"L'ère des bijoux: Genève et le Duc de Brunswick" In: Donatella Bernardi (dir.), Post Tenebras...

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le 18 août 1873, s.a.r. Charles ii,duc de Brunswick et de lunebourg, prince de Wolfenbüttel et de Blan-kenbourg, décède à Genève, frappé d’apoplexie. l’événement fait sen-sation, non pas qu’une affection particulière entoure le souverain, mais parce que sa fabuleuse fortune échappe à ceux qui prétendent à la succession. Dans son testament, le duc a en effet désigné la Ville de Genève comme héritière de ses biens, estimés à 24 millions de francs-or. le legs n’est cependant pas sans conditions, car en plus de funérailles dignes de son rang, le duc souhaite que soit édifié un mausolée à l’imitation de celui de la famille Scaligeri, élevé au xiv e siècleà Vérone. Comme l’on sait, ce vœu sera exaucé, mais au terme d’un par-cours sinueux, jalonné d’in trigues. il ne s’agit pas ici de retracer les étapes qui ont abouti à la réalisa-

tion du « monument Brunswick », ni d’examiner la place de ce dernier dansle courant néogothique qui traverse les arts au xixe siècle 1, mais plutôt de voir en quoi ce mausolée relève de la démesure, de la transgression. Dans une ville où les pratiques funéraires sont traditionnellement marquées par un souci de retenue, voire d’effacement, la dernière demeure du duc de Brunswick est de loin le monument le plus ostentatoire et le plus coûteux qui ait jamais été élevé à Genève.

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Fils du prince Frédéric Guillaume de Brunswick et de marie elisabeth de Bade, Charles Frédéric Guillaume auguste 1 naît à Brunswick (Braun-schweig) le 30 octobre 18042. Descendant de l’illustre maison des Guelfes, Charles compte seize parrains et marraines, représentant la plupart des dynasties non catholiques de l’eu-rope : l’empereur alexandre ier de russie, le roi Gustave-adolphe de Suède, les rois Georges ii

et Georges iv de Brunswick, etc. Souverain sous tutelle à 11 ans, il monte sur le trône à sa majorité et en descend en 1830, chassé par une révolution. exilé en France, en espagne, en angleterre et en Suisse, il passera sa vie à tenter de reconquérir ses etats, en vain. a paris où il vit entre 1851 et 1870, Charles habite l’hôtel Beaujon, l’an-cienne résidence de lola montès en bordure des Champs-elysées, qu’il a fait entièrement transformer. Ses contemporains ont largement commenté

les merveilles de ce « palais d’opéra-comique » 3, cette curiosité aux murs roses et dorures, qui passait aussi pour le chef-d’œuvre du mauvais goût. Fait pour atti-rer les regards, l’hôtel n’en était pas moins une forte-resse, où l’on ne pénétrait qu’au terme d’un véritable parcours initiatique. Une fois franchi le mur d’enceinte hérissé de pointes et la cour d’honneur, où trônaient un buste du duc et la statue de sa mère, et sur laquelle don-naient de splendides écuries contenant 30 à 40 chevaux, le visiteur était introduit dans l’appartement par une niche pivotante, assis sur un fauteuil capitonné de satin bleu ciel. De l’antichambre, une nouvelle muraille blin-dée protégeait la chambre du duc, qui avait la particu-larité d’être entièrement en fer et contenait un lit d’une taille, dit-on, phénoménale. C’est également dans cette

pièce qu’était dissimulé l’accès au coffre-fort, lequel formait ainsi le cœur de la maison. Une série d’opérations, dont seul le duc avait le secret, étaient encore nécessaires pour accéder au contenu, à savoir les liasses de billets, les titres de rentes, les actions et obligations de tous les pays, les lingots d’or

« dont beaucoup simulaient des tablettes de chocolat » 4, et surtout le coffre à diamants, recouvert de pourpre et surmonté d’une couronne royale que supportaient deux chevaux d’argent massif.a en croire ses biographes, le duc de Brunswick se levait vers quatre heures de l’après-midi, après avoir lu, travaillé, écrit dans son lit. Sa toilette lui prenait plusieurs heures : il avait coutume de se faire peindre le visage « qu’il travaillait comme un véritable tableau à l’aquarelle » 5 ; il baignait, lissait, tei-gnait et assouplissait longuement sa barbe, étudiait consciencieusement la tournure de ses moustaches et la mise de sa cravate. l’on raconte que dans son appartement se trouvait un cabinet particulièrement curieux, où étaient renfermées trente répliques en cire de sa tête, chacune étant spécialement maquillée et coiffée d’une perruque différente. Chaque jour, il choisissaitparmi ces têtes celle qui lui paraissait la mieux appro-priée à ses projets du jour : après avoir reproduit, sur le visage vivant, les teintes exactes du modèle indiqué, le valet de chambre plaçait sur la tête du duc la perruque du numéro choisi. Cet inves-tissement immodéré dans la parure, que venaient enri-chir des tenues excentriques et somptueuses, ainsi que la présence d’« un magnifique nubien au visage d’ébène et à la stature de géant » 6, faisait de lui une célébrité particulièrement prisée par la presse mondaine. Ce sont surtout ses sorties en costume d’apparat qui ali-mentaient la chronique parisienne. ainsi, lors d’une soirée donnée au louvre par le baron de nieuwerkerke, celui que l’on surnommait le « duc aux diamants » ou le

« prince million », paradait en grand uniforme de général brunswickois, ruisselant de

