Navigation et instalations lacustres dans le Bassin de Mexico au Postclassique.
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Université Paris1 Panthéon6sorbonne
UFR 03 Histoire de l’art et archéologie
UMR 8096 Archéologie des Amériques
Mémoire de Master 2
Sous la direction d’Eric Taladoire et Eric Rieth
La navigation Mexica dans la lagune de Mexico :
navigation et prise du pouvoir
Alexandra BIAR
Année 2010 -2011
Remerciements
En France
Tout d’abord je tiens à remercier messieurs Taladoire et Rieth pour m’avoir permis de
réaliser ce travail dans d’excellentes conditions grâce à leurs conseils et leurs corrections.
Je remercie ensuite mes amis archéologues-plongeurs, Emmanuel Nantet et Emilien Afane,
spécialisés dans la navigation méditerranéenne pour leurs idées et leur aide précieuse concernant les
aspects techniques et mathématiques de ce travail. J’ai fortement apprécié l’aide d’Hélène Guiot,
spécialiste sur la navigation polynésienne, pour m’avoir orienté vers de nombreuses pistes de
recherches, je l’en remercie vivement. De même, encore merci à Xavier Bichon pour ses idées et ses
conseils sur tous les aspects techniques de la navigation.
Je n’oublie évidemment pas de remercier enfin mes parents et ma tante pour les précieuses heures
qu’ils ont accordées à la relecture de ces pages.
Au Mexique
Je remercie avec reconnaissance plusieurs personnes qui m’ont permis de mettre à profit
mon séjour mexicain en réalisant une expérience archéologiquement, intellectuellement et
humainement enrichissante :
- Leonardo Lopez Lujan pour son accueil, sa disponibilité et ses conseils,
- Mme Bertina Olmedo, responsable de salle Mexica du Musée National d’Anthropologie et d’Histoire
de Mexico pour sa disponibilité et son autorisation pour effectuer de nouvelles mesures de la
pirogue Mexica,
- Nicolas Lira, spécialiste de la navigation dans le nord de la Patagonie pour m’avoir gentiment fait
bénéficier de ces contacts à Mexico,
- Mr. Jorge Manuel Herrera, post-doctorant de l’UNAM, spécialiste de la navigation Espagnole dans le
Bassin de Mexico, pour les quelques heures qu’il a pu m’accorder et au cours desquelles nous avons
pu aborder de nombreuses pistes à explorer,
- Mr. Eladio Terreros pour m’avoir permis de visiter les pièces interdites au public de la Casa
Talavera, me révélant ainsi d’inestimables informations liées à l’histoire de cet édifice sur la
navigation à Mexico jusqu’au début de XIXe.
- Alvaro pour les nombreuses cartes de la ville de Mexico qu’il m’a gentiment données afin de
comprendre au mieux le réseau des différents canaux de navigation qui traversaient alors la capitale.
- Marion Forest pour son chaleureux accueil ainsi que Nathalie et Stefanie Lepinay-Lopez pour
m’avoir accueillie chez elles, me permettant de découvrir un Mexique qui m’était alors méconnu.
Chapitre 1 - Environnement et présence humaine :
a) Environnement naturel : 9
b) Occupations humaines : 13
c) Données ethnohistoriques et archéologiques : 18
Chapitre 2 - Conditions d’occupation du site urbain :
a) Aménagements généraux: 30
b) Exploitation de l’environnement : 38
c) Aménagements spécifiques: 46
Chapitre 3 - Pirogues et autres embarcations:
a) Typologie, d’après les sources iconographiques 49
b) Essences de bois, outils et charpentiers 58
c) Construction 66
Conclusion 70
Bibliographie 72
Annexe
Note au lecteur : Les figures se trouvent à la fin de chaque chapitre pour facilité la lecture de ce
travail.
Introduction
À la différence des autres continents, les civilisations du Nouveau Monde ne sont pas vraiment
connues pour leur grande histoire maritime et leurs flottes. Cependant de temps à autres, certaines
zones côtières comme au Pérou, au Chili ou en Patagonie, ont vu s’épanouir de grandes civilisations
qui ont su exploiter avec succès leur environnement sans pour autant développer des techniques
complexes de navigation. En effet, les peuples d’Amérique ne nous ont laissé ni épaves, ni restes de
bateaux sophistiqués pouvant attester de leur maîtrise de la mer et des eaux intérieures. Seules des
embarcations « primaires » ont été mises au jour comme dans le Bassin de Mexico ou au Bélize, on
parle alors de pirogues monoxyles. Ce type d’embarcation se retrouve sur toute la surface du globe
et continue d’être utilisé en Afrique, en Polynésie ou en Birmanie De nos jours, la navigation en
Amérique doit être vue comme une longue et discrète tradition qu’il nous est encore possible de
voir, par exemple, sur le lac Titicaca ou dans les chinampas de Xochimilco. Même si l’arrivée des
Européens a légèrement modifié l’apparence des embarcations qui demeurent les témoins d’une
époque révolue, elles nous renseignent sur ce qu’a pu être la navigation avant l’arrivée des
Conquistadors. Même si les données archéologiques sont lacunaires, il nous est possible d’affirmer
qu’il existait au moins deux types de navigations : côtière, fluviale et lacustre. C’est de cette dernière
qu’il sera question dans ce mémoire.
Notre étude prend place en Mésoamérique, dans le Bassin de Mexico, situé à plus de 2000 m
d’altitude. C’est à cet endroit que se sont développées, avec celle des Mayas, les deux cultures les
plus célèbres: Teotihuacan et Mexico-Tenochtitlan. Lors de notre master 1 nous nous étions
intéressés à la navigation Mexica sur les lacs du Bassin de Mexico. Ce sujet n’ayant jamais été traité
par des chercheurs français ou mexicains et ne disposant que de quelques preuves archéologiques,
nous avions essayé de répertorier toutes les utilisations possibles que les Mexica avaient de ces
« canoa » en nous appuyant sur les nombreuses sources du XVIe siècle. Nous avions ainsi déterminé
que ces embarcations étaient utilisées pour se déplacer, pêcher, chasser, effectuer des rituels ou
encore pour faire la guerre. Cependant, des questions se posent sur la maîtrise de la navigation et en
quoi elle était aussi importante pour les Mexica.
C’est pourquoi, à travers ce travail de master 2, nous avons essentiellement tenté de prouver le rôle
clef que joue la navigation dans la domination politique, économique et religieuse des Mexica au
sein du Bassin de Mexico.
Rappelons que lorsque Cortès débarque sur les côtes mexicaines et progresse vers le Bassin
de Mexico, Tenochtitlan domine alors un empire qui s’étend sur plusieurs milliers de kilomètres. La
question est de savoir comment un peuple de nomades ne maîtrisant nullement un environnement
lacustre a réussi à fonder, en 1325, sa capitale sur une île et s’imposer en quelques années comme la
puissance de dominante.
Pour répondre à cela nous avons dans un premier temps, fait un rappel des particularités que
présente l’environnement naturel du Bassin de Mexico ainsi qu’un récapitulatif de ses occupations
humaines depuis les premières traces archéologiques jusqu’à la prise de Tenochtitlan, capitale
Mexica, par les Espagnol en 1525.
Dans un second temps, nous avons répertorié les différents types d’aménagements nécessitant une
parfaite maîtrise de la navigation qui ont permis de faire de Tenochtitlan une grande puissance.
Enfin, nous avons essayés d’établir une typologie de ces embarcations à l’aide des sources
iconographiques du XVIe siècle et de quelques données archéologiques dont nous disposions.
Ce qui va nous permettre de comprendre que la maîtrise de la navigation était à la fois vitale et
stratégique pour s’imposer dans un tel environnement, c’est l’exemple le plus frappant du transport
des matériaux pondéreux qui étaient utilisés en grande quantité pour la construction de la capitale
Mexica.
Liste des Figures
Figure 1. Image 3D de la topographie du Bassin de Mexico (http://svs.gsfc.nasa.gov)
Figure 2. Carte des bassins endoréiques de la table central du Mexique (Arqueologia Mexicana,
N°68, juiller-aout 2004 : 24)
Figure 3. Eaux et lacs du système lacustre du Bassin de Mexico (d’après Musset, 1989)
Figure 4. Profil de l’étagement des lacs du système lacustre (d’après Niderberger, 1981)
Figure 5. Répartition de la population au Postclassique (d’après Sanders, Parsons et Santley
1979)
Figure 6. Miniatures en pierre du Templo Mayor (Photothèque de l’INAH)
Figure 7. Vue de profil de la pirogue du Musée national de Mexico (Alexandra BIAR)
Figure 8. Dessin à l’échelle de la pirogue du Musée National de Mexico (Leshikar, 1982 : 84)
Figure 8. bis La pirogue du Musée National de Mexico, salle Mexica (Alexandra BIAR)
Figure 9. Vue de la proue (Alexandra BIAR)
Figure 9. bis Vue de la poupe (Alexandra BIAR)
Figure 10. Pirogue miniature en pierre, Cerro de Las Mesas, Veracruz (Leshikar, 1988)
Figure 11. Pirogue miniature en bois, île de Moho Cay, Belize (Leshikar, 1988)
Figure 12. Pienture murale représentant des pirogues, Temple des Guerriers, Chichen Itza
(Leshikar, 1988)
Figure 12. bis Disque en or, Cenote, Chicgen Itza (Leshikar, 1988)
Figure 13. Gravures sur os représentant des pirogues, tombe « Dirigeant A », Tikal (Leshikar,
1988)
Figure 14. Pirogue monoxyle, Grotte de Kakuyo, Bélize (Mexicon, vol. XXVIII, décembre 2006)
Figure 15 Coupe d’une zone chinampera (www.northeasternpermaculture.wikispaces.com)
Figure 16 Chinampas (Plano en Papel de maguey)
Figure 17 Canaux et ponts à Tenochtitlan (d’après Leshikar)
Figure 18 Ponts place Alhondiga (Guillermo Tovar de Teresa)
Figure 18a Position du pont Place Alhondiga (d’après Google map)
Figure 18b Pont place Alhondiga (Alexandra Biar)
Figure 19 Les chaussées de Tenochtitlan (d’après Musset, 1989)
Figure 20 Acqueduc de Chapultepec, ruines (Alexandra Biar)
Figure 21 Transport de joncs, (Codex Mendoza, vol. III, Folio 60.r)
Figure 22 Scène de pêche, (Codex Mendoza, vol. III, Folio 60. r)
Figure 23 Transport de mottes de terre pour le temple, (Codex Mendoza, vol. III, folio 63. r)
Figure 24 Transport de pierres de construction pour le temple, (Codex Mendoza, vol. III, folio
64. r)
Figure 25 Scène de pêche, (Codex Azcatitlan, planche XIII)
Figure 26 Capture d’un « atotolin », (Codex Florentin, planche 84, 1978)
Figure 27 Chasse à « l’acitili », (Codex Florentin, planche 87, 1978)
Figure 28 Répartition des gisements de pierre de construction (d’après Lopez Lujan, 1975)
Figure 29 Pierre du Soleil, Coyolxauhqui, Monolithe de Tlaltecuhtli (d’après Lopez Lujan, 2010)
Figure 30 Canal de la Viga, la Casa Talavera et embarcadère du Palacio Nacional (Alexandra
Biar)
Figure 31 Tableau des sources iconographiques
Figure 32 Tableau de la typologie des embarcations
Figure 33 Planche 1 (Codex Azcatitlan, 1995)
Figure 34 Chasse à « l’acitili » (Codex Florentin, planche 87, 1978)
Figure 35 Pantitlan (Codex Florentin, Folio 23r., 1978)
Figure 36 Destruction de pirogue (Codex Mendoza, Folio 4)
Figure 37 Pirogue à la proue sculpté (Lienzo de Tlaxcala, planche 41, 1983)
Figure 38 Guerriers Mexicas (Codex Florentin, vol. II, Folio 59)
Figure 39 Le pélican et le noyé (Codex Florentin, planche 186, 1978)
Figure 40 Débitage de planche (Sahagun, planche 400)
Figure 41 Fabrique d’une idole en bois (Sahagin, planche 34)
Figure 42 Anatomie du bois (Simutoga, 1992)
Figure 43 Conception Visuelle (Peissel, 1984)
Figure 44 Abattage (Best, 1925)
Figure 44a Abattage du tronc, détail (Simutoga, 1992)
Figure 45 Abattage à l’aide du feu (Best, 1925)
Figure 46 Ligne du bois (Simutoga, 1992)
Figure 47 Gauchissements du bois (Simutoga, 1992)
Figure 48 Rectifications des lignes du bois (Simutoga, 1992)
Figure 49 Taille à l’herminette (Simutoga, 1992)
Figure 50 Evidage à l’aide du feu (Leshikar, 1988)
Figure 51 Mise à l’eau (Best, 1935)
Chapitre 1
a) Environnement naturel :
Le Bassin de Mexico, situé à plus de 2 000m d’altitude, est le plus vaste système lacustre
d’origine volcanique du haut plateau central mexicain. Sa formation résulte d’une importante activité
tectonique datant du Tertiaire et du Pléistocène. Il est encerclé par de nombreuses chaînes de
montagnes, dont les plus hauts sommets se trouvent sur la Sierra Madre, il s’agit du Popocatépetl
(5 452m) et de l’Ixtaccihuatl (5 286m) qui en constituent la limite Est (Figure 1). Il est difficile de
considérer le Bassin comme une unité géographique homogène, car il existe une dénivellation
d’environ 3 000m sur 28Km entre le niveau lacustre et le sommet de l’Ixtaccihuatl, et ces fortes
dénivellations vont avoir des répercussions sur le climat et les paysages.
