La bibliothèque perdue de Christophe Brocart, chantre de François Ier

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NOTES ET DOCUMENTS LA BIBLIOTHÈQUE PERDUE DE CHRISTOPHE BROCART, CHANTRE DE FRANÇOIS Ier * Le 3 mars 1557, Jacques de la Chausée, chanoine de la cathédrale de Senlis, se trouva chargé d'une triste tâche : dresser l'inventaire des possessions matérielles d'un chanoine de ses confrères, feu Christophe Brocart. De la Chausée parcourut la maison deBrocart rapidement mais soigneusement. Parmi les possessions dont ilfit la liste, setrouvait une bibliothèque à enfaire pâlir d'envie plus d'un. En plus d'une quarantaine delivres imprimés et manuscrits, qui offrent un aperçu fascinant deslectures etdes aspirations culturelles d'unchanoine d'une ville française en proie à desbouleversements religieux, la collection de Brocart comprenait qua- torze recueils de musique, manuscrits et imprimés, livres de chœur ou en parties séparées. Cet inventaire apporte des renseignements précieux surle répertoire musical disponible à la cathédrale de Senlis au milieu duxvie siècle etsur lesliens musicaux entre Paris etla Picardie. Mais peut-être plus important encore, il nous informe del'existence de plusieurs compositions polyphoniques inconnues jusqu'à ce jour l. * PourFrank DobbinsetMarie- Alexis Colin. Mes remerciements vont au Centre d'Études supérieures de la Renaissance (Université François-Rabelais de Tours) et au programme Le Studium (CNRS Orléans)pour leursoutien pendant la rédaction de cet article. Jeremercie également Marie- Alexis Colin, Frank Dobbins, David Fiala, Royston Gustavson, Mary Beth LinketPatrice Nicolas, ainsi que lesmembres du comité de lecture de la Revue de musicologie, particulièrement Henri Vanhulst, pour leurs conseils et commentaires. 1 . Cet inventaire estconserve avecle testament de Brocard aux Archives départementales de l'Oise (ci-après AD Oise), G 2183 (olim doc. 326, fondations 83, art. 2). D'autres documents concernant les biensde Brocart, conservés sous la cote G 2029, cote 25, art. 45, comprennent un inventaire de ses biens meubles, également dressé par le chanoinede la Chauséeen 1557, un inventaire de sa bibliothèque non musicale, etun document d'une autre main, daté du 5 octobre 1558, qui enregistre la distribution de ces livres non musicaux à ses confrères du chapitre, conformément à son testament. J'ai consulté tous ces documents au coursde recherches surla musique à la cathédrale de Senlis entreprises dans le cadre d'un projet de livre collectif surla musique de la Renaissance en Picardie etdu projet de Prosopo- graphie des Chantres de la Renaissance, tousdeuxen coursde réalisation au Centre d'Études Supérieures de la Renaissance de Tours. Ce n'est qu'après les avoir transcrits que j'ai découvert que l'inventaire de la bibliothèque musicalede Brocart venaitd'être publié et commenté dans le livrede Thierry Amalou, Une concorde urbaine : Senlis au temps des réformes (vers 1520-vers 1580) (Limoges : PULIM, 2007), p. 410-411 (commentaire, p. 231- 233). Il m'a néanmoins semblé nécessaire de rendre compte de ce dossier d'un point de vue musicologique, afinde relier les activités de Brocartà Senlis à sa carrière antérieure et d'identifier les volumes et les œuvres musicales aussi systématiquement que possible.

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NOTES ET DOCUMENTS

LA BIBLIOTHÈQUE PERDUE DE CHRISTOPHE BROCART, CHANTRE DE FRANÇOIS Ier *

Le 3 mars 1557, Jacques de la Chausée, chanoine de la cathédrale de Senlis, se trouva chargé d'une triste tâche : dresser l'inventaire des possessions matérielles d'un chanoine de ses confrères, feu Christophe Brocart. De la Chausée parcourut la maison de Brocart rapidement mais soigneusement. Parmi les possessions dont il fit la liste, se trouvait une bibliothèque à en faire pâlir d'envie plus d'un. En plus d'une quarantaine de livres imprimés et manuscrits, qui offrent un aperçu fascinant des lectures et des aspirations culturelles d'un chanoine d'une ville française en proie à des bouleversements religieux, la collection de Brocart comprenait qua- torze recueils de musique, manuscrits et imprimés, livres de chœur ou en parties séparées. Cet inventaire apporte des renseignements précieux sur le répertoire musical disponible à la cathédrale de Senlis au milieu du xvie siècle et sur les liens musicaux entre Paris et la Picardie. Mais peut-être plus important encore, il nous informe de l'existence de plusieurs compositions polyphoniques inconnues jusqu'à ce jour l.

* Pour Frank Dobbins et Marie- Alexis Colin. Mes remerciements vont au Centre d'Études supérieures de la Renaissance (Université François-Rabelais de Tours) et au programme Le Studium (CNRS Orléans) pour leur soutien pendant la rédaction de cet article. Je remercie également Marie- Alexis Colin, Frank Dobbins, David Fiala, Royston Gustavson, Mary Beth Link et Patrice Nicolas, ainsi que les membres du comité de lecture de la Revue de musicologie, particulièrement Henri Vanhulst, pour leurs conseils et commentaires.

1 . Cet inventaire est conserve avec le testament de Brocard aux Archives départementales de l'Oise (ci-après AD Oise), G 2183 (olim doc. 326, fondations n° 83, art. 2). D'autres documents concernant les biens de Brocart, conservés sous la cote G 2029, cote 25, art. 45, comprennent un inventaire de ses biens meubles, également dressé par le chanoine de la Chausée en 1557, un inventaire de sa bibliothèque non musicale, et un document d'une autre main, daté du 5 octobre 1558, qui enregistre la distribution de ces livres non musicaux à ses confrères du chapitre, conformément à son testament. J'ai consulté tous ces documents au cours de recherches sur la musique à la cathédrale de Senlis entreprises dans le cadre d'un projet de livre collectif sur la musique de la Renaissance en Picardie et du projet de Prosopo- graphie des Chantres de la Renaissance, tous deux en cours de réalisation au Centre d'Études Supérieures de la Renaissance de Tours. Ce n'est qu'après les avoir transcrits que j'ai découvert que l'inventaire de la bibliothèque musicale de Brocart venait d'être publié et commenté dans le livre de Thierry Amalou, Une concorde urbaine : Senlis au temps des réformes (vers 1520-vers 1580) (Limoges : PULIM, 2007), p. 410-411 (commentaire, p. 231- 233). Il m'a néanmoins semblé nécessaire de rendre compte de ce dossier d'un point de vue musicologique, afin de relier les activités de Brocart à Senlis à sa carrière antérieure et d'identifier les volumes et les œuvres musicales aussi systématiquement que possible.

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La carrière de Christophe Brocart, prêtre du diocèse de Bayeux et chantre de la Chapelle de plain-chant de François Ier n'est connue que par quelques documents épars 2. Le premier d'entre eux indique qu'en novembre 1524, il avait été présenté à l'archevêque de Rouen pour la cure de Saint-Jean de Pierrefiques (Seine- Maritime, arr. Le Havre, cant. Cricquetot-L'Esneval). Les héritiers de feu Jean Bailly, seigneur de Pierrefiques, étant alors mineurs, le droit de collation de ce bénéfice revenait au roi ; ce détail tendrait à indiquer que Brocart était proche des milieux de cour dès cette période 3. Le 27 mars 1525, Brocart obtint une prébende de Notre-Dame de Vernon (Eure, arr. Évreux) 4. Il apparaît ensuite en 1 533 et 1 535 comme l'un des douze chapelains ordinaires et chantres de la Chapelle de plain- chant de la cour royale 5. Cette chapelle apparaît dans la documentation en 1526 comme la « Chapelle du roy nouvellement créée ». Ses membres avaient pour fonction de chanter tous les jours les basses messes et les heures canoniales, ainsi que le plain-chant pour les grands messes et les vêpres des grandes fêtes annuelles. Les fonctions musicales et liturgiques de cette nouvelle Chapelle de plain-chant étaient distinctes de celles de la chapelle de la musique, en charge de l'exécution de la polyphonie aux hautes messes 6. À l'exception du « maître et superintendant » Guillaume Galicet, le personnel des deux chapelles était entièrement différent.

