Livres d’emblèmes ou bestiaires modernes? Les traités animaliers d’Andrés Ferrer de...

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Wolfgang Harms/Dietmar Pei I (Hrsg.) Unter Mitarbeit von Michael Waltenberger der Emblemat¡k Multivalence and M u ltifunctional ity of the Emblem Akten des 5. lnternationalen Kongresses der Societyfor Emblem Studies Proceedings of the Sth lnternational Conference of the Society for Emblem Studies Sonderdruck Offprint PETER LANG Europáischer Verlag der Wissenschaften Polyvalenz und M ultifunktional¡tát 2002 ó .=12 --l:

Transcript of Livres d’emblèmes ou bestiaires modernes? Les traités animaliers d’Andrés Ferrer de...

Wolfgang Harms/Dietmar Pei I

(Hrsg.)Unter Mitarbeit von

Michael Waltenberger

der Emblemat¡kMultivalence and M u ltifunctional ity

of the EmblemAkten des 5. lnternationalen Kongresses

der Societyfor Emblem Studies

Proceedings of the Sth lnternational Conferenceof the Society for Emblem Studies

SonderdruckOffprint

PETER LANGEuropáischer Verlag der Wissenschaften

Polyvalenz und M ultifunktional¡tát

2002

ó.=12

--l:

JoséJulio García Aranz (Cáceres)

Livres d'emblémes ou bestiaires modemes?'

Les traités animaliers d'Andrés Ferrer de Valdecebro et de Francisco Marcuello

Au cours du XVIIe siécle, une série d'euvres illustrées aux caractéristiques com-

munes est apparue en Espagpe. Il s'agit de la Primera paru fu la bistoria naturallt

moral dt la.s aues, ouvrage écrit par le chanoine Francisco Marcuello,' et d'autres

volumes plus populaires dl Goaiemo general, noraly político d'Andrés Ferrer de

Valdecebro, lui aussi ecclésiastique.r Traditionnellement, on avait inclus ces trai-

Traduction frangaise de Margarita Sánchez et Isabelle Mo¡eels.Francisco Marcuello, Primera partt dt l¿ historia naturall noral de las aves limprrné par Juande Lanaja y Qrartanet]. Saragose 1617 (Madrid, Biblioteca Nacional: R-r¡.¡98). Marcuelloest né á Daroca (Saragosse) en 1572. Il a fait ses études de jurisprudence á l'Universitéd'Huesca. A l'áge de z6 ans, il devient le chanoine de l'Iglesia Colegial de Santa María de

los Sagrados Corporales de sa localité natale. Qrelques années avant l'édition de la bimeraPaxe avait parule Libro, jt taado de hs animabs tetestres, jt aoütiles" con la historiay proprieda-

dts d¿llo¡ (Valencia 1613) du naturaliste Gerónimo Cortés. Ce traité, illustré de plusieurs gra-vures en bois récupérées - beaucoup d'entre elles provenant de livres de fables - reprendseulement diverses propriétés, des vertus médicinales et des récits relatifs A une série

d'animaux, d'origines diverses, sans laisser de place au message s,ymbolique, didactique oumoral, Il ne posséde, pour cette raison, aucun lien avec la littérature symbolique ou em-

blématique.Andrés Ferrer de Valdecebro, Gwicmo genaal morall poütfuo, hallada n hrto l aninabssilaestres. Saudo de sils ndtual¿s propiedad.es,I virhtdes limpt'rrr,é par Diego Díaz de la Car-reral. Madrid 16¡8 (Madrid, Biblioteca Nacionai: usoz 649); id., Gwierno gmeral, moral,lpolítico, Hallado en las aaes mas genaosas,y nobbs. Sacado d¿ sus nanrabs ztirtudzsl pmpiedades

[premiére éd, Madrid 1668; imprimé par Diego Díaz de la Carrera]. Madrid 1683 (Cáceres,

collection particuliére). Fer¡er de Valdecebro, originaire d Albanacln (Ieruel), a été un écri-

vain prolifique. Il a voyage i Madrid et lá, il a pris l'habit de l'Orrdre des Précheurs au cou-vent de Saint Thomas, oü il a fait sa profession religieuse et obtenu le grade de Maltre enThéologie Sacrée. En 16¡o, il passe en Nueva España oü il va enseigner la Théologie au Co-legio Real de San Luis de la Puebla de los Angeles, dont il devait devenir le recteur. A sonretour en Espagrre, de ú62 á 1664, rl a occupé la chaire de Théologie Morale á Alcalá de

Henares, oü il a réussi á atteindre Ia digrrité de Qralificateur du Conseil de la Supréme [n-quisition. Il est mort en 168o, laissant une vaste auvre écrite.

270 JoslJuüo Garcla Ananz

tés dans la liste des liwes d'emblémes hispaniques:a en effet, la présence d'une

image gravée et l'explication de ses contenus signifiants suggérent une telle classi-

fication. Pourtant, la critique plus récente prétend extraire ces cuvres du corpus

de littérature emblématique .orthodoxe,' pour les situer parmi les cuvres pseu-

doemblématiques ou miscellanées: ainsi, par exemple, Pedro Campa les cata-

logue comme obestiaries of emblematic relevancer.6

Dans la présente communication, nous analyserons ces traités espagnols dans

le contexte de la littérature animaliére contemporaine pour essayer d'éluciderjusqu'á quel point ils peuvent étre considérés con¡me des livres d'emblémes, ou

plutót comme un produit différent, fruit d'une synthése élaborée de modes et de

traditions littéraires médiévales et modemes. Une fois la problématique présen-

tée, nous passerons á son étude formelle et structurelle et ) I'examen de ses

contenus, pour pouvoir ainsi présenter nos conclusions.