La plupart des sols du Bassin de Mexico sont marqués dans leur nature par le caractère
volcanique du substrat. Ainsi, les alluvions et sédiments déposés au cours des siècles dans le fond du
Bassin dérivent en majorité de roches volcaniques neutres ou basiques comme l’andésite, le basalte
et le « tezontle » qui se retrouveront dans l’architecture monumentale de Teotihuacan, puis dans
celle des Mexicas à Tenochtitlan. Cette configuration géologique rend les sols imperméables, ce qui
classe le Bassin de Mexico dans la catégorie des bassins endoréiques : c'est-à-dire que les eaux ne
s’écoulent pas jusqu’à la mer, facilitant ainsi l’apparition d’un important système lacustre. Cortès
décrit ce paysage dans sa correspondance avec Charles Quint (1982 : 126) :
« Ce royaume est de forme ronde, entouré de hautes et pittoresques montagnes, et la plaine peut
compter soixante et dix lieues de circonférence ; dans cette plaine, il y a deux lagunes qui l’occupent
presque toute entière, car le service des canoas embrasse plus de cinquante lieues. La plus petite de
ces lagunes a de l’eau douce, la plus grande de l’eau salée.»
C’est au Pléistocène que l’on enregistre l’extension maximale des lacs dans le Bassin de
Mexico. A cette époque ils recouvraient alors une superficie sans commune mesure avec celle que
les Espagnols découvriront en 1519 (Musset, 1989 : 185). Rappelons que dans l’Occident du Mexique
existaient d’autres grands bassins endoréiques (Figure 2) formés à peu près à la même époque. Ils
sont également dotés d’un système lacustre comme à Cuitzeo et Patzcuaro dans l’état du Michoacán
et Chapala dans l’état du Jalisco (Leshikar, 1982 : 9). Tous ces systèmes lacustres ont favorisé
l’apparition de grandes civilisations comme celle des Tarasques, contemporaine des Mexicas, dans
l’état du Michoacán.
La singularité du système lacustre du Bassin de Mexico, pour des raisons topographiques,
géologiques et hydrographiques, repose sur le fait qu’il est formé de cinq lacs qui renferment des
eaux à la fois douces et saumâtres (Figure 3). Au nord, les lacs de Zumpango et Xaltocan sont
légèrement salins ; au centre, le lac de Texcoco, sur lequel fut construite Tenochtitlan, est chargé
d’une forte concentration en sel ; enfin, au sud se trouvent les lacs d’eau douce de Chalco et
Xochimilco. Ces lacs sont constamment alimentés par les cours d’eau issus des montagnes alentours
et par d’importantes précipitations lors de la saison des pluies (entre juin et septembre). Ils se situent
à des altitudes différentes, ce qui explique qu’ils vont fonctionner sur un système de vases
communiquants clos (Figure 4), favorisant ainsi les inondations lors de la saison des pluies. Ces deux
contraintes, la nature de l’eau et la fluctuation du niveau des lacs, seront à l’origine de travaux
d’aménagements conséquents réalisés par les Mexicas à l’aide d’embarcations afin de mieux
maîtriser leur environnement. Sanders (1979 : 84-89) définit neuf zones environnementales en
Mésoamérique dont trois seulement se retrouvent dans le Bassin de Mexico : un système lacustre,
des rives salines et la proximité avec des forêts de montagnes. La présence de ces trois éléments
facilite l’apparition d’une flore et d’une faune riche et variée. Nous pouvons donc affirmer, en toute
logique, qu’une augmentation des moyens de transports, en particuliers lacustres, a été nécessaire
pour faciliter l’accès à un maximum de ressources. Dans ce travail, nous nous intéresserons plus
particulièrement au transport des matériaux de construction tels que le bois et la pierre, qui ont été
indispensables lors de la construction des monuments officiels Mexicas.
Il est alors indispensable de cerner les différents avantages et contraintes que pose un tel
environnement naturel qui a attiré, dès l’origine de l’occupation de ce continent, de nombreuses
populations qui se sont rapidement sédentarisées. Dès lors, nous serons en mesure d’apprécier
l’exploitation que les Mexica ont faite du système lacustre et de ces ressources. En effet, l’étude de la
navigation au sein du Bassin de Mexico nous permet de comprendre que l’utilisation d’embarcations
sur les lacs était bien antérieure à l’arrivée des Mexicas. Dans un premier temps, elles étaient
utilisées de manière ponctuelle pour des activités vitales telles que la pêche ou la chasse d’oiseaux
aquatiques. Par la suite, leur utilisation intensive pour le transport, le commerce ou la guerre a été
développée par les Mexicas. Réfugiés sur une île, ce peuple a très vite compris que la maîtrise de la
navigation était une clef indispensable pour leur survie et, plus tard, pour s’imposer en maître sur le
Bassin de Mexico.
b) Occupations humaines :
A peine deux cents ans avant le contact avec les conquistadors espagnols, Tenochtitlan
n’existait pas, même s’il existe des indices certains d’une occupation antérieure. Le site se présentait
sous la forme d’une petite île marécageuse recouverte de roseaux. L’installation des Mexicas s’y fit
vers le début des années 1 300 après J.-C., et leur vraie suprématie politique sur l’ensemble du Bassin
de Mexico ne se manifesta que cent ans plus tard. Toutefois, bien que l’implantation de Tenochtitlan
elle-même soit très récente, le Bassin de Mexico était déjà peuplé depuis longtemps. L’histoire du
peuplement de Tenochtitlan ne représente que peu de chose à l’échelle de celle du Bassin. Un
résumé de ces installations humaines est donc indispensable pour comprendre plus aisément
comment Tenochtitlan s’y est imposée économiquement et politiquement.
Dans sa thèse de doctorat, Christine Niderberger (1981 :320) affirme que les premières
traces archéologiques de peuplement du Bassin se situent aux alentours de 3000-2200 avant J.-C. sur
le site de Zohapilco. Après ces dates, faute de données suffisamment fiables, il est seulement
possible de localiser de nouveaux sites d’occupations vers 1500-1150 avant J.-C..
De 1500 à 1300 avant J.-C., la première moitié des sites connus, d’un point de vue
archéologique, se situait dans la zone des hautes terres alluviales de Coapexco à 2600 m à l’est de
l’actuelle Amecameca. La seconde moitié se regroupait dans le sud sur les terrains alluviaux autour
des lacs d’eau douce à Chalco et Xochimilco (Blanton, 1976 :185). Cependant, entre 1300 et 1150
avant J.-C., les sites présents sur les hautes terres ont été abandonnés, tandis que ceux situés sur les
bords des lacs ont subsisté. Cette remarque nous semble pertinente car elle démontre que les trois
principaux sites occupés entre 1500 et 1150 avant J.-C. étaient directement reliés au système
lacustre du Bassin de Mexico. Ces sites étaient : l’île de Tlapacoya, située au nord-est du lac de
Chalco ; Tlatilco, situé sur les rives ouest du lac de Texcoco, et Cuicuilco, situé sur la rive sud.
L’emplacement de l’un de ces sites sur une île, et des autres à proximité des lacs ou des rivières, nous
laisse penser que ces populations de cette époque devaient déjà pratiquer une forme de navigation
dans le Bassin. Au moins un des sites du Bassin de Mexico, à savoir l’île de Tlapacoya, avait des
affinités avec les Olmèques, ce qui nous permet de consolider l’hypothèse selon laquelle les pirogues
étaient déjà utilisées dans cette zone. Nous savons que la pirogue était connue des Olmèques grâce à
une miniature en jade mise au jour sur le site de Cerro de las Mesas au Veracruz. Il est intéressant de
noter que cette sculpture de style olmèque est très semblable à ce que nous pourrons observer plus
tard dans la typologie des embarcations Mexicas.
Entre 1150 et 650 avant J.-C., nous assistons à une importante expansion démographique
dans le Bassin (Sanders et al. 1979 : 96). Bien que l’on observe un peuplement du nord du Bassin, la
plupart des installations humaines demeurent toujours concentrées dans le sud, à proximité des lacs
d’eau douce à Chalco et Xochimilco (Parsons, 1974 :93). Ceci indique donc une forte attraction vitale
pour le milieu lacustre. Entre 650 et 300 avant J.-C., on estime que les deux-tiers à peu près de la
population du Bassin se concentrent autour des lacs de Chalco et Xochimilco, tandis que les autres
groupes résident à Texcoco ou de l’autre côté du lac de Texcoco dans la zone de Cuautitlan-
Tenayuca-Tacuba (Sanders et al. 1979 :98).
Entre 300 et 100 avant J.-C., la concentration la plus importante de population se situe
toujours dans la portion sud du Bassin. On dénombre durant cette période cinq zones majeures de
peuplement. Cuicuilco, à l’ouest du lac de Xochimilco, exercerait apparemment une sorte de
domination locale dans le sud-ouest du Bassin, pendant que Teotihuacan faisait de même dans le
secteur nord-est. Ces deux sites majeurs qui étaient séparés par le système lacustre, pouvaient
comporter des chefferies locales en compétition pour l’accès à l’eau et aux terres agricoles (Parsons,
1976 :82). Se détachant du reste du Bassin, les trois autres ensembles de population se situaient soit
dans la partie supérieure des plaines lacustres à l’est et au sud-est du lac de Chalco, de la péninsule
d’Iztapalapa aux rives sud du lac de Xochimilco, soit dans l’est du lac de Texcoco (Parsons, 1974 :93).
Quelque temps après, soit entre 100 avant J.-C. et 100 après J.-C., Cuicuilco fut totalement
détruite par deux importantes coulées de laves (la première eut lieu juste avant 100 avant J.-C.) et 80
à 90% de la population du Bassin dut migrer vers la zone de Teotihuacan (Sanders et al. 1969 :106-
107). Après la destruction de Cuicuilco, on estime que Teotihuacan s’étendait sur une zone de 20 Km²
et regroupait une population avoisinant les 60 000 à 80 000 personnes (Millon, 1973 ; Cowgill, 1997).
Durant la période entre 100 et 650 après J.-C., on observe une stabilité générale au niveau du
peuplement de la région. Teotihuacan s’agrandit et aux alentours de 500 après J.-C., elle se pare
d’une architecture monumentale et sa population devait dépasser les 100 000 habitants (Parsons,
1974 :96 ; Cowgill, 1997). L’unique autre site de taille équivalente connu dans le Bassin de Mexico
était Azcapotzalco situé sur la rive ouest du lac de Texcoco. Aujourd’hui entièrement masqué par
l’actuelle ville de Mexico, il était potentiellement situé sur la plus large surface de la plaine alluviale
irrigable restante de l’ouest du Bassin après la destruction de Cuicuilco (Parsons, 1971 :194).
Azcapotzalco, bien que jamais aussi vaste que Teotihuacan, était significativement plus grand que les
autres sites du Bassin datés de cette époque. Sa proximité avec les rives sud-ouest du lac de Texcoco
nous indique qu’il dépendait probablement des importantes ressources lacustres.
Entre 650 et 950 après J.-C., la population de Teotihuacan se réduisait approximativement
entre 20 000 et 30 000 habitants (Parsons, 1974 :98) alors que l’ensemble du peuplement sur le
Bassin était redistribué. A cette époque, le peuplement du Bassin de Mexico semble avoir été divisé :
on y retrouve au nord et au sud trois ensembles majeurs de population (Sanders et al. 1979 :129).
Entre 950 et 1150 après J.-C., aucun des nouveaux centres majeurs développés dans le
Mexique Central n’était situé dans le Bassin lui-même, mais en périphérie. Les sites les plus
importants étaient ceux de Tula au nord, Cholula au sud-est et éventuellement Xochicalco au sud-
ouest. Parsons (1974 :98) note qu’entre 700 et 1200 après J.-C., le Bassin jouait plutôt le rôle de zone
tampon entre ces différents centres de pouvoir. Ceci peut certainement s’expliquer du fait que le
système lacustre, considéré comme un lieu de grandes ressources, représentait une sorte de zone
franche permettant à ces centres de s’approvisionner en matières premières et alimentaires sans
qu’aucun d’eux n’ait été suffisamment proche ou puissant pour se l’approprier et le maîtriser.
Il semble qu’il ait existé une grande différence dans le peuplement du Bassin entre le nord et
le sud qui nous suggère l’existence d’un clivage sociopolitique nord-ouest / sud-est pendant toute la
période comprise entre 750 et 1150 après J.-C. (Sanders et al. 1979 :149 ainsi que les cartes 15 et
16). Dans les périodes antérieures, la distribution de la plupart des sites majeurs le long des rives sud
des lacs, à proximité des plaines inondables, indique qu’ils dépendaient du système lacustre et de ses
ressources.
Des sources documentaires du XVIe siècle révèlent l’histoire de la chute légendaire de Tula au
milieu du XIIe siècle, suivie par une période de division politique qui s’acheva avec l’hégémonie des
Tépanèques et d’Acolhua au XIVe siècle, lorsqu’une grande partie du Bassin était sous le contrôle
d’Azcapotzalco et Texcoco (Sanders et al. 1979 :150). Cette interprétation se trouve corroborée par
les données archéologiques.
Au cours de la période allant de 1150 à 1350 après J.-C., la population se répartissait de sorte
que l’extrémité nord du Bassin était pratiquement inoccupée. Au niveau des lacs de Xaltocan et
Zumpango, se trouvaient de petits centres régionaux de moins de cinq mille personnes chacun à
Teotihuacan, Xaltocan et Cuauhtitlan. Dans la zone centrale du Bassin existaient deux groupes de
centres régionaux de part et d’autre du lac de Texcoco : Azcapotzalco et Tenayuca à l’ouest, et
Huexotla et Coatlinchan à l’est. Dans le sud du Bassin, à proximité des lacs de Chalco et Xochimilco,
on dénombre entre six et sept sites d’approximativement cinq mille habitants chacun : Culhuacan,
Xochimilco, Cuitlahuac, Mixquic, Chalco, Xico et Amecameca. En raison de leurs tailles importantes
et de leurs distributions régulières, ces sites devaient fonctionner comme un ensemble régional,
chacun dominant une partie du territoire tributaire (Sanders et al. 1979 :151).
La dernière période allant de 1350 à 1519 après J.-C., soit la dernière période avant la
conquête, se caractérise par une augmentation et une centralisation démographiques, lesquelles
sont confirmées par les données archéologiques et ethnologiques. Parsons (1974 :107) estime que la
population du Bassin en 1500 après J.-C. aurait doublée depuis la période Classique (300 à 650 après
J.-C.), ce qui explique le caractère commun de ces grands centres. Il nous est alors facile de distinguer
le regroupement des principaux centres de pouvoir autour des rives des lacs, Tenochtitlan étant le
centre dominant de par sa situation insulaire.
