Role de la FRH dans l'entreprise qui se numérise F Silva_Dunod nov 2014

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Réinventer la fonction RH pour faire entrer l’entreprise dans le numérique par François Silva, Professeur à Kedge Business School, Chercheur au Laboratoire DICEN (Dispositifs d'Information et de Communication à l'Ère du Numérique) du CNAM-Paris et responsable de l'Observatoire de la FMRH (Fédération Méditerranéenne des Ressources Humaines) En évoquant la révolution numérique/digitale, on fait référence aux vastes transformations que nous sommes en train de vivre depuis une dizaine d’années. Ces changements sont d’un autre ordre que celui que nous avons connu autour du développement de l’informatique puis des systèmes d’information au cours de la période précédente (1970-2000) 1 . Si on parle de révolution numérique, c’est parce que le numérique est de plus en plus présent dans le quotidien de chacun et le transforme. Ainsi, en France, le nombre d’écran par foyer est de 6,3 2 , Le nombre de carte SIM par habitant est de 110%(76 millions). Rappelons que le portable est arrivé en 1995. Si 49% des salariés utilisent Internet pour des raisons professionnelles, ils sont 66 % des français qui l’utilisent personnellement fréquemment (tous les jours ou presque). Ils sont 12% à l’utiliser une fois par semaine au moins, et seulement 14% ne l’utilisent jamais. Ils sont 59 % à avoir effectué un achat en ligne dans les 12 derniers mois. Les deux- tiers des lecteurs du Monde et du Figaro lisent sur support numérique (tablette, smartphone…). Au printemps 2011 , on dénombrait au moins 156 millions de blogs, et pas moins d'un million de nouveaux articles de blog publiés chaque jour. On recensait en 2012 , 31 millions de blogs 1 Cf. Michel Volle et son site fort exhaustif http://michelvolle.blogspot.fr/ 2 Beaucoup des informations sont tirées du rapport d’activités 2013/14 de l’ARCEP sur l’utilisation des nouveaux outils publié en juin 2014: http://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/supplement-rapport-activite- 2013.pdf 1

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Réinventer la fonction RH pour faire entrerl’entreprise dans le numérique

parFrançois Silva,

Professeur à Kedge Business School, Chercheur au Laboratoire DICEN(Dispositifs d'Information et de Communication à l'Ère du Numérique)

du CNAM-Paris et responsable de l'Observatoire de la FMRH(Fédération Méditerranéenne des Ressources Humaines)

En évoquant la révolution numérique/digitale, on fait référenceaux vastes transformations que nous sommes en train de vivre depuis une dizaine d’années. Ces changements sont d’un autre ordre que celui que nous avons connu autour du développement del’informatique puis des systèmes d’information au cours de la période précédente (1970-2000)1. Si on parle de révolution numérique, c’est parce que le numérique est de plus en plus présent dans le quotidien de chacun et le transforme. Ainsi, en France, le nombre d’écran par foyer est de 6,32, Le nombre de carte SIM par habitant est de 110%(76 millions). Rappelons que le portable est arrivé en 1995. Si 49% des salariés utilisent Internet pour des raisons professionnelles, ils sont 66 % des français qui l’utilisent personnellement fréquemment (tous les jours ou presque). Ils sont 12% à l’utiliser une fois par semaine au moins, et seulement 14% ne l’utilisent jamais. Ils sont 59 % à avoir effectué un achat en ligne dans les 12 derniers mois. Les deux-tiers des lecteurs du Monde et du Figaro lisent sur support numérique (tablette, smartphone…).Au printemps 2011, on dénombrait au moins 156 millions de blogs, et pas moins d'un million de nouveaux articles de blog publiés chaque jour. On recensait en 2012, 31 millions de blogs

1 Cf. Michel Volle et son site fort exhaustif http://michelvolle.blogspot.fr/ 2 Beaucoup des informations sont tirées du rapport d’activités 2013/14 de l’ARCEP sur l’utilisation des nouveaux outils publié en juin 2014: http://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/supplement-rapport-activite-2013.pdf

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aux États-Unis alors que dans le monde on estime à 3 millions le nombre de blogs3 qui naissent chaque mois4..

Nous constatons ainsi un lent mais rapide basculement avec l’utilisation d’Internet. Depuis les années 2000, de nouvelles entreprises se sont créées proposant des prestations nouvelles s’appuyant sur de nouvelles applications fonctionnant sur ces nouveaux outils. Prenons quelques exemples :

- La première de ces start-up, Google, créé en sept 985, a aujourd’hui 50 000 salariés. En 2012, elle a eu 30 000 milliards de documents indexés et chaque mois elle a un milliard de visiteurs,

- Avec plus d’un milliard d’abonnés Facebook, créé en 2004, a connu une croissance exponentielle passant de 100 millions en 2008, à 500 en 2010, un milliard en 2012. Ces utilisateurs sont pour les ¾ des moins de 35 ans. Ils sont25 millions en France,

- Twitter, créé en mars 2006, a aujourd’hui plus de 500 millions d’utilisateurs,

- You tube, racheté par Google en octobre 2006, (1,6 M$) avait en octobre 2010, 2 milliards de vidéo vues/jour et deux ans plus tard (octobre 2012), 4 milliards /jour,

- Airbnb, location d’appartement directe, créé en novembre 2008, a plus de 500 000 annonces sur plus de 33 000 villeset 192 pays. De novembre 2008 à 2012, plus de 10 millions de nuitées ont été réservées,

- Blablacar, covoiturage fondé en 2004, a 6 millions d'utilisateurs en 2014

Les outils technologiques6 jouent un rôle important mais ils nesont que la partie visible d’une métamorphose plus profonde qui3 Chiffres obtenus sur le site Blogpulse 4 Il faut malgré tout être attentif au grand nombre de blogs qui demeurent actifs après leur création. Rares sont en effet ceux qui affichent une longévité « active » (mise à jour). Une très grande majorité d'entre eux sont abandonnés par leurs auteurs.

