« Texte et contexte. Tendances récentes de la recherche en hagiologie »

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H 1 S. T 0 . 1 R E Sous la direcon de Sophie CASSAGNES-BROUQUET, au CHAUOU, Daniel PICHOT et .Lionel ROUSSELOT Religion et _meptalités au Moyen Age Mélanges en l'ho�neur· d' ervé Martin 1, P R E S S E S U N I V E R S J T A ·1 R E S D E R E N N E S -"

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H 1 S. T 0 . 1 R E

Sous la direction de

Sophie CASSAGNES-BROUQUET, Amaury CHAUOU, Daniel PICHOT et .Lionel ROUSSELOT

Religion et _meptalités au Moyen Age Mélanges en l'ho�neur· d'�ervé Martin

1,

P R E S S E S U N I V E R S J T A ·1 R E S D E R E N N E S

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Texte et contexte. Tendances récentes de la recherche en hagiologie

Patrick HENRIET Université Paris IV, Paris Sorbonne

Hagiologie : le mot n'est pas des plus répandus 1, certains pourront le juger disgra­cieux, niais il a l'avantage de la clarté. Lhagiologue s'occupe d'hagiographie, il n' œuvre pas pour la plus grande gloire des saints. Lhagiologie peut donc être sommairement qualifiée comme la production scientifique relative aux saints, ce qui la place nécessai­rement dans la lignée des bollandistes, qui œuvrent dans cette direction depuis plus de trois siècles 2. Cette production« hagiologique » peut elle-même, très schématiquement, être divisée en deux groupes : d'un côté les études relatives aux saints et à la sainteté vécue, de l'autre celles qui privilégient les textes, dans une perspective philologique ou historique. Il va sans dire que ces deux axes se croisent en permanence et que nombre de chercheurs ne se restreignent pas à telle ou telle dimension de l'hagiologie.

Il a paru utile de proposer ici, non sans quelque imprudence tant la production est volumineuse et les lignes comptées, un exposé sur « les tendances récentes de la recherche en hagiologie ». En effet, s'il est difficile pour les hagiologues de profession de se tenir au courant non seulement de toutes les manifestations et publications, mais aussi de toutes les tendances de la recherche, que dire des historiens engagés dans d'autres domaines mais néanmoins conscients de l'importance des recherches hagiologiques? Or les enjeux soulevés par celles-ci sont loin d'être secondaires : il s'agit tout simple­ment de savoir comment traiter un corpus narratif qui est, de loin, le plus important de tous ceux que nous a légué le Moyen Âge. Les pages qui suivent visent donc l'uti­lité, mais elles ne prétendent en aucun cas à l'exhaustivité, voire même à l'impartialité. Il existe d'ailleurs plusieurs moyens commodes de collecter les informations relatives

1. Rares sont les travaux l'utilisant. Cf cependant VAN UYTFANGHE M.,« Les avatars contemporains de l'hagiologie », Francia, 5, 1977, p. 639-671; GREGOIRE R., Manuale diAgiologia, Fabriano, 1987; et HELVÉTIUS A. M.,« Les saints et !'Histoire. I.:apport de l'hagiologie à la médiévistique d'aujourd'hui», GOETZ H. W. (éd.), Die Aktualitat des Mittelalters, Bochum, 2000, p. 135-163. Le terme« hagiographie» lui-même n'est guère médiéval, en tout cas au sens où nous l'entendons. Forgé par saint Jérôme, il désigne d'abord les livres de la Bible : PHILIPPART G., « Hagiographes et hagiographie, ha�iologes et hagiologie: des mots et des concepts», Hagiographica, l, 1994, p. 1-16.

2. Cf. DELEHAYE H., A travers trois siècles. L'œuvre des bollandistes, 1615-1915, Bruxelles, 1920; PEETERS P., L'œuvre des bollandistes, Bruxelles, 1961; HAUSBERGER K.,« Das kritische hagiographische Werk der Bollandisten », SCHWAIGER G. (éd.), Historïsche Kritik in der Theologie. Beitrage zu ihrer Geschichte, Gottingen, 1980, p. 210-244; DUBOIS J. et LEMAÎTRE J.-L., Sources et méthodes de l'hagiographie médiévale, Paris, 1993, p. 46-52; WEILANDT G., « Ansichten über das Mittelalter. Zur Bewertung hagiographischerTexte in der neuzeitlichen Geschichtsforshung », KERSCHER G. (éd.), Hagiographie und Kunst. Der Heiligenkult in Schrift, Bild und Architektur, Berlin, 1993, p. 32-40.

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PATRICK HENRTET

aux travaux hagiologiques récents 3. Il a donc âllu opérer des choix drastiques. Le pre-mier a été, si I'on reprend la rypologie ébauchée ci-dessus, de privilégier le second r'.r-sant des recherches hagiologiques : soit les recherches liées à fexamà du texte hagio-graphique sous tous ses aspects plus que celles qui traitent de la sainteté vécue a. End'autres termes, celles_ qui mettent en valeur le fait qu'avant de nous renseigner sur unsaint, un texte nous fait connaître un hagiographe 5. Sauf exception, les travaui aux-quels nous renverrons ont été publiés depuis le début des années quatre-vingt-dix. Lestextes considérés sont latins et ne dépassent pas le )ilII' siècle. Têl quel, le sulet de cetarticle est déjà démesuré.

La simple consultation de Ia Bibliotheca Hagiographica Latina (BHL) permet demesurer le poids du corpus hagiographique par rapporr aux auûes sources rnédiévales :

plus de 13 000 textes pourvus d'un numéro dans tà BFII- er son Nouum Supplementum,lesquels, regroupés en dossiers, sont encore 33216. Encore ces chiffres ne comprennenr-

!k ptt les innombrables æuvres hagiographiques en langue vernaculaire, qui n ont encorefait I'objet d'aucun dénombrement systématiqueT. Quel genre littéraire pourrait riva-liser, d'un point de vue quandtatif, avec cette impressionnante masse ? Certainementpas, en toul cas, I'historiographie, les chroniques et autres annales pesanr en effet bienpeu face aux milliers de vies de saints et recueils de miracles8... Quiconque a eu un jour

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3. V.o1;nparticulier la livraison annuelle de Medioeuo Latino,la copieuse bibliographie annuelle dela Reuue d'Histoiredz I'Eglise,le_s comptes.rendus et.no_tes critiques donnés dans les Analecta Bollini;ana. Cf, aussi la bibliographie pro-p_osée dans- Lo Spazio letterario dcl Medioeuo,l : Il rnedioeuo latino, CavALr-o G., LeoNanor C. et MBNeiîo n. (èa.),Y : Cronohgia e bibliograf.a delk letteratara mediolatina, Rome, 1998, p. 372-373 (hagiographie mérovingienne)puis en cherchant Pâr auteurs. Une très utile présentadon de la production par pays a éié Jonnée récemmeit dansla revue Hagiograpbica, 6, 1999 (rapports de MÂnriNpz Gnzquez;., boineau F., Laprocn, M., pRrNz F.,Gor-INrLtt P.' GooolNc R. et Mulopn-BarxeRA. B.). Cf. aussi, bien entendu, I'enrreprise Hagiographies, lancéepar PHuPlant G. (voir note 5). Voir aussi Sconza BancetLoNa F., o Les études hagiogr"phiq,t.r alu io. siecle , bilanet perspectives >>, Deux milles ans d'histoire de I Église. Bilan et perspectiues historiogripbîqon, Làuvainla-Neuve, 2000(Reuue d'Histoire ecclésistique,95), p:17-33.-Signalo.tr porl, t.rÂiner une t -iq,t"bi. anthologie de rexres ir"gio-

. graphiques, traduits et commentés : HEAo Th. (éd.), Medieual Hagiography. AnAitbology,Newylrk/Londres, 2000.4. Sur le concept de sainteté, on doit toujours partir du livre de VauéHrz e. La sainteté în Occidznt arx dernierc siècles

du Moyen Age d'après.les procès de canonisation et lzs.documents hagiograpltiques, Rome, 1981, 19882. La bibliographieest immense, mais il existe dorénavant une excellente.t.or.rti. -ii. *" point : Boescn GayaNo 5., La"saitità,Rome/Bari, 1 999 (Biblioteca Essenzial e Laterza, 20) . Cf. aussi I'encyclopédie Histoire dzs saints et de la sainteté chré-timne,CHrovt'RoF. etal. (dir.), 10r., Paris, 1986-1988 lt.3:314-604,MaNoouzEA, (dir.); t.4:605-gl4,RlcnÉp(dir.); t. 5: 815-105i, RrcHÉ P (dir.) ;t.6: 1054-t274,YaucuszA. (dir.) ;t.7 : 1275-t545,yevcuezA. (dir.)].

