Musique et conflits armés après 1945 - OpenEdition Journals

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Transposition Musique et Sciences Sociales 4 | 2014 Musique et conflits armés après 1945 Music and Armed Conflicts after 1945 Luis Velasco-Pufleau (dir.) Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/transposition/407 DOI : 10.4000/transposition.407 ISSN : 2110-6134 Éditeur CRAL - Centre de recherche sur les arts et le langage Référence électronique Luis Velasco-Pufleau (dir.), Transposition, 4 | 2014, « Musique et conflits armés après 1945 » [En ligne], mis en ligne le 15 juillet 2014, consulté le 28 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ transposition/407 ; DOI : https://doi.org/10.4000/transposition.407 Ce document a été généré automatiquement le 28 septembre 2020. La revue Transposition est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.

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TranspositionMusique et Sciences Sociales 

4 | 2014Musique et conflits armés après 1945Music and Armed Conflicts after 1945

Luis Velasco-Pufleau (dir.)

Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/transposition/407DOI : 10.4000/transposition.407ISSN : 2110-6134

ÉditeurCRAL - Centre de recherche sur les arts et le langage

Référence électroniqueLuis Velasco-Pufleau (dir.), Transposition, 4 | 2014, « Musique et conflits armés après 1945 » [En ligne],mis en ligne le 15 juillet 2014, consulté le 28 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/transposition/407 ; DOI : https://doi.org/10.4000/transposition.407

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SOMMAIRE

Présentation

Musique et conflits armés après 1945

Articles

Définir le peuple et sa musique : les débats sur le rebetiko dans la presse de gauche pendantet après la guerre civile grecque (1946-1961)Panagiota Anagnostou

Un bruit lointain ? Les musiciens chiliens face à la Guerre du Vietnam (1965-1975)Mauricio Gómez Gálvez

Conflits armés, idéologie et technologie dans Für Paul Dessau de Luigi NonoLuis Velasco-Pufleau

Borrowed Tunes. Commando and Morale Booster Songs of RUF Fighters in the Sierra LeoneWarCornelia Nuxoll

Pathways to music tortureMorag Josephine Grant

VariaMusique et conflits armés avant 1945

Mourning at the Piano: Marguerite Long, Maurice Ravel, and the Performance of Grief inInterwar FranceJillian Rogers

Traduction

« Vous êtes dans un lieu hors du monde... » : la musique dans les centres de détention de la« guerre contre la terreur »Suzanne G. Cusick

Afterword to “You are in a place that is out of the world…”: Music in the Detention Camps ofthe “Global War on Terror”Suzanne G. Cusick

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Entretiens

La musique comme voie possible d’une histoire comparée des conflits armés.Entretien avec Didier FrancfortLuis Velasco-Pufleau

De la musique à ses objets et ses images. Entretien avec Florence GétreauFanny Gribenski et Isabelle Mayaud

Comptes-rendus de lecture

Allan W. Atlas, La musique de la renaissance en Europe, 1400-1600 Turnhout, Brepols, coll. « Épitome musical », 2012, XXIX+955 p.Cindy Pédelaborde

Stéphane Audoin-Rouzeau, Esteban Buch, Myriam Chimènes et Georgie Durosoir (dir.), LaGrande Guerre des musiciensLyon, Symétrie, coll. « Perpetuum mobile », 2009, 248 p.Étienne Jardin

Annegret Fauser, Sounds of War. Music in the United States during World War IINew York, Oxford, Oxford University Press, 2013, 384 p.Esteban Buch

Martin Iddon, Music at Darmstadt. Nono, Stockhausen, Cage, and BoulezCambridge, Cambridge University Press, 2013, 349 p.Annelies Fryberger

Beate Kutschke, Barley Norton (éds.), Music and Protest in 1968Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2013, 342 p.Pierre Albert Castanet

Morag J. Grant and Férdia J. Stone-Davis (éds.), The Soundtrack of Conflict: The Role ofMusic in Radio Broadcasting in Wartime and in Conflict SituationsHildesheim, Georg Olms Verlag, 2013, 253 p.Huw Hallam

Márta Grabócz (dir.), Les opéras de Peter Eötvös entre Orient et OccidentParis, Éditions des archives contemporaines, 2012, 174 p. Béatrice Ramaut-Chevassus

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PrésentationIntroduction

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Musique et conflits armés après1945Music and Armed Conflicts after 1945

1 Dans son ouvrage De la guerre, paru pour la première fois en 1832, Carl von Clausewitz

affirme que la guerre se situe à l’intérieur des rapports politiques : elle serait unvéritable « instrument politique, une continuation des rapports politiques, laréalisation des rapports politiques par d’autres moyens1 ». Ainsi, l’un des apports lesplus importants de la pensée de Clausewitz à la compréhension de la guerre, résultantde ce postulat, serait que celle-ci ne constitue pas la rupture d’un processus, unmoment liminaire en dehors des rapports sociaux et politiques, mais leurcontinuation – « la politique existe avant la guerre, elle se poursuit à travers la guerredans la décision d’engagement des forces armées et continue après la guerre ; à aucun

moment son cours n’est interrompu2 ».

2 Inversement, la guerre agit sur le politique3 du fait qu’elle a la capacité de reconfigurer

durablement les rapports sociaux, les cadres sensibles, les codes symboliques et lesdispositifs mémoriels des sociétés concernées. Elle implique donc une mobilisation deressources symboliques, de discours et de pratiques de la part des acteurs qui va bienau-delà de l’engagement armé et des violences qui en découlent. C’est ainsi que laréflexion sur les rapports entre les conflits armés, d’une part, et les œuvres et lespratiques musicales (en tant que ressources et objets symboliques) d’autre part, peutêtre d’une grande utilité pour penser aussi bien les processus mis en œuvre dans lesdynamiques de la violence armée que les processus de création, d’appropriation et demobilisation propres à l’objet musical.

3 Les recherches historiques et musicologiques sur le rôle des œuvres et des pratiques

musicales au sein des conflits armés – ainsi que celles sur l’impact des conflits sur lesœuvres et les pratiques musicales – ont connu un essor significatif durant les troisdernières décennies4, notamment en ce qui concerne les deux guerres mondiales duXXe siècle 5. De même, les recherches sur les liens entre musique et violence6 oumusique et contestation7, ainsi que sur les rapports entre la musique et les régimesautoritaires et totalitaires8 ont eu une influence – directe ou indirecte – sur ledéveloppement de cet objet d’étude. Enfin, les recherches sur les rapports entre la

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musique et les conflits armés contemporains ont trouvé une place significative au seindes conflict transformation studies9, lesquelles ont participé à la consolidation d’uneapproche interdisciplinaire où l’objet musical occupe une place centrale. Le dossier duquatrième numéro de Transposition. Musique et sciences sociales participe dudéveloppement de cette réflexion sur les rapports entre les œuvres, les pratiquesmusicales et les conflits armés d’après 1945. Ce choix chronologique se justifie par larelative absence de recherches en musicologie sur les conflits armés contemporains, enregard notamment de la richesse des travaux traitant par exemple des deux guerresmondiales. Il a semblé nécessaire au comité de rédaction de Transposition d’ouvrir ici unespace de réflexion qui aborderait le rôle des œuvres et des pratiques musicales dansdivers contextes géopolitiques, au sein de différentes zones géographiques danslesquelles la violence armée s’est établie, mais qui traiterait aussi de l’impact desconflits contemporains sur la création musicale elle-même10.

4 De manière générale, les articles qui constituent ce numéro peuvent être regroupés en

suivant trois axes différents mais non exclusifs : ceux qui analysent le déclenchementdes processus d’identification des différents acteurs engagés dans les conflits armés parle biais de la création ou de la mobilisation d’œuvres et de pratiques musicales ; ceuxqui étudient les utilisations et les appropriations des œuvres musicales par des acteursengagés dans la violence armée ; ceux, enfin, qui analysent la fonction sociale qu’ont lesœuvres et les pratiques musicales de sublimer la souffrance provoquée par ces conflits.Ces textes mettent en exergue la participation des œuvres et des pratiques musicales àla ritualisation des actions et violences liées aux conflits armés, ainsi qu’aux modalitésmémorielles qui en découlent : l’entraînement des combattants, l’engagement desmusiciens vis-à-vis de la guerre, les pratiques de torture, les processus de consolidationdes imaginaires sociaux ou encore la sublimation de la tristesse associée au deuil.

5 L’article de Panagiota Anagnostou analyse ainsi les débats provoqués par le rebetiko

dans la presse de gauche dans le contexte de la guerre civile grecque. L’auteure étudiecomment la catégorie de « peuple » se reconfigure dans les débats des intellectuelsgrecs de l’après-guerre à propos du rebetiko et de quelle façon la recherche d’unemusique « authentiquement populaire » vient remplacer « la question de la “musiquenationale”, qui a intensément préoccupé les intellectuels de toute orientation depuis lafin du XIXe siècle ». S’appuyant sur une vaste documentation, Anagnostou examine lerôle de la musique dans les processus d’institutionnalisation de la mémoire sociale liéeau conflit armé grec. Elle montre de quelle façon « la construction de la catégorie semi-imaginaire du “vrai” rebetiko suscite un intérêt pour le passé, un intérêt conforme àl’époque : plus on s’éloigne de la défaite lors de la guerre civile, plus le besoin decomprendre et, jusqu’à un certain point, de remodeler le passé récent apparaît ».

6 La capacité de la musique à enclencher des processus d’identification est aussi analysée

par Mauricio Gómez Gálvez à propos de l’engagement des musiciens chiliens contre laguerre du Vietnam. L’analyse de l’auteur part de l’hypothèse selon laquelle, dans lecontexte du Chili de Salvador Allende, « la lutte contre la guerre du Vietnam, en tantque facteur majeur de mobilisation et de cohésion sociale, joue un rôle important dansl’éclosion de formes d’art politiquement engagé, y compris la musique, consolidant – etpréfigurant parfois – les manifestations les plus caractéristiques de la période del’Unité Populaire ». L’auteur étudie les modalités et la portée de l’opposition desmusiciens chiliens contre la guerre du Vietnam, notamment les représentants de la

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Nouvelle chanson chilienne, montrant la pluralité des genres et des styles musicauxmobilisés.

7 Pour sa part, l’article de Luis Velasco-Pufleau explore les rapports entre idéologie,

technologie et conflits armés dans l’œuvre Für Paul Dessau de Luigi Nono. Pour l’auteur,cette œuvre « répond à la problématique concrète de la politisation de la musiquedurant la Guerre froide : l’utilisation stratégique de la création musicale et de latechnologie au service d’un idéal politique ». Ainsi, s’appuyant sur les notionsd’idéologie, d’intellectuel et d’hégémonie, Velasco-Pufleau analyse de quelle façonNono identifie et mobilise les luttes de libération du tiers-monde dans son œuvre etétudie les enjeux esthétiques et politiques de l’engagement communiste ducompositeur italien. Il montre enfin comment, « grâce aux moyens offerts parl’électronique, Für Paul Dessau “transpose” et relie symboliquement les voix d’unarchipel de luttes politiques et de conflits armés du XXe siècle ».

8 Cornelia Nuxoll examine de son côté la question du transfert des pratiques musicales en

contexte de violence armée, via l’appropriation et l’usage des chants decommandement et de motivation par les combattants du Revolutionary United Front

(RUF) durant la guerre civile en Sierra Leone. À partir d’une approche socio-anthropologique, l’auteure souligne l’influence, dans ce conflit, du répertoire et despratiques musicales initialement développés lors de la guerre civile au Libéria, enétudiant l’adaptation contrefactuelle des paroles et mélodies des chants mais aussi leurefficacité émotionnelle dans l’entraînement des combattants du RUF et dansl’enclenchement de la violence armée. La musique fait partie des rituels quotidiens quipermettent aux combattants d’affronter et d’appréhender collectivement l’expériencede la guerre.

9 Les usages des œuvres et des pratiques musicales pour encadrer ou pour canaliser la

violence armée sont multiples et ont une histoire spécifique, ainsi que le montre letexte de Morag Josephine Grant concernant l’utilisation de la musique dans despratiques de torture. L’auteure analyse, dans cet article, cinq voies différentes – maisinterconnectées – de ces usages, certaines très anciennes, comme la tradition militaire,ou d’autres plus récentes, comme l’utilisation de la musique dans les pratiques deprivation sensorielle développées durant la guerre froide et mises en œuvreactuellement, notamment par l’armée des États-Unis dans le cadre de leur « guerrecontre la terreur ». Grant analyse cette évolution dans une perspective historique,soulignant les rapports de domination et les conceptions philosophiques de l’êtrehumain qui sous-tendent cette utilisation de la musique, ainsi que la dimensionpolitique de ces pratiques.

10 Cette utilisation récente de la musique comme instrument de torture, notamment par

l’armée des États-Unis, a provoqué d’importants débats outre-Atlantique11. Afin de fairepart aux lecteurs francophones des problématiques éthiques, artistiques, politiques etsociales soulevées par ces pratiques, le comité de rédaction de Transposition a décidé detraduire et de publier en français un article important de Suzanne G. Cusick sur lesujet12. Dans ce texte, l’auteure livre des témoignages d’anciens prisonniers et d’anciensmilitaires ayant subi ou pratiqué ces méthodes en Irak, en Afghanistan, au Pakistan et àCuba. Elle y montre le caractère systématique et réfléchi de ces pratiques de torture,rendant compte des spécificités et des conséquences de l’implication de la musiquedans ces actes. Les recherches de Cusick ont eu un impact considérable sur laconnaissance publique de ces méthodes, ainsi que sur la condamnation de l’utilisation

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de la musique dans tout acte de torture de la part de la communauté académique etartistique aux États-Unis13. Suite à la demande du comité de rédaction de Transposition,Suzanne G. Cusick a écrit un texte sous forme d’épilogue pour accompagner lapublication de cette traduction. Elle y fait un état des lieux des principales recherchesmenées depuis la publication de son article en 2008.

11 Ce dossier thématique est accompagné d’un article de Jillian Rogers, qui porte sur les

liens entre la création musicale de Maurice Ravel, la pratique du piano de MargueriteLong et le processus de deuil en France dans le contexte de la Première Guerremondiale. Dans ce texte, l’auteure analyse comment la pratique du piano étaitconsidérée, dans la France de la Grande Guerre, comme salutaire pour affronter latristesse provoquée par l’expérience de la guerre. Elle montre ensuite de quelle façon,« en composant Le Tombeau de Couperin dans le style du jeu perlé que son amieMarguerite Long préférait, Ravel lui a donné l’occasion de faire [le] deuil [de son épouxmort au combat en 1914] à travers un jeu pianistique répétitif, rythmique et exigeantsur le plan kinesthésique, susceptible, pensait-on, d’engendrer une transformationémotionnelle ». Cet article met ainsi en perspective cette dimension émotionnelle despratiques musicales dans leur interaction avec l’expérience collective de la guerre et ladouloureuse intimité du deuil.

12 Le numéro est complété par deux entretiens avec des chercheurs français – Florence

Gétreau et Didier Francfort – qui ont travaillé, ou qui travaillent, sur les liens entre lamusique et les conflits armés. Dans le premier entretien, Didier Francfort partage avecnous l’importance qu’a eue la musique dans son parcours d’historien, notamment dansla consolidation d’une approche comparée des faits historiques et des pratiquesculturelles, et ouvre un dialogue sur la mobilisation par des acteurs divers des œuvreset des pratiques musicales au sein des conflits armés. Dans le second entretien,Florence Gétreau retrace son parcours de chercheuse et de conservatrice de musée etprésente certains de ses projets actuels, notamment l’exposition Entendre la guerre : sons,

musiques et silence en 14-18, organisée par l’Historial de Péronne à l’occasion ducentenaire de la Première Guerre mondiale.

13 À partir de ce numéro, Transposition. Musique et sciences sociales sera publiée sur la

plateforme de revues en sciences humaines et sociales revues.org. Cette nouvelle étapedans la vie de la revue réaffirme l’engagement du comité de rédaction en faveur de ladiffusion en libre accès des recherches originales en musicologie et en sciences socialesportant sur les différentes facettes de l’objet musical.

NOTES

1. CLAUSEWITZ, Carl von, De la guerre, édition abrégée et présentée par Gérard deChailand, traduction de l’allemand par Laurent Murawiec, Paris, Perrin, 2006, p. 56.

2. DESPORTES, Vincent, Comprendre la guerre, Paris, Economica, 2001, p. 17.

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3. Entendu ici dans le sens que lui donne Jacques Rancière : « l’activité qui reconfigureles cadres sensibles au sein desquels se définissent des objets communs » (RANCIÈRE,

Jacques, « Les paradoxes de l’art politique », in Le Spectateur émancipé, Paris, LaFabrique, 2008, p. 66).

4. À titre indicatif, voir le récent ouvrage dont le compte-rendu est publié dans cenuméro, GRANT, Morag J. et STONE-DAVIS, Férdia J. (éd.), The Soundtrack of Conflict: The Role

of Music in Radio Broadcasting in Wartime and in Conflict Situations, Hildesheim, Georg OlmsVerlag, 2013.

5. Voir par exemple AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane, BUCH, Esteban, CHIMÈNES, Myriam et

DUROSOIR, Georgie (dir.), La Grande Guerre des musiciens, Lyon, Symétrie, coll. « Perpetuum

mobile », 2009 ; DOÉ DE MAINDREVILLE, Florence, ETCHARRY, Stéphan (dir.), La Grande

Guerre en musique. Vie et création musicales en France pendant la Première Guerre mondiale,

Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, coll. « Études de Musicologie/Musicological Studies », 2014 ;FAUSER, Annegret, Sounds of War. Music in the United States during World War II, New York,

Oxford, Oxford University Press, 2013.

6. Par exemple, voir à ce sujet le numéro 10 de Trans. Revista intercultural de música (enligne, http://www.sibetrans.com/trans/publicacion/5/trans-10-2006) ainsi que FAST,

Susan et PEGLEY, Kip (éd.), Music, Politics and Violence, Middletown, Westleyan University

Press, 2012.

7. Voir par exemple KUTSCHKE, Beate et NORTON , Barley (éd.), Music and Protest in 1968,

Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2013.

8. Sur ce sujet, voir plusieurs articles de la revue en ligne Music and Politics (http://quod.lib.umich.edu/m/mp) ou l’ouvrage suivant : ILLIANO, Roberto et SALA, Massimiliano

(éd.), Music and Dictatorship in Europe and Latin America, Turnhout, Brepols, 2009.

9. Voir à ce sujet BERGH, Arild et SLOBODA, John, « Music and Art in ConflictTransformation: A Review », in Music and Arts in Actions, Vol. 2, no 2, 2010 (en ligne,http://musicandartsinaction.net/index.php/maia/article/view/conflicttransformation).

10. Ce numéro est resté cependant ouvert aux recherches qui nous ont paru originalessur les conflits armés d’avant 1945, comme le montre l’article de Jillian Rogers.

11. Pour un aperçu de ces débats, voir deux articles traduits en français dans Courrier

international : http://www.courrierinternational.com/article/2006/02/23/de-la-musique-comme-instrument-de-torture ; http://www.courrierinternational.com/article/2009/10/26/des-artistes-s-elevent-contre-la-torture-musicale.

12. Pour une discussion en français sur cette problématique, voir aussi VOLCLER,Juliette, Le Son comme arme. Les usages policiers et militaires du son, Paris, La Découverte,2011 ; SZENDY, Peter, « Musique et torture (1). Les stigmates du son », in Po&sie, no 134,Belin, 2010, p. 85-92 ; SZENDY, Peter, « Musique et torture (2). Cloués au sens », inPo&sie, no 135, Belin, 2011, p. 109-115.

13. Par exemple, voir la déclaration de la Society for American Music pour condamner etprotester contre ces usages (http://american-music.org/organization/tick_resolution.php).

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Articles

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Définir le peuple et sa musique : lesdébats sur le rebetiko dans la pressede gauche pendant et après laguerre civile grecque (1946-1961)Defining the people and its music: the left press debates on rebetiko during the

Greek civil war and its aftermath (1946-1961)

Panagiota Anagnostou

1 Ce n’est qu’en juin 1946 que l’usine de Columbia à Athènes reprend son activité, après

cinq ans de fermeture. Les musiciens entrent à nouveau en studio pour enregistrerleurs succès, déjà diffusés dans les tavernes. L’occupation allemande (avril 1941 –octobre 1944), avec des conséquences particulièrement désastreuses pour la Grèce1, estsuivie par la « guerre des bandits2 », la guerre civile grecque qui éclate cette mêmeannée 19463. Malgré la profonde instabilité politique et les affrontements armés dansles provinces, la vie reprend son cours dans la capitale sous le pouvoir dugouvernement royaliste, mis en place par les Britanniques. C’est encore en 1946 que lepremier article sur la musique populaire paraît dans la presse de gauche, au moment oùles orchestres à bouzouki connaissent une grande popularité et envahissent les lieuxnocturnes de divertissement.

2 La présente étude examine les débats sur le rebetiko parus dans la presse de gauche

pendant la guerre civile et la décennie qui l’a suivie. Elle analyse notamment les articlesparus dans Rizospastis, le journal du Parti communiste, avant son interdiction en 1947,ainsi que les débats parus pendant les années 1950 et en 1961 dans Avgi, quotidienregroupant la pluralité des orientations idéologiques de gauche, et dans Epitheorisi

Technis, revue mensuelle des lettres et des arts, affiliée à la gauche. En étudiant les avismusicaux exprimés au sein d’un mouvement de gauche défait puis se reconstruisantprogressivement, elle propose une lecture des divisions et des bouleversements queconnaît la société grecque à l’issue de deux guerres successives. Prenant part auxdiscussions en cours4, elle tente d’apporter de nouveaux éclairages sur les

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catégorisations musicales et leurs significations sociales, sur les reconfigurationsidentitaires à travers la musique, sur la construction des ruptures et des continuitésdans l’après-guerre en Grèce.

« Quelle est la chanson populaire ? »

3 La question centrale pour les intellectuels de gauche5 pendant toute la période

examinée est « quelle est la chanson du peuple ? » et vient remplacer la question de la« musique nationale » qui a intensément préoccupé les intellectuels de touteorientation depuis la fin du XIXe siècle. Annoncé avant la guerre, ce glissement devocabulaire, de « peuple grec » à « peuple » tout court, de « musique nationale » à« musique populaire » (laiki mousiki), est significatif et inaugure une nouvelle ère.D’autant plus que le syntagme « musique populaire » a une histoire et déjà unesignification spécifique en Grèce. Depuis l’avant-guerre, il est opposé à la « musiquelégère » qui englobe toutes les musiques en vogue venues de l’Occident. Il seraprogressivement lié à la musique aux résonances orientales (largement diffusée) et seranommé par différents acteurs amané , rebetiko, laiko, selon les périodes et leschangements sociaux ou musicaux. L’usage du terme rebetiko (jamais clairement défini)s’intensifie à partir de la fin des années 1960 pour désigner et valoriser un répertoirevarié datant d’avant la Deuxième Guerre mondiale. Un bref retour en arrière permet demieux appréhender l’histoire de cette musique, d’interpréter les significations desdifférentes dénominations et surtout de déceler les représentations sociales qui leursont attachées.

4 Dès 18706, la presse mentionne l’apparition de cafés-concerts dans la jeune capitale qui

compte alors 65 000 habitants7. Ces lieux de divertissement se spécialisent et sedifférencient progressivement pour se diviser en cafés chantants, pour lesreprésentations avec orchestres jouant des musiques populaires européennes, et cafés

aman pour les musiques venues de l’Orient. Les compagnies de Smyrne sontparticulièrement appréciées et la grande popularité des cafés aman, dans un contexted’urbanisation accélérée et de montée du nationalisme dans toute la région desBalkans, amène les intellectuels à prendre position. C’est ainsi que la musique dedivertissement est divisée en « musique occidentale » et « musique orientale », parfoisnommée aussi « amané8 », catégorisation qui simplifie une réalité musicale beaucoupplus complexe et révèle les inquiétudes du temps.

5 La musique occidentale dans ses diverses expressions ne semble alors pas trop

préoccuper les journalistes ni les critiques de musique9. Les concerts donnés auconservatoire d’Athènes et les représentations théâtrales récemment importées10

deviennent rapidement des spectacles réservés aux classes sociales privilégiées et sontfréquentés par la famille royale : les billets coûtent cher et les programmes sontsouvent écrits en français11. Des articles avant tout descriptifs sont consacrés aux caféschantants, comme le Refuge des Nymphes, dont le prix d’entrée est raisonnable et quiaccueille un public plus large12.

6 C’est la musique orientale des cafés aman à la popularité grandissante qui attire de plus

en plus l’attention13. Elle est liée, dans les années 1870, au passé, à « l’amour desancêtres14 », « aux choses nationales et dignes des Grecs […] [à] la vraie villeincorruptible du passé, qui n’a pas été corrompue durant le siècle par le théâtrefrançais […] la musique du caractère oriental vrai, dont plusieurs générations qui ont

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produit la nôtre se sont nourries15 ». À la fin du XIXe siècle, au moment où l’idée d’une« culture nationale » s’affirme et que le modèle de l’art au service d’une causesupérieure unique s’impose dans l’ensemble de l’Europe16, l’écart entre des visionsdivergentes sur l’identité nationale se creuse en Grèce. D’un côté se trouvent leseuropéanistes, tournés vers l’Antiquité et l’Occident et, de l’autre, ceux qui réhabilitentByzance et l’inscrivent dans le récit interprétatif du passé grec. L’amané est perçucomme une menace pour l’identité du jeune pays qui essaie de se différencier d’unOrient à la fois exotique et barbare, et de mobiliser son passé glorieux pour légitimerson appartenance à la modernité européenne. Il devient ainsi associé à la « turcophilie17

».

7 À l’aube du XXe siècle, les préoccupations autour de la musique nationale s’intensifient,

la nécessité d’une École nationale de musique se fait plus pressante et une autredivision musicale se consolide. Il s’agit de la différenciation entre musique des villes et« musique démotique ». La musique démotique est la musique des campagnes, trèsvariée selon les régions, mais déjà idéalisée par le romantisme folklorique du XIXe

siècle18 et liée aux luttes pour l’Indépendance nationale. Elle devient la tradition dupeuple grec que l’on doit préserver et dont on doit s’inspirer. Elle est perçue commeune perle autochtone et, comme le dit Kokkonis, doit « soulever alors tout le poids de lanécessité nationale d’une création musicale savante qui serait porteuse de l’identiténéohellénique19 ».

8 La musique démotique se démarque des chansons orientales jouées en ville. Ces

dernières sont censées être le fruit des mélanges s’effectuant au sein des centresurbains et paraissent ainsi altérées par divers barbarismes. Leur popularité prend unnouvel élan avec l’avènement du phonographe et, surtout, avec l’arrivée des réfugiésd’Asie Mineure suite à la Convention gréco-turque sur l’échange obligatoire despopulations de 1923. Elles feront ensuite l’objet d’une série de critiques20.

9 Si l’intérêt se focalise d’abord sur la question de l’identité nationale de ces chansons,

progressivement, avec l’abandon de l’idée d’une « grande Grèce21 » et le déplacementd’une volonté expansionniste vers un souci d’homogénéisation et de gestion destensions sociales et politiques internes, les critiques abordent également des questionsesthétiques et morales. Pour le pouvoir en place, une nouvelle menace, qui vient cettefois de l’intérieur, fait son apparition et prend rapidement la place des ennemisextérieurs : la « menace communiste22 ». Les idées socialistes-soviétiques se répandentdans les bidonvilles créés par les réfugiés dans la capitale23 ; de grandes manifestationset des grèves d’ouvriers ont lieu24. Dans ce nouveau contexte sociopolitique, lesdétracteurs de la musique populaire dénoncent la faible qualité de la musique écoutéepar le peuple travailleur : « que chante le peuple des villes ? Que crie ce fort et jeuneouvrier ? Voilà un vrai sujet pour les musiciens, les artistes, les conservatoires, lessimples citoyens qui ont du bon goût et des manières, pas seulement pour lesnationalistes25 » ; « Comment peut-on obtenir une musique grecque qui attireral’attention et sera aimée par la grande partie du peuple travailleur […]26 ? » On insistesur le fait que le peuple doit créer la chanson populaire moderne et qu’on doit luidonner « le moyen d’exprimer sa joie de manière esthétique et pure27 ». Dans cecontexte mouvementé de l’entre-deux-guerres, l’amané est considéré comme étranger,passif, plaintif, lourd et incapable d’exprimer la joie du peuple. Il finit par être interditpar la dictature de Metaxas en 1936 qui le qualifie de « chant anachronique28 ».

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10 L’enregistrement et le succès des « chansons de haschisch », qui racontent des scènes

de la vie des fumeurs et des « magkas29 », conduisent à l’intensification des critiques surla qualité de cette musique. Ce type de chansons est mentionné dans la presse dès190530, et alors que la popularité de ces dernières s’étend, de même que laconsommation du haschisch et la stigmatisation des consommateurs, elles sontégalement censurées par Metaxas, qualifiées d’« obscènes », « offensant la religion » et« s’opposant à la décence commune », tandis que la pénalisation du haschisch entre envigueur31.

11 À la veille de la Deuxième Guerre mondiale, le terme rebetiko apparaît dans la presse32. Il

désigne ce nouveau style à la mode, lancé par l’enregistrement du bouzouki (uninstrument fretté) : un nouveau mélange musical, issu de l’appropriation des modesorientaux et de l’harmonisation occidentale, validé par le comité de censure. Une choseest sûre : le rebetiko est considéré comme autochtone, même par les ennemis jurés de lamusique populaire33.

12 La division de la fin du XIXe siècle entre musique occidentale et orientale est alors

remplacée par une nouvelle catégorisation musicale qui commence à faire sens et quiest de plus en plus utilisée : la division entre « musique légère » et « musiquepopulaire ». La musique légère englobe toutes les musiques de divertissement qui sontà la mode en Europe : valse, tango, fox-trot, swing… Même si elles sont créées par descompositeurs grecs et ont des paroles en langue grecque, elles restent des musiquesvenant d’ailleurs. Leur qualité est parfois critiquée et elles sont soumises au comité decensure. Le terme « musique populaire » se réfère aux chansons à la sonorité orientale,composées par des musiciens « purs qui n’ont aucun rapport avec la portée et parfoismême pas avec… l’alphabet34 ». Les catégories de musique populaire et de rebetiko

s’entremêlent.

13 Si les intellectuels représentant les différentes orientations idéologiques pensent que la

création de la musique « nationale savante » est en bonne voie avec l’École nationale demusique, ils se préoccupent de la musique créée et écoutée par le peuple. Ce quiimporte est de trouver l’âme du peuple et de l’étudier pour créer une musique« esthétique », digne du tempérament grec, qui sera « utilisée » pour divertir, maisaussi pour éduquer. Éduquer le peuple, détenir et rechercher la qualité, sont aussi lesambitions de la Station Radiophonique Étatique d’Athènes35 qui diffuse de la musique« sérieuse », légère et démotique36, et exclut jusqu’en 1952 le rebetiko et le bouzouki deses programmes37.

14 Or, à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, le constat reste le même qu’à la fin du

XIXe siècle : mise à part la musique démotique, la musique contemporaine du peuplegrec n’existe pas, elle reste à créer, car celle diffusée largement dans les tavernes etdésormais produite en disques 78 tours n’est pas d’une qualité suffisante. S’appuyantsur un découpage social préalable – tour à tour la nation et le peuple –, s’appropriantl’idée d’une essence immuable du groupe examiné, et reprenant des dichotomies dupassé pour les reformuler ou les reconstruire, les intellectuels de gauche annoncentdans leurs débats sur la musique populaire la nouvelle ère qui commence après – et enraison de – la guerre. Dans cette nouvelle aire, la division entre Orient et Occidents’entremêle avec celle qui sépare communisme et capitalisme.

15 Selon Zaïmakis, l’intérêt pour la musique populaire dans la presse de gauche est dicté

par l’envie et le besoin d’être en concordance avec le dogme du réalisme socialiste38 ; jedirais que c’est surtout le lien avec le peuple et ses pratiques qui est recherché pour

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prouver le caractère historique de la résistance du peuple. D’autant plus que la gaucheest éprouvée par le conflit interne (1946-1949), qui en plus d'être un tournant dans laGuerre froide demeure le conflit le plus sanglant en Europe entre 1945 et ledémantèlement de la Yougoslavie39. Le peuple et « son humeur de combat40 »deviennent des sujets cruciaux pour la continuation du mouvement. Comme le notel’écrivain Nikos Politis, une distance « nous » sépare du peuple et un point de contactdoit être trouvé : « ce point, on le trouvera dans les expressions populairescontemporaines41 ». Mais, dans l’ensemble des musiques diffusées, quelle est celle quipourrait être reconnue comme la musique populaire contemporaine ?

16 L’amané est mis à l’écart. Après l’enregistrement et le succès du bouzouki à partir de

1932, puis la censure en 1936, il perd sa popularité et le nombre d’enregistrements quilui sont consacrés diminue considérablement. Pendant l’Occupation allemande, parmiles centaines de milliers de morts civils se trouvent des musiciens, surtout des réfugiésd’Asie Mineure qui, en raison de leurs connaissances musicales solides et de leurexpérience professionnelle avant leur arrivée en Grèce, avaient joué un rôle importantdans l’industrie du disque et la promotion de l’amané à Athènes42.

17 L’amané est critiqué par les intellectuels de gauche pour son identité étrangère, son

lien avec l’occupation ottomane, devenue turque, et ses supposés défauts esthétiques.Marios Varvoglis, compositeur fondateur de l’École nationale, persécuté et exclu duconservatoire pour ses convictions politiques, publie dans le journal du Particommuniste en 1946 la lettre d’un lecteur qui se dresse contre la diffusion d’amané etd’autres chansons par la radio. Le compositeur conclut : « heureusement que notrestation radiophonique n’a pas la puissance de diffuser à l’étranger parce qu’avec cesAMANÉ [sic], ils nous accuseraient de ne pas être Grecs et nos revendications nationalesjustes seraient pénalisées43 ». Même le jeune musicologue Foivos Anogeianakis,généralement bien disposé envers la musique de son époque et les chansons auxinfluences orientales, voit l’amané comme un « avatar extrême » de ces dernières44.

18 L’amané n’est donc pas considéré comme une musique populaire grecque. Pour des

raisons différentes, il en va de même pour les « chansons de haschisch ».

Les « chansons de haschisch » : un complot politique

19 À la réouverture de l’usine de Columbia en juin 1946, les premiers enregistrements

s’effectuent avant la mise en place des nouveaux comités de censure dont le retard estprobablement dû à la période politiquement tourmentée. Des musiciens déjà connus,comme Vasilis Tsitsanis, entrent en studio avec de nouvelles chansons qui parlent,entre autres, de haschisch45, alors que le trafic de drogues à Athènes semble avoir prisde grandes proportions. Ces chansons se vendent à un grand nombre d’exemplaires etles tavernes où elles sont jouées deviennent à la mode. Des compositeurs de musiquelégère et des associations musicales rejoignent les journalistes qui lancent une série decritiques46, qui seront suivies de l’interdiction des chansons « immorales, vulgaires etinadéquates », « touchant la religion, la patrie, la morale et les us et coutumes grecs47 ».

20 Du côté communiste, les chansons de haschisch sont également critiquées et écartées

du répertoire de la musique populaire, mais ce n’est pas tant un problème moral qu’uneimplication étrangère que les intellectuels progressistes voient dans leur circulation,accusée d’être le produit d’un complot politique.

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21 Les événements à l’intérieur du pays éclairent cette vision. L’implication des Anglais

dans la politique grecque pendant et après l’Occupation vise, devant la montée ducommunisme, à maintenir la Grèce dans la zone d’influence britannique, une volontéconcrétisée par l’accord de « pourcentage » conclu entre Churchill et Staline à la veillede la Conférence de Yalta. Les événements de décembre 1944 marquent les esprits : degrandes manifestations (portant sur les questions épineuses de l’avenir du pays et dudépôt des armes par les résistants) sont violemment réprimées et le centre d’Athènes setransforme en champ de bataille pendant plus d’un mois. Les affrontements opposentles forces de gauche aux Britanniques et au gouvernement anticommuniste qu’ilssoutiennent. L’intervention non dissimulée des Américains après la « doctrineTruman » est fortement critiquée. Dans le camp opposé, les accusations d’interventionétrangère sont promues par le pouvoir en place qui parle de la guerre de « banditsslaves », une propagande diffusée aussi par la station radiophonique48. Les théories ducomplot fleurissent.

22 Pour les intellectuels de gauche, la consommation répandue du haschisch provient des

plans étrangers ou bourgeois qui visent à endormir49, voire à détruire le peuple. L’Étatet les intérêts économiques sont accusés de maintenir le commerce du haschisch, ce« poison pour le peuple50 ». L’augmentation des « toxicomanes » n’est pas « un hasard,une fatalité », pense-t-on, « mais une action préméditée qui s’insère dans le cadreconnu des plans sataniques pour l’élimination de notre peuple51 ». Dans cette ligne depensée, les chansons de haschisch n’expriment pas seulement « des situations socialesarriérées52 » ; elles font aussi partie de ces mêmes plans.

23 Si de l’avis général les chansons de haschisch sont inadéquates pour le peuple, qu’en

est-il du reste du répertoire du rebetiko ? Les avis sont divisés dans les quotidiens detoutes orientations idéologiques. Des jugements datant de l’avant-guerre sont mobiliséspour stigmatiser cette musique présentée comme un produit des bas-fonds, descriminels et des haschischomanes, comme une musique qui exprime « des sentimentsrévélateurs de corruption et de civilisation basse53 », « un monde moralementdécadent54 », et qui exerce une « mauvaise » influence sur le peuple. Les défenseurs –dont Manolis Kalomoiris55 – s’appuient sur sa grécité et essaient de rétablir son lienavec la musique démotique ; ils voient le rebetiko comme le produit « de l’âmepopulaire », avec « une couleur, un caractère propres [et] originaux » ; une musique quinous amène à une « patrie lointaine qu’on avait un peu oubliée, comme si on retrouvaitlà notre âme56 ».

24 Ces opinions contrastées sur le rebetiko sont investies dans la presse de gauche de

préoccupations plus larges qui concernent la poursuite des luttes. L’article de Stavrou,publié dans le journal de la Coalition politique des partis du Front national de Libération

(EAM) en 1946, révèle les inquiétudes du moment imprégnées de théories du complot :

Les succès [de chansons rebetika] n’arrêtent pas, se multiplient continuellement […]Qui veut les empêcher ? Ces pauvres chansons ne sont pas anarchistes, elles nedemandent pas non plus le renversement de notre « beau et sain régime ». Et il estnaturel qu’elles veuillent sa conservation vu qu’elles ne demandent pas sonrenversement […] Pourtant, comme le peuple ne plie pas avec les diverses« mesures d’ordre », l’exil, les exécutions […] de même, on n’arrive pas à l’enivreravec la musique des fumeries de haschisch, les chansons rebetika, et le « mettrehors-jeu »57.

25 La mode des orchestres à bouzouki gêne, non seulement à cause des chansons de

haschisch, mais surtout parce que pendant les moments cruciaux du conflit interne, les

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lieux de divertissement de la capitale se remplissent le soir. À partir de l’été 1946, lestavernes en plein air de Tsitsifies, sur la côte athénienne, attirent les foules etl’attention de la presse58. La carafe d’ouzo devient vermout, liqueur et vin en bouteille ;l’ajout d’une scène et d’une piste de danse, la présence de plusieurs musiciens etbouzouki, ainsi que le recours à l'amplification vers le début des années 1950 modifientl’ambiance de la taverne. Le public qui fréquente ces lieux semble se composer de plusen plus de nouveaux riches ; des voitures de luxe arrivent de Kolonaki, le quartieraristocratique d’Athènes59. On parle alors des tavernes du « beau monde ».

26 La suspicion des intellectuels de gauche se renforce. Au traditionnel ennemi

« bourgeois » s’ajoutent les nouveaux riches, soupçonnés d’avoir collaboré avec lesAllemands et d’avoir fait fortune pendant l’Occupation sur le marché noir60. Bienentendu, ils ne font pas partie du peuple. La « petite partie du peuple » qui fréquenteles tavernes, « qui glisse vers les “défoncés qui chantent” a déjà glissé politiquement61

», soutient-on.

27 Les enjeux liés à la popularité de cette musique dépassent la simple critique morale des

chansons de haschisch : le peuple, ses convictions politiques et les complots qui ledétournent de sa mission – la lutte pour la « démocratie » – se trouvent au cœur dudébat. L’âme du peuple s’exprime, entre autres pratiques, dans sa musique ; pour leXIXe siècle, elle s’exprime dans la musique démotique. Ce sont les rapports de lamusique démotique avec le rebetiko qui seront mis en débat : si la première estincontestablement la musique du peuple, il reste à examiner si ce deuxième peut êtreconsidéré comme la musique populaire contemporaine. Tout en critiquant les chansons« défaitistes » du haschisch et en s’écartant de la mode des tavernes du beau monde, lesintellectuels de gauche qui argumentent en faveur du rebetiko attirent l’attention surses formes musicales pour établir leur continuité avec les modes de la musiquedémotique.

La musique démotique : l’âme combattante du peuple

28 Dans ses articles écrits pour Rizospastis62, le journal du Parti communiste, le

musicologue Anogeianakis se demande : « qu’est-ce la chanson démotique ? » et« quand s’arrête sa création ? » Il retrace l’histoire de cette musique depuis le XVIIIe

siècle, avec la chanson des Kleftes63, en passant par les chants de mort pour arriver à lachanson d’Asie Mineure – issue d’un mélange d’éléments grecs et orientaux – et aurebetiko, selon lui la chanson populaire contemporaine. Anogeianakis défendl’originalité des lignes mélodiques du rebetiko et sa poésie expressive dotée d’unesimplicité et d’une intensité enviées par les poètes ; il soutient que les mêmes élémentset les mêmes conditions de création sont présents tant dans la musique démotique quedans la chanson rebetiko. La particularité du rebetiko est de ne pas être un produit de lacollectivité, mais du psychisme urbain et de nouveaux rapports dans la ville. Enfin, ilprécise que « même si [les chansons populaires] sont considérées aujourd’hui commeun genre inférieur, elles ne cessent pas d’être une réalité vivante qui mérite unerecherche particulière64 ».

29 Les opinions d’Anogeianakis65 révoltent le compositeur Xenos qui lui répond dans une

lettre publiée dans le même journal. Pour lui, le rebetiko n’a aucun rapport avec ledémotique ; il n’est pas le produit des luttes, des traditions et de la majorité du peuple,mais il est issu des bordels, des tavernes de mauvaise réputation et des fumeries de

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haschisch ; il est le produit des couches sociales lumpen, le prolétariat créées par lastratégie capitaliste de paupérisation. Xenos déchiffre dans le rebetiko « lescontradictions de la bourgeoisie en déclin ». Il précise pourtant qu’on devra regarder etétudier à l’avenir certains aspects du rebetiko pour « les faire évoluer en leur donnantun contenu utile pour notre peuple66 ». Selon lui, la continuation de la chansondémotique se trouve dans les « antartika », les chansons de maquisards67, un genre qu’ilreprésente lui-même en tant que compositeur.

30 Dans leurs débats, Anogeianakis et Xenos donnent les lignes directrices qui seront

suivies dans l’ensemble des débats sur les rapports entre musique démotique etrebetiko. Anogeianakis compte parmi les défenseurs du rebetiko et le type d’historiquequ’il retrace sera formulé à plusieurs reprises ; Xenos est un adversaire, préoccupé parla provenance du rebetiko et des idées qu’il véhicule.

31 Tout au long des débats, la musique démotique est revisitée et reconfigurée ; elle est

interprétée selon les nécessités du moment. Ainsi, pour les intellectuels de gauche, ellen’est pas seulement un produit collectif, anonyme, traité et perfectionné sans cesse parle peuple68 et qui reflète la vie de la campagne grecque. Elle est aussi issue des luttespour la liberté qui menèrent à la Révolution grecque de 1821 et à l’Indépendance ; elleexprime « au travers de formes pleines de santé, de fierté et de beauté […] la foi etl’optimisme pour la vie ; elle nous enseigne les prouesses des combattants du peuplepour une patrie libre et indépendante69 ». La musique démotique et le monde qui l’acréée sont idéalisés depuis la fin du XIXe siècle. Or, dans l’après-guerre, les intellectuelsde gauche ne voient plus seulement dans cette musique « l’âme grecque », maiségalement l’optimisme, la résistance, les luttes pour la liberté et pour l’indépendancecontre les occupants : des éléments importants pour le présent et le futur dumouvement de gauche. Ils voient dans la musique démotique « l’âme combattante dupeuple ».

32 C’est sous cet angle que ses rapports avec le rebetiko seront examinés. Le rebetiko pose

problème en raison de sa période de création, marquée par l’industrialisation,l’urbanisation, la montée au pouvoir de la bourgeoisie et l’imposition du capitalisme.Né de ce contexte, ses caractéristiques dérangent : il est une création personnelle etnon pas collective, dispose d’une durée de vie courte70, prend place au sein du marchéphonographique ; il attire pendant la guerre les « gérants du marché noir et lescollaborateurs71 », et après la guerre les aristocrates de Kolonaki72.

33 L’effort d’expliquer ce que le rebetiko exprime conduit à des divisions qui se rejoignent,

autour de deux catégories, la « musique populaire » et le « peuple ». Quand on voit dansle rebetiko l’expression du peuple et de ses caractéristiques, on le considère comme lacontinuation de la musique démotique et comme la musique populaire contemporaine ;dans le cas contraire, une rupture est opérée et le rebetiko est considéré comme unemusique de marginaux et du Lumpenproletariat (ou sous-prolétariat). La nécessité decomprendre et de définir le peuple s’accentue en raison de l’évolution du conflit.

À la recherche du peuple perdu

34 À la fin de la guerre civile, la gauche est divisée, déséquilibrée et surtout persécutée. Le

Parti communiste est déclaré hors-la-loi en 1947 et son journal, le Rizospastis, interdit.Le pouvoir en place intensifie la répression. Les peines pour les membres de la gauchesont plus lourdes que pour les collaborateurs73. Les prisons et les îles d’exil débordent.

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Les fichiers sur les convictions politiques de citoyens sont consultés et complétésrégulièrement et les humiliantes « déclarations de pénitence » sont publiées dans lesjournaux. La propagande du régime pénètre les manuels scolaires dans les années 1950,et la majorité de la population semble sympathiser avec l’attitude officielle74.

35 Le contexte musical a également changé. Des figures du rebetiko comme Vasilis Tsitsanis

et Manolis Hiotis sont de plus en plus reconnues et collaborent avec des musiciens deconservatoire respectés, à l’instar de Manos Hatzidakis, pour la composition demusique de films grecs, dont certains sont d’ailleurs diffusés à l’étranger75. Le termerebetiko commence à être utilisé pour désigner la musique du passé, de l’avant-guerre,un glissement conceptuel auquel a d’ailleurs participé Tsitsanis. Dans sa premièreinterview dans la presse, Tsitsanis différencie sa musique des « chansons de haschisch,des chansons de décadence morale » – en oubliant ses succès de 1946 – et se définitcomme musicien de laiko, de musique populaire76.

36 La défaite lors de la guerre civile, la terreur et les persécutions préoccupent

intensément les intellectuels de gauche. La guerre civile constitue un sujet « suspect »,souvent manipulé ou censuré par le pouvoir en place. Comprendre les expressions dupeuple et trouver des points de contact devient plus pressant, étant donné que lepeuple est l’élément indispensable pour la reconstitution du mouvement. Alors quel’argumentation des adversaires du rebetiko semble perdre sa dimension moraliste àpartir des années 1950 et que les journalistes, une fois la mode des bouzoukia passée,cessent de se positionner dans la presse, les intellectuels de gauche se penchent de plusen plus sur la musique populaire77.

37 Ils se mettent à la recherche du « peuple », de sa définition et de ses caractéristiques.

Cependant, les différentes recherches partiront le plus souvent d’a priori : on préétablitles caractéristiques du peuple et on essaie de les trouver dans sa musique. Parconséquent, la question de ce que le peuple et sa musique expriment se confondsouvent avec la question de ce que le peuple et sa musique « doivent » exprimer, cettedeuxième question étant également liée au rôle « confié » aux intellectuels. Les diversarticles cependant expriment moins la quête réelle d’une définition du peuple et de samusique qu’ils n’exposent les partis pris théoriques et idéologiques de leurs auteurs.

38 Les caractéristiques progressivement indispensables pour la définition du peuple sont

son militantisme, sa résistance et son héroïsme, des éléments également importantspour la continuation du mouvement de la gauche. Ce sont ces caractéristiques quiservent de critères de définition de la musique populaire. On ne les remet pas en cause,c’est la question de leur expression dans et par le rebetiko qui est posée. La réponse àcette question aura différentes conséquences sur l’interprétation de la situationmusicale par les adversaires et les défenseurs du rebetiko et dévoilera des divisions quise recoupent.

39 On considère les chansons rebetika comme une musique urbaine ; c’est leur caractère

« populaire » qui est mis en cause. On compare le rebetiko à la musique démotique en sedemandant « lequel est le produit authentique du peuple, adapté aux conditionspsychologiques et sociales, et lequel est faux, inférieur en qualité, mélangé avec deséléments étrangers de valeur douteuse78 ». Les avis sont divisés et on parle soit de ladécadence, soit de l’héroïsme exprimés par le rebetiko, qui sera considérérespectivement comme une « musique de la marge » ou comme une « musique dupeuple », ou encore comme indépendant de la musique démotique ou comme sacontinuation.

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40 Les adversaires voient le rebetiko comme un produit « des repaires, des gens dans la

misère79 ». On se réfère à son incapacité à exprimer « l’élévation et les idées80 », aupessimisme, à la défaite et au désespoir qu’il véhicule en exprimant « le côté faible ducœur populaire81 ». On le voit comme « une soumission au sort et une réconciliationavec le destin » qui fait du rebetiko une fuite : « la fuite est toujours fuite, aucun hérosne fuit » ; la « puanteur rebetique » nécessite alors « une pelle et un chariot82 ». Pourreprendre l’analyse de Skouriotis, intellectuel et traducteur du Capital de Marx, il existe« une partie [du peuple] qui présente un équilibre psychique, une robustesse morale etune humeur combattante : c’est la partie saine du prolétariat des villes. L’autre estcomposée par la triste marge, le Lumpenproletariat83 ». Par conséquent, on voit le besoinde mettre fin « à la perversion de la musique populaire grecque84 » et de confier sonassainissement à des « civilisateurs responsables85 ».

41 Les défenseurs ne nient pas le désespoir exprimé dans le rebetiko, ni le rôle des

intellectuels, mais ils en fournissent des interprétations différentes. Parfois, on parled’une « façade » qui donne l’impression d’une soumission au sort, « mais si on prend encompte le manque d’illumination presque complet de la classe ouvrière, on peut alorsvoir derrière cette façade le caractère révolutionnaire caché86 ». Parfois, on « rappelle »que « la révolution de 1821 a été faite avec des chants de lamentation87 » et que lerebetiko exprime le « soupir » et la « vérité » du pauvre 88 ; mais le plus souvent, onvalorise les formes musicales en tant que continuation de la musique démotique etbyzantine89.

42 Cette continuation de la musique démotique dans le rebetiko sera progressivement

acceptée et marquera, de manière symbolique, la persistance des luttes du peuple grec,mais aussi la continuité de la répression. Ses influences orientales ne sont plus« étrangères », mais deviennent « notre élément », comme « l’origine arabe » duflamenco, dit-on90. Elles symbolisent ainsi la résistance contre les « nouveauxoccupants », contre « la soumission aux idéaux occidentaux91 » et, par extension, contreles interventions américaines contemporaines, culturelles comme politiques.

43 La valorisation des formes musicales entraîne une reconfiguration de la catégorie de

musique populaire qui se divise en rebetiko et laiko. On exalte surtout l’œuvre et letalent de certains compositeurs, comme Tsitsanis et Hiotis, qui deviennent « lesclassiques92 », les « virtuoses93 » et les représentants du laiko, de la musique populairecontemporaine. Les compositeurs d’avant-guerre sont rarement mentionnés et leurmanière rude de jouer et de chanter est jugée de qualité inférieure et de moraledouteuse : ils pratiquent le rebetiko. En haut de la hiérarchie se trouvent lescompositeurs de conservatoire, comme Mikis Theodorakis, qui en raison de leur savoirmusical peuvent « améliorer » la qualité de la musique populaire. Ils collaborent avecdes poètes « confirmés » et sont reconnus à l’étranger. Ils dominent la scène musicaledes années 1960 avec une nouvelle catégorie musicale, l’« entechno laiko », la musiquepopulaire artistique. Au sein de la catégorie musique populaire, une divisionsupplémentaire est opérée, liée au marché phonographique, une division quiconditionnera la réception future du rebetiko.

Le « vrai » rebetiko est hors marché

44 Dans les débats des intellectuels de gauche, on s’intéresse à la popularité étendue du

rebetiko et on essaie de l’expliquer. Cette réalité est considérée par les adversaires soit

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comme le complot de la bourgeoisie et des forces étrangères94, soit comme « lacontamination de la partie saine du peuple par le lumpen95 », ou encore, et le plussouvent, comme le résultat de sa promotion et de sa diffusion par la radio et lescompagnies phonographiques96.

45 Les défenseurs du rebetiko adoptent également une posture critique à l’égard du marché

phonographique. Déjà présente depuis l’apparition des phonographes et des disques97,cette critique prend désormais un aspect marxiste de critique du capitalisme, enintroduisant une division supplémentaire à l’intérieur de la musique populaire. Cettedernière division est la plus complexe et la plus contradictoire, elle cristallisel’utilisation du terme rebetiko pour un répertoire plus vieux et aura finalement poureffet de valoriser des compositeurs comme Markos Vamvakaris.

46 Pour ses adversaires comme pour ses défenseurs, le « vrai » rebetiko semble se trouver

ailleurs, hors des tavernes du beau monde98, non diffusé à la radio, inconnu99. Il s’agitd’un répertoire jamais mentionné. Le « vieux rebetiko » est censé ne pas participer àl’industrie du disque et se différencie des succès contemporains, le laiko d’alors, marquépar « une crise de surproduction » et « une standardisation », comme le « jazzcommercial100 ». Ce point de vue à propos du vieux rebetiko le ramène aux bas-fonds,mais cette fois en rendant floues les limites entre les répertoires marginal, hors-marchéet populaire. Alors que l’implication du marché phonographique sera oubliée, lasupposée provenance de cette musique sera valorisée et les bas-fonds deviendront lesgardiens de la tradition de la culture populaire101, pour cette partie de la gauche qui sedifférencie progressivement du Parti communiste.

47 Une synthèse des différentes opinions tend à s’imposer : le vieux rebetiko est issu des

bas-fonds, avec le temps il s’améliore et se civilise avec des compositeurs commeTsitsanis, pour toucher le peuple et devenir chanson populaire, le laiko. Il influenceaussi des compositeurs, comme Theodorakis, qui l’élèvent au rang de musiquepopulaire artistique. Le marché phonographique semble intervenir à une périoderécente mais non définie pour imposer la création personnelle et unecommercialisation des compositions contemporaines de mauvaise qualité.

48 La construction de la catégorie semi-imaginaire du « vrai » rebetiko suscite un intérêt

pour le passé, un intérêt conforme à l’époque : plus on s’éloigne de la défaite lors de laguerre civile, plus le besoin de comprendre et, jusqu’à un certain point, de remodeler lepassé récent apparaît. Une des expressions de ce passé est le rebetiko. Les débatsidéologiques autour du rebetiko suscitent dans la jeunesse de gauche l’intérêt et l’enviede retrouver les acteurs de cette musique et fondent, ainsi, son avenir.

49 La circulation et le succès de l’« Épitaphe » de Theodorakis qui a voulu « donner une

impulsion nouvelle à la chanson populaire102 » déclenchent de longues discussions dansAvgi et Epitheorisi Technis. Les questions que les rédacteurs d’Avgi ont adressées à diversintellectuels pour lancer la « recherche d’Avgi sur la chanson populaire » résument lespréoccupations et contiennent les représentations de la gauche sur la situationmusicale au début des années 1960 :

1_ Comment définir la chanson populaire contemporaine ? Où est-elle née, quelsfacteurs artistiques la forment ? 2_ Y a-t-il des liens entre la chanson populairecontemporaine et la chanson des Kleftes, la chanson des maquisards et la vieillechanson athénienne ? 3_ Quelle chanson populaire exprime le mieux les étatspsychiques de notre peuple, sa bonne humeur, son caractère, ses rêves, son humeurde combat ? Le rebetiko et le bouzouki expriment-ils ces états ? 4_ La mise enmusique de l’« Épitaphe » de Ritsos par Theodorakis a suscité des opinions

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opposées. Qu’en pensez-vous, le caractère héroïque et tragique de l’« Épitaphe »est-il rendu par la musique de Theodorakis ? 5_ Dans la formation de la musiquepopulaire, quel est le rôle joué par le fait que le peuple n’ait pas un accès importantà la radiophonie, à l’industrie du disque et aux autres moyens de reproduction et dediffusion de sa création musicale (éditions, conservatoires, orchestres, chorales,etc.) 103 ?

50 On se préoccupe de la production musicale populaire, on établit des liens entre la

musique populaire et la musique démotique, on évoque la bonne humeur et lacombativité du peuple et on débat sur les moyens de diffusion de la musique du peuple,ainsi que sur l’utilisation de ses motifs et ses instruments par des compositeurs érudits,comme Theodorakis. Le rebetiko devient une sous-catégorie de la musique populaire etune histoire du passé ; c’est des représentations de ce passé que l’on débattra.

Conclusion

51 Les débats sur la musique populaire qui ont lieu dans la presse de gauche de 1946 à 1961

fournissent un exemple précis de la complexité des positionnements et des clivagesentre les intellectuels de gauche qui cherchent à se définir et à définir leur rôle, dansun temps et un espace spécifiques, la Grèce de l’après-guerre. Tragaki évoque lesnouvelles visions sur la grécité qui sont déployées dans ces débats et la missiond’« humaniser les masses » entreprise par les intellectuels104. Zaimakis examinel’adaptation locale, investie par des idées nationalistes, du dogme marxiste : ladifférenciation de la classe ouvrière par rapport à la bourgeoisie, ainsi que ladistinction entre l’héritage noble laissé par les classes subordonnées et la culturehégémonique bourgeoise105.

52 À partir d’un angle différent, la présente étude a exploré, au-delà des divisions de classe

et d’identité, la manière dont ces débats, profondément influencés par l’évolution de laguerre civile grecque et le contexte de la Guerre froide, participent à la construction età la définition de deux catégories : la « musique populaire » et le « peuple ». Cescatégories et les représentations qui les accompagnent véhiculent leur historicité ; ellessont introduites et remodelées par les intellectuels, puis adoptées, dans la deuxièmemoitié du XXe siècle, par un public plus large que les seuls partisans du marxisme.

53 Si pendant la première moitié du XXe siècle la musique populaire est envisagée selon un

idéal folkloriste qui la considère comme l’expression d’un « peuple » – une idéeimprégnée d’une vision essentialiste de la Nation – pendant la deuxième moitié dumême siècle, soit elle est perçue comme un produit du marché imposé au public, soitelle doit soulever le poids de la « résistance du peuple » aux forces capitalistes et à touttype de domination. Dans le cas grec, cette évolution des visions est exprimée dans lesdébats sur l’amané, puis sur le rebetiko.

54 L’amané est « trop » oriental pour le contexte de l’entre-deux-guerres ; il sera

réhabilité à partir des années 1970106. La guerre civile accentue le besoin de définir lamusique populaire contemporaine et attire l’attention des intellectuels sur le rebetiko,ce mélange musical issu de circulations, d’échanges et d’emprunts d’élémentsmusicaux, mais considéré d’emblée comme autochtone. Les opinions précédemmentexprimées sont mobilisées et remodelées pour configurer de nouvelles identités, oùl’appartenance de la Grèce passe par le double vacillement entre l’Occident et l’Orient,entre le capitalisme et le communisme.

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55 À travers les débats, on ne définit pas seulement la musique populaire, son rôle et sa

potentielle utilisation pour l’endoctrinement du peuple, on dessine aussi les contoursde cette catégorie sociale, en lui assignant une identité par le haut. À côté de l’idée déjàconsolidée du peuple comme groupe majoritaire, pauvre, « inculte et sans repères [qui]se laisse aller à son sort107 », s’ajoute l’idée du groupe réprimé qui s’oppose à ladomination et la combat ; on remplace ainsi le caractère national par le caractèrerévolutionnaire du peuple, et on oppose la résistance et la domination, en oubliant unattribut fondamental du pouvoir, l’ambiguïté qu’il engendre108.

56 Les débats dans la presse de gauche, où des intellectuels aux histoires personnelles

multiples et aux opinions contrastées dialoguent avec leur milieu et leur époque aurisque d’être persécutés, marquent la suite de l’histoire du rebetiko en l’élevant au rangde tradition subversive.

NOTES

1. MAZOWER, Mark, Dans la Grèce d’Hitler, 1941-1946, (traduit par C. Orfanos), Paris, Les Belles

Lettres, 2002.

2. C’est ainsi que le pouvoir en place nomme le conflit interne. Le terme « guerre civile » ne sera

officiellement reconnu qu’en 1989. Toutes les traductions dans cet article ont été réalisées par

moi-même, sauf mention contraire.

3. Pour une revue critique de l’historiographie autour de la résistance et de la guerre civile

grecque, accompagnée d’une bibliographie conséquente, voir MARANTZIDIS, Nikos, ANTONIOU,

Giorgos, « The Axis Occupation and Civil War : Changing Trends in Greek Historiography,

1941-2002 », in Journal of Peace Research, vol. 41, n° 2, 2004, p. 223-231. Pour les différents aspects

de la guerre civile, voir CARABOTT, Philip, SFIKAS, Thanasis (eds), The Greek Civil War. Essays on a

conflict of exceptionalism and silences, Centre for Hellenic Studies, King’s College, London, Ashgate,

2004. Pour un livre récent en français, voir FONTAINE, Joëlle, De la résistance à la guerre civile en

Grèce, 1941-1946, Paris, La Fabrique, 2012.

4. ANDIAKAINA, Eleni, « Η διαμάχη για το ρεμπέτικο : η ελληνικότητα ως ισορροπία Λόγου-Πάθους»[Le conflit autour du rebetiko : la grécité comme équilibre entre Discours et Passion], in KOTARIDIS,

Nikos (ed.), Ρεμπέτες και ρεμπέτικο τραγούδι [Rebetes et chanson rebetiko], Athènes, Plethron, 2003,

p. 225-257, VLISIDIS, Kostas, Όψεις του ρεμπέτικου [Faces du rebetiko], Athènes, Ekdoseis tou Eikostou

Protou, 2004, notamment « Ο αριστερός λόγος για το ρεμπέτικο (1946-1988) » [Le discours de

gauche sur le rebetiko (1946-1988)], p. 67-164, TRAGAKI, Dafni, « ‘Humanizing the masses’ :

Enlightened intellectuals and the music of the people”, in COOPER, David, DAWE, Kevin (eds), The

Mediterranean in music : Critical perspectives, common concerns, cultural differences, Lanham,

Maryland-Toronto-Oxford, The Scarecrow Press, 2005, p. 49-76 et ZAIMAKIS, Yannis, « ‘Forbidden

Fruits’ and the Communist Paradise : Marxist thinking on Greekness and Class in Rebetika », in

Music and Politics 4, n° 1, Winter 2010 [s.n].

5. Les intellectuels de gauche ne forment pas un groupe homogène. Les différentes tendances

idéologiques existantes se manifestent entre autres dans les discours sur la musique.

6. La première trace dans la presse se trouve à ma connaissance dans Paliggenesia, [sans titre],

27.04.1871, p. 3.

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7. Athènes devient par le roi Othon la capitale du pays en 1834, alors qu’elle compte à peine

10 000 habitants. MERLIER, Octave, Athènes moderne, Paris, Les Belles Lettres, 1930, p. 22.

8. Afin d’éviter l’utilisation systématique des guillemets, cette ponctuation ne sera utilisée que

pour la première occurrence des termes. Un même souci de fluidité de lecture me pousse à ne pas

décliner les termes en grec et à utiliser le singulier.

9. Au cours du XIX e siècle, on rencontre quelques critiques dans la presse qui concernent

notamment des pièces de théâtre : elles sont parfois considérées comme un facteur de corruption

des mœurs et comme une soumission aux étrangers, parce qu’elles sont écrites en langues

étrangères. Le public doit également « s’éduquer » à ne pas parler ou siffler pendant le spectacle.

Sur la musique « occidentale » en Grèce pendant le XIXe siècle, voir l’étude basée principalement

sur la presse de BAROUTAS, Kostas, Η μουσική ζωή στην Αθήνα τον 19ο αιώνα, Συναυλίες, Ρεσιτάλ,

Μελώδραμα, Λαϊκό Τραγούδι, Μουσικοκριτική, [La vie musicale dans l’Athènes du XIXe siècle,

Concerts, Récitals, Mélodrame, Chanson Populaire, Critique Musicale], Athènes, Mousikos Oikos

Filippos Nakas, 1992.

10. Le piano et les mélodrames sont importés en Grèce pendant le règne du roi Othon

(1833-1862). La première pièce jouée est un acte du Barbier de Séville de Rossini, qui est présenté à

Athènes par une troupe italienne en 1837 et connaît un grand succès. Le premier conservatoire

du pays est fondé en 1871 et est d’emblée très actif. PAPAZOGLOU, Triantafyllos-Eleftherios,

Ιστορία της Ελληνικής Μουσικής (από τον Ορφέα μέχρι σήμερα), [Histoire de la musique grecque

(d’Orphée à nos jours)], Athènes, Difros, 1977.

11. BAROUTAS, Kostas, op.cit., p. 39.

12. À titre d’exemple : Paliggenesia, [sans titre], 27.04.1871, p. 3, Efimeris, [sans titre], 08.05.1878,

p. 2, SOFIL [VLAHOS, Aggelos], « Αθηναϊκές επιστολές» [Lettres athéniennes], in Estia, 02.09.1879,

Efimeris, « Πινακίδες» [Panneaux], 23.07.1886, p. 1-2, MITSAKIS, Mihail, « Αθηναϊκαί σελίδες»[Pages Athéniennes], in Estia (revue), année 12, vol. 23, nº 595, 24.05.1887, p. 337-342.

13. Pour une analyse détaillée de la place de cette musique au XIXe siècle, voir HATZIPANTAZIS,

Thodoros, Της ασιάτιδος μούσης ερασταί… Η ακμή του αθηναϊκού καφέ αμάν στα χρόνια της βασιλείας τουΓεωργίου Α» [Les amants de la Muse asiatique… le sommet du café aman athénien pendant le

règne de Georges Ier], Athènes, Stigmi, 1986.

14. Paliggenesia, [sans titre], 27.04.1871, p. 3.

15. Efimeris, « Θεατρικόν Δελτίον. Καφέ Σαντούρ… » [Revue Théâtrale. Café Santour…], 17.06.1874,

p. 2-3.

16. FRANCFORT, Didier, Le Chant des Nations, Musiques et Cultures en Europe, 1870-1914, Paris, Hachette

Littératures, 2004.

17. Akropolis, Ο Πειραιεύς κατά τας νύκτας… » [Le Pirée les soirs…], 25.07.1893. Des idées voisines

sont exprimées par SKYLITSIS, Isidoros, « Αμανέ ή μανέ ; » [Amané ou mané], in Theatriki

Epitheorisis, vol. 1, mai 1880 cité dans VLISIDIS, Kostas, Για μια βιβλιογραφία του ρεμπέτικου(1873-2001), [Pour une bibliographie du rebetiko (1873-2001)], Athènes, Ekdoseis tou Eikostou

Protou, 2002, p. 222.

18. Comme dans l’œuvre de Fauriel, FAURIEL, Claude, Chants populaires de la Grèce moderne, 2

tomes, Paris, Firmin Didot père et fils, 1824. L’exemple de Fauriel est cité par Anne-Marie Thiesse

pour illustrer ce qu’elle nomme le « parrainage international d’une culture nationale » Voir

THIESSE, Anne-Marie, La création des identités nationales, Europe XVIIIe-XXe siècle, Paris, Éditions du

Seuil, 2001.

19. KOKKONIS, Georges, La question de la grécité dans la musique néohellénique, Paris, Éditions de

l’Association Pierre Beton, 2008, p. 252. Pour les différentes visions autour de la musique

traditionnelle/démotique pendant la première moitié du XXe siècle (l’harmonisation, la

transposition de la modalité, l’utilisation de la notation occidentale ou byzantine), voir idem,

p. 161-219.

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20. Voir ANAGNOSTOU, Panagiota, Les représentations de la société grecque dans le rebetiko (sous la

direction de Denis-Constant Martin), Thèse de Doctorat en science politique, Pessac, Université

de Bordeaux, Sciences Po Bordeaux, 2011. Voir aussi VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα για τορεμπέτικο (1929-1959) [Textes rares sur le rebetiko (1929-1959)], Athènes, Ekdoseis tou Eikostou

Protou, 2006 ; VLISIDIS, Kostas, Όψεις του ρεμπέτικου [Faces du rebetiko], op.cit., p. 11-65 ; et

BAYOKAS, Grigoris, Το ρεμπέτικο στο δημόσιο λόγο της περιόδου 1931-1940 [Le rebetiko dans le discours

public pendant la période 1931-1940], Thèse de doctorat (dirigée par Anna Mantoglou), Athènes,

Département de Psychologie, Université de Panteio, 2008.

21. Il s’agit de la Grèce des « cinq mers et deux continents », une idée peu réaliste qui fixait les

frontières nationales imaginaires de la ligne d’Aimos au cap Ténare et de l’Adriatique à la mer

Noire au Taurus. Cette aspiration concernant le territoire national a été baptisée en 1844 la Megali

Idea (la « Grande Idée ») par Ioannis Kolettis, alors Premier Ministre de la Grèce, sous le règne

d’Othon, et leader du Parti Français. Elle a été accompagnée d’une politique expansionniste

jusqu’en 1922. Voir aussi SVORONOS, Nicolas, Histoire de la Grèce moderne, Paris, PUF, 1972.

22. La première loi sur des « mesures de protection du statut social et des libertés des citoyens »

avec un caractère anti-communiste est votée en 1929 suite à une proposition du gouvernement

d’Eleftherios Venizelos. Elle restera connue sous le nom de « Idionymo ».

23. La population de la capitale double et de nouveaux quartiers se construisent en quelques

mois seulement.

24. Voir FOUNTANOPOULOS, Kostas, Εργασία και εργατικό κίνημα στη Θεσσαλονίκη [Emploi et

mouvement ouvrier à Thessalonique], Athènes, Nefeli, 2005, MOSKOF, Kostas, Εισαγωγικά στηνιστορία του κινήματος της εργατικής τάξης [Introduction à l’histoire du mouvement de la classe

ouvrière], Thessalonique, Ekdoseis Moskof, 1979 ; et BENAROYA, Avraam, Η πρώτη σταδιοδρομία τουελληνικού προλεταριάτου [Les premiers pas du prolétariat grec], Athènes, Olkos, 1975.

25. PAPANTONIOU, Zaharias, « Η φοβερή μελωδία» [La mélodie terrible], in Ebros, 04.06.1917, p. 1.

26. V. GER., « Για να νοιώσει ο Λαός τη χαρά της μουσικής» [Pour que le Peuple puisse sentir la joie

de la musique], in Iho tis Ellados, 27.05.1935, p. 2. Le titre aussi est intéressant.

27. Iho tis Ellados, « Ο Δήμος Αθηναίων προκηρύσσει διαγωνισμόν ελληνικών τραγουδιών» [La

Municipalité d’Athènes proclame une compétition de chansons grecques], 09.06.1935, p. 2.

28. Le texte dicté par le Secrétariat de Presse et de Tourisme circule dans différents journaux, par

exemple Ethnos, « Αι άσεμναι πλάκες γραμμοφώνου» [Les disques de gramophone indécents],

29.11.1937, p. 6. La censure musicale est saluée par la presse. L’intervention de l’État et

l’interdiction de l’amané sont d’ailleurs demandées avant l’arrivée des réfugiés, dès 1921 par

PAPANTONIOU, Zaharias, « Τωρινά και περασμένα. Λαϊκόν Ωδείον» [Des choses présentes et passées.

Conservatoire Populaire], in Estia, 02.06.1921.

29. La figure du magkas est centrale dans le rebetiko. Le terme apparaît dans les journaux au plus

tard au début du XXe siècle (LABRYNIDIS, Mihail, « Οι μοσχόμαγκες» [Les bons magkes], in Athinai,

12.09.1904) et dans plusieurs chansons rebetiko qui construisent une image de son monde, de ses

habitudes, de son comportement, de sa manière de s’habiller, de ses rapports avec les autres. Le

magkas est une figure ambiguë qui désigne un type dur, avec ses propres manières et valeurs, qui

frôle l’illégalité, mais un homme d’honneur, droit et juste.

30. Akropolis, « Μια νύχτα μεταξύ των χασισοποτών» [Une nuit parmi des haschischomanes],

29-30-31.07.1905.

31. La loi qui interdit la culture, le commerce et l’usage du chanvre indien en Grèce est votée en

mars 1920 ; elle n’entrera en vigueur qu’en 1936. Voir GAUNTLETT, Stathis, Ρεμπέτικο τραγούδι,συμβολή στην επιστημονική του προσέγγιση, [Chanson rebetiko, contribution à son approche

scientifique], Athènes, Ekdoseis tou Eikostou Protou, 2001, p. 45 et PAPAIOANNOU, Spyros,

Ημερολόγιο 2006, Ο Πειραιάς και το ρεμπέτικο τραγούδι [Calandrier 2006, le Pirée et la chanson

rebetiko], Pirée, To Limani tis Agonias, 2005.

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32. On retrouve le terme sur les étiquettes de disques dès 1912 et dans les catalogues des

compagnies phonographiques dans les années 1920. Voir GAUNTLETT, Stathis, “Mammon and the

Greek Oriental Muse. Rebetika as a Marketing Construct”, in CLOSE, Elizabeth, TSIANIKAS,

Michael, FRAZIS, George (eds.), Greek Research in Australia : Proceedings of the Biennial International

Conference of Greek Studies, Flinders University April 2003, Adelaide, Flinders University Department

of Languages - Modern Greek, 2005, p. 179-194 et SAVVOPOULOS, Panos, Περί της λέξεως‘ρεμπέτικο’ το ανάγνωσμα... και άλλα [Autour du mot écrit « rebetiko »… et autres], Athènes, Odos

Panos, 2006. La première apparition du terme dans la presse a lieu dans les revues To Tragoudi,

vol. 20, juillet 1936, p. 29,32, et O REPORTER, « Τα μάγκικα και τα ρεμπέτικα» [Les magkika et les

rebetika], in Bouketo, vol. 644, 02.07.1936 et vol. 645, 09.07.1936, in VLISIDIS, Kostas, Σπάνιακείμενα… [Textes rares…], op.cit., p. 42-48.

33. Les premiers articles sur le rebetiko sont plutôt positifs. Même sa grande ennemie, Sofia

Spanoudi, le voit comme autochtone. SPANOUDI, Sofia, « Μουσική του ελληνικού λαού» [La

musique du peuple grec], in Elefthero Vima, 07.10.1938, in VLISIDIS Kostas, Σπάνια κείμενα… [Textes

rares…], op.cit., p. 80-83.

34. LALAOUNI, Alexandra, « Λαϊκή μουσική – μαέστροι – συνθέται – τραγουδισταί» [Musique

populaire – maestros – compositeurs – chanteurs », in Vradyni, 14.10.1940 in VLISIDIS Kostas,

Σπάνια κείμενα… [Textes rares…], op.cit., p. 86-88.

35. La Station d’Athènes commence ses diffusions en mars 1938. Sur l’histoire de la radio en

Grèce, voir BARBOUTIS, Christos, KLONTZAS, Mihalis, Το φράγμα του ήχου [La barrière du son],

Athènes, Papazisi, 2001 ; et EPIKOINONIAS, Tetradia, Το ραδιόφωνο στην Ελλάδα [La radiophonie en

Grèce], Athènes, Institouto Optikoakoustikon Meson, 2006.

36. Le numéro 24 (30.07-05.08.1939, p. 12-31) de la revue Programme hebdomadaire de la Station

Radiophonique d’Athènes éditée par la Direction Radiophonique, sous le contrôle du Secrétariat de

la Presse et du Tourisme, contient une analyse du programme de la station du 21.05.1938 au

30.06.1939. On apprend ainsi que 70 % du programme est composé de musique, dont 44 % de

« musique sérieuse » et 56 % de « musique joyeuse et diverse ». La musique grecque (démotique

et autre) occupe 12 % du temps d’antenne.

37. Le bouzouki sera diffusé sur les ondes d’abord à travers des enregistrements de musique

légère ou démotique, dans lesquels il occupe une place relativement discrète (égale aux autres

instruments) par rapport à sa mise en valeur dans les tavernes. Voir à titre d’exemple le

programme du 03.03.1952 où les chansons « Σούστα» [Sousta] de Hiotis, « Πάμε Μάρω στηνΑθήνα» [Allons Maria à Athènes] et « Πάμε μια βόλτα» [Allons une promenade] de Peristeris sont

annoncées. EIR, Εβδομαδιαίον Πρόγραμμα Ραδιοφωνικών Σταθμών Αθηνών και Θεσσαλονίκης[Programme hebdomadaire des Stations Radiophoniques d’Athènes et de Thessalonique], Nº 92,

02-08.03.1952. En 1952, le Deuxième Programme est fondé et la musique populaire gagnera du

terrain dans la Station d’Athènes et les émissions publicitaires des différentes compagnies

phonographiques qui la promeuvent deviendront de plus en plus fréquentes.

38. ZAIMAKIS, Yannis, « ‘Forbidden Fruits’ and the Communist Paradise… », op.cit.

39. MAZOWER, Mark, After the war was over : Reconstructing the Family, Nation and State in Greece,

1943-1960, Princeton and Oxford, Princeton University Press, 2000.

40. Avgi, « Μια έρευνα της “ Αυγής” για τη λαϊκή μας μουσική. Οι Αυγέρης, Καλομοίρης, Θεοδωράκης, Ξένος, Αρκαδινός και Μαζαράκη μιλάνε για το σύγχρονο λαϊκό τραγούδι» [Une

recherche de « Avgi » sur notre musique populaire. Avgeris, Kalomoiris, Theodorakis, Xenos,

Arkadinos et Mazaraki parlent de la chanson populaire contemporaine], 21.03.1961 – 05.04.1961.

41. POLITIS, Nikos, « Μια συζήτηση. Το ρεμπέτικο τραγούδι» [Une discussion. La chanson rebetiko],

in Rizospastis, 23.02.1947, p. 2.

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42. Je pense, entre autres, à Panagiotis Toundas (Smyrne 1884 – Athènes 1942) et Kostas Skarvelis

(Constantinople 1880 – Athènes 1942) qui étaient directeurs artistiques de compagnies

phonographiques.

43. VARVOGLIS, Marios, « ... Και το μουσικό του πρόγραμμα : ό,τι πιο οπισθοδρομικό και κακότεχνο»

[… Et son programme musical : ce qu’il y a de plus arriéré et de plus mauvais en matière d’art], in

Rizospastis, 07.07.1946, p. 3.

44. ANOGEIANAKIS, Foivos, « Η μουσική στο δημοτικό τραγούδι» [La musique dans la chanson

démotique], in Rizospastis, 15.08.1946, p. 2.

45. Pour la liste de ces chansons voir PENNANEN, Risto Pekka, Westernisation and Modernisation in

Greek Popular Music, Tampere, Acta Universitatis Tamperensis 692, 1999, Appendix C, p. 187.

46. Voir plusieurs textes dans VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...], op.cit.

47. Il s’agit de décrets policiers. Voir le décret de 1946 au Pirée dans VLISIDIS, Kostas, Σπάνιακείμενα... [Textes rares...], op.cit., p. 112 et le décret de 1950 à Athènes dans PANAYOTOU, Yorgos,

« Διώξεις του ρεμπέτικου. Μια αστυνομική διάταξη του 1950 » [Persécutions du rebetiko. Un décret

policier de 1950], in Anti, vol. 674, novembre 1998, p. 41.

48. Voir à titre d’exemple l’article de Svolopoulos dans le numéro 42 (20-26.02.1949) de la revue

Programme hebdomadaire de la Station Radiophonique d’Athènes et l’article sur « Comment la guerre

froide se fait par la radio » qui parle de la station de Thessalonique « sous la direction greco-

américaine, destinée exclusivement au pays derrière le Rideau de Fer », Nº 60 (26.06-02.07.1949),

p. 25.

49. YANNAKOPOULOS, Stavros, « Χασίς, πορνεία, χαρτοπαίγνιο – χιλιάδες παγίδες στην Αθήνα γιατον εκφυλισμό της νεολαίας» [Haschisch, prostitution, jeu de cartes – milles pièges favorisant la

dégénérescence de la jeunesse à Athènes], in Eleftheri Ellada, 16.04.1946, p. 1.

50. ANOGEIANAKIS, Foivos, « Το ρεμπέτικο τραγούδι» [La chanson rebetiko], in Rizospastis, 28.01.1947,

p. 2

51. MYSTIS, D., « Το χασίς και οι συνέπειες του » [Le haschisch et ses conséquences], in Rizospastis,

15.12.1946. Voir aussi S.L., « Το χασίς. Ένας μεγάλος κίνδυνος για τη νεολαία μας» [Le haschisch.

Un grand danger pour notre jeunesse], in Rizospastis, 15.08.1947.

52. ANOGEIANAKIS, Foivos, « Το ρεμπέτικο τραγούδι» [La chanson rebetiko], op. cit..

53. M.KYR., « Ν’απαγορευτούν τα μάγκικα» [Interdire les magkika], in Edo Athinai, vol. 10,

novembre 1946, p. 38 in VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...], op.cit., p. 113-115.

54. SPANOUDI, Sofia, « Η λαϊκή μουσική. Τα “ρεμπέτικα” » [La musique populaire. Les « rebetiko »],

in Ta Nea 10.02.1949, p. 1-2.

55. KALOMOIRIS, Manolis, « Τα “ρεμπέτικα” και τα “ταγκό” » [Les « rebetika » et les « tango »], in

Ethnos, 08.01.1947 in VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...], op.cit., p. 126-127.

56. PALAIOLOGOS, Pavlos, « Ο λόγος στην υπεράσπιση» [La parole à la défense], in Ta Nea,

23.12.1946 in VLISIDIS Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...], op.cit., p. 122-123, PSATHAS,

Dimitris, « Αθηναϊκά. Στα “Μπουζούκια” » [Atheniens. Aux « Bouzoukia »], in Ta Nea, 10.09.1948,

p. 1 et FOTEINOS, Petros, « Ο θρίαμβος της χορδής» [Le triomphe de la corde], in To Fos

(Thessalonique), 14.09.1948, in VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...], op.cit.,

p. 134-135.

57. STAVROU, G., « Παραμιλητό εξοφλημένου κόσμου. ‘Ρεμπέτικα από την Τρούμπα στο ...

Κολωνάκι ! » [Divagation d’un monde à l’agonie. « Rebetika » de Trouba à... Kolonaki ! », in

Eleftheri Ellada, 27.11.1946, p. 2.

58. KARAGATSIS, M., « Εκεί που η Αθήνα γλεντάει... » [Là où Athènes fait la fête], in Vradyni,

09.08.1946 et MANOLIKAKIS, I., « Το λαϊκό, το “ρεμπέτικο” τραγούδι ξαναβρίσκει και πάλι τιςπαλιές του δόξες» [La chanson laiko, « rebetiko » retrouve de nouveau sa gloire du passé], in Ta

Nea, 17.09.1946 in VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...], op.cit., p. 101-108. Dans les

revues musicales voir MANESIS, Kostas, « Στις Τζιτζιφιές – μια βόλτα στο βασίλειο του μπαγλαμά»

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[A Tzitzifies – une promenade au royaume du baglama], in To Monterno Tragoudi, vol. 11,

septembre 1947 et vol. 12, octobre 1947 in VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...],

op.cit., p. 130-132 et ALFA-VITA, « Ο καζαμίας του ελληνικού τραγουδιού» [L’almanach de la

chanson grecque], in To elliniko tragoudi, nº 68, janvier 1951, p. 32-33.

59. STAVROU, G., op.cit., PSATHAS, Dimitris, op.cit, FOTEINOS, Petros, « Ο Τσιτσάνης» [Tsitsanis], in

To Fos (Thessalonique), 15.09.1948, p. 1, YALAMAS, Asim., « Η Ντερμπεντέρισσα» [Nterbenterissa],

in To Monterno Tragoudi, vol. 34, décembre 1948 in VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes

rares...], op.cit., p. 136, PALAIOLOGOS, Pavlos, « Μπουζούκια» [Bouzoukia], in Ta Nea, 13.12.1948 in

VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...], op.cit., p. 137-138, PSATHAS, Dimitris, « Ταμπουζούκια» [Les bouzoukia], in Ta Nea, 22.11.1951, p. 2 et LYBEROPOULOS, D.P., « Η νεολαίαζητάει εύθυμους σκοπούς» [La jeunesse demande des mélodies gaies], in Ebros, 17.02.1952, p. 3-4.

60. A.S., « Παλαιοαθηνίτις και ταβερνοκρατία» [Vieux athénisme et tavernocratie], in Proia,

02.12.1943, p. 1, Proia, « Η κοινή ησυχία» [Le calme public], 18.07.1944, p. 1, et VOURNAS, Tasos,

« Το σύγχρονο λαϊκό τραγούδι, πρώτη προσπάθεια αναγωγής στις ρίζες του» [La chanson populaire

contemporaine. Première tentative de retour aux origines], in Epitheorisi Technis , vol. 76, avril

1961, p. 277-285.

61. STAVROU, G., op.cit.

62. ANOGEIANAKIS, Foivos, « Η μουσική στο δημοτικό τραγούδι» [La musique dans la chanson

démotique], op.cit. et « Το ρεμπέτικο τραγούδι» [La chanson rebetiko], op.cit.

63. Il s’agit des épopées autour de la vie des Kleftes, devenus figures de la résistance contre

l’ordre ottoman. Les ottomans, perturbés par leurs actions, les incorporaient de temps en temps

dans le corps d’Armatoloi, leur milice spéciale composée exclusivement de chrétiens, qui apparaît

à partir du XIVe siècle en Anatolie et plus tard dans les Balkans, SVORONOS, Nicolas, Histoire de la

Grèce moderne, Paris, PUF, 1972, p. 22.

64. ANOGEIANAKIS, Foivos, « Η μουσική στο δημοτικό τραγούδι» [La musique dans la chanson

démotique], op.cit.

65. Des idées similaires seront exprimées par Manos Hatzidakis, jeune compositeur prometteur

du Conservatoire, qui en janvier 1949 prononce une conférence qui fera date dans l’histoire du

rebetiko. Devant une salle pleine d’intellectuels au Théâtre de l’Art, il parle de la « valeur », de la

« vérité » et de la « force » du rebetiko, dont il analyse les rythmes et la mélodie pour faire

apparaître des liens avec la musique byzantine. Il va jusqu’à inviter Vamvakaris et Bellou à jouer

sur scène. Le texte de la conférence est disponible sur http://www.hadjidakis.gr/homeweb.htm

(Rubrique : « Έργογραφία - γραπτά κείμενα» [Liste d’œuvres – textes écrites]). Au moment de la

conférence, Hatzidakis prépare son œuvre « Six portraits populaires » auquel il reprend des

chansons de Tsitsanis, Kaldaras, Mitsakis et Hatzichristos.

66. XENOS, Alekos, « Μας γράφουν. Το ρεμπέτικο τραγούδι» [Lettres. La chanson rebetiko], in

Rizospastis, 04.02.1947, p. 2.

67. Il s’agit des chansons ayant des paroles « révolutionnaires » superposées à des mélodies

démotiques et à des chansons russes, arrangées par des compositeurs de conservatoire et censées

encourager les communistes qui luttent dans les montagnes pendant la résistance, puis lors de la

guerre civile. Xenos n’est pas le seul à voir les antartika comme des chansons populaires ;

Arkadinos est du même avis, ARKADINOS, Vasilis, « Λαϊκό τραγούδι και ευθύνη των πνευματικώνανθρώπων» [La chanson populaire et la responsabilité des intellectuels], in I Dimokratiki,

30.08.1951. Pour une étude en français sur les chansons des maquisards – ayant un titre trompeur

mais révélateur de ce même avis – voir MOUCHTOURIS, Antigone, La culture populaire en Grèce

pendant les années 1940-1945, Paris, L’Harmattan, 1989.

68. SAMOUILIDOU, Erifyli, « Το δημοτικό τραγούδι» [La chanson démotique], in Epitheorisi Technis,

vol. 22, octobre 1956, p. 227-228, KALOMOIRIS, Manolis, « Μια έρευνα για το λαϊκό τραγούδι» [Une

recherché sur la chanson populaire], in Avgi, 24.03.1961, VOURNAS, Tasos, « Το σύγχρονο λαϊκό

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τραγούδι… » [La chanson populaire contemporaine...], op.cit., ANOGEIANAKIS, Foivos, « Για το

ρεμπέτικο τραγούδι» [Sur la chanson rebetiko], in Epitheorisi Technis, vol. 79, juillet 1961, p. 11-20.

69. PAGKALIS, Nikos, « Το ρεμπέτικο τραγούδι» [La chanson rebetiko], in Avgi, 14.02.1953.

70. ANOGEIANAKIS, Foivos, « Η μουσική στο δημοτικό τραγούδι» [La musique dans la chanson

démotique], op.cit., ORFINOS, Petros, « Δημοτικά τραγούδια και μουσική αγωγή» [Chansons

démotiques et éducation musicale], in Epitheorisi Technis, vol. 17, mai 1956, p. 431-433,

SAMOUILIDOU, Erifyli, op.cit.

71. VOURNAS, Tasos, op.cit.

72. STAVROU, G., op.cit., ARKADINOS, Vasilis, « Μια έρευνα για το λαϊκό τραγούδι» [Une recherche

sur la chanson populaire], in Avgi, 22.03.1961.

73. MAZOWER, Mark, After the war was over…, op.cit.

74. CLOSE, David, « The Road to Reconciliation ? The Civil War and the Politics of Memory in the

80s” in CARABOTT, Philip, SFIKAS, Thanasis (eds), The Greek Civil War. Essays on a conflict of

exceptionalism and silences, Centre for Hellenic Studies, King’s College, London, Ashgate, 2004,

p. 257-278.

75. Par exemple le film Stella, femme libre, de Michalis Kakogiannis, présenté à Cannes en 1956, où

la musique de Hatzidakis est interprétée par l’« orchestre populaire » de Tsistanis.

76. Kyriakatikos Tahydromos, « Βασ.Τσιτσάνης – ο μάγος του μπουζουκιού » [Vas.Tsitsanis – le

magicien du bouzouki], 15.04.1951 in VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...], op.cit.,

p. 168-172.

77. Des débats auront lieu dans Avgi, le journal de l’Union de la Gauche Démocratique (EDA), et

Epitheorisi Technis, la revue mensuelle des lettres et des arts affiliée à la gauche.

78. ORFINOS, Petros, op.cit..

79. SKOURIOTIS, Yannis, « Το δημοτικό τραγούδι από κοινωνική άποψη» [La chanson démotique d’un

point de vue social], in Epitheorisi Technis, vol. 20, août 1956, p. 148-152.

80. ORFINOS, Petros, op.cit.

81. Μ.R., « Πνευματικά καλλιτεχνικά σημειώματα. Το “ρεμπέτικο” » [Notes intellectuelles

artistiques. Le « rebetiko »], in Avgi, 20.09.1953, p. 3 et aussi KOUZINOPOULOS, Lazaros, « Το τέλος της

συζήτησης για το λαϊκό τραγούδι» [La fin de la discussion autour de la chanson populaire], in

Epitheorisi Technis, vol. 84, décembre 1961, p. 612-615.

82. GARDIKIS, D., « Το ρεμπέτικο» [Le rebetiko], in Epitheorisi Technis, vol. 21, septembre 1956, p. 245.

83. SKOURIOTIS, Yannis, « Το δημοτικό τραγούδι από κοινωνική άποψη» [La chanson démotique d’un

point de vue social], op.cit.

84. ORFINOS, Petros, op.cit.

85. VOURNAS, Tasos, op.cit. Une idée similaire est exprimée par XENOS, Alekos, « Μας γράφουν. Το

ρεμπέτικο τραγούδι» [Lettres. La chanson rebetiko], op.cit. et par ANTONIOU, Antonis, « Ένας εργάτης

για το λαϊκό τραγούδι» [Un ouvrier sur la chanson populaire], in Epitheorisi Technis, vol. 76, avril

1961, p. 337-338.

86. SOFOULIS, Kostas, [lettre], in Epitheorisi Technis, vol. 20, août 1956, p. 152-154.

87. Selon les mots de Theodorakis transcrits par NIKA, Eleni, « Συζήτηση για το λαϊκό τραγούδι με

τους φοιτητές στο Νέο Θέατρο’ » [Discussion sur la chanson populaire avec les étudiants au

« Nouveau Théâtre »], in Avgi, 29.03.1961.

88. THEODORAKIS, Mikis, « Γύρω στον “Επιτάφειο” » [Autour de l’« Épitaphe »], in Epitheorisi Technis,

vol. 73-74, janvier-février 1961, p. 75-79.

89. ANOGEIANAKIS, Foivos, « Το ρεμπέτικο τραγούδι » [La chanson rebetiko], op.cit. ; SOFOULIS, Kostas,

[lettre], in Epitheorisi Technis, op.cit. ; THEODORAKIS, Mikis, « Γύρω στον “Επιτάφειο” » [Autour de

l’« Épitaphe »], op.cit. ; PAPADIMITRIOU, Elli, « Μια έρευνα για το λαϊκό τραγούδι» [Une recherche sur

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la chanson populaire], in Avgi, 30.03.1961 ; et ANOGEIANAKIS, Foivos, « Για το ρεμπέτικο τραγούδι»[Sur la chanson rebetiko], op.cit.

