Les liens familiaux dans les reconnaissances récentes de la qualité de réfugi

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Aline Angoustures Luc Legoux Les liens familiaux dans les reconnaissances récentes de la qualité de réfugié In: Revue européenne de migrations internationales. Vol. 13 N°1. pp. 37-49. Citer ce document / Cite this document : Angoustures Aline, Legoux Luc. Les liens familiaux dans les reconnaissances récentes de la qualité de réfugié. In: Revue européenne de migrations internationales. Vol. 13 N°1. pp. 37-49. doi : 10.3406/remi.1997.1531 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remi_0765-0752_1997_num_13_1_1531

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Aline AngousturesLuc Legoux

Les liens familiaux dans les reconnaissances récentes de laqualité de réfugiéIn: Revue européenne de migrations internationales. Vol. 13 N°1. pp. 37-49.

Citer ce document / Cite this document :

Angoustures Aline, Legoux Luc. Les liens familiaux dans les reconnaissances récentes de la qualité de réfugié. In: Revueeuropéenne de migrations internationales. Vol. 13 N°1. pp. 37-49.

doi : 10.3406/remi.1997.1531

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remi_0765-0752_1997_num_13_1_1531

AbstractRecent Recognition of Refugees Family TiesAline ANGOUSTURES, Luc LEGOUXThe 1951 Genova Convention on refugees have left aside many points. So, it is not at all specified thatwhen a refugee is given both the asylum and a residence permit, both rights should be recognized inthe same country. Nothing is either mentioned about organizing his stay with regard to his family. Toooften, that aspect of asylum is neglected when analyzing living contexts of refugees. Recently in France,in accordance with the jurisprudence developed by the Refugees Claims Commission, the Council ofState has admitted as a general principle of law that when asylum is granted to an individual, the sameright may be extended to his close family members. In fact, this « family unity » clause allowing « familyreunification » brings along asylum to spouse as well as children. In statistical records, these familymembers have accounted for almost two thirds of the asylum granted in France, during the nine firstmonths.

ResumenLos lazos familiares y el otorgamiento del estatuto de refugiadoAline ANGOUSTURES, Luc LEGOUXLa Convención de Ginebra de 1951 sobre los refugiados deja muchos puntos en la sombra. En ningúnmodo prevé que se otorgue al refugiado el derecho de residencia en el país que le reconce su estatuto; no contiene ninguna disposición que organice esta estancia desde el punto de vista familiar. Por lotanto, se suele ignorar este aspecto del asilo en el análisis de las realidades de la situación de losrefugiados. En Francia, el Consejo de Estado ha juzgado oportuno que la construcción jurisprudencialde la Comisión de Recursos de los Refugiados- que permite otorgar a la familia del refugiado el mismoestatuto que al refugiado - sea un principo general del derecho. De hecho, esta jurisprudencia de launidad familiar permite a los cónyuges de los refugiados una « reagrupación familiar » que lasdisposiciones de las últimas leyes sobre inmigración hacen ventajosa y conduce a la transmisión delestado de refugiado entre padres e hijos. Estas dos situaciones tienen mucho peso en las estadísticasya que representan al menos dos tercios de las resoluciones favorables del estatuto de refugiado, enFrancia, en los nueve primeros meses de 1995.

RésuméLes liens familiaux dans les reconnaissances récentes de la qualité de réfugiéAline ANGOUSTURES, Luc LEGOUXLa Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés laisse beaucoup de points dans l'ombre. Elle neprévoit nullement, ainsi, que le droit de séjour soit accordé au réfugié dans le pays qui lui reconnaît sonstatut; elle ne contient aucune disposition organisant ce séjour du point de vue familial. Cet aspect del'asile est donc souvent négligé dans l'analyse des réalités de la situation des réfugiés. En France, leConseil d'Etat a jugé récemment que la construction jurisprudentielle de la Commission des recours desréfugiés qui permet d'accorder à la famille du réfugié le même statut qu'au réfugié lui-même est unprincipe général du droit. De fait, cette jurisprudence dite de l'unité de famille permet au conjoint desréfugiés un « regroupement familial » que les dispositions des dernières lois sur l'immigration rendenttrès avantageuses et elle conduit à une transmission de l'état de réfugié entre parents et enfants. Cesdeux situations pèsent de tout leur poids dans les statistiques puisqu'elles représentent un peu moinsdes deux tiers des octrois du statut en France pour les neuf premiers mois de 1995.

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Les liens familiaux

dans les reconnaissances récentes

de la qualité de réfugié

Aline ANGOUSTURES* et Luc LEGOUX

La notion de réfugié est définie par la Convention de Genève de 1951 : est réfugié toute personne qui, craignant avec raison des persécutions du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de son pays. Cette définition est interprétée dans un sens plus ou moins généreux selon les époques par les organismes chargés de reconnaître la qualité de réfugié1. Le champ laissé à l'interprétation est relativement large, à la fois en ce qui concerne les persécutions (nature, auteur, etc.), et en ce qui concerne la reconnaissance du statut à la famille de la personne reconnue réfugiée.

L'importance de la notion de persécution dans le statut de réfugié fait que l'on oublie souvent le caractère non homogène sur ce plan de la population reconnue réfugiée. De même, l'importance de plus en plus grande prise en France par les reconnaissances à titre purement familial est grandement méconnue. Nous ne parlons pas des cas ou la parenté est à l'origine de craintes personnelles de persécution2, mais des reconnaissances de statut fondées sur l'unité de la famille et le respect du droit fondamental à une vie de famille normale. C'est ce rôle de protecteur de la famille,

* Commission des Recours des Réfugiés - 94138 Fontenay-sous-Bois Cedex - France. ** Institut de Démographie de Paris I - 22, rue Vauquelin - 75005 Paris.

Une première version de ce texte a été présentée lors de la journée d'études du GRISA « L'asile dans tous ses états » le 24 novembre 1996.

1 En France par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Commission des recours des réfugiés (CRR).

2 Ces cas sont malheureusement très nombreux, que l'on songe aux rapports d'Amnesty international dénonçant les tortures sur les enfants d'opposants politiques ou aux disparitions de familles entières dans de nombreux pays.

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important dans l'analyse des statistiques sur l'asile en France, que nous allons analyser ici.

L'ORIGINE DU PRINCIPE DE L'UNITE DE FAMILLE

La définition du réfugié, fondée sur les craintes personnelles, ne fait pas référence à sa famille. Dans le Convention de Genève, les droits et devoirs sont exposés dans une trentaine d'articles couvrant les grands domaines de la vie sociale : propriété, emploi, logement, justice, etc, et allant jusqu'aux règles de transfert des avoirs, mais la Convention et muette sur un aspect essentiel, le droit au séjour des réfugiés, si ce n'est de manière implicite. Bien entendu le droit au séjour de la famille du réfugié n'est pas plus évoqué que celui du réfugié lui-même.

Si le principe de l'unité de la famille ne se trouve pas dans la convention de Genève, il apparaît tout de même, mais inséré dans un acte non publié et sans valeur contraignante : l'acte final de la conférence des plénipotentiaires réunis en 1951 pour mettre définitivement au point la Convention3. Ce texte sur l'unité de la famille, cité intégralement ci-dessous, se situe donc en dehors de la définition du réfugié.

« La conférence,

Considérant que l'unité de la famille, cet élément naturel et fondamental de la société est un droit essentiel du réfugié, et que cette unité est constamment menacée, et

Constatant avec satisfaction que, d'après le commentaire officiel du Comité spécial de l'apatridie et des problèmes connexes, les droits du réfugié sont étendus aux membres de la famille,

Recommande aux gouvernements de prendre les mesures nécessaires pour la protection de la famille du réfugié et en particulier pour :

1 ° Assurer le maintien de l'unité de la famille du réfugié, notamment dans le cas où le chef de famille a réuni les conditions voulues pour son admission dans un pays.

2° Assurer la protection des réfugiés mineurs, notamment des enfants isolés et des jeunes filles, spécialement en ce qui concerne la tutelle et l'adoption. »

3 L'introduction d'un principe de l'unité de la famille a été proposée lors de la Conférence des Plénipotentiaires par le Saint Siège, admis aux travaux de la Convention comme à ceux de l'OIR, auquel s'est ensuite associé 1' « Union internationale des Ligues féminines catholiques ». La proposition reprend les points XIII, XIV et XV des « Principes généraux concernant la Protection des Migrants » adoptés par la deuxième conférence des Organisations non gouvernementales intéressées aux problèmes de migration, tenue à Genève des 16 au 22 mars 1951. Ce texte était lui même inspiré de la Déclaration universelle des droits de l'homme. (Travaux préparatoires de la Convention de Genève).

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Ce texte recommande aux Etats de protéger avec le réfugié, ceux que lui- même protégeait dans son pays d'origine, à savoir sa femme et ses enfants mineurs. Il lie cette protection au maintien de l'unité de la famille, mais ne recommande pas de reconnaître le même statut à tous les membres de la famille et reste vague quant à son droit au séjour4. La protection de la famille aurait donc pu être seulement une affaire de dispositions législatives ou réglementaires prévoyant que la famille du réfugié a les même droit au séjour que le réfugié reconnu. Mais il n'en a pas été ainsi à l'époque5 et c'est la Commission des Recours des réfugiés qui a tiré les conséquences de l'Acte final, par une création jurisprudentielle dite de « l'unité de famille », qui établit que le conjoint, les enfants mineurs et les ascendants à charge du réfugié ont droit à cette même qualité. Cette construction jurisprudentielle vient d'être confirmée par le Conseil d'Etat, qui ne s'était jamais prononcé jusqu'à présent, et qui affirme aujourd'hui l'existence du principe de l'unité de famille comme principe général du droit des réfugiés6, tout en en resteignant la portée ainsi que nous le verrons plus loin. Mais auparavant il est important de retenir que les demandes d'asile ont toujours compris des demandes au titre de l'unité de famille.

L'IMPORTANCE NUMERIQUE

Cette protection accordée aux familles de réfugiés est importante sur le plan numérique. En effet, comme nous le voyons sur la figure 1, à peu près la moitié des reconnaissances de l'OFPRA durant les neufs premiers mois de 1995 concernent des enfants de réfugiés et environ un sixième des conjoints ou ascendants, ce qui porte à un peu moins des deux-tiers les reconnaissances fondées sur le principe de l'unité de famille. Il s'agit ici des reconnaissances faites par l'Office en première instance. A la Commission des recours des réfugiés (CRR) la part des « unités de famille » dans les annulations des décisions de rejet est tout à fait insignifiante.

4 L'ambiguïté sur le droit au séjour des réfugiés se retrouve dans ce texte puisque, en recommandant que l'unité de famille soit maintenue, « notamment dans le cas où le chef de famille a réuni les condition voulues pour son admission dans un pays » il admet implicitement que la protection et l'unité de la famille puissent être réalisées en dehors d'une admission dans un pays, c'est-à-dire, dans un camp sous protection internationale. Hors cette situation, dans la plupart des pays d'accueil, la Convention de Genève, espace d'exception aux règles migratoires de droit commun, ne trouve de sens pratique que si elle permet une migration.

5 Le gouvernement français a attendu 1989 (la loi 89-548 du 2 août 1989) pour prévoir dans les textes la délivrance de plein droit de la carte de résident au conjoint et aux enfants mineurs du réfugié. Par ailleurs, depuis les lois d'août et décembre 1993 cette délivrance de plein droit est assujettie à des conditions de séjour qui en restreignent l'effet pratique.

6 Pour un commentaire de cette décision : — L'Actualité juridique Droit administratif, 20 décembre 1994 page 878 et suivantes. — Denis Alland, « Jurisprudence française en matière de droit international public », in Revue Générale de Droit International Public, avril- juin 1995, numéro 2. — Frédéric Bonnot, Les principes généraux du droit applicable aux réfugiés et le principe de l'unité de famille, Revue du Droit Public n° 5-1996.

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Figure 1 : Répartition des reconnaissances en première instance des 9 premiers mois de 1995.

unité de famille un peu s ^^^^^^^^^\. ■ < j moins des 2/3 ' * ^ reconnaissances au fond

dont enfants de réfugiés environ N. ^ dont époux et ascendants 3/4 des unités de famille ou la \^^ ^^^ environ 1/4 des unités de famille moitié des reconnaissances — ~.-i.../,v.-^- ou 1/6 des reconnaissances totales totales

Source : OFPRA

LES ENFANTS DE REFUGIES

Les pyramides des âges de la population reconnue réfugiée chaque année mettent en évidence l'importance des enfants de réfugiés dans l'ensemble des reconnaissances annuelles. On retrouve sur la pyramide de 1994 (figure 2) une proportion analogue à celle citée précédement, les classes d'âge autour de 18 ans représentent environ la moitié de la population totale. Pour l'essentiel il s'agit d'enfants de réfugiés statutaires entrés mineurs en France et qui, à ce titre, ont droit au statut de réfugié7. Ces reconnaissances d'enfants de réfugiés représentent les trois-quart de l'ensemble des reconnaissances sur unité de famille.

L'importance numérique des reconnaissances d'enfants de réfugiés dans l'ensemble des reconnaissances dépend de trois critères interdépendants, l'ancienneté de l'exil, son évolution numérique et sa composition familiale.

- Le rôle de l'ancienneté est évident, les enfants de réfugiés entrés mineurs en France ne demandent le statut qu'à la fin de leur adolescence, soit un certain nombre d'années après leur entrée en France.

- L'évolution numérique de l'exil est également importante. Plus le flux est décroissant, plus l'importance relative des reconnaissances d'enfants de réfugiés est

7 La jurisprudence considère en effet que les enfants mineurs doivent se voir reconnaître le statut, quel que soit l'âge auquel ils le demandent, à condition bien entendu de ne pas posséder la nationalité française, et aussi d'être entrés en France mineurs en vertu du caractère déclaratif et donc rétroactif de la reconnaissance de la qualité de réfugié. Les enfants nés en France de parents réfugiés se voient reconnaître le statut au même titre. Dans les deux cas il suffit que l'un des parents soit réfugié.

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Figure 2 : Pyramide des âges en pourcentage des réfugiés reconnus en 1994, toutes nationalités confondues.

Hommes effectif : 3 561 âge moyen : 28,7

Femmes effectif : 3 464 âge moyen : 29,6

Source : OFPRA

élevée et réciproquement. Dans le cas extrême et théorique d'arrivées massives il y a 15 ans et nulles aujourd'hui, qu'il y ait beaucoup ou peu de reconnaissances d'enfants de réfugiés, ces reconnaissances représenteraient 100 % de l'ensemble puisqu'elles seraient les seules.

- La composition familiale de l'exil se superpose aux deux premiers facteurs et il est bien évident que le nombre d'enfants de réfugiés pouvant potentiellement demander un certificat de réfugié dépend de cette composition.

Ces trois critères interdépendants montrent que d'un point de vue démographique, l'exil, de par les reconnaissances d'enfants de réfugiés, fonctionne comme une migration et a ses « deuxièmes générations ». Mais l'exil n'est pas monolithique et ces points se retrouvent dans des proportions très variables selon les nationalités.

Les réfugiés du Sud-Est asiatique réunissent à la perfection les trois critères qui maximisent le poids des reconnaissances d'enfants de réfugiés. Leur exil est relativemenent ancien, il a été massif (la moitié des réfugiés statutaires en France provient de ces trois pays), les arrivés nouvelles sont presque inexistantes, et il s'agissait d'un exil familial par le principe même des quotas. Les chiffres sont éloquents : les pourcentages de reconnaissances d'enfants de réfugiés dans l'ensemble des reconnaissances des neuf premiers mois de 1995 sont pour le Laos et le Cambodge largement supérieurs à 90 % et supérieurs à 80 % pour le Vietnam. Cette importance des secondes générations dans l'exil n'est pas un fait nouveau. En leur temps les réfugiés espagnols avaient connu une situation semblable et par exemple, 18 % de ces réfugiés inscrits à l' OFPRA étaient entrés en France avant 18 ans8.

8 Evaluations calculées sur un échantillon représentatif de 2 000 dossiers de réfugiés espagnols, constitué par A. Angoustures.

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Les réfugiés sri-lankais ont une situation particulière : si la proportion de reconnaissances sur unité de famille est supérieure à celle des réfugiés vietnamiens, la proportion de reconnaissances d'enfants de réfugié est par contre largement inférieure au deux-tiers. Il faut voit là l'effet d'un exil bien plus récent et surtout beaucoup moins familial.

Actuellement, les reconnaissances européennes concernent essentiellement les Turcs et les nationalités issues de l' ex- Yougoslavie. Très logiquement en regard de nos trois critères les proportions de reconnaissances d'enfants de réfugiés dans l'ensemble des reconnaissances s'établissent à environ 40 % pour les Turcs, et à moins de 10 % pour les ressortissants d'ex- Yougoslavie.

Les reconnaissances africaines sont peu nombreuses et un peu moins basées sur le principe de l'unité de famille que la moyenne, mais les situations sont très contrastées selon les nationalités. Pour les exils récents (Rwanda, Burundi) les reconnaissances sur unité de famille représentent à peine 10 % de l'ensemble et ne concernent quasiment pas les enfants. A l'inverse, environ 90 % des reconnaissances zaïroises sont fondées sur unité de famille, dont plus de la moitié concernent des enfants de réfugiés. L'exil zaïrois reste à des niveaux relativement élevés et s'il est moins familial que celui du Sud-Est asiatique, il est relativement ancien et on voit apparaître une deuxième génération de réfugiés zaïrois.

Les reconnaissances de réfugiés du continent américain semblent à peine plus fréquemment basées sur l'unité de famille que celles de l'ensemble des nationalités, mais leur nombre total étant largement inférieur à 100 pour les 9 premiers mois de 1995, les pourcentages ne peuvent être valablement calculés.

Dans l'ensemble de cette procédure concernant les enfants de réfugiés, la principale difficulté réside dans la vérification de la filiation. Celle-ci peut parfois être simple, notamment lorsque les enfants arrivent avec leur parents et un visa d'établissement, mais elle peut aussi être très compliquée, en particulier lorsque les enfants arrivent clandestinement après les parents et que les déclarations antérieures ne sont pas concordantes.

LES COUPLES DE REFUGIES

Les reconnaissances actuelles sur unité de famille ne concernant, à quelques nuances près, que les enfants et les « conjoints » de réfugiés, l'importance numérique des reconnaissances de conjoints ou de concubins est complémentaire de celle des enfants que nous venons d'observer. Les conjoints de réfugiés représentent donc environ le quart des reconnaissances sur unités de famille et le sixième des reconnaissances générales. De fortes différences entre les nationalités peuvent être observées et leur interprétation est assez complémentaire de celle concernant les enfants. Si on se limite à une description par continent, l'essentiel se résume ainsi :

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- la plus forte proportion d'accords pour des conjoints revient à l'Afrique dans laquelle le Zaïre a un très grand poids.

- L'Europe a une position médiane, les reconnaissances pour des conjoints ne sont supérieures à celle pour les enfants que pour les demandes très récentes, comme celle procédant de l'ex- Yougoslavie.

- L'Asie connait la plus faible proportion, ce qui est très logique compte tenu du poids du Sud-Est asiatique qui donne lieu presque exclusivement à des reconnaissances pour enfants de réfugiés. Par contre le Sri Lanka présente un taux important d'unités de famille pour conjoints.

Si les conjoints de réfugiés ne représentent qu'un quart des reconnaissances sur unité de famille, ils soulèvent cependant des problèmes jurisprudentiels nettement plus complexes que les enfants de réfugiés. Pourquoi ?

Tout d'abord parce que c'est à propos des couples que le fondement de la jurisprudence est ambigu. En effet l'application du principe de l'unité de famille à l'égard des conjoints est subordonné à deux conditions essentielles, qui illustrent les deux fondements du principe dans la jurisprudence. Il s'agit de la réalité des liens, ce qui correspond au maintien de la cellule familiale, et de l'appartenance à une même nationalité, ce qui sous-entend que l'on se fonde sur la contagion des craintes puisque sinon cette condition n'aurait aucun sens. Cette dernière condition est d'ailleurs plutôt renforcée par les exceptions à la règle de la même nationalité qui concernent le cas des pays autrefois unis et désormais scindés, comme l'ex- Yougoslavie, ou les pays en guerre (Zhang, SR, 228044, 8.6.1993).

Ensuite, parce que c'est encore à propos des couples que toutes les difficultés venant de la situation migratoire de façon générale et de l'allongement des délais d'examen des demandes d'asile en particulier se sont posées. La date de la constitution des couples, importante tant pour la contagion des craintes — dans la mesure où l'ont peut considérer qu'un mariage en France n'a pas d'implications dans le pays d'origine — que pour la situation migratoire, s'est progressivement dégagée comme un critère fondamental.

LE COUPLE CONSTITUE AVANT L'EXIL

Lorsque le couple est constitué avant l'exil, dans le pays d'origine par exemple, il ouvre clairement droit à l'octroi du statut, en vertu du principe de l'unité de famille, au conjoint qui ne pourrait en bénéficier au titre de ses craintes personnelles.

Peu importe à cet égard la nature des liens puisque le concubinage commencé dans le pays d'origine s'est progressivement dégagé de la jurisprudence de la CRR comme entrant dans le champ d'application de l'unité de famille. La seule différence est ici la plus grande difficulté à faire la preuve de la réalité des liens.

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Peu importe aussi que la demande des époux soit ou non simultanée. Il est d'ailleurs assez fréquent que les conjoints - souvent les femmes- rejoignent ultérieurement le réfugié. Cela s'est fait dans le passé pour les Espagnols dont la deuxième vague d'exil (1945-1954) était pour moitié environ constituée des conjoints et familles des exilés de 19399. De ce point de vue l'unité de famille fonctionne comme un regroupement familial. Mais ce « regroupement familial » déroge aux conditions restrictives prévues dans la procédure de droit commun depuis les dernières modifications de l'Ordonnance de 1945 sur le droit au séjour des étrangers, tels que la durée de séjour régulier en France, le revenu adéquat, le logement suffisant, l'avis du maire de la commune, etc. De ce point de vue, la situation du réfugié est rendue particulièrement avantageuse par les dispositions légales récentes. Le délai entre l'entrée du réfugié reconnu pour ces craintes personnelles de persécution et celle de son conjoint reconnu au titre de l'unité de famille est très variable, et les études en cours ne portent pas encore sur des nombres suffisament grands pour établir des statistiques. De ce point de vue l'asile est comparable à l'immigration et l'évolution de la perception par les réfugiés de la durée probable de leur exil conditionne le regroupement familial.

Cette situation s'inscrit dans la logique du statut de réfugié depuis l'origine, être dérogatoire du droit commun de l'immigration, ce qui est assez naturel pour des populations placées de facto dans des conditions plus défavorables que les autres migrants.

LE COUPLE CONSTITUE PENDANT L'EXIL

Avec le développement de la demande d'asile, la constitution du couple pendant l'exil engendre de nouvelles implications. En effet l'allongement de la procédure dans les années 80 a induit une croissance du nombre de mariages pendant la procédure ce qui, combiné avec l'absence d'autres moyens de régularisation et la découverte de mariages arrangés, a jeté le doute sur la motivation réelle des mariages conclus en France. La réalité du mariage, attestée par des pièces aisément vérifiables, ne pose en revanche guère de problème10.

C'est à la suite de ces évolutions que la Commission a dégagé le principe du contrôle opéré sur les mariages intervenus entre réfugiés et déboutés afin de déterminer si ce mariage n'était pas une fraude ou ne constituait pas « une manœuvre »n. Cependant, sauf fait patent, la nature arrangée d'un mariage n'est pas évidente à établir et très peu de décisions ont retenu la manœuvre, d'autant que les délais d'examen des demandes se sont raccourcis. La majorité des décisions d'accord pour unité de famille

9 Cf. note 4. 10 Cependant les mariages de réfugiés en France peuvent poser d'autres problèmes, ainsi lorsque

ceux-ci pratiquent un type de mariage interdit par le droit français comme les Kurdes se mariant entre cousins germains.

1 1 Par exemple, CRR- SR Mannokaran, avril 1994.

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dans des cas de conjoints étaient faites, à la Commission, pour des mariages conclus en France, pendant l'exil.

La décision Agyepong du Conseil d'Etat de fin 199412 censure à titre principal la jurisprudence de la Commission sur les couples. Elle le fait, semble-t-il, en fondant la jurisprudence de l'unité de famille sur la contagion des craintes et non sur le droit au maintien de la cellule familiale. De ce fait, le Conseil d'Etat rend inutile la jurisprudence de la manœuvre élaborée par la Commission puisqu'il ne prend en compte pratiquement que les couples constitués avant l'exil. La rédaction est la suivante : l'unité de famille s'applique à « ... la personne de même nationalité qui était unie par le mariage à un réfugié à la date à laquelle celui-ci a demandé son statut... ». De fait, depuis cette décision, le nombre d'accords sur unité de famille de la Commission, déjà faible, a fortement décru. Lorsque les conjoints de réfugiés ne sont pas reconnnus, ils sont soumis aux règles de droit commun concernant le regroupement familial.

Cette nouvelle jurisprudence a deux autres effets. D'une part elle devrait rendre impossible un phénomène récent, la reconnaissance sur unité de famille après un mariage arrangé entre un réfugié en France et un conjoint hors de France. Cette procédure avait pour principal avantage d'échapper aux contraintes, notamment en matière de délai, du regroupement familial classique. Les mariages étaient arrangés par les familles, souvent au pays d'origine. Ils étaient ensuite officialisés en France avant la demande d'asile du conjoint ou au plus tard avant la décision de l'OFPRA qui pouvait alors être basée sur le principe d'unité de famille. Deux nationalités étaient particulièrement concernées, les Sri-lankais d'origine tamoule13 et les Turcs d'origine kurde14. D'autre part, elle a conduit à un alignement de la jurisprudence concernant le concubinage15 sur celle du mariage à propos de la date de l'union. Maintenant le concubinage peut être pris en compte s'il a commencé avant la demande d'admission au statut du réfugié et non uniquement s'il a commencé dans le pays d'origine comme c'était le cas auparavant.

Enfin, en matière de couple, une deuxième date butoir existe, celle de la fin de l'union. La séparation du couple peut entraîner le retrait du statut à celui qui l'a obtenu sur la base de l'unité de famille, en application de l'article 1C5 de la Convention de Genève. Cela donne une certaine fragilité à ce statut, fragilité cependant assez théorique puisque ces retraits sont statistiquement rares d'une part et que d'autre part ils n'entraînent pas, en principe, le retrait du titre de séjour (article 16, 2e alinéa de l'Ordonnance de 1945).

12 Conseil d'Etat (CE), Assemblée, Mme Agyepong, 2. 12. 1994. 13 Santhapillai Guy de Fontgalland, Sri-Lankans in exile, Tamils displaced, Cerro publications,

Madras, India, 1986, page 228. Robuchon « Les Sri Lankais d'origine tamoule en France », étude pour la DPM, 1995.

14 Ce phénomène a peut-être contribué à la forte endogamie de ces populations en France. 15 CRR- Sections Réunies, Lembe, 21.7.1995.

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LES ASCENDANTS DES REFUGIES

L'impact de la décision Agyepong ne se limite cependant pas aux couples, elle remonte la chaîne des générations.

Les ascendants à charge des réfugiés s'étaient en effet vus reconnaître le droit au statut par une décision de la CRR de 1959 16. Le fondement de cette décision, qui allait au delà des cas mentionnés dans la recommandation des plénipotentiaires, semblait bien être celui du maintien de la cellule familiale et, plus précisément, du fait de la précision « à la charge », de la protection accordée à ceux que le réfugié protégeait dans son pays.

La décision Agyepong semblant exclure clairement les ascendants du principe de l'unité de famille, la Commission a renoncé à sa jurisprudence antérieure et, désormais, elle exclut les ascendants de réfugiés du bénéfice dudit principe17.

Si cette jurisprudence présente une importance symbolique, son impact statistique est faible. En effet, si l'exil des parents de réfugiés a été important pour les Espagnols18, celui des parents de réfugiés du Sud-Est asiatique, par ailleurs plus faible, est actuellement essentiellement réalisé. Les demandes d'ascendants de réfugiés étaient donc devenues peu nombreuses et la structure actuelle de la population des réfugiés statutaires ne suscitait aucune crainte de forte reprise de cette demande. Mais ces remarques portent sur l'ensemble des demandeurs. Il n'en demeure pas moins que pour certaines nationalités, comme les Cambodgiens, le nombre d'ascendants demandant le statut ne peut être négligé et que, de façon plus générale, l'impact humain est bien réel. Ceci d'autant plus qu'actuellement aucune disposition en matière de droit au séjour spécifique ne compense cette nouvelle situation.

Nous avons vu s'élargir un peu notre idée des liens familiaux en quittant la « famille nucléaire » qui est notre référence usuelle. Il reste deux aspects, aujourd'hui hors du champ d'application de l'unité de famille, qui témoignent de l'étendue possible des liens familiaux.

LES UNITES DE FAMILLE « EN CASCADE »

Le principe de l'unité de famille avait fini par s'appliquer en dehors des liens prévus dans les textes. En effet les personnes, qui obtenaient le statut par unité de famille pouvaient le transmettre à leur tour par unité de famille et ainsi de suite. C'est ce qu'on a appelé l'unité de famille « en cascade ». La Commission a mis fin à cette pratique, due aux incertitudes jurisprudentielles, en 199419.

16 CRR Rubio, 3 décembre 1959. 17 CRR-SR, Dame veuve Nadarajah, 16.10.1995. 18 Confère note 4. 19 CRR Sections réunies, Cirpaci et Dinu 7 juin 1994.

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LES AUTRES LIENS DE FAMILLE

Les liens familiaux en dehors de la famille nucléaire, liens entre collatéraux, cousins, oncles, neveux, etc, n'ont jamais été inclus dans le principe de l'unité de famille, mais ils exercent une influence sur les statistiques de l'asile. Tout d'abord sur la demande d'asile parce que, même effectué sous la contrainte, l'exil est une migration et fonctionne en partie comme telle. La destination finale dépend de l'ensemble des connaissances du réfugié et des possibilités qui s'offrent à lui. Parmi d'autres éléments telles que les possibilités de voyage, la présence de personnes connues ou de parents concourra à regrouper des familles élargies, des réseaux lignagiers, voire des réseaux locaux (village etc..) dans le même pays. Ces liens exercent ensuite probablement une influence sur les reconnaissances parce que la présence en France d'un frère ou d'une sœur réfugié politique, par exemple, est un argument systématiquement employé en faveur d'une demande et peut-être pris en compte dans l'intime conviction des agents de l'OFPRA et de la CRR. L'expérience en la matière permet de considérer que cet argument a un certain poids, qui serait peut-être statistiquement observable, même si aucun comptage n'est opéré pour l'instant.

CONCLUSION

L'unité de famille révèle à notre sens deux choses essentielles sur l'asile. Tout d'abord la complexité du phénomène. La jurisprudence et ses évolutions sont un parfait reflet de cette complexité que nous tentons d'approcher. L'unité de famille résulte en effet des imbrications du statut international, du droit au séjour, des principes et des réalités migratoires. Le deuxième aspect essentiel est la dynamique de la population des réfugiés. Répondant aux bouleversements du monde, les arrivées de réfugiés varient en nombre et en structure par nationalité, âge, sexe, composition de famille, etc. On assiste à des vagues successives qui toutes ont une dynamique propre. Si un certain nombre de réfugiés retournent dans leur pays, d'autres s'intègrent et acquièrent la nationalité française, d'autres enfin restent réfugiés leur vie entière. Bien loin de toute abstraction juridique, les réfugiés vivent, se marient, et peuvent avoir des enfants auxquels ils transmettent parfois leur statut. Ainsi, l'unité de famille met en relief les réalités humaines de la population des réfugiés.

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RESUME - ABSTRACT - RESUMEN 48

Les liens familiaux dans les reconnaissances récentes de la qualité de réfugié

Aline ANGOUSTURES, Luc LEGOUX

La Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés laisse beaucoup de points dans l'ombre. Elle ne prévoit nullement, ainsi, que le droit de séjour soit accordé au réfugié dans le pays qui lui reconnaît son statut; elle ne contient aucune disposition organisant ce séjour du point de vue familial. Cet aspect de l'asile est donc souvent négligé dans l'analyse des réalités de la situation des réfugiés. En France, le Conseil d'Etat a jugé récemment que la construction jurisprudentielle de la Commission des recours des réfugiés qui permet d'accorder à la famille du réfugié le même statut qu'au réfugié lui-même est un principe général du droit. De fait, cette jurisprudence dite de l'unité de famille permet au conjoint des réfugiés un « regroupement familial » que les dispositions des dernières lois sur l'immigration rendent très avantageuses et elle conduit à une transmission de l'état de réfugié entre parents et enfants. Ces deux situations pèsent de tout leur poids dans les statistiques puisqu'elles représentent un peu moins des deux tiers des octrois du statut en France pour les neuf premiers mois de 1995.

Recent Recognition of Refugees Family Ties

Aline ANGOUSTURES, Luc LEGOUX

The 1951 Genova Convention on refugees have left aside many points. So, it is not at all specified that when a refugee is given both the asylum and a residence permit, both rights should be recognized in the same country. Nothing is either mentioned about organizing his stay with regard to his family. Too often, that aspect of asylum is neglected when analyzing living contexts of refugees. Recently in France, in accordance with the jurisprudence developed by the Refugees Claims Commission, the Council of State has admitted as a general principle of law that when asylum is granted to an individual, the same right may be extended to his close family members. In fact, this « family unity » clause allowing « family reunification » brings along asylum to spouse as well as children. In statistical records, these family members have accounted for almost two thirds of the asylum granted in France, during the nine first months.

Los lazos familiares y el otorgamiento del estatuto de refugiado

Aline ANGOUSTURES, Luc LEGOUX

La Convention de Ginebra de 1951 sobre los refugiados deja muchos puntos en la sombra. En ningûn modo prevé que se otorgue al refugiado el derecho de residencia en el pais que le reconce su estatuto ; no contiene ninguna disposiciôn que organice esta estancia desde el punto de vista familiar. Por lo tanto, se suele ignorar este aspecto del asilo en el anâlisis de las realidades de la situaciôn de los refugiados. En Francia, el Consejo de Estado ha juzgado oportuno que la construcciôn jurisprudencial de la Comisiôn de Recursos de los Refugiados- que

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permite otorgar a la familia del refugiado el mismo estatuto que al refugiado - sea un principo general del derecho. De hecho, esta jurisprudencia de la unidad familiar permite a los cônyuges de los refugiados una « reagrupaciôn familiar » que las disposiciones de las ultimas leyes sobre inmigracion hacen ventajosa y conduce a la transmision del estado de refugiado entre padres e hijos. Estas dos situaciones tienen mucho peso en las estadisticas ya que representan al menos dos tercios de las resoluciones favorables del estatuto de refugiado, en Francia, en los nueve primeros meses de 1995.

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