2014. « Après les Huguenots : reconstruire et réformer dans les campagnes toulousaines au XVIIe...
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Le diocèse de Toulouse, à cheval sur le
Languedoc et la Gascogne, est situé en plein
cœur du « croissant huguenot1 ». Le cadre
diocésain offre donc des spécificités, celles d’une
région, qui, autour de Toulouse, devient à partir du
XVIe siècle en majorité protestante, encerclant la capi-
tale de Languedoc2 (fig.2).
En effet, dès 1567, les protestants contrôlaient
Montauban, Castres, Mazamet, Lavaur, Puylaurens, ou
Revel. Plus au sud, ils occupaient aussi de nombreux
lieux du pays de Foix. Dans nombre de ces villes, des
garnisons étaient maintenues et, même si elles étaient
situées à une distance raisonnable, les Toulousains pou-
vaient avoir l’impression d’être assiégés. Toulouse fait
donc office, au XVIIe siècle, de refuge catholique dans un
univers protestant. C’est ainsi que la ville rose accueillit
de nombreux ordres religieux, alimentant par leurs
prédications, un sentiment de fièvre obsidionale3.
En second lieu, les guerres de Religion, et tout
particulièrement les conflits des années 1560-1570,
ravagèrent régulièrement le territoire et les cam-
pagnes autour de Toulouse. Face à ces raids, la capitale
régionale, garante de l’orthodoxie, devient une ville
isolée à l’épreuve des Huguenots. La Réforme catho-
lique en Midi toulousain débute donc dans ce contexte,
sous l’épiscopat du cardinal de Joyeuse (1588-1605),
avec pour date symbolique le concile provincial de
1590, qui réunit les évêques de la province4. Quelques
3
Après les huguenots : reconstruire et réformer dans les campagnes toulousaines au XVIIe siècle
Estelle MARTINAZZO
années plus tard, le cardinal met en place une vaste
tournée pastorale : deux cent vingt-sept paroisses sont
visitées, principalement durant l’année 1596, et les
rapports permettent une vision globale de la situation
diocésaine et surtout de l’état matériel des édifices
religieux5. Ainsi, dès le début du XVIIe siècle, un
important travail de reconstruction et de réforme fut-
il mené : grâce aux réaménagements, les lieux sacrés
sont mis en valeur, les marquages religieux devien-
nent un élément évident de la religiosité tridentine.
Au rythme des reconstructions ou des réaménage-
ments, quelles traces la Réforme catholique a-t-elle
laissé dans le paysage sacré ?
De même, l’étude des reconstructions des édifices
religieux nous amène à réfléchir à la Réforme catho-
lique comme conséquence de la Réforme protestante.
Le processus, qui se voudrait relativement précoce en
Midi toulousain, est-il une conséquence directe de
l’état matériel des édifices religieux ? Cette nécessité
urgente de reconstruction amène-t-elle, de manière
tout aussi urgente, à une réforme des structures qui
viserait à acquérir davantage de moyens financiers ?
< Les paroisses toulousaines à l’issue des guerres de Religion
Des raids destructeurs
Les guerres de Religion furent donc particulière-
ment dévastatrices dans les campagnes toulousaines.
fig.1 Saint-Jory (Haute-Garonne), clocher de l’église paroissiale.
1 Garrisson (Jeanine) Protestants du Midi, Toulouse, Privat, 1980, rééd. 1991, p. 14.2 Martinazzo (Estelle), La Réforme catholique dans le diocèse de Toulouse (1590-1710), Thèse de doctorat sous la direction du ProfesseurSerge Brunet, Université Montpellier III Paul Valéry, 2012, 789 p. En cours de publication (courant 2014) aux Presses Universitaires deRennes. 3 Brunet (Serge), « De l’Espagnol dedans le ventre ». Les catholiques du Sud-Ouest de la France face à la Réforme (1540-1589), Paris,Champion, 2007, 998 p. 4 Le Concile provincial de Tolose tenu par l’illustrissime et re�ve�rendissime Seigneur Franc�ois de Joyeuse Cardinal, du tiltre de la Tressaincte Trinite�du Mont, Archevesque de Tolose, l’an 1590, Tolose, Raymond Colomiez, 1597.5 La source des visites pastorales est une manne pour le chercheur qui cherche à connaître la situation matérielle des paroisses, en raisonde l’absence de tout autre document. Cette étude se fonde donc principalement sur le fonds des visites pastorales conservé aux Archivesdépartementales de la Haute-Garonne (ADHG), intégralement microfilmé, qui comporte environ mille cinq cents documents. ADHG 2 MI 801à 2 MI 976.
Ruine et désolation
À la fin du XVIe siècle, l’état des paroisses est donc
catastrophique. Georges Baccrabère a fait état de cent
trente-huit édifices de campagne détruits, brûlés ou
en ruine9. Dans l’enquête menée par le parlement sur
les destructions des paroisses en mars 1570, retrans-
crite par Jean Lestrade, il est question de cent cin-
quante-et-un édifices religieux détruits ou brûlés10.
Une cartographie précise permet de remettre en
cause les propos prosélytes développés par les histo-
riens du début du XXe siècle (fig.3). Si certaines régions
sont réellement synonymes de désolation à la fin du
XVIe siècle – tels les archiprêtrés de Caraman et de
Gardouch – il faut aussi avouer que les deux tiers des
édifices religieux n’ont pas eu à souffrir directement
des guerres civiles, tandis que l’ouest et le sud-ouest du
diocèse ont été relativement épargnés par les violences.
