1990 - Réalisation et perception des gravures rupestres stylisées de l'Adrar des Iforas (Mali)

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REALISATIOI{ET PERCEPTION DES GRAVURES RUPESTRES STYLISEES DE L'ADRAR DES IFORAS (Mali) Christian DUPUY LAPMO-Université de Provence Résumé :llestdémonné que les gravuresstylisées de I'Adrardes Iforas s'intègrentdans deuxphases distinctesd'artrupestre. l,es graveurs à I'origine de la phasela plus ancienneétaientdespastews qui faisaient partie d'wre sociétéà forte tradition d'élevage de bovins alors que ceux qui leur succédèrent privilégiaient l'élevage des chevaux et des dromadaires. La distribution topographique de certaines grawres tend à prower que les premiers s'exprimaient en solitaires. Læsryle élémentaire de leurs représentations etletrs techniques de gravwe peu élaborées révèlentqu'il leur importaitpeu de passermaîtres dans I'artde graver les rochers. Le mode de structuration des compositions iout comme des représentations d'animaux hybrides suggèrent que leur tradition d'art rupestre visait à fixer durablement sur la pierre les plans profonds de mythes, lesquels faisaient souvent référence à rois animaux : le bæuf, I'autruche et la girafe. Des parallèles s'établissententre ces données,certairs mythes spécifiquesaux Peuls Wodaabe et un g4re de poésie pastorale propre aux Peuls du Macina. [,es élevews de chevaux et de dromadaires réalisaient le plus souvent leurs gravures sur des rochers bien en vue, situés à proximité de points d'eau. De manière plus ou moins expliciæ, leurs compositions nous renvoient les images d'activités qui tout demièrement encore étaient réservéesaux nobles dans la société touarègue. Selon toute vraisemblance, les auteurs de ces grawres étaient des aristocrates paléoberbères, ancêtres des Touaregs actuels. Les gravures stylisées se comptent par milliers dans I'Adrar des lforas. Leur relevé exhaustif et in situ autorise descomparaisons de vallée à vallée et de site à site qui vont me permettre : - de démontrer I'existence de deux phases distinctesd'art rupestre, - et ensuite d'émettredeshypothèses sur le rôle quejouaient ces gravruesainsi que sur les circonstances dans lesquelles elles étaient réalisées. I. RECONI{AISSANCE DE DEUX PHASES DE GRAVURES STYLISÉES 1. DISTRIBUTIONS SPATIALES ET ÉVNIITIIL DES SUJETS REPRNSNT,ITES Toutes les gravures styliseesde I'Adrar des Iforas sont situées en bordure de vallées.Elles apparaissent soit sur des blocs anguleux répartis aux sommetsde dykes qui se dres- sentparfois sur le socle du massif à plus de trente mètresde hauteur,soit sur des granites en boules (frg.1). Leur réparti- tion le long des vallees nord-occidentalesmonfte que les graveurs préféraient s'exprimer, lorsqu'ils en avaient le choix, sur le premier type de suppoil, à savoir en aldnrde et sur les blocs offrant les parois les plus planes et les plus Thev.lux DU LAPMO 1990 lisses.Les rochers susceptibles d'être gravés au centre du massif sontépars. Aussi, dans cette région, les gravures sont peu nombreuses. Elles seconcentrent, âu suddu massif, aux rares endroits où des granites en boules entourentles vallées. Cesgravtues représentent des animauxdomestiques, des animaux sauvages, des personnages aux silhouettes petites et frliformes, ou imposantes et parées, et plus exceptionnellement des objets matérielset des signesabs- traits (ou motifs dont I'identification nous échappe). Aucune espece végûale, aucune espèce de la fauneaquatique, aucun insecte, amphibienou rongeur n'est représenté. L'autruche et le marabout (etprobablement I'ibis), la torrueet la vipère sont les uniques représentants de la fauneornithologiqueet de la faunereptilienne. L'éventail dessujetsfigurés est donc resEeint au vu des animaux que les graveursrencontraient. A ce premier constat,s'en ajoute un second tout aussi important : I'eau tenait une grandeplace dans I'action qui conduisait les graveurs à s'exprimer. Toutes les stations d'art rupestre sont en effet situees à proximité de puits, de mares et de gueltasqui aujourd'hui encore sont alimenteesen eau une partie de I'année, si ce n'est touteI'année. L'exemple de la station d'In Tahaten est sur ce point rès rêvélateur. On accède à ce site en partantde la vallée d'Amboubar et en empruntant sur 2 km un étroit sentier entouré d'éboulis qui s'enfonce dans la montagne d'InaorJrîI.Les gravures n'apparaissentpas en bordure du 93

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REALISATIOI{ ET PERCEPTION DESGRAVURES RUPESTRES STYLISEES

DE L'ADRAR DES IFORAS (Mali)

Christian DUPUYLAPMO-Université de Provence

Résumé :llestdémonné que les gravures stylisées de I'Adrardes Iforas s'intègrentdans deuxphases distinctes d'artrupestre. l,es graveursà I'origine de la phase la plus ancienne étaient des pastews qui faisaient partie d'wre société à forte tradition d'élevage de bovins alors queceux qui leur succédèrent privilégiaient l'élevage des chevaux et des dromadaires.

La distribution topographique de certaines grawres tend à prower que les premiers s'exprimaient en solitaires. Læ sryle élémentairede leurs représentations etletrs techniques de gravwe peu élaborées révèlentqu'il leur importaitpeu de passermaîtres dans I'artde graverles rochers. Le mode de structuration des compositions iout comme des représentations d'animaux hybrides suggèrent que leur traditiond'art rupestre visait à fixer durablement sur la pierre les plans profonds de mythes, lesquels faisaient souvent référence à rois animaux :le bæuf, I'autruche et la girafe. Des parallèles s'établissent entre ces données, certairs mythes spécifiques aux Peuls Wodaabe et un g4rede poésie pastorale propre aux Peuls du Macina.

[,es élevews de chevaux et de dromadaires réalisaient le plus souvent leurs gravures sur des rochers bien en vue, situés à proximité depoints d'eau. De manière plus ou moins expliciæ, leurs compositions nous renvoient les images d'activités qui tout demièrement encoreétaient réservées aux nobles dans la société touarègue. Selon toute vraisemblance, les auteurs de ces grawres étaient des aristocratespaléoberbères, ancêtres des Touaregs actuels.

Les gravures stylisées se comptent par milliers dansI'Adrar des lforas. Leur relevé exhaustif et in situ autorisedes comparaisons de vallée à vallée et de site à site qui vontme permettre :

- de démontrer I'existence de deux phases distinctes d'artrupestre,

- et ensuite d'émettre des hypothèses sur le rôle que jouaientces gravrues ainsi que sur les circonstances dans lesquelleselles étaient réalisées.

I. RECONI{AISSANCE DE DEUX PHASES DEGRAVURES STYLISÉES

1. DISTRIBUTIONS SPATIALES ET ÉVNIITIIL DESSUJETS REPRNSNT,ITES

Toutes les gravures stylisees de I'Adrar des Iforas sontsituées en bordure de vallées. Elles apparaissent soit sur desblocs anguleux répartis aux sommets de dykes qui se dres-sent parfois sur le socle du massif à plus de trente mètres dehauteur, soit sur des granites en boules (frg.1). Leur réparti-tion le long des vallees nord-occidentales monfte que lesgraveurs préféraient s'exprimer, lorsqu'ils en avaient lechoix, sur le premier type de suppoil, à savoir en aldnrde etsur les blocs offrant les parois les plus planes et les plus

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lisses. Les rochers susceptibles d'être gravés au centre dumassif sont épars. Aussi, dans cette région, les gravures sontpeu nombreuses. Elles se concentrent, âu sud du massif, auxrares endroits où des granites en boules entourentles vallées.

