2014. « Après les Huguenots : reconstruire et réformer dans les campagnes toulousaines au XVIIe...

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L e diocèse de Toulouse, à cheval sur le Languedoc et la Gascogne, est situé en plein cœur du « croissant huguenot 1 ». Le cadre diocésain offre donc des spécificités, celles d’une région, qui, autour de Toulouse, devient à partir du XVI e siècle en majorité protestante, encerclant la capi- tale de Languedoc 2 (fig.2). En effet, dès 1567, les protestants contrôlaient Montauban, Castres, Mazamet, Lavaur, Puylaurens, ou Revel. Plus au sud, ils occupaient aussi de nombreux lieux du pays de Foix. Dans nombre de ces villes, des garnisons étaient maintenues et, même si elles étaient situées à une distance raisonnable, les Toulousains pou- vaient avoir l’impression d’être assiégés. Toulouse fait donc office, au XVII e siècle, de refuge catholique dans un univers protestant. C’est ainsi que la ville rose accueillit de nombreux ordres religieux, alimentant par leurs prédications, un sentiment de fièvre obsidionale 3 . En second lieu, les guerres de Religion, et tout particulièrement les conflits des années 1560-1570, ravagèrent régulièrement le territoire et les cam- pagnes autour de Toulouse. Face à ces raids, la capitale régionale, garante de l’orthodoxie, devient une ville isolée à l’épreuve des Huguenots. La Réforme catho- lique en Midi toulousain débute donc dans ce contexte, sous l’épiscopat du cardinal de Joyeuse (1588-1605), avec pour date symbolique le concile provincial de 1590, qui réunit les évêques de la province 4 . Quelques 3 Après les huguenots : reconstruire et réformer dans les campagnes toulousaines au XVII e siècle Estelle MARTINAZZO années plus tard, le cardinal met en place une vaste tournée pastorale : deux cent vingt-sept paroisses sont visitées, principalement durant l’année 1596, et les rapports permettent une vision globale de la situation diocésaine et surtout de l’état matériel des édifices religieux 5 . Ainsi, dès le début du XVII e siècle, un important travail de reconstruction et de réforme fut- il mené : grâce aux réaménagements, les lieux sacrés sont mis en valeur, les marquages religieux devien- nent un élément évident de la religiosité tridentine. Au rythme des reconstructions ou des réaménage- ments, quelles traces la Réforme catholique a-t-elle laissé dans le paysage sacré ? De même, l’étude des reconstructions des édifices religieux nous amène à réfléchir à la Réforme catho- lique comme conséquence de la Réforme protestante. Le processus, qui se voudrait relativement précoce en Midi toulousain, est-il une conséquence directe de l’état matériel des édifices religieux ? Cette nécessité urgente de reconstruction amène-t-elle, de manière tout aussi urgente, à une réforme des structures qui viserait à acquérir davantage de moyens financiers ? < Les paroisses toulousaines à l’issue des guerres de Religion Des raids destructeurs Les guerres de Religion furent donc particulière- ment dévastatrices dans les campagnes toulousaines. fig.1 Saint-Jory (Haute-Garonne), clocher de l’église paroissiale. 1 Garrisson (Jeanine) Protestants du Midi, Toulouse, Privat, 1980, rééd. 1991, p. 14. 2 Martinazzo (Estelle), La Réforme catholique dans le diocèse de Toulouse (1590-1710), Thèse de doctorat sous la direction du Professeur Serge Brunet, Université Montpellier III Paul Valéry, 2012, 789 p. En cours de publication (courant 2014) aux Presses Universitaires de Rennes. 3 Brunet (Serge), « De l’Espagnol dedans le ventre ». Les catholiques du Sud-Ouest de la France face à la Réforme (1540-1589), Paris, Champion, 2007, 998 p. 4 Le Concile provincial de Tolose tenu par l’illustrissime et reverendissime Seigneur Francois de Joyeuse Cardinal, du tiltre de la Tressaincte Trinite du Mont, Archevesque de Tolose, l’an 1590, Tolose, Raymond Colomiez, 1597. 5 La source des visites pastorales est une manne pour le chercheur qui cherche à connaître la situation matérielle des paroisses, en raison de l’absence de tout autre document. Cette étude se fonde donc principalement sur le fonds des visites pastorales conservé aux Archives départementales de la Haute-Garonne (ADHG), intégralement microfilmé, qui comporte environ mille cinq cents documents. ADHG 2 MI 801 à 2 MI 976.

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Le diocèse de Toulouse, à cheval sur le

Languedoc et la Gascogne, est situé en plein

cœur du « croissant huguenot1 ». Le cadre

diocésain offre donc des spécificités, celles d’une

région, qui, autour de Toulouse, devient à partir du

XVIe siècle en majorité protestante, encerclant la capi-

tale de Languedoc2 (fig.2).

En effet, dès 1567, les protestants contrôlaient

Montauban, Castres, Mazamet, Lavaur, Puylaurens, ou

Revel. Plus au sud, ils occupaient aussi de nombreux

lieux du pays de Foix. Dans nombre de ces villes, des

garnisons étaient maintenues et, même si elles étaient

situées à une distance raisonnable, les Toulousains pou-

vaient avoir l’impression d’être assiégés. Toulouse fait

donc office, au XVIIe siècle, de refuge catholique dans un

univers protestant. C’est ainsi que la ville rose accueillit

de nombreux ordres religieux, alimentant par leurs

prédications, un sentiment de fièvre obsidionale3.

En second lieu, les guerres de Religion, et tout

particulièrement les conflits des années 1560-1570,

ravagèrent régulièrement le territoire et les cam-

pagnes autour de Toulouse. Face à ces raids, la capitale

régionale, garante de l’orthodoxie, devient une ville

isolée à l’épreuve des Huguenots. La Réforme catho-

lique en Midi toulousain débute donc dans ce contexte,

sous l’épiscopat du cardinal de Joyeuse (1588-1605),

avec pour date symbolique le concile provincial de

1590, qui réunit les évêques de la province4. Quelques

3

Après les huguenots : reconstruire et réformer dans les campagnes toulousaines au XVIIe siècle

Estelle MARTINAZZO

années plus tard, le cardinal met en place une vaste

tournée pastorale : deux cent vingt-sept paroisses sont

visitées, principalement durant l’année 1596, et les

rapports permettent une vision globale de la situation

diocésaine et surtout de l’état matériel des édifices

religieux5. Ainsi, dès le début du XVIIe siècle, un

important travail de reconstruction et de réforme fut-

il mené : grâce aux réaménagements, les lieux sacrés

sont mis en valeur, les marquages religieux devien-

nent un élément évident de la religiosité tridentine.

