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LE CULTE D’OSIRIS AU I er MILLÉNAIRE AV. J.-C. DÉCOUVERTES ET TRAVAUX RÉCENTS

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LE CULTE D’OSIRIS AU Ier MILLÉNAIRE AV. J.-C.

DÉCOUVERTES ET TRAVAUX RÉCENTS

Le culte d’Osiris au Ier millénaire av. J.-C.Découvertes et travaux récents

Actes de la table ronde internationale tenue à Lyon Maison de l’Orient et de la Méditerranée (université Lumière-Lyon 2)

les 8 et 9 juillet 2005

édités par Laurent Coulon

INSTITUT FRANÇAIS D’ARCHÉOLOGIE ORIENTALEBIBLIOTHÈQUE D’ÉTUDE 153 – 2010

© INSTITUT FRANÇAIS D’ARCHÉOLOGIE ORIENTALE, LE CAIRE, 2010 ISBN 978-2-7247-0571-3 ISSN 0259-3823

Sommaire V

Sommaire

avant-propos............................................................................................ vii

préfacepar.Laure.Pantalacci................................................................. ix

introduction

LaurentCoulonLe.culte.osirien.au.Ier.millénaire.av..J.-C..Une.mise.en.perspective(s) ...................... . 1

leculted’osiris«dansl’idéal»

JoachimFriedrichQuackLes.normes.pour.le.culte.d’Osiris.Les.indications.du.Manuel.du.Temple.sur.les.lieux.et.les.prêtres.osiriens .............. . 23

formesosiriennesàalexandrie,enbasseégypteetaufayoum

JeanYoyotte†

Osiris.dans.la.région.d’Alexandrie ............................................................................... . 33

ChristineFavard-Meeks,DimitriMeeksLes.corps.osiriens.:.du.Papyrus du Delta.au.temple.de.Behbeit ................................. . 39

DidierDevauchelleOsiris,.Apis,.Sarapis.et.les.autres.Remarques.sur.les.Osiris.memphites.au.Ier.millénaire.av..J.-C. ................................ . 49

VI Leculted’OsirisauIermillénaireav.J.-C.Découvertesettravauxrécents

GhislaineWidmerLa.stèle.de.Paêsis.(Louvre.E.25983).et.quelques.formes.d’Osiris..dans.le.Fayoum.aux.époques.ptolémaïque.et.romaine ............................................... . 63

templesetthéologiesosiriennesàkarnak

OlivierPerduLa.chapelle.«.osirienne.».J.de.Karnak.:..sa.moitié.occidentale.et.la.situation.à.Thèbes.à.la.fin.du.règne.d’Osorkon.II ......... . 101

LaurentCoulon,AuréliaMassonOsiris.Naref.à.Karnak ................................................................................................... . 123

ClaudeTrauneckerLa.chapelle.d’Osiris.«.seigneur.de.l’éternité-neheh.».à.Karnak ................................. . 155

FrançoiseLabriqueLes.ancrages.locaux.d’Osiris.selon.les.inscriptions..du.propylône.de.Khonsou.à.Karnak ............................................................................ . 195

berceauxettombeauxd’osiris: archéologieetarchitecture

EmmanuelLarozeOsiris.et.le.temple.d’Opet..Apports.de.l’étude.architecturale .................................. . 219

FrançoisLeclèreLe.quartier.de.l’Osireion.de.Karnak..Analyse.du.contexte.topographique ............. . 239

HassanIbrahimAmerLes.catacombes.osiriennes.d’Oxyrhynchos ................................................................. . 269

indices........................................................................................................ 283

résumésenfrançais........................................................................... . 309

englishsummaries............................................................................... 315

adressesdesauteurs ........................................................................ 321

Osiris,Apis,Sarapisetlesautres.RemarquessurlesOsirismemphitesauIermillénaireav.J.-C. 49

Didier Devauchelle

Osiris, Apis, Sarapis et les autres Remarques sur les Osiris memphites au Ier millénaire av. J.-C.

INTRODUCTION

Dans la documentation memphite de Basse Époque, on constate que les titres de « scribe » (sš) et de « supérieur des secrets » (ḥry-sštȝ) peuvent parfois se rattacher à un groupe de divinités de la nécropole locale et à leur domaine respectif : ainsi, sur la stèle BM 886 (41 av. J.-C.), le grand prêtre memphite Pacherenptah porte le titre de (l. 3) « scribe d’Osiris-Apis, d’Osiris dans Routiset et d’Anubis qui est sur sa montagne » (sš Wsir-Ḥp Wsir m Rw.t-is.t Inpw tpy-ḏw=f) 1 ; sur la stèle Wien 157 (iiie-iie s. av. J.-C.), Neferibrê est « supérieur des secrets du domaine d’Osiris-Apis, du domaine d’Osiris dans Routiset et du domaine de la Châsse d’Anubis » (ḥry-sštȝ pr-Wsir-Ḥp pr-Wsir-Rw.t-is.t pr-hn-Inpw) 2. H. De Meulenaere, dans son article consacré au culte des rois Nectanébo, dénombre quatre documents memphites qui associent ces trois cultes, dont les deux qui viennent d’être mentionnés 3. Nous pouvons compléter cette liste grâce à trois stèles funéraires démotiques d’époque ptolémaïque de grands prêtres memphites 4. Une première

DidierDevauchelle, universitédeLille 3 /Cnrs,Halma-Ipel–UMR8164.

1H.DeMeulenaere,«LesmonumentsducultedesroisNectanébo»,CdE35/69-70,1960,p.103etn.5et6,J.Quaegebeur,«Inventairedesstèlesfunérairesmemphitesd’époqueptolémaïque»,CdE49/97,1974,p.70nº25(présentationetbibliographie),etE.A.E.Reymond,FromtheRecordsofaPriestlyFamilyfromMemphisI,ÄgAbh38,1981,p.136-150etpl.10.Voir,également,D. Devauchelle, «Une invocation aux dieux duSérapéumdeMemphis»,dansW.Clarysse,A.Schoors,H.Willems(éd.),EgyptianReligion.TheLastThousandYearsI,StudiesDedicatedtotheMemoryofJanQuaegebeur,OLA84,1998,p.594etn.23.

2H.DeMeulenaere,CdE35,p.103etn.4,etJ.Quaegebeur,CdE49,p.74-75nº36.

3LesdeuxautrestémoignagessontlastatueLouvreN2456(S.Albersmeier,UntersuchungenzudenFrauenstatuendesptolemäischenÄgypten,AegTrev10,2002,p.137-138,359-360,pl.13a-b,66a-bet67a,cat.nº120;inscriptionsur

lepilierdorsal:Heresânkhest«prophétessed’IsisetdeNephthysdudomained’Osiris-Apis,dudomained’OsirisdansRoutisetetdudomainedelaChâssed’Anubisquiestsursamontagne»[ḥm(.t)-nṯrnȜs.tNb.t-ḥw.tpr-Wsir-Ḥppr-WsirmRw.t-is.tpr-hn-Inpwtp(y)-ḏw=f])etlastèlehiéroglyphico-démotiqueBN126(devenueLouvreE13074,cf.J.Quaegebeur,CdE49,p.71-72,nº29;ÂnkhmarrêssurnomméHorestdésigné,danslapartiehiéroglyphiquel.3,comme«scribedudomained’Osiris-Apis,dudomained’Anubisetdudomained’OsirisdansRoutiset»[sšnpr-Wsir-Ḥppr-Inp(w)pr-WsirmRw.t-is.t],tandisquedanslapartiedémotique,l.3,ilest«scribedetouteslesphylaedutempledudomained’Osiris-Apis,dudomained’OsirisdeRoutisetetdelaChâssed’Anubis»[sšnsȝ.wnbnḥw.t-nṯrpr-Wsir-Ḥppr-Wsir-Rw.t-is.thn-Inpw]).

4StèleWien82,l.8et12-13(E.A.E.Reymond,FromtheRecordsofaPriestlyFamily,p.118-134etpl.9,doc.17:ḥry-sštȝpr-PtḥR-sṯȝ.wpr-Wsir-Ḥppr-WsirRw.t-is.tpr-Inpw[var.pȝ-hn-Inpw]);stèleAshmoleanMuseum1971-18,l.13

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observation peut être faite à partir de ces documents : Osiris-Apis dans son domaine 5 côtoie Osiris d’Abousir dans le sien 6 et Anubis de l’Anubieion 7 ; ces trois sanctuaires sont situés dans la partie septentrionale de la nécropole memphite 8. Sur d’autres documents, on voit aussi apparaître, dans les titulatures ou dans les invocations aux dieux, les figures d’Osiris maître de Rosetaou − Bousiris, près de Gizeh − ou de Ptah de Rosetaou 9.