90. VOURNAS, Tasos, op.cit.

91. PAPADIMITRIOU, Elli, op.cit.

92. THEODORAKIS, Mikis, « Γύρω στον “Επιτάφειο” » [Autour de l’« Épitaphe »], op.cit.

93. VOURNAS, Tasos, op.cit.

94. STAVROU, G., op.cit.

95. SKOURIOTIS, Yannis, « Το δημοτικό τραγούδι από κοινωνική άποψη» [La chanson démotique du

point de vue social], op.cit.

96. SAMOUILIDOU, Erifyli, op.cit., XENOS, Alekos, « Μια έρευνα για το λαϊκό τραγούδι» [Une recherche

sur la chanson populaire], in Avgi, 24.03.1961.

97. En Grèce, la critique des nouvelles technologies qui permettent la reproduction du son a lieu

dès leur apparition. Sur les cylindres, voir O ALLOS, « Αθηναϊκαί Σκηναι. Ο φωνογράφος. Μια νέαβιομηχανία. Οι φωνογράφοι και η κιορ Κατίνα. Ο Σουρής εις τον κύλινδρον. Επτά δραχμάς τοκαπέλλο» [Scènes d’Athènes. Le phonographe. Une nouvelle industrie. Les phonographes et la

dame Katina. Souris au cylindre. Sept drachmes le chapeau], in Skrip, 28.09.1901. Sur le

phonographe, voir Mousika Hronika, « Σημειώματα : ο φωνογράφος» [Notes : le phonographe],

vol. 1, avril 1928 cité dans VLISIDIS, Kostas, Για μια βιβλιογραφία…, [Pour une bibliographie…],

op.cit., p. 160.

98. ANOGEIANAKIS, Foivos, « Το ρεμπέτικο τραγούδι» [La chanson rebetiko], op.cit.

99. SKOURIOTIS, Yannis, « Το δημοτικό τραγούδι» [La chanson démotique], in Epitheorisi Technis,

vol. 23-24, novembre-décembre 1956, p. 461.

100. Sur le lien avec le jazz commercial voir VOURNAS, Tasos, op.cit. et ANOGEIANAKIS, Foivos,

« Για το ρεμπέτικο τραγούδι » [Sur la chanson rebetiko], op.cit. Sur la division entre vieux rebetiko et

laiko d’aujourd’hui voir AVGERIS, Markos, « Μια έρευνα για το λαϊκό τραγούδι» [Une recherche

sur la chanson populaire], in Avgi, 21.03.1961 et VOURNAS, Tasos, op.cit.

101. PETROPOULOS, Ilias, Υπόκοσμος και καραγκιόζης [Bas-fonds et Karagkiozis], Athènes,

Grammata, 1978, cité dans GAUNTLETT, Stathis, Ρεμπέτικο τραγούδι… [Chanson rebetiko…], op.cit.,

p. 61-127, p. 93.

102. THEODORAKIS, Mikis, « Γύρω στον “Επιτάφειο” » [Autour de l’« Épitaphe »], op.cit.

103. Avgi, « Μια έρευνα της “Αυγής” για τη λαϊκή μας μουσική. Οι Αυγέρης, Καλομοίρης,Θεοδωράκης, Ξένος, Αρκαδινός και Μαζαράκη μιλάνε για το σύγχρονο λαϊκό τραγούδι» [Une

recherché de « Avgi » sur notre musique populaire. Avgeris, Kalomoiris, Theodorakis, Xenos,

Arkadinos et Mazaraki parlent de la chanson populaire contemporaine], 21.03.1961 – 05.04. 1961.

104. TRAGAKI, Dafni, op.cit.

105. ZAIMAKIS, Yannis, op.cit.

106. Le terme sera maintenu pour designer aujourd’hui une catégorie plus limitée – surtout pour

caractériser des chansons d’improvisation vocale avec un rythme libre. Le terme « smyrneiko »

(de Smyrne) sera appliqué au reste du répertoire en insérant symboliquement les réfugiés dans le

récit identitaire grec, et en leur accordant en même temps leur différence : ils resteront des grecs

« d’ailleurs ».

107. J’emprunte ici le vocabulaire de Sofia Spanoudi. SPANOUDI, Sofia, « Η μουσική και οελληνικός λαός» [La musique et le peuple grec], in Mousiki Zoi, année Β, vol. 1 (octobre 1931),

p. 4-5.

108. BALANDIER, Georges, Anthropologie politique, 4e édition, Paris, PUF, 1999 et MARTIN, Denis-

Constant, « Cherchez le peuple... culture, populaire et politique », in Critique internationale 7, avril

2000, p. 169-183.

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RÉSUMÉS

Cet article examine les débats sur la musique populaire grecque parus dans la presse de gauche

de 1946 à 1961. Au moment du conflit interne et pendant la période qui l’a suivi, les intellectuels

de gauche se penchent sur les expressions du peuple en essayant d’y trouver résistance et

héroïsme, d’établir la persistance des luttes et de montrer la continuité de la répression. À

plusieurs reprises, la musique populaire se trouve au centre des débats et divise l’opinion. À

travers l’analyse des archives de presse, cet article revisite ces débats où, au-delà de la question

« quelle est la musique populaire ? », les divisions internes du mouvement de gauche

apparaissent, des ruptures et des continuités dans l’histoire musicale grecque sont construites,

des identifications et des assignations sont opérées, mais surtout se dessinent les contours de la

catégorie « peuple ».

This article examines the debates on Greek popular music published in the left-wing press from

1946 to 1961. At the time of the internal conflict and during the period that followed, left-wing

intellectuals concentrate on the expressions of the people in order to find resistance and

heroism, establish the persistence of struggles, but also demonstrate the continuity of

repression. On several occasions, popular music becomes a central issue and divides the

expressed opinions. Through the analyses of press archives, this article revisits these debates

where, beyond the question “which is the popular music?”, the internal divisions of the left

movement appear, ruptures and continuities in Greek music history are built, identifications and

assignations are made, but also the outlines of the category “people” are designed.

INDEX

Keywords : popular music, Greece, rebetiko, Greek civil war, left-wing press

Mots-clés : musique populaire, Grèce, rebetiko, guerre civile grecque, presse de gauche

AUTEUR

PANAGIOTA ANAGNOSTOU

Panagiota Anagnostou est diplômée en science politique et en sociologie. Ses recherches relèvent

de la sociologie politique et traitent des configurations identitaires et mémorielles dans la

musique populaire. Elle a soutenu en 2011 sa thèse de doctorat sur la musique populaire grecque

(XIXe-XXe siècles), intitulée « Les représentations de la société grecque dans le rebetiko » (sous la

direction de Denis-Constant Martin) à SciencesPo Bordeaux. Elle a participé à différents

programmes de recherche et travaille actuellement sur les pratiques musicales de migrants

comme expression et participation politiques.

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Un bruit lointain ? Les musicienschiliens face à la Guerre duVietnam (1965-1975)A distant noise? Chilean musicians confronting the Vietnam War (1965-1975)

Mauricio Gómez Gálvez

NOTE DE L'AUTEUR

Le titre fait allusion à l’article de presse de l’historien chilien FERMANDOIS, Joaquín,« Chile y la Guerra de Vietnam. Ruido a la distancia », in La Tercera, 23 avril 2000.L’article de Fermandois entend minimiser rétrospectivement l’impact de la Guerre duVietnam au Chili, en considérant que ce conflit armé « n’a pas eu d’influenceperceptible dans le pays ». Si cela est certes valable pour une partie importante de lapopulation, l’examen de la documentation de l’époque, y compris les registres desmobilisations citoyennes et surtout l’importante production artistique suscitée par ceconflit armé, relativise considérablement les affirmations de cet auteur. Plus qu’uneréfutation, notre article se veut une contribution à un débat historiographique – mêmes’il a lieu « à distance » –, en jetant un nouveau regard sur un aspect encore peu étudié– celui de la réception de la Guerre du Vietnam – pendant une période particulièrementcontroversée de l’histoire politique et culturelle chilienne.

1 Si les mouvements d’opposition à la Guerre du Vietnam nés en Europe et aux États-Unis

sont aujourd’hui assez connus, ceux apparus en Amérique latine demeurent peuétudiés. Tout comme dans les pays du nord, la jeunesse étudiante et nombre d’artistesd’Amérique du sud jouent un rôle actif dans la lutte contre un conflit armé perçucomme injuste, et condamnent l’intervention nord-américaine au nom de l’anti-impérialisme. Au Chili, les artistes, et tout particulièrement les musiciens, se mobilisentpour soutenir la lutte vietnamienne et blâmer l’envahisseur yanqui.

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2 Bien que certains musiciens savants1 réagissent en composant des œuvres à cette fin,

c’est dans le domaine de la chanson que le rejet de la guerre trouvera une plus forterésonance sociale. En effet, les chansons de musiciens tels que Víctor Jara ou du groupeQuilapayún jalonnent une période cruciale pour le pays, marquée par la quête d’une« voie chilienne au socialisme ». Ces artistes engagés appartiennent à ce qui serabientôt nommé la Nouvelle Chanson Chilienne2 (désormais NCCh), mouvement musicalrénovateur, en phase avec le climat politique à caractère révolutionnaire qui se répanddans le continent latino-américain. Le Vietnam, tout comme la Révolution cubaine, serachanté en tant qu’étendard de la lutte contre l’impérialisme3.

3 La plupart des artistes – y compris les musiciens – convergeront vers le projet politique

de Salvador Allende à la tête de l’Unité populaire, le soutenant activement lors de lacampagne présidentielle qui le conduira au pouvoir en 1970. Sur le plan international,cet événement projettera le Chili au cœur de l’affrontement idéologique entre les deuxsuperpuissances mondiales. Nous partons de l’hypothèse que la lutte contre la Guerredu Vietnam, en tant que facteur majeur de mobilisation et de cohésion sociale, a jouéun rôle important dans l’éclosion de formes d’art politiquement engagé4, y compris lamusique, consolidant – et préfigurant parfois – les manifestations les pluscaractéristiques de la période de l’Unité Populaire. Dans quelle mesure le combatcontre la Guerre du Vietnam a-t-il contribué à définir les formes d’expression del’engagement des musiciens chiliens ?

Devenir d’une contestation : de la classe politique à lasociété civile et aux artistes

4 Au moment où éclate la Guerre du Vietnam, le Chili entre dans une période de

profondes transformations politiques et sociales. En septembre 1964, le démocrate-chrétien Eduardo Frei Montalva, brandissant le slogan de « Révolution dans la liberté »,était élu Président de la République. Le programme du gouvernement annonçait desmesures de fond telles que la nationalisation du cuivre (première étape d’un processusqui sera approfondi pendant le gouvernement d’Allende) et une réforme agraire. Frei,fortement appuyé par les États-Unis, incarnait une sorte d’alternative viable face à unedroite transitoirement épuisée, mais aussi un frein aux avancées des forces de gauche,qui menaçaient les intérêts de l’oligarchie locale et des capitaux étrangers dans le pays.Malgré son relatif progressisme, le gouvernement de Frei s’affaiblira rapidement, enperdant le soutien d’une bonne partie de ses électeurs. Il s’agit d’un moment clé del’histoire chilienne qui voit alors culminer des mouvements sociaux, et où la jeunesse –ouvrière et universitaire – joue un rôle prépondérant. Cette période est en effet celle del’émergence d’une génération contestataire qui se distinguera des générationsprécédentes en raison d’un fort engagement éthique, la conduisant à adopter unenouvelle attitude de rébellion permanente, à l’instar des révolutionnaires cubains etdes résistants vietnamiens5. La force de cette génération se reflète dans le processus deRéforme universitaire qui démocratisera l’université chilienne et l’ouvrira au plusgrand nombre. Au moment où la figure des héros révolutionnaires tels que Che Guevaraalimente l’imaginaire d’une jeunesse avide de changements radicaux, plusieursmouvements prônant la voie armée surgissent au Chili, notamment le MIR (Mouvementde la gauche révolutionnaire), fondé en 1965. Si ces groupes semblent incarner à biendes égards l’air du temps, attirant effectivement une partie de la jeunesse contestataire,

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celle-ci ne rompra pas avec les structures politiques traditionnelles dominantes (Particommuniste, Parti socialiste, etc.), mais elle tendra à créer des organismes politiquesconciliant l’action directe et l’action représentative6. C’est le cas du MAPU (Mouvementd’action populaire unitaire), scission de l’aile radicale du Parti démocrate-chrétien en1969. Si le dilemme entre la voie pacifique et la voie armée pour conquérir le socialismeau Chili est l’objet de débats animés, la nécessité de soutenir solidairement le combatvietnamien est unanime au sein de la jeunesse engagée de gauche.

Le refus de la guerre

5 L’une des premières manifestations de condamnation de la guerre dans le Sud-Est

asiatique a lieu au Congrès national le 7 avril 1965 : le sénateur du Parti communistechilien Carlos Contreras y prononce un long discours à propos de l’intervention nord-américaine au Vietnam7. En 1966, le relais est pris par diverses associations qui seregroupent pour créer le Comité chilien de solidarité avec le Vietnam. Cet organismefait circuler un tract intitulé « Dehors les yankees du Vietnam !8 ». Le texte, « appel aupeuple du Chili », s’attaquait violemment à l’impérialisme nord-américain.

6 Au mois de janvier de la même année, la revue d’orientation révolutionnaire Punto Final

(elle était en effet proche du MIR), publiait un numéro spécial sous le titre « Ce que j’aivu au Vietnam ». Il s’agissait d’un long reportage du jeune avocat et journaliste chilienJosé Rodríguez Elizondo, témoignant de sa visite à la République Démocratique duVietnam, en tant que délégué de l’Association internationale des juristes démocrates9.Au Chili, Punto Final sera le porte-parole des demandes du FLN et du gouvernement dela RDVN10, comme en attestent plusieurs communiqués. Cette revue a joué un rôle actifdans la prise de conscience collective des enjeux de la guerre.

7 Au-delà de ces actions politiques, nous ne pouvons pas négliger le fait que l’impact de la

guerre sur la population sera également tributaire de la culture de masse et de sesmoyens de diffusion, notamment de la télévision. Si elle entre tardivement dans lesfoyers, le déroulement de la Coupe du Monde de football au Chili en 1962 avaitdéclenché l’achat de nombre d’appareils dans le pays11. Les images de la guerres’installaient désormais dans le quotidien de la population, ce qui modifiaitconsidérablement le rapport des citoyens à la réalité mondiale, nourrissant ainsil’imaginaire d’une jeunesse en révolte.

La réponse des artistes

8 Les réactions des artistes chiliens ne se font pas attendre. Ainsi, depuis l’étranger, le

peintre surréaliste Roberto Matta conçoit un tableau en grand format intitulé de façonallusive Burn, Baby, Burn (1965-1966). Rappelant le Guernica de Picasso, le tableaudénonce à la fois les horreurs de la Guerre du Vietnam et les émeutes ayant eu lieu dansle quartier de Watts à Los Angeles en août 196512. Dans le pays, l’Association chiliennedes écrivains organise, en octobre 1967, un concours de poésie afin de rendre« Hommage au peuple vietnamien ». Un volume collectif est publié à l’issue de cetévénement, sous le titre de Vietnam héroïque (1967). D’après le texte de présentation, lerécital poétique, tenu en octobre de la même année, rassemble un public aussi ferventque nombreux. Outre l’explication de l’engagement suscité chez les écrivains, le texte

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souligne l’importance symbolique et concrète de la Guerre du Vietnam pour un payscomme le Chili :

…le peuple vietnamien ne lutte pas seulement contre l’impérialisme nord-américain ; sa lutte implique la défense de la libre détermination des peuples, lerespect des petits pays, et de la dignité de tous les êtres humains, sans considérer lacouleur de leur peau. Sa victoire sera la victoire des peuples opprimés par labourgeoisie impérialiste internationale. Ce sera la fin de l’esclavage économique quidomine l’Amérique latine, et elle ouvrira les portes pour que l’humanité marche enliberté, en paix et avec dignité13.

9 La guerre suscite également la réaction des plus grands poètes chiliens. Le premier

semble avoir été Pablo de Rokha, qui déjà dans les années 1950 fustigeait la France,dont les soldats « dopés à la benzédrine et à l’alcool se suicident/ dans les colonies parles mitrailleuses du Vietnam/ tels des cochons affolés14 ». Pour sa part, Nicanor Parra,l’« antipoète », dans le registre d’ironie anarchisante et de détournement qui lecaractérisent, écrira en 1970 un court poème en anglais :

My Stomach

maybe in this country

but

my

heart

is

in

Vietnam15

10 Pourtant, c’est la contribution du poète Pablo Neruda qui aura le plus de

retentissements, dépassant largement le champ littéraire. Dès la fin des années 1930, àl’époque de son engagement dans la Guerre civile espagnole en faveur de la IIe

République, Neruda était devenu une référence incontournable. Le tournant politiquede son œuvre fait bientôt de lui le paradigme d’un artiste engagé. Son œuvre,profondément ancré dans l’histoire du continent latino-américain (par exemple sonChant général, publié en 1950), incarne alors pour beaucoup la preuve d’une allianceréussie entre art et politique, entre conduite éthique et exigence esthétique. L’influencenérudienne a été déterminante pour les musiciens, comme l’affirme le compositeurFernando García : « La figure militante du poète a aidé nombre de musiciens chiliens àmieux comprendre le rôle que le créateur doit jouer dans notre continent au momentoù la lutte anti-impérialiste s’intensifie16 ». La dernière période de la poésie nérudienneest marquée par la référence à la Guerre du Vietnam17. En 1969, l’Académie Américaineet l’Institut National des Arts et Lettres élisent Neruda membre honoraire. Renouvelantson engagement, le poète chilien accepte cette distinction, mais refuse la remise del’insigne et du diplôme des mains de l’ambassadeur des États-Unis au Chili, au nom dela solidarité avec le Vietnam et en soutien à la protestation du monde intellectuel nord-américain à l’égard de la guerre18.

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Les musiciens pour le Vietnam

11 La première œuvre musicale faisant allusion à la guerre appartient à un compositeur de

musique savante : il s’agit de Por la justicia y la Paz (Pour la justice et la paix), cycle dedeux chansons pour ténor et piano sur des textes de Paul Éluard, composé en 1965 parEduardo Maturana. L’œuvre est dédiée « À la mémoire des tombés pour la guerre duVietnam19 ». Elle sera suivie par Dialexsis (1966), œuvre instrumentale du compositeurGabriel Brncic, qui sera créée à Buenos Aires20.

12 Dans le domaine de la musique populaire, l’un des premiers chants qui évoque

explicitement le Vietnam, c’est l’hymne du MIR, intitulé « Trabajadores al poder »(Travailleurs au pouvoir) 21. Quelques vers notamment montrent l’importancesymbolique que représentait la lutte vietnamienne pour les groupes révolutionnaires :« Depuis le tréfonds du peuple a surgi/ une voix de justice sociale/ Ce sont les pauvresdu monde qui avancent/ comme exemple ils ont le Vietnam22 ». En 1967, un disque duchanteur Rolando Alarcón incluait deux chansons à visées pacifistes : « No juegues a sersoldado » (Ne joue pas à être soldat) et « La balada de Abraham Lincoln » (La balladed’Abraham Lincoln)23. Ces chansons ne constituaient pourtant qu’un premier pas de latransition artistique d’Alarcón vers la chanson engagée.

13 C’est durant l’année 1968 que la musique populaire rejoint sans ambages la

contestation contre la guerre. Et ce sont les musiciens de la NCCh qui prennent ledevant de la scène. Ce mouvement musical est né par réaction à la puissantepénétration culturelle nord-américaine, à l’instar des figures tutélaires telles que lachilienne Violeta Parra ou l’argentin Atahualpa Yupanqui. Le mouvement s’est articulégraduellement grâce à la confluence esthétique et idéologique de ses membres, dont laplupart – tout en partant des recherches sur le folklore – évolueront vers une créationoriginale marquée par les changements politiques du continent. Les musiciens de laNCCh rompent avec la conception étroite du folklore national, incarnée entre autrespar les groupes de la musique dite typique chilienne (de forte inspiration patronale), ens’appropriant des instruments et des rythmes de tout le continent latino-américain :attitude esthétique et politique lourde de sens, signifiant l’internationalisme de leurdémarche artistique.

14 Si une partie de la production musicale de la NCCh est tolérée par les multinationales

du disque présentes dans le pays, la radicalisation politique du mouvement à partir de1968 exigera la création d’outils de diffusion alternatifs. Ainsi, les jeunessescommunistes créent le label Jota Jota24, sous lequel paraît le disque X Vietnam (Pour leVietnam) du groupe Quilapayún. C’est la contribution chilienne au IX Festival mondialde la jeunesse et des étudiants, organisé à Sofia, en Bulgarie, et consacré cette année-làau Vietnam25. L’album réunit un répertoire de chansons politiques dont la première26, laseule originale du groupe, lançait au rythme de rin27 un avertissement à l’envahisseurnord-américain : « Yankee, yankee, yankee/ Attention, attention/ (…) Aigle noir bientôttu tomberas28 ».

15 X Vietnam sera un succès de ventes et devra être réédité à plusieurs reprises, malgré

l’impossibilité d’être diffusé à la radio29, celle-ci étant contrôlée majoritairement – defaçon directe ou indirecte – par l’oligarchie chilienne et les trust étrangers30, hostiles àl’orientation idéologique de ces musiciens. Ce disque marque un tournant dans lacarrière de Quilapayún en raison d’un répertoire nettement engagé, véhiculant uneconception internationaliste qui dépasse largement le cadre latino-américain. En effet,

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on y retrouve des chansons du répertoire politique espagnol, italien, cubain et chilien.Ce positionnement aura une grande influence sur les réalisations à venir.

L’intensification du combat artistique

16 L’année 1969 est particulièrement mouvementée. À l’instar de Quilapayún, d’autres

musiciens expriment alors leur engagement pour le Vietnam en composant denouvelles chansons ou en s’appropriant le répertoire étranger. Ángel Parra publie en1969 un disque intitulé Canciones funcionales (Chansons fonctionnelles) où il s’en prendaux banquiers, à la bourgeoisie, à la répression sous le gouvernement de Frei, àl’interventionnisme étranger par le biais des ambassades (notamment celle des États-Unis) et à l’invasion culturelle nord-américaine. Prenant pour cible les détenteurs ducapital, Parra ironise sur la cause de leurs malheurs, tout en faisant allusion à la guerredans le Sud-Est asiatique et à la guerre civile au Nigeria : « Il souffre le banquier/combien de peines aura-t-il/ Serait-ce le Vietnam, serait-ce le Biafra/ qui le fontpleurer31 ? ».

17 Le chanteur Rolando Alarcón publie deux albums faisant tous deux explicitement

référence au Vietnam : Por Cuba y Vietnam et El mundo folklórico de Rolando Alarcón. Lepremier disque, comme son nom l’indique, est entièrement consacré à chanter lesgestes des peuples cubain et vietnamien. La nouveauté de ces disques estl’incorporation de chansons issues du répertoire folk anglais (Ewan MacColl) et nord-américain (Pete Seeger) en traduction espagnole. Il reprend notamment une chansonde MacColl contre la guerre (« Brother, did you weep ? »), sous le titre de « Hermano,hermano…llorarás » (Frère, frère…tu pleureras)32.

18 Les passerelles avec l’art contestataire nord-américain sont également présentes dans

l’œuvre du chanteur, acteur et metteur en scène Víctor Jara, l’une des figures phares dela NCCh. Il inclut d’abord une chanson de Pete Seeger dans son disque Pongo en tus

manos abiertas (Je mets dans tes paumes ouvertes) de 1969, puis adapte, dans le domainethéâtral – en lien avec la guerre –, Viet Rock de Megan Terry. Loin d’offrir une repriselittérale de cette pièce, Jara a soumis le texte à un traitement extrêmement critique, enraison de certains désaccords idéologiques avec l’auteure nord-américaine. Jara s’en estlui-même expliqué :

L’auteure ne dépasse pas le pacifisme nord-américain primaire. Elle ne voit pasl’impérialisme de son pays avec la même vision que les chiliens et les latino-américains […] La position que j’ai prise face à cette œuvre est celle du jugement etde la condamnation de l’impérialisme. Nous ne sommes pas nord-américains etnous n’avons pas de raison de tomber dans les distorsions de l’auteure. Il y a desnord-américains qui sous une apparence progressiste n’arrivent pas à se libérerd’une vision tordue – et dans le fond impérialiste – du Tiers-monde33.

200 km contre l’impérialisme…

19 Sur le plan de la mobilisation citoyenne contre la guerre, l’événement marquant de

l’année est la Marche pour le Vietnam qui a lieu entre Valparaíso et Santiago du 6 au 11septembre 196934. Des milliers d’étudiants et travailleurs de gauche, voire des jeunessesdémocrates-chrétiennes, participent à cette manifestation. D’après les témoignages, lesmanifestants interviennent dans chaque petite ville afin d’exposer les motifs de lamobilisation, gagnant ainsi des sympathisants qui rejoignent le cortège. Un groupe de

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muralistes placé en avant-garde est chargé de peindre des fresques, en y inscrivant desslogans contre la guerre et l’impérialisme yanqui. Cet événement marque la premièreaction publique du mouvement muraliste chilien (notamment des Brigadas RamonaParra)35. Un modeste mais néanmoins important documentaire a été filmé par lescinéastes Claudio Sapiaín et Álvaro Ramírez. Produit par le Centre d’étudiants del’Institut Pédagogique de l’Université du Chili, ce film en noir et blanc emprunte sonnom à l’album de Quilapayún X Vietnam (Pour le Vietnam), et utilise aussi la chansonhomonyme comme bande son. L’image d’ouverture affiche la légende suivante : « Chili1969, 3000 jeunes marchent 200 km en dénonçant l’impérialisme ». Des images de lamarche alternent avec des images réelles de la guerre. L’une des pancartes brandies parles étudiants porte un slogan particulièrement parlant : « Pour un art en faveur de larévolution36 ». De nombreux jeunes musiciens participent à cette mobilisation37. Ellereprésente peut-être, par son ampleur, le point culminant de la contestation contrel’interventionnisme nord-américain au Vietnam.

Allende et le Vietnam

20 En 1970, un grand nombre d’artistes – dont les musiciens de la NCCh – s’investit à

temps complet dans la campagne présidentielle du candidat de l’Unité populaireSalvador Allende. Cet engagement, qui portera ses fruits le 4 septembre de la mêmeannée avec l’élection du candidat de gauche, a pour corollaire immédiat le repli desmusiciens engagés dans la problématique interne du pays. Par conséquent, hormis unechanson satirique anti-impérialiste reprise par Quilapayún (« Tío Caimán »38), aucunautre enregistrement paru cette année-là ne fait mention du conflit au Vietnam. Quantà la musique savante, seule une œuvre fait exception : En Viet-nam, op. 10, cantate dechambre pour chœur, contralto, deux pianos et percussion sur un texte du poète PabloNeruda, composée par Hernán Ramírez.

21 En matière de politique internationale, le programme du gouvernement d’Allende

annonce l’établissement de relations avec « tous les pays du monde, indépendammentde leur position idéologique et politique […] particulièrement avec ceux qui mènent desluttes de libération et d’indépendance ». La libre détermination des peuples est au cœurde la conception géopolitique de l’Unité populaire :

La défense acharnée de l’auto-détermination des peuples sera développée par lenouveau gouvernement comme condition de base pour la coexistenceinternationale. Par conséquent, sa politique sera vigilante et active dans la défensedu principe de la non-intervention et pour refuser toute tentative dediscrimination, de pression, d’invasion ou de blocage de la part des paysimpérialistes39.

22 En accord avec ces principes, en mars 1971, le gouvernement d’Allende établit des

relations diplomatiques au niveau des ambassades avec la RDVN40. Cet acte hautementsymbolique est la concrétisation politique des engagements contractés avant l’électiondu président socialiste. Le 6 février 1969, Allende, alors président du Sénat chilien,prononce un discours au Congrès où il souligne l’importance de la lutte vietnamienne,ainsi que sa signification pour les pays dits du tiers-monde :

…la lutte menée par ce peuple en Asie, agressé depuis cent ou mille ans, n’est passeulement la bataille de ceux qui luttent en leur propre sein pour l’indépendanceéconomique, mais l’expression du combat frontal contre l’impérialisme, qui doitretentir dans nos pays ; nous rappelons que, sous une apparente liberté politique,nous sommes soumis à la tyrannie et à une brutale pression économique et que

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ladite liberté politique est une grande farce. C’est pourquoi il ne peut y avoir defrontières pour les pays en voie de développement dans cette lutte commune. Lalutte du peuple vietnamien en est l’exemple. Les patriotes vietnamiens luttent poureux-mêmes et aussi pour la liberté de tous les pays opprimés dans les différentscontinents41.

23 La même année, Allende réalise un voyage diplomatique au Nord-Vietnam, où il

rencontre personnellement Ho Chi Minh. Cette visite à caractère officiel, où Allendeexprimera le soutien solidaire du peuple chilien envers la cause vietnamienne, estconsidérée comme le premier pas vers l’établissement des relations diplomatiquesentre les deux pays42.

Les musiciens allendistes avec le Vietnam

24 Au mois d’avril 1971, Víctor Jara publie l’un des disques les plus emblématiques de cette

période : El derecho de vivir en paz43 (Le droit de vivre en paix). La chanson phare dumême nom, une des créations les plus diffusées de son auteur, avait été composéependant qu’il dirigeait Viet Rock. Pour l’enregistrement, Jara se fait accompagner par legroupe de rock Los Blops, « dans une expérience d’ “invasion de l’invasion culturelle”44

».

25 Un disque d’Isabel Parra, intitulé De aquí y de allá (D’ici et de là), paraît répondre à celui

de Jara. À la chanson d’ouverture, destinée à encourager le peuple à travailler coude àcoude avec le gouvernement populaire, fait suite un répertoire varié, incluant descréations propres, de sa mère Violeta, de Víctor Jara et d’auteurs de la Nueva Trovacubaine : Silvio Rodríguez et Pablo Milanés. De ce dernier, Isabel Parra chantenotamment « Como en Vietnam » (Comme au Vietnam)45.

26 Quant au groupe Quilapayún, il fera une fois de plus une contribution importante avec

la cantate Vivir como él46 (Vivre comme lui), l’œuvre sans doute la plus singulière decette période. Elle est un hommage au héros du Vietcong, Nguyen Van Troi. Récitée,l’œuvre raconte les événements ayant eu lieu en 1964 : l’arrestation de Van Troi près deSaigon, au moment où le jeune résistant préparait un attentat contre RobertMcNamara, le secrétaire américain d’État à la défense. Cet événement a eu un impactdirect et une réponse inattendue en Amérique latine. En effet, au mois d’octobre, lelieutenant colonel de l’armée de l’air des États-Unis, Michael Smolen, était kidnappé auVenezuela par le FALN, qui menaçait de l’exécuter si Van Troi était fusillé au Vietnam.L’opération aboutit pourtant à un échec : alors que la prudence stratégique desautorités nord-américaines réussit à obtenir la libération de Smolen, Van Troi, aprèsavoir subi la torture, sera exécuté quelques jours plus tard. La cantate Vivir como él

cherche à préserver la mémoire de ces événements et ériger la figure de Van Troi enmodèle, tout en mettant en évidence la félonie et la brutalité de l’envahisseur nord-américain. Sur le plan musical, il s’agit d’une œuvre composite, en raison de lajuxtaposition des parties vocales écrites par le compositeur cubain Frank Fernández etdes parties instrumentales du chilien Luis Advis47.

27 L’extrême tension politique que vit le pays obligera définitivement les musiciens à

orienter leur travail de création vers la contingence interne. Le combat pour leVietnam ne pourra que s’éclipser en faveur des impératifs qu’impose la défense dugouvernement de l’Unité populaire. En effet, la chanson devient de plus en plus uninstrument idéologique, fustigeant les boycotts successifs ainsi que les tentativesputschistes encouragées par la droite (et financées par les États-Unis). Après un

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premier soulèvement militaire étouffé en juin, ils renversent le gouvernementd’Allende par le biais d’un coup d’état, le 11 septembre 1973. Cette date marque la fintragique de l’utopie de la « voie chilienne au socialisme » et le début d’une longue etsanglante dictature militaire. Les artistes les plus en vue seront contraints à l’exil(Quilapayún, Sergio Ortega, les frères Parra...), d’autres, qui n’auront pas cette chance,subiront la torture, voire la mort (Víctor Jara, Jorge Peña Hen…).

Les formes de la musique chilienne engagée contre laguerre

28 L’examen de la production discographique étudiée montre l’existence d’un

dénominateur commun : la double référence au Vietnam et à Cuba. Il est frappant eneffet de constater que pratiquement aucun disque chantant la lutte du pays asiatiquene manquera de le faire aussi pour les révolutionnaires de l’île caribéenne. Comme lerappelle l’un des membres du groupe Quilapayún, il n’y a là pourtant rien desurprenant, car la Révolution cubaine et la Guerre du Vietnam auront compté parmi lesévénements les plus marquants pour la jeunesse contestataire chilienne des années1960, qui se penche alors « du côté des audacieux révolutionnaires cubains et deshéroïques vietnamiens48 ».

Les paroles : une typologie

29 De l’analyse des paroles des chansons contre la guerre se dégagent diverses

orientations thématiques, qui nous permettent de proposer une classification,considérant les catégories suivantes : chansons (a) d’espoir et prémonition ; (b) d’exaltation et mythification ; (c) de dénonciation et accusation ; (d) de lamentation ; (e) etenfin, pacifistes.

30 a) Parmi les chansons qui véhiculent un sentiment d’espoir et de prémonition d’un

meilleur futur, « Algún día, Vietnam » (Un jour, Vietnam) 49 de Rolando Alarcón et « PorVietnam » (Pour le Vietnam) de Quilapayún fournissent des exemples clairs. Lapremière, en rythme de valse lente, accentuant le caractère de rêverie de la chanson,situe le récit à une époque où la guerre ne serait que le mauvais souvenir d’un tempsrévolu : « Un jour, Vietnam/ tu pourras raconter au monde/ comment on a ôté la vie àton peuple/ comment on a brûlé le visage de tes enfants/ Maintenant des souvenirs50 ».Le texte de Quilapayún, plus agressif, en même temps qu’il personnifie l’envahisseurnord-américain dans la figure d’un rapace, annonce sa prochaine défaite : « Aigle noir,bientôt tu tomberas/ le guérillero te vaincra51 ». L’image des aigles noirs évoqued’ailleurs la redoutable force aérienne nord-américaine, symbole de sa puissancemilitaire : « Les aigles noirs viennent en volant/ avec leurs canons par-dessus la mer52

». Les éléments musicaux jouent ici un rôle considérable dans la mise en scène sonore :alors que le sentiment de menace est efficacement souligné par l’insistance rythmiquedu rin, le message des paroles est mis en valeur par l’alternance des passages pourchant soliste, duo vocal et chœur à quatre voix.

31 b) Les textes d’exaltation et mythification sont caractéristiques de l’époque. De

nombreuses chansons composées à cette période glorifient les martyrs des luttesouvrières, les héros révolutionnaires ou les victimes de la répression. Deux chansonstirées du répertoire de la Nueva Trova cubaine et reprises respectivement par Rolando

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Alarcón et Isabel Parra appartiennent à cette catégorie. Alors que « Su nombre puedeponerse en verso » (Son nom peut être mis en vers), de Pablo Milanés, chante sur unrythme de guajira la triple dimension de Ho Chi Minh, président, poète et paysan,« Como en Vietnam » (Comme au Vietnam), composition du même auteur, vante lesqualités humaines inégalables du peuple vietnamien, l’érigeant ainsi en exemple.

32 c) Bien qu’en raison de son texte – écrit à la gloire du héros vietnamien Nguyen Van

Troi –, la cantate « Vivir como él » (Vivre comme lui) 53 de Frank Fernández et LuisAdvis pourrait être classée dans la catégorie précédente, le ton de protestation violentequi s’en dégage la situe nettement dans la dénonciation et l’accusation :

Nguyen Van Troi,tu as subi les tortures les plus horriblesmais les sbires n’ont pas réussià faire fléchir ta noble conviction,Nguyen Van Troi

33 La dramaturgie de l’œuvre alterne chant et récitation, cette dernière passant du récit

historique aux fragments qui font parler le protagoniste :

J’ai grandi formé par la révolution. Mon père était combattant de la résistance anti-française, et il a été torturé par l’ennemi au point de l’handicaper. Je porte en moncœur une haine sans limites envers les ennemis de la patrie. Je suis arrivée à Saigonavec la ferme intention de continuer l’œuvre révolutionnaire de mon père […] C’estparce que je n’ai pu supporter la mort de mon peuple et l’humiliation de ma patrie,que j’ai lutté contre l’impérialisme yankee.

34 L’œuvre finit par une déclaration d’engagement révolutionnaire :

Nguyen Van TroiPour le Vietnam nous sommes prêts à donnerjusqu’à notre propre sang !

35 d) Une partie du répertoire véhicule l’idée de lamentation, comme la chanson

« Hermano, hermano llorarás » d’Ewan MacColl. Reprise par Rolando Alarcón, elle n’estpas dépourvue d’un aspect religieux : « “Détruire, détruire le Vietnam”/ c’est l’hymnede l’envahisseur (…)/ Oh Christ, où est l’humilité ?/ Des frères se tuent sans pitié54 ».Dans le style de la poésie populaire chilienne, la « Cueca por Vietnam » de FernandoGonzález, également chantée par Alarcón, mélange lamentation et accusation :

Quelle peine, quelle grande peine je ressenspour le jeune, le jeune américainqui est allé tu…tuer au Vietnamdes femmes, des femmes, des enfants et des vieuxIls partent les bombardiers, aïeen Orientils tuent comme dans la Bibleaïe, les innocentsLes innocents, oui,aïe, ce nouveau piratequi parle de démocratie,qui vole et qui tueLes nord-américains, aïe,ce sont des inhumains55 !

36 e) Au sein du versant pacifiste, on retrouve deux chansons d’Alarcón : « No juegues a ser

soldado » (Ne joue pas à être soldat) et « La balada de Abraham Lincoln » (La balladed’Abraham Lincoln). C’est un registre allusif que l’auteur utilise afin d’évoquer laguerre, soit en appelant à la conscience des soldats dans l’une, soit en mettant en

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évidence la trahison à la pensée de Lincoln dans l’autre. Mais ce sera une chanson deVíctor Jara qui marquera durablement les esprits, « El derecho de vivir en paz » (Ledroit de vivre en paix) :

Le droit de vivre,poète Ho Chi Minh,toi qui frappes depuis le Vietnamtoute l’humanité,aucun canon n’effacerale sillon de tes rizières.Le droit de vivre en paix.L’Indochine est cet endroitau-delà de la vaste meroù l’on éclate la fleurpar génocide et napalm.La lune est une explosionil en jaillit une clameur.Le droit de vivre en paix.Oncle Ho, notre chanson est un brasier de pur amour.C’est la colombe du colombier,c’est l’olive de l’olivier,c’est le chant universella chaîne qui fera triompher Le droit de vivre en paix56.

37 Véritable paradigme de la chanson pacifiste, ses paroles embrassent l’ensemble des

catégories que nous avons identifiées. Sur le plan musical, elle montre la volonté de laNCCh de jeter des ponts avec d’autres sphères musicales, opérant en l’occurrence uneheureuse hybridation entre nouvelle chanson et rock. Outre le message solidaire qu’elleexprime envers le Vietnam, cette chanson deviendra un témoignage de résistancepacifique contre la violence politique de la dictature de Pinochet57, dont Jara sera l’unedes premières victimes.

Pluralité musicale et dépassement des genres : chanson populaire,cantate populaire, composition savante

38 Dans le domaine de la chanson, l’éventail stylistique est assez large. L’évolution de

Rolando Alarcón, le chanteur qui a le plus contribué à la « cause », est intéressante àbien des égards. Partant de la chanson pacifiste dans un style proche de la chanson devariété (ballade, go-go), il évolue par la suite vers une expression plus politisée en serapprochant de la musique folk anglaise (notamment dans ses reprises de chansonsd’Ewan MacColl), de la Nueva Trova cubaine et de la NCCh. Exception faite d’« Elderecho de vivir en paz » de Víctor Jara, où l’innovation formelle est doublée par lecroisement de la nouvelle chanson et du rock, la forme couplet-refrain estprédominante dans cette production58. Ajoutons enfin la composition de chansons surdes rythmes du folklore chilien : la cueca (« Cueca por Vietnam ») et le rin (« PorVietnam »).

39 Située dans une catégorie intermédiaire, à la croisée de la musique populaire et de la

musique savante, la cantate « Vivir como él » constitue un exemple clair dedépassement des genres. À cette œuvre, conçue à l’origine pour chœur par FrankFernández et transcrite pour le groupe Quilapayún, Luis Advis ajoutera des interludes

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instrumentaux. Advis a résolu habilement le problème d’unification de l’œuvre, enconférant aux interludes une double fonction : ils servent à la fois de commentairesmusicaux des récitatifs et de liens avec les parties vocales, grâce à l’utilisation dematériel motivique extrait et élaboré à partir de ces dernières59. Cette œuvre complexeet de longue haleine (20 min. environ) s’inscrit dans la lignée des cantates populairesqui voient le jour à cette époque-là60, résultant d’une collaboration fructueuse entremusiciens populaires et savants. Ce type de composition opère – avec une certaineliberté – une réappropriation de la forme de la cantate baroque. Dans ces œuvres, lerecitativo chanté est remplacé par la voix d’un récitant, jouant un rôle de narrateur –équivalent à celui de l’historicus dans l’oratorio –, alors que les parties instrumentalessont jouées par des instruments traditionnels latino-américains (parfois mélangés à desinstruments européens). Ces œuvres préservent l’alternance entre arias, duos, chœurs,etc.

40 Comme nous l’avons vu, la Guerre du Vietnam n’a suscité que peu d’œuvres dans le

domaine de la musique savante chilienne. Il est intéressant pourtant de souligner queles compositeurs de ces œuvres adhéraient tous à des principes technico-esthétiquesassociés aux avant-gardes post-weberniennes. Eduardo Maturana était l’un desreprésentants éminents du post-sérialisme local61. Hernán Ramírez a lui-même reconnuavoir employé la technique dodécaphonique dans sa cantate « anti-belliqueuse » En

Viet-Nam62, œuvre qui ne sera malheureusement jamais créée. Quant à Gabriel Brncic –qui s’installait en 1965 en Argentine afin de poursuivre des études dans le CLAEM(Centre latino-américain des hautes études musicales) de l’Instituto Di Tella –, il étaitdéjà un adepte de la musique électronique et de l’expérimentation en général63. Enraison de leur double engagement, musical et politique, ces musiciens se rapprochaientde la ligne d’action plus radicale d’un Luigi Nono plutôt que des préceptes esthétiquesbien connus du réalisme socialiste. Dans un entretien, Nono lui-même, qui visitait leChili pour la deuxième fois en 1971 sur l’invitation du gouvernement de l’Unitépopulaire, semble donner son assentiment non seulement à la démarche des musicienssavants, mais à l’ensemble des musiques engagées chiliennes :

…La capacité de création […] détruira complètement la distinction catégorielle quela classe bourgeoise a établie et diffusée, entre musique savante et musiquepopulaire, musique classique et légère, de protestation et de consommation. […] parconséquent, il n’y a pas de formes susceptibles d’être éliminées « a priori » par unstérile et rapide schématisme. Tout dépend du sens qu’elles peuvent acquérir dansle contexte d’une situation historique déterminée64.

41 Bien que la musique de Nono ne fût connue dans le pays qu’à travers des

enregistrements, sa présence semble avoir fortement impressionné les musicienschiliens qu’il rencontre lors de ses visites65, non seulement par ses connaissancesprofondes mais aussi par son engagement en faveur des peuples du tiers-monde, et toutparticulièrement par sa solidarité avec les luttes du continent latino-américain. Outreses écrits66, l’œuvre Como una ola de fuerza y luz (1971-1972) – dédiée à la mémoire dujeune militant du MIR Luciano Cruz – témoignera de l’impact de la deuxième visite deNono au Chili. Après le coup d’état de septembre 1973, il rencontrera et collaboreraavec des musiciens chiliens en exil67.

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Conclusion

42 Intimement lié au mouvement social chilien des années 1960, le combat artistique

contre la Guerre du Vietnam a été directement associé à des manifestations plus oumoins novatrices selon les cas dans le théâtre, la poésie, la peinture et les artsgraphiques, le cinéma documentaire et la musique. Les œuvres suscitées par ce conflitarmé font appel à des nouvelles formes d’expression artistique, jusqu’alors inéditesdans le pays, telles que le muralisme des Brigades68 et le graphisme des pochettes dedisques et d’affiches.

43 Dans le domaine musical, des échanges entre des musiciens de sphères différentes

favorisent des croisements de genres, soit entre musique savante et musique populaire,soit entre sub-genres de la musique populaire. On observe d’ailleurs deux mouvementsdans le corpus des chansons contre la guerre : la création d’un répertoire original et,dans une moindre mesure, l’appropriation d’un répertoire étranger. On constateégalement que l’inclusion du sujet vietnamien dans les répertoires coïncide avec laradicalisation politique des musiciens.

44 Bien que la répercussion sociale de la musique savante – malgré la valeur intrinsèque

des œuvres– ait été moindre par rapport à la chanson, leur existence nominale indiqueune même volonté de la part du musicien de participer activement à la vie politique etaux luttes pour un meilleur avenir, en l’occurrence en faisant cause commune pourcontester la guerre. Dans la sphère de la musique populaire, la mobilisation contrel’intervention nord-américaine constituera un élément identitaire qui différenciera lemouvement de la NCCh des autres courants de la chanson au Chili. L’impact du conflitsur ces musiciens contribue d’ailleurs à révéler les potentialités fonctionnelles de lachanson, celle-ci devenant un instrument efficace dans la transmission du messagepolitique. Ceci sera largement exploité pendant la période de l’Unité populaire.

45 Le 30 avril 1975, l’entrée des révolutionnaires vietnamiens à Saigon marquera la fin de

la Guerre du Vietnam. Les musiciens chiliens en exil, alors engagés dans ladénonciation de la dictature de Pinochet, salueront avec leurs chansons la victoirevietnamienne. Ainsi, une pièce instrumentale du groupe Inti-Illimani intitulée « CiudadHo Chi Minh » (Ho-Chi-Minh-Ville), qui inclut des sons d’outils tels que le marteau et lascie, symbolisera la reconstruction de la grande ville rebaptisée du Sud-Vietnam69. Poursa part Hugo Arévalo composera « La estrella de Vietnam » (L’étoile du Vietnam), oùl’évocation du peuple héroïque – toujours incarné par la figure de Ho – s’unit à lanostalgie du Chili et à l’espoir de sa prochaine libération du joug militaire. Cetteréaffirmation des engagements passés au milieu des adversités de l’exil confirme – s’ilen était encore besoin – qu’au Chili, comme ailleurs, la Guerre du Vietnam aura été bienplus qu’un « bruit lointain ».

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45

Discographie

ADVIS, Luis, FERNANDEZ, Frank, Vivir como él. Quilapayún. Jota-Jota JJL-12, « Vivir como él »,

1971.

ALARCON, Rolando, La balada de Abraham Lincoln, No juegues a ser soldado. Rolando Alarcón et le

groupe Los Tickets. EMI Odeón chilena, LDC 36632, « El nuevo Rolando Alarcón », 1967.

ALARCON, Rolando, Algún día Vietnam, Las doradas colinas de Binh Thuân. Rolando Alarcón. Tiempo,

VBP-286, « Por Cuba y Vietnam », 1969.

CARRASCO, Eduardo [musique], GOMEZ ROGERS, Jaime [paroles], X Vietnam. Quilapayún. Jota-

Jota, JJL-01, « X Vietnam », 1968 ; Idem, Für Vietnam. Quilapayún. ETERNA, 8 15 058, « 3. Festival

des Politischen Liedes », 1972 [enregistrement en direct].

GONZALEZ, Fernando, Cueca por Vietnam. Rolando Alarcón. Tiempo, VBP-286, « Por Cuba y

Vietnam », 1969.

JARA, Víctor, El derecho de vivir en paz. Víctor Jara et le groupe Los Blops. DICAP, JJL-11, « El

derecho de vivir en paz », 1971.

MACCOLL, Ewan, Hermano, hermano…llorarás. Rolando Alarcón. Tiempo, VBP-286, « Por Cuba y

Vietnam », 1969.

MACCOLL, Ewan, La balada de Ho Chi Minh. Rolando Alarcón. Tiempo-Astral, VBP-264, « El mundo

folklórico de Rolando Alarcón », 1969.

MILANES, Pablo [musique], PITA RODRIGUEZ, Félix [paroles], Su nombre puede ponerse en verso.

Rolando Alarcón. Tiempo, VBP-286, « Por Cuba y Vietnam », 1969.

PARRA, Ángel, El banquerito. Ángel Parra. DICAP, DCP-3, « Canciones funcionales/ Ángel Parra

interpreta a Atahualpa Yupanqui », 1969.

SEVES, José, Ciudad Ho Chi Minh. Inti-Illimani. Dischi dello Zodiaco, VPA 8265, « Hacia la libertad »,

1975.

Documentaires

MUEL, Bruno, Septembre chilien, [Groupes Medvedkine] France, 1973, 39 min.

RAMIREZ, Álvaro, SAPIAIN, Claudio, Por Viet Nam, [Centro de alumnos del Instituto Pedagógico.

Universidad de Chile] Chili, 1969, 3 min.

Entretiens

Entretien avec le compositeur Patricio Wang, Paris, 25 juillet 2012.

Échanges via e-mail avec le muraliste Eduardo « Mono » Carrasco, Italie-France, janvier 2014.

NOTES

1. Dans cet article, nous distinguons trois notions loin d’être équivalentes pour toutes les

traditions musicologiques ni même transposables à toutes les langues : celles de musique savante,

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musique populaire et musique folklorique. Bien que de nombreux transferts entre ces différents

univers se produisent, puisqu’il ne s’agit nullement de catégories monolithiques, mais au

contraire poreuses et interdépendantes, nous entendrons ici par musique savante (« música

culta », « música docta » ou « música de tradición escrita », pour la musicologie chilienne), la

musique composée par des musiciens ayant suivi une formation académique européanisée

(harmonie, contrepoint, fugue, analyse, orchestration, etc.) et de longue durée auprès de maîtres

ou dans des institutions destinées à ces fins (conservatoires, écoles de musique, etc.). Ces

musiciens visent à produire des œuvres d’un haut degré de complexité technique et formelle. En

revanche, le terme musique populaire recouvre pour nous un vaste univers comprenant les

manifestations musicales urbaines, développées par des musiciens autodidactes ou n’ayant pas

forcement reçu une formation musicale académique. Elle se manifeste par la création d’œuvres

se servant de formes simples, le plus souvent la chanson. La musique folklorique, quant à elle, fait

référence à l’ensemble des musiques traditionnelles métisses, dont la transmission est

éminemment orale. Précisons cependant que certaines musiques évoquées dans cet article

présentent des difficultés évidentes de classification. En effet, les trois univers musicaux

précédemment évoqués peuvent être représentés côte à côte à l’intérieur d’une même

production discographique (notamment dans certains disques du groupe Quilapayún), ou se

présenter sous des formes hybrides dans une même œuvre (mélange folklorique/populaire dans

des chansons « d’inspiration folklorique » ; métissage populaire/savant dans des « cantates

populaires », etc.). La période que nous abordons ici voit ces catégories s’éroder

considérablement, par l’action des musiciens qui remettent en question la dichotomie savant/

populaire. Enfin, en raison de sa résonance auprès de la musicologie latino-américaine – même si

elle peut sembler quelque peu datée de nos jours –, mentionnons ici l’intéressante notion de

« mesomúsica » (mésomusique) – musique du milieu, située entre la musique savante et le

folklore, mais distincte de celles-là – proposée par le musicologue argentin VEGA, Carlos,

« Mesomúsica. Un ensayo sobre la música de todos », in Revista Musical Chilena, No 188, juillet-

décembre 1997, p. 75-96 [Il s’agit du texte d’une conférence donnée à Bloomington en avril 1965,

lors de la Second Inter-American Conference on Musicology]. La définition de « mésomúsica » a

été acceptée par Philip Tagg en 1991, au moment où il présidait le conseil éditorial de

l’Encyclopedia of Popular Music of the World (EPMOW) : « Le concept de ‘musique populaire’ de

la EPMOW est similaire à celui de ‘mesomúsica’ de Vega ». Voir AHARONIAN, Coriún, « Carlos

Vega y la teoría de la música popular. Un enfoque latinoamericano en un ensayo pionero », in

Revista Musical Chilena, íbid., p. 61-74. L’auteur y discute les nuances et problèmes présentés par

cette notion.

2. Ce terme semble avoir été consacré par Ricardo García, journaliste et l’un des principaux

promoteurs de cette mouvance artistique dans le milieu musical chilien, vers la fin des années

1960. Ce sera le Primer Festival de la Nueva Canción Chilena effectué à Santiago en 1969 – et organisé

par García –, qui établira définitivement cette appellation. Bien que la littérature sur la NCCh soit

vaste, nous pouvons signaler les ouvrages pionniers de BARRAZA, Fernando, La Nueva Canción

Chilena, Santiago, Quimantú, 1972, et CLOUZET, Jean, La nouvelle chanson chilienne, Paris, Seghers,

1975.

3. Bien entendu, cela n’est pas l’apanage des musiciens chiliens. Ainsi, pour ne citer que des

exemples plus proches du lecteur français, signalons la production musicale de chanteuses

engagées telles que Francesca Solleville (voir les disques Et je t’appelle et Poèmes vietnamiens

chantés par Francesca Solleville) et Colette Magny (voir notamment son 33 tours Vietnam 67), où la

double référence cubaine et vietnamienne est également présente. Une étude comparative

détaillée pourrait montrer des similitudes frappantes entre leurs démarches (choix du répertoire

et stratégies de diffusion) et celles des musiciens chiliens abordés dans cet article. Ces

convergences expliquent en partie leur rapprochement sur la scène européenne, au moment où

ces derniers s’exilent après le coup d’état du général Pinochet en septembre 1973.

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4. Au Chili, cet engagement s’exprime par un art qui s’interroge sur son rôle social et s’élève

contre la gratuité de la création artistique bourgeoise, en repensant son identité latino-

américaine. Comme nous le montrerons dans cet article, c’est le poète Pablo Neruda – l’homme et

l’œuvre – qui en fournira le modèle.

5. SALAZAR, Gabriel et alii, Historia Contemporánea de Chile V, Santiago, LOM, 2002, p. 131.

6. Ibid., p. 132.

7. Intervención norteamericana en Vietnam. Discurso del H. Senador señor Carlos Contreras L. Diario

de sesiones del Senado. Publicación oficial. Legislatura extraordinaria. Sesión 33a, 7 de abril de

1965.

8. Fuera yanquis de Vietnam! Al pueblo de Chile. Llamamiento!, Comité chileno de solidaridad

con Vietnam, 1966.

9. RODRÍGUEZ ELIZONDO, José, « Lo que ví en Vietnam », Punto Final, N° 8, janvier 1966, p. 3-24. Le

même numéro de la revue, dans l’article d’ouverture, rendait compte des diverses activités

menées par trois organismes, la Commission chilienne de solidarité avec les peuples d’Asie et

d’Afrique, la Commission chilienne de solidarité avec le Vietnam du sud et le Mouvement des

partisans pour la Paix, en collaboration avec la CUT (Centrale unique des travailleurs) et la

Fédération minière, voir Comisión chilena de solidaridad con los pueblos de Asia y África,

« Intensificar la solidaridad de masas con la lucha del pueblo vietnamita », in id., p. 1.

10. Le FLN est le sigle du Front national de libération du Sud-Vietnam, connu également comme

Vietcong. La RDVN est la République démocratique du Vietnam (Nord-Vietnam).

11. GONZÁLEZ, Juan Pablo et alii, Historia social de la Música Popular en Chile, 1950-1970, Santiago,

Ediciones UC, 2009, p. 29.

12. Voir « LACMA installs its monumental Matta » [en ligne], in Los Angeles Times, 15 mai 2009.

Consulté le 10 décembre 2012.

13. TANGOL, Nicasio (éd.), Vietnam heroico, Santiago, Imp. Horizonte, 1967, p. 9 : « …el pueblo

vietnamita no está luchando solamente en contra del imperialismo norteamericano; su lucha

implica la libre determinación de los pueblos, el respeto a los países pequeños y a la dignidad de

todos los seres humanos cualquiera que sea el color de su piel. Su victoria será la victoria de los

pueblos oprimidos por la burguesía imperialista internacional. Será el fin de la esclavitud

económica en que vive toda la América Latina y abrirá las puertas para que la humanidad camine

en libertad, en paz y dignidad. ». Note : sauf indication contraire, toutes les traductions sont

nôtres.

14. Voir de ROKHA, Pablo, Idioma del mundo, Santiago, Multitud, 1958.

15. PARRA, Nicanor, « Palabras obscenas », in Revista Chilena de Literatura, No 1, automne 1970, p.

81.

16. GARCÍA, Fernando, « Discusión sobre la música chilena », in Araucaria, No 2, 1978, p. 138. « La

figura militante del poeta ayudó a muchos de los músicos chilenos a comprender cuál es el papel

que el creador debe jugar en nuestro continente en un momento en que se agudiza la lucha

antiimperialista ».

17. Citons notamment : NERUDA, Pablo, Las manos del día, Buenos Aires, Losada, 1968 ; Idem, Fin de

mundo, Buenos Aires, Losada, 1969 ; Idem, Incitación al nixonicidio y alabanza de la revolución chilena,

Santiago, Quimantú, 1973.

18. Voir NERUDA, Pablo, « Avec l’Académie, oui, avec l’impérialisme, non », in Né pour naître,

traduit de l’espagnol par Claude Couffon, Paris, Gallimard, 1980, p. 386-389.

19. Dédicace originale en espagnol : « A la memoria de los caídos en la Guerra de Vietnam ». Cette

œuvre a été créée le 31 mai 1965 par Hanns Stein et Galvarino Mendoza, dans le théâtre Antonio

Varas à Santiago du Chili. Voir HERRERA, Silvia, « Eduardo Maturana: un compositor del siglo

XX », in Revista Musical Chilena, No 199, janvier-juin 2003, p. 36.

20. Malheureusement, il n’y a pas d’enregistrements disponibles de ces œuvres, que nous

connaissons grâce aux catalogues établis par la musicologue HERRERA, Silvia, « Eduardo

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Maturana… », art. cit. ; Idem, « Gabriel Brncic. Un primer acercamiento hacia el maestro y

compositor en el exilio », in Revista Musical Chilena, No 204, juillet-décembre 2005, p. 53.

21. La date de composition est incertaine (1965/1966 ca.).

22. “Desde el fondo del pueblo ha surgido/una voz de justicia social/ Son los pobres del mundo

que avanzan/como ejemplo tienen a Vietnam”. Note : Malgré leur permanence parfois éphémère

sur la toile, nous renvoyons le lecteur aux liens youtube. Voir Hymne du MIR : http://youtu.be/

jT0mApfKGRk?t=40m57s

23. ALARCON, Rolando, La balada de Abraham Lincoln, No juegues a ser soldado. Rolando Alarcón et le

groupe Los Tickets. EMI Odeón chilena, LDC 36632, « El nuevo Rolando Alarcón ». Voir http://

youtu.be/v6omWCgeF9I [démarrer à 20’37’’pour « La balada… » et à 28’27’’ pour « No juegues… »].

24. Jota Jota évoque au Chili les Jeunesses communistes (JJCC).

25. GONZÁLEZ, Juan Pablo et alii, op. cit., p. 110.

26. CARRASCO, Eduardo [musique], GOMEZ ROGERS, Jaime [paroles], X Vietnam. Quilapayún. Jota-

Jota, JJL-01, « X Vietnam ».

27. Le rin est un rythme originaire du sud du Chili, spécifiquement de l’île de Chiloé. En 2/4 et

tempo rapide, la base rythmique du rin est composée de quatre demi-croches suivies de deux

croches, dont la deuxième est accentuée.

28. « Yanki, yanki, yanki/ cuidado, cuidado/ (…) Águila negra ya caerás », voir http://youtu.be/

HbG5SeBZNMA. Une version en direct de cette chanson paraîtra plus tard dans un disque édité à

l’issue du 3. Festival des Politischen Liedes, qui a eut lieu à Berlin-Est en février 1972.

29. CARRASCO, Eduardo, Quilapayún: la revolución y las estrellas, Santiago, RIL, 2003, p. 131-132.

30. Sur le réseau complexe d’influences des capitaux étrangers sur les médias de masse au Chili

de l’époque, voir MATTELART, Armand, Los medios de comunicación de masas. La ideología de la

prensa liberal en Chile, Buenos Aires, Schapire/El Cid, 1976 [1e éd. Santiago, CEREN, 1970].

31. « Está sufriendo el banquero/ qué penitas llevará/ ¿Será Vietnam, será Biafra/ lo que lo hace

llorar? », in PARRA, Ángel, El banquerito. Ángel Parra. DICAP, DCP-3, « Canciones funcionales.

Ángel Parra interpreta a Atahualpa Yupanqui », voir http://youtu.be/mifvecGPES0?t=7m15s.

32. MACCOLL, Ewan, Hermano, hermano…llorarás. Rolando Alarcón. Tiempo, VBP-286, « Por Cuba y

Vietnam ».

33. JARA, Joan, Victor un canto inconcluso, p. 141-142. « La autora no sobrepasa un primitivo

pacifismo norteamericano. No ve al imperialismo de su país con los ojos con que lo vemos los

chilenos y latinoamericanos […] La posición que yo he tomado ante esta obra es la del juicio y la

condena al imperialismo. Nosotros no somos norteamericanos y no tenemos por qué incurrir en

las distorsiones de la autora. Hay norteamericanos aparentemente progresistas que no pueden

liberarse de su visión torcida –y en el fondo imperialista– del tercer mundo. »

34. Je remercie Eduardo “Mono” Carrasco, muraliste et fondateur des Brigades Ramona Parra, de

son aide dans la vérification de certains éléments avancés lors de la dernière révision de cet

article.

35. Voir ARAYA, Pedro, « El Mercurio miente (1967): Siete notas sobre escrituras expuestas », in

Revista Austral de Ciencias Sociales, No 14, 2008, p. 163-165. Selon le témoignage d’Eduardo “Mono”

Carrasco, il s’agissait d’un groupe de sept hommes qui, sur une jeep datant de la Seconde Guerre

mondiale, était chargé de mener les actions. La conception picturale des interventions n’était

alors qu’embryonnaire, le message politique direct l’emportant sur toute conception artistique.

Eduardo « Mono » Carrasco, communication personnelle, 18 janvier 2014.

36. Voir http://www.youtube.com/watch?v=h2TABfo1Zsw

37. Entretien avec Patricio Wang, Paris, 25 juillet 2012.

38. « Tío Caimán » (Oncle Caïman) est une chanson du Panaméen Carlos Francisco Chang Marín

(1922-2012). L’Oncle Caïman est l’équivalent de l’Oncle Sam, personnification des États-Unis. Voir

http://youtu.be/EWdeMgaJazA.

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49

39. Programa básico de gobierno de la Unidad Popular. Candidatura presidencial de Salvador Allende,

1969, p. 32. « La defensa decidida de la autodeterminación de los pueblos será impulsada por el

nuevo Gobierno como condición básica de la convivencia internacional. En consecuencia su

política será vigilante y activa para defender el principio de no intervención y para rechazar todo

intento de discriminación, presión, invasión o bloqueo intentado por los países imperialistas ».

40. Voir « Embajada de Chile en la República Socialista de Vietnam. Relaciones bilaterales », in

site internet du Ministère des Relations extérieures du Chili : http://chileabroad.gov.cl/vietnam/

relacion-bilateral/relaciones-bilaterales/ Consulté le 3 août 2012.

41. Voir AMORÓS, Mario, « Salvador Allende ante el mundo », in Tareas, No 130, septembre-

décembre 2008, p. 91-92. « …la lucha librada en Asia por ese pueblo, centenaria o milenariamente

agredido, no es sólo la batalla de quienes pelean en su propio seno por su independencia

económica, sino la expresión del combate frontal contra el imperialismo, que debe repercutir en

nuestros países; hemos señalado que, si bien aparentemente tenemos libertad política, estamos

sometidos a la tiranía y a una brutal presión económica y que dicha libertad política es una gran

farsa. Por tal motivo, no puede haber fronteras para los países en vías de desarrollo en esta lucha

común. El heroísmo del pueblo vietnamita es un ejemplo de ello. Los patriotas vietnamitas luchan

por ellos mismos y también por la libertad de todos los países oprimidos en los distintos

continentes ».

42. « Embajada de Chile en la República Socialista de Vietnam… », doc. cit.

43. JARA, Víctor, El derecho de vivir en paz. Víctor Jara et le groupe Los Blops. DICAP, JJL-11, « El

derecho de vivir en paz », voir http://youtu.be/-zMvRkwcnaA.

44. JARA, Joan, Víctor, un canto inconcluso, Santiago, LOM, 2007, p. 162.

45. MILANES, Pablo, Como en Vietnam. Isabel Parra. DICAP, DCP-27, « De aquí y de allá », voir

http://youtu.be/0GNlru6WfDs?t=23m4s.

46. ADVIS, Luis, FERNANDEZ, Frank, Vivir como él. Quilapayún. Jota-Jota JJL-12, « Vivir como él »,

voir http://youtu.be/62uhUEs8xfA

47. SANTANDER, Ignacio, Quilapayún, Madrid, Ediciones Júcar, p. 70.

48. PARADA-LILLO, Rodolfo, « La Nueva Canción Chilena 1960-1970: Arte y política, tradición y

modernidad », in Revista Patrimonio Cultural, No 49, printemps 2008, p. 17.

49. ALARCON, Rolando, Algún día, Vietnam. Rolando Alarcón. Tiempo, VBP-286, « Por Cuba y

Vietnam ».

50. « Algún día, Vietnam,/ podrás contar al mundo/ cómo cegaron la vida de tu pueblo,/ cómo

quemaron el rostro de tus niños,/ que ahora son recuerdos ». Voir ALARCON, Rolando, Algún día

Vietnam. Rolando Alarcón. Tiempo, VBP-286, « Por Cuba y Vietnam ».

51. « Águila negra ya caerás/ el guerrillero te vencerá ».

52. « Las águilas negras vienen volando/ con sus cañones por sobre el mar ».

53. Dans le disque du même nom et en accord avec la tendance à associer la lutte du Vietnam à

celle de Cuba, cette cantate est suivie d’un extrait musicalisé de la « Seconde déclaration de La

Havane », discours prononcé par Fidel Castro le 4 février 1962.

54. “‘Destruir, destruir Vietnam’/ es himno del invasor (…)/ Oh, Cristo ¿Dónde está la

humildad?/ Hermanos se matan sin piedad”.

55. “Qué pena, qué pena más grande siento/ del joven, del joven americano/ que fue a ma…, que

fue a matar al Vietnam/ mujeres, mujeres, niños y ancianos/ Qué pena, qué pena más grande

siento./ Parten los bombarderos, caramba/ y en el Oriente/ caramba, matan como en la Biblia/

caramba, a los inocentes./ Los inocentes, sí,/ caramba, nuevo pirata/ que habla de democracia,/

que roba y que mata./ ¡Los norteamericanos, caramba, son inhumanos!”.

56. JARA, Víctor, « El derecho de vivir en paz », trad. française in Jean Clouzet, La nouvelle chanson

chilienne, op. cit., p. 173-174. Traduction modifiée. Hormis quelques variantes dans la scansion

métrique, les paroles originales de cette chanson comportent 3 strophes composées de 6

heptasyllabes plus un ennéasyllabe : « El derecho de vivir/ poète Ho Chi Minh,/ que golpea de

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Vietnam/ a toda la humanidad./ Ningún cañon borrará/ el surco de tu arrozal./ El derecho de

vivir en paz.// Indochina es el lugar/ más allá del ancho mar,/ donde revientan la flor/ con

genocidio y napalm./ La luna es una explosión/ que funde todo el clamor./ El derecho de vivir en

paz.// Tío Ho, nuestra canción/ es fuego de puro amor,/ es palomo, palomar,/ olivo del olivar,/

es el canto universal/ cadena que hará triunfar/ el derecho de vivir en paz. »

57. Cette chanson sera utilisée dans le documentaire de MUEL, Bruno et alii, Septembre chilien,

[Groupes Medvedkine], France, 1973, 39 min.

58. Sur ce point, seul Víctor Jara semble porter un regard novateur sur le genre, avec « El

derecho de vivir en paz » (dans sa version discographique enregistrée avec le groupe de rock

« Los Blops » en 1971). Cette chanson comporte une période de 32 mesures, servant non

seulement de support au texte, mais aussi à l’improvisation instrumentale. Chaque répétition de

la période (sept au total) opère une intensification graduelle par le biais d’un enrichissement

sonore, tant par l’augmentation du volume que par le niveau d’activité des instruments.

59. L’œuvre est structurée autour de 4 récitatifs parlés (dont le dernier est scindé en 2 parties),

suivis d’interludes instrumentaux et de pièces pour chœur masculin. À un premier récitatif (dont

le texte est le seul à la troisième personne) présentant l’argument de l’œuvre, suit un interlude

instrumental ; il s’agit d’une sorte de commentaire musical qui évolue par la suite vers une pièce

à part entière. La section suivante (chœur 1) s’ouvre sur un motif de 3 notes (quarte descendante

sol dièse-ré dièse, puis seconde mineure ascendante ré dièse-mi) anticipée par une quena et reprise

par le chœur bocca chiusa, sur lequel se développe le chant d’un soliste, les cordes (guitares, tiple

et charango) ne faisant que souligner discrètement certains passages. Dans la section centrale de

ce chœur, le nom de « Nguyen Van Troi » est chanté sur des agrégats extrêmement tendus

harmoniquement. Le deuxième récitatif – désormais à la première personne – fait parler le

protagoniste. Le deuxième interlude présente un développement accru et une subtile imbrication

motivique ; cette section finit par l’introduction du motif initial de la partie chorale suivante (« A

pesar del sufrimiento cantamos… »/« Malgré la souffrance nous chantons… »). Cette section voit

l’écriture chorale se déplier à partir de l’unisson vers des agrégats complexes. Après une brève

intervention du narrateur (récitatif 3), le quatrième morceau choral s’ouvre sur un passage

marqué par une pédale vocale et des homorythmies, pour ensuite reprendre le développement

harmonique du deuxième morceau choral. Ensuite, l’interlude instrumental 3 présente une

reprise variée de la partie centrale du premier interlude. Après le quatrième récitatif, le morceau

choral 4 – véritable climax de l’œuvre – alterne des passages contrapuntiques, à l’unisson et

homorythmiques/homophoniques. Le nom de « Nguyen Van Troi » y apparaît à nouveau revêtu

d’une grande tension harmonique, alors qu’une écriture imitative serrée chante « Hay que darle

muerte al invasor… »/« Il faut tuer l’envahisseur… ». Un fade out des voix (réalisé en studio) cède

la place à la dernière intervention du récitant (4b), et un fade in réintroduit le chœur. Après une

dernière reprise des agrégats vocaux sur le nom de Van Troi, le chœur prononce à l’unisson et en

crié-chanté la consigne finale : « Por Vietnam estamos dispuestos a dar hasta nuestra propia

sangre »/« Pour le Vietnam, nous sommes prêts à donner jusqu’à notre propre sang » (le mot

« sang » y étant le seul chanté). En raison de la variété de ressources techniques employées, ainsi

que par le traitement harmonique complexe, cette œuvre dépasse largement le champ de la

chanson, se rapprochant ainsi de la musique contemporaine. 60. L’exemple paradigmatique de ce genre est la Cantate Santa María de Iquique, composée par

Luis Advis et enregistrée par Quilapayún en 1970.

61. Après Por la justicia y la paz déjà évoquée, Maturana composera encore une œuvre

d’orientation ouvertement politique : Responso para el guerrillero (1968), pour orchestre

symphonique et bande magnétique, œuvre dédiée « A la memoria del Comandante ‘Che’

Guevara » (À la mémoire du Commandant ‘Che’ Guevara). HERRERA, Silvia, « Eduardo

Maturana… », art. cit., p. 37.

62. RAMIREZ, Hernán, « Reflexiones », in Revista Musical Chilena, No 133, janvier-mars 1976, p. 48.

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63. Pour une étude détaillée sur ce compositeur, voir HERRERA, Silvia, « Gabriel Brncic. Un

primer acercamiento hacia el compositor y maestro chileno en el exilio », art. cit.

64. BODENHOFER, Andreas, VILA, Cirilo, « Entrevista a Luigi Nono », in Revista Musical Chilena, No

115-116, juillet-décembre 1971, p. 6 : « …la capacidad de creación […] va a destruir

completamente la distinción categorial que la clase burguesa ha establecido y fomentado, entre

música culta y música popular, música clásica y ligera, de protesta y de consumo […] En

consecuencia, no hay formas susceptibles de ser eliminadas ‘a priori’, todo depende del sentido

que puedan adquirir en el contexto de una determinada situación histórica ».

65. Voir notamment les témoignages posthumes sur Luigi Nono de la compositrice Leni

Alexander, du compositeur Fernando García et du musicologue Rodrigo Torres, in Revista Musical

Chilena, No 173, janvier-juin 1990, p. 118-123. Voir également l’entretien de Sofía Asunción Claro à

Nuria Schoenberg-Nono, in Revista Musical Chilena, No 206, juillet-décembre 2006, p. 84-91.

66. Divers écrits de Luigi Nono rendent compte de ses liens avec les milieux politiques,

intellectuels et musicaux du Chili. Voir notamment « In memoriam Luciano Cruz » [inédit du

vivant du compositeur], in NONO, Luigi, Écrits, Genève, Contrechamps, 2007, p. 362-364 ; « Le

chant de Víctor Jara », ibid., p. 379-382. Sur la dernière visite de Nono au Chili en 1983, au

moment du début de l’ouverture progressive des frontières du Chili en pleine dictature de

Pinochet, voir « Salut aux travailleurs de la culture du Chili », ibid., p. 507-510 et le témoignage de

Rodrigo Torres dans la Revista Musical Chilena No 173 cité précédemment.

67. Ainsi, par exemple, Nono a assuré la régie du son de la partie électroacoustique de la cantate

Corvalán du compositeur chilien Gustavo Becerra-Schmidt, créée en 1975 à la Biennale de Venise,

voir SCHUMACHER, Federico, « Catálogo de las obras electroacústicas de Gustavo Becerra-

Schmidt », in Revista Musical Chilena, No 207, janvier-juin 2007, p. 83.

68. Bien que l’art des Brigades compte au moins deux autres sources importantes (celles du

peintre français Fernand Léger et de l’affiche cubaine des années 1960), le muralisme au Chili

trouve un précédent direct dans le muralisme mexicain. En effet, David Alfaro Siqueiros et Xavier

Guerrero se rendent au Chili entre 1941-1942 afin de réaliser des œuvres dans l’Escuela México,

école construite et offerte à la ville de Chillán (située au sud du pays) par le gouvernement

mexicain, après le tremblement de terre qui avait détruit cette localité. Siqueiros y peint

notamment une œuvre monumentale : « Muerte al invasor ». Voir le site internet du Conseil des

monuments nationaux : http://www.monumentos.cl/OpenSupport_Monumento/asp/

PopUpFicha/ficha_publica.asp?monumento=1829. Si les œuvres des muralistes mexicains

influencent incontestablement l’iconographie latino-américaniste déployée par les brigades

chiliennes, ces dernières s’en distinguent par l’utilisation de couleurs vives et pures, de gros

contours bien définis, peints à la broche et non au pinceau. Il s’agit d’un art d’extérieur, urbain,

de propagande politique directe. L’un des principaux apports de l’art des brigades a peut-être été

son caractère collectif, où la notion d’auteur tend à s’estomper en faveur d’une création groupale

excluant tout individualisme. « Les fresques murales urbaines sont anonymes et passagères. Leur

essence réside en ce qu’elles ne perdurent pas. Leur message change au fur et à mesure des

événements. Elles sont tellement mêlées avec la vie qu’elles sont en conflit permanent avec le

vent, la pluie, et le travail d’autres hommes. Ce qu’on peint aujourd’hui sera détruit demain »,

voir Ernesto Saúl, Pintura social en Chile, Santiago, Quimantú, 1972.

69. BESSIERE, Bernard, La Nouvelle chanson chilienne en exil, Plan-de-la-Tour, Éditions

d’aujourd’hui, 1980, p. 279.

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RÉSUMÉS

Ni les États-Unis ni l’Europe n’ont l’apanage de la contestation contre la Guerre du Vietnam. Les

peuples du tiers-monde en ont fait, pendant une dizaine d’années, le symbole de la lutte anti-

impérialiste. Au Chili, la jeunesse engagée se solidarise avec le peuple vietnamien, dont le combat

face à l’envahisseur nord-américain est considéré comme héroïque et exemplaire dans la défense

du droit à l’auto-détermination. Les artistes, et tout particulièrement les musiciens, expriment

alors le rejet de cette guerre à travers leurs œuvres, la chanson étant l’un des véhicules

privilégiés du message politique. Structuré en deux parties, cet article retrace d’abord le devenir

de cette contestation, en mettant l’accent sur l’articulation entre contexte politique et création

artistique durant une période clé de l’histoire du Chili. Il examine ensuite les diverses formes que

prend la musique engagée de l’époque afin d’en dégager une typologie.

The opposition to the Vietnam War is not an isolated phenomenon of America or Europe. In fact,

during a decade, this war embodies the symbol of the anti-imperialism resistance by the peoples

of the third world. In Chile, the politically committed youth supports the Vietnamese people.

They consider the battle against the American invader to be heroic and an example of the

warfare towards the right of self-determination. The artists, and musicians in particular, express

their opposition to war through artistic works: the canción is then established as the favored

vehicle for delivering the political message. This paper is structured into two sections. It first

describes the process of the protest, emphasizing the articulation between the political context

and the artistic creation during a key period of Chile’s history. Later, it examines the different

forms of the politically committed music of that time to establish a typology.

INDEX

Keywords : Chile, Chilean nueva canción, Unidad Popular, Vietnam War, protest, anti-

imperialism, music and politics

Mots-clés : Chili, nouvelle chanson chilienne, Unité populaire, Guerre du Vietnam, contestation,

anti-impérialisme, musique et politique

AUTEUR

MAURICIO GÓMEZ GÁLVEZ

Mauricio Gómez Gálvez est doctorant en musicologie à l’Université Paris-Sorbonne. Après des

études d’interprétation musicale et de pédagogie de la musique au Chili, il obtient un master en

musique et musicologie à l’Université Paris-Sorbonne (mémoire sur les écrits de René Leibowitz

dans la revue Les Temps Modernes). Il prépare actuellement une thèse sur les formes

d’appropriation de la musique savante européenne chez les compositeurs chiliens du second XXe

siècle, sous la direction de Michèle Alten d’abord, puis de Jean-Marc Chouvel.

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Conflits armés, idéologie ettechnologie dans Für Paul Dessau deLuigi NonoArmed conflicts, Ideology and Technology in Luigi Nono’s Für Paul Dessau

Luis Velasco-Pufleau

Le conflit décisif est le conflit armé. La révolutionbolchevique de 1917, la longue marche chinoise,la Sierra Maestra et le choix révolutionnaire des

peuples vietnamien, africains et latino-américains nous l’enseignent.

Luigi Nono, 19691.

Introduction

1 Au-delà de l’horreur que provoque la guerre en elle-même, certains conflits armés du

XXe siècle ont suscité un grand espoir chez des artistes engagés dans les luttespolitiques internationales de leur époque. Ce fut notamment le cas du compositeuritalien Luigi Nono (1924-1990). Pour les intellectuels marxistes comme Nono, les luttesde libération du tiers-monde semblaient annoncer un bouleversement de l’ordrepolitique à une grande échelle et représentaient la libération du joug colonial,l’indépendance économique et culturelle ainsi qu’une étape nécessaire pour laconstruction d’une nouvelle société socialiste – un moment décisif au cours duquel lesstructures socio-économiques et culturelles pouvaient être bouleversées2. Dans cetteoptique, de la Révolution russe à la guerre du Vietnam, en passant par la Révolutioncubaine et les guerres de libération (néo)coloniales du tiers-monde durant lesannées 1960 et 1970, les conflits armés ont été pensés par Nono, dans une perspectiveinternationaliste, comme l’aboutissement de la lutte des classes et comme une occasionpour bâtir une société plus juste et équitable3.

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2 L’objectif de cet article est double. D’une part, je propose d’examiner de quelle façon

Luigi Nono place certains des conflits armés du XXe siècle, dont les luttesd’émancipation du tiers-monde, au cœur de son œuvre pour bande magnétique Für Paul

Dessau (1974)4. D’autre part, j’analyserai la relation entre l’utilisation de la technologiepar le compositeur, la pensée politique de ce dernier et les dimensions historique etesthétique de cette œuvre – notamment dans le contexte de la Guerre froide et del’idéologie marxiste. J’apporterai une attention particulière à la contextualisationhistorique des prises de position de Nono et du matériau utilisé dans Für Paul Dessau

afin de mettre en perspective son espoir en l’utopie socialiste et la fonction stratégiqueque revêtait pour lui la politisation de la musique.

3 Dernière œuvre de Luigi Nono pour bande magnétique seule5, Für Paul Dessau est

composée en 1974 dans le Studio di Fonologia de la RAI à Milan – avec l’assistancetechnique de Marino Zuccheri – et conçue comme un hommage au compositeurallemand Paul Dessau (1894-1979) à l’occasion de son 80e anniversaire 6. Cette œuvrepeut être analysée comme une « clairière » dans sa production musicale car elleconstitue la synthèse de certains procédés compositionnels, de l’utilisation desnouvelles technologies et des thématiques politiques développées par Nono dans lesannées qui la précèdent. Cependant, Für Paul Dessau est aussi la dernière d’une longuelignée d’œuvres au contenu expressément politique, et se trouve intimement liée àcertaines d’entre elles par le matériau sonore, les textes et les sujets extramusicauxauxquels elle fait référence7.

4 Partant d’une analyse du matériau (sonore et discursif) et des incidences de celui-ci sur

la structure formelle de Für Paul Dessau, je m’appuierai sur les écrits du compositeurafin de contextualiser les enjeux idéologiques, politiques et esthétiques présents danscette œuvre. Comme l’écrivait Nono lui-même en 1969 :

Il est évident que si l’on n’étudie pas et si l’on n’analyse pas ma pratiquecompositionnelle, y compris dans son rapport entre technique et idéologie, et sil’on reste prisonnier de conceptions traditionnelles, aujourd’hui réactionnaires, ondéforme ou méconnaît, dans la technique comme dans le moment idéologique quidevient musique, ma position active de musicien totalement engagé dans la luttepolitique d’aujourd’hui8.

5 Plus largement, l’ambition de ce texte est de contribuer à la compréhension et à la mise

en perspective du marxisme défendu par Luigi Nono en tant qu’intellectuel et artistemilitant au Parti Communiste Italien (PCI), dans son articulation avec ses idéesesthétiques et son activité de compositeur. Pour cela, je m’appuierai sur trois notions,empruntées à Antonio Gramsci (1891-1937), qui sous-tendent la pensée politique etl’action artistique de Nono : les notions d’idéologie, d’intellectuel et d’hégémonie9.Concernant l’idéologie, elle doit être comprise, d’après Gramsci, comme « uneconception du monde qui se manifeste implicitement dans l’art, dans le droit, dansl’activité économique, dans toutes les manifestations de la vie individuelle etcollective10 ». Pour Nono, l’idéologie devrait servir de guide pour l’action artistique –car elle implique une conscience – et trouverait sa source dans la réalité commune auplus grand nombre (le « peuple »). Elle engagerait aussi une éthique qui rendraitinséparable création poétique et réflexion politique, comme il l’écrit en 1966 à proposde la notion d’engagement en musique :

Lorsqu’on parle d’« engagement », en musique, aujourd’hui, c’est souvent sur leplan théorique ou technique, mais rarement sur le plan idéologique. Or,contrairement à ce que croient beaucoup, ces deux formes d’engagement ne sont

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pas inconciliables. En partant de la réalité la plus quotidienne, la plus actuelle, ens’appuyant sur les grands élans de révolte et d’espoir qui secouent notre monde, onpeut, hors de tout réalisme infantile, faire œuvre d’imagination qui satisfasseautant l’aide marchante de la pensée contemporaine que les grandes masses. Maisles relations du créateur et des foules (de la classe ouvrière en particulier) nedoivent plus être celles de professeur à élèves, d’initiateur à néophytes. Il faut qu’ilsse retrouvent d’abord à l’origine de l’œuvre11.

6 Ainsi, pour Nono, le compositeur devrait mettre en forme « avec toutes les ressources

que mettent à sa disposition les nouveaux langages sonores et visuels12 », les idées, lesdonnées et le matériau issus des luttes politiques et sociales afin de contribuer à laprise de conscience nécessaire à la transformation collective de la société. Ceciimplique aussi que les choix du compositeur ne sont jamais neutres et qu’il estresponsable, en tant qu’intellectuel organique13, des conséquences de ces choix. C’estainsi que dans son texte « Le pouvoir musical » (Il potere musicale, paru en septembre1969), Nono, insistant sur sa qualité d’artiste engagé, définit sa position esthétique quiconsiste à concevoir « une culture comme moment de prise de conscience, de lutte, deprovocation, de discussion et de participation14 ». Ceci impliquerait pour lui l’utilisationcritique des legs du passé mais aussi le refus de toute conception eurocentrique et detoute vision aristocratique de la culture et des langages artistiques. Il affirme que cequ’il entend par « faire de la musique » est quelque chose qui l’engage « au même titreque de participer à une manifestation, de [se] heurter à la police, ou demain, qui sait, departiciper à la lutte armée15 ». Il oppose cette conception créatrice à celles d’autrescompositeurs. Ainsi, sa critique de la position de Stockhausen nous éclaire de façonexplicite sur sa conception éthique et esthétique de l’utilisation de la technologie dansson rapport avec les luttes politiques du tiers-monde. Nono définit la position del’Allemand de la façon suivante :

la technologie comme valeur, la théorisation d’une évolution technologico-esthétique indolore, la relation naturelle avec les lieux de la production techniquela plus avancée, c’est-à-dire les États-Unis et l’Occident, et le mépris aristocratiquepour toutes les autres cultures, sans même évoquer le Tiers-Monde16.

7 Luigi Nono qualifie cette position d’impérialiste – quatre ans avant Cornelius Cardew et

son livre Stockhausen serves Imperialism – car, selon lui, elle exalterait l’évolution techno-scientifique comme seul moment de vérité, sans aucune conscience critique du prix del’exploitation et du pillage économique qui rend ce développement techniquepossible17. Sa critique vise particulièrement le travail développé par Stockhausen dansHymnen, où il utilise un grand nombre d’hymnes nationaux et politiques commematériau de base et dont une seconde version – Hymnen (Dritte Region), pourélectronique et grand orchestre – avait été commandée par Leonard Bernstein etl’Orchestre Philharmonique de New York au début de l’année 196918. Soucieux deconcilier l’activité créative du compositeur avec une éthique et une responsabilitéidéologique propres au rôle des intellectuels, Nono se demande alors :

quel sens cela a-t-il alors de parler d’un nouvel espace acoustique, de nouveauxmilieux, d’une nouvelle psychologie de l’écoute, de nouvelles techniques, d’unhöherer Mensch [d’un homme supérieur] s’ils ne sont pas rapportés à de nouvellesstructures sociales et humaines qui ne se basent pas sur l’exploitation et ladomination néo-capitaliste et néo-colonialiste, en un mot : sur des structuressocialistes ou qui tendent vers le socialisme19 ?

8 En effet, les compositeurs – en tant qu’intellectuels organiques – ont pour Nono la

fonction hégémonique de lutter contre la conception du monde de la classe dominante

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(bourgeoisie) par la création musicale et par la promotion d’un imaginairerévolutionnaire et socialiste20. Cette action doit prendre en compte les conditionssociales, économiques et culturelles de leur activité créative ainsi que sesconséquences. Comme le raconte Helmut Lachenmann, « Luigi Nono n’a cessé de sesolidariser avec l’agitation sur cette terre, il l’a faite sienne. C’est en puisant dans cetteagitation que son activité artistique et sa nature humaine se sont constammentrenouvelées21 ».

Für Paul Dessau : synthèse, espace et polyphoniesonore

9 Depuis 1960 et jusqu’à la moitié des années 1970, l’utilisation que fait Luigi Nono de

nouveaux outils technologiques au Studio di Fonologia de la RAI de Milan s’inscrit au seindu projet esthétique et politique consistant à placer son œuvre, et par conséquent lesmoyens utilisés pour la produire, au service de la lutte de classes et de la justice sociale.Comme l’affirme Laurent Feneyrou, Nono « considère que la transformation des modesde communication et de dialogue avec le monde s’applique au langage musical de lamême manière qu’aux formes de la société22 ». Ainsi, comme le déclare Nono en 1969, lamaîtrise de la technique et le travail au sein du studio électronique deviennentindispensables pour la diffusion des idées nécessaires à l’hégémonie culturelle23 etidéologique des forces révolutionnaires :

Il nous faut comprendre et nous approprier tout élément et toute conquêtetechnique effectivement novatrice, que nous différencions et que nousresponsabilisons par notre conception théorique et pratique de la lutte actuelle, etque nous associons alors à notre capacité d’invention et de création pourl’hégémonie, selon le terme de Gramsci, des forces révolutionnaires, dans leurpratiques destructrices, constructives et intellectuelles. Un exemple : ledéveloppement et l’application de la technique électronique dans la musiquecontemporaine, le studio électronique. C’est une conquête et une possibilitéexpressive inédite pour la création musicale24.

10 Parmi les possibilités expressives inédites offertes par l’électronique à la création

musicale de Nono, se trouve la possibilité d’utiliser comme source un matériau figépréalablement par l’enregistrement, de modifier sa morphologie et de l’insérer dans unnouvel espace acoustique. Ainsi, Für Paul Dessau est constituée de deux catégories dematériaux complémentaires, qui peuvent être classés selon leur provenance acoustiqueet leurs fonctions formelles. D’une part, nous trouvons les voix d’hommes politiques –Vladimir I. Lénine, Ernst Thälmann, Patrice Lumumba, Ernesto « Che » Guevara et FidelCastro – enregistrées lors de discours historiques entre 1919 et 1963 et accessibles àNono sous la forme de disques vinyles25. Ces discours hautement symboliques dansl’histoire du socialisme et du tiers-mondisme renvoient aux luttes de libérationauxquelles Nono s’identifiait lui-même, tout comme son ami Paul Dessau26, s’inscrivantde ce fait « dans l’histoire des mouvement révolutionnaires, qu’il avait étudiée et àlaquelle il se savait lié27 ». Comme l’explique Nono à propos de son œuvre :

Dans cette manifestation de solidarité à l’écoute de Paul Dessau, j’ai pris pour thèmede cette composition notre lutte commune internationale. Des mots de Lénine,extraits de Qu’est-ce que le pouvoir des Soviets ? et de l’Adresse à l’armée rouge, des motsde Thälmann, un enregistrement illégal de Lumumba dans sa cellule, avant sonassassinat, des mots d’Ernesto Che Guevara sur trois années de guerre au Viêt-Namet de la Deuxième Déclaration de La Havane de Fidel Castro déterminent ma

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structure musicale. Cette structure est ainsi construite pour libérer les forces del’art et du combat, à travers la synthèse de ces mots de notre temps, lesquelsrapprochent de notre réalité le combat et l’art, et leur confèrent une nouvelledimension. Genossen Paul Dessau. Camarade de Berlin en RDA28.

11 D’autre part, Nono utilise des extraits d’enregistrements de trois de ses propres œuvres

afin de soutenir et d’encadrer dramatiquement les discours politiques : Il canto sospeso

(1955-1956, pour soprano, contralto, ténor et orchestre) ; Non consumiamo Marx (1969,pour bande magnétique29) ; ainsi que Como una ola de fuerza y luz (1971-1972, poursoprano, piano, orchestre et bande magnétique). Se rapportant aux sujets politiquesabordés par ces œuvres, ce matériau crée un système autoréférentiel qui élargitconsidérablement la portée symbolique de Für Paul Dessau. Tout d’abord, Il canto sospeso,basée sur des lettres de condamnés à mort de la Résistance européenne, crée un lienavec la lutte antifasciste durant et après la Deuxième Guerre mondiale. Cette œuvreavait une grande importance pour Nono et il se remémorait ainsi les années de saconception et de sa création30 :

C’étaient les années de la grande redécouverte des écrits d’Antonio Gramsci, de labrutale répression scelbienne, du front antifasciste et de la présence continue etdiscutée de la Resistenza. […] Années de grandes agitations, luttes polémiques,politiques et culturelles. Que nous ressentions peut-être plus et auxquelles nousparticipions, en Italie. Et qui exigeaient une rigueur de préparation, d’étude ouverteet innovante, et d’analyse sur le réel, contre les modèles et les dogmatismes enusage, de choix et de conflits souvent violents31.

12 Comme l’écrit Laurent Feneyrou, « dans l’œuvre de Luigi Nono, ce qui, avec Il Canto

sospeso, est une dénonciation des crimes commis par le nazisme et le fascisme,deviendra, au cours des années soixante, dès Intolleranza 1960, condamnation du type desociété qui conduit aux hitlérismes d’hier et d’aujourd’hui32 ». Ainsi, Non consumiamo

Marx, composée notamment à partir d’enregistrements des manifestations contre laBiennale de Venise en juin 1968 et des slogans utilisés lors des événements parisiens demai 68, est conçue comme un manifeste contre les dérives culturelles, sociales etéconomiques du capitalisme. Nono dédie cette œuvre « à Carlos Franqui, poèterévolutionnaire cubain » et parle ainsi des « matériaux de documentation » qu’il utilisedans celle-ci :

Pris dans la rue : Venise, juin 1968. Boycott et lutte des étudiants, des ouvriers et desintellectuels contre la Biennale. Institution culturelle commerciale, acquise auxintérêts des monopoles (Montedison et Ciga) et du pouvoir gouvernemental.Enregistrements effectués par le camarade vénitien Penso. Mural-politique : 20 slogans relevés sur les murs de Paris (mai 1968) – lutte contrel’État capitaliste et le pouvoir personnel (de Gaulle). – Situations humaines de la lutte des classes de notre temps, offrant de nouvellesperspectives, une nouvelle signification et une nouvelle praxis au mouvementamoureux-pavésien (Embrasse ton amour sans laisser ton fusil)– Technique de composition électronique basée sur des voix (enregistrées,élaborées, composées ou en direct) et sur un matériau électronique original33.

