AUQUIER C., 2014. Les stratégies territoriales des pouvoirs publics régionaux à travers l'étude...

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Paris 1, Panthéon-Sorbonne Géographie des pays en voie de développement Mémoire de Master 2 Recherche LES STRATÉGIES TERRITORIALES DES POUVOIRS PUBLICS RÉGIONAUX A TRAVERS L'ÉTUDE DU PROJET D'IRRIGATION D'OLMOS, PÉROU Photo 1 : Canal en travaux du projet d'irrigation d'Olmos présenté par Célia AUQUIER sous la direction de Évelyne MESCLIER, Directrice de recherches à l'IRD, UMR Prodig Juin 2014

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Paris 1, Panthéon-Sorbonne

Géographie des pays en voie de développement

Mémoire de Master 2 Recherche

LES STRATÉGIES TERRITORIALES DES POUVOIRS

PUBLICS RÉGIONAUX A TRAVERS L'ÉTUDE DU PROJET

D'IRRIGATION D'OLMOS, PÉROU

Photo 1 : Canal en travaux du projet d'irrigation d'Olmos

présenté par

Célia AUQUIER

sous la direction de

Évelyne MESCLIER, Directrice de recherches à l'IRD, UMR Prodig

Juin 2014

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Résumé

Dans le nord du Pérou, situés dans les plaines du piémont côtier, 38000ha de terres

arides vont bientôt être irriguées grâce au projet hydraulique d'Olmos. Les terres, confisquées

à la Communauté Paysanne Santo Domingo de Olmos sous A. Fujimori (1990-2000), ont

ensuite été vendues aux enchères en 2010 par le gouvernement régional à des entreprises

privées de l'agro-industrie. Une vingtaine d'année après la libéralisation des marchés agricoles

et foncier, le projet d'Olmos illustre la volonté de l'Etat de poursuivre le processus néolibéral

en soutenant une agriculture côtière dite "moderne", de type capitalistique et orientée vers les

marchés mondiaux.

Dans le cadre de la décentralisation, entamée par A. García à la fin des années 1980 puis

repris par les gouvernements successifs des années 2000, les projets d'irrigation sont

aujourd'hui supervisés par les gouvernements régionaux. Le projet d'Olmos comporte

toutefois une composante particulière puisqu'il est issu d'un partenariat public-privé : le projet

est géré par une institution publique, le PEOT (Projet spécial Olmos-Tinajones), rattaché au

gouvernement régional de Lambayeque et mis en œuvre par une entreprise privée brésilienne

qui se charge de réaliser l'ensemble des infrastructures hydrauliques, des cours d'eau andins

jusqu'au nouveau périmètre prochainement irrigué.

Que ce soit à l'échelle de la localité d'Olmos au sein de laquelle s'inscrit le projet ou encore

aux échelles régionales et multirégionales, le projet d'irrigation est à l'origine de

recompositions territoriales multiples : la création de nouvelles formes de concurrence et de

solidarité entre acteurs publics et privés, l'émergence potentielle d'un pôle agro-industriel pour

le Nord côtier qui pourrait devenir un centre d'attraction de capitaux, de travailleurs et de

ressources en tout genre, l'évolution d'une agriculture vivrière marchande à une agriculture

entrepreneuriale et mondialisée, …

A travers l'ensemble de ces transformations territoriales dont le projet se fait le vecteur, nous

nous proposons d'identifier les stratégies et logiques de l'Etat et en particulier celles de

l'institution du PEOT, responsable du projet.

Mots-clefs : projet, Etat, Pérou, désert, transformation territoriale, partenariat public-privé,

néolibéralisme, décentralisation, région.

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Summary

At the North of Peru, situated in the coastal piedmont's plains, 38000ha of arid land

will be irrigated soon thanks to the Olmos hydraulic project. Confiscated to the Santo

Domingo de Olmos farming community under A. Fujimori (1990-2000), the land was

auctioned by the regional government in 2010 to agro-industrial firms. Around 20 years after

the liberalization of land and farming markets, the Olmos project illustrates the will of the

State to continue the neoliberal process and to support an agriculture considered as "modern",

capitalistic and orientated toward world trade.

In the framework of decentralization, initiated by A. García at the end of the 1980's and

finally took over by the 2000's successive governments, the management of irrigation project

became the responsibility of regional governments. But the management of the Olmos project

has something special as it comes from a public-private partnership: a regional institution, the

PEOT (Special Project Olmos-Tinajones), runs and supervises the project with the help of the

Lambayeque regional government whereas a Brazilian firm deals with the hydraulic

infrastructures.

Whether we consider the scale of the Olmos locality or a regional scale, the irrigation project

generates many territorial transformations: the creation of new competition and solidarity

forms between private and public stakeholders, the potential emergence of an agro-industrial

hub which could become an attractive center for resources (capital, farming employees,

equipment, …), the evolution of a small agriculture farming into a entrepreneurial and

globalized sort of agriculture, …

Through all of these territorial transformations produced by the project, we propose to

identify the strategies and logics of the State and especially those of the institution PEOT that

is managing the project.

Key-words : project, State, Peru, desert, territorial transformation, public-private partnership,

neoliberalism, decentralization, region.

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Resumen

En el norte del Perú, ubicadas en las pampas del desierto costeño, 38000ha de tierras

eriazas van a volver tierras cultivables gracia al proyecto hidrológico de Olmos. Las tierras,

confiscadas a la Comunidad campesina Santo Domingo de Olmos por el gobierno de Fujimori

(1990-2000), fueron vendidas en 2010 por el gobierno regional de Lambayeque a empresas

privadas agro-industriales. Veinte años después la liberalización de los mercados agrícolas y

de la tierra, el proyecto Olmos ilustra la voluntad del Estado de continuar el proceso

neoliberal desarrollando una agricultura costeña dicha "moderna", capitalista y orientada

hacia los mercados mundiales.

En el ámbito de la descentralización, iniciada por A. García al fin de los años 1980 y

proseguida por los gobiernos sucesivos de los años 2000, la gestión de los proyectos de

irrigación son a cargo de los gobiernos regionales. Sin embargo, la gestión del proyecto

Olmos es distinta porque resulta de una alianza pública-privada : una institución publica, el

PEOT (Proyecto Especial Olmos-Tinajones) que hace parte del gobierno regional, supervisa

el proyecto mientras una empresa privada brasilera se carga de las obras hidrológicas, desde

los ríos andinos hasta el nuevo perímetro.

A nivel de la localidad de Olmos en lo cual se está realizando las obras o a nivel regional, el

proyecto de irrigación genera recomposiciones territoriales múltiples : la creación de nuevas

formas de competencia y de solidaridad entre actores públicos y privados, la potencial

emergencia de un polo agro-industrial a destino del Norte costeño que podría volver un centro

atractivo para los capitales, los trabajadores y los recursos de todos tipos, la evolución de una

agricultura de pan llevar comercial hacia una agricultura empresarial y mundializada,…

A través del conjunto de estas transformaciones territoriales cuyo el proyecto es el vector,

proponemos de identificar las estrategias y lógicas del Estado y especialmente las del PEOT,

la institución responsable del proyecto.

Palabras claves : proyecto, Estado, Perú, desierto, transformación territorial, alianza pública-

privada, neoliberalismo, descentralización, región.

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Liste des abréviations et sigles

AAA : Agencia Administrativas del Agua

ALA : Agencia Local del Agua

ANA : Agencia Nacional del Agua

ATA : Asesores Técnicos Asociados

CAF : Corporación Andina de Fomento

CEPES : Centro Peruano de Estudios Sociales

CND : Commission Nationale de Décentralisation

cf : confère

CICAP : Centro de Investigación, Capacitación, Asesoría y Promoción

Comunero : membre de la Communauté Paysanne

CIZA : Centro de Investigación en Zonas Áridas

et al. = et collaborateurs

GRL : Gouvernement régional de Lambayeque

ha : hectare

INADE : Instituto Nacional de Desarrollo

INEI : Instituto Nacional de Estadística e Informática

JU : Junta de Usuarios

kg : kilogramme

MEF : Ministerio de Economía y Financias

MINAGRI : Ministerio de Agricultura y Riego

PCM : Présidence du Conseil des Ministres

PEOT : Proyecto Especial Olmos-Tinajones

PETT : Proyecto Especial Titulación de Tierras y catastro rural

PSI : Proyecto Subsectorial de Irrigación

S.A. : Société Anonyme

s : soles (monnaie péruvienne, 1 euro = 3,80 soles)

SENAMHI : Servicio Nacional de Metrología e Hidrología del Perú

SENASA : Servicio Nacional de Sanidad Agraria

T : Tonne

UMR : Unité Mixte de Recherche

ZEE : Zonage Ecologique et Economique

% : Pourcent

$ : dollar

€ : euros

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Merci, gracias…

Je tiens tout d'abord à remercier Evelyne Mesclier qui m'a orienté vers ce master, qui me

permit de l'intégrer et qui n'a pas cessé de me suivre et de me soutenir depuis deux ans.

Mes remerciements vont ensuite à tous les membres des institutions publiques avec qui j'ai

discuté et qui m'ont aider à démêler quelques fils de ce projet. J'écris ces mots en espagnol

puisqu'ils leurs sont directement destinés : agradezco a todos los miembros del PEOT quienes

me ayudaron en Chiclayo o en Olmos (Paco Goytizolo, Jorge Pasco Cosmopolis, Raúl

Eduardo Ramírez Zamora, Milton Gamarra, Damián Vásquez Bernal, Carmen Villalobos

Tello). Les agradezco por su recepción que siempre fue amable.

También quiero agradecer a todas las personas que trabajan en otras instituciones públicas y

privadas (Josué Portocarrero y Henry Jesús Matos del Gobierno regional de Lambayeque,

Enrique Del Pomar de la Gerencia General de Agricultura de Lambayeque, Abelardo De La

Torre Villanueva de ATA, William Mendoza de la Gerencia General de Transportes y

Comunicaciones, Ruitor Odar el alcalde de Corral de Arena, Juan Pablo Miranda del

Ministerio de Agricultura y Riego,…). Un agradecimiento especial para Henry Jesús Matos

que me dio acceso a una información cartográfica preciada.

Quiero agradecer a los miembros de las asociaciones del CICAP (especialmente a Eduardo

Guttierez), del CES Solidaridad (Germán Torre) y del CIZA (Juan Torres y Tatiana Sandoval

Portella) que me proporcionaron otros puntos de vista muy importantes sobre un tema tan

complejo que representa el proyecto de Olmos.

Je n'aurais pas pu rencontrer toutes ces personnes sans l'aide très précieuse de Nicole Bernex

qui m'ouvrit très rapidement son gigantesque réseau.

Por fin agradezco a mis amigos peruanos que después de 6 meses de ausencia, no me habían

olvidado y que he vuelto a encontrar en Olmos o en Chiclayo : Franco (y su familia), Judith,

Elver, Oliver, Arduni,… y la familia Riviera Pasco que me ha recibido otra vez en su casa y

que me cuidaron cuando estuve enferma…

Je voudrais remercier également Anaïs Marshall pour ses conseils cartographiques précieux et

sa disponibilité malgré son emploi du temps de ministre.

Malgré l'évidence, je ne peux omettre de remercier ma famille et Philippe qui a toujours su

être présent alors même qu'il n'aurait pas été tenu de l'être.

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Sommaire

Introduction .............................................................................................................................. 9

Partie 1. Les politiques publiques liées au projet d'irrigation d'Olmos ........................... 17

I. L'Etat néolibéral à la recherche d'opportunités pour le développement de l'agriculture

17

1.1 Des réformes qui se concentrent en région côtière ................................................ 17

1.2 Les plaines côtières "désertiques", de nouvelles opportunités de production ........ 23

1.3 Le partenariat public-privé : de nouvelles alliances qui facilitent la réalisation de

projet 26

II. Un nouveau cadre institutionnel pour la gestion de projet ........................................... 30

2.1 La décentralisation comme moyen de réduction des inégalités territoriales ...... 31

2.2 Un processus inachevé qui pèse sur l'efficience du secteur public .................... 32

2.3 La gestion décentralisée du projet d'Olmos ........................................................ 34

Partie 2. Transformations territoriales générées par le projet ......................................... 39

I. Le Lambayeque, une région au développement centré sur Chiclayo ........................... 39

II. Un projet d'irrigation à vocation agricole ..................................................................... 51

2.1 La transformation de terres "vierges" en un espace cultivé ............................... 51

2.2 Associativité et exportation, deux objectifs de la politique du PEOT pour la

vallée d'Olmos .............................................................................................................. 55

III. La ville d'Olmos, un lieu de passage et de résidence pour les acteurs du projet ....... 59

Partie 3. Des stratégies territoriales dirigées vers l'agriculture capitalistique ................ 63

I. Une modernisation agricole stimulée par l'entrepreneuriat agricole ............................ 63

1.1 Un espace conçu pour l'entreprise .......................................................................... 63

1.2 Des relations contractuelles complexifiées entre agriculteurs et entreprises ......... 67

II. La création de nouvelles concurrences et solidarités ................................................... 69

2.1 Une nouvelle zone de production : concurrence ou équilibrage à l'échelle

régionale ? .................................................................................................................... 69

2.2 Les villes du Nord : des pôles d'attraction qui se distinguent par leurs fonctions

73

2.3 La main mise de l'entrepreneuriat agricole sur la ressource en eau ................... 79

III. Une gestion institutionnelle intégrée ? ...................................................................... 81

Conclusion ............................................................................................................................... 86

Bibliographie ........................................................................................................................... 91

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Table des illustrations

Photo 1 : Canal en travaux du projet d'irrigation d'Olmos ......................................................... 1

Photo 2 : La plaine de steppe arborée du piémont côtier (district d'Olmos) ............................ 52

Graphique 1 : Diagramme ombrothermique à Olmos (2009-2012) ......................................... 41 Graphique 2 : Volumes des précipitations par années de 2009 à 2012 .................................... 42

Figure 1 : Schéma explicatif des infrastructures réalisées pour le projet d'Olmos .................. 26 Figure 2 : Répartition des financements pour les travaux de transfert des eaux ...................... 29 Figure 3 : Organigramme du PEOT ......................................................................................... 35 Figure 4 : Rapports hiérarchiques entre les acteurs du projet d'Olmos .................................... 37 Figure 5: Organigramme simplifié du Gouvernement régional de Lambayeque ..................... 82

Carte 1 : Proportion des surfaces agricoles destinées à l'exportation, à l'agro-industrie et au

marché national ........................................................................................................................ 22

Carte 2 : Localisation et nature du projet d'irrigation d'Olmos ....................................... 25 Carte 3 : Localisation des fleuves côtiers et de la région Lambayeque, région d'accueil du

projet d'Olmos .......................................................................................................................... 39 Carte 4 : Zones climatiques selon Collin-Delavaud (1968) et situation des flux au mois de

janvier ....................................................................................................................................... 40 Carte 5 : Organisation administrative du département Lambayeque ....................................... 43

Carte 6: Les espaces cultivés de la région Lambayeque .......................................................... 45 Carte 7 : Densité des réseaux d'irrigation dans la région Lambayeque .................................... 46 Carte 8 : Zonage écologique et économique (ZEE) et localisation du projet d'Olmos sur ces

espaces ...................................................................................................................................... 53 Carte 9 : Délimitation des blocs comprenant les associations du PEOT.................................. 58

Carte 10: Représentation cartographique du scénario tendanciel ............................................ 74 Carte 11 : Représentation cartographique du scénario concentré ............................................ 75

Carte 12 : Représentation cartographique du scénario dispersé ............................................... 76 Carte 13 : Ensemble des flux générés par le projet d'Olmos .................................................... 78

Tableau 1: Surface agricole en ha par province ....................................................................... 43

Tableau 2 : Taille des exploitations agricoles par province selon leur taille ........................... 44 Tableau 3 : Superficies cultivées par produits et par province (en ha) .................................... 48 Tableau 4 : Surfaces cultivées dont les productions sont destinées aux marchés extérieurs (en

ha) ............................................................................................................................................. 49 Tableau 5 : Population agricole et urbaine par province .......................................................... 50

Tableau 6 : Surfaces cultivées en ha ........................................................................................ 70

Tableau 7: Destination de la canne à sucre (en ha) .................................................................. 71

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Introduction

Au nord de la Côte péruvienne, situé dans la région Lambayeque, un projet d'irrigation

de grande envergure est en train de voir le jour. Le projet, pensé pour la première fois en

1920, est aujourd'hui en pleine phase de réalisation sous la supervision d'un organisme

publique décentralisé. Dans la localité d'Olmos, le projet conduit à la création d'un périmètre

irrigué situé sur des terres servant autrefois de pâturages naturels. Aujourd'hui, grâce au

détournement des eaux d'une rivière andine, le gouvernement prévoit la mise en culture de

plusieurs dizaines de milliers d'hectares. De par cette modification de la fonction de l'espace,

des acteurs aux nouvelles logiques et fonctions territoriales surgissent. L'arrivée d'entreprises

agro-exportatrices sur le périmètre, l'organisation d'associations de petits producteurs au sein

des vallées anciennement irriguées, la création d'un pôle agro-industriel et d'une ville

nouvelle…tous ces nouveaux éléments viennent considérablement modifier le territoire

d'Olmos et ses relations avec l'extérieur.

Bien que le projet résulte d'un partenariat public-privé avec une entreprise de construction

brésilienne, l'Etat est toujours lié au projet de différentes manières : c'est lui qui en impulsa la

réalisation en 2010, lui qui développa le partenariat public-privé dont la faisabilité technique

et économique du projet dépendait et c'est enfin une de ses institutions décentralisée qui est

actuellement en charge de sa supervision. A travers ce projet public - bien que de forts liens se

soient tissés avec l'entreprise concessionnaire -, nous nous proposons d'analyser le rôle de

l'Etat dans les recompositions territoriales à l'œuvre.

Cette étude est développée dans le cadre du programme de recherche Périmarge de

l'UMR Prodig, financé par l'ANR (Agence Nationale de la Recherche) qui vise à saisir et à

concevoir les relations existantes entre les centres et les espaces périphériques à l'heure de la

mondialisation. L'objectif de Périmarge est de revisiter le modèle "Centre-périphérie" élaboré

en 1981 par A. Reynaud qui considère le centre comme un lieu de concentration des pouvoirs

de toutes formes. Le programme cherche ainsi à comprendre comment se reconfigurent les

relations entre des périphéries et les multiples centres avec lesquels elles sont aujourd’hui en

relation. Notre recherche s'effectue en lien avec Périmarge dans la mesure où elle vise à

comprendre les nouvelles logiques et instruments territoriaux mis en œuvre par l'Etat dans une

des localités qu’étudie le programme.

En tant qu'objet d'étude, l'Etat et ses évolutions conceptuelles suscitent de nombreux

questionnements. Sa figure, en constante transformation, est abordée selon différentes

approches. L'une d'elle le définit simplement et pose les bases de la souveraineté : l'Etat est le

détenteur du pouvoir politique et exerce son pouvoir sur un territoire délimité par une société

à l'identité commune. C'est le concept d'Etat-Nation, devenu une norme universelle au cours

du XIXème

et du XXème

siècle sous l'influence de l'Europe (PREVOT-SCHAPIRA et al.,

2001). Mais cette figure est de nos jours remise en question par les modèles politico-

économiques qui se succèdent : "Dépassé, contesté, fragmenté…le territoire de l'Etat-Nation

est sans cesse remis en question". Ainsi débute l'ouvrage de Antheaume et al. (2005) "Le

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territoire est mort, vive le territoire" qui interroge l'existence des territoires nationaux à

l'heure où les frontières sont en pleine redéfinition. Notre analyse utilise donc, en premier

lieu, les modèles politico-économiques qui viennent non seulement influencer le rôle de l'Etat

et de ses actions sur le territoire mais aussi en transformer la structure.

Le modèle dit "d'Industrialisation par Substitution aux Importations "(ISI) basait par

exemple l'économie nationale sur le développement de l’appareil productif dont les

productions agroalimentaires étaient destinée aux marchés intérieurs. L'Etat jouait alors un

"rôle pivot dans la stratégie d’accumulation du capital et des biens […] et l’entretien d’un

système de redistribution" (ROBINSON, 2013). Il gérait ainsi l'implantation des grands

complexes industriels, agricoles ou encore commerciaux modifiant la répartition du

peuplement à l'échelle nationale (LAURELLI, 1989). Ce modèle de développement,

caractérisé d’autocentré, plaça alors l’Etat au centre des décisions pour la gestion de l’espace

national et pour la nature de ses relations économiques et commerciales avec le reste du

monde. L'Etat intervenait en réponse "aux défaillances du marché" (KOTZ et al., 2012) et les

pouvoirs publics étaient associés à la notion d’Etat-providence qui assumait des fonctions

sociales de redistribution et de protection.

En opposition à ce modèle, le néolibéralisme modifia totalement le rôle de l'Etat.

Phase nouvelle du capitalisme, il survint en réponse à la crise économique des années 1970 et

à l'effondrement du modèle ISI, incapable de faire face à une économie de stagnation

(ROBINSON, 2013 ; LINDERT et al., 2010). Soutenu par les organismes financiers

internationaux lors du consensus de Washington (le Fond Monétaire International et la

Banque Mondiale), ce nouveau modèle dut d'abord permettre aux Etats de réduire leur dette et

de retrouver une balance commerciale excédentaire en appliquant une série de réformes

financières, budgétaires et commerciales. Fondé sur l'intégration à l'économie mondialisée,

cet ensemble de politiques de dérèglementation visa "au rétablissement de la rentabilité, à la

diminution du coût du travail et à l'incorporation de nouveaux secteurs et régions du monde

au sein de l'exploitation capitalistique" (KOTZ et al., 2012). Parmi ses objectifs se distingua

également la volonté de diffuser "une rationalité économique à l'ensemble du champ social"

(HACHE, 2007 ; SAINT-GEOURS, 2001 ; KOTZ et al., 2012). L'Amérique Latine,

surnommée "le laboratoire de l'ajustement structurel et du néolibéralisme" par Saint-Geours

fut alors sujette à de nombreux changements : ouverture économique, désindustrialisation,

privatisations, réorientation des dépenses publiques vers des secteurs plus rentables, ancrage

des monnaies nationales au dollar…les maîtres mots – privatisation, libéralisation et

stabilisation – conditionnèrent alors les politiques publiques, les projets étatiques et la mise en

valeur du territoire. L'objectif d'augmenter les exportations de matière premières minières et

agricoles devint le leitmotiv des économies nationales et conduisit progressivement à

l'unification de l'espace latino-américain par le marché (SAINT-GEOURS, 2001).

Les changements provoqués par ce modèle politico-économique furent très nettement visibles

sur le territoire. Le projet que nous étudions est une des illustrations du néolibéralisme

péruvien impulsé par le gouvernement de Fujimori en 1990. Ses mesures politiques et

économiques se traduisirent notamment par l'ouverture brutale des marchés au système

11

mondial et la privatisation des entreprises publiques dans le cadre du Programme

d'Ajustement Structurel. La création d'un périmètre irrigué destiné exclusivement à la

production d'une agriculture d'exportation par des entreprises privées répond pleinement aux

objectif qu'a établi le régime néolibéral. Notre analyse du projet doit donc s'inscrire dans cette

modification du modèle politico-économique qui caractérisa le Pérou des années 1990.

Le nouveau modèle politico-économique joua également un rôle significatif dans la

transformation de la structure même de l'Etat. Ses expressions néolibérales vinrent en ce sens

heurter les fondements de sa souveraineté. Une littérature abondante interroge le nouveau rôle

donné au secteur public qui se convertit en une structure institutionnelle associée au système

d'accumulation capitalistique. Auparavant régulateur, il devint un "instrument au service des

élites économiques et financières" (KOTZ et al., 2012) répondant lui-même à la logique de

marché et de concurrence. A l'ancien modèle privilégiant la "raison d'Etat" se succéda celui du

"laisser-faire" "que devait suivre tout gouvernement afin de laisser fonctionner le marché,

conçu comme un phénomène naturel" (KOTZ et al., 2012). Au travers du projet d'irrigation,

nous étudierons les formes d'intervention des institutions publiques péruviennes, qu'elles

soient de l'ordre de la régulation, du contrôle ou au contraire de l'ordre du retrait.

Le néolibéralisme, ses composantes mondialisées et son influence sur la modification

du rôle de l'Etat sont des clefs de lecture pour l'identification des logiques territoriales qui

conditionnent l'action de l'Etat. Mais le néolibéralisme ne s'exprime pas seulement au travers

de mesures politiques et économiques. Au-delà du modèle qu'il représente, ce régime

contribue également à faire émerger des distinctions entre les acteurs en fonction de leur

implication dans le processus néolibéral. Selon Lombard et al. (2005), un premier "ensemble

cohérent et puissant d'acteurs monopolise la réflexion et propose des politiques qu'il a

l'autorité de faire prévaloir", laissant une empreinte apparente sur les territoires qu'il juge

stratégiques. Son échelle d'action est mondiale bien que son influence se concentre en des

lieux précis tels que les mégalopoles de l'archipel mondial et les grandes villes du reste du

monde. Le second, toujours selon Lombard et al., est constitué d'institutions et d'acteurs

moins puissants, plus nombreux et dispersés, tant géographiquement que dans les propositions

qu'il soutient. Issus d'héritages distincts, ces acteurs disposent d'échelles opératoires très

variées, leur intervention pouvant avoir trait aux territoires nationaux comme locaux.

La faiblesse de la réflexion alternative, véhiculée surtout par les acteurs de la société civile,

permet au "credo libre-échangiste" de s'imposer d'autant plus facilement (LOMBARD et al.,

2006).

De cette asymétrie est née la prise d’importance du secteur privé qui, selon Velut et

al., (2006) a acquis un réel poids dans le développement : "les acteurs du système capitaliste

réinvestissement les espaces locaux et modifient la dynamique des territoires à l'échelle

infranationale". Depuis une quinzaine d'années à Olmos, avec le démarrage du projet et

l'ouverture du marché foncier, l'arrivée de nouveaux investisseurs agricoles transformèrent - et

continuent de transformer - le territoire, ses paysages, ses flux et bien entendu les interactions

entre ses acteurs. Trois groupes distincts - le secteur public, les entreprises privées et la

société - "se rencontrent, interagissent et brouillent les frontières établies" selon la formule

12

de Velut et al. (2006). Cette remarque est d'autant plus vraie à Olmos que le projet est issu

d'un partenariat public-privé. Ces deux secteurs, aujourd'hui associés autour d'un projet

commun, tirent l'un et l'autre parti de cette alliance contractuelle, délimitée dans le temps et

dans l'espace. De nouveaux acteurs s’ajoutent donc, prenant part à la construction territoriale

et complexifiant encore les relations de pouvoir. Certains renforcent la figure de l’Etat central,

d’autres développent de nouvelles stratégies territoriales et « se surimposent aux découpages

de l'Etat » (PREVOT-SCHAPIRA et al., 2001).

Le retrait de l'Etat face au secteur privé créa également des espaces d'échange et de

concertation permettant l’émergence de « nouvelles formes d’organisation sociale et de

solidarité » (REVEL-MOUROZ, 1989). Les contacts entre l’Etat et ces organisations n’est

pas nouveau : selon Prévot-Schapira et al. (2001), «il existe un conflit permanent entre la

volonté centraliste de l'Etat et les forces centrifuges des pouvoirs locaux». Ces derniers ont

néanmoins pris de l’ampleur à la fin des années 1980 avec la modification du rôle de l’Etat en

revendiquant légitimité et autonomie auprès des institutions publiques.

L'approche par les acteurs, qu'ils soient issus du domaine public ou privé, est donc également

à considérer dans la mesure où chacun participe à la construction territoriale, en cohérence ou

en résistance à l'action publique centrale. C'est sous la lumière des relations qu'entretient l'Etat

avec les acteurs impliqués dans le projet que nous analyserons les interventions publiques.