À partir de remarques portant sur le culte d’Apis, mais sans entrer dans le détail 10, je voudrais tenter de définir la « personnalité » d’Osiris-Apis, puis de déterminer la place qu’a occupée cette forme à côté des autres « aspects » d’Osiris memphite connus à Basse Époque. Une première partie sera consacrée à une rapide mise au point sur les noms donnés au taureau sacré tels qu’ils apparaissent sur les documents provenant du Sérapéum de Memphis. Ensuite, je m’attacherai à une présentation des noms d’Osiris à partir de la documentation funéraire tardive. Dans un dernier temps, je reviendrai sur la signification que peut revêtir l’appellation Osiris-Apis par rapport aux autres dénominations du dieu pour, en conclusion, mettre en regard les figures d’Osiris-Apis et de Sarapis au début de l’époque ptolémaïque.

(ibid.,p.150-164etpl.11,doc.19:[ḥry-sštȝ]pr-PtḥR-sṯȝ.wpr-Wsir-Ḥppr-WsirRw.t-is.tpr-hn-Inpw);stèleBM147,l.18(ibid.,p.178-194etpl.13,doc.21:ḥry-sštȝpr-PtḥR-sṯȝ.wpr-Wsir-Ḥppr-WsirRw.t-is.tpr-hn-Inpw);lalecturedudernierexempleenregistréparE.A.E.Reymonddanssonindex(ibid.,p.274:stèleBM392,l.5et8:ibid.,p.194-205etpl.14,doc.22)n’estpastotalementassuréeenraisondumauvaisétatdeconservationdudocument.Danscestroisexemplesattestésavecletitre«supérieurdessecrets»(ḥry-sštȝ),lamentiondu«domained’Osiris-Apis,dudomained’OsirisdeRoutisetetdudomainedelaChâssed’Anubis»estprécédéeparcelledu«domainedePtahdansRosetaou».Surdeuxdesstèlesdéjàévoquées,Wien82,l.4-5,etAshmoleanMuseum1971-18,l.9,selitégalementletitrede«scribed’Osiris-Apis,d’OsirisdeRoutisetetd’Anubisquiestsursamontagne»(sšWsir-ḤpWsirRw.t-is.tInpwtp(y)-tw=f),maisdansdescontexteslacunaires.SurlastèleBM147citéeplushaut,dontletexteestaujourd’huipratiquementperdu,onretrouve,semble-t-il,d’autrespassagesoùlesdomainesd’Osiris-Apis,d’OsirisdeRoutisetetdelaChâssed’Anubissontassociés.

5Cedomaines’étendau-delàdel’enceinteduSérapéumproprementdit,cf.J.D.Ray,«TheHouseofOsorapis»,dansP.J.Ucko,R.Tringham,G.W.Dimbley(éd.),Man,SettlementandUrbanism,Duckworth,1972,p.699-704;voir,également,S.Davies,H.S.Smith,«SacredAnimalTemplesatSaqqara»,dansSt.Quirke(éd.),TheTempleinAncientEgypt.NewDiscoveriesandRecentResearch,Londres,1997,p.120et126n.23etA.Leahy,dansW.Clarysse,A.Schoors,H.Willems(éd.),EgyptianReligion.TheLastThousandYearsI,StudiesDedicatedtotheMemoryofJanQuaegebeur,OLA84,1998,p.386quisuitJ.D.Ray,TheArchiveofHor,TextsfromExcavations2,Londres,1976,p.151-154.

6Pourcedomained’Osiris,voirlabibliographiecitéeparD. DevauchelledansW.Clarysse,A.Schoors,H.Willems(éd.),EgyptianReligionI,p.599n.45;ajouterP.W.Pestmanetalii,Recueildetextesdémotiquesetbi-linguesI,Leyde,1977,p.28-29,n.15(lireRw.t-is.t),etII,p.33n.netp.39,S.Davies,H.S.Smith,op. cit.,p.120et127n.43,etJ.Fr.Quack,«EinneuerfunerärerTextderSpätzeit.PapyrusHohenzollern-SigmaringenII»,ZÄS127,2000,p.79-80(o),avecrenvoiàK.-Th. Zauzich,«DastopographischeOnomastikonimP.Kairo31169»,GM99,1987,p.83-84.Ledomained’Osiris(de/dansRoutiset)seraitlenomancienduvillageactueld’Abousir:celui-cisetrouveàmoinsde1500mducomplexemo-numentalqueformaient,dansl’Antiquité,leSérapéum(templed’Osiris-Apis),l’Anubieion(templed’Anubis)etl’Asclépieion(templed’Imhotep).

7Concernantcetempled’Anubis,voirlabibliographiecitéeparD.DevauchelledansW.Clarysse,A.Schoors,H.Willems(éd.),EgyptianReligionI,p.597-598,n.39.AjouterP.W.Pestmanetcoll.,RecueildetextesI,p.39n.27,etII,p.38-39et46n.heti,etS.Davies,H.S.Smith,op. cit.,p.114.

8H.DeMeulenaeresedemandaitmêmesileurssanctuairesnefaisaientpaspartied’unseulcomplexedebâtiments.

9Voirsupra,n.4.PourlabibliographieconcernantRosetaou,cf.D.DevauchelledansW.Clarysse,A.Schoors,H.Willems(éd.),EgyptianReligionI,p.599,n.45etp.601n.52:ledomained’Osiris(deRosetaou)corres-pondraitàBousirisduLétopolite,villagesituéaupieddespyramidesdeGizeh.

10VoirD.Devauchelle,LecultedutaureauApis,enpréparation.

Osiris,Apis,Sarapisetlesautres.RemarquessurlesOsirismemphitesauIermillénaireav.J.-C. 51

I. LES NOMS D’APIS 11

À Sakkara, dans la première chambre funéraire de l’animal sacré sous Amenhotep III, Apis représente déjà une figure complexe symbolisant un cycle, celui d’un animal jeune succédant à son aîné qui venait de mourir 12 ; dès l’événement connu, les prêtres partaient à la recherche d’un taureau qui portait les marques caractéristiques et qui était né après la mort du précédent. Une fois repéré, il était conduit à Memphis où on l’intronisait lors d’une cérémonie qui s’appa-rentait à un couronnement : il devenait ainsi divin, à l’instar d’un pharaon. Un unique taureau « régnait » et il fallait donc attendre sa mort pour que le cycle se renouvelle.

Cette succession d’Apis est attestée par des documents égyptiens depuis Amenhotep III jusqu’à la fin de l’époque ptolémaïque. La survie du culte du taureau Apis à l’époque romaine n’est pour l’instant attestée que par des témoignages papyrologiques grecs, littéraires et admi-nistratifs : il perdura sans doute jusqu’au ive siècle, si l’on en croit Ammien Marcellin ou si l’on se rappelle que le dernier taureau Bouchis décéda le 4 novembre 340 13.

La théologie du taureau Apis s’articule autour d’un cycle qui est porteur d’une double signification : d’un côté, Apis, image de la succession royale, et, de l’autre, Apis, symbole de la renaissance osirienne. Cette dualité est exprimée aussi bien par les figurations dans le cintre des stèles que par les textes qui les accompagnent. Apis, en effet, peut être représenté en taureau vivant — avec ou sans couverture sur le dos — ou en taureau momifié 14, voire, plus rarement, sous forme humaine taurocéphale. Les légendes qui accompagnent ces figurations varient (« Apis vivant, [héraut de Ptah] », Ḥp ʿ nḫ [wḥm n Ptḥ], « Apis-Osiris », Ḥp-Wsir ou « Osiris-Apis », Wsir-Ḥp), mais ces appellations ne sont pas liées systématiquement à une iconographie particulière. Dans le cintre de ces stèles, la volonté était donc de représenter et de nommer Apis dans l’un des moments de son cycle, dieu vivant unique / dieu mort. Donner le nom d’« Apis vivant » à une représentation de taureau momifié ou celui d’« Osiris-Apis » à celle d’un animal vivant n’est donc pas contradictoire, mais bien complémentaire. Toutefois, l’appellation Apis-Osiris associée à la représentation du taureau vivant nu debout, marchant, semble être l’iconographie la plus répandue sur les stèles à partir de la XXVIe dynastie 15.

11Voirlesremarques«préliminaires»àcetteétudequej’aifaitesdansW.Clarysse,A.Schoors,H.Willems(éd.),EgyptianReligionI,p.593-594.

12Contrairementàcequiestparfoisaffirmé,l’animaln’estpasmisàmort,maisilconnaîtunefinnaturelle.

13J.-Cl.Grenier,«LastèlefunéraireduderniertaureauBouchis(CaireJE31901=StèleBucheum20)»,BIFAO83,1983,p.197-208etpl.41,«Lastèledelamèred’unBouchisdatéedeLiciniusetdeConstantin»,BIFAO102,2002,p.247-258,et«RemarquessurlesdatationsettitulaturesdetroisstèlesromainesduBucheum»,BIFAO103,2003,p.267-279.

14Cetteiconographien’estplusattestéedansladocumentationaprèslaXXVIedynastie.