Les exemples de ruines, d’après les visites pasto-
rales, sont pourtant légion. En 1596, l’église de
Gardouch a été complètement détruite par les hugue-
nots. Le service paroissial s’effectue dans une partie de
l’hôpital où le curé ne peut accueillir que le cinquième
des paroissiens. Il transporte la pierre sacrée et l’eau
des baptisés dans des flacons et ce n’est qu’en 1628
que l’église est reconstruite dans sa totalité11.
L’historien doit pourtant poser un regard critique sur
la source, car face aux visiteurs, il était probablement
chose commune d’accentuer le côté misérabiliste des
5
Reconstruire et réformer dans les campagnes toulousaines au XVIIe siècle
Le sud et l’est du diocèse furent d’abord touchés entre
1568 et 1570. En septembre 1568, environ mille
deux cents huguenots occupent en effet la région de
Caraman et de Puylaurens. En 1569, le comte de
Montgommery, à la tête de l’armée des vicomtes, arrive
du Quercy, de l’Albigeois et de Castres et rançonne,
une fois encore, tout le Lauragais6. L’année suivante,
l’armée des princes, avec Condé, Navarre et Coligny,
saccage et dévaste la contrée toulousaine. Nombre de
villes sont alors prises par le clan protestant7.
Durant une deuxième phase de troubles, à partir
des années 1580, l’ouest du diocèse fut à son tour tou-
ché par les conflits religieux. Le capitaine Du Bourg,
placé en garnison par Henri de Navarre à l’Isle-
Jourdain, transforme la ville en un camp retranché,
menant à partir de celle-ci des raids récurrents et
dévastateurs dans le comté8. En cette même année
1580, un certain nombre de nouveaux lieux furent mis
à sac par le vicomte de Turenne : en juin 1580, divers
villages sont incendiés, comme Caubiac, Toutens,
Maurens, ou Cambiac autour du comté de Caraman.
Les édifices religieux ont donc eu à subir parfois des
destructions successives.
Pourtant, dans les années qui suivirent, les vio-
lences furent aussi le fait de la Ligue et du parti catho-
lique. Pour preuve, en 1592, des partisans du roi se
sont emparés de la ville de Miremont, au sud du dio-
cèse. Les états du Languedoc prient alors le duc de
Joyeuse d’aller remettre la cité dans le droit chemin.
Elle est incendiée par le capitaine qui y était retranché
puis est prise par les ligueurs. En 1595, le duc de
Ventadour soumet au parti du roi des villes dans la
région d’Albi puis se dirige vers Toulouse. Il assiège
alors Montpitol au nord-ouest, prend ensuite
Bruguières, Saint-Géniès, Ondes, Castelginest – où il
défait un régiment du duc de Joyeuse – puis
Fenouillet qu’il incendie aussi. Le dénuement constaté
lors de la première visite pastorale de 1596 n’était
donc pas uniquement le fait des protestants, contrai-
rement à ce qui est couramment admis.
4
fig.2 Toulouse face à l’encerclement protestant sous le régime de l’édit de Nantes.
6 L’armée protestante de Montgomerry et de Coligny vient camper à Labastide Saint-Sernin, située à quinze kilomètres de Toulouse. Le fau-bourg Saint-Michel est dévasté. Ils repartent sans que Damville, enfermé dans les murs de la ville, ait pu faire quoi que ce soit.7 Montastruc, Caraman, Saint-Julia, Saint-Félix, Auriac, le Faget, Montgiscard ou Villefranche de Lauragais. Voir Wolff (Philippe), dir., Le dio-cèse de Toulouse, Histoire des diocèses de France, Paris, Beauchesne, 1983, p. 102-103.8 Brunet (Serge), op. cit., p. 582.9 Baccrabère (Georges), Les paroisses rurales du diocèse de Toulouse. Exercice du droit de visite, Toulouse, impr. Mulhe Roux, 1968, 10 Lestrade (Jean), Les Huguenots dans les paroisses rurales du diocèse de Toulouse, Toulouse, Extrait de la Revue historique de Toulouse, impr.Berthoumieu, 1939, p. 74-118.11 ADHG, 2 MI 846.
fig.3 État des destructions d’édifices religieux d’après les visites pastorales de 1596.
est, de plus, consacré à des réparations de clochers,
cloches ou galeries, comme à Fourquevaux, où une
démolition partielle de l’édifice est nécessaire car les
murs de terre crue ne peuvent pas supporter le poids
du clocher. Les travaux s’élèvent d’ailleurs à mille cinq
cents livres tournois. La plupart des sommes débour-
sées pour les reconstructions sont plus faibles, mais
François de Joyeuse dépense entre 1596 et 1616,
26 989 livres tournois. Annuellement le budget
consacré par le cardinal aux dépenses de constructions
représente entre 2,5% et 5% de ses revenus totaux
annuels, car la plupart des travaux s’effectuent en plu-
sieurs phases (fig.6).
Des rythmes hétérogènes de reconstruction
D’autres patrons interviennent dans les recons-
tructions, avec plus ou moins de bonne volonté. Les
rythmes sont donc assez hétérogènes et les ordon-
nances édictées par les visiteurs ne sont pas forcément
toujours suffisantes. Ainsi, à Aignes, en 1596, le visi-
teur constate que les murs de l’édifice sont en bon état
mais une grande partie du toit s’est effondrée. En
conséquence, le peuple ne vient pas à la messe les jours
de mauvais temps. L’ordonnance est instructive quant
à la nature et la responsabilité des réparations :
7
Reconstruire et réformer dans les campagnes toulousaines au XVIIe siècle
édifices et facile d’incriminer les incursions et pillages
des protestants, comme ce fut le cas à Cugnaux12.
Certes, d’après la visite pastorale de 1596, les reliques
y ont été pillées par les huguenots mais l’édifice en
lui-même ne fut pas détruit. L’église paroissiale subit
pourtant d’importants travaux de restructuration.