Au rythme des reconstructions ou des réaménage-

ments, quelles traces la Réforme catholique a-t-elle

laissé dans le paysage sacré ?

De même, l’étude des reconstructions des édifices

religieux nous amène à réfléchir à la Réforme catho-

lique comme conséquence de la Réforme protestante.

Le processus, qui se voudrait relativement précoce en

Midi toulousain, est-il une conséquence directe de

l’état matériel des édifices religieux ? Cette nécessité

urgente de reconstruction amène-t-elle, de manière

tout aussi urgente, à une réforme des structures qui

viserait à acquérir davantage de moyens financiers ?

< Les paroisses toulousaines à l’issue des guerres de Religion

Des raids destructeurs

Les guerres de Religion furent donc particulière-

ment dévastatrices dans les campagnes toulousaines.

fig.1 Saint-Jory (Haute-Garonne), clocher de l’église paroissiale.

1 Garrisson (Jeanine) Protestants du Midi, Toulouse, Privat, 1980, rééd. 1991, p. 14.2 Martinazzo (Estelle), La Réforme catholique dans le diocèse de Toulouse (1590-1710), Thèse de doctorat sous la direction du ProfesseurSerge Brunet, Université Montpellier III Paul Valéry, 2012, 789 p. En cours de publication (courant 2014) aux Presses Universitaires deRennes. 3 Brunet (Serge), « De l’Espagnol dedans le ventre ». Les catholiques du Sud-Ouest de la France face à la Réforme (1540-1589), Paris,Champion, 2007, 998 p. 4 Le Concile provincial de Tolose tenu par l’illustrissime et re�ve�rendissime Seigneur Franc�ois de Joyeuse Cardinal, du tiltre de la Tressaincte Trinite�du Mont, Archevesque de Tolose, l’an 1590, Tolose, Raymond Colomiez, 1597.5 La source des visites pastorales est une manne pour le chercheur qui cherche à connaître la situation matérielle des paroisses, en raisonde l’absence de tout autre document. Cette étude se fonde donc principalement sur le fonds des visites pastorales conservé aux Archivesdépartementales de la Haute-Garonne (ADHG), intégralement microfilmé, qui comporte environ mille cinq cents documents. ADHG 2 MI 801à 2 MI 976.

Ruine et désolation

À la fin du XVIe siècle, l’état des paroisses est donc

catastrophique. Georges Baccrabère a fait état de cent

trente-huit édifices de campagne détruits, brûlés ou

en ruine9. Dans l’enquête menée par le parlement sur

les destructions des paroisses en mars 1570, retrans-

crite par Jean Lestrade, il est question de cent cin-

quante-et-un édifices religieux détruits ou brûlés10.

Une cartographie précise permet de remettre en

cause les propos prosélytes développés par les histo-

riens du début du XXe siècle (fig.3). Si certaines régions

sont réellement synonymes de désolation à la fin du

XVIe siècle – tels les archiprêtrés de Caraman et de

Gardouch – il faut aussi avouer que les deux tiers des

édifices religieux n’ont pas eu à souffrir directement

des guerres civiles, tandis que l’ouest et le sud-ouest du

diocèse ont été relativement épargnés par les violences.

Les exemples de ruines, d’après les visites pasto-

rales, sont pourtant légion. En 1596, l’église de

Gardouch a été complètement détruite par les hugue-

nots. Le service paroissial s’effectue dans une partie de

l’hôpital où le curé ne peut accueillir que le cinquième

des paroissiens. Il transporte la pierre sacrée et l’eau

des baptisés dans des flacons et ce n’est qu’en 1628

que l’église est reconstruite dans sa totalité11.

L’historien doit pourtant poser un regard critique sur

la source, car face aux visiteurs, il était probablement

chose commune d’accentuer le côté misérabiliste des

5

Reconstruire et réformer dans les campagnes toulousaines au XVIIe siècle

Le sud et l’est du diocèse furent d’abord touchés entre

1568 et 1570. En septembre 1568, environ mille

deux cents huguenots occupent en effet la région de

Caraman et de Puylaurens. En 1569, le comte de

Montgommery, à la tête de l’armée des vicomtes, arrive

du Quercy, de l’Albigeois et de Castres et rançonne,

une fois encore, tout le Lauragais6. L’année suivante,

l’armée des princes, avec Condé, Navarre et Coligny,

saccage et dévaste la contrée toulousaine. Nombre de

villes sont alors prises par le clan protestant7.

Durant une deuxième phase de troubles, à partir

des années 1580, l’ouest du diocèse fut à son tour tou-

ché par les conflits religieux. Le capitaine Du Bourg,

placé en garnison par Henri de Navarre à l’Isle-

Jourdain, transforme la ville en un camp retranché,

menant à partir de celle-ci des raids récurrents et

dévastateurs dans le comté8. En cette même année

1580, un certain nombre de nouveaux lieux furent mis

à sac par le vicomte de Turenne : en juin 1580, divers

villages sont incendiés, comme Caubiac, Toutens,

Maurens, ou Cambiac autour du comté de Caraman.

Les édifices religieux ont donc eu à subir parfois des

destructions successives.

Pourtant, dans les années qui suivirent, les vio-

lences furent aussi le fait de la Ligue et du parti catho-

lique. Pour preuve, en 1592, des partisans du roi se

sont emparés de la ville de Miremont, au sud du dio-

cèse. Les états du Languedoc prient alors le duc de

Joyeuse d’aller remettre la cité dans le droit chemin.

Elle est incendiée par le capitaine qui y était retranché

puis est prise par les ligueurs. En 1595, le duc de

Ventadour soumet au parti du roi des villes dans la

région d’Albi puis se dirige vers Toulouse. Il assiège

alors Montpitol au nord-ouest, prend ensuite

Bruguières, Saint-Géniès, Ondes, Castelginest – où il

défait un régiment du duc de Joyeuse – puis

Fenouillet qu’il incendie aussi. Le dénuement constaté

lors de la première visite pastorale de 1596 n’était

donc pas uniquement le fait des protestants, contrai-

rement à ce qui est couramment admis.