Comme ceux de la Chapelle de musique, les registres de la Chapelle de plain- chant sont malheureusement fragmentaires : seuls les comptes de 1 533 et 1 535 sont conservés, qui ne sont complétés que par le compte des funérailles de François Ier en 1 547. Il est donc difficile de préciser le personnel de la Chapelle en dehors de ces dates. Néanmoins, il est à noter que sept des treize chantres mentionnés dans les comptes de 1533 (Jean Baillet, Jacques Glénard, François Marandet, Anthoine Perthius, Guillaume et Jean Royer Villaine) furent présentés pour des bénéfices entre décembre 1 524 et juillet 1 525, et étaient donc peut-être au service du roi avant l'établissement de la Chapelle de plain-chant. De la même manière, l'obtention par Brocart d'une prébende à Vernon en mars 1525 pourrait indiquer qu'il faisait partie des premiers membres de la nouvelle Chapelle. Comme les autres chantres et chapelains de cette dernière, Brocart touchait un salaire annuel de 140 livres tournois, bien inférieur à ceux payés aux membres de la Chapelle de musique, qui

2. Christelle Cazaux, La Musique à la Cour de François Fr (Paris/Tours : École des Chartes/ CESR, 2002), lui consacre une notice biographique, p. 346, qui signale son service à la cour et ses bénéfices de Pierreficques et de Vernon, mais pas son activité à Senlis.

3. F-Pn, ms. fr. 5779, f. 15 : « A St Juste sur Lyon, le 23e jour de novembre [1524]. Presentación a l'archevesque de Rouen de la personne de Christofle Broccart, pour estre pourveu de la cure de Saint Jehan de Pierreficque au diocese de Rouen appartenant la presentation au Roy a cause de la garde des mineurs de feu noble homme Jehan Baylly, en son vivant seigneur dudit lieu de Pierreficque. » Extrait cité dans le Catalogue des actes de François r (Paris : Imprimerie Nationale, 1887-1 908), V, p. 632, et par Georges Robertet, Les Robertet au xvf siècle. Tome II, fase. 1 : Registre de Florimond Robertet : Catalogue d'actes royaux du règne de François Ier (15 octobre 1524-18 août 1525) (Paris : Didot, 1888), n° 63.

4. F-Pn ms. fr. 5779, f. 77 : « Au mesme lieu [Saint- Just-sur-Lyon] le 27e de mars [1525]. Pour Christofle Brocard la prebende de Notre Dame de Vernon vaccante [sic] par la trespas de mr Anthoine Torel. » Extrait cité dans le Catalogue des actes de François Fr, op. cit., V, p. 684-685, et G. Robertet, op. cit., n° 340.

5. Son nom ngure sur les deux listes conservées pour la Chapelle de plain-chant : en 1533, F-Pn, ms. fr. 10389 (olim Suppl. fr. 1506), f. 24v, et en 1535, F-Pn ms. fr. 2964, f. 434-434v. Ces deux listes sont éditées par Chr. Cazaux, op. cit. , p. 249 et 252, et résumées dans la table de la p. 314. Sur cette chapelle, voir ibid, p. 95-100, dont je résume ici les informations ; voir aussi John T. Brobeck, « Musical Patronage in the Royal Chapel of France under Francis I (r. 1515- 1547) », Journal of the American Musicological Society, 48 (1995), p. 187-239, à la p. 230.

6. Chr. Cazaux, op. cit., p. 96.

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s'échelonnaient entre 240 et 500 livres tournois 7. Le salaire relativement modeste des chanteurs de la Chapelle de plain-chant, et le fait que ce corps contenait une plus grande proportion d'officiers « purement ecclésiastiques 8 » que l'autre Cha- pelle, laisse penser que la plupart de ses membres n'avaient que des compétences limitées en matière de polyphonie. L'exemple de Brocart montre toutefois que tel n'était pas nécessairement le cas.

En 1539 au plus tard, Brocart reçut un troisième bénéfice : un canonicat à la cathédrale de Senlis. Il exerça son droit d'occupation d'une des maisons canonia- les, et il semble qu'il assista dès lors régulièrement aux réunions capitulaires - en tout cas, plus souvent que la plupart de ses collègues 9. Au moment de rédiger son testament, en 1557, Brocart disposait de quatre bénéfices. Les plus importants étaient ses canonicats de Senlis et de Vernon. Son troisième bénéfice était la cure de Saint-Pierre de Géfosse (Calvados, arr. Bayeux, cant. Isigny-sur-Mer), qu'il pour- rait avoir obtenu, à une date inconnue, en échange de la cure de Saint- Jean de Pierrefiques 10. Enfin, dans un long addendum inséré au bas de l'inventaire des livres de musique de Brossart, le chanoine de la Chaussée indique que les papiers du défunt contenaient également l'acte de fondation d'une nouvelle chapelle Saint-Laurent à la cathédrale de Senlis, par le cardinal André d'Espinay, archevê- que de Bordeaux, le 3 août 1497. Cette fondation prévoyait le chant des messes aux fêtes de Saint-Étienne et Saint-Laurent, à l'Assomption et dans la semaine après Pâques. La présence de cet acte chez Brocart indique sans doute qu'il était titulaire de cette chapelle n.

Alors que les chantres de la Chapelle de musique recevaient régulièrement des canonicats importants, y compris dans l'île de la Cité à Paris, les membres de la Chapelle de plain-chant se contentaient généralement de simples cures en pro- vince. Ce fait, ainsi que les salaires modestes des chanteurs de la Chapelle de plain-chant, semblent une indication claire de l'importance accordée à la pratique polyphonique au détriment du plain-chant 12. Cependant, la carrière beneficiale de Brocart semble avoir été plus fructueuse que celles de la plupart de ses collègues de la Chapelle. Le fait qu'il ait obtenu un bénéfice aussi enviable qu'un canonicat à la cathédrale de Senlis, ville royale qui jouissait en outre d'un lien direct avec la cour, en la personne du confesseur de François Ier, Guillaume Parvi, évêque de Senlis entre 1528 et 1536, pourrait refléter des compétences musicales supérieures à celles de ses collègues, dont sa collection de musique offre la meilleure illustration.

Aucun des maîtres des enfants de chœur actifs à Senlis n'étant connu entre Nicolas Mauvoisin (cité jusqu'en 1519) et Berthaud Turquet (qui quitte cet emploi en 1559), on pourrait même imaginer que Brocart a rempli cette tâche, au moins pendant une partie de la vingtaine d'années qu'il passa à Senlis entre 1539 et 1557 13. Aucune preuve directe de l'activité de Brocart comme maître des enfants

7. Le salaire de Brocart est même inférieur à celui du muletier qui transportait le matériel de la chapelle. Voir Chr. Cazaux, op. cit., p. 249-250, ou Michel Brenet, « Deux comptes de la Chapelle-Musique des Rois de France », Sammelbände der Internationalen Musikgesellschaft, 6 (1904), p. 1-31, aux p. 6-7.

8. Chr. Cazaux, op. cit., p. 97. 9. Th. Amalou, op.cit., p. 231, notamment note 234, qui renvoie à : AD Oise, annexe de

Senlis, FF 8, fol. 48r et avant-dernier folio, non numéroté. 10. AD Oise, G 2183. 11. AD Oise, G 2029, f. 2. 12. Chr. Cazaux, op. cit., p. 69. 13. Sur Mauvoisin, voir AD Oise, G 2016 et G 2025 ; pour Turquet, voir Victor Leblond,

L'art et les Artistes en Île-de-France au xvf siècle (Beauvais & Beauvaisais) (Paris : Champion, 1921), p. 114. Berthaud Turquet, qui avait été formé à la cathédrale de Beauvais, était maître des enfants de la cathédrale de Senlis quand il fut engagé par le chapitre de la collégiale

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ne subsiste 14, mais divers éléments appuient une telle hypothèse, à commencer, bien sûr, par sa bibliothèque musicale. Par son testament, il la légua au chapitre, et l'en-tête de l'inventaire précise que ces volumes furent bien livrés au chapitre par les exécuteurs du défunt « pour servir a icelle église ». Ceci confirme qu'ils correspon- daient au répertoire pratiqué à la cathédrale, mais l'inventaire ne fournit malheu- reusement aucun élément sur leur état d'usure, qui aurait permis de déterminer s'ils y avaient été utilisés avant la mort de Brocart. Néanmoins, les « extraictz en grand pappier » qui accompagnaient le volume n° 1 1 (voir la transciption ci-après) renvoient probablement à des copies supplémentaires de ces antiennes, ou à des parties séparées. La bibliothèque non-musicale de Brocart contenait aussi un traité de « Regule de pieno [sic] cantu » (voir l'annexe ci-dessous, n° 38), qui pourrait être un exemplaire des Utilissime musicales regule de Guillaume Guerson, ou un livre du même genre. Ce manuel de lecture de la notation de plain-chant, avec explication des principes de la main guidonienne, traite également du contrepoint sur un plain-chant, de lecture de la notation mesurée, et des intonations pour les différents types de lectures bibliques 15. Il s'agit évidemment d'un ouvrage des plus indiqués pour un maître des enfants de chœur. En outre, la bibliothèque de Brocart contenait une série de publications didactiques de l'humaniste Charles Estienne, le précepteur du futur poète Jean- Antoine de Baïf. Ces volumes qui revendiquaient leur apport « bénéfique et utile pour les enfants » (« in puerorum gratiam atque utilitatem ») sont parfois considérés comme les premiers imprimés spécifiquement destinés aux enfants, et leur présence dans la bibliothèque de Brocart tendrait à renforcer l'hypothèse que leur possesseur exerça des fonctions pédagogiques. Ces livres (dont certains s'inspirent largement des travaux d'érudition de Lazare de Baïf, père du poète) avaient pour objectif d'imprégner les élèves francophones d'un vocabulaire latin (et même grec) très raffiné, sur des sujets aussi divers que le jardinage, divers types de récipients luxueux pour la boisson, ou encore l'habille- ment (à la mode antique ou moderne). Enfin, le testament de Brocart précise que son cercueil devait être porté par quatre enfants de chœur de la cathédrale, ce qui pourrait révéler un attachement particulier à la maîtrise.