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décorations et de pierreries, arborant des épaulettes en diamants jaunes, dont chacune valait un million 2 ; on le compara à cette occasion à « une vitrine du palais-royal assiégée par une foule de badauds » 7. De fait, tout faisait de lui un être d’une extrême singularité, qu’il s’agisse des artifices dont il usait pour corriger son physique – comme par exemple ses chaussures à double talons, extérieurs et intérieurs – ou des curiosités dont la nature l’avait soi- disant doté : les pieds extraordinairement menus, les yeux changeant de couleur

selon l’humeur du moment, une prodigieuse mémoire. rien d’étonnantdès lors à ce que la littérature s’en empare, et que des auteurs fassent de lui un portrait pittoresque : « le duc ressemblait en effet à une énorme poupée, engoncée dans d’incroyables uniformes constellés de pierreries, de plaques et d’ordres. il avait des centaines de perruques, du blond le plus pâle au brun le plus sombre en passant par toutes les nuances possibles, y compris le bleu et le vert, et il se fardait de manière que son teint s’accordât à la couleur du costume qu’il portait » écrira Ghislain de Diesbach au xx e siècle 8. en définitive, le duc de Brunswick réunissait tous les traits d’un personnage éminemment littéraire : le souverain fin de race, déchu jeune, immensément riche et avec un entourage familial scandaleux 9.

Fuyant paris et la guerre franco-allemande, Charles ii vient s’établir à Genève, où il arrive le 10 août 1870. il loge tout d’abord à l’hôtel métro-pole, avant d’occuper la suite du premier étage de l’hôtel Beau-rivage, ne quittant l’établissement que pour quelques promenades en voiture et des soirées au théâtre. il passera les six derniers mois de sa vie confiné dans ses appartements, alourdi par un formidable embonpoint.

avec l’administration de sa fortune, le duc consacre son temps à sa collec-tion de joyaux. Fin connaisseur, il en joue comme de sa personne, fasciné par les transformations qu’il arrive à leur faire subir et par le chromatisme des brillants, saphirs, rubis et autres émeraudes. il fait continuellement monter les pierres sous toutes les formes ; il achète, vend, échange, est en relation permanente avec les plus grands lapidaires et connaît l’histoire de chacune de ses pièces. alors que sa collection et ses affaires accaparent son attention, ses relations avec ses proches se dégradent inéluctablement. Développant une méfiance maladive, certains diront un délire de persécution ou une paranoïa, le duc rompt progressivement avec tous les membres de sa famille, reniant jusqu’à sa propre fille parce qu’elle s’est convertie au catholicisme, et passe les der-nières années de sa vie dans un isolement presque complet. S’il reste très attaché à une perruche et surtout à ses chevaux, les faisant défiler tous les jours sous son balcon afin de s’assurer de leur état, il ne fait confiance à personne, à l’exception de m. thomas Smith, qu’il a décoré du titre de Grand trésorier et administrateur général de sa fortune (il sera un des exécuteurs testamentaires et l’unique particulier à recueillir une partie – un million – de l’héritage). Dans un tel climat de défiance et de rancunes personnelles, il paraît clair que les dispositions testamentaires du duc, prises quelques mois seulement après son arrivée à Genève, doivent moins à un attachement pour cette ville qu’à une volonté farouche de déshériter sa famille. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’il rédige l’article 6 de son testament : « nous faisons la condition que nos exécuteurs testamentaires n’entreront dans aucune espèce de compromis avec nos parents dénaturés le prince Guillaume de

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Brunswick, l’ex-roi de hanovre, son fils le duc de Cambridge ou qui que ce soit de notre prétendue famille, leurs serviteurs, leurs agents ou autres débiteurs que ce soit.» 10 Sans doute la relation du duc à Genève, et la générosité qu’il manifeste en lui léguant sa fortune, ne tient-elle pas uniquement au désastre de ses relations familiales et aux circonstances qui l’ont poussé à s’établir en pays neutre. De confession luthérienne, le duc est peut-être sensible à la tradition protestante qui caractérise sa terre d’exil. Sa visite à la cathédrale Saint-pierre, où il aurait été frappé par le monument élevé deux cent ans plus tôt à la mémoire du duc de rohan 11 – un autre duc – a été comprise comme un facteur déterminant quant aux dispositions testamentaires qu’il prend à la fin de sa vie : « Voilà un peuple qui a le respect des tombeaux, aurait-il dit. Ce n’est pas comme en France, où on jette à la Seine ou au vent les cendres des rois, après avoir brûlé leurs palais. » 12 il reste que le mausolée qu’il entend faire élever contrevient autant aux pratiques funéraires locales que ses mœurs et sa fortune se sont démarquées du train de vie de ses contemporains.

Du testament du duc de Brunswick, les historiens n’ont retenu que les articles relatifs à la donation et à l’édification du mausolée. pourtant, le duc prend d’autres dispositions, dont une pour le moins déconcertante : « par ailleurs, nous vou-lons que notre corps soit embaumé et, si mieux est pour sa conservation, pétrifié d’après la procé-

