Edward Said ou la musique comme élaboration

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accueil > Numéros de la revue > L'individuel et le collectif dans l'art > Edward Said, ou la musique comme élaboration Sonia Dayan-Herzbrun mai 2011 Résumé | Plan | Texte | Notes | Citation | Auteur | a | A Résumés Français English Résumé Intellectuel critique partageant avec Theodor Adorno la condition d’exilé permanent, l’écrivain palestinien Edward Said semble n’avoir trouvé de lieu stable que dans la musique, où peut se dérouler le fil de sa propre histoire, de la construction de son « Je ». La musique devient pour lui maîtrise du temps et conjuration de la mort. Mais l’auteur de l’Orientalisme a été peu à peu conduit à s’interroger sur les usages sociaux et politiques de la musique classique qu’il analyse à l’aide du concept d’élaboration qu’il emprunte à Gramsci, en s’attachant avant tout aux conditions d’interprétation et d’exécution des oeuvres. La musique possède ainsi des éléments transgressifs et nomadiques. La thèse selon laquelle toute interprétation est une réinterprétation permet à Said de développer une approche de l’œuvre de Wagner, qu’il partage avec Daniel Barenboim dont la rencontre a été pour

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Edward Said, ou la musique commeélaborationSonia Dayan-Herzbrun

mai 2011Résumé | Plan | Texte | Notes | Citation | Auteur | a | ARésumés

   

Français EnglishRésumé

Intellectuel critique partageant avec Theodor Adorno lacondition d’exilé permanent, l’écrivain palestinien EdwardSaid semble n’avoir trouvé de lieu stable que dans lamusique, où peut se dérouler le fil de sa propre histoire,de la construction de son « Je ». La musique devient pourlui maîtrise du temps et conjuration de la mort. Maisl’auteur de l’Orientalisme a été peu à peu conduit às’interroger sur les usages sociaux et politiques de lamusique classique qu’il analyse à l’aide du conceptd’élaboration qu’il emprunte à Gramsci, en s’attachantavant tout aux conditions d’interprétation et d’exécutiondes oeuvres. La musique possède ainsi des élémentstransgressifs et nomadiques. La thèse selon laquelle touteinterprétation est une réinterprétation permet à Said dedévelopper une approche de l’œuvre de Wagner, qu’ilpartage avec Daniel Barenboim dont la rencontre a été pour

lui très importante, lui donnant l’occasion d’établir unlien entre ses prises de position politiques sur laquestion palestinienne et son amour de la musique, avecsurtout la création de l’orchestre du Divan Occidental-Oriental. La musique peut alors se réaliser commequintessence de l’humanisme.Abstract

Palestinian critic and writer Edward Said shared with Adornothe status of permanent exile. It seemed that the only placewhere Said could settle down was music. Music enabled him tounravel his own story and construct his “I”. Music helped himmaster time and evade the sight of death. But the author ofOrientalism had to increasingly deal with the social andpolitical practices of classical music. To analyse them, hedrew on Gramsci’s concept of elaboration, mainly focusing onthe way musical works are performed.. He emphasized music’stransgressive and nomadic aspects, arguing that everyinterpretation is a reinterpretation. His approach to Wagnerwas thus extremely similar to Daniel Barenboim’s. The encounterbetween Edward Said and Daniel Barenboim was pivotal, andprompted the writer to establish a strong link between hispolitical positions regarding Palestine, and his love of music,particularly by setting up the West-Eastern Divan orchestra.Only through such endeavours can music become the quintessenceof humanism.Index

   

Plan

   

La musique de la mémoireTemps de la vie, temps de la musiqueL’interprétation comme élaborationDu prépolitique au politiqueTexte intégral

   

1

La musique a toujours occupé une place importante dans lavie d’Edward Said. Dans le film Selves and Others1qui lui aété consacré juste avant sa disparition, il confiait mêmeque cette place était de plus en plus importante. Dans unedes séquences du film, on le voyait et on l’entendaitjouer la fantaisie en fa mineur de Schubert, car Saidn’était pas seulement passionné de musique. C’était unexcellent pianiste, dès la période qu’il appelle sa « vieprépolitique »2 et qu’il raconte dans un livre desouvenirs intitulé Out of place3. Ses textes sur la musiquesont cependant moins nombreux que ses écrits politiques ouses travaux de critique littéraire. À l’exception d’unrecueil de trois conférences prononcées en 1989 etpubliées en 1991 sous le titre de Musical Elaborations, Saidn’a rédigé que des articles critiques – critiques deconcerts ou de représentations d’opéras, critiquesd’ouvrages consacrés à des musiciens – dans différentsjournaux ou revues4, ou parfois introduit des digressionssur des œuvres musicales dans certains de ses livres5. Larencontre, en 1993, avec Daniel Barenboim, qu’il relate defaçon extrêmement émouvante dans un article du New YorkTimes de 2000, sera à l’origine d’un ouvrage, dans lequelil est question à la fois de musique et de politique6,ainsi que de la création de l’orchestre nommé DivanOccidental-Oriental.

2Dans le livre qu’il mettait au point juste avant sa mort,survenue en 2003, On Late Style, Said débutait le chapitrequ’il y consacrait à Cosi fan tutte et à ses diversesinterprétations en reconnaissant qu’il n’était pas unmusicologue professionnel, et encore moins un spécialistede Mozart. Ailleurs il définit son point de vue commecelui d’un « amateur pleinement engagé » « ce qui »,ajoute-t-il, « n’est pas un statut aussi handicapant qu’onpourrait le penser »7. Dans la pensée de Said, il y a làune litote, et même davantage, puisque comme il l’affirmedans les Conférences Reith de 1993 « l’intellectuel sedoit d’être un amateur » et que « cet état d’esprit peuttransformer la routine purement professionnelle en quelque

chose de beaucoup plus radical et beaucoup plus vivant »8.Dan Miller, qui avait assisté aux conférences Wellekdonnées en 1989 à l’Université d’Irvine dans l’État deCalifornie, et qui ont été publiées sous le titre deMusical Elaborations, dit cependant que Said faisait, àl’évidence partie des amateurs les plus expérimentés. Ilrappelle comment Said, durant ses conférences, jouait debrefs passages au piano pour illustrer les points qu’ildéveloppait9.

3Au lieu de se demander pourquoi Said a écrit si peu sur lamusique qu’il aimait tellement, on peut au contraires’interroger sur ce qui a déterminé, assez tardivement (en1983) ce professeur de l’université de Columbia, déjà âgéde 47 ans, connu pour ses travaux de littérature comparée,avec surtout son ouvrage majeur l’Orientalisme, et pour sesengagements politiques développés dans de nombreuxarticles et ouvrages – il était alors membre du ConseilNational Palestinien – à se lancer dans la critiquemusicale. Il y a là en effet une énigme, ou plutôt unedissonance. Comment concilier l’image du penseur radical,du fondateur de la théorie post-coloniale, avec celle d’unhabitué des festivals et des salles de concert, où il setrouvait de fait souvent en compagnie de ceux que parailleurs il combattait politiquement ? Comment ce critiqueimpitoyable de la colonisation et de l’impérialisme, qui asu en mettre à jour tous les ressorts esthétiques etculturels, pouvait-il s’immerger avec une telle passiondans les œuvres musicales produites du cœur même de cetteEurope impériale ? Sans doute est-il nécessaire ici de seréférer à la singularité d’Edward Said, perpétuel déplacé(out of place). Au niveau théorique il n’a cessé de récuserles catégorisations et les appartenances. Partageant, avecAdorno dont il se disait le disciple, la conditiond’« exilé permanent »10, il refusait, comme lui, toutelogique identitaire. Il se revendiquait non comme unintellectuel engagé au service d’une cause, mais commeintellectuel critique « toujours extérieur au mondesécurisant des indigènes », et pour qui l’exil est « un

état d’inquiétude, un mouvement où, constammentdéstabilisé, il déstabilise les autres. Pas plus qu’il nelui est possible de revenir en arrière et de retrouver lastabilité de son « chez-soi », il ne peut davantage,hélas, se reconnaître pleinement dans son nouveaupays »11.