5 Google a une capitalisation boursière de près de 394 milliards de dollars.Elle a dépassée pour la première fois à la clôture du 11 février 2014 la capitalisation d'Exxon (388 milliards de dollars). Apple reste largement entête avec une valorisation boursière de près de 472 milliards.

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touche l’ensemble de nos sociétés. Le monde du travail est lui aussi concerné par ces changements qui induisent de nouvelles approches pour répondre à l’apparition de nouveaux questionnements. « L’impact des technologies va devenir irréversible et va provoquer l’émergence d’un autre rapport au travail. À partir de là, d’autres formes organisationnelles apparaîtront pour se mettre en phase avec les individus mais aussi avec des modes de production différents »7. L’entrée du numérique dans l’entreprise est en train de se concrétiser par une transformation dans l’organisation du travail, dans les relations hiérarchiques et donc dans le management. Ainsi, de nouvelles formes d’organisation du travail (NFOT)8 sont en train d’émerger autour des notions de virtualisation des relations interpersonnelles permettant un travail ubique9 et collaboratif. Mais plus largement le développement du numériquetouche au modèle de développement sur lequel se sont construites les révolutions industrielles précédentes. Cet article veut montrer les conséquences de ce développement pour les entreprises et le rôle que la fonction RH (fRH) peut et doit y jouer. Il en va de sa pérennité, comme de celle de l’entreprise.

1. L’entrée dans le numérique

Le mot numérique renvoie au processus de reproduction techniquedes données (son et image) qui ne se font plus sur un modeanalogique, comme c’était le cas jusque dans les années 90.Depuis, cette reproduction effectue sous forme de donnéeschiffrables (1/0), c’est-à-dire numériques10. C’est ainsi queles télécommunications et l’informatique ont convergé en6 Il est erroné d’imaginer que les technologies aient atteint une maturité.Déjà, certains, dans les années 2000 prônaient l’abandon du « N » dans NTIC. Dans les années 2020, aux NTIC vont succéder progressivement les NBIC. Se rapporter à l’article de François Silva sur La mutation du Monde, L’entreprise entre dans la postmodernité, Revue Personnel, Mars 20147 Sandra Enlart et Olivier Charbonnier, A quoi ressemblera le travail demain ?, Dunod, 2013. Ce livre donne un certain nombre de pistes sur les enjeux auxquels sont confrontées les entreprises comme leur management. Cet article y fera référence8 Pascal Charpentier, Management et gestion des organisations, Armand Colin, 20079 Adjectif construit à partir de la racine latine « ubique », partout, qui adonné le concept d’ubiquité et qui traduit aussi ici la notion de réparti et du diffus, presque dématérialisé.

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utilisant des techniques et des supports de diffusion communsnumériques. A cela s’est ajouté le développement au niveaumondial d’un protocole technique, Internet Protocol (IP) surlequel Internet s’est déployé qui permet ainsi à tous lesoutils électroniques (ordinateurs, smartphones, tablettes...)de communiquer entre eux. Ainsi, ils peuvent traiter, échangeret transmettre maintenant entre eux des données. Depuis ledébut des années 2000, une augmentation exponentielle desserveurs « en ligne » et des bases de données/sites/blogspermet un accès en temps réel à d’immense masse d’informations.A la même époque, des outils mobiles, légers, facilesd’utilisation, peu chers (smartphone, tablette) se sontdéveloppés à la portée de tous, intégrant beaucoup de fonctionset d’usages différents avec des connections sans fil (GSM, 3et4 G, Wifi) couvrant tous les besoins. Comme nous l’avons évoquédans l’introduction, depuis une dizaine d’années de nouvellesentreprises se sont créées afin de proposer de nouvellesprestations. Ces évolutions vont continuer et vont pouvoir s’appuyer sur denouveaux outils encore plus miniaturisés et légers avec denouveaux matériaux ayant une plus grande sobriétéénergétique11. Un nombre de données encore plus important vontpouvoir être traitées et échangées dans le futur. « D’un point devue strictement économique, l’Internet des objets va vraisemblablement nous fairepasser d'une économie de la consommation, basée sur la possession des objets, àune économie des usages…. puis ultérieurement des savoirs… Il faut préciser quelorsque je parle d’Internet des objets, il faut comprendre ici "Internet du futur", sansdistinction de terminologie. L’utilisation de la réalité augmentée, l'informatiqueubiquitaire ou pervasive, le Web 3.0, 4.0, sémantique ou symbiotique correspondentà plusieurs facettes d'une même évolution dont les technologies sensorielles ouéléments de réseau sont aujourd'hui la partie matérielle émergée de l'iceberg12. » Le10 Etymologiquement, numérique, qui vient de nombre, est ce qui se fait avecdes nombres. Digital en est la traduction en anglais.11 Se reporter aux derniers travaux concernant un nouveau matériau, le graphène, qui devrait avoir rapidement de nouvelles applications sur des écrans souples pour smartphones et tablettes, comme pour l’ordinateur quantique, le tout avec des baisses énergétiques considérables : https://lejournal.cnrs.fr/articles/le-graphene-superstar-episode-1 12 Philippe Gautier et al, L'Internet des objets : Internet, mais en mieux, AFNOR, 2011

