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SOCIÉTÉ D’ÉGYPTOLOGIE GENÈVE BULLETIN N° 29 2011-13 (ISSN 0255-6286)

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SOCIÉTÉ D’ÉGYPTOLOGIE GENÈVE

BULLETIN N° 29 2011-13

(ISSN 0255-6286)

76 Véronique LAURENT & Ghislaine WIDMER BSÉG 29 (2011-13)

TABLE DES MATIÈRES

pages Hommage :

Charles BONNET Hommage à Helen Jacquet-Gordon, égyptologue

5

Études : Philippe GERMOND Larmes de tristesse, larmes de vie… 9

Philippe GERMOND La sauterelle, autre marqueur imagé de la renaissance du défunt, au caractère parfois ambivalent…

29

Kirsten KONRAD Sistrophor oder Sistrumspieler ? Zur Deutung privater Tempelstatuen mit kleinem Sistrum

43

Véronique LAURENT Ghislaine WIDMER

Une stèle démotique anciennement découverte à Tell el-Maskhouta (Genève, Musée d’art et d’histoire, inv. A 2009-2)

77

Matteo LOMBARDI Une stèle d’enceinte du sanctuaire de Coptos au nom de Nectanébo Ier redécouverte au Musée du Caire

93

Olivier PERDU Une faveur royale concernant les statues du précepteur Horirâa

111

Carlo RINDI The Ptah-Sokar-Osiris Figure of Tjesraperet, Wet Nurse of Pharaoh Taharka’s Daughter Typological and Historical Analysis

131

Répertoires :

Jean-Luc CHAPPAZ Répertoire annuel des figurines funéraires 145

Bibliothèque de la Société Liste des ouvrages reçus 149

BSÉG 29 (2011-13) UNE STÈLE DÉMOTIQUE À TELL EL-MASKHOUTA 77

Une stèle démotique anciennement découverte à Tell el-Maskhouta

(Genève, Musée d’art et d’histoire, inv. A 2009-2)

Véronique LAURENT et Ghislaine WIDMER*

Publication of a small Demotic stela housed in the Musée d’art et d’histoire of Geneva (stela Geneva inv. A 2009-2) which was discovered around 1874-1877 in the region of Tell el-Maskhuta. Dedicated by a woman whose mother’s name was Wenher, it contains traditional funerary formulae invoking Osiris. Many uncertainties however remain, mainly due to the lack of parallel Demotic texts from the Delta. The last three lines mention the god Psais, who is called "great" and seems to be a form of the local protector god. Moreover the scribe and/or the carver seem to be associated in the dedication.

Exhumée par l’ingénieur Félix Paponot sur le site de Tell el-Maskhouta dans les années 1874-1877, la stèle Genève inv. A 2009-2 était demeurée dans la collection de sa famille1, avant d’être acquise en vente publique par le Musée d’art et d’histoire en octobre 20092. En qualité de descendante de l’inventeur de cet objet, Véronique Laurent avait eu le loisir, en rédigeant le catalogue des objets rapportés par celui-ci, d’examiner de près ce petit monument ; elle avait alors confié à Ghislaine Widmer l’étude du texte démotique3.

* Université Lille 3 / UMR 8164 HALMA-IPEL. 1 Sur cette collection, voir V. LAURENT, « Une statue provenant de Tell el-Maskoutah », RdÉ 35 (1984), p. 139. 2 Catalogue de vente Christie’s, Antiquities. Tuesday 27 October 2009, Londres 2009, pp. 34-35, n° 99. Voir aussi J.-L. CHAPPAZ, « Une stèle démotique intègre les collections d’archéologie », MAHG des Musées d’art et d’histoire de Genève, février-avril 2010, p. 27 et « Enrichissements des collections égyptiennes et nubiennes en 2009 », Genava n. s. 58 (2010), pp. 211-214 et fig. 3. La stèle est aujourd’hui exposée dans les salles du musée. 3 Nous voudrions ici exprimer notre gratitude à M. Jean-Luc Chappaz qui a bien voulu nous autoriser à en assurer la publication commune. Nous tenons aussi à remercier les autres collègues qui ont aidé à la réalisation de cet article, en particulier D. Devauchelle pour ses nombreux conseils et sa relecture critique, C. De Visscher pour la recherche de parallèles iconographiques et ses propositions d’interprétation, M. Smith pour ses précieuses suggestions de lecture et G. Vittmann pour la discussion autour des anthroponymes.