Pour achever ce rapide portrait de Brocart, on évoquera le profil intellectuel que dessine l'inventaire de sa bibliothèque non musicale. Cette liste (publiée en annexe ci-dessous) fournit en effet l'inventaire d'au moins une quarantaine d'ouvrages non musicaux en sa possession, répartis en catégories plus ou moins rigoureuses : textes et commentaires bibliques (n° 1-8) ; Homère (n° 9-10) ; sermons (n° 11) ; livres de controverse contre Luther et Œcolampade (n° 12-1 5) ; livres de Clichtove (n° 13-15) ; commentaires de textes liturgiques (séquences ; n° 16) ; commentaire des sentences Pierre Lombard (n° 17) ; éthique chrétienne (n° 18-23) ; histoire de l'église (n° 24-25) ; grammaires and dictionnaires (n° 16-28 et 30-32) ; ouvrages

Saint-Sauveur de Beauvais, en 1559. Aucune documentation ne subsiste concernant ses années à Senlis, mais son acte d'engagement à Beauvais indique qu'il était « de bonne vie et conversation et réputé scavant en la science de musique et plain chant », et « capable montrer l'art et science de musique aux enfans de cœur ». Gilbert Vinart, prêtre de Saint-Sauveur, témoigna qu'il avait vu Turquet « faire plusieurs compositions en musique et congnu plu- sieurs de ses escoliers qui sont de present estimez des plus suffïzans du royaulme ». Ces témoignages confirment que la vie musicale à Senlis était alors d'une haute qualité.

14. comme le souligne ajuste titre in. Amaiou, op. cit., p. Z3i, örocara nest, certes, jamais cité autrement que comme chanoine dans la documentation de Senlis, mais cette documentation est bien trop lacunaire pour invalider l'hypothèse.

15. Sur le traite de Guerson, voir Hans Haase, art. « Guerson, Guillaume », Fr. Blume (éd.), Die Musik in Geschichte und Gegenwart (Kassel : Bärenreiter, 1949-1979), V, col. 1047-1050 (notice réduite dans la 2e éd., VIII, col. 199-200) ; Vincent Arlettaz, Musica ficta : une histoire des sensibles du xuf au xvf siècle (Liège : Mardaga, 2000), p. 230-232.

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grecs (n° 5, 9, 10, 28-31) et hébreux (n° 27-28) ; logique et philosophie (n° 29) ; pédagogie humaniste (n° 34-37) ; théorie musicale (n° 38) ; poésie française (n° 39). Certains de ces ouvrages ayant été imprimés plusieurs fois en des lieux multiples, il est parfois difficile d'identifier l'édition acquise par Brocart. On remarque néanmoins que, si certaines éditions remontent au xve siècle, nombre d'autres furent publiées (et probablement achetées) dans les années 1 530, à l'épo- que où la présence de Brocart au service du roi est solidement attestée.

Ainsi, Brocart possédait une édition des poésies de Clément Marot (Paris : Tory pour de Faulcheur, 1532) étroitement liée à la cour, qui contient même la lamen- tation sur la mort de Florimond Robertet, le secrétaire royal qui avait enregistré les bénéfices de Brocart quelques années auparavant. Les ouvrages attribués à Haymo (n°2-4) furent tous publiés à Cologne entre 1528 et 1531, période où Brocart semble avoir acquis la plupart de ses livres, dont quatre (et peut-être même huit) publications de Robert Estienne à Paris. Cependant, la présence dans sa collection de livres imprimés par Estienne après le départ de Brocart pour Senlis suggère soit que Brocart faisait des voyages à Paris, soit que des amis ou des intermédiaires lui faisaient parvenir des livres, soit enfin que des marchands de livres établis ou de passage à Senlis y vendaient des imprimés parisiens. Quoi qu'il en soit, la possibi- lité d'un lien continu de Brocart avec Paris est tout à fait cohérente avec la présence dans sa collection de musique parisienne des années 1540 et 1550.

La bibliothèque générale de Brocart offre le portrait d'un ecclésiastique formé à l'humanisme, et désireux de prolonger son éducation jusqu'à l'idéal humaniste du « vir trilinguis ». En cela, sa collection se distingue nettement, par exemple, de celle de son confrère chanoine Pierre Foucquet 16. Plusieurs volumes attestent que Brocart étudiait le grec : son exemplaire du Nouveau Testament bilingue grec et latin, l'édition par Estienne du Pentateuque en grec, deux Homère (l'un en grec, l'autre bilingue grec et latin), et enfin une version grecque d'un ouvrage de logique, et vraisemblablement l'Organon d'Aristote. Il tenta même dans les dix dernières années de sa vie d'apprendre un peu d'hébreu, en achetant le manuel d'introduc- tion à l'hébreu de Pagnini (1546) et le dictionnaire d'hébreu et de chaldéen de Nebrija. Il ne semble cependant jamais avoir eu une connaissance approfondie de ces langues, qu'il abordait avant tout par le biais des commentaires et des traduc- tions. Parmi les aspects variés de l'humanisme de Brocart, outre son intérêt pour l'étude de la Bible en langues anciennes, il faut enfin souligner sa curiosité pour la littérature humaniste technique et pédagogique, comme les livres de Charles Estienne et Lazare de Baïf, et pour la poésie humaniste vernaculaire, comme celle de Clément Marot.

Il est également évident que Brocart s'intéressa aux réactions catholiques à la Réforme, et à celle de Clichtove en particulier. Mais les ouvrages d'apologétique anti-protestante en sa possession datent tous d'une courte période (1524-1526). Une fois que Brocart s'installa à Senlis, il est possible que son attitude envers le protestantisme se soit trouvée influencée par l'atmosphère d'accommodation mutuelle qui dominait dans la cité, que l'historien Thierry Amalou caractérise du nom de « concorde urbaine ». Quoi qu'il en soit, le net penchant de Brocart pour le travail de Clichtove se trouvait certainement dans le droit fil des intentions de réforme des évêques de Senlis Artus Fillon (1522-1526) et Guillaume Parvi (1528- 1536), de l'archidiacre Pierre Foucquet (1523-1571) et du théologal Nicolas

1 6. Brocart et Foucquet ne possédaient que deux titres en commun (le Mor alia de Grégoire et Y Histoire d'Eusèbe). Le catalogue de la bibliothèque de Foucquet (1570) est publié par Th. Amalou, op. cit., p. 406-409, et commenté aux p. 195-198 ; Amalou considère cette collection comme caractéristique de « l'univers d'un théologien proche du fabrisme ». Tous les livres de Foucquet sont en latin, à l'exception d'une traduction française de la Politique d'Aristote.

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Truyart (1536-1552) 17. L'intérêt de Brocart pour la pensée de Paul était peut-être une réaction à l'accent mis par les protestants sur la doctrine paulinienne de la justification par la foi seule. Il est d'ailleurs intéressant que Brocart ait choisi de léguer ses livres antiluthériens au théologal du chapitre Nicolas de Martinbos (ou Martimbos), qui avait été soupçonné de sympathie pour les idées protestantes 18.

Le répertoire musical de la bibliothèque de Brocart, dont l'inventaire est retrans- crit et commenté ci-dessous, est du plus haut intérêt. De la Chausée n'a bien sûr pas dressé la table des matières de chaque volume, mais les a au moins identifiés par le titre de la première et de la dernière œuvre de chaque livre. Il adopte un ordre clair qui correspond aux catégories suivantes : Magnificats (n° 1), messes (n° 2 à 9), pièces liturgiques diverses (n° 10 et 1 1) et motets (n° 12 à 14). Des quatorze livres recensés, aucun des neuf (ou dix) manuscrits n'a été conservé.