Certains étaient rendus nécessaires par l’usure du temps
ou alors tout simplement par un manque d’entretien :
en 1596, l’église est, par exemple, mal couverte, il
pleut à l’intérieur. L’exemple de Cugnaux n’est pas un
cas isolé et montre tout l’intérêt qu’il y a, pour cette
période, à croiser différentes sources et à s’interroger
aussi sur le concept d’iconoclasme catholique.
Entretenir la mémoire des troubles
Dans cet esprit, d’après des sources majoritaire-
ment catholiques, une mémoire des guerres de
Religion s’est perpétuée dans les paroisses, parfois
pendant plusieurs décennies. Ainsi à Caragoudes, les
habitants ont mémoire de ces troubles : « [L’Église fut] brûlée par les vicomtes, et depuis les
habitants en ayant couvert une partie, elle fut brûlée par
le vicomte de Touraine [Turenne] il y a seize ans et
depuis huit ans les huguenots de Caramaing ont abbattu
deux murailles en lad[ite] église, et depuis elle est
demeurée ruinée »13.
Les paroissiens utilisent un vocabulaire spécifique,
pour qualifier les pillards et l’on incrimine souvent,
comme à Lanta, le « passage des reistres14 ». Le terme
est utilisé à de nombreuses reprises mais il est impos-
sible de savoir si le vocabulaire émane du visiteur ou
des paroissiens eux-mêmes15. De plus, des vestiges de
destructions subsistaient dans le paysage sacré, ali-
mentant le souvenir des conflits religieux. À Auterive,
l’archevêque Charles de Montchal découvre, à l’exté-
rieur de la ville, « l’église parrochiele Saint-Paul qui
fut desmolie par les Huguenots, et où paroissent encore
les ruines d’un grand bastiment, la moitié des
murailles de l’église estant encore en pied »16. Il visite
aussi les ruines du couvent des religieux de la trinité
en dehors des murs de la ville.
Le diocèse de Toulouse a donc beaucoup souffert
des troubles religieux, à l’image de nombreux autres
diocèses de la Chrétienté. Une campagne extrême-
ment urgente de reconstruction débute, qui permet
alors de rétablir la présence d’un catholicisme ostenta-
toire dans un paysage sacré qui panse ses blessures.
Des acteurs de la reconstruction
En 1661, une ordonnance de Louis XIV incite les
évêques à la réparation de leurs églises et presbytères
afin d’œuvrer à la gloire de Dieu et le remercier pour
la paix des Pyrénées (1659). Dans les campagnes pari-
siennes, cette déclaration est suivie d’une vague de
constructions ou reconstructions17. Cela montre que
cette œuvre a un sens religieux, démographique mais
aussi politique.
L’archevêque reconstructeur
Des règles fixent tout d’abord les modalités de la
reconstruction. Les fruits prenants, décimateurs ou
destinataires de la dîme, que sont, en général, le curé
et le patron de la paroisse, sont mis à contribution. Les
décimateurs ont traditionnellement la charge de l’en-
tretien du clocher et du chœur tandis que les habi-
tants participent aux travaux par le charroi. La recons-
truction du clocher peut donner lieu à des contesta-
tions car son entretien dépend de son implantation sur
l’édifice. Ce que nous avons pu observer dans le diocèse
de Toulouse nous montre que c’est principalement le
percepteur de la dîme qui en a la charge.
La campagne de reconstruction et de réhabilitation
des espaces sacrés fut méthodiquement organisée à
partir de l’épiscopat de François de Joyeuse. Celui-ci,
au titre d’archevêque, d’abbé de Saint-Sernin et de
prieur de la Daurade, participe en sa personne active-
ment au financement des travaux18 (fig.4).
L’étude des baux à besogne du registre montrent
que les églises reconstruites sous l’égide du cardinal
sont principalement situées à l’est du diocèse, là où
son patronage est aussi le plus répandu (fig.5). L’effort
financier, comptabilisé sur deux décennies fut continu.
Ainsi, entre 1600 et 1610, l’effort de restauration est
particulièrement soutenu avec en moyenne sept
églises réparées chaque année. Il est intéressant de
noter que toutes ces églises n’ont pas subi les assauts
des huguenots. Ainsi les travaux résultent souvent
d’un entretien nécessaire pour des édifices qui datent
souvent d’un siècle19. C’est le cas de l’église de Saint-
Jory (fig.1). En 1597, le bail à besogne mentionne le
pavé, les fenêtres à murer ou l’enduit de l’église à
refaire. Puis en 1605, il s’agit de reconstruire le clo-
cher et les galeries. Enfin en 1616, il faut réparer une
partie de la toiture, une chaire de prédicateur et crépir
le sommet du clocher20. Le quart des baux à besogne
6
fig.4 Reconstructions ou travaux effectués aux églises sous le patronage du cardinal de Joyeuse (1597-1616).