Ces gravtues représentent des animaux domestiques, desanimaux sauvages, des personnages aux silhouettes petiteset f r l i formes, ou imposantes et parées, et p lusexceptionnellement des objets matériels et des signes abs-traits (ou motifs dont I'identification nous échappe). Aucuneespece végûale, aucune espèce de la faune aquatique, aucuninsecte, amphibien ou rongeur n'est représenté. L'autrucheet le marabout (etprobablement I'ibis), la torrue et la vipèresont les uniques représentants de la faune ornithologique etde la faune reptilienne. L'éventail des sujets figurés est doncresEeint au vu des animaux que les graveurs rencontraient.

A ce premier constat, s'en ajoute un second tout aussiimportant : I'eau tenait une grande place dans I'action quiconduisait les graveurs à s'exprimer.

Toutes les stations d'art rupestre sont en effet situees àproximité de puits, de mares et de gueltas qui aujourd'huiencore sont alimentees en eau une partie de I'année, si cen'est toute I'année. L'exemple de la station d'In Tahaten estsur ce point rès rêvélateur. On accède à ce site en partant dela vallée d'Amboubar et en empruntant sur 2 km un étroitsentier entouré d'éboulis qui s'enfonce dans la montagned'InaorJrîI. Les gravures n'apparaissent pas en bordure du

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1 - Situation géographique des stations de grawres rupestres auxquelles renvoient.les relevés présentés sur les figures suivantes. Les trois lettres désignent une vallée

GIR : Tirist, TES : Tessalit, AFA : Afara, EGH : Egharghagh, TAG : Taghlit,ELO : Elouedj, TAM : Tamaradant, TAO : Taouardeï) et le chiffre qui suit lenuméro de la station découverte le long de la vallée considérée. Points noirs :stations à grarnrres de bovins majoritaires (petits points, moins de 150 gravures).Points ajourés : stations à grarmres de chevaux et de dromadaires majoritaires.

sentier où elles auraientpu êre facilementréalisées mais surles flancs escarpés d'un petit cirque naturel auquel mène lesentier et au pied duquel se trouve une guelta appelée gueltad'In Tatraten de laquelle la station d'artrupesre dre son nom(fi9.1). Relever les L47 gravures du site nous imposa demultiples et parfois même périlleuses escalades.

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2. STYLES ET TECHNIQUES DE GRAVURES

Les effets de stylisation sont nombreux. D'unemanière générale, I'enlacement d'une dizaine de droi-tes et de courbes, parfois déliées aux niveaux des têteset des membres, suffisaient aux graveurs à rendrecompte des silhouettes des animaux. Quelques repré-sentations au caractère sub-naturaliste sont associéesaux gravures stylisées. Elles s'en distinguent par unrendu plus realiste des membres qui ne sont représen-tés ni rigides ni filiformes mais dont les segmentationsanaûomiques tout comme les épaisseurs sont correcte-ment Eanscrites.

Les organes sensoriels ne sont, jamais représentés àla rare exception des yeux de quelques personnages etdes oreilles d'animaux domestiques et d'animaux sau-vages qui sontrendues par de petits ftaits ou de simpleslobes, greffés sur le contour des têtes en partie frontaleou cervicale ou à la base des cornes. Ces cornes sont,pour la plupfft, représentées sans épaisseur et en pers-pective tordue. Leurs extrémités parfois se rejoignent.IJn certain nombre d'entre-elles, e[ c'est aussi le casdes oreilles pour les animaux sans cornes, sonf im-plantées sur des têtes figurées ouvertes par suite del'absence de représentation des chignons (ou de lapartie sommitale des têtes). Aucune illusion de reliefn'est crêÉeau niveau des organes appariés. Les attitudesdes animaux sont figées. Le style de certaines repré-sentations est parfois si dépouillé qu'il est impossibled'identifier le motif ou I'animal qui est figuré. Lestncés sont piquetés. Certains sont bouchardés. Danstous les cas, les largeus et les profondeurs des traitssont peu importantes.

D'une manière générale, styles et techniques degravure apparaissent donc élémentaires.

3 . AP P ROC H E QU AI{T ITAT IV E,T H É M Aru QU E SET SUPERPOSITIONS

L'approche quandrative révèle I'existence de deuxtypes de stations d'art rupestre : des stations sur les-quelles les représentations de bovins sont majoritaireset les gravures de chevaux et de dromadaires margina-.les, et des stations où c'est I'inverse. Ces stations sontparfois situées à proximité les unes des autres. Nous enavons par exemple découvert trois le long de la valléed'Afara dans un rayon de moins de deux kilomètres(fi9. 2).L'ambiance figurative est riche de bovins surles deux stations pé'riphériques (AFA2, AFA3) alorsque les représentations de chevaux et de dromadairessont majoritaires sur la troisième (AFA1). Par consé-quent, là où des individus représentaient des bovins en

grand nombre, d'aures, ou ces mêmes individus, ne gra-vaient pas ou qu'exceptionnellement des chevaux et desdromadaires et inversement. Deux pôles figuratifs distinctsont donc existé. A en juger par la forte représentativité desanimaux domestiques, des pasteurs de bovins et des éleveursde chevaux et de dromadaires en sont responsables.

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2 - Distribution des stations de gravures le long de la vatlée d'Afara. Représenrativité des esÈces gravées sur les rochers en AFAI et en AFA4 (enAFA2 et en AFA3 sensiblement même histogramme qu'en AFA4)-: on noàra que le, rcpre""nLtior* de chevaux et de dromadaires sonlt majoriraircs enAFAI alors que celles de bovins dominenr en AFA2, AFA3 et AFA4.

une analyse plus fine de leurs gïavures monre que lespasteurs qui gravaient en grand nombre des bovins n'é[aientpas ceux qui représentaient des chevaux et des dromâdaires.

Les compositions des premiers echappent aux lois vi-suelles (fi9.3). Aux côtés des animaux les plus fréquemmentreprésentés, en I'occurence les bæufs, les autruches et les

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Réalisario'n et perception des gavures rupestres srylisées de I'Adrar des lforas

AFARA

Nornbrc de gravureséchartillorrnées

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girafes, sont parfois gravés des personnages, des gazelles et(ou) des cobes, des antilopes oryx etaddax,probablementunélan, un koudou et un hippouague, des chiens, cinq chevauxet deux chèwes, quelques singes, éléphants, rhinocéros,porcins, tortues et serpents, exceptionnellement des mara-bouts et des ibis, des hyènes, utr lion ainsi que des chars, des

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AFAI AFA2 AFA3 AFA4IJovins 5Vo 49Vo 32Vo 4IVo

Chcvaux 48 I 5 3Chamcaux r6 5 5 I

Chiens 0 0,004 I 0,7Chèvres 0 0 0 0,001

Girafes I 7 4 5Autruclrcs '6 24 38 '20

An til.-Gaz-clles 2 I 4 3Autrqs 0 0 3 2

Personnagesen plm frontal 9 6 I 7

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3 - Compositions et éventail des sujets représentés au counl de la phase moyenne : bovins CIAG1/I,TAGZ55), autruches OAGI/I, AFA4a|29,EGHU160), girafes CIAGI/I, EGH2268), porteun de lance (EcH2ll40-nD, porteurs de hallebarde (IAG2Æ8), chèvres (AÊA4e224, EGH2/140), chiat

(EGH2/14O), chevaux (EGR2tTll),Cazelle (AFA3i l8), cobe (IES1/56), oryx @GI2D41), addax @GH2282), probablement un éland (fES2./47), unkoudou (IAG2/19) et un hippotrague (AFA4a29), singes (AFA3/18), éléphant (tAG225), rhinocéros (EGH2I180), porcins (EGH2/144),

lion (IAcl/l), hyène @GH?168), marabouts (EGH2/160), ibis (EGH9/4), tortue @GH2t256) et serpent @GHZ|265), chan (TAG2/55,EGH2Z,iD,roues (AFA4cZC/J.,EGH2|24I) et divers motifs abstraits (nR2/18, AFA4c/137, EGl12ll73-269) tutquels il faudrait rajouterpour êtrc complet des

représentations de motifs alvéolés, se4pentiformes et ovalaires.