4Les seuls lieux stables, pourrait-on penser alors, sontceux où éclot de la musique, où peut se dérouler le fil desa propre histoire, de la construction et de la continuitéde son « Je ». Comme si la musique lui permettait derevenir en ce moment du commencement (beginning), momentde « réconciliation entre temporalité et universalité »12.Dans ce retour, cependant, il se trouve confronté auxusages sociaux de la musique « classique » qui est unmarqueur d’appartenance de classe sociale, ainsi qu’à sessuccessives instrumentalisations politiques, notammentdans le cas de la musique allemande. Les réponsesqu’Edward Said apporte à ces questions sont énoncées dansun dialogue permanent – parfois implicite – avec Adorno.Dialogue n’est pas consensus. Elles sont articulées autourdu concept d’élaboration auquel il va donner desacceptions successives et complémentaires. Ce concept luipermet d’opérer le passage entre ce qui relève de lasubjectivité, de l’expérience unique, et ce qui relève del’être ensemble dans une histoire partagée maisconflictuelle.

La musique de la mémoire5

Il est indéniable le lien d’Edward Said à la musiquetouche d’abord à son histoire personnelle, dans ce qu’ellea de plus intime, dans son lien à sa mère, dans satentative de conjurer la mort. Mariam Said dans sa préfaceà Music at the Limits fait l’hypothèse que c’est la mort deGlenn Gould, la mort du pianiste qu’il a le plus admiré,si proche de lui et en même temps si différent, qui adécidé Said à rendre compte publiquement de ses émotions

musicales. Et c’est à Glenn Gould qu’il consacre lepremier de ses articles, à cet artiste qui, dans lesenregistrements qui prolongent sa présence, « semble joueraux limites, là où la musique, la rationalité et leurincarnation physique dans les doigts de l’éxécutant,semblent se rencontrer »13. Les pianistes, en général,occupent une place toute particulière dans la vieculturelle en général, et dans celle de Said enparticulier, en ce qu’ils établissent un lien au passé. Leplaisir qu’Edward Said éprouve à écouter et à jouer dupiano est un plaisir qui a largement à faire avec lamémoire. Au demeurant les références à Marcel Proust, auxthèmes musicaux jamais totalement identifiés – ceux de lafameuse « sonate de Vinteuil » – qui scandent la Recherchedu temps perdu, sont récurrents dans les écrits que Saidconsacre à la musique. « C’est la mémoire privée qui est àla racine du plaisir que nous prenons au piano, et lepianiste intéressant14 est celui qui nous fait éprouver ceplaisir – qui donne au récital son pouvoir étrangementirrésistible »15. Mais cette mémoire privée est aussi unemémoire socialisée, puisqu’elle intervient lorsd’événements publics, les concerts, et que ce qui setrouve évoqué concerne toujours les rapports avec lesautres.

6Le deuxième événement qui accompagne les textes de Saidconsacrés à la musique est la maladie puis la mort (en1990) de sa mère, à laquelle il était profondément attachéet qui l’avait initié à la musique. Comme si ces textespermettaient à la fois l’évocation et la conjuration.C’est à la mémoire de sa mère que sont dédiées les MusicalElaborations. Il lui rend hommage en ces termes : « C’estaux dons musicaux extraordinaires de ma mère et à sonamour de la musique que je dois l’intérêt précoce que j’aipris à cet art. Au fils des années elle a toujours étéintéressée par ma façon de jouer, et nous avons partagébeaucoup d’expériences musicales ensemble. Je suis plusdésolé que je ne saurais le dire de ce qu’elle n’ait paspu vivre assez longtemps pour lire ce livre, en dépit de

ses imperfections, et pour me dire ce qu’elle enpensait »16.

7La fascination pour Gould, à qui Said consacre de nombreuxtextes, et l’amour de la mère musicienne se répondent. Àtravers l’un et l’autre Said semble s’interroger sur lerapport de la musique au temps, à la vie et à la mort.Mort de Glenn Gould, mort de sa mère, puis ombre de sapropre mort quand il apprend, en 1991, qu’il est atteintde leucémie. Finalement, quand Said écrit sur la musique,c’est de lui-même qu’il parle. Chacun des concerts dont ilrend compte est l’occasion pour lui de se remémorer unévénement de sa vie passée. Le plus souvent il évoque lemoment en quelque sorte fondateur où il a, pour lapremière fois entendu telle œuvre ou tel interprète. Leconcert, la représentation d’un opéra, sont pour Saidcomme autant d’occasions à partir desquelles il sembleréélaborer la manière dont il se présente aux autres etpeut-être aussi à lui-même.

8Les concerts renvoient les uns aux autres, parfois mêmesur le mode de la libre association qui évoque lasituation analytique. Mais Said ne nous livre jamais laclé. Le privé s’arrête aux portes de l’intime. Ainsi d’uneséquence de Musical Elaborations, où les souvenirss’enchaînent et se succèdent. Le point de départ en est unrécital autour de « thèmes et variations » donné parAlfred Brendel à Carnegie Hall17. Le programme estfamilier à Edward Said. Il n’y a que les variations deBrahms qui le laissent perplexe, lui qui pourtant connaîtet aime particulièrement ce musicien, car il lui sembleles ignorer. En lisant de près il découvre qu’il s’agitd’une transcription pour le piano de pages extraites dusextuor à cordes en si bémol, dédiée à Clara Schumann. Leplaisir inattendu qu’il éprouve en écoutant cette oeuvreprovient de la reconnaissance du morceau, ou du moins dela mélodie de ce morceau joué non plus par un ensemble àcordes mais au piano. Il apprendra plus tard que Brahmsdonnait assez souvent cette pièce lors de ses récitals, en

hommage et en souvenir de Clara Schumann, pour qui ilavait éprouvé un amour malheureux. Le thème de la passionaussitôt apparu est renvoyé cinq pages plus loin. Dansl’intervalle d’autres œuvres sont évoquées comme desrêveries survenant au cours de l’écoute, mais la quatrièmedes variations de Brahms est associée à l’une desVariations (Nemrod) Enigma d’Elgar que Said avaitentendues quelques jours plus tôt. De la perplexité àl’énigme, il n’y a qu’un pas. Said passe alors à l’un deslieder de L’amour et la vie d’une femme de Schumann, puis àTristan, puis à Capriccio de Strauss, pour finir à unenregistrement du festival de Prades, et àl’interprétation du sextuor par Pablo Casals dont onentendait le souffle et la respiration, et enfin aucinéaste Louis Malle. On est au plus près d’une sensualitéqui ne sera évoquée que de manière allusive. « Ce souvenirme renvoya au film de Louis Malle, Les amants, construitautour de l’histoire inoffensive d’un homme inconnu etsans nom, qui surgit, à la campagne, dans la vie d’uneépouse esseulée, et qui devient son amant d’un momentavant de s’en aller. Malle avait utilisé le mouvement enforme de variation du sextuor de Brahms comme l’élémentprincipal d’orchestration du film »18. Said fait égalementallusion dans ce passage à des associations non musicalesqui surviennent durant l’écoute du morceau, mais sans selaisser aller à la moindre des confidences. La musiquesuffit.