On ne peut prétendre étudier les fonctions territoriales de l'Etat sans aborder les

concepts de gouvernance et de développement local qui émergèrent parallèlement à l’essor

des pouvoirs locaux. Ainsi, de nouvelles formes de pouvoir tentèrent de rallier au modèle

dominant de la croissance économique, de nouvelles notions davantage tournées vers le

développement humain, la diversité culturelle ou encore les spécificités nationales (REVESZ,

2009). A travers la recherche d'un contrôle social et territorial alternatif, le processus de

décentralisation s’instaura progressivement dans les systèmes institutionnels du sous-

continent. Cette nouvelle organisation de la république répondait à un paradigme innovant,

celui de rendre possible « le maintien de grandes options nationales et sectorielles

stratégiques et la décentralisation du système de décision » (REVEL-MOUROZ, 1989).

Considérée comme "support de développement" et comme moyen de consolidation de la

démocratie (Bey, 2010), la décentralisation visait à améliorer l’efficacité des dépenses

publiques « en rapprochant la décision de son lieu d’application » (LOMBARD et al., 2006).

Encore d'actualité aujourd'hui, elle s'inscrit dans un processus de gouvernance horizontale, qui

est censé, selon Mazurek (2009), améliorer l'efficience des institutions existantes par

l'apparition de nouvelles formes de pouvoir local. La localisation géographique des différents

niveaux de pouvoir et de l’administration publique qu’elle propose est un instrument bien

visible de la décentralisation mais ne s’y réduit pas. Selon Rofman dans l’ouvrage coordonné

par J. Revel-Mouroz "Pouvoir local, régionalismes et décentralisation", la décentralisation est

une authentique réorganisation de l’Etat au cours de laquelle la formation du pouvoir politico-

économique est revisitée. Elle offre en outre de nouvelles échelles d’action en reconnaissant

la périphérie comme « un organe de gouvernement régissant chaque région mais aussi

13

comme un large éventail diversifié d’institutions qui lui servent d'infrastructures »

(ROFMAN, 1989). A l'instar du programme de recherche Périmarge dans laquelle s'inscrit

cette étude, nous mobiliserons le concept de périphérie qui nous aidera à mieux définir les

stratégies de l'Etat vis-à-vis de la région d'accueil du projet.

A l'image de la plupart des pays d'Amérique latine qui "ont renforcé leur démocratie

au cours des deux dernières décennies" (LINDERT et al., 2010 ; BEY, 2010), le Pérou s'est

lancé dans un processus de décentralisation de l'administration publique au cours du

gouvernement Toledo du début des années 2000 après une première tentative en 1988.

Comme l'explique Gonzales de Olarte (2006), la décentralisation au Pérou est née dans un

contexte social relativement tendu : dans un contexte économique favorable (croissance de

20% du PIB en cinq ans, de 2000 à 2005), la pauvreté n'avait pourtant été réduite que de

2,7%. Le mécontentement d'une majorité de la société et la pression des organismes

internationaux pour la promotion de la gouvernance locale poussèrent l''Etat péruvien à

proposer de nouvelles politiques publiques distributives permettant d'inclure les majorités

dans le dynamisme économique du pays et de réduire les inégalités territoriales et socio-

économiques à l'échelle nationale. En 2006, le gouvernement Garcia mis en place la première

véritable mesure, dans le cadre de principes déjà posés, qui visa à transférer fonctions,

compétences et ressources de l'Etat central aux nouvelles autorités régionales et municipales

(BALLÓN, 2009).

Ce processus ouvre la voie à un grand nombre de questionnement, notamment liés aux formes

de distribution du pouvoir autrefois centralisé : a-t-il été transféré aux institutions régionales

et locales décentralisées ou bien se maintient-il au sein du gouvernement central ?

Comme l'indique Lombard et al, l’Etat central « demeure responsable de la gestion d'une

totalité, le territoire national représentant un des principaux moyens de l'action politique par

laquelle les pouvoirs publics s'acquittent d'une mission de gouvernance ». De même,

Antheaume et al. (2005) évoquent la "capacité de résilience du territoire de l'Etat-Nation".

Pourtant l'existence et la mise en fonction de nouveaux échelons institutionnels permettent

d’évoquer un phénomène de « démembrement » de l’Etat, laissant place à une multiplicité

d’entreprises et d’administrations publiques, plus ou moins autonomes. Plutôt qu'un

démembrement, la thèse de Revel-Mouroz penche en faveur d’une « complexification de

l’Etat central ». Dans le même sens, Hache considère le "retrait" de l'Etat comme une "forme

sophistiquée d'interventionnisme" (HACHE, 2007) qu'il paraît aujourd'hui légitime d'étudier

au vu de la diversité des situations qu'elle fait naître dans le sous-continent latino-américain.

Dans le sillage des questionnements abordés précédemment, cette recherche s'inscrit dans les

approches de J. Revel-Mouroz et de E. Hache qui s'appuient sur une complexification ou

encore sur une sophistication de l'Etat. En s'appuyant sur le transfert d'attributions du centre

vers d'autres formes d'autorités plus localisées, les pouvoirs publics ont modifié la façon de

superviser et d'administrer les grands projets étatiques. Cette nouvelle organisation

administrative s'exprime pleinement au travers du projet d'irrigation. En effet, si ce dernier est

aujourd'hui supervisé par un organe décentralisé, le PEOT (Proyecto Especial Olmos-

Tinajones), il n'en demeure pas moins que c'est d'abord le gouvernement central qui fut à

14

l'origine de sa réalisation en 2010. La gestion des projets publics est aujourd'hui dépendante

de l'efficacité de la décentralisation et d'une bonne coordination entre ses institutions. Les

difficultés qu'elles traversent, les écueils et les manque qui affectent la gouvernance des

projets sont autant d'entraves qui s'expriment à travers le territoire.

A travers la réalisation de grands projets publics, plusieurs fondements institutionnels,

politiques et économiques interagissent. Entre la volonté d'accéder à un niveau de

compétitivité élevé sur les marchés mondiaux et le devoir de mener à bien le processus de

décentralisation, l'Etat et les logiques territoriales qu'il entend suivre, laissent des empreintes

certaines sur les terres du projet d'irrigation d'Olmos. Quels rôles jouent donc les pouvoirs

publics dans les recompositions territoriales qui s'opèrent avec la réalisation du projet Olmos?

L'ambition de cette étude est de contribuer à répondre à cette question.

Pour identifier et analyser ces logiques et recompositions dont les pouvoirs publics

sont à l'origine, nous sommes allés à la rencontre des acteurs directement concernés par le

projet. En deux mois, un peu plus de trente entrevues individuelles semi-directives et libres

furent réalisées auprès des institutions publiques centrales (Lima), régionales (Lambayeque)

et locales (Olmos) ainsi qu'auprès d'acteurs de la société civile (ONG) et du secteur privé

(entrepreneurs). Nous avons concentré notre recherche de terrain sur les institutions

régionales, notamment le PEOT. C'est à travers les logiques, décisions et actions de cet acteur

en particulier et de ses relations avec les autres institutions régionales et locales que nous

avons pu identifier les différentes stratégies auxquelles il obéit. Nous avons observé ces

actions sur deux espaces : le périmètre irrigué et la vallée d'Olmos, ces derniers faisant l'objet

d'une attention particulière. L'observation des infrastructures hydrauliques, des différents

campements de travailleurs, les entretiens menés auprès des bénéficiaires et non-bénéficiaires

du projet dans la vallée d'Olmos et surtout les réunions avec les membres des institutions nous

ont permis mieux saisir le rôle de l'Etat dans le projet. C'est également à travers les rapports

officiels du PEOT et les contrats élaborés entre le PEOT et l'entreprise concessionnaire

responsable des travaux ou avec des organismes publics de développement que nous avons pu

obtenir certaines informations précises qui ne figurent pas sur les sites internet des

institutions.

Les résultats du travail de terrain furent présentés lors d'une réunion organisée par l'ONG

CICAP (Centro de Investigación, capacitación, asesoria y promoción) à laquelle avaient été

invitées d'autres institutions régionales : les Chambres de commerce et d'agriculture de la

région Lambayeque, l'institution Sierra Exportadora, l'Association Régionale des

Exportateurs de Lambayeque (AREX), l'Association de Consultance en système d'irrigation

(IMAR Costa Norte) et enfin l'entreprise Proassa, productrice et exportatrice de café issu de

l'agriculture biologique.

L'information cartographique fut récoltées auprès du PEOT ainsi que du Gouvernement

Régional de Lambayeque. A partir de ces données, nous avons pu élaborer les cartes qui

figurent dans cette étude. Certaines informations, n'ayant pas pu être obtenues sous forme de

fichier directement exploitable ont été géoréférencées par nos soins. Enfin, nous avons

15

pratiqué la photo-interprétation à partir d'image de Google Earth prises en Avril 2013,

notamment pour délimiter les zones de culture de la région Lambayeque.

De nombreuses informations statistiques furent exploitées à partir des données de l'Institut

National des Etudes Statistiques (INEI) du Pérou. Les recensements agraire de 2012 et de

1994 et les recensements de population de 2007 nous permirent d'accéder à un type

d'information générale à l'échelle des régions, provinces et districts. L'information statistique

combinée à la cartographie démontre certains aspects du paysage observés sur le terrain ou

mentionnés dans la bibliographie.

Notre méthodologie d'étude est basée sur une démarche itérative qui permet d'effectuer des

allers-retours entre problématique et données qualitatives récoltées. L'interprétation de ces

données implique ainsi de redéfinir les hypothèses de recherche et de les adapter à la nouvelle

compréhension du milieu étudié.

Cette recherche fait suite à un précédent mémoire d'ingénieur effectuée au sein de

Périmarge en 2013 et au cours de laquelle nous avons réalisé un diagnostic agraire de la

localité d'Olmos. Grâce à cette étude, nous pûmes étudier l'évolution de l'agriculture dans les

vallées irriguées avant et après les années 2000, époque à laquelle l'ouverture du marché

foncier marqua l'arrivée de nouveaux acteurs. Ces "photographies agraires" réalisées au début

du cycle du projet, bien qu'ayant lieu à l'extérieur du périmètre prochainement irrigué, nous

permirent de comprendre le contexte d'accueil du projet d'un point de vue d'agroéconomiste et

ses possibles conséquences sur les agriculteurs. Aujourd'hui, à travers une analyse

géographique, cette seconde étude vient enrichir notre compréhension du projet et de ses

effets sur le territoire régional.

Pour répondre à la problématique, nous traiterons d'abord de l'ensemble des politiques

publiques ayant trait au projet d'irrigation d'Olmos. Au début des années 1990, les mesures

néolibérales qu'adoptèrent le pays ne s'appliquèrent pas sur tout le territoire national. Dans la

première partie, nous tenterons de démontrer qu'elles transformèrent particulièrement

l'agriculture de la région côtière, notamment au niveau des espaces propices à la production :

les vallées irriguées.

Ensuite, nous nous intéresserons aux nouvelles formes de colonisation agricole qui touchent

aujourd'hui les espaces non-irrigués comme c'est le cas pour les terres du projet d'Olmos.

Nous réaliserons ensuite une brève présentation du projet d'Olmos, de ses objectifs, des

espaces qu'il implique et plus particulièrement de la relation qu'il entretient avec le secteur

privé.

En second lieu, nous traiterons du processus de décentralisation, de sa fonction principale de

réduction des inégalités territoriales et des limites qui continuent de peser sur l'encadrement

institutionnel du Pérou. Nous terminerons cette première partie en développant les

expressions de cette décentralisation au sein du projet d'Olmos, ce dernier étant géré par une

institution décentralisée, le PEOT.

16

La seconde partie nous permettra de décrire la région d'accueil du projet, le

Lambayeque et les différentes activités économiques sur lesquelles elle fonde son

développement, en particulier l'agriculture. Nous analyserons ensuite les mutations

territoriales à l'œuvre dans différents lieux : d'abord au sein du périmètre irrigué, zone de mise

en valeur des terres considérées comme désertiques par le gouvernement puis dans la vallée

d'Olmos où le PEOT tente d'organiser les petits producteurs en association. Mais la

transformation des espaces colonisés par le projet ne s'arrêtent pas aux zones agricoles, la

ville d'Olmos étant également l'objet de changements. Nous décrirons donc les évolutions

qu'est en train de vivre cette ville : la croissance démographique, le développement du secteur

tertiaire, sa possible désignation comme capitale de province mais aussi les limites qui

affectent ce récent dynamisme.

Dans une dernière partie, nous démontrerons que les stratégies territoriales du secteur

public régional sont principalement orientées vers la prise d'importance de l'entrepreneuriat

agricole, synonyme de rentabilité et de compétitivité. Ces stratégies sont d'abord visibles sur

le périmètre irrigué, conçu dans l'objectif de répondre aux exigences des entreprises privées

puis au niveau de la vallée d'Olmos, qui connait une transformation de son agriculture au

profit des cultures d'exportation. De cette réorientation agricole résulte de nouvelles relations

entre petits producteurs et entreprises agro-industrielles qu'encourage pleinement l'Etat.

En second lieu, nous nous attacherons à décrire les nouvelles formes de concurrences et de

solidarités dont va être à l'origine la réorganisation territoriale décidée par l'Etat : le PEOT

souhaite créer une nouvelle zone de production agricole qui viendra modifier non seulement

les fonctions et relations de l'espace productif régional mais aussi celles des centres urbains

exerçant une certaine attraction sur les zones agricoles. La question de la ville d'Olmos est

également posée : quel nouveau rôle les pouvoirs publics veulent-ils donner à cette ville,

voisine du périmètre irrigué ? Nous analyserons donc les formes de compétition entre

différents espaces : d'abord les bassins de production, puis les villes concernées par le projet.

La concurrences spatiales ne sont pas les seules à résulter de la politique territoriale de l'Etat,

de nouvelles concurrences pour la ressource hydrique sont à prévoir et ne semblent que peu

régulées par l'action publique.

Enfin, nous proposerons les prémices d'une réflexion quant aux capacités d'intégration

territoriale du PEOT. En analysant ses relations avec les autres institutions régionales et

locales du Nord côtier, nous mettrons en évidence un manque de coordination

interinstitutionnelle qui pèse sur la gestion territoriale du projet.

17

Partie 1. Les politiques publiques liées au projet d'irrigation

d'Olmos

I. L'Etat néolibéral à la recherche d'opportunités pour le développement de

l'agriculture

Trente-huit milles hectares…c'est la surface que prévoie d'irriguer le PEOT lors de la

première étape du projet d'Olmos. Appartenant autrefois à la Communauté Paysanne Santo

Domingo de Olmos, ces terres arides ont été confisquées par le gouvernement Fujimori dans

les années 1990 puis divisées en plusieurs lots (dont les plus petits atteignent 250ha) avant

d'être vendues aux enchères en 2010 à des entreprises privées de l'agro-industrie. Cette

intervention autoritaire de l'Etat illustra sa volonté de transformer l'agriculture péruvienne en

une agriculture compétitive et tournée vers l'exportation. L'évolution des structures agraires au

cours des années 1990 qui résulta de cette politique contribua à accentuer les différenciations

existantes entre les trois régions principales du Pérou, à savoir la Côte, les Andes et

l'Amazonie. La Côte, région où s'exprima avec le plus d'intensité les mesures néolibérales, est

considérée par l'Etat comme la principale région agricole du pays (EGUREN, 2004).

Aujourd'hui encore, avec la diffusion des pratiques issues de l'agriculture d'exportation, les

périmètres irrigués continuent de s'étendre à travers la Côte péruvienne.

1.1 Des réformes qui se concentrent en région côtière

L'objectif de modernisation de l'agriculture au Pérou à fait l'objet de stratégies bien

différentes selon les gouvernements au pouvoir. La finalité était pourtant la même : une

modernisation de l'agriculture permise par la production de denrées commerciales valorisées

sur les marchés urbains (MAYER, 2009). Mais entre les présidences de Velasco et de

Fujimori, les moyens pour y parvenir se distinguèrent sur bon nombre d'aspects.

Lors de la réforme agraire menée par le gouvernement militaire de Velasco (1968-1975), les

tentatives de développement agricole étaient basées principalement sur un mode de

production collectif, bénéficiant des économies d'échelles propres à la grande taille des

exploitation et des apports technologiques de l'agriculture moderne (utilisation d'intrants

chimique, moto-mécanisation, cultures commerciales et variétés sélectionnées,…). Ces

structures collectives de production étaient constituées des anciennes catégories de

travailleurs des haciendas : salariés permanents, paysans attachés aux domaines, paysans

indépendants, journaliers (MESCLIER, 2011). Le gouvernement des années 1970 entendait

stimuler le développement agricole à partir d'acteurs en particulier : une masse d'anciens

travailleurs associés autour d'une activité productrice et commerciale commune.

Le gouvernement néolibéral, quant à lui, basa sa stratégie de modernisation agricole

sur un autre type d'acteurs. Selon Eguren (2004) cette stratégie consistait en "la reconstruction

d'une classe entrepreneuriale capable de diriger la modernisation de l'agriculture

18

péruvienne". C'est principalement autour de cette élite que s'est organisé le programme

néolibéral. Ce dernier visa un espace particulier, celui de la région côtière, qui fut désignée

par experts et dirigeant politiques comme étant la région optimale pour la production agricole

orientée vers les marchés mondiaux (EGUREN, 2003 ; MESCLIER, 2006).

Les caractéristiques géographiques conféraient à la Côte de multiples avantages pour

l'agriculture d'exportation. Longue de 2000km du nord au sud, la Côte présente une grande

diversité de climats tièdes et ensoleillés (CHALEARD et al., 2006) permettant de cultiver à

différentes périodes clefs de l'année. Les denrées tropicales et tempérées peuvent ainsi être

exportées vers les marchés des Etats-Unis et de l'Europe, en période creuse de production

lorsque les climats de l'hémisphère nord ne permettent plus à ces pays de produire (ALDANA

et al., 2006 ; AUQUIER, 2013). L'accès à ces fenêtres commerciales offrit des opportunités

de rentabilité à l'agriculture d'exportation (prix avantageux en l'absence de concurrence) et

stimula fortement les investissements dans l'agriculture. D'autre part, la topographie plane de

la région facilita l'exploitation de grandes superficies et l'usage de machines agricoles lourdes.

La présence d'infrastructure portuaires pour le commerce maritime (DOLLFUS ET

BOURLIAUD, 1997) est un autre aspect qui contribua à désigner la Côte comme la région

propice à l'agriculture d'exportation.

Pour bénéficier de l'ensemble des avantages de la Côte, de multiples mesures néolibérales

furent entreprises, notamment au sein des vallées irrigués, zone où l'agriculture se développa

beaucoup plus facilement grâce à la présence d'eau venant des cours d'eau prenant leur source

dans les Andes ou de l'eau des nappes phréatiques. L'eau, ressource particulièrement prisée

sur la Côte désertique, conditionna la sélection des espaces agricoles qui se développèrent

particulièrement le long de fleuves et cours d'eau, les producteurs pouvant exploiter à la fois

les eaux superficielles et souterraines. La libéralisation globale des facteurs de production

(terre, eau, main d'œuvre) et des conditions de commercialisation s'exacerba sur ces espaces

où se concentraient les opportunités de production pour les acteurs privés de l'agro-

exportation. L'ensemble de ces réformes créèrent les conditions d'établissement des

entreprises agro-exportatrices, acteurs majeurs d'une production agricole rentable.

La libéralisation des marchés agricoles s'exprima d'abord par la suppression des

subventions aux importations de produits et intrants agricoles et par la baisse des droits de

douane. On assista aussi à la disparition progressive des structures d'encadrement de la

production créées au cours de la réforme agraire et au démantèlement des entreprises

publiques (ALDANA et al., 2006). Mais l'Etat n'intervint pas seulement par le biais d'une

baisse des régulations : il stimula également la production de denrées exportables sur les

marchés mondiaux, profitant des opportunités commerciales issues de la spécificité des

climats côtiers. De nouveaux acteurs, investisseurs et entrepreneurs agricoles, furent

encouragés à s'installer sur les terres agricoles afin d'y cultiver de nouveaux produits

d'exportation, générateurs de valeurs ajoutées élevées. Pour ce faire, le gouvernement

néolibéral, engagea un processus de modification de la législation foncière qui, au sortir de la

réforme agraire, était très loin de favoriser l'installation d'investisseurs ou d'entreprises.

19

La législation de la réforme, en effet, impliquait de nombreuses contraintes au droit de

propriété, droit demeurant pourtant indispensable à l'établissement d'acteurs du secteur privé.

Zegarra (1999) résume clairement les restrictions du marché foncier imposées par la Loi de

Réforme Agraire puis par la Constitution de 1979 : la vente des parcelles attribuées par la

réforme était interdite, l'accès aux terres réservé aux structures collectives de production, les

biens fonciers ne pouvaient être divisés en moins de 3ha pour mettre un terme à la petite

propriété (minifundio) considérée comme peu productive et la limitation de la taille maximale

de la propriété individuelle était fixée à 150ha…

C'est notamment cette dernière limite qui fut l'objet de modifications par les gouvernements

civils à mesure que s'ouvrait le pays aux investisseurs. Pour Eguren (2004), l'évolution de ces

limitations de propriété constitua le fil conducteur des politiques agraires. En effet, puisque

l'agriculture moderne de Fujimori préconisait des formes d'exploitations capitalistiques et de

grande envergure, les restrictions foncières constituèrent une contrainte de taille pour

l'investissement.

Placés donc au cœur des stratégies politiques agricoles, l'ouverture du marché foncier et

l'accès à la propriété privée constituèrent quelques unes des priorités du gouvernement

néolibéral. Ce processus fut en outre soutenu par la Banque interaméricaine de développement

(BID) qui conditionna l'octroie de ses financements à ces changements législatifs

(MESCLIER, 2009). Dès 1991, la loi 653 de promotion des investissements déclara "le libre

accès à la propriété des terres garantie à toute personne naturelle ou juridique" (ZEGARRA,

1999) mettant ainsi fin à l'exclusion des entreprises privées du marché de la terre. Avec la

Constitution de 1993 et la Loi foncière de 1995, un nouveau régime foncier fut officiellement

formalisé coupant court aux lois antérieures et privilégiant la formation de grands domaines

d'exploitation pour le développement d'une agriculture commerciale "capable de faire entrer

des devises" (ALDANA et al., 2006) et de moderniser l'appareil productif agricole de la Côte.

La nouvelle législation augmenta la taille maximale des biens fonciers à 250ha et élimina

entre autres les restrictions d'usage rendant possible la location.

Les terres des Communautés Paysannes subirent elles aussi un processus de

libéralisation foncière. Reconnues comme institutions juridiques au cours de la réforme, les

Communautés paysannes étaient, depuis la Constitution de 1979, pleinement propriétaires de

leurs terres auxquelles étaient attribuées les caractères insaisissables, imprescriptibles et

inaliénables. Le territoire correspondant aux Communautés Paysannes représentait à l'époque

la plus grande partie des terres agricoles (ALDANA et al., 2006), ces dernières possédant en

1994, 54,5% des terres côtières (Del Castillo, 2004). Dans le contexte néolibéral qui prônait

l'ouverture totale du marché de la terre, le capital foncier des Communautés représenta un

enjeu considérable pour le gouvernement. La nouvelle législation foncière des années 1990

"organisa donc la privatisation des terres des communautés, […] autorisant de façon

immédiate, le transfert des biens nouvellement enregistrés à des personnes naturelles ou

juridiques extérieures à la Communauté" (ALDANA et al., 2006). Sous couvert d'une plus

grande autonomie, la Constitution de 1993 ouvrit la possibilité aux membres des

Communautés paysannes de vendre leurs terres.

20

Par ailleurs, la loi foncière qui prévoyait le processus de régularisation de la propriété

communale, établit une règlementation différente entre les Communautés de la Côte et celles

des autres régions du Pérou. Selon Zegarra (1999), les normes relatives aux Communautés

côtières furent moins exigeantes : seulement la moitié des membres pouvait décider de la

vente des terres alors que les deux-tiers étaient nécessaires dans les Andes ou en Amazonie.

Cette distinction montre combien les terres de la Côte sont devenues importantes au regard

des politiques agricoles.

Un autre aspect de la législation place les terres de la région côtière au cœur des projets de

l'Etat. La loi de 1997 appelée "Loi de terres des communautés paysannes de la Côte" fut

élaborée dans l'objectif de faciliter le titrage individuel de terres appartenant aux

communautés paysannes de la région côtière. Cette loi autorisa les transferts de terre des

membres d'une communauté vers d'autres producteurs (MESCLIER, 2009). Selon Mesclier

(2009), le processus de titrage réalisé par le PETT (Projet spécial de titrage des terres et de

cadastre rural) entre 1996 et 2001 s'est particulièrement concentré en région côtière, en

comparaison avec d'autres régions du pays. L'accès à la propriété privée sur des terres

appartenant autrefois à des communautés paysannes a donc été facilité par l'Etat dans cette

région en particulier.

Le foncier n'est pas l'unique élément de la législation qui fut l'objet de politiques

néolibérales. D'autres mesures prises en faveur des investisseurs privés concernèrent par

exemple l'accès à l'eau, alors indispensable à toute activité agricole en région côtière. Selon le

Codigo de Aguas, littéralement Code des Eaux n°17752 établi lors de la réforme agraire, l'eau

était la propriété de l'Etat. En 1979, la création assemblées d'irrigateurs, organisations locales

et indépendantes de gestion et de distribution de l'eau, ouvrit la possibilité aux usagers de

participer à la gestion de la ressource (MARSHALL, 2009). La loi 653 de promotion des

investissements accorda plus de pouvoir à ces assemblées d'irrigateurs et garantit en outre la

dotation d'eau à tout particulier accédant aux ressources du sous-sol par des forages sans

établir de limitation sur les volumes prélevés (EGUREN, 2004 ; ALDANA et al., 2006).

Bien qu'elle n'ait pas fait l'objet d'un processus de privatisation, Aldana et al. (2006)

soulignent que "l'Etat s'est retiré des aspects pratiques de la distribution et n’assure plus

qu’un contrôle général ; les usagers doivent gérer le personnel et les aspects financiers de

l’administration". L'Etat, en diminuant son contrôle sur la ressource, encouragea les

investisseurs à s'installer sur la Côte, ces derniers pouvant bénéficier d'une ressource hydrique

très peu chère puisque son coût était uniquement composé des frais de perforation,

d'extraction ou de distribution. La libéralisation concerna donc aussi le marché de l'eau et en

facilita l'exploitation pour le secteur privé.

Le dernier facteur de production nécessaire à l'activité agricole, le travail, permet,

lorsqu'il est réalisé par une main d'œuvre peu chère, de produire à bas coût et d'augmenter la

compétitivité des productions sur les marchés internationaux. Le marché du travail constitua

également un des aspects du programme néolibéral. Le décret-loi 728 facilita l'utilisation des

contrats temporaires et en simplifia les procédures administratives (ALDANA et al., 2006).

Des coopératives de travailleurs furent créées pour fournir des travailleurs aux entreprises

21

agricoles lors notamment des pics de travail agricole. Enfin, les investisseurs bénéficièrent

d'un ensemble de mesures facilitant l'exploitation d'une main d'œuvre bon marché et peu

protégée par la législation en vigueur : des syndicats affaiblis par leur surnombre en raison de

la simplification des formalités à accomplir, la suppression des salaires en cas de grèves et

une plus grande flexibilité dans les négociations entreprises-travailleurs (ALDANA et al.,

2006).

Au sortir de la réforme agraire, les espaces ruraux étaient constitués d'une masse de

petits propriétaires, faiblement organisés et peu intégrés aux marchés mondiaux. Au contraire

des gouvernements militaires de la réforme, la politique de Fujimori ne s'appuya pas sur ces

nombreux acteurs pour moderniser l'agriculture côtière. Il fit plutôt en sorte de faciliter l'accès

aux moyens de production des investisseurs privés sur les terres des vallées irriguées.