5. C'est (pour faire bref!) dans cet esprit- qda été conçue Hagiographies. Histoire dz k litteranre hagiographique en Oo;aà,dzs origines à 1 550, Puttrppanr G. (dir.), Turnho û, 1994 - leorput christianorum), quarre t.-o p*,ir à ce jour. CfI'introducdon de Guy Philippart au tome 1. Sur I'hagiographie comme genre littéraire, mise au ioint de Vor.r DpnNaHurn D., Die kteinische Heiligenuita. Eine Einf)hrungin die tateinisihe Hagiographla Darmsiadt,1994,et, avecaussi beaucoup d'éléments sur les cultes, DueoIs J. et LnuarrnE J .-L., Sources à àétiodzs de t'hagiographie médiêuale,ob. cxt.

6. Chiffres d9ryé1 par PHIrmPaRr G., VRreNot F. De et TRtc,trer M., u Problèmes et premiers résultats d'une histoiregénérale de la littérature.hagiographique r, CennvJ., MÂrne H. et O'RmrN P (dir.), Studies in lrish HagiograpltySaints and Scholars, Dublin,200l, p. 337-355, ici p. 340.

7. frel{re pour point de départ GonorNc R., n. Bibkotheca hagiographica uulgaris. Revues et sociétés d'hagiographie.De I'ancien et du nouveaun, Analecta Bollandiana, rr3, ri95, p. ]'5t\54; KuNzs K., n DeutscËrp"r"Ëhig.Hagiographie von den Ânfa1Se1 bis 1350 ,, PHILIppART G. (dir.), Higiographies, op. cit,II, Tirrnhout , 1996, p.2li-238; BnuNsr-LonrucHot't G., LEunquIN-Iasre A.-F. et TurRv-SrassrN tvt., n l]hagiographie de langue fr^nçair. ,,r,le Continent, IX"-x\,É siècle o, ibid., p.291-372; Cnoss J. E., n English Vernacular"S"irr.i' lirr., befoîe 1000 n, ibid..,p.413-428; lil/rntrpv

P, G.,

l. Late old English Hagiography, ca.950-n50 o, ibid., p. 429-500.

s. Ç-C Çou! 5., Hagiograp-hie im Kontext. Schreibanlas

"id p"ihtio, uon Bischosaiten n^ d"* I l. und aom Anfang dcs 12.

Jahrbunderx, Berlin, 1997 , p. 19 et note 87. En feuilletant Ber J. M., Mittekherliche Geschicbtsquetten ii ch'ronotogi-yht Ubryichr, Stuttgart, t9t7, ie pawiens à un total de 139 textes latins relevant du genre u chronique u o,., n *ro"-les > pour la période 900-1200, toutes zones de culture latine confondues. Au-delà du carictère évidemment tres approxi-matif de ce calcul, on se rend bien compte que le nombre des æuvres hagiographiques esr infiniment supérie#

TEXTE ET C)NTEXT! TENDANCES RECENTES DE LA RECHERCHE EN HAGIOLOGIE

entre les mains tel ou tel tome des Acta Sanctorumsaisit instantanément la richesse de

ce corpus, mais aussi sa difficulté d'exploitation. Ily a en effet embarras d.e richesse.

Comment I'historien peut-il meftre à profit celle-ci sans tomber dans le récit anecdo-

tique, positiviste o,, ,"i.rt-rulpicien ? On pourra certes alléguer du fait que !a

plupart de

..i t."t.r, de facture plutôt médiocre, sont à la littérature latine ce que les plus anodines

séries B des années cinquante sont au cinéma. Cet argument d'autorité se révèle cePen-

dant aussi subjectif que, ce qui est plus grave, totalement anachronique. Pour un Pierre

le Vénérable, ies réciis hagiographiquesiont la continuation de l'Écriture saintee. Pour

un Geoffroy d'Auxerre, secrétaire personnel de saint Bernard, un texte comme la Vita

Malachiae, que nous avons aujourd'hui tendance à considérer comme mineur, voire

indigne d. ràtr aureur, a sa place atx côtés des plus importantes æuvres du maître 10...

51 chaque rexre peur et doit être considéré en lui-même, il ne prend son sens que

rapporté à ,tr. proàuction plus vaste, hagiographique d'abord, et plus_généralement

culturelle ensuiti. Les considèradons sérielles s'avèrent donc précieuses. Elles sont actuel-

lement menées, prioritairement, à l'université de Namur, avec en particulier la consti-

turion d'une banque de données construite à partir de la BHL mais intégrant plusieurs

milliers de réftrences aux manuscrits, Iesquels n ont pas été répertoriés par les bollan-

distes (BHLMs) r1. La consultation attentive de ce formidable outil de recherche peut

permertre de répondre à des quesdons telles que la part relative d'une categgri^9 de saints

(marryr, .orf.rie,rr, laic, ancien ou moderne.,.) à telle ou telle époque, la diffusion des

rexres selon les siècles, etc. On ne résumera pas ici les choix et les problèmes auxquels

se sont trouvés confrontés les concepteurs du projet, ceux-ci I'ayant fort bien fait par

ai[eurs, mais on signalera les services que cette entreprise peut rendre aux historiens

comme au philologu.r 12. Ceux-ci ont ensuite tout loisir de poursuivre leurs recherches

dans les principaux CD-Rom de textes latins, à commencer, bien entendu, Par ceux

des Acta-rorrtoiu*, dont l'édition est désormais presque terminée 13. Mais [à encore, le

problème est celui de la masse documentaire, et donc de la pertin€nce des questions

qui peuvent êrre posées. Rares sont les ûavaux ayant déjà tiré parti de ces bases de don-

nées autremenr q,r. po,tr I'identification des sources dans une perspective éditoriale.

Or une étude lexicologique bien menée peut fournir les clés d'une véritable sémantique

sociale, dont les règles restent encore à définir 14.

9. Cf, IocN,rr-Pp,er D., Ordonner et exclure. Cluny et la société cbrétienne face aux hhésies, au jud'aïsme et à lislam. 1000-

I I 50, Paris, 1998, p. 303.10. PL 185, col. 3208-D.ll. Bibliotheca hagiographica latina manuscriltta. Index analytique d.es catalogues de manuscri.x hagiographiques latins

publiés par tet-nolkidltttt (BHLMS), consultable sur le site Internet_: hnp://bhlmE.fltr,ucl.ac.be/. Léquipe namu-

.oi.. .ri dirigée par Guy Philippart. Le principal responsable de l'informatisation des données est Michel Tligalet,

que je remercie vivement pour sa précieuse aide. Sa thèse est attendue avec impatience.-

12. Cf .,tutre I'article ciré en .rït. 6, Tnrcarer M. et VRieNor F. DE, o Littérature hagiographique et base de données. Àpropos de deux projets en cours à I'univesité de Namur ,, Le médiéuiste et l'ordinateur, 34, 1996-1997, p- 5-16;ïnrLar.er M., n ÔoÂpter les livres hagiographiques. fupects quantitatifs de la création et de la diffirsion.de la littéra-

turehagiographiquelæine(tf-x\nsièdè)r, Gazetteduliureméditual,38,200l,p.l-l!;PHIuppaRtG.etTruc.qmrM',

" tih"gioglr"phieiatine du x. siècle dans la longue durée. Données statistiques sur la production littéraire et l'édition

médiivalËs n^, à paraître dans Latin Culture in ihe Eleuenth Cençury - Proceedings of the third International Conference

ofMedieual Studies, vol.Il, Hpp;eeN M.'W:, McDoNoucH C.J., AnrHun R. G., Tirrnhout,,2002, p. 281-301.. .