15Cetteremarquevautpourlapériodequis’étendjusqu’àlaXXXedynastie:eneffet,lesstèlesdedévots,quisedistinguentdecellesdesouvriersetdesépitaphesoffi-ciellesetquisontpourtantletypeleplusrépanduauxépoquesanciennes,nenoussontparvenuesqu’entrèspetitnombrepourl’époqueptolémaïque.Sansdouteest-ceunhasarddocumentaire:celles-ciétaientalorsdéposéesàl’extérieurdescaveauxetontdoncdûsouffrirdesdéprédationsdutemps.Enrevanche,laplupartdesstèlesdecetteépoquequisontconservéesontétéfaitesparleséquipesquitravaillaientaucreusementdesgaleriesetparleursresponsables—ellessontd’ailleursrédigéesendémotique;celles-ciontpeut-êtrebénéficiéd’unemplacementmieuxprotégé.

52 DidierDevauchelle

Sur les quelques épitaphes officielles connues, qui datent toutes d’une période comprise entre la XXVIe dynastie et l’époque ptolémaïque 16, le cintre contient la représentation, à deux reprises, d’un dieu taurocéphale et à cinq, d’un taureau nu, marchant. Il porte quatre fois le nom « Apis-Atoum dont les cornes sont sur la tête » (Ḥp-Tm ʿ b.wy=f tp=f ) et une fois, d’« Apis-vivant-Osiris qui préside à l’Occident » (Ḥp-ʿ nḫ-Wsir ḫnty imn.t), d’ « Apis vivant » (Ḥp-ʿ nḫ) et d’« Apis, le grand dieu » (Ḥp nṯr ȝʿ). La première légende, qui lie Apis et Atoum, se retrouve dans les appellations développées « Osiris-Apis-Atoum-Horus à la fois » (Wsir-Ḥp-Tm-Ḥr n sp) 17, « Apis-Osiris-Atoum-Horus à la fois » (Ḥp-Wsir-Tm-Ḥr n sp) 18 ou encore « Apis-Atoum-Horus à la fois » (Ḥp-Tm-Ḥr m/n sp) 19. L’unicité 20 de cette figure divine se trouve confirmée par la séquence « Osiris-Apis-Atoum-Horus en une fois, le grand dieu » (Wsir-Ḥp-Tm-Ḥr n sp wʿ nṯr ʿ ȝ) attestée sur les parois de la chapelle de la tombe d’Apis mort en l’an 16 de Ramsès II 21. Cette désignation du taureau réunit en elle les grands thèmes du cycle d’Apis : couronné comme un pharaon, nouvel Horus, et, comme tel, le symbole même du cycle royal dont Atoum, le dieu créateur, est l’initiateur 22, il devient, par sa mort, Osiris ; il est donc, de ce fait, le symbole même du cycle de la résurrection.

16M.Malinine,G.Posener,J.Vercoutter,CataloguedesstèlesduSérapéumdeMemphisI,Paris,1968,p146nº192(an20-21dePsammétiqueIer,644-643av.J.-C.),IM133(an16deNéchaoII,595av.J.-C.),IM132(an12d’Apriès,578av.J.-C.),IM4133(an6deCambyse,521av.J.-C.),IM4187(an4deDariusIer,518av.J.-C.),N409+E3866(an6dePtoléméeVIPhilométoretdePtoléméeVIIIÉvergèteII,164av.J.-C.)etIM4246(an52dePtoléméeVIIIÉvergèteII,119av.J.-C.);pourlabibliographiedecesdocuments,voirPMIII2,797(ApisXXXIXetXL),797-798(ApisXLI),799(ApisXLII),799-800(ApisXLIV)et804(ApisLVetLVII).

17Malinine,Posener,Vercoutter,CataloguedesstèlesduSérapéumI,p.137,nº180b.

18Malinine,Posener,Vercoutter,CataloguedesstèlesduSérapéumI,p.62,nº70a.

19VoirlastèlePer-nebnº56,secondregistregauche(XXVIe-XXVIIedyn.;D.Devauchelle,«Notesetdocumentspourserviràl’histoireduSérapéumdeMemphis(I-V)»,RdE45,1994,p.78etpl.VI),etMalinine,Posener,Vercoutter,CataloguedesstèlesduSérapéumI,p.33,nº33,a;p.34,nº34,d;p.97,nº122,a;voir,également,lamentionsurunecolonnedutempledePtahdatabledeRamsèsIII,cf.KRIV,269,3.Unevarianteapparaîtsurunestèled’époqueramesside(Malinine,Posener,Vercoutter,CataloguedesstèlesduSérapéumI,p.14,nº14a):«Apis-vivant-héraut-de-Ptah-Atoum-Horusàlafois»(Ḥp-ʿ nḫ-wḥm-n-Ptḥ-Tm-Ḥrnsp).Noter,enfin,ladédicaced’unbronzedutaureauApisconservéàBaltimore:«Qu’Apis-HordonnelavieàPsammétiquefilsdePadihor,qu’afaitlamaîtressedemaisonTef»,

cf.G.Steindorff,CatalogueoftheEgyptianSculptureintheWaltersArtGallery,Baltimore,1946,p.146,pl.96et119,nº637,etG.J.F.Kater-Sibes,M.J.Vermaseren,Apis,II.MonumentsfromOutsideEgypt,EPRO48,1975,p.44etpl.107,nº376.

20Pourlesensden(var.m)sp,«àlafois»,déjàbienreconnuparÉ.Chassinat,«Lamiseàmortrituelled’Apis»,RecTrav38,1916,p.5,etE.Otto,BeiträgezurGeschichtederStierkulteinAegypten,UGAÄ13,1938,p.32etn.4,voir,parexemple,WbIII,438,10-11,etS.Morenz,Lareligionégyptienne,Paris,1962,p.192.Corriger,encesens,J.Vercoutter,TextesbiographiquesduSérapéumdeMemphis,BEPHEIVes.316,1962,p.90n.A,quiavaitinterprétécetteexpressioncommeuntoponyme(Khem–Létopolis–,dansuncasetSepa,dansl’autre),etChr.Leitzetalii,LexikonderägyptischenGötterundGötterbezeichnungen2,OLA111,2002,p.555(Sepa),etibid.5,OLA114,p.118-119(Nekhen–Hiérakonpolis –etSepa).LamentionduLivredesheures,col.10,l.16(cf.R.O.Faulkner,«AnAncientEgyptian’BookofHours’»,JEA40,1954,p.38,etAnAncientEgyptianBookofHours,Oxford,1958,p.7et15*),«Apis-Atoum-HorusdansSepa»(Ḥp-Itm-ḤrmSp),letermeSpétantdéterminéparlesignedelaville,doitêtreconsidéréecommeunerelecturesavantedel’épithèteplusclassiqueiciétudiée.

21A.Mariette,LeSérapéumdeMemphis,Paris,1857,pl.8.

22D.MeeksetChr.Favard-Meeks,Laviequotidiennedesdieuxégyptiens,Paris,1993,p.49-50et298,n.96et97.Voir,également,parexemple,danslalistequadripartite

Osiris,Apis,Sarapisetlesautres.RemarquessurlesOsirismemphitesauIermillénaireav.J.-C. 53

L’association de ces noms divins permet donc de décrire le dieu sous ses différentes facettes 23. Cependant, si les noms Apis et Osiris sont toujours associés, l’ordre dans lequel ils apparaissent à l’intérieur de ces séquences est variable, sans qu’il soit possible de déterminer une différence de signification entre les unes et les autres 24. On verra même plus loin que les combinaisons entre les noms de ces deux divinités peuvent encore s’enrichir d’autres associations. Il conviendra, pour l’instant, de retenir que le taureau Apis peut être nommé « Apis vivant », « Osiris-Apis », voire « Apis-Osiris ». On relèvera, encore, un passage des inscriptions gravées sur le sarcophage du nain Djedher 25 trouvé à Sakkara, près de la pyramide de Téti, dans lequel Djedher relate sa participation aux danses qui avaient lieu « le jour de l’enterrement d’Apis-Osiris, le grand dieu, roi des dieux » (hrw smȝ-tȝ (n) Ḥp-Wsir nṯr ȝʿ nsw nṯr.w) et « le jour de la fête d’éternité d’Osiris-Mnévis, le grand dieu » (hrw ḥb ḏ.t (n) Wsir Mr-wr nṯr ȝʿ) ; l’Apis mort est ici appelé « Apis-Osiris », et non « Osiris-Apis », tandis que le taureau Mnévis est nommé Osiris- Mnévis. Dans l’appel au dieu funéraire, c’est encore Apis-Osiris qui est invoqué : « Ô le Maître des maîtres, Apis-Osiris qui préside à l’Occident, le maître de l’éternité, le roi des dieux » (i nb nb.w Ḥp-Wsir ḫnty imn.t nb nḥḥ nsw nṯr.w).