[m Inventaire des livres de musicque donnez et léguez a messires les doyen, chanoynes et chapitre de l'église de Sentis par deffunct maistre Christofle Brocard, en son vivant chanoyne de ladicte église, et a eulx délivrez par les exécuteurs de son testament pour servir a ¡celle église

[n° 1] Et premièrement ung grand livre de Magnificat couvert de cuyr de truye doré, intitulé Liber septuaginta magnificat musicalium : le premier du premier ton composé par Vallentin Sohier et le dernier par Hesdin.

Ce manuscrit très volumineux est le seul à avoir un titre. Il comprend pas moins de soixante-dix Magnificats. Le premier, dans le premier ton, est une œuvre perdue de Valentin Sohier. Le dernier, de Nicolas des Celliers de Hesdin, pourrait être un de ses deux Magnificats à quatre voix connus : l'un figure dans le manuscrit NL-L ms 1442 ; l'autre est transmis par plusieurs sources : Liber quintus XII. trium priorum tonorum Magnificat continet (Paris : Attaingnant, 1534/7 ; D-Sl ms 26 ; I-Pc ms D27, S iv). En l'absence d'indication du ton du Magnificat dans l'inventaire, il est impossible de savoir si l'œuvre du recueil de Brocart correspond à l'un de ces deux Magnificats connus. Sachant que, par exemple, les trente-trois Magnificats copiés en 1544 dans le manuscrit NL-SH ms 73 occupent 148 folios, on peut imaginer que ce manuscrit de Brocart avoisinait le nombre exceptionnel de 315 folios.

[n° 2] Item deux aultres grands livres de messes de pareil vollume : la premiere de l'ung composee par Hedin sur le motet D'argentum, la dernière par Syrot sur le motet Suscepit eum.

Ce manuscrit de messes commence par une messe parodie de Hesdin « sur le motet Dargentum », désignation qui renvoie très probablement au motet à cinq voix du même auteur Argentum et aurum non est mihi. Ce motet figure dans le Liber tertius viginti musicales quinqué, sex, vel oc to vocum mot e tos (Paris : Attaingnant, 1534/5) et dans le Secundus tomus novi operis musici (Nuremberg : Formschneider, 1538/3) ; il fut également copié dans deux manuscrits (I-CMac Duomo ms D(F) ; CZ-CBk ms II A 26a-b, p. 9, n° AI 19).

17. Th. Amalou, op. cit., p. 119, 178-206. 18. Th. Amalou, op. cit., p. 116-134. 19. La version en p. 57 du manuscrit CZ-CBk ms II A 21 (cahier de bassus seul) n'est pas

la même, bien que l'incipit soit similaire. Je remercie Royston Gustavson pour ses informa- tions sur ces différents manuscrits et pour avoir rectifié une information erronée de la MGG concernant les deux manuscrits conservés à Hradec Králové.

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Illustration 1 : première page de l'inventaire des livres de musique de Christophe Brocard

(AD Oise, G 2183, f. 1)

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II ne subsiste aucune messe parodie sur ce motet. Deux messes Argentum et aurum sont connues, l'une de Mouton (perdue) et l'autre d'Isaac ; ni l'une ni l'autre n'est liée au motet de Hesdin 20. Une Missa Argentum anonyme à quatre voix - donc toujours sans rapport avec le motet d'Hesdin - est également conservée dans F-CA, ms 4, f. 250v-267. La dernière messe du volume est l'œuvre d'un certain Syrot, à l'imitation d'un motet commençant par les mots Suscepit eum. Ni le motet ni la messe n'ont été identifiés, mais cette attribution pourrait renvoyer au « Cirot » auquel Pierre Attaignant attribue deux chansons 21.

Les deux premiers livres de l'inventaire de Brocart comprenaient tous deux des œuvres de Hesdin, qui termina sa brève carrière en 1 538 comme maître des enfants de chœur de la cathédrale de Beauvais. C'est peut-être de là que ces volumes furent amenés à Senlis, la cathédrale voisine de Beauvais, à moins qu'ils aient été copiés sur des recueils conservés à la bibliothèque de la psallette de Beauvais.

[n° 3] La premiere de l'autre composee par Mouton sur Aima, la dernière De Angelis composee par Certon, couvertz de cuyr de veau noir.

Cette autre collection manuscrite de messes, qui forme une paire avec l'entrée précédente, semble plus proche du répertoire de la chapelle royale. La pre- mière œuvre, la Missa Alma Redemptoris Mater de Jean Mouton, est conser- vée dans quatre manuscrits (F-CA ms 4 ; D-Mbs Musica ms 260 ; NL-SH ms 72C ; S-Ua ms Vokalmusik i Handskrift 76b) et dans une édition imprimée (le Missarum Ioannis Mouton Liber primus [Venise : Petrucci, 1515 ; RISM M401 5]). Le manuscrit se termine par une Missa De Angelis de Pierre Certon, qui est perdue. Elle était manifestement fondée sur la messe monodique, un procédé déjà utilisé par Certon dans son Requiem, dans lequel il élabore le matériau de plain-chant avec une remarquable créativité. Avec Mouton (f 1522) et Certon (f 1572), ce manuscrit rassemblait des œuvres de compo- siteurs de générations et de styles différents.

[n° 4] Item ung autre grand livre de messes de pareil volume couvert de parche- myn : la premiere composee sur Peccata mea domine par Paignier, et la dernière sur Verbum bonum par Sohier.

Cette collection manuscrite de messes a les mêmes dimensions que les deux précédents. Elle s'ouvre avec une messe de Nicolas Pagnier sur le motet Peccata mea domine, peut-être celui de Richafort. Les seules œuvres musicales de Pagnier qui nous soient parvenues sont des chansons publiées entre 1 538 et 1553, mais la collection musicale Fugger à Augsburg comprenait autrefois un volume de motets de sa main, à quatre, cinq et six voix, lui aussi perdu 22. Mais

20. Paul Käst, Studien zu den Messen des Jean Mouton : unter besonderer Berücksichtigung der Echtheitsfrage und der Chronologie (Diss. Johann Wolfgang Goethe-Universität de Franc- fort, 1955), p. 156.

21. Je remercie Patrice Nicolas pour cette suggestion. Ces deux chansons de « Cirot » apparaissent dans le recueil des Vingt & six chansons musicales à quatre parties (Paris : Attaingnant, 1535/6 ; Heartz 62). Leur auteur pourrait être Noël Cybot, chantre et organiste de la Sainte-Chapelle de Paris entre 1522 et 1556, comme le suggère Frank Dobbins, « Cybot [Cibot, Cirot], Noël », S. Sadie (éd.), The New Grove Dictionary of Music and Musicians, 2e éd. (Londres : MacMillan, 2001), VI, p. 797.

22. Richard Schaal, « Die Musikbibliothek von Raimund Fugger d. J. Ein Beitrag zur Musiküberlieferung des 16. Jahrhunderts », Acta Musicologica, 29 (1957), p. 126-137, à la p. 131, n° 161.

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Notes et documents 185

il est aussi possible que l'attribution soit erronée car une Missa peccata mea de Lupus Hellinck (basée sur le motet de Richafort) figure dans le manuscrit E-MO ms 776 23. La dernière messe du volume, attribuée à « Sohier », s'ins- pire de la séquence mariale Verbum bonum et suave ou d'un motet sur ce texte, comme celui de Pierrequin de Thérache que Mouton prit pour modèle de sa Missa Verbum bonum 24. On ne sait si cette messe de Sohier est l'œuvre de Mathieu ou Valentin Sohier 25 ; l'attribution par Du Chemin d'une Missa Vidi speciosam à un « Mathaeo Sohier » en 1556 puis à « Val. Sohier » en 1568 amène à suspecter que les deux hommes ne font qu'un. Quoi qu'il en soit, aucune Missa Verbum bonum de Sohier n'a été préservée. Il est possible que ce volume manuscrit ait un lien avec Notre-Dame de Paris, où Mathieu Sohier fut maître de musique entre 1 533 et 1 548, avant Nicolas Pagnier qui occupa la fonction de 1548 à 1550.

[n° 5] Item deux aultres livres de messes de moindre volume couvertz de veau noir : la premiere de l'un composee sur la chanson Sy vostre amour se passe par Symon de Gouy, et la dernière sur le motet Regnum mundi par Certon.

L'inventaire passe aux manuscrits de format plus modeste et l'on ne peut que regretter que de La Chausée ne soit pas plus précis dans sa formulation, alors qu'il l'est en ce qui concerne la reliure. Le volume décrit est également un recueil manuscrit de messes, qui commence par une messe parodie du com- positeur inconnu Simon de Gouy, sur la chanson Si votre amour se passe. Il n'existe qu'une version connue de cette chanson, copiée sans attribution dans le manuscrit S-Ua ms Vokalmusik i Handskrift 76b. La dernière œuvre du recueil est la Missa Regnum mundi de Pierre Certon, qui nous est parvenue dans deux sources imprimées : les Missae duodecim cum quatuor vocibus (Paris : Du Chemin, 1554 26) et les Missae tres Petro Certon cum quatuor vocibus (Paris : Le Roy et Ballard, 1558 ; RISM Cl 7 15).