Le contexte culturel

Il est bien connu que la culture symbolique modeme, étant donné que nous

approchons du XVIIe siécle, allie sa finalité humaniste et pédagogique i la forte

réapparition d'un naturalisme moral médiéval au sens chrétien trés marqué. Ce

courant culturel auquel le Concile de Trente a contribué par le recoun i des

Les tr¿ités de Valdecebro sont cités chezPraz 1964,p.y1.Letaíté de Marcuello est ajoutépar Karl. L. Selig, .Addenda to Praz, Bibliography of Emblem Books,. Dans: Mod¿m Lan-guage Noles 70 (rgtj), p. 6oo, no. z. Les objections de Selig apparaissent significativesquand il indique que, si les travaux de Valdeceb¡o peuvent étre classés comme littératureemblémauque, on doit aussi tenir compte des livres de Marcuello et de Gerónimo Cortés

également cité. Il est curieux de constater que l'un des neveux de Frére André, dans unelouange de la littératu¡e symbolique et emblématique de son époque, est parvenu i inter-caler le nom de son oncle parmi ceux d'Alciato, Giovio, Saavedra Fajardo et SolózanoPereira cornme emblémiste éminent pour étre le ,.primero que ha escrito empressas vivas,(note manuscrite intercalée dans un exemplaire de Andrés Ferrer de Valdecebro, El Tenpla

dt la Fama con instrucciones poüticas2 morabs.Madid 168o, p. rzQ.En fait, les études á ca¡actére global qui sont etr train de se développer sur la littératureemblématique hispanique - comme le projet nommé "Base de datos y edición digitalizadade las obras de Emblemática Hispánica ilustradas bajo Inteme» dont la coordinaüice est le

professeur Sagrario LópezPoza de l'Unive¡sité de La Corogne - ne comprennent pas ces

traités parce qu'ils ne s'adaptent pas, á cause de leur grande complexité, au schéma

d'analyse qu'on peut appüquer au reste des livres d'emblémes. Nous profitons de I'occasionpour remercier le professeur Ióp ezPoza des démarches réalisées, par le biais du p§et men-tionné, pour rendre possible notre pÉsence ) ce symposium.Pedro F. Campa, Emblttnata Hispanica. An Annotated Bibliogrdplü of Spani:h Emblan Litcra-tare to the Year r7a. Durham - Iondres ry9o,p, 196.

Liwes d'embllmes ou bestiaires modcrnes? 271

énoncés didactiques médiévaux, pour poser les fondements et répandre les dog-

mes de la foi catholique, propose un comportement moral exemplaire, qui n'estpas seulement mis en relief dans l'embléme baroque. Il apparait aussi, en consé-

quence, une littérature animaliére variée á caractére moralisateur ou doctrinal trés

accusé, générée par l'Église, qui commence á se manifester particuliérement á

partir de la fin du XVIe siécle.

Le précédent médiéval le plus remarquable des textes que nous analysons, ce

sont sans doute les bestiaires. Gráce i la réactivation baroque du naturalisme

moralisateur déjá commentée, I'intérét pour ces textes n'a pas disparu avec le

Moyen Age, mais il a continué avec la méme vigueur pendant le X/Ie et leXVIIe siécles. Il est vrai que l'évolution des sciences biologiques s'était orientée, á

partir du XIIe siécle, dés le commentaire érudit des auteurs classiques, vers lascience expérimentale basée sur l'observation directe de la nature. Ce processus a

fait perdre leur crédit aux écrits comme le Plrysiolagts ou les bestiaires, inspirés

d'un esprit fantastique trés peu vraisemblable. Mais quelques cuvres comportantces caractéristiques vont réussir á survivre gráce á l'existence de ces cadres déter-minés, favorables i leur acceptation á láge Modeme:

r. Le cadre religieux. La littérature sacrée de la période modeme hérite la

vision symbolique de la Nature, laquelle pendant le Moyen Age possédait le

caractére ambivalent de liber á travers lequel Dieu nous montre son pouvoir et sa

gloire, et de specwlum oü les hommes peuvent contempler, recréés en récits ani-maliers, leurs vices et leurs vertus. Gráce aux préceptes qui émanent du Concilede Trente, le XVIe siécle et particuliérement le XVIIe recueillent le naturalismetranscendant et moralisateur qui est á la base d'une grande partie de la littératuremediévale en tant qu'instrument pour poser les fondements et répandre les

dogmes de la Foi. L'emploi des animaux coÍrme exemples pour la diffirsion des

modéles moraux ou la réaffirmation des principes doctrinaux se généralise. De ce

fait, mais pas uniquement, apparaissent une infinité de livres sur la nature mora-lisée des créatures et de plus, on réédite la majorité de la littérature allégoriquemédiévale, en accord total avec les énoncés nouveaux. Il n'est dés lors pas bizarrequ'il se diffirse un texte cornme le Plrysiologus qui a été, par ailleurs, attribué suc-

cessivement á la plume d'importantes autorités du christianisme primitif et quicompte plusieurs versions d'écrivains chrétiens postérieurs. Ses contenus sont, de

plus, reproduits et ratifiés par les auteurs des traités sacrés les plus remarquables.Les affirmations dt Plrysiologus sont considérées, dans leur totaiité, aussi dignes

de crédit que celles de n'importe quel passage patrologique.

z. Le cadre humaniste. Les cercles néoplatoniciens de l'humanisme italienmontrent un goüt marqué pour l'archéologie et les hiéroglyphes anciens - intérét

272 JoséJulin Gmcíaáranz

qui augmenta considérablement avec la .découverte' de la Hierogbphica de

Horapollo -, qu'ils interprétaient comme un syst¿me de représentation d'images

hermétiques, accessibles aux seuls initiés, pour préserver les vérités sacrées pré-

chrétiennes. Il faut rappeler que le goüt de I'hermétisme a transcendé les domai-

nes de l'art et de la littérature et qu'il a favorisé la genése et la diffi.rsion d'une

série de traités á caract¿re symbolique intimement liés entre eux, á laquelle ap-

partiennent de nouveaux corPus de hiéroglyphes, des répertoires de symboles ou

d'allégories, des liwes d'emblémes et des irnprese. Dans ce (conglomérat, litté-

raire, les animaux, qui avaient déjá joué un róle évident dans les vieux hiérogly-

phes, vont étre trés présents. Ce sera précisément dans ce domaine animalier que

vont se rejoindre la tradition hermétique de l'Antiquité et les allégories médiéva-

les: les symboles zoologiques Provenant directement du paganisme se fondent

avec les interpréations morales des Péres de l'Eglise et avec les bestiaires, et vontformer un mélange oü il sera difficile de discemer les uns des autres. Ainsi, les

hiéroglyphes vont finir par acquérir également un caractére didactico-moral et se

transformer en instrument de propagation de la doctrine ecclésiastique ou poliü-que'

Il s'agir, en fait, de deux visions srrmboliques de la réalité - hiéroglyphes de

Horapollo et allégories du Plrysiologas -, qui sont nées d'un méme milieu cultu-

rel, qui proviennent des mémes sources et qui possédent des traits en commun -on peut dire qu'il existe un certain fond moral dans quelques-uns des symboles

égyptiens de Horapollo. Ils sont arrivés iusqu'au XVIe siécle par des voies dift-rentes et ils ont de nouveau converge gráce au caractére agglutinant de la littéra-ture emblématique et sYmbolique.