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numérique est en train de devenir de plus en plus omniprésentdans toutes les formes de socialité de la vie quotidienne(consommation, loisirs,…) que de la vie professionnelle. Ainsi, la planète se transforme silencieusement et rapidement.Le monde du travail lui aussi est concerné par l’utilisation deces nouveaux modes de communication. Nous commençons àconstater de profonds changements dans les entreprises qui nesont pas seulement l’utilisation de ces outils en interne, maisla façon dont les clients/citoyens/usagers s’en emparent ettransforment les produits/prestations existants, par d’autresapproches souvent complétement différentes. Quasiment tous lessecteurs sont en train d’être touchés. De la distribution (detous les produits) à l’automobile, des médias à la banque ou àl’enseignement, la numérisation est au centre de mutationsqu'il faut aujourd’hui préparer. Ce qui est donc central, cesont les nouvelles prestations que ces outils permettent et nonles outils. Mais ces services/produits sont générés par descompétences et/ou métiers nouveaux ayant eux-mêmes de nouvellespratiques.

Prenons deux secteurs dans lesquels le développement dunumérique est en train de transformer l’organisation : labanque et la presse. Pour la banque, 58 % des clients utilisent maintenant le sitede leur banque pour gérer leurs comptes (ils sont 82% en Suède)pour des opérations bancaires simples (consultation de leurscomptes, commandes de chéquiers et de virements…). Ces servicesbancaires en ligne vont être de plus en plus sophistiquéspermettant de souscrire des contrats et même de les signer.Cela va remettre en cause la nature des prestationsuniverselles et généralistes qui étaient gérées jusqu’à présentdans les agences bancaires. Elles vont se traiter directementpar le site bancaire. Les agences vont devoir se spécialiserafin de proposer des services à valeur ajoutée. Elles vontévidement diminuer en nombre, les clients venant dans uneagence étant de moins en moins nombreux aujourd’hui. Demain ilsne viendront que pour y rencontrer des spécialistes en crédit,

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fiscalité, retraite ou assurances de la personne. La notiond'agence de proximité va donc changer et avec elle lesprestations proposées. Ce sont donc les métiers et lescompétences, les modes d’organisation et de management quidoivent changer. Pour assurer ces services à distance, lesbanques vont devoir avoir des personnes susceptibles dedévelopper des applications et en s’appuyant sur desintervenants (internes ou externes à la banque ?) qui ne serontplus en agence.Pour la presse13, la numérisation est bien avancée dans lespays anglo-saxons et aux Etats-Unis en particulier. Ainsi, leFinancial Times (FT) est en passe de réussir sa mutationnumérique puisque les deux tiers de ses 670 000 abonnementssont numériques (représentant 55% de ses revenus). Lancé en2007, le numérique du FT veut privilégier l’instantanéité etles formats courts. « A l’avenir notre édition imprimée sera issue de notreoffre numérique et non pas l’inverse » déclare le rédacteur en chef dutitre. Et poursuit-il « nous sommes passés d’un service d’actualité à unservice en réseau sur ordinateur, tablette, et surtout sur mobile ». Ce dernierreprésente en 2014, 50% du trafic numérique du titre. Le métierde journaliste comme les modes de l’exercer ou celle defabriquer un journal sont remis en question. Ainsi, la questionde l’impression, le print, va se poser de plus en plus pourconstituer à terme un produit de luxe ? Ainsi, le FT fermecette année huit de ses vingt-quatre centres d’impression dansle monde.En France, trois quotidiens (Le Monde, Le Figaro, les Echos),en particulier, travaillent à la reconversion vers le numérique. Ainsi, Le Monde est désormais lu pour un tiers sur papier et pour deux-tiers sur support numérique, selon la direction. Environ un tiers des visites mensuelles s'effectuent sur mobile. Mais les recettes restent minoritaires dans les recettes du groupe Le Monde (+ de 300 millions), le numérique représentant 30 millions d'euros en

13 Une partie des informations sur le numérique dans la presse provient du site http://techno.lapresse.ca/nouvelles/mobilite/201406/13/01-4775554-les-journaux-le-monde-les-echos-et-le-figaro-misent-sur-le-mobile.php

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2014, contre 24 millions en 2013. Le quotidien compte désormais 72 000 abonnés numériques, qui paient en moyenne 14€ par mois, contre 35 000 qui payaient en moyenne 8 € par mois il y a un an, a précisé Louis Dreyfus, président du directoire.Les Échos comptent déjà 20 000 abonnés exclusivement numériques(+70 % sur un an), soit 26 % de ses abonnés. Mais alors que le papier ne représente plus que 27 % de la diffusion totale (contre 73 % pour le numérique), Plus de la moitié des pages vues le sont depuis un smartphone ou une tablette. Mais le papier représente encore 79 % du chiffre d'affaires et le numérique 21 %. Côté papier, hors ventes aux tiers (institutions, compagnies aériennes, etc.), Le Monde et Les Échos ont connu une baisse de leur vente de 8 % sur un an14.

A travers ses deux exemples de ces deux secteurs, nousconstatons la façon dont l’utilisation des outils (tablette,smartphone…) transforme la nature de la prestation fournie parles entreprises et surtout entraine les changements dansl’organisation du travail, les nouveaux besoins en compétenceset en métiers. Ainsi, l’émergence de cette nouvelle culturenumérique affecte en profondeur chaque entreprise. Cetteculture est en train de transformer nos relations au temps, àl’espace, à autrui, au savoir et à nous-même. Nous serionsainsi en train de voir émerger une nouvelle culture au sensanthropologique.