9Si le plaisir musical est un plaisir de la mémoire, lamusique est aussi pour Said une forme de maîtrise du tempset le chef d’orchestre ou le pianiste de génie exercentpleinement ce contrôle. Ainsi de Celibidache, quitransfigure le temps, depuis le moment où il s’avancelentement vers son estrade, et fait de très longues pausesentre les mouvements de la symphonie qu’il dirige. « C’estalors que l’interprétation publique devient un phénomèneglobal et hautement auto-dramatisé, et pas seulement lapériode de deux heures qui encadre un rituel de virtuositéet d’applaudissements »19. Pollini, au contraire, « galope

sur l’estrade, s’assied au bord du siège de piano, et tireet pousse les deux heures dont il dispose, avec uneintensité de plus en plus grande et de plus en plusimprobable »20. C’est Gould qui a poussé le plus loincette volonté de contrôle en quittant définitivement lessalles de spectacle, et en se limitant aux studiosd’enregistrement, des lieux semblables au sein materneldisait-il, où le temps s’enroule sur lui-même21. Pour cequi est des œuvres, c’est le Ring, avec sa constructionrétrospective, qui est, pour Said, le meilleur exemple dece jeu avec le temps. À Bayreuth, Wagner « était toujoursen train de refaire les choses, de les restructurer, lesréparer, les réinterpréter, pour leur donner de lastabilité en faisant comme si elles était stables depuis lecommencement »22. Ce rapport étroit entre l’aspiration àune maîtrise du temps, et le plaisir de la remémorationqui est à la fois conscience et conjuration de la mort,intervient dans le récit de son enfance et de ses annéesd’apprentissage que Said entreprend après les premièreschimiothérapies que lui impose son traitement de laleucémie. Il l’achève, comme tout ce qu’il écrira entre1991 et 2003, entre deux séjours à l’hôpital, et cettehistoire de soi est aussi une narration de son entrée enmusique.

Temps de la vie, temps de la musique

10Comme beaucoup d’autres enfants de sa génération et de saclasse sociale, puisque son père possédait une entreprisede papeterie, Edward Said a été initié très tôt à lamusique. Cependant la famille Said, de religionprotestante, était palestinienne, et le petit Edward étaitné à Jérusalem. C’est à l’intérieur de cette famille, unefamille d’exilés, palestinienne en Égypte, protestantedans un pays à majorité musulmane où la minoritéchrétienne est copte, et en outre pourvue de passeports

américains, qu’il acquiert le goût presque exclusif, de lamusique occidentale, et surtout de la musique allemande.Dans Out of Place, il raconte ses premières leçons de piano,à l’âge de six ans, sous la surveillance de sa mère, etl’ennui des gammes et des exercices. Il est probable quele récit fait par le psychiatre Peter Ostwald, dans lelivre qu’il consacre à Glenn Gould, et dont Said rendcompte de façon exceptionnellement attentive dans unarticle de la London Review of Books, ait réactivé sessouvenirs. « Ostwald décrit comment Gould a été élevé parsa mère, une protestante austère, professeur de piano deToronto, qui pensait qu’elle pourrait induire le don de lamusique chez son enfant, en faisant jouer constamment dela musique sur le gramophone et à la radio, pendant sagrossesse, et pendant les premiers mois de sa vie. Dès quele bébé Glenn put s’asseoir, elle prit l’habitude de lemettre sur ses genoux, de s’asseoir au piano, et del’encourager à appuyer sur les touches, tandis qu’ellechantait des hymnes, des chorals, ou des chansonspopulaires canadiennes. La mère, l’enfant et le piano,écrit Ostwald, devinrent bientôt une unité »23.L’initiation à la musique du petit Edward, à partir del’âge de six ans, a été plus conforme aux habitudessociales et à la pédagogie de l’époque, et le rôle de lamère moins fusionnel. Peut-être cette discipline del’apprentissage des techniques a-t-elle tari – du moins ille suppose – ses talents créatifs musicaux. Mais très tôtil commence à écouter de la musique, à y découvrir « unmonde extraordinairement riche et composé, comme auhasard, de sons et de visions magnifiques »24, et à yprendre plaisir. Il a accès à la riche discothèque de sesparents, et surtout, très tôt, il écoute lesretransmissions de concerts ou d’opéras à la radio, soitla BBC, soit la radio nationale égyptienne. Il emprunteaussi le Dictionnaire de l’opéra de Kobbé à la bibliothèque deses parents : il le lit, certes, mais en admire aussi lesillustrations. Il lit aussi les Opera Nights d’ErnestNewman, un des plus grands connaisseurs de Wagner de sonépoque. C’est ainsi que ses goûts musicaux prennent forme.

À travers ces lectures, écrit-il, « j’ai découvert debonne heure que je n’aimais vraiment pas Verdi et Puccini,mais que j’aimais le peu que je connaissais de Strauss etde Wagner, dont je n’ai jamais vu d’œuvre à l’opéra avantmes années d’adolescence »25. Said ne cessera d’affirmercette absence d’intérêt, voire même ce dédain pour lerépertoire italien fait, selon lui, d’œuvres de secondordre, à l’exception de Rossini qui, écrit-il en 1986,dans un article de The Nation, « était un génie ». MêmeMonteverdi ne trouve pas grâce à ses yeux. Lesinterprètes, Pavarotti en tête, « ont réduit lareprésentation de l’opéra au minimum d’intelligence et aumaximum de bruit, payés à un prix exorbitant »26. Au fildes années, il ne cessera de déplorer la programmation desgrandes salles, et d’abord du Metropolitan Opera de NewYork qui privilégie ce répertoire.