23. René Bernard Lenaerts, « Les Messes de L. Hellinck du Ms. 766 [recte 776] de Montserrat », in Miscelánea en Homenaje a Monseñor Higinio Angles (Barcelone : Consejo Superior de Investigaciones Cientificas, 1958-1961) I, p. 468 ; John Graziano, « Lupus Hellinck : A Survey of Fourteen Masses », Musical Quarterly, 56 (1970), p. 247 ; Lester D. Brothers, « A New-World Hexachord Mass by Francisco Lopez Capillas », Anuario Interamericano de Investigación Musical, 9 (1973), p. 5-44, aux p. 19, 39. Jacquet de Mantoue a également composé une Missa peccata mea, conservée dans I-Bsp ms I.XXV, f. 50v-64r ; // primo libro de le messe a cinque voci composte da lachet da Mantoa (Venise : Scoto, 1554 ; RISM J 15), f. 19r-25v ; Messa del fiore a cinque voci libro secondo. Composte da lachet da Mantoua (Venise : Scoto, 1561 ; RISM J 19), f. 13r-18v, mais une confusion avec une œuvre de Jacquet semble moins plausible ; voir Mitchell P. Brauner, « The Catalogue of Raffaele Panuzzi and the Repertory of the Papal Chapel in the 15th and 16th Centuries », Journal of Musicology, 8 (1990), p. 427-443.

24. Conservée dans D-Mbs ms 260, ms 260, 1. 1 3v- 1 5r (incomplète) ; E-Tc Obra y Fabrica, MS Reservado 23, f. 57v-84r ; F-CA ms 4, f. lr-13r ; I-REsp ms s. s., f. 43r-54r ; I-Rvat S Cappella Giulia XII.2 (olim C 48), f. 207v-224r ; NL-SH ms 72 C, f. 23v-46r ; P-Cug, ms M2, f. lv-21r ; Motettide la corona libro secondo (Venise : Petrucci, 1519/1).

25. Lawrence F. Bernstein, « Mathieu and Valentin Sohier : A new pair of renaissance Doppelmeister », A Musical Offering : Essays in Honor of Martin Bernstein, ed. Edward H. Clinkscale and Claire Brook (New York : Pendragon, 1977), p. 25-44.

26. La collection Missae duodecim (Paris : Du Chemin, 1554) n'est pas enregistrée dans le RISM ; voir François Lesure et Geneviève Thibault, « Bibliographie des éditions musicales publiées par Nicolas du Chemin (1549-1576) », Annales Musicologiques, 1 (1953), p. 269-373, à la p. 31 1, n° 36 (D-Mbs Mus. Pr. 2° 39).

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[f. lv] [n° 6] La premiere de l'autre composee sur Mente tota par Anthoine de Fevin et la dernière sur la chanson Syje my plains fay bien raison par Paignyer.

Ce manuscrit, du même type que le précédent, s'ouvre avec une messe com- posée par Antoine de Févin sur le motet Mente tota, qui est conservée dans de nombreuses sources manuscrites (D- Ju ms 3 ; D-Mbs Musica ms 260 ; I-Rvat ms Cappella Giulia XII.2 [olim C 48] ; I-Rvat ms Cappella Sistina 16 ; A-Wn mss Mus. 1 5495 and 1 8832) et dont des sections à deux voix se retrouvent dans les Bicinia gallica, latina, germanica. Tomus primus (Wittenberg : Rhaw, 1 545/6). La dernière messe du recueil, de Pagnier, est perdue. Elle prenait pour modèle la chanson Si je m'y plains, fay bien raison, peut-être dérivée du canon à cinq voix sur ce texte attribué à Richafort dans le Livre de Meslanges (Paris : Le Roy et Ballard, 1560/28) et dans le livre de Mellange de chansons tant des vieux autheurs que des modernes (Paris : Le Roy et Ballard, 1572/2) 27.

[n° 7] Item deux aultres livres de messes imprimees de pareil volume et couvertz de veau noir : l'un intitulé Primus liber viginti missarum musicalium tres missas continens quarum nomina sequuntur. Legitur : Impressus parisiis In vico cithare apud Petrum Actaingnant ad sanctorum Cosme et Damiani templum.

[n° 8] L'autre intitule Liber quindecim missarum [mot raturé et ajout interlinéraire : electarum] que per excellentissimos músicos composite fuerunt. Rome impresse Anno Domini MDXVI

L'inventaire mentionne successivement deux livres imprimés qui sont reliés de la même façon. Le Primus Liber viginti missarum musicalium tres missas continens (Paris : Attaingnant, 1532/1 ; Heartz 33 28) comprend la Missa Deus in adiutorium de Pierre de Manchicourt, la Missa Philomena praevia de Claudin de Sermisy et Ia Missa Nigra sum de Mathieu Gascogne. Le Liber quindecim missarum (Rome : Antico, mai 1516/1) est une importante collec- tion de messes de Brumel, Févin, Josquin, de la Rue, Mouton, Pipelare et Roselli.

[n° 9] Item ung autre livre de messes de pareil volume couvert de veau noir et encores d'une couverture de parchemyn par dessus : la premiere composee sur la chanson Doulce ennemye par Valentin Sohyer et la dernière de Requiem par Consilium, intitulé au dernier feuillet Elenchus viginti missarum musicalium.

La Chausée revient aux manuscrits. Il en décrit un qui rassemble vingt messes, comme l'indique un index en dernière page. Ni la messe de Valentin Sohier, ni la chanson Douce ennemie qu'elle prend pour modèle ne nous sont parvenues, pas plus que le Requiem de Jean Conseil qui terminait le recueil.

[n° 10] Item ung autre livre couvert de cuyr vert de plus grand volume auquel y a des Magnificatz, des moutz [probablement pour moutetz], des messes, la genealo- gye nostre seigneur, la passion et des leçons de ténèbres ; au premier fueillet et dernier duquel livre y a deux Magnificatz de l'octave ton composez par Richa- fort.

27. Voir François Lesure and Geneviève Thibault, Bibliographie des éditions d'Adrian Le Roy et Robert Ballard: 1551-1598 (Paris : Société Française de Musicologie, 1955), p. 92 et 158.

28. Daniel Heartz, Pierre Attaingnant, Royal Printer oj Music (Berkeley : California University Press, 1969), p. 245-246.

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Notes et documents 1 87

Ce grand manuscrit rassemble des pièces liturgiques variées, dont deux Magnificats de Richafort en huitième ton. Ces deux œuvres semblent avoir été conservées mais, si l'une est complète, il ne subsiste de l'autre que deux sections en duo (« Fecit potentiam » et « Sicut locutus est ») publiées dans le recueil II primo libro a due voci (Venise : Gardane, 1543/19). Le manuscrit contenait également une version de la généalogie du Christ qui, s'il s'agit bien d'une version polyphonique, était probablement l'une des deux versions mises en musique par Josquin {Liber generationis et Factum est autem cum baptiza- retur), ou celle de Prions (Factum est, conservé dans le manuscrit I-Rvat ms Capella Sistina 42). Dans cette hypothèse, ce manuscrit aurait été fort sem- blable au manuscrit E-Tc Obra y Fabrica ms Reservado 23, qui semble avoir été copié dans les Pays-Bas entre 1520 et 1535 environ, et qui contient également des Magnificats - dont un de Richafort - , des messes et motets - dont le Liber generationis de Josquin - , et une Passio secundum Mathaeum attribuée diversement à Longueval, De la Rue, Obrecht et Venture.

[f. 2] [n° 11] Item ung autre grand livre couvert de parchemyn contenant le Conditor et les 00 de l'advent avec plusieurs extraictz en grand pappier des dictz OO, plusieurs extraictz de Kirie et des proses Mitit [sic] ad Virginem, Angelus ad virginem, Letare puerpera, Virgines egregie.