13. Ét disponible dans le commerce ou sur Internet (http://acta.chadwyck.com/) aux prix, malheureusement prohibi-

tifs, fixés par la maison Chadwick. La publication sera achevée fin2002-M. Cf.l'articÈ très novateur d'Alain Gunnnneu, u Le champ sémantique de I'espace dans la Vitade saint Maieul (Cluny,

début du x. siècle) ,, Journal dcs Suuants,juillet-décembre 1997, p. 363-419, et les remarques du même auteur sur

la notion de n sémantique historiqu e ,, L'auenir d'un passé inceitain. Quelle histoire du Moyen Âge au nrf siècle ?,

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PATNCK HENNET

De ces brèves remarques, il ressort qu un texte hagiographique n a de sens qu'envi-sagé dans une série, ce qui pose un problème de taille : comment choisir la série signi-ficative_qui rendra I'analyse pertinente ? Bien entendu, chaque cas appelle une réponseparticulière. Il importe cependant de se garder de deux attitudes assez dangerzuses :

celle qui consiste à envisager le texte hagiographique dans une totale et illusoire singu-larité, mais aussi celle qui vire à tout prix la plus large exhaustivité, ce qui perm.. d.passer en revue des centaines d'æuvres sans jamais en pénétrer vraiment aucune. Dansbien des cas, la solution a un nom : n dossier ,. IJn dossier hagiographique regroupeI'ensemble des textes - y compris les réécritures, dont il sera question plus loin - .ono-crés à un saint. Lentreprise des Sources hagiographiques de Ia Gaule,lancée à la fin desannées quatre-vingt par François Dolbeau, Martin Heinzelmann er Joseph-ClaudePoulin, a popularisé cette notion tout en affirant l'attention sur la nécessité d'un exa-men aftentif de tous les manuscrits connus, sans lequel les recherches peuvent s'avérerfaussées ou tronquées 15. Cette étapefranchie, I'historien doit combineila connaissancedes dossiers consacrés à un saint avec eelle des lieux de rédaction 16. On pourraitd'ailleu-rs parler aussi, même si ce n'est pas la norme, de dossiers composés non à par-tir des figuies hagiographiques, mais à partir des lieux. Tel saint verra d,rr"nt des sièclestous les textes le concernant produits dans un même établissement, tel autre aura sondossier fractionné entre diftrents lieux de production. Tel monastère produira à la foisdes textes relatifs à des saints anciens - martyrs, fondateurs - et à des saints o modernes u

- chronologiquement très proches, voire contemporains de leurs biographes -, tel aurrese spécialisera dans I'une ou I'autre de ces deux catégories 17. Les nombreuses fonda-tions des xt'et xIIe siècles ne sont pas, de ce point de vue, sans rappoft avec I'orienta-tion hagiographique des diftrents établissements. Ce n est évidemmenr pas un hasardsi les établissements récents - cisterciens, prémontrés, grandmontains, et;. -, qui man-quent de reliques prestigieuses anciennes, développint une hagiographie àu saintmoderne. Bien qu elle ne soit pas obligatoire et dépende de I'orientition d. la recherche,l'étude hagiologique dans le cadre d'un diocèse ou d'une province permer souvenr decombiner l'étude des dossiers de saints avec celle des lieux de producrion et de récep-tion, tout en adoptant un cadre institutionnellemenr er politiquement signifiant 18.

Examen exhaustif des manuscrits, des variantes rexruelles signifi"rt., o,l des don-nées codicologiques le, d'une part, mise en conrexte et recherche de la significationsociale, de I'autre. Lhagiologie est donc à part égake le domaine des philologues er deshistoriens, et l'on ne voit pas très bien comment ils pourraient, sous peine de graves

Paris, 2001, p. l9l-237. Le concept de sémantique sociale se retrouve dans une étude hagiologique récenre,AsuI"Bv K. et SuuNcoRN.P, \Vriting Faith. Têxt, Sign, and History in the Miracles of Sainte foy, Ctti."gollondres,1999, que je n ai pu consulter encore. Cf, cependant la longue recension de Srorz P., Stud; Màdieaali, i. série,XLI,2000, p. 723-730.

15. Présentation du projet, qui suit son cours : DorsEAu F., HeINzeI-veNN M. et PouuN J.-C., n Les sources hagio-graphiques narrativês composées en Gaule avant I'an Mil (SHG). Inventaire, examen critique, datation o, Fraicia15, 1987, p.701-731.

16. Exemplaire à cet égard, le titre de la dernière livraison des SIIG: HsrNzsr-rvnNN M. (dir.), L'hagiographie du hautMoye-n Ag, ? Gaule du Nord. Manuscrix, tetctes et centres dc producçion, Stuttgart, 2001 (Beiheft-e dler Francia, J2)(études de Gour-rer M., Hovr J., PouLrN J.-C., Gerneno-M. et Juolc B.).

17. U_y autre problème serait d'étudier pourquoi certains établissemenrs, voire cerrains ordres religieux - on pense auxchartreux et plus encore aux victorins - négligent l'écriture hagiographique ...

18' Exemplaire : HeRo T\., Hagiograplty and the Cuh of Sainx. The Diocese of Orleans, 800-1200, Cambridge, 1990.19. Un recueil pionnier : HuuzELuaNN M. (dir.), Manuscrits hagiographiquàs et traaail dzs hagiographes, Sigtaringen,

1992 (Beihefte der Francia, 24).

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TEXTE ET CINTEXTE. TENDANCES T1cET,ITTS DE LA RECHERCHE EN HAGIOLOGIL

conffesens, ne pas collaborer étroitement. Du côté des historiens, I'une des erreurs les

plus fréquentes est assurément la lecture des textes au premier degré, sans prise en

.o*pt. âes fieux communs inhérents au genre hagiographique et présents, dans des

proportions diverses mais toujours conséquentes, dans chaque æuvre. Marc Van

Uytfanghe est allé jusqu à faire des topoi l'un des quatre piliers constitutifs du genre

hagiographique depuis sa aaissance2}... Or quel que soit le texte, le lieu où la topique

littérair. .hrêtienne se manifeste avec le plus de constance et de vigueur est sans doute

le prologue. Quelle valeur peut donc avoir le raisonnement de l'historien s'il croit aveu-

glémenil'hagiographe et le chroniqueur, par exemple lorsque cetx-ci se déclarent ignares

mais resp..trr.,r* à. h vérité, ou encore lorsqu ils prétendent tenir leurs informations

d'un manuscrit très ancien détruit dans un incendie ou rongé par les vers2l ?... Repérer

les topois'avère donc indispensable à la tenue d'un discours historique à peu près cohé-

,.nr,-.t il va de soi que dans ce domaine, les philologues sont souvent plus qualifiés

pour repérer les pièges. Et puisqu il y va de l'intérêt de chacun, Pourquoi ne pas rêver

àun Dictionnaire de k topique littéraire rnédiéuale ktine, que I'on peut idéalement ima-

giner sous une forme électronique, prêt à s'enrichir périodiquement de nouvelles réft-

i.rr..r ? Tintérêt d'une bonne connaissance de la topique ne se limite d'ailleurs pas à

l'histoire littéraire ou à la réduction des possibilités de contresens dans les commen-

taires d'æuvres hagiographiques. Il est aussi de pouvoir, dans une certaine mesure, mesu-

rer leur degré d'historicité. En effet, le repérage des lieux communs Permet de mettre

en relief, par conffaste, ce qui est particulier à chaque æuvre et relève d'un contexte,

voire d'un projet bien précis22. il est possible, de ce point de vue, que les hagiographies

n mineures u, de latinité médiocre et d'audience limitée, colportent moins de topoique

celles des grands lettrés, qui connaissent leurs classiques sur le bout des doigts. Elles en

seraient "lorc

d'autant plus intéressantes pour I'historien 23. En tout état de cause, i[semble entendu que le n remploi u étouffe rarement totalement I'originalité, mais encore

faut-il repérer l'un avant de mettre I'autre en valeur2a.