11La constance des goûts et des dégoûts musicaux d’EdwardSaid qui ont finalement peu évolué depuis sa primeadolescence, incite à émettre l’hypothèse que la musiquereprésentait pour lui non seulement une part de privé oud’intime qu’il ne s’est donc décidé que tardivement àpartager avec des lecteurs ou des auditeurs, mais qu’ellemarquait aussi chez lui la trace d’une enfance qui apersisté et avec laquelle il continue à s’expliquer. À lafin des années quarante, ses parents commencent àl’emmener avec eux à l’Opéra du Caire, où ils sont abonnésà une série de ballets, mais également à une « saisonlyrique italienne ». Il est profondément déçu par unereprésentation de Lohengrin chanté en italien, s’ennuie unpeu à la représentation du André Chénier de UmbertoGiordano, en dépit de son intérêt pour l’intrigue – et ils’ennuiera encore plus quand, quelques temps après ilassistera à un concert d’Oum Khalsoum-, mais estémerveillé par la représentation du Barbier de Séville,l’esprit et l’autorité de Tito Gobbi qui chante le rôletitre. Cet hiver-là, il a treize ans, et devra attendre unan encore pour recevoir en cadeau de Noël l’enregistrementde cet opéra, son premier album de disques. Il raconte

comment il s’était faufilé dès quatre heures du matin dansla pièce où se trouvait l’arbre de Noël, car ilsoupçonnait que ses parents lui offriraient ce coffret dedisques. « Après avoir ouvert soigneusement l’emballage,j’ai immédiatement fermé les portes, fait jouer lesdisques les uns après les autres, en baissant le volume duson, alors que la pièce sombre d’abord, s’éclaircissaitprogressivement au fur et à mesure que l’aube se levait.La confirmation, dans des conditions si privées et siexclusives, de ce que j’avais éprouvé durant lareprésentation sur scène, telle que je m’en souvenais,suscitait en moi le plaisir le plus vif. En même temps jeme trouvais piégé, de façon plus ou moins consciente, parces circonstances très particulières, dans unenvironnement de silence et de subjectivité impossible queje n’avais pas le pouvoir de prolonger »27.

12Les souvenirs qu’égrène Edward Said témoignent de larichesse de la vie musicale de la capitale égyptienne sousle règne du roi Farouk. Les plus grands chefs d’orchestrese produisent à l’époque à l’Opéra du Caire. A l’âge dequinze ans Said y entend Clemens Krauss, et l’annéesuivante Wilhelm Furtwängler venus au Caire avec leursorchestres respectifs. Ce furent là ses expériencesmusicales les plus marquantes, même si les concerts queces maîtres dirigent comportent des « guimauves » comme laPizzicati Polka de Johann Strauss. Même la « magie des nomsallemands (Wiener Philarmoniker, par exemple) »28,l’impressionne. Quand à la soixantaine il écrit sesmémoires, il se souvient encore du programme de cesconcerts.

13Une rencontre musicale le marque particulièrement. C’estcelle du pianiste Ignace Tiegerman, un Juif polonais, venus’installer en Égypte pour fuir le nazisme, et qui dirigeau Caire un conservatoire où l’on enseigne le piano et leviolon. Edward Said le rencontre en 1950, alors qu’il aquinze ans et qu’il devient son élève. De ce vieuxmusicien juif européen il reçoit ce qu’il qualifie plus

tard de « structure du sentir » (a structure of feeling),empruntant ce concept à Raymond Williams. Tiegermandétonait dans le paysage cairote de l’époque. C’était« une créature mince et anguleuse, presque un nain, auxmanières impérieuses, avec un fort accent polonais, et unecapacité à s’exprimer en français, en allemand et enanglais (pas du tout en arabe) ; il était insouciant etcependant occasionnellement attentif aux changementspolitiques majeurs en train de s’opérer en Égypte, avec ladégénérescence du régime de Farouk et le triomphe dunationalisme arabe sous la conduite de Gamal AbdelNasser »29. Le répertoire de Tiegerman s’étendait desgrandes œuvres pianistiques de Beethoven à une poignéed’œuvres du vingtième siècle russe et polonais. C’estsurtout autour de Brahms que Said avoue avoir longtempspréféré à Mozart que s’établissait la complicité entre lemaître et l’élève. À travers Tiegerman Said se relie à cequ’il ressent comme étant toute une tradition musicaleprofondément européenne. « Ce qui en émergeait c’était lacapacité de donner vie à un morceau dans la manière mêmede l’exécuter, capacité qui dépend de la connaissance d’uncompositeur à travers une structure du sentir – je faisici un emprunt à Raymond Williams –. Cette capacitén’apparaît que lorsqu’on pénètre en détail lesarticulations de l’œuvre. Ces articulations ne peuventexister sans, et même elles reposent sur, le corpusofficiel de la musique canonique, ses règles, sesstructures, ses styles, mais en fait elles existent au-delà des canons »30. C’est là que Said marque sadifférence avec Adorno, dont il s’est dit cependant ledernier disciple. Les analyses musicales de Said portenttoujours, en fin de compte, sur l’exécution et non surl’écriture de l’œuvre, sur l’exécution dans laquelle ilvoit une élaboration. On aura à revenir sur cette idée.

14Le lien d’Edward Said avec la musique ne fera ques’approfondir lors de ses années d’étude aux États-Unis oùil part en 1951. Les premiers 33 tours arrivent sur lemarché. La bibliothèque du Collège de Mount Hermon où il

passe ses premières années d’étudiant, est pourvue d’unediscothèque et d’un tourne-disque. C’est là qu’il écouteet réécoute l’enregistrement des Noces de Figaro par Herbertvon Karajan. L’organiste de la chapelle qui lui donne desleçons de piano l’introduit à Bach et à Haydn. Son père,non content de lui faire donner des leçons de piano, àPrinceton, puis à Boston, quand il prépare son doctorat àHarvard, lui permettra aussi de se rendre dans lesprestigieux festivals européens de musique, à Lucerne, àSalzburg31 ou à Bayreuth, où il se rend pour la premièrefois à vingt-trois ans pour assister à la représentationdu Ring, de Wagner. De ce premier séjour à Bayreuth, ilgardera un souvenir tellement ébloui qu’il hésiteralongtemps à y retourner, de peur de le gâcher. Saidmaintiendra aussi le lien avec Tiegerman, l’homme qui a eusur lui l’influence musicale la plus importante. Il lerevoit au Caire quand il part y passer ses vacances, puisplus tard à Kitzbühel où Tiegermann possédait un petitchalet. Ce compagnon musical comme il le qualifie dontl’exemple continue à l’habiter tout au long de sonexistence, lui a fait comprendre, comme le fera GlennGould aux récitals desquels il assiste à Boston entre 1959et 1962 ce qui sépare le bon amateur de l’exécutant auxdons incontestables.

L’interprétation comme élaboration

15Jeune étudiant arabe, et fortuné, Edward Said se rendaussi à l’opéra quand il vient aux États Unis. La premièrereprésentation à laquelle il assiste est celle de Cosi fanTutte, au Metropolitan. Cette production où le livret esttraduit en langue anglaise et la mise en scène trèsconventionnelle (des mouchoirs de dentelle et desperruques compliquées), mais l’interprétation musicalesuperbe, lui laisse un souvenir indélébile. « L’impressionfaite sur moi par ce Cosi Fan Tutte là fut tellement

puissante que la plupart de représentations que j’ai puvoir par la suite de cette œuvre ou la plupart desinterprétations que l’ai pu en entendre, m’ont paru êtredes variations de cette production classique qui en étaitcomme la quintessence. Quand, en 1958, j’en vis laproduction à Salzbourg, sous la direction de Karl Böhm,avec Schwarzkopf, Ludwig, Panerai, Alva et Sciutti, je laconsidérai comme une élaboration de la réalisation duMetropolitan »32.