Les organisations doivent passer de l’information à lacommunication

Jusqu’aux années 80, le traitement et la gestion del’information se faisait d’une façon bureaucratique sur supportpapier. L’organisation du travail est aujourd’hui structurée

14 Chiffres de l'OJD7

par les ERP15 qui ont générés de très importants gains deproductivité en automatisant les tâches et en générant deslogiques de flux et de processus. Ainsi, le SIRH a permis dediminuer de moitié le nombre de salariés dédiés aux tâchesadministratives (paye, gestion administrative, dossier dessalariés….). De plus, le traitement de l’information a permisde réduire les délais, voire de fonctionner en temps réel. Pourtirer les bénéfices de ces investissements importants, il a éténécessaire de faire les bons choix de réorganisation sanssusciter de fronde ou des refus des salariés qui auraient pu,tels les canuts, saboter le déploiement de ces nouveaux outils.

Mais les principes sur lesquels s’est développée l’informatiquesont restés marqués par la culture « gestionnaire » valorisantle productivisme, l’automatisation substitutive et le contrôle.Ces méthodes tayloriennes ont progressivement gagné le secteurtertiaire avec le développement des systèmes d’information, àtravers l’approche par processus qui s’est généralisée dans lesannées 90 dans les grandes entreprises. C’est pourquoi l’entréedans ce que l’on a appelé la culture informatique a constituéun enjeu important pour les entreprises. Il fallait, àl’époque, que leurs dirigeants comprennent les conséquences dela mise en place de l’informatique dans leur organisation etsoient en situation de faire les choix adéquats. Pour beaucoupde dirigeants ce n’étaient que des outils qui n’avaient pasplus d’intérêt pour eux que l’automatisation d’une chaine demontage. Il fallait, au contraire, qu’ils comprennent que leurentreprise devait être réorganisée complétement pour que lesERP soient efficaces. Ainsi, les entreprises pouvaient entrerdans la révolution de l’information que par un engagement etune mobilisation de toute la chaine hiérarchique. Mais beaucoupde dirigeants ne comprenant pas les nouveaux enjeux que posait

15 Les ERP (Entreprise Resource Planning ou Progiciel de Gestion Intégré (PGI)) constituant un terme générique pour définir la structuration de l’ensemble des flux d’information d’une entreprise en processus qui a nécessité de réorganiser le travail. Tout cela constitue un système d’information. La fonction RH a généralement un ERP qui lui est dédié, le SIRH.

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l’informatique, ne s’y sont pas véritablement impliqués et ontfait prendre à leur entreprise du retard, voire pire. Lesentreprises (et leurs responsables) ne sont-elles pasaujourd’hui dans une situation équivalente ?

Le grand danger des organisations aujourd’hui est de se laisserenvahir par l’infobésité en mettant tous les salariés, dont lesmanagers en premier, sous la pression de masse d’informationsde plus en plus importantes à gérer. Les technologies del’information et de la communication sont porteuses d’unparadoxe. A priori elles permettent de mieux faire communiquerles gens entre eux. Mais de fait, si grâce à ces outils, toutle monde se parle et échange de plus en plus, dans les faits,on s’écoute de moins en moins car on a de moins en moins letemps pour se comprendre et pour partager. Les technologies nedoivent pas masquer les dimensions relationnelles« traditionnelles »16 nécessaires à la qualité du vivreensemble de la société qui est en train d’émerger.

Comme le schéma ci-dessus le propose, les entreprises doiventpasser de la gestion de l’information par les processus auxdéveloppements de nouvelles pratiques organisationnelles entre16 Alain Caillé et al, De la convivialité, La Découverte, 2011.

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les personnes. Elles ne peuvent émerger que par la capacité defaire travailler les personnes en interaction entre elles et eninterface avec différents outils. Les outils peuvent souvent yaider, mais ils peuvent aussi en constituer des obstacles. Mais leurs usages posent de nouvelles questions éthiquessymbolisées par le syndrome Big Brother et le meilleur des mondes17 :être sous surveillance et contrôlé en permanence, souvent à soninsu… à tout instant de sa vie, personnelle ou professionnelle.La transparence devient la règle, attention que ce ne soit pasau détriment des libertés individuelles et du respect de lapersonne. Le droit à l’oubli ou à la confidentialité sont desnotions maintenant à revisiter régulièrement à l’heured’Internet et de Facebook. Il existe et il va exister denouvelles possibilités d’accéder à des informations qui jusqu’àprésent étaient personnelles voire intimes. Ces nouveaux enjeuxéthiques émergent, différents de ceux des années 80-90. Lesdirigeants ne sont plus seuls à devoir les comprendre et à agirmais l’ensemble des acteurs de l’entreprise sont concernés.Chacun a le pouvoir d’intervenir sur l’information qui estcomme la langue d’Ésope. Mais surtout ces outils permettent dedéfinir les informations très personnelles sur chacun : Quefait-il ? Avec qui ? Quelles sont les informations qu’ilrecherche ? Où est-il ? Avec qui ? Qu’achète-il ? Connaîtretout cela peut entraîner à avoir connaissance d’informationconcernant l’intimité de chacun. D’où la nécessité que tous lesacteurs, et les managers en premier, s’appuient sur desfondamentaux éthiques de respect de la personne et de sonintégrité.

Une question centrale pour une entreprise dans les dixprochaines années est de veiller aux relations entre lespersonnes développées par ces nouveaux outils. C’est pourquoiil est nécessaire de s’appuyer sur une démarche régulièred’audit concernant non pas la gestion de l’information mais lafaçon dont la communication se déroule entre les personnes :flux d’information, les destinataires, le temps de réaction…17 Evgeny Morozov, The Net Delusion: The Dark Side of Internet Freedom, Hardcover, 2011.