D’autres textes provenant du Sérapéum confirment l’impression qu’il n’existe pas réellement de distinction entre « Apis-Osiris » et « Osiris-Apis » ; par exemple, les formules de re-merciement à la fin de nombreuses stèles démotiques d’époque ptolémaïque : « (Qu’)Apis- Osiris le maître des dieux (var. (Qu’)Osiris-Apis le grand dieu) bénisse (var. fasse du bien à) la personne qui récitera les écrits qui sont ci-dessus et qui bénira les personnes qui sont

d’Opet,lanoticeconsacréeaudieuprincipaldelarégionmemphite(C.DeWit,Lesinscriptionsdutempled’OpetàKarnakI,BiAeg11,1958,p.236):«Tjenen,pèredesdieux,hautdeplumes,auxcornesacérées,beaudevisage,‘hautdevoix’(?)»(Ṯnnit-nṯr.wḳȝ-šw.tyspd-ʿ b.wynfr-ḥr˹ ḳȝ-ḫrw˺(?)),telestainsidéfiniledieuprincipalquiouvrelaprocessionmemphite,dontC.DeWitidentifielareprésentationcorrespondantecommeétantcelled’Atoum.Lesdeuxcolonnesdetextequileconcernentrésumentsonaction,ainsiquecelledespersonnificationsgéographiquesquil’accompagnent:«Ilt’amèneHoutkaptahportantsesoffrandes,lecanal-khetportantsoneau,laCampagne-de-Rêvenantàtoiportantsescéréales,lepehouChen-ourportantsacampagneinondée(in=fn=kḤw.t-kȝ-Ptḥẖrḏfȝ.w=sḫtẖris.t=fSḫt-Rʿii=twn=kẖršmʿ.w=spḥwŠn-wrẖršȝ=f),cartuesAtoum,dontlescornessontsurlatêteentonnomdeSokar»(ntkItmʿb.wy=ftp=fmrn=kSkr).L’identificationdudieuOsiris-Ounnefer,verslequelsedirigelaprocession,à«Atoumdontlescornessurlatête»età«Sokar»luiconfèreunecolorationmemphitequis’apparenteétroitementauxdésignationsdutype«Apis-Osiris-Atoum-Horusàlafois».

23Pourunpointdevuerécentsurcettequestion,àlasuitedesétudesdeH.Bonnet,deS.Morenzetd’E.Hornung,ainsique,pourlespériodesplusrécentes,deD.Kurth,

cf.J.Baines,«EgyptianDeitiesinContext:Multiplicity,Unity,andtheProblemofChange»,dansB.N.Porter(éd.),OneGodorMany:ConceptsofDivinityintheAn-cientWorld,TransactionsoftheCascoBayAssyriologicalInstitute1,Bethesda,2000,p.32-36.

24Il semblepossible,danscertainscas,d’établirunedistinctiondanslesdésignationsdivinesentenantcomptedel’ordredesnoms:ainsiP.Vernus,Athribis,BdE74,1978,p.417-421,adémontréqueladésignationOsiris-Khenty-khety,quiapparaîtàlaXVIIIedynastie,exprimait«unemodalitélocale»d’Osiris,tandisqueKhenty-khety-Osiris,associationplusancienne,«personnalisaitunsecteurdel’airefonctionnelle»dudieud’Athribis.Ilconviendraitdemultipliercegenred’enquêtepourmieuxmesurerlesensdecesdoublesnoms.Lefaitqu’ApisetOsirissoienttouslesdeuxassociésdansunmêmecontextefunéraireexplique,vraisemblablement,l’homologied’Apis-Osirisetd’Osiris-Apis.

25CaireCG29307(XXXedynastie),cf.G.Maspero,H.Gauthier,CGC,SarcophagesdesépoquespersaneetptolémaïqueII,1939,p.2-4,7etpl.I;PMIII2,p.504-505.Pourunetraductiondecepassage,voirJ.Baines,«MeritbyProxy:theBiographiesoftheDwarfDjehoandhisPatronTjaiharpta»,JEA78,1992,p.242-245.

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nommées ci- dessus » 26 ; ou les formules de protection : « la bénédiction (ḫyṱ) d’Apis-Osiris (var. Osiris-Apis) 27 est pour celui qui récitera les prières ». Cette même ambiguïté se ren-contre également dans la formule conservée sur la stèle ptolémaïque Louvre IM 3319, l. 16 (179 av. J.-C.) 28 : « (C’est) Apis-Osiris le grand dieu qui fait demeurer le nom des personnes qui sont mentionnées ci-dessus devant Osiris-Apis le grand dieu, pour l’éternité » (Ḥp-Wsir pȝ nṯr ȝʿ di(.t) mȝȝ (= mn) pȝ rn nȝ rmṯ.w nty sš ḥry m-bȝḥ Wsir-Ḥp pȝ nṯr ȝʿ šȝʿ ḏ.t).

L’importance prise par la symbolique de la renaissance osirienne d’Apis va de pair avec la popularisation des rites osiriens à la Basse Époque. Le développement du culte de la mère du taureau Apis n’y est pas étranger et c’est, semble-t-il, à partir de la XXVIe dynastie que celui-ci est attesté 29. Dans la nécropole des animaux de Sakkara, près des catacombes des vaches, un temple de l’époque de Nectanébo II a été dédié à la fois à Osiris-Apis et à Isis, mère d’Apis 30. Ce cycle mère – fils, qui est plus rare que celui d’Apis vivant – Apis mort, évoque l’idée de renaissance dans l’au-delà et participe également à la symbolique du rajeunissement attachée à la personnalité d’Apis 31.

Apis défunt, devenu un Osiris sous le nom d’Osiris-Apis, peut parfois s’approprier les épithètes caractéristiques du dieu funéraire et ainsi être qualifié de « celui qui préside à l’Occident ». Ce phénomène a facilité le développement d’une forme d’Osiris proprement memphite appelée Osiris-Apis ou Apis-Osiris 32, et cela dès l’époque ramesside, non seulement dans les lieux

26Treizeexemplescontiennentlenom«Apis-Osiris»etneuf,«Osiris-Apis».LeschiffresindiquésicietdanslanotesuivantesontcalculésàpartirdesstèlesduSérapéumconservéesaumuséeduLouvreetdontletexteestin-discutable;ilsnetendentdoncpasàl’exhaustivité,maisserventd’indicateursdelafréquencedecesformulesetdelarépartitiondesnomsApis-OsirisetOsiris-Apissurcesdocuments.Lesépithètesquiaccompagnentcesdeuxdésignationssont,dansderarescas,omisesoulégèrementdifférentes:àuneexceptionprès,«lemaîtredesdieux»s’appliqueàlapremièreet«legranddieu»,àlaseconde;surdeuxstèles,d’autresdivinitéssontassociéesàApis-Osiris/Osiris-Apis,quirelèventdupanthéonlocaltelqu’ilressortdel’invocationauxdieuxduSérapéumdeMemphis,pourlaquellevoirD.Devauchelle,dansW.Clarysse,A.Schoors,H.Willems(éd.),EgyptianReligionI,p.589-611.

27Danscetteformule,onrencontrequatrefoisApis-OsirisetneuffoisOsiris-Apis.

28VoirA.Farid,«NeundemotischeInschriftenausdemSerapeumvonMemphisimLouvre-Museum»,MDAIK49,1993,p.71-73etpl14a.

29C’estentoutcasàcetteépoquequ’estconnu,pourlapremièrefois,lenomd’unemèred’Apis,maiscelui-ciestenregistrésurundocumentplusrécent.L’usagedejoindreaunomd’Apisceluidesamèresesystématiseàpartirdel’époqueptolémaïque,oupeut-êtreunpeuavant,commeentémoignelaprésencedunomdecelle-cisurlesdeuxépitaphesofficiellesdelamortdutaureauetsurnombredestèlesdeparticuliersdatéesdecetteépoque;

cettefiliationest,enrevanche,absentedesépitaphessaïtesetperses.

30S.Davies,H.S.Smith,op. cit.,p.116et126n.21-22. 31Onpourrapeut-êtreencorementionnericileportdu

collier-menat,exceptionnel,ilestvrai(cf.J.Quaegebeur,«Apisetlamenat»,BSFE98,oct.1983,p.17-39),ainsiquelesliensquiunissentHathormemphitebucéphale,«protectricedesnécropolesetmèrenourricièredudé-funt»,àApis,cf.J.Berlandini,«Ladéessebucéphale:uneiconographieparticulièredel’Hathormemphite»,BIFAO83,1983,p.44-45.Lathéologietardivedéveloppecethèmedurajeunissement,voir,parexemple,J.-Cl.Goyon,Lepapyrusd’ImouthèsfilsdePsintaêsauMetropolitanMuseumofArtdeNew-York(PapyrusMMA35.9.21),NewYork,1999,p.89:IsispleuresonfrèreOsirisetpriepoursonretour,enlequalifiantd’«Apisvivant»etenluisouhaitant:«Queturajeunisses,afind’êtrerajeuni,(et)queturenouvelleslerajeunissementdel’année!».

32Ainsi,lastèleduLouvrepubliéedansMalinine,Posener,Vercoutter,CataloguedesstèlesduSérapéumI,p.92nº115,cl.1-3(XXIVedyn.?),conservecetteformulefu-néraire:«OffrandefaiteparleroiàApis-Osiris,offrandefaitepasleroiàOsiris-Apis,quiprésideàl’Occident»(ḥtp-di-nswḤp-Wsirḥtp-di-nswnWsir-Ḥpḫntyimn.t).DanslesinvocationsauxdieuxdelanécropolecopiéessurdesstèlesdémotiquesprovenantduSérapéumdeMemphis,Apis-Osiris«quiprésideàl’Occident»estprésentdanschaquecas,cf.D.Devauchelle,op. cit.,p.593-595(=AnnexeI,A6).

