LaamiBe (chefs de groupements),

de l’organisateur et des présidents d’associations : chacun souhaite la bienvenue aux

participants, remercie et exprime l’importance du moment pour les WoDaaBe, le tout

en fulfulde. Les présidents d’associations ont joint pour cet acte d’inauguration les

chefs traditionnels qui apportent une aide matérielle notable et soutiennent

l’Assemblée par leur présence et leur participation. Ils assurent de ce fait celles de leur

groupe et officialisent l’événement. Si le système associatif a donné pouvoir et prestige

à des jeunes hommes, les chefs restent pour les organisateurs un relais incontournable

en tant que caution sociale et politique, et que vecteur de rassemblement.

30 Un premier niveau d’imbrication se fait donc entre acteurs woDaaBe qui doivent

combiner une partie de leurs prérogatives afin d’atteindre leurs buts. Toute une partie

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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de l’Assemblée sera constituée de discours, de réunions et de débats où ils vont exposer

leurs difficultés, envisager ensemble des solutions et définir des revendications

communes. Si les uns et les autres n’insistent pas sur les mêmes points, tous évoquent

les mêmes problèmes : une crise de l’élevage nomade causée par la dégradation de

l’environnement, les contraintes d’accès à l’eau et une réduction des territoires

pastoraux. Les WoDaaBe mettent également en avant des conditions de vie précaires et

une situation sanitaire et sociale fragile liée au manque de centres de santé et d’écoles

accessibles. Non scolarisés, ils expliquent enfin ne pas pouvoir accéder aux voies de

participation au gouvernement, ne pas avoir de représentants pour défendre leurs

droits et ne pas connaître les textes de lois.

31 Les WoDaaBe proposent au fil des réunions différentes pistes pour lesquelles ils

souhaitent solliciter les associations, les ONG et l’État nigérien : une semi-

sédentarisation dans des « centres woDaaBe » avec des écoles, puits, dispensaires,

greniers pour « obtenir des terres que le nomadisme fait perdre » ; une valorisation de

l’élevage mobile comme argument touristique et écologique majeur ; le développement

de la scolarisation et de la formation citoyenne, etc. Le caractère revendicatif des

WoDaaBe est flagrant dans un « forum social et culturel » (dossier de présentation

envoyé par Djingo) où ils élaborent leurs arguments et unifient leurs demandes.

32 Dès lors, un événement qui pouvait être qualifié de touristique participe à la

dynamique interne de la société. L’Assemblée permet aux WoDaaBe de se réunir à

grande échelle et de solliciter le groupe à un niveau plus général que les autres fêtes :

des milliers de personnes, des chefs et des lignages venus du pays entier s’y retrouvent.

Tous soulignent l’importance de « l’unité ainsi créée qui doit être entretenue pour faire

de la communauté des éleveurs une communauté forte et soudée » (discours laamiBe).

L’enjeu est social mais surtout politique : l’Assemblée conduit les WoDaaBe à se

constituer en communauté, à construire des stratégies collectives et à porter

officiellement leurs revendications.

33 Certes, cela n’empêche pas des intérêts concurrentiels de réapparaître. L’attribution de

la direction de l’Assemblée révèle des concurrences associatives et lignagères, car elle

participe à la renommée du groupe responsable. Ce rassemblement constitue un outil

politique avec ses stratégies de légitimation et ses jeux de rivalité6 et donne lieu à des

luttes de prestige courantes chez les WoDaaBe. D’autant que s’y superposent des

ambitions personnelles. L’Assemblée mêle des phénomènes de concurrence et des

processus de coopération en répondant simultanément à des enjeux différents.

34 Dans ce premier pan de l’Assemblée, les WoDaaBe forment le centre de l’événement.

Nombre de moments sont réalisés pour eux et ne sont guère orientés vers les touristes

qui en constituent le rouage mais pas le destinataire. Les discours ne furent d’ailleurs

nullement traduits, d’où le désappointement de certains voyageurs qui, déroutés,

venaient questionner les Occidentaux repérés comme « connaisseurs ». Ces dissensions,

si elles pouvaient les conduire à emprunter des voies parallèles, ont donné lieu à un

nouvel enchâssement, entre Occidentaux, avec les WoDaaBe en arrière-fond.

35 Pour autant, les touristes ne furent pas totalement écartés. Ils ont pu assister aux

discours et discussions, expérience qui participait à l’impression d’authenticité qu’ils

ressentaient entre des hommes enturbannés, bercés par les sonorités d’une langue

étrangère. Le déroulement de l’Assemblée réintègre les touristes par des moments qui

justement ne leur sont pas destinés. Ces débats donnaient également l’opportunité aux

membres des associations d’entrer en contact avec des personnes qui pouvaient être

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intéressées par leur situation. Ils engageaient la conversation, les invitaient à prendre

un thé et, par captation, leur présentaient leurs projets. L’Assemblée donne ainsi lieu à

un ensemble d’interactions parfois inattendues entre Occidentaux et WoDaaBe qu’il

s’agit de décliner au fur et à mesure des manifestations.

Dans l'objectif du touriste

36 En plus des réunions, des danses sont quotidiennement réalisées auxquelles les

touristes sont nombreux à se rendre. Ils contemplent les parures et les chorégraphies

des danseurs, prennent films et photographies comme ceux qu’ils ont appréciés dans

les livres et les documentaires. Le voyage est total puisqu’il rejoint les images qu’ils ont

déjà vues et qu’ils rapporteront.

37 La réalisation de danses et la prise de vue sont dès lors inséparables de ces interactions

touristiques ainsi que journalistiques. Les WoDaaBe doivent répondre aux attentes de

personnes venues à l’Assemblée pour admirer leurs danses et qui se sont dans ce but

acquittées de leur « cotisation »7. Il leur faut également créer de l’événementiel pour

des Occidentaux qui souhaitent découvrir leur culture. Les danses sont en ce sens

efficaces et significatives même si d’autres expressions les complètent. L’organisateur a

fait dresser des « sagas », étals sur lesquels les femmes disposent calebasses et objets

décoratifs. Ces vaisseliers, propriété de chaque femme, sont embellis lors des fêtes

woDaaBe. Néanmoins, ils ne sont plus rattachés pendant l’Assemblée à une habitation

mais disposés les uns à côté des autres comme dans une exposition. Les touristes

pourront déambuler le long de ces objets qu’ils photographieront après les visages des

WoDaaBe qu’ils ont croisés et les courses de chameaux qui ont animé le rassemblement.

38 Néanmoins, les danses ne peuvent être uniquement lues comme des spectacles

touristiques. Tout d’abord, elles sont présentes dans tous les rassemblements woDaaBe.

L’Assemblée devient une occasion supplémentaire de se réunir et de fêter. De plus, le

public n’est pas seulement composé de touristes. Les danses sont le centre d’attraction

des jeunes woDaaBe. Ils sont avides de voir les danseurs et se pressent autour de la

piste. De même, les hommes dansent avec exaltation à la fois pour séduire les femmes

et attirer les objectifs des touristes. Enfin, les modalités ne sont nullement

transformées : les parures, chants et chorégraphies sont identiques aux danses

observées ailleurs. Les danses de l’Assemblée ne constituent pas des mises en scène

conçues à la seule intention des touristes, qui ne seraient destinées qu’à eux et

laisseraient les acteurs locaux indifférents. Bien au contraire, elles suivent la

composition des danses woDaaBe et sont également investies par eux.

39 Ces points rompent avec l’inauthenticité attribuée aux danses touristiques comme des

anthropologues l’ont déjà développé (Cohen 1988 ; Daniel Payne 1996). Outre que leurs

paramètres ne correspondent pas toujours à la séparation établie entre touristes et

autochtones, ces danses peuvent revêtir des fonctions identitaires importantes. Mettre

en scène sa culture conduit à définir et affirmer ce qu’est son identité, et son reflet dans

l’objectif du touriste la renforce. Une exposition n’est plus une folklorisation mais une

exacerbation identitaire que l’on présentera aux regards étrangers. Comme le résument

J. M. Furt et F. Michel (2006 : 7) : « L’identité contribue au développement touristique

autant que le tourisme contribue, pour sa part, à la refondation des identités. »

40 Les danses woDaaBe permettent de poursuivre cette déconstruction de l’inauthenticité

en questionnant jusqu’à la dichotomie « danse touristique » et « cérémonielle ». En

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274

premier lieu, les négociations recouvrent des situations variées, entre des danses

réalisées sur scène, celles effectuées à la demande en brousse et une présence

touristique lors des cérémonies et rassemblements (Lassibille 2006). Certaines danses

peuvent donc être à la fois commerciales et cérémonielles, touristiques et autochtones.

Au-delà des interférences entre plusieurs contextes qui supposent une distinction sous-

jacente, danses « commerciales » et « cérémonielles » ne forment pas pour les WoDaaBe

des catégories hermétiques8. Les catégories des ethnologues se révèlent en

comparaison sclérosantes et idéologiques dans les choix opérés et ne donnent pas toute

sa dimension à l’imbrication des contextes. La danse est chez les WoDaaBe multi-

contextuelle et peut prendre place dans un cadre marchand sans enfreindre d’interdits.

Elle ne revêt pas les tensions chorégraphiques de danses rituelles effectuées dans une

situation touristique (Picard 1992). Ainsi, tandis que certaines sociétés s’attachent à

différencier danses « religieuses » et « touristiques », les WoDaaBe affirment leurs

similitudes.

41 L’anthropologue doit en conséquence se saisir de la spécificité des pratiques dansées

sans laquelle il ne peut cerner toutes les incidences qu’une mise en tourisme implique.

Il s’agit de différencier les contextes, les pratiques et les acteurs à commencer par les

WoDaaBe qui n’ont pas les mêmes centres d’intérêts : les plus jeunes vont aux danses,

les autres aux réunions. « L’important pour nous, ce ne sont pas les danses mais régler

les problèmes woDaaBe » (Sanda)9. La série de divisions et d’emboîtements de

l’Assemblée ne se répartit pas selon la division touristes/WoDaaBe mais à l’intérieur de

chacune.

Étrangers, indigènes ou autochtones ?

42 Les centres d’intérêts des Occidentaux divergent de la même façon selon qu’ils soient

des touristes de passage qui viennent assister aux danses et prendre des photographies,

ou des interlocuteurs qui connaissent les WoDaaBe depuis des années et prennent part

à des projets les concernant.

43 Ces derniers critiquent alors des danses qu’ils jugent justement trop « touristiques » et

les mises en scène qui sont présentées. Ils leur préfèrent les danses de nuit qu’ils

estiment plus « informelles » et les festivités non prévues dans le programme. Ces

appréciations sous-tendent la différenciation qu’ils établissent entre les touristes et

eux, et l’image que les danses touristiques leur renvoient. Le positionnement des uns

s’établit en opposition avec les autres. Il s’agit de se distinguer du « mauvais touriste »

qui déambule « comme au milieu d’un parc d’attractions, considérant chaque Peul non

comme un être humain mais comme un cliché potentiel » (Thomas). Le touriste devient

leur « étranger », leur « idiot du voyage » (Urbain 2001). C’est avec ces discours

intransigeants qu’ils cherchent à se différencier selon un arrière-plan tout aussi

idéologisé que celui des touristes. Les WoDaaBe doivent alors répondre simultanément

à des attentes qui se construisent en termes antinomiques tandis que touristes de

passage et Occidentaux impliqués sont tous, pour des raisons différentes, aussi

importants à leurs yeux.

44 Or, même les Occidentaux investis arrivent avec divers projets à l’Assemblée : Bernard

et le groupe de Belges souhaitaient faire avancer leur projet de forage à Azanghafa ;

Marie avait prévu d’apporter des soins ; Sandrine devait activer le projet Lissal, etc.

« chacun y va avec ses initiatives privées, il n’y a pas des grosses organisations. Des

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petites initiatives privées qui se font par des liens d’amitié » (Marie). Ces acteurs, tout

en répondant aux demandes des WoDaaBe, ont poursuivi leurs objectifs. Alors qu’un

pan de l’Assemblée se centre sur les WoDaaBe, un autre se porte sur des Occidentaux

qui y font leur propre place.

45 Néanmoins, ces initiatives, dont les acteurs ne se connaissaient souvent pas avant le

rassemblement, se sont parfois coordonnées. Ainsi le « château belge », comme il fut

surnommé, se constitua sur place. Le groupe de Bernard arrivé avec Ortoudo et Marie

avec Ali, « on s’est retrouvé forcément. Ali et Ortoudo, c’est le même groupe [lignage

Gojanko’en] [...] ce n’était pas organisé ensemble. On s’est retrouvé ensemble » (Marie).

Ce regroupement ne s’est pas tant opéré en fonction de leur pays d’origine, la Belgique,

que selon leur famille boDaaDo de rattachement. Le système familial des WoDaaBe,

quoique particulièrement opérant, ne fut cependant pas exclusif et d’autres

rapprochements se sont réalisés. En premier lieu, des compétences se sont agrégées

dans des actions ponctuelles : Marie a rencontré un dentiste à l’Assemblée et ils ont

collaboré pour faire les consultations. J’y ai été à mon tour associée comme aide à la

traduction. Les voies d’arrivée à l’Assemblée ont été différentes, mais les ressorts selon

lesquels les personnes s’y retrouvent font qu’elles s’y combinent.

46 Au-delà, l’Assemblée a permis à des acteurs éparpillés sur plusieurs pays et appartenant

à différents réseaux woDaaBe de connaître leur existence mutuelle. Les WoDaaBe

maintiennent une certaine opacité quant à la composition de leur réseau et n’en

présentent jamais la totalité afin sans doute d’en conserver le contrôle. La réunion de

l’Assemblée y a en partie contrevenu. Les Occidentaux s’y sont rencontrés et côtoyés, et

quelques-uns sont restés en contact. Il y a bien sûr ceux qui font partie de la « même

famille » et ont des projets associatifs qui se recoupent. Il s’agit alors d’un

renforcement du réseau. Mais d’autres sont passés d’un cercle à l’autre quand ils ont

mené des actions communes ou lorsqu’ils ont été cooptés. La rencontre avec des

Occidentaux de cercles différents les a amenés à entrer en relation avec d’autres

WoDaaBe et associations. Le lien n’est plus en ce cas créé par les WoDaaBe mais par les

Occidentaux qui tissent, durant l’Assemblée, leurs propres réseaux à l’intérieur de ceux

des WoDaaBe. Et cette recherche anthropologique doit elle-même être insérée dans

cette dynamique. J’arrivais aussi avec mon projet à l’Assemblée ; j’y ai rencontré des

personnes que j’ai recontactées et qui ont activé leur réseau. Outre que l’anthropologue

constitue une interface entre les acteurs, les effets de son enquête prennent part au

processus.

47 Si la programmation de l’Assemblée répond aux buts revendiqués par les WoDaaBe, son

déroulement ne tient pas uniquement à eux ; non seulement il découle de ce qu’ils

projettent sur les autres acteurs, mais leurs interlocuteurs y ont aussi leur part en

menant leurs propres actions. Projets et ONG viennent y mener des campagnes de

sensibilisation, etc. Ceci conduit à considérer le déroulement de l’événement en termes

de configuration où les protagonistes sont à différencier au-delà des catégories

« touriste » et « autochtone ». En effet, outre que d’autres acteurs sont à insérer dans

l’analyse (guides, ONG, etc.), leur redistribution n’est pas toujours définie selon leur

appartenance mais par des centres d’intérêt et des attentes qui diffèrent,

s’enchevêtrent et interfèrent. L’analyse se déplace alors vers des interactions qui

forment l’essentiel du rassemblement. En émerge le profond enchevêtrement entre les

divers acteurs. Ils sont pris dans un ensemble d’interrelations, de représentations et

d’utilisation réciproque à étudier dans toutes ses ramifications et sa part

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d’incompréhensions, de paradoxes et de tensions : rivalités entre associations woDaaBe,

divergences entre touristes et Occidentaux impliqués, désaccords entre projets,

tensions avec les guides souvent touaregs, malentendus du tourisme culturel et

solidaire (Chabloz 2007). L’Assemblée produit des dissensions qui aboutissent à de

nouveaux emboîtements, des maillages, démaillages et remaillages10. C’est pourquoi la

portée d’un moment ne se joue pas forcément par rapport à l’objectif de sa

programmation : les événements non destinés aux touristes les y intègrent tandis que

les spectacles dits « touristiques » les dépassent et revêtent des résonances identitaires

pour les WoDaaBe. C’est tout le paradoxe du tourisme culturel et son caractère auto-

destructeur : il perd toute légitimité dès lors qu’il existe.

48 S’engage ainsi un jeu de miroirs complexe entre étrangers, indigènes et autochtones :

les touristes sont « les étrangers » d’autres Occidentaux selon une mise en abîme où le

touriste reste l’autre ; les WoDaaBe sont les indigènes des autorités autochtones qu’un

visiteur résume en ces termes : « Tout ça c’est très bien, mais c’est quand même des

organisations ethniques. » L’Assemblée est considérée comme un exemple de

« tourisme indigène » alors qu’il se fonde intrinsèquement dans ses interactions avec

les Occidentaux. Mais le « tourisme indigène » commence peut-être à partir de là,

quand il se reflète dans le regard de l’autre, au moment même où une pratique

touristique devient un outil politique.

Entre espace touristique et politique : la danse commepivot

49 Il s’agit dans un dernier temps d’introduire les autres acteurs qui forment la

configuration effective de l’Assemblée, les officiels nigériens. Les autorités nationales,

régionales et locales, ministres, gouverneurs, préfets, maires, se déplacent à

l’Assemblée. Elles ne peuvent faire fi d’un tel rassemblement et de la venue de touristes

qu’elle suscite. La simple présence des « Blancs » confère du prestige à l’événement

selon un imaginaire colonial parfaitement intégré par les acteurs africains. Celui-ci

mêle la connivence de « frères », particulièrement présente chez les élites, et la

hiérarchie implicite des « souverains » et des « sujets » (Dozon 2003) qui donne sa

valeur au moment et se décline entre touristes, autorités nigériennes et WoDaaBe.

50 Les officiels sont ainsi reçus avec déférence par les WoDaaBe et leur arrivée donne lieu

à des manifestations programmées et particulièrement organisées. Des danses sont

mises en scène, photographiées par les touristes, sous le regard des officiels et des

WoDaaBe réunis. Elles forment le nœud de ce dispositif tout en réseau et en

imbrications.

Danser ici et danser là-bas : du local à l'international, de

l'international au local

51 Les danses sont au cœur du réseau développé. C’est pour elles que nombre de touristes

et de journalistes viennent jusqu’aux WoDaaBe. Elles sont un attrait touristique majeur,

notamment dans un cadre de « tourisme culturel ». C’est aussi par les danses que les

WoDaaBe sont pour partie venus dans les pays du Nord. Ils se produisent régulièrement

dans des spectacles et des festivals où ils rencontrent un succès certain. D’une

manifestation locale, les danses se transforment en pratique internationale dans un

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changement d’échelle qui découle de flux de population et de médias interconnectés

selon le dispositif conceptuel d’Arjun Appadurai (2005)11. Les danses ont amené à « la

mondialisation des WoDaaBe » dans laquelle ces derniers sont des plus actifs.

52 Mais ces danses internationalisées redeviennent un enjeu local, par ce détour même,

comme l’Assemblée des WoDaaBe en témoigne. Elles concentrent trois phénomènes. En

premier lieu, leur internationalisation et leur mise en tourisme forme un enjeu

économique qui peut s’avérer croissant au Niger et avoir des répercussions locales

importantes comme l’illustre la situation des Touaregs (Grégoire 2006). Implantés dans

les circuits touristiques, commerciaux et associatifs de longue date, certains ont acquis

un pouvoir économique non négligeable et sont en train de développer des

« ranchings » (« propriétés privées et clôturées ») qui peuvent transformer le monde

pastoral.

53 De plus, les danses sont un lieu d’affirmation identitaire essentiel pour les WoDaaBe.

Les danseurs offrent la représentation qu’ils se font d’eux-mêmes, une identité qui se

centre chez eux sur la beauté physique (Lassibille 2004) et attire particulièrement le

regard. Les danses sont le garant de la présence de l’autre tout en posant

fondamentalement la limite entre soi et autrui. Elles suscitent un regard nécessaire

pour définir et affirmer l’identité du groupe, et le regard touristique en fait partie.

Conçues à l’intersection entre des regards, celui des autres et celui du groupe sur lui-

même, mises en scène éphémères qui doivent être sans cesse renouvelées pour exister,

les danses « touristiques » s’avèrent être au cœur des enjeux identitaires se posant

actuellement aux WoDaaBe. « [...] si les regards extérieurs occasionnent des mises en

scène de la tradition, dans les coulisses se jouent des négociations qui font sens pour les

acteurs et peuvent générer des resocialisations et des reformulations identitaires qui

sont bien contemporaines » (Doquet 2002 : 125).

54 Enfin, alors que les WoDaaBe sont plutôt marginalisés et dépréciés par les populations

nigériennes 12, leurs danses, valorisées dans et par les regards occidentaux, sont

devenues une vitrine culturelle du pays. Les WoDaaBe dansent au Niger pour les

manifestations qui y sont organisées (Festival international de la mode africaine, Jeux

de la francophonie...) et dans les réceptions données par le gouvernement nigérien lors

des visites de chefs d’État. Ils représentent le pays dans les festivals étrangers et

acquièrent une renommée qui n’est pas sans effet au Niger. Ils ont pris conscience que

leurs danses, pour lesquelles ils sont complimentés et recherchés, peuvent constituer

un moyen de pression et leur donner un pouvoir de revendication au Niger. Elles

deviennent stratégiques vis-à-vis des autorités.

55 Ceci tend à expliquer la place centrale des danses à l’Assemblée et leur mise en scène

pour l’accueil des autorités nigériennes. Attrait touristique, lieu d’affirmation

identitaire et vitrine politique, elles ont l’intérêt de rassembler en un même lieu les

différents acteurs impliqués et de constituer un spectacle révélateur des interactions

en cours.

« Des danses touristiques » comme scènes politiques

56 En face de la tente touarègue où les officiels seront installés, des jeunes femmes et des

danseurs s’alignent, parés pour certains en tenue de danse yaake, pour d’autres de

geerewol13. On entend des chants de ruumi diffusés par des haut-parleurs ainsi que les

instructions des organisateurs woDaaBe qui parlent dans un mégaphone. Le public est

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nombreux. De part et d’autre de la ligne de danseurs, les WoDaaBe, jeunes hommes et

jeunes femmes, s’amassent. Sous un arbre ou sous la tente, les touristes prennent des

photographies. Tout le monde attend l’arrivée des autorités annoncées.

Danses woDaaBe organisées pour la réception des officiels nigériens. Assemblée générale desPeuls woDaaBe du Niger à Azanghafa, région de Tchintabaraden.

Cliché de l’auteure (2006).

57 Le départ est donné, les haut-parleurs sont coupés et les danseurs commencent à

entonner les chants de yaake/geerewol. La voiture arrive et le ministre sort tandis que

des militaires assurent la sécurité. Il fait le tour de la scène, salue la foule, regarde les

danseurs et échange quelques mots avec les touristes. Il s’installe enfin avec les chefs

traditionnels et les présidents d’associations alors que les danseurs continuent leurs

démonstrations. De jeunes WoDaaBe arrivent sur leurs chameaux, brandissant des

drapeaux du Niger, et s’alignent face à la tente selon les directives des organisateurs.

Puis, les autorités et les représentants woDaaBe discutent sous les caméras et les micros

des médias nigériens.

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Alignement de jeunes WoDaaBe à dromadaires. Assemblée générale des Peuls woDaaBe du Niger àAzanghafa, région de Tchintabaraden

Cliché de l’auteure (2006).

58 La mise en scène est flagrante : si l’alignement est une figure centrale des

chorégraphies woDaaBe, non seulement hommes et femmes ne dansent habituellement

pas ensemble, mais yaake et geerewol sont effectuées séparément. De plus, la geerewol,

devenue emblématique des WoDaaBe, n’est réalisée normalement que dans un contexte

cérémoniel précis, la Ngaanyka.

59 Les organisateurs cherchent par ce biais à exposer « la culture des WoDaaBe » pour

laquelle ils sont appréciés tout en affirmant leur appartenance à la nation nigérienne

symbolisée par les drapeaux qui flottent dans l’air. Ils scénarisent des éléments qui leur

semblent constituer des arguments aux yeux des autorités du pays tout en les flattant.

60 Cette mise en scène peut tout d’abord être analysée comme une « chorégraphie

politique », ceci en prolongeant les travaux d’Anthony Shay (2002 : 2). Cet

anthropologue a montré à propos des troupes de danses folkloriques que ces spectacles,

dont le répertoire, la scénographie, la musique et la chorégraphie furent triés et

modifiés, sont des vitrines politiques qui servent les images des États-Nations qu’elles

représentent. L’acte de représenter implique une forme de pouvoir, celui de définir, de

décrire et d’agir au nom de quelqu’un d’autre. Le même phénomène se retrouve dans

l’Assemblée non plus au niveau des États-Nations mais de celui des communautés face à

eux. Ces mises en scène, qui associent des processus d’essentialisation, de

particularisation et de stéréotypification, constituent pour les WoDaaBe une tribune

qui leur permet de jouer à la fois sur l’ethnicité et sur le nationalisme, entre la geerewol

et les drapeaux nigériens.

61 Or, le pouvoir de ces performances ne tient pas uniquement à leur contenu spécifique

et à leur capacité de représenter des identités essentialisées mais aussi à la présence

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

280

des acteurs qu’elles impliquent. La mise en scène ne fonctionne que si les trois regards

sont réunis, touristes, autorités et WoDaaBe. Le dispositif nécessite leur co-présence et

c’est là toute la dimension politique de ces interactions. Au-delà d’un miroir, c’est un

phénomène de diffraction qui se met en place entre des autorités qui regardent les

WoDaaBe par le canal touristique, et des WoDaaBe qui regardent leurs danses à travers

le prisme des regards posés sur elles. L’autre fait partie de la représentation par le

regard qu’il porte mais aussi par les images qu’il engendre et qui sont tout autant

influentes et opérantes. On passe par cette triade d’une chorégraphie à une

dramaturgie politique. D’autant que si touristes et autorités ne sont pas là, les WoDaaBe

n’agiteront pas les drapeaux nigériens. Ce sont les interprétants qui créent les signes.

62 Les danses engagées dans un cadre touristique se transforment alors en scène politique

à différents niveaux. La mise en scène à laquelle elles donnent lieu en constitue un

premier angle d’attaque. De plus, les chefs woDaaBe et les présidents d’associations ont

concrètement l’occasion d’exposer leurs revendications préalablement définies auprès

des autorités que les danses ont indirectement drainées. Enfin, ces danses touristiques

sont politiques dès lors qu’elles revêtent une dimension internationale et une portée

locale qui s’enchevêtrent. « Le touriste semble convoqué là pour reconnaître, certifier

l’acte » (Lanfant dans Picard 1992 : 10), acte identitaire et acte politique tout à la fois.

Le tourisme culturel comme ressort local

63 Le tourisme culturel peut à ce moment là être considéré dans ses incidences. Il forme

un levier économique pour les WoDaaBe mais non par la voie attendue. En effet,

l’Assemblée n’engrange pas de réels bénéfices et couvrent pour l’essentiel les

importantes dépenses liées à un tel rassemblement : location de matériels, achat de

nourriture et de carburant pour les invités et les organisateurs, salaires des cuisiniers,

techniciens, secrétaire/rapporteurs, vigiles, etc. Les danseurs ne sont nullement payés

et seuls les membres du comité d’organisation reçoivent une indemnisation (2 000 FCFA

par jour pendant quinze jours). Les cotisations versées par les touristes et les apports

bénévoles équivalent seulement aux contributions des associations, des chefs

traditionnels et des groupes eux-mêmes auxquelles s’ajoutent la participation de l’État

nigérien, collectivités et partenaires au développement.

64 En définitive, l’Assemblée est davantage un moment stratégique pour obtenir des aides

à venir auprès du gouvernement nigérien, des ONG et des touristes. Les WoDaaBe y

présentent leurs projets et y font leurs revendications, bénéficient d’une écoute si ce

n’est d’accords, et obtiennent des aides. En intégrant les touristes dans leurs stratégies

commerciales et migratoires, ils commencent à mettre en place des programmes de

scolarisation et de santé desquels ils étaient largement absents. Des « centres

woDaaBe », principalement initiés par les responsables d’associations, se multiplient

avec école, greniers et puits (une quarantaine pour l’instant sur le territoire). « Nous les

WoDaaBe, nous avons des problèmes au pays. Et on cherche des contacts mais on n’en

trouve pas au Niger. On pose des dossiers, mais cela ne marche pas [...]. C’est ce qui

nous donne le courage de venir ici, pour avoir des contacts, pour avoir les gens qui nous

aide à écrire, lire [...]. Pour nous aider pour les puits » (Doutchi). Dès lors, le sens de

circulation habituellement attribué est inversé : ce ne sont pas des Occidentaux qui

partent à la recherche des WoDaaBe mais des WoDaaBe qui partent à la recherche

d’Occidentaux de part et d’autre des continents.

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281

65 Les effets locaux du tourisme culturel prennent une dimension économique et sociale

mais aussi politique et identitaire sans que ces plans soient dissociables. Les WoDaaBe

affirment progressivement, par le biais des danses et du tourisme, leur position

politique et leur identité au Niger. De cette expérience touristique, naît le sentiment

que leurs danses peuvent constituer un atout dans un contexte local. Elles deviennent

un élément de valorisation et une « forme de pouvoir » non seulement pour ce qu’elles

mettent en scène, mais aussi pour les enjeux touristiques qu’elles représentent. Avec la

présence de touristes à l’Assemblée, les WoDaaBe font venir les autorités nigériennes

auprès desquelles ils tentent de faire pression. L’accueil des officiels est une clé du

rassemblement pour les organisateurs qui cherchent à être considérés comme des

interlocuteurs à part entière par le gouvernement. « Les WoDaaBe tu sais, ils ne sont

pas au gouvernement.

66 Il n’y a pas de WoDaaBe dans la justice, il n’y a pas de WoDaaBe dans l’administration, il

n’y a pas de WoDaaBe dans les organismes qui ont de l’argent. Nous ne sommes pas

dans les affaires du pays. Avec les associations, nous sommes connus [Min anndaama].

Est-ce que tu comprends ? » (Doutchi). Les associations, l’Assemblée et le collectif

Djingo, « c’est pour l’unité, pour avoir une voix face aux autorités, pour avoir la force

au pays [semmbe Di leydi] » (Doutchi). Et les danses de l’Assemblée en sont le point

d’aboutissement.

67 L’Assemblée leur en donne l’occasion même si les résultats ne sont pas au niveau

escompté par les WoDaaBe car les autorités ont leurs propres intérêts : elles ont des

voix politiques à engranger et une opinion publique à séduire tout en poursuivant

d’autres projets à concrétiser que ceux des pasteurs nomades. Elles ont tendance à se

méfier de mouvements qu’elles désignent « d’ethniques » selon un discours tribaliste

déjà analysé dans ses stratégies disqualifiantes (Amselle 1999 : 40). Elles furent ainsi

l’objet de critiques de la part de certains WoDaaBe qui y voyaient « des boubous qui

viennent et repartent ». De plus, leur arrivée tardive désorganisa l’Assemblée et

conduisit les organisateurs à repenser sa configuration interactionnelle. C’est encore

par voie indirecte que les effets politiques du tourisme culturel tendent à apparaître.

68 Les conseils et la sensibilisation de leurs interlocuteurs occidentaux se révèlent être le

ressort le plus fort sur un plan local. Iez et Louis par exemple, qui se sont rencontrés à

l’Assemblée et n’appartiennent pas au même réseau, ont proposé au collectif Djingo

d’engager deux axes : inciter les WoDaaBe à participer à la vie politique nigérienne,

assister aux conseils municipaux, communaux et aux commissions foncières, voter et se

présenter aux élections selon une stratégie locale évidente ; s’appuyer également sur

les chartes signées par le Niger (déclaration des Nations-Unies sur les droits des

peuples autochtones) et sur les organisations internationales qui promeuvent la

reconnaissance des peuples autochtones, ou encore prendre part à des projets de

convention comme le Pastoralist Policy Framework pour défendre leurs droits par

l’angle opposé. Ces propositions, votées par Djingo, croisent des dynamiques locales et

internationales dont les champs d’actions interfèrent. Ainsi, Iez a obtenu une aide

financière d’un centre néerlandais pour les droits des peuples autochtones au profit de

Djingo afin de consolider le collectif et pour qu’il travaille à la participation des

WoDaaBe dans les prises de décision locales, nationales et internationales.

69 Dans ce contexte, les danses engendrent finalement un tissu de relations qui engagent

les acteurs dans des positionnements politiques et revendicatifs plus affirmés. Elles

conduisent à une recomposition locale dont les effets restent à considérer sur le long

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282

terme. La situation des WoDaaBe n’est plus à appréhender dans une globalité

décontextualisée mais dans une multiplicité de situations transnationales particulières,

du local au local, ce qui donne à repenser les différenciations habituelles entre global et

local, intérieur et extérieur, étranger et autochtone.

*

Une anthropologie du tourisme à l'interface duchorégraphique et du politique

70 Si le tourisme culturel est fréquemment envisagé du point de vue imaginaire et

idéologique, y insérer les pratiques concrètes auxquelles il donne lieu et dans lesquelles

les acteurs, leurs représentations et leurs actes interagissent, s’avère utile. Défini

comme un « tourisme de rencontre et d’échange », il se transforme en champ

d’interférences où l’observation des relations effectivement nouées est

particulièrement fructueuse. Par cette nouvelle ethnographie, le tourisme apparaît

comme une mise en réseau dont la dimension cachée conduit à inverser bien des

perspectives.

71 Cette démarche permet tout d’abord de déconstruire le modèle qui distingue le

touriste, l’indigène et la relation entre les deux pour mettre en avant leur constant

emboîtement, ceci dès le départ de la situation touristique. Le projet de l’Assemblée est

déjà l’histoire d’interrelations où WoDaaBe et Européens sont inextricablement liés. Cet

angle est renforcé par l’insertion inévitable des autorités dans l’équation, sans oublier

les Touaregs et des intermédiaires comme l’anthropologue, les agences et guides

touristiques, les médias. L’analyse de ces interactions participe d’une perspective

dynamique qui restitue la complexité des situations et des actions dans le réseau où ils

prennent place, au sein du maillage entre WoDaaBe et Occidentaux.

72 De plus, dans ce cas de figure, l’indigène n’est plus seulement un « réacteur » face au

touriste (Michaud 2001 : 19) ; il devient un initiateur, ce qui permet de revisiter le sens

de circulation habituellement attribué entre touriste et indigène, la grille de l’échange

inégal et les effets retour sur les sociétés. Car si « les Dogons » ou « les Massais »

deviennent une destination touristique en soi, les WoDaaBe restent inconnus du grand

public. Ils sont ainsi très actifs dans leur « mise en tourisme ». Non seulement ils

viennent en Occident et invitent les touristes, mais ils sont auteurs de leurs espaces

dansés tout à la fois chorégraphiques et politiques. En plus de désamorcer le débat sur

l’authenticité du spectacle, considérer les danses touristiques comme scène politique

permet de désenclaver la question du tourisme de la dichotomie entre une solution

ultime de développement et une forme néocoloniale d’acculturation, pour envisager

l’interaction touristique comme un espace de confrontation, de reformulation et de

recomposition économique, sociale, politique et identitaire. Différents objectifs se

greffent à l’enjeu touristique de l’Assemblée, plus exactement s’y encastrent. Et la

danse forme le nœud du dispositif : au cœur de la dynamique de réseau, elle est au

centre des interrelations entre les acteurs et à l’articulation entre espace touristique et

politique (Glowczewski & Henry 2007).

73 En conséquence, le « tourisme culturel », qui recouvre une grande diversité des

situations à prendre en compte dans l’analyse, peut être considéré comme un pivot. Il

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

283

est tout d’abord un des phénomènes de globalisation qui prend part aux ethnoscapes

définis par A. Appadurai (2005 : 71). Il en est le produit tout autant qu’il l’alimente : les

touristes et les voyageurs ont permis le déplacement des WoDaaBe ; ils les ont

connectés avec des ressources matérielles et idéologiques internationales ; ils ont une

capacité importante de diffusion des informations et de mise en réseau avec le rôle

central d’Internet. Le tourisme culturel a été un outil de mondialisation pour les

WoDaaBe.

74 En même temps, les touristes ont à ce titre une place considérable dans les dynamiques

et les recompositions sociales, politiques et identitaires locales. Loin de se réduire à de

simples spectateurs, les « touristes », pris dans leur diversité, sont de véritables acteurs

au sein des sociétés qu’ils visitent et sont centraux dans la stratégie des WoDaaBe de

par plusieurs facteurs : l’importance économique et politique qu’ils représentent ; la

mise en place de réseaux et le fort pouvoir d’attraction qu’ils procurent aux danses ; les

orientations qu’ils proposent. Dans les coulisses de la scène touristique, se jouent des

remaniements et des dynamiques interactives qui conduisent à des réaffirmations voire

des durcissements identitaires ainsi que des luttes économiques et politiques souvent

décisives.

75 Le tourisme culturel forme à ce stade un ressort pour les acteurs africains et

occidentaux afin de localiser des processus globaux et de globaliser des enjeux locaux.

Il met en jeu des itinéraires transnationaux entrecroisés dont la complexité des

configurations est à mettre en perspective par l’anthropologue qui compose lui-même

un paramètre de l’ensemble. Tourisme et anthropologie ont des parcours liés dont les

fils n’ont pas fini d’être tissés.

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NOTES

1. Présente à toutes les Assemblées jusqu’en 2006, Sandrine (30 ans, journaliste) a notamment

réalisé un documentaire sur l’édition 2004 (FRANCE 2006). Elle participait au projet Lissal de

coopération féminine woDaaBe, <http://wodaabe.unblog.fr/>.

2. Issus de différents pays d’Europe et d’Amérique, ils informent et mobilisent diverses personnes

et institutions ressources qui pourront interagir avec les WoDaaBe, et diffuser à leur tour les

informations. De connexion en connexion, l’information se globalise.

3. Nadel (1957), cité par DEGENNE & FORSÉ (1994 : 72).

4. Il s’agit du projet scolaire « L’école de Jonathan », <http://www.jonathan-school.com/>.

5. De même, Bernard fit un voyage touristique au Niger en 2004 lors d’une sécheresse combinée à

une invasion de criquets. Guidé par Ortoudo, il trouva qu’il y avait « un devoir moral à essayer

d’aider ces gens ». Il a fondé l’association Azawagh qui œuvre sur les lieux de localisation de la

famille d’Ortoudo, <http://www.azawagh.be/>.

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286

6. Les groupes dominants à l’Assemblée ne sont pas les lignages aînés comme c’est généralement

le cas, mais ceux majoritaires dans le champ associatif et commercial.

7. La cotisation varie selon le statut, professionnel ou touristique, et selon le média, photographie

ou/et vidéo. Un touriste non accompagné devait globalement s’acquitter de la somme de 20 000

FCFA contre laquelle un ticket de règlement lui était remis.

8. Ils usent par exemple du même mot, tiggol, pour une danse, dont la chorégraphie, le chant et la

parure correspondent à ceux de la geerewol (danse cérémonielle des WoDaaBe), lorsqu’elle est

entreprise dans un cadre commercial mais aussi en brousse dans un contexte initiatique

(LASSIBILLE 2004 : 461).

9. Président de l’ONG Aourinde.

10. Pour illustration, la fonction de guide étant particulièrement stratégique à plusieurs niveaux,

des WoDaaBe souhaitent monter leurs agences et contrôler ce chaînon considérable pour le

succès touristique, donc politique, de l’Assemblée. Quelques ex-touristes et des associations les y

aident dans une sorte d’autoengendrement.

11. Tandis que des voyageurs ont démarché des festivals au nom de WoDaaBe, des spectateurs

sont venus au Niger pour les voir.

12. Ils sont critiqués pour leur conversion tardive et dit-on relative à l’islam, et leurs pratiques

(vols de femmes, nomadisme...). Ils sont peu intégrés aux structures économiques, politiques et

sociales (BONFIGLIOLI 1988).

13. Dans la yaake, les danseurs sont maquillés de jaune, portent une tunique brodée et des

chapeaux peuls ; dans la geerewol, ils sont maquillés de rouge, ont le torse nu, portent une plume

d’autruche et des pagnes.

RÉSUMÉS

Le tourisme culturel trouve dans les danses un ressort non négligeable. Les touristes viennent les

admirer en même temps que les autorités locales en font la promotion. Or, en 2004, les Peuls

woDaaBe décidèrent de ne plus participer à la « Cure Salée », fête intégrée au circuit touristique

par le gouvernement nigérien, alors que leurs danses en sont une attraction. Ils organisent à la

place leur « Assemblée » pour attirer les touristes à eux et officialiser ainsi leurs revendications

auprès des autorités politiques. Cet article développe une analyse micro-anthropologique de

cette assemblée en se centrant sur les interactions entre touristes, WoDaaBe et autorités. Il s'agit

de dégager les réseaux par lesquels les touristes arrivent à l'Assemblée, en pleine brousse

nigérienne, et dans lesquels les WoDaaBe s'avèrent très actifs. Le but est aussi de saisir les

imbrications entre les acteurs qui dépassent les catégories « touriste » et « autochtone », et de

considérer la danse comme pivot, entre espace touristique et politique.

Dancing represents a major asset for cultural tourism. Tourists want to admire such dances and

the local authorities promote them. In 2004, however, the Fula WoDaaBe decided not to take part

in the "Cure Salée" festival any more, although it was included in a tour by the Nigerien

government, and when their dances are a visitor attraction. They organized their "Assembly"

instead, to draw tourists up to them, thus officializing their demands to the political authorities.

This article develops a micro-anthropological analysis of this assembly and focuses on the

interactions between the tourists, the WoDaaBe and the authorities. It aims at highlighting the

networks allowing tourists to come to the assembly through the bush (WoDaaBe are very active

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287

in such networks). It also aims at grasping the social nesting between actors, which goes beyond

the two categories "tourist" and "native", and at considering dancing as a pivot between the

touristic and political spaces.

INDEX

Keywords : Niger, Fula WoDaaBe, dances, network, political stage, cultural tourism

Mots-clés : Niger, Peuls woDaaBe, danses, réseau, scène politique, tourisme culturel

AUTEUR

MAHALIA LASSIBILLE

Centre de recherche sur l’analyse et l’interprétation des textes en musique et dans les arts du

spectacle (RTM), Université de Nice.

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Le festival, le bois sacré et l’Unesco.Logiques politiques du tourismeculturel à Osogbo (Nigeria)The Festival, the Sacred Grove and the Unesco. Political Logic behing Cultural

Tourism to Osogbo (Nigeria)

Saskia Cousin et Jean-Luc Martineau

1 Depuis les années 1960, le tourisme culturel est désigné par les institutions

internationales comme une manière de sauvegarder le patrimoine et d’apporter des

devises aux pays en développement (Krapf 1961 ; Le Courrier de ¡’Unesco 1966 ; Sessa

1967 ; de Kadt 1979 ; Robinson & Picard 2006). La « doctrine du tourisme culturel »

(Picard 1992 ; Cousin 2008) a suivi l’évolution des dogmes économiques, la

transformation de la notion institutionnelle de culture et l’élargissement du concept de

patrimoine, mais elle reste centrée sur l’idée que le tourisme serait un phénomène

apolitique, vecteur d’échanges culturels et de recettes économiques. Pourtant, les

bénéfices pour les populations locales sont aujourd’hui fortement discutés, notamment

par les économistes (Caire & Le Masne 2007)1. De plus, plusieurs enquêtes

ethnographiques réalisées en Asie (Picard 1992 ; Oakes 1998 ; Nyiri 2005 ; Évrard 2006),

en Afrique (Doquet 2006 ; Grégoire 2006) ou en Europe (Cousin 2006) révèlent que le

tourisme culturel est au centre d’enjeux politiques et de rapports de pouvoirs de toutes

sortes et de toutes échelles. Le cas d’Osogbo s’inscrit dans ce contexte et permet

d’éclairer le rôle du tourisme et du patrimoine mondial dans la construction d’une

identité ethno-citadine.

2 Le bois sacré d’Osogbo au Nigeria est inscrit sur la Liste du patrimoine mondial en 2005.

Le 21 février 2008, une « soirée spéciale Osun Osogbo » est organisée au Musée du quai

Branly (Paris) : le réalisateur Pierre Guicheney présente son film La dame d’Osogbo,

consacré à Suzanne Wenger, une artiste autrichienne installée au Nigeria depuis les

années 1950. Si la soirée est annoncée sur le site de l’Unesco, le film ne porte ni sur la

ville d’Osogbo, ni sur son festival annuel, ni sur l’inscription du site au patrimoine

mondial2. C’est un portrait de Suzanne Wenger et de deux de ses enfants adoptifs, dont

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

289

la prêtresse Doyin F. Deyin, qui pratique ce soir-là au Musée du quai Branly un rite de

conjonction des eaux de la Seine et de l’Osun River. Cet événement culturel et

artistique, dédié à la figure charismatique de Suzanne Wenger, va pourtant être utilisé

d’une tout autre manière par les autorités nigérianes.

3 Le 18 janvier 2008, la délégation nigériane à l’Unesco et les organisateurs du Musée du

quai Branly apprennent que le gouverneur de l’État d’Osun et l’Ataoja (titre spécifique

de loba ou roi d’Osogbo) ont décidé d’assister à la projection. Le 21 février, une

quinzaine de personnes, dont le gouverneur de l’État, sa femme et son secrétaire,

l’Ataoja et sa suite s’installent dans le théâtre Claude Levi-Strauss. Pourquoi se sont-

elles déplacées en nombre pour venir voir un documentaire sur Suzanne Wenger, alors

même que cette dernière peine à faire reconnaître son travail ? Les autorités locales

profitent de la soirée pour faire la promotion touristique d'Osogbo, non pas du bois

sacré, mais du festival annuel. L’Ataoja explique ainsi que « Osogbo doit sa quiétude et

sa modernité à l’association ancestrale du royaume et de la déesse de la rivière ». Ce

pacte serait aux origines du festival annuel, qualifié de « fête culturelle », qui « a

permis à Osogbo d’être reconnue comme l'une des plus grandes attractions touristiques

avec la participation de touristes locaux et internationaux ». Avant lui, l’ambassadeur

avait également insisté sur le nouveau rôle touristique de l’État d’Osun, « désormais un

lieu accueillant pour le tourisme », alors que la présence du gouverneur et de l’Ataoja

serait « un message à la communauté internationale, une invitation à venir savourer la

richesse patrimoniale du festival annuel ». Pas un mot sur le sujet unique du film,

Suzanne Wenger. Le gouverneur, le roi et sa suite viennent au Musée du quai Branly

pour voir un film sur eux, puisque Pierre Guicheney a filmé leur témoignage. Arrivés en

retard, ils n’ont pu être prévenus de ce « petit détail » et sont furieux de découvrir

qu'ils ont été « coupés » au montage. Les représentants de l'administration nigériane

profitent aussi de cette soirée pour « circuler », pour faire du tourisme : si, faute de

moyens, le réalisateur n’a pu faire venir l’écrivain Soyinka initialement annoncé, le

voyage et le séjour au Hilton parisien de la délégation nigériane sont payés par le

gouverneur de l’État d’Osun3.

4 Cette courte description d'une soirée et des attentes divergentes de ses acteurs permet

d'évoquer la manière dont les autorités nigérianes parviennent à s’approprier une

manifestation dont ils ne sont pas les initiateurs. Et ce, afin de servir leurs objectifs

touristiques et politiques. Cette évocation soulève également des questions sur les

enjeux et les fins de la patrimonialisation. Nous allons voir que, pour les autorités

locales, l’inscription du bois sacré au patrimoine mondial est un moyen de promouvoir

le festival d’Osogbo et d’avaliser une réécriture de l’histoire propice à la promotion

touristique. Ici comme ailleurs, cette histoire est le fruit d’un travail de sélection, voire

d’invention, d’éléments susceptibles de marquer le caractère unique et extraordinaire

des lieux. Mais derrière ce premier objectif touristique, explicite, se profilent d’autres

enjeux, plus anciens, liés à l’organisation du territoire nigérian et à l’ambition d’Osogbo

de peser dans la construction d’une identité yoruba régionale. Notre hypothèse est que

le tourisme et le patrimoine sont ici un outil au cœur des enjeux de pouvoir et de

représentation de soi4.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

290

Le bois sacré. D'un patrimoine naturel national à unsite culturel mondial (1965-2005)

5 Sur une liste proposée par le gouvernement nigérian, l’Unesco distingue en 2003 le

bosquet sacré d’Osun-Osogbo comme l’un des 17 « objets situés » de son programme

pluriannuel (1998-2003). Cela correspond à l’un des objectifs du programme AFRICA 2009

qui vise, selon la Convention du patrimoine mondial, à identifier de nouveaux sites à

mettre en valeur pour les générations futures. Le dossier de candidature du « Paysage

culturel d’Osun-Osogbo » est soumis au Centre du patrimoine mondial en janvier 2004 ;

il est inscrit sur la liste en 2005, lors de la 29e session du comité du patrimoine mondial

qui se tient à Durban. Puisque le site est classé au niveau nigérian depuis 1965, autant

pour ses caractéristiques botaniques et environnementales que pour les réalisations de

Suzanne Wenger qu’il abrite, le classement mondial pourrait être perçu comme

l’aboutissement d’une démarche locale et nationale. En fait, l’historique de la

procédure de classement, aux niveaux national puis international, fait apparaître des

logiques plus diverses et complexes, dont les acteurs nigérians sont parfois même

absents.

Le classement national : le rôle de S. Wenger et la protection d'un

site naturel (1950-1987)

6 Dès l’époque coloniale, certains universitaires s’intéressent à Osogbo, mais pas au

festival d’Osun aujourd’hui valorisé. Ce n’est pas non plus le bois sacré d’Osogbo qui fait

l’objet d’articles dans les revues Nigeria Field et Nigeria Magazine mais l’artisanat local et

le festival de Sango qui a lieu en février (MacRow 1953). De même, en 1968, une

journaliste très au fait de la vie locale choisit de décrire le festival qui se tient en mars

pour marquer la fin du Ramadan5 (Kennedy 1968) et non la célébration yoruba en

l’honneur d’Osun, devenue confidentielle dans les années 1960.

7 En revanche, dès cette décennie, le site attire l’attention de Suzanne Wenger. Arrivée

dans les années 1950 avec Ulli Beier, dont elle est la première épouse, cette artiste

autrichienne crée avec lui dans les années 1960 une école d’art et des ateliers d’artistes

au sein du Mbari-Club d’Osogbo, dans la lignée du premier club créé par W. Soyinka, C.

Achebe et d’autres écrivains (Hudson 2001)6 à Ibadan. Alors qu’elle se remet d’une grave

tuberculose,

8 Wenger rencontre le prêtre Ajagemo qui l'initie à la religion orisa. À mesure qu’elle

s’implique dans le culte, elle prend ses distances avec Beier qui quitte le Nigeria en

1967, même s’il y reviendra fréquemment. Les ouvrages de Beier, et notamment

Contemporary Art in Africa publié en 1968, contribueront à faire exister l’école d’Osogbo

dans les imaginaires occidentaux, même si l’approche et les théories de Beier sont

vivement critiquées par les historiens et certains spécialistes de l’art africain7. Pendant

ce temps, Suzanne Wenger vit à Osogbo et travaille avec des artisans qui deviennent les

interprètes de son « nouvel art sacré ». Associée à la divinité de la fertilité et de la

créativité, elle devient grande prêtresse d’Osun, s’implique dans la protection du bois

sacré alors en pleine déréliction8 et y érige progressivement les sculptures et les

sanctuaires qui justifieront plus tard le classement par l’Unesco.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

291

9 Dès son installation, Suzanne Wenger sait mobiliser des soutiens institutionnels en

faveur du bois. En 1965, le gouvernement nigérian classe un modeste périmètre du site.

La protection sera étendue à 75 ha en 1992. Entre 1979 et 1987, la National Commission

for Monuments and Museums (NCMM) rémunère Suzanne Wenger et certains artisans

pour entretenir le bois sacré. L’artiste installe une boutique dans sa maison et organise

des expositions à l’étranger. Jusqu’à son décès en janvier 2009, Suzanne Wenger était

soutenue par la fondation The Adunni Olorisa Trust, essentiellement composée

d’expatriés9. Une fondation autrichienne s’occupe également de faire connaître son

œuvre. Les sculptures de Suzanne Wenger sont devenues une attraction touristique de

la région, au centre de tous les guides et sites Internet qui mentionnent Osogbo. C’est le

cas par exemple du Lonely Planet, même si les auteurs semblent ignorer que Wenger est

l’auteure des sculptures.

Nouveaux concepts à l'Unesco : paysage culturel et patrimoine

immatériel

10 Dans le prolongement du classement national, le Nigeria dépose une première

candidature à l’inscription sur la liste des World Heritage Sites de l’Unesco en 1979.

Celle-ci échoue malgré la présence plutôt favorable au sein de la commission

d’évaluation UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) du

professeur Ade Obayemi, directeur général du NCMM (National Commission for

Monuments and Museums), et du professeur Duncan Poore, britannique et ancien

membre du département des Antiquités au Nigeria avant 1960. Aucun des onze sites

nigérians proposés et visités par les représentants de l’Unesco lors d’une tournée de

quarante-deux jours n’est sélectionné : les sites ne peuvent s’inscrire dans les critères

de classement très européocentriques. En outre, le site initial du bois sacré d’Osogbo est

jugé trop petit. Dès lors, et jusqu’en 1987, rien ne se passe au niveau international, faute

de volonté politique et parce que les critères de sélection du patrimoine mondial

restent hors de portée en Afrique.

11 Le contexte devient plus favorable au Nigeria lorsque la notion de « patrimoine

immatériel » est introduite en 1982 à la Conférence mondiale de l’Unesco (Mondiacult,

Mexico). La consécration de la notion de « patrimoine immatériel » en 1992 résulte de

la prise en considération nouvelle des folklores et des cultures vivantes, et du travail

d’influence mené par les responsables japonais de l’Unesco, avec le soutien de

nombreux pays, notamment africains, afin de légitimer une conception plus ouverte du

patrimoine (Bortolotto 2007a). Il s’agit de rompre avec la conception monumentale et

occidentale de la convention de 197210 et c’est la raison pour laquelle le Comité du

patrimoine mondial crée, également en 1992, la notion de « paysage culturel » qui

permet de désigner et classer les interactions majeures entre les hommes et le milieu

naturel. C’est à ce titre que sont distingués les paysages associatifs comme les bois

sacrés. En 1994, le comité du patrimoine mondial adopte une « stratégie globale » dont

l’objectif est de procéder à un rééquilibrage des implantations des sites du patrimoine

mondial, alors essentiellement situés en Europe.

12 Les experts de treize États africains réunis à Harare vont dans le même sens : dans le

cadre africain, la nature et la culture ne peuvent être dissociées, le patrimoine spirituel

et ses supports physiques ont une importance majeure et la notion de paysage culturel

y a des caractéristiques spécifiques. En 1998, l’ouvrage Africa Revisited (Unesco 1998)

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292

explicite la stratégie globale en présentant des cas concrets : il s’agit de « contribuer à

améliorer la représentation du patrimoine africain sur la liste du patrimoine

mondial »n. Ainsi, la notion de patrimoine historique évolue-t-elle, même si les experts

se préoccupent toujours plutôt d’architecture. En 2001 est votée la Déclaration

universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle11 12. Ces transformations ouvrent la

voie de la relance du processus de classement du bois d’Osogbo.

Nouvelle impulsion pour le bois sacré (1987-2004)

13 Selon le professeur Babawale et le docteur Adediran Mayo, conservateur et ancien

directeur de la NCMM, l’annonce de l’ouverture des critères de classement en 1982

redonne déjà espoir aux acteurs nigérians découragés par leur premier échec13. En

1987, une nouvelle impulsion est donnée pour relancer le site afin d’entamer les

démarches de classement. Mais pour l’architecte Thierry Jouffroy14, impliqué dans

l’inscription du site au patrimoine mondial et cofondateur du programme Africa 2009,

c’est la notion de paysage culturel (1992), et non celle de patrimoine immatériel (1982)

qui donne, dans les années 1990, l’idée à Joseph Eboreime, alors directeur de la NCMM,

de travailler à l’inscription d’Osun-Osogbo15. Il ne s’agirait donc pas d’une initiative

locale. En 1987, Adediran Mayo16 est nommé directeur du Musée national d’Osogbo avec

mission de coordonner les nombreux acteurs qui doivent s’impliquer dans le processus.

Les élites de la ville se regroupent au sein de l’Osogbo Cultural Heritage Council. Ce

conseil est présidé par l’Ataoja, Oba Iyiola Oyewale Matanmi. Au côté de la Nigerian

Tourism Development Corporation et du personnel du musée — partenaires

institutionnels incontournables — quelques universitaires et botanistes liés à Adediran

14 Mayo créent également un groupe de soutien à la rénovation du bois17. Ces

universitaires et ces notables s’assurent de la collaboration de Suzanne Wenger et de

quelques artisans très impliqués dans les projets de l’artiste autrichienne18. Le groupe

réalise une brochure-inventaire consacrée aux arbres du bois, publiée en 1988 par

Adediran Mayo et les botanistes de l’Université d’Ibadan et de Lagos. La première étape

du travail de reconquête du bois sacré, lancée en 1987, consiste à remettre en état,

réglementer et faire respecter la réglementation des sites classés : délimitation stricte

du bois sacré et interdictions d’installation pour les fermiers, d’accès pour la chasse, et

de construction de routes ou de bâtiments. Cela implique de détruire des fermes déjà

installées et de s’opposer aux projets alors en cours, notamment l’extension d’une école

coranique située dans le bois19. L’école coranique devient une annexe pédagogique du

musée, les routes sont fermées à l’exception d’un axe automobile et d’un chemin pour

piétons comprenant un pont ; le bois est clôturé grâce au recyclage des clôtures d’un

chantier de BTP de la société britannique Costain. Dès cette époque, Adediran Mayo

cherche à compenser l’arrêt de l’agriculture en développant la cueillette de plantes

médicinales et d’aliments traditionnels contribuant à l’entretien du sous-bois.

15 Des interventions ont également lieu aux niveaux régional et national à partir de 1987 :

les administrateurs militaires de l’ancien Oyo State puis celui du nouvel Osun State à

partir de 1991, les gouverneurs civils (depuis 1999) financent la délimitation cadastrale

du site. Ils ne sont pas les seuls acteurs du processus aux niveaux gouvernemental et

politique. En effet, le président Olusegun Obasanjo appuie le projet pendant ses deux

mandats (1999-2003 et 2003-2007)20. En octobre 2003, l’ambassadeur et délégué

permanent du Nigeria à l’Unesco, l’historien Michael Abiola Omolewa21, est élu pour

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deux ans à la tête de la Conférence générale de l’Unesco. Surtout, le Nigeria est désigné

deux fois, presque consécutives, membre du World Heritage Committee, un comité

restreint qui a la haute main sur les procédures de sélection des sites à classer

(1976-1980 puis de nouveau 2001-2005 et 2007-2011). Le Nigeria se trouve donc dans

une position privilégiée pour faire aboutir ses demandes de classement. Cela n’évite pas

un échec en 2001 quand un premier projet de nomination de la forêt sacrée est rejeté

immédiatement par le centre de tri de l’Icomos qui prépare les dossiers de classement

pour le Comité du patrimoine mondial. Selon Thierry Jouffroy, le dossier était mal

présenté22.

La stratégie du classement

16 En février 2004, la NCMM, dont le nouveau directeur depuis 2002 n’est autre que

Adediran Mayo, soumet un dossier reformulé pour le compte du gouvernement

nigérian. Le classement est initialement demandé dans la catégorie des « biens

immatériels », au nom de quatre critères culturels23, mais son orientation « biologie/

botanique/environnement »24 lui vaut d’être aussi expertisé par I’ UICN, chargée de

l’évaluation pour le patrimoine naturel, pour un critère naturel (« paysage culturel

ayant évolué biologiquement »).

17 La fiche évaluative rédigée par l’Icomos est ambiguë. Elle indique que, selon les

catégories de biens culturels définies par la convention de 1972, il s’agit d’un « site »,

mais que « il pourrait aussi s’agir d’un “paysage culturel” »25. Au regard du travail de

recensement et de publication accompli par les groupes de défense du bois, de

l’implication des institutions chargées de la gestion et de la protection de la nature, de

son classement national au titre de patrimoine naturel, il eût été logique que le bois

sacré soit reconnu comme bien mixte (à la fois culturel et naturel) par les instances de

l’Icomos, ou qu’il soit inscrit dans la catégorie des paysages culturels. De plus, l’ouvrage

de référence du Comité du patrimoine mondial prenait explicitement comme exemple

de paysage culturel le cas des bois sacrés. Mais I’UICN mandaté uniquement pour faire

une étude théorique du dossier refuse le classement26.

18 La réussite des critères culturels et l’échec des critères naturels peuvent s’expliquer de

plusieurs façons. L’assistant technique qui a monté le dossier de nomination n’est autre

que Thierry Joffroy. Architecte et conseiller scientifique du laboratoire CRATerre-

ENSAG27, il est responsable de l’axe « cultures constructives et patrimoine mondial » de

ce laboratoire entre 2002 et 2005. Il coordonne à ce titre divers programmes avec le

Centre du patrimoine mondial et la Division du patrimoine culturel de l’Unesco

(désormais réunis) : Chaire Unesco, programme Africa 200928, dans le cadre duquel il

organise à Osogbo en octobre 2004 un séminaire intitulé « Tourisme durable et

patrimoine culturel ». Lors de la soirée consacrée au film sur Suzanne Wenger en

février 2008, il intervient en tant qu’« expert auprès de l’Unesco ». Bref, Thierry Joffroy

est bien placé pour présenter un dossier conforme aux attentes de l’Icomos et du

Comité du patrimoine mondial. À l’Icomos, le dossier est bien défendu par Susan

Denyer, secrétaire de l’Icomos-UK, et par quelques autres membres. Ils parviennent à

convaincre de l’intérêt de protéger l’œuvre de Wenger jugée par leurs collègues peu

représentative de la production yoruba. Selon l’un des membres de l’Icomos, la

nécessité de rééquilibrer les inscriptions en faveur des sites africains permet

d’emporter la décision finale29.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

294

19 Une autre explication, plus politique, est possible : après le « paysage culturel du

Sukur » inscrit en 1999, le Nigeria se devait d’obtenir au moins un autre site inscrit au

patrimoine mondial30. Or, le classement comme « paysage culturel », créé pour dépasser

les critères europo-centrés de 1972, pouvait apparaître comme moins valorisant que la

notion de « bien culturel ».

20 Une dernière raison, plus locale, tient à la mise en relation du bois et du festival opérée

par les acteurs locaux. Elle sera évoquée plus loin.

21 La réussite du dossier de nomination tient donc aux réseaux qui ont permis de rédiger

et d’évaluer le dossier en un temps record : deux semaines pour la réalisation du

dossier (janvier 2004), dépôt en février pour une évaluation en septembre 2004 alors

même que le plan de management du site a été remis en retard en juin 2004 (ce qui

constitue une entorse aux procédures prescrites). Malgré la diversité des critères, un

seul expert est mandaté31. À cela s’ajoute la forte pression politique liée au rôle que joue

le Nigeria à l’époque à l’Unesco, en tant que membre de la commission restreinte du

comité du patrimoine mondial (quarante pays). Plus de vingt personnes, dont le

gouverneur de l’Osun State, son ministre du tourisme et l’Ataoja se rendent à Durban en

2005 pour la proclamation des résultats : c’est la plus forte délégation jamais vue à un

Comité du patrimoine mondial.

Les critères retenus : une construction ad hoc

22 Sur le site de l’Unesco, le bien est ainsi présenté : « La dense forêt sacrée d’Osun, à la

périphérie de la ville d’Osogbo, est l’une des dernières zones de la forêt primaire qui

subsiste au sud du Nigeria. Elle est considérée comme la demeure d'Osun, une des

divinités du panthéon yoruba. La forêt, sillonnée par la rivière Osun, abrite des

sanctuaires, des sculptures et des œuvres d’art érigées en l'honneur d'Osun et d'autres

divinités yorubas. La forêt, désormais considérée par tout le peuple yoruba comme un

symbole identitaire, est probablement la dernière forêt sacrée de la culture yoruba. Elle

témoigne de la coutume, jadis très répandue, qui consistait à établir des lieux sacrés

loin de toute habitation humaine. » Paradoxalement c’est sa dimension de site naturel

remarquable qui est rappelée dans la notice de classement. Sa dimension religieuse

n'est évoquée qu'en second lieu. Contrairement à la justification de l'inscription du

site32, il n'est pas fait mention de Suzanne Wenger et du nouvel art sacré.

23 L’étude comparée du rapport de l’Icomos et du dossier de nomination donne quelques

clés pour comprendre la manière dont les événements présentés comme historiques

par l’Icomos ont été construits : reprenant terme à terme des éléments du dossier de

nomination, l’évaluation de l’Icomos s’attache non pas à la véracité historique des

éléments présentés, mais au sens qu’ils prennent ou semblent prendre pour les acteurs

interrogés. La question de savoir si ce qui est raconté relève du mythe ou de l’histoire

n’est donc pas pertinente. Les actions des dieux ou les légendes des hommes (par

exemple l’idée qu’Osogbo serait une cité invaincue, berceau des Yoruba) sont relatées

comme des faits, au même titre que les destructions subies par le bois pendant et après

la colonisation. Le dossier de nomination justifie la sélection des divinités orisa

représentées par des statues par la volonté — ou non — des dieux d’accepter d’être ainsi

incarnés. A priori, il ne s’agit donc pas d’une analyse historique ou anthropologique de

la place du sacré dans l’organisation sociale, culturelle et politique, mais de la

transcription directe et non distanciée d’explications données sur le rôle du sacré. Le

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

295

chapitre « Authenticité et intégrité » du dossier de nomination attire particulièrement

l’attention en ce qu’il constitue une défense et une illustration des conceptions de

l’authenticité, de l’identité et de la culture telles qu’utilisées par l’Unesco (Eriksen

2001 ; Bortoletto 2007b). Issue de la recherche anthropologique qui montre le caractère

dynamique de l’identité, ses perpétuelles recompositions et négociations, cette

conception utilise les notions d’identité et de culture comme des synonymes et permet

d’envisager comme « authentique » tout discours perçu comme identitaire. Ce qui

permet de présenter les actions divines comme des faits.

24 La construction du dossier correspond à l’évolution des définitions et des attentes de

l’Unesco, évolution liée à l’invention du patrimoine immatériel notamment. Il convient

aux critères de la Stratégie globale du Centre du patrimoine mondial. L’inscription du

bois sacré est une victoire pour l’ambassadeur nigérian peu au fait des détails du

dossier, mais il répond aussi à des enjeux plus locaux. Le fil conducteur du dossier de

nomination est en effet le suivant : tous les éléments historiques, légendaires ou

mythologiques paraissent avoir pour objectif de montrer que la ville d’Osogbo et le bois

sacré se répondent en miroir. Les métaphores gémellaires ou matricielles se succèdent :

le bois est la matrice du développement de la communauté, le marché humain est le

miroir du marché des dieux, le bois est la résidence des dieux, la ville celle des hommes.

Ce qui se dégage du dossier est que la famille royale fait le lien entre le bois sacré et la

cité, lien réaffirmé chaque année à travers le festival. Or, c’est bien le festival et la

famille royale qui sont au centre du dispositif politique local, et le classement du bois

sacré va être utilisé par les autorités locales et nationales pour promouvoir le festival,

sa sécularisation et sa commercialisation touristique.

Le festival. Osogbo à l'heure touristique (1987-2008)

Séculariser : d'Osun à l'Osogbo Day

25 Le festival d’Osun-Osogbo est, au départ, une manifestation de célébration de la déesse

Osun, déesse de la fécondité et de la rivière. Le festival dure dix jours. Après les

journées de culte orisa auxquelles assistent un petit nombre de fidèles initiés ou en

passe de l’être, le festival culmine avec un pèlerinage dans le bois sacré et une

immersion dans la rivière. Les participants au défilé final sont très nombreux pour

accompagner l’Arugba, une jeune fille vierge qui porte sur sa tête la calebasse rituelle.

Pendant plus de trois heures, les associations de citoyens d’Osogbo viennent saluer et

présenter leur respect à l’Ataoja33 dans une clairière étroite où un dais abrite au besoin

les officiels des intempéries. Les participants sont essentiellement des habitants de la

ville et des environs, mais la venue de personnes originaires de la cité, qui vivent

ailleurs au Nigeria ou à l’étranger, donne sa dimension « touristique » à l’événement.

26 Le dernier jour du festival coïncide toujours avec l’Osogbo Day qui célèbre la ville. Le

défilé constitue donc à la fois un point d'orgue religieux, une allégeance aux autorités

traditionnelles et une célébration civique destinée à conforter l’identité ethno-citadine

de ses habitants. Les habitants, désormais chrétiens ou musulmans, sont invités à

communier autour de l'identité commune — incarnée par l’oba — et du lieu de mémoire

fondateur — le bois sacré. Jour férié localement, l’Osogbo Day peut être présenté

comme une preuve d’inscription de la cité dans la longue durée. Ainsi le Daily Sketch, du

23 août 1991, annonce-t-il le « 400e Osun Festival » organisé par l’Osogbo Progressive

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

296

Union dirigée par Chief Igbalaiye. Il peut aussi bien être rapporté à sa dimension

touristique contemporaine, comme le fait toujours le Daily Sketch (23 août 1991) qui

décrit le « succès international » du festival avec la venue de touristes et la « présence

de la presse internationale ».

Désacraliser

27 Les acteurs sont tous soucieux de désacraliser le festival, voire de le folkloriser, de le

« touristifier » (Picard 1992). La manière dont, en 1992, le festival est présenté dans une

brochure, illustre la nécessité — et sans doute la difficulté — de concilier musulmans et

chrétiens autour de cette dimension yoruba désacralisée du festival : « Ce n’est pas un

livre sur la religion. C’est plutôt une brochure sur le tourisme et la culture. » Sur le

thème de « Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre », la brochure

présente la religion traditionnelle comme quelque chose qui participerait de l’identité

yoruba. Elle permet ainsi de justifier (et d’inviter à) la participation des musulmans et

des chrétiens : « Nous reconnaissons la grande influence de l’islam et du christianisme

sur la communauté yoruba en particulier à propos des pratiques religieuses

traditionnelles. [...] Mais combien de chrétiens ou de musulmans en pays yoruba

peuvent honnêtement se vanter de ne pas retomber dans la vieille religion

traditionnelle de temps en temps quand une urgence apparaît ? [...]. Pour cette raison,

nous considérons que la religion traditionnelle [...] n’est pas tuée par les religions

modernes ; elle est trop profondément ancrée chez le Yoruba pour être détruite.

Cependant, nous disons catégoriquement qu’il y beaucoup de musulmans et de

chrétiens qui ont dit honnêtement adieu à la religion traditionnelle et à ses pratiques.

En dépit de cela, c’est fréquent durant les festivals de trouver un grand nombre de

chrétiens et de musulmans parmi les participants actifs ou les spectateurs. »

28 Le jour de la cérémonie, l’oba tient un rôle religieux. Toutefois, étant musulman, il lui

est difficile de présenter le festival comme un événement religieux. Il justifie donc sa

présence et l’existence du festival par le fait que « cela fait venir les touristes »34.

L’Ataoja lui-même déclarait au Sunday Concord du 25 août 1996, à propos des cérémonies

qu’il venait de présider : « Cela n’a pas de réelles implications religieuses en tant que

telles. Dans le passé, c'était la vraie religion du peuple ici mais depuis l'avènement de

l’islam et du christianisme, cela a été réduit à une sorte de rassemblement célébrant un

héritage culturel. C'est la valeur que cela a maintenant et ce que nous faisons, c'est

simplement de préserver notre culture indépendamment de la religion que vous

embrassez. » Pasteur chrétien, l'ambassadeur du Nigeria à l’Unesco tient également à se

démarquer de ce qu’il considère comme des croyances populaires, tout en relayant la

réputation de fécondité de la déesse35. Que l'organisation de l'événement ait été confiée

récemment à Otunba Gani Adams, « elder culture activist »36 (Salawu 2008), ancien

fondateur du mouvement nationaliste extrémiste yoruba, Odua People’s Congress,

reconverti dans l’événementiel, va dans ce sens. En effet, l’affirmation de la dimension

yoruba du festival est la condition sine qua non de son succès à l’époque contemporaine.

Il s’agit donc de pouvoir honorer en la déesse Osun le symbole d’une identité ethno-

citadine sécularisée dans lequel musulmans et chrétiens peuvent se retrouver37.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

297

Commercialiser

29 La sécularisation de l’événement passe enfin par la valorisation de son succès

commercial ; ainsi, dans son discours du 26 août 1988, en clôture du festival commencé

le 15 août, l’Ataoja Matanmi III oscille entre référence obligée à la religion du passé et

affirmation d’un présent désacralisé où le fait culturel serait découplé de son essence

spirituelle. L’oba évoque ainsi dans un premier temps « un festival en souvenir de nos

pères fondateurs [sic] afin de préserver et de promouvoir notre héritage culturel

révéré », avant d’expliquer que « la valeur culturelle devient maintenant de plus en

plus significative ». Pour preuve, selon lui, le caractère œcuménique de l'événement et

la description du vaste public qui a assisté aux différentes journées. Les remerciements

aux organisateurs locaux participent également de la fabrication de l’événement festif :

« l’Osun-Osogbo Festival Committee, les compagnies privées, les clubs sociaux et

philanthropiques, les personnalités et les médias pour leur soutien moral et financier

qui ont fait de ce festival un grand succès. » Suivent les « fils et filles d’Osogbo »

résidant dans la fédération, des « milliers d’autres gens de l’intérieur du Nigeria [...]

une grande foule qui vient en touriste ou pour prier [...] », des « centaines d’étrangers

d’outre-mer »38.

30 L’Ataoja célèbre enfin explicitement la vocation commerciale de la journée qui lui

apparaît comme une forme de promotion culturelle, puisqu’il salue « et plus

significativement encore, les vendeurs et les marchands de biens et de marchandises à

Osogbo [qui] ont eu une journée bien remplie et réussie. C'est la vraie valeur de notre

héritage culturel pour laquelle nous avons prié. C’est sous ce jour que je vois de

nouveau le festival de 1988 [...] j'espère que les célébrations vont continuer d'attirer un

grand nombre de touristes à Osogbo car de tels touristes continueront d’avoir un effet

bénéfique sur l’économie de la ville »39. Financées par la publicité payée par les

entreprises locales et le Local Government, les brochures publiées à l’occasion du

festival40 sont également un vecteur de la vulgate touristico-culturelle. En 1992, outre le

discours de l’Ataoja, trois articles de l’Osogbo Cultural Heritage Council sont consacrés

respectivement au projet de centre touristique international, à une description du

festival, des centres d’intérêt en ville, du public « international », et, enfin, à une

version courte de Sacred People & Sacred Places, une brochure publiée par un érudit local

(Kayode 2006). En 1996, sept « articles » constituent la brochure : le discours de l’Ataoja,

sa biographie pour les vingt ans de règne, un article sur le théâtre yoruba, trois articles

sur les cultes d’Osogbo et deux sur l’impact du tourisme.

Internationaliser ?

31 Ces publications relaient les combats de l’Ataoja. En 1992, ce dernier appelle le

gouvernement d'Osun à financer la réhabilitation du pont suspendu dans le bois sacré,

et le Nigerian Tourist Board à « développer les soixante-treize acres de terre qui lui ont

été allouées à côté du bois pour construire un centre touristique international » ; en

1996, il fait éloge du « potentiel touristique d’Osogbo » pour la clôture du « Osun-

Osogbo INTERNATIONAL Festival ». La référence à une dimension internationale est

nouvelle. Enfin, depuis 2004, le gouvernement de l’État d’Osun finance la

retransmission en direct du dernier jour du festival dans tout le Nigeria sur la

principale chaîne de la NTA (Nigerian television authority). Pendant trois heures, on

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

298

peut voir alternativement les personnalités qui prennent la parole et le défilé des

groupes de pèlerins habillés de costumes colorés communs. Les — rares — pèlerins

venus des Amériques se signalent à l'oba par leur anglais, et parce qu'ils sont parfois

« blancs ».

32 L’État d’Osun (où est située la ville d’Osogbo) consacre une page de son site Internet au

tourisme, en mentionnant les sites existants et quelques hôtels, sans plus

d’informations. Mais l’on apprend que le gouvernement local envisage la construction

d'un hôtel cinq étoiles et d'un golf à Osogbo « afin d’anticiper la croissance du secteur

du tourisme et de la culture ». S’il est peu probable que les touristes internationaux

viennent à Osogbo pour jouer au golf, ni même pour loger dans un hôtel cinq étoiles,

ces projets révèlent en revanche la volonté de développer un tourisme national ou

régional à destination des plus riches. Plus fonctionnel, ce qui apparaît comme le site

Internet de la ville d'Osogbo propose quelques informations pratiques et historiques,

quoique presque exclusivement centrées sur la personne de l’Ataoja. Mais ce site est en

réalité une création de l’antenne américaine de l’Osogbo Progressive Union (OPU)41 et le

contact indiqué est situé à Washington. Appelant à rejoindre I’OPUUSA, les créateurs du

site s’adressent explicitement aux Nigérians exilés, mais aussi aux Africains-Américains

en quête de racines41 42. Le site Internet qui apparaît comme le plus « local », le plus

précis dans ses informations et le plus fonctionnel est en réalité transnational, comme

le sont, sans doute, également les internautes à qui il s’adresse.

La ville. L'invention d'une capitale yoruba, XVIe-XXIe

siècles

Osogbo is not « an ancient town »

33 À l’appui de leur projet touristique, les gouverneurs de l’Osun State et l’Ataoja ont lancé

depuis plusieurs années une campagne de promotion d’Osogbo sur le thème « Osogbo,

ancient town ». Or, si l’on retient le sens classique de l’expression au Nigeria — les villes

historiques enracinées dans le Moyen-Âge local43 —, la ville d’Osogbo ne relève pas de

cette catégorie. Elle fait, au contraire, partie des villes moyennes yoruba qui ont connu

une expansion démographique et économique ainsi qu'une émergence politique au XXe

siècle. Petites cités soumises à des empires englobants jusqu’au XIXe, elles n’ont jamais

été à la tête d’un empire et ce ne sont pas des cités-royaumes comme il en existe

ailleurs dans l'espace yoruba. Elles sont devenues de petits centres administratifs

locaux à l'époque coloniale, et c'est au cours des trente dernières années qu'elles ont

accédé au rang de capitales d’États fédérés ou qu’elles ambitionnent de le devenir44.

34 La ville d’Osogbo a été fondée au XVIIe siècle par un groupe de migrants venus d’Ilesa,

une cité-royaume voisine indépendante. La rivière Osun et la déesse Osun auraient joué

un rôle important dans la détermination du lieu d’installation ; la fondation serait

l’œuvre de deux personnages, Laroye et Timehin, chasseurs, sans doute parents

(frères ? cousins ?), qui auraient pris l’engagement d’honorer chaque année Osun lors

d’un festival. Dans le seul ouvrage universitaire consacré à Osogbo, les professeurs

Bolanle Awe et Olawale Isaac Albert (1995) considèrent que l’unanimité de la

communauté concernée sur ces quelques faits est de nature à réconcilier les traditions

orales divergentes sur le rôle des uns et des autres. Au moment de l’écriture de leur

ouvrage, la controverse à laquelle il semble répondre était strictement limitée aux

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

299

acteurs et aux enjeux locaux. Plus de dix ans plus tard, la concurrence des mythes

fondateurs à l’échelle locale est dépassée. Il s’agit désormais pour la cité de se

positionner à l’échelle régionale voire fédérale, d’acquérir une stature historique et de

s’ancrer dans un passé le plus ancien possible pour légitimer le pouvoir récent de ses

notables. Or, rien dans l’histoire de sa fondation ne fait d’Osogbo une cité phare de

l’espace yoruba : elle a toujours été soumise à l’autorité de voisines plus puissantes ;

celle d’Ilesa du XVIIe au XIXe siècle, puis celle d’Ibadan au XIXe qui assure la relève de

l’empire d’Oyo ruiné45. Jusqu’à lui faire oublier ses liens avec Ilesa qui ne l’a pas

défendue contre l’invasion des Peuls d’Ilorin. La ville passe enfin sous la coupe

britannique en 1903 et la juridiction administrative de l’Alaafin d’Oyo. C’est seulement à

partir des années 1930, sous ce même joug britannique, que sont posés les jalons de sa

future ascension politique et que, dans le même temps, se mettent en place les

éléments qui constitueront les fondements de son identité ethno-citadine.

35 À partir de 1934-1936, en effet, dans le cadre d’une grande réforme de l’administration

locale, le baale46, est promu Native Authority avec un conseil restreint de chefs bientôt

rejoints par quelques membres « éduqués »47. Cependant, la ville n est pas l’objet d une

très grande attention de la part des Britanniques et cet effacement relatif perdure

jusqu’à la fin des années 1970. Pendant ce temps, Osogbo digère son développement

économique et démographique48 sans faire preuve d’ambitions politiques. Ibadan est

devenue la capitale du vaste État fédéré d’Oyo et, comme nombre de villes secondaires

de l’est de l’Oyo State, elle vit à l’ombre de l’historique cité-royaume d’Ife fondée au IXe

siècle.

Le patrimoine mondial, un outil touristique au service du politique

36 L’instrumentalisation du festival et du classement du bois sacré, la réinterprétation

contemporaine des événements qui s’y déroulent depuis plus de cinquante ans

n’auraient pas grand sens rapportés à la seule mise en tourisme du patrimoine. Bien

avant de les mobiliser pour l’aventure Unesco, les notables d’Osogbo ont en effet enrôlé

les racines culturelles supposées anciennes dans l’opération de lobbying, en faveur de la

création d’un nouvel État fédéré, acquise en 1991.

37 Ce combat commence en 1977 et la mobilisation s’est poursuivie ensuite au-delà du

succès de 1991. La période 1977-1991 est celle de l’invention d’un militantisme ethno-

citadin chez les Osogbo. C’est alors que se constitue et que s’impose un « corpus »

d’affirmations diverses, reprises partout, qui participent de la construction de l’identité

de la cité. Cette dernière est abondamment réinvestie ensuite dans le dossier Unesco.

Ce corpus de slogans incantatoires se constitue autour du thème de la création de l’État

ou du choix de la capitale du futur État. À défaut d’arguments, les déclarations

publiques sont émaillées de « no need to say » ou « it is obvious » qui doivent suffire à

convaincre.

38 Le principal acteur de cette propagande identitaire est l’Ataoja49 lui-même. Fort de la

notoriété et de l’expérience qu’il a acquises lors de son engagement pour la création de

l’Osun State, il se consacre ensuite au lobbying en faveur du classement Unesco avec des

méthodes voisines. Il s’agit pour lui de donner à la nouvelle capitale de l’État d’Osun un

ancrage historique qui lui fait défaut face à Ile-Ife à l’histoire bien établie50. Son

omniprésence dans la presse écrite51 est l’un des aspects de cette quête de visibilité et

de racines52, mais les notables de la ville participent tous à la campagne53.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

300

39 Dernier ajout en date à l’histoire de la ville : la mention du classement à Durban devient

un élément du récit historique légitimant la cité dans son rôle de leader dans l’État

d’Osun et au Nigeria. Il apparaît ainsi clairement que le discours sur la valorisation

touristique de la cité est bien antérieur à son classement, et qu’il s’inscrit dans le projet

plus large de promotion de la cité dans le champ géopolitique et économique régional.

L’inscription au patrimoine mondial marque donc l’aboutissement de près de quinze

ans de démarches de l’État d’Osun pour se construire une légitimité historique et

culturelle.

40 Produit du combat pour la création de l’Osun State (années 1980) puis de celui pour le

label Unesco (1990-2005), ce « corpus » incantatoire imprègne la littérature

« officielle » que relaient la presse, des brochures et des tribunes libres de The Nigerian

Tribune ou d’autres journaux (The Concord, The Guardian, The Nation), les entretiens

formels ou informels. C’est cette vulgate qui est en partie reprise, en connaissance de

cause, dans le dossier de nomination. L’image est soignée autant que le texte, et ce,

depuis l’époque du lobbying pour la création du nouvel État. Les photos de l Ataoja

(devenu oba) dans The Nigerian Tribune ou Iwe Iroyin, propriétés de l’Oyo State, sont des

éléments-clés du processus d'identification des habitants à leur cité et du fossé

croissant qui se creuse entre Osogbo et Oyo. La photo de l’Ataoja se diffuse dans les

foyers de la ville et supplante celle de l’Alaafin. Les acteurs locaux se mettent en scène

dans les réunions de l’Unesco ou au Musée du quai Branly aussi bien que dans les

rassemblements régionaux d’oba, les festivals et les manifestations officiels.

41 Le schéma de ce « plan média » n'est pas spécifique à Osogbo mais c’est là qu’il a été le

plus efficacement mis en œuvre, jusqu’à surprendre les personnalités officielles de

l’Unesco ou responsables culturels français. L'ascension géopolitique des villes

moyennes dans le cadre régional yoruba repose en effet sur un certain nombre de

caractéristiques partagées dont Osogbo est un exemple emblématique : rôle moteur de

l'oba ou roi de la ville dans le lobbying, mobilisation des notables dans des associations

ou Progressive Unions, instrumentalisation de l'histoire locale et des archives

coloniales pour promouvoir leur ville auprès des commissions d’enquête successives et

des militaires au pouvoir pendant l’essentiel de la période postérieure à 1966,

promotion régulière de l'oba de la ville dans la hiérarchie des souverains à l’échelle

régionale par les autorités coloniales puis nigérianes, ce qui ramène au poids croissant

de son lobbying. L'autopromotion de ces cités s'inscrivait d’abord dans la perspective de

la création d’un nouvel État et, ensuite seulement, dans la perspective d’emporter la

capitale54 ; or, à ce stade du lobbying, il fallait avoir quelque chose en plus à défendre

que les cités rivales qui aspiraient aussi à devenir capitale du nouvel État. Ce processus

de différentiation devait conduire à la mise en valeur d’une singularité, sans pour

autant faire craindre aux militaires l’ouverture d’une boîte de Pandore dans le nouvel

État en déclenchant des conflits ouverts entre villes.

42 La mobilisation d’Osogbo sur le dossier culturel, l’un des (derniers) volets de la

recherche de cette singularité, présente une originalité en ce sens que la ville pousse ce

processus de singularisation au-delà des objectifs initiaux : elle exploite, dans le cadre

du dossier Unesco, le capital symbolique qu’elle avait mobilisé pour devenir capitale.

C’est au cours de cette seconde phase d’autopromotion qu’a été élaboré un ensemble

d’« outils » qui ont constitué ensuite les arguments mis en avant par l’Ataoja d’Osogbo

pour apparaître comme un pôle fédérateur au cœur de l’espace culturel yoruba.

L'obtention du classement au « patrimoine mondial » par l'Unesco est à la fois un signe

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

301

d'affirmation et un outil de promotion ultérieure dans le face-à-face avec Ife qui ne fait

que commencer.

*

43 « C’est la revendication culturelle qui fonde le patrimoine, non l’inverse. [...] Pour

fonctionner en tant que tel, un élément culturel doit en effet être placé dans un

premier temps dans le passé, ce qui permet ensuite d’en faire l’objet d’une

réappropriation » (Amselle 2005 : 24).

44 Depuis la création de l’État fédéré d’Osun au Nigeria en 1990, sa nouvelle capitale

Osogbo n’a eu de cesse de créer l’ancrage historique qui lui manquait. Un certain

nombre d’institutions et d’acteurs extérieurs à Osogbo participent, pour des motifs

différents, à la constitution de cet ancrage, d’un point de vue mythologique, identitaire

et religieux. Ces acteurs interviennent à des moments différents, des années 1950 à nos

jours. Il s’agit essentiellement de Suzanne Wenger, Ulli et Georgina Beier, les peintres

de l’École d’Osogbo, les communautés américaines et caraïbéennes adeptes du

panthéon yoruba, le roi (oba) de la cité, le gouverneur de l’État, l’ambassadeur du

Nigeria à l'Unesco, l'ancien chef de l'État nigérian, O. Obasanjo, et différents

responsables culturels locaux et nationaux.

45 À travers l’inscription du site au patrimoine mondial, l’Unesco apparaît dans ce

contexte comme une instance de légitimation déterminante, une institution

instituante. Le classement permet en effet à Osogbo de jouer à la fois de la polyvalence

des idées de patrimoine culturel et intangible, de son capital écologique, de sa valeur

patrimoniale et de son potentiel touristique. Il permet d’avaliser un corpus de données

historiques, culturelles et mythologiques constitué dans l’objectif politique de

permettre à Osobgo de passer du rang de ville secondaire au rang de capitale d’État.

Cette appropriation n’était pas évidente car elle est triplement paradoxale : du point de

vue de la conservation des espaces naturels, de la préservation de la dimension

spirituelle et des motivations des touristes.

Une appropriation paradoxale

46 De la part des autorités locales, le festival d’Osun est l’objet d’une sécularisation, d’une

commercialisation et d’une médiatisation fortes. Tout est fait pour relativiser le

caractère sacré de la cérémonie et accentuer son rôle de marqueur de l’identité yoruba

de la ville. Dans ce contexte, le classement au patrimoine mondial du bois sacré n’est

qu’un élément qui vient renforcer le caractère culturel (et non religieux) du festival en

le présentant comme l’objet du classement au patrimoine mondial. En effet, si le

discours sur la valorisation touristique de la cité est bien antérieur à l’inscription au

patrimoine mondial et si les acteurs politiques locaux n’en sont pas les initiateurs, ils

vont savoir utiliser ce classement pour promouvoir le festival et le rayonnement de la

cité d’Osogbo. Ainsi, aussi bien les autorités locales que l’ambassadeur du Nigeria à

l’Unesco croient ou laissent entendre que c’est le festival qui a été classé, et non le bois.

47 Le festival d’Osun-Osogbo a lieu au début du mois d’août, à la saison des pluies, ce qui

pose des problèmes de circulation dans le sous-bois et de conservation des enclos en

terre sur site. Ces risques n’ont pas échappé au Comité du patrimoine mondial, puisque,

lors de l’inscription à Durban en 2005, celui-ci fait trois demandes à l’État nigérian :

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

302

intégrer « la gestion des caractères naturels » dans la « gestion des caractères

culturels » ; donner des informations sur la fermeture d’une route goudronnée ; et,

surtout, créer « un plan de gestion du tourisme culturel afin de préserver les

caractéristiques spirituelles, symboliques et rituelles de la forêt par rapport au grand

nombre de personnes qui visitent le site, notamment durant la période du festival ». Le

paradoxe est que le classement du bois est utilisé pour vanter le caractère touristique

du festival et attirer des visiteurs, alors même que, pour le Comité du patrimoine

mondial, il constitue explicitement une menace potentielle.

48 Si les autorités locales considèrent le classement comme une preuve de reconnaissance,

elles ne peuvent souscrire, du moins officiellement, à la logique relativiste mise en

œuvre dans le dossier de nomination, notamment en ce qui concerne le rôle des

divinités traditionnelles. Il y a une sorte d’inversion des rationalités et des finalités

relationnelles : le dossier de nomination et l’évaluation de l’Icomos mettent en avant le

caractère sacré des échanges qui peuvent avoir lieu dans le bois et dénoncent « les

menaces fondamentalistes » qui pèseraient sur sa survie55, tandis que les acteurs locaux

promeuvent la dimension culturelle et identitaire du festival qui a lieu dans le bois en

relativisant en permanence son caractère religieux.

49 Le même paradoxe est à l’œuvre lorsque l’on se penche sur les motivations des

quelques touristes qui viennent à Osogbo visiter le bois ou, pendant le festival, s’initier

au culte orisa. Le tourisme religieux yoruba est une déclinaison du tourisme culturel

qui se développe aujourd’hui au Nigeria autour de communautés de pratiques liées à la

danse ou à la musique, et surtout, aux cultes orisa et ifa. Initié aux États-Unis (Capone

2005), ce tourisme est fondé sur une « conversion » à l’africanité. Les Africains-

Américains viennent, en groupe, chercher leurs racines et s’initier au culte orisa auprès

de prêtres nigérians, tandis que les Européens viennent en famille ou entre amis pour

voir les œuvres de Suzanne Wenger. Ces circuits sont hermétiques les uns aux autres :

les Africains-Américains et les adeptes d’Ifa ne font allusion à Suzanne Wenger et à ses

statues que marginalement, tandis que les récits d’expatriés et les journaux des

voyageurs postés sur Internet ignorent la plupart du temps le volet religieux proposé

par les prêtres d’Osogbo, voire la signification réelle du festival désormais sécularisé.

Tous sont considérés comme des touristes par les autorités locales. Et ils le sont du

point de vue de leurs consommations. C’est ainsi que l’Ataoja d’Osogbo peut saluer le

record de consommation de bière nigériane Star en 2005, le considérant comme un

signe du succès touristique du festival.

50 Mais, alors que les autorités locales font tout pour séculariser le festival, les Américains

en quête de racines le vivent comme une quête initiatique susceptible de les aider à

retrouver l’esprit sacré de la religion des origines. À l’inverse, c’est la dimension sacrée

du bois qui justifie son classement, alors que pour les voyageurs et les expatriés qui le

parcourent, il s’agit plutôt d’une visite culturelle motivée notamment par la fascination

que Wenger semble exercer sur les Occidentaux qui parcourent l'Afrique : celle qui est

passée « de l'autre côté du miroir ». Observés dans différents contextes touristiques, ces

paradoxes sont liés aux représentations que les uns ont sur les autres, mais aussi aux

malentendus liés à la construction réciproque des attentes et des désirs de l’autre

(Chabloz 2007).

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

303

Osun, déesse transnationale

51 Le caractère transnational de l’opération, de ses acteurs et des circulations font

d’Osogbo un objet de « global politique » (Abélès 2007). Expatriés en week-end dans le

bois, Africains-Américains en stage d’initiation pendant le festival, experts des

institutions internationales en visite ou notables nigérians « circulant » à Durban ou à

Paris, tous produisent et échangent des expériences, des images et des discours qui leur

confèrent prestige et reconnaissance. L’utilisation de l’Unesco n’est pas terminée : le

voyage de la délégation du Nigeria en France en février 2008 n’avait pas pour

motivation unique la projection d’un film au Musée du quai Branly. En effet, la veille, le

gouverneur avait assisté à une réunion à l’Unesco sur un projet de centre culturel-

bibliothèque à Osogbo (Institute for Black Culture and International Understanding)

dont l’initiateur est l’ancien président Obasanjo. Il s’agissait d’obtenir de la part de

l’Unesco la reconnaissance de cette bibliothèque comme « Institut de catégorie 3 ».

C’est cet événement qui était essentiellement relaté dans la presse nigériane56, alors

que le documentaire présenté au Musée du quai Branly était décrit comme un film

consacré au festival touristique. Le global politique ne fait que commencer et l'on peut

s'interroger sur les rapports individuels ou collectifs que les institutions

internationales génèrent ou confortent vis-à-vis de constructions identitaires et

politiques. Quoiqu’il en soit, malgré des enjeux différents et des motivations

divergentes, tous ces événements participent à renforcer la légitimité d'Osun-Osogbo.

C'est sans doute la force d'Osun, déesse transnationale des rivières — des flux — et de la

fécondité.

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NOTES

1. Selon plusieurs rapports de la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le

développement), près de 85 % des dépenses touristiques dans les PMA (pays les moins avancés)

d’Afrique reviendraient en réalité à des entreprises occidentales. Les économistes parlent de

« fuites » pour désigner ce phénomène. Ces données sont difficilement vérifiables.

2. À l’exception d’un banc-titre en préambule et de l’explication que donne Doyin F. Deyin du rôle

joué par sa mère dans l’inscription au patrimoine mondial.

3. Pierre Guicheney a réalisé un deuxième film, coproduit par RFO et consacré notamment aux

artistes nigérians du « nouvel art sacré » initié par Wenger. Il est projeté le mardi 14 février 2009

à Paris, alors que Suzanne Wenger vient de mourir. Les membres de l'Icomos (Conseil

international des monuments et des sites) et de l’Unesco y sont nombreux, mais aucun notable

nigérian ne s’est déplacé.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

307

4. Cet article est le résultat d’une collaboration entre un historien spécialiste du sud-ouest du

Nigeria et une anthropologue des politiques touristiques, plutôt « européaniste ». Cette

collaboration s’est mise en place à l’initiative de Nadège Chabloz. Qu’elle en soit ici vivement

remerciée. Notre travail s’appuie sur des observations et des entretiens menés en France et au

Nigeria auprès des différents acteurs du dossier de classement d’Osogbo, l’analyse d’un corpus de

sources historiques, de rapports, chartes et documents, sur le tourisme culturel, produits par

l’Unesco, l’Icomos et l’OMT, et enfin l’étude des sites et des blogs que des touristes ont consacrés à

leur voyage à Osogbo. Pour des questions de place, ce dernier volet n’est pas développé dans

l’article. Les difficultés que nous avons rencontrées ne sont pas liées à nos méthodes

d’investigation : il y a longtemps qu’anthropologues, sociologues et historiens pratiquent

l’entretien et la confrontation de sources écrites ou orales. Nous avons aussi rapidement partagé

les mêmes constats et les mêmes hypothèses analytiques sur l’importance des enjeux politiques

locaux et le caractère relativement secondaire du développement économique par le tourisme. Le

vrai problème a plutôt résidé dans la construction et la rédaction de l’article, l’importance et la

place relatives des descriptions, de la chronologie, de la théorisation, des références extérieures

au terrain ou au corpus. Ainsi, l’historien annonce son hypothèse puis l’étaye selon un plan

chronologique argumenté. L’ethnologue propose une lecture plus inductive : partant d’une

problématique et d’une description faisant figure d’énigme et/ou de métaphore, son plan est

analytique : la chronologie s’efface derrière une théorisation qui procède par transfert et par

comparaison. En relation avec le projet éditorial de la revue, nous avons opté pour un plan

problématique au sein duquel la chronologie reprend ses droits.

5. Depuis le XVIIIe siècle, la diffusion de l’islam puis du christianisme dans le sud-ouest du Nigeria

a modifié les pratiques religieuses historiques yoruba. En se convertissant à l’une des deux

religions mondiales, les oba (rois) ont renoncé à leur rôle de prêtre. Cependant, ils ont confié à

des prêtres la réalisation de rituels souvent associés à la pérennité de la famille royale ou du

royaume lui-même. Des oba trop « modernes » comme l’Ooni d’Ife se sont vu reprocher par les

habitants de leur cité leur manque d’empressement à l’égard des cultes yoruba. De fait, le poids

des fêtes yoruba a décliné tout au long du XXe siècle en regard de l’importance croissante dans le

calendrier de chaque cité des fêtes chrétiennes ou musulmanes. La redécouverte récente pour

des raisons identitaires de ces cérémonies folklorisées ne doit pas faire illusion. En termes

religieux, elles n’ont plus de sens que pour une infime partie de la population très âgée.