Cette évolution sans précédent des sites juste avant l’arrivée des Européens nous indique le
développement d’un haut degré d’organisation et de centralisation politique. Les sources
ethnologiques nous suggèrent que la centralisation du pouvoir s’obtient par la mise en place d’une
forte administration ainsi qu’une spécialisation locale intensive doublée d’une redistribution des
ressources à travers une série de marchés hiérarchisés (Parsons 1974 :107). Une telle spécialisation
régionale est mise en évidence par l’occupation de zones agricoles productives ainsi que par
l’occupation totale des terres situées en-dessous de 2 750m d’altitude. D’après Sanders (1979),
l’existence d’importantes inégalités géographiques au sein même du Bassin stimule les
spécialisations locales et les échanges. Nous pouvons observer une grande diversité dans la
topographie, la nature des sols, l’importance et la répartition des précipitations, ainsi que dans la
végétation, l’altitude et le positionnement par rapport aux cols montagneux et aux abords des lacs. A
cela s’ajoute une vaste distribution de ressources spécifiques comme le sel, l’argile, l’obsidienne, le
bois de construction, la chaux et la pierre de taille. Tous ces facteurs contribuent à la promotion des
spécialisations et du commerce.
A cette époque, la concentration de ces grands centres au bord des lacs permet, d’après
Parsons (1974 :107),
« *…+ de maximiser la fonction de redistribution des marchés, en positionnant les plus importants au
cœur du trafic des pirogues.1 »
En dépit d’un environnement accidenté qui limite les transports par voie terrestre, un nombre
important de marchandises et de personnes pouvaient circuler rapidement sur de longues distances
à l’intérieur du Bassin. Un tel système de transport, à la fois commercial et privé, ne pouvait être mis
en place en Mésoamérique. Parsons (1974 :107) nous indique que l’emplacement « apparemment
peu propice 2» de Tenochtitlan, sur une île au milieu d’un lac d’eau saumâtre, est le meilleur moyen
de comprendre le rôle indispensable que ce centre a joué dans la redistribution économique des
ressources.
Entre 1150 et 1350 après J.-C., une série de petits centres régionaux se sont développés au
sein du Bassin de Mexico (Figure 5). De 1350 à 1519 on dénombre approximativement 50 de ces
petites unités qui se reposent sur un territoire particulier avec une administration de marché
fonctionnant comme un noyau dont dépend une population rurale. C’est le cas de centres comme
Xochimilco, Tacuba, Azcapotzalco et Ixtapalapa (Sanders et al. 1979 :154).
Le plus haut niveau d’organisation sociopolitique du Bassin de Mexico durant cette période
se manifeste par la Triple Alliance qui regroupe Tenochtitlan, Texcoco et Tacuba. Lors de la
Conquête, la population de Tenochtitlan était estimée entre 150 000 et 200 000 habitants, jouant
ainsi différentes fonctions contrairement aux autres sites. On évalue alors une population
d’approximativement 30 000 habitants pour Texcoco qui jouait un rôle secondaire. Au départ, au
début des années 1 400 après J.-C., l’alliance militaire de ces trois centres s’était développée de
manière modeste, mais elle s’est rapidement construite sur des terres tributaires avant de s’étendre
bien au-delà des frontières du Bassin de Mexico, et ce, bien avant l’arrivée des Espagnols.
Dès lors, il semble évident que le peuplement du Bassin de Mexico ait connu de nombreux
changements durant ces nombreuses années, bien que la zone sud, en raison de la présence des lacs
d’eau douce, eut une démographie constante. Aux alentours de 1500 – 1150 après J.-C., lorsque l’on
observe la présence de groupes humains sur l’île de Tlapacoya, la navigation était déjà indispensable.
Bien avant l’arrivée des Espagnols, Tenochtitlan était déjà considérée comme la puissance politique,
religieuse et économique au sein de ce système lacustre, en partie grâce à l’utilisation et la maîtrise
de la navigation par les Mexica dans un tel environnement.
1 « maximized the redistributive function of the market by placing most of the larger markets within the reach
of canoe traffic » 2 « seemingly unpropitious »
c) Données ethnohistoriques et archéologiques :
Nous connaissons peu de choses des pirogues mésoaméricaines précédant le contact avec les
premiers Conquistadors, bien qu’il existe des écrits témoignant que de telles embarcations étaient
largement utilisées avant et après l’arrivée des Européens, que ce soit dans le Bassin de Mexico, dans
le Golfe du Mexique ou dans la mer des Caraïbes. Nous ferons un bref résumé concernant les
embarcations du Nouveau Monde, en essayant de rechercher les caractéristiques physiques qui se
retrouveront dans les pirogues Mexicas. Pour ce faire, il nous est indispensable de nous appuyer sur
les sources écrites des premiers Européens depuis Christophe Colomb jusqu’aux auteurs espagnols
du XVIe siècle.
Les sources écrites :
C’est à Christophe Colomb que nous devons la naissance d’un nouvel âge, celui de
l’exploration. C’est en 1492, suite à la découverte du Nouveau Monde qu’apparaîtront les premiers
écrits sur ces nouvelles populations, leur environnement et leurs coutumes.
Nous disposons ainsi des premières descriptions d’embarcations avec celles des pirogues des indiens
Arawak dans la mer des Caraïbes. Christophe Colomb les compare aussi à celles que l’on peut
trouver à la même époque en Espagne ou dans d’autres pays d’Europe. Cela suggère que les données
présentes dans ses écrits dépendent, malgré lui, d’une vision « européenne » du Nouveau Monde.
De plus, ces informations ne reflètent pas nécessairement les caractéristiques physiques que nous
retrouverons dans les pirogues Mexicas, car il s’agit d’embarcations utilisées sur les côtes ou en
haute mer, alors que celles du Bassin de Mexico sont des embarcations lacustres. Ainsi nous pouvons
dire qu’il existe deux types d’embarcations : tout d’abord celles faites pour naviguer en mer sur des
eaux plus ou moins agitées, dépendant des vents et des courants ; puis celles faites pour naviguer sur
des eaux plus calmes comme celles que l’on trouve sur les lacs du Bassin de Mexico. Il est donc
évident que la forme de ces embarcations sera adaptée à leur environnement et à ses contraintes.
C’est lors de son premier voyage que Christophe Colomb rencontre les Indiens des Bahamas près de
l’île de San Salvador le 13 Octobre 1492. Il décrit donc ces premières embarcations avec leurs
premiers moyens de propulsion du Nouveau Monde (Colomb, 2008 : 130) :
«Ils vinrent *…+ sur leur almadias qui sont faites comme de longues barques, d’un tronc d’arbre tout
d’une seule pièce, *…+ et si grandes que dans quelques-unes allaient quarante à quarante-cinq
hommes. D’autres étaient plus petites, et tant que dans certaines d’entres elles ne tenait qu’un seul
homme. Ils rament avec une sorte de pelle de boulanger et cela avance à merveille. »
Le 26 octobre, Colomb (2008 : 152) parle pour la première fois de canoas : « embarcation d’une seule
pièce de bois qui n’ont pas de voiles ». La question de l’utilisation de la voile au Nouveau Monde est
sujette à controverse, mais pour Benoît Bérard (2009 : 3), la voile comme moyen de propulsion n’est
pas utilisée dans les Antilles avant l’arrivée des Européens.
Le 27 Novembre, aux abords du Cap de la Cloche sur l’île de Cuba, il est fait mention d’un canoa :
« fait d’un seul tronc, aussi grand qu’une fuste de douze bancs *…+ mise à flot sous un hangar. » Le 30
Novembre Colomb décrit certainement la plus grande embarcation mentionnée à ce jour : « une
canoa de quatre-vingt-quinze empans (environs 19m) de long, faite d’un seul tronc, très belle, dans
laquelle cent cinquante personnes environs pouvaient trouver place et naviguer. ». Ce type
d’embarcation est considéré par Benoit Bérard comme des embarcations de prestige réservées au
déplacement de l’élite (2009 :3). De plus, une pirogue monoxyle de 1,52 m de long pour 36 cm de
large et de 10 cm de profondeur à été mise au jour au Bahamas dans un trou bleu près de l’île
Andros. Cette pirogue nommée « Stargate », s’apparente, d’après les textes comme ceux de Colomb,
à une pirogue destinée à une navigation côtière (Billard, Bérard et Ramstein, 20093).
Bernal Diaz Del Castillo qui voyagera par la suite avec Cortès, était un « vétéran » car il avait
déjà effectué deux voyages vers le Nouveau Monde. Il nous révèle quelques informations sur une
navigation dans les terres, après les voyages de Colomb, mais avant l’arrivée de Cortès à Mexico. Lors
de son premier voyage sous le commandement de Francisco Hernandez de Cordoba en 1517, Bernal
Diaz (2009 : 40) nous décrit ce qu’il vit au large des côtes du Yucatan :
« …Nous vîmes venir cinq grands canots remplis de naturels de ce village ; ils ramaient et s’aidaient de
la voile. Leurs embarcations sont comme une sorte de pétrin, grandes et faites de gros troncs d’arbres
creusés en dedans, formant un vide dans du bois massif. Plusieurs d’entre elles peuvent contenir
quarante et cinquante indiens se tenant debout. *…+Le lendemain le même matin, le même cacique
revint sur douze embarcations plus grandes, avec plusieurs indiens rameurs. »
Une telle déclaration pourrait être une preuve évidente de l’utilisation de la voile durant les époques
précolombiennes ou du moins la première preuve historique. Nous pourrions penser que cette
déclaration soit correcte, mais l’auteur se contredit lui-même lors de son deuxième voyage en 1518,
sous le commandement de Juan de Grijalva près de Cozumel :
« Les habitants de ce port prirent la fuite aussitôt qu’ils virent approcher les navires sous voiles, car ils
n’avaient jamais vu pareille chose. » (2009 : 65)
Bien qu’il soit possible que des embarcations à voile existaient chez les Indiens au large du Yucatan,
comme nous le dit Bernal Diaz en 1517, il semblerait plus logique de penser qu’elles étaient connues
mais pas ou peu utilisées, ce qui permet de comprendre la réaction des natifs près de Cozumel.
Ajoutons à cela, que l’auteur ne mentionnera plus dans son œuvre l’utilisation de la voile dans les
méthodes de navigation du Nouveau Monde. Parce qu’il a écrit son livre plusieurs années après la
Conquête, on est en droit de se demander alors se demander s’il avait oublié de mentionner d’autres
utilisations de la voile, ou bien à cause de l’influence espagnole il aurait attribué inconsciemment
l’utilisation de la voile aux Indiens.
L’ensemble de ces informations, nous permet de définir un arrière-plan des
premières embarcations rencontrées par les Européens lors de leurs voyages au Nouveau Monde.
3 Billard, Berard et Ramstein
24-28 août 2009 « Apport de l’hydrostatique à l’archéologie expérimentale : étude d’une pirogue de haute mer (Kanawa) », in 19
e Congrès Français de Mécanique, Marseille
Nous pouvons déjà comprendre que la pirogue est omniprésente partout sur ce contient car il s’agit
du type d’embarcation le plus décrit et représenté. Il ne sera donc pas étonnant de le retrouver au
sein du Bassin de Mexico. De nos jours encore, la navigation au cœur du Bassin de Mexico existe,
bien que la place qu’elle occupe dans la vie quotidienne des Mexicains soit aussi réduite que
l’étendue des anciens lacs. La navigation au sein des chinampas dans le sud du Bassin, près de
Xochimilco, en est une survivance autant appréciée des Mexicains que des touristes. Aujourd’hui, les
embarcations utilisées témoignent d’un métissage des techniques de construction « navale » entre
préhispaniques et européens. En effet il n’existe plus aujourd’hui de pirogues monoxyles à
l’exception peut être d’une pirogue détenue par une vielle femme de Xochimilco (communication
personnelle de Jorge Manuel Herrera). De nos jours, la navigation à Xochimilco ne rime plus qu’avec
détente et ballade, même si les canaux des chinampas sont parcourus par des vendeurs ambulants
ou des musiciens qui nous donnent un pâle aperçu de la grandeur des Tenochtitlan et de son trafic
lacustre.
Les seules preuves archéologiques dont nous disposons dans le Bassin de Mexico sont des
artefacts issus de fouilles programmées ou préventives. Ces données sont nécessaires pour nous
permettre de définir la forme physique des pirogues utilisées dans le Bassin. Elles consistent en :
deux pierres creusées (…) découvertes lors d’une campagne de fouille au Templo Mayor dans la ville
de Mexico représentant deux pirogues monoxyles ainsi qu’une pirogue monoxyle en bois datant
d’après la conquête (Torres Montes, 1964 ; Torres Montes et Vega 1970).
Les miniatures du Templo Mayor:
Les miniatures en pierre, appartenant à un groupe d’offrandes, ont été découvertes dans une
cache du Templo Mayor de Tenochtitlan. La moitié de ce temple était dédié à Tlaloc, dieu associé à la
pluie et à l’eau dont un masque servait de couvercle à cette cache. D’après les propos recueillis par
Margaret Leshikar (1980 :79) de l’archéologue Carlos Gonzales, lors de la découverte de la cache, la
première miniature de pirogue a été taillée dans de la pierre verte et mesurait environ 20 cm de long
sur 6 à 7 cm de large. Elle avait un fond plat avec une proue et une poupe angulaire aux extrémités
plates. A l’intérieur de la miniature se trouvait une pagaie, un trident ainsi que quatre poissons, le
tout taillé dans du coquillage. La seconde miniature a été taillée dans de la pierre blanche et
mesurait environ 12 à 13 cm de long pour 4 à 5 cm de large. Cette seconde miniature ressemble
beaucoup à la première, elle contenait également du matériel : pagaie et trident.