dure imprimée ci-jointe. » 13 C’est peu dire que ce désir de pétrification révèle une volonté compulsive de survivre à soi-même : en lui s’exprime l’ambition de passer de la chair à la pierre, du putrescible à l’incorruptible, par une sorte de métamorphose au terme de laquelle le corps deviendrait son propre monu-ment. mais il y a plus, car une fois opérée, la pétrification aboutirait à une sorte d’équivalence matérielle entre la dépouille et son habitat, le rythme de dégra-dation du corps étant désormais réglé sur celui du mausolée qui l’abrite. il s’agit en définitive d’échapper à la dichotomie du corps périssable et du monument pérenne, dichotomie pour ainsi dire consubstantielle aux monuments funé-raires. Cependant, quelles qu’aient été les motivations profondes du souverain, le sort a voulu que son désir ne soit pas exaucé. Car avec la pétrification, le duc de Brunswick, hanté par la crainte de l’empoisonnement, a également souhaité être autopsié : « nous voulons qu’après notre mort bien constatée, nos exécu-taires feront examiner notre corps par cinq médecins et chirurgiens les plus renommés pour s’assurer si nous n’avons pas été empoisonné, et de faire un rapport exact par écrit et signé par eux de la cause de notre mort.» 14 or, entre l’autopsie et la pétrification, entre les deux corps du duc, c’est-à-dire entre le corps-document – celui qui témoigne du passé – et le corps-monument – celui qui survit au présent –, il y a incompatibilité physiologique : on ne peut pas pétrifier un corps autopsié. C’est du moins ce qu’affirme le professeur Gorini, le spécialiste en pétrification des corps qui, appelé à Genève, s’en retourne à milan sans avoir pu exercer ses talents 15. Finalement, la dépouille a bien été

examinée par cinq médecins renommés – les causes naturelles du décès étant ainsi établies –, mais la minéralité à laquelle le duc aspirait est resté un vœu pieux. C’est donc embaumé « à la manière des egyptiens » 16 qu’il repose dans son cercueil, lequel est placé provisoirement au cimetière des rois avant son installation définitive dans le mausolée de la place des alpes.

D’emblée, les funérailles que le duc a souhaité appropriées à son rang posent problème par manque d’équipement 17. non seulement l’église luthérienne au haut de la rue Verdaine est trop petite pour un événement de cette importance, mais les pompes funèbres genevoises sont loin de posséder le matériel approprié. même la ville de lyon, à laquelle on s’adresse dans un premier temps, ne peut satisfaire une telle

demande. Finalement, c’est rien moins que le corbillard royal qui, en 1825, transporta le corps de louis xviii des tuileries à la basilique de Saint-Denis, que les exécuteurs testamentaires choisiront pour la translation du cercueil du duc de Brunswick au cimetière des rois. l’illustre char est fourni par la Société des pompes funèbres de la ville de paris, contactée en toute hâte par les autorités genevoises. reste à trouver un édifice assez vaste pour rendre les derniers honneurs.le choix se porte sur la Salle de la réformation, un bâtiment construit en 1864 en hommage à Calvin, à l’occasion du tricentenaire de sa mort 18. C’est là que le

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29 août 1873 le corps est apporté dans un cercueil d’argent capitonné de satin et renfermé dans un second cercueil d’acajou 3. Bière de palissandre enca-drée d’ébène, poignées d’or ciselé, splendide catafalque, longues draperies de velours aux crépines d’argent, des écussons, des trophées, des statues, de gigantesques lampadaires aux lugubres flammes vertes : la description qu’en donnent les contemporains témoigne de la magnificence princière donnée à l’événement, à laquelle participent également les symboles héraldiques et les insignes royaux. ainsi, sur les quatre faces du sarcophage, quatre bannières portent brodées en soie, argent et or, les armes de la maison Guelfe, tandis qu’un dais doublé d’hermine, surmonté de la couronne royale, s’élève jusqu’au faîte même de l’édifice. Ce somptueux décorum contraste avec le bâtiment, dont la simplicité est élevée au rang de vertu par les contemporains. en 1874, arthur massé en fait une description édifiante : « Ce vaste édifice, dans lequel les foules se pressent pour entendre parler de sujets religieux élevés, est dé-pouillé de tout ornement. les murs entièrement nus n’ont rien pour flatter et attirer les regards. la voûte élevée qui semble devoir absorber tous les sons et emporter la voix, la renvoie… et dans cette vaste simplicité, l’evangile, le salut, Dieu arrivent à tous les cœurs, frappent à chaque conscience et touchent toutes les âmes. C’est là l’emblème de la doctrine de Calvin et de la religion de la réforme. rien pour l’extérieur, tout pour l’intérieur ; rien pour le visible, tout pour l’invisible ; rien pour l’homme et tout pour Dieu. » 19 l’écart entre la pompe brunswickienne et la tradition calviniste n’en sera que plus flagrant lorsqu’il s’agira d’élever le monument définitif.

transporté au cimetière des rois 4, le corps du duc y fait un premier séjour, dans un tombeau provisoire dessiné par l’architecte Jean Franel et exécuté « avec une prodigieuse rapidité ». le monument mesure trois mètres de hauteur ; il est constitué d’un bâti en maçonnerie brute revêtu d’ornements en ciment, tels que rosace, rinceaux, couronne et coussin 20. arrêtons-nous un instant sur le lieu. Jusqu’à la fin du xviiie siècle, le cimetière des rois, qui est le lieu de sépulture des habitants de Genève, pré-sente un aspect peu entretenu ; le dés ordre des tombes est manifeste, les monuments inexis-tants, ou presque ; le champ de repos sert aussi de pâturage 21. Suite à l’annexion à la France au tournant du xix e siècle, les monuments funérai-res vont progressivement se généraliser, mais

dans les formes sévères qui sont celles du néoclassicisme en vigueur durant la première moitié du xix e siècle : stèles, obélisques, pyramides tronquées, etc. Si les inscriptions fleurissent, le vocabulaire formel reste abstrait, excluant toute figure sculptée. Celle-ci apparaît au début des années 1850 avec la tombe du baron de Grenus.