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armes (bâtons de jet, hallebardes, lances) et des signesabsraits (ou motifs dont I'identitcation nous échappe). Lesrapports de taille entre animaux associés ne sont jamaisrespectés. Leurs attitudes sont figées et cela même lorsquedes espèces antagonistes dans la nature (herbivores-camivo-req) sont gravées les unes aux côtés des autres. Les silhouettessont souvent, inclinées par rapport à d'autres et gravées sansordre apparent. Il est fréquent que des corps soient vus entansparcnce au travers d'autres corps. Les imbrications desgravures sont parfois si complexes que les compositions endeviennent illisibles, d'autant que les graveus réutilisaientles traits de certaines gravures pour réaliser les gravuressuivanles : la ligne dorsaie d'un animal pouvant servir deligne venrale pour un autre, ses membres antérieurs depostérieurs...

Les auteurs des chevaux et des dromadaires, eux, parcontre, n'enchevêtraient qu'exceptionnellement leurs gra-vures et ne représentaient des silhouettes inclinées par rap-port à d'autres qu'en de très rares occasions (fig. 4). Le plussouvent, les animaux étaient gravés en enfilade ou disposésà différents niveaux. Les tailles relatives des espèces asso-ciées approchent souvent la réalité. Chevaux et dromadairessontainsi liés à des chiens, des autruches, des Gazella dama,des Gazella dorcas, des oryx, plus rarement à des gimfes. Ilest fréquent que des inscriptions alphabétiques complètentces composiûons animalières, aux côtés desquelles appa-raissent parfois des représentations humaines traitées dansdes dimensions imposantes.

Les modes d'agencement des gravures sur les parois etles thématiques permettent donc de reconnaître aisément.lescompositions des pasteurs de bovins, des autres composi-tions. Partant de là, il devient possible de reconnaîre parmiles sujets qui sontreprésentés isolément, ceux qu'ils réalisè-rent. Ces sujets se retrouventen effet intégrés ailleurs dansdes compositions, si bien que les gravures isolées, une foisregroupees, renvoient sensiblement aux mêmes thématiquesque celles développees sur des parois. Les éleveun dechevaux et de dromadaires, eux, ne représentaient isolémentque des chevaux etdes dromadaires et, en dectres occasions,des lions.

Ces donnees permettent de classer les gravures styliséesde I'Adrar des Iforas dans deux ensembles distincts, que cesgravures soient ou non présentes sur des stations identiques,gravées isolémentou intégees dans des compositions. Nousavons pu de ce fait étâblir que les pasteurs de bovinss'exprimèrent fréquemment au nord-ouest du massif etrarement au sud, alors que les éleveurs de chevaux et dedromadaires firent le contraire, et surtout noter, c'est là unpoint fondamenlal, qu'en tous lieux des gravures de I'en-semble équidien-camelin se superposent aux gravures deI'autre ensemble riche de bovins. L'ordre inverse desuperposition n'existe pas. Par conséquent, que ce soit aunord-ouest" au centre ou au sud du massif, des pasteurs debovins gravèrent les rochers avant les éleveurs de chevaux et -

de dromadaires.Il devientalors clairqueles gravures stylisées de I'Adrar

des Iforas s'intègrent dans deux phases distincûes d'art

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rupestre. Les responsables de la première de ces deux phasesque nous appellerons phase moyenfle (1), faisaientpaftie d'unesociété pastorale à forte radition d'élevage de bovins. Lesgraveurs à I'origine de la troisième et dernière phase d'artrupestre (ou phase finale) de I'Adrar des Iforas élevaient,eux, surtout des chevaux et des dromadaires.

IT. LES GRAVURES DE LA PHASE MOYENNE :PERCEPTION ET NÉAUSATION

7. LA TRILOGIE FIGURATIVE BGUF.AUTRUCHE-GIRAFE

Comme le suggère la description du mode de strucrurationdes gravures donnee plus haut, I'art des pasteurs de bovinsà I'origine de la phase moyenne n'a rien de narratif. Leurscompositions ne sont ni la transposition de scènes domesti-ques d'une population pastorale, ni I'illusration de scènesde chasse. Leurs gravures cependant ne semblent pas êtreréunies au hasard sur les parois. Une approche quantitativedu bestiaire montre que la préférence des graveurs allait àcer[aines associations.

Sur I93 compositions relatives à la phase moyenne etcomportant au moins trois représentations animalesidentifiables ,143 comprennent une ou plusieurs gravures debovins qui 2 fois sur 5 sont, associées à des autruches, 1 foissur 4 à des girafes, 1 fois sur 6 à des autruches et des girafeset rarement à d'autres animaux. La cinquantaine de compo-sitions restantes lient ou bien des représentations d'autru-ches entre elles, ou bien des représentations marginalesd'espèces animales entre elles qui,parfois, sont associees àdes autruches ou à des girafes. Ces chiffres font doncclairement apparaître le caractère répétitif des associationsbæuf-autruche, bæuf-girafe et bæuf-autnrche-girafe, troisanimaux dont les graveurs représentaient aussi parfois lessilhouettes isolées sur des parois. Ces faits expliquent pour-quoi la représentativité de ces animaux est si forte sur lesstations de la phase moyenne qui comportent plus de 150gravures. En ces lieux, une glavure sur deux, en moyenne,est un bovin, une sur quaEe une autruche et une sur huit unegirafe alors que la fréquence d'apparition des autres sil-houettes animales, toutes esÈces confondues, n'est que de

U8. C'est dire le rôle central que jouaient les bovins dansI'esprit des graveurs tout comme la place importante qu'ytenaient les autruches et les girafes.

Un autre fait important mérite d'être souligné : lesreprésentadons humaines qui parfois apparaissent dans lescompos i tions an im alières é tudiees ci -dessus, jouxtent d' aussiprès les espèces domestiques (souvent des bovins) que lesespeces sauvages (souvent des autruches et des girafes).Parfois même, certains personnages touchent, guident, voiremenacent de leurs armes des bovins de la même manière qued'autres touchent, guident et menacent des girafes ou bientouchent et guident des autruches et des chevaux ou encoremenacent des éléphants et des antilopes. S ignalons enfin le

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Réalisation et perceprion des gravures rupestres stylisées de I'Adrar des Iforas

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Réalisation et perceprion des gravures rupestres stylisées de I'Adrar des lforas

cas d'un rhinocéros touché à I'arrière rain par un porteu delance (fig. 5).

Le mode d'agencement non narratif des gravures sur lesparois allié au caractère insolite, voire inattendu, des rela-tions graphiques personnages-animaux rendent difficile ladistinction des représentations d'animaux domestiques decelles d'animaux sauvages.