13 Enfin, Como una ola de fuerza y luz est dédiée à la mémoire de Luciano Cruz, leader du

MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire34) au Chili, mort en septembre 1971 etdont Nono avait fait la connaissance à Santiago durant l’été de la même année. Nonoécrit à propos de Cruz et de la genèse de son œuvre :

Son intelligence et son extraordinaire capacité marxiste de combattant pour laliberté chilienne suscitèrent mon admiration et une amitié immédiate entre nous.En septembre 1971 me parvint la nouvelle de sa mort accidentelle et étrange, à l’âge

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de vingt-sept ans seulement. C’est la motivation de cette musique. […] Sa présence-absence détermine le choix définitif de la structure sonore, de ses motivations.J’élargis le premier projet en ajoutant une partie vocale (soprano) sur quelques versdédiés à Luciano Cruz par un poète argentin Julio Huasi, ami de Luciano, et dontj’avais aussi fait la connaissance à Santiago35.

14 Ces trois œuvres font référence à des événements socio-historiques et culturels d’une

grande importance pour Nono : le phénomène de la Resistenza européenne, lesmanifestations internationales de 1968 et la lutte révolutionnaire dans le Chili du frontpopulaire de Salvador Allende. Ces œuvres et les événements qu’elles portent setrouvent à la base de Für Paul Dessau, structurant et soutenant la dramaturgie desdiscours historiques et élargissant en même temps leur portée symbolique.

Dramaturgie, organisation formelle et principauxprocédés compositionnels

15 Sur le plan temporel, Für Paul Dessau est structurée par deux types de sections : des

Sections Discursives (SD), basées principalement sur l’articulation des discourspolitiques (soutenus par des fragments des œuvres de Nono) et des Sections NonDiscursives (SND), basées exclusivement sur les œuvres de Nono – une introduction etune coda aux extrémités et des Interludes (I) entre chacune des SD (voir tableau etexemple ci-dessous).

Tableau 1. Utilisation des discours politiques et des fragments d’œuvres dans Für Paul Dessau

16 La fonction formelle des I est de structurer les SD afin de mieux maîtriser la

dramaturgie de leur contenu sémantique. Les fragments des œuvres sont choisis parNono en fonction de leur force dramatique et agencés la plupart du temps de façonpolyphonique, allant d’une nuance pp quand il s’agit d’accompagner et de soutenir lesdiscours (certains fragments des œuvres assurent la continuité entre les I et les SD) àune nuance ff lors des SND (l’introduction, les interludes et la coda). De même, le choixdes accompagnements sonores des SD assure une progression dramatique – et non plusseulement sémantique – fondée sur la couleur du son et sur des texturespolyphoniques.

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Exemple 1. Sonagramme du début de Für Paul Dessau (0’00’’-1’46’’) : distribution des œuvres et desdiscours lors de l’introduction, les quatre premières SD et les trois premiers I

Sonagramme réalisé avec le logiciel d’analyse EAnalysis (http://logiciels.pierrecouprie.fr/?page_id=402).

17 Cette progression dramatique est menée également par les procédés compositionnels

utilisés par Nono dans chaque type de section. D’une part, dans les SD, le mixage desvoix par stratification privilégie une perception contrapuntique qui met en valeur aussibien la portée sémantique de certains mots ou phrases que la dimension rythmique etsonore de chaque langue. N’étant pas transformées par des filtres ou des transpositions,les voix sont articulées de façon à ce que le contenu des discours soit compréhensiblepar l’auditeur. De même, la plupart des discours étant mixés en superposition fade-in etfade-out (fondu-enchaîné), il s’agit plus pour Nono de gérer la dramaturgie du fluxsonore que de composer avec des fragments ou des syllabes des discours en question.Sur ce point, il est significatif de souligner que Nono n’utilise pas la fragmentation ou larépétition des mots comme principe de composition dans les SD car il n’expose jamaisdeux fois la même phrase.

18 D’autre part, dans les SND, les fragments des œuvres sont montés par juxtaposition

(articulation par l’assemblage plus ou moins abrupt des objets sonores) ou parsuperposition progressive (accumulation ou chevauchement des différentes stratessonores), créant des séquences dont les timbres et profils dynamiques sont nouveaux.Contrairement aux discours, la morphologie et l’espace de la plupart de ces fragmentssont transformés par l’ajout en studio de réverbération ou par l’utilisation des filtragesdivers, des variations de vitesse et des transpositions.

19 Étant donné qu’une analyse exhaustive des différentes sections de l’œuvre à la lumière

des procédés compositionnels utilisés par Nono me ferait dépasser les dimensionsfixées à ce texte, j’analyserai des aspects spécifiques de l’introduction et de laconclusion afin d’illustrer mes propos. Tout d’abord, l’introduction (0’00’’-0’17’’) estcomposée par la juxtaposition et la superposition d’éléments hétérogènes issus de troisœuvres : sons du piano transposés et voix transformée avec réverbération (Como una ola

de fuerza y luz) ; extraits instrumentaux transposés (Il canto sospeso) ; rumeurs et cris desmanifestations (Non consumiamo Marx). Le montage de ces éléments crée un objetsonore avec un nouveau profil dynamique qui remplit la fonction d’ouverture del’œuvre.

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Exemple 2. Sonagramme de l’introduction de Für Paul Dessau (0’00’’-0’17’’)

20 Ensuite, en ce qui concerne la coda (6’33’’-6’57’’), Nono utilise des sons de piano extraits

de Como una ola de fuerza y luz ainsi que divers fragments de Il canto sospeso. Le choix dufragment qui clôt l’œuvre est symboliquement fort : Nono utilise la première phrase del’intervention chantée de la soprano solo dans le septième mouvement de Il canto

sospeso. Il s’agit en effet de la fin de la lettre d’une jeune ukrainienne (Ljuba Sevcova),membre de la résistance dans la ville minière de Krasnodon, à destination de sa mère.Sachant qu’elle sera assassinée par les forces d’occupation nazies, elle lui écrit : « …adieu, maman, ta fille Ljubka s’en va dans la terre humide…36 » (voir exemple ci-dessous).

Exemple 3. Réduction du fragment du septième mouvement de Il canto sospeso (mesures 429-437)utilisé dans la coda de Für Paul Dessau (6’33’’-6’57’’)

21 La volonté de Nono de terminer Für Paul Dessau par ce fragment émouvant de Il canto

sospeso – qui constitue le fil conducteur sonore tout au long de l’œuvre – peut êtreinterprétée à la lumière de la signification qu’il donnait au phénomène de la Resistenza,qui revêtait pour lui une actualité qui allait bien au delà du moment du conflit armé :

La Resistenza, acte concrètement révolutionnaire et fondamental de notre vie,nécessite, provoque et engendre des choix précis et une conscience novatrice : niexclusivement, ni une fois pour toutes, lors de la lutte armée, mais dans sacontinuité complexe, si nécessaire, constructive et déterminante. […] CetteResistenza ne se limite pas à un drapeau glorieux du passé, mais c’est une lutte

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incessante et une conscience nouvelle en développement continu pour l’actionsubjective et, dans ses intentions, sur le processus objectif qui résulte des principeset des idéaux pour lesquels beaucoup ont déjà donné leur vie ou sont encoreassassinés aujourd’hui37.

22 Pour Nono, le musicien participe activement à cette lutte, en la prolongeant dans le

présent par sa contribution originale et créative, « par ses études, ses recherches et sesexpériences, ainsi que par son imagination inventive ; et parce qu’il dialectise les idéeset les moyens technico-linguistiques, tous deux dans leurs exigences et leurs propriétésparticulières38 ». C’est pourquoi, pour Nono, il ne faut pas « limiter le thème de laResistenza en musique à l’utilisation de textes et de situations de la lutte des partisans,en lui assignant donc une époque déterminée dans l’histoire ». Il faudrait au contrairerechercher l’héritage de la Resistenza « potentiellement présent dans ces expressions oùla vérité et la nouveauté de la recherche, de l’invention et de la réalisation élargissentet développent la capacité de l’imagination, l’intelligence de la réception et laconscience de l’homme tendu vers l’élimination des différents garrots de la sociéténéocapitaliste, pour la libération socialiste39 ». C’est ainsi que la portée politique dutravail créatif du compositeur actualise l’héritage des luttes du passé en le rendantvisible dans les luttes du présent, ce qui constitue l’un des principaux enjeux de Für Paul

Dessau.

23 Sur le plan spatial, l’œuvre est organisée de façon stéréophonique40, Nono ayant placé

au centre ses propres œuvres, sur le canal gauche les voix de Lénine et de Guevara etsur le canal droit celles de Thälmann, de Lumumba et de Castro (voir tableau ci-dessous). Une possible interprétation de cette distribution spatiale pointerait vers lavolonté du compositeur de « situer » géographiquement, de « territorialiser » cesœuvres et ces discours, tout en les faisant dialoguer grâce à une articulationpolyphonique. Cette analogie entre espace acoustique de l’œuvre et espacegéographique servirait à relier dans le moment présent les luttes d’émancipationauxquelles font référence les sons et les discours.

Tableau 2. Disposition spatiale des œuvres et des discours utilisés dans Für Paul Dessau

24 En effet, les principaux pays où se mènent les luttes révolutionnaires évoquées dans les

discours utilisés se situent sur trois continents : l’Asie (Russie41 et Vietnam), l’Afrique(Congo) et l’Amérique latine (Cuba, Chili) – les continents représentés en 1966 dans laconférence Tricontinentale de La Havane42. Étant donné que les œuvres de Nono fontréférence à des faits historiques qui ont eu lieu en Europe (Il canto sospeso, Non

consumiamo Marx) et en Amérique Latine (Como una ola de fuerza y luz), le choix de lesplacer au centre de l’espace sonore leur donnerait une fonction unificatrice par rapportaux luttes énoncées dans les discours. Cette organisation spatiale relie ainsi les luttes« périphériques » à l’héritage et l’expérience de Nono lui-même et esquissesimultanément un nouveau centre possible pour le mouvement socialiste international

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dans le contexte de la Guerre froide : l’Amérique Latine en général et le Chili d’Allendeen particulier. Il faut rappeler que Nono était particulièrement attaché au projetsocialiste de Salvador Allende et donnait à celui-ci un rôle prépondérant dans lemouvement socialiste mondial – comme il le fit savoir au président Allende dans untélégramme daté du 26 janvier 1973, quelques mois seulement avant le coup d’État (11septembre 1973) qui renverse le régime démocratique chilien43. De même, commel’écrit Erika Schaller, au début du projet compositionnel de Für Paul Dessau, Nonoprévoyait de donner une place centrale à la question du socialisme au Chili et il donne àl’œuvre le titre provisoire de Da Lenin ad Allende (un montaggio)44.

La fonction idéologique de l’œuvre

25 La fonction référentielle des œuvres de Nono ancre les discours historiques dans

l’univers sonore du compositeur et dans le contexte politique précis de la Guerre froide.Mais la dimension sémantique et historique des discours est fondamentale, les motsétant articulés pour être compris par l’auditeur et organisés de façon polyphonique afinde créer un nouveau discours de synthèse revêtant une fonction idéologique précise :relier des causes, désigner des ennemis communs et indiquer les objectifs à atteindre.

26 À la manière d’un cantus firmus, les deux discours de Lénine45 – les plus présents dans

l’œuvre, avec celui de Guevara sur la guerre du Vietnam – ont une fonctionstructurante dans la polyphonie globale. Enregistrés en 1919 durant la guerre civile quisuit la Révolution d’Octobre, ils ont la fonction de motiver les troupes de l’Armée rougeet d’expliquer la visée révolutionnaire du nouveau pouvoir donné aux soviets. PourLénine, ce pouvoir

permet à ceux qui étaient opprimés de se relever et de prendre eux-mêmes en mainde plus en plus toute la direction de l’État, toute la direction de l’économie, toute ladirection de la production. Le chemin des Soviets est le chemin du socialisme,découvert par les masses laborieuses, donc un chemin sûr, donc un chemininvincible46.

27 La fin de son appel à l’armée exalte la victoire du socialisme proclamé par Lénine et

souligne en même temps le caractère internationaliste de la lutte du peuple russe :« Camarades soldats de l’Armée Rouge ! Tenez bon, tenez ferme, serrez les rangs !Marchez hardiment contre l’ennemi ! Nous aurons la victoire. Le pouvoir despropriétaires fonciers et des capitalistes, brisé en Russie, sera vaincu dans le mondeentier47 ! ». Le discours de Lénine est contrepointé par le discours du « Che » Guevara,qui exalte la lutte armée du peuple vietnamien face à l’agression impérialiste des États-Unis, reliant symboliquement la Révolution d’Octobre à la guerre du Vietnam. Cettegénéalogie est exposée par Nono dans une intervention contre la guerre du Vietnamdatant de 1966 :

La conquête de la paix pour le Viêt-Nam et son droit [à décider de son destinsocialiste] doivent être une nouvelle conquête de tout le mouvement ouvrier etanti-impérialiste, et pour tout ce mouvement, sur la voie ouverte par l’Octobrerouge, par la Longue Marche et par la Sierra Maestra [et de la reprise et del’accomplissement de notre résistance, pour un monde nouveau]48.

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Image 1. Couverture et détail du disque vinyle du discours d’Ernesto « Che » Guevara (prononcé àLa Havane, le 20 décembre 1963)

28 Le discours de Guevara incrimine directement la politique impérialiste menée par les

États-Unis et dessine une géographie tricontinentale des résistances tiers-mondistes :« L’Amérique, l’Asie et l’Afrique, les trois continents opprimés commençaient àmontrer qu’ils n’accepteraient plus longtemps la présence des pouvoirs coloniaux49 ».Guevara identifie la lutte armée du peuple vietnamien à la Révolution cubaine etinventorie dans son discours un certain nombre de foyers révolutionnaires et de« guerres de libération », aussi bien en Amérique Latine (Nicaragua, Honduras,Guatemala, Saint Domingue, Colombie, Venezuela et Paraguay), qu’en Asie (Laos,Vietnam) et en Afrique (Angola, Guinée portugaise [Guinée-Bissau]).

29 Pour sa part, le discours de Fidel Castro intensifie avec un lyrisme et une rhétorique

caractéristiques de la Guerre froide les promesses de liberté formulées par cesmouvements de libération, affirmant qu’« il faudra compter avec les pauvresd’Amérique, avec les exploités et méprisés de l’Amérique Latine qui ont décidé d’écrireeux-mêmes, pour toujours, leur propre histoire50 ». De même, il prolonge la critiquecontre les États-Unis établissant un parallèle entre les défauts supposés de ceux-ci et lesvertus revendiquées pour Cuba par les acteurs issus de la révolution :

Cuba, pour les alphabétiseurs assassinés ; les États-Unis, pour les assassinsCuba, pour la vérité ; les États-Unis, pour le mensongeCuba, pour la libération ; les États-Unis, pour l’oppressionCuba, pour l’avenir lumineux de l’humanité ; les États-Unis, pour le passé sansespoirCuba, pour la paix entre les peuples ; les États-Unis, pour l’agression et la guerreCuba, pour le socialisme ; les États-Unis, pour le capitalisme51.

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Image 1. Couverture et détail du disque vinyle du discours de Fidel Castro (prononcé à La Havane,le 4 février 1962)

30 Ainsi que l’exprime Guevara dans son discours, pour Luigi Nono, l’agression militaire

des États-Unis « n’est pas seulement contre le Viêt-Nam, mais contre le mondesocialiste et contre les mouvements de libération nationaux52 ». Cela explique laprésence dans Für Paul Dessau du discours de Patrice Lumumba, figure emblématique dela lutte d’indépendance du Congo belge et premier ministre (de juin à septembre 1960)de la nouvelle République du Congo53. Nono utilise des extraits de ce qui est considérécomme le dernier discours54 de ce leader de la décolonisation africaine, mettant engarde contre les diverses formes du néocolonialisme mis en place par les anciennespuissances : « puisqu’on vient de tomber dans un néo-colonialisme, qui est aussidangereux que le colonialisme que nous venons d’enterrer le 30 juin dernier55 », affirmeLumumba dans son discours. Enfin, le discours d’Ernst Thälmann56, symboleinternational de la résistance antifasciste allemande et héros national en Allemagne del’Est (RDA), appelle à « répondre aux exigences des principales tâches pour la victoirede la révolution prolétarienne ». Sachant que son œuvre serait créée dans l’acted’hommage à Paul Dessau, et en présence de celui-ci, Nono le salue à travers les mots deThälmann, qui transmet à son auditoire ses « salutations fraternelles etrévolutionnaires57 ».

La fonction hégémonique de l’œuvre

31 Le discours sonore crée par Nono dans Für Paul Dessau – entendu ici comme l’union et

l’articulation d’éléments sonores hétérogènes avec une certaine dimension sémantique– est organisé de façon à créer une dramaturgie politique guidée par une idéologieprécise. La présence dans l’œuvre des luttes internationales anti-impérialistescontribue à l’hégémonie intellectuelle du socialisme tiers-mondiste défendu par Nono,un socialisme qui puiserait notamment sa force dans l’héritage de Lénine et de Gramsci,tout en respectant les diversités politiques, économiques et culturelles des différentspeuples :

La réalisation du socialisme vers lequel nous tendions – écrit Nono en 1971 audirecteur du journal L’Unità58 –, le créant à l’image de notre réalité, inspiré deLénine et de Gramsci, du soviétisme qui a conduit aux luttes de libération en Asie[…], en Afrique et dans une partie de l’Amérique Latine, que nous construisons avec

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la lutte des travailleurs, des paysans, des ouvriers, des étudiants ; le socialisme pourlequel luttent les travailleurs de la région Baltique, ceux de Detroit et dumouvement Black Panthers dans le bastion de l’impérialisme59.

32 Assumant sa responsabilité d’intellectuel, Nono ne sépare pas cette conception du

socialisme (théorie) de son militantisme politique et de son activité artistique en tantque compositeur et pédagogue (praxis). Suivant l’exemple de Gramsci, Fanon ouGuevara, Nono réfléchit à l’adéquation de la théorie marxiste, de la stratégierévolutionnaire et de la création artistique aux différents contextes historiques etculturels, comme il l’affirme à propos de sa participation en décembre 1971 à un courslatino-américain de musique contemporaine en Uruguay :

Mon séminaire de composition se déroula à la lumière des indications culturelles etpolitiques d’Antonio Gramsci, Frantz Fanon et Ernesto Che Guevara, et de larésolution du Congrès cubain pour l’éducation et la culture d’avril 1971. On ydiscuta de la nécessité de dépasser et de rompre le mythe de l’eurocentrismecolonisant et l’application schématique de la pratique socialiste européenne, qui necorrespond presque jamais à la réalité socio-économique culturelle latino-américaine. Et toutes les analyses techniques s’inscrivirent dans ce contexte60.

33 Dans le contexte de la Guerre froide et de ses conflits périphériques, certains leaders

politiques du tiers-monde, tels Fidel Castro, Mao Zedong et Ernesto « Che » Guevara,représenteraient « tout à la fois la lutte révolutionnaire contre l’Amérique [les États-Unis], le changement social radical et, pour les deux derniers, une remise en cause de lanorme soviétique61 ». Le choix d’utiliser les discours de Castro, de Guevara et deLumumba dans Für Paul Dessau suit cette logique de décentrement etd’internationalisation des luttes d’émancipation anti-impérialistes62. Ces figurespolitiques s’engageaient dans un combat idéologique contre la vision bipolaire dumonde et voulaient donner aux nations périphériques un rôle historique à jouer. Cerôle n’était pas seulement politique mais aussi idéologique et culturel, en montrant unevoie différente à suivre aux sociétés qui refusaient de se soumettre à la logiquegéopolitique des deux blocs. De ce fait, comme le souligne Robert Frank, « la nouvellemultipolarité n’est donc pas seulement une affaire géopolitique de rapports de forceinternationaux, comme à la fin des années 1950 ; elle se situe désormais à partir dumilieu des années 1960 au cœur d’une grille de lecture idéologique, politique etculturelle63 ».

34 La dimension idéologique et historique de Für Paul Dessau suit cette logique. Par la

synthèse et la spatialisation des discours et des sons utilisés, l’œuvre matérialise letiers-monde dans un espace symbolique unifié et ancré dans une tradition socialiste,rendant possible sa mobilisation comme un concept opératoire pour penser l’unité desluttes postcoloniales des pays qui s’y identifiaient. Au tournant des années 1970, cettevolonté de donner corps à l’idée du tiers-monde se plaçait au cœur de la lutteidéologique des grands projets politiques, à l’encontre de l’opinion de certainsintellectuels – comme Hannah Arendt, qui n’hésitait pas à qualifier le tiers-monde den’être qu’une « illusion64 ». Dans cette confrontation idéologique si caractéristique de laGuerre froide, qui consistait à tenter d’imposer dans l’espace public des concepts et desreprésentations tout en les opposant à ceux des adversaires, Für Paul Dessau constitue leréquisitoire de Luigi Nono contre l’« Occident impérialiste », symbolisé avant tout parles États-Unis et leur politique en Amérique latine, en Afrique et en Asie. La dimensionpolitique de l’œuvre de Nono peut être analysée comme une stratégie consciente pourl’hégémonie intellectuelle et culturelle socialiste dans sa dimension propagandiste,

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c’est-à-dire en tant que stratégie de légitimation « qui viserait non seulement àinfluencer mais aussi provoquer l’identification et l’adhésion consciente des individus àun pouvoir perçu comme légitime65 ». Dans Für Paul Dessau, cette stratégie consisteraitnotamment à donner la parole à des acteurs spécifiques en les rendant visibles dansl’espace commun, à légitimer des idées et des concepts pour penser le réel66. Comme lesoutient Nono,

si une partition ne peut pas provoquer ou susciter une révolution, elle peut ycontribuer, en participant à l’hégémonie intellectuelle et révolutionnaire. Unepartition peut mûrir et se résoudre dans la participation directe et concrète de lalutte, qui peut être affrontée et transposée dans la partition. La musique, commeintervention active, manifestation et expression d’une pensée, d’une méthode,d’une analyse et d’un choix humain, pour laquelle le moyen technique n’est pas uninstrument de simple modernisation, mais la voix du peuple67.

35 Grâce aux moyens offerts par l’électronique, Für Paul Dessau « transpose » et relie

symboliquement les voix d’un archipel de luttes politiques et de conflits armés du XXe

siècle, esquissant une cartographie des luttes du tiers-monde – comme celle énoncéepar Guevara dans son discours – à l’intérieur d’une généalogie des luttes historiquesinternationales. L’œuvre, dans sa matérialité, apparaît ainsi comme une mémoiresonore du rôle de l’utopie socialiste dans les luttes d’émancipation et la trace de l’espoirsoulevé par de cette utopie chez Luigi Nono.

Conclusion

36 Dans Für Paul Dessau, Nono crée un document sonore, à la fois personnel et historique,

qui témoigne du chemin politique et esthétique qu’il a parcouru en compagnie d’autresintellectuels et artistes du XXe siècle – dont Paul Dessau – ainsi que des luttes politiquesd’émancipation des peuples du tiers-monde. Cette œuvre, ainsi que les œuvres qui sontliées à elle d’une manière ou d’une autre, répond à la problématique concrète de lapolitisation de la musique durant la Guerre froide : l’utilisation stratégique de lacréation musicale et de la technologie au service d’un idéal politique. Cependant, lerapport de Für Paul Dessau avec les conflits armés n’est pas direct et fonctionnel car ellen’a pas été conçue expressément, par exemple, pour être jouée au front, pour inciter oupour faire cesser la violence pendant ou après des opérations militaires, pourtémoigner des atrocités de la guerre ou pour être écoutée par les populations civilessubissant directement la destruction provoquée par celle-ci. L’œuvre n’a pas étécomposée non plus dans une situation de guerre car l’utilisation des ressourcesmatérielles et techniques nécessaires à sa conception aurait été extrêmement difficile.

37 Au contraire, Für Paul Dessau est conçue pour territorialiser symboliquement des

conflits et des luttes politiques éloignées au premier abord, pour relier des idéologiespolitiques transmises lors de discours historiques afin de rendre concret un horizon delutte et d’émancipation, soutenu par un idéal politique et par l’espoir de dépasser cesconflits. Comme l’explique Helmut Lachenmann, « la volonté qu’avait Nono d’exercerun effet politique – parallèlement ou en travers de la doctrine de son parti – est unélément indispensable de sa folie “prométhéenne”, de sa volonté “d’apporter le feu” àl’humanité, au risque d’être lui-même châtié par ces puissances68 ». Se concevant luimême comme un musicien militant « non au-dessus mais dans la lutte des classes tellequ’elle existe – “intellectuel faisant partie de la classe ouvrière”, selon le vœu d’AntonioGramsci69 », Luigi Nono a cherché à associer militantisme politique et création

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symbolique afin de remplir la fonction hégémonique qu’il accordait aux intellectuelsorganiques. Il entend ainsi prendre sa responsabilité en tant qu’artiste dans lesprocessus de transformation culturelle, politique et sociale de son époque : « dans cettenécessité de plus en plus impérieuse d’une liaison internationale efficace des forces depaix ou d’action révolutionnaire, il me semble que l’artiste a un rôle important à jouer70

».

38 En saisissant les nouvelles possibilités offertes par les moyens électroacoustiques à la

composition musicale, notamment leur capacité à transformer des sons en les insérantdans un nouvel espace acoustique ainsi qu’à figer et à transmettre des témoignages,Nono donne la parole aux acteurs du passé et de son époque. Ceci confère à Für Paul

Dessau – de même qu’à une grande partie de ses œuvres de cette période – uneprofondeur historique capable d’affronter le passage du temps : une mémoire contrel’oubli. Ainsi, Nono accomplit le but que William Faulkner, dans un entretien datant de1956, accorde à l’artiste :

Le but de l’artiste est d’arrêter le mouvement, qui est la vie, par des moyensartificiels et de le maintenir figé pour que cent ans plus tard, quand un inconnu leregardera, il se remette à bouger puisque c’est la vie. Comme l’homme est mortel, laseule immortalité possible pour lui est de laisser derrière lui quelque chosed’immortel puisque cela bougera toujours71.

39 Dans Für Paul Dessau, Luigi Nono tente d’arrêter le temps en laissant une œuvre qui

témoigne des luttes communes de nombreux intellectuels dans un moment où l’espoirdans un monde renouvelé venait de la conjonction entre les combats de libération dutiers-monde et ceux des intellectuels, des étudiants et des ouvriers des paysdéveloppés. Néanmoins, étant donné les défaites de ces idéaux et les dérives descertains de ces projets révolutionnaires – de Cuba à la Chine, en passant par la Russie –il est important de replacer Für Paul Dessau dans son contexte de création afin saisirtoute sa complexité et son originalité. En ce sens, l’œuvre de Nono porte la trace desgrands conflits de son époque, tant politiques qu’humains, qui se trouvaient au centrede ses préoccupations et de son activité créatrice, comme il le déclarait en 1988 :

Ce qui me passionne vraiment, ce qui me fascine, ce sont les grands conflitshumains, les grands affrontements, comme la révolution cubaine, le drame deGalilée, celui de Giordano Bruno, le drame de Gramsci, celui de Hölderlin, le dramede ceux qui se sont suicidés : Jackson Pollock, qui a connu une fin dramatique,Maïakovski… Je crois que ce qui m’a toujours passionné est le moment du conflit72.

NOTES

1. NONO, Luigi, « Entretien avec Luigi Nono », in Écrits, textes édités et traduits par Laurent

FENEYROU, Genève, Contrechamps, 2007, p. 301.

2. D’après Nono, « les ouvriers imposent, dans l’usine de classe, une lutte pour le pouvoir

socialiste. Les guérilleros imposent un conflit de classe, frontal. (Le second - le conflit ou la lutte

armée - est incontestablement le moment décisif.) », Idem., p. 302-303.

3. Comme il l’écrit en 1966, pour lui « il n’y a pas de différence entre la lutte de classes et celle des

peuples pour leur libération », NONO, Luigi, « Un discours sonore », in Écrits, op. cit., p. 233.

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4. L’œuvre est disponible à l’écoute ici : https://www.youtube.com/watch?v=CnGwMPLKYjU

5. Le catalogue d’œuvres pour bande magnétique seule de Luigi Nono est composé par Omaggio a

Emilio Vedova (1960), Musiche di scena per Die Ermittlung (1965), Ricorda cosa ti hanno fatto in

Auschwitz (1966), Contrappunto dialettico alla mente (1967-1968), Musiche per Manzù (1969) et Für Paul

Dessau (1974) – voir NONO, Luigi, Complete Works for Solo Tape (2 CD + livret), Stradivarius Ricordi

Oggi (STR 57001), 2006.

6. D’une durée de sept minutes, Für Paul Dessau est créée le 15 décembre 1974 à l’Académie des

Arts de Berlin-Est lors d’un concert-hommage à Dessau.

7. Notamment, par ordre chronologique, Il canto sospeso (1955-1956), La fabbrica illuminata (1964),

A floresta é jovem e cheja de vida (1966), Non consumiamo Marx (1969), Y entonces comprendió (1970),

Ein Gespenst geht um in der Welt (1971), Como una ola de fuerza y luz (1971-1972) et Al gran sole carico

d’amore (1972-1974). Pour un aperçu complet du catalogue et des notices des œuvres de Luigi

Nono voir NONO, Luigi, Écrits, op. cit., p. 593- 691.

8. NONO, Luigi, « Le pouvoir musical », in Écrits, op. cit., p. 321.

9. Le choix d’utiliser ces notions développées par Gramsci se justifie par l’influence de celui-ci sur

la pensée politique de Nono, qui, comme nous le verrons tout au long de cet article, le cite

constamment et le montre comme une référence incontournable.

10. GRAMSCI, Antonio, « Cahier 11 », in Cahiers de prison, t. 3, Paris, Gallimard, 1978, p. 180.

11. NONO, Luigi, « Un discours sonore », art. cit., p. 233-234.

12. Idem.

13. Pour Gramsci « tous les hommes sont intellectuels ; mais tous les hommes ne remplissent pas

dans la société la fonction d’intellectuels » (GRAMSCI, Antonio, « Cahier 12 », in Cahiers de prison,

t. 3, op. cit., p. 312). Il différencie donc deux classes d’intellectuels : les intellectuels organiques,

reliés « organiquement » à une classe sociale et définis par la place et la fonction qu’ils occupent

dans la structure sociale (par exemple, les cadres de l’appareil politique, culturel ou judiciaire

dans leur rapport à la bourgeoisie ou au prolétariat) ; et les intellectuels traditionnels, reliés à des

classes disparues ou en voie de disparition et définis par la place et la fonction qu’ils occupent au

sein d’un processus historique (par exemple, le clergé dans son rapport à l’aristocratie). Sur ce

sujet, voir PIOTTE, Jean-Marc, La pensée politique de Gramsci, Montréal, Lux, 2010 [1970], p. 17-66.

14. NONO, Luigi, « Le pouvoir musical », art. cit., p. 319.

15. Idem.

16. Idem., p. 317.

17. Le travail de Stockhausen au Studio de musique électronique de la radio de Cologne

(Westdeutscher Rundfunk - WDR) comportait en 1969 un certain nombre d’œuvres électroniques

ou mixtes, notamment Gesang der Jünglinge (1956), Kontakte (1960), Mixtur (1964), Mikrophonie I

(1964), Mikrophonie II (1965), Telemusik (1966) et Hymnen (1966-1967).

18. Nono parle de cette œuvre dans un entretien publié en janvier 1969 dans la revue

vénézuélienne Rocinante : « Un compositeur de l’Allemagne de l’Ouest, Stockhausen, qui milite

pour l’électronique, jusqu’à la polémique et à des conflits personnels violents, a ressenti le besoin

d’utiliser pour l’une de ses compositions, Hymnen, des matériaux acoustiques localisées

historiquement et géographiquement, des hymnes nationaux qu’il traite avec “objectivité” et

avec un certain “sentiment de supériorité” (l’hymne espagnol du fasciste Franco avec celui de la

République populaire d’Albanie ou le chant communiste italien Bandiera rossa avec un chant

nazi…) », NONO, Luigi, « Entretien avec Luigi Nono », art.cit., p. 298. Pour une description

analytique de la première version de Hymnen voir HARVEY, Jonathan, « Stockhausen’s Hymnen »,

in Musical Times 116, no. 1590, 1975, p. 705-707.

19. NONO, Luigi, « Le pouvoir musical », art. cit., p. 318.

20. Les intellectuels seraient porteurs pour Gramsci de la fonction hégémonique de la classe à

laquelle ils appartiennent : « ils travaillent dans les différentes organisations culturelles […] de

façon à assurer le consentement passif sinon actif des classes dominées à la direction qu’imprime

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à la société la classe dominante. […] Par les moyens de diffusion qu'il emploie et par le role

d'e ducateur de ses militants, le proletariat se dresse comme adversaire de l'hege monie qu'exerce

la bourgeoisie, et tend a la renverser », (PIOTTE, Jean-Marc, La pensée politique de Gramsci, op. cit.,

p. 22).

21. LACHENMANN, Helmut, « Touché par Nono » (1991), in Écrits et entretiens, textes choisis et

préfacés par Matin KALTENECKER, Genève, Contrechamps, 2009, p. 184.

22. FENEYROU, Laurent, « Il Canto sospeso » de Luigi Nono, Paris, Michel de Maule, 2002, p. 112-113.

23. Pour Gramsci, « créer une nouvelle culture ne signifie pas seulement faire individuellement

des découvertes “originales”, cela signifie aussi, et spécialement, répandre de façon critique les

découvertes déjà faites, les “socialiser” pour ainsi dire, et par conséquent faire qu’elles

deviennent autant de bases pour des actions vitales, en faire un élément de coordination et

d’ordre intellectuel et moral », GRAMSCI, Antonio, « Cahier 11 », in Cahiers de prison, t. 3, op. cit.,

p. 177.

24. NONO, Luigi, « Entretien avec Luigi Nono », art.cit., p. 297.

25. Les discours sont en russe, allemand, français et espagnol. La plupart de ces disques vinyles se

trouvent actuellement à Venise dans les archives Luigi Nono (http://www.luiginono.it).

26. Paul Dessau écrit son Requiem für Lumumba (pour soprano, baryton, récitant, chœur et

orchestre) en 1963 et son œuvre pour orchestre et chœur Lenin en 1969. À propos de son amitié

avec Dessau, Nono témoignait en 1973 : « L’amitié qui me lie à lui est très importante pour moi

parce que, en dehors de l’admiration que je porte à ses contributions artistiques profondément

humaines et engagées politiquement, nous sommes très proches d’un point de vue politique »

[L’amicizia che mi lega a lui è per me molto importante poiché, a parte l’ammirazione che porto

alle sue opere artistiche profondamente umanitarie e politicamente impegnate, mi è anche da un

punto di vista politico molto vicino] (« Intervista di Jean Villain » (1973), in NONO, Luigi, Scritti e

colloqui, édité par Angela Ida DE BENEDICTIS et Veniero RIZZARDI, vol. II, Milan, 2001, p. 141 ; cité

dans NONO, Luigi, Complete Works for Solo Tape (2 CD + livret), op. cit., p. 34). Sauf mention

contraire, toutes les traductions de l’espagnol et de l’italien au français ont été réalisées par mes

soins.

27. LACHENMANN, Helmut, « Touché par Nono », art. cit., p. 184.

28. NONO, Luigi, Écrits, op. cit., p. 661.

29. Non consumiamo Marx constitue la deuxième partie de Musica-Manifesto n. 1, dont la première

partie, Un volto, e del mare, est écrite pour deux voix de femme et bande magnétique.

30. Pour une analyse approfondie de cette œuvre voir FENEYROU, Laurent, « Il Canto sospeso » de

Luigi Nono, op. cit.

31. NONO, Luigi, Écrits, op. cit., p. 604.

32. FENEYROU, Laurent, « Il Canto sospeso » de Luigi Nono, op. cit., p. 14.

33. NONO, Luigi, Écrits, op. cit., p. 648.

34. « Movimiento de izquierda revolucionaria ».

35. NONO, Luigi, Écrits, op. cit., p. 657-658.

36. « …addio mamma, tua figlia Ljubka se ne va nell’umida terra… » (reproduit dans FENEYROU,

Laurent, « Il Canto sospeso » de Luigi Nono, op. cit., p. 205). Ljuba Sevcova sera torturée puis achevée

d’une balle dans la tête le 7 février 1943 par un Rottenführer des SS (voir Idem., p. 213-214).

37. NONO, Luigi, « Musique et Resistenza », in Écrits, op. cit., p. 166-167.

38. Idem., p. 167.

39. Idem.

40. Comme le note Erika Schaller, Nono a conçu la version stéréo (utilisée lors de la création de

l’œuvre à Berlin) à partir d’une version pour 4 pistes (SCHALLER, Erika, « Für Paul Dessau », in

NONO, Luigi, Complete Works for Solo Tape (2 CD + livret), op. cit., p. 64).

41. Dans ses réflexions stratégiques sur la guerre de mouvement et la guerre de position, Gramsci

place la Russie dans un contexte « oriental », sur ce sujet voir GRAMSCI, Antonio, Guerre de

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mouvement, guerre de position, textes choisis et présentés par Razmig Keucheyan, Paris, La

Fabrique, 2011, p. 35-44.

42. Sur l’importance historique de la Conférence Tricontinentale voir FALIGOT, Roger,

Tricontinentale. Quand Che Guevara, Ben Barka, Cabral, Castro et Hô Chi Minh préparaient la révolution

mondiale (1964-1968), Paris, La Découverte, 2013.

43. NONO, Luigi, Carteggi concernenti politica, cultura et partito comunista italiano, édité par Antonio

TRUDU, Vénice, Leo S. Olschki (Archivio Luigi Nono studi), 2008, p. 199.

44. SCHALLER, Erika, « Für Paul Dessau », art.cit, p. 65. L’auteure fait référence à un brouillon

(non daté) du programme du concert-hommage à Dessau qui se trouve dans les archives Luigi

Nono.

45. « Qu’est-ce que le pouvoir des Soviets ? », prononcé fin mars 1919 et publié dans la Pravda le

21 janvier 1928, réproduit dans LÉNINE, Vladimir, Oeuvres, t. 29, Éditions sociales, Paris, 1962, p.

250-251 ; « Adresse à l’armée rouge », prononcé le 29 mars 1919 et publié dans le même ouvrage,

p. 246-247. Le disque vinyle édité à Rome par Editori Riuniti (avec la traduction italienne des

discours) se trouve dans les archives Luigi Nono (voir http://www.luiginono.it/it/node/17853).

Nous pouvons également apercevoir l’influence de Gramsci à travers l’importance que Nono

donne à Lénine dans sa pensée politique : pour Gramsci, le leader bolchevique constituait « le

modèle de l’intellectuel intégral » (PIOTTE, Jean-Marc, La pensée politique de Gramsci, op. cit., p. 37).

46. LÉNINE, Vladimir, « Qu’est-ce que le pouvoir des Soviets ? », art. cit., p. 251. Je citerai

exclusivement des extraits des parties des discours utilisées par Nono dans Für Paul Dessau.

47. LÉNINE, Vladimir, « Adresse à l’armée rouge », art. cit., p. 247.

48. NONO, Luigi, « Intervention contre la guerre du Viêt-Nam » (1966), in Écrits, op. cit., p. 251. Les

extraits entre crochets sont des ajouts manuscrits (mais non de la main de Nono), sur le tapuscrit

original, (voir Idem., p. 252, note 4 et sq.). La Sierra Maestra est le massif montagneux situé à l’Est

de l’île de Cuba, qui a servi de refuge et de quartier général aux troupes commandées par Fidel

Castro durant la Révolution cubaine.

49. « América, Asia y África, los tres continentes oprimidos estaban dando señales de que no

admitirían por mucho tiempo más la presencia de los poderes coloniales », in GUEVARA, Ernesto

« Che », Solidaridad con Vietnam del Sur – Discurso del Comandante Ernesto Guevara en el Acto de

Clausura de la Semana de Solidaridad con el Pueblo de Viet-Nam del Sur, 20 décembre 1963

(disque vinyle EGREM-CNC LD-DP-7). Le disque vinyle se trouve dans les archives Luigi Nono (voir

http://www.luiginono.it/it/node/17818).

50. « Se tendrá que contar con los pobres de América, con los explotados y vilipendiados de

América latina que han decido empezar a escribir ellos mismos, para siempre, su historia », in

CASTRO, Fidel, Segunda declaración de La Habana, Instituto cubano de amistad con los pueblos

(discours prononcé à La Havane, à la Place de la Révolution, le 4 février 1962). Le disque vinyle se

trouve dans les archives Luigi Nono (voir http://www.luiginono.it/it/node/17813).

51. « Cuba, por los alfabetizadores asesinados; Estados Unidos, por los asesinos / Cuba, por la

verdad; Estados Unidos, por la mentira / Cuba, por la liberación; Estados Unidos, por la opresión

/ Cuba, por el porvenir luminoso de la humanidad; Estados Unidos, por el pasado sin esperanza /

Cuba por la paz entre los pueblos; Estados Unidos por la agresión y la guerra / Cuba, por el

socialismo, Estados Unidos, por el capitalismo », in CASTRO, Fidel, Segunda declaración de La

Habana, op. cit.

52. NONO, Luigi, « Intervention contre la guerre du Viêt-Nam » (1966), in Écrits, op. cit., p. 250.

53. Lumumba est assassiné en prison au Katanga, en janvier 1961 à l’âge de 35 ans, avec la

complicité des États-Unis et de la Belgique.

54. Le disque vinyle « Ultimo discorso di Patrice Lumumba » produit par la maison Italia Canta se

trouve dans les archives Luigi Nono (voir http://www.luiginono.it/it/node/17846).

55. LUMUMBA, Patrice, « Ultimo discorso di Patrice Lumumba ».

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56. Ernst Thälmann (1886-1944), l’un des dirigeants du Parti communiste d’Allemagne (KPD),

siège au Reichstag de 1924 à 1933 avant d’être arrêté par le pouvoir nazi. Incarcéré à la prison

d’État de Bautzen, il est transféré au camp de concentration de Buchenwald où il est assassiné le

18 août 1944.

57. « Die Voraussetzungen für die großen Aufgaben des Sieges der proletarischen Revolution zu

erfüllen. Und in diesem Sinne überbringe ich dem Kongreß die brüderlichsten und die

revolutionärsten Grüße », Ernst Thälmann, discours prononcé à Moscou le 15 février 1928, dans

le cadre du Congrès des travailleurs de la métallurgie (pour l’audio, voir https://archive.org/

details/SelectedWeimarEraPoliticalSpeechesPart2, consulté le 28 mars 2014, traduit de

l’allemand par Stéphanie Gernet).

58. Journal fondé par Antonio Gramsci en 1924, il a été l’organe officiel du Parti communiste

italien (PCI) jusqu’à la dissolution de celui-ci en 1991.

59. « Quel socialismo alla cui realizzazione tendiamo, creandolo nella nostra realtà, che abbiamo

imparato da Lenin da Gramsci dal soviettismo dalle conduzioni delle lotte di liberazione in Asia

[…], in Africa e in parte dell’America latina, che stiamo costruendo con la lotta degli operai dei

contadini dei braccianti degli studenti, quel socialismo per cui lottano gli operai della regione

baltica, fino a quelli di Detroit e al movimento dei Black Panthers nella roccaforte

dell'imperialismo », NONO, Luigi, « Luigi Nono a “L'Unità” [Venezia, gennaio 1971] », in NONO,

Luigi, Carteggi concernenti politica, cultura et partito comunista italiano, op.cit., p. 178.

60. NONO, Luigi, « Cours latino-américain de musique contemporaine », in Écrits, op. cit., p. 369.

61. FRANK, Robert, « Imaginaires politiques et figures symboliques internationales : Castro, Hô,

Mao et le “Che” », in DREYFUS-ARMAND, Geneviève et al. (éd.), Les années 68. Le temps de la

contestation, Bruxelles, Complexe, 2000, p. 35.

62. Par ailleurs, Nono utilise des citations des textes de Gramsci, Fanon, Castro, Guevara et

Lumumba, dans certaines des œuvres composées à la même période que Für Paul Dessau,

notamment dans A floresta é jovem e cheja de vida (1966, textes de Fidel Castro, Frantz Fanon,

Herman Kahn et Patrice Lumumba), Y entonces comprendió (1970, textes de Ernesto « Che »

Guevara et Carlos Franqui), Ein Gespenst geht um in der Welt (1971, textes de Karl Marx, Celia

Sánchez et Haydée Santamaría) et Al gran sole carico d’amore (1972-1974, textes de Bertolt Brecht,

Tania Bunke, Fidel Castro, Ernesto « Che » Guevara, Georgi Dimitrov, Maxime Gorki, Antonio

Gramsci, Lénine, Karl Marx, Louise Michel, Cesare Pavese, Arthur Rimbaud, Celia Sánchez et

Haydée Santamaría).

63. FRANK, Robert, « Imaginaires politiques et figures symboliques internationales : Castro, Hô,

Mao et le “Che” », art. cit., p. 36.

64. ARENDT, Hannah, « Sur la violence », in Du mensonge à la violence. Essais de politique

contemporaine [1972], Paris, Gallimard, 2012, coll. Quarto, p. 993. Hannah Arendt oppose au

caractère « irréel » et « illusoire » du tiers monde le caractère « réel » de « l’Afrique, l’Asie et

l’Amérique du Sud », sans pour autant questionner ou déconstruire la dimension historique de

ces notions. Pour une discussion sur ce sujet dans le contexte des luttes d’émancipation afro-

américaines des années 1960 voir LOSURDO, Domenico, La non-violenza: una storia fuori dal mito,

Roma, Laterza, 2010, p. 154-156.

65. VELASCO-PUFLEAU, Luis, « Réflexions sus les rapports entre Musique et Propagande », in

Music and Propaganda in the Short Twentieth Century, Massimiliano Sala (ed.), Turnhout, Brepols,

2014, p. 5.

66. Ceci rejoint la vision que Jacques Rancière à propos du « partage du sensible » et de la

capacité des pratiques de l’art à « contribuent à dessiner un paysage nouveau du visible, du

dicible et du faisable » (RANCIÈRE, Jacques, « Les paradoxes de l’art politique », in Le spectateur

émancipé, Paris, La Fabrique, 2008, p. 84).

67. NONO, Luigi, « Entretien avec Luigi Nono », art.cit., p. 301.

68. LACHENMANN, Helmut, « Touché par Nono », art. cit., p. 184.

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69. NONO, Luigi, « Une lettre de Luigi Nono : “Je suis un musicien militant” », in Écrits, op. cit., p.

347

70. NONO, Luigi, « Un discours sonore », art.cit., p. 233.

71. FAULKNER, William, « The Art of Fiction No. 12 » (interviewed by Jean Stein), Paris Review, n°

12, Spring 1956, (texte intégral en anglais sur http://www.theparisreview.org/interviews/4954/

the-art-of-fiction-no-12-william-faulkner, consulté le 9 juin 2014). Traduction française in Paris

Review. Les Entretiens, Vol. 2, traduit par Anne Wicke, Paris, Christian Bourgois, 2011, p. 236.

72. Extrait du film documentaire Archipel Luigi Nono, produit et réalisé par Olivier Mille, Artline

Films/ La Sept, 1988 (37’27’’-38’04’’). Je remercie Joséphine Markovits de m’avoir fait connaître

l’existence de ce document.

RÉSUMÉS

Au-delà de l’horreur que provoque la guerre en elle-même, certains conflits armés du XXe siècle

ont suscité un grand espoir chez des artistes marxistes engagés dans les luttes politiques

internationales de leur époque. Ce fut notamment le cas du compositeur italien Luigi Nono

(1924-1990). Je propose d’examiner dans cet article de quelle façon Nono place certains des

conflits armés, dont les luttes d’émancipation du tiers-monde, au cœur de son œuvre pour bande

magnétique Für Paul Dessau (1974). De même, j’analyse la relation entre l’utilisation de la

technologie par le compositeur, la pensée politique de ce dernier et les dimensions historique et

esthétique de l’œuvre – notamment dans le contexte de la Guerre froide et de l’idéologie

marxiste. Plus largement, l’ambition de ce texte est de contribuer à la compréhension et à la mise

en perspective du marxisme défendu par Luigi Nono en tant qu’intellectuel et artiste militant au

Parti Communiste Italien (PCI), dans son articulation avec ses idées esthétiques et son activité de

compositeur.

Despite the horror caused by war, some armed conflicts of the twentieth century have raised

great hopes for social justice among Marxist artists engaged in the international political

struggles of their time. Such was the case of the Italian composer Luigi Nono (1924-1990). In this

article, I examine how Nono addresses some of these armed conflicts, such as Third World

liberation struggles, through his work for magnetic tape Für Paul Dessau (1974). I also analyse the

relationship between the composer’s use of technology, his political thinking and the historical

and aesthetic dimensions of this work – especially within the context of the Cold War and the

Marxist ideology. More broadly, this paper aims at contributing to the understanding of Marxism

as advocated by Luigi Nono, as an intellectual and an activist artist in the Italian Communist

Party (PCI), so as to see how it is articulated with his aesthetics and compositional practice.

INDEX

Mots-clés : Luigi Nono, Paul Dessau, musique électroacoustique, conflits armés, marxisme,

idéologie, hégémonie

Keywords : Luigi Nono, Paul Dessau, electroacoustic music, armed conflicts, Marxism, ideology,

hegemony

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AUTEUR

LUIS VELASCO-PUFLEAU

Docteur en Musique et musicologie (Université Paris-Sorbonne) et chercheur post-doctorant à

l’Université de Salzbourg, Luis Velasco-Pufleau a été également chercheur post-doctorant au

Centre de recherches sur les arts et le langage (CRAL) de l’École des hautes études en sciences

sociales (EHESS, Paris) et chargé de cours en musicologie à l’Université de Bordeaux. Ses

recherches portent sur la création musicale contemporaine ainsi que sur les rapports entre

musique, esthétique et politique au XXe siècle.

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Borrowed Tunes. Commando andMorale Booster Songs of RUFFighters in the Sierra Leone WarMélodies d'emprunt. Chants de commandement et de stimulation morale parmi

les combattants du RUF durant la guerre civile de la Sierra Leone

Cornelia Nuxoll

Introduction

1 Situated in music sociology, this article will explore the role of commando and morale

booster songs among Revolutionary United Front (henceforth RUF) combatants in theSierra Leone war of the 1990s. It will look at the tunes that accompanied militarytraining and combat activities and more generally study the role of music to helpgenerate social cohesion and sustain collectivities. Two aspects will be underconsideration here: on the one hand, the article will examine how the songs elicitdesired bodily and cognitive affects advantageous for soldiering. On the other hand, itwill analyse the diverse ways in which songs have been reworked from otherperformance contexts and placed into a conflict setting.

2 The article will look into how music generates beneficial physical and emotional

responses for combatants to create a sense of synchronicity and cohesion duringmilitary exercise and how music instigates zeal and bravery in the fighters. Most of thesongs dealt with in this paper are (partial) contrafacta of Liberian Gio [Dan] songs,which were incorporated from other cultural practices and contexts and already playeda role as motivational songs in the Liberian civil war. Special focus lies on the use, thefluidity, and the formability of the songs, as well as the ingenuity of its performers torecontextualise these songs. By fitting the songs into their war experience, combatantsrender them meaningful despite obvious language barriers and beyond their textualproperties.

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3 The following article will provide some initial information on the war situation in

Sierra Leone and assess the role of Liberian Gio fighters and their songs. By means ofseveral song examples, it will then proceed to investigate the practical use of the rebelcommando songs among Sierra Leonean insurgents.

The Sierra Leonean War: A Brief Account

4 After decades of state decline due to bad governance, political corruption, and

economic failure, the then ruling All People’s Congress (APC) government had slowlybut surely eroded Sierra Leone, thus creating the conditions for a collapsing state. Inparticular, young people experienced the injustices and poor livelihood prospects givenAPC’s self-serving rule, mismanagement, and deterioration of institutional processes.These conditions contributed significantly to and sustained the war, which raged inSierra Leone from 1991 to 2002.1

5 In March 1991, the RUF launched its insurgency into Sierra Leone from neighbouring

Liberia, entering the Kailahun and Pujehun Districts with support from the LiberianSpecial Forces of Charles Taylor’s National Patriotic Front of Liberia (NPFL) rebels whohad launched their own civil war in Liberia in December 1989.2

6 The RUF claimed to liberate the civilian population from a ‘rotten system’, aiming to

overthrow the then ruling APC government. The movement’s moots ‘No more slave, nomore master’ and ‘Arms to the people: power to the people and wealth to the people’criticised patrimonial structures and political clientelism. As stipulated in theirpolitical manifesto, the insurgents demanded democracy, equal opportunities, socialjustice, free health care, and education, and leaned on pan-Africanistic rhetoric withoutever specifying what kind of shape a RUF-run administration would take.3

7 The RUF’s first control sectors in the Kailahun and Pujehun Districts were known core

areas of political opposition and dissent. For this reason, the civilian population wasinitially taken with the RUF revolution and the movement gained at least somevoluntary followers, predominantly young males. Early on in the war, however, therebellion quickly revealed itself to be an abusive movement, which sustained itselfthrough looting, the illicit extraction of diamonds, and forced conscription. Theatrocities, which were inflicted on innocent people, soon resulted in a complete loss ofsupport from the civilian population. The Sierra Leonean civil war is indeed infamousfor its flagrant human rights violations, its signature atrocities of limb amputations,and the widespread forced, coerced, and voluntary involvement of juvenile and childcombatants.

8 Within scholarly discussions, the nature and motivation of the RUF movement is hotly

debated. Certainly, there is a stark contrast between the political claims the rebelsmade and their heinous actions of impunity. The extreme violence towards civilians inthis conflict, the ‘chameleonic character’ and ‘factional fluidity’4 of combatants, and theshift from political overthrow towards the selfish and opportunistic pursuit ofeconomic benefits to prolong rather than end the war5 have played into labelling theSierra Leonean struggle as a ‘senseless war’6 in terms of political reformation,simplifying it as a resource or diamond war which was only driven by greed rather thangrievance.7 The Sierra Leonean scholars Ibrahim Abdullah and Patrick Muana largelydeny the RUF any political agenda and discard its combatants as members of the

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‘lumpenproletariat’, namely uneducated, unemployed youths and thugs.8 When lookingat the Sierra Leonean conflict, journalist Robert Kaplan sees his Afro-pessimisticanalysis of the continent’s demise into brutal wars confirmed, an analysis which socialanthropologist Paul Richards critically coined an emerging ‘New Barbarism’.9 Politicalscientist William Reno and Paul Richards10 see the rise of the conflict as the outcome ofa patrimonial crisis. Moreover, Paul Richards, Krijn Peters and others have argued thatthe high number of underage fighters reflects a ‘crisis of youth’ or an ‘agency of youth’,suggesting that juvenile combatants possess a political consciousness and regardingtheir enlistment, even when coerced, as an opportunity to escape and rectify thepolitical, social, and economic marginalization they felt.11 The Sierra Leonean scholarand political scientist Jimmy D. Kandeh cautions that greed as motivation may haveprolonged the war but it was not decisive to its inception. He sees the Sierra Leoneaninsurrection as a legitimate political struggle, which then evolved into a form ofcriminal warlordism.12

9 All things considered, the RUF movement assembled a heterogeneous group of

combatants with different agendas. Where early voluntary enlistment seemed to bemotivated by grievances, the rebellion became increasingly more brutalized andcriminalized, replacing need and creed for greed as the most crucial element toprolonging the war for exploitative reasons.

10 This article draws on qualitative interviews with former RUF combatants gathered

during fieldwork I conducted in Sierra Leone in winter 2010/2011 and again in winter2011/2012.13 Most of my interlocutors come from the initial incursion areas where theyjoined the RUF movement early on and most of them stayed with the insurgency groupuntil its final days. The majority of men were in their mid- to late teens when theybecame involved in paramilitary activities in the early 1990s.

11 My sample suggests that early recruits were more likely to join the RUF out of political

conviction and perceived grievances than later recruits who were, given the RUF’s needof manpower, primarily forcefully and more arbitrarily recruited. Others may havejoined the movement of their own accord, driven by their own agenda of self-preservation or motives of self-enrichment and power. There also seems to be aconnection between early (voluntary) recruitment and the knowledge of commandosongs, since later events in the war no longer allowed for the forcefully conscriptedrecruits to undergo the same time-consuming military training the pioneers hadreceived.

12 The military training, which early Sierra Leonean recruits undertook, lasted from a

couple of weeks to a couple of months. During this time the new conscripts were notonly subjected to military practices, discipline, and conduct, but were also introducedto the commando song repertory of their training instructors, the Liberian SpecialForces, who were predominantly of Gio origin. In the following, I will briefly describehow the NPFL Gio combatants found their way into the cadre of the RUF insurgency byoutlining some aspects of the Liberian war, which ensued two years before thelaunching of the Sierra Leonean conflict.

Gio Dominance within NPFL Rank and File

13 Nimba County, geographically Liberia’s largest political subdivision and bordering with

Ivory Coast and Guinea, is the home of the Gio (Dan) and Mano (Mah/Man) ethnic

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groups.14 Both ethnic groups are culturally and linguistically closely interrelated. WhenCharles Taylor led his NPFL rebel faction from Ivory Coast into Liberia via Buutuo onDecember 24, 1989 in order to overthrow president Samuel K. Doe, they set up theirfirst paramilitary camp in Gborplay, another border town in Nimba County. BothBuutuo and Gborplay are predominantly inhabited by Gios. Taylor recruited heavilyfrom both Gio and Mano ethnic groups in the area and most high-ranking officialswithin the NPFL insurgency were of Gio origin.15

14 Taylor endeared the hearts of Nimbaians when he claimed to be General Thomas

Quiwonkpa’s successor, drawing on the popular Gio figure who died trying tooverthrow the Liberian president Samuel K. Doe in 1985. The former commandinggeneral of the Armed Forces of Liberia (AFL) Quiwonkpa, often remembered byLiberians as “Tom”, was venerated as a heroic martyr and liberator of his country andmany Liberians hoped for the unlikely outcome that Quiwonkpa had actually somehowescaped Doe’s soldiers unscathed and would return eventually. After Quiwonkpa’sfailed coup, Doe ordered Nimba County to face severe reprisals, since most of the coupplotters were of Gio and Mano origin. These measures only fuelled tensions andperceptions regarding Doe’s preferential treatment of his own ethnic group ingovernment and army, the Krahn. Charles Taylor harnessed the strained relations andfurther ethnicised the conflict by deliberately recruiting from the Gio and Mano ethnicgroups to create somewhat of an ethnic counterweight to the predominantly Krahnarmy loyal to the president, mobilizing the rebellion towards a genocidal campaignagainst the Krahn and their Madingo allies.16

15 Another prominent key figure of Gio origin during the first Liberian civil war was

Prince Yormie Johnson, who served as aide to Quiwonkpa and later as Taylor’s ChiefTraining Officer within the NPFL. In the early stages of the war, however, internalrivalries caused a rift between Taylor and Johnson, who decided to form the breakawayfaction Independent National Patriotic Front of Liberia (INPFL) under his leadership.Being a strong force, the INPFL controlled strategic points within the capital cityMonrovia and they were influential in catalysing the deployment of EconomicCommunity of West African States Monitoring Group (ECOMOG) cease-fire monitoringgroups. In September 1990, Johnson’s men seized, tortured, and murdered presidentDoe. By the end of 1992 however, the INPFL’s role in the conflict had considerablydeclined and the faction eventually dissolved altogether due to internal tensions andlack of consensus regarding their own positioning towards and cooperation with NPFL,ECOMOG, and the interim government.

16 With regard to NPFL rebel factions being predominantly comprised of Gio fighters, both

my Sierra Leonean and Liberian interlocutors stated that the Gio tribe was reputed forproducing great and fierce warriors. Moreover, in comparing the Gio with their closerelatives, the Mano, Gio people are often described as bold, boastful, and speaking upopenly whereas the average Mano man is stereotyped as quiet, contemplative, anddeep, making him less of a fighter as a direct result.

You see wetin [what]..., in Liberia [you] see: there are some tribes in Liberia, theyare war-like people. You see that the Gio, they are war-like people, all their activityna [is] war activity. Yes. They are very brutal. Up to now. (Interview with B., former RUF combatant, Makeni, 30th Dec 2012)

17 Certainly within Liberia, the Gio people are renowned for their musicality and are often

regarded as some of the best singing groups in the country. The supremacy of Gio

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fighters within the ranks of the NPFL clearly shaped the repertory of commando songstowards being Gio dominated, which will become apparent below.17

RUF’s Initial Insurgency and the Involvement of NPFLCombatants in the Sierra Leone War

18 On March 23rd 1991, Liberian NPFL leader Charles Taylor facilitated the RUF’s initial

insurgency, which entered Sierra Leone through the border town Bomaru from Liberiainto the Kailahun District. A second group of rebel fighters invaded Sierra Leone’sPujehun District. It has been suggested that Taylor provided RUF rebel leader FodaySankoh with some of his fiercest NPFL fighters for the RUF invasion. These SpecialForces were mostly of Gio origin.18 Both Taylor and Sankoh had met and undergoneself-defence paramilitary training in the late 1980s in Libya where they had forged amutual agreement to assist one another in the launching of their respective incursions.19

19 Besides securing territory and establishing military camps, the despatched NPFL

Special Forces were assigned the task of training the Sierra Leonean vanguards (whichwas partly done within Liberia already) as well as the newly recruited combatants oncethe rebellion had entered Sierra Leone. Notwithstanding, early on in the war it becameapparent that the Liberian forces neither identified with nor considered the – howeverweak – political agenda of the RUF with regard to their own military conduct. Duringthe interviews, former RUF combatants were eager to point out that it was the Liberianforces within the RUF that introduced the looting of property and the committing ofatrocities against the Sierra Leonean civilians, the very group the RUF had claimed toliberate from the personal rule of the APC government.

Training started. We [the new recruits] were there for one month to two months,they [the NPFL Special Forces] trained us fully in all activities, all rebel tacticswere..., guerrilla tactics were taught, we were brainwashed, we were briefed a littlebit about the ideology. We didn't get the ideology fully from the Liberian guys[however]. Few of the Liberian guys were among them [those who wereideologically driven] of course. I cannot hide this from you. Liberian guys weremore..., you know, I mean, to the front[line] than our Sierra Leonean brothers. Sowe bought [adapted to] their ideology, their guns were behind us, so there was noway for us [to challenge their conduct], so we just have to bow down, subdue andsubmit ourselves. We cooperated, we were trained. The training we've had..., Iadmired the training now because we were physically fit and young men admiredthe training. (Interview with V., former RUF combatant, Freetown, 2nd February 2011)

20 In general, RUF fighters blame the Liberian Special Forces for stifling their

revolutionary efforts at birth. Where it seems that NPFL fighters could initially act withimpunity, over time however, RUF fighters appear to have emancipated and unitedthemselves against the deviating Liberian fighters within their ranks. By the end of1992, RUF combatants had dispelled their Liberian comrades altogether, except forthose who were loyal to their cause. A former RUF combatant who was with the RUFthroughout the whole course of the war echoes these sentiments by saying:

The NPFL [...] were not trained to be political fighters. But the RUF at that momentwas really engaged. They…, we were having a political ideology. And they wereorganised to continue their, the revolutionary operation. Understand? In fact, thatwas one of the reasons why we fought against the NPFL [in order] to drive them

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[out] because they were harassing our [Sierra Leonean] people, you know, kil...,wounding people, killing them, you know, introducing different, different type ofthings in[to] the movement. That was against [...] the RUF [...]. (Interview with F., former RUF combatant, Freetown, 22nd January 2011)

21 However eager they may have been to blame their Liberian colleagues for the

atrocities, circumstances have shown that attacks against the civilian population didnot cease after the expulsion of the Liberian Special Forces. The violent example theNPFL fighters may have provided, the power of the gun to command respect, andrecognition as well as economic incentives of personal gain, may actually have beenmore significant in fuelling the combatants’ actions than adhering to ideology or moraland military conduct after all.20

22 Before tensions between Special Forces and RUF combatants flared up and ultimately

led to the banishment of the Liberian faction, however, the presence and influence ofGio fighters were noticeable on the military training and musical level within themovement.

Music in the Military, Music in War

23 Music has accompanied and stimulated battle and military life for centuries. Historical

records suggest that the use of music as an essential tool to accompany warringactivities dates back to biblical times. Music not only inspires troops for combat, it wasalso used to convey signals and commands on the battlefield and during drill exercises.21 Furthermore, there is general accord that the joint engagement with music endowssocial cohesion and may bring about a shared sense of identity within performinggroups. Musical dissemination and performance is not only a means of expressingsocial grouping, it may constitute, structure, and maintain collectivities.22

24 In their excellent study on music and social movements, Eyerman and Jamison draw on

music as ‘cognitive praxis’, as both knowledge and action, interpretation, andrepresentation. It is this that encourages social solidarity through music:23

Music as experienced and performed within social movements is at once subjectiveand objective, individual and collective in its form and in its effects. Through itsritualized performance and through the memories it invokes, the music of socialmovements transcends the boundaries of the self and binds the individual to acollective consciousness.24

25 Historian William H. McNeill coined the term ‘muscular bonding’ to describe a specific

potency and emotional response in human beings moving together rhythmically indance and drill.25 McNeill draws on his own experiences in the US army in the 1940swhen describing how a prolonged movement in unison such as drill exercises andmarching facilitated ‘a sense of pervasive well-being’, ‘a strange sense of personalenlargement; a sort of swelling out, becoming bigger than life, thanks to participationin collective ritual’.26 McNeill further argues that well-drilled troops are more efficientin combat due to the rehearsing of the actual battle performance as part of the militarydrill. Repetitive work and exercise not only become more bearable but productivitymay actually increase when labour and training are performed rhythmically and as agroup. McNeill observes that by means of emotional bonding through rhythmicmuscular movement, human beings experience the blurring of self-awareness and thefading of individual differences, which in turn foster the strengthening of group

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solidarity and help create the necessary state of mind for whatever joint task is tocome.27

26 Music as part of military activity not only helps to generate eagerness in the fighters

but also directly contributes to the triggering of beneficial physical responses. Music isintrinsic to drill exercise, and joint singing may temporarily unify soldiers in physicalexpression and ideology to persevere, endure hardships, and fight adamantly.28 In herarticle on US soldier songs during the First World War, Christina Gier emphasizes howsongs and the singing of the songs shaped and were supposed to shape the fightingsoldier’s perception and military experience of the war. Through the performing ofmusic, an attempt was made to promote mental, moral, and physical manhood in thefighters, increase their combat efficiency, and regulate the soldiers’ emotions in linewith their military duty. Moreover, group singing was intended to ensure obedienceand self-sacrifice, and ultimately to instil identification with all aspects, implications,and ideologies of war. In this regard, the realities and hardships of war would often beconcealed, obscured, or embellished in and through songs.29

27 Very little research has been done so far on the interconnections of music ‘for war’ and

music ‘in war’ in contemporary African conflict settings. There is for example a vastamount of research dedicated to praise poetry, as well as literature on music as a meansof political expression, protest, and resistance in relation to the African continent, butfew works have directly dealt with (the use of) musical repertoires in contemporaryAfrican war scenarios.30

28 My research is less interested in music analysis of musical pieces that were either

explicitly composed for a warring environment or otherwise found their way into acollection of commando songs considered useful or popular by combatants formobilisation and motivation purposes. Instead, I am interested in examining why

people incorporate music into waging war, what functions music fulfils, and how. Inthis regard, human beings find resourceful ways of applying music and look forqualitative, activating as well as negotiating factors in music, which prompt certainphysical and psychological triggers and responses. Therefore, and by virtue of the factthat there is a lack of publications available with regard to contemporary African warsand the role of music in it, I draw on other conflict examples outside of the Africancontinent, which have been studied for their musical components to demonstrate andsubstantiate how and why people in war use music. The intention is not to compare oreven equate the different wars and conflicts from different cultures and epochs withone another but rather to highlight (without suggesting a typologisation) that similardynamics are at work in situations where human beings are engaged in conflict, andthat music functions to make sense of war and conflict and generate collectiveexperience.

Gio Commando Songs

29 In 1991, NPFL combatants were despatched to Sierra Leone to assist in launching the

RUF insurgency in the neighbouring country. The Gio dominance within the NPFL andtheir role as military training instructors for Sierra Leonean vanguards and newlyrecruited Sierra Leonean Junior Commandos in military camps is the reason why theRUF commando songs were coined and sung in the Gio [Dan] language. Mapping the

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role of Gio commando songs within the RUF rebellion also adds weight to Liberianwarlord Charles Taylor’s substantial involvement in the Sierra Leonean conflict.

30 Apart from conveying basic military and weaponry knowledge as well as conducting

physical exercises, the Liberian training instructors introduced the recruits to the Giosong repertory as part of the commando drill which already played its part in theLiberian civil war under Charles Taylor. A lot of the songs, which had accompaniedNPFL activities, were reapplied as part of the military training of Sierra Leoneanfighters. The pool of songs comprised jogging songs to inspire zeal in the fighters,praise songs for the rebel leadership, songs of advice, taunting songs or revenge songs,and more generally folk songs which weren’t necessarily attuned to the war effort, toname but a few. Unlike the more sophisticated and often figurative rhetoric of praisepoetry and the scholarly understanding of African verbal arts as texts or narratives ofhistory and literature,31 most of the songs presented here are simpler in nature andhave straightforward melodies, catchy tunes, steady rhythms, and easily memorablelyrics. Usually they are based on a typical call-and-response pattern, which allow forinfinite variation and lyrical flexibility in the call phrase followed by the repetitivechoral response.

31 The alternation between variation and repetition not only sustains the piece for the

needed duration but the song structure of soloist and chorus also facilitates groupparticipation and ultimately group identity and solidarity. There is general accord thatactively engaging in music rather than simply listening to and consuming it makes theexperience of the occasion more direct and renders the social context it is performed inmore potent and effective. Thus, music as oral tradition is vital for sustaining Africancommunity life; it is not only a way of aesthetic or artistic expression but itaccompanies social occasions and is often performed in a specific context or social set-up to generate social action.32

32 The Liberian drill and jogging songs are particularly upbeat and correspond well with

the marching pace and other physical exercises of the military training. It isnoteworthy that RUF combatants still remembered quite a number of songs even tenyears after the war was officially declared over. During interviews, only a fewcombatants needed prompting but then immediately recalled the tune and lyrics of thesongs and enthusiastically joined in the singing. In addition, it is significant that theGio songs remained popular with RUF pioneers throughout the whole course of thewar. Despite the fact that incongruities between the Special Forces and the SierraLeonean combatants ultimately led to the expulsion of Liberian fighters within theircadres, it did not entail the dismissal of their songs.

33 Interestingly, only few songs were newly composed pieces and therefore actual

products of the Liberian, let alone the Sierra Leonean conflict. In fact, most songsoriginated from other contexts and cultural practices within Gio society where theywere orally transmitted and regarded as public property. Several songs were part oftraditional folk songs, or, to suggest Klusen’s less controversial term, ‘group songs’[Gruppenlied], including love songs and songs of entertainment; but for the most partsongs were taken from the repertory of competitive and taunting songs as they areused in the context of soccer games, races, and election campaigns.33 A few songs wereborrowed from the Boy Scout movement and found their way into the repertory ofboth the Liberian and Sierra Leonean insurgency.34 The Boy Scout drill song ‘Are you acommando?’ for instance, could easily be incorporated into the war effort as a

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marching song. The soccer song ‘We are qualified’ was originally a competitive songwith insulting lyrics to humiliate one’s opponent. During the war, the song wasredrafted into a song leading up to and eventually marking the successful graduationfrom military training by singing:

Oh, CO [Commanding Officer] Sankoh [RUF rebel leader] yeh, heyDon't you worry, yeDon't you worry, we are qualified We can take a lead, heyTo any battlefrontDon't you worry, we are qualified Oh, we are freedom fighters, hey We are qualifiedDon't you worry, we are qualified35

34 Another popular commando song was ‘E zo lo wah e gay’, a rather poetic Mano (Mah/

Man) song which can be translated as ‘Your heart will hurt in your stomach’. In theMano’s and Gio’s worldview, the heart is the centre of human thinking, and the heart islocated in one’s stomach. Other suggested translations are ‘Your heart will hurt’ or‘You will be frustrated or emotionally hurt’. ‘E zo lo wah e gay’ was popular as a soccercompetition song prior to the war and was sung to announce to the opponent that hewill lose and take the beating in the coming match, thereby intimidating him. Thecompetitive, taunting, and threatening character of the song made it very suitable foradaptation into a war setting.

L: Zo lo, le Ma way! / Your mother’s heart will be frustrated!R: Zo lo! / Your heart will!L: Ay, Foday Sankoh le Ma way! / Foday Sankoh’s mother! [calling her attention]R: Zo lo wah e gay! / Your heart will burn in your stomach[…]L: Oh, tactical commando moving ay! R: Zo lo wah e gay! / Your heart will burn in your stomach!L: When we’re moving tacticallyR: Zo lo! / Your heart will!L: All the fucked up soldiers run away yah!R: Zo lo wah e gay! / Your heart will burn in your stomach![…]L: When we are moving for battlefront ahR: Zo lo! / Your heart will!L: Nobody fuck up, we don’t stop ohR: Zo lo wah e gay! / Your heart will burn in your stomach!36

35 Again, the song allows for infinite variation to narrate tactical manoeuvring and

battlefront experiences. The inflammatory slogans, the boastful character, and thepostulation of strength of their own rank and file are upheld as main themesthroughout the song.

36 The original Mano soccer version predating the war would include lyrics saying ‘Zo lo,

peh li mi leh le maa wee’ (‘Your heart will be frustrated’, addressing a lover’s mother)followed by the response ‘Zo lo wah gay’ or ‘Ay, me leh peh keh peh lah keh o!’ (‘Oh,nothing happens to you if you haven’t done anything’). A different version of ‘E zo lowah e gay’ would for instance focus on another aspect of the war experience and thusname and praise the weapons the combatants were carrying and relying on:

As you are listening to this song, it is just a motivational song when the combatantsare together. Moving, on a battlefield. Even after the battlefield they are [at] base,this song can always be sung by the group as a whole, enjoying themselves. […] It is

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just as I have said, a motivational song. Look at this Zulay limanway:37 [sings] “Zulay,eh my GMG [Grenade Machine Gun] will carry me”. Praising even the weapon thatthey were carrying. Praising even the weapons like the GMG, [sings] “will carryme”. Praising his own weapon, praising the [unintelligible], another heavy weapon. (Interview with V., former RUF combatant, Freetown, 28th January 2011)

37 The practice of borrowing tunes from other contexts and, if necessary, overwriting and

assimilating songs emanating from opponents is not a new phenomenon. Thesubstitution of one text for another without significant changes made to the melody ofa song is known from other historical and social contexts. Agents from other conflictsand wars have made use of established songs in order to appropriate them for theirown cause. Be it because of lack of one’s own compositions or simply seeing the appealand potential of an already established and popular song for their own cause, thecreation of contrafacta38 is an efficient and fast way of disseminating new material in atried and tested form.39 In this regard, Agu points out that the appropriation of songs ismore powerful and direct for reasons of ‘adaptability’, ‘spontaneity’, and disseminationand is thus preferred to absorbing printed works for a warring cause.40

38 As illustrated in his book Battle Hymns on the music of the American Civil war of the 19th

century, historian Christian McWhirther has demonstrated how many of the song lyricswere constantly in flux and went through multiple and lyrical iterations to suit specificsoldier sentiments and situations throughout the course of the war. Even the meaningsof songs seemed to be rather transient, as many songs took on new associations whenthey left their original contexts and were put to use elsewhere. Although the AmericanCivil War produced a lot of new compositions, the factions often made use of existingtunes and furnished them with new lyrics. Similarly, some of the war’s most popularsongs were based on traditional melodies. Sometimes borrowed songs ascended tobecome unofficial anthems but mainly became meaningful pieces due to their ascribedassociations and less so by what they actually said. Regiments would also create theirown songs to give them their personal touch and to commemorate victorious eventsand praise particularly brave soldiers.41

39 When looking at the Sierra Leonean case, the incorporation of Liberian songs did

occasionally involve some adaptations, revisions, and alterations of lyrics to make themfit the war context more accurately. This suggests that they negotiated the songs on acase-by-case basis, sometimes prioritising lyrics over musical structure alone accordingto their respective needs. Some songs literally remained unchanged as they weretaught, whilst other songs were furnished with added lyrics or had entire lines replacedaccordingly. In the latter case, it was a common practice among RUF combatants tohold on to the chorus or main theme of the Gio songs but they would add phrases inKrio, Sierra Leone’s Pidgin English and lingua franca, to lend some personal referencesfrom their own war experience to the songs.42

40 Another prominent adaptation was the Gio song ‘Yah nu neh’ which can be translated

as ‘Why are you not coming?’ or ‘Where are you?’. Originally, it was a casual boyfriend-girlfriend song predating the war. It was sung in Liberian villages and towns in NimbaCounty when one missed his or her lover, adding the name of the person in question tothe lyrics. The song was reworked for the Liberian war and turned into a somewhatlamenting praise song for the rebel leadership. Although it lost its romanticcomponent, the adaptation maintained its mournful character. In the song, thecombatants would ask for the whereabouts of their leader Charles Taylor and other keycommanding officers, showing respect for their superiors and voicing the need for

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guidance in times of their absence. The song structure allows for infinite possibilities ofcalling somebody’s name.

Charles Taylor, yah nu neh? / Why is Charles Taylor not coming?CO Rashid, yah nu neh? / Why is CO Rashid not coming?CO Isaac, yah nu neh? / Why is CO Isaac not coming?[…]Charles Taylor way! / Ay, Charles Taylor!Ka Taylor lorhker! / Let us call Taylor!Ah oh! U do ba seh ber! / Yes! You own the land all by yourself.43

41 The last phrase of the song excerpt affirms and pays respect to Taylor’s dominant force

to seize and control the country. It is noteworthy that this last line of the song was onlyadded during the war to create a more direct link to the on-going struggle.

42 The following two statements illustrate the local transfer of the ‘Yah nu neh’ song to

Sierra Leonean RUF combatants. In the first quote the fighter actually knows themeaning of the song lyrics and is also able to pronounce the words correctly whereasthe second combatant reveals that the song background was unknown to him and hiscomrades. For this reason, the latter contextualized and received the song differently,but by no means was the song less effectively used. As a result of the appropriation, thecall for Liberian rebel leader Charles Taylor was replaced with the name of the SierraLeonean rebel leader Foday Sankoh.

That is Gio language, a Liberian tribe, [starts singing] ‘Foday Sankoh yah nu neh, Foday…’. Sankoh was lost from us for quite some times,44 [sings] ‘eh eh’, when can we findhim? It is the interpretation [translation], it is a Gio music. We had Liberians thatdominated the vanguards, who came to really launch the revolution. But by then,most of the songs we used to sing were originated [originating] from them […]. (Interview with D., former RUF radio operator, Kailahun, 13th Nov 2010)You see, I don't really know the meaning. Foday Sankoh [sings] ‘yah nu nah’, youknow. Sometime when we are happy, like if I went to attack a village or a towntomorrow, then today we will be happy, we'll be singing, we have that zeal to move,in case of any obstacle, we will be happy to clear the obstacle. So as a result we sing,we say [sings] ‘Foday Sankoh, yah nu nah’. (Interview with A., former RUF combatant, Freetown, 17th December 2011)

43 When focusing on the lyrics of the commando repertory, within Liberia the Gio songs

were perhaps already known but were certainly understood by Gio combatants (and Giospeakers more generally) when performed as part of the Liberian civil war.Additionally, the communal origin of the musical pieces may have provided some kindof evocative referral to their Nimba homeland.45 Conversely, the songs’ textual meaningwas – for the most part – literally ‘lost in translation’ and the origin of the songsremained unknown to the Sierra Leonean combatants who were taught the songs aspart of their military training with the RUF. Interviews have shown that the overallamount of former RUF combatants were unaware of what the Gio songs were about, letalone where they came from other than that the Gio Special Forces introduced them tothe Sierra Leonean struggle.46 When asking a former bodyguard of rebel leader FodaySankoh whether the training instructors explained what the lyrics of the Giocommando songs meant or where they originally came from, significantly, he remarked‘No, they do not explain. It [the songs] was only meant to boost the morale’. Thisstatement as well as the numerous descriptions by RUF fighters of how meaningful,powerful, and inspiring the Gio songs were despite the obvious language barrier clearlychallenges the preconception of music only being able to have an impact and convey amessage because it contains lyrics.

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44 Music works as a whole and also because it is performed or consumed within a

particular context. It is a medium that communicates and operates semiotically, thuscalling upon content and meaning beyond its lyrics. Music is rather charged withmeaning due to the subject handling it, performing it, consuming it, andcontextualising it. It is the subject who renders music meaningful because it isembedded within a specific performance context. Music can affect human beingsprecisely because music’s affect is attributable. What is often referred to as the ‘powerof music’ cannot be abstracted from its use. Music should be understood as a devicerather than a simple causal stimulus that human beings turn to in order to gain accessto and trigger emotional experiences and physical responses. Music is widely used toinfluence mood by means of intensifying or releasing existing emotions: it relaxespeople, it helps them to focus or distract them; music energises, comforts, motivates,and inspires.47 When former RUF combatants described how music helped them togenerate a desired bodily conduct to be more focused, to muster zeal, and to cope withtheir fears, their engagement with music did in fact facilitate a state of ‘entrainment’because they ascribed perceived meanings and purpose to the musical material.48 On adifferent level one might argue that the commando songs did “work” as a means ofcreating eagerness and bravery simply because the fighters knew what kind ofemotional responses the songs were supposed to generate in them. Drawing on Frenchpost-structuralist literary theorist Roland Gérard Bathes, Karin Barber suggests thatdealing with ‘text’ (understood as an arrangement of interpretable signs by its users,including music) entails a certain level of engagement, interpretation and social agencyin that it ‘stimulates the reader to do his or her own acts of creation, stimulated but notconstrained by the text’ in order to generate meaning from it.49 Steven Feld echoes thisnotion in saying that ‘all musical sound structures are socially structured in two senses:they exist through social construction, and they acquire meaning through socialinterpretation’.50

45 Although RUF combatants were unable to grasp the meaning of the Gio lyrics, they

perceived the songs as no less effective in terms of motivating them for battle andcreating zeal in them as a preparation for battle. The following two quotes by the sameformer RUF combatant draw on several features mentioned above to do with the imageof Gio combatants and by linking them to the commando songs: their reputation asfierce warriors, their ostensible lack of a revolutionary consciousness when they weredeployed in Sierra Leone and the application of their appealing song repertory whichendowed RUF combatants with bravery and helped them manage emotions of fear:

It [the commando song repertory] was not originated [originally] from SierraLeone. They were Gio but this used to give us energy, zeal. Extra zeal to fight. Youknow, the Gio guys, against all other faith they have but, they are very brave andthey can make you extra-brave when you are going to confront the battle,understand? […] You start picking [up a song], you know, you become zealous. Youcan't be afraid of anything. You can be singing until you enter the [targeted] town.(Interview with F., former RUF combatant, Freetown, 17th December 2011)So you know, […] even [when] we are going to [the] frontline, we used to sing. Thatwas one of the thing[s] of the Liberians I like. They make you brave. For instance,that was, that is the frontline. [points to a building in the far distance] That housethere. From here we start singing, you know? We start singing, even when we openfire, we start singing. So it make[s] you brave, you forget about, in fact that you aregoing to die or whatever. You know, [we forget] that we are going to a dangerousplace. You know. [...] I liked these, these songs.(Interview with F., former RUF combatant, Freetown, 22nd January 2011)

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46 Many of the former RUF fighters stressed the appeal of the songs’ intonation and spoke

of the attractiveness of the ‘Liberian flavour’ or the ‘Liberian twist’ of the Giocommando songs.

47 With regard to the civilian population, the songs’ attractiveness also played a role,

albeit in the Liberian conflict, on another level. Former NPFL fighters and Liberiancitizens reported that in the early days of the war, many civilians unknowingly exposedthemselves to danger and some consequently lost their lives to stray bullets becausethey were captivated by the beautiful singing and dancing of Gio fighters theyencountered which caused them to momentarily forget about the hazards of war.51

48 Although the Gio commando songs were probably less systematically put in place to

thoroughly regulate the Sierra Leonean combatant’s stance than Gier’s examples fromthe First World War suggest, the boastful and confident character of many of themorale booster songs clearly conveyed the image and ideals of relentlessness,fearlessness, and readiness to inflict violence. Despite their apparent lack of ideology,these glorified features of the soldier seemed to be epitomised and realised in the Giofighter. When singing the commando songs of these admired fighters it is possible thatRUF combatants were particularly charged with morale and felt closer to living up tothese ideals. Significantly, the commando songs focused on successful manoeuvres,victories in battle, and praising superiors. In line with obscuring the realities of war,even the shock of casualties was, for soldiers’ purposes, positively transformed intoenticing determination and mercilessness when for example looking at the song ‘Zolowapi zolo’, which will be dealt with further below.

49 The self-defence militia faction of the Mende-speaking Kamajors defending their

communities against RUF attacks had a song called ‘Ma mbolateilo sina’ to announcetheir next attack or the slaughter of captured enemies. ‘Ma mbolateilo sina, ahngiedatete walei sinah oh’ means ‘We have to slaughter tomorrow, very early in themorning. We are going to slaughter’. Both Kamajors and captives considered this songto be very dangerous and potent because of its explicit and brutal nature. Not only wasthe singing of the song a means to gather the troops for the coming bloodshed, captiveswould also be present when their killing was announced for the next day. Significantly,the articulation and execution of violence seems to be made more acceptable whenannounced, wrapped in, and expressed through song.

50 One of the most prominent Gio song examples with RUF combatants was a song that

referred to the importance of magical charms, which would protect the fighters fromharm in battle. The song ‘San n ka u ye goo ba’ can be translated as ‘Miss me, but hitgoe’. Goe is a strong and robust type of hardwood tree, which particularly grows in therain forest of Nimba County.52 Initially, ‘San n ka u ye goo ba’ was a brief chant or shoutwhich was quickly uttered when expecting or facing imminent danger. By exclaimingthis incantation, the speaker is redirecting the danger of bullets coming at him awayfrom himself; instead the bullets will hit the ‘goe’ tree. Moreover, to render theinvocation potent, it is accompanied with offensive speech such as the naming ofprivate parts, which is considered very shameful but adds an effective shock value to it.A former Prince Johnson INPFL recruit and trainee claims that once the statement hasbeen made, the combatant could even walk towards the source of danger unscathed. Itis crucial, however, not to retreat and never to turn one’s back on the source of thegunfire. The warning to not turn one’s back on the enemy is also a recurring theme inseveral Sierra Leonean war songs. The grassroots self-defence faction of the Mende-

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speaking Kamajors had a popular song called ‘Mbawote’, which can be translated as‘Don’t turn your back’. The song warned that the magical protection would cease ifcombatants turned their back on the enemy in combat, but given the factional fluidityof all fighters later in the war, it also meant to caution combatants not to change sidesand collude with opposing factions.

51 A former RUF combatant elaborates on his knowledge and remembers the believed

impact of the song ‘San n ka u ye goo ba’:

[…] For example, in the field, in fact, when the gun sound is heard, you sing ‘zanghaleguwa’,53 that is, that really keeps you alert and that you should not move… youshould not retreat, [it was] inspiring zeal in you, to really to stay in combat in thatsituation. Like that.(Interview with M., former RUF combatant, Kailahun, 13th Nov 2010)

52 There was a body protection in the shape of a charm either going by the same name

‘San n ka u ye goo ba’ or referring to the kind of protective power it occupied. Theseprotections are more generally subsumed under the term ‘bu seay’, which means‘damager’ or ‘destroyer of bullets’. Sometimes the talisman cut into the flesh in which aspecial magical powder was applied to ensure the protection from projectiles. WhenDoe’s soldiers learned that the rebels allegedly possessed magical powers ofinvincibility and invisibility, many of them would desert their posts in fear. The use of‘bu seay’ played such a crucial role during the Liberian war that NPFL combatantswould recruit medicine men among their rank and file to ensure the continuousrenewal and effectiveness of their charms.54 The protective measures were so essentialto the rebel faction that it inspired the composition of a simple song dedicated to thesupernatural powers.

San ka u ye goe ba / Miss me and hit goe!Goe ba lay, goe ba ba goe ba lay! / On goe! On goe! San ka u ye goe ba / Miss me and hit goe!Goe ba lay, goe ba ba goe ba lay! / On goe! On goe!We tire oh Papay55 we tire! / We are tired, old man, we are tired!Soon de morning beating / Soon, in the morning there is beatingPapay we tire! / Old man, we are tired!Early morning jogging / Early in the morning, we are joggingPapay we tire! / Old man, we are tired!56

53 The song excerpt also draws on the arduous and brutalising military training in camp,

which was supposed to desensitise the fighters for combat. The song combines a sungversion of the incantation to conjure up the supernatural powers of the bodyprotections, but also evokes the complaint of hardship.

54 To conclude with a final example, the song ‘Zolo wapi zolo’ was another tune, which

existed as part of village dances and soccer competitions prior to the war.57 In thevillage context, young men and women would negotiate their problematic relationshipsand seek redress and vengeance through song and dance. The dance set-up confrontsthe (former) partner with his or her wrongdoings. Young women might express theiranger in a sexually graphic way, singing ‘You seen me naked, you can’t go like that’ etc.as in ‘you can’t get away with that’. Young males may respond by singing ‘I buy youclothing, you can’t go like that’ etc. In the context of soccer competitions the songcentred on issues of winning and losing the game. The song was particularlymeaningful, when the group singing it had already faced defeat before. The song isbasically a revenge song and its lyrics have been reworked to match the war context,announcing that casualties will be avenged.

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You can’t go eh – no!You kill my motherYou can’t go like thatZolo wa, zolo wapi zoloYou can’t go eh – eh!You kill my fatherYou can’t go like thatZolo wa, zolo wapi zoloYou can’t go eh – no!You kill my pikin [child]You can’t go like thatZolo wa, zolo wapi zoloYou can’t go eh – eh!You kill my people […]58

55 The chorus will join in singing ‘no’ or ‘eh’ and respond with ‘zolo wa, zolo wapi zolo’.

Combatants sang this and other competition songs when they were leaving their base,returning to it, or when rejoicing at the base. Some troops would also sing the songswhile engaging in combat, singing the provocative and daunting songs in the presenceof their enemies.

56 After the end of the Liberian war, the song ‘Zolo wapi zolo’ was reworked once again,

professionally recorded and popularized by pop musician Friday Belleh. Belleh, or‘Friday the Cellphone Man’, as he is known in Liberia, made use of the tune referring topopular culture. In his version of the song, he also sings about love relationships gonesour. Typically, older, established married men sponsor and financially provide fortheir considerably younger girlfriends in return for sexual favours. The song describesthe dynamics of young women exploiting and outsmarting their sugar daddies. ‘Zolowapi zolo’ picks up on this issue and assumes the position of the male part by saying‘You eat [spent] my money, you can’t go like that’, ‘I buy you cell phone, you can’t golike that’, ‘I pay your school fees, you can’t go like that’ etc. Despite the fact that thesong played a prominent role within rebel factions during the Liberian war, the tunepreserved its popular appeal. Belleh neither seems to make any political statement norlean towards rebel sympathy in choosing this tune. Rather the song and its receptionemerged unscathed from its war appropriation and therefore made it suitable for large-scale popularization.

Closing Remarks

57 Music plays an essential role in the creation of a collective experience in conflict

settings, keeping troops motivated, zealous, obedient, and focused. Music frames drilland victories, accompanies provocations, and allows for commemoration and theexpression of sentimental and nostalgic feelings of home and loss of lives. Theexamples of Gio commando songs have demonstrated the diverse ways in which musicwas appropriated and utilized in the Liberian and Sierra Leonean war. Due to theregional and ethnic recruitment of Gio combatants and their later posting to SierraLeone, their song repertory has ultimately coined and dominated the sound of twoinsurgencies.

58 Several processes seem to be in play and need to be differentiated with regard to the

reception of the Gio commando songs. At a basic level, the songs’ musical andstructural properties (catchy, rhythmic tunes, participatory set-up, etc.) allow for a

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general stimulation of ‘muscular bonding’ and ultimately contribute to a shared senseof cohesion through the act of joint singing and moving in unison. The structuralfeatures help to make the songs suitable for the creation of zeal, morale, and solidaritywithin the rank and file. Given the diverse origins of the borrowed songs, this seems tobe achieved irrespective of whether the songs were originally war songs and no matterwhether the lyrics can be understood or not. Although the borrowed tunes stem fromother cultural practices (‘soccer rivalries’ etc.), Liberian fighters applied them in a –albeit considerably more serious and violent – somewhat similar context (‘warrivalries’).

59 The story behind and the process of the songs’ appropriation are unknown to the Sierra

Leonean troops however. But despite the apparent language barrier, the commandosongs can nevertheless be applied as a means to generate zeal and a sense ofcamaraderie because fighters embed and place them within a context of use, namelymilitary training, and more generally, war. The combatants make use of associationsthey ascribe to the songs and in this way transcend the lyrics in order to render thempotent for their own situation. Moreover, they seem to charge and empowerthemselves through songs by drawing on their knowledge of what responses thesesongs are supposed to generate, or, more importantly, what they need them to facilitate.The Gio commando songs, irrespective of whether lyrics were understood, assembledRUF fighters to bond over a shared musical knowledge, which ultimately contributed tothe powerful experience of in-group/out-group dynamics. Due to the connectionbetween the songs originating from the Gio ethnic group and the imagery of the Giofighters’ prowess, Sierra Leonean fighters were particularly encouraged by the songs tofollow suit and match the Gio fighters’ reputation of fierceness, and may even have feltcharged with similar combat skills through the singing of their songs.