Osiris,Apis,Sarapisetlesautres.RemarquessurlesOsirismemphitesauIermillénaireav.J.-C. 55

de culte construits au-dessus des catacombes du taureau 33, mais même hors de l’enceinte du Sérapéum proprement dit. Cet Osiris-Apis ou Apis-Osiris à l’apparence osirienne traditionnelle peut parfois être taurocéphale, comme on le voit sur certaines stèles funéraires, mais il ne conserve aucune autre caractéristique de l’animal dont les Memphites continuent, par ailleurs, de prendre soin. Il est régulièrement représenté dans la documentation funéraire, à l’instar de son « ancêtre » Ptah-Sokar-Osiris avec lequel il est parfois mis en relation. La présence du nom d’Apis à côté de celui d’Osiris est, dans ce cas, simplement une marque memphite.

II. LES APPELLATIONS D’OSIRIS DANS LA DOCUMENTATION FUNÉRAIRE MEMPHITE TARDIVE

Autour de cette dualité, Apis-Osiris - Osiris-Apis, un jeu complexe de références va s’or-ganiser, dont les stèles sont, parfois, les témoins. Les défunts qui veulent se faire enterrer à proximité de l’endroit où est enseveli Apis choisissent le plus souvent d’invoquer sur le cintre de leur stèle et dans la formule funéraire le dieu Osiris, véritable seigneur de la nécropole, accompagné ou non d’Isis et de Nephthys. Dès que les formules prennent de l’ampleur et que les représentations s’enrichissent, les noms des dieux de la nécropole peuvent s’associer de diverses façons ; on voit alors apparaître des Osiris-Apis, Apis-Osiris, Ptah-Sokar-Osiris et même un Apis-Sokar-Osiris dès l’époque ramesside 34, un Ptah-Sokar-Osiris-Apis à la XXIIe dynastie 35, ou encore, mais à l’époque ptolémaïque, un Ptah-Osiris-Apis 36. Le nom composite

33Plusprécisément,danslarégiondudromosconduisantàl’entréeestdel’enceinteduSérapéum,quiconnaîtraunimportantdéveloppementàpartirdelaXXXedynastie.Lepetitsanctuaired’Apisquisetrouvaitlelongdecemêmedromosremontepeut-êtreàl’époqueramesside,sil’onadmetunerelationaveclesdeuxsphinxquiontététrouvésàproximitéetquiportentlecartouchedeMerneptah.R.MacramallahetJ.-Ph.Lauer,lorsdeleurnouveaudégagementdecettepartiedelanécropoleen1938,ontaussiretrouvédesblocsramessidesprèsdutempled’Osiris-ApisdatédurègnedeNectanéboII;voirinfra,n.51-53.

34Chr.Barbotin,«L’inscriptiondédicatoiredeKhâemouasetauSérapéumdeSaqqara»,RdE52,2001,p.33-36(àlacolonne8dupilierdorsald’unestatueagenouilléefigurantKhâemouasetprésentantuneimaged’«Apis-Sokar-Osiris »).

35Malinine,Posener,Vercoutter,CataloguedesstèlesduSérapéumI,p.31nº32c(mêmesil’écrituredunomdeSokarestdéfectueuse)etp.50nº54hl.1.SurunestèledatéedeChéchanqIer(cf.M.I.Aly,«UnestèleinéditeduSérapéummentionnantlenomdeSheshonqIer»,BSEG20,1996,p.5-16),ontrouveceproscynème:«OffrandefaiteparleroiàPtah-Sokar-Osiris-Apis,(afinqu’)ildonne…»(ḥtp-di-nswPtḥ-Skr-Wsir-Ḥpdi=f...).L’emploidupronomsuffixe=fausingulierinviteàconsidérerlesquatrenomsapposéscommeuneseuleetmêmeentitédivine.C’est

ainsi,également,qu’ilfaudrainterpréterledébutdel’inscriptiondelastatueLouvreN436:«levénéréauprèsdePtah-Sokar-Osiris-Apisvivant,hérautdePtah»(imȝḫyḫrPtḥ-Skr-Wsir-ḤpʿnḫwḥmnPtḥ);pourcemonument,voirJ.Vandier,«Àproposd’ungroupeduSérapéumdeMemphisconservéaumuséeduLouvre»,JEA35,1949,p.135-138etpl.14,etO.Perdu,CataloguedumuséeduLouvre.Lastatuaireprivéedesépoquestardives,Paris,àparaître;cederniermefaitamicalementremarquerquelequalificatifd’imakhnes’appliquegénéralement,semble-t-il,qu’àuneseuledivinité.L’épithèteclassiqueajoutéeaprèslamentiond’Apis,«vivant,hérautdePtah»,doitêtremiseenrapportaveclefaitquelastatueétaitdéposéeàMemphis,nonloindel’établedutaureausacré,etnonpasauSérapéum:ellerenvoieclairementaucycleApisvivant-Apismort.

36Tabled’offrandedémotiqueCaireCG23173,quiprovientpeut-êtredunordduSérapéum;W.Spiegelbergl’avaitdatéede l’époqueromaine,maisSv.Vleeming,sui-vantJ.Quaegebeur,opte,avecraisonmesemble-t-il,pourunedateplusancienne(époqueptolémaïque),cf.W.Spiegelberg,CGC.DiedemotischenDenkmäler,IDiedemotischenInschriften,1904,p.70etpl.xxiv,etSv.Vleeming,SomeCoinsofArtaxerxesandOtherShortDemoticTextsonVariousObjectsCollectedfromManyPublications,StudDem5,2001,p.241et274,nº261.

56 DidierDevauchelle

Ptah- Sokar-Osiris-Apis témoigne de la transformation de la dénomination d’Osiris à Memphis dès le début de la Troisième Période intermédiaire : Ptah-Sokar-Osiris est concurrencé par Osiris-Apis/Apis-Osiris. Il ne faut bien évidemment pas voir, dans cette « nouvelle » désignation, un abandon des appellations anciennes − la figure de Ptah-Sokar-Osiris va perdurer jusqu’à l’époque gréco-romaine −, mais plutôt une inflexion de l’expression religieuse memphite. Tou-tefois, dans de nombreux documents, c’est le théonyme Osiris seul qui sera utilisé.

À côté de ces formes funéraires, d’autres divinités, rattachées à la nécropole d’Abousir, comme Osiris et Hornedjitef de Routiset, ou à celle de Giza (Busiris), comme Osiris de Rosetaou, sont mentionnées avec leurs épithètes spécifiques. La dispersion géographique des nécropoles s’échelonnant du nord du nome memphite au sud du létopolite a entraîné une multiplicité de dénominations topographiques d’Osiris, parmi lesquelles domine celle qui le rattache au Sérapéum et à son environnement. Le désir égyptien d’être enterré à proximité d’Osiris a incité les rédacteurs des textes funéraires à préciser le nom du dieu dont on souhaitait l’ombre protectrice dans l’au-delà. Les découvertes passées permettent d’affirmer qu’à la Basse Époque l’allée de sphinx qui menait au dromos du Sérapéum était bordée par de nombreuses tombes. C’est là que régnait Apis-Osiris - Osiris-Apis.

1. Les stèles funéraires préptolémaïques

Quelques stèles funéraires memphites préptolémaïques contiennent, dans leur premier registre, la représentation du défunt en adoration devant Osiris assis, figuré dans son iconogra-phie traditionnelle et accompagné d’Isis debout ; dans le registre inférieur, le taureau Apis est le plus souvent représenté face au défunt en position d’adoration 37. Ces exemples témoignent à la fois de la diversité des appellations et de leur unité. En effet, l’image d’Osiris est légendée tantôt « Ptah-Sokar-Osiris, le grand dieu, maître de Rosetaou », tantôt « Osiris seigneur de Rosetaou », tantôt « Osiris, le grand dieu » 38, ou, encore, « Osiris ». Le taureau Apis, pour sa part, situé généralement sur le deuxième registre, apparaît sous sa forme la plus répandue, celle d’un animal nu en position de marche, le disque entre les cornes orné, dans l’un des cas, de l’uræus frontal. Sur plusieurs documents son nom est explicité : « Osiris-Apis », « Apis, héraut vivant » ou « Apis vivant... (?) »

37StèleBerlin7304(PMIII2,734),stèleGrenoble14(PMIII2,816etY.Gourlay,«TroisstèlesmemphitesaumuséedeGrenoble»,BIFAO79,1979,p.98-101),stèleLeipzig5060(H.DeMeulenaere,L.Limme,J.Quaegebeur,PeterMunro.DiespätägyptischenTotenstelen.IndexetAddenda,Bruxelles,1985,p.84-85),stèleSakkaraH5-1399(G.T. Martin,TheTombof HetepkaandOtherReliefsandInscriptionsfromtheSacredAnimalNecropo-InscriptionsfromtheSacredAnimalNecropo-fromtheSacredAnimalNecropo-Necropo-lisNorth-Saqqâra1964-1973,TextsfromExcavations4,1979,p.52(169)etpl. 47)etH5-1405(PMIII2,826,etG.T. Martin,ibid.,p. 51(167)etpl.47).Onpourra

comparerl’iconographiedecesdocumentsaveccelledesquatrestèlesàinscriptionscariennestrouvéesdanslanécropoledesbabouinsdeSakkaraetpubliéesparO. Masson,CarianInscriptionsfromNorthSaqqâraandBuhen,TextsfromExcavations5,1978,p.22-25,nos4(stèleBMEA67235),5(stèleH5-1228),5a(stèleCaireJE91340)et6(stèleH5-1222).