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Les outils ne doivent être utilisés pour mesurer ou surveillermais beaucoup plus pour que les personnes se régulent entreelles. Cela doit aller bien au-delà d’un baromètre sur leclimat social. Qui peut le faire dans l’entreprise sinon lafRH, qui est centrée sur l’humain et le social ?

2. De l’OST à la « raison sensible18 » dans nos modes defonctionnement

Comme une mille-feuille19, les outils se sont progressivemententassés les uns sur les autres. Ils constituent aujourd’hui unterreau qui manque de cohérence et de plan d’ensemble pastellement au niveau technique mais au niveau de l’efficacitéhumaine et relationnelle qu’ils génèrent. Il est tempsaujourd’hui que les entreprises réfléchissent à la cohérence deces différents outils, de leur efficacité et des conditions dedéveloppement par rapport aux objectifs qu’elles se donnent :être une organisation où les relations professionnelles sont dequalité et donc respectueuses de la personne. C’est pourquoi ilne faut plus centrer les efforts seulement vers une recherched’une meilleure rationalisation de l’organisation du travail àtravers ces nouveaux outils mais plutôt à chercher à ce que lesutilisateurs « relationnalisent » mieux avec son éco-système.

Redécouvrir le relationnel

Tous nos modes de pensée sont structurés par l’idée que lefonctionnement d’une entreprise est rationnel. L’organisationdu travail s’est construite sur des principes scientifiques :l’Organisation Scientifique du Travail (OST). Issues de cettelogique d’automatisation et de la systématisation des systèmesd’information, les organisations du travail sont maintenantstructurées autour des processus. C’est la continuité du18 Cf. les travaux de Michel Maffesoli19 Selon la belle expression de Michel Kalika

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Taylorisme qui avait pour dessein de lutter contre la flâneriede l’ouvrier en éliminant le maximum de temps morts. Mais àforce de vouloir éliminer toutes les taches ou activités qui nesont pas directement productives, on a « déshumanisé » letravail. Progressivement, ces temps morts qui étaient aussi desmoments de relationnel se sont réduits comme peaux de chagrin.On sous-estime l’importance de ces petits riens, qui, tel lesel de la terre, donne sens à la vie. Ce sont ces moments depause-café où l’on se raconte, où on écoute l’autre seraconter. Pour paraphraser Vladimir Jankélévitch, c’est savoirexpérimenter l'instant quel qu'il soit. Mais, la systématisation de larecherche de gains de productivité à travers maintenant ledéveloppement des processus, conduit à l’effet inverse : laperte de contrôle de sa propre activité, la solitude, l’ennuiet le sentiment de ne pas être reconnu. Tout cela peut conduireà la démotivation, mais, plus préoccupant, au développement dustress et à la recrudescence des risques psycho-sociaux.

Le management se situe dans la continuité de cetterationalisation de l’OST appliquée à la gestion, aux processusde décision et de délégation et à l’accompagnement despersonnes. Les managers s’appuient aujourd'hui sur des outilset des méthodes permettant d’atteindre des objectifs, de lesmettre en place comme de les suivre. Le propre d'un manager réside dans sa capacité relationnelle àcomprendre, expliquer, réguler et écouter chacun dans sonéquipe. Mais le reporting à outrance qui se développe estchronophage par rapport aux autres activités managériales etévidemment au détriment de l'essentiel: être en relation avecdes êtres et non pas des écrans. Ainsi le manager passebeaucoup de temps à réaliser ses reporting qui devientl’activité essentielle du manager. Trop d’information tuerait,non pas l’information, mais le management voire le manager. Eneffet, le temps est devenu une denrée rare. Et le managementsuivant Henry Mintzberg, s’articule autour de 3 grandesactivités : accompagnement des personnes de son équipe, ladécision, le contrôle de l’activité par le reporting. Hélas,

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c’est la dernière des activités qui lui prend de plus en plusde temps, au détriment des deux autres. Pour un manageropérationnel, le tableau de bord n’est pas seulement destiné àsuivre sa propre activité et celles de son équipe mais le plussouvent ces informations sont destinées à sa hiérarchie quiainsi contrôle les résultats et suit si la réalisation estconforme aux prévisions. De plus, les salariés doivent remplirdes tableaux concernant le suivi des programmes/labels sur laqualité et/ou la sécurité afin de vérifier la conformité dutravail effectué par rapport aux normes établies. Les reportingdeviennent ainsi incessants et surtout chronophages. Au côté du temps des réunions représentant plus de 30 heurespar semaines, celui pour la gestion de ses mails (plus de 10heures/semaines), des 20 minutes par semaine consacrés à chacunde ses collaborateurs (soit 2 heures trente par semaine), letravail de reporting constitue souvent une activité effectuéele plus souvent durant une demi-journée du week-end et quelquessoirs de la semaine. Cette activité de reporting demande beaucoup d’efforts et n’estpas véritablement simple comme un clic. Les managers deproximité avec leurs outils mobiles permettant autonomie ettravail en tout lieu, réalisent ainsi souvent ces reporting lesoir et le week-end au détriment de leur vie personnelle. Ilssont ainsi soumis à une pression qui pour certains va au-delàd’un simple stress.

