Partite di calcio et transformations modernes sur la Vigna Barberini

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Manuel Royo Partite di calcio et transformations modernes sur la Vigna Barberini In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 102, N°1. 1990. pp. 433-441. Résumé Manuel Royo, «Partite di calcio» et transformations modernes sur la Vigna Barberini, p. 433-441. De nouveaux documents sur la topographie de la Vigna Barberini aux époques moderne et contemporaine entraînent le réexamen de certaines hypothèses développées dans l'article paru en 1986 (MEFRA, 98, 1986, p. 707-766) sur le même sujet. On tiendra compte désormais, dans la chronologie contemporaine du site, d'aménagements situés sur la terrasse, datant du début du siècle et liés à un patronage religieux, ainsi que de jardins ouvriers créés lors du second conflit mondial, à l'image de ceux qui, très vraisemblablement, existèrent entre 1915 et 1919. En outre, la confrontation des plus récentes données archéologiques du chantier D avec les représentations figurées confirme l'apport massif de remblais sur le rebord oriental de la terrasse dès le XVIIIe siècle. Elle permet enfin (v. au verso) d'appuyer les hypothèses sur le changement de parti architectural au centre de la façade est et sur les transformations hadrianéennes et sévèriennes à l'angle nord de celle-ci. Citer ce document / Cite this document : Royo Manuel. Partite di calcio et transformations modernes sur la Vigna Barberini. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 102, N°1. 1990. pp. 433-441. doi : 10.3406/mefr.1990.1674 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5102_1990_num_102_1_1674

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Manuel Royo

Partite di calcio et transformations modernes sur la VignaBarberiniIn: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 102, N°1. 1990. pp. 433-441.

RésuméManuel Royo, «Partite di calcio» et transformations modernes sur la Vigna Barberini, p. 433-441.

De nouveaux documents sur la topographie de la Vigna Barberini aux époques moderne et contemporaine entraînent leréexamen de certaines hypothèses développées dans l'article paru en 1986 (MEFRA, 98, 1986, p. 707-766) sur le même sujet.On tiendra compte désormais, dans la chronologie contemporaine du site, d'aménagements situés sur la terrasse, datant dudébut du siècle et liés à un patronage religieux, ainsi que de jardins ouvriers créés lors du second conflit mondial, à l'image deceux qui, très vraisemblablement, existèrent entre 1915 et 1919. En outre, la confrontation des plus récentes donnéesarchéologiques du chantier D avec les représentations figurées confirme l'apport massif de remblais sur le rebord oriental de laterrasse dès le XVIIIe siècle. Elle permet enfin(v. au verso) d'appuyer les hypothèses sur le changement de parti architectural au centre de la façade est et sur lestransformations hadrianéennes et sévèriennes à l'angle nord de celle-ci.

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Royo Manuel. Partite di calcio et transformations modernes sur la Vigna Barberini. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome.Antiquité T. 102, N°1. 1990. pp. 433-441.

doi : 10.3406/mefr.1990.1674

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5102_1990_num_102_1_1674

LE PALATIN

MANUEL ROYO

«PARTITE DI CALCIO» ET TRANSFORMATIONS

MODERNES SUR LA VIGNA BARBERINI

Malgré la relative pauvreté des informations concernant l'histoire de la Vigna Barberini aux époques moderne et contemporaine, quelques nouveaux éléments sont venus cependant s'ajouter à l'inventaire dressé en 1986 1. Sans directement répondre à la question alors soulevée de l'épaisseur exceptionnelle des remblais modernes, ces documents, au demeurant délicats à interpréter, permettent toutefois de corriger certaines conjectures sur l'usage de la terrasse au début du XXe siècle et de suivre un peu mieux l'évolution de la pente est depuis la fin du XVIIIe siècle en liaison avec certaines hypothèses développées lors de la fouille du secteur D.