L'expansion rapide des infrastructures routières en région côtière entreprise par Fujimori

(ALDANA et al., 2006) termina de dresser le panorama néolibéral des années 1990 marquant

le début de l'ère de l'agro-industrie côtière. Toutes les conditions pour optimiser la production

agricole par le secteur privé furent ainsi réunies.

L'orientation politique néolibérale, si elle est, depuis les années 2000, dirigée par des

gouvernements moins radicaux que ne l'a été le fujimorisme, n'en demeure pas moins

constante dans le temps et dans l'espace. Les exportations agricoles de produits dits

traditionnels et non traditionnels ont continué de croitre jusqu'à aujourd'hui passant de 600

millions de dollars FOB à la fin des années 1990 à 2 milliards en 2006 et à 4,5 milliards en

2011 (MESCLIER et al., 2013), la majorité étant produite en région côtière. Les cartes

suivantes illustrent l'importance des superficies agricoles de la Côte consacrées aux

productions agro-industrielles et d'exportation par rapport aux surfaces cultivées des autres

régions du pays surtout destinées à produire pour le marché national.

22

Carte 1 : Proportion des surfaces agricoles destinées à l'exportation, à l'agro-industrie et

au marché national

Source : Gouvernement Régional de

Lambayeque, INEI (2012).

Conception et élaboration Célia Auquier

23

Cette différenciation régionale est le fruit de la politique néolibérale menée depuis 1990.

Aujourd'hui, cette différenciation spatiale de l'action publique s'exprime encore, que ce soit

par les politiques et normes qu'elle formule ou au travers des institutions qui se chargent de

leurs applications. Les programmes sociaux se focalisent ainsi sur les régions andines tandis

que le Ministère de l'Agriculture et de l'Irrigation (MINAGRI) concentre son action en région

côtière (EGUREN, 2004). Aujourd'hui cependant, la donne a changé : grâce à l'ensemble des

infrastructures hydrauliques, les terres irriguées des oasis du piémont sont quasiment toutes

exploitées par l'agriculture. D'autres espaces, toujours situés sur la Côte, deviennent donc

l'objet de convoitise pour le secteur privé.

1.2 Les plaines côtières "désertiques", de nouvelles opportunités de

production

Rapidement, l'exploitation des terres irriguées de la Côte par le secteur privé fut

limitée par les contraintes foncières dont la réforme agraire avait été à l'origine. Les structures

foncières qui en résultèrent ne facilitèrent pas l'achat de parcelles de grande taille et

contraignirent l'entrepreneuriat agricole à porter son attention sur d'autres espaces.

Les plaines côtières du piémont sont des zones de plaine vierges de végétation ou recouvertes

d'une steppe arborée (bosque seco), faiblement exploitées, faute de ressources hydriques et de

voies de communication adaptées. Ces espaces devinrent plus aisés à coloniser que les terres

des vallées irriguées de par leur faible densité démographique. Considérées comme

"abandonnées" ou "non-productives" par l'Etat, ces terres furent facilement transmises au

secteur privé par le biais de la loi 1997. En effet, ces terres peu peuplées, constituaient une

opportunité de production pour l'entrepreneuriat agricole, extérieur à la communauté. D'après

la loi de 1997, "lorsque des occupants consacrent les terres à l’activité agraire sous la forme

d’une exploitation économique, publique, pacifique et continue, durant une durée d’au moins

deux ans, ils peuvent présenter une demande de déclaration d’abandon" (MESCLIER, 2009).

Dans ce cas, le PETT se chargeait de réaliser le transfert du bien foncier, passant des mains de

la communauté à celles de l'Etat. La vente s'effectuait entre l'Etat et l'occupant, qui devenait le

seul acheteur potentiel. Au cours de ce transfert, la communauté n'était pas disposée à donner

réellement son accord et aucune mesure de compensation n'était prévue à son égard.

(MESCLIER, 2009). Les entreprises agricoles pouvaient donc, relativement facilement, avoir

accès à ces espaces.

Le projet d'Olmos, même s'il ne résulte pas de cette loi, illustre la volonté de l'Etat de disposer

des terres des communautés1. Sur les zones de plaines de la communauté Santo Domingo de

Olmos, les habitants pratiquent une activité d'élevage extensif lorsque les épisodes pluvieux

irréguliers permettent à la végétation de croitre. Les cours d'eau irrigant la vallée d'Olmos

finissent par s'assécher à mesure qu'ils dévalent les versants et demeurent insuffisants pour

cultiver les terres, même en saison pluvieuse. La seule activité agricole qu'admet ce climat est

1 Le projet Chavimochic dans la vallée de Virú (La Libertad) a été étudié par A. Marshall (2009) et illustre lui

aussi le processus d'appropriation des espaces "vierges" de la Côte.

24

l'élevage extensif, alors considéré par l'Etat comme une activité très faiblement rémunératrice.

Jugées abandonnées, ces terres furent donc confisquées à la communauté paysanne sous la

présidence de Fujimori et l'Etat en devint le propriétaire légal avant qu'elles ne soient mises à

disposition des entreprises de l'agro-industrie lors de deux ventes aux enchères au cours des

années 2000.

Les terres du futur périmètre irrigué d'Olmos permirent donc de répondre à une demande

foncière croissante de la part du secteur privé agricole. Mais la colonisation des plaines de la

communauté paysanne par les entreprises de l'agro-industrie n'est pas la seule empreinte de

l'intervention privée sur le territoire. Le projet Olmos met en œuvre un ensemble d'alliances

entre le secteur privé et les pouvoirs publics qui en sont responsables et qui en facilitent la

réalisation. Ces alliances s'exprimèrent d'abord par la confiscation des terres par l'Etat ainsi

qu'au travers du partenariat public-privé dont est issu le projet. De telles alliances figurent

parmi les stratégies territoriales de l'Etat pour le développement d'une agriculture compétitive.

A Olmos, ces alliances vont d'abord marquer l'espace destiné au projet d'Olmos mais

également l'environnement alentours et les relations qui sont en train de se tisser entre acteurs

de la production agricole. C'est ce que ces pages se proposent d'identifier.

Pour cela, il est nécessaire de comprendre précisément les objectifs du projet d'Olmos. Ce

dernier consiste à transférer les eaux des rivières Huancabamba et Tabaconas situées sur le

versant oriental des Andes dans le département de Cajamarca vers les vallées du versant

occidental au travers d'un tunnel transandin. Un barrage situé au niveau des rivières, à l'entrée

du tunnel assure un débit régulier et continu dans les vallées en aval. Les eaux seront ensuite

réparties dans la vallée d'Olmos pour la mise en irrigation de deux espaces bien distincts :

le périmètre irrigué de 38000ha situé en zone de plaine qui va concerner une dizaine

d'entreprises agroindustrielles devenues propriétaires des terres.

environ 5500 ha de la vallée d'Olmos bénéficieraient d'une amélioration de leur accès

à l'eau. Cet espace implique quelques 500 petits et moyens producteurs agricoles selon

le rapport du PEOT de 2012. Les conditions d'accès à l'eau du projet seront explicitées

dans la seconde partie de l'étude.

D'autres sous-projets sont en train d'être étudiés : la création d'une nouvelle ville permettant

d'accueillir travailleurs qualifiés et non-qualifiés au plus près des zones de culture,

l'établissement d'une zone agroindustrielle fournissant les services nécessaires à la

transformation, à l'emballage et au transport des productions agricoles destinées aux marchés

mondiaux et nationaux ainsi que la création de deux centrales hydroélectriques situées sur le

versant occidental des Andes, le long du canal.

La carte et le schéma suivant permettent de mieux visualiser le projet d'irrigation.

25

Carte 2 : Localisation et nature du

projet d'irrigation d'Olmos

Source : Gouvernement régional de Lambayeque, PEOT et OSM. Conception et réalisation Célia Auquier

26

Figure 1 : Schéma explicatif des infrastructures réalisées pour le projet d'Olmos

Source : PEOT, 2012

La réalisation des infrastructures hydrauliques illustre la récente emprise du privé au sein du

projet d'Olmos. Une entreprise privée brésilienne (Odebrecht) réalise l'ensemble des travaux :

ainsi, tunnel, barrage, canaux et routes d'accès sont du ressort de l'entreprise. Les territoires du

projet, loin de n'impliquer que le périmètre irrigué, s'établissent donc sur les plaines et

remontent le long des canaux dans la vallée d'Olmos ainsi qu'en amont, dans la région de

Cajamarca où ont été construits le tunnel ainsi que le barrage. Ses logiques territoriales

mettent donc en jeu plusieurs acteurs issus du secteur public et privé et plusieurs territoires :

la plaine et la vallée d'Olmos situées dans le département Lambayeque ainsi qu'une partie des

territoires andins du département de Cajamarca.

1.3 Le partenariat public-privé : de nouvelles alliances qui facilitent la

réalisation de projet

Vieux d'une centaine d'années, le projet d'Olmos a été conçu par l'ingénieur Sutton en

1924 mais c'est en 1962 que l'Etat entama de réelles démarches pour financer les études

relatives à la faisabilité du projet. Sous la présidence de M. Prado (1956-1962), le

gouvernement signa un accord avec le Fond Spécial des Nations Unies. Un premier bureau

d'étude italien élabora les études de préfaisabilité, suivies d'une seconde entreprise soviétique

qui, pendant le gouvernement militaire de Velasco, fournit l'étude définitive de la première

étape du projet. Après avoir obtenu les autorisations nécessaires, l'Etat lança la construction

27

du tunnel transandin à la fin des années 1970. D'une longueur prévue de 19,4km, le tunnel

n'atteignit que 6,7km en dix ans2.

En 2001, le gouvernement de Toledo autorisa la mise en concession du projet d'Olmos qui fut

alors soumis à un appel d'offre international. En juillet 2004, l'entreprise brésilienne

Odebrecht S.A. signa le contrat de concession. Ce contrat, d'une durée de 20 ans, engagea

l'entreprise à réaliser les infrastructures hydrauliques citées précédemment. La même année,

en novembre, l'institution de financement d'Amérique latine, la CAF (Corproración Andina

de Fomento) fournit un crédit de 77 millions de dollars à l'Etat péruvien pour le financement

des travaux. Le projet, qui avait été retardé pendant 80 ans, a finalement vu le jour en

quelques mois au cours de l'année 2004, lors de la signature du contrat entre l'Etat et

l'entreprise concessionnaire, l'ensemble des mesures législatives ayant rapidement suivies cet

accord public-privé.

Ce bref historique relate les obstacles auxquels firent face les gouvernement

successifs. Les grands projets d'irrigation génèrent toujours un coût considérable pour

l'organisme, public ou privé, qui est responsable de sa réalisation. Avant les années 1990,

outre les coûts de réalisation élevés que représentaient de tels projets, la production agricole

générée était relativement peu valorisée sur les marchés mondiaux et nationaux. Le transfert

des eaux par la réalisation d'un tunnel transandin était donc peu rentable et générait de lourdes

dépenses pour l'Etat qui ne parvint pas à terminer seul la réalisation des travaux.

Mais depuis une quinzaine d'année, la donne a changé. L'insertion du Pérou dans l'économie

mondiale représenta un tournant significatif pour les productions agricoles côtières.

L'agriculture d'exportation devint plus rentable : les nouveaux produits sélectionnés

dégagèrent des valeurs ajoutées élevées. Les coûts liés au transport des marchandises que ce

soit par voie terrestre ou par voie maritime diminuèrent. Grâce à ce nouveau potentiel

agricole, des projets d'irrigation auparavant jugés irréalisables de par leur trop faible

rentabilité, purent être reconsidérés. Selon le témoignage d'un ingénieur spécialiste en gestion

et développement des ressources hydriques travaillant actuellement sur le projet d'Olmos, les

investissements réalisés pour l'irrigation ne représentaient que 0,4$/m3 au début du XIX

ème

siècle et, lorsque qu'en 1924, la première conception du projet d'Olmos vit le jour, les

ingénieurs de l'époque contestaient sa rentabilité : "Olmos era una locura"3 selon les termes

de ce spécialiste4. Aujourd'hui en revanche, il affirme : "les investissements dans le secteur

hydraulique ont augmenté car l'eau est devenu plus "rentable" dans le sens où elle produit

des aliments se vendant plus chers". Par exemple, pour le projet de Majes dans le

département d'Arequipa l'investissement atteint 15$/m3.

Ainsi, les politiques néolibérales qui modifièrent le paysage de la Côte attirèrent de fait un

grand nombre d'acteurs privés qui ne se limitèrent pas aux investisseurs agricoles. Des

entreprises prestataires de services dans divers secteurs d'activité (énergie,

2 Ces données historiques sont issues du rapport officiel du PSI ( Programme Sous-sectoriel d'Irrigation) de

septembre 2013. 3 "Olmos était une folie."

4 Spécialiste interviewé lors du terrain d'étude pour la réalisation de ce présent mémoire (février-mars 2014).

28

télécommunication, transports maritime, terrestre et aérien, infrastructure hydraulique,…)

contribuèrent aussi à dynamiser l'économie du pays. Certaines entreprises, attirées par le

contexte néolibéral propice à l'investissement, établirent des partenariats avec l'Etat. Le cas

d'Olmos est le fruit d'une réalisation privée et d'une supervision publique dont l'alliance fut

contractualisée par un partenariat de type public-privé.

Un tel partenariat résulte "d'un choix organisationnel de long terme par lesquels une

autorité publique confie à un partenaire privé par voie de contrat la mission globale de

concevoir, financer, construire, exploiter et maintenir une infrastructure de service public et

des services associés" (BEUVE et al., 2013). L'absence de ressources financières, techniques

ou institutionnelle figurent parmi les principales raisons qui encouragent les pouvoirs publics

à mettre en œuvre ce type de partenariat. Ce dernier permet de pallier les déficits d'un Etat

faible tant sur le plan politique que financier. L'Etat retrouve ainsi "une efficacité visible" et

réaffirme sa capacité de "mener des opérations sans peser sur les finances publiques"

(VELUT et al., 2013).

Par ailleurs, les projets issus de telles alliances bénéficient de l'efficacité et du savoir-faire

entrepreneurial qui échappent généralement aux institutions publiques, ces dernières faisant

face à de multiples préoccupations dont s'affranchissent les entreprises privées. C'est ce que

souligne le Ministère de l'Economie et des Finance sur sa page internet : "la participation de

l'investissement privé génère un ensemble de compétences et d'expériences et fournit des

équipements technologiques manquant au préalable pour la conception et la réalisation de

projet. Elles permettent en outre de répartir les risques et les ressources entre les parties

prenantes du contrat dans l'objectif de créer, de développer, d'améliorer ou d'entretenir des

infrastructures ou des services publics".

Selon le Ministère de l'Economie et des Finances, les modalités de partenariat diffèrent

selon les garanties financières et non-financières apportées par l'Etat. Un projet peut être

cofinancé par l'ensemble des parties prenantes ou bien uniquement supporté par le secteur

privé, l'Etat engageant un maximum de 5% du montant total d'investissement (hors coût de

fonctionnement et d'entretien). Dans le cas d'Olmos, les deux secteurs cofinancent le projet à

hauteur de 110 millions de dollars apporté par l'entreprise concessionnaire et de 77 millions

de dollars par le gouvernement régional de Lambayeque5. Le budget relatif aux infrastructures

hydraulique pour le transfert des eaux est réparti comme suit :

5 Ces chiffres sont issus du témoignage d'un membre du Gouvernement Régional de Lambayeque responsable de

la planification territoriale. Ils ont ensuite été confirmés par les documents officiels du PEOT de 2013.

29

Figure 2 : Répartition des financements pour les travaux de transfert des eaux

Source : Concesionaria Trasvase Olmos S.A - CTO. (Elaboration Célia Auquier)

Les contrats s'effectuent généralement sur des temps longs (une vingtaine d'années pour

Olmos) car c'est l'entreprise qui supporte le risque de demande. Ces contrats de long terme

"permettent aux opérateurs privés d’investir pour la construction (ou la rénovation) de

l’infrastructure et de l’exploiter suffisamment longtemps pour garantir l’amortissement des

investissements et réaliser un profit raisonnable" (BEUVE et al., (2013). Ainsi, les bénéfices

générés par les nouvelles infrastructures reviennent d'abord à l'entreprise puis, lorsque cette

dernière atteint le seuil de rentabilité économique établi par le contrat, l'Etat en devient l'entier

propriétaire. Pour le projet Olmos, c'est l'entreprise Odebrecht qui vendra d'abord l'eau du

projet aux bénéficiaires (entreprises agro-industrielles et producteurs). L'Etat deviendra

propriétaire de l'ouvrage hydraulique par la suite. L'eau, ressource demeurée publique jusqu'à

aujourd'hui, va donc devenir une ressource privatisée temporairement, ce qui implique bien

entendu de nouvelles conditions d'offre (prix, usage, accès,…), que nous identifierons dans

une seconde partie.

Le partenariat public-privé s'établit généralement à partir d'un appel d'offre mettant en

jeu plusieurs entreprises en concurrence. Cette situation permet à l'Etat de sélectionner

l'entreprise proposant le projet le mieux adapté à ses besoins et à ceux des usagers, de stimuler

l'innovation et de tirer le prix des prestations vers le bas. Mais cette situation de concurrence

ex ante est mise en doute et certains auteurs. Petitet (2010), la juge "essentiellement

théorique". La sélection d'une entreprise privée dépendrait plus généralement de ses relations

avec les élus et des accords possibles entre les grands groupes en situation oligopolistique

(PETITET, 2010). D'autre part, comme le souligne Chong et al., (2013), "les marchés publics

sont l'unes des activités des administrations les plus exposées au gaspillage, mais aussi à la

fraude et à la corruption en raison de leur complexité, de l'ampleur des flux financiers qu'ils

génèrent et de l'interaction étroite entre le secteur public et le secteur privé". A ce titre,

plusieurs journaux péruviens et un comité de professionnels de Lambayeque relatèrent les

accusations de corruption quant à la mise en concession du projet Olmos (El Comercio, mars

2011 ; La Primera, juin 2012). Un témoignage recueilli lors de l'étude de terrain évoque

l'absence de concurrence lors de l'appel d'offre, le contrat étant surtout issu d'un processus de

négociation entre l'entreprise et l'Etat. Un ingénieur du Collège des Ingénieurs de

Lambayeque dénonça au travers de plusieurs entretiens (La mula.pe, 22/08/2011) et une

Actionnaires

8%

Etat péruvien

31%

Apport de

l'entreprise

concessionnaire

41%

CAF (Banque de

développement

d'Amérique

Latine)

20%

Répartition des financements pour les travaux de transfert des

eaux

30

émission de radio (Radio Exitosa, 30/05/2014) les actes de corruption entre l'entreprise et le

gouvernement régional.

De ces alliances émerge donc un nouveau système mettant en interaction une autorité

organisatrice publique dirigée par des élus, une entreprise privée prestataire en situation

supposée de concurrence et des bénéficiaires citoyens ou entrepreneuriaux (PETITET, 2010).

Par sa relation contractuelle avec l'entreprise, l'Etat n'est plus la seule instance d'autorité et ses

relations auprès des populations bénéficiaires et non-bénéficiaires ne sont plus uniquement

bilatérales. La diversification des acteurs, si elle complexifie leurs relations, est également un

facteur de redéfinition du territoire par "l'ouverture de nouvelles territorialités propres aux

entreprises et aux habitants qui ne coïncident pas nécessairement avec les mailles

administratives existantes" (VELUT et al., 2013). A Olmos, ces nouvelles territorialités,

qu'elles soient issues d'entreprises agro-industrielles investissant directement dans

l'agriculture ou d'entreprises concessionnaires, sont liées à de nouvelles formes d'expressions

locales et sont depuis peu, fortement liées à l'échelle internationale, par l'accès aux marchés

mondiaux ou aux capitaux étrangers.

L'entreprise concessionnaire impliquée dans la réalisation d'infrastructures vit en outre un

changement notable, passant du statut de prestataire à celui de partenaire des puissances

publiques. Que ce soit pour la réalisation des travaux ou pour sa participation dans les prises

de décisions institutionnelles, elle prend de plus en plus part à la construction territoriale. En

rendant possible l'élaboration d'un projet qui n'auraient pas vu le jour sans son intervention

mais en affaiblissant encore un peu la figure d'un Etat qui, depuis le début des années 2000,

voit son organisation se modifier sous la décentralisation progressive. Ce processus, encore en

cours aujourd'hui, est à l'origine d'une organisation institutionnelle bien spécifique du projet

d'Olmos.

II. Un nouveau cadre institutionnel pour la gestion de projet

Les projets de grande ampleur, aux budgets souvent considérables, sont le fruit de

stratégies et de logiques territoriales nationales élaborées par l'Etat central. Ces projets, issus

de politiques de grandes interventions, sont généralement planifiés à partir du centre en

direction des régions périphériques (LAURELLI, 1989). Cette conception des projets a

toutefois été remise en question par les nouvelles théories de la gouvernance et de la

décentralisation, ces dernières préconisant l'intégration des acteurs locaux dans la prise de

décision. Mais le processus de décentralisation au Pérou se heurta à de nombreux obstacles :

Bey (2010), évoque en ce sens un développement par à-coups, particulièrement mis à mal par

la politique néolibérale des années 1990.

31

2.1 La décentralisation comme moyen de réduction des inégalités

territoriales

Si le gouvernement néolibéral laissa un pays relativement libéré de la menace de

l'inflation, dynamisé par un secteur privé en essor et exalté par la promesse de balances

commerciales excédentaires, ce fut au prix du maintien des inégalités socio-économiques qui

ne diminuèrent pas et ce même dans le cadre de coûteux programmes de lutte contre la

pauvreté mis en place par l'Etat dans les régions les plus défavorisées (PULGAR-VIDAL,

2001 ; GONZALES DE OLARTE, 2006). La stabilité macro-économique, privilégiée par les

politiques économiques, était nécessaire dans un pays affaibli par l'hyperinflation mais ne fut

pas suffisante pour impulser un développement intégré. "Le manque de coordination des

politiques néolibérales, les facteurs structurels et technologiques et les nouvelles règles

d''investissement qui s'avèrent différentes entre les secteurs de l'économie ont contribué à

changer les déterminants de l'accumulation capitalistique, base d'une inégalité des revenus "

(GONZALES DE OLARTE, 2006). L'intégration dans les prises de décisions politiques d'un

certain nombre d'acteurs locaux, ceux-là même qui ont été exclus du processus

d'accumulation capitaliste dont parle Gonzales de Olarte, fait partie des fondements des

théories de la gouvernance.

Devant ce constat, on assista à la redéfinition de la démocratie, qui, au-delà de son acception

institutionnelle, comprit deux nouveaux éléments : d'un côté, les acteurs qui interviennent

pleinement dans le processus de construction démocratique et de l'autre les conditions de

construction, stimulantes ou inhibitrices, de la démocratie (LOPEZ JIMENEZ, 2006). Selon

cette définition qui prend particulièrement sens dans les années 2000 au Pérou, l'objectif est

de proposer de nouvelles politiques publiques qui permettent d'inclure les majorités pauvres,

exclues jusqu'à présent du dynamisme économique. L'ensemble des programmes et projets

publics devront ainsi respecter l'organisation d'une administration plus participative dans un

objectif de développement local intégré.

Le système politico-économique du Pérou est réputé très centralisé et place la région

de Lima en situation de domination par rapport aux autres régions, considérées comme

périphériques (BEY, 2010). Avec la prépondérance économique de la région côtière par

rapport aux régions intérieures du pays (COLLIN-DELAVAUD, 1965) et la croissance

urbaine de Lima, plus rapide que celles des autres villes côtières6, la région liménienne fut le

lieu de concentration de l'ensemble des infrastructures et des services au détriment des

économies régionales (BEDOYA et al., 2013). Le rapport de force asymétrique entre le centre

(Lima) et sa périphérie est visible sous différents aspects : attraction des travailleurs qualifiés

et non-qualifiés, secteurs économiques dynamiques, concentration des marchés intérieurs,

orientation de la région vers les marchés étrangers grâce au port de Callao et domination

politico-administrative de Lima sur le reste du pays. Les priorités étant identifiées par le

6 Lima représente environ 27 % de la population péruvienne, selon les recensements de la population des trois

dernières décennies (BEDOYA et al., 2013).

32

gouvernement central alors centre des décisions, les programmes de développement urbain et

rural et tous les projets consacrés aux autres régions du pays étaient élaborés à Lima.

Dans ce contexte particulier, la décentralisation était considérée comme un moyen de

résolution des problèmes de centralité à l'origine d'un développement régional très inégal :

elle devait permettre une meilleure "distribution des prérogatives et des ressources à des

échelons à même d'identifier les besoins locaux […] et est [considérée comme] un outil de

réduction des inégalités territoriales et socio-économiques permettant une répartition plus

équitables des ressources sur l'ensemble du territoire" (BEY, 2010). Ce processus devait

donc mener "au démantèlement des rapports clientélaires entre le centre et la périphérie"

(BEY, 2010) et à la réduction de la centralité de l'Etat péruvien.

2.2 Un processus inachevé qui pèse sur l'efficience du secteur public

Les premières tentatives décentralisatrices naquirent sous le gouvernement d'A. García

qui posa les bases d'une politique décentralisatrice en 1988. Fondée sur l'intégration des

mouvements régionaux dans l'administration publique, la politique de García initia la

décentralisation par la création des gouvernements régionaux, premiers lieux d'expression des

acteurs locaux. Mais l'autorité de Fujimori et les politiques d'ajustement structurel signèrent la

fin de l'initiative de son prédécesseur. Son gouvernement ne laissa pas d'espace aux initiatives

autonomes et indépendantes, redéfinissant totalement les relations de l'Etat avec la société.

Ce n'est finalement qu'à la fin du gouvernement néolibéral, avec l'élection d'A. Toledo (2001-

2006) que le processus de décentralisation se concrétisa.

La première mesure mise en place par ce gouvernement s'appuya sur l'élection des

gouvernements régionaux. Sa volonté de se démarquer de la politique centraliste de Fujimori

le poussa à accélérer les procédures électorales. Selon Tanaka (2000), de nombreuses

instances cherchèrent à s'approprier l'organisation de la décentralisation : le Commission

Nationale de Décentralisation (CND), chargée d'élaborer les propositions décentralisées et

présidée par le maire d'Arequipa ; le Secrétaire Technique ; la Commission de Constitution,

en charge de la nouvelle Constitution devant statuée des lois de décentralisation et enfin la

Présidence du Conseil des Ministres (PCM). Ces institutions, aux intérêts et objectifs divers,

furent à l'origine de conflits internes qui ne facilitèrent pas l'émergence de politiques

décentralisatrices claires et coordonnées. Dans ce contexte de multiplicité institutionnelle, les

responsabilités de chacune des instances se superposèrent ajoutant un peu plus de confusion

au processus décentralisateur. Le CND convoqua finalement les élections régionales dans le

respect du nouveau cadre constitutionnel qui établit le découpage politico-administratif du

pays. Ainsi furent créées les régions, entités spatiales administratives clairement délimitées et

supposément à la tête d'un pouvoir politique précis, qui correspondaient aux anciens

départements. La CND prévit l'élection d'un président et vice-président régionaux et d'un

conseil régional constitué des représentants de chaque province du département.

33

Les préoccupations électoralistes et la précipitation avec laquelle le CND mena les élections

furent à l'origine de graves écueils dans le processus de décentralisation. Comme l'évoque

Tanaka (2000), les fondements des lois décentralisatrices furent dépasser par les perspectives

d'élection, qui ne laissèrent pas le temps aux différents échelons (le district, la province et la

région) de prendre clairement possession de leurs fonctions. Les formes de coordination entre

maires d'un même département n'eurent pas le temps de se développer, empêchant

l'émergence de leaders politiques assumant les futures fonctions des gouvernements

régionaux. Au contraire, les autorités élues n'eurent ni l'expérience, ni les connaissances

requises pour mener à bien les projets et plans dont ils étaient en charge. Pire, le CND ne

définit pas les fonctions, ressources et responsabilités spécifiques à chacun des échelons

politique du territoire. En ce sens, Bey (2010) indique que les gouvernements régionaux

furent créés avant que les régions n'acquiert d'existence réelle se superposant aux

départements considérés comme "coquille vide sur le plan administratif et financier".