Les deux miniatures (Figure 6) représentent deux embarcations dont la forme et très bien
représentée dans les sources iconographiques éthnohistoriques comme les Codex par exemple. De
plus les miniatures des pagaies sont également proches de celles que l’on retrouve dans ces mêmes
sources. La présence de harpon et de poissons miniatures associés à ces embarcations est une
preuve qui permet de confirmer l’utilisation des pirogues pour l’approvisionnement en ressources
aquatiques. Ces deux artefacts, sont pertinents dans le cadre de ce travail car elles ont été fabriquées
bien avant la conquête et ne présente donc aucune influence européenne mais ce n’est pas le cas de
la pirogue monoxyle découverte lors de fouilles préventives, aujourd’hui exposée dans la salle
Mexica du Musée National d’Anthropologie et d’Histoire de Mexico. Pirogues monoxyles de Mexico:
Deux canots, que nous pensions être de l’époque précolombienne, on été découverts lors de
fouilles archéologiques dans la ville de Mexico. La première (Figure 7) pirogue fut découverte en
1959 entre l’avenue Tlalpan et la rue Emiliano Zapata (Torres Montes,1964 : 10). Il s’agit d’une zone
qui devait faire partie de l’ancienne lagune de Mexico, proche de la chaussée d’Iztapalapa située au
sud de Tenochtitlan. Il semblerait qu’une autre pirogue fut mise au jour, mais elle n’a pu être extraite
du sol par les archéologues de l’INHA (Institut National d’Histoire et d’Anthropologie) car elle aurait
retardé la réalisation programmée de travaux de construction (Molina Montes, 1980 : 764).
La découverte de bois conservés à plusieurs mètres sous l’actuelle ville de Mexico n’est pas
tout à fait surprenante. Il est compréhensible que, dans un environnement tel que celui de l’ancienne
Tenochtitlan construite au milieu d’un lac, des canots devaient être endommagés ou abandonnés, et
ensuite qu’ils aient coulés et se soient conservés dans les sédiments du lit du lac. Plus
particulièrement lors de la Conquête, les sources font aussi mention de la destruction de nombreux
canots par les brigantins espagnols. Durant le XVIIème siècle, les Espagnols se sont évertués à drainer
les eaux des lacs du Bassin afin de pouvoir construire la capitale de la Nouvelle-Espagne. Cependant,
le niveau des nappes phréatiques est aujourd’hui très élevé, ce qui nous permet de penser avec
certitude que d’autres artéfacts en bois puissent être conservés dans ces sols humide de la ville de
Mexico. Aujourd’hui, une seule pirogue, que l’on pense être précolombienne a été mise au jour et
permet ainsi une étude de comparaison avec les données ethnohistoriques actuelles et la pirogue
découverte en 1959.
Il est important de mentionner ici, le fait que l’INHA suppose que la pirogue de 1959 soit
précolombienne. Ceci peut être mis en doute car la nature du matériel archéologique qui lui été
associé lors de sa découverte ne permet de formuler aucune certitude quant à sa datation. D’après
les propos que Margaret Leshikar a obtenus de l’archéologue Jacinto Quirarte4, présent lors de la
découverte de la pirogue de 1959, cette hypothèse est confirmée. Cependant, même si cette
embarcation est datée d’après le contact de ce peuple avec les européens, il est peu probable que le
style de coque des pirogues indigènes ait pu changer de manière significative. L’influence
européenne s’exerce d’avantage dans des améliorations techniques par l’introduction de planche
comme matériau de construction navale et de la voile comme outil de navigation lacustre plutôt que
dans l’abandon d’un type de construction navale traditionnelle. Reconnaissons que la connaissance
des occidentaux sur la fabrication et l’utilisation d’outils en fer a altéré le travail de construction
d’embarcations traditionnelles à un degré considérable. Malheureusement, aucune trace de moyen
de propulsion associé à la pirogue n’a été retrouvé.
Parce que la pirogue mise au jour est le seul exemple d’un canot monoxyle datant d’après la
conquête qui a été découvert et conservé dans un contexte archéologique, il est important
d’expliquer brièvement sa découverte et les méthodes de conservation utilisées. En 1959, lors de
travaux de creusement par des engins mécaniques, une extrémité de la pirogue a été arrachée.
Reconnue comme telle, elle a été retirée des sédiments sans aucune connaissance des techniques de
travail et de conservation de l’archéologie sous-marine. Laissée à l’air libre, l’embarcation s’est
détériorée en perdant en grande partie de sa valeur archéologique. Il a été rapidement nécessaire de
l’humidifier pour pallier les dégâts constatés tels que rétrécissements et déformations afin d’éviter
4 Docteur de l’Université du Texas à San Antonio
l’effondrement de la structure cellulaire du bois (Torres Montes, 1964 : 10). Son identification par les
fouilleurs a été extrêmement délicate à cause de leurs difficultés à reconnaître s’il s’agissait de bois
détrempé ou de sédiments humides dans lesquels elle avait été conservée. La pirogue a ensuite été
transportée au Musée d’histoire de Churubusco pour y être submergée dans un bassin du laboratoire
de conservation où elle a dû restée 5 ans. Une fois le pronostic établi, le traitement dura 6 mois au
terme desquels la taille de l’embarcation ne fut réduite que de 5% (Torres Montes, 1964 : 11-13).
La pirogue présente un fond plat à l’intérieur comme à l’extérieur dont l’extrémité conservée
présente un angle de 25°. Par contre, l’extrémité manquante offre une inclinaison plus faible
mesurée à 22° (Figure 7). Depuis sa découverte plusieurs mesures ont été effectuées et je les ai, moi-
même contrôlées lors mon séjour à Mexico en Octobre-Novembre 2010. Avec l’accord de Bertina
Olmedo (directrice de la salle Mexica du Musée National), j’ai pu réaliser de nouvelles mesures sur
l’extérieur de la pirogue: 5,33 m de long, 0,35 m de hauteur et 0,61m de large. Ces dimensions se
rapprochent, à quelques millimètres près, de celles prises par Leshikar 30 ans plus tôt (Figure 8). A
ces informations s’ajoutent d’autres mesures : les 3cm d’épaisseur du fond de l’embarcation et les
2,5cm d’épaisseur des deux bords. La pirogue a été creusée dans un « ahuehuete », dont l’essence lui
permettait d’être légère et une fois chargée, elle devait être relativement rapide. Grâce à toutes ces
mesures il est possible de dire que cette pirogue monoxyle pouvait transporter d’une à cinq
personnes. Lors de son étude de la pirogue, Margaret Leshikar à observé sa proue et sa poupe sur
lesquelles sont visible les cernes du bois qui lui ont permis de confirmer que l’embarcation avait été
creusée dans un seul tronc (Figure 9 ; 9 bis). Elle a également identifié des traces d’outils dont celle
d’une herminette. Cependant, elle n’a remarqué aucune trace de structures intérieures comme des
bacs ou un auvent. Mais nous savons que de tels aménagement existaient (Sahagun, 1982 : 99) :
« *…+une canoa couverte d’une tente, à l’usage du roi. », et qu’apparemment ils étaient réservé à
l’élite de la société.
Dans le Chapitre 3, nous allons nous baser sur les mesures de cette pirogue pour être en mesure
d’émettre des hypothèses concernant sa capacité de charge.
Archéologie expérimentale :
L’archéologie expérimentale est une méthode de recherche, sur la culture matérielle grâce à
laquelle les activités des artisans du passé peuvent être étudiées au moyen d’une expérience
pratique. Cette technique permet, par le biais de la construction, la confirmation ou l'infirmation de
modèles explicatifs concernant essentiellement des technologies anciennes (Schiffer et Skibo5, 1987 ;
Renfrew et Bahn6, 2005). La concrétisation des informations rigoureuse et détaillée de la
documentation autorise ainsi une reproduction très précise. L’utilisation des matériaux et de
l'outillage disponibles à l’époque concernée, doivent être pris en considération afin de réaliser la
5 B. Schiffer et J. M. Skibo
1987, “Theory and experiment in the study of technological change”, Current Anthropology n°28 (5): 595-622.
6 Renfrew et P. Bahn 2005, Archaeology : The key concepts, edited by Colin Renfrew and Paul Bahn, Routledge, London
reconstruction de modèles technologiques. Cette exigence est indispensable car toutes les conditions
matérielles et techniques inhérentes à la reproduction sont impératives.
La navigation en Mésoamérique et aux Antilles a très rapidement interpellé archéologues et
aventuriers qui se sont posés de nombreuses questions sur son fonctionnement. Aujourd’hui, la
navigation côtière et hauturière est l’un des sujets de recherche les plus en vogue suite aux succès
des projets d’archéologie expérimentale. Les deux projets de reconstitution d’embarcations
monoxyles traditionnelles ont été initiés par l’aventurier Michel Peissel dans les années 1984 sur la
côte du Yucatan et par l’archéologue Benoît Bérard dès 2009 dans les Petites Antilles. Ces deux
projets ont permis la construction de pirogues monoxyles réalisées par des charpentiers détenteurs
d’un savoir ancestral assez proche de ce que les populations précolombiennes maîtrisaient bien des
siècles plus tôt.
Ce type d’expérience permet d’appréhender tout d’abord le mode opératoire (choix de l’arbre,
abattage, évidage, mise à l’eau), ensuite les techniques mises en œuvre sur le chantier (outils et
techniques utilisés) et enfin l’utilisation de la main d’œuvre (charpentiers) nécessaire pour la
construction d’une embarcation monoxyle (voir chapitre 3). Notons tout de même que le projet de
Benoît Bérard s’inscrit dans un cadre scientifique à la différence de celui de Michel Peissel.
Néanmoins, nous savons qu’il existe aujourd’hui fort heureusement, dans les chinampas de
Xochimilco, une seule pirogue monoxyle. Il serait alors intéressant, à notre tour, d’avoir recours à
l’archéologie expérimentale afin de mieux connaître la navigation Mexica.
Navigation maya :
Lors de nos recherches, nous avons rencontré de nombreuses données archéologiques
concernant la navigation dans le monde maya. Il s’agit d’une miniature en jadéite sur le site de Cerro
de las Mesas au Veracruz (Figure 10) et une autre en bois sur l’île de Moho Cay au Belize (Figure 11).
Deux témoignages intéressant ont été découverts à Chichen Itza : des peintures murales au sein du
Temple des Guerriers ainsi qu’une gravure sur un disque en or repêché dans le cenote (Figure 12 ; 12
bis). Ces deux œuvres mettent en scène des embarcations monoxyles. De même, il existe également
des gravures représente des pirogues sur des objets en os à Tikal (Figure 13) découverts dans la
tombe « Dirigeant A ». Il existe également un morceau d’une pirogue monoxyle, découverte en 2006
dans une grotte sans le sud du Belize à Kakuyo (Figure 14).
La diversité de supports utilisés nous semble être une preuve suffisante pour affirmer
l’importance de la navigation dans le monde maya. Il est intéressant de mettre en relation les
diverses ressemblances entre la navigation maya et celle du Bassin de Mexico : la forme des
pirogues, les moyens de propulsion et la position du rameur. Tout ceci tend à montrer que, même si
les civilisations de Mésoamérique n’étaient pas considérées comme de grands navigateurs,
l’exploitation de leur environnement lacustre ou côtier a très vite été mise à profit par ces
populations ingénieuses.
Chapitre 2
Après une longue pérégrination, les Mexicas se sont installés sur une île du lac de Texcoco,
qui deviendra en quelques années la capitale d’un empire qui contrôlera la plupart des régions de
Mésoamérique. De par leur situation insulaire, ce peuple nomade va rapidement apprendre à
contrôler et utiliser le système lacustre et ses ressources afin d’en retirer un maximum de profit, ce
qui sous-entend la capacité à réunir des hommes et du matériel. La maîtrise de la navigation devient
alors fondamentale : c’est ainsi que les embarcations utilisées, les « canoas », vont occuper le
premier rôle au cœur des activités quotidiennes, puis politiques.
a) Aménagement généraux :
L’aménagement de l’environnement est une activité constante, que les Mexicas vont très vite
maîtriser. Les grands travaux hydrauliques réalisés par les Mexicas sur la lagune de Mexico avaient
différents objectifs (Sanders et al. (1979 –carte 19). Le premier était de gagner du terrain sur les eaux
et donc créer des extensions physiques des îles existantes et des rivages par le biais de travaux de
drainage et la construction des chinampas, technique acquise auprès des populations résidant dans
les lacs du sud. Le second était de contrôler le niveau des eaux du lac et d’en diminuer la salinité,
d’où la construction de canaux, de chaussées, de digues, de barrages ou encore d’aqueduc. Tous ces
aménagements fonctionnent de manière complémentaire et réclament donc un entretient régulier
qui implique un excellent contrôle des moyens de navigation ainsi qu’une mise à contribution d’une
certaine quantité de matériaux et d’hommes pour effectuer le travail.
Les chinampas (Figure 15) sont certainement l’un des aménagements les plus connus
aujourd’hui. En effet, cette technique de construction créée et utilisée par les populations des lacs de
Xochimilco et Chalco dans le sud du Bassin, est aujourd’hui encore en activité. Ce sont des
plateformes faites de roseaux et de terre, destinées à une agriculture intensive (Figure 16). La
construction de ces « jardins flottants » nous est données par Antonio de Ciudad Real (1976, Tome
1 : p.108) :
« Ils appellent ces champs des chinampas. Ils les font dans la lagune, en entassant des mottes de terre
et de la boue tirées de cette même lagune. Ils forment comme des parcelles très étroites, identiques à
celles que l’on trouve en Espagne quand on distribue les terres municipales, et laissent un canal entre
chaque parcelle, ou entre chaque chinampa. »
Les canaux de circulation au sein de la lagune de Mexico étaient tous organisés autour de
Tenochtitlan et majoritairement situés à l’ouest du Zocalo (Calnek, 1972 : 109). Ils permettaient de
communiquer avec l’extérieur, tout en facilitant la circulation à l’intérieur de la ville. Aux
observations de Calnek, ajoutons celles de Gonzales Aragon (1993 : 44) qui nous dépeint deux sortes
de canaux de circulation : les canaux principaux, orientés est-ouest, avaient une largeur comprise
entre 3 et 5m pour une profondeur d’environ 2 à 3m, les canaux moyens, véritable labyrinthe
pouvaient mesurer 2m de largeur avec une profondeur estimée entre 1,5 et 2 m. Ces canaux
structuraient l’espace urbain de Tenochtitlan (Figure 17). Cependant, nous verrons dans le chapitre
suivant qu’en étudiant le transport des matériaux de construction, les canaux principaux devaient
mesurer au moins 6 m de large pour des raisons logistiques (transport de monolithes sculptés). La
différence de tracé et de largeur des canaux laisse sous-entendre une utilisation différente. Nous
pensons que les principaux canaux devaient être utilisés à des fins politiques (tribut pour le palais de
Moctezuma) ou religieuses (cérémonies) impliquant l’utilisation de grandes embarcations, alors que
les autres servaient plutôt à des déplacements du quotidien (personnes, marchandises) pour de
petits canots. Grâce à l’étude de plusieurs cartes de la ville de Mexico, il nous a été possible d’établir
une carte avec la localisation de ces canaux principaux, dont l’un d’entre eux longe le Zocalo.