Tout comme le manuscrit précédent, celui-ci rassemblait des pièces diverses, dont une commençant par Conditor (sans doute l'hymne Conditor aime siderum, chantée durant les vêpres à l'Avent) et les « Antiennes O » de l'Avent (O sapientia, O clavis David, etc.), plusieurs extraits de celles-ci étant copiés sur de grandes feuilles volantes, sans doute pour éviter au chanteur de tourner les pages (ou de changer de volume) pour atteindre le Magnificat que ces antiennes accompagnaient. Il ne subsiste du xvie siècle qu'un unique cycle polyphonique d'antiennes « O », composé d'œuvres de Certon, Hotinet, Mornable, Le Roy et Manchicourt imprimées dans le Liber septimus xxim trium, quatuor, quinqué, sexve vocum módulos dominici adventus nativitasque ejus [...] habet (Paris : Attaingnant, 1534/9 ; Heartz 56). Mais une particula- rité locale pourrait expliquer la présence d'un cycle de ce genre dans un manuscrit de Senlis. Le testament d'Adam de Chambly, évêque de Senlis de 1233 à 1258 stipulait que le chœur devait recevoir un paiement prélevé sur sa fondation lors des dimanche où les antiennes O sapientia et O clavis seraient chantées aux vêpres 29. Ces antiennes pourraient donc avoir eu une impor- tance particulière à Senlis. Ce volume contenait aussi des extraits de Kyrie (verset polyphoniques ? versets pour orgue ?) ainsi que quatre proses maria- les 30. D'après le missel de Senlis 31, Mittit ad Virginem était la prose chantée pour les fêtes mariales de l'Avent, à laquelle on pouvait substituer Angelus ad Virginem. La prose Virgines egregiae était, elle, prescrite pour les fêtes d'une ou plusieurs vierges (les saintes Agnès, Agathe et Cécile). On sait par ailleurs que les séquences Mittit ad Virginem et Laetare puerpera étaient chantées à

29. AD Oise, G 2239. 30. Four ces proses, voir Ouido Maria Dreves, Clemens Blume et Henry Marriott Bannis-

ter (éd.), Analecta hymnica medii aevi, 56 t. (Leipzig : R. Reisland ; puis Berne et Munich : A. Francke, 1886-1978) : t. 54, n° 191 (Mittit ad Virginem), t. 55, n° 24 (Virgines egregiae), t. 8, n° 51 (Angelus ad virginem) et t. 54, n° 102 (Laetare puerpera).

31. Missale ad usum et consuetudinem insignis ecclesiae Silvanectensis (Paris : Maheu, 1524).

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Reims à la fin des vêpres depuis l'Avent jusqu'à la Purification 32. Ceci corres- pond tout à fait à l'inclusion de ces séquences dans un manuscrit contenant d'autres musiques pour les vêpres. Par une fondation du grand-chantre de Senlis Pierre de Fayolles (1505), renouvelée par le doyen Pierre Gobert en 1 53 1 , un service de Salve avait été institué à la cathédrale la veille de l'Annon- ciation, lors duquel les chanoines devaient chanter le répons Gaude Maria et la prose Mit tit ad Virginem 33. De nombreuses versions polyphoniques de la prose Mittit ad Virginem ont été conservées, attribuées à Du Fay, Josquin, Isaac, Willaert, Finck et Stoltzer. En revanche, seules deux versions polypho- niques de la prose Angelus ad Virginem sont connues pour le xvie siècle ; toutes deux sont anonymes et conservées dans des sources d'Europe centrale (PL-Pr ms 1361 ; CZ-CBk ms 21). Il ne subsiste aucune version polyphonique des proses Laetare puerpera et Virgines egregiae. Dans la mesure où un bon nombre des textes contenus dans ce livre n'ont pas donné lieu à une élabora- tion polyphonique, il pourrait s'agir d'un livre de plain-chant. Ce fait tendrait à renforcer l'idée que la collection de Brocard était au moins autant celle d'une institution musicale (la maîtrise de Senlis) que celle d'un individu.

[n° 12] Item quatre aultres livres de motetz couvertz de veau noir dore en petit volume intitulez Liber primus [quinte raturé ; ajout interlinéaire : quinqué] et viginti musicales quatuor vocum motetos quorum nomina tabella sequens indicai Parisiis impressus per prefatum A ttaingnant.

[n° 1 3] Item quatre aultres livres de motetz plus grands couvertz de parchemyn.

[n° 14] Item quatre aultres livres de motetz de moindre volume couvertz de parchemyn imprimez Neapoli, contenant chacun sa table du contenu, en iceulx le nom et seurnom dudit deffunct. Legitur : [raturé : Requiescant in pace Amen] Cuius anima requiescat in pace. Amen.

Brocard possédait enfin trois livres de motets en parties séparées. Le premier cité est le premier livre de motets publié par Attaingnant en 1534 (Paris : Attaingnant, 1534/3 ; Heartz 46) qui rassemble des motets de Sermisy, Couillart, Mouton, Richafort, Lhéritier, Willaert, Gascogne, Verdelot, Bou- teillier, Vermont, Gombert et Lupus. La description du recueil suivant concerne manifestement une collection de parties séparées, mais ne permet pas de l'identifier. Puisque l'entrée ne précise ni « imprimés » ou « impressi », et n'apporte aucune information sur l'édition, il s'agissait probablement de quatre cahiers manuscrits. Le dernier recueil est lui aussi décrit par la formule « quatre autres livres de motets », mais précise que les volumes ont été imprimés à Naples, et possédaient chacun une table des matières. Il s'agit très probablement de la collection disparue du Motetti libro primo (Naples : de Frizis, 1519) 34. Ces cahiers séparés portaient tous le nom de Brocart à

32. Reims BM, ms CR III.312.P : Guillaume Baussonnet, Paraphrases en l'honneur de la sacrée Vierge Marie : sur les deux proses, Mittit ad Virginem & Laetare puerpera, qu'on chante en l'Eglise de Reims à la fin des Vespres de chascun Dimanche de V Advent, Festes de Noel, & jusques à la Purification ; catalogué dans Roméo Arbour, L'ère baroque en France. Répertoire chronologique des édition de textes littéraires. Quatrième partie : Supplement 1585-1643 (Genève : Droz, 1985), p. 623.

33. AD Oise, G 2165 ; Th. Amalou, op. cit., p. 234-235. 34. Catherine Weeks Chapman, « Printed Collections of Polyphonie Music Owned by

Ferdinand Columbus », Journal of the American Musicological Society, 21 (1968), p. 34-84, aux p. 40 et 51 ; Stanley Boorman, Ottaviano Petrucci : A Catalogue Raisonné (Oxford : Oxford University Press, 2006), p. 406.

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Notes et documents 1 89

l'intérieur, accompagné de l'inscription « Cuius anima requiescat in pace », manifestement avec l'intention que l'utilisation de ces livres pour le service divin contribue au salut de l'âme de leur donateur. Cette indication démontre explique la place de la source à la fin de l'inventaire.

On peut tirer divers enseignements de cet inventaire. La collection de Brocart était, tout d'abord, considérable : elle contenait plusieurs manuscrits volumineux, dont des livres de chœur in folio, articles de grand prix qu'on s'attend normalement à trouver dans une institution musicale plutôt que dans une collection privée. En outre, puisqu'il s'agit d'une bibliothèque privée, l'absence totale de musique profane est tout aussi significative, d'autant que la collection de livres non musi- caux de Brocart comprenait quelques de lectures profanes, comme des éditions d'Homère et de Clément Marot.

La majorité des livres, neuf (ou dix) sur les quatorze listés, étaient des manus- crits. Ceci est particulièrement frappant pour les huit recueils de messes, tous manuscrits sauf un. En revanche, deux des trois recueils de motets étaient impri- més, la nature de l'autre n'étant pas indiquée. Des quatre (peut-être cinq) collec- tions imprimées, deux étaient sorties des presses d'Attaingnant à Paris pendant une courte période (1532-1534) qui correspond grossièrement au moment où la présence de Brocart est attestée à la Chapelle royale de plain-chant. Le fait que les manuscrits contenaient des œuvres de compositeurs de la Chapelle royale (Mou- ton) et de la Sainte-Chapelle du Palais (Certon) suggère que Brocart pourrait avoir acquis, ou avoir lui-même copié cette musique, pendant son service à la cour. On note en effet qu'au moment de sa mort, en 1557, une grande partie du répertoire des livres de Brocart était déjà un peu ancien. Les volumes d'Attaingnant en sa possession dataient tous de sa période parisienne, donc vingt ans plus tôt, et ses imprimés romains et napolitains étaient plus anciens encore, respectivement de 1516 et (peut-être) 1519. En revanche, les livres n° 4, 5, 6 et 9 sont sans doute postérieurs à l'établissement de Brocart à Senlis. La musique présente dans ces ouvrages plus tardifs provenait de compositeurs en activité à Paris (Mathieu Sohier et Pagnier), indiquant que Brocart conserva sans doute un contact avec la scène musicale parisienne.