Malgré les défauts que soulignent bon nombre d'auteurs dans le processus de décentralisation,

c'est au cours du mandat de García que la gestion des grands projets hydrauliques connut ses

plus grandes mutations. Depuis la loi 653 de promotion des investissements, c'est l'INADE

(Institut National de Développement) qui était chargée de la gestion des grands projets

d'irrigation, supervisant l'ensemble des études et des travaux à l'échelle nationale. A la fin de

l'année 2008, l'institution n'exécutait selon, La Revista Agraria n°102 (2008), que 50% des

budgets qui lui étaient octroyés. On dénonçait déjà ses faiblesses techniques et son manque de

participation à la croissance agricole. La complexité qu'impliquait la conservation et

l'entretien des grands ouvrages d'irrigation s'ajouta aux difficultés rencontrées par l'INADE

(DEL CASTILLO et al., 2004) et, suite à ses déficiences, on décida en 2001 de désactiver

l'institution.

En 2003, les projets d'irrigation furent donc confiés aux gouvernements régionaux, jugés plus

à même d'identifier les contraintes et besoins de leur région pour le développement de

l'activité agricole. Selon l'article 58 de la Loi 27867 datant de 2002 les gouvernement

régionaux "organisent et planifient la gestion régionale en conduisant des politiques de

développement économique et social, en exploitant les ressources naturelles en harmonie

avec l'environnement et en fournissant des infrastructures et équipements pour

l'aménagement du territoire. Ces politiques devront être issues de la concertation des

autorités locales avec la société civile de la région. L'investissement et le financement de

projets d'ampleur régionale pour augmenter la compétitivité du territoire est également une

des fonction du gouvernement régional".

Pour renforcer le processus de décentralisation inachevé par Toledo, de nouvelles

propositions accompagnèrent l'élection d'A. García pour son second mandat (2006-2011).

Ballón (2009) évoque le "choc décentraliste", la loi 28880 composée de vingt mesures visant

à accélérer le transfert des fonctions aux échelons inférieurs de l'administration, à définir un

plan de régionalisation et à initier la décentralisation fiscale, cette dernière conférant une

autonomie financière aux régions par rapport au gouvernement central. Dans la pratique,

34

l'exécution de cette loi fut très limitée. Selon Ballón (2009), moins de 25% des dépenses

prévues pour mener à bien les mesures décentralisatrices furent utilisés à cet égard.

Aujourd'hui encore, l'administration péruvienne peine à sortir des relations bilatérales

qu'entretient le gouvernement central avec ses régions. La tutelle centrale se maintient, les

régions n'ayant pas les capacités requises pour mener les politiques sectorielles dont elles

auraient pourtant besoin pour dynamiser leur économie. Un système d'accusation mutuelle se

met en place entre les gouvernements régionaux et l'Etat central. Les institutions

décentralisées dénoncent leur exclusion dans les décisions politiques et budgétaires, le retard

d'une définition claire de leurs fonctions, l'absence de décentralisation fiscale, l'opacité des

transactions de la gestion publique, une participation citoyenne restreinte…(BALLÓN, 2009).

Quant au gouvernement central, il signale le manque de compétences des gouvernements

régionaux pour la gestion financière et bureaucratique des projets.

De nombreux auteurs soulignent les insuffisances du processus de décentralisation et

la structure encore très centralisée de l'Etat. Devant le constat d'inachèvement du processus de

décentralisation, la question de la gestion de projet publics se pose. Recoupant une ou

plusieurs régions administratives, ils sont aujourd'hui gérés par les gouvernements régionaux

correspondants. Mais la forte influence de l'Etat central qui perdure et les relations complexes

qui lient les différents échelons administratifs ne facilitent pas leur gestion. Un projet comme

celui d'Olmos reflète donc la manière dont les régions s'approprient leur territoire dans un

contexte de contrôle relativement élevé de l'Etat central.

2.3 La gestion décentralisée du projet d'Olmos

Le PEOT, organisme décentralisé, est chargé de la supervision, de l'exécution et de

l'entretien des travaux d'infrastructures des projets d'irrigation d'Olmos et de Tinajones. Cette

institution fait partie du Gouvernement régional de Lambayeque, premier interlocuteur

institutionnel relatif au projet d'irrigation d'Olmos et responsable du développement territorial

régional. C'est entre autres le gouvernement régional qui organisa l'appel d'offre relatif au

partenariat public-privé et la vente aux enchères des lots du périmètre irrigué.

Selon les propres termes de l'institution, la mission du PEOT est de promouvoir le

développement agricole et énergétique de la région Lambayeque par la création d'une zone

agroindustrielle. Cette dernière devrait contribuer à répondre à la demande interne alimentaire

et énergétique et à générer des excédents à forte valeur ajoutée pour l'exportation. La finalité

principale du projet est "d'augmenter la production agricole sur des terres du nord côtier qui,

de par le niveau réduit de précipitation annuel moyen et malgré l'excellente qualité des sols,

sont qualifiés de désertiques" (PEOT, 2011). A travers l'ensemble de ces projets, le PEOT

doit promouvoir une forme d'agriculture "modernisée", par l'usage de nouvelles technologies,

notamment relatives aux systèmes d'irrigation et aux cultures et variétés sélectionnées. Parmi

ses principales fonctions, le PEOT élabore le Plan stratégique intégral des projets hydro-

35

énergétiques et d'irrigation qui doit être cohérent avec les politiques et les plans nationaux et

régionaux de développement.

La gestion institutionnelle du PEOT est organisée selon l'organigramme suivant.

Figure 3 : Organigramme du PEOT

Source : Gouvernement Régional de Lambayeque. Elaboration Célia Auquier

L'institution compte six branches d'activités. Deux nous intéressent particulièrement :

la Direction de développement Olmos qui supervise l'ensemble des obligations

techniques, économiques, financières, sociales et environnementales de l'entreprise

concessionnaire. Cette Direction est responsable de la bonne réalisation des travaux

d'infrastructures hydrauliques. C'est elle qui entretient le plus de relations avec

l'entreprise concessionnaire. Elle travaille par ailleurs en partenariat avec d'autres

entreprises privées de consultance comme l'ATA (Asesores Tecnicos Asociados S.A.),

chargée de superviser les travaux hydrauliques dont l'élaboration implique un champ

de compétence que ne possède pas le PEOT.

la Direction de Promotion et Investissements qui organise l'activité agricole avec les

petits et moyens producteurs de la vallée irriguée d'Olmos. Cette Direction possède un

bureau dans la ville d'Olmos et est en relation directe avec les agriculteurs. Les projets

menés dans la vallée d'Olmos dépendent en outre d'un échelon administratif supérieur,

le Programme Sous-sectoriel d'Irrigation (PSI) créé en 1998 et responsable de

promouvoir le développement des systèmes modernes d'irrigation en région côtière et

andine et de renforcer le rôle des organisations d'usagers et de leurs capacités. Cette

institution appartient au Ministère de l'Agriculture et de l'Irrigation. D'autres

institutions publiques et privées en lien avec le PEOT sont susceptibles d'intervenir

36

pour le développement agricole de la vallée d'Olmos et seront plus amplement décrites

dans la partie 2.

D'autres organismes décentralisés sont liés au projet, notamment au travers de la

gestion des ressources hydriques. L'Autorité Nationale de l'eau (ANA) représente le niveau

d'autorité technico-normative maximum pour la gestion de l'eau au Pérou. Elle appartient au

Ministère de l'Agriculture et de l'Irrigation. Au contraire des autres institutions décentralisées

dont les responsabilités sont délimitées en fonction des limites administratives (région,

province, district), l'ANA considère le bassin versant comme unité territoriale. En juillet 2012,

elle autorisa l'utilisation de l'eau des rivières andine Huancabamba et Tabaconas pour

l'irrigation de la vallée d'Olmos. L'ANA possède des organes décentralisés à différentes

échelles : l'Autorité Administrative de l'eau (AAA) à l'échelle des régions et l'Autorité Locale

de l'eau, qui représente un ou plusieurs bassins versants. L'Administration Locale de l'eau

Motupe-Olmos-La Leche est l'institution concernée par le projet Olmos. Elle autorise, modifie

et annule les droits d'usage de l'eau que nécessitent les usagers pour irriguer leurs parcelles et

supervise les assemblée d'usagers (Junta de usuarios) de chaque bassin versant. C'est par son

intermédiaire que les membres des associations créées par le PEOT dans la vallée d'Olmos

obtiendront le droit d'irriguer leurs parcelles lors de l'arrivée de l'eau du projet.

Représentant directement les acteurs locaux, les assemblées d'usagers ont d'ailleurs vu leur

rôle se renforcer lors du processus de décentralisation. Divisée en comités d'irrigateurs, cette

organisation indépendante est chargée de distribuer l'eau aux usagers en appliquant la

tarification établie par l'ALA. L'assemblée d'usagers d'Olmos-Cascajal entretient des relations

étroites avec le PEOT : porte parole des usagers, elle est chargée de négocier le contrat relatif

à l'accès à l'eau (tarif de l'eau, date d'arrivée de l'eau, critères d'attribution,…). Par ailleurs,

c'est elle qui gérera la distribution de l'eau du projet à son arrivée auprès des producteurs

concernés. La grande irrégularité de la présence d'eau dans la vallée d'Olmos (voir graphiques

1 et 2) limite actuellement son rôle à quelques mois de l'année. Mais la responsabilité de cette

association est susceptible de s'élargir : distribution de l'eau pendant toute l'année, tarification

supérieure, débit hydrique plus important à administrer, relations étroites avec l'entreprise

concessionnaire, le PEOT ainsi que l'ALA…La question du renforcement de ses capacités se

pose. A ce titre, c'est l'ANA et le PEOT qui ont la responsabilité de former les membres de

l'association aux nouvelles responsabilités qui leur seront incombées.

Enfin, avec la décentralisation, un dernier niveau d'autorité tient également une place

importante sur la scène institutionnelle du projet. La municipalité, chargée de l'ensemble des

fonctions administratives, doit promouvoir le développement local et intégral en coordination

avec l'ensemble des échelons de l'Etat selon la Loi organique des Municipalités n°27972.

Mais à Olmos, la municipalité n'est pas l'unique institution locale à encadrer la population. La

gestion du territoire est également sous la responsabilité de la communauté paysanne Santo

Domingo de Olmos, la plus vaste communauté paysanne du Nord Côtier selon Collin-

Delavaud (1968). Cette dernière, comme la municipalité, est également chargée du

développement intégré de son territoire communal comme l'indique la Loi Générale des

37

communautés paysannes (loi n°24656). Mais en pratique, ses fonctions se concentrent avant

tout sur les aspects fonciers de la communauté : achat, vente, droit d'usage des terres

communales,…

La communauté a notamment fait pression sur l'Etat lorsque ce dernier confisqua une partie

de ses terres mises ensuite aux enchères. Elle est aujourd'hui peu intégrée dans les

négociations relatives au projet d'irrigation, la municipalité étant l'institution locale privilégiée

à ce sujet.

Le schéma suivant résume les rapports hiérarchiques qu'entretiennent les acteurs impliqués

dans le projet, qu'ils soient issus du secteur public et de la décentralisation ou bien du secteur

privé.

Figure 4 : Rapports hiérarchiques entre les acteurs du projet d'Olmos

Conception et réalisation Célia Auquier

Le Ministère de l'Economie et des Finances (MEF) décide des budgets à attribuer à chaque

ministère. Son rôle dans le projet n'a pas fait l'objet d'une étude dans ce présent mémoire, c'est

pourquoi nous ne citons que sa présence en tant qu'organisme responsable de la répartition

budgétaire.

Garant de la bonne réalisation du projet, le PEOT fait l'interface entre les différentes parties

prenantes : le secteur privé, composé de l'entreprise concessionnaire, des entreprises de

consultance qui la supervisent et des entreprises agro-industrielles propriétaires des lots du

38

périmètre irrigué ; les multiples institutions publiques concernées par le projet ; la Société

Civile, constituée des bénéficiaires et des associations d'usagers. Si rôle d'interface parait

logique, il n'est toutefois pas facile à jouer dans un contexte où l'articulation des différents

échelons hiérarchiques n'est pas optimale.

Cette nouvelle gestion de projet, avec tout ce qu'elle représente en termes de budget et

de projection de responsabilités, est considérée comme "une grande opportunité pour

consolider le processus de décentralisation productive du pays" (La Revista Agraria n°102,

2008). La décentralisation est comprise ici comme un moyen d'exploiter les ressources

naturelles en adéquation avec le territoire d'accueil du projet. La région devient l'échelon

censé permettre l'articulation des stratégies nationales, régionales et locales à l'œuvre dans la

gestion de ces grands projets (LAURELLI, 1989). Dans le cas du projet d'Olmos, le PEOT

n'est chargé que de la supervision du projet, indépendamment de l'environnement régional et

local alentour. C'est donc au gouvernement régional de Lambayeque - toujours en interaction

avec le PEOT - d'intégrer le projet aux composantes existantes du territoire (réseaux de

communication, infrastructures et équipements, services,…) et aux dynamiques territoriales

spécifiques au Lambayeque, région d'accueil du projet.

39

Partie 2. Transformations territoriales générées par le projet

I. Le Lambayeque, une région au développement centré sur Chiclayo

La Côte péruvienne, que nous avions déjà décrite comme un lieu propice à

l'agriculture, est caractérisée par un climat semi-aride qui place l'eau comme une des

ressources naturelles principales limitant l'activité agricole. Comme le montre la carte

suivante, une cinquantaine de fleuves prenant leur source dans les Andes irriguent les vallées

de la côte désertique et alimentent les nappes phréatiques.

Carte 3 : Localisation des fleuves côtiers et de la région Lambayeque, région d'accueil

du projet d'Olmos

Le climat côtier est multiple. Malgré la moindre présence de fleuves dans la partie nord de la

Côte, le désert y devient beaucoup moins aride (DOLLFUS, 1975), au fur et à mesure que

s'affaiblit l'influence des masses d'eau froide remontant en surface (upwellings) et que

s'abaisse le relief andin, ouvrant ainsi le passage aux flux d'alizés chargés d'humidité lors de la

So

urc

e :

Go

uv

ern

emen

t ré

gio

nal

d

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amb

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20

03

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cep

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on

C.

Au

qu

ier

40

saison des pluies (voir carte 4). Le Nord côtier apparait donc comme une région

géographiquement originale par rapport au reste de la côte du pays doté d'un climat plus sec

(COLLIN-DELAVAUD, 1968). Le Lambayeque, qui bénéficie de cette relative humidité, est

la plus petite région du Pérou après la Province Constitutionnelle de Callao et le département

de Tumbes : sa superficie de 14 213 km² recouvre 1% du territoire (INEI, 2012).

Malgré cette petite taille, trois climats composent la région selon Collin-Delavaud (1968). Ces

derniers ont été reprise et adaptés à la région Lambayeque dans la carte 4 ci-dessous.

Carte 4 : Zones climatiques selon Collin-Delavaud (1968) et situation des flux au mois de

janvier

Source : Gouvernement Régional de Lambayeque, Collin-Dellavaud (1968), IRD (1999), Géographie

Universelle tome Amérique Latine. Conception et réalisation Célia Auquier

41

Ces trois climats sont caractérisés comme suit :

le climat de la frange littorale (en jaune) caractérisé par un désert tiède dû à la

présence des eaux froides issues du courant de Humbolt et qui se manifeste de deux

sortes : un plan d'eau froid et la présence d'une nébulosité. Sur cette frange littorale

marquée par un climat plutôt frais en hiver se trouvent la ville de Chiclayo, véritable

plaque tournante du Nord (COLLIN-DELAVAUD, 1968).

le Haut piémont (en orange), situé à 50km de la côte, entre 300 et 600m d'altitude est

composé de terres chaudes et ensoleillée et ne jouit que d'une faible circulation d'air

transformant cette région en serre brulante l'été. C'est dans un tel climat que se situent

les terres du périmètre irrigué qui devront bénéficier des eaux des rivières andines.

enfin le Piémont Nord (en vert), chaud et ensoleillé, est pourvu de quelques

précipitations non-négligeables (de 100 à 350 mm par an) mais très irrégulières en

saison des pluies grâce à sa proximité avec les hauteurs andines et au passage des

alizés. Ce climat est caractéristique des vallées irriguées de la localité d'Olmos, lieu de

passage du canal du projet. Pour illustrer l'irrégularité annuelle et interannuelle des

précipitations, nous utilisons les graphiques 1 et 2 ci-après.

Le diagramme ombrothermique suivant, élaboré avec les données du SENAMHI (Service

national météorologique et hydrologique péruvien) rapporte les précipitations et températures

moyennes de 2009 à 2012 dans le district d'Olmos et illustre les saisons sèches et humides qui

caractérisent son climat.

Graphique 1 : Diagramme ombrothermique à Olmos (2009-2012)

0,0

10,0

20,0

30,0

40,0

50,0

60,0

70,0

80,0

90,0

0,00

5,00

10,00

15,00

20,00

25,00

30,00

35,00

précipitations moyennes

température moyenne minimum

température moyenne maximum

Source : AUQUIER, 2013. Données issues du SENAMHI

42

Ce diagramme, élaboré à partir de moyennes, ne permet que d'apprécier l'irrégularité annuelle

des précipitations. Un second graphique, représente les précipitations des années 2009 à 2012.

D'une année à l'autre la hauteur des précipitations peut être multipliée jusqu'à près de 10 fois

(c'est le cas du mois de février des années 2011 et 2012 : de 16 mm en 2011, elle passe à 158

mm en 2012.)

Graphique 2 : Volumes des précipitations par années de 2009 à 2012

Source : AUQUIER, 2013. Données issues du SENAMHI

Même si les précipitations varient beaucoup en fonction des années, elle permit le

développement de "nombreux petits terroirs d'irrigation qui s'égrènent sur une demi douzaine

d'oueds et d'une vaste zone d'élevage extensif dans la forêt qui s'étend sur les pampas

interfluves" (COLLIN-DELAVAUD, 1968). Le projet se trouve à cheval sur ces deux

espaces, les pampas interfluves (que nous désignons comme les zones de plaine) desquelles

émergeront le périmètre irrigué et la vallée d'Olmos dans laquelle le PEOT souhaite conduire

un projet de développement agricole.

Le projet d'Olmos s'inscrit dans une région au sein de laquelle l'agriculture occupe une

place non-négligeable. Selon le Plan de développement concerté du gouvernement régional de

Lambayeque, les principales activités économiques correspondaient en 2010 (en valeur

ajoutée brute) au commerce (26,2%), aux transports et communications (12,3%), à l'industrie

(12,2%) et à l'agriculture (9,7%). Cette proportion parait bien faible mais elle demeure

supérieure aux chiffres d'échelle nationale : d'après les indicateurs économiques donnés par

l'INEI, l'activité agricole représentait 7,53% du total du produit intérieur brut généré par le

pays en 2010 et elle aurait baissé à 7,28% en 2012 (en monnaie constante).

0

20

40

60

80

100

120

140

160

180

200

2009

2010

2011

2012

43

Bien que seulement 18% des terres du département soient destinées à l'agriculture (tableau 1),

dans les provinces de Lambayeque et de Ferreñafe, la population rurale constitue

respectivement 52 et 46% de la population (INEI, 2007).

Tableau 1: Surface agricole en ha par province

Surface Population

Surface Proportion

Population

rurale Proportion

Surface totale département (ha) 1421330

Surface agricole (ha) 254458,4 18% 227634 100%

- dont province de Chiclayo 85621 34% 49173 6%

- dont province de Lambayeque 131220 52% 133980 52%

- dont province de Ferreñafe 35960 14% 44481 46%

Source : INEI, 2007. Elaboration propre

La population rurale de la province de Chiclayo est minoritaire (6%), la ville de Chiclayo

représentant la capitale économique du département.

Le Lambayeque est divisé en trois provinces administratives : Chiclayo, Lambayeque et

Ferreñafe comme le montre la carte ci-dessous.

Carte 5 : Organisation administrative du département Lambayeque

Source : Gouvernement Régional de Lambayeque. Conception et réalisation Célia Auquier

44

Les provinces ne recoupent pas les délimitations climatiques énoncées par Collin-Delavaud

mais sont, hormis celles créées récemment, héritées de l'époque coloniale. Ainsi, les districts

pouvaient correspondre aux paroisses et les provinces aux circonscriptions ecclésiastiques ou

encore être délimités pour la levée du tribut (BRISSEAU-LOAIZA, 1977).

Aujourd'hui, le gouvernement régional de Lambayeque gère l'ensemble de ce territoire avec

l'aide des municipalités, notamment les capitales de province ou de district.

Pour comprendre l'organisation de l'activité agricole, nous traitons les données statistiques de

l'Institut National des Etudes Statistiques (INEI) à l'échelle de la province afin de comparer

trois zone distinctes, différenciées selon leur position géographique et leur accès à l'eau pour

l'irrigation :

- la province de Chiclayo dont la coalescence de vallées bénéficie de la présence du réservoir

de Tinajones,

- la province de Lambayeque, la plus grande, qui bénéficie de l'accès à l'eau de Tinajones au

Sud mais dont l'activité agricole est limitée au Nord par l'irrégularité des rivières andines et

des précipitations.

- la province de Ferreñafe, d'une superficie plus réduite, dont une partie est située dans les

hauteurs andines et qui présente une surface destinée à l'agriculture plus faible (14%).

Nous avons choisi d'utilisé l'échelle de la province car c'est l'information statistique disponible

au sein de l'INEI et qui correspond le mieux aux différentes vallées, les territoires des districts

étant trop fragmentés pour cette analyse. L'information selon le territoire des bassins versants

n'est quant à elle pas disponible.

Le tableau suivant représente le nombre d'exploitation agricole recensées par province et

classées selon leur taille. Dans toute la région, sans grande différenciation provinciale,

l'activité agricole est essentiellement conduite par de petites exploitations de taille inférieures

à 5ha. Les moyennes et grandes exploitations (taille supérieure à 20ha) sont moins

représentées bien que la majorité soit située dans la province de Lambayeque.

Tableau 2 : Taille des exploitations agricoles par province selon leur taille

Nombre d'exploitations par province

Taille des

exploitations

Province de

Chiclayo %

Province de

Lambayeque %

Province de

Ferreñafe %

Moins de 0,5 ha 1457 11,1% 3770 11,7% 475 4,0%

0,5 à 4,9 ha 9423 71,6% 22214 68,9% 8699 73,0%

5,0 à 9,9 ha 1496 11,4% 4123 12,8% 1921 16,1%

10,0 à 19,9 ha 541 4,1% 1515 4,7% 634 5,3%

20,0 à 49,9 ha 182 1,4% 416 1,3% 154 1,3%

50,0 et plus 59 0,4% 207 0,6% 38 0,3%

Total 13158 100,0% 32245 100% 11921 100,0%

Source : INEI, 2012. Elaboration C. Auquier.

45

Selon la carte 5, les zones cultivées se concentrent au niveau des vallées proches de

Chiclayo car elles bénéficient d'un approvisionnement hydrique permanent7 grâce au réservoir

Tinajones situé en amont du fleuve Chancay et aux canaux d'irrigation par lesquels coule

l'eau. Puis, les espaces cultivés suivent les vallées, longeant les pants escarpés du Piémont

andin et formant le système d'oasis8 qui se développe du nord de Chiclayo jusqu'à Olmos. On

remarque d'ailleurs qu'un réseau routier bien entretenu et correspondant à l'ancienne

Panaméricaine relie les petites villes de moins de 20000 habitants aux villes de Piura au nord,

de Chiclayo au sud et de Jaén à l'est. C'est une réseau dont l'importance n'est pas négligeable,

surtout pour les petites villes du système d'oasis.

Carte 6: Les espaces cultivés de la région Lambayeque

7 Il arrive toutefois que le réservoir ne suffise pas à couvrir les besoins en eau domestiques et agricoles de la

vallée comme ce fut le cas au mois de février 2014. Dans ce cas, les besoins en eau de la population sont

privilégiés au détriment de ceux des agriculteurs pour l'irrigation. 8 Nous considérons, au même titre que Dollfus (1968) et Collin-Delavaud (1968), qu'Olmos est une oasis

caractérisée par un approvisionnement hydrique reposant à la fois sur les précipitations, beaucoup trop rares et

irrégulières pour permettre une activité agricole permanente d’une année à l’autre, l’eau de surface et celle des

nappes phréatiques.

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Cél

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46

Une seconde carte montre la densification des réseaux d'irrigation dans les oasis de la région

Lambayeque. L'ensemble de ces canaux, résultat d'une construction préhispanique, ont été

remodifiés par la suite pour s'adapter aux besoins hydriques grandissants des agriculteurs des

vallées. On voit clairement que le réseau de la vallée de Chancay est bien plus développé et

dense que ceux des vallées septentrionales. L'implantation du réseau correspond en outre avec

les zones cultivées illustrées par la carte 6.

Carte 7 : Densité des réseaux d'irrigation dans la région Lambayeque

Source : Gouvernement régional de Lambayeque. Conception et réalisation Célia Auquier

La ville de Chiclayo exerce un attrait particulièrement important pour les populations

du nord de la région. Cette ville, composée de 577253 habitants selon l'estimation de l'INEI

donnée pour l'année 2011, détient aujourd'hui les fonctions administratives, commerciales et

résidentielles du département. Outre une agriculture dynamique grâce à l'accès à l'eau

permanent, le rôle de Chiclayo dans le commerce est primordial. Son importance s'est accrue

avec le développement des entreprises grossistes et de transport routier de tout le Nord. Elle

est ainsi devenue une plaque tournante du commerce grâce à sa position géographique

favorable et à son réseau routier relativement dense : "Chiclayo est au cœur du Nord, à mi-

chemin entre Piura et Trujillo, face à la Sierra très peuplée de Cajamarca que trois voies de

47

pénétration, Chota, Santa Cruz et Jaen, relient à la capitale du Lambayeque […]. D'autre

part, Chiclayo est située au centre de la plus vaste des oasis du Nord, delta commun des

rivières Chancay et Leche, soit une centaine de milliers d'hectares irrigués, bien groupés

dans un rayon de 50km autour de la métropole régionale".

Cette citation de Collin-Delavaud (1968) souligne l'importance des activités commerciales et

agricoles qui ont donné à la ville de Chiclayo un rôle prépondérant dans l'économie du Nord

côtier. Elle présente par ailleurs une certaine indépendance vis-à-vis de l'attraction

économique que constitue la capitale Lima (COLLIN-DELAVAUD, 1965). La zone littorale

est quant à elle désertique et s'étend jusqu'au haut piémont décrit par Collin-Delavaud (1968).

D'après Collin-Delavaud (1968), les cultures principales du département dans les

années 60 étaient la canne à sucre, le riz et le coton, ce dernier régressant finalement avec la

chute des cours mondiaux en 1966. En 2012, comme l'indique le tableau 3, l'ensemble des

provinces produisent des céréales (maïs et riz) bien que Chiclayo soit plus portée sur le riz et

Ferreñafe sur le maïs. La canne à sucre figure encore parmi les principaux produits cultivés

dans le département et est majoritairement produite dans la province de Chiclayo.

Quelques distinctions supplémentaires apparaissent : la province de Lambayeque a une

production fruitière supérieures aux autres (citron, mangue, avocat) et celle de Ferreñafe

produit du café et du manioc, cultures plus propice aux hauteurs andines et à l'ombrage.