Cependant, une partie du trafic de la capitale passait aussi par voie terrestre, ce qui implique la
présence de ponts qui sont des compromis entre le trafic lacustre et terrestre. Lors de notre Master
1, nous avions mis en évidence que les ponts utilisés à Tenochtitlan étaient amovibles, ce que Cortés
(1982 : 107) et bien d’autres nous décrivent :
« *…+près de la ville (Tenochtitlan), se trouve un pont de bois de dix pas de large*…+on a qu’à
enlever les grands madriers qui compense le tablier du pont toutes les fois qu’il est nécessaire. Il y a
beaucoup de ces ouvertures par la ville. »
Lors de notre séjour à Mexico, nous avons pu nous rendre compte qu’à l’emplacement d’un
de ces anciens ponts, derrière le Zocalo, se dressait un pont en pierre (Figure 18a, 18 b, 18c). Il se
situe sur la Place Alhondiga qui nous a était décrite par l’archéologque Eladio Terreros comme étant
l’ancien terminus du Canal de la Viga.
Les chaussées sont des aménagements multifonctionnels. Elles servent tout d’abord à relier
l’île de Tenochtitlan aux rives de la lagune de Mexico, puis à contrôler le niveau des eaux en
complétant le rôle joué par les vraies digues comme celle de Netzahualcóyotl. Lors de leur arrivée à
Tenochtitlan, les Espagnols identifient trois chaussées majeures qui permettent un accès direct à la
capitale Mexica : la chaussée sud d’Iztapalapa par laquelle ils entrent dans Tenochtitlan, la chaussée
ouest de Tacuba, et la chaussée nord de Tepeyac (Figure 19). Notons que la chaussée d’Iztapalapa a
été construite par les Xochimilca, preuve de la capacité des Mexica à réunir de la main d’œuvre.
Cortès (1982 : 106-107) nous dit :
« *…+ j’enfilai une chaussée (celle d’Iztapalapa) qui se dirige tout droit dans la lagune et qui, deux
lieues plus loin, vient déboucher sur la grande ville de Tenochtitlan qui s’élève au milieu du lac. Cette
chaussée, large de deux lances, est superbement entretenue, huit cavaliers peuvent y passer de
front.*…+Plus loin, près de la ville, se trouve un pont de bois de dix pas de large ; c’est une grande
ouverture, qui permet à l’eau de la lagune d’entrer et sortir, car elle monte ou baisse tour à tour ;
c’est en même temps une défense pour la ville, car on n’a qu’à enlever les grands madriers qui
composent le tablier du pont toutes les fois qu’il est nécessaire. »
Cette citation met en lumière l’utilisation de ponts amovibles permettant de relier les différentes
chaussées et îlots entre eux. Cette remarque de la part de Cortès ne sera pas anodine, d’un point de
vue stratégique, pour la suite des évènements dont nous parlerons dans le chapitre III.
La chaussée de Chapultepec diffère des autres car elle sert de support à un aqueduc.
Construit par les Mexica dans les années 1420, il était considéré comme une œuvre politique
affirmant la nouvelle autorité de la capitale sur le reste du Bassin. Comme nous l’avons expliqué
précédemment, Tenochtitlan est située au cœur d’un lac d’eau salée, il est donc vital pour les Mexica
de s’assurer un accès sûr à de l’eau potable. Ainsi la construction de cet aqueduc est une nouvelle
preuve de l’ingénierie aztèque car elle a dû faire face et de nombreux problèmes techniques
(Musset, 1991 : 4). En effet, il fallait faire traverser une partie du lac à la canalisation, mais le sol
marécageux n’arrivait pas à supporter le poids de l’aqueduc. Lors des premiers essais, l’aqueduc
était formé d’une canalisation en terre cuite qui reposait sur une chaussée formée de terre de pilotis
et d’herbe, comme l’étaient les chinampas. Mais pour remédier à l’effondrement de cette structure
de support, les Mexicas ont fait appel à de nouveaux matériaux comme la pierre, le bois et le ciment,
qu’ils pouvaient trouver au sein même du Bassin (Figure 20). Lors de leur arrivée à Tenochtitlan les
conquérants en ont fait des descriptions émerveillées (Motolina, 1984 : 143) :
« Une grosse canalisation transportant une eau agréable à boire entre (dans Mexico) par une
chaussée et se divise ensuite en suivant plusieurs rues. »
Ces travaux ont donc fait appel à l’utilisation d’embarcations qui devaient transporter les
matériaux de constriction nécessaire à l’élévation d’un tel édifice. Nous savons que les chaussées
étaient entrecoupées par endroits afin de permettre le passage de canots, et comme la seule eau
potable disponible à Tenochtitlan arrivait à la ville par les aqueducs, certaines personnes gagnaient
leur vie en se procurant de cette eau pour la revendre dans toute la ville à bord de leurs pirogues.
Cortès (1982 :132) écrit ceci :
«Les marchands transportent l’eau (douce) dans leurs barques par toute la ville, et pour la prendre
des conduites ils viennent avec leurs canoas au-dessous des ponts où passent des canaux, et là des
hommes affectés à ce service chargent les canoas d’eau, en échange d’un salaire convenu.»
Autre construction majeure, la digue de Netzahualcóyotl, bâtie entre 1440 et 1450 après J.-
C. suite à une importante inondation. Elle divise le lac de Texcoco en deux lagunes, celle de Texcoco
où l’on retrouve une eau saumâtre, puis celle de Mexico alimentée en eau douce, en amont, par les
lacs de Chalco et Xochimilco. La digue rejoint entre elles les villes d’Atzacualco et d’Iztapalapa,
situées sur les rives du lac central et mesurerait environ 16 Km de long. Bien que son existence soit
contestée, nous disposons de descriptions quant à sa construction (Torquemada, 1975 : 157) :
« Neuf ans après le début du règne de Moctezuma l’Ancien, les eaux de la lagune montèrent tant que
toute la ville fut noyée, et Netzahualcóyotl, qui déplorait cette catastrophe, décida avec Moctezuma
de construire un mur de pierre et de bois, et, en collaboration avec les autres seigneurs, ils
commencèrent la vieille digue. »
D’après A.P. Maudsley (1956 : 199), elle serait faite d’un soubassement constitué de pierres et
d’argile sur lequel repose un mur de maçonnerie fait de gravas, elle serait contenue et protégée des
vagues par une palissade en bois placée de chaque côté. Il semble donc évident que les matériaux
nécessaires ainsi que les méthodes de construction ne pouvaient se faire qu’à l’aide d’embarcations.
De plus, la digue était entrecoupée par de petites brèches qui permettaient aux canots de passer
d’une lagune à l’autre sans soucis, induisant en toute logique la présence de ponts. Ajoutons à cela la
mise en place de vannes permettant de réguler le niveau des aux dans les deux lagunes. Eaux salines
comme nous l’avons mentionné ci-dessus, ce qui explique la mise en œuvre d’un système
permettant de procurer de l’eau douce aux habitants de la capitale.
b) Exploitation de l’environnement :
Dans un environnement tel que celui de Tenochtitlan, il est compréhensible que les activités
associées à la navigation aient été considérées comme une nécessité quotidienne. L’utilisation des
pirogues était totalement partie intégrante de la vie des Mexicas. Ainsi, la maîtrise de ce mode de
navigation était une étape indispensable dans l’accomplissement du développement des jeunes
garçons à partir d’un certain âge. Au tout début de leur adolescence, ces derniers devaient être assez
expérimentés pour naviguer seul à bord d’une pirogue afin de participer aux différentes tâches de la
vie quotidienne. Le Codex Mendoza dépeint et explique : « Un garçon de 13 ans qui transporte des
joncs dans sa pirogue » (Figure 21) et « Un garçon de 14 ans partant pêcher dans sa pirogue »
(Figure 22) (Codex Mendoza, vol. IV, Folio 60r. : 125). De même, les enfants qui souhaitaient faire
partie du clergé devaient être capables de naviguer Figure 23 (vol. IV, Folio 63 & 64 : 131 :133) : « Un
jeune garçon occupé à transporter des mottes de terre pour réparer le temple » et Figure 24 « Un
jeune prêtre dans sa pirogue occupé à transporter des pierres pour réparer le temple ».
Retenons que la raison essentielle d’être de ces embarcations était le transport de matériaux de
toutes natures. Ainsi l’une des plus anciennes utilisations des pirogues dans le Bassin de Mexico était
probablement associée à l’exploitation des ressources aquatiques. Le Codex Azcatitlàn (Figure 25)
représente un homme en train de pêcher à bord de sa pirogue ainsi que les planches 84 et 87 du
Codex Florentin (Figure 26 et 27). Sahagun nous représente (planches 84 & 87) des chasseurs
utilisant leurs pirogues pour capturer du gibier d’eau à l’aide de « tridents ». Mais ce qui nous
intéresse d’abord est de comprendre comment la navigation a permis une exploitation intensive de
cet environnement et de ces ressources impliquant la mise en place d’un commerce très spécialisé
qui fut administré via l’utilisation des pirogues.
L’une des activités premières des pirogues était de transporter les matériaux nécessaires à la
construction de la capitale Mexica. L’élévation des palais, des temples et des maisons impliquait un
apport conséquent de bois, de pierre, de chaux et de sable. De part sa situation insulaire,
Tenochtitlan a développé son économie grâce au transport de ces matériaux de construction par le
biais des pirogues. En effet, le transport par voie lacustre était beaucoup plus rapide et économique
que par voie terrestre via les chaussées.
Dans ses travaux de recherche sur le Templo Mayor, l’archéologue mexicain Léonardo Lopez Lujàn
démontre que les matériaux utilisés dans l’élévation de cet édifice proviennent tous du Bassin de
Mexico (Figure 28). Le « tezontle7 » et le basalte sont les deux matériaux qui prédominent dans
l’architecture de Tenochtitlan ainsi que dans de nombreux autres sites archéologiques de la région,
grâce à leur proximité avec les carrières d’extraction. En effet, elles se situaient, depuis la capitale
entre 2,8 et 10,8 Km pour le « tezontle » et entre 12 et 22 Km pour le basalte (Lopez Lujàn, 1998 :73).
L’andésite était également présente dans l’architecture et les carrières d’extraction se trouvaient à
une distance de 9 à 12 Km de Tenochtitlan (Lopez Lujàn, 1998 : 75). La dimension des blocs employés
dans l’architecture Mexica n’étaient pas de trop grande taille ce qui facilitait leur transport par voie
lacustre. Cependant il existe des preuves archéologiques concernant des blocs de grandes
tailles (Figure 29): la Pierre du Soleil (3,58 m de diamètre) découverte en 1790, le Disque de
Coyolxauhqui (3,23 x 3,08 m) découvert en 1978 et le Monolithe de Tlaltecuhtli (4,17 x 3,62 m)
7 Pierre légère d’origine volcanique
découvert en 2006 au pied du Templo Mayor. Cette dernière pèse 12 tonnes ce qui aura une
influence sur le mode de transport, les Mexicas devront trouver des solutions rapides et
économiques pour déplacer de tels objets (Chapitre 3).
D’autres matériaux indispensables étaient utilisés: la terre pour les remblais, le sable et la chaux
comme enduits, stucs ou mortiers de jointure. Tous étaient également faciles à transporter sur des
pirogues. La preuve en est la mention dans le codex Mendoza où l’on représente un jeune prêtre
transportant de la terre pour réparer un temple (Figure 23). Cette représentation iconographique
nous permet d’aborder rapidement la question du conditionnement des marchandises lors de leur
transport. En effet, on voit sur cette image que la terre est chargée à même l’embarcation, et nous
remarquons qu’elle n’est pas conditionnée dans des sacs ou autre contenant. Nous pouvons donc en
déduire logiquement que la pirogue elle-même est considérée comme un contenant. Lorsqu’on
charge une embarcation quelle qu’elle soit, il y a forcément une perte d’espace due à la forme de la
coque et plus précisément aux deux extrémités. Mais les représentations montrent qu’afin
d’optimiser l’espace de transport de ces divers matériaux, ils sont chargés à même la pirogue allant
même à occuper les extrémités afin d’augmenter la masse déplacée.
Le transport des denrées alimentaires était certainement le trafic le plus intense et l’une des
principales utilisations des pirogues. Dans son Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-
Espagne, Bernal Diaz (2009 : 345) nous décrit ceci:
«Sur le lac, on voyait circuler une multitude de canots apportant les uns des provisions de bouche, les
autres des marchandises. »
La plupart de ces denrées alimentaires avaient pour destination finale les marchés du Bassin de
Mexico, le plus important étant celui de Tlatelolco. Comme nous l’avions étudié lors de notre
mémoire de première année, il existait un canal de circulation qui allait directement de la lagune à ce
marché, facilitant ainsi son approvisionnement. Les marchandises étaient issues, pour la plupart, des
cultures sur « chinampas » situées autour de la capitale ou sur les lacs du sud à Xochimilco et Chalco,
qui produisaient des légumes, des fruits et des fleurs. D’autres denrées alimentaires, comme les
poissons ou les oiseaux par exemple, étaient pêchées ou chassées à bord d’embarcations sur la
lagune de Mexico, ce dont attestent les sources littéraires et iconographiques. Enfin, même les
autres denrées alimentaires étaient acheminées vers la capitale, toujours par le biais des pirogues ou
des chaussées.