16Ce terme d’« élaboration » revient à plusieurs reprisesdans les réflexions que développe Edward Said, et à chaquefois avec des sens un peu différents les uns les autres,mais qui forment en quelque sorte une constellation.Partant du texte de Theodor Adorno sur le vieillissementde la « nouvelle musique »33, Said réintroduit latemporalité historique dans l’analyse non plus del’écriture de l’œuvre, comme le faisait Adorno, mais danscelle de l’exécution. Ce n’est donc pas, quant à lui, audevenir de la nouvelle musique qu’il s’attache, mais auxformes d’exécution et d’écoute de la musique classique.Évoquant ses rencontres avec Michel Foucault, PierreBoulez rappelle que ce dernier lui avait fait observerl’ignorance dans laquelle les intellectuels contemporainstenaient la musique, qu’elle soit classique oupopulaire34. De nos jours « non seulement, observe alorsSaid, on n’écoute pas la musique classique, mais quand onle fait, on l’écoute à l’intérieur de nouvellesconfigurations de l’expérience esthétique et sociale »35.Et un peu plus loin : « Le fait est que la musique demeuresituée à l’intérieur du contexte social comme une variétéparticulière d’expérience esthétique et culturelle quicontribue à ce que, en suivant Gramsci, nous pourrionsappeler élaboration ou production de la société civile »36.

17Que font donc les membres de la société pour qu’ilcontinue à y avoir de la musique classique ? Ils la fontexister, de manière à chaque fois différente, car de lamusique elle-même, on pourrait dire à la limite qu’elle

est « fondamentalement muette ». Elle ne possède ni ladiscursivité, ni la possibilité d’exprimer des idées oudes hypothèses comme le fait le langage37. La musiquepartage ce silence avec les autres arts qui tous exprimentquelque chose qui est au-delà de la réalité humaine ethistorique à laquelle ils appartiennent. La littératureutilise des mots du langage de tous les jours, et les artsfiguratifs reflètent la réalité, même s’ils latransfigurent. Le concept aristotélicien de mimesis reprispar Erich Auerbach38 à propos de la littératureoccidentale, – Auerbach que Said admirait et qu’il apréfacé, leur est approprié. Il n’en va pas de même pourla musique, qui certes est son, dépend du son, etcependant « est le plus silencieux des arts, le plusinaccessible à la signification mimétique que l’on peutextraire d’un poème, d’un roman ou d’un film »39. Il nesuffit pas de rappeler banalement que la Symphonie pastoralede Beethoven évoque la nature, ni même que la marchefunèbre de Siegfried exprime le deuil à la mort d’un héros.Les musiciens doivent apporter leur propre interprétationdes œuvres qu’ils exécutent. Barenboim est de ceux-là.« Le signe distinctif de ses interprétations commepianiste, chef d’orchestre ou professeur, c’estl’extraordinaire capacité qu’il a de trouver d’abord lanote juste, lui donner naissance, et faire vivre lemorceau avec ses inflexions, ses pauses, ses pointsculminants, ses épisodes, et puis finalement, luipermettre de se replonger dans le silence d’où il étaitsorti »40. C’est ce processus qui fait sortir la musiquedu silence, aux sens propre et figuré, que Said nommeencore élaboration. Le musicien d’exception « apporte unepulsion quasi biologique au projet esthétique » donne « àtoute cette complexité du son et de la vie la netteté etl’immédiateté d’un présence profondément humaine et enmême temps transcendante. Ce n’est ni de la domination, nide la manipulation41. C’est l’élaboration, comme formeultime de l’expression et de la signification »42. Leconcert, avec son public, ses rituels, ses interprètesprofessionnels, est ici central. « L’interprétation

publique (performance) est donc un point de convergencehautement déterminé où se retrouvent le spécifique et legénéral, la musique, en tant qu’esthétique spécialisée aumaximum, avec une discipline entièrement spécifique, etl’interprétation publique comme forme générale,socialement accessible, de sa présentation culturelle »43.

18La musique n’est donc ni un simple produit des relationssociales, mineur ou subordonné, ni même un simple refletde la situation historique. Elle constitue pour la sociétéune manière de se penser, de s’élaborer, et en outre cetteélaboration est transgressive. « La musique est elle-même, etcependant la manière dont elle habite le paysage socialvarie au point d’affecter les styles de forme et decomposition avec une force dont les études culturellesn’ont, jusqu’à présent, guère fait l’inventaire. En brefl’élément transgressif dans la musique est son aptitudenomadique à s’attacher aux formations sociales, à endevenir une partie, à varier ses articulations et sarhétorique suivant l’occasion ou le public, à quoi doivents’ajouter les situations de pouvoir et de genre danslesquelles elle prend place »44. En dépit des changementsintroduits par l’enregistrement et donc par lareproductibilité, l’événement musical a un caractèred’unicité que ne possèdent ni la littérature ni les artsplastiques. Il est impossible de « revisiter » un concertcomme on retourne dans une bibliothèque ou dans un musée.La musique possède donc une vie propre, au-delà de lapartition, et c’est en cela qu’elle est transgressive. Lamusique a la « faculté de voyager, de passer par dessus,d’errer de lieu en lieu à l’intérieur d’une société, mêmesi bien des institutions et des orthodoxies ont cherché àl’enfermer »45. La musique est donc analogue à la théorievoyageuse que privilégie Said et sur laquelle il s’attardedans ses Réflexions sur l’exil. Du coup toute interprétation estréinterprétation, et la fidélité en musique consiste àsavoir être infidèle.

19Ce qui est en cause ici, c’est le rapport à Wagner, et

plus accessoirement à Richard Strauss ou à WilhelmFurtwängler, à tous les musiciens qui ont été, d’unemanière ou d’une autre, liés à l’idéologie ou au systèmenazi. Said, on l’a vu, aimait avant tout la musiqueallemande. De Berlioz, qu’il appréciait toutparticulièrement, il écrit qu’il était plus allemand quefrançais, raison pour laquelle il a, selon lui, toujoursété injustement traité en France46. Est-ce donc pour celaqu’il tempère autant sa critique idéologique des Troyens,alors qu’il est d’une sévérité implacable à l’égard del’Aida de Verdi, à la musique « stridente, martiale », etqui est, selon lui, un « monument de l’esthétiqueorientaliste de l’impérialisme européen »47. On saitqu’Aida a été écrit à la demande du Khédive Ismail, justeaprès l’inauguration de l’Opéra du Caire et l’ouverture duCanal de Suez, sur un livret de l’égyptologue françaisMariette. Les Égyptiens « réels » y sont invisibles, etremplacés par des figures d’une antiquité orientalisée.Les représentations ultérieures n’ont jamais permis à cetopéra d’échapper à l’emphase, et à la vulgarité, mêmequand le rôle-titre a été tenu par Maria Callas.L’écriture des Troyens, en tous cas son livret, n’est pasdépourvue d’orientalisme. Elle est certainement liée nonseulement à la passion que Berlioz a toujours eue pourVirgile mais aussi à son admiration pour l’expansionimpériale française, depuis la campagne de Bonaparte enÉgypte, en passant par conquête de l’Algérie, jusqu’auxexpéditions sur l’ensemble du continent africain,Madagascar et l’Indochine. Ces éléments contribuent enpartie à la compréhension de l’opéra, et éclairent, parexemple, le personnage de Didon, reine nord-africaine, enproie à un amour aussi vif que sans espoir pour Énée quiobéit lui aux devoirs de sa mission impériale, puisqu’ildoit conquérir l’Italie. Cependant, tient à préciserEdward Said, il s’agit d’une « grande œuvre d’art », à ladifférence d’Aida, et il va jusqu’à la comparer, par sasincérité et son intensité, à Fidelio. La critique del’orientalisme ou de l’impérialisme des productionsculturelles cède le pas ici à l’émotion esthétique