Le répertoire musical de la bibliothèque de Brocart se composait exclusivement de musique pour la messe (n° 2-10 et 12-14) et les vêpres (n° 1, 10 et 11), ce qui révèle peut-être quelque chose de la répartition de la pratique polyphonique dans la liturgie de Senlis. La musique pour la messe se divisait en versions polyphoni- ques de l'ordinaire, de proses pour les fêtes mariales, et de motets, qui étaient en grande part extra-liturgiques et pouvaient s'utiliser de diverses façons 35. Le répertoire pour les vêpres était avant tout constitué de versions du Magnificat (en nombre impressionnant), d'antiennes de Magnificat et d'au moins une hymne de l'Onice, dont on peut penser qu'elle était suivie d'un cycle entier. L'inventaire donne l'impression qu'on chantait beaucoup de polyphonie pendant les Vêpres de l'Avent à Senlis, mais il est possible que cela soit simplement dû au fait que les propres de l'Avent, première saison de l'année, étaient placés en tête des livres liturgiques, et furent donc relevés par de la Chausée, qui prenait note des pièces initiales de chaque manuscrit.

L'inventaire de la bibliothèque de Brocart offre le tableau le plus complet de la vie musicale à la cathédrale de Senlis au xvie siècle, à une période où la liturgie était

35. Sur le motet au xvie siècle, voir John T. Brobeck, The motet at the court of Francis I (Ph. D. Diss., University of Pennsylvania, 1991) et l'article récent d'Anthony M. Cummings, « The Motet », European Music, 1520-1640, éd. James Haar (Woodbridge : Boydell Press, 2006), p. 130-156.

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190 Revue de Musicologie, 9511 (2009)

un outil important pour la promotion des intérêts de l'Église catholique. Comme l'a montré Thierry Amalou, les chapitres de la cathédrale et des églises collégiales mettaient alors en avant la liturgie pour renforcer une certaine unification de la cité en tant que communauté catholique, et s'opposer pacifiquement à l'avancée pro- testante 36. Les activités encouragées par l'Église dans cet esprit allaient des processions, des dévotions aux reliques des saints dans nombre d'églises de la ville, jusqu'à la pratique musicale et sonore, dont la manifestation la plus concrète est sans doute l'installation à la cathédrale de nouvelles orgues en 1534, puis de cloches neuves deux ans plus tard. L'insistance au sujet de la vénération des reliques aux églises paroissiales et collégiales avait aussi une fonction politique, rappelant aux habitants de la cité sa loyauté aux monarques catholiques de la France 37. La pratique de la polyphonie à la cathédrale était de toute évidence un élément important de ce dispositif de développement ostentatoire de la liturgie 38.

Enfin, et surtout, cet inventaire enrichit l'œuvre connue d'un certain nombre de compositeurs, en y ajoutant des œuvres dont nous ignorions l'existence, et révèle en outre deux compositeurs inconnus jusque là, Simon de Gouy et Syrot. Au total, la bibliothèque de Brocart révèle l'existence d'une dizaine d'œuvres inconnues à ce jour :

Pierre Certon : Missa De Angelis Jean Conseil : Missa pro defunctis Simon de Gouy : Missa Si votre amour se passe Nicolas Celliers de Hesdin : Missa Argentum et aurum Nicolas Pagnier : Missa Peccata mea domine et Missa Si je m'y plains Valentín Sohier : Magnificat primi toni et Missa Douce ennemie Valentin or Mathieu Sohier : Missa Verbum bonum Syrot [Cirot ?] : Missa Suscepit enim La bibliothèque musicale de Brocart permet d'entrevoir un peu la richesse de la

vie liturgique et musicale d'un important centre régional dont on ne sait quasiment rien. En complément, l'inventaire des livres non musicaux de Brocart donne un instructif aperçu de la culture d'un chanoine qui, ayant reçu une éducation humaniste, résidait dans une cité où catholiques et protestants vivaient dans une rivalité permanente, et où la musique était une arme privilégiée pour défendre et diffuser ses convictions. Les ouvrages pédagogiques en possession de Brocart permettent d'ailleurs d'imaginer qu'il joua un rôle d'éducateur et peut-être de formateur à la maîtrise de Senlis. Mais que cela ait été le cas ou non, la participa- tion régulière de cet ancien chantre de la chapelle royale de plain-chant au chapitre de la cathédrale indique que la pratique musicale devait y être d'une haute exigence. Inversement, ces nouvelles informations sur l'activité de Brocart à Senlis enrichissent considérablement notre connaissance du profil d'un membre de la chapelle de plain-chant de François Ier, et renouvellent l'image des ressources musicales dont pouvait disposer cette institution si mal connue. Il eut, certes, été préférable que la bibliothèque de Brocart nous soit parvenue intacte, mais à lui seul, son inventaire offre sur la vie musicale de ce temps de riches enseignements.

36. Th. Amalou, op. cit., p. 87-107. 37. Clovis avait fondé Saint-Rieul ; Anne de Kiev, la femme d'Henri Ier, l'église Saint-

Vincent ; et le roi Saint-Louis avait fondé Saint-Maurice. Sur tout ceci, voir Th. Amalou, op. cit., notamment aux p. 89-107 ; sur la rénovation de la liturgie des morts à l'église paroissiale de Saint- Aignan en 1551 par Foucquet, voir ibid., p. 198-206.

38. Ibid., p. 84-85. Pour leur part, les calvinistes de Senlis utilisaient eux aussi la musique dans un effort d'unité et d'affirmation de leur identité, avec entre autres des sermons et des chants de psaumes en extérieur qui troublaient leurs compatriotes catholiques pendant la messe, et furent à l'origine de tensions dans la population civile.

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Notes et documents 191

Annexe

Inventaire des livres non musicaux de Christophe Brocart (AD Oise, G 2029, f. 21v-23r)

[I] Penîatheucus cum anno tat ionibus Roberti Stephani ]

[2] Haymo In Esaiam 2

[3] Item In duodecim prophetas minores 3

[4] Item In epistolas Pauli 4

[5] Novum Testamentum grecolatinum in duobus voluminibus 5

[6] Cathena aurea in quattuor parvis voluminibus 6

[7] Commentarius Thomas in epistolas Pauli 7

[8] Gagni In epistolas Pauli 8

[9] Horneros grece 9 [10] Alius Horneros grecolatinus 10 II 1] Sermones Silvestri de Prierio dicti seu nominati Aurea roza n [12] Determinatio facultatis théologie 12 [13] Antilutherus Clitovei 13

1 . Libri Moysi quinqué. Genesis. Exodus. Leviticus. Numeri. Deuteronomium. Cum annota- tionibus & observationibus hebraicis (Paris : Robert Estienne I, 18.2.1541). Légué à Jehan Demonssy.

2. Haymo d'Halberstadt, In Esaiam commentariorum libri tres (Cologne : Quentell, 1531). Légué au chapitre.

3. Haymo d'Halberstadt, In XII prophetas minores enarrano. Eiusdem in Cantica cantico- rum commentarius, antehac emissus nunquam (Cologne : Cervicornus & Hittorp, 1529 ; 2e éd. 1533). Légué au chapitre.

4. Haymo d'Halberstadt [recte Haymo Altissiodorensis], In diui Pauli epistolas cum breuis tumperlucida expositio nuper Argentorati stanneis calamis primum excusa (Strasbourg : Beck, 1519 ; rééd. Cologne : Cervicornus, 1528). Légué au chapitre.

5. Sans doute une des éditions du Nouveau Testament par Erasme (Ie éd. Bâle : Froben, 1516). Légué au chapitre.

6. Vraisemblablement Cathena Aurea S. Tho : Angelici doctoris diui Thome Aquinatis sacrarum literarum peritissimi Cathena aurea in quatuor Euangelia [...] Lamberti Campestri solerti examine castigatius nuper redditum, 4 vol. (Lyon : Giunta, 1542, rééd. 1544). Légué à Nicole de Martinbos, théologal. Le document précise que Martinbos reçut aussi « ung autre Cathena en deux volumes ».

7. Vraisemblablement Thomas d Aquin, Super epistolas Pauli commentaria castigatissime impressa et ab omnibus mendis purgata (Paris : Jean Petit, 1518). Légué à Jehan Demonssy.

8 . Jean Gaigny (vers 1 495- 1 549), Breuissima &facïllima in omnes diui Pauli epistolas scholia (Paris : Simon de Colines, 1 543). Légué au chapitre.

9. La première édition des œuvres complètes d'Homère, éd. Demetrius Chalcondylas, fut publiée à Florence en 1489 par Demetrius Damilas et Bernardus et Nerius Nerlius (GW 12895).

10. Peut-être Homen Ilias, idest, De rebus ad Troiam gestis (Pans : Turnebus, 1554) ; cette édition contenait un chapitre intitulée Investigano thematum et dialectorum, ce qui fait penser au n° 30 ci-dessous. Légué au chapitre.