En plus des matériaux de construction et des marchandises alimentaires, les tributs aussi
étaient transportés par pirogue vers Tenochtitlan, comme nous le décrit Gomara (1966 : 154-155) :
« Il n’y avait personne sur toutes ces terres qui ne payait un tribut au seigneur de Mexico *…+
Touts ces tributs étaient acheminés vers Mexico à dos d’homme ou dans des canots, au moins assez
pour subvenir aux besoins de la maison de Moctezuma8. »
En conséquence, il nous est possible de penser que l’arrivée de ces biens précieux, destinés pour une
partie aux maisons de l’empereur, devaient aussi être acheminés vers les divers bâtiments de
8 « There was no one in all his domains that did not pay some tribute to the Lord of Mexico *…+All these tributes
were brought to Mexico on the backs of men or in canoes, at least enough to maintain the household of Moctezuma”
manière processionnelle. Ainsi l’arrivée de ces marchandises de luxe comme les animaux sauvages,
les vêtements ou les parures en plumes par exemple, était exposée à la vue de tous. Les
embarcations passaient très certainement par les canaux principaux (nécessité d’une largeur
importante) faisant de cette procession une sorte d’exhibition du pouvoir et des richesses de
l’Empereur et par extension de la puissance de son empire. De plus il est possible de penser que de
telles richesses devaient être accompagnées tout au long du parcours par une multitude
d’embarcations transportant des gens du peuple et des soldats protégeant les marchandises.
Ainsi, en nous intéressant au système de transports de ces différentes marchandises, pour la
quasi totalité issues directement du Bassin de Mexico, il est aisé de comprendre que la maîtrise et
l’exploitation de l’environnement lacustre et de ses populations a été l’un des facteurs de réussite
des Mexicas face aux autres puissances politiques du Bassin comme Texcoco ou Atzcapotzalco. De
plus l’étude du fonctionnement des marchés et de la circulation des marchandises nous permet
d’aborder un autre type de structures directement liées au trafic lacustre, il s’agit des zones de
ruptures de charges.
c) Aménagements spécifiques :
Situé au sein de la lagune de Mexico, l’espace urbain était structuré par des digues, des
chaussées et des canaux favorisant ainsi une circulation fluide du trafic lacustre. Les marchandises
acheminées par ces voies d’eau et de terre vers Tenochtitlan étaient contrôlées, soumise à des taxes,
stockées puis vendues. Cortès (1982 : 132) nous fait remarquer que :
« A toutes les entrées de la ville, là où l’on décharge les canoas *…+, il y a des cabanes où séjournent
les gardes chargés de contrôler et de lever une contribution sur chaque produit..»
Ainsi, une telle organisation exige la création d’espaces bien déterminés, dédiés au contrôle et au
stockage des marchandises. On parle alors de zones de rupture de charge qui, ici, correspondent à
des ports, lieu de dépôt, avec des embarcadères qui autorise le transit. Ces structures ont des
fonctions différentes mais complémentaires. Le dictionnaire définit ainsi ces deux structures:
Port : abri naturel ou artificiel aménagé pour recevoir des embarcations, assurer leur chargement et
déchargement ainsi que leur entretien.
Embarcadère/débarcadère : jetée ou appontement aménagé pour embarquer ou débarquer des
passagers ou des marchandises.
Ainsi la mise en place de ces aménagements spécifiques ne demande pas les mêmes espaces
et techniques de construction. Un port est un ensemble de structures liées entre elles par leurs
fonctions : réception et contrôle des marchandises (douane ou octroi), espace de stockage pour les
marchandises et les embarcations (dépôts, hangars, embarcadères…), ainsi que des zones
commerciales (étals, boutiques…). La construction d’un tel lieu fait appel à un ensemble architectural
assez conséquent nécessitant beaucoup de main-d’œuvre. Lors de notre séjour à Mexico, nous
n’avons trouvé aucun rapport de fouilles attestant, d’un point de vue archéologique, d’une telle
découverte. Par ailleurs, il devait exister des structures de style Mexica dans les ports situés dans les
lacs de Chalco et Xochimilco, comme celui d’Ayotzingo. Il nous semble donc logique qu’étant des
ports dédiés en partie à la réception des tributs, il devait exister la présence de contrôleurs mexicas
nommés par l’empereur afin de protéger ses biens. Même si tout ceci n’est qu’hypothèse, il serait
très intéressant de faire des investigations dans ce sens, dans les sites susceptibles d’abriter de tels
aménagements.
Concernant les embarcadères ou débarcadères, ce sont des structures beaucoup plus
« éphémères » car elles ne nécessitent qu’un petit espace avec un pontage réduit étant donnée la
largeur des canaux que nous avons mentionnées plus haut. Au niveau archéologique, il existe des
traces visibles qui révèlent l’emplacement de pieux en bois qui permettaient de supporter un
plancher comme cela a été découvert sous le Palais National de Mexico. Cette information nous a été
communiquée, lors de notre séjour, par Leonardo Lopez Lujàn. Heureusement les données
ethnologiques nous confirment l’existence de ces structures car la navigation a été pratiquée dans la
lagune de Mexico jusqu’au début du XXe siècle. L’exemple le plus pertinent est celui du Canal de la
Viga qui reliait Xochimilco à Mexico-Tenochtitlan. Il passait le long de la rue Roldàn sur laquelle
existait l’une de ces structures (Figure 30). Aujourd’hui, grâce à la restauration de la Casa Talavera,
qu’il nous a été permis de visiter, nous avons pu constater la mise en évidence de la partie arrière de
cette maison qui donnait sur un ancien canal. Ainsi, elle était aménagée de manière à pouvoir
charger et décharger des marchandises à l’intérieur de la maison par un système de portes
coulissantes qui mettait en relation habitation et navigation. Il est donc permis de penser que toutes
les maisons situées en bordures des canaux possédaient cet astucieux type d’aménagement,
permettant ainsi de rendre le trafic plus fluide.
Autre type d’aménagement spécifique, utilisé à des fins militaires : l’arsenal.
Arsenal : centre aménagé pour la construction, l’entretien et le remisage des navires de guerre, mais
aussi pour le dépôt d’armes et de munitions.
Il s’agit, comme les ports, d’un espace de stockage et de réparation du matériel de guerre. Ce type
d’espace devait se présenter sous la forme de grands hangars permettant d’y entreposer de grandes
pirogues, ce qui implique l’aménagement d’un accès direct à la lagune.
Sahagun, dans son chapitre XXV, concernant les fêtes et les sacrifices qui se déroulaient à Pantitlan,
trou d’eau sur le lac de Texcoco, mentionne l’existence de ces installations spécifiques (1982 : 113-
114) :
« Lorsque tous étaient sacrifiés, on prenait toutes les offrandes *…+ et on les emportait à
l’endroit où la lagune est appelé Pantitlan, qui se trouve non loin des arsenaux. »
« Il lançait ensuite l’encensoir dans la lagune. La canoa était aussitôt tournée vers la terre et
les rameurs la dirigeaient en toute vitesse vers le point appelé Tetamaçolcoqui était le débarcadère.
Tous s’y baignaient et l’embarcation était ramenée à son remisage. »
Dans cette dernière citation, la mention d’un espace de remisage est intéressante. En effet, cela
précise clairement que les différents aménagements spécifiques de la lagune étaient déterminés par
leurs fonctions : port, embarcadère et débarcadère pour le commerce, arsenal pour le matériel de
guerre et des hangars pour les embarcations cérémonielles. Ceci implique donc l’existence de
différents types de pirogues associée à des activités bien particulières. Il nous semble alors logique
de dire que chaque type de pirogue avait une fonction bien précise et un usage unique. Comme le
sous-entend Sahagun, les pirogues cérémonielles, une fois utilisées, étaient entreposées jusqu’à la
prochaine cérémonie. Tout ceci sera plus ou moins confirmé dans notre typologie au chapitre 3.
Chapitre 3
a) Typologie des embarcations et moyens de propulsion :
Il a été établi à travers l’étude des sources ethnohistoriques du XVIe siècle que les pirogues
étaient abondamment utilisées par les Mexica de Tenochtitlan. De telles sources écrites et
iconographiques nous fournissent de nombreuses informations sur le type de constructions, la
forme, les décorations, la capacité de charge, les moyens de propulsion ainsi que sur les matériaux et
outils utilisés par les Mexica. Une synthèse des données disponibles nous suggère que, comme les
canots et pirogues rencontraient dans les voyages de Colomb, la première forme de navigation
pratiquée dans le Bassin de Mexico se faisait à partir d’un seul tronc évidé : les pirogues monoxyles.
Voici donc quelques descriptions de ces embarcations, si nombreuses sur les lacs du Bassin:
« Ils circulent sur *…+ l’eau dans leurs barques et canots qui sont fait d’un tronc creux» (Le
Conquistador Anonyme,1986 : 95)
«Sur ces lacs flottent quelques deux cent mil de ces petites embarcations, appelées par les
autochtones acalli, ce qui signifie, maison sur l’eau, de atl, eau et calli, maison, le mot étant composé
de ces deux termes. Les Espagnols les appellent pirogues, un mot qui était utilisé dans le langage de
Cuba et Saint Domingues*…+ » Gomara (1966 : 149)
Sources iconographiques :
Il est logique que les pirogues Mexica avaient des formes et des tailles différentes selon leur
utilisation. Par exemple, une embarcation utilisée pour le transport de marchandises devait avoir un
fond plus plat que les vaisseaux de guerre. Ainsi, en étudiant de près les différentes représentations
iconographiques des pirogues, il nous a été possible d’en établir une typologie. Ce travail
d’observation tend à prouver que la variété des pirogues présentées au sein d’un même document,
voire d’une même planche d’illustration, est une preuve de la diversité morphologique des
embarcations Mexicas. Le corpus des sources utilisées est le suivant (Figure 31):
Typologie des embarcations :
Les pirogues monoxyles étant des embarcations présentes sur tous les continents, nous nous
sommes basés sur la typologie établie par Rieth et Pomey sur les pirogues européennes (2005 :193).
Le corpus que nous avons rassemblé pour cette étude ne nous permet pas de classer toutes les
embarcations identifiées. En effet, nombre d’entre-elles ne sont pas aisément lisibles et d’autres
présentes un dessin incomplet. Cependant, nous avons choisi d’illustrer cette typologie à l’aide
d’une sélection des illustrations les plus représentatives afin d’optimiser la lisibilité du document. La
totalité des embarcations identifiées se retrouve donc en annexe. En conséquence, voici le tableau
récapitulatif des différents types de pirogues (Figure 32):
Les pirogues définies comme étant de Type 1 sont celles qui correspondent aux descriptions
les plus habituelles que l’on retrouve dans les sources du XVIe siècle. Elles illustrent un bateau à fond
plat avec une poupe et une proue angulaires (Figure 33). Ainsi, nous pouvons affirmer que ces deux
dernières ont souvent un angle d’élancement légèrement différent même si les sources ne sont pas
cohérentes pour définir laquelle a l’angle le plus prononcé. Toutefois, de telles données spécifiques
concernant les angles d’élancement doivent être manipulées avec précaution. Les sources
iconographiques nous donnent une image assez précise de la forme des pirogues et les détails sont
une interprétation de l’illustrateur. Remarquons que toutes les sources ne dépeignent pas des
pirogues aux extrémités angulaires mais plutôt de forme arrondies ou pointues (Figure 23) d’où la
nécessité de scinder cette classification.
Le Type 2 est une embarcation à fond plat qui présente des extrémités pointues (Figure24 :
42).
Les Type 3 et 4, représentent tous deux des embarcations à fond plat. Le Type 3 a deux
extrémités angulaires (Figure 22 : 41) alors que le Type 4 a une extrémité pointue et l’autre angulaire
(Figure 34). Même si au niveau de la coupe et du plan ces deux types d’embarcations semblent
similaires, elles sont fortement différenciées dans les illustrations. Nous avons donc préféré les isoler
l’une de l’autre.
Notons que via cette typologie de nouvelles utilisations des pirogues apparaissent. Ainsi, la religion
qui était étroitement liée au mode de vie des Mexica, donnait lieu à différents rituels et cérémonies
en l’honneur des divinités liées à l’eau : les Tlaloques. Les professions ou activités qui devaient rendre
hommage à ces divinités effectuaient le plus souvent ces cérémonies en utilisant les pirogues. Tlaloc
était la principale divinité associée à l’eau, il était honoré et célébré par ceux qui dépendaient de
l’eau ou de la pluie, c'est-à-dire tous les habitants de Tenochtitlan (Sahagun, :15) : « Ce dieu appelé
Tlaloc était le dieu des pluies. On disait qu’il faisait tomber de l’eau pour arroser la terre, afin que, par
sont intervention naquissent les plantes, les arbres, les fruits et les subsistances.».
La majorité des personnalités politiques et religieuses de Tenochtitlan et du pourtour du
Bassin se réunissaient lors du grand festival en l’honneur de Tlaloc. Le point culminant de cette
cérémonie se déroulait à Pantitlan, au beau milieu du lac de Texcoco :
« *…+ les grands prêtes et dignitaires *…+ enlevaient une fillette âgée de sept ou huit ans sur leurs
épaules *…+ elle était toute de bleu vêtue, pour représenter la grande lagune et toutes les autres
sources et ruisseaux ; on lui posait une guirlande de cuir teinté sur la tête, couronnée par un pompon
de plumes bleues. *…+ ils l’embarquèrent sur une pirogue *…+ sans cesser de jouer (de la musique) et
de chanter, accompagnés d’innombrables pirogues de femmes, d’hommes et d’enfants pour assister
à la cérémonie. Ils la conduisaient au milieu de la lagune à cet endroit qu’ils appelaient Pantitlan, là
où la lagune forme un tourbillon qui de temps en temps, quand l’eau s’élève, met de nombreuses
pirogues en danger de par leur négligence et leur inadvertance lorsqu’elles passent au-dessus. *…+Et
ensuite ils prenaient la fillette, et avec un couteau pour tuer les canards, ils l’égorgeaient puis
égouttaient le sang dans l’eau. *…+ Après avoir lancé le corps de la fillette, les rois et seigneurs
arrivaient dans leurs pirogues …» (Duran, 1967 : 88)
« Lorsque la fête était finie, on prenait les papiers, les ornements dont on avait eu besoin pour le
banquet ; on emportait le tout vers un trou qui se trouvait au fond de la lagune de Mexico, qu’on
appelait Pantitlan, et on le jetait en cet endroit. » (Sahagun : 46) Figure 35
Les autres divinités en rapport avec la pluie ou associées plus généralement à l’eau étaient
célébrées par ceux qui dépendaient de la navigation et de leurs pirogues. On attribuait à
Opochtli l’invention de plusieurs outils : les filets de pêche, le trident permettant de tuer poissons et
oiseaux et la pagaie indispensable pour propulser les pirogues. (Sahagun : 36). Il était honoré par les
pêcheurs et « les gens qui trafiquaient sur les eaux ». Chalchiuhtlicue, déesse de l’eau, pouvait faire
périr ceux qui s’y aventuraient. Elle était honorée par « tous ceux qui prenaient l’eau pour base de
leur trafic, soit en la vendant, soit en se livrant à la pêche, soit en s’occupant à toutes productions
venant de l’eau » (Sahagun : 81)
Il faut interpréter ces cérémonies comme une façon d’honorer les dieux afin de s’assurer
prospérité et sécurité, car les activités lacustres pouvaient être dangereuses voire synonymes de
mort.