ressentie dans une série de conditions précises. Il n’enva pas exactement de même pour les œuvres littéraires.Edward Said n’hésite jamais à montrer avec autant definesse et de précision qu’il est possible, comment lesromans des grands auteurs qu’il apprécie le plus, JaneAusten, Georges Eliot, Charles Dickens ou Joseph Conrad,ont participé au dispositif du pouvoir colonial etimpérial. Il convient, selon lui, d’être conscient de ladimension historique de ces livres, sans pour autantcesser d’y prendre un grand plaisir.

20C’est là aussi que Said marque sa différence avec Adornodont il s’est toujours dit cependant le dernier disciple.Adorno réfléchit sur les œuvres musicales comme il le faitsur les œuvres littéraires. Ce n’est pas le cas, on l’avu, pour Said. Au-delà de l’œuvre, ce qui lui importe, cesont les conditions de l’écoute48, ainsi que les modalitésd’interprétation par les metteurs en scène, les chefsd’orchestre et les interprètes, musiciens et chanteurs,autrement dit les formes d’élaboration et detransgressivité. On est toujours en droit, et même on esttoujours dans l’obligation d’aller au-delà de lalittéralité de l’œuvre musicale. Il importe d’êtreinfidèle à Wagner, dans la manière d’interpréter sesopéras, et c’est cette infidélité qui est la fidélitémême. Autrement dit il faut, dans l’œuvre, lire au-delà dece qui est le plus manifeste. Les deux thèmes récurrentspar lesquels les anti-wagnériens justifient lacondamnation du musicien, sont d’une part l’apologie dunationalisme allemand et l’antisémitisme, l’un et l’autreétant exprimés dans les écrits de Wagner, mais aussi dansses opéras, Les Maîtres chanteurs de Nuremberg, par exemple, oule Ring. On sait que les œuvres de Wagner n’ont pas étéexécutées en Israël avant 2001, lorsque Daniel Barenboim,en tournée avec l’orchestre de l’Opéra de Berlin, dans cepays, dont il est citoyen, a proposé à son public, àJérusalem, de jouer en bis un court extrait de Tristan etIsolde. Quelques jours près la commission à la culture dela Knesset faisait la proposition de boycotter dorénavant

le chef d’orchestre.21

Said revient à de très nombreuses reprises sur cesquestions qui occupent une large partie de ses entretienspublics avec Daniel Barenboim49. Palestinien, membre duConseil National Palestinien depuis sa création, il nepeut s’y dérober. La rencontre avec Daniel Barenboim, etl’amitié très étroite qui a depuis uni les deux hommes,ont donné plus de forces encore aux convictions de Said.

Du prépolitique au politique22

Le passage du prépolitique au politique s’est opéré pourEdward Said avec la guerre de 1967, dite Guerre des sixjours, l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza, etl’annexion de Jérusalem Est où il n’a désormais plus eu lapossibilité d’aller passer des vacances et revoir lesmembres de sa famille qui s’y trouvaient encore.L’universitaire brillant, l’enseignant de littératurecomparée, spécialiste de Joseph Conrad a pris conscience àla fois de sa situation de Palestinien et de la nature duphénomène colonial. Certes il s’était toujours vécu commediscriminé, étranger en Égypte, chrétien ni égyptien nioccidental, arabe aux États Unis. Quant à son intérêtpassionné pour Conrad, marin polonais devenu écrivain delangue anglaise, et donc lui aussi un exilé permanent,plongé au cœur des entreprises impériales, il relevait àcoup sûr d’une connivence ou d’une proximité, que Said n’aexplicitée que tardivement50. Le choc de 1967 provoque àla fois l’écriture de l’Orientalisme ainsi que des livres etarticles qui suivront, et l’entrée dans l’Organisation deLibération de la Palestine. Said maintiendra jusqu’au boutsa position d’intellectuel critique, disant sa vérité aupouvoir, quel qu’il soit. La relation à la musique sepoursuit sans discontinuité depuis le début, mais vasortir peu à peu de la sphère du privé sous l’effet làaussi, on l’a vu, d’événements extérieurs et s’articuleravec le politique.

23Said a pris, à de très nombreuses reprises position enfaveur d’une coexistence des hommes et des femmes vivantsur la terre de la Palestine du mandat britannique(aujourd’hui Israël et Territoires Palestiniens Occupés),et se revendiquant de deux peuples distincts. Il luiparaissait essentiel que les Israéliens juifsreconnaissent le tort fait aux Palestiniens, mais toutautant que les Palestiniens soient conscients dessouffrances subies par les Juifs, surtout par les Juifsd’Europe, fondateurs de l’État d’Israël. Il est d’autantplus important, dans ces conditions, pour Edward Saidd’expliciter son approche de l’œuvre de Wagner. Certes,Wagner n’a pas été contemporain du nazisme, et il n’estdonc pas responsable de l’usage qui a été fait de sescompositions musicales, et accessoirement de ses écrits,même si, comme Adorno l’a montré, sa manière d’écrire, lesthèmes qu’il développe, son rapport aux mythes, ontfavorisé cette récupération. Said est d’accord avecBarenboim pour considérer que « Wagner en tant quepersonne était absolument détestable »51, et sonantisémitisme monstrueux. Les contemporains de Wagnerl’ont à coup sûr entendu et interprété avec les outilsculturels et politiques de leur temps, qu’il s’agisse desconnotations antisémites ou des aspirations nationalistesallemandes. Mais d’autres lectures sont possibles. Mimedans le Ring, ou Beckmesser dans les Maîtres Chanteurs, nesont pas juifs, même si on (et Adorno en particulier) a puy voir des stéréotypes antisémites. Le Hollandais volant n’estpas le Juif errant. Il est donc tout à fait possibled’interpréter ces personnages autrement, en gommant ce quin’est qu’une lecture liée à des circonstances historiquesdéterminées. Quant aux Maîtres Chanteurs on doit y voir au-delà d’un nationalisme daté et caduc, un hymne à lavitalité de la musique. « Comparé à La Flûte enchantée, unantécédent important dans la présentation du rôle socialde la musique, Les Maîtres chanteurs ont franchi une borneculturelle importante. Les musiciens de Wagner sontégalement citoyens et chanteurs ; ils gagnent leur pain et

sont des arbitres en matière de culture. La viequotidienne irrigue de façon naturelle l’autre vie, la vieesthétique »52.