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Circonstances de la découverte

L’entreprise créée par l’Ingénieur Général Félix Paponot avait été chargée par le gouvernement égyptien de reprendre et d’achever les travaux sur l’Ismaïlieh, le canal d’eau douce reliant le Caire à la nouvelle ville Ismaïliah, siège de l’administration du canal de Suez4. Ceux-ci furent réalisés de 1874 à 1877. Au cours de l’installation du « village européen » qui devait abriter les bureaux et habitations du personnel employé au creusement du canal, les vestiges d’un site antique furent remis au jour, à Tell el-Maskhouta. Ce site sera fouillé, une dizaine d’années plus tard, en 1883, et pendant une saison seulement, par l’égyptologue genevois Édouard Naville pour le compte de l’Egypt Exploration Fund5. Dans sa publication parue en 1885 sous le titre évocateur de The Store-City of Pithom and the Route of the Exodus6, l’archéologue mentionne à plusieurs reprises les découvertes faites par l’ingénieur et son équipe :

« At the time when the villa7 was constructed, nothing except the monolith and the northern side of the enclosure could be seen above the sand. One day, however, in digging for the garden, the workmen came across another monolith of the same size as the first, the pair having once stood symmetrically at the entrance of some edifice. Concluding that these monuments flanked each side of an avenue, M. Paponot continued the excavations in the same direction. The result was the discovery of two sphinxes in black granite, placed also on each side of the avenue or dromos ; then, farther on, a shrine or naos in red sandstone, very well executed, and a

4 Le canal fut ainsi nommé en l’honneur du khédive Ismaïl qui gouvernait alors l’Égypte. 5 Sur cette mission archéologique, qui fut la première d’Éd. Naville en Égypte, voir M. VANDENBEUSCH, « Les premières fouilles de l’Egypt Exploration Fund : Édouard Naville à Tell el-Maskhuta », BSÉG 28 (2008-10), pp. 139-170. Plus généralement sur le site, voir Fr. LECLÈRE, Les villes de Basse Égypte au Ier millénaire av. J.-C. Analyse archéologique et historique de la topographie urbaine (BdÉ 144), Le Caire 2008, pp. 541-574 (« Héroonpolis »). 6 Ici n’est pas le lieu de discuter de la question de l’identification de la Pithom biblique à Tell el-Maskhouta proposée par Éd. Naville ; nous renverrons simplement à la bibliographie commentée de Fr. LECLÈRE, Les villes de Basse Égypte, Le Caire 2008, p. 541, n. 1 et à l’historique des différentes hypothèses présenté par Chr. THIERS, Ptolémée Philadelphe et les prêtres d’Atoum de Tjékou. Nouvelle édition commentée de la « stèle de Pithom » (CGC 22183) (Orientalia Monspeliensia XVII), Montpellier 2007, pp. 5-6. 7 Il s’agit de la villa « élégante » de Monsieur Paponot, selon les propres termes de Naville, The Store-City of Pithom, 1885, p. 2. Voir aussi V. LAURENT, B. PAPONOT, « Le camp du chantier de l’entreprise Félix Paponot dans l’isthme de Suez », in : Cl. PIATON, E. GODOLI, D. PEYCERÉ (éd.), Construire au-delà de la Méditerranée. L’apport des archives d’entreprises européennes (1870-1970), Arles 2012, pp. 83-91 et le site internet du Museum of Architecture où sont publiées des photographies du « camp » et de la « villa » tirées de cet article (http://www.archmuseum.org/ Gallery/Photo_41_14_housing-for-employees-and-workers-in-company-towns.html).

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large stele in red granite which was lying flat, and had been used as the foundation of a Roman wall of baked bricks. [...]8. »

Quelques objets de dimensions réduites furent rapportés par F. Paponot en France et transmis à ses héritiers. L’ingénieur fit aussi parvenir à Éd. Naville des estampages des inscriptions gravées sur les piliers dorsaux de deux statuettes fragmentaires trouvées beneath the great monolith (c’est-à-dire la triade représentant Ramsès II et deux divinités) que Naville reproduira dans son ouvrage9. Dans une lettre de l’importante correspondance que l’archéologue entretenait avec ses mandataires de l’Egypt Exploration Fund, en particulier R. S. Poole, Conservateur au Département des monnaies et médailles du British Museum10, on trouve mention d’un troisième estampage envoyé par Paponot à Naville. Ainsi, en 1885, il écrit :

« My dear Poole, […] When I go to London I can stay one day in Paris and call on him (= E. Revillout)11. I shall bring him a papercast of a little demotic tablet of Pithom which Paponot sent me and ask him to translate it [...] » (Malagny, 30 juin 1885, EES archive box, c, 23)12.

La « petite tablette » démotique évoquée par Éd. Naville ne peut être que la stèle Genève inv. A 2009-2, dont les dimensions sont modestes, puisque sa hauteur est d’environ 27 cm. En outre, nous savons que parmi tous les objets rapportés par F. Paponot ne figure aucune autre stèle ni document inscrit en démotique. Un courrier de l’ingénieur daté du 22 juin 1883 et adressé à l’égyptologue genevois précise le contexte de la découverte :