38SurlastèleLepizig5060oùapparaîtcettelégende,l’in-vocationfunérairegravéeendessousdelascènefigurées’adresseà«Ptah-Sokar-Osiris,legranddieu,maîtredeRosetaou».

Osiris,Apis,Sarapisetlesautres.RemarquessurlesOsirismemphitesauIermillénaireav.J.-C. 57

Dans le reste du corpus des stèles funéraires memphites préptolémaïques 39, deux groupes principaux peuvent se distinguer. Dans le premier, Osiris est représenté et nommé dans le cintre – le plus souvent accompagné d’Isis, portant parfois la coiffe hathorique – alors que l’invocation funéraire s’adresse à Ptah-Sokar-Osiris ; ces deux appellations divines sont, le plus souvent, suivies d’une épithète en rapport avec la nécropole de Rosetaou 40. Dans le second groupe, Osiris est nommé à la fois dans le cintre et dans l’invocation funéraire – les deux stèles cariennes portant une légende hiéroglyphique se rattachent à cet ensemble ; la forme du dieu est classique, comme le sont ses épithètes : « grand dieu », « maître de Rosetaou », « qui préside à l’Occident ». Si le nom « Ptah-Sokar-Osiris » comme désignation du dieu des morts perdure, on constate néanmoins une évolution centrée sur la seule personne d’Osiris.

2. Les stèles funéraires ptolémaïques

Les stèles funéraires des grands prêtres memphites 41, en particulier les stèles BM 147, au nom de Taimhotep (an 10 de Cléopâtre VII = 42 av. J.-C.), et BM 886 dite « stèle Harris », au nom de Pacherenptah (an 11 de Cléopâtre VII = 41 av. J.-C.), vont nous servir de base de réflexion. Les textes du cintre et de la formule d’offrande funéraire sont, sur les deux documents, pour ainsi dire identiques. Le défunt y invoque les dieux de la nécropole, à savoir, sur le cintre de la stèle BM 147 :

– « Sokar, le grand dieu qui préside dans Routiset » (Skr nṯr ȝʿ ḫnt(y) m Rw.t-is.t) ; – « Apis-Osiris, qui préside à l’Occident, le grand dieu, roi des dieux, maître de l’éternité,

gouverneur de la pérennité » (Ḥp-Wsir ḫnt(y)-imnt.t nṯr ȝʿ nsw nṯr.w nb nḥḥ ḥḳȝ ḏ.t) ; – « Isis la grande, la mère du dieu, l’Œil de Rê, maîtresse du ciel » (Is.t wr.t mw.t-nṯr Ir.t-Rʿ

nb.t p.t) ; – « Nephthys, la sœur du dieu, qui protège son frère » (Nb.t-ḥw.t sn.t nṯr ḫw(.t) sn=s) ; – « Hornedjitef, le grand dieu dans Routiset » (Ḥr-nḏ-it=f nṯr ȝʿ m Rw.t-is.t) ; – « Anubis qui est sur sa montagne, celui qui préside au pavillon divin » (Inpw tp(y)-ḏw=f

ḫnt(y) sḥ-nṯr) ; – « La-déesse-du-beau-désert-occidental » (nṯr.t ḫȝs.t imnt.t nfr.t).

39Jen’énuméreraipasicilesdiversdocumentsconsultés;onlesretrouverafacilement,pourlaplupartd’entreeux,danslePMIII2etlesouvragescitésci-dessus,note37.

40Danscesexemples,ilnefautpeut-êtrepasattribueràRosetaoulesensrestreint(villageaupieddespyramidesdeGiza)qu’iladansd’autresdocumentsmemphites,maisbienluiconserverlasignificationplusgénéraledenécropole.

41Pourlapublicationdecesdocuments,voirE.A.E.Reymond,FromtheRecordsofaPriestlyFamily,1981,et,parexemple,moncompterendudansCdE58/115-116,1983,p.135-145.L’ouvragedeCh.Maystre,LesgrandsprêtresdePtah

deMemphis,OBO113,1992,resteutile,maisdoitêtreutiliséavecprécautionpuisqu’ils’agit,enfait,delapubli-cationtardived’unethèsesoutenueenfévrier1948.Pourl’analysedecettedocumentation,voir,principalement,J.Quaegebeur,«Contributionàlaprosopographiedesprêtresmemphitesàl’époqueptolémaïque»,AncientSo-ciety3,1972,p.77-109(étudedestitresetdelagénéalogie;aperçuducontenu),et«TheGenealogyoftheMemphiteHighPriestFamilyintheHellenisticPeriod»,dansD.J.Crawford,J.Quaegebeur,W.Clarysse(éd.),StudiesonPtolemaicMemphis,StudHell24,1980,p.43-81.

58 DidierDevauchelle

Cette énumération est reprise dans le texte de la formule de l’offrande funéraire 42 ; on notera toutefois que, dans ce dernier, le premier dieu cité est « Sokar-Osiris, celui qui préside au Château-du-ka-de-Sokar, le grand dieu dans Routiset » (Skr-Wsir ḫnty Ḥw.t-kȝ-Skr nṯr ȝʿ m Rw.t-is.t), ce qui correspond à la figuration du cintre où le dieu est simplement légendé « Sokar, le grand dieu qui préside dans Routiset ».

Les dieux évoqués sur le cintre de la stèle BM 886 sont les suivants : – « Osiris, grand dieu, maître de Rosetaou, qui préside à l’Occident, grand dieu dans Routiset »

(Wsir nṯr ȝʿ nb R-sṯȝ.t ḫnt(y)-imnt.t nṯr ȝʿ m Rw.t-is.t) ; – « Apis-Osiris, <grand> dieu, qui préside à l’Occident, roi des dieux, maître de l’éternité,

gouverneur de la pérennité » (Ḥp-Wsir nṯr < ȝʿ> ḫnt(y)-imnt.t nsw nṯr.w nb nḥḥ ḥḳȝ ḏ.t) ; – « Isis la grande, la mère du dieu, l’Œil de Rê (?), maîtresse du ciel » (ȝs.t wr.t mw.t-nṯr Ir.t-

Rʿ(?) nb(.t) p.t) ;– « Nephthys, la sœur du dieu, qui protège son frère » (Nb.t-ḥw.t sn.t-nṯr ḫw(.t) sn=s) ;– « Hornedjitef dans Routiset » (Ḥr-nḏ-it=f m Rw.t-is.t) ;– « Anubis qui est sur sa montagne, celui qui est dans le out, qui préside au pavillon divin,

grand dieu, maître de la nécropole » (Inpw tp(y)-ḏw=f imy-wt ḫnt(y) sḥ-nṯr nṯr ȝʿ nb tȝ-ḏsr) ; – « Imhotep, fils de Ptah, celui dont les actions réussissent, grand de prodige » (Ii-m-ḥtp sȝ

Ptḥ mʿ(r) sp.w wr biȝ.t) ;– « Occident, mère des dieux » (Imnt.t mw.t nṯr.w) 43.On notera, dans la représentation des divinités du cintre, la juxtaposition d’Osiris momiforme

et d’Apis anthropomorphe, mais taurocéphale, habillé du costume des vivants et portant l’uræus sans disque entre les cornes. Leur épithète commune, « celui qui préside à l’Occident » (ḫnt(y) imnt.t), peut suggérer que l’on se trouve en présence du même dieu funéraire sous deux noms et deux apparences différentes.

D’autres stèles funéraires memphites 44 confirment ce que nous venons de constater : Apis-Osiris (ou Osiris-Apis) peut servir de figuration complémentaire à l’une des formes de l’Osiris memphite – d’Osiris à Ptah-Sokar-Osiris. Il suffit de citer la stèle hiéroglyphique Berlin 2118 45, datée de 203 av. J.-C., où le défunt, Khâhep, qui participa aux cérémonies des derniers jours de l’enterrement d’Apis et de Mnévis, se qualifie ainsi 46 (l. 1-2) :

42Enplusdesépithètesdéjàmentionnéesdanslecintre,letexteprincipalajoute,pourIsis,cellede«maîtresseduciel,souverainedetouslesdieux»(nb(.t)p.tḥnw.tnṯr.wnb(.w));enrevanche,Nephthysestsimplementappelée«sœurdudieu»(sn.t-nṯr).«La-déesse-du-beau-désert-occidental»,quifigureendernièrepositiondanslecintresouslaformed’unfaucondressésurlesigneimn.t,correspond,dansletexteprincipal,à«touslesdieuxetdéessesquisontdanslanécropoledubelOccidentdeHoutkaptah»(nṯr.wnṯr.wtnb(.w)imy.wsṯȝ.timn.tnfr.tn.tḤw.t-kȝ-Ptḥ).