Ces facteurs justifient, d'aprés nous, les rééditions connues á ce moment-lá duPlrysiologas. En r49r, on publie á Cologpe la version de l'euvre attribuée á

l'abbé Theobaldus.T Mais une autre traduction a eu beaucoup plus d'influence:

celle faite en latin, par le théologien et humaniste espagnol Gonzalo Ponce de

León, de Ia version grecque atüibuée á Epiphanius, publiée á Rome en ry87comme édition bilingue avec des commentaires et des gravures. Cette veniondevint tellement populaire qu'elle fut republiée i Anvers avec des gravures de

meilleure qualité, i peine un an plus tard, et á Rome, en 16or.8 De son cóté, lejésuite Nicolas Caussin introduit, dans son El¿ctorum ymbolorum »ntagmata,vneautre traduction latine commentée dtt Plrysiologus d'Epiphanius, imprimée con-

7 Na¡ sfood Rendell, Plrysiolagus. A Maiml Batiary of Twelue Cbaptcrs fu Bishop Tbeobald,

^ p inttd in Cologne, r 49 z. Londres 1928, p. XWII.o Sarrtiago Sebastián López, El Fisülogo atribtilo a san Eplfanin.Madnd 1986, p. XV

Lh¡res d'enbllmes oa bestiaires nodemes? 273

jointement, de maniére curieuse, avec les Hierogfopbicae de Horapollo et quelques

euvres de Clemens Alexandrinus, et éditée pour la premiére fois i Paris en ¡618.

Cette confluence de traditions a eu sa projection dans le domaine hispanique,

oü il faut tenir compte d'autres facteurs qui ont encore plus favorisé la proliféra-

tion de cette littérature animaliére moralisante. Face aux progrés qui ont eu lieu

au XVIIe siécle dans le domaine des sciences naturelles et surtout dans les pays

dont la religion a connu la Réforme - Angleterre, Danemark, Pays-Bas -,puisqu'il y avait ll un climat plus favorable pour la recherche et la stimulation

des spécialistes, l'Espagne est restée á l'écart des forums européens du savoir

scientifique, malgré le róle imporant qu'elle a joué pour l'introduction de lanature américaine dans la science occident¿le. Toute une série d'obstacles au

cours du XVIe siécle ont été la cause de cet isolement et ont désarticulé son in-sertion dans la société. Ainsi, la Révolution Scientifique a été assimilée avec

retard, ) travers un processus lent et pénible d'acculturation. A la base méme de

cette situation, on trouve en Espag¡re une crise économique, sociale et politiquegénéralisée, qui s'est produite spécialement t6t et de maniére intense et qui a

conduit á une inévitable régression i tous les niveaux.

Mais on doit tenir compte aussi de l'incidence d'une ,réaction archaisanter,

caractérisée par la répression et la manipulation des consciences de la part des

groupes dirigeants. La préservation de I'ordre traditionnel, nécessaire pour la

conservation des intéréts des groupes de pouvoir, a impliqué l'immobilisation de

tous les domaines dans lesquels les découvertes pouvaient supposer une menace

désabilisante. La répression de la culture des sciences, pour des motifs politi-ques, sociaux ou religieux depuis le XVIe siécle, a été, au XVIIe, d'une intolé-rance plus grande encore, se dressant contre la culture de la science de maniére

directe et explicite. Témoins de cette activité, les index inquisitoriaux de liwesinterdits et expurges. A cela s'est ajoutée une résistance sociale ) tout §pe d'in-novations et I'enistence d'institutions ankylosées et fermées aux contributions dureste de l'Europe, ,refuge presqu'inexpugnable, des doctrines traditionnelles.

Cette situation a été, sans doute, l'une des raisons pour lesquelles l'approchede l'histoire naturelle de l'Espagne est, sauf rares exceptions, réduite: (r) á latraduction et i des notes érudites de l'héritage biologique de l'Antiquité avec unapparat critique encore trés réduit; (z) i des euvres miscellanées parmi lesquel-

les, outre d'autres récits et des merveilles I caractére pseudoscientifique,

s'intégrent de prodigieuses propriétés de plantes, d'animaux et de minéraux - ces

tortes doivent étre mis en relation ayec un goüt pour I'extraordinaire et ce qui est

nommé .magie naturelle> qu .philosophie occulte,, prolongation des ,livres de

secrets) médiévaux, qui, méme si ceux-ci avaient été écartés par l'avancement de

274 José Jttlio O arcla Ananz

la Révolution Scientifique, compte encore des traités de grand succ¿s tout au

long du siécle;e ou fu) á l'emploi de la vision transcendante et moralisée du

monde naturel, basée sur des énoncés didactiques et doctrinaux médiévaux,

domaine oü il faut placer les livres d'emblémes.

Les contenus ou la finalité de ces euvres cotncident parfois avec ceux em-

ployés dans les emblémes animaliers hispaniques: c'est le cas de diftrents textes

depuis la Primera Parte dr Ia Introduaión d¿l Símbolo de la Fe de Fray Luis de

Granada,'" inspirée des modéles et du contenu des anciens Hexannerones

d'Ambrosius ou Basilius, jusqu'aux traités particuliers du jésuite Juan Eusebio

Nieremberg" en passant par des livres de fables illustrées" ou des répertoires

moralisateurs d'animaux comme cer¡x de Marcuello ou Valdecebro, que l'on va

analyser plus en profondeur ci-dessous.

Analyse formelle et structurelle des euwes

Si l'on observe bien ces textes, on constate que, dans le cas de l'cuwe de Mar-

cuello, aprés la grayure d'en-téte, il y a la description en prose de diverses pro-

priétés de chaque oiseau á partir de textes anciens, de l'exégése chrétienne, de la

littérature animaliére médievale et des corpus symboliques contemporains, sur-

tout Horapollo ou Pierio Valeriano; ensuite, sous l'épigraphe "Moralidad,,l'auteur applique á toutes ou une partie de ces propriétés une allégorie moralisa-

trice fondée sur la doctrine chrétienne. Valdecebro répéte aussi le méme schéma

dans tous les livres qui composent ses deux ceuvres: aprés une introduction sur

les traits et les propriétés naturelles les plus caractéristiques de l'animal corres-

pondant, il propose une série de significations symboliques de différents caracté-

res extraites de ces observations initiales. Par exemple, l'aigle va étre l'image de

uProsperidadr, olngeniou, "Noblezar, ,,Alabanzar, <juventud», 9u «(syng», tandis

e Cela correspond, d'une certaine maniére, I une espéce de phénoméne kitscb tel que Mara-vall l'a défini pour la période baroque: nUna cultura vulgar, caracter2ada por el estableci-miento de tipos, con repetición estandarizada de géneros, presentando una tendencia alconservadu¡ismo social y respondiendo a un consumo manipuiado, (osé Antonio Mara-vall, La cultura tlelBaroco, Barcelone r99o, p. r84).