8 Éd. NAVILLE, The Store-City of Pithom, 1885, p. 2. Ces monuments de grande taille, demeurés pour la plupart à Ismaïliah, sont pris en compte par Éd. Naville dans sa publication. 9 Éd. NAVILLE, The Store-City of Pithom, 1885, Appendix II, p. 32. Les deux statuettes ont été publiées par V. LAURENT, RdÉ 35 (1984), pp. 139-158 et « Une statue de Tell el-Maskoutah retrouvée », RdÉ 36 (1985), pp. 179-181. 10 Celui-ci participa activement, avec Amelia Edwards, à la fondation de l’Egypt Exploration Fund et, en ce qui nous concerne, à l’organisation de la première expédition d’Éd. Naville en Égypte, à Tell el-Maskhouta, cf. M. VANDENBEUSCH, BSÉG 28 (2008-10), pp. 139-170. 11 E. Revillout est mentionné plus haut dans la lettre, à propos de papyrus dont il vaudrait mieux ne pas lui confier la traduction, car, selon Éd. Naville, « hieratic and hieroglyphic are not his special work », contrairement au démotique, bien entendu. Au sujet du caractère trempé de l’égyptologue français et des relations difficiles qu’il entretenait avec certains de ses collègues, voir S. SAGAY, « Eugène Revillout : un cas étrange de damnatio memoriae moderne ? », in : Gh. WIDMER & D. DEVAUCHELLE (éd.), Actes du IXe Congrès International des Études Démotiques (BdÉ 147), Le Caire 2009, pp. 317-328. 12 Nous remercions Hélène Virenque, en charge de la publication de la correspondance d’Édouard Naville avec Reginald S. Poole et Amelia B. Edwards conservée à l’Egypt Exploration Society, qui nous a signalé cette lettre et permis d’en reproduire ce passage.

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Fig. 1 : La stèle de Tell el Maskhouta, Musée d’art et d’histoire de la Ville de Genève, inv. A 2009-2 (© cliché Ariane Arlotti)

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« J’ai l’honneur de vous accuser réception de votre lettre du 20 juin et de vous confirmer que contrairement à ce que vous a dit Mr Jaillon je suis détenteur que de bien peu de choses provenant des fouilles que j’ai faites à Rhamsès, les seules et belles pièces découvertes je les ai offertes à la ville d’Ismaïlia [...] Je n’ai en ma possession qu’une seule statuette en granit noir qui porte q.q inscriptions [...], ainsi qu’une petite stèle funéraire en

calcaire de 29 à 30 centimètres, les autres objets sont des vases ou des petites statuettes en terre vernie. [...] » (BGE, Ms.fr.2532, f. 72-73)13.

Nous pouvons ainsi, par ces recoupements, être quasiment assurés de la prove-nance de la stèle, à savoir le site de Rhamsès, c’est-à-dire Tell el-Maskhouta.

Description matérielle de la stèle

Matière : calcaire

Dimensions : haut. 27, 4 cm ; larg. 15,2 cm ; épaisseur 4,9 à 6,3 cm

Provenance : Tell el-Maskhouta

Date : Ier siècle av. J.-C. – Ier siècle apr. J.-C., vraisemblablement

N° d’inventaire : Genève, Musée d’art et d’histoire, inv. A 2009-2

La stèle cintrée, de petites dimensions, est en bon état de conservation, malgré quelques écornures principalement sur les bords et dans le registre supérieur ; elle conserve encore des restes de couleur rouge et bleue dans le cintre. Sur les tranches qui ne sont pas polies, on distingue nettement les traces régulières et rapprochées de la taille par des outils, perpendiculairement à la surface de l’objet. De même, certaines parties semblent avoir été incomplètement polies, ce qui donne à ce petit monument funéraire un aspect un peu fruste, voire « cubiste » ; le dos est demeuré brut. Enfin, on note, plus ou moins au centre de la stèle, les traces du travail préparatoire : une ligne de démarcation verticale (qui se décale légèrement après les inscriptions hiéroglyphiques) découpe la stèle en deux moitiés.

La stèle est divisée en deux registres : une scène figurée occupant environ un tiers de la surface et accompagnée de légendes hiéroglyphiques surmonte un texte démotique de neuf lignes. La scène forme une sorte de tableau encadré, sur les côtés, par deux incisions verticales qui remplacent peut-être les sceptres-ouas

13 Rhamsès est le nom donné par les Français au site de Tell el-Maskhouta et Monsieur Jaillon, ingénieur français, était l’un des principaux employés de l’entreprise Félix Paponot. Nous remercions Jean-Luc Chappaz qui nous a signalé l’existence de cette correspondance aujourd’hui conservée à la Bibliothèque de Genève.

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ou les hampes de l’Occident et de l’Orient. Au sommet, le signe du ciel épouse la courbe du cintre, qui ne présente pas de disque ailé, tandis que le sol est indiqué par un rectangle oblong, sorte de hiéroglyphe de la terre14. Les figures sont gravées en relief dans le creux, assez profondément.

Fig. 2 : Dessin du cintre (© Martyne Bocquet, CNRS, UMR 8164-HALMA-IPEL)

La défunte, dont le nom et la filiation matriarcale sont indiqués en hiéroglyphes, porte une robe à pan transparente qui s’arrête aux chevilles, ainsi qu’une longue perruque tripartite sur laquelle on note encore quelques restes de peinture bleue. Mains levées et paumes tournées vers les deux divinités, Osiris et Isis, elle fait un geste d’adoration. Devant elle se dresse une haute table d’offrandes approvisionnée, au pied évasé : on y distingue sept pains (?) ronds15

14 Pour ce même type de bordure dans le cintre, où, comme ici, le texte en-dessous n’est pas inclus dans le cadre, voir, par exemple, la stèle Louvre C 101 (XXVIe dynastie), de provenance memphite, cf. M. MALININE « Vente de tombes à l’époque saïte », RdÉ 27 (1975), pl. 13. 15 Six de ces pains (?) semblent représentés de profil en accolade et de part et d’autre d’un pain rond vu de face. Mais, comme nous le fait remarquer C. De Visscher, nous pouvons aussi supposer qu’ils sont tous représentés de face, chacun d’entre eux étant partiellement caché par celui qui le précède.