En plus d’une utilisation quotidienne et religieuse, les pirogues étaient considérablement
utilisées par les Mexica pour faire la guerre. Pour supporter le complexe urbain de Tenochtitlan et
pour maintenir l’apport minimum de biens vitaux, la guerre était de première importance. A cause
de la situation insulaire de Tenochtitlan, les produits alimentaires et vestimentaires auraient été
difficiles à produire ou à obtenir au niveau local au fur et à mesure de l’augmentation de la taille de
la ville et de sa population. Pour garantir un certain niveau de vie, une grande partie des
marchandises étaient importées. L’un des talents principaux de Mexica, connu depuis leur arrivée sur
le Bassin, était leur habilité à la guerre. Ils ont développé ce talent et ont assujetti les régions
alentours en leur réclamant un tribut périodique. Afin d’atteindre et de maintenir ce rôle de pouvoir
central, les Mexica ont dû acquérir une réputation de peuple féroce par le biais d’une forte
domination militaire évitant ainsi toute invasion.
Holt (1979 :45), dans son analyse des méthodes de guerres des Mexica, suggère que bien
que les sources du XVIe siècle nous décrivent une peu l’utilisation des pirogues par d’autres groupes
peuplant le Bassin, les Mexica sont connus pour avoir consciencieusement construit leur force navale
pour naviguer vers et depuis les rives du lac. De plus, cet auteur produit des documents attestant de
leur acharnement a perfectionner l’utilisation de leurs pirogues de guerre à l’aide de différents
exercices afin de se garantir une totale liberté contre toute domination des populations basées sur
les rives.
Notons ici l’importance de la confiscation de pirogues comme butin de guerre. Ceci était
probablement l’un des actes grâce auquel les Mexica ont pu agrandir leur flotte de pirogues de
guerre. L’un des rares exemples décrivant une défaite des Mexica est visible dans le Codex Mendoza
(Figure36)vol. III : Folio4). Les vaisseaux devaient avoir une certaine importance pour être
mentionnés et illustrés dans cette liste des pertes subies par les Mexica. Dans cette illustration, un
indien probablement de Chalco, se tient au-dessus de la pirogue tenant dans ses mains un bloc de
pierre. Peut être est-ce un moyen de suggérer que l’une des techniques pour couler une embarcation
ennemie était de la saborder à l’aide de lourdes pierres. Notons également que l’une des pirogues
dessinées est plus grande que les trois autres, ce qui suggère différentes tailles des vaisseaux de
guerres. Ajoutons à ceci que certaines pirogues étaient peintes ou sculptées (Figure 37) pour aller
faire la guerre. De plus, des embarcations transportant de nombreux guerriers armés présentent des
protections visant à les soustraire aux tirs ennemis (Figure 38).
Typologie des moyens de propulsions :
A cette typologie des embarcations s’ajoute celle des moyens de propulsion nécessaires pour
les déplacer. C’est en se basant sur l’étude des mêmes sources iconographiques, ainsi qu’en nous
rendant dans les chinampas de Xochimilco, lors de notre séjour à Mexico, qu’il nous est possible de
proposer cette typologie.
D’après les sources iconographiques il existe un moyen de propulsion : la pagaie. Cependant la
perche, aujourd’hui abondamment utilisée à Xochimilco, n’est pas représentée clairement dans les
sources iconographiques.
Il existe deux types de pagaies : celles avec un manche long et une pale rectangulaire (Figure 24 : 42)
et celles avec un manche long et une pale ovale (Figure 39). D’après les sources iconographiques
elles sont le plus souvent utilisées par des rameurs en position debout afin de leur permettre de
mieux exercer leur force.
La mise en place de cette typologie des embarcations et des moyens de propulsions nous
invite à se poser quelques questions. En effet, suivant la taille des embarcations et de leur charge en
marchandises ou passagers, le nombre de rameur diffère. Nous pouvons certainement se servir de
ces informations à titre d’indice pour une future étude sur la propulsion à la pagaie.
Un peu de calcul :
C’est la pirogue exposée au Musée National de Mexico, découverte dans un contexte
archéologique qui nous a permis, à partir des mesures relevées lors de notre séjour, d’estimer le
volume que pouvait transporter ce genre de pirogue monoxyle.
Patrice Pomey et Eric Rieth (2005) ont défini trois méthodes de calculs permettant de
calculer le volume d’une embarcation :
- la première méthode consiste à calculer le volume à partir du poids de la cargaison. Ici nous
ne disposons d’aucune donnée sur la cargaison rendant cette première méthode de calcul
inutilisable
- la deuxième méthode consiste à estimer, à partir des vestiges de la coque, son volume de
bois pour déterminer son poids à vide. Ainsi, nous évaluons le déplacement en charge, c’est-
à-dire le poids du volume d’eau déplacé par l’embarcation lorsque celle-ci est chargée. C’est
en soustrayant le déplacement en charge au poids de la coque qu’il nous sera possible
d’obtenir la capacité de charge de l’embarcation. Cette méthode est la plus précise et
permet le plus souvent une restitution graphique de l’embarcation étudiée. Cependant, ne
disposant pas d’assez d’informations, cette seconde méthode est inutilisable ici.
- la dernière méthode est appelée formule de jauge. Elle permet d’estimer le volume de
l’embarcation en la réduisant à une forme géométrique simple, ici un parallélépipède. Il suffit
de calculer son volume en appliquant la formule suivante : Longueur x largeur x hauteur. A ce
résultat, nous devrons appliquer des coefficients correcteurs. Il s’agit de prendre en compte
les irrégularités et la forme de la coque, mais aussi la place minimale nécessaire pour le
stockage du matériel de bord ou ici la place nécessaire au pagayeur. En appliquant cette
méthode nous sommes parvenus à un résultat, qui reste approximatif, d’une capacité de
charge avoisinant 1 tonne.
Cette méthode nous permet donc de comprendre l’importance de la navigation et son utilité
dans le transport de marchandises pondéreuses comme pouvaient l’être les matériaux de
construction ou les sculptures monolithes (Chapitre 2). Ainsi, un bloc de 12 tonnes comme la
sculpture de Taltecuhtli pouvait être transportée par voie lacustre à l’aide de l’amarrage de
plusieurs pirogues entre-elles permettant de répartir le poids et d’augmenter la capacité de
charge. Il serait donc intéressant lors de futures recherches d’arriver à obtenir une quantité
suffisante d’informations qui permettrait d’appliquer la seconde méthode de calcul afin de
donner des estimations plus précises.
b) Essence de bois, outils et charpentiers :
Essences :
Les archéologues ont tout aussi recours aux sources ethnohistoriques qu’aux artefacts basant
ainsi leurs recherches sur une approche pluridisciplinaire. Nous devons approfondir au maximum
l’étude des sources qui, généralement, ne mentionnent les embarcations que de manière
anecdotique, nous poussant ainsi à faire un relevé systématique dès qu’il est question de canot ou
autres embarcations. En complément des données touchant à l'analyse architecturale de la pirogue
que nous avons pu obtenir lors de l’étude de celle conservée au Musée National de Mexico, les
sources du XVIe siècle, combinées aux données archéologiques et sylvicole, nous fournissent des
indices sur les technologies utilisées et sur l’exploitation des essences de bois adaptées à la
construction de ces pirogues. Les essences de bois les plus exploitées sont : le chêne, l’aulne, le pin,
le cèdre, l’acacia, le cyprès, le sapin et le genévrier qui se trouve en grand nombre dans le Bassin de
Mexico (Leshikar, 1982 : 69).
L’espèce de bois la plus représentée, située le long des rivières et à proximité des sources
d’eau douce, est connue par les Mexicains sous le nom d’ahuehuete (Taxodium mucronatum), ce qui,
en langue nahuatl9, peut se traduire comme « le vieil arbre de l’eau ». Cette espèce pousse à la fois à
proximité des rives et des lacs mais aussi dans les montagnes environnantes à une altitude comprise
entre 300 et 2 500 m (Record, 1943 :30). Il peut mesurer jusqu’à 40m de haut pour un diamètre de 2
à 14 m. Il s'agit donc d'un arbre robuste à croissance rapide, qui se développe dans une vaste zone
biogéographie. Aujourd’hui, ce type de bois est plus connu sous le nom de Cyprès Chauve Mexicain
(Taxodium mucronatum). Cependant, il ne s’agit pas exactement d’un vrai cyprès car son bois est
plus léger, plus tendre et plus résistant aux détériorations. Voici ce que Standley (1920-26, vol.
23 :60) nous dit à propos de cet arbre :
« *…+ c’est l’une des espèces les plus connue au Mexique, en particulier à cause de sa taille. L’individu
le plus grand est le célèbre arbre situé à Santa Maria del Tule, près de la ville de Oaxaca, qui mesure
plus de 38,6 m de haut et possède un tronc de 51,8m de circonférence, son plus grand diamètre étant
de 12 m et l’envergure de ses branches étant approximativement de 42 m. Le Cyprès de Moctezuma,
situé dans le parc de Chapultepec, mesure 51 m de haut et a un tronc de 15 m de circonférence. ».
Toutes ces particularités en font une espèce de choix pour la construction d’embarcations car le bois
est facile à travailler avec des outils en pierre et ne pourrira pas après un séjour prolongé dans un
milieu aquatique.
Un autre arbre qui était adapté à la construction de pirogues était appelé tlatzcan par les
Mexicas (Sahagun, 1963 : 106). Aujourd’hui connu sous le nom de Cyprès Américain (Cupressus
lusitanica) il poussait dans le Bassin de Mexico à environ 2 500m d’altitude (Leshikar, 1982 : 73). Bien
qu’il ne soit pas aussi imposant que le Cyprès Chauve Mexicain, sa taille (entre 20 et 30 m de haut),
9 ahuehuetl
son diamètre et ses propriétés techniques étaient idéales pour sculpter les pirogues (Record, 1946 :
7).
Le Pinus ayacahuite, appellé ayauhqauitl10 par les Mexicas, est une variété de pin qui pousse
à une altitude de 2 300 à 3 500m dans le Bassin de Mexico (Leshikar, 1982 : 73) en faisant ainsi une
espèce adéquate pour la construction de pirogue monoxyle. Cet arbre peut atteindre une hauteur
maximale de 50 m dont le tronc peut au mieux mesurer 1,50 m de diamètre. Appartenant à la famille
des pins blancs, cette espèce est facile à travailler d’où son utilisation par les charpentiers pour
toutes sortes de travaux (Record, 1946 : 15-20).
Le Pinus montezumae est un pin jaune qui se situe à environ 3 500 m d’altitude dans le Bassin
de Mexico (Sanders et al., 1979 : 88). Bien qu’il ne soit pas d’une aussi bonne qualité que les autres
espèces mentionnées, cet arbre est utilisé pour sa croissance rapide et devait être utilisé pour la
construction de petites embarcations. D’après Record (1946 : 20) il peut mesurer jusqu'à 30,5 m mais
son diamètre ne peut excéder les 0,9m.
Plusieurs espèces de chênes étaient également exploitables par les charpentiers de pirogues
du Bassin de Mexico pour fabriquer leurs outils (Sanders et al ., 1979 : 293). Cependant, à cause de sa
dureté et de son poids, il est peu probable que le chêne ait été utilisé par les Mexicas pour la
construction de pirogues monoxyles. Le travail de cette espèce nécessitait des outils en pierre ou en
cuivre qui se seraient très vite usés à cause de la dureté du bois rendant ainsi la fabrication d’une
pirogue trop longue et trop coûteuse. De plus, une fois taillé, la pirogue vide était déjà lourde, ce qui
réduisait évidement sa vélocité et sa capacité de charge. L’utilisation de cette essence pour les
embarcations n’apparaît qu’après l’arrivée des Espagnols qui disposaient de techniques de
constructions navales et d’un outillage différents et bien plus efficace que celui des Mexicas.
Les quatre espèces (Taxodium mucronatum, Cupressus lusitanica, Pinus ayacahuite et Pinus
montezumae) mentionnées ci-dessus, étaient certainement les plus utilisées dans la construction de
pirogues monoxyles précolombiennes. Elles ont pour propriétés communes : la souplesse de leur
bois qui facilité le travail avec des outils en pierre et en cuivre, leur résistivité différente face aux
moisissures dans un milieu humide et leur légèreté. Cette légèreté les rendent très attractives car,
en cas de construction dans des endroits éloignés des rives des lacs, les embarcations fabriquées
pouvaient certainement être portées et, de plus, elles devaient être très rapides et maniables. La
différence majeure entre ces espèces dans la dimension de leur diamètre, laisse sous entendre la
construction d’embarcations avec de tailles différentes selon leurs utilités.