6. Des clubs mbari seront également créés à Enugu, puis Lagos, Ife et Benin City. À l’occasion de

l’exposition « City Century » de la Tate Moderne, dont une partie est consacrée à Lagos, le

journaliste Mark Hudson, du Telegraphe, retrace l’itinéraire des Européens installés au Nigeria au

début des années 1960. Selon Mark Hudson, qui cite Beier lui-même, le Mbari-Club était financé

— à leur insu selon SOYINKA (2007) —, par la Fairfield Foundation, une organisation de la CIA qui

cherchait ainsi à contrer l’influence marxiste en Afrique de l’Ouest.

7. Avec sa nouvelle épouse, Georgina, Ulli Beier cherche à construire une école afro-européenne

novatrice. Dans un article intitulé « The Myth of Osogbo », Steven W. NAIFEH (1981) fait une

analyse féroce des contradictions de cette école. Selon lui, Beier présentait les œuvres des

artistes locaux comme de l’art « authentiquement africain », quitte à nier toute influence

occidentale alors que sa femme Georgina et lui donnaient des cours de peinture et organisaient

des expositions d’artistes européens. Pour Naifeh, les artistes du « nouvel art sacré » des Beier

ont attiré l’attention parce que leur art ressemblait à ce que les Européens et les Américains

attendaient d’un art africain. Or, selon le critique, il s’agit d’une réinterprétation locale de

l’interprétation de l’art africain fait par les artistes européens de la première moitié du XXe

siècle.

8. Selon Jean B ALANS (1995 : 365), elle partage avec d’autres Européens, comme Mc Ewen au

Zimbabwe, « un mysticisme assez naïf ». Toutefois, dans le film La dame d’Osogbo, Suzanne Wenger

affirme qu’elle a été associée au culte dès son arrivée, sans l’avoir vraiment voulu, et ses

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

308

interlocuteurs soulignent qu’elle a toujours gardé ses distances vis-à-vis de certaines croyances,

tout en sachant les utiliser pour protéger le bois.

9. Mais aussi du fils d’un de ses plus anciens et fidèles soutiens, homme d’affaires nigérian, qui a

payé son loyer pendant des années.

10. La convention de 1972 était essentiellement liée à des considérations historiques et

esthétiques. Il s’agit désormais de pouvoir identifier des monuments qui font sens pour leurs

« valeurs symboliques, sociales, culturelles et économiques » et de prendre en compte les

patrimoines intangibles.

11. Campements nomades, habitats dogons, établissements humains au Cameroun, architecture

militaire au Sénégal et au Bénin, coloniale au Togo et au Cameroun, architecture urbaine swahili,

établissements de missions en Afrique du Sud... Alors que le sujet de Africa Revisited est de

prendre en compte le patrimoine africain au même titre que les autres patrimoines, notamment

européens, ce qui frappe est que l'architecture coloniale est presque aussi présente que

l'architecture vernaculaire (4 exemples sur 11).

12. Koïchiro Matsuura, le directeur général de l’Unesco, indique que la Déclaration « érige la

diversité culturelle au rang de “patrimoine commun de l’humanité”, aussi nécessaire pour le

genre humain que la biodiversité dans l'ordre du vivant et fait de sa défense un impératif

éthique, inséparable du respect de la dignité de la personne humaine. La Déclaration vise à la fois

à préserver comme un trésor vivant, et donc renouvelable, une diversité culturelle qui ne doit

pas être perçue comme un patrimoine figé, mais comme un processus garant de la survie de

l’humanité » (UNESCO 2003 : 3).

13. Entretiens, janvier 2008.

14. Entretien, juillet 2008.

15. Entretien, décembre 2008.

16. Dr Adediran Mayo, le conservateur du Musée national d’Osogbo a été nommé directeur de la

NCMM en 2002 (Entretien, janvier 2008).

17. Ce groupe se structure autour d’un botaniste natif d’Osogbo, Tunde Morakinyo, de son père,

John Morakinyo, du Dr Akinsoji (originaire d’Iwo, en poste au département de Botanique de

l’Université de Lagos (UNILAG) et qui a beaucoup publié sur le bois), du Dr Oni (en poste au

Department of Forestry de l’Université d’Ibadan), du Dr Deboareo, du Musée national de Benin

City, de Remi Adedayo qui devient conservateur du bois sacré en 2002. En novembre 1999, Tunde

Morakinyo crée l’Iroko Foundation, un fonds destiné à collecter des dons pour assister la

communauté d’Osogbo dans son travail de protection de la forêt et de la vie sauvage incluant

l’aide aux pasteurs afin de limiter la déforestation.

18. Adebisi Akanji, artisan fabriquant des briques traditionnelles, Kasali Akangbe, artisan

charpentier et trois autres artisans.

19. L’Icomos signale aussi les dégradations du site dans les années 1950, la création par l’État

d’une plantation de teks et d’expériences agricoles, les débuts d’activités de pêche et de chasse et

le pillage des statues.

20. Entretien Pr Babawale, janvier 2008.

21. Auteur notamment d’un article publié dans les Cahiers d’Études africaines (OMOLEWA 1978).

22. Entretien, août 2008.

23. Les critères culturels demandés sont les no 1, 2, 3, 5, 6 (le 1 et le 5 ne seront pas retenus) : « 1.

représenter un chef-d’œuvre du génie créateur humain ; 2. témoigner d’un échange d’influences

considérable pendant une période donnée ou dans une aire culturelle déterminée, sur le

développement de l’architecture ou de la technologie, des arts monumentaux, de la planification

des villes ou de la création de paysages ; 3. apporter un témoignage unique ou du moins

exceptionnel sur une tradition culturelle ou une civilisation vivante ou disparue ; 5. être un

exemple éminent d’établissement humain traditionnel, de l’utilisation traditionnelle du

territoire ou de la mer, qui soit représentatif d’une culture (ou de cultures), ou de l’interaction

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

309

humaine avec l’environnement, spécialement quand celui-ci est devenu vulnérable sous l’impact

d’une mutation irréversible ; 6. être directement ou matériellement associé à des événements ou

des traditions vivants, des idées, des croyances ou des œuvres artistiques et littéraires ayant une

signification universelle exceptionnelle. Le comité considère que ce critère doit préférablement

être utilisé en conjonction avec d’autres critères ». Jusqu’à la réforme de la fin 2004, les sites du

patrimoine mondial étaient sélectionnés sur la base de six critères culturels (1, 2, 3, 4, 5, 6) et

quatre critères naturels (1, 2, 3, 4). Avec l’adoption de la version révisée des Orientations, il

n’existe plus qu’un ensemble unique de dix critères.

24. Le dossier se prévaut notamment d’un soutien du Duc d’Edimbourg du WWF (World Wide

Fund for Nature).

25. Selon l’article 39 des « orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du

patrimoine mondial ».

26. Pour motiver son refus, l’UICN argue qu’« aucune information précise n’est donnée sur le

statut juridique de protection de l’écosystème », que le projet de plan de gestion met en évidence

des activités parasites, et que la proposition de classement comme « paysage culturel ayant

évolué biologiquement prête à confusion ». L’UICN rejette la demande de classement en arguant

des contradictions du dossier, mais ne prend pas en compte le travail de répertoire de plantes,

joint au dossier, ne se prononce pas sur l’intérêt de cet écosystème et ne se déplace pas sur le site.

27. CRATerre-ENSAG est un laboratoire spécialisé dans l’étude et la réhabilitation des matériaux

et des habitats en terre.

28. Source : Bilan scientifique du programme pluriannuel 2002-2005, Laboratoire CRATerre-

ENSAG.

29. Entretien, janvier 2009.

30. M. Omolewa, entretien mai 2008. Douze autres sites ont été inscrits sur la liste indicative en

1995 et 2007.

31. Un très bon connaisseur du dossier, européen, nous a fait part de son étonnement de voir

nommer un expert malien sur ce dossier, pour un site dont les particularités étaient très

différentes de celles de l’Afrique de l’Ouest. En revanche, il semblait considérer que les Européens

pouvaient légitimement expertiser n'importe quel site dans le monde...

32. « Le Comité du patrimoine mondial, 1. Ayant examiné les documents WHC-05/29.COM/8B,

WHC-05/29. COM/8B. Add 2 et WHC-05/29. COM/INF. 8B.1, 2. Inscrit la Forêt sacrée d’Osun-Osogbo

(Nigeria) sur la Liste du patrimoine mondial sur la base des critères (ii), (iii) et (vi) : Critère (ii) :

Le développement du mouvement des artistes traditionnels du nouvel art sacré et l'intégration

de Suzanne Wenger, artiste autrichienne, à la communauté yoruba, se sont révélés être le terrain

d'un échange fertile d'idées qui ont ressuscité la forêt sacrée d'Osun. Critère (iii) : La forêt sacrée

d'Osun est le plus grand exemple, et peut-être le seul restant, d'un phénomène jadis largement

répandu qui caractérisait tous les peuplements yoruba. Elle représente aujourd'hui les forêts

sacrées yoruba et leur illustration de la cosmogonie yoruba. Critère (vi) : La forêt d’Osun est

l’expression tangible du système divinatoire et cosmogonique yoruba ; son festival annuel est une

réponse vivante, florissante et en perpétuelle évolution aux croyances yoruba dans les liens qui

unissent le peuple, ses dirigeants et la déesse Osun. 3. Demande à l’État partie du Nigeria de

considérer comment la gestion des caractéristiques naturelles de la forêt pourrait être renforcée

par leur intégration à la gestion des caractéristiques culturelles de cette dernière ; 4. Demande

également à l’État partie de donner des informations, dès que possible, sur la fermeture de la

route goudronnée ; 5. Demande en outre à l’État partie de considérer la mise en place d’un plan

de gestion du tourisme culturel afin de préserver les caractéristiques spirituelles, symboliques et

rituelles de la forêt par rapport au grand nombre de personnes qui visitent le site, notamment

durant la période du festival. »

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

310

33. L’actuel Ataoja, Oba Iyiola Oyewale Matanmi III, a été couronné le 27 juillet 1976 ; il appartient

à une famille royale créée en 1957-1958 par la scission de la famille Laro en deux branches : les

Laro et les Oyipe Matomi.

34. Entretien, 2005.

35. Entretien, mai 2008.

36. Femi Salawu compare le festival d’Osogbo à celui qui a été organisé à Arigidi-Akoko, cité

natale de O. G. Adams dans l’Ondo State.

37. De plus, la mobilisation des acteurs religieux traditionnels peut s’avérer utile pour faciliter

l’accueil des visiteurs. Ainsi, un courrier qui annonce le programme des festivités de 1989 illustre

la fusion entre les préoccupations d’intendance relatives à l’accueil touristique et le rituel sacré :

la procession de l’Ataoja le premier jour « symbolise le traditionnel nettoyage de la rue principale

de la ville des mauvaises herbes et des arbustes envahissants qui pourraient gêner (hamper)

l’entrée aisée des fermiers et des visiteurs dans la ville ». Le nettoyage est de la responsabilité du

Chief Ogala d’Osogbo. Dossier « Osogbo 1988 [...] », Ministère du Tourisme, Abuja. Consulté en

janvier 2008.

38. Le bois sacré et le festival sont visités par quelques expatriés occidentaux et des Africains-

Américains en quête de racines, mais ils restent rares.

39. Date illisible, Dossier « Osogbo 1988... », Ministère du Tourisme, Abuja.

40. Numéros disponibles 1992, 1996 et 2007.

41. Une Progressive Union est une association des ressortissants émigrés originaires d’une cité

donnée ; toutes les communautés émigrées ont leur association ; la première PU a été créée à

Lagos et Ibadan par les gens d’Oyo dans les années 1920 pour promouvoir le développement

économique et culturel de leur cité jugée archaïque par ses élites « éduquées ».

42. « Here we believe as long as you care about the well-being of your kith and kin back home

and would stand up for something noble for your ancestral home, then you should be part of

this », <http://osogbocity.com/id27.htm>.

43. Les fondations médiévales à partir des migrations des XIe et XIIe siècles lors de la vague de

peuplement yoruba venue des confins tchadiques : Ife, Ede, Ilesa, Oyo ou Benin City.

44. Pour Osogbo (août 1991) et Ado-Ekiti (octobre 1996). Pour Ogbomoso : deux tentatives suivies

d’échecs en 1991 et 1996.

45. La cause de la victoire serait inavouable sans l’intervention de la déesse : les soldats

djihadistes d’Ilorin ont en effet été victimes de beignets de légumes aux propriétés laxatives qui

les ont affaiblis. Certaines chroniques créditent donc la déesse Osun déguisée en marchande de

les leur avoir vendus.

46. Chef local yoruba vassal d’une puissance souveraine. Il a le titre d’Ataoja à Osogbo.

47. Il est ainsi officiellement chargé des questions de police, de basse justice et de fiscalité locale,

de la gestion des routes et des bâtiments publics. Ce faisant, le colonisateur déconcentre un

certain nombre de compétences exercées depuis les années 1906-1910 par l’Alaafin d’Oyo.

48. La ville s’est considérablement étendue entre 1930 et 2005 mais surtout depuis 1960 en

passant de 580 ha à 1 000 ha en 1970. Malgré les incertitudes liées à la qualité des

dénombrements coloniaux puis des recensements, on peut écrire que sa population s est accrue

considérablement au cours du XXe siècle. Évaluée à environ 60 000 personnes en 1911, la ville

compte plus de 250 000 habitants en 1963 et 369 000 en 1986, soit une progression de 2,5 % depuis

1963 (AWE & ALBERTS 1995).

49. Il s’agit du titre du chef de la ville qui signifie une position de subordination à l’égard d’un

suzerain ; ici, Oyo jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, puis Ibadan au XIXe. La promotion de baale à oba

fut un des aspects de la politique coloniale britannique qui multiplie les Native Authorities dans

les années 1930-1940 afin d’améliorer le quadrillage administratif du pays et de mieux mobiliser

pendant la guerre.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

311

50. Dans la brochure du festival de 2007, l’oba, dans la préface, réinvente sans retenue l’histoire

en plaçant la fondation en 1570 ap. J.-C. « selon les sources historiques » et en datant la lampe à

16 bougies, qui est au cœur des célébrations de l’ouverture du festival, de 500 ans d’âge. Le chiffre

seize chez les Yoruba renvoie toujours à une dimension sacrée (seize cauri, seize noix de palme,

seize chapitres du corpus d’Ifa, seize fondations royales médiévales de ville yoruba, seize Orisa

initiaux qui sont descendus du ciel pour organiser la vie sur terre...) (ROY 2005).

51. Son nom est associé à une lettre de prince K. S. O. Adebayo, intitulée « Osun State est une

nécessité », où il souligne, en dépit des évidences historiques et géopolitiques, que « les peuples

d’Osun » réclament cette création depuis 1976 avec Osogbo comme capitale car « c’est une des

plus vieilles provinces du pays », The Daily Sketch, 10 août 1991.

52. The Daily Sketch, 10 août 1991.

53. Dans une tribune libre, un citoyen d’Osogbo affirme : « Il suffit de dire qu’Osogbo est un

centre culturel, son festival rituel annuel réunit les peuples de diverses races ethniques [sic],

couleurs et autres nationalités. » Olatunji Pat Adewale, The Nigerian Tribune, 2 août 1991.

54. Les élites d’Osogbo qui ont pris la tête du lobbying pour la création de l’État d'Osun (avec

l'Osun State Movement) avaient dû s'assurer, pour ce premier objectif, le soutien de la

prestigieuse et historiquement très ancienne royauté d’Ife. Or, les deux villes revendiquaient

dans le même temps la capitale alors que l’Ooni d’Ife et Ile-Ife avaient une légitimité historique

bien plus forte qu’Osogbo pour la récupérer. En 1991, l’arbitrage fut favorable à Osogbo. Loin de

se contenter de ce triomphe sur Ife, l’Osogbo P. U. et l’Ataoja, roi d’Osogbo, ont poursuivi leur

mobilisation pour le développement de la ville et ils ont choisi de situer ce combat sur les

terrains culturel et touristique, ce qui supposait de faire oublier qu’Osogbo n’avait jamais

représenté un pôle fédérateur pour l’ensemble de l’espace yoruba (six États en 2007).

55. En fait, il s’agit simplement de la protestation des musulmans d’Osogbo qui sont mécontents

du projet de destruction de l’école coranique construite dans le sousbois. Le présenter comme

une forme de fondamentalisme est exagéré, voire dangereux.

56. Ainsi, l’article du journaliste Kabir Alabi Garba, posté le 29 février 2008 sur le site du journal

nigérian The Guardian, est centré sur la venue en France du gouverneur, Prince Olagunsoye, et sur

la réunion du 20 février, précédant la soirée du 21 au musée. Selon le journaliste, la présentation

d’un film sur le festival d’Osun Osogbo (sic) aurait été, pour le gouverneur, l’occasion de défendre

l’établissement dans le cadre de l’Unesco de l’Institute for Black Culture and International

Understanding. L'auteur fait uniquement mention des discours du gouverneur et de l’Ataoja

portant sur les enjeux touristiques du festival, sans allusion aucune au contenu du film projeté.

RÉSUMÉS

Cet article propose d'étudier le processus de classement au patrimoine mondial (Unesco) du bois

sacré d'Osogbo (Nigeria) en 2005, ses objectifs touristiques et ses enjeux politiques. Il s'intéresse à

la manière dont les acteurs (ambassadeur, experts, élus, roi) peuvent s'approprier le classement

au patrimoine mondial et la valorisation touristique. L'inscription du bois sacré au patrimoine

mondial est utilisée par les autorités locales, à plusieurs titres. Elle permet de promouvoir le

festival d'Osogbo et d'avaliser une réécriture de l'histoire propice à la promotion touristique. Ici,

comme ailleurs, cette histoire est le fruit d'un travail de sélection, voire d'invention, d'éléments

susceptibles de marquer le caractère unique et extra-ordinaire des lieux. Mais derrière ce

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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premier objectif touristique, explicite, se profilent d'autres enjeux, plus anciens, liés à

l'organisation du territoire nigérian et à l'ambition d'Osogbo de peser dans la construction d'une

identité yoruba régionale. Le tourisme n'est pas ici une fin, mais un outil au cœur des enjeux de

pouvoirs et de représentation de soi.

This article studies the process used for classifying the Sacred Grove of Osogbo (Nigeria) as a

Unesco World Heritage site in 2005, and the related tourist objectives and policy issues. It

addresses the way in which the main players (the ambassador, experts, elected officials, and the

king) are able to leverage and appropriate the World Heritage Site classification and its touristic

value in order to further their own political and cultural ambitions. The local authorities exploit

the Sacred Grove's World Heritage Site classification for several purposes. It helps them promot

the festival of Osogbo and endorses a rewriting of local history that is favourable to tourism.

Here, as elsewhere, history is the fruit of a section process—or even invention—of elements likely

to mark the singular, extraordinary nature of the place. But behind the primary touristic goal

other, older issues are at stake, related to the organization of the Nigerian territory and the

Osogbo ambition to play a role in the construction of a regional Yoruba identity. Encouraging the

growth of tourism is therefore not an end in itself, but a tool for revived power issues and a

renewed processes of self-representation.

INDEX

Mots-clés : Nigeria, Osogbo, Yoruba, bois sacré, classement, festival, patrimoine mondial,

Unesco

Keywords : Nigeria, Osogbo, Yoruba, Sacred Grove, classification, festival, World Heritage Site,

Unesco

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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Imaginaire national et imaginairetouristique. L’artisanat au Muséenational du NigerThe Products of National and Tourist Imaginations: Crafts in the National

Museum of Niger

Julien Bondaz

1 Le Musée national du Niger, récemment renommé Musée national Boubou Hama, a

longtemps constitué un modèle pour les musées d’Afrique tropicale. Inauguré le 18

décembre 1959, le jour du premier anniversaire de la proclamation de la république du

Niger, il résulte de la rencontre, orchestrée par Jean Rouch, entre Pablo Toucet, ancien

réfugié espagnol et archéologue au musée du Bardo, à Tunis, et Boubou Hama,

intellectuel nigérien alors président de l’Assemblée nationale et directeur du centre

IFAN de Niamey. C’est d’ailleurs le hangar qui sert de parking au centre IFAN, transformé

en salle d’exposition, qui devient le premier pavillon du Musée national. Huit autres

pavillons d’exposition seront peu à peu construits, depuis le pavillon des costumes en

1963 jusqu’au pavillon d’expositions temporaires en 19981. Mais c’est à d’autres

aménagements que le musée doit d’être qualifié de « musée insolite » par son premier

directeur (Toucet 1972 : 204) ou même d’« anti-musée » dans les pages d’un guide

touristique du début des années 1980 (Klotchkoff 1984 : 137). L’espace muséal, qui

s’étend sur un terrain de vingt-quatre hectares, est en effet constitué en outre d’un

jardin zoologique (augmenté pendant longtemps d’un aquarium), d’un jardin

botanique, d’un jardin des nations, d’un ensemble d’habitats traditionnels appelé

« musée de plein air », d’un centre éducatif et de divers espaces réservés à l’artisanat.

Ces espaces, où différentes pratiques artisanales mises en scène comme patrimoine

immatériel ou comme patrimoine vivant, sont en même temps des espaces de vente.

L’exposition muséale est ici en même temps une exposition commerciale.

2 Dès lors, choisir le Musée national du Niger comme terrain de recherche

ethnographique oblige bien évidemment à interroger non seulement les relations entre

visiteurs et agents du musée (guichetiers, guides, gardiens...), mais aussi celles entre

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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visiteurs et artisans ou autres vendeurs. Pour un chercheur français, l’une des

premières difficultés est précisément de se distinguer de ses compatriotes touristes,

bien que, comme le notent Michel Picard et Jean Michaud (2001 : 7), cette distinction ne

soit jamais véritablement assurée, ni la frontière vraiment nette. D’ailleurs, au moment

de quitter le musée pour rentrer en France, le chercheur redevient pour ainsi dire le

touriste qu’il avait semblé être lors de son arrivée, ou du moins est-il de nouveau

susceptible de partir avec quelques souvenirs, d’acheter quelques objets aux artisans.

3 Selon un visiteur nigérien, les touristes ont en effet un triple intérêt à venir au musée,

« ils peuvent avoir l’histoire du pays, prendre des photos pour montrer à ceux qui ne

sont pas allés au Niger et se procurer des objets qu’il n’y a pas là-bas [chez eux] ».

Autrement dit, ils peuvent obtenir trois choses : des connaissances par le biais de

l’exposition, des images grâce aux photographies et des objets auprès des artisans. Et

pour ces trois modes de relation au patrimoine, les attentes des touristes divergent de

celles des visiteurs nigériens. En tant que lieu institutionnel essentiel de la mise en

tourisme de la culture nigérienne, le Musée national apparaît en effet comme une

« zone de contact » (Clifford 1997) entre deux types de représentations, les unes

nationales, les autres touristiques. Un « imaginaire national » (Anderson 1996) et un

« imaginaire touristique » (Amirou 1995, 2000) trouvent au musée un lieu commun, en

particulier à travers les différentes pratiques artisanales mises en scène comme

patrimoine national et ethnographique, et à ce titre travaillées par des critères

d’ethnicité et d’authenticité socialement construits.

4 Quand la mise en musée et la mise en tourisme de l’artisanat se rejoignent, ce ne sont

alors plus seulement les notions d’« objet authentique » et d’« objet de tourisme » qui

conduisent l’analyse à une impasse (Cauvin Verner 2006), mais ce sont aussi celles

d’« objet muséal » et d’« objet commercial » qui font problème. Les objets produits par

les artisans et proposés à la vente à l’intérieur du musée doivent-ils être pensés comme

des « substituts de contact », comme des « dérivatifs » à l’« exigence de liens nouveaux,

difficile à satisfaire » dans le cadre d’une visite touristique (Lallemand 1978 : 104), ou

doit-on au contraire voir en eux des « points de contact » qui redonneraient du corps

aux choses muséales (Feldman 2006) ? Constituent-ils des « nœuds de relations

sociales » entre les personnes (de L’Estoile 2007 : 424) ou sont-ils travaillés par les

« frictions » qui traversent les musées contemporains (Kratz & Karp 2006) ?

5 La mise en musée et la mise en tourisme sont en effet avant tout des mises en ordre et

des mises en relation, des fabriques de catégories et des révélateurs de tensions, des

constructions d’identités et des confrontations d’imaginaires. L’entremêlement

d’éléments endogènes et exogènes qui caractérisent les objets de tourisme (Benfoughal

2002 : 127) semble ainsi mettre en forme la rencontre de l’artisan et du touriste, la

conjonction du musée et du marché et l’entrecroisement de l’imaginaire national et de

l’imaginaire touristique. La transaction marchande dont la culture fait (littéralement)

l’objet suppose alors l’existence d’imaginaires négociés, et donc une redéfinition, voire

une réorganisation, du musée : le projet muséographique initial de mise en scène de la

Nation (Gaugue 1997) a été adapté, la présence d’artisans au sein du musée a conduit à

une renégociation de l’usage des espaces de production et de vente, les relations entre

artisans ou vendeurs et touristes ont modifié les relations entre agents du musée,

artisans et vendeurs, et, enfin, des traditions artisanales ont été inventées (les croix

régionales touarègues) ou importées (la sculpture sur bois et les batiks) pour faire

coller l’image de la Nation à celle, plus vaste, de l’Afrique2.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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La mise en tourisme de l'artisanat : usage des espacesde production et de vente

6 Le Musée national du Niger est situé au cœur de Niamey, entre le petit marché et le

fleuve Niger, sur un terrain pentu et clos par des murs d’enceinte. L’entrée peut se faire

par deux larges portes, l’une en haut, presque en face du Centre culturel franco-

nigérien (CCFN) Jean Rouch, l’autre en bas, séparée du fleuve par l’un des plus grands

hôtels de la capitale, l’hôtel Gaweye. Une troisième porte, le plus souvent cadenassée,

est percée dans le mur qui sépare le musée de l’Institut de recherche en sciences

humaines (IRSH). En fait, la présence des artisans n’est pas circonscrite en un seul lieu.

Une topographie des pratiques artisanales et des relations commerciales apparaît de

manière assez précise, mêlant zones de vie et zones de travail.

7 Dès les abords du musée, à l’une ou l’autre porte, des vendeurs présentent aux visiteurs

différents produits artisanaux, profitant des grilles et des murs avoisinants pour

exposer des pièces de batik ou organisant sur des tables en bois un alignement de

bijoux, quelques sabres touaregs, ou encore une dizaine de boîtes de cuir. L’un d’entre

eux explique les avantages d’une telle place pour le commerce : « Être devant la porte,

c’est mieux qu’être à l’intérieur, parce que les gens n’ont pas besoin de payer leur ticket

d’entrée pour faire leurs achats. » Ainsi, tout au long de la rue qui conduit du petit

marché à la porte du haut, des vendeurs de produits artisanaux sont présents, aux côtés

de quelques vendeurs de café et autres tabliers proposant cigarettes, bonbons ou

cahiers. Deux coopératives artisanales se trouvent par ailleurs d’un côté de la rue,

tandis que de l’autre, à gauche de l’entrée, se situe l’une des deux boutiques du musée.

En bas, à l’autre porte, seuls quelques vendeurs et artisans ont leur stand à l’ombre de

quelques arbres où, sur des fils, sont fixées des dizaines de pièces de batik. Rares sont

en effet les visiteurs, et surtout les touristes, qui pénètrent au musée par cette porte.

Pour la plupart, les acheteurs font partie de la clientèle de l’hôtel Gaweye,

essentiellement des « majors », comme on appelle les militaires américains qui

viennent en mission au Niger et qui sont logés là quelques semaines. L’un des jeunes

hommes qui attendent à cette place d’éventuels acheteurs signale cependant avec

regret devoir payer la taxe imposée aux artisans et vendeurs du musée : « [bien que l’on

soit hors du musée] il faut pourtant payer la taxe de 1 000 FCFA par vendeur. Comme

nous sommes sept, cela fait 7 000 FCFA. »

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

316

Plan synthétique du musée national du Niger

8 Cette taxe pose en effet problème dans de nombreux cas. Elle résulte en fait d’une

évolution souvent conflictuelle de l’organisation du travail artisanal au sein du Musée

national du Niger, et renvoie donc à l’histoire de la présence des artisans au musée, et à

la mise en place de trois types d’espaces spécifiques, possédant chacun une fonction

distincte à l’origine. Pablo Toucet avait en effet prévu à l’intérieur du musée une zone

réservée au logement du personnel, une autre à la fabrication, et enfin des lieux de

vente.

9 On trouve ainsi, pour commencer, dans un coin reculé du musée, un véritable village

dans lequel habitent plusieurs agents du musée et de nombreux artisans et vendeurs.

D’une petite dizaine d’habitants à ses débuts, la population s’élève ainsi à plus de deux

cents aujourd’hui. Le village motive alors deux types de distinction, d’une part entre les

agents du musée logeant sur place et les agents du musée habitant « en ville »3, et,

d’autre part, entre les habitants du village travaillant (officiellement) au musée et les

autres. C’est parmi cette dernière catégorie que l’on trouve un grand nombre de

vendeurs de batiks, et c’est précisément pour cette raison que le village devient un lieu

non seulement de fabrication de batiks, mais également de vente. Il arrive en effet que

les vendeurs de batiks du village conduisent des touristes, interpellés dès l’entrée, lors

de leur visite ou à la buvette du musée, jusqu’à leur domicile au village pour leur

proposer une pile de batiks qu’ils déplient les uns après les autres. Cette invitation au

village apparaît ainsi comme une technique de vente en quelque sorte hospitalière, la

transaction se faisant dans un lieu imaginairement privilégié, puisque censément

réservé à des intimes (famille ou amis). Le village initialement destiné à loger les

travailleurs du musée s’est ainsi peu à peu changé en un lieu occasionnel de vente, en

un espace ambigu de rencontre entre les fabricants ou les vendeurs de batiks (ils sont

souvent les deux) et les touristes.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

317

10 Le second espace conçu par Pablo Toucet comme une zone de fabrication artisanale a

lui aussi évolué, et fait l’objet aujourd’hui de différentes tensions. Appelé « centre

artisanal », et situé au cœur du musée, sur un léger relief, il apparaît aujourd’hui plus

éclaté qu’à l’origine, à cause du nombre croissant d’artisans qui y travaillent (de trois à

six artisans à sa mise en place en 1963, à deux ou trois centaines aujourd’hui). L’un des

bijoutiers touaregs les plus âgés se souvient ainsi : « Toucet a eu l’idée de les réunir [les

artisans]. Au début ils étaient quatre. Quand des présidents visitaient le musée, ils

demandaient qu’ils leur fassent des présents (bijoux, chameliers touaregs en argent...).

Il voulait montrer les différentes techniques aux étrangers. [...] Toucet a exigé qu’ils

apprennent leurs métiers à différents apprentis à partir de 1970. » C’est le nombre

croissant d’apprentis qui a ainsi obligé l’administration du musée à réserver une zone

toujours plus grande à l’artisanat. Elle se compose actuellement de trois parties : un

vaste hangar en tôle, deux habitats traditionnels reconstitués de part et d’autre, et

enfin, à une extrémité de cet ensemble, un atelier fait de parpaings et couvert d’un toit

de tôle. Le hangar était auparavant fabriqué en paille, et a été entièrement détruit par

un incendie en 1992. Reconstruit l’année suivante, il présente désormais un espace

rectangulaire et ouvert sur toute une longueur.

11 On trouve sous le hangar, en façade et tout à droite la « section poterie » (2 potiers, le

père et son fils), plus à gauche mais aussi par-derrière, l’immense « section bijouterie

forge » (84 artisans), puis encore sur la gauche et jusqu’au fond, la « section

maroquinerie professionnelle », presque aussi imposante (69 artisans), tout à gauche

enfin, une partie de la « section sculpture » (une dizaine de sculpteurs). En arrière de

cette section sculpture, se trouve le bureau de la coopérative des artisans du musée.

Lorsqu’on fait face à cette grande structure, on découvre sur la droite, alors que le

terrain fléchit déjà légèrement en direction du fleuve, la reconstitution de l’habitat

traditionnel hausa, dont certaines des cases sont utilisées par le potier et son fils. À

gauche du hangar, s’ouvre un arc de cercle formé de plusieurs habitats traditionnels

songhay reconstitués occupés par la section tisserands (8 tisserands). Enfin, à la gauche

de ces cases, on trouve l’atelier où travaille le reste de la « section sculpture » (une

demi-douzaine de sculpteurs).

12 Cette mise en espace fonctionne en fait comme une triple mise en ordre. La répartition

précise des artisans dans le hangar ou à proximité, ainsi que le récent recensement

effectué par le musée et dont j’ai repris ci-dessus les chiffres4, répondent en effet à trois

objectifs : un objectif strictement muséographique qui était celui de Pablo Toucet (1963,

1968) quand il a conçu le musée, un objectif d’organisation du travail, et surtout un

objectif de contrôle de l’activité économique. À l’origine, en effet, l’activité économique

était concentrée au niveau des deux boutiques du musée. Le directeur fixait lui-même

le prix des différents produits en fonction de la qualité, et c’était ensuite aux vendeurs

de la boutique de les vendre. Le musée prélevait une taxe de 10 % sur chaque vente, ce

qui permettait entre autres de fournir l’eau et l’électricité aux artisans. Mais, peu à peu,

leur nombre augmentant, ceux-ci se sont mis à vendre aux visiteurs directement au

niveau de leur atelier, sous le hangar, au détriment des deux boutiques et surtout du

musée, qui ne percevait plus la taxe de 10 %. Le directeur du musée a alors décidé de

mettre en place une taxe de 1 000 FCFA par artisan et par mois pour couvrir les frais

d’approvisionnement en eau et en électricité, et donc d’établir au préalable une liste

précise des artisans autorisés à travailler au musée. Ce qui a provoqué des tensions

entre une majorité des artisans et l’administration. En signe de mécontentement, les

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

318

artisans du musée ont ainsi décidé de ne pas participer au défilé du 1er mai 2007 avec les

agents du musée, ainsi qu’ils en avaient l’habitude.

13 En fait, là encore, certains agents du musée ou visiteurs nigériens établissent une

distinction complexe entre les différents artisans (fabricants ou vendeurs de produits

artisanaux). Alors même que les artisans listés par l’administration du musée ont peu à

peu pris eux-mêmes en charge la vente de leurs produits et que les vendeurs de batiks

sont pour la plupart les producteurs des pièces qu’ils vendent, les premiers sont

qualifiés d’« artisans » et les seconds de « vendeurs » par les agents du musée. L’emploi

de ces deux catégories génériques tend ainsi à essentialiser une distinction entre

« objets de la tradition » (« je trouve ça très bien que les artisans travaillent au musée

parce qu’on peut avoir facilement les objets de la tradition », explique ainsi un visiteur

nigérien) et « objets de tourisme ». Cette distinction fonctionne cependant à un autre

niveau, entre artisans ayant hérité de compétences techniques et rituelles

traditionnelles et artisans ayant appris le métier de manière à gagner de l’argent. C’est

le cas par exemple pour les forgerons dont le savoir-faire traditionnel est valorisé. Trois

parmi les plus âgés sont ainsi réputés, dans tout Niamey, pouvoir soigner les brûlures.

Selon un agent du musée, « les autres sont devenus forgerons pour gagner de l’argent ».

Une autre compétence technico-rituelle, celle de charmer les serpents, est attribuée à

l’un des cordonniers (« maroquiniers » selon le vocabulaire de l’administration).

14 Par ce jeu complexe de distinctions entre artisans et vendeurs puis entre artisans

« traditionnels », « authentiques » et artisans taxés de mercantilisme, ce sont donc en

fait des oppositions entre ancienne génération et nouvelle génération, entre tradition

et modernité, entre musée et marché qui sont mises en discours et permettent de

penser les transformations dont le Musée national du Niger est le théâtre. L’ancien

directeur-adjoint du musée, Aladou Maman, en résume ainsi les conséquences : « Le

musée maintenant, c’est un marché », et en rend les touristes directement

responsables : « Autrefois il y avait une rigueur ethnographique, mais maintenant les

touristes commandent ce qu’ils veulent : ce sont des modèles exotiques. »

15 Selon lui, cela se traduit par le remplacement de l’ancien catalogue du musée (1977) par

un plus récent5 : « Dans l’ancien catalogue, il y avait une rigueur ethnographique, mais

avec le nouveau, on trouve du n’importe quoi. Ils ont pris ce qu’il y avait dans la rue,

dans les marchés [...]. » Ces deux catalogues ont en effet une assez grande importance

dans les relations entre les artisans et les touristes : ils servent non seulement de

répertoire de modèles pour les artisans6, mais aussi de catalogues pour les éventuelles

commandes, y compris les commandes depuis l’étranger.

16 Dans le catalogue du Musée national du Niger, trois catégories d’objets sont définies en

fin d’ouvrage :

« Nos artisans réalisent trois séries d’objets :1) Objets ethnographiques authentiques (aucune modification de l’original n’esttolérée).2) Pour les objets non traditionnels une grande liberté de création est laissée à nosartisans.3) Nos clients peuvent nous confier la fabrication d’objets dont ils ont conçu lesformes et choisi les matériaux. »

17 Cependant, dans l’introduction, Pablo Toucet et Albert Ferral, son successeur, insistent

davantage sur la valeur ethnographique et authentique des objets (il s’agit d’« objets

d’une authentique valeur ethnographique ») et présentent chaque section du catalogue

« dans un contexte ethnographique ». Les huit sections sont ainsi introduites chacune

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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par un texte d’une ou deux pages. Elles correspondent soit à des catégories d’objets

(« bijoux », « sculpture nigérienne », « maroquinerie », « instruments de musique

nigériens », « armes blanches », « poterie du Niger »), soit à des corporations d’artisans

(« tisserands nigériens », « forgerons-bijoutiers du Niger »). Le caractère national est

par ailleurs largement mis en avant, puisque cinq sections comportent une référence à

la nation nigérienne, mais pour chaque objet, l’origine ethnique est précisée

(remplacée, le cas échéant, par la mention « divers »). Le catalogue est cependant

destiné à deux catégories de lecteurs différents, les artisans et les visiteurs. Il est en

effet censé permettre « aux uns d’apprécier et de fertiliser leur imagination créatrice et

aux autres d’être plus sensibles à la variété de notre riche et authentique artisanat ».

18 Le nouveau catalogue propose, quant à lui, deux catégories d’objets, « objets d’art » et

« objets de fantaisie », traversées par des catégories ethniques : « bijoux et

maroquinerie Touareg » et « tissage, broderie Touareg et Bororo, vannerie et divers ».

La distinction réservée aux objets « Touareg » et « Bororo » (dont témoigne l’emploi de

la majuscule pour la forme adjectivale) tend ainsi à objectiver les deux ethnies du Niger

qui nourrissent le plus l’imaginaire touristique, les figures du Touareg et du Peul

bororo étant largement mythifiées. En tant que « labels » (Amselle & M’Bokolo 1999 :

VII), les ethnonymes semblent censés fournir une double garantie de qualité et

d’authenticité. L’accent est par ailleurs mis sur la qualité des produits, sur le commerce

comme « moteur de développement de l’artisanat » et sur les « performances

économiques » des artisans.

19 On voit donc qu’entre les deux catalogues, un changement de regard sur les objets s’est

là aussi effectué. La distinction entre objets traditionnels et objets non traditionnels

s’est changée en une distinction entre art et fantaisie, en même temps que l’affichage

des origines ethniques des objets ne sert plus la construction d’une identité nationale

mais le renforcement d’une imagerie touristique.

20 Dans ce contexte de transformation du musée en marché, d’abandon de la « rigueur

ethnographique » au profit de « modèles exotiques », les deux boutiques du musée

revendiquent leur rôle de contrôle de la qualité et de l’authenticité des objets, même si

elles présentent également des nouveaux modèles. Selon Rabiou Salif, le responsable de

la boutique qui se trouve au centre du musée : « Pour le travail artisanal, il faut

toujours garder la culture nigérienne : ça s’achète plus. Maintenant, avec la

mondialisation, il y a des choses qui sont faites au Niger, mais ce ne sont pas nos

modèles. » C’est le cas par exemple des porte-monnaie touaregs qui s’inspirent en fait

d’un « modèle moderne », ou le passage du tissu ou du synthétique au cuir : les

touristes passent en effet commande de sacs en cuir à partir de modèles de sacs en tissu

et en synthétique. Il y a également de nouveaux modèles inventés par les artisans. Le

rôle du vendeur est d’ailleurs primordial pour trouver une nouvelle inspiration : « On

est là pour aider le client à choisir et donner une explication. Si tu ne discutes pas avec

le client, tu n’as pas la chance de trouver de nouveaux modèles. »

21 La boutique est alors comprise comme un lieu de présentation du musée : « La boutique

montre : voilà ce que nous fabriquons au musée. » Elle met en scène le travail des

artisans du musée qui mettent eux-mêmes en scène le travail des artisans de toutes les

ethnies du Niger. La mise en scène de la nation est ainsi redoublée dans la boutique, qui

fonctionne donc comme un autre espace d’exposition au sein du musée, le vendeur

apparaissant comme un double du guide.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

320

La mise en ordre du tourisme : catégories etprésupposés

22 Plusieurs possibilités d’achats s’offrent donc aux touristes. Depuis la porte d’entrée et

parfois jusqu’à la fin de leur visite, des vendeurs les suivent en brandissant des objets

sortis de leurs poches : colliers présentés comme typiques mais importés du Nigeria,

hypothétiques météorites trouvées dans le désert aux environs d’Agadez, croix

touarègues... Aux abords, voire à l’intérieur du village, comme aux entrées du musée et

autour de la reconstitution de l’habitat traditionnel songhay, d’autres vendeurs

proposent des pièces de batik aux motifs variés. À l’intérieur ou autour du hangar des

artisans, ce sont les producteurs eux-mêmes qui étalent leurs produits, comme au

marché, et travaillent sous les yeux des visiteurs en attendant l’éventuel client. Et, au

centre du musée, près du bassin de l’hippopotame, sous un grand arbre, des jeunes

hommes profitent de l’ombre pour converser avec les surveillants du musée, les

premiers guettant vers l’entrée du haut l’arrivée des touristes pour leur proposer des

excursions en pirogue sur le fleuve ou, en 4x4, plus au Sud, dans le parc national du W,

les seconds s’éloignant quelquefois pour réprimander un enfant qui jette une pierre à

un babouin, ou assurer quelque peu la tranquillité des touristes durant leur visite7.

23 Ici les visiteurs sont classés en différentes catégories. L’administration distingue les

visiteurs « nationaux » (« adultes », « paramilitaires et militaires », « enfants ») et les

visiteurs étrangers (« expatriés résidents » ou « étrangers résidents » et « touristes »).

Le prix du billet d’entrée varie selon la catégorie à laquelle correspond le visiteur, de 25

FCFA pour les enfants nationaux à 1 000 FCFA pour les touristes, ce qui permet au musée

de connaître de manière assez réaliste le nombre d’entrées par catégories de visiteurs

et par mois, depuis 2002.

2002 2003 2004 2005 2006

Enfants nationaux 74 700 77 300 95 200 112 600 87 067

Adultes nationaux 52 300 76 100 99 600 83 800 107 509

Étrangers résidents 16 000 15 700 16 100 18 100 16 400

Touristes 5 300 6 750 6 650 7 700 11 112

Total 148 300 175 850 217 550 222 100 222 088

Source : Service financier et du matériel du Musée national du Niger.

24 On constate ainsi que, sur la période récente, la fréquentation touristique est assez

importante, et a eu tendance à augmenter numériquement et proportionnellement,

sans pour autant dépasser 5 %. Cependant, les vendeurs sont unanimes pour dire que

les mois où ils vendent le plus sont les mois de novembre à février, à la fois parce que

c’est la saison touristique et parce que c’est la période des fêtes. Ils déplorent l’absence

de clients en avril et en mai, c’est-à-dire en pleine saison chaude. Par ailleurs, en 2007,

tous ont constaté une baisse de la fréquentation touristique (et par conséquent une

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

321

baisse des ventes) liée au problème de rébellion touarègue dans le nord et en

particulier dans la région d’Agadez, qui attire habituellement nombre de touristes.

25 Les catégories de visiteurs définies par l’administration de manière à organiser une

grille tarifaire ne correspondent cependant pas aux catégories du langage ordinaire. Il

n’y a pas de terme vernaculaire traduisant la notion de touriste. En hausa, la périphrase

yawon bude ido a été popularisée par la radio La Voix de l’Amérique 8 et désigne le

touriste, mais peut être traduite littéralement : « Celui qui voyage pour apprendre avec

[pour ouvrir] les yeux. » Le paradigme visuel est ainsi posé comme central dans la

définition du tourisme. Dans le cadre spécifique du musée, alors même que les

catégories d’« étrangers expatriés » et de « touristes » peuvent être appliquées aussi

bien à des visiteurs européens, asiatiques ou arabes qu’à des visiteurs africains, les

vendeurs et les agents du musée supposent, a priori, que les visiteurs blancs sont tous

des touristes et que tous les touristes sont blancs : les termes désignant la couleur

blanche (annassaara en songhay-zerma9, anissara en hausa) servent ainsi à désigner non

seulement les Européens, mais aussi les Asiatiques et les Arabes, et tendent à équivaloir

la notion de touriste. Le plus souvent, le « Blanc » renvoie avant tout au « Français » :

« Pour nous, les Blancs, c’est les Français. Les autres, ce ne sont pas des vrais Blancs »,

précise ainsi l’un des artisans les plus âgés du musée, introduisant l’idée d’un Blanc

authentique en regard des représentations idéalisées de telle ou telle ethnie nigérienne.

26 Une seconde catégorie vernaculaire déborde également les catégories mises en place

par le musée, celle de « l’étranger » (yew en songhay-zerma, bako en hausa). La figure

complexe de l’étranger ne peut pas, en effet, être comprise en référence à la distinction

administrative entre « visiteurs nationaux » et « visiteurs étrangers » : pour un

locuteur zerma-songhay ou hausa est « étranger » toute personne qui n’habite pas dans

la même ville ou dans le même village. L’étranger est alors plus exactement un visiteur,

un hôte. Un habitant de Niamey qui fait visiter le musée à un parent vivant dans une

autre ville du Niger, par exemple, peut tout à fait le présenter, en français, comme un

« étranger ». À la distinction administrative référant directement au cadre de la nation

(les étrangers étant ceux qui n’appartiennent pas à la nation nigérienne), l’emploi de

catégories ordinaires conduit à la mise en place de deux autres distinctions, l’une entre

les Blancs et les Noirs et l’autre entre habitants de Niamey et personnes vivant à

l’extérieur de la capitale.

27 Outre les distinctions administratives et les distinctions vernaculaires, un troisième

type de distinctions est appliqué aux différents visiteurs du musée, qui renvoie

directement à une stratégie commerciale. Trois catégories génériques sont ainsi mises

en place, chacune associée à une recherche de produit spécifique : les « Nigériens » sont

supposés acheter essentiellement des porte-documents pour offrir dans le cadre de

séminaires, les « Africains » rechercheraient quant à eux plutôt des sacs pour dame, des

chaussures, des porte-monnaie et des bijoux, et les « touristes » enfin sont réputés être

attirés par les chaussures, les sacs et les bijoux. On voit ainsi que les trois catégories

recoupent à la fois la distinction administrative entre « nationaux » et « étrangers »

(Nigériens/Africains et touristes) et la distinction vernaculaire entre Noirs et Blancs

(Nigériens et Africains/touristes).

28 Au niveau des touristes, d’autres distinctions sont introduites de manière à mettre en

place les critères du goût touristique, qui apparaissent comme des critères nationaux. Il

s’agit en effet de distinguer, selon les catégories nationales d’origine des touristes, les

objets qui sont a priori susceptibles de les intéresser, ce qui tend à entretenir certains

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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stéréotypes. Selon un vendeur, les Chinois recherchent ainsi les sacs, les chaussures et

les ceintures en peau de crocodile, ce qui leur pose quelques problèmes à la douane.

29 Selon un autre vendeur (qui ne vend pas de maroquinerie), les Chinois et les Japonais

n’achètent que des statues. Alors que les Américains recherchent les sabres touaregs,

les Arabes (il s’agit surtout de Libyens) « n’achètent que des couteaux ». Quant à Condé,

le plus âgé des sculpteurs sur bois du musée, il a remarqué que les Américains

détestaient les bustes féminins, alors que les Français, au contraire, les appréciaient

particulièrement, etc. Certains Blancs constituent cependant une catégorie à part, les

« coopérants », parce qu’ils aiment décorer leur maison, ont développé un goût

spécifique pour le batik et les statues, en même temps qu’une technique d’achats

différente, puisqu’ils peuvent prendre le temps de se renseigner sur les prix et de les

comparer, et même passer des commandes.

30 Un tel système de distinction selon les nationalités d’origine des touristes permet

également de hiérarchiser la qualité de la clientèle, selon le nombre d’achats ou les

habitudes de marchandage. Il est acquis pour tous que les meilleurs clients sont les

Blancs. Comme le précise un artisan : « Ce sont les Blancs qui achètent, les Asiatiques ou

les Européens. Un Nigérien qui achète, c’est le rêve, mais si ça arrive, c’est pour offrir à

un ami blanc. » Le problème est d’ailleurs plus général, et ne concerne pas seulement

les produits du musée. Un jeune Touareg explique ainsi : « Les Nigériens n’aiment pas

acheter nigérien. Le problème, c’est qu’ils ne sont pas fiers de leur culture. Ils préfèrent

acheter chinois, français ou américain. Ils n’aiment pas porter les boubous. Ici on

fabrique des chaussures en cuir, les Blancs aiment beaucoup ça. Mais les Nigériens, ça

ne les intéresse pas. » Paradoxalement, ce sont les Blancs qui achètent les produits

nigériens. Mais là encore, lorsqu’il s’agit d’établir des distinctions entre les « Blancs »,

chaque vendeur établit sa propre hiérarchie. Pour l’un : « Les meilleurs clients sont les

Français parce qu’ils achètent [beaucoup] et parce qu’ils connaissent la valeur de

l’artisanat. » Pour un autre, qui vend ses produits à la porte du bas : « Ce sont les

Français qui aiment discuter les prix. Les Américains achètent souvent sans discuter,

surtout les majors [les militaires] qui descendent à l’hôtel Gaweye. Il y a des magasins

dans l’hôtel, mais les prix sont plus élevés : 15 000 à 20 000 FCFA, au lieu de 5 000 FCFA. »

Pour un troisième enfin : « Après les Américains, les meilleurs clients sont les

Allemands »10.

31 Dès lors, le problème pour le vendeur est de réussir à trouver le plus rapidement

possible la nationalité du touriste qui entre au musée ou qui passe à proximité de

l’étalage, pour s’adresser à lui directement dans la bonne langue (français ou anglais),

lui proposer les objets susceptibles de l’intéresser en priorité et trouver les bons

arguments de vente. Certains vendeurs disent ainsi deviner systématiquement la

nationalité de tel ou tel touriste à son apparence et à sa démarche, détaillant quelques

signes distinctifs : les Italiens sont dotés d’une barbe et d’une queue de cheval, les

Anglais sont toujours bien habillés et portent chemises et pantalons... Pour autant, ces

images caricaturales ne sont pas partagées par tout le monde. Un bijoutier touareg

explique ainsi : « Il y a des signes qui permettent de reconnaître de quels pays sont les

touristes, mais on ne peut pas les expliquer. C’est comme les cicatrices [les

scarifications] qui permettent de savoir d’où l’on vient. Même si les gens aujourd’hui

n’ont plus tellement de cicatrices, on continue de savoir d’où ils sont. » Une

correspondance est ainsi établie entre les signes qui permettent de distinguer parmi les

touristes leurs différentes nationalités et ceux qui permettent d’identifier les divers

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

323

groupes et sous-groupes ethniques. La figure du Blanc et des multiples identités

nationales qui la composent est le reflet de l’identité nigérienne et de sa pluralité

ethnique. L’image du touriste fonctionne sur le même mode que l’image de la Nation,

elle est à la fois composite et unifiée. Tout se passe comme si la mise en place d’une

typologie commerciale des touristes était une réponse à la typologie muséale des

ethnies, comme si la mise en tourisme du musée conduisait à une mise en musée des

touristes. Dès lors, la production des objets artisanaux s’inscrit dans le cadre d’une

négociation des imaginaires, en particulier à travers le recours muséal à des traditions

inventées ou importées.

Les croix touarègues : imaginaire national etimaginaire touristique d'une tradition inventée

32 L’origine des croix touarègues est présentée comme un mystère dans tous les guides

touristiques et sur tous les sites Internet consacrés à l’artisanat touareg, et est

susceptible à ce titre de réactiver tel ou tel fantasme. Dans l’édition 2000 du Guide Bleu

Évasion consacré au Sahara, on lit ainsi : « D’où vient ce dessin ? Déformation d’un motif

phallique, disent certains. Mais [...] on en est réduit aux conjectures »n. Non seulement

les bijoux touaregs tendent à être résumés par ces fameuses croix, mais elles sont elles-

mêmes souvent réduites à la seule croix d’Agadez : les guides touristiques ou les sites

consacrés à l’artisanat touareg parlent ainsi indifféremment des « croix touarègues »,

des « croix du sud » ou des « croix d’Agadez ». Dans le nouveau catalogue, utilisé par les

artisans du musée, le texte consacré aux « bijoux d’argent » précise d’emblée : « Si la

bijouterie touarègue est connue au-delà des frontières, c’est grâce à la célèbre CROIX

D’AGADEZ (Teneghel), véritable énigme de la création artistique. » Suivent alors

différentes hypothèses sur « l’origine et la signification de ce bijou, symbole des

“choses du désert” » (représentation de la constellation de la croix du Sud ou « bijou

porte-bonheur ») avant que ne soit précisé : « Il existe d’autres pendentifs 11 de même

style que la croix d’Agadez. Les bijoutiers les présentent sous forme de collection de 21

croix considérées comme emblèmes de localité ou de région »12.

33 Or, contrairement à l’origine de la croix d’Agadez et de quelques autres, la mise en

place de cette collection de vingt et une croix n’a rien de mystérieux. Elle est

directement liée à l’histoire du Musée national, même si les versions de son invention

varient selon les interlocuteurs. L’un, un agent du musée, accorde un rôle essentiel au

premier directeur : « Au départ, il n’y avait que quatre croix. Pablo Toucet a fait les

dessins des autres et les a donnés aux artisans pour qu’ils les fassent. Avec la technique

de la cire perdue, c’est facile ! » Le président de la coopérative des artisans du Musée

national, El Hadj Agak Mohamed, un bijoutier touareg, relativise l’idée d’une invention

des dessins. Les croix auraient plutôt été dessinées à partir de modèles existant dans la

région d’Agadez et collectés sous l’initiative de Pablo Toucet : « C’est un ingénieur

français qui était dans la région d’Agadez qui cherchait les modèles et qui a envoyé

vingt et un modèles au musée. Le groupe de travail était composé de l’ingénieur, d’un

avocat et de Toucet. » Un autre bijoutier touareg, plus jeune, rend responsables de

l’invention des croix les artisans du Musée national eux-mêmes, encouragés par une

intervention étatique : « Les croix ont été créées au musée : avant, il n’y avait qu’une

croix (zakat : la croix de Zinder). Chaque ancien a fait une croix pour son village. L’État a

vu ça et a voulu que chaque village ait sa croix. » C’est en tout cas sous la direction de

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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Pablo Toucet que les vingt et une croix, rassemblées sous forme de tableau vitré et

couvert de cuir, sont devenues un symbole essentiel du Niger.

34 Un tel tableau composé de vingt et une croix souvent associées, en légende, à un

toponyme, figure en effet à la fois l’unité nationale du Niger, chaque croix étant censée

représenter une région ou une localité du pays, et une énigme originelle qui ne pouvait

que renforcer une certaine « authenticité » de l’artisanat touareg. Et même mieux, en

tant qu’objet pluriel, composé de vingt et un types de croix, et unique, puisque les croix

sont rassemblées en un seul tableau, une telle mise en image semblait objectiver l’idéal

synthétique proposé par le Musée national. On raconte ainsi que la vingt-deuxième

croix créée après la mort de Mano ag Dayak, en 1995, est inspirée du motif d’un dallage

situé devant la porte de la boutique du musée. Mano ag Dayak, figure médiatique du

développement touristique de la région d’Agadez et porte-parole controversé de la

cause touarègue lors de la rébellion du début des années 1990 (Casajus 1995 ; Grégoire

2006), personnifie parfaitement la rencontre d’un imaginaire national en crise et d’un

imaginaire touristique en plein développement. Le musée aurait ainsi joué, sur le plan

iconographique, un rôle dans le processus de paix, même si la croix de Mano ag Dayak

n’a pas intégré le tableau des croix touarègues13. Les différentes croix ont également

inspiré Pablo Toucet et ses successeurs pour l’architecture des pavillons du Musée

national. En effet, s’ils reprennent pour l’essentiel le style hausa, en particulier dans le

choix des couleurs (bleue et blanche) et les découpes des corniches, ils intègrent

également des ouvertures ou des bas-reliefs en forme de croix touarègues. Le bâtiment

qui abrite la section éducative du musée présente quant à lui un plan au sol en forme de

croix d’Agadez.

Tableau des croix touarègues

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

325

35 Si le tableau des croix touarègues connaît un grand succès, constituant selon un

vendeur de la boutique, un « cadeau nigérien »14, les différents modèles de croix sont

aussi déclinés en divers pendentifs, boucles d’oreille ou porte-clés qui sont les produits

les plus vendus au musée. Là encore, la nationalité des touristes présuppose des

comportements d’acheteurs divers. Selon un vendeur, « il y en a qui achètent les bijoux

parce qu’ils sont jolis et d’autres qui veulent savoir de quelle région sont les croix. Ce

sont les Français qui cherchent à connaître ». Un autre précise que « les Français sont

les meilleurs clients : ils connaissent vraiment les bijoux, comme les Italiens, parce que

ce sont eux-mêmes des grands bijoutiers ». Cependant la majorité des touristes

s’intéresse avant tout à la qualité du métal, nickel ou argent. Les bijoux ne sont en effet

plus fabriqués en « argent touareg », métal réputé assez proche du nickel selon les

bijoutiers du musée. L’un d’entre eux explique d’ailleurs que le nickel, qui sert

désormais à la fabrication des croix, est importé du Nigeria, du Ghana ou du Maroc,

tandis que l’argent provient du Nigeria ou, pour une meilleure qualité, de France,

d’Allemagne et de Suisse. Les techniques de fabrication ont également changé, avec

l’usage répandu du chalumeau plutôt que celui du moule qui implique la fabrique de

croix plates et découpées aux ciseaux. Le jugement des agents du musée est à ce sujet

encore sévère : selon l’un d’entre eux, « les artisans ont gâté le travail ». Par ailleurs, la

pratique de l’artisanat par des Touaregs n’est pas sans poser également des problèmes

plus larges de mutation, caractérisés en particulier par l’inversion des rapports

économiques et sociaux et la rupture des liens de dépendance qui caractérisaient la

société touarègue (Grégoire 2006 : 101). L’un des artisans touaregs du musée témoigne

ainsi de ces changements :

« Depuis la grande famine de 1973 au Mali et au Niger, les Touaregs sont venus dansles villes. Avant, il n’y avait que les chameaux et les bêtes qui comptaient. Maismaintenant ils sont entrés dans la civilisation, ils ont des voitures. Ils font del’artisanat. Mais encore maintenant, il y a des vieux et des vieilles qui ont honte.Pour eux, ceux qui font de l’artisanat ne font plus partie de la race touarègue. C’estla honte qui fait que les Touaregs sont en retard sur la civilisation. »

36 Paradoxalement, la pratique de l’artisanat apparaît ainsi en rupture avec un mode de

vie pensé comme traditionnel, ou du moins inhérent à une certaine identité (« la race »)

touarègue. Les artisans touaregs sont ainsi perçus à la fois comme des producteurs

d’objets traditionnels, authentiques, typiques (imaginaire touristique) et comme des

personnes ne correspondant plus à une certaine définition, elle-même traditionnelle,

authentique et typique, de l’identité touarègue (imaginaire national).

La sculpture sur bois : maîtres guinéens et apprentisnigériens

37 L’imaginaire national et l’imaginaire touristique sont également en jeu dans la présence

de sculpteurs sur bois au Musée national. La section du catalogue publié en 1977 par le

Musée national du Niger intitulée « La sculpture nigérienne » est en effet paradoxale, le

texte de présentation signalant que « l’ivoire et certains bois précieux (ébène et bois

rouge) sont achetés dans les pays voisins »15 et que « les quelques artistes sculpteurs

installés au Musée national depuis 1958 sont en majeure partie des étrangers ». C’est le

cas en particulier du premier sculpteur accueilli au musée par Pablo Toucet, Baba

Doumbia, aujourd’hui décédé, et de son successeur « maître » Condé, tous deux

sculpteurs malinkés originaires de la région de Kankan en Guinée Conakry. Condé,

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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arrivé au musée en 1978 après avoir suivi une formation à l’Institut national des Arts de

Bamako, au Mali, explique : « J’ai travaillé avec la force avant de travailler avec la

tête », tandis que Baba Doumbia « n’a travaillé que par la force : il ne faisait que les

figurines du musée ». Ainsi, c’est Baba Doumbia qui a sculpté la scène villageoise en

ivoire qui est exposée dans le pavillon des costumes et met en scène les figures

hiératiques de femmes en train de piler ou de porter fagots de bois et calebasses et

d’hommes travaillant au champ, aux côtés d’animaux sauvages disproportionnés tels

qu’éléphant, hippopotame, girafe ou gazelle, mais aussi d’un chien et d’une poule. C’est

également lui qui a mis en place les différents types ethniques du Niger représentés soit

en buste, soit en pied et que l’on retrouve exposés sous l’appellation de « série

ethnique » au musée régional de Dosso ou toujours proposés à la vente à la boutique du

Musée national. Condé précise :

« Mon frère [Baba Doumbia] faisait tout ce qui était traditionnel [“les visages qu’il ya dans la caisse à la boutique”]. C’est moi qui ai créé tous les nouveaux modèles,tout ce qui est stylisé [en particulier le modèle appelé “la danseuse”]. Tous lesmodèles qui sont là, j’ai voulu inventer ça. J’ai enseigné aux élèves, mais il faut lamain : personne n’arrive à faire certains modèles sauf moi. »

38 Condé distingue ainsi le travail de « force » et le travail de « tête », la tradition et

l’invention de nouveaux modèles, les représentations ethniques ou villageoises et les

sculptures stylisées. Son atelier jouit d’une grande réputation, et les commandes sont

fréquentes, depuis les chaises décorées de girafes pour des touristes américains jusqu’à

des centaines de pénis grandeur nature pour une ONG qui monte un projet de

sensibilisation sur le SIDA.

39 Mais le succès d’un sculpteur guinéen au Musée national du Niger n’est pas sans créer

des tensions. La sculpture est en effet souvent considérée comme idolâtre par une

population largement musulmane, ce qui explique selon Condé que seuls les touristes

en achètent : « Les Nigériens n’achètent pas les statues. Quand ils voient ça, ils disent :

ça c’est gunki [”idole” ou “fétiche” en hausa], ça c’est idole. Si un Nigérien achète, soit

c’est un chrétien, soit c’est pour offrir à un étranger. » Ce qui explique également que

c’est depuis peu, et pour des raisons économiques, que les gens commencent à le

saluer : « Avant, beaucoup de monde ne me saluait pas parce que ce que Dieu fait je le

fais. Mais maintenant, comme il faut gagner de l’argent, ils veulent apprendre. » Mais

c’est surtout pour des raisons plus nationalistes que religieuses que « maître » Condé a

dû faire face à une certaine animosité de la part de quelques jeunes qu’il a formés. Il

raconte :

« Comme j’avais le nom guinéen [togo en malinké désigne à la fois le nom et larenommée], ils ont fait une lettre au directeur du musée pour demander que jeparte. Ils voulaient le nom nigérien. Le directeur a transféré la lettre au ministère,mais là-bas ils ont dit que le musée c’était les archives, et que mon frère [BabaDoumbia] a été le premier artisan au musée. Il y a des apprentis qui me sont restésfidèles et qui m’ont dit ça. Moi j’ai dit qu’ils pouvaient faire autant de lettres qu’ilsvoulaient, que les Blancs allaient continuer à venir chez moi. C’est pour cela que jeme suis mis à l’écart, parce que là où il y a des problèmes, ça ne sert à rien de rester.Ici [l’atelier où il travaille] c’est le projet DANI, le projet du Danemark [en fait, duLuxembourg], mais ça n’a pas été fini. Je ne sais pas ce qu’ils ont fait de l’argent,mais c’est resté comme ça. »

40 On comprend mieux ainsi pourquoi la section sculpture est séparée entre le hangar et

l’atelier, comme je l’ai indiqué plus haut. Cette séparation territoriale apparaît en fait

comme une mise en espace d’une séparation identitaire et générationnelle, opposant

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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d’un côté des jeunes sculpteurs nigériens et de l’autre un sculpteur plus âgé et

originaire de Guinée, qui n’en continue pas moins de former de jeunes Nigériens à la

sculpture. Mais selon Condé, quelque chose d’autre se joue dans cette opposition : « Là-

bas [au hangar] ce sont des marchands, ce ne sont pas des sculpteurs. Ils restent assis et

ils regardent les objets qui sont à eux. Mais le nom reste ici. Les Blancs, c’est Condé

qu’ils veulent. » On retrouve ici la distinction entre artisans et vendeurs dont sont

victimes les fabricants de batiks. On ne s’étonnera donc pas que, comme la sculpture

sur bois, le batik pose également la question de son intégration dans un imaginaire

national censément mis en scène au musée.

Le batik : production touristique et motifs nationaux

41 L’omniprésence de vendeurs de batiks aux abords et à l’intérieur du musée est

directement liée à l’existence d’un centre éducatif à proximité des bâtiments de

l’administration, à gauche de la porte d’entrée du haut. Créé en 1970 au sein du musée,

il abrite en effet depuis 1982 une formation en batik. Ali Boubacar, le chef du service

« centre éducatif », explique ainsi que le batik était une « tradition malienne et

ivoirienne » et qu’à cette date, « des Américains formés en Côte-d’Ivoire, de passage au

musée, ont donné une formation à l’ensemble des enseignants ». Assaïd Omar, un jeune

Touareg, d’abord formé en électricité puis en batik, est, depuis octobre 2006, professeur

contractuel de batiks au centre éducatif. Il précise que le batik vient de l’île de Java, et

pense quant à lui que c’est un Allemand qui a formé le premier professeur de batik,

aujourd’hui retraité. Ali Boubacar et Assaïd Omar ont tous deux conscience qu’il ne

s’agit donc pas d’une tradition nigérienne, et le directeur du centre précise qu’il s’agit

d’une production « directement tournée vers le tourisme ». En effet, la production de

batiks est essentiellement orientée vers une clientèle touristique, contrairement à celle

du wax, qui est la version industrialisée du batik indonésien.

42 Inventé aux Pays-Bas et exporté, d’abord au Ghana par un marchand écossais, puis dans

toute l’Afrique de l’Ouest, le wax a suscité et continue de susciter un engouement

populaire, dont témoignent l’omniprésence des pagnes en wax et la diversité des motifs.

Cependant, si le wax « se révèle surtout comme un support d’expression identitaire »

(Grosfilley 2006 : 65), le batik produit artisanalement à destination des touristes

apparaît lui aussi comme une mise en image d’identités construites, affichées et

commercialisables.

43 Deux types de batik sont en fait proposés par les vendeurs du Musée national du Niger,

le « batik d’art » et le « batik décoratif ». Dans les deux cas, l’appellation de « batik »

désigne une technique de réserve à la cire permettant la mise en place des motifs, la

cire étant appliquée soit au pinceau avec ou sans pochoirs, soit à l’aide de tampons. Le

« batik d’art » désigne une technique de teinture végétale sans fixateur. On ne peut

donc pas laver les pièces ainsi fabriquées. Le « batik décoratif » indique au contraire

que les teintures utilisées sont chimiques et sont fixées, de telle sorte que les pièces

peuvent être lavées, ce qui permet en particulier de fabriquer des nappes et des

serviettes. Alors que les teintures végétales du « batik d’art » sont importées du Nigeria

(en teinture végétale, il n’y a que quatre couleurs : rose, vert, bleu et jaune), les

produits chimiques du « batik décoratif » proviennent du Mali, et, contrairement à ce

que leur désignation pourrait laisser croire, le second est plus cher que le premier16. Ce

qui explique que les pièces de « batik d’art » soient les plus vendues.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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44 Pour autant, les ventes ont plutôt tendance à chuter, proportionnellement au nombre

de vendeurs. Au fil des années, le marché est en effet devenu de plus en plus saturé,

comme l’explique le directeur du centre éducatif :

« Auparavant, pour le batik, les élèves étaient placés en fin de formation àSonitextile, mais l’entreprise a été privatisée par les Chinois (ENITEX). Même les

simples stages ne sont plus possibles. Les seuls débouchés sont au musée ou auxalentours. Le marché est saturé. Sur sept grands couturiers nigériens, un seul aaccepté de prendre des élèves (trois). »

45 Des anciens élèves du centre éducatif ont donc créé leur atelier à l’intérieur du musée, à

côté du village, mais ont également transmis leurs techniques à leurs jeunes frères. À la

porte du musée, certains vendeurs de batiks reprochent à la formation proposée par le

centre éducatif du musée de ne déboucher sur rien. L’un d’entre eux regrette : « On

nous forme, et après, on nous jette sans nous trouver de place. » Un autre accuse

implicitement ceux qui n’ont pas suivi cette formation de fausser le marché et de

dévaloriser la marchandise.

46 L’explosion de l’offre par rapport à la demande conduit ainsi là encore à l’apparition

d’un classement catégoriel des vendeurs de batiks (producteurs diplômés, producteurs

non diplômés, revendeurs) et à la définition de la relation avec le touriste comme un

enjeu spécifique. Ce qui explique le reproche qui est fait par certains agents du musée

aux vendeurs de batiks quels qu’ils soient, et la mise en place, comme on l’a vu, d’une

distinction entre vendeurs et artisans, les producteurs de batik étant définis comme

vendeurs et non pas comme artisans. L’un des agents du musée explique ainsi comment

il en est venu à se désintéresser du batik : « Le batik, nous étions les premiers à être

formés [le centre éducatif du musée a été le premier à proposer une formation en batik

au Niger]. Mais vu comment maintenant les gens en font du commerce, ça ne

m’intéresse plus. Ceux qui le font le font pour les touristes. » Pourtant, on retrouve

dans le discours des vendeurs de batiks les trois catégories de clientèles déjà définies

plus haut : les Nigériens, les Africains et les touristes. Mais les vendeurs précisent que le

batik qui est acheté par les Nigériens sert de décoration pour les salles d’attentes et

pour les bureaux de l’administration nigérienne, et que si les Africains en achètent,

c’est pour le revendre en Europe.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

329

Motifs de batiks

47 Quant aux goûts des touristes en matière de batiks, ils apparaissent là encore assez

clairement, même si les vendeurs ne semblent pas faire de distinction selon les

nationalités d’origine des touristes. Le professeur de batik du centre éducatif enseigne à

ses élèves que les touristes « n’aiment pas les couleurs vives, [qu’] ils veulent des

couleurs foncées ». Quant aux motifs, ils apparaissent soit comme des symboles de la

Nation (la sorcière Saraouniya, figure historique de la résistance à l’invasion coloniale ;

les motifs inspirés des gravures rupestres qui ont fait la réputation archéologique du

Niger ; ou encore les girafes qui sont une référence aux dernières girafes de l’Afrique de

l’Ouest, sauvegardées à Kouré, à 60 km à l’Ouest de Niamey17), soit comme des images

d’une Afrique authentique (bestiaire sauvage ou scènes de village) ou mythifiée (les

chameaux et les tentes comme attributs des Touaregs). Dans cette double motivation de

la Nation et de l’Afrique, le batik devient ainsi le support d’un imaginaire national et

d’un imaginaire touristique, la représentation idéalisée de soi (le Niger comme nation)

fonctionnant en même temps comme image mythifiée de l’Autre (le Niger comme

destination touristique).

*

48 La rencontre entre imaginaire national et imaginaire touristique, autour des concepts

de tradition, d’authenticité ou d’ethnicité, a ainsi conduit les personnes travaillant au

Musée national du Niger non seulement à dresser des typologies des différents touristes

qui fréquentent l’institution, mais également à introduire des distinctions entre elles-

mêmes, dont la plus structurante est celle qui oppose artisans et vendeurs. Alors même

que les objets échappent aux catégories en devenant les supports de la rencontre entre

touristes et Nigériens, tout se passe comme si les personnes qui les produisent, les

exposent ou les vendent tendaient au contraire à mettre en place ou à renforcer des

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

330

distinctions sociales, à labelliser des représentations idéalisées de soi ou des autres

(l’artisan, le touriste), à authentifier des communautés imaginées (la Nation). Les objets

ne sont plus alors seulement relationnels, mais peuvent apparaître comme des objets

frictionnels. Transmis d’une culture à une autre, entre imaginaire national et

imaginaire touristique, ils « subissent des recontextualisations sociales et culturelles :

ils prennent d’autres formes, ils acquièrent de nouveaux usages et changent de sens.

Les transformer est une manière de marquer une appropriation et, en même temps, les

objets transforment ceux qui les manipulent » (Turgeon 2007 : 25).

49 Pour ce qui concerne l’anthropologie du tourisme, il semble donc essentiel de poser la

question des transformations sociales et culturelles non pas tant en termes

d’acculturation ou de métissage (de changements identitaires)18, mais plutôt en termes

de transmission (de dynamique relationnelle). Dans cette mesure, et pour ce qui nous

concerne, la culture matérielle ne constitue qu’un point de départ : les objets sont

irréductibles à leur fabrique, à leur exposition ou à leur commerce. En même temps

qu’eux, on l’a vu, ce sont les imaginaires national et touristique qui sont produits,

manipulés ou négociés, et finalement transmis, entre mise en musée et mise en vente.

Et c’est précisément pour cette raison que le Musée national du Niger semble en

définitive proposer moins la mise en scène de la Nation ou la mise en tourisme de la

culture que la construction (artisanale ?) d’images de soi et des autres.

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NOTES

1. Les collections exposées sont essentiellement archéologiques (« pavillon de la préhistoire »,

« pavillon archéologique » et « pavillon des gravures rupestres ») et ethnographiques (« pavillon

classique » présentant les différents thèmes de la vie quotidienne, « pavillon des costumes » et

vitrine des instruments de musique). Notons également la présence d’un « pavillon de

l’uranium ».

2. Les données présentées dans cet article résultent d’un travail de recherche doctorale en

anthropologie effectué au Musée national du Niger (mars-mai et octobre-novembre 2007), sous la

direction de Michèle Cros. Je tiens à remercier ici vivement le directeur du musée, M. Kélessi

Mahamadou, et son adjoint — désormais successeur —, M. Mamane Ibrahim, ainsi que l’ensemble

des agents, des artisans et des vendeurs du musée, pour avoir permis que mes recherches se

déroulent dans les meilleures conditions.

3. Paradoxalement, cette expression largement utilisée par les agents du musée renvoie à l’idée

que le village du musée, bien que situé en plein centre-ville, est l’équivalent d’un village de

brousse. La présence d’animaux sauvages au musée entretient d’ailleurs l’idée du musée comme

un morceau de brousse en plein cœur de la ville. La symbolique du parc zoologique et

« l’imaginaire du naturalisme » qu’il met en scène (COUSIN-DAVALLON & DAVALLON 1986) semblent

ainsi implicitement impliquer le musée dans son ensemble, et le village qu’il abrite en particulier.

Les habitants du village disent, quant à eux, habiter « au musée ».

4. Liste des artisans, document interne, avril 2006.

5. Nouveau catalogue, édité par Lux-Développement, non daté.

6. Les jeunes artisans vont également de plus en plus sur Internet pour trouver de nouveaux

modèles.

7. Si les surveillants du musée laissent les vendeurs suivre les touristes durant leur visite, ils

n’hésitent pas à écarter, en les menaçant d’une matraque, ou plus souvent d’un morceau de tuyau

d’arrosage, les talibés, ces jeunes élèves d’écoles coraniques que leur maître envoie mendier

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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durant la journée, et qui se retrouvent nombreux au musée, en particulier le vendredi matin

avant la grande prière.

8. La Voix de l’Amérique est le nom français du service de diffusion radiophonique et télévisuelle

du gouvernement des États-Unis, Voice of America (VOA). Les premières émissions en langue

hausa datent de 1979.

9. Sur ce terme songhay-zerma et ceux qui suivent, voir pour de plus amples développements

OLIVIER DE SARDAN (1982).

10. Il faut bien évidemment prendre en compte que ces hiérarchies de valeurs sont présentées à

un chercheur français susceptible de devenir un client. Le fait de tenir en bonne estime les clients

français repose donc en grande partie sur un jugement circonstanciel.

11. Guide Bleu Évasion, Hachette, 2000, p. 573.

12. Nouveau catalogue, p. 54.

13. Une vingt-troisième croix a été créée par l’artiste français Michel Batlle et présentée au

festival de l’Aïr en 2004. Elle célèbre l’Inzad, le plus célèbre des instruments de musique touaregs.

14. Ce vendeur parle également des figurines de « chameliers » en métal comme de « trucs

nigériens ». On voit ici que des objets emblématiques de la culture touarègue sont investis d’une

signification nationale.

15. Aujourd’hui, l’ivoire n’est bien sûr plus sculpté et les bois précieux (ébène, acajou doré et

acajou rouge) sont importés du Nigeria.

16. Je dois ces informations techniques au professeur de batiks du centre éducatif du Musée

national du Niger, Assaïd Omar. Qu’il soit ici remercié pour le cours qu’il m’a donné.

17. Sur ces girafes et les conséquences de leur patrimonialisation, voir LUXEREAU (2004).

18. Ici se situe peut-être la limite du concept de « patrimoine métissé » proposé par Laurier

TURGEON (2003).

RÉSUMÉS

Le Musée national du Niger à Niamey apparaît comme un lieu institutionnel essentiel de la mise

en tourisme de la culture, une « zone de contact » (James Clifford) entre deux types de

représentations, les unes nationales, les autres touristiques. Ces deux imaginaires entrecroisés

s'expriment en particulier dans les différentes pratiques artisanales mises en scène comme

patrimoine immatériel dans le centre artisanal du musée. En tant que Musée national, le musée

vise alors explicitement la construction et le renforcement d'une identité nationale et favorise

l'« artisanat national » (poterie, bijouterie, maroquinerie). En tant qu'institution culturelle,

visitée par de nombreux touristes (plus de 11 000 en 2006), il intègre des représentations plus

larges de l'Afrique, en important certaines pratiques artisanales (sculpture sur bois et batik).

Cette double vocation du musée apparaît en particulier dans l'invention d'une tradition nationale

et touristique, les croix touarègues régionales. C'est finalement moins en effet la mise en scène

de la Nation ou la mise en tourisme de la culture qui est proposée par le Musée national du Niger,

que la rencontre des imaginaires national et touristique.

The National Museum of Niger in Niamey is a vital institution for the promotion of culture for

tourism. It is a "contact zone" (James Clifford) between two different representations: the

national one and the one created for tourism. These two interwoven imaginary creations are

especially well expressed in the various crafts presented as the country's intangible heritage in

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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the museum's craft centre. As a national museum, the institution explicitly aims to construct and

reinforce national identity and promote "national crafts" such as pottery, jewellery and

leatherwork. As a cultural institution visited by numerous tourists (more than 11,000 in 2006), it

integrates broader representations of Africa by importing certain artisanal practices such as

wood carvings and batik. A good example of the museum's twofold vocation may be seen in the

Tuareg regional crosses, which are an invented national and touristic tradition. What the

museum is really promoting is not so much the staging of the nation or the "touristification" of

culture, but a meeting of the national and touristic imaginations.

INDEX

Keywords : Niger, crafts, museum, nation, tourism

Mots-clés : Niger, artisanat, musée, nation, tourisme

AUTEUR

JULIEN BONDAZ

Centre de recherches et d’études anthropologiques (CREA), Université Lumière-Lyon 2, Lyon.

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Tourisme et primitivisme.Initiations au bwiti et à l’iboga(Gabon)Tourism and Primitivism. Initiation to Bwiti and Iboga in Gabon

Nadège Chabloz

1 La figure du primitif et le primitivisme ont souvent été analysés à travers les liens qu’ils

entretiennent avec la pratique artistique, et notamment celle du mouvement

surréaliste. Malgré quelques recherches1, les représentations primitivistes à l’œuvre

dans les pratiques touristiques restent peu étudiées et mal connues.

2 Centré sur la description et l’analyse des ressorts d’une pratique touristique que nous

appellerons « mystico-spirituelle et thérapeutique », en partie basée sur la figure du

primitif, cet article s’intéresse aux parcours et aux discours de Français partis s’initier

au bwiti, un rite initiatique gabonais2 utilisant les racines d’une plante, l’iboga3. Quelle

est cette pratique touristique ? D’où vient-t-elle ? Qui sont ses promoteurs et

pratiquants ?4. On analysera ensuite le rôle du primitivisme et de l’image du primitif

dans les représentations des acteurs en présence. On verra notamment que ces

représentations sont multiformes, mais également qu’elles évoluent selon les

situations. On s’emploiera également à définir les différentes acceptions de la notion de

primitif et de primitivisme à travers les discours et les pratiques des acteurs. Enfin,

nous verrons de quelles manières ces représentations et ces pratiques primitivistes

viennent conforter ou contredire les idéologies et les lieux communs du tourisme dit

culturel — notamment celles portant sur la « rencontre avec l’autre », une meilleure

compréhension entre les peuples et la sauvegarde des traditions locales.

3 La description et l’analyse s’appuient sur un corpus diversifié : l’observation de

l’initiation de Philippe au Gabon en juillet 2007 (Chabloz 2009) ; des entretiens filmés

sur plus d’une année avec Yann, un autre Français initié, vivant aujourd’hui à

Libreville, promoteur du bwiti en France et au Gabon ; des entretiens menés avec des

initiateurs5 au Gabon ; la littérature scientifique et grand public consacrée au bwiti et à

l’iboga ; des films documentaires ; des témoignages publiés sur des sites Internet.

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L’hétérogénéité de ce corpus permet d’apporter un éclairage sur la nature des

différentes représentations liées au primitif rencontrées dans cette forme de tourisme,

que ce soit en amont, lors de l’initiation et plusieurs années après.

Les acteurs de ce tourisme

Essai de typologie des touristes et de leurs motivations

4 Ce qui nous intéresse ici est de tenter de comprendre les raisons qui poussent des

Français à effectuer un voyage au Gabon pour « s’initier » à un rite local. Qui sont ces

Français ? Quelles sont leurs motivations ? À la suite de quel parcours arrivent-ils au

Gabon ? Que font-ils une fois arrivés sur place ? Aucune statistique sur l’origine

socioprofessionnelle des touristes partant s’initier au Gabon n’est disponible : les

personnes voulant s’initier et qui demandent un visa pour ce pays ne donnent pas le

véritable but de leur voyage, car s’ils le font, le visa leur est généralement refusé6.

D’après les informations recueillies auprès des quatre initiateurs accueillant des

Français et auprès de Yann qui a été en contact avec un grand nombre d’entre eux, on

trouve des travailleurs sociaux, des personnels des secteurs de la santé et de

l’enseignement, des animateurs socioculturels, des étudiants, des cadres d’entreprise,

des employés, des professions libérales, des psychologues. Ces personnes ont accès à

des ressources financières non négligeables (soit en fonds propres, soit empruntées à

leurs proches comme c’est souvent le cas pour des étudiants) car le billet d’avion pour

Libreville est onéreux (autour de 1 400 euros) et l’initiation sur place a un coût élevé

(entre 1 500 et 3 000 euros7 selon les initiateurs, ce coût ayant tendance à augmenter du

fait du développement récent de ce tourisme au Gabon) pour une durée variable, en

général, une quinzaine de jours.

5 Les candidats à l’initiation ont de vingt à soixante ans, avec peut-être une

prépondérance de la tranche 25-35 ans. Ils sont dans un parcours de « recherche

spirituelle ». La plupart a déjà effectué un stage de « développement personnel » à

l’iboga en France lors d’un week-end, mais également souvent une expérience à

l’ayahuasca au Pérou ou en Europe. Ces touristes présentent des similitudes avec la

clientèle des nouvelles thérapies, telle que la psychologie humaniste8 (Lipianski 1982 :

85-86). L’exemple de Philippe et de Yann9 va nous permettre de mieux comprendre le

cheminement, les caractéristiques, les motivations et la réflexion des Français qui

s’initient au bwiti. Formateur agricole âgé de trente-sept ans en 2007, père d’une petite

fille, Philippe vit en couple à Bordeaux. Il déclare souffrir d’un « malêtre assez diffus »

depuis l’âge de quinze ans, une première initiation en France lui ayant permis de

« régler des problèmes » avec sa mère, de « couper le cordon », et de ne plus se sentir

« angoissé ». Lors de son initiation, il donne les raisons qui l’ont poussé à se rendre au

Gabon :

« Je suis venu ici pour me faire initier au bwiti, j’ai envie d’avancer sur le chemin del’éveil, donc je veux changer des choses en moi, je veux me sortir de mes addictions,je veux connaître ma lignée, mes ancêtres10, je veux aussi pouvoir savoir mieux quije suis, ce que je suis censé faire sur cette terre » (Philippe, juillet 2007, Libreville).

6 Au-delà d’un désir de guérison lié à ses dépendances (au tabac et au haschich), Philippe

souhaite une initiation plus « métaphysique ».

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7 Yann, trente-trois ans, père de deux enfants, parisien avant de s’installer au Gabon, est

autodidacte et est parvenu à devenir cadre supérieur. Il a découvert le Gabon et ses

traditions lorsqu’il dirigeait une branche d’export Afrique pour une entreprise

française. Il s’est intéressé à la tradition bwitiste, a vu « un documentaire de Cheyssial à

la télévision ». Yann avoue un amour tout particulier pour l’Afrique et ses rites

initiatiques traditionnels, un intérêt qu’il perçoit comme « transgénérationnel », car sa

mère est originaire de l’Afrique du Sud, et de plus les mères de ses deux enfants sont

originaires de l’Afrique de l’Ouest. Yann a suivi, en 2006, avec son épouse, un stage d’un

week-end à l’iboga en Normandie pour tenter de « régler les problèmes » dans son

couple. Selon Yann, cette première initiation s’est très mal passée, même si elle lui a

permis de « se nettoyer » de son passé de toxicomane : il a vomi pendant deux jours et

deux nuits et a eu « des visions extrêmement dures, tristes » de son passé11. Après un

deuxième « stage de développement personnel » réalisé quelques mois plus tard, il

décide « d’explorer cette voie à fond » et part au Gabon début 2007 (suite au

licenciement de son entreprise) pour faire sa « première initiation véritable ». Il débute

une initiation avec Atome Ribenga — qui lui a été conseillé en France et dont il a lu le

livre (Ribenga 2004) —, pendant laquelle il vit « une NDE, near death experience », et

affronte ses « pires démons, la peur de la mort, de l’inconnu », ainsi que son « mental,

dont nous sommes relativement prisonniers ici en Occident ». Longue de trois

semaines, cette initiation est ressentie comme un tournant dans la vie de Yann : « J’ai

tout appris de moi, sur mon histoire, mon identité, ma raison d’être, même sur la

compréhension de mes parents, de ma femme, de l’univers, des vérités très puissantes

qui sont aujourd’hui des piliers de ma vie. Avant j’étais suicidaire, dépressif, horrifié

par les choses qui m’étaient arrivées, alors que là, tout s’est inversé, aujourd’hui je suis

fier de ce que je suis, alors que j’étais très honteux de ce que j’étais. Et puis enfin, j’ai

aujourd’hui une foi inébranlable, j’ai pu expérimenter le contact avec le divin, ou avec

le moi intérieur, donc avoir une foi pas intellectualisée » (entretien filmé, février 2008,

Paris).

8 Les parcours de vie sont différents, mais Yann et Philippe cherchent tous deux à sortir

de leurs dépendances, poursuivre un itinéraire spirituel, trouver leurs « racines ». La

quête des racines et des ancêtres est une motivation fréquente, surtout chez les

personnes ayant un parent d’origine africaine, comme c’est le cas pour Philippe et dans

une certaine mesure pour Yann ; elle participe du « tourisme de racines » qui se

développe sur tous les continents12. Guérison, quête spirituelle, recherche de ses

racines et de « sa place dans le monde » sont les motivations principales des

Occidentaux venant s’initier13. D’après les différents témoignages recueillis auprès des

initiateurs, de Yann, et sur des sites Internet, il est possible de distinguer de manière

« idéal-typique » quatre profils de candidats à l’initiation.

Les « souffrants » ont des problèmes d’ordre psychologique parfois lourds, de traumatismes

(viol, dépressions lourdes). Ceux qui viennent s’initier pour des raisons thérapeutiques

seraient les plus nombreux.

Les « pick and choose » ou les « néo-chamanes » (Yann) qui expérimentent toutes les

traditions du monde. C’est dans cette catégorie que peuvent entrer les personnes qui sont à

la recherche d’un « trip » comme un autre. Avertis par de nombreux témoignages livresques

et par Internet de l’aspect « non-récréatif » de l’iboga, ils ne font généralement pas le voyage

jusqu’au Gabon et se contentent de consommer de l’iboga chez eux.

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Les « mystico-spirituels ». Ils viennent se faire initier pour des raisons de développement

personnel et de quête mystique (entrer en contact avec « le divin », avec l’au-delà, avec ses

ancêtres). Selon Yann, ils sont minoritaires.

Les toxicomanes : selon Yann, les toxicomanes qui connaissent bien l’iboga comme « plante

miracle » sont nombreux à se faire initier pour se guérir. Ce constat est nuancé par Tatayo

qui déclare qu’ils sont minoritaires à venir au Gabon, étant souvent marginalisés, sans

travail, sans argent.

9 Les frontières entre ces différentes « catégories » sont poreuses14 : ainsi un toxicomane

ou une personne dépendante de drogues (haschich, tabac, alcool, médicaments) peut

venir se faire initier pour se débarrasser de ses dépendances, tout en poursuivant une

quête spirituelle (c’est le cas pour Yann et Philippe) et avoir tenté préalablement ou

postérieurement d’autres techniques (c’est le cas de Philippe qui a fait un stage à

l’ayahuasca en Espagne un an après son initiation gabonaise au bwiti et qui suit

aujourd’hui une formation en sophrologie). Enfin, quelques personnes s’initient pour

des raisons « professionnelles » afin de tenter de comprendre et de restituer les

mécanismes de l’initiation (psychothérapeutes, anthropologues ou cinéastes).

Une pratique touristique marginale

10 Les déplacements d’Occidentaux à l’étranger en vue de se faire « initier » à un rite local

diffèrent des voyages classiques. Ils se rendent directement dans le village ou dans la

famille qui les initiera, ne fréquentent ni les hôtels, ni les restaurants, ne visitent

généralement pas le pays, et repartent une fois leur initiation terminée15. Marginales16,

ces pratiques reposent sur un petit réseau d’acteurs qui proposent sur Internet des

séjours « clés en main » comprenant la prise en charge de la personne à l’aéroport de

Libreville, une initiation, l’hébergement, la restauration, et éventuellement une

excursion en forêt « primaire » après l’initiation. Malgré les spécificités de ce tourisme,

soulignons qu’il se rapproche d’autres pratiques comme le tourisme de désert (Cauvin

Verner 2007) et d’aventure (Boutroy 2006). Les dimensions d’épreuve, de danger, de

mort17, de performance, de souffrance, d’ascétisme et de mysticisme qui se révèlent de

manière très prégnante dans les discours et le vécu de ces initiés, ne leur sont

cependant pas spécifiques. De même, l’aspect rituel et initiatique du tourisme,

largement analysé par les anthropologues (Ebron 2000 ; Graburn 1989), se retrouve

dans de multiples pratiques touristiques.

11 Mais une question demeure concernant l’aspect touristique de cette quête de guérison

et d’éveil spirituel : Pourquoi se déplacer alors que le but est un « voyage intérieur »,

donc immobile ? En d’autres termes, pourquoi des personnes ayant suivi à côté de chez

elles un stage de développement personnel à l’iboga — avant son interdiction en

France18 — se rendent-elles ensuite au Gabon en devenant ainsi touristes19 ? Les raisons

données par les initiés varient, mais il semble que réaliser une initiation « dans les

règles de l’art » (Yann), dans son contexte local, serait un gage d’authenticité :

« J’avais vraiment envie de découvrir la tradition bwitiste dans son essence, sonorigine [...] complètement libéré, et puis sur une terre chargée, en Afrique, auGabon, et puis avec des experts, des personnes dont c’est la fonction pleine »(Yann, entretien février 2008, Paris).

12 On assiste également à ce que l’on pourrait appeler « une mode du chamanisme » sans

que ce terme soit bien défini20 ni géographiquement identifié. Des ouvrages témoignent

d’expériences d’individus citadins européens « initiés » au fond d’une forêt « primaire »

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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d’Afrique ou d’Amazonie (Navarro 2007 ; Ravalec et al. 2004 ; Sombrun 2002) ou devenus

« chamanes » (Kharitidi 1998 ; Sombrun 2004). Ces ouvrages pouvent être considérés

comme les héritiers de ceux de Castaneda (2002), qui est d’ailleurs cité souvent comme

un inspirateur par ces nouveaux initiés. Par ailleurs, le chamanisme attire de plus en

plus ceux qui s’intéressent à la psychanalyse et les psychothérapeutes eux-mêmes

(Laval-Jeantet 2006, Séjournant 2001). Les ouvrages d’anthropologues décrivant et

analysant leur expérience initiatique sont également nombreux (Bonhomme 2005 ;

Harner21 1990 ; Narby 1995). Si les pratiques se développent, le tourisme chamanique

est aussi un sujet de reportages ou de documentaires, au Gabon (Cheyssial ; Laval-

Jeantet 2003 ; Chabloz 2009), au Mexique (Chartier 2005-2006), au Pérou (Cheyssial

2002), au Brésil22, en Mongolie (Merli 2009).

13 Le retour du « chamanisme », traditionnellement associé aux « peuples primitifs »

s’observe également de façon plus marginale en France (Pellarin 2006). Ainsi Patrick

Dacquay, ancien homme d’affaires d’origine bretonne désormais acquis à « la tradition

des druides solitaires », propose-t-il un « chamanisme occidental »23, des conférences et

des formations, ainsi que des « voyages initiatiques » au Maroc, en France et au

Québec24.

Entre France et Gabon, les initiateurs du tourisme mystique

14 Les initiateurs et les promoteurs de l’iboga et du bwiti en France depuis quelques

années proviennent de milieux différents. Certains d’entre eux peuvent être considérés

comme des « intermédiaires culturels » (cultural brokers). Ce sont quelques Gabonais

vivant en France, des Français installés au Gabon, des personnalités issues de l’univers

culturel tels que l’écrivain Vincent Ravalec ou le réalisateur de cinéma Jan Kounen25. À

travers notamment les stages qu’ils proposaient en France, des Français ont également

grandement contribué à la connaissance dans l’hexagone de l’iboga et du bwiti, mais,

aussi, d’une certaine manière à sa reconnaissance au Gabon. En participant à de

nombreuses émissions diffusées sur la télévision gabonaise, Yann aurait contribué,

selon lui, à une réappropriation de ce rite par les Gabonais. En France, la médiatisation

du bwiti et de l’iboga a été relativement importante : télévision26, radio27, cinéma28,

Internet, littérature grand public29 ou scientifique, conférences 30, manifestations

culturelles31.

15 Hermann Nzamba, dit Mallendi, a créé en 2003 l’association culturelle Eboka, dont

l’objectif est de promouvoir et d’assurer la sauvegarde des savoirs traditionnels

gabonais et plus particulièrement la médecine traditionnelle. Cette association permet

sa promotion en France (Moussadji 2004 : 20), relayée par VSD, L’Express, un film-

documentaire sur Arte, deux livres32 dont il est le co-auteur. Mallendi va ensuite créer

un village culturel au Gabon, à Panga (près de Gamba, dans le département de la Basse-

Banio), pour organiser des stages d’initiation au bwiti pour des Occidentaux. Ils font le

voyage en petits groupes, ils étaient une soixantaine à partir entre 2003 et 2004. En

septembre 2006, Mallendi affirme « avoir donné l’iboga » à plus de mille cinq cents

personnes en France, qui seraient venues à lui sur recommandation d’un proche33.

Selon Yann, beaucoup de candidats à l’initiation entreprennent une démarche après

avoir vu un film documentaire, lu un livre sur le sujet, mais surtout après avoir

consulté les sites Internet d’associations gabonaises ou franco-gabonaises qui vendent

« une initiation clé-en-main ». Ces associations, selon Yann, « montrent le beau côté des

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

340

choses mais pas l’envers du décor, on ne prévient pas non plus des risques34 ». Deux ou

trois associations ont pignon sur Internet, et ce sont principalement vers elles que se

dirigent les Français, rassurés par leur visibilité, et les témoignages de précédents

initiés qui ont souvent vu leur vie changer positivement grâce à cette initiation.

D’autres initiateurs n’ont pas de site mais bénéficient d’une médiatisation auprès du

public français par d’autres voies (bouche à oreille, films documentaires, livres).

Certains ont créé une sorte de « tourisme de groupe » (comme Mallendi à Panga).

Secrétaire général de la commission nationale du Gabon à l’Unesco, Jean-Marie Vianney

Bouyou se présente ainsi comme un « facilitateur », ayant pendant deux ans fait office

d’intermédiaire entre une « prêtresse » locale du bwiti et une quarantaine de Français

(quatre voyages par an regroupant six personnes). Pour lui, la venue de Français au

Gabon, est la preuve que « nous sommes dans la mondialisation, c’est une forme de

reconnaissance, les Occidentaux ignoraient, maintenant ils viennent, ce sont des

signaux que le monde s’ouvre »35. Son rôle de facilitateur s’inscrirait selon lui dans la

philosophie de l’Unesco qui « prône la diversité culturelle, l’échange interculturel »36.

Images du primitif

16 Les représentations liées au primitif de ces Français qui partent au Gabon s’initier au

bwiti, et dans une moindre mesure à l’ayahuasca au Pérou apparaissent déjà en

filigrane à travers leurs motivations. Nous allons tenter d’en dresser un panorama qui

n’a pas la prétention d’être exhaustif mais qui a l’ambition d’apporter un éclairage sur

ses différentes acceptions par les touristes et les « médiateurs », telles qu’elles

apparaissent dans leurs discours et, de façon plus marginale, dans leurs pratiques. Si les

notions de « primitif » et de « primitivisme » pour qualifier des hommes, un art ou des

sociétés posent problème et peuvent être considérées comme un « fourre-tout

épistémologique, une catégorie artificielle où l’on rangerait, par commodité les

réfractaires » (Blachère 1996 : 18), nous verrons dans quelle mesure ces différentes

acceptions sont liées et se contredisent en apparence.

La terre africaine, berceau de l'humanité

17 Aller au Gabon pour se faire initier est souvent considéré comme un retour aux origines

de l’humanité. C’est d’abord la forêt gabonaise « des origines, pas une forêt replantée »,

dont l’homme est issu et dans laquelle pousse l’iboga, qui « va avoir un rôle

prépondérant dans l’expérience du futur initié » (Ravalec et al. 2004 : 15). À partir de la

forêt « primaire » et « originaire » gabonaise, c’est le continent entier qui est considéré

comme la terre d’où proviennent nos ancêtres (ibid. : 95). Dans un autre ouvrage, le

même auteur considère que le caractère primitif37, « archaïque » de l’Afrique est le

facteur explicatif d’un ressenti plus « profond » qu’en Amazonie concernant ses

expériences initiatiques (Ravalec, dans Kounen et al. 2008 : 84). On retrouve cette vision

d’une « terre chargée » gabonaise et africaine dans les motivations qui ont poussé Yann

à aller se faire initier au Gabon après ses expériences à l’iboga en France (voir supra).