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et un vase à libation, sorte d’aiguière à panse trapue (il pourrait s’agir d’une cruche-nms.t), surmontés d’un bouquet de trois fleurs de lotus, dont l’une est ouverte et les deux autres fermées.

Lui faisant face, Osiris momiforme est assis sur un siège cubique assorti d’un dossier qui porte encore des traces de couleur rouge (la couleur habituelle de ce coussin, semble-t-il) ; le dieu est coiffé de la couronne-atef, dont les plumes conservent encore des restes de peinture bleue ; celle-ci est ornée de trois uræus ou serpents protecteurs, ce qui est sans parallèle à notre connaissance16 : deux qui se dressent à chacune des extrémités des cornes de bélier, qui sont à peine esquissées, et l’autre, devant le disque solaire qui occupe la base de l’atef, au centre de celui-ci. Le menton du dieu est paré d’une barbe postiche et une incision autour de l’encolure de son vêtement indique la présence d’un ornement, vraisemblablement un large collier. Enfin, les mains d’Osiris, sommairement esquissées, émergent de sa gaine, mais ne portent aucun sceptre.

Derrière le dieu des morts se tient Isis debout, reconnaissable à sa coiffe dont la taille est quelque peu démesurée ; son bras gauche est levé en un geste de protection, alors que le droit tombe le long du corps. Elle porte également une perruque tripartite longue, agrémentée d’une dépouille de vautour dont on distingue la tête et la queue ; ici encore il reste quelques traces de peinture bleue sur la coiffe. Isis est vêtue d’une robe moulante qui met en valeur les formes de son corps17 et s’arrête au niveau des chevilles.

Les inscriptions

Les inscriptions hiéroglyphiques

Au-dessus d’Osiris, en deux petites colonnes :

Dd-mdw in Wsir

« Paroles dites par Osiris »

Au-dessus de la table d’offrandes et de la défunte, en cinq (?) petites colonnes :

16 Nous remercions C. De Visscher qui a vérifié cette information dans sa base de données sur les stèles égyptiennes tardives. 17 La poitrine et le ventre arrondi de la déesse semblent beaucoup plus marqués que dans la représentation de la défunte, mais cela est peut-être involontaire, car la marque des outils est encore bien visible et le travail ne semble pas avoir été parachevé.

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Dd-mdw in Wsir Na-BAst.t ms(t.n) Wn-Hr

« Paroles dites par Nâbastet, qu’a mise au monde Ounher ».

Le texte démotique (fig. 3)

1 . anx pA be &a-...? ms

« Que vive l’âme de Ta ... (qu’a) mise au monde

2. Wn-Hr

rn=s Hs nHH D.t

Ounher. Que son nom soit loué pour toujours et à jamais !

3. Xne=s r mAa r Wsir aA Wn-nfr n-im=f Dd=w n=s

Qu’elle puisse accéder au lieu où se trouve Osiris le grand, Ounnefer. Qu’on lui dise :

4. iwAwß=s (m) Hw.t (?) Itm (? ) / sr (?) wr m Iwnw

‘Elle est louée !’ (dans) le temple (?) d’Atoum (?) / du grand magistrat (?) dans Héliopolis.

5. Xn=s r Ti-tsry Wsir (?) xnß (?) Imnt (?)

Qu’elle accède à la Terre sacrée d’Osiris (?), qui est à la tête de l’Occident (?),

6. ntr aA nb Ibt ... r Wsir iAw (?) m (?) pr (?)

le grand dieu, seigneur d’Abydos ... Osiris ... dans (?) la demeure

7. Itm (?) r nHH D.t

tA mnx.t nfr.t iw=f (?)

d’Atoum (?) pour toujours et à jamais.

Ô l’excellente efficiente, il est (?)

8. Hs PA-Sy aA [iw=f (?)] Hs pA (?)

loué, le grand Shay (Psaïs), [il est (?)] loué celui (?)

9. iir ir nAy sX.w (?)

qui a fait ces écrits (?) ».

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Fig. 3 : Le texte démotique de la stèle de Tell el-Maskhouta (© Musée d’art et d’histoire de la Ville de Genève, inv. A 2009-2 ; cliché Ariane Arlotti)

Notes du texte hiéroglyphique :

(a) La lecture Na-BAst.t pour Na-<n=s>-BAst.t « Que Bastet soit clémente envers elle » semble la plus évidente, mais elle ne correspond pas au nom transmis par le texte démotique. Pour cet anthroponyme, cf. H. RANKE, PN I 182, 17 ; II 366 et M. THIRION, « Notes d’onomastique. Contribution à une révision du Ranke PN », RdÉ 52 (2001), p. 269 ; en démotique, il n’est attesté qu’au masculin (Na-<n=f>-

BAst.t, cf. DemotNb I [2000], p. 185). Une autre solution serait de voir dans le bras une graphie de et de comprendre Wsir n (&A)-di-BAst.t, afin d’obtenir un

début qui pourrait correspondre au &a de la version démotique de l’anthroponyme,

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mais puisque les signes qui viennent ensuite ne correspondent pas à BAst.t, nous avons préféré renoncer à cette lecture.