Replacer, au centre, les interactions entre les personnes

On sait désormais, en particulier grâce aux neurosciences, queles activités cognitives, tout comme les processus dedécisions, ne sont pas indépendantes des affects. C’est ladimension du pathos, de l’émotion qu’il s’agit de réintégrerdans l’entreprise. La raison comme unique principe organisateura largement montré ses limites. Il est donc nécessaire dans lesorganisations de développer les capacités d’écoute etd’empathie de chacun, et en premier lieu des managers. Cela va

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signifier de nouvelles pratiques sociales dans les entreprisesavec des modes de management nouveaux. Le relationnel vaconstituer une dimension centrale. Il va être important dedévelopper des comportements qui le valorisent. Ce qui vanécessiter de s’appuyer sur des démarches nouvellesd’accompagnement, de médiation et de régulation. Les outils collaboratifs et les réseaux sociaux doivent faireémerger une logique d’interaction pour remplacer la logique« processus » des systèmes d’information.On replace au centre les échanges et les interactions entre lespersonnes. Il faut qu’il y ait un glissement progressif de lanotion d’individu (qui se suffit à lui-même comme RobinsonCrusoé) à celle de personne, c’est-à-dire comme le dit ClaudeLévi-Strauss, « un individu en interaction avec les autres ». Or l’optimisation de ces interactions ne peut plus s’appuyersur des méthodes d’ingénierie centrées sur les processus. C’estdonc toute l’organisation du travail qui est appelée àconnaître cette profonde transformation : être dans ducollaboratif,  c’est savoir travailler en équipe pour l’équipe.Ce sont les logiques que développe le wiki. Chacun contribue àune œuvre collective, telle l’encyclopédie numérique Wikipédia.Il devient concomitamment producteur et récepteur d’informationqui enrichisse un document commun au groupe. Ce qui comptec’est la production finale qui ne peut être que coopérative. Lemot coopération retrouve ainsi tous son sens étymologique avecses 2 vocables : « co » correspondant à une participation deplusieurs personnes et « operator » à celui d’œuvre.

Les entreprises souffrent trop du “syndrome de la féeclochette”20 : Vous avez un problème? La solution est à dansune base de données. Des questions? La réponse est sur

20 Beaucoup fonctionnent en imaginant que le verbe à un pouvoir qui se suffit à lui-même. Décréter une action n’a jamais été changement. Sauf à imaginer que telle une fée le fait d’évoquer donne le pouvoir que le verbe réalise. Mais le management n’est pas un monde dans lequel il suffit de dire pour que le problème se résolve de lui-même. Il faut répéter une fois,dix fois, et quelquefois plus pour convaincre, expliquer, faire pédagogie… dans le processus d’accompagnement de la/des personne(s)

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l’intranet… Or l’information n’est souvent pas la réponse à unequestion, c’est l’interaction et en particulier lareformulation qui permet de progresser et de valider sacompréhension. La présence humaine est souvent nécessaire.C’est déjà ce que prônait Socrate à travers la pratique de lamaïeutique, une pédagogie par le dialogue avec ses étudiants.Une information en tant que telle est donc sans intérêt, maisc’est l’échange qu’elle va permettre de générer ce qui estimportant. « J’ai besoin de limer mon intelligence contre celle d’autrui” disaitMontaigne. Le problème c’est que pour échanger il faut avoir uninterlocuteur, en virtuel ou en présentiel. Or, tout le mondeest occupé à répondre à ses mails ! Mais ce tissage de liens n’est pas naturel. Il fautl’expérimenter. Or il n’existe pas de « recettes » ou de boitesà outils à plaquer sur l’organisation. Ce sont les personnesdans les entreprises que vont apparaître de nouvelles formesd’organisation du travail en tâtonnant. Elles vontprogressivement faire émerger des pratiques innovantes.

Urbaniser les relations

La fRH doit accompagner ces mutations en délaissant sonapproche actuelle fondée sur la gestion individuelle et ledéveloppement de leurs compétences pour prendre un rôled’architecte ou d’urbaniste des relations dans l’entreprise. Al’horizon 2020, les compétences ne seront en effet plus aucentre des préoccupations, qu’on songe à l’incroyable hausse duniveau d’études des jeunes embauchés au cours de ces deuxdernières décennies. En revanche, la virtualisation toujoursplus forte des échanges entre les salariés va poser de façonaiguë la question des comportements entre les personnes etcelle des valeurs y président : à quoi servent les outilsmobiles ? Que permettent-ils de construire ? Comment rendrepossible des relations de qualité même à distance ? Quellesnouvelles règles du jeu mettre en place pour assurer un partage

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et une circulation de l’information respectueuse des uns et desautres ? Quelles seront les sanctions en cas de manquement àces règles et qui contrôlera leur application ? La fRH doitavoir un rôle d’accompagnement des collectifs de travail et derégulation, voire de médiation entre les acteurs. Ce n’est qu’àcette condition que les entreprises réussiront leur mutationculturelle.

Si la fRH ne coordonne pas ces actions et leurs enjeux, qui lefera dans l’entreprise? D’autant que ces questions sonttotalement inédites. C’est en parvenant à combiner le «travaillerensemble» au «vivre ensemble» que seront ainsi créées lesconditions d’un travail coopératif et collaboratif efficace.C’est en quoi, la fRH doit passer au-delà de la Gestion desRessources Humaines à un rôle d’Architecte et d’Urbaniste desRelations Humaines afin d’accompagner les managers dans ce rôlede médiateur et de formateur des collectifs de travail. Cen’est qu’à cette condition que les entreprises réussiront àentrer dans le numérique.