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Cette austérité du paysage funéraire genevois ne peut se comprendre en dehors d’un contexte confessionnel particulièrement réfractaire à la pompe funèbre et aux sépultures, à la différence du catholicisme, mais aussi du protestan-tisme luthérien. le règlement sur les tombes adopté au début du xix e siècle, limitant notamment la taille des monuments à élever, perpétue une forme de répugnance au culte des morts, ou du moins à ses formes les plus ostentatoi-res, tout en prenant acte des attentes mémorielles dont la pierre tumulaire forme le support. Dans ce contexte, l’histoire du monument funéraire de Jean Calvin 5, installé plus de deux siècles après la mort du réformateur, a valeur de symptôme 22. on sait que le réformateur avait formulé le souhait qu’aucune marque distinctive n’accompagne le lieu de son ensevelissement, et cela pour prévenir des actes de dévotion peu en accord avec la religion réformée 23. or en 1843, un marbrier propose à la direction de l’hôpital (qui est en charge du cimetière) d’élever un monument très simple, à l’emplacement que la tradi-tion désigne comme celui occupé par la tombe de Calvin. malgré l’opposition du Consistoire, attaché aux dernières volontés du réformateur, le « monu-ment » est élevé, sous la forme d’une borne marquée des initiales « J. C. ». tout en matérialisant sous une forme austère le vœu d’effacement formulé par le défunt, ce monument paradoxal déroge à la volonté du mort pour satisfaire les pratiques funéraires de son époque.

a l’inverse de la tombe de Calvin, le mausolée Brunswick 6 7 déroge aux pratiques funéraires locales pour satisfaire les dernières volontés du défunt. a commencer par l’emplacement, dont on ne soulignera jamais assez le caractère excep-tionnel 24 : désirant « un mausolée au-dessus de la terre qui sera érigé par nos exécuteurs à Genève

dans une position proéminente et digne » 25, le duc exclut clairement l’enter-rement, et implicitement le cimetière, nécessairement confiné. Si, à l’époque, l’ensevelissement hors du champ de repos est autorisé en vertu de dérogations, permettant ainsi à certains propriétaires de se faire enterrer dans leur cam pa-gne, il ne vient à l’idée de personne de se faire inhumer sur le domaine public. or c’est précisément celui-ci qui est visé par les dernières volontés du duc, et c’est naturellement le legs – et non la célébrité du défunt comme on pour-rait s’y attendre – qui motive la dérogation : expression de la reconnaissance générale, le monument doit être d’autant plus intégré à l’espace public que la somme bénéficie à la collectivité toute entière. Cependant, il n’est pas certain que l’exposition d’un sarcophage à la vue de tous fasse l’objet d’un assentiment collectif. C’est du moins ce que suggère la discrétion, et même la dissimulation, à laquelle donne lieu le transfert du corps à la place des alpes – un dimanche à quatre heures du matin –, tandis que les funérailles et le transport au cimetière avaient fait l’objet d’une large publicité, mobilisant une foule compacte. C’est donc là un des privilèges – un luxe législatif pour ainsi dire – dont jouit le duc de Brunswick une fois décédé : d’être durablement admis là où les défunts ne sont pas tolérés, de déroger aux règles qui assignent aux vivants et aux morts

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une place respective. il va de soi que ce franchissement ne se fait pas n’importe où, tous les espaces publics n’étant pas équivalents. lorsque son choix se porte sur ce qui est encore le « Jardin des alpes », l’architecte eugène emmanuel Viollet-le-Duc, invité à donner son avis, a examiné tous les emplacements sus-ceptibles d’accueillir un tel monument. particulièrement instructif est le jeu des convenances et des inconvenances que révèle cet examen. ainsi le funé-raire ne peut voisiner la musique (place neuve, Jardin anglais), ni la circulation (Bourg-de-Four, Bel-air), ni la science (Bastions) – à moins qu’il s’agisse d’un grand scientifique. le Jardin des alpes, « où règne comparativement une espèce de solitude » 26, a l’avantage d’être au cœur d’un contexte hôtelier et paysager, particulièrement bien fréquenté par le tourisme international. Doté d’une vue splendide, il est un maillon important de la nouvelle Genève, et en cela particulièrement à même de servir d’écrin au monument que l’on projette de construire. lieu cosmopolite, c’est aussi une place dénuée d’histoire : à celui dont les liens avec Genève furent si ténus, l’accès post-mortem aux lieux de mémoire de la ville reste en définitive interdit.

le caractère exceptionnel du monument Brunswick ne tient naturellement pas à sa seule localisation : le style, l’iconographie, la distribu-tion, les matériaux et surtout le coût défient toute comparaison avec une quelconque production locale, régionale ou même nationale. Cette sin-gularité est d’abord le fait du modèle à imiter, à

savoir le monument des Scaligeri à Vérone 8, qui implique un style déterminé, mais fixe aussi le nombre de personnages, la présence d’un sarcophage sur-montée d’un gisant, des bas-reliefs, une statue équestre, etc., toutes choses parfaitement étrangères aux traditions artistiques genevoises. Comme le cor-billard pour les funérailles, c’est de l’étranger que l’on fait venir les parties les plus caractéristiques du monument, à savoir les statues et la grille (paris, rome), les bas-reliefs (Carrare), les mosaïques (Venise), tandis que des moulages du prototype véronais permettent la reproduction de motifs architectoniques 27. Quant aux matériaux, c’est d’italie qu’ils proviennent : marbre rouge de Vérone, marbre blanc de Carrare, granit rose de Baveno. le monument se distingue ainsi par un chromatisme inédit, reléguant les façades des immeubles alen-tour au rang de tristes faire-valoir. De cette couleur éclatante, faisant écho aux pierreries du duc et aux mille variations de son teint, le mausolée actuel, délavé par le temps, ne donne certainement pas l’exacte mesure. Dédié à un seul homme, le monument funéraire de la place des alpes tient aussi de l’encyclopédie dynastique. Déclinée en personnages historiques choisis par le duc et disposés comme autant de gardes du corps, la généalogie comprend henri le lion (xii e s.), othon l’enfant (xiii e s.), ernest le Confesseur (xvi e s.), auguste le Docte (xvii e s.) 9, Charles Guillaume, enfin Frédéric Guillaume, le père du duc Charles. De ce déploiement sculptural il faut rappeler la longue filiation, rattachant le monument non seulement au monument véronais, mais aussi à la production funéraire luthérienne des xvi e et xvii e siècles 28. par ailleurs,

