Méthodes et modèle d’évaluation d’une chaine logistique durable. Calcul des émissions CO2...

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ANNE WINTER 1,2 , IOANA DENIAUD 3 , EMMANUEL CAILLAUD 1 1 ICUBE, Université de Strasbourg 15 rue Maréchal Lefèbvre, 67100 Strasbourg France [email protected] 2 Kuehne + Nagel Sàrl, Corporate NSCE 1r Edmond Reuter, 5326 Contern Luxembourg [email protected] 3 BETA, CNRS UMR 7522, Université de Strasbourg 61 av. de la Forêt Noire, 67084 Strasbourg Cedex, France [email protected] Méthodes et modèle d’évaluation d’une chaine logistique durable. Calcul des émissions CO 2 chez Kuehne+Nagel

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ANNE WINTER1,2, IOANA DENIAUD3, EMMANUEL CAILLAUD1

1 ICUBE, Université de Strasbourg 15 rue Maréchal Lefèbvre, 67100 Strasbourg France

[email protected]

2 Kuehne + Nagel Sàrl, Corporate NSCE 1r Edmond Reuter, 5326 Contern Luxembourg

[email protected]

3 BETA, CNRS UMR 7522, Université de Strasbourg 61 av. de la Forêt Noire, 67084 Strasbourg Cedex, France

[email protected]

Méthodes et modèle d’évaluation d’une chaine logistique durable. Calcul des émissions CO2 chez

Kuehne+Nagel

Résumé - Dans cet article, nous proposons une méthode et un modèle à base de logique floue pour l’évaluation d’une chaîne logistique durable, dans une vision système produit - service. Tout d’abord nous nous interrogeons sur les caractéristiques d’une chaîne logistique durable (GSC: Green Supply Chain) en nous appuyant sur une synthèse de la littérature. Nous analysons les nouvelles stratégies mise en œuvre pour atteindre la durabilité, puis nous proposons une méthode de déploiement de ce type de stratégie dans les projets de développement de la GSC. Un modèle global de système d'indicateurs de performance à base de logique floue est défini. Notre démarche est illustrée par une étude de cas chez Kuehne + Nagel Luxembourg. Une méthodologie d’évaluation des émissions CO2 est présentée. Notre démarche s’inscrit dans l'aide au choix ou dans l'aide à la (re)conception d’une GSC, pour un client. Abstract - In this article we will provide an evaluation method and model of a sustainable supply chain. We use the Product-Service System concept. The model is based on the fuzzy logic. First of all, referring to a literature research, we will define the characteristics of a green supply chain (GSC). New applied strategies, supposed to get sustainability, are analyzed and we will propose a deployment of this kind of strategies in GSC development projects. A global Key Performance Indicator (KPI) model based on the fuzzy logic is defined. Our proposal is illustrated by a case study at the Kuehne + Nagel Luxembourg Company. A CO2 calculation methodology is done. Our approach is aiming at helping customers to make their choice or helping customers in (re)engineering his GSC. Mots clés - développement durable, chaine logistique, systèmes produit-services, évaluation, logique floue. Keywords - sustainable development, supply chain, product-service system, performance measurement, fuzzy logics.

1 INTRODUCTION Pour augmenter leur compétitivité dans un contexte de développement durable beaucoup d’entreprises ont ressenti le besoin de revoir la structure et l’organisation de leur chaine logistique et de développer leur capacité d’innovation pour concevoir des chaines logistiques durable (GSC, Green Supply Chain) [Hall, 2001], [Seuring et Müller, 2008]. Zhu et al. [2012] ont défini le management de la GSC comme une innovation organisationnelle durable, grâce à l'intégration des préoccupations environnementales dans les activités logistiques. Ces préoccupations se retrouvent à la fois dans l’offre de produits véhiculés par la SC mais aussi dans tous les services associés. L’offre de produit seul n’est plus en phase avec la demande actuelle du marché. Pour cela les entreprises essaient de proposer des offres intégrées produit-service (Mont, 2002) Les systèmes produit-services ont pour vocation de répondre à des besoins d’usage et à la problématique de développement durable en phase de conception, développement, mise à disposition et utilisation. Le système produit-service ciblé dans cet article est la chaine logistique. Plus précisément nous allons nous interroger sur l’évaluation de la performance qui prends en compte les exigences du développement durable. Une GSC contribue à améliorer les performances des organisations (infrastructures, acteurs, produits, services) à la fois au niveau économique et environnemental [Narasimhan et Carter, 1998]. Depuis le Rapport Brundtland [1987], le développement durable est défini comme « Un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de "besoins", et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir » [Brundland, 1987]. Un management proactif de la GSC peut réduire la pollution pour améliorer la performance environnementale, mais peut aussi réduire l’« effort » de l’environnement en réduisant la consommation d’énergie et de ressources. Cela conduit à des