18 De la terre, s’opère ensuite un glissement vers la plante, l’iboga. Plante poussant et

absorbée sur la terre africaine, l’iboga « confronte vraiment à la naissance de

l’homme », « fait entrer dans la mémoire de l’espèce », et permet de faire un travail

« plus en profondeur » que l’ayahuasca, en « décortiquant » l’initié « cellule après

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

341

cellule ». La primitivité de la plante — apparaissant comme personnalisée, avec une

volonté propre — qualifiée de « sauvage » et de « barbare » expliquerait la nature

« terrifiante et archaïque » des visions qu’elle procure aux hommes (ibid. : 91, 155).

19 La perception primitiviste de la terre, de l’iboga, des visions, glisse vers celle des

hommes, les autochtones, désignés comme les « frères » mais également comme les

ancêtres38 des Occidentaux (ibid. : 155).

Le « chamane » ancêtre et gardien des traditions

20 Le chamane, le nganga (guérisseur) au Gabon, semble incarner l’ancêtre de l’humanité

grâce à sa connaissance des mystères de la nature qui guérit et des états modifiés de

conscience, connaissance que l’Occident possédait avant sa modernisation, mais qu’il a

perdu (Navarro 2007 : 147-148). Les expériences chamaniques auraient la particularité

de remonter aux origines de l’humanité, à « l’époque de Cro-Magnon [...] dans les

grottes en Dordogne »39 (Kounen et al. 2008 : 34) et de permettre tout à la fois un « bond

dans la conscience collective » et un voyage dans le passé (ibid. : 22, 155).

21 De la vision primitiviste de l’homme africain (et amérindien), le glissement se fait à ses

traditions, et notamment à ses rites initiatiques, le bwiti.

Le bwiti, « tradition primordiale »

22 La grande majorité des Occidentaux venant se faire initier au Gabon choisissent des

initiateurs pratiquant un bwiti fang syncrétique40, car, pour des raisons historiques,

c’est celui qui s’est implanté à Libreville et dans la région de l’Estuaire (Mary 1999 :

25-26). Rares sont ceux qui prennent le risque de parcourir les pistes défoncées et

souvent inondées menant chez les Pygmées (Navarro 2007), perçus comme les « vrais »

détenteurs du savoir lié à l’iboga. Il est intéressant d’observer de quelles manières les

touristes négocient entre des nécessités pragmatiques et leur recherche d’authenticité.

Les initiateurs qui attirent le plus souvent les touristes vivent à Libreville et pratiquent

un bwiti souvent revisité façon « New Age ». L’aspect syncrétique d’un rite, surtout

lorsqu’il est connoté « religieux » et « catholique » rebute les touristes :

« Au début j’étais un peu choqué, voire déçu par la surreprésentation de symbolesreligieux, plutôt orientés catholiques, beaucoup d’ailleurs le sont. J’ai discuté avecpas mal de Français qui ne veulent pas aller dans le Disumba parce qu’ils trouventque c’est du mimétisme de rites catholiques et ils cherchent quelque chose dansl’esprit du traditionnel, qui répond plus à nos clichés, de ce que l’on se fait commeimage des rites africains, entre guillemets sauvages, quoi » (Yann, entretien filmé,février 2008, Paris).

23 Ce rejet est également exprimé par Philippe, qui n’a pas choisi le même initiateur que

Yann (maître Atome Ribenga) — qui lui avait pourtant été conseillé — justement du fait

de son syncrétisme affiché ; les « images de Jésus partout, les croix et tout ça » l’ont fait

fuir. Philippe a par ailleurs exprimé le même rejet lors de la veillée qui clôturait son

initiation (Chabloz 2009), seul moment, chez ces initiateurs (Christophe et Marie-Claire)

où sont apparus des signes à connotation catholique. Pourtant, même ceux qui ont

choisi de se faire initier, comme Yann, dans un bwiti syncrétique, trouvent matière à

satisfaire leur envie de primitivisme historique. En effet, la tradition bwitiste est

souvent décrite, et notamment dans le livre d’Atome Ribenga, pratiquant un bwiti fang

syncrétique, comme plongeant « ses racines dans les civilisations anciennes. Elle

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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proviendrait de la civilisation égyptienne qui est d’essence noire » (Meyo-Me-Nkoghe

2004 : 7). Cette tradition, une « sousbranche de la tradition primordiale » aurait été

transmise par les Pygmées (Ribenga 2004 : 16). Si, dans le bwiti fang, l’apport chrétien

est systématiquement travesti en redécouverte d’une tradition originelle (Mary 2000 :

192) par les maîtres initiateurs, cette représentation — teintée d’afro-centrisme —

d’une tradition « primordiale » qui aurait échappé aux influences extérieures (Ribenga

2004 : 19-20) est intégrée et relayée par certains initiés, comme Yann. Il considère que

« le Disumba est universel, ceux qui disent que c’est syncrétique c’est plutôt en vue de

discréditer un rite qu’ils ne connaissent pas »41. Il trouve par ailleurs un intérêt non

négligeable à l’universalité des symboles rencontrés dans le bwiti fang : « Je suis baptisé

catholique, ça m’arrange bien quand même aussi, car en France je peux retrouver

certains symboles et repères qui me permettent de me reconnecter avec ce que j’ai vu

au Gabon. »

Le primitif du futur/le primitif archaïque, ou « les derniers seront les

premiers »

24 Cette tension entre pragmatisme et désir d’authenticité se retrouve bien dans le choix

de l’initiateur de la part des touristes. D’un côté ils désirent bénéficier d’une prise en

charge rapide à leur arrivée à Libreville, ils ont besoin d’être rassurés par des

témoignages d’anciens initiés (qui se trouvent sur les sites Internet), et ils veulent être

certains que leur initiation réussisse (avoir des visions qui permettent de guérir et de

voir l’au-delà) ; d’un autre côté, ils veulent avoir accès à un bwiti qui corresponde à

l’idée du « rite traditionnel africain » qu’ils s’en font. Entre l’initiation chez les Pygmées

(authentiques mais trop difficiles d’accès et connus pour donner peu d’iboga ce qui

peut entraîner une absence de visions) et le bwiti syncrétique fang (proche mais pas

assez authentique du fait du symbolisme jugé trop catholique), s’offre une troisième

voie, une sorte de consensus pour les touristes : un bwiti revu et corrigé qui semble être

relativement adapté aux attentes des Occidentaux. Christophe et Marie-Claire, couple

franco-gabonais vivant dans une grande concession à 12 km de Libreville, proposent

ainsi un « bwiti sans interdits ni obligations, qui ne suit ni la voie disumba, ni celle du

misoko, mais la route du bois sacré »42. Cela signifie notamment qu’ils proposent une

initiation permettant une guérison thérapeutique en même temps qu’une recherche

mystico-spirituelle. Dans ce bwiti, on ne s’embarrasse pas des « accessoires »

symboliques que l’on retrouve traditionnellement dans le bwiti43, ni des « histoires liées

à la sorcellerie ». Christophe et Marie-Claire ne souhaitent d’ailleurs plus initier des

Gabonais mais préfèrent les Européens — qu’ils considèrent plus « simples » — pour

leur « élargir la conscience ». Avant d’initier les Européens au bwiti, le couple franco-

gabonais a expérimenté d’autres techniques, notamment de « visualisation, comme le

reïki et le kofutu » dont il s’aide encore aujourd’hui44.

25 Sans développer plus en profondeur les liens qui existent entre chamanisme et New Age

(Vazeilles 2003), entre bwiti et New Age (Bonhomme 2008) et la pénétration de ce

mouvement en Afrique (Simon 2003), il semble que le discours développé autour de ce

bwiti du consensus parvienne à convaincre et à rassurer les candidats à l’initiation qui

se retrouvent en terrain connu, tant il s’avère proche de celui généralement adopté par

les nouvelles thérapies de la « nébuleuse mystico-ésotérique » (Champion 1990 : 17-69)

qui se sont largement répandues aux États-Unis puis en Europe depuis les années 1960.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

343

Ce qui nous intéresse ici est que l’une des caractéristiques de l’invention religieuse de la

nébuleuse mystique-ésotérique, selon Françoise Champion « relève d’un privilège

donné au sujet des affects contre le sujet de la raison qui, à travers la filiation de la

contre-culture des années 60-70, renoue avec les diverses protestations contre la

modernité, peu ou prou inspirées de la tradition romantique » (Champion & Hervieu-

Léger 1990 : 12). La figure du primitif apparaissant dans les discours des acteurs de ce

tourisme mystico-spirituel et thérapeutique semble également relever d’une forme

d’anti-intellectualisme et de contre-culture qui sont toutes deux des protestations

contre le monde occidental.

26 Le primitif, caractérisé par ses émotions plutôt que par sa raison (Jewsiewicki 1991 :

192), sert à dénoncer, à l’instar des philosophes postnéopositivistes (Atlan 1986 : 16), les

illusions d’une science toute puissante, illusions qui seraient à l’origine des résurgences

du mysticisme et de l’irrationnel. Le primitif moderne incarné par la figure du « non

civilisé » (en opposition à l’Occidental) représenterait une alternative aux normes

contraignantes occidentales et permettrait de s’en affranchir. Le primitif n’est plus en

retard sur le monde occidental, tel qu’il était perçu pendant la colonisation, il est

désormais — et ce depuis l’Entre-deux-guerres avec les surréalistes — « en avance » :

« Les indigènes sont en avance par rapport à nous sur certains territoires de la

cognition pure, des relations interespèces, sur les façons d’appréhender et de

comprendre les phénomènes liés à la mort et aux phénomènes sensibles » (Kounen,

dans Kounen et al. 2008 : 14). La terre, la forêt abritant ce primitif du futur n’est pas

uniquement considérée comme « le berceau de l’humanité » mais fait l’objet d’une

représentation ultra-moderne (Ravalec 2004 : 15). La « tradition primordiale » du bwiti

est également adaptable à la modernité. Selon l’initiateur Christophe, le nouveau bwiti,

le « bwiti du troisième millénaire est arrivé en l’an 2000, avec les portables, Internet,

etc., le contact avec la plante est beaucoup plus rapide ». L’initiation a été réduite à

deux semaines « parce que les Européens n’ont pas le temps ». Ce bwiti moderne se

caractérise notamment par l’absence de certains rites (comme le sacrifice d’animaux),

de certains accessoires (plus nécessaires « car le bois sait où il doit aller »), et par la

transparence45, en opposition à la tradition du secret qui entoure habituellement le

bwiti. La modernité de ce bwiti réside également selon Christophe dans le fait de

parvenir à « 100 % de réussite dans l’initiation » (pas question qu’un Européen qui a

payé cher son billet d’avion reparte sans avoir eu de visions). Les nouvelles techniques

d’initiation pour y parvenir lui ont été transmises « à travers des révélations », et

consistent à « toucher directement le centre des visions et de mieux faire entrer le

bois »46. La plante, l’iboga, est également couramment associée à un outil de haute

technologie. Les discours selon lesquels l’Occident aurait tout à apprendre de l’Afrique

en général et des traditions en particulier reviennent de façon récurrente : « La Terre a

pensé à tout. Et que ce soit les soit disant “peuples primitifs” qui aujourd’hui nous

offrent une solution, quelle ironie (ça me fait penser les derniers seront les

premiers...) »47.

27 Il y aurait donc urgence, étant donné l’état du monde, à se rapprocher des « peuples

primitifs » qui acceptent généreusement de partager leurs connaissances, d’autant plus

que les techniques de guérison et d’éveil dont ils sont les gardiens permettraient « en

une nuit », de se retrouver « là où certains peuvent mettre 70 ans à arriver. C’est un peu

comme une analyse de 20 ans résumée en 3 jours »48.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

344

Le primitif au secours de l'Occident/le primitif mortifère

28 Dans les témoignages de personnes initiées il est majoritairement question de

guérisons spectaculaires. Yann déclare avoir été sauvé d’une mort certaine par le bwiti

et l’iboga et avoir également réussi à soigner sa mère qui souffrait de problèmes

psychiatriques depuis trente-cinq ans grâce à cette plante. Il a souhaité à un moment

donné « faire partager cette connaissance », pour aider ceux qui souffrent en Occident

(les dépendants aux drogues, à l’alcool, les dépressifs). Mallendi déclare vouloir

apporter une aide humaine, voire humanitaire au monde occidental en mettant « au

service d’une humanité en proie à ses démons, sa connaissance du Bwiti et de l’iboga »

(Moussadji 2004 : 20). Pour l’initiateur français Tatayo (cité dans Laval-Jeantet 2005 :

150), « le Bwiti est une des portes de salut de l’humanité ».

29 Mais quelques années après le début de la médiatisation du bwiti en France et le début

du tourisme mystico-spirituel et thérapeutique au Gabon, cette représentation

enchantée des rites initiatiques africains qui viendraient désormais au secours de

l’Occident après avoir été attaqués par les missions et la colonisation (et qui continuent

à l’être notamment par les Églises évangélistes) est remise en cause, notamment après

l’interdiction de l’iboga en France suite au décès d’un Français49. Ce désenchantement

se perçoit dans le discours de Mallendi. Il considère que « si la France interdit l’iboga

ici, on le prendra comme si la France était en train de renier le Gabon », que « l’échange

culturel doit aujourd’hui être vu dans les deux sens »50. Après son premier livre

enthousiaste sur le bwiti et l’iboga paru en 2004, on perçoit une nette remise en

question chez l’écrivain Vincent Ravalec qui émet des « réserves » concernant

l’initiation à l’iboga (dans Kounen et al. 2008 : 154, 174). L’observation du parcours de

Yann et de Philippe montre également quelques années après leur initiation une prise

de distance critique, comme nous le verrons plus loin. Cette image de régénération par

le primitif fait place à (ou va de pair avec) l’image du primitif mortifère.

Le primitif mortifère

30 L’opinion publique française découvre en 2006 à travers des faits divers que des

Français s’initient à des rites gabonais en France et au Gabon51 et que certains en

meurent. Ces événements donnent lieu à des articles de presse52, suivis d’une

polémique et finalement de l’interdiction de l’iboga en France, classée comme

stupéfiant de catégorie IV. La plante iboga, celle qui doit sauver l’Occident, est

désormais perçue comme une « plante tueuse ». Le bwiti est quant à lui signalé dans le

rapport de 2007 de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les sectes

(Miviludes) comme pouvant relever de dérives sectaires. Ces faits divers ont ceci

d’intéressant qu’ils activent à eux seuls la représentation de l’Afrique comme étant à la

fois « le berceau et le tombeau de l’humanité » (Amselle 1991 : 7).

31 Le caractère mortifère associé au primitif et à ses traditions est double : ils peuvent

apporter la mort et ont également la capacité de donner accès au monde des morts.

Pouvoir communiquer avec les morts, « voir la mort » constitue l’une des motivations

essentielles des personnes qui viennent se faire initier. En mangeant l’iboga, les initiés

auraient la possibilité de « rencontrer des parents décédés afin de régler post mortem

ce que leur mort avait laissé en suspens » (Bonhomme 2005 : 41). Pour les initiés,

apprendre à mourir est bien le but de toute initiation (Kounen, dans Kounen et al. 2008 :

180). Le thème de la mort revient dans tous les discours des initiateurs : il s’agit de

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

345

mourir symboliquement pour mieux renaître sur le plan spirituel (Ribenga 2004 : 35).

Selon Marie-Claire, initiatrice, le sentiment de mourir que les initiés éprouvent dans le

bwiti permet de voir la mort et, conséquemment, d’en avoir moins peur.

Le primitif universel/ relativisé

32 Le primitif, le chamane, n’est pas seulement l’être lumineux qui fait le bien de

l’humanité et veut sauver l’Occident, il est également perçu comme un être trouble et

ambigu. L’ambivalence des représentations liées au chamane montre que les initiés

projettent tour à tour sur ce personnage des désirs d’« universalité »53 et des

sentiments que l’on pourrait qualifier de « relativistes ». D’un côté, le chamane incarne

une conception du monde et particulièrement de la santé unifiée, « holistique » : le lien

« corps-esprit », ignoré par la médecine occidentale est préservé par le chamane

(Yann), il permet d’abolir la distance entre l’homme et Dieu entretenue par les religions

traditionnelles, enfin il incarne la réconciliation de l’homme avec la nature, dont il a

été séparé par l’urbanisation et la modernité54. Le chamane, le nganga, permettrait

d’accéder à une « Unité Originelle » (Atlan 1986 : 16)55, de se sentir relié à ses

semblables au sein d’une « conscience collective planétaire » (Navarro 2007 : 19) grâce à

la tradition bwitiste présentée comme « une branche de la tradition spirituelle

originale » (Ribenga 2004 : 16).

33 De l’autre côté, les initiés évoquent le fossé culturel et « psychique » qui existerait entre

Occidentaux et autochtones : ils n’auraient pas le « même système conceptuel » ni la

même organisation de « la psyché » (Ravalec, dans Kounen et al. 2008 : 58-59), raisons

pour lesquelles l’initiation d’Occidentaux à des rites locaux peut être dangereuse. Sont

évoqués le caractère « perfide et assez terrible » du « monde chamanique ayahuasca »,

la sorcellerie omniprésente, les jalousies entre chamanes, ainsi que les « situations

d’attaques chamaniques négatives », qui peuvent entraîner déprime et déséquilibre

durables chez les initiés. Contrairement au « sage » indien, dont la compassion pour

son prochain proviendrait du fait qu’il soit un religieux, le chamane est perçu comme

un guérisseur traditionnel qui travaille « avec des forces plus sourdes et négatives »

(Kounen et al. 2008 : 75, 78).

Le primitif communautaire / individualiste

34 La figure du chamane est souvent associée à une dimension communautaire : c’est celui

qui préserve aussi bien la santé que l’harmonie au sein de la communauté villageoise en

incarnant notamment le lien entre les hommes et les entités invisibles. Il peut sembler

paradoxal que des Occidentaux, impliqués dans une recherche spirituelle individuelle56,

se tournent pour la réaliser vers des chamanes ou des nganga pour accéder à un rite

initiatique dont ils ont une représentation « communautaire ». Si l’on suit la réflexion

de certains chercheurs ayant travaillé sur le bwiti, ce paradoxe n’en est pas un car « En

réalité, le Bwiti est aussi bien adapté à l’individu qu’au groupe social au sein duquel il se

développe » (Binet 1974 : 40). L’expérimentation directe avec le divin séduit les

personnes en quête de spiritualité, qui rejettent tout à la fois le dogmatisme des

religions traditionnelles et la rationalité de la société occidentale (ibid. : 41-42).

35 L’aspiration des Européens à une forme réinventée et individualisée du sacré à travers

un rite initiatique étranger et perçu comme communautaire peut être interprétée

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

346

comme un rejet du « sacré domestique » au profit du « sacré sauvage » (Bastide 1975).

Pour Bastide, le sacré domestiqué est un sacré collectif, résultant d’une organisation et

d’une cohésion de groupe qui partage les mêmes croyances et valeurs, tandis que le

sacré sauvage se veut une expérience hors normes se vivant de manière isolée dans des

sociétés hétérogènes. Cette expérience permettrait aux « jeunes générations » de rester

« dans la ferveur de l’instituant sans aller jusqu’à la constitution de nouveaux

institués » (ibid. : 227). Ainsi, ce qui peut paraître paradoxal dans cette démarche de

tourisme mystico-spirituel, s’intégrerait dans une certaine logique car la recherche de

« sacré sauvage » ne pourrait « se préciser que par l’utilisation de formes archaïques

significatives » (ibid. : 234), dans la mesure où cette forme de sacré ne peut prendre

assise que sur une forme de sacré « institué ».

36 Ainsi, le bwiti, également nommé « la religion de l’Eboga » (Bureau 1972) permettrait

aux Occidentaux en quête de sacré sauvage, d’entrer directement en communion avec

le divin, d’être en harmonie avec soi-même, les autres et son environnement et, — ce

qui serait sa « valeur ajoutée » sur le marché des religions mondiales — de voir le passé,

et de prévoir l’avenir57 (Meyo-Me-Nkoghe 2004 : 8). Par ailleurs, si la perception

communautaire de cette religion et de cette plante réside dans le fait qu’elles

permettent de se sentir connecté au reste du monde (la conscience planétaire), elles

sont surtout connues et perçues comme permettant à l’individu de réaliser une plongée

au plus profond de lui-même. Tout se passe comme si la représentation primitiviste du

chamane, de sa tradition et de l’iboga était liée à celle selon laquelle ces derniers

permettraient d’avoir accès au primitif qui est en nous, l’inconscient profondément

enfoui, en quelque sorte « notre primitif intérieur ».

Le primitif intérieur

37 Les visions procurées par l’iboga permettraient même58 de réaliser un « voyage au sein

de son propre ADN » (Geerte Frenken, cité dans Bonhomme 2008 : 15). Les visions

seraient ainsi un moyen (comme les rêves) pour l’Homme moderne de retrouver ses

origines, refoulées, inscrites dans son inconscient. L’idée selon laquelle l’histoire de

l’humanité est inscrite dans notre complexion psychique et qu’il existe un inconscient

collectif, où les symboles attachés aux rêves (et aux visions) sont identiques pour tous

— l’Homme gardant dans son inconscient le souvenir émotif de ses ancêtres — se

retrouve souvent dans les discours des initiés comme des initiateurs. J.-C. Cheyssial

dans son documentaire La guérisseuse de la forêt (2003) montre un Italien se faisant

initier par Bernadette Rébienot, n’étant jamais venu en Afrique et ne parlant aucune de

ses langues avoir une vision « où un esprit de la forêt se présente à lui en langue

tsogho », que l’initié prononce parfaitement. Pour Bernadette Rébienot l’initiatrice, ce

fait n’est pas étonnant, car « les êtres humains sont identiques ». L’iboga, ingérée en

dose « sub-toxique » permet d’effectuer un « voyage à travers les zones inexplorées de

la conscience qu’elle soit individuelle ou collective » (Cheyssial 2003)59.

38 Il est intéressant de faire un parallèle entre les représentations liées au primitif des

acteurs de ce tourisme mystico-spirituel avec celles des surréalistes. Tous considèrent

que le « primitif » est le négatif de l’Homme moderne occidental, dans le sens où il

n’appartient pas à la même culture rationnelle et qu’il est mu par des forces

inconscientes. En s’inspirant de son exemple, l’Homme occidental pourrait s’affranchir

du rationalisme de sa société et avoir « accès à la voie royale » de l’inconscient, grâce

aux rites initiatiques primitifs pour les premiers, et aux œuvres de l’art primitif pour

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les surréalistes. Initiés, initiateurs et surréalistes partagent la représentation de cette

figure du primitif « mythique et terminale à la fois, d’une humanité réconciliée avec

elle-même, restaurée dans ses pouvoirs psychiques originaires » (Sabot 2003 : 7).

39 Notons que si, dans le cas du surréalisme, c’étaient surtout les objets (masques, statues,

etc.) qui fascinaient et inspiraient les artistes primitivistes, dans le cas des Français

s’initiant au bwiti, le « media », « l’entité intermédiaire » (Tatayo, cité dans Laval-

Jeantet 2005 : 151) ou le « catalyseur » primitif change. Il n’appartient plus au domaine

matériel mais végétal. C’est désormais une plante locale, l’iboga, considérée comme

primitive car utilisée par les Pygmées depuis la nuit des temps, qui fascine et permet

aux initiés de plonger à l’intérieur d’eux-mêmes pour découvrir le « primitif » en eux.

Pour les touristes mystiques, comme pour les collectionneurs d’art primitif, l’objet/

l’iboga est « clairement un ailleurs : géographique, temporel, mental » (Derlon & Jeudy-

Ballini 2008 : 59).

Logiques de ces représentations

40 Nous avons vu, à travers les discours des acteurs de ce tourisme mystico-spirituel et

thérapeutique de quelle façon la notion de primitivité est appliquée à la terre africaine

et à la forêt gabonaise, à la plante iboga qui pousse sur cette terre, aux Hommes, et plus

spécifiquement au nganga qui incarne la figure mondialisée du chamane, et par

extension, à ses traditions millénaires, comme le rite initiatique du bwiti. Dans un

deuxième temps, nous avons montré comment ces représentations semblaient, à

première vue paradoxales, associant tour à tour une vision du primitif moderne et

archaïque, salvateur et mortifère, universel et relativiste, communautaire et

individualiste, intérieur et extérieur. Ces représentations sont pour certaines d’entre-

elles fidèles à la notion de primitivité appliquée aux sociétés non occidentales (en

premier lieu amérindiennes) datant du XVIIIe siècle et reposant sur l’idée

évolutionniste que les sauvages sont les ancêtres sociaux des « civilisés », dont ils

figurent un stade de développement révolu (Taylor 2000). On retrouve également dans

les discours une idée du primitivisme proche de l’anthropologie du XIXe siècle selon

laquelle l’écart entre sauvages et civilisés est d’ordre biologique, leur histoire est

commune mais leur « essence » et leur « destinée » diffèrent. Les « primitifs » sont

alors considérés comme étant plus proches des états originaires de l’humanité, tout

comme les sociétés archaïques auxquelles ils appartiennent sont perçues comme

primitives « non parce qu’elles sont “arriérées”, mais parce qu’elles incarneraient des

formes structurelles logiquement premières » (ibid.). Pour les acteurs de ce tourisme, le

primitif et sa société sont perçus à la fois comme « premiers »60, mais également comme

étant restés à l’écart de la civilisation industrielle occidentale, cette idée se traduisant

souvent dans les discours par l’appellation de « sociétés traditionnelles ». C’est cette

mise à l’écart de la société moderne, jugée comme rationnelle et aliénante, qui donne

aux sociétés traditionnelles l’image de gardiennes des traditions et des connaissances

des mystères de la nature et de l’Homme. La représentation liée au « sauvage »61 est très

fréquente, même si le terme n’est jamais employé par ces acteurs et désigne « moins

une catégorie ethnographique qu’une figure inversée de la civilisation occidentale

servant une fonction critique centrale dans la philosophie morale et politique »

(Descola 2000). Cette figure inversée de l’Occidental est mobilisée notamment par les

acteurs de ce tourisme, et avant eux par les surréalistes de l’Entre-deux-guerres, qui

ont grandement contribué à inscrire le primitivisme moderne « dans la lignée de

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mouvements culturels et artistiques qui s’élaborent au tournant du siècle à partir d’une

commune réévaluation critique des schémas mentaux et esthétiques imposés par

l’Occident blanc et rationnel » (Sabot 2003 : 4). L’ambivalence des représentations liées

au primitivisme que révèlent les discours des acteurs de ce tourisme serait donc en

partie identique à celle qui a accompagné la construction et l’évolution de cette notion

depuis le XVIIIe siècle, de la part des philosophes, des anthropologues et des artistes

d’avant-garde. La diffusion massive, à partir des années 1960-1970 en Occident, de la

psychanalyse (et notamment celle de Carl Jung), du mouvement New Age et des

nouvelles techniques thérapeutiques liées à l’idéologie du potentiel humain a

également contribué à la réinterprétation du concept de « primitif » : tout en étant le

contemporain de l’Homme occidental, le primitif, contrairement à ce dernier, est perçu

comme l’incarnation du principe de l’humanité, ayant préservé sa spontanéité

première, ainsi que les liens avec la nature et avec son « moi intérieur »62. Ainsi le

primitif devient le modèle à imiter ; en s’inspirant de ses œuvres et de ses rites

traditionnels, l’Homme occidental pourrait trouver un remède à ses maux physiques

ainsi qu’au tarissement de sa spiritualité et de sa créativité.

41 Les représentations de l’Afrique et des Africains relevées dans les discours des acteurs

oscillent entre archaïsme et modernité. On a vu que ces représentations ne sont pas

propres à l’Afrique et peuvent s’appliquer à tous les continents où se pratiquent ces

formes de tourisme (Asie, Amérique, et même en Europe). Pourtant, l’Afrique est

souvent montrée63 et perçue comme le continent le plus « archaïque » et de ce point de

vue le plus à même de correspondre à l’idée de primitivisme moderne, notamment de

par l’imaginaire lié à son statut de « berceau de l’humanité » et de terre de

l’animisme64. Par ailleurs, le couple dichotomique archaïsme/modernité se retrouve

fréquemment dans les visions touristiques et ne sont pas exclusives du tourisme

mystico-spirituel et thérapeutique65. En revanche, ce qui semble caractéristique de

cette pratique, c’est que ces touristes ne s’inscrivent pas dans le registre du « voir » tel

qu’il est habituellement mis en œuvre dans le tourisme (visiter des lieux, prendre des

photos, assister à des spectacles), mais dans une démarche « participative » ; il s’agit en

quelque sorte d’expérimenter un rite traditionnel et d’absorber une plante pour

effectuer une « plongée en soi ». De ce point de vue, il est possible de dire que ces

touristes ont une pratique primitiviste (dans le sens où nous avons vu que leurs

motivations à l’expérimenter reposaient pour une grande part sur leur vision

primitiviste du chamane, du rite et de la plante). Nous avons observé que c’est lors de

cette pratique et après celle-ci, que les représentations liées au primitif des touristes

évoluent.

Représentations ambivalentes

42 L’analyse des discours tenus par les initiés et les initiateurs sur leur parcours initiatique

et l’observation directe dans le cas de Philippe montrent que le primitif, souvent « bon

sauvage » avant le départ et au début de l’initiation, devient archaïque, détestable ou

incompréhensible, à la fin de l’initiation (c’est le cas pour Philippe et Christophe), ou

plusieurs mois après (c’est le cas pour Yann et pour Vincent Ravalec, comme nous

l’avons vu plus haut). Christophe, l’initiateur, qui commente le « pétage de plomb » de

Philippe lors de la veillée (Chabloz 2009), avoue que lui non plus, lors de sa première

initiation, ne pouvait plus supporter les gens qui l’avaient initié : il les trouvait

« sales », et ne comprenait pas pourquoi « ils pensaient parfois plus à bouffer, alors

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qu’il fallait penser au ciel ». Ces représentations négatives des autochtones seraient

dues, selon Christophe, à l’état « divin » dans lequel se trouve l’initié sous iboga, et fait

qu’il voit « tout le monde comme de la merde ». Christophe précise que cet état est

transitoire et qu’une fois que la « conscience s’est élargie », il devient possible de

comprendre que deux mondes peuvent cohabiter. Cet état transitoire de haine apparaît

également chez Philippe lors de la veillée de son initiation : il quitte la veillée au petit

matin, hors de lui et me confie ses impressions : il n’a pas supporté l’aspect syncrétique

de la veillée, ni les transes, ni la musique. Il n’a pas aimé non plus être « déguisé » en

guerrier misoko ni se sentir obligé de danser alors qu’il n’en avait pas envie. Il a eu

l’impression d’être « dans un asile de fous, chez les branques » et voulait « tout faire

sauter ».

« Ça a été une épreuve vraiment horrible, je te jure je vous aurais tous mis au feu,j’aurais eu une grenade, je vous aurais fait sauter, [...] je pensais des trucs méchants,j’ai jamais pensé ça, mais même par rapport à tout le peuple gabonais, je lesmaudissais [...]. Mais même à en être raciste, je me disais les Gabonais je vais lesdétester [...]. J’ai même écrit un mot à un moment donné, les Gabonais vous êtesstupides, bêtes, ignares, ça devrait être leur slogan national » (échange filmé entrePhilippe et son initiateur Christophe, le surlendemain de la veillée, juillet 2007,Libreville).

43 Après une nuit de sommeil (la première depuis quatre jours), Philippe considère que le

« racisme »66 qu’il a éprouvé la veille s’est complètement transformé en empathie

envers les Gabonais.

44 Philippe, quelques mois après son retour en France, décide de réaliser un stage à

l’ayahuasca en Espagne, expérience qu’il estime bénéfique et « beaucoup moins

violente qu’avec l’iboga ». Il décide également de se reconvertir professionnellement

dans la sophrologie et a commencé une formation dans ce sens. Deux ans après son

initiation au bwiti, il considère que la sophrologie lui convient mieux car cette

discipline est dépourvue de « discours ésotériques » et a une approche scientifique, et

qu’elle ne se réalise pas à travers des rites ni « des rapports de pouvoir entre initié et

initiateur » qui l’ont gênés pendant son initiation au bwiti67.

45 Nous n’avons pas suivi l’initiation de Yann, mais à travers le récit sur le long terme qu’il

fait de son parcours initiatique, il est possible de constater une évolution de ses

représentations concernant les autochtones. Il a, depuis le début de sa démarche

initiatique en 2006, une vision « salvatrice » des thérapies traditionnelles car le bwiti,

comme nous l’avons vu, lui a permis de régler aussi bien des problèmes physiques que

spirituels. Il s’est engagé dans une démarche qu’il est possible de qualifier de

« prosélyte » pour médiatiser le bwiti et ses vertus, en participant à des émissions de

télévision diffusées en prime time au Gabon, en réalisant un film diffusé sur son site

Internet, en effectuant des démarches pour tenter de structurer et de sécuriser les

soins apportés par les nganga gabonais. Yann, qui se sent mieux au Gabon qu’en France,

décide même de s’y expatrier en septembre 2008. C’est en vivant au Gabon depuis

plusieurs mois et en s’engageant dans un nouveau travail initiatique qu’il a le

sentiment de perdre pied. Il évoque un conflit avec son maître initiateur qui lui

demande de s’investir plus avant dans la démarche initiatique alors que Yann arrive en

fin de visa, a la responsabilité de ses enfants en France, et a besoin de retrouver un

travail d’urgence. Il ressent alors un fossé entre deux conceptions du monde, l’africaine

et l’occidentale, un problème « interculturel » entre lui et son initiateur. Pour Yann,

« l’Occidental matérialise », alors que « l’Africain spiritualise », et lorsque l’initié veut

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retourner à sa « culture occidentale, et passer à la phase pratique de matérialisation

des connaissances », cela n’est pas compris par le maître initiateur et cette situation

peut provoquer des conflits. Yann évoque également les différences concernant

l’environnement social, la construction sociale du village, les rapports aux anciens, aux

parents, aux enfants. Selon Yann, les contraintes de vie des Africains ainsi que les

représentations qu’ils ont des Européens contribuent à la difficulté de compréhension

entre Français et Gabonais. Les problèmes des Occidentaux (séparation, perte d’emploi)

seraient par exemple vus comme des « caprices », comparés à leur combat quotidien

contre la mort et la maladie. Un Occidental est traditionnellement vu comme un « être

non spirituel donc presque animal »68, « capricieux », « matérialiste », « raciste ». Ce

« choc culturel » est aggravé par le rite initiatique qui va générer « des états modifiés

de conscience », « une perte de contrôle de soi ». Après quelques mois passés à

Libreville et après trois nouvelles initiations, il se sent perdre pied, il a maigri, il sent

qu’il vit un moment de « bascule » et qu’il doit reprendre « une vie occidentale »,

retrouver ses « priorités » (travail, enfants, famille), sous peine de « devenir comme les

Français demeurant au Gabon qui sont passés de l’autre côté et qui ne vivent qu’à

travers le bwiti ».

46 Neuf mois après notre premier entretien, Yann estime avoir terminé son « travail avec

la plante, l’iboga, le bwiti », être passé par des phases très difficiles (dépression,

impressions mortifères) et avoir pris « beaucoup de distance » avec « l’engouement »

qu’il avait « pour la tradition » : « J’étais un peu plus entre guillemets prosélyte, et

maintenant j’ai énormément tempéré mes ardeurs sur les bienfaits universels de cette

tradition et de cette connaissance. » Avec le recul, Yann estime que pour partir

s’initier, il est préférable d’avoir « un environnement stable ». Les personnes concevant

leur départ comme « une fuite », comme cela a été son cas (séparation d’avec sa femme,

perte de son travail), vont « se perdre encore plus ».

47 L’étude approfondie des parcours d’initiation et de vie de Philippe et de Yann montre

que leurs représentations du primitif évoluent en fonction des événements vécus et que

leur vision de l’Afrique, des Africains, de leur initiateur semble basculer au moment où

ils vivent une sorte de désenchantement lié à la pratique initiatique/touristique.

Comme nous l’avons vu plus haut, leurs visions du primitif sont ambivalentes : les

représentations qu’ils ont du primitif, tout d’abord « positives » (universel, salvateur,

intérieur, futuriste) se transforment au cours de leur parcours initiatique (à des

moments différents pour Yann et Philippe) pour être négativement connotées (le

primitif devient relativisé, mortifère, extérieur, archaïque). La nature ambiguë du

rapport au primitif de ces « touristes » à travers une « pratique primitiviste » peut en

quelque sorte être comparée avec celle des surréalistes. La primitivité « intérieure »,

dont le primitif « extérieur » fournit le modèle idéal aux surréalistes demeure

inaccessible en réalité, et en pratique. Cela conduit à penser qu’il est difficile, voire

impossible « de faire coïncider le lointain et l’originaire, le primitif-objet et le primitif-

sujet, le primitif tel qu’il est en réalité [...] et le primitif tel qu’il devrait être » (Sabot

2003 : 6).

48 Touristes comme surréalistes aspirent à mettre en œuvre une « pratique primitiviste »

pour « tenter d’entrer en “résonance intime” avec “soi”, c’est-à-dire de “redonner à

l’homme civilisé la force de ses instincts primitifs” » (ibid.). Tout comme les surréalistes,

ces touristes mystico-spirituels veulent être les nouveaux explorateurs de l’Homme,

grâce à la plongée en des territoires inconnus, ceux du subconscient, d’un monde de

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l’invisible, à travers un discours qui mêle psychanalyse occidentale et rites initiatiques

primitifs à travers une plante.

49 On se rend compte ainsi de la profonde ambivalence des représentations concernant

l’Afrique des différents acteurs et médiateurs de ce tourisme mystique. D’un côté ils

sont fascinés par la richesse spirituelle de l’Afrique et pensent qu’elle peut venir sauver

l’Occident de ses maux, d’un autre côté, l’image du primitif, négativement connotée,

n’est jamais bien loin. Cette ambivalence peut se retrouver dans des écrits datant de

cinquante ans69 et nous rappelle à certains égards celle d’un ouvrage daté de 1960,

intitulé Les Noirs sauveront les Blancs, dans lequel le Docteur William Jacson, initiateur de

la « mission Lorraine-Congo » fait le compte rendu de son voyage entre Nancy et

Lambaréné. Au fil du récit, émaillé par la transcription de discussions avec des

Européens, surtout des missionnaires, sont évoquées tour à tour les considérations du

père Dhellemmes sur les Pygmées ou celles du père Moll sur les Fang du Cameroun. Les

premiers, considérés comme étant « une des races les plus anciennes » pouvant être

rattachée « à la civilisation la plus primitive »70 (ibid. : 331), sont vus comme de « bons

primitifs » (ibid. : 332). En revanche, les seconds, moins « sauvages », car déjà

corrompus par la civilisation, sont ceux qui ont « l’imperfection d’un primitif » (ibid. :

356). Et Jacson de conclure sur la seule phrase du livre qui pourrait justifier son titre :

« Les Occidentaux ont évolué si vite qu’il ne leur semble plus possible de revenir aux

sources de la vie et aux raisons de notre fin en soi. Nous savons comment réaliser ce

destin, mais nos forces morales sont épuisées. Il nous faut découvrir l’esprit neuf où

sera déposée la vérité, afin qu’elle puisse se développer et s’étendre. Le Noir, par son

existence retirée hors de nos civilisations, pourrait être cette dernière chance » (Jacson

1960 : 441).

*

50 Tantôt jugé comme destructeur des cultures et des traditions, tantôt considéré comme

étant sauveur de ces mêmes traditions, le tourisme peut être comparé de ce point de

vue au colonialisme dans leur rapport avec le primitivisme. En effet pour Jewsiewicki

(1991 : 193) — qui cite la théorie du « primitivisme déclinant » de Goldwater — la

colonisation, loin d’être la cause de la décadence artistique primitive, pourrait même

être à l’origine de sa régénérescence, dans le sens où, ce ne serait qu’après la

reconnaissance de la valeur esthétique des artefacts primitifs dans les années 1930 que

des projets de relance des arts nègres dans les colonies auraient été lancés, participant

ainsi à leur survie et à leur développement. L’ouverture aux Occidentaux de certains

rites traditionnels comme le bwiti, depuis toujours tenus secrets, serait la condition de

leur survie. En effet, les Gabonais seraient « occidentalisés à une vitesse record par

volonté politique » (Laval-Jeantet 2008 : 3), ce qui entraînerait la perte des savoirs

traditionnels dans la société urbaine gabonaise, et expliquerait la course à la

médiatisation qui anime certains nganga prêts à tout pour la survie du culte. Dans

d’autres parties du monde, comme en Mongolie, le tourisme aurait également permis le

renouveau du chamanisme, longtemps interdit par le système soviétique.

51 Les groupes culturels liés à ce chamanisme, dénigrés par la société dominante seraient

du coup revalorisés (Brunel 2006). Il n’est pas certain qu’au Gabon, le développement de

ce tourisme engendre une revalorisation des groupes sociaux et culturels liés aux rites

initiatiques comme le bwiti, souvent mal perçus par la société. Jean-Marie Vianney

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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Bouyou, secrétaire général de la commission nationale de l’Unesco estime que la société

continue de marginaliser ceux qui sont dans le bwiti pour des raisons politiques

(expression de la diversité nationale) et de concurrence religieuse (notamment avec

l’Église pentecôtiste), et que le bwiti a une chance de devenir universel s’il s’ouvre au

monde en sortant des villages, et en étant investi par les intellectuels. La revalorisation

par le tourisme des rites initiatiques des sociétés traditionnelles vient donc conforter

l’une des idéologies du tourisme culturel (qui préserve les cultures) véhiculées

notamment par l’Unesco et l’Organisation mondiale du tourisme (Cousin 2008).

52 Si l’idée selon laquelle l’intérêt des Occidentaux pour le chamanisme maintient

vivantes certaines traditions, est répandue parmi les acteurs de ce tourisme71, la

rencontre avec les autochtones est peu évoquée ou alors à travers un jeu en miroirs de

regards croisés. Les indigènes, fascinés par le mode de vie occidental, délaisseraient

leurs traditions alors que les Occidentaux, désabusés par le rationalisme et la

surconsommation de leur société, partiraient à la recherche de leurs valeurs archaïques

chez les peuples traditionnels. « Tout comme le chien qui court après sa propre queue,

le traditionnel veut expérimenter les progrès technologiques, et ceux qui vivent la

modernité dans son excès ont soif de simplicité et de retour aux sources » (Navarro

2007 : 66). D’autres évoquent la question du « quiproquo interculturel » entre un

Occidental et son nganga, comme nous l’avons vu plus haut pour Yann ; le guérisseur

comprend-t-il vraiment les motivations de ce nouveau patient ? se demande Marion

Laval-Jeantet (2008 : 4) qui explique que le « quiproquo stérile » qui peut naître serait

dû à la recherche de subsides par le nganga et sa volonté de « perpétuer une tradition

mise en danger par la progression d’une culture occidentalisée », et de l’autre « un

(im)patient qui ne perçoit pas nécessairement les logiques structurelles de cette

thérapie ui exige la croyance en un monde parallèle invisible ». Par ailleurs, la

rencontre entre le nganga et l’initié occidental tourne souvent au conflit car ce dernier,

contrairement à l’initié gabonais, ne se « soumet » pas à son nganga. Si quelque chose

lui déplaît dans l’initiation, s’il décide de l’interrompre, il le fait, comme Philippe, qui

est allé au bout de l’initiation mais qui a avancé son départ d’une semaine. Yann

explique qu’après son refus de continuer le travail initiatique, son maître initiateur

était tellement en colère qu’il a juré de ne plus jamais initier d’Européens, jugés comme

trop différents. Le « malentendu interculturel profond » sur lequel repose en partie les

rencontres résultant de cet « attrait ou de cette curiosité pour l’expérience

communautaire et extatique qu’offrent les cultes exotiques » (Mary 2000 : 196) serait

dû, selon plusieurs observateurs, au fait que les contraintes touristiques des Européens

ne leur permettent pas de vivre assez longtemps au Gabon pour « gagner la confiance »

des autochtones et pour comprendre la culture du pays. Le fait que les candidats

européens à l’initiation passent souvent par des initiateurs français pourrait ainsi

s’expliquer par la nécessité de compenser le manque de temps nécessaire pour gagner

la confiance d’un Gabonais. Les Blancs qui proposent une initiation à des Blancs

fourniraient ainsi « une technicité suffisante pour leur offrir quelque chose qui leur

convient, mais l’échange est moindre »72. La « compréhension culturelle » ne pourrait

se faire que sur le long terme car « elle repose sur une logique de confiance, qui

nécessite une imprégnation forte de culture et qui rend l’initiation plus accessible »73.

La plupart des Européens se faisant initier par Tatayo et Christophe, deux Français,

pour des raisons en partie pragmatiques, comme nous l’avons vu, amène certains à

considérer que la « rencontre avec l’Africain ne se fait pas »74. Mais cette rencontre est-

elle vraiment recherchée par les Européens ? La pratique consistant à s’initier tendrait

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à ne plus avoir besoin de l’autre pour se connaître et se découvrir. Si l’idée souvent

avancée selon laquelle « l’identité a besoin de l’altérité pour se réaliser et s’affirmer

dans l’aperception de ce qu’elle n’est pas » (Debray cité dans Gonseth et al. 2002 : 270), il

est possible d’avancer qu’à travers cette forme de tourisme, la rencontre avec l’autre

n’est plus essentielle, c’est l’iboga qui est censée faire découvrir qui on est au plus

profond de soi et qui permet de « savoir qui on est, en sachant qui on est pas »75, même

si la présence du nganga est considérée comme indispensable à l’interprétation des

visions de l’initié. Si « le voyage initiatique constitue [...] une véritable quête

d’interlocuteurs et de partenaires » (Bonhomme 2005 : 41), ces interlocuteurs sont en

quelque sorte « virtuels » (pourtant considérés comme réels), ils appartiennent au

monde des visions, ce sont des partenaires déjà connus qui sont recherchés, comme les

morts et les disparus, ceux qui sont susceptibles d’apporter de l’au-delà des réponses à

la vie actuelle.

« Je est un Autre »

53 Cette conception de l’identité en rapport avec l’altérité ou plutôt avec la non-altérité

serait due, selon Gilles Lipovetsky (1983 : 67), à la généralisation du « procès

d’individualisation » et du « procès démocratique » dans la société occidentale, qui

permettrait le rapport à soi de supplanter le rapport à l’autre ainsi que le déploiement

du narcissisme : « N’est-ce pas précisément lorsque l’altérité sociale fait massivement

place à l’identité, la différence à l’égalité, que le problème de l’identité propre, intime

cette fois, peut surgir ? » (ibid.). L’authenticité l’emporterait désormais sur la

réciprocité, la connaissance de soi sur la reconnaissance. À cet égard, il est intéressant

de souligner que ces touristes s’inscrivent davantage dans une quête d’authenticité

« intérieure » (avoir accès à leur « vrai » moi intérieur à travers les visions)

qu’« extérieure » (authenticité de la rencontre, des cultures, des paysages, etc.)76. De ce

point de vue, ces touristes répondent d’avantage à l’injonction au Be yourself (Flahault

2006) d’une « culture de l’authenticité » (Taylor 1989) qui serait propre à l’Occident,

qu’à la doctrine prônée par les instances promouvant le tourisme culturel selon

laquelle ce dernier permettrait une rencontre « authentique » avec l’autre et sa culture.

Cette forme de tourisme culturel, qui apparaît comme la plus « participative »77 qui soit,

montre également, et contre toute attente, un visage plus « ethnocentrique » : la

rencontre avec l’autochtone n’est pas nécessaire, les touristes se contentent et/ou

recherchent des nganga français ; une sorte de primitivisme sans primitif : seule la

transmission de ses rites, de ses plantes et du savoir-faire initiatique semble

majoritairement recherchée78. L’analyse des représentations qui entourent cette forme

de tourisme et de ses pratiques montre que lorsque l’autochtone est en quelque sorte

assimilé au soi-même du touriste (primitif universel, primitif intérieur, primitif

salvateur), la figure de l’autre disparaît au profit d’une nouvelle division, celle du

conscient et de l’inconscient, « le clivage psychique, comme si la division se devait

d’être reproduite en permanence, fût-ce sous un mode psychologique, afin que l’œuvre

de socialisation puisse se poursuivre » (Lipovetsky 1983 : 67). Tout se passe comme si le

sentiment de similitude avec l’autre engendrerait un sentiment d’étrangeté avec soi-

même, que permettraient « d’effacer » l’iboga et le bwiti « dont le but est de permettre

à l’homme de se découvrir. D’où la reprise par l’auteur du “connais-toi toi même” de

Socrate » (Meyo-Me-Nkoghe 2004 : 7).

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

354

54 Par ailleurs, nous avons également pu observer que c’est lorsque la figure de l’Autre

réapparaît sur la scène sociale au cours de l’initiation, lorsqu’il est de nouveau perçu

comme étranger à soi-même et négativement connoté (primitif extérieur, relativisé,

mortifère, archaïque) que se produisent des situations de rencontre qui sont

interprétées par les touristes comme des « malentendus interculturels » ou des

« décalages culturels ». Nous avons montré par ailleurs (Chabloz 2007) que les conflits,

découlant d’un malentendu dans une situation de rencontre touristique, étaient

« productifs », dans le sens où ce sont eux qui amènent selon nous une meilleure

compréhension mutuelle entre touristes et autochtones. Il est difficile de parvenir à la

même conclusion concernant cette forme de tourisme. En effet, l’analyse des

interactions entre l’initié et son nganga est rendue difficile par l’utilisation constante

d’un discours ésotérique de la part du nganga. Les référents ésotériques,

caractéristiques de cette pratique initiatique, brouillent tout autant les cartes de la

rencontre touristique qu’ils obligent l’ethnologue à négocier avec des registres

relationnel, discursif et analytique79 qui ne lui sont pas forcément familiers.

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2005-2006 Un pèlerinage sans fin, documentaire, 35 min.

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1997 La Nuit du Bwiti, documentaire, 50 min., Paris, Latitude 16/35 et Maximum Vidéo.

1998a Le Souffle de la Forêt, documentaire, 50 min., Paris, K. Production et Maximum Vidéo.

1998b L’esprit de la Forêt, documentaire, 26 min., Paris, production Fonds européen.

1999 Secrets de femmes, documentaire, 49 min., Paris, Digivision et Yves Planche.

2000 Le Peuple de la Forêt, documentaire, 50 min., Paris, La Luna Productions.

2002 L’Esprit de l’Ayahuasca, documentaire, 50 min., Paris, La Luna Productions.

2003 La Guérisseuse de la Forêt, documentaire, 26 min., Grand Angle Productions-Latitude Film,

RFO.

KELNER, G.

2002 Les hommes du bois sacré, documentaire, 53 min., Paris, Art Line Films. KOUNEN, Y.

2003 D’autres mondes, 72 min., distribution Eurozoom.

2004 Blueberry, l’expérience secrète, 2 h 04, France.

LAVAL-JEANTET, M. & MANGIN, B.

2003 Voyage en Iboga, documentaire, 35 min., production Art Orienté objet, Université Paris VIII,

Libreville et Paris.

MERLI, L.

2009 Shaman Tour, documentaire, 60 min..

PELLARIN, R.

2006 Chacun cherche son chaman, documentaire, 66 min., France, Stratis.

NOTES

1. Voir notamment RASSOOL & WITZ (1996) sur le tourisme en Afrique du Sud et de DEUTSCHLANDER &

MILLER (2003) sur le tourisme culturel amérindien.

2. Considéré par certains comme un rite initiatique, le bwiti est également souvent qualifié de

religion. Il n’est pas question ici de procéder à une enquête ethnographique portant sur le bwiti.

Des études ont été surtout effectuées sur le bwiti « traditionnel » des Mitsogho du Gabon central,

voir notamment GOLLNHOFER & SILLANS (1997), SALLÉE (1985), et sur le bwiti « syncrétique » des Fang

de l’Estuaire, voir notamment BINET (1972), BUREAU (1972, 1996), FERNANDEZ (1982), MARY (1999),

SWIDERSKI (1990). Pour une bibliographie détaillée et commentée sur le bwiti et l’anthropologie

religieuse du Gabon, voir BONHOMME (2006).

3. L’iboga est souvent définie comme « plante hallucinogène » (GOLLNHOFFER & SILLANS 1997 : 95 ;

MARY 1999 : 26 ; FRIEDBERG 2000 : 320-321), alors que pour certains elle ne l’est pas (RIBENGA 2004 :

44). La plupart des chercheurs, initiateurs et initiés semblent s’accorder sur le fait que les visions

provoquées par l’iboga ne peuvent être considérées comme des hallucinations notamment de par

leur caractère « réel ». Je remercie vivement André Mary pour la relecture attentive de cet article

et ses précieux conseils.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

360

4. Les catégories d’acteurs sont poreuses. Les promoteurs et les organisateurs de séjours

initiatiques ont souvent été initiés au préalable. Leurs discours présentent donc un double

intérêt : le témoignage d’une expérience vécue, le « recul critique » se voulant scientifique ou

didactique sur cette expérience. De plus, les représentations véhiculées par les « médiateurs »

sont en partie réappropriées par les candidats à l’initiation.

5. Dans cet article, nous nous intéressons moins au parcours des initiateurs que des initiés.

Précisons simplement que nous avons mené des entretiens avec quatre initiateurs : deux

Gabonais (Bernadette Rébienot et Atome Ribenga) et deux Français : Tatayo (sur le parcours

initiatique de cet initiateur, voir LAVAL-JEANTET 2005) et Christophe, le plus cité, car c’est lui que

nous avons suivi au cours de l’initiation qu’il donne à Philippe (CHABLOZ 2009). Christophe a

découvert le Gabon en y effectuant son service militaire, et compte parmi les premiers Français à

s’être initiés au bwiti (après Tatayo) à l’âge de 22 ans. Il est marié à Marie-Claire, une Gabonaise

avec laquelle il a vécu en France avant d’initier depuis une dizaine d’années des Européens « en

famille » dans leur village situé à 12 km de Libreville. Ils proposent un bwiti que l’on pourrait

qualifier « d’adapté aux Européens », qui « ne suit ni la route du misoko ni celle du disumba, mais

la route du bois sacré » et qui ne comporte « ni interdits, ni obligations » (entretien filmé, juillet

2007, Libreville).

6. Le gouvernement gabonais n’encourage pas ce tourisme mystico-spirituel, car il refusait les

demandes de visas (Tatayo cité dans LAVAL-JEANTET 2005 : 147-148) qui indiquaient cette

motivation, même avant l’interdiction de l’iboga en France en 2007. Cette précaution du

gouvernement gabonais « qui tantôt paraît favoriser le Bwiti tantôt l’interdit » (BINET 1974 : 55)

s’expliquerait également par ses rapports historiquement ambivalents avec la tradition bwitiste.

7. Ce prix comprend l’hébergement, la nourriture, l’achat d’ustensiles nécessaires à l’initiation,

l’achat de l’iboga (son coût a également augmenté suite au développement des initiations

d’étrangers, mais aussi de la médiatisation de l’ibogaïne, un des composants de l’iboga, connue

pour ses propriétés « anti-addictives »), la rémunération des musiciens et des danseurs et du

« petit personnel » qui accompagnent le banzi (initié). Ce prix peut également comprendre l’achat

et la confection du pagne de l’initié, ainsi que divers « services touristiques » consistant à la

préparation d’un CD de photos pour l’initié qu’il emportera avec lui, la confection d’un mongongo

(arc en bouche), et d’éventuelles excursions dans la forêt ou sur la plage une fois l’initiation

terminée.

8. L’expression de « psychologie humaniste » regroupe une série d’approches psychologiques et

de pratiques thérapeutiques élaborées et diffusées aux États-Unis dans les années 1960 avant de

connaître un certain succès en Europe et en France. Cette expression tend aujourd’hui à

l’emporter sur celle de « mouvement du potentiel humain » utilisée antérieurement (LIPIANSKY

1982 : 78).

9. J’ai rencontré Philippe lors de son arrivée dans sa famille initiatrice en juillet 2007, ai suivi et

filmé son initiation qui a duré une dizaine de jours (CHABLOZ 2009). J’ai été mise en relation avec

Yann par Tatayo, et nous avons mené plusieurs entretiens filmés approfondis à Paris,

s’échelonnant sur une année. Qu’ils soient ici tous deux remerciés.

10. Philippe est de père martiniquais et a découvert que celui-ci, décédé, était descendant

d’esclaves provenant du Sénégal.

11. Le récit de Yann sur son enfance et son adolescence est basé sur une suite ininterrompue de

souffrances, de violences et d’abandon. Sans entrer dans les détails il évoque une « enfance

difficile » au sein d’une famille « très malade » ainsi que des « violences, torture mentale,

abandon, rue, délinquance, enfermements, isolement, dépressions, toxicomanie, flirt avec la folie

et la mort ».

12. Cette forme de tourisme n’est pas spécifique à l’Afrique, voir notamment LEGRAND (2006) sur le

« tourisme généalogique » en Irlande ; BELLAGAMBA, BENTON & SHABAZZ, FORTE (dans ce numéro) à

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

361

propos du « tourisme de racines » en Afrique. Au Gabon, cette quête de « racines » provient

majoritairement de Français ou d’Européens, mais pas d’Afro-américains : « On n’a pas vu un seul

Afro-américain venir manger l’iboga, ils vont à l’Intercontinental en costume-cravatte, mais ils

ne viennent pas s’initier. Alors le retour aux sources... ploutch ! [geste de bras d’honneur] »

(Tatayo, entretien filmé, juillet 2007, Libreville).

13. Les motivations des « touristes » français et des Français vivant au Gabon sont différentes. Les

expatriés s’inscriraient plutôt dans des logiques de « curiosité et d’analyse intellectuelles » et

d’« insertion dans la population locale » (entretien avec J.-C. Morlaës, conseiller de coopération

adjoint à l’ambassade de France en poste au Gabon en 2007, juillet 2007, Libreville). Même si ce

n’est pas l’objet de cet article, précisons que les Gabonais viennent chercher dans le bwiti et

l’iboga une explication à une maladie ou à un malheur, mais ne sont pas en recherche d’un sens à

donner à leur vie (MARY 2005 : 14). Plusieurs témoignages d’initiateurs précisent également que

certains Gabonais s’initient au bwiti dans une logique politico-culturelle ou pour acquérir des

pouvoirs.

14. Le format de cet article ne permet pas de comparer les motivations à l’initiation des

Occidentaux avec celles des Gabonais (MARY 2005 ; BONHOMME 2008), mais précisons simplement

que, pour les Gabonais, l’aspect thérapeutique peut encore moins être séparé de l’aspect

mystique puisque les problèmes physiques ou psychologiques (souvent nommés « maladies

mystiques ») sont majoritairement attribués à des « attaques mystiques » qu’il s’agit de résoudre

dans le bwiti, l’iboga permettant notamment, grâce aux visions qu’elle procure, de trouver et de

contrer le responsable de ces attaques sur le plan de l’invisible.

15. Le déroulement des initiations dépend notamment de l’initiateur et du type de bwiti qu’il

pratique. Cependant, pour donner une idée des pratiques sur place, voici le déroulé de l’initiation

que nous avons suivie en juillet 2007 (CHABLOZ 2009) : 1er jour : cueillette des herbes destinées aux

bains de purification. 2e jour : bains, « bastonnade » (eau brûlante projetée sur le corps avec un

balai), un seul repas, le soir Christophe tire les cartes de tarot à Philippe. 3e jour : absorption

d’une plante vomitive, jeûne, bains, réunion le soir dans la « cour de la vérité » (« Nzimba ») pour

dire devant les esprits ce qui est recherché dans l’initiation, danses. 4e jour : dernier bain,

aspersion d’eau, « enfumage » (qui rend invisible aux sorciers), l’initié enduit de kaolin absorbe

l’iboga, accompagné par le son de la harpe et des chants de l’assemblée, visions le soir et la nuit

dans la chambre d’initiation. 5e jour : l’initié est debout et prend un repas de fruits, discussions

avec l’initiateur sur la signification des visions de la nuit. 6e jour : préparation de la veillée du

soir, distribution d’une petite dose d’iboga par Christophe à tout le village, veillée avec

« plusieurs bwiti » (disumba et misoko), Philippe danse habillé en guerrier misoko, mais part au

milieu de la nuit, excédé. 7e jour : au petit matin, Philippe décide de partir du village qu’il ne

« supporte plus », il me demande de l’accompagner, retour au village le soir. 8e jour : Philippe se

sent mieux après une nuit de sommeil, bilan de l’initiation avec Christophe en voiture, visite

d’une amie et d’un autre initiateur français (Tatayo), détour chez un ami français qui a fait des

photos de l’initiation de Philippe et qui lui donne un CD, départ pour l’aéroport le soir.

16. Une trentaine d’Occidentaux (dont une grande majorité de Français, et quelques Américains,

Canadiens, Allemands, Japonais) viennent se faire initier chaque année au Gabon depuis une

dizaine d’années. Le consul de France à Libreville estimait le nombre de touristes français au

Gabon à 25 000 en 2007. La majorité des touristes viendraient visiter des proches vivant sur place

ou pour faire du « tourisme d’affaires ». En raison du coût élevé du billet d’avion et de la rareté

des infrastructures touristiques, le pays est considéré comme peu attractif pour les voyages

d’agrément.

17. Depuis 2007, le ministère français des Affaires étrangères met d’ailleurs en garde les touristes

sur la page Internet consacrée aux « conseils aux voyageurs » en partance pour le Gabon, <http://

www.diplomatie.gouv.fr/fr/conseils-aux-voyageurs_ 909/pays_12191/gabon_12246/index.html>.

18. Arrêté publié au Journal Officiel du 25 mars 2007.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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19. Cela étant, si ces personnes se déplacent, même en France et passent deux nuits à l’extérieur

de chez elles, elles sont également considérées comme touristes, d’après la définition qu’en

donne l’OMT.

20. Le terme de « chamanisme » ou de « chaman » correspond d’abord aux guérisseurs de Sibérie,

il a été ensuite progressivement élargi à tous les guérisseurs et tradi-praticiens de la planète qui

ne pratiquent pas la médecine dite occidentale, et le terme a même été approprié par de

nombreux guérisseurs, surtout en Amérique du Sud.

21. L’anthropologue Michael Harner est également le fondateur et le président de la « Fondation

for Shamanic Studies » qui propose des cours et des séminaires en France, en Suisse et en

Belgique et des voyages sur le thème du chamanisme dans le monde, <http://www.chamanisme-

fss.org/seminaires.html>.

22. Un documentaire, « Les nouveaux tourismes » diffusé sur Canal + le 20 mai 2009, suit

notamment un groupe de Français lors d’une initiation au Brésil.

23. <http://www.patrickdacquay.com/patrick/index.php>.

24. Patrick Dacquay est également le compagnon d’initiation de la Franco-québécoise Mélanie

NAVARRO (2007) qui relate dans un ouvrage leur rencontre et leur périple au Gabon, ainsi que leur

initiation au bwiti chez les Pygmées.

25. Jan KOUNEN n’est pas à proprement parler un initiateur du tourisme vers le Gabon car ses

films portent surtout sur l’ayahuasca, mais son influence est reconnue par ceux qui partent

s’initier au Gabon ou ailleurs, et en ce sens, il peut être considéré comme quelqu’un dont le

travail a influencé le tourisme « mystico-spirituel » et « thérapeutique ».

26. Comme le documentaire de KELNER (2002) diffusé sur Arte en 2003.

27. Par exemple sur France Culture « Bwiti, voyages initiatiques au Gabon », 21 octobre 2006

(rediffusée le 6 janvier 2007) ; sur « Ici et Maintenant ! » (95.2 FM), émission sur l’iboga du 28

mars 2004, et celle du 15 juillet 2005.

28. Notamment les films de Jan KOUNEN (2003, 2004).

29. Julien BONHOMME (2006 : 2020) recommande de consulter les ouvrages non scientifiques sur le

bwiti et l’iboga (notamment celui de RAVALEC ET AL. 2004) « avec la plus grande prudence car ils

relèvent bien davantage de l’ésotérisme occidental et du New-Age que du travail universitaire ».

30. Le 5 avril 2004 au Musée de l’Homme ; le 1er février 2007 au musée Dapper ; le 28 mars 2007 au

Musée de l’Homme ; le 25 septembre 2008 à la Société de Géographie, conférence organisée par

l’INREES (Institut de recherche sur les expériences extraordinaires).

31. Comme par exemple lors des opérations de préfiguration du musée du Quai Branly

(programmation « hors les murs », les « Nuits du Bwiti », été 2002, Montpellier) ou par des

acteurs associatifs tels Ethnoart et Savoirs d’Afrique qui ont organisé la « Nuit de la Meyaya »

autour de la cérémonie du bwiti (2 septembre 2005, Aubervilliers).

32. L’un avec Vincent RAVALEC et Agnès PAICHELER (2004) et il participe à celui de RAVALEC & SAZY

(2004).

33. Communiqué publié en septembre 2006 sur le site Internet de l’association Savoirs d’Afrique,

<http://www.savoirsdafrique.org>.

34. L’absorption d’iboga serait déconseillée aux personnes ayant notamment des problèmes

cardiaques, reinaux et d’ulcère à l’estomac et souffrant de pathologies psychiatriques telle que la

schizophrénie. Yann évoque le cas de personnes s’étant faites interner en hôpital psychiatrique à

leur retour du Gabon, ainsi que des suicides et des « disparitions » (entretien filmé, février 2008,

Paris). Pour le quotidien L’Union, « initier des personnes étrangères à notre environnement

culturel n’est pas sans danger. C’est ainsi qu’au courant du mois d’août, deux Français ont fui le

village [de Panga] à la 3e nuit de leur initiation pour aller dormir dans la forêt. Heureusement ils

ont été retrouvés rapidement, et surtout sains et saufs sur la côte de Mayumba » (MOUSSADJI 2004 :

20)

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

363

35. Entretien, juillet 2007, Libreville.

36. « La diversité culturelle élargit les possibilités de choix offertes à chacun ; elle est l’une des

sources du développement, entendu non seulement en termes de croissance économique, mais

aussi comme moyen d’accéder à une existence intellectuelle, affective, morale et spirituelle

satisfaisante » (Article 3 de la Déclaration universelle de l’Unesco sur la Diversité culturelle,

2002).

37. Au sens de « qui appartient au premier état d’une chose ; premier, initial, originel » (Le Grand

Larousse illustré, 2005).

38. La figure de l’ancêtre au Gabon est incarnée par le Pygmée, considéré comme la « population

première » par excellence (BONHOMME 2005 : 143).

39. À propos de l’hypothèse (et des polémiques qu’elle a engendrées) selon laquelle les hommes

auraient toujours cherché à entrer en contact avec les esprits par l’intermédiaire des chamanes

et de leurs voyages pendant la transe, et que l’illustration de ces pratiques se retrouve dans l’art

préhistorique des cavernes, voir CLOTTES & LEWIS-WILLIAMS (2007).

40. Le bwiti syncrétique fang « inventé par les prophètes fang dans les années 19301950 » (MARY

2005 : 85) est celui qui est perçu par les Occidentaux comme le seul qui soit syncrétique, du fait

notamment de l’abondance des symboles de religion chrétienne, alors que toutes les formes de

bwiti seraient en réalité les produits « d’un jeu d’échanges et d’emprunts multiples entre ethnies

qui a précédé l’arrivée des missionnaires » (ibid.), ou de « bricolages » plus contemporains.

41. Entretien filmé, février 2008, Paris.

42. Selon Marion L AVAL-JEANTET (2006 : 15-20), les candidats à l’initiation ont à choisir entre

« deux cultes majeurs dont les pratiques sont très distinctes » : le Misoko (interethnique,

important au centre du pays, voir BONHOMME 2005), souvent qualifié de « culte de la guérison »

vers lequel se tournent les Occidentaux en souffrance psychologique, et le Disumba pratiqué par

tous les groupes ethniques et choisi par les Fang (qui le tiennent des Mitsogho) pour en produire

de nouvelles versions syncrétiques (avec le christianisme) et considéré comme la voie mystique

du bwiti, souvent qualifié de « culte des ancêtres ». Les prises importantes d’iboga permettraient

en effet d’avoir des visions ayant trait à l’au-delà et au monde des morts. Des tentatives de fusion

des cultes ont été menées, et c’est dans cette démarche que s’inscrit le type de bwiti proposé par

Christophe et Marie-Claire.

43. Comme la plume de perroquet rouge (symbolisant le voyage et la parole), l’aiguille (symbole

de l’entrée et de la sortie), le miroir, etc.

44. Christophe, entretien filmé, juillet 2007, Libreville.

45. C’est d’ailleurs l’absence du secret dans le bwiti pratiqué par Christophe et Marie-Claire qui a

permis que je suive et filme l’initiation de Philippe. Je profite de cette occasion pour les en

remercier.

46. Christophe, entretien, juillet 2007, Libreville.

47. Message posté sur le forum « l’alcool et l’alcoolisme : aide et entraide pour arrêter l’alcool

(ATOUTE) » de la part de « Nemo VNI » déclarant s’être fait initié en France avec Mallendi en

trois jours.

48. Ibid. Le discours pragmatique qui se retrouve chez de nombreux initiés et initiateurs selon

lequel une initiation remplacerait dix ans de psychanalyse, se retrouve dans les techniques de

groupes de développement qui s’appuient sur le même type d’autorité pragmatique de

l’expérience personnelle directe : « Si ça marche, fais-le » (STONE 1982 : 112-113).

49. Un toxicomane est décédé le 18 juillet 2006 durant un stage de désintoxication organisé par

un couple français dirigeant l’association Meyaya à la Voulte, en Ardèche. Cette association

organisait des séminaires de développement personnel basés sur le rite du bwiti et l’ingestion

d’iboga. Mallendi, tradipatricien gabonais exerçant en France depuis 2001 animait ces stages en

tant que prestataire indépendant et a été mis en cause dans cette affaire (même s’il était au

Gabon au moment des faits), inculpé pour « homicide involontaire et mise en danger de la vie

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d’autrui », incarcéré pendant un mois avant d’être libéré et d’être mis en examen pour « pratique

illégale de la médecine et de la pharmacie ». Il donne son point de vue sur cette affaire,

notamment dans un communiqué publié en septembre 2006 (<http://www.savoirsdafrique.org>),

et s’explique le 28 mars 2007 lors d’un débat organisé au Musée de l’Homme autour de la

projection de films documentaires sur le bwiti et l’iboga. Sur le parcours de Mallendi et sur sa

vision du bwiti, voir également RAVALEC, MALLENDI & PAICHELER (2004 : 107-119) et le film de KELNER

(2002).

50. Mallendi, intervention au Musée de l’Homme le 28 mars 2007.

51. Le 17 décembre 2006, un Français de trente sept ans est mort par noyade pendant une

initiation encadrée par Tatayo. Les circonstances de ce décès restent obscures : il se serait baigné

dans la mer, sans surveillance, et se serait noyé alors que la mer était calme (c’est cette donnée

qui rend la mort suspecte aux yeux notamment du consul de France en poste à Libreville au

moment des faits). L’autopsie aurait révélé une anomalie cardiaque. Suite à ce décès, un

questionnaire de santé et de motivation a été élaboré sur le modèle de celui de Jacques Mabit,

médecin français organisant des stages à l’ayahuasca au Pérou (entretien filmé avec Tatayo,

juillet 2007, Libreville).

52. Julien DUMOND, « Mort mystérieuse lors d’une cure de désintoxication », Le Parisien, 8 août

2006 ; Azzedine AHMED-CHAOUCH & Bruno MASI, « La poudre africaine bientôt classée comme

stupéfiant. L’iboga plante tueuse ? », Choc Hebdo, no 71, 8-14 mars 2007.

53. Les représentations liées à l’universalisme incarné par le chamane renvoient, selon nous en

partie à l’universalisme des Lumières mais surtout à l’unité de l’esprit et de la matière « dans un

spiritualisme cosmique où l’univers est décrit en termes de conscience, de volonté et de vie

intérieure rejoignant en cela les enseignements des traditions mystiques » (ATLAN 1986 : 35).

54. Cette approche, que F. CHAMPION et D. HERVIEU-LÉGER (1990 : 39-40) qualifient de « militance

culturelle » se retrouve au sein de la « nébuleuse mystico-ésotérique ». Cette aspiration du

« mystique ésotériste » à « réinventer de l’unité » serait selon ces auteures une réponse

protestataire à l’avancée de la modernité qui est pour une grande part un processus de

séparation.

55. Selon Henri A TLAN (1986 : 16), l’idée d’une « Réalité Ultime » chez les Occidentaux

proviendrait notamment de leur « découverte » de la réalité du monde des rêves et de

l’imaginaire, grâce à la chimie (psychotropes), aux techniques de méditation (importées

d’Orient), la psychanalyse et le surréalisme.

56. L’intégration à un groupe ou la recherche du sentiment d’appartenance à une communauté

ne semble pas faire partie des motivations des Français qui partent s’initier. Selon Jean-Claude

Morlaës, conseiller de coopération à l’ambassade de France à Libreville en 1997, l’initiation est

une démarche individuelle qui n’entre pas dans une logique de groupe, contrairement aux sectes,

ce qui viendrait contredire les « risques de dérives sectaires » imputés au bwiti par la Miviludes

(entretien, juillet 2007, Libreville).

57. L’absorption des racines de la plante iboga permettrait en effet, selon de très nombreux

témoignages d’initiés, d’avoir des visions montrant des épisodes du passé et de l’avenir, visions

considérées comme réelles. Yann par exemple déclare que toutes les visions qu’il a eues sous

iboga se sont réalisées.

58. Mais ce discours se retrouve également chez les initiés à l’ayahuasca, voir NARBY 1995.

59. L’idée d’une conscience universelle semble également être l’interprétation du fait que les

initiés (quelle que soit leur provenance) à l’ayahuasca ont des visions de serpents, considérés

comme représentant l’esprit de la plante ayahuasca (CHEYSSIAL 2002).

60. Dans le sens du latin primitivus : qui naît le premier. Qui appartient au premier état d’une

chose, premier, initial, originel.

61. Du latin selvaticus : sylvestre.

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62. On retrouve cette idée au sein du mouvement surréaliste (SABOT 2003 : 7).

63. Par exemple, les documentaires du réalisateur Jean-Claude Cheyssial sur le bwiti, l’iboga et

l’ayahuesca, en abordant les différentes pathologies des initiés et leurs motivations à l’initiation

tendent à donner une image à certains égards plus « primitive » des Gabonais que des Péruviens.

Par exemple il montre des médecins français gravitant autour de l’ayahuesca au Pérou, mais il ne

montre pas les initiateurs français au Gabon. S’il filme des patients indigènes et européens dans

les deux pays, au Pérou, les pathologies des patients européens et indigènes ne semblent pas trop

éloignées (problèmes de dépendance au haschich et à l’alcool et de dépression pour le Français,

problème de dépendance à l’alcool et de dépression pour le patient péruvien) (CHEYSSIAL 2002),

alors qu’au Gabon (CHEYSSIAL 2003) le film débute sur l’initiation d’un Gabonais souffrant d’une

maladie « mystique » (« que l’on ne s’attend plus à trouver au XXIe siècle »), et enchaîne sur

l’initiation d’un Italien qui souffre d’une maladie bien occidentale, le malêtre. Ainsi donc, au

Pérou, les motivations à l’initiation des Occidentaux et indigènes sont représentées comme

quasiment semblables, alors qu’au Gabon, on perçoit un « fossé culturel » entre les pathologies et

les motivations des indigènes et celles des Occidentaux. De même, dans un autre documentaire

sur les femmes guérisseuses au Gabon (CHEYSSIAL 1999), cet auteur montre deux Gabonais

« atteints par une maladie typiquement africaine, le vampirisme ».

64. L’animisme est perçu comme impliquant une relation étroite de l’Homme avec son univers

naturel, ce qui représente une forme de progrès ou de modernité (primitivisme moderne)

opposée à la culture occidentale dont le progrès est basé sur la séparation d’avec la nature et sur

la maîtrise physique et intellectuelle de cette nature. Cette séparation et cet intellectualisme,

comme nous l’avons vu, sont considérés comme responsables de l’aliénation de l’Occidental.

65. Cette vision se retrouve également dans des pratiques touristiques plus « classiques »

consistant à visiter des lieux. Par exemple RASSOOL et WITZ (1996) décrivent la composition

d’images liées à « l’Africanité » du tourisme sud-africain qui s’articule autour de la vie sauvage de

ses animaux, de son tribalisme « primitif » et de sa société moderne.

66. Le « racisme » que pourrait éprouver les initiés, plongés dans un environnement étrange et

sous influence de l’iboga, est également évoqué par Vincent RAVALEC (2004 : 102).

67. Entretien téléphonique, janvier 2009.

68. À ce propos, il serait également éclairant de procéder à l’analyse du « primitivisme » présent

dans les représentations que les Gabonais ont des Occidentaux.

69. Ce qui pose la question d’une véritable rupture entre les représentations des touristes

contemporains liées au primitif en Afrique et celles des touristes pendant la période coloniale,

voir à ce sujet l’article de Sophie DULUCQ (dans ce numéro).

70. L’auteur déclare au père Dhellemmes que les Pygmées seraient des descendants des Atlantes

(JACSON 1960 : 331).

71. L’idée selon laquelle l’initiation des Blancs et sa médiatisation incite les autochtones à se

réapproprier leurs traditions se retrouve aussi bien chez les initiés (Yann), chez les

« médiateurs » (Narby dans KOUNEN ET AL. 2008 : 67 ; Kounen dans K OUNEN ET AL. 2008 : 68 ;

CHEYSSIAL, <http://jean-claude-cheyssial.com/pages/secrets.html>), que chez les initiateurs

(RIBENGA 2004 : 66-67).

72. Entretien avec Jean-Claude Morlaës, conseiller de coopération adjoint à l’ambassade de

France, juillet 2007, Libreville.

73. L’idée très répandue selon laquelle la condition sine qua non d’une « vraie » rencontre qui

entraînerait une meilleure compréhension mutuelle serait une longue durée de vie sur place, est

nuancée par l’expérience de Yann qui constate une incompréhension mutuelle entre lui et son

nganga après avoir vécu près d’un an à Libreville. C’est en « passant de l’autre côté », en devenant

presque Gabonais et en n’appartenant plus à la catégorie de touriste (l’OMT considère que le

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touriste est celui qui vit moins d’un an sur place) que Yann évoque pour la première fois un

« décalage culturel » responsable du conflit qu’il a eu avec son maître initiateur.

74. Entretien avec Jean-Claude Morlaës, juillet 2007, Libreville.

75. Christophe, échange avec Philippe (CHABLOZ 2009).

76. Contrairement à Yann qui recherchait une initiation « authentique » (malgré ses aspects

syncrétiques), et à Mélanie NAVARRO (2007) qui est allée se faire initier chez les Pygmées, on

s’aperçoit à travers les discours des initiés et des « médiateurs culturels » de ce type de tourisme

que l’aspect touristique, considéré comme « non authentique » des structures d’accueil leur

importe en fait assez peu. on le voit à Libreville lorsque des Européens choisissent des Français

comme initiateurs pratiquant un bwiti qui leur est adapté. Ce phénomène s’observe également au

Pérou (KOUNEN ET AL. 2008 : 163-164).

77. Les touristes ne se contentent pas du registre du voir, mais expérimentent véritablement une

pratique initiatique, considérée par certains comme fondamentale dans la culture gabonaise.

78. Cela semble par exemple être le cas de Philippe qui estime que son stage d’initiation à l’iboga

en France lui a été plus profitable que son initiation au bwiti au Gabon, perçu comme « trop

spirituel » et les rites sur place comme trop contraignants. En revanche, ce n’est pas le cas de

Yann qui recherchait au contraire l’aspect rituel et la découverte de « l’essence » du bwiti.

79. Le format de cet article n’a pas rendu possible la description ni l’analyse du rapport

qu’entretient le chercheur avec ses informateurs sur ce type de « terrain », mais elles restent à

faire. Je conclue en remerciant chaleureusement Saskia Cousin pour son aide qui m’a notamment

permis de réduire cet article, deux fois trop long à l’origine.

RÉSUMÉS

Cet article apporte un éclairage sur les ressorts d'une pratique touristique que nous appellerons

« mystico-spirituelle et thérapeutique », en partie basée sur la figure du primitif. L'étude des

parcours et des discours de Français partis s'initier au bwiti, un rite initiatique gabonais utilisant

les racines d'une plante, l'iboga, ainsi que de ceux qui ont médiatisé et souvent initié cette

pratique en France, permet de mieux comprendre les différents registres et les différentes

représentations concernant le primitif. Ces représentations, multiformes, souvent ambivalentes,

évoluent en fonction des situations vécues par les touristes. On tentera tout d'abord de décrire

cette pratique touristique, ainsi que les personnes qui la mettent en œuvre, la médiatisent et

l'expérimentent. On s'emploiera ensuite à définir les différentes acceptions de la notion de

primitif et de primitivisme à travers les discours et les pratiques des acteurs. Enfin, nous nous

attacherons à analyser de quelles manières ces représentations et ces pratiques primitivistes

viennent conforter ou contredire les idéologies et les lieux communs du tourisme dit culturel —

notamment celles portant sur la « rencontre avec l'autre », une meilleure compréhension entre

les peuples et la sauvegarde des traditions locales.

This paper sheds light on the implications of tourist practice that we shall call "mystic-spiritual

and therapeutic" partly based on representations of the primitive. A study of French nationals

who have gone to Gabon to experience the bwiti initiation rite using the root of the iboga plant,

and the people behind the media coverage, who have frequently brought this practice to France,

give us a better grasp of the various levels of primitivism and its representations. There are many

(often contradictory) types of representations, which evolve according to the tourists'

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experiences. We first attempt to obtain a clearer idea of this tourist practice and its offshoots, as

well as the persons who implement, promote and experiment with it. We then attempt to define

the various meanings behind the notion of primitive and primitivism though the views and

practices of those involved. Lastly we attempt to analyse how these primitivist representations

and practices support or contradict the ideologies and areas that are common to so-called

"cultural" tourism, especially when it claims to "meet the other", provide a better understanding

between people, and preserve local traditions.

INDEX

Mots-clés : Gabon, bwiti, iboga, initiations, pratiques, primitivisme, rencontre, représentations,

tourisme culturel, tourisme mystico-spirituel, tourisme thérapeutique

Keywords : Gabon, bwiti, iboga, initiation, practices, primitivism, encounters, representations,

cultural tourism, mystic-spiritual tourism, therapeutic tourism

AUTEUR

NADÈGE CHABLOZ

Centre d’études africaines, EHESS, Paris.

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Marketing Vodun. Cultural Tourismand Dreams of Success inContemporary BeninCommercialisation du vaudou. Tourisme culturel et rêves de réussite dans le

Bénin contemporain

Jung Ran Forte

AUTHOR'S NOTE

I wish to thank all the members of the Programme for the Study of Humanities in Africa

(PSHA) hosted by the Centre for Humanities Research, University of the Western Cape,

South Africa, who nourished my work over two years, and the CODESRIA Advanced

Research Fellowship that allowed me to extend my research in Benin. I am particularly

grateful to Jonathan Friedman, Nina Sylvanus, Jill Weintroub and Paolo Israel.

1 There is a sandy road that links the town of Ouidah1 to the Atlantic Ocean’s shore,

passing through the small village of Zoungboji and the lagoon preceding the sea. In the

early 1990s, that path was named “The Slave Route” in the memory of slaves that

walked along it to be embarked there on vessels, bringing them to the New World.

Artworks2, located along the road, were commissioned to commemorate slaves’

journeys and to narrate their stories: the place where captives were detained, the

auction area, and the mass grave’s location (Law 2004; Rush 2001). UNESCO erected a

monument, “The Door of No Return”, at the very final point of departure, in front of

the sea. Since then, many tourists have re-enacted those fictional although

tremendously real passages, walking all along the four kilometres-distance.

2 By the turn of the new millennium, the traffic along the road has increased as two new

hotels, Le Jardin du Brésil and La Casa del Papa, have been constructed in proximity of

the shores. As well, at the circle heading to the beach, where in the late 1990s there was

a shelter selling a few items and warm soft drinks and beers, a new buvette and a small

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boutique of local crafts have been opened. Despite such new developments, the sandy

road shows signs of decline: monuments are covered with dust, damaged and

neglected, while the vegetation is growing over, hiding them from sight.

3 Over a decade, from its very beginning in the early 1990s to present times, Beninese

tourism has experienced many transformations, moving from an initial stage in which

it was associated with governmental policies and international agencies’ programmes

involved in cultural projects and the preservation of the national heritage, to

contemporary ones where private ventures, whether luxury hotels or small, modest

and domestic commerce, dominate the landscape of the tourism economy. It is indeed

toward those pioneering “paths of entrepreneurship”, which have emerged in the

mid-1990s at the margin of institutional programmes—while deeply and ambiguously

embedded in those same national policies—and have today become prominent

templates for economic, “successful” actions in Beninese tourism, that I would like to

draw attention. My aim is twofold: on the one hand I wish to explore practices of

cultural tourism, especially looking at the ways in which tourist commodities are

created and sold. On the other hand, in so doing, my attempt is to illustrate how

tourism matters to local everyday existence not only in economic terms, by allocating

incomes and providing livelihoods, but especially in contouring cultural productions.

4 Drawing linkages between the historical developments of the Beninese tourism

industry and intimate, fictional and orchestrated (Bourdieu 1994) biographies of two

women, I explore how practices and discourses of cultural tourism are crafted and

negotiated in the contemporary Republic of Benin, choosing as a pivotal site of study

encounters between local people and foreign travellers. Life stories are multi-layered

and polyvocal, as composed by a plurality of narrations, equally objectivation and

reconstruction of the lived experience (Ricœur 1990) and emotional memories,

speaking both on the social order and the unconscious, encompassing the self and the

other, although bringing the subject into existence. By putting those narratives into

play, I wish to shed light on the interactive ways in which cultural commodities are

created and complicate further the relationship between “hosts” and “guests”, blurring

boundaries between touristic worlds and local everyday life.

5 As result of the early 1990s cultural policies, Vodun3 religion is today considered as one

of the major assets of the country’s “cultural richness”.

6 Vodun’s presence is particularly crucial in the town of Ouidah, which, while

economically marginal, is considered as one of the more important spiritual and

“traditional” locations. The inclusion of Vodun cults into Beninese tourism markets

constitutes an interesting example for understanding how an everyday religious

practice is transformed into a commodity (marketed and exported), and conversely,

how tourism crucially determines conditions of religious reproduction. As the two

women’s life stories demonstrate, situations in which Vodun practices are sold to

tourists are twofold, as they refer both to the ways in which commodities are created

and to processes through which rituals are invented and innovated. “Sacred

commodities”, even if intended for international tourist markets, transcend the

restricted circles of religious practice that produce them, entering wider religious

arenas, redefining constantly the meanings of “tradition” and “authenticity”.

7 Encounters between local people and tourists provide rich material for understanding

how representations of “Africaness” and commodities are crafted, performed and

negotiated in these dialogical processes. It is indeed in these spaces that governmental

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policies, imperatives from global markets, institutions, international agencies, tourists

and local people come into “friction: the awkward, unequal, unstable, and creative

qualities of interconnection across difference” (Tsing 2005: 4), leading to “new

arrangements of culture and power” (ibid: 5)4.

Auspicious Economic Conjunctures and Glimpses ofthe Future

8 Tourist guides and operators are crucial figures located at the intersection between

global flows and local life. Tourist guides, as legitimate experts and cultural mediators,

stand as the point of entry into a given culture they are supposed to represent at its

best for a foreign audience. From the tourists’ point of view, they embody cultural

meanings and practices, the very essence of a place and a population (Salazar 2005).

The work of the tourist guide indeed discloses processes through which locations are

commodified5, cultures are “exoticised” and “aestheticised”, and histories are

remodelled and turn into coherent narrations (ibid.).

9 In April 2008, during my short-term fieldwork trip, more than six years after our first

encounter, I saw Martine de Souza again. Four years have passed since my last visit to

the country, but Martine’s warm and welcoming smile had not changed at all. She

seemed very proud of her carrier’s achievements, pleased of being able to combine her

personal interests and the earning of an honest living, and eager to work on her new

projects. And then we started talking again about her job, her successes and failures,

her uneasy choices, the past and the future, and being the most prominent (female)

Beninese tourist guide. On the 8th of March 2008, Martine was awarded the Throphée

Amazone (the Amazon Trophy) 6 as an acknowledgement of her commitment to the

development of the country demonstrated over more than ten years with her work in

tourism, cultural exchange and dialogue, and her involvement in information and

awareness campaigns on child trafficking7.

“I would say that I’ve been a tourist guide all my life. As far as I recall, I startedtouring people around Ouidah when I was a teenager and I was attending secondaryschool. It was 1983. My father was a history teacher and was used to tell me thestory of our town and family. Far before Ouidah 1992, my father had already told meabout the story of the Slave Route. Once, friends were visiting him, and he asked meto take the guests for a walk in town. We went together to the Python Temple, themuseum and I told them the history of our family8. I enjoyed that task. Sometimes, Ihad to tour Anglophone friends of my father, and this is how English languagearoused my interest.”

10 While Martine de Souza is today considered one of most known and proficient tourist

guides of the town of Ouidah and of Benin in general, her career had started

accidentally, as she had never attended specific job trainings and she does not hold

certifications in tourism management. The creation of her professionalism has been

nourished by encounters, curiosity, entrepreneurship, personal social skills and

creativity. Yet, today Martine is an expert and qualified tourist guide, largely

appreciated by the tourists she works with, and whose knowledge of Benin and West

Africa goes beyond touristic worlds. She is a public, intellectual figure that acquired

such fame by participating in cultural projects in partnership with the Beninese

cultural department and international TV productions 9. Gifted in languages, Martine

speaks fluent French and English, which is very rare in this Francophone area, but also

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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several local languages—Mina, Ewe, Fongbe—which makes her a perfect translator for

tourists, journalists, photographers and scholars. She holds a degree in history and

English literature from the University of Ghana, and she has also published a booklet

collecting Beninese short legends, historical anecdotes and popular proverbs which is

sold at the historical museum of Ouidah (de Souza 2000)10.

11 At the beginning of the 1990s, Martine accidentally met an African American woman,

Sharon11, who had come to Benin to find her roots and to start a spiritual journey.

Because at that time she was the only English-speaker in Ouidah, Martine was “hired”

as a translator. She followed Sharon during her first journey, managing with kindness

and generosity the foreigner’s everyday life and helping her to communicate with

people. At the beginning Martine was not officially paid for her services but rather she

received gifts, meals and occasional loans. Over time, Martine and Sharon became more

than friends. As Sharon was particularly attracted by Vodun and was willing to

undertake several initiations, she planned quite a few trips to Benin over several years,

and each time Martine followed and assisted her. At the time of Sharon’s first voyage,

Martine was Catholic and timorous about inner Vodun cults’ circles. But spending time

with a foreigner and particularly following her steps in Vodun worlds, she realised for

the first time the importance and value of these religious practices.

12 The Republic of Benin experienced the launching of the tourist industry in a period of

political change at the same time as the encounter between the two women. Indeed

Sharon was one of the few tourists that had chosen such an unusual destination. The

severe economic crisis of the late 1980s forced the Marxist-Leninist regime12 to adhere

to structural adjustment programmes (Vittin 1991; Igue & Soule 1992; Banegas 1995;

Mayrargue l995; Gazibo 2005) while the democratic transition was underway13. The

political stability of the country was indeed supposed to facilitate the restructuring of

the economy and the beginning of development and financial programmes (Gazibo

2005). The project of establishing a flourishing tourism industry was at stake, as it

would allow the growth of a stagnant national economy14. According to scholars

(Banegas 2003; Mayrargue 1997), this critical period from 1990 to 1995 can be analysed

as being traversed by a double intertwined movement: the “re-traditionalisation” of

the public sphere and the organisation of “traditional” agents according to modern

patterns. Customary jurisdictions—whether monarchic, traditional or religious—were

restored and refashioned as new crucial political agents and lobbying groups, while a

national cultural identity progressively emerged, anchored on local traditions. At the

same time, under the government’s influence, “traditional” agents reorganised

themselves following institutionalised forms, such as the Council of Kings or the

National Community of Beninese Vodun Cults (CNCVB), in order to achieve

acknowledgment, unity, funds and a growing influence over political affairs (ibid.).

13 Martine admits that meeting Sharon was a turning point in her life. Accompanying her

throughout her travels in Benin has been an informal, albeit professional

apprenticeship thanks to which Martine has learned to be a tourist guide in a time in

which the Beninese tourism industry was beginning to develop. Sharing everyday life

with a stranger changed her gaze on her own culture, habits, values and history, and

particularly on Vodun. As I mentioned before, she was raised in a Catholic family and

thus it is through Sharon that she re-discovered these local, traditional religious

practices. During one of our conversations, she explained to me:

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“Vodun is my tradition, my culture. Vodun can truly help people, no matter wherethey come from. But I also respect different beliefs. This is why Vodun interests meand this is the Vodun I want to show to tourists.”

14 Martine’s statement on Vodun religion refers to a particular set of meanings defining

Vodun religion that emerged and consolidated in the early 1990s. The cultural policies

carried by the first democratic government in those years played a foundational role in

the re-appropriation of Vodun practice by local people as a refashioned folklore, a

national tradition and culture, a World Religion15. Several projects of

patrimonialisation were set up in partnership with international agencies, mainly in

the historical centres of Abomey, Ouidah and Porto Novo16. Likewise, Benin participated

in international programmes, such as UNESCO’s World Heritage and “The Slave Route.”

Aspiring to the valorisation of national, historical, and material and intangible cultural

heritage, these actions also served touristic proposals by creating what today are

considered major tourist sites17. Also because of flourishing cultural activities (Tall

1995a)18, this period could be analysed as a crucial step in crafting a national memory,

the “assembling” of a national heritage that revised history and shaped a particular

gaze on the reconstruction of a pre-colonial past and the transatlantic trade, the

forging of a specific cultural identity and the marketing of cultural meanings (Morales

& Mysyk 2004). These dynamics question how cultural identity and memory are

constructed in light of present political agendas (Friedman 1992; Sutherland 1999, 2002;

De Jorio 2006) and how tourism shapes cultural productions and the manufacturing of

national heritages (Hasty 2002; Day 2004).

15 Taking advantage of the governmental interest in cultural matters of those years,

Martine made contacts with Ouidah’s history museum that was refashioned at the

beginning of the 1990s, and she started to work there as a tourist guide. From those

moving years, she learned to tell to a foreigner audience the story of the town of

Ouidah, its involvement in the Atlantic slave trade during the eighteenth and the

nineteenth centuries, the ancestral tradition of Vodun cults. Her first steps in the

tourism industry demonstrate how at the beginning of the 1990s, the lack of

institutions regulating and organising the market allowed officially unskilled subjects

to enter the system. Cultural and social capitals are employed as job skills to spend in

the market and, in turn, be re-invested toward the creation of new lucrative

professions.

Informal Tourist Economy: The Crafting of VodunCommodities

16 Heritage projects which opened at the beginning of the 1990s have lasted for a decade,

and today a few of their objectives are taken over by the direction of the EPA (École du

patrimoine africain), an academic institution created in 1998 and involved in a regional

programme of action intended for the preservation and maintenance of historical

heritage. By the new millennium, the state’s priorities in tourism matters moved away

from cultural issues toward more pragmatic domains: the diversification of tourist

attractions19, the creation of new tourist sites, as well as the building of infrastructure,

an area which is still precarious and lacking. Likewise, in those years, the need to

organise and regulate this economic sector emerged as a priority. The creation of

regional agencies, the stipulation of new partnerships, the improvement of job training

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and the promotion and organisation of conferences and meetings were ventured as

major requirements.

17 Nevertheless, projects take time to transform into reality and in the meanwhile the

country has experienced a significant influx of tourists. Yet, this economic sector has

continued to grow over the last ten years, depending mostly on personal

entrepreneurship and creativity. Because of the absence of a national institution

regulating the access to the market and the lack of professional training, tourism can

be defined today as a “wild market”, mostly characterised by configurations of informal

and semi-formal economy. The permeability of these spaces, in which different

economic trajectories intersect, allows direct access to individual actors without any

institutional mediation. Communities and individuals promote themselves

spontaneously as tourist guides and operators, designing their own jobs, disclosing a

space in which anyone can be a potential “cultural specialist” and “cultural translator”.

Small budgets enable people to reach cultural and tourist circuits, supposed to grant

them with transitory profits and, possibly, with long-term investments. This is why, in

a landscape deprived of possible lucrative scenarios, even minor tourist activities

become sources of livelihoods that open up new possibilities and promises.

18 As a result of the cultural policies of the early 1990s, today the distinctiveness of the

Beninese tourist industry resides in its supply of Vodun religious experiences. Benin is

widely known as the “cradle of Vodun”, and has established itself as a “root” within

diasporic geographies20. Following formal, as in the case of events such as Ouidah 9221 or

the annual Vodun Festivity22, and informal paths, such as the one of Martine de Souza,

Vodun commodities have entered touristic and cultural markets: it is indeed not only

possible to “see” Vodun (as embodied in folklore, art, history and performances) but

also to experience it directly. Convents23, temples and shrines open their gates and

welcome foreign travellers. Vodun people respond to tourists by providing a wide

variety of experiences that engage travellers directly, inviting them to enter their

everyday life. Ritual practices and ceremonies are adapted, shortened and invented in

order to fit to tourists’ needs. Today, a whole niche of the tourism industry relates to

the trade of religious services. Offering glimpses of “traditional” Africa, the

participation in Vodun rituals and ceremonies allows tourists to satisfy their cultural

curiosity, make contact with local people and share significant moments with them,

experiencing “authenticity” (Craik 1997).

19 Martine was one of the first tourist operators that ventured the inclusion of “religious,”

or rather “spiritual,” experiences into tour programmes. Taking inspiration from the

encounter with Sharon, Martine does not offer impersonal leisure activities, but rather

special and intimate journeys. Indeed, she engages in making the trip an emotionally

intense and life-changing adventure. When she works, she also becomes an empathetic

friend, a good listener and a dynamic and tireless “translator” of Beninese culture.

“A tourist guide must be humble and welcoming. I’m like a sort of psychologist.Because of my experience in tourism, after five minutes of chat, I’m instantly ableto grasp how tourists are and what they need. A tourist guide should be able tounderstand tourists, satisfy them, and follow their moods. With experience, Ilearned how to interact with them, to handle with patience their temper, toappease them and control their whims. I want to show them a beautiful image ofmy country; I’m a sort of ambassador of my country. The thing that I love most ofmy job is that I can meet people from all over the world: it’s like travellingeveryday, without moving!”

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20 To make the trip a unique encounter she carefully organises meetings with local

priests, providing a full range of spiritual experiences, such as divination sessions,

collective basic rituals to propitiate the journey, initiations and personal spiritual

paths. And it is clear that today there is no tourist who goes to Benin and does not want

to “see” Vodun. Her professional accomplishments and popularity in international

tourist markets depends heavily on her human skills. As she told me, from Sharon’s

experiences she learned that the main focus of a trip is not the programme itself—what

makes the voyage successful is the ability of the guide to connect with tourists and

understand their needs. This is why the spiritual experiences she provides are tailored

to each person.