Le polds des conventions ne signifie évidemment pas que I'hagiographie doit n être

étudiéè que dans le cadre de son appartenance à un genre littéraire. En effet, elle peut

aussi être, mais au prix d'un gros ffavail préalable de décodage, une fenêtre ouverte sur

la société, ou rout au moins sur le groupe, qui I'a produite, commanditée, lue. Fenêtre

en termes de realiacomme en termes de représentations. Pour commencer, l'hagiogra-

phie nous renseigne sur le regard que les élites cléricales, parfois aussi les groupes laïcs

gravitant ",rto.ti

de celles-ci, ont porté sur un passé qu elles décrivaient tout en le

20. VeN UyrpaNcup M., n Heiligenverehrung II (Hagiographie) u, Kr-tuscnT. (éd.), Rcallexihon fir Antihe und

Christenturn,14,1985, col. 151-184, ici col' 155-157'2l . DoLsEAu F., ,r Les prologues de légendiers latins n, Les prologues médieaaux,Turnhout, 2OO0 (Fidzln Textes et études

du Moyen €q 15). Leslravau* de François Dolbeau, ainsi que son rôle dans les études hagiologiques, mériteraient

de longs développements. Je ne peux ici que marquer ma dette.

22. Founacnp P., u Merovingian Hiitory and Merovingian Hagiography o, Past and Present, 127, 1990, p. 3-3-8 t " Jneach particular work it tùds ro be the unconventional elementi which reveal the historical conditions in which the

*ork *", produced " (p. 28). I-lauteur montre comment l'hagiographie mérwingienne, qui fait évidemment un

la.g. ur"gâ des topoi, reflète néammoins assez fidèlement diverses situations n historiques o. Elle serait caractérisée

p"i,u. " inability to disguise significant elements of contemporary realiry o (p. 38).

23. Cf. HnrvÉrIus A. M., o Les saints et I'Histoire ,>, 0P. cit.' p. 153-155'

24.Je reprends évidemment le titre et la conclusion d'un article de VaN UrrraNcHe M., n Le remploi dans fhagio-

gt"phi. : une "loi du genre" qui étouffe I'originalité ? ,, Idzologie e pratiche dzl yimpiegg ryell'aho medioeuo,I, Spolète,

i999 (Settir"ane di studio del centro italiano di studi sull'alto medioevo, 46), P. 359-411.

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PATRICKHENMET

construisant25. Se pose ici la question du n genre r. On distingue en effet d'ordinaire,assez soigneusement et non sans raisons, ce qui est hagiographique (Vitae, récits detranslation, recueils de miracles) de ce qui est historiographique (chroniques, annales).Mdt_ cette séparation est-elle toujours pertinente? Lorsqtiau début du XII'siècle, Huguesde Flavigny inclut diverses vies de saints lorrains, région dont il est originaire, daÀ sachronique, quel genre pratique-t-il26 ? Ou encore, lorsque Pierre de Maillezais rapportedans une même æuvre, entre 1060 et l072,la fondation de son monastère, sès rap-ports avec I'aristocratie locale et la translation de saint Rigome6 à quel ( genre o

"rrorr-nous affaire2T? II ne serait pas difficile de multiplier les exemplesde .. typ.28. On aparfois suggéré que certains auteurs, tantôt historiens, ranrôr hagiographes, Àangeaientles règles de leur discours en fonction du genre pratiqué. Ainsi, et les

"tg,r-ànt, ,r.

manquent pas, pour Grégoire de Tours ou pour Bède le Vénérable. Mais la réalité desdifferences formelles ne doit pas cacher I'existence de passerelles, ni le fait que pourGrégoire ou Bède, comme pour bien d'autres clercs après eux, les récits relatifs atx saintssont une branche de I'Histoire, qui est sacrée par définition2e. Martin Heinzelmann abien montré que le lien entre bella regum et uirtutes martyrurnexistait déjà chezEusèbede CésaréelJérôme ou Orose, et que le terme Historiapouvait aussi désigner les textesbibliques. Or depuis Jérôme,les hagiographa désignenr aussi, prioritairè-.rrt, l'Écri-ture sainte3O... La comparaison deI'Historia Francorum et des écrits hagiographiquesde Grégoire montre que si chaque æuvre obéit à des convendons qui luisont propres,la perméabilité reste néanmoins constante. Quel que soit le genre pratiqué, il existe uneconception universelle de I'Histoire au cæur de laquelle se rrouvent Dieu etle princepschrétien. Le cas de Bède monffe aussi combien les catégories modernes sonr p.,, opé-ratoires, I'Histoire, chezlui comme cheztous les aureurs du Moyen Agr,

^yani d'"bôrd

une fonction édifiante (ce qui est aussi, bien évidemmenr, le cas de l'hagiographie) 31 :

n Siue enim historia de bonis bona referat, ad imitandum bonum auditor sollicitus insti-K/tur; seu mala commemoret de prauis, nihilominus religiosus ac pius auditor siue lectordzuitando quod noxiurn est ac peruersum, ipse sollertius ad exsequenda ea quae bona ac Deodison esse cognouerit, accenditur32. ,,

De façon générale, il est possible que les liens entre historiographie et hagiographiesoient plus ou moins forts en fonction du sous-genre consid&é: on a parfois-avancé

25. Exemple concret : IocNa-PRnr D., n La geste des origines dans l'historiographie clunisienne des xr"-xll. siècles o,Reuue bénédictine, 102, 1992, p. 135-19 1.

26. PL 154, col.21-404.27. La.fondation de l'abbaye de Maillezais. Récit du moirce Pierre, édition et traduction par Por.r G. et CHauvlN y.,

Edmond-René Le.sANon (T) (dir.), La Roche-sur-Yon, 2001. Comme le fait remarquer Georges Pon dans sa pré-sentation, p. 42-43, ce texte peut être rattaché au genre des récits de fondation ètudié p"i RrueNsNyorn 4.,Remernbering Kings Past. Monastic Foundation Legends in Medieual Southern France,Ithaca/iondres, 1995. Mais ceg:"t: .:l ju,stement au croisement de l'n hagiographie ' et de I'n historiographie n.

28. Une belle illustration de_la perméabilité des genres estle Speculum Hisioriale de Vincent de Beauvais, qui tient àcertains égards du légendier.

29. Cj.les remarques en ce sens de GorraRr W., Narrators of Barbarian History A. D. 550-500) : Jordanes, Gregory ofTours, Bed.e and Paul the Deacon,Princeton NJ, 1988, q,.ti*orrtr. commenr une même conception d., mir"clJ.J,rr"-

!.ld æuvies hagiographiques et historiographiques.30. HeiNzBI-ueNN M., o Hagiographischer und historischer Diskurs bei Gregor von Tours ? n, VAN UrrpaNcge M. et

Dnur,ureNernr R. (éd.), Aeaum inter atramque. Méknges ffirts à Gabriel Sanders, professeur émérite à I uniuersitédz Gand" La Haye, 1991 (Instrumenra Patristiva )O(III), p. )ll-ZSA.

31' McCnEnov\Tilliam D., Miracles and the Wnerable Bede,Toronro, 1994 (Pontifical Institute of Mediaeval Studies.Studies andTexts, 118), p. 195-213. Cfl aussi Dav R. D., n Bedet uera lzx Historiae o, Speculurn,55, L980, p. l-21.