3. Le basculement dans le numérique

D’abord une prise de conscience d’une transformation« culturelle »

Certaines entreprises ont déjà été confrontées à la remise enquestion de leurs prestations, conséquences de la numérisationsur leur activité. Kodak a ainsi été incapable de se repenserafin de répondre aux nouvelles attentes des consommateurs dedisposer d’images numérisées en temps réel, et non plus dephotos. Kodak disposait pourtant des meilleurs chercheurs dansses laboratoires qui ont inventé (et breveté) le premierappareil photographique numérique. Il possédait le plus grandnombre de brevets sur ces domaines, mais la plupart de leursdirigeants sont restés dans la culture « argentique ». Certes,pour Kodak, c’était remettre en question son métier et sa

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culture. Mais ne pas le faire, c’était mourir, et Kodak estmort. En premier lieu, ses cadres dirigeants n’ont pas su (eteu le courage de) remettre en question leurs produits, lesmétiers et les compétences acquises de leurs salariés, leursréseaux de photographes et de vendeurs de pellicules, leursusines de développement. Ainsi, en ne sachant pas anticiper lesbouleversements, l’entreprise s’est condamnée. Quand apparaît de tels bouleversements technologiques, lespersonnes ont des difficultés à se projeter dans l’avenir, parexemple avec l’arrivée de l’automobile ou du train par rapportaux voitures à cheval. Les personnes sont dans l’incapacité deréinventer un nouveau modèle. La numérisation des entreprisescorrespondent pour la plupart des entreprises aujourd’hui à unenjeu majeur de transformations de/dans leurs prestations. Denouveaux business models apparaissent. Cela nécessite que lesentreprises soient aussi en profonde mutation culturelleinterne afin que leurs salariés soient en situation de pouvoirréaliser ces nouvelles prestations.

Mais la complexité des changements nécessite une confiancemutuelle et une adhésion de toutes les parties prenantes del’entreprise. En premier lieu, tous (et pas seulement lesdirigeants) doivent avoir un minimum de compréhension desenjeux actuels et des mutations de leur secteur conséquence del’émergence de nouvelles technologies. Il faut ensuite savoirles traduire dans un nouveau modèle de développement avec unenouvelle organisation et de nouveaux métiers/compétences.Impliquer les salariés est nécessaire car ce sont eux qui vontfaire émerger les nouvelles formes d’organisation du travail.Mais la première des confiances sera de savoir si chacun seratraité avec équité et respect. Où seront-ils demain ? Dansl’entreprise ou demandeur d’emploi ?L’entreprise doit permettre à ses managers de réfléchir auxchangements de l’activité avec les conséquences sur les métierset à la façon dont il va falloir transformer son activité. Cetemps de réflexion doit régulièrement être organisé, non pascomme des grandes messes, mais comme des journées de travail

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d’échange à partir desquelles on décide des plans d’actionspour conduire les changements nécessaires. Les managers ontalors les capacités d’expliquer à leurs équipes les changementsen cours. Ils peuvent ainsi être porteurs de sens, c’est-à-dired’indiquer la direction et la signification des changements.

Une transformation dans l’organisation du travail

L’émergence des nouvelles formes d’organisation du travail(NFOT) se caractérise par trois concepts : l’ubiquité, lecollaboratif et la virtualité. Pour ce faire, les entreprisesdoivent intégrer de nouveaux modes de travail s’appuyant sur denouveaux outils et applications. L’entreprise numérique doitsavoir faire expérimenter par ses salariés leur utilisation endétricotant si nécessaire l’existant.Ainsi, les modes d’organisation du travail de chacuns’effectuent en utilisant des outils/applications permettantdes usages très divers autour du collaboratif, du virtuel et àdistance :

- Le bureau virtuel (notes, documents, planning…) permettant de partager des documents

- La création, l’enrichissement et le partage de ressources de connaissance (fichier, blogs, sites, Bases de Données…)

- Les réunions de travail s’appuyant sur des documents et/ou permettant de construire des documents ensemble, des prises de notes collectives

- La rédaction de document en écriture collaborative- des formations à distance

Le développement de ces nouveaux modes de travail nécessited’être accompagné par des pairs, des coachs (internes ouexternes à l’entreprise ou au service) ayant déjà pratiqué cesoutils. Il faut créer des sortes d’ateliers d’échanges autourde ses pratiques et de ses expérimentations. Chacun s’essaie,souvent en bricolant et en expérimentant de façon trèspragmatique les outils mis à disposition. Il se développe ainsi

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des communautés21 éphémères ou non qui sont souvent formaliséspar des règles et des principes dans le fonctionnement entreses membres. La fRH devrait avoir un rôle majeur defacilitateur et d’assistance à la bonne organisation de cescommunautés (dans les outils à proposer, les règles àinstaurer…). Puis progressivement au petit noyau initial, d’autress’agrègent ou vont expérimenter de leur côté en s’appuyant surl’expérience déjà existante. Les salariés vont ainsiprogressivement échanger et partager au niveau d’une communauté(métiers, fonction, managériale, d’expertise, sectorielles….).Ces communautés peuvent être virtuelle et souvent en réseau.Tout dépend des règles et principes édictées pour sonfonctionnement. Chaque communauté pratique ainsi un travailcollaboratif, c’est-à-dire que les membres de chaque communautémutualisent ses pratiques, savoirs, expériences… , coordonnentses actions et projets. Mais pour réussir ce travailcollaboratif, il est nécessaire d’avoir fixé des règles enquelque sorte avoir une « nétiquette » à respecter.L’intelligence collective naît ainsi de ce travail en commun.Il faut s’inspirer des principes de fonctionnement définis parElinor Ostrom pour gérer des biens communs22. Aujourd’hui, « toute organisation, qu’elle soit publique ou privée, familiale oumultinationale, pourrait, voire devrait fonctionner davantage en réseau pour restercompétitive dans son environnement »23. Ce travail collaboratif permetla virtualité, abolie les distances24 et surtout crée lesconditions pour optimiser les nouveaux modes de travail basés