4

fig.2 Toulouse face à l’encerclement protestant sous le régime de l’édit de Nantes.

6 L’armée protestante de Montgomerry et de Coligny vient camper à Labastide Saint-Sernin, située à quinze kilomètres de Toulouse. Le fau-bourg Saint-Michel est dévasté. Ils repartent sans que Damville, enfermé dans les murs de la ville, ait pu faire quoi que ce soit.7 Montastruc, Caraman, Saint-Julia, Saint-Félix, Auriac, le Faget, Montgiscard ou Villefranche de Lauragais. Voir Wolff (Philippe), dir., Le dio-cèse de Toulouse, Histoire des diocèses de France, Paris, Beauchesne, 1983, p. 102-103.8 Brunet (Serge), op. cit., p. 582.9 Baccrabère (Georges), Les paroisses rurales du diocèse de Toulouse. Exercice du droit de visite, Toulouse, impr. Mulhe Roux, 1968, 10 Lestrade (Jean), Les Huguenots dans les paroisses rurales du diocèse de Toulouse, Toulouse, Extrait de la Revue historique de Toulouse, impr.Berthoumieu, 1939, p. 74-118.11 ADHG, 2 MI 846.

fig.3 État des destructions d’édifices religieux d’après les visites pastorales de 1596.

est, de plus, consacré à des réparations de clochers,

cloches ou galeries, comme à Fourquevaux, où une

démolition partielle de l’édifice est nécessaire car les

murs de terre crue ne peuvent pas supporter le poids

du clocher. Les travaux s’élèvent d’ailleurs à mille cinq

cents livres tournois. La plupart des sommes débour-

sées pour les reconstructions sont plus faibles, mais

François de Joyeuse dépense entre 1596 et 1616,

26 989 livres tournois. Annuellement le budget

consacré par le cardinal aux dépenses de constructions

représente entre 2,5% et 5% de ses revenus totaux

annuels, car la plupart des travaux s’effectuent en plu-

sieurs phases (fig.6).

Des rythmes hétérogènes de reconstruction

D’autres patrons interviennent dans les recons-

tructions, avec plus ou moins de bonne volonté. Les

rythmes sont donc assez hétérogènes et les ordon-

nances édictées par les visiteurs ne sont pas forcément

toujours suffisantes. Ainsi, à Aignes, en 1596, le visi-

teur constate que les murs de l’édifice sont en bon état

mais une grande partie du toit s’est effondrée. En

conséquence, le peuple ne vient pas à la messe les jours

de mauvais temps. L’ordonnance est instructive quant

à la nature et la responsabilité des réparations :

7

Reconstruire et réformer dans les campagnes toulousaines au XVIIe siècle

édifices et facile d’incriminer les incursions et pillages

des protestants, comme ce fut le cas à Cugnaux12.

Certes, d’après la visite pastorale de 1596, les reliques

y ont été pillées par les huguenots mais l’édifice en

lui-même ne fut pas détruit. L’église paroissiale subit

pourtant d’importants travaux de restructuration.

Certains étaient rendus nécessaires par l’usure du temps

ou alors tout simplement par un manque d’entretien :

en 1596, l’église est, par exemple, mal couverte, il

pleut à l’intérieur. L’exemple de Cugnaux n’est pas un

cas isolé et montre tout l’intérêt qu’il y a, pour cette

période, à croiser différentes sources et à s’interroger

aussi sur le concept d’iconoclasme catholique.

Entretenir la mémoire des troubles

Dans cet esprit, d’après des sources majoritaire-

ment catholiques, une mémoire des guerres de

Religion s’est perpétuée dans les paroisses, parfois

pendant plusieurs décennies. Ainsi à Caragoudes, les

habitants ont mémoire de ces troubles : « [L’Église fut] brûlée par les vicomtes, et depuis les

habitants en ayant couvert une partie, elle fut brûlée par

le vicomte de Touraine [Turenne] il y a seize ans et

depuis huit ans les huguenots de Caramaing ont abbattu

deux murailles en lad[ite] église, et depuis elle est

demeurée ruinée »13.

Les paroissiens utilisent un vocabulaire spécifique,

pour qualifier les pillards et l’on incrimine souvent,

comme à Lanta, le « passage des reistres14 ». Le terme

est utilisé à de nombreuses reprises mais il est impos-

sible de savoir si le vocabulaire émane du visiteur ou

des paroissiens eux-mêmes15. De plus, des vestiges de

destructions subsistaient dans le paysage sacré, ali-

mentant le souvenir des conflits religieux. À Auterive,

l’archevêque Charles de Montchal découvre, à l’exté-

rieur de la ville, « l’église parrochiele Saint-Paul qui

fut desmolie par les Huguenots, et où paroissent encore

les ruines d’un grand bastiment, la moitié des

murailles de l’église estant encore en pied »16. Il visite

aussi les ruines du couvent des religieux de la trinité

en dehors des murs de la ville.

Le diocèse de Toulouse a donc beaucoup souffert

des troubles religieux, à l’image de nombreux autres

diocèses de la Chrétienté. Une campagne extrême-

ment urgente de reconstruction débute, qui permet

alors de rétablir la présence d’un catholicisme ostenta-

toire dans un paysage sacré qui panse ses blessures.

Des acteurs de la reconstruction

En 1661, une ordonnance de Louis XIV incite les

évêques à la réparation de leurs églises et presbytères

afin d’œuvrer à la gloire de Dieu et le remercier pour

la paix des Pyrénées (1659). Dans les campagnes pari-

siennes, cette déclaration est suivie d’une vague de

constructions ou reconstructions17. Cela montre que

cette œuvre a un sens religieux, démographique mais

aussi politique.