12 ADHG, 2 MI 825, état de l’église présenté par le recteur (1596). 13 ADHG, 2 MI 817, visite pastorale de 1596.14 ADHG, 2 MI 855, visite pastorale de1596. Les reistres (ou reîtres), d’après l’allemand Reiter, sont des cavaliers mercenaires allemands. Lemot a donné dans le langage du XVIIe siècle le synonyme d’un homme rusé et expérimenté dans la guerre. Crouzet (Denis), Les guerriers deDieu, la violence au temps des troubles de religion, Seyssel, Champ Vallon, 2005, p. 166.15 ADHG, 2 MI 845, visite de l’église de Garridech, 1596 : « besoin d’ung toit et couverture toute neuve si l’on ne veult que la voute del’église fonde de peu de temps, ayant esté laissée en tel estat depuis le passage des reistres » ; 2 MI 840, visite pastorale de Escalquens,1596 : « L’église fut brûlée par les reistres » ; 2 MI 821, Caussidières, visite pastorale de 1596 : « L’église était solidement bastie. Elle futdétruite par les réistres il y a 26 ou 27 ans, ce qui fut raccommodé par les fruits décimaux fut bruslé par les héréticques ».16 ADHG, 2 MI 804, visite pastorale de 1631.17 Ferté (Jeanne), La vie religieuse dans les campagnes parisiennes, Paris, 1962, p. 84-94. Venard (Marc), « La construction des églises parois-siales du XVe au XVIIIe siècle », Revue d’Histoire de l’Église de France, t. LXXIII, 1987, p. 7-24.18 ADHG, 3 E 12554, Registre particulier des affaires de Monseigneur le cardinal de Joyeuse (1596-1618).19 Allègre (Victor), Du pays toulousain aux Pyrénées commingeoises : les vieilles églises de la Haute-Garonne, s.l.n.d., texte rone�ote�, ADHG,4 vol.20 ADHG, 3 E 12554, fol. 112, 476, 636, 960-970.
sa commanderie de Garidech, au nord de Toulouse. La
relation au sujet de l’église de la commanderie est
effrayante. Il y a une grande fente qui ne cesse de
s’élargir à la voûte de l’église, qui menace de tout faire
s’effondrer car le locataire du chapelain utilise le gre-
nier de l’église comme une volière, y entrepose du
bois, et du foin24. On ne peut sonner les cloches car le
bois du clocher est pourri. À l’inverse, l’église parois-
siale, au centre de la communauté, est en très bon état,
et est relativement bien dotée en ornements. Cette
situation s’observe dans de nombreuses paroisses.
S’il n’y eut pas de restructuration radicale des
espaces villageois au XVIIe siècle, il s’observe, dans le
paysage sacré toulousain, un net resserrement autour
de l’église paroissiale, au détriment des chapelles iso-
lées qui bien souvent, faute d’entretien, tombent en
ruine et disparaissent du paysage religieux.
Financer les aménagements intérieurs
Au sein de l’église rénovée, de nombreux acteurs,
à l’image des marguilliers interviennent pour des
restructurations. Pourtant, Charles de Montchal
publie en 1643 une ordonnance sur leurs mauvaises
pratiques car ils :« divertissent les deniers et rentes des bassins à leur
propre usage, et que cet abus fait que la plupart des
9
Reconstruire et réformer dans les campagnes toulousaines au XVIIe siècle
« Aux prieur, recteur, benefissiers, à tous les dits parois-
siens du lieu d’Aignes […] avouns ordonnés que lesdits
titulaires et fruitz prenans pourvoiront aux réparations
du tout, pour la somme de 25 escus, que les habitans
feront les charrois nécessaires selon la coustume dud[it]
diocèse »21.
Pourtant, le recteur, issu de l’ordre de Saint-Jean-
de-Jérusalem (ou de Malte), ne réside pas et n’a contri-
bué financièrement à aucune réparation ; l’autre déci-
mateur est le commandeur de Gagnac du même ordre.
Ils doivent se partager le montant des travaux en tant
que bénéficiers de la paroisse, à hauteur des décimes
qu’ils touchent. Les sacs à procès du parlement de
Toulouse comportent de nombreux exemples de mau-
vais payeurs, preuve que la Réforme catholique, dans
sa dimension matérielle, est fonction des bonnes
volontés et qu’il existe une distance entre théorie et
application sur le terrain. Ainsi, les conflits entre déci-
mateurs sont-ils chose courante, face au nombre de
réparations qui s’imposent au début du XVIIe siècle.
Les consulats n’hésitent pas à faire appel au parlement
pour obtenir un jugement. Ainsi, à Beauzelle, en
1601, l’église et le clocher sont en ruine, les consuls
proposent de faire les charrois aux habitants. Mais le
chapitre cathédral Saint-Étienne, décimateur, refuse
de procéder aux réparations et en conséquence, les
consuls font saisir le sixième des fruits décimaux. En
1602, au cours d’un nouveau procès entre cette com-
munauté et le chapitre métropolitain, les consuls
réclament la reconstruction de leur clocher mais le
décimateur prétend qu’il est en bon état22. À Saint-
Martin des Champs, annexe de Fourquevaux, ce sont
encore les habitants qui écrivent plusieurs requêtes
successivement en 1605, 1623 et 1656 pour deman-
der la réparation de leur église. Le chapitre Saint-
Étienne est enjoint de payer la reconstruction complète
de l’édifice, effondré car bâti de terre crue23.
Face à l’urgence de ces travaux, priorité fut enfin
donnée à l’entretien, à l’amélioration ou à la réparation
de l’église principale. Pour preuve, en 1661, le com-
mandeur de l’ordre de Malte envoie des visiteurs dans
8
fig.6 Montgiscard (Haute-Garonne), clocher-mur de l’église paroissiale.
fig.5 Reconstructions ou réparations effectuées sous le patronage du cardinal de Joyeuse
(1596-1616).
21 ADHG, 2 MI 801, ordonnance de 1596. 22 ADHG, BPS 205, BPS 353.23 ADHG, 2 MI 843, visite pastorale de 1596.24 ADHG, 1 H 414, fol. 3v-suiv.