32. Historia Ecclesiastica gentis Angbram, Colcnaw B. et MyNoRs R. A. B. (éd.), Oxford, t96g, praef, p.2-i.

80

TEXTE ET CzNTEXTE. TENDANCES nÉcnTVTTS DE LA RECHERCHE EN TAGIOLOGIE

que I'hagiographie était essentiellement liée au présent et I'Histoire au passé, raisonne-

menr qrrl pèut-être défendu si I'on prend en compte les récits de miracles, ceux-ci visant

à monirei I'action du saint hic et nunc33. En règle générale, cependant, les recherches

récentes tendent plutôt à marquer, sinon I'identité entre æuvres historiques et æuvres

hagiographiques, du moins leur appartenance à un genre finalement commun3a. Les

etud.r ,tiitir"n, indistincterrrent les detrx types de sources afin de montrer comment les

clercs du Moyer, Âg., désireux de justifier le présent, ont construit et reconstruit le

passé, se multiplient35. Pour les hautes époques, il s'agit d'ailleurs {"" exercice quasi-

menr obligé : I'hagiographie représente alors une masse narrative infiniment supérieure

à celle d.rLurrr.s n historiques ) et peut seule suppléer la rareté, voire I'absence de celles-

ci36. En bref, comme I'a écrit Hervé Martin, n le genre hagiographique pèse de tout son

poids sur le genre historique, au risque de se confondre avec Iuî37 ,. Il semble donc

né.esr"ir., ,À, perdre de vue des diftrences formelles, de ne pas séparer les deux genres

par des cloisons trop étanches et de raisonner plutôt en.termes de variations sur un

ihè-. commun... Une autre clé, peu explorée, qui pourrait permettre de mieux com-

prendre les objectifs et les conditiànnements des hagiographes et des historiographes

r"gdig""ù*, réiide dans leur représentation de l'espace. Un hagiographe écrit normale-

menr pour affermir et légitimer la réputation d'un lieu (cathédrale, collégiale, monas-

tère). il r. pl".e dans unslogique centrifuge, la sacralité rayonnant à partir des reliques.

Lhistoriographe, quant à lui, ènvisage généralement un esPace de souveraineté (comté,

royaume, Empire, ètc.) et se situe dans une logique centripète (vers la capitale, les centres

de pouvoir réels ou symboliques, etc.).

indéniablemenr, les représentations et les pratiques de I'espace sont un autre domaine

de recherche pour lequel les hagiologues disposent d'un matériau privilégié38. Le lien

particulie, .rrir. .rp".., lieux et culte des saints a été souligné depuis le XWI' siècle au^moirrs,

en particulÈr, "omme

le rappelle Sofia Boesch Gajano, par les bollandistes ou

bien, ,tr pè,.t plus tard, par Adriaen Baillet. Hippolyte Delehaye a popularisé l'expres-

sion de loca sanctorum, Michel de Certeau celle de o géographie du sacré o. Dans son

livre classique sur le culte des saints, Peter Brown a montré comment la centralité des

nouveaux li.rx de sépulture, en particulier martyriatx, avait des conséquences sur l'en-

33. Gnaus F., Volk, Henscher und Heilige im Reicb dzr Merowinger Studien zur Hagiographie der Merowingerzeit, Prague,

1965, p.42; DacnoN G, Vie et miracles de sainte Thècle, Bruxelles, 1978 (Subsidia Hagiographica, 62), y- 20 ;

ANceN:er.ror A., Heilige und Reliquien. Die Geschichte ihres l(ultes uomftiihen Christennm bjs zur G^esertwrt, Munich,

1994, p.348-349; Bôescs GalaNo S., n lJagiograftao, Morfohgie sociali e culturali in Europafa tarda antichità_e

a6o *)diorro, II, Spolète, 1998 (Settim"n. di ri tdio del centro italiano di studi sull'alto medioevo, 45), p' 797'

849.34. Réferences dans COUÉ, S., Hagiographie im Kontext, op. cit, p. 19, qui s'appuie en particuler sur les travatx.d'Hans-

Ulrich GuMeREcHr, dont o "F"r-"in"tionrtyp

Hagiographiè. Ein historisches Experiment zur Gattungstheorie u,

Deutsche literatur im Mitteklter. Kontakte uÀd Perspektiuen. Festschrirt Hugo Kuhn, Stuttgart, 1979, p.37-85.

35. Citons eri particulier LrpsHrrz F., The Norman ëonqurtt of Pious Neusnia. Historiographic Discourse and Saintly

Relics, 68à-t090,Toronto, 1995 (Studies and Texti, 122), et Goerz H. \tr, n Vergangenheitswahrnel1*tg,

Vergangenheitsgebrauch und Geschichtssymbolysmus in der Geschichtschreibung der Karolingerzc=rt,, Id'eologie e

proi6hi dtt reiàpiego pell'aho medioeuo,I, op. cit., p. 177-2t5. De Lrrsrurz F., cf. aussi o Beyond Positivism and-G..r.

: "Hagiographical" Têxts as Historical Narrative n, Viator,25, 1994, p' 95-ll3'36. Founecnp F^"i .i GERssRDTNc Richard A, Late Merouiigian France. History and Hagiography' 640-720,

Manchester/New York, 1996, Cç. aussi FounacRE P., n Merovingian History and Merovingiaa Hagiography o,

op. cit., p. 37.:2. tirtarrrN H., u LHistoire au Moyen Âg. (I). LHistoire chrétienne u, BouRoÉ, G. et Marrm H., Les écohs historiques,

Paris, 1983, p.49.38. Outre les travaux cités ci-dessous, cf. GuERRr.tu A., o Le champ sémantique de I'espace ,, art. cit.

81

PATRICKHENMET

semble de la vie sociale. Les études se sont ensuite multipliées, au point de susciter plu-sieurs colloques3e. Au cæur de ces démarches, on ffouve générdèmenr le présupptsé,partage par les anthropologues depuis Durkheim, eu€ I'espace esr une ( consrruètion

:9.i"1:-r, < jamais neutre, jamais indiftrente, mais qualitativemenr difltrenciée par lebiais d'un réseau symbolique consffuisant les identités collectives et individuellesa0 ,.Pour les textes hagiographiques, le problème peut être appréhendé de diverses façons.II existe un espace symbolique de la sainteté (ermitag., âér.tt, monasrère, etc.), quifonctionne généralement selon une dialectique extérieur/intérieur, un espace de l'effi-cacité et de la sacralité (rayonnement des reliques par le biais des miraclés et des pèle-rinages), un espace politique, au sein duquel tel ou tel saint sacralise un territoire (iaintMartin ou saint Denis en France, saint Jacques en Espagne, etc.) 4l ou une ville (cultesdits n civiquesn'rr). Les diftrents rnod.r dinrtrr.t.n.rrtJiration de la sainteté concou-rent ainsi à une sacralisation de I'espace, voire à une spatialisation du sacré, qui trouveson expression tant dans les textes et les consffucrions littéraires que dans la réalitépoli-tique et sociale. En effet, jusqu'au xt'sêcle au moins, le thème de la sacralisatiott d.I'espace.-est indissociable de celui de la domination seigneuriale des institutions reli-gieuses a3:Le cas de Compostelle, qui combine l'existeice d'un pèlerinage universel,d'une zone de domination seigneuriale précisément délimitée, et ènfin d'ùn rexre nar-ratif (Priuileqio de los Vo19s)justifiant symboliquemenr sa souveraineté, est de ce pointde.vue paradigmatîqueaa. De façon générale, les reliques srrucrurent I'espace chrétien- I'espace social - plus sitrement que certains concepts modernes comm. ..,r* de fron-tière ou de circonscriptionat.