L’archevêque reconstructeur

Des règles fixent tout d’abord les modalités de la

reconstruction. Les fruits prenants, décimateurs ou

destinataires de la dîme, que sont, en général, le curé

et le patron de la paroisse, sont mis à contribution. Les

décimateurs ont traditionnellement la charge de l’en-

tretien du clocher et du chœur tandis que les habi-

tants participent aux travaux par le charroi. La recons-

truction du clocher peut donner lieu à des contesta-

tions car son entretien dépend de son implantation sur

l’édifice. Ce que nous avons pu observer dans le diocèse

de Toulouse nous montre que c’est principalement le

percepteur de la dîme qui en a la charge.

La campagne de reconstruction et de réhabilitation

des espaces sacrés fut méthodiquement organisée à

partir de l’épiscopat de François de Joyeuse. Celui-ci,

au titre d’archevêque, d’abbé de Saint-Sernin et de

prieur de la Daurade, participe en sa personne active-

ment au financement des travaux18 (fig.4).

L’étude des baux à besogne du registre montrent

que les églises reconstruites sous l’égide du cardinal

sont principalement situées à l’est du diocèse, là où

son patronage est aussi le plus répandu (fig.5). L’effort

financier, comptabilisé sur deux décennies fut continu.

Ainsi, entre 1600 et 1610, l’effort de restauration est

particulièrement soutenu avec en moyenne sept

églises réparées chaque année. Il est intéressant de

noter que toutes ces églises n’ont pas subi les assauts

des huguenots. Ainsi les travaux résultent souvent

d’un entretien nécessaire pour des édifices qui datent

souvent d’un siècle19. C’est le cas de l’église de Saint-

Jory (fig.1). En 1597, le bail à besogne mentionne le

pavé, les fenêtres à murer ou l’enduit de l’église à

refaire. Puis en 1605, il s’agit de reconstruire le clo-

cher et les galeries. Enfin en 1616, il faut réparer une

partie de la toiture, une chaire de prédicateur et crépir

le sommet du clocher20. Le quart des baux à besogne

6

fig.4 Reconstructions ou travaux effectués aux églises sous le patronage du cardinal de Joyeuse (1597-1616).

12 ADHG, 2 MI 825, état de l’église présenté par le recteur (1596). 13 ADHG, 2 MI 817, visite pastorale de 1596.14 ADHG, 2 MI 855, visite pastorale de1596. Les reistres (ou reîtres), d’après l’allemand Reiter, sont des cavaliers mercenaires allemands. Lemot a donné dans le langage du XVIIe siècle le synonyme d’un homme rusé et expérimenté dans la guerre. Crouzet (Denis), Les guerriers deDieu, la violence au temps des troubles de religion, Seyssel, Champ Vallon, 2005, p. 166.15 ADHG, 2 MI 845, visite de l’église de Garridech, 1596 : « besoin d’ung toit et couverture toute neuve si l’on ne veult que la voute del’église fonde de peu de temps, ayant esté laissée en tel estat depuis le passage des reistres » ; 2 MI 840, visite pastorale de Escalquens,1596 : « L’église fut brûlée par les reistres » ; 2 MI 821, Caussidières, visite pastorale de 1596 : « L’église était solidement bastie. Elle futdétruite par les réistres il y a 26 ou 27 ans, ce qui fut raccommodé par les fruits décimaux fut bruslé par les héréticques ».16 ADHG, 2 MI 804, visite pastorale de 1631.17 Ferté (Jeanne), La vie religieuse dans les campagnes parisiennes, Paris, 1962, p. 84-94. Venard (Marc), « La construction des églises parois-siales du XVe au XVIIIe siècle », Revue d’Histoire de l’Église de France, t. LXXIII, 1987, p. 7-24.18 ADHG, 3 E 12554, Registre particulier des affaires de Monseigneur le cardinal de Joyeuse (1596-1618).19 Allègre (Victor), Du pays toulousain aux Pyrénées commingeoises : les vieilles églises de la Haute-Garonne, s.l.n.d., texte rone�ote�, ADHG,4 vol.20 ADHG, 3 E 12554, fol. 112, 476, 636, 960-970.

sa commanderie de Garidech, au nord de Toulouse. La

relation au sujet de l’église de la commanderie est

effrayante. Il y a une grande fente qui ne cesse de

s’élargir à la voûte de l’église, qui menace de tout faire

s’effondrer car le locataire du chapelain utilise le gre-

nier de l’église comme une volière, y entrepose du

bois, et du foin24. On ne peut sonner les cloches car le

bois du clocher est pourri. À l’inverse, l’église parois-

siale, au centre de la communauté, est en très bon état,

et est relativement bien dotée en ornements. Cette

situation s’observe dans de nombreuses paroisses.

S’il n’y eut pas de restructuration radicale des

espaces villageois au XVIIe siècle, il s’observe, dans le

paysage sacré toulousain, un net resserrement autour

de l’église paroissiale, au détriment des chapelles iso-

lées qui bien souvent, faute d’entretien, tombent en

ruine et disparaissent du paysage religieux.

Financer les aménagements intérieurs

Au sein de l’église rénovée, de nombreux acteurs,

à l’image des marguilliers interviennent pour des

restructurations. Pourtant, Charles de Montchal

publie en 1643 une ordonnance sur leurs mauvaises

pratiques car ils :« divertissent les deniers et rentes des bassins à leur

propre usage, et que cet abus fait que la plupart des

9

Reconstruire et réformer dans les campagnes toulousaines au XVIIe siècle

« Aux prieur, recteur, benefissiers, à tous les dits parois-

siens du lieu d’Aignes […] avouns ordonnés que lesdits

titulaires et fruitz prenans pourvoiront aux réparations

du tout, pour la somme de 25 escus, que les habitans

feront les charrois nécessaires selon la coustume dud[it]

diocèse »21.

Pourtant, le recteur, issu de l’ordre de Saint-Jean-

de-Jérusalem (ou de Malte), ne réside pas et n’a contri-

bué financièrement à aucune réparation ; l’autre déci-

mateur est le commandeur de Gagnac du même ordre.

Ils doivent se partager le montant des travaux en tant

que bénéficiers de la paroisse, à hauteur des décimes

qu’ils touchent. Les sacs à procès du parlement de

Toulouse comportent de nombreux exemples de mau-

vais payeurs, preuve que la Réforme catholique, dans

sa dimension matérielle, est fonction des bonnes

volontés et qu’il existe une distance entre théorie et

application sur le terrain. Ainsi, les conflits entre déci-

mateurs sont-ils chose courante, face au nombre de

réparations qui s’imposent au début du XVIIe siècle.