Pourtant, malgré cet exemple relativement isolé, il
n’y avait certainement pas de fabrique institutionnali-
sée en Midi toulousain et la frontière entre les diffé-
rentes institutions semble bien mince. Dans les
sources, les termes de luminaires, confréries ou bassins
sont utilisés conjointement et de manière souvent
interchangeable. Leur action fut-elle similaire ? Les
autels sont en effet entretenus par des « luminaires »,
qui, en l’absence de statuts bien déterminés, sont par-
fois assimilables à des confréries30. Un des rôles de la
confrérie est en effet d’entretenir l’autel où elle a été
fondée, en fournissant les ornements mais surtout le
luminaire, dont nous avons vu qu’il s’agit de la charge
la plus importante. Dans la paroisse de Vieille-
Toulouse, la confrérie Notre-Dame de l’Assomption
adresse une supplique à l’archevêque pour obtenir des
revenus supplémentaires car elle ne peut entretenir le
luminaire ni posséder d’ornements31. Les « fabriques »
toulousaines ne sont bien souvent dotées d’aucunes
terres et ce que l’on nomme « fabrique » dans le nord
de la France n’existe, dans notre région que sous la
forme de multiples institutions, que sont des bassins,
des luminaires ou des confréries. La Réforme catho-
lique fut bien une œuvre collective sous l’impulsion
du curé, faisant intervenir conjointement patrons,
laïcs et autres institutions au statut mal établi.
Une réorganisation cultuelle engagée
La reconstruction des édifices religieux s’est
accompagnée de la modification en profondeur des
espaces intérieurs. Les textes normatifs apportent tout
d’abord nombre de recommandations concernant l’en-
tretien des édifices religieux où le terme « décence »
apparaît tel un leitmotiv. Le curé doit veiller à avoir une
église aussi belle que possible, déterminée principale-
ment par le fait que le culte puisse y être célébré dans
les meilleures conditions. Ces préoccupations concer-
nent le sacré visible de tous. Aussi, l’intérieur des édi-
fices religieux doit être décoré de « peintures hon-
nestes et dévotes ». De plus, « les crois, le nom de Iesus et autres images sainctes
figurées sur la terre ou peintes en lieu sale et indécent
soyent pour le plus tard dans un mois ostées et effacées
de la cure »32.
La difformité renvoie à ce qui est laid, cassé, dis-
proportionné ou tout simplement passé de mode.
C’est donc avant tout car elles sont indécentes ou non
conformes aux canons que certains décors doivent être
ôtés des églises. Dans ce contexte, le « monde du
dedans » a subi un profond réaménagement, assimi-
lable à l’effort de reconstruction entamé dès le début
du Grand siècle en Midi toulousain.
Primauté et visibilité du maître-autel
Une des évolutions les plus spectaculaires de la
Réforme catholique fut bien la transformation des
églises et de leur espace intérieur, dans le sens d’une
monumentalisation des objets, aboutissant à la visibi-
lité de la présence divine et des corps saints, et où
le maître-autel est conçu comme un « système
d’objets33 ». Ainsi, des destructions de jubés ont lieu
– lorsqu’ils ne tombent pas en ruine d’eux-mêmes – et
des autels secondaires sont déménagés, éventuelle-
ment détruits, afin que le maître-autel attire les
regards, grâce à son retable monumental.
Pour assurer en premier lieu la visibilité du
maître-autel, on ordonne, dans de nombreux diocèses,
de détruire les jubés. Dans le Toulousain, ces destruc-
tions ne semblent pas courantes et n’ont probable-
ment pas lieu avant le milieu du XVIIe siècle, comme
le montre l’église de Beaumont-sur-Lèze en 1638. Le
11
25 « Ordonnance concernant l’employ des deniers et revenus des bassins des églises paroissielles », Peyronet (Simon de), Recueil des ordon-nances synodales de Nosseigneurs les illustrissimes et re�ve�rendissimes archevesques de Tolose, a� Tolose, chez Arnaud Colomiez, 1669, p. 923.26 ADHG, 2 MI 922, procès-verbal puis ordonnance de visite de Charles de Montchal, 12 février 1637.27 Fournié (Michelle), Le ciel peut-il attendre ? Le culte du Purgatoire dans le midi de la France (v. 1320-v. 1520), Paris, Le Cerf, 1997, p. 109.28 ADHG, 14G, fonds de fabriques (non classé).29 ADHG, 14 G 12 (cote provisoire), f°7.30 C’est aussi le cas en Provence. Froeschlé-Chopard (Marie-Hélène), Espace et sacré en Provence, cultes, images, confréries, Paris, Le Cerf,1994, p. 89. 31 ADHG, 2 MI 960, supplique adressée par le recteur en 1647.32 « Instruction de Mgr de Ioyeuse, archevesque de Tolose, servant aux curés, prestres, marguilliers et autres pour les points desquels ilsont à luy repondre en la visite de son diocèse », Peyronet (S. de), op. cit., 1669, p. 1146.33 Cousinié (Frédéric), Le Saint des Saints. Maîtres-autels et retables parisiens du XVIIe siècle, Aix-en-Provence, Publications de l’Université deProvence, 2006, p. 10.
Reconstruire et réformer dans les campagnes toulousaines au XVIIe siècle
églises se treuvent despourveues de tableaux, de calice,
de nappes et autres ornemens nécessaires pour la célé-
bration du service divin »25.
Pour l’aménagement intérieur, le partage des
dépenses et les rôles de chacun des intervenants sont
strictement délimités, montrant à quel point la question
du financement des reconstructions fut centrale. L’église
collégiale de Saint-Félix de Caraman sert à la fois aux
chanoines et prébendiers, mais aussi au service paroissial.
Grâce à plusieurs extraits de visites pastorales, nous
pouvons en faire un cas d’école, car la séparation des
rôles et des dépenses est tout à fait éclairante26.
Chapitre et prébendiers ont tout d’abord en charge le
chœur, le maître-autel ainsi que les ornements divers.