Outils :
Bien que les données ethnohistoriques du XVIe siècle ne décrivent pas spécifiquement la
construction de ces embarcations monoxyles, il nous semble logique que la technique utilisée peut
être qualifiée de soustractive (Pomey et Rieth, 2005 : 191) :
« Le seul processus de creusement d’un tronc permet d’obtenir, par soustraction de 85 à 90% du
volume de matériau d’origine, une coque, façonnée dans un arbre unique, dont la longueur varie
10
Sahagun, 1963 : 107
selon les essences, les conditions de développement de l’arbre, le contexte écologique et les
époques… ». Dans le Bassin de Mexico, les outils les plus utilisés pour le travail du bois, illustrés dans
les sources du XVIe siècle étaient : l’herminette, la hache, le burin et le marteau. Chez Sahagun,
plusieurs outils de charpentiers sont illustrés : la Figure 40 montre un homme en train de débiter des
planches à l’aide d’une hache pendant que la Figure 41 nous en montre un autre en train de
fabriquer une idole en bois à l’aide d’une herminette, d’un marteau et d’un burin. Ceux sont les
mêmes outils ou types d'outils utilisés dans la majorité des constructions navales dans le monde et
historiquement.
Avant l’arrivée des Espagnols, les indiens du Basin de Mexico, comme tous ceux du Nouveau
Monde, n’utilisaient pas d’outils en fer. Ceux utilisés étaient principalement en pierre et en
obsidienne. L’obsidienne, de par sa dureté, était un matériau ayant une bonne résistance aux chocs
et donc convoité pour la fabrication d’herminettes et de haches. Si elle était utilisée dans la
confection d’outils pour travailler le bois tendre, sa finesse devait compenser sa tendance naturelle à
se briser trop facilement (Leshikar, 1982 : 75). Le gisement d’obsidienne le plus important de toute la
Mésoamérique dans les périodes anciennes se situait au nord du Bassin de Mexico. Notons toutefois
que le cuivre et les autres métaux tendres étaient également utilisés dans l’outillage. Bernal Diaz
(2009 : 343) écrit que sur le marché de Tlatelolco: « On vendait encore des haches de laiton, c'est-à-
dire de cuivre et d’étain. » et de même, Sahagun (1963 : 235) décrit l’exploitation minière du cuivre
et de l’étain.
Charpentiers :
Les sources du XVIe siècle nous révèlent quelques informations concernant les charpentiers
indigènes. Sahagun (1961 : 27) nous relate que les charpentiers sont des hommes pleins de
ressources car ils travaillent le bois en fonction des saisons et qu’ils n’exploitent pas les arbres avant
qu’ils ne soient parfaitement utilisables ou complètement sec (1981: 733):
« Les arbres secs qui sont debouts ou tombés par terre s’appellent quauitl. On peut les travailler.
*…+En un mot, on fabrique tout ce qui peut se faire avec du bois, ainsi que cela se voit dans le texte
nahuatl. »
Cependant, dans sa description, Sahagun ne mentionne pas de manière spécifique les charpentiers
fabricant les pirogues monoxyles. Ceci nous interpelle car ces charpentiers devaient occuper une
place assez importante compte tenu de leur savoir-faire et de l’aspect primordial de la navigation
dans la société Mexica.
A l’issu d’une rencontre avec Hélène Guiot, chercheuse spécialisée sur la navigation en Polynésie, il
nous a paru intéressant de rapprocher les civilisations Mexica et Polynésienne. En effet, ces deux
civilisations insulaires à des degrés différents, sont dépendantes de leur environnement et de son
exploitation. Elles ont toutes deux la nécessité de se déplacer à l’aide d’embarcations : des pirogues.
Bien sûr, la morphologie de ces canots est totalement différente car les Mexicas naviguent à bord de
pirogues monoxyles alors que les polynésiens, eux, naviguent à bord de pirogues assemblée -
cousues11. Cependant, ces deux types d’embarcations recourent au même mode opératoire : choix
de l’arbre, abattage, évidage, mise à l’eau. Ce qui nous interroge, est le statut des constructeurs de
pirogues. En effet, les charpentiers de marine de Wallis ou tufugas sont ceux qui construisent
traditionnellement aussi bien les maisons d’habitation que les pirogues et connaissent également la
technique de la taille de la pierre. De plus ils employaient comme seuls outils, des herminettes. Ces
hommes occupent dans la société une place centrale de par l’étendue de leurs compétences. Ceci
explique la notion d’honneur et de mise en jeu de leur titre lors de la réalisation d’un projet12. Les
tufugas les plus respectés étaient appelés à construire de grandes pirogues cérémonielles ou de
guerre pour leurs dirigeants. Il existait donc deux sortes de commandes qui n’avaient pas recours
aux mêmes essences et aux mêmes rituels : les commandes privées et les commandes publiques. La
même situation a dû se produire dans le Bassin de Mexico. Les constructeurs de pirogues devaient
avoir plusieurs qualifications leur permettant de vivre tout au long de l’année ce qui expliquerait le
fait qu’il n’y ait aucune mention spécifique de charpentier de marine. De plus, ils devaient également
avoir à gérer deux types de commandes : individuelles pour une navigation à des fins quotidiennes,
et publiques, pour le transport d’offrandes lors des cérémonies dédiées aux divinités des eaux
comme Tlaloc ou Chalchiuhtlicue (Sahagun, 1982 :81-114).
D’après le Codex Mendoza, nous apprenons que le métier de charpentier est l’une des professions
qui se transmet de père en fils. Dans le travail de Pierre-Chanel Simutoga sur les tufuga de Wallis, en
Polynésie, un chapitre est consacré à la formation des jeunes futurs tufuga(1992 : 47-49). Il explique
que la chose la plus importante est d’observer le travail des anciens. Ainsi, être le fils d’un
charpentier, implique qu’il suive dès son plus jeune âge (7 ans environ) son père sur les chantiers de
construction, se familiarisant techniquement et socialement avec cet univers professionnel. L’enfant
utilise et affute les outils s’imprégnant ainsi des différentes étapes et techniques de construction.
Petit à petit on lui confie des responsabilités : porter les outils, allumer le feu, corriger les
déformations du bois jusqu’à se qu’il devienne un artisan qualifié. Ce processus de formation observé
à Wallis devait être assez similaire à celui qui existait dans de Bassin Mexico.
Après avoir décrit la matière et les outils utilisés par les constructeurs de pirogues, nous
allons nous intéresser à la construction de ces embarcations monoxyles, en essayant d’en suivre la
chaîne opératoire.
11
Guiot 2001 « La construction navale traditionnelle polynésienne : dimension culturelle d’un processus technique »,in Techniques et Cultures, n°35-36 : 445-478, CETMA, Paris 12
Guiot 2000 « Uvea-Wallis, une île pêché par les dieux », in Charpenterie de marine et art de la navigation : des affaires de familles : 112-120, éd. Musée des Beaux-Arts de Chartres, Chartres
c) Construction :
La réalisation de cette partie technique, s’appuie sur les données archéologiques et
ethnohistoriques recueillies auprès des constructeurs de pirogues polynésiens car leurs techniques
de constructions sont très documentées. Ne disposant pas de données directes sur le sujet dans le
Bassin de Mexico, nous avons également utilisé les travaux de Benoît Bérard dans les petites Antilles
et le livre de l’aventurier Michel Piessel13 pour confirmer nos dires. L’étude de cette chaîne
opératoire14 va nous permettre de comprendre la complexité d’un tel projet.
Choix de l’arbre :
Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, la construction d’une pirogue est un
processus long et réfléchi à l’avance. Le choix d’une essence de bois en fonction de ses qualités
techniques nécessite une connaissance poussée de son anatomie et de ses propriétés (Figure 42). Le
charpentier devait certainement intervenir sur les arbres qui l’intéressaient en particulier, c’est-à-
dire qu’il devait régulièrement élaguer pour améliorer sa rectitude et favoriser sa croissance en
hauteur (Guiot, 1997 : 460). Dans sa thèse, Hélène Guiot nous précise que lorsqu’un tufuga trouvait
un jeune arbre prometteur, il en débroussaillait les abords de façon à favoriser sa croissance et
pratiquait une décoration partielle sur l’un des côtés du tronc de façon à ce que la partie du bois
exposé à l’air s’abîme, ce qui avait pour conséquence de faciliter l’évidage du fût lors de la
construction de la pirogue (1997 : 460). Le travail sur le bois débute généralement avant l’abattage
de l’arbre ce qui signifie que la construction d’une pirogue est avant tout une conception visuelle
(Figure 43). Compte tenu d’un besoin important en matières premières et de l’investissement en
temps pour obtenir un tronc à maturité, les charpentiers avaient pour obligation de gérer de façon
prévisionnelle le stock de bois sur pied. En effet, plusieurs années pouvaient s’écouler entre le
marquage de l’arbre et son abattage, excepté pour la famille des Pinus.
Abattage :
Une fois l’arbre choisi, l’étape suivante, l’abattage, est décisive dans la construction de la
future pirogue. C’est alors que tout le savoir-faire des charpentiers est mis à contribution :
connaissance sur l’anatomie du bois, utilisation de la position de la lune et les technique pour
l’abattage (Simoutoga, 1992 : 95). En effet, les charpentiers se réfèrent à la position de la lune pour
identifier les périodes où le bois est hors sève. Ainsi, ce dernier est moins sujet à l’éclatement et à
l’attaque par les termites. Premièrement, le constructeur de pirogue doit choisir la direction de la
chute de l’arbre puis procède à un défrichement pour enlever tout arbre ou arbuste qui pourraient
gêner sa chute. Deuxièmement, à l’aide d’une hache (Figure 44a, 44b), il entaille la base du tronc sur
deux ou trois côtés (Best, 1925 : 51), avant d’utiliser le feu (Figure 45) afin d’achever le processus
13
Peissel, M. 1984 Itza, ou Le mystère du naufrage maya, coll. L’aventure continue, Robert Laffont, Paris 14
Leroi-Gourhan 2009 Milieu et technique, collection Sciences d’aujourd’hui, Albin Michel, Paris
d’abattage. La partie dans laquelle le feu est allumé, est humidifiée à l’aide de boue pour éviter tout
débordement des flammes. Enfin, une fois l’arbre à terre, le charpentier laisse une ou deux branches
fortes qui lui servent de levier pour régler la position désirée et commencer le traçage de la future
pirogue.
Traçage :
Muni d’un morceau de charbon, le charpentier commence à tracer les lignes de base après
avoir suffisamment étudié les caractéristiques de son bois (Figure 46). Il repère les gauchissements
(déformations du bois vers l’extérieur) et les retraits (déformations du bois vers l’extérieur) pour
ensuite les marquer (Figure 47).Puis, à l’aide d’une herminette, il procède au redressement de
chacune de ces déformations pour obtenir la ligne désirée comme le montre la Figure 48(Simutoga,
1992 : 101-106).
Evidage :
Une fois le traçage terminé, commence l’évidage du tronc. Il s’agit de le creuser en alternant
l’utilisation d’herminettes et du feu pour obtenir le résultat final (Figure 49 et 50). Cette étape est
décisive car au moindre faux pas, le bois peut éclater ou brûler trop en profondeur, rendant le tronc
inutilisable.
Halage et mise à l’eau :
N’ayant aucunes données sur ce type de chantier dans le Bassin de Mexico, nous ne pouvons
qu’émettre des hypothèses sur le déplacement des pirogues entre le chantier de construction et son
lieu de mise à l’eau. Il existe alors deux possibilités : la première est que le chantier de construction
se dressait là où l’arbre était abattu, la seconde est que le chantier se situait sur les rives du lac. Dans
les deux cas, la question qui se pose est de savoir comment le tronc était acheminé vers les rives. La
seule chose dont nous sommes certains est qu’il devait exister un aménagement particulier pour
permettre de descendre les troncs. L’une des solutions envisageable, provient de la Polynésie, où les
pirogues étaient acheminée vers les rivages à l’aide de cordages comme nous le montre la Figure 50
.Ceci implique une modification de l’environnement et la capacité à réunir une importante main
d’œuvre.
Nous venons de voir que la construction d’une pirogue requiert la présence de plusieurs
participants et la mise en œuvre de techniques précises et complexes, faisant des charpentiers des
hommes très respectables.
Conclusion
La maîtrise de la navigation était une technologie vitale et indispensable au développement
de Tenochtitlan et à sa domination économique, politique et religieuse sur le Bassin de Mexico. Les
pirogues monoxyles sont la clef de l’adaptation des Mexica au sein de l’environnement lacustre du
Bassin. Ce n’est qu’avec l’arrivée des Espagnols, disposant à la fois d’une technologie plus
sophistiquée (poudre, armes, chevaux, brigantins) et d’une stratégie militaire différente que la
navigation Mexica dut faire face à un nouveau challenge.
L’environnement naturel que propose le Bassin de Mexico était propice au développement
de civilisations utilisant la navigation. Même si cette dernière est attestée par les sources depuis le
XVIe siècle, l’étude du peuplement du Bassin démontre que les premières installations humaines,
situées sur les rives des lacs, pratiquaient déjà une sorte de navigation.
Lors de l’arrivée des Européens dans le Bassin de Mexico, la navigation sur des embarcations
monoxyles leur était déjà connue. De par leurs nombreuses descriptions, l’étude récente des
essences de bois utilisées et la pirogue découverte en 1959, il nous est possible de dire que ces
embarcations pouvaient transporter environ une tonne. Cette estimation nous permet de confirmer
les descriptions faites par Colomb sur les canots vus au large des côtes du Yucatan qui, jusqu’alors,
n’étaient que de l’ordre du possible par manque de données archéologiques. La mise en commun de
l’archéologie, de l’ethnologie et de l’archéologie expérimentale, nous autorise à mieux analyser la
navigation sur ce continent et ainsi de mieux la comprendre.
J’espère vivement que ce travail pilote nous aura permis de mieux connaître la navigation
Mexica. Cependant, même s’il nous a été possible de démontrer l’existence d’une grande diversité
d’embarcations, de nombreuses données archéologiques seraient encore nécessaires pour
approfondir ces connaissances. Grâce à une étude plus technique de la pirogue monoxyle exposée au
Musée National de Mexico, nous avons déjà obtenu quelques réponses. L’éthnohistoire joue aussi un
rôle primordial dans cette étude car elle permet de mieux identifier et définir les problématiques et
les contraintes techniques liées à la navigation lacustre.
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