48

Tableau 3 : Superficies cultivées par produits et par province (en ha)

Superficie cultivée en 2012 (en ha)

Principaux

produits cultivés

Province de

Chiclayo %

Province de

Lambayeque %

Province de

Ferreñafe % Total %

Citron 10 0% 1739 3% 23 0% 1772 1%

Mangue 11 0% 3175 5% 8 0% 3194 2%

Avocat 65 0% 736 1% 53 0% 854 1%

Banane plantain 10 0% 283 0% 75 0% 368 0%

Piment* 302 1% 1152 2% 46 0% 1500 1%

Maïs* 10076 18% 18063 27% 4697 30% 32836 23%

Riz 4938 9% 3997 6% 824 5% 9759 7%

Raisin 1095 2% 539 1% 16 0% 1650 1%

Asperge 46 0% 872 1% 7 0% 925 1%

Fruit de la

passion 60 0% 854 1% 33 0%

947 1%

Pastèque 87 0% 295 0% 169 1% 551 0%

Oignon 165 0% 89 0% 105 1% 359 0%

Haricot* 1128 2% 8173 12% 1276 8% 10577 8%

Coton 148 0% 348 1% 5 0% 501 0%

Manioc 918 2% 215 0% 615 4% 1748 1%

Canne à sucre 29387 52% 3086 5% 3237 21% 35710 26%

Café 1 0% 441 1% 1146 7% 1588 1%

Autres** 8291 15% 23265 35% 3442 22% 34998 25%

total produits

cultivés recensés 56738 100% 67322 100% 15777 100%

139837 100%

Total surface

cultivée 85621 131220 35960

252801

Superficie totale

de chaque

province 328800 934700 157800

1421300

% de surface

cultivée 26% 14% 23%

18%

Source : INEI, 2012. Elaboration propre. *toutes variétés ou destination confondues ; **tous produits confondus

dont la superficie est inférieure à 10ha quelle que soit la province

Par ailleurs, certaines productions, encore minoritaires dans le panorama agraire de la région,

sont destinées aux marchés extérieurs. Parmi elles, le raisin apparait comme la première des

cultures d'exportation puisqu'elle est produite dans les trois provinces. Quasiment la totalité de

la production de raisin produite à Chiclayo est envoyée sur les marchés mondiaux (98% selon

les données de l'INEI, 2012). Le piment et l'avocat sont également des produits d'exportation.

La province de Lambayeque est à l'origine d'une production fruitière diversifiée au contraire

de ses voisines qui se limitent seulement à quelques produits, selon le tableau 4.

49

Tableau 4 : Surfaces cultivées dont les productions sont destinées aux marchés

extérieurs (en ha)

Province de

Chiclayo

Province de

Lambayeque

Province de

Ferreñafe

Raisin 1073 184 12

Piment 162 650

Avocat 54 433 41

Café 5 24

Mangue 745

Citron 206

Plantain 123

Asperge 1 870 2

Total des surfaces dont les

productions sont exportées 1345 3603 85

Total des surfaces dont les

productions sont vendues (et

non autoconsommées)

37471 57564 12336

% destinées à l'export 4% 6% 1%

Source : INEI, 2012. Elaboration propre

Cet aspect de la production agricole est importante au regard de l'avenir de l'agriculture dans

la région : dans les vallées irriguées d'Olmos et de Cascajal, les productions tendent à

s'orienter vers les marchés d'exportation avec l'arrivée de nouveaux entrepreneurs agricoles

individuels et d'entreprises agro-exportatrices (AUQUIER, 2013). Par ailleurs, avec le projet,

de nouvelles entreprises vont s'installer dont certaines produisent déjà pour l'exportation sur

les terres des vallées d'Olmos : Danper S.A. par exemple, cultive du piment et de l'asperge

dans la vallée d'Olmos et exporte ses productions après les avoir transformer. Propriétaire d'un

lot foncier sur le périmètre irrigué, l'entreprise prévoie de produire de l'avocat destiné à

l'exportation.

Les surfaces dont les productions sont destinées à l'exportation ne représentent encore que 4,

6 et 1% des surfaces dont les productions sont destinées à la vente pour les provinces

respectives de Chiclayo, Lambayeque et Ferreñafe. Cette faible proportion est à mettre en

parallèle avec les structures agraires qui composent la région : la plupart des exploitations qui

exportent ont une taille généralement supérieure à 20ha et restent très marginales dans le

système agraire du Lambayeque, ne représentant en moyenne que 5,3% des exploitations

agricoles totales.

A l'échelle du département, les trois provinces restent assez faiblement cultivées : de 14 à

26%, Chiclayo étant dotée de la plus grande surface de culture (tableau 3).

Cela apparait cohérent avec la carte précédente sur laquelle apparaissent les zones de culture.

Seuls les espaces situés à proximité d'un accès à l'eau sont cultivés, les zones de plaine

demeurant (jusqu'à la fin du chantier du projet) exempts de culture.

50

Mais les proportions relatives aux superficies provinciales cultivées et à l'exportation des

denrées produites risquent de s'inverser au profit de la province de Lambayeque qui sera dotée

d'environ 38000ha supplémentaires constitués de cultures à haut rendement destinés à

l'exportation ou au marché intérieur. Une telle modification de l'organisation de l'agriculture

va avoir des répercussions sur l'ensemble des dynamiques actuelles à l'échelle de la région et

même du Nord Côtier.

Aujourd'hui, il semble que le réservoir de Tinajones continue de jouer son rôle de

fournisseur d'eau pour les vallées de Chiclayo, où se concentrent une ville très active, la

grande majorité de la population urbaine (81%) et plus d'un tiers de la population agricole

(36%), comme l'indique le tableau ci-dessous.

Tableau 5 : Population agricole et urbaine par province

Population agricole Population urbaine

Province de Chiclayo 49173 708279

Province de Lambayeque 133980 125294

Province de Ferreñafe 44481 51661

Total 227634 885234

Proportion vivant dans la

province de Chiclayo 21,6% 80%

Proportion vivant dans la

province de Lambayeque 58,9% 14%

Proportion vivant dans la

province de Ferreñafe 19,5% 6%

Total 100% 100%

Source : Recensement de la population de l'INEI, 2007

La localité de Chiclayo, sa ville et ses vallées, véritable cœur commercial et productif,

représente donc un atout primordial pour le département. Pourtant des témoignages, recueillis

lors de cette présente étude, évoquent les limites liées au mauvais usage de l'eau du barrage :

surexploitation de la ressource hydrique par rapport aux prévisions de cultures de la Direction

générale d'agriculture de Lambayeque, cultures de riz et de canne à sucre très exigeantes en

eau, phénomène de salinisation,… Les terres du nouveaux projets pourraient, selon l'usage qui

en est fait, modifier l'organisation de l'activité agricole de la région et la fonction actuelle du

bassin de production de Chancay.

La nouvelle ville dont l'Etat prévoit la construction est également un élément majeur des

recompositions territoriales à venir, notamment par rapport à la ville de Chiclayo, dont le rôle

n'est plus à démontrer. Les stratégies suivies par l'Etat et (indépendamment ou conjointement)

par les entreprises privées apparaissent motrices dans ce réaménagement territorial.

51

II. Un projet d'irrigation à vocation agricole

A court terme9, les transformations de l'agriculture dans le Lambayeque seront

intrinsèquement liées au projet d'Olmos, que ce soit par l'influence du périmètre irrigué ou de

la vallée d'Olmos. Sous la supervision de l'Etat décentralisé, ces deux espaces, aux paysages

respectifs très distincts, vont évoluer vers de nouvelles formes spatiales de production qui

différent de par leur nature, leur fonction et leurs relations avec l'extérieur. Vers quels

nouveaux territoires, ces deux espaces tendent-ils ? Quels types de transformation sont-ils en

train de vivre ?

2.1 La transformation de terres "vierges" en un espace cultivé

En recherchant de nouvelles opportunités de production agricole d'exportation sur la

Côte, l'Etat a jeté son dévolu sur les plaines. Comme dit précédemment, ces terres sont

caractérisées par une densité de population faible. Le district d'Olmos n'échappe pas à la

règle: sa densité de population est de 7,53 habitants/km² selon les estimations de l'INEI pour

l'année 2013. Dans le plus grand district du département (5335 km²), la ville d'Olmos était

constituée en 2007 de 9742 habitants (INEI, 2007) et d'environ 170 bourgs (centros poblados)

de quelques centaines d'habitants.. C'est la densité la plus basse du Lambayeque, la moyenne

de la densité des districts du département étant de 583 habitants/km². Sur ces terres peu

peuplées se pratique une activité d'élevage extensif plus ou moins dépendante de l'eau issue

des précipitations ou des cours d'eau. Les éleveurs sont des membres de la communauté

(comuneros) : ils ont accès à la terre en usufruit et en sont propriétaires de manière collective

ce qui facilita le processus de confiscation des terres de la communauté. Bien qu'il existe de

grands troupeaux de plus de 500 têtes de bétail conduits par des membres de la Communauté,

ce sont surtout de petits cheptels de caprins et de bovins, très dépendants de la présence de

pâturages qui ne poussent qu'en saison des pluies. Comme le souligne joliment Collin-

Delavaud (1968), la végétation de cette forêt sèche (bosque seco) "grisâtre et pelée, se

transforme brutalement en une savane-parc verdoyante […] où le sol disparait pour quelques

semaines sous un tapis herbacée continu et très vivace".

Le terme de "désert" n'est donc pas tout à fait approprié pour décrire ces plaines sur lesquelles

vont s'installer les entreprises et leurs cultures, les canaux et les routes du projet. Ces terres du

bosque seco, exploitées de manière extensive, sont aussi le lieu d'habitation de villageois. A

ce titre, un petit village d'éleveurs-comuneros, situé autrefois sur les terres délimitées par le

projet, a été déplacé, reconstruit et renommé Algodonera à l'extérieur du périmètre par le

PEOT. Les plaines constituent également un véritable écosystème constitué d'une grande

diversité végétale qui sert de barrière écologique aux maladies et aux pathogènes comme nous

l'expliquait un biologiste du Centre de recherche des zones arides (CIZA) à Lima. Cette

9 Quelques mois à quelques années selon les délais de réalisation des infrastructures d'irrigation, de la nouvelle

ville et des routes.

52

formation végétale constituée de strates élevées joue aussi un rôle de protection lors du

phénomène d'El Niño.

Photo 2 : La plaine de steppe arborée du piémont côtier (district d'Olmos)

Source : Célia Auquier, mars 2013

La carte 8 suivante, élaborée à partir du "Zonage Ecologique et Economique" (ZEE) du

gouvernement régional de Lambayeque montre la localisation des différents écosystèmes du

district d'Olmos et l'empreinte du projet sur ces derniers :

Le périmètre irrigué se trouve sur un espace destiné à l'agriculture, il n'empiète

pas sur la zone de reforestation consacrée à la conservation de l'écosystème

spécifique de forêt sèche.

Les nouveaux canaux et routes se situent sur plusieurs zones différentes : la

zone agricole et la zone de reforestation. Ce sont surtout les nouvelles routes

qui risquent d'affecter le plus cette zone considérée comme protégée par ce

zonage du gouvernement régional. Les villageois vivant à proximité en seraient

affectés différemment : ils pourraient profiter de ces nouvelles voies de

communication tout en subissant potentiellement les dégâts de telles

constructions sur leurs zones de pâturages. Selon le zonage, la nouvelle route

située plus au nord permet le développement d'une activité touristique.

Le tunnel est à cheval sur les département de Piura et de Lambayeque et débute

dans le département de Cajamarca tout comme le réservoir Limón (qui ne

figure pas sur la carte). Ces infrastructures sont situées en région montagneuse

et, d'après les membres du PEOT, n'affectent pas directement l'activité agricole

présente sur place, les zones de cultures étant plutôt situées en aval des rivières

Huancabamba et Tabaconas.

53

Carte 8 : Zonage écologique et économique (ZEE) et localisation du projet d'Olmos sur

ces espaces

Source : Zonage Ecologique et Economique (ZEE) du gouvernement régional de Lambayeque. Conception et

réalisation C. Auquier

La fonction de la plaine (constituée de toutes les zones précédemment décrites) est

considérée comme vide, dénuée d'habitants ou de propriétaires et faiblement créatrice de

richesse nationale. Mais elle s'est transformée considérablement depuis l'établissement du

projet sur ces terres. Chaque composantes du territoire du périmètre irrigué en est modifiée.

D'abord, la structure du droit foncier : autrefois terres collectives dans le cadre de la

communauté paysanne, la plaine est aujourd'hui divisée en lots aux formes géométriques

disposant de titres de propriété privée. L'écosystème précédemment décrit, constitué de

différentes strates végétales diversifiées va être transformé en un espace de monoculture, en

permanence cultivé. Bien que les informations concernant les denrées sélectionnées ne soient

pas encore publiques, certains pronostics dominent : cultures fruitières (avocat, raisin),

maraichères (piment, asperge) ou canne à sucre (probablement destiné à la production de

biocarburant) sont parmi les cultures les mieux valorisées par ces entreprises sur les marchés

mondiaux. Certains parlent également de terre de pâturages pour l'élevage bovin

(informations issues de témoignages d'ingénieurs des entreprises et d'entrepreneurs alentours).

54

Des zones habituées à de rares et irrégulières précipitations vont se transformer en terres

irriguées de façon continue grâce à deux accès à l'eau : le premier est prévu par le projet, il

s'agit de l'eau issue des rivières andines acheminée par canaux. Mais la disponibilité de cette

eau, de 14000m3/ha/an pour le périmètre irrigué (PEOT, 2012), demeure insuffisante pour la

production d'espèces végétales exigeantes en eau telle que la canne à sucre. Les entreprises

sont donc en train d'effectuer des forages pour prélever l'eau du sous-sol. Selon des

témoignages, ces forages atteindraient 200 m de profondeur lorsque dans la vallée, les puits

tubulaires les plus profonds atteignent 60 m. Le phénomène de salinisation, conduisant à la

perte du potentiel productif de la terre et évoqué au sujet de la vallée de Chancay-

Lambayeque, est également à considérer dans cette zone, où les sols n'ont jamais été irrigués

et où la présence naturelle de sel a été observée lors d'une étude réalisée par le PEOT et visant

à évaluer le risque de salinisation. Selon le témoignage d'un de ces membres, les entreprises

agro-industrielles n'utiliseraient que le système d'irrigation de précision au goutte-à-goutte,

afin de réduire le gaspillage et les risques de salinisation.

Dans cette zone, la frontière agricole va avancer d'un bond brutal correspondant à une

superficie de 38000ha sur laquelle hommes et machines travailleront pour produire une

agriculture très rentable. De par cette nouvelle fonction de production, la terre va

probablement voir augmenter significativement sa valeur monétaire, proportionnellement à

l'investissement fourni pour l'équipement des parcelles (infrastructures de production,

magasin de stockage, système d'irrigation goutte à goutte, puits tubulaire,…).

Outre les changements du paysage, de nouvelles et multiples relations reliant le périmètre

avec l'extérieur sont à envisager :

les flux matériels de produits, cultivés sur le périmètre sont ensuite acheminés auprès

des usines de transformation et d'emballage avant d'être transmis aux entreprises

d'export. Bien que le PEOT prévoit que la nouvelle ville soit équipée des

infrastructures de transports adaptées (aéroport international), sa construction, si elle a

lieu, aboutira des années après la mise en culture du périmètre. En considérant donc

que, dans un premier temps, cette ville n'existe pas, le lieu où se trouvent usines,

entreprises d'exportation et port de commerce se trouve dans la région de Piura. Le

port de Paita est le seul port du Nord Côtier à charger des produits destinés aux

marchés mondiaux. De plus, la localité de Sullana propose des services industriels

pour la transformation et l'emballage de produits fruitiers et maraîchers tels que le

raisin, le piment ou la mangue. En outre, les entreprises possèdent généralement leur

propre usine de transformation. C'est le cas de Danper dont l'usine de transformation la

plus proche se trouve à Trujillo. Avec le projet, l'entreprise envisage la construction

d'une nouvelle usine située à proximité du lieu de production, directement sur le

périmètre irrigué ou aux alentours.

les flux d'intrants (engrais chimiques, semence), de machines et d'équipements à

destination du périmètre vont probablement provenir des villes du Sud Côtier

(Chiclayo, Trujillo ou Lima), selon les lieux d'approvisionnement de chaque

entreprise.

55

les flux de capitaux leur sont également spécifiques : certains sont nationaux, d'autres

étrangers et orientés vers le périmètre irrigué pour le financement des campagnes de

culture.

les flux de travailleurs : le PEOT prévoit l'arrivée de travailleurs non-qualifiés en

provenance de toutes les régions alentours, plutôt locales (les vallées et plaines du

système d'oasis du Lambayeque) ou plus éloignées (régions andine et amazonienne à

l'est, région de Piura au nord, nord-ouest). Les travailleurs et dirigeants d'entreprises,

péruviens ou étrangers, s'installeraient à Chiclayo, grande ville la plus proche du

périmètre irriguée.

Dans l'ensemble, ces flux apparaissent générés par le secteur privé. L'eau du projet est

payée par les entreprises usagères à Odebrecht. Le contrat public-privé concerne Odebrecht et

le gouvernement régional, ce contrat ayant peu d'influence sur les entreprises elles-mêmes.

Dans ces échanges, l'Etat n'intervient que dans le cadre des taxes et impôts que doivent

reverser les entreprises à l'Etat central (impôt sur le revenus, sur les ventes,…). L'encadrement

et la régulation de l'activité de ces entreprises est à ce titre plutôt faible.

Relativement indépendantes du contrôle de l'Etat, ces entreprises vont faire émerger un espace

singulier et différencié par rapport au reste du territoire : un espace ancré dans des réalités

locales de par leur implantation sur des terres fertiles, leur dépendance vis-à-vis d'une main

d'œuvre peu chère et dans un même temps, reliés à des phénomènes d'échelle mondiale, de

par l'exportation des production ou encore l'origine des capitaux des entreprises. Comme le

souligne Lombard et al. (2006) de façon générale, ces entreprises "jouent sur différentes

localisation pour accroitre leur rentabilité tout en bénéficiant d'une certaine homogénéisation

des espaces (standardisation des normes, des procédures et des langues)". Si l'activité de cet

espace compétitif sera relativement peu liée à l'Etat (les entreprises étant autonomes), sa

construction n'aurait toutefois pas vu le jour sans l'intervention de l'Etat, qui depuis 1990, crée

les conditions de son émergence. Le rôle qu'a joué l'Etat dans la création d'un tel espace a

dont été primordial. Son rôle est d'ailleurs encore plus visible au sein de la vallée d'Olmos.

2.2 Associativité et exportation, deux objectifs de la politique du PEOT pour

la vallée d'Olmos

La vallée irriguée d'Olmos est également en train de vivre des transformations, et bien

que moins spectaculaires que dans la plaine, elles s'inscrivent dans le même objectif

d'exportation agricole préconisé par le gouvernement. Dans cette vallée, le contexte est tout à

fait différent que dans les plaines : des producteurs se distinguent de par leurs tailles, la nature

de leurs exploitations et leurs stratégies de production et cohabitent10

. Dans le district

d'Olmos, 67% des producteurs possèdent moins de 5ha, 15% d'entre eux possèdent entre 5 et

10ha et un peu plus de 6% possèdent plus de 20ha (INEI, 2012). Des entreprises

agroindustrielles, propriétaires de centaines d'hectares, sont également présentes dans la

10

Pour en savoir plus, se référer au diagnostic agraire de la vallée irriguée d'Olmos réalisé en 2013.

56

vallée, à côté des petites parcelles vivrières. Dans ce paysage fragmenté et diversifié, composé

de parcelles de toutes tailles, et cultivées par différentes denrées destinées au marché national

comme à l'exportation, la modernisation agricole souhaitée par l'Etat parait plus complexe.

Le projet mené par le PEOT s'inscrit dans le Programme Sous-Sectoriel d'Irrigation

(PSI) comme mentionné dans la première partie. Selon les termes utilisés par le PEOT sur

son site internet, le projet se veut promoteur d'un nouveau système institutionnel de

développement "à caractère social" afin de "compenser les membres de la communauté". Il

vise à organiser les petits et moyens producteurs en association afin que ces derniers aient

accès à l'eau du projet, par ailleurs bien trop couteuse pour un producteur individuel. A travers

un nouvel accès permanent à l'eau, le PEOT cherche à induire un changement dans les

habitudes de production des agriculteurs d'Olmos : en introduisant de nouvelles techniques

d'irrigation (système d'irrigation de précision) et des cultures commerciales d'exportation.

Les termes du contrat entre le gouvernement régional et Odebrecht ne prévoient pas la

construction d'infrastructures hydrauliques au sein de la vallée d'Olmos mais seulement le

canal principal qui la traverse. C'est donc une institution publique, le PSI, qui s'est engagé à

construire ces infrastructures. L'organisation des producteurs en association comporte un

aspect pratique : les parcelles des producteurs, fragmentées et dispersées ne sont pas aisées à

relier par un système de canaux. Les associations sont donc formées de manière à ce qu'un

minimum de canaux soient nécessaires pour approvisionner un maximum de parcelles.

Pour ces producteurs, l'adoption d'innovations est limitée par la capacité de financement. Sans

capital, il n'est pas possible d'investir dans un système d'irrigation de goutte-à-goutte, sans

trésorerie, il est difficile de financer une campagne agricole. Les membres du PEOT

responsables de ce projet ont donc élaborer un plan de financement qui fait intervenir de

nouveaux acteurs institutionnels et privés.

D'après l'ingénieur du PEOT responsable de la formation des associations et dont le bureau est

situé à Olmos même, le plan de financement se divise en deux :

En premier lieu, les système d'irrigation de l'ensemble des parcelles des membres

associés seraient financés à 70% par Agroideas, un programme de compensation

financière attribuée aux projets "compétitifs11

" qui vise à encourager les initiatives de

modernisation agricole. Cette institution est une unité du Ministère de l'Agriculture et

de l'Irrigation. Un ensemble de critères doit être respecter pour accéder au

financement: l'associativité des producteurs, la production de denrées d'exportation,

l'utilisation de système d'irrigation de précision,…

Agrobanco, une banque agricole mixte à capitaux publics et privés, financerait une

autre part du budget (21%) sous la forme de crédit avec remboursement différé d'un

an. Cette banque est présente dans la ville d'Olmos depuis septembre 2012 et

11

Terme utilisé par Agroideas sur son site internet.

57

travaillerait déjà avec quelques 700 producteurs de maïs et citron selon le témoignage

d'un banquier interrogé lors de notre étude.

Les 9% restants sont à la charge des associations, chacune d'entre elles étant

composée d'une vingtaine de producteurs.

En second lieu, le plan prévoit le financement des campagnes de cultures d'exportation

qui représentent des dépenses bien supérieures aux dépenses habituelles effectuées par

les producteurs. Pour cela, le PEOT cherche à introduire un nouvel acteur : une

entreprise, chargée de financer la campagne, d'acheter les productions et de les vendre

sur les marchés mondiaux. Elle aurait donc à la fois le rôle de banquier et d'acheteur.

Concernant le produit d'exportation, le choix du PEOT s'est actuellement arrêté sur la banane

issue de l'agriculture biologique qui, selon lui, possède un marché encore peu exploité par les

régions alentours et des avantages productifs. Le directeur des investissements du PEOT

souligne que la banane "permet un retour rapide sur investissement, une faible consommation

d'eau et des entrées régulières de trésorerie." D'après les membres du PEOT (basés à

Chiclayo et à Olmos), l'institution aurait trouvé une entreprise intéressée par le contrat dès le

mois de février 2014. Cette dernière devrait construire une usine d'emballage dans la localité

d'Olmos, à proximité des lieux de production. Chaque producteur administrerait sa parcelle,

seule la vente des productions serait commune.

Pour l'instant le PEOT ne souhaite imposer aucune limite de surface cultivée et n'exclue pas

les cultures vivrières complémentaires. La seule obligation imposée par le financement

d'Agroideas est d'orienter son système vers une culture d'exportation, proposée ou non par le

PEOT.

Les changements induits par le projet dans le paysage d'Olmos n'ont pas encore eut lieu. En

mars 2014, 18 associations étaient formées représentant environ 1600ha, selon le Directeur du

développement d'Olmos. Trois associations auraient signé le contrat de production/vente avec

l'entreprise mentionnée. Toujours selon ce responsable, ces dernières auraient commencé à

produire dès le mois d'avril 2014 grâce à l'eau du projet mais sans bénéficier des

infrastructures hydrauliques dont la construction s'achèverait théoriquement en 2015. Nous ne

sommes pas en mesure de vérifier cette information.

Cet espace déjà fortement fragmenté, composé d'un grand nombre d'acteurs agricoles

va continuer de se diversifier : en intégrant des producteurs au projet en tant que bénéficiaires

et en excluant d'autres, situés trop éloignés du passage du canal. Cette différenciation au sein

des producteurs d'Olmos est une décision prise par le PEOT qui, en sélectionnant les bourgs

bénéficiaires, a choisi d'en exclure d'autres.

La carte suivante est tirée d'une présentation réalisée par le PEOT en 2012. Elle montre la

localisation des bénéficiaires de la vallée : de gros blocs intégrant environ 1000 producteurs

ont été dessinés de manière à inclure le maximum de producteurs dans le projet.

58

Carte 9 : Délimitation des blocs comprenant les associations du PEOT

Source : PEOT, 2012

En réalité, le PEOT s'est rendu compte que des associations constituées d'autant de membres

étaient difficilement viables et gérables. Aujourd'hui, les associations sont effectivement

situées au sein de ces gros blocs mais sont beaucoup plus petites et plus aisées à conduire. Il

risque de résulter de cette mise en association d'un nombre restreint de producteurs, un

phénomène d'exclusion qui pourra à terme accentuer les inégalités socio-économiques entre

bénéficiaires et non-bénéficiaires du projet.

Dans cet espace, le secteur public est bien plus présent : le PEOT représente l'Etat à

l'échelle d'Olmos et aux yeux de la population, c'est la principale institution à conduire le

projet. Des institutions publiques de financement comme Agroideas ou semi-publique comme

Agrobanco, toutes deux à portée nationale, font également partie du projet. C'est bien le

secteur public qui se veut (ré)organisateur d'une activité agricole par ailleurs déjà organisée. A

travers ces institutions, l'objectif de rentabilité agricole par l'accès aux marchés d'exportation

est saillant : c'est lui qui permet d'avoir accès aux financements et à l'eau du projet. Derrière

ces associations de petits producteurs, la stratégie économique nationale domine.

La encore de nouveaux flux vont apparaitre, surtout liés à des perspectives internationales

avec la captation des capitaux de l'entreprise au sein des associations et la vente des bananes

sur les marchés mondiaux. De nouvelles relations sont susceptibles de se tisser entre

producteurs capteur et fournisseur de main d'œuvre au sein de la vallée et entre les

producteurs et entreprises du périmètre, relations que nous expliciterons en dernière partie du

mémoire.

59

III. La ville d'Olmos, un lieu de passage et de résidence pour les acteurs du

projet

Parmi les mutations du territoire que l'on peut attribuer au projet d'irrigation, la

perspective rurale a prévalu largement au fil des pages précédentes : il s'agit en effet d'abord

de la transformation de terres non-irriguées ou exploitées par une agriculture faiblement

créatrice de valeur ajoutée en zones destinées à l'agriculture capitalistique. Bien qu'une

distinction, moins territoriale que disciplinaire, soit faite entre espaces ruraux et espaces

urbains, ces derniers demeurent en permanence interdépendants et connectés, se superposant

même parfois. La ville d'Olmos, seul centre urbain relié à l'heure actuelle au projet par une

route carrossable aménagée par l'entreprise concessionnaire, voit de nouvelles dynamiques

émergées. Même s'il est difficile de distinguer les dynamiques liées directement au projet de

celles issues de la conjoncture économique du Nord côtier, on peut toutefois émettre quelques

hypothèses quant à l'impact du projet sur la ville et sa traduction en termes de politiques

publiques.