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Une analyse détaillée des gravures monre que parmi lesespèces représentees en promiscuité graphique avec despersonnages, seuls les bovins et les chevaux étaient domes-tiques : leurs robes non homogènes et les cornages de formesvariees nous en fournissent les preuves. Par contre, aucunélément zootechnique ne pennet de se prononcer sur le statutsauvage ou domestique des girafes, des autruches et durhinocéros qui, eux aussi, sont touchés par des personnages.

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5 - Animaux touchés par des personnages.

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Cependant, afin de ne pas spéculer sur le shrut passé de cesanimaux, il faut indiquer que nous ne connaissons pasd'exemple de sociétés qui auraient abandonné l'élevaged'une espèce après avoir entrepris puis réussi à la domesti-quer. Partant de ce constat et du fait qu'aucun documentarchéologique, eu'aucun texte antique égyptien et nord-africain n'atteste de I'existence à de hautes époques defoyers de domestication de guafes, d'autruches (t) ou derhinocéros en Afrique septentrionale, nous arrivons à laconclusion que parmi les animaux représentés touchés, seulsles bovins et les chevaux étaient domestiques. Faut-il alorsvoir dans les compositions monrant des individus en priseavec des animaux sauvages, des scènes de capnrre oud'apprivoisement ou des tentatives de domestication avor-tees ?

Du mufle d'une vingtaine de girafes descend un lien quiaboutit dans la main droite ou gauche de personnages depetite taille, aux silhouettes souvent filiformes. Voir dans cesreprésentations les gmvures d'animaux en captivité est lapremière image qui vient à I'esprit. Plusieurs donnéesiconographiques démentent cependant cette idee. Par en-droit, I'extrémité des pré-supposés lassos ou laisses abouûtdirectement sur la tête de personnages ou se referrne sur lecou des girafes ou encore n'estconnectee à rien (fig. 6). Dansces conditions, il nous paraîtplus logique de voir dans le lienqui descend des mufles, ur rait symbolique tfué de I'univers

Réalisaritrl et perception des gravures rupestres stylisées de I'Adrar des lforas

cosmogonique des graveurs plutôt que la représentaliond'un objet matériel. Cette inteqprétation est d'aut"ant plussatistaisante que les observations faites jusqu'ici sur le modede strucnlration des gfirvures de la phase moyenne ontmontré que les agencements figuratifs ne se faisaient pas lereflet de situations reelles. Les gravures de personnages auxprises avec des autruches et un rhinocéros illustrent à nou-veau ce fait : leun silhouettes sont traitées dans des attirudeshiératiques et leurs tailles sont sans commune proportionavec celle des animaux qu'ils touchent (fig. 5).

Mais de toutes les gravures de la phase moyenne, cellesqui prouvent sans conteste possible que les graveurs pui-saientbien leur source d'inspiration d'un univers qui echap-pait en grande partie à la réalité, ce sont les représentationsd' animaux hybrides mi- g t afe I mi-au truc he e t m i- girafe/m i -bæuf qui, dans l'état actuel des connaissances sur I'artrupestre saharien, sont uniques et tout à tait originales àI'Adrar des lforas. Nous en avons relevé sept le long de roisvallées différentes (fig. 7). Quatre ont un corps d'autruchesrumonté d'une tête de girafe, deux un co{ps de girafe auquelse raccorde une tête de bceuf alors que sur la dernière c'estI'inverse : un protomee de girafe se greffe sur le corps d'unbæuf.

A côté de cette famille de représentations d'animauxhybrides, en apparaît une seconde dont la mixité des carac-tères se joue non plus sur la fusion anatomique de corps

101

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Réalisation et perception des gravures rupestres stylisées de I'Adrar des Iforas

mi-bceuf @GHLl4).

d'animaux différents mais par un rendu disproportionné deleurs silhouettes. Ainsi, une dizaine de bovins est représen-tée avec des cous démesurémentlongs. Deux d'enEe eux onten outre la particularité d'avoir une partie de leur corpsbarrée de rais et I'aure partie couverte de cupules. Cettemixité des decors pourrait traduire l'existence de robesbigarrées, à la fois compartimentees et mouchetees tel qu'ilen existe dans lananrre. Jusque-là doncrien de très troublant.L'élément de trouble survient lorsque I'on note que lessurfaces internes de gravures d'autruches et de girafes sontaussi couvertes de cupules ou banees de traits. Ni I'un ni

r02

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I'autre de ces décors ne peut en effet rendre compte duplumage des autruches. Pour les girafes, seules les cupulespouraient évoquer I'oscellure des robes, mais les traitsaucunement. Signalons enfin qu'une <girafe à lien> a desoreilles dentelees et deux pendeloques frxées à sa mâchoire(frg. 6), des caractères qui habituellement s'observent surdq représentations de bovins.

n semblerait donc que dans I'esprit des graveurs, le

bæuf, I'autruche et la girafe aient joué Sur un plan symboli-que des rôles primordiaux (l'approche quantitative et les

associations le prouvent) et à la fois complémentaires, ce que

EGH2/ t7 1 TAG2/57

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ISTES I /57

TES I /65

7 - Rçrésentations d'animaux hybrides : mi-autruche./mi-girafe (fESl/65, EcH2llTl-l75,TAGZl57), mi-beuf/mi-girafe (TES1/53-57) et mi-ginfe/

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suggèrent I'hybridité et la mixité des caractères de certainesreprésentations. Ainsi, les gravures de la phase moyenneparaissent s'ordonner sur les rochers de l'Adrar des Iforas enune véritable trilogie figurative, une trilogie qui associe unanimal domestique, le bæuf, à deux animaux sauvages,I'autruche et la girafe.

2. UN ART RUPESTRË' AMYTHOGRAPHIQUE

VOCATION

Les croyances actuelles qu'ont les Peuls nomades'Wodaabe du Niger et de I'Adamawa à l'égard des animauxsauvages et de leurs bovins vont nous permettre de saisir enpafiie ce qui probablement amena des pasteurs de bovins às'exprimer comme ils le firent sur les rochers de I'Adrar desIforas.

En 1932, L.N. Reed écrit àpropos des Peuls Wodaabe delaprovince du Bornou (Nord-Nigéria) que <<Allwild animalsand gatnt€ ,lions ,leopards , gazelles , and so on, ore conceivedby the Wo'da'be... as being organized in herds like cattle.Each particular species has its own herdsmen, wh.o pasturethem and tend them in the same way as the Fulanitz)do theircattle. These <spirits>... are imagined as being tn human

formbut of dwarfish stature, and they carry bows and errowsof iron in their hands. They ere normally harmless folk, iftheir <herds> ere not interfered with, but if any one shouldkill a wild animal or a gazelle in their charge, they retaliateby shooting at the herds of the offender. . .)) (p.aaI-442). Unedizaine d'années plus [ard, F. V/. de Saint-Croix fait ànouveau allusion à cette croyance : ,rles esprits possèdentdes troupeau^x d'animau.x sauvages et si un possesseur debétail tire sur l' un d' entre eux,l' esprit (ou génie) se vengeraen tuant des vaches de son troupeau, à moins que le bergerait réussi ri lancer un sorrilège contre I'esprit, avant quecelut-ci att lancé le sien> (1945,p. 54). En 1962,M. Dupireprécise que chezl es Wodaabe nigérien s << /e tr o up e au d e k b usbororos est conçu à I' image des troupeau^x de bêtes sauvagesque conduisent les génies> (p. 35-36). A peu près à la mêmeépoque, D.J. Stenning (1959) rapporte dans l'ouvrage qu'ilconsacre aux Wodaabe du Nigéria la légende suivante : <<the

first Fulani to own cattle is expelledfrom afulani settlement.The context of this expulsion is not stated. He wanders alonein the bush, enduring great lnrdship.Awater spirit appearsand tells him that if he obeys his orders he will acquire greatwealth and be the envy of those who despised him. In oneversion he waters all the wild animals in turn, until finally,in reward fo, his exertions, the spirit sends him cattle towater. In another version the Fulani is enjoined to waitpatiently by a lake until the source of his future wealthappears. The water spirit then tells him to lead the cattleawcry...)) (p. 19-20). Enfin,la plupart des légendes surI'origine du bétâil rapportent que la première vache bororosortit d'un plan d'eau (M. Dupire 1962, p.36).