'o FrayLuis deGranada,hincrapartedelalntroducciond¿lSínboladelaFe-Salamanque r¡83." Spécialement son cuvre Caios4y oculnfitosofi4 prbncral segunda paxe de las Maraoillas de

la Natural¿za, examinadas en oariar questiones ndturala. Alcalá de Henares 1649.

" Voyez les euvres de Francisco Garatt, El sabio instruido d¿ la naturabza en qilarorta mátimaspolltirzs,l morabs.Madid ú77; id., El Olinpo del sabio instnrido de la naturabzay segunila

parte de las máxina"s políticasy morabs.3 vols. Barcelone 168r; id., Trcera parte del sabio in¡-uaido d¿ la naturaltz4 con e{uenos d¿ la aerdad m el tüunal d¡ la razut Barcelone r7oo.

Livra d'cmbllmes ou bestiaircs modcrncs?

que le hibou, de uTristezar, ou ,.Aborrecimiento".'l Ensuite, il énumére une série

de hiéroglyphes ou des devises relatifs á chacune de ces significations, qu'il do-

cumente avec diverses citaúons et qui termine avec le hiéroglphe oü I'on fait

réftrence á I'animal qui donne son nom au liwe; parfois, il ajoute une ndigres-

sion, ou une réflexion sur le sujet en question ou, réutilisant diverses gloses et

des exempla patrologiques, bibliques ou historiques, il en profite pour lancer des

avertissements moralisateurs.

Les diftrences entre ces schémas et un livre d'emblémes conventionnel se re-

pérent avec plus de facilité si on les comPare avec le traité le plus important

d'emblémes animaliers: les Sjtmbola et Embbmata du médecin et naturaliste alle-

mandJoachim Camerarius.'a Il compte 4oo emblémes distribués en centuiae,la

premiére consacrée aux arbres et aux plantes, la deuxiéme aux animaux quadru-

pédes, la troisiéme aux animaux volants (oiseaux et insectes), et la demiére aux

animáux aquatiques et aux reptiles.

La premiére diftrence s'obserye darslapicturaou I'image. Dans les emblémes

animaliers de Camerarius, la sigrrification s'extrait á partir de trois variables gra-

phiques: (r) des actions que réalisent les animaux protagonistes, (z) des animaux,

plantes, personnages ou objets auxquels ils s'associent, en compositions visuelles

aussi bien narratives que hiéroglyphiques, fu) de l'une des propriétés ou qualités

des animaux non démontrables par les actions ou associations. Dans ce demier

cas, l'image emblématique constitue en général une simple représentation de

I'animal en question en position statique et vision latérale. Cette attitude est, de

plus, habituelle dans les picturaz des imprese, caractérisées normalement par l'éco-

nomie d'éléments visuels. Les animaux de Marcuello et ceux de Valdecebro"

répondent pour la plupart au demier type: ils se limitent á reproduire sans plus

l'image de I'animal sans développer des attitudes á caractére emblématique (figs.

r-j). Les seules exceptions sont le cas de la cigogpe avec un serpent dans le bec

(fiS. +), le phénix sur les flammes, le pélican qui offre son sang aux petits (fiS. l)

" Valdecebro 1683 (note j), p. t et suiv., p. z5j et suiv.

'4 Camerarius t59o-r596, cent. I-ilI." En réalité, ce que Valdecebro prétend faire dans ses livres, c'est faire «cuelPo de empressas

vivas las más generosas, y silvestres fieras, desentrañándoles los naturales, ajustando sus

propiedades, y virtudes para confusion, y enseñanga de todo linage de hombres [...],. (Val-

decebro 1658 [note 3], A quien leyere). Cependant Valdecebro ne se ¡éf]¡e pas, bien sür, á

la devise telle qu'elle est consue au XVIe siécle - proclamation publique et synthétique

d'un programme personnel chevaleresque, ou instrument intellectuel qui représentent, de

maniére métaphorique ou ingénieuse, des concepts intemes des académiciens -, mais il se

référe i la devise conceptiste baroque, porteuse de contenus moraux de validité universelle,

et plus proche, dans sa finalité, donc, de l'embléme.

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278 JoséJulio García Ananz

et la grue qui a une pierre dans la patte levée (fig. Q.'6 Cette circonstance se yoitméme mise en relief par le fait que le graveur des ceuvres de Valdecebro, Diegode Obregón, reproduit littéralement des images animaliéres de I'artiste italienAntonio Tempesta, c'est-ádire qu'elles n'ont pas été créées pour l'euvre citée.'7

Dans le traité omithologique de Marcuello, les cent gravtues - d'un schéma-

tisme qui permet á peine de distinguer les oiseaux les uns des autres - sont sim-plement illustratives, sauf quelques-unes d'entre elles: c'est le cas de la cigogne

qui emporte un serpent au nid, la tourterelle et .l'oiseau solitaire' qui sont isolés

sur une branche d'un arbre ou sur des rochers, la manucodiara qui vole sans pou-

voir se poser, les oiseaux caristias ou le phénix situés sur les flammes (fig.7),'8 lagrue avec une pierre dans la patte levée, ou le pélican qui se saig¡re pour alimen-ter ses petits.

En conclusion, les images des auteurs espagnols ne sont pas fondamentales

pour Ia compréhension du signifié symbolique: elles ne sont pas picturru emblé-

matiques, mais de simples illustrations, dont on peut se passer, destinées seule-

ment ) rendre les euvres plus attirantes.

Un second facteur de divergence est l'absence de l¿mma ov ntotto, élément quiest considéré essentiel dans tout embléme ou impresa congu d'une fagon stricte.