24Si l’on veut mener une critique à la fois politique etéthique cohérente des œuvres musicales, rendre compte desconditions réelles de leur production et de leur (non)exécution, il faut adopter une perspective universaliste.On est on droit, par exemple, de juger avec la plus grandesévérité la manière dont Richard Strauss s’est compromisavec le régime nazi, à l’évidence par lâcheté et non parconviction. Mais il faut alors également se poser laquestion, par exemple, de l’art aux Etats-Unis pendant laGuerre du Vietnam, ou de la musique écrite durant lapremière guerre du Golfe53. Il faut surtout prendre encompte, comme l’a fait et continue à le faire DanielBarenboim, la question juive avec la questionpalestinienne. C’est en juin 1993, devant le guichet de laréception d’un hôtel londonien que Daniel Barenboim etEdward Said se sont rencontrés. Said, à Londres pourraisons professionnelles, avait réservé une place pouraller, le surlendemain, écouter Daniel Barenboim quidevait jouer le Premier concerto de Bartok sous la directionde Pierre Boulez. Après une courte hésitation, (commentlui, un Arabe, allait – il entrer en conversation avec cemusicien israélien dont il admirait le jeu ?) il se décidaà l’aborder. La rencontre fut d’une telle intensité,qu’ils ne se quittèrent pratiquement pas, (sinon le tempspour lui de rédiger ses conférences et pour Barenboimd’aller aux répétitions) entre ce moment là, un vendredimidi, et le dimanche soir, où le concert avait lieu.« Nous ne cessâmes de parler : de musique et de politique,bien sûr, de l’art, de la vie, de tout »54. À la suite duconcert, en allant dans les coulisses où Said voulaitféliciter son nouvel ami qui devait le présenter à PierreBoulez, il aperçut, ouvert sur le piano d’exercice, unexemplaire de son livre The Question of Palestine. Si l’on veutmener jusqu’au bout la réflexion sur l’antisémitismeeuropéen, précise Said plus d’une fois, non seulement il

ne faut pas l’identifier à la musique de Wagner, mais ilfaut également rappeler qu’une des conséquences de cetantisémitisme a été le sort réservé à la populationpalestinienne, quand Israël a été établi en 1948 commeÉtat juif, c’est à dire virtuellement sans populationarabe. L’orchestre du Divan Occidental-Oriental fondé, en 1999,par Barenboim et Said a réalisé le projet commun deconstruire un espace musical de vivre ensemble pour desjeunes que l’histoire et les violences politiques avaientséparés. L’histoire de la création de cet ensemble a étémaintes fois racontée et célébrée. Elle s’est déroulée àWeimar, dans le cadre de la célébration du 250°anniversaire de la naissance de Goethe dont le célèbrerecueil de poésie donne son nom à l’ensemble. Ici lesréférences affluent : Weimar, la ville de Goethe, lecosmopolite, un des rares poètes européens à avoircombattu l’antisémitisme et parlé de l’Orient arabe àtravers sa poésie, et sans orientalisme. Mais Weimar dontles environs tout proches ont abrité le camp deBuchenwald. Avec cet ensemble était créé, au moins auniveau symbolique, cet espace commun de coexistence entreArabes et Juifs que Said (et Barenboim) appelaient deleurs vœux. Pour Edward Said cette création marquait aussiune réconciliation entre son histoire personnelle dePalestinien et son amour de la musique classique.L’attribution, en septembre 2004, du nom d’Edward Said auConservatoire national de musique de Bethléem aofficialisé cette réconciliation.

25La musique, pour Said, on l’a vu, est maîtrise du temps,conjuration de la mort. La musique conjure la mort mais enla rappelant à chaque instant, comme l’écrivait Said àpropos du dernier Beethoven55. Elle est aussi en elle-même« réquisitoire contre le politique, l’inhumanité,l’injustice…. Elle est peut- être l’ultime résistance àl’acculturation et à la réduction de toute chose enmarchandise ». 56 À la différence avec la littérature oùla rupture postcoloniale, avec un Aimé Césaire, un ChinuaAchebe ou un Salman Rushdie, introduit une écriture, une

culture et une esthétique de la résistance, Said nedistingue rien de tel en musique. Des mises en scène commecelles de Peter Sellars pour Mathis le Peintre de Hindemith,ou pour La Mort de Klinghoffer, de John Adams, peuventaccentuer l’interrogation politique. Mais tout cela restedans une tradition occidentale finalement très classique.Said n’a jamais cherché à susciter en musique ledécentrement postcolonial qu’il a favorisé dans la théorielittéraire. Il ignore à peu près la musique arabe,l’écriture très particulière de sa période classique, sonrapport au temps... Il ne redécouvre Oum Khalsoum quetardivement, et seulement pour remarquer qu’elle manie lavariation à la manière de la musique classiqueoccidentale. « J’ai réalisé, écrit-il, qu’il ne s’agissaitpas d’aller jusqu’au bout d’une structure logiqueconstruite avec soin, mais de laisser surgir toutes sortesde possibilités, de prendre des voies détournées, des’attarder sur des détails, de digresser, et de digresserà partir de la digression ».57. Mais cette expérience nebouleverse pas son approche de la musique. Car même àl’intérieur de la musique occidentale, Said n’a qu’unefaible estime pour des musiciens qui, tel Bartok, ont faitun travail de réappropriation et de restitution desmusiques improprement appelées « populaires » ou« traditionnelles ». On pourrait penser qu’il s’agit là dela persistance des goûts facteur de distinction sociale,au sens de Bourdieu, goûts acquis dans l’enfance etl’adolescence. Mais il est évident aussi que la musiqueétait pour Said, la quintessence de l’humanisme, de ce quiréunit, entre les pauses nécessaires de silence, au-delàdes discours qui séparent, qui imposent la domination etjustifient la souffrance. Dans la mesure où elle vit dansune élaboration permanente, un travail par lequel lesinterprètes se dégagent des déterminismes sociaux ethistoriques, elle était pour lui affirmation de liberté.Notes

   

1  Ce film a été réalisé par Emmanuel Hamon.

2  Edward Said, Réflexions sur l’exil et autres essais, traduit del’anglais par Charlotte Woillez, Actes Sud, juin 2008, page703.

3  Publié aux Etats-Unis en 1999, cet ouvrage a été traduit enfrançais en 2002 aux éditions du Serpent à Plumes sous le titrede À contre- voie.

4  La plupart de ces articles viennent d’être réunis dansEdward Said, Music at the Limits, avec un avant-propos de DanielBarenboim, Columbia University Press, New York 2008.

5  Ainsi, par exemple, du chapitre qu’il consacre à Aida, dansCulture et Impérialisme, comme exemple du lien entre pouvoir etplaisir dans l’ordre de l’empire, ou plus encore de laréférence à Glenn Gould dans le récit de sa rencontre avec lecinéaste Gillo Pontecorvo, le réalisateur de la Bataille d’Alger(Réflexions sur l’exil, édition citée, page 377).

6  Edward W. Said et Daniel Barenboim, Parallèles et Paradoxes.Explorations musicales et politiques. Paris, 2003.

7  Edward Said, Musical Elaborations, Vintage Éditions,Londres,1992, page XV. (traduit par S.D.H.).

8  Edward Said, Des intellectuels et du Pouvoir, traduit par PaulChemla et revu par Dominique Eddé, Le Seuil, Paris, 1996, page98.