60 The adaptation of song material from other cultural practices within Gio society is as

much obvious as it is resourceful. It is noteworthy, however, that the songs’ transferacross geographical and linguistic boundaries did not impair their reception by andeffectiveness with Sierra Leonean fighters. This clearly reveals music’s efficacy beyondits lyrics, content, and origin, and points to human agency and imagery, rather than tomusic’s intrinsic, “universal” properties, to stimulate physical, cognitive, andemotional responses that foster social cohesion.

NOTES

1. For detailed analyses of the Sierra Leonean conflict, its root causes and its account, see

RICHARDS, Paul, Fighting for the Rainforest: War, Youth and Resources in Sierra Leone, Oxford, James

Currey, 1996; RICHARDS, Paul, The Social Life of War: Rambo, Diamonds and Young Soldiers in Sierra

Leone, Track Two 8, No.1, 1999 [online] < http://reference.sabinet.co.za/webx/access/

electronic_journals/track2/track2_v8_n1_a5.htm> [Accessed 12 January 2014]; RICHARDS, Paul,

Against Ethnicity – Some Anthropological Arguments. Conference on Rethinking Ethnicity and Ethnic

Strife: multidisciplinary perspectives, Central European University, Budapest 25th-27th

September 2008; PETERS, Krijn & RICHARDS, Paul, “Youths in Sierra Leone: ‘Why We Fight’”,

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Africa. Journal of the International African Institute, 68 (2), 1998, p. 183-210; HOFFMAN, Danny, The

War Machines: Young Men and Violence in Sierra Leone and Liberia (Cultures and Practice of Violence),

Durham/London, Duke University Press, 2011; PETERS, Krijn, War and the Crisis of Youth in Sierra

Leone, International African Library, Cambridge, Cambridge University Press, 2011; KEEN, David,

Conflict and Collusion in Sierra Leone. Oxford: James Currey, 2005; GBERIE, Lansana, A Dirty War in

West Africa: The R.U.F. and the Destruction of Sierra Leone, London, C Hurst & Co. Ltd, 2005; DENOV,

Myriam, Child Soldiers. Sierra Leone’s Revolutionary United Front, Cambridge, Cambridge University

Press, 2010; ABDULLAH, Ibrahim (ed.), Between Democracy and Terror: The Sierra Leone Civil War,

Dakar, CODESRIA, 2004; TRUTH & RECONCILIATION COMMISSION, Witness to Truth: Report of the

Sierra Leone Truth & Reconciliation Commission, Vol. Three A, 2004, [online] <http://

www.sierraleonetrc.org/> [Accessed 12 January 2014].

2. Other endemic warring factions involved in the Sierra Leonean war were the Sierra Leonean

Army (SLA), the grassroots militia forces eventually subsumed as the Civil Defence Forces (CDF)

established and spearheaded by Mende-speaking Kamajors, and later the Armed Forces

Revolutionary Council (AFRC) junta, joined forces consisting of SLA splinter groups and RUF

combatants.

3. RUF/SL, “Footpaths to Democracy: Towards a New Sierra Leone”, [online] <http://www.sierra-

leone.org/AFRC-RUF/footpaths.html> [Accessed 25 January 2014].

4. TRUTH & RECONCILIATION COMMISSION, op. cit., p. 549ff.

5. KEEN,  David,  op. cit, discusses in detail the dynamics of emerging war economies in low-

intensity conflicts.

6. See for example ABDULLAH, Ibrahim, Between Democracy and Terror, 2004; KING, Nathaniel,

Conflict as Integration. Youth Aspiration to Personhood in the Teleology of Sierra Leone’s ‘Senseless War’,

Uppsala, Nordiska Afrikainstitutet, 2007.

7. For a debate on ‘greed or grievance’ as driving forces in civil wars see COLLIER,  Paul & HOEFFLER, Anke, Greed and Grievance in Civil War, The World Bank Policy Research Working Paper

2355, 2000; COLLIER, Paul, “Doing Well Out of War: An Economic Perspective”, BERDAL, Mats and

MALONE, David M. (eds.), Greed and Grievance: Economic Agendas in Civil Wars, Boulder, Lynne

Rienner, 2000, p. 91-111.

8. ABDULLAH, Ibrahim, “Bush Path to Destruction: The Origin and Character of the Revolutionary

United Front/Sierra Leone”, The Journal of Modern African Studies, 36: 2, 1998, p. 203-235;

ABDULLAH, Ibrahim and MUANA, Patrick, “The Revolutionary United Front of Sierra Leone. A

Revolt of the Lumpenproletariat”, CLAPHAM, Christopher (ed.), African Guerillas, Oxford, James

Currey, 1998, p. 172-193.

9. KAPLAN, Robert D., “The Coming Anarchy”, Atlantic Monthly, February, 1994, p. 44-76; KAPLAN,

Robert D., The Ends of the Earth: A Journey at the Dawn of the 21st Century, New York, Random House,

1996.

10. RENO, William, Corruption and Politics in Sierra Leone, Cambridge, Cambridge University Press,

1995; RICHARDS, Paul, Fighting for the Rain Forest, op. cit.

11. PETERS, Krijn & RICHARDS, Paul, op. cit.

12. KANDEH, Jimmy D., “The Criminalization of the RUF Insurgency in Sierra Leone”, ARNSON,

Cynthia J. & ZARTMAN, I. William (eds.), Rethinking the Economics of War. The Intersection of Need,

Creed, and Greed, Washington, Woodrow Wilson Center Press, Baltimore, Johns Hopkins University

Press, 2005, p. 84-106.

13. I conducted interviews in the provincial towns Kailahun, Bo, Kenema, Makeni, and the capitol

city Freetown. I also interviewed several (former) SLA soldiers, AFRC combatants, members of the

Kamajors/CDF, and war-affected civilians.

14. I am aware of the fact that the terms Gio and Mano are misnomers. However, I will use these

terms in accordance with the terminology used by my interlocutors.

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15. For a detailed account of the Liberian civil war, see e.g. ELLIS, Stephen, The Mask of Anarchy.

The Destruction of Liberia and the Religious Dimension of an African Civil War, New York, New York

University Press, 1999; ELLIS, Stephen, “Liberia 1989-1994: A Study in Ethnic and Spiritual

Violence”, Africa Affairs, No. 94, 1995, p. 165-197; UTAS, Mats, Sweet Battlefields. Youth and the

Liberian Civil War, Uppsala, Uppsala University Dissertations in Cultural Anthropology, 1, 2003.

16. GBERIE, Lansana, War and State Collapse: The Case of Sierra Leone, Theses and Dissertations

(Comprehensive), Paper 30, Waterloo, Wilfried Laurier University, [online] <http://

scholars.wlu.ca/etd/30/> [Accessed 12 January 2014], 1998, p. 73ff.

17. Personal email communication with Liberian Gonwo Tyndale Dahnweih, 11th April 2013. Mr.

Dahnweih conducted several interviews on my behalf in the US with regard to the Gio culture

and more specifically the NPFL/RUF commando songs. Mr. Dahnweih’s Liberian interviewees

confirm the notion of the Gio’s musical superiority. I am very grateful to Gio [Dan] speaker

Gonwo Tyndale Dahnweih, several former NPFL and INPFL combatants and some Liberian

civilians now living in the US who experienced the Liberian war. They provided translations for

as well as valuable background information on the Gio commando songs in question.

18. ELLIS, Stephen, The Mask of Anarchy, op. cit., p. 93.

19. See e.g. KEEN, David, op. cit., p. 37; TRUTH & RECONCILIATION COMMISSION, op. cit., p. 97.

There were more strategic motives at play enticing Taylor to support the RUF rebellion in order

to destabilize the neighbouring country. Sierra Leone’s Lungi airport and naval base was at

ECOMOG’s disposal as an airlift and harbour to launch attacks on NPFL-held zones in Liberia.

Moreover, by providing manpower, weapons, ammunition, and other logistical support, Taylor

secured the financing of his own war through the trafficking of illicit Sierra Leonean diamonds

the RUF issued in return.

20. See e.g. KEEN, David, op. cit. Another important aspect was the lack of political authority

within the movement early on in the war. Due to internal rivalries, the leadership killed

intellectuals and ideologically driven moderates who initially spearheaded the RUF rebellion. For

a discussion to explain the extreme violence of the Sierra Leonean conflict see for example KEEN,

David, “Since I am a dog, beware of my fangs”: Beyond a ‘Rational Violence’ Framework in the Sierra

Leonean War, Crisis States Research Centre working papers series 1, 14, London School of

Economics and Political Science, London, 2002, [online] <http://eprints.lse.ac.uk/28296/>

[Accessed 12 January 2014]; KEEN, David, Conflict and Collusion in Sierra Leone, op. cit.; RICHARDS, Paul,  Fighting for the Rain Forest, op.cit.; RICHARDS, Paul, “Emotions at War: A Musicological

Approach to understanding atrocity in Sierra Leone”, Perri 6, RADSTONE, Susannah, SQUIRE,

Corinne & TREACHER, Amal (eds.), Public Emotions, Basingstoke, Palgrave, 2007; GBERIE, Lansana, A Dirty War in West Africa, op. cit.; ABDULLAH, Ibrahim, “Bush Path to Destruction”, op. cit.

21. See e.g. FARMER, Henry George, Memoirs of the Royal Military Band. Its Origin, History and

Progress. An Account of the Rise of Military Music in England, London/New York, Boosey & Co., 1904,

p. 5ff.; KOPSTEIN, Jack & PEARSON, Ian, The Heritage of Canadian Military Music, St. Catharines,

Vanwell Publishing Limited, 2002, p. 3ff.

22. SHELEMAY, Kay Kaufman, “Musical Communities: Rethinking the Collective in Music”, Journal

of the American Musicological Society, Vol. 64, No. 2 (Summer 2011), p. 349f.

23. EYERMAN, Ron & JAMISON, Andrew, Music and Social Movements: Mobilizing Tradition in the

Twentieth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p. 7, 23f.

24. Ibid., p. 163.

25. McNEILL, William H., Keeping Together in Time. Dance and Drill in Human History, Cambridge,

Harvard University Press, 1995.

26. Ibid., p. 2.

27. Ibid., p. 3, 10, 51f. In his book Imagined Communities, Benedict Anderson suggests the term

unisonance to describe the human experience of simultaneity and unisonality in joined singing

(of, in this case, national anthems) and in so doing, facilitating the ‘physical realization’ of an

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imagined community. ANDERSON, Benedict, Imagined Communities: Reflections on the Origins and

Spread of Nationalism, Verso, London/New York, 2006 [First published in 1983], p. 145.

28. McWHIRTHER, Christian, Battle Hymns. The Power and Popularity of Music in the Civil War, Chapel

Hill, University of North Carolina Press, 2012, p. 13, 114, 126, 136.

29. GIER, Christina, “Gender, Politics and the Fighting Soldier’s Song in America during the

World War I”, Music & Politics, Vol. II, No. 1 (Winter 2008).

30. For publications on music in African conflicts see for instance LADAPO, Olufameni Alexander,

“Martial Music at Dawn, Introits for Coups D’état”, GRANT, M.J. and STONE-DAVIS, Férdia J. (eds.)

The Soundtrack of Conflict. The Role of Music in Radio Broadcasting in Wartime and Conflict Situations,

Hildesheim/Zurich/New York, Georg Olms Verlag, 2013, p. 197-209; AGU, Ogonna, “Songs and

War: The Mixed Messages of Biafran War Songs”, African Languages and Cultures, Vol. 4, No. 1, The

Literatures of War, 1991, p. 5-19. For what are now classic case studies on praise poetry see for

example CHARRY, Eric, Mande Music. Traditional and Modern Music of the Maninka and Mandinka of

Western Africa, Chicago, University of Chicago Press, 2000; HALE, Thomas A., Griots and Griottes.

Masters of Words and Music, Bloomington, Indiana University Press, 1998; ERLMANN, Veit, Die

Macht des Wortes: Preisgesang und Berufsmusiker der Fulbe des Diamaré (Nordkamerun),

Hohenschäftlarn, Klaus Renner Verlag, 1980. For publications on music as politics in African

contexts see for example ANSELL, Gwen, Soweto Blues: Jazz, Popular Music, and Politics in South

Africa, New York/London, Continuum, 2005; TURINO, Thomas, Nationalists, Cosmopolitans and

Popular Music in Zimbabwe, Chicago and London, University of Chicago Press, 2000; ASKEW, Kelly

M., Performing the Nation. Swahili Music and Cultural Politics in Tanzania, Chicago and London,

University of Chicago Press, 2002; OLWAGE, Grant (ed.), Composing Apartheid. Music for and against

Apartheid, Johannesburg, Wits University Press, 2008; OLANIYAN, Tejumola, Arrest the Music! Fela

and his Rebel Art and Politics, Bloomington, Indiana University Press, 2004.

31. BARBER, Karin, “Text and Performance in Africa”, Bulletin of the School of Oriental and African

Studies, University of London, Vol. 66, No. 3, 2003, p. 324-333; COPLAN, David B., “History is Eaten

Whole: Consuming Tropes in Sesotho Auriture”, History and Theory, Vol. 32, No. 4, Beiheft 32:

History Making in Africa, 1993, p. 80-104; BARBER, Karin (ed.), Readings in African Popular Culture,

Bloomington, Indiana University Press, 1997.

32. See for example, classic albeit generalising works on the study of African music such as

NKETIA, J. H. Kwabena, “The Musical Heritage of Africa”, Daedalus, Vol. 103, No. 2, Slavery,

Colonialism, and Racism, Spring 1974, p. 151-161; NKETIA, J. H. Kwabena, The Music of Africa, New

York/London, W. W. Norton & Company, 1974; CHERNOFF, John Miller, African Rhythm and African

Sensibility. Aesthetics and Social Action in African Musical Idioms, Chicago and London, University of

Chicago Press, 1979.

33. Agu states that in the Biafran war, songs were adopted from Igbo traditional war songs and

from Christian song repertoire. AGU, Ogonna, op. cit., p. 8. Eberhard Fischer’s article on the role

of Dan masquerades in rural Liberia suggests that competitions such as races and wrestling play a

vital role in Dan community life, despite or even more so in peacetime. Youth competitions take

place in an attempt to outdo one another in sporting, music, and dance, or by joining secret

societies to emerge victorious and more prestigious than the opponent. FISCHER, Eberhard, “Dan

Forest Spirits: Masks in Dan Villages”, African Arts, Vol. 11, No. 2, 1978, p. 16-23+94. Nketia gives

some general examples of contesting, boastful, and judicial songs in other African societies and

provides, in more detail, a Ghanaian example of a yearly festival, which allows for publicly

articulating criticism, insults, and aggression through song. See NKETIA, Kwabena, “The Musical

Heritage of Africa”, op. cit., p. 153. For Klusen’s discussion of the term folk song [Volkslied] see

KLUSEN, Ernst, “Das Gruppenlied als Gegenstand”, Jahrbuch für Volksliedforschung, 12. Jahrg., 1967,

p. 21-41.

34. There were also some Sierra Leonean commando song compositions, but they were few in

number compared to the Gio commando songs, which remained popular with the pioneering

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recruits throughout the whole course of the war. The Mende composition ‘Jigbikormah, kwei

mugbwah wei’, however, is one such example. The song keeps fighters alert by saying that ‘There

is no sleep in war because the war has displaced us’. The song also echoes sentimental feelings

regarding the repercussions of the war. Another Sierra Leonean composition draws on a Temne

(an ethnic group in Sierra Leone) proverb. The song ‘Empty bag cannot stand’ voices the

combatants’ complaints to their superiors for having received poor rations.

Elsewhere (NUXOLL, Cornelia, “‘They listened to it because of the message.’ Juvenile RUF

Combatants and the Role of Music in the Sierra Leone Civil War”, BRAVO, Gwyneth & HARBERT,

Benjamin J. (eds.), Music of War. Global and Transnational Perspectives, London/New York,

Routledge, 2014 [forthcoming]), I have discussed the role of roots reggae music among RUF

combatants as a means of legitimising their active involvement in the war. RUF fighters linked

their felt injustices to themes raised in reggae songs. Peddie et al. suggest that the consumption

of reggae music may already serve as a means of political participation and resistance. See

PEDDIE, Ian (ed.), The Resisting Muse: Popular Music and Social Protest, Aldershot, Ashgate, 2006.

35. Link to song excerpt via soundcloud stream available online: http://snd.sc/18ob0v5

36. L marks the lead singer’s lines, R marks the choral response.

37. This is again the Sierra Leonean spelling and pronunciation of the Gio song ‘E zo lo wah e

gay’.

38. See e.g. SADIE, Stanley and TYRELL, John, “Contrafactum”, The New Grove Dictionary of Music

and Musicians, Second Edition, Vol. 6, Claudel to Dante, Grove, Macmillan Publishers Ltd., p.

367-370. The recorded use of contrafacta dates back to the 12th and 13th century. Oettinger shows

how Protestant reformers of the 16th century were keen on providing befitting music to draw

more followers and bestow their church services with appropriate musical accompaniment. They

borrowed extensively from sacred Catholic music and secular pieces. See OETTINGER, Rebecca

Wagner, Music as Propaganda in the German Reformation, Aldershot, Ashgate, 2001.

39. See also M.J. Grant’s contribution Pathways to Music Torture in this very issue.

40. AGU, Ogonna, op. cit., p. 5.

41. McWHIRTHER, Christian, op. cit., p. 2f., 16, 62f., 75, 82. Similarly, in the 20th century, the

National Socialists borrowed extensively from the 1920s song repertoire of the socialist labour

movement (Arbeiterbewegung) as well as lansquenet songs and pieces from the German scout

movement (Bündische Jugend and Wandervögel). The Nazis were aware of advantages of using songs

already known to the general public from other political and cultural contexts. Not only could

they easily and swiftly disseminate their political agenda, they would also be able to undermine

the efforts of political adversaries by disappropriating their songs. See DITHMAR, Reinhard, “Das

‘gestohlene’ Lied. Adaptionen vom Liedgut der Arbeiterbewegung in NS-Liedern”, NIEDHART,

Gottfried & BRODERICK, George (eds.), Lieder in Politik und Alltag des Nationalsozialismus, Frankfurt

am Main, Peter Lang, 1999, p. 17-34.

42. An obvious example of lyrics changes as a result of the local transfer from Liberia to Sierra

Leone would be changing the names of NPFL commanding officers and control zones located in

Liberia to Sierra Leonean rebel key figures and strongholds in their respective country.

43. Link to song excerpt via soundcloud stream available online: http://snd.sc/17ni23w

44. During the war years, RUF leader Foday Sankoh frequently travelled to different rebel

strongholds and commuted between Sierra Leone and Liberia. From March 1997 to 1999, he was

taken under house arrest in Nigeria and held in custody for weapons violations.

45. Agu makes a similar claim stating that the adopted war songs for the Biafran war

contextualised events by providing them with a link to the historical past, thus lending more

credibility to the songs. AGU, Ogonna, op. cit., p. 6.

46. Several former RUF combatants described how they had developed their own ideas about

what the songs possibly meant and applied their own associations to them while singing.

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47. DeNORA, Tia, Music in Everyday Life, Cambridge, Cambridge University Press, 2000.

MIDDLETON, Richard, Studying Popular Music, Milton Keynes, Open University Press, 1990;

DeNORA, Tia, After Adorno. Rethinking Music Sociology, Cambridge, Cambridge University Press,

2003; DeNORA, Tia, Music-In-Action. Selected Essay in Sonic Ecology, Aldershot, Ashgate, 2011;

SLOBODA, John, “Empirical Studies of Emotional Response to Music”, JONES, Mari Riess &

HOLLERAN, Susan (eds.), Cognitive Bases of Musical Communication, Washington, American

Psychological Association, 1992, p. 33-46; SLOBODA, John, Exploring the Musical Mind: Cognition,

Emotion, Ability, Function, Oxford, Oxford University Press, 2004.

48. DeNORA, Tia, Music in Everyday Life, op. cit., p. 94ff.

49. BARBER, Karen, “Text and Performance in Africa”, op. cit., p. 324. Emphasis in original.

50. FELD, Steven, “Communication, Music and Speech about Music”, Yearbook for Traditional Music,

Vol. 16, 1984, p. 7.

51. Personal email communication with Liberian Gonwo Tyndale Dahnweih, 11th April 2013.

Music’s impact was apparently not tactically used in Liberia to attract civilians or win them over

for the rebel cause. In Sierra Leone however, RUF combatants sometimes used reggae songs to

underline their political agenda and possibly gain voluntary followers this way. Conversely, later

in the war, they also played popular local Bubu music as a means of sound blasting and as a

strategy to lure citizens out of their hiding places for easy capture.

52. Other spellings for ‘goe’ could be ‘goo’ or ‘goh’. Interlocutors with a NPFL or INPFL

background suggested that ‘goe’ could also be substituted for ‘guor’, meaning rock.

53. ‘Zangha leguwa’ is the spelling literate RUF combatants provided for this song. Since they are

not native Gio speakers, this is their version of what ‘San n ka u ye goo ba’ sounded to them like.

54. Keen reports an incident where NPFL fighters deployed in the Sierra Leonean insurgency

lashed out against local medicine men who refused to provide charms and bulletproof talismans

for them, but willingly prepared them for the opposing civil defence groups. KEEN, David, Conflict

and Collusion in Sierra Leone, op. cit., p. 39.

55. ‘Papay’ generally is a respectful form of addressing a senior. It was used as a courteous and

affectionate name for both rebel leaders Charles Taylor and Foday Sankoh.

56. Link to song excerpt via soundcloud stream available online: http://snd.sc/1hhE3Ch

57. The Liberian interlocutors were unable to provide a translation for ‘Zolo wapi zolo’.

Apparently it is not a Gio [Dan] phrase, although the song is well known among Gio speakers. The

phrase ‘Zolo wapi zolo’ probably stems from another Liberian ethnic group, which my Liberian

contacts could not specify further.

58. Link to song excerpt via soundcloud stream available online: http://snd.sc/1fFovwB

RÉSUMÉS

Cet article explore le rôle des chants de commandement et de stimulation morale au sein du RUF

(Revolutionary United Front/ Front Uni Révolutionnaire) durant la guerre au Sierra Leone des

années 1990. En me fondant sur les résultats de mes recherches récentes, je m’intéresserai aux

airs qui ont accompagné l’entraînement militaire et les activités de combat. D’une manière plus

générale, il s’agira d’étudier le rôle de la musique dans la construction de la cohésion sociale et

dans le renforcement des collectifs. L'article examine les moyens par lesquels les chansons

provoquent des réactions physiques et émotionnelles utiles au soldat et analyse les différentes

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façons dont les chansons ont été réinvesties en situation de conflit depuis d'autres contextes. La

majorité des chants dont il s’agit sont des contrafacta (partiels) de chants du peuple libérien Gio

[Dan], provenant d’autres pratiques et contextes culturels et ayant déjà joué le rôle de chants de

motivation durant la guerre civile libérienne. L’article se concentre particulièrement sur les

usages de ces chants, sur leur fluidité et leur propension à être transformés ainsi que sur

l’ingénuité dont font preuve les interprètes qui les recontextualisent. En mettant les chants en

adéquation avec leur expérience guerrière, les combattants les rendent signifiants malgré

d’évidentes barrières linguistiques et au-delà des particularités des textes.

This article explores the role of commando and morale booster songs among Revolutionary

United Front (henceforth RUF) combatants in the Sierra Leone war of the 1990s. Based on recent

research findings, it looks at the tunes that accompanied military training and combat activities

and more generally examines the role of music to help generate social cohesion and sustain

collectivities. The article examines how songs elicit beneficial physical and emotional responses

advantageous for soldiering and it analyses the diverse ways in which songs have been reworked

from other performance contexts and placed into a conflict setting. Most of the songs dealt with

are (partial) contrafacta of Liberian Gio [Dan] songs, which were incorporated from other

cultural practices and contexts and already played a role as motivational songs in the Liberian

civil war. Special focus lies on the use of, the fluidity and formability of the songs, as well as the

ingenuity of its performers to recontextualise these songs. By fitting the songs into their war

experience, combatants render them meaningful despite obvious language barriers and beyond

their textual properties.

INDEX

Mots-clés : guerre civile de la Sierra Leone, RUF, NPFL, chants de commandement,

chants de stimulation morale, musique et texte, musique dans la guerre, contrafactum

Keywords : Sierra Leone war, RUF, NPFL, commando songs, morale booster songs,

music and text, music in war, contrafactum

AUTEUR

CORNELIA NUXOLL

Ethnomusicologue et anthropologue social spécialisée sur la musique de l’Afrique sub-

saharienne, Cornelia Nuxoll est membre du groupe de recherche « Music, Conflict and the State »

à l’Université Georg August à Göttingen en Allemagne, qui se focalise sur le rôle de la musique

pour promouvoir, faciliter et perpétuer des réponses violentes à des situations de conflit.

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Pathways to music tortureLes voies de la musique comme torture

Morag Josephine Grant

NOTE DE L'AUTEUR

I gratefully acknowledge the research assistance of Mareike Jacobs, Anna Papaeti andStephanie Leder in collating some of the sources I draw on here.

1 In the history of torture, the period since the Second World War is in many ways

marked by contradictions. On the one hand, the atrocities of the 1930s and 1940sprecipitated moves towards an international legal framework for preventing andpunishing torture: this was a further step in a trend away from the use of torture thatreaches back at least as far as the eighteenth century, and which in the period since1945 was closely related to the increasingly influential role of civil society. On the otherhand, the use of torture has persisted and, in some cases, reemerged, often inapparently “new” forms that seek to mask the very fact that we are dealing here withtorture in a strict sense at all. It is in this context in particular that the use of music asan instrument of torture has come into focus – specifically, as employed by US securityforces in the so-called “War on Terror”.1 As several studies and investigations haveshown, this and other torture practices used alongside it can easily be placed in alonger history of developments in military and security strategy in the 1940s-1950s,particularly with regard to so-called “sensory deprivation” techniques, which I willdiscuss in more detail below. This, however, is only one of many pathways to theextensive use of music as a form of torture and cruel, inhuman and degradingpunishment, especially since this can take many forms (it is by no means limited tosubjecting prisoners to constant loud music played through loudspeakers orheadphones) and has a much longer and broader history than many accounts suggest.Studies of music in National Socialist concentration camps have demonstrated theoften systematic use of what Juliane Brauer terms musical violence,2 to take just themost well-researched example. The use of certain forms of forced singing not only tohumiliate prisoners of war, political opponents and others, but also as a particularly

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perfidious form of self-inflicted violence, has been reported in this context and manyother more recent ones besides. But the history is longer still, and is just onecomponent of a relationship between music and punishment, including the severestforms of punishment, that stretches back almost certainly as far as documentation ofany sort exists.3 Closer analysis of the circumstances and apparent functions of music inall these cases reveals the need for a broader understanding of what might constitutemusic torture, and also for research into this topic to be placed against a broaderhistorical background.

2 In this essay, I will attempt to trace some of these pathways to music torture both

synchronically and diachronically. They will lead us into considerations of such topicsas the role of music in the military, developments in security strategy and technologysince the late nineteenth century, the function of music in social and politicalmovements, and the relationship between music and humiliation. Sometimes causalconnections will become apparent; in many cases, however, we may be left feeling thatpractices of music torture arise spontaneously, even naturally. These pathways –sometimes converging, sometimes running in parallel – thus bring into focus importantaspects of the social structure of torture, the social functions of music, and arelationship that becomes more logical the longer we observe it. Nevertheless, many ofthe observations given below retain the character of hypotheses. In this sense, thepathways outlined are indications of where future research might need to go, as well.

Music as Torture

3 Most forms of torture do not need much explanation for us to understand why they are

torture: being beaten repeatedly on the soles of ones’ feet, having electric shocksadministered to one’s genitals, having healthy teeth pulled without anaesthetic, orbeing stretched beyond the body’s natural limits on a rack – these are tortures we canimmediately comprehend; even thinking of them makes us wince. Music torture isdifferent. There are certainly a number of obvious reasons why music is used in thecontext of torture, some of which will be discussed in more detail below: to cover thesound of screams, to further humiliate and degrade prisoners. That such uses of musiccould themselves impact on prisoners in a manner that is in any way comparable to thetypes of torture just mentioned – that music can be part of the main event and notmerely an accompaniment – is however by no means self-explanatory. This is perhapsone of its appeals to the torturers.

4 That we know of music’s efficacy as an instrument of torture is due in large part to

testimonies from survivors. How people react to music in the context of torture is asindividual as with any other type of torture; thus, the use of music to torture shouldnever be viewed as the lesser of many potential evils simply because not all survivorsgive it the same weight. Testimonies provided by survivors of torture from Uruguay inthe 1970s provide a lesser-known but very telling example of this. The context was aperiod of military rule lasting from 1973 to 1985, and which was marked by widespreadand grave human rights violations including arbitrary detention, torture, anddisappearances. A set of six signed affidavits made before a notary public in Mexico bypolitical refugees from Uruguay, statements translated and published by AmnestyInternational, describe various methods of torture inflicted at a number of locationsand by a number of security service and military divisions. The most frequently

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recurring types of torture are “standing” (being forced to stand for anything up toseveral days), hooding, the technique known as “submarine” (now more generallyknown by the American term, “waterboarding”) and the application of electric shocks,as well as hitting and kicking. Two of the survivors mention that radio and/or recordswere played at high volume at some locations. One of these two survivors then goes onto mention what happens when he was transferred to what he terms a concentrationcamp:

We were subjected to the following tortures:The noise of MUSIC played. Day and night very loudly. “SUBMARINE”. They placed a plastic or muslin bag over our heads and tied it roundthe neck. We suffocated through having no air or being submerged in water orexcrement.“STANDING” (Planton).4 Standing with our legs and arms wide apart, for hours,being hit on the legs, the kidneys and the stomach.ELECTRIC SHOCKS. A rubber truncheon of American manufacture, about 60centimetres long, with an aluminium stud, through which the current istransmitted.SUSPENSION. By the thumbs or arms, for hours or days.PSYCHOLOGICAL TORTURE. Very loud music. The detainees who were in aparticularly poor state of health were placed near where tortures were beingcarried out, so that they might know what would happen to them.5

5 Striking in this excerpt is not only that constant loud music is the first of the torture

practices listed, but that it is mentioned twice, the second time as the main method ofpsychological torture. None of the other six statements mention a similar use of music,though this could be because the practice may not have been used at all facilities. Theuse of music as a method of psychological torture is, however, mentioned in anothersource from Uruguay, namely the testimony given by a survivor to the UN HumanRights Council and published in its conclusions to the complaint he brought against thestate of Uruguay; it relates to a period of torture in April 1976:

The method chiefly used in my case was mental torture. For many hours at a time Icould hear piercing shrieks which appeared to come (and perhaps did come) froman interrogation under torture; the shrieks were accompanied by loud noises andby music played at a very high volume. I was repeatedly threatened with tortureand on several occasions I was abruptly transferred to other places, amid threatsand ill-treatment.6

6 Both these descriptions (the second more than the former) connect psychological or

mental torture chiefly to the sound of music, screams, and loud noises. Neither givesinformation on the music used, nor a definitive answer to the question of how themusic affected them, particularly as compared to other sounds and to the noise ofscreams presumably coming from (or supposed to come from) other victims (it is notoutside the bounds of possibility that the two men concerned knew that loud music isoften used to cover the sounds of torture).7 Other sources, particularly in statementsfrom former prisoners of US detention camps at Baghram, Guantánamo Bay and others,go into more detail on the effects of constant loud music.8 Testimonies gathered fromsurvivors of torture in Greece only a couple of years before the example cited fromUruguay also describe the impact of music and noise during interrogations andbeatings but also between them.9 The similarity of the historical circumstances and thetechniques used in these and other cases will be a starting point for many of thepathways discussed below.

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7 Before moving on to these, however, a few words are necessary on the framework

behind this discussion, particularly as it concerns what is meant here by “music”, butalso what is meant by torture. In this article, I use terms such as “music,” “musical,”and “musical practice,” amongst others, in a broad sense which I feel is necessary bothto tease out the multifarious social significances of the practices concerned but also toget away from a focus on music as a specifically (and even exclusively) sonicphenomenon of relative structural complexity. The result of this is that in thisdiscussion, “music” may cover the whole gamut of human musical expression, from therhymes chanted by children at play (see Pathway 4) through to music in ceremonialcontexts and works of art, but – especially in the form of the adjective “musical” – canalso be extended to help us interpret other forms of communication and expressionthat demonstrate musical qualities (see particularly the discussion of the interrogationscene from the film Songs of War, below, Pathway 5).10 As a social musicologist, Iimplicitly view music as integral to and constitutive of human social relations; musicalactivities and practices imply relationships between human beings, help express thesebut also, in many cases, form and consolidate these relationships.11 In addition, severalof the practices and phenomena that I describe in this essay are necessarily not torturein the strict sense, though many of these certainly are instances of what the languageof human rights calls cruel, inhuman and degrading treatment or punishment (CIDtreatment). In human rights law, torture is grouped together with and prohibitedalongside CID treatment in recognition of the connections; human rights advocates areincreasingly pointing to the necessity of preventing CID treatment as a necessaryprerequisite for preventing torture.12 The very widespread practice of forcing prisonersto sing demonstrates neatly why, in the specific case of music torture as well, it isnecessary to extend the discussion beyond torture proper. Forced singing has onlyrarely been the topic of musicological investigations and other writings into what iscalled music torture, which have tended to focus on more technologised practices suchas subjecting people to constant music through loudspeakers (similarly, the approachto this topic at all is often highly technologised or even aestheticised). Not all examplesof forced singing occur in contexts and reach a severity that can be classed as torture,though they still constitute a violation of prisoners’ rights.13 But like many of thepractices I discuss, music bears a potential in conjunction with or as a method oftorture which can only be understood through looking at other phenomena, practices,and traditions. The discussion below, therefore, should by no means be understood asan attempt to dilute definitions of torture generally or music torture specifically.

Pathways to music torture

8 The pathways outlined below indicate on the one hand that the historical relationship

between music and torture is long, on the other that there are numerous social,political, legal and technological reasons why the use of music in connection withtorture may have increased over the course of the twentieth century. Due to thecomplexities involved, these pathways are not given in any sort of chronological order.We will start, however, with a pathway highly relevant for the most famous of therecent cases.

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1. The “sensory deprivation” pathway

9 In the brief hiatus between the end of the Second World War and the beginning of the

Cold War, a committee set up by the newly founded United Nations began to draft adeclaration aimed at preventing further wars and armed struggles not least bypromoting and protecting what came to be seen as universal rights of all human beings.14 The result was the Universal Declaration of Human Rights (UDHR), which was passedby the General Assembly of the UN on 10 December 1948, one day after the Conventionon the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide. Though itself not legallybinding, the UDHR became the cornerstone of a still-expanding universe ofinternational treaties and institutional structures aimed at delineating and overseeingthe protection of the rights laid out in that document. Within this complex field ofinteracting and mutually conditional human rights, certain rights are viewed, in thelanguage of jurists, as non-derogable: that is, they apply absolutely and in all situations.These include the right to life, the prohibition of slavery, and the prohibition of tortureand cruel, inhuman, and degrading treatment or punishment.

10 The absolute prohibition of torture found in the UDHR and in the conventions which

build on it, not least the Convention Against Torture (CAT) of 1984, can be seen as thereiteration of a principle already accepted (in principle, at least) in many countries nolater than the nineteenth century. Whether this principle had led to a real decline inincidences of torture, or merely pushed them underground, is however a moot point.15

At the very least, though, the prohibition of torture in the UDHR can be seen as a clearsign of a general moral consensus on torture as cruel and inhuman. And somewhatironically, the moral and legal power of such a consensus is evidenced even in the factof attempts to sidestep the prohibition, including by experimenting with forms oftorture which for a long time were not considered as such. Similarly, what is sometimestermed “no touch torture”, by putting a crucial distance (from the point of view of thetorturers) between them and the victim, can be seen as a further way to facilitate whatwas clearly an illegal and highly immoral act.

11 This, then, is one of the starting points for the development of new methods of torture

in the 1950s and 1960s that necessitated no direct physical violence on the part of thetorturer and yet produced exactly the kind of destruction of the subjectivity of thevictim that is characteristic of torture generally. The development of these techniquesis in every way related to the Cold War, first as a reaction to the apparent use ofbrainwashing in the Soviet Union and in China, and then in the form of training offeredto dictatorships and military regimes seen to be combating socialist or communistelements in their own countries (which is one reason why similar methods emerge indifferent countries at broadly the same time).16 As Alfred McCoy has explored in detail,the starting point was an extensive programme of research carried out by psychologistsin the USA, Canada and Great Britain, in some cases apparently with covert fundingfrom the CIA, which examined the impact of what was variously termed sensory

deprivation or perceptive isolation. In experiments ostensibly geared at understanding arange of psychiatric disorders including schizophrenia, participants in the experimentswere subjected to a range of measures aimed at ensuring they could have nomeaningful sensorial interaction with their environment through sight, touch, orhearing.17 Measures relating to the last-mentioned could take one of two approaches:enclosing the subject in an anechoic chamber, or alternatively using a constant noise of

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a frequency structure and amplitude designed to mask any other noises. The formertechnique is taken to have been adopted from experiments carried out in the SovietUnion which may have been the impetus for the experiments carried out by the USgovernment and its allies. Given the technical difficulties but also the limitations ofanechoic chambers, it is understandable why the latter measure would prove to bemore useful (anechoic chambers, as John Cage famously described, do not actuallyprevent audition of any noise, since in this environment the subject can hear the noiseof bodily processes normally not audible in any other situation).18

12 It is now well-known that practices clearly related to these experiments were used

extensively not only by the US and British governments, but through them – in theform of training programmes, but also by simple example – in many other countries aswell. Long before similar techniques came to international attention in connection withthe “War On Terror”, they had triggered public controversy and legal campaigns whenused against at least fourteen prisoners in Northern Ireland. The so-called “fivetechniques” as they came to be called in connection with this case, included standing,hooding, sleep deprivation, withholding of food and drink, and subjection to noise.19

Responding to that controversy in the form of an inquiry overseen by three peers, it isnotable (and in retrospect, astounding) that the majority decision adopted by two ofthe three referred to the techniques’ extensive use across a whole host of formerBritish colonies from the 1950s onwards as justification for their continued, if limited,use.20 When the case came before the European Court of Human Rights, the Courtdecided that the measures did not constitute torture in the strict sense, but certainlywere a form of inhuman and degrading treatment, thus also representing a violation ofthe European Convention on Human Rights.21 More than twenty years later, the UNCommittee Against Torture came to a different conclusion, stating in the context of theregular reporting foreseen for parties to the Convention, in this case reports fromIsrael, that methods including “(1) restraining in very painful conditions, (2) hoodingunder special conditions, (3) sounding of loud music for prolonged periods, (4) sleepdeprivation for prolonged periods, (5) threats, including death threats, (6) violentshaking, and (7) using cold air to chill [...] constitute torture as defined in article 1 ofthe Convention [Against Torture]”, particularly “where such methods of interrogationare used in combination, which appears to be the standard case”.22

13 The Israeli case specifically mentions the use of loud music, but as the Uruguayan

example cited earlier shows, this was by no means a recent development. And while theexamples discussed above refer to only one of the two basic forms of music torture –subjection to music rather than being forced to perform – the very widespread use ofvarious forms of forced singing, which will come into more focus in the discussion ofother pathways, can also be understood within this nexus, since methods of sensorydeprivation were often used in conjunction with stress positions, the commondenominator being that all are practices of so-called “no-touch torture”.

14 These are only some of very many reports of loud music used in the context of torture

that can be found from the 1970s onwards. Whether or not there was an upsurge insuch specifically musical techniques at exactly this point is difficult to tell, not leastsince most of the easily available sources for this research stem from institutions andorganisations – most notably Amnesty International – which began workingextensively on torture around this time. More concerted research on the immediatelypreceding period is therefore needed if we are to establish with any certainty at what

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point music entered into this equation, and whether or not it did so along a direct pathfrom sensory deprivation experiments or via other routes.

15 This leads us, however, to a more fundamental question: Why music? Some have argued,

and some survivors of this form of torture have concurred, that at some point constantloud music stops being music and is simply noise.23 So why music? Why music instead of,or as well as, any number of other types of noise which are unbearable even for shortperiods, the types of noise that immediately trigger in us the reaction to cover our ears,the type of noise the very thought of which triggers a physical reaction in us? There areseveral obvious answers to the question, including the matter of convenience –recordings may be available, a sound generator not; also, and as already mentioned, insome of these cases the primary use of music seems to have been to mask the evidenceof torture, either acoustically or, vis-à-vis the jailers, psychologically. 24 There is apressing need for more research on this question, which would consider not only themore recent known cases – here, meaning from the 1970s onwards – but also olderexamples as well. What this essay will try to do is suggest some further hypotheses onthe basis of existing research on related topics; my conclusion, in fact, will be that farfrom being surprising, the relationship between music and torture runs deep. It istherefore time to look at some other pathways, including some which will lead us toconsider examples from much earlier eras as well.

2. The military tradition pathway

16 The use of music to accompany torture and corporal punishment, particularly in public

and semi-public contexts, has origins that lie long before the twentieth century, as canbe seen in the case of practices surrounding crime and punishment in Europe from theMiddle Ages up to roughly the era of the Enlightenment. Drumming in particular was afrequent accompaniment to executions, for example, and it is likely that other forms offormal or informal music-making, or closely related activities, characterised this andsimilar public displays of punishment as well. As most famously discussed by Foucault,the path of criminal justice in general since the eighteenth century has moved awayfrom the spectacular and towards the custodial.25 Yet even where it is forced into thecriminal underground, torture often retains many aspects of these earlier and mostpublic practices. Moreover, the trend towards prohibition took longer in some casesthan in others, so that there may even be seamless connections between older andnewer forms of punishment, particularly when we extend the discussion to otheraspects of social organisation in the groups in question.

17 This is particularly the case when we look at the role of the military. In Britain, flogging

was only fully outlawed in the military in the 1880s, a significant time after suchpunishment had been prohibited in civil criminal law.26 In many countries acrossEurope, there was a close and long-standing relationship between music and militarydiscipline and punishment; in some cases, this even extended to military drummersbeing charged with inflicting corporal punishment on their comrades, as well as theplaying of particular music at execution ceremonies and at what in English are stillknown as drumming-out ceremonies, when soldiers were dismissed from the army indisgrace. Drumming-out ceremonies cannot be classed as torture, but the ceremony assuch and the role of music within it was designed to humiliate the disgraced soldier,with the playing of the “Rogue’s March” and a not uncommon practice of his being led

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out of the barracks on a leash held by the smallest drummer-boy available. Suchpractices were fairly standard by no later than the second half of the eighteenthcentury. In such cases, music marks the importance of the occasion, not least since avital function of these ceremonies was to serve as an example to others. I will discussthe use of music to humiliate, and as a symbol of dominant forces later. First, however,it is necessary to focus on larger issues of military organisation as these relate todevelopments in the security strategy of states from the later nineteenth century thatwould prove definitive and dreadful in the period to follow.

18 This development concerns a change in attitudes to civilian populations in a situation

of war, a change that is interesting for historians of torture not least by virtue of theconclusions it draws about the nature and identity of enemies of the state, and how todeal with them. One of the most obvious testimonies to this change is the development,in several different contexts in the last years of the nineteenth century, of what werecalled concentration camps – a new way of organising and controlling “enemy”populations by collecting them all in one place; it was a practice that from the verystart resulted in horrific mortality rates. Drawing on various sources including Isabel V.Hull’s study of the German Imperial army up to and including the First World War,Jonathan Hyslop has argued that the emergence of more and more brutal practicesagainst civilian populations in colonial regions at this time was tied inextricably to theincreasing professionalisation of European armies in the same period.27 The firstconcentration camps developed as a direct result of scorched earth policies used by theSpanish in Cuba, the British against the Boers in South Africa, the Germans in South-West Africa, and the USA in the Philippines; guerrilla warfare tactics used by some inthe populations affected often became the justification for attacks on the civilianpopulation, who were cleared or concentrated into camps set up for that purpose. Thisdevelopment underlines an attempt on the part of the commanding officers concernedto draw a distinction between the “barbarian” types of warfare practiced by the otherside, and the types of “civilized” warfare which – so they claimed – were the only realspace in which the newly developed Hague conventions on the treatment of prisonersof war and civilians in wartime could be applied. There is an obvious and disturbingcontinuity between such rhetorical attempts to side-step international law and therhetoric of the Bush administration in the US, which classed suspected terrorists asneither civilians nor prisoners of war for exactly this reason.28 Such tactics are all toocommon: justifications for the use of torture are very often built on a similar logic, byarguing for an exceptional use of torture while upholding a general prohibition,29 andespecially by classifying the victims as somehow outside of the normal social contract,either because they are hardened criminals, or simply because they are deemeddangerous on account of their national or ethnic background (the use of internmentpractices in wartime, like the early concentration camps, is one example of this;genocides, too, are often justified internally on these terms).

19 The importance of the development of camps such as these for the present discussion

lies in the musical practices that, sometimes, went with them. Again this is an areawhere more historical and comparative work is needed, particularly to expand theexisting basic data set that we have from studies into National Socialist concentrationcamps and the Soviet Gulag. Taking the former case as an example, however, it isstriking how closely some of the official musical practices mirror their use in militarycontexts. Thus, we see what are to all intents and purposes military-style camp bandsthat play during role-call and while prisoners were marching to forced labour sites;30

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the use of forced singing in some of these contexts may also be based in part onmilitary traditions of singing as an essential part of training and drill, which becamefirmly established in the French and US armies during the First World War.31 Alsoanalogous to earlier military traditions, camp bands too played during executions, andin the context of torture and other forms of corporal punishment. As Caplan andWachsmann point out in their introduction to a recent overview of histories of theconcentration camp system, camps of all types were incredibly prevalent in NationalSocialist Germany, and reflected central tenets of the NS ethos regarding thepromotion of the collectivity over the individual.32 A connection back to systems ofmilitary organisation can be traced here as well, not least if we consider theirsignificance as models for youth organisations in the late nineteenth and earlytwentieth centuries (and it is perhaps not irrelevant here that music played a key rolein German youth organisations, a role that became even more exaggerated underNational Socialism). Moreover, research has pointed to the more general role ofmilitary role-models in various aspects of social and political life, including in thestructure and organisation of prisons, from the nineteenth century.33 And this is beforewe even consider the fact that so many of the examples we have of torture in thetwentieth century, and the use of music in that context, come from militarydictatorships, or situations where prison guards and interrogators are themselvesmembers of the military.

20 An Amnesty International report on torture in Turkey published in 1985 provides other

evidence of why this is relevant. The report indicates extensive use of forced singing –mostly of marching songs – in prisons there. Generally, this happened in brief periodseach day when prisoners were taken out into the open air, often immediately beforethey were subjected to violent physical beatings. The example below demonstrates thatthis type of “drill” was itself often used as a form of torture. Describing eleven monthsspent in Baǧlar prison, one survivor said

The torture and violence here was even worse than in the police centre. Torture inthe Baglar Prison became continuous and systematic about three or four monthsafter the military takeover. Commandos took the prisoners out to the yard for airand made them go on all fours for hours on end and sing military marching songs.Then they beat and tortured them, again for long periods, with whatever they couldlay their hands on: truncheons, sticks, iron rods ... After these “airings” many of theprisoners were carried into the dormitories unconscious. [...] If a prisoner did notshout or march well enough, did not sing the marches loudly enough or did notcrawl properly, he was beaten right there and then in the presence of the otherprisoners until he collapsed or fell unconscious.34

21 There are thus many plausible routes via which music could enter prison camps and

other detention facilities as an extension of military traditions and practices. In theGulag, in internment camps, and in the NS concentration camps, musical practices andactivities were by no means limited to such contexts, and may not necessarily orinitially have been motivated by the type of abject cruelty which often developed out ofthem. In such implicitly dehumanising contexts as these, however, – and indeed, in thecontext of armed conflict generally – any musical practice undergoes significantsymbolic transformations which makes it amenable to use as a form of torture and CIDpunishment, as the next pathway will explore in more detail.

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3. The political communication pathway

22 As just discussed, the use of torture in the twentieth century is very frequently linked

to, or justified by, the perception of a threat to the state by political opponents, rebelgroups, or terrorists. This is not infrequently extended to cover anyone ostensiblyconnected to these by virtue particularly of birth, heritage, nationality, ethnicity, orreligion. It thus becomes clear that how people are identified, how they identifythemselves, and how this identity is communicated, is as important with regard to thedynamics of torture as it is central to the larger-scale political conflicts that providethe context.

23 The relevance of this factor for the subject of music torture has to do with the musical

repertoires involved. Discourses on music and torture, like discourses on music andviolence generally, very often lapse into a neoplatonic focus on genres perceived to beparticularly aggressive or violent because of their formal structure, their lyricalcontent, or both. (Or to put it more brutally and openly: they focus in the first instanceon heavy metal and rap). A survey of known examples of the use of music in connectionwith torture and CID punishment points to discrepancies between this and the realityof how music (and which music) and violence are connected. Very often, the choice ofmusic used in the context of torture is very pertinent indeed, not however because ofparticular abstract structural qualities, but for reasons related to what the musicrepresents in the framework of the conflict in question. This is the reason why we findso many references to prisoners being forced to sing either their own songs or thesongs of those who are maltreating them,35 and this is likewise the reason why theimpact of this form of treatment may go beyond the most direct physical consequencesassociated with such practices. It is also likely the reason why survivors may rememberand specifically refer to such incidences when recounting what has happened to them.

24 Such a use of music presupposes that the connections between the groups in question

and the songs that they sing, make others sing, or are forced to sing, are both strongand well-known. That what Ernst Klusen terms “group songs” are often associated withvery strong emotional responses on the part of those singing them, is a mainstay ofresearch into the social functions of song and singing, and is by no means limited topolitically-defined groups.36 The concerted use of song in political and socialmovements, and to help delineate political entities and institutions up to and includingthe nation state, has roots in the importance of song as a medium in pre-literatesocieties but also becomes more prominent and more potent since roughly the mid-eighteenth century, for various reasons related to developments in generalcommunications, and the emergence of new forms of network and new types ofpolitical agency within those contexts.37 And the more important a song is for apolitically-defined entity, the greater the possibility that it be used in contexts relatedto, and in some cases culminating in, torture.

25 There are two main reasons why this is the case. The first links in neatly with the

previous section’s discussion of the role of camps and other institutions and policiesgeared to controlling, or even eliminating, from a society elements within it deemeddangerous or useless. Re-education programmes are common in this context, andmusical practices and activities often form a central component of these. In the case ofboth the NS concentration camps and the Soviet Gulag, music served several functions,including the attempt to portray the camps as spaces for cultural development rather

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than sites of maltreatment, illness, and death (this is another example of the way musiccan be used to try and mask evidence of torture, over and above masking the auditoryevidence of victims’ screams). The idea that music can be morally edifying may or maynot be the initial or official reason for its integration into reeducation programmes; theactual manner of deployment of music in such contexts may however fly in the face ofthis. Systems of what is called reeducation are rarely limited to exposing prisoners to“improving” elements: they are about imposing state ideology and doctrine, andsystematically breaking down opponents to the point at which they no longer pose anythreat. Indeed, it was the potential of other methods, particularly drugs, to this endthat led to experimentation on mind control on both sides of the Iron Curtain discussedpreviously.38 The use of music, and particularly forced singing, is often a lesssophisticated version of the attempt to impose a state ideology on a resistant person,but in many cases a method used systematically and cruelly, as suggested by recentreports on the treatment of followers of Falun Gong in the People’s Republic of China.39

The line between music and music torture in situations of “reeducation” can in somecases depend very much on the individual, with certain prisoners drawing strengthfrom the opportunities they had to make or hear music, others however regarding thisas a form of torture.40 It should be noted, as well, that the situation of imprisonment inparticular, or punishment and discipline more generally,41 mark off such programmesfrom the use of music as a tool of political education in other cases: as with music andtorture generally, the impact cannot be separated from the context within which thepractice occurs.

26 The second reason why forcing people to listen to or sing politically charged music

lends itself to use as a method of torture becomes very obvious when we look at otherexamples as well, not least where the enforced music is related to the identity of theprisoners themselves rather than songs related to the dominant ideology in the case inquestion (the “reeducation” excuse simply does not work in these cases). Such usesbring us, almost in conclusion, to two very general observations on the nature oftorture that explain in a much more general if deeply disturbing sense why there is, infact, nothing at all surprising about the use of music in such situations.

4. The humiliation pathway

27 Human rights standards implicitly link torture with what it terms “cruel, inhuman and

degrading treatment or punishment”. What exactly is or is not covered by these latterterms is a subject of some debate, though generally speaking the range of situationsand practices understood to fall into this category is expanding.42 Relevant for our owndiscussion is that while torture is generally considered to be a particularly grave form,torture is always cruel, inhuman, and degrading. Humiliation and mockery are almostinvariably part of the picture.

28 This is also very true of the way music is used, or referenced, in this context. An

interesting example of this is presented by some types of torture instruments thatappear to have been widespread in the later Middle Ages, including what is sometimescalled “the flute of shame”: this is a metal device with a hoop that is placed round theneck of the victim, whose hands are inserted into an opening in a long piece of metalprotruding from it, much in the manner in which a musician would hold a clarinet,oboe, or recorder. The curved “bell” at the end of the instrument is only decoration:

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the instrument is not hollow and no sound is omitted from it. The screws theinstrument features are not ornamental, however; presumably, they would begradually tightened until the victim’s fingers were broken.43

29 Instruments such as the “flute of shame” and another in the general shape of a fiddle

are far from music torture in the sense discussed here, yet are intrinsically connectedto it by virtue of the common denominator of mockery and humiliation in the contextof torture. Whether it takes the shape of a medieval flute or the form of a group ofprisoners forced to sing and dance in front of their captors,44 humiliation and crueltyare linked here in a way they are not, or not necessarily, in a number of other customsand practices in a much larger field of connections between music, discipline, andpunishment in different societies and subsections of those societies; these include localand traditional systems of justice that use music and song in the context of shamingpractices that are central to the way the society functions.45

30 These are only some of the ways in which music, mockery, and humiliation are

connected across the world, including in formalised and informal uses of musicalcommunication to mock and poke fun at others. One of the most obvious of these alsopoints to just how fundamental this relationship may be. This is the musicalisation oftaunts, jibes, and insults inflicted typically by children on other children, sometimes informs that are playful and humorous, but also in the much more serious context ofbullying. Research into both prosocial (e.g. playful) and antisocial (e.g. bullying) formsof teasing interaction amongst younger children points to the prevalence ofemphasised and repetitive speech and “singsong” intonations in marking suchinteractions (something to which most of us, I suspect, can relate). Many of these areharmless, and in the views of some researchers may even have an important role toplay in socialisation and language acquisition.46 Nevertheless, this connection and inparticular the power relationships that develop in the non-harmless versions,particularly in the protracted and oftentimes psychologically devastating form ofbullying, bring us to another and final pathway.

5. The power performance pathway

31 Torture is more than the infliction of extreme violence. The definitions favoured in

international human rights law point to several other factors that can be regarded ascrucial for an understanding of what torture actually is and how it functions. Inaddition to its relationship to cruel, inhuman and degrading punishment, take forexample the fact that the definition given in the Convention Against Torture limitstorture in the legal sense to acts perpetrated by agents of the state.47 This delimitationis by no means completely unproblematic, since it provides potential loopholes notleast in situations where there are power struggles within a state and the torture iscommitted by parties not actually in power at the time concerned. Human rightscampaigners know only too well, however, that the fact that torture is being carriedout by an agent of the state is by no means irrelevant to the experience of the personbeing tortured. For if the state, with its monopoly on violence and its duty to protectme, treats me in this way, to whom can I turn? Who can save me? The fact that, as JohnConroy points out, torturers are very rarely brought to justice (the state protects itsown), only serves to underline this point.48

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32 The relationship that exists between the torturer and the tortured, a relationship

marked by the complete and absolute power of the former over the latter, is thereforeone of the most definitive aspects of torture. And in a face-to-face situation such asthis, how such relationships are formed, reformed, and expressed depends on a numberof performative factors that give the cues to what is happening. A scene, or rather twolinked scenes, from the award-winning documentary Songs of War may help clarify this.49 The film follows the American songwriter Christopher Cerf, most well-known for hiscreations for the American children’s programme Sesame Street, as he attempts tounderstand how and why music – his own included – came to be used as an integralpart of torture practices in US detention camps in the “War On Terror”. In one scene,Cerf meets a former US interrogator, Mike, at his home and discusses with him thefeatures of what has been euphemistically termed “enhanced interrogation”, includingsubjection to music. Cerf then asks if he can experience something of what Mike isdescribing directly. In preparation for this role-play, Cerf is given a hood to wear, andMike dons a mask. The scene cuts; in the new scene, we see the two men in the samesetting as before, but their relationship to one another is utterly transformed.Testimony to this is not only the costumes they wear – the hood, the mask – but thespeech patterns that guide their interaction. Mike speaks emphatically, and loudly: hisvoice has lost the constant modulations and subtle inflections of normal speech and hastaken on the heightened and exaggerated tones of an expressive and angry outburst.Cerf may only speak when spoken to, and may only say what is expected of him. Theirinterplay, too, becomes heightened and exaggerated, as evidenced by the emphatic useof repetition:

M.: Alright stupid. Listen, I got a few rules for you before you go down with me. Doyou hear me?C.: I hear you. M.: First thing and last thing out of your mouth is “Sir”, do you understand that? C.: Yes, Sir.M. First thing and LAST thing out of your mouth is “Sir”, do you understand that? C. Yes, Sir.M. Try “Sir, yes Sir!”, dummy!C. Sir, yes sir. M. Goood! Second thing: Always have your palms out, do not ball a fist at me, or I’llthink you’re trying to hit me. If I thing you’re trying to hit me, I’ll rip your f***inghead off, do you understand me?C. Yes sir.M. Try “Sir, yes Sir!”, dummy!C. Sir, yes Sir! M. Good Lord, we got a dumb one ... Next thing, never be taller than I am tall, doyou understand that? C: Yes Sir. M. Why are you taller than I am tall? Are you taller than I am tall right now?C. No sir. M. You’re not? You look taller than I am tall! <places hand on top of C’s head).<pause>C. Shall I get down, Sir?M. Very good, dummy. C. Okay, Sir.

33 I have transcribed the dialogue here, but suggest readers consult the relevant passage

in the film in order to follow essential aspects of the delivery.50 For it is exactly thecombination of tone of voice, pitch, rhythm, repetition, and gesture – categories which

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can equally be applied to the analysis of musical communication – which are so tellingin this exchange. A heightened and obviously performative interaction such as thisdemonstrates only too well that verbal and musical communication are often onlydifferent stages on a discontinuous but nevertheless connected spectrum. When talkingabout the typical characteristics of situations of teasing and bullying amongst children,the connection is very obvious; socio-linguistic work on this topic takes the use ofrepetition, singsong, and other types of what I would term “musical” communication topresent cues as to what is going on in the situation. In other cases, the use of musical ormusicalised communication in similar contexts of scapegoating and mocking similarlymark off what is happening and may also indicate the importance of the situationconcerned. Where such situations become an entrenched part of a culture’s system ofjustice (“culture” here can refer to such things as military culture, already discussed)the fact that acts of humiliation and even violence are embedded in the performance ofa ritual, and thus legitimated by them, may make it easier for individuals to justifyparticipation in acts which, in another context, would be subjected to very differentsocial sanctions. That the performance discussed above is almost theatrical is thus byno means only because of the media representation of it: Mike is obviously acting out arole, but there is no reason to presume he would act it differently in a real situation ofinterrogation. The performance thus serves a dual function: to intimidate the prisoner,and to distance the interrogator psychologically from what he is doing.

34 Many readers may find interactions such as the one I have just described, and the

preceding references to the singsong voice adopted by children in teasing, as too farremoved from what they regard as music in the strict sense to be of relevance in anarticle discussing the use of music as torture. But even if we are to follow the centuries-old tradition of distinguishing, quite distinctively and emphatically, between differentmodes of human communication, expression, and interaction, rather than looking attheir interconnections, it is not difficult to find other more obviously musicalmanifestations as well. Since structures of state-sanctioned power and dominance lie atthe heart of the relationship between torturer and tortured, and since music oftenplays a key role in performing and constituting these structures both in the public eyeand in personal experience,51 music and torture, it would seem, are not so far removedfrom each other after all.

35 The most important point here is a more general one. Music torture is perhaps unique

amongst tortures in that it potentially brings benefits to the torturer simultaneouslywith pain and suffering for the prisoner. The word benefit seems a strange one to use inthis case: its meaning is relative to the situation in which the torturer finds themselves,a situation in which they are to deliberately and remorselessly inflict excessive violenceon a defenceless human being. They therefore have to overcome not only social andcultural, but possibly also more ingrained biological and emotional resistances toinflicting violence.52 Many of the ways in which music is used in the context of torture,including but not limited to its being played as a sort of soundtrack to violence, can beunderstood at least in part as a technique for facilitating or helping legitimise theseacts. Generally speaking, there is a pressing need for more research into the use ofmusic in the immediate preparation of violence, and at the moment of violence itself, inorder to elaborate and test the fundamental theory governing this section – namely,that musical acts and practices in the broadest but also in the more narrow sense can

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become techniques used by humans to overcome any inhibitions they have aboutinflicting or condoning acts of great brutality.53

Conclusion: Pathways Out

36 This article has consciously adopted a broad understanding of what constitutes music,

musical communication, and a musical activity or practice, as an essential prerequisiteto covering not only the many types of connection that exist between music andtorture, but also as a way towards understanding the history and logic behind theseconnections. It has discussed at least two fundamental forms of music torture, namelythose in which music is inflicted on the subject (by being played from recordings, or bymusicians at the sites of torture and ill-treatment) and those in which the music isproduced by the subject themselves (typically in the form of forced singing). The use ofmusic in connection with torture must, I argue, be situated within a broader discussionnot only of torture generally but also of the role of musical activities and practices inother contexts of disciplinary and punishment rituals, including but not limited tosevere forms of corporal punishment. The potential of music to humiliate and mockdetainees is suggested as one of the prime reasons for recourse to music, and thusemphasises that both the choice of music actually used, and its impact, cannot belimited to discussions of abstract structural qualities of the music; for the same reason,a conflation of music with other techniques of what is often termed sonic warfare is notsufficient if we want to understand more about the dynamics involved in this or anyother form of musical communication. More research on all of these topics is necessary,however, particularly with regard to the longer history of this phenomenon, and with aview to establishing not only the effects of music torture on the victim, but also on thetorturer.

37 It may be that the use of music in connection with torture has become particularly

prominent and widespread in the period since roughly the mid-twentieth century, notjust – this is important – because of developments in sound recording and reproductiontechnologies, but also, as explored above, because of many other developments in thekinds of wars we fight, and against whom, and because of changes in the way that wethink about torture and the impact of international campaigns against torture. Linkingthe pathways above would likely be media and communication pathways not limited todirect example and army instruction manuals, and these are pathways which, if themetaphor be allowed, develop over the course of the twentieth century intoinformation superhighways.54 By the same token, it is also clear that amongst the manyuses, functions, and effects of music in connection with torture, the connectionbetween music and all forms of cruel, inhuman, and degrading punishment is a morefundamental one. For all these reasons, there are as many potential pathways awayfrom music torture as there are leading towards it: these might include establishingguidelines on the use of music in detention, adjustments to existing legislation andinterpretations of that legislation, increased public knowledge, and improved humanrights training for public officials and members of the security forces. Experiencedcampaigners will read this list, however, and conclude that ultimately all these pathslead to a much bigger Rome indeed. For the historical evidence suggests that as long asthere is torture, there will be music used in the service of torture. The answer, then, is

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easy to say, but less simple to achieve: Show me a world without music torture, and Iwill show you a world without torture.

NOTES

1. See particularly CUSICK, Suzanne G., “‘You Are in a Place That is Out of This World’: Music in

the Detention Camps of the ‘Global War on Terror’”, in Journal of the Society for American Music,

2/1, 2008, p. 1-26; WORTHINGTON, Andy, “A History of Music Torture in the War on Terror”,

available at http://www.andyworthington.co.uk/2008/12/15/a-history-of-music-torture-in-the-

war-on-terror/, accessed 29 January 2012.

2. See particularly BRAUER, Juliane, Musik im Konzentrationslager Sachsenhausen, Berlin, Metropol,

2009; FACKLER, Guido, ‘Des Lagers Stimme’: Musik im KZ; Alltag und Häftlingskultur in den

Konzentrationslagern 1933 bis 1936, Bremen, Temmen, 2000; FACKLER, Guido, “Music in the

Concentration Camps 1933-1945” in Music and Politics 1/1, 2007 , http://www.music.ucsb.edu/

projects/musicandpolitics/archive/2007-1/fackler.html, accessed 29 January 2013.

3. The examples I list below go back only (!) as far as the European Middle Ages, and most relate

to a period from the later nineteenth century onwards. These are likely to be only the tip of the

iceberg, however. As I have explored elsewhere, the connection between music, discipline, and

punishment that has existed in military contexts from at least the late seventeenth century very

probably has roots in much earlier practices, and may derive in part from Biblical sources.

GRANT, M. J., “Music and Punishment in the British Army in the Eighteenth and Nineteenth

Centuries”, in the world of music (new series), vol. 2/1 (June 2013), special issue Music and Torture |

Music and Punishment, guest editors M. J. Grant and Anna Papaeti, p. 9-30.

4. “Planton” was the name frequently given to this technique in Latin America at this time.

5. AMNESTY INTERNATIONAL, Affidavits on Torture in Uruguay. Statements Made Before Notary Public

in Mexico City by Uruguayan Victims of Torture, London, Amnesty International, 1978. For ethical

reasons I have chosen not to state the name of the person concerned.

6. UNITED NATIONAL HUMAN RIGHTS COMMITTEE, Raúl Cariboni v. Uruguay, Communication No.

159/1983, 27 October 1987, section 4. The UN committee decided in this case that the complainant

had indeed been tortured, though they did not specify to which aspects of his treatment this

judgment applied.

7. A survivor of torture in Guatemala who spoke to Amnesty International provides another

example, probably dating from 1980: “I should also add that when the men were torturing

someone, so that the soldiers should know absolutely nothing about what was going on inside,

they would put tape-recorders on at full blast and make it sound as though they were singing.

That’s why when someone screams, when they are torturing him, these screams are simply not

heard outside. They just hear the music they’re playing”. Interestingly, this comes in response to

a question on how the survivor had known they were being held at an army installation; amongst

other things, the survivor had heard “bugles and the shouting of the officers who were training

the recruits”. AMNESTY INTERNATIONAL, Guatemala: A Government Program of Political Murder,

London, Amnesty International, 1981, p. 18.

Recognition that music could be used to this end is no new thing. In a nineteenth-century article

in The Times relating to flogging in the British military an anti-flogging campaigner is reported to

have claimed that the sound of loud drumming coming from an army barracks was designed to

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cover the screams of a man being flogged; this was disputed by some military figures. See GRANT,

M. J., “Music and punishment in the British army in the eighteenth and nineteenth centuries, art.

cit.

8. See e.g. CUSICK, Suzanne G., “‘You Are in a Place That is Out of This World’”, art. cit.

9. See PAPAETI, Anna, “Music, Torture, Testimony: Reopening the Case of the Greek Military

Junta (1967-74)” in the world of music (new series), vol. 2/1, op. cit., p. 67-90.

10. “Musical qualities” could include, but are not limited to, melodic or emphasised tonal

structure (including in speech), rhythm and repetition, coordinated movement, certain forms of

gesture. It should go without saying that categories such as these are not necessary and sufficient

conditions for music.

11. Discussions about what music “is” have a tendency to either be unwittingly specific or

unnecessarily vague: steering a course between these two extremes is difficult. The reader might

therefore want simply to hold on to the fact that in my view, reducing music to its sonic/acoustic

dimension is an impoverishment that does not even begin to convey the complex mediations of

all musical practice, and which may very often lead to aporias and contradictions in discussions

about music. For an in-depth exploration of related issues see e.g. FUHRMANN, Wolfgang,

“Towards a Theory of Socio-Musical Systems: Reflections on Niklas Luhmann’s Challenge to

Music Sociology”, in Acta musicologica 83 (2011), p. 135-159, and FELD, Steven, “Communication,

Music, and Speech about Music”, in Yearbook for Traditional Music 16 (1984), p. 1-18.

12. See for example FOLLMAR-OTTO, Petra, Die Nationale Stelle zur Verhütung von Folter

fortentwickeln! Zur völkerrechtskonformen Ausgestaltung und Ausstattung, Deutsches Institut für

Menschenrechte, 2013, available at http://www.institut-fuer-menschenrechte.de/uploads/

tx_commerce/

Policy_Paper_Die_Nationale_Stelle_zur_Verhuetung_von_Folter_fortentwickeln.pdf, accessed 8

July 2013, especially p. 6-10.

13. See “‘Human Rights Have Made a Difference’: An Interview with Manfred Nowak”, in the world

of music (new series), vol. 2/1, op. cit., p. 91-98, especially p. 96.

14. Histories of human rights often trace a trajectory back to, amongst other things, the

American Bill of Rights, the French Declaration on the Rights of Man, and even to the English

Magna Carta. The result is often a picture of human rights as a western development, indebted to

the spirit of the Enlightenment. This is however not a fair representation of the history of human

rights nor indeed of the demographies of the committee which drafted the Universal Declaration

of Human Rights. See GLENDON, Mary Ann, A World Made New: Eleanor Roosevelt and the Universal

Declaration of Human Rights, New York, Random House, 2001. According to Glendon, the central

intellectual figures were the Chinese philosopher Peng-chun Chang, and Charles Malik, likewise a

philosopher, from Lebanon; she also points to the contributions made by, amongst others, the

Pulitzer-prizewinning Filipino journalist Carlos Romulo and Hansa Mehta from India, who was a

strong proponent of effective recognition of the rights of women in the Declaration, and who also

pushed for legal measures to ensure the Declaration could be enforced.

15. EINOLF, Christopher J., “The Fall and Rise of Torture: A Comparative and Historical Analysis”,

in Sociological Theory 25/2 (2007), p. 101-121.

16. McCOY, Alfred, A Question of Torture: CIA Interrogation From the Cold War to the War on Terror,

New York, Metropolitan Books, 2006.

17. See for example SMITH, S. and LEWTY, W., “Perceptual Isolation Using a Silent Room”, in The

Lancet 2/7098 (1959), p. 342-345, who draw in their introduction on research conducted at McGill

University and Princeton. Subjects in this experiment reported various disturbances including

panic attacks, and in one case hallucinations; some subjects asked to leave the experiment after

only six hours. I have included this reference due to the general availability of this article,

published in one of the world’s leading medical journals; references to further literature can be

found in McCOY, op. cit. The Kubark Counterintelligence Interrogation manual, issued by the CIA in

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1963 and now widely available online, refers directly to the results of experimental work on

sensory deprivation conducted at a number of institutions. As the authors of the manual write, “a

principle source of aid today is scientific findings. The intelligence service which is able to bring

pertinent, modern knowledge to bear upon its problems enjoys a huge advantage over a service

which conducts its clandestine business in eighteenth century fashion. It is true that American

psychologists have devoted somewhat more attention to Communist interrogation techniques,

particularly ‘brainwashing’, than to U.S. practices. Yet they have conducted scientific inquiries

into many subjects that are closely related to interrogation: the effects of debility and isolation,

the polygraph, reactions to pain and fear, hypnosis and heightened suggestibility, narcosis, etc.

This work is of sufficient importance and relevance that it is no longer possible to discuss

interrogation significantly without reference to the psychological research conducted in the past

decade” (McCOY, op. cit., p. 2).

18. Cage related this anecdote several times, including in the essay “Experimental Music”. CAGE,

John, “Experimental Music”, in Silence: Lecture and Writings, Middleton, Wesleyan University

Press, 1961, p. 7-12. In their paper, Smith and Lewty explain their choice of a carefully insulated

room since “’white-sound’ generators, which blind out extraneous noises, are unsatisfactory

because of the wide difference in frequencies which penetrate different establishments”, SMITH

and LEWTY, op. cit., p. 342. Their detailed description of the care needed to isolate the room used

does however underline my general point about the impracticality of this in most settings.

19. Noise, not music, was used in this case, and the literature on this topic generally presumes

that music was not used in the case of interrogation and torture in Northern Ireland. However,

another former prisoner whose sentence was only recently overturned, and who was not one of

the fourteen at the centre of the case discussed here, has mentioned that music was played at the

first interrogation centre he was brought to. This was in a school that had been adapted for the

purpose: the music – played from a tape recorder between each interrogation cubicle – was

apparently intended to make it impossible to hear what other detainees were saying during

interrogation. See e.g. COBAIN, Iain, “Army ‘waterboarding victim’ who spent 17 years in jail is

cleared of murder”, in The Guardian, Thursday 21 June 2012, available at http://

www.guardian.co.uk/law/2012/jun/21/army-waterboarding-victim-cleared-murder, accessed 29

January 2013.

20. Lord PARKER of Waddington (Chair), Report of the Committee of Privy Counsellors Appointed to

Consider Authorized Procedures for the Interrogation of Persons Suspected of Terrorism, London, Her

Majesty’s Stationery Office, 1972; see also NEWBERY, Samantha, “Intelligence and Controversial

British Interrogation Techniques: The Northern Ireland Case, 1971-2”, in Irish Studies in

International Affairs 20/1 (2009), p. 103-119, and CONROY, John, Unspeakable Acts, Ordinary People:

The Dynamics of Torture, New York, Alfred A. Knopf, 2000.

21. “Although the five techniques, as applied in combination, undoubtedly amounted to inhuman

and degrading treatment, although their object was the extraction of confessions, the naming of

others and/or information, and although they were used systematically, they did not occasion

suffering of the particular intensity and cruelty implied by the word torture as so understood.”

EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS, Case of Ireland v. United Kingdom, Application No. 5310/71,

Judgement, Strasbourg 18 January 1978, paragraph 167.

22. UN COMMITTEE AGAINST TORTURE, Concluding Observations of the Committee Against Torture:

Israel. 05/09/1997. A/52/44, paras. 253-260. (Concluding Observations/Comments), paragraph 257.

23. See e.g. CUSICK, Suzanne G., “Musicology, Torture, Repair”, in Radical Musicology 3 (2008),

http://www.radical-musicology.org.uk, accessed 31 January 2013. Responses to music in

detention and in the specific context of torture are highly individual (as, indeed, are responses to

music generally). For this reason, it would be misguided to suggest any general theory of the

conditions under which music would stop being perceived as such and instead heard simply as

noise.

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24. Many of these reports, including from Algeria and Paraguay as well as those already

mentioned, state that the primary function of music was to drown out the sound of torture. But

other reports show that the sound of music firstly did not always drown out the screams, and

that secondly the music therefore only added to the horror for the victims. Thus, a survivor of

torture in Turkey stated that “The screams which I heard coming from his room still ring in my

ears. Screaming, crying, at the same time they play loud music. One can hear the torture screams

of the others...”; another survivor interviewed in the same report takes a different view:

“Sometimes the doors of the torture chambers were shut tightly and music was played very

loudly in order to prevent the screams from being heard outside”. AMNESTY INTERNATIONAL,

Turkey: Testimony on Torture, London, Amnesty International, 1985, p. 20, 48. See also footnote 15,

above.

25. FOUCAULT, Michel, Discipline and Punish: The Birth of the Prison transl. by Alan Sheridan, New

York, Vintage Books, 1979.

26. It is almost certainly not irrelevant for this study, though I am unable to go into it here, that

corporal punishment continues to be tolerated or even explicitly allowed in the majority of

countries around the world against another and much larger social group, namely children.

27. HYSLOP, Jonathan, “The Invention of the Concentration Camp: Cuba, Southern Africa and the

Philippines, 1896–1907”, in South African Historical Journal, 63/2 (2011), p. 251-276. Exactly the

same development – professionalisation in military structures and military organisation over the

course of the nineteenth century – was in military historian John Keegan’s analysis a major

contributory factor in triggering the Great War; see KEEGAN, John, The First World War, London,

Hutchinson, 1998.

28. Also, by holding prisoners at sites not territorially belonging to the US, it was believed US

domestic law on the treatment of prisoners did not apply either.

29. See for example DERSHOWITZ, Alan, “Tortured Reasoning”, in LEVINSON, Sanford (ed.),

Torture: A Collection, Oxford etc., Oxford University Press, 2004, p. 257-280; see also the response in

the same volume given by SCARRY, Elaine, “Five Errors in the Reasoning of Alan Dershowitz”,

p. 281-290.

30. For a discussion of music and role-call and other aspects of musical life in the Gulag, see also

KLAUSE, Inna,  Musik und Musiker in sowjetischen Zwangsarbeitslagern der 1920er- bis 1950er-Jahre,

doctoral dissertation, Hochschule für Musik, Theater und Medien Hannover, 2012.

31. See SWEENEY, Regina M., Singing Our Way to Victory: French Cultural Politics and the Great War,

Middleton, Wesleyan University Press, 2001; and GIER, Christina, “‘Dixieland in France’: Deciding

Musical Morality in American Military Culture during the First World War”, in HANHEIDE,

Stefan, HELMS, Dietrich, GLUNZ, Claudia and SCHNEIDER, Thomas (eds.), Musik bezieht Stellung.

Funktionalisierungen der Musik im Ersten Weltkrieg, Göttingen, V&R unipress, 2013, p. 161-174.

32. CAPLAN, Jane and WACHSMANN, Nikolaus, “Introduction”, in CAPLAN, Jane and

WACHSMANN, Nikolaus (eds.), Concentration Camps in Nazi Germany: The New Histories, London/New

York, Routledge, 2010, p. 1-16.

33. See here e.g. HUGHES MYERLY, Scott, British Military Spectacle: From the Napoleonic Wars through

the Crimea, Cambridge, Mass./London, Harvard University Press, 1996, particularly Chapter 9; also

the description of daily prison routine given in the introduction to FOUCAULT, Michel, Discipline

and Punish: The Birth of the Prison, transl. by Alan Sheridan, New York, Vintage Books, 1979.

34. AMNESTY INTERNATIONAL, Turkey: Testimony on Torture, op. cit., p. 36-37.

35. To take just one relatively well-known example, this practice was used extensively against

Bosnian Muslim and Croat detainees, who were forced to sing Serb nationalist and Chetnik songs,

in Serb camps during the war in Bosnia Herzegovina in 1992; see references in KLIP, André and

SLUITER, Göran (eds), Annotated Leading Cases of International Criminal Tribunals: The International

Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia 2001–2002, vol. 8, Cambridge, Intersentia, 2005, p. 417,

601, 620, 655, 1052.

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36. KLUSEN, Ernst, “Das Gruppenlied als Gegenstand” in Jahrbuch für Volksliedforschung, 12 (1967),

p. 21-41; HEIMANN, Walter, Musikalische Interaktion: Grundzüge einer analytischen Theorie des

elementar-rationalen musikalischen Handelns dargestellt am Beispiel Lied und Singen, Cologne,

Musikverlag Gerig, 1982.

37. There is extensive literature on the role of music in social and political movements in the

twentieth century in particular, and slightly less on the eighteenth and nineteenth centuries.

Studies on music during the Reformation have also suggested that the Lutheran recourse to

popular songs as a method of propaganda for the new faith had a considerable impact on the

success of the Protestant cause; see e.g. OETTINGER, Rebecca Wagner, Music as Propaganda in the

German Reformation, Aldershot, Ashgate, 2001. The case of Protestant church communities is an

interesting one for demonstrating two related but distinctive factors relating to group song:

firstly, before a period of widespread literacy and the spread of print media, songs fulfilled an

important role in conveying information and moulding public opinion; secondly, the act not

simply of listening to, but actively participating in singing in a group formed around an idea of

religious, political, or national identity, would become more important with the emergence of

new forms of public life and new forms of social networks from the early eighteenth century

onwards. For a discussion of the connections between fraternal-type organisations in particular

and the emergence of nationalism as reflected in group song, see GRANT, M. J., “Sung

Communities”, in BICHER, Karin, KIM, Jin-Ah and TOELLE, Jutta (eds.), Musiken: Festschrift für

Christian Kaden, Berlin, Ries & Erler, 2011, p. 81-93. See also Ron Eyerman and Andrew Jamison’s

excellent study focusing on the civil rights movement, which also points to the long-term

cultural impact of protest music: EYERMAN, Ron and JAMISON, Andrew, Music and Social

Movements: Mobilizing Tradition in the Twentieth Century, Cambridge, Cambridge University Press,

1998. Perhaps the most telling example of the role of song in political movements relates to the

1920s in Germany, when confrontations including street battles between National Socialist and

Communist fractions often had a specifically musical element: in one case, Nazis marching

through the left-wing area of Pankow in Berlin sang the workers’ movement anthem The

Internationale with adapted words, and were bombarded with flowerpots and other missiles.

DITHMAR, Reinhard, “Das ‘gestohlene’ Lied. Adaptionen vom Liedgut der Arbeiterbewegung in

NS-Liedern”, in NIEDHART, Gottfried and BRODERICK, George (eds.), Lieder in Politik und Alltag des

Nationalsozialismus, Frankfurt am Main, Peter Lang, 1999, p. 17-34.

38. MCCOY, Alfred, A Question of Torture: CIA Interrogation From the Cold War to the War on Terror,

New York, Metropolitan Books, 2006.

39. Many of these reports, which can easily be found online, focus on “The Same Song”, a Chinese

pop song from the early 1990s that provides the title and title track to a music programme on

China’s main television channel CCTV. When it was reported that the song was to be performed

live on stage at an event in Toronto in 2006, there were protests from many refugees who had

been tortured for their affiliation to Falun Gong, and who said that the song was a central

component in the brainwashing programmes to which they were subjected. I have been unable to

find any studies collaborating or discussing this specific example.

40. As well as the literature on the NS concentration camps listed above, see e.g. KLAUSE, Inna,

“Music in radio broadcasts in the Gulag”, in GRANT, M. J. and STONE-DAVIS, Férdia J. (eds.), The

Soundtrack of Conflict: The Role of Music in Radio Broadcasting in Wartime and in Conflict Situations,

Hildesheim, Olms-Verlag, 2013, p. 13-23.

41. Here I am thinking particularly of what appears to be a widespread practice of using singing

as a form of punishment in schools. I am unable to go into this subject in detail here, though it is

worth pointing out that in terms of institutional environment, the imbalance in the power

relationship between children and their teachers, and the difficulties children may face in

responding to or complaining about acts of violence against them, the case of punishment in

schools and in prisons may not be as far removed from each other as it may first appear.

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Similarly, although my focus in this article is on prisons and prison camps, the prevalence of

treatment amounting to torture or CID punishment in other institutional environments –

including homes for older people and for the disabled – also needs to be considered in future

work.

42. On the general question of definition, NOWAK, Manfred, Torture and other cruel, inhuman or

degrading treatment:Report of the Special Rapporteur on the question of torture, UN Economic and

Social Council Commission of Human Rights, sixty-second session, UN doc E/CN.4/2006/6,

December 2006, section IV. Human rights advocates often now use the term CID punishment in

connection with extremely poor conditions of detention in prison, e.g. severe overcrowding and

lack of access to basic sanitation and health care.

43. Existing examples of this instrument are held in the Torture Museum in Amsterdam and in

the Fortress Museum in Salzburg, amongst other places.

44. As for example in this report from the Philippines in the early 1980s: “The soldiers began

drinking and interrogated the prisoners who were forced to sing while the soldiers used their

heads as drums, beating them with two-inch square wooden battens until they bled. The

prisoners were made to dance; ordered to remove their trousers; to masturbate and kiss and

punch each other.” AMNESTY INTERNATIONAL, Report of an Amnesty International Mission to the

Republic of the Philippines, 11-28 November 1981, London, Amnesty International, 1982, p. 29.

45. An example of this is offered by the so-called Hakkamat, female bards of the nomadic Baggara

living for the most part in North and South Sudan. The various tasks fulfilled by the Hakkamat

include literally singing the praises of, or alternatively deriding, men for their courage or

cowardice. A negative decision by the Hakkamat as to a man’s worthiness can resonate for

generations and even lead to his being excluded from the community. The Hakkamat came to

notoriety because of the apparent complicity of some Hakkamat in acts of genocide in Darfur;

this one-sided appraisal of their role has however been criticised. Due not least to the conflict in

the region, there is little recent in-depth work on the social functions, roles and positions of the

Hakkamat. For a survey and contextualisation of available literature, including references to

similar traditions in other societies, see JACOBS, Mareike, “Die Hakkamat und ihre soziale Rolle

in der Gemeinschaft der Baggara”, unpublished M. A. thesis, Georg-August-Universität Göttingen,

2011.

46. See e.g. MILLER, Peggy, “Teasing as language socialization and verbal play in a white

working-class community”, in SCHIEFFELIN, Bambi. B. and OCHS, Elinor (eds.), Language

socialisation across cultures, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 199-212; HARWOOD,

Debra, BOSACKI, Sandra and BORCSOK, Kristina, “An investigation of young children’s

perceptions of teasing within peer relationships” in International Electronic Journal of Elementary

Education, 2(2) (2010), p. 237-260.

47. “For the purposes of this Convention, the term ‘torture’ means any act by which severe pain

or suffering, whether physical or mental, is intentionally inflicted on a person for such purposes

as obtaining from him or a third person information or a confession, punishing him for an act he

or a third person has committed or is suspected of having committed, intimidating or coercing

him or a third person, or for any reason based on discrimination of any kind, when such pain or

suffering is inflicted by or at the instigation of or with the consent or acquiescence of a public

official or other person acting in an official capacity. It does not include pain or suffering arising

only from, inherent in, or incidental to lawful sanctions.” United Nations Convention against Torture

and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment, Article 1/1. For a discussion of the

UN definition and how it relates to recent US attempts to redefine torture, see NOWAK, Manfred,

“What Practices Constitute Torture? US and UN Standards” in Human Rights Quarterly 28/4

(November 2006), p. 809-841.

48. CONROY, John, op. cit.

49. Songs of War, dir. Tristan Chytroschek, 2011.

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50. The relevant passage (including the preceding discussion) is at around fifteen minutes into

the film. At the time of writing the film can be viewed online in an English version at http://

www.aljazeera.com/programmes/aljazeeraworld/2012/05/201253072152430549.html and in a

German version starting at http://www.youtube.com/watch?v=lnTn_3gWd_g, both accessed 31

January 2013.

51. See GRANT, M. J., “Sung Communities”, in BICHER, Karin, KIM, Jin-Ah, and TOELLE, Jutta

(eds.), Musiken: Festschrift für Christian Kaden, op. cit., p. 81-93.

52. This interpretation follows the work of COLLINS, Randall, Violence: A Microsociological Theory,

Princeton, Princeton University Press, 2008.

53. Recognition of the potential benefits of music for management of the emotional impact of

active combat lies at the heart of music’s use in the modern military, particularly since the First

World War: military music has a place comparable to the role offered by religious chaplains in

the psychological services offered to serving soldiers in a number of armies. It is worth pointing

out here that, far from being a simple case of “inspiration for combat” – to quote a chapter title

given by Jonathan Pieslak in his, in this regard, sadly superficial work on American soldiers in

Iraq – available evidence suggests that music is used to manage the fear associated with combat,

to alleviate the stress associated with long periods of service in a combat zone, and to help deal

with experience of being both a potential perpetrator and victim of violence. PIESLAK, Jonathan,

Sound Targets: American Soldiers and Music in the Iraq War, Bloomington, Indiana University Press,

2009. For a different contemporary case study, based on the experience of German soldiers in

Afghanistan from the perspective of a military musician who served there (the background

situation being very different in that the troops in this case were there primarily to support and

reestablish local security forces, rather than engage in active combat), see KRINER, Karl, “Alizée

und der Fisch: Musikerfahrungen im Einsatzland Afghanistan”, in SCHRAMM, Michael (ed.),

Musik in Fremdwahrnehmung und Eigenbild, Bonn, Militärmusikdienst der Bundeswehr, 2009,

p. 137-143. Studies of the Holocaust have pointed to a concerted promotion of music and other

forms of entertainment in an attempt to counteract the psychological fall-out of executing men,

women, and children by shooting; see e.g. BROWNING, Christopher, Ordinary Men: Reserve Police

Battalion 101 and the “Final Solution” in Poland, New York, Harper Collins, 1992, especially p. 13-14,

112-113.

54. Hyslop, for example, points to the role of developments in the media in both triggering a

debate on atrocities committed in the colonies but also in spreading information about newer

techniques involved, such as the use of concentration camps. HYSLOP, Jonathan, art. cit.; on the

influence of media reports of British concentration camps in South Africa on early Soviet policy,

see also HOLQUIST, Peter, “Violent Russia, Deadly Marxism? Russia in the Epoch of Violence,

1905–21” in Kritika: Explorations in Russian and Eurasian History 4/3 (Summer 2003), p. 627-652.

Media developments would certainly accelerate the rate of exchange on military tactics which

had, however, been going on for centuries.

RÉSUMÉS

Cet article s’attache à décrire le développement et la logique présidant à plusieurs usages de la

musique en relation avec la torture, ainsi que d’autres formes de traitements cruels, inhumains

et dégradants, suivant cinq directions distinctes, quoiqu’interconnectées : 1. la privation

sensorielle, dérivant d’expérimentations en matière de torture psychologique menées durant la

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Guerre froide 2. la tradition militaire, inscrivant l’usage de la musique contre les prisonniers dans

l’histoire plus longue de la musique comme discipline dans l’armée 3. la communication

politique, relative au rôle central de la musique dans la formation et la communication

d’identités politiques et, par conséquent, les conflits autour de ces identités 4. l’humiliation,

envisageant le contexte plus large de l’usage de la musique dans les pratiques de moquerie et

d’humiliation informelles ou institutionnalisées 5. la performance du pouvoir, réfléchissant à la

relation entre le tortionnaire et sa victime. Les formes de torture musicale dont il est question

dans cet article incluent l’exposition à de la musique diffusée fort, le chant forcé, et l’utilisation

de la musique en rapport avec d’autres formes d’activité physique imposée.

This paper traces the development and logic of several uses of music in connection with torture

and other forms of cruel, inhuman and degrading treatment along five distinct but

interconnected pathways: i. the sensory deprivation pathway, deriving from experiments with

psychological torture carried out during the Cold War period; ii. the military tradition pathway,

situating the use of music against prisoners in the longer history of music and discipline in the

military; iii. the political communication pathway, relating to the central role of musical

practices in the formation and communication of political identities, and thus in conflicts

surrounding those identities; iv. the humiliation pathway, looking at the larger context of the use

of music in both informal and institutionalized practices of mockery and humiliation; v. the

power performance pathway, reflecting on the relationship between the torturer and the

tortured. Forms of music torture that are discussed in the article include exposure to loud music,

forced singing, and the use of music in connection with other forms of enforced physical activity.

INDEX

Mots-clés : torture, torture musicale, traitements et sanctions inhumains et dégradants, chant

forcé, droits humains

Keywords : torture, music torture, cruel, inhuman and degrading treatment or punishment,

forced singing, human rights

AUTEUR

MORAG JOSEPHINE GRANT

Morag J. Grant (b. 1972 in Scotland) studied musicology in Glasgow, London and in Berlin, where

she is based. From 2008-2014 she was junior professor of musicology at the University of

Göttingen, where she founded and led the research group “Music, Conflict and the State”. She

has written extensively on music and armed conflict and on music in the context of punishment

and torture. Her other research interests include the theory and aesthetics of new and

experimental music, the social functions of song and singing, and the historical anthropology of

music, particularly of Scotland and Britain. Her first book, Serial Music, Serial Aesthetics:

Compositional Theory in Post-war Europe was published by Cambridge University Press in 2001; a

second book, Auld Lang Syne: A Song and Its Culture, is awaiting publication. She is currently

writing a third monograph on the social musicology of war (www.mjgrant.eu).

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VariaMusique et conflits armés avant 1945

Music and Armed Conflicts before 1945

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Mourning at the Piano: MargueriteLong, Maurice Ravel, and thePerformance of Grief in InterwarFranceFaire son deuil au piano : Marguerite Long, Maurice Ravel et l’expression du

deuil dans la France de l’entre-deux-guerres

Jillian Rogers

Introduction

1 In a letter to Alexis Roland-Manuel of October 1, 1914, Maurice Ravel writes, “I can’t

remain without news from my friends. From time to time I receive some frightful news,indirectly, which is then denied two days later. That's how I learned of CaptainMarliave's death, and I don't dare write to his wife.”1 Captain Marliave's wife was theesteemed French virtuoso pianist and pedagogue Marguerite Long, who was Ravel’sclose friend and preferred pianist in the years after the war. She premiered both his Le

Tombeau de Couperin in 1919, and his Piano Concerto in G in 1932. In this same letter toRoland-Manuel, Ravel says that he has just begun working on the Tombeau, the neo-classical piano suite in which he dedicates each movement to a friend who died duringthe war. The suite's final movement, a rapid-fire, technically-demanding “Toccata,”bears a dedication to the man whose death he mentions in this letter, Joseph deMarliave, who was killed on the front lines on August 24, 1914.