21 McDermott, R. et Wenger, E., (2002), Cultivating communities of practice, A guide to managing knowledge, Harvard Business School Press22 Elinor Ostrom, Gouvernance des biens communs, Pour une nouvelle approche des ressourcesnaturelles, De Boec, 2010 (Edition française) - Eduardo S. Brondizio, Elinor Ostrom et Oran R. Young, Connectivité et gouvernance des systèmes socio-écologiques multiniveaux : le rôle du capital social, Revue Management et Avenir, N° 65, Décembre 201323 Emmanuelle Vaast, (2008), Travail en réseau et réalités hiérarchiques, Informations sociales, vol.3, n°147, pp.48-5724 Keith Harrison-Broninski, Human interactions, Meghan-Kiffer Press, 2005

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sur des logiques de projets25. Mais au-delà du « travailler ensemble» il faut que les organisations permettent à leurs salariés desavoir mieux « vivre ensemble ». Ces communautés doivent êtreaussi des lieux de convivialité, car ce vivre ensemble ne peutplus se construire sur des logiques strictement individuelles.Il faut développer les conditions de coopération qui ne peuventexister que par la confiance et la bienveillance réciproques.Ainsi, être soi-même implique de développer des comportementsd'interdépendance avec les autres26.C’est pourquoi la fRH doit maintenant s’emparer de cesquestions et jouer le rôle d’architecte du développement ducollaboratif dans l’entreprise. Dans tous les cas, l’objectifest de créer les conditions culturelles, managériales etorganisationnelles pour que l’entreprise développe et amélioreles dimensions relationnelles entre les salariés. La fRH doitêtre au cœur des démarches pour faire entrer une entreprisedans une culture collaborative et virtuelle : bilan, définitionet mise en place d’une architecture et d’un urbanismeinformationnels et communicationnels, outils de suivi,accompagnements, ateliers d’échanges de pratiques… Au cœur deces questionnements : la capacité des managers de proximité dedevenir des accompagnateurs, des facilitateurs et desrégulateurs. Ils ne doivent plus se limiter à être desgestionnaires de reporting. En effet, ce sont eux qui peuventet doivent impulser les nouvelles pratiques de travail générantdu collaboratif, du virtuel et… de la convivialité. Mais pourque les managers aient ce type de comportement ils doivent eux-mêmes être accompagnés, régulés aidés. C’est le rôle de la fRH,souvent par les RRH, qui sont dans la proximité du terrain.

La mise en place des nouveaux outils devrait générer comme pourla dématérialisation de l’information, des gains deproductivité considérables, par exemple, en optimisant tous lesdéplacements qui n’apportent pas de valeur ajoutée et sont

25 Yochai Benkler, La richesse des réseaux, Presses Universitaires de Lyon, 200626 François Flahault, Le paradoxe de Robinson. Capitalisme et société, Éditions Mille et une nuits, 2005

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générateurs de stress, de fatigue et de « temps morts ».L’utilisation de l’image (et non plus seulement de la voix)dans la relation interpersonnelle va accroitre la facilitécommunicationnelle car, comme le dit le proverbe, « une imagevaut mille mots ». Mais surtout, ces outils doivent générer denouvelles pratiques de travail basées sur la coopération et lacapacité à élaborer ensemble documents, tels les wiki. Chacunparticipe à l’œuvre collective. Tous ces outils  et applicatifs(Web.2.0, outils sociaux, outils collaboratifs…) permettentl’émergence de nouvelles pratiques en rupture avec la culture« individualiste » que la fRH a contribué fortement àdévelopper à partir des années 80. Il va falloir déployer denouvelles méthodes et outils RH qui ne contribuent plus àexacerber la performance individuelle mais au contraire àvaloriser l’apport et la contribution de chacun au collectif detravail et à la/aux communauté(s).

Permettre au manager de sortir du bricolage

La fRH doit créer les conditions pour que chaque acteur del’entreprise ait les grilles de compréhension des changementsen cours. Souvent ce n’est pas donner les clés mais d’organiserdes moments de recul pour réfléchir où on en est et où on va ouon pourrait aller. L’humain doit être au cœur dansl’utilisation des outils. La fRH doit aider les managers àréfléchir à leur organisation du travail, et, en premier lieu,leur donner des principes d’organisation pour gérer leurinformation. Une dimension essentielle concerne l’utilisationdes mails qui doit passer par un suivi des pratiques s’appuyantlà aussi sur des informations fournies par des outils. D’unefaçon générale, il est nécessaire de sortir d’un bricolage etd’initiatives individuelles laissées au bon vouloir de chacun.Ce ne sera qu’à ces conditions que ces technologies vontconstituer une valeur ajoutée car leurs usages doivent êtreréfléchis par les utilisateurs eux-mêmes et intégrer dans uneréflexion commune. Cela passe par la mise en place dans les

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entreprises d’une stratégie informationnelle,communicationnelle et relationnelle qui doit ensuite sedécliner concrètement par des actions régulières en premierlieu de régulation (ateliers d’échanges d’expériences et depratiques, création formelle ou informelles de communautés depratiques…). La question est de savoir qui doit l’impulser, lemettre en place et le suivre. La fonction RH a toute légitimitépour prendre en charge cette mission.

Nous pensons que la fRH doit se réinventer afin d’accompagnerles managers comme les salariés pour qu’ils développent descomportements différents dans une organisation transformée. LafRH doit avoir un rôle important à jouer dans le déploiement decette mutation numérique, sinon elle sera marginalisée à sestâches traditionnelles, mais n’était-ce pas déjà le cas dansles années 80 quand certains ont poussait l’administration duPersonnel à évoluer vers une Gestion des Ressources Humaines.Mais aujourd’hui, toute l’entreprise doit repenser non plusseulement son organisation mais la finalité de ses missions enremettant en question le contenu et le rôle de chacun de sesmétiers et de ses fonctions dont la fonction RessourcesHumaines. Sinon elle est en bonne voie de kodakisation.

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