Les consulats n’hésitent pas à faire appel au parlement

pour obtenir un jugement. Ainsi, à Beauzelle, en

1601, l’église et le clocher sont en ruine, les consuls

proposent de faire les charrois aux habitants. Mais le

chapitre cathédral Saint-Étienne, décimateur, refuse

de procéder aux réparations et en conséquence, les

consuls font saisir le sixième des fruits décimaux. En

1602, au cours d’un nouveau procès entre cette com-

munauté et le chapitre métropolitain, les consuls

réclament la reconstruction de leur clocher mais le

décimateur prétend qu’il est en bon état22. À Saint-

Martin des Champs, annexe de Fourquevaux, ce sont

encore les habitants qui écrivent plusieurs requêtes

successivement en 1605, 1623 et 1656 pour deman-

der la réparation de leur église. Le chapitre Saint-

Étienne est enjoint de payer la reconstruction complète

de l’édifice, effondré car bâti de terre crue23.

Face à l’urgence de ces travaux, priorité fut enfin

donnée à l’entretien, à l’amélioration ou à la réparation

de l’église principale. Pour preuve, en 1661, le com-

mandeur de l’ordre de Malte envoie des visiteurs dans

8

fig.6 Montgiscard (Haute-Garonne), clocher-mur de l’église paroissiale.

fig.5 Reconstructions ou réparations effectuées sous le patronage du cardinal de Joyeuse

(1596-1616).

21 ADHG, 2 MI 801, ordonnance de 1596. 22 ADHG, BPS 205, BPS 353.23 ADHG, 2 MI 843, visite pastorale de 1596.24 ADHG, 1 H 414, fol. 3v-suiv.

Pourtant, malgré cet exemple relativement isolé, il

n’y avait certainement pas de fabrique institutionnali-

sée en Midi toulousain et la frontière entre les diffé-

rentes institutions semble bien mince. Dans les

sources, les termes de luminaires, confréries ou bassins

sont utilisés conjointement et de manière souvent

interchangeable. Leur action fut-elle similaire ? Les

autels sont en effet entretenus par des « luminaires »,

qui, en l’absence de statuts bien déterminés, sont par-

fois assimilables à des confréries30. Un des rôles de la

confrérie est en effet d’entretenir l’autel où elle a été

fondée, en fournissant les ornements mais surtout le

luminaire, dont nous avons vu qu’il s’agit de la charge

la plus importante. Dans la paroisse de Vieille-

Toulouse, la confrérie Notre-Dame de l’Assomption

adresse une supplique à l’archevêque pour obtenir des

revenus supplémentaires car elle ne peut entretenir le

luminaire ni posséder d’ornements31. Les « fabriques »

toulousaines ne sont bien souvent dotées d’aucunes

terres et ce que l’on nomme « fabrique » dans le nord

de la France n’existe, dans notre région que sous la

forme de multiples institutions, que sont des bassins,

des luminaires ou des confréries. La Réforme catho-

lique fut bien une œuvre collective sous l’impulsion

du curé, faisant intervenir conjointement patrons,

laïcs et autres institutions au statut mal établi.

Une réorganisation cultuelle engagée

La reconstruction des édifices religieux s’est

accompagnée de la modification en profondeur des

espaces intérieurs. Les textes normatifs apportent tout

d’abord nombre de recommandations concernant l’en-

tretien des édifices religieux où le terme « décence »

apparaît tel un leitmotiv. Le curé doit veiller à avoir une

église aussi belle que possible, déterminée principale-

ment par le fait que le culte puisse y être célébré dans

les meilleures conditions. Ces préoccupations concer-

nent le sacré visible de tous. Aussi, l’intérieur des édi-

fices religieux doit être décoré de « peintures hon-

nestes et dévotes ». De plus, « les crois, le nom de Iesus et autres images sainctes

figurées sur la terre ou peintes en lieu sale et indécent

soyent pour le plus tard dans un mois ostées et effacées

de la cure »32.

La difformité renvoie à ce qui est laid, cassé, dis-

proportionné ou tout simplement passé de mode.

C’est donc avant tout car elles sont indécentes ou non

conformes aux canons que certains décors doivent être

ôtés des églises. Dans ce contexte, le « monde du

dedans » a subi un profond réaménagement, assimi-

lable à l’effort de reconstruction entamé dès le début

du Grand siècle en Midi toulousain.

Primauté et visibilité du maître-autel

Une des évolutions les plus spectaculaires de la

Réforme catholique fut bien la transformation des

églises et de leur espace intérieur, dans le sens d’une

monumentalisation des objets, aboutissant à la visibi-

lité de la présence divine et des corps saints, et où

le maître-autel est conçu comme un « système

d’objets33 ». Ainsi, des destructions de jubés ont lieu

– lorsqu’ils ne tombent pas en ruine d’eux-mêmes – et

des autels secondaires sont déménagés, éventuelle-

ment détruits, afin que le maître-autel attire les

regards, grâce à son retable monumental.

Pour assurer en premier lieu la visibilité du

maître-autel, on ordonne, dans de nombreux diocèses,

de détruire les jubés. Dans le Toulousain, ces destruc-

tions ne semblent pas courantes et n’ont probable-

ment pas lieu avant le milieu du XVIIe siècle, comme

le montre l’église de Beaumont-sur-Lèze en 1638. Le

11

25 « Ordonnance concernant l’employ des deniers et revenus des bassins des églises paroissielles », Peyronet (Simon de), Recueil des ordon-nances synodales de Nosseigneurs les illustrissimes et re�ve�rendissimes archevesques de Tolose, a� Tolose, chez Arnaud Colomiez, 1669, p. 923.26 ADHG, 2 MI 922, procès-verbal puis ordonnance de visite de Charles de Montchal, 12 février 1637.27 Fournié (Michelle), Le ciel peut-il attendre ? Le culte du Purgatoire dans le midi de la France (v. 1320-v. 1520), Paris, Le Cerf, 1997, p. 109.28 ADHG, 14G, fonds de fabriques (non classé).29 ADHG, 14 G 12 (cote provisoire), f°7.30 C’est aussi le cas en Provence. Froeschlé-Chopard (Marie-Hélène), Espace et sacré en Provence, cultes, images, confréries, Paris, Le Cerf,1994, p. 89. 31 ADHG, 2 MI 960, supplique adressée par le recteur en 1647.32 « Instruction de Mgr de Ioyeuse, archevesque de Tolose, servant aux curés, prestres, marguilliers et autres pour les points desquels ilsont à luy repondre en la visite de son diocèse », Peyronet (S. de), op. cit., 1669, p. 1146.33 Cousinié (Frédéric), Le Saint des Saints. Maîtres-autels et retables parisiens du XVIIe siècle, Aix-en-Provence, Publications de l’Université deProvence, 2006, p. 10.