La ville d'Olmos est le cœur de l'activité économique du district. Principalement liées

à l'agriculture, ses activités sont essentiellement issues du secteur tertiaire.

D'abord, le commerce de produits agricoles : il est très facilement observable avec le marché

ouvert d'Olmos. Les produits tels que les épis de maïs, le manioc, les agrumes, les mangue ou

encore les bananes proviennent surtout de la vallée et sont vendus directement par les

producteurs. Tous les autres produits viennent du marché de grossistes de Chiclayo (marché

de Moshoqueque) et sont vendus par des détaillants, en majorité des femmes. Ce marché est

très actif : les commerçants sont présents tous les jours et le dimanche le nombre de

commerçants et de clients augmente considérablement.

La plupart des petites entreprises commerciales se développant à Olmos sont elles-aussi liées

au secteur agricole : de nombreux magasins (au minimum 5) de produits fertilisants,

phytosanitaires et de semences sont présents dans la ville et approvisionnent les petits et

moyens producteurs du district. Ces entreprises proposent en outre un suivi des cultures de

leurs clients. Leur personnel composés de techniciens et ingénieurs agronomes parcourent les

terres de la localité pour conseiller les agriculteurs et faire la promotion de leurs produits

chimiques.

Le dynamisme d'Olmos est également en grande partie lié à l'activité de transport. Les

productions de fruits de la passion et de citron de bonne qualité sont vendues à Lima. Une

dizaine de magasins de stockage situés tout au long de l'ancienne Panaméricaine stockent les

marchandises dans l'attente du passage des camions de 30 tonnes qui traversent

quotidiennement Olmos pour rejoindre la capitale Lima. Le maïs en grain, autre culture

principale de la vallée, est vendu aux moulins de Chiclayo. En outre, un axe de

communication relie directement Olmos à la ville de Jaén dans la région de Cajamarca. Cette

route est non-négligeable pour la ville d'Olmos qui devient ainsi un carrefour entre Piura,

Chiclayo et Jaén, notamment pour le commerce agricole.

60

Le reste des productions fruitières est destiné aux usines de transformation de la région, les

deux principales étant l'usine Quicornac (capitaux équatoriens) à Olmos et l'usine Agrobackus

(capitaux péruviens) à Motupe, dans la ville voisine. Une nouvelle usine d'emballage de fruits

(capitaux chiliens) vient par ailleurs d'être construite à Olmos. Mais l'industrie de la ville, au

regard des volumes et de la diversité des productions est largement insuffisante. Les

productions ne sont que peu mises en valeur et achetées à des prix dérisoires aux agriculteurs

en période de haute production. Les entrepreneurs individuels, orientés vers la production de

raisin, sont contraints d'envoyer leurs productions jusqu'à Trujillo : les volumes produits, qui

ne cessent de croitre, dépassent la capacité de toutes les usines réunies (Motupe, Sullana et

même Chiclayo). Ces exploitants, organisés en comité, pensent d'ailleurs construire leur

propre usine d'emballage à Olmos. Un de ces exploitants témoigne : "cette année l'emballage

du raisin fut une catastrophe. Les usines à proximité ont été submergées par les récoltes et

nous avons du transporter nos marchandises jusqu'à Trujillo. Ces heures de transport

supplémentaires ont dégradé nos produits et nous ont causé beaucoup de pertes. Aujourd'hui,

nous pensons construire notre propre usine, exclusivement destinée aux membres du comité".

Le dynamisme économique et commercial de Chiclayo exerce une forte attraction sur la

population d'Olmos. Bien que située à plus de 100 km de Chiclayo, certains comuneros

d'Olmos se rendent quotidiennement à la capitale du département. Trois entreprises de

transport se chargent d'effectuer le trajet aller-retour durant la journée. Le nombre de trajet

quotidien aurait d'ailleurs augmenté ces dernières années selon les témoignages des gérants

d'entreprises: "avant, c'était rare de faire la queue pour avoir une place dans le minibus,

aujourd'hui, en soirée après les heures de travail, il faut parfois attendre le passage de

plusieurs bus pour avoir une place".

Toutes ces activités sont difficilement attribuables au projet d'Olmos. Cependant, tous

les témoignages d'habitants de la ville convergent vers le même constat : "il y a plus de monde

à Olmos, les gens arrivent de partout pour trouver du travail avec le projet". D'ailleurs, de

toutes les activités économiques de la ville, celle qui a paru la plus stimulée ces dernières

années reste l'hôtellerie : le nombre de nouveaux hôtels et de chambres mises en location s'est

multiplié dans la ville. En témoigne la dizaine de pancartes présentant l'ensemble des hôtels

posées à l'entrée de la ville. Selon les hôteliers interrogés, une grande partie de leurs clients

travaille dans le projet d'Olmos : "Au lieu de vivre au campement prévu par le PEOT dans la

plaine, ils préfèrent venir vivre à Olmos, où il y a moins de poussière".

L'une des deux petites épiceries d'Olmos a entamé en janvier 2014 la construction d'un

supermarché (le premier de la ville) qui devrait ouvrir ses portes au mois de juillet de la même

année. Selon ses propriétaires, ce supermarché permettra de couvrir les besoins d'une

population croissante. Ils mentionnèrent même le projet d'Olmos : "le projet du PEOT et de

Odebrecht attire de plus en plus de monde et même des gens venant des villes. Ces personnes

ont des besoins de citadins comme justement la possibilité de faire ses courses dans un

supermarché et non dans un marché ouvert et très sale" (témoignage février 2014, Olmos).

61

Dans toute cette effervescence, la municipalité d'Olmos voit surtout les bénéfices

indirects liés au projet : la croissance démographique observée (malheureusement, aucun

recensement ne permet de la mesurer) et la création d'emploi en sont les principaux. Selon le

témoignage d'un ingénieur de la municipalité, la politique actuelle de la ville est d'encourager

la création de petite et moyenne entreprises dans les secteur de l'hôtellerie, de la restauration

et de l'industrie en octroyant des licences de construction et des autorisations de

fonctionnement depuis 2013. Pour la municipalité, la présence d'acteurs de l'agro-industrie à

proximité de la ville va générer de nombreux emplois ainsi qu'un processus d''industrialisation

à Olmos même. Il est d'ailleurs prévu la construction d'un nouvel institut de formation au

travail industriel au cours de cette année 2014 "pour que les étudiants ne soient plus obligés

d'aller à Chiclayo" (selon le témoignage de cet ingénieur).

Au cours de cette entrevue, l'augmentation de la valeur des terres d'Olmos a aussi été

mentionnée. Ce dernier point est à mettre en parallèle avec un phénomène nouveau issu d'une

initiative de la communauté paysanne. Profitant de la hausse des prix des terres communales

situées à proximité du projet, de nouvelles associations, constituées de centaines de membres

de la communauté, seraient devenues propriétaires de ces terres (avec détention d'un titre de

propriété privée). Ces terres, très éloignées de la ville, sont difficilement accessibles pour leur

nouveaux propriétaires, la plupart vivant dans les environs de la ville d'Olmos. L'objectif est

donc de vendre ces terres au plus offrant, investisseur ou entrepreneur agricole et de partager

la somme entre tous les membres.

Depuis son commencement, la communauté paysanne s'oppose à la réalisation du projet : ce

dernier impliquait la confiscation de terres communales ainsi que l'approvisionnement en eau

des entreprises au détriment des usagers d'Olmos. Mais de nouvelles stratégies ont ainsi vu le

jour, profitant des opportunités économiques créées par l'agro-industrie à proximité et par la

spéculation foncière.

Des relations existent entre le PEOT et la municipalité : c'est le maire qui convoqua

par exemple l'équipe de recherche Périmarge à une réunion avec le PEOT. Mais les politiques

publiques de la municipalité apparaissent relativement peu liées aux démarches du PEOT,

notamment pour l'élaboration ou la négociation des politiques. Leurs bureaux, pourtant situés

l'un en face de l'autre, ne sont pas le lieu d'échanges pour une clarification des rôles de chacun

en matière de développement agricole : la municipalité est par exemple à l'origine d'un projet

de développement de l'activité d'élevage par insémination artificielle en partenariat avec la

Chambre d'agriculture régionale. En parallèle, le PEOT conduit un projet d'agriculture

d'exportation et si ces deux projets ne se ressemblent pas, ils visent peut être les mêmes

bénéficiaires et devraient par conséquent faire l'objet de concertation. La municipalité,

échelon inférieur de l'Etat, est donc peu intégrée au projet. S'il est vrai que le périmètre irrigué

implique essentiellement des entreprises privées, peu liées aux interactions et dynamismes de

la vallée voisine, le projet mené par le PEOT concerne quant à lui directement les citoyens du

district.

Ce constat est d'autant plus marquant que l'Etat va peut être désigner la ville d'Olmos comme

4ème

capitale de province de la région derrière celle de Ferreñafe. Ce projet qui n'est pas

62

encore décidé permettrait à la municipalité d'Olmos d'obtenir des budgets plus conséquents

notamment pour le développement urbain. Mais ce sujet préoccupe certains membres d'ONG

de Chiclayo (CES Solidaridad et le CICAP) et même de la municipalité de Lambayeque : la

ville, impliquée dans le projet que de manière indirecte, n'est aujourd'hui pas en mesure de

soutenir un tel développement urbain. Le manque d'intégration de la part du PEOT, la

corruption et l'absence de volonté politique pour impulser un tel développement inquiètent :

un marché couvert, dont l'ouverture était initialement prévue pour 2011 est à l'abandon depuis

2010 pour des raisons de fraudes fiscales (La Republica, 23/12/2013), les petits bourgs situés

non loin d'Olmos n'ont pas encore tous accès à l'électricité et encore moins à l'eau.

Infrastructures, équipements et services restent inadaptés au développement industriel

(absence d'infrastructure de stockage et d'entrepôts, réseau routier non-goudronné, service

d'eau et d'assainissement ou de traitement des déchets inexistants,…) et à l'arrivée massive

d'entrepreneurs agricoles et de travailleurs qualifiés (service bancaire existant uniquement à

Chiclayo).

L'octroie de nouveaux financements, dans un contexte politique local corrompu et peu formé

à la gestion de grands budgets, n'est pas nécessairement source de développement. Comme le

souligne Bey (2010) au sujet de la gestion institutionnelle du Pérou, "en cas d'afflux de

ressources nouvelles […], les conflits stratégiques deviennent beaucoup plus aigus, les

inégalités s’accroissent et les accusations de clientélisme et de corruption prolifèrent au

niveau local […]".

Le PEOT, peu confiant dans la capacité de la ville d'Olmos de répondre aux besoins

des entreprises agro-industrielles a donc envisagé la construction d'un nouveau centre urbain

situé à proximité des terres nouvellement irriguées et directement rattaché à la Panaméricaine

par de nouvelles routes. Alors que la ville d'Olmos, en plein essor économique, est censée

devenir la 4ème

capitale de province du Lambayeque, qu'adviendra-t-il de ses opportunités de

développement avec la création d'une nouvelle ville, précisément adaptée aux nécessités de

l'agro-industrie et reliée à la principale route du pays ?

63

Partie 3. Des stratégies territoriales dirigées vers l'agriculture

capitalistique

Sous-jacentes à toutes ces transformations, l'Etat central et ses institutions

décentralisées organisent le territoire du Lambayeque en fonction de stratégies et logiques

bien spécifiques, qu'il s'agisse de l'aménagement des espaces internes au département ou des

espaces en interaction avec d'autres régions du Nord côtier. Les relations que l'Etat entretient

avec le secteur privé, très présent dans le contexte du projet d'Olmos, participent d'une

recomposition territoriale à travers l'émergence de nouvelles formes de solidarité et de

concurrence entre acteurs et entre espaces.

I. Une modernisation agricole stimulée par l'entrepreneuriat agricole

Nous l'avons vu, les politiques agricoles de la Côte encouragent le développement

d'une agriculture compétitive et orientée vers les marchés mondiaux. Ce parti pris des

pouvoirs publics fait émerger des relations profondes avec le secteur privé en premier lieu par

la signature du contrat de partenariat public-privé. Mais ces relations sont aussi observables à

l'échelle locale, lorsque l'on considère les deux principaux espaces d'étude, le périmètre

irrigué de la plaine d'Olmos et sa vallée.

1.1 Un espace conçu pour l'entreprise

C'est aux grandes plaines centrales des Etats-Unis que ce paysage est à terme

susceptible de ressembler : s'étendant à perte de vue, de grandes superficies vertes,

recouvertes d'un tapis végétal ordonné, sont censées remplacer les terres arides de la plaine.

Ce paysage est bien loin de la réalité des vallées irriguées d'Olmos. Conçues pour être

exploiter par les entreprises capitalistiques, les terres du périmètre correspondent parfaitement

à leurs attentes. Les superficies cultivables mises à disposition atteignent des dimensions que

nul autre acteur agricole ne serait en mesure d'exploiter. La taille de ces lots est appréciée des

entreprises qui peuvent, d'une part, produire des volumes conséquents à exporter et bénéficier

ainsi d'un retour rapide sur investissement et d'autre part réaliser des économies d'échelles.

L'ensemble des coûts liés à l'activité (machines agricoles, infrastructures de stockage,

transport, transformation et expédition) est rapidement amorti et le fonctionnement des usines,

en flux tendu, est optimisé. L'entreprise abaisse en conséquence ses coûts de production et

augmente sa marge économique.

De plus, les grandes surfaces planes telles que celles du périmètre rendent aisé le passage des

machines agricoles. L'espace disponible permet l'installation d'infrastructures de stockage,

d'entrepôts ou encore d'usines de transformation ou d'emballage à proximité des parcelles.

Concernant l'accès à l'eau, il est également destiné aux entreprises : des forages très profonds

et des systèmes d'irrigation de précision (goutte à goutte ou micro aspersion) qui nécessitent

des investissements conséquents et que seules les entreprises peuvent se procurer.

64

Cette caractéristique n'est par ailleurs pas la plus marquante puisque même les

entrepreneurs des vallées d'Olmos de taille moyenne utilisent ce type de système d'irrigation.

L'élément qui témoigne de la spécialisation de cet espace pour le secteur privé agricole est

plutôt le coût de l'eau du projet. Fixé par l'entreprise Odebrecht, le prix de l'eau est de

0,07$/m3. Le prix établi actuellement par l'assemblé d'usagers de l'eau des canaux à Olmos est

de 0,038$/m3 (0,014soles/m

3), soit près de la moitié du prix de l'eau prévu par le projet. A ce

prix là, la majorité des agriculteurs des vallées n'a pas les moyens financiers de se procurer

l'eau du projet, et cela sans compter les frais qu'implique l'installation d'un système

d'irrigation.

Un tel prix peut être compris de la façon suivante : issu des termes du contrat signé entre le

gouvernement régional et l'entreprise concessionnaire, ce prix correspond à une stratégie de

l'Etat pour attirer l'entreprise de construction qui vendra l'eau à la fin des travaux. Selon le

témoignage d'un ingénieur membre de l'ATA (entreprise de consultance du projet d'Olmos),

l'Etat a donc du garantir un prix de l'eau suffisamment élevé pour que soit rentable la

réalisation des travaux. Ce prix ne devait toutefois pas dépasser le prix de l'eau vendue au sein

des autres projets côtiers pour ne pas décourager les investissements des entreprises agro-

industrielles susceptibles d'acheter les lots du périmètre. Mais qui, à part ces entreprises, était

en capacité de payer un tel prix pour l'eau ? Sans la présence du secteur privé agro-industriel,

l'Etat se serait vu dans l'obligation de payer directement l'entreprise concessionnaire. Dans

notre cas de figure, la vente de l'eau et des lots fonciers doit suffire à rendre le projet rentable

pour Odebrecht. A travers ce contrat, les entreprises agricoles et leur capacité d'investissement

se sont rendues indispensables à la réalisation du projet.

C'est d'ailleurs une des principales raisons qui explique que l'aménagement hydrique

du projet soit adapté aux entreprises et très peu aux producteurs des vallées. L'accès à l'eau est

prioritaire pour le périmètre qui a droit à un débit de 14000m3/ha/an au contraire de la vallée

irriguée qui ne peut avoir accès qu'à 7000m3/ha/an.

Ce même ingénieur nous fait part de ses réflexions quant aux projets hydrauliques : "l'Etat fait

de grands projets mais propose un suivi minimum pour l'agriculture : il n'y a pas de plan

d'exploitation des ressources naturelles, pas de réelle assistance aux producteurs. Comme

l'agriculture est moins visible que les grands projets et plus compliquée à mettre en place sur

le long terme, les gouvernements régionaux ne s'y impliquent pas beaucoup. L'Etat n'oriente

pas les productions mais laisse le marché faire. Il fait un mauvais usage de l'eau et du

territoire."

Par ailleurs, des éléments du territoire n'ont pas été anticipés lors de l'élaboration du projet

entre l'Etat et Odebrecht. Comme nous l'expliquait un sociologue travaillant au PEOT, "la

priorité a été donné aux composantes économiques et d'ingénierie : comment réaliser les

travaux et avec quels fonds. Ce n'est qu'après qu'ils ont ajouté un volet social, en

compensation des petits producteurs lorsqu'ils se sont rendus compte des conflits sociaux que

pouvaient générer le projet." L'exemple du village situé sur le périmètre est frappant : le

PEOT n'a pris conscience de la présence du village qu'en 2006 au commencement des

travaux. Pour cette raison, il a engagé un sociologue chargé de gérer le déplacement de la

65

population. Le projet de la vallée d'Olmos est d'abord considéré comme une compensation et

non comme un aménagement intégré et mis au point depuis le début par le projet. Le

partenariat public-privé n'a pas pris en compte les aménagements au sein des vallées d'Olmos,

se concentrant davantage sur les travaux menant l'eau jusqu'au périmètre.

Contrairement au projet d'associativité destiné aux petits producteurs d'Olmos, la

construction de la nouvelle ville située à proximité du périmètre a fait l'objet d'une étude

réalisée par Geografía Urbana, un bureau d'étude colombien, financée par la CAF (Banque de

développement d'Amérique Latine) et sur laquelle se base le PEOT pour élaborer le Plan de

Développement urbain. Ce plan est destiné à orienter le développement urbain des villes de

20000 à 500000 habitants (Rapport final de Geografía urbana, chapitre 4, 2013). Cette

nouvelle ville, prévue pour accueillir environ 80000 habitants, est conçue pour loger

l'ensemble des travailleurs qualifiés et non-qualifiés susceptibles de s'installer à proximité du

périmètre irrigué. De 2014 à 2012, trois étapes de développement urbain sont prévues : la

première (de 2014 à 2016) correspond à l'arrivée des travailleurs directs (essentiellement de la

main d'œuvre) ainsi qu'à la construction des premières zones d'habitation, des équipements et

services urbains (eau, électricité, commerce,…) et des lieux publics. La seconde étape (de

2016 à 2021) prévoie l'arrivée des travailleurs indirects et des premières familles ainsi que la

construction d'unités productives adaptées aux besoins du marché et d'un réseau routier qui

puisse assurer une mobilité régionale. Au cours de la dernière étape, les voies de

communication ainsi que les équipements commerciaux et résidentiels sont achevés. Toutes

les familles ont emménagées dans la nouvelle ville et l'accroissement naturel de la population

doit débuter.

Le rapport du bureau d'étude ne fait pas mention du coût que représenterait l'installation d'une

famille de travailleurs agricoles dans cette ville. Au vu de la qualité des équipements prévus

par le PEOT, on peut toutefois s'interroger sur la capacité des ouvriers agricoles à se procurer

un tel niveau de vie. On ne peut encore prévoir si le PEOT suivra le plan de développement

élaboré par ce bureau d'étude et les étapes mentionnées ci-dessus. Mais pour les membres du

PEOT interrogés, il ne fait aucun doute que cette ville accueillerait l'ensemble des catégories

sociales de travailleurs, de l'ouvrier jusqu'au dirigeant d'entreprise. Equipée de tous les

équipements nécessaires à un développement industriel (aéroport, autoroutes, industries,

commerce), la ville est censée répondre aux besoins des entreprises, que ce soit en termes de

services administratifs (banque,…), industriels (usine de transformation, d'emballage) et de

transport (aéroport, autoroute).

66

Image 1 : Conception de la nouvelle ville selon Geografía urbana

Source : Geografía urbana, Bogota, 2013

L'ensemble du territoire en construction autour du périmètre irrigué parait être adapté à

un développement agro-industriel et commercial soutenu par l'entrepreneuriat agricole. Cette

position des pouvoirs publics quant au développement des zones de plaine du Lambayeque

renvoie à la stratégie néolibérale des années 1990 qui, selon Eguren (2004), s'appuyait sur

l'élite entrepreneuriale pour moderniser l'agriculture de la Côte. Le projet d'Olmos n'est pas le

seul à illustrer cette stratégie. Marshall (2009) s'est employée à décrire les logiques

territoriales du projet étatique Chavimochic situé dans la vallée de Virú (La Libertad). Au

même titre qu'Olmos, ce projet permit l'extension de zones agricoles au niveau des plaines de

la région. Le développement des entreprises agro-industrielles dans le périmètre irrigué créé

par le projet illustre encore une fois la stratégie de l'Etat d'encourager une certaine catégorie

de producteurs. Ses travaux participent à démontrer que les logiques de l'Etat en matière de

développement agricole ne se limitent pas à la région Lambayeque, qu'elles touchent plusieurs

régions côtières et ce, même une vingtaine d'années après les premières expressions de la

libéralisation généralisée des facteurs de production.

Ce type de "modernisation agricole" préconisée par l'Etat profite même de l'émergence de

nouvelles relations entre entreprises et exploitations de tailles inférieures pour accroitre ses

aires d'influence.

67

1.2 Des relations contractuelles complexifiées entre agriculteurs et

entreprises

A Olmos, les relations entre grands et petits producteurs se sont d'abord limitées aux

rapports de travail, les plus grands exploitant la force de travail des plus petits producteurs ou

des éleveurs12

qui devenaient temporairement ouvriers agricoles. Cette relation plutôt

verticale entre ces deux types d'acteurs s'est complexifiée dans les années 2000 avec l'arrivée

d'entreprises dans les vallées irriguées d'Olmos et de Cascajal.

Comme dit précédemment, la majorité des terres des vallées irrigués s'est retrouvée sous le

statut de propriété privée après la campagne de titrage du PETT au milieu des années 1990 . Il

était donc difficile pour ces entreprises à la recherche de grandes surfaces cultivables de

s'établir dans les vallées irriguées. Ces entreprises, en quête d'espace libre, ont dû élaborer

d'autres stratégies pour pouvoir produire dans les vallées. Certaines ont donc passé des

contrats de production ou de location avec les producteurs d'Olmos, grands et petits. C'est

surtout autour de la culture de piment que s'établirent les contrats. Entreprises et grands

producteurs se mettaient d'accord pour la mise en culture d'une superficie donnée de piment et

l'entreprise fournissait semences, intrants chimiques et suivi technique. Le producteur se

chargeait d'administrer sa parcelle et vendait sa production à l'entreprise qui s'occupait de

transformer et d'exporter les produits finis.

Ce type de relation fut moins aisé à établir avec de petits producteurs : leur trésorerie est plus

limitée alors que la culture du piment nécessite de lourds investissements et un suivi très

rigoureux de par sa fragilité et sa sensibilité aux pathogènes. C'est une culture risquée -

potentielle perte de la production et rendement bas, fluctuation des prix, coûts de production

élevés, entrée d'argent peu répartie dans le temps contrairement aux productions cultivées

habituellement à Olmos comme le citron ou le fruit de la passion dont les récoltes s'étalent sur

plusieurs mois - et elle attire plutôt les grands producteurs ou entrepreneurs agricoles. Les

entreprises ont donc développé des relations de location foncière avec les petits producteurs

au lieu de les charger directement d'une campagne. Dans ce cas, c'est l'entreprise elle-même

qui administre le champs et verse un loyer correspondant au cycle de culture du piment (6 à 7

mois environ selon la variété et le temps de séchage).

Ces relations entre producteurs sont horizontales et contractuelles. Encore d'actualité

aujourd'hui, elles sont susceptibles de s'intensifier avec l'arrivée des entreprises du périmètre

et la modernisation agricole prévue dans la vallée d'Olmos.

On peut à ce titre envisager deux phénomènes :

Selon les objectifs du PEOT, les producteurs de la vallée d'Olmos sont en train de

s'organiser en association de manière à orienter leur choix cultural vers les produits

12

A Olmos, selon le diagnostic agraire réalisé en 2013, on considère que les grands producteurs possèdent une

superficie supérieure à 50ha, les producteurs de taille moyenne entre 10 et 50ha et les petits ont une surface

inférieure à 10ha. Les éleveurs quant à eux n'ont pas de terre mais utilisent les espaces communaux pour faire

paître leurs troupeaux (AUQUIER, 2013).

68

recherchés par les entreprises. De nouvelles alliances vont donc se faire. Aujourd'hui,

le choix de la banane organique semble s'imposer avec une entreprise de la région de

Piura. Les opportunités de vente des producteurs associés de la vallée, concentrées

actuellement à Chiclayo et à Lima, vont potentiellement se diversifier et atteindre

d'autres régions, qui jusqu'à maintenant n'avait pas servi à écouler les productions.

Par ailleurs, si aucun partenariat ne s'est encore établi entre entreprises du périmètre

irrigué et producteurs des vallées, ce n'est pas parce qu'elles ne l'ont pas proposé mais

parce que le PEOT n'a pas jugé bon de répondre positivement à leur demande. En

effet, selon le témoignage d'un de ses membres, une des entreprises aurait "passé la

commande" de 3000ha de canne à sucre. Mais les exigences en eau que requiert cette

culture ont contraint le PEOT à refuser la proposition et à préférer une culture plus

adaptée aux conditions climatiques et à la trésorerie des producteurs (la culture de la

banane nécessite peu d'investissements : pas de semence à racheter, peu d'intrants

chimiques car issue de l'agriculture biologique, besoins hydriques relativement faibles,

peu de travail car l'ombrage des plants limite la pousse des adventices, etc).

Même si à l'heure actuelle aucun contrat n'est d'actualité, des alliances peuvent être

envisagées entre les acteurs de ces deux espaces de production.

A travers ces interactions, on assiste à la transformation progressive des systèmes de

production de la vallée : de la production (culture sélectionnée, itinéraire technique, main

d'œuvre extérieure au système familial), en passant par le client (de nature entrepreneuriale et

non plus seulement localisé entre Chiclayo et Lima, prix d'achat) et jusqu'à la destination

finale du produit (marché d'exportation, exigences, qualité des productions).

En outre, un autre modèle se verrait substituer au modèle vertical de domination des

entreprises par l'emploi. Les entreprises, si elles gardent le contrôle de la majeure partie de la

production, s'insèrent toutefois différemment dans le territoire à travers les nouvelles relations

horizontales qu'elles entretiennent avec les autres acteurs de la production. Les producteurs ne

sont ainsi plus seulement fournisseurs de main d'œuvre pour ces entreprises mais également

des acteurs productifs, capables de garder le contrôle sur leur espace de production et qui,

organisés entre eux, peuvent acquérir plus de poids dans les décisions. L'entreprise crée de la

demande et un marché qui, s'il est stable, peut s'avérer rémunérateur pour les petits

producteurs.

Ce modèle, basé sur le développement d'une petite agriculture entrainée par les

besoins de l'entrepreneuriat agricole, est encouragé par le PEOT. C'est d'ailleurs l'institution

qui rechercha une entreprise d'export comme débouché commercial pour écouler les

productions de la vallée. L'Etat place donc l'entreprise au cœur de ses stratégies de

développement agricole et inscrit de ce fait les petits producteurs dans l'agriculture

mondialisée. Si elle génère parfois de grandes opportunités, elle est également à l'origine

d'aléas commerciaux, "le gain étant (rappelons-le), proportionnel au risque" (CHALEARD et

MESCLIER, 2004). La nécessité de ne pas uniquement dépendre d'un produit sensible aux

fluctuation du marché reste primordiale pour ces producteurs.