On ne trouve donc pas cette courte sentence qui permet d'établir un rapporténigmatique avec l'image qui doit ensuite étre éclairci dans l'epigramma de

I'embléme ou la subscriptio de la impresa. Dans ce sens, les euvres sont liées á

d'autres traités animaliers précédents ou contemporains, parmi lesquels le Second

livre dt la dacription dts animaux de Guillaume Gueroult,'e qui est sans doute lepremier livre i caractére emblématique consacré exclusivement aux animaux

volants. Cette euwe contient une cinquantaine d'oiseaux, ainsi que plusieuninsectes et un embléme dont le protagoniste est une chauve-souris. Méme si

'6 V¿ldecebro 1683 (note r), p. ro9, r78, r99 et zo4.'7 Nicolaus Reusner, par exemple, a intégralement consacré le deuxiéme livre de so¡ Enblona-

ra (Francfort*ur-le-Main l58l) aux animaux, avec un toAl de 39 emblémes. I.es pictarac deReusner soflt des gravures récupérées d'euvres antérieures. Plusieun d'entre elles provien-nent de Jost Amman / Hans Bocksperger, Thierbuch, Sehr fuinstliche und lVolgerisme Figurmaon allnlq Thiercn. Francfort/M. t579.Il s'agit d'une excellente collection de gravures ani-maliéres deJost Amman, accompagpées de strophes poétiques de Bocksperger relatives auxpropriétés naturelles de chaque béte. Le résult¿t formel est similaire á l'embléme, bien queles images manquent, dans leur majorité, de caractére emblématique, et les vers ne possé-

dent pas d'intention didactique. D'autres gravures animaliéres de l'euwe de Reusner mon-

.. trent le monogramme du graveur Virgil Solis le vieux.'" Marcuello úry(notez),fol. 168'.

'e Guillaume Gueroult, Suond liwe de la desription dts animaw eontenant l¿ blason dts gtsea.ux.

Lyon r1¡o.

Liores d'enblbnes oa bestiaires modcmes?

d'habitude on l'inclut dans les répertoires des livres d'emblémes, il n'a pas nonplus une structure orthodoxe d'un point de vue emblématique: f image gravée de

chaque animal est accompagnée d'une épigramme, oü on trouve ses aspects

symboliques et allégoriques; mais il manque les devises, etles picturm sont sim-

plement expositives, sauf aussi des cas trés concrets.'" Ce sont des caractéristi-

ques trés similaires que présente le liwe du jésuite frangais Alard le Roy intituléLa Verta mseignée par lzs O'iseaux," ensemble de sermons élaborés á partir de treize

emblémes d'oiseaux d'aspect similaire aux livres de Valdecebro . Les picturae sont

des gravures de aille moyenne, avec seulement des portraits d'animaux sans leur

lonma."'

Pourtant, il faut faire une exception quant aux deux livres de Valdecebro, e:r-

ception qui constitue en fait le facteur principal pour les qualifier de .livres

d'emblémes,. Méme si l'image qui est au début n'a pas de motto, i l'intérieur il ya la description de diverses images emblématiques avec leurs devises cores-

pondantes, la plupart animaliéres, en relation avec les contenus symboliques qui

sont commentés tout au long du texte. Par exemple, pour parler de la hyéne, le

théologien établit qu'elle a été considérée chez les anciens comme symbole de la

Discorde, bien que d'autres hiéroglyphes y fussent aussi associés:

Lo eran un Lobo, y una Oveja, y ésta fletra] Dissimiles, Por la natu¡al antyPatla en que

discordan los naturales, sencillo el uno, rapaz el oüo, Un vaso de fuego, debaxo de otrode agua; y ésta Contraria a nan¡ra. Un pescador de anguilas enturbiando el agua; y ésta,

AtuÁido captum, De aquí la Castellana ganancia de pescadores el río rebuelto."

Q*t aux déclarations des images, les trois livres hispaniques présentent des

textes en prose qui n'ont pas d'épigramme initiale, ce qui les diftrencie définiti-vement de l'embléme tripltx. De la méme fagon, il existe tout au long du com-mentaire une compartimentation inteme explicite, ayec ses épigraphes respecti-

ves, qui n'est pas habituelle dans la décla¡ation des livres d'emblémes ou dans la

subsriptio des imprese. Cela ne veut pas dire que les déclarations des emblémes,canoniques, ne sont pas développées dans plusieurs parties. Chacun des com-

mentaires de Camerarius, par exemple, s'organise de la méme fagon: aprés la

gravure, le bruma et un Eigramrna trés bref ensuite un texte en prose trés court,

'o Le phénix sur les flammes, la cigogne avec un serpent, le pélican qui donne son sang imanger aux petits, le héron avec un poisson dans le bec, ou l'autruche avec un fer ) cheval

au pied (Gueroult r¡¡o [note r9], p. r,4, 9, r8 et 3¡)." Alard le Roy, ln Verta cnseignée par bs Oiseaux. L1ége ú 47."' Praz r964p. r95, mentionne aussi un traité du pére jésuite Maximilianus Sandaeus intitulé

Aoiaiun rnarianam, avec des emblémes et des concepts dérives des oiseaux. Il ne donnepas plus de données sur cette euvre que nous n'avons pas pu examiner.

'J Valdecebro 16¡8 (note 3). p. r8r.

28o JoséJuüo GarclaAnanz

oü, aprés une énumération des sources littéraires principales du motif de la pic-

tura, il expose sa sig¡ification morale d'une maniére claire et concise. Il est cou-rant qu'ensuite on trouve une série de citations d'origines diverses qui sont lapreuve de la validité de cette réflexion moralisante. Mais tout cela posséde uncaractére linéaire et unitaire qui tourne toujours autour du concept proposé parla combinaison pictara - lnma - Eigramma.

Pourtant, dans les traités espagnols, la compartimentation tend á la diversifica-tion et non á faire converger les contenus vers un seul théme conducteur. Dansle traité de Marcuello, les deux parties sig¡ralées sont développées: aussi bienl'énumération ininterrompue des propriétés ou caractéristiques les plus connuesde l'animal en question que la série de connotations symboliques et morales que

le chanoine extrait ensuite de chacune des propriétés précédentes en élargissant

et diluant l'information. Voyons un exemple á propos de l'oiseau estrigia (fu. 8),

La Estrigia dize san Isidoro que es ave noctuma, que tomó el nombre de la Voz, porqueparece que rechina con ella [...]

Moralidad.