(b) Wn-Hr est rarement attesté au féminin, cf. RANKE PN I 79, 5 et 8, qui cite des exemples du Moyen et du Nouvel Empire seulement. En démotique (cf. DemotNb I [1981], p. 119), le nom ne se rencontre jusqu’ici qu’au masculin.

Notes du texte démotique :

Ligne 1 :

(c) Le texte de la stèle débute par la formule funéraire anx pA by que l’on rencontre très souvent sur les étiquettes ou les bandelettes de momies, mais aussi sur des stèles, des sarcophages ou des papyrus, parmi d’autres matériaux, cf. J. QUAEGEBEUR, « Mummy Labels : An Orientation », in : E. BOSWINKEL, P. W. PESTMAN (éd.), Textes grecs, démotiques et bilingues (Papyrologica Lugduno-Batava 19), Leyde

1978, p. 233, n. 4-9 et p. 235, n. 22. La graphie du mot « âme » est un

peu particulière, comme celle d’ailleurs d’autres expressions dans le texte. Le terme est orthographié be au lieu de l’habituel by (à comparer avec les écritures rencontrées dans certains papyrus de Soknopaiou Nesos où ce même vocable est écrit simplement b, suivi du pavois divin, cf. CCD B [02.1] : p. 26), mais surtout il présente un curieux déterminatif, précédant le pavois divin, pour lequel nous ne connaissons pas de parallèle ; pourrait-il s’agir d’une forme peu classique du signe de l’oiseau ?

(d) Comme mentionné plus haut, les versions hiéroglyphique et démotique ne semblent correspondre qu’imparfaitement. En démotique, le nom débute par &a suivi de

, que l’on serait tenté de lire a.wy=s ; malheureusement, ce nom est

inconnu par ailleurs, à moins qu’il ne s’agisse d’une abréviation, sur le modèle de &a-sy (pour &a-Wsir), &a-bA (pour %TA-ir.t-bin.t), ou &a-wA.(t) (vraisemblablement pour Is.t-wr.t), cf. J. QUAEGEBEUR, « Aspects de l’onomastique démotique : formes abrégées et graphies phonétiques », in : S. P. VLEEMING (éd.), Aspects of Demotic Lexicography. Acts of the Second International Conference for Demotic Studies, Leiden, 19-21 September 1984 (Studia Demotica 1), Louvain 1987, pp. 75-84 et M. COENEN, « On the Demise of the Book of the Dead in Ptolemaic Thebes », RdÉ 52 (2001), p. 81. Une autre solution, suggérée par G. Vittmann, serait d’y voir un anthroponyme Ta + verbe + pronom suffixe =w + pronom dépendant s (cf. G. VITT-MANN, « Between Grammar, Lexicography and Religion. Observations on Some Demotic Personal Names », Enchoria 24 [1997/1998], p. 92 [pour le nom &a-Hn=w-

s, var. &a-Hn=w]).

(e) Le groupe pose également quelques problèmes de lecture. Nous

avons choisi d’y voir une graphie très étendue du verbe ms, comme celles que l’on trouve sur certains manuscrits romains de Soknopaiou Nesos, notamment le papyrus

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Berlin P. 6750 ( ), même si la forme du signe initial reste curieuse (le

lapicide s’est-il ravisé pendant la gravure et voulait-il écrire un autre mot ?). L’omission du nom du père dans un contexte funéraire ne doit pas nous étonner.

Ligne 2 :

(f) La seconde partie de Wn-Hr est particulièrement abrégée (le

déterminatif de la chair semble avoir été rendu par un point), mais il faut sans doute admettre la correspondance avec le texte hiéroglyphique. Pour ce nom rarement attesté au féminin, voir la note (b) plus haut.

(g) Noter ici l’écriture particulière de =s dans rn=s, comme, par exemple, sur

la stèle Durham 1969, dernière ligne ( mw.t=s, cf. A. FARID, Fünf demotische

Stelen aus Berlin, Chicago, Durham, London und Oxford mit zwei demotischen Türinschriften aus Paris und einer Bibliographie der demotischen Inschriften, Berlin 1995, p. 394, Abb. 6 [référence M. Smith]), qui semble alterner avec la graphie classique (par exemple, Xn(e)=s l. 3 et 5, et iwAwß=s, l. 4 de notre stèle). Pour l’écriture de Hs, on pourra comparer avec la ligne 8 où le terme revient à deux reprises. La formulation rn=s Hs nHH D.t est originale et semble être une adaptation d’expressions fréquemment utilisées dans les textes funéraires ou commémoratifs, en particulier iw=k/tw=t Hs m-bAH + nom de divinité, parfois abrégé en tw=t Hs (r)

nHH Sa D.t (cf. H. S. SMITH, C. A. R. ANDREWS, S. DAVIES, The Sacred Animal Necropolis at North Saqqara. The Mother of Apis Inscriptions II, Londres 2011, pp. 257-258 et, plus particulièrement, la stèle n° 123). Pour l’époque romaine, on pourra citer pHarkness V, 16 (iw=k Hs r nHH), 22 (st Hs r nHH) et 27 (tw=t Hs r nHH m-sA

Wsir), cf. M. SMITH, Papyrus Harkness (MMA 31.9.7), Oxford 2005, pp. 80-81.