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à cet éventail généalogique parti-cipent les bas- reliefs illustrant les grands moments de l’histoire fami-liale 29, ainsi que des devises latines et une spectaculaire mise en scène des emblèmes héraldiques. en effet, postés à distance du monument, deux lions tiennent dans leurs grif-fes l’écusson de Genève bl et deux chimères ailées bm présentent la couronne ducale et l’écusson des Brunswick. Cette énumération, déjà longue, n’épuise pas l’inventaire des thèmes figurés. apôtres, vertus, figures allégoriques, quatre anges et le duc dédoublé – l’un mort, hori-zontal ; l’autre vivant, dressé sur son cheval – achèvent un programme de sculptures dont l’horror vacui semble être le principe le plus puissant. Foisonnant, complexe, tout à la foisornemental et polysémique, le mo-nu ment bénéficie dès l’origine d’un dispositif scénique propre à favori-ser sa visibilité. non seulement les bassins redoublant le mausolée en une image spéculaire, mais l’établis-sement d’une terrasse, « de laquelle les visiteurs pourront, se trouvant là à bonne distance et à mi-hauteur du monument, en examiner à loi-sir tous les admirables détails » 30, désignent sans ambiguïté son sta-tut d’attraction touristique bn. a ce dernier contribue naturellement la reproduction technique, à savoir la multiplication de l’image du mau-solée à travers estampes et cartes postales, dont le développement contraste avec l’interdit photogra-phique frappant les monuments funéraires du cimetière des rois, à commencer par la tombe de Calvin 31. mais le plus étonnant de la diffusion du monument reste la reproduc-tion des chimères et des lions à très

petite échelle sous la forme de « médaillons, de boutons, cachets, breloques, broches, etc. » 32. Qualifié de « véritable bijou architectural » 33 au moment de son inauguration, le monument est ainsi commercialisé sous la forme de coli-fichets, baptisés à leur tour « les bijoux souvenir du duc de Brunswick ».

Si le luxe peut s’évaluer en termes d’écart, alors le monument Brunswick marque l’avènement du luxe funéraire à Genève, mais aussi son point final. Dans un contexte traditionnellement réservé, résolument républicain, privilégiant l’incognito à l’ostentation, il introduit le culte de la person-nalité, le privilège princier, un foisonnement

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iconographique, un style du xiv e siècle, la couleur rouge. Comme on l’a vu, cette singulière éruption est due à un contrat testamentaire, rédigé par une partie et accepté par l’autre : si le duc conditionne la donation à l’érection d’un monument hors norme, inversement, la Ville de Genève ne tolère ce dernier qu’en fonction du cadeau qui l’accompagne. la dépense somptuaire, dont le montant final s’élèvera à 1 768 386 fr., ne peut dès lors se comprendre sans son pendant virtuel, la dépense utile que permet l’héritage. C’est elle qui, d’une certaine façon, va racheter l’écart, ou l’incongruité, que constitue le monument. les diamants, les chevaux, l’hôtel Beaujon, etc. une fois vendus aux enchères, les autorités s’ap-pliquent à mener des opérations marquées du sceau de la nécessité : éponger

la dette publique, élargir des rues, paver les chaussées, construire des abattoirs à la Jonction, une école d’horlogerie à Saint- Gervais, une école primaire aux pâquis, en bref, combler les manques en matière d’équipement et d’assainissement. plus significative encore est la créa-tion d’une « fondation Brunswick pour les infirmes et les convales-cents », dotée d’une somme de 500 000 fr. et prise en charge par l’hospice général 34. mais l’utilisa-tion du legs Brunswick ne se réduit pas à la satisfaction de besoins considérés comme essentiels.

« après le pain, les jeux du cirque ; après les écoles, les promenades publiques, l’orchestre municipal et finalement le théâtre, dans lequel tous les arts se donnent la main, architecture, sculpture, peinture, danse, littérature et musique » 35 : si l’on célèbre ainsi l’ouverture du Grand théâtre, une « brillante fan-taisie » 36 elle aussi construite avec l’argent du duc, c’est que les fron-tières de l’utilité publique sont alors en pleine expansion, occupant des territoires autrefois délaissés ou du moins abandonnés à l’initiative pri-vée. Genève a désormais conscience que le cosmopolitisme est son ave-nir, et qu’il est aussi indispensable, dans cette perspective, de créer un opéra que des abattoirs. bo 

1 Portraits de Charles II, à l’âge de son accession au trône de Brunswick et à la fin de sa vie (tiré de : Le Duc de Brunswick, sa vie ses mœurs, Paris, 1875, forntispice, BGE S 14373).

2 Charles II posant sur son cheval. Ce portrait trouvera son prolongement monumental dans la statue de bronze, pièce sommitale du mausolée (BGE-CIG, Rec Est 223, pl. 1).

3 Obsèques du duc de Brunswick dans la salle de la Réformation, 1873. Au centre, le catafalque contraste avec l’austérité du lieu (BGE-CIG, CI 476).

4 Le corbillard du duc de Brunswick à la place Neuve, 1873. Le luxe funéraire croise le temple des arts, surdimensionné pour l’occasion (BGE-CIG, CI 476).