Reconstruire et réformer dans les campagnes toulousaines au XVIIe siècle

églises se treuvent despourveues de tableaux, de calice,

de nappes et autres ornemens nécessaires pour la célé-

bration du service divin »25.

Pour l’aménagement intérieur, le partage des

dépenses et les rôles de chacun des intervenants sont

strictement délimités, montrant à quel point la question

du financement des reconstructions fut centrale. L’église

collégiale de Saint-Félix de Caraman sert à la fois aux

chanoines et prébendiers, mais aussi au service paroissial.

Grâce à plusieurs extraits de visites pastorales, nous

pouvons en faire un cas d’école, car la séparation des

rôles et des dépenses est tout à fait éclairante26.

Chapitre et prébendiers ont tout d’abord en charge le

chœur, le maître-autel ainsi que les ornements divers.

Des laïcs sont aussi amenés à réparer les pavés des cha-

pelles où ils ont un droit de sépulture. Enfin des « bas-

sins », rattachés à des chapelles, sont sollicités pour les

réparations des autels, l’achat de statues ou d’orne-

ments. Le bassin est à l’origine un plat creux, en étain

ou en cuivre, familier aux cuisiniers, devenu l’instru-

ment des quêteurs. Il a laissé, dans le sud-ouest, son

nom aux compagnies chargées de recueillir l’argent

des fidèles27. C’est le terme qui est le plus couram-

ment employé dans les sources de l’époque, au détri-

ment du terme « fabrique », que nous ne voyons que

très peu dans les documents.

Malgré tout, certains documents, trop rares, nous

font entrevoir furtivement l’existence de marguilliers

qui œuvrent à la reconstruction des édifices.

L’administration de la fabrique du bassin de Notre-

Dame du bout du Pont de 1689 à 1692 nous le

montre plus précisément28. Des réparations sont donc

effectuées dans cette chapelle médiévale de la ville du

Lherm en 1690 et le mobilier y est renouvelé : instal-

lation d’une statue de la Vierge, d’un tabernacle et

d’un chandelier. Des femmes, qualifiées de mar-

guillières, mettent tout en œuvre pour effectuer ces

réparations. Elles reçoivent des dons, vendent des

tuiles issues des démolitions, organisent des quêtes,

pour une recette totale de 133 livres tournois. Elles

achètent ensuite le bois pour la charpente, les tuiles

canal, les chevilles, la chaux et se procurent même de

quoi nourrir les ouvriers. Elles font ainsi reconstruire

la chapelle, la porte, les balustrades et les vitres.

D’autres personnages interviennent aussi comme des

personnalités locales qui contribuent par des dons, les

paroissiens qui aident par les charrois, mais aussi l’ar-

chiprêtre du Lherm qui participe financièrement aux

travaux29.

10

fig.7 Pourcentage de paroisses pourvues de tabernacles entre 1596 et le milieu du XVIIe siècle.

suppression de l’un d’entre eux, auquel il est doréna-

vant défendu de célébrer la messe. La multitude des

autels pouvait être un problème par rapport à la taille

de l’église. Gilbert de Choiseul, en Comminges,

décrète lui aussi au cours de ses visites la démolition

de nombreux autels au sein des sanctuaires40.

Les confessionnaux et les fonts baptismaux :

l’uniformisation des espaces

Si les autels surnuméraires ou encombrants sont

supprimés pour faciliter le passage des fidèles, du clergé

ou des processions, et mettre en valeur l’autel princi-

pal, les confessionnaux – car il y en avait autant que de

confesseurs – font leur apparition dans les églises au

milieu du XVIIe siècle41. La véritable impulsion de leur

introduction remonte au règne de Louis XIII et fait

suite à l’action de saint Vincent de Paul, mais il n’en

est jamais question dans les sources toulousaines avant

les années 1630-1640. Par la suite, ces mobiliers subis-

sent l’harmonisation des décors à la fin du XVIIe siècle :« Qu’ils ayent quatre pans de profondeur, on accomode-

ra les grilles qui sont de chaque costés, on mettra

quelques images qui représentent les mystères de la

mort et de la passion de Nostre Seigneur »42.

Si la construction de ce meuble ne nécessitait pas

un budget démesuré, son apparition est pourtant tar-

13

34 ADHG, 2 MI 838, visite de 1638. Un pan, forme occitane du mot empan, mesure vingt-cinq centimètres.35 Par exemple à Aignes, « Le presbytère et séparé de la nef par une petite muraille d’environ cinq pans de hauteur » ADHG, 2 MI 801,visite de 1640.36 Peyronet (S. de), op. cit., p. 1145-1146.37 À partir des années 1690, en revanche, les commandes de mobiliers liturgiques se raréfient à Toulouse. Sartre (Fabienne), « La sculpturetoulousaine dans la première moitié du XVIIIe siècle », BSAMF, 2001, p. 217.38 ADHG, 2 MI 884, visite de 164039 ADHG, 2 MI 922, visite de 1698.40 ADHG, 2 MI 807, visite de 1639. 41 Brunet (Serge), Les prêtres des montagnes, la vie, la mort, la foi dans les Pyrénées centrales sous l’Ancien Régime, Aspet, PyréGraph, 2001,p. 263.42 Guyader (Josseline), « La pénitence privée au XVe siècle d’après les statuts synodaux de Bernard de Rozier, archevêque de Toulouse (Pâques1452) », Le for intérieur, colloque organisé par le Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie, le 13 et 14 octobre1994, Paris, PUF, 1995, p. 283.