69

Cet aspect des stratégies des petits producteurs (la diversification agricole) n'est pas étrangère

au PEOT. En effet, pour les producteurs associés, la culture de produits vivriers,

autoconsommés ou vendus sur le marché local ou national est autorisée et n'est pas limitée, les

membres du PEOT ayant conscience de la nécessité de produire des cultures moins risquées et

générant de petits revenus pour financer les campagnes suivantes (témoignages). Selon un de

ses membres, "le marché national peut constituer une demande intéressante, d'autant plus

que les producteurs ont les connaissances pour ces cultures vendues sur nos marchés. Ça leur

permet en plus d'avoir de petites et régulières entrées d'argent, ce qui n'est pas négligeable.

Enfin, il ne faut pas oublier que l'eau est rare et que le PEOT doit promouvoir des produits de

moindre consommation d'eau".

Il semblerait que le PEOT soit à la recherche de filières nationales en vue d'écouler les

productions de maïs pour lequel la demande est stable et qui consomme relativement peu

d'eau en comparaison des cultures d'exportation comme le raisin. Une nuance peut donc être

apportée à sa stratégie de développement agricole. Bien que la plupart de ses projets soit

orientée vers l'exportation, certains besoins des petits producteurs sont pris compte et ce,

notamment par la Direction de production Olmos (3ème

branche dans l'organisation

institutionnelle du PEOT). Ces ingénieurs et techniciens, plus proches des producteurs que les

autres, sont confrontés directement aux réalités locales et aux revendications des producteurs

engagés dans les associations.

II. La création de nouvelles concurrences et solidarités

Cette présente étude s'est pour l'instant portée sur les transformations territoriales de

deux espaces localisés, le périmètre et la vallée. Bien qu'abordé au travers des flux que

pourraient générer les nouvelles entreprises du périmètre, l'échelle régionale du Lambayeque

et celle du Nord Côtier n'ont été que peu considérées. Les enjeux que représente le projet

d'Olmos ne se limitent pourtant pas à l'échelle locale. C'est le rôle du gouvernement régional

de Lambayeque que d'envisager les différentes formes d'intégration territoriale dont le projet

d'Olmos va faire l'objet et des mutations régionales dont il va être à l'origine.

2.1 Une nouvelle zone de production : concurrence ou équilibrage à

l'échelle régionale ?

Comme nous l'avons déjà évoqué, le sud du Lambayeque est la région la plus

dynamique du département, avec la ville de Chiclayo comme cœur commercial et

administratif et ses vallées qui bénéficient d'un approvisionnement hydrique permanent,

régulé par le réservoir de Tinajones. Les données récoltées par l'INEI permettent de composer

un panorama agraire par département, province et district mais sont relativement peu adaptées

pour décrire le système agraire de la vallée de Chancay-Lambayeque. Nous nous basons donc

sur d'autres sources pour estimer brièvement les surfaces cultivées de ces vallées. Selon le

Gouvernement Régional de Lambayeque, qui tira ces données de l'INRENA, les intentions de

semis en 2011 à Chancay-Lambayeque se répartissent comme suit :

70

Tableau 6 : Surfaces cultivées en ha

Culture Surface (en ha)

Canne à sucre 28930

Riz 26478

Coton 2948

Maïs dur 5781

Haricot 1277

Source : Plan de Développement concerté de la province de Lambayeque, 2011-2021

À ces informations, le Gouvernement régional ajoute que la réalité en termes de surfaces

destinées à la culture du riz est bien différente des chiffres donnés par l'INRENA, la culture

de riz dépassant aisément les 40000ha à Chancay. Cette distinction entre les intentions de

semis et la réalité cultivée est intéressante. Comme nous l'explique le Directeur de la Chambre

d'Agriculture de Lambayeque interrogé lors de notre étude, il existe un quota correspondant à

la surface maximale autorisée à être cultivée dans la vallée afin de ne pas épuiser les

ressources hydriques du réservoir Tinajones. Les riziculteurs affirment cultiver une surface

autorisée lors des recensements régionaux mais en réalité, font une demande supérieure

auprès de l'Assemblée d'usagers qui ne tient pas toujours compte des quotas réglementaires.

Rejoignant ces propos, un géographe de l'association CES Solidaridad témoigne que le

réservoir est initialement prévu pour l'irrigation de 15000ha mais qu'avec la pression des

riziculteurs, les superficies cultivées atteignent jusqu'à 50000ha avec un grand nombre de

cultures informelles, des vols d'eau et un processus de salinisation estimé par ce dernier à

30%.

D'après ce géographe, les vallées de Chancay constituent toutefois le plus grand bassin

de production de la région, produisant presque à lui seul la majorité des volumes de canne à

sucre et de riz produit dans la région (Plan de Développement Concerté du Gouvernement

Régional de Lambayeque). Cette information est confirmée par le tableau 3 élaboré à partir de

données de l'INEI du recensement de 2012. La canne à sucre représente un total de 35710ha à

l'échelle du Lambayeque, soit 81% de la surface cultivée à Chancay. Pour le riz, les données

de l'INEI indiquent que seulement 9759ha étaient cultivés en 2012, ce qui parait bien peu

comparé aux autres sources et aux témoignages. Cette dissymétrie d'information peut être due

aux différentes temporalités de recensement, la durée d'une campagne de riz étant de 4 mois,

le recensement de l'INEI n'a peut être pas pris en compte une partie des cultures, l'autre ayant

déjà été récoltée ou prochainement semée.

Selon le Plan de développement concerté du Gouvernement Régional de Lambayeque,

la majorité de la production de Chancay est destiné au marché intérieur, notamment pour le

riz qui approvisionne les marchés urbains du Pérou. Selon l'INEI (2012), les surfaces de riz

sont presque exclusivement destinées au marché intérieur (5ha sur 9759ha étant destinés à

l'agro-industrie et aucun à l'export direct). La canne à sucre n'est pas exportée directement

mais destinée à l'agro-industrie selon les proportions données par le tableau suivant :

71

Tableau 7: Destination de la canne à sucre (en ha)

Marché

national

Marché

d'exportation

Agro-

industrie Total

Proportion

marché

national

Proportion

agro-

industrie

Canne à sucre

(alcool) 1886 0 1566 3452 55% 45%

Canne à sucre

(sucre) 12250 0 3477 15727 78% 22%

Fruit 288 0 29 317 91% 9%

Source : INEI, 2012. Elaboration Célia Auquier

Malheureusement, la dénomination "Agro-industrie" ne renseigne pas la destination finale du

produit fini. On remarque néanmoins que la canne à sucre n'est jamais directement destinée

aux marchés d'exportation. Le maïs et le coton sont, toujours d'après l'INEI, totalement

destinés aux marchés intérieurs. Le bassin de production de Chancay joue donc un rôle

primordial pour l'approvisionnement du marché national mais relativement négligeable sur les

marchés mondiaux (excepté peut être pour la canne à sucre destinée à produire de l'alcool si

tant est que l'agro-industrie exporte ses produits finis).

En comparaison, le périmètre irrigué d'Olmos apparait globalement différent de celui

de Chancay. Les acteurs de la production sont exclusivement des entreprises cultivant de

grandes superficies alors que nous avions démontré la prépondérance des petites exploitations

dans la région Lambayeque. Les prévisions quant aux produits cultivés, exceptée la canne à

sucre, sont différentes des productions habituelles de Chancay (il n'est fait état ni de culture de

maïs, ni de riz, ni de coton). En outre, selon plusieurs témoignages dont un ingénieur

travaillant au sein d'une des entreprises du périmètre, les productions devraient en majorité

être orientées vers les marchés mondiaux. Et même si dans certains cas, on peut supposer

qu'elles alimentent les marchés nationaux, elles bénéficieraient de valeurs ajoutées élevées

grâce à la présence d'un secteur industriel développé. Le développement routier prévu entre la

nouvelle ville et ses deux villes voisines, Chiclayo et Piura, participerait également à la mise

en valeur du périmètre irrigué en facilitant le déplacement des marchandises et la mobilité des

personnes.

La grande taille des surfaces cultivées va en outre attirer un grand nombre de

travailleurs originaires des régions alentours (plusieurs dizaines de milliers selon les

estimations faites pour la création de la nouvelle ville par Geografía urbana). Nous ne sommes

pas en mesure de prévoir d'où viendront précisément les ouvriers agricoles. Le PEOT suppose

que la majorité des travailleurs vienne des régions andines. Selon des témoignages, il est plus

probable que ces ouvriers soient des paysans sans terre plutôt que de petits producteurs, ces

derniers privilégiant encore la culture de leurs parcelles au travail rémunéré. Cette remarque

peut toutefois être remise en question à l'heure où la rémunération du travail salarial est en

pleine évolution. A Olmos, selon un chef d'exploitation, un ouvrier agricole était rémunéré en

monnaie constante 7,87 soles/journée de travail (8heures) en 2005 (soit 2,77$). En 2008, le

72

salaire passe à 14,2 soles/jour (4,99$) puis à 19,7 soles/jour en 2010 (6,92$). En 2014, la

journée de travail est actuellement rémunérée à 24,1 soles (8,47$) (AUQUIER, 2013). Si à

l'heure actuelle, les agriculteurs préfèrent encore pratiquer une ou deux campagnes annuelles

au travail salarial, ce rapport peut s'inverser avec l'augmentation progressive du salaire. Si la

rémunération journalière d'un ouvrier agricole venait à dépasser la rémunération journalière

d'un producteur, on peut supposer qu'une partie de la population agricole changerait d'activité.

Les producteurs locaux d'Olmos et plus généralement du reste du département seront-ils

concernés par cette évolution ? Préféreront-ils aller travailler comme ouvriers agricoles plutôt

que cultiver leurs terres ? Cette question reste en suspens dans la mesure où nous ne

connaissons pas l'évolution de la rémunération salariale ni les perspectives de développement

à venir pour les producteurs d'Olmos associés au projet.

Le nouveau pôle agro-industriel prévu dans la plaine d'Olmos risque bien de modifier

l'organisation du territoire à l'échelle du département. Si aujourd'hui le gros de l'activité

agricole (en termes de volumes produits, de surfaces cultivées et de travailleurs) se concentre

à Chancay, demain, il risque d'être transféré à Olmos. Selon le géographe interrogé, on

assisterait au déplacement du centre du département du sud au nord : "les entreprises sont des

pôles d'attraction de personnes, de biens, de capitaux et de connaissance et la vallée de

Chancay, à l'agonie avec son usage irrationnel de l'eau (problème de salinisation, corruption

et clientélisme, conflits autour de la distribution de la ressource) et le manque de valeur

ajoutée à ses productions ne fera pas le poids".

D'autres opinions concernant le développement territorial de la région voit le projet sous un

autre jour : d'après un membre du PEOT, il ne s'agit de concurrence entre Olmos et Chancay

mais d'un rééquilibrage : "Je ne considère pas le projet d'Olmos comme une menace pour le

développement de Chancay. La région Lambayeque n'est pas équilibrée puisque son activité

se concentre au sud grâce à la présence de Chiclayo. Olmos permettrait de rééquilibrer le

nord et le sud avec une meilleure répartition spatiale du travail, de la production agricole,

des services…".

Ces deux versions quant à l'organisation territoriale sont toutes deux valables et dépendront,

entre autres, de la capacité des institutions à réguler l'activité agro-industrielle pour éviter

qu'elle ne se concentre sur l'espace proche du périmètre au détriment du développement des

autres bassins de production (Chancay ou les autres vallées). Si l'ensemble des politiques

d'aménagement du territoire sont nécessaires à cet équilibrage, c'est notamment au travers des

choix politiques relatifs aux réseaux de centres urbains et de transport que l'on peut, dans

notre cas, étudier la stratégie de l'Etat. En effet, dans le projet d'Olmos, outre la nouvelle ville

qui entrera potentiellement en interaction avec les villes existantes, le PEOT a également

prévu la construction de routes constituant un réseau stratégique pour la mise en valeur de

certains espaces.

73

2.2 Les villes du Nord : des pôles d'attraction qui se distinguent par leurs

fonctions

Actuellement, deux routes goudronnées et en bonne état relient Chiclayo à Piura :

l'ancienne Panaméricaine passant par Olmos et la nouvelle, plus directe longeant le littoral.

Avec l'actuel réseau routier, la nouvelle ville du périmètre ne serait reliée qu'à la ville d'Olmos

et nécessiterait d'emprunter l'ancienne Panaméricaine pour atteindre Chiclayo par le sud ou

Piura par le nord. Bien que cette route soit en bonne état, elle est plutôt étroite et traverse de

nombreuses petites villes au sein desquelles le trafic devient rapidement dense, lieu de

passage des nombreux transports en commun et des camions de marchandise. En l'état actuel

des choses, l'accès au périmètre se fait donc uniquement par Olmos et le réseau de villes qui

borde la route. Mais, selon le PEOT, le pôle agro-industriel qu'est censé devenir le périmètre

irrigué pourra difficilement se contenter d'un tel accès aux zones urbaines et au littoral. Le

PEOT a donc fait appel au bureau d'étude Geografía Urbana pour imaginer différents moyens

de mise en valeur du territoire. Dans son rapport datant de 2013, il a imaginé trois scenarii de

croissance et d'évolution du réseau urbain, chacun donnant un rôle différent aux villes du

Nord, villes principales comme Chiclayo et Piura ou secondaire, comme Olmos et les autres

villes des vallées.

Les trois cartes suivantes illustrent ces scenarii :

1) Scenario tendanciel : il prévoit la façon dont évoluerait le territoire sans aucune

intervention de l'Etat. Selon Geografía Urbana, la venue d'un nombre important de travailleurs

conduit à l'accroissement démographique dans les bourgs existants et la création de nouvelles

zones d'habitations à proximité du périmètre. Ces derniers ne constituent toutefois pas des

centres urbains à part entière par manque de service, d'infrastructure et d'équipement car l'Etat

n'investit pas dans leur développement urbain. Les entreprises du périmètre se doteraient des

services en eau, en électricité et de transport, indépendamment de l'aide publique. Dans ce

scenario, les investissements privés sont importants car les services ne sont pas mutualisés par

l'Etat.

Sous l'influence du projet, les petites villes le long de l'ancienne Panaméricaine par lesquelles

traverse les marchandises se développent beaucoup et de manière désordonnée, sans toutefois

répondre aux besoins des habitants.

74

Carte 10: Représentation cartographique du scénario tendanciel

Source : Geografía urbana, Chapitre 1, 2013

D'après ce scenario, il y a une disproportion entre la croissance démographique et les

équipements des villes, qu'il s'agisse d'Olmos ou des autres villes. Geografía urbana note une

grande disparité entre la localisation de la population et celle des services publiques. Il en

résulte un risque d'émergence de conflit concernant l'accès aux services entre les entreprises et

la population.

2) Scenario concentré : il s'agit du développement de nouveaux centres urbains. L'action de

l'Etat induit un développement particulièrement concentré autour d'une ou deux villes à partir

de leur équipement en infrastructure et services publics.

Dans ce scenario, il est prévu que les nouvelle ville voisines au périmètre se renforcent au

même titre que la ville d'Olmos et, en proportion réduite, de Chiclayo et de Piura. Les villes

nouvelles attirent les travailleurs au détriment des villes existantes le long de l'ancienne

Panaméricaine qui voient leur dynamisme s'affaiblir peu à peu.

Au même titre que le premier scénario, une ceinture de pauvreté se révèle dans les bourgs au

sein desquels se développent les activités non-désirées dans les nouvelles villes.

75

Carte 11 : Représentation cartographique du scénario concentré

Source : Geografía urbana, 2012

A long terme, la nouvelle ville fait figure de contrepoids institutionnel vis-à-vis d'Olmos qui

perd progressivement son rôle de capital de district.

3) Scenario dispersé : l'Etat intervient de manière réduite pour l'équipement régional et les

rôles de Chiclayo et de Piura se renforcent à l'échelle du Nord Côtier.

Ces deux villes se disputent la localisation des infrastructures pour faire un usage idéal des

produits cultivés du projet (port, centre de services, industrie). Ce scenario renforce le

développement régional et l'infrastructure qui relie les trois villes de Chiclayo, Piura et

Olmos. Le rôle d'Olmos se consolide et la création des bourgs alentours est limitée, les

travailleurs étant d'abord attirés par les villes proposant services publics et équipements. Les

relations entre l'Etat et les investisseurs du périmètre se dégradent progressivement, à mesure

que s'affaiblissent les investissements publics pour l'aménagement du territoire dans la zone.

76

Carte 12 : Représentation cartographique du scénario dispersé

Source : Geografía urbana, 2012

D'après le bureau d'étude, le dernier scenario génère le plus de développement à l'échelle de la

région en s'appuyant sur les villes existantes. Ce scenario correspond à la relation coût-

bénéfice la plus élevée. Selon Geografía urbana les décideurs devraient donc porter davantage

leur attention sur ce dernier scenario. Pourtant, d'après le témoignages des membres du PEOT,

c'est le second scenario qui a été sélectionné, avec la création d'une nouvelle ville comme

centre d'activité. Le dernier scenario est considéré comme complémentaire au second, de

manière à ne pas délaisser la ville d'Olmos au détriment de la nouvelle.

Selon le second scenario, les villes de Piura et de Chiclayo ne sont que secondairement

renforcées, derrière le dynamisme de la nouvelle ville. Toutefois, elles restent les deux seuls

moyens d'accéder au littoral pour la transport maritime. S'il est probable qu'elles n'engagent

pas une course à l'équipement (déjà prévu par la nouvelle ville), elles pourront par contre être

en concurrence pour constituer le lieu de passage vers la mer et les marchés mondiaux. Mais

ces deux villes ne proposent pas les mêmes services et Piura détient une longueur d'avance sur

Chiclayo. Le port industriel de Paita, bien que relativement petit, va probablement attirer

l'ensemble des marchandises produites sur le périmètre. Chiclayo quant à elle ne possède pas

d'infrastructure portuaire. A ce sujet, il est intéressant de constater que le gouvernement

régional de Piura prévoie une amélioration des infrastructures de Paita (augmentation de sa

profondeur, élargissement,…) et celui de Chiclayo est en train d'élaborer une proposition de

77

financement pour la création d'un port. Mais les eaux peu profondes de sa côte littorale ne

facilite pas la réalisation de ce projet.

Néanmoins, la situation en défaveur de Chiclayo est encore contestable. Celle ville demeure la

plaque tournante commerciale du nord du Pérou, carrefour entre Jaen et Cajamarca à l'est,

Trujillo au sud et Piura au nord. Son rôle administratif et résidentiel reste prégnant et

dépendra notamment de la capacité de la nouvelle ville à accueillir des classes sociales

dirigeantes, qui, si elles n'accèdent pas aux services désirés, privilégieront Chiclayo, selon le

témoignage d'un membre du Gouvernement régional de Lambayeque.

Ce premier niveau de concurrence entre deux centres urbains provient de

l'organisation territoriale du Nord côtier mais ne résulte pas directement des décisions

d'aménagement du PEOT. Un autre phénomène de concurrence est à considérer, celui-ci

mettant plus nettement en jeu l'institution régionale : par la construction des routes qu'a prévu

le PEOT, la ville d'Olmos ne sera plus le lieu de passage entre Chiclayo et le périmètre. Les

marchandises échangées, les travailleurs et les habitants de la nouvelle ville passeront

probablement par les voies qui proposent un accès direct et rapide au périmètre, sans plus

passer par l'ancienne Panaméricaine, considérée par le PEOT comme trop étroite et inadaptée

à l'utilisation du périmètre. La croissance d'Olmos risque donc de s'amenuiser, d'autant plus

que le PEOT ne considère pas la ville comme le lieu stratégique d'un développement

industriel et commercial mais plutôt comme une ville historique, mise en valeur par le

tourisme. Bien que ce soit une source de développement non-négligeable pour le département

de Lambayeque (plus de 500000 touristes nationaux et étrangers en 2010 selon la Direction

régionale du commerce et du tourisme de Lambayeque), la ville d'Olmos n'est actuellement

d'aucun attrait touristique et base son dynamisme économique sur d'autres activités,

précédemment mentionnées. Si le PEOT entend développer le tourisme à Olmos, les positions

de la municipalité et des villageois risquent d'être différentes.

D'autre part et bien que ne l'aie pas mentionné Geografía urbana, la ville de Mórrope,

située au carrefour entre la nouvelle Panaméricaine et la nouvelle route prévue par le PEOT,

va probablement devenir un lieu de passage important entre Chiclayo et le périmètre. De par

sa localisation géographique favorable, cette ville va bénéficier d'une croissance importante,

remplaçant le rôle qu'Olmos est encore en train de jouer aujourd'hui alors que la construction

des infrastructures hydrauliques est sur le point de s'achever. Mais le jour où la nouvelle route

sera mise à disposition des usagers, Olmos risque bien de voir son importance décroitre au

profit de Mórrope. Cet aspect fut notamment souligné par un membre du Gouvernement

régional : "Il est certain que la ville d'Olmos est en expansion grâce aux travaux du projet.

Mais le risque est que l'organisation du périmètre, avec la nouvelle ville notamment, fasse

passer d'autres territoires, mieux organisés, avant Olmos. Par exemple, Mórrope est mieux

située et va probablement connaitre une croissance plus durable qu'Olmos."

Olmos reste toutefois un carrefour important situé sur l'axe Jaén - Piura qu'aucune autre ville

ne pourrait, pour l'heure, remplacer.

78

La carte suivant illustre les hypothèses que nous avons formulées quant à l'émergence de

concurrence entre les bassins versants ou les villes du Nord côtier. Sur cette carte, sont

représentés les potentiels flux générés ainsi que les centres urbains en compétition pour la

captation des ressources.

Carte 13 : Ensemble des flux générés par le projet d'Olmos

Source : Gouvernement régional de Lambayeque, OSM, Nasa Earth Data. Elaboration Célia Auquier

Les nouvelles routes et villes prévues sont le résultat d'une conception du territoire

basée sur une rentabilité maximale des entreprises agro-industrielles. Au lieu de développer

l'industrie des villes existantes, le PEOT a choisi de créer une toute nouvelle ville située le

plus près possible des espaces cultivés de manière à profiter pleinement aux acteurs du

périmètre. Le développement industriel des villes alentours fait pourtant défaut comme en

témoignent d'une part les phénomènes de surproduction réguliers (fruit de la passion, citron,

mangue) qui, en faisant chuter les prix de vente, découragent les producteurs et d'autre part les

besoins croissants des entrepreneurs agricoles qui doivent parfois aller jusqu'à Trujillo pour

faire emballer leur raisin (AUQUIER, 2013). Ces problèmes récurrents d'écoulement des

productions mettent en valeur les déficiences des filières fruitières notamment dans le

79

Lambayeque. Le secteur industriel est un sujet qui semble concerner davantage les habitants

d'Olmos que le développement touristique de la ville.

D'autres témoignages extérieurs au bureau d'étude ont par ailleurs évoqué leur préoccupations

quant au développement d'une ceinture de pauvreté générée par l'éruption spontanée de

bourgs composés des travailleurs de catégorie sociale basse. Le coût de la vie au sein de la

nouvelle ville ne permettra peut être pas à ces travailleurs d'accéder aux habitations prévues.

Les investissements publics, qui se concentrent sur la nouvelle ville, n'auront aucun effet sur

ces bourgs, lieu de concentration de la pauvreté rurale. Le choix du PEOT de concentrer les

ressources publiques sur certains lieux particuliers fait naître des concurrences entre les

différents espaces du territoire : entre les villes, entre les bassins de production et entre les

acteurs agricoles.

Le projet est également à l'origine d'un autre niveau de concurrence que nous avons encore

peu mentionné jusqu'ici : la concurrence pour les ressources, en particulier pour l'eau car bien

que le projet soit dédié à l'irrigation, la concurrence pour l'accès à l'eau subsiste, et dans

certain cas, s'accentue.

2.3 La main mise de l'entrepreneuriat agricole sur la ressource en eau

La ressource hydrique à Olmos est disponible sous trois formes différentes : l'eau de

surface, apportée par les cours d'eau prenant leur source dans les Andes et reliés aux parcelles

par un système de canaux. L'eau de pluie, ressource directement utilisable mais très

irrégulière (cf grahique 2). Et enfin, l'eau du sous-sol qui nécessite la présence de puits noria

ou de puits tubulaires, dans le cas de nappes phréatiques plus profondes et de besoins

hydriques supérieurs. C'est principalement pour l'accès à l'eau du sous-sol, unique ressource

disponible de façon permanente, que les enjeux se concentrent : le nombre croissant de

producteurs à Olmos exerce une pression de plus en plus soutenue sur la ressource, comme en

témoigne l'augmentation de la profondeur des puits depuis les années 1980 (Zegarra et al.,

2006). Cette forme de concurrence pour l'eau du sous-sol touche particulièrement les vallées

irriguées d'Olmos au sein desquelles cohabitent petits et grands producteurs. L'écart des

trésoreries disponibles pour le forage de puits profonds crée une différenciation grandissante

entre les producteurs quant à leurs possibilités d'accéder à l'eau du sous-sol.

Bien que cette concurrence pour la ressource puisse devenir éminemment problématique, les

pouvoirs publics, représentés par différentes autorités (municipalité, Communauté Paysanne,

Assemblée d'usagers, Autorité Locale de l'Eau) n'appliquent à Olmos aucune forme de

régulation, que ce soit en termes de profondeur réglementaire, de débit utilisé, de licence

concédées pour avoir le droit de creuser un puits, etc. Sur ce point donc, l'Etat n'impose pas de

cadre législatif permettant d'exploiter plus équitablement les eaux du sous-sol, les

propriétaires de puits les plus profonds profitant d'une disponibilité supérieure en eau.

Cette première forme de concurrence n'est pas directement liée au projet, son existence étant

liée aux caractéristiques du système agraire d'Olmos. En revanche, avec l'influence du projet,

80

on peut supposer que l'arrivée de migrants, travailleurs agricoles ou entrepreneurs, désireux de

s'installer sur les terres des vallées d'Olmos, fasse accroitre encore un peu la pression sur la

ressource.

Ce constat peut paraitre surprenant dans un contexte où un projet d'irrigation est en

voie de construction et devrait supposément, si ce n'est régler, du moins limiter les problèmes

liés au manque d'eau pour l'agriculture. Mais nous avons vu que l'accès à l'eau du projet n'est

pas ouvert à tous les acteurs de la production d'Olmos et risque même de créer de nouvelles

formes de concurrence, notamment entre les deux futurs espaces productifs du district : le

périmètre et la vallée, ces derniers ne bénéficiant pas de droit d'accès identiques. En effet,

l'Etat semble donner une certaine priorité au périmètre irrigué : les débits et surfaces destinés

à l'irrigation qui lui sont attribués sont supérieurs (38000ha et 14m3/ha/an dans le périmètre

contre 5500ha et 7m3/ha/an dans la vallée) et l'ensemble des infrastructures du contrat de

concession est tourné vers son approvisionnement. L'augmentation de la concurrence pour

l'eau à Olmos pourra également avoir lieu au sein même de la vallée irriguée, entre

producteurs bénéficiaires et non-bénéficiaires du projet, révélant de nouvelles inégalités

socio-économiques parmi les producteurs de la vallée.

Par ailleurs, les entreprises du périmètre, pour compléter leurs besoins en eau,

perforent le sol à la recherche d'un accès à l'eau des nappes phréatiques profondes. Si aucune

étude n'a encore été réalisée sur les conséquences de l'exploitation de l'eau du sous-sol dans

cette zone de plaine, il semble probable qu'émergent des impacts sur les niveaux des nappes

situées en amont, dans la vallée d'Olmos. L'épuisement des nappes du sous-sol pourrait

survenir plus rapidement, ne laissant plus aucun moyen d'irrigation permanent aux

producteurs des vallées. Là encore, le PEOT ne semble pas encadrer cette activité d'extraction

hydrique.