5 Installée au milieu du XIXe siècle au cimetière des Rois, la pierre funéraire de Jean Calvin fait de la discrétion son principe formel (tiré de : Williston WALKER, John Calvin, New York, London, 1906, entre les p. 440 et 441, BGE, BA 3893).

6 Six ans après la disparition du duc, l’inauguration du Monument Brunswick le 13 octobre 1879 n’a rien d’un cortège funèbre. Le caractère de mausolée s’efface au profit de la valeur ornementale (BGE-CIG, CI 28 P bru 06).

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7  Esplanade, lac, architecture riveraine et panorama de montagnes composent des plans successifs sur lesquels se profile le mausolée. Gravures et photographies constituent en cliché cette mise en valeur réciproque du monument et du paysage (BGE-CIG,

CI 28 P bru 04).8 Monument de Cansignorio Scaligeri (Vérone, 1370 -1374), choisi par le duc comme modèle pour son monument. Fidèle immitation, le mausolée Brunswick sera néanmoins plus grand que l’original véronais, pour résister à l’environnement dégagé de la place

des Alpes (BGE-CIG, VG Grand format non coté).9 Figures tutélaires et monumentales, six statues d’ancêtres accompagnent le duc Auguste de Brunswick-Lunebourg (1579-1666)

(BGE-CIG, RVGN 13 × 18 11434).bl Les lions sculptés, symboles héraldiques des Brunswick, forment le poste avancé du monument. Sur le socle se lisent la devise et

les armoiries de Genève, en signe de reconnaissance (coll. Alain Besse, Aigle).bm Bestiaire fantastique au siècle du positivisme : deux chimères colossales, l’une au bec d’aigle, l’autre au mufle de panthère,

tiennent la couronne et les armes du duc de Brunswick (coll. Alain Besse, Aigle).bn Au XIXe siècle, le logement du gardien servait également de boutique et de belvédère. Sa transformation en 1907 a fait disparaî-

tre la terrasse, qui offrait un point de vue privilégié sur le monument (BGE-CIG VG P 1206).bo Recueil de documents relatifs au duc de Brunswick. Aux angles, le monogramme du duc (deux C entrecroisés), tel qu’on peut le

retrouver à la place des Alpes. Au centre, la couronne (BGE-CIG, Rec Est 223).

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post tenebras luxe

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notes

13 L’imprimé en question accompagne l’acte Ch. Binet, notaire, 21 août 1873. Intitulé « New discovery », il décrit un procédé proche de la pétri-fication, permettant de préserver un corps pour une période indéterminée : « Like a Statue, it can also be placed in any given position as illustrative of individual character or station ».

14 Journal de Genève, 20 août 1873.15 Mémorial du Conseil municipal, 31 oct.

1873, p. 278-294.16 Le duc de Brunswick, op. cit., p. 429.17 « Nous voulons que nos funérailles

soient conduites avec toute la cérémonie et la splendeur dues à notre Rang de Duc Souverain », dit le testament (Journal de Genève, 20 août 1873).

18 Luc WEIBEL, Croire à Genève : la Salle de la Réformation (XIX-XXe siècle),

Genève, 2006.19 Arthur MASSé, Promenades his-

toriques dans les rues de Genève, Genève, 1980, p. 187-188 (réimpr. de Genève, 1874).

20 Journal de Genève, 2 sept. 1873. Il existe un dessin de ce tombeau éphémère au Centre d’iconographie de la Bibliothèque de Genève (Rec Est 223, pl. 8).

21 Louis BLONDEL, Le cimetière de Plainpalais, Genève, 1959 ; Véronique PALFI, Le cimetière des Rois, Genève, 2003 (doc. ms).

22 David RIPOLL, « Ci-gît J.C. : la tombe de Jean Calvin au cimetière des Rois », dans Dolce lavorare : Mélanges en

l’honneur du profeseur Mauro Natale, Milan, à paraître en 2009.

23 Sur le sujet, Max ENGAMMARE, « L’inhumation de Calvin et des pasteurs genevois de 1540 à 1620 », dans Les funérailles à la Renaissance, J. BALSAMO (éd.), Genève, 2002, p. 272-293.

24 A notre connaissance, seul le monu - ment Kléber à Strasbourg, renfermant les restes de l’illustre général,

partage la même singularité. Sur ce dernier, voir Laurent BARIDON,

« Le principe funéraire de la statuaire publique: le monument Kléber à Strasbourg », dans Ségolène LE MEN et Aline MAGNIEN (éd.), La statuaire publique au XIXe siècle, Paris, 2004, p. 132-143.

25 Mémorial du Conseil municipal, 21 août 1873, p. 270-276.

26 Mémorial du Conseil municipal, 13 mars 1874, p. 752-758.

27 Procès-verbaux des séances du Conseil administratif, 28 avril et 26 mai 1876 (AVG, 03 PV 35, p. 259, 314).28 Christian HECK, Genealogie als Monu - ment und Argument : der Beitrag

dynastischer Wappen zur politischen Raumbildung der Neuzeit, Berlin, 2002.

29 Pour le détail de l’iconographie, Edouard HUMBERT, Les ducs de Brunswick et le monument de Genève, Genève, 1880.

30 Journal de Genève, 16 juillet 1879.31 Procès-verbaux des séances du

Conseil administratif, 30 juillet 1878 (AVG, 03 PV 37, p. 482).

32 Journal de Genève, 23 sept. 1879.33 Journal de Genève, 17 sept. 1879.34 AVG, 03 PV 35, p. 436.35 Journal de Genève, 2 oct. 1879.36 Id.