43L’ajout,dansletexteprincipal,de«souverainedetouslesdieux»(ḥnw.tnṯr.wnb(.w))àlafindelalistedesépithètesd’Isisetlesomissions(«granddieu»,pourOsirisetAnu-bis,«(celle)quiprotègesonfrère»,pourNephthys,et«celuidontlesactionsréussissent,granddeprodige»pourImhotep)sontapparemmentpeusignificatives.

44Voirl’inventairedeJ.Quaegebeur,CdE49/97,p.59-79. 45VoirJ.Quaegebeur,CdE49/97,p.62,nº1.Lareprésentation

dumortdanslecintre(barbu,cheveuxcrépusettoge)faitsongeràcertainesstatuesptolémaïquesétudiéesparW.Kaiser,«ZurDatierungrealistischerRundbildnissptolemäisch-römischerZeit»,MDAIK55,1999,p.237-263etpl.35-39.Voiraussi,pourlevêtement,Chr.Zivie-Coche,«UncompagnondePanemeritSân91-200,OAE3003»,dansPh.Brissaud,Chr.Zivie-Coche(éd.),Tanis.TravauxrécentssurletellSânel-Hagar,MissionfrançaisedesfouillesdeTanis1987-1997,Paris,1998,p.538-540.

46Voiraussilastèle LouvreC119(J.Quaegebeur,CdE49/97,p.70nº26;publicationdeW.Spiegelberg,«DieStele119CdesLouvreunddasTu vriwn strato vpedon»,Kêmi2,1929,p.107-112etpl.6),datéede230-200ap.J.-C.:«OffrandefaiteparleroiàPtah-Sokar-Osiris,legrand

Osiris,Apis,Sarapisetlesautres.RemarquessurlesOsirismemphitesauIermillénaireav.J.-C. 59

« Le vénéré auprès de Ptah-Sokar-Osiris, le grand dieu, maître de Cheta(y)t (imȝḫ ḫr Ptḥ-Skr-Wsir nṯr ȝʿ nb štȝ(y).t), d’Apis-Osiris qui préside à l’Occident, maître de l’éternité, roi des dieux (Ḥp-Wsir ḫnt(y)-imnt.t nb nḥḥ nsw nṯr.w),d’Anubis, celui qui est sur sa montagne, qui préside au pavillon divin (Inpw tp(y)-ḏw=f ḫnt(y) sḥ-nṯr),d’Isis la grande, mère du dieu (ȝs.t wr.t mw.t-nṯr),de Nephthys, sœur du dieu (Nb.t-ḥw.t sn.t-nṯr),d’Imhotep fils de Ptah (Ii-m-ḥtp sȝ Ptḥ), (et) des grands dieux qui sont dans ce tertre (nṯr.w wr.w imy.w iȝ.t tn) ».

Une fois de plus, on a le sentiment que Ptah-Sokar-Osiris et Apis-Osiris sont deux appellations complémentaires du même dieu funéraire. Le texte démotique de la stèle memphite ptolémaïque Louvre C 231 47 semble confirmer cette impression : « tu es loué devant Ptah-Sokar-Osiris, grand dieu, maître du sanctuaire-cheta(y)t, (devant) Osiris-Apis, (devant) tout dieu et toute déesse » (iw=k ḥs m-bȝḥ Ptḥ-Skr-Wsir ntr ȝʿ nb štȝ(.t) Wsir-Ḥp ntr nb ntr.t nb(.t)). Il convient seulement de noter qu’à l’Apis-Osiris de la stèle de Berlin correspond l’Osiris-Apis de la stèle du Louvre.

Les autres stèles funéraires memphites, beaucoup plus nombreuses, ne mentionnent pas Apis ; elles évoquent uniquement « Osiris qui préside à l’Occident, maître de l’éternité, roi des dieux, maître de Rosetaou », parfois accompagné d’Isis et de Nephthys. Le dieu funéraire Osiris est donc omniprésent, celui que l’on doit mentionner, seul ou avec les membres de sa famille. On pourra le citer sous plusieurs de ses noms, ceux-ci pouvant être alors en relation avec les différentes parties de la nécropole.

III. OSIRIS-APIS ET APIS-OSIRIS À SAKKARA

Comme Osiris-Apis et Apis-Osiris peuvent désigner indistinctement le taureau mort, ils peuvent aussi désigner une forme de l’Osiris memphite, l’Osiris de la région du Sérapéum, celui que l’on a vu associé à l’Osiris de Routiset (Abousir) et à l’Anubis de l’Anubieion dans les titulatures des prêtres au début de cet article. Herman De Meulenaere 48 concluait son étude en remarquant que le culte des souverains de la XXXe dynastie était étroitement associé à l’œuvre monumentale que ces pharaons avaient réalisée. Il notait 49 également que « le culte des statues

dieuquirésidedanslacheta(y)t,àApis-Osirisquiprésideàl’Occident,leroidesdieux(Ḥp-Wsirḫnt(y)-imnt.tnswnnṯr.w),àAnubisquiestsursamontagne,àIsislagrande,mèredudieu,àImhotepfilsdePtah,etauxdieuxetauxdéessesquisontdanscettenécropole».

47Cedocumentn’apuêtrerépertoriéparJ.Quaegebeur,CdE49/97,carsontexte,quiétaitpeint,estaujourd’huitotalementeffacé;unefichedumuséeduLouvreen

conserveunrelevéancienquim’apermisd’enproposerunetraduction(«LetexteperdudelastèleduLouvreC231»,dansW. Claes,H.DeMeulenaereetSt. Hendrickx(éd.),ElkabandBeyond.StudiesinHonourofLucLimme,OLA191,2009,p.303-312).

48H.DeMeulenaere,CdE35/69-70,p.107. 49H.DeMeulenaere,CdE35/69-70,p.103-104.

60 DidierDevauchelle

de Nectanébo II était attesté en quatre endroits différents », dont le premier était en relation avec les trois dieux funéraires « associés » que nous venons d’évoquer 50.

Les témoignages laissés sur l’esplanade qui précède le pylône d’entrée du domaine d’Osiris-Apis prouvent la richesse et la diversité des pratiques cultuelles qui s’y exerçaient. À l’est, le temple érigé par Nectanébo II (361-343 av. J.-C.) est dédié à Apis-Osiris/Osiris-Apis 51. Même si les vestiges parvenus jusqu’à nous sont peu nombreux 52, on peut admettre qu’un temple ramesside (entre 1300 et 1200 av. J.-C.) l’avait précédé, puisqu’il existe ailleurs, sur ce dromos, des constructions de la même époque. Un fragment de montant de porte conservé au musée du Louvre 53 démontre clairement que l’on est en présence d’un temple dédié à Osiris sous sa forme memphite d’Osiris-Apis/Apis-Osiris et qu’il y est associé à Isis.

CONCLUSION : OSIRIS-APIS ET SARAPIS

Comme on l’a vu, il faut dissocier la dénomination proprement osirienne Osiris-Apis/Apis-Osiris de celle liée au culte funéraire qui entourait le taureau sacré de Memphis, même si ces deux formes divines ne sont pas étrangères l’une à l’autre et même si les prêtres égyptiens ont joué de leurs affinités. Le culte d’Apis n’a pas connu de modifications notables entre la fin de la Basse Époque 54 et l’époque ptolémaïque : les soins prodigués à l’animal mort sont restés les mêmes, son importance à Memphis également. La « création » de Sarapis n’a donc entraîné aucune modification dans la perception que les Égyptiens avaient de l’animal sacré.

Sans approfondir ici les quelques documents qui permettent de mieux cerner la personnalité de Sarapis dans les premiers temps de la période ptolémaïque 55, on doit reconnaître, après d’autres 56, que le dieu égyptien qui présente le plus d’affinités avec ce dernier est Osiris et non Apis. Compte tenu de l’importance de la ville de Memphis à cette période de l’histoire

50LestroisautresconstructionsrecenséesparDeMeulenaeresont:le«templedeTa-dehenet»,le«templedudomainedeSekhmetlagrandequiestàlatêtedelavallée»etle«templedudomained’Osiris,seigneurdeRosetaou»,cf.H.DeMeulenaere,CdE35/69-70,p.104-107.Letempledel’époquedeNectanéboIIquisetrouvaitdanslanécropoledesanimauxdeSakkara,prèsdescatacombesdesvachesetquisembleavoirétédédiéàlafoisàOsiris-ApisetàIsis,mèred’Apis(voirsupra,n.30),pourraitcorrespondreau«templedeTa-dehenet»,queH.DeMeulenaeresituaitaunorddel’Anubieion;pourletermedhn.t,«butte»,cf.J.Yoyotte,«Àproposdequelquesidéesreçues:Méresger,laButteetlescobras»,dansG.Andreu(éd.),Deirel-MédinehetlaValléedesRois,Paris,2003,p.289-294,enparticulierp.292-293pourladehenetd’Ânkhtaouy.Onsaitpeudechose,enrevanche,desconstructionsdeNectanéboIIautourdeGiza,cf.Chr. M.Zivie-Coche,Gizaaupremiermillé-naire,Boston,1991,p.102-103.