Reconstruire et réformer dans les campagnes toulousaines au XVIIe siècle

« presbytère est fermé à cinq pans de hauteur et au

dessus des barreaux de sapin avec une porte de mesme

fermant à clef tout peint »34. Il n’est pourtant pas cer-

tain, d’après les textes, que les jubés dominaient dans

les églises toulousaines à la fin du XVIe siècle et, avec

les mises à sac successives, beaucoup avaient pu dispa-

raître par manque d’entretien. Le terme de « jubé » est

d’ailleurs assez peu usité dans les procès-verbaux de

visites pastorales35. Ils sont donc peu à peu remplacés

par des balustrades, qui clôturent et hiérarchisent l’es-

pace au sein des églises.

Puis, sur le maître-autel, le premier objet touché

par d’importantes transformations est le tabernacle,

armoire destinée à conserver l’Eucharistie. À la fin du

XVIe siècle, le Saint-Sacrement était en effet souvent

conservé dans des reliquaires ou d’autres boîtes, comme

à Castelmaurou en 1597 : « le reliquere en argent

[sert] pour tenir le Saint-Sacrement ». Le cardinal de

Joyeuse fait obligation de dresser des tabernacles sur

les autels, suivant une description très précise :« Qu’il soit doublé de quelque belle estoffe et pour le

moins de taffetas blanc. Qu’il soit couvert pour plus grande

décence, et pour le défendre de la poudre d’un pavillon

de soye, s’il se peut ou plus riche estoffe. Que ledit

Tabernacle soit mis sur le grand autel, un peu relevé »36.

On constate tout d’abord une spécialisation de ce

meuble destiné uniquement au Saint-Sacrement –

croix, reliques ou parchemins souvent accumulés pêle-

mêle en sont exclus. D’après l’enquête de 1596, il est

présent dans seulement 35% des paroisses étudiées.

Cette proportion ne fait qu’augmenter, et pour soixante-

deux paroisses visitées au milieu du XVIIe siècle,

88,7% sont équipées d’un tabernacle (fig.7).

Un tournant a donc bien lieu dès les années 1620-

1630, preuve en est le grand nombre de commandes

réalisées dans les ateliers toulousains37. À la fin du

siècle, très peu d’ordonnances concernaient leur mau-

vais entretien, attestant que le principe de la réserve

eucharistique, éclairée par la lumière du Saint-

Sacrement, se serait imposé dans le diocèse de

Toulouse.

L’installation de retables au-dessus du maître-autel

se fit en revanche plus tardivement (fig.8).

D’après les comptes rendus de visites pastorales,

les retables sont installés dans les paroisses à partir des

années 1650-1660. Ils sont couramment associés à des

« degrés » au-dessus de l’autel, qui sont des gradins

sur lesquels on place des chandeliers, des reliquairesou des fleurs mais ceux-ci font parfois partie intégrantedu retable, comme à Montgéard :

« Un retable de chaisne fait en arceau, avec trois degrés

au pied d’icelluy, le tout peinct et six mystères de la

Vierge gravés sur des pièces de marbre qui sont enchâs-

sées dans led[it] retable »38.

Enfin, les autels, et notamment le maître-autel,sont surélevés, de manière uniformisée. Vers 1700,chaque autel doit disposer d’un marchepied à troisniveaux aux dimensions exactes, ce que relèvent lescomptes rendus des visites pastorales de Mgr Colbertde Villacerf :

« On couvrira l’autel d’une table de bois de sapin, au

milieu on mettra une pierre sacrée à deux doigts au

bord de l’autel qu’on couvrira d’une toile cirée »39.

Le maître-autel est aussi surélevé par rapport auxautres, dans un objectif de hiérarchisation, en faisantun objet monumental (fig.9).

Au cœur de l’église, la prééminence du maître-autel ne signifie pas pour autant son exclusivité. Dansla Provence et son « monde du dedans », on observesouvent la construction de deux chapelles latérales enhaut de la nef, dédiées respectivement au Rosaire et àsaint Joseph. Ces nouveaux cultes n’existaient pasdans le terroir et témoignent de l’introduction d’unereligion urbaine dans les campagnes. Dans ce nouveauplan architectural, le saint intercesseur devient unmodèle : il se soumet à la vie divine et se définit désor-mais par rapport à Dieu. Les autels doivent être fondéspour être conservés dans la durée, donc posséder desrevenus réguliers ainsi qu’une pierre sacrée. À défaut,ils sont souvent détruits, surtout lorsqu’ils nuisent à lavision globale et à l’harmonie de l’espace sacré réamé-nagé. On ordonne donc de nombreuses destructionsd’autels, comme par exemple à Beaufort en 1639.Charles de Montchal y trouve, lors de sa visite :

« contre les barreaux du chœur, une table servant d’au-

tel, une nappe, un retable avec grand crucifix de bois

tout difforme. Ordonné qu’on ostera l’autel et le cruci-

fix de là, attendu qu’il empêche les paroissiens qui sont

dans la nef ne puissent voir le prebstre qui célèbre au

grand autel ».

À Colomiers en 1640, il existe deux autels deNotre-Dame, de forme similaire et dotés d’ornementssemblables. L’archevêque, lors de sa visite, décrète la

12

fig.8 Comparaison entre le pourcentage des églises dotées de tabernacles et de retables entre 1596 et 1700 (les tabernacles ne sont pas cités dans les visites pastorales de Colbert de Villacerf).

entreposer des coffres encombrant souvent le chœur45.

On conservait la plupart du temps les ornements dans

des coffres fermés par une clé en la possession d’un

marguillier, ce qui pouvait être problématique en cas

de mauvaises relations avec les laïcs.

Le nombre de sacristies ne cesse d’augmenter au

cours du siècle car, entre 1596 et 1615, 60% des édi-

fices ruraux en possèdent une, tandis qu’à la fin du

siècle, 96% des édifices étudiés en sont dotés46. Les

sacristies sont donc bien construites ou aménagées à

mesure que s’organise la campagne de reconstruction

des églises rurales. Il ne s’agit pas toujours de

construire une nouvelle partie à l’église, car certaines

chapelles peuvent en faire office, comme à Villariès en

159647. Il en est de même au Pin-Balma, où la chapelle

de Saint-Antoine et Sainte-Catherine, qui est mal

tenue, servira de sacristie48. Elles sont donc progressi-

vement aménagées autour du chœur ou parfois entiè-

rement bâties le cas échéant.