“When I work with a group I try to understand what kind of commitment towardVodun people wish, and therefore I plan only specific rituals in collaboration withpriestesses and priests, who of course profit from these situations, but as I haveknown them for a long time I can testify to their honesty. To meet Vodun can beshocking for foreigners. For instance, I know that not all the people can stand ananimal sacrifice, the sight of blood; they think it’s cruel. So, I try to avoid awkwardsituations. And then, there are people who do not believe and others who do. Thereare people who are ignorant about Vodun and Benin and others who are not. Youmight need years and years to understand what Vodun is. So I prefer to carefullyorganise and plan everything.”

21 For these reasons, while Martine’s Vodun networks are large and extend all over the

country, she prefers to work in partnership with two temples in order to provide

religious, or rather spiritual, services to travellers. In Cotonou she operates with

Hounnongan Joseph Agbegbe Guendehou, registered phytotherapist and healer, vice-

president of the National Beninese Congregation of vodun Thron Kpeto DekaAlafia

(co.NA.Vauth), vice-president of the Beninese National Community of Vodun Cults

(CNCVB), and founder of the Vodun Thron Church and the community Force Tranquille.

With him, she organises prayers to the vodun Thron24 and, if tourists demonstrate a

bigger interest towards religious issues, they also organise initiations or healing rituals

to solve personal problems. As well, Hounnongan Guendehou and his assistants are

available for Fa divination sessions. In ouidah she brings tourists to the well-known

Mami Wata25 priestess, Amegansi Adjobassi.

22 With the participation of the full religious community, they organise a prayer for the

Ocean goddess: a basket with Mami Wata’s favourite offerings is prepared and brought

to the beach at night, and successively delivered to the sea’s waters. Martine is also the

“inventor” of the Beninese version of the “Root Divination”26, which allows African

American travellers to discover their African origins by means of naming the divinity

to which they are dedicated and might address their devotion. With the help of a few

diviners, the bokono, she organises an evening ceremony at the sacred forest of Ouidah.

As she told me, all the participants stand in a circle, while one by one they go in front of

the priest that casting the divination sacred “tools”, delivers the answer.

23 Diverse informal tourist operators have explored similar paths, sometimes with more

or less successful outcomes. However, the extraordinariness and uniqueness of

Martine’s career resides in her ability to transform situations, such as the occasional

encounter with Sharon, into a valued profession capable of lasting. I met Mahinou27 for

the first time in 1999 in Ouidah while I was participating in the activities of an

organised trip to Benin with a small group of European tourists. While Mahinou never

thought about herself as a tourist guide or operator, accidentally she found herself

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working for tourists. Her inexperience did not prevent her from starting, at least for a

while, a flourishing business. However, doing business with tourists is not easy and

conceals its “dangers”.

24 Mahinou became involved in cultural tourism projects in the mid 1990s, a few years

before I met her28. Her cousin, who emigrated to France in the early 1980s, embarked

on a project of cultural tourism despite his unfamiliarity with tourism businesses. He

told me that he was motivated by the desire to help people from his native town and by

the same token, to share his roots and the richness of his culture with Westerners. By

engaging local people in the organisation of the trip he wished to bring money to the

town, supporting friends in their own projects while providing travellers with

authentic experiences of Beninese life and promoting dialogue and understanding

between people from different countries and cultures29. For several years, from the

mid-1990s to the beginning of 2000s, each January, for the duration of three weeks, the

town of Ouidah hosted small groups of European tourists, providing frugal, but

charming, accommodation, spicy homemade meals in local maquis, French-speaking

tourist guides, chauffeurs of wrecked but still running cars offered for adventurous

drives on sandy roads, young music and dance performers to entertain guests all

through the warm evenings and, at last but not least, authentic Vodun ceremonies to

satisfy cultural curiosity, sense of mystery and exotic fascinations.

25 Because most of the travellers were indeed amateur dancers interested in discovering

“authentic” African traditional dances, the major focuses were ceremonies and ritual

practices. The trip offered a large variety of Vodun “activities” or “excursions”:

performances of Egungun masks from Nago-Yoruba tradition 30; annual public

celebrations in convents, private intimate prayers in family-owned temples; divination

session; set of individual-based rituals which were suggested to the participants

according to their needs and willingness to engage with Vodun; participation to the

Vodun Festivity; and visits to local dignitaries, kings and queens. The participation in

local ceremonies was conceived as a special and privileged way to discover Benin. To

see and take part in Vodun rituals was therefore a way to fully understand traditional

dances and music in their original contexts. Performances were also supposed to

engage with tourists directly and actively, not only as spectators but also as effective

members of the community. The closeness with local people, also facilitated by sharing

ritual experiences, and the possibility of establishing long-lasting friendships were at

the core of this project.

Tourists' Money, Social Mobility and the Dangers ofnot Sharing

26 Proficient tourist guides such as Martine de Souza have learned through practice that

Vodun spiritual attractions must be prepared carefully and in detail. To work with

priests and priestess, eager to deal with naïve and demanding tourists wanting to

experience authentic traditional “Africa”, is indeed tricky. This is why Martine has

chosen to provide her clients with only tourist-tailored rituals, created ad hoc, rather

than letting inexperienced visitors to fully enter Vodun community life. To bring

foreign people into inner circuits of religious practice, as well as to encourage their

participation in the community life of cult groups or of villages and towns is difficult

and requires management and relational skills. As Martine told me, it has been quite

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difficult for her to be a tourist guide. Being a woman with a successful career it has not

always been easy.

“I have often been accused of being a prostitute because I was working andtravelling alone with foreigners. People think that if you are going around withmen in the same car, you might be unfaithful. Ouidah is indeed a small town andpeople spread gossip. But I resisted that blackmail and my husband, my sisters andmy mother, who helped me take care of the children while I was working, did thesame. But it’s difficult to work in places like Ouidah where people badmouth you.And this is why today I prefer to stay in Cotonou.”

27 At the same time, people from the temples she collaborates with deeply esteem her

work and her kindness. They know that when Martine can she will bring tourists and

thus financially help them. They trust Martine also because of her religious

commitment, the intimate bond she has with these communities. Working with them

has been an occasion of personal growth. Quite recently she has also started her

spiritual journey. In 2007, a British television arrived in Benin to produce a

documentary on Mami Wata. Martine was hired as local assistant but especially as the

main character of film. Thanks to the financial support of the filmmaker who was

willing to document a story of an initiation to the goddess of the Ocean, she finally had

the money to initiate herself under the guidance of Amegansi Adjobassi. Likewise,

accompanying tourists to visit Hounnongan Guendéhou has been a revelation. Soon she

will be crowned as Thron’s priestess and therefore, as she said, would be able to give

testimony to tourists of what Vodun is through her lived experience. Once again,

widespread rumours about Hounnoungan Guendehou being a deceitful trickster who

concocts rituals for money, do not trouble her.

28 Because tourists are generally equated with money, and considering the precarious

living of most cult groups, Vodun people are very interested in foreigners and

particularly in the profit they implicitly offer to local people. Nevertheless, in Vodun

worlds, doing business with tourists (i.e. providing religious services) is marked quite

ambiguously. For a religious community, to be involved in the tourism industry implies

access to financial resources. Increased availability of funds is associated with notions

of prestige and power, but at the same time, financial gain suggest the lack of

authenticity and the loss of tradition. Priests and Priestesses working with tourists are

often labelled as crooks and charlatans, attracted by easy money and disrespectful of

the teachings of forefathers. Money is at the centre of local conflicts and quarrels that

arise in response to tourist flows. Personal aspirations and everyday basic needs clash

with tourist demands for authentic Vodun, conflicting with local social dynamics and

thereby redistributing possibilities.

29 In 1996, the first trip Mahinou and her cousin organised was scheduled in correlation

with a big religious event of the town of Ouidah. During that year, the convent to which

Mahinou belonged was hosting a large ceremony that engaged the whole community.

This yearly occurrence marks the moment in which divinities visit human worlds,

possessing their initiates. It is a time for animal slaughtering and public rejoicing,

dances and blessings. During ten days, initiates are possessed by the gods and, while

secrecy conceals part of their activities, once a day they parade in public spaces in the

town, giving advice to family members and amusing crowds of people, entertaining

them with dances, music, jokes and spectacular and acrobatic performances. These

ceremonies are very expensive and each member of the religious community and their

families must participate with financial contributions in order to buy animals for

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sacrifices, food for the possessed initiates, sacred items, new dresses for gods

inhabiting human bodies, and to pay musicians and the duties to the convent which

takes charge of the complex logistics of the event.

30 That year Mahinou’s cousin suggested a deal. He asked the hungan (the master of

secrets) for permission to allow tourists to dance with the possessed vodunsi, offering

money in exchange. To dance in public performances with possessed initiates was a

very unusual request as generally no one is supposed to do so. Dancing with gods is

considered dangerous, and the highly choreographed dances—which are learned by the

initiates during their initiatory reclusion in the convent and which are considered

sacred knowledge—are not immediately accessible to people, least of all to European

amateur dancers. Nevertheless, tourists had the occasion to dance publicly with the

gods. For them, it was a very special, unique and authentic experience of transcendence

and immanence, a glimpse of the spiritual and human nature of dance. Most of the

people of Ouidah criticised this experiment. To see tourists disguised as vodunsi—

wearing traditional pagnes and the marks of the gods—dancing the gods’ dances

barefoot in the town’s streets was understood as a betrayal of tradition. Priests,

priestess and initiates involved in this project evaluated the experience in positive

terms. They were proud to notice how people from far-away countries were genuinely

interested in their practices, willing to adapt and share their everyday life. According

to them, critiques and rumours expressed the jealousy of local people who could not

take advantage of the situation and therefore were expressing their resentfulness. Yet,

while the touristic project continued, the experiment of allowing Westerners to dance

with the gods was never repeated. Between Mahinou’s cousin and the convent’s

authorities, an agreement was made. For the time being, tourists would be allowed to

dance but only after the end of the public performance of the vodunsi.

31 In 1998, thanks to the financial help of her cousin, Mahinou decided to build a new

compound outside the town and leave the old family house that was almost in ruins.

But she also had made another plan. Confident of her financial power generously

granted by this family member and his cultural tourism project, she suggested

relocating the annual ceremony of the convent to which she belonged to her new

compound. This move was supposed to bring her gratitude and respect from the

religious community and to add value and power to her status. For several years,

Mahinou hosted the ceremony in her house. However, after a while discontent arose

within the convent’s community. Because Mahinou was thinking that her hospitality,

and especially her funds availability, meant more freedom in decision-making and she

was feeling everyday less willing to share her money with the demanding convent,

restlessness spread throughout the religious community and her mind. Priests and

priestesses described her behaviour as arrogant and disrespectful of hierarchies.

Evaluating the situation, Mahinou, with the practical spirit and impetuosity that

characterise her, opted for a temporary resolution of the problem. She created new ties

and affiliations with other convents in order to find vodunsi willing to participate and

perform at the ceremonies she was still organising for European tourists and in honour

of her own Vodun.

32 The loneliness and the exclusion from the convent’s affairs did not upset Mahinou, who

was determined to see her own project succeed. Realistically she understood she would

never have the moral and technical support of her community that had been like a

family to her. The kind of ceremonies that she was planning to organise for herself and

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for European tourists are highly complex and require a great number of people. The

involvement of the whole community is not only motivated by the large amount of

practical work, but also by the group’s hierarchical structure, which is based on the

unequal distribution of esoteric knowledge. Thus, the organisation of such rituals

cannot be completed by a simple initiate without the help and guidance of priests and

priestesses. In 2001, lacking the help and support she needed, she realised that the only

solution was to become a priestess. In that way, she thought she would have the

authority to lead her own convent, initiate vodunsi and above all, to organise

ceremonies by herself. Once more, the availability of funds provided by her cousin

allowed her to obtain what she wanted. In autumn 2001, she was crowned as priestess

by a priest who, according to rumours, did not have the authority to initiate her to the

priesthood, because he was chief of another divinity. Most of Ouidah’s people decided

against participating in the celebrations and when the newly crowned priestess

paraded along the streets of the town in order to receive greetings form other cult

groups, her ancient convent closed the compound gate as a sign of disagreement.

33 The following year, in 2002, Mahinou, who had become a Nah31, a priestess, once again

organised the ceremonies for the yovo, the “whites”. After more than five years, once

again tourists were allowed to dance with possessed initiates. Rituals were criticised by

Ouidah’s people who condemned them as lacking, disordered, disrespectful and

deceiving. Mahinou was labelled as an illegitimate priestess, a charlatan, but at the

time of the trip, as she was doing plenty of activity with tourists, she did not care. After

the travellers left, Mahinou felt alone. Her cousin was not planning another trip for the

next year, as he was busy with his own work, and most of all, he felt that the project

was drawing to an end32. Mahinou collapsed and fell sick. The severe disease was

aggravating day by day and she could not find a way to treat it. She was sure that the

illness was a witchcraft attack coming from jealous people. However, rumours on the

street differed, suggesting that her disease was a message of Mahinou’s Vodun, Dan

Akpahesou, who was manifesting his discontent toward her behaviour and her deeds.

She had been attracted by the lure of easy money and she had disdained her own

spiritual family. Gods were not pleased by such conduct. Money is such an ephemeral

thing. Indeed, despite the fact that many people from the town had benefited from this

tourism venture, “eating” their part of wealth, at the end Mahinou, or rather Nah, was

left alone.

Conclusion or How to Establish Oneself in the WildMarket

34 To establish oneself in the market is not an easy task. It requires flexibility and

intuition. Martine de Souza has indeed well understood that being able to transform

one’s business is the best way to secure it. Today, she offers all-inclusive trips in West

Africa; she is involved in programmes of “humanitarian tourism” on child trafficking

with North American undergraduate students; US scholars still continue to solicit her

help as research assistant; Martine is also requested as a tourist guide for local and

regional tourism in Benin; and lately she has been involved in the creation of the

Association of Professional Guides of Ouidah (AGAPO) in partnership with the town

council. “It is important to look at things that are not yet in the tourism market, and

then develop your offer”, Martine said to me. Indeed, encouraged by the new presence

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of tourists from Martinique, she is planning to open a Martiniquais restaurant. As she is

bored of touring people to the same places, she is conducting personal research to

discover new tourist sites: a new circuit in the Dassa’s region; the “true” slave route, i.e.

the road that goes from Abomey to Ouidah; the crucial locations between Abomey and

Porto-Novo, in which the struggle of King Behanzin against French colonial rule took

place. But as she vigorously attested, whatever might happen, one has to hold on to

her/his working ethic: “Popularity means to do things in the best way as possible, with

the conscience that we are working for people and not for money.”

35 In this article I have investigated the landscape of contemporary Beninese tourism,

capturing the ways in which cultures and identities are commodified and lived

experiences are turned into objects of trade. Following the paths through which Vodun

“sacred” commodities have entered tourist and cultural markets becoming objects of

economic transaction, I have suggested that in order to fully understand such processes

it is necessary to look at the social dynamics in which these cultural productions are

inscribed and at the linkages existing between tourist commodities and the politics and

strategies that surround and reproduce them.

36 Martine de Souza’s and Mahinou’s “careers” present exceptional and innovative

features as they both started working with travellers when the tourism industry was

taking its first steps. It was a moment in which major heritage projects were launched

and cultural events were organised throughout the country. In those years of cultural

effervescence, these women had the clairvoyance to anticipate a trend which would

become a large part of the tourist market: the one of “sacred commodities”. Their

imagination, creativity and resourcefulness have led them to the crafting of religious

services for tourists that previously did not exist. Facing foreigners and their needs,

they have challenged social institutions and religious hierarchies, opening new paths of

development for the Vodun community at large. Encounters between “hosts” and

“guests”—both as methodological and theoretical standpoints—allow tourism to

intersect with trajectories of cultural production, enabling us to look at the ways in

which representations are constructed at the crossroads of local life and tourist flows.

It is in these spaces of contact between locals and tourists that new practices and

meanings emerge, where personal interests and motivations, community life and

tourist aspiration, governmental policy and development strategies merge.

37 The question of “authenticity” and “tradition” must be addressed, as it comes into view

as a crucial issue, linking local life and tourist worlds. Vodun commodities are supposed

to be imbued with tradition, an essence and a specificity that make them authentic. In

this context, notions of tradition re-actualise the “metaphysic of difference”—the

imaginary of Africa and Africans as different from the West because they are anchored

in tradition and customs (Mbembe 2000, 2001). However, authenticity that derives from

tradition and that marks “natives” and commodities in such distinctive ways does not

appear to be secure and stable, but rather it is haunted by “modernity”, and negotiated

(validated) through dialogue. Thus, these “practices of authenticity” indicate ways

through which authenticity operates by actualising dynamics of inclusion/exclusion. If

tradition, as history, refers to the ways in which people construct meaningful worlds,

then its crafting stands as an act of self-definition, an appropriation of life and

empowerment (Friedman 1992). Legitimating degrees of “Africaness”, pointing at

impostors and traitors of tradition, and validating touristic experiences as well as the

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“trueness” of rituals and celebrations, the negotiation of authenticity distributes

possibilities and opens up futures.

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NOTES

1. “Ouidah is situated in the coastal area (in the Department of Atlantique) of the modern

Republic of Benin (formerly the French colony of Dahomey) in West Africa. In origin, it is an

indigenous African town, which had existed long before the French colonial occupation in 1892.

In the pre-colonial period, it had belonged successively to two African states, first the kingdom of

Hueda (whence the name ‘Ouidah’) and from 1727 that of Dahomey, from which the French

colony took its name [...]. Today, Ouidah has a population of around 25,000 [...]. In the pre-

colonial period, however, Ouidah was the principal commercial centre in the region and the

second town of the Dahomey kingdom [...]. In particular, it served as a major outlet for the

Atlantic slave trade. [...] Ouidah was a leading slaving port for almost two centuries, from the

1670s to the 1860s” (LAW 2004: 1-2).

2. The Beninese contemporary artists whose work was exhibited in the context of Ouidah 92,

when the artworks where commissioned, were Cyprien Tokoudagba, Calixte and Theodore

Dakpogan, Simonet Biokou, Dominique Kouas, Romuald Hazoumé, and Yves Apollinaire Pédé. The

contributions of African diaspora artists were commissioned to Édouard Duval-Carrié (Haïti), José

Claudio (Brazil), and Manuel Mendive (Cuba) (RUSH 2001).

3. The term Vodun is polysemic as it simultaneously indicates a set of cults dedicated to different

divinities belonging to the same pantheon and supernatural beings—gods, spirits, natural forces

and ancestors in both embodied, fetish and immaterial forms. The specificity of Vodun worship

resides in gods’ feeding sacrificial rites, in possessions and in its organisation based on esoteric

knowledge, priesthood hierarchies and initiation admission. The relevance of the Vodun religion

must be understood in light of the crucial and complex role it played in the history of the

country, particularly during the pre-colonial period in which the political kingdom’s structure

was deeply intertwined with the cults’ system, often defined as a sort of state-religion (MAUPOIL

1981). Through the Atlantic slave trade, these cults reached the New World, originating a wide

set of ritual practices often labelled as Afro-American religions (MATORY 2005; SUTHERLAND 1999,

2002). I will employ the spelling Vodun following the local use, which is generally associated to

French spelling. Vodun divinity names are both used to indicate a god and an initiated

worshipper (as the embodiment of the divine essence). Therefore, in this paper I will

differentiate applying capital letters to refer to the former and small capitals to refer the latter.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

384

Likewise, I employ Vodun to indicate this religious system as a whole and vodun as a synonym of

god. As well, there is no use of plurals, which must be deducted by the context. Vodun divinities

are gendered; while certain gods have a distinct gender, in most cases, each of them has both a

female and male manifestations and devotees.

4. The data presented in this article was collected during 12 months of fieldwork in Benin, which

I conducted for my doctoral dissertation from 2001 to 2004. More recent data has been collected

in March and April 2008. The reconstruction of Martine de Souza’s and Mahinou’s life stories

were made through several interviews with a different range of people from the town of Ouidah.

I visited many times the temple of Hunnongan Guendehou in Cotonou and I closely followed the

activities of the Mami Wata convent of Amegansi Adjobassi at each field trip, over four years. I

also participated in two three-week tourist trips organised by Mahinou and his cousin (who

asked to be anonymous), in 1999 and 2002 and I researched Mahinou religious activities during

the twelve-month period of my fieldwork.

5. By using the term “commodification”, I refer to processes through which culture, conceived as

a product and a thing, “is culture disembodied from experience. It is culture neutralized and

turned into objects of consumption” (FRIEDMAN 1994: vi). Such dynamics implies a particular

reflection upon a given culture, as well as the individuation of a certain set of elements supposed

to characterise it distinctively. It is in some way a move that describes both a de-familiarising

gaze from the everyday and the known and a formalising process of construction of meanings.

6. The Trophée Amazone—so called in reference to the famous female military army of the kings of

Dahomey, the Amazons—which celebrated its 5th edition on the 8 th of March 2008, is annually

organised by the NGO Jpg-Benin (Jeunesse-perspective-groupement) in order to acknowledge those

leading, Beninese women who exceptionally revealed themselves in their different domains of

action during the year. Along with Martine de Souza, the singers Edia Sophie and Sèna Joy have

equally been awarded during the celebration at the CNCB (Conseil national des chargeurs du

Bénin). (Le Matinal, 10 mars 2008 ; <http://www.fraternite-info.com/article.php3?

id_article=872>).

7. From 1998 to 2001 Martine has worked with the World Bank as a local assistant in a project on

poverty and the exploitation and trafficking of children in rural areas. A few years after that

experience, she enquired about films that were produced during that project and stored in the

World Bank’s offices in Cotonou. She decided to create a NGO and with the collaboration of

UNICEF and Terre des Hommes (TDHIF) she travelled from village to village to show the

documentaries in order to “awaken” the conscience of poor, rural people and explain how child

trafficking operated.

8. Martine is one of the numerous descendants of the Brazilian Francisco Félix Chacha de Souza,

well-known slave trader who settled in Benin in the 1820s. The de Souza compound hosts a

family museum dedicated to the memory of the ancestor. The Slave Route and the Python

Temple, Dangbé, are among the most important tourist attractions of the town of Ouidah.

9. Such as African Wonders directed by Professor Henry Luis Gates Jr. and produced in 1999 by

PBS, in which Martine tours Professor Gates around the town of Ouidah, but also National

Geographic, BC “Time Watch”, NBC, etc.

10. Personal website: <http://www.beninguide.com>.

11. Sharon Caulder wrote a published, autobiographical novel, “Mark of Voodoo: Awakening to

My African Spiritual Heritage”, that collects memories from her travels to Benin, with particular

regard to her spiritual journey. However, Martine disagreed with most of the contents of the

book, and it is that dissent between the two that led to the end of their relationship.

12. Independence (1960) was followed by a period of political instability. In 1972 with a military

coup d’Etat, Mathieu Kérékou obtained power and few years later, in 1975 the country became the

Popular Republic of Benin in order to emphasise the government adhesion to Marxism-Leninism

that would last until the end of the 1980s.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

385

13. The state legitimacy was undermined by the economic crisis, ultimately linked to the general

world economic crises of the mid 1980s and particularly to changes in the oil market, and the

consequent Nigerian recession (VITTIN 1991).

14. Since independence in 1960, the Beninese economy was built on a system of importations and

re-exportations on a regional basis. In such context, the role played by the state was decisive in

enforcing strategies facilitating the transfer of goods—État entrepôt (IGUE & SOULE 1992). Indirectly

taking advantage of its geographical location, Benin has built its economy on the transit and

provision of natural resources of neighbour states, carrying out a policy of liberal trade, fiscal tax

reductions, and a decrease in customs duties, allowing the weakening of national borders (ibid.).

As result of such policies, the Beninese economy was heavily dependent on neighbouring states

because it was based on trade revenues. Likewise, the permeability of national borders, and

dependency on foreign imports, especially from Nigeria, has eased the flourishing informal

economy, predominantly on the trade field (BAKO ARIFARI 2001). Even though this economic

system experienced a severe crisis in the 1980s, it still persists today. The intense activity of the

port of Cotonou, which is the most important in the region, and the Sémé-Kraké’s border

between Benin and Nigeria are certainly proof of such economic strategies. At the beginning of

the new millennium, approximately 75% of the whole national budget came from fiscal incomes,

of which 45% originated from customs duties (ibid.).

15. A priest elite rose under governmental influence, attempting to modify certain cult features

considered antiquated and to shape an official, but unique image capable of withstanding

comparisons with other World Religions (MAYRARGUE 1997). The path toward the “modernisation”

of Vodun cults was an answer to different requests: the governmental need of an institutionally

unique referent structure for the entire Vodun community (ibid.), the growing transnational

project of a World Religion constitution (CLARKE 2007), grouping all the different branches of

Afro-American religions, but also the local determination to reform Vodun in order to guarantee

its existence.

16. The objectives of such projects, mainly carried out by PREMA of ICROM, in collaboration with

different European Cooperation departments and agencies, universities and institutions were: to

arrange historical sites, to safeguard immaterial heritage, to retain colonial ethnographic

museums of Abomey and Porto-Novo, to set up a historical museum of Ouidah and to preserve

and maintain royal palaces in Abomey and Porto Novo.

17. Ouidah’s “Slave Route”, Abomey’s and Porto-Novo’s Royal Palaces and Historical museums,

alongside the lacustrine villages of Ganvie and Aguegue and the National Park of Penjari are

considered as the key tourist locations.

18. The International Festival of Vodun Cultures and Arts Ouidah 92; the Regional Gani Festival,

Nikki (North of Benin); the Biennale of Popular and Religious Dances, Abomey; The Guelede Masks’

Festival, Porto Novo; The Yeke Yeke Regional Festival, Mono (TALL 1995a).

19. The programme of the Beninese government (<www.gouv.bj>, “Programme de

développement économique”, Governmental report 2001-2006, December 2006) focuses on: the

promotion of ecotourism in the National Pendjari Park; the development of “business tourism”

(le tourisme de congrès et le tourisme d’affaires) in urban centres; the promotion of seaside and

resort locations; the arrangement of the Fishing Route (Route de Pêches)—connecting Ouidah to

Cotonou—for tourists (to improve economic and social, durable development); the safeguard of

intangible heritage linked to the Guèlèdè marks recently listed as World Heritage by the UNESCO

(creation of a research centre for the documentation, information, the training and performing

arts).

20. Benin, as well as Nigeria and South Togo, is indeed considered to be a “sacred centre and

origin place of diaspora culture” (SUTHERLAND 1999: 202). On diasporic geographies see also

CLARKE (2004, 2007), MATORY (2005).

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

386

21. The international festival, Ouidah 92: retrouvailles Amérique-Afrique organised in 1993

celebrated Vodun “cultures” and arts in their national and transnational dimensions. Vodun was

presented to the world as a cultural heritage, a national treasure and a source of artistic

inspiration. Even if the festival engaged few Beninese towns, the choice for the official event’s

location was again the small town of Ouidah, through which, in pre-colonial times, the slaves

passed through before leaving their homeland. Following a developmentalist perspective, Ouidah

92 was supposed to crucially contribute to the promotion of tourism and cultural industries (TALL

1995a; RUSH 2001). Moreover, the Atlantic trade was officially celebrated one year later with the

UNESCO transnational project “The Slave Route”.

22. Being a national holiday, a local community spiritual appointment and an internationally

popular tourist attraction, the Vodun Festivity—celebrated every year on the 10th of January—

defines a particular space in which political, economic, religious and cultural interests are

performed, debated and negotiated in their local and global dimensions. Recently invented in

1996, and motivated by a political rationale, this celebration is supposed to enact an ancestral

religion and to be illustrative of the “authentic Beninese tradition”, while at the same time it

constitutes a political arena in which the Vodun community negotiates and renovates its political

role within civil society (SUTHERLAND 1999, 2002; MAYRARGUE 1997).

23. The term “Convent” is currently used as the French translation of the Fongbe word hunkpame

or vodunkpame, which indicate the Vodun enclosure in which temples are located. Initiations take

place in that sacred space, the access to which is restricted.

24. The vodun Thron Kpeto Deka Alafia, and its associate cult Thron II, dates from colonial times

and for that reason, and also for their syncretic character that mixes trances with elements from

Muslim and Christian traditions, they were labelled as “new cults” (TALL 1995b). Originally, their

diffusion along the Bight of Benin from Ghana to Nigeria is associated with witchcraft hunting

(APTER 1993; ROSENTHAL 1998). Today the anti-witchcraft feature is still crucial as these cults

offer protection and wealth to their worshipper.

25. The spread of Mami Wata cults in West and Central Africa dates from the colonial times at the

beginning of the 20th century (DREWAL 1988), however linkages are traced back to the 15th century

with the arrival of the first Portuguese ships. Mami Wata’s appearance as a mermaid is both

related to the diffusion of a German chromolithograph of an Indian snake charmer (ibid.) and to

indigenous traditions of aquatic spirit worshipping. However, in Benin, Mami Wata is often

referred as the Mina version of the vodun Dan Aido Wedo, and is fully integrated within the larger

Vodun pantheon. As metaphor of African modernity’s contradictions (BASTIAN 1997; JEWSIEWICKI

2003), the persona of Mami Wata has also inspired a flourishing popular art production

throughout the continent. The presence of Indian elements in Mami Wata’s iconography

(SALMONS 1977; RUSH 1999; DREWAL 1988, 1996) and religious practice reformulates the question of

the hybridity and provenance of this spirit, as well as the way in which people appropriate

foreigner elements in the construction of their worlds.

26. The Martine’s “Root Divination” provides consists of a shorter and basic version of a normal

Fa divination session that is particularly requested by African Americans willing to discover their

African roots. The name of the ritual is clearly imported by uS tourists, however the content is

grounded in Vodun local knowledge. This kind of ceremony refers also to naming ceremonies

that are performed for African American tourists in different West African locations (EBRON 2002;

CLARKE 2004, 2006). In the US American, Yoruba revivalist context, Root Divination refers to

“divinatory rites with which priests in their community consult the oracle to determine the

nature of their African roots [...], the generality of ancestry” (CLARKE 2004: xvii).

27. Mahinou is one of the sacred names that qualifies an initiate of the vodun Dan Aido Wedo, the

rainbow snake who bestows prosperity and wealth. It is attributed to a person dedicated to this

divinity during the initiation rituals, and thus it indicates a specific embodied manifestation of

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

387

this god, as well as a hierarchical positioning of the devotee in reference to the whole cult’s

group and the religious society at large. By denoting the ranking of an individual in the

community, this name is associated to a set of relationships (of dependency and alliance) that, in

the form of rules and duties, determines the individual and social identity of a person and

therefore his or her space of action within the community.

28. Mahinou is today in her late thirties. She lives with her elderly mother as she is not married

and does not have children. She was initiated when she was a teenager, because she was “chosen”

(or rather destined) to take on family religious duties. For several years, she was secluded in a

convent in order to accomplish her initiation rituals. Like most initiates—the vodunsi, literally the

“wife of the vodun”: term which is applied regardless of the gender of the worshipper (on

“wives” of the gods and the trope of “mounting” see MATORY 1993, 1994)—, especially form rural

areas, Mahinou did not attend secondary school and she speaks poor French. Her revenues come

from religious services and small commerce.

29. In 2002, excluding the plane fare, the cost of the trip of three weeks was about 500 €,

including accommodation, meals, daily dance classes, transports and the participation to

ceremonies.

30. Ancestor masks from the Yoruba tradition, the Egungun cult, related to a male secret

initiation-based society, are widespread in the area of Ouidah and Porto-Novo.

31. Nah is the title that is given to a priestess. It signifies the highest rank in the hierarchy that

composes a cult’s group. A priestess, as well as a priest, has the power and the knowledge to

initiate an individual, i.e. to transform a person into a vodunsi. A Nah, which represents the female

principle of the cosmological order, is the counterpart of a hounnon, the male cult chief (also

named Dah), and together they organise community religious life. In large convents—considering

the latter as a religious community unit—there are more than a Nah, as the title not only

indicates the priestess at the top of the hierarchy, which of course has more power than the

other ones, but also allocates a status that is achieved by elder female initiates as a sign of

recognition of the amount of sacred knowledge and ritual mastery that are acquired through

experience, over time.

32. For the next year, in January 2009, after seven years, a new trip has been scheduled and

advertised. The cost of the two week-stay of 995 € is comprehensive of transports (excluding air

fare), accommodation, meals, day-trips, and dance and music classes.

ABSTRACTS

Since the 1990s the Republic of Benin, following a path similar to other West African countries,

has established itself as a destination for cultural tourism, in which history, ethnic traditions,

ancestral values and indigenous knowledge figure as main attractions. The study of recent

developments of the Beninese tourism industry sheds light on the ways in which meanings and

commodities are produced in encounters between "hosts" and "guests". Reconstructing the

polyvocal biographical narratives of two women engaged in tourism activities—a tourist guide

and a Vodun priestess— I analyse local responses to tourists' flows while addressing questions of

cultural consumption and the harshness of global markets. In order to understand how

representations of "Africaness" and "tradition" are produced and negotiated and how cultures

are commodified and transformed into artefacts of economic transactions, this paper draws

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attention to the dynamics through which Vodun cults have been refashioned as a national

cultural heritage and a sites of the Atlantic Slave Trade memory, becoming the main cultural

assets of the country for international audiences. By blurring boundaries between tourist worlds

and everyday life, combining national policies and intimate stories, I look at the ways in which

local agents perform and resignify their culture and experience encounters with "others", while

exploring paths of "entrepreneurship" and success.

Depuis les années 1990, tout en suivant un chemin similaire à ceux d'autres pays de l'Afrique de

l'Ouest, la République du Bénin s'est lancée dans le domaine du tourisme culturel dans lequel

l'histoire, les traditions ethniques, les valeurs ancestrales et les connaissances indigènes

apparaissent comme des attractions principales. L'étude des développements récents de

l'industrie touristique béninoise illustre les façons par lesquelles les significations et les biens

marchands sont produits dans les espaces de rencontre entre les touristes et les « hôtes ». Par la

reconstruction des récits biographiques polyvocaux de deux femmes engagées dans le tourisme

— un guide touristique et une prêtresse vodun —, j'analyse les réponses locales aux flux

touristiques, tout en questionnant l'enchevêtrement des marchés globaux et des circuits de

consommation culturelle. Dans cet article, l'appréhension de la production de l'« Africanité » et

de la « tradition », ainsi que l'objectification de la culture en biens marchands sont éclaircies par

l'examen des dynamiques qui ont transformé les cultes vaudou en héritage culturel national,

mémoire de l'esclavage et, par la suite, en attraction touristique. En brouillant la distinction

entre mondes touristiques et vie quotidienne, et en juxtaposant les politiques étatiques aux récits

de vie, cet article rend compte du point de vue des agents locaux, des façons par lesquelles ils

performent et perçoivent leur culture dans la rencontre avec les « autres », en devenant

« entrepreneurs » et en aspirant au succès.

INDEX

Keywords: Benin, biographical narratives, cultural artefacts, cultural tourism, encounters,

marketing vodun, sacred commodities, Vodun religion

Mots-clés: Bénin, récits biographiques, biens marchands sacrés, objet culturel, tourisme

culturel, rencontres, commercialisation du vaudou, religion vaudou

AUTHOR

JUNG RAN FORTE

Centre for Humanities Research, University of the Western Cape, Cape Town, South Africa.

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Back to the Land of Roots. AfricanAmerican Tourism and the CulturalHeritage of the River GambiaRetour au pays de Racines. Le tourisme africain-américain et l'héritage culturel

du fleuve Gambie

Alice Bellagamba

“There’s an expression called the peak

experience’.

It is that which emotionally nothing in your life

ever can transcend.

And I know I have had mine that first day in the

back country in black West Africa.

When we got up within sight of the village of

Juffure the children who had inevitably been

playing outside African villages, gave the word

and the people came flocking out of their huts.

It’s a rather small village, only about 70 people.

And villages in the back country are very much

today as they were two hundreds years ago,

circular mud huts with conical thatched roofs”

(Haley 1973: 13-14).

1 In the late 1960s, the African American journalist and novelist Alex Haley discovered

the small rural village of Juffureh at the mouth of the River Gambia. By relying on oral

sources and other methods that were criticised by academic historians, Haley identified

the settlement as the place where slave traders kidnapped his ancestor Kunta Kinte so

as to sell him as a slave on the other side of the Atlantic (Vansina 1994: 149-150; Dorsch

2004: 104)1. Within a few years, the publication of the novel, Roots, in 1976 and the

production of a TV series with the same title brought the Republic of The Gambia to the

attention of the international community. A tradition of meetings and interactions

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

390

between Gambians and African American tourists was thus inaugurated and was to

expand in the decades to come.

2 Juffureh rapidly became a preferred destination for the daily excursions, organized by

tourist resorts, which during the 1970s developed close to the capital city of Banjul

(Harrell-Bond 1979; Dieke 1994)2. The small community got electricity, water pipes and

other facilities largely unknown in many rural areas of The Gambia.

3 Today, tourist guides bring visitors to the compound of the Kinte family, where till

some years ago they met Binta Kinte, an old lady who was introduced as one of the

living descendants of Kunta Kinte. After her death relatives from the family have begun

to perform the same task. The history of Juffureh is narrated and integrated with

details on Haley’s relationship with the Kinte family. Guides explain how the new

mosque of the village, which was completed in 1999, was dedicated to his memory. A

photograph of Haley surrounded by the villagers is shown together with pictures from

the TV series. In other terms, Roots has been locally appropriated carving out a niche for

The Gambia in the popular image of the homeland constructed by and circulated within

the African diaspora (Howe 1998: 108).

4 In the following pages, I have taken two cultural initiatives in the late 1990s as the

starting point for an examination of how in recent times government and private

agencies have exploited the heritage of the Atlantic slave trade as an attraction for

African American tourists3. The first was the establishment of a museum of slavery in

the old Albreda trading post, which is close to Juffureh4. The second was an initiation

ceremony organised by an American travel agency for a group of African American

College students, which I had the chance to attend in 20005. The event took place in

Medina, a Jola village not far from the capital city of The Gambia6. For more than a

week twenty-two teenagers, three teachers and the travel agent that promoted the

tour, took part in a busy program of cultural events designed to convert them into the

“true” sons and daughters of Africa. They were adopted by local families, and were

considered by Medina villagers as though they were members of the community who

had migrated abroad and had returned home to be initiated into the local cultural

tradition. New clothes in an African style were sown for them. Girls attended courses

on cooking and domestic tasks. Boys were taught about the virtues of manhood and the

importance of respecting their elders. At the end of the week, the village notables

officially proclaimed the African American students’ coming of age as adult men and

women. I will examine the significance of this experience for the participants in the

process and comment upon their different (and conflicting) agendas and aspirations.

Focus will be more on the perspective of the villagers than on that of their African

American guests, so as to balance the latitude accorded to the latter in the literature on

Roots tourism in West Africa (Ebron 1999; Hasty 2002; Holsey 2004). Medina community

welcomed the tour of African American College students as an opportunity of

development from below. This perception was based on both strictly economic

considerations (the injection of foreign currency caused by the visitors’ presence in

their community) and a broader policy aimed at establishing lasting personal

relationships with citizens from the other side of the Atlantic, which would prove

useful either to sponsor local projects of development or to sustain the emigration

projects of some of the local youth to the United States. Whether the expectations of

the villagers were even partially fulfilled is what I attempt to assess in this essay. As

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

391

Buzinde and Almeida Santos (2008: 485) recently maintained, tourism can either help

resolve or perpetuate socio-economic problems.

Gambian Cultural Policies and the Public Memory ofthe Atlantic Slave Trade

5 During the 1970s, the government of The Gambia actively tried to preserve the national

cultural heritage. First, it established the Cultural Archives to collect historical

traditions of the pre-colonial period as well as material artefacts, which in 1985 would

be used to create the National Museum of The Gambia. Then, in 1979 the Oral History

and Antiquities Division (OHAD) inherited the legacy of the Cultural Archives.

Immediately after the publication of Roots, the new institution took up the task of

promoting Juf- fureh. The OHAD sponsored the creation of an Arts and Crafts Market so

that the young artisans from the village and from other areas of The Gambia could

benefit from the increasing numbers of visitors. It advised the villagers to improve

facilities and sanitation and carried out research into the major historical sites

associated with the history of Atlantic slave trade. One of these was Fort St. James,

which is located on a small island just in front of Juffureh. During the seventeenth and

eighteenth centuries this site was home to the representatives of the Royal African

Company. Another was Fort Bullen, which was built by the British at the mouth of the

river after the formal banning of the Atlantic slave trade by the British Parliament in

1807. Fort Bullen and the British flag which stands in Albreda today, as well as the

treaties stipulated with local rulers in order to stop the illicit shipping of slaves

towards the Americas, symbolize British abolitionist trend during the nineteenth

century7.

6 The OHAD officials interviewed elders who lived in proximity of the two forts in order

to collect as much historical documentation as possible. The recorded narratives were

stored in the archive, which the OHAD had established in the capital city (Galloway

1976a, 1976b, 1981). Currently, such archive of tapes, transcriptions and translations is

one of the major sources of information to reconstruct the pre-colonial history of this

area of West Africa.

7 In spite of such efforts, the issues of slavery and slave trade never really captured the

attention of the larger public. The research priorities of OHAD focused on highlighting

the connections of indigenous pre-colonial polities to the larger historical space of the

Senegambia region rather than emphasising their links with the Atlantic world (Wright

1991; Bellagamba 2006). Slavery belonged to a past that would rapidly fade away under

the waves of modernisation. Why should the OHAD raise such a controversial issue in

the public realm? In the early 1990s, this agenda changed when the launching of the

UNESCO Slave Routes Project (1993) created opportunities for discussion on and a

historical re-evaluation of the history of the River Gambia in light of the centuries of

trade and cultural relations with Europe and the Americas. Experience had shown in

Ghana, where during the last years of the Rawlings’s regime the government

introduced measures to capture the attention of African American tourists and

communities by restoring historical sites associated with the Atlantic slave trade (Hasty

2002; McCaskie 2007), the cultural and economic potential of this legacy (Bruner 1996,

2005; MacGonagle 2006; Schramm 2007). The Gambia tried to follow the same path.

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392

8 Public reforms resulting from the structural adjustment plan launched in 1985 involved

the government in the establishment of the National Council for Arts and Culture

(NCAC), which incorporated the OHAD, the Monuments and Antiquities Division and the

National Museum. After having been attached for a short period to the Ministry of

Education and Youth, the NCAC was put under the responsibility of the Ministry of

Tourism. This amounted to official recognition of the outward-looking and market-

oriented direction the country’s cultural policy was taking in contrast with the

nationalist agenda of the 1970s and early 1980s8. Tourism had become a crucial source

of income for the weak national economy, which since colonial times had been almost

exclusively based on the commercial cultivation of groundnuts for export to world

markets.

9 Finally, historical events played their part. As a consequence of the military coup of

22nd July 1994, which ended the Fist Republic of The Gambia, the 1994-1995 tourist

seasons showed a dramatic decline which seriously affected the already weak labour

market of the Atlantic coastline. Statistics show that over one thousand hotel jobs

disappeared. The crisis affected transports, trade and horticultural business, which had

spread up to meet the needs of the tourists (Sharpley, Sharpley & Adams 1996: 3). As a

result, the NCAC turned to Haley’s experience and to the 1970s and early 1980s

researches of the OHAD on the historical sites associated with slavery in order to

promote a number of initiatives that could reinvigorate the tourist sector and capture

the emerging tourist market of the African diaspora.

10 The first was the Roots Homecoming Festival, which aimed at showing African American

tourists the investment opportunities in the country, besides of course displaying its

rich and complex cultural heritage to the world at large. In 1996, the festival was

inaugurated and was to become a permanent fixture in the years to come, one which

the government itself has rapidly transformed into an international stage to draw

attention on the achievements of the new regime9. Significantly, the festival always

takes place at the end of the tourist season, either in May or in June, so as to extend the

flux of visitors of the previous months.

11 The second initiative was the attempt to have Fort St. James and a number of other

historical sites restored and included in the UNESCO World Heritage List, as would

eventually happen in 2003. The third was the production of a guide to The Gambia’s

historical sites (Meagher & Samuel 1998). The fourth was the establishment of the

Albreda exhibition on slavery, which the NCAC organised rather hurriedly to meet the

celebration of the 1998 Roots Festival. The nearby village of Juffureh welcomed the new

museum as a further economic opportunity and took it as a sign that the government

born out of the military coup was more aware of their community’s real needs than the

previous one had been. on the same day, tourists can now visit the Albreda exhibit, and

then cross the river to reach the ruins of Fort St. James. On their way back, they can

tour Juffureh and buy souvenirs at the local Arts and crafts market.

Inside the Albreda Museum

12 Albreda Museum was set up in an old commercial building, whose history goes back to

the expansion of the groundnut trade along the River Gambia in the second half of the

nineteenth century. European companies left the country after independence and their

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393

abandoned buildings rapidly turned into decaying remnants of a recent past in which

the country’s economy had prospered. Tourists and visitors are not aware of such

historical details, however.

13 The guide to the historical sites of The Gambia clearly states that the history of the

building hosting the slavery exhibition is quite obscure (Meagher & Samuel 1998: 62).

There is no other explanation to help visitors to disassociate this nineteenth-century

commercial building, which was involved in a wholly legitimate trade, from those used

for holding slaves awaiting shipment to the Americas during the previous centuries. At

the time, trading posts along the river consisted of huts and stockades, as described in

the account of Francis Moore (1738), who for a number of years ran a commercial

factory for the Royal African company close to the current settlement of Janjanbureh in

the Central River Region10.

14 At the exhibition entrance, a large sign declares: “In West Africa slavery is an old

phenomenon, though slaves were integrated into kinship groups and could manumit

themselves. The arrival of the Portuguese, and then of other European nations changed

the nature of the slave trade. Local elite and traders got involved in it at the expense of

the commoners.” This representation of indigenous slavery as a benign institution can

be found in both the museum leaflet and the guide to the historical sites of The Gambia

(Meagher & Samuel 1998: 45-46).

15 Both the guidebook and the exhibition therefore made a clear distinction between

indigenous and exogenous slavery, between the fate of slaves who were to be

assimilated into the structure of local societies and those who were deported across the

Atlantic. Brutality and exploitation characterised the treatment of the latter, whereas

the former were in a situation more similar to servitude than enslavement. The rest of

the exhibition tells how ancestors of Africans from the diaspora were forced into exile.

The first room explains the Triangular Trade in a simplified form. Old weapons, coffers,

Venetian beads and a variety of objects used as currency in transactions are shown

together with other pre-colonial archaeological findings.

16 The implicit message is that slavery was a form of violence exerted on harmless human

beings. This message is strengthened by a number of wooden shapes, which decorate

the walls and represent a caravan of chained men, women and children.

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394

Woodenshapes representing the traffic in slaves inside the Albreda Museum

(photograph of the autor, Albreda 2000)

17 Some other shapes, again painted in black, depict slave traders, thus exposing African

involvement in the trade. A third set shows the procedure by which slaves were

branded before being embarked on the ship.

18 The second room explains the passage across the Atlantic and life in plantations, while

the third describes the emancipation process in Northern and Central America and the

effects of the Atlantic slave trade on the Sene- gambia. This is depicted as a region

ravaged by a pagan ruling elite that oppressed the rest of the population. Such view

stems from the religious wars of the second half of the 19th century, which saw Islamic

reformers successfully achieve the political control of this area of West Africa (Gray

1966; Klein 1972, 1998). A map, which comes from Francis Moore’s account of his travels

(1738), illustrates the main settlements along the river in the early decades of the

eighteenth century. A model of Fort St. James shows what the building looked like

before it became a ruin.

19 The final part deals with the present day. There is a small section of the exhibition on

“Liberated Africans”, i.e. the slaves that British naval patrols along the coast freed from

the hand of slave dealers after the abolition of the Atlantic slave trade in 1807 (Gray

1966; Webb 1994). There is a list of names taken from the colonial archives and an

explanation of the crucial role they played in the social, economic and political

development of the colonial settlement of Bathurst, which is today Banjul, the capital

of The Gambia. The last section of the exhibition deals with Kunta Kinte and Alex Haley,

as they both epitomise the experience of return. During the 1970s, African Americans

chose to cross the Atlantic to establish a new relationship with The Gambia. The

awareness of a common origin mitigates the brutality of the ancient enslavement, and

an invitation to embrace a future, in which this old relationship becomes a

commitment to each other, is made quite explicitly in the closing panels of the

exhibition.

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395

20 Two statements are at the core of the museum’s narrative. First, the slave trade

involved both Europeans and Africans. Second, Europeans made the greater profit from

it. For a visitor who is familiar with the history of the region, such assertions sound

more incomplete than superficial. Details, which easily could have been drawn from the

available historical literature on slavery and the slave trade in Senegambia (Curtin

1975; Klein 1977, 1998; Barry 1998) are not part of the exhibition. This is mainly due to a

lack of access to such information rather than to an explicit intention to ignore facts.

Historian Donald Wright (2000: 24), who visited the Albreda Museum in 1998, has

credited it to be “much better than one would expect, given the government’s poverty

and the lack of resources for constructing such things”. Nonetheless, the exhibition has

been organised around a number of omissions.

21 From a historical point of view, one of the most significant is surely the complete lack

of references to whatever importance the memory of slavery and the slave trade might

still have in contemporary Gambian society. Both are represented as pure international

phenomena, which connected the river to the world at large. Apart from the initial

remarks on the benign nature of domestic slavery, all other references to the place of

this institution in local society have been erased. The exhibition attempts to separate

Atlantic and local history, the first of which is centre stage and the second is

downplayed or even completely expunged.

22 The curators of the Albreda Museum could not do otherwise and for a number of

reasons. After independence, slavery and the slave trade were not among the OHAD’S

research priorities. As in other West African countries, such matters from the past were

put aside in order to concentrate on nation building (Gaugue 1997; Austen 2001).

Consequently, the archive of oral sources that the OHAD established and on which the

NCAC relied to create the slavery museum did not provide sufficient information to

include the topic of local slavery into the exhibit. Objects were also few, as the

institution had neither time nor resources to engage into systematic campaigns of

collection. Beads, coins and other small items, which were already at the National

Museum, were moved to Albreda.

23 In addition, the link between the slave trade and the Islamic wars of the second half of

the 19th century, and the fact that the internal slave trade continued until the first

decade of the 20th century, are not issues that Gambians are eager to discuss in public

and still less to air on the global stage of cultural tourism. The descendants of late 19th

century slaves and slave masters still confront each other with their reciprocal

memories. In order to avoid complaints and conflicts, during the 20th century and in

particular after the achievement of independence such distasteful past has often been

silenced (Klein 1998; Bellagamba 2009).

24 By creating a narrative on slavery tailored exclusively to meet the expectations of

African American tourists, the Albreda Museum has unintentionally contributed to

push the controversial legacy of internal enslavement to the margins of public debate,

which reinforces the already existing tradition of silence. Similar processes were also

implicit in the initiative organised for African American students, which took place in

the village of Medina in 2000.

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396

Private Initiatives in the Field of the "Roots" Tourism

25 Since the inauguration in 1996 of the Roots Homecoming Festival, the Gambian

government has used the NCAC to cultivate relations with African American tourists.

Along with the Independence Day or the 22nd July anniversary of the military take-over,

the Roots Festival has become an opportunity to impress visitors with extravagant

ceremonies, new hotels and monuments, good roads and anything else that creates a

sense of progress and advancing modernity and bolster the legitimacy of a regime

founded on a coup. over the years, each of the principal localities that could be of

interest to the foreign visitors, such as Juffureh, the president’s hometown of Kanilai

and the settlement of Janjanbureh, has been endeavouring to raise its own profile

within the festival11.

26 Besides the government, a number of private initiatives have flourished as well,

although they are less renowned than the official ones. In Janjan- bureh, local youths

trying to earn a little money have created their own interpretation of a “Slave House”

using the basement of an old colonial commercial building, which actually traded in

groundnuts and not slaves.

The “Slave House” of Janjanbureh

(photograph of the autor, Janjanbureh 2006)

27 The owner, who lacked the resources to restore the building, kindly tolerated their

presence for a while. Then, other members of the family, who lived in town, came into

possession of the building and the related exhibition, and are currently attempting to

transform it into a more solid business. The recently elected Member of Parliament has

put the cultural marketing of the old colonial settlement of Janjanbureh at the top of

his political agenda.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

397

28 During the late 1990s Medina villagers in partnership with an African American travel

agency made similar efforts to promote African American tourism. The owner of the

travel agency, who promoted the idea of the 2000 ceremony, had visited The Gambia

several times. Eventually, he decided to establish his own network of private

relationships alongside the economic opportunities the government offered to the

African diaspora. With the assistance of some Gambian friends, he visited Medina and

negotiated the assistance of the villagers for the tour he meant to organise.

29 Medina is a community of around 2000 inhabitants. It is located in a region largely

populated by Jola who either belong to Jola groups historically settled in The Gambia or

who moved into the country as a consequence of the enduring political instability of

Lower Casamance in the past decades (Galloway 1980; Foucher 2005; Nugent 2007). A

good tarmac road, which had not been completed when I witnessed the initiation

ceremony in 2000, connects the village to the capital city. At that time, the community

had a primary school, a skills center, a Mosque and a number of small shops. The

villagers lived of agriculture and small businesses, as well as participation in the labor

market of the Gambian coast as resort workers, civil servants and private-sector

employees. As in other Gambian villages, Medina’s local economy largely benefited

from emigrants’ remittances.

30 The African American travel agent liked the village. Relatively accessible, it offered the

kind of rural environment that could attract tourists, who wished to use western-style

hotels on the coast as a base, while also obtaining some first-hand experiences of

African life. The community was ready to stage an initiation ceremony for the African

American guests and in that providing a unique opportunity of entertainment. It is

worth remembering that Roots (Haley 1976) begins by mentioning Kunta Kinte’s

initiation, as well as the daily ryhthm of life in rural Africa. Kunta was fetching wood

when slave-dealers captured him. Kunta Kinte, however, is described by Haley (1976) as

a Mandinka and ceremonies initiating children into manhood and womanhood are not

typical of the Jola. Mandinka communities, for instance, perform it and in certain areas

like Janjanbureh, they are quite conservative and traditionalist in the way in which the

boys’ circumcision ceremony is organised. For instance, they continue the custom of

segregating the children in the bush for more than three months. So, apart from the

friendly attitude of Medina villagers, why did the travel agent choose a Jola

community?

31 In the global imagination, the Jola—along with other groups of the Sene- gambia like

the Balanta at the border with Guinea Bissau or the Bassari of Eastern Senegal (much

more difficult to reach for the tourists than the coastal Jola communities like Medina)—

have gained a widespread and unrivaled fame for their attachment to custom and

traditional religious practices, which date back to colonial times or an even earlier

period (Mark 1992; Lambert 1998; De Jong 2002). This stigma of backwardness, which

for a long time deprived the Jola of prestige in the Gambian and Senegalese society, has

become an advantage in relation to the wider world. The Jola can now use it as a

distinctive marker of their identity so as to meet the traditionalist desires of foreign

tourists.

32 African American visitors who come to The Gambia are in search of objects, images and

behaviours that may evoke life as it was in this region at the time in which their

ancestors dispersed across the Atlantic. They would prefer not to see the Coca-Cola

factory (which is located on the main road to the capital city) or the ubiquitous Nestle

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

398

milk advertisements, because they long for a mythical and unchanging past of

thatched-roof houses, calabashes, charms and old-fashioned artefacts. They deplore the

intrusiveness of beach-boys and their westernized appearance and manner, but look

favourably on any behaviour that could be considered traditionally authentic and more

representative of local than global history.

33 Medina met such expectations. Moreover, and meaningfully, the Jola communities and

other decentralized societies of precolonial Senegambia, are widely supposed to have

been only marginally involved in the slave trade (Galloway 1980; Mahoney 1995)12. This

is an important detail for African American tourists. Mandinka, Wolof, Fula and

Serrahuli groups (which all together represent around 90% of the Gambian population)

recognised slavery within their social structure and actively engaged either in slave

raiding or in slave trading. Today, they have to deal with this controversial legacy in

their relations with the African diaspora and Gambian society as well. On the other

hand, the Jola see themselves as passive victims of the slave trade. This view is shared

by other sections of Gambian society and in recent years it has been reinforced by the

public declarations of the President of the country, who is a Jola and who has been very

active in promoting the culture of his ethnic group on a national stage. The historical

engagement of Jola communities with slave-dealing remains confined to academic

debates and is ignored by the wider public. They are therefore in a good position to

enter into a dialogue with African Americans, as both groups can perceive themselves

as having suffered of the same historical processes of enslavement, subjugation and

social humiliation.

34 “As I look at them, I cannot believe they sold their own brothers. Slavery was the result

of war and not of reciprocal betrayal”13. Such was the spontaneous comment of the

travel agent who organised the tour in the village of Medina, when after the end of the

ceremony I approached him to explain the research I was carrying out on the historical

and social memory of slavery and the slave trade. He continued by describing the

efforts he was making in the USA to collect enough funds to build a monument for Alex

Haley in Juffureh. In his perspective, the history of The Gambia and the vicissitudes of

Haley almost coincided.

35 Significantly neither slavery nor the traffic in slaves were ever overtly mentioned

during the week that the African American College students spent in the village. Their

historical knowledge of the Atlantic slave trade was built up by visiting Juffureh and

the Albreda Museum. On their way back to Dakar, where they would join their flight for

the USA, they were supposed to visit the Island of Goree as well. Haley’s Roots and

government narratives—as embodied by the official historical sites of The Gambia and

of Senegal—filled up their historical imaginary without leaving room for alternative

readings, which critically complicated the picture. Comparatively, also Medina villagers

largely ignored this remote past apart from what they learnt at school or by following

the Roots festival on the national television 14. Thus, not only tourists’ perception but

also Gambian popular memory of the Atlantic slave trade is fed by official narratives, as

Katharina Schramm (2007) observed in Ghana. However, I found no trace of what she

describes as the opposite contamination of officialdom with living memories of the

traffic in slaves that continue to shine in the interstices of public discourse (ibid.: 72).

36 As in the case of the Albreda Museum, official memories displace local ones. Medina,

like other communities, has its own history of sufferance which departs from the

Atlantic narrative and points to the painful and intimate realities of greed and betrayal.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

399

Two weeks after the departure of the African American tourists, Landing Jammeh, an

elderly Jola man from Medina provided me with the following details during an

interview. Landing referred to the religious wars, which afflicted this area of The

Gambia on the eve of British colonisation, and during which Jola communities were

raided and destroyed by Muslim warriors. His recollection included a touching

description of how slave traders used to seek the complicity of members of the

community and come at night “to wake them up so that they would open the fence for

them [...]. They would enter and capture the children. They would take the women as

well”. Cotton cloth was an important commodity during the nineteenth century and

highly prized in the Lower Gambia, where cotton was not grown. Landing explained

how the heads of powerful households would select some of the children under their

protection and sell them to slave traders for cotton: “People had many children, you

know, but not all the children were loved in the same way”, he concluded15.

37 Elderly men and women’s ability to narrate the past and bring it alive in front of their

listeners was one of the things that struck Alex Haley’s literary imagination, when he

visited The Gambia in the late 1960s. Though taking cue from Haley’s experience, the

initiatives in the field of African American tourism which have developed in The

Gambia of the last decade transform the complex history of Atlantic slavery and

enslavement in simplified narratives ready to be consumed. Like mythical charters,

these narratives sustain the encounters between African American tourism and the

cultural heritage of country, without raising disturbing questions that could eventually

transform this controversial past into a battleground to claim contemporary rights.

"Have You Seen what they Gave Us?" Cultural Tourismfrom the Villagers' Point of View

38 Ferdinand De Jong (1999a, 2002) has traced the transformations of Jola initiation rituals

in the late twentieth century and has demonstrated their strategic use by the

communities of Lower Casamance to create a sense of belonging among members of the

urban and international diaspora. Until the 1950s and 1960s such rituals strengthened

the elders’ control over young men, who could neither get land to cultivate and build

nor marry before being initiated. Rituals guaranteed cultural continuity across the

generations (Mark 1992: 38).

39 In the following decades, the ceremonies gradually adapted to the changing living

conditions of Lower Casamance and coastal Gambia, as a result of the increased socio-

economic interdependence between rural and urban areas (Lambert 2002; Linares

2003). Whereas on the eve of colonisation, initiation rituals forged links of solidarity

among politically independent neighbouring communities that tried to resist the

intrusions of slave-dealers by enclosing in remote areas, today the same rituals create

feelings of local identity among community members dispersed outside the village. The

Medina ceremony resonated with these recent transformations. Although adapted, it

was based on the current wording of other Jola initiation rituals that are organised

during the summer holidays when migrants and their families return home. In the

1950s and 1960s, initiates were required to remain in the sacred grove for several

months. Progressively, their seclusion has been reduced to a few weeks16.

40 Medina villagers further simplified the event for their African American guests. The

boys spent only a night in the village grove. They were not shown the village shrine,

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

400

which is today a controversial aspect of the initiation ritual, since the majority of the

villagers is Muslim. The night in the grove was an exhausting experience both for the

boys, as they were not accustomed to sleeping outside in the bush, and for their

initiators, who complained among themselves of the boys’ lack of courage and their

demands for comforts that the village could not provide. The next day, the return of

the group to the village was welcomed by the firing of guns, as is customary in such

festive occasions. The young men who had escorted the young initiates in the bush

danced as they accompanied them back to the main square where under the shade of a

big tree they met the girls, who had been hosted in local compounds and dressed up for

the occasion. The closing ceremony took place in the presence of the whole

community. Speeches followed the dances and performances of traditional characters,

like the Kumpo mask17.

41 The travel agent who organised the tour was the first to speak. He stressed the friendly

links that his agency had developed with Medina villagers. He admonished the students

to keep alive the memories of their adventure. Then the Imam and the village chief

expressed their gratitude to their African American brothers and sisters. “Jola culture—

continued the village chief—is deep and what you have seen is but a fragment of it. You

must return so as to deepen your knowledge.”

42 In this way, he re-emphasised the division between the visited and visitors, and claimed

the active role for the former in the encounter. The Medina community could not really

choose whether to accept or refuse the tourists—not being in the economic position of

doing so—but it could try to control the encounter, deciding what to display and what

to preserve from the intrusion of foreign guests. The village chief invited the tourists to

continue in their efforts by coming back and learning more local traditions. The

initiates were given certificates of attendance that highlighted their new African

names. For the students this was just a piece of paper they could show to relatives and

friends—a signpost of their restored link with their ancestral land to be hung on the

wall at home. So commented the sixteen year old Thomas. He had not really enjoyed his

night in the forest. For the villagers, the same certificate expressed the hope of creating

enduring transnational relations. It implied future requests of aid in terms of

development for the community and for its families, who had adopted the young

tourists within their ranks. Behind the apparent courteousness, and the rhetoric of

reciprocal brotherhood, both groups were disillusioned with the encounter. The

African American students left the village with the conviction they had been deprived

of real access to local culture. Indeed, the village chief’s words reinforced their feeling

of having undergone a fake initiation. The villagers complained of a lack of immediate

and concrete material reward. Surely the tourists’ money had provided a week of fun

for the whole community, but if they were to organise the same initiative for a

Gambian patron—either a politician or a member of the elite—they undoubtedly would

have gained more than the seventy dollars and a pile of old clothes left by the travel

agent before the group’s departure for their hotels on the coast. “Have you seen what

they gave us?” protested the lead dancer as soon as the students left. “Old clothes and

seventy US dollars. I called all these people to dance from the surrounding villages. How

am I going to compensate them? This money is so little”18.

*

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

401

“You visit the country as a tourist. We are so friendly with foreigners. You travelaround, you learn our ways of doing, and when you are back home, you can use theknowledge and the photographs you got to entertain your friends or even to gainprofit by selling the materials. This is not fair. This is just exploitation”19.

43 I came across this remark in 2008 as I was travelling towards eastern Gambia on local

transports. The young man sitting near me thought I was one of the independent

tourists, who venture out of the hotel resorts towards the countryside. He had just

visited his family and was going back to the village where he worked as a

schoolteacher. Since the 1970s, government and tourist agencies have been marketing

The Gambia as the “smiling coast of Africa”, but behind the friendly attitude that local

people display towards the tourists, the words of this young man betray deep feelings

of exclusion. His bitterness brought back to my mind the closing of the initiation

ceremony for the African American tourists I attended eight years before in Medina.

The old clothes that the students presented to the villagers as if they were a precious

gift, just before departing, and the seventy dollars which were given to compensate the

dancers, exposed the socio-economic chasm that divided the hosts from the African

American tourists who were temporarily their guests.

44 Bayo Holsey’s (2004: 167) invites to read the contemporary tourist reappraisals of the

Atlantic slavery’s legacy, which take places in West Africa, in light of the unequal

power structure of global capitalism, which relegates countries like The Gambia to

positions of permanent economic and social marginality. I have tried to follow such

suggestion by analysing both the Albreda Museum and the Medina ceremony against

the background of the changing and intersecting routes of the African diaspora. The

two initiatives link the forced displacement(s) of the past to the return travels of

African Americans to West Africa. Both overlook not only the internal slave dealing and

slave trade but also a more recent and crucial dimension of the African diaspora, that is

West Africans’ emigration to Europe and North America (Akyeampong 2000: 183).

45 Every year, a number of middle-aged and young African Americans tourists visit The

Gambia to perform what they see as deeply moving pilgrimages in search of their

ancestral African roots (Ebron 1999; Timothy & Teye 2004). Conversely, every week, in

the early hours of the morning, Gambians queue in front of the American Embassy,

which is located in one of the upper class residential areas in the outskirts of the capital

city. They hope to get a visa to cross the Atlantic for educational and economic reasons

or in search of political asylum. Due to restrictions of the USA immigration policy this

has become increasingly difficult to achieve, especially for those who either do not

belong to the political and economic elite or who are not sufficiently supported by

family members already abroad.

46 On the one hand, there is the appeal of an homecoming, which results in the occasional,

though intense, experience of visiting the Albreda Museum, Juffureh and the historical

sites related to the Atlantic traffic in slaves so as to experience the emotions of

discovery that Haley so romantically described in his narrative. On the other, there is

the attraction that since the 1980s international migration has been exerting on young

and less young sections of the population. Both processes intersect in ways, whose

assessment surpasses the scope of this essay. International tourism in general, as well

as the return of successful emigrants for holidays who indeed are a specific category of

visitors, fuels local imagination of places elsewhere, which the majority of Gambians

will never experience. As a matter of fact, till the early 1990s, encounters with North

European visitors offered the opportunity to emigrate to a number of youth, who got

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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visa and financial support thanks to friendly relationships with tourists20. Currently,

tourist areas are well guarded both by police and private vigilantes. Young men and

women, who seek to get in contact with tourists without having the proper

authorisations, are sent away. At times, police arrests them with the justification that

their idle behaviour compromises the positive image of the country. The effort to turn

tourism into a local resource goes on, however. Establishing and cultivating

international connections is essential not only to sustain migratory projects but also to

provide the material, moral and social assistance to make up for the lack of

government patronage and overcome the fact of living in a country, whose record of

human rights violations has dramatically increased after the military coup21. Medina

villagers made such an attempt without being successful. Within a few years, relations

between the village and the North American travel agency broke down and, to my

knowledge, none of the villagers have yet travelled to the USA as a result of the

friendships formed by this experience. Moreover, the initiative, which was organised

on a private base, could not compete with government-driven ones.

47 In 2000, during the millennium edition of the Roots Homecoming Festival, the government

itself took up the idea of initiating African American visitors into Jola culture, which

deprived Medina of whatever chance remained to offer something original and unique

in the tourist market.

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NOTES

1. HALEY himself (1973) described his discovery of Juffureh, beginning with the stories of his

grandmother about an ancestor who came from Africa, and ending up with his travel to The

Gambia and his meeting with Kebba Fofana, the Juffureh elderly man that narrated to him the

history of the Kinte family. WRIGHT (2004) briefly illustrates the relationship which developed

between the African American novelist and Juffureh villagers. WRIGHT (1981) is also the author of

a critical analysis of the sources that Haley used to write Roots.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

407

2. Tourism began at the time of independence, with around 300 visitors in 1965. During the

1970s, the government established a number of Tourist Development Areas along the Atlantic

coastline, where hotels and other facilities were constructed thanks to technical and financial

support from United Nations Development Programme (UNDP) and the International

Development Association (IDA) (DIEKE 1994: 617). In 1993, the flow of visitors reached the peak of

90,000 international arrivals to abruptly decline in 1994 and 1995 as a consequence of the

bloodless military coup that on July 22 1994 ended the First Republic of the Gambia. After the

democratic transition of September 1996, figures rose again to reach the average estimate of

100,000 annual visitors. In 2001, the government established the Gambia Tourism Authority

(GTA), which is a public enterprise to regulate and promote the tourism industry. In 2003,

tourism was estimated to account for around the 7.8% of Gambian GDP (BAH & GOODWIN 2003: 10).

For information on more recent developments see MITCHELL & FAAL (2007).

3. official data do not allow disentangling the number of African American tourists from the

general statistic of international visitors. Ethnography shows that they are mainly middle-class

and middle-aged. As a matter of fact, and in spite of government efforts to diversify the tourist

offer in the past decade, the Gambia largely remains a sun-sand-beach destination for British,

German and Northern European tourists (BAH & GOODWIN 2003).

4. For almost two centuries Albreda was a trading post for slaves used by French and mulatto

merchants. The British took possession of it in the 19th century. For details see GRAY (1966) and

WRIGHT (2004).

5. I have repeatedly carried out fieldwork in The Gambia since 1992. The issue of slavery and its

historical and social memory has been at the core of my recent ethnographic and historical

research within the framework of MEBAO (Missione Etnologica in Bénin e Africa Occidentale;

www.mebao.org), a project co-financed by the Italian Ministry of Foreign Affairs and the

Department of Human Sciences for Education “Riccardo Massa” at the University of Milan-

Bicocca. I hereby thank the Italian Ministry of Foreign Affairs and the Italian Embassy in Dakar

for their support over many years.

6. The names of the locality and of the participants in the initiative have been changed so as to

protect their privacy.

7. See GRAY (1966) and CURTIN (1975) for historical details on European presence along the River

Gambia.

8. I described Gambian cultural policies and their intersections with the tourist market elsewhere

(BELLAGAMBA 2006). HUGHES and PERFECT (2006) offer detailed analyses of the socio-political

consequences of the 1970s and 1980s economic crisis.

9. The Roots Homecoming Festival has its own website <http//:rootsgambia.gm>.

10. Janjanbureh is another famous historical site, located on MacCarthy Island, about 300

kilometers from the coast in the middle of the River Gambia. The British acquired the island in

1823 and transformed it into an outpost of their colonial presence along the river. By the late 19th

century, Janjanbureh was a flourishing commercial settlement, where run-away slaves as well as

people escaping raids on the mainland found refuge. Popular memory remembers the locality of

Jonk- akunda, which is in front of MacCarthy island on the north bank, as a place where slaves

where kept before being sent to other areas. Actually, Jonkakunda hosted a British trader and his

mulatto family in the second half of the 19th century (GRAY 1966: 277-278).

11. Not far from the coast, the President’s hometown of Kanilai, which has been developed into

an attractively modern settlement with excellent facilities, has become a reference point for Jola

communities and cultural groups of The Gambia and Lower Casamance. During the Roots Festival,

Kanilai hosts several cultural initiatives that attract visitors from the whole sub-region as well as

visitors from outside the African continent.

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408

12. This interpretation relies heavily on the first ethnographic reports written by British officials

during the late nineteenth and early twentieth centuries, and ignores the role of Jola as slave

raiders in the economic networks generated by the Atlantic slave trade before the nineteenth

century. LINARES (1987) has uncovered historical evidence of the gradual involvement of the

ancestors of the contemporary Jola in the slave trade from the fifteenth century onwards. BAUM

(1999) has explored the place of slavery in the ritual and religious life of some Jola communities

of Lower Casamance, while the testimony of BERTRAND-BOCANDÉ (1849) mentions the incorporation

of slaves in the Jola communities of the Lower Cas- amance during the second half of the

nineteenth century.

13. Conversation with J.-P., 26 april 2000.

14. Through an analyses of history textbooks, M.-L. NEIJTS (2005) made a preliminary assessment

of the ways in which educated Gambians construct their historical knowledge of Atlantic slavery.

15. Interview with L. J., 10 May 2000.

16. Jola communities of Lower Casamance perform male initiation rituals every 25 years (DE JONG

1999a, 2002). The ceremony requires that the initiates spend a period of training in the village

sacred grove, which is a space outside the village purposely left uncultivated. Sacred groves are

accessible only to initiated men, and even today what happens inside is considered to be secret to

the rest of the community.

17. Kumpo is a Jola mask made of grass: today it is one of the traditional characters of Jola

ceremonies, but as DE JONG (1999b) shows, Kumpo was created during the 1930s by young men who

returned to their villages after having worked in other areas of the Senegambia.

18. Conversation with I. S., 26 April 2000.

19. Conversation with A. K., Basse, The Gambia, January 2008.

20. The issue of beach-brokers (locally called “bumsters”) has been widely commented upon by

the literature on Gambian tourism. Romantic adventures and marriages with north European

ladies have been one of the routes to international migration, particularly for young males. See,

for instance, DIEKE (1994) and EBRON (1997) who discusses such phenomenon from a gender point

of view.

21. Emigration has become a discussed topic within Gambian society. Young people’s exit has

been interpreted as a consequence of the country’s deteriorating political and economic

conditions since the coup, as well as of their exposure to Western culture and life-style as a

consequence of international tourism. See, for instance, “Searching for Greener Pastures”, The

Daily Observer (Banjul), 28 December 2007 (Posted to the web 28 December 2007) or “Nerves: an

Apotheosis of a whole Generation”, Gainako On-Line Newspaper (Posted December 21 st, 2006). As

JANSON (2006) has shown, religious education is one of the strategies of upward social mobility

open to young men who do not have the chance to emigrate.

ABSTRACTS

In the late 1960s, the African American journalist and novelist Alex Haley Identified the small

rural village of Juffureh at the mouth of the River Gambia as the place where slave traders

kidnapped his ancestor Kunta Kinte so as to sell him as a slave on the other side of the Atlantic.

Within a few years, the publication of the novel, Roots, in 1976 and the production of a TV series

with the same title brought the small Republic of The Gambia to the attention of the

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international community and inaugurated a tradition of encounters between Gambians and

African American tourists. This article addresses the public memorialization of the Atlantic slave

trade and the use of such heritage as a tourist resource in contemporary The Gambia by

illustrating two initiatives of the late 1990s both aimed at marketing the land of Roots to a global

audience of African American tourists. The first was the establishment of a slavery museum in

the locality of Albreda, near Juffureh. The second was an initiation ceremony that a small Jola

community in the proximity of the capital city of Banjul organised for a group of African

American College students in 2000.

À la fin des années 1960, le journaliste et romancier africain- américain, Alex Haley, a identifié le

petit village rural de Juffureh, situé à l'embouchure du fleuve Gambie, comme l'endroit où les

commerçants d'esclaves ont enlevé son ancêtre Kunta Kinte afin de le vendre, comme esclave, de

l'autre côté de l'Atlantique. Quelques années plus tard, en 1976, la publication du roman Racines

et la production d'une série télévisée portant le même titre ont attiré l'attention de la

communauté internationale sur la petite République de Gambie, et ont inauguré une tradition de

rencontres entre Gambiens et touristes africains-américains. Cet article traite de la

commémoration de la traite atlantique des esclaves et de l'utilisation d'un tel héritage comme

ressource touristique dans la Gambie d'aujourd'hui. Ce thème est illustré par deux initiatives

commerciales entreprises à la fin des années 1990, toutes deux destinées à « vendre » la patrie de

Racines à un public de touristes africains-américains. La première a été la création d'un musée de

l'esclavage dans la localité d'Albreda, près de Juffureh ; la seconde, une cérémonie initiatique

organisée, en 2000, par la petite communauté jola, près de la capitale Banjul, pour un groupe

d'étudiants africains-américains.

INDEX

Mots-clés: Gambie, Albreda, Banjul, Juffureh, touristes africains- américains, roman Racines,

esclavage, commerce d'esclaves

Keywords: Gambia, Albreda, Banjul, Juffureh, African American tourists, novel Roots, slavery,

trade slave

AUTHOR

ALICE BELLAGAMBA

Dipartimento di Scienze Umane per Formazione “Riccardo Massa”, Université degli Studi di

Milano Bicocca, Milan.

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“Find their Level”. AfricanAmerican Roots Tourism in SierraLeone and Ghana« Trouver sa place » — Tourisme de racines africaines-américaines en Sierra

Leone et au Ghana

Adia Benton and Kwame Zulu Shabazz

“Just as a tree without roots is dead, a people

without history or cultural roots also becomes a

dead people [...]. You take a tree, you can tell

what kind of tree it is by looking at the leaves. If

the leaves are gone, you can look at the bark [...].

But when you find a tree with the leaves gone and

the bark gone, everything gone, you call that a

what? A stump. And you can’t identify a stump as

easily as you can identify a tree.”

Malcolm X (1967)

“I heard the truth was in my roots, but I haven’t

seen a tree all day [...].

What about the leaves on trees with broken

branches?

Where will they go after they’ve done their

dances in the wind?

Will they cry or simply die?”

Fertile Ground (2000)

1 In many “developing” and post-conflict African nations, cultural tourism has been

touted as a vital source of foreign exchange revenue for jumpstarting national

development. This trend has led to a scramble in Africa by African state officials

seeking to “package” their nations in order to attract foreign capital1. In both Ghana

and Sierra Leone, marketing logic has become pervasive amongst political elites who

have sought to attract the patronage of diasporan “returnees”—descendants of the

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Middle Passage2 who travel to Africa in search of cultural and historical “roots”. The

planning and execution of national “packaging” often circumvents the ordinary citizen;

thus, the official agenda of these nation-states is sometimes at odds with the

aspirations of local Ghanaians, Sierra Leoneans and pan-African sojourners alike.

Moreover, this trend has contributed to considerable conceptual slippage and,

consequently, vociferous debates over the meaning of and criteria for asserting

Africanness. In other instances, these conjunctures have transformed and enhanced

received notions of African identity.

2 As African American anthropologists3, “privileged” citizens of a hyper-developed

superpower, and members of a marginalized racial group, we, the authors, share a deep

commitment to social justice and race consciousness4. In the US, race is a pervasive

signifier of economic, social and political asymmetries. But in Ghana and Sierra Leone,

while race is important, distinctions such as class and ethnicity are much more salient5.

Our African interlocutors often attempt to fit us into categories that are meaningful to

them:

“Where [in Africa] are you from?”“Are you Ghanaian/Sierra Leonean?”“What is your tribe?”“Are you a pure African?”“Where is your village?”“Who are your ancestors?”“Are your parents African/Ghanaian/Sierra Leonean?”“Do you have a Ghanaian/Sierra Leonean passport?”“Are you a slave?”“You are a Big Man/Woman”6

“Are you a white person/stranger?”

3 These engagements remind us that as scholars using anthropologically informed rituals

of observation and participation, we, too, are the subjects of observation, critique, and

local theorizing. This hermeneutical circle (Apter 1992: 213) informs our self-

perceptions as engaged scholars who, hopefully, advance research agendas that can

facilitate and enhance cross-cultural dialogue, understanding and collaboration.

4 In this essay, we compare a developing nation (Ghana) and a postconflict nation (Sierra

Leone) to deepen and complicate our understandings of an emerging pan-African

phenomenon—African roots tourism—and its attendant possibilities, limitations, and

ambiguities. We consider how these complimentary and conflicting interests, beliefs,

and practices converge to shape novel modes of pilgrimage, nationhood, and

transnational dialogue. In the sections that follow, we work toward two general

objectives: first, we analyze the context wherein Africanness has been deployed as an

instructive model of counter-globalism7, the considerable geopolitical stakes involved

in these deployments, along with the countervailing forces of conservativism,

reformism and radical transformation that are inherent therein. And, second, we offer

a corrective to scholarly overemphasis on divergence and dissonance between Africans

and African Americans by providing equally instructive examples of affinity and

cooperation.

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Roots as a Postmodern Problematic

5 The metaphor of roots as imagined ancestral homeland has been a source of intense

sociopolitical struggle (Malcolm X 1967; Thelwell 2003) and considerable scholarly

scrutiny (Brown 2005; Bruner 1996; Campbell 2006; Clarke 1992; Clarke 2004; Ebron

1999; Finley 2001; Gaines 1999, 2006; Hartman 2002, 2007; Hasty 2002; Holsey 2008; Lake

1995; Matory 1999; Osei-Tutu 2002). Much of the scholarly scepticism is informed by

postmodern thought and falls under the rubric of anti-essentialism (Appiah 1993;

Gilroy 1993). At the core of postmodern critiques of roots-as-identity is a conviction

that sodalities based on race or geography are at best, exclusivist and, at worst, racist.

Moreover, according to these critics, the “roots” metaphor indexes subjectivities that

presuppose discrete, bounded, and timeless notions of personhood. Accordingly, these

scholars argue, “rooted” identities typically lack particularity and ignore the interplay

of historical and political contingencies, promulgating un-nuanced generalizations of

self and others.

6 A related critique is that the roots-as-identity trope reduces “the homeland” to an

originary site with no socio-historical dynamic of its own— aside from its role in

diffusing peoples and cultures to other places. Homelands, in other words, are

relegated to the past and to a site elsewhere, while its diasporas are located in the

present. Challenging the notion that the arrows of historical change and spatial

dynamism are unidirectional, Matory (1999) shows how the diaspora, Brazilian free

blacks and recaptives8 in Lagos, Nigeria, was the chief architect of its homeland. This

ironic example shows that discourses and practices that fix Africa in a remote and

timeless past are, from an empirical standpoint, untenable9.

The Dialectics of Brutality and Dignity

7 The idea and pursuit of African roots are dialectical manifestations of both brutal

ascriptions and defiant self-fashionings. Or, more accurately, brutality and defiance

demarcate the limits within which these dialectical struggles are staged. During the

transatlantic slave trade, perhaps over one hundred million Africans were killed or

captured by European slave-traders and their African collaborators. Scholars estimate

that the number of Africans who landed in the Americas—those who survived capture

and the subsequent Middle Passage—falls between nine and twenty million (Curtin

1969; Inikori 1976; Inikori & Engerman 1992; Lovejoy 1983). The triangular circulation

of Africans, African technologies, African resources, rum, guns, steel, sugar, salt, gold,

textiles, and so on, linked the two hemispheres in new and enduring ways; moreover,

this horrific event has created global consequences—social, political, economic and

cultural—that are being reckoned with today.

8 One such consequence is the idea that there was place called “Africa” inhabited by an

inferior race of people called “Africans” (Campbell 2006: 10-11). In the New World, the

enslaved victims of this “enterprise” gradually, and to varying degrees, came to see

themselves as “Africans”, as their direct knowledge of their ancestral lands declined

over time and space.

9 Oral histories, historical “memory”, print media, rumor, linguistic and cultural self-

segregation, and interaction between African creoles10 and newly arrived enslaved

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413

Africans are just a few factors guaranteeing the ongoing, dynamic interface of these re-

imagined self-identities. Sierra Leone, in particular, is a key site for understanding this

interface, given its early history as a site selected for the return of liberated slaves, and

later, for proselytization/ civilization of native-born Africans by African diasporans.

10 Analogous processes in Africa and Afro-western Europe gradually matured to

complement this emerging diasporic sentiment: “Africanness” became a source of

solidarity against Euro-colonialism. These processes coalesced, albeit imperfectly, while

maintaining their respective internal complexities, to foster among some Africans and

African diasporans a sense of universal struggle against black subordination. With this

in mind, we turn to what we feel is a contemporary example of this phenomenon—

African roots tourism.

11 Although derivative of these past processes, we do not claim that the contemporary

discourses and practices we analyze are perennial reproductions of the past. Rather, we

emphasize that Africanness—what Africa is and what it means to be African—is

constantly deployed, contested, and revaluated within and outside the imagined, elastic

boundaries of its referent—Africa. Nor do we claim that these discourses and practices

are examples of “globalization gone wild” (Bruner 2001). Rather, we assert that African

roots tourism is a product of a complex array of self-interested, if unequally

empowered, actors, transnational solidarity networks (pan-Africanist, Black

Nationalist, Afrocentrist), technologies (Internet, cell phones, commercial jetliners,

polymerase chain reaction) and structural enablers/constraints (global capital, non-

governmental agencies, civil society) of varying scale (local, regional, continental, and

global). In the subsequent sections, we highlight the role that two particular nations—

Ghana and Sierra Leone—play in this contemporary discourse and practice around

Africanness.

Sierra Leone: Back to Africa

12 Settled in the late 1790s by a few hundred “Black Poor” from England and freed blacks

who fought with the British during the American War of Independence, Sierra Leone

has long been significant for “generations of African Americans struggling to make

sense of their relationship to Africa” (Campbell 2006: 16). After the British abolished

the capture and sale of African people as slaves in 1807, the British navy intercepted

slave ships, and sent the “human cargo” to live in Sierra Leone. Today, the descendants

of these tens of thousands of “recaptives” call themselves Krio, and count various

groups—Yoruba, Igbo, Kongo—among their ancestors.

13 The circulation of black people among continents continued to characterize Sierra

Leone throughout the nineteenth and twentieth centuries. During the 1810s African

Americans began traveling to Sierra Leone, seeking to save souls and civilize the

fledgling nation. And, reversing this traffic, nativeborn Sierra Leoneans seeking

Western education, journeyed to Western Europe and the US11. Some scholars have

argued that, during the 19th century, Freetown served as the birthplace for “political

nationalism” and conscious Africanism (Hair 1967: 526). One pivotal figure that

embodied this transnational movement and the origin of pan-African ideals is Edward

Wilmot Blyden. Born on the Caribbean island of St Thomas in 1832 to Igbo parents,

Blyden emigrated to Liberia in 1851, and later settled in Sierra Leone in 1871. While in

West Africa, he vociferously opposed European repression and paternalism. In 1872,

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414

only a year after he settled in Freetown, he established The Negro newspaper. Regarding

the name of the newspaper, Blyden wrote:

“It has been called the ‘Negro’ (if any explanation is necessary) because it isintended to represent and defend the interest of that peculiar type of humanityknown as the Negro with all its affiliated and collected branches whether on thiscontinent or elsewhere. ‘West African’ was considered definite enough, but tooexclusive for the comprehensive intention entertained by the promoters of thescheme, viz: to recognize and greet the brotherhood of the race wherever found”(Frenkel 1974: 284-285).

14 Although Blyden contested (and lost) presidential elections in Liberia, he lived in Sierra

Leone for most of his life, eventually dying there in 1912. Blyden’s ideas are widely

considered to be the precursor to negritude and pan-African thought; at all stages of

his work he championed racial pride among African peoples, a deep love for Africa, and

a belief in African renaissance (Frenkel 1974).

Athens of West Africa

15 Into the 20th century, Sierra Leone, and Freetown, in particular, was a beacon for

African renaissance. The city’s Fourah Bay College attracted students from all over

West Africa, and contributed to Freetown’s reputation as the “Athens of West Africa”.

Despite a gloried history of resistance and anti-imperialism, Sierra Leone, unlike in

other parts of West Africa, had an anti-colonial movement limited in its scope and

popular appeal, even as it resulted in the withdrawal of British colonial rule in 1961

(Braithwaite 1962). Three decades of relative peace were followed by a rebel insurgency

in 1991 which sought to re-balance the effects of decades of post-colonial graft and

uneven distribution of resources.

Post-conflict Reconstruction through Tourism

16 Five years ago, Sierra Leone emerged from that ten-year civil war that displaced nearly

half of its five million people. Characterized by most Western and African media as a

rebel war without a cause, the country has struggled to rebuild its economy, its

infrastructure, and a collective sense of stability. In addition to extracting natural

resources like diamonds, gold and bauxite, the government and foreign investors have

focused on reviving Sierra Leone’s nearly defunct tourist industry. As the government

grapples with developing the infrastructure necessary to entice Europeans to

Freetown’s beaches, or the hills of Kabala, investors and outsiders have touted the

“value of roots” and its potential for infusing foreign currency into Sierra Leone’s

economy (African Investor 2007: 80). Sierra Leone claims a “direct” connection to African

Americans in the southeastern US, citing anthropological evidence of southern blacks’

descent from the rice-growing Mende people of Sierra Leone (ibid.). With the growing

popularity of genetic ancestry testing among black Americans, and with 30-40% of DNA

tests indicating Mende and Temne ancestry, Sierra Leone expects an increased number

of African American roots travelers (Bolnick et al. 2007)12.

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415

Direct Roots and Homecomings

17 More recently, new agendas on both sides of the Atlantic motivated a third wave of

homecomings. Sierra Leoneans and African Americans have clamored for

demonstrable, specific, and direct links between Sierra Leone and the US, reflecting a

desire for interaction and collaboration. Joseph Opala, an American anthropologist who

has worked in Sierra Leone since the 1970s, described his role in mediating the mutual

interest and curiosity among Sierra Leoneans and African Americans with links to

Sierra Leone: “My greatest pleasure [...] was sharing my historical findings with Sierra

Leoneans [...] when I first announced that had I traced some of the slaves taken away

from Sierra Leone to a particular place in America, people were ecstatic. Sierra

Leoneans never dreamed of finding their lost family, and the response was so strong I

was taken aback. Suddenly, every newspaper and radio station in the country wanted

to interview me, and many schools and community groups wanted me to speak.

Everywhere I went the questions tumbled out: How did you trace the slaves? Where

were they taken? Why were they taken there? What are their descendants like today?”

18 The first set of the connections were made through “Gullah homecomings”, with the

first in 1989, and a second one in 1997. The Gullah people are the African Americans

who live in coastal South Carolina and Georgia today, the descendants of the rice-

growing Africans brought from Sierra Leone and other parts of the Rice Coast13. They

live in what is called South Carolina’s low country, on the southern coast of the state,

and on the sea islands off the coast of South Carolina and Georgia. Though linguists and

anthropologists have questioned the extent to which the linguistic and cultural links

between Africa and North America have been preserved, the group is known for having

preserved more of their African language and culture than any other black community

in the US.

19 According to Opala, who, aside from Lorenzo Dow Turner14, helped to make these

connections more widely known, each homecoming has been more specific than the

last, reflecting the increasing knowledge produced about the connection between

Gullah and West African culture by scholars working in the Atlantic region. The first

reunion, or homecoming, which occurred in 1989, involved Gullah leaders interested in

their links to Sierra Leone, but with no known personal connection to that country. The

Moran Family Homecoming in 1997 involved a family from coastal Georgia that had

preserved a song in Mende from a specific village, passing it down for two hundred

years. But what would eventually be called Priscilla’s Homecoming (2005)15 was the

most specific. Records collected in Sierra Leone and the US linked a US family to a girl

named Priscilla, who was enslaved and transported to the US from Bunce Island, Sierra

Leone, in 1756.

20 In July 2003, having learned of this link from Opala, the government of Sierra Leone

sent an invitation letter to Thomalind Martin Polite asking her to participate in a

“homecoming” ceremony in the country:

“There is every reason to believe that your ancestor, Priscilla, came from ourcountry and that Sierra Leone is your ancestral home [...]. [We] can assure you thatyour visit will be well publicized here [...] and that thousands of our people will beanxious to greet you, their long-lost family come home from South Carolina.”

21 Polite was, indeed, welcomed with great fanfare and a series of official ceremonies.

During her visit, she also traveled to Bunce Island. Observers posted their travelogues

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online16, along with a series of multimedia tools for use by the interested public. A film

about Polite’s journey to Sierra Leone is currently in production.

Ghana: The "Black Mecca"

22 During the post-Reconstruction era, which many scholars assert was the nadir of white

racial terror in the US, Chief Alfred Sam, a Gold Coast (Ghana) businessman, devised a

plan to resettle several hundred “Negroes” at Salt Pond, in what is now the Central

Region of Ghana. In 1914, Chief Sam set sail from Norfolk, Virginia with sixty black

American emigrants, mostly from the Midwestern state of Oklahoma17. The

propagandist for Chief Sam’s ambitious program was Reverend Orishatuke Faduma, a

Sierra Leonean scholar-activist of Yoruba descent. Faduma expressed his unwavering

support for black repatriation and believed that black North Americans’ desire to

“return” to Africa was not simply a reaction to white oppression: “There was always a

feeling among Negroes in the New World to return to Africa, their mother land”

(Langley 1973: 71). For reasons ranging from poor organization and planning to strong

opposition from British colonial officials, Chief Sam’s “Back-to-Africa” scheme was a

complete failure. He, nevertheless, inspired or, at least, foretold other “repatriation”

efforts—including those of the Jamaican Marcus Garvey, who carried out a similar

scheme on a much grander scale18.

23 Less than fifty years later, Ghana has become the “Black Mecca” for African American

sojourners to Africa, a distinction it has held since it won its independence from Britain

in 195719. At that time, Kwame Nkrumah, Ghana’s first head of State, encouraged

American and Caribbean blacks to relocate to Ghana and contribute their resources,

professional training, and technical experience to the development of Africa. Hundreds

of African Americans heeded his call and took up residence in Ghana. Some of these

“returnees” played an important role in the early years of Ghana’s nation building

project (Gaines 1999, 2006). After Nkrumah was overthrown in 1966, virtually all the

African Americans in Ghana either left voluntarily or were expelled by the military

regime for “national security” reasons.

24 Ironically, the New Patriotic Party (NPP), which had expressed little interest in

Nkrumah’s pan-Africanist agenda, now promotes deepening relationships between

African Americans and Ghanaians. Moving to put their unique stamp on this effort, the

regime set up the Ministry of Tourism and Diaspora Relations, which is tasked with,

among other things, strengthening the familial bonds between these two groups.

Unlike in the Nkrumah era, none of the recent programs encourage African Americans

to resettle in Ghana. Instead, they focus primarily on African Americans as sources of

tourist revenue rather than as potential citizens20.

"Ghana@50: Lets All Celebrate!"

25 Ghana is celebrated by its “development partners”, and self-promoted by Ghanaian

elites, as a model African nation. On 6 March 2007, the Ghanaian government embarked

upon an ambitious program of celebrations to commemorate the 50th anniversary of its

independence and to further solidify its status as the “gateway to Africa”. The official

theme for the events was “Championing African Excellence”. The celebratory mood was

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encouraged by a theme song which had as its refrain, “Ghana@50: Lets All Celebrate!”

Yet, the purpose, intent and even the necessity of celebrating Ghana’s Golden Jubilee

was debated throughout the nation (Akyeampong & Aikins 2008). One widely publicized

debate21 became so acrimonious that the immediate past president of Ghana, Jerry

Rawlings, refused to participate in officially sponsored commemoration celebrations

(Obeng 2007: 15). Rawlings criticized the incumbent New Patriotic Party (NPP) on the

following counts: it was using the celebrations to mask their “witchhunting”22,

malfeasance and incompetence; the celebrations did not properly acknowledge the

contributions of his regime, the National Democratic Convention (NDC); and the

impoverished status of the “average” Ghanaian made the celebration a sham. The NPP

countered that their (NPP) regime had ushered in unprecedented levels of peace,

stability and prosperity and the celebrations should be observed in the spirit of

national unity and reconciliation. Public debate often followed party lines, but the

events were generally well attended, despite numerous complaints about poor

organization. Although there were divergent opinions about the utility, objectives and

appropriateness of the celebrations, most conceded that fifty years of independence

was an important moment to reflect on the nation’s postcolonial accomplishments,

failures, and future aims.

26 The commemorative events included lectures by intellectuals, politicians and

traditional authorities; beach parties, parades and cultural performances; and gospel,

hiplife (Ghanian rap/hiphop music), reggae and highlife concerts. In addition, the

government developed specific programs to promote and attract roots tourism, with a

special emphasis on black North American cultural tourists: the Emancipation Day23

observance of the 200th anniversary of the abolishment of the slave trade by Britain;

PANAFEST24, a biennial event that promotes global black unity through the celebration of

pan-African culture and heritage; and the Joseph Project, a one-time event spearheaded

by Jake Obetsebi-Lamptey, then the Minister of Tourism and Diasporan Relations aimed

at reconciling the emotional, social and material gulf between Ghanaians and black/

African diasporans.

"We Are not Tourists": Reconciling Foreignness,Capitalism and Affective Ties to "Home"

27 Roots travelers find many different routes to the “Motherland”. Paulla Ebron has

described how corporate entities like Heineken and McDonalds co-opted the tropes of

“roots”, “return” and “pilgrimage” in pursuit of profit. She suggests, however, that

these instances of corporate capitalism are not necessarily antithetical to the aims of

“authentic” pan-African identity construction. These identity constructions, she

argues, are not the same as in the previous era of black American radicalism; nor are

they entirely new. Whereas the black revolutionaries of the 1960s offered radical

critiques of imperialism, capitalism and structural racism, contemporary African roots

pilgrims are as likely to rely on more conservative tropes of individualism and personal

responsibility. The relatively conservative posture of some modern-day African roots

travelers makes the marriage between global capital and pan-African desire viable—a

prospect that would have been untenable forty years ago.

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28 Saidiya Hartman tracks a different but related trajectory for black diasporan

pilgrimages to Africa that gradually shifts from the idealism of the 1960s to a more

sober outlook in the 1990s:

“In the sixties it was still possible to believe that the past could be left behindbecause it appeared as though the future, finally, had arrived; whereas in my agethe impress of racism and colonialism seemed nearly indestructible. Mine was notthe age of romance. The Eden of Ghana had vanished long before I ever arrived”(Hartman 2007: 37)

29 She adds that “unlike the scores of black tourists who, motivated by Alex Haley’s Roots,

[she] had traveled to Ghana and other parts of West Africa to reclaim their African

patrimony. For [her], the rupture was the story” (ibid.: 42). We are wary of analyses

which suggest that motivations for return can be easily schematized or dismissed as

“romanticism”; Ebron and Hartman capture nicely the shifting ground on which

diasporan African desires for return are constantly reshaped.

30 Some black Americans travel to Africa with Afrocentric tour groups that cater to their

cultural-political agendas. The Ghana Roots Culture and Repatriation Tour, for

example, is a diasporan African grassroots initiative sponsored by the Africa for the

Africans Tours and Investments Group (AFTA)25. AFTA targets and attracts a broad range

of clientele including medical doctors, Afrocentric scholars, blue collar workers,

entrepreneurs and retirees. The travelers are generally working—to middle-class,

college-educated and earn, on average, $35,000-$80,00026. The AFTA tours are expensive

by Ghanaian standards; a ten-day excursion in 2008 cost $2,950. For travelers from the

“western” world, the relative strength of western currency can be of considerable

economic advantage in “developing” nations. But these excursions can represent a

significant financial sacrifice for many middle and working class black Americans.

31 The organization aims to foster deep, enduring ties between continental and diasporan

Africans by promoting pan-African (black) nationalism, African investment, and

“repatriation” to the “motherland”. The program’s brochure states: “Our mission is to

reconnect our people with the motherland. Our main tool [...] is through tours.

Organized tours have proven to be the most effective way to dispel the myths and

negative propaganda that keeps Africa [and its diaspora] divided.” The “divide”

between African Americans and Africans has received modest public notoriety due to a

spate of articles appearing in US newspapers and magazines from the early 1990s on

(Boorstein 2001; Polgreen 20o5; Rimer & Arenson 2004; Roberts 2005; Washington 1992;

Zachary 2001). If the frequent, negative media portrayal of Africans and African

Americans are any indication, this perspective about negative propaganda is

warranted27. Nevertheless, it is a mistake to reduce all instances of divergence to

propaganda; some of these differences result from the peculiar agendas and outlooks of

the respective communities.