9  Dan Miller, « Privacy and pleasure : Edward Said on music »,Postmodern Culture, 1991, vol 2, n° 1.

10  Cf. Martin Jay, Permanent Exiles. Essays on the Intellectual Migrationsfrom Germany to America, Columbia University Press, New York,1985.

11  Edward Said, Des intellectuels et du Pouvoir , édition citée, page69.

12  Edward Said, Beginnings. Intention and Method. ColumbiaUniversity Press, New York, 1975, page 364.

13  Edward Said, Music at the Limits, Columbia University Press, NewYork 2008, page 6.

14  Le pianiste « intéressant » qui sert de prétexte à cette

chronique est 1985 est ici Maurizio Pollini.

15  Edward Said, Music at the Limits, Columbia University Press, NewYork 2008, page 12.

16  Edward Said, Musical Elaborations, Vintage Éditions,Londres,1992, page VIII.

17  Edward Said, Musical Elaborations, Vintage Éditions,Londres,1992, Pages 79-90.

18  Ibid., p. 86.

19  Edward Said, Music at the Limits, Columbia University Press, NewYork 2008, page 84.

20  Ibid., p. 85.

21  Ibid., p. 9.

22  Ibid., p. 111.

23  Ibid., p. 224.

24  Edward Said, Out of Place, Vintage Books, 2000, page 96.

25  Ibid., p. 35.

26  Edward Said, Music at the Limits, Columbia University Press, NewYork 2008, page 37.

27  Edward Said, Out of Place, Vintage Books, 2000, page 100.

28  Ibid., p. 101

29  Edward Said, Musical Elaborations, Vintage Éditions,Londres,1992, page 90.

30  Ibid., p. 91.

31  Le Festival de Salzbourg en 1958 dirigé par Herbert vonKarajan, et le jeune Edward Said en une semaine assiste à desrécitals donnés par Glenn Gould et Dietrich Fischer-Dieskau, àun concert Brahms donné par Zino Francescatti sous la directionde Dimitri Mitropoulos, à une représentation de Fidelio dirigépar Karajan, et de Cosi fan Tutte, sous la direction de Karl Böhm.Il l’évoque dans un article de The Nation de 1993, comparantl’étalage de richesses, et l’arrogance de Karajan, au nouveaustyle impulsé depuis par Gérard Mortier (Edward Said, Music atthe Limits, page 157).

32  Edward Said, On Late Style, Pantheon Books, New York, 2006,page 48.

33  T.W. Adorno, « Das Altern des Neuen Musik », Dissonanzen,Suhrkamp, Frankfurt am Main, 1998, pages 143-147.

34  « Quelques souvenirs de Pierre Boulez », Critique , août-septembre 1986, pages 745-747, cité par Edward Said, MusicalElaborations, Vintage Éditions, Londres,1992, page 15.

35  Ibidem.

36  Ibidem.

37  Edward Said, Music at the Limits, Columbia University Press, NewYork 2008, page 7.

38  Erich Auerbach, Mimesis. La représentation de la réalité dans la littératureoccidentale, Éditions Tel/Gallimard, Paris 2002. Edward Saidadmirait profondément Auerbach, un autre « exilé permanent »,juif allemand ayant rédigé son œuvre principale, Mimesis, enexil à Istanbul, avant de partir aux États Unis. Il a rédigéune longue introduction à la réédition de la traductionanglaise de Mimesis, à l’occasion du cinquantième anniversairede l’ouvrage.

39  Edward Said, Music at the Limits, Columbia University Press, NewYork 2008, page 262.

40  Edward Said, Music at the Limits, Columbia University Press, NewYork 2008, page 263.

41  Ici Said se démarque implicitement des analyses d’Adornodans l’Essai sur Wagner ,du personnage du chef d’orchestre.

42  Ibidem.

43  Edward Said Musical Elaborations, Vintage Éditions,Londres,1992, page 17.

44  Ibid., p. 70.

45  Ibid., p. XV.

46  Edward Said, Music at the Limits, Columbia University Press, NewYork 2008, page 182. Au cours d’une conversation que nous avonseue, à Paris, en 2003, Edward Said s’étonnait une fois encorede ce que si peu d’œuvres de Berlioz « le plus grand desmusiciens français », me disait-il, figurent au répertoire des

grandes salles de concert françaises.

47  Edward Said, Culture and Imperialism, Vintage Books, NewYork,1994, pages 132.

48  Edward Said était un habitué de la plupart des festivals demusique classique dans le monde et en parle sans beaucoupd’indulgence. « On acquiert le sentiment que les impresariosambitieux et les directeurs cherchent à arrondir leur année enbourrant la morte-saison des mois d’été de programmes conçuspour convaincre les consommateurs qu’on leur sert là quelquechose de spécial, tout en fournissant aux musiciens l’occasiond’engagements et de rentrées d’argent. »(Edward Said, Music at theLimits, Columbia University Press, New York 2008, page 25).

49  Edward W. Said et Daniel Barenboim, Parallèles et Paradoxes.Explorations musicales et politiques, traduit de l’anglais par PhilippeBabo, Le Serpent à Plumes, 2003.

50  Cf Dominique Eddé, « Joseph Conrad le compagnon secretd’Edward Said » dans Tumultes,n° 24, Ed. Kimé, mai 2005, pages215-223.

51  Edward W. Said et Daniel Barenboim, Parallèles et Paradoxes.Explorations musicales et politiques, traduit de l’anglais par PhilippeBabo, Le Serpent à Plumes, 2003, page 131.

52  Edward Said Musical Elaborations, Vintage Éditions,Londres,1992, page 62.

53  Cf. Edward Said, Music at the Limits, Columbia University Press,New York 2008, pages 160-161.

54  Ibid., p. 260.

55  Edward Said, « Adorno. De l’être tardif », Tumultes n° 17-18, Ed. Kimé, mai 2002, pages 321-337.

56  Edward W. Said et Daniel Barenboim, Parallèles et Paradoxes.Explorations musicales et politiques, traduit de l’anglais par PhilippeBabo, Le Serpent à Plumes, 2003, page 210-211.

57  Musical Elaborations, page 98.

Citation

   

Sonia Dayan-Herzbrun, «Edward Said, ou la musique comme élaboration», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, L'individuel et le collectif dans l'art, mis à  jour le : 30/05/2011, URL : http://revues.mshparisnord.org/filigrane/index.php?id=250.Auteur

   

Quelques mots à propos de :  Sonia Dayan-Herzbrun

Sonia Dayan-Herzbrun est professeure émérite au Centre de Sociologie des Pratiques et des Représentations Politiques de l’Université Paris Diderot-Paris7 et assure un séminaire à l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales. Elle est également responsable de la revue Tumultes (éditions Kimé), dont elle a dirigé le dernier numéro intitulé: Vers une pensée politique postcoloniale à partir de Frantz Fanon (2008). Elle travaille sur les différents aspects des plus classiques aux plus récents de la théorie critique, en l’articulant avec la théorie féministe et avec l’approche post-coloniale. Ses deux derniers ouvrages publiés sont Femmes et politique au Moyen-Orient (L’Harmattan, 2005), et (en collaboration) une édition nouvelle de la Critique du Programme de Gotha de Marx (Éditions Sociales).« Article précédentArticle suivant »

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