réductions de coûts et améliore le profit de l’entreprise [Zhu et al., 2012]. Porter fait une hypothèse selon laquelle les entreprises qui adopteraient une stratégie durable, bénéficieraient aussi d’une valorisation extra financière. Cette nouvelle stratégie (innovante) c'est une façon pour les entreprises de retrouver le respect de la population tout en accroissant leur compétitivité : « Les entreprises peuvent créer de la valeur économique en créant de la valeur sociétale. » [Porter et Kraemer, 2011]. Dans cet article nous nous interrogeons sur les caractéristiques d’une chaine logistique durable (GSC: Green Supply Chain) en nous appuyant sur une synthèse de la littérature. Nous analysons les nouvelles stratégies mise en œuvre pour atteindre la durabilité, puis nous proposons une méthode de déploiement de ce type de stratégie dans les projets de développement de la GSC. Un modèle global de système d'indicateurs de performance à base de logique floue est défini. Notre démarche est illustrée par une étude de cas chez Kuehne + Nagel. Une méthodologie d’évaluation des émissions CO2 est présentée.

2 CARACTERISTIQUES DE LA GSC

2.1 Système produit – service (SPS) La chaîne logistique est conçue pour un produit ou une famille de produit spécifique [Baglin et al., 2007]. Donc le produit et les services logistiques qui lui sont associées doivent être inter- reliés. Pour répondre aux besoins des clients il faut considérer entre autres la stratégie industrielle et commerciale du fournisseur de l’offre, la conception et la production de l’offre elle-même, l’usage de l’offre, les interrelations entre cycles de vie (biens, équipements, services), les contraintes environnementales. SPS est définie comme « un système de produits, de services, de réseaux d'acteurs et d'infrastructures connexes qui s'efforcent continuellement d'être compétitif, de satisfaire les besoins des clients et avoir un impact environnemental plus faible que les modèles d'affaires traditionnels » [Goedkoop et al., 1999]. Selon la définition on peut considérer que la chaine logistique est un SPS. Au cœur de SPS est la « durabilité » qui vise à réduire les impacts sur l'environnement en fournissant des scénarios

alternatifs d'utilisation du produit [Mont, 2002, Geum et al., 2011].

2.2 Système ouvert Le nombre de parties prenantes impliquées dans la chaîne logistique est très important comme le montre O’Connor et Hawkes [2001] : - parties prenantes utilisatrices ; - parties prenantes productrices (impliquées dans le processus de réalisation) ; - parties prenantes « potentiellement concernées » : ONG écologie, société en général ; - parties prenantes fournisseurs de matières premières ; - parties prenantes qui concernent le démantèlement/ destruction du produit. Les limites du système ne sont donc pas très clairement définies. La chaîne logistique peut être considérée comme un système ouvert. Dans ce contexte, un enjeu fort est la fermeture du système pour garantir l’efficacité du système.

2.3 Besoins spécifiques En plus des besoins communs à tout processus de conception (besoins de développement, besoins de réalisation, besoins d’utilisation et besoins supports), on peut identifier des besoins spécifiques : - besoin de réutilisation de tout ou partie de la chaîne ; - besoin en retrait de service ; - besoin de recyclage. D’autres besoins sont accrus : besoin de formation et d’acquisition de connaissances scientifiques des acteurs participant dans la chaîne. Les exigences ou besoins des clients ne sont jamais directement interprétables en termes de problèmes techniques à résoudre d'emblée. Il revient donc à l’ingénieur d'expliciter le besoin et de développer une solution « satisfaisante » dans un cadre organisationnel prédéfini [Micaëlli et al., 2012]. Par ailleurs, la multiplicité des exigences venant de nombreuses parties prenantes et de leurs relations augmente la difficulté pour réaliser un contrôle a priori des processus de développement de la chaîne [Bonjour et Dulmet, 2006].

2.4 Complexité accrue La complexité du processus de développement d’une GSC est générée par : a) la complexité dans la définition de besoins/exigences (problème difficile à formuler) : - le besoin n’est pas clairement identifié, défini et exprimé ; - la mauvaise compréhension de la relation client-fournisseur; - l’absence de séparation entre problème et solution ; - la difficulté de communication (outil de dialogue) entre les parties prenantes ; - la perception négative du problème à résoudre. b) la complexité de la GSC liée à : - la complexité due au nombre de métiers qui interviennent dans la chaîne - la diversité des exigences à intégrer ; - la définition de fonctions, - le choix organique (solution) ; - la difficulté de la répartition coûts - bénéfice entre les participants à la GSC [Zhu et al., 2012]. Cela augmente le risque d’apparition de contradictions qui doivent être dépassées. c) la complexité de l’organisation : notamment transformation de l’organisation, changements dans la manière à résoudre les problèmes. Dans ce cas, en plus de l’aspect normalisation pour contrôler, l’organisation doit avoir une démarche

d’amélioration continue pour pouvoir faire des sauts qualitatifs tout en intégrant des contraintes nouvelles et des intérêts stratégiques nouveaux.