32 While in Ghana, the AFTA coordinators outlined an ambitious itinerary that had many

participants struggling to keep up: a two-day conference designed to encourage

investment in Africa; a video screening aimed at black/African consciousness raising;

excursions to several slave castles and forts dotting Ghana’s coastline and to Fihankra28,

a diasporan African township in the Eastern Region’s Akwamu Traditional Area. During

the conference, participants discussed strategies to liberate Africa and Africans in the

diaspora, acquiring land, slavery reparations and repatriation. Many African Americans

expressed a desire to return “home” and help Africa29.

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33 A Ghanaian presenter, Kwame Osei, asked black diasporans to “think of themselves as

Africans”. He complained that “non-Africans are dominating our economy”, and that

they [the non-Africans] were “not interested in emancipation” but, “exploitation”. Osei

urged his predominantly African American audience to “use your expertise to take

back Africa”30. AFTA literature echoes this sentiment: “The investment portion of the

tour is designed to promote a self-sufficient Africa by connecting the skills and

resources of Africans in the Diaspora with projects, investment opportunities and like-

minded brothers and sisters on the continent.” The organizers invoke a sense of

urgency: “In order for Africans to thrive and survive the war being waged against us

globally, we must build a home base of power in Africa. We are at a critical stage in our

existence; its Repatriation and Pan-Africanism or perish.” Here, the organizers deploy

warfare idiom with great effect, communicating the urgent need for collective black/

African struggle, at once physical, mental, and spiritual.

34 The Daily Graphic, the paper of record in Ghana, published an article entitled, “Reject

the Leadership Tourists” (Abbas 2007: 15). The article warns against supporting

presidential aspirants who are “out of touch with the people” and lack a substantive

relationship with their constituents. The article shows that the word “tourist” may

have, for Ghanaians, the same negative connotation—that of fleetingness, or lack of

intimacy with local realities and local people—for black diasporan sojourners to Africa.

As a prominent female member of the black American expatriate community in Ghana

put it, African American roots travelers have all have made a conscious decision to

identify both politically and culturally with Africa, whereas the “typical” tourist might

not.

35 Jasmyne Cannick, like many other roots travelers we talked to, expressed a sentiment

that supports this claim. In an interview on National Public Radio about her May 2007

trip to Sierra Leone with actor, Isaiah Washington31, Jasmyne remarked:

“Well, anytime you travel to the Motherland, you have to go with a purpose.Isaiah’s purpose in going was to check on the school that he’s building in one ofSierra Leone’s villages, Njalakendema. My reason for going [...] [is] because I wantedto go back home, and get in touch with my people. And that was the most liberatingexperience I’ve ever had in my entire life.”

36 Yemi a thirty-something year-old dreadlocked African American attorney from Atlanta,

Georgia, describes some challenges she faced trying to reconcile Ghanaian ascriptions

of her foreignness with her own feelings of belonging during her trip to Ghana with the

AFTA tour group:

“I think that probably the thing that surprised me most in my experience here isthat there were a lot of Ghanaians that perceived me as more like a European, aregular tourist. I didn’t necessarily expect them to embrace me as if I were familyper se, at least not all of them across the board, but I was surprised that they wouldgo as so far as to view me the same as the European or Caucasian American [...]despite the fact that before I opened my mouth, I looked like any other African orRastafarian [chuckles] walking the streets.”

37 Yemi was especially disappointed when Ghanaians called her “oburoni” (usually

translated as “white person” or foreigner)32. The feeling of being treated as a foreigner

and, as several African American sojourners put it, like “a walking dollar bill”, is a

common sentiment among African Americans I (Shabazz) have interviewed. Some

deeply resent this perceived treatment, while others express a sense of humor about it.

And, of course, some African Americans concede that they can understand the local

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Ghanaian perspective. Traveling on private buses, walking around town with cameras

and bulging backpacks, and toting bottled water, all mark one as a “tourist”, despite

protestations to the contrary.

38 Officials from the Sierra Leone tourism agency and the World Bank do little to

contradict the idea that they are deeply invested in attracting African American

dollars. They, too, highlight the potentially lucrative role of roots tourism in their

development portfolios. According to an article on African tourism in the African

Investor magazine (2007: 80): “Approximately 36 million Americans have African

descent, 43% of whom have some college or bachelor’s degree. ‘Niche marketing

numbers don’t get any better than this’, says the World Bank report. The World Bank

believes about fifteen million African Americans could be appropriately targeted with

an information campaign on Bunce Island and motivated to visit”.

39 African Americans interviewed in Ghana frequently cite racial oppression and de-facto

second-class citizenship in the US as key motivations for traveling to Africa. They often

told me (Shabazz) that they came to Ghana with the hopes of making or reinforcing a

spiritual “connection” with Africa and, possibly, “repatriating” at a later date. And as

these two women’s accounts convey, the sense of unofficial exile and the concomitant

reaction against US white racism is not the whole story—they also describe a deeply felt

affinity with Africa and Africans.

Fihankra: a Way Back Home

40 In 1994, the Ghana House of Chiefs, many other traditional authorities from Ghana,

Nigeria, Togo and Ivory Coast, and participants from the African diaspora, assembled to

atone for the role of African chiefs in the transatlantic slave trade. The most important

symbol of this atonement process was the purification of an animal skin and carved

wooden stool. The stool is emblematic of chiefly authority among many ethnic groups

in southern Ghana, most notably the Akan. Likewise, a ritually prepared animal skin

has a consonant function for many of Ghana’s northern groups.

41 The purification rites culminated with the appointment of Nana Kwadwo Oluwale

Akpan, a diasporan African from Detroit, Michigan, as the custodian of the stool and

skin. In 1997, Nana Akpan was nominated and appointed the Fihankrahene (chief of

Fihankra), the sacred caretaker of 30,000 acres of stool-land33 ceded to the group by the

Akwamu traditional rulers and elders34. The allotment of land was a vital component of

atonement and of the “reintegration” of diasporan Africans into African society. Lastly,

Nana Akpan was designated as the first African American member of the Ghana House

of Chiefs.

The Afro-politics of Style

42 Each year, Fihankra receives hundreds of African diasporan roots travelers hoping to

live and/or invest in Africa. When the 40-strong AFTA group traveled to the Akwamu

traditional area to see the Fihankra site, most members of the group displayed

“coiffure politics”35 or adhered to a loosely defined set of sartorial expressions

paramount to an Afrocentric ethos: “natural” hair, or hair that has not been

straightened with chemicals or hot metal combs; African jewelry, especially beads,

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cowrie shells or the ankh, the ancient Egyptian symbol of life; and brightly colored

African shirts or t-shirts with Afrocentric messages:

“Advantages of Melanin”“Black to Our Roots”“Sankofa”36

“Son of a Field Negro”“Bring Back Black”

43 Or the names and images of (exclusively male) iconic figures:

“Fred Hampton”37

“Nat Turner”38

“Huey Newton” 39

“Malcolm X”“Kwame Nkrumah”

44 Nana Akpan, the African American Fihankrahene (paramount chief of the Fihankra

township), delivered a brief, informal speech to AFTA and held a question-and-answer

session. The Fihankra community, he stressed, is reserved for blacks “born in the

Diaspora as a direct result of the transatlantic slave trade”; a “historical community”

with a “historical purpose”. He also explained that the community began with a

“slavery apology ceremony” and that Fihankra aims to “contribute to reconstructing

Africa” and “promote the reintegration of Africa with its diaspora”. This reintegration

would be spearheaded by diasporan Africans who had “acquired specific skills”. Nana

Akpan also announced an upcoming conference with the theme “A way back home”, to

be sponsored by the Fihankra movement. Stressing that Africa is “home”, he urged the

group to not view themselves as “regular tourists”40. Fihankra is by any standards in

innovative experiment; it draws upon black diasporan and continental African notions

of morality and restitution to establish a neo-“traditional” institution which aims to

bridge the political, economic and socio-cultural divide between these two respective

groups.

Jasmyne Goes to Sierra Leone... and Other Blog Tales

45 This section focuses on data collected from weblogs that featured discussion about

African Americans’ travel to Sierra Leone during my (Benton) eighteen months’

fieldwork there. The interchange between Africans and African Americans through

internet technologies highlights another way that these groups engage in dialogue and

how they assert, contest, and generally, discuss Africanness in public forums. During

my fieldwork, I (Benton) regularly read the weblog of Jasmyne Cannick, an African

American journalist based in Los Angeles. Her blog focuses primarily issues of race,

gender and sexuality in American culture, and her unabashed accounts of being a

lesbian of African descent are read by dozens of people daily.

46 In late May 2007, Jasmyne alerted her readers that she had been invited by actor Isaiah

Washington to accompany him on and document an upcoming trip to Sierra Leone. At

the time, Isaiah Washington was building a primary school in Bo District, because of his

genetic ties to the area; his maternal, or mitochondrial DNA, had matched a Mende

sample in a commercial DNA database. During her trip with Washington, Jasmyne

uploaded pictures of the sites she visited, including pictures of her trip to Bunce Island

slave castle. Her comments focused on her “return”. She urged others of African

descent to do the same. Her narrative also reveals an explicit desire to help Sierra

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Leoneans to improve their life conditions, and a deeply felt affinity for the people she

encountered on her trip:

“It’s taken me a week to get it together to write about my trip partly because I amstill playing catch up but mostly because I am still processing everything I saw anddid over there and all of the wonderful people that I met.I realize now what is important and what we all need to be fighting for are povertyand not just poverty in America, poverty around the world, more importantly inAfrica, where much of the continent is still underdeveloped and still very muchexploited, and sometimes by our own.Going to Sierra Leone changed my life and my vision of the world and I am gratefulfor the opportunity. I will never take food, clean running water, paved roads,electricity, and shelter for granted again in my life, nor will I be wasteful in myhabits.”

47 In addition to expressing her affinity with the “wonderful people” she met while she

was in Sierra Leone, she implies, too, her place as American and African. She wants to

live and work in solidarity with the people she met, while she also acknowledges

greater consciousness of the daily hardships that many Sierra Leoneans face. Although

many other African American travelers (my mother expressed similar feelings about

Sierra Leone and Ghana, for example) express this sentiment, the weblog—as a forum

for discussion and dissent—affords us the opportunity to gauge the responses of others

to her story about her journey. Most striking were the ways that (self-identified)

Africans who read her blog, reacted to Jasmyne’s visit to Sierra Leone:

“I had goosebumps reading this! I am so happy you had such a once in a lifetimeexperience to go to Africa [...]. Being an African myself, I agree a lot of AfricanAmericans should try to go to Africa and visit. A lot of perspectives and prejuidices[sic] will be changed. There is so much good one can do with a little effort and doingaway with some taken for granted luxuries we have here in the USA.”

48 Another “native African” reader, John Akoli, wrote:

“Great thread, as a native African myself, it is always good to read how AfricanAmerican’s [sic] feel when they go to the continent. Mr. Washington is doing greatthings, and hopefully God will bless him to continue to do so.”

49 The two “African” responses to Jasmyne’s trip demonstrate the beginnings of the

breadth of potential African-African diasporan relations as imagined by Africans, and

which are built on this notion of roots travel. Implied in the two statements here is

that, first, there are misconceptions among African Americans about Africa, and,

second, that visiting Africa is one way to debunk these misconceptions and resulting

prejudices. In so doing, they suggest that these misconceptions and prejudices arise

from lack of knowledge, knowledge which would usually be grounded in the experience

of “being there”. The authors of these statements, therefore, tell us that in completing

a journey to Africa, we see things “as they are”. Roots travelers, then, become

conscious of the uneven distribution of resources among the world’s people and how

everyone is somehow implicated in these economic structures (“the continent is [...]

very much exploited, and sometimes by our own”). Overall, the authors demonstrate

that there are Africans who acknowledge their desire—if not obligation—for

constructive, productive engagements with African Americans. And when African

Americans make positive, affirming journeys to the continent, they somehow

demonstrate, too, their commitment to fulfilling similar desires and obligations in the

long term.

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50 These types of responses to African American roots-related and philanthropic sojourns

were not unique to Jasmyne’s weblog. One of the (few) tourist sites encouraging travel

to Sierra Leone41, featured in its weblog a story about DNA pilgrims, who appear to make

up the bulk of roots travelers to Sierra Leone. Okolo, a Sierra Leonean who recently

moved back to Sierra Leone from the US and the moderator for the site, recounts the

story of Isaiah Washington’s DNA connection to Sierra Leone, as well as news about

Oprah Winfrey’s own test—which revealed a genetic connection to the Kpelle of Liberia.

At the end of her piece, Okolo notes, “Anyway, what does this mean for Sierra Leone

and other African countries? It means great opportunities for greater cooperation

between Africans their brothers and sisters42 scattered around the globe. This is one to

follow with great interest as we will hear more stories such as those mentioned above

in the coming years and will probably play a huge part in Africa’s tourism industry in

years to come”.

51 Again, Okolo’s reference to “brothers and sisters” suggest kin-like connectedness

between Sierra Leoneans and Americans of African descent. It also indicates the

potential for constructive collaboration between the two groups that is rooted in this

sense of relatedness. In Okolo’s narrative, the potential for enhanced collaboration

between Sierra Leoneans and African Americans, however, is mostly realized through

tourism (likely because this is a site dedicated to promoting tourism in Sierra Leone)—

and philanthropic efforts. Such a distinction is noteworthy for this discussion, since it

seems that African Americans, are again recognized in terms of what they contribute

materially during their visits to the country. Tourism appears to be an end in and of

itself.

52 Okolo’s entry about Isaiah Washington’s philanthropic efforts elicited nine reader

comments. Six comments came from African Americans who had submitted a DNA

sample for ancestry testing and “discovered” genetic links to Mende or Temne people,

groups that are linked to present-day Sierra Leone. Two of the remaining three

commenters were Sierra Leoneans who wholeheartedly agreed with the pan-African

solidarity message advanced by Okolo. One of these commentators, “Iverson”, noted:

“I am very happy to hear all this good news about my brothers and sisters comingback to their homeland. We need to aware that we are all one from our sharedhistory. I hope that one day all african desendants [sic] will be united as in onenation. Africans You [sic] need to open you your eyes and push away youroppressor. We wanna go home we have been on trail for too long. Every Africanshould be proud to be an african. I love Sierra Leone till I die.”

53 In addition to acknowledging his diehard nationalism and love for Sierra Leone, Iverson

also recognizes a “shared history” of Africans on the continent and elsewhere. He also

points to Africa as the site of return or homecoming for African Americans. More

interestingly, his statement is aspirational in tone; Iverson expresses hope for unity

between the groups. In his pan-African vision, he urges people of African descent to be

proud of their roots, and use it as common ground for race and roots consciousness

(“open your eyes”) and overcoming oppressive race regimes (“push away your

oppressor”). The remaining commenter, a Sierra Leonean living in the state of

Maryland in the US, voiced a different opinion about the utility of African-African

American alliances for improving the conditions experienced by the two groups. He

suggested that Sierra Leoneans “clean their own backyard” before pursuing a

relationship with Africans in the diaspora.

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54 These data do not reflect a scientific, randomized study of African-African diaspora

relations. They do, however, hint at the range and types of dialogue that can and do

exist about what constitutes an African, and who should engage in African struggles. By

engaging in these conversations, the members of these groups participate in an

instructive public dialogue in which they assert claims about the challenge and value of

African ancestry in effecting social change on the continent and in the African

diaspora.

Jumping to Forget (and remember) Slavery

55 As suggested in the other sections, slavery and its commemoration attracts African

roots tourism to both Ghana and Sierra Leone. And for obvious reasons: the capture

and enslavement of Africans in the West is a key marker in the identity of African

Americans. The extent to which slavery should be discussed or commemorated in

national development agendas, however, varies within and between Ghana and Sierra

Leone.

56 In her weblog account of her trip to Bunce Island slave castle in Sierra Leone, Jasmyne

tells her readers: “[...] it’s a life changing experience to walk in the footsteps of your

ancestors as they did when they were slaves and to see what they saw [...]”43. For many

African American sojourners to Africa, reverence for their enslaved ancestors who

survived the Middle Passage is commemorated through various sacred rituals.

Demonstrating this reverence through libations and prayers offered to the ancestors,

for example, is an essential component of the Afrocentric diasporan socio-political

consciousness. Those who perform these libations believe that the sacred umbilical

chord with Africa is maintained and actualized through the ancestors.

57 But for many Ghanaian Christians, especially evangelicals, ancestor veneration is

antithetical to religious faith. Nana, a Ghanaian graduate student at the university of

Ghana, on several occasions told me (Shabazz) that the “ancestors are dead and gone,

they can do nothing for you, and it is only through Jesus that we should offer prayers

because it is through him that we receive salvation”. Similarly, Mensa Otabil, a popular

evangelical minister in Ghana, opines that African Americans are looking backward

while Ghanaians are looking forward. He is critical of what he believes is the tendency

of African Americans to romanticize African cultural traditions. “As an African, I

consider our inability to renew our culture and move it from the definitions of our

ancestors to be a major problem. Anyone who tells me to go back to my ancestors does

not realize that I am already with my ancestors and I am trying to progress beyond

their legacy!” (van Gorder 2008).

58 The legacy of slavery is pivotal for roots travelers to Ghana who want to reconnect with

Africa. These travelers routinely visit monuments marking the slave trade, monuments

that are being marketed by Ghanaian officials for precisely that purpose. For Ghanaians

who look to the future with the same intensity, travelers’ efforts to make sense of what

happened and to honor their ancestors is a potential drag (Hartman 2002; Hasty 2002;

Holsey 2008).

59 A British-Ghanaian colleague opined that African Americans are “recolonizing Ghana

just as they did in Sierra Leone and Liberia”. She suggested that this “recolonization”

was not simply a material one, but also an ideational one. In her view, African

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Americans’ ideas are hegemonic in African-African American dialogue and, in these

discussions, African Americans “only want to talk about slavery”. The colleague added,

for emphasis, that “there is more to Ghana than slavery!”. Thus, while some black

Americans hold the opinion that slavery is not discussed enough in Ghana, some

Ghanaians feel as if black Americans are preoccupied with the past, with little or no

concern for or knowledge about contemporary Ghanaian challenges. This is probably

what a Ghanaian acquaintance had in mind when he said (in a tone somewhere

between exasperation and disdain) that Ghana had “too much culture”. Both the

official and everyday preoccupation with cultural identity was, in his view, emotionally

taxing and unproductive. Only the most intransigent ideologue would disagree that

slavery is the lone event in Ghana’s history; but what remains unresolved is how to

strike a balance between the desires and interests that diasporan and continental

Africans express.

60 In Sierra Leone, monuments focusing on the slave trade form the cornerstone of efforts

attempting to attract roots travel to the still-rebuilding country. There is likely less

resistance among Sierra Leoneans to discussing the legacy of slavery, given its role in

the founding of the nation, and given, at the very least, to early (ca. 1947) national

commitment to commemorating African enslavement in the nation’s history44. In an

effort to rejuvenate an artifact that symbolically links Africans and Americans of

African descent, Joseph Opala has recently turned his focus creating a computer

reconstruction of Bunce Island, the site of West Africa’s Rice Coast’s largest slave castle

(Casale 2005). After failed efforts by the US Park Service effort to rehabilitate the castle,

now an endangered monument, a range of donors has supported this project. Wealthy

African Americans, like Isaiah Washington, for example, have donated money toward

this computer reconstruction, demonstrating the significance of these markers of the

past among African Americans.

61 Still, to suggest that African Americans or other African diasporans are solely focused

on slavery would be misguided. To the contrary, many diasporan Africans who travel to

Africa understand that they are making a connection to people whose identities are not

necessarily “bound up” with slavery and the denigration associated with the practice.

DNA ancestry technology provides—at least symbolically—yet another “pre-slavery” link

between African Americans and the African continent. As the African American wife

said to her Nigerian scientist husband:

“The great promise of genetic ancestry tracing to me as an African American is notjust to know that I am from Africa—this is rather clear to me. The difference is Iwant to know what part of Africa I am from. The question is—is it possible to re-establish the link, sense of who you are, where your family is from? Can we find ourfamily, the family we have been separated from? We are looking for the magicbullet [...]. Can DNA testing do this? It will be sufficient to know that my family isfrom Nigeria, Ghana etc. I just want to know the immediate beginning of my familyhistory. Slavery robs us of so much—our culture, our heritage. The question is, cangenetics fill this void? I see genetics as a tool to narrow down the possibilities”(Rotimi 2003).

62 The costs of these tests, which were once prohibitive, now range from as little as $189

to more than one thousand dollars. The tests are commercially available through for-

profit agencies like African Ancestry and through nonprofit research efforts like the

National Genographic Project. The tests are increasingly popular; African Ancestry cites

that their business doubled every year for the first four years of operation (Bolnick et

al. 2007). Profits for this company and others continue to grow, and additional

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companies with access to genetic material from African populations have materialized.

The rapid uptake of these genetic ancestry services suggest that African Americans are

trying to find (seemingly) incontrovertible evidence of personal and family histories

and African membership prior to slavery45.

Afromance and the Art of Intimate "Readings"

63 One serious limitation of scholarship on African roots tourism is its preoccupation with

intra-racial discord. These accounts generally treat African diasporic and African

continental communities as discrete homogenous wholes that are then cast in

dichotomous pairings. Besides the fact that this schema begs the important question of

internal dynamism and diversity within each of the contrastive pairs (Skinner 1993),

there are few accounts of the ample instances of race-conscious African Americans and

Africans who successfully “read” each other—learning and refining the intimate

counter-global concept and practice of what we call, for lack of a better term, “Afro-

conjugal dialogue”. In this section, we highlight a compelling example of this dialogic

enterprise.

64 I (Shabazz) first met Joseph and Shelly while with a friend who was shopping for gifts in

Ghana’s capital, Accra. After exchanging greetings, I learned that Shelly was a

“homegirl”. She was from Compton, California, a few miles from my hometown,

Inglewood. Compton’s residents, like Inglewood’s, are mostly poor and working class

African and Hispanic Americans and undocumented immigrants from Central and

South America. These groups fiercely compete for jobs, housing, education, health care,

and a decent quality of life. In the US media, Compton is almost exclusively known for

crime, poverty, drugs, violent gangs and other perceived social “pathologies”46; tourists

are warned to avoid Compton47.

65 Shelly’s husband, Joseph, is a “Northerner”, someone from any of the three regions of

Northern Ghana—Upper East, Upper West, and Northern. Joseph is a native of Bawku48,

an important town in Ghana’s Upper East Region. In precolonial times, Northern Ghana

was ravaged by the transatlantic slave trade; a hugely disproportionate number of

enslaved Africans were taken from the region. During the colonial era, the British kept

the Northern territories in a perpetual state of underdevelopment because

66 Northerners were viewed as a ready source of unskilled labor. Schools and other

markers of “development” arrived in the region relatively late. Today, a

disproportionate number of Northerners subsist on mostly unproductive farms. These

conditions have pushed many Northerners to seek an improved quality of life in

southern Ghana where they are often socially stigmatized, politically marginalized, and

hired for the most onerous physical tasks.

Afromantic Visions

67 Joseph recounted how he and his wife, Shelly, first met. Joseph was on a lunch break

from the stall where he sells African crafts to tourists. He noticed Shelly sleeping on a

tour bus parked in front of the restaurant where he was sitting. According to Joseph, it

was love at first sight:

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"Joseph: The first day I met her [...] I went to the shop and I told my mom ‘you knowwhat? I found my heart desire, and I found my love, and I found my wife’. And mymom was like, ‘do you have a fiancee? You don’t have any. Then how come youfound your love?’”Kwame: [laughs]..."J [laughing]: [his mom continued] ‘where she from?’ Then I said, you will meet her.If you want to meet her, we [Joseph and Shelly] just meet. So she [Joseph’s mother]will like to see her and see whether its true. Because when I am here [in my stall] alot of people come to me, come to my way—blacks, whites, there are interested inme, they like me. They like my—they like the way I talk, you know? I always dealwith them. I always [inaudible] to sell things for them [...] they didn’t touch myheart, you know? Before you see somebody you love the person will [...] their spiritwill talk, you know? And their spirit doesn’t go with my spirit so I don’t give mymind to them.”

68 When Joseph told his parents he was marrying an African American, his mother said

"do you know her well, do you think you can deal with her because their life is quite

different than we, you know? Things [...] the way they talk, the way they do [...]

everything is different”. To that, Joseph responded, "Well [...] she is the one God chose

for me. I think we are going to understand each other”.

69 Shelly explained that Joseph was her "pure thought”, her adolescent vision of her

dream companion. Normative American notions of family life and adulthood

circumvented these thoughts, she felt. Sons and daughters are sent off to college before

they have fully developed into responsible adults. She said that whereas as American

families are career-centered, African families are marriage-centered. The American

system forestalls one’s ability to mature into a proper spouse.

70 Joseph’s grandfather had a dream about Joseph’s future wife. His grandfather told him

that he "would meet his wife very soon” and that she would be “fair”.

“J: So I thought it was oburoni [white person] and I’m like ‘me, I don’t want to marryoburoni. You know, I told him, and like’ [...]. And he is laughing at me and says ‘why Idon’t want to marry oburoni?’ I say ‘no, oburoni is different, their everything isdifferent’. And he says ‘oh, you are going to meet someone who you like’ [...]. I cameback to Accra [...] two months exactly and I met her [looking at his wife]—twomonths.”

71 I asked Shelly if there have been any challenges, cultural or otherwise, that have made

their union difficult.

“S: When I look at him, he looks like me. And we think about some of the same stuffso much that [...]. Our Spirit is higher than any religion, any language, any color, orany culture, or any distance. You know, like I say ‘my Spirit is African’. You knowwhat I’m sayin? And just because I happen to be born somewhere else it doesn’tstop me from being who I am, you know. Because if I was born on a plane, [...] youwould still call me a person, I would still be a human being, you wouldn’t [...] defineme by my location [...] we go beyond any tangible, any physical, any material, anynational definitions. Like our Spirit is higher than that. We have a mission that’sbeen ordained and called by God so we see each other in a higher light [...].”“The only [challenge] is [...] I wouldn’t even say it’s a problem. We’re just learninghow to communicate and that’s important for the marriage, learning how tocommunicate non-verbally and verbally, you know? Its important because when westep out, we are one. So we are learning cues from each other. I’m learning how toread him when he tell me don’t buy it and I really want it, and [repeating] he saydon’t buy it and I really want it, so I gotta learn how to read him.”

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72 Shelly’s suggestion of learning to read is evocative. Collective suffering, skin

pigmentation, and uncritical renderings of heritage will not suffice to create enduring,

mutually satisfying relationships. Positive relationships between Africans and African

Americans—fraternal, conjugal or otherwise—require serious work. The trope of

“reading” bears a resemblance to the anthropological process of becoming culturally,

linguistically, and socially competent as a field researcher. The ability to “read” seems

to us an essential part of the pan-African dialogue.

*

“Whether we knew it or not [...] the Afro-American struggle is inextricably linked tothe struggle in Africa and vice versa” (Kwame Nkrumah cited in Thelwell 2003).

73 The concept of African roots tourism is deployed for seemingly inchoate ends: African

officials are seeking foreign capital; local Ghanaians/Sierra Leoneans desire tangible

evidence of “development”; and African American pilgrims are pursuing a spiritual and

cultural “connection” with the “Motherland”49. Despite African American ambivalence

about the bourgeois connotations of touring, tourism creates the possibility for African

and African Americans to establish meaningful social, political, cultural, and emotional

ties. Further, as AFTA leaders assert, tourism can be an “effective way to dispel the

myths and negative propaganda that keeps Africa divided”. Much of the fledgling

scholarship on African roots tourism is lost in a tangle of rhetoric while failing to see

the possibilities, not to mention the enormous political stakes: global asymmetries that

perpetuate poor quality of life for too many continental and diasporan Africans (Ake

2003; Chinweizu 1987a, 1987b; Clarke 1992; Ferguson 2006; Rodney 1994; Williams 1987;

Zeleza 2003: 183-184).

74 Over ten years ago Obiagele Lake (1995) lamented that scholars generally depict

Africans as having ideas about identity and things that matter that are wholly

antithetical to their African American counterparts’ (Hartman 2002; Lake 1995). We

agree. Hasty (2002) does grant a modest concession in this direction, but leaves the

impression that Africans and African Americans have little or no common ground.

African American ideas are presented as idealistic and not grounded in the everyday

reality of Africans, while their African counterparts are presumably only concerned

with their immediate material needs. This Manichean contrast between diasporan

idealism and African realities, is, in our estimation, exaggerated. This characterization

does not fully capture the richness of African and black diasporan encounters50. When

African Americans travel to Africa it is inevitable that some Africans and some African

Americans will be disenchanted and disappointed. We do not deny inevitability of

cross-cultural discordance, but we do think it is important to devote analytical

attention to the full range of pan-African encounters. Many are positive and mutually

affirming. Some even develop into “Afromances”.

75 A second issue is that when people claim a historical rootedness in particular locales,

their claims are often emotional. Are emotional ties incompatible with clear-thinking

scholarship? Normative ideas among social scientists would have us believe so. As

anthropologists, we have few tools for analyzing emotion that do not exoticize the

subjects of our inquiries (Hooks 2001; Mead 2001)51. This raises a more controversial

point. We believe that the highly emotive nature of roots-related field research makes

cross-racial communication difficult. Many African American roots travelers and, to a

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lesser degree, their race-conscious African counterparts, are dismissive of mainstream

scholarship in general, and white scholars in particular. While we make no judgment

on this issue, it is important to note its existence. This is not to say, however, that

Blackness/Africanness is a prerequisite for “getting it right”. There are black

intellectuals who pathologize black populations (e.g. Patterson 2006), some to the

extent of reducing Africa to a site of “ignorance, squalor, and disease” (Crouch 1995: 81;

Richburg 1998). We will leave the final word with one of our many articulate

interlocutors, Shelly:

“The city of Compton is called the hub [...] because it connects L.A. (Los Angeles),Watts, Lynwood, Long Beach, Paramont, Cerritos [...]. You know, it connects thesecities. And so, Ghana being the hub for the African spirituality worldwide. For theBrazilian African to come and be able to say ‘oh, I’m African’. I can come here to get[...] grounded in my African spirituality. I don’t necessarily have get my DNA tracedback and go back to the middle of the Congo to say ‘this is where I’m from’ becausewe just want to show you the natural law. You mixed up all they way around, butthat doesn’t even matter because the base of you is African so come and find yourown level. And I think Ghana is gonna be the place where [black] people gone come—all over the world [...] to come and find their level.”

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NOTES

1. Tourism is currently Ghana’s fourth largest foreign exchange earner behind gold, cocoa, and

timber (in that order). Sierra Leone’s tourist industry is not as robust as Ghana’s. The Sierra

Leone Tourist Board is actively promoting their new tourism industry; yet, there are no data

showing the effects of their efforts. They do note that the war has hampered the tourist

industry’s growth; thus, it is unlikely they are witnessing significant foreign exchange earnings

comparable to Ghana’s.

2. The rise of president-elect Barack Obama foregrounds a demographic revolution: for the first

time in history, voluntary emigration from Africa to the New World has outstripped the forced

emigration of their enslaved African ancestors (ROBERTS 2005)—African American and African

diaspora(n) ain’t what they used to be. For an excellent historical overview of this sea change and

the global context that has enabled it, see AKYEAMPONG (2000). For a localized ethnographic

analysis of this phenomenon, see MATORY (1999). While we acknowledge the importance of these

transformations, we maintain that the “traditional” usage of African American and African

diaspora(n) is still an analytically significant distinction (for example, although Obama has

embraced the ethnonym “African American”, most neo-African Americans self-identify as

“Africanour” usage of these two terms to the descendants of the Middle Passage.

3. Many black/African cultural nationalists believe that anthropology can only be a tool of

oppression. Many scholars agree that anthropology was in the past intimately linked to

colonialism (see especially RIGBY (1996) and MUDIMBE (1988). See MOORE (1996) for a dissenting

view. But to its credit, anthropology has also advanced the Weberian principle of Verstehen, an

empathic portrayal of difference, and the Boasian notion thave found to be imminently useful.

4. As advocates of race consciousness, we believe that so long as white supremacy exists we can

best combat it collectively as black/African people. We reject the mainstream scholarly and

journalistic proclivity to either pathologize blackness/ Africanness or, erase it altogether by

reducing it, to borrow MALCOLM X’s (1967) felicitous phrasing, “racism in reverse”. There are,

however, important differences in our outlooks. Shabazz, for instance, self-identifies as a black

nationalist, while Benton does not.

5. For a provocative analysis of why race matters in Ghana, see PIERRE (2009).

6. i.e., a person of high social standing, a wealthy person.

7. In using “counter-globalism”, we do not suggest that all Africans or African American roots

travelers are consciously reacting to globalization. Although some within these respective groups

do explicitly shape culturalist responses to global capital and its attendant potentialities and

woes, our point is that global consequences and implications do not necessarily require that

itinerant black diasporan and local African actors possess explicit knowledge of these outcomes.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

436

8. Africans redeemed from slave vessels by the British Navy following the abolishment of the

slave trade (1807) in the United Kingdom.

9. That is not to say that we should dismiss self-presentations that evoke timelessness; rather, we

should be attentive to the purposes and meanings for which these identity constructions are

formulated and asserted.

10. i.e., enslaved Africans born in the Americas. The nightmarish journey across the Atlantic,

generations of creolization in the North America and African blood spilt (metaphorically and

literally) on North American soil would eventually lead to a rival notion of self-hood—African

American (MINTZ & PRICE 1992).

11. It is important to note that movement among West African states was also common during

these periods (THORNTON 1998).

12. Ghana’s official government website <www.touringghana.com> outlines a ten-point plan, the

Joseph Project, to deepen ties between “homelanders” and “diasporans”. Point ten involves

developing a genetic database that would “establish for every returnee/pilgrim interested, a

personal report on his/her antecedents” that would facilitate “visits to the villages of the[ir]

ancestors”. There are problems with using DNA as a definitive “answer” to questions about

ancestry. For a more detailed discussion of the science informing these tests, and some of the

historical questions these tests raise, see BENTON (2006) and DUSTER (2006).

13. The rice coast (or grain coast) complex consisted of Liberia, Sierra Leone, Guinea Conakry,

Guinea Bissau, Senegal and Gambia (CARNEY 2001).

14. Turner (b. August 21, 1890 - d. 1972) was an African American linguist who was the first to

suggest and document similarities between West African languages and Gullah dialect.

15. Among the sponsors for Priscilla’s Homecoming were: Sierra Leone’s Ministry of Foreign

Affairs, Ministry of Tourism and Culture, and the National Tourist Board, the uS Embassy, and the

Catholic Archdiocese of Sierra Leone. There were also numerous sponsors in South Carolina and

Rhode Island.

16. To see the travelogue and information about Polite’s journey, visit the following websites:

<http://www.yale.edu/glc/priscilla/index.htm> and <http://www.africana heritage.com/

Priscillas_Homecoming.asp>. Both websites focus on the Priscilla’s life and how the connection

between Thomalind Polite and the young girl was made. They also highlight, to varying extents,

the events that took place during the reunion.

17. While it is well-known that some white Americans supported and even spearheaded “back to

Africa” movements, the movement was also a threat to the racial status quo and, therefore,

posed great danger for blacks. A newspaper editorial written in 1912, “African Recruiter

Lynching”, explained the deadly consequences: “We do not know the circumstances surrounding

the death of this Negro other than the one fact that he was working among his own people

endeavoring to get a sufficient number of them to go to Africa [...] [W]hite farmers in the

community, who were depending on these Negroes to gather their crops, became angered and

decided to nip the movement in the bud by lynching the leader [...] the pitiful part about it is that

this lynching, as all others, will go unnoticed by the state and government authorities” (GINZBURG

1988).

18. Marcus Garvey was likely acquainted with Chief Alfred Sam. Garvey’s mentor, Duse Mohamed

Ali, was publicly skeptical of Chief Sam’s Back-to-Africa scheme (LANGLEY 1973).

19. Ghana receives over 10,000 African American visitors annually, more than any other African

nation.

20. Obetsebi-Lamptey explained to a mostly African American audience in Ghana: “We’re not

saying everybody should get up and relocate back in Africa. No, you built the country over there

—you built the wealth over there. Why should you give it up? You should use that wealth over

there and bring some of it back here to use it to build up here” (COMMANDER 2007).

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

437

21. Even I (Benton), based in Sierra Leone during the celebration, heard the debates among

Ghanaians on BBC Africa, and participated in discussions with Sierra Leoneans. Ghanaians in

Sierra Leone openly displayed their interest in the celebrations. For example, I attended a four-

day workshop led by a Ghanaian physician who, on each day, wore a suit sewn with as many

different 50-year celebration commemorative fabric patterns. Each morning, the Sierra Leonean

participants would comment on his outfit and discuss the celebrations, as reported on the BBC.

22. From Rawlings’s point of view, the accusation of “witch-hunting” is the most damning—his

wife is currently on trial for “willfully causing financial loss to the state”, a criminal offense

under Ghanaian law (GHANAWEB 2006).

23. Emancipation Day is an annual event in Ghana, but targets diasporan pilgrims rather than

Ghanaian citizens. In Sierra Leone it is considered, by some Sierra Leoneans, a part of Sierra

Leone’s history worthy of celebration. The UK wanted to allot 22 million pounds to

commemorate the bicentennial, but Freetown’s mayor felt the money would be better spent

helping those who experienced the greatest loss because of the slave trade, i.e. Africans living on

the west coast of Africa. City officials suggested changing the British street names in downtown

Freetown to reflect African contributions to abolition of the slave trade.

24. Pan-African Historical Theatre Festival.

25. <http://africafortheafricans.org/index.php>.

26. I thank Bomani Tyehimba, co-founder of AFTA, for these statistics.

27. Traveling throughout Africa, I (Benton) was asked whether I am a “nigga” from the “ghetto”

or if I ever fear for my life (because there are so many guns and so much gang violence in

America); in the US, upon hearing about my work in Africa, I often hear comments about how

“hard it must be” to “see so much poverty and death”. HUNTER-GAULT (2006) writes against these

negative stereotypes about Africans, but she is in the minority.

28. Fihankra is an Akan adinkra symbol meaning the safety/stability/unity of the home.

29. Currently, there is no reliable estimate of African American expatriates living in Ghana, but

unofficial estimates range from 1,000-5,000. The number is probably closer to 1,000.

30. Osei’s outlook is more militant than Ghanaian officials or the “typical” Ghanaian. I (Shabazz)

think, however, that it is important that Osei’s views are given voice. Black radical thought in

Ghana is rarely, if ever, the subject of scholarly analysis and critique and such race-conscious

Ghanaians are the obvious allies of African American roots tourists. Ghanaian sentiments about

pan-African cooperation need not be informed by “black militancy”, however; otherwise

apolitical university students have, on several occasions, complained to me that African

Americans “don’t do enough to help Africa”.

31. Isaiah Washington one of the best-known celebrities who has a DNA ancestry link to Sierra

Leone, and in particular, to the Mende ethnic group. He is also one of the few who have initiated

several visible projects there, and continues to contribute to social service initiatives, and

publicize these contributions.

32. Numerous articles discuss the oburoni (sometimes spelled obruni) controversy (COATES 2006;

HARTMAN 2007; HASTY 2002). During the Ghana@50 celebrations the Ghanaian government

launched a campaign to “educate” Ghanaians on African American distaste for the term. The

campaign encouraged Ghanaians to greet African Americans with the phrase akwaaba (Akan,

“welcome”) anyemi (Ga, “sibling”). Aside from a press conference and several akwaaba anyemi

banners scattered throughout Accra, there was little effort to reinforce the program. This and

the reshuffling at the Ministry of Tourism and Diasporan Relations, meant that the “welcome

sibling” campaign was shortlived and forgettable (although well-intended).

33. Land controlled by a traditional ruler.

34. According to the Ghanaian historian Akosua PERBI (2006), the Akwamu were prolific slave

traders: “Of all the southern states of Ghana, the Akwamu state earned the greatest notoriety for

slave raiding and kidnapping.”

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35. One enduring legacy of white supremacy and black subordination in the US are subtle and

sometimes not-so-subtle messages about aesthetic preferences for “white” phenotypes, including

“straight” hair. The African American rhythm and blues singer, Indie Arie, and the Senegalese

rapper, Akon, scored a hit single on the topic. The lyrics capture the essence of coiffure politics

nicely: “Good hair means curls and waves/Bad hair means you look like a slave/At the turn of the

century/It’s time for us to redefine who we be/You can shave it off like a South African beauty/

Or get in on lock like Bob Marley/You can rock it straight like Oprah Winfrey/ If its not what’s on

your head/It’s what’s underneath” (ARIE 2006).

36. Lit. “return, go, take”. Sankofa (often anglicized as “Sankofa”) is an Akan adinkra symbol

frequently glossed as “return to your (African cultural) roots”.

37. Fred Hampton was the young, charismatic chairman of the Black Panther Party’s Illinois

chapter. In 1969, an African American US government informant drugged Hampton; the Chicago

police department and US federal agents killed Hampton while he was sleeping.

38. Nat Turner, in 1831, led the largest slave revolt in antebellum Southern United States.

39. Huey Newton and Bobby Seale co-founded the Black Panther Party in 1966, in Oakland,

California.

40. During the write-up of this essay, Nana Kwadwo Akpan died unexpectedly in Togo. Fihankra

officials have canceled the “A way back home” conference.

41. <visitsierraleone.org>.

42. During our dissertation field research in Ghana and Sierra Leone, we often heard Ghanaians

and Sierra Leoneans refer to both strangers and friends of the same approximate generation as

“brother” or “sister”. These kinship idioms were deployed for a variety of purposes ranging from

accentuating friendships, to defusing potentially violent conflicts, to negotiating fees or prices.

Black Americans, especially during the 1960’s, frequently addressed each other as “brother” or

“sister”. As MALCOLM X (1967) explained, “We’ve got to change our own minds about each other.

We have to see each other with new eyes. We have to see each other as brothers and sisters. We

have to come together with warmth so we can develop unity and harmony that’s necessary to get

this problem solved ourselves” (WILLIAMS 2004: 88). Black consciousness movements and the

racism that these movements reacted against have popularized the notion that black/ African

people, wherever in the world they might reside, are siblings or cousins. critics insist that, in the

latter instance, these imagined familial ties occlude the many differences, often declared to be

unbridgeable, within and between these respective groups.

43. <www.jasmynecannick.com>.

44. It is not clear whose agenda was advanced through declaring Bunce Island a national

monument. It could have been that people in the so-called “hinterlands” were not aware of or

interested in preserving this national monument, while colonial or, even Krio, authorities

interests were best served.

45. The “jumping over” trope is key in black diasporan understanding of the role of slavery in

their history. Black cultural nationalists, for instance, emphasize the centrality of slavery but in

other instances avoid it all together. On its face, this practice seems contradictory, but when one

teases out the effects of such discourses/practices, both, if leveraged effectively, can be

“strategies” for dealing with slavery. The seemingly romantic Afrocentric version of “jumping”

slavery is best exemplified by the black royalty—“when we were kings and queens”— narratives.

These black royalty narratives, if taken at face value, seem a historical and fanciful. But, in fact,

they point to a deeper truth. These narratives function as indirect social criticism (AKYEAMPONG

2000: 194; YANKAH 1995: 5152): a veiled declaration that black/African people are far better than

their current condition of racial subordination. MALCOLM X (1967) argued that the white man’s

focus on slavery was a clever ploy to obscure the “true” history and identity of the Black man.

Yet he also routinely invoked a polemical and ludic interpretation of plantation politics. And Lee

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D. BAKER (1998) points out how Herskovits, Frazier and Civil Rights strategists dueled over to

whether or not to “jump over” the specter of slavery.

46. Besides this pervasive pathologization, Compton is sometimes exoticized as the home of

Gangsta Rap.

47. For me (Shabazz), however, Compton is a place of endearment and scholarly growth. It is

where my academic career took root. I made my first foray in Afrocentric scholarship as an

undergraduate at Compton Community College.

48. Bawku as of late has featured prominently in Ghanaian print and broadcast media as a site of

ethnic conflict.

49. These are merely starting points for interrogating complex social relations, not stable

categories of divergent interests. Some continental Africans are passionate about “connecting”

with their African American “cousins” and there are African Americans roots tourists who

exclusively seek profit-generating ventures in Africa.

50. It is remarkable that these respective groups still reach out to one another at all given that

the vast majority of African Americans have lived for generations in the US while constantly

being fed negative media images of Africa. The same media generally depicts African Americans

as unintelligent or “natural athletes or entertainers”, or worse, pathologically violent.

51. It would, of course, be unwise to reduce Mead’s work to a simple matter of what Andrew

APTER (1992: 244) has called, in a different context, “exotic alterity”. Moreover, Mead, to her

credit, explicitly states the political aim of her cultural project: a critical social commentary on

gender, sexuality and conjugal norms in the “west”.

ABSTRACTS

In many "developing" and post-conflict African nations, cultural tourism has been touted as a

vital source of foreign exchange revenue for jumpstarting national development. This trend has

led to a scramble in Africa by African state officials seeking to "package" their nations in order to

attract the patronage of Diasporan "returnees"— descendants of the Middle Passage who travel

to Africa in search of cultural and historical "roots". This situation is further complicated by the

fact that the planning and execution of national "packaging" frequently bypasses the ordinary

citizen. Thus the official agenda of these nation states is sometimes at odds with the aspirations

of local citizens and pan-African sojourners. Moreover, this trend has contributed to

considerable conceptual slippage and, consequently, vociferous debates over the meaning of and

criteria for asserting Africanness. In other instances, these conjunctures have transformed and

enhanced received notions of African identity. An ethnographic comparison of a developing

nation (Ghana) and a post-conflict nation (Sierra Leone) can both deepen and complicate our

understandings of this emerging pan-African phenomenon and its attendant possibilities and

limitations. We consider how these complimentary and conflicting interests, beliefs, and

practices converge to shape novel modes of pilgrimage, nationhood, transnational dialogue, and

globalization.

Dans beaucoup de « pays en vole de développement » et dans les nations africaines sortant d'un

conflit armé, on a vanté les mérites du tourisme culturel comme une source essentielle de revenu

pour faire redémarrer le développement national. Cette tendance a entraîné une ruée chez les

fonctionnaires africains pour vendre une certaine image de leur pays dans le but d'attirer la

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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clientèle « de la diaspora » : les descendants du Middle Passage qui voyagent en Afrique à la

recherche de « leurs racines » culturelles et historiques. Cette nouvelle situation est encore

compliquée par le fait que l'organisation et la réalisation d'un programme de promotion

nationale négligent fréquemment le citoyen ordinaire. Ainsi, le programme de ces États-nations

est parfois en désaccord avec les aspirations des habitants locaux et des touristes pan-africains.

De plus, cette tendance a contribué à un dérapage conceptuel considérable, et a eu, pour

conséquence, des débats véhéments sur le sens et sur les critères de l'africanité. Dans d'autres

cas, cette situation a transformé et durci les idées reçues sur l'identité africaine. Une

comparaison ethnographique d'un pays en développement, le Ghana, avec un pays sortant d'un

conflit armé, le Sierra Leone, peut approfondir et diversifier la compréhension de ce phénomène

panafricain émergent ainsi que de ses possibilités afférentes comme de ses limites. Nous

examinons comment ces intérêts complémentaires et contradictoires, ces croyances et ces

pratiques convergent pour former de nouveaux modes de pèlerinage, de nationalité, de dialogue

transnational et de mondialisation.

INDEX

Mots-clés: Ghana, Sierra Leone, diaspora africaine, identité, pan-africanisme, post-conflit,

racines, tourisme, transnationalisme

Keywords: Ghana, Sierra Leone, African Diaspora, African-centered, Identity, pan-Africanism,

post-conflict, roots, tourism, transnationalism

AUTHORS

ADIA BENTON

Department of Anthropology, Harvard University.

KWAME ZULU SHABAZZ

Department of Anthropology, Harvard University.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

441

Les déçus de TombouctouTimbuktu as a Disappointing Location

Marco Aime

1 Dans l’imaginaire occidental, la ville de Tombouctou appartient à l’espace

géographique, alors que pour les musulmans elle appartient à l’espace religieux. Quoi

qu’il en soit, Tombouctou semble être toujours la victime ou le protagoniste du regard

d’autrui. Surestimée comme centre islamique, déchue sur le plan commercial,

Tombouctou renaît au XIXe siècle dans l’imaginaire des explorateurs à mi-chemin entre

romantisme et nouvelles ambitions. Elle devient une destination héroïque, un terrain

de jeu pour les orgueils nationaux, en quelque sorte l’horizon de l’action et de la force

humaines sur la nature. Dès lors que Tombouctou est surtout associée au désert,

parvenir à Tombouctou, pour les Européens, signifie en premier lieu vaincre le Sahara.

2 La course à Tombouctou prit ainsi la forme d’un défi qui ne pouvait se terminer qu’avec

la « conquête » d’une ville désagrégée telle qu’elle apparut aux yeux de René Caillié.

Comme Ali Mazrui (1969 : 666-667) le souligne en effet, si d’un côté les explorateurs en

soulevant le rideau de ténèbres — qui, pensait-on, enveloppait l’Afrique —

contribuaient à rendre le continent moins obscur et mieux connu de leurs

contemporains, ils modifiaient et mystifiaient par ailleurs la connaissance de l’Afrique,

en n’offrant que des informations partielles et sélectionnées. Dans bien des cas

l’objectivité de l’explorateur était plus ou moins influencée par la recherche d’une

dimension héroïque, qui parfois déformait leur perception. Il était en effet beaucoup

plus audacieux de rencontrer des sauvages, des difficultés formidables et des coins

oubliés ou inconnus que des populations cordiales et familières. La Tombouctou des

explorateurs est la victime de cette vision héroïque et romantique.

3 Si, sur la carte et sur le terrain, Tombouctou appartient sans nul doute à l’Afrique,

l’imaginaire occidental semble l’avoir souvent poussée vers l’Orient. Pas un Orient

géographique, mais l’Orient comme monde exotique, comme produit d’un orientalisme

qui, comme Edward Said (1999 : 31) l’affirme, « correspondait plus à la culture dans

laquelle il s’était développé qu’à son objet de recherche, lui-même une création

occidentale ». Plus qu’à l’univers sombre auquel semblait appartenir l’Afrique « noire »,

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Tombouctou, pour les Européens, était associée au monde arabe des Mille et Une Nuits,

un monde imbibé d’histoire, de sensualité et de perdition.

4 La Tombouctou des livres naît de toutes ces visions différentes, la Tombouctou des

écrivains qui admettent la décadence, mais qui entrevoient sous les cendres de la ville

la puissance de l’histoire. La Tombouctou des touristes vit encore de cet imaginaire,

jamais dissipé.

5 Pourtant, dès les toutes premières années de la colonisation, les Français s’aperçurent

que cette ville était un fardeau. Ayant désormais perdu toute importance et étant

éloignée de tout, elle ne pouvait cependant être abandonnée à cause du poids de son

mythe. Il fallait donc la maintenir en vie. Mais comment ? Dans un climat plus

conservateur que revitalisant, Tombouctou était vue comme une œuvre d’art et, en tant

que telle, elle devait être protégée et préservée plus dans son imaginaire mythique que

dans la vie quotidienne de ses habitants. C’est précisément l’attitude dont beaucoup

d’habitants de Tombouctou se plaignent, surtout à propos de l’activité de l’Unesco, qui

a inscrit la ville sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité en 1998.

6 Ainsi est née la Tombouctou des touristes, lesquels sont souvent déçus par la ville, mais

qui peuvent toujours affirmer qu’ils s’y sont rendus parce que ce lieu a colonisé notre

imaginaire, celui des Occidentaux, à tel point que Tombouctou a encore suffisamment

de force pour donner naissance à des suggestions de post ou pseudo-explorateurs. On

s’en aperçoit en lisant les propos que les touristes écrivent sur le livre d’or du musée de

la ville. La belle analyse qu’en a faite Elisa Bellato (2008 : 31-40) met en évidence les

jugements positifs, parfois même enthousiastes des touristes, jugements liés à

l’histoire, au charme du temps passé. Mais ces déclarations ressemblent beaucoup à

celles des nombreux voyageurs du passé, de Dubois à Morand et à Mardoché qui, d’une

façon ou d’une autre, refusaient d’accepter l’écroulement du mythe, son évidence.

7 Sur le dépliant distribué par l’Office du tourisme on peut lire ces mots de René Caillié

(1965 : 300) qui, le 20 avril 1828, arrive à Tombouctou : « En entrant dans cette cité

mystérieuse, objet des recherches des nations civilisées de l’Europe, je fus saisi d’un

sentiment inexprimable de satisfaction ; je n’avais jamais éprouvé une sensation

pareille et ma joie était extrême. » Naturellement le marketing touristique ne pouvait

reprendre à son compte ce que Caillié lui-même écrit quelques phrases plus loin :

« Je ne la trouvai ni aussi grande ni aussi peuplée que je m’y étais attendu ; soncommerce est bien moins considérable que ne le publie la renommée ; on n’y voitpas, comme à Jenné, ce grand concours d’étrangers venant de toutes les parties duSoudan. Je ne rencontrai dans les rues de Tombouctou que les chameaux quiarrivaient de Cabra, chargés des marchandises apportées par la flotille [...]. En unmot tout respirait la plus grande tristesse. J’étais surpris du peu d’activité, je diraismême de l’inertie qui régnait dans la ville. Quelques marchands de noix de colatscriaient leur marchandise comme à Jenné » (ibid. : 302-303).

8 C’est d’ailleurs la même déception qu’avait ressentie le Pasha Jouder, commandant des

troupes marocaines lorsqu’en 1591, celles-ci conquirent le royaume du Songhay.

Parvenu à Gao, capitale du royaume, il s’attendait en effet à y trouver des monceaux

d’or, mais il finit par écrire dépité que « la maison d’un ânier de Marrakech est plus

somptueuse que le palais de l’Askia ». De même, en 1860, le rabbin Mardoché, venu du

Maroc à la recherche de bonnes affaires, écrivit-il :

« Au premier regard Tombouctou n’offre qu’un horrible tas de maisons de terre malbâties. Dans toutes les directions, on ne voit que d’immenses étendues de sable quibougent, d’un blanc qui tend au jaune et arides comme tout. Le ciel, à l’horizon, est

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d’un rouge pâle. Dans la nature tout est triste, le plus grand silence y règne, onn’entend pas chanter un seul oiseau. Cependant, il y a un je-ne-sais-quoid’extraordinaire à voir une grande ville bâtie au milieu des sables et on admire lesefforts des constructeurs » (cité dans Oliel 1998 : 38).

9 Une trentaine d’années plus tard, en 1896, Félix Dubois (1897 : 226), en la voyant de

loin, se laisse davantage éblouir par son illusion que par la réalité qui s’offre à lui : « [...]

trône sur l’horizon avec une attitude majestueuse, comme une reine. Elle est

véritablement la ville imaginée, la Tombouctou des légendes séculaires d’Europe. »

Cette fois encore l’enthousiasme ne dure pas très longtemps :

« Nous sommes parvenus à l’entrée de la ville. Et voilà que disparaîtl’impressionnante vision, tout à coup, comme un décor dans les dessous d’unthéâtre [...]. Il semble que l’on entre dans une ville qui vient de passer tous lesdrames accumulés d’un siège, d’une prise et d’une destruction [...]. Je nem’attendais certes pas à trouver ici un pendant à Athènes, Rome ou Le Caire. Lessables du désert prêtent évidemment aux conceptions architecturales desmatériaux insuffisants. Mais des huttes en paille ! Peu nombreuses, il est vrai, maisen pleine ville ! [...]. Ce n’est pas seulement l’illusion extérieure, le mirage évanoui,qui exaspère cette déception. Il y a aussi l’effondrement de tout le prestige que lenom de Tombouctou évoque à l’esprit d’un Européen » (ibid. : 231-232).

10 De toute façon la force du mythe est supérieure à celle de la réalité, à laquelle Dubois

semble d’ailleurs ne pas se résigner. En effet, quelques pages plus loin son

découragement s’est évanoui et il écrit :

« Le désespérant spectacle de l’arrivée, que ma mémoire avait conservé, et que jecroyais ineffaçable, s’estompa, se dissipa peu à peu. Un secret planait décidémentsur Tombouctou la Mystérieuse. J’eus des yeux qui virent. Une vision toutedifférente surgit doucement, se précisa. Enfin m’apparut très nettement la villegrande, riche et lettrée des légendes » (ibid. : 238).

11 Encore une trentaine d’années passent et en 1928 un autre écrivain-voyageur, Paul

Morand (1928 : 108-109), ajoute sa note sombre :

« Où sont-ils les dômes rutilants, les sacs de poudre d’or et l’ivoire des caravanesdont les livres parlent ? [...]. Paysage atone, décoloré par un soleil atteint par ladémence. Tombouctou, qui fut autrefois une ville de plus de cent mille âmes, n’estqu’un village de cinq mille habitants. Envahie par le désert, enflée de poudre,pénétrée par le sable, roulée en cornet par les nuits froides, dilatée par la chaleur,fendue par les sautes de température, bâtie avec des matériaux périssables, elletombe en ruine et n’a plus d’importance stratégique ni pouvoir. »

12 Pourtant personne ne peut se résigner à la chute d’un mythe, et Morand de poursuivre :

« Cependant l’impression que Tombouctou laisse est très forte. C’est la fin dumonde nègre, de la beauté des corps, des pâturages gras, de la joie de vivre, dubruit, des éclats de rire : ici l’islam commence avec son intolérance, sa sérénitésilencieuse, sa décrépitude. Pas une culture, pas une irrigation, pas une route, pasune œuvre d’art » (ibid.).

13 « Pas une route, pas une œuvre d’art. » Même si elles sont moins teintées de drame

existentiel, les réactions de nombre de touristes qui se rendent à Tombouctou sont elles

aussi souvent placées sous le signe du découragement. « Quelle déception... il n’y a

rien ! », il m’est souvent arrivé d’entendre s’exclamer ainsi amis et compagnons de

voyage. « Il n’y a rien », voilà le problème : le problème est l’absence. L’absence de

quoi ? « Le touriste est un visiteur pressé qui préfère les monuments aux gens » écrit

Tzvetan Todorov (1989 : 302). À Tombouctou les monuments ne manquent pas, mais ils

ne répondent pas à nos attentes.

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14 Qui se rend au Mali normalement ? Ce n’est pas un touriste néophyte, mais un individu

qui a fait un choix raisonné, qui souvent s’est préparé pour le voyage qu’il va

entreprendre. Et c’est précisément cette préparation qui donne naissance à la

Tombouctou « mythique », celle qui dans l’esprit de beaucoup de voyageurs s’oppose à

la Tombouctou « réelle ». Tombouctou évoque l’éloignement, les mondes disparus, les

lieux presque impossibles à atteindre, aux limites du monde. Et à quoi peut s’attendre

le touriste dans une ville qui, d’un côté, est devenue si mythique, et de l’autre est

soumise à l’incroyable oubli dans lequel l’ethnocentrisme occidental l’a laissée tomber,

en l’ignorant dans les livres d’histoire ? Palais, statues, monuments, œuvres d’art, or

sont en abondance. À l’inverse, « il n’y a rien ». « Tombouctou en soi-même ne vaut pas

le voyage, même pas une déviation, c’est seulement pour dire qu’on y a été » écrit le

journaliste français Jean-Pierre Dubarry (2000 : 83).

15 On se trouve face à une ville de terre, où même les bâtiments les plus anciens, comme

les mosquées de Sankore et de Djinguereber (XIIIe-XIVe siècles), ressemblent aux

édifices bâtis il y a seulement quelques années. C’est là que l’idée du « il n’y a rien » se

déclenche. Rien qui nous fasse comprendre que la grande histoire est passée par ici.

Voilà le manque. Tombouctou n’est pas un village perdu dans la brousse, Tombouctou

est une ville, une dimension que l’Occidental perçoit comme la sienne, qu’il sent

appartenir à son histoire. Une ville avec un passé très important, mais qui ne

correspond pas à ce qu’on en attend. Tombouctou ressemble à un miroir déformant :

elle réfléchit notre image, bien sûr, mais avec des traits et des formes différents et,

comme tous les miroirs, elle l’inverse.

16 Le touriste, ici, recherche l’histoire, l’ancien, et il les recherche à travers une image

visible, une réalité que l’on peut toucher. En effet, le tourisme des patrimoines culturels

s’alimente à la nostalgie pour le passé et grâce au désir d’expériences de paysages et de

formes culturelles (Simonicca 1998 : 156).

17 Comme l’écrit Eric Leed (1991 : 168) à propos de l’Égypte, destination de tourisme

historique par excellence : « Les icônes, comme les pyramides, offrent une réserve

d’images inconscientes de ce qui est éloigné dans le temps et dans l’espace, et qui

peuvent être activées et devenir conscientes au moment de l’arrivée du touriste sur

place. » Notre façon de lire un paysage urbain est donc interprétée historiquement,

conditionnée par la présence de signes forts, sans équivoque. Les monuments sont des

symboliques actives qui ont pris une ampleur excessive, au cours du dernier siècle, avec

la diffusion des modèles visuels de masse. Le monument acquiert une valeur

sémantique, qui est le lieu, lui-même chargé de signifier la totalité d’un tissu

monumental, social et civil (Fusco 1982 : 753-755).

18 « Nous vivons à une époque qui met en scène l’histoire, qui en fait un spectacle et, en ce

sens, déréalise la réalité », écrit Marc Augé (1999 : 24), et la visualisation de l’histoire

devient davantage une attraction pour touristes qu’une occasion de réfléchir. Bien

souvent, les monuments et les œuvres d’art constituent des points de repère

nécessaires pour se déplacer d’un lieu à un autre. Ainsi des touristes peuvent visiter un

lieu plus parce qu’il est incontournable, que par intérêt proprement dit. Exception faite

des spécialistes et des vrais passionnés, ce qui attire les touristes c’est la grande

rapidité de la jouissance que procure le monument. En effet, les monuments répondent

parfaitement à l’obligation de « réduction ». Ce sont des signaux qui déterminent l’idée

d’une ville et des instruments de communication qui ont pour effet d’unifier les

caractéristiques topographiques, architecturales et anthropologiques du lieu (Fusco

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1982 : 757). On a calculé, par exemple, que Pise reçoit environ deux millions de touristes

chaque année, lesquels ne passent en moyenne que deux heures dans cette ville.

19 Les expériences « culturelles » du touriste se fondent souvent sur un imaginaire

alimenté par une tradition qui nous a appris à lire l’histoire à travers les œuvres d’art

et les monuments. Il y a quelque temps, j’ai lu des contributions d’historiens italiens,

voilées de polémique, traitant de l’ouverture de nouveaux programmes scolaires

orientés vers les autres cultures. Le poids du politically correct les empêchait d’exprimer

franchement une échelle des valeurs, mais un sentiment évident de malaise se faisait

jour à l’idée de comparer la culture de la Renaissance à la culture africaine ou

polynésienne par exemple. À Tombouctou, les monuments, ce que nous appelons

monuments, sont effectivement absents. Et c’est précisément ce type de monuments

qui nous donne le sentiment que là, une « vraie » civilisation a surgi.

20 Selon l’opinion courante, l’œuvre d’art est universelle et c’est pourquoi l’on recherche

l’extase de l’admiration devant un chef d’œuvre. Face à l’art, on devient tous

universalistes, mais il peut sembler étrange que le touriste qui se rend au Mali — qui

n’est donc pas un voyageur de masse, mais quelqu’un qui a choisi en fait une

destination particulière précisément à cause de son altérité — soit déçu par

Tombouctou. Le « tourisme ethnique » est choisi surtout par ceux qui cherchent

« l’autre », pour en apprécier la diversité, et donc par des relativistes potentiels. Mais

ce relativisme semble disparaître face à l’idée d’œuvre d’art. La politique culturelle de

l’Unesco, qui a placé Tombouctou sous son patronage, apporte sa contribution à ce

phénomène (Bellato 2004 : 26-30). Cet organisme entreprend, d’un côté, une sorte

d’institutionnalisation des expressions culturelles, qu’il s’agisse de monuments ou de

populations vivantes, les soi-disant « paysages culturels » ou « évolutifs ». De l’autre,

parce qu’il unifie sous l’expression « patrimoine culturel de l’humanité » des œuvres

appartenant à des cultures et à des catégories différentes, l’Unesco contribue à

développer l’idée que tout ce qui est art nous appartient.

21 Tout ceci est devenu évident en mars 2001, quand les talibans d’Afghanistan

proclamèrent leur intention de détruire les statues des Bouddhas de Bamiyan. Le

monde entier s’indigna alors de ce geste fou. Il fallut pour cela les statues des

Bouddhas. En effet, il y avait bien longtemps que les talibans foulaient aux pieds les

droits de l’Homme les plus élémentaires, mais cela n’était pas suffisant. Ils interdisaient

aux femmes, non seulement de fréquenter l’université, mais aussi de recevoir des

visites et d’être soignées par des médecins de sexe masculin. Ils avaient réduit les

femmes à des fantômes sans forme, ne pouvant se déplacer qu’à certains moments de la

journée, accompagnées et voilées : mais tout cela n’était pas encore suffisant. Ils

contraignaient également les hommes glabres à se justifier du refus de porter la barbe

et déclaraient qu’il était criminel de rire et de chanter dans la rue. Ils avaient même

interdit les chaînes de télévision pour empêcher tout contact avec l’extérieur. Tout cela

n’avait pourtant pas suffi à provoquer l’indignation des masses occidentales et surtout

des mass media. Des millions de vies de femmes et d’hommes détruites ne parvenaient

pas à mobiliser les caméras de télévision. Il fallut qu’ils en viennent à détruire les

statues pour déclencher l’indignation contre ce régime intégriste et intraitable.

22 Les statues semblent en effet être dotées d’un prix et d’une valeur historique qui nous

touche davantage que les hommes eux-mêmes. Pourquoi sommes-nous davantage émus

devant un monument endommagé que face à des tragédies humaines ? Le délire

iconoclaste des « étudiants islamiques » était bien un signe de barbarie, cela n’est pas

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douteux, mais il n’est pas sûr que la destruction des Bouddhas ait été la pire expression

de leur fanatisme. Nous ne nous sommes rendu compte de leur fureur destructrice que

lorsqu’ils ont osé violer le temple sacré de l’art, ce symbole universel. Car c’est bien

l’art qui nous unit quand l’humanité nous rend différents voire hostiles. Par le biais de

l’art, nous avons matérialisé l’histoire, nous l’avons rendue visible et utile pour

conserver la mémoire. Mais, avec le temps, les objets d’art, ces objets de vénération,

sont peu a peu vidés de leur substance et réduits à des simulacres de valeur universelle

et absolue, celle de l’art. Nous avons divinisé l’art au point de le rendre impartial,

surhumain. Nous sommes plus enclins à défendre les Bouddhas que les bouddhistes.

23 Dans un article du quotidien La Stampa, Fabrizio Rondolino (2001 : 24) mettait en

évidence le fait que dresser une statue ou n’importe quel autre monument a toujours

une valeur politique et symbolique très forte : « Il peut s’agir d’un pouvoir despotique

qui s’autocélébre ou d’une nation qui commémore ses héros et ses martyrs ou d’une

religion qui montre aux fidèles (et aux infidèles) sa propre puissance et sa propre

miséricorde. L’histoire politique et religieuse est constellée de statues : dans bien des

cas il s’agit d’œuvres d’art, mais la raison pour laquelle elles ont été dressées est

politique. » À propos des Bouddhas, Jean-Loup Amselle (2005 : 24) insiste sur le fait que

les Hazaras shiites revendiquent l’héritage de ces statues, dont l’origine leur permet

d’affirmer leur identité culturelle.

24 Produire des signes dans l’espace comporte inévitablement l’emploi de la force et donc

une violence sur la nature de sorte que les édifices sont des moyens conceptuels

employés par les différentes sociétés pour offrir une image d’elles-mêmes en tant

qu’organismes stables et pérennes (Remotti 1993 : 47). Mais aux yeux du touriste, les

objets historiques perdent leur valeur politique et deviennent un patrimoine universel.

Nous pouvons admirer la mosquée d’Ispahan ou la Place Rouge pour leur beauté,

indépendamment des idéologies ou de la foi à l’origine de leur érection. L’oubli ou

l’exclusion volontaire du contexte social et culturel à l’intérieur duquel les œuvres d’art

ont été créées à l’origine, ne donne pas seulement lieu à des définitions qui suivent des

critères plus familiers et habituels, il favorise aussi les conditions qui permettent aux

spectateurs de participer à une expérience purement esthétique (Price 1992 : 159). Paul

Morand (1928 : 118) tomba également dans ce piège ethnocentriste : « Qui dirait que les

Malinkés ont régné ici au XIVe siècle, les Touaregs au XVe, les Songhay au XVIIe, les

Marocains aux XVIIe et XVIII e, les Peuhls et les Toucouleurs au XIXe ? Qu’est-ce qui

reste ? Du sable, couleur de la poussière de l’Écriture. » Nous observons l’histoire, nous

ne la pensons pas.

25 Cependant Tombouctou offre une occasion importante de réfléchir sur notre idée

d’histoire. En réfléchissant sur le passé de cette ville et en repensant à son histoire

apprise dans les manuels scolaires, on éprouve un sentiment de confusion. Au Centre

Ahmed Baba ou dans les autres bibliothèques familiales, au sein desquelles des milliers

de manuscrits remontant jusqu’au XVIIIe siècle sont conservés, on peut toucher de la

main (encore une fois la nécessaire réification) l’incroyable vivacité intellectuelle qui a

animé l’histoire de cette ville à l’époque que nous appelons Moyen-Âge. On se rend

compte également de la façon dont toute cette partie de l’histoire, toute cette vivacité

sont d’habitude ignorées par les textes scolaires. Les touristes en général aiment les

manuscrits, parce qu’ils font partie de la catégorie des « biens culturels » partagés. Ils

suscitent l’émotion de l’histoire, celle que nous éprouvons devant les monuments,

devant ce qui est ancien et qu’on peut en même temps toucher. Mais ils sont écrits en

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arabe et par conséquent sont inaccessibles à la plupart des touristes occidentaux. On les

admire alors pour leur beauté et pour leur valeur intrinsèque liée à leur ancienneté1.

Encore une idée typiquement occidentale. Tombouctou nous offre la possibilité de

« déplacer le centre du monde », comme l’a écrit l’écrivain kenyan Ngugi wa Thiong’o

(2000). À l’inverse, nous déplaçons le monde de façon à ce que le centre soit encore une

fois où nous voulons qu’il reste.

26 Sally Price (1992 : 38-39) soutient que, dans la perspective privilégiée par le Blanc

européen ou américain, le mélange des races comporte nécessairement l’idée d’un acte

de tolérance, de gentillesse et de charité, cette idée impliquant que l’« égalité »

accordée aux non-Occidentaux (et à leur art) ne représente pas une conséquence

naturelle de l’égalité humaine, mais plutôt le produit de l’indulgence de l’Occident. Les

traditions européenne et américaine sont, par définition, les seules capables de

permettre une appréciation éclairée des différentes cultures. Les Occidentaux

deviennent ainsi les seuls à avoir le droit d’offrir des billets d’invitation destinés à

participer au spectacle de la Fraternité humaine.

27 Tombouctou ne répond même pas aux nécessités du tourisme « ethnique », ce qui

contribue à décevoir ultérieurement beaucoup de touristes. Ici il n’y a pas d’ethnie. Il

n’y a pas un peuple identifiable à ses vêtements, ses traditions, telle que la littérature

touristique nous le propose d’habitude. Les Dogons, pour rester au Mali, sont un cas

exemplaire de tourisme ethnique. Chez les Dogons, on cherche vraiment l’autre,

l’exotique. Il y a l’animisme tandis qu’à Tombouctou il y a l’islam ; chez les Dogons il y a

le village, à Tombouctou une ville ; tradition orale d’un côté, écriture de l’autre. Local et

universel continuent de s’opposer. On se rend chez les Dogons parce qu’on sait qu’ils

sont différents et bien connotés, qu’ils ont des caractéristiques déterminées, qu’ils sont

différents de nous d’une façon qui nous séduit. On se rend chez eux pour faire

l’expérience d’un monde « perdu », « primitif » ou, même, « non contaminé », pour

utiliser des adjectifs chers à la presse touristique. Avec leur architecture, leurs danses,

leur cosmogonie, les Dogons nous mènent dans un secteur de notre imaginaire où il n’y

a pas d’histoire, mais de la « tradition ». Et nous n’attendons pas de la tradition qu’elle

nous fournisse des monuments et des œuvres d’art, mais des objets ethniques, des

danses, des cérémonies rituelles. Tombouctou au contraire, même si elle se trouve

également au Mali, est une ville, concept qui la rend déjà moins « autre » à nos yeux.

Elle a une histoire marquée par l’islam, celle-là même qui a produit la mosquée des

Omeyyades à Damas, celle d’Ispahan en Iran, les palais de Grenade et de Séville et qui

n’a pas laissé de traces si massives et si visibles ici. Et Tombouctou, à l’inverse des

Dogons, apparaît floue du point de vue ethnique. C’est une ville où tout le monde est

étranger. On peut le lire sur les visages des gens.

28 Combien de profils différents, combien de nuances de peau, de langues, de vêtements

voyons-nous quand nous nous promenons dans la ville ? Les traces de son passé sont là,

elles défilent devant nos yeux et nous ne les voyons pas, parce que notre perspective

est en fin de compte prédéterminée et qu’elle crée des attentes déjà prêtes et

confectionnées. Là on attend le primitif, ici l’histoire faite d’or et de richesses. La vraie

richesse de Tombouctou est dans ses gens, dans leurs visages, dans leur caractère. Mais

ceci est une autre façon de lire l’histoire.

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NOTES

1. Voir également l’article de BOULAY sur la cité de Chinguetti, dans ce numéro.

RÉSUMÉS

Cet article se propose d'étudier la construction du mythe de Tombouctou dans l'imaginaire

collectif occidental, entre découverte géographique et représentation mythique du lieu. Il

montre ensuite comment cet imaginaire conditionne les touristes qui visitent aujourd'hui cette

ville du Mali. Les récits du Moyen-Âge jusqu'à ceux des explorateurs et voyageurs européens des

XIXe et XX e siècles, font de Tombouctou un lieu de plus en plus mythique. L'article explique

pourquoi les voyageurs qui se rendent pour la première fois à Tombouctou sont souvent très

déçus.

This paper aims at studying the construction of the myth of Timbuktu in the western collective

imagination, between geographical discovery and mythical representation of a place. Then it is

shown how this imagination influences the tourists that reach Timbuktu today. Through the

period lasting from the Middle Age chronicles to the European narratives of the travellers of XIXe

and XXe centuries, Timbuktu has been shaped as a mythical place. This paper explains the

reasons why the modern tourists are often disappointed when they first see Timbuktu.

INDEX

Mots-clés : Mali, Tombouctou, exploration, imaginaire collectif, lieu mythique, touristes, voyage

Keywords : Mali, Timbuktu, exploration, collective imagination, mythical place, tourists, travel

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AUTEUR

MARCO AIME

Département d’histoire moderne et contemporaine (DISMEC), Université de Genova, Italie.

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Désillusions et stigmates del’exotisme. Quotidiens d’immersionculturelle et touristique au SénégalThe Disillusions and Scars of the Exotic. Everyday Cultural and Touristic

Immersion in Senegal

Hélène Quashie

1 Les contextes de semi-résidence touristique et d’expatriation au Sénégal favorisent

l’analyse d’interactions quotidiennes entre des groupes minoritaires de ressortissants

européens/occidentaux et leurs voisins locaux. Ces rapports sociaux particuliers ont

jusqu’ici peu intéressé l’anthropologie (Doquet 2005), qui s’est davantage concentrée

sur l’étude des relations entre touristes et populations visitées dans des contextes de

courts séjours, ainsi que sur les enjeux sociopolitiques ou recompositions identitaires

locales qui accompagnent l’industrie de l’évasion touristique1. Les catégories de

touristes auxquelles nous avons choisi de nous intéresser effectuent de longs séjours

qui s’inscrivent dans des contextes de mobilité et d’interculturalité relativement

inédits vis-à-vis des cadres d’analyse classiques du phénomène touristique. Leurs

discours et représentations sociales devraient largement différer de ceux des touristes

de passage, moins impliqués dans les réalités locales qu’ils côtoient. Or, cette

cohabitation avec l’Autre ne favorise pas d’adaptation réciproque mais renforce

davantage l’élaboration de frontières et de stéréotypes sociaux, assez proches dans

leurs fondements de ceux que l’on retrouve dans des contextes touristiques plus

classiques (Quashie 2009).

2 La promotion de voyages à destination du continent africain (effectuée

majoritairement depuis les pays occidentaux) s’appuie sur des images spécifiques,

inspirées et soutenues par l’ethnologisation de cette région du monde.

3 Fréquemment présentée comme anhistorique, elle fait l’objet de nombreux fantasmes

alimentant les imaginaires sociaux occidentaux. Par exemple, le mythe de la « non-

civilisation », aisément décelable dans les discours de promotion touristique, invite le

visiteur à pénétrer dans un monde « primitif » animé par une faune exotique, des

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danses traditionnelles « typiques », au milieu de paysages semi-désertiques ou

tropicaux (Echtner & Prasad 2003). Or, cette notion de primitivité exotique repose sur

un principe d’ambivalence caractéristique : sa valorisation (se) nourrit de nombreuses

idées reçues très médiatisées situées aux antipodes du rêve et de l’enchantement

touristiques (corruption, domination masculine, archaïsme technique, démographie

galopante, économie informelle, sous-industrialisation, pauvreté, illettrisme, guerres

civiles irrationnelles, etc. [Courade 2006]).

4 Au cœur de cet espace d’interlocution sociopolitique ambigu entre l’Occident et le

continent africain, le Sénégal est devenu l’un des pays les plus touristiques de la région

ouest-africaine2. La promotion et la vente de cette destination sont assurées par des

investisseurs privés européens : l’État sénégalais ne perçoit que les taxes relatives aux

transports aériens et aux complexes hôteliers. L’offre touristique repose

principalement sur des séjours proposés par des agences de voyages et tour-opérateurs

internationaux dans les établissements de la Petite Côte3, et des circuits itinérants au

sein des régions littorales. Ce « tourisme de masse », soutenu par la régularité des vols

charters, allie donc plaisirs balnéaires et culturels, principe qui a peu à peu donné

naissance à des pratiques « alternatives » de tourisme de découverte, élaborées par des

voyagistes spécialisés mais de moindre envergure.

5 Ces différentes promotions touristiques du rêve et du dépaysement mettent en valeur

des imaginaires socioculturels semblables et récurrents : elles entretiennent par

exemple, toutes sans exception, une importante fascination pour le « monde rural

africain », renforçant ainsi l’image du Sénégal comme « Porte de l’Afrique ». Ce slogan,

repris par de nombreux voyagistes européens ainsi que par le ministère du Tourisme

sénégalais, construit l’idée d’un carrefour entre l’Occident et le continent africain. En

effet, la destination Sénégal n’utilise pas d’arguments « culturels », elle n’évoque pas

d’aspects « traditionnels » spécifiques, comme ce peut être le cas du Burkina Faso, du

Mali ou du Cameroun, auxquels la muséographie européenne/ occidentale fait plus

largement référence. Les expéditions coloniales et enquêtes ethnographiques4 n’ont pas

ou peu retenu d’éléments « culturels » distinctifs propres au Sénégal, susceptibles

d’être utilisés par les discours touristiques. Ce pays n’est pas connu en Occident pour

ses « trésors » ethnologiques, mais davantage pour la position politique qu’y occupait

l’administration coloniale (la ville de Saint-Louis était capitale de l’Afrique occidentale

française), ses joueurs de football recrutés dans de nombreux clubs européens, la

densité de ses réseaux transnationaux mourides, ou encore le nombre important de ses

étudiants dans les universités françaises. La destination Sénégal garantit donc un choc

culturel « aseptisé », et se vend davantage grâce à la promotion de son environnement

littoral que par le biais d’attributs « typiques » évoquant généralement la « culture

africaine ». L’enchantement touristique fondé sur la notion de « primitivité »

n’apparaît donc au Sénégal que de manière relative, lors d’excursions dans des

concessions villageoises rurales à quelques kilomètres des localités littorales, et surtout

par le biais de circuits itinérants dans les régions de Basse-Casamance, Kédougou ou

Saint-Louis, qui n’attirent qu’environ 30 % des visiteurs du pays. Ces séjours

provoquent le ravissement unanime des visiteurs mais peu de questionnements quant

aux attentes et perceptions de l’Autre-visiteur/ visité. Voués au loisir des touristes et

non à leur implication dans la réalité sociale qu’ils côtoient, les programmes des tour-

opérateurs aussi bien que ceux des voyagistes défenseurs d’un « tourisme plus

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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respectueux » organisent en effet une « rencontre » avec l’Autre de courte durée selon

des modalités stéréotypées (Quashie 2009).

6 La valorisation touristique du littoral sénégalais favorise davantage le retour d’un

certain nombre de visiteurs dans ses régions de la Petite Côte et du Saloum. Enchantés

par leur premier séjour souvent hôtelier, ces touristes deviennent « semi-résidents »5,

voire « résidents permanents », et organisent pour certains une frange du tourisme

interne sénégalais.

7 Nous nous sommes interrogée sur ces contextes touristiques au sein desquels des

vacanciers effectuent de longs séjours récurrents, au contact direct des « populations

locales ». Que se passe-t-il lors de ces rencontres ; quelles sont les modalités de ces

interactions ? Nous analyserons les représentations6 et pratiques sociales de ces

touristes et des individus qu’ils côtoient au sein de la société sénégalaise, afin de

comprendre plus précisément les imaginaires sociaux utilisés, produits ou entretenus

au sein de ces contextes spécifiques d’interculturalité. Bien qu’ils ne soient pas

préconstruits par des structures de voyage, ils ne semblent pas favoriser pour autant

une connaissance réciproque de l’Autre mais constituent le support de nombreux

stéréotypes. Nous nous intéresserons donc plus précisément à l’ambivalence

conflictuelle des rapports sociaux que cette « rencontre culturelle » instaure, aux

réseaux d’élaboration et d’entretien de représentations sociales qui lui sont spécifiques,

ainsi qu’à leur contexte sociopolitique et identitaire.

La Riviera de la « Porte de l'Afrique » : du rêvebalnéaire aux impasses de l'interculturalité

Exotisme littoral et idéal-type de l'Autre

8 Les touristes qui séjournent au Sénégal proviennent principalement de pays

occidentaux (prédominance de la clientèle française, puis par ordre d’importance :

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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belge, suisse, et nord-américaine). Le taux de retour de ces vacanciers est très faible

(environ 2 %)7. Les visiteurs ayant participé à un circuit de découverte sont très peu

nombreux à revenir au Sénégal, si ce n’est pour s’intéresser quelques années plus tard

aux « progrès » socio-économiques du pays. De même, les adeptes de séjours balnéaires

« all inclusive » testent successivement ces formules dans les « pays tropicaux » où sont

implantés chaînes hôtelières et tour-opérateurs internationaux.

9 La catégorie « touristes semi-résidents » recouvre donc initialement des clients et

habitués (français et belges pour la plupart) des complexes balnéaires de la Petite Côte

et du Saloum, souhaitant s’organiser en dehors de ce contexte hôtelier jugé trop

contraignant. Nombre d’entre eux louent en effet, pour une durée minimale de trois

mois, des villas ou appartements appartenant à certaines chaînes hôtelières (résidences

de vacances) et autres entrepreneurs européens, ou encore mis à disposition via

Internet par des particuliers européens durant leur absence. Beaucoup profitent

également de très longs séjours dans leur résidence secondaire en bord de mer. Le

faible coût des investissements fonciers8 et les réseaux d’interconnaissance que tissent

les individus semi-résidents au cours de leurs séjours ont en effet accru le nombre de

propriétés privées dans certaines localités. Il existe ainsi des quartiers résidentiels

entièrement habités par des touristes semi- résidents européens, à proximité de

complexes hôteliers balnéaires (Saly, Nianing, et la Somone pour les principaux de la

Petite Côte, Palmarin, Ndangane et Toubacouta dans le Saloum). Ces localités

connaissent une spéculation foncière importante, car de nombreuses parcelles du

littoral de la Petite Côte et du Saloum ont été vendues pour favoriser ce type de

villégiature.

10 Ces touristes reviennent au Sénégal pour son littoral et ses loisirs, son climat, sa

tranquillité. Ils y associent également l’image d’une « population locale » sympathique,

accueillante et spontanée, grâce aux rapports conviviaux qu’ils ont entretenus avec des

professionnels du tourisme lors de leur(s) séjour(s) hôtelier(s). Ce tourisme de semi-

résidence amène par ailleurs de nombreux résidents locaux à se proposer comme

gardiens, employés domestiques, jardiniers, ouvriers, électriciens, ou toute autre

profession jugée utile auprès de leurs voisins européens9. Ces nouveaux emplois

permettent de pallier la faible rentabilité actuelle des principaux secteurs économiques

régionaux, l’agriculture et la pêche.

11 Le développement touristique de ces bourgades rurales semble pouvoir combler

idéalement les attentes de ses protagonistes. Or, les relations qui se nouent entre semi-

résidents européens et habitants locaux sont en grande majorité d’ordre conflictuel.

L’important différentiel socio-économique qui caractérise leurs niveaux de vie rend en

effet inévitables certains types d’antagonismes. Mais cette réalité ne suffit pas à

expliquer ces conflits qui reposent également sur la confrontation de stéréotypes qui

lui préexistent.

12 Nous avons par exemple noté que de nombreux touristes ayant participé à des

excursions « culturelles » (lors de séjours balnéaires) et des circuits itinérants

ponctuent le récit exalté de leur voyage avec une analyse critique et récurrente de faits

sociaux estimés handicapants pour le « progrès » du pays (Quashie 2009). L’ambivalence

de ces discours traduit le principe de « fascination répulsive » (Jewsiewicki 1991 : 27)

qui caractérise généralement l’ensemble des représentations européennes/occidentales

ayant pour objet « l’Afrique ». Ce principe apparaît de manière plus étayée encore dans

les discours des touristes semi-résidents, et participe par exemple à la stigmatisation de

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la religion islamique, ou du statut de la femme et de sa condition sociale (entendue par

bon nombre d’entre eux comme inégale à celle de l’homme et socialement exploitée).

Les représentations sociales négatives que cristallisent ces sujets de débats condamnent

l’existence de mœurs jugées à contre-courant de la mondialisation et de sa modernité.

La pratique de la polygamie soulève ainsi des questions très polémiques, symbole aux

yeux de ces touristes d’un mode de vie « non civilisé ». La démographie (favorisée en

partie par la polygamie) est également au centre de ces jugements critiques, qui

laissent entrevoir la « population sénégalaise » comme globalement responsable d’une

situation économique de sous-développement. Ces discours convoquent de vieux

clichés occidentaux (improductivité, paresse, tendance à la corruption, manque de

rigueur et d’anticipation), fréquemment ramenés au statut de qualités intrinsèques des

individus « africains », pour justifier une absence de progrès économique et social.

13 Ces représentations spécifiques rencontrent des imaginaires sociaux locaux dont elles

ignorent souvent l’existence. Les ressortissants d’origine occidentale présents au

Sénégal sont désignés par le terme « toubab » (« le Blanc »)10. La référence phénotypique

qu’il implique n’est localement jamais jugée péjorative, mais comme au sein de tant

d’autres sociétés, les individus sont systématiquement associés au milieu social dont ils

sont issus et peuvent être stigmatisés en conséquence. La dénomination générique

« toubab » est socialement très répandue. Également utilisée dans différents pays de la

sous-région ouest-africaine, elle recouvre une catégorie sociale qui n’est pas spécifique

au Sénégal (Doquet 2005). Une fois traduit, ce terme choque bon nombre d’individus

occidentaux, dont l’éthique et le sens aigu du « politiquement correct » n’inclut pas la

désignation de l’Autre par son apparence physique. Une grande majorité de semi-

résidents et résidents permanents refuse donc d’être interpellée ainsi, décelant dans le

mot « toubab » une connotation raciste. Cependant, cette analyse est simplificatrice, car

les étiquettes apposées aux individus non sénégalais se réfèrent à des imaginaires

sociaux qui transcendent la simple évocation de traits phénotypiques, ce qu’ignore la

plupart des (semi)-résidents européens. Ainsi, certains peuvent être interpellés par le

terme « toubab » en pleine rue (et s’en offusquer) en raison de leur tenue vestimentaire,

notée par ailleurs comme particulièrement récurrente auprès des touristes et expatriés

occidentaux (jupe transparente, chemise ouverte, short court, chaussures de plage). Il

s’agit d’un ensemble d’attitudes qui fait écho à leur méconnaissance des significations

et codes sociaux locaux qui y sont associés.

14 D’une manière générale, les stéréotypes suggérés par le terme « toubab » (qui ne sont

pas propres aux représentations élaborées par la société sénégalaise)11 renvoient aux

perceptions suivantes : l’individu occidental court toujours après le temps, ne croit pas

en Dieu, ne sait pas s’habiller avec élégance, est irrespectueux envers sa famille. Cet

idéal-type construit le portrait inverse de celui qui est attribué à l’individu africain, issu

d’un imaginaire social occidental réapproprié en partie localement12. Un autre

ensemble de représentations sociales complète cet idéal-type à partir de références

afro- centristes et postcoloniales inscrites dans un rapport social de type dominant/

dominé : l’individu occidental résume « l’Afrique » à la « brousse », possède des idées

très arrêtées, nie la valeur des savoirs qu’il ne maîtrise pas, et prétend détenir le

modèle du progrès et de la civilisation. Il est également pressenti comme

« naturellement » paternaliste, en raison de son besoin constant de changer l’Autre à

son image et de l’éduquer sans évaluer ni comprendre son contexte culturel et socio-

économique.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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15 Les individus occidentaux sont donc inscrits dans une catégorie sociale spécifique. Au

Sénégal, ils représentent d’une part les principaux acteurs du secteur touristique

(investisseurs, voyagistes et visiteurs), qui produisent une image du Sénégal pour

l’extérieur. D’autre part, une large part de leurs références linguistiques et sociales est

ancrée dans la société sénégalaise13. Celle-ci a bâti son statut sociopolitique, à la fois vis-

à-vis de l’Occident et du reste de la région ouest-africaine, grâce à une cohabitation

importante avec l’administration coloniale présente du XVe siècle jusque dans les

années 1960. Cette micro-société en effet ne s’est pas limitée à ses fonctions

administratives et militaires, mais a donné naissance à une importante communauté

métisse urbaine : les Quatre communes (Dakar, Gorée, Saint-Louis et Rufisque, dont les

résidents locaux avaient le statut de citoyens français ainsi que les privilèges afférents)

sont des milieux urbains qui ont longtemps entretenu de nombreuses représentations

et pratiques sociales relatives à l’individu occidental et à son mode de vie.

Regards croisés sur les voies du désenchantement

16 Le secteur touristique est un bon observatoire des attitudes et perceptions, adaptées ou

inspirées de stéréotypes sociaux généraux. Nous avons relevé quelques exemples de

situations récurrentes opposant invariablement semi- résidents européens et habitants

locaux, et qui mettent en péril l’établissement d’un lien social et d’une confiance

réciproque14.

17 Les conflits relatifs à des questions financières (escroqueries, vols, détournements) sont

très réguliers et mettent en lumière les caractéristiques d’un rapport social particulier.

Certains facteurs contribuent à les renforcer : localement, la nationalité européenne

des vacanciers apparaît en soi comme un signe extérieur de richesse, au même titre que

leur(s) villa, véhicule, type d’alimentation, mobilier et domestiques. Ces critères

apparents désignent les avantages d’un niveau de vie estimé très élevé (même si ces

touristes semi-résidents sont de simples retraités issus de la classe moyenne), par

simple comparaison avec le cadre de vie des habitants de ces zones rurales. De plus, les

touristes semi-résidents refusent toute pratique des langues locales qu’ils jugent

inutiles. Ils méconnaissent ainsi les subtilités qui leur permettraient de saisir davantage

les réalités sociales de leur environnement. Enfin, bon nombre d’entre eux avouent

accorder très facilement, et dès leur arrivée, une confiance presque aveugle à leurs

voisins sénégalais : ils leur semblent être d’une nature très prévenante et hospitalière

(« ils sont très souriants, paraissent parfois presque naïfs mais toujours prêts à rendre

service »). Ce contexte accentue alors la résonance des plaintes des semi- résidents au

sujet de tromperies diverses orchestrées par leurs voisins locaux. Or, elles reflètent

simplement la confrontation infinie de multiples représentations sociales, fournies et

entretenues par cet environnement socioéconomique particulier.

18 Les touristes semi-résidents se plaignent également des sollicitations financières

régulières dont ils font l’objet, c’est-à-dire des sommes bien précises que leur réclament

des habitants locaux pour régler une ordonnance (en général ancienne et expirée), une

urgence médicale pour un enfant malade, les dépenses d’une cérémonie familiale

(surtout des funérailles), etc. Grâce aux discours humanitaires des ONG, très nombreuses

dans le milieu rural sénégalais, ces sujets sont localement connus pour être « très

sensibles » auprès des individus occidentaux. L’idée selon laquelle acquérir un niveau

de vie proche des normes occidentales procure bien-être et épanouissement est

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

457

également relayée par les idéologies développementalistes. La plupart des habitants

locaux sont donc en attente de la compassion des touristes semi-résidents : le « toubab »

possède assurément les moyens de pourvoir à leurs besoins, il est même de son ressort

de le faire car il ne connaît pas le dénuement matériel mais un mode de vie raffiné. La

notion de richesse matérielle est aussi associée à celle du savoir. En milieu rural

notamment, le « toubab » » apparaît très instruit car il a l’habitude de tout observer

minutieusement et possède des moyens technologiques invraisemblables. Par

extension, ces représentations sociales font de lui « celui qui aide » : il donne ce que des

individus africains, même aisés, n’offriraient pas. Du point de vue des résidents locaux,

leurs sollicitations financières semblent logiques et justes, de surcroît en échange des

services et renseignements qu’ils fournissent aux touristes semi-résidents pour leur

installation. Bon nombre de ces derniers associent cependant la récurrence de ces

sollicitations à de la mendicité, et par extension à une caractéristique générale de la

« population sénégalaise ».

19 Cependant, leurs activités et comportements au sein de leur localité d’accueil n’offrent

pas toujours de limites très claires entre des actions qui relèveraient d’une « aide au

développement » et les autres. En effet, les touristes semi-résidents font souvent appel

à une conception misérabiliste du don et de la pauvreté, qui implique un engagement

personnel et nécessaire auprès de populations regardées comme victimes. Ils adoptent

une approche à caractère humanitaire lorsqu’ils se rendent par exemple dans des

concessions villageoises isolées de l’arrière-pays pour « soulager » ponctuellement les

habitants de leur pauvreté. Beaucoup de touristes semi-résidents restent attachés au

mythe du « paradis perdu », construit par les excursions touristiques des séjours

hôteliers, qui idéalisent le mode de vie dans ces concessions. La pauvreté et le

dénuement des habitants émeuvent facilement leurs visiteurs : la plupart des semi-

résidents cherchent donc à leur venir en aide par des dons de médicaments, de

vêtements, de fournitures scolaires, la construction de puits ou forages, de cases de

santé, etc. Mais l’application de cette éthique reste ambivalente : elle se rapproche

davantage du principe don/contre-don lorsqu’ils adhèrent ou créent des associations

caritatives dont la finalité repose sur une « intégration » et une socialisation dans leurs

localités d’accueil. Les touristes semi-résidents considèrent en effet leurs voisins

immédiats moins démunis et paradoxalement trop demandeurs : les activités tertiaires

développées grâce au tourisme dans ces bourgades rurales sont moins pénibles à leurs

yeux que l’agriculture, activité de « survie » principale des concessions villageoises. Ils

n’envisagent pas que les habitants de celles-ci puissent avoir des réactions semblables

et un recours à des sollicitations financières, s’ils habitaient à proximité. De plus, dans

ces concessions, les touristes semi-résidents ont affaire à des individus avec lesquels ils

peuvent très peu communiquer, au contraire des bourgades touristiques dont une plus

grande partie des habitants a été scolarisée et parle français. La distinction qu’ils

opèrent entre différents types de dons et de « populations locales » n’est pas évidente

pour leurs voisins locaux, qui leur attribuent donc souvent l’étiquette stigmatisante de

« portefeuilles ambulants ».

20 Ces incompréhensions réciproques accentuent les fantasmes et représentations de

« l’authenticité africaine » que possèdent les touristes semi- résidents. Ils effectuent

par conséquent une distinction très manichéenne entre les « bons » et les « mauvais »

Sénégalais : ceux qui sont très pauvres, c’est-à-dire les humbles, et ceux qui osent

réclamer de l’aide sans en avoir réellement besoin, c’est-à-dire les individus paresseux,

impolis et ingrats. Ils appliquent ce type de raisonnement lorsque par exemple,

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contrairement aux autres touristes, ils découvrent leurs dons de vieux vêtements en

vente dans les marchés hebdomadaires proches de leur localité, de même que les piles

de cahiers achetés (en surnombre) aux écoliers. Ces constats les scandalisent,

considérant que leur soutien matériel devrait être salué et constituer une source

constante de gratitude et de remerciements. Or, les normes locales ne reconnaissent

pas l’existence du don gratuit, sauf dans les sociétés dont sont issus les individus

« toubabs ». De plus, cette conception occidentale du don évoque une générosité louable,

mais également un défaut de lucidité notoire. L’individu occidental est en effet

couramment dépeint comme naïf, ce qui lui vaut un certain nombre de désagréments

lorsqu’il s’installe localement. Par extension, s’il conteste cette image de généreux

donateur, il devient celui qui ignore les notions de « communauté » et de « solidarité ».

Les touristes semi-résidents peuvent donc faire l’objet d’un ensemble de

représentations contradictoires et situationnelles, permettant de distinguer localement

les « bons » et les « mauvais » toubabs en fonction de leurs engagement et soutien

financiers vis-à-vis du développement des infrastructures, des fêtes et cérémonies

familiales, villageoises, au sein de leurs localités d’accueil. Les images et logiques

sociales locales convoquées dans les rapports sociaux établis avec des touristes semi-

résidents sont par ailleurs inspirées de l’imaginaire occidental lié au mode de vie

« africain » : elles reflètent des valeurs et idéologies issues de conceptions judéo-

chrétiennes et humanitaires. Or, le contexte local de « vie en communauté » implique

davantage une méfiance systématique de l’Autre, constitutive de tout rapport social :

on ne donne à autrui qu’un accès très limité à ce qu’il peut connaître de soi.