Deux éléments occupent une place centrale dans cesmythes. Le premier est le respect que porte le pasteur à lafaune sauvage qu'il croit dirigee par des génies protecteursqui sont et qui font ce que lui même est et fait à l'égard de sesbovins. Le second est I'eau. C'est autour d'un plan d'eau et

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Réalisation et perception des gravures rupestres stylisées de I'Adrar des lforas

sur les conseils d'un génie de I'eau, que le pasteur prend soindes animaux sauvages et c'est de ce même plan d'eau qu'ilreçoit en retour et comme récompense, son troupeau. Or, quenous montre I'art rupesEe de I'Adrar des Iforas ?

Il nous montre d'abord que les stations de gravures detaille importante sont toutes situees à proximité de rnares oude gueltas qui sont réapprovisionnées en eau après chaquesaison des pluies et dont on peut alors mesurer l'étendue duhaut des crêtes rocheuses sur lesquelles s'exprimaient lesgraveurs. Ce fait n' a rien d'exceptionnel puisqu' il est sommetoute logique que les gravrues se concentrent aux endroitsoù, par le passé, les éleveurs de bovins s'attardaient pourabreuver leurs ftoupeaux. Le trouble survient lorque I'onessaie d'interpréter les observations faites jusqu'ici à lalumière des croyances des Peuls Wodaabe. Des parallèlespeuvent alors s'établir comme suit :

- des personnages sont représentés associés à des animauxsauvages de la même manière que d'autres sont associés àdes animaux domestiques. Les premiers ne seraienrils pasles représentalions de génies (ou esprits) protecteurs de lafaune sauvage, gravés à I'image des personnages associésaux bovins qui, eux, seraient les véritables représentationsde pasteurs ?

- animaux sauvages et animaux domestiques se mêlent ets'entremêlent dans les compositions comme si dans I'uni-vers cosmogonique des graveurs le clivage faune sauvage/faune domestique n'étaitpas aussi tranché que ce qu'il1'étaitdans la réalité. Certains pasteurs ne seraient-ils pas allésjusqu'à imaginer que des bovins et des autruches puissents'accoupler avec des girafes pour donner naissance à desanimaux hybrides ; idée qui était entretenue d'une généra-tion de pasteurs à I'aure par... le génie de I'eau, toujoursproche des lieux de gravures ? ...

Bien entendu, il ne faut pas donner à ces rapprochementsplus de valeur qu'ils n'en ont. Leur objectif principal est demettre en lumière la vocation mythographique d'un artrupestre. Le mobile qui poussa des pasteurs à s'exprimer surles rochers de I'Adrar des Iforas de manière non narrativenous apparaît dès lors plus clair. Selon toute waisemblance,leur action visait à fixer durablement sur la pierre les plansprofonds de mythes (ou de contes et de légendes quiéchappaient en partie à la réalité), lesquels faisaient souventréférence à trois animaux : le bæuf, 1'autruche et la girafe.L' ex ftapolation en re mytholo gie peule e t art rupes Ee s' arrêtelà. Irious nous refusons en effet, sur la base des rapproche-ments énoncés, de faire des responsables de la phase moyenneles ancêtres des Peuls 'Wodaabe et cela, pour la simple raisonque les mythes wodaabe actuels n'expliquent à aucun mo-ment la trilogie figurative bæuf-autruche-girafe. Les rap-prochements énoncés seraient-ils alors fortuits ? Il est im-possible de le dire car le signifié tout comme le signifiant desgravures durent en grande partie se perdre simultanémentavec l'évanouissement de la tradition d'art rupesre desauteurs de la phase moyenne. C'est pourquoi on ne poulravraisemblablement n'avoir jamais plus que des présomp-tions sur la valeur de mythogrammes dont le dechiffrement

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Réalisation et perception des gravures rupestres stylisées de I'Adrar des lforas

s'appuie sur l'étude de traditions orales actuelles. A défautdonc de pouvoir un jour retrouver avec certitude leur clef delecnre, voyons dans quelles circonstances ils étaient reali-sés.

3, UAI ART MYTHOGRAPHISUE ET POPUIAIRE

C'est au sommet des dykes que s'exprimaient surtout lesgraveurs. Leurs gravwes se comptent par centaines à certainsendroits, par dizaines à d'autres, mais parfois aussi sur lesdoigts d'une main. Nous avons par exemple relevé ausommet de la montagne d'Ekajanghar une représentationisolée d'autruche. Cene montâgne est situee le long de lavallée d'Egharghagh enre les stations d'Inabeg GGHIO) etd'Assag @GH9) qui comptent quelques dizaines de gravu-res et la station d'Enguenhat GGHB) qui en comporte prèsde 200 (fig. 8). Cet exemple qui, précisons-le, n'est pasexclusif à la vallée d'Egharghagh, montre combien la tailledes stations varie sur des espaces restreints. Plusieurs don-nees suggèrent que leur importance est corrélative auxactions solitaires, indépendantes et répétees de pasteurs debovins plutôt qu'aux interventions collectives de groupes depasteurs.

Nous avons en effet decouvert de nombreuses gravuresisolées comme I'est la gravure d'autruche d'Ekajanghar.Ces représentations qui apparaissent en dehors de tout con-texte figuratif s'intègrentdans 1'évent"ail des sujets représen-tés ailleurs en plus grand nombre par les responsables de la

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phase moyenne. Ces gravures sont souvent élémentaires surle plan du style. Elles étaient donc très waisemblablementrealisées en quelques minutes par des pasteurs solitairespour qui passer maîtres dans I'art de graver les rochersimportait peu. L'un d'entre eux représen[a une autruche surla montagne d'Ekajanghar. IJn autre esquissa plus loin lasilhouette d'un éléphant. Le même ou un autre, ailleurs, celled'une hallebardo...

C'est très probablement dans les mêmes circonstancesque les pasteurs s'exprimaient aux endroits où les gravuressont nombreuses. L'espace circonscrit à cerlains rochersgravés est en effet parfois si exigu que la seule alternativepour relever les gravures qu'ils portent est de travailler seul.Les graveurs qui me precédèrent en ces endroits étaientdonc, eux aussi, forcément seuls. Ils représentaient alors unanimal, ur objet, un personnage, qu'ils laissaient parfoisinachevé ou gravaient en plusieurs exemplaires le mêmeanimal ou le même objet ou s'investissaient dans la réalisa-tion de compositions riches en figures de bæufs, d'autrucheset de girafes. Le plus su{prenilt, et à la fois le plus instructif,vient du tait que les graveurs qui s'exprimaient aux endroisfaciles d'accès,le taisaient de la même manière que ceux quitravaillaient aux endroits périlleux à atteindre. C'est pêle-mêle, en motifs isolés, répétés ou associés et sans qu'aucunecomposition ne soit identique à une autre alors que lamajorité des gravures représente des bæufs, des autruches etdes girafes, que nous apparaissent leurs témoignages. Cet

agencement aléatoire des gravures aux endroits d'accèsdifficiles comme aux endroits faciles d'accès donnent àpenser que les pasteurs à I'origine de la phase moyenne,où que ce fut, s'exprimèrent en soliraires sans êtreaccompagnés d' aucune personne.