Ave noctuma es el pecador, que como la Estrigia anda de noche en las tinieblas del pe-cado, porque el que ama el pecado abor¡ece la luz. Y como esta ave rechina en lugar decanto; assí el pecador después de aver offendido a Dios no le queda sino asombro, y te-mot y smo se enmrenda, yrá donde hallaú rechinar, y cruxir de dientes [...].24

Il faut rappeler que dans les livres de Valdecebro, les parties se multiplient encoreplus: aprés la description des propriétés de I'animal,ily a un chapitre indépen-dant consacré á chaque signification symbolique ou hiéroglyphe assimilé tradi-tionnellement i l'animal; tous ces chapitres se dédoublent au moment oüs'ajoutent, comme nous I'avons déjl indiqué, une série de hiéroglyphes avec laméme connotation syrnbolique ou méme, parfois, des ndig¡essiones» morales oudoctrinales autour du méme sujet.', Tous ces sous-chapitres se succédent d'une

'a Marcuello 1617 (note z), fol. 64' -61'." Un des rares exemples de traités emblématiques á sujet animalier avec des compartiments

explicites est l'Orpheas eucharisticut (Pais ú57), cuvre de l'augustin frangais AugustinChesneau: il s'agit d'une collection de ¡or emblémes dont la plupart (67) sont á thémeanimalier. Tous ont comme dénominateur commun, tel que nous le suggére le titre,l'emploi d'un comportement déterminé de chacun des animaux pour expliquer la nature,les effets et les vertus du sacrement de l'Eucharistie: l'euwe pourrait se définir, alon,comme un .bestiaire eucharistique,. Elle posséde un schéma plus rigide encore que les pré-cédentes, marqué par l'emblémiste lui-méme. Aprés la gravure, accompagnée d'une deviseet d'un distique en frangais qui permet de déduire son sens, se développe l'épigramme endeux parties: une premiére oü la scéne repÉsentée est décrite et une deuxiéme ou ,,Apodo-sis, qui révéle le signifié eucharistique de celle<i. Ensuite, on reproduit le torte qui a

inspiré l'embléme avec sa citaLion correspondante: c'est la nFons emblematis,. Finalement,

I ,,',, ' ,l'nthh\mes ou bestiaires modernes?

ur,uua'r('irutonome et avec un lien thémaüque trés faible (l'élément signifiant etl, ,, .rlhrsions i l'animal qui est au début du livre) á cause de la diversité des ques-

I r, rrrr í'lrrtliées.

Analyse du contenu'd

A ¡rrcmiére vue, il n'existe pas de grandes diftrences d'énoncé et de finalité entreIt's traités espagnols que nous sofirmes en train d'analyser et les emblémes zoolo-

¡iitlucs de Camerarius par exemple. Dans toutes ces euvres, on présente des

¡rropriétés ou des attitudes animaliéres déterminées (chez Camerarius, normale-rrrcnt reflétées dans I'image) qui s'allégorisent ensuite en les associant á des vices,

tlcs vertus ou d'autres contenus symboliques, liés de maniére évidente aux bes-

tiaires médiévaux. Mais une fois de plus, Ia différence entre les euvres hispani-

ques et celle de l'emblémiste allemand réside dans le fait que dans les premi¿res,

les traits naturels de l'animal et les signifiés moraux, symboliques ou hiérogly-phiques correspondants se multiplient. Cependant, dans les Synbola et Embb-mata, Camerarius, comme toujours dans les livres d'emblémes, sélectionne unepropriété unique pour chaque embléme individuel afin de proposer un seul si-

gnifié (ou double dans des cas déterminés exceptionnel$. Tout cela fait que les

traités de Valdecebro et de Marcuello se trouvent á mi-chemin entre le livred'emblémes et les repertoires ou dictionnaires symboliques, tellement á la modcpendant ce siécle.

Les livres de Valdecebro possédent méme l'originalité d'étre des dictionnairesbidirectionnels: tout d'abord, il part d'un animal concret pour énumérer une

série de concepts symboliques que les propriétés de cet animal ont traditionnel-lement inspirés, mais, ensuite, il propose une série d'images emblématiques ouhiéroglyphiques avec le méme concept ou contenu symbolique. Valdecebro lui-méme était conscient de la valeur de ,répertoire, de ses cuvres considérant que

leur utilité principale consistait á servir de matériel inspirateur pour l'élaboration

s'ajoute un long commentaire (la ulnterpretatio,), divisé normalement en trois parties, oü

_ I'on disserte sur I'aspect du sacrement qu'il a illustré avec [a propriété de I'animal.'o Les seules études disponibles sur le livre de Valdecebro consacré aux quadrupédes sont

celles de Yicente Roig Condomiflá, «165 emblemas animalísticos de fray Andrés Ferer de

Valdecebro". ln: Gola t87/ r88 (rS8l), p. 8r-86, et cacl., l,as rmpresas viuas defral Andrés Ftr-rer dt Vadecebro. Valence 1989. Du livre de Marcucllo, il n'cxistc qu'unc édition (fac*imilé)avec une bréve introduction deJulián Fuertes: Irarrcisco Marcucllo, I'rimeraparte de labisto-ria naturall moral de las aoes. Madrid 1989.

z8r

§lifioútuntnl¡

{*f. LV. Dc la Feni

Figs. 7 et 8: Francisco Marcuello, Prinera parte de la bis¡oria natarall moral de las aaes

Saragosse út7,fol. t68' et7 j"(\4adrid, Biblioteca Nacional: R-r5'598)

Lhtres d'aúlbnes ou bestiaires modemes?

de sermons.'7 Il s'agit, tout comme les livres de fables de Garau cités précédem-

ment, et tels que Pedro Campa les a qualifiés,'8 de travaux qui peuvent étre clas-

sés dans la catégorie de sententia¿ illustrées, comme un instrument de plus parmi

les recours érudits des artts praedicandi baroques. Il est bien connu qu'á la 6n de

ses Euvres, Valdecebro inclut une uTabla para sernones varios de tiempor, oü

l'on sigrale avec clarté les contenus des odigressiones" ou les hiéroglyphes insérés

dans ses cuvres qui peuvent étre utiles pour l'élaboration des sermons en accord

avec chaque lecture évangélique.'e Dans ce sens, et á cóté des bestiaires, les col-

lections d'exerupla ou sermons médievaux élaborés par les prédicateurs - une

autre des grandes manifestations possibles de l'emploi de la Nature comme pointde départ pour la transmission d'enseignements moraux ou notions spirituelles -apparaissent aussi comme un précédent inéluctable."