Ligne 3 :

(h) Le signe des jambes en mouvement qui détermine Xn indique qu’il

convient de traduire ce verbe par « s’approcher », « accéder » et non « naviguer » (cf. W. ERICHSEN, Demotisches Glossar, Copenhague 1954, pp. 382-3). Pour la nécessité d’être près du lieu où se trouve Osiris, comparer avec pHarkness IV, 8 (Xne=t r Ibt iw Wsir Xn=f), Setne II, 2, 10 et II, 2, 12-13 (iw=f Xn r pA mAa nt-iw

Wsir n-im=f, mais avec le déterminatif habituellement employé pour le verbe « naviguer ») et le fragment de cercueil Berlin ÄM 7227, 4 (Dd=w rn=k (n) pA mAa

nt-iw Wsir Wn-nfr pA ntr aA n-im=f m-mny iw=k Hs nHH ; sur ce document, voir en dernier lieu, Sv. P. VLEEMING, Demotic and Greek-Demotic Mummy Labels and Other Short Texts Gathered from Many Publications [Studia Demotica 9], Leuven-Paris-Walpole 2011, n° 1068, p. 613). Bien que, sur notre stèle, l’antécédent soit indéterminé et suivi d’une circonstancielle, nous l’avons traduit comme s’il était précédé de l’article défini, ce qui nous semblait plus logique. Enfin, on notera une légère variation dans la graphie du verbe Xn(e) entre les lignes 3 et 5.

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(i) La séquence Wsir aA, avec omission de ntr, est rare. Le LGG II, 539 ne recense qu’une seule attestation, sur un papyrus de Deir el-Médineh daté du Nouvel Empire, dans un contexte peut-être hermopolitain.

Lignes 3-4 :

(j) Pour la formule Dd=w n=s iwAwß=s utilisée dans un contexte funéraire, voir par exemple pRhind I6d11, II7d7 et II8d6 (Dd=w n=k/n=t Awe.ß=k/Awe.ß=t, cf. G. MÖL-LER, Die beiden Totenpapyrus Rhind des Museums zu Edinburg, Leipzig 1913, p. 1*) et pBN 149 I, 14-15 (Dd=f n=k Aw ß=k, cf. M. STADLER, Der Totenpapyrus des Pa-Month (P. Bibl. nat. 149) [SAT 6], Wiesbaden 2003, p. 53). Cette forme de salutation est également attestée dans des textes narratifs, cf., par exemple, W. SPIE-GELBERG, Der Sagenkreis des Königs Petubatis nach dem Strassburger demotischen Papyrus sowie den Wiener und Pariser Bruchstücken, Leipzig 1910, p. 1*). Sur

notre stèle, nous avons préféré lire iwAwß=s, en considérant que

était un ß placé devant le déterminatif, trace possible de l’ancien passif

sDm.tw=f (cf., par exemple, la graphie dans pKrall 13,28), mais nous

ne pouvons totalement exclure une lecture iwAwe=s.

Ligne 4 :

(k) La lecture Hw.t ( ) est la seule qui permette de donner un sens à la

ligne, mais elle pose un certain nombre de problèmes : le premier signe est anormalement tracé et le déterminatif plutôt inhabituel (comparer avec le mot attesté en fin de ligne 6). Pour la suite, nous sommes tentés de comprendre sr wr m Iwnw, en raison de la fréquence de cette séquence qui désigne régulièrement Osiris et Atoum (cf. LGG VI, p. 416 ; voir aussi pHarkness V, 5 et note correspondante), deux divinités qui ont leur place dans un texte funéraire de la région de Tell el-

Maskhouta. Toutefois, le groupe pourrait aussi être une graphie d’Atoum ;

nous aurions alors l’expression « temple d’Atoum ». La lecture pr-Itm (« demeure d’Atoum » ou Pithom) est également tentante, mais l’absence de déterminatif géographique et la mention d’Héliopolis nous ont fait rejeter cette hypothèse.

Ligne 5 :

(l) Pour Xne, voir note (h). On remarque que la préposition r semble avoir été ajoutée après-coup, comme ailleurs sur la stèle (ligne 7, par exemple).

(m) Noter l’écriture non étymologique rare de TA-Dsr ( ) où ti,

forme sDm=f du verbe di.t « donner, placer », sert à écrire le mot tA (« terre »).

(n) Le nom divin Wsir ( ) est, lui aussi, problématique, mais cette lecture

semble confirmée par les épithètes qui suivent, xnß (?) ( ) Imnt (?)

BSÉG 29 (2011-13) UNE STÈLE DÉMOTIQUE À TELL EL-MASKHOUTA 89

( ) ntr aA nb Ibt. Nous avons supposé que le théonyme débutait par

l’ouverture du cartouche, détail inhabituel qui pourrait s’expliquer par la mention du royaume des morts dont Osiris est le souverain ; il est possible aussi que le lapicide ait eu une hésitation sur le mot à graver. Le premier signe du groupe xnß (?), s’il faut bien le lire ainsi, présenterait une graphie hiératisante et serait complété par un ß ; enfin, le signe géographique qui détermine Imnt (?) est constitué d’un trait vertical et d’un point, comme dans l’écriture d’Héliopolis (l. 4) et d’Abydos (l. 6).