1 Jean-Jacques ROUSSEAU, Œuvres complètes, T. V, Paris, 1995 (1758), p. 94. Les auteurs remercient Agnese Fidecaro et Carl Magnusson pour leur relecture et leurs précieux commentaires.

2 Jean-Jacques RIGAUD, Renseigne-ment sur les beaux-arts à Genève, Genève, 1876, p. 327.

3 Le testament d’Henriette Rath révèle douze tableaux, dont des Gaspard Dughet, Ruysdael, Ostade, Jan van Goyen et Swebach (AEG, Rath, Henriette, Testament, Jur. Civ. AAq 11, p. 109). Henriette Rath avait donné au Musée Rath un Paysage entrecoupé par une rivière, avec figures et animaux par Jean Huber, un Intérieur d’estaminet de Molenaer et un Estaminet flamand avec des figures buvant et chantant (Catalogue des tableaux du Musée Rath à Genève, Genève, Imprimerie de G. Fick, rue de la Corraterie, 1835, respectivement nº 41, 57, 75).

4 « A Mlle Brémont, de laquelle depuis sept ans je m’occupe avec un vif intérêt. Je lui ai déjà donné tout mon établissement de peinture (…). Quand je commençais à peindre, un homme âgé, que je vénérais, me dit : ‹ Mon cher enfant, avant de commencer votre état de peintre, pesez bien ses difficultés, le travail

qu’il faut pour les vaincre ; puis, après, allez en avant. Il faut du courage. › Longtemps ces mots ont été écrits sur mon sous-main, ensuite gravés sur une bague : ils étaient une puissance pour moi. J’ai donné cette bague à Mlle Brémont qui ne la porte pas ; tant pis ! », BGE, Ms fr. 3800. Correspondance adressée à Henriette Rath, nº 2410. L’orthographe des textes anciens a été modernisée.

5 Plusieurs lettres, écrites par Henriette, relatent mot pour mot la même

histoire. Voir par exemple AEG, Archives de familles, Rath, Genève, le 30 janvier 1824 ; une copie de ce document est jointe à une lettre adressée à de Candolle le 10 mai 1826 ; il est reproduit aussi dans le testament d’Henriette Rath, BGE, Ms. fr. 3800, Correspondance adressée à Henriette Rath. A cette

version est adjointe une confirmation écrite de Jacob Duval, témoin de l’événement, rédigée en 1824. Il confirme : « Elles agissaient en conformité d’un simple désir exprimé par leur frère, qui ne les engageait pas à rien de leur vivant, ni sous le rapport de la somme à consacrer. »

6 AVG, Fonds Monod 61. Notons cependant que Simon Rath appréciait les beaux-arts, car il avait une collection de tableaux qu’il avait achetée à Paris.

7 « Celui-ci était fait ; il était donc arrêté sans aucune restriction que ma sœur et moi, ses uniques héritières, nous n’avions à rendre compte à personne de sa fortune », lettre du 1er janvier 1820 copiée dans le testament d’H. Rath, BGE, Ms fr. 3800. Correspondance adressée à Henriette Rath, nº 2410.

8 Sur ces projets, voir Danielle BUYSSENS, Leïla EL-WAKIL, Livio FORNARA, Genève 1819-1824 : trois concours pour un musée, Genève, 1999.

9 Henriette, fille d’un horloger ruiné, aurait gagné par son travail plus de 100 000 francs (RIGAUD 1876, p. 317).

10 AEG, Archives de familles, Rath, pièces no. 9, 10, 30, 31, 33. En 1843, le conseil municipal encaisse la somme laissée sur un compte de réserve, sans aucune contrepartie.

11 AEG, Archives de familles, Rath, 10 mai 1826.

12 Genève, Société des Arts, Procès-verbaux de l’assemblée générale, 1790-1799, séance du 20 germinal an 7 (9 avril 1799).

13 Genève, Société des Arts, Procès-verbaux des assemblées générales et des séances du Comité, vol. IV,

LESdEmOISELLES

RATh& L’INSTITUTION

ARTISTIqUEà GENèvE

AUTOUR dE 1800

4 La Chambre de la Réformation a été créée en 1646 pour veiller au respect des ordonnances somptuai-res. Elle subsistera jusqu’à la fin de l’ancien régime, fonctionnant « comme le temps qu’il fait au mois de mars : un jour tempétueux, un autre jour calme et serein. (...) Pendant deux ou trois mois, elle exerce de grandes rigueurs, il semble qu’elle veuille changer toutes les femmes en religieuses et transformer les hommes en capu-cins, puis elle abandonne tout et laisse s’enraciner les plus grands abus » (Gregorio Leti). Soulignons que des institutions identiques existaient alors dans les villes suisses protestantes, mais aussi catholiques. A Genève, la Chambre de la Réformation est formée exclusivement de magistrats.

5 « Vous jurez (...) de rapporter toutes les contraventions qui vous seront connues, à la réserve néanmoins de celles que vous verriez vous-mêmes dans les maisons, ou qui intéres-seraient ceux qui demeurent avec vous dans une même maison, ou vos parents et alliés jusqu’au degré de germain inclus (...) » Offices A7, p. 23 : serment des commis de la Réformation, 1719.

6 François WALTER, « ‹ Felicitas Reipublicae ›. Leurs Excellences, le pouvoir et l’argent XVIIe-XVIIIe siècles », dans Revue suisse d’art et d’archéologie, Zurich, Bd 50 (1993), H. 1, p. 1-12.