2 The premiere of Ravel’s Tombeau took place four and a half years later on April 11, 1919,

at a Société Musicale Indépendante concert in the Salle Gaveau. Considering the suite’sdedications, how long it took the Tombeau to receive its first performance, and the factthat this was Ravel’s first public appearance since finishing his wartime militaryservice, it was surely an emotionally-charged evening for many in the hall that night,including the composer. Present on the concert program, as well as in the audience,

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was a virtual “who’s who” of Ravel’s Parisian social circle, a large number of whom hadserved in the war or lost someone close to them during the war’s tenure. Ravel’s goodfriend, the violinist Hélène Jourdan-Morhange, performed in Roland-Manuel’s Trio,while the soprano Jane Bathori—also a close friend and one of Ravel’s favorite singers—sang several songs by Gabriel Grovlez. Florent Schmitt’s Quintette was also on theprogram, and Gustave Samazeuilh, Raoul Brunel, and Jean Marnold were in theaudience.2 Considering their involvement with the Société Musicale Indépendante atthe time, Gabriel Fauré, Louis Aubert, André Caplet, Jean Huré, Charles Koechlin, JeanRoger-Ducasse, and Nadia Boulanger were likely in attendance as well.3 We mightimagine that Mme Fernand Dreyfus—Roland-Manuel’s mother and Ravel’s marraine de

guerre—was present, especially since Ravel composed much of the suite while staying ather home in Lyon-la-Forêt during the summer and fall of 1917, a sad summer for Ravelsince he was grieving his mother’s death, which had occurred earlier that year.4

Moreover, Mme Dreyfus’s stepson, Jean, was the dedicatee of the Tombeau’s fifthmovement. The family members of the other people to whom Ravel dedicated theTombeau’s movements were also likely in the Salle Gaveau that April evening, sinceRavel was in most cases closer friends with the people who survived the dedicateesthan the soldiers themselves. This was the case, for instance, with Jacques Durand,Ravel’s publisher and the cousin of Jacques Charlot, to whom Ravel dedicated theTombeau’s “Prélude,” as well as with Louise Crémieux, the Parisian socialite who hadhelped bring L’Heure espagnole to the Opéra-Comique in 1911, and whose son, JeanCruppi, was the dedicatee of the suite’s “Fugue.” And, of course, there was MargueriteLong at the piano.

3 By the time of Le Tombeau de Couperin’s premiere in 1919, Long and Ravel had been

friends for quite some time. They had known each other from at least 1910, when Ravelhad asked Long to recommend two students to premiere his Ma Mère l’Oye.5 Before thewar the two musicians frequently saw each other at musical and social events sincethey had a number of friends and musical acquaintances in common. Although there isno extant correspondence between Ravel and Long from before the war, Raveladdresses Long as “Chère amie” in a letter dated July 1918, which indicates that the twohad been fairly close for some time.6 After the war, Ravel and Long frequently touredtogether, especially with Ravel’s Piano Concerto in G, and also continued to share thesame group of friends, which included Nadia Boulanger, Ida Rubinstein, HélèneJourdan-Morhange, Roland-Manuel, Marguerite de Saint-Marceaux, Lucien Garban,Darius Milhaud, Germaine Tailleferre, Francis Poulenc, and numerous other musicians,performers, and socialites living in Paris in the late teens, 1920s, and 1930s.

4 Although Ravel had finished composing Le Tombeau de Couperin in November 1917, he

waited for almost a year and a half—through several scheduling mishaps and a numberof Long’s ailments—so that she could give the piece’s first performance. He evenoverlooked a number of other talented performers who could have given the premiere,including likely candidates Edouard Risler and Robert Casadesus.7 Hélène Jourdan-Morhange referred to Ravel as an “incomparable friend” and explained that once hehad decided that a friend would premiere a piece, he remained unmoved by offers fromeven the greatest musical celebrities.8 While this may have accounted for Ravel’sholding out for Long to give Tombeau’s premiere, a letter Ravel wrote to Long onJanuary 14, 1920 suggests another reason. Ravel writes, “I’ve begun to work again in afurious manner, as before. … As before, but not quite: the last time was in St-Jean-de-Luz… No one better than you can understand my awful sadness.”9 Although Ravel

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declines to say it directly, Long had to have known what he meant: the “before” towhich Ravel referred was his last intensely productive period of compositional activityduring the summer of 1914, which he had spent at St-Jean-de-Luz with his mother. Forboth Ravel and Long, the summer of 1914 was a happier time that was now tragicallyirrecoverable. It was a time before the dark years of the war when, amongst othertragedies, Long lost her husband and Ravel lost his mother. Clearly, Ravel expresses hissadness to his friend because he knows that she sympathizes with him.

5 In light of the close friendship that Ravel and Long shared in the years after the war,

Ravel’s Le Tombeau de Couperin, like his sympathetic letter to Long, can be understood asan expression of shared mourning. In the article that follows, I propose that Ravel’sexperience of mourning during and after World War I significantly informed this neo-classical piano suite.10 I argue that Ravel designed this piece as a musical gift for Longthat not only acknowledged their shared experience of mourning, but also providedLong with a means of comfort and momentary relief from the pain of her grief.Specifically, I propose that Ravel composed his Tombeau in order to suit MargueriteLong’s preferred style of piano playing—le jeu perlé—and her modality of practice, bothof which I will demonstrate were particularly well-suited to helping her cope with thedeath of her husband. Moreover, analysis of the Tombeau within the context of othercompositions written for Long in the years immediately following her husband’s death,and other compositions Ravel wrote for friends in mourning during these years,suggests that the difficult-to-perform, highly repetitive, and rhythmically regularmusic that characterizes Ravel’s Tombeau may have been understood by musicians intheir circle to have therapeutic potential for at least some living with and attemptingto manage the emotional turmoil brought about by grief.

Ravel’s Circle and Resistant Mourning in World War I-Era France

6 During World War I new social rules for mournful display arose that made the open

expression of personal grief within Ravel’s circle more difficult than it had beenpreviously. Social historian Philippe Ariès has argued that French attitudes towardsdeath shifted at some point between the late-nineteenth and mid-twentieth centuries,observing that the “hysterical mourning” of the nineteenth century, in whichmourning rituals were “unfurled with an uncustomary degree of ostentation,”disappeared at some point in the twentieth century.11 “Too evident sorrow” came to bedisdained, leaving “solitary and shameful mourning” as “the only recourse, like a sortof masturbation.” Ariès observes that funeral ceremonies needed to “remain discreetand must avoid emotion” and that “the outward manifestations of mourning arerepugned and disappearing.”12 The shift that Ariès describes is evident in the funeralaccounts, obituaries, and other reporting on musicians’ deaths in Parisian dailynewspapers and weekly or monthly music journals published between 1875 and 1925.An examination of these articles demonstrates that the ways in which mourning wasdepicted and expressed, as well as the ways in which people affectively responded tomourning, changed specifically during World War I.13 Prior to August of 1914, writersfor the Parisian press sought to sympathetically recreate mournful affect in theirreaders by focusing on grief and mourners, and using first-person proclamations ofgrief. During the war, however, coverage of musicians' deaths became extraordinarily

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dry, emotionally detached, and formulaic. Impersonal lists of State officials present atfunerals replaced detailed descriptions of mourners, and mourners began to articulatetheir sorrow in collective or national terms rather than in first-person narratives.14

This shift in the printed reactions to musicians’ deaths both shaped and was shaped bynationalist wartime discourses—including trench newspapers and governmentalspeeches lauding the value of war widows—that suggested that the most grievable liveswere those of soldiers who had died for France.15

7 In their correspondence, several people in Ravel’s social circle articulate the guilt and

shame that they felt about their expressions of grief during the war. Emma Debussyalmost constantly apologizes to friends to whom she writes about her grief after thedeaths of her husband in March 1918, and her 13-year old daughter Chouchou in July1919.16 While mourning her husband, Emma Debussy writes to André Caplet and shareshow much she is suffering, but clarifies that he should not believe that she hasforgotten “all the heroes who have struggled for years.” She apologizes for grieving soopenly, and writes that she is “certain that [she’s] annoying everyone with [her]sorrow.”17 Less than a year and a half before her own death, Chouchou Debussy shedslight on her mother’s concerns with emotional display, and demonstrates the extent towhich she was painfully aware of the social moratorium on direct expressions of grief.In a letter to her half-brother, she writes, “At the cemetery, Maman could not havecontrolled her feelings any better. As for myself, I could think of nothing but one thing:‘You must not cry because of Maman.’ And so I gathered all my courage … I did not shedone tear.” Chouchou articulates the emphasis placed on keeping mourning to oneself inprivate as well, writing that “I wanted to burst into a torrent of tears, but I repressedthem because of Maman. Alone throughout the night in the big bed with Maman, I wasunable to sleep one minute. I developed a temperature, my dry eyes questioned thewalls.”18 Chouchou represses her grief because she knows that her mother cannotexplicitly express hers, especially in this particular wartime context in whichmourners’ bodies were expected to appear as if nothing had happened. This is aphenomenology of grief felt as constraint, as an indescribable pain that wells up insidea mourner’s body with no place for release. Such pain often only grows in attempts toconceal or repress it, as evidenced by Chouchou’s statement that, several days after herfather’s death she feels her grief “all the more poignantly.”

8 Another indication of the shame associated with grief during the war is the tendency

of some people in Ravel’s and Long’s circle to judge harshly friends who grieve tooopenly or too much. Jean Roger-Ducasse offers an example of this in his criticism ofMarguerite Long’s grief. Although he had been close friends with her husband and wasmourning his death as well, Roger-Ducasse chastises Long for not being able to containher grief, referring to her as “obscenely egotistical,” in part because she dwells on hernegative emotions and shares them with others: “And then everything is awful,everyone is horrible, clergy, courts, army. This woman, she is the inverse of Pangloss.”19 And on another occasion, he disdainfully points out her expression of sorrow as acause for reproach: “She is more and more the same, with the same exaggerations, thesame unhappy feelings.”20 Similarly, Marguerite de Saint-Marceaux, a socialite, pianist,and a friend of Boulanger, Long, and Ravel, criticizes Ravel and his brother for theirbehavior at their mother’s funeral, writing that, “both were in utter turmoil, incapableof reaction or self-control. A lamentable and distressing spectacle at this time whenheroism displays itself as naturally as breathing.”21 According to Saint-Marceaux, the

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Ravel brothers’ reaction to their mother’s death was not only unheroic, but alsodecidedly unnatural—especially, she implies, for two soldiers.22 For at least some ofRavel’s friends, then, the open expression of grief engendered the contempt, disdain,and shame of others.

9 In part, these new social rules for mourning led Ravel, Long, and many people in their

social circle to adopt a style of mourning that has been termed “resistant” bypsychoanalytic theorists, critical theorists, and cultural historians.23 Rather thanstriving to cut the libidinal ties that connected them to lost loved ones, these mournersenact a refusal to accept the loss and subsequent absence left by the death of a personclose to them. Resistant mourning is sometimes an ethical or a political choice—as it isfor Jacques Derrida and Patricia Rae, amongst others—that a mourner makes in orderto avoid unjustly (mis)representing the person she has lost, or to use that loss as ameans to enact social or political change.24 In other instances, the unspeakability of aloss, whether caused by guilt, shame, ambivalence, or resulting from social stricturesthat inhibit mourning, leads the mourner to subsume an object representation intotheir ego in a way that makes it difficult for the mourner to move past and accept fullythe loss.25 According to post-Freudian theorists Nicolas Abraham and Maria Torok:“Inexpressible mourning erects a tomb inside the subject. Reconstituted from thememories of words, scenes, and affects, the objectal correlative of the loss is buriedalive in the crypt as a full-fledged person, complete with its own topography.”26 Thepsychically internalized lost person then returns to “haunt” the mourner, oftenpreventing him or her from fully accepting the loss.

10 The psychoanalyst Vamik Volkan explains that perennial mourners—his term for

resistant mourners—usually betray the presence of the introject that haunts themthrough a number of common behaviors. In his decades-long study of hundreds of casesof mourning, he observes that perennial mourners’ fixations on loss often produce atendency to lose or misplace things. In addition, many perennial mourners use termslike “frozen” to describe their dreams and a general sense of being hopelessly staticwithin their mourning process. Furthermore, perennial mourners typically focus ondeath, tombs, or cemeteries, obsessively read obituaries, and often talk about theperson being mourned as if she or he is still present and watching over them.Particularly striking is perennial mourners’ frequent development and subsequent useof what Volkan calls “linking objects.” He argues that “through the creation of a linkingobject or phenomenon, the perennial mourner makes an ‘adjustment’ to thecomplication within the mourning process; the mourner makes the mourning process‘unending’ so as not to face their conflicted relationship with the object representationof the deceased or lost thing.”27 Volkan specifies that a linking object can be “a song, ahand gesture, or even a certain type of weather condition,” but that no matter theobject or objects chosen, the perennial mourner experiences these as “magical” objectsthat link them to the deceased person, serving as an “external bridge between therepresentations of the mourner and that of the lost person, just as the introject servesas an internal bridge.”28

11 Ravel and numerous people in his circle engaged in many of the behaviors Volkan

describes. Ravel was particularly known, for instance, for misplacing things in the yearsafter the war, as Marguerite Long recalls in her accounts of going on tour with Ravel inthe 1920s and 1930s.29 But all the more striking are the archival materials of MargueriteLong and Nadia Boulanger, which demonstrate each woman’s obsession with reading

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and collecting obituaries. Marguerite Long, for instance, wrote a fair number ofobituaries—including ones for Ravel, Ida Rubinstein, and the pianists Dinù Lipatti andÉmile Sauer—but also collected and kept an extraordinarily large number of obituariesand funeral accounts. She collected as many as twenty press clippings after the suddendeath in 1953 of her friend and business partner Jacques Thibaud. In addition, herarchive contains various articles devoted to the deaths of Émile Sauer, Florent Schmitt,Anna de Noailles, Dinù Lipatti, and Paul Dukas.30 Roger-Ducasse confirms Long’spreoccupation with scanning the papers for obituaries and other news items related toher husband’s death in a 1915 letter he wrote to Lambinet, “Then Marg[uerite] showsus in Le Temps and Le Matin, the citation of our poor Jo…then Bruneau’s article inNouvelle Revue, then there was another in I don’t know what.”31

12 Like Long, Nadia Boulanger was preoccupied with obituaries and funeral accounts. She

kept quite a few obituaries that were printed after her sister Lili’s death, as well as ascrapbook devoted entirely to articles on the death of her very close friend and fellowperformer Raoul Pugno, with whom she was composing La Ville Morte when he diedsuddenly in January 1914.32 Boulanger’s scrapbook dedicated to Pugno’s death includesforty-seven pages of obituaries, funeral accounts, and other articles related to thepianist’s death in six languages. Although she may have used a press clipping servicefor obtaining these excerpts, her handwriting appears underneath each one with thedate and name of the newspaper in which the piece was found, demonstrating that sheplayed an active role in constructing this memento.33 In addition, Hélène Jourdan-Morhange, one of Ravel’s close friends and favorite performers, wrote quite a fewobituaries, and also lovingly created two scrapbooks in memory of her friendship withRavel: the first in relation to Ravel’s Sonata for Violin and Violoncello and the othersurrounding the composition of his Sonata for Violin and Piano. Both scrapbooksinclude a manuscript autograph of the score, and several letters from Ravel to Jourdan-Morhange in which he refers to the composition included in the scrapbook.34 Theseitems demonstrate the strong need she felt to memorialize her friend after his death.

13 During and after the war, Ravel, Long, Emma Debussy, and Marguerite de Saint-

Marceaux also demonstrate their resistant mourning through the frequent use ofexpressions in their correspondence, diaries, or memoirs indicating that they feel“stuck” in endless grief. Ravel’s mother’s death in January 1917 deeply affected him,leading many of his friends to assert that her death was not only a shocking blow at thetime, but also a loss from which he never fully recovered.35 Much of Ravel’scorrespondence after his mother’s death bears the markers of his deep and continuinggrief over the loss of his mother, which Roger Nichols has argued was at leastsomewhat inflected by the guilt that Ravel must have felt after having left his motheralone—without the presence of either her husband, who had died in 1908, or of hersons, both of whom enlisted once the war broke out—in the last year of her life.36 Ravelwrites to Manuel de Falla in September of 1919 to offer his condolences on the death ofhis mother, and tells him that he hasn't yet “pulled himself together,” but that hehopes that his grief “will finally subside in the long run.”37 Just three months later,Ravel writes to Ida Godebska that, “I'm thinking that it will soon be 3 years that she'sbeen gone, and yet my despair increases daily.”38

14 Many of Ravel’s closest friends after the war similarly allude to feeling trapped in

infinite mourning. For instance, Marguerite Long refers to the three years after herhusband’s death as a time in which she was “buried” or “trapped” in her mourning.39

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Similarly, Emma Debussy refers to her grief after the death of her husband as a“labyrinth of pain,” and tells Marguerite Long after Chouchou’s death that “thehorrible nightmare” that she feels “so deeply in me,” leaves her no longer knowingwhere she is.40 Both phrases indicate her inability to move past or even see outside ofher current state of mourning. Likewise, Marguerite de Saint-Marceaux repeatedlyrefers to endlessly mourning her husband, who died in April 1915. She writes almost sixmonths after his death, for instance, that she senses that she is “in a moral distress”that she will “never be able to overcome.”41

15 For this group of people, continuing to grieve—even if this experience was painful—

was a way to keep their dead loved ones alive: it offered them a means to continue toconnect with them, to not forget them, and, in not facing the loss as a loss, to avoidfeeling the pain associated with that loss. There was even a paradoxical pleasure to befelt in this mournful existence, as Marguerite de Saint-Marceaux describes in herjournal three months after her husband’s death as “a painful melancholy but withpleasure.” It is in this particular emotional state that she says she feels closer to herhusband and “more in communication” with him.42 She also often uses her journal as away of communicating with her husband, speaking to him on several occasions as if hewere still alive, and asking him if he can see her pain and feel her tears.43 EmmaDebussy, on the other hand, deeply desired the ability to maintain Debussy’s and herdaughter’s constant presences after their deaths, but was also troubled by her failure todo so. She heartbreakingly writes to Marguerite Long after Chouchou’s death in 1919: “Iam still calling Chouchou…she no longer hears me!!”44 She describes the way in whichthe reality of Debussy’s absence disturbs her ability to keep him with her, telling AndréCaplet that she is afraid of going back to the home she had shared with Debussy (sheand Chouchou had gone to St-Jean-de-Luz to avoid the bombardment of Parishappening at the time) because it will force her to face the reality of his death. She alsoadamantly articulates that the most important task in this period of mourning is tocontinue in this painful state, writing that, “the greatest tragedy, which could yetovertake me, would be to no longer feel this fervent search for His trace.”45

16 Perhaps no one makes clearer the importance of continuing to suffer through the pain

of one’s losses than Maurice Maréchal, the accomplished cellist who premiered Ravel’sSonata for Violin and Violoncello with Jourdan-Morhange in 1921. He writes to NadiaBoulanger after her sister’s death, and articulates his conception of resistant mourningwith striking clarity. He sympathizes with Nadia, telling her that he “knows all that[she] must be going through” since he had experienced a loss similar to hers—the deathof his fiancée Thérèse Quedrue in 1913.46 Then he writes,

The only true and long assuagement is to feel that the suffering doesn’t pass. Itwould be too painful if it lasted only the strict duration of mourning prescribed;and then we accustom ourselves to it so well eventually; the true suffering would beto no longer suffer. The alleviation of grief must happen little by little; then, whenthe first bitterness and the first indignation has gone away, we find that sometimeswe are able to relive happy memories, veritable minutes full of joy and happiness.They leave an impression that is so comforting, that not only has the being aboutwhom we were just speaking, between close friends, been evoked, but that thereunion of the people who loved each other has indeed been realized anew.47

17 For Maréchal, resistant mourning offered a strategy for dealing with loss that allowed a

mourner not only to remain faithful to the dead beloved, but also to gain a sense ofcomfort, even if only occasionally, in feeling that the lost person was actually with you—not just evoked, but felt and experienced as if she were still living. In another letter,

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Maréchal responds to Nadia, “Indeed the only way of making dear departed beings livein oneself is to act and to think as if truly they acted and thought next to us—as actuallytruly living beings.”48 Boulanger’s and Maréchal’s understanding of the relationshipbetween the mourner and the mourned echoes descriptions of the introject—thepsychic sign of resistant mourning—articulated by Volkan, Abraham and Torok, andDerrida. The idea that having the departed live “in oneself” and simultaneously “nextto us,” thus maintaining their own psychic boundaries that prevent them from beingfully incorporated into the ego of the mourner, is precisely Abraham’s and Torok’srepresentation living in the crypt—“a complete person with his own topography”—orVolkan’s introject—“an unassimilated object representation.”49

18 The resistant mourning of Ravel, Long, and others in their circle is also evident in their

use of specifically musical linking objects and practices to help them keep theircherished lost loved ones vividly present. Nadia Boulanger, for instance, held memorialconcerts upon the anniversary of her sister's death until the end of her life. Shefrequently programmed her sister’s music on the many concerts she organized andparticipated in, particularly on her tours of the United States. She even made organarrangements of some of Lili’s pieces so that she could play rather than conduct themon these tours.50 Gustave Samazeuilh, another member of this social circle, emphasizesthe extent to which Nadia Boulanger’s career changed almost entirely after the deathof her sister, pointing out that, rather than continue to compose her own works, shechose to make known the works of her sister, and to devote the rest of her time toteaching.51

19 Emma Debussy and Rosina and Laura Albéniz appear to have also used musical objects,

performances, and practices as a way of linking them to lost loved ones. Rosina andLaura Albéniz—the wife and daughter of Isaac Albéniz, who had died in 1909—eachwrite somewhat frantic letters to Marguerite Long asking for her assistance in gettingAlbéniz’s Pepita edited and staged at the Opéra-Comique. At one point, Rosina asks Longto go see the publisher Eschig, arguing that only she could take care of this situationsince Joseph de Marliave, who had assisted Albéniz with the libretto, and Albéniz were“two beings who were very dear to you.”52 In this way, she uses the idea of Albéniz’sPepita as a musical link to their respective late husbands in order to convince Long totake action. Emma Debussy was similarly impassioned about arranging concerts of herlate husband's music, but then, being immensely overwhelmed with emotion, wasrarely able to stay after concerts to speak with friends and performers, which oftenresulted in apologetic letters later that evening or the next day. For instance, after thepremiere of Debussy’s Fantaisie in 1919, Emma writes to Long, asking her to forgive herfor having left without seeing her. She says that she was “too upset to stay any longer,”since, in hearing Long’s performance, her “emotion was coupled by such a cruel grief,”especially upon thinking about how much Debussy and Chouchou would have loved it.53

20 Ravel’s linking objects after his mother’s death can be understood as having taken two

distinct shapes: the act of composition itself, and his preference for composing musicfor friends who were also in mourning. Ravel lived with his mother up until hisdeparture for military service in the spring of 1916, and, as he told Ida Godebska in1919, sitting down at the piano and settling back into intensive work reminded him ofhis mother’s “dear silent presence enveloping me with her infinite tenderness,” andmade him feel her absence all the more strongly.54 In September 1919, Ravel writes to

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Manuel de Falla that he is soon hoping to resume work, which he feels “would in anycase be the best consolation, rather than forgetting, which I do not desire.”55 Ravel’suse of l’oubli—forgetting—is unclear here, and yet, considering the degree to whichresistant mourning—mourning without forgetting—was prevalent in his circle, it makessense to understand Ravel as expressing here his desire to not forget his mother.56

Composing music thus acts as a practice that links him to his mother, paradoxicallyproviding him not only with comfort, but also with the pain of a loss that he does notwant to forget.

21 The striking number of pieces that Ravel composed between 1914 and 1934 for friends

who were also in mourning suggests that Ravel understood composing music as a wayto cope with his own grief while providing others with musical means to cope withtheirs. Compositions that Ravel wrote for friends in mourning include La Valse,dedicated to Misia Sert, whose estranged husband Alfred Edwards died in 1914; theSonata for Violin and Violoncello, dedicated to Debussy, but intended to be performedby Maurice Maréchal and Hélène Jourdan-Morhange, both of whom were in mourning;the Sonata for Violin and Piano, also written for Jourdan-Morhange; the Chansons

madécasses, which were intended to be performed by Jane Bathori, who had recentlygone through a painful divorce from her husband; and of course his Piano Concerto inG and Le Tombeau de Couperin, both of which were composed for Marguerite Long.57 Tobe sure, so many people were touched by loss during the war that it might be arguedthat Ravel’s dedications and performer choices would surely reflect this, regardless ofwhether he had these people’s grief in mind as he wrote music for them. However, theextent to which Ravel appears to have been preoccupied with grief in the years afterthe war suggests that he was indeed invested in composing music for others inmourning. A number of Ravel’s friends from the late teens and 1920s, for instance ErikSatie and Manuel Rosenthal, underline how much Ravel had changed after 1917. Theyoften identify Ravel’s mother’s death as the source of this change.58

22 Moreover, Ravel’s choices to compose music for others in mourning appear as evidence

of a larger shift in Ravel’s postwar social network that accompanied the change inpersonality observed by Rosenthal and Satie. In her work on mourners, Phyllis R.Silverman has pointed out that people in mourning often seek each other out forsupport and comfort.59 Similarly, Jay Winter has asserted the importance of kinshipcircles—non-familial social networks based on “fictive kinship”—that formed duringWorld War I to facilitate consolation among mourners.60 Beginning in 1917 Ravelfrequently chose to spend time with others in mourning. After his mother’s death andhis discharge from the military in early 1917, Ravel spent several months at the homeof his marraine de guerre in Lyons-la-Forêt. At the time, Madame Fernand Dreyfus andher husband were coping with the death of their son Jean, who had been killed inaction in the months prior.61 Although he never abandoned his friendships with themen he had come to know as “Les Apaches,” or any of his other close friends frombefore the war, Ravel appears to have populated his social circle after 1917 with anumber of performers who were also in mourning, including Marguerite Long andHélène Jourdan-Morhange.62 Ravel’s concern for the grief of his friends is also evidentin the personal and touching condolences he took the time to write to Manuel de Falla,Hélène Kahn-Casella, Marie Gaudin, and Hélène Jourdan-Morhange when each wastouched by loss in the late teens and early 1920s.63 Finally, Ravel demonstrates that thegrief of his friends was at times integral to his compositional process in writing toJourdan-Morhange in August of 1926 that “[I'm] in the midst of [working on] the

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Sonata. [I] just had my inspiration refreshed in the waves of the ocean with MauriceDelage, who just lost his father.”64 Ravel’s concerns with his own grief, as well as hissympathy for others in mourning, suggest that he wrote music for mourning friends asan act of fictive kinship, and as a linking practice to help him to remember lost lovedones.

23 Long’s use of piano playing as a linking practice is suggested in the repertoire that she

chose to perform in the years following her return to the stage in April 1917. This oftenconsisted of music either beloved by her husband—which she likely played for himwhile he was still living—or that she was practicing in his presence before his death.65

Rehearsing these compositions in the home that they had shared together in order toprepare them for public performance would have offered her the opportunity to paytribute to the memory of her husband, and also to recall what it felt like to practice andperform in his presence. The first piece that Long performed publicly after herhusband's death was Vincent D'Indy's Symphonie sur un thème montagnard, one of severalpieces Long had played in May 1914 in the last public concert she gave before Marliavewas sent to the front. Moreover, in the spring of 1921, on the first full-length recitalLong gave in Paris after her husband's passing, she chose to perform several pieces thatwould have served as very strong reminders of being in her husband's presence:Debussy's L'Isle Joyeuse, which she was working on in the summer of 1914, and which,she tells us in Au piano avec Claude Debussy, was the last piece Marliave heard her playbefore he left for the front, and Fauré’s Theme and Variations, and 6th and 7thNocturnes, which were some of Marliave’s favorites, as evidenced by his lengthy essayon Fauré's piano music for Nouvelles Revues.66 In his 1921 review of Long's recitals for Le

Monde musical, Roger-Ducasse verifies that these concerts acted as mournful linkingobjects by noting that these performances were “a faithful tribute to a friend whosememory we honor.”67

Grieving at the Keyboard in Wartime France

24 Many of Ravel’s friends considered musical performance, especially at the keyboard, to

be particularly helpful in coping with grief. This was the perspective of a number ofmusician-soldiers who express in Nadia and Lili Boulanger’s Gazette des Classes du

Conservatoire that time spent at the keyboard provided distraction, comfort, and a wayof “becoming oneself again,” at a time when they were attempting to cope with notonly the loss of the life they had known before the war, but also unfathomable nationaland personal losses. Albert Bertelin, a Courrier musical critic who served in the war,writes that being able to place his fingers on the keyboard of a harmonium allowed himto “forget for a time the worries, the sadness, and the anguish of each day.”68 ErnestMangeret writes that “A few moments of leisure permitted me to become myselfagain…In these times, we found a piano in a half-demolished house, we went down intothe basement (you can understand why!) and when the evening came, we cametogether, several friends, in order to make a little bit of music.”69 After the death of herhusband, Marguerite de Saint-Marceaux frequently wrote that playing the piano was“the sole occupation that could make me endure life.” Everything else, she tells us,“irritates her and makes her tired.”70 André Messager, in a letter to Saint-Marceaux,confirms that he feels similarly about practicing the piano: “Music is the greatest

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consoler of broken hearts and those who love it and practice it as you do find in it theability to heal the bloodiest of wounds.”71

25 When Long resumed practicing at home in January of 1915, Roger-Ducasse wrote to her

in early February in order to express his happiness that she had begun practicing again:

Suzanne tells us that you started practicing the piano a little again. That makes mevery happy, for nowhere will you find such a desire to live again; I say live again, forthe months you have just been through have been for you as if you did not existanymore, or rather, as if nothing in you existed anymore. There was nothing fair orright about this, which is why I am so thrilled to see you return to what may saveyou.72

26 The opera composer Alfred Bruneau similarly writes to Long after the death of her

husband that he hopes that in 1915 they will be able to “again take up our work, which,alone, will assuage our pain and give us the strength to continue on our way.”73 AndLong herself articulates the healing potential of the piano when she writes that, afterthe death of her husband, “the days passed without bringing to me any resignation tothe sacrifice. Renunciation seemed to me the only refuge. Only music was consoling tome. It is what saved me.”74 Thus for Long, Bruneau, and Roger-Ducasse, the pianofunctioned as an instrument of mourning and of revitalization: it had the potential to“save” Long, to restore her desire to live, and to help her through the arduous processof mourning.

27 For Long and other pianists and musicians active during the war, the piano seems to

have functioned as a bodily prosthetic employed in the interest of emotionaltransformation, providing them with temporary emotional relief or comfort in theregular and repetitive movements of their fingers on the keys. Constantin Piron, in his1949 method book for which Long wrote the preface, prefigures Tia DeNora’s morerecent assertion that music is a “prosthetic technology of the body” that has thepotential to “lead actors to identify, work-up, and modulate emotional andmotivational states.”75 He describes the piano as an instrument that extends thepianist's body and transforms her sensibility.76 Long, in her 1959 method book Le Piano,articulates the importance she finds in the sense of touch, writing that it is “a sense asrich and perhaps more essential than the senses of sight, hearing, or smell.”77 Inaddition, she demonstrates her belief that the kinesthetic movement of playing thepiano affects a pianist's physical and mental state through quoting the surgeon Thierryde Martel, who wrote that, “it's not our mind that mobilizes our fingers, but rather ourfingers and their nearly unconscious movements that give movement to our mind.”78

28 After 1914 Émile Jaques-Dalcroze argued that engaging in musical movement could

engender emotional transformation in ways that would be beneficial for postwarsociety. Jaques-Dalcroze’s writings and teachings achieved a fair amount of popularityin interwar Paris: his articles were frequently published in Parisian music journals, andhis techniques were often showcased at the Conservatoire and the École Normale deMusique, both of which were institutions where Long, Nadia Boulanger, and Raveltaught or served on juries.79 In his eurythmic method, Jaques-Dalcroze posited thathaving students engage in rhythmically-organized kinesthetic activities would not onlyimprove their musicality, but also their entire well-being and sense of self, which, heclaimed, would help them to exteriorize their emotions in beneficial ways. In a 1919article published in Le Monde musical Jaques-Dalcroze argues that his method is the keyto healing neurasthenia, a nervous and physical disorder from which Ravel, amongstmany others, was said to be suffering after the war.80 Moreover, in an article published

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in Le Guide musical in 1918, he wrote that his method has as its ultimate goal improvedconcentration, physical economy, and the development of character, particularlyachieved through “a regularization of nervous response for hypersensitive ordisordered individuals.”81 For Jaques-Dalcroze, “the joy of improving ourselvesrhythmically and giving our entire bodies and souls to music,” enabled his students to"exteriorize without constraint our sorrows and joys,” which would, in turn, “provokethe blossoming of altruistic qualities necessary to a natural social life.”82

29 Long was particularly attracted to a highly rhythmically regular and intensely

kinesthetic style of piano-playing known as le jeu perlé, which Nicole Henriot-Schweitzer, a student of Long's, has described as requiring “fast finger-work very closeto the keys so that a series of equally-sounded notes reminds us of uniformly shapedpearls on a string.”83 The jeu perlé, characterized by its emphasis on notes of equalduration and quality, an excessively clear and pointed style of articulation achievedthrough highly regular finger motions, and a relatively sparse use of the pedal, not onlyrequired the consistent practice of etudes and exercises (particularly of the five-finger,scalar, and arpeggio variety), but was also somewhat modeled on the experience andclarity that came out of practicing these exercises.84 In all of her writings, andthroughout her life, Long espoused the import of technical exercises to all manners andmodes of performance. Several of Long’s former students emphasize the importance ofpractice to Long, and the shape that practice took. Philippe Entremont, for instance,reports that “I got some very good practice techniques from her, things that I still dotoday—especially very slow practice, deep into the keys with high fingers.”85 Henriot-Schweitzer, taking after Long, advocates “very, very slow practice, deep into the keys,without pedal, close and not brusque. I like to think of slow-motion films, withabsolutely smooth and hypnotic movements—and I recommend this regardless of whatthe final tempo must be.”86

30 Long's “deep into the keys” approach, which hypnotically focuses attention on the

pianist’s fingers moving fluidly into, out of, and between the keys, might be understoodas a meditative practice that allowed Long, and, I would suggest, Ravel and otherFrench composers who had both experienced loss and who wrote music suited to thejeu perlé style, a way of rhythmically and kinesthetically bringing consistency andstability—a sort of concrete temporality—back to their bodies.87 It is exactly this sort ofregular rhythmicity, corporeally enacted through a slow, repetitive and meditativewalking or marching, that the French World War I soldier Maurice Genevoix names inhis memoir, Ceux de 14, as both a source of his unending, resistant mourning—hisinability to forget those who have died—and a means of consolation in his grief over hiscomrades’ deaths: "Timmer the Deaf, Compain the Chatty, Perinet, Montigny, Chaffard;nothing but names. Still more, which leave me weary and panting: Durozier, Gerbeau,Richomme... I keep walking, rocked by a vague, regular, swinging. I don't find this hard;I don't try to escape; it seems to me that it's good like this.”88 In the section thatfollows, I analyze Ravel’s Tombeau with an eye towards how the composer embeddedthis piece with musical elements that resonated with the jeu perlé style of pianisticperformance. To this end, I focus particular attention on the corporeal gestures inwhich Ravel’s suite invites its performers to engage.89

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Ravel’s Tombeau as Grief Therapy

31 Numerous commentators found Ravel’s dedications for his Tombeau problematic. Due to

the composition’s title, the funeral urn that Ravel drew for the suite’s title page, andRavel’s dedications to friends who died in the war, many of Ravel’s contemporarieswere “astonished that this homage to the dead should not have a funereal, or at least amorose quality.”90 When Roger-Ducasse first heard Long perform the suite in 1918, hewrote that Ravel’s dedications for the Tombeau would have been better suited todancers or joyful girls, especially since the music was “devoid of any emotion, andwhich the memory of these soliders indeed calls for.”91 Long, however, defended Ravel’scompositional choices, asserting that each of the Tombeau’s movements need not befunereal or lamenting in order to be understood as sonic remembrances of the men towhom they are dedicated.92 Perhaps this was in part because she understood—throughher own experience of playing them—that these pieces were still performances ofmourning, even if not in the conventional sense that some of their contemporaries hadin mind.

32 Specifically, Ravel’s Tombeau allowed Long to engage in the particular type of practice

she preferred after the death of her husband. By writing extremely difficult, highlyrepetitive, and kinesthetically-demanding music for her, Ravel gave Long a musicaloutlet not only to perform the sheer difficulty of grieving in wartime France, but also toengage in the jeu perlé style of piano playing that offered her a sense of comfort in theregular and hypnotic movements required of her fingers and hands. At least three ofthe movements of Le Tombeau de Couperin—the “Prelude,” the “Toccata,” and the“Fugue”—make demands on the pianist that border on the superhuman. In the suite'sfinal movement, the “Toccata” dedicated to Long's husband that Long described as“especially dear to her,” a flurry of constant staccato sixteenth notes crowds every barsave three: the final two bars of the movement, as well as one bar towards the end ofthe piece in which Ravel offers the performer a short moment of solace in a thirty-second-note rest marked with a fermata.93 The composer asks the pianist to play vif—around 144 beats per minute—for all but fourteen measures of the piece, which aremarked, somewhat ironically, Un peu moins vif. While sometimes Ravel has both of thepianist’s hands working together to maintain the perpetuity of the sixteenth notes, atother times, one hand plays sixteenth notes, while the other plays something else—sometimes more sixteenth notes, although at other times a countermelody or anaccompanying figure (see Figure 1).

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Figure 1: Maurice Ravel, Le Tombeau de Couperin (Paris, Durand, 1918); mm. 1- 56 of the “Toccata.”

33 The same sort of perpetual and highly rhythmic hand and finger motion that Ravel

demands of the performer in the “Toccata” is also required to play the suite's firstmovement. Ravel composed the Tombeau's “Prelude” so that the pianist is forced toplay sixteenth-note sextuplets—in figurations that often resemble, draw on, and wouldlikely benefit from technical exercises for the piano—at a breakneck pace (see Figure 2).With a metronome marking indicating a dotted-quarter note equals 92, the pianistplays just over 550 sixteenth notes per minute. Ravel has the performer play theseuncomfortably fast sextuplets in one hand or the other throughout the entirety of themovement, with the exception of a sixteenth-note rest at the end of measure 85—hardly a moment of repose! Long was especially known for her accuracy in performingthis movement, to the extent that Ravel often told his students not to play themovement as fast as Long for only she could play it so every note could be heard.94

Moreover, the Tombeau's second movement, an incredibly difficult “Fugue,” requires anamazing degree of hand independence: the performer often plays duple meter in onehand and triple in the other, without the sort of regularity that might make this tasksomewhat easier. Interestingly, Long's solution for deficiencies in hand or fingerindependence laid in the return to technical exercises, in particular five-fingerexercises.95

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Figure 2: Maurice Ravel, Le Tombeau de Couperin (Paris, Durand, 1918); mm. 1-36 of the “Prélude.”

34 The corporeal challenges in the “Prelude,” “Fugue,” and “Toccata” of Ravel's Tombeau

are exacerbated by the composer's only very rare indications that the performershould use the pedal or fluctuate in tempo in any way, which is a marked departurefrom Ravel’s pre-war piano repertoire. Indeed, compositions like Jeux d’eau (1902), “UneBarque sur l’Océan” (1906), and “Ondine” (1908), all feature extended passages ofconsistent sixteenth or thirty-second notes, often in the form of scales or arpeggios.However, in order to have them capture the sound, movement, and sensation of water,in these compositions Ravel asks his performers to adopt an aesthetic of fluidity andexpressiveness through many slurred passages, heavy use of pedal, myriad meter andtempo changes, and instructions like d’un rythme très souple—très enveloppé de pédales, très fondu, and très expressif. The rubato-oriented aesthetic of these compositions isevident as well in the many instances of rallentando, ritardando, retenez, and accelerando

that Ravel includes in these scores.

35 Similar passages of fast-moving sixteenth, thirty-second, or sixty-fourth notes appear

in a handful of Ravel’s early works not based on water themes, most notably in theSonatine (1903-05) and “Scarbo” (1908). The first and third movements of the Sonatine

are particularly laden with such passages; however, as in “Ondine,” “Une Barque surl’Océan,” and Jeux d’eau, Ravel here employs a variety of tempi, as well as myriadmarkings encouraging pianistic flexibility, for instance très expressif, un peu retenu, andno less than nine ritardando/rallentando indications in the first movement alone.Moreover, in both of these movements Ravel gives his performers ample opportunitiesto shift out of these challenging passages and into somewhat easier, more melodicallyoriented material (see the shift at m. 13 in the first movement of the Sonatine in Figure3 below). Ravel’s “Scarbo” perhaps comes closest to approaching the demanding,perpetual motion oriented design of Le Tombeau’s “Toccata.” Both pieces, for instance,exhibit passages of repeated notes at nearly impossible tempi, and in “Scarbo,” as inthe “Toccata,” Ravel demands that the pianist play many of these passages staccato andwithout pedal. However, because Ravel’s goal in “Scarbo” is to sonically convey theerratic and unpredictable movements of this mischievous being, much of Ravel’s

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writing in this piece is gestural (i.e. written so as to sound out the goblin’s roguishscurrying, and perhaps the frantic confusion of the unlucky person who he haunts).“Scarbo” thus not only displays the frequent tempo changes and a significant relianceon the pedal that characterize Ravel’s prewar rubato oriented style, but also offers thepianist many chances to “catch her breath,” so to speak, in a plethora of pauses andeerie silences that make us wonder what the goblin’s next move might be (see Figure 4).

Figure 3: Maurice Ravel, Sonatine (Paris, Durand, 1905); mm. 1-38 of the 1st movement

Figure 4a: Maurice Ravel, Gaspard de la Nuit (Paris, Durand, 1909); mm. 1-69 of “Scarbo.”

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Figure 4b: Maurice Ravel, Gaspard de la Nuit (Paris, Durand, 1909); mm. 70-146 of “Scarbo.”

36 Unlike in his pre-war compositions, in Le Tombeau de Couperin Ravel demands extreme

mechanicity from any performer of this piece: she must become like a humanmetronome.96 Ravel replaces the rubatic with the robotic, forcing his pianist to playevery note perfectly evenly, and almost never permitting her the opportunity tofluctuate in tempo, or to “hide” behind the pedal, which Long considered one of thegreatest faults of amateur pianists.97 Ravel’s “Prelude,” for instance, is completelydevoid of tempo changes or other instructions for expressive performance. In addition,Ravel prescribes using the pedal only in the final five measures of the movement, oncethe perpetual sixteenth notes have ceased their stirring. Similarly, the “Toccata” hasonly two tempo changes—the ironic un peu moins vif that occurs at m. 56 and its reversalto the original tempo fourteen measures later—and only three indications that theperformer should indulge in using the pedal, all of which appear in the first twentymeasures of the piece, lasting only one very quick measure in each case. In addition towhat he included in the musical texts, Ravel’s instructions to pianists affirm his desirefor extreme precision. In one instance, he advised that the three interludes of the“Forlane” must be “metronomic.” As for the “Toccata,” Long tells us that Ravel’sinstructions were to “play ‘all the notes’ clearly and precisely in a movement which—apart from the tempo variation on page 26—must not slacken pace in the slightestdegree right to the final octave.”98

37 A 1922 piano roll recording of the “Toccata” demonstrates the bodily strain of

performing this piece.99 This corporeal struggle is sonically evident in the pianist’smany failed attempts at rhythmic consistency. His hands limp through the piece,faltering particularly on passages with exposed repeated notes, of which there aremany. It sounds a bit like a machine breaking down: notes follow one another jerkilyjust as a machine slows down and speeds up due to tiny bits of rust lodged in thegrooves of its cogs. This recording demonstrates the performer’s often futile efforts tomaintain a steady tempo, to force his hands to participate in seemingly ceaselessattempts at kinesthetic, not to mention sonic, accuracy. These are strains of aperformer’s musculature, a push and pull felt in individual muscle fibers, as well as in

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his/her bones, specifically in the joints that are interstitial spaces of kinestheticnegotiation, and in his/her skin as it flexes in the movement of pressing down each keyand jumping—sometimes nimbly but just as often awkwardly—from key to key. Thisfeeling in and through the flesh might be understood as a physical transduction of thepsychic and indeed physical pain experienced in intense grief.

38 Ravel’s Tombeau, then, can be understood as particularly well suited to expressing and

managing his and Long’s shared resistant mourning. Many resistant mourners—andthose in Ravel’s circle were no exception—feel the paradoxical need to remindthemselves of the loss they have experienced while simultaneously desiring toalleviate, even if ever so briefly, the pain of continuing to mourn.100 Thus while thedifficulty of Ravel’s Tombeau can be understood as a musical-performative analogue tothe pain of grief, the gestures required to play Ravel’s Tombeau also provided Long witha public opportunity to perform her grief in a way that would have circumvented thecondemnation that was often the response to more personal expressions of grief inWorld War I-era France. Simultaneously, the affinity of Ravel’s “Toccata” with the jeu

perlé performance style would have provided Long with the opportunity to engage in atype of performance—as well as daily practice—that she personally enjoyed, thusoffering her temporary distraction from her grief. In turn, the bodily re-entrainmenteffected through the repetitive, rhythmically regular, and hypnotic movements ofLong’s fingers and hands as she played Ravel’s Tombeau would have provided her with asense of bodily comfort and security within a psychic, physical, and social worldrendered unstable and fractured by war and the grief that she was experiencing.101

Beyond the Tombeau

39 The corporeally demanding, rhythmically repetitive, and somewhat mechanical

musical characteristics of Ravel’s Tombeau appear in numerous compositions written ininterwar France. The extent to which the resistant mourners in Ravel’s circle sought toplay music exhibiting these qualities suggests that music of this kind was considered tohave therapeutic properties.102 Nadia Boulanger, for instance, chose to transcribe fororgan and then perform Ravel’s Tombeau on a 1925 American tour. For these sameconcerts, she transcribed her sister Lili’s “Cortège,” which, like Ravel’s “Toccata” and“Prelude,” features constant sixteenth-notes at a fairly quick tempo, and performed anumber of compositions by Alexandre Guilmant, J.S. Bach, and Handel that displayextended passages of perpetual-motion-style keyboard technique.103 While surelyBoulanger was attempting to showcase French music as well as her own virtuosity onthe organ, it is also possible that her tendency towards resistant mourning, asevidenced through her scrapbooks, correspondence, and the many concerts sheorganized in memory of her sister, led her to choose compositions that would allow hersimultaneously to express and assuage her grief at the keyboard.

40 Furthermore, an examination of the repertoire that Long either chose to play, or that

was specifically written for her after her husband’s death —mostly by people who hadthemselves served in the war and suffered losses—suggests that music demanding thekind of égalité du mécanisme required by Ravel’s Tombeau was specifically linked tocoping with grief in World War I-era France. Roger-Ducasse's G-sharp minor Etude,which Long tells us was composed specifically as a way of persuading her to beginperforming publicly again, demands an extraordinary degree of technical skill and

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employs a large amount of figural repetition.104 Subtitled “Étude pour notes repétées,”this piece features extensive passages of consistent thirty-second notes that only let upthree times throughout the piece, and never for more than two measures. After each ofthese mid-Etude moments of repose, the pianist must immediately return to her fast-paced perpetuum mobile. Although the performance directions indicate modéré, at atempo of 76 beats per minute these thirty-second notes would go by at a quicker thancomfortable pace. Roger-Ducasse composes lengthy passages where the performerplays the exact same fingering pattern over and over again, only shifting her hands upand down the keyboard according to pitch set. And, as in Ravel's Tombeau de Couperin,Roger-Ducasse denies the pianist any use of the pedal.

41 Two other pieces written during the war’s tenure, and for which Long performed the

premieres, feature similar musical qualities: Debussy's difficult and technicallychallenging Douze Études and Philippe Gaubert’s Sonata for Flute and Piano. In theNovember 1917 concert that marked the Société Nationale's return to publicperformances, Long played three of Debussy's Douze Études—“Pour les ‘cinq doigts,’”“Pour les sonorités opposées,” and “Pour les Arpèges composés”—which Debussy hadwritten during the summer of 1915. Notably, “Pour les Arpèges composés” and “Pourles ‘cinq doigts’” exhibit lengthy passages of perpetual sixteenth-note sextuplets thatare often juxtaposed with fast-moving duple-meter figures in the hand not playing thesextuplets, thus requiring incredible consistency and accuracy from the pianist, as wellas a large amount of hand independence. The other etude Long chose to play, althoughnot necessarily in the jeu perlé style, is still notably tied to mourning, since hereDebussy heavily quoted his Berceuse héroïque, which he had composed less than a yearearlier for the King Albert’s Book, a collection of works paying tribute to the Belgiansoldiers who died in their attempts to protect France from the German invasion in thesummer of 1914.105 Similarly, Philippe Gaubert's Sonata for Flute and Piano, whichMarguerite Long premiered with the composer at a Société Nationale concert on March22, 1919, presents the pianistic performer with extended opportunities to play quickly-moving, highly technical, and repetitive passages of sixteenth notes.

42 Although these pieces in the jeu perlé style were written to match Long’s performing

preferences, they were also likely beneficial to others in Ravel’s and Long’s social circle,including the composers themselves. Philippe Gaubert, Roger-Ducasse, and Ravel wereall soldiers in the war, knew people who had died during the war’s tenure, and hadsignificant losses to mourn. Gaubert, for instance, whose Sonata for Flute and Piano wascompleted in June 1917, writes a moving letter to Nadia Boulanger in April 1916 abouthaving buried a friend of his who had been killed in the trenches on January 26th. Hereports having lived through some tragic days since then, recounting that he had to telltheir mutual friends of his death when he was on leave, and wondering how he hasmanaged to remain “safe and sound” when so many of his friends had lost their lives.106

Roger-Ducasse, on the other hand, was mourning the death of Joseph de Marliave, and,as he wrote to Lambinet in April 1916, had become extraordinarily depressed whileserving in the army.107 Similarly, when writing his Douze Études during the summer of1915, Debussy was in the process of working through grief and depression. Like Roger-Ducasse, he had been close friends with Long’s husband, and thus was mourningMarliave’s death while also attempting to cope with what Long suggested was one ofthe deepest depressions of his life.108

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43 Considering that each of these men—with the exception perhaps of Gaubert—was

known to compose at the piano, 109 their choices to compose some of their mosttechnically challenging, etude-like, and repetitive works for piano during theemotionally difficult years of the war suggest that the compositions that they wrote forLong also offered each of them a means of musical solace. The remarks of ÉmileVuillermoz about these composers’ relationship with the piano support this idea.Vuillermoz, who was a friend of Debussy as well as a fellow classmate of Ravel, Gaubert,and Roger-Ducasse at the Paris Conservatoire, observed that for many composers, andespecially for Ravel and Debussy, the piano acted as an “instrument-confessor” withwhich composers shared their secret feelings and desires.110 He added, as well, that timespent at the keyboard rendered the piano’s vibrating strings into extensions of themusician’s nervous system. Thus it is not difficult to imagine that for Ravel, Debussy,Roger-Ducasse, and Gaubert, creating these challenging and yet somewhat hypnoticcompositions gave them the opportunity to bring a sense of rhythmic stability andcomfort back to their minds and bodies.

44 However, Ravel’s Piano Concerto in G perhaps offers the best example, aside from the

Tombeau, of how the relationship between pianistic performance and grief wasunderstood amongst this group of friends. Although Ravel had initially wanted tocompose a piano concerto to play himself, he decided instead to write a concertospecifically for Long.111 At the opening of the second movement, Ravel invites Long toperform her grief through a slow, melancholy waltz with a melody that, whileincredibly beautiful, is heavy, languorous and dripping with pathos to an extent thatlittle in Ravel's oeuvre can match (see Figure 5a). Long repeatedly voiced her anxietyover this particular passage, writing in 1945 that “this long, very long melody with itscontained emotion,” never ceased to worry her, both because of its expansiveness—itcomprises nearly the first third of the movement—and the fact that Ravel forces her toplay it completely solo, without the support of the orchestra.112 That this is Long'sresistant mourning given musical voice is indicated by the melancholy nature of thetheme, as well as its length, its inability to resolve, the awkward and uncomfortablefashion in which the melody fails to align entirely with the waltz rhythm, and theisolation and exposure the performer is asked to endure. In addition, when Ravel bringsback this theme at the end of the movement, he gives this melody to the English horn,an instrument traditionally associated with mourning and lament.113

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Figure 5a: Maurice Ravel, Piano Concerto in G (Paris, Durand, 1932); mm. 1-20.

45 This moment of thematic return is not only unbelievably moving, but also

communicates the important role that musical performance played in coping with grieffor Ravel and Long. In yet another incredibly kind gesture of musical friendship, Ravelchooses this precise moment to give Long what he knows might help her most: theopportunity to hear her grief sympathetically voiced by someone else while her fingersmove through measure after measure of technical-exercise-like and highlyrhythmically regular passagework composed of steady thirty-second notes. This is herperfect jeu perlé (see Figure 5b). As in the “Toccata” of Le Tombeau de Couperin, hereRavel gives Long an extended moto perpetuo devoid of slurs, pedal, or expressivemarkings.114 Long’s jeu perlé continues until the last six measures of the movement,when Ravel gives her the softly played trills he had once promised her.115 In these lastsix measures Ravel also provides an uplifting resolution to E-major that we have beenanxiously awaiting for the entirety of the movement. By placing this moment ofmusical resolution right on the heels of Long’s jeu perlé passagework, Ravel seems toarticulate that through musical performance it is possible to achieve at least a momentof mental and emotional peace from one’s grief.

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141

Figure 5b: Maurice Ravel, Piano Concerto in G (Paris, Durand, 1932), mm. 72-80. The English hornsolo/recapitulation begins at m. 74.

46 Ravel gave Long this Concerto just two days before her fifty-seventh birthday, on

November 11, 1931. This was also the anniversary of the Armistice, a fact that hadsurely not escaped Ravel. In describing the first time she had the opportunity to playRavel’s Concerto in G, Long recounts, “I sat down to sight-read little by little thesepattes de mouches, and when I arrived at this marvelous Andante, at the entry of theEnglish horn, which repeats the phrase from the beginning of the movement with thethirty-second notes in the piano, I was so moved by it that I had tears in my eyes. Theysay that I play this concerto well. It is because it evokes for me so many poignantmemories!”116 Long’s tenderly evoked memories were, we might imagine, of the happieryears spent sharing a life with Joseph de Marliave before the war. However, it is likelythat the concerto was also a touching reminder in sound and movement of herfriendship with Ravel, their shared experience of resistant mourning, and the ways inwhich, for both of them, making music offered a way to express and cope with grief.

NOTES

1. RAVEL, Maurice, Letter to ROLAND-MANUEL, Alexis, 1 October 1914, in ORENSTEIN, Arbie (ed.),

Lettres, écrits, et entretiens, Paris, Flammarion, 1989, p. 145; cited and translated in ORENSTEIN,

Arbie (ed.), A Ravel Reader: Correspondence, Articles, Interviews, New York, Columbia University

Press, 1990, p. 155-156: “Je ne peux plus rester sans nouvelles d’aucun ami…De temps en temps,

on en reçoit d’affreuses, indirectement, qui sont démenties 2 jours après. C’est ainsi que j’ai

appris la mort du capitaine Marliave, et que je n’ose rien écrire à sa femme.” Unless otherwise

noted, the translations that appear in this article are my own. This article was adapted from

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142

unpublished papers presented at the Symposium on the Art of Death and Dying at the University

of Houston in October 2012, the annual meeting of the American Musicological Society in New

Orleans in November 2012, and Esteban Buch’s seminar, Musique et politique au XXe siècle at the

École des Hautes Études en Sciences Sociales in Paris in February 2013. I am indebted to Professor

Buch and the graduate students who attended his seminar, as well as to all of the respondents to

previous versions of this paper for their invaluable feedback. I would also like to thank Nina

Eidsheim for encouraging me to explore the relationship between grief and pianistic

performance in her UCLA graduate seminar, Musicology in the Flesh, in the spring of 2010. In

addition, I would like to thank Robert Pearson, Erin Jerome, Karen Turman, and Fanny Gribenski,

as well as my fellow UCLA graduate students who participated in dissertation seminar in January

2013, for providing immensely helpful feedback on earlier versions of this paper. Finally, special

thanks go to Tamara Levitz for her always thoughtful and invaluable comments on earlier

versions of this article, as well as for her incredible and continuing support as my dissertation

advisor. Funding for archival research for this article was generously provided through a

Chateaubriand Fellowship and Phi Beta Kappa’s Mary Isabel Sibley Fellowship.

2. Gustave Samazeuilh, Raoul Brunel, and Jean Marnold wrote reviews of this performance.

3. All of these people were serving on the Comité of the Société Musicale Indépendante in 1919,

with the exception of Boulanger, who would be added to the Comité in Spring 1920.

4. Marraine de guerre translates literally as “war godmother”; in France during World War I many

soldiers had a marraine de guerre who sent them care packages, and with whom they regularly

corresponded. Ravel’s mother died of natural causes on January 5, 1917.

5. LONG, Marguerite, At the Piano with Ravel, LAUMONIER, Pierre (ed.), SENIOR-ELLIS, Olive

(trans.), London, J.M. Dent & Sons Ltd., 1973, p. 89. The Médiathèque Musicale Mahler (MMM)

holds a typed manuscript of an “Hommage à Marguerite Long, 4 Juin 1956” (most likely written

by ESCHOLIER, Raymond), which explains that Ravel had been friends with Marliave before he

knew Long, and that the couple was friends with Ravel from around 1908. MMM, Fonds

Marguerite Long, Documents biographiques, Boîte 2.

6. RAVEL, Maurice, Letter to LONG, Marguerite, 2 July 1918, in CHALUPT, René and GÉRAR,

Marcelle (eds.), Ravel au miroir de ses lettres, Paris, R. Laffont, 1956, p. 152-153.

7. In a letter of 23 February 1919, Ravel tells Long that Edouard Risler has been working on the

suite, but that he hopes that she'll still be able to give the premiere; in CHALUPT, René and

GÉRAR, Marcelle (eds.), op. cit.,, p. 164-165. Robert Casadesus, being a friend of Ravel’s at this

time, likely could have gained access to the score as well. He gave a concert in February or March

1918 on which he played Ravel's Sonatine (BRÉARD, R., “Concerts Divers. M. Robert Casadesus,” Le

Courrier musical, 15 March 1918, p. 138-139). Ravel at least appreciated Casadesus’s interpretation

of the suite since he asked Casadesus to accompany him to a 1922 piano roll recording session in

which his Tombeau was to be recorded. It is still unclear as to whether the performer for that

recording was Casadesus or Ravel.

8. JOURDAN-MORHANGE, Hélène, “Le grand musicien Maurice Ravel est mort,” La République, 29

December 1937; JOURDAN-MORHANGE, Hélène, “Ravel à Montfort-l’Amaury,” in Ravel par

quelques-uns de ses familiers, Paris, Éditions du Tambourinaire, 1939, p. 167-168: “ami

incomparable.”

9. RAVEL, Maurice, Letter to LONG, Marguerite, 14 January 1920, in CHALUPT, René and GÉRAR,

Marcelle (eds.), op. cit.,,p. 168-169: “J’ai repris le travail, d’un manière acharnée, comme autrefois.

… Comme autrefois; pas tout à fait : la dernière fois c’était à St-Jean-de-Luz… Nulle mieux que

vous ne peut comprendre ma tristesse affreuse.”

10. Similarly, Deborah Mawer acknowledges the relationship between Ravel’s “preoccupation

with death” after 1917 and his musical output during these years in MAWER, Deborah,

“Balanchine’s La Valse: Meanings and Implications for Ravel Studies,” The Opera Quarterly 22, No.

1, 2007, p. 90-116. There are, of course, many other ways of understanding Ravel’s Tombeau de

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143

Couperin, as per the beautiful readings of the suite performed by Carolyn Abbate and Glenn

Watkins, amongst others. See ABBATE, Carolyn, “Outside Ravel’s Tomb,” Journal of the American

Musicological Society 52, no. 3, October 1999, p. 465-530; and WATKINS, Glenn, Proof Through the

Night: Music and the Great War, Berkeley, University of California Press, 2003. I hope that my

reading of the piano suite will be understood as offering just one other perspective on Ravel’s

composition that has not been previously considered within the current scholarship on Ravel.

For more on the myriad and complex ways in which Ravel’s Tombeau, along with the remainder

of his postwar oeuvre, can be understood as helping musicians to express and cope with grief, see

my dissertation, “Grieving Through Music in Interwar France: Maurice Ravel and His Circle,

1914-1934,” Ph.D diss., University of California at Los Angeles, 2014.

11. ARIÈS, Philippe, Essais sur l’histoire de la mort en Occident : du Moyen Âge à nos jours, Paris, Seuil,

1975, p. 57; translated in ARIÈS, Philippe, Western Attitudes Toward Death: From the Middle Ages to the

Present, RANUM, Patricia M. (trans.), Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1974, p. 67. “Le

XIXe siècle est l’époque des deuils que le psychologue d’aujourd’hui appelle hystériques”; “le deuil

s’est déployé avec ostentation au-delà des usages.”

12. Ibid., p. 70; translated in ARIÈS, Philippe, Western Attitudes Toward Death, op. cit.,, p. 90: “Une

peine trop visible n’inspire pas la pitié, mais une répugnance; c’est un signe de dérangement

mental ou de mauvaise éducation; c’est morbide…le deuil solitaire et honteux est la seule

ressource, comme une sorte de masturbation”; “Si quelques formalités sont maintenues, et si une

cérémonie marque encore le départ, elles doivent rester discrètes et éviter tout prétexte à une

quelconque émotion: c’est ainsi que les condoléances à la famille sont maintenant supprimées à

la fin des services d’enterrement. Les manifestations apparentes du deuil sont condamnées et

disparaissent. On ne porte plus de vêtements sombres, on n’adopte plus une apparence différente

de celle de tous les autres jours.”

13. See my dissertation, op. cit.

14. This is particularly evident in the obituaries written after the death on March 25, 1918 of

Claude Debussy. Many journalists framed Debussy’s death as a loss for the nation, rather than a

personal loss. In contrast to obituaries and reporting on the deaths of Jules Massenet and

Ambroise Thomas in the decades just prior to World War I, journalists writing about Debussy’s

death in 1918 use “we” rather than “I” to express their grief; this trend is apparent as well in the

reporting on Camille Saint-Saëns’s and Gabriel Fauré’s deaths in 1921 and 1924, respectively. For

more on this, see the my dissertation, op. cit.

15. See AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane, Men at war, 1914-1918: national sentiment and trench journalism

in France during the First World War, MCPHAIL, Helen (trans.), Providence, Berg, 1992; PETIT,

Stéphanie, “Le Deuil des veuves de la grande guerre : un deuil spécifique ?” Guerres mondiales et

conflits contemporains, No. 198, June 2000, p. 53-65; p. 64.

16. DEBUSSY, Emma, Letters to CAPLET, André, 14 April 1918, 20 June 1918, 3 or 4 August 1918,

undated letter from late 1918 or early 1919, 15 September 1920, 20 September 1920; Bibliothèque

Nationale de France (BnF), Département de la Musique (Mus.), Fonds André Caplet, Volume 1B,

Nouvelles lettres autographes 269, Letters 170-173 and 182-183. DEBUSSY, Emma, Letters to

LONG, Marguerite, undated, MMM, Fonds Marguerite Long, Correspondance.

17. DEBUSSY, Emma, Letter to CAPLET, André, 20 June 1918: BnF, Mus., Fonds André Caplet,

Volume 1B, Nouvelles lettres autographes 269, Letter 171: “tous ces héros qui lutttent depuis des

années”; “J’ai la certitude d’ennuyer tout le monde avec mon chagrin.”

18. DEBUSSY, Claude-Emma, Letter to BARDAC, Raoul, 8 April 1918, in LESURE, François (ed.),

Claude Debussy, Lettres, Paris, Hermann, 1980, p. 286-287; cited and translated in LOCKSPEISER,

Edward (ed.) Claude Debussy, His Life and Mind, Cambridge, Cambridge University Press, 1978, p.

223-24: “Au cimetière, maman, naturellement, ne put se comporter mieux qu’elle le faisait et

quant à moi, ne pensant plus à rien, sauf: “il ne faut pas pleurer à cause de maman”; “Un torrent

de larmes voulait s’échapper de mes yeux mais je les refoulais immédiatement à cause de maman.

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144

Toute la nuit, seule dans le grand lit de maman, je ne pus dormir une minute. J’avais la fièvre et

mes yeux secs interrogeaient les murs”; “je le sens plus poignant encore.”

19. ROGER-DUCASSE, Jean, to LAMBINET, André, 19 March 1916; in DEPAULIS, Jacques (ed.),

Lettres à son ami André Lambinet, Sprimont, Mardaga, 2001, p. 110-111: “obscènement égoïste”; “Et

puis tout va mal, tout est mauvais, clergé, magistrature, armée. Cette femme, c’est Pangloss à

l’envers.” Ducasse’s reference to Pangloss, the overly and bafflingly optimistic teacher in

Voltaire’s Candide, is actually a reference to Marguerite Long’s late husband, Joseph de Marliave,

who Ducasse often called by this nickname.

20. Ibid., p. 111-112: “Elle est de plus en plus la même, avec les mêmes exagérations, les mêmes

sentiments malheureux.”

21. SAINT-MARCEAUX, Marguerite de, in CHIMÈNES, Myriam (ed.), Journal: 1894-1927, Paris,

Fayard, 2007, Entry of 7 January 1917, p. 926; cited and translated in NICHOLS, Roger, Ravel, New

Haven, Yale University Press, 2011, p. 188. “Les deux frères sont désespérés, ils adoraient leur

mère. On les portait presque. Ils ne pouvaient rester debout. Êtres déséquilibrés, incapables de

réagir et de se dominer. Spectacle lamentable peu réconfortant par ce temps où l’héroïsme se

dépense comme la respiration.”

22. Maurice Maréchal also remarks upon the need to keep one’s emotions to oneself in order to

avoid mockery from other soldiers. MARECHAL, Maurice, in DUROSOIR, Luc (ed.), Deux musiciens

dans la Grande guerre, Paris, Tallandier, 2005 [see especially the entries from 6 October 1914 (p.

240) and 13 April 1917 (p. 314)]. For more on the relationship between social rules regarding

emotional display and World-War-I-era French cultures of heroic masculinity, see my

dissertation, op. cit.

23. Many scholars have addressed this type of mourning, although not all of them use the term “

resistant mourning” to describe it. Freud, for instance, referred to this as “melancholia” in

FREUD, Sigmund, “Mourning and Melancholia [1917],” in STRACHEY, James (ed. and trans.), The

Standard Edition of the Complete Psychological Works of Sigmund Freud, vol. 14, London, Hogarth Press,

1957, p. 238-258. For a more complete discussion of the history of the concept of resistant

mourning than I have space to include here, see RAE, Patricia, “Introduction: Modernist

Mourning,” in RAE, Patricia (ed.), Modernism and Mourning, Lewisburg, PA, Bucknell University

Press, 2007. Many of these theorists, particularly the psychoanalytic theorists and those working

within trauma studies, emphasize that many different factors lead to someone becoming a

resistant mourner, including the circumstances of the loved one’s death, the relationship

between the mourner and the deceased, and the amount of guilt that the mourner felt or

continues to feel in relation to the person who has died. The ability to speak about the death in

question, however, is a significant factor as well.

24. DERRIDA, Jacques, in BRAULT, Pascale-Anne and NAAS, Michael (eds.), The Work of Mourning,

Chicago, University of Chicago Press, 2001; RAE, Patricia, op. cit.

25. In “Mourning and Melancholia” and other essays Freud uses the term “introjection” to

describe the process by which the ego accepts painful losses. Nicolas Abraham and Maria Torok

(see note 25), however, are primarily concerned with certain mourners’ inability to subsume a

loss into the ego in a way that acknowledges the painfulness of the loss; this failure of

introjection is masked, they argue, by a « fantasy of incorporation» that engenders the psychic

encryption of a lost love object. For more on this subject, see ABRAHAM, Nicolas and TOROK,

Maria, “Introjection-Incorporation: Mourning or Melancholia,” in LEBOVICI, Serge and

WIDLÖCHER, Daniel (eds.), Psychoanalysis in France, New York, International Universities Press,

1980, p. 3-16.

26. ABRAHAM, Nicolas, and TOROK, Maria, in RAND, Nicholas T. (ed.), The Shell and the Kernel:

Renewals of Psychoanalysis, Volume 1, Chicago, University of Chicago Press, 1994, p. 130.

27. VOLKAN, Vamik D., “Not letting go: from individual perennial mourners to societies with

entitlement ideologies,” in FIORINI, Leticia Glocer, BOKANOWSKI, Thierry, and LEWKOWICZ,

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145

Sergio (eds.), On Freud's “Mourning and Melancholia,” London, International Psychoanalytic

Association, 2007, p. 102.

28. Ibid., p. 101-103.

29. LONG, Marguerite, “Souvenirs de M.L.: Albéniz, Debussy et Fauré,” MMM, Fonds Marguerite

Long, Documents biographiques, Boîte 2, Bio. 5.

30. MMM, Fonds Marguerite Long, Divers Matérials.

31. ROGER-DUCASSE, Jean, in DEPAULIS, Jacques (ed.), op. cit., 106: “Puis Marg. nous montre dans

le Temps et le Matin, je crois, la citation du pauvre Jo…Puis l’article de Bruneau dans la Nouvelle

Revue, puis d’un autre dans je ne sais quoi.”

32. There were not very many obituaries for Nadia Boulanger to collect after the death of her

sister on March 15, 1918 due to the Parisian press’s need to focus on war-related events and

deaths between August 1914 and November 1918; I discuss this at greater length in my

dissertation, op. cit.

33. BOULANGER, Nadia, Raoul Pugne [sic]. Articles nécrologiques: recueil factice de coupures de presse,

BnF, Mus., Vma 4043.

34. RAVEL, Maurice, Manuscript Autographs of the Sonata for Violin and Piano and the Sonata

for Violin and Violoncello, The Pierpont Morgan Museum and Library (PMML), Robert Owen

Lehman Collection, R252.S698.

35. See, for example, ROLAND-MANUEL, Alexis, Maurice Ravel, JOLLY, Cynthia (trans.), New York,

Dover Publications, Inc., 1972, p. 80; and NICHOLS, Roger, op. cit.,, p. 187-189.

36. NICHOLS, Roger, op. cit., p. 187-88.

37. RAVEL, Maurice, Letter to DE FALLA, Manuel, 19 September 1919, in ORENSTEIN, Arbie (ed.),

Lettres, écrits, et entretiens, op. cit., p. 176; translated in ORENSTEIN, Arbie, (ed.), A Ravel Reader, op.

cit., p. 193: “Moi, je ne me suis pas encore repris”; “Peut-être cela finit-il par s’apaiser à la

longue.”

38. RAVEL, Maurice, Letter to GODEBSKA, Ida, 27 December 1919, in ORENSTEIN, Arbie (ed.),

Lettres, écrits, et entretiens, op. cit.,, p. 178; translated in ORENSTEIN, Arbie (ed.), A Ravel Reader, op.

cit., p. 195: “Je songe qu’il y aura bientôt 3 ans qu’elle est partie, que mon désespoir augmente de

jour en jour.”

39. LONG, Marguerite, Au piano avec Gabriel Fauré, Paris, R. Julliard, 1963, p. 72: “emmurée dans

mon deuil.”

40. DEBUSSY, Emma, Letter to CAPLET, André, postmarked 14 April 1918, BnF, Mus., Fonds André

Caplet, Correspondance, Volume 1B, 170: “ce labyrinthe de douleur.” DEBUSSY, Emma, Letter to

LONG, Marguerite, undated, MMM, Fonds Marguerite Long, Correspondance: “Mais le cauchemar

horrible dans lequel je suis est si profond en moi que je ne sais plus très bien où je suis.”

41. SAINT-MARCEAUX, Marguerite de, in CHIMÈNES, Myriam (ed.), op. cit., Entry of 3 November

1915, p. 874: “J’y suis [sic] misérablement dans une détresse morale que je ne pourrai jamais

surmonter.”

42. Ibid., Entry of 1 July 1915, p. 862: “une mélancolie douloureuse mais avec plaisir”; “plus en

communication.

43. Ibid., Entries of 1 Mai 1915—8 July 1915, p. 858-863.

44. DEBUSSY, Emma, Letter to LONG, Marguerite, undated, MMM, Fonds Marguerite Long,

Correspondance: “Moi j’appelle toujours Chouchou…Elle ne m’entend plus!!”

45. DEBUSSY, Emma, Letter to CAPLET, André, postmarked 14 April 1918, BnF, Mus., Fonds André

Caplet, Vol. 1B, 170: “Il me semble que le plus grand malheur qui pourrait encore m’accabler,

serait de ne plus ressentir cette recherche passionnée de Sa trace.”

46. DUROSOIR, Luc (ed.), op. cit., p. 223, fn. 3.

47. MARÉCHAL, Maurice, Letter to BOULANGER, Nadia, 26 May 1918, Lettres de musiciens

mobilisées ou de leur famille adressées au Comité franco-américain, BnF, Mus., Rés. Vm. Dos. 88

(6): “C’est pourquoi, je sais tout ce que vous pouvez souffrir. Le seul et vrai et long adoucissement

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146

est de sentir que la souffrance ne passe pas. Ce serait vraiment trop pénible qu’elle ne dure que la

durée stricte d’un deuil; et puis – on s’habitue si bien à la longue; la vraie souffrance serait de ne

plus souffrir. Il faut de reste que cela devienne peu à peu de la douceur; alors, à l’époque où la

première amertume et la première révolte ont disparu, on trouve quelquefois, à revivre des

souvenirs heureux, de véritables minutes de pleine joie et de bonheur. Elles laissent une

impression si réconfortante, celle que l’être dont on vient de parler, entre intimes, n’a pas

seulement été évoqué, mais que la réunion de tous ceux qui s’aimèrent a bien été réalisée à

nouveau.”

48. MARÉCHAL, Maurice, Letter to BOULANGER, Nadia, 15 May 1918, Lettres reçues par Nadia

Boulanger sur la question de “Quelle musique après la guerre,” BnF, Mus., Rés. Vm. Dos. 88 (4),

32: “Du reste, c’est bien le seul moyen de faire vivre en soi les êtres chers disparus, que d’agir et

de penser comme si vraiment ils agissaient et pensaient à côté de nous – en êtres très réellement

existants.”

49. VOLKAN, Vamik D., art. cit., p. 98-99; ABRAHAM, Nicolas and TOROK, Maria, “Introjection—

Incorporation: Mourning or Melancholia,” op. cit., p. 8.

50. See the concert programs for her US tour in January and February of 1925. BnF, Mus., Rés.

Vm. Dos. 195.

51. SAMAZEUILH, Gustave, Musiciens de mon temps, chroniques et souvenirs, Paris, M. Daubin, 1947,

p. 287. Jeanice Brooks further addresses how Lili’s death affected Nadia Boulanger’s career in The

Musical Work of Nadia Boulanger: Performing Past and Future Between the Wars, Cambridge, Cambridge

University Press, 2013.

52. ALBÉNIZ, Laura and ALBÉNIZ, Rosina, Letters to LONG, Marguerite, 7 January 1916 to 4

January 1923, MMM, Fonds Marguerite Long; ALBÉNIZ, Rosina, Letter to LONG, Marguerite, 4

January 1923, MMM, Fonds Marguerite Long, Correspondance: “deux êtres disparus qui vous

furent très chers.”

53. DEBUSSY, Emma, Letter to LONG, Marguerite, [December 1919], MMM, Fonds Marguerite

Long, Correspondance: “J’étais trop bouleversée pour demeurer plus longtemps”; “mon émotion

était doublée d’un si cruel chagrin.”

54. RAVEL, Maurice, Letter to GODEBSKA, Ida, 27 December 1919, in ORENSTEIN, Arbie, Lettres,

écrits, entretiens, op. cit., p. 178; translated in ORENSTEIN, Arbie (ed.), A Ravel Reader, op. cit., p. 195:

“cette chère présence silencieuse m’enveloppant de sa tendresse infinie.”

55. RAVEL, Maurice, Letter to FALLA, Manuel de, September 1919, in ORENSTEIN, Arbie, Lettres,

écrits, entretiens, op. cit.,, p. 176; translated in ORENSTEIN, Arbie (ed.), A Ravel Reader, op. cit., p. 193:

“ …je n’ai pu encore me remettre au travail, et pourtant je sens que ce serait là, sinon l’oubli, que

je ne désire pas, du moins le meilleur adoucissement.”

56. NICHOLS, Roger, op. cit., p. 205. Nichols argues that it is possible to understand oubli as a

reference to suicide, since oubli can also mean “oblivion.” This seems unlikely, however, due to

the fact that oubli, even if understood as “oblivion” still relates to memory in its contemporary

etymology.

57. Hélène Jourdan-Morhange was also apparently mourning someone else in the 1920s, as

evidenced by a condolence letter Ravel wrote to her on 23 October 1923, published in CHALUPT,

René and GERAR, Marcelle (eds.), op. cit., p. 200-201. The editors articulate that this letter was in

response to the death of Jourdan-Morhange’s mother, but Colette’s condolence letters to

Jourdan-Morhange and her father dated 1 October 1934 suggest that Madame Morhange did not

pass away until a decade after Ravel’s letter. See Colette in VILLARET, Bernard (ed.), Lettres à

Moune et au Toutounet: Hélène Jourdan-Morhange et Luc-Albert Moreau, 1929-1954, Paris, des Femmes,

1985, p. 100-101.

58. SATIE, Erik, Letter to DREYFUS, Mme Fernand, 30 July 1917, in VOLTA, Ornella (ed.), Erik Satie:

Correspondance Presque Complète, Paris, Fayard, 2000, p. 292-293; ROSENTHAL, Manuel, in

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147

conversation with Roger Nichols, in NICHOLS, Roger, op. cit., p. 190. Deborah Mawer has similarly

noted what she terms Ravel’s «preoccupation with death in MAWER, Deborah, art. cit., p. 90.

59. SILVERMAN, Phyllis K., Widow to Widow: How the Bereaved Help One Another, New York, Brunner-

Routledge, 2004, p. xiii.

60. WINTER, Jay, Sites of Memory, Sites of Mourning: The Great War in European Cultural History,

Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 30, 34, 46-48.

61. Jean Dreyfus is the dedicatee of the fifth movement—the “Menuet”—of Ravel’s Le Tombeau de

Couperin. It is not known precisely when he died, although it was sometime in late 1916 or early

1917.

62. For more on “Les Apaches” see PASLER, Jann, “A Sociology of the Apaches: ‘Sacred Battalion’

for Pelléas,” in KELLY, Barbara, MURPHY, Kerry, and LESURE, François (eds.), Berlioz and Debussy:

Sources, Contexts, and Legacies, Aldershot, England, Ashgate, 2007, p. 149-166. It seems particularly

notable that Ravel chose to write so much of his postwar piano music for Marguerite Long, rather

than for Ricardo Viñes, who had been his preferred pianist prior to the war.

63. See RAVEL, Maurice, Letter to FALLA, Manuel de, 19 September 1919, in ORENSTEIN, Arbie

(ed.), A Ravel Reader, op. cit., p. 193; RAVEL, Maurice, Letter to KAHN-CASELLA, Hélène, 19 January

1919, in Ibid., p. 185 ; RAVEL, Maurice, Letter to GAUDIN, Marie, 6 January 1921, in DELAHAYE,

Michele, “Lettres de Maurice Ravel à la famille Gaudin de Saint-Jean-de-Luz. Deuxième Partie: de

1919 à 1927,” in Cahiers Maurice Ravel 10, 2007, p. 14-56; p. 17; RAVEL, Maurice, Letter to

JOURDAN-MORHANGE, Hélène, 12 October 1923, in CHALUPT, René and GERAR, Marcelle (eds.),

op. cit., p. 200-201.

64. RAVEL, Maurice, Letter to JOURDAN-MORHANGE, Hélène, 29 August 1926, in Manuscript

Autograph of the Sonata for Violin and Piano, PMML, R252.S698: “Parme de Sonate. Suis venu

rafraîchir l'inspiration dans les flots de l'Océan, auprès de Maurice Delage, qui vient de perdre

son père.”

65. In addition to the several pieces listed in this paragraph, throughout the 1920s Long

frequently performed a number of the compositions that she had been fond of performing in the

winter and spring of 1914, including Fauré’s Ballade, Beethoven’s C Minor Piano Concerto, and

Franck’s Symphonic Variations. See DUNOYER, Cecilia, Marguerite Long: A Life in French Music,

1874-1966, Bloomington, Indiana University Press, 1993, p. 31-33, 35, 86. See also reviews of her

performances of early 1914 found in a large scrapbook of press clippings in MMM, Carrière, Boîte

2. Similarly, Long added Fauré’s Third Valse Caprice to her repertoire around the time that she

met Joseph de Marliave in 1903, and the piece later appeared on the second of her 1921 recitals.

See DUNOYER, Cecilia, op. cit., p. 21, 86.

66. LONG, Marguerite, Au piano avec Claude Debussy, Paris, Julliard, 1960, p. 21. Although several

reviewers considered this Long’s first solo recital in eleven years (see BERTELIN, Albert, “Mme

Marguerite Long,” Le Courrier musical, 15 May 1921), it was actually her first recital in Paris in that

time. She had performed in a solo recital to benefit prisoners of war at the Golf Hotel in Saint

Jean-de-Luz in the summer of 1918. Her repertoire on this recital overlapped with that of her

1921 Paris recitals; in both, for instance, she performed Debussy’s L’Isle Joyeuse. See DUNOYER,

Cecilia, op. cit., p. 74.

67. ROGER-DUCASSE, Jean, “Les deux Concerts de Mme Marguerite Long,” in Le Monde Musical 32,

nos. 7 and 8, April 1921, p. 159: “Fidèle, ce faisant, au souvenir de l’Ami dont nous vénérons la

mémoire.”

68. BERTELIN, Albert, Gazette des Classes de Composition du Conservatoire BnF, Mus., Rés. Vm. Dos. 88

(1), Nº 1, [1915], p. 5-6: “Quelques heures claires viennent pourtant de temps à autre illuminer le

morne enchaînement des heures sombres ce sont celles où, durant les Offices, je laisse errer un

peu à l’aventure mes doigts sur le clavier d’un très modeste harmonium dans l’Eglise de Saint-

Ouen-L’Aumône, j’oublie alors pour un temps, les soucis, les chagrins, les angoisses de chaque

jour.”

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69. MANGERET, Ernest, in Ibid., Nº 5, [1916?], p. 22: “Quelques moments de loisir me permettent

de redevenir un peu moi-même… Ces temps-ci, nous avons trouvé un piano dans une maison à

moitié démolie, nous l’avons descendu dans une cave (vous comprenez pourquoi!) et le soir venu,

nous nous réunissons, quelques amis pour faire un peu de musique.”

70. SAINT-MARCEAUX, Marguerite de, in CHIMÈNES, Myriam (ed.), op. cit.,, p. 863-864: “Mon René

adoré où es-tu? J’ai repris mon piano, j’ai pu jouer et même chanter… C’est la seule occupation

qui pourra me faire supporter la vie” (p. 863); “Nous referons de la musique et c’est la seule chose

qui me raccroche à la vie, tout le reste m’énerve et me fatigue” (p. 864).

71. MESSAGER, André, Letter to SAINT-MARCEAUX, Marguerite de, 8 August 1915, BnF, Arts du

Spectacle, cited in SAINT-MARCEAUX, Marguerite de, in CHIMÈNES, Myriam (ed.), op. cit., p. 864,

n. 1: “La musique est la plus grande consolatrice des cœurs meurtris et ceux qui l’aiment et la

pratiquent comme vous y trouvent la guérison des blessures les plus saignantes.”

72. ROGER-DUCASSE, Jean, in DEPAULIS, Jacques (ed.), Roger-Ducasse: lettres à Marguerite Long et à

son mari, Joseph de Marliave, Paris, Observatoire Musical Français, 2007, p. 52: cited and translated

in DUNOYER, Cecilia, op. cit., p. 68-69: “Suzanne nous dit que vous avez un peu recommencé à

travailler votre piano : cela me réjouit car vous ne trouverez point ailleurs un aussi involontaire

désir de revivre – je dis revivre, car les mois que vous venez de passer ont été pour vous comme si

vous n’existiez pas ou plutôt comme si rien n’existait plus en vous. Or cela n’était ni la justice ni

la raison et voilà pourquoi je me réjouis de vous voir revenir à ce qui peut vous sauver.”

73. BRUNEAU, Alfred, Letter to LONG, Marguerite, January or February 1915, MMM, Fonds

Marguerite Long, Correspondance: “Souhaitons donc qu’une paix glorieuse s’établisse chez nous

durant 1915 et nous permette de reprendre notre travail qui, seul, adoucira nos peines et nous

donnera la force de continuer notre route.”

74. LONG, Marguerite, Au piano avec Gabriel Fauré , op. cit., p. 72: “Les jours passaient, sans

m'apporter la résignation du sacrifice. Le renoncement me semblait être l'unique refuge. La

musique seule m'était consolante. C'est elle qui m'a sauvée.”

75. DENORA, Tia, Music in Everyday Life, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 107.

76. PIRON, Constantin, L'Art du Piano, preface LONG, Marguerite, Paris, Fayard, 1949, p. 39.

77. LONG, Marguerite, Le Piano de Marguerite Long, Paris, Salabert, 1959, p. III: “Le toucher est bien

un sens aussi riche et peut-être plus essentiel que celui de la vue, de l'ouïe, de l'odorat.”

78. Ibid., p. III. Quoting MARTEL, Thierry de: “Je suis convaincu qu'à l'encontre de ce qui est

généralement admis, ce n'est pas notre esprit qui mobilise nos doigts, mais nos doigts et leurs

mouvements presque inconscients qui donnent le branle à notre esprit.”

79. Jaques-Dalcroze lived in Paris between 1924 and 1926, and moved in the same general social

circle as Long. BRUNET-LECOMTE, H., Jaques-Dalcroze, sa vie, son oeuvre, Geneva, Éditions Jeheber,

1950, p. 198; 207; 216-217.

80. JAQUES-DALCROZE, Émile, “La Rythmique dans l'Education Musicale,” Le Monde Musical 30,

no. 7, July 1919, p. 195.

81. JAQUES-DALCROZE, Émile, “La Rythmique, la Plastique animée et la Danse,” in Le Guide

musical, 1918, p. 652: “Tous ont pour but suprême un accroissement de la concentration

psychique, une organisation claire de l'économie physique, une augmentation de la personnalité,

grâce à une éducation progressive du système nerveux, un développement de la sensibilité chez

les sujets insensibles ou peu sensibles et, au contraire, une régularisation des réactions nerveuses

chez les individus hypersensibles et désordonnés.”

82. Ibid., p. 659: “La joie d'évoluer rythmiquement et de donner tout son corps et toute son âme à

la musique qui nous guide et nous inspire est une des plus grandes qui puissent exister… N'est-ce

pas une jouissance d'ordre supérieur… que d'extérioriser sans contrainte nos douleurs et nos

joies… cette jouissance… provoque l'épanouissement des qualités d'altruisme nécessaires à

l'établissement d'une vie sociale naturelle.”

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83. TIMBRELL, Charles, French Pianism: An Historical Perspective, White Plains, NY, Pro/Am Music

Resources, 1992, p. 72.

84. See LONG, Marguerite, La Petite Méthode de Piano, Paris, Salabert, 1963. In her method book for

beginner pianists, Long consistently returns to the importance of exercises devoted to “l’agilité

des doigts,” all of which are perpetual motion style exercises designed to improve the

smoothness of movement between fingers. I would like to thank Rémy Campos for the wealth of

information he provided about le jeu perlé in his seminar at the Conservatoire National Supérieur

de Musique et de Danse de Paris in Fall 2011.

85. TIMBRELL, Charles, op. cit., p. 74.

86. Ibid., p. 74-75.

87. The jeu perlé was one of numerous styles of piano playing taught and practiced in France at

this time. Contemporaries of Long such as Alfred Cortot and Blanche Selva promoted pianistic

performance styles that used far more of the wrist, arms, and upper body, as well as more pedal.

Selva in particular advocated a style of playing largely centered around the “free fall” (“chute

libre”) of the hand and arm. For more on these styles of piano playing, see Timbrell’s French

Pianism, as well as CORTOT, Alfred, Principes rationnels de la technique pianistique, Paris, Senart,

1928 and SELVA, Blanche, L’Enseignement musical de la technique du piano, Paris, Rouart, Lerolle et

Cie, 1916-1924. I do not wish to diminish the extent to which these performance styles may have

been utilized as a means of coping with grief at the keyboard in World War I-era France. There

were, I would argue, many different ways in which people used time at keyboard as a means of

accomplishing emotional work, whether in France or elsewhere. Ruth Solie addresses this, for

instance, in “‘Girling’ at the Parlor Piano,” in Music in Other Words: Victorian Conversations,

Berkeley, University of California Press, 2004. However, I focus on the jeu perlé style of playing

throughout this article because of its particular importance to Long, and also because of the

affinity between this style of piano performance and some of the kinds of music that Ravel and

several of his contemporaries were composing for Long and others in mourning at this time.

88. GENEVOIX, Maurice, Ceux de 14, Paris, Seuil, 1984, p. 552; cited and translated in SHERMAN,

Daniel, The Construction of Memory in Interwar France, Chicago, University of Chicago Press, 1999, p.

65. “Timmer le Sourd, Compain la Pipelette, Montigny, Chaffard ; rien que des noms. D’autres

encore, qui me lassent et m’essoufflent : Durozier, Gerbeau, Richomme… Je marche toujours,

bercé d’un balancement vague, régulier. Je ne trouve pas que cela soit pénible ; je n’essaie pas d’y

échapper ; il me semble que cela est bien ainsi.”

89. Here, I take some of my methodological cues from Elisabeth Le Guin, whose groundbreaking

work on Boccherini focuses on the corporeal experience of musical performance. See LE GUIN,

Elisabeth, Boccherini’s Body: An Essay in Carnal Musicology, Los Angeles, University of California

Press, 2009.

90. NICHOLS, Roger, op. cit., p. 204.

91. ROGER-DUCASSE, Jean, Letter to LAMBINET, André, 6 May 1918, in Lettres à son ami André

Lambinet, op. cit., p. 121: “Pas une mesure d’émotion, et cependant le souvenir de ces soldats

l’exigeait.”

92. LONG, Marguerite, At the Piano with Maurice Ravel, op. cit., p. 94.

93. Ibid., p. 97.

94. Ibid., p. 95.

95. LONG, Marguerite, Le Piano de Marguerite Long, op. cit., p. V.

96. As Deborah Mawer has demonstrated, Ravel’s compositions both before and after the war

exhibit his general penchant for mechancity. She notes as well, however, that there is something

particularly “machinistic” about the aesthetic exhibited in Ravel’s postwar compositions, citing

Frontispice, the Sonata for Violin and Violincello, and the Sonata for Violin and Piano as examples

(although she also cites the ticking clocks of the opening to L’Heure espagnole as a notable prewar

example of Ravel’s “machinistic” writing). MAWER, Deborah, “Musical Objects and Machines,” in

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MAWER, Deborah (ed.), The Cambridge Companion to Ravel, Cambridge, Cambridge University Press,

2000, p. 64. As I discuss at greater length in my dissertation, op, cit.. numerous critics noticed that

the fluid, sensually evocative, richly textured, and lush musical style that marked much of

Ravel’s music prior to the war, was replaced after 1917 by a more austere and detached musical

style featuring less textural lushness, less flexibility, and more ostinato passages and motor

rhythms, which they called dépouillée or “stripped down.” See HIMONET, A., “Les Concerts.

Concerts Durand.” Le Courrier musical 29, no. 12, 15 Juin 1927, p. 358. Although Le Tombeau de

Couperin is not often cited as an example of this style, it might be considered an important

precursor.

97. LONG, Marguerite, Le Piano de Marguerite Long, op. cit., p. XV.

98. LONG, Marguerite, Au piano avec Maurice Ravel, Paris, Julliard, 1971, p. 146: “Voilà l’occasion,

comme disait Ravel, de faire ‘toutes les notes’, de jouer clair et précis dans un mouvement qui, en

dehors du changement de tempo de la page 26, ne doit pas avoir la moindre défaillance jusqu’à

l’ultime octave.” Translated in LONG, Marguerite, At the Piano with Ravel, op. cit., p. 95, 97.

99. “Toccata: from Le Tombeau de Couperin,” Ravel Plays Ravel , CD 14 201, Santa Monica, CA,

Laserlight, 1995. As I mentioned in n. 7, whether this recording was made my Ravel or by Robert

Casadesus remains contested.

100. I have already mentioned several instances of this paradox, but Nadia Boulanger, who often

emphasized the paradoxical nature of resistant mourning practices, offers one additional and

particularly clear example. On the title page of the first of three notebooks in which she recorded

friends’ death dates so that she could write to the survivors on the anniversaries of their deaths,

Boulanger writes that “the dear memory [of Lili] that guides me, supports me…is to me at the

same time so sweet and so cruel.” BnF, Mus., Rés. Vmc. Ms. 129 (1): “Ce livre fut entre les mains

de ma petite Lili – puisse-t-il ne voir passer que des jours dignes de son souvenir – année

définitive peut-être et que je confie à la chère mémoire qui me guide, me soutient et m’est à la

fois si douce et si cruelle.” The contradictory character of resistant mourning has also been

remarked upon by many post-Freudian psychoanalytic theorists and practitioners, as well as by a

number of cultural critics and historians, critical theorists, and scholars working within trauma

studies. For more bibliographic information and discussion of this subject, see RAE, Patricia, art.

cit., p. 13-23. Moreover, contemporary artist Meg Rotzel acknowledges and offers a way to

manage the inherent contradiction of resistant mourning. After her brother’s death in 1997, she

undertook a project in 2000 to create articles of clothing designed to “locat[e] the physical

sensations of grief upon my body.” Rotzel’s “Mourning Hood” uses weights as a way of mimicking

the physical sensation of grief, and paradoxically allowing a mourner to rhythmically re-entrain

her body. ROTZEL, Meg, “Your Breath is Your Defense,” c_m_l, < http://c-m-l.org/?q=node/199>,

accessed 6 June 2010.

101. I would suggest that this is somewhat similar to how rhythmically regular music has been

successfully employed in neonatal units to help infants achieve homeostasis and adjust to their

new and often disorienting environments outside of the womb. See DENORA, op. cit., p. 75-89.