La question du rapport entre hagiographie et pouvoirs, ou, comme on le dit plussouvent, entre sainteté et politique, est un autre thème, lié au précédent, qui a attisé lacuriosité des historiens. Là encore, en suggéranr que dès l'Antiquité tardive, le culte dessaints avait permis de légitimer le pouvoir des élites, Peter Brown a joué un rôle pion-nier46. Par le biais d'incessants réàménagemenrs, cete relation est restée valable tout

39.BoEscuGaiaNoS.etSca-neffwL.,LuoghisacriespazidzllasantitàTirrin, 1990;VaucnszA. (dh.),Lieuxsacrés,lieux de culte, sanctuaiys. Approches terminologiquàs, méthodologiques, historiques et monographiques, Rome,2000(Collection de l'École française de Rome, 273).Plusieurr

"o--Jrri.arions,en i*pport

"rr..I. suy.i d"n, KapreN M.

(dit-), Le sacré et son insoiption dans l'espace à Byzance et en Occident. Éndes'iomparées, par'i,s,2001 (ByzantinaSorbonensia, 18).

{Q. $qç1çrplq L., < Questione aperle o, Luoghi sacri e spazi delk santità, op. cit.,p. l l-19, ici p. 12.41. La bibliograFhie est immense. Mise au point de SrnornrraeNN J., n Dei Heilige als Haupt der Gesellschaft. Versuche

der Stiftung kollektiver Identitât in mittelalterlichen Gesellschaften o, DeRvrciu M. et Dïrrnrev M. (dir.)., Fonctionssociales et politiques-du cube dzs saints dans lzs sociétês de ritl grec et ktin au Moyen Âge et à l'époque *od"ror. Approche

. 9o_mparatiue (VroclawlKarpacz, 1 5- I 8 mai lggZ) ,

'Wroclaw, 1999 , p. 2l-42.

42'YtucuuzA.(dir.), Lareligionsciuiquesàl'epoquemédieualcetrnodràe(Chrétientéetlskm),Rome, 1995(Collectionde l'É,cole française de Rome, 213). Recueil iarticles de GouNeu-tP., Cixà e cubo dei santi nel Med.ioe:uo italiano,Bologne, 19962. Une impressionnante étude de cas : TovEa P, Tiadizione apostolica e coscienza cittadina a Miknonel medioeao. La legenda di san Barnabq Milan, 1993 (Bibliotheca erudita. Studi e documenti di storia e ûlologia,L'.

43. Cf. Rosr'xwBIN 8., Negotiating Space. Power Restraint and Priuileges of Immunity in Early Medieual Europe,Ithaca,1999.

44.IrtpPz Arsnqa F., La ciudad de_santiago de Compostek en k alta edad. media Sandago de Compostela, 1988.45.Yoir en dernier lieu Bozorv E. et HrrvÉrrus A. M. (éd.), Les reliques. Objex, cibes, symbol,)r, Tur.rhout, 1999

(Hagiologia, 1).46. Sur l'æuvre de Peter Brown, cf. récemment The Cuh of Saints in Late Antiqairy and the Middle Ages. Essdls on the

contribution of Peter Brown, oxford,l999, dont Hevwano p.4., n oe*yrti$'i"g the Role of sanitity in''west.rnChristendom ,, p. lI5-142' ici p. 140. une autre question est de savoir ri l'.ffi."].ité sociale du culte âes saints estune bonne chose en soi, comme se le demande l'auteur. Mais certe question relève-t-elle encore du travail del'historien ?

82

TEXTE ET CONTEXTE. TENDANCES NÉCTNTTS OZ LA RECHERCHE EN HAGIOLOGIE

au long du Moyen Agrn'. Lécriture hagiographique est donc toujours au service d'unprojet et d'une stratégie qui peuvent être qualifiés de n politiques >, avec tout ce que ce

terme a d'insatisfaisant. De même, en ef[êt, que les mots n religion )) ou (( Chrétienté ,,pour ne prendre que quelques exemples, sont largement des constructions modernes

souvenr mal adaptées à la description des phénomènes médiévaux, de même, < poli-tique , évoque dès idées et des .àtnpott.ments qui, appliqués au Moyen Âg., se révè-

lent largemenr anachroniques. D'où I'utilisation, ici et là, d'expressions telles que u reli-

giosité politique , (politische Religiosittit) ou < théologie politiqu€ )), qui, à défaut de

résoudre les problèmes, peuvent au moins attirer I'attention sur leur existence. Qnoiqu il en soit, le rapport entre les reliques, les miracles, les saints et les diftrents modes

d'exercice du pouvofu a été étudié dans de nombreux travaux, que I'on ne peut guère

espérer résumer îciag. Notons cependant une irruption massive de la quesdon des rap-

porrs enrre É,glise, pouvoirs et sacralités dans les textes hagiographiques mérovingiens,

puis carolingiens +t. Il existe par la suite une hagiographie de la Paix de Dieu 50, une

hagiographie favorable aux intérêts de.la papauté51, une autre encore, qui peut_dans

c.rt"ins àas d.tr.rir n anti-hagiographie o, favorable à ceux des empereurs, etc.52. Les

thèmes véhiculés par les récits peuvent, dans certains cas, constituer des enjeux consi-

dérables. Ainsi, en révoquant implicitement la prédication hispanique de saint Jacques,

en reprenant la légende hagiographique des septs apôtres deL'Hispania et en assignant

au christianisme ibérique une origine romaine, Grégoire VII peut-il espérer - sans suc-

47. Cette problématique rejoint, mais de façon indirecte et complexe, celle du rapport entre ordines et sainteté. itnsi,h proÀotion d'un modèle de sainteté larque peut très bien participer, comme dans le cas fameux de Géraud dâurillac.t d'Odo.t de Cluny, d'un projet monastique. Cf. Benseno 4., o Santi laici e guerrieri. Le trasformazioni di un

modello nell'agiografia altomedievale r, BARoNs, G., CarrteRo M. et Sconza BancrLLoNe F. (éd.), Modelli di san-

tità e rnodelli ii ti*portn-ento. Contrasti, intersezioni, complementaritàTurin, 1994, p. 125-140, ainsi que les diÊ

férentes études réunies par Leuwnns A., Guerriers et mzines - Conaersion et tainteté aristocratiques dans l'Occident

médiéual(æ-nf siècle),Nice, 2002 (Collection d'Études médiévales de Nice, 4).fu.déjà, dans une perspective assez

diftrente, VeucHez A., Les lai'cs au Moyen Âge. Pratiques et expériences religieuses, Paris, 1987.

48. D'autant qu il existe une excellente mise au point récente : LauwERs M., o Récits hagiographiques, pouvoir et ins-

titutions dàns I'Occident médiéval. Note bibliographique ,r, Deux mille ans d'histoire dz I Église, op. cit., p.7I-96.Parmi les travaux consacrés à cette question, cf. SwtNansru lJ., Henschen mit den Heiligen. Kirchenbesuche,

Pilgerfahrten und Heiligenaerebrungfriih- und hochminelaherlicher Herrscher (ca. 500-1200),BernelBerlin/etc., 1990

(Géist und \ferk derZeiten, 78), avec un très utile répertoire p.35I-536; Pme,nsoNuN J. (éd.), Politih undHeiligenuerehrung irn Hochmittelahe6 Sigmaringen, 1994 (Vortrâge und Forschungen, 42); Dr,Rvtcu M. et

Dutrntsv M. (dir.), Fonctions socialzs et politiques du cuhe dcs saints, op. cit.