Des laïcs sont aussi amenés à réparer les pavés des cha-
pelles où ils ont un droit de sépulture. Enfin des « bas-
sins », rattachés à des chapelles, sont sollicités pour les
réparations des autels, l’achat de statues ou d’orne-
ments. Le bassin est à l’origine un plat creux, en étain
ou en cuivre, familier aux cuisiniers, devenu l’instru-
ment des quêteurs. Il a laissé, dans le sud-ouest, son
nom aux compagnies chargées de recueillir l’argent
des fidèles27. C’est le terme qui est le plus couram-
ment employé dans les sources de l’époque, au détri-
ment du terme « fabrique », que nous ne voyons que
très peu dans les documents.
Malgré tout, certains documents, trop rares, nous
font entrevoir furtivement l’existence de marguilliers
qui œuvrent à la reconstruction des édifices.
L’administration de la fabrique du bassin de Notre-
Dame du bout du Pont de 1689 à 1692 nous le
montre plus précisément28. Des réparations sont donc
effectuées dans cette chapelle médiévale de la ville du
Lherm en 1690 et le mobilier y est renouvelé : instal-
lation d’une statue de la Vierge, d’un tabernacle et
d’un chandelier. Des femmes, qualifiées de mar-
guillières, mettent tout en œuvre pour effectuer ces
réparations. Elles reçoivent des dons, vendent des
tuiles issues des démolitions, organisent des quêtes,
pour une recette totale de 133 livres tournois. Elles
achètent ensuite le bois pour la charpente, les tuiles
canal, les chevilles, la chaux et se procurent même de
quoi nourrir les ouvriers. Elles font ainsi reconstruire
la chapelle, la porte, les balustrades et les vitres.
D’autres personnages interviennent aussi comme des
personnalités locales qui contribuent par des dons, les
paroissiens qui aident par les charrois, mais aussi l’ar-
chiprêtre du Lherm qui participe financièrement aux
travaux29.
10
fig.7 Pourcentage de paroisses pourvues de tabernacles entre 1596 et le milieu du XVIIe siècle.
suppression de l’un d’entre eux, auquel il est doréna-
vant défendu de célébrer la messe. La multitude des
autels pouvait être un problème par rapport à la taille
de l’église. Gilbert de Choiseul, en Comminges,
décrète lui aussi au cours de ses visites la démolition
de nombreux autels au sein des sanctuaires40.
Les confessionnaux et les fonts baptismaux :
l’uniformisation des espaces
Si les autels surnuméraires ou encombrants sont
supprimés pour faciliter le passage des fidèles, du clergé
ou des processions, et mettre en valeur l’autel princi-
pal, les confessionnaux – car il y en avait autant que de
confesseurs – font leur apparition dans les églises au
milieu du XVIIe siècle41. La véritable impulsion de leur
introduction remonte au règne de Louis XIII et fait
suite à l’action de saint Vincent de Paul, mais il n’en
est jamais question dans les sources toulousaines avant
les années 1630-1640. Par la suite, ces mobiliers subis-
sent l’harmonisation des décors à la fin du XVIIe siècle :« Qu’ils ayent quatre pans de profondeur, on accomode-
ra les grilles qui sont de chaque costés, on mettra
quelques images qui représentent les mystères de la
mort et de la passion de Nostre Seigneur »42.
Si la construction de ce meuble ne nécessitait pas
un budget démesuré, son apparition est pourtant tar-
13
34 ADHG, 2 MI 838, visite de 1638. Un pan, forme occitane du mot empan, mesure vingt-cinq centimètres.35 Par exemple à Aignes, « Le presbytère et séparé de la nef par une petite muraille d’environ cinq pans de hauteur » ADHG, 2 MI 801,visite de 1640.36 Peyronet (S. de), op. cit., p. 1145-1146.37 À partir des années 1690, en revanche, les commandes de mobiliers liturgiques se raréfient à Toulouse. Sartre (Fabienne), « La sculpturetoulousaine dans la première moitié du XVIIIe siècle », BSAMF, 2001, p. 217.38 ADHG, 2 MI 884, visite de 164039 ADHG, 2 MI 922, visite de 1698.40 ADHG, 2 MI 807, visite de 1639. 41 Brunet (Serge), Les prêtres des montagnes, la vie, la mort, la foi dans les Pyrénées centrales sous l’Ancien Régime, Aspet, PyréGraph, 2001,p. 263.42 Guyader (Josseline), « La pénitence privée au XVe siècle d’après les statuts synodaux de Bernard de Rozier, archevêque de Toulouse (Pâques1452) », Le for intérieur, colloque organisé par le Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie, le 13 et 14 octobre1994, Paris, PUF, 1995, p. 283.
Reconstruire et réformer dans les campagnes toulousaines au XVIIe siècle
« presbytère est fermé à cinq pans de hauteur et au
dessus des barreaux de sapin avec une porte de mesme
fermant à clef tout peint »34. Il n’est pourtant pas cer-
tain, d’après les textes, que les jubés dominaient dans
les églises toulousaines à la fin du XVIe siècle et, avec
les mises à sac successives, beaucoup avaient pu dispa-
raître par manque d’entretien. Le terme de « jubé » est
d’ailleurs assez peu usité dans les procès-verbaux de
visites pastorales35. Ils sont donc peu à peu remplacés
par des balustrades, qui clôturent et hiérarchisent l’es-
pace au sein des églises.
Puis, sur le maître-autel, le premier objet touché
par d’importantes transformations est le tabernacle,
armoire destinée à conserver l’Eucharistie. À la fin du
XVIe siècle, le Saint-Sacrement était en effet souvent
conservé dans des reliquaires ou d’autres boîtes, comme
à Castelmaurou en 1597 : « le reliquere en argent
[sert] pour tenir le Saint-Sacrement ». Le cardinal de
Joyeuse fait obligation de dresser des tabernacles sur
les autels, suivant une description très précise :« Qu’il soit doublé de quelque belle estoffe et pour le
moins de taffetas blanc. Qu’il soit couvert pour plus grande
décence, et pour le défendre de la poudre d’un pavillon
de soye, s’il se peut ou plus riche estoffe. Que ledit
Tabernacle soit mis sur le grand autel, un peu relevé »36.