7 Archives d’Etat de Genève (AEG), Jur Pen J 2, fol. 192 v. et 194 v.

8 AEG Jur Civ F 64 : Inventaire après décès de Jean-Jaques Bonnet, 1721.

9 Danielle BUYSSENS, La question de l’art à Genève, Genève, 2008 ; Corinne Walker, « Les pratiques de la richesse. Riches Genevois au XVIIIe siècle » dans Etre riche au siècle de Voltaire, Genève, 1996, p. 135-160.

10 AEG Jur Civ F 473 : Inventaire après décès d’Ami Lullin, 1756.

11 Louis DERMIGNY, Le Commerce à Canton au XVIIIe siècle, 1719-1833, Paris, 1964, 3 vol., cité par Daniel ROCHE, La France des Lumières, Paris, 1993.

12 Bibliothèque de Genève (BGE), « Mémoire pour la remontrance au sujet de la réforme (...) », BGE, Papiers Tronchin, vol. 58, fol. 53.

13 Ordonnances somptuaires de la Republique de Genève, 1698, article IV.14 AEG Jur Civ F 76 : Inventaire après

décès de Jean Begon, 1740.15 A propos de la fabrique de

Saint-Cloud, un voyageur anglais soulignait en 1698, qu’il n’avait « pas pu faire de différence entre

ce qui s’y fabrique et la plus belle porcelaine de Chine », ajoutant que ses produits se vendent « à des prix excessifs », cf. Voyage de Lister à Paris en 1698, trad. fr., Paris, 1873, p. 128, cité par Annick PARDAILLHé-GALABRUN, La Naissance de l’intime, Paris, 1988, p. 307.

16 AEG Jur Civ F 632 : Inventaire après décès d’Isaac Thellusson, 1755.

17 AEG Jur Civ F 820 : Inventaire après décès de Jean-Jaques Boissier-Turrettini, 1790.

18 Georges LIVET, « Le cheval dans la ville. Problèmes de circulation, d’hébergement, de transport en Alsace à l’époque de la monarchie absolue », dans Mélanges d’histoire économique offerts au Professeur Anne-Marie Piuz, Genève, 1989, p. 189.

19 AEG, Jur Pen J 1, J 2 et J 3.20 Le mot « coupé » apparaît vers 1650,

tirée de l’expression « carrosse coupé ». Il désigne une voiture à quatre roues, généralement à deux places.

21 Au début du XVIIIe siècle, le nom de « phaëton » désigne une petite voiture à une place tirée par un seul cheval ; il désignera par la suite une voiture légère à deux ou quatre roues légère et rapide.

22 Voiture à quatre roues, quatre glaces et à capote, en usage dès les années 1670.

23 BGE, Mss Lullin 10.24 Daniel RAMéE, Histoire des chars,

carrosses, omnibus et voitures de tous genres, Paris, 1856, p. 74.

25 « Cabriolet », de cabrioler, désigne à partir de 1755 une voiture légère à deux ou à quatre roues.

26 « Whisquet » ou « whiski » : voiture légère apparue dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

27 Le triomphe du luxe. La berline d’Isaac Pictet, syndic de Genève, Musée national suisse de Prangins, 2005.

28 La course à l’imitation est un leitmotiv qu’on retrouve chez tous ceux qui

réclamèrent l’application des lois somptuaires, tant il est vrai que

l’ancien régime n’en finit pas de subir les forces centrifuges qui entraînent

la confusion des états. Les lois genevoises se sont ainsi attachées à établir des distinctions de plus en plus fines entre les catégories socia-les. Après la simple mention au XVIe siècle, des « artisans mécaniques vivants de l’œuvre de leurs mains », on introduit en 1617 une répartition tripartite de la société, distinguant « les artisans mécaniques et autres gens de basse condition, les gens moindres ou médiocres et les gens

de qualité ». On parlera ensuite, plus simplement de première, de seconde et de troisième qualités, sans pour autant les définir juridiquement, au grand dam des magistrats commis à la Chambre de la Réformation qui seront toujours confrontés à des gens qui justifient leurs dépenses par leur statut réel ou imaginé.

29 BGE, Mss Lullin 2, B 7, f. 228 v.

1 Sur ces questions, voir Véronique PALFI « Histoire », dans Monument Brunswick, Genève, 2002, p. 10-19 ; Martine KOELLIKER, « Précisions historiques relatives au monument Brunswick : une ‹ pièce montée › de toutes pièces ? », dans Des pierres et des hommes : hommage à Marcel Grandjean, Lausanne, 1995, p. 629-642 ; Tibor DéNES, Charles II duc de Brunswick et Genève, Genève, 1973 ; du même, « La vraie histoire d’un monument genevois », Musées de Genève, 1973, nº 132, p. 2-7 ; « Le roman-fleuve d’un monument genevois », Revue du Vieux-Genève, nº 141, 1971.

2 La plupart des éléments biogra-phiques sont tirés de : Le duc de Brunswick : sa vie et ses mœurs, Paris, 1875.

3 Id., p. 320.4 Id., p. 324.5 Id., p. 328.6 Id., p. 334.7 Id., p. 344.8 Les secrets du Gotha, Paris, 1964,

p. 367.9 Sur ce thème littéraire, voir Stéphane

LE COUëDIC, « Fin de race pour une fin de siècle », dans Les limites de siècles, Besançon, 2001, p. 557-572.

10 Testament daté du 5 mars 1871, Ch. Binet, notaire (AVG, 03 AC 349). Reproduit dans le Journal de Genève du 20 août 1873.

11 Sur ce monument, José-A. GODOY, « Le mausolée du duc Henri de Rohan (1579-1638) : notes sur son effigie et son armure posthumes », Genava, n.s., t. 53 (2005), p. 123-153.

12 Le duc de Brunswick, op. cit., p. 395.

L’èRE dES BIjOUX :

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