51VoirD.Devauchelle,«LeSérapéumàlaBasseÉpoque»,dansDesdieux,destombeaux,unsavant.EnÉgyptesur

lespasdeMariettepacha,Paris,2004,p.104-105,etlanotice«Montantdeporte»,ibid.,p.124-125.

52DégagéparA.Mariette(LeSérapéumdeMemphis,p.18),cemonumentn’estconnudenousquepar«quelquesbas-reliefsencoreenplace,représentantNectanébo,danslaposturedel’adorationdevantunedivinitéquiestinvariablementApis.Apisestnommé,tantôtApistoutcourt,tantôtOsiris-Apis,tantôtApis-Osiris»;voirPMIII2,778-779.

53VoirD.Devauchelle,dansDesdieux,destombeaux,unsavant,p.124-125(LouvreN402).

54LapériodecompriseentrelesXXVIeetXXXedynasties,enrevanche,avuundéveloppementetunembellissementdesnécropolesdesanimauxsacrésaunorddeSakkara,entêtedesquellesfigurele«domained’Ousir-Hep».

55Jecompterevenirsurcettequestiondansunprochainarticle,endétaillantladocumentationànotredispositionetenreprenantlesdifférentspointsquej’évoqueraiicisommairement.

56Voir,parexemple,J.E.Stambaugh,SarapisundertheEarlyPtolemies,EPRO25,1972,p.36-52.

Osiris,Apis,Sarapisetlesautres.RemarquessurlesOsirismemphitesauIermillénaireav.J.-C. 61

égyptienne, il n’y a rien d’étonnant à ce que le nom le plus populaire de l’Osiris memphite, à savoir Osiris-Apis, se soit imposé quand il a fallu rendre en égyptien le nom du dieu grec 57. Cependant, la personnalité du taureau Apis n’a eu aucune influence directe sur la naissance et le développement du dieu nouveau Sarapis 58. Une divinité de forme animale ne pouvait que gêner un esprit grec ; d’ailleurs, l’iconographie du nouveau dieu est fort éloignée des canons égyptiens 59 !

Une autre catégorie de document permet, me semble-t-il, de préciser la personnalité de Sarapis à Sakkara, du moins telle qu’elle était ressentie par les Grecs au début de l’époque ptolémaïque : il s’agit des graffites incisés sur les sphinx qui bordaient l’allée conduisant au Sérapéum 60. Dans ces inscriptions, les pèlerins, dont les noms sont grecs 61, se présentent comme des « esclaves » de Sarapis et d’Isis. G. Nachtergael en conclut 62 que cette appellation (doῦloi) serait « une métaphore expressive, qui affirme leur piété ou leur reconnaissance envers le dieu et la déesse ». Et il ajoute : « Bien que les deux divinités ne possèdent pas un temple commun à Memphis, ils associent librement Isis à son époux Sarapis afin de se concilier une grâce divine plus efficace, plus miséricordieuse » 63. L’association de Sarapis et d’Isis aux alentours du Sérapéum de Mem-phis fait inévitablement songer au culte d’Osiris dans cette partie de la nécropole, tel qu’il se manifeste dans le temple d’Osiris-Apis et d’Isis construit par Nectanébo II à l’extrémité du dromos du Sérapéum 64. On pourra comparer la dénomination « esclave » en grec avec l’un des termes égyptiens signifiant « serviteur » 65 utilisé par les dévots égyptiens pour se désigner sur leurs stèles déposées à l’entrée du monde souterrain d’Osiris qu’est le domaine d’Apis-Osiris 66.

La géographie des cultes osiriens memphites qui transparaît dans la documentation est concentrée sur la région de Sakkara nord – elle s’étend encore un peu plus au nord, jusque dans la partie méridionale du nome létopolite. En revanche, nous sommes bien moins renseignés, à l’heure actuelle, sur la présence d’Osiris au sud de cette nécropole ou même sur la rive orien-tale du Nil. Concernant cette dernière, on notera, cependant, un passage du texte gravé sur le couvercle du sarcophage Caire CG 29310 au nom d’Ounnefer (Sakkara ; époque ptolémaïque) 67.

57OnnedoitplusconsidérerlenomdeSarapiscommeunetranscriptiond’Osiris-Apis;toutauplusest-ceunà-peu-près,commeilenexiste,parexemple,danslatranscriptiongrecquedecertainstoponymeségyptiens.

58Ilconvientdenuancer,parexemple,lesaffirmationsdePh.Borgeaud,Y.Volokhine,«LaformationdelalégendedeSarapis:uneapprochetransculturelle»,ArchivfürReligionsgeschichte2,1,2000,p.37-76,oudeM.Bommas,HeiligtumundMysterium.GriechenlandundseineägyptischenGottheiten,Mayence2005,p.5-31.

59La statue de taureau retrouvée dans le Sérapéumd’Alexandrieesttroprécentepourservird’argumentaurapprochemententreApisetSarapis;enoutre,ellerelèved’uncontexteparticulier,toutcommelespiècesdutrésordeDouch.

60Leurnombreestestiméentre370et380,cf.J.-Ph.Lauer,Ch.Picard,LesstatuesptolémaïquesduSarapieiondeMemphis,Paris,1955,p.3,reprenantA.Mariette-Pacha,LeSérapeumdeMemphis,Paris,1882,p.75-76;voirla

bibliographiedansPMIII2,778.Pouruneétuderécentedecesinscriptions,cf.G.Nachtergael,«GraffitesduSarapieiondeMemphis»,CdE74/148,1999,p.344-356.

61G.Nachtergael,CdE74/148,p.351. 62Ibid.,p.352. 63Onpourraitfaireunrapprochementavecl’invocationà

SarapisetàIsisfaiteparPtolemaios,lereclus;voir,parexemple,latraductiondeN.Lewis,GreeksinPtolemaicEgypt,Oxford,1986,p.83.

64Voirsupra,n.51-52. 65D. Devauchelle, dansW. Clarysse, A. Schoors,

H.Willems(éd.),EgyptianReligionI,p.595. 66Ibid.,p.603-604. 67G.Maspero,H.Gauthier,CGC.SarcophagesII,p.47-48,

etPMIII2,764.Pouruneétuderécentedutexteprin-cipal,cf.Ph.Derchain,«Del’éloquencejudiciaire.Laplaidoiried’OnnophrisouLeconcussionnaireinnocent»,CdELXXIV/147,1999,p.31-42.

62 DidierDevauchelle

Dans un appel aux dieux funéraires, le nom d’Apis-Osiris côtoie ceux de divinités de la rive est 68 : « Salut à vous dieux des Deux-Maât, dignitaires excellents maîtres de la salle de jugement (nḏ-ḥr=tn nṯr.w=tn Mȝʿ.ty sʿ ḥ.w mnḫ.w nb ʿ.t wḏʿ), Osiris-Sepa le noble des Âmes d’Héliopolis (Wsir-Spȝ šps Bȝ.w Iwnw) 69, Apis-Osiris qui préside à l’Occident (Ḥp-Wsir ḫnty imnt.t), les dieux qui sont dans cette butte, Hor dans Roaou (Toura), Anubis maître de Sepa, Ptah dans Inebhedj oriental ! (nṯr.wimy(.w)iȝ.ttnḤrmR-ȝwInp(w)nbSpȝPtḥmInb-ḥḏiȝbt.t) Puissiez-vous vous souvenir de mon nom en bien aux côtés de Rê quand il se lève et de Toum quand il se couche en vie en disant… (sḫȝw=tnrn=irnfrr-gsRʿmwbn=fTmmḥtp=fmʿnḫmḏd...) ». Si la présence d’Apis-Osiris qui préside à l’Occident est attendue, compte tenu du lieu où aurait été découvert ce couvercle de sarcophage, celle de divinités de la rive orientale du nome memphite et du sud de l’Héliopolite, qui apparaissent aussi ailleurs dans le texte, s’explique vraisemblablement par le lien qu’avait le scribe royal Ounnefer avec cette région, mais qu’il n’est pas possible, aujourd’hui, de préciser.

L’abondance du matériel inscrit provenant du Sérapéum et de ses alentours déforme sans doute notre perception. Trop d’éléments nous manquent pour pouvoir décrire la place qu’occupait Osiris dans la grande région memphite au Ier millénaire. Les prêtres égyptiens eux-mêmes, qui ont joué avec les noms des dieux en les associant et en les combinant, n’ont pas facilité notre tâche.

68VoirlatraductiondecepassageparPh.Derchain,CdELXXIV/147,p.39,quejenesuispasàlalettre.Desparallèlespartielsàcettelisteapparaissentailleursdanslemêmetexte(ibid.,p.36).SelonDerchain(ibid.,p.32),l’appels’adresseàOsirisetauxdieuxdesontribunal.

69Onretrouvecettemêmeformeosirienne,parexemple,auchapitre142duLivredesMorts;voirencoreChr.Leitz(éd.),LexikonII,p.562.