11. Silvestro Mazzoìini da Prierio (Sylvester Prierias, 1456/57-1523), Aurea rosa, id est preclarissima expositio super evangelia totius anni de tempore & de sanctis tam secundum ordinem predicatorum quam secundum curiam (Ie éd. Bologne : Hector, 1503). Légué au chapitre.

12. Determinatio Facultatis Theologie Parisiensis, super aliquibus propositionibus : certis e locis nuper ad earn de latis, de ueneratione sanctorum, de canone missae deque sustentatione ministrorum altaris, & ceteris quibusdam ; cum familiari expositione, in qua Hereticorum rationes confutantur ([Parisi : [s. n.l, 1524). Légué à Nicole de Martinbos.

13. Josse Clichtoveus, Antilutherus ludoci Clichtovei Neoportuensis : tres libros complectens (Paris : Simon de Colines, 1524). Légué à Nicole de Martinbos.

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192 Revue de Musicologie, 9511 (2009)

[14] Elucidarium eiusdem Clitovei 14

[15] Item De sacramento eucharistie contra Œcolampadium 15

[16] Item Expositio sequentiarum 16

[17] Nider De precept is 17

[18] Durandus In sententias 18

[f. 22r] [19] Cartesiani Summa virtutum et viciorum 19

[20] Moralia Sancti Gregorii 20

[21] Moralia Alemani 21

[22] Moralia Modestori 22

[23] Reductorium morale Bertoni 23

[24] Historia ecclesiastica 24

[25] Historia scholastica 2S

[26] Thesaurus lingue latine 26

[27] Grammatica hebrea Sanctus 27

[28] Alphabetum grecum et hebreum 28

[29] Logicum grecum 29

[30] Grammatica greca Clenardi cum Meditationibus 30 [31] De investigatione thematum grecorum 31

14. Josse Clichtoveus, Elucidatorium ecclesiasticum (Paris : Henri Estienne, 1516). Légué à Loys Thibault, chanoine et sous-chantre.

15. Josse Clichtoveus, De Sacramento Eucharistiae contra Œcolampadium opus (Pans : Simon de Colines, 1526). Légué à Loys Thibault.

1 6. Josse Bade, Expositio sequentiarum secundum vsum Sarum Diligenter recognita et aucta (Paris : André Bocard pour Jean Boudins, fév. 1502). Légué au chapitre.

17. Johannes Nider, Praeceptorium divinae legis ([s. 1.] : [s. n.], [s. a.] ; Hain 1 1781). Légué à Nicole de Martinbos.

18. Guillaume Durand de Saint-Pourtain, Super Sententias theologicas Pétri Lombardi commentariorum libri quattuor (Paris : Roigny, 1539). Légué au chapitre.

19. Dionysius Carthusianus, Summae vitiorum et virtutum : libri duo (Cologne : Soter, 1533). Légué au chapitre.

20. Vraisemblablement Moralia Sancti Gregory pape Super lob (Venise : Torresanus, 1496) ; ou Moralia Sancti Grezorij (Bâle : Kessler, 1503). Légué au chapitre.

21. Reinerus Alemannicus, De moribus et facetiis mense ([Bâle] : [Michael Furter], [vers 1490]). Légué au chapitre.

22. Non identifié. 23. Pierre Bersuire, Morale reductorium super totam Bibliam (Bâle : Koberger, 1517).

Légué au chapitre. 24. Vraisemblablement Eusebius, Historia ecclesiastica (Ie éd. Utrecht : Nicolaus Ketelaer

et Gerardus de Leempt, 1474). Légué au chapitre. 25. Petrus Comestor, Historia scholastica (Ie éd. Strasbourg : Imprimeur d'Henricus

Ariminensis [Georg Reyser ?], avant le 6 fév. 1473). Légué à Nicole de Martinbos. 26. Robert Estienne I, Dictionarium, seu Latinae linguae thesaurus (Paris : Estienne, 1 536).

Légué au chapitre. 27. Sante Pagnini (1470-1541), Observationes in linguam Hebraicam ad simplicem Sacra-

rum literarum intelligentiam admodum necessariae (Paris : Estienne, 1546). Légué à Nicole Desnrez.

28. Peut-être Constantini Lascaris Byzantini Grammaticae compendium, Graecae linguae studiosis aptissimum. Adiectis ad finem quibusdam opusculis, [...] Atque haec omnia cum Latina interpretation, summaque diligentia castigata. Hebraicae praeterea linguae perutilis institutio (Venice : Hieronymus Scotus, 1546). Légué au chapitre.

29. Peut-être YOrganon d'Aristote (Ie éd. Venise : Aldus, 1495). Légué à Nicole Desprez. 30. Nicolas Clenard, Institutiones absolutissimae in linguam Graecam [...] His additae sunt

meditationes Graecanicae in artem Grammaticam (Cologne : Gymnicus, 1534). Légué au chapitre.

31 . Peut-être s agit d un extrait de 1 edition de 1 Mas d Homere, evoque ci-dessus au n° 10. Légué au chapitre.

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Notes et documents 1 93

[32] Calepinus 32 [32] Vocabularium Nebricensis cum quibusdam aliis 33 [33] Vocabularium Catholicum 34 [34-37] De re hortensi ; Vasculis ; Vestiaria ; et Seminaria 35 [38] Regule de pieno [sic] cantu 36 [39] L'Adolescence de Marot 37 [40] Aliquot libri manu scripti

Grantley McDonald. Texte traduit par Judith Strauser.

* * *

SUMMARY

Attached to the testament of Christophe Brocart (fi 557), former singer in the French royal Chapelle de plain-chant and later canon at the cathedral of Senlis, is a catalogue of over fifty books, including fourteen music books, both manuscript and print, both choirbooks and partbooks. Brocart's general library gives a valuable insight into the cultural aspirations of a humanistically educated Catholic clergyman in the midst of the French Reformation, while his music library provi- des some insight into the polyphonic repertoire sung at this important provincial cathedral in the mid-sixteenth century. The catalogue of musical manuscripts in Brocart's collection provides important details about lost works by several French composers, such as Certon, Conseil, Celliers de Hesdin, Sohier, Syrot (Cybot?) and the otherwise unknown Simon de Gouy.

32. Ambrogio Calepino (vers 1440-1510), Lexicon adauctum et recognitum (Hagenau : Birckman, 1523). Légué à Nicole de Martinbos.

33. Elio Antonio de Nebrija, Vocabularium hebraicum atque chaldaicum totius veteris testamenti cum aliis tractatibus ([Alcalá de Henares] : Cisneros, 1515). Légué au chapitre.

34. Le Catholicon est un dictionnaire écrit par Johannes Balbus, imprimé pour la première fois à Mayence par un imprimeur inconnu, vers 1460, et plusieurs fois réimprimé. La présente formulation du titre fait penser à l'édition : Vocabularius breviloquus (a compluribus tirunculis minus Catholicon vulgo die tus) qui vocabulorum lingue latine significata contine t (Paris : Herouf, [1520-15281). Légué au chapitre.

35. Charles Estienne, De re hortensi libellus, vulgar ia herbarum, florum, ac fruticum, qui in hortis conseri soient, nomina, latinis vocibus efferre docens ex probatis authoribus (Paris : R. Estienne I, 1535 ; Lyon : Gryphius, 1536) ; Lazare de Baïf, De vasculis libellus (Paris : R. Estienne I, 1535 ; Lyon : Gryphius, 1536) ; Lazare de Baïf, De re vestiaria libellus (Paris : R. Estienne I, 1535 ; Lyon : Gryphius, 1536) ; Charles Estienne, Seminarium sive plantarium earum arborum, quœ post hortos conseri soient (Paris : R. Estienne I, 1536 ; Lyon : Vincent, 1537). Légué au chapitre. Un volume relié contenant ces quatre livres dans les éditions lyonnaises est conservé à la bibliothèque de l'Université de San Diego, cote SB99 F7 E79. Bien qu'il ne porte aucune marque de possesseur (communication Mary Beth Link, San Diego), la coïncidence est néanmoins remarquable.

36. Vraisemblablement Guillaume Guerson, Utilissime musicales regule necessarie plani cantus simplicis contrapuncti rerum factarum tonorum usalium neenon artis accentuandi tam speculative quam practice artiorissima mundate (Paris : F. Regnault, 1511 ; repr. 1516, 1518, 1521). Légué au chapitre.

37. Clément Marot, L'Adolescence Clementine. Autrement, Les Oeuvres de Clement Marot [...] composees en leage de son Adolescence. Avec la Complaincte sur le Trespas de feu Messire Florimond Robertet. Et plusieurs autres Oeuvres faictes par ledici Marot depuis leage de sa dicte Adolescence (Paris : Tory pour Pierre Roffet dit le Faulcheur, 1532). Légué au chapitre.

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