Il est aussi important de noterque des pôles figuratifsse dégagent des stations de taille importante. On passeainsi, en longeant les crêtes rocheuses de la montagned'Issamadanen qui comporte des milliers de gravures,d'ensembles riches de représentations de porteurs delance à des ensembles comportant de nombreuses gra-vures d'animaux etpauvres en silhouettes humaines. AIssamadanen sud, I'un de ces ensembles comprend desreprésentations de porteurs de lance si originales sur leplan du style que I'on peut sans grand risque affirmerqu'un seul et, même gmveur en est responsable. Cesgravures sont réparties sur différentes parois. Elles sontassociees à des bæufs, des autruches et un chien (fig. 5,EGEj2PSO), plus loin à un bæuf et, à une girafe, etencore plus loin à deux chevaux (fig. 3, EGH2|271)...Or, on retrouve ces chevaux gravés dans le même stylele long de la vallee d'Afara où ils sont associés à unchar, à un bæuf et à une autruche mais aussi à deuxporteurs de lance identiques à maints égards à ceuxd'Issamadanen (fig. 5, AFA4df207).Par conséquent, ily a tout lieu de penser que I'individu qui grava lesporteurs de lance d'Issamadanen sud, est celui quirealisa la composition de gravures de la vallée d'Afara,à moins qu'il ne s'agisse de l'æuwe d'un autre graveur

I - La flèche indique la position de la gravure isolée d'autruche sur lamontagne d' Ekajanghar.

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qui, dans ce cas, était un proche parent du premier. Alors queI'un réalisa à Issamadanen une cinquantaine de gravuresqu'il disposa sur diverses parois en plusieurs séquencesfi guratives distinctes, son procheparent (ou lui-même) gravaen solitaire une composition unique en son genre le longd'une autre vallee. Il est difficile d'affirmer que tous lesgraveurs s'exprimèrent comme celui ou ceux que nousavons pris pour exemple, c'est-à-dire de manière répétitiveou périodique à certains endroits et dans des circonstancesoccasionnelles à d'autres. Les gravures sont en effet ropsouvent de style et de technique élémentaires pour que I'onpuisse distingueren toute objectivité la marque d'un pasteurde celle d'un auEe pasteur. Aussi la présence de pôlesfiguratifs sur les stations de taille importânte peut s'expli-quer par I'action répêtee d'un seul et même pasteu en unendroit donné, comme elle peut aussi s' expliquer par I' inter-vention successive de pasteurs différenB d'un groupe donnéen cet endroit. Quoiqu'il en soit, les graveurs s'exprimaientchaque fois de manière originale en tirant leur partition d'unrepertoire limité de tgures. Ils représentaient là un animal ouun personnage ou encore un objet qu'ils intégraient ailleursdans une ou plusieurs compositions, des compositions qui,prises dans leur ensemble, renvoient de manière récurrenteà trois animaux : le bæuf, I'autruche et la girafe.

Il apparaît ainsi, à la lumière de ces données, que leur artétait non seulement un aft mythographique mais aussi un artpopulaire. Nous voulons signifier par là que tout pasteur,sans avoir été au préalable initié à I'art de graver les rochers,avait la liberté de s'exprimer 1à où il le voulait, tel que saconscience le lui commandait. Nombreux sont ceux quis'exprimèrent aux sommets des dykes situés à proximité deplans d'eau, peut-être parce qu'en ces endroits la capacité demédiation despierres avec leurs génies (ou esprits) tutélairesétait supposee plus forte que nulle part ailleurs (a). Seuls ences lieux, supendus entre ciel et terre, ils représentrient alorsl'animal, I'objet, le personnage, la composition de leurchoix,leoules motifs qui en dehors de toutsystème figuatifou dans le système mis en place par leurs prédécesseurs etpar eux-mêmes, recouwaient à leur esprit la plus foræcharge émotive.

On ne peut alors s'empêcher de metlre en parallèle lesrésultats auxquels nous arrivons avec ce que ChristianeSeydou écrit à propos de la poésie pastorale peule maliennequ'elle considère comme <<l'illustration idéale d' un genrelitté r air e sp é cifi quement e t oi gine I I e me nt pe ul. . .>> ( 1 9 86,p. 109) : <<Au M ali, la p o é sie past orale... s' exprime à tr av er sdeux genres principaux; les mergi er les jammooje na'i ; siles premiers traitent des sujets les plus variés, les secondssont exclusivement consacrés atu bovins et aw réalités deIavie nomade.Ces <louanges auxbovins>, composées parchaque berger durant ses mais dc transhumance solitaire encompagnie de ses seules bêtes, sont clamées en public, unefois par an, lors des grands rassemblements qui à la décruedu Niger, ramànent tous les troupeaw vers le fond de lacluettefuviale. Les points de jonction des troupeaux sontlethéâtre defestivités où sont admirés et honorés Ie troupeaule plus beau, le taureau le plus gras etfêtés les bergers les

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Réalisation et perception des gmvures rupestres stylisées de I'Adrar des lforas

plus habiles dans les techniques postorales et les plus douésdans I' art poétique...

Ces poèmes. . . livrent une interminable évocation <à jetcontinw), ne reposant sur eucun plan narratif structuré, nesuivant aucun fil conducteur, le seul lien d' un groupe demots au suivant étant de nature plnnique et la seule unitésémantique étant Ie troupeau transhumant, objet unique decette inspiration poétique. . .))

Bien que jouant de prime abord sur deux registres senso-riels différents, la poésie sur I'audition, I'art rupestre sur lavision, il est troublant de noter combien le champ d'évoca-tion induit par les jammooje na'i recoupe celui induit parl'observation des gravures de la phase moyenne. A tel pointqu'en modifiant à peine la fin de cette citation, nous résu-mons en partie ce que nous avons déjà ecrit à propos de I'artrupestre, à savoir que : cet art (<<c es poèmes))) ne repose suraucun plan narratif strucnré, ne suit aucun fil conducteur, leseul lien d'un groupe de gravures (omots)) au suivant étantla représentation de bovins ("le troupeau transhumantr)...auxquels sont fréquemment associées des girafes et desautruches.

Les analogies entre poésie pastorale et art rupesre sejouent encore sur un autre niveau que le niveau formel. Auxrécits solitaires des pasteurs poètes du Macina, nous pou-vons en effet corréler les actions solitaires des pasteursgraveurs de l'Adrar des lforas, lier les récits improvisés despremiers aux compositions en tout lieu originales des se-conds et pour {inir, mettre en parallèle la cuvette fluviale duNiger, point de jonction des troupeaux et lieu d'expressionpopulaire, avec les points d'eau de l'Adrar des lforas, lieu degravure rupes tre popu laire. L es circ on stân c es q ui auj o urd' h uiamènent les Peuls du Macina à clamer chaque année enpublic leurs poèmes nous apparaissent ainsi très proches decelles qui jadis conduisaient des pasteurs de bovins à inciserles rochers de I'Adrar des Iforas. Ce jeu de similinrdes aussitroublant qu'il soit, peut-il nous aider à avancer dans laconnaissance de la société à I'origine de la phase d'artrupestre moyenne de I'Adrar des lforas ?