These movements may have allowed her access to a sort of trance state in which she could feel

herself temporarily freed from the pain of resistant mourning. For more on the relationship

between music, trancing, and emotional comfort, see BECKER, Judith, Deep Listeners: Music,

Emotion, and Trancing, Bloomington, IN, Indiana University Press, 2004, p. 147-149.

102. It could be argued that the resistant mourners in Ravel’s circle operated within a specific

“habitus of listening.” See BECKER, Judith, op. cit., p. 69-86.

103. Programs for concerts given 9 January 1925 in the Grand Court of the Wanamaker Store in

Philadelphia, PA, USA; 11 January 1925 at Carnegie Hall with the New York Symphony Orchestra,

New York City, NY, USA; 15 January 1925 at the Wanamaker Auditorium in New York City, NY,

USA; 21 January 1925 at The Cleveland Museum of Art; BnF, Mus., Rés. Vm. Dos. 195.

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104. LONG, Marguerite, At the piano with Debussy, SENIOR-ELLIS, Olive (trans.), London, Dent, 1972,

p. 11.

105. WHEELDON, Marianne, Debussy’s Late Style, Bloomington, IN, Indiana University Press, p.

72-79.

106. GAUBERT, Philippe, Gazette des Classes du Conservatoire, op. cit., N° 8, [published in 1917, but

comprised of letters from 1916], p. 17: “sain et sauf.”

107. ROGER-DUCASSE, Jean, Letter to LAMBINET, André, 12 April 1916, in DEPAULIS, Jacques

(ed.), Lettres à son ami André Lambinet, op. cit., p. 111.

108. LONG, Marguerite, At the Piano with Debussy, op. cit., p. 41.

109. It is likely that Gaubert composed at the piano as well; he was more well known, however, as

a flutist and conductor.

110. VUILLERMOZ, Émile, “L’Œuvre de Maurice Ravel,” in Maurice Ravel par quelques-uns de ses

familiers, op. cit., p. 16-18.

111. As a letter from the French Ambassador in Berlin, André François-Ponchet, attests, Ravel

was under a lot of pressure from the conductor Wilhelm Fürtwangler and the Berlin

Philharmonic Orchestra to perform the concerto himself; however, the deterioration of Ravel’s

health and performing abilities performed him from being able to do so. See François-Ponchet’s

letter, dated 21 December 1931, in BnF Mus., Fonds Montpensier, cited in NICHOLS, Roger, op. cit.,

p. 322-323.

112. LONG, Marguerite, “La Musique de piano,” in Maurice Ravel, Paris, Les Publications

techniques et artistiques, 1945, p. 5-6: “cette longue, très longue mélodie avec son émotion

contenue.”

113. The English horn and oboe both have longstanding associations with elegiac expressions.

One example of this is Tristan und Isolde’s 3rd act, in which the English horn symbolizes an exterior

manifestation of Tristan’s own sadness, and the tragic nature of the love story through the

mournful alte Weise. See also Sandra M. Gilbert’s discussion of the Greek elogoi, which was

frequently accompanied by an “oboelike doublepipe called auos,” in GILBERT, Sandra M., Death’s

Door: Modern Dying and the Ways We Grieve, New York, W.W. Norton & Company, 2006, p. 120.

114. To the English horn player, however, Ravel gives the instruction expressivo.

115. According to Long, at some point in the late 1920s Ravel turned to her at a dinner party at

Marguerite de Saint-Marceaux’s home and announced, “I am composing a concerto for you. Do

you mind if it ends pianissimo and with trills?” Long says that she happily agreed, but was

surprised to find that the concerto did not, in fact, end with this gesture. The fact that the

Andante movement ends piano and with trills is perhaps an indication that Ravel had the

Andante movement in mind for Long from the very start. See LONG, Marguerite, Au piano avec

Maurice Ravel, op. cit., p. 57 : “Un soir, à un dîner chez Mme de Saint-Marceaux, dont le salon était

‘un bastion de l’intimité artistique,’ selon le mot de Colette, Ravel me dit à brûle-pourpoint : ‘je

suis en train de composer un concerto pour vous. Est-ce que cela vous est égal qu’il finisse

pianissimo et par des trilles ? - Mais bien sûr !’ lui répondis-je, trop heureuse de réaliser le rêve

de tant de virtuoses.” Translated in LONG, Marguerite, At the Piano with Ravel, op. cit., p. 39.

116. ESCHOLIER, Raymond [?], “Hommage à Marguerite Long, 4 Juin 1956,” MMM, Fonds

Marguerite Long, Documents biographiques, Boîte 2: “Je me mis à déchiffrer petit à petit ces

pattes de mouches, nous dit Marguerite Long, et quand, j’arrivai dans ce merveilleux andante, à

l’entrée du cor anglais qui répète la phrase du début avec les triples croches au piano, je fus si

émue que j’en eus les larmes aux yeux. On prétend que je joue bien ce concerto. C’est peut-être

parce qu’il évoque pour moi tant de poignants souvenirs !”

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ABSTRACTS

At the beginning of World War I, Maurice Ravel wrote to Roland-Manuel to tell him that he had

begun composing the piano suite Le Tombeau de Couperin. In this same letter, Ravel relayed that he

heard that Joseph de Marliave, the husband of pianist Marguerite Long, had been killed in

combat. The fact that Ravel both dedicated Le Tombeau’s final movement to Long’s husband, and

desired Long to premiere the work, suggests that the two news items in this letter are more

connected than they at first appear to be. Ravel’s contemporaries, in fact, recognized a

connection between grief and musical performance, as Roger-Ducasse attests in writing to Long

in 1915 that piano practice would give her the desire to live again after the death of her husband.

But precisely how did piano practice function in this way? This article attempts to answer this

question by demonstrating that by composing Le Tombeau de Couperin in the jeu perlé style that his

friend Marguerite Long preferred, Ravel offered her a way to mourn her husband’s death

through a kind of highly repetitive, rhythmic, and kinesthetically demanding pianistic

performance that was thought to engender emotional transformation. Through close

examination of the correspondence, diaries, archives, and published writings of Ravel and

musicians in his social circle, this article illuminates the relationship between mourning and

musical practice in early twentieth-century France, while rethinking Ravel’s Tombeau as written

not only for soldiers who died in combat, but also for those who survived them.

Au début de la Grande Guerre, Maurice Ravel écrivit à Roland-Manuel qu'il commençait à

composer Le Tombeau de Couperin. Dans cette même lettre, Ravel lui annonça que Joseph de

Marliave, le mari de la pianiste Marguerite Long, avait été tué au champ d’honneur. Le fait que

Ravel ait dédié la dernière partie du Tombeau de Couperin au mari de Long et qu'il ait voulu qu’elle

donne la première audition de cette œuvre suggère que les nouvelles apportées par cette lettre

sont plus liées entre elles qu’il n’y paraît de prime abord. Les musiciens contemporains de Ravel

associaient le deuil et la musique, comme en témoigne le fait que Roger-Ducasse ait suggéré à

Long en 1915 que jouer du piano pourrait lui donner le désir de continuer à vivre après la mort

de son mari. Mais comment s’opère précisément cette fonction consolatrice du piano ? Cet article

tente de répondre à cette question en démontrant qu’en composant Le Tombeau de Couperin dans

le style du jeu perlé que son amie Marguerite Long préférait, Ravel lui a donné l’occasion de faire

son deuil à travers un jeu pianistique répétitif, rythmique et exigeant sur le plan kinesthésique

susceptible, pensait-on, d’engendrer une transformation émotionnelle. En examinant la

correspondance, les journaux intimes, les archives et les écrits publiés de Ravel et d’autres

musiciens au sein de leur cercle social, cet article fait la lumière sur la relation entre le deuil et

les pratiques musicales en France au début du vingtième siècle et propose de repenser le Tombeau

de Ravel comme une œuvre écrite non seulement pour des soldats morts au combat, mais aussi

pour ceux qui leur survécurent.

INDEX

Mots-clés: La Grande Guerre, Maurice Ravel, Marguerite Long, musique de piano, deuil,

musicothérapie, Le Tombeau de Couperin

Keywords: World War I, Maurice Ravel, Marguerite Long, piano music, mourning, music therapy,

Le Tombeau de Couperin

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AUTHOR

JILLIAN ROGERS

Jillian Rogers a reçu son doctorat en musicologie de l’Université de Californie à Los Angeles en

2014. Ses recherches sont centrées sur la relation entre la musique, le deuil et le traumatisme en

France dans au XXe siècle. Sa thèse, intitulée « Grieving Through Music in Interwar France :

Maurice Ravel and His Circle, 1914-1934 », examine le rapport entre le deuil et la musique au sein

du cercle social de Maurice Ravel. Jill Rogers a présenté ses recherches en France et aux États-

Unis, et elle a été un co-éditeur d’un numéro de revue intitulé Writing About Music pour le Centre

des études de la femme à UCLA en 2010.

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TraductionTranslation

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« Vous êtes dans un lieu hors dumonde... » : la musique dans lescentres de détention de la « guerrecontre la terreur »“You are in a place that is out of the world…”: Music in the Detention Camps of

the “Global War on Terror”

Suzanne G. Cusick

Traduction : Cécilia Klintebäck

NOTE DE L’ÉDITEUR

Initialement publié sous le titre « “You are in a place that is out of the world…”: Musicin the Detention Camps of the “Global War on Terror” », Journal of the Society for

American Music, 2, 2008, p. 1-26.

NOTE DE L'AUTEUR

J’ai réalisé une grande partie des recherches pour la rédaction de cet article lorsque j’aipris part à l’atelier 2006–2007 « Cultural Reverberations of Modern War » de Nancy Cottet Carol Oja en tant que membre du Charles Warren Center for Studies in AmericanHistory de l’Université de Harvard. Je remercie mesdames les professeures Cott et Oja,mes compagnons d’atelier Alan Braddock, Susan Carruthers, Susan Geiger, Beth Levy,David Lubin et Kimberley Phillips, ainsi que les étudiants qui étaient présents dontj’ignore les noms, pour leurs commentaires sur mon travail. Une première version a étéproposée au colloque « Musique, genre et justice » organisé par Amanda EubanksWinkler à l’Université de Syracuse les 14 et 15 septembre 2007. J’ai également puclarifier mes idées grâce aux échanges que j’ai eus avec Vita Coleman, Martin Daughtry,

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Harlene Gilbert, Alexander Karsten, Margaret McFadden, Martha Mockus, Ana MarıaOchoa Gautier, Stephen Oleskey, Judith Tick, Holly Watkins et Elizabeth Wood, et grâceaux questions de Ellie Hisama et Ben Piekut. Je suis de même extrêmementreconnaissante envers Maryam de Cageprisoners.org pour son aide. Pour finir, jeremercie tout particulièrement Moazzam Begg et Donald Vance pour le courage et lagénérosité dont ils ont fait preuve en acceptant de me faire le récit de leur expérienceen détention au téléphone

1 Le 10 mai 2003, un travailleur humanitaire algérien en Tanzanie du nom de Laid Saidi

était arrêté par des inconnus. Emmené sur un terrain d’aviation près de la frontière duMalawi, on lui plaça un bandeau sur les yeux, un casque qui ne laissait filtrer aucun sonet un bouchon anal. Puis on l’a menotté et amené dans ce qu’il décrira comme :

Une « dark prison » avec de la musique occidentale assourdissante. On y voyait à peine.[…] [U]n homme, par le biais d’un interprète, me hurlait « Vous êtes dans un lieu horsdu monde. Personne ne sait où vous êtes, personne ne viendra vous sauver1. »

2 Il ne s’agit pas du seul témoignage au sujet d’une « dark prison » américaine. Un rapport

datant de la fin 2005 de Human Rights Watch contenait les témoignages de huit détenusde Guantánamo qui avaient aussi parlé à leurs avocats de leur séjour en détention dansce qu’ils appelaient une « dark prison2 ». Eux aussi ont été « enchaînés au mur, privésd’eau potable et de nourriture et maintenus dans le noir total avec du rap ou du heavymetal à plein volume pendant des semaines d’affilée ». Un détenu surnommé M. Z. ditavoir été enfermé dans une cellule souterraine pendant quatre semaines « avec de lamusique forte en permanence », puis « interrogé dans une pièce sous une lumièrestroboscopique et enchaîné à un anneau au sol ». Un détenu londonien d’origineéthiopienne, Benyam Muhammad, dit qu’on l’a « suspendu dans sa cellule, sanslumière, pendant plusieurs jours, que ses jambes gonflaient et que ses poignetss’ankylosaient. Le tout sur fond de musique forte et d’un rire fantomatique glaçant3 ».Mais ceci n’était pas nouveau pour Muhammad. Avant cette « dark prison » il avaitséjourné dans deux prisons pakistanaises, puis avait été emmené au Maroc dans unavion de la CIA où, comme il l’a dit ensuite à ses avocats :

Ils m’ont menotté et posé un casque sur la tête. C’était du hip-hop et du rock à pleinvolume. Ils passaient Meat Loaf et Aerosmith en boucle. Puis ils ont recommencéquelques jours plus tard. Avec les mêmes morceaux4.

3 On peut aujourd’hui télécharger des centaines de brefs témoignages d’anciens détenus

ou de leurs interrogateurs sur les sites d’organisations internationales pour la défensedes droits humains. Parmi eux, nombreux sont ceux qui parlent de l’utilisation de« musique forte » dans ces lieux « hors du monde5. » Même si peu de récits donnentautant de détails sur la musique utilisée, ils montrent clairement que la musique et lessons ont été utilisés de façon systématique pour harceler, discipliner ou même parfois« briser » les détenus tout au long de cette fameuse « guerre contre la terreur ». Bienque les autorités américaines prétendent que la cohérence de ces récits est simplementla conséquence de l’influence d’un manuel d’Al-Qaïda encourageant les captifs àprétendre avoir été maltraités, les récits de prisonniers peuvent être corroborés parceux de leurs anciens geôliers et interrogateurs, ou même par les rapports d’enquêtesinternes du Département de la Défense des États-Unis. De plus, la quantité même derécits sur certaines prisons – Abou Ghraib, Bagram, Mosul et Guantánamo – porte àcroire que l’usage de musique et de sons ait été intimement lié à d’autres pratiquesemployées lors de ce que le gouvernement américain appelle officiellement les

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« interrogatoires renforcés » (harsh interrogations), que les anciens détenus et certainsmilitants des droits de l’homme qualifient eux de « torture ».

4 L’historien Alfred McCoy et les journalistes John Conroy, Jane Mayer et Michael

Otterman ont montré que ces méthodes (y compris les méthodes acoustiques) fontpartie de toute une batterie de techniques issues de la recherche en psychologie menéeau Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni dans les années 1950, financée par lesagences de sécurité nationale de ces pays6. On croyait généralement que ces techniquesd’« interrogatoires », codifiées dans le manuel de la CIA connu sous le nom de KUBARK(1963) avaient été interdites par les États-Unis après la guerre du Vietnam7. Pourtant,certains éléments laissent à penser que ces techniques ont continué à être enseignéespar et pour les services américains. Otterman a trouvé des éléments montrant qu’ellesont fait partie du programme de la School of Americas, à Fort Benning, dans l’état de laGéorgie, et qu’elles ont ainsi été exportées à une partie du personnel militaire etpolicier d’Amérique latine. Otterman, Mayer et d’autres ont montré que le programmed’entraînement des Forces Spéciales, le SERE (Survive-Evade-Resist-Escape), continuaità enseigner comment résister aux techniques de « futility ». En effet, dans un récentarticle du New Yorker, Mayer pose l’hypothèse très crédible de la réapparition de cestechniques dans les pratiques des services secrets ou militaires américains, dont lepersonnel avait suivi le programme SERE avant d’être muté dans des « dark prisons »de la CIA à Guantánamo au début de la « guerre contre la terreur », et la façon dontelles se sont propagées dans l’impressionnant réseau de prisons gérées par les forcesaméricaines. Au moment où j’écris cet article, ces prisons détiennent au minimum24 000 détenus en Irak et un nombre inconnu (plus de 500) en Afghanistan8.

5 Quelle que soit l’opinion du lecteur sur l’ensemble des guerres déclarées ou larvées

regroupées sous le terme de « guerre contre la terreur » et quelle que soit son opinionsur l’ensemble des guerres déclarées ou larvées qui l’ont précédé, la Guerre Froide, ilest irréfutable que les américains ont théorisé et déployé la musique et les sons commeoutils d’interrogatoire depuis au moins cinquante ans. Cela ne date pas dugouvernement actuel ni des conflits contemporains ; ce n’est pas une nouveauté. Laseule nouveauté, c’est que nous en sommes devenus de plus en plus conscients au coursde ces dernières années. S’y ajoute peut-être ce fait dérangeant : notre conscience deces pratiques n’a pas provoqué d’indignation publique.

6 À mon sens, le fait que les États-Unis aient théorisé et déployé la musique comme une

arme d’interrogatoire doit être frontalement questionné. C’est une donnée qui peutrenverser radicalement la manière dont nous – chercheurs et parties prenantes de laculture musicale américaine – avons d’appréhender notre sujet et nous-mêmes.Comment la transformation en arme du son et de la musique a affecté les pratiquesmusicales et acoustiques, a priori civiles, que nous croyons connaître ? Comment lespratiques musicales et acoustiques, a priori civiles, ont affecté la transformation enarme de la musique et du son ? Comment nos pratiques musicales ont-elles contribué àcréer l’environnement esthétique, psychologique et technologique nécessaire pour quecette proportion importante de notre population ayant servi l’armée envisage lamusique de cette manière ? Et ce malgré le fait que notre culture musicale sembleofficiellement considérer la musique avant tout comme un outil ludique, un plaisiresthétique apolitique ?

7 Pour répondre à ces questions sur la culture musicale américaine en général, ou aux

questions morales liées à l’emploi par l’État de la musique comme arme, il faut d’abord

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connaître les faits fondamentaux relatifs à l’utilisation de la musique dans les centresde détention. C’est le but de cet essai. Quelles théories sous-tendent le fameux« programme musical » (music program), comme le nomment les vétérans du SERE ?Que font exactement les militaires américains quand ils soumettent les détenus à ceprogramme ? Combien de ces pratiques connaissons-nous grâce aux récits relativementpeu détaillés dont nous disposons ? De quelle façon les détenus et leurs geôliers sesouviennent-ils de leur expérience ? Une fois conscients de ces faits, cautionneronsnous, citoyens américains, cet usage de la musique fait en notre nom ?

8 McCoy, Otterman et Conroy ont très bien résumé les recherches en psychologie qui ont

abouti à cet usage de la musique, tout comme ils ont montré la façon dont les auteursdu manuel KUBARK de la CIA ont transformé les résultats de ces recherches entechniques d’interrogatoire. Pour résumer, ces recherches ont montré que la privationsensorielle ou, à l’inverse, son excès pouvaient très rapidement annihiler la capacitéd’un être humain à s’orienter dans le réel, à faire la différence entre hallucinations etréalité, ou à opposer une résistance lors des interrogatoires. Le KUBARK décrit de lafaçon suivante le but de toutes ces techniques d’interrogatoire :

Il y a une phase – parfois très brève – de perte d’activité, de choc ou de paralysiepsychologique. Cette phase peut être causée par une expérience traumatique ou sous-traumatique qui fait littéralement voler en éclats le monde du sujet tel qu’il le connaît,ainsi que son image de soi dans ce monde. Plus le sujet est bien adapté, plus il va êtreaffecté9.

9 Généralement, ceci aboutit à un renforcement de la tendance à coopérer du sujet10.

L’usage de bruit constant est réputé aussi efficace que celui d’un environnementtotalement dépourvu de son. Par ailleurs, on considère que les sons terrifiants oupoussés à plein volume renforcent les effets de la privation de sommeil systématiquedestinés à masquer ou à noyer les pensées des détenus.

10 Tout détenu sur le point d’être relâché par les forces américaines dans le cadre de cette

guerre doit signer un accord de confidentialité l’engageant à ne rien révéler au sujet deson séjour en détention. On dit à certaines de ces personnes que si elles ne respectentpas cet accord, elles pourront être à nouveau détenues pour une périodeindéterminée11. C’est la raison pour laquelle il y a eu si peu de récits détaillés. Pourtant,les quelques témoignages publiés d’ex-interrogateurs ainsi que les rares documentsofficiels non classifiés ou ayant filtré dans la presse, contribuent à confirmer un certainnombre de faits. Tout d’abord, que toutes les méthodes actuelles s’appuient sur lesthéories et techniques de manipulation des perceptions sensorielles développéesdurant la Guerre Froide. Ensuite, qu’elles atteignent généralement leur butpsychologique, et enfin, que ces techniques sont aujourd’hui pensées, appliquées etinterprétées un peu différemment de ce qui était prévu dans les documents de laGuerre Froide.

« On se raccroche aux sons » : Kandahar et Bagram

11 Le récit du britannique d’origine Pakistanaise Moazzam Begg est le plus complet des

récits de détention en anglais. Moazzam Begg est né à Birmingham et a été arrêté par laCIA au Pakistan en février 2002. Il a été détenu à Kandahar, Bagram et Guantánamoavant d’être relâché en janvier 200512. Dans ses mémoires, comme dans les entretiensdans lesquels il témoigne de son expérience, Begg est toujours très précis quant aux

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bruits de fond13. Il explique que « lorsqu’on vous retire l’usage de vos sens et que vousne pouvez plus rien voir, vous vous raccrochez aux sons pour établir où vous êtes14 ».Lorsqu’il écrit sur le premier « traitement » qu’il a subi aux mains des servicesaméricains, à Kandahar en Afghanistan, Begg se souvient de l’obscurité moite etétouffante du sac qu’on lui avait placé sur la tête « le bruit était assourdissant : leschiens qui aboyaient, le flot ininterrompu d’insultes, les moteurs d’avions, lesgénérateurs électriques et ces cris de douleur15. » Ce bruit constant « des générateurs »,les « sons de voix et les cris [en] arabe, pashtoune, urdu, farsi et anglais » tous combinésrendaient le sommeil difficile16. Mais le son était aussi source de réconfort etd’informations. L’appel à la prière, qui filtrait de la zone accessible au public de laprison jusqu’à la zone où les prisonniers « importants » comme Begg étaient soumis à ladésorientation temporelle, culturelle et sociale, lui permettaient d’identifier « l’aube,midi, l’après-midi, le coucher du soleil et la nuit. Ils [les services américains]préféraient que nous ne le sachions pas. Cet appel, c’était la communication spirituelle,qui résonnait aux quatre coins du camp17. »

12 À Bagram aussi, Begg a trouvé l’appel à la prière réconfortant, un son familier dans un

milieu où « tout le reste était si peu familier ; je n’avais rien à quoi me raccrocher18. »Un silence strict régnait et les conversations entre prisonniers étaient interdites, toutcomme l’étaient les prières collectives19. Pourtant, Begg se souvient avoir entendu « desprières du Coran récitées la nuit, des gens qui pleuraient au milieu de leurs prières […]Les sons étaient rares, en dehors du bruit de pas des soldats, l’annonce de roulement,[…] des bruits de menottes, […] ou lorsqu’on faisait l’appel ou que l’on appelait lesprisonniers par leurs numéros. Le plus terrifiant c’était le son des cris […] des détenuspendant l’interrogatoire, qui révélaient leur terrible souffrance20. » Qu’ils soientterrifiants ou non, ce sont ces sons qui ont permis à Begg de s’orienter dans le monde sipeu familier de Bagram. Il n’était pas, comme les détenus des « dark prisons », dans unlieu hors du monde.

13 Le silence qu’attribue Begg à Bagram début 2002 était relatif, moins une réalité

acoustique qu’une volonté de cantonner au silence tout ce qui n’était pas une réponsecoopérante aux interrogatoires. À l’automne 2002, le silence de Bagram s’était convertien une cacophonie de « musique à plein volume, utilisée pour désorienter et briser […]les nouveaux prisonniers21. »

Les choses avaient beaucoup changé depuis ma première arrivée. Il y avait alors unevingtaine de prisonniers seulement. Maintenant, il y avait des chambres d’isolement ettous les nouveaux arrivants étaient soumis à la privation de sommeil. Un peu plus tard,ils ont construit d’autres cellules pour la privation de sommeil, où on passait en boucledes morceaux de heavy metal de Marilyn Manson qui nous perçaient les tympans afinde briser les nouveaux détenus. Un jour ils ont même passé Saturday Night Fever des BeeGees toute la nuit. Je me suis dit « je me demande vraiment comment ils espèrent briserqui que ce soit avec ça ! ».La plupart des soldats, qui venaient du sud, aimaient écouter de la country et de lamusique occidentale. Pour la plupart des détenus, c’était la même chose que n’importequelle autre musique « anglaise », mais malheureusement, moi, je m’y connaissais unpeu plus. « Nous allons parler. Nous allons tous parler ! », leur ai-je dit en plaisantant àmoitié quand ils ont lancé le morceau, « mais arrêtez cette horreur s’il vous plaît22 ! »

14 Les cellules où la musique hurlait faisaient deux mètres sur deux. Les murs étaient d’un

contre-plaqué qui devait résonner aussi bien que les parois d’un violon d’écolier. Les

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nouveaux arrivants étaient déshabillés et placés dans ces boîtes de contre-plaquéplusieurs jours d’affilée, « soumis en permanence à de la musique forte, très forte », quel’on pouvait entendre jusqu’à l’autre bout de la prison23. Begg, à qui l’on a infligéquelques jours de ce traitement pour avoir voulu résister à l’interrogatoire, décritl’expérience en ces termes :

C’était terrible. Il n’y avait aucune lumière, j’étais à l’étroit, il faisait très chaud, c’étaitétouffant. On ne peut rien voir, rien faire, il n’y a personne à qui parler, rien à regarder,rien à faire à part cogner contre les murs. Après il y avait la musique qui hurlait […] J’aiparlé à d’autres prisonniers qui avaient subi le même traitement, […] qui étaient prêts àdire aux Américains tout ce qu’ils voulaient, que ce soit la vérité ou non24.

15 Begg n’a pas, lui, été soumis à la musique quand il était dans la cellule d’isolement. Il

pense que ses interrogateurs avaient sans doute compris que cela n’aurait pas autantd’effet sur ses nerfs que sur ceux des autres.

Dans un sens, la musique ne me dérangeait pas. J’avais grandi au Royaume-Uni, je laconnaissais bien. Mais les villageois afghans, les Yéménites, eux, étaient étourdis,hébétés et confus, totalement perdus face à tout cela25.

16 Au-delà des boîtes de contre-plaqué, les prisonniers de longue durée à Bagram étaient

parqués dans des enclos clôturés de barbelés et de concertina. Là, la musique enprovenance des cellules d’isolement était aussi forte que dans une discothèque26.L’environnement sonore qui étourdissait ces prisonniers à Bagram n’était plusconstitué du son étouffé des prières, des pas des soldats ou des cris qui avaient permisaux premiers détenus de Bagram de s’orienter : il avait commencé à ressembler parintermittence à celui des « dark prisons ». Begg se souvient avoir entendu la musique« tous les soirs, surtout vers la fin de sa détention » et « qu’il était devenu presqueimpossible de dormir. »

Dans un bâtiment où l’on pouvait même entendre l’écho des bruits de pas, imaginez-vous l’intensité avec laquelle du Marilyn Manson à plein volume pouvait résonner.Parfois, cela s’arrêtait autour de 3h du matin, mais votre sommeil était déjà perturbé.Vous perdiez la capacité d’avoir un rythme de sommeil […] Leur autre technique étaitde lancer la musique à des horaires différents […] et le fait de ne jamais savoir quandcela allait commencer ou finir était frustrant, fatigant, vous rendait fatigué, agité,angoissé en plus d’ignorer quand vous serez relâché ou envoyé dans ces cellules.Nombreux étaient les détenus qui avaient des crises d’angoisse. Certains faisaient del’hyperventilation, perdaient le contrôle de leurs sens, frappaient les autres ou les mursde leur cellule avec leur bouteille d’eau ; ils tentaient de s’écorcher les mains sur lesbarbelés, et parfois ils craquaient et se mettaient à pleurer27.

17 En clair, la musique à Bagram respectait les règles à la lettre et cela fonctionnait.

18 Depuis sa libération, Moazzam Begg est devenu le porte-parole officiel d’une

organisation caritative, Cageprisoners.com, qui défend ceux qui ont été – ou sonttoujours – détenus dans le cadre de la « guerre contre la terreur ». On le paie pourprendre la parole en public au nom de ces détenus remis en liberté qui n’osent pasvioler leur accord de confidentialité. Begg reconnaît librement avoir, dans lesannées 1990, apporté une aide matérielle et financière aux rebelles musulmans enTchétchénie, au Cachemire et en Afghanistan, ainsi qu’aux organisations d’aidehumanitaire venant au secours des populations musulmanes en Bosnie-Herzégovine.Les services de sécurité britannique l’ont arrêté deux fois pour ce type d’activité, et

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d’autres activités jugées suspectes dans les années 1990. On peut donc penser que sonrécit sur sa détention à Bagram pourrait être faussé, ou même qu’il pourrait s’agird’une campagne de désinformation délibérée des djihadistes. C’est en théorie possible,mais son récit fait écho à ceux d’ex-interrogateurs de l’armée sur l’utilisation de lamusique dans les camps de détention de Camp Nama, à la base opérationnelle avancée« Tiger » et à la base aérienne Mosul en Irak. Ces récits montrent très clairement quel’utilisation de la musique comme instrument de pression était tout à faitintentionnelle et habituelle. Ils reflètent aussi l’impact que cette musique a pu avoir surles interrogateurs eux-mêmes.

La « chambre noire », la première mauvaise réponse et« la discothèque » : trois interrogateurs racontent

19 Dans le rapport « Pas de sang, pas de bavure. Récits de soldats sur les sévices infligés

aux détenus en Irak » de Human Rights Watch, un interrogateur de la forceopérationnelle Interagency Task Force 6-26 du Camp Nama, à Bagdad, parle des tâchesqui lui ont été confiées sous le pseudonyme du « Sergent Jeff Perry » début 200428. Sonrécit montre clairement que la « musique forte » faisait partie intégrante destechniques d’interrogatoire des forces armées américaines.

20 En plus d’une salle de contrôle médical (où l’on a vérifié la dentition de Saddam Hussein

après son arrestation devant les caméras), le Camp Nama comportait quatre piècesdédiées tout spécialement aux interrogatoires. Une pièce « confortable », avec de« beaux tapis, des canapés, des tapis de prière sur les murs […] trois ou quatre fauteuilsen cuir noir » pour les interrogatoires de détenus hauts-placés ; une pièce « bleue » etune pièce « rouge », moins meublées, pour les interrogatoires qui se déroulaient sur lemode de la conversation. Enfin, une « pièce noire » pour les « interrogatoiresrenforcés. » Perry la décrit de la façon suivante :

La pièce noire faisait 3,5 mètres carrés. Tout était peint en noir : le sol, le plafond, lesmurs, la porte... Il y avait des haut-parleurs aux quatre coins de la pièce, au niveau duplafond. Il y avait une petite table à l’un des coins et parfois des chaises. Mais, engénéral, personne ne s’asseyait dans la pièce noire. On y restait debout, stressé. La tableétait réservée à l’ordinateur et à la sono. Nous y branchions les haut-parleurs etlancions le bruit et tout29.

21 D’après Perry, les interrogateurs devaient remplir un formulaire en ligne pour obtenir

une autorisation officielle d’utiliser les techniques d’interrogatoire de la « black room30

». Lorsqu’ il a protesté, avec d’autres interrogateurs, contre ce qui leur semblait êtreune évidente maltraitance, ils ont reçu une présentation PowerPoint de deux heures duJudge Advocate General Corps leur assurant que toutes ces pratiques entraient dans uncadre légal, puisque ces détenus n’étaient pas considérés comme des prisonniers deguerre et n’étaient donc pas couverts par les Conventions de Genève31.

22 Même si la musique semble avoir été employée seulement lors des « interrogatoires

renforcés » à Camp Nama et à la base opérationnelle avancée Tiger, près de al-Qaim,cette pratique est ensuite devenue plus récurrente, comme une sorte de préambule à laviolence qui allait suivre32. En général, les détenus passaient les premières vingt-quatreheures debout, nus avec les yeux bandés, les mains attachées derrière le dos, sansboisson, sans nourriture et sans accès aux toilettes, enfermés dans un conteneur de

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métal où – en 2003 – la température pouvait atteindre 57 à 62 degrés Celsius environ33.Certains gardes, comme celui qui portait le pseudonyme « Sgt. Nick Forrester » de la82e division aéroportée, avaient reçu l’ordre de crier et de taper contre les flancs desconteneurs toute la nuit pour empêcher les détenus de dormir. Le jour d’après, ilsétaient conduits à l’interrogatoire.

Ils vous asseyaient sur une chaise et commençaient par quelques questions faciles. Ilsvous demandaient votre nom, puis ils commençaient à vous mettre la pression. Dès quevous répondiez non, je ne sais pas, ou « je n’ai pas d’informations à ce sujet », à lapremière mauvaise réponse – les lumières s’éteignaient, les stroboscopes se mettaienten route et la musique aussi – du heavy metal ou n’importe quel autre type de musiquetrop forte. Un jour, ils ont passé Barney très fort et cela m’a vraiment déplu34. L’écouteren boucle deux heures durant, c’est vraiment perturbant. Un premier interrogatoire-type, c’était du heavy metal à plein volume, un stroboscope,un tas de questions aboyées jusqu’à ce que le détenu craque en disant « je ne saisrien… » En général, à ce moment là il était à genoux, un fusil braqué sur la tempe, lamusique et le stroboscope à fond… Les interrogateurs le criblaient de questions enhurlant – il fallait hurler de toute façon pour se faire entendre [avec la musique]... Ilsrépétaient les mêmes questions encore et encore35.

23 La musique était souvent si forte que les gardes qui se trouvaient à dix mètres de là

devaient crier pour se faire entendre. D’après le sergent Forrester, la sono à la FOBTiger était si efficace qu’ils l’ont même utilisée pour fêter le 4 juillet. Pas comme cellede la « discothèque », la base aérienne de Mosul.

24 Dans ses mémoires Fear Up Harsh36, l’ancien interrogateur de l’armée Tony Lagouranis

décrit le moment où l’on a créé la salle d’interrogatoire de la base Mosul, surnommée la« discothèque ».

Cela ne servait à rien de confronter un prisonnier aux aboiements d’un chien, alors quefaire ? Apparemment les forces d’élite, dans leurs quartiers en-dehors de l’enceinte,récoltaient beaucoup d’informations. En tout cas, ils faisaient beaucoup de rafles etramenaient de nombreux prisonniers. La plupart d’entre nous n’avait jamais vu ce quise passait réellement là-bas, mais les gardes et les prisonniers qui revenaient de cesquartiers nous parlaient des méthodes qui y étaient employées. Cela nous servaitd’inspiration pour endurcir nos méthodes.Un jour, Pitt [mon supérieur] nous montra un conteneur juste en-dehors de l’enceintede la prison et nous dit ce qu’il attendait de nous. Il demanda à l’aviation de lui fournirun stroboscope et se débrouilla pour trouver la sono de son côté. Il demanda aux gardesde lui donner les pires CD de death metal qu’ils avaient. Il nous confia ensuite cematériel et nous dit, à Evan et à moi, de vider le conteneur pour le transformer en salled’interrogatoire. Il nous dit, d’un ton décidé « C’est ça qu’il faut faire37. »

25 À ce stade, Lagouranis et ses collègues savaient déjà que la musique pouvait être

utilisée lors des interrogatoires. Ils en avaient entendu parler lors de leur formation àFort Gordon, en Géorgie, en 2003, toutefois pas de la bouche de leurs formateursofficiels. Des interrogateurs expérimentés, de retour d’Afghanistan ou d’Irak leuravaient dit « comment un interrogatoire se passait dans la réalité… les positionsdifficiles, la musique à fond, les lumières, les “adaptations” du sommeil, leshumiliations sexuelles,… la manipulation de l’alimentation… l’utilisation du froid pourmettre le détenu sous pression38. » Et effectivement, les détenus interrogés parLagouranis à Mosul lui avaient dit que les interrogateurs de la CIA avaient utilisé toute

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la panoplie de ces techniques sur eux. Ses supérieurs lui avaient dit que c’était légal,d’après les Interrogation Rules of Engagement ou IROE (règles d’interrogatoire) envigueur dans certains camps de détention39. Le premier prisonnier à être interrogé dansla « discothèque » de Mosul a été « un gros mec un peu bête aux traits doux et aux yeuxtristes » du nom de Umar40.

Nous l’avons fait sortir de la prison très tard un soir, nous lui avons couvert la tête d’unsac et l’avons jeté à l’arrière d’un pickup… Nous lui avons fait faire le tour du camppendant vingt minutes environ, [puis] nous l’avons traîné hors du pickup et l’avonsobligé à rester debout au milieu du conteneur. Lorsqu’il a entendu les portes serefermer sur lui et le cadenas se fermer, sa respiration est devenue saccadée.L’obscurité était totale. Nous avions tout planifié dans les moindres détails. Il devaitcroire que nous étions prêts à sérieusement l’amocher. Quand Umar s’est mis à genoux, nous avons placé le stroboscope devant son visagecouvert par le sac et la sono à plein volume juste à côté. La musique… c’était de lamusique industrielle avec des guitares, des batteries et des paroles criées ou gémies… lechanteur se prenait à coup sûr pour le Prince des Ténèbres. Avec les haut-parleurs, leson se réverbérait sur les murs du conteneur, à plein volume...Umar toujours à genoux, nous lui hurlions nos questions dans les oreilles à tour de rôle.Il tournait la tête de part et d’autre pour essayer de deviner où nous nous trouvions.Après une demi-heure environ, il a commencé à gémir. Je me suis dit qu’il pleurait sousle sac. Nous avons continué et nos paroles sont devenues plus agressives. Ma gorge étaitdouloureuse, mes oreilles sifflaient et les lumières me désorientaient. Je me suis renducompte que je ne pourrais pas tenir le coup encore très longtemps. La musique et leslumières me rendaient toujours plus agressif. Le prisonnier, qui ne coopérait toujourspas, m’énervait de plus en plus41.

26 Le livre de Lagouranis inclut plusieurs récits de ce genre, car les interrogatoires dans

« la discothèque » sont devenus la procédure standard pendant toute la fin de sapériode à Mosul. Il dit avoir passé principalement du heavy metal mais aussi des albumsde James Taylor, un jour où « il n’en pouvait plus du death metal », la version audio dela parodie des livres de développement personnel de Ben Stiller et Janeane Garofalo,Feel This Book42. Ce qu’il relate de la manière la plus saisissante, à de nombreusesreprises, c’est la montée de sa propre rage lorsqu’il devait écouter, lui aussi, la musiqueen continu, les questions qu’il ne cessait d’aboyer, et le refus, ou l’incapacité, de sonprisonnier à lui donner l’information recherchée. Une nuit, alors qu’il était quasimentune heure du matin, il a craqué :

J’avais laissé [Khalid] dans le conteneur et j’étais sorti. La base était plongée dans lesilence, à l’exception des voix de Ben et Janeane qui résonnaient entre les quatre mursdu conteneur. Il faisait froid et j’étais seul, seul avec ce prisonnier à l’intérieur, qui…qui refusait de reconnaître que j’avais un pouvoir absolu sur lui. Il n’y avait que lui etmoi, personne d’autre. Personne ne pouvait nous voir.Khalid était toujours là où je l’avais laissé, calme et serein. Quand je l’ai vu, mon sangn’a fait qu’un tour, ma colère était décuplée par les lumières clignotantes et le soninsupportable. Une pensée m’a traversé l’esprit : tranche lui ses putains de doigts43.

27 Choqué par l’irruption de ce qu’il a reconnu comme étant sa propre capacité à faire le

mal, Lagouranis laissa les mains de Khalid intactes ce soir-là. Il se demande même si cen’est pas, au fond, la réalisation de la capacité des interrogatoires à faire le mal qui finitpar faire craquer les prisonniers.

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Ce que nous craignons le plus, ce n’est pas tant ce que le mal peut faire à nos corps,mais ce qu’il peut faire à notre vision du monde ordonnée, civilisée, à notre foi en labonté intrinsèque de l’être humain et en la prédictibilité des choses, sur lesquellesrepose notre fragile équilibre mental44.

Muhammad al-Qatani à Guantánamo : la musiquecomme agression de l’âme

28 En juin 2005, les reporters Adam Zagorin et Michael Duffy ont obtenu le rapport de

quatre-vingt-trois pages de l’interrogatoire de Muhammad al-Qatani à Guantánamoentre le 23 novembre 2002 et le 11 janvier 200345. Ils ont publié un article inspiré de cerapport dans le Time du 12 juin 2005, provoquant une vague de réactions à la fois dansles médias traditionnels et sur la blogosphère, en partie parce qu’il y était révélél’improbable utilisation des chansons de la pop-star latina Christina Aguilera pour la« torture » d’al-Qatani.

29 Ce que l’article du Time ne disait pas, c’était que cette utilisation des chansons de

Christina Aguilera n’était pas un cas isolé mais faisait partie d’une stratégied’interrogatoire déployée sur plusieurs semaines, que les auteurs du rapport avaientappelée « le thème musical46 ». Ce dernier était lui-même inscrit dans un autre, « lethème du mauvais musulman », qui visait à empêcher al-Qatani de pratiquer les ritesqui définissent un bon musulman47.

30 Dans ce rapport, la musique est mentionnée pour la première fois le 26 novembre 2002,

à 6h30 du matin. Al-Qatani était réveillé depuis 4h et dès lors, il avait énervé sesinterrogateurs en refusant de parler ou de boire de l’eau. À 6h20, il avait demandé lapermission de prier. Lorsqu’on lui a répondu qu’il pourrait prier s’il buvait, il a dit qu’iljeûnait48. Il a commencé à réciter la prière malgré tout. D’après le rapport, « le Sgt. R aalors dit “si tu continues à prier je mettrai la musique.” Le détenu a alors cessé deprier49. » La menace du Sgt. R de « lancer la musique » semble ne pas avoir été mise àexécution avant le 3 décembre, quand a débuté une nouvelle phase de l’interrogatoirede al-Qatani.

31 Durant cette nouvelle phase, la musique a été un élément récurrent et imprévisible des

journées au cours desquelles al-Qatani était questionné 20h sur 24. On utilisait parfoisla musique pour le tenir éveillé, parfois expressément pour l’énerver ou le stresser. Ceprocédé était parfois alterné ou combiné avec une approche nommée dans le rapport« invasion de l’espace par l’autre sexe », durant laquelle on l’accusait d’homosexualitéparce qu’il refusait de regarder de près des photos de femmes quasiment nues, ou bienon le forçait à porter des tenues de femme. Christina Aguilera est la seule artistementionnée par son nom dans ce rapport. Toues les autres musiques utilisées sontsimplement qualifiées de « forte », d’« instrumentale », « de relaxation/méditation »,ou de « chansons en arabe ». C’est à cause de ces dernières que al-Qatani s’est plaint le 7décembre 2002 à 11h15, le matin suivant la fin du Ramadan. Pour lui, c’était une« violation de l’Islam d’écouter de la musique arabe. » Il a ainsi montré une faille queses interrogateurs se sont empressés d’exploiter.

32 Au cours des dix jours qui ont suivi, ses interrogateurs l’ont mis au défi de citer le

passage du Coran qui interdit d’écouter de la musique. Il n’en a pas été capable, car iln’existe pas de passage de la sorte50. Comme al-Qatani l’a ensuite dit à ses

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interrogateurs, une longue tradition théologique, ou hadith, condamnait toute musiqueutilisée en tant que passe-temps, divertissement ou agrément. D’après cette tradition,énoncée dans les écrits du professeur Ibn abī’l-Dunya datant du IXe siècle, « écouter dela musique est interdit car cela détourne les pensées de la dévotion et de Dieu51. » Lamusique était considérée comme ayant une force immense, certains écrits laconsidéraient parfois comme une force diabolique, susceptible d’empêcher l’adhésionaux préceptes religieux. Il était particulièrement périlleux pour l’âme d’écouter desmorceaux avec des paroles sensuelles ou provocatrices. Cependant, comme lesinterrogateurs d’al-Qatani le lui ont fait remarquer, une autre tradition théologiqueassociée au professeur Majd al-Dīn al-Tūsīal-Ghazālī, au début du XIIe siècle, préconisel’utilisation de la musique comme un moyen de compréhension du divin, l’extase d’uneconscience altérée et finalement « le tourbillon de la danse52. » Mais même al-Ghazālī ainterdit d’écouter la musique « d’une femme… en tant qu’objet d’un appétit charnel quiest luxure », la musique instrumentale ou la musique satirique. Il a aussi interditd’écouter de la musique lorsqu’on était investi d’une « passion charnelle », ou lorsqu’ils’agissait simplement d’un divertissement et non pas d’un moyen de s’élever53.

33 L’opposition entre ces deux courants de pensée existe toujours dans le monde

contemporain, notamment dans le monde de l’enseignement religieux en lignedispensé par les nombreuses communautés religieuses du renouveauislamique mondial54. Étant donné que les Talibans avaient interdit la musique enAfghanistan pour des raisons religieuses, il est possible que al-Qatani ait sincèrementcru que la musique était haram, interdite, et donc un péché. Mais comme il était dansl’incapacité d’expliquer pourquoi en s’appuyant sur la tradition islamique, le « thèmemusique » a rejoint d’autres thèmes comme celui du « mauvais musulman », « Al-Qaïdatrahit l’Islam », « Dieu va détruire Al-Qaïda », « le Saoudien arrogant » et « je contrôletout » pour former l’approche générale appelée « la destruction de la fierté/de l’ego ».Ainsi, on a humilié al-Qatani et remis en cause son identité de musulman en lui faisantremarquer son ignorance flagrante de sa propre tradition. En attendant, la « musiqueforte » qu’il considérait sans doute comme péché était toujours utilisée pour le teniréveillé, pour marquer la fin des interrogatoires juste avant qu’il soit autorisé à dormir,pour le réveiller, pour l’empêcher de répondre aux questions de ses interrogateurs etpour remplir des plages de plus en plus longues de ses journées également occupées parla discussion sur le supposé péché de la musique ; tout ceci constituant le « thèmemusical ». Le 14 décembre à 16h30, ses interrogateurs l’ont confronté à un passagecoranique qui condamnait comme péché toute addition d’interdits non mentionnésdans le Coran (comme il semblait le faire), Al-Qatani « s’est alors mis à pleurer et àdemander pardon à Dieu… à dire qu’il ne pouvait rien contre la musique qui étaitpassée dans la salle d’interrogatoire55. » Ses interrogateurs avaient pleinement tiréavantage de la musique comme expérience sensorielle, comme lieu de croyancesculturelles et comme vecteur de pratiques culturelles pour plonger al-Qatani dans unétat de péché conscient, sur lequel il n’avait aucune emprise56.

Procédure d’opération standard

34 Comme l’on pouvait s’y attendre, les Interrogation Rules of Engagement en vigueur

depuis le début de la Guerre contre la Terreur et la plupart des rapports d’interrogatoires individuels restent classifiés. Mais au moins l’un des documents

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déclassifiés vient corroborer l’idée que les techniques employées à Bagram, à CampNama, à la base d’opérations avancées Tiger, à la base aérienne de Mosul, àGuantánamo et dans les « dark prisons » font partie d’une procédure d’opérationstandard. Ce document explique en effet comment certaines techniquesd’interrogatoire à présent reconnues – comme celle de la « musique forte » –s’inscrivent dans le cadre des « approches émotionnelles » encore enseignées dans leArmy Field Manual for Human Intelligence Collector Operations, FM 2-22.3 (34-52)57. Endécembre 2004, une demande d’informations (conforme au Freedom of InformationAct58) a révélé que le FBI avait lancé une enquête interne sur les plaintes de son proprepersonnel quant aux techniques d’interrogatoire à Guantánamo. Lorsque ces plaintesont été rendues publiques, le général Bantz J. Craddock, commandant de la UnitedStates Southern Command, a demandé que l’on enquête sur celles-ci et sur d’autres,notamment celles largement médiatisées relatives aux humiliations sexuelles subiespar les prisonniers musulmans de sexe masculin et l’utilisation de « musique forte », destroboscopes, de privation de sommeil et de températures extrêmes59. Le 1er avril 2005,le rapport d’enquête a blanchi le personnel militaire de toutes les charges sauf celle de« traitement dégradant et abusif60. » Il a été revu le 9 juin 2005, peut-être en prévisionde la publication imminente par le Time d’un rapport d’interrogatoire ayant fuité61.

35 Le rapport commençait par le passage en revue des ordres donnés par le secrétaire de

la Défense Donald Rumsfeld. Ces derniers, triés par date, établissaient des normes pourl’interrogatoire « des détenus ayant été entraînés à résister ». Celles-ci autorisaient lesinterrogateurs à utiliser certaines « techniques agressives » et le fameux « programmed’interrogatoire spécial » qui a été utilisé sur al-Qatani62. Après avoir ainsi passé enrevue l’historique des ordres mis en cause, le rapport se penchait ensuitespécifiquement sur chaque accusation d’abus, avant de les rejeter. Les nombreux casconnus de femmes menant des interrogatoires en usant de leur parfum, en enlevantleur chemise tout en interrogeant des prisonniers masculins, en passant leurs doigtsdans les cheveux de ceux-ci, en frottant sur eux une substance rouge censée être dusang menstruel, en s’asseyant sur leurs corps soumis pour pratiquer ce que lesinterrogateurs nommaient un « lap dance », ou encore en les obligeant à se tenir nusdevant elles, étaient légitimés et considérés comme des exemples tout à fait acceptablesde la technique d’interrogatoire appelée « inanité [futility]63. » Les enquêteurs ontrecommandé que « les techniques de coercition sexuelle faisant partie de l’approche“inanité” soient soumises à l’autorisation préalable du JTF GTMO-CG uniquement »,c’est-à-dire que cette « coercition genrée » nécessitait l’accord du commandant deGuantánamo. L’approche « inanité » servait aussi de justification à l’utilisation de lamusique forte, même si les enquêteurs ont recommandé que les commandants« formulent des instructions spécifiques quant à la durée pendant laquelle un détenupourrait être soumis à l’utilisation de cette futility music64. » L’allégation et larésolution qu’elle a entraînées sont si spécifiques quant à la façon dont on devraitutiliser la musique qu’elles méritent une citation complète.

Allégation : Les interrogateurs DoD ont commis des abus en passant de la musiqueextrêmement forte et en hurlant leurs questions aux prisonniers.Constatation no 4 : À de nombreuses reprises entre le mois de juillet 2002 et d’octobre2004, on a crié sur les détenus ou on les a exposés à de la musique forte durant leursinterrogatoires. Technique : Autorisée : technique FM 34–52 – Incitation et Inanité –actes voués à récompenser la coopération ou créer l’inanité en cas de résistance.

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Discussion : Presque toutes les personnes interrogées ont dit que la musique forte et lescris étaient utilisés comme techniques d’interrogatoire à GTMO. En quelques raresoccasions, les détenus ont été laissés seuls dans la salle d’interrogatoire, pendant unedurée indéterminée, avec la musique à pleine puissance et un stroboscope. La majeurepartie du temps cependant, les interrogateurs étaient également présents. Le volumen’était jamais suffisamment fort pour provoquer des blessures physiques. Lesinterrogateurs affirment que la musique permettait d’améliorer [l’obtentiond’informations voulues]. La technique « inanité » comprenait la diffusion de Metallica,de Britney Spears, de rap [...].Recommandation no 4 : [...] Recommandons que le JTF-GTMO mette en place des lignesdirectrices spécifiques quant à la durée pour laquelle un détenu devrait être soumis à lafutility music. Le détenu ne devrait être soumis à de la musique forte et les stroboscopesdans la salle d’interrogatoire que pour une durée limitée et clairement définie65.

36 Il est important de noter que cette recommandation n’interdit pas, ni ne condamne,

l’utilisation de la musique dans les interrogatoires. Elle ne la considère pas non pluscomme un jeu cruel et vain de soldats sans foi ni loi. Elle vient en revanche confirmerque cet usage suit les instructions des personnes les plus haut placées dans lahiérarchie militaire.

37 La façon dont l’armée a défini ces techniques en 2005 est très différente de ce à quoi on

pourrait s’attendre si on a beaucoup lu de documents sur la manipulation sensoriellelors des « interrogatoires » ou la « torture » dans les manuels d’interrogatoire de la CIA,ou les descriptions des expériences financées par celle-ci. Ces techniques ne sont pastant faites pour détruire le « soi » du sujet que pour briser sa volonté et donc sarésistance aux interrogateurs - il finit même par les considérer comme sa seule voie desalut. Si le KUBARK (et ses exégètes) parle parfois de régression psychologique pourdéfinir cet état de dépendance, ni les interrogateurs, ni leurs supérieurs ne semblentpenser en des termes aussi sophistiqués. Ils pensent plutôt en termes simples demanipulation du comportement, comme nous en avons des exemples dans la viequotidienne.

38 De plus, lorsque ces techniques sont considérées comme faisant partie d’une ou

plusieurs « approches » standard d’interrogatoire officiellement adoptées par lesmilitaires, elles appartiennent à une procédure qui ne doit pas apparaître dans lesdocuments officiels de l’armée. On pourrait comparer la relation entre ces documents àl’écart existant entre les normes des performance practice et celles des partitionspubliées. Lorsque l’on nous dit que l’« inanité », « l’incitation », et « l’augmentation dela peur » sont des « approches » acceptables dans le manuel de l’armée Army Field

Manual 2-22.3 (FM 34–52), nous devons en conclure que « la musique à plein volume »,« la coercition genrée », les stroboscopes, les positions de tension physique et tout lereste sont également acceptables – et, comme elles l’étaient manifestement durant lespremières années de la « guerre contre la Terreur », elles sont appliquées sur ordre etsupervision des officiers et des plus hauts niveaux hiérarchiques66. Selon toutevraisemblance, ce type d’interrogatoire continue à avoir lieu, au moment même oùvous lisez ces lignes, dans les camps gérés par les services américains.

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Que de la musique soit utilisée pour lesinterrogatoires, qu’est-ce que cela change ?

39 On m’a souvent demandé si je pensais qu’il y avait quelque chose de spécial, de propre à

la musique dans son utilisation lors des interrogatoires. Mes interlocuteurs me disentque c’est l’impuissance totale des détenus, à laquelle s’ajoutent la nudité, l’humiliation,la fatigue et la douleur auto-infligée par les positions pénibles qui transforment lamusique non-désirée en véritable torture. Le débat politique et moral serait donc lié àla torture et non pas à la musique. Je suis d’accord jusqu’à un certain point. Je pensequ’il y a deux façons de considérer la musique qui peuvent nous aider à comprendre lelien qui existe entre les citoyens américains et les actes que les interrogateurs réalisentloin de nos latitudes, mais en notre nom à tous.

40 La première façon consiste à considérer la musique et la « coercition genrée » comme

des exemples de l’approche nommée « inanité », comme l’ont fait les enquêteurs. Àpremière vue, le lien qui existe entre la musique et le genre semble être une traditionoccidentale désuète, datant au moins de l’époque de Platon67. Mais qu’ont doncréellement en commun la musique et le genre ? Tous deux provoquent des expériencessensorielles (sonores et sexuelles) et découlent de normes culturelles. Tous deux sontdonc des vecteurs de pratiques culturelles grâce auxquelles ces normes deviennentéthiques. Dans les sociétés occidentales, c’est principalement à travers ces normes quenous interagissions comme des êtres sensés et intégrés. Ainsi, la musique et la« coercition genrée » peuvent avoir un effet plus complexe sur les humains que lespositions pénibles, la privation de sommeil et les températures extrêmes qui sont descomposantes récurrentes des interrogatoires. Ces dernières sont faites pour exploiterles faiblesses physiques du sujet et provoquer la douleur. La « futility music » et la« coercition genrée » ciblent pour leur part ses normes culturelles et leur appropriationsingulière pour les transformer en pratiques éthiques. La « futility music » et la« coercition genrée » peuvent pousser des sujets comme Muhammad al-Qatani à subirune souffrance plus psychologique que physique. Découlant directement de ce qu’il estou de ce qu’il a choisi d’être en tant qu’être social – par opposition à son identitépurement biologique – cette souffrance psychologique attaque sa cible et l’oblige à setrahir au sein de l’espace intrasubjectif [intrasubjective] que de nombreuses religionsnomment l’âme. Toute résistance n’est plus simplement futile mais impossible lorsque,justement, l’âme et le corps cèdent en même temps sous l’effet de cette auto-trahison.C’est alors que cette rupture d’ordre physique décrite dans le KUBARK a lieu : le mondeintérieur du sujet implose et sa perception de lui-même aussi. Cela peut provoquer unflot soudain de ce que les commandants des opérations appellent des « renseignementsutiles » – des informations sur des attaques imminentes qui pourront alors êtreempêchées.

41 Que l’on juge ou non la souffrance provoquée par les techniques « futility music » et

« coercition genrée » suffisante pour être qualifiée de « torture », les résultats positifsque l’on attend de leur usage les font entrer de fait dans la structure épineuse quicaractérise la dynamique de la torture. On punit alors même que l’on n’a pas encoreobtenu de preuves qu’il y ait eu crime, parce que la punition même – c’est-à-dire lasouffrance que l’on fait endurer – est celle qui va permettre d’obtenir ces preuves68. Siles preuves n’arrivent pas, ou s’il y a eu erreur, les interrogateurs auront poussé uninnocent à trahir son corps et son âme. Les interrogateurs courent donc en permanence

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le risque de commettre des actes de cruauté gratuite. Quand un commandant militaireou les citoyens d’une nation leur demandent de se conduire ainsi, ils les obligent à agircontre leurs propres préceptes moraux et se retrouvent alors dans une situation depéché [condition of sin] proche de celle infligée à Muhammad al-Qatani – une situationoù ils trahissent leur âme. En ce qui concerne les membres du personnel militaire, ils’agira sans doute plutôt de leur âme de civils que de leur âme au sens religieux duterme. C’est une voie sans issue. Il est inutile de tenter de résister au processus une foisqu’il est lancé et cela vaut aussi bien pour les interrogateurs que pour les détenus, lescommandants et les citoyens. C’est ce qu’a compris Tony Lagouranis le soir où il a faillicouper tous les doigts de Khalid.

42 Si la capacité de la musique à générer autant d’énergie destructrice pour l’âme des

détenus nous montre comment nous participons tous à cette situation d’impasse, le faitque la musique soit une énergie acoustique nous le montre également69. En effet, toutcomme la climatisation et l’électricité 24h sur 24, la « musique forte » qui transformeles camps de détention en lieux « hors du monde » dépend directement del’approvisionnement en électricité des forces américaines. Or, curieusement, nous nesommes pas en mesure de faire profiter les populations iraquienne et afghane d’unapprovisionnement de ce genre. L’approvisionnement en électricité de nos troupesprovient de la transformation d’hydrocarbures en énergie – soit du pétrole dont nousnous servons pour nos générateurs. Tous les sons passant par un haut-parleur dans cescamps, c’est-à-dire toute musique, provient de la transformation par les États-Unis dupétrole du Moyen-Orient en énergie acoustique violente utilisée pour exercer de laviolence à l’encontre des citoyens de ces mêmes pays. Des citoyens qui sont aussiincapables de résister à notre exploitation de leurs ressources qu’ils le sont de résister àl’utilisation que nous en faisons contre eux. Les détenus iraquiens en sontprobablement conscients. Il est même possible qu’ils envisagent le programme« musique forte » comme l’écho assez littéral des relations de pouvoir entre leur pays etles États-Unis, relation qui a probablement été à l’origine de l’invasion de l’Irak : cedroit que nous nous octroyons d’exploiter les ressources d’autres pays pour renforcernotre domination sur eux. Malheureusement, le seul fait que le « programme musique »provoque un tel gaspillage d’énergie pourrait venir nous rappeler, à nous citoyens« innocents », que nous nous sommes octroyés le droit d’utiliser les ressourcesénergétiques d’autres nations pour maintenir un train de vie que nous n’avons pas lesmoyens de nous permettre seuls.

Est-ce de la Torture ?

43 Suivant les « déclarations et réserves » émises par les États-Unis en 1994 lorsque le

Président Bill Clinton signa la « Convention des Nations Unies contre la torture etautres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », aucune de cestechniques d’interrogatoire n’était considérée comme de la torture70. Les réservesémises par les États-Unis sont alignées sur les « avis et consentements » du Sénat. Elleslimitent la définition de souffrance mentale prohibée à la souffrance mentale quidécoule de la douleur physique, de l’administration de « substances psychotropes ouautres procédés visant à modifier profondément les sens ou la personnalité » et desmenaces de mort ou à l’encontre d’une tierce personne. Un mémorandum duLieutenant Colonel Diane E. Beaver daté du 11 octobre 2002 stipule que la privation de

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sommeil, de confort et d’objets de culte, le fait d’enlever les vêtements des prisonniersou de leur mettre un sac sur la tête, d’exploiter leurs phobies, de les harcelersexuellement, les exposer au froid, les priver de stimuli auditifs ou de lumière et demener des interrogatoires 24h durant, ne doivent pas être considérés d’un point de vuelégal comme « prévus pour altérer […] les sens ou la personnalité. » Ce sont, aucontraire, « des stratégies visant à combattre la résistance71. »

44 Mais peut-être que la vraie question n’est pas de savoir si une technique répond à la

définition en vigueur de la torture. La monographie d’Elaine Scarry, The Body in Pain,peut nous aider à mieux appréhender le problème. « La torture », dit-elle « est unprocessus qui convertit et annonce la conversion de toute action et de tout élément deson environnement en souffrance. » Quelques pages plus loin, elle ajoute « lesbourreaux forcent le sujet à avouer et à objectiver le fait que la douleur intense détruittoute réalité72. » De ce point de vue, le but des techniques psychologiques dérivées dumanuel KUBARK des années 1960 est bien de torturer.

45 Finalement, c’est peut-être le journaliste Tim Russert qui a posé la meilleure question

en demandant à l’amiral Michael McConnell, Directeur des services de renseignementaméricains le 22 juillet 2007 : « [Est]-ce que nous accepterions qu’un citoyen américainsubisse le même genre d’interrogatoire renforcé73 ? » Et il serait sans doute encore plusjudicieux de nous demander, à nous autres citoyens américains, si nous sommesvraiment prêts à accepter d’endosser la responsabilité morale de tout ce que notre Étatdemande aux interrogateurs de faire subir à d’autres êtres humains, en notre nom.

« Je ne pouvais pas comprendre comment on pouvaitfaire ça à un être humain74 »

46 Le 15 avril 2006, le vétéran des marines américains Donald Vance, âgé de 28 ans, a cru

perdre la vie75. Il était chef de sécurité et de logistique dans la société irakienne ShieldGroup Security Company, et cela faisait six mois qu’il collaborait en secret avec unagent du FBI de Chicago. Ils rassemblaient des preuves sur le trafic d’armes illégal opérépar la société, qui revendait les armes de la Coalition aux groupes d’insurgés. Lorsqueses employeurs lui confisquèrent la carte nominative qui lui donnait accès auxinstallations de Zone verte, Vance se douta que son enquête avait été découverte. Ildemanda l’aide de son ambassade. Avec Nathan Ertels, l’autre homme qui l’aidait àrassembler des preuves, on leur demanda de s’enfermer dans leur bureau pour éviterun possible enlèvement. Lorsque les soldats américains arrivèrent à leur secours, Vanceet Ertels leur montrèrent un dépôt gigantesque de fusils, munitions et explosifs. On lesamena à l’ambassade pour recueillir leurs témoignages, puis fait passer la nuit dans unecamionnette dans le quartier. Ils s’étaient crus tirés d’affaire.

47 Au lieu de cela, on les réveilla en pleine nuit, puis on leur mit un sac sur la tête, des

casques insonorisés, des lunettes noires et des menottes. On les conduisit dans unvéhicule de l’armée à une prison anonyme de la Zone verte. Là, ils furent déshabillés,fouillés, on prit leurs empreintes digitales et scanna leurs rétines. On procéda ensuite àun test d’ADN et on leur donna des combinaisons orange, avant de les transférer dansun lieu sans fenêtre où seules les prières et les questions de leurs interrogateursrompaient le silence. Deux jours plus tard, ils étaient transférés au Camp Cropper,

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centre pour détenus « importants » situé à l’aéroport international de Bagdad. Vance yfut détenu – et interrogé – jusqu’au 21 juillet 200676.

48 Comme tous ceux qui ont été interrogés par les forces américaines, Vance a dû signer

un accord de confidentialité lorsqu’il a été relâché. Comme Moazzam Begg, il a décidéde violer cet accord aussi souvent que possible. Il espère que le fait qu’il soit si visible etsi actif, parlant à la presse, aux universitaires et aux militants – ainsi qu’aux avocats,tribunaux et juges du procès pour détention illégale qu’il a intenté contre l’ex-secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld – empêchera qu’il soit détenu une nouvelle foispour avoir rompu cet accord. Le récit très détaillé de Vance sur les conditions de sadétention au Camp Cropper, sur les techniques qu’on lui avait enseignées pour résisterà ce qu’il appelle le « programme musique » et sur les effets que celui-ci a tout de mêmeeu sur lui, sera sans doute plus facile à écouter pour un public américain que les récitsmarqués par les accents des Anglo-Pakistanais, Anglo-Ethiopiens ou Algériens77. Sonrécit est une question ouverte pour nous : comment pouvons-nous accepter qu’un êtrehumain soit traité de la sorte ?

49 À l’unité spéciale, bâtiment cinq du Camp Cropper où Vance était détenu, les

prisonniers étaient enfermés dans des cellules de trois mètres carrés et quatre mètresde haut faites de béton et de parpaings. Les portes étaient en préfabriqué recouvertd’acier ,« entourées de tubes métalliques carrés, recouvertes de plaques métalliques etpeintes en rouge ». Il y avait une lucarne dans la porte pour faire passer nourriture etboisson, à des heures aléatoires que les détenus suspectaient être en rapport directavec la façon dont ils collaboraient durant l’interrogatoire. À un mètre au-dessusenviron, une vitre en plexiglas de 30 cm d’épaisseur recouverte d’un drap permettaitaux gardes d’observer le détenu toutes les quinze minutes en moyenne. Ils s’assuraientainsi qu’il était éveillé, sur le qui-vive, et qu’il ne tentait pas de s’automutiler. Chaquecellule était équipée de toilettes, mais le détenu devait frapper sur la porte pour qu’ungarde tire la chasse. Les gardes pouvaient contrôler la température et la lumière dechaque cellule. Vance se souvient : « les lumières étaient toujours allumées dans macellule, dans le but évident de m’empêcher de dormir ; et le bruit de l’éclairage au néonétait abrutissant ». La température tournait autour des 13 à 15 degrés, en tout cas« toujours en-dessous de la température recommandée (de 18 degrés)78. »

50 Vance dit que lorsqu’il est arrivé au Camp Cropper, « il était terrifié79. » Tout comme

Moazzam Begg à Bagram, il s’appuyait sur les sons pour avoir une idée de ce qui sedéroulait autour de lui, et cette manipulation évidente de l’acoustique avait le don de lemettre sur les nerfs.

Je pouvais entendre des voix. Je pouvais deviner l’arrivée du repas en entendant lebruit du chariot avec lequel on nous apportait la nourriture […]. [L]es chambresd’interrogatoire dans lesquelles on m’a emmené […] étaient plongées dans un silencetotal. De la moquette épaisse recouvrait les murs et le plafond. Mon premier instinct enles apercevant a été de me battre ou m’enfuir pour sauver ma peau, mais bien entenduon ne peut rien faire de tout ça. Les questions ont fusé dans ma tête : « Veulent-ils nousempêcher d’entendre les sons de l’extérieur, ou empêcher les sons de filtrer au-dehors ? Pourquoi la pièce est-elle si petite, et pourquoi est-elle capitonnée ? » Dans ma cellule, il n’y avait absolument RIEN. Je dépendais entièrement des sons pourm’occuper l’esprit. Je pouvais passer des heures à genoux, à coller mon oreille à la portepour essayer d’entendre les sons extérieurs. Des sons de voix, de conversations parfois80

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51 Ce que Vance entendait surtout c’était la musique, « cette maudite musique à fond la

caisse qui semblait ne jamais s’arrêter » et que tous ceux présents dans le bâtimententendaient comme lui81.

Je ne me souviens pas d’un seul jour où on ne m’a pas imposé cette musique […].D’énormes haut-parleurs avaient été placés à l’entrée des corridors de chaque côté dubâtiment. Et ce, afin que les deux côtés du bâtiment entendent les mêmes morceaux [...]18 mètres environ séparaient ma cellule des premiers haut-parleurs […] Je me souviensmême de quelques morceaux, comme « Mr. Self Destruct » et « March of the Pigs » deNine Inch Nails. Et je ne me souviens même plus du nombre de fois où j’ai entendu « WeAre the Champions » de Queen... Les morceaux variaient, on passait d’abord du hardrock puis de la country et encore du hard rock, ensuite du hip-hop, par exemple. [...] Lamusique était extrêmement forte82.

52 Elle était même tellement forte que les gardes de chaque côté du couloir devaient crier

ou se déplacer pour s’entendre. Au début, Vance trouvait la musique irritante, puis il enest venu à la considérer comme « une guerre psychologique, une attaquepersonnalisée83. » Quelquefois, en revanche, il ne pouvait pas s’empêcher de fredonnerl’air si c’était « un artiste que j’aimais bien. Mais […] ça a fini par me faire craquer.Écouter des morceaux familiers […] dans cet endroit, ça me faisait monter les larmesaux yeux84. » Après l’omniprésence d’une musique tonitruante, les sons de voix de sesinterrogateurs étaient presque les bienvenus pour Vance.

53 Bien qu’il soit convaincu de n’avoir jamais opposé de résistance, Vance était menotté,

coiffé d’un casque anti-bruit et de lunettes noires, recouvert d’une serviette de bain etamené en fauteuil-roulant à la salle d’interrogatoire presque tous les jours85. Il étaitensuite interrogé par un, deux, voire trois hommes blancs, tandis qu’un autre filmait.

Ces gens [les interrogateurs] n’avaient pas de nom, certains d’entre eux étaient en civil.Certains avaient même l’air de clochards, ils étaient sales avec une barbe de plusieursjours et ils avaient l’air mal soigné. Chaque mot qu’ils prononçaient était uneaccusation, une question déjà répétée une trentaine de fois, c’était un rituel : « hier,nous vous avons demandé […] », et vous répondez « j’ai déjà répondu à cette question »,puis ils demandent à qui vous avez parlé […] pour vous rendre fou. Puis ils vous disent« rien n’indique ici que vous ayez été interrogé hier. » Votre esprit commence àdivaguer […].Vous commencez à penser, « j’aurais dû obéir bien gentiment, j’aurais dû garder lesilence, et rien de tout ceci ne serait arrivé […]. » Vous commencez à lire les papiersqu’ils vous mettent sous le nez, qui disent que vous êtes une menace pour legouvernement iraquien et pour la Coalition […] et vous dites, « oui, c’est vrai, et ce quise trouve dans mon ordinateur l’est aussi. » Je me rappelle leur avoir dit de tout effacer,que je ne le répèterais jamais à personne. Ils ont juste ricané […].Vous vous dites « que pensent-ils donc que j’ai fait ? Il y a des prisonniers ici qui ont tuédes gens, et pourtant ils rentrent chez eux. Et moi, ils ne me laissent pas retourner auxÉtats-Unis. » Vous pensez à tout ça, aux milliards de dollars détournés, aux arnaques, àces entreprises qui ont été payées mais n’ont pas rempli leur contrat, aux assassinats,aux soldats qui violent les femmes iraquiennes. La première chose qu’ils ont faite, c’estde les mettre dans un avion. Mais moi, qui n’ai jamais fait de mal à personne, ils m’ontmis dans un camp, ils m’ont interrogé pendant 97 jours […]. [Vous] perdez l’esprit, vouspleurez, cette maudite musique semble ne jamais vouloir s’arrêter, la nourriture estaffreuse […]. Vous devenez fou86.

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54 Vance pensait même qu’un autre Américain détenu à Camp Cropper, Joseph Tremper,

était devenu fou, « il avait des hallucinations, il parlait à des personnes qui n’étaientpas là87. » Vance pense qu’il s’en est sorti parce qu’il a pu prier : « j’ai été élevé dans lafoi catholique. Je m’en suis remis à ma Foi88. »

55 La Foi. C’était justement là la cible des techniques « programme musical » et

« coercition genrée » lors de l’interrogatoire de Mohammad al-Qatani à Guantánamo.Mais pour les catholiques américains, écouter de la musique n’est pas une pratiqueamorale. On n’a d’ailleurs jamais demandé à Vance quoi que ce soit qui aille àl’encontre de ses croyances religieuses. Par ailleurs, il savait comment résister à lamusique qui déferlait des haut-parleurs à longueur de journée. C’est peut-être pour celaque son séjour en détention l’a endommagé mais pas brisé89.

56 Tout comme Tony Lagouranis, l’interrogateur de Mosul, Donald Vance avait entendu

des vétérans parler de l’usage de la musique en détention. Il avait suivi les cours« Crucible » donnés par DynCorps pour les agents de sécurité en Irak. Ces cours étaientprodigués par d’anciens officiers des Forces Spéciales qui parlaient parfois de leurpropre entraînement, entre autres concernant la résistance à la musique. Puisqu’ilsavait qu’on utilisait la musique pour brouiller les pensées des détenus, il savaitégalement comment faire pour résister. Lors de notre premier entretien, il me racontala chose suivante :

Pour contre-attaquer, il fallait se parler à soi-même, avec animation ; je gesticulais. Jeme racontais des anecdotes sur ma propre vie, des blagues – alors que j’en connaissaisdéjà la fin. J’avais compris que je devais m’occuper l’esprit. Mais, comme je le disais, dèsqu’il y a une ouverture, dès que vous êtes fatigué, que vous avez faim, que vous laissezvotre esprit vagabonder, dès que vous commencez à penser à rentrer chez vous, ça yest, boum, vous vous faites prendre90.

57 « Et ça fait quoi, quand “boum, vous vous faites prendre” ? » lui ai-je demandé. Au

début, il garda le silence. Puis :

C’était catastrophique. Je perdais ma foi. En lisant l’histoire de Pierre en prison, comment un tremblement deterre fit tomber les murs de sa prison pour le libérer, je perdais la foi91. Les miracles, çan’arrive pas, ça n’existe pas.Et puis je me reprenais, je me disais « qu’est-ce qui t’arrive ? » Je me rendais compteque je tombais dans le piège, qu’il me fallait en sortir.©AL-GHAZZALI, On Listening to Music, trad. Muhammad Nur Abdus Salam, introduction deLaleh Bakhtiar, n.p., Kazi Publications, 2003.Amnesty International, « Iraq: Decades of Suffering, Now Women Deserve Better » http://web.amnesty.org/library/Index/ENGMDE140012005?open&of=ENG-IRQ(consulté le 10 octobre 2007).BEAVER, Lt. Col. Diane E., « Legal Brief on Proposed Counter-Resistance Strategies » inGREENBERG et DRATEL, The Torture Papers, p. 229-236.BECCARIA, Cesare, Dei delitti e delle pene, Livorno, Coltellini, 1764.BEGG, Moazzam, Enemy Combatant : My Imprisonment at Guantanamo, Bagram, andKandahar, New York, New Press, 2006. BEGG, Moazzam, Entretien téléphonique avec l’auteur, 18 avril 2007.

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NOTES

1. SMITH, Craig avec MEKHEMNET, Souad et MAZZETTI, Mark, « Algerian Tells of Dark Odyssey in

U.S. Hands », New York Times, 7 juillet 2006.

2. GALL, Carlotta, « The Reach of War: Detainees’ Rights Group Reports Afghanistan Torture »,

New York Times, 19 décembre 2005. L’expression « dark prison » est peut-être particulièrement

significative pour les musulmans, pouvant évoquer ce que le Prophète a décrit à son beau-fils Ali

comme la « torture de la tombe » (‘adhāb al-qabr). Saba Mahmood en parle comme de « l’obscurité

(darkness) étouffante qui nous enveloppe juste avant l’apparition de l’ange de la mort, lorsqu’il

vient faire le bilan de la vie qu’on a menée ». Voir MAHMOOD, Politics and Piety: The Islamic Revival

and the Feminist Subject, Princeton, Princeton University Press, 2005, p. 93.

3. Stephen Grey et Ian Cobain relatent également l’expérience de Benyam Muhammad dans

« Suspect’s Tale of Travel and Torture » paru dans The Guardian le 2 août 2005. Arrêté au Pakistan

en avril 2002, Muhammad a été détenu et interrogé dans deux prisons pakistanaises anonymes,

puis au Maroc, à la « dark prison » de Kaboul et à la base aérienne de Bagram, avant d’être envoyé

à Guantánamo en septembre 2004, où il est resté jusqu’à la fin août 2007.

4. GREY et COBAIN, « Suspect’s Tale of Travel and Torture ».

5. Même si on sait que des femmes et des enfants ont été ou sont encore détenus en Afghanistan

et en Irak, il n’y a pas, à ma connaissance, de femmes détenues dans les « dark prisons ». Mais à

une femme au moins, la femme d’affaires irakienne Huda Hafez Ahmed, on a imposé la station

debout prolongée, la privation de sommeil, le froid, les gifles et la musique forte en 2003. Elle

s’était rendue à une prison contrôlée par les troupes américaines à Bagdad pour avoir des

nouvelles de sa sœur en détention. Amnesty International parle brièvement de son calvaire dans

« Irak : Halte à la violence contre les femmes ! Il est temps que les droits des femmes soient enfin

respectés », voir http://www.amnesty.org/fr/library/asset/MDE14/001/2005/fr/7dda3f9b-

d539-11dd-8a23 d58a49c0d652/mde140012005fr.pdf (consulté le 10 octobre 2007) et de façon plus

détaillée dans « After Abu Ghraib,» de Luke Harding, The Guardian du 20 septembre 2004, http://

www.doublestandards.org/harding1.html (consulté le 10 octobre 2007).

6. McCOY, Alfred, A Question of Torture: CIA Interrogation, From the Cold War to the War on Terror, New

York, Metropolitan Books, 2006 ; CONROY, John, Unspeakable Acts, Ordinary People: The Dynamics of

Torture. An Examination of the Practice of Torture in Three Democracies, Berkeley, University of

California Press, 2000 ; OTTERMAN, Michael, American Torture from the Cold War to Abu Ghraib and

Beyond, Melbourne, Melbourne University Press, 2007 ; et MAYER, Jane, « Outsourcing Torture:

The Secret History of America’s “Extraordinary Rendition” Program », The New Yorker, 14 février

2005 ; « The Gitmo Experiment », The New Yorker, 6 juillet 2006 ; et « The Black Sites: The CIA’s

Interrogation Techniques », The New Yorker, 8 août 2007.

7. Central Intelligence Agency, KUBARK Counterintelligence Interrogation, juillet 1963, http://

www.gwu.edu/∼nsarchiv/NSAEBB/NSAEBB122/CIA%20Kubark%201-60.pdf (consulté le 8

octobre 2007).

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8. Pour connaître le nombre de détenus dans les camps américains en Irak, voir « “Surge” Has

Led to More Detainees », Washington Post, 15 août 2007. La base aérienne de Bagram en

Afghanistan avait 500 détenus en février 2006 ; en août 2005 les Etats-Unis ont annoncé que 20

pour cent environ des plus de 600 détenus de Guantanamo allaient être envoyés à Bagram pour

une période indéfinie. Voir GOLDEN, Tim et SCHMITT, Eric, « A Growing Afghan Prison Rivals

Bleak Guantanamo », New York Times, 26 février 2006 ; et WHITE, Josh et WRIGHT, Robin,

« Afghanistan Agrees to Accept Detainees », Washington Post, 5 août 2005.

9. KUBARK, p. 65–66.

10. Ibid., p. 90.

11. WILLEMSEN, Roger, Guantanamo Speaking. Per la prima volta parlano gli ex-detenti. Interviste di

Roger Willemsen, trans. Ludovica MAGGI, Napoli, Michele di Salvo Editore, 2006, préface, p. 10.

Publié sous le titre original de Hier spricht Guantanamo: Roger Willemsen interviewst Ex-Häftlinge,

Frankfurt am Main, Zweitausendeins, 2006.

12. Je connais une autre autobiographie de détenu : SASSI, Nazir, Prisonnier 325. De Vénissieux à

Guantanamo, Paris, Denoël, 2006. Voir aussi Guantanamo Speaking, de Willemsen.

13. Ce récit est tiré de BEGG, Moazzam, Enemy Combatant: My Imprisonment at Guantanamo, Bagram,

and Kandahar, New York, New Press, 2006, ainsi que d’un entretien téléphonique de 72 min entre

Begg et moi-même, le 18 avril 2007.

14. Begg, entretien téléphonique avec l’auteur, 18 avril 2007. Le démantèlement de schémas

sensoriels usuels est l'une des techniques récurrentes des interrogatoires américains ; voir le

KUBARK : « À mesure que les sons et les images du monde extérieur disparaissent, l’importance

de ce dernier pour le détenu s’efface également. Il ne reste plus que la salle d’interrogatoire, ses

deux occupants et la dynamique qui les unit » (p. 58).

15. BEGG, Enemy Combatant, p. 111.

16. Ibid., p. 114.

17. Ibid., p. 122.

18. Begg, entretien téléphonique avec l’auteur. La base aérienne de Bagram, qui faisait partie

autrefois des lieux névralgiques de l’occupation soviétique en Afghanistan, est à 27 miles au nord

de Kaboul. Au moment de la détention de Begg, on pense que la zone de détention était située

dans un énorme atelier de l’époque soviétique.

19. BEGG, Enemy Combatant, p. 137-139.

20. Begg, entretien téléphonique avec l’auteur. Begg a longtemps cru (à tort) qu’une des femmes

qu’il entendait crier était sa femme. Il a ensuite appris qu’il s’agissait du détenu 650. Voir BEGG,

Enemy Combatant, p. 161. Les camarades de Begg à Cageprisoners.com pensent aujourd’hui qu’il

s’agissait peut-être de Afez Sadiki, une femme qui a étudié la psychiatrie aux États-Unis, détenue

à Bagram durant les deux années où il y était également. Elle et ses enfants ont depuis disparu.

21. Begg, entretien téléphonique avec l’auteur.

22. BEGG, Enemy Combatant, p. 170. Begg s’est souvenu avoir également entendu du Eminem.

23. Begg, entretien téléphonique avec l’auteur.

24. Ibid.

25. Ibid.

26. Ibid.

27. Ibid.

28. Rapport de Human Rights Watch, « No Blood, No Foul »: Soldiers’ Accounts of Detainee Abuse in

Iraq [« Pas de sang, pas de bavure ». Récits de soldats sur les sévices infligés aux détenus en Irak], Report

18/3 (juillet 2006), p. 8-24. Le Camp Nama, situé à l’aéroport International de Bagdad, aurait été

un centre de détention et de torture sous le régime de Saddam Hussein. Après la chute de

Bagdad, il a été utilisé par les américains comme centre de haute sécurité avec des interrogateurs

provenant d’agences comme les Navy Seals, les Forces Spéciales de l’armée et des civils

travaillant probablement pour la CIA ou le FBI. Voir SCHMITT, Eric et MARSHALL, Carolyn, « Task

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178

Force 6-26: Inside Camp Nama; In Secret Unit’s “Black Room”, A Grim Portrait of U.S. Abuse »,

New York Times, 19 mars 2006. Vous trouverez des rapports sur les interrogatoires abusifs à cette

URL: http://www.aclu.org/torturefoia/released/030705. À la fermeture du Camp Nama en 2004,

les interrogatoires auraient été transférés à la Balad Air Force Base, que Globalsecurity.org décrit

comme « le plus gros et le plus actif des centres aériens de l’Irak.»

29. Human Rights Watch, « No Blood, No Foul », p. 9.

30. Ibid., p. 12.

31. Ibid., p. 14.

32. Al-Qa’im est une petite ville de l’Euphrate dans le nord-est de la province de Anbar, près de la

frontière Syrienne.

33. Human Rights Watch, « No Blood, No Foul », p. 26-40, d’après le récit du « Sgt. Nick Forrester »,

garde à la FOB Tiger.

34. Forrester parle de la chanson emblématique d’un personnage d’émission pour enfants (un

dinosaure violet). Elle commence par « I love you, you love me... »

35. Human Rights Watch, « No Blood, No Foul », p. 30–31.

36. LAGOURANIS, Tony et MIKAELIAN, Allen, Fear Up Harsh: An Army Interrogator’s Dark Journey

Through Iraq, New York, NAL Caliber, 2007. Lagouranis était spécialiste dans le 202e bataillon de la

Military Intelligence de début 2004 à juillet 2005. Il était en poste à Mosul de février à avril 2004.

37. Ibid, p. 115. L’instructeur de Lagouranis et son équipe à Mosul, l’adjudant-chef S. Pitt, est

identifié page 73.

38. Ibid., p. 50.

39. Ibid., p. 85. Lagouranis a été surpris d’apprendre que ces mêmes règles étaient en vigueur à

ses postes précédents, à al-Asad et Abu Ghraib. Ses mémoires révèlent la marge d’interprétation

importante que laissent les règles IROE.

40. Ibid., p. 116.

41. Ibid.

42. Ibid., p. 125.

43. Ibid., p. 127. En italique dans le récit de Lagouranis

44. Ibid, p. 128.

45. ZAGORIN, Adam et DUFFY, Michael, « Inside the Interrogation of Detainee 063 », Time, 12 juin

2005. Ce log se trouve à l’adresse suivante: http://www.time.com/time/2006/log/log.pdf. On

avait refusé l’entrée aux États-Unis à al-Qatani en août 2001, alors qu’il atterrissait à Orlando sans

billet de retour avec $2,800 en poche. Il a ensuite été capturé à Tora Bora en décembre 2001, pour

être envoyé à Guantanamo deux mois plus tard, où l'on a reconnu ses empreintes digitales,

datant de sa déportation du mois de juillet 2002. Comme il semblait avoir été formé pour résister

aux interrogatoires et qu’on pensait qu’il devait détenir des informations importantes sur le 11

septembre, il a fait partie des prisonniers pour lesquels le Secrétaire Rumsfeld a approuvé un

« programme d’interrogatoire spécial » en novembre 2002. Le Pentagone a affirmé en 2005 qu’il

avait donné des informations de haute importance sur l’évasion de Tora Bora de Ben Laden, ainsi

que sur d’autres personnes et contacts financiers importants dans différents pays arabes.

Cependant, le site Globalsecurity.org le considère maintenant de « peu d’importance » pour la

sécurité nationale. On confond facilement son nom avec celui de Muhammed Jafar Jamal al-

Qatani, Saoudien lui aussi, et agent d’Al-Qaïda de grade moyen, arrêté en Irak en 2005, évadé,

puis à nouveau capturé.

46. Un « thème » est une introduction à l’interrogatoire grâce à laquelle les militaires établissent

« les conditions de contrôle et de rapport qui facilitent le recueil d’informations ». Citation du

département militaire, FM2-22.3 (FM34–52). Human Intelligence Collector Operations, septembre 2006,

section 8.1.8, http://www.army.mil/institution/armypublicaffairs/pdf/fm2-22-3.pdf (lu le 8

octobre 2007).

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47. L’autre composante du « thème du mauvais musulman » désigné en général dans le rapport

par « invasion de l’espace intime par l’autre sexe » consistait en une remise en cause concertée

de l'hétérosexualité du sujet par les interrogateurs, sous prétexte qu'il refusait de participer à

leur objectification/réification de la femme.

48. Al-Qatani faisait le jeûne du Ramadan, du 6 novembre au 6 décembre 2002.

49. « Rapport d’interrogatoire, détenu 063 », p. 9, entrée du 26 novembre 2002, 6h30.

50. Certains adeptes de l’Islam disent que le Prophète permit expressément à deux jeunes filles

de chanter car il les avait entendues chanter pour sa femme ‘A’isha ; d’autres disent qu’il s’est au

contraire bouché les oreilles. Voir SHILOAH, Amnon, Music in the World of Islam: A Socio-Cultural

Study, Detroit, Wayne State University Press, 1995, p. 32.

51. Ibid., p. 34.

52. AL-GHAZZALI, On Listening to Music, trad. Muhammad Nur Abdus Salam, introduction par

Laleh Bakhtiar, Great Books of the Islamic World, séries ed. Seyyed Hossein Nasr, n.p., Kazi

Publications, 2003, p. 20-26.

53. Ibid., p. 13-20.

54. Voir, par exemple, les recommandations contradictoires de sites comme http://

www.submission.org/music.html, http://www.inter-islam.org/Prohibitions/Mansy_music.htm,

http://www.irfi.org/articles/articles_151_200/music_and_islam.htm, http://www.irfi.org/

articles/articles_351_400/is_music_prohibited_in_islam.htm, http://www.geocities.com/

Heartland/Flats/1716/music.html (consultés le 28 septembre 2007).

55. « Interrogation Log », p. 37, 14 décembre 2002, 16:30.

56. Al-Qatani n’était pas le seul prisonnier dont les croyances et pratiques religieuses aient été

prises pour cible par ses interrogateurs. Dans son livre American Torture, Michael Otterman dit

que lors de son passage en cour martiale pour avoir étouffé le Major Général Abed Hamed

Mowhoush à la base d’opérations avancées Tiger en 2003, l’adjudant-chef (et ancien instructeur

SERE) Lewis Welshofer a admis avoir empêché son prisonnier de prier Dieu. En réponse à la

question du procureur, « lui avez-vous refusé d’avoir recours à son Dieu ? », Welshofer a répondu

« je lui ai refusé l’accès à l’une de ses sources de réconfort. » Voir OTTERMAN, American Torture

from the Cold War to Abu Ghraib and Beyond, Melbourne, Melbourne University Press, 2007, p. 177–

80.

57. Au moment où ont eu lieu les interrogatoires cités ci-dessus, les règlements se trouvaient au

Département de l’armée, FM 34-52, Intelligence Interrogation, 1992, accessible à la bibliothèque du

Congrès, http://www.loc.gov/rr/frd/Military Law/pdf/intel interrrogation sept-1992.pdf [sic

« interrrogation »] (consulté le 8 octobre 2007). Les techniques d’interrogatoire, certaines

considérées comme « émotionnelles », d’autres non, sont traitées au chapitre 3, p. 50-82. Il s’agit

de techniques d’incitation, émotionnelles (amour), émotionnelles (haine), augmentation de la

peur, diminution de la peur, fierté et ego, inanité, « nous savons tout », « fichier et dossier »,

« donnez votre identité », répétition, rapidité, silence et changement de décor. Toutes ces

techniques sont regroupées sous le titre « d’approche émotionnelle » dans Department of the

Army, FM 2-22.3 (34-52). Human Intelligence CollectorOperations, septembre 2006, accessible sur

http://www.army.mil/institution/armypublicaffairs/pdf/fm2-22-3.pdf (consulté le 8 octobre

2007), où ils ont été traités dans le chapitre 8, p. 139-162.

58. Loi pour la liberté d’information (1966) [NdT].

59. Pour un des premiers rapports sur les techniques d’interrogatoire de Guantannamo, voir

SAAR, Erik et NOVAK, Viveca, Inside the Wire: A Military Intelligence Soldier’s Eyewitness Account of

Life at Guantanamo, New York, Penguin, 2005. Chris Macky et Greg Miller en donnent un exposé

moins critique dans The Interrogators: Inside the Secret War Against Al Qaeda, New York, Little

Brown, 2004.

60. Department of the Army, Army Regulation 15-6: Final Report. Investigation Into FBI Allegations of

Detainee Abuse at Guantanamo Bay, Cuba Detention Facility, 1er avril 2005 (amendé le 9 juin 2005),

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180

consultable sur http://www.defenselink.mil/news/Jul2005/d20050714report.pdf (consulté le 8

octobre 2007).

61. ZAGORIN et DUFFY, « Inside the Interrogation of Detainee 063. »

62. On peut trouver de nombreux mémos et ordres de ce genre, entre autres ceux cités dans ce

rapport, dans The Torture Papers: The Road to Abu Ghraib, ed. Karen J. Greenberg et Joshua L. Dratel,

Cambridge, Cambridge University Press, 2005.

63. Le Department of the Army, AR 15-6, Final Report, 8. FM 2-22.3 (34-52), 151, section 8.49–8.51

définit cette approche de la façon suivante : « Dans [cette approche] l’interrogateur convainc le

sujet de l’inanité de toute résistance. Cela provoque un sentiment de désespoir et d’impuissance

chez le sujet... Lorsqu’il emploie ces techniques, l’interrogateur doit non seulement être en

possession d’informations factuelles mais il doit également connaître et exploiter les faiblesses

psychologiques, morales et sociologiques du sujet. » D’après le manuel, la technique « inanité »

gagne à être combinée avec les techniques « augmentation de la peur » et « incitation » (356).

64. AR 15-6, Final Report, p. 9.

65. Ibid.

66. De la même façon, il semble probable – même si cela n’a pas été démontrable jusqu’ici – que

ces techniques fassent partie des techniques autorisées pour les détenus de la CIA, d’après le

Executive Order: Interpretation of the Geneva Conventions Common Article 3 as Applied to a Program of

Detention and Interrogation Operated by the Central Intelligence Agency, signé par George W. Bush le 20

juillet 2007. Vous trouverez le texte intégral sur http://www.whitehouse.gov/news/releases/

2007/07/20070720-4.html (consulté le 28 septembre 2007). Voir aussi : SHANE, Scott, JOHNSTON,

David et RISEN, James, « Secret U.S. Endorsement of Severe Interrogation », New York Times, 4

octobre 2007. L’article décrit comment le procureur général Alberto Gonzales a de nouveau

autorisé les techniques d’interrogatoire poussé de la CIA en février 2005. Il parle des mémos

classés qui ont ensuite permis que ces pratiques soient considérées comme légales et non comme

« cruelles, inhumaines et dégradantes ».