21 Nombre d’incompréhensions relatives à la notion de don se retrouvent également dans

les relations que les touristes semi-résidents entretiennent avec leurs domestiques. Le

recours à des logiques humanitaires face à des individus matériellement plus démunis,

entretient, auprès de ces derniers, complexe et sentiment d’infériorisation. Le

caractère paternaliste de cette conception éthique qui convoque, entretient et renforce

différents stéréotypes du « sous-développement » et des modes de vie qu’il engendre

altère en effet tout principe de confiance réciproque. Ainsi, lorsque des touristes semi-

résidents donnent à leurs domestiques un salaire supérieur à la moyenne locale, offrent

régulièrement des denrées, vêtements et médicaments pour leurs familles, ils ne

s’attendent pas à ce que leurs domestiques en demandent davantage ou tentent parfois

de les voler. Ignorant que donner sans obligation de retour n’existe pas localement et

ne peut spontanément engendrer des pratiques de reconnaissance et de valorisation

sociale, ces touristes semi- résidents ne se figurent pas non plus que ce qu’ils appellent

« solidarité à l’africaine » correspond en réalité à un tissu d’obligations et d’échanges

sociaux bien structuré. En outre, ils utilisent souvent ces relations avec leurs

domestiques comme porte d’entrée sur leur société d’accueil, à laquelle ils tentent de

s’adapter. En essayant de se lier d’amitié avec leurs domestiques ou en leur confiant

d’importantes responsabilités, les semi-résidents leur confèrent donc également un

pouvoir qui inverse celui du rapport classique de dépendance professionnelle et

salariale, et les exposent à des relations sociales dont les contours deviennent

rapidement ambigus.

22 Un imaginaire très exotique (Le Bihan 2007) associé à la femme et à l’homme africains

est également très présent dans les discours des touristes semi-résidents, et les unions

mixtes font également l’objet de tensions sociales. Plus une localité accueille de

touristes, plus ce phénomène attire des jeunes femmes (issues des environs ou de ces

mêmes localités) qui recherchent la compagnie d’hommes européens (situations que

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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l’on retrouve dans de nombreux pays touristiques du Sud). Elles sont souvent

localement considérées au même titre que des prostituées, bien qu’il soit rare de

rencontrer des familles qui refuseraient un « riche » gendre européen. Ces jeunes

femmes entendent devenir les épouses de ces touristes semi-résidents, qui sont, pour la

plupart, d’environ trente ans leurs aînés. Une partie d’entre eux seulement sont

officiellement célibataires, mais il est fréquent que les hommes mariés, attirés par la

jeunesse et l’image exotique de ces femmes, divorcent pour s’investir dans ces

relations. La majorité de ces unions mixtes se termine cependant par des ruptures et

des déceptions : on voit souvent ces jeunes femmes, alors accusées de trahison et de

duplicité, obtenir la propriété de la villa du couple et demander une séparation, ou

encore profiter de facilités administratives pour partir vivre en Europe. De nombreux

touristes semi-résidents de la localité de Ndangane ont ainsi vendu leur villa suite à des

désunions. D’autres, après avoir été déçus une première fois ou témoins des déboires de

leurs amis, vivent en concubinage ou ne se marient qu’à la mosquée, si leur épouse est

d’obédience musulmane, ce qui ne les engage pas sur le plan légal. Mais ce refus

d’adopter les représentations et les obligations sociales locales relatives au mariage ne

facilite pas non plus leurs relations avec le reste de leur communauté d’accueil.

23 La majorité des touristes semi-résidents investis dans des relations mixtes les

envisagent cependant d’une autre façon : les complexes hôteliers ont donné naissance à

un tourisme sexuel (y compris des réseaux de pédophilie), désormais très important

dans beaucoup de quartiers résidentiels européens. Des hommes seuls y louent pour ces

raisons une villa durant plusieurs mois : les quartiers de Saly Niakh-Niakhal ou de la

Somone en sont des exemples frappants. De plus en plus de femmes européennes

également, célibataires et d’âge mûr15, utilisent ce type de villégiature pour rencontrer

des jeunes hommes sénégalais dans le but d’agrémenter leur séjour, ou s’investissent

dans des unions plus durables aboutissant souvent à des déceptions et à l’expatriation

du jeune homme.

24 Les habitants locaux les plus âgés reconnaissent dans beaucoup de ces unions mixtes

des jeux d’intérêt orchestrés par la jeunesse de leur bourgade : ils craignent cependant

les risques qu’elles comportent (transmission du SIDA ou autres MST, abandon et

désengagement du partenaire européen, etc.) peuvant être très préjudiciables à ces

jeunes. Leurs aînés rejettent en outre les démonstrations publiques d’affection qu’elles

occasionnent, et qui illustreraient l’indécence souvent associée aux comportements

d’individus occidentaux, ou encore leur obsession pour une liberté individuelle et

« moderne ».

25 Un autre point de tension qualifie localement les attitudes de ces derniers comme

dénuées de pudeur. il arrive par exemple que des résidents locaux se reconnaissent

distinctivement sur des cartes postales et sur des blogs électroniques sur internet,

conçus à partir de photos prises par des touristes et des semi-résidents européens. Ils

savent également qu’un certain nombre d’entre elles sont parfois rachetées par des

journalistes, ou encore font l’objet de concours. La pratique de la photographie (surtout

dans le cas du portrait) est souvent localement perçue comme dénigrante, car ces

photos sont réalisées de manière impromptue, ou sans que le « photographe » n’en

demande la permission. La plupart des résidents locaux refusent en outre d’être

associés, par le biais de ces photos, à l’image d’un « pays sous- développé », éloigné de

toute modernité. Certains ont en effet voyagé en Europe ou ont régulièrement

fréquenté des Occidentaux : ils ont ainsi eu connaissance des questions générales que

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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ces derniers se posent quant aux activités et aux mœurs du « milieu rural africain ». Or,

les interprétations caricaturales qu’ils ont pu entendre à ce sujet méconnaissant les

réalités sociales dont elles parlent, contribuent à accentuer cette distance établie avec

les résidents et les touristes européens.

26 L’administration sénégalaise fait également l’objet de nombreux reproches de la part

des touristes semi-résidents. Ces critiques sont source d’amertume et soumises à une

importante généralisation contribuant à la construction de « caractéristiques typiques

de la population sénégalaise » (les représentants de l’État seraient à leurs yeux

représentatifs des « mentalités » des citoyens). Selon la majorité d’entre eux, l’accès à

leurs titres fonciers ou encore l’immatriculation locale de leurs véhicules sont des

parcours semés d’obstacles et de pots-de-vin. Leurs relations avec les forces de police

(surtout pour la circulation routière) reposent également sur des tensions récurrentes.

Par conséquent, beaucoup de touristes semi-résidents proposent facilement de l’argent

à leurs interlocuteurs dans le but de parvenir plus rapidement à leurs fins, et

s’enferment ainsi dans un cercle vicieux de corruption. Ils considèrent ces pratiques

comme courantes et quotidiennes au sein d’une « société africaine », pour laquelle,

selon eux, donner de l’argent à des fonctionnaires permet de contourner les lenteurs

institutionnelles et appartient aux « us et coutumes » locaux. La question stéréotypée

et très médiatisée de la « corruption en Afrique » constitue le support des

représentations de ces semi-résidents. Or, une minorité d’entre eux ne suit pas ce

raisonnement et obtient pourtant dans un délai raisonnable les documents demandés.

Il est en effet localement connu que lorsque le « toubab » veut démontrer la supériorité

de son savoir et la qualité de son éthique, jugeant par la même occasion ses

interlocuteurs incapables d’être à sa hauteur, il court le risque de se retrouver

financièrement spolié et abusé, en raison du caractère paternaliste de ses propres

représentations.

27 L’analyse des pratiques sociales et des discours de touristes semi- résidents permet de

saisir les invariants de représentations étant à la source de certaines tensions locales.

D’une manière générale, nombre d’entre eux estiment que la « population sénégalaise »

est composée d’individus de « nature » irrespectueuse, calculatrice, hypocrite,

mendiante, raciste et inconstante, porteuse d’une « mentalité » difficile à comprendre

et en partie immorale. Les constats des touristes semi-résidents s’appuient également

sur l’incapacité supposée de leurs interlocuteurs à s’investir dans des échanges

« intellectuels ». N’ayant eu souvent accès qu’à une faible scolarisation et appartenant à

des classes sociales économiquement faibles, les habitants sénégalais des localités

touristiques de la Petite Côte et du Saloum apparaissent à leurs voisins européens « peu

éveillés » et « superficiels », incapables de réflexion et de conceptualisation. Plus

globalement, la « population sénégalaise » ne présenterait, pour la plupart des semi-

résidents, aucun intérêt, curiosité ou envie d’échanger, et serait incapable de concevoir

les bienfaits d’un enrichissement culturel réciproque. L’idéal de cette quête de l’Autre

n’entre pas en adéquation avec la conception de la « rencontre » selon cet Autre, ni

avec le contexte social dans lequel elle s’établit. Certains touristes semi-résidents

tentent de ne pas généraliser ces jugements de valeur au sujet de leurs voisins locaux

en choisissant d’entretenir des relations avec des Sénégalais dakarois, appartenant à

des classes sociales plus aisées (avocats, médecins et enseignants). Mais guidée par des

perceptions trop stéréotypées de leur environnement social, la majorité d’entre eux

préfère fréquenter un réseau d’individus européens très dense, ce qui durcit certaines

de leurs représentations et construit une frontière imperméable face à leur société

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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d’accueil. Beaucoup justifient cette attitude communautariste en affirmant qu’elle

répond à un rejet de leurs « efforts d’intégration » de la part de leurs voisins locaux, et

que ceux-ci n’entretiendraient des rapports sociaux avec eux dans le seul but de

profiter de leurs ressources économiques plus élevées.

28 Or, en s’intéressant aux points de vue de ces derniers, il apparaît davantage que

conserver une certaine ségrégation sociale et spatiale avec ces touristes semi-résidents

permet de pallier un certain complexe social. La plupart des résidents locaux

comparent en effet leur mode de vie à celui de leurs voisins européens et craignent

souvent de les inviter chez eux : leur environnement ne leur semble ni assez propre ni

assez confortable pour ces hôtes. Une règle locale largement partagée suggère

également qu’un individu doit fréquenter des personnes appartenant à sa classe socio-

économique : se lier avec des résidents européens supposerait des conditions préalables

d’égalité sociale justement inexistantes. Par extension, ce contexte de cohabitation,

soulignant d’importantes disparités d’ordre matériel et de nombreuses confrontations

relationnelles, amène certains groupes de résidents locaux à croire que leurs voisins

européens sont convaincus de leur supériorité technologique et intellectuelle. Les

premiers avancent souvent ce type d’analyse en expliquant, par exemple, que de

nombreux semi-résidents ne retiennent pas les prénoms de leur voisinage dont les

sonorités leur sont trop « peu familières », ou encore refusent d’essayer d’apprendre la

langue de leur localité, ou à défaut le wolof. Les touristes semi-résidents leur signifient

en retour que seule la langue française est reconnue, de manière administrative et

juridique, officielle au Sénégal. Ils considèrent en outre sa maîtrise comme l’un des

meilleurs outils de développement local, dont ils suivent souvent de près

l’appropriation par les enfants de leur voisinage sans hésiter à réprimander leurs

parents. Ces attitudes confirment l’image locale et stéréotypée selon laquelle l’individu

occidental fait preuve de condescendance face à tout ce qui lui est inconnu, réduisant

notamment les émanations du continent africain à l’expression d’un « retard » constant

et d’un primitivisme, dont la seule valorisation apparaît dans les activités touristiques.

29 La naissance de relations durables et de confiance s’établit localement selon des règles

précises, dans la durée et la récurrence du contact avec l’Autre. Certains éléments,

comme la connaissance de son statut au sein de son environnement social propre et

quotidien, sont entre autres nécessaires, de même que l’établissement d’une distinction

entre le sentiment de compassion qu’inspire l’Autre et la volonté de faire sa

connaissance. Or, la frontière sociale établie entre semi-résidents et habitants locaux

entrave toute adéquation avec les manières d’être et de faire de l’Autre. Dans ce

contexte, la téranga16 sénégalaise ne possède plus qu’une valeur de politesse et, malgré

leurs longs séjours récurrents, les touristes semi-résidents demeurent, dans le regard

de leur localité d’accueil, des « individus de passage » avant tout intéressés par leurs

loisirs balnéaires. Le phénomène de semi-résidence favorise en outre un

environnement socio-économique alimentant et créant un certain nombre de

frustrations et de stigmates, apposés aux types-idéaux sociaux que ceux-ci convoquent.

Cependant, nos enquêtes, concernant notamment le tourisme interne, nous ont permis

de constater que le quotidien de ressortissants européens/occidentaux expatriés ou

résidents permanents au Sénégal (bien que moins dépendant d’un contexte de rapports

socio-économiques inégaux) est également le théâtre d’antagonismes semblables à ceux

précédemment évoqués.

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462

Mises en scène quotidiennes du principe de« fascination répulsive »

Production d'une magie touristique, sublimation de la désillusion

30 Malgré leurs doléances récurrentes, de nombreux touristes semi-résidents séjournent

dans les bourgades littorales de la Petite Côte et du Saloum, et affirment apprécier la

spontanéité de leurs habitants. Ces derniers par exemple les saluent chaque jour

nommément, ce qu’ils ne connaissent pas en Europe dans des quartiers urbains ou péri-

urbains. Ce simple contact suffit à évoquer la « chaleur humaine africaine » qu’ils

imaginaient avant leur installation et à maintenir un idéal de vie, tant que leurs

contacts avec cet Autre restent cependant limités.

31 Parmi les touristes semi-résidents, certains organisent ou reprennent à leur compte des

activités touristiques (gérance de campements ou de maisons d’hôtes, restaurants,

clubs de sports, etc.). Il s’agit le plus souvent de familles et de couples (mixtes parfois),

qui deviennent résidents permanents au Sénégal, et s’investissent dans un tourisme de

proximité balnéaire et culturel. Une partie de ces établissements regroupe des

commerces informels ou ne déclarant pas toujours le chiffre exact de leurs revenus,

notamment ceux tenus par des retraités percevant ainsi un complément intéressant de

leur pension européenne. La possibilité d’une reconversion professionnelle loin d’un

environnement social quotidien, l’expérience d’une « aventure » dans un cadre de vie

culturellement différent, l’ennui et le manque de divertissements des localités rurales

(ou encore le blanchiment d’argent) constituent les principales raisons d’être de ces

réceptifs de voyage. Leur promotion touristique s’appuie sur la diffusion d’images

balnéaires alternatives à celles du « tourisme de masse » et du béton des complexes

hôteliers. Elles mettent davantage en valeur le charme insolite d’un littoral « sauvage »,

inscrit dans des traditions culturelles « ethniques »17. Ce tourisme de proximité vend

donc un milieu rural enchanteur, exotisé par une pointe de mysticité.

32 La bourgade de Palmarin, par exemple, devient une destination très prisée : elle

comporte une dizaine de campements dont la simplicité attire de petits groupes de

touristes, amateurs de lieux peu fréquentés. L’un de ces campements, tenu par un

résident suisse, vend cette destination grâce à d’importantes références aux

« traditions sérères » (combats de lutte, divinations, libations aux esprits et ancêtres,

etc.). Cet établissement est composé de grandes cases (chambres de la clientèle), au

milieu d’un jardin luxuriant possédant un « arbre sacré ». Celui-ci a été « sacralisé » par

des habitants d’une localité voisine après la construction du campement pour le

« protéger », grâce à l’esprit de l’ancêtre sérère très connu dont il porte le nom. Les

habitants de Palmarin ignorent cette réalité et croient que cet arbre fait l’objet de

libations et de prières prises en charge par l’une des familles du village, à l’instar de

plusieurs autres « bois sacrés »18. Selon le propriétaire, son « arbre sacré » lui aurait

permis de deviner durant deux années consécutives l’arrivée de la pluie et les meilleurs

endroits pour les semences. Un certain nombre d’anecdotes semblables sont racontées

aux touristes et exposées sur le site Internet du campement. Celui-ci propose en outre

des prestations de lutte sérère (produit culturel intéressant en raison de l’ensemble des

« rituels » qui précèdent les affrontements sportifs), et des mises en scène de

« cérémonies sérères » (fiançailles, mariages, baptêmes, etc.). Ces dernières sont des

théâtres circonstanciés que quelques habitants de Palmarin reproduisent sous formes

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

463

de séquences revues et corrigées pour ne pas en révéler les « secrets ». Or, selon le

propriétaire du campement, les pratiques animistes sérères devraient être présentées

au grand public et dépasser les tabous les entourant, idée qui provoque un certain

nombre de polémiques avec des notables du village et ne favorise pas non plus

l’« intégration » locale de ce résident. La majorité des gérants hôteliers européens de

Palmarin pensent cependant que ces croyances sont entretenues par une population

superstitieuse éloignée des courants de la modernité. Leurs discours utilisent le

stéréotype selon lequel l’individu africain s’accomplit grâce à ses émotions et ses

intuitions, par opposition à l’individu occidental symbolisant la rationalité. Certains

reprennent souvent les mots de L. S. Senghor (1956) « L’émotion est nègre, comme la

raison est hellène », qui, dans une perspective afrocentriste de revalorisation, ont

finalement accentué certaines représentations occidentales exprimant l’infériorité de

l’individu africain. Un autre campement de Palmarin, tenu par un résident français,

possède des chambres adossées à des baobabs, projet a priori inimaginable pour la

communauté villageoise. Le baobab en « pays sérère » fait l’objet de sacrifices, par

conséquent de certains tabous, et servait anciennement de tombe aux griots. Ce

campement se situe en outre à proximité d’un « bois sacré » très respecté localement,

où les habitants ont souhaité faire des sacrifices avant l’installation de l’établissement.

Cette confrontation d’une activité touristique aux règles de la culture locale fournit des

anecdotes très utiles à la promotion du campement et alimente toutes sortes de

rumeurs qui attisent la curiosité de sa clientèle.

33 Les résidents européens gérants d’activités touristiques sont perçus dans leurs localités

respectives comme un soutien potentiel de la vie économique locale. Ils font aussi

l’objet de sollicitations financières, puisque leurs activités commerciales génèrent, aux

yeux de leurs communautés d’accueil, des devises conséquentes. La question de

l’emploi est aussi l’objet de tensions récurrentes. Bien que les postulants locaux n’aient

souvent pas le niveau ou l’expérience requis pour travailler dans ces établissements,

leur insistance soutient l’idée selon laquelle ces emplois sont une juste contrepartie de

l’installation de ces hôtels et campements dans leur environnement local. En outre, ces

derniers emploient de nombreux Sénégalais formés aux métiers de l’hôtellerie sur la

Petite Côte ou à Dakar, ainsi que des expatriés européens pour certains postes de

direction. Des emplois tels que jardinier, réceptionniste ou piroguier sont donc parfois

confiés à des habitants natifs de ces bourgades touristiques. Les relations que les

gérants hôteliers entretiennent avec ces employés ont également pour objectif de leur

permettre de mieux s’intégrer à leur environnement social local, selon le modèle

pourtant problématique des relations avec leurs domestiques. Les gérants hôteliers

n’apprennent en effet aucune des langues locales qu’ils jugent inutiles, ce qui ne facilite

ni l’entente ni le dialogue avec leurs communautés d’accueil.

34 Ils se voient en outre régulièrement reprocher l’introduction de problèmes de mœurs

(relations parfois pédophiles, abus d’alcool, etc.) au cœur de ces localités.

35 N’étant pas dans les meilleurs termes avec les habitants de ces dernières, ces gérants

d’établissements touristiques observent majoritairement une ségrégation relationnelle

et spatiale, ajoutant aux points soulevés ci-dessus des raisons identiques à celles

évoquées par les touristes semi-résidents. Ils sont en revanche très investis dans des

associations de développement ou d’appui financier et logistique, aide qu’ils

considèrent comme la compensation attendue de leur implantation commerciale et le

moyen d’atténuer les plaintes dont ils peuvent faire l’objet. Ils sont en outre très fiers

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

464

de pouvoir contribuer à « l’évolution » de leur village d’adoption pour lequel ils

souhaitent un progrès collectif. Leurs idées s’opposent cependant à celles de la majorité

des résidents locaux qui définissent davantage le « développement » comme le soutien

et la réussite d’activités et de projets individuels. Dans ce contexte social marqué par

des antagonismes conséquents, les clientèles touristiques de ces établissements

représentent souvent une « bouffée d’air frais » pour leurs gérants/propriétaires. Ces

activités commerciales limitent leur isolement social : ils reconnaissent partager avec

ces touristes des représentations, des valeurs, des sensibilités et des imaginaires

similaires dans leur expérience de résidence et de découverte du Sénégal. Leur clientèle

regroupe le plus souvent des professionnels expatriés d’origine européenne installés à

Dakar ou à Saint-Louis, désirant changer de décor, fuir le vacarme et la pollution

urbaine, et se détendre dans les régions du « vrai » Sénégal. Sont également intéressés

quelques touristes individuels qui préparent leur voyage via Internet, ainsi que la

clientèle des structures spécialisées dans le tourisme de découverte. Beaucoup d’entre

elles possèdent un « réceptif » ou leur siège installé dans la capitale et sollicitent

principalement leur réseau de connaissances européennes investies dans le tourisme

pour organiser leurs circuits et leurs excursions. Elles recherchent fréquemment des

établissements qui ne sont pas fréquentés par le « tourisme de masse » et qui adoptent

un style « local », « authentique » et original.

Tourisme et expatriation : mise en réseaux d'images exotiques,

pérennité d'une frontière sociale

36 La clientèle de ces « réceptifs », exclusivement européenne/occidentale, est aussi facile

à intéresser que celle du tourisme international, grâce à cette attraction combinée de la

ruralité africaine et des loisirs littoraux. La plupart des représentations au sujet de la

« société sénégalaise », dénotées dans les discours d’individus européens adeptes de ce

tourisme de proximité, présentent de nombreuses convergences avec les images et les

perceptions de visiteurs issus du tourisme international et de (semi-) résidents

européens. Pour ces individus expatriés au Sénégal19, vivre en ville renforce leur

idéalisation du « milieu rural africain » : ils considèrent ces populations (qu’ils

cataloguent pour partie comme animistes) plus intéressantes, « humaines », aimables

et accueillantes. Leurs escapades touristiques sont également un remède ponctuel

contre le stress de la grande ville, qu’ils caractérisent par l’anarchie de ses

infrastructures et par l’agressivité de ses habitants. Nombre de ces résidents européens

considèrent en effet que les modes de vie sénégalais urbains s’organisent selon un

« mauvais principe d’imitation de l’Occident » (manque d’esthétique des villes,

mauvaise influence de la « modernité » sur la « culture originelle », « interpénétration

dégénérescente des cultures », etc.). La fascination qu’exerce sur eux le monde rural

repose donc elle aussi sur les images et stéréotypes d’une « authenticité africaine »

préexistants à ce contexte touristique et qu’il entretient. Découvrir « les profondeurs »

du pays et la « vie des villages » représente pour certains une source d’indices utiles à

leur adaptation quotidienne en milieu urbain. Ils déclarent par exemple mieux

comprendre la « valeur locale » accordée au travail et trouver une explication à ce

qu’ils définissent comme une logique improductive du temps que leurs collègues

sénégalais privilégieraient en contexte professionnel. La « lenteur » du rythme de vie

villageois qu’ils constatent leur permet de déduire qu’il se reproduit simplement en

ville à l’identique, oubliant qu’une grande partie des professionnels qu’ils y côtoient

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

465

(notamment dans la capitale) ont rarement vécu en milieu rural. Les stéréotypes

concernant le manque de rigueur et la paresse intrinsèques des individus « africains »

sont ici aussi entretenus et renforcés par cette autre mise en tourisme de la ruralité

sénégalaise.

37 Dans leur quotidien, la grande majorité de ces expatriés européens n’apprend aucune

des langues nationales, considérant la communication en français plus facile et plus

avantageuse pour l’« avancée » du pays. Ainsi, le wolof, qui est la langue la plus utilisée

en ville, leur paraît un dialecte impossible à maîtriser mais surtout d’aucune utilité. La

pratique de la religion musulmane et l’inégalité des genres qu’elle instaurerait sont

également à leurs yeux synonymes d’entraves au développement. Ils se plaignent plus

généralement des nombreuses sollicitations financières dont ils font l’objet, ou encore

de la lenteur des institutions, de leur manque de démocratisation et de modernisation.

Enfin, beaucoup caractérisent les individus sénégalais par leur superficialité, leur

manque d’intégrité, leur laxisme, leur incapacité à agir par anticipation, leur manque

de curiosité et d’intérêt pour l’Autre, leur haute aptitude au racisme et à la corruption,

etc. Leurs discours dépeignent un ensemble de causes négatives et endogènes qui

entretiendrait l’état de sous-développement du pays sur les plans matériel et

socioculturel, plus évident encore, selon eux, au sein du quotidien urbain. Ces

représentations sociales, précédemment rencontrées auprès de touristes et de semi-

résidents, ne constituent donc pas une conséquence directe du développement du

secteur touristique au Sénégal, bien qu’elles l’aient totalement investi.

38 Les points de repères sociaux des expatriés européens apparaissent souvent très

stéréotypés. Ils attribuent eux aussi régulièrement ce fameux rôle de « guide local » à

leurs domestiques (avec les difficultés précédemment citées), et estiment plus

intéressante la fréquentation d’individus locaux appartenant à des classes sociales peu

aisées, qu’ils supposent plus représentatives des « vraies réalités de la vie africaine ».

Dans le cas contraire, les individus avec lesquels ces résidents européens se lient ont

souvent la particularité de savoir se détacher, par le biais de discours et attitudes

spécifiques, des réflexes locaux et normes sociales que leurs interlocuteurs occidentaux

jugent traditionalistes. De même, ces derniers choisissent souvent de fréquenter des

expatriés africains non sénégalais qui leur fournissent un autre type de regard

distancié sur cette société d’accueil. Les résidents européens semblent effectivement

plus à l’aise pour échanger avec des individus ayant du recul sur leur environnement

local, et qui paraissent, par conséquent, plus aptes à s’adapter à leurs analyses critiques

et à leur aparté social. Savoir manipuler les normes locales est un gage d’intelligence

aux yeux de bon nombre d’expatriés : ils regardent en effet les « sociétés africaines »

comme particulièrement contraignantes vis-à-vis de la liberté et de l’épanouissement

individuels. Ces attitudes ne leur permettent pas cependant de maîtriser les subtilités

des codes qui régissent leur quotidien local, mais ils partagent, confrontent et

confortent leurs images de la société sénégalaise au sein de larges réseaux de

ressortissants occidentaux. Ils adoptent alors, les uns vis-à-vis des autres, un jeu de

concurrence, cherchant à se distinguer comme de fins analystes des rouages de leur

société d’accueil, et se perçoivent par conséquent beaucoup plus ouverts et habiles que

leurs compatriotes issus du tourisme international.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

466

Postcolonialité et discours de « l'entre-soi », miroirs d'un

phénomène local d'attraction-répulsion sociale

39 L’ensemble de nos analyses démontre la récurrence d’un antagonisme latent entre

ressortissants européens/occidentaux et résidents locaux. Certains contextes politique,

historique et économique ont posé des cadres qui permettent d’appréhender

aujourd’hui les relations que ces catégories d’individus entretiennent. La première

continue d’appartenir à la classe aisée de la société sénégalaise : touristes semi-

résidents et expatriés possèdent des revenus beaucoup plus importants que la moyenne

locale, occupent des postes de direction dans nombre d’entreprises locales et

multinationales, enfin beaucoup bénéficient des avantages économiques du statut

d’expatrié. Ce principe de migration du Nord vers le Sud, ainsi que l’économie de loisirs

qu’il entraîne, permet l’acquisition d’une qualité de vie très recherchée, favorise

certaines frustrations sociales mais aussi de nombreuses critiques ouvertes du « sous-

développement ». Dans ce contexte, ces critiques représentent le point le plus sensible

qui entrave les rapports entre résidents européens et locaux. Les analyses des premiers

génèrent localement, en milieux rural et urbain, un principe de repli et de protection

identitaire, ainsi que des discours faisant preuve d’une hostilité souvent d’ordre

politique, marqués par des références postcoloniales et afrocentristes. L’individu

occidental redevient alors « l’ancien colon » : ses propos sont jugés condescendants et

on attend davantage de lui qu’il se repente. Sa critique est estimée facile dans un

rapport dominant/dominé où il détient la meilleure place : l’utilisation moralisatrice

du souvenir de la colonisation est récurrente face à des individus considérés comme

non investis dans les réalités sociales locales. Leurs leçons et définitions de ce que

devrait être le progrès économique, politique, social et culturel du pays sont par

conséquent fortement rejetées.

40 Pourtant, au-delà de ces considérations identitaires, le marqueur de distinction sociale

cristallisé par le terme « toubab » est initialement le produit d’un préjugé favorable.

Dans les milieux professionnels par exemple, il évoque avant tout l’image d’un expert,

nécessairement plus compétent qu’un individu local qui possède une fonction et une

formation identiques. Les niveaux socio-économique et technologique modernes

associés au mode de vie de l’individu occidental lui confèrent cette valorisation

implicite. La période de la colonisation, les modes de loisirs touristiques, ainsi que le

recours à l’expertise européenne au sein d’entreprises et d’instituts locaux, ont

fortement accentué l’ambivalence des représentations sociales associées à l’individu

occidental. Celui-ci mobilise également des références fortes en termes d’ascension

sociale, de chance et d’épanouissement personnel. Ces images admiratives ont produit

l’idéal-type du « toubab » » au sein de la société sénégalaise20. Dans ce contexte, l’emploi

du mot « toubab » » suggère souvent une critique dévalorisante de la part du locuteur, le

reproche d’avoir renié des valeurs et comportements « africains » adaptés à un

environnement local spécifique. Mais il évoque tout autant un sentiment d’envie et

d’admiration de manières d’être et de vivre « plus modernes ». Cet idéal-type est

généralement associé à des individus locaux imitant ou se rapprochant des

comportements associés à l'individu occidental : ils parlent davantage français que

wolof (ou toute autre langue locale), « gomment » leur « accent africain », refusent de

manger du riz quotidiennement au profit de plats cuisinés européens, inscrivent leurs

enfants dans des écoles privées qui suivent le programme d’enseignement français,

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

467

mangent à table et plus rarement « au bol » ou à la main, portent souvent des tenues

vestimentaires occidentales, font preuve de retenue extrême dans leurs rapports avec

autrui, ou encore vivent en famille au sens le plus restreint du terme. Être un « toubab »

lorsque l’on est sénégalais s’applique donc à un ensemble de situations très diversifiées

de la vie courante, et notamment celles qui ont trait aux activités de loisirs. En effet,

bien que rarement prise en compte dans les statistiques, une certaine frange de la

population urbaine locale21 (à laquelle on peut rattacher des individus expatriés

d’origine africaine) participe aux mobilités du tourisme interne. Ces vacanciers locaux

ont une idée précise de ce que leurs homologues occidentaux viennent chercher au

Sénégal (du « brut », de « l’exotique » et du « folklore »), mais leurs pratiques

impliquent essentiellement des déplacements pour des visites familiales, et, en

proportion croissante, la location de villas dans des résidences de vacances ou celles de

particuliers sur la Petite Côte et à Saint-Louis, durant de longs week-ends et au cours de

l’hivernage. Ces pratiques touristiques contribuent donc à l’entretien d’un processus de

distinction sociale fondé sur les représentations locales du mode de vie occidental.

Celui-ci produit également des discours « auto-critiques » que l’on retrouve

fréquemment dans des conversations quotidiennes, notamment au sujet du manque

constant d’entretien des infrastructures, de l’insalubrité généralisée, de l’indiscipline,

l’assistanat et la passivité récurrents d’une « mentalité sénégalaise » essentiellement

attachée à des relations d’intérêts, etc. Ces discours mettent en avant différents points

compris localement comme des handicaps au fameux « progrès » socio-économique du

pays, pour certains identiques dans leur constat et leur analyse à ceux produits par des

touristes et expatriés occidentaux. Ils appartiennent cependant à des discours de

« l’entre-soi » et sont rarement prononcés devant ces derniers, car ils reflètent les

fondements de profonds enjeux identitaires et politiques.

41 Le principal reproche formulé à l’encontre des ressortissants occidentaux concerne

donc leur manque d’adaptation aux modes de vie locaux, y compris en contexte

touristique. On attend d’eux qu’ils apprennent à observer et à comprendre la façon

dont la société sénégalaise fonctionne et la manière dont ses protagonistes

interagissent les uns avec les autres. De nombreuses caractéristiques du portrait local

de l’individu occidental se réfèrent en effet à ses difficultés à accepter l’Autre au-delà

de la valeur exotique et primitive qu’il lui confère, raison principale pour laquelle il fait

l’objet de stéréotypes bien ancrés. La définition suivante, recueillie lors d’un entretien,

résume assez bien l’ensemble des représentations sociales locales construites à son

égard : « Le toubab est celui qui vient vers moi mais qui ne sait pas qui je suis. Il n’essaie

pas de le savoir et ni de se mettre à ma place car pour lui nous sommes trop

différents. » Cependant, lorsqu’un touriste semi-résident ou un expatrié européen

parvient à recadrer ses perceptions de « l’Afrique » et adopte certaines règles locales

fondamentales (l’art de la plaisanterie est en ce sens très utile, notamment s’il utilise à

bon escient quelques termes linguistiques locaux), il obtient la reconnaissance d’un

statut social valorisant. On lui octroie par exemple des responsabilités au sein de sa

localité ou de son quartier, pour lesquels il est un intermédiaire et un confident des

plus précieux contribuant à résoudre des litiges importants (problèmes d’héritage, de

mariage, de grossesse illégitime, etc). Cependant, la plupart des ressortissants

occidentaux possédant cette volonté de s’adapter imitent fréquemment les codes

sociaux locaux sans réellement les comprendre. L’une de leurs particularités est de ne

pas savoir se situer dans la société sénégalaise : ils fréquentent souvent, par exemple,

des individus étiquetés localement comme marginaux mais qu’ils n’identifient pas

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nécessairement comme tels (dissidents mourides Baye Fall, ou individus en conflit et en

rupture avec leurs familles), pensant au contraire faire preuve « d’intégration » sociale.

Ils méconnaissent en réalité l’importante référence locale qu’ils personnifient.

Identifiés comme appartenant à une communauté socioculturelle « étrangère », les

modes de vie et les imaginaires sociaux occidentaux sont pourtant bien étiquetés et

localement décryptés, notamment grâce à l’histoire de la colonisation, aux phénomènes

d’immigration et aux médias. L’individu occidental appartient davantage à cette société

sénégalaise qu’il en est un élément exogène : il y occupe de fait une place

incontournable, mais il n’en a généralement pas conscience, souvent convaincu d’être

affublé de clichés péjoratifs à l’instar de tout étranger dans une société d’accueil. Ceci

résulte en partie de l’ambivalence des représentations locales qui caractérisent la

figure sociale de l’Autre occidental. Sa définition est à la fois issue d’une valorisation

postcolonialiste de la « culture africaine » qui la discrédite et d’une réappropriation de

ses références sociales et identitaires. Elle met ainsi en scène les schèmes spécifiques

d’une « fascination répulsive » locale, produit d’une confrontation directe avec celle qui

gouverne les imaginaires sociaux occidentaux. L’ambiguïté de ce rapport social, peu

analysée dans les deux sens de l’interaction, se révélant particulièrement saillante dans

le cadre du tourisme de longs séjours et de l’expatriation, n’est-elle pas également

constitutive de tout contexte d’interlocution entre le continent africain et l’Occident ?

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24.

NOTES

1. Nous parlerons dans cet article de contextes de rencontres touristiques qui n’entrent pas

directement en adéquation avec les définitions classiques du « tourisme culturel », souvent

présenté comme une catégorie spécifique de pratiques émergentes (tourisme éthique,

respectueux, équitable, solidaire, etc.). En effet, selon A. DOQUET et S. LE MENESTREL (2006 : 4),

« malgré ses contours imprécis, [le tourisme culturel] revêt [tout simplement] un sens dès lors

qu’il est utilisé par les différents protagonistes du monde qu’il désigne [...] ». Nous décrirons donc

des pratiques touristiques qui répondent davantage à une volonté des acteurs qu’elles

concernent de les qualifier de « culturelles » (rencontre et cohabitation avec l’Autre, découverte

et dépaysement touristique en milieu rural, etc.).

2. Notre travail de thèse repose sur des enquêtes qualitatives réalisées au cours de quatre séjours

longs de 5 à 11 mois au Sénégal (2005-2008).

3. Les plages facilement aménageables de cette partie du littoral et la faiblesse de ses courants

marins en font une région touristique privilégiée, par opposition à la Grande Côte plus

dangereuse (Dakar-Saint-Louis). La station de Saly, aménagée par l’État sénégalais sur la Petite

Côte, a été ouverte en 1981.

4. Les plus récentes marquent particulièrement les imaginaires sociaux actuels. Voir par exemple

les expositions du Musée du quai Branly qui ne font état que de deux ou trois éléments

« culturels » appartenant à une « ethnie sénégalaise ».

5. L’Organisation mondiale du tourisme et la Commission statistique de l’Organisation des

Nations-Unies ont défini en 2000 le phénomène touristique par « les activités déployées par les

personnes au cours de leurs voyages et de leurs séjours dans les lieux situés en dehors de leur

environnement habituel pour une période consécutive qui ne dépasse pas une année, à des fins

de loisirs, pour affaires et autres motifs non liés à l’exercice d’une activité rémunérée dans le lieu

visité ». Ainsi, les individus européens dont il est question dans le texte appartiennent à la

catégorie générale des « touristes ». La plupart sont en couple (tranche d’âge 45-75 ans) et issus

de catégories socio-professionnelles très hétérogènes : ils résident au Sénégal entre trois et neuf

mois consécutifs car ils ne sont plus en activité ou seulement partiellement.

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470

6. Le concept de représentation sociale fait référence à des réserves de savoirs pratiques, de

traditions et d’idéologies qui construisent des opinions, images, attitudes, préjugés, stéréotypes,

et croyances. Ils constituent un assemblage de références activées selon les finalités et les

intérêts des acteurs sociaux qui s’en servent (SECA 2001). Les représentations sociales sont en

outre des entités élaborées dans des rapports entre groupes sociaux, attachées à des positions ou

à des statuts inscrits dans une logique de jugements et d’actions. Par conséquent, l’objet d’une

représentation sociale renvoie à un enjeu, source de divergences, d’influence et de

questionnements. Son étude permet de discerner des dynamiques sociales, évoluant autour de

principes d’opposition et d’influences d’acteurs ou d’institutions, antagonistes ou dominants

dans la définition de la réalité sociale concernée.

7. Les recensements statistiques du ministère du Tourisme sénégalais s’appuient sur les fiches de

débarquement et d’embarquement que chaque individu doit remplir à son arrivée ou sortie du

territoire. Elles ne sont pas exclusivement destinées aux touristes, et ne sont pas non plus

dépouillées et analysées régulièrement. Nous nous sommes donc appuyé sur les chiffres fournis

lors de réunions et entretiens non directifs effectués avec des responsables du ministère,

notamment auprès de sa Direction des études et de la planification. Le chiffre avancé dans le

texte a en outre été corroboré par les estimations des voyagistes avec lesquels nous avons

travaillé.

8. Les résidences de particuliers sont également exemptées d’impôts, leurs travaux sont peu

coûteux, et leur agencement et usage dépendent du goût de leur propriétaire, faute de

réglementation (absence de taxes pour les piscines ou d’interdiction de mise en location

touristique).

9. Tous les touristes semi-résidents ont au moins une employée femme de ménage, cuisinière et

lingère, ainsi qu’un gardien ou un aide-jardinier.

10. La nationalité et l’origine françaises de l’enquêtrice, son statut de semi-résidente à Dakar

depuis 2003 dans le cadre de stages et travaux universitaires (master- doctorat) et son

appartenance à une famille franco-sénégalaise d’origine béninoise/ togolaise, nous ont très

souvent confrontée aux stéréotypes locaux concernant les ressortissants occidentaux et permis

d’élargir nos champs d’investigation. Nos analyses s’appuient également sur des données issues

de cinq entretiens non directifs, ainsi que d’entretiens informels auprès d’individus de

nationalité sénégalaise en milieux rural et urbain, et d’individus expatriés d’origine africaine à

Dakar.

11. Les représentations sociales généralisantes des guides maliens à l’égard de leurs clients

occidentaux que présente Anne DOQUET (2005 : 247-249) se retrouvent dans les entretiens que

nous avons menés avec une population d’enquêtés plus élargie.

12. Selon les stéréotypes de cet imaginaire social, l’individu africain, par opposition à son double

occidental, serait lent, peu rigoureux, mystique, superstitieux, attaché au paraître, festif,

toujours souriant, et dépendant de ses relations sociales.

13. Nous avons réalisé à Dakar 45 entretiens non directifs auprès d’individus de nationalité

sénégalaise (25-60 ans), issus des milieux professionnels de l’enseignement, l’informatique, des

ressources humaines, du bâtiment, de la fonction publique, du marketing et du commerce.

14. Nous avons réalisé différentes enquêtes dans les localités de Saly, Somone, Nianing, Warang,

Mbour, Palmarin, Fadiouth, Ndangane et Toubacouta, où nous avons effectué des entretiens

informels, de l’observation directe, ainsi que 46 entretiens non directifs et semi-directifs auprès

de touristes semi-résidents et habitants locaux (pêcheurs, commerçants, prêtres, chefs de

quartiers, guides, jeunes, mères de famille, chefs de villages).

15. Voir également l’article de C. SALOMON (dans ce numéro).

16. Le terme wolof « téranga » se traduit par accueil et/ou hospitalité. Érigé en valeur sociale

nationale, il est également devenu l’un des éléments-clés des slogans publicitaires touristiques :

« Le Sénégal, Porte de l’Afrique » y est souvent désigné comme le « Pays de la téranga ».

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17. Les localités touristiques de la Petite Côte et du Saloum sont situées dans ce qui est présenté

comme le « pays sérère », dont les populations, à dominance catholique, sont réputées, entre

autres, avoir recours à des pratiques religieuses rituelles dites « animistes ».

18. Les prières et les libations effectuées dans le secret auprès des bois sacrés sont à la charge

d’un représentant local issu d’une lignée maternelle précise, dont les habitants du village n’ont

pas forcément connaissance.

19. Nos séjours réguliers au Sénégal depuis 2003 nous ont permis d’analyser certaines situations

et représentations sociales concernant des résidents européens expatriés. Ceux-ci vivent

généralement au Sénégal entre trois et vingt ans consécutifs. Nous avons complété des notes

d’observation directe et entretiens informels par 37 entretiens non directifs réalisés à Dakar

auprès d’individus européens qui participent à ce type de tourisme : stagiaires et étudiants (25-30

ans), agents de développement en activité et à la retraite (30-65 ans), enseignants (35-50 ans),

médecins (45-70 ans) et cadres de multinationales (30-45 ans).

20. Ici encore, ce phénomène n’est pas propre au Sénégal. Nos entretiens avec des individus

expatriés d’origine africaine nous ont permis de connaître l’existence d’une telle catégorisation

sociale dans d’autres pays de la sous-région ouest- africaine.

21. Il s’agit surtout d’individus appartenant à la tranche d’âge 30-50 ans et souvent issus des

secteurs d’activité suivants : enseignement privé, santé, fonction publique (cadres), ressources

humaines, marketing, professions libérales.

RÉSUMÉS

Les contextes de semi-résidence touristique et d'expatriation au Sénégal favorisent l'étude

d'interactions quotidiennes entre des groupes sociaux minoritaires de ressortissants européens/

occidentaux et leurs voisins locaux. Cette cohabitation avec l'Autre semble renforcer

l'élaboration de frontières et stéréotypes, assez proches dans leurs fondements de ceux que l'on

retrouve dans des contextes touristiques plus classiques. L'analyse des rapports sociaux que cette

« rencontre culturelle » instaure et de son environnement sociopolitique et identitaire révèle

l'existence de regards et représentations croisés particulièrement conflictuels et ambigus.

Frames of semi-residential tourism and expatriation in Senegal set daily interactions between

social minorities of Westerners and their national neighbours. This living together seems to

maintain and strengthen social boundaries and stereotypes, which are grounded as those of more

classic tourist contexts. Analysing the social interactions this specific cultural encounter stages

within its historical and political environment highlights very ambiguous and conflicting

positions.

INDEX

Mots-clés : Sénégal, altérité, expatriation, tourisme balnéaire, tourisme culturel, tourisme de

semi-résidence, stigmatisation sociale

Keywords : Senegal, alterity, expatriation, seaside tourism, cultural tourism, semi-residential

tourism, social stigmates

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AUTEUR

HÉLÈNE QUASHIE

Centre d’études africaines, EHESS, Paris.

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Tourisme d’oasis Les miragesnaturels et culturels d’unerencontre ?Tourism in Oasis, Natural and Cultural Mirages of an Encounter?

Vincent Battesti

« Les Oasis ! le Sud ! Le Désert !

Mots magiques, mots prestigieux, évocateurs de

pays mystérieux que l’imagination nimbe de

beautés sublimes et enchanteresses.

Il n’est pas un de nous que ces mots n’aient fait

rêver, qui n’ait ressenti, à leur appel, un choc ou

un éblouissement » (Lehuraux 1934).

Les oasis de Siwa (Égypte) et du Jérid (Tunisie),terrains d'une rencontre culturelle ?

1 Aborder la question du tourisme dans les oasis sahariennes, ce n’est pas traiter de

l’envahissement de populations isolées par des hordes de touristes troublant leur

pureté originelle. D’une part, les effectifs de ce tourisme oasien sont relativement

faibles et sans commune mesure avec la fréquentation (plus habituelle) des stations

balnéaires de ces mêmes pays et, d’autre part, il faut retenir de l’évidente insularité des

oasis l’idée qu’elles sont des relais et des carrefours dans le désert1, donc des points de

rencontre2.

2 Une définition des oasis est de les donner comme l’association d’une agglomération

humaine et d’une zone cultivée (souvent une palmeraie) en milieu désertique. Sa

palmeraie est un espace irrigué fortement anthropisé qui supporte une agriculture

classiquement intensive et en polyculture. Les oasis cumulent une biodiversité élevée et

d’intenses pressions sur leurs ressources naturelles. Le Sahara connaît actuellement un

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essor rapide du tourisme, « encore mal contrôlé et peu encadré » diront certains (PNUE

2006).

3 Du point de vue de la méthode, j’aborde la question du tourisme en oasis par

l’anthropologie sociale. Il est un risque, propre et bien connu de l’ethnologie du

tourisme, d’immiscer un jugement moral dans l’étude scientifique de ces pratiques

(Nash 1996), ce qu’on essaiera d’éviter ici. Le dénigrement qu’il introduit est une

manière de clamer « les touristes, ce sont les autres ! » et cela... de concert avec les

touristes. La place de l’ethnologue est ambiguë dans l’écriture comme sur le terrain, car

sa présence même en oasis vient certifier pour de nombreux touristes qu’ils sont bien

sur le terrain « éloigné » digne d’une quête d’authenticité (Mitchell 1995). Une autre

difficulté de cette étude est que je n’y décline pas les pratiques touristiques en fonction

des identités de mes acteurs (origines sociales par exemple) : je m’en tiendrai à la

description d’un registre de pratiques (forcément idéal typique).

4 Ce texte s’articule sur deux terrains oasiens : l’un en Tunisie dans la région arabophone

du Jérid et l’autre en Égypte, dans l’oasis berbérophone de Siwa. Le Jérid, au sud-ouest

de la Tunisie, est l’une des deux grandes régions de palmeraies du pays avec le Nefzawa

(situé plus à l’est). Les deux principales agglomérations du Jérid, Tozeur et Nefta,

possèdent une palmeraie attachée à leur centre urbain formant de grands périmètres

irrigués (presque un millier d’hectares de palmeraies chacune) d’une agriculture qui fit

leur renommée. Outre leur importance passée comme centres religieux et intellectuels,

le commerce a sans doute été leur grande raison d’être du temps des routes

transsahariennes. Elles tentent aujourd’hui une percée touristique aux résultats encore

mitigés (plus réussie à Tozeur3) : les plans nationaux de développement ont rendu

prioritaire le « tourisme saharien », les villes côtières atteignant la saturation.

5 La situation est différente à Siwa, région égyptienne beaucoup plus ramassée et d’accès

plus difficile. Administrativement, l’oasis dépend du gouvernorat de Marsa Matrouh,

ville la plus proche à 300 km de là sur la côte méditerranéenne. Siwa est moins intégrée

au tissu national que le Jérid, cela à tout point de vue (administratif, politique,

économique, culturel ou linguistique). Siwa peut être perçue comme un endroit

éloigné, relégué (elle fut longtemps un lieu d’exil politique pour les Égyptiens et les

fonctionnaires en poste à Siwa éprouvent toujours cette impression d’exil), la région est

en revanche estimée par ses habitants, indéniablement, comme une centralité vraie,

presque um ed-dûnya4 : des dizaines de touristes américains, français, italiens, japonais,

coréens, belges... n’y viennent-ils d’ailleurs pas ?

6 Carrefours, les oasis d’Afrique du Nord ne virent cesser le commerce transsaharien

qu’avec les conquêtes militaires coloniales — responsables de ce déclin pour J. Bisson

(1995 : 18-19)5 — ; les premiers touristes sahariens succédèrent immédiatement aux

troupes armées. Tourisme d’aventure, naturaliste, puis culturel aujourd’hui.

L’inclination contemporaine en oasis est au tourisme « culturel » : il devient un idéal à

atteindre (et difficile à définir), même s’il pourrait paraître minoritaire en le chiffrant.

Est-il pertinent d’ailleurs de le chiffrer ? Il n’y a pas des « touristes culturels » et

d’autres qui ne le seraient point, mais une propension chez les uns et les autres à plus

ou moins pratiquer certains aspects de ce nouvel éthos6 et c’est aussi affaire toute

« bourdieusienne » de distinction sociale (Bourdieu 1979). Une proposition de cet

article est de prendre acte de ce tourisme7, sans penser son avènement comme une

révolution éclipsant ses formes antérieures. Les ressources naturelles et paysagères —

envisagées également dans leur acception matérielle — ne suffisent-elles plus à

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contenter seules le tourisme contemporain ? Les qualités culturelles attribuées à la

population d’un territoire seront une possible nouvelle quête, une possible nouvelle

ressource.

7 Avec les années 1990, le tourisme culturel s’est en effet affermi et a pris de l’ampleur.

La « station hypermoderne invitant au dépaysement total par une atmosphère

architecturale et récréative stéréotypée, dans laquelle la touche autochtone n’apparaît

plus qu’artificiellement, est peu appréciée » par une part croissante de la clientèle

curieuse de connaissances et avide d’insolite (Wackermann 1999). Le lieu doit offrir une

palette d’attractions socioculturelles et témoigner d’une véritable identité culturelle.

L’exigence de pittoresque se porte aujourd’hui sur la dimension humaine : rencontrer

des « locaux ». Ce peut être pensé certes comme une nouvelle étape de l’histoire de

l’économie touristique, ses acteurs ne réforment cependant pas leurs pratiques. Cela

suggère finalement plus une variation des pratiques qu’une nouvelle ère du tourisme.

Le « tourisme culturel » n’offre que l’opportunité de nouvelles pratiques touristiques :

la palette de possibilités, de ressources va (aujourd’hui) en s’élargissant. En travaillant

sur divers types de relations à l’environnement dans les oasis du Jérid, j’avais déjà

constaté que nous n’avions pas un modèle de pratiques qui effaçait définitivement le

précédent : non seulement ces modèles coexistent, mais les acteurs ne sont pas

cantonnés à l’un ou l’autre. Diverses « ressources socioécologiques »8, qui combinent

ressources d’idées et ressources naturelles (Battesti 2004, 2005), sont mobilisées de

façon préférentielle par une catégorie d’acteurs (dont déjà celle des touristes). Cette

mobilisation des ressources est toujours fonction des situations rencontrées par ces

acteurs et de leurs compétences (au sens de Berry-Chikhaoui & Deboulet 2000) à les

mobiliser. Cette approche est possible pour la question du tourisme en oasis et aiderait

à comprendre la coexistence d’une variété de pratiques parmi les acteurs du tourisme

et la variété des pratiques d’un acteur donné.

Les pratiques touristiques aujourd'hui en oasis

8 L’accès aux oasis demande un détour par le désert dont la fréquentation n’est jamais

innocente pour un touriste occidental ; on connaît les valeurs associées habituellement

au désert : vide, transcendance, ascétisme, références bibliques... Une forme précoce de

tourisme saharien9 s’est tournée vers le défi que représentaient à ses yeux les grands

horizons désertiques10. Les oasis ne sont alors que des relais de verdure, des îles ou des

ports dans l’océan minéral (et les dromadaires, les vaisseaux d’une mer de sable)11 :

l’imagerie maritime est classique. La fréquentation des oasis par les touristes n’est

cependant pas anecdotique12 bien que le statut de ces espaces soit plus ambigu : à la fois

image dans la littérature ou la peinture occidentales du farniente oriental et fruit du

labeur de générations d’êtres humains. Le paysage oasien est une ressource esthétique

mille fois exploitée depuis les temps coloniaux (cartes postales, couvertures de romans,

catalogues d’expositions coloniales, bandes dessinées, films) sous la forme épurée d’un

paysage archétypé et évanescent. Le paysage oasien, comme objet du désir touristique,

a donc une histoire créée également ex situ.

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Carte postale « Dans la palmeraie » (1937)

Source : Dans la palmeraie, Gabès Tunisie, Éditeur Ch. Berenger, 1937 (coll. de l’auteur).

9 Le tourisme oasien n’a pas tardé à s’intéresser, au-delà du pittoresque que la nature lui

offrait, à la ressource culturelle des oasis, en particulier depuis l’engouement

orientaliste. Les paysages oasiens sont alors non seulement le support d’une

appréciation esthétique particulière (la contemplation), mais le mode de vie lui-même

des habitants est appréhendé comme composante du cadre exotique et digne

d’observation — ce qui est très bien rendu par les cartes postales coloniales aux titres

génériques de « scène de vie » ou « scène pittoresque ». Il est cependant certain que

tous les commentaires des voyageurs dès la fin du XIXe siècle (Said 1997) s’expriment

depuis un point de vue singulier : l’idée d’être éloigné des populations observées d’une

distance telle qu’un contact ou une communication avec les indigènes ne représente

guère d’intérêt. Le tourisme s’inscrit alors éminemment dans ces dualismes

observateur/observé, dominant/dominé. Les « zoos humains » (Blancel et al. 2002) de la

fin du XIXe et du début du XXe siècle nous incitent à croire que son ressort ne réside pas

que dans la distance géographique parcourue par l’un et le localisme de l’autre13.

L’attention se porte sur la culture locale, mais comme faisant partie intégrante,

« naturelle », du paysage. Ceci est parfaitement cohérent avec la doxa occidentale, selon

laquelle la modernité (dont le touriste se sent débiteur) tire l’Homme hors de

l’« emprise » de la nature pour l’engager à son « contrôle »... laissant les prémodernes

dans la nature. C’est la qualité accordée à cet état naturel qui varie entre deux pôles,

selon les acteurs, les époques et les situations : archaïsme (appréciation négative) et

harmonie (appréciation positive). Ce n’est pas vraiment l’intérêt porté au « culturel »

qui fait la spécificité du tourisme culturel, mais le passage du « pittoresque » à

« l’authentique » ou de l’ethnocentrisme au relativisme culturel.

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Affiche « Un mois au Sahara et au Hoggar » (1931)

Source : Un mois au Sahara et au Hoggar, Itinéraire de circuit touristique automobile, Automobile Clubd’Alger (1931) (coll. de l’auteur).

10 En oasis, la donne touristique change au cours du XXe siècle : marquant au Jérid le

passage du tourisme d’une upper-class au tourisme de masse populaire, le prestige du

Grand Hôtel de l’Oasis à Tozeur (construit en 1922) cède aujourd’hui à l’éclat

ostentatoire d’une « zone touristique » dédiée aux hôtels des chaînes de vacances —

avec notamment les Club Méditerranée, Fram et Palm Beach — et à un aéroport

international. L’intérêt des États sahariens pour leurs oasis s’amorce à partir des

années 1990 (Hosni 2000). À Siwa, le manque d’infrastructures et surtout l’absence d’un

accès asphalté à l’oasis garantira longtemps au tourisme un caractère aventurier ou à

tout le moins exigeant14 : « Siwa, il faut la mériter pour la voir » me disait sur site une

touriste anglaise qui aura fait ses dix heures d’autocar depuis Le Caire. Siwa semble

sauter (pour l’instant) ce qui paraissait ailleurs l’étape inévitable du tourisme de masse

pour développer une forme récente (et mal définie) d’écotourisme. Sa clientèle, pour le

dire vite, est majoritairement constituée de « backpackers » dont le penchant pour un

tourisme culturel est plutôt revendiqué et qu’ils tendent à décrire comme la recherche

d’une rencontre authentique avec la population et la culture locales (Mitchell 1995). Il y

a déjà une pointe de distinction dans la destination même : une oasis berbère à 800 km

de route du Caire des pyramides, capitale d’une Égypte arabophone.

11 L’oasis est l’espace d’une rencontre, peut-être l’espace aussi de conflits entre des

acteurs locaux et des acteurs exogènes. La présence des touristes en oasis est souvent

courte15, mais leur renouvellement rend leur figure presque permanente malgré les

fluctuations saisonnières. Nous verrons rapidement les représentations que touristes et

locaux cultivent d’un même espace ; l’espace est étroit, les idées et les pratiques se

chevauchent. Le jardin d’oasis se résume-t-il à quelques palmiers et un peu d’eau dans

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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le désert ou bien est-il (aussi) une rencontre souterraine de conflits et de négociations

sur des ressources que sont l’eau, la terre, le travail et peut-être également les idées ?

Toutefois, ce qui est à l’œuvre et ce qui est observable dans les oasis est forcément de

l’ordre des pratiques dont les plus emblématiques sont celles qui ont trait à l’espace.

L'espace des pratiques

12 Les touristes utilisent souvent les oasis comme points de départ d’excursions vers le

désert (où 80 % des touristes à Siwa se rendent)16. Le désert est de caractère steppique

et aride au Jérid, le désert est de sable au sud et de roches au nord à Siwa. Il est dans

tous les cas extérieur à l’expérience spatiale des locaux, sinon qu’il limite l’oasis. D’une

façon fort classique, les sédentaires berbères de Siwa ou arabes du Jérid ne fréquentent

pas le désert, le considèrent avec dédain, pays vide et hostile, pays des Arabes pour les

uns ou des Bédouins pour les autres. Il n’y a que les oasiens qui exercent le métier de

guide, qui s’y intéressent pour y organiser des incursions pour les touristes. L’éventuel

partage de connaissances, de savoirs « culturels » entre oasiens et touristes ne pourra

prendre appui que sur l’espace de l’oasis, même si ce n’est pas le paysage qui semble

mériter une vraie attention a priori des touristes.

13 Si l’on considère la capacité à se situer, à trouver son chemin, à décrire la qualité des

lieux ou à citer des toponymes, les touristes ont une connaissance spatiale de l’oasis

moins riche que celle des locaux (Battesti 2005, 2006b). Cependant, il faut, d’une part,

nuancer cela par catégorie d’acteurs locaux (à commencer par la claire dissemblance

des pratiques masculines et féminines au Jérid et à Siwa) et, d’autre part, considérer

que touristes et oasiens ne se déplacent pas tout à fait dans le même univers cognitif

(sinon que tous s’accordent sur ce que l’oasis ne couvre que les espaces habités et

cultivés : l’anthropique).

14 Les touristes sont rares à se risquer seuls (entre eux) sur les chemins des palmeraies qui

leur semblent, sans guide, aussi peu abordables que l’intérieur des quartiers à l’écart

des grandes artères urbaines (peur de se perdre, de l’inconnu, d’une altérité sans

interprète), une gêne exploitée à Tozeur et Nefta par les conducteurs de calèches tirées

par des chevaux et à Siwa par les enfants qui conduisent, plus humblement, leur kareta

(carriole) tirée par un âne. Quelles sont les valeurs véhiculées par ces attelages ?

Renvoient-ils à une idée de tradition (bien que l’usage des charrettes en oasis ait moins

de cinquante ans et des grandes calèches moins de vingt), participent-ils d’un exotisme,

d’un dépaysement ou bien plus simplement d’une activité « appropriée » dans le cadre

d’un voyage touristique ? Le caractère ambigu, incertain de sa valeur « patrimoniale

locale » explique peut- être que les touristes qui empruntent le plus à un éthos

« tourisme culturel » ont plus de difficulté à se laisser conduire. Les entretiens

soulignent que ce transport renvoie trop au spectacle de rapports sociaux inégalitaires

(un transport trop princier ?) à l’opposé du traitement égalitariste désiré par eux dans

leur rencontre avec le « local ». Cela dit, à Siwa ou au Jérid, les conducteurs savent en

insistant lever les réticences. Les touristes monnayent alors un trajet sûr dans la

palmeraie, ceux que l’ambiguïté du véhicule rend les plus mal à l’aise (« est-ce

“normal” de me laisser véhiculer ainsi ? », « est- ce juste bon “pour les touristes” ? »)

iront souvent s’asseoir à l’avant, à côté du conducteur pour tenter de communiquer

avec lui et atténuer la tension ou la gène ressentie.

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La promenade des touristes en calèche selon un parcours immuable à travers la « foret » depalmiers

Source : Septembre 1995, Nefta (Tunisie) (cliché de l’auteur).

15 Le moyen de locomotion pour visiter l’oasis conditionne évidemment les parcours,

pratiques et expériences spatiales du touriste. Ce terroir devient pour un temps un

objet de consommation olfactif, sonore et surtout visuel. Les parcours se cantonnent à

des trajets bien définis. L’ensemble de l’espace agricole de l’oasis n’est pas valorisé

comme potentiel de promenade (ni par les touristes, ni par ceux qui les conduisent) :

une sélection est opérée ; toutes les palmeraies ne sont pas non plus visitées, en

particulier les récentes. Ces palmeraies nouvelles sont d’abord moins « visibles », car

elles ne sont pas incorporées aux bourgades comme les anciennes et par ailleurs elles

ne sont pas revendiquées comme partie de « l’identité du Jérid » ou de « l’identité de

Siwa » qui puisse être valorisable à destination de touristes. Le terroir à voir est d’une

autre qualité, bien distinguée également dans les catégories spatiales des agriculteurs

locaux du Jérid ou de Siwa, c’est l’ancien, les vieilles palmeraies. Pourquoi ? Pour les

touristes, la question est à peine pertinente : évidemment parce que le « vrai » paysage

oasien est celui qui prévalait avant qu’une modernité ne l’abîme, également « pour

comprendre comment on vivait auparavant ». Les entretiens avec les touristes tendent

presque tous à soutenir l’idée qu’il est dommage de voir disparaître l’ancien modèle de

vie rurale (oasienne en l’occurrence), car il est un témoignage d’authenticité ou

d’harmonie avec son environnement. Rares sont les discours à s’écarter de cette

antienne, lui conférant la qualité de véritable doxa. On a perdu cette harmonie chez soi

en se faisant moderne et l’on ne se déplace pas à l’étranger jusque dans de lointaines

oasis pour voir de nouveau la modernité triompher, à coup de tracteurs, de tomates

primeurs au goutte- à-goutte ou de quartiers nouveaux en parpaings.

16 La dichotomie traditionnel/moderne est une catégorisation consacrée des acteurs

locaux et touristiques. Nous suivrons donc cette faille qui divise le monde en deux17.

Après l’identification de ce qui sous-tend la praxis des acteurs et de la spécificité d’un

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tourisme culturel, nous aborderons les changements opérés dans les oasis par et pour le

tourisme (et spécifiquement le culturel) au niveau de la « tradition locale ».

Les évolutions de l'émotion esthétique : le regard et laquête d'une authenticité

17 Pour cerner la quête d’un voyage touristique dans les oasis, peut-être faut-il distinguer

un tourisme national et international. Cependant l’observation laisse croire à l’absence

d’écart notable entre les pratiques et les discours des uns et des autres : les touristes

nationaux, qui viennent de la capitale ou des grandes cités (Tunis et Sfax par exemple

en Tunisie, Le Caire et Alexandrie par exemple en Égypte), adoptent la même palette de

comportements en situation de visite touristique que les touristes internationaux,

européens en général. On pourrait se figurer un code de pratique mondialisé. Quel est

donc le propos ou l’intention de cet éthos commun ? Je dirais la découverte de

nouvelles situations et, quitte à placer le tourisme sous le signe de l’entertainment, la

découverte de nouvelles émotions. Ce qui trahit le plus la déception d’un touriste est un

laconique « Ouais... ça ressemble quand même pas mal à [...] » du déjà-vu.

18 Les émotions esthétiques évoluent cependant : en deux mots, même si cela n'est jamais

aussi net qu'objectivé par l'écrit, on privilégie aujourd'hui moins le pittoresque que

l'authenticité, en Tunisie comme en Égypte. Si une quête de pittoresque se satisfait

d’une récréation ou recréation du local18, la quête de l’authentique exige un accès direct

et vrai à la « culture locale » et son praticien se récrie s’il sent l’artifice19. On devine une

ligne de fracture entre tourisme classique et culturel ; on ne peut cependant évoquer

l’un sans l’autre, car la posture « tourisme culturel », d’une part, ne vient finalement

que se surajouter à celle du « tourisme traditionnel » et, d'autre part, n'existe que pour

s'en démarquer (ou s'y opposer). Le phénomène du tourisme culturel ne se comprend

qu'à l'intérieur de ce dialogisme. Les touristes qui s'en réclament aimeraient

idéalement ne pas être pris pour des touristes et l'opposition entre les catégories

« tourisme culturel » et « tourisme de masse » reprend parfaitement celle soulignée par

Jean-Didier Urbain (1993) entre voyageur et touriste. L'objet du désir touristique est

abstrait et toujours vague : une « autre culture » ; c'est souvent une fois sur place que

l'on ajuste (ou pas) son regard en donnant corps à un ensemble d'images

« préexistantes ». Des touristes kabyles algériens viennent voir ce qu’est cette

mythique Siwa, le phare oriental de la tamazgha, l’espace géographique berbère nord-

africain : ils y vérifient que leur langue leur permet, après quelques ajustements, de

communiquer avec la société indigène, si loin de chez eux et jusque-là, en Égypte, au

pied de temples pharaoniques. Des touristes européens viennent vérifier une

représentation préalablement formée des oasis, celle d’un « Tintin au pays de l’or noir »

qui en fixa les couleurs et une forme épurée : quelques dattiers verts et une flaque d’eau

bleue entourés d’une immensité de sables jaunes. Est-ce cela l’oasis ? La palmeraie est

réelle dans les catalogues des agences de tourisme avant de l’être par l’expérience.

L’image, le signe et ses connotations, précède le vécu local de nos touristes et est

transportée dans les sacs de voyage. Pour que les voyageurs au Jérid retrouvent dans le

paysage qui les environne la reproduction de l’oasis déjà vue, un ajustement est

nécessaire : en général, la question porte sur la « nature naturelle » de la palmeraie

(Battesti 2005). L’oasis devrait être une vaste forêt sauvage de palmiers qui procure aux

habitants de ces contrées heureuses eau et fruits à volonté. Les agences de voyages et

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les guides locaux complaisants peuvent d’ailleurs entretenir ce glissement d’une

acception géographique à une acception figurée de petit éden terrestre20.

19 Cette représentation d’une vie primitive mais heureuse qui évacue la qualité première

de la palmeraie donnée par ses habitants (un terroir intensivement travaillé, cultivé)

est renforcée par la pratique spatiale habituelle des touristes : le circuit en calèche

n’offre, au-dessus des palissades de palmes qui protègent chaque jardin, que le

spectacle de la luxuriance des dattiers. Les touristes ne se voient que rarement invités à

passer le seuil d’un jardin, toujours propriété privée. Quand bien même, la compétence

à la lecture des cartes, bien partagée entre touristes, n’est pas celle à la lecture de

l’espace oasien, de ses jardins dont les limites et les marques de propriétés, les signes

d’appropriation ou de déprise agricole ne sont pas toujours identifiables ou même

apparents au béotien, aussi « culturel » soit le tourisme dont il se revendique. À Siwa, le

responsable du syndicat d’initiative sait par expérience qu’aux touristes qui lui

demandent « où est l’oasis ? » — même s’il leur dit encore parfois, sans grand succès,

qu’ils y sont déjà —, il doit répondre « Fatnas » pour les contenter. C’est un lieu-dit, une

presqu’île entourée des eaux salées de la sebkha et irriguée par une source antique. Les

jardins y sont transformés en cafés fleuris et proposent la vue idéale pour le sunset (en

anglais dans le texte) : « Les jardins sont beaux, il y a des sources, des fruitiers, des

dattiers, une vraie oasis »21. Le lieu est maintenant orthographié Fantasy Island sur les

plans touristiques (presque une anagramme). Est alors oublié ou ignoré le savoir-faire,

forgé par l’expérience de nombreuses générations, et la somme considérable de travail

que représente le fonctionnement des oasis d’Afrique du Nord.

20 Le succès d’une oasis à « nature naturelle » s’explique en partie par une histoire du

paysage européanocentrée : « La genèse de la campagne comme cadre social idyllique

résulte du long processus de disparition progressive du prolétariat rural [...] à partir de

la deuxième moitié du XIXe siècle » (Chamboredon 1985 : 141). La campagne ne peut

être perçue comme un espace naturel qu’avec l’accomplissement d’un mécanisme de

neutralisation (par dépolitisation et homogénéisation) qui efface les oppositions

sociales et les contradictions historiques incarnées dans l’organisation spatiale et les

pratiques. Ensuite et alors, la « nature dé-socialisée » peut apparaître comme « le lieu

d’une vie soumise aux rythmes naturels, l’asile d’une civilisation traditionnelle, le cadre

d’un contact direct avec une transcendance (esthétique ou religieuse) » (ibid. : 142). Du

moment où les touristes européens des oasis ne voient pas davantage là que chez eux

l’évidence (pour un regard local) de l’iniquité sociale de la répartition des ressources

(terre, eau, main- d’œuvre) inscrite dans le paysage de la palmeraie, ces terres agricoles

peuvent sans heurts se changer en nature et « paysage naturalisé ». Ce quiproquo

s’amplifie encore avec le tourisme culturel pour lequel les « indigènes » sont a priori en

harmonie (écologique et spirituelle) avec la nature.

21 Un second point concernant les émotions esthétiques : le regard. Porté sur ce qui nous

entoure, source d’informations, d’émotions, il n’est qu’un des cinq sens dont l’humain

est habituellement pourvu, mais « la vue domine » cependant dans la hiérarchie

contemporaine et occidentale des sens et dans la balance établie entre eux, cela à plus

d’un titre. Non seulement ce regard des touristes est un « regard équipé » (la vision du

terroir et l’esthétique de la nature sont toutes différentes de la norme oasienne locale),

mais la pondération est très largement en sa faveur dans l’évaluation esthétique. On est

touriste pour venir « voir », pour contempler, pour enregistrer des témoignages visuels

(mémoire, photographie ou vidéo). L’idée du panorama, d’un paysage observé depuis

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un point élevé demeure l’illustration « idéale typique » du rapport à son

environnement dans les pratiques touristiques. « Le processus fondamental des temps

modernes, c’est la conquête du monde en tant qu’image » (Heidegger 1946) et le

tourisme en est sûrement un accomplissement. L’arrêt touristique sur les « points de

vue » est une réification de la mise à distance, de la conquête et de l’appréciation du

monde : pas un touriste n’y échappe. Au Jérid, à Tozeur, c’est le petit promontoire du

Belvédère22 qui offre ce point de vue, une butte de terres issues du curage des sources

(aujourd’hui taries pour cause de surexploitation), à Nefta, c’est le sommet de la

corbeille des sources où se sont installés des cafés pour les touristes ; l’entreprise

Aéroasis propose aussi des excursions aériennes en montgolfière au départ de Tozeur23.

À Siwa, ce sont les inselbergs qui offrent la possibilité de dominer du regard l’oasis. La

pratique touristique contemporaine veut que les jardins (ou la palmeraie, quand les

jardins ne sont pas vus comme tels) s’apprécient bien mieux regardés de loin : à la fois

parce que cette distance tranquillise l’inquiétude de la promiscuité d’une altérité mal

définie (qui sont ces oasiens qui me regardent comme un(e) touriste ?) et parce qu’il

s’agit d’un acquis de la modernité permettant une forme de maîtrise de son

environnement.

22 Au XVIIIe siècle en Europe (Mantion 1995), les traités savants sur les jardins mettent les

jardins potagers ou « utiles » à l’écart des « beaux jardins ». Le beau jardin, pour se

rapprocher des beaux-arts, se limite à l’architecture et pour combler le « bon goût » ne

doit solliciter que la vue, devenue alors le sens « le plus subtil », en délaissant l’odorat,

le goût, le toucher, l’ouïe. Le regard est le premier instrument d’une exploitation de son

environnent. Ce qui sera corrigé, avec le tourisme culturel, n’est pas la prééminence du

sens de la vue, mais son dessein : on passe de la domination (exploitation) à la

protection. On peut parler de « correction », car l’affiliation entre les deux modes reste

étroite : d’une part, le regard conserve son rôle de mise à distance entre sujet et objet

et, d’autre part, ces deux modes24 demeurent deux figures du contrôle où l’homme se

place comme maître de la nature, où nature et société sont soumis à une séparation

radicale.

Confrontation des émotions esthétiques locales et touristiques

23 L’espace de l’oasis est vécu tout différemment par les oasiens. J’illustrerai cette

divergence par le désintérêt local pour la contemplation solitaire et dominante des

points de vue à Siwa à l’avantage d’une sociabilité de jardin ; par la perception locale au

Jérid du jardin, de l’intérieur, en montrant que sa dimension anthropique est

parfaitement assimilée dans les pratiques et finalement les émotions esthétiques (la

balance des sens est différente, favorisant les sens de la proximité).

24 Lors d’une enquête de terrain à Siwa, je notais deux étonnements croisés : celui

d’Abdou, un guide touristique siwi, pour la curieuse propension des touristes à aimer et

même rechercher des points de vue depuis les hauteurs et le mien à ne jamais voir les

gens de Siwa grimper au sommet des reliefs de l’oasis (Battesti 2006b). Les inselbergs des

anciens villages de Siwa et d’Aghurmi et ceux non bâtis de Dakrur ou d’Adrar Amellal

permettent des vues panoramiques sur la région. Si ces « montagnes » (« adrar » en

tasiwit) ont bien valeur locale de repères géographiques avec des toponymes connus de

la plupart, il n’y a bien que les Européens pour y grimper. « Les touristes aiment bien

regarder d’en haut. Les gens de Siwa, pour quoi le feraient-ils ? Moi, ce que je vois de là-

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haut, je le connais déjà d’en bas »25. De fait, c’est au niveau du sol et en se déplaçant que

mes interlocuteurs isiwan éprouvent ce plaisir largement partagé à nommer les

espaces : non depuis une position dominante, mais d’en bas, par le parcours. C’est une

opposition contemporaine sur les points de vues entre touristes et Isiwan26.

25 Apprécier le jardin des palmeraies anciennes au Jérid, c’est consommer et

communiquer ensemble. Le jardin est un centre où les constructions de l’espace

entourent le jardinier, un centre intime et pourtant partagé. Des réunions masculines

s’y tiennent, occasions de transgressions verbales certes (politique, police, sexualité),

mais aussi d’échanges des savoirs. Les normes esthétiques se communiquent, les

connaissances se transmettent : on écoute, on se souvient de récits, des histoires

locales. Une partie de l’existence collective se joue là (Battesti & Puig 1999). Au

contraire, l’oasis représente pour le touriste un décor, un paysage exotique et

dépaysant qui lui est absolument extérieur. La seule approche en surplomb ne suffit

cependant plus à une partie des touristes. La recherche d’« authenticité » l’engage à lire

non seulement la palmeraie comme une « nature naturelle » (à sous-évaluer son

caractère anthropique), mais aussi à lire les sociétés oasiennes comme immergées dans

cette nature (une nature enchantée). Par ailleurs, la volonté est ostensible chez les

touristes en oasis de préserver ce qui fait cette différence perçue entre soi et cet

« autre » et, équipés d’un relativisme culturel, de mieux comprendre cette altérité.

Cette démarche qui veut saisir ce qu’il y a de plus « authentique » dans la société locale

rencontrée, en resserrant l’attention sur ce qui semble « traditionnel » ou ancien (de

vieille tradition), induit une réduction folkloriste.

Sortir des sentiers battus touristiques : trouver le traditionnel

26 Tous les touristes emprunts d’une posture culturelle évaluent positivement

l’expérience d’un « vrai » mariage, d’une « vraie » fête musicale des jeunes travailleurs

enivrés sous les palmiers, d’une « vraie » séance de désenvoûte- ment (l’appréciation

s’exprime en termes d’émotions et de connaissances). Le partage entre touristes se

marquera par le zèle variable de chacun à quitter « les sentiers battus », à se mettre

dans une position d’inconfort, à affronter cette angoisse existentielle ressentie quand

on délaisse le confort d’une « attitude naturelle » où domine l’évidence que l’on partage

les mêmes normes avec les autres, l’évidence d’une culture partagée sur l’essentiel. Ce

qui est probablement mis en jeu, c’est sa « sécurité ontologique » (Giddens 1994), ce

sentiment d’être dans une relation sûre avec soi et avec le monde. Cette « prise de

risque » confère alors le goût d’une petite aventure dont on est le héros. Quel est

l’enjeu ? Du vrai, de l’authentique. « L’authenticité » s’impose comme le maître mot de

la quête touristique contemporaine qui ne se satisfait pas d’une offre de nouveaux

paysages, mais réclame aussi la possibilité de penser à des manières de vivre

alternatives. Ces alternatives, pour être lisibles, doivent correspondre à des

présupposés dont certains revivifient des définitions fondatrices ; d’abord la rupture

entre modernité (des touristes) et tradition (du local), puis la rupture entre société et

nature chez le touriste et l’imbrication incestueuse des deux mondes chez l’indigène. Il

importe peu, à vrai dire, que cela corresponde à des éléments locaux de discours ou de

pratiques : on vient d’abord vérifier ce que l’on sait déjà : que la modernité n’a pas

encore et va peut-être venir perturber (vision enchantée) ou est venue perturber

(vision désenchantée) la vie oasienne. Les tenants de l’option désenchantée se

retrouvent massivement chez les Européens prompts au tourisme culturel : un

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scepticisme leur est nécessaire pour distinguer ce qui est authentique de ce qui ne l’est

pas ; la pacotille est réservée ou plutôt délaissée au tourisme de masse (fausse dune,

faux désert, faux berbères, fausse palmeraie, fausse tente berbère, faux repas local, faux

amis, fausse ambiance, fausse... authenticité).

27 L’idée partagée qui prévaut est que le choc modernité/tradition détruit une harmonie

originelle. Un court article sur Tozeur paru dans le Monde diplomatique (Llena 2004) est

exemplaire à cet égard d’un type d’assignation identitaire à rester « authentique » : son

dernier paragraphe souligne que « malgré les préceptes fondamentaux de l’islam, une

partie de cette population déstructurée s’adonne à l’alcool pour oublier qu’elle a vendu

son âme et sa palmeraie. C’est d’ailleurs dans la palmeraie même que se regroupent les

buveurs, à l’abri des regards [...] ». Les oasiens du Jérid n’ont pas attendu le tourisme

pour boire joyeusement sous les palmiers ; par ailleurs on ne comprend guère pourquoi

la population locale, parfois certes épicurienne, devrait se plier à ce que l’auteur

considère relever du bon respect des codes religieux et des « préceptes fondamentaux

de l’islam ». Ces buveurs de qashem (sève de palmier fermentée) de la palmeraie,

souvent des hommes d’âge mûr, sont précisément les premiers à vilipender les buveurs

(de bière et de vin) de la ville, souvent des jeunes gens (probablement ceux visés par

l’article), désignés comme « clochards ». L’engagement critique d’un acteur du

tourisme culturel (une façon de connivence avec le « local authentique ») conduit à une

critique morale de la corruption des « peuples autochtones de la palmeraie » (ibid.)

provoquée par le tourisme international, un classique : pour le dire de façon plus

globalisée, la construction de l’altérité, à l’échelle planétaire, est indissociable de

l’assignation de places dans l’ordre mondial identitaire (Cunin & Hernandez 2007),

assignation plus ou moins autoritaire.

Transformer par et pour eux : interaction etrétroactions du tourisme avec la population locale

Tradition locale

28 La demande culturelle, émanant à l’évidence des touristes, est décodée in situ par

différents acteurs locaux, du petit entreprenariat individuel aux institutions

administratives dont les initiatives pour y répondre conduisent à créer et proposer une

tradition locale. Ces propositions sont présentes dans les discours (en particulier sur les

questions d’identité : être berbère ou non, par exemple), dans les pratiques

(notamment artisanales, musicales, culinaires, agricoles ou rituelles comme les

mariages) ou dans le cadre environnemental (transformation de l’architecture,

recréation d’un paysage urbain traditionnel, redéfinition fonctionnelle des jardins).

Elles viennent parfois devancer la demande à considérer que des institutions ou des

individus imaginent des produits qui « devraient » plaire à une attente culturelle

supposée, elle la devance toujours à considérer que l’attente a été formulée par un

touriste qui n’en sera pas le bénéficiaire (il sera déjà reparti, remplacé probablement

par un « semblable »). Dans le discours des acteurs locaux, cela se traduit par « ce que

les touristes veulent, c’est [...] », au choix et les plus cités sont « la nature », « les

coutumes », « la tranquillité ». Toute proposition de produits touristiques se conforme

sans doute à ce jeu marchand, mais la difficulté est accrue dans le cas du tourisme

culturel, puisque celui qui s’y prête souhaite généralement se distinguer du tourisme

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vulgaire. Pour des touristes venus découvrir la vérité nue et authentique en terres

qu’ils aimeraient vierges, ce n’est pas un maigre paradoxe que de se voir proposer un

produit préparé à l’avance et à leur intention. Curieusement, cela n’est pas que source

d’insatisfaction.

Interface

29 Dans les interactions interindividuelles, en discutant avec des enfants et adolescents de

la région qui ne manquent pas d’aller à leur rencontre, en échangeant avec des

professionnels et occasionnels de l’interface touristique, les touristes transmettent

leurs idées et leurs pratiques de l’oasis. Les banals palmiers du quotidien ne seront plus

regardés de la même manière, ils deviennent une ressource exotique, les insignifiantes

dunes de sables se parent d’une chatoyante nouvelle aura de sens... Jusqu’alors, dans les

intérieurs locaux, sont accrochées de grandes reproductions de l’exotisme local : les

forêts de montagnes suisses enneigées. Le paysage est « toujours le produit d’un regard

“étranger” au lieu, dégagé en quelque sorte » ; un homme du lieu « serait vis-à-vis de

son “paysage” comme l’ignorant selon Socrate : ce qu’il ne voit pas (un paysage

justement), il ne sait même pas qu’il ne le voit pas. Il faudrait qu’on lui fasse voir (que

c’est un paysage) » (Lenclud 1995 : 14). Et les oasiens apprennent, pour certains, à voir

ce qu’ils ne voyaient pas, à rééquiper leur regard de nouvelles ressources, d’une

nouvelle grille de lecture de leur environnement naturel et culturel. Tous les oasiens ?

Au Jérid comme à Siwa, les autorités interdisent les « faux guides » et tout contact avec

les touristes au profit de ceux formés ou accrédités par l’État, mais surtout, et en

réalité, entre visiteurs et population locale, une interface fait tampon, largement

constituée de jeunes oasiens de sexe masculin (Battesti 2005 ; Puig 2000, 2003).

30 La pratique du tourisme dans sa version culturelle se caractérise par la recherche du

contact avec l’indigène. Les touristes s’y prêtant ne rencontreront évidemment que

ceux disposés à les rencontrer ou désignés implicitement pour jouer le rôle médiateur.

La séparation des sexes, classique en Afrique du Nord et au Proche-Orient, est

fortement marquée dans ces oasis : aux femmes l’espace domestique, aux hommes le

public et donc la gestion de l’altérité. Par ailleurs, les jeunes célibataires jouissent d’un

effet de classe d’âge qui les autorisent implicitement, au Jérid comme à Siwa, à

expérimenter la vie : une sorte de licence temporaire de licence (tout rentrera dans

l’ordre avec les fiançailles et le mariage). À Siwa, la structuration par l’âge est si forte

que cette classe de jeunes célibataires (zaggala) vivait jusqu’au début du XXe siècle hors

les murs de la cité et est toujours la classe laborieuse des palmeraies. Le contact avec les

étrangers, ces curieux touristes, inclut un risque (pour l’honneur, pour les bonnes

mœurs) auquel peuvent se frotter des jeunes qui apprennent la vie. Il ne sied pas, par

exemple, aux adultes isiwan d’être au café fréquenté par les touristes.

31 Affluence oblige, probablement, l’interface est plus institutionnalisée et structurée au

Jérid et se nomme elle-même beznêsa. Elle y est aussi plus contrainte par le paradoxe

d’attentes contraires. Cette interface ne conserve en son sein que les plus motivés d’une

classe d’âge à résoudre ses frustrations (sexuelles, pécuniaires, d’expatriation) par le

contact interculturel : l’Autre étranger est l’incarnation de ce qu’ils désirent, une vie

meilleure ne peut prendre corps et réalité dans ce temps et cet espace oasiens. L’oasis

médiatise pour eux la non-modernité, l’archaïsme et s’ils lui consacrent un regard, ce

n’est plus comme cadre de vie et de travail, mais comme objet touristique qui a rapport

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à l’exotisme, au folklore. Le paradoxe est que l’attente est toute contraire pour la classe

de touristes qui rencontrera ces beznêsa : cette classe des touristes les plus motivés à la

rencontre interculturelle ne cherche pas à fuir l’oasis, ni son « archaïsme », mais à s’y

plonger pour trouver une « culture ancestrale » adaptée, communiant avec la nature. À

Siwa, la fréquentation touristique est plus faible, la surface d’échange également, mais

les jeunes garçons s’appuient aussi plus solidement sur ce qu’ils perçoivent comme leur

identité, ils vivent aussi dans une sécurité ontologique plus forte : l’évidence d’être à sa

place, ce qui laisse l’étranger finalement dans une position peu enviée. On est curieux

d’apprendre sur le monde, mais son centre reste Siwa et peu désirent s’exiler de leur

normalité oasienne, tandis que du coté tunisien les enjeux sont plus orientés sur les

échanges (ils ne s’appellent pas eux-mêmes beznês pour rien). Dans tous les cas, la

dimension marchande n’est jamais loin (artisanat local et service de visites guidées),

l’intérêt sexuel non plus (le Jérid et Siwa sont deux régions réputées pour leur pratique

de l’homosexualité — une forme de tourisme s’en arrange parfaitement).

32 Le prétexte de la rencontre reste cependant la culture : ou plutôt la tradition locale. Si

la notion est délicate à manier, c’est une catégorie doublement locale : reconnue par les

oasiens et les touristes. Au Jérid, cette tradition se dit ‘adât wa taqâlîd, les us et

coutumes, et renvoie à un ensemble de traits mis en avant pour expliquer la spécificité

culturelle du lieu, à un corpus hétéroclite de pratiques et de discours, mais qui ont pour

point commun une référence au temps long du bikri, l’autrefois, l’immuable passé. Les

faits de la tradition sont non datés, intemporels (Battesti 2000). Les oasiens de Siwa

allèguent aujourd’hui une identité culturelle dont ils commencent à réaliser la portée

singulière dans un contexte national et international (ils se découvrent « berbères »,

par exemple, en plus d’être isiwan). Le discours sur un âge d’or (où la tradition

s’imposait, stable et parfaite) est partout présent, mais quand c’est la modernité qui est

accusée d’avoir fait sombrer ces temps heureux et que ce sont des opérateurs de cette

modernité (acteurs étatiques et touristes) qui brandissent l’identité culturelle locale

comme susceptible de patrimonialisation, pour les oasiens, c’est ajouter à l’aliénation

de leurs ressources naturelles celle de leurs ressources culturelles.

Transformer l'espace pour accueillir un touriste en quête de culture

33 En général, l’exploitation des lieux par le tourisme culturel est moins technique

qu’idéologique, mais les transformations matérielles des oasis ne sont pas à négliger.

34 Nous passerons sur toute l’infrastructure hôtelière classique, plus importante au Jérid

qu’à Siwa, qui préexiste au tourisme culturel. Délaissant la cohorte des grands hôtels

climatisés avec piscines, un Tozeur Golf Oasis flambant neuf27 ou un improbable hôtel

cinq étoiles construit par l’armée dans son complexe olympique (sic) à Siwa, le tourisme

culturel saharien s’intéresse à la culture locale non pour sa seule qualité de décor28,

mais de corps vivant avec lequel interagir, sans le transformer, sans l’altérer pour

autant. Un sondage du Siwa Protected Area Management Unit29, résumé ici à grands

traits, confirme le souhait des touristes : que rien ne change dans l’oasis30, sa

préservation de mauvaises évolutions, la conservation de sa culture et sa nature, la

limitation de l’hôtellerie, l’interdiction d’aéroport, mais de meilleurs guides (en langues

européennes) pour mieux comprendre les commentaires sur la vie locale. La nature est

plébiscitée et la motivation du voyage est la culture (l’archéologie également)31. À

l’évidence, les touristes qui se déplacent jusqu’au Jérid ou à Siwa ne viennent pas

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intentionnellement transformer le paysage oasien dans sa dimension matérielle,

puisqu’au contraire le premier souci est d’y trouver vivant un passé préservé.

L’éloignement géographique, la difficulté d’accès deviennent même des gages de

« préservation » naturelle et culturelle. L’oasis par définition est l’emblème du point

reculé, mais dans cette classe du tourisme saharien, plus l’accès est difficile (Siwa par

rapport au Jérid, par exemple), moins la fréquentation d’un tourisme de masse par

voyagiste est élevée et plus la place semble conforme à une pratique de tourisme

culturel.

« En bus, comptez 12 h de transport à partir du Caire [...]. Rien du tout sur les 300km qui séparent Marsa-Matrouh [...] de l’oasis. Ici, pas de grandes infrastructurestouristiques, pas de Hilton, pas de HSBC, pas de MacDonald’s, pas d’aéroport, maisdes palmiers, des dunes, et des ânes [...]. C’est encore un endroit préservé,littéralement au milieu de nulle part »32.

35 Préservation, éloignement : aussi « culturels » puissent être les touristes désireux

d’authenticité, ils transforment néanmoins le paysage oasien de façon directe et active

en répandant dans les oasis de nouvelles manières de penser sa relation à

l’environnement, de penser le monde, sa vie parfois aussi, mais de façon également

indirecte et passive par les infrastructures et services organisés pour les accueillir.

36 À Nefta, seconde agglomération et destination touristique du Jérid, l’ancienne

« corbeille des sources » — morte depuis que les forages étatiques ont drastiquement

fait baissé le niveau d’eau souterrain en permettant (provisoirement, on le sait)

d’accroître les surfaces cultivées —, a été remise en eaux. Ce n’est pas du ressort de la

préservation : l’ancien système d’adduction d’eau à l’air libre avait été enterré dans des

conduites en ciment dans les années 1970. C’est une re-création, évidemment pas à

l’identique, de l’ancien système pour le superposer aux modernes canalisations : un

simulacre. Un bassin ovoïde a été construit dans la corbeille (et surnommé besîn

lahthem, piscine œuf, par les habitants) et de nouveaux forages y ont été percés33 pour

réalimenter le lit sec des oueds. Le résultat escompté est un réenchantement visuel de

l’oasis visant la satisfaction esthétique des touristes : redonner au terroir de Nefta des

attributs de palmeraie oasienne, que l’eau coule à nouveau dans ses veines. On peut

parler d’une forme de patrimonia- lisation par la municipalité du terroir oasien à des

fins touristiques qui choisit un élément comme signifiant de la palmeraie d’oasis (il ne

l’est pas par nature ou de droit) et le reconstruit tel qu’il devrait être (et non pas tel

qu’il était). Ce choix s’est porté à Nefta sur son oued ; il aurait pu aussi bien se porter

sur le tafsîl, dessin complexe des planches de culture dans les jardins. D’autres cas sont

mieux documentés dans le domaine architectural.

37 Le bâti a l’avantage sur la palmeraie d’être la preuve d’un génie local et non pas d’une

nature providentielle. Il est donc largement sollicité par le tourisme et par les

promoteurs d’une identité locale à destination du tourisme. Al-Hadawif est

probablement la partie la plus admirable de la vieille ville de Tozeur34, mais d’autres

parties non moins anciennes (Zebda, par exemple) font appel à d’autres techniques que

ce type de décors géométriques de briquetage des façades extérieures des maisons

(Puig 2000). Le choix s’est arrêté sur cette brique jaune devenue le caractère

authentique de l’habitat traditionnel : l’ensemble du bâti est maintenant harmonisé, la

brique a été reproduite à une échelle quasi industrielle à en couvrir des murs qui ne la

connaissaient pas mais qui restaient visibles depuis l’avenue qu’empruntent les

touristes... La brique est bien (devenue) l’élément fondamental du décor de Tozeur. En

Tunisie comme en Égypte, les préceptes du marketing semblent acquis : définir l’identité

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visuelle la plus simple possible. À Tozeur, un architecte parlait d’une « folklorisation de

l’espace » à l’aube de ce phénomène (Abachi 1991) pour noter plus tard le refus des

habitants de s’investir dans ce type d’expression de leur identité : « La volonté

municipale [“de revalorisation esthétique”] se heurte cependant au désir de se

singulariser chez les riverains » (ibid. 2000). À cela, un habitant de Siwa répondait :

« Pourquoi faire tous nos maisons de la même couleur bia’a [environnement] ? »

(Battesti 2006a).

38 Il s’agit bien d’un décor mis en place à Tozeur ; à Siwa également où ce que l’on appelle

« couleur environnement » est la couleur d’un habitat en désuétude. Deux décennies

ont suffi pour que Siwa soit témoin de changements radicaux dans l’organisation de son

habitat : les deux villages fortifiés sur des inselbergs (ksour) ne sont plus habités, leurs

habitations d’argile salée ont littéralement fondu et l’habitat nouveau s’est étalé à leur

pied en se ramifiant dans la palmeraie ou ses entours. Dans un premier temps,

l’ancienne technique à base de tlaght (l’argile salée) s’est maintenue, mais s’y est

rapidement substituée, à partir des années 1980, une architecture à base de moellons

pleins et blancs en gypse calcaire équarri (tiré du plateau proche), adaptée à un habitat

étalé, peu dispendieux et rapidement construit (en perdant en revanche les qualités

thermiques et acoustiques de l’argile). Cependant, de nouveaux promoteurs politiques

et commerciaux de la tradition, comme à Nefta ou à Tozeur, ont choisi l’ancienne

architecture de couleur argileuse pour identité visuelle de Siwa. Cela écarte d’une part

d’autres choix possibles d’« icône » de la culture de Siwa et, d’autre part, le choix que la

communauté locale semblait de facto avoir fait en faveur du gypse calcaire blanc. Le

gouvernement régional souhaite néanmoins imposer le cachet traditionnel, clairement

pour le tourisme : son habitation doit obligatoirement, sinon être construite en argile,

s’en couvrir pour harmoniser la couleur ocre « naturel » du paysage urbain35 pour

présenter l’image d’une tradition homogène, lisse et non évolutive.

39 Le choix est-il approprié aux attentes des praticiens d’un tourisme culturel ? Si le

gouvernorat souhaitait les anticiper, il est cependant malaisé de répondre à cette

question : le paysage oasien est à l’évidence façonné pour le tourisme, pour lui

complaire et le satisfaire (les Isiwan ou les Jeridi le disent clairement) ; ces

aménagements pourraient dans un sens satisfaire les touristes à la recherche d’une

« expérience culturelle », mais ceux-là sont ceux dont le maître mot est authenticité.

Autrement dit, cela peut fonctionner tant que ce réaménagement de l’espace pour le

tourisme, au Jérid ou à Siwa, reste du domaine du subterfuge réussi, que les touristes

n’en ont pas conscience. La frontière est étroite entre un parc d’attraction — fut-il un

espace oasien — et une réalité culturelle remaniée pour être authentique. Par ailleurs,

les habitants ne sont pas toujours prompts à jouer les figurants d’une machine

marketing.

« Ils veulent que l’on retourne dans des maisons comme avant : ce ne sont pas euxqui se lèvent la nuit quand il pleut pour aller réparer les fuites d’eau ! » (Omar,Siwa, 20 mars 2005).

Comment s'en arrangent les oasiens

40 Quand l’objet du désir touristique est le paysage oasien, il suffit finalement de trouver

un bon point de vue. Quand l’objet du désir touristique est la culture de l’autre, cela se

complique, car il faut alors « interagir » avec cet autre. Comment ces « autres »

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s’accommodent-ils de la quête culturelle du tourisme contemporain, comment

l’interprètent-ils ?

41 En introduction, je souligne qu’on ne peut opposer des « touristes culturels » à des

touristes qui ne le seraient pas : il s’agit surtout d’un zèle à mettre en œuvre un type de

registre de pratiques touristiques. Cette nuance est bien comprise des petits opérateurs

informels touristiques, plus encore au Jérid qu’à Siwa. Un de mes jeunes informateurs à

Tozeur avait pour compliment préféré à l’adresse de touristes qui manifestaient un tant

soit peu de velléités à sortir des sentiers battus : « Ah, vous au moins, vous n’êtes pas

comme les autres, vous n’êtes pas des Bidochon ! » Sans être certain qu’il ait lu les

albums de Christian Binet36, il maîtrise au moins cette compétence à manipuler le

registre de la critique d’une forme de tourisme, disons-le, qui va flatter ses

interlocuteurs. À partir de là, il n’est pas étonnant d’entendre des jeunes Jeridi engager

de jolies touristes à apprécier la traditionnelle hospitalité berbère en allant boire le

traditionnel vin de palme la nuit dans les jardins traditionnels... Se laissera convaincre

qui voudra. Le motif « berbère » ne vient pas là par hasard : il est recherché par une

catégorie de touristes et les beznêsa jugent qu’il est dans leur intérêt de les satisfaire

(Battesti 2005). Les oasiens s’arrangeant du désir des touristes, une véritable contagion

de berbérité (artisanat, excursions, restauration, etc.) s’est emparée du Jérid depuis une

quinzaine d’années. Le caractère porteur (en direction des touristes) du marché de la

revendication identitaire berbère s’est confirmé. Bien sûr, il se cantonne aux franges de

la société parcourue par le tourisme, mais le fait est indéniable37. Cet accommodement

avec la réalité sociale est en parfaite contradiction au Jérid avec une identité oasienne

contemporaine revendiquant au contraire l’arabité prestigieuse qui la relie à la

révélation et l’éloigne de l’ignorance.