Tout cela suggére que nos euvtes s'approchent davantage de compilations

symboliques, ordonnées alphabétiquement ou non, qui commencent i prolifrrerdés la fin du XVIe siécle et oü l'on er?lore les possibilités symboliques des ani-

maux, parmi d'autres sujets trés diven. Plusieurs auteurs ont rassemblé les dift-rents hiéroglyphes et irnprese qui peuvent étre élaborés i partir de motifs anima-

lien. Giulio Cesare Capaccio, par exemple, consacre á cette question la majeure

partie du deuxiéme livre de son Delb inprew avec 66 chapitres animaliers." De la

méme fagon, d'auúes grands corpus d'imprese du XVIIe siécle réservent une large

place au théme zoologique: l'abbé Giovanni Ferro analyse á peu prés r4o ani-

'7 Dans sa dédicace "Al segundo Pablo, apóstol valenciano, San Vicente Ferreo, nous lisons:

"Los Predicadores de Primavera que gastan ociosamente en flores el tiempo, el discurso, y lavoz y dexan los coragones de los oyentes, ó agostados, o invemizos, apostata¡an de tan ne-cio empleo si os leyeran, y vieran cómo se han de usar de las flores de humanas letras, deürtudes de yeóas, y plantas; de propiedades de Animales, y Aves; con que adomáis losconceptos, sutilmente tocadas, y arrimadas a los assumptos, que igualmente deleytan, en-señan y persuaden, que es el fruto y cosecha de la predicación, (Valdecebro 1683 [note 3],

- sans pagination).

'o Campa r99o (note O, p. ,sg.'e Il n'est pas étrange que les traités emblématiques soient pÉsentés comme des Épertoires de

sernons destinés á la célébration liturgique du dimanche: c'est le cas dela Lm atangelica deHenricus Engelgrave (Anvers 1648), ou des Simbolipredicabili de Carlo Labia(Fenxa ú92),euvres qui possédent aussi, par conséqueng ruie s¿veur fort médiévale. Rappelons, de lam0me fagon, le t¡aité animalier d'Alard le Roy 1647 (note zr).

3o l-)cxaxpl*m consiste en un texte bref avec une importante charge morale et insüuctive Icaractérc philosophique, moral ou religieux, qui se tradüt dans la rynthése finale ¿fin dedémontrcr l'argumcnt qui a été exposé antérieurement. Qa a été un recours également vala-ble com¡ne inrtrument pour des prédicateurs ou corlme moyen üttéraire, constituant lapartie la plur rbondrnte de la littérature didactique médiévale dans n'importe quel do-mainc dc lr connri¡¡cnce: la rcligion, la morale, la politique, ou les sciences naturelles,

} Giulio Cc¡¡rc C¡plccio, Dch impruc. Naples r¡92.

283

284 JwéJaüo GarcíaAnanz

maux différents dans l'encyclopédie de motifs emblématiques qui constitue ladeuxiéme partie de son Teatro d'Imprese,3'Filippo Picinelli réunit, dans cinq liwesde son Mondo simbolico, des imprese corespondant á environ zoo espéces anima-les," et, finalement, le pére Claude-Frangois Menestrier consacre les demierschapitres de sa Philosophia imaginun ir passer en reyue le róle joué dans les impraepar une quarantaine d'espéces d'animaux volants.,a

Mais plus proches des cuvres de Marcuello et de Valdecebro sont les Hiero-gfuphicu á l'intention édifiante, qui commencent I proliftrer á partir de la Hiero-g$pbica de Giovanni Pierio Valeriano Bolzano, livre continuellement consultépar les emblémistes et auteurs de traités des XVIe et XVIIe siécles, et sans doutela plus importante et la plus influente de ce type d'euwes. Publiée pour la pre-miére fois i Bále en 15¡6, objet de nombreuses éditions postérieures, elle a

comme point de départ les hiéroglyphes de Horapollo, mais elle les actualise etélargit considérablement le répertoire á partir de nombreuses autres sources an-

ciennes et médiévales de caractéres trés divers. Bien que, dans quelques hiérogly-phes de Horapollo, on observe déjá un fond didactico-moral, Valeriano est

considéré corlme le premier humaniste qui met en rapport les hiéroglyphes de laRenaissance avec l'allégorie chrétienne. Ceci est dü á la forte présence dans son

auyre de la tradition du symbolisme naturel médiéval, transmis par les bestiaires

et surtout par les grandes encyclopédies de Ia fin du Moyen Age.3t Suivant aussi

les modéles de son prédécesseur alexandrin, l'cuvre de Valeriano consacre lamajeure partie de son contenu aux symboles extraits du monde naturel, bien que

cette fois ordonnés d'une fagon enryclopédique par espéces et genres.rd

" Giovanni Feno,Teatro d'bErese.Yenise 1623.

" Filippo Picinelli, Mondo sinbolbo. Milan r6i3. Le livre quatriéme de cette euwe est consa-cré aux animaux volants (69 espéces), le cinquiéme aux animaux quadrupédes (¡o espéces),le siiéme aux poissons (¡z espéces), le septiéme arrx serpents et aux animaux venimeux (roespéces) et Ie huitiéme á des animaux .imparfaits,, c'est-ádire des insectes et de petits an!maux (zr espéces). Johann Michael von der Ketten suit le méme schéma que Picinelli dansson Apelbs Sltmbolhus (Amsterdam 1699): dans le livre quatriéme, il réunit les nempressas,

consacrées aux volatiles (quelque 4¡ espéces), dans le cinquiéme, ar¡x quadrupédes (48 es-péces), dans le sixiéme, aux poissons (26 espéces), dans Ie septiéme, aux animaux venimeux

_ (ro espéces) et dans le huitiéme, aux insectes (r9 espéces).

'a Claude-Frangois Menestrier, Phitasophia ima§nun-fiére éd.: l^a Pbitonphie drs imag*. Pais168z]. Amsterdam - Dantzig 169¡., Cf. Ludwig Voll«nann, Billefsffita, dr Rmaissance. Hierogbrpbik und Embbuarik. in üratBeziehungen md Foraoirkangm. lxipzig 1923, p. j5-4o;Praz tg64, p.z4; Peter M. Daly,Litrratare in the Ligbt of the Embbn. Strucaral Paralbls úeaoem the Emblnt and Literature in the

, Sixteenth and Snmtemth Cmtaries. Toronto - Buffalo - Londres ry79,p. 18.36 D*, la premiére édition, Valeriano consacre environ 3o livresl iá Áoitié de l'euvre, arx

animaux, avec un peu plus d'une cinquanaine d'espéces analysées, Ibut au long de chaque

Liwes d'¿mblhnes ou bestiahes modmtes?