La terrasse proprement dite

Dans un petit article de souvenirs paru en 1950 dans la Strenna dei Romanisti2, A. Tornassi évoque brièvement certaines figures de son adolescence, parmi lesquelles le critique littéraire Silvio D'Amico (1887-1955) et l'homme politique catholique Mario Cingolani (1883-1971), côtoyés dans un patronage religieux situé sur la Vigna Barberini3. Alors même que la terrasse est encore cultivée, ce patronage s'installe à la fin du siècle dernier4 sur une bande de terrain, sous-louée aux métayers, d'environ

1 M. Royo, Topographie ancienne et fouilles sur la Vigna Barberini (XIXe siècle- début XXe siècle), dans MEFRA, 98, 1986, p. 706-766.

2 A. Tomassi, L'Orto Barberini al Palatino, dans Strenna dei Romanisti, XI, 1950, p. 203-207. Je dois à Ph. Boutry et à É. Vial de m'avoir signalé ces références.

3 P. Petroni, 5. v. D'Amico (Silvio), dans Dizionario biografico degli Italiani, t. 32, Rome, 1986, p. 350-355; M. Franceschini, s.v. Cingolani (Mario), ibid., t. 25, Rome, 1981, p. 593-602.

4 A. Tomassi, op. cit. note 2, p. 206 : «Più che mezzo secolo è passato d'allora». Cf. aussi ACS, Ministero della Pubblica Istruzione, AABBA, I" Div., B. 919, fase. 57 (Memorandum de la Commissione Reale per la Zona Monumentale, l/VII/1909).

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2000 m2, comprise entre le mur mitoyen de S. Bonaventure et l'église S. Sébastien.

L'aire de jeu, dotée de balançoires, d'agrès et d'un terrain de football5, était séparée du reste de la terrasse par une clôture métallique et reliée à la via di San Bonaventura par la porte actuelle, percée pour l'occasion. Mais c'est, dans l'angle opposé, au pied du jardin de S. Bonaventure, que les remblais furent manifestement remaniés, à l'occasion de l'installation d'un théâtre de plein air que les jeunes gens réalisèrent en tirant parti d'un petit accident de terrain préexistant6.

On est évidemment tenté de rapprocher ces informations du plan daté de 1919-1 920 7 où la terrasse est divisée d'est en ouest en deux parties, avec du côté de S. Bonaventure, une «palestra» et de l'autre un «vivaio della Flora monumentale». Malheureusement pour nous, l'auteur de l'article ne précise pas quel fut le destin du patronage et se contente de signaler que le terrain, «per varii anni utilizzato per una colonia estiva, durante il recente periodo bellico diventò un orto di guerra»8.

Cette dernière remarque permet donc d'attester l'existence de jardins ouvriers sur la terrasse lors du second conflit mondial. En conséquence, l'attribution aux années 40 du plan de division en lots, publié en 1986, est désormais possible9. Cela n'exclut pas cependant une utilisation semblable au cours de la première guerre, déjà suggérée par une notice d'E. Tea10. Pour ce qui est du plan lui-même, il reste que la mention de lots situés à l'emplacement du podium du temple, alors que le tracé de celui- ci n'est pas reproduit, peut sembler curieuse sur un document qui serait postérieur aux fouilles de Bartoli (1931).

Au vu de ces différentes informations, encore fort imprécises il est vrai, la séquence d'occupation de la terrasse s'organiserait ainsi : autour de 1900, patronage et cultures, ouverture de l'actuelle porte donnant sur

5 Id., p. 203 : «accanite partite di calcio forse tra le prime giuocate a Roma». 6 Id., p. 204 : «la piccola elevazione fu regolarizzata con cura spianandola e si

stemandone i contorni a scarpata; nel centro della scarpata verso la platea fu aperto un vano per formare la buca del suggeritore. Rivedo (. . .) tutti i ragazzi lavorare egregiamente di pala e piccone».

7 M. Rovo, op. cit., note 1, p. 759, fig. 34. Voir aussi le cliché EFR VB 460 (archives de la Surintendance archéologique de Rome, pian 45 d).

8 A. Tomassi, op. cit. note 2, p. 207. 9 M. Royo, op. cit. note 1, p. 758, fig. 33 (cl. EFR VB 180, archives de la Surin

tendance archéologique de Rome, pian 39). 10 E. Tea, Giacomo Boni nella vita del suo tempo, t. 2, Milan, 1935.

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la via di San Bonaventura; 1916-1918, «orti di guerra»?; 1919-1930, «Colonia estiva» et peut-être «vivaio», cultures en tout cas; 1931-1938?, fouilles; 1940, «orti di guerra».