Ligne 6 :

(o) Bien que la gravure des signes soit assez nette, les mots qui suivent Ibt restent, en

l’absence de parallèles, indéchiffrables. Seule la mention d’Osiris ( ) semble

assurée. Le premier groupe ( ) pourrait être un verbe débutant par s ;

nous avons pensé à sm « saluer », « bénir », qui est construit avec la préposition r, mais l’absence de sujet rend le passage incompréhensible. Plus loin, le groupe

rappelle l’écriture de iAw « âge », « vieillir », mais le déterminatif ne

correspond pas. Nous pourrions avoir un toponyme, mais le déterminatif semble

incomplet (voir note précédente). Enfin, pour pr (?), précédé de la

préposition m, comparer avec Hw.t (?), ligne 4.

Ligne 7 :

(p) Le début de la ligne semble avoir été retouché, car les signes sont gravés plus profondément qu’ailleurs sur la stèle. En outre, on distingue nettement un i au tracé presque hiératique qui paraît avoir été ajouté au tout début de la ligne. Nous proposons donc, avec grande prudence, une correction du groupe wn en tm, avec adjonction postérieure de i et du déterminatif divin, pour écrire Itm.

(q) Comme à la ligne 5, le lapicide a peut-être oublié, dans un premier temps, la préposition r ajoutée après-coup devant nHH, mais la forme de celle-ci est inhabituelle.

(r) À partir du milieu de la ligne 7, le texte présente une grammaire plus « récente », avec, notamment, la présence d’articles définis devant chaque substantif. L’expres-sion tA mnx.t nfr.t, employée ici sans doute au vocatif, semble désigner la défunte dans sa fonction de « dévote » d’une divinité, cf., par exemple, pA mnx nfr n nA ntr.w

n Iwn-tA-ntr(.t) « le parfait efficient des dieux de Dendera » sur la tablette votive en bronze BM EA 57371, l. 27 (voir Sv. P. VLEEMING, Some Coins of Artaxerxes and Other Short Texts in the Demotic Script Found on Various Objects and Gathered from Many Publications [Studia Demotica 5], Leuven-Paris-Sterling, Virginia 2001, n° 39, p. 25). Le terme mnx/mnx.t se rencontre régulièrement dans les stèles d’Apis

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ou des mères de ceux-ci comme désignation des dédicants, cf. H. S. SMITH, C. A. R ANDREWS, S. DAVIES, The Mother of Apis Inscriptions II, 2011, pp. 245-247 ; on peut encore mentionner mnx.t xr PtH-%kr-Wsir sur le sarcophage CGC 31153 (voir, en dernier lieu, Sv. P. VLEEMING, Demotic and Greek-Demotic Mummy Labels, 2011, n° 1046, p. 599). Pour l’association des deux mots, comparer avec pHarkness IV, 32 (ir.t nfr(.t) mnx.t « la compagne bonne et efficiente »).

(s) Pour la construction iw=f Hs avec sujet du verbe postposé, on renverra à la longue section du pHarkness V, 16-28 où des sujets parfois très étendus peuvent ainsi être mentionnés (nous remercions M. Smith d’avoir attiré notre attention sur ce passage). Cette construction est aussi régulièrement attestée sur les stèles du Sérapéum ou celles des catacombes des mères d’Apis, cf. H. S. SMITH, C. A. R. ANDREWS, S. DAVIES, The Mother of Apis Inscriptions II, 2011, pp. 257-258.

Ligne 8 :

(t) Pour la mention de pA Sy aA, voir plus bas, la conclusion.

(u) Sur la construction iw=f Hs, voir plus haut note (s).

(v) La restitution de pA en fin de ligne, dont le tracé paraît toutefois un peu trop rectiligne, permet un balancement dans la formulation ; le sens des deux dernières lignes pourrait aussi être « Si Psaïs le grand est loué, alors celui qui a fait ces écrits sera/est loué lui aussi ».

Ligne 9 :

(w) Nous proposons, avec prudence, de voir dans le groupe une

graphie particulière de sX.w, solution qui présente l’avantage de prendre en compte tous les signes de la fin de la ligne. Une autre possibilité serait de considérer que nous avons pA (?) iir ir nAy « celui qui a fait cela » suivi d’une expression non déchiffrée (une graphie abrégée de n-Dr.t « de la part de » ?). Des invocations finales en faveur de celui qui a écrit le texte sont également attestées sur quelques stèles du Sérapéum (mtw=f sm r Nom iir sX nA sX.w, IM 3739, l. 13 inédite) ou des catacombes des mères d’Apis, cf. H. S. SMITH, C. A. R. ANDREWS, S. DAVIES, The Mother of Apis Inscriptions I, 2011, p. 203, n° 123, l. x + 6 - x + 7 : pA ©yß « la bonne influence » de la divinité est censée « bénir » (sm) « celui qui les (= les noms) a écrits » (pA iir sX=w).