On constate tout d’abord une spécialisation de ce
meuble destiné uniquement au Saint-Sacrement –
croix, reliques ou parchemins souvent accumulés pêle-
mêle en sont exclus. D’après l’enquête de 1596, il est
présent dans seulement 35% des paroisses étudiées.
Cette proportion ne fait qu’augmenter, et pour soixante-
deux paroisses visitées au milieu du XVIIe siècle,
88,7% sont équipées d’un tabernacle (fig.7).
Un tournant a donc bien lieu dès les années 1620-
1630, preuve en est le grand nombre de commandes
réalisées dans les ateliers toulousains37. À la fin du
siècle, très peu d’ordonnances concernaient leur mau-
vais entretien, attestant que le principe de la réserve
eucharistique, éclairée par la lumière du Saint-
Sacrement, se serait imposé dans le diocèse de
Toulouse.
L’installation de retables au-dessus du maître-autel
se fit en revanche plus tardivement (fig.8).
D’après les comptes rendus de visites pastorales,
les retables sont installés dans les paroisses à partir des
années 1650-1660. Ils sont couramment associés à des
« degrés » au-dessus de l’autel, qui sont des gradins
sur lesquels on place des chandeliers, des reliquairesou des fleurs mais ceux-ci font parfois partie intégrantedu retable, comme à Montgéard :
« Un retable de chaisne fait en arceau, avec trois degrés
au pied d’icelluy, le tout peinct et six mystères de la
Vierge gravés sur des pièces de marbre qui sont enchâs-
sées dans led[it] retable »38.
Enfin, les autels, et notamment le maître-autel,sont surélevés, de manière uniformisée. Vers 1700,chaque autel doit disposer d’un marchepied à troisniveaux aux dimensions exactes, ce que relèvent lescomptes rendus des visites pastorales de Mgr Colbertde Villacerf :
« On couvrira l’autel d’une table de bois de sapin, au
milieu on mettra une pierre sacrée à deux doigts au
bord de l’autel qu’on couvrira d’une toile cirée »39.
Le maître-autel est aussi surélevé par rapport auxautres, dans un objectif de hiérarchisation, en faisantun objet monumental (fig.9).
Au cœur de l’église, la prééminence du maître-autel ne signifie pas pour autant son exclusivité. Dansla Provence et son « monde du dedans », on observesouvent la construction de deux chapelles latérales enhaut de la nef, dédiées respectivement au Rosaire et àsaint Joseph. Ces nouveaux cultes n’existaient pasdans le terroir et témoignent de l’introduction d’unereligion urbaine dans les campagnes. Dans ce nouveauplan architectural, le saint intercesseur devient unmodèle : il se soumet à la vie divine et se définit désor-mais par rapport à Dieu. Les autels doivent être fondéspour être conservés dans la durée, donc posséder desrevenus réguliers ainsi qu’une pierre sacrée. À défaut,ils sont souvent détruits, surtout lorsqu’ils nuisent à lavision globale et à l’harmonie de l’espace sacré réamé-nagé. On ordonne donc de nombreuses destructionsd’autels, comme par exemple à Beaufort en 1639.Charles de Montchal y trouve, lors de sa visite :
« contre les barreaux du chœur, une table servant d’au-
tel, une nappe, un retable avec grand crucifix de bois
tout difforme. Ordonné qu’on ostera l’autel et le cruci-
fix de là, attendu qu’il empêche les paroissiens qui sont
dans la nef ne puissent voir le prebstre qui célèbre au
grand autel ».
À Colomiers en 1640, il existe deux autels deNotre-Dame, de forme similaire et dotés d’ornementssemblables. L’archevêque, lors de sa visite, décrète la
12
fig.8 Comparaison entre le pourcentage des églises dotées de tabernacles et de retables entre 1596 et 1700 (les tabernacles ne sont pas cités dans les visites pastorales de Colbert de Villacerf).
entreposer des coffres encombrant souvent le chœur45.
On conservait la plupart du temps les ornements dans
des coffres fermés par une clé en la possession d’un
marguillier, ce qui pouvait être problématique en cas
de mauvaises relations avec les laïcs.
Le nombre de sacristies ne cesse d’augmenter au
cours du siècle car, entre 1596 et 1615, 60% des édi-
fices ruraux en possèdent une, tandis qu’à la fin du
siècle, 96% des édifices étudiés en sont dotés46. Les
sacristies sont donc bien construites ou aménagées à
mesure que s’organise la campagne de reconstruction
des églises rurales. Il ne s’agit pas toujours de
construire une nouvelle partie à l’église, car certaines
chapelles peuvent en faire office, comme à Villariès en
159647. Il en est de même au Pin-Balma, où la chapelle
de Saint-Antoine et Sainte-Catherine, qui est mal
tenue, servira de sacristie48. Elles sont donc progressi-
vement aménagées autour du chœur ou parfois entiè-
rement bâties le cas échéant.