La sacristie pour laquelle nous disposons de plus

amples détails est celle de Grisolles. En effet, le sei-

gneur de la paroisse l’a réquisitionnée afin d’en faire sa

chapelle personnelle. Le curé tente en vain de la récu-

pérer. Aussi Jean-Baptiste Michel Colbert de Villacerf,

lorsqu’il visite l’église en 1698, en ordonne-t-il la

reconstruction pure et simple49. La salle doit être suf-

fisamment vaste, contenir les vases sacrés et toute la

paramentique, conservée dans des armoires spéciali-

sées. Une cuvette, des prie-Dieu et une croix au milieu

de la table affirment l’espace strictement sacré. Des

armoires contiennent le linge et des prie-Dieu. De

taille convenable, ces pièces devraient posséder une

fenêtre, un bénitier et un petit oratoire. Décors et

aménagements sont une fois encore complètement

harmonisés en cette fin de siècle. Propreté, luminosité

et décence sont désormais de mise, à l’image des sanc-

tuaires eux-mêmes. La sacristie est dès lors propriété

du clergé, qui gère, avec l’aide d’un sacristain, les

ornements de la messe.

La Réforme catholique, née des oppositions vio-

lentes entre chrétiens, fut d’abord affaire de recons-

truction dans le diocèse de Toulouse. La mémoire des

guerres de Religion fut savamment entretenue par le

clergé pour justifier la nécessité de la réforme intérieure.

Aussi, le paysage religieux, conservant les stigmates

de ces affrontements, a-t-il été profondément modifié.

Cet effort fut immense, et les sommes dépensées ne le

furent pas moins. L’étude de la reconstruction nous a

mis face à un problème crucial, celui de la part de l’ar-

gent et des acteurs paroissiaux dans le processus de

réforme. Bassins, confréries, luminaires, servaient à

récolter de l’argent, à entretenir un autel ou son lumi-

naire. Puis, au sein de toutes les chapelles, une partie

de l’argent était mise en commun pour l’entretien du

maître-autel, sans que les règles de répartition en

soient fixées de manière uniformisée. Néanmoins, l’ef-

fort de reconstruction dépend avant tout de l’activisme

du curé. Un peu partout, une unification des décors se

produit, grâce à des retables monumentaux, au centre

desquels se situe le tabernacle. Ainsi, à la fin du XVIIe

siècle, les visites pastorales donnent à voir des églises

uniformisées dans leurs décors, leurs architectures

intérieure et extérieure, de plus en plus conformes aux

idéaux tridentins. L’importante vague de reconstruc-

tion a donc contribué a� imposer la Réforme catholique

dans les églises du diocèse, à des rythmes variés, en

fonction des moyens financiers et des volontés locales,

ou de l’émulation au sein de confréries, qui donnent

lieu à des commandes. Si la Réforme catholique vient

d’en haut, elle est aussi appliquée a� la base grâce à une

multitude d’acteurs locaux qui y concourent.

Estelle Martinazzo

Docteur en Histoire moderneUniversité Montpellier III-Paul Valéry (CRISES)

15

43 ADHG, 2 MI 955, visite de 1696.44 ADHG, 1 J 1815, fol. 77-84.45 ADHG, 2 MI 819, ordonnance de 1593. 46 Venard (M.), RHEF, op. cit., 1987, p. 32.47 Cette étude des sacristies se fonde sur un tiers des paroisses du diocèse.48 ADHG, 2 MI 960.49 Le cardinal de Joyeuse visite en personne cette paroisse (c’est la seule qu’il visite d’ailleurs). ADHG, 2 MI 894 ; Baccrabère (Georges),Les paroisses rurales du diocèse de Toulouse. Exercice du droit de visite, Toulouse, imp. Mulhe Roux, 1968, p. 52. 50 ADHG, 2 MI 850, visite de 1698.

Reconstruire et réformer dans les campagnes toulousaines au XVIIe siècle

dive. À Auzeville, d’après l’inventaire réalisé par le

curé François Launès en 1680, il y a deux confession-

naux43. Un troisième vint enrichir le mobilier de

l’église, acheté par le curé neuf livres à une dame de la

paroisse. Ainsi, la pratique du secret s’insère-t-elle

dans l’espace sacré. Les modifications architecturales

que subissent les églises sont donc en lien avec la

réforme du clergé et l’évolution de la réflexion menée

autour des cas de conscience et du sacrement de péni-

tence. Si les confessionnaux ne furent pas toujours une

priorité dans l’ameublement des églises, ils se sont

imposés progressivement, dans la deuxième partie du

siècle, dans les sanctuaires de la région toulousaine.

De même, un effort important de réaménagement

affecte les fonts baptismaux. À Castanet, en 1593 :« Ordonné qu’on fera faire les fonts baptismaux, une

conque de pierre faite toute ronde, en laquelle il sera

fait un trou au milieu, ladite conque sera couverte de

bois et on tiendra une nappe ; auquel sera peint un saint

Jean baptisant Notre Seigneur et au costé sera fait un

armoire contenant tout ce qui est besoin »44.

Au premier rang des préoccupations, on trouve la

volonté de fermer, à l’image des chapelles, les fonts

baptismaux. Seuls le curé ou les prêtres sont autorisés

à y pénétrer. L’eau doit être conservée de manière

décente, car c’est un espace sacré. L’armoire contenant

les différents ornements nécessaires au baptême ren-

ferme aussi le livre des baptêmes, mariages et sépul-

tures. Les fonts baptismaux doivent aussi être décorés,

de manière complètement uniformisée, ici avec un

tableau peint, d’une représentation de saint Jean bap-

tisant le Christ. Cette volonté répond à un programme

iconographique précis, porteur de la dimension péda-

gogique de l’image et applicable à tous les édifices

paroissiaux.

Les sacristies, symbole du contrôle du clergé

Les sacristies ont généralement été ajoutées tardi-

vement à des églises préexistantes. Il fallait, d’une

part, donner la possibilité aux prêtres de s’habiller, à

l’écart des fidèles, avant la messe, et d’autre part,

14

fig.9 Montgiscard, retable monumental de l’église paroissiale.