42 Dans le domaine des aménagements d’initiative locale, au Jérid et à Siwa, une idée fut

d’aménager des jardins pour en faire des lieux d’accueil alternatifs aux hôtels pour une

petite clientèle touristique souhaitant sortir du circuit classique. À l’initiative de

propriétaires locaux au Jérid, de vieux jardins se sont convertis en jardins-cafés dans la

palmeraie ancienne. Le tourisme réussit (mais dans une direction différente) là où les

services de l’agriculture avait failli dans leurs nombreuses tentatives de réforme

moder- nisatrice des vieux jardins : davantage de fleurs, de plus grands espaces

consacrés au « non travail », voire disparition de la fonction productive. L’hébergement

sommaire, à Siwa en particulier, est affaire de deux ou trois jours tout au plus (pour ce

que j’en sais) : vivre dans un jardin devient vite problématique pour un touriste (se

nourrir, se laver...) et l’intermédiaire local porte toujours son choix sur des jardins un

peu à l’abandon (garant de tranquillité), voire complètement désolés. Un compromis

plus réussi (en termes de satisfaction pour les touristes, mais aussi pour les autorités

locales) est celui engagé dans un jardin de palmeraie ancienne à Nefta : de type

classique, dense et productif, bien entretenu, le jardin contient également quelques

ruches et deux cabanes aménagées aux vérandas de roseaux agrémentées de

nombreuses fleurs (roses, jasmins...). Ce cadre très agréable a poussé un Français du

secteur touristique à leur proposer de réfléchir à l’accueil de clients. Ce premier contact

professionnel fut l’occasion de décoder les attentes d’un tourisme culturel. Ils

ajoutèrent vite eux-mêmes une fonction de « camping » et commencèrent alors à

accueillir quelques groupes (Battesti 2005). De nombreuses tentatives plus ou moins

fructueuses ont depuis vu le jour à Nefta en particulier.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

490

43 À Siwa, quelques exemples comme l’hôtel Taziri Resort ou l’Ecolodge de la société EQI38

(inspiration du premier), tous deux conçus hors de Siwa, tentent de concilier ressources

locales et attentes culturelles du tourisme en participant à l’élaboration de ce que doit

être le style traditionnel. Ces arrangements sont délicats et manier ces concepts

requiert une compétence. Voyons le cas d’un habitant de Siwa, employé et petit

entrepreneur du secteur touristique, très souvent engagé dans des interactions avec les

touristes. Il envisage d’établir un restaurant de cuisine traditionnelle dans un jardin de

palmeraie. Pour le bâtiment, « je veux faire traditionnel, mais pas comme ici, car ça

coûte beaucoup d’argent. Je vais tout faire en bois de palmier et d’olivier ». Il m’en

montre des modèles en feuilletant un magazine anglais illustré de maisons/chalets/

bungalows nordiques en pin. Je cherche à comprendre en lui faisant observer que « ce

n’est pas très “traditionnel” de Siwa », ce à quoi il me répond : « Si, [puisque] je

n’utiliserai que du bois » (Battesti 2006a). Il associe le registre « traditionnel » au

« naturel » (qu’il a très bien identifiés comme demandes dans les discours touristiques).

Si je décode bien de mon côté les attentes d’un tourisme culturel à Siwa, il faudrait que

le style architectural retenu possède une référence évidente au local, qu’il soit perçu

comme... « authentique ».

Satisfaction

44 Inventée (comme toute tradition) et proposée comme un lien vers l’autre, vers

l’étranger non oasien, de façon sincère et/ou intéressée (tentation de l’émigration ou

du commerce sexuel), cette tradition locale vient toujours finalement se présenter

comme une interface et cela à double titre. En effet, la tradition locale, arguons qu’elle

est un objet nouveau inventé (et coproduit ?) pour les besoins de cette connexion entre

demande culturelle touristique et société locale, a souvent pour contrecoup (sans être

autrement fonctionnaliste) de satisfaire assez la demande pour ainsi protéger l’accès à

la société locale : vous en savez assez et de manière satisfaisante pour ne pas chercher

plus loin que l’image lisse et idéale que nous vous en proposons. Les observations

ethnographiques répétées (en particulier à Siwa) laissent en effet penser que

l’approche cognitive habituelle de la « culture locale » par les touristes est établie à

partir de quelques informations élémentaires sur les lieux (communiquées de bouche à

oreille avant le départ), de plus générales lues pendant le trajet et sur place avec les

guides de voyages (Lonely Planet ou Le guide du routard) et d’autres émanant d’ouvrages

plus spécialisés lus sur place. Bref, même dans l’optique d’un tourisme culturel, les

informations sur la société locale sont principalement textuelles et en tout cas ne tirent

pas leur origine d’interactions directes avec des informateurs locaux. Notons qu’à Siwa,

l’ouvrage spécialisé largement mobilisé est celui d’un Siwi, Fathi Malim. Ce best seller

local intitulé Oasis Siwa : from the Inside, Traditions, Customs & Magic39 est apprécié de ses

lecteurs : véritable guide from the inside, il présente une tradition, aussi inventée qu’elle

peut l’être dans certains ouvrages ethnographiques, intemporelle, dégagée des

contingences et lisse. On en sait suffisamment (et certaines anecdotes exotiques

stupéfient assez) pour ne pas avoir à s’enfoncer davantage dans la société locale. Ce qui

est vrai des interfaces humaines, délégation faite à quelques-uns de gérer le contact

avec les étrangers préservant le reste de la population, est vrai des interfaces

discursives : servant de tampon, la tradition ou la culture proposée doit être assez

rassasiante pour laisser la vie locale se dérouler, avec ses hauts et ses bas ; en

particulier dans des sociétés oasiennes très prudes sur la séparation des genres et

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jalouses de leurs intimités domestiques. Par ailleurs, ce qui est recherché en priorité

par les touristes n’est pas toujours la réalité sociale vécue aujourd’hui dans l’oasis, mais

ce qui est « authentique » : ce que cette réalité devrait être si la modernité n’avait pas

tout sali ou les traits authentiques qui se maintiennent (pour l’œil averti) malgré cette

modernité. « Vous savez, la croyance dans les djinns est encore très forte à Siwa ! » 40.

Les deux auteurs locaux « d’interfaces discursives littéraires » sur Siwa, Malim et

Aldumairy, vont dans ce sens : le second écrit dans sa préface « As a native Siwan, I feel

the necessity to chronicle Siwa’s cultural and environmental heritage before the influx

of tourists brings more changes. In this book, I’ve collected useful and accurate

information from different fields for scholars, investors, tourists and local »

(Aldumairy 2005).

45 Les échanges sont cependant réels entre touristes et oasiens, mais les éventuelles

discussions centrées sur les sujets d’intérêt des touristes (en particulier la vie locale et

la différence culturelle : religion, statut des femmes, etc.) suivent un schéma souvent

figé. Cela peut prendre une forme quasi ritualisée avec des professionnels de l’interface

culturelle41. Si, fort classiquement, les discours n’innovent pas et conduisent plutôt les

deux parties à confirmer leurs propres vues, néanmoins une couche de la population

locale se sensibilise petit à petit à une pratique du relativisme culturel.

46 Cette interface discursive sur la tradition et la culture locales n’a pas seulement une

fonction de frontière, mais celle aussi d’être médiatrice, d’être l’écran des projections

des uns et des autres. Ces opérations pratiques de rencontres en oasis doivent peut-être

se mesurer à l’aune de la satisfaction de chacun. Qu’évoquer ? Ali le chauffeur d’un

petit hôtel et Anthony le client dans les dunes de sables autour de Siwa ne s’y trouvent

pas dans le même but, mais partagent quelque chose, différemment, qui les satisfait à

ce moment-là. Il en est de même pour Mohammed musicien d’une troupe

« improvisée » de jeunes jardiniers et ce médecin d’Aix-en-Provence durant une soirée

musicale dans la palmeraie : pour l’un malgré (ou grâce à) l’inadéquation certaine entre

sa technique habituelle de jeu (coupure, respiration, discussions) et le devoir d’un

service à la clientèle touristique, pour l’autre par l’écoute tolérante et curieuse en se

décentrant temporairement de son système de valeur, pour les deux en se positionnant

l’un par rapport à l’autre, se cherchant un peu, se méprenant certainement mais

qu’importe, ils auront trouvé le temps d’une interaction, un modus vivendi acceptable et

dont ils garderont le souvenir. « When the tourist arrives in Siwa, it is everything that

the guidebooks promised » (Raiti 2001: 41).

47 Satisfaction. Un Suisse peut écrire dans la Tribune de Genève (pages voyages), en

revenant des oasis du Jérid :

« Le soir même, un “louage” me mène au Café des Dunes, à 10 kilomètres de Nefta.C’est un petit camp berbère qui vend du Coca et loue des dromadaires. Un quartd’heure sur l’une de ces bestioles m’amène en haut d’une dune. Baigné par lalumière sanguine du soleil couchant, je goûte mes premiers instants de quiétude.Une minute plus tard, des bruits sourds approchent, et cinq véhicules tout-terrainvrombissent autour de moi. Clac les portières. Clic les appareils photos. Tchin,l’apéro est servi. Tout autour, les ventripotents fixent l’horizon trente secondesavec un air pénétré puis ne savent plus quoi faire. Ils se ruent dans leurs 4x4climatisés. Clac les portières. Vroum. Nuages de sable. Silence. Lejeune chamelierme regarde, l’air navré. Dégoûté, je me jure de quitter l’hôtel le lendemain, et departir pour le vrai Sahara » (Montjovent 1999 : 15).

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48 Ce texte met en scène son auteur comme le (bon) touriste culturel en sympathie avec le

local et contre les touristes « ventripotents ». Le besoin de connivence est ici évident

(encore une bonne signature de l’éthos du tourisme culturel) : lui, par le truchement du

relativisme, dépasse les « bêtes touristes » et a accès au vrai, à la compréhension du

local. Une certaine compréhension. Le héros de ce voyage passera une semaine seul

avec « un homme d’une cinquantaine d’années, le port altier et le visage noble, [qui]

semble séduit par mon enthousiasme pour le désert. Il s’appelle Ali Ben Sahaid, il est né

et a grandi dans cette immensité en gardant des troupeaux, et semble connaître chaque

dune par son petit nom. Le feeling passe bien », si bien que l’auteur restera persuadé

qu’il a affaire à un Berbère au Jérid : « Les nuits berbères sont magiques. Écouter Ali

parler arabe et chanter avec ses amis bergers rencontrés par hasard sous la Lune, boire

avec eux du lait de chamelle en contemplant les étoiles, allongé dans du sable tiède,

c’est ce qui se rapproche le plus de mon idée du bonheur. »

49 Un autre guide, de Siwa et donc cette fois un Berbère, pourrait lui répondre : « Bah, les

Européens aiment aller dans le désert, s’y asseoir, les espaces vides, ils n’ont pas ça chez

eux. Les Isiwan, pour eux, c’est vide. Il n’y a rien. Ils ont l’habitude. Mais les aganeb

[étrangers], non. Moi, j’aime bien le désert [maintenant]. Pareillement, ce qui m’a

choqué, c’est de voir les femmes se mettre en Bikini [...]. J’ai compris après que ça peut

être normal » (Battesti 2006b).

50 En résulte-t-il des conflits de représentations ? Puisque les acteurs sociaux ont la

capacité (plus ou moins bien partagée) d’apprendre à user de différents registres (lot

quotidien de toute vie sociale), la rencontre mène surtout à ceci : on ne se réforme pas

vraiment, on s’enrichit (éventuellement) de compétences nouvelles.

Préservation culturelle, préservation éco/biologique

« Pour que le tourisme ne devienne pas synonyme d’invasion, nous lançons ungrand appel à tous ceux qui visiteront Siwa. N’oubliez pas que vous êtes des invitésdans l’oasis. À vous de vous adapter et de respecter les coutumes locales [...] » (LeGuide du routard Égypte 2001 : 420).

51 Au-delà des conflits et des oppositions, dans les pratiques ou les discours, entre les

sociétés oasiennes et leurs touristes culturels, il se construit de toute évidence une

sorte de langage commun — une « novlangue »42, si l’on veut se garder d’être trop

angélique. L’un des points d’accord fondamentaux le plus saillant est que les « contenus

culturels » proposés ou recherchés de cette Afrique saharienne semblent dépasser la

simple « tradition » et chercher une actualisation de cette « harmonie authentique »

supposée entre une société locale et son environnement. La pente naturelle semble à ce

jour l’amalgame fait par tous des préoccupations qui tiennent de la préservation

identitaire (diversité culturelle) et d’autres de la préservation éco/biologique

(biodiversité). « Cette place accordée à la diversité et aux singularités des formes de vie

peut rejoindre une attitude culturaliste visant à maintenir la spécificité de peuples et

de traditions » (Lafaye & Thévenot 1993 : 520). La recherche elle-même fait cette

assimilation aujourd’hui : le « développement d’un tourisme naturel et patrimonial

peut permettre, en leur accordant une nouvelle valeur “marchande”, une protection de

la biodiversité, des systèmes de production traditionnels et de la qualité des

paysages »43.

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52 Du tourisme pour découvrir la nature des oasis nord-africaines au tourisme pour

atteindre désormais la nature essentielle des communautés oasiennes, la dimension

paysagère ou environnementale reste la constante, alimentée par les imaginaires

transnationaux. Le tourisme culturel tend à diversifier les ressources possibles à

exploiter dans les oasis, mais — et sans y voir là un motif d’insatisfaction des uns et des

autres — il modèle l’oasis à son attente et, à la soif d’authenticité des touristes qui

empruntent une pratique « culturelle », répond une offre, plus ou moins organisée,

mais toujours inscrite dans une forme de dialogue. Cependant, quand cette demande

touche à leur identité, le risque est peut-être pour les populations oasiennes d’avoir de

plus en plus de mal à former leur propre subjectivité en dehors de leur subjectivation

par et pour le tourisme, une problématique qui dépasse le cadre des oasis et même de

l’Afrique (Benabou 2007). Après tout, les oasis ont toujours été des carrefours.

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NOTES

1. Certaines oasis ne doivent leur existence et leur pérennité qu’au commerce transsaharien.

2. En tant qu’ethnologue, je travaille sur les rencontres réelles et observables, laissant ici de côté

des formes de tourisme solidaire encore à l’état de projet.

3. Qui bénéficie également de sa promotion politique récente (en 1981) de siège du gouvernorat

(le Jérid était auparavant partie du gouvernorat de Gafsa).

4. Mère du monde : modeste façon par laquelle les Cairotes ou les Égyptiens surnomment Misr (Le

Caire ou l’Égypte).

5. Pour B USSON, FÈVRE et HAUSER (1910 : 116) : « Le commerce saharien [...] a d’ailleurs perdu

beaucoup de son importance depuis que l’occupation des oasis algéro-tunisiennes par la France

en a éliminé l’élément le plus rémunérateur, le trafic des nègres enlevés au Soudan. »

6. L’emploi du terme « éthos » renvoie surtout à son acception habituelle (du moins depuis Max

Weber) d’un ensemble de règles morales intériorisées par les individus ou les groupes.

L’acception qu’en donne BOURDIEU (1979) n’en est guère éloignée.

7. Le tourisme lié aux événements culturels (de festival par exemple) n’est pas abordé dans cet

article.

8. Les acteurs d’un environnement, quels qu’ils soient, perçoivent, conçoivent et pratiquent

(dans un même mouvement, sans préséance — recherchée — entre concept et pratique) l’espace

en même temps que leurs relations à cet espace avec lequel ils interagissent. Il n’existe

évidemment pas un type unique de relation : les acteurs pris dans des situations font appel à des

registres de relations (pratiques et cognitives) à l’environnement. Ces registres ne peuvent être

déconnectés de leur cadre spatial, temporel et physique avec lesquels ils sont forcément en

liaison — mais non en adéquation. Ces ensembles de ressources cognitives et de pratiques et de

ressources physiques et biologiques forment ce que l’on peut appeler des « ressources

socioécologiques », d’ordre idéel, naturel et pratique, mobilisées de manières différenciées pour

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un même environnement selon les acteurs et les situations. Ces ressources ne sont donc pas

uniquement des ressources du lieu. L’accès et la mobilisation de ces ressources socioécologiques

ne sont pas équitablement partagés.

9. Les exemples de littératures sont nombreux, citons notamment Vacances au Hoggar, un chameau

et moi (D’IETEREN 1952).

10. Voir l’appel du désert traité par Jean-Didier URBAIN (1993 : 179).

11. C’est une déception pour de nombreux touristes de ne pas toujours trouver des dunes de

sable autour des oasis, les ergs ne couvrant qu’un septième du Sahara.

12. Les oasis servent aussi de prétexte à traverser le désert : les autorités algériennes et le PNUD

ont mis en œuvre « la route des ksour », itinéraire de tourisme culturel suivant la piste des

caravanes joignant les anciens ksour et oasis du Sahara. Ce projet sera prolongé en Tunisie et au

Maroc, puis vers la Libye et la Mauritanie.

13. À propos de zoos humains, le hasard veut que l’importation et l’exposition de huit Pygmées

baka du Cameroun dans le parc animalier de Champalle à Yvoir en Belgique (qui défraya la

chronique en juillet 2002) fussent organisées par l’association belge Oasis nature.

14. Quand ce tourisme était autorisé : longtemps la zone fut contrôlée par les militaires et

interdite aux étrangers.

15. Une moyenne d’un jour trois quart à Tozeur, de deux à trois jours à Siwa. Le nombre annuel

de visiteurs à Siwa est compris entre 6 000 et 7 000 ; à Tozeur, il est 60 fois supérieur : 400 000

visiteurs par an (Données 2008 en Tunisie du Commissariat régional au tourisme, région du Sud-

Ouest et 2006 en Égypte de l’Egyptian Tourism Authority Office in Siwa).

16. Enquête inédite des Services de l’environnement, Siwa, 2005.

17. La perplexité de nombreux ethnologues face à cette catégorie du « traditionnel » est connue

et largement légitime. Mon principal grief est qu’elle renvoie systématiquement à du « non

daté », laissant croire à l’immuabilité des faits sociaux, à la permanence de traits culturels alors

« naturalisés ».

18. Le pittoresque, après tout, est le caractère de ce qui est « digne d’être peint, attire l’attention,

charme ou amuse par un aspect original » (Petit Robert).

19. Et l’authentique, finalement, est ce qui est « conforme à son apparence », ce qui « exprime

une vérité profonde de l'individu et non des habitudes superficielles, des conventions » (ibid.).

20. Vérifié dans de nombreuses langues européennes.

21. Le responsable du syndicat d’initiative à Siwa, le 23 août 2002.

22. La municipalité de Tozeur a cependant transformé, il y a peu, le site en un improbable

« Temple de l’amour » (une sorte de parc de jeux).

23. « A hot-air balloon flight over the Sahara just as the sun is rising is one spectacle no one

should miss », Tunisia: Antonio, my ship of the desert, Telegraph, 05/ 02/2001 < http://

www.telegraph.co.uk/travel/africaandindianocean/tunisia/720893/Tunisia-Antonio%2C-my-

ship-of-the-desert.html>.

24. Deux modes que j’ai appelés ailleurs registres instrumental et relativiste (BATTESTI 2005).

25. Abdou, Siwa, 2 janvier 2005.

26. Il serait intéressant de savoir s’il en a été autrement quand les villages étaient encore groupés

en hauteur et que cette position sécuritaire leur permettait de surveiller les alentours.

27. Un nouveau dix-huit trous et bientôt trente-six trous à Tozeur, < http://

www.tozeuroasisgolf.com>, février 2008. À inscrire au compte de M. Chraïet, un maire débordant

d’initiatives architecturales pour le moins curieuses (car justement aucune ne peut pleinement

satisfaire la quête contemporaine « d’authenticité » des touristes), on notera également la

présence toute récente de dinosaures à l’échelle dans la palmeraie, devant le nouveau musée

Chak-Wak.

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28. Ce qui domine dans le récent développement de l’incentive, une forme de tourisme

d’entreprise, rapide et en groupe pour « motiver votre force de vente, dynamiser votre force de

frappe », <http://www.tunisie-receptif.com/incentives.html>, 20 avril 2008.

29. Communication personnelle de son directeur Ali Matrash, 2004.

30. Sauf sur la question des ordures laissées par les habitants dans la palmeraie : cela dépare dans

un cadre idyllique.

31. Siwa possède de nombreux vestiges d’intérêt archéologique qui motivent parfois le voyage.

32. Blog internet, 2007, Bécassine dans le désert : Siwa. < http://elsakhawaga.blogspot. com/

2007_10_01_archive.html>, 18 février 2008.

33. De même type que ceux qui ont asséché la corbeille de Nefta.

34. Et très largement plébiscitée depuis une petite dizaine d’années par des Européens, grands

investisseurs dans l’immobilier de ce quartier qu’on nomme dorénavant « médina », pour en

faire des résidences secondaires. Dans une certaine mesure, la comparaison avec ce qui se passe à

Marrakech ne serait pas illégitime.

35. La coercition est de mise puisque le raccordement à l’eau et l’électricité est désormais

conditionné au respect de ce décret (no 1219/2002 avec la déclaration de zone protégée de Siwa

en 2002 classée comme Desert & Civilizational Site Protectorate).

36. Les Bidochon en vacances (BINET 1981) et Les Bidochon en voyage organisé (BINET 1984) compilent

les critères d’un idéaltype du tourisme de masse, accordés aux Français en vacances. Pour le

tourisme culturel, les vacances « à la Bidochon » agissent comme un modèle repoussoir : bon

tourisme contre mauvais tourisme.

37. Pourquoi ? délicat de le dire en deux mots. Il s’agit clairement d’une demande touristique

(française et allemande en particulier) d’avoir à faire à des Berbères plutôt qu’à des Arabes et je

ne peux qu’y voir la rémanence d’un vieux clivage colonial français en Algérie. Le discours

colonial valorisait la composante berbère de l’Afrique du Nord (et sa latinité présumée) pour

légitimer son annexion à l’Europe (les Arabes ne devenant qu’une péripétie invasive).

38. L’Ecolodge d’Adrar Amellal à Siwa est un hôtel dépourvu de confort électrique, entièrement

construit en matériaux locaux et utilisant partiellement la technique locale ancienne du tlaght

(pisé en argile salée). Il est une forme de vitrine du savoir-faire de la société cairote EQI et ne vise

qu’une clientèle haut de gamme.

39. L’auteur vise spécifiquement une clientèle touristique. Il a fait traduire son livre de l’anglais

vers le français (MALIM 2003) trois ans plus tard. Les premiers mots de sa préface : « Je suis très

heureux d’écrire un livre sur ma région, l’oasis de Siwa. J’espère qu’il permettra aux lecteurs de

découvrir et de comprendre les coutumes, à la fois belles et uniques, du peuple siwi. L’ouvrage a

été rédigé simplement, de façon à permettre à des gens du monde entier de comprendre et

d’apprécier l’identité siwi. » Notons que d’autres ouvrages sont mobilisés, en particulier

l’incontournable et précieux travail d’Ahmed FAKHRY (1990), Siwa Oasis, ainsi qu’un nouveau livre

d’un autre auteur de Siwa, Siwa, Past and Present d’Abd el-Aziz Abd el-Rahman ALDUMAIRY (2005),

sans compter la littérature de voyage (parfois très riche en détails) et divers guides plus ou moins

précis.

40. Un touriste britannique en 2004.

41. Voir également les témoignages de guides au Caire dans LACHENAL (2007 : 72).

42. Le novlangue (newspeak en anglais) est la langue officielle de l’Océania inventée en 1949 par

George ORWELL pour son roman 1984. Il est une simplification lexicale et syntaxique de la langue

destinée à rendre impossible l’expression des idées subversives et à éviter toute formulation de

critique (et l’idée même de critique) de l’État.

43. Premier appel à contributions, janvier 2007, Colloque international Tourisme saharien et

développement durable, Enjeux et approches comparatives, Tozeur (Tunisie), du 9 au 11 novembre

2007, Université de Sousse, Faculté de Droit et des sciences économiques et politiques de Sousse,

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UR Tourisme et développement & Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, Institut de

recherche pour le développement, UMR 063 C3ED.

RÉSUMÉS

Ce texte s'articule sur deux terrains ethnographiques oasiens : en Tunisie dans la région

arabophone du Jérid et dans l'oasis berbérophone égyptienne de Siwa. L'inclination

contemporaine du tourisme est clairement au « culturel ». Moins qu'une opposition entre des

« touristes culturels » et des touristes qui ne le seraient point, il s'agit surtout d'un zèle chez les

uns et les autres à mettre en œuvre une nouvelle ressource, un nouveau registre de pratiques

touristiques. Les émotions esthétiques ont aussi évolué (du pittoresque à l'authenticité), avec

l'exigence d'un accès direct et vrai à la culture locale. Plus que le panorama en surplomb offert

depuis les inselbergs qui entourent Siwa ou les montgolfières à Tozeur, rien ne vaut désormais

d'assister à un « vrai » mariage, à une « vraie » fête des jeunes travailleurs enivrés sous les

palmiers. Quiproquo et simulacres laissent place cependant aussi à une satisfaction. Il se crée

peut-être une « novlangue » coproduite entre touristes et interface locale, amalgamant

préservation identitaire (diversité culturelle) et préservation éco/biologique (biodiversité).

This text focuses on two ethnographic oasian fieldworks: in Tunisia, the Arabic-speaking region

of the Jerid and in Egypt, the Berber-speaking oasis of Siwa. The tendency of contemporary

tourism is clearly "culturally" oriented. Less than an opposition between "cultural tourists" and

"un-cultural tourists", it is mainly a zeal among each other to implement a new resource, a new

register of tourism practices. Aesthetic emotions have also evolved (from picturesque to

authenticity), with the demand for direct and true access to the local culture. More than the

overlooking panorama offered from inselbergs around Siwa or balloons in Tozeur, nothing bears a

comparison with a "real" marriage, a "real" party of drunken young workers under the palm

trees. Misunderstandings and simulacra, however, leave also room for satisfaction. A "newspeak"

("novlangue") is perhaps invented, co-produced between tourists and local interface combining

identity preservation (cultural diversity) and biological/environmental preservation

(biodiversity).

INDEX

Mots-clés : Égypte, Tunisie, Jérid, Siwa, anthropologie, authenticité, culture, ethnologie, oasis,

patrimoine, tourisme culturel

Keywords : Egypt, Tunisia, Jerid, Siwa, anthropology, authenticity, culture, ethnology, oasis,

heritage, cultural tourism

AUTEUR

VINCENT BATTESTI

Écoanthropologie & Ethnobiologie (UMR 7206), Muséum national d’Histoire naturelle, Paris.

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Chronique filmographique

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Le tourisme et les images exotiquesThe Tourism and the Exotic Images

Jean-Paul Colleyn et Frédérique Devillez

1 Le tourisme, la prise d’images documentaires et l’anthropologie sont historiquement

liés puisqu’ils font partie de l’expansion de l’Occident. Un fait paraît d’ailleurs

incontournable : ce sont toujours les mêmes qui visitent et les mêmes qui sont visités

(Crick 1989 ; Bruner 1989). Nelson Graburn (1983) a même qualifié l’anthropologie de

plus haute forme de tourisme. L’histoire du cinéma passe par une mise en images

systématique du monde, comme en témoignent les premières entreprises, celles des

frères Lumière, d’Edison, puis d’Albert Kahn qui envoyèrent des opérateurs dans les

quatre coins de la planète. Aujourd’hui, cette mise en images se poursuit, à mesure que

progresse la « touristication » du monde. Le tourisme n’a donné naissance à une

véritable industrie, qu’après la Seconde Guerre mondiale, avec les congés payés,

lorsque les classes moyennes européennes et américaines ont pu bénéficier des progrès

des transports. C’est un bon point d’entrée pour observer l’état du monde, car c’est un

fait « social total » dont l’étude touche à toutes les grandes questions de

l’anthropologie. Le tourisme n’est-il pas le thermomètre des relations Nord-Sud,

centre-périphérie, riches-pauvres ? Les relations entre touristes et « touristiqués »

sont-elle forcément inégales ? Les populations visitées sont-elles les victimes ou les

bénéficiaires de ces relations ? Le tourisme valorisant l’authenticité, les traditions se

réinventent-elles partiellement pour répondre à la demande touristique ? Le tourisme

ne révèle-t-il pas les ambiguïtés des notions d’identité, de « dépaysement » et de

traditions ?

2 L’histoire du tourisme, en tout cas, est une histoire du regard : regard dirigé vers

l’autre, regard retourné vers soi. C’est le sens de la programmation de films consacrés à

ce thème par l’édition 2008 du Cinéma du Réel, le festival du film documentaire de la

Bibliothèque publique d’information, qui s’est tenu au Centre Georges Pompidou, à

Paris. En choisissant de rassembler une centaine de films autour de la figure du

tourisme, ce festival nous invite à interroger notre regard et notre quête de

l’authenticité dans la relation instaurée à l’autre et au monde1. Il propose une lecture

des films présentés comme le résultat d’une réflexion des cinéastes sur le tourisme et le

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regard qu’ils posent sur ce type de rencontre entre « étrangers ». « Le déni de la

situation de touriste est en effet le propre du touriste » (Bullot 2008 : 141). Qu’il

s’emploie à superposer par le voyage ce qu’il voit à ce qu’il imaginait voir, où qu’il rêve

de découvrir des territoires inexplorés, le touriste désire avant tout croire à une double

authenticité : celle de ce qu’il découvre et celle de la relation qu’il entretient au monde.

Or, la condition de l’explorateur contemporain, qu’il soit ethnographe, documentariste

ou simple voyageur, semble bien être celle de l’impossibilité d’accéder à cette

authenticité. Marc Augé (1997) a parlé à ce propos d’« impossible voyage ». Les films

montrés déclinent les modalités d’une renonciation progressive, en allant pour leurs

auteurs jusqu’à revendiquer le statut de touristes, voire à en jouer. Comment faire de

l’acte de voyager ou de filmer une expérience plutôt qu’une simple consommation du

monde ? Comment échapper à la mise en images comme reproduction de ce que nous

savons déjà ? (Neyrat et al. 2008 : 169).

3 Le tourisme a à voir avec l’image, l’imaginaire et l’imagerie. L’image qu’on donne du

monde lointain, l’imaginaire qu’il suscite, l’imagerie pittoresque où on le cantonne

souvent.

4 Les premières images du cinéma sont liées à l’exploration, car le cinéma voyage pour

ses spectateurs, ces « voyageurs immobiles des salles obscures », ce qui induit une

grammaire cinématographique cherchant à reproduire le mouvement (de Pastre 2008 :

167). La télévision prendra la succession de la salle Pleyel, raillée par Claude Lévi-

Strauss dans la première page de Tristes Tropiques. Le Cinéma du réel a montré plusieurs

films du premier « travelogue » et inventeur du terme : Burton Holmes (1870-1958).

Infatigable globe-trotter, il fit l’équivalent de six fois le tour du monde, prenant 30 000

photographies et des kilomètres de pellicule. Ses images illustraient ses conférences,

d’abord sous forme de diapositives, puis de films ; ses livres se vendaient comme des

petits pains2. Parfait gentleman aventurier, il annonce la galerie de conférenciers et de

vedettes de télévision, de Martin et Osa Johnson à Jean-Yves Cousteau, en passant par

Lowell Thomas. Bien que très respectueux des hommes qu’il rencontrait aux antipodes,

Holmes s’inscrivait dans la grande entreprise d’appropriation du monde de son époque,

comme en témoigne le titre de son autobiographie : The World is Mine (Holmes 1953).

5 Le gommage du contexte au profit du cliché primitiviste est présent dès l’origine : s’il

fallait argumenter sur le caractère illusoire de l’authenticité, il suffirait de répertorier

le nombre des premiers films « ethnographiques » qui ont été tournés dans les foires

coloniales ou les réserves indiennes (Jordan 1992). L’image fonctionne comme la

réserve, elle fige. Lors du tournage du dernier film qu’ils consacrèrent aux Mursi du sud

de l’Éthiopie, qu’ils fréquentent depuis 35 ans, le cinéaste Leslie Woodhead et

l’anthropologue David Turton furent surpris des changements intervenus. Les femmes

et les enfants qui les accueillirent arboraient une tenue étonnante : leur corps était

décoré de motifs étranges, en boue séchée coloriée, leurs oreilles et leurs bras étaient

parés de lourds ornements, les femmes portaient dans leur lèvre inférieure des

plateaux d’une taille impressionnante. Quelques touristes, chargés, eux, d’appareils, les

mitraillaient de photos en échange de quelques monnaies. Un aîné familier de

l’anthropologue et du cinéaste leur expliqua que bien sûr tout cela était très nouveau

pour les Mursi, mais que c’était ce qu’aimaient les touristes : ils ne veulent

photographier que les femmes et achètent tout ce qu’elles portent : bracelets, dents

d’hippopotame et même cloches de vaches. Les gains d’une seule « femme à plateau »

permettent de reconstituer le troupeau d’une famille appauvrie par la sécheresse et la

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guerre. Turton, avec modestie — il a passé des années sur le terrain et a appris la langue

des Mursi —, concéda « face caméra », que l’anthropologue n’est lui aussi qu’une sorte

particulière de visiteur et qu’il contribue également aux changements qu’il déplore.

6 Le cinéma peut en revanche interroger le portrait d’une culture figée par la « mise en

réserve » : le film Safari au Xingu d’Yves Billon et Jean-François Schiano (1983) constate

l’ambiguïté d’une solution boiteuse entre une culture institutionnellement préservée

(et constamment soumise aux marchandages) et l’assimilation.

7 L’authenticité est un malentendu, une valeur que l’on pourrait identifier comme le

« mauvais objet », le tourisme dénié serait un mauvais tourisme, à la fois produit et

producteur d’une imagerie aux effets pervers. Toute une idéologie liée aux frustrations

du monde industriel veut faire croire à l’authenticité comme valeur suprême, comme

principal instrument d’une catharsis ou plus modestement d’une cure. Le touriste des

antipodes veut trouver l’autre ; s’il n’y trouve que soi, il ne peut cacher sa frustration ni

son sentiment de s’être fait rouler. Car, en vérité, lui-même n’aime pas les touristes et

s’efforce de s’en distinguer : il désire être seul face à une virginité culturelle, tout en

bénéficiant de « prestations » dignes de sa société d’origine. On retrouve le cercle

vicieux du marché de l’art « primitif » dénoncé par Resnais et Marker (1953) dans Les

Statues meurent aussi : le culte rendu à l’objet tue l’objet. Pour avoir quelque valeur, il ne

faut surtout pas que le masque ait été taillé « pour un blanc », « il faut qu’il ait dansé »,

qu’il ait été fait pour l’autre. Revenons à l’imagerie du monde riche : dans la sphère

publique, les images de la diversité culturelle proviennent surtout des explorateurs, des

promoteurs, des écrivains-voyageurs, des reporters, des photographes, des cinéastes et,

marginalement, des chercheurs, lesquels souvent portent sur l’exotisme de masse un

jugement négatif. Leurs travaux, toutefois, alimentent, qu’ils le veuillent ou non, toute

cette « idéologie touristique ». Pour le meilleur ou pour le pire, l’anthropologie, ou

plutôt, l’ethnologie, doit sa popularité aux images, d’abord à travers les supports

visuels — dans les musées et les expositions internationales du XIXe et du début du XXe

siècles, puis les livres et articles, dans la période qui va des années 1920 à la moitié des

années 1970, puis, à nouveau, aux moyens audiovisuels, avec la télévision (MacClancy &

McDonaugh 1996 : 17). Il faut aujourd’hui ajouter Internet, car le tourisme y est

omniprésent et alimente la nouvelle mise en images du monde. En évoquant de

manière pittoresque et sensationnelle les lieux et les peuples qu’elle propose à la

consommation, l’imagerie touristique façonne non seulement la demande touristique,

mais aussi l’offre, car dès le moment où ce créneau paraît plus lucratif que le secteur

économique primaire, les gens essaient comme ils le peuvent de se conformer à ce que

l’on attend d’eux. Les images reçues, comme on dit les « idées reçues », modèlent les

goûts et les attentes. L’authenticité étant une valeur particulièrement demandée, la

promotion touristique se charge de la mettre en avant et, au besoin, de la réinventer

(Amselle 2005 ; Doquet 2006 ; Salazar 2005).

8 Les documentaristes ne sont pas forcément formés à l’anthropologie ou à la sociologie,

mais les meilleurs d’entre eux sont de fins observateurs du social. Leurs intuitions ont

parfois précédé les recherches des spécialistes, tant sur le plan formel (la recherche de

nouvelles formes documentaires) que sur le plan théorique (le dépassement du

positivisme, les interactions sociales, les contextes d’énonciation de la parole, la place

de l’auteur dans la description). Toutefois, la plupart des programmes relèvent plutôt

des « travelogues », partageant le même imaginaire que les guides, les livres

touristiques, les cartes postales et la publicité. Les secteurs les plus « sérieux » du

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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paysage audiovisuel français n’échappent pas au tropisme racoleur. Voici, par exemple,

comment le Nouvel Observateur commente le programme « Mille et une vie : la

Nouvelle-Zélande »3 : « Parfois les Maoris acceptent de parler devant la caméra, et

l’entretien est magique [...]. Et tout le monde afflue là, en quête de révélation sublime

depuis le film de Peter Jackson Le Seigneur des anneaux »4. Ailleurs, le même magazine se

repaît de ce dont il se moque, commentant le reportage sur la virée de stars dans le

monde pauvre : « Avec Adriana Karembeu chez les Amharas, sur les Hauts-plateaux

d’Abyssinie. On croirait une poupée Barbie géante égarée au pays des minipouces [...]. À

l’image des précédentes éditions, ce numéro, conçu comme un voyage initiatique à la

découverte de l’autre et de soi [...] »5.

Un film-charnière

9 Dès 1987, le film Cannibal Tours, de Dennis O’Rourke avait pourtant jeté un pavé dans la

mare touristique, mais on sait qu’un travail de démystification doit toujours

recommencer. Le cinéaste accompagnait un groupe de touristes fortunés qui remontait

le fleuve Sepik et filmait leurs interactions avec les Papous. Le film intéressa vivement

les anthropologues car il était parfaitement contemporain de la critique postmoderne

de l’anthropologie classique par des auteurs venus des études littéraires et des cultural

studies. Cannibal Tours est, en effet, un film « dialogique » (il fait entendre une

multiplicité de voix, notamment « indigènes ») et « réflexif » (la place du cinéaste, loin

d’être masquée par un style objectivant, est clairement assumée). Jamais le film ne

verse dans l’« allochronisme » (qui rejette les « observés » dans un autre temps)

dénoncé par Johannes Fabian (1983) : au contraire, comme le note Hart Cohen (cité

dans Lutkehaus 1989 : 425), « le film contribue à une ethnographie visuelle de la

modernité »6. En même temps, O’Rourke est parfaitement conscient que son propre

projet rajoute un étage à l’entreprise voyeuriste incarnée par le tourisme. « Les

métaphores du processus de mise en images, la nature du regard et le contrôle sur le

choix et la diffusion des images [...] qui reflètent le pouvoir inégal propre aux relations

entre l’Occident et les autres sont devenus un leitmotiv dans l’œuvre de O’Rourke » 7

(Lutkehaus 1989 : 436). Peter Kubelka (Unsere afrikareise 1961-1966), avait déjà filé la

métaphore du cannibalisme et de la dévoration comme rapport entre touristes et

autochtones, en jouant du montage et des champs-contre-champs explicites et

absurdes et en montrant un touriste avide de sensations et de primitivisme. Bien que

n’étant pas anthropologue, Dennis O’Rourke, qui se définit comme un artiste, entend

nous faire réfléchir sur notre fascination pour le monde « primitif ». Dans le film, les

touristes, qui apparaissent comme paternalistes et franchement ethnocentriques,

semblent adorer — surtout l’un d’entre eux —, les histoires de sacrifices humains et de

cannibalisme. Le dernier jour de leur périple, ils organisent une petite party sur leur

bateau, se déguisent en Papous, s’affublent de peintures faciales, imitent les danses

guerrières et plaisantent à propos des étuis péniens qu’ils ont achetés comme

souvenirs. En revanche, la lucidité sociologique et le sens de la réversibilité du regard

des Papous interrogés impressionnent : « Certains de nos enfants qui ont été à l’école

nous disent : “Ce sont des gens riches qui viennent”. Et nous acquiesçons, ils doivent

être des fortunés. Leurs propres ancêtres ont fait de l’argent et maintenant, ils peuvent

voyager. Nous n’avons pas d’argent, donc nous restons au village. Nous ne voyons pas

d’autres pays. » Dans Kobarweng or where is your helicopter ?, de Johan Grimonprez (1992),

un néo-Guinéen surprend le cinéaste en lui demandant : « Où est ton hélicoptère ? » car

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les souvenirs du monde extérieur sont marqués par la Seconde Guerre mondiale. Même

retournement dans The Moon, the Sea, the Mood, de Philipp Mayrhofer (2008), où une

épicière des îles Trobriand exprime son désir d’aller en Hollande, car les belles images

avec moulins à vent lui font penser que la nature doit y être très belle. Plus loin, le

chauffeur du réalisateur s’étonne du culte que les Européens vouent à Malinowski.

Les derniers « sauvages »

10 Il existe une sorte de « hit parade » des peuples « primitifs », au sens où ils font l’objet

d’un engouement particulier : il s’agit toujours de peuples présentés comme

irrédentistes, qui refusent l’assimilation et se battent pour préserver leurs « coutumes

ancestrales » : les Dogon, les Touaregs, les Maasaï, les « Bushmen », les Pygmées. La

version idéalisée d’une vie proche de la nature qui ne doit rien aux « horreurs » de la

production industrielle paraît plus attirante qu’un dossier décrivant une population qui

s’habille de fripes européennes, habite sous la tôle ondulée, produit un « artisanat

d’aéroport », recycle les surplus de contrebande et prépare son thé sur des réchauds

Butagaz dans des théières importées de Chine. Même au fond de la Papouasie-Nouvelle

Guinée, les hôtes de l’anthropologue Stéphane Breton se montrent fascinés par le

monde d’où il vient et par les transactions qu’il noue avec eux. Dans Eux et moi, Breton

(2001) évoque le dégoût qu’il a d’abord ressenti en se livrant au « petit commerce » avec

les Papous, toujours friands de trouver un acheteur pour leurs coquillages contre

quelques billets de banque. Jusqu’à ce qu’en faisant de ces marchandages et de son

trouble les sujets de son film, il se démarque de l’image d’Épinal de l’ethnologue aux

motivations certes scientifiques et nobles, mais incompréhensibles pour les

« ethnologisés ». Maintenant qu’ils peuvent faire du commerce ouvertement, ils

prennent place dans un système symbolique commun. En quelque sorte, Stéphane

Breton endosse son habit de touriste, assume l’ambiguïté de la relation et nous rend

sensible l’état d’étrangeté ressenti par l’anthropologue face au regard de celui qu’il

étudie.

Commerce en tout genre

11 Dans un monde fait de flux où de plus en plus de gens circulent, de leur plein gré ou

contraints et forcés, le tourisme est devenu un fait culturel et un secteur économique

majeurs : les lieux et leurs habitants sont devenus des objets de consommation. La

France est bien placée pour le savoir, en tant que pays le plus visité du monde, avec ses

78 millions de visiteurs en 20068. Nous nous inquiétons de la perte de pureté des

cultures que nous semblons persister à considérer comme exotiques, primitives ou

« premières », mais nos propres hauts lieux se sont mis en scène, nos villes se sont

découvert des centres historiques et nos régions vantent leurs spécialités locales. La

culture française en a-t-elle souffert ? Qui pourrait faire avec sûreté la distinction entre

ce qui est commercialement présenté comme français et ce qui serait

« authentiquement » français ? Les Français sont-ils devenus « folkloriques » sous

l’effet de la commercialisation de leur patrimoine ? Certainement en partie, mais le fait

ne semble pas trop les traumatiser, comme le montre l’ironie subtile de Marc Augé dans

la série Clichés (Augé et al. 1994). Les anthropologues se montrent pourtant préoccupés

par les effets corrupteurs du tourisme sur les sociétés qu’ils étudient, en particulier en

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Afrique. Non seulement le tourisme les changerait en parcs d’attraction, mais il

modifierait la manière dont leurs membres se perçoivent eux-mêmes (Wang 2000). Il

faut dire que l’appétit des touristes ne connaît pas de bornes. Selon Beatriz Jaguaribe

(2007), au Brésil, des tournées touristiques sont organisées dans des favelas réputées

dangereuses pour attirer des touristes désireux d’éprouver physiquement les frissons

de l’aventure. Autre exemple extrême : le tourisme sexuel sous toutes ses formes, du

plus anodin petit arrangement entre amis à la pédophilie, en passant par les prostitués

des deux sexes, les gigolos et les beach boys. C’est un phénomène qui affecte aujourd’hui

le Kenya, la Gambie, le Sénégal et aussi les Antilles. Récemment, Laurent Cantet a traité

ce thème dans son film de fiction Vers le Sud (2006), avec l’actrice Charlotte Rampling.

Un sujet qui fâche

12 Prendre des images apparaît comme un des principaux plaisirs du voyage, et la misère

semble prendre une valeur esthétique prisée ; donnant à penser que la souffrance est

belle (Reinhardt et al. 2007). C’est même parfois un sujet qui fâche, car les « indigènes »

n’apprécient guère que les touristes les filment ou les photographient sans demander

leur avis (Bruner 1989).

13 Agarrando pueblo, de Luis Ospina et Carlos Mayolo (Colombie, 1978), montre dans un

premier temps le cynisme de deux « documentaristes » prêts à tout pour prendre des

images sensationnelles, susceptibles de satisfaire la soif occidentale de misère humaine.

Visiblement, le commerce de la pauvreté est rentable, car ces deux amoraux, sexy et

poseurs, fanfaronnent et passent allègrement du vol de prises de vue à la

consommation de drogues aux bras de jolies filles. Lorsqu’ils vont jusqu’à mettre en

scène deux comédiens payés pour jouer les misérables dans un taudis « emprunté » à

son propriétaire absent, coup de théâtre : le propriétaire débarque fou furieux et chasse

toute l’équipe à coups de menaces et d’injures. Mais en réalité, ce coup de théâtre est

lui-même mis en scène : l’homme finit par éclater de rire et le spectateur prend

conscience que le film entier est un coup monté. Les deux « documentaristes » sont les

réalisateurs et ils interviewent le « fou » sur cette expérience de cinéma. Finalement, ce

dernier échappe à tous les clichés : celui du pauvre et de l’offensé, mais aussi celui du

dénonciateur. Parfaitement conscient des enjeux du tournage, il expose avec beaucoup

d’ironie sa vision des choses, loin de tout manichéisme. Un film parodique, un mock-

documentary qui a le mérite de poser la question d’un tourniquet des regards et de la

guerre des images.

*

14 Une énorme production non critique continue de fabriquer de l’imagerie touristique

plus ou moins commerciale, mais de nombreux films, dans la foulée de Cannibal Tours,

interrogent le jeu de miroirs du « réel » et de ses images. Anthropologues et

documentaristes savent aujourd’hui que de la réalité surgit dans le spectacle et que le

spectacle crée du réel. Globalement, l’anthropologie visuelle a traité du tourisme en

prenant les films documentaires comme sources, bien plus qu’elle n’a contribué à la

fabrique des images, laissant la tâche aux documentaristes. Par ailleurs, la position des

anthropologues semble avoir évolué, passant de la dénonciation des mystifications de

la culture de masse à des études plus fines des pratiques touristiques, voire à une

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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défense d’un tourisme « équilibré », comme solution alternative aux impasses du

développement (Strecker 2000). Le rapport filmant-filmés a, lui aussi, évolué : les

seconds ont cessé d’être les sujets passifs d’un rapport de domination pour s’inscrire

dans des rapports négociés. Tandis que les auteurs s’interrogent sur la manière dont ils

exercent le pouvoir de mettre en images les « sujets » de leurs films, il arrive que ces

derniers revendiquent leur image et s’efforcent de la contrôler. Bien des groupes

humains sont devenus des prolétaires d’un nouveau type : avec les sécheresses

successives et la crise des matières premières, leurs bras sont devenus inutiles et ils

vendent la dernière chose qu’il leur reste : leur culture, dont ils se sont aperçu qu’elle

était monnayable. Ironie de l’histoire des idées : à l’heure où les anthropologues ont

enfin surmonté la conception essentialiste des cultures naguère quasiment considérées

comme des espèces naturelles, la « touristication » d’une part et les revendications des

minorités d’autre part, produisent de l’identité à tour de bras, comme nouvelle

stratégie de lutte ou d’adaptation au monde actuel. Sans doute faut-il distinguer un

essentialisme culturel « stratégique », émanant de groupes en lutte pour la défense de

leurs droits et un essentialisme naïf, émanant de réalisateurs à la recherche d’une

pureté perdue ou soucieux du sauvetage de patrimoines menacés. Si l’image risque

toujours de figer les cultures en voulant les préserver, un peu comme le disait Roland

Barthes de la photographie, elle peut aussi restituer les efforts de recomposition et

d’invention à l’œuvre sur les terres d’accueil du tourisme. Enfin les touristes eux-

mêmes évoluent et se montrent de plus en plus soucieux de marier l’éthique et le

tourisme, une idéologie nouvelle qui mobilise une nouvelle rhétorique (durable,

solidaire, culturel, écologique) déjà absorbée par les opérateurs économiques.

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. Le Cinéma du Réel a proposé de tracer un parallélisme entre cinéma et tourisme, à travers

l’histoire de la vision et du regard, en montrant plus de quatre-vingt films, tournés du début du

siècle à aujourd’hui sur tous les continents, avec une grande diversité de formats et de styles :

travelogues, films d’exploration, films ethnographiques, satires, et même faux documentaires,

docufictions, fictions et films d’artistes. Cette chronique n’est ni exhaustive, ni exclusive, car

nous avons ajouté quelques films marquants.

2. <www.burtonholmes.org/life/bio.html>.

3. Magazine télévisé « Faut pas rêver » du 11 juillet 2008.

4. Colette MAINGUY, TéléObs, juillet 2008.

5. Marjolaine JARRY, Nouvel Observateur, TéléObs, 7 juillet 2008.

6. Voir également à ce sujet COHEN (1984).

7. « Visual metaphors of processes of imaging, the nature of a gaze, and the control over the

choice and distribution of images (as in television programming) that represent unequal power

inherent in relationships between the West and Others have become a leitmotiv of O’Rourke’s

work. »

8. L’expansion.com, 7 février 2007.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

511

RÉSUMÉS

Le tourisme s'inscrit dans un contexte de rencontres inégales, car il participe de la conquête du

monde par les peuples nantis. Le cinéma, qui construit plutôt qu'il ne reflète une histoire de la

vision et du regard, accompagne ce processus. L'un et l'autre sont des objets d'études et de bons

postes d'observation pour les anthropologues dont les travaux alimentent, qu'ils le veuillent ou

non, l'imaginaire touristique, cinématographique ou non. Cette chronique soulève, à la lumière

des films programmés par la dernière édition du Cinéma du Réel (festival de la BPI, au Centre

Pompidou), quelques-unes des questions importantes soulevées par ces jeux de miroirs.

Tourism is part of an unbalanced exchange between rich and poor. Filmmakers contribute to a

history of the vision, the document the evolution of the way explorers, tourists, filmmakers

themselves and their hosts, consider each other. Starting from the film shown during the last

Cinema du Réel festival (Paris, Centre Pompidou), this paper explores some important questions

raised by exoticism, invented tradition, authenticity, and commodification.

INDEX

Keywords : tourism, exoticism, tradition, ethnographic films, documentary films, minorities

Mots-clés : tourisme, exotisme, tradition, films ethnographiques, films documentaires,

minorités

AUTEURS

JEAN-PAUL COLLEYN

Centre d’études africaines, EHESS, Paris.

FRÉDÉRIQUE DEVILLEZ

Centre d’études africaines, EHESS, Paris.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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Chronique bibliographique

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

513

De quelques dynamiquescontemporaines en anthropologiedu tourisme francophoneSome Contemporary Dynamics in the French Anthropology of Tourism

Sébastien Roux

1 Défendue par des chercheurs isolés, dévalorisée par l’apparente futilité de son objet et

handicapée par son incapacité à produire un cadre théorique pertinent, l’anthropologie

du tourisme s’est longtemps vue refuser les espaces éditoriaux les plus légitimes.

Certes, Anthropologie et Sociétés (2001) et Ethnologie française (2002) lui avaient déjà

consacré il y a quelques années un numéro spécial, mais ces initiatives étaient restées

isolées ou centrées sur des aires géographiques limitées. Et l’espace francophone

semblait jusqu’à présent peu préoccupé de dialoguer avec une réflexion qui peine

encore à s’affranchir des revues anglophones spécialisées (Annals ofTourism Research,

Tourist Studies, etc.). Mais ces cloisonnements se dissipent progressivement et les

sciences sociales se réapproprient un phénomène dont elles reconnaissent désormais

l’ampleur ; ce numéro spécial des Cahiers d’Études africaines en est une preuve

supplémentaire. Depuis 2006, la multiplication des espaces éditoriaux permet ainsi la

diffusion d’une recherche sur le tourisme au croisement de plusieurs traditions

disciplinaires : études du développement (Tiers Monde 2004), géopolitique (Hérodote

2007), sciences politiques (Politix 2007), etc. Plus directement orientées vers la

sociologie et l’anthropologie, les revues Autrepart (2006), Actes de la recherche en sciences

sociales (2007) et Civilisations (2008) ont également participé à ce tournant

épistémologique qui tend à réintégrer le tourisme comme objet légitime de la

connaissance scientifique. Or cette (re)découverte accompagne en réalité un

renouvellement théorique, une nouvelle manière d’interroger cet objet d’une

anthropologie de la mondialisation. Sans prétendre à l’exhaustivité, il s’agit de revenir

ici sur quelques articles choisis parmi ces trois dernières revues pour tenter d’aborder

quelques-unes des dynamiques qui traversent aujourd’hui ce champ en plein

renouvellement. En adoptant une perspective chronologique, on montrera ainsi

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

514

comment les publications se répondent et se complètent pour esquisser les bases d’une

nouvelle anthropologie du tourisme francophone.

Rompre avec le sens commun

2 Autrepart propose d’abord en décembre 2006 un numéro spécial coordonné par Anne

Doquet et Sara Le Menestrel. Les deux coordinatrices explicitent leur démarche en

introduction : « [...] depuis plusieurs années, les mouvements identitaires d’aujourd’hui

poussent les sciences humaines à mettre constamment en lien le local et le global, à

dépasser les frontières autrefois admises en leur accolant le préfixe “trans-” et à porter

leur attention sur les questions des réseaux. Constitué depuis toujours de mobilités et

de relations interculturelles, le tourisme, dont une importante branche se revendique

“culturelle”, apparaît comme un objet taillé pour cette perspective » (Doquet & Le

Menestrel 2006 : 4). Il s’agirait alors d’étudier le tourisme comme révélateur des

transformations sociales induites par la modernité. Le numéro parvient à dépasser la

reproduction d’une pensée aporétique sur le tourisme, en réfutant les oppositions

binaires habituellement mobilisées (eux/nous, visiteurs/visités, Nord/Sud, mobiles/

immobiles, dominants/dominés, etc.). Cette volonté de dépassement traverse le

numéro, à l’instar par exemple de l’article de Sandrine Gamblin. Refusant l’opposition

entre hosts et guests, l’auteure cherche à saisir « la rencontre touristique dans ce qu’elle

implique et signifie pour ces hommes en termes de choix de vie et de modalités

d’actions ». À partir des histoires de Goma’a, Sayd et Tala’at, trois Égyptiens suivis

pendant plus d'une décennie, l'auteure donne à voir la complexité d’une rencontre

touristique (Gamblin 2006 : 93). Pour les trois hommes dont on suit les trajectoires et

les parcours de vie, le tourisme apparaît comme une ressource plurielle : « Une

opportunité de réussite économique mais surtout [...] un espace interstitiel où

l’individu peut élaborer des stratégies d'action transversale et de négociation

identitaire dans une recherche de conciliation des valeurs d'ici et de là-bas ». Si la

rencontre touristique résulte d'un rapport de domination indéniable, elle ne s'y réduit

pas pour autant. Au contraire, elle apparaît productrice de sens et d’opportunités. Au

« touriste » ne s'oppose pas mécaniquement « le local », « l'indigène », « le visité » ; la

complexité des interactions et des jeux sociaux, explicitée par la démarche

ethnographique, appelle au contraire à une critique des catégories dont l'apparente

étanchéité participe en réalité à la production d'antagonismes raciaux et culturels.

Dans ce même numéro, la contribution d’Olivier Évrard poursuit cette critique d'un

sens commun en interrogeant le tourisme dit « domestique » à partir du cas

thaïlandais. Au Sud, les déplacements touristiques nationaux sont rarement intégrés

aux analyses anthropologiques et demeurent éclipsés par des mobilités internationales

qui semblent révélatrices de rapports de pouvoir plus explicites. Or Olivier Évrard

s'appuie sur ces pratiques encore mal étudiées pour nuancer une anthropologie du

tourisme dont il rappelle la dimension ethnocentrique. Et la figure d’un « Autre

touriste » émerge progressivement, un touriste aux désirs « asymétriques », distinct du

touriste occidental sans lui être différent. L'auteur écrit : « La façon dont le tourisme

[national] se développe [dans les pays du Sud] met incontestablement en jeu des

mécanismes sociologiques similaires à ceux observés en Occident. Néanmoins, ils

s’articulent dans des contextes historiques différents, selon des représentations et des

systèmes de valeurs spécifiques et avec des implications sociales ou politiques qui ne

sont pas forcément identiques à celles du tourisme international. Un regard comparé

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

515

met à jour moins des comportements différents que des désirs asymétriques [...]. Ces

asymétries ne renvoient pas à une “nature” distincte du tourisme en Occident et dans

les pays du Sud [...]. Elles expriment plutôt, sous la forme d’un jeu de miroir, les

inégalités économiques et les enjeux politiques de l’accès à la mobilité de loisir »

(Évrard 2006 : 165). L’article d’Olivier Évrard interroge ainsi les pratiques touristiques

comme pratiques socialement situées ; le tourisme domestique, pris dans le double jeu

des rapports de pouvoir mondialisés et nationaux, apparaît alors comme un objet

révélateur d’inégalités. À la fausse évidence culturelle — longtemps centrale dans les

réflexions anthropologiques sur le tourisme — l’auteur substitue une lecture plus

historique et sociale qui plaide pour un déplacement des problématiques sociologiques.

3 Le numéro d’Autrepart dont sont extraits ces deux articles revendique ainsi un

déplacement des questionnements et des problématiques. L'anthropologie du tourisme

tire son intérêt de la complexité de son objet. En rappelant la pluralité des pratiques et

la diversité des enjeux, ces recherches tentent de mettre à mal l'apparente simplicité

du tourisme et plaident pour l'investigation plus rigoureuse d'un objet trop longtemps

délaissé.

La rencontre en question

4 En décembre 2007, Actes de la recherche en sciences sociales propose à son tour un numéro

sur « les Nouvelles ( ?) frontières du tourisme ». Dès l’introduction, Franck Poupeau et

Bertrand Réau posent le cadre théorique en fonction duquel doivent s’organiser les

différentes contributions. La perspective retenue, principalement historique, vise à

« étudier les conditions sociales de l'économie du tourisme auquel participent

différents groupes sociaux : associations, États, organismes internationaux, opérateurs

privés, etc. ». La posture scientifique est assumée et, pour ces auteurs : « L’analyse des

conditions sociales invisibles qui produisent un déni du donnant-donnant

caractéristique du marché “parfait” permet de prendre en compte les mécanismes

d'euphémisation des rapports marchands et des relations de domination,

consubstantiels à un certain “enchantement du monde” touristique » (Réau & Poupeau

2007 : 10). La perspective est étroite et pourrait décevoir... La volonté théorique initiale

semble condamner l'analyse à une extension un peu vaine d’une lecture importée où le

dévoilement des logiques cachées se substituerait à la compréhension des relations

touristiques. Mais les contributions parviennent heureusement à s'écarter de cet

axiome introductif. L’article consacré aux « rencontres paradoxales du “tourisme

solidaire” » est à ce titre exemplaire (Chabloz 2007 : 32-47). À partir d’un terrain

conduit au Burkina Faso sur « la rencontre illusoire » entre « visiteurs français et

visités burkinabé », Nadège Chabloz interroge « les malentendus » de l’expérience

touristique. À partir d’un terrain intelligemment exploité, l’auteure aborde des

questionnements aujourd’hui incontournables en anthropologie du tourisme :

évolution des relations nouées, processus de commodification, production d’une forme

marchandisée d’authenticité, mise en scène et en récit, etc. La rencontre touristique

devient le révélateur d’une situation particulière traversée de rapports de force

inégaux, de représentations concurrentes et d’attentes impossibles toujours

contrariées. Cette approche ethnographique du malentendu impose nécessairement un

retour réflexif interrogeant la subjectivité du chercheur et l’inconfort de sa position.

L’ethnographie de Nadège Chabloz apporte ainsi une réflexion originale sur ces

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

516

tensions positionnelles exacerbées par l’anthropologie du tourisme et les techniques

d’enquête qu’elle requiert. Comment enquêter sur des pratiques touristiques lorsqu’on

est soi-même pris dans des jeux et des enjeux de racialisation, de classe ou de genre ?

L’enjeu est aujourd’hui central pour la connaissance du tourisme et traverse — de

manière plus ou moins assumée — la majorité des productions scientifiques actuelles.

Mais plutôt que d’avancer des prescriptions méthodologiques, l’auteure parvient plutôt

à situer le savoir qu’elle produit, renforçant encore davantage la pertinence de ses

analyses. Il s’agit moins de prétendre faire que de donner à voir, et les questions

soulevées par le processus d’enquête apparaissent comme un témoin supplémentaire

de la nécessité de renforcer le dialogue entre l’anthropologie du tourisme et les autres

sous-disciplines académiques davantage formalisées. Les dernières pages de ce numéro

d’Actes de la recherche en sciences sociales, signées Xavier Zunigo, méritent également une

attention particulière. Ina- boutie, incomplète, parfois exagérément simplifiée, cette

contribution illustre toutefois ces « Nouvelles frontières » que le numéro souhaitait

interroger. L’article est consacré à « [c]es centaines, voire [c]es milliers, de bénévoles

occidentaux se rendant à Calcutta pour travailler, quelques semaines ou plusieurs mois,

dans les centres d’accueil de malades, blessés ou mourants des Missionnaires de la

charité, l’ordre religieux fondé par Mère Teresa en 1950 » (Zunigo 2007 : 103). L’auteur

interroge le caractère « ambigu » d’un volontariat qui « peut être perçu comme une

pratique aussi bien humanitaire, caritative que touristique ». L’article propose ainsi une

réflexion originale sur les enjeux de la qualification touristique et le sens accordé à ces

mobilités de l’entre-deux. Cette contribution montre ainsi, à partir d’une situation

limite mais révélatrice, que les significations concurrentes accordées à la rencontre

touristique sont problématiques. Et si certaines questions sont malheureusement

absentes ou minorées (interrogation sur la portée morale et ethnique de l’engagement

et retour sur le processus d’enquête notamment), l’article de Xavier Zunigo, en

argumentant pour distinguer le tourisme d’une simple pratique de loisirs, soulève des

pistes prometteuses encore peu exploitées.

Tourisme et politique

5 Pour finir, Civilisations (2008), revue belge redynamisée au début des années 2000,

propose actuellement un numéro spécial sur le tourisme, coordonné de nouveau par

Anne Doquet accompagnée cette fois-ci d’Olivier Évrard. Le numéro développe une

analyse politique du tourisme et des logiques d’ordonnancement (ordering) qu’il

favorise. Parmi les différentes contributions, Saskia Cousin analyse les discours portés

sur le tourisme dit « culturel ». En étudiant ces activités moralement jugées bénéfiques,

l’auteure « propose une analyse historique de la construction en valeurs et en

discours » d’une forme différenciée de pratiques touristiques aujourd’hui encouragée

au niveau international. La perspective chronologique retenue permet à l’auteure

d’interroger la construction du culturel comme « cadre de légitimation »

internationalisé. Produites, la catégorie « culturelle » et les valeurs associées n’en sont

pas moins productrices ; distingué du tourisme de masse (i.e. populaire et mortifère), le

« bon » tourisme sert non seulement à hiérarchiser mais aussi à justifier. Et Saskia

Cousin d’écrire : « Le tourisme est présenté comme une mobilité idéale, une modalité

d’échange culturel et un outil de développement » ; étudiant plus particulièrement le

rôle de l’Unesco, elle explique : « [...] l’Unesco ne serait bientôt plus une instance de

légitimation du tourisme, mais le tourisme permettrait au contraire de légitimer

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

517

l’Unesco comme organisation transnationale » (Cousin 2008 : 54). Et derrière

l’apparente neutralité d’une forme de mobilité apparaît la dimension politique d’une

circulation organisée et pensée au nom de ses bénéfices moraux supposés ontologiques

(interconnaissance, échange, circulation, compréhension mutuelle, etc.). L’article de

David Goeury réfléchit également à ces processus d’ordonnancement qui révèlent la

dimension politique du tourisme. Sa contribution étudie l’un des deux postes frontières

qui séparent l’Inde et le Pakistan : Wagah Border, aujourd’hui promu par les deux

gouvernements rivaux comme attraction touristique. Depuis 2000, la fermeture

quotidienne du poste s’est transformée en une véritable cérémonie nationaliste attirant

un nombre croissant de visiteurs qui saluent à heures fixes la descente des drapeaux.

Or, pour David Goeury (2008 : 153) : « Ce tourisme de masse, même s’il se fait autour des

symboles de la nation, est un élément de pacification du lieu. Il permet de convertir un

espace de conflit en un espace de conciliation. » Le tourisme à Wagah est ainsi lu

comme un vecteur de communication, un outil dont le ritualisme guerrier favorise

paradoxalement « une première étape de la reconnaissance de l’Autre ». Les

contributions de Saskia Cousin et David Goeury, représentatives de la tonalité du

numéro, soulignent ainsi la dimension politique des phénomènes touristiques ; derrière

l’apparente futilité des pratiques de loisirs se dessinent en réalité des enjeux au cœur

des préoccupations contemporaines : mobilités, rapports de pouvoir, altérité,

circulation des phénomènes culturels, etc. La lecture du numéro montre

progressivement, par enquêtes successives, l’intérêt d’une anthropologie du tourisme

pour la compréhension des phénomènes liés à la « mondialisation ». L’étude des

échanges touristiques apparaît ainsi comme un terrain particulièrement favorable à

l’articulation entre le local et le global, une possibilité offerte d’étudier la réalité

concrète des transformations contemporaines.

*

6 De la critique des catégories de sens commun à la lecture du tourisme comme enjeu

politique, ces trois numéros spéciaux d’Autrepart, Actes de la recherche en sciences sociales

et Civilisations témoignent de la vivacité et du développement d’une pensée

contemporaine du tourisme. L’ambition théorique se développe au fur et à mesure des

parutions. La nécessité d’une justification se fait de moins en moins pressante et

l’analyse des phénomènes touristiques progresse parallèlement à sa reconnaissance. La

présentation croisée de ces numéros spéciaux est nécessairement limitée, mais il

importe d'insister sur leur cohérence et sur les nouvelles formes de dialogues qui se

sont instaurées parmi les spécialistes du sujet. En effet, le renouvellement théorique de

l'anthropologie du tourisme est aujourd'hui une entreprise collective menée par

quelques jeunes chercheurs spécialisés : Bertrand Réau, Saskia Cousin, Anne Doquet,

Olivier Évrard, etc. Les différentes parutions de numéros se répondent et le lecteur

averti trouvera une résonance entre les différentes publications mentionnées. Les

raisons de cette proximité — tant au niveau méthodologique qu’analytique ou éditorial

— tiennent certainement au faible intérêt que l’anthropologie du tourisme a longtemps

suscité dans l'espace académique, voire aux résistances qu'elle a dû affronter. Il est vrai

que certes, la dynamique actuelle qui traverse les sciences sociales, si elle est vive, n'en

demeure pas moins restreinte à quelques espaces limités où l’illégitimité de l’objet

« tourisme » ne contamine pas (trop ?) la science que l’on en fait1. Pour autant,

espérons que la multiplication récente des publications favorise une plus grande

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

518

diffusion des recherches sur le tourisme et suscite un intérêt dépassant les seuls

spécialistes du sujet ; la lecture de ces contributions différentes mais complémentaires

devrait plaider en ce sens.

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NOTES

1. Parmi ces initiatives, citons le séminaire que Saskia Cousin et Bertrand Réau coaniment depuis

2005 à l’EHESS — rejoints depuis septembre 2008 par Sylvain Pattieu — et qui constitue à l’heure

actuelle l’un des lieux les plus dynamiques de l'analyse sociologique et anthropologique du

tourisme.

RÉSUMÉS

L'anthropologie du tourisme francophone est longtemps restée à l'écart des publications les plus

réputées. La science du tourisme semblait contaminée par l'illégitimité de son objet et peinait à

s'affranchir des revues spécialisées — principalement anglophones — qui structuraient la

production scientifique. La publication récente de quelques numéros de revues généralistes

consacrées à l'anthropologie du tourisme témoigne toutefois de la vivacité d'un champ

d'investigation trop longtemps délaissé. En revenant sur la parution de trois revues

francophones (Autrepart, Actes de la recherche en sciences sociales et Civilisations), cette chronique

bibliographique esquisse quelques-unes des dynamiques qui traversent aujourd'hui l'analyse du

tourisme et souligne l'intérêt de la discipline pour la compréhension des phénomènes

contemporains.

The most reputable publications have long ignored the French anthropology of tourism. The

science of tourism appears to be contaminated by the subject's lack of legitimacy and has trouble

getting beyond the specialised—mostly Anglophone—publications, which lead the way in

scientific writing. However, the recent publication of articles on the anthropology of tourism in a

number of general interest publications, demonstrates that this long-neglected field is

flourishing. By examining three francophone journals (Autrepart, Actes de la recherche en sciences

sociales and Civilisations), this bibliographical record outlines a few of the trends that are currently

in vogue in tourism research, and stresses the importance of this discipline in understanding

contemporary phenomena.

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INDEX

Mots-clés : anthropologie, bibliographie, mondialisation, sociologie, tourisme

Keywords : anthropology, bibliography, globalization, sociology, tourism

AUTEUR

SÉBASTIEN ROUX

Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (CNRS-Inserm- EHESS-Université

Paris 13).

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Analyse de textes

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L’anthropologie du tourisme etl’authenticité. Catégorie analytiqueou catégorie indigène ?Anthropology of Tourism and Authenticity. Analytical Category or Indigenous

Category?

Céline Cravatte

1 La catégorie d’authenticité apparaît de manière récurrente dans les travaux

d’anthropologie du tourisme. Cela n’est pas exclusivement propre au tourisme : elle est

aussi très présente dans les domaines de l’art ou de la consommation. Pourtant, les

anthropologues étudiant le tourisme ont tenté d’en faire un concept d’analyse à part

entière, rendant fréquemment floue la limite entre catégorie indigène (que nous

nommerons catégorie) et catégorie analytique (que nous nommerons notion). C’est

cette ambiguïté à propos de laquelle nous proposons ici une note de synthèse.

2 D’où vient cette ambiguïté ? Les anthropologues sont eux-mêmes des acteurs du

tourisme : le regard ethnologique a fortement contribué à former la catégorie

d’authenticité, en participant à l’idéalisation des sociétés « prémodernes » et les

anthropologues se sont souvent retrouvés en position de défendre ou de mettre en

cause la frontière entre leur activité et celle du touriste ; ils contribuent à informer le

regard touristique et prennent directement position à propos de cette préoccupation

d’authenticité. Le tourisme suscite donc des questionnements à propos des effets de

l’observation et de la production d’écrits anthropologiques. Par ailleurs, les chercheurs

qui ont tenté de bâtir une théorie générale du tourisme ont cherché à construire la

notion d’authenticité comme une caractéristique centrale du tourisme et le tourisme

comme un moyen d’éclairer la nature même de la modernité, puis de penser de

manière privilégiée les questions de la crise de la représentation et de la

postmodernité.

3 La notion d’authenticité, malgré les nombreux travaux qui l’ont mobilisée, n’est pas

stabilisée. Cela conduit certains auteurs à prôner son abandon en arguant qu’un même

concept utilisé dans plusieurs sens différents est un obstacle à la recherche plutôt qu’il

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ne la stimule (Reisinger & Steiner 2006). Pourtant, la difficulté de stabilisation d’un

concept n’empêche pas sa portée heuristique ni sa richesse, ne serait-ce que parce

qu’elle oblige à expliciter les divergences.

4 Une autre option est de se détourner des débats à propos de la notion d’authenticité qui

seraient arrivés en bout de course, et de se contenter de voir en elle une catégorie à

analyser comme telle, si elle apparaît sur le terrain (Graburn à paraître). Pourtant, cette

catégorie « circule » justement parmi les différents acteurs du tourisme, dont les

anthropologues, et s’est transformée au cours du temps. Cette circonscription de

l’authenticité à une catégorie indigène élude le positionnement spécifique de

l’anthropologue. De plus, les tentatives de définitions successives de cette notion

peuvent éclairer celui qui cherche à étudier cette catégorie.

5 Nous revenons donc ici sur les tentatives de construction de la notion — ou des notions

d’authenticité — à partir d’un corpus de textes1 car elles impliquent des postures

différentes, parfois divergentes, qu’il est utile de clarifier. Ces textes étant souvent peu

connus du public francophone, nous les rapprochons d’études francophones portant

sur la notion d’authenticité dans d’autres domaines2. L’évolution de cette construction

marque aussi l’évolution de la manière dont les anthropologues ont progressivement

été conduits à penser leur positionnement dans le domaine du tourisme, mais aussi à

s’interroger sur leur discipline.

L'authenticité, une notion floue et fondatrice pourl'anthropologie du tourisme

6 D. MacCannell (1976 : 12) a introduit la notion d’authenticité dans les études

touristiques en l’associant à la modernité : « La modernité apparaît en premier lieu à

tout le monde comme elle est apparue à Levi-Strauss, comme des fragments

désorganisés, aliénants, inutiles, violents, superficiels, non planifiés, instables et

inauthentiques [...]. Les modernes pensent la réalité et l’authenticité comme étant

autre part : dans d’autres périodes historiques ou dans d’autres styles de vie plus purs

et plus simples »3. D. MacCannell se réfère également à E. Goffman (1973) qui montre

qu’il est nécessaire de mettre en scène la réalité en tenant un rôle : il ne s’agit pas

d’être, mais de contrôler les impressions des autres sur ce que l’on est pas en menant

un travail de mise en scène dans les interactions de la vie quotidienne. Pour D.

MacCannell, alors que dans les sociétés prémodernes, le maintien d’une distinction

normée entre le vrai et le faux est essentiel au fonctionnement d’une société fondée sur

les relations interpersonnelles, dans les sociétés modernes, suite à la multiplication des

rôles, la société est établie à travers des représentations de la réalité qui dépassent la

relation interpersonnelle. On assiste à un éloignement de la « vie réelle » caractérisant

la modernité, et en même temps à une fascination pour la « vie réelle » des autres, à

une tentative sans cesse renouvelée d’aller voir derrière les coulisses, cette tentative

s’incarnant dans le personnage du touriste4 (MacCannell 1976 : 92).

7 D. MacCannell prend à contre-pied une tradition d’opposition entre le vrai et le faux,

inaugurée par des écrits critiques sur le tourisme. Il remet en particulier en cause la

distinction fondamentale posée par O. J. Boorstin (1964) entre l’attitude touristique et

l’attitude intellectuelle : le touriste serait sans cesse trompé et se contenterait de

« pseudo-événements » et d’une connaissance faussée et superficielle de la réalité (et

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donc inauthentique), alors que l’intellectuel dépasserait le tourisme et chercherait à

voir derrière les apparences, produisant ainsi une connaissance authentique5.

8 Pourtant, tout en érigeant l’authenticité comme une notion incontournable, il l’a tout

au plus illustrée et non définie, introduisant une source de confusion dans les études

touristiques entre un concept issu de la philosophie et une catégorie d’évaluation

utilisée par les touristes (Cohen 1988a : 373). De plus, si la recherche d’un ailleurs plus

authentique est prégnante dans les catégories touristiques, présupposer que tous les

touristes se sentent aliénés par la société moderne et sont en quête d’authenticité est

une hypothèse lourde, aussi lourde que de renvoyer systématiquement les touristes à

l’inauthenticité de leur expérience. Il y a ici un risque de généralisation non contrôlée

d’une préoccupation qui peut émaner de groupes sociaux spécifiques, auxquels les

anthropologues appartiennent. E. Cohen (1979) plaide pour des approches de moyenne

portée, et pour une phénoménologie de l’expérience touristique fondée sur une

approche plus empirique de la « quête » des touristes dont le cœur n’est pas

systématiquement « l’authenticité ». Il développe alors une typologie — plus théorique

qu’inductive — fondée sur le rapport que le touriste entretient avec sa société et avec la

manière dont il situe son centre électif. Il remet donc en partie en cause le projet de

fondation immédiate d’une théorie plus globale du tourisme censée nous informer sur

la nature de la société moderne. Pour T. Selwyn (1996)6, cette critique, fondée sur des

résultats de moyenne portée d’une approche ayant une portée théorique beaucoup plus

globale sur la nature même de notre société moderne ou postmoderne, est peu

pertinente. Ce dernier réaffirme qu’un intérêt principal des études sur le tourisme est

de poser des hypothèses sur la nature de la société moderne ou postmoderne. Cette

ambition de l’anthropologie du tourisme revendiquée par plusieurs chercheurs permet

de comprendre que l’authenticité n’y est pas traitée uniquement comme une notion

indigène, mais comme un concept d’analyse qui a été redéfini à plusieurs reprises.

9 Parmi ces amendements de la notion d’authenticité, la distinction entre « authenticité

chaude » et « authenticité froide » (ibid.) est centrale pour rétablir la frontière entre

anthropologues et touristes. Elle permet de penser l’originalité de l’expérience

touristique tout en maintenant conjointement une distinction ontologique entre

approche scientifique, débats de connaissances et approche touristique. L’authenticité

« chaude » est liée à la sensation de sortir de cette fragmentation propre à la société

moderne. L’authenticité « froide » appartient au registre de la connaissance ; elle se

réfère à la qualité des connaissances acquises par les touristes. Cette distinction a été

tardive. Dans l’ouvrage de D. MacCannell — et dans d’autres approches ultérieures — la

sensation d’authenticité, la qualité de la connaissance acquise, et la capacité de voir

derrière les coulisses ne sont pas distinguées.

L'authenticité chaude et/ou existentielle

10 Comment donner un contenu à ce concept « d’authenticité chaude » ? Nous nous

appuierons ici sur les travaux de T. Selwyn et de N. Wang. Cette « authenticité chaude »

se fonde sur des « mythes » touristiques, c’est-à- dire, au sens de Lévi-Strauss, des

histoires ayant pour fonction de prendre en charge des problèmes sociaux et

personnels de telle manière que ces problèmes semblent résolus (Selwyn 1996 : 3). T.

Selwyn décrit le mythe de l’autre authentique, de l’authentiquement social et le mythe

du soi authentique tels qu’ils apparaissent dans les brochures touristiques. Le mythe de

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l’autre authentique, repose sur l’idée que l’« autre » visité appartient à un groupe

authentiquement social, un groupe prémoderne, prémarchand, holistique, harmonieux

et bienveillant. L’autre authentique est lié à la pureté et à la nostalgie de formes de vie

perdues dans nos sociétés. Ce mythe est prégnant dans certaines formes de tourisme et

est fréquemment analysé à travers l’étude de brochures et l’analyse de récits de voyage

(Girard 1996, 2001). Ce mythe de l’authenticité ne s’exprime pas uniquement dans le

domaine du tourisme. J.-P. Warnier (1996) analyse la demande de marchandise

authentique comme une manière de gérer la modernité et ses contradictions, qui

s’appuie sur la conviction que le vrai repose dans l’ailleurs. Pourtant, le mythe de

l’authentique présenté par T. Selwyn (1996) peut aussi n’être finalement pas déterminé

par un code spécifique fondé sur la nostalgie d’une période idéalisée. En effet, le mythe

du « soi authentique » observable dans les brochures met en scène un « soi » affranchi

de l’identification à un groupe, des contraintes morales et sociales. Paradoxalement,

alors que l’authentiquement social réclame une intégration forte dans un groupe

donné, le mythe du soi authentique consiste à être affranchi des contraintes sociales ; le

touriste, libéré des contraintes quotidiennes, peut prendre un authentique bon temps,

authentiquement hédoniste.

11 N. Wang, quant à lui, adopte une posture qui ne s’appuie pas a priori sur l’analyse des

mythes existants et de leur structuration, et a une portée plus large que l’analyse du

tourisme. Il définit « l’authenticité existentielle » comme « un état existentiel dans

lequel chacun serait fidèle à lui-même, qui agirait comme un antidote face à la perte du

“vrai soi” dans les rôles et les sphères publics de la société occidentale moderne »7

(Berger, cité dans Wang 1999 : 358), dont l’authenticité chaude est une forme parmi

d’autres. On se demande toutefois dans quelle mesure il est possible d’être vrai ou faux

avec soi-même. La réponse ne peut être proposée qu’en analysant l’idéal de

l’authenticité tel qu’il est constitué dans les sociétés modernes. Cet idéal peut être

caractérisé soit par la nostalgie (impression que d’autres formes de vie, qui

correspondent à notre passé, sont plus pures, plus spontanées, plus vraies), soit par le

romantisme (exaltation des sentiments, des sensations et de la spontanéité en

contrepoint de vies quotidiennes caractérisées par la rationalité moderne)8.

L’authenticité existentielle intra-personnelle implique une expérience corporelle de

l’authenticité ou la réalisation de soi en dehors de la routine quotidienne.

L’authenticité existentielle interpersonnelle est liée au sentiment d’appartenance à une

communauté9 ; les touristes recherchent un rapport authentique entre eux avant de

rechercher ce rapport avec les autres. Ce n’est donc plus nécessairement l’autre qui est

le lieu de la réalisation de cet authentiquement social — à travers le mythe de

l’authentiquement social — mais un groupe d’appartenance qui permet de ressentir

cette émotion communautaire, que ce soit la famille ou le groupe de touristes.

12 Ces constructions théoriques de l’authenticité chaude présentent l’intérêt de théoriser

ce qui est en jeu pour les touristes, et d’étudier la manière dont des mythes

identifiables et descriptibles structurent l’expérience touristique, sans confondre cette

recherche d’authenticité avec l’exigence de connaissances. Elles rappellent également

la dimension rituelle et extraordinaire de l’expérience touristique. Reprocher à

l’expérience touristique de se contenter d’accumuler des souvenirs et de ne pas assez

accéder à des connaissances d’ordre scientifique — à savoir de manquer l’authenticité

froide — consisterait à manquer la logique de l’expérience touristique (Girard 2001).

Pourtant, ces constructions ont davantage été utilisées pour décrire des mythes, des

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états, que pour analyser leur genèse ou les conditions de félicité de l’authenticité. Cette

notion d’authenticité chaude est-elle complètement déconnectée de celle de

l’authenticité froide ? Quels peuvent être les liens entre ces deux formes

d’authenticité ?

Authenticité réelle, authenticité mise en scène

13 Lorsque D. MacCannell place le concept d’authenticité au centre de la quête du touriste

et de la modernité, il montre dans le même temps que les touristes peuvent être dupés

ou voir leurs espoirs déçus. Il leur est difficile d’accéder à l’arrière des coulisses ; il peut

y avoir un enfilement de façades, dont certaines se présentent comme des coulisses, et

sont mises en scènes à destination des touristes. Il s’agit alors « d’authenticité mise en

scène ».

14 Cette peur de la fraude et de la mise en scène hante d’ailleurs de très nombreux

touristes, et est elle-même une catégorie indigène. Des touristes craignent eux-mêmes

la destruction de l’authenticité d’un événement dès qu’il est fait « pour les touristes ».

Même si D. MacCannell refuse la séparation posée par les « intellectuels » entre la quête

du touriste et celle des intellectuels, il utilise ici un critère qui relève de la démarche

intellectuelle et de l’authenticité froide (au sens de T. Selwyn) et l’attribue aux

touristes. Une application de cette notion de « mise en scène de l’authenticité », est

proposée par E. Cohen (1989), à travers la notion d’« authenticité communicative ». Il

montre de quelle manière les petites agences de tourisme du Nord de la Thaïlande

construisent les tribus montagnardes comme « primitives et éloignées », en donnant

une impression de naturalité, de pureté, d’aventure, et le sentiment de pénétrer dans

des territoires inexplorés. Cette construction est réalisée par les prestataires de

tourisme et doit être d’autant plus subtile que les touristes — trekkeurs et routards —

fréquentant ces zones sont très suspicieux et à la recherche d’une expérience

alternative qui permette d’échapper aux mises en scènes touristiques classiques. On

observe donc dans ce cas une mise en scène reposant essentiellement sur la

mobilisation de discours, mais ne devant pas être identifiée par les touristes comme

une mise en scène.

15 Il devient alors possible de mettre en place une matrice croisant d’une part les

différents types de situations touristiques, d’autre part l’impression que les touristes en

retirent, pour montrer que les situations touristiques ne se réduisent pas toutes à une

situation d’authenticité mise en scène (Cohen 1988b : 26).

Matrice d’analyse des situations touristiques

Impressions que les touristes ont de la scène

Réelle Mise en scène

Nature de la situation Réelle Authentique (1)Déni de

l’authenticité (2)

Mise en scène Authenticité mise en scène (3) Artificielle (4)

Source : Cohen (1988b : 26), ma traduction.

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16 Cette matrice montre l’importance de l’interprétation de la situation de la part des

touristes ; elle permet de prendre en compte la diversité des réactions du public face à

une même situation, mais aussi invite à rechercher les signes qui font qu’une situation

peut être reconnue ou contestée comme « authentique » par des touristes. Par exemple,

certains touristes s’offusquent de la présence d’éléments « modernes » dans la

réalisation des danses, qui sont interprétés comme un signe de manque d’authenticité,

en référence à un passé idéalisé, et comme une dégradation (2). Ils s’appuient ainsi sur

des traits du « mythe de l’autre authentique » pour juger du caractère authentique ou

inauthentique de la situation. D’autres, en revanche, interprètent des scènes trop

conformes à une réalité historique figée et passéiste comme une situation artificielle ;

les éléments de la modernité seront pour eux des signes de l’authenticité de

l’événement (4).

17 Les touristes ayant réalisé un trek dans les ethnies montagnardes thaïlandaises vivent-

ils une expérience authentique ? Au sens de « l’authenticité chaude », oui, parce que

cette expérience présente les signes d’un mythe préexistant reconnus par ces touristes.

Pourtant, Selon E. Cohen, ils n’ont pas eu accès à une situation « réelle » mais à une

situation mise en scène (3). Quels sont les critères utilisés par l’anthropologue pour

déterminer la « nature » de la situation ? L’anthropologue, à la différence du touriste,

peut- il si aisément statuer sur cette nature ? Sans plaider pour une assimilation entre

touriste et anthropologue, nous tenons à rappeler la fragilité de cette frontière. En

même temps qu’ils analysent la manière dont se construit l’authenticité, les

anthropologues utilisant la grille ci-dessus mobilisent également leur propre catégorie

quant à l’authenticité de la scène, puisqu’ils prennent position sur la nature de la scène,

et comparent cette catégorie à celle des touristes, sans toujours expliciter la manière

dont elle est construite.

18 Par la suite, des chercheurs vont tenter de statuer sur l’authenticité d’une expérience

relevant de l’authenticité mise en scène, en ne faisant plus de la mise en scène un

caractère discriminant de l’authenticité de la situation.

Authenticité émergente, marchandisation et fauxauthentiques

19 Que se passe-t-il si une « authentique » mise en scène destinée au touriste devient un

événement « authentiquement social » pour les protagonistes de la représentation, ou

une pratique culturelle reconnue comme authentique par tous les protagonistes ? C’est

à cette question que s’attache le concept « d’authenticité émergente » : une

représentation pouvant être analysée comme fausse car créée uniquement en vue des

touristes (au sens de l’authenticité mise en scène), peut cependant devenir une

pratique reconnue comme authentique par les personnes habitant sur place (Cohen

1988a).

20 Ce concept d’authenticité émergente permet d’éclairer la notion de

« marchandisation » de la culture, dont les travaux successifs de sociologie du tourisme

ont montré le caractère non univoque (Graburn à paraître ; Selwyn 1996). Cette

question a en effet très tôt préoccupé les anthropologues, dérangés sur leur terrain par

l’arrivée de touristes, perçue comme un danger et redoutant, pourrait-on dire, la perte

d’une authenticité prémarchande et « prétouristes ». La mise en tourisme est un

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mouvement de sélection des signes et de traits pertinents qui vont constituer le

répertoire à jouer face au touriste. La marchandisation conduit de son côté à conférer

une valeur marchande à des pratiques qui en étaient dépourvues auparavant ; cela

comporte le risque que l’apport de revenus devienne l’objectif principal de pratiques

qui remplissaient une autre fonction au préalable, et qu’elles soient modifiées pour

satisfaire les touristes et non plus pour remplir cette fonction initiale. Il y aurait donc

un détournement du sens conféré aux pratiques culturelles, à partir du moment où la

culture serait vendue « au kilo » (Greenwood 1977). Plusieurs anthropologues ont

dénoncé ce qui risquait de mener à une perte, c’est d’ailleurs ce qui les a conduits

initialement à s’intéresser au tourisme (Graburn 2002).

21 Pourtant, de nombreux articles ont montré que la marchandisation ne menait pas

nécessairement à une perte irrémédiable d’authenticité, mais pouvait être un moyen de

rendre plus vivace certaines pratiques aux yeux des autres. C’est la thèse de l’involution

culturelle que Mac Kean (1977) a développée pour Bali. Par exemple, la venue de

touristes pour les célébrations de la semaine sainte à Malte permet aux villageois de

renégocier leurs frontières sociales et cette célébration a acquis une nouvelle

signification. La marchandisation de l’événement n’a donc pas eu un effet radicalement

transformateur, ni destructeur, mais a doté cette célébration d’une nouvelle

signification pour les villageois (Boissevain 1996). Inversement, des groupes adoptent

les catégories ethnologiques pour se définir, ce qui peut les conduire à organiser les

événements culturels selon « un modèle figé qui pourtant n’était au départ que le rêve

d’un regard extérieur en quête d’un passé perdu » comme dans le cas des Dogons. Cette

adoption du regard ethnologique, qui permet de parler de « société ethnologisée »10,

devance même la mise en marché de ces danses à des fins touristiques, et tend à

annihiler la fonction sociale de ces danses (Doquet 1999 : 290).

22 T. Selwyn (1996 : 23), enfin, évoque les expériences « authentiquement sociales »

pourtant fondées sur des faux. C’est ainsi que le mémorial d’Hiroshima — reconstruit

pour les touristes sous sa forme à moitié détruite — peut provoquer une expérience

authentiquement sociale de renforcement d’un sentiment de souffrance marquant ainsi

le sentiment d’appartenance à un collectif. Il s’agit alors d’un « faux authentique »

(Brown 1996, 1999). Ces expériences touristiques sont « authentiquement sociales ». Il y

a là un glissement conceptuel. Autant les traits caractéristiques de « l’autre

authentique » et du « soi authentique » constituent des mythes particulièrement

prégnants aux contours spécifiés dans le tourisme, autant, dans ce dernier cas, il ne

s’agit plus d’un mythe mais d’une interprétation sociologique de ce qui se passe lors de

cette pratique touristique, à savoir une expérience « authentiquement sociale ».

23 Pourtant, décider qu’un événement devient « authentiquement social » nécessite

également de la part de l’anthropologue des critères de discrimination de ce qui est ou

n’est pas authentiquement social, qui ne sont pas vraiment explicités dans les articles

étudiés. Nous reposons ici la question des critères utilisés par l’anthropologue pour

statuer de l’authenticité sociale de la situation. La marchandisation est alors un

processus tellement équivoque que l’on se demande s’il est nécessaire de regrouper les

phénomènes observés sous la même catégorie d’analyse. La notion d’authenticité

émergente permet de penser le caractère évolutif de l’authenticité et l’impossibilité de

se référer à un original. Se pose alors la question de la manière dont des objets ou des

situations sont authentifiés.

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Les procédures d'authentification et leur analyse

24 Rappelons que la question de l’authenticité n’est pas seulement posée pour analyser la

quête des touristes, mais est également mobilisée par des groupes professionnels —

auxquels les anthropologues peuvent appartenir — qui discriminent le vrai et le faux et

chassent la fraude. « Il n’est pas d’authenticité sans procédure d’authentification »

(Heinich 1999). Ainsi, ce n’est plus l’authenticité, mais les procédures

d’authentification, l’identification des critères mobilisés dans ces procédures et les

groupes d’acteurs réussissant à imposer ces critères qui ont été constitués en objet

d’étude. J.-P. Warnier (1996) propose un sens très large aux procédures

d’authentification, qui sont plus ou moins institutionnalisées et peuvent aller du label

ou de l’expertise au bricolage personnel ou à différentes manières de singulariser des

biens (ré-étiquetage, récits entourant les marchandises). La notion même de procédure

d’authentification assouplit le cloisonnement analytique entre authenticité froide et

authenticité chaude. Pourtant, peut-on parler de « procédures » dans le cas de la

reconnaissance d’une authenticité chaude ou existentielle ? Il conviendrait sans doute

plus de parler des conditions de réalisation de cette authenticité existentielle11.

Pourtant, celles-ci sont liées à des opérations d’authentification, qu’elles soient

explicitées ou non. L’objet de l’anthropologue serait d’étudier l’articulation entre ces

différents types de reconnaissance de l’authenticité. Quels sont les groupes qui ont plus

ou moins de pouvoir dans la manière de sélectionner les traits pertinents à présenter

au touriste et donc de définir l’authenticité ? Comment la définition de ces traits

évolue-t-elle ? L’approche interactionniste située proposée plus haut ne s’interroge pas

sur la construction de ces critères d’authentification ni sur les conditions de félicité de

l’authenticité chaude.

25 La notion d’authentification ne présuppose pas a priori non plus un contenu ni une

structure mythique spécifique attribuée à l’authenticité. J.-P. Taylor (2001) propose de

distinguer deux acceptions souvent mélangées dans la notion d’authenticité, et

distingue la « mise en scène de l’authenticité », qui répond avant tout au désir d’un

ailleurs exprimé par une pensée caractéristique de la modernité, et la « sincérité » qui

porte sur la qualité de la relation entre touristes et prestataires et n’apparaît pas

comme « une qualité interne de la chose, du soi, ou de l’autre ». Certains opérateurs

utilisent cette deuxième notion pour « casser » la vision atemporelle de leur culture qui

peut être impliquée par le mythe de l’authenticité. Ce passage de l’authenticité à la

sincérité semble étroitement lié à l’évolution de l’anthropologie du tourisme, qui est

passée d’une étude des « impacts » exogènes sur des groupes humains a priori fragiles à

une logique ne considérant plus le tourisme comme exogène aux populations qui

contribuent à son développement.

26 Comme nous l’avons souligné, la notion d’authenticité n’est pas stabilisée et tous les

auteurs ne limitent pas, comme le fait J.-P. Taylor, la notion d’authenticité au mythe de

« l’autre authentique ». La qualité de la relation entre prestataire et touristes, nommée

« sincérité » peut être authentifiée (ou non), mise en scène ou réelle, reconnue ou

déniée, et reflète la peur de relations inauthentiques, au sens de D. MacCannell. Peut-on

dire pour autant qu’elle ne rentre pas dans la notion plus générale de l’authenticité et

qu’il faudrait limiter l’authenticité au contenu du mythe de l’autre authentique, décrit

par T. Selwyn ? Il est en fait difficile de réduire cette notion à un mythe structurant

ayant un contenu précis et stabilisé (on peut sans doute y retrouver le « code » de

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l’authenticité, faisant référence à une époque antérieure idéalisée, mais on peut aussi y

trouver la notion de singularité, de sincérité, voire d’intériorité). Ce qui est reconnu

comme « authentique » n’est pas non plus extensible à l’infini, mais évolue. Il est

d’ailleurs possible que le mythe de l’autre « authentique » et prémoderne devienne de

moins en moins prégnant et paraisse inauthentique et frelaté à ceux qui seront en

quête d’authentique sincérité.

27 La pensée de cette évolution sur le long terme des modes d’authentification conduit

également à se poser la question du rôle des logiques marchandes d’authentification et

de leur acceptabilité par les touristes. Par exemple, G. Hughes (1995) analyse deux

modalités de création de l’authenticité ; la première s’appuie sur la question de

« l’héritage », tel qu’il est perçu par certains habitants d’Écosse, afin de mettre en place

certains traits identitaires à présenter à l’extérieur ; la seconde, consiste à s’appuyer

sur une analyse des représentations préalables des consommateurs12. Ces modalités

différentes de construction de l’authenticité font appel à des groupes de professionnels

différents : ethnologues ou historiens dans un cas, experts du marché et des

représentations du consommateur dans l’autre.

28 N. Wang (1999) propose finalement d’analyser les catégories utilisées par les touristes,

en étudiant la manière dont ceux-ci recoupent les différents paradigmes théoriques de

l’authenticité, l’authenticité objective, l’authenticité constructiviste, l’authenticité telle

qu’analysée par les tenants du postmodernisme13 et l’authenticité existentielle. Les

anthropologues interrogent l’évolution du paysage intellectuel des faiseurs de

tourisme, ainsi que les critères d’évaluation des faiseurs de musées ; ils montrent que

ces critères se déplacent de la question de la justesse scientifique vers l’efficacité

émotionnelle et commerciale (Selwyn 1996). Il y aurait un effondrement des frontières,

et donc une indifférenciation entre histoire et commémoration, schèmes narratifs et

populations, expérience touristique et éducation (Urry 1990).

Que devient l'authenticité ? Est-il possible de produiredes critères distinguant authentique etinauthentique ?

29 Revenons à une vision plus théorique et globale, et au projet originel de D. MacCannell.

Que devient alors l’authenticité, toujours analysée comme un révélateur de la société

moderne ? Comment analyser cette transformation de la recherche d’authenticité, et le

relatif brouillage de la catégorie d’authenticité ?

30 Plusieurs auteurs resituent la question de l’authenticité dans une perspective plus

large. J.-P. Warnier (1994) propose de comprendre pourquoi les utopies de notre société

se concentrent sur le développement d’une culture matérielle de l’authenticité. T.

Selwyn (1996) montre que les fondements de la quête d’authenticité ont été en partie

sapés par l’avènement de la pensée postmoderne. Cette pensée a en effet remis en cause

la distinction entre pensée touristique et pensée anthropologique qu’elle présente

comme des narrations indifférenciées. L. Boltanski et E. Chiappello (1999) interrogent la

potentialité critique de nos sociétés modernes liée à la notion d’authenticité face à

l’extension du « nouvel esprit du capitalisme ».

31 Arrêtons-nous sur les postures normatives des deux derniers auteurs. T. Selwyn

affirme, en s’appuyant sur la distinction entre authenticités chaude et froide, qu’il est

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

531

essentiel de garder intacte la frontière entre les discours de commémoration et les

analyses scientifiques, entre authenticités chaude et froide. Autrement dit, les

ethnologues doivent faire reconnaître leurs propres procédures qui permettent de

produire les discours, et ce, pour trois raisons principales. Tout d’abord, ils doivent

maintenir la possibilité de production du savoir comme différente de celle de la

production de formes de gratifications narratives. Ils doivent ensuite exercer une

pensée critique à propos de processus de prises de décisions qui risqueraient de se

fonder plus sur les « mythes touristiques » que sur une description claire et

dépassionnée des faits. Enfin, ils doivent éviter de prendre le risque de ne laisser

d’autres possibilités de réaction aux populations réceptrices que de fonder d’autres

schèmes narratifs qui ne pourraient pas se faire reconnaître comme plus ou moins

légitimes que d’autres (Selwyn 1996 : 36). Cela signifie que les anthropologues, dans la

mesure où il est fait appel à eux, sont en même temps analyseurs de la production des

critères d’authenticité, mais peuvent aussi rester eux-mêmes producteurs et garants de

certains de ces critères d’authenticité. Pourtant, dans les articles que nous avons

étudiés, nous avons vu que ces critères n’étaient pas toujours clairement définis, qu’il

s’agisse de critères permettant de déterminer la nature de la situation ou le caractère

authentiquement social d’une expérience.