La sacristie pour laquelle nous disposons de plus
amples détails est celle de Grisolles. En effet, le sei-
gneur de la paroisse l’a réquisitionnée afin d’en faire sa
chapelle personnelle. Le curé tente en vain de la récu-
pérer. Aussi Jean-Baptiste Michel Colbert de Villacerf,
lorsqu’il visite l’église en 1698, en ordonne-t-il la
reconstruction pure et simple49. La salle doit être suf-
fisamment vaste, contenir les vases sacrés et toute la
paramentique, conservée dans des armoires spéciali-
sées. Une cuvette, des prie-Dieu et une croix au milieu
de la table affirment l’espace strictement sacré. Des
armoires contiennent le linge et des prie-Dieu. De
taille convenable, ces pièces devraient posséder une
fenêtre, un bénitier et un petit oratoire. Décors et
aménagements sont une fois encore complètement
harmonisés en cette fin de siècle. Propreté, luminosité
et décence sont désormais de mise, à l’image des sanc-
tuaires eux-mêmes. La sacristie est dès lors propriété
du clergé, qui gère, avec l’aide d’un sacristain, les
ornements de la messe.
La Réforme catholique, née des oppositions vio-
lentes entre chrétiens, fut d’abord affaire de recons-
truction dans le diocèse de Toulouse. La mémoire des
guerres de Religion fut savamment entretenue par le
clergé pour justifier la nécessité de la réforme intérieure.
Aussi, le paysage religieux, conservant les stigmates
de ces affrontements, a-t-il été profondément modifié.
Cet effort fut immense, et les sommes dépensées ne le
furent pas moins. L’étude de la reconstruction nous a
mis face à un problème crucial, celui de la part de l’ar-
gent et des acteurs paroissiaux dans le processus de
réforme. Bassins, confréries, luminaires, servaient à
récolter de l’argent, à entretenir un autel ou son lumi-
naire. Puis, au sein de toutes les chapelles, une partie
de l’argent était mise en commun pour l’entretien du
maître-autel, sans que les règles de répartition en
soient fixées de manière uniformisée. Néanmoins, l’ef-
fort de reconstruction dépend avant tout de l’activisme
du curé. Un peu partout, une unification des décors se
produit, grâce à des retables monumentaux, au centre
desquels se situe le tabernacle. Ainsi, à la fin du XVIIe
siècle, les visites pastorales donnent à voir des églises
uniformisées dans leurs décors, leurs architectures
intérieure et extérieure, de plus en plus conformes aux
idéaux tridentins. L’importante vague de reconstruc-
tion a donc contribué a� imposer la Réforme catholique
dans les églises du diocèse, à des rythmes variés, en
fonction des moyens financiers et des volontés locales,
ou de l’émulation au sein de confréries, qui donnent
lieu à des commandes. Si la Réforme catholique vient
d’en haut, elle est aussi appliquée a� la base grâce à une
multitude d’acteurs locaux qui y concourent.
Estelle Martinazzo
Docteur en Histoire moderneUniversité Montpellier III-Paul Valéry (CRISES)
15
43 ADHG, 2 MI 955, visite de 1696.44 ADHG, 1 J 1815, fol. 77-84.45 ADHG, 2 MI 819, ordonnance de 1593. 46 Venard (M.), RHEF, op. cit., 1987, p. 32.47 Cette étude des sacristies se fonde sur un tiers des paroisses du diocèse.48 ADHG, 2 MI 960.49 Le cardinal de Joyeuse visite en personne cette paroisse (c’est la seule qu’il visite d’ailleurs). ADHG, 2 MI 894 ; Baccrabère (Georges),Les paroisses rurales du diocèse de Toulouse. Exercice du droit de visite, Toulouse, imp. Mulhe Roux, 1968, p. 52. 50 ADHG, 2 MI 850, visite de 1698.
Reconstruire et réformer dans les campagnes toulousaines au XVIIe siècle
dive. À Auzeville, d’après l’inventaire réalisé par le
curé François Launès en 1680, il y a deux confession-
naux43. Un troisième vint enrichir le mobilier de
l’église, acheté par le curé neuf livres à une dame de la
paroisse. Ainsi, la pratique du secret s’insère-t-elle
dans l’espace sacré. Les modifications architecturales
que subissent les églises sont donc en lien avec la
réforme du clergé et l’évolution de la réflexion menée
autour des cas de conscience et du sacrement de péni-
tence. Si les confessionnaux ne furent pas toujours une
priorité dans l’ameublement des églises, ils se sont
imposés progressivement, dans la deuxième partie du
siècle, dans les sanctuaires de la région toulousaine.
De même, un effort important de réaménagement
affecte les fonts baptismaux. À Castanet, en 1593 :« Ordonné qu’on fera faire les fonts baptismaux, une
conque de pierre faite toute ronde, en laquelle il sera
fait un trou au milieu, ladite conque sera couverte de
bois et on tiendra une nappe ; auquel sera peint un saint
Jean baptisant Notre Seigneur et au costé sera fait un
armoire contenant tout ce qui est besoin »44.
Au premier rang des préoccupations, on trouve la
volonté de fermer, à l’image des chapelles, les fonts
baptismaux. Seuls le curé ou les prêtres sont autorisés
à y pénétrer. L’eau doit être conservée de manière
décente, car c’est un espace sacré. L’armoire contenant
les différents ornements nécessaires au baptême ren-
ferme aussi le livre des baptêmes, mariages et sépul-
tures. Les fonts baptismaux doivent aussi être décorés,
de manière complètement uniformisée, ici avec un
tableau peint, d’une représentation de saint Jean bap-
tisant le Christ. Cette volonté répond à un programme
iconographique précis, porteur de la dimension péda-
gogique de l’image et applicable à tous les édifices
paroissiaux.
Les sacristies, symbole du contrôle du clergé
Les sacristies ont généralement été ajoutées tardi-
vement à des églises préexistantes. Il fallait, d’une
part, donner la possibilité aux prêtres de s’habiller, à
l’écart des fidèles, avant la messe, et d’autre part,
14
fig.9 Montgiscard, retable monumental de l’église paroissiale.