La pente donnant sur la via San Gregorio

Deux tableaux du XVIIIe siècle, l'un signé Hubert Robert (Nàrodni Galerie de Prague), l'autre seulement attribué à ce peintre (Musée des beaux-arts de Tours), ainsi que des photographies de la seconde moitié du XIXe siècle, dont une de la Collection Parker, sont venus grossir la documentation rassemblée depuis 1986.

Comparés aux œuvres de Panini représentant le même sujet - vue du Colisée et de l'Arc de Constantin11 - les représentations conservées à Prague et à Tours offrent quelques différences notables et apportent ainsi des indications supplémentaires.

Malgré des distorsions qui font paraître plus hauts qu'ils ne le sont en réalité les bâtiments situés sur la terrasse, on note la présence (fig. 1-2) sur le tableau de Tours12 des constructions modernes accrochées au centre de la façade, absentes chez l'artiste italien (fig. 3). On note aussi, par rapport à celui-ci, une rupture de pente plus nette, encore accentuée par l'importance des vestiges du premier plan qui, chez Panini, sont noyés dans la verdure. En particulier, un second mur parallèle (?) à la terrasse et situé en contrebas paraît se prolonger en direction de l'angle de celle- ci. L'écrasement des plans interdit de préciser si ce mur appartient aux constructions complètement dégagées au XIXe siècïe entre l'Arc de Constantin et la Vigna, ou s'il s'agit de celles qui servent de soutènement au jardin de S. Bonaventure sous la Vigna Stazio Cecchi u. De même, on voit mal -sauf interprétation de l'artiste- à quoi correspond le brusque dénivelé à l'angle méridional de la façade, alors que les songages faits en 1988 et 1989 dans le secteur D ont mis au jour14 les restes de pièces pavées de

11 M. Royo, op. cit. note 1, p. 728 note 71 et depuis Paesaggi, vedute e architetture del Grand Tour, Rome-Milan, 1988, p. 36 n° 15; Giovanni Volpato 1735-1803, Bas- sano del Grappa-Rome, 1988, p. 128, 130, 134 n°200 et 135 n°202.

12 B. Lossky, Peintres du XVIIIe siècle conservés au Musée des beaux-arts, Paris, 1962, n° 95. Je tiens à remercier Mmes S. Joint-Lambert et A. Gilet, conservateurs au Musée de Tours, pour toutes les facilités qu'elles m'ont apportées.

13 R. Lanciani, Forma Urbis Romae, Rome-Milan, 1893, pi. 29. 14 H. Broise et Y. Thébert, dans MEFRA, 101, 1989, p. 502.

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Fig. 1 - Hubert Robert, vue du Colisée et de l'Arc de Constantin. Tours, Musée des beaux-arts (Cl. Musée de Tours).

Fig. 2 - Hubert Robert, vue du Colisée et de l'Arc de Constantin (détail). Tours, Musée des beaux-arts (Cl. Musée de Tours).

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Fig. 3 - Gian Paolo Panini, vue du Colisée et de l'Arc de Constantin (détail). Naples, Museo nazionale (Cl. Surintendance archéologique de Rome).

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mosaïques, loin en avant du rebord actuel de la terrasse, sous une mince couche de remblais modernes.

Confrontées aux photographies modernes (fig. 5)15 ces différentes observations suggèrent cependant une régularisation de la pente entre le XVIIIe siècle et nos jours, avec vraisemblablement un apport de remblais dans la partie centrale et le remaniement des vestiges encore en place, ce que confirme partiellement, pour le XIXe siècle, une œuvre de J. Coignet aussi conservée au Musée des beaux-arts de Tours 16.

Enfin, on remarque une différence de couleurs entre le secteur cental des substructions et les ruines avoisinantes. Si celle-ci n'est pas due à un effet d'éclairage du tableau, elle pourrait traduire la présence de matériaux modernes dans une zone où des remaniements furent effectivement reconnus au début du XXe siècle17. Nous disposerions alors d'un élément supplémentaire en faveur de l'hypothèse, envisagée lors des fouilles de 1988, d'un changement de parti architectural à l'emplacement où s'élèveront les maisons dominant la pente. L'analyse des fondations dans le secteur D suggérerait en effet, au moment des aménagements sévèriens, l'interruption de la colonnade au milieu du flanc oriental de la terrasse pour laisser place à une autre installation18. On citera à l'appui de cette hypothèse la planche 29 de la Forma Urbis Romae de Lanciani ainsi que d'autres représentations, antérieures au XVIIIe siècle, où le centre de la façade est se distingue nettement du reste 19.