49. Founacnr P, n The Origins of the Carolingian Attempt to Regulate the Cult of Saints ,, The Cub of Saints in Late

Antiquity and the MiddlcAga, op. cit., p.143-165.50. Pouil'hàgiographie de h Pàix dè Dieu, cf. l-aNnps R., o La vie apostolique en Aquitaine en I'an Mil. Paix de Dieu,

culte des reliq.rè, .t .o-*unautés hérétiques u, Annales ESC, 1991, p.573-593 etrD., Relics, Apocalypse and tbe

Deceits of History : Ademar of Chabannes, Cambridge MA-/Londres, 1995. BnnrsÉleuv D., L'an Mil a la paix de

Dieu. La France chrétienne etfeodale,980-1060, Paris, 1999; BoNNassIs P., n Le Sud-Ouest de la France o,

Pnn"tppanr G., Hagiographies,l, op. cit., p.289-311.51. ScurruvBLpFrwNrGB., n Heilige Pâpste - pâpstliche Kanonisationspolitik >, Politik und Heiligenuerebrung, op. cit.,

p.73-100. Cf aussi les articles de GoI-tNrlrt P réunis dans Indiscreta sanctitas. Sndi sui rapporti tra cuhi, poteri e

società nelpieno Medioeuo, Rome, 1988 (Studi Storici, 197-I98) i ID., < Negotiosus in causa Ecclesiae. Santi e santità

nello sconiro tra impero e papato da Gregorio MI ad Urbano TI ,, Les fonctions dzs saints dans b monde occidcntal

(nr-xff siècle),Rome, 1991 (Collection de l'É,cole française de Rome, 149), P.260-284.52. Pour les uitae épiscopales rédigées dans I'Empire entre le >f et le XtI' siècle, cf. désormais HaemaNorn S., Vitae_ePi-

scoporum. fne quelbngatang zwischen Hagiographie und. Historiographie, untersucht an Lebenschreibunguon Bischofen

/es Regnum Teutonicorum irn Zeitaher der Ottonen und Salier, Stuttgart, 2000 (Monographien zur Geschichte des

Mittelàlters, 47).Pour un exemple d'anti-hagiographie parodique et pro-impériale, cf, PÉnnz GoxzarvzM., La

Garcineida. Estudio y ediciôn critica con traducciôn, Ledn, 2001 (Ediciones griegas y latinas, l) :la Garcinéide,vitu'

lente satire anti-pontificale, n'est certainement pas un texte hispanique issu du milieu canonial tolédan, comme on

I'a souvent affirmé.

83

PATRICK HENRIET

cès - faire de la Castille et du Leôn un royaume vassal du Saint-Siège, à l'image de l'Aragon 53. Chaque entité politique et/ou religieuse, chaque dynastie, voire chaquegrande famille aristocratique, chaque ville aussi, se rattache à un ou plusieurs saints qui lui permettent de se forger une légitimité tout en montrant qu'en matière de sacralité, le voisin et l'adversaire n'ont qu'à bien se tenir 54. Ces innombrables constructions déli­mitent ainsi des « pôles de sacralité », qui, jusqu'au XIIe siècle en tout cas, aspirent à d'autant plus d'autonomie qu'il existe, plus qu'une Chrétienté, des centaines de micro­chrétientés. Chaque sanctuaire à reliques, chaque monastère est un centre dont la construction identitaire passe très souvent par la mise au point - compilation, trans­formation, création - de traditions hagiographique propres. Ainsi, l'hagiographie et le culte des saints se révèlent-ils inséparables du concept wébérien de légitimation 55.

Tel qu'il vient d'être exposé, ce schéma invite à considérer chaque texte et chaque dossier très soigneusement. Il s'agit de ne pas perdre de vue les circonstances dans les­quelles a été composée une œuvre, le public auquel elle s'adresse, les adversaires, réels ou potentiels, qu'elle attaque. Si cette affirmation peut sembler banale et de notoriété publique, elle ne va pourtant pas toujours de soi. Il existe en effet une alternative, repo­sant sur d�s présupposés très différents, qui a donné lieu à d'importants travaux: il s'agit alors d'établir des corpus de sources hagiographiques les plus larges possibles et les mettre au service d'une recherche thématique particulière 56. La prise en compte de vastes sériespermet ainsi une certaine exhaustivité, laquelle n'est cependant obtenue qu'au détri­ment des conditions idéologiques, politiques, économiques ou sociales propres à chaque texte. Cette démarche peut s'avérer paradoxale, car l'exhaustivité dans la saisie de l' ob­jet historique se traduit nécessairement par une décontextualisation. C'est sans doute la raison pour laquelle, aussi bien chez les philologues que chez les historiens, la ten­dance actuelle est plutôt à la contextualisation rigoureuse, en un mot à l' Hagiographie im Kontext57 • On met alors en avant le caractère pragmatique d'une écriture hagiogra­phique qui déborde largement le cadre de la simple édification. Lhagiologie s' appro­prie ainsi des problématiques très actuelles comme celles des « processus d'écriture » (Schriftlichkeit) ou de la résolution des conflits 58.

Même historien, l'hagiologue n'a d'autre solution que de partir du texte. Il ne peut donc perdre de vue le modèle philologique. Pour le philologue, en effet, le texte est l'unité de base de tout raisonnement. Celui-ci vise, au moins dans les limites de la dis­cipline, une lecture englobant la forme et le sens. C'est en suivant ce paradigme qu'il semble possible aujourd'hui de faire progresser les connaissances hagiologiques, à condi­tion bien sûr de ne pas dresser une barrière étanche entre l'étude du texte comme objet littéraire et celle de la société ou micro-société qui l'a produit. En d'autres termes, il

53. MANSILLA O., La documentaci6n pontificia hasta lnnocencio III (965-1216), Rome, 1955 (Monumenta Hispaniae Vaticana. Registros, 1), n° 8, p. 15-16, ici p. 15.

54. Cf. par exemple cette phrase, extraite d'un recueil de miracles (fin Xlle siècle) de l' évêque Annon de Cologne, lequel vient de vient de guérir un pèlerin « français » : « Dilata vero erat a sanctis eius sanitas, ut etiam Francia disceretGermaniam a Deo non esse derelictam, que Annonem meruit habere patronum et presulem » (cité par WENZ­HAUBFLEISCH A., Miracula post mortem. Studien zum Quellenwert hochmitte!a!terlicher Mirakelsammlungen vor­nehmlich des ostfrankisch-deutschen Reiches, Siegburg, 1998 [Siegburger Studien XXVI], p. 166).

55. Cf. par exemple SWINARSKI U., Herrschen mit den Hei!igen, op. cit., p. 25-52.56. Cf. en particulier S!GAL P.-A., L'homme et le miracle dans la France médiévale (IX'-Xlf siècle), Paris, 1985.57. Expression que l'on retrouve, outre le livre de COUÉ S. cité note 8, dans le recueil d'études réunies par BAUER O. R.

et HERBERS K., Hagiographie im Kontext. Wirkungsweisen und Moglichkeiten historischer Auswertung, Stuttgart, 2000(Beitrage zur Hagiographie, 1). Cf. en particulier l'introduction de Klaus HERBERS, p. VII-XXVIII.

58. COUÉ S., Hagiographie im Kontext, op. cit., p. 176.

84

TEXTE ET CONTEXTE. TENDANCES RECENTES DE LA RECHERCHE EN HAGIOLOGIE

importe de mettre en relation l'intérieur et I'extérieur du texte, la production littéraire

et ies cadres idéologiques et sociaux. Il faut souligner de ce point de vue [a fecondité

de quelques ffavaux récents, encore inédits, consacrés à la notion de réécriture en hagio-

g."phi.5e. Monique Goullet a justement attiré I'attention sur ce phénomène courant

".r Moy.r Âge, .n particulier dans \es Vitae: pour des raisons qui peuvent être for-

melles (améliorer le sryle d'un premier auteur supposé méritant mais peu cultivé) ou

idéologiques, er qui sont souvent les deux à la fois, les clercs médiévaux ont nourri les

dossiers hagiographiques en réécrivant les æuvres de leurs prédécesseurs. SuperPosant

un n hypert."t. o à un n hypotexte ), pour reprendre la terminologie de Gérard Genette,

ils onr procédé à des opérations de rénovation et de remploi pour produire finalement

quelquè chose de semblable et de diflërent60. Il n est pas interdit de penser que c'est

Itt,rd. du christianisme médiéval dans son ensemble qui pourrait être menée dans cette

Perspective...