Avant de répondre à cette question, notons en prernierlieu que les jammooje ne' i,pas plus que les mythes des PeulsWodaabe ne I'ont fait, n'expliquent le mythogramme bæuf-autruche-girafe. Le contraire serait en tait surprenant. Lesmythogmmmes de la phase moyenne ne furent très proba-blement plus $avés à partir du moment où les myûes, lescontes et les histoires qui sous-tendaient leur realisadon semélangèrent à d'autres mythes, contes et histoires. Le sensoriginel qui motivait leur représentation gravée s'évaporaainsi progressivement, pour finalement s'évanouir. C'estpourquoi reEouver à travers les traditions orales de peuplesafticains, qui ne gravent ni ne peignent les rochers de leurterritoire, la signification des mythogrammes de la phasemoyenne sera à n'en pas douter, une tâche fort difficile.

Les rapports qui s'établissententre I'artrupesre, un tlpede poesie pastorale des Peuls du Macina et quelques mythesoriginaux aux Wodaabe, aussi incomplets qu'ils soient, me

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Réalisarion et perception des gravures rupestres stylisées de I'Adrar des lforas

paraissent néanmoins révéler que les preoccupations de lasociété à I'origine de la phase moyenne de I'Adrar des Iforasétaient proches de celles qui aujourd'hui commandent lesmanières de penser et de faire des Peuls du Macina et desPeuls Wodaabe. Faut-il, partant de là, tout en sachant que lasociété peule est la seule société d'Afrique de I'Ouest chezqui 1'élevage des bovins joue encore aujourd'hûi un rôlecentral dans I'organisation des relations sociales, faire desauteurs des gravures de la phase moyenne des Paléopeuls,ancêtres des Peuls actuels ? Ou bien, faut-il considérer queles similitudes observées résultent d'un simple phénomènede convergence qui conduirait toutes sociétés à traditiond'élevage de bovins évoluant dans des milieux naturelsvoisins, à exprimer au fil du temps, sous des formes diverses(art rupestre, tradition orale, gestes...), des préoccupationsidentiques ? Pour répondre de manière objective à cesquestions, il reste à analyser les gravures de la phase moyenne,non plus globalement, comme nous I'avons fait jusqu'ici,mais une par une, afin de savoir lesquelles renvoient à despratiques et à des croyances originales à des peuples pasteursd'Afrique septentrionale. La Épartition géographique deces gravures, leur force de rappel vers des raditions actuelleset l'évaluation de leur âge (qui sera taite à partir des donnéesde fouilles archéologiques et des informations tirees detextes antiques égyptiens) pourraient, dans la mesure où cesdifférents champs d'investigation s'harmonisaient, nousconduire à émettre de sérieuses hypothèses sur I'origine etsur I'identité des auteurs des gravures de la phase moyennede I'Adrar des lforas.

III. DES ARISTOCRATES PALEOBERBERES AL'ORIGINE DES GRAVURES DE LA PHASE

FINALE

C'est en d'autres termes que se pose l'étude des gravuresde la phase finale, d'une part parce que les compositions decette phase, comme nous I'avons souligné dans la premièrepartie de notre démonstration, ne se srucfurent pas de lamême manière et bien souvent n'apparaissent pas aux mê-mes endroits que les compositions de la phase moyenne, etd'autre part parce que I'identité de ceux qui les réalisèrent netait ici guère de doute.

Sur 102 compositions animalières relatives à cette phase,43 comprennent une ou plusieurs gravures de chevaux ,22une ou plusieurs gravures de dromadaires, 37 L'une et I'auEede ces représentations qui parfois sont associees à desgravures d'animaux sauvages :7Vo d'entre elles le sont à desGazella dama ou Gazella dorcas,9To à des oryx, ZlVo à desautruches et I7o à des girafes. Il est fréquent que descaractères alphabétiques complètent ces compositions.Nombre d'entre eux se reEouvent dans l'écriture tifinaghactuelle utilisee par les Touaregs de I'Adrar des Iforas pourtranscrire leur langue berbère : le tamasheq. Par conséquent,il ne fait guère de doute que les auteurs de la dernière phased'art rupesre de I'Adrar des Iforas étaient des Paléoberbèresà la fois cavaliers et, chameliers, ancêtres des Touaregs

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C. DUPUY

actuels. Précisons encore qu'à l'époque où ils s'exprimè-rent, ces Paléoberbères faisaient très probablement partied'une société hiérarchisée au sein de laquelle ils occupaientle haut de 1'échelle sociale.

Cette dernière idee nous est suggérée par plusieurs faits.Le premier d'enffe eux est tiré des donnees de I'ethnologie.Dans les confédérations touarègues, l'élevage des chevauxet des dromadaires était encore au début du siecle exclusive-ment réservé aux aristocrates. lJtilisés à des fins pacifiques,pour des activités nobles telle que la chasse à courre, maisaussi à des fins belliqueuses, pour les guerres et les rezzotJs,le cheval et le dromadaire avaient -comme ce dernier aencore aujourd'hui dans la société touarègue (les choses sontdésormais un peu différentes pour le cheval qui a pratique-ment disparu à cause de la déser-tification)- <<une valeur deprestige intégrée, socialement reconnue, véhiculant uneimage de Ia supériorité>> (Bourgeot 1986, p. 146). C'estprobablement parce que ces animaux étaient déjà source deprestige à l'époque où les gravures étaient réalisées que leurreprésentativité sur les stations d'art rupestre paléoberbèreest si forte (fig. 2, AFAl). Or qui, à cette époque, étaient plusaptes et plus motivés à imprimer dans la pierre leurs imagesque ceux qui précisément éraient habilités à élever et àmonter ces animaux nobles par excellence, imposant ourenforçant ainsi de fait leur autorité dans I'Adrar des lforas ?Nous pensons, bien entendu, aux aristocrates du moment,Paléoberbères à la fois cavaliers et chameliers.

C'est au voisinage des puits et sur des parois bien visiblesdes vallées que leurs témoignages rupestres apparaissent lesplus nombreux. La répartition topographique des gravures àIn-Tahaten, station dont nous avons parlé dans la premièrepartie de cet article, est fort instructive. Les gravures de laphase finale sont toutes visibles des bords de la guelta. Cellesde la phase moyenne apparaissent à plus haute altitude. Ellessont de ce fait en grande parrie dissimulées de la guelta parles éboulis. Les éleveurs de chevaux et de dromadairess'exprimaient donc de préférence en des lieux proches despoints d'eaux, su les parois qui étaient les plus en vue. Detemps à autre cependant, ils gravaient les rochers situés à desendroits d'accès plus difficile, en I'occurrence là où lespasteurs de bovins à I'origine de la phase moyenne avaientcoutume de le faire. Dans ce cas, une fois sur deux, ilssuperposaient leurs gravures à celles de la phase moyenne,pour en déprecier la valeur ou en réactualiser le sens. Larareté de leurs témoignages en ces lieux donne à penser quec'est en solitaires et dans des circonstances exceptionnellesqu'ils agissaient de la sorte. Il est par contre impossible dedire si c'est en groupe ou en solitaire, de manière répetitiveou occasionnelle, qu'ils s'exprimaient là où leurs gravuressont nombreuses. Leurs témoignages, bien souvent, sonf eneffet de style rop élémentaire et les types de tracés tropcommuns, pour que I'on puisse distinguer l'æuwe d'unaristocrate de celle d'un autre aristocrate.