Le tableau conservé à Prague et la photographie de la Collection Parker (fig. 4-6) illustrent les deux principaux états modernes de l'angle nord (XVIIIe-milieu XIXe/milieu XIXe-début XXe siècle), avant les reprises et les restaurations des années 197020. La représentation par H. Robert des deux étages d'arcs correspondant au système de fondations ponctuelles ne doit pas nous étonner. Signalée par les topographes dès le XVIIIe siècle, cette particularité est alors mal interprétée21. En revanche, nous

15 M. Royo, op. cit. note 1, p. 745, fig. 22. 16 L'Arc de Constantin 1843; Les peintres et l'architecture antique, XVe-XXe siè

cles, éd. par A. Gilet, S. Joint-Lambert et Y. Moreau, Tours, 1984, p. 55, n°26. 17 Cl. EFR VB 491 (Archives de la Surintendance archéologique de Rome, plan

44). 18 H. Broise et Y. Thébert, dans MEFRA, 100, 1988, p. 518. 19 Par exemple Ligorio, 1561 (A. Frutaz, Le piante di Roma, Rome, 1962, XVII,

5, 31). 20 Archives de la Surintendance archéologique de Rome, clichés n° 1323-1340. 21 G. Β. De Rossi, Note di ruderi e monumenti antichi prese da G. B. Nolli nel

delineare la pianta di Roma, conservata nell'Archivio Vaticano, dans Studi e docu-

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Fig. 4 - Hubert Robert, vue du Palatin et de l'Arc de Constantin. Prague Nàrodni Galerie (Cl. Musée de Tours).

Fig. 5 - État de la pente donnant sur la via S. Gregorio après la destruction des maisons (angle supérieur droit) et travaux de nivellement (en bas à droite). Photo

après 1910 (cl. ICCD, E 3981).

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Fig. 6 - Parker, état de l'angle nord de la terrasse en 1872. Rome, fonds Parker, DAIR (Cl. DAIR, PK 1219).

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avons pour la première fois depuis le XVIe siècle22 une vue détaillée de l'angle nord et des constructions qui seront détruites dans la seconde moitié du XIXe siècle (fig. 6)23. Par rapport à la situation actuelle, le décrochement qu'on observe entre le sommet des substructions et ces constructions présente des ruptures qui s'accorderaient avec l'hypothèse d'une phase de régularisation de la terrasse après les transformations hadrianéennes de la façade nord24. En particulier, la trace d'arc située à l'angle nord pourrait être en fait le reste d'une des salles voûtées dont on attribue, à la suite de l'étude récente de cette zone, la construction à cet empereur et qui furent détruites par l'installation d'une façade plus tardive (sévèrienne?), réalisée en grand appareil25.

Même si elle est encore susceptible d'évoluer dans le détail, l'image de la terrasse aux époques moderne et contemporaine ne devrait pas connaître de grands changements. En revanche, il sera intéressant de suivre les confirmations archéologiques des hypothèses que suscitent, ou que rencontrent, ces représentations.

Manuel Royo

menti di storia e diritto, 1884, p. 145 sq.; H. Broise et Y. Thébert, dans MEFRA, 99, 1987, p. 492.

22 Dessin de Dosio dans A. Bartoli, Cento vedute di Roma antica, Florence, 1911, tav. XV.

23 M. Royo, op. cit., note 14. 24 H. Broise et H. Thébert, op. cit., note 14, p. 506. 25 Une confirmation de ces hypothèses est encore apportée par deux clichés de

la collection Ashby, datés de 1904 et très récemment publiés {Archeologia a Roma nelle fotografie di Thomas Ashby, 1891-1930, British School of Rome e ICCD, Naples, 1989, p. 116 sq., fig. 41 - 1 et 2).