Un autre phénomène de concurrence amont/aval à l'échelle du bassin versant de la

rivière Huancabamba dans le département de Cajamarca concerne le projet. Les eaux de la

rivière vont être transférées au profit de terres désertiques de la Côte. Les activités agricoles

qui dépendent de ces eaux le long des rivières andines, risquent de pâtir de la diminution du

débit des rivières. Selon les témoignages d'un membre du PEOT et d'un membre du

gouvernement régional, les versants bordant les cours d'eau sont trop escarpés et empêchent

l'agriculture de coloniser les zones situées à proximité. Toutefois, une zone agricole située en

aval de la rivière principale pourrait souffrir de la diminution du débit hydrique. Les avis

quant aux impacts du projet sur le débit et sur l'agriculture de cette zone divergent : selon les

membres du PEOT, le cours d'eau principal serait approvisionner par une multitude d'autres

petits cours d'eau en aval du barrage mais situés avant la zone agricole et permettraient à la

rivière d'atteindre un débit suffisant pour l'irrigation. En outre, la faible réduction du débit de

la rivière permettrait de réduire le risque d'inondation dans les vallées cultivées.

Des témoignages de membres d'autres institutions demeurent plus méfiants et jugent qu'un

transfert des eaux de cette importance aura de manière certaine un impact sur le débit de la

rivière, le tout étant de savoir si ce dernier sera significatif pour les agriculteurs exploitant

81

l'eau de la rivière. Pour éclaircir la situation, le PEOT a chargé une entreprise consultante

d'étudier l'impact précis du transfert des eaux sur l'activité agricole de cette zone. Dans le cas

d'une confirmation des impacts négatifs du projet sur la zone, il est prévu un programme de

compensation mené par le PEOT en coordination avec le gouvernement régional de

Cajamarca pour optimiser l'efficience des systèmes d'irrigation.

Le projet de transfert des eaux étant commencé depuis 2006, nous sommes en droit de nous

interroger sur la capacité du PEOT à anticiper l'effet de réduction du débit situé en aval du

bassin versant de la rivière Huancabamba. Les évaluations d'impact se font d'ailleurs

généralement en phase d'avant projet (étude ex-ante) de manière à identifier les impacts

négatifs avant de débuter tout travaux. Mais dans ce cas, l'évaluation débuta alors que la

construction avait atteint 80% de sa réalisation totale en mars 2014 d'après le PEOT. Plutôt

qu'un défaut de capacités du PEOT pour prévoir ce type de situation, il peut s'agir d'une autre

forme de gestion de projet qui place le périmètre irrigué au centre des priorité, et ce, quelles

que soient la nature et l'intensité des impacts négatifs qui pourraient toucher les régions

alentours. Cet élément témoigne une fois de plus d'une stratégie de l'Etat qui se porte en

priorité sur une forme particulière de mise en valeur agricole - l'agriculture capitalistique - au

détriment de l'agriculture paysanne andine ou de la petite agriculture des vallées, n'ayant droit

qu'aux projets de compensation, censés réguler les conflits sociaux susceptibles d'émerger.

L'émergence de ces conflits pourrait être liée aux nouvelles compétitions pour non

seulement les ressources hydriques mais aussi pour la captation de la main d'œuvre ou des

investissements publics. Comment le gouvernement régional et le PEOT vont-ils gérer ces

concurrences lorsqu'elles se feront jour ? Ces deux institutions ont-elles les capacités pour

réguler l'accès aux ressources et atténuer les inégalités territoriales ? En ont-elles seulement la

volonté alors que la libéralisation prône plutôt une politique de laisser-faire quant à la

distribution et l'exploitation des ressources ?

III. Une gestion institutionnelle intégrée ?

Cette dernière partie n'épouse pas la prétention de répondre aux interrogations qui

précèdent. Elle tente d'analyser les capacités du PEOT à œuvrer avec les institutions associées

pour éviter que les nouveaux niveaux de concurrence ne se transforment en source de conflits.

La fonction du PEOT est d'organiser les acteurs pour une mise en valeur et une intégration

optimale de l'espace productif. Issues du processus de décentralisation, de nombreuses

institutions différentes se partagent l'organisation du territoire régional et son insertion dans le

Nord Côtier. Le PEOT n'est donc pas le seul à concevoir, à élaborer et à mettre en place des

politiques territoriales. Les directions régionales sectorielles pensent également leurs

politiques comme instruments d'une intégration territoriale. Mais comment ces institutions

sectorielles interagissent-elles avec le projet du PEOT pour l'aménagement d'un seul et même

espace, la région Lambayeque ?

Une première distinction entre ces institutions et le PEOT est visible dans l'organigramme

(simplifié) du gouvernement régional.

82

Figure 5: Organigramme simplifié du Gouvernement régional de Lambayeque

Le PEOT n'occupe pas la même place que les directions régionales sectorielles et dépend

directement du président régional et de ses Conseils ce qui lui confère une plus grande

autonomie. Le PEOT constitue une unité d'exécution budgétaire : il détient une autonomie de

gestion technique, économique, budgétaire et administrative. Cette institution est libre

d'employer ses ressources comme elle l'entend avec pour objectif final la bonne réalisation du

projet dans le but de favoriser toute activité agricole basée sur la compétitivité. Le PEOT n'a

pas une responsabilité spécifique à un secteur mais concentre l'ensemble des secteurs en son

sein. A titre d'exemple, la création de la nouvelle ville, objectif que s'est fixé le PEOT, est une

tâche normalement attribuée à la direction régional des infrastructures et de la construction.

Le PEOT veut créer de nouvelles routes mais les voies de communication sont habituellement

gérées par la direction régionale correspondante. Le projet agricole de la vallée d'Olmos, qui

appartiendrait plutôt à la direction du développement productif, termine de dresser le portrait

d'une institution multisectorielle qui a dépassé la seule supervision des chantiers. A travers

l'ensemble de ces "sous-projets", le champ d'action du PEOT est démultiplié.

Les domaines d'action du PEOT chevauchent ainsi ceux d'autres institutions régionales qui

prévoient de leurs côtés des plans de développement pouvant ne pas correspondre aux

objectifs et projets du PEOT. Nous pouvons en ce sens citer l'exemple de la direction

régionale des transports : cette dernière a élaboré un plan de développement des voies de

transport qui attend d'être approuvé avant de réaliser les études de faisabilité. Trois axes

principaux sont imaginés dont une route située au nord d'Olmos et traversant la vallée de

Cascajal jusqu'à l'ancienne Panaméricaine. Mais un tel axe a déjà été imaginé par le PEOT qui

prévoit sa construction, détail dont n'avait pas conscience la personne interrogée membre de la

direction régionale des transport. A priori, selon cet entretien, aucune réunion de concertation

n'avait été organisée au préalable avec le PEOT pour éviter d'élaborer le même projet routier,

Source : Gouvernement régional de Lambayeque, élaboration propre.

83

de débloquer deux sources de financements différents pour une seule et même route ou plus

simplement pour coopérer.

Cette superposition des compétences et responsabilités des institutions témoigne d'un certain

manque d'articulation du PEOT avec les autres institutions régionales. Plusieurs entrevues ont

mentionné ce défaut institutionnel au sein des pouvoirs publics régionaux : concernant la

chambre d'agriculture régionale, son directeur évoquait "une assez faible articulation avec le

PEOT. Il arrive que le gouvernement régional transmette certains de ses projets au PEOT,

jugés plus à même d'agir ou simplement pour soulager la charge de travail et les

responsabilités de notre chambre d'agriculture."

Le rapport de Geografía urbana (2013) mentionne également un manque de coopération

interinstitutionnelle "qui rend difficile l'exercice des compétences et des attributions des

institutions". C'est notamment le cas pour l'aménagement urbain qui selon le bureau d'étude

ne bénéficie pas d'une identification claire du procédé de création de nouvelle ville :

planification anticipée, prévision des budgets et des processus d'articulation entre les

différentes institutions…

Quant à la gestion territoriale du gouvernement régional, un membre du CICAP ajoute : "cette

institution manque drastiquement de capacité, son action n'est pas durable et ne résulte pas

d'une véritable stratégie de développement malgré sa proximité supposée avec le peuple."

Ces dysfonctionnements dans le processus de décentralisation peuvent entrainer une réduction

des effets positifs dans le cas de projets contraires ou le déploiement de financements inutiles

dans le cas de projets similaires. Geografía urbana souligne qu'un usage inefficace du

territoire peut résulter d'une telle gestion de projet.

Par ailleurs, les compétences du PEOT ne peuvent pas couvrir l'ensemble des domaines de

compétences des directions régionales. Si ces dernières sont spécialisées, c'est pour donner

lieu à des analyses précises et adaptées que ne peut fournir le PEOT en tant qu'organisme, lui-

même spécialisé dans la gestion de projets hydrauliques.

La coordination entre les institutions régionales apparait donc indispensable à la réalisation

d'un projet d'une telle envergure qui met en jeu autant de composantes différentes du

territoire.

Un géographe membre du gouvernement régional va encore plus loin en affirmant que "la

coordination entre le PEOT et le gouvernement régional est faible, chaque institution

souffrant d'une forte sectorisation. En plus, le PEOT a des intérêts et objectifs différents de la

région : son but est de coller aux exigences des entreprises et non de faire du développement

intégré comme c'est normalement le cas des gouvernements régionaux et de leurs directions

qui basent le développement sur les villes existantes".

Ici, l'interviewé pointe du doigt une potentielle contradiction entre deux institutions, pourtant

issues du même cadre, mais qui ne suivraient pas les mêmes objectifs de développement. Le

PEOT porterait deux casquettes : demeurant l'échelon hiérarchique inférieur du gouvernement

régional, il doit suivre les lignes politiques directrices qui en émanent et œuvrer pour un

84

développement intégré. Mais c'est aussi l'institution qui entretient des liens étroits avec le

secteur privé et qui est chargé de satisfaire leurs exigences selon les termes du contrat.

Mais l'opposition entre les deux institutions est loin d'être si limpide : le gouvernement

régional a lui-même participé à l'élaboration du contrat de concession et est également lié au

secteur privé de l'agro-industrie. En outre, toute les actions du PEOT nécessitent l'accord du

gouvernement régional pour voir le jour. Même s'il est vrai que théoriquement c'est le rôle du

gouvernement régional de promouvoir un développement intégré reposant sur le

développement des réseaux existants, nous ne sommes pas en mesure de savoir s'il est oui ou

non en opposition avec le PEOT quant à certains aspects de ses projets, notamment celui de la

nouvelle ville. Il semble davantage plausible que le gouvernement régional ait accepté ce

projet, dans l'objectif de répondre aux attentes des entreprises ayant investi dans l'achat de lots

du périmètre, même si cela doit exclure les petites villes existantes du processus de croissance

urbaine dont le projet devait être à l'origine.

Cette hypothèse peut prendre sens avec le deuxième constat d'un manque d'articulation

du PEOT, cette fois avec un échelon institutionnel inférieur. Ce dernier entretient très peu de

relation avec la municipalité d'Olmos, pourtant lieu d'un projet agricole qu'il mène

directement. Cette caractéristique du fonctionnement du PEOT pourrait s'expliquer de

différente manière : les membres du PEOT savent que la ville d'Olmos ne constitue pas un

enjeu important pour le projet ou encore parce qu'ils pensent que le projet ne nécessite tout

simplement pas l'intervention municipale. Le témoignage d'un membre du PEOT, responsable

du développement de la vallée d'Olmos, nous a fait part de son opinion : "le PEOT doit être

indépendant, si nous devions nous concerter avec l'ensemble des institutions régionales ou

avec la municipalité, nous perdrions un temps considérable et tout serait retardé." La

municipalité, entité représentante du peuple d'Olmos, est pourtant responsable du

développement de ses vallées selon la loi des municipalités n°27972.

Ce défaut d'articulation et de concertation entre les institutions n'est pas spécifique à la région

Lambayeque. Un membre du PEOT rapporte qu'il est très difficile d'entreprendre un projet

"bi-régional" en partenariat avec le gouvernement de Cajamarca, ce dernier ne souhaitant pas

s'impliquer dans un projet dont il n'est pas directement bénéficiaire. Selon lui, "le

gouvernement régional de Cajamarca n'a pas conscience que le PEOT fait partie du même

système, celui de l'Etat. Il croit que nous faisons cela pour générer des bénéfices alors que

nous travaillons pour le développement du pays". Cette personne évoqua en outre

l'importance de considérer le Nord Pérou et non plus seulement la région Lambayeque : "il

faut avoir une vision de développement du Nord Pérou, pas uniquement de notre région. Les

institutions régionales sont trop souvent attachées au développement de leur propre région".

Ce dernier témoignage vient consolider les propos d'un ingénieur de l'ATA qui juge les

blocages institutionnels à l'échelle du pays : "Nous n'avons pas d'organisme au Pérou

réellement capable d'organiser l'usage des ressources naturelles de manière intégrée. Il

manque un plan territorial national qui désignerait quelle culture produire, sur quel espace,

de quelle manière et par quel type d'agriculteur, selon les besoins réels du pays, au préalable

identifiés (devise, sécurité alimentaire, développement des marchés intérieurs,…)".

85

A Olmos, c'est le PEOT qui est chargé de l'intégration territorial du projet. Mais cette

institution possède une vision du territoire particulière : celle d'un territoire qui se construit

autour d'un projet issu d'un contrat entre lui et le secteur privé. De nombreuses contraintes

pèsent sur ses actions, notamment l'influence grandissante d'un secteur privé qui voit dans le

projet d'importantes opportunités de production. Il doit en outre respecter les lignes directrices

de la politique nationale qui considère ce projet comme une opportunité d'acquérir des

devises, celles-ci "permettant de compenser le manque de soutien à l’agriculture non

exportatrice par l’achat d’aliments à l’international" (MESCLIER et al., 2013). La prise en

compte d'autres réalités du territoire est secondaire - le développement des villes existantes

par l'industrialisation, l'amélioration des voies de communication ou encore l'accès aux

services basiques, etc. - et, bien que certains de ses membres y accordent une importance non-

négligeable, ces réalités ne constituent pas l'enjeu principal du PEOT.

86

Conclusion

La stratégie de l'Etat central quant à l'utilisation du territoire côtier parait claire.

L'amplification des périmètres irrigués et l'avancée de la frontière agricole sur des zones

désertiques témoignent de la volonté des pouvoirs publics d'investir dans l'agriculture. La

colonisation des nouveaux espaces disponibles par un type d'acteur en particulier,

l'entrepreneuriat agro-industriel et la pénétration du secteur privé dans la gestion du territoire

est une conséquence majeure des politiques agricoles qui se manifestent sur la Côte.

Par le prisme d'un projet d'irrigation en cours de réalisation et dont l'élaboration est le fruit

d'interventions publiques et privés, nous avons pu mettre le doigt sur quelques unes des

logiques et stratégies territoriales du PEOT en interaction avec les autres acteurs

institutionnels.

La première étape de notre démarche de recherche fut d'identifier l'ensemble des

transformations dues au projet d'irrigation. Le projet, par son barrage, ses canaux et les

espaces qu'il entend irrigué, a une portée sur des espaces multiples, tant côtiers qu'andins et

situés à cheval sur les régions de Lambayeque et de Cajamarca. Cependant, les stratégies et

actions du PEOT se concentrent aujourd'hui sur une partie du territoire du projet, celle

destinée à l'irrigation. Dans cette étude, deux espaces ruraux localisés uniquement dans la

région de Lambayeque ont donc été identifiés, correspondant à deux conceptions différentes

du PEOT vis-à-vis du développement agricole de la Côte.

D'abord un nouveau périmètre irrigué, situé sur des terres qui n'auraient pu être

cultivées sans une intervention humaine massive et qui bientôt se convertira en

d'amples espaces de culture intensive. Cette zone sera tout entière investie du secteur

privé agricole, unique acteur de la production en ces lieux. L'ensemble des

caractéristiques du périmètre est prévu pour accueillir ce type d'entreprise : de la taille

des parcelles, en passant par ses équipements hydriques et industriels, jusqu'aux voix

de communication directement reliées aux grandes villes du Nord côtier. Le projet

donnera donc naissante à un lieu spécifique de la mondialisation, ancré localement par

son activité de production mais intégré au commerce extérieur par l'origine de ses

capitaux ou la destination finale de ses produits.

Ensuite, la vallée irriguée d'Olmos, lieu de cohabitation d'une agriculture de type

capitalistique et d'une petite agriculture. La première cultive de grandes surfaces et

produit pour les marchés mondiaux tandis que la seconde exploite des surfaces ne

dépassant pas la vingtaine d'hectares et commercialise la majorité de ces productions

sur le marché national. Dans cet environnement fragmenté, le PEOT tente d'organiser

les petits producteurs en association pour leur permettre d'une part, d'accéder à l'eau

du projet et d'autre part, pour faire évoluer leurs systèmes de production vers des

systèmes plus rentables et orientés vers l'exportation.

87

Après avoir identifié les espaces de concentration des transformations territoriales issues du

projet, nous avons cherché à analyser leurs conséquences et répercussions sur les acteurs

régionaux concernés.

L'ensemble des transformations, qu'elles aient lieu sur le périmètre ou dans la vallée, induit la

création de relations et flux nouveaux (matériels, humains, financiers) entre acteurs. L'étude a

mis en valeur le rôle du secteur privé de l'agro-industrie dans l'émergence de ces relations,

secteur qui devient un instrument de la stratégie de développement des pouvoirs publics. De

par sa présence, l'entrepreneuriat agricole est créateur d'emplois salariés, de filières et de

marchés. Il peut proposer de nouveaux débouchés commerciaux aux producteurs avec qui il

entretient des relations productives ou commerciales. Il se fait donc le promoteur d'un

développement agricole ciblé sur certains cultures qu'il choisi lui-même en fonction de ses

propres stratégies.

Ces entreprises ne sont pas les seuls témoignages de la prise d'importance du secteur

privé au sein du territoire d'Olmos. A travers le partenariat public-privé, l'entreprise

concessionnaire responsable de la construction des infrastructures est elle-aussi en train

d'acquérir un poids important dans le districts d'Olmos. Lors de l'arrivée de l'eau, c'est

l'entreprise qui se chargera de distribuer la ressource aux acteurs y ayant accès, entreprises

comme producteurs. C'est elle qui disposera de droit sur l'eau et elle qui décidera de ses

attributions et de son prix bien que l'Etat détienne encore un droit de regard grâce au contrat

qui le lie à l'entreprise. Néanmoins, on peut s'interroger sur la manière dont l'entreprise

distribuera l'eau entre les différents acteurs de la production.

Si le projet fait émerger des opportunités de production, d'emploi salarié et d'accès à l'eau, il

est également à l'origine de nouvelles formes de concurrence :

pour la ressource, notamment hydrique mais aussi foncière, le projet attirant de

nouveaux investisseurs désireux de s'installer à proximité d'un accès à l'eau.

pour la main d'œuvre : les entreprises du périmètre nécessitent une force de travail très

importante pour la mise en culture de plusieurs milliers d'hectares. Ces travailleurs

pourraient venir des régions andines mais également des vallées du sud du

département et créerait un phénomène migratoire massif, du sud vers le nord du

Lambayeque.

pour l'investissement : le PEOT prévoie la construction d'un véritable pôle agro-

industriel (ville, industrie, aéroport, routes) à proximité du périmètre qui va nécessiter

un important déploiement de financements publics, probablement au détriment

d'autres espaces ruraux et urbains plus pauvres.

Avec le projet, le Nord pourrait être doté à terme d'un nouveau pôle agro-industriel situé à

proximité du périmètre. Il est donc probable que l'on assiste à une réorganisation du territoire

agricole de la région Lambayeque, les bassins de production n'étant potentiellement plus

concentrés à proximité de Chiclayo et du réservoir de Tinajones. Les rôles des villes dans ces

recompositions sont aussi modifiés, selon les équipements mis à disposition par chacune

d'elles pour les futurs acteurs du périmètre. On assiste donc à une forme de compétition entre

88

les centres urbains majeurs (Chiclayo et Piura) et mineurs (Olmos, Mórrope) pour la captation

des bénéfices économiques directs et indirects issus du projet.

On se trouve face à des stratégies publiques régionales qui favorisent une forme

particulière d'agriculture - intensive, capitalistique, générant de haut rendement et des valeurs

ajoutées élevées - et qui est, à l'heure actuelle, aux mains d'un seul type d'acteur : l'entreprise

agro-industrielle. C'est donc dans l'objectif d'encourager l'installation et l'exploitation des

ressources naturelles par ces acteurs que s'orientent les stratégies du PEOT et du

gouvernement régional. D'après ces institutions, le développement agricole et industriel du

Lambayeque dépend de ces entreprises qui, d'une part produisent elles-mêmes pour les

marchés nationaux et extérieurs, et d'autre part, entrainent les plus petits producteurs dans leur

sillage en leur fournissant de nouvelles possibilités de production et de commercialisation.

Ces logiques territoriales ont notamment été mises en valeur par l'usage qu'est fait du

périmètre irrigué, de la vallée et de l'eau fournie par le projet : la création d'une nouvelle ville

et de routes excluant certains centres urbains qui auraient pu bénéficier du dynamisme du

projet, le choix de privilégier un type d'acteur au détriment d'autres pour la production

agricole et la gestion de la ressource hydrique, la modification des systèmes de production des

petits producteurs vers l'exportation,… La croissance des exportations, ancrée dans les

politiques néolibérales, est encouragée dans un Etat qui voit dans l'installation d'entreprises

agro-exportatrices sur le piémont côtier, la garantie d'un développement économique massif.

L'exclusivité du déploiement d'investissements publics et privés sur quelques espaces

localisés (périmètre, canaux, tunnel, routes, nouvelles villes) participent à accentuer les

inégalités territoriales de la région. Selon Mayaux et Surel (2010), l'Amérique Latine est

soumise à un processus "d'accentuation des inégalités territoriales, produit d'une tension

renouvelée entre logiques sectorielles et logiques territoriales". Il apparait que la tension dont

parlent ces auteurs se manifeste dans les politiques du PEOT et de gouvernement régional.

Ces derniers, par l'ensemble des choix qu'ils ont fait depuis le début des années 2000,

semblent privilégier l'efficacité sectorielle (secteurs de l'agro-industrie et de l'agro-

exportation) à l'intégration territoriale.

Toutes ces décisions sont des prises de position stratégiques pour le secteur public

régional et s'inscrivent dans les lignes directrices de la politique nationale. Cette

correspondance entre les politiques nationale et régionale interroge l'efficience du processus

de décentralisation. En effet, la gestion régionale du projet d'Olmos devait conduire à une

prise en compte plus effective des acteurs locaux, de leurs besoins et revendications quant à

l'usage qu'il était fait de leurs territoires et visait, à terme, la réduction des inégalités

territoriales. Laurelli (1989) interroge, à ce titre, le véritable rôle des projets publics : peut-on

considérer ces projets comme des "agents des politiques de décentralisation de l'Etat inscrites

dans les stratégies de développement élaborées par les régions d'accueil ? "

En d'autres termes, la région d'accueil du projet, le Lambayeque, fait de spécificités et de

logiques propres, a-t-il un poids dans l'élaboration, la conception et la mise en place des

politiques publiques régionales relatives au projet d'Olmos ? La décentralisation de la gestion

de projet a-t-elle permis l'expression réelle des acteurs locaux dans les recompositions à

l'œuvre ?

89

L'étude des actions menées par le PEOT permet d'envisager quelques éléments de réponse à

ces interrogations. Des nuances doivent en effet être apportées au tableau que nous venons de

peindre des institutions publiques régionales. Dans la vallée d'Olmos, les membres du PEOT

responsables de l'organisation des petits producteurs sont amenés à conduire un processus de

discussion et de concertation concernant tous les aspects de la production : accès à l'eau du

projet, organisation en association, critères et exigences d'éligibilité pour les financements,

titrage indispensable de leurs parcelles, itinéraire technique employé pour les nouvelles

cultures envisagées, etc. La prise en compte des systèmes de production initiaux et des

contraintes des producteurs quant à la diversification agricole ou la gestion de leur trésorerie

témoignent d'une certaine implication des acteurs locaux dans le projet public. En outre,

l'ensemble des rapports et études conduits par les différents bureaux d'études et entreprises

consultantes employés par le PEOT démontre sa volonté de connaitre le territoire dans lequel

intervient le projet d'irrigation, même si les décisions prises ne correspondent pas toujours aux

conseils formulés par les spécialistes.

Nous ne pouvons donc pas éluder certains aspects des stratégies territoriales des institutions

publiques régionales qui tentent d'intégrer certaines composantes du territoire aux nouvelles

dynamiques générées par le projet. Mais ces quelques témoignages d'intégration paraissent

bien faibles en comparaison des éléments qui démontrent l'absence de prise en compte des

spécificités territoriales de la localité d'Olmos.

On peut alors s'interroger sur les réels changements qui ont eu lieu depuis les années 1990,

époque pendant laquelle l'Etat confisquait les terres de la communauté sans concertation ni

dédommagement aucun. A l'heure de la décentralisation, cette question prend tout son sens.

Certaines des limites du processus de décentralisation que nous évoquions en première partie

ont d'ailleurs été observées au cours de l'étude : l'absence d'identification des attributions et

responsabilités de chaque institution et un défaut de concertation en sont les principales. La

décentralisation incomplète pèse encore sur les capacités des institutions pour l'aménagement

du territoire.

Tout comme le soulignait Revel-Mouroz (1989), les projets peuvent autant être utilisés

comme instrument même des politiques de décentralisation que comme une façon de

revaloriser le pouvoir centralisé en effaçant les spécificités régionales. L'étude de la gestion

institutionnelle du projet, non plus seulement à l'échelle de la région mais au niveau national

permettrait d'identifier les éléments qui se transmettent de l'échelon national aux échelons

inférieurs. Ainsi, nous pourrions analyser de manière plus précise les stratégies territoriales

spécifiques à la région de celles issues de l'Etat central. Toujours à travers un grand projet

public, cette recherche mènerait à l'analyse spatiale du processus de décentralisation dans les

relations qu'entretient la région avec l'Etat central.

Le suivi du projet d'Olmos depuis le mois de mars 2013 et les séjours relativement

longs passés sur le terrain nous ont donné l'opportunité de saisir quelques unes des

dynamiques territoriales qui participent de la construction d'Olmos. Aujourd'hui, les travaux

arrivent à leur terme et l'eau va bientôt se déverser dans les plaines arides du piémont. Notre

90

connaissance du projet avant l'arrivée de l'eau permettrait d'en suivre l'évolution le jour où les

infrastructures entreront en fonction.

En plus de vérifier les hypothèses émises dans ce mémoire quant à la réorganisation du

territoire de la région, il serait intéressant d'analyser l'évolution des stratégies territoriales du

secteur public au cours de la mise en fonction du (ou des) projet(s).

Par ailleurs, tout en poursuivant l'étude de ce projet d'irrigation, nous soulevons l'idée d'une

spécialisation de notre domaine de recherche sur l'étude des politiques publiques agricoles du

Pérou. Nous porterions ainsi notre regard sur d'autres territoires du pays qui impliqueraient les

périmètres irrigués, comme celui d'Olmos, ainsi que d'autres formes d'agriculture,

capitalistique ou paysanne. L'objectif de cette recherche serait d'identifier les différentes

logiques des institutions publiques locales, régionales et centrales sur des territoires qui se

distinguent de par les acteurs qui les composent, les systèmes agraires et fonciers qui les

modèlent, les réseaux et flux qui les traversent,…dans l'objectif d'une comparaison des

stratégies de l'Etat en fonction des territoires ciblés et selon les différents échelons

administratifs considérés.

91

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