Il faut cependant préciser que les représentations de laphase finale apparaissentplus homogènes sur le plan du styleque celles de la phase moyenne. Les silhouettes des chevaux,

Tnrveux pu LAPMO 1990

C. DUPUY Réalisation et perception des gravures rupestres stylisees de I'Adrar des lforas

f f inTAl"1 | / 4 TES 1 /97 AFAI/45

9 - Classification stylistique des rçrésentations de chevaux de Taouardeï (d'après Caligari 1989, p. 13). En complétant cene classification par les cinqfigures du haut, sont ici Ésumés tous les modes de repÉsentation des chevaux de la phase d'an rupestre finale de I'Adrar des lforas,

TESI/96TAfl | /3 '

Tnevaux DU LAPMO 1990 r07

Réalisarion et perception des gravures rupestres stylisées de I'Adrar des lforas

par exemple, sont presque toutes levrettées : le ventre deI'animal est généralement peu volumineux, les membressont, fins, 1'ensellure est marquée à divers degrés, la queue estdétachée de I'arrière-ftain et la tête portée haut, les plusgrandes variations se jouant au niveau de la longueu et deI'empâtement des cous et de I'angle pris entre I'axe du corpset I'axe du cou. Ainsi, la classification stylistique des che-vaux gravés à Taouardeï (station de gravures rupestresexclusivement paleoberbère située au sud de l'Adrar desIforas) établie par G. Calegari (1989, p. 13) peut êteétendue, à quelques exceptions près, à toutes les représenta-tions de chevaux de I'Adrar des Iforas (ûg. 9). Le fait que cesgravures aientétéréalisées, comme nous I'avançons, par desaristocrates, donc par une couche sociale bien définie de lasociété, porurait expliquer que les modes de représentationdes animaux gravés au cours de la phase finale soient plushomogènes que ceux des animaux représentés au cours de laphase moyenne dont la réalisation des gravures était laisseeà I'initiative de pasteurs qui, probablement, faisaient partied'une société non pas hiérarchisée et cenralisee à la manièrede la société touarègue, mais plutôt organisée à la manière decertains groupes Peuls actuels. Chez les Wodaabe, parexemple, le commandement n'existe qu'à deux niveaux :celui du campement avec le jom-wuro et celui de la fractionavec l'ardo (Dupire 1962, p. 281).

Avant de conclure, il me faut dire encore quelques motsdu message que déliwent les gravures de la phase finale.N'importe quel individu qui allait au puits pour abreuver sontroupeau et se réapprovisionner en eau pouvait voir laplupart de ces gravures. Sans entrer dans le détail, il y voyaitdes chevaux et des dromadaires, associés ou non à desanimaux sauvages et parfois à des représentations de guer-riers (ou divinités guerrières), gravés dans des dimensionsimposantes, habillés de vêtements amples et bien couvrantset armés de plusieurs javelos (fig. 4). De manière plus oumoins explicite, ces images renvoient à trois activités qui,encore récemment, étaientconsidérées par tous les membresde la société touarègue comme des activités nobles :

- l'élevage et, la monte des chevaux et des dromadaires,

- la chasse à coure,

- et, denière les images de porteurs de javelots,la guerre,qu'elle soit d'honneur ou de conquête.

Sans vouloir préjuger du sens et de la valeur que lesaristocrates donnaient à leur action de graver les rochers, ilestclair qu'aux endroits où ils s'exprimaient, leurs gravures,après coup, avaient le pouvoir de renforcer les rapports dedomination aux tributaires et aures dépendants qui,en allantau puits, identifiaient quotidiennement sur les rochers, sanss'y identifier, les nobles activités de leurs protecteurs.

CONCLUSION

Ainsi, de mythographique,l'artrupesre devient en quel-que sorte socio-anecdotique sans aure forme de transition.Rupture des thématiques, rupture du mode de structuration

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des compositions, redistributions spatiales des stations d'artrupestre le long des vallées, sont autant d'éléments qui mefontrejeter f idee que les descendants des pasteus de bovinsà l'origine de la phase moyenne de I'Adrar des lforas, endéveloppant l'élevage du cheval et se convertissant à celuidu dromadaire, aientréalisé les gravures de laphase finale (s).

Au terme de cette démonstration, le scénario à retenir estcelui de la rupture, non celui de la filiation. Les deux phasesde gravure stylisee de 1'Adrar des Iforas sont attribuables àdeux sociétés pastorales distinctes. L'ordre immuable dessupe{positions nous fournit en outre la preuve que les auteursdes gravures de la phase moyenne ne gmvaient déjà plus lesrochers du massif lorsque des aristocrates paléoberbèresvenus d'ailleurs commencèrent à le faire. Alors que lespremiers s'exprimèrent la plupart du temps aux sommets desmontagnes, comme pour mieux adresser leurs gravures à despuissances célestes ou pour mieux entrer en communicationavec elles, leurs successeurs le firent le plus souvent sur desparois visibles des vallées, renforçant ainsi, et peut-être sansen avoir conscience, leur pouvoir par le pouvoir de leursimages.

Peuls et Touaregs aujourd'hui sont unanimes : la realisa-tion des gravures sud sahariennes remonte à une époque oùles pierres étaient molles. Les Peuls les attribuent à leur dieucréateur, Gueno, qui donna ensuite ordre au roi borgne, lesoleil, de les durcir sous ses rayons (Flampaté B a et KestelootL969,p.23). Les Touaregs, quant à eux, les assignent à I 'unde leurs héros mythiques, le fondateur de leur culrure :Amamellen (Claudot 1986, p. 556).

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l,{OTES

(1) - Pour la distinguer de la phase de gravure naturaliste ancienne de i'Adrar des lforas dont les auteurs faisaient aussi partie d'une société pastorale à fortetradition d'élevage de bovins. J'ai consacré un récent article aux gravures de cette phase sur lesquelles je ne reviendrai pas ici @upuy I 989, p. 15 l -174).

(2) - H. Camps-Fabrer (1963, p. 97) nous signale que <l'élevage Égulierdes autruches entretenues pourl'exportation de leurplumage existait déjà au débutdu XD(e siècle en Egypte et dans cenaines tribus du Kordofan>. Des documents recueillis par les explorateurs africains I'attestant. l-e problème qui se poseà nous ici est de savoir à quand remone la domestication de ce volatile. Des gravurcs rupestrcs relevées Ie long de la vallée du Nil qui pourraient dater duPrédynastique égyptien, ainsi quedespeintures d'époque dynastiquemontrent des autruches aux prises avec des personnages. Cependant le silence des textesantiques égyptiens et nord africains au sujet de la dornestication de ce grand volatile nous conduit à voir dans ces représentations, des animaux en captivitéou des animaux apprivoisés, plurôt que des scènes d'élevage. Cela est d'autant plus vraisemblable que I'autruche peut facilemenr s'apprivoiser (Camps-Fabrer 1990, p. 1 184).

(3) - <Fulanb> est la désignarion des Peuls en langue ÉIausa, <.Peul>> en étant le terme Wolof.

(4) - IL est intéressant, à des fins de comparaison, de se reponer à l'étude que G. Camps (1990, p. 660-672) consacre aux rôles que jouent depuis I'antiquitéles montagnes, I'eau et les animaux dans le monde berbère.

Remerciements

Cet article fait référence à de nombreuses obsewations de terrain, lesquelles se sont accumulées au fil de missions que j'ai pu mener à bien grâce aux ajdesde la Fondation Fyssen, de la Fondation de France, du Ministère de la Coopération et à une invitation du Centro Studi Archeologia Africana de rVliian. laréussite de ces missions doit aussi beaucoup à Monsieur K. Sanogo, Directeur de l1nstitut des Sciences Humaines de Bamako, qui a toujours dormé une suitefavorable à mes projets et au Professeur G. Camps dont les encouragemerts répétés m'ont éré d'un grand support moral. Aussi, je profire de I'occasion quim'est donnée ici pour les rernercier lout oarticulièrement.

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