67. Voir, par exemple, PLATON, La République, 398c–400c, dans The Collected Dialogues of Plato

Including the Letters, Edith Hamilton and Huntington Cairns (eds.), Princeton, Princeton

University Press, 1961.

68. Cette impasse est au centre de la critique fondamentale de la torture par Cesare Beccaria, Dei

delitti e delle pene, Livorno, Coltellini, 1764. Voir BECCARIA, On Crimes and Punishments, and Other

Writings, ed. Richard Bellamy, trad. Richard Davies avec Virginia Cox et Richard Bellamy,

Cambridge, Cambridge University Press, 1995.

69. Ben Piekut m’a rappelé que « être incapable de se défendre et avoir peur des retombées si l’on

résiste n’est pas la même chose qu’approuver de façon tacite. » Je ne voulais pas dire que les

citoyens qui n’ont pu mettre fin à ces pratiques soient volontairement complices. Ils ne le sont

pas. Mais je pense que tout comme al-Qatani s’est trouvé forcé d’écouter de la musique haram,

nous nous sommes retrouvés dans l’impasse de la torture et de la dynamique de la

consommation. Il est donc presqu’impossible de ne pas aller à l’encontre de ses propres

convictions. Nous sommes nous aussi les victimes de « la technique de l’inanité ».

70. Texte intégral de la Convention sur http://www.hrweb.org/legal/cat.html.

71. BEAVER, Lt. Col. Diane E., « Legal Brief on Proposed Counter-Resistance Strategies », 11

octobre 2002, section 3.a. (6), in GREENBERG et DRATEL, The Torture Papers, p. 230-31.

72. SCARRY, Elaine, The Body in Pain: The Making and Unmaking of the World, Oxford, Oxford

University Press, 1985, p. 27-29.

73. Amiral Michael McConnell, entretien avec Tim Russert, Meet the Press, NBC, 22 juillet 2007.

Transcription sur http://www.msnbc.msn.com/id/19850951.

74. Donald Vance, entretien téléphonique avec l’auteur, 28 janvier 2007.

75. Ce récapitulatif de l’arrestation de Vance s’inspire largement de ses réponses au

questionnaire que je lui ai envoyé par courriel le 29 décembre 2006 et sur trois entretiens de suivi

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au téléphone les 28 janvier, 25 et 31 juillet 2007. Pour un autre récit de son expérience, voir

MOSS, Michael, « American Recalls Torment as a U.S. Detainee in Iraq », New York Times, 18

décembre 2006 ; Moss, entretien par Lisa Myers, MSNBC, 17 juin 2007. Transcription sur http://

www.msnbc.msn.com/id/19226700 ; PHINNEY, David, « Ridenhour Prize for Truth-Telling: “My

Name Used to Be 200343” », Inter Press Service, 5 avril 2007, archive sur http://

www.commondreams.org/archive/2007/04/05/337 ; et Deborah Hastings, « Steep Price Paid by

Those Who Blew Whistle on Iraq Fraud », Associated Press, 25 août 2007, archivé sur http://

www.commondreams.org/archive/2007/08/25/3410. Toutes les ressources enligne ont été

consultées pour la dernière fois le 29 septembre 2007. Shield Group Security Company a depuis

changé son nom en National Shield Security.

76. Une lettre envoyée au Detainee Status Board de Vance le 26 avril 2006 qui décrit les charges

retenues contre lui se trouve sur http://msnbc.msn.com/id/19280236 (consulté le 29 septembre

2007).

77. Sur la capacité des américains à écouter des récits de points de vue très différents sur la

violence ayant suivi le 11 septembre, voir BUTLER, Judith, « Explanation and Exoneration, or

What We Can Hear », chap. 1 of Precarious Life: The Powers of Mourning and Violence, London, Verso,

2004, p. 1-18.

78. Vance, réponses au questionnaire en ligne de l’auteur, 29 décembre 2006.

79. Vance, entretien téléphonique avec l’auteur, 28 janvier 2007.

80. Ibid. Lors de notre entretien téléphonique avec lui le 25 juillet 2007, Vance a expliqué que la

cellule de l’interrogatoire n’était pas entièrement silencieuse ; il pouvait toujours entendre la

musique dans le couloir, mais elle ne masquait plus les voix de ses interrogateurs.

81. Vance, entretien téléphonique avec l’auteur, 25 juillet 2007. Dans le questionnaire, Vance a

estimé avoir subi la musique trop forte 12h par jour en moyenne.

82. Vance, réponses au questionnaire en ligne de l’auteur.

83. Ibid.

84. Ibid.

85. Vance mentionne le fait qu’il n’a jamais opposé aucune résistance dans notre entretien

téléphonique du 28 janvier 2007, il parle de son interrogatoire dans notre entretien du 25 juillet

2007.

86. Vance, entretien téléphonique avec l’auteur du 25 juillet 2007.

87. Vance, entretien téléphonique avec l’auteur du 28 janvier 2007.

88. Vance m’a expliqué cela deux fois, il a parlé des symptômes psychotiques de Tremper lors de

notre entretien téléphonique du 28 janvier, et il y a fait à nouveau référence le 25 juillet.

89. D’après ses avocats, Muhammad al-Qatani a tellement perdu la notion de la réalité qu’il est

incapable de participer à sa propre défense. Vance souffre depuis sa libération d’attaques

d’angoisse liées au bruit, d’insomnie chronique, de troubles de l’alimentation, de paranoïa,

d’agoraphobie et autres symptômes de stress post-traumatique, mais il n’est pas fou.

90. Vance, entretien téléphonique avec l’auteur du 28 janvier 2007. Il est intéressant de noter que

la technique de résistance de Vance devait sans doute beaucoup ressembler à ce qu’il considérait

comme signes de folie chez son collègue Joseph Tremper. Cependant, sa technique lui a aussi

permis de résister au contrôle total que l’on voulait exercer sur toutes les paroles qui n’étaient

pas des réponses aux interrogateurs. La façon dont Vance s’est affirmé en revendiquant son droit

à exprimer sa réalité par ses propres paroles fait écho à sa rébellion contre l’accord de

confidentialité qu’il a signé.

91. La Bible raconte l’histoire de l’arrestation et de la détention de Simon Pierre, ainsi que de sa

miraculeuse libération (Actes, chapitre 12, 1-10).

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RÉSUMÉS

En s’appuyant sur les témoignages d’interrogateurs et d’anciens détenus ainsi que sur des

documents militaires non classifiés, cet article traite des différents usages de la « musique forte »

dans les centres de détention américains de la « Guerre contre la Terreur ». Une enquête menée

sur les méthodes employées à la base aérienne de Bagram, en Afghanistan ; à Camp Nama

(Bagdad), en Irak ; à la base opérationnelle avancée Tiger (Al-Qaim), en Irak ; à la base aérienne

de Mosul, en Irak ; à Guantánamo, à Cuba ; au Camp Cropper (Bagdad), en Irak ; ainsi que dans les

« dark prisons » de 2002 à 2006, montre que l’utilisation de « musique forte » était une composante

habituelle et ouvertement connue des « interrogatoires renforcés ». Dans les deux éditions de

1992 et de 2006 des manuels opérationnels pour les interrogatoires de l’armée américaine, la

« musique forte » était présentée comme l’un des outils – aux côtés de la « coercition sexuelle » –

de l’approche interrogatoire connue sous le nom de « futility », visant à persuader des détenus de

l’inanité de leur résistance. L’armée américaine enseigne elle-même des techniques de résistance

au « music program ». La fin de cet article est dédiée au récit d’un jeune entrepreneur de

citoyenneté américaine travaillant à Bagdad, qui a enduré 97 jours de détention militaire et de «

music program » en 2006 – et qui a su y résister.

Based on first-person accounts of interrogators and former detainees as well as unclassified

military documents, this article outlines the variety of ways that “loud music” has been used in

the detention camps of the United States‘ “global war on terror.” A survey of practices at Bagram

Air Force Base, Afghanistan; Camp Nama (Baghdad), Iraq; Forward Operating Base Tiger (Al-

Qaim), Iraq; Mosul Air Force Base, Iraq; Guantánamo, Cuba; Camp Cropper (Baghdad), Iraq; and at

the “dark prisons” from 2002 to 2006 reveals that the use of “loud music” was a standard, openly

acknowledged component of “harsh interrogation.” Such music was understood to be one

medium of the approach known as “futility” in both the 1992 and the 2006 editions of the US

Army’s field manual for interrogation. The purpose of such “futility” techniques as “loud music”

and “gender coercion” is to persuade a detainee that resistance to interrogation is futile, yet the

military establishment itself teaches techniques by which “the music program” can be resisted.

The article concludes with the first-person account of a young US citizen, working in Baghdad as

a contractor, who endured military detention and “the music program” for ninety-seven days in

mid-2006—a man who knew how to resist.

INDEX

Mots-clés : torture, torture musicale, musique forte, droits humains, guerre contre la terreur,

interrogatoire renforcé

Keywords : torture, music torture, loud music, human rights, Global War on Terror, harsh

interrogation

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Afterword to “You are in a placethat is out of the world…”: Music inthe Detention Camps of the “GlobalWar on Terror”Épilogue à « Vous êtes dans un lieu hors du monde... » : la musique dans les

centres de détention de la « guerre contre la terreur »

Suzanne G. Cusick

EDITOR'S NOTE

Inédit. L’auteur a écrit ce texte pour accompagner la traduction de son article « “Youare in a place that is out of the world…”: Music in the Detention Camps of the “GlobalWar on Terror” ».

1 The six years since this article was first published have seen a slow increase in public

knowledge of the United States' acoustical practices during the so-called “war onterror.” My own research expanded to include the first-person accounts of severalmore released detainees, whose imprisonment in the CIA's “dark prison,” in Kandaharand Guantànamo included both “interrogational” and “terroristic” torture.1 Inaddition, two important academic initiatives have helped to contextualize acousticaltorture. First, Steve Goodman's 2010 book Sonic Warfare: Sound, Affect and the Ecology of

Fear provocatively links the often individually-targeted acoustical violence of USdetention and interrogation with the more widely-experienced sonic violences of latecapitalism's owners towards consumers, and of the same system's abjected populationstoward their oppressors.2 Under the leadership of Professor Morag J. Grant and MarieCurie Postdoctoral Fellow Anna Papaeti, the Junior Free Floater Research Group on“Music, Conflict and the State” at the University of Goettingen hosted two internationalconferences that put scholars of acoustical torture's long history in productive dialogue

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with human rights activists, documentary film makers, and therapists who specialize inthe treatment of torture victims.3 In addition, various media efforts have sought toraise public awareness. One notable effort has been the online protest known as zeroDb,a set of silent videos by musicians that was launched by the human rights organizationReprieve in 2010.4 Another was Tristan Chytroschek and Susanne Merten's 2011 award-winning film Musik als Waffe (in English, Songs of War), which probes several aspects ofthe practice by following composer Christopher Cerf's quest to learn how his music forthe children's television program Sesame Street came to be used to torture UnitedStates' detainee, a quest that includes interviews with Moazzem Begg, Donald Vance,and a former interrogator who subjects Cerf to a sample of “the music program”onscreen. 5 A third was the excellent 2012 radio documentary “Torture by Music,”produced by Katie Green for BBC4.6

2 Research into the use of sound, whether musical or not, to cause physical or mental

harm to imprisoned people continues to provoke two categories of questions--aboutpolitics that primarily concern citizens of the United States, and about the musical andacoustical cultures in which acoustical torture is conceivable.

3 Citizens of the United States ask ourselves whether we think the often-extreme

manipulations of prisoners' acoustical relations with the world constitute “torture;”whether, and under what circumstances, we could assent to such manipulations, aloneor in tandem with sleep deprivation, extremes of heat and cold, temporaldisorientation, “gender coercion,” the “standard operating procedures” described inmy article; whether these procedures persist despite presidential directives to thecontrary, having returned to the “dark side” of clandestine intelligence services; andwhat the consequences to our nation's moral integrity, reputation and future prisonersof war of our failure to prosecute those who authorized such procedures might be.

4 The available polling data suggests that a small majority of Americans have long

reported their approval of “noise bombs” (and “stress positions”) as an interrogationtechnique, while disapproving of waterboarding, gender humiliation, sleep deprivationand extremes of hot and cold.7 According to a 2012 poll, 41% of American approvedgenerally of torturing “terrorist” suspects, and specifically supported some previouslydisparaged techniques.8 Historian Alfred McCoy and legal scholar Joseph Margulieseach argue that the shift in public opinion springs partly from President Obama'sdecision not to prosecute those who had authorized torture, partly from popular mediarepresentations of interrogation and torture that stage but do not resolve narrativelythe moral questions, and partly from news media's airing of unapologetic defenses fortorture that go unrebutted.9

5 Public opinion resonates with both the official position of the United States

government and its rumored clandestine practices. Despite its apparently broad sweep,President Barack Obama's 2009 Executive Order prohibiting “harsh interrogation” lefttwo notable exceptions: it does not apply to “facilities used only to hold people on ashort-term, transitory basis,” and it seems to apply only to uniformed militarypersonnel and employees of the Central Intelligence Agency.10 These exceptionsprobably account for the internationally circulating reports that the United States hascontinued to use “harsh interrogation” in Afghanistan and aboard US navy ships, aswell as to allow other countries' security forces to conduct such interrogations on theUnited States' behalf. Moreover, the New York Times reported in March 2013 that theofficially prohibited interrogation practices consisted of “nudity, cold, sleep

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deprivation, stress positions, wall-slamming and waterboarding.”11 Absent from this listis “the music program,” which Vance's experience shows to have been intrinsic todetention practice more than to interrogation, along with such sensory, psychologicaland spiritual disruptions to subjectivity as hooding, manipulation of darkness and light,“gender coercion,” and interference with prisoners' prayer. All qualify as psychologicalabuse treatment under the terms of the United Nations' Convention Against Torture,and therefore fall into the category of actions to which the United States reserved itsright when it ratified the Convention.

6 Meanwhile, the study of acoustical torture has intersected with a rising academic

interest in the relationship of musical culture to war. A number of new monographsallow a more historically grounded discussion of the ways that acoustical and musicalcultures have interacted with military objectives.12 Much more provocatively, however,exposing the phenomenon of acoustical torture has raised new questions about theinter-relationships of music, non-musical sounds, and human-centered ecologies, asthese can be co-constitutive of subjectivity, culture, and relationships of power. Bothmilitary sources and released prisoners attribute the most profound effects of “themusic program” during the “war on terror” to the acoustical properties of sound morethan to the aesthetic or cultural meanings associated with musical style. In severalinterviews available on YouTube, Ruhal Ahmed has eloquently described his changingperception of the sounds with which he was tortured: at first intelligible to hisperceptual faculties as music, these sounds came to seem like noise-- “banging, metalon metal.”13 Another released prisoner (whom I do not have permission to name) toldme privately that his acoustical torture was “like being beaten with a hammer. Dinh,dinh, dinh, dinh. When it stops it's like a beating has stopped.”14 These men's accountscomplicate my 2008 argument about the cultural and psychological violence “the musicprogram” wrought, and challenge music scholars to retheorize our object of study so asto include consideration of music as acoustical energy capable of delivering beatings(or, presumably, caresses) that are simultaneous with cultural, spiritual or emotionalmeanings. Such retheorizing will, I think, is necessary to address fully a two-sidedquestion that my 2008 article left unanswered. “How has the weaponization of soundand music affected the apparently civilian musical and acoustical practices [that] wethink we know? How have apparently civilian musical and acoustical practices affectedmusic's and sound's weaponization?”15

NOTES

1. CUSICK, Suzanne G., “Toward an Acoustemology of Detention in the 'Global War on Terror',” in

BORN, Georgina (ed.), Music, Sound and Space: Transformation of Public and Private Experience,

Cambridge, Cambridge University Press, 2013, p. 275-291.

2. GOODMAN, Steve, Sonic Warfare: Sound, Affect and the Ecology of Fear, Cambridge, MIT Press, 2010.

3. An online report on the first conference is at http://www.uni-goettingen.de/en/198674.html.

Some of the main results of the research project and selected papers from the second conference

have been published as special issues of the world of music (new series) 2.1 (2013) and Torture 23.2

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(2013), http://www.irct.org/media-and-resources/library/torture-journal.aspx (all accessed 22

January 2014).

4. http://www.reprieve.org.uk/events/zerodB/, accessed 22 January 2014.

5. For journalist Andy Worthington’s review and summary of the public conversation on music as

torture, see http://www.andyworthington.co.uk/2012/06/04/video-songs-of-war-, accessed 22

January 2014.

6. The 25-minute documentary aired in North America on 17 March 2012, and remains available

at http://www.bbc.co.uk/programmes/p00ph36x, accessed 22 January 2012.

7. GRONKE, Paul, REJALI, Darius, et al., “U.S. Public Opinions on Torture, 2001-2009,” in PS:

Political Science and Politics, 43/3, 2010, p. 437-444.

8. ZEGART, Amy, “Torture Creep,” foreignpolicy.com, 25 September 2012, http://

www.foreignpolicy.com/articles/2012/09/25/torture_creep?wp_login_redirect=0, and idem,

“Controversy Dims as Public Opinion Shifts,” New York Times, January 7, 2013, both accessed 2

February 2014.

9. MCCOY, Alfred, Torture and Impunity: The U.S. Doctrine of Coercive Interrogation, Madison,

University of Wisconsin Press, 2012; MARGULIES, Joseph, What Changed When Everything Changed:

9/11 and the Making of National Identity, New Haven, Yale University Press, 2013.

10. Executive Order 13491, 22 January 2009, http://www.whitehouse.gov/the_press_office/

EnsuringLawfulInterrogations, accessed 24 January 2014.

11. SHANE, Scott, “C.I.A.’s History Poses Hurdles for an Obama Nominee,” 6 March 2013, accessed

2 February 2014.

12. Besides Goodman’s Sonic Warfare, cited above, see BAADE, Christina, Victory Through Harmony:

the BBC and Popular Music in World War II, Oxford, Oxford University Press, 2011; BAUER, Julianne,

Musik in Konzentationslager Sachsenhausen, Berlin, Metropol, 2009; DAUGHTRY, J. Martin, The

Amplitude of Violence: Listening Through a War and Its Aftermath, Oxford, Oxford University Press,

forthcoming); FAUSER, Annegret, Sounds of War: Music in the United States during World War II,

Oxford, Oxford University Press, 2013; HERBERT, Trevor and BARLOW, Hellen, Music and the

British Military in the Long Nineteenth Century, Oxford, Oxford University Press, 2013; SPROUT,

Leslie A., The Musical Legacy of Wartime France, Berkeley, University of California Press, 2013;

TOMPKINS, Dave, How to Wreck a Nice Beach: The Vocoder from World War II to Hip-Hop. The Machine

Speaks, Brooklyn, Melville Press, 2010.

13. See http://www.youtube.com/watch?v=mn6xQPvsjJk, 8:22-8:50, accessed July 2, 2013.

14. Interview with the author, 3 August 2009.

15. For public discussion of my most recent effort to grapple with this question, see the website

of Harvard University’s 2013 Sawyer Seminar, “Hearing Modernity,” http://

hearingmodernity.org/, “Sound in Torture & Surveillance, 11_18_13 audio.” The intermedia

paper under discussion is posted at the Seminar’s website, which is (unfortunately) password

protected.

AUTHOR

SUZANNE G. CUSICK

New York University

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EntretiensInterviews

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La musique comme voie possibled’une histoire comparée des conflitsarmés.Entretien avec Didier Francfort

A comparative history of armed conflicts through music. Interview with Didier

Francfort

Luis Velasco-Pufleau

Une approche historique comparée de la musique

Luis Velasco-Pufleau – Pourriez-vous nous expliquer comment, dans votre carrièred'historien, vous en êtes venu à travailler sur la musique ?

Didier  Francfort   - Je suis arrivé à travailler sur la musique par paresse, toutsimplement. En fait, j’ai fait une thèse sur l’histoire de la sociabilité et la vieassociative dans le nord de l’Italie, dans le Frioul – dans la ville d’Udine – au momentoù la région passait de l’empire des Habsbourg au Royaume d’Italie1. A cette époque,j’ai fait un travail historique classique en dépouillant la presse, des archivesd’associations et des sociétés – des clubs sportifs, des sociétés agraires – et aussi laliste des abonnés au théâtre. Finalement cela a été beaucoup de travail, beaucoupd’efforts pour en définitive peu de résultats.

Alors qu’en même temps, je voyais que la programmation de l’Opéra, qui s’appelaitThéâtre Social, permettait de percevoir peut-être mieux et beaucoup plus vite lesréels changements dans les représentations et dans les mécanismes sociaux. Donc, enreprenant la recherche après la soutenance de ma thèse, je me suis dit que c’étaitpeut-être par ce biais que j’arriverais à mieux comprendre, et de façon plus rapide,ces phénomènes de changements historiques et de mutations sociales.

Cela m’a semblé une sorte de raccourci, et c’est pour ça que j’ai dit que c’est parparesse que j’en suis arrivé là, mais c’est aussi pour une autre raison – sinon je vais

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apparaître comme quelqu’un d’épouvantablement paresseux. L’autre raison est que jesuis persuadé que pour comprendre les phénomènes sociaux, il faut sortir du cadrenational et faire une histoire comparée. D’abord parce qu’il y a beaucoup de réalitéstransnationales mais aussi parce que par moments il est intéressant de voir ce qu’ilpeut y avoir de commun dans des évolutions sociales au sein de cadres nationauxdifférents. Or, cette démarche comparée nécessiterait de parler un tas de langues – ence qui me concerne, je comprends à peu près le français, l’italien, l’anglais et unminimum d’allemand, pour le reste j’ai de toutes petites notions. Si nous nous entenons à des sources écrites, soit nous faisons du binational étroit, soit nousconsidérons qu’il y a des nations centrales et des nations périphériques. Et cela estinacceptable d’un point de vue à la fois historique, scientifique mais aussi moral etpolitique. Ce n’est pas parce qu’on a le malheur d’être Estonien qu’on n’a pasd’histoire, ou qu’on n’a pas d’histoire européenne. Donc, pour ne pas exclure lesEstoniens ou d’autres, il m’a semblé que la musique est l’une des voies possibles pourfaire une histoire européenne – à l’époque où j’ai entrepris ce travail nous ne parlionspas encore de globalisation ni d’histoire mondiale, on parlait seulement d’histoireeuropéenne. Je ne crois pas donc qu’on puisse faire d’histoire européenne sansessayer, par la musique, d’accéder directement à des sources permettant de rendrecompte des pratiques sociales de ces différents espaces qu’autrement nouspercevrions comme périphériques. C’est pour cette raison qu’il me sembleindispensable de le faire.

LVP - Sur le plan méthodologique, une fois que vous avez collecté ou analysé un nombreconsidérable de données ou d’exemples musicaux, comment les utilisez-vous ?

DF - Actuellement, j’ai tendance à accumuler et à voir comment ça marche, à voircomment cela interagit et se répond. Je vais prendre un exemple simple, qui est celuide voir comment les marches militaires sont perçues dans les différents espacesgéographiques. Le concert de plein air qu’on allait voir en famille dans un parc est, sion lit du Zweig, typiquement viennois avant 1914, mais il est peut-être moins courantdans d’autres conditions sociales ou dans d’autres cadres nationaux. Il peut donc êtreintéressant de les comparer avec le fonctionnement d’autres marches, des marchesmilitaires hongroises ou des marches militaires espagnoles, et pour cela nouspouvons parfois recourir à une démarche expérimentale. Par exemple, il y a un testtrès intéressant à réaliser dans les conférences, celui de voir si les gens tapent du piedà l’écoute d’une marche militaire. En effet, je passe deux marches et j’observe danslaquelle les gens tapent du pied et dans laquelle les gens ne tapent pas du pied, puis jeme dis « voilà une efficacité sociale redoutable ». Et ensuite je peux commencer àcomparer les deux, à voir ce qui fait que certaines marches font que les gens tapentdu pied et que d’autres restent dans les tiroirs de l’inutilité sociale, heureusementimpossibles à récupérer par les pouvoirs.

Voilà une des voies possibles de l’utilisation, c’est-à-dire que l’avantage de travaillerdans la jonction entre musique et histoire permet aussi un petit peu de démarcheexpérimentale qu’on aurait du mal à voir dans d’autres domaines historiques. Enfin,on espère que les gens qui travaillent sur les massacres et sur les guerres mondialesne s’amusent pas à reproduire chez eux des conflits pour voir comment celafonctionne. Voir comment fonctionne une musique sur un groupe social donné dansun moment déterminé, c’est un moindre mal.

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Quoique… participer à ces moments d’unanimité dans les célébrations et lesmanifestations où tout le monde se lève et chante la même chose en même temps…Nous pouvons penser maintenant que cela est anodin, mais si nous avions été en 1935à Nuremberg et que nous nous étions mis à chanter avec tout le monde… C’estpourquoi il est important de comprendre le mécanisme qui fait qu’on chante à unmoment donné avec tout le monde, ce n’est pas si léger que ça et ce n’est pas anodin,il ne s’agit pas de faire une histoire uniquement pour le plaisir.

LVP - D’après vous, qu’est-ce que l’étude de la musique apporte à la discipline historique etaux sciences sociales ?

DF   -   Il me semble évident que la musique permet de comparer, et que l’aspectcomparatif élargit le champ des références. Mais aussi, l’étude de la musique permetde mettre en évidence des phénomènes d’imaginaires en partie collectifs que lestextes ne permettent pas toujours d’appréhender. Il est clair pour moi que dans leshymnes nationaux, le rythme de l’hymne est un indicateur des représentationscollectives de ce qui fait la nation. Quand nous prenons les hymnes nationaux qui« marchent » – la Marseillaise, Fratelli d’Italia – il y a quelque chose de l’ordre de lanation mobilisée. Dans les hymnes tristes, comme l’hymne national hongrois – « queDieu protège les hongrois parce qu’ils ont assez souffert » – nous ne sommes pas dansle même type de mobilisation. Et quand nous arrivons à l’hymne de la minoritéhongroise des Sicules de Transylvanie, c’est encore plus triste… Ou bien quand noussommes dans le côté plaisant et mélodieux de l’hymne tchèque, il ne s’agit pas dumême type de représentation. Donc l’hymne est un bon indicateur de ce quicaractérise la construction et la représentation symbolique de la nation, la façon deressentir un imaginaire collectif construit.

La musique au sein des conflits armés

LVP - Dans certains de vos travaux, vous vous êtes intéressé à la fonction sociale desmusiques militaires. Que pouvez-vous nous dire du rôle social de la musique dans lesconflits armés européens, aussi bien dans l’accompagnement des combats que dans lamobilisation de la population civile ?

DF - J’aurais tendance à dédouaner la musique de bien des responsabilités dans la« brutalisation » des sociétés en guerre. On a en définitive peu utilisé la musique dansles moments les plus violents. Il est difficile de parler de façon générale sans tenircompte de la spécificité de chaque conflit mais la même musique peut être utilisée defaçon tout à fait contradictoire : Wagner ne donne pas toujours envie d’ « envahir laPologne », comme le dit si plaisamment Woody Allen, même si depuis Apcalypse Now

de Coppola (1979), on associe différemment des opérations guerrières à la musique deWagner. Je m’intéresse beaucoup actuellement aux musiques populaires, pasnécessairement folkloriques ou « folklorisées », jouées, présentes dans les films decomédie musicale dans l’Union Soviétique stalinienne ou l’Allemagne nazie. On estloin d’un martèlement permanent de marches militaires. Il arrive même qu’avecAlexander Tsfasman ou Peter Igelhoff, cela swingue diablement. Ce n’est donc pas unsimple reflet passif d’une société mobilisée par un régime totalitaire, ni un pousse-au-crime permanent. On ne saurait réduire le rôle de la musique dans les guerres auxmarches militaires qui accompagnent les phases de mobilisation ou les défilés de

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victoire. Des chants élégiaques, des parodies, des reprises caractérisent les périodesde conflits autant que des formes d’instrumentalisation directe de la musique.

LVP - En temps de guerre, les œuvres musicales gardent donc des fonctions socialesmultiples qui échapperaient – au moins en partie – au contrôle des institutions de l’État etpermettraient leur investissement par des acteurs divers. Pourriez-vous nous en dire unpeu plus sur le rôle de la musique « légère » au sein de l’Union Soviétique sous Staline et del’Allemagne nazie dans le cas spécifique du deuxième conflit mondial ?

DF - Question intéressante mais compliquée. Je vais essayer d’y répondre mais je nesuis pas sûr que cela apporte beaucoup de donner une réponse commune pour cesdeux régimes totalitaires, mobilisant de façon constante la société et dépassant enviolence toutes les vieilles dictatures. On a pu voir sur Arte un excellentdocumentaire réalisé, je crois en 2003, par Oliver Axer et Suzanne Benzel sur les« refrains du nazisme », le « hit-parade » ou le « Schlager » d’Hitler. Le film estparfaitement réalisé, très impressionnant, il associe des images d’actualités, desscènes de cinéma, des films de propagande, des films d’amateurs avec un fondmusical constitué par les grands succès de l’époque. C’est fait de façon brillante maiscela aboutit, à mon avis, à une forme de surinterprétation du rôle de la musiquelégère sous le régime nazi. La musique légère apparaît en effet uniquement dans sonrôle de manipulation des masses en étant associée à des vues de ce qui se passe, ycompris de témoignages de la violence exercée par le régime. Les refrains à la modedans les démocraties en guerre étaient-ils si différents ? Le destin de la fameuse LiliMarleen est à cet égard emblématique. Le film réalisé en 1980 par Fassbinder retracelibrement le singulier destin de la chanteuse qui a créé ce tube. Elle s’appelle LaleAndersen, c’est une représentante de la culture « maritime » de l’Allemagne du Nord.Elle a eu une liaison avec Rolf Liebermann (le futur directeur de l’Opéra de Paris).Pendant quelques années la chanson a été « un bide ». Puis après une diffusion par laradio allemande des troupes d’occupation à Belgrade, le succès est venu, lesadaptations ont suivi et la chanson est passée dans l’autre camp, ne serait-ce queparce qu’elle a été reprise par Marlène Dietrich. Mais dans la France des débuts de laGuerre, le succès emblématique est J'attendrai, chanson créée en France en 1938, parla chanteuse italienne Rina Ketty, avec des paroles de Louis Poterat, sur une musiquede Dino Olivieri qui avait déjà été un succès dans l’Italie mussolinienne, un peucomme une reprise « légère » du thème de Madame Butterfly. Mais la chansonacquiert, au début de la Guerre, un sens nouveau associé à l’attente des soldats partisau front puis des prisonniers de guerre. Je reviens à l’Allemagne et au filmdocumentaire sur le hit-parade qui tient à démontrer que la volonté de distraire lesfoules a conduit à privilégier une esthétique « fleur bleue », un peu niaise en tout cas,complètement coupée de toute influence des musiques étrangères, en particulier dela musique « dégénérée ». Certes, il y eut un nombre considérable de musiciens quifurent directement les victimes du nazisme et furent emprisonnés, assassinés ouexilés parce qu’ils étaient juifs, engagés politiquement à gauche, parfois les deux. Ils’agit parfois de compositeurs « savants » qui ne dédaignaient pas les musiquespopulaires, en particulier le jazz et le tango, Weill, Dessau, Eisler. La liste seraitlongue. Je pense en particulier aux chanteurs acteurs des films musicaux : KurtGerron, Josef Schmidt. Les hôtels berlinois à l’époque de la République de Weimarvibraient et dansaient en écoutant de fameux orchestres dirigés par des violonistesjuifs issus d’Europe centrale et orientale comme Dajos Béla. Et puis il y a le prodigieuxphénomène vocal du groupe des Comedian Harmonists. Le groupe dut se séparer et

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les chanteurs juifs s’exilèrent alors que les autres reprirent le groupe « aryanisé »avec la magnifique voix de basse de Robert Biberti et devint le Meistersextett. Oncontinuait pendant la guerre à jouer la musique de Peter Kreuder qui s’était réfugiéen Suède. Le discours officiel bannit tout ce qui évoque le jazz et l’Amérique des Noirset des Juifs mais dans les pratiques musicales, bien des aspects du swing peuventpasser. J’ai parlé de Peter Igelhoff. Il n’est pas complètement isolé. La propagandenazie a même instrumentalisé le succès du swing en diffusant sur les ondes des succèset des standards américains repris, avec des paroles favorables au régime etméprisant Churchill et les Bolcheviks, par un Orchestre constitué d’après desdirectives de Goebbels, l’orchestre de Charlie, conduit par le chanteur Karl Schwedleravec le tromboniste Willy Berking et le batteur Fritz “Freddie” Brocksieper.

Du côté soviétique, la Grande Guerre Patriotique permet entre 1941 et 1944 unerelative libéralisation dont bénéficient certains musiciens de jazz. Le trompettisteEddie Rosner, d’origine juive polonaise, qui s’est réfugié en URSS, devient unmusicien très populaire, connu comme le « Louis Armstrong blanc », alors qu’après laguerre il est interné au Goulag, victime du retour de la violence antisémite et de lavolonté d’éradiquer l’influence culturelle américaine. La Seconde Guerre mondialeest ainsi associée à quelques chansons emblématiques. Ainsi la chanson composée en1938 par le très prolifique Matveï Isaakovitch Blanter, Katioucha, tellement connuequ’elle passe pour être une vieille chanson populaire, est devenue un symbole. Sontitre (le diminutif affectueux d’Ekaterina) est devenu le nom russe des lance-roquettes soviétiques que les Allemands appelaient « les orgues de Staline ». Cettechanson a été reprise par la Résistance italienne, comme un hymne Fischia il vento,sur des paroles de Felice Cascione (mort en 1944). En France, la mélodie – qui n’étaitpas attribuée à Blanter – servit pour lancer en 1969 le Casatchok. Une valse évoquantun foulard bleu, et le retour de l’absent, est devenue un autre symbole de la guerre,en particulier dans la version de Klavdiya Shulzhenko. En fait, il s’agissait avant laguerre d’un succès populaire polonais composé par Jerzy Peterburski. Ces chansonssont devenues des formes significatives de la mobilisation soviétique, en forçant letrait je dirais au moins autant que les symphonies de Chostakovitch.

LVP - Revenons un moment à Wagner et aux utilisations contradictoires des œuvresmusicales dans différents contextes de représentation. Pensez-vous que la ritualisation dela musique suffise pour conférer aux œuvres des significations différentes de cellesvoulues par les compositeurs et par les contextes historiques de leur création ? Y aurait-ildes spécificités rituelles propres aux sociétés en guerre ?

DF - La question dépasse « le cas Wagner » et le problème de la contextualisation desreprésentations. Aucune musique n’est à l’abri d’une réappropriation que l’onpourrait juger abusive, que cela soit pour construire un rituel de mobilisation autourd’une marche ou que cela soit pour une quelconque publicité. Chostakovitch a étéassocié à une caisse de prévoyance… Dans le cas des marches, il est étonnant de voirleur plasticité dans des réemplois dans des contextes très différents (la Marchelorraine de Louis Ganne a pu, par exemple, être reprise par une milice libanaise). Ilme semble difficile de distinguer, dans une approche historique, ce qui relève del’emploi (plus ou moins ritualisé) et ce qui relève de ce que vous appelez les« significations ». On risque en parlant de signification d’une musique de retomberdans une forme d’essentialisme. A priori, en période de guerre, on fait feu de toutbois, on fond les statues pour forger des canons. Tout peut devenir arme demobilisation. J’aurais tendance actuellement à choisir, au moins provisoirement, un

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parti pris théorique fonctionnaliste. La question se pose par exemple à propos del’usage du folklore en Union Soviétique, y compris en temps de guerre. Des airsrécents peuvent faire fonction de folklore dans un contexte donné. Les questions deritualité n’interviennent pas seulement comme un signe d’une ritualité spécifiquemais la ritualité « normale » du concert en temps de guerre est exploitée comme unearme de propagande. Parfois le fait d’exporter le rituel du concert hors des sallesphilharmoniques met en valeur, à des fins de propagande, la mobilisation confluentedes artistes et du peuple. Furtwängler dirige en 1942 un concert aux usines A.E.G. deBerlin, avec d’ailleurs le Prélude des Maîtres Chanteurs. Il ne s’agit pas seulement demontrer que la vie normale continue et que l’ennemi n’a pas pu empêcher la nationde continuer à vivre : il s’agit de démontrer qu’elle est unanime et mobilisée. C’est enmars 1942 que l’Orchestre du Bolchoï, replié à Kouïbychev (aujourd’hui Samara), créela VIIe symphonie de Chostakovitch, reprise bien vite à Londres, à New York (sous ladirection de Toscanini) et à Novossibirsk. Mais il faudrait également étudier desformes de ritualisation des musiques légères propres à la guerre : la tournée auxarmées des vedettes, les photographies montrant les chanteurs ou les compositeursen uniforme. En France, on connaît le cas des tournées de Maurice Chevalier ou deJoséphine Baker mais dans un pays comme la Finlande, la mobilisation des chanteurset compositeurs de tango en Finlande (Olavi Virta, Henry Theel, Toïvo Kärki) sur lefront de la Guerre d’Hiver et de la Guerre de Continuation a quelque chose defondateur ou de refondateur de la nation. Une approche comparée, là encore, seraitnécessaire.

LVP - Vous avez évoqué le rôle de la radio – en tant que média de masse – dans ladiffusion et dans la fabrication des succès de la musique légère aussi bien dans les villesque sur les fronts. D'ailleurs, à en croire des témoignages laissés par des soldats après laDeuxième Guerre mondiale, le rituel quotidien de la radiodiffusion de certaines chansonsaurait eu la capacité d’arrêter pour quelques minutes les hostilités entre belligérants – jepense notamment à la radiodiffusion de Lili Marleen par Radio Belgrade sur le frontd’Afrique2. Ou, comme le met en scène le film Good Morning, Vietnam, le rôle de la radio a pudépasser celui de la simple diffusion d’une programmation musicale visée par la censuremilitaire et revêtir une importance toute autre pour les troupes mobilisées. Pourriez-vousnous en dire un peu plus sur les fonctions de la radiodiffusion des œuvres musicalesdurant les conflits armés ?

DF - La radio est, en période de guerre, un lien évident entre le front et l’arrière. Ence sens, les deux conflits mondiaux présentent des cas bien différents. La SecondeGuerre mondiale est largement une guerre des ondes. Le Discours du 18 juin, lebrouillage de Radio Londres par les Allemands, tout cela constitue un paysage sonoreidentifié à l’histoire de cette guerre. Il est vrai que la musique légère n’est pas seule àoccuper l’espace sonore radiophonique. Le signal radiophonique de Londres, lefameux V de la Victoire en morse, identifiable au début de la Ve Symphonie deBeethoven peut difficilement passer pour de la musique « légère », pourtant lerecours à la musique légère est fréquent, par exemple dans le retournementparodique avec Charlie et son orchestre avec lequel Goebbels pense démoraliser lesauditeurs britanniques, ou avec le grand Pierre Dac se moquant de Radio Paris,station de collaboration, sur l’air de la Cucaracha avec des paroles restées célèbres(« Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand »). Si l’on étend laréflexion à la période de la Guerre Froide, le rôle de Radio Free Europe estconsidérable ; il serait intéressant de ne pas s’en tenir aux discours mais d’étudierprécisément la programmation musicale, en comparant les émissions destinées aux

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différents pays du bloc soviétique. Je pense bien sûr à ce que vous dites sur Good

Morning, Vietnam et donc à What a Wonderful World chanté par Armstrong maislargement pensé par Bob Thiele, le producteur des disques Impulse ! Les œuvresmusicales ayant ainsi apparemment une fonction de banalisation plus que demobilisation.

LVP - Banalisation de la violence et de la guerre elle-même… Finalement, une guerre avecmusique serait-elle moins pénible à vivre ? Dans une perspective plus large, considérez-vous que la musique joue un rôle dans l’esthétisation de la violence guerrière vécue par lessoldats ?

DF - Je crois que ce sont deux questions bien différentes. D’un côté une sorte de vertupeut-être apaisante ou, au moins, d’euphémisation. Une forme illusoire de ré-humanisation. Je pense, dans Le Dictateur, de Chaplin au moment où dans l’aviontouché par l’artillerie et retombé sur terre, l’officier évoque la douceur du printempsdans son pays. La musique rend la guerre moins pénible à vivre. Il se peut qu’au XXe

siècle, la fréquence des conflits ait joué un rôle dans la généralisation des musiquespopulaires qui ont pu avoir cette fonction : « on s’en sortira ». L’amour, la séparation,les retrouvailles, des espèces de constantes « anthropologiques » qui font que lamusique assure une forme de continuité fictive dans les destins par-delà les coupures,les déchirures et les blessures de la guerre. J’aime bien pour cela repérer la continuitéen aval dans le souvenir nostalgique que laisse « la musique de la guerre ». Je penseen particulier à une chanson de Charles Trénet, enregistrée, je pense, vers 1960 sur lesouvenir de la Première Guerre mondiale, évoquant l’héroïne de la chansonemblématique de la période :

« Qu'est devenue, depuis,La Madelon jolieDes années seize ?A-t-elle toujours les yeuxÉtonnés d'être si bleus,La taille à l'aise ? »

Le texte, nostalgique, est bien loin du pastiche et la musique n’évoque l’original quede très loin la musique de l’original et les musiques guerrières, sauf dans uneintroduction sur le mode des musiques d’ordonnance au clairon, qui s’estompe. La finmet en évidence le souvenir apaisant que laissent certaines musiques associées àl’histoire guerrière.

« Ils sont restés fidèlesComme au temps auprès d'elleIls venaient boireA la santé d'la France,A l'oubli d'la souffrance,A la victoire.Vision de ces imagesQui furent celles d'un bel âgeEt qui s'effacent,Le feu sur un toit d'chaumeEt l'Empereur Guillaume,Comme le temps passe. »

On retient presque de la guerre le souvenir de la chanson qui la rendait moinspénible. La question de l’esthétisation de la violence vécue par les combattants mesemble une question bien différente. Si l’on cherche à réfléchir de façon générale enne se limitant pas au front franco-allemand de la Première Guerre mondiale (dont la

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commémoration en France prend peut-être trop une allure uniquement franco-allemande, oubliant que la Guerre a touché aussi Sarajevo, Salonique ou Varsovie), onpeut penser que l’esthétisation de la violence à laquelle la musique peut contribuerest avant tout l’affaire du « Front intérieur » de ce qu’avant l’idée de « guerre totale »3 on appelait « l’arrière ». Les musiques produites par des musiciens qui ont eul’expérience directe du combat semblent rarement belliqueuses. Là encore, la parodieest une forme non pas de dérision de l’adversaire mais de façon de maintenir unedistance critique « civile » face au déferlement de la violence. Hindemith a ainsiparodié une forme de militarisme dans une vraie-fausse marche militaire pourquatuor à cordes « Militarminimax ». Ce qui me semble plus important quel’utilisation de la musique dans l’esthétisation de la violence est la capacitéd’appropriation et de réappropriation de musiques en période de guerre, y comprisau front. It's a Long Way to Tipperary est apparu au Royaume-Uni dans les music-hallsen 1912 et s’est imposé comme air de marche des troupes britanniques à Boulogne-sur-Mer dans l’été 1914.

LVP - Pour terminer notre dialogue, je voudrais aborder le sujet des pratiques musicales ausein des armées en temps de guerre, dans une approche qui partirait du vécu des soldatseux-mêmes. De fait, si un certain nombre d’instruments de musique sont tolérés ou mêmemis à disposition dans les casernes pour un usage « récréatif », qu’en est-il des œuvresmusicales ou des chansons que des soldats – musiciens amateurs ou professionnels –auraient composées ou reprises au jour le jour, pour parodier la hiérarchie, pour ridiculiserl’ennemi, pour évoquer la nostalgie de leur vie loin du front, ou simplement pour passer dubon temps avec les camarades ? A un niveau individuel, quelle fonction pouvaient avoir lespratiques musicales pour les soldats ou le personnel militaire ? Quelles sources pourrions-nous mobiliser afin d’étudier ces témoignages du quotidien et de quelle façon uneapproche comparée pourrait-elle nous être utile ?

DF   -  Beaucoup de choses déjà étudiées vont être utilement dites à l’occasion duCentenaire de la Première Guerre mondiale : du violon de Lucien Durosoir aurépertoire étudié par Sophie-Anne Leterrier4. Je préfère essayer à présent de trouverd’autres exemples. Les compositions « au front » des musiciens finlandais dans laGuerre d’Hiver de 1939-1940 ou la Guerre de Continuation sont empreintes del’« esprit de la Guerre d’Hiver » (Talvisodan Henki) qui est une forme d’Union Sacréeet donc n’expriment rien de critique face aux officiers supérieurs. Mais elles sont biennostalgiques. Il est vrai que la diversité des conflits et des sources rend difficile toutessai de généralisation à partir de ce qui va être largement révélé ou rappelé à proposde la Grande Guerre. Pour cela, il y a de quoi reprendre avec Brassens l’idée qu’ils’agit bien de « celle que j’préfère ». On parvient, par les correspondances et les écritsautobiographiques, à avoir une certaine idée de ce qui est joué sur place, enparticulier de ce qui est repris.

En définitive, il existe une forme assez codifiée de « folklore » militaire dans lequel onpeut puiser : le répertoire des comiques troupiers en France, les danses derecrutement en Hongrie, les signaux d’ordonnance (l’appel à la soupe, par exemple),des chants de régiment sur lesquels il suffit de changer parfois légèrement lesparoles. Une chanson polonaise consacrée aux « chevaux-légers » (Szwoleżerowie…)donne une idée de l’expression de cette « fraternité d’arme » musicale, avec parfoisdes allures de chanson à boire. Je crois qu’avec le processus de « folklorisation » durépertoire régimentaire, on peut construire une approche comparée ouverte desmodalités d’appropriation des musiques jouées au front pendant les conflits. Vousavez raison d’insister dans vos questions sur le fait que la musique conserve une

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fonction dans la sociabilité (« passer du bon temps avec les camarades »). Ladimension comparée de l’étude de la place de la musique peut déjà s’appliquer dansl’étude historique de la Première Guerre mondiale. Je crains qu’en France on seconcentre trop exclusivement sur les questions franco-allemandes. Il faut releverautant que l’on peut les répertoires de tous les pays engagés dans le conflit, ce quiconduit à des choses aussi importantes que les premiers enregistrements de jazz avecJames Europe, à d’indéboulonnables succès comme le Colonel Bogey associé, depuis uncélèbre film, au Pont de la Rivière Kwaï, et donc à la Guerre mondiale suivante. C’estdire que le soutien à la recherche devrait faciliter les contacts internationaux pourrapprocher toutes les études partielles qui sont faites et leur donner un caractèresystématique.

Même en période de conflit, le rapport affectif d’identification personnelle oucollective (par exemple nationale) à une certaine musique se fait à partir d’unrépertoire largement mondialisé. Cela circule entre alliés. On a par exemple unenregistrement significatif d’une version anglaise de La Madelon. Mais cela circuleaussi d’un camp à l’autre. Ce phénomène de construction de particularismes quipasse par la circulation transnationale est déjà bien présent avant 1914. Dans Le Chant

des Nations, je m’étais prudemment arrêté à l’attentat de Sarajevo. Le fameuxcompositeur de marches tchèque Julius Fučík avait dirigé à Sarajevo la musique degarnison. Une de ses marches, L’Entrée des Gladiateurs, est devenue incontournabledans presque tous les cirques du monde. Pour les compositeurs patriotes, voirenationalistes, la reconnaissance passait par le succès dans des lieux internationaux delégitimation (Vienne, Paris ou Londres par exemple, voire même déjà New York oùGustav Mahler dirigea du Martucci). La construction du national est donc intimementliée à la circulation transnationale.

J’avais pensé en commençant Le Chant des Nations mettre en évidence la façon dont lamusique a été instrumentalisée dans le processus de préparation des sociétés à laviolence qui a abouti à la Première Guerre mondiale, j’ai plutôt trouvé des formesd’expression des nationalismes musicaux qui circulaient et se rapprochaient ainsi quedes formes musicales de résistance au nationalisme. Il semble que l’étude destraductions effectuées dans le champ de l’édition et de la littérature européenneparvienne au même résultat alors que je pensais, en 2004, que la musique avait unesorte de facilité plus grande, ne passant pas par le truchement du traducteur, àconcilier construction d’une culturelle nationale et transmission transnationale. Unarticle récent de Blaise Wilfert-Portal met en évidence les modalités, avant 1914, de« l’intensive construction du système transnational des littératures nationaleseuropéennes » en des termes en définitive assez proches, de façon surprenante, de ceque j’avais pu trouver à propos de la musique. Les « circulations » mettent en place àla fois des phénomènes de « nationalisation » et des phénomènes de « dépassementcosmopolite »5. Et je trouve que le terme de « transnational » sur lequel il insiste àjuste titre peut rendre compte de cette combinaison de mondialisation culturelle etde construction des particularismes nationaux que j’avais alors notée à propos de lamusique. On ne peut que se réjouir de voir que, dans l’étude des phénomènes decirculation culturelle en Europe et hors d’Europe, les historiens qui travaillent sur lamusique ne sont plus seuls à « dénationaliser » l’histoire culturelle. Il ne s’agit plus,et Blaise Wilfert-Portal insiste justement sur ce point, de mettre en place uneméthode comparative mais de prendre comme objet ce que peuvent être « les bases

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collectives d’une histoire culturelle de l’Europe ». Pour ma part, je me consacre pourle moment essentiellement à l’observation de la circulation de musiques légèresavant, pendant et après les guerres mondiales. Et cela circule dans des formestoujours étonnantes de géographie culturelle qui dépasse les frontières et lesalliances diplomatiques et religieuses. Quelque chose se passe dès avant la GrandeGuerre. Un exemple suffirait à le prouver. La valse d’Archibald Joyce, Songe d’Automne,qui fut peut-être la dernière œuvre jouée sur le Titanic, est devenue un immensesuccès avec des noms divers et des modifications en Suède, en Finlande, en Russie eten Serbie. Or cette valse triste (genre populaire de Sibelius au compositeur tchèqueOscar Nedbal) peut rappeler la valse russe sur Les Collines de Mandchourie qui évoque lafin héroïque des soldats morts lors de la Guerre Russo-Japonaise de 1904.

J’aurais presque envie de conclure en essayant d’exprimer l’idée que l’on peutpréférer une démarche d’approche « trans » étudiant la circulation dans le cadre d’unlarge socle culturel commun plutôt qu’une démarche comparative « inter ». Parailleurs, la fréquence des réemplois musicaux lors des guerres pourrait faire penserque dans le domaine musical, la fameuse formule de Clausewitz selon laquelle « Laguerre n'est qu'un prolongement de la politique par d'autres moyens » pourraits’appliquer. Les périodes de guerre apparaissent donc comme des moments où lephénomène de circulation est le plus paradoxal, le plus difficile, le plus contradictoireavec la logique d’affrontement et donc où on peut mieux mettre en évidence sesmodalités « transgressives ». Il y a dans le « transnational » quelque chose de l’ordrede la transgression morale. Les réactions à ce qui est perçu comme l’américanisation(ou la mode wagnérienne, en d’autres temps) le montrent bien. L’étude de lacirculation et de la traduction des textes pourra certainement apporter beaucoup àl’histoire d’une culture européenne, pour le moment il ne me semble pas que l’on aitencore épuisé le sujet des circulations musicales que je continue à privilégier. « De lamusique avant toute chose » comme disait Verlaine qui n’hésitait pas à se présentercomme un poète patriotique français, « né à Metz ».

BIBLIOGRAPHIE

Bibliographie sélective

Livre

Le Chant des Nations. Musiques et Cultures en Europe, 1870-1914, Paris, Hachette, 2004.

Directions d’ouvrages 

CLAVEAU, Cylvie, FISZER, Stanislaw et FRANCFORT, Didier (eds.), Cultures juives. Europe centrale et

orientale, Amérique du Nord, Paris, Le Manuscrit, 2012, 545 p.

MASŁOWSKI, Michel, FRANCFORT, Didier et GRADVOHL, Paul (eds.), Culture et identité en Europe

centrale. Canons littéraires et visions de l’histoire, Paris-Brno, Institut d’études slaves, 2011, 660 p.

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DESHAYES, Jean-Luc et FRANCFORT, Didier (eds.), Du barbelé au pointillé : les frontières au regard des

sciences humaines et sociales, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 2010, 297 p.

Contributions à des ouvrages collectifs 

« La musique instrumentale du Risorgimento », in Laura FOURNIER-FINOCCHIARO et Jean-Yves

FRÉTIGNÉ (eds.), L’Unité italienne racontée, vol. II : Voix et images du Risorgimento. Transalpina n°

16, Caen, Presses universitaires de Caen, 2013, p. 167-179.

« Portrait de Frank Zappa en dissident tchèque : Circulations musicales est-ouest pendant la

guerre froide », in Musiques au monde. La tradition au prisme de la création, Emmanuelle OLIVIER

(ed.), Sampzon, Delatour, 2012, p. 67-76.

« Defining Musically the Enemy » in Nesrin KALYONCU, Derya ERICE et Metin AKYÜZ (eds.), Music

and Music Education within the Context of Socio-cultural Changes, Ankara, Müzik Eğitimi Yayinlari,

2011, p. 224-228.

« La Guerre de Crimée, moment fondateur des musiques militaires européennes», in Georg

MAAG, Wolfram PYTA, Martin WINDISCH (eds.), Der Krimkrieg als erster europäischer Medienkrieg.

Berlin, LIT VERLAG, 2010, p. 163-172.

« Les musiques au cœur de la culture italienne » in Marc LAZAR (ed.), L’Italie contemporaine de 1945

à nos jours, Paris, Fayard, 2009, p. 429-440.

« La meilleure façon de marcher : musiques militaires, violence et mobilisation dans la Première

Guerre mondiale », in La Grande Guerre des musiciens, Stéphane AUDOIN-ROUZEAU, Esteban BUCH,

Myriam CHIMÈNES et Georgie DUROSOIR (eds.), Lyon, Symétrie, 2009, p. 17-27.

« National Identity and the Double Border in Lorraine 1870-1914 » in Barbara KELLY (ed.), French

Music, Culture, and National Identity, 1870-1939, Rochester, New York, University of Rochester Press,

2008, p. 351-377.

Articles

« La Marseillaise de Serge Gainsbourg », in Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 227, 2007/3,

p. 27-35.

« Památník Lidicím, le “Mémorial de Lidice” de Bohuslav Martin 7 (1943) : réflexions sur

l’engagement politique et moral d’un compositeur », in Guerres mondiales et conflits contemporains,

n° 85, 2005/1, p. 65-74.

« Pour une approche historique comparée des musiques militaires », in Vingtième siècle. Revue

d’histoire, n° 85, 2005/1, p. 85-101.

NOTES

1. FRANCFORT, Didier, Associations et pratiques sociables à Udine, métropole frioulane (1850-1870), 4

vol. (1074 p.), sous la direction de Maurice Agulhon, thèse soutenue à l’Université Paris-I le 7

mars 1986.

2. Voir à ce sujet SALA ROSE, Rosa, Lili Marleen. Canción de amor y de muerte, Barcelone, Global

Rhythm, 2008, p. 109-113.

3. FRANCFORT, Didier, « Defining Musically the Enemy » in Nesrin KALYONCU, Derya ERICE et

Metin AKYÜZ (eds.), Music and Music Education within the Context of Socio-cultural Changes, Ankara,

2011, p. 224-228.

4. https://www.google.fr/webhp?source=search_app&gws_rd=cr&ei=L1rSUv7CG-iu0AW-

hoGAAw#q=sophie+anne+leterrier+musique+guerre [consulté le 12 janvier 2014]

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5. WILFERT-PORTAL, Blaise, « L'histoire culturelle de l'Europe : un point de vue transnational » in

Revista de Antropología e Arte, vol. 1, n. 4, 2012/2013, (http://www.revistaproa.com.br/04/?

page_id=100), consulté le 12 janvier 2014.

RÉSUMÉS

Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Lorraine et directeur de l’Institut

d’Histoire Culturelle Européenne-Bronisław Geremek au Château des Lumières-Lunéville, Didier

Francfort se considère comme un historien avec musique, et non pas un historien de la musique.

Ses travaux portent sur l’histoire culturelle comparée européenne, particulièrement sur la place

de la musique dans les constructions identitaires nationales ou supranationales. Il y analyse

comment la musique intervient dans les sociétés à la fois comme source et comme facteur dans

les évolutions sociales. Didier Francfort nous parle de son parcours d’historien et de la façon dont

les œuvres musicales peuvent être mobilisées dans une approche historique transnationale et

comparative. Dans la suite de l’entretien, il est question des œuvres et des pratiques musicales au

sein des conflits armés, des deux guerres mondiales à celle du Vietnam.

INDEX

Keywords : comparative history, armed conflicts, war, music, musical practices

Mots-clés : histoire comparée, conflits armés, guerre, musique, pratiques musicales

AUTEUR

LUIS VELASCO-PUFLEAU

Docteur en Musique et musicologie (Université Paris-Sorbonne) et chercheur post-doctorant à

l’Université de Salzbourg, Luis Velasco-Pufleau a été également chercheur post-doctorant au

Centre de recherches sur les arts et le langage (CRAL) de l’École des hautes études en sciences

sociales (EHESS, Paris) et chargé de cours en musicologie à l’Université de Bordeaux. Ses

recherches portent sur la création musicale contemporaine ainsi que sur les rapports entre

musique, esthétique et politique au XXe siècle.

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De la musique à ses objets et sesimages. Entretien avec Florence Gétreau

From music to its objects and images. Interview with Florence Gétreau

Fanny Gribenski et Isabelle Mayaud

NOTE DE L’ÉDITEUR

Réalisé par Fanny Gribenski et Isabelle Mayaud, le 17 juin 2013.

Entretien

Fanny Gribenski et Isabelle Mayaud - Comment expliquez-vous votre double carrière deconservatrice et de chercheuse ?

Florence   Gétreau - Mes années de formation ont été déterminantes dansl’affirmation d’une double vocation de chercheuse et de conservatrice de musée. J’aifait un cursus de lettres et d’histoire de l’art à la faculté d’Aix en Provence et j’ai alorstravaillé sur la chanson de Roland, à la croisée de ces deux disciplines. Puis, je suisvenue à Paris, mon idée étant de m’inscrire à la formation de préparation auconcours des musées nationaux. J’avais vraiment une vocation forte pour les musées.Jacques Thuillier1, alors responsable du département d’histoire de l’art moderne à laSorbonne m’a conseillé de commencer par faire un catalogue raisonné de musée dansle cadre d’une maîtrise. Mon mémoire fut consacré aux Peintures et dessins français du

XVIIIe siècle du musée Jacquemart-André de Paris. J’en ai publié une versionprofondément remaniée l’an dernier grâce à l’Institut de France et aux éditionsMichel de Maule. C’est aussi à cette époque que j’ai suivi en Sorbonne le séminaire demuséologie générale de Georges-Henri Rivière2. Rivière faisait deux types de cours :des cours théoriques et, tous les mercredis, des cours pratiques dans les institutionsoù nous étions reçus par les directeurs et les équipes. C’est comme cela qu’un jour,

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nous sommes allés au Musée du Conservatoire de Paris. Et là, j’ai eu l’une des trèsgrandes émotions de ma vie : au cours de la visite, Hubert Bédard, claveciniste etresponsable de l’atelier de restauration du musée, a joué un clavecin du XVIIIe sièclede Jean-Claude Goujon. L’audition de cet instrument a été une véritable révélation.Deux mois après, je rencontrais Madame de Chambure3, troisième personneexceptionnelle qui a joué, comme Thuillier et Rivière, un rôle déterminant dans macarrière.

Le musée du Conservatoire a longtemps été au centre de ma vie, non seulementprofessionnelle, mais aussi quotidienne. J’y ai d’abord fait un stage ; puis un poste àmi-temps d’assistante s’est libéré. Sitôt ma maîtrise en poche, j’ai décidé decommencer une thèse sous la direction de Jacques Thuillier, sur l’histoire descollections du Musée instrumental du Conservatoire. Alors que j’étais conservateur-adjoint à plein temps, j’ai poursuivi ma thèse soutenue finalement en 1991. J’aicontribué dès 1975 à l’équipe du CNRS créée auprès de ce musée par Madame deChambure en 1967 et dirigée par Jacques Thuillier à partir de 1974. Elle étaitconsacrée à l’étude interne et externe des instruments de musique et à l’iconographiemusicale. Dès 1977, auprès de Georges Henri Rivière et Josiane Bran-Ricci, j’aicontribué aux premières réflexions sur l’établissement d’un musée de la Musique. Etde 1987 à 1992, j’ai été Chef de projet du musée de la musique auprès del’Établissement public constructeur de La Villette. J’ai appris ce que c’est qu’un grandprojet culturel de l’État, avec une dimension fortement politique.

Après avoir été en quelque sorte porteuse de ce musée de la musique, pour desraisons de politique culturelle, j’en ai été écartée, à deux ans de l’ouverture. Commej’étais conservateur des musées nationaux, je suis allée voir où l’on m’accepterait,sachant que j’avais hérité en 1993 de la direction de l’équipe CNRS autrefois dirigéepar Madame de Chambure, puis par J. Thuillier. Alors que je devenais conservateurresponsable du département de la Musique et de la parole, mon équipe de rechercheétait aussi intégrée au Musée des Arts et Traditions Populaires, en tant que deuxièmelaboratoire CNRS. J’ai travaillé pour les deux équipes associées au musée, entrelesquelles j’ai joué un rôle d’intermédiaire. En 1995, j’ai formulé le vœu de faire uneexposition sur les Musiciens des rues de Paris4. C’était un projet d’anthropologiehistorique, ce qui n’était pas très fréquent à l’époque – chez les ethnologues, ontravaillait alors plus volontiers sur les banlieues, et l’on ne cultivait pas trop ce quiavait une dimension historique. Cela a été un des très grands moments de ma carrièreau MNATP, un moment de grande créativité. Nous avons constitué un groupe deréflexion avec des ethnomusicologues, des musiciens professionnels, des praticiensde la rue et des historiens. Au MNATP, j’ai tenté de faire fructifier des travaux de fondavec des objectifs très divers, aussi bien scientifiques que de restitution culturelle. En2004, l’idée d’une relocalisation du MNATP à Marseille s’est précisée. Je n’arrivais pasà adhérer au projet, qui mélangeait trois choses très importantes mais difficiles àarticuler : l’ethnologie de la France, de l’Europe, et de la Méditerranée.

Ayant contribué dès 1996 au nouvel Institut de recherche sur le patrimoine musicalen France (UMR 200 du CNRS, soutenue par le Ministère de la Culture et la BnF, où jesuis responsable du programme « Organologie et Iconographie musicale »), j’ai étéchargée de la direction de ce laboratoire en 2004, la Direction des musées de Franceayant accepté de me mettre à la disposition du CNRS pour quelques années. Monancienne équipe de recherche du MNATP avait été intégrée à ce laboratoire. Puis, en

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2005, j’ai décidé de passer le concours externe du CNRS. Depuis, je n’ai plus decollections sous ma responsabilité, ce qui me manque parfois.

FG et IM - Comment ce parcours singulier s’est-il traduit en termes d’orientationsscientifiques ?

1

FG - En termes d’inscription disciplinaire, je me suis sentie toute ma vie en marge dessujets dominants, ce qui est parfois une force. Chaque discipline ou sous-disciplines’est construit une image de ses limites, des compétences, des méthodes et desprocédures d’adoubement. Je me suis formée à plusieurs domaines avec finalementune prédilection pour l’organologie et l’iconographie, toutes deux des disciplinessœurs de la musicologie que j’ai réunies dans la revue Musique-Images-Instruments quej’ai fondée en 1995 avec l’aide du CNRS et du Ministère de la Culture (cf. supra).J’aimerais à l’avenir faire une sorte de vade-mecum, un manuel de ces deux sous-disciplines à partir de mon habilitation à diriger des recherches, laquelle a porté surl’Histoire des instruments et les représentations de la musique en France.

La transmission et le partage des travaux occupent une place importante dans matrajectoire professionnelle. Je dois cette approche de la réflexion en groupe au CNRS,dont c’est l’une des forces. Grâce à Yves Gérard aussi, que j’ai fréquenté pendant desannées, et qui m’a demandé en 1994 de donner des cours aux étudiants duConservatoire, j’ai pu partager mes recherches et les travaux que j’aime. Formulerune critique rétrospective sur ce qu’on a pensé trouver, c’est difficile. En fait, je penseque l’on a besoin du feedback des autres, de la relecture, de l’écho… Je trouve qu’il n’ya rien de pire dans nos milieux que les gens qui refusent que l’on corrige ou modifieleurs textes. J’ai beaucoup cru au collectif et j’ai toujours plusieurs chantierscommuns en cours. Les années passant il y a aussi urgence à finaliser plusieursrecherches personnelles non achevées faute de temps. Au début de ma carrière etjusqu’à la fin de mon engagement au MNATP, j’ai fait beaucoup de service public.Depuis que je suis au CNRS, je n’ai pas de service public à proprement parler àassumer, mais j’ai tellement de charges pour la collectivité que ça revient au même.

Je suis également très impliquée à l’international et j’ai acquis une reconnaissancequi s’est traduite par un certain nombre de distinctions ces dix dernières années5. Jefais aussi partie de plusieurs sociétés savantes : The Academy of Europe et la Sociétéinternationale de musicologie notamment. Cela m’importe beaucoup d’être présentedans des réunions internationales, cela participe d’un besoin d’ouverture présentdepuis le début de ma carrière.

FG et IM - Quels sont vos projets actuels ?

FG - Le 14e volume de la revue Musique • Images • Instruments est sous presse, il porterasur un curieux instrument, le serpent6. Il y a aussi plusieurs ouvrages collectifs encours, comme celui avec Jean Duron sur l’orchestre à cordes sous Louis XIV7, ou levolume collectif sur Henri Prunières8. Il y a encore le livre Voir la musique9, qui estsans doute celui qui me tient le plus à cœur.

FG et IM - Dans votre actualité, il y a aussi une exposition sur la musique et la guerre àPéronne10 : comment êtes-vous devenue commissaire d’exposition ?

FG   -   Mon premier commissariat d’exposition date de 1980. Il s’agissait d’uneexposition, dans le cadre de l’Année européenne de la musique, sur la factureinstrumentale. J’avais voulu montrer que chaque pays avait eu une prééminence dans

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un domaine ou l’autre : j’ai proposé un tour d’Europe de la facture instrumentale.Chaque pays avait aussi sa manière de penser l’organologie11. En 1988, j’ai réalisé uneautre exposition sur les Instrumentistes et luthiers parisiens pour la mairie de Paris12 etpuis plusieurs autres encore, au MNATP notamment.

En 2007, il y a eu un beau colloque à Péronne13, pour lequel on m’avait demandé defaire un travail sur les instruments de soldats. J’ai accepté à condition de pouvoirfaire un travail systématique sur les collections de l’Historial. C’est comme cela quej’ai découvert qu’il y avait là les carnets et les manuscrits de Gervais sur son fameuxvioloncelle de tranchée. La conservatrice de l’Historial de Péronne en charge aussi del’abbaye de Saint-Riquier, m’a d’abord commandé une exposition sur la musique dansles tableaux des musées de province en 2009. Puis elle m’a confié le commissariat decelle de 2014 qui sera intitulée Entendre la guerre : sons, musiques et silence en 14-18. Dansle cadre de la préparation de cette exposition, je travaille avec un comité scientifique(historiens et musicologues) et une équipe de production qui est à Péronne.

FG et IM - Comment s’est organisé le travail avec le comité scientifique ?

FG   -   Le comité scientifique a défini les axes, les points forts, la structuration,l’intitulé ; le sommaire du catalogue reflète très bien le parcours théorique. Laquestion, ensuite, c’est : quels objets expose-t-on ? Comment est-ce qu’on incarne lesidées ? Par exemple, sur la chanson, on doit opérer des sélections drastiques, car queretenir ? A l’inverse, sur certains thèmes, les documents sont rares. Le travail denotre comité a permis d’opter non pas pour une exposition sur la musique pendant laGrande Guerre, mais pour un triptyque permettant de prendre en compte le son inouïde la guerre, sa violence, sa nouveauté, alors même que quasi aucun témoignagematériel ne nous a été conservé. Toute la partie portant sur la musique (au front, àl’arrière, dans les camps, dans les zones occupées) constitue ensuite une sorte decontre-bruit. Enfin il nous est apparu essentiel d’évoquer le silence : celui qui marquesubitement l’armistice, mais aussi celui qui est redouté par les soldats saturés deviolence sonore. Il est ainsi question de la dimension sonore, comme on le voit dans letitre. Mais comment faire passer des sensations ? C’est un sujet très dur, la guerre. Jene m’étais jamais vraiment penchée sur la question jusqu’à cette exposition.

FG et IM - Passionnante question, oui, comment faire passer des sensations ?

FG - Nous avons la chance d’avoir dans l’équipe de scénographie Luc Martinez qui estcompositeur et qui a à son actif une longue expérience auprès des musées dédiés à lamusique. Plusieurs thématiques de l’exposition feront l’objet de puits sonores où l’onpourra entendre des extraits de répertoires très divers (Musiques de défilés,chansons, œuvres de circonstance et de deuil etc.). Mais une salle particulière seradédiée à une création sonore de Luc Martinez, intitulée « Inouï » qui permettra deprendre conscience, jusque dans ses aspects « vibratoires » de l’impact physique etsensible du son de la guerre. C’est un sujet nouveau pour une exposition, à la croiséede toutes sortes d’interrogations. Là encore, il y a une espèce de porosité du sujet, desdomaines d’expertises des différents partenaires et collaborateurs, et c’est ce qui mefait avancer.

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BIBLIOGRAPHIE

Bibliographie sélective

Ouvrages

Musée Jacquemart-André. Peintures et dessins de l’école française. Catalogue raisonné, Paris, Institut de

France : Michel de Maule, 2011, 413 p., 160 ill. coul., 50 ill. n et b.

Voir la musique. Les sujets musicaux dans les œuvres d’art du XVIe au XXe siècle, Musée départemental

de l’Abbaye de Saint-Riquier, 2009, 154 p., 76 ill.

Aux origines du Musée de la Musique : les collections instrumentales du Conservatoire de Paris. 1793-1993,

Paris, Klincksieck / Réunion des Musées Nationaux, 1996, 800 p., 120 ill.

Direction d’ouvrages

Chopin e il suono di Pleyel – Chopin and the Pleyel sound – Chopin et le son Pleyel ; Arte e musica nella

Parigi romantica – Art and Music in Romantic Paris – Art et musique dans le Paris romantique, Milan,

Villa Medici Giulini, 2010, 380 p., 190 ill.

Musique, esthétique et société en France au XIXe siècle, avec Damien Colas et Malou Haine, Liège,

Mardaga, 2007, 336 p.

Direction de la revue Musique • Images • Instruments. Revue française d’organologie et d’iconographie

musicale. Derniers volumes thématiques parus :

Le serpent. Itinéraires passés et présents. 14, 9 (2013), CNRS Éditions, 310 p. avec Cécile Davy-Rigaux

et VolnyHostiou.

La musique aux expositions universelles : entre industries et cultures. 13 (2012), CNRS Éditions, 245 p.

Orchestres aux XVIIIe et XIXe siècles : composition, disposition, direction, représentation. 12 (2011), CNRS

Éditions, 285 p.

Choix d’articles

« A rediscovered portrait of Henrietta-Anne of England: music, portraiture, and the arts at the

Court of France », Imago Musicae. International Yearbook of Musical Iconography XXVI (2013), p. 7-45.

« Le monument de Henry Du Mont et la sculpture funéraire à l’époque du père Ménestrier »,

Imago Musicae. International Yearbook of Musical Iconography XXV (2012), p. 77-106.

« The Portraits of Rameau: A Methodological Approach », Music in Art. International Journal for

Music Iconography XXXVI/1-2 (2011), p. 275-300.

« Performing and Listening to Music in Paris (1770-1820): Interpreting Visual Sources », avec

Michael Greenberg, Zur Aufführungspraxis von Musik der Klassik, Ute Omonsky, Hans Boje Schmuhl

(ed.), Augsbourg, Wissner-Verlag, Stiftung Kloster Michaelstein, 2011, Michaelsteiner Bericht

Band 76, p. 79-110.

« Les collections Henry Prunières et Geneviève Thibault de Chambure : formation, composition,

interaction, valorisation », avec Catherine Massip, Collectionner la musique : histoires d’une passion,

Denis Herlin, Catherine Massip, Jean Duron, Dinko Fabris (dir.), Turnhout, Brepols, 2010,

p. 217-256.

« Nouveau statut de l’instrument de musique en France au XIXe siècle dans les expositions

nationales et universelles », avec Joël-Marie Fauquet. Instrumental Music and The Industrial

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Revolution, Roberto Illianoet Luca Sala (ed.), Ad Parnassum Studies 5, Bologna, Ut Orpheus

Edizioni, 2010, p. 361-389.

« Curt Sachs as a Theorist for Music Museology », Music’s Intellectual History, Zdravko Blazekovicet

Barbara Dobbs Mackenzie (ed.), New York, Répertoire international de littérature musicale (RILM

Perspectives series), 2009, p. 303-313.

« Les faiseurs d’instruments du roi », Le prince et la musique. Les passions musicales de Louis XIV, Jean

Duron (dir.), Wavre, Mardaga, 2009, p. 179-210.

« Recherche et maintien de la tradition musicale populaire en France : positions de principe,

méthodes d’observation et réalisation du MNATP », Du folklore à l’ethnologie, Jacqueline

Christophe, Denis-Michel Boëll, Régis Meyran (dir.), Paris, Éditions de la Maison des Sciences de

l’Homme, 2009, p. 295-307.

« Considerazioni sulla conservazione degli strumenti a tastiera e linee guida per la costruzione di

copie e ricostruzioni in Francia. Consideration on Keyboard Conservation and Policy for

Facsimiles and Replicas in France », Restauro e conservazione degli strumenti musicali antichi. La

spinetta ovale di Bartolomeo Cristofori. Gabriele Rossi Rognoni (ed.), Florence, Nardinieditore, 2008,

p. 31-52.

« Organographie et muséologie : les fondateurs d’une histoire matérielle de la musique en

France », Musica e storiaXVI/1 (2008 paru en 2011), p. 103-127.

« Philippot le Savoyard. Portraits d’un Orphée du Pont Neuf mêlés de vaudevilles, d’images et de

vers burlesques », ‘L’esprit français’ und die Musik Europas. Entstehung, Einflu F062 und

Grenzeneinerästhetischen Doktrin. Festschrift für Herbert Schneider, Michelle Biget-Mainfroy, Rainer

Schmuch (ed.), Hildesheim, Olms, 2007, p. 269-288.

« Instrument making in Lyon and Paris around 1600 », Musikinstrumentenbau-Zentrenim

16.Jahrhundert, Boje E. Hans Schmuhl, Monika Lustig (ed.), Augsbourg, Wissner-Verlag,

Michaelstein, Stiftung Kloster Michaelstein, 2007, Michaelsteiner Konferenzberichte 72,

p. 179-204.

« Recent Research about the Voboam Family and Their guitars », Journal of the American Musical

Instrument Society XXXI (2005), p. 5-66.

NOTES

1. Jacques Thuillier (1928-2011), spécialiste de la peinture française du XVIIe siècle, professeur au

Collège de France à partir de 1976, titulaire de la chaire « Histoire de la création artistique en

France ».

2. Georges-Henri Rivière (1897-1985), fondateur du Musée national des Arts et Traditions

populaires, président du Conseil international des musées. Il a profondément marqué la

muséologie contemporaine.

3. Geneviève Thibault de Chambure (1902-1975), musicologue, collectionneur et fondateur de la

Société de musique d’Autrefois. Elle fut conservateur du Musée Instrumental de 1961 à 1973.

4. Musiciens des rues de Paris, catalogue d'exposition, Florence Gétreau (dir.), Paris, Éditions de la

Réunion des Musées Nationaux, 1997, 142 p., 60 ill.

5. The Anthony Baines Memorial Prize de la Galpin Society for the Study of Musical Instruments

(2001) ; le Curt Sachs Award de l’American Musical Instrument Society (2002) ; l’Academia

Europaea (2010).

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6. Le serpent : itinéraires passés et présents. Musique • Images • Instruments. Revue française d'organologie

et d'iconographie musicale 14 (2013), CNRS Éditions, 310 p., avec Cécile Davy-Rigaux et Volny

Hostiou.

7. Les cordes de l’orchestre français sous le règne de Louis XIV et Louis XV : instruments, répertoires et

singularités, en collaboration avec Jean Duron. A paraître en 2014 chez Vrin.

8. Henry Prunières. Un musicologue engagé dans la vie musicale de l’entre-deux-guerres, Myriam

Chimènes, Florence Gétreau, Catherine Massip (dir.), Paris, Société française de musicologie. En

préparation.

9. Voir la musique, 400 p., 350 illus. À paraître chez Citadelles – Mazenod en 2014.

10. Entendre la guerre, exposition temporaire, mars-novembre 2014, Péronne, Historial de la

Grande Guerre. Catalogue sous la direction de Florence Gétreau, Gallimard, 2014.

11. La facture instrumentale européenne : suprématies nationales et enrichissement mutuel, catalogue

d'exposition, Paris, Société des Amis du Musée Instrumental, 1985, 248 p.

12. Instrumentistes et luthiers parisiens. XVIIe-XIXe siècles, catalogue d'exposition, Paris, Délégation à

l'Action Artistique de la Ville de Paris, 1988, 254 p.

13. Musique et guerre (1914-1918), Stéphane Audoin-Rouzeau, Esteban Buch, Myriam Chimènes,

Georgie Durosoir (dir.), Lyon, Symétrie, 2009.

RÉSUMÉS

Conservatrice du patrimoine pendant vingt-cinq ans, aujourd’hui directrice de recherche au

CNRS habilitée à diriger des recherches, Florence Gétreau a consacré vingt années de sa carrière

au Musée instrumental du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et a été chef de

projet du musée de la Musique (1987-1992). C’est à l’histoire des collections de ce musée que

Florence Gétreau avait dédié sa thèse de doctorat, soutenue à Paris-Sorbonne en 1991.

Responsable du Département de la musique et de la parole au musée national des Arts et

Traditions populaires de Paris de 1993 à 2003, elle a dirigé l’Unité de recherche associée du CNRS

« Organologie et iconographie musicale » de 1992 à 1995. C’est au sein de cette équipe qu’elle a

créé en 1995 la revue annuelle Musique • Images • Instruments (Klincksieck puis CNRS Éditions).

Entre janvier 2004 et décembre 2013, elle dirige l’Institut de Recherche sur le Patrimoine Musical

en France (UMR 200 CNRS/Culture/BnF). Depuis 1993, elle est professeur associé d’iconographie

musicale et d’organologie au Conservatoire de Paris et elle a par ailleurs contribué aux

enseignements du Master « Musique et musicologie » de l’Université de Tours.

Florence Gétreau nous a fait le plaisir de nous accueillir une après-midi dans son bureau à

l’IRPMF, rue de Louvois, afin d’échanger avec nous sur son parcours professionnel et ses

différentes manières de faire de la recherche au fil de sa riche carrière, singulière, à la croisée de

différentes disciplines et de différents corps professionnels.

INDEX

Keywords : iconography, organology, museology, pluridisciplinarity, music, World War I

Mots-clés : iconographie, organologie, muséographie, pluridisciplinarité, musique, Première

Guerre mondiale

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AUTEURS

FANNY GRIBENSKI

Ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Lyon et du Conservatoire National Supérieur de

Musique et de Danse de Paris, agrégée de musique, Fanny Gribenski est doctorante contractuelle

à l’École des hautes études en sciences sociales (Centre Georg Simmel) où elle prépare une thèse

sur L’église comme lieu de musique, Paris, 1830-1903 sous la codirection de Rémy Campos et de Patrice

Veit.

ISABELLE MAYAUD

Isabelle Mayaud est doctorante à l’École des hautes études en sciences sociales (Centre Georg

Simmel) et à l’Université Paris 8 (Labtop) sous la codirection de Laurent Jeanpierre et de Michael

Werner. Sa thèse porte sur La production de savoirs sur les lointains musicaux en France au XIXe siècle.

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Comptes-rendus de lectureReviews

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Allan W. Atlas, La musique de larenaissance en Europe, 1400-1600 Turnhout, Brepols, coll. « Épitome musical », 2012, XXIX+955 p.

Cindy Pédelaborde

RÉFÉRENCE

Allan W. Atlas, La musique de la renaissance en Europe, 1400-1600, Turnhout, Brepols, coll.« Épitome musical », 2012, XXIX+955 p.

1 « Définir le caractère musical d’une époque représente pour les historiens un défi

parfois presque insurmontable. […] Et pour la Renaissance, ce défi se pose avec uneacuité plus grande encore »1. Ce défi, Allan W. Atlas, l’un des plus grands spécialistesanglo-saxons de cette période, décide de le relever cependant, offrant aux lecteurs unvéritable manuel de référence, complet et richement documenté, mais égalementpédagogique, ludique sous certains aspects. Dans la lignée de Richard Hoppin et sonétude sur La Musique au Moyen-âge2, Allan W. Atlas propose d’aborder, au sein d’ununique volume, une période de l’Histoire de la musique longue de plus de deux siècles,et invite son lecteur à un véritable parcours initiatique où compositeurs, mécènes etinterprètes deviennent les acteurs d’une vie musicale intense. Un périple à travers lesgenres, des cours italiennes et des villes du nord de la France à l’Espagne, et jusqu’àl’Angleterre élisabéthaine, car, comme le souligne l’auteur, « si le Moyen-âge a pour luile nombre des siècles, la Renaissance […] nous transmet bien davantage d’objetsmusicaux par leur nombre comme par leur variété ». « Notre tableau, pour cette raison,ne sera brossé qu’à grands traits » (p. xxiii), rajoute modestement Atlas. L’auteurpropose ainsi de croquer cette période en un tableau véritablement vivant, construit ensix parties chronologiques et quarante chapitres thématiques. Rares sont cependant lesoccurrences du terme controversé de « Renaissance ». Ce parti pris est affiché dès lapréface. La discussion historiographique du concept de « Renaissance », l’auteur choisitde l’aborder en épilogue, « alors que les lecteurs ont plus de deux siècles de musique

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dans les oreilles » (p. xxv), et des idées et questionnements qu’Atlas se refuseintelligemment de dicter, laissant à chacun la possibilité de se forger son avis.

2 Ce n’est qu’à la fin, et à titre de conclusion donc, que la question se pose : « [cet]

ouvrage s’intitule La Musique de la Renaissance. Mais dans quel sens entendons-nous leterme de Renaissance ? » ; et qu’affleurent les interrogations sous-jacentes : « àsupposer que celui-ci soit pertinent, dans quelle mesure concerne-t-il la musique ? », ouencore « fallait-il donner un autre titre à [ce] livre ? » (p. 907). La notion de« Renaissance », comme les notions de « Baroque » ou de « Classique », communémentadmises dans l’Histoire générale, ainsi que dans chaque discipline de recherche,historique et artistique, engendrent toujours autant de débats au sein de lacommunauté scientifique. Comme le souligne l’auteur, le mot « Renaissance », « commeépoque historique aux limites chronologiques et aux caractéristiques bien définies »(p. 907), est apparu pour la première fois en 1855 dans le septième volume de l’Histoire

de France, écrite par l’historien français Jules Michelet. Dans son Die Kultur der

Renaissance in Italien, Burckhardt entérine, cinq ans plus tard, l’usage de ce terme.« Pour ceux qui croient au concept, la Renaissance […] est une période […] qui répudiele passé immédiat […] en faveur d’un passé plus lointain et cherche son inspiration dansune découverte des réalisations de l’Antiquité » (p. 907). Or, depuis la fin du XXe siècle,ce « découpage » des temps historiques, cette périodisation fondée sur ce principe dere-naissance est remis en cause par nombre de chercheurs pour lesquels la Renaissancene peut être considérée comme une période autonome.

3 En effet, certains estiment que la première partie de cette période, jusque vers 1500, est

encore héritière de l’époque précédente, et que l’étiquette « crépuscule du Moyen-âge »lui conviendrait mieux. D’autres voient dans le XVIe siècle les prémices desdéveloppements ultérieurs, évoquant une « aube des Temps modernes ». Pondérantl’intronisation de ce terme de « Renaissance », Atlas pointe du doigt pertinemment – etnon sans humour – le fait que « ni Du Fay, à l’aube de [cette] période d’étude, niPalestrina, à son crépuscule, ne se considèrent comme des compositeurs de laRenaissance » (p. 907). Un tel concept n’existait tout simplement pas pour eux.Conscient, cependant, des difficultés d’une telle terminologie et des débats quientourent son sujet d’étude, l’auteur prend le parti de mettre en lumière les différentesréponses, les avis et divergences qui alimentent ces mêmes discussions : « en tout étatde cause, les XVe et XVIe siècles apparaissent comme une période pleine de tensions etde contradictions, qui ne se soumet pas facilement aux étiquettes, ni aux points de vuearrêtés » (p. 909). En outre, Atlas ne se positionne aucunement vis-à-vis de ce débat demanière définitive. Et l’auteur de conclure que « la question de la périodisation est àdouble tranchant. Quelles que soient les réalisations d’une période, celles-ci sontpassées au crible de notre propre interprétation » (p. 915).

4 Interprétation laissée au libre choix du lecteur qui, et c’est ce qui constitue l’une des

plus grandes forces et originalités de cet ouvrage, est invité à construire au fil des pagessa réflexion propre, et à jouer un rôle actif. Avant tout professeur, Allan W. Atlas réaliseen effet une étude qu’il souhaite par-dessus tout claire, vivante et pédagogique. Ce livres’adresse, déclare l’auteur, à trois types de lecteurs : les étudiants en musicologie « quiabordent la musique des XVe et XVIe siècles pour la première fois », ceux de troisièmecycle « qui souhaitent disposer d’une vue d’ensemble compacte sur [cette] période »,mais également un vaste public d’amateurs de musique ancienne « sans lequel lefoisonnement impressionnant d’ensembles professionnels, d’enregistrements et de

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concerts perdrait toute raison d’être » (p. xxiii). Deux conclusions émergent de cesdéclarations. Il est tout d’abord à noter que la volonté première de l’auteur, qui indiquene pas souhaiter s’adresser à des spécialistes de cette période, est de mettre en lumièreles avancées de la recherche en ce domaine dans un style clair et sobre, afin de lesrendre accessibles au plus grand nombre. Ainsi souligne-t-il, de manière assez humble,que l’ouvrage doit permettre essentiellement une première rencontre avec la musiquede la Renaissance. Pourtant, sans être totalement exhaustif (mais aurait-il pu en êtreautrement ?) sur le sujet, l’ouvrage de Allan W. Atlas constitue véritablement unmanuel de référence complet, aux indications précises et aux exemples nombreux, quiaborde, en variant les angles de vue et d’approche, les différentes facettes de ce vastesujet d’étude : genres musicaux tels que la messe, la chanson ou le motet, itinéraires desmusiciens, naissance et développement de l’imprimerie, ou des questions aussi préciseset complexes que l’interprétation possible des œuvres, les différents aspects de lapartition ou le rapport entre texte et musique (voire la place même du texte au sein dela partition). Si l’aspect un peu austère de l’ouvrage, son épaisseur, les questionnementsscientifiques, peuvent le faire passer pour une étude destinée aux seuls spécialistes, ilconvient cependant de souligner dans un second temps le concept réellementparticipatif et didactique de ce livre au sein duquel certains chapitres-parenthèsesproposent au lecteur de se mettre dans la peau du « chercheur », tout du moins dedevenir acteur et lui permettre de se familiariser d’une manière plus forte encore avecla musique de la Renaissance et ses spécificités.

5 « On ne peut aborder la musique des XVe et XVIe siècles de manière plus passionnante

qu’en laissant toutes les voix du temps s’exprimer » (p. xxiv), déclare l’auteur,soulignant par là même son projet de ne pas présenter une étude uniquementthéorique. À cette fin, Atlas intègre deux dossiers à son ouvrage. Ces derniers doiventpermettre aux lecteurs d’acquérir un peu d’expérience face aux textes de l’époque. Lepremier dossier, constitué de deux chapitres intitulés « Ce que les documents nousapprennent », donne aux lecteurs une idée du bagage qu’un chercheur doit posséderpour interpréter certains documents d’archives. Après une présentation de ces textesplus ou moins complexes, un travail de « traduction », de « décorticage desdocuments » et d’analyse débute afin de mettre en évidence les aléas du travail derecherche, ses difficultés, les questions à se poser, et de prendre également la mesured’une réflexion première sur la méthodologie de la recherche. Le second dossier,« l’édition d’une chanson », guide le lecteur tout au long d’un projet : la production del’édition moderne d’une chanson issue du répertoire de Busnoys, activité trèsrégulièrement appréhendée par les étudiants en Université, mais à laquelle Atlasconfère des perspectives plus scientifiques encore, permettant une bien meilleurecompréhension de l’exercice et de ses enjeux.

6 Comme le souligne l’auteur lui-même dès les premières pages, « la question cruciale

était de savoir qui placer au centre de la scène entre les compositeurs et les œuvresmusicales ». Atlas a fait le choix de la musique « de sorte que les compositeurs jouentles seconds rôles auprès de leurs œuvres et font plusieurs apparitions dans différentschapitres » (p. xxiii). Au fil des pages, nombre de partitions sont ainsi analysées par lemenu : structure, cadence, rapport texte/musique et interprétation de ces œuvres. Etc’est une des richesses de cet ouvrage, si clair et explicite sur certaines notions, que dese montrer bien plus énigmatique sur d’autres points, laissant alors au lecteur lapossibilité de réfléchir à la perception même de la musique, aux projections quipeuvent être faites, aux difficultés de toucher alors au plus près la réalité de cette

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époque et de se départir de nos a priori et interprétations naturellement biaisées. « Enfin de compte, la meilleure attitude consiste à se garder de toute affirmationdogmatique […], à se débarrasser de l’idée moderne (XIXe siècle) selon laquelle il nepeut exister qu’une version et une seule d’une composition musicale ». Plus loin,l’auteur affirme également que ce « serait prendre ses désirs pour des réalités qued’imaginer qu’on pourrait aujourd’hui exécuter des œuvres telles que la Missa Alma

Redemptoris Mater de Power, […] trop de paramètres nous sont inaccessibles et selontoute vraisemblance le resteront » (p. 167). De telles sentences au sujet de ces œuvresdu passé cadencent alors l’ouvrage. Nul désarroi pour le lecteur toutefois, mais uneprise de conscience qui grandit notre réflexion. Il est évident que notre manièred’envisager la musique est informée et influencée par notre histoire ; il en va de mêmede la pratique et de l’exécution des musiques redécouvertes. Il suffit seulement d’ypenser, de l’accepter et de s’ouvrir à ce questionnement.

7 C’est en devenant véritablement acteur dans cette découverte de la Renaissance que le

lecteur peut ainsi aborder cet ouvrage organisé en six parties, de manière un peudifférente selon les exigences des périodes étudiées, autour d’une base géographiqueprécise (l’Angleterre, puis le Continent), de genres représentatifs tels que le motet, lamesse, la chanson profane ou la musique instrumentale (parties II, III et IV), comme dethèmes plus larges : la religion, la théorie musicale ou l’imprimerie (parties V et VI). Cepoint constitue à la fois une des originalités de l’ouvrage et un de ses atouts. Une autredes spécificités de ce volume est que le traditionnel chapitre liminaire présentant lecontexte historique, culturel et artistique, est remplacé par dix intermèdes répartisdans l’ensemble du texte. Chacun introduit alors un épisode de quelques annéesseulement, ce qui permet de poser un cadre aux chapitres qui suivent. Lesbouleversements religieux, les œuvres et références littéraires, la situation tantéconomique que politique d’un pays, comme les évènements du temps, sont ainsiprésentés de manière indépendante des questionnements inhérents à l’étude de lamusique de cette période. Ce parti pris peut être discuté. Bien que l’auteur ne manquejamais de contextualiser son propos tout au long de son ouvrage, il aurait pu s’avérerégalement intéressant que ces questions contextuelles soient plus intimement en lienavec les problématiques de ce sujet d’étude, et soient débattues au cœur même deschapitres plus purement musicaux, sans constituer ces sortes de bulles introductives.Ce principe d’intermèdes reste néanmoins étroitement lié au projet que l’auteursouhaitait mettre en œuvre à travers son étude : un découpage clair, des donnéescompartimentées à bon escient, à travers lesquelles le lecteur chemine aisément.

8 C’est donc à une entreprise de taille que le traducteur Christophe Dupraz (maître de

conférences à l’École nationale supérieure de Paris) et l’équipe du Centre d’étudessupérieures de la Renaissance (CERS) de Tours se sont attelés. Le traducteur s’estemployé à conserver au mieux la vivacité du ton, l’alacrité du style et le dynamisme del’étude d’Atlas, véritablement conquis, comme il le souligne lui-même, par le travail dumusicologue américain : « le premier devoir d’un traducteur est d’être convaincu de lanécessité impérieuse du texte qu’il se propose de traduire. À cet égard, confessonsd’emblée notre émerveillement devant la prodigalité – pour le fond – et l’inventivité –pour la forme – du livre d’Allan W. Atlas » (p. xxvii). La bibliographie fournie parl’auteur a toutefois été significativement augmentée de références nouvelles, faisantétat des avancées de la recherche sur le sujet. L’équipe qui s’est constituée autour defigures emblématiques de la recherche française, telles Florence Alazard, AnnieCoeurdevey et David Fiala du CERS, a ainsi rassemblé, en annexe, dans la rubrique

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« supplément bibliographique », les références complémentaires à la bibliographiefournie, pour chaque chapitre, par l’auteur lui-même.