2.5 Objectifs stratégiques hétérogènes Pour avoir une approche globale de la performance d’une chaine logistique verte (GSC), trois domaines doivent être pris en considération ainsi que leurs interactions : les considérations économiques, les questions sociales et les enjeux environnementaux. Elkington [1998] parle de “triple bottom line”. Ces trois domaines doivent être intégrées au niveau de la stratégie de l’entreprise puis déployées sur tous les processus de la GSC. Par conséquent, nous adoptons une approche systémique.

3 ETUDE DE CAS Kuehne + Nagel Luxembourg gère un centre de compétences régional afin de répondre au mieux à la demande croissante en solutions intégrées (Integrated Logistics). Le centre Integrated Logistics conçoit et gère des solutions « End - to - End » de type « Fourth Party Logistic (4PL) », intégrant les différents modes de transport et de services, tout en fournissant des informations complètes permettant le contrôle des coûts, la performance et la maîtrise de toute la chaîne logistique entière, en assurant son pilotage.

3.1 Les processus d’un projet de conception d’une GSC Le processus de conception d’une GSC par Kuehne + Nagel Luxembourg est défini par figure 1 ci-après. Le point de départ («Début») est la définition du projet. Cette étape comporte l’identification des exigences présentes et futures ainsi que la détermination des paramètres et des ressources. Dans cette première phase, la collecte et la revue des données ainsi que le développement d’une « Base de données principale» sont essentiels. Ces données sont, en effet, la base pour toute analyse durant les phases futures. L’objet de cette phase de départ est l’analyse de la situation actuelle du client et des hypothèses. Durant le «Processus de référence», des analyses statistiques et géographiques ainsi que des évaluations de coûts sont réalisées. Les analyses géographiques sont utilisées afin de mieux visualiser les emplacements, les entrepôts, les flux de produits, les volumes et la complexité des différents réseaux. Les analyses statistiques sont mises en place pour, par exemple, cerner la capacité de la structure de transport ou encore le caractère saisonnier des produits en question. Le «Processus de conception» est consacré à la conception, la simulation et l’évaluation de plusieurs scénarios futurs éventuels, où des facteurs tels que le développement du marché, le taux de service requis ou encore l’expansion de stratégies sont pris en considération. Durant le «Processus d’évaluation», une revue des scénarios est mise en place. L’évaluation est basée pour l’instant sur des facteurs clés comme par exemple les coûts d’entreposage et de stockage, le taux de service, les délais de transports, le taux de qualité, etc. Durant le «Processus de résultats», le service « Network and Supply Chain Engeneering » (NSCE) fait des recommandations basées sur des scénarios évalués auparavant afin de répondre au mieux aux besoins et exigences des clients. Dans cet article nous nous intéressons plus précisément à la démarche et au processus d’évaluation de la GSC et sur l’intégration des facteurs environnementaux dans cette démarche.

Figure 1 : Le processus du projet de conception d’une GSC

3.2 Méthode d’évaluation de la performance de la GSC La stratégie de Kuehne + Nagel s’appuie sur l’assurance d’un service de qualité aux clients, la maximisation du niveau de sécurité et de santé dans toutes les activités, et le respect et la protection de l’environnement. Le QSHE (Qualité, Sécurité, Hygiène, Environnement) est un des enjeux essentiels dans le fonctionnement de l’entreprise. L’accent est mis sur la satisfaction des exigences des clients, la conformité à la réglementation en matière de la sécurité et de la santé des personnes, ainsi que sur la réglementation en matière de la préservation de l’environnement. La preuve en est que l’entreprise Kuehne + Nagel est certifiée suivant les normes ISO 9001 et ISO 14001 et le référentiel OHSAS 18001. Les objectifs du service NSCE sont de connecter tous les maillons de la chaîne logistique et de les gérer à travers une organisation structurée globalement, de mettre en place de la transparence et de la flexibilité, de maîtriser la chaîne logistique et de définir un réseau qui combine les informations clés (tels que coûts, délais, qualité, taux de service, etc.) afin de répondre aux besoins et exigences des clients. A cela se rajoutent aujourd’hui des objectifs concernant la QSHE et la RES (Responsabilité Environnementale et Sociale). Dans un premier temps nous proposons une fonction multi-objectifs qu’on doit optimiser. Nous allons utiliser l’approche proposée par Mtalaa et Aggoune [2009]. L’ensemble de ces objectifs doit être déployé sur l’ensemble de la chaine logistique verte (GSC), lors du projet de

développement. Ce déploiement suivra les trois niveau de décisions, à savoir : stratégique, tactique et opérationnel. Nous adaptons le modèle d’évaluation de Tyler [1942], en identifiant le contenu de chaque étape lors de ce déploiement (figure 2). Au niveau de la chaîne logistique du client une tâche importante du service « Network and Supply Chain Engineering », NSCE est l’identification des points critiques. Des indicateurs pour les processus logistiques d’approvisionnement ou de distribution, telles que le bruit, la pollution, la congestion et les émissions de dioxyde de carbone dans la logistique ont été examinées par Quak et Koster [2007] dans leur travail sur l'exploration de la sensibilité des détaillants au développement