Il est difficile de conclure ces quelques remarques autrement qu'en soulignant leur

caracrère fragmentaire, lacunaire et inachevé61. Au vu de la production hagiologique

récenre, la première leçon qui s'impose est sans doute celle d'un retour au texte, conçu

comme projet er non comme simple réservoir d'informations. Cependant' au même

titre que celles qui I'ont pÉcédée, cette approche n'est pas sans dangers. La tentation

pourrait être forte, en effet, de prendre les æuvres comme des mondes en_soi qui ne

âevraient être étudiés que pour eux-mêmes. Or pour I'historien soucieux de restituer

une cohérence globale, le texte hagiographique n'a de sens que mis en perspective et

contextualisé. En même temps qu ils sont situés, selon un axe vertical, dans I'histoire .

du genre littéraire auquel ils appartiennent, la Vita,le recueil de miracles, doivent donc

être rapportés, selon un axe horizontal, à d'autres sources contemporaines. La notion

de n genre littéraire ) correspond indéniablement à une pratique, mais son importance

doit â'autant moins être exagerée que le terme u hagiographia , tiest guère médiéval.

Il n est de ce point de vue pas indiftrent de constater que l'un de ses rares usages affes-

tés, à Chartres au XIe siècie, autrement que pour désigner les saintes Écritures, nous

situe dans le monde des chartes et des privilèges62 : comment mieux suggérer que les

distinctions er les catégories contemporaines peuvent se révéler inutiles ?

59. Cf.le chapitre introductif du livre à paraître de Monique GouLrEr (que je remercie), lninre et réécriture dans I'ha-

giographie latine du haut Moyen Age, Tvnhout (Hagiologia), ainsi que I'introduction Programmatiql:. *.êouf1er M. et HEwzELMANN M. au volume Les réécritures hagiographiques : transformations forrnelles et idéolo-

giques (actes du colloque tenu à I'Institut historique allemand, Paris, juin 2000), à paraltre dans les Beiherte der

Francia.60. GeNBrre G., Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, 1982, d'après Gourrpr M., Eniture et ré,ecriturl-9P.

cit., quisouligne aussi la diftrence entre réécriture et remploi (moderniser le texte dans le premier cas, le n vieillir n

dans le second).61. Il a fallu renoncer complètement à traiter certains thèmes. Ainsi : 1) Du rapport entre hagiographie et-enluminures,

cf. Anou-El-HNt1B, Tbe Medieual Cult of Saints. Formations and Tiansformations, Cambridge, 1994 et HAttN C.,

Portrayed on the Heart : Nanatiue Efea in Picnrical Liues of Sainx forn Tenth through the Thirteenth Century, Berkeley,

2001jque je n ai pas encore p., conrult.r ;2) De la question, très en vogue dans les- plys anglo-saxons: g"j."qPo.tenrre ( g.râ.r n, È*r. hagiographique et sainteté. Pour remonter (en tout câs pour lehaut -Moy.l Age) !e

fil d'une

produciion abondanre, .f. KrrcnsN J., Saint\ Liues and the Rhetoric of Gerydzn Male and Female in Merouingian-Hogiogropb,

New York/Oxford, 1998, et Scnul-ENsunc J. T., Forgeful of their Sex. Female Sanctity and Society,

tn."SOb-i l-00, Chicago-Londres, 1998. Kitchen rompt, à mon sens assez justement, avec une tendance désormais

très répandue selon laquelle, au minimum, o a feminine perspective somehow leads to a different ideal of sanctity

based on "female values" " (p. 155).

62.Peuaprès 1078, le moine Pàul compose le cartulaire de Saint-Père de Chartret. À d.,o reprises, il nomme_hagio-

grapha drt textes de nature diplomatique. Ailleurs, il utilise le terme pour désigner I'ensemble des æuvres de Fulbert

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PATMCKHENRIET

Il faut donc prendre en compte aussi bien le caractère unitaire et cohérent de chaquetexte que son imbrication dans un faisceau de faits et d'élémenrs composant ce qu'il estconvenu d'appeler une société. Et c'est sans doute là, dans le passage du discours à laréalité sociale, que réside la principale difficulté. En effet, à ceux qui prétendent ne tra-vailler que sur des n discours o, qui médiatiseraient toujours une insaisissable n réalité ,,certains objecæront brutalement que le n réel > existe er constirue la seule proie dignede I'historien63. < Linguistic turn D conffe néopositivisme ? Lhagiographie, âir.ottrc p"texcellence et source majeure pour I'histoire des sociétés médiévales, esr nécessaire-èntau cæur de cette polémique. Mais le débat a-t-il vraimenr lieu d'être, en rour cas en cestermes ? Lacceptation - autrement que du bout des lèvres - du concepr de discoursn implique pas un refus de l'histoire sociale. En effet, depuis Mikhail Bakhtin au moins,on sait bien que les pratiques discursives sont aussi des phénomènes sociaux64. Lécrituremême d'un texte hagiographique est en soi un n fait réel ,. Le < travail des hagio-Bfaphes

65 , mérite donc d'être éclairé, ce qui ne peut se faire sans une réflexion d. ['p.philologique d'une part, ni, d'autre paft, sans un croisemenr avec des documents àenature diverse allant de la théologie à I'archéologie. Ni n linguistic turn > caricatural nipositivisme primairement anti-discursif LhagioÏogie, prariiuée par les historiens, doitêtre à I'image des autres branches de la recherche historique : ouverre à toutes les dis-ciplines sans perdre de vue ce qui fait sa spécificité. Il s'agit d'analyser le tissu social etles liens de diverse nature qui le conforment, dans la diachronie aussi bien que dans lasynchronie, par l'examen conjoint des pratiques et des représentations 66. O.t ne voitpas pourquoi I'hagiologie et, plus généralement, I'histoire religieuse, devraient faireexception à la règle.

de Chartres. Cf, PHtt-IPpanr G., n Lhagiographie comme littérature ,r, op. cit., p. 13-14, avec les réftrences au car-tulaire de Saint-Père , et p. 14-15 pour quelques autres usages médiévaui d' hagiàgraphi4 o sans doute indépendantsles uns des autres, et tout aussi peu concluants o.

63. Cf' en particulier la polémique déclenchée dans les pages de la revue Past and Present, en 1991, par le brulôt anti-n post-moderniste , de SrofE-L.,

" History and Post-Modernism o, Past and Present, l3l,I99l, p.)tl-Ztï. Réponse

de Jovce P et Kelrv C., ibid., 133, p. 206-213. Sur ces quesrions, imporranre mise au poini de Splr,cel G-. M.,. o History, Historicism, and the Social Logic of the Text in the Middl. Âg.s ,, Speculum,i5, 1990, p. 59-86.

64. o Form and content in discourse are one, once we understand that verbil discourse is a social ph.nom.r, - socialthroughout its entire range and in each and every of its factors, from the sound image to the furùest reaches of abs-tract meaning o (BarcHrrN M, The Diabgic Imagination. Four Essays, Holqulsr M. [éd.], Austin, 1986 [UniversiryofTêxas Press Slavic Series, 1], p.259). Cité et commenté par Srreèer G. M., o History, Historicism, and the SocialLogic of the Text n, op. cit., p.83.

65. Cf . saPrt note 19, et en particulier Dor-sEAu F., o Les hagiographes au travail : collecte er rraitement des documentsécrits (tx'->at'siècles). Avec annexe : une discussion chronologique du xr'siècle (édition de BHL 5824e) ,, p. 49-76. r

66' Une orientation générale : Lr,pettt B. (dir.), Lesformes d.e I'expérience. (Jne autre histoire sociale, Paris, 1995, et enparticulier Lepettr 8., n Histoire des pratiques, prarique de I'Histoire >, p.9-22.

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