32 L. Boltanski et E. Chiappello montrent qu’il subsiste une potentialité critique dans la

méfiance des consommateurs face aux biens singuliers et authentiques produits suite à

des procédures de codification. Le caractère standardisé des biens vendus engendre

également l’inauthenticité puisque ces biens perdent leur singularité, qui est aussi une

caractéristique de l’authenticité. Le marché codifie les caractéristiques authentiques

dans une visée de reproduction, selon des combinatoires qui permettent la mise en

avant de la différence. Cette codification risque néanmoins dès lors de jeter le soupçon

sur l’authenticité de ce qui est produit (Boltanski & Chiapello 1999 : 529-546).

N’oublions pas que l’authenticité renvoie à des temps préindustriels et prémarchands

idéalisés. « Dans le bien authentique, le plaisir [...] dépend aussi du dévoilement de

significations et de qualités cachées au cours d’une relation singulière. Or la

codification, sur laquelle repose la reproduction, tend à limiter la diversité des

significations qui peuvent être extraites du bien. Dès lors, une fois reconnues les

significations intentionnellement introduites par l’intermédiaire du codage, le bien

tend à perdre de son intérêt » (ibid. : 539). À nouveau, cette affirmation demande une

étude empirique plus poussée des doutes que peut émettre le touriste, et de ce qui met

en danger la reconnaissance de l’authenticité. Pourtant, la notion d’authenticité

émergente remet en cause et brouille l’idée de marchandisation de l’authenticité.

*

33 Cette note critique recense donc les différentes acceptions de la notion d’authenticité.

Elle montre comment l’utilisation de cette notion questionne et réaffirme la frontière

entre l’authenticité de l’anthropologue et celle des touristes : les anthropologues ont pu

dénier l’authenticité de l’expérience touristique, ou ont étendu à l’ensemble du

tourisme un postulat de quête d’authenticité pour penser la société moderne ; ils ont

limité cette préoccupation à certaines catégories de touristes dans une perspective

phénoménologique ; ils ont proposé de distinguer l’authenticité chaude (du touriste) de

celle froide (du scientifique), pour établir une frontière entre les deux démarches ; ils

ont analysé le caractère mis en scène de l’authenticité (en s’octroyant le pouvoir de

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

532

déterminer le caractère réel de la scène) tout en reconnaissant que de cette mise en

scène naît une authenticité émergente « authentiquement sociale » (en déterminant

eux-mêmes ce qui était « authentiquement social ») ; ils ont enfin décrit les procédures

d’authentification à l’œuvre en questionnant la place de leurs procédures

professionnelles. Ce panorama des différentes approches invite donc à se poser

certaines questions avant de mobiliser la notion d’authenticité ou d’étudier la catégorie

d’authenticité.

34 La notion d’authenticité, telle que définie par des travaux d’anthropologie du tourisme,

s’appuie sur une catégorie très présente chez les acteurs du tourisme14. Elle a été

construite comme une notion par ces travaux afin de poser la question de la modernité

et la manière dont y émerge une réaction à son « inauthenticité » perçue. Cette

approche anthropologique relève de postulats lourds : pour quels acteurs cette

perception d’inauthenticité estelle elle-même avérée ? Peut-on définir de manière

générique le tourisme comme une quête d’authenticité (que celle-ci soit chaude,

existentielle, mise en scène ou émergente) ?

35 Comment caractériser la catégorie d’authenticité ? Des anthropologues ont ainsi défini

l’authenticité comme un mythe structuré propre à la société moderne, pouvant

prendre plusieurs formes : le mythe de l’autre authentique — impliquant

l’établissement de la vérité et de la pureté dans un lieu différent de notre société auquel

le regard ethnologique a contribué — et le mythe du soi authentique — s’appuyant sur

la libération romantique des contraintes. Le tourisme peut-être analysé comme un lieu

— parmi d’autres — de production et d’actualisation d’utopies. L’utopie de

l’authenticité a un contenu spécifique. Pourtant, les définitions successives de

l’authenticité ne se sont pas limitées à un contenu figé : à partir du moment où l’on

s’intéresse aux procédures d’authentification, on observe que la définition du contenu

même de l’authenticité devient plus labile, sans pour autant perdre l’idée qu’il faille

aller ailleurs pour chercher le pur et le vrai. Définit-on l’authenticité par le contenu

d’un mythe (dans ce cas, on peut opposer authenticité et sincérité) ou par le résultat de

procédure d’authentification ?

36 Nous nous sommes par ailleurs appuyée sur une distinction analytique qui refonde la

distinction entre l’authenticité chaude recherchée par le touriste et l’authenticité

froide, rappelant que l’anthropologue avait ses propres critères d’authentification ; la

question de la manière dont ces procédures d’authentification sont imbriquées — ou

parfois confondues — avec les conditions de félicité de l’authenticité chaude semble

centrale pour la définition du rôle que l’anthropologie peut avoir à jouer. Peut-on

parler de « procédure » d’authentification alors qu’il conviendrait parfois de se

demander quelles sont les conditions de félicité de ces situations d’authenticité chaude

ou existentielle ? Ces situations relèvent certes de la reconnaissance de signes, mais

cette reconnaissance est peu procédurale et laisse d’ailleurs une large place à l’émotion.

À propos des procédures d’authentification, quels sont les critères qui permettent à

l’anthropologue de statuer sur le caractère authentique ou non de la nature d’une

situation et sur son caractère « authentiquement social » ?

37 Il reste encore un sérieux fossé entre une pensée globale théorique de la notion

d’authenticité et l’étude empirique de la production des instances — plus ou moins

formelle — d’authentification des expériences touristiques et des précautions à prendre

lors de l’utilisation de cette notion ou de l’étude de cettes catégorie.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

533

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Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

535

NOTES

1. Les textes que nous présentons ici sont essentiellement des articles théoriques de référence à

propos de l’authenticité, fréquemment cités, pour l’essentiel tirés de la revue Annals of Tourism

Research. Nous avons ensuite pris connaissance des références citées dans ces articles fondateurs,

et sélectionné par la suite les textes qui apportaient des éléments de rupture.

2. Nous avons rapproché ces textes des travaux de J.-P. WARNIER (1996) sur la marchandise

authentique, de L. BOLTANSKI et E. CHIAPELLO (1999) sur la récupération de l’authenticité par l’esprit

du capitalisme, et des travaux de N. HEINICH (1999) sur l’art. Ces auteurs ont travaillé sur cette

notion d’authenticité, mais n’ont pas appuyé leurs travaux sur ceux de l’anthropologie du

tourisme et ne sont pas cités par ces travaux.

3. Ma traduction.

4. Cette caractérisation de la vie prémoderne peut évidemment poser problème.

5. Pourtant, les intellectuels ne sont pas les seuls à dénoncer ce caractère artificiel du tourisme.

Cette critique radicale consignée par écrit est également largement reprise par les touristes eux-

mêmes (BURGELIN 1967). D’ailleurs, Burgelin propose une interprétation de la fonction du discours

critique porté sur l’activité touristique : il permet d’intégrer la pratique touristique à la culture

des participants, car la bourgeoisie moderne est caractérisée par une rationalité qui peut

difficilement rendre compte d’un certain nombre d’aspects du tourisme : son caractère collectif,

alors même que les touristes interrogés valorisent l’expérience esthétique individuelle, son coût

qui en fait une dépense à faible rendement, sa dimension rituelle et sacrée.

6. De fait, E. COHEN (2002 : 56) lui-même écrira, plus tard, que « la nature de la relation entre le

tourisme et la modernité occidentale est le problème théorique fondamental de la sociologie du

tourisme auxquels les paradigmes coexistants du champs ont proposé des réponses largement

variées ».

7. Ma traduction.

8. On retrouve ici les caractéristiques de « l’autre authentique » et du « soi authentique ».

9. N. Wang s’inscrit dans une démarche compréhensive des expériences des touristes.

10. À ce sujet, voir également l’article d’Elina CAROLI (dans ce numéro).

11. La mise en place de procédures explicites d’authentification peut mettre en péril la

reconnaissance de l’authenticité. Comme le souligne Nathalie HEINICH (1999 : 5) dans le domaine

de l’art : « L’authenticité est, paradoxalement, d’autant plus suspecte qu’elle est prouvée,

signifiée, exprimée, organisée, encadrée : toutes formes de “construction sociale” qui, quoique

moins radicalement destructrices que les fabrications au sens fort, ne peuvent que jeter le

soupçon, tant la notion d’authenticité exige pour fonctionner une certaine forme d’innocence, de

transparence, d’immédiateté. C’est dire qu’elle est un terrain de choix pour le chercheur en

sciences sociales, qui, dans une perspective constructiviste, viserait à établir qu’elle n’est pas une

qualité substantielle appartenant à l’objet, mais un effet du regard porté sur l’objet. »

12. Il s’agit ici d’une construction institutionnelle de l’authenticité, et non de l’étude de la

création en situation de l’authenticité.

13. Urry affirme que, dans le cadre de la postmodernité, les touristes sont plus intéressés par le

jeu et la reconnaissance de stéréotypes préexistants qui informent leur regard. Dans l’approche

postmoderne, les touristes ne sont plus en quête d’authenticité, mais dans une recherche de

plaisir et de jeu ; alors que l’approche constructiviste remet en question le concept de

l’authenticité mais essaie de le sauver, les postmodernes l’enterrent. La notion d’authenticité n’a

plus de sens et la catégorie même d’authenticité n’est plus utilisée par les touristes

postmodernes.

14. Encore que, concernant le code de l’authenticité, il s’agit essentiellement de groupes sociaux

spécifiques : les classes moyennes urbanisées.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

536

RÉSUMÉS

Cette note critique présente un panorama rétrospectif de la manière dont la notion

d'authenticité a été conceptualisée et utilisée par des anthropologues observant des phénomènes

touristiques. Elle analyse en particulier l'ambiguïté de cette notion qui est en même temps un

concept mobilisé par les chercheurs et une catégorie indigène utilisée par les touristes. Elle

interroge les liens entre les procédures d'authentification mises en œuvre par les anthropologues

et les conditions de reconnaissances par les touristes de l'authenticité d'une relation, d'une

situation ou d'une expérience.

This paper gives a retrospective view of the way in which the notion of authenticity has been

constructed and employed by anthropologists observing tourism phenomena. Particular

emphasis is given to analysing the ambiguity of this notion, evoked as a research concept and

also used by tourists. The links between processes of authentication used by anthropologists and

the attempts by tourists to authenticate relationships, situations and experiences are also

examined.

INDEX

Mots-clés : authenticité, authenticité chaude, authenticité émergente, authenticité existentielle,

authenticité froide, authenticité mise en scène, procédure d'authentification, sincérité

Keywords : authenticity, hot authenticity, emergent authenticity, existential authenticity, cold

authenticity, staged authenticity, authentication process, sincerity

AUTEUR

CÉLINE CRAVATTE

Printemps, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Saint-Quentin-en-Yvelines.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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Analyses et comptes rendus

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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Aime, Marco. – TimbuctuElina Caroli

RÉFÉRENCE

AIME, Marco. – Timbuctu. Torino, Bollati Boringhieri (« Incipit »), 2008, 190 p.

1 Timbuctu (Tombouctou en italien) est paru en avril 2008 dans la collection Incipit de la

maison d’éditions turinoise Bollati Boringhieri. La collection, récente et éclectique,

compte quelques ouvrages d’anthropologues (parmi lesquels, en 2007 et 2008, deux

livres de Marc Augé). Écrits par des anthropologues, ils ne sont pas toujours pour

autant des œuvres d’anthropologie. C’est le cas de Casablanca1, le deuxième livre de

M. Augé (2008) paru dans Incipit, constitué d’un « montage de souvenirs » personnels.

Ce constat vaut également pour le livre de Marco Aime, s’agissant de l’œuvre d’un

voyageur qui a cependant l’érudition, l’expérience et le regard d’un ethnologue, et

parce que, ici aussi, le récit est construit par le biais d’un montage, jamais prévisible à

l’avance, d’histoires, de rencontres, d’images.

2 L’anthropologue italien, passionné de voyages, s’était déjà adonné par le passé à la

rédaction de livres au croisement du récit de voyage et du carnet de terrain, en

montrant, par sa démarche, à quel point la ligne de démarcation entre les ethnologues

d’une part et les voyageurs d’autre part, peut être subtile2. Même, en raison du rapport

actuel de la discipline avec le temps, l’espace et les Autres, il arrive que l’ethnologue ne

soit pas si différent d’un observateur attentif à la vie de tous les jours (comme dans Il

primo libro di antropologia3, paru en même temps que Timbuctu).

3 Ainsi, dans la note au lecteur, Marco Aime prévient que son livre « naît du regard d’un

simple voyageur vivant son expérience dans le quotidien des terres qu’il a la chance de

visiter »4(p. 5). Le premier chapitre (« Promenade tombouctienne », en français dans le

texte), s’ouvre sur la description de l’arrivée par avion à Bamako, et de la continuation

du voyage sur les pistes maliennes, rendues poussiéreuses par l’harmattan, et sur le

Niger, jusqu’à l’arrivée à Tombouctou. Dès le début, l’auteur nous présente une image

représentative d’un des concepts-clés du livre : « On va à Tombouctou parce qu’elle est

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

539

éloignée et qu’on la croit isolée et on trouve une file de blancs qui attendent de se

connecter avec leurs maisons » devant un hôtel possédant un accès à Internet (p. 12).

4 Dans ce premier chapitre, Marco Aime nous présente la ville contemporaine, ce que

Tombouctou est aujourd’hui ou peut être aux yeux d’un voyageur capable de découvrir

la vraie ville au-delà du mythe. Il s’agirait donc, selon l’auteur, d’un voyageur qui ne se

contente pas de visiter les lieux incontournables (les trois mosquées et les maisons des

explorateurs, dans le chapitre « Petits guides, grands explorateurs ») et qui refuse aussi

les idées reçues et les stéréotypes sur Tombouctou – et sur l’Afrique en général –

précédant le voyage. Marco Aime est un voyageur identique aux autres : sa première

visite de la ville, nous dit-il, remonte à 1984 (p. 159). Il s’amuse à nous dévoiler les

mystères (pp. 23-24) de « Tombouctou la mystérieuse » et à contrer de la sorte cet

imaginaire occidental qui, en donnant divers noms à la ville (voir le chapitre « Les

noms de Tombouctou »), a façonné la vision non seulement des étrangers mais

également celle des habitants. Il cite le cas d’habitants qui répètent sournoisement que

« Tombouctou est au bout du monde », en se moquant de la sorte du point de vue

occidental. À l’inverse, les Tombouctiens, lorsqu’ils vont à Bamako, affirment aller « en

brousse ». Et pourtant le feed back va plus en profondeur, pénétrant dans les différentes

couches de la société tombouctienne et, le plus souvent, l’utilité l’emporte sur l’ironie :

l’Office du tourisme utilise les devises forgées par les voyageurs et les explorateurs du

passé ; les guides doivent tenir compte des attentes et des désirs des touristes. Surtout,

lors des formations organisées par le ministère du Travail, il est demandé aux futurs

guides de s’habiller de façon traditionnelle. Le guide rencontré par l’auteur porte une

chemise en bogolan avec des dessins typiques dogon. « Comme si un gondolier

s’habillait en Tyrolien », commente Aime (p. 68).

5 Enfin, c’est ce que les touristes désirent. Ce qu’ils convoitent le plus c’est le tampon de

Tombouctou sur le passeport, au point qu’à l’Office du tourisme il est possible d’acheter

un diplôme qui atteste qu’on est vraiment allé à Tombouctou. Vanité du touriste, qui,

comme les spécialistes nous le disent depuis longtemps, vit l’expérience du voyage

projeté en avant, sur le temps du retour chez soi et chez les siens, sur le temps du récit

et de l’exposition de fétiches et de photos. Mais cette attitude est accentuée chez le

touriste à Tombouctou, car, comme pour les explorateurs du passé, la valeur de ce

voyage résiderait d’abord dans le mythe construit autour de l’inaccessibilité de ce lieu.

6 Or, à l’instar de maints voyageurs du passé, les touristes sont aujourd’hui souvent déçus

par Tombouctou5. Enfin, cette ville « ne vaut pas le voyage, même pas un détour, si ce

n’est pour dire qu’on y est allé », affirme le journaliste Jean-Pierre Dubarry (p. 86). Face

à cette ville de terre, l’idée d’ensemble qui surgit, c’est qu’il n’y a rien. Tombouctou

n’est pas un village de la brousse africaine ; c’est une ville où pourtant les édifices les

plus anciens ne diffèrent pas des plus récents (p. 86). C’est sans doute pour cette raison

qu’aujourd’hui on mise beaucoup sur les manuscrits, véritable richesse de Tombouctou,

même si, affirme l’auteur, personne ne semble s’intéresser à leur contenu. Dans la

rhétorique onusienne dominante, ils sont devenus des monuments à sauvegarder et à

valoriser pour leur simple valeur esthétique. Enfin, Tombouctou ne représente même

pas une Afrique pensée a priori en termes d’animisme ou d’ethnies.

7 Tombouctou, de par sa réalité complexe et déroutante (par rapport aux stéréotypes

occidentaux sur l’Afrique) permet à Marco Aime, tout en écrivant ce livre comme un

voyageur, de se pencher sur des questions importantes de l’anthropologie. En

racontant Tombouctou, il analyse aussi bien le voyage et le tourisme, que le rapport

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

540

entre mythe et réalité et les relations entre étrangers et autochtones. Surtout, il

analyse le regard occidental et, par ce biais, en nous dévoilant l’ampleur de la

différence tombouctienne par rapport à notre idée de l’Afrique, il nous parle du rapport

de l’Occident à l’Afrique en général.

8 Timbuctu est un livre sur le jeu de miroirs complexe instauré entre les touristes (les

Occidentaux, d’après Aime) et les autochtones (un ensemble plus hétérogène, dont

l’élément commun serait, dans le discours de l’auteur, l’opposition constante au nous) ;

c’est un livre sur des images renvoyées sur d’autres images, jusqu’à ne plus savoir où,

dans quel continent, se trouverait la matrice de ces représentations. Il s’agit d’un

thème cher à Marco Aime qu’il avait déjà abordé à propos des Dogons, renommés

auprès des Occidentaux pour leur cosmogonie, fameux chez leurs voisins pour leurs

oignons6. Si l’ethnotourisme pratiqué sur la falaise de Bandiagara ne semble pas

possible à Tombouctou (p. 93), puisque cette ville, avec son brassage, est un défi vivant

à l’Afrique des ethnies, le jeu de miroirs est cependant toujours à l’œuvre. Ville

multiethnique, musulmane, de l’écrit (« c’est la plus grande bibliothèque d’Afrique »,

affirme Aime p. 97), elle demeure toutefois victime d’un regard en quête d’authenticité

et de primitivisme. Un regard foncièrement ethnocentrique.

9 Le chapitre concernant le rapport de Tombouctou à l’islam (« Ibn Battuta indigné »),

montre que Tombouctou est « victime ou protagoniste du regard d’autrui », non

seulement des Occidentaux mais également du monde musulman. Les chroniques

arabes témoignent également d’un découpage, dans la riche histoire tombouctienne, de

moments figés, privilégiés parce qu’ils confortent l’image d’une ville islamisée depuis

toujours. Une observation qui aide à mieux comprendre les infiltrations

fondamentalistes ayant lieu à Tombouctou, dans un contexte contemporain de forte

réislamisation de pays d’Afrique occidentale tels que le Mali.

10 Pourtant, puisque le livre est foncièrement consacré à dévoiler l’etnocentrisme

implicite présent dans notre (en tant qu’Occidentaux) récit de la ville, quelle est la

puissance de ce récit ? Marco Aime ne peut pas s’empêcher, lui non plus, de renvoyer

sans cesse Tombouctou à l’Occident. La ville est, de la sorte, un « Occident inversé »

(p. 31) mais aussi « une espèce de vaisseau spatial, atterri ici par hasard. Une île ayant

apparemment peu en commun avec la réalité qui l’entoure » (p. 121). Si « tout ici est le

fruit d’un brassage » (p. 122), l’idée reçue de l’Afrique des ethnies que l’auteur voulait

pourtant contrer, ne parvient-elle pas de la sorte par l’emporter ? Le récit de Marco

Aime débute par la poussière de l’harmattan, les vieilles autos de Bamako, la lumière

sale (pp. 9-10), les petites filles sales, ici où « la nuit est vraiment noire » (p. 11) et le

matin est « presque fatigué » (p. 12). Tombouctou est d’une « couleur poussière »

monotone (pp. 12-13) ; les hommes semblent bouger au ralenti (p. 14), alors que les

touristes sont toujours pressés (p. 20) et les changements, même les plus anodins,

toujours importés de l’Occident (p. 13).

11 Enfin, même dans le discours de l’auteur, Tombouctou n’est visible qu’à travers le

« voile de l’Occident » qui l’entoure (p. 65). Ainsi, la poussière consiste en définitive,

dans les dernières pages du livre, à connoter Tombouctou (pp. 165, 185) et, depuis une

place sableuse, la dernière pensée de l’auteur est destinée à l’Europe.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

541

NOTES

1. Marc Augé, Casablanca, Torino, Bollati Boringhieri, 2008.

2. Voir également dans ce numéro le compte rendu sur l’ouvrage de T. Barthélemy & M.

Couroucli (dir.), Ethnographes et voyageurs. Les défis de l’écriture.

3. Marco Aime, Il primo libro di antropologia, Torino, Einaudi, 2008.

4. Les citations entre guillemets sont traduites par moi de l’italien.

5. Voir l’article de Marco Aime « Les déçus de Tombouctou » dans ce numéro.

6. Marco Aime, Diario dogon, Torino, Bollati Boringhieri, 2000, p. 12.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

542

Barthélemy, Tiphaine & Couroucli,Maria (dir.). – Ethnographes etvoyageursJean Copans

RÉFÉRENCE

BARTHELEMY, Tiphaine & COUROUCLI, Maria (dir.). – Ethnographes et voyageurs. Les défis de

l’écriture. Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques (« Le regard

de l’ethnologue », 17), 2008, 286 p.

1 Le titre de ce recueil collectif de quinze contributions, précédées d’une introduction

par les éditeurs, semble faire écho directement à l’esprit postmoderne qui traverse

l’anthropologie, notamment américaine, depuis près d’un quart de siècle et qui pour

certains de ses protagonistes rapproche l’anthropologie de la littérature,

singulièrement de la littérature de voyage. Donc rien de nouveau semble-t-il, à ceci

près que nous aurions enfin en langue française une introduction indigène à la

question. Pourtant cette assimilation est abusive, d’autant que la prudence s’impose :

les écrivains voyageurs seraient des ethnographes publiés dans une collection

d’ethnologie. On sait combien le jeu entre les appellations plus ou moins synonymes de

la discipline fait rage en France pour des raisons de clivages institutionnels anciens : il

paraît donc préférable d’abandonner dès le premier instant, avant même d’ouvrir les

pages de cet ouvrage, l’empathie postmoderne qui aurait pu nous saisir. Et bien nous en

prend dans ce cas, car au mieux un tiers du recueil pourrait trouver cette confrontation

utile.

2 Les deux tiers des auteurs examinés sont certes du XXe siècle qui est bien le siècle de

l’ethnographie-ethnologie-anthropologie de terrain mais seulement un tiers d’entre

eux sont des ethnologues professionnels, les deux autres tiers sont ou bien des

voyageurs-explorateurs ou bien des écrivains. La question semble par conséquent

ramener au dilemme classique : qu’est-ce qui est ethnologique chez les récits des

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

543

voyageurs non ethnologues et, inversement, peut-on retrouver des récits de voyages

enfouis dans les monographies ou études ethnologiques ? L’introduction évoque dans

son titre les mises en texte des terrains et des voyages mais malheureusement, elle ne

propose aucune théorie générale qui pourrait s’appliquer au corpus sélectionné. Le

lecteur est même surpris de trouver comme perception méthodologique dans un grand

nombre de contributions ce qu’on pourrait appeler la critique littéraire « de papa » du

style « l’Homme et l’Œuvre ». Il y a fort peu de réflexions sur l’écriture proprement dite

comme médium de la description et/ou de l’explication. Et surtout, puisqu’il s’agit d’un

ouvrage de science humaine ou sociale, la sociologie (ou l’anthropologie) de la

connaissance culturelle ou scientifique, la sociologie politique des rapports

internationaux de la production des récits de voyage, indépendamment de leur nature,

ne font pas du tout partie de l’arsenal analytique utilisé sauf pour G. Toffin et J.-

P. Jardel. Cette conception des choses se révèle d’ailleurs par la faible connaissance de

l’histoire de nos disciplines chez la quasi-totalité des auteurs, faible connaissance qui

fait place d’ailleurs parfois à des erreurs ou à des ignorances inquiétantes. Certes,

l’objectivisme est de mise puisque seulement un tiers des auteurs évoque ses propres

travaux ou situations. Un seul auteur semble d’ailleurs capable de resituer le contexte

spécifique de la démarche ethnologique institutionnelle (en l’occurrence l’ethnologie

française par rapport à l’anthropologie américaine), Gérard Toffin. Le hasard (?) veut

que ce texte soit le premier du recueil et qu’il fasse provisoirement illusion sur la

nature des textes suivants, bien moins précis sur ce point.

3 Avant d’en revenir au fond, détaillons plus précisément le contenu de la quinzaine

d’études. Ou du moins, essayons, car la table des matières ne comporte que le titre des

contributions et pas le nom des auteurs ! Dans le même ordre d’esprit signalons le

mode de légendage des illustrations qui nécessite des verres grossissants dans le

meilleur des cas. L’ouvrage est donc composé de trois parties équilibrées :

« L’anthropologie contemporaine entre argumentation et narration », « Lectures

anthropologiques des récits de voyage » et « Écriture anthropologique et écriture de

voyage. Passerelles ». Première surprise : l’anthropologie remplace les précautions

ethnologiques des éditeurs, même si les œuvres analysées ne relèvent pas toutes de

l’anthropologie. G. Toffin compare M. Leiris, C. Levi-Strauss et M. Mead. Il est le seul à

noter (p. 31) l’avance des anthropologues américains en matière de réflexivité de

l’expérience professionnelle (notamment universitaire proprement dite), mais

manifestement l’auteur n’est pas au courant des recherches sur le contexte des

recherches de terrain des deux Français.

4 G. Bedoucha est probablement la seule à avoir pris le thème du recueil au sérieux. Elle

nous présente une comparaison du fameux ouvrage du voyageur, Wilfrid Thesiger, Les

Arabes des marais, et la seule monographie ethnologique disponible sur cette même

population, rédigée par un anthropologue irakien,

5 S. M. Salim, qui date à peu près de la même époque de la fin des années 1950début 1960.

Cette comparaison menée sur certains points terme à terme lui permet de conclure que

le récit empathique de Thesiger comporte souvent des notations ethnologiques en

situation, méthode que refuse Salim, très peu réflexif ou auto-réflexif. Il lui semble qu’il

est mieux de savoir comment l’auteur s’est « débrouillé » sur le terrain, y compris au

plan tout à fait personnel, que de croire en un savoir distancié pseudo-objectif. Un peu

de méthodologie-Thesiger ne ferait pas de mal à l’ethnologie. Certes, mais comme la

monographie ethnologique retenue (une commande administrative qui plus est) n’est

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

544

pas une grande œuvre et que le voyageur en revanche est l’un des plus grands du siècle

dernier, ces conclusions tombent d’elles-mêmes car les œuvres ne sont que

formellement comparables. Sergio Dalla Benardina nous offre une étude quelque peu

« surréaliste » puisqu’il examine les stéréotypes anthropologiques d’un corpus

d’œuvres missionnaires des XIXe et XXe siècles, constitué de manière aléatoire et qu’il

considère son approche comme aussi idéologique que celle des œuvres étudiées. Un

essayisme philosopheux de ce genre, sans rigueur, n’avait pas sa place dans ce recueil.

Le dernier texte de la première partie est tout aussi problématique.

6 M. Baussant étudie la réinvention d’une tradition en France. Il s’agit de pèlerinages

catholiques (mariaux) repris par la communauté pied-noire après son expulsion

d’Algérie en 1962. L’approche est personnelle puisque la famille de l’auteure et elle-

même sont partie prenante de cette adaptation. Mais on ne voit pas le rapport

qu’observations et relectures personnelles, expériences intimes et objectivation des

mémoires peuvent présenter avec une comparaison entre voyages ethnologiques et

récits de voyage, puisque l’auteure n’incarne aucune des deux facettes du récit et de la

description. Notre déception est donc forte à la fin de cette partie.

7 La deuxième partie nous fait carrément remonter dans le temps jusqu’au XVIIIe siècle.

Malgré l’intitulé « Lectures anthropologiques », les contributions réunies sous ce titre

restent au niveau de la simple analyse d’histoires de vie et de récits de voyage. Charles

de la Condamine en Amérique du Sud, les Libanais dans les récits français des années

1830-1850, le premier voyage d’observation quasi coloniale en Corée en 1888-1889, Ella

Maillart dans l’Union soviétique des années 1930 (c’est son premier voyage), et enfin

L. Durrell et H. Miller dans la Grèce de l’avant-guerre ne font pas l’objet de lectures

particulièrement ethnologiques ni anthropologiques, d’autant que l’aspect historique

des voyages est vu de manière sommaire et de seconde main. Trois des auteurs sont

d’ailleurs des historiens et les deux autres sont les éditeurs du recueil lui-même. Ces

cinq contributions n’aident en rien à mieux saisir la problématique de départ qui

semble de plus en plus oubliée.

8 La dernière section reprend la thématique comparatiste de la première. Le texte le plus

intéressant est probablement celui de Jean-Pierre Jardel qui remet un peu en cause la

mythologie lévi-straussienne alors qu’aucun des autres auteurs évoquant Tristes

tropiques (puisqu’il s’agit évidemment de lui) n’a osé le faire. La comparaison offerte ici

porte sur un article du voyageur peintre Jean-Baptiste Wilkinson paru dans le mensuel

l’Illustration de 1931 et le passage de Tristes Tropiques qui relatent, à dix ans d’intervalle,

et chacun à leur façon, une escale à la Martinique (1931 et 1941). Pour aller vite,

Wilkinson c’est l’idéologie coloniale en plein, mais les silences de Lévi-Strauss sur la

réalité locale, par peur de tomber dans l’exotisme de pacotille, sont tout aussi parlants.

En fait, Jardel va jusqu’à suggérer que Lévi-Strauss aurait repris Wilkinson en creux

(l’ordre de sujets, l’itinéraire de visite, etc.). Il note évidemment que Lévi-Strauss écrit

près de quinze ans plus tard. Mais en fait on ne sait rien de cette écriture et s’il y a eu

des notes prises à l’époque. Peut-être que l’édition de la Pléiade comporte des

informations nouvelles sur ce point mais Jardel n’avait pu la consulter puisqu’elle est

parue postérieurement et l’auteur du compte rendu se trouve dans la même situation1.

Mais voici une analyse, qui comme celle de G. Bedoucha, va assez profondément dans le

texte, suffisamment en tout cas pour attirer l’attention de l’ethnologue comme lecteur

et éventuellement comme auteur. J.-P. Martinon examine les origines culturelles de

l’ethnologue, du voyageur, de l’écrivant-écrivain. Ses remarques sont probablement les

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

545

plus pertinentes mais sa démonstration primesautière et rapide nous laisse sur notre

faim, au milieu de tant d’analyses du recueil qui tournent le dos à ce type d’approche

(même chez les deux éditeurs). De plus, Martinon reste très franco-centré, marque

indélébile de tous les auteurs à une exception près. Après cet intermède ethnologique,

nous retombons dans l’analyse voyagiste de seconde main. A. Demeulenaere évoque

R. Caillé (« l’inventeur » de Tombouctou) et J.-M. Le Clézio (L’Africain) : il sous-estime

très fortement l’originalité du premier (presque considéré comme un vulgaire voyageur

de Nouvelles Frontières) et surestime l’africanité voyageuse du second. Les deux

dernières contributions ne portent pas plus sur des anthropologues puisque l’une porte

sur un grand écrivain et voyageur portugais contemporain, M. Torga, et que la dernière

décrit l’univers des librairies et cafés « arabisants » du Quartier latin et les regards

exotiques internes que cette tradition diasporique et urbanistique porte en elle2.

9 Si l’on en revient à l’introduction des éditeurs, que je n’ai pas encore évoquée, on ne

peut qu’être surpris du caractère extrêmement hétéroclite du recueil et du fait qu’au

mieux un petit tiers des contributions répond véritablement à la question.

Probablement la divergence de fond est plus profonde que le simple hasard de ceux qui

rédigent leur texte après un colloque. Malgré des références aux ouvrages français les

plus récents en matière de réflexivité (A. Bensa, C. Ghasarian, O. Leservoisier) les

éditeurs restent dans le ghetto français de cette réflexivité qui n’est que très

secondairement une sociologie du travail ethnologique de terrain et encore moins une

anthropologie de la connaissance anthropologique (la bibliothèque maîtrisée par le

chercheur, les modes d’écriture depuis le terrain jusqu’à l’ouvrage publié, les cultures

professionnelles et sociales personnelles). Deux exemples pour conclure :

Fieldnotes3analyse les modes concrets de l’écriture sur, pendant le terrain ainsi que leurs

rapports avec l’après-terrain. Barthélémy et Couroucli, dans un réflexe bien français (et

hélas lévi-straussien) prennent d’emblée les anthropologues pour des écrivains ce qu’ils

ne sont qu’éventuellement et pour des voyageurs, ce qu’ils ne sont pas tout le temps.

Africanising Anthropology4 de L. Schumaker (2001) nous démontre, grâce à une longue

enquête de terrain d’histoire de la connaissance que les anthropologues du Rhodes-

Livingstone Institute des années 1940-1960 avaient en quelque sorte coproduit leurs

travaux avec les enquêteurs et interprètes noirs africains. À ce niveau, on s’aperçoit

que les anthropologues transmettent aussi autre chose que leur propre point de vue.

10 Bref l’écriture anthropologique peut être comparée à celle des voyageurs mais, pour ce

faire efficacement, il faut déjà maîtriser les rapports scripturaux des anthropologues

avec leurs informateurs et interprètes d’une part et leurs collègues de l’autre. Faute de

cette sociologie préalable « les défis de l’écriture » restent incompréhensibles et la

lecture critique des contextes de l’anthropologie impossible. Tant les étudiants

d’anthropologie que les chercheurs des autres disciplines (si nombreux encore une fois

dans cet ouvrage) ont besoin d’une perspective pragmatique de la discipline. L’analyse

réflexive n’a rien d’une psychologie ni d’une littérature (ou encore moins d’une

épistémologie) : pour être efficace elle a besoin d’un détour sociologique qui a

totalement échappé à la plupart des auteurs de cet ouvrage5.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

546

NOTES

1. Notons toutefois les remarques de Jardel portant sur l’introduction de l’anthropologue à

l’ouvrage de Don C. Talayesva, Soleil Hopi, Paris, Plon (« Terre Humaine »), 1984. Un analyste

littéraire, D. Brumble, a pourtant bien démontré (plus tard il est vrai, D. Brumble, Les

autobiographies des Indiens d’Amérique, Puf, 1993) le tripatouillage « ethnologique » dont ces

souvenirs avaient fait l’objet, tripatouillage dont Lévi-Strauss ne dit rien. La réflexivité

méthodologique et scripturale est en fait un état d’esprit qui lui est tout à fait étranger.

2. Les travaux de Maud Leonhardt Santini sont remarquables mais comme le disait plus ou moins

un auteur célèbre : « Qu’allait-elle faire dans cette galère ? » Il en est de même pour la recherche

de M. Baussant, citée plus haut.

3. R. Sanjek (ed.), Fieldnotes : the Makings of Anthropology, Ithaca-London, Cornell University Press,

1990.

4. L. Schumaker, Africanising Anthropology : Fieldwork, Networks, and the Making of Cultural Knowledge

in Central Africa, Durham (NC), Duke University Press, 2001.

5. Pour un tour complet de la question, voir D. Céfaï (dir.), L’enquête de terrain, La découverte,

2003.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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Campbell, James T. – Middle PassagesCristina D’Alessandro-Scarpari

RÉFÉRENCE

CAMPBELL, James T. – Middle Passages. African American Journeys to Africa 1787-2005. New

York, Penguin, 2006, 514 p.

« Of the twelve million or so Africans who survived the Middle Passage, about a halfmillion were imported into the territory of what is now the United States. Theirdescendants today number well over thirty million. Yet one could count thenumber of African Americans who could trace their origins back to an individualAfrican » (p. 408).

1 Ouvrage original à plusieurs titres, Middle Passages est d’abord un défi, une expérience

réussie. Pour commencer, le sujet n’est pas des plus communs, ce qui en fait une

référence incontournable et quasiment unique dans son domaine. En effet, il analyse un

certain nombre de voyages d’Afro-américains sur le continent africain : volontairement

ou forcés par les événements et pour les raisons les plus diverses, selon les époques et

les motivations, ces Américains aux origines africaines ont accompli à rebours le middle

passage fait par leurs ancêtres, c’est-à-dire la traversée atlantique qui leur a permis de

quitter les États-Unis et d’atteindre l’Afrique. Par le biais des histoires des individus et

des groupes, l’auteur parvient à dresser le portrait d’une double géographie : celle des

représentations croisées, des visions et des imaginaires du soi et de l’ici par l’autre et

l’ailleurs et vice versa. Voici donc émerger les images des États-Unis progressivement

construites dans le temps par les Afro-américains, c’est-à-dire comment ils voyaient

leur patrie, cette image étant intrinsèquement et profondément liée à la vision qu’ils

avaient forgée en eux de leur continent d’origine : l’Afrique lointaine et sans doute

différente, dans le bien ou dans le mal, de la réalité dans laquelle ils se trouvaient à

vivre.

2 Mais cet ouvrage de James T. Campbell est aussi original par la méthode et le style

d’écriture adoptés. Issu de longues années de recherches bibliographiques et

archivistiques, ce texte est un produit du monde académique : écrit par un historien,

professeur de civilisation américaine et d’études africaines à la Brown University de

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

548

Providence dans le Rhode Island, cet ouvrage a été néanmoins publié dans la « History

of American Life Series ». Il s’agit d’une collection de la maison d’éditions américaine

Penguin qui a comme finalité de rendre accessible à un public vaste et hétérogène de

lecteurs américains (ou anglophones) moyens, les travaux les plus récents et novateurs

qui portent sur leur histoire. Selon le comité scientifique de la collection, composé des

plus éminents historiens de l’histoire américaine, cela veut dire choisir des textes qui

présentent des analyses et des prises de position explicites et publier des travaux sur

les sujets les plus divers, à condition qu’ils abordent les questions les plus prégnantes

du passé des États-Unis. C’est l’horizon intellectuel dans lequel se situe Middle Passages,

qui raconte l’histoire des individus et des groupes ayant rendu possibles ou accompli

ces itinéraires entre les États-Unis et l’Afrique et ceci faisant en retracent l’évolution et

l’historique.

3 En ouverture d’ouvrage, on découvre ainsi que des milliers d’Afro-américains sont allés

en Afrique depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours. Certains s’y sont installés de

façon permanente, notamment ceux qui ont été envoyés au Liberia au XIXe siècle pour

y fonder des établissements dans le but de « rapatrier » en Afrique des esclaves libérés.

D’autres pensaient le faire, mais ont été contraints à partir à cause de situations

d’instabilité politique : c’est le cas de ceux qui sont partis au Ghana à la veille de

l’indépendance ou immédiatement après, en faisant pleine confiance au leader Kwame

Nkrumah et qui ont dû s’enfuir lorsque son régime a été renversé par un coup d’État.

Enfin, un certain nombre y est allé simplement pour voir ce monde d’où étaient partis

leurs ancêtres, cette terre dans laquelle s’enfonçaient leurs racines.

4 Malgré des sensibilités et des expériences différentes, des centaines parmi eux ont écrit

des mémoires ou des lettres, des articles ou autres textes sur leurs voyages : c’est sur

ces documents que cet ouvrage se fonde. En effet, ces voyages mettent en exergue la

présence prégnante de l’Afrique dans la vie politique, intellectuelle et dans l’imaginaire

des Afro-américains depuis longue date, car l’Afrique a été historiquement le terrain

majeur à travers lequel les Afro-américains ont négocié leur relation avec la société

américaine.

5 Mais quand et comment tout commence ? Les plus anciennes histoires de ces retours

aux sources, sur lesquelles s’ouvre l’ouvrage, sont de façon assez surprenante celles qui

remontent à la première période de l’esclavage et aux esclaves qui ont pu retourner en

Afrique. Campbell propose ainsi l’histoire exemplaire d’Ajuba Souleiman Diallo, capturé

en Gambie en 1730, libéré et rapatrié chez lui des années plus tard après un long périple

qui l’a amené aussi en Angleterre devant la reine.

6 S’il faut admettre que ce type d’histoire est très rare en son genre, bien plus

nombreuses ont été celles qui ouvrent un autre chapitre de l’histoire américaine : les

rapatriements d’Afro-américains censés, au moins symboliquement, laver la honte de

l’esclavage qui pesait sur l’histoire de la nation, et chargés de répandre sur le continent

noir les lumières de la foi. Cette épopée donne lieu à la création de la colonie de Sierra

Leone en 1787, suivie par celle du Liberia. Ces premières expériences témoignent, au-

delà du grand nombre de vies sacrifiées pour la cause, des échecs, des difficultés

pratiques et intellectuelles de toutes sortes que ces colons rencontraient, puisque ces

Afro-américains, qui avaient bénéficié d’une éducation scolaire, du contact avec la

religion et la société civile, n’étaient pas des Africains. Ils n’avaient rien en commun

avec les hommes qu’ils rencontraient et qu’ils voulaient amener sur le droit chemin.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

549

7 Mais les modalités selon lesquelles ces colonies ont été créées peuvent également

expliquer certains problèmes rencontrés successivement par les États africains

indépendants : « Si on considère l’histoire postérieure du Liberia, on pourrait aussi

s’interroger sur l’opportunité de peupler un pays avec des colons dont le modèle social

principal était celui des plantations du Sud »1 (p. 63). Pendant les années 1850, lorsque

se mettent en place au Liberia les productions de sucre et de café, non seulement le

paysage de brousse commence à ressembler fortement à celui du Sud, mais, comme au

Sud, le concubinage se diffuse, avec son corollaire d’abus physiques et de maltraitance

des travailleurs africains. Et pour avoir une idée de ce que ces installations

représentaient en termes d’individus, il suffit de dire qu’entre 1848 et 1854, plus de 40

bateaux ont quitté les côtes américaines en direction du Liberia (qui était déjà un État

indépendant à l’époque), en transportant plus de 4 000 colons !

8 À la fin du XIXe siècle, aux colons s’ajoutent les religieux. Le nombre de missionnaires

américains envoyés en Afrique pour évangéliser le continent devint progressivement

consistant et, déjà pendant cette période, les Afro-américains étaient nombreux,

surtout à l’intérieur des Églises baptistes. Leurs aventures ont été relatées et suivies aux

États-Unis par le biais des revues spécialisées, des pamphlets, mais aussi des mémoires

et autobiographies publiés en grand nombre à l’époque. « L’imaginaire afro-américain

de l’Afrique a toujours été complexe et conflictuel, mais rarement les tensions ont été si

apparentes. L’Afrique était-elle un refuge du racisme américain ou plutôt un terrain

d’expérience sur lequel les Afro-américains pouvaient prouver leur courage et mériter

leur acceptation au sein de la société américaine ? » (p. 144).

9 Après avoir relaté l’histoire de quelques missionnaires quasiment inconnus au grand

public, James T. Campbell consacre une partie importante de son ouvrage aux Afro-

américains célèbres, en commençant par l’expérience emblématique de Langston

Hugues. Non satisfait d’explorer le continent dans son imagination, l’écrivain quitte les

États-Unis en 1923 pour l’Afrique de l’Ouest. Hugues racontera son expérience africaine

dans plusieurs textes et à des moments différents de son existence, mais il répétera

souvent sa déception et sa désillusion face au continent noir : il se sentait étranger sur

cette terre et il éprouvait la douleur d’être un Américain et de savoir que son

expérience était limitée par son identité, car il ne pouvait pas vivre l’Afrique comme un

Africain. Il faudra attendre décembre 1960 avant que Hugues retourne en Afrique : lors

de son deuxième voyage, il se concentre moins sur les sensations que le continent

engendre en lui, que dans l’observation de ce qui l’entoure. Il est ainsi frappé par la

pauvreté, la corruption et l’autoritarisme émergeant et il est particulièrement secoué

par le chaos qui règne à Lagos.

10 W. E. B. Du Bois, dont la personnalité conflictuelle n’est pas un mystère, développe au

contraire un rapport plus positif avec le continent africain, même s’il avoue que son

intérêt pour l’Afrique ne découle pas au début de l’expérience directe, mais seulement

de la lecture et de la réflexion. Il a tellement désiré vivre en Afrique qu’en 1961, Du Bois

et sa femme quittent les États-Unis pour aller s’installer définitivement au Ghana, où il

va décéder à l’âge de 95 ans.

11 Les écrivains sur lesquels Campbell porte son attention par la suite sont des figures qui

se sont rendues en Afrique après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le colonialisme

traversait sa phase terminale. Richard Wright et Era Bell Thompson (la première

femme à avoir une place de choix dans l’ouvrage) ouvrent cette section. Wright

produisit une analyse lucide et implacable des ravages du colonialisme : les Africains

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

550

ont été privés non seulement de leurs terres, mais surtout de leur identité. « Ce qui

mettait le plus en furie Wright, néanmoins, ce n’était pas la persistance des traditions,

ni les ravages de la modernité, mais les mélanges par lesquels les Africains combinaient

des éléments des deux dans leurs vies quotidiennes. Wright dénicha partout des signes

de ce que les scientifiques appellent aujourd’hui l’hybridité, la combinaison d’éléments

appartenant à différentes cultures et systèmes de valeurs dans des formes nouvelles et

syncrétiques » (pp. 306-307). Le seul palliatif possible que l’écrivain concevait pour

améliorer la situation était, de façon surprenante, la militarisation du quotidien des

individus : la seule option capable de discipliner les instincts.

12 Ce panorama qui fait le tour de la question sur une période de plus de deux siècles se

termine avec une section qui s’occupe de journalistes américains envoyés en Afrique

pour relater les pages les plus dramatiques de l’histoire africaine de ces dernières

années, notamment le génocide rwandais et les troubles à Mogadiscio : les Afro-

américains étaient assez nombreux. « Aussi souvent que dans le passé, les difficultés

quotidiennes des Noirs américains ont été exportées sur les terrains africains. Les

dernières décennies du XXe siècle témoignent d’une renaissance de l’intérêt des Afro-

américains pour le continent, un sentiment renouvelé d’identification, exprimé par

tous les biais à partir de la mode jusqu’aux prénoms choisis par les familles pour leurs

enfants » (p. 370). Cela est dû au moins en partie au succès avec lequel a été

immédiatement accueillie la publication du roman (et de la série qui en a été tirée)

d’Alex Haley Roots, mais également à la diffusion des théories et des idées

afrocentristes : si la civilisation occidentale a des racines africaines, alors on peut

revendiquer avec orgueil des origines africaines, celles des ancêtres, même s’ils ont été

capturés et amenés en Amérique comme esclaves. C’est une confirmation du fait que les

liens entre les Amériques et l’Afrique n’ont jamais été rompus et qu’ils restent forts et

vivants, malgré le temps qui passe et les générations qui se succèdent : ces relations

sont émotionnelles, mais aussi intellectuelles, tout autant que réelles et directes dans

bien des cas.

13 Ce sentiment explique le développement rapide d’une industrie touristique vouée à

ramener en Afrique les Afro-américains, à leur faire découvrir la terre des ancêtres, à

leur faire ressentir le pathos du retour aux sources. Même si la plupart de ces touristes

ne sont pas en mesure de tracer leurs origines jusqu’à une région et encore moins à un

point précis du continent africain (comme en témoigne la citation d’ouverture), tous les

« paquets » proposés par les agences de voyage prévoient une escale à Gorée ou à Cape

Coast, lieux emblématiques où les descendants des esclaves peuvent reproduire ce

moment où tout commença. Campbell remarque que, pour les Américians, ces lieux

peuvent incarner le début du voyage, mais qu’il n’en a probablement pas été ainsi pour

les esclaves qui y ont transité, pour lesquels ils n’étaient que des points de passage d’un

voyage qui avait commencé des jours, des semaines, voire des mois plus tôt, parfois des

centaines de kilomètres plus à l’intérieur des terres.

14 Pour conclure, l’auteur offre une synthèse efficace de ce qu’a représenté l’Afrique pour

les Afro-américains, depuis les toutes premières aventures : elle a toujours été un

endroit où on pouvait faire œuvre charitable tout en gagnant de l’argent, un lieu où on

pouvait servir la cause de l’égalité des hommes tout en construisant sa propre fortune.

Même si peu nombreux ont été ceux qui ont pu réaliser leurs rêves à l’aide de ces

schémas simplistes, il est trop simple et aisé, nous dit Campbell, de condamner ces

individus ou de les considérer naïfs et opportunistes.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

551

15 Nous souhaitons ainsi souligner pour conclure un des enseignements majeurs de ce

livre. On a, en effet, souvent souligné que l’Afrique a été un terrain d’expérience pour

les puissances coloniales européennes, un espace traité comme terrain vierge où on

pouvait exporter la civilisation occidentale et créer ex nihilo un monde nouveau et une

société différente. Campbell nous donne, néanmoins, aussi l’occasion d’affirmer et de

réfléchir sur le fait que, même siles États-Unis n’ont officiellement jamais eu des

colonies en Afrique, ils ont exercé un pouvoir colonial sur le continent ou au moins sur

quelques régions. Comme les autres États européens ont fait de l’Afrique leur alter ego,

la terre où se réfugier, le cauchemar ou le rêve, l’Ailleurs fondateur de l’Ici, le lien

relationnel qui permet de connaître le chez soi et de s’en sortir lorsqu’il ne répond plus

aux attentes ou lorsqu’on a simplement envie de la différence oude la diversité, donc de

l’exotisme, les États-Unis ont fait du Liberia, de la Sierra Leone ou du Ghana des

« colonies » d’une certaine manière.

16 Si Edward Saïd a si bien montré que l’Occident n’existe que par la création de l’Orient,

on pourrait ajouter que l’Occident se construit par sa relation à l’Afrique et à l’Ailleurs

africain.

NOTES

1. Cette citation et celles qui suivent sont des traductions françaises du texte original anglais,

assurées par l’auteure de la recension.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

552

Cauvin Verner, Corinne. – Au désertJulien Bondaz

RÉFÉRENCE

CAUVIN VERNER, Corinne. – Au désert. Une anthropologie du tourisme dans le Sud marocain.

Paris, L’Harmattan, 2007, 317 p.

1 Ce livre, préfacé par Alban Bensa, est issu d’une thèse de doctorat effectuée sous la

direction de Marc Augé puis de François Pouillon qui l’a conduite en soutenance en juin

2005 à l’École des hautes études en sciences sociales. Il est révélateur de l’émergence de

nouveaux terrains et de nouvelles pratiques en anthropologie, et particulièrement en

anthropologie du tourisme, double originalité revendiquée à la fois sur le plan

théorique et sur le plan méthodologique. Sur le plan théorique, dans l’introduction,

Corinne Cauvin Verner situe l’enjeu de sa recherche à l’articulation d’une

« anthropologie en miroir » devant rendre compte de la manipulation réciproque

d’énoncés identitaires par les touristes et par leurs guides et d’une anthropologie

historique rendue nécessaire par l’analyse du tourisme en tant que facteur de

changement social. Sur le plan méthodologique, elle donne à voir ce que l’on serait

tenté de désigner comme une ethnologue « embarquée » participant aux côtés de

touristes européens à différentes randonnées dans le désert du Sud marocain (région de

Zagora).

2 La seconde partie introductive présente ainsi le « journal d’une randonnée », et décrit

les multiples interactions au sein d’un groupe de touristes depuis son départ d’Orly

jusque sur les pistes sahariennes, et retour. Mais le récit de cette randonnée est aussi

celui des rencontres entre les touristes et leurs guides marocains, de leurs attentes et

de leurs déceptions réciproques. Il est enfin celui des relations de l’ethnologue avec ses

compatriotes1, de sa place négociée de touriste pas comme les autres, de son

questionnement quotidien. Si le titre de la conclusion est trompeur, puisqu’elle propose

moins un « retour sur la méthode » qu’une synthèse théorique, un autre passage du

livre paraît précieux du point de vue méthodologique et fait écho au problème de

l’insertion de la chercheuse au sein des groupes de touristes. La fin du chapitre IX

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

553

propose en effet le récit d’« adoption » de l’ethnologue par un groupe tribal, les Nwâjî,

ses différentes procédures et difficultés (pp. 201-209).

3 Le livre est composé de quatre parties qui posent chacune la question de la rencontre

entre les touristes et les guides sous un angle différent. Rencontre des imaginaires tout

d’abord : la première partie est essentiellement historique et témoigne en particulier

d’une large connaissance de la littérature coloniale (œuvres littéraires et ouvrages

ethnographiques). C. Cauvin Verner montre par ailleurs comment les images du désert

se sont construites de manière parallèle, et met en regard, par exemple, les textes

religieux (la Bible et le Coran essentiellement). Une définition négociée du désert est

ainsi mise en lumière, entre vide introuvable et espace périphérique, entre préjugés

sociologiques et système de représentations pluriel.

4 Rencontre d’identités objectifiées ensuite : la deuxième partie du livre est consacrée

aux multiples manières de fabriquer de l’authenticité, à travers la mise en place, par les

guides, d’une identité bricolée et plurielle, à la fois tribale (Nwâjî), politique (Sahraouis)

ou labellisée (Touareg), mais aussi au moyen de décors adaptés aux annonces des

agences de voyage et aux brochures touristiques (l’erg ou le bivouac par exemple), ou

par l’intermédiaire d’objets artisanaux mis en scène dans des lieux marchands

diversifiés (les bazars, les coopératives de tapis ou les boutiques intégrées aux circuits

de randonnée). Là encore, ce sont des négociations symboliques qui permettent

d’attribuer une valeur d’authenticité aux personnes, aux espaces et aux objets, invitant

à repenser l’opposition entre tradition et modernité et à réfléchir plutôt en termes de

« dynamique de compromis » (p. 140). Par exemple, si les guides se déguisent en

Touaregs au moyen de gandouras bleues et de chèches noirs, c’est pour défendre une

« authenticité nomade » non seulement au regard des touristes – d’ailleurs souvent

déçus par ce qui leur semble être une décadence du nomadisme – mais aussi en vue

d’une reconnaissance de leur identité culturelle sur un plan national. En refusant

d’analyser le tourisme à travers des oppositions simplistes ou des accusations

d’acculturation, C. Cauvin Verner met ainsi en relief la façon dont les relations entre

touristes et guides s’inscrivent également dans des relations sociales locales et des

enjeux politiques nationaux.

5 Dans la troisième partie, il s’agit de passer d’un « point de vue symbolique » sur le

tourisme à un « point de vue économique et social » (p. 171). Les transformations

économiques sont à replacer dans un contexte plus large afin de mieux cerner la

diversité des contraintes qui permettent de les expliquer : en ce sens, le tourisme

semble moins avoir un impact sur l’économie locale que le contrôle accru des

frontières, les politiques de pacification ou l’abolition de l’esclavage. Quant à son

impact politique, il est à la fois local et national : les critères tribaux entrent en ligne de

compte pour le recrutement des guides et l’émergence du tourisme permet de

réaffirmer une certaine dissidence politique. Enfin, les multiples modifications de la vie

quotidienne (alimentation, mobilier, relations familiales) donnent à voir aussi bien des

capacités d’invention que des stratégies de déviation.

6 Ce sont ces « stratégies déviationnistes » qui constituent pour finir le sujet de la

quatrième partie du livre, autour de deux axes : la sexualité avec les étrangères (les

« copines »)2 et la consommation d’alcool. Ces deux phénomènes, analysés avec pudeur

par C. Cauvin Verner, président à une classification binaire des guides, entre bons

guides et guides décadents (ou « mauvais sujets »), classification partagée par les

habitants de Zagora et par les touristes. Les récits de vie présentés, parfois

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

554

dramatiques, invitent cependant à ne pas généraliser : il s’agit à chaque fois, pour les

guides, de révéler les antagonismes de leur société, de jouer avec ce que Jean-Robert

Henry appelle une frontière symbolique3. Les randonnées sont des lieux de rencontres

paradoxaux, entre séduction et déception, fascination pour l’ailleurs et repliement sur

soi.

7 Basé sur des enquêtes menées de 1994 à 2004, l’ouvrage de C. Cauvin Verner mobilise de

nombreuses descriptions ethnographiques et des références multiples. Au sujet des

relations de séduction entre les touristes et les guides marocains, les points de

comparaison avec des situations proches en Tunisie ou à Jérusalem sont en particulier

les bienvenus. Si l’on peut regretter que les paroles de touristes ou de guides, que les

extraits d’entretiens, ne soient finalement pas très nombreux, la finesse des

observations et des propositions théoriques permet d’offrir une vision élargie du

phénomène touristique et de souligner l’imbrication de logiques concurrentes et de

définitions bricolées à l’œuvre dans la rencontre entre les touristes et les habitants des

sociétés visitées.

NOTES

1. Les touristes observés n’étaient cependant pas tous français, certains étaient notamment

allemands.

2. Voir à ce sujet l’article de C. Cauvin Verner, « Du tourisme culturel au tourisme sexuel : les

logiques du désir d’enchantement » (dans ce numéro).

3. J.-R. Henry, « Les frontaliers de l’espace franco-maghrébin », in F. Colonna & Z. Daoud (dir.),

Être marginal au Maghreb, Paris, CNRS Éditions, 1993, pp. 301-311.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

555

Guyot, Sylvain. – Rivages zoulousCristina D’Alessandro-Scarpari

RÉFÉRENCE

GUYOT, Sylvain. – Rivages zoulous. L’environnement au service du politique en Afrique du Sud.

Paris, IRD-Karthala, 2006, 263 p.

1 S’il est notoire que les conséquences actuelles de l’apartheid sont encore nombreuses et

importantes en Afrique du Sud de nos jours, cet ouvrage met en exergue combien cela

est vrai également concernant les questions environne-mentales. Comme le souligne en

effet Benoît Antheaume dans l’avant-propos de l’ouvrage : « Les héritages spatiaux des

dispositifs raciaux restent souvent en place et n’ont été que marginalement

remodelés » (p. 7). La société et l’espace sud-africains restent donc encore fortement

ségrégués, bien que cette ségrégation ne s’opère plus par les mêmes moyens que dans le

passé. L’émergence d’une classe moyenne noire capable de se réapproprier certains

espaces par des moyens politiques ou économiques vient certainement nuancer

quelque peu ces propos, mais les rivages zoulous du Kwa-Zulu-Natal qui nous

concernent ici restent encore majoritairement fréquentés par les Blancs, que ce soit

pour l’exploitation minière et portuaire ou encore pour le tourisme.

2 Œuvre d’un géographe, qui connaît bien ces terrains pour les avoir longuement

fréquentés et sillonnés, et dont la connaissance du terrain transparaît tout le long du

texte, l’ouvrage porte donc sur des conflits spatiaux particuliers : les conflits

environnementaux. Après une analyse des dynamiques conflictuelles (qui constituent

la partie la plus originale et passionnante du texte à nos yeux), l’auteur en présente par

la suite la genèse, pour terminer avec les tentatives de régulation.

3 Ce que l’on appelle ici « rivages zoulous », c’est-à-dire le littoral du pays zoulou, est

constitué, à l’exception de la ville portuaire et industrielle de Richards Bay, de stations

balnéaires anciennes de taille réduite et d’espaces protégés : il s’agit d’« un cadre

spatial encore très inerte » (p. 12) selon les mots de l’auteur, mais agité par un certain

nombre de conflits spatiaux entre les activités économiques et la protection de

l’environnement. Les politiques environnementales néolibérales mises en place par le

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

556

gouvernement sud-africain post-apartheid tentent de valoriser l’environnement par

son exploitation économique à l’aide de l’écotourisme, mais cela ne suffit certainement

pas à apaiser tous les conflits, vu par ailleurs que les résultats sont mitigés.

4 L’ouvrage fait plus particulièrement référence à trois localités de ce littoral, qui sont

exemplaires, pour les conflits environnementaux qu’elles cristallisent, des dynamiques

de la bande côtière dans son ensemble : St Lucia, Manguzi et Richards Bay.

5 St Lucia, au cœur du Greater St Lucia Wetland Park, est victime des stratégies issues des

logiques de conservation de la nature littorale héritées de l’époque coloniale. Dans

cette région pauvre, la concurrence spatiale pour l’appropriation du littoral, et

l’incompatibilité des différentes logiques d’exploitation de celui-ci, engendre des

conflits environnementaux. L’exploitation du titane n’est effectivement pas compatible

avec la conservation du littoral : une seule de ces deux options peut prévaloir. Dans ce

cas, la politique et le droit ont été utilisés pour régler les dynamiques conflictuelles par

voie d’autorité : une décision gouvernementale a imposé dès 1996 le développement

écotouristique de la région. Mais ce coup de force engendre-t-il une résolution réelle du

conflit ? On peut en douter, car l’exploitation touristique des plages reste une source

insuffisante de revenus, qui ne parvient pas à couvrir les besoins des populations

locales, pour lesquelles donc la protection de l’environnement constitue une perte.

6 Si les habitants subissent des contraintes ou des interdits au nom de la protection de

l’environnement, ils vont développer des stratégies de réaction qui risquent de relancer

le conflit. C’est ce qui s’est passé lors de l’extension du parc de St Lucia à la réserve

naturelle de Kosi Bay, où se situe la localité de Manguzi. La réalisation d’un campement

écotouristique à Banga Nek donne aux habitants l’espoir de pouvoir se partager au sein

de la communauté les retombées des bénéfices, mais celui-ci perd de l’argent et

l’écotourisme se révèle comme un mauvais investissement. Les conflits autour de

l’intégration de la réserve au parc de St Lucia restent donc nombreux et virulents.

7 Richards Bay représente une réalité fort différente des deux précédentes. C’est une ville

industrielle, dont l’activité économique a été propulsée par la construction du port en

1976 : il s’agit donc d’un centre urbain de création récente (qui n’était qu’un village de

pêcheurs avant la construction du port) pour lequel, malgré tout, la municipalité tente

de mettre en place un développement touristique de la plage, non sans dérives

écologistes. Mais, seulement une partie restreinte et bien identifiée de la population est

impliquée dans les conflits qui en découlent, les dynamiques conflictuelles étant donc

elles aussi ségrégatives : « Les conflits environnementaux ne semblent concerner

qu’une petite fraction aisée de la population qui en a fait un de ses chevaux de bataille

sans toutefois être capable de présenter un front uni » (pp. 56-57).

8 En Afrique du Sud, l’environnement génère donc encore de l’exclusion et de la

ségrégation (ce que l’auteur appelle « l’apartheid vert ») entre des groupes

majoritairement blancs qui défendent leurs lieux de vie ou de vacances, à l’aide de

moyens politiques, sociaux et institutionnels pour faire entendre leur voix et des

populations noires pauvres et marginales, déplacées à l’époque coloniale pour

permettre la création des parcs et des réserves, et aujourd’hui contraintes à vivre dans

des conditions difficiles. « L’apartheid vert […] implique la sanctuarisation de grands

espaces “naturels” à des fins de protection de l’environnement en mettant

préalablement à l’écart les populations autochtones qui s’y étaient établies » (p. 99). À

Kosi Bay par exemple, cette logique a engendré des conflits spatiaux entre

l’aménagement touristique de l’espace du parc et le monde rural pauvre qui l’avoisine

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

557

et qui est coupé non seulement de toute infrastructure indispensable, mais aussi de

l’accès aux ressources auxquelles les populations avaient toujours eu accès dans le

passé.

9 Si la protection de l’environnement engendre de tels résultats, on en arrive à se

questionner avec l’auteur sur la compatibilité entre le développement et les logiques de

protection : « Qu’est-ce que la protection de l’environnement sans un processus

d’amélioration du niveau de vie de la majorité démunie des habitants ? » (p. 77). Voici

un point crucial pour la planification des aires protégées en Afrique subsaharienne et

rarement explicité en ces termes : bien que les discours des acteurs occidentaux

soulignent toujours les retombées économiques apportées par l’écotourisme, dans les

faits, les communautés locales sont progressivement exclues de la jouissance de leurs

ressources (par les interdits qui accompagnent les politiques de conservation) et de la

décision concernant les espaces qui leur appartiennent. Les exemples de ce type sont

nombreux un peu partout en Afrique, et multiplient les conflits spatiaux, en autorisant

les chercheurs à parler d’échecs répétés des politiques environnementales sur le

continent africain. L’environnement n’est donc pas un enjeu de conflit en soi, mais

plutôt un révélateur, comme d’autres vraisemblablement, de ce type de dynamiques qui

mettent l’espace au centre de l’action.

10 En ce qui concerne plus spécifiquement l’Afrique du Sud, Sylvain Guyot souligne

qu’avec la fin de l’apartheid, le gouvernement qui l’a remplacé a mis en place de

nouveaux pouvoirs locaux, qui se sont superposés aux précédents sans pour autant

vraiment les remplacer, ce qui n’a fait qu’accroître les difficultés de gestion des

territoires et des conflits. En effet, le niveau provincial est censé faire appliquer les lois

édictées par l’État sud-africain, mais celui-ci ne dispose pas (quelques rares exceptions

mises à part) de moyens nécessaires pour ce faire. « Le niveau local “fait le grand écart”

entre des impératifs de développement local, et la montée des mécontentements liés à

la dégradation de la qualité environnementale concernant différents types de clientèles

urbaines. Finalement il y a une distorsion importante entre la loi et son application en

raison de l’absence d’autorité régulatrice dotée de pouvoirs et de moyens appropriés »

(p. 204). Le gouvernement ANC est donc responsable d’un découpage et d’une gestion

territoriale inadaptée et peu performante en même temps qu’il relaye les discours des

institutions économiques internationales (Banque Mondiale et FMI) sur le

développement durable, à l’aide de politiques environnementales de protection, qui

utilisent le tourisme pour légitimer leurs actes.

11 Le bilan amer que l’auteur dresse de l’application des discours sur la gouvernance

territoriale et le développement durable en Afrique du Sud, et plus particulièrement

dans les localités étudiées, parle d’illusions sur la participation des habitants aux

politiques environnementales. À Kosi Bay-Manguzi « la “bonne gouvernance” sert de

faire-valoir à des institutions voulant continuer à appliquer des politiques corrompues

et vouées à l’échec, tout en se donnant bonne conscience et en investissant dans une

communication politiquement correcte » (p. 209).

12 En ce qui concerne la participation des habitants, celle-ci pose en revanche dans ces

contextes les mêmes problèmes qu’on retrouve ailleurs. Au premier chef la

représentativité des acteurs : seuls les acteurs qui ont des enjeux ou des intérêts bien

précis dans les espaces concernés viennent s’exprimer. À cela s’ajoute le fait que les

développeurs ont des budgets limités et des contraintes qui découlent de l’interaction

avec les institutions concernées par les réalisations : leur marge de manœuvre est donc

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

558

limitée et bien souvent ils ne recherchent qu’une validation « par le bas », sans être

vraiment à l’écoute des besoins et des points de vue des habitants.

13 Cette étude contribue donc à faire réfléchir sur les spécificités du cas sud-africain,

strictement liées aux héritages de l’apartheid, mais aussi aux dynamiques et aux

problématiques communes aux États africains. « Les catégorisations de l’apartheid font

aussi partie des héritages difficiles à dépasser, que ce soit pour les habitants eux-

mêmes, enfermés dans leurs certitudes, ou pour les observateurs extérieurs qui ne

peuvent pas s’en défaire facilement » (p. 14). L’apartheid n’est-il donc pas bien souvent

davantage présent dans l’esprit du chercheur que dans la réalité, celui-ci étant

dépourvu d’autres schémas explicatifs aptes à le remplacer ?

14 Les rivages zoulous, convoités entre plusieurs groupes d’acteurs et des logiques

spatiales différentes, soumis à la protection de leur environnement ainsi qu’aux

stratégies de développement industriel et touristique, font donc l’objet d’une

compétition territoriale et sont en syntonie avec les dynamiques actuelles de la

mondialisation. En ce qui concerne le politique, les efforts de démocratisation sont

indéniables et, pour ce qui est de l’économique, les choix néo-libéraux sont clairs. Si au

présent, les discours sur le développement durable ne font que justifier les stratégies

des différents acteurs qui visent principalement à accroître leur propre profit, on peut

légitimement s’interroger sur le futur de ces rivages zoulous.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

559

Jennings, Eric T. – Curing theColonizersKatherine Luongo

REFERENCES

JENNINGS, Eric T. – Curing the Colonizers : Hydroterapy, Climatology, and French Colonial Spas.

Durham-London, Duke University Press, 2006, 271 p.

1 Eric Jennings’ book focuses on the birth and development of four French colonial spas

and the emergence of the French spa town of Vichy as a cosmopolitan “capital of the

colonizers” (p. 201). Analyzing the twinned imperial “sciences” of hydrology and

climatology, the book traces the myriad ways in which the colonial spa emerged as a

key locus of persistent colonial concerns about “degeneration and déracinement” (p. 24)

and “fragility and mortality” (p. 2) in the empire. According to Jennings, French

colonial spas, and the “sciences” undergirding them, were significant spaces of empire-

building because they operated “as potent reminders of home, as interfaces between

the metropole and the colony” which “crystallized power and civilization, modernity

and knowledge” (p. 213).

2 While historians of health and leisure in the British Empire have studied in detail the

famously salubrious hill towns of India and other colonial locations of broadly

medicalized respite, Jennings’ study is among the first to approach these intertwined

issues in the French colonial context. Jennings’ work also offers a range of useful

interventions into histories of empire, medicine, tourism and leisure more generally.

Taking a Foucauldian view of the relationship between medicine and power, the book

ably asserts “the centrality of European health to colonial medicine” (p. 4). It contrasts

evocative versus exotic tourism and poses spas as sites designed to “cultivate

difference” while tacitly appropriating local hydrotherapeutic practices (p. 5). Studying

spa centers, Jennings argues, illuminates “everyday colonial practices” and highlights

the negotiations of identity and power relations which informed them (pp. 5-6).

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

560

3 Through five case studies of spas in Guadeloupe, Réunion Island, Madagascar, Tunisia,

and Vichy, Jennings provides a convincing analysis of how colonial spas offer a lens

into the “foundations of empire” (p. 2). Chapter one proposes a complex intellectual

history of the commingled “sciences” of climatology, hydrology, and mésologie in order

to demonstrate “the link between the production and practice of colonial knowledge in

the field of tropical hygiene” (p. 8). Chapter two addresses the bureaucratization of spa

therapies and visits, detailing the legislation developed to govern different types of

cures and the establishment of special commissions to organize “spa breaks” for

various categories of French expatriates. Continuing on the theme of bureaucracy,

chapter three explains how in the case of Guadeloupe, “a key concept had been coined:

the administration could cut costs by creating in Guadeloupe the kind of rest and

reinvigoration facilities that were becoming immensely popular in metropolitan

France” (pp. 70-71).

4 Focusing on the slave and maroon histories of Réunion, chapter four examines the

narratives of white “discovery”, and the subsequent rebranding as ineluctably French,

of springs long in use by blacks. The chapter further traces how the island’s spa centers

were believed to exert a “Frenchifying” effect on expatriates and creoles alike (p. 97).

Chapter five on Madagascar likewise focuses on the appropriation of local spa places

and practices and on how the island’s central spa town operated as a “laboratory” in

which French colonial “social, architectural, and cultural experimentation were the

order of the day” (p. 143). Chapter six about Tunisia expands on this theme, delving

deeply into the ways in which the colony’s primary spa center “served as a colonial

crucible, a site where science, identities, even modernities jostled with and were

conditioned by religions, rituals, and millennial legacies” (p. 177).

5 Finally, chapter seven investigates how Vichy emerged as an “informal imperial hub”

at the same moment that the status of being “colonial” became equated with bearing a

pathologized, medicalized, condition (p. 182). Profiling the various categories of

colonial curistes who flocked to Vichy, Jennings traces how “in sociological and

anthropological terms, Vichy ultimately became the metropolitan point of contact–a

crucial interface to the motherland for settlers, missionaries, soldiers, and

administrators whose years of expatriation in the colonies had uprooted’ them from

their original metropolitan networks […]” (p. 185).

6 Jennings’ book is a “historian’s history” in the best sense, organized clearly along

geographic and temporal lines, its contentions develops and supported by meticulous

archival research culled from numerous French metropolitan and former colonial

archives. Further, Jennings shows himself to be particularly adept at reading artifacts

of material culture from colonial-era advertisements (p. 66) to caramel tins (pp.

205-206). While the subject of colonial spas might at first glance appear a tad esoteric,

the depth and breadth of Jennings’ research together with his effective employ of

important interdisciplinary concepts like “space” and “imperial networks” renders this

work useful to regional and imperial scholars and to historians of leisure, science, and

medicine as well.

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

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Kane, Momar Désiré. – Io l’AfricaineAnthony Mangeon

RÉFÉRENCE

KANE, Momar Désiré. – Io l’Africaine. L’Afrique et ses représentations : de la périphérie du

monde au cœur de l’imaginaire occidental. Paris, L’Harmattan, (« L’Afrique au cœur des

lettres »), 2009, 304 p.

1 Au seuil des indépendances africaines, un jeune intellectuel africain, Samba Diallo,

confessait les bouleversements qu’avait provoqués en lui son « chemin d’Europe » :

« Il arrive que nous soyons capturés au bout de notre itinéraire, vaincus par notreaventure même. Il nous apparaît soudain que, tout au long de notre cheminement,nous n’avons pas cessé de nous métamorphoser, et que nous voilà devenus autres.Quelquefois, la métamorphose ne s’achève pas, elle nous installe dans l’hybride etnous y laisse. […] Je ne suis pas un pays des Diallobé distinct, face à un Occidentdistinct, et appréciant d’une tête froide ce que je puis lui prendre et ce qu’il faut queje laisse en contrepartie. Je suis devenu les deux. Il n’y a pas une tête lucide entredeux termes d’un choix. Il y a une nature étrange, en détresse de n’être pas deux »1.

2 À travers le parcours initiatique de son héros, le romancier sénégalais Cheikh Hamidou

Kane tentait alors de repenser les rapports de l’Afrique à l’Europe, dans un monde

soumis à une occidentalisation croissante : quelle place restait à la spiritualité africaine,

quand la domination européenne avait marqué le triomphe de la technique et semblait

incarner la supériorité de la science et de la rationalité sur les univers de la magie et de

la foi ? Sur quels fondements reposeraient désormais les identités modernes, nées à la

croisée des mondes africains, orientaux et occidentaux ?

3 Ce sont ces questions que Momar Désiré Kane, un jeune philosophe homonyme du

grand écrivain sénégalais, reprend à nouveaux frais dans un essai au titre étrange : Io

l’Africaine. On pense spontanément à Black Athena, cette vaste somme par laquelle

l’historien juif américain Martin Bernal se proposait d’expliciter, dans les années 1980,

les racines afro-asiatiques de la civilisation classique2. Mais s’il ne fait aucun doute que

l’humanité vit le jour en Afrique, faut-il pour autant racialiser ses origines en

défendant, avec l’historien Cheikh Anta Diop, une « antériorité des civilisations

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

562

nègres » et la filiation des cultures négro-africaines avec l’Égypte antique, dont il

suffirait alors de réactiver les mythes et les croyances pour atteindre à une identité

« authentiquement africaine » ? Telle est la thèse soutenue aujourd’hui par les

partisans de l’afrocentrisme, tous disciples de Diop ou de son épigone africain

américain, Molefi Kete Asante, avec lesquels Momar Kane tente ici de prendre ses

distances. Pour lui, l’afrocentrisme diopien comme la négritude de Léopold Sédar

Senghor doivent avant tout s’interpréter comme de simples « retournements du

stigmate »3, qui valorisent et racialisent en effet une différence ou une spécificité nègre

alors même que celle-ci n’est jamais qu’un produit de l’imagination occidentale, et de

son obsession à se définir par contraste et en opposition avec l’Afrique ou l’Orient. Or

dans cette autodéfinition du Même, qui rejette l’Autre à sa périphérie en plaçant dans

ses marges tout ce qu’il se refuse à assumer et à reconnaître en son sein propre (le

primitivisme, la sauvagerie, le monde de la pensée magique, superstitieuse et des

croyances), Kane identifie un curieux paradoxe : régulièrement, sinon de façon

constante, la littérature occidentale revient à l’Afrique comme à sa part manquante,

notre imaginaire semblant accomplir ainsi cette fonction éminemment nécessaire d’un

retour aux sources – pour ne pas dire aux origines. C’est cette « dimension

archéologique et commémorative de l’imaginaire » (p. 9), dans ses détours et retours en

Égypte, ou dans ses détournements et retournements du signe « Afrique », que

l’essayiste choisit d’explorer à travers plusieurs mythes et généalogies croisés.

4 Intitulée « L’Afrique dépossédée de son héritage », la première partie analyse en détail

le renversement jadis opéré par Platon : tout en célébrant et en utilisant abondamment

le fond philosophique égyptien, ce dernier réussit en effet cet « immense tour de

force » de « réduire la raison à la rationalité, au seul logos articulant pensée et discours

(la pensée discursive) » (p. 29). Mais « la raison est d’abord ruse », et un « mode

d’inscription interactive spécifique avec son environnement et son voisinage […]

surtout fait d’approximations, de tâtonnements et de projections » (pp. 37-38) que les

Grecs appelaient mètis.

5 Kane montre abondamment comment cette « mètis comme mode d’intelligence est à

l’œuvre dans toute production mythique » (p. 93), et que dans une large mesure, la

philosophie de Platon en est elle-même une brillante illustration, qui parvient à

dissimuler tout à la fois son inspiration égyptienne et cette dimension pratique voire

tactique de la rationalité. Souvent convaincant, le raisonnement de Kane devient aussi

parfois fantaisiste, à force d’aborder toutes choses en termes de raison suffisante.

L’auteur affirme par exemple que « la majeure partie des êtres vivants » possèdent

cette mètis qui les rend aptes à « la dissimulation, à donner le vrai pour le faux » (p. 37),

et qui sert « partout et toujours à satisfaire trois types de besoins : les besoins

biologiques, sociaux et spirituels » (ibid.). Mais quels peuvent bien être exactement les

besoins spirituels des êtres vivants autres que l’Homme ? Comment expliquer par

ailleurs que les animaux savent ruser et feindre, mais jamais ne sauraient tromper,

« mentir ou feindre de feindre » ainsi que le soulignait Jacques Derrida lui-même4 ?

Comment expliquer enfin qu’à rebours des Hommes, ils n’éprouvent pas le besoin de se

raconter des histoires ou comme le dit Kane, « de donner une explication à l’existence

du monde tel qu’il se donne à percevoir afin de le rendre habitable » (p. 93) ? C’est qu’il

faut bien envisager une autre et double fonction à la mètis dans l’ordre de la culture : il

s’agit, d’une part, de se pouvoir réinventer et redéfinir sans cesse soi-même selon les

circonstances, et notamment dans nos rapports à l’autre ; il s’agit, d’autre part, de

maîtriser précisément ces derniers comme de véritables rapports de pouvoir, qui font

Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009

563

que tout rapport à l’autre ne doit pas uniquement s’envisager de manière culturelle,

même sur le mode généreux d’une « pollenisation mutuelle », parce qu’il est et

demeure toujours et déjà un rapport politique. Kane montre bien comment la manière

dont Platon use de la mètis pour cerner la rationalité et la réserver prioritairement à la

pensée discursive des « philosophes », participe de fait d’un contexte historique bien

particulier – la difficulté à introduire du sens et de la permanence dans le chaos

démocratique, et la volonté compensatoire de « s’installer dans l’hypothèse d’un monde

meilleur » (p. 91) en offrant une « définition rationnelle de la cité » (p. 75). Ce constat

suscite cependant une autre interrogation : quel intérêt politique peut-on avoir

aujourd’hui à faire de Platon un épigone raté des « prêtres égyptiens ou des initiés

dogons » (p. 91) ou à comparer la cosmogonie des Dogons à celle des Égyptiens ?

L’artifice des rapprochements apparaît nettement quand la croyance égyptienne en la

puissance démiurgique du verbe est finalement arbitrairement associée à « la

conception de l’être » rapportée par Amadou Hampâté Bâ dans ses réflexions d’ordre

général sur les cultures africaines, notamment lorsqu’il rappelle que selon la tradition

malinkée « les personnes de la personne sont multiples dans la personne » (p. 97)5.

Donner une portée ontologique à une maxime qui, après tout, n’affirme rien d’autre

que le caractère labile et situationnel des identités me semble révélateur d’une certaine

pente ethnophilosophique chez Momar Kane, qui semble vouloir lui aussi abstraire,

coûte que coûte, une origine et une essence communes aux différentes cultures

africaines et plus largement humaines.

6 Cette démarche fait tout l’objet de la deuxième partie, intitulée « géopolitique de

l’imaginaire ». L’exploration et la confrontation de diverses mythologies et généalogies

(grecques, juives, africaines, égyptiennes) partent d’un parallèle entre les aventures

d’Io l’Africaine et d’Europe la Phénicienne : toutes deux sont transformées en génisses

par leur amant Zeus, qui leur évite ainsi le courroux d’Héra, et toutes deux donnent

naissance aux principales familles et figures héroïques qui peupleront la mythologie

gréco-latine. On trouve ainsi, dès le principe, une gémellité symbolique qui fonde

toutes les rivalités à suivre dans les préséances généalogiques. Les mythes sont

également le terrain d’une double mètis : ils témoignent constamment de luttes et d’un

usage incessant de la ruse pour éliminer l’adversaire et obtenir le pouvoir ; mais eux-

mêmes altèrent constamment la mémoire généalogique en dissimulant notamment,

selon l’auteur, « l’origine égyptienne de la civilisation grecque » (p. 111) – à force

d’accorder, par exemple, la primauté à la descendance de Danaos, ancêtres des Grecs en

même temps qu’il était fils d’Io et frère d’Égyptos et de Céphée (Éthiopie). Dans les

aventures mythologiques, le détour fréquent par l’Afrique (ou le passage en Égypte)

peut alors s’interpréter comme un « retour du refoulé de la pensée occidentale »

(p. 129) sur le mode d’une « relation agonistique à l’autre » qui rejette sa présence ou

son influence dès lors qu’il est question de construction identitaire. Kane découvre

également la présence de l’Égypte au fondement des trois monothéismes et de la

psychanalyse freudienne : « L’homme Moïse », qui permet à son peuple de sortir

d’Égypte pour retrouver la terre promise, est en effet né en Égypte et élevé par la fille

du pharaon ; les Arabes se disent eux-mêmes descendants d’Ismaël (p. 192), ce premier

fils qu’eut Abraham avec Hagar, une concubine offerte à son mari par Sarah elle-même

lorsqu’elle ne pouvait enfanter. Enfin, l’histoire du Christ implique elle aussi un retour

en Égypte avec l’épisode de la fuite initiale (p. 216), soit une ultime manière selon Kane

d’« assumer et de nier un héritage africain dans un même mouvement » (p. 159).

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7 En suivant « une pente qui repose précisément », de son propre aveu, « sur une

intuition » (p. 276), et qui lui permet de multiplier les audaces interprétatives, la

démarche de Kane n’en pose pas moins de sérieux problèmes. Ceux-ci tiennent d’abord,

avouons-le, à un tel déploiement d’érudition, mais suivant un cheminement si décousu,

que l’auteur finit par égarer souvent son lecteur tandis qu’il semble lui-même perdre de

vue la trame de son argumentation. Il faut par exemple – tel Thésée tirant le fil

d’Ariane – retrouver nous-mêmes le lien entre « les trois monothéismes » car la section

vouée à son exposition se consacre à une soudaine et longue digression sur la

biographie de « Soundjata Keïta, héros fondateur de l’Empire du Mali » (p. 171 sq) sur le

simple prétexte qu’à l’instar d’Œdipe, ce héros ouest-africain serait né perclus !

8 La troisième partie promet enfin de mettre en perspective – et en résonance avec notre

actualité – ces divers « retours en Afrique », comme l’indique son titre. Mais son

« parcours plus ou moins erratique dans ce grand bazar que constitue la pensée

occidentale » (p. 209) ne débouche que sur des séries d’évidences, en s’appuyant de

surcroît sur l’ethnologie la plus datée : on sait depuis Lévi-Strauss qu’il n’est pas de

solution de continuité entre la pensée dite « sauvage », qui fonctionne sur le mode de

l’analogie et du bricolage, et la pensée dite « scientifique ou rationnelle », qui repose

sur des principes logiques. Faut-il pour autant plaider pour « une absolue

“contemporanéité” de la mentalité primitive » (p. 210), au risque de réhabiliter les

thèses controversées de Lucien Lévy-Bruhl – que leur auteur avait pourtant de lui-

même fini par abjurer sur le soir de sa vie ? Kane veut ainsi « révéler la marque du

primitif en chacun de nous » (p. 275), y compris au cœur de la pensée occidentale qui l’a

« longtemps tenu pour son dehors » alors qu’« aujourd’hui plus que jamais, l’Occident a

besoin de sa part africaine » (p. 218). Même s’il n’est plus question ici de rallumer la

vieille lanterne d’un « supplément d’âme » qui nous ferait désormais défaut mais serait

à trouver du côté de l’« âme africaine », dont Maurice Delafosse et tant d’auteurs

coloniaux nous vantaient les mérites voici cent ans, un flou demeure. La « part

africaine » est en effet d’abord interprétée comme une résilience dans notre

« imaginaire européen », un « afrotropisme » qui nous hanterait d’autant plus que nous

avons refoulé la mémoire d’une « proximité et des fusions culturelles dont elle était

porteuse » (p. 237). Mais dans le même temps, cette « présence africaine » « servirait

aussi à mettre en question la civilisation occidentale elle-même dans son matérialisme

envahissant » (p. 275) ou pour le dire autrement, à « pousser le monde occidental à une

réévaluation de son rapport au monde ». L’élection de Barack Obama à la présidence

des États-Unis serait dès lors, pour l’auteur « le signe le plus concret d’un retour vers

l’Afrique au moment où le monde occidental semble prendre la mesure du danger que

représente la logique de domination de la nature dont elle s’est réclamée pendant des

siècles » (p. 218). On objectera aisément à Kane que cette « logique de domination »,

tout comme le rejet de l’autre voire le refoulement « des hommes et des femmes hors

des frontières de ce que l’on considère comme son territoire ou son terroir propre »

(p. 217), n’ont rien de spécifiquement occidental, et que ces dispositions sont hélas

aujourd’hui assez communément partagées dans le reste du monde. Mais une fois cette

concession faite par l’auteur, il n’en demeure pas moins un peu de frustration : on

aurait aimé, concrètement, textes et faits à l’appui, qu’il nous montre où et comment

cette « part manquante africaine » nourrit aujourd’hui plus que jamais notre

« imagination créatrice » (p. 241). Il y a bien quelques allusions furtives à Joseph Conrad

(Au cœur des ténèbres), Raymond Roussel (Impressions d’Afrique), à Michel Leiris (L’Afrique

fantôme) ou à Jean-Marie Gustave Le Clézio (L’Africain), mais les « retours littéraires en

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Afrique », censés faire l’objet de la dernière partie, se réduisent finalement à des

analyses de seconde main quand Momar Kane cite et commente, pages 237 à 253, les

actes d’un colloque publié par les Cahiers de l’exotisme6ou encore, pages 282 à 285, les

textes rassemblés par Jean-François Durand et Jean Sévry dans les « cahiers de la

société internationale d’étude des littératures de l’ère coloniale »7– deux ouvrages

collectifs inégaux que la bibliographie finit d’ailleurs par confondre (pp. 294, 296) !

9 Pour conclure, je ferai quelques propositions n’engageant pas que moi, mais bien le

dialogue philosophique et littéraire entre l’Afrique et l’Europe qui intéresse tant Kane.

On peut certes aborder les cultures en termes psychologiques, voire mystiques, et ce fut

après tout le parti de nombreux ethnophilosophes africains et d’anthropologues

occidentaux ; mais alors le danger est grand d’unifier et de figer à outrance les

sensibilités dans une polarité statique. Kane n’échappe pas à ce travers, qui parle après

tant d’autres de « la pensée occidentale » comme si cette dernière était uniforme et

immuable, d’un siècle ou d’une culture à l’autre. Je suis personnellement d’avis que

« l’épistémè occidentale », si tant est qu’elle existe, est non seulement relationnelle (et

donc en interaction avec d’autres épistémai, qui l’influencent et qu’elle influence en

retour) mais de surcroît traversée de plusieurs régimes de pensée, dont l’articulation et

la concurrence font qu’on peut assurément découvrir autant de discontinuités, au sein

d’une même époque, que de continuations d’un âge à l’autre. Disons, pour aller vite,

qu’un régime conceptuel turbulent et naturaliste a, depuis Héraclite et Lucrèce jusqu’à

Bergson en passant par Herder et Spinoza, constamment contrarié ce que j’appellerais

le régime dominant de la philosophie, idéaliste et en quête de permanence, lequel court

depuis Platon et va jusqu’à Husserl en passant par Descartes. Diverses tentatives ont été

faites d’articuler ensemble ces deux régimes, d’indexer par exemple la primauté

donnée à la rationalité sur la préséance accordée aux affects, ou de penser l’interaction

entre des universaux (la conscience comme intentionnalité, le langage comme

médiation, etc.) et des particularismes (les situations historiques, culturelles et

sociales) dans la constitution des valeurs et partant, des visions du monde8. Cela m’a

conduit à affirmer que la pensée noire, telle qu’elle fut développée au XXe siècle par des

philosophes africains, antillais ou africains-américains, était peut-être davantage la

continuation d’une longue discontinuité, inscrite au cœur même de « la pensée

occidentale », qu’un horizon inconnu et tout à fait nouveau dans son dialogisme entre

Afrique et Europe. Je crois de fait que cette conviction anime également Momar Kane :

en se refusant à suivre ces grands totems que sont Cheikh Anta Diop et Léopold Sédar

Senghor dans leur racialisation et négrification d’un patrimoine ou d’une origine

commune, il plaide également et efficacement en faveur d’une histoire culturelle et

intellectuelle en partage. De même lorsqu’il affirme, page 283, que « la démarche

entreprise dans cet ouvrage nous dévoile une part discrète sinon cachée de la réalité

littéraire occidentale : il semble que l’on n’ait pas pris la mesure de l’influence directe

des cultures dominées sur la culture des dominants ». Kane ne dit alors rien de moins

que ce qu’affirmaient déjà de grands penseurs noirs américains comme William E. B.

Du Bois dans Les Âmes du Peuple Noir (1903) ou Alain Locke dans Le rôle du Nègre dans la

culture des Amériques (1943)9. À quoi bon greffer là-dessus une théorie de la conspiration

ou un complot du silence ? À déployer tant d’efforts pour montrer son égale maîtrise de

l’antiquité grecque et de l’antiquité égyptienne, Kane révèle surtout un désir

mimétique à l’encontre de ces figures tutélaires ou pères spirituels que représentent

pour lui Senghor, Diop et l’Ogotemmêli de Griaule. On souhaite donc à cet esprit vif,

cultivé et d’une insatiable curiosité de rompre vite et tôt avec la faconde métaphysique

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des grands maîtres de la parole. Une nouvelle réhabilitation dans le passé, et

notamment dans l’antiquité, n’est pas plus utile à l’Afrique contemporaine que l’Europe

n’a besoin de voir refonder son « grand récit » des origines par une énième explication

totalisante. Momar Kane propose d’ailleurs, dans sa belle conclusion, de « substituer le

cousinage à plaisanterie à l’ethnocentrisme » (p. 290)10 : voilà un programme ambitieux

et fécond pour dépasser les susceptibilités épidermiques. Mais la première chose à

faire, pour mieux donner l’exemple, c’est de rompre avec l’esprit de sérieux.

NOTES

1. Cheikh Hamidou Kane, L’aventure ambiguë, Paris, UGE (« 10/18 »), 1995 [1961], pp. 125, 164.

2. Martin Bernal, Black Athena, les racines afro-asiatiques de la civilisation classique, 1. L’invention de la

Grèce antique, 1789-1985 ; 2. Les sources écrites et archéologiques, Paris, Presses Universitaires de

France, 1996 [1987].

3. Sur cette notion, voir Jean-Loup Amselle, L’Occident décroché, essai sur les postcolonialismes, Paris,

Stock, 2008.

4. Jacques Derrida, L’Animal que donc je suis, Paris, Galilée, 2006, pp. 55, 111.

5. Le proverbe cité est en réalité bambara, et non pas malinké, même si ces deux langues et

cultures se rattachent semblablement au groupe mandé (voir Ahmadou Hampâté Bâ, Aspects de la

civilisation africaine, Paris, Présence Africaine, 1972, p. 11).

6. Afriques Imaginées, 2001.

7. Littérature et colonies, Pondichéry, Kailash, 2003.

8. Voir notamment ma thèse de doctorat en lettres modernes : Anthony Mangeon, Lumières

Noires, Discours Marron : indiscipline et transformations du savoir chez les écrivains noirs américains et

africains ; itinéraires croisés d’Alain LeRoy Locke, V. Y. Mudimbe, et de leurs contemporains, Université de

Cergy-Pontoise, 2004 ; ainsi que les travaux du philosophe africain Kwasi Wiredu, en particulier

Cultural Universals and Particulars, An African Perspective, Bloomington, Indiana University Press,

1996.

9. W. E. B. Du Bois, Les Âmes du Peuple Noir, Paris, La Découverte, 2007 ; Alain Locke, Le rôle du

Nègre dans la culture des Amériques, Paris, L’Harmattan (« Autrement Mêmes »), 2009.

10. Le cousinage à plaisanterie, nous dit l’auteur, est « un lien sacré entre deux ethnies qui

furent voisines et qu’opposaient des conflits. Il permet de surseoir aux relations de pouvoir et de

préséance. Ainsi ni l’âge, ni le sexe, ni le statut social n’empêche de se dire des grossièretés, de se

taquiner, sans que cela prête à conséquence » (p. 290).

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Kibicho, Wanjohi. – Tourisme en paysmaasaï (Kenya)Julien Bondaz

RÉFÉRENCE

KIBICHO, Wanjohi. – Tourisme en pays maasaï (Kenya) : de la destruction sociale au

développement durable. Paris, L’Harmattan, 2007, 264 p.

1 Si le titre du livre de Wanjohi Kibicho est affirmatif, c’est sous une forme interrogative

qu’il apparaît dans l’introduction : « Tourisme en pays maasaï au Kenya : de la

destruction sociale au développement durable ? ». Il s’agit en effet pour l’auteur de

questionner et de motiver le passage d’un tourisme de masse analysé en termes de

destruction socioculturelle à un tourisme communautaire et à une planification

durable. W. Kibicho substitue par ailleurs à l’opposition Nord/Sud souvent sollicitée

dans les théories du tourisme international une opposition entre citadins occidentaux

ou kenyans (touristes, experts, entrepreneurs…) et communauté locale. Cette seconde

opposition était d’ailleurs mise en avant dans le titre de sa thèse en géographie,

aménagement et urbanisme : Tourisme et parcs nationaux au Kenya : la ville contre la société

rurale locale ?1, dirigée par Jean-Michel Dewailly, et dont le présent ouvrage est tiré.

2 Une telle substitution cependant paraît avoir certaines limites, que ce soit quand

l’auteur définit le tourisme comme un phénomène strictement urbain, faisant

l’économie d’une approche sociologique des groupes de touristes de safari, ou quand il

proclame que « le tourisme est devenu une nouvelle forme de colonialisme » (p. 226).

Par ailleurs, cette opposition entre citadins et ruraux peut parfois avoir pour défaut de

perpétuer une analyse du phénomène touristique formulée trop exclusivement en

termes d’opposition, de confrontation et de domination.

3 Cependant, en choisissant de s’intéresser à un territoire particulier et à une destination

touristique précise, le Parc national d’Amboseli, situé en pays maasaï à la frontière du

Kenya et de la Tanzanie, W. Kibicho, lui-même originaire de cette région, offre une

approche fine et documentée des problèmes posés par l’essor du tourisme international

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à un niveau local. En particulier, l’éclairage historique proposé met bien en évidence le

double mouvement qui s’opère au Kenya pendant la période coloniale : la mise en place

d’aires protégées à partir de la fin du XIXe siècle (chapitre I) et la constitution de deux

réserves maasaï en 1904, réduites à une seule sept ans plus tard (chapitre V).

4 À travers ce parallélisme, c’est la construction artificielle d’un espace naturel et

sauvage qui est révélée, l’auteur montrant comment les pasteurs maasaï sont exclus de

leurs terres pendant la période coloniale, puis de l’économie du tourisme après

l’indépendance du Kenya en 1963. On assiste ainsi, dans la région d’Amboseli, à la

constitution de ce que W. Kibicho appelle un « musée vivant », regroupant à la fois la

faune sauvage, en particulier les fameux « Big Five » (lions, léopards, éléphants,

rhinocéros et buffles), et des paysages attractifs, le parc naturel étant situé au pied du

mont Kilimandjaro. Depuis la réforme des group ranches, mise en œuvre au début des

années 1970, une redéfinition des territoires a conduit à accentuer la sédentarisation

des pasteurs maasaï, la privatisation des terres et les changements économiques et

sociaux – avec, par exemple, en certains endroits, le remplacement du pastoralisme par

l’agriculture, ou l’apparition de conflits récurrents liés aux saccages causés par les

éléphants du parc. La région est désormais « utilisée de multiples manières par des

groupes sociaux qui se superposent » (p. 210).

5 Mais c’est en termes de produit et de marketing (chapitre VII), et non pas en termes

sociologiques, que l’auteur choisit d’analyser cette multiplicité d’usages et d’activités.

Une telle approche a pour inconvénient de ne pas rendre compte de l’impact du

tourisme sur certains aspects culturels de lasociété maasaï2 pourtant présentés

synthétiquement dans le chapitre central du livre (chapitre V) : peu de choses par

exemple sur les changements concernant l’organisation sociale, les diverses

cérémonies évoquées, ou encore l’artisanat – ce qui tend parfois à donner une image

quelque peu figée de la société maasaï.

6 Cette approche a cependant pour avantage certain de poser les bases d’une réflexion

solide sur le développement durable de la région d’Amboseli et sur l’avenir du parc

national. W. Kibicho souligne ainsi de manière perspicace et concrète les problèmes

auxquels conduit la recherche d’une articulation équilibrée entre logique de la

conservation et logique du développement. En ce sens, cet ouvrage clair et bien

structuré témoigne avec sérieux des défis du Kenya contemporain, entre nécessité de

capter les flux et les ressources du tourisme international et besoin d’associer au

développement économique et à la protection de l’environnement les communautés

locales.

NOTES

1. Wanjohi Kibicho, Tourisme et parcs nationaux au Kenya : la ville contre la société rurale locale ?,

Thèse de doctorat, Lyon, Université Lyon 2, 2005.

2. À ce sujet, voir l’article de N. B. Salazar : « Imaged or Imagined ? Cultural Representations and

the “Tourismification” of Peoples and Places », dans ce numéro.

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