Cette tendance á l'allégorisation morale qu'on observe déjá chez Valeriano at-

teindra son sommet, d'une fagon paralléle á ce qui s'est passé avec la littératured'emblémes et irnprese, tout au long du XVIIe siécle. Il surgit une série d'cuwesavec un schéma trés similaire á celle citée plus haut, oü les sigrrifiés symboliques

sont exclusivement des enseignements moraux ou des affirmations á caractére

religieux et docÍinal. C'est le cas du Pofihistor ymbolicus du jésuite Nicolas Caus-

sin.37 Cet auteur passe en revue, en 39j chapitres, les propriétés de zoo espéces

diftrentes, A des caractéristiques similaires répond la Hirogfophica du pasteur

anglican Archibald Simson, qui présente les diftrentes interprétations sacrées

des propriétés d'á peu prés 16o animaux.3s Dans les deux euyres, on emploie

aussi une structure proche de celle des bestiaires médiévaux: d'abord l'exposé

d'un trait ou d'une propriété déterminée d'un animal, et ensuite, dans un autre

paragraphe (sous l'épigraphe ,.Apodosis, dans le premier cas et ,Moralitas, dans

le second) il s'allégorise. La proximité avec les énoncés de Marcuello apparalt,

donc, assez érridente.'e

livre, il énumére une série de sig¡rifiés symboliques qui peuvent dériver d'un ou plusieurs

oiseaux (le perroquet, par exemple, est le hiéroglyphe de ol'homme éloquent», ula brtrlurer,«celui qui parle trop", ou ol'adulationr), en les justifiant au moyen des commentairescorrespondants avec l'appui de gloses et de citations des sou¡ces anciennes et médievales lesplus appropriées (Giovanni Pierio Valeriano Bolzano, Hicrogb,phica. Bále 1556). L'auteu¡foumit de la sorte un vaste matériel ordonné qui servira continuellement de référence auxemblémistes qui intégrent les propriétés des animaux dans leurs euvres. L'influence de cetauteur sur la stnrcture des livres de Valdecebro apparalt évidente: n'oublions pas qu'il citetrés souvent l'Italien, comme le fait Marcuello (1617 [note z]).

Jz Nicolas Caussin, Po$histor gtmbolicus. Cologne ú3r. YEbctorum gtnboloran et parabolaram

historicaran »ntagmata" ex Horo, Cbmente" Epiphanio et aliis @at'rs 1618) s'ajoute au PoShisnrymboliuts, sous Ie titre générique De ymbolica aegptiorurn sapimtia á partir de l'édition de

^ Cologne 16zz.

'o fuchibald Simson, Hierogfuphica aninaliun terratriam, oolatiüum, natatiliuru, reptilium, insecn-

rum, vegetiaoram, metallnrum, kpidum, etc qtuae in stipnris Saeris iruumiuntar. Edimbourgt6zz.

3e Un autre jésuite, l'Allemand Jakob Masen, suivra un schéma diffirent dans son euvrevolumineuse Speculnn inaginam oeriath occuhae, exhibens ymbola, anbbaata bierogfipbica.,

aenignata, omni, tan materiae, quan fomtae aarieate. Cologre 165o. Cet auteur a nomménlconomystica, la science des images qui cherche cette symbiose entre les anciens hiérogl¡phes et les vérités de la religion chrétienne, fusion de traditions que tout au long du Specu-

lum,il explorera dans toutes ses manifestations possibles. C'est une euvre qui, ordonnée demaniére encyclopédique, réserve aussi un espace considérable au sujet animalier: elle décritles propriétés d'environ 3oo espéces; chacune de ces caractéristiques de l'animal termineavec un appel numérique, qui renvoie á une note marginale oü s'exprime de fagon trés

bréve, son sigrrifié symbolique, Ces sig¡ifications peuvent posséder un ca¡actére á la foisreligieux et moral ou simplement informatif ou didactique.

28,

Iuélulio GarcíaAranz

Il existe, finalement, une version espagpole de ce type d'ouvrage. Il s'agit de la

Monarquía mistica de Lorenzo de Zarnora, euvre comptant huit parties éditées

dans diftrents endroits entre rr94 et t6t7.a" Bien qu'elle ne posséde pas le carac-

tére enryclopédique ordonné des traités cités cidessus, elle constitue pourtantune importante énumération de symboles religieux et d'attributs iconographi-ques qui sont exposés au fil des diftrents thémes de ses réflexions et de ses ser-

mons. Elle comporte de nombreuses références dispersées relatives aux animaux

et i leurs signifiés hiéroglyphico-religieux.

Conclusion

Nous sommes d'accord, par conséquent, ayec la tendance des travaux récents á

exclure les ceuvres de Valdecebro et de Marcuello de la littérature emblématique

canonique. Plutót que de livres d'emblémes proprement dits, il s'agit de textes

hybrides, dans lesquels on observe une synthése parfaite de courants ou tendan-

ces comme les répertoires symboliques de l'époque et la vision particuliére de la

nature que I'on a en Espagne au XVIIe siécle. Ils constituent, donc, un produitbaroque élaboré, une espéce de cocktail oü se rencontrent une récupération et

réinterprétation modeme du bestiaire médiéval, la tradition des Hiaogfophica.e de

la Renaissance, réactivée gráce au corpus de Pierio Valeriano, et la mode des

emblémes qui a eu tellement de succés dans l'Espagne du XVIIe siécle. Le résul-

tat, ce sont ces utiles instruments auxiliaires, spécialement indiqués pour des

usages liturgiques et pour la prédication - ils ont été faits par des ecclésiastiques

pour des ecclésiastiques -, une fois prouvé que les comportements animauxcontinuent á trés bien fonctionner comme etcempla pour remuer et diriger les

consciences. Mais ce n'est pas leur seule utilité: ils constituent également unesource précieuse de renseignements pour le spécialiste du symbolisme animal au

XVIIe siécle, tout en nous donnant des informations complémentaires de grande

valeur pour l'étude de la littérature emblématique de leur époque - les réferences

et les parallélismes sont multiples -, ainsi que pour la connaissance des méca-

nismes de propagande baroque.

4o Lorenzo de Zamota, Monarquía mistica de la Ygbsia, hecba fu bierogtificos, sacados de hmanas 1diainas l¿tras. Au sujet de la confuse série d'éditions, des parties et des suites de cette cuvre,consulter Campa r99o (note 6),p.82-g+.