9 On ne peut que les féliciter pour cette entreprise indispensable, plus de douze années

après la première parution de l’étude d’Allan W. Atlas en langue anglo-saxonne.Toutefois, on peut regretter que ce projet n’ait été imaginé et réalisé que pourréactualiser les seules sources bibliographiques, et qu’une remise au goût du jour del’ouvrage lui-même, au regard des avancées de la recherche scientifique sur ce sujet de« la Musique à la Renaissance », n’ait pas été également envisagée. Ce texte désormaisen français reflète ainsi les conclusions d’un chercheur de la fin du XXe siècle, et non lespréoccupations, pistes de recherche et méthodes actuelles. On peut également déplorerque l’espace géographique, étudié au préalable par l’auteur américain, n’ait pas étéélargi dans ce contexte nouveau d’édition française. Le choix opéré par l’auteur deconclure son étude sur l’Angleterre élisabéthaine était certainement dicté par lanationalité même d’Allan W. Atlas. Le mécénat des Tudors possédait néanmoins sonéquivalent dans la France des Valois, puis des Bourbons. Aux préoccupations descompositeurs anglais répondaient aussi celles des musiciens attachés aux Médiciscomme aux Gonzague. L’auteur a également fait le choix de ne pas céder aux sirènes del’esthétique baroque, occultant d’aborder les débuts de l’opéra autour de 1600. Alorsque ce genre emblématique est né à l’occasion de l’union entre une princesse italienneet un souverain français qui jouèrent un rôle important dans l’histoire de notre pays, ettandis que de nombreuses avancées dans le domaine des recherches portant sur l’artpolitique français et sur la question des spectacles de cour ont vu le jour, ne pouvions-nous espérer que ces problématiques soient mises en lumière dans un ouvrageaugmenté et quelque peu repensé qui, sans remettre en cause celui d’origine, lui auraitdonné un souffle nouveau ? Une entreprise qui aurait été, de surcroît, en adéquationavec la conception esthétique de certains penseurs et artistes de la Renaissance : nonune simple imitatio, mais une véritable emulatio qui aurait pu être envisagée afin defaire état des avancées nouvelles et de dépasser ce modèle.

10 Ces quelques remarques ne doivent cependant pas détourner l’historien de la musique,

comme l’amateur de musique ancienne, de ce formidable puits de connaissance réalisépar Allan W. Atlas. Très richement illustré par plus d’une centaine de documentsiconographiques (clichés de la BNF, extraits de manuscrits conservés à la BritishLibrary de Londres, à Modène, Florence, New York, ou au Musée du Prado), cet ouvrageconstitue l’exemple même du Beau Livre. Avec ses mille pages d’Histoire de la musiqueriches en anecdotes, exemples musicaux, reproductions en fac simile, et par sonapproche particulière, il s’impose également comme l’ouvrage de référenceuniversitaire par excellence. Comme peuvent le démontrer les deux expositionsrécentes organisées au Musée National du Château de Pau puis au Château d’Ecouen, lamusique de la Renaissance est sans cesse remise au goût du jour et connaît les faveursdu public. Gageons ainsi que ce travail extrêmement galvanisant fera des émules, etsaura engendrer de nouvelles recherches sur ce sujet inépuisable. Comme le note letraducteur, « Allan Atlas sait nous faire partager ses amours musicales, mieux encore,la sympathie qu’il éprouve pour ces personnages lointains (culturellement), maisproches (humainement), dont il donne à entendre la voix par-delà les siècles. Ainsi lesvoyons-nous, par petites touches familières, vivre au présent, dans ce monde qui estaussi le nôtre » (p. xxvii). Faire revivre le passé tout en ouvrant des perspectivesd’avenir, tel est le tour de force opéré par Allan W. Atlas.

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NOTES

1. VENDRIX, Philippe, Un air de Renaissance, la musique au XVIe siècle, Paris, RMN, 2013, page

liminaire.

2. HOPPIN, Richard, La musique au moyen âge, traduction de l’anglais par Nicolas MEEÙS et Malou

HAINE, Liège, Mardaga, 1991.

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Stéphane Audoin-Rouzeau, EstebanBuch, Myriam Chimènes et GeorgieDurosoir (dir.), La Grande Guerre desmusiciensLyon, Symétrie, coll. « Perpetuum mobile », 2009, 248 p.

Étienne Jardin

RÉFÉRENCE

Stéphane Audoin-Rouzeau, Esteban Buch, Myriam Chimènes et Georgie Durosoir (dir.), La Grande Guerre des musiciens, Lyon, Symétrie, coll. « Perpetuum mobile », 2009, 248 p.

1 Si l’on aura l’occasion, le long de ce compte rendu de lecture, de dire à quel point La

Grande Guerre des musiciens s’avère être un livre fondamental pour aborder aujourd’huiles questions musicales relatives à la Première Guerre mondiale – notamment en cetteannée de commémoration qui verra se succéder plusieurs événements scientifiquesconsacrés au sujet –, il faut néanmoins convenir que cet ouvrage collectif est quelquepeu déroutant au premier abord. Sa couverture nous apprend en premier lieu que ladirection scientifique est prise en charge par quatre chercheurs : ceci laisse rarementprésager une grande cohérence au sein d’un livre collectif et la très courte introduction(quatre pages, non signées) peine à nous rassurer. On y découvre que les textesrassemblés dans l’ouvrage sont issus de deux journées d’étude distinctes – « Musique etmusiciens dans la Grande Guerre » tenue à Dax en mai 2005 et « Musique et guerre(1914-1918) » à l’Historial de la Grande Guerre de Péronne en juin 2007 – et les auteurs yfont un point historiographique. Très peu d’éléments sont alors donnés pour aborder lalecture de ce qui suit avec le sentiment que les textes des différents auteurs sontcomplémentaires ou se répondent ; et on cherchera également en vain dans cetteintroduction un passage faisant le bilan des bénéfices que l’on pourra tirer del’ensemble des articles assemblés ou pointant les manques éventuels du livre. Bien que

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l’on comprenne, au fil de la lecture et devant la richesse des contributions, la difficultéd’une synthèse, le lecteur (même spécialiste) aurait néanmoins bénéficié d’uneconclusion étoffée et le livre aurait ainsi réussi à sortir de la catégorie du recueild’études pointues qui le condamne a priori à ne toucher qu’un public restreint.

2 Passée cette déception, il faut saluer la qualité de ce livre pionnier qui se donne pour

but d’offrir le panorama le plus large possible sur les rapports entre musique etPremière Guerre mondiale : « C’est précisément la multiplicité des manifestations de laguerre dans le champ musical, et de la musique dans le champ de bataille, que ceprésent volume, axé sur la France sans toutefois exclure le cas d’autres nations, veutcontribuer à saisir. » (p. 4) À la pluralité des objets étudiés s’ajoute une diversitéd’approches qui rendent ce livre constamment surprenant. Le chemin dessiné par lesdirecteurs de l’ouvrage pour le parcourir démarre au cœur des tranchées et s’éloignepetit à petit de la ligne de front. « Le bruit de la guerre » de Carine Trevisan explore lessources littéraires qui permettraient aujourd’hui de reconstituer l’univers sonore danslequel étaient plongés les combattants. Les traces que celui-ci a laissées dans un corpusà la définition un peu floue – comprenant les productions de Pierre Drieu La Rochelle,Élie Faure, Maurice Genevoix et surtout Louis-Ferdinand Céline – y sont mises enperspective et finement analysées.

3 Deux articles abordent ensuite les musiques militaires. Hormis l’article d’Esteban Buch

dont on parlera plus loin, « La meilleure façon de marcher : musiques militaires,violence et mobilisation dans la Première Guerre mondiale » de Didier Francfort et « Lavie quotidienne des pipes and drums pendant la Grande Guerre » de DominiqueHuybrechts sont les seuls textes de l’ouvrage qui s’éloignent de la perspective françaisedu conflit. Dans l’article de Didier Francfort, on est surpris de lire que la « musiquefrançaise est, de tradition, si peu militaire que Berlioz a dû importer dans La Damnation

de Faust une marche militaire de Hongrie. » (p. 18) Dans un pays dont le Conservatoireest en grande partie issu d’un orchestre de Garde nationale, ce phénomène paraîtsingulier et l’on reste – sur ce point précis – quelque peu dans l’indécision quant àl’origine véritable (institutionnelle ou esthétique) de cette désaffection française pourle genre de la marche. L’auteur explore essentiellement un autre corpus, celui – extrêmement large – produit en Europe centrale, pour y tester une hypothèse : lesmarches militaires peuvent-elles être utilisées comme des indices de mobilisations desdifférentes nations au sein desquelles elles sont produites ? Le genre de la marches’avère trop malléable pour être attaché à une seule posture face à la guerre (mobiliserou démobiliser) et Didier Francfort conclut son article en invalidant son hypothèse dedépart et en ajoutant : « La place des musiques militaires dans la Première Guerremondiale n’est en rien une préfiguration de l’utilisation des musiques dans la mise enplace de systèmes totalitaires. » (p. 27)

4 Dominique Huybrechts (auteur en 1999 des Musiciens dans la tourmente et, à ce titre,

pionnier dans ce champ de recherche) dresse ensuite le portrait héroïque (et quelquepeu suicidaire) des Écossais joueurs de cornemuse et de tambour chargés – au sein del’armée anglaise – de conduire les régiments. On se permettra, à la veille de l’ouverturede l’exposition « Entendre la guerre » à Péronne, de signaler que son vœu exprimépage 30 vient d’être exaucé : « lorsque l’on découvre un instrument fabriqué au moyend’une caisse de munition ou d’un vieux casque troué, comme il en existe dans lesréserves de l’Historial de Péronne, on se met à rêver d’une exposition d’envergure quirassemblerait les fruits de cette activité insolite des tranchées. »

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5 Ces instruments sont justement l’objet de l’article suivant qui, par ses dimensions et

son intérêt, s’impose comme la clé de voûte de la première partie du livre. L’inventairedes instruments conservés à l’Historial de Péronne introduit cet article1 (p. 41-42) quien propose ensuite une analyse organologique. « Instruments de soldats : typologie,fonctions, transmission » de Florence Gétreau se distingue par son sujet original, saméthodologie sérieuse et claire, ainsi que par son iconographie et son annexe aussisurprenantes qu’utiles à la compréhension du texte. Ces dernières concernent enpremier lieu le « violoncelle de campagne » de François Gervais (musicien des ConcertsLamoureux), fabriqué par l’un de ses compagnons de régiment, par ailleurscharpentier. On est fasciné par la volonté de jouer ou le besoin de musique quedémontrent ces réalisations « bricolées » aux abords du front et on retiendra qu’encherchant à créer un archet, certains de ces luthiers de fortune retrouvent « lesprincipes de tension de la mèche utilisés dans les archets du XVIIe siècle » (p. 55).

6 L’article de Georgie Durosoir s’attache à présenter un concert organisé le 30 décembre

1917 à la cathédrale de Noyon. L’auteure souligne elle aussi la difficulté de se procurerun instrument dans ce contexte et narre les péripéties traversées par Lucien Durosoir,mobilisé, pour obtenir un violon et un archet. Les dernières pages de « L’irruptionmagnifique : deux grands violons au cœur de la guerre », volontairement lyriques,s’intéressent également au sentiment que ce concert a pu produire sur ses auditeurs :« Il aurait suffi que tous ceux qui les écoutaient franchissent la porte céleste quis’ouvrait devant eux et se disent ce que chacun de nous s’est dit au moins une fois,après une grande émotion esthétique ou autre : “Rien ne sera plus comme avant”. » (p. 84)

7 La contribution suivante, dans laquelle une virtuosité archivistique est mise au service

d’un propos très clair et d’une démonstration fine, s’intéresse à la mort d’AlbéricMagnard au cours d’une altercation avec des soldats allemands et au devenir de cettenouvelle. « La mort héroïsée d’Albéric Magnard : essai d’approche culturelle » dePatrice Marcilloux traque la récupération nationaliste d’un événement que l’onpourrait presque classer dans les faits divers. Ce faisant, il montre comment la mémoirede Magnard lisse un personnage qui perd ses aspérités wagnériennes ou dreyfusardes.La question du wagnérisme ou de ses opposants va, à partir de cet article, occuper lelivre jusqu’à son terme. Doit-on jouer Wagner ? Doit-on pousser la germanophobiejusqu’à déprogrammer Beethoven ? Si ces questions ne mobilisent pas un articleparticulier, elles sont néanmoins au cœur des deux derniers tiers du livre. Un passagepar l’index nous montre par ailleurs que – hormis les noms des sœurs Boulanger –Beethoven et Wagner sont les compositeurs les plus souvent cités par les contributeurs.

8 Avec cet article s’opère un autre tournant dans l’ouvrage : essentiellement basées sur

des parcours de musiciens ou des phénomènes institutionnels, les pages qui suiventcontinuent à s’intéresser à l’aspect exceptionnel de la période de guerre mais en lamettant désormais en perspective : à l’intérieur d’une carrière (comme celle de FélixMayol étudiée par Rémy Campos) ou de mouvements s’étendant sur le temps long(comme la structuration des conservatoires ou de la musicologie française). La GrandeGuerre apparaît alors comme un terrain idéal pour saisir les principaux enjeuxmusicaux de l’ensemble de la Troisième République.

9 « Félix Mayol dans la Grande Guerre » de Rémy Campos s’intéresse donc à la période de

guerre de la carrière d’un artiste populaire. Sans remettre en question la sincérité deses actions philanthropiques, il montre à quel point les engagements de la vedette sont

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indissociables de l’image qui permet de la vendre. Il pointe également du doigt, endécrivant les concerts de fortune de Mayol au front, une pratique musicale qui semblejusqu’alors avoir été sous-estimée dans les études sur la période, un « ressassement devieux airs (et de timbres) qui dessine un espace où la propagande a peu sa place, car elleest directement concurrencée par la recherche du plaisir musical. » (p. 118) Dansl’article suivant, Aude Caillet se pose sensiblement les mêmes questions que RémyCampos, mais en suivant cette fois un membre de l’élite musicale du pays : CharlesKœchlin, compositeur, pédagogue et fondateur de la Société indépendante de musique.Défendant parfaitement le parcours de son musicien pendant la guerre, Aude Caillets’intéresse aux ruptures (« sociale », « intellectuelle » et « artistique ») qui marquent lavie d’un Kœchlin descendant peu à peu de son piédestal aristocratique pour s’engagerdans le conflit : en tant qu’infirmier, compositeur (et cette partie introduitparfaitement l’article d’Esteban Buch) et enfin programmateur d’une société deconcerts. On voit en conclusion surgir les conflits esthétiques qui occupent le milieumusical parisien jusque dans les années 1920 et rendent de plus en plus délicate laposition de Kœchlin : garder rassemblés la « vieille » avant-garde debussyste et lesjeunes compositeurs qui formeront le groupe des Six.

10 Compilant deux études de cas (une courte troisième servant de conclusion),

« Composer pendant la guerre, composer avec la guerre » s’inscrit dans la droite lignedes pages précédentes mais tente d’apporter au débat des éléments tirés de l’analysemusicale d’œuvres écrites en temps de guerre. Si l’on s’est permis de critiquerl’introduction générale de l’ouvrage, on reconnaîtra ici la qualité des premières pagesd’Esteban Buch qui posent de manière limpide le point de vue depuis lequel l’auteur seplace et les bornes qu’il choisit de poser à son sujet. À ce stade des études musicales surles œuvres composées entre 1914 et 1918, une synthèse est impensable et Esteban Buchpropose d’explorer le répertoire de Max Reger (notamment Une ouverture patriotique

pour grand orchestre) et d’Igor Stravinsky (Histoire du soldat) pour y trouver des élémentsqui permettraient, à l’avenir, d’établir une typologie des œuvres nées sous la PremièreGuerre mondiale. D’une certaine manière, avec une présentation assez brève de Sinfonia

germanica (œuvre dada d’Erwin Schulhoff), ce long article se termine sans réellement seconclure : les facettes très diverses de l’attitude compositionnelle face à laguerre (engagement, distance, critique, rejet, patriotisme, recueillement) nepermettent pas encore d’établir une typologie stricte.

11 Avec « Nadia Boulanger et le Comité franco-américain du Conservatoire (1915-1919) »

s’ouvre la troisième partie de La Grande Guerre des musiciens. Cette dernière sectionregroupe les études observant la période à travers le prisme de certaines institutions etl’on se réjouit d’y trouver des points de vue extraparisiens. C’est pourtant leConservatoire de Paris qui sert de cadre aux articles complémentaires d’AlexandraLaederich et Charlotte Second-Genovesi. L’action des sœurs Boulanger, d’abord sous unaxe général puis avec une étude plus précise de leur Gazette des classes, y estparfaitement retracée. Profitons de ce compte-rendu pour signaler la parution plusrécente d’un autre article de Charlotte Second-Genovesi – figure montante de la jeunegénération de chercheurs sur la musique pendant la Grande Guerre – poussant encoreplus loin la réflexion entamée ici : « Penser l’après-guerre : aspirations et réalisationsdans le monde musical (1914-1918)2 ».

12 C’est en effet la préparation de l’après-guerre que l’on observe depuis les écoles de

musique, qu’elles se situent à Paris ou – comme dans l’article de David Mastin – à

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Boulogne-sur-Mer, Lille, Toulouse, Montpellier, Orléans et Tours. Bien que l’on puisseregretter quelques imprécisions dans cet article produit en cours de doctorat, « Écolede musique en guerre » pose la question de l’impact du départ et du retour de guerredes musiciens dans les villes françaises. Alors que les conservatoires, trente ans après laréforme de 1884, ont atteint un seuil d’institutionnalisation élevé, ils doivent affronterà la fois une désorganisation générale de la vie musicale locale et la montée dumouvement syndicaliste. On retrouve, dans la fin de cet article, un écho aux questionsabordées avec Kœchlin : l’idée qu’une fracture de génération est à l’œuvre à la sortie dela guerre (« les maîtres et élèves mobilisés, d’une part, et ceux restés aux écoles […]d’autre part »). La dernière conclusion, avançant que les conservatoires ont fait « ladécouverte de la force de la propagande musicale durant la Grande Guerre » (p. 202),est plus contestable : depuis la fin du XVIIIe siècle, de très nombreux exemplespourraient être trouvés pour avancer la date de cette « découverte ».

13 Sara Iglesias livre ensuite, dans « “Le devoir est partout” – reflets de la guerre dans la

fondation de la Société française de musicologie en 1917 » des éléments issus d’unethèse qu’elle a terminée depuis (« Sciences, musique, politique : La musicologiefrançaise sous l’Occupation 1940-1944 », soutenue en novembre 2011). En retraçant lechemin qui mène à la fondation de la SFM, Sara Iglesias montre les mouvementscontradictoires qui remuent les milieux savants entre juin 1914 (l5e congrès de laSociété internationale de musique) et le début des années 1920. Le besoin de débouchéspour les recherches des musicologues apparaît comme un élément moteur dans lacréation de la société – Aude Caillet signalait déjà dans son article que la parution de l’Encyclopédie de la musique dirigée par Lavignac et La Laurentie avait été retardée par leconflit (p. 120) – et le Bulletin de la Société française de musicologie (qui devient Revue de

musicologie en 1922) paraît dès la fondation de la SFM. En analysant un spectre très largede discours institutionnels provenant du champ disciplinaire, Sara Iglesias affinesurtout les points de vue trop monolithiques que l’on aurait pu émettre sur lesmotivations politiques des Français faisant sécession au mouvement internationaliste :« Le groupement de musicologues étudié ici embrasse à la fois des partisans de Saint-Saëns et des wagnériens, des nationalistes et des germanophiles, des républicains et destraditionalistes, des progressistes et des conservateurs. Durant ces années de guerre etl’immédiat après-guerre, la Société française de musicologie […] n’affiche pasd’idéologie attachée à un bord politique, si ce n’est celle d’un patriotismeinternationaliste et germanophobe. » (p. 213)

14 Le livre s’achève sur l’article de Mathieu Ferey, « “À gauche et à droite du Rhin” :

perspectives sur l’action de Joseph-Guy Ropartz à Strasbourg (1919-1929) », qui abordede nombreuses questions déjà traitées dans les articles précédents mais en bénéficiantdu terrain d’observation, aussi extrême que captivant, que constitue la ville deStrasbourg après son rattachement au territoire français. Plus que l’axe biographiqueque le titre suggère, Mathieu Ferey propose une histoire musicale de Strasbourg dansl’immédiat après-guerre et prend le temps de décrire les différentes tensions quimontent dans la ville et apparaissent dans les salles de concert. Cette perspective(comme celle de David Mastin) permet d’imaginer qu’une histoire de la vie musicalefrançaise après la Première Guerre mondiale aurait beaucoup à gagner d’étudescentrées sur les villes.

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15 Achevons ce compte rendu en rendant hommage aux éditions Symétrie qui – comme à

leur habitude – livrent avec ce livre un objet agréable à lire et facile à consulter (grâcenotamment aux index d’œuvres et de personnes).

NOTES

1. Sachant que cet inventaire figurait dans l’ouvrage, on aurait pu corriger, une dizaine de pages

plus tôt (page 30), l’espoir formulé par Dominique Huybrechts de voir un jour cette tâche

effectuée.

2. Paru dans PONS, Lionel (ed.), Lucien Durosoir. Un compositeur moderne né romantique, Albi,

Fraction, 2013, p. 5-39.

AUTEURS

ÉTIENNE JARDIN

Docteur en Histoire de l’EHESS, Etienne Jardin est le responsable scientifique des publications et

colloques du Palazzetto Bru Zane - Centre de musique romantique française (Venise). Il a soutenu

une thèse sur les conservatoires de musique (Le conservatoire et la ville. L’exemple des écoles de

musique de Besançon, Caen, Rennes, Roubaix et Saint-Etienne au XIXe siècle, sld de Michael Werner,

2006) et effectue des recherches sur la vie musicale en France aux XVIIIe et XIXe siècles

(enseignement, concerts et art lyrique).

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Annegret Fauser, Sounds of War.Music in the United States during WorldWar IINew York, Oxford, Oxford University Press, 2013, 384 p.

Esteban Buch

RÉFÉRENCE

Annegret Fauser, Sounds of War. Music in the United States during World War II, New York,Oxford, Oxford University Press, 2013, 384 p.

NOTE DE L’ÉDITEUR

Annagret Fauser parle des enjeux théoriques et méthodologiques de cet ouvrage dansl’entretien publié dans le troisième numéro de Transposition.

1 Sounds of War : l’ouvrage d’Annegret Fauser sur la musique aux États-Unis pendant la

Seconde Guerre mondiale peut susciter deux malentendus, qu’il vaut mieux lever toutde suite. Premièrement, bien que l’auteure évoque son intérêt pour une « histoireacoustique » du conflit (p. 9), ce qui suppose la prise en compte d’un vaste spectre dephénomènes sonores allant – disons, pour faire image – du bruit des armes au râle desmourants, en passant par toutes les voix, toutes les musiques et tous les silences, sontravail ne s’inscrit pas dans le courant en plein essor des sound studies mais bien dans laperspective désormais plus classique d’une histoire culturelle de la musique. À propos,et deuxièmement, bien que le sous-titre mentionne la musique en général comme objetdu volume, il y est question seulement de musique classique et d’opéra, tandis que sontà peine mentionnés le jazz, le swing et les autres genres populaires, dont l’importancefut pourtant prépondérante. La musique de film, dont le rôle politique sur le courtterme et le rôle mémoriel sur le long terme sont à juste titre soulignés dans

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l’introduction, n’est pas davantage abordée. Autrement dit, les personnages de ce livrene s’appellent pas Glenn Miller ou Duke Ellington, moins encore Marlene Dietrich, maisAaron Copland, Roy Harris, Henry Cowell, Lily Pons, André Kostelanetz, YehudiMenuhin, Kurt Weill ou John Cage, voire Eleanor Roosevelt, la First Lady qui en février1942 déclara dans la revue Musical America que la musique était désormais « more

valuable than ever » (p. 36).

2 Une fois ceci posé, empressons-nous de dire que Sounds of War est un livre formidable.

D’ores et déjà il s’annonce comme une référence, non seulement pour les recherchessur la musique pendant la Seconde Guerre mondiale mais aussi pour les travaux surtoutes les musiques pendant toutes les guerres. Cela mérite d’être avancé en cetteannée du Centenaire de la Grande Guerre qui, commémoration oblige, verra paraître uncertain nombre de travaux sur la musique pendant les années 1914-18. Sans préjuger dela qualité de ceux-ci, l’ouvrage de Fauser peut représenter un point de repère, autantpour des questions d’ordre méthodologique que par sa contribution empirique, et passeulement pour l’histoire des États-Unis. En effet, alors qu’en France les études sur lavie musicale des années 1940-44 sont axées sur l’histoire sociale du régime de Vichy etde l’Occupation ; alors qu’à propos de l’Allemagne, de l’Italie ou de l’Union Soviétiquece sont respectivement les régimes nazi, fasciste ou stalinien qui en tant que telsretiennent l’attention, la focale sur l’Amérique des années qui vont de Pearl Harbor àHiroshima met au centre des débats – même si le terme n’est pas utilisé – la culture deguerre en tant que telle, voire la guerre elle-même.

3 Ce livre vient, comme on dit, combler une lacune historiographique, d’autant plus

saillante que les années de la Seconde Guerre mondiale furent décisives pour l’imageque les États-Unis allaient projeter d’eux-mêmes pendant toutes les décenniessuivantes, sur le plan musical comme dans bien d’autres domaines. L’auteurecommence d’ailleurs par rappeler qu’une mélodie tirée d’Appalachian Springs (1944) deCopland fut jouée en janvier 2009 lors de la première investiture présidentielle deBarack Obama, quatre ans après que ce dernier en personne avait tenu le rôle durécitant dans une performance de Lincoln Portrait (1942) du même Copland encommémoration des attentats du 11 septembre 2001. Et en réalité il s’agit moins d’unelacune que de plusieurs, car la diversité des thèmes traités aurait pu justifier à chaquefois le concours d’un chercheur différent, au lieu du tour de force que représente cettesynthèse inaugurale faite sous une signature unique.

4 Le premier chapitre traite des individus, sous la forme d’un tour d’horizon des

différentes formes d’engagement des musiciens. Le spectre est large qui va du cas du« soldat-musicien » Marc Blitzstein, enrôlé en août 1942 dans l’Armée de l’air et affectéjusqu’en mai 1945 à Londres, où il écrivit la Airborne Symphony en hommage à sescamarades d’armes, à celui d’un John Cage qui semble avoir tout fait pour éviter d’êtreappelé sous les drapeaux et qui composa en 1942 son grinçant et sceptique Credo in US,

en passant par un jeune Yehudi Menuhin qui, exempté du service des armes en tantqu’unique soutien de sa famille, purgea sa mauvaise conscience en s’exposantinconsidérément au danger lors de ses nombreux concerts en soutien des troupes. Au-delà de ce constat de diversité, le tableau qui se dégage n’est pas seulement celui d’unedomination du sentiment patriotique, du reste largement partagé au sein de la nation,mais encore celui de l’anxiété particulière des musiciens classiques, désireux deprouver leur utilité pour l’effort de guerre et, réciproquement, surpris par l’importanceque certains responsables attribuent à une « good music » parée de toutes sortes de

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vertus morales et civiques. Selon Fauser, ces années de guerre sont celles d’unepolitique culturelle volontariste visant à blanchir la musique classique et sesreprésentants contemporains de ses associations élitistes ou highbrow, ce qui se traduitnon seulement par des efforts institutionnels conséquents en faveur d’une culturemidbrow, mais aussi par une disposition des compositeurs à simplifier leur musiquepour gagner en intelligibilité. En cela, pourrait-on ajouter, ils restent fidèles à unetradition remontant au commentaire de Beethoven sur La Bataille de Vittoria : « Il estcertain que nous écrivons mieux quand nous écrivons pour le public et si nous écrivonsvite », que Roy Harris reformule à sa manière en parlant d’une musique « simple, simple,

simple – something so direct that everybody could understand it » (cit. p. 253). L’héroïsmebeethovénien va d’ailleurs trouver un avatar direct, toutes proportions gardées enmatière de simplicité, dans l’Ode to Napoleon Buonaparte d’Arnold Schoenberg (1942).

5 Les institutions sont le sujet du deuxième chapitre, qui décrit le rôle de la musique

successivement au sein de l’Office of War Information créé par Roosevelt en juin 1942,comme dispositif de propagande visant l’ensemble de la population grâce à une intenseprogrammation radiophonique et la mise en vedette d’antifascistes tels qu’ArturoToscanini ; dans le cadre de la diplomatie culturelle menée par le Département d’État,et singulièrement par l’Office of the Coordinator of Inter-American Affairs dirigé parNelson Rockefeller, qui envoya Aaron Copland dans différents pays d’Amérique latinesensibles aux charmes du Troisième Reich ; sous la forme d’initiatives à l’intention destroupes, comme la distribution de songbooks intitulés Hit Army Kit et d’enregistrementsappelés V-Discs (avec V pour Victory), ainsi que l’organisation de concerts de solistesprestigieux ou d’orchestres en uniforme, le tout par les soins des U.S. Army MusicAdvisors, dont la liste est reconstituée aux pages 109 à 112 grâce aux archives duSubcommittee on Music du Joint Army and Navy Committee on Welfare and Recreation,

conservées à la Library of Congress ; enfin dans une attention soutenue pour lamusicothérapie et ses vertus avérées ou supposées pour le traitement des soldatsatteints de chocs post-traumatiques, ce que le jargon d’alors appelle leur reconditioning.

À propos des musicothérapeutes, en majorité des femmes, Fauser suggère unedimension sexiste dans certaines critiques qui, cependant, pouvaient toujours fairefond sur la difficulté réelle de démontrer l’efficacité de ces méthodes – une remarquequi toutefois converge avec son observation du faible nombre de femmes impliquéesdans l’ensemble des activités musicales, si l’on excepte le cas des interprètes.

6 Les quatre sections sur l’histoire des institutions sont des explorations, certes riches et

sophistiquées, mais néanmoins partielles, de domaines qui, chacun, mériteraient untraitement détaillé. Ce deuxième chapitre est d’ailleurs un peu différent du reste dulivre, qui prend pour objet les musiciens et leur production artistique. Le quatrième,par exemple, est consacré aux exilés, à commencer par Darius Milhaud, BohuslavMartinů et Béla Bartók, dont les parcours et produits de ces années de guerre restentmoins connus que ceux d’Arnold Schoenberg, Paul Hindemith ou Kurt Weill – l’époqueaméricaine de ces figures ayant longtemps été une manière d’aborder la guerre elle-même, aux côtés des chapitres correspondants dans les biographies des compositeursaméricains. À propos de Darius et Madeleine Milhaud, on retiendra du récit de Fauserles conditions éprouvantes de leur séjour californien et le refus du compositeur deprendre parti dans la querelle entre fidèles de Pétain et partisans de De Gaulle au seinde la communauté d’expatriés, au nom du mot d’ordre résumé dans une lettre de mai1944 : « Suivre l’Amérique jusqu’à la délivrance de la France » (cit. p. 307n). Quant à lavaste production musicale qu’inaugure en août 1940 un Quatuor no 10 op. 218 rebaptisé

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opus americanum 1, c’est surtout l’opéra Bolivar (1943), sur un livret de Madeleine tiréd’un roman de Jules Supervielle, qui pour l’auteure concentre les enjeux de cettepériode – une œuvre que toutefois Milhaud, qui en ce libérateur latino-américainvoyait surtout un exilé, échouera à faire représenter. On reconnaît dans cette négativel’état d’esprit d’institutions telles que le Met, encore moins favorable que d’habitudeaux entreprises modernistes, fussent-elles modérées par des traits stylistiques associésà la tradition française, que le compositeur exploite surtout dans son ballet Jeux de

printemps (1944) pour la compagnie de Martha Graham.

7 De ces exilés, c’est Kurt Weill, le compositeur « formerly German » devenu citoyen

américain en 1943, qui semble avoir fait le plus de gestes en direction du nationalismeindigène, par exemple en collaborant avec le OWI. Fauser s’inscrit d’ailleurs en faux(p. 281n) par rapport aux spécialistes de Weill qui le dépeignent « thinking and acting like

an American », pour souligner au contraire ce que coûta à l’auteur de I’m a Stranger Here

Myself (1943), aussi bien sur le plan psychologique que du point de vue de sa réputation,l’effort d’adaptation à sa nouvelle patrie. Cependant, ce sont bien sûr les œuvres demusiciens nés aux États-Unis qui se trouvent au cœur de l’analyse de la question del’identité américaine, qui relie les troisième et cinquième chapitres et constitue sansdoute la principale contribution du livre du point de vue proprement musicologique.Dans un premier temps, l’auteure explore les usages politiques du passé musical etnotamment la prétention de faire de l’Amérique, face à une propagande nazie qui ladécrit comme une nation sans culture, la nouvelle patrie de la culture universelle. Celasuppose surtout la revendication du répertoire classique, avec Beethoven en emblèmede la démocratie, par exemple lors des concerts du Philharmonique de New York, et unWagner joué au Met sans discontinuer malgré des exilés qui, tel le musicologue PaulHenry Lang, y entendent une « background music for Mein Kampf » (p. 172). Seul l’officieraméricain de Madame Butterfly semble avoir vraiment posé problème, au point que cetteœuvre disparaît du répertoire jusqu’à la veille de l’Armistice. Au-delà des mentionsrituelles du melting-pot et des efforts de certains musiciens noirs comme William GrantStill pour faire valoir un héritage culturel différencié, c’est dans l’intérêt renouvelépour l’époque de la Révolution américaine, en la personne du compositeur WilliamBillings, et pour un folklore rural, blanc, masculin et largement mythifié que s’exprimele plus clairement l’idéologie nationaliste. Tout comme dans le projet d’américanisationde l’opéra, traduit par exemple dans A Tree on the Plains (1942) de Paul Horgan et ErnstBacon ; dans Oklahoma ! (1943) de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II, auxfrontières avec la comédie musicale ; ou encore dans une Carmen Jones (1943) du mêmeHammerstein, dont l’héroïne travaille non pas dans une tabacalera mais dans une usinede parachutes.

8 Le dernier chapitre est consacré à ce que l’auteure appelle « the music with the worst

reputation in twentieth-century historiograpy » (p. 11), à savoir ces d’œuvres où lenationalisme prend la forme d’Americana, c’est-à-dire de clichés patriotiques. American

Salute de Morton Gould (1943), la Sixième Symphonie « Gettysburg » de Roy Harris (1944) etles œuvres de Copland ou Blitzstein déjà citées en sont des exemples de choix, avec unepréférence générique pour les Great American Symphonies, parfois brandies en réponse àla « war symphony » Leningrad de Chostakovitch. L’hommage à des figures historiquestelles que Jefferson ou Lincoln, l’emploi de chœurs et de récitants, la citation demélodies patriotiques, les sonorités militaires, les moments funèbres au sein detrajectoires expressives triomphalistes font partie des ressources courantes de cerépertoire, régulièrement accompagné de louanges emphatiques de leur dimension

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authentiquement américaine. Et il ne semble y avoir eu guère qu’un Roger Sessionspour signaler que cet usage politique de la musique, ce que l’auteure appelle le« populisme musical » américain, rapprochait dangereusement les États-Unis des Étatsfascistes qu’ils combattaient. De fait c’est bien une ressemblance de style et de fonctionqui ressort de la comparaison, certes sommaire, entre ce répertoire d’Americana et lesœuvres conçues à la même époque dans les pays de l’Axe ou en URSS. Face à cela, et au-delà du comportement de John Cage sur le plan civique, son Credo in US, qui justementmet au travail ces mêmes clichés sous la forme d’une « satire » moderniste, est présenténon sans paradoxe comme « one of the more [sic] emblematic pieces of Americana emerging

from World War II » (p. 270).

9 Bref, « music mattered », dit Annegret Fauser à la toute fin du livre (p. 271). De ce rôle

de la musique pendant la guerre, Sounds of War présente un panorama convaincant etrigoureux, fondé à la fois sur un très solide travail d’archives, sur une maîtrise avéréede l’histoire de la musique américaine et européenne du vingtième siècle, enfin sur unebonne connaissance de l’historiographie générale sur les États-Unis et la SecondeGuerre mondiale. En revanche, et pour finir sur une note critique, on peut regretterl’absence de réflexion d’ensemble sur le rôle des artistes, des écrivains et desintellectuels pendant le conflit, ainsi que celle (mises à part deux ou trois référencessur le cinéma) de bibliographie sur d’autres types de production culturelle. Ces deuxéléments auraient peut-être permis non seulement de désenclaver la discussion sur lenationalisme musical, mais encore de mieux cerner l’enjeu réel que la musique a pureprésenter pour l’effort de guerre en général. Il n’est guère étonnant que de nombreuxmusiciens désireux de mettre en valeur leur métier aient proclamé que la musique estune arme, ou que la First Lady ait loué sa « force for morale » dans une revue musicale. Ilest moins sûr que la conviction que la musique est une arme ait été partagée par lesgénéraux en charge des opérations militaires, au-delà du fait que certains d’entre euxétaient sans doute heureux d’en pourvoir leurs hommes pour renforcer leur moral etles aider à tuer l’ennui ou la peur.

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Martin Iddon, Music at Darmstadt.Nono, Stockhausen, Cage, and BoulezCambridge, Cambridge University Press, 2013, 349 p.

Annelies Fryberger

RÉFÉRENCE

Martin Iddon, Music at Darmstadt. Nono, Stockhausen, Cage, and Boulez, Cambridge,Cambridge University Press, 2013, 349 p.

NOTE DE L'AUTEUR

The author wishes to thank Nicolò Palazzetti for his insightful comments on thisreview.

1 In the best sociological tradition, Martin Iddon uses his limpid prose to show us that

things are not what they seem: the serialists were never fully serial, and there is acavern of critique, interpretation, and analysis separating discourse and practice. Thethrust of this richly documented volume is an analysis of the controversy regarding thelegacy of Webern within the context of the early years, under Wolfgang Steinecke’sdirection (1949-1961), of what would become the Internationale Ferienkurse für NeueMusik in Darmstadt. In the end, Iddon shows that Webern would be used to legitimizethe rise of serialism; his music became a calling card for the ‘school’ of multipleserialism which brought together composers who, despite the halo of discourse andfounts of critique, only marginally actually fully applied this technique in their owncompositions. Iddon convincingly argues that the identity of this fledgling movementcrystallized thanks to the controversy surrounding it, with one of the key players beingthat of Theodor W. Adorno and his scathing critique of the composers involved(notably of Pierre Boulez and Karel Goeyvaerts). This school took hold more thanks to

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the discourse produced about it than to the compositions actually being producedwithin it.

2 The figure of Adorno is omnipresent in this study, but not as a secondary source –

rather as an actor with an ideological discourse worthy of careful analysis. As such, thequestion of authority is an undercurrent throughout the entire book: the question iswho controls the discourse on new music and why. This book thus presents a perfectcase study for themes developed since the 1990s in the wake of New Musicology:analysis is by no means a neutral process, and authority and value are socialconstructions. In the preface, Iddon clearly situates his work as “a study of thereception of new music” (p. xi), and his methodology indeed incorporates carefularchival work to recreate the critical reception of the music performed and discussedin the early years of Darmstadt, combined with focused analyses of certain key pieces,in order to better understand (or reveal inconsistencies in) the press and academicreception. Iddon purports that the young composers present at the time (notably PierreBoulez, Luigi Nono, and Karlheinz Stockhausen) were used as pawns in a strugglebetween Adorno and the critic Herbert Eimert and Heinz-Klaus Metzger (critic and,crucially, translator into German of John Cage’s lectures at Darmstadt) regarding the“‘proper’ course” (p. xii) of new music after World War II. Adorno had high hopes thatmusic analysis might save the new music world from what he qualified as the “crisis” itsuffered from at the time1, while Eimert and Metzger hoped first and foremost todiscredit and dethrone Adorno, largely via a reification of Webern to counter Adorno’sview that Webern’s “static” techniques would lead inevitably to a stranglehold on thecomposer’s freewill (see p. 92).

3 As an example of how Iddon presents these disputes, and how musical analysis is used

to understand the discourse surrounding the works discussed, let us look at how hepresents the case of Luigi Nono’s Polifonica-Monodia-Ritmica, premiered at Darmstadt on10 July 1951. Iddon shows how Nono uses Brazilian rhythms (thanks to his interactionwith the Brazilian composer Eunice Katunda2) and Edgar Varèse’s “emancipation ofpercussion” (p. 43) as his primary points of departure for this piece. Procedurally, thematerial is generated using a permutation of a limited range of rhythmic materials, butthis procedure is by no means slavishly adhered to (p. 44). However, Adorno had insome ways prepared the reception for this piece, given that he gave a presentation onthe music of Webern some short days before, so critics were primed to see the linksbetween this still, austere piece and the music of Webern (p. 45). This comparison withWebern and twelve-tone compositional techniques was used to elevate Nono’s work,and was meant as high praise, despite this interpretation being clearly misplaced uponcloser analysis of the score and Nono’s declarations. With this example, we see howIddon tells the tale of the reception of the work of what came to be known as the‘Darmstadt School:’ he reveals the gap between the works and the critical discoursesurrounding them, and shows how misinterpretation can be used to federate seeminglydisparate composers.

4 The first performance of Webern at Darmstadt was in 1948, with his Variations for piano,

op. 27 (1935-1936) (p. 29). In the early years, the Second Viennese School by no meansdominated: Hindemith was really the star at the courses’ inception3. Similarly, the nowwell-nigh forgotten Belgian composer Karel Goeyvaerts (1923-1993) was the first totruly follow the path of applying ‘twelve-tone’ treatment to both pitch and rhythm(notably with his Sonata for Two Pianos (1951), and he was really seen as the composer to

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watch in 1951 (p. 61). Indeed, he was credited at the time as being the inventor of whatone critic was led to call “a system of ‘static music’” (Albert Rodemann, quoted onp. 85). In investigating these shifts, away from Hindemith and toward a reification ofthe Second Viennese School (and then subsequent distancing from same), and a morelocal focus moving from Goeyvaerts to Stockhausen, Iddon shows how what could seemto be at first glance as an example of history doing its work of sifting out the wheatfrom the chafe is actually much more about power struggles and actors’ jostling forposition at the crucial time when reputations were still being formed. History’s verdictis the result, not just of the passing of time and changing tastes (the trope of the moreenlightened future audience), but of how these power struggles turn out in the momentthey are being fought – something the actors involved are keenly aware of (see,regarding Goeyvaerts, p. 68).

5 In several detailed analyses of pieces by Bruno Maderna, Pierre Boulez, Karlheinz

Stockhausen, and Luigi Nono, among others, Iddon reveals (one can see him smilingslyly through the text) that these pieces can ontologically, but not phenomenologically,be seen as serialist. Meaning, these pieces derive much of their material from twelve-tone or serialist generative processes, but the intervention of the composer in theseprocesses creates a sounding result that cannot be foreseen via these processes alone(see, for example, p. 81). The example of Boulez’s Structures Ia (1952) is presented as anaberration – both in the context of Boulez’s oeuvre as a whole, and in the context ofother ‘serial’ composers – in that it does present a rigorous adherence to multipleserialism. What unites these composers, in the end,

[…] is little more than existence of pre-compositional work which includesindependent consideration of more than one parameter, typically pitch and rhythm(although more than two are, of course, possible). Gottfried Michael Koenigsuggested that ‘[i]n the beginning, one’s attention was focused on pitches,durations, intensities, and timbres. Then other qualities or issues became pressing:groups, which consisted of many notes; spatially conceived sound events; newmusical instruments or new ways of playing old ones; liberties given to performers;musical action.’ Yet even according to such a conservative view, [Maderna andNono] would have been excluded. […] What the composers had to say hardlyexhibited much unanimity either […]. Nevertheless, as Boulez would implicitlyobserve […], one important unifying characteristic was that the material which waspre-compositionally generated, regardless of whether or not it was followed in aslavish way in the composition proper, led to the structure and form of the piece,rather than being suspended in an extant formal shape (p. 83-84).

6 Considering the weight and influence that the ‘Darmstadt school’ would have in future

discourse and production in new music, this is a remarkably thin thread by which tounite these composers. Iddon gives us a detailed analysis of how these composers’compositional processes were reconstructed and recontextualized in press coverage,leading eventually to their being identified as a unit, despite their differences and theconflicts amongst them (see, regarding Nono: p. 88).

7 An underlying thread in this discussion of how the serialists became serialists is the

process of building a consensus around how Webern’s music should best be analyzed. Inthe period under study here, just some short years after Webern’s death in 1945, theway his music should be interpreted and what it meant for the future of new music wasfar from clear. With this discussion, Iddon’s volume enters more general territory: thatof the politics of musical analysis. The neutrality of musical analysis can no longer betaken for granted, and Iddon is not alone in investigating its possible implications4. He

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analyzes in detail divergent interpretations of the implications of Webern’s work byNono, Stockhausen, Boulez, and Goeyvaerts (with the overarching conflict being thatbetween Eimert and Adorno) presented in the context of a series of lectures on Webernduring the summer course in 1953. Just one example of how these interpretations differcan be found in contrasting Boulez and Goeyvaerts: “If, for Goeyvaerts, the idea ofgenerating structure from smaller elements led to an objectivisation of the material,for Boulez it led, instead, to a reflexive, questioning practice” (p. 94). This contrast,among others analyzed by Iddon, was glossed over in the critical reception of theselectures, wherein these four composers were united with Webern as their guide, andthe notion of a ‘school’ was born (pp. 98 and 129). The press would then emphasize thethorough pre-determination in these composers’ works, even though examples of thisare exceedingly rare (p. 107). What is important to note, however, is that at the time, itwas far from clear that Webern should be the overarching figure in this teleologicalview of the development of new music. Instead, a multiplicity of influences waspresent: among them, Iddon discusses in detail Schoenberg, Messiaen, Webern,Debussy, and Bartók.

8 Within a larger discussion of the reception of American new music composers at

Darmstadt, the second controversy analyzed in this volume is that of how John Cage’smusic was received, with the fundamental misunderstanding being: was David Tudorimprovising or not? This misunderstanding seems to have been largely due to generalignorance regarding the way Tudor prepared indeterminate scores for performance(p. 249), as reflected, for instance, in Nono’s 1959 remarks on Cage (p. 259). Iddon showsthat Cage’s music was largely misconstrued at Darmstadt as being based onimprovisation, with critics misunderstanding the fundamental difference betweenindeterminacy or chance compositional practices and a score which would call on theinterpreter to improvise. This misunderstanding would underlie the critical receptionof Cage’s music in Darmstadt and beyond.

9 John Cage made his first appearance on the Darmstadt stage in 1958, and his work was

met with what can only be described as confusion, sometimes expressed in curiosity,sometimes in hostility (p. 200-201). He and David Tudor played European premieres ofseveral of Cage’s pieces, among them Variations I (1958) and Winter Music (1957). Thisperformance was followed by a series of lectures, wherein Cage endeavored to explainthe chance processes he used. He purported that the fundamental difference betweenEuropean and American composers lay not in the use of serial techniques or chanceoperations, but rather that “Europeans […] wanted to be ‘composers’ through theoperations of their wills and compositional desires, and Americans […] were willing toallow music to occur unpurposively” (p. 215). This is reflected in Boulez’s critique ofCage. Boulez felt that Cage, with his chance compositional practices, fundamentallyrefused to do that which defines a composer: to choose (p. 187). Boulez wassympathetic to controlled chance in the compositional process, but not to performanceindeterminacy, where certain choices are left open to the performer (p. 188). In somerespects, conflicts regarding Cage led to open conflict in the already divided Darmstadt‘school’, notably between Stockhausen and Nono (Stockhausen felt that Nono haddefiled the Darmstadt spirit of collegiality in his frontal attack on Cage in 1959 (p. 264),or between Boulez and Stockhausen (with Stockhausen initially embracing Cage, whileBoulez was at first highly critical). To a certain degree, the flurry of critique leveled atCage was a way to air out differences already present among the composers who hadbeen lumped together in the Darmstadt school, and as such allowed them to assert

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their individuality as composers (p. 286). More generally, “a composer was defined inpart by his or her relationship to Cage” (p. 300) after his arrival at Darmstadt in 1958.Iddon is careful to show, through his detailed deconstruction of the idea of theDarmstadt ‘school,’ that Cage did not disrupt an aesthetic order, but rather a social one– the idea of a school (p. 301).

10 This volume could also be read as an analysis of the role of music criticism in the

perceived and objective (if this term can ever be appropriate in this context) aestheticproduction of an art world. What we see here is the bi-directional nature of criticism:the judgments publicly provided by critics, be they composers themselves or not,influence production and vice versa, even, and perhaps especially, when thesejudgments are erroneous. One cannot analyze the development of new music withouttaking into account its often faulty reception by individuals invested with the authorityto discuss it in public fora. This does not, however, amount to a plea for more capablecritics. Instead, this is part and parcel of the evaluative and interpretive worknecessary and inherent to art worlds, and the shifting sands of criticism are a reflectionof the political climate (Adorno’s reaction to the perceived totalitarianism of serialismcannot be read as divorced from the events he witnessed in his lifetime), theinstitutional climate (Darmstadt, as an identifiable institution, provided fertile groundfor the formation of an aesthetic school), and the struggles of newcomers to find aplace for themselves. We also see a shift in critical authority throughout this book:increasingly, the young composers present at Darmstadt are given the responsibility ofproviding the critical discourse on their own work and that of their peers. This fits intoa larger phenomenon analyzed elsewhere, that of the rise of the composer-critic, or theartist as evaluator5.

11 Iddon is necessarily in dialogue throughout this book with Amy C. Beal, whose work is a

reference point for new music scholars generally and scholars of cultural policy inpost-war Europe6. He relies on her work for some of his historical narrative, all thewhile honing her conclusions with information from new archival work. The primarydistinction one might draw between their work is one of perspective: Beal tells the taleof Darmstadt from an American point of view, whereas with Iddon we inhabit theGerman perspective. Their work can fruitfully be read together.

12 The conclusion to this volume is uncannily brief – Iddon concludes with a reflection on

John Cage as a stranger, based on the theorization of this concept by Zygmunt Bauman7

(p. 300-303). These musings could very well have been developed further, and asociologist would wish for the inclusion of Georg Simmel’s work on the stranger8. Butdespite the distinctly sociological bent of this volume, it is not meant to be read as atreatise on the sociology of Darmstadt – its references remain resolutely musicological,notwithstanding the overt analysis of the social context. But one can only reallyconclude on a note of praise: not only is Iddon’s prose a pleasure to read, but hisanalysis both of the works presented and the discourse surrounding them is deep,insightful, and detailed – for someone familiar with scholarship on Darmstadt and formusicologists, sociologists and anthropologists working on art worlds, or thoseinterested in the sociology of criticism, social constructions of aesthetic hierarchies, orAdorno’s role in new music after World War II.

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NOTES

1. ADORNO, Theodor W., “À propos du problème de l’analyse musicale”, in BUCH, Esteban,

DONIN, Nicolas and FENEYROU, Laurent (eds.), Du politique en analyse musicale , translated by

Martin Kaltenecker, Paris, Vrin, coll. MusicologieS, 2013, p. 31. This is from a lecture Adorno gave

in 1969, wherein he refers to hearing Goeyvaert’s Sonata for two pianos (18 years prior) at

Darmstadt, but we must give credit where credit is due, as Adorno also recognized, in 1961, that

his criticism of this work may have been misplaced (Adorno, cited by Iddon on p. 288-289).

2. For more information on the influence Eunice Katunda had on the work of Nono and Bruno

Maderna, see, for example, the work of Michelle Agnes Magalhães, “The Katunda-Nono

Correspondence (1949-1953): The Role of Eunice Katunda in Luigi Nono’s Formation”, Project

proposal, 2013, online : http://www.bv.fapesp.br/en/bolsas/138078/the-katunda-nono-

correspondence-1949-1953-the-role-of-eunice-katunda-in-luigi-nonos-formation/ [ accessed 20

February 2014], and for a review (in English) of recent scholarship in Portuguese on the subject,

BÉHAGUE, Gerard, “Recent Studies of Brazilian Music: Review Essay”, Latin American Music Review

/ Revista de Música Latinoamericana, Vol. 23, No 2, 2002, p. 235-251.

3. Iddon glosses over the important role played by Karl Amadeus Hartmann in the early years of

Darmstadt, and in the new music scene generally in Germany after World War II. While it is of

course impossible to conduct a detailed analysis of the role of every single actor present in this

historical period, it is surprising to see how little ink Iddon devotes to the figure of Hartmann

(see, for example, ROTH, Alexander, “Rethinking Postwar History: Munich’s Musica Viva during

the Karl Amadeus Hartmann Years (1945-1963)”, The Musical Quarterly, Vol. 90, No 2, 2007,

p. 230-274.).

4. See, for example BUCH, Esteban, DONIN, Nicolas and FENEYROU, Laurent (eds.), Du politique en

analyse musicale, op. cit.

5. Reflections on the artist as critic can be found in work that approaches art worlds from

radically different angles. See, for example, BECKER, Howard S., Art Worlds, Berkeley, University

of California Press, 1982; BORN, Georgina, Rationalizing Culture: IRCAM, Boulez, and the

Institutionalization of the Musical Avant-Garde. Berkeley, University of California Press, 1995; CRAIG,

Ailsa, “Sustainability, Reciprocity and the Shared Good(s) of Poetry”, Journal of Arts Management,

Law and Society, Vol. 37, No 3, p. 257-269, 2007; FRANÇOIS, Pierre, CHARTRAIN, Valérie and

WRIGHT, Stephen, “Les critiques d’art contemporain : Projet de recherche”, Project proposal, La

Délégation aux arts plastiques du Ministère de la culture, 2003, online : http://

pierrefrancois.wifeo.com/projets.php [accessed 10 February 2014]; MECKNA, Michael, “Copland,

Sessions, and Modern Music: The Rise of the Composer-Critic in America”, American Music, Vol. 3,

No 2, p. 198-204, 1985; or MENGER, Pierre-Michel, Le paradoxe du musicien: le compositeur, le

melomane et l’État dans la societe contemporaine , Paris, L’Harmattan, nouv. ed., coll. “Logiques

Sociales”, Serie Musiques et Champ Social, 2001.

6. See, for example, BEAL, Amy C., “Negotiating Cultural Allies: American Music in Darmstadt,

1946-1956”, Journal of the American Musicological Society, Vol. 53, No 1, p. 105-139; and BEAL, Amy C.,

New Music, New Allies: American Experimental Music in West Germany from the Zero Hour to

Reunification, Berkeley, University of California Press, California Studies in Twentieth-Century

Music 4, 2006.

7. BAUMANN, Zygmunt, Postmodernity and Its Discontents, Cambridge, UK, Polity Press, 1997.

8. This can be found in English in SIMMEL, Georg, The Sociology of Georg Simmel, Translated, edited

and with an introduction by Kurt H. Wolff, New York, Free Press, 1964.

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Beate Kutschke, Barley Norton(éds.), Music and Protest in 1968Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2013, 342 p.

Pierre Albert Castanet

RÉFÉRENCE

Beate Kutschke, Barley Norton (éds.), Music and Protest in 1968, Cambridge, New York,Cambridge University Press, 2013, 342 p.

De l’art sonore protestataire en 1968

1 « Parce qu’elle est l’inertie de la divergence, l’histoire – c’est-à-dire le passé qui vit

encore dans le présent – s’oppose presque toujours à la paix et à l’unification de

l’humanité »1, pensait Pierre Lévy. Dans ce sillage, l’art sonore et l’exercice deprotestation ont toujours fait bon ménage. Des partitions savantes relatives aux conflitsarmés aux couplets et refrains revendicateurs de liberté et de justice, les musiciens

« engagés »2 ont souvent accompagné de concert l’adret et l’ubac de l’histoire sociale de

la musique3.

2 Entre rêve et utopie4, entre idéologie et contre-culture5, l’année reine « 1968 » a éclairé

le monde de son phare réprobateur à rayonnement critique. De fait, comme dans touteémancipation, toute révolution, toute illusion, la prise de parole et le slogan, le fredon

et le graffiti sont devenus des principes véhiculaires transparents de premier ordre6. Dureste, l’étymologie du mot « slogan » ne vient-elle pas du gaélique sluagh-ghairm quiveut dire précisément « cri de guerre » ? En réalité, le mélange de discoursdogmatiques et de délires théoriques, de langues de bois et de poésies urbaines, d’idéalde désirs et d’horizon chimérique, de spontanéité positionnelle et d’absence dehiérarchie conceptuelle ont su donner de la teneur et de la densité aux divers supports

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artistiques bigarrés (qu’ils soient textuels ou sonores, sérieux ou caricaturaux,raisonnés ou fantaisistes) reflétant in situ les multiples affects de la crise mondiale.

3 Dans ce cadre émancipateur autant que contestataire, et tant sur le plan géographique

(Europe, Afrique, Asie, Amérique latine, Bloc de l’Est : Tchécoslovaquie, Hongrie,Pologne…) qu’au niveau culturel (Mai 68 en France, musique underground au Japon…) etsociopolitique (Guerre du Vietnam, assassinat de Martin Luther King aux États-Unis…),il était très intéressant de vouloir faire le point sur les noces révolutionnaires de lamusique et de la protestation en cette année mythique et cruciale de 1968. Entresources musicologiques et documentations ethnoculturelles, les deux directeurs derédaction de l’ouvrage Music and Protest in 1968 ont ainsi convoqué une quinzaine despécialistes cosmopolites dont le discours a couvert une pluralité de genres et de stylestrès contrastés, allant de la musique d’avant-garde au free jazz, de la chanson populaire– voire folklorique – à la bande sonore de film, du « chant des barricades » àl’expression brutale du rock anglais, de la ballade traditionnelle à la musique de scène…

4 Si au cœur de ces sixties, le phénomène de déviance7 est devenu quasi statutaire, il est

également de bon ton, à l’époque, de donner dans le registre des conventions bafouéeset de la représentation hors norme. Ainsi, contournant allègrement les lois del’académisme et de la convenance, de la tradition et de la bienséance, tout artisteœuvrant sur la nature des chaînes causales innovantes devait sans aucun doute seconfronter aux divers phénomènes progressifs, performatifs, dérivatifs, privatifs ounégatifs de la création d’underground ou d’avant-garde. Au niveau conceptuel, ont ainsifleuri dans les jardins de l’expression de l’individu ou de la masse, l’action spontanée,l’improvisation collective, l’esprit du gadgeteering – pour prendre un vocableadornien –, l’art sans projets, la chanson à texte politique, l’objet sans modèles, la libreindétermination et l’aléatoire contrôlé, le bricolage hasardeux, les promesses de l’art-

science, les espoirs dans la technologie et tous les efforts de synthèse y affairant8.

5 Entre art sonore et contexte politique (p. 24, 30, 46, 251, 257), entre expression musicale

et alternative idéologique (p. 35, 185, 267), entre science de l’élite et culture du peuple(p. 14, 22, 139, 144, 148, 244), il est d’ailleurs symptomatique de distinguer dans cetouvrage Music and Protest in 1968 combien le préfixe « anti » sert de bouclierpourfendeur dans des domaines aussi variés que le sémitisme (p. 216), l’apartheid(p. 65, 68, 80, 156…), l’autoritarisme (p. 8, 14, 21, 117, 144, 153, 180, 191, 195, 240, 261…),le capitalisme et la commercialisation (p. 144), l’université (p. 180) ou la guerre (p. 51,82, 87, 93, 95, 98, 110, 117…).

6 En outre, en dehors des rapports communautaires privilégiant les nouveaux royaumes

de l’esprit (transports relatifs au sexe ou à la drogue : p. 3, 21, 23, 182, 223), l’étude desrapports de classes (p. 2, 15, 31, 36, 41, 42, 148, 172, 195, 206, 265) et de générations(p. 5, 12, 19, 22, 27, 32, 82, 47, 61, 67,100, 109, 129, 158, 184, 188, 190, 207, 216, 232, 249),des relations de genre (homme / femme : p. 11, 223, 226, 229, 232, 236) comme del’antagonisme de race (noire / blanche : p. 46, 51, 54, 60, 65, 68, 80, 173…) a émaillé à lafois une conscience tapissée d’inégalité et d’absence de liberté (p. 208) et une volonté dequête de respectabilité, voire de pouvoir (p. 46, 59).

7 À la croisée de la musicologie et de la sociologie, voire de l’analyse musicale et de

l’ethnologie, les divers approfondissements universitaires s’immiscent inévitablementdans les domaines périphériques de l’anthropologie politique et des sciences del’éducation. Dans ce cadre diversifié, malgré une articulation en 15 chapitres sommetoute complémentaires (et parfois – avouons-le – inattendus, comme les épisodes

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regardant la Chine, Cuba et le Chili), on pourra néanmoins déplorer un manqued’informations sur ce qui se passait en temps et lieu en Union soviétique ou au Brésil,par exemple... En l’occurrence, l’ouvrage n’étant pas une encyclopédie, la volontéd’exhaustivité montre évidemment ici ses limites.

8 Toutefois, mises à part de (trop) rares reproductions de chansons vietnamiennes ou

chinoises et présentations de partitions de King Crimson ou de Cornelius Cardew, lelivre broché paraît au prime abord de présentation assez austère. De plus, si Luigi Nono,Luciano Berio ou Karlheinz Stockhausen paraissent en bonne place dans le hit-paradedes pionniers de l’expérimentation, il est sans doute à regretter l’absence d’autrescompositeurs « engagés » vis-à-vis de la société soixante-huitarde européenne, commeles figures emblématiques de Helmut Lachenmann (avec notamment Air pourpercussion et orchestre) ou de Bernd Alois Zimmermann (avec son Requiem pour un

jeune poète) – pour ne parler que des artistes allemands…

9 Enfin, même si la bibliographie reste – elle aussi – non exhaustive (mais pourrait-il en

être autrement ?), cet ouvrage sérieux et singulier, chevillé au corps de l’année 1968 (àl’instar des études ciblées sur un « point isolé » réalisées par les sociologues), est d’oreset déjà à considérer comme la bible du genre, étant le seul à s’être aventuré dans lesméandres sociopolitiques de l’expression musicale populaire et savante, sous l’angled’une sociologie de type statique mais d’aura quasi-mondiale.

NOTES

1. LÉVY, Pierre, World Philosophie, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 47.

2. Cf. VANDER GUCHT, Daniel, Art et Politique - Pour une redéfinition de l’art engagé, Bruxelles, Labor,

2004, p. 11-30.

3. Dans ce domaine, on pourra lire : CASTANET, Pierre Albert, Tout est bruit pour qui a peur – Pour

une histoire sociale du son sale, Paris, Michel de Maule, 2007, [1re éd. 1999], p. 22-25, p. 219-222… Et

en complément, du même auteur : Quand le sonore cherche noise – Pour une philosophie du bruit,

Paris, Michel de Maule, 2008, p. 27, 125, 167, 299…

4. Cf. TOURAINE, Alain, Le mouvement de mai ou le communisme utopique , Paris, Seuil, 1968. En

complément, lire d’Ernst Bloch, L’esprit de l’utopie, Paris, Gallimard, 1977.

5. Cf. GINTIS, Herb, « Contre-culture et militantisme politique », in Les Temps Modernes, N° 295,

février, 1971, p. 1400-1428. Prière de consulter également : Christine Saint-Jean-Paulin, La Contre-

culture – États-Unis, années 60 : la naissance de nouvelles utopies, Paris, Éditions Autrement, 1997. Lire

aussi de ROBERT, Frédéric, La Révolution hippie, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011. En

complément : Volume !, Vol. 9, N° 1, « Contre-cultures – Théories et scènes », 2012. Dans ce

registre, Raymond Ruyer ira jusqu’à parler d’« anti-utopie » (L’utopie et les utopies, Paris, Presses

Universitaires de France, 1950 [réimprimé : Brionne, G. Montfort, 1988]).

6. Pour mémoire, consultez de Pierre Albert Castanet : « Impacts et échos des événements de

1968 dans la musique populaire et la musique savante », in Les Cahiers du CIREM, N° 14-15, 1989

p. XII ; « 1968 : Les mouvances d’une révolution socio-culturelle populaire », in HENNION,

Antoine (éd.), 1789-1989. Musique, Histoire, Démocratie, Vol. 1, Paris, Fondation de la Maison des

Sciences de l’Homme, 1992, p. 143-152 ; « 1968 : A Cultural and Social Survey of its Influences on

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French Music », in Contemporary Music Review, Vol. 8, Part 1, 1993, p. 19-43 ; « Rêver la révolution,

Musique & politique autour de mai 1968 », in FENEYROU, Laurent (dir.), Résistances et utopies

sonores, Paris, CDMC, 2005, p. 131-148 ; « Musique et Société – Le bruit de fond soixante-huitard »,

in Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société, N° 7, 2008. À lire sur : http://

revues.mshparisnord.org/filigrane/index.php?id=223 (dernière consultation : janvier 2014).

7. Cf. OGIEN, Albert, Sociologie de la déviance, Paris, Armand Colin, 1995.

8. Voir dans Music and Protest in 1968 l’article du musicologue Kailan R. Rubinoff portant

notamment sur les instruments anciens et les nouvelles technologies (chapitre 14).

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Morag J. Grant and Férdia J. Stone-Davis (éds.), The Soundtrack ofConflict: The Role of Music in RadioBroadcasting in Wartime and in ConflictSituationsHildesheim, Georg Olms Verlag, 2013, 253 p.

Huw Hallam

RÉFÉRENCE

Morag J. Grant and Férdia J. Stone-Davis (eds.), The Soundtrack of Conflict: The Role of

Music in Radio Broadcasting in Wartime and in Conflict Situations, Hildesheim, Georg OlmsVerlag, 2013, 253 p.

1 The Soundtrack of Conflict, a new anthology edited by M. J. Grant and Férdia J. Stone-

Davis, explores the presence of radio music broadcasting in war and conflict situations.The book comprises papers from a 2011 conference organised by Göttingen University’s“Music, Conflict and the State” research group. Fifteen short chapters approach thetopic from myriad angles, presenting case studies from the second World War throughto the present, crossing three continents: Europe, Asia and Africa1. While manycontributors have recently completed musicology doctorates, others have backgroundsin law, anthropology, history and mass media studies, giving the book a highlyinterdisciplinary feel.

2 Two areas of concern prominent in recent music scholarship converge in the book’s

main topic: an interest in how musical experience has been transformed in the lastcentury through the technological media that support and shape it2; and an interest insound’s use for violent ends3. Thus, despite the editors’ meek defence of their work as

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helping to “reduce a gap in the research literature” (p. 9), their topic will be of interestto a wide range of music scholars. The book’s breadth notwithstanding, though, The

Soundtrack of Conflict reads more as an exploratory departure than a culminatingsynthesis of research, methods and ideas.

3 A key difficulty faced by researchers examining political uses of music (in general) and

radio broadcasting (specifically) is flagged in the editors’ introduction. “[W]hendiscussing the impact of music in radio broadcasting”, they note, “we should be wary ofexplanations that presuppose a unidirectional, cause-and-effect model of musicalcommunication” (p. 10). This warning echoes a point raised often enough in musicscholarship to be treated as a first-order methodological problem. Music evidently doesnot do or say the same things to everyone. Broadcasting strategies and listeners’responses do not always align. Reconstruction of what transpires at both ends of atransmission is needed if its political quality is to be assessed – and gathering thearchival traces to do that may be impossible in contexts raked over through civil war orimperial conquest.

4 Rarely do scholars grapple productively with the indeterminateness of music’s effects.

It is registered in barely a handful of chapters: notably, Inna Klause’s discussion ofresponses to music used in the Soviet Gulag cultural re-education broadcasts; andKatherine Baber’s observations about listeners to the Zero Hour radio programmebroadcast from Tokyo during the Second World War and their ability to discountcertain aspects of what they heard while taking pleasure from others. In a rich andthought provoking examination of the International Criminal Tribunal of Rwanda’s(ICTR) 2006-08 trial of musician Simon Bikindi for incitement to genocide, James Parkerpoints to an imbalance between the Tribunal’s perception of the symbolic importanceof Bikindi’s role in the events of 1994 and its failure to find adequate ways to measureand appraise that role. The courtroom played out a pattern typical of writing on musicand politics, whereby conviction that music can do significant political work trumpsacknowledgement of the methodological issues involved in establishing what that workactually is.

5 The editors’ introduction highlights two familiar ways of thinking about music in

political terms: as it contributes to constructing identity, and as a medium formanaging emotions (affects). Additionally some essays treat music simply as a vehiclefor ideologically resonant messages, possibly framed through a broadcaster’sprogramming approach. What is startling is the number of different levels – at leastseven – within the broadcast situation at which the anthology’s contributions addresspolitical elements. (Disappointingly, there is no concluding statement to clarify whatthe individual chapters might reveal collectively.)

6 The first level looks to the lyrics. This is the most obvious, but also potentially

deceptive, site for the political in music. It is the level the ICTR largely failed to getbeyond; and several chapters concentrate their discussions here. The next leveladdresses the patchwork of symbolic elements in the musical fabric. Again music istreated as a message to be read; though one senses from some chapters that subtlehermeneutic interpretation has little place in contexts torn apart by rape andbloodshed.

7 Thirdly, the analyst asks what musical sound does. Music is regarded as an agent of

“affect” and able to shape its listeners’ comportment. Paul Richards, examining rebelmilitary practices in Sierra Leone, speculates about using neurology to explain how

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music structures “effervescent forms of collective action” (following Émile Durkheimand Maurice Halbwachs) (p. 185-186). He considers how rhythmic regularity in militarymusic serves co-ordinated action during combat (via drills) when emotion might easilyeclipse strategy. Chen-Ching Cheng tells a very different story about the piratebroadcasting, in China, of Taiwanese pop singer Teresa Teng leading up to theTiananmen Square massacre. Though more is said about the lyrics of Teng’s songs thantheir musical qualities, an argument is made that broadcasting them into mainlandChina introduced affective elements that altered the Chinese Communist Partyideology’s traction.

8 It matters also who the musicians are. At a fourth analytic level, questions of identity

arise relating to how musicians are enlisted in the construction of traditions – often forplumping up patriotism. At a fifth, related level, who the musicians are matters becausewho is on whose side is being established: who are “our” friends? who is alreadycomplicit? Part of the Teng broadcast’s power in Tiananmen Square was that itexpressed solidarity, locating the protesters and celebrity as allies. Differently, Karinele Bail, addressing music in Vichy France, tells how the radio came to register,synecdochically through the performing artists it broadcast, the growing collaborationbetween France and Germany.

9 Two final levels relate to programme structuring and dissemination. Just as the radio

projects allegiances between political “friends”, programming projects correlationsbetween different forms of musical and non-musical content. The effectiveness of suchprojections – though important as most rightly assume them to be – is not self-evident,however. Baber, as noted, suggests that for the Tokyo Zero Hour programme’s listeners,dissociating pleasure from politics was par for the course. Beau Bothwell makes a moreunusual (though certainly insightful) argument about US music broadcasting in theMiddle East through Radio Sawa, conjecturing that Radio Sawa’s programme format, inaddition to linking Arabic and Western songs as if in harmonious multiculturalconfraternity, constructs its audience in a particular way, shaping how it “consumes”the music and potentially its approach to consumerism more generally.

10 Of course, first the production of listening must occur at a more rudimentary level:

through the set up, distribution and operation of transmitters and receivers – theorganisation of how the formatted “content” is disseminated. Observing how in mostrecent coups d’état in Nigeria the state radio system has been appropriated tobroadcast martial music, Oluwafemi Alexander Ladapo suggests counting this as anearly warning of violent conflict. It is a pity, the anthology as a whole does not engagemore with the technical side of broadcasting – particularly pirate and so-called blackbroadcasting – in conflict zones.

11 The sheer diversity of approaches and foci in The Soundtrack of Conflict works in two

directions. It exposes just how complex and multi-dimensional the political work doneby radio music broadcasting can be. But this in turn highlights how narrow the analyticpurview of the individual chapters often is. Few consider more than two or three of theseven levels outlined above. No doubt, this reflects their brevity and the anthology’sformat (most chapters have fifteen or fewer pages of text, some under ten). Few alsoengage in theory building. Given the potential difficulties of reconstructing preciselyhow a particular approach to music broadcasting has functioned in a particular conflictsituation, developing theory to guide interpretation and highlight variables and

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unknowns is necessary to advance research beyond simply affirming that the radio andmusic are frequently present and implicated in conflict situations.

12 If one of the most attractive aspects of this collection is its internationalism, desirable

in a future project would be a more comparative approach, giving a greater sense ofradio’s geography: of how its use differs regionally and with regime style (democratic,neoliberal, totalitarian, etc.), and of its use as a technology of cultural imperialism(some chapters already move in this direction). A further issue is that radio is now anold (though by no means obsolete) technology in an increasingly complex medialandscape. The internet, and the various forms of radio-like music dissemination thatrely on it, must, I think, push us to change our conceptualisation of music broadcasting.The internet changes the rules, both technologically and with respect to the legal andgeo-political framing of broadcasting. The Format changes. The who of the broadcasterchanges. Censorship mechanisms change. The possibilities open to the listener change.Yet this is also why scholarship of the kind showcased in The Soundtrack of Conflict, farfrom being redundant, is now so important. New protocols remain to be fought for.New practices of resistance remain to be developed. Research and analysis must helpbridge lessons learnable from the old to a future under construction.

NOTES

1. Not five, as the book’s blurb promises. Two chapters also relate to North American initiatives

in Africa and West Asia.

2. See especially, STERNE, Jonathan, The Audible Past: Cultural Origins of Sound Reproduction,

Durham, Duke University Press, 2003; STERNE, Jonathan, MP3: The Meaning of a Format, Durham,

Duke University Press, 2012; BORN, Georgina (ed.), Music Sound and Space: Transformations of Public

and Private Experience, Cambridge, Cambridge University Press, 2013; and BULL, Michael, Sound

Moves: iPod Culture and Urban Experience, London, Routledge, 2011.

3. See especially, GOODMAN, Steve, Sonic Warfare: Sound, Affect, and the Ecology of Fear, Cambridge,

Ma., The MIT Press, 2010; and CUSICK, Suzanne G., “Music as Torture / Music as Weapon”, in

Trans – revista transcultural de música, Nº 10, 2006 (available at: http://www.sibetrans.com/trans/

a152/music-as-torture-music-as-weapon, accessed: 14/3/2014).

INDEX

Keywords : music, armed conflicts, radio, broadcasting, war

Mots-clés : musique, conflits armés, radio, radiodiffusion, guerre

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AUTEUR

HUW HALLAM

Huw Hallam has recently completed a PhD in music history and theory at King's College London.

His research engages with a wide range of modern and contemporary music, sound art, and

visual cultures, often focusing on their political dimensions and how they engage with

temporality.

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Márta Grabócz (dir.), Les opéras dePeter Eötvös entre Orient et OccidentParis, Éditions des archives contemporaines, 2012, 174 p.

Béatrice Ramaut-Chevassus

RÉFÉRENCE

Márta Grabócz (dir.), Les opéras de Peter Eötvös entre Orient et Occident, Paris, Éditions desarchives contemporaines, 2012, 174 p.

1 La musicologie de langue française a donné en 2012 deux ouvrages importants pour la

connaissance des opéras du compositeur Peter Eötvös : d’une part, le collectif dirigé parMárta Grabócz Les opéras de Peter Eötvös entre Orient et Occident et d’autre part, lesEntretiens autour des cinq premiers opéras de Peter Eötvös d’Aurore Rivals1. Les deux livresne sont pas étrangers l’un à l’autre puisque c’est à Aurore Rivals qu’a été confié lepremier chapitre du livre de Márta Grabócz. Mentionnons que, déjà en 2007, unouvrage plus généraliste avait été consacré au compositeur hongrois à la suite d’uncolloque tenu en sa présence à la Hochschule für Musik de Bâle2. Publié en allemandsous la direction de Michael Kunkel, il contenait divers entretiens, une section intitulée« Kontext » comprenant quatre articles, une autre en comprenant cinq sur diversesœuvres allant de Kosmos à Trois sœurs, et la transcription d’une table ronde sous le titre« Musik aus einem Guss ».

2 Le succès du Hongrois Peter Eötvös né en 1944, longtemps connu comme remarquable

chef d’orchestre plus que comme compositeur malgré un catalogue déjà très vaste3, aété fulgurant après la création de sa première œuvre lyrique il y a quinze ans. Si les sixopéras qu’il a composés à ce jour sont entrés au répertoire en Europe et en Amériquedu Nord, il faut souligner que les quatre premiers ont un lien particulier avec la Franceoù ils ont été commandés et créés : Trois Sœurs (Opéra de Lyon, le 13 mars 1998, enrusse) ; Le Balcon (Festival d’Aix en Provence, le 5 juillet 2002, en français) ; Angels in

America (Théâtre du Chatelet, le 23 novembre 2004, en américain) ; Lady Sarashina

(Opéra de Lyon, le 4 mars 2008, en anglais). Trois opéras sont par ailleurs actuellement

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en commande (pour Vienne, Francfort et New York4), c’est dire la pertinence qu’il y a às’intéresser à l’œuvre scénique d’un compositeur si fécond.

3 Márta Grabócz, membre de l’IUF, responsable de l’axe de recherche « Approches

sémiotiques et esthétiques de l’acte musical » du LABEX GREAM (Université deStrasbourg), s’entoure pour cette publication de cinq musicologues ayant tous déjàsigné des travaux sur les opéras d’Eötvös. Alors que le titre ne le précise pas, quatreopéras seulement sont présentés dans ce volume. Il ne s’agit pas des quatre premiersmais de Trois Sœurs, Angels in America, Lady Sarashina et Love and Other Demons (Festivalde Glyndebourne, 10 août 2008, anglais, espagnol, latin, yoruba). Après uneintroduction de Márta Grabócz, le chapitre d’Aurore Rivals traite de « La constructiondes livrets », puis quatre chapitres – que Márta Grabócz qualifie à juste titre d’essais(p. 5) – abordent chacun des opéras : Marie Laviéville-Angelier, « Trois sœurs ou l’art del’épure » ; Kristina Megyeri, « Les projections du présent dans Angels in America » ;François-Gildas Tual, « Lady Sarashina “À la recherche d’un monde perdu” » ; Jean-François Boukobza, « Love and other demons un théâtre pour l’intelligence ». L’ouvrageest complété par un « catalogue des opéras et genres apparentés », des « orientationsbibliographiques, discographiques et filmiques », ainsi que les « notices biographiquesdes auteurs ».

4 Alors que l’œuvre de Peter Eötvös, fondé conjointement sur un attachement à la

musique comme langue et à la langue comme musique, est tout entier une célébrationde la voix humaine, Márta Grabócz aborde avec pertinence son introduction (p. 1-6) parles thèmes contenus dans les livrets, soulignant leur richesse et la diversité de leurprovenance géographique. Elle rappelle que la Hongrie a été qualifiée par l’un de sespoètes, Endre Ady, « de “pays-bac” (pays navette) oscillant sans cesse entre Orient etOccident », expliquant ainsi l’aisance avec laquelle Eötvös passe de l’un à l’autre et letitre du livre. L’universalité de la musique de ce « citoyen du monde5 » s’expliquerait-elle également ainsi ? Des propos recueillis par Marie Lavieville, repris par François-Gildas Tual (p. 102) rendent compte avec plus d’acuité encore d’une convergence entreOrient et Occident dans l’identité hongroise même. Eötvös dit en avoir eu la révélationlors de son voyage au Japon avec Stockhausen en 1970 : « J’y ai trouvé une certaineconnexion avec la mentalité des paysans hongrois. Leur comportement est très proche,il semble y avoir une parenté qui m’a encore plus frappé lorsque je suis retourné enHongrie. C’est peut-être parce que nous avons une racine commune, nos ancêtresvenaient de Mongolie… ». Si Eötvös est un passeur entre différents pays, il l’est aussientre différentes langues et différentes époques. Márta Grabócz mentionne ensuite despoints communs qui relieraient les livrets des quatre opéras, malgré leur diversité. Elleen discerne deux. Les livrets traiteraient tous « d’un moment relativement chaotiquede l’histoire, d’une crise survenant pour clore une époque d’équilibre ou d’un âge d’oren voie de disparition » (p. 2) ; ils feraient tous appel à « La présence des forcessurnaturelles, cathartiques ou transcendantes » (p. 3).

5 Le chapitre sur « La construction des livrets » (p. 7-36) revient donc à Aurore Rivals –

auteure de Peter Eötvös, le passeur d’un savoir renouvelé. Pour une archéologie de la

composition ou dix ans d’opéra (thèse soutenue à Paris-Sorbonne, 2010). Elle montre que letravail musical commence dès la fabrication du livret, « ce lien incontournable entrelittérature et musique » (p. 7), mais aussi ce lieu où se reflètent les contraintesformelles, administratives et économiques de la commande quant à l’effectif orchestral,au nombre de chanteurs et à leurs tessitures ou encore quant à la durée de l’œuvre.

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« L’aspect pragmatique prédomine dans la démarche sélective » du compositeur-chefd’orchestre. Quant au choix des auteurs et des textes – Anton Tchekhov pour Trois

Sœurs, Tony Kushner pour Angels in America, un nikki millénaire pour Lady Sarashina,Gabriel García Márquez pour Love and other demons – Aurore Rivals affirme qu’« [Eötvös]choisit le texte en fonction des caractéristiques de la maison d’opéra pour laquelle ilécrit : la portée sémantique et symbolique du texte doit s’accorder au public, au profilet au style de chaque institution » (p. 7-8). L’auteure livre les résultats de ses analysesen des tableaux synthétiques très clairs qui donnent à voir tout au long de l’articlel’organisation des livrets et les prélèvements effectués sur les œuvres littérairesoriginales. Ces dernières incarneraient respectivement « Le temps de la désagrégation »pour Trois sœurs, « Le théâtre de l’apocalypse » pour Angels in America, « La vie-fiction »pour Lady Sarashina, « Le roman-fantasme » pour Love and other demons. Pour AuroreRivals, « Peter Eötvös hisse au statut de mythe des hommes et des femmes ordinaires ouextraordinaires ». Ainsi, la question du sujet des livrets rejoint celle de la transmissiondes opéras et Aurore Rivals en vient à interpréter leur réception. Par ses opéras, Eötvösferait un « don du mythe aux générations futures » pour « donner l’envie de jouer samusique et de la transmettre » (p. 36). L’auteure suggère en outre, dans le cas de Trois

sœurs, que « l’ouvrage lyrique serait la “représentation intemporelle” de la pièce dethéâtre qui se déroule chronologiquement », proche de l’intentio augustinien (p. 17).Dans cet excellent chapitre, deux points mériteraient précision. Lorsqu’Aurore Rivalsconstate (p. 8) l’absence de tension téléologique dans les quatre livrets, et affirme pourcela que « le vocable “acte” ne figure dans aucun des quatre opéras », préférant ceux de« séquence » ou de « partie », n’y a-t-il pas contradiction avec l’information exactedonnée p. 168 que Love and other demons est en deux actes ? Par ailleurs, si lecompositeur participe activement à l’élaboration des livrets, il ne s’en dit cependantjamais le seul auteur. D’après les partitions, C.H. Henneberg et Peter Eötvös sont co-auteurs de celui de Trois sœurs, Mari Mezei – femme de Peter Eötvös – est auteure deceux d’Angels in America et de Sarashina, et Kornél Hamvai auteur de celui de Love and

other demons. N’est-ce pas inexact d’écrire qu’Eötvös « confectionne lui-même [leslivrets] aux côtés de son épouse » (p. 32), sans même jamais nommer cette dernière ?

6 Alors que les publications musicologiques sont déjà nombreuses sur l’opéra inaugural

Trois sœurs, Marie Laviéville – auteure de L’Esthétique de Peter Eötvös, une dramaturgie de la

relation (thèse soutenue à Lille en 2010) – en propose une analyse transversale efficaceet minutieuse, étayée par trente exemples musicaux, huit schémas synthétiques et desfragments d’entretiens avec le compositeur (p. 37-75). Des possibilités dramaturgiquesoffertes par le « principe d’association systématique donnant à chaque personnage unavatar instrumental », à la « recherche approfondie en matière de typologie vocale »dans cet opéra où le trio des sœurs est incarné par trois voix d’hommes, en passant parles « clés de compréhension harmonique » et les « sonorités » mises en place dès leprologue, ou encore par l’exposé des « réitérations musicales à fonction symbolique »que sont entre autres les motifs, Marie Laviéville recense les moyens musicaux de lacohésion dramaturgique de cet opéra écrit sur un livret russe avec la collaboration duchorégraphe japonais Ushio Amagatsu grâce auquel Peter Eötvös dit avoir surmonté sa« peur du geste opératique » (p. 39). Sont ainsi abordés successivement les pointssuivants : « Une caractérisation instrumentale », « Une vocalité individualisée », « Unmatériau générateur et signifiant », « La répétition au service de la dramaturgie », « Undiptyque amoureux, le cycle des déclamations et des adieux » et « La postérité musicale

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de Trois sœurs » dans des œuvres orchestrales ou de musique de chambre ducompositeur lui-même.

7 Kristina Megyeri – auteure de Dramaturgie(s) des anges : temporalité, identité et la place du

corps dans Angels in America de Peter Eötvös (master 2, Paris-8, 2006) – restreint sonapproche d’Angels in America à la question de la temporalité et de la « présence », ausens de projection du temps présent (p. 77-95). Selon Kristina Megyeri, les qualités desdifférents temps « présents » vécus par les protagonistes sont liées aux rapports qu’ilsétablissent avec l’Ange. Elle se donne pour but de « saisir brièvement les relations duterme présent avec les vastes possibilités d’imaginaire qui en résultent, puis [d’]essayerd’en catégoriser les modes de perception reliés aux réalisations musicales » (p. 78). Elleoppose un présent vivant à un présent totalement régi et déformé par le passé (id.). Lesréférences théoriques de Kristina Megyeri ne sont pas toujours précises pour le lecteur.Celle à Walter Benjamin (Sur le concept d’Histoire6) ne se fait explicite que tardivement, etKristina Megyeri n’hésite pas à s’en écarter, par exemple quand elle parle d’un « tempsen boucle » correspondant à un « état où le passé ne serait pas “digéré” ». Elle pose que« la ligne philosophico-dramaturgique de la thématique se différencie entre les deuxactes7 » (p. 82). Le premier serait une « introduction au présent transcendant », lesecond une « démythification du transcendant ». Kristina Megyeri opère unedistinction entre le présent intense, le présent transcendant, le présent terne, et leprésent ruiné. Dans cette logique, le premier acte serait celui du présent subjectif ouencore du présent imparfait marqué à la fois par la découverte que Prior fait de samaladie – il est atteint du sida – et par la Voix de l’Ange qu’il commence à entendre(voir p. 86 le tableau récapitulant les apparitions de l’Ange). Le second actedésenchanterait en revanche ces visions et « se focalise[rait] sur une vision utopique del’à-présent benjaminien » (p. 82). L’apparition de l’Ange est désacralisée. Prior affirmeviolemment sa simple et forte volonté de vivre. Il rend le Livre des Prophètes et refuse savocation. Saluant la grande ouverture de Peter Eötvös sur son temps, Kristina Megyerien vient à conclure que « la musique d’Angels in America se situe quelque part entre lamusique de film, la musique de scène, l’opéra romantique et la comédie musicale »(p. 94). Cet essai ouvre des perspectives intéressantes sur l’opéra dont le succès le plusgrand a été remporté sur le continent nord-américain, mais il laisse dans l’ombre desaspects musicaux remarquables, malgré les huit extraits de partition donnés enexemple.

8 François-Gildas Tual – auteur de « Les scènes rêvées de Peter Eötvös, actions musicales

et théâtre de l’inaction », Les relations musique-théâtre : du désir au modèle, l’Harmattan,2010, p. 175-186 – signe l’étude sur Lady Sarashina (p. 97-125). Son texte est accompagnéde huit exemples musicaux et de huit figures synthétisant des points d’analyse dontcertaines sont fondées sur des documents sources transmis par le compositeur lui-même. François-Gildas Tual s’attache à replacer les opéras d’Eötvös dans une histoiredu genre allant de Monteverdi à Puccini, de Britten à Hosokawa. Comme l’ensemble descontributeurs de ce volume, il s’intéresse d’abord au livret, le rapprochant par exemplede celui de Da Gelo a gelo de Salvatore Sciarrino (2006) également fondé sur le journald’une Japonaise du XIe siècle, le comparant aussi à d’autres opéras d’Eötvös dont Die

Tragödie des Teufels (Munich, février 2010) pour pointer « une même façon d’édifier lethéâtre sur des rôles qui sont moins des personnages que des idées de personnages »(p. 97). François-Gildas Tual évoque ensuite les « Inspirations japonaises » ducompositeur dont As I Crossed A Bridge Of Dreams que l’opéra entier remploie. Il analyseles structures littéraires et musicales des neuf scènes de l’opéra en référence aux

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« Songes, souvenirs et contemplations », montrant comment « la dramaturgie, sedétournant du déroulement chronologique, fait l’expérience de la lenteur, se soumetaux sauts prospectifs ou rétrospectifs, jusqu’à pouvoir concentrer toute une vied’attente dans un court instant de prospection » (p. 105). Il s’intéresse au« Dédoublement », catégorie qui concerne aussi bien les situations dramatiques, lematériau musical, les costumes, les rôles, que les liens entre voix et instruments. Quantà la « Conscience du temps », tissée dans le livret par un lien fort à la nature, auxsaisons, aux heures du jour, mais aussi au passé précis ou imprécis de Sarashina,François-Gildas Tual montre qu’elle est mise en œuvre musicalement à la fois par unegrande maîtrise des cheminements harmoniques subtils, par une gestion de l’espace etpar un contact constant entre sons naturels et sons artificiels. Si François-Gildas Tualclôt sa contribution avec des « Remarques d’un spectateur (Miroirs) », ce ne sont pas lessiennes, mais celles d’Eötvös lui-même : « Je suis compositeur mais je me considèreavant tout comme un spectateur et je cherche donc à faire quelque chose quifonctionne pour les auditeurs » (p. 125).

9 Jean-François Boukobza – auteur du « Guide d’écoute », Trois Sœurs, L’Avant Scène Opéra,

n° 204, septembre-octobre 2001 – « entend, modestement, proposer à la fois unedécouverte de [Love and other demons] et offrir une première tentative de réponse » à la« question des moyens mis en jeu » pour « marier le fameux “réalisme magique” deGabriel García Márquez avec le goût de Peter Eötvös pour un théâtre psychologiquemêlant intériorisation et distanciation ». Il réussit pleinement sur les deux tableaux endonnant à lire une étude très bien documentée, illustrée de treize exemples musicaux,de quatre tableaux et deux annexes (p. 127-164). Après avoir passé la nouvelle de GarcíaMárquez au triple prisme de la « polysémie », de la « luxuriance » et de « l’amour… »(p. 127-128), Jean-François Boukobza aborde la confection du livret c’est-à-dire larestructuration, la stylisation et l’interprétation du texte initial. Si « le texte a changéconstamment jusqu’à la phase même de la composition musicale » (p. 133), « l’ensembleemprunte sa conception au cinéma » et « aux techniques de montage rapide ». Alorsque la grande forme est rythmée par des retours de motifs (le cryptogramme de SiervaMaria, le motif du rêve, le chant d’oiseau, la prière en latin, le poème de G. de la Vegaen espagnol), l’enjeu de l’analyse de Jean-François Boukobza est cependant de montrerque « le risque de rhapsodie est évité par un travail organique extrêmement élaboré »(p. 132), un travail qu’il nomme une « Unité de l’inconscient auditif » (p. 137). Jean-François Boukobza montre que le cryptogramme, « chargé d’une dimensionspéculative », génère le tissu harmonique entier de la pièce à l’exception de rarestextures ou épisodes. Sa mélodie fait office de réservoir harmonique/intervallique(p. 137-140). Il montre que la recherche d’homogénéité relève aussi d’une volontéexplicite d’euphonie et de synesthésie. Le ton gris-bleu qui domine la mise en scèneentre volontairement en résonance avec les sonorités argentines qui enveloppentl’opéra. La dernière partie de l’article confronte l’écriture spécifique du compositeuraux formes historiques du genre, respectées et transgressées : récitatif, air, air de folie,duo amoureux. Jean-François Boukobza aboutit enfin à l’idée que cet opéra est « Unthéâtre du silence » (p. 163), dans lequel la musique donne à entendre – pour les oreilleset pour l’esprit – sans nul besoin d’emphase les non-dits du livret, suscitant « unelecture polysémique en faisant appel à l’intelligence et à l’instinct du spectateur ».

10 Les essais originaux que rassemble ce livre contribuent donc vraiment à la

connaissance d’« Un théâtre dont il est difficile de faire l’économie aujourd’hui »

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(p. 164). Le lecteur-auditeur reste dans l’attente d’un second volume qui viendraitcompléter utilement celui-ci en présentant d’autres œuvres lyriques de Peter Eötvös.

NOTES

1. Paris, Éditions Aedam Musicae, 2012.

2. KUNKEL, Michael (éd.), Kosmoi, Peter Eötvös an der Hochschule für Musik der Musik-Akademie der

Stadt Basel - Schriften, Gespräche, Dokumente, Saarbrücken, PFAU-Verlag, 2007, 332 p.

3. Lire à titre d’exemple l’article déjà ancien de ALBÈRA, Philippe, « Entretien avec Peter Eötvös »,

in Contrechamps-Festival d'Automne, Paris, 1989, p. 120-125. Alors qu’Albèra interroge Eötvös

sur les bons compositeurs de sa génération, Eötvös répond seulement en tant que chez

d’orchestre : « chaque année, je lis environ mille partitions. Dans une composition, je recherche

par exemple : une conception sonore précise, une capacité formelle, une connaissance des

instruments, une force « dramatique » du discours, une conception de l’articulation. Ces deux

dernières qualités manquent la plupart du temps ».

4. Voir http://eotvospeter.com/commissions

5. Article de HALASZ, Peter, « Peter Eötvös, un Sekler citoyen du monde », Théâtre du Châtelet,

programme de salle, 2004, p. 96-101.

6. BENJAMIN, Walter, Sur le concept d’histoire, Œuvres III, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais »,

2000, p. 427-444. Trad. française M. de Gandillac, R. Rochlitz et P. Rusch de « Ûber der Begriff der

Geschichte », Gesammelte Schriften, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp Verlag, 1974, t. I (2),

p. 691-704.

7. Remarquons qu’ici, Kristina Megyeri introduit de façon inexacte des « actes » dans Angels in

America là où il ne s’agit assurément que de « parties ».

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