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Conclusion

La stèle de Genève, bien que modeste, est un des rares témoignages que nous possédions de l’écriture démotique et des croyances funéraires de la région de Tell el-Maskhouta, vraisemblablement au début de l’époque romaine18. Le manque de parallèles pour les graphies ne facilite pas la lecture de ce petit document dont les formules semblent, toutefois, assez classiques, bien que présentant des particularités notables. Le texte est entièrement rédigé à la troisième personne et rappelle, par certains éléments, les souhaits que l’on rencontre sur les étiquettes et les bandelettes de momies ou autres courts documents funéraires ; en revanche, certaines des expressions de la stèle sont originales et, surtout, plus développées. Les divinités représentées et, du moins pour Osiris, invoquées dans le texte appartiennent au monde funéraire traditionnel égyptien et ne semblent pas renvoyer à des croyances locales particulières ; la défunte aspire avant tout à demeurer dans la proximité du souverain de l’éternité. Toutefois, il faut relever, dans la seconde partie du texte (l. 7-9), là où le scribe paraît avoir ajouté une notation plus personnelle19, la mention de Psaïs, qualifié de « grand ». Il s’agit vraisemblablement d’une invocation à une forme du dieu protecteur local20.

Les anthroponymes, nous l’avons vu, présentent également quelques difficultés, en particulier lorsque l’on tente de faire correspondre les versions hiéroglyphique et démotique. Faut-il supposer que ce n’est pas la même personne qui était mentionnée dans les deux parties, même si le nom de la mère semble identique21 ? Par ailleurs, le manque de parallèles, surtout en ce qui

18 Pour un premier inventaire de stèles démotiques non royales provenant du Delta, voir la liste établie par J. MOJE, « Die demotischen Stelen aus der Gegend von Hussaniya / Tell Nebesheh », JEA 94 (2008), pp. 200-204, à laquelle on ajoutera D. DEVAUCHELLE et Gh. WIDMER, « Des stèles et des femmes dans le Delta oriental. À propos de quelques stèles démotiques funéraires », Aegyptiaca et Coptica. Studi in onore di Sergio Pernigotti (BAR S2264), Oxford 2011, en particulier pp. 156-158. Voir, en outre, les documents publiés par J. MOJE, « Weitere demotische und bilingue Stelen aus Tell Nebesheh und aus Kom el-Hisn », JEA 97 (2011), pp. 167-194. 19 Comme nous l’avons indiqué plus haut (note r), les deux dernières lignes présentent une grammaire plus « récente », avec notamment l’utilisation des articles définis et de la forme périphrastique du participe passé. Ailleurs, le scribe semble hésiter entre les différents états de la langue ; s’il utilise bien l’ancienne préposition de lieu m, il écrit n-im=f et non im=f, lorsque celle-ci est suivie d’un pronom suffixe. 20 J. QUAEGEBEUR, Le dieu égyptien Shaï dans la religion et l’onomastique (OLA 2), Louvain 1975, pp. 160-166. 21 Sur la question des « alias » et de la concordance ou non des anthroponymes mentionnés dans un même document, voir le cas des étiquettes de momies et la discussion de Sv. P. VLEEMING, Demotic and Greek-Demotic Mummy Labels, 2011, pp. 973-976.

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concerne la région qui nous intéresse, et, plus généralement, de documents contenant des noms féminins, complique notre tâche.

Sur ce monument, la défunte apparaît seule, sans époux ni fils, comme cela se produit sur plusieurs stèles funéraires provenant du Delta oriental22. Son aspect un peu fruste fait songer à certaines de celles-ci, notamment dans le rendu assez imprécis des détails du visage. En revanche, les personnages ne sont pas représentés sous forme de momie, mais vêtus du costume des vivants, ce qui n’est pas inhabituel. Il convient aussi de rappeler que la stèle Genève inv. A 2009-2 préserve des traces de couleur ; l’omission, dans la gravure, de certains détails pourrait s’expliquer par le fait qu’ils étaient peut-être simplement peints.

Il est difficile, dans l’état actuel de la documentation, de déterminer si les éléments particuliers que nous avons notés relèvent d’une tradition « locale » ou non, mais nous ne pouvons nier une certaine qualité dans la réalisation, peut-être un peu rapide, du tableau figuré et dans la gravure du texte démotique de ce petit monument funéraire unique en son genre. Quai des Célestins 14 HALMA-IPEL UMR 8164 F-75004 Paris (France) Université Lille 3 [email protected] Pont de Bois, BP 60149 F-59653 Villeneuve d’Ascq cedex (France) [email protected]

22 Cette question est abordée par D. DEVAUCHELLE et Gh. WIDMER, Studi in onore di Sergio Pernigotti, 2011, pp. 158-159 ; voir aussi J. MOJE, JEA 97 (2011), pp. 177-178, toujours concernant les stèles dites de Tell Nebesheh. À titre de comparaison, pour la place occupée par les femmes sur les stèles au Moyen Empire, voir, par exemple, D. STEFANOVIĆ, « When are children called ‘her children’ ? », CdÉ 86 (2011), p. 22 en particulier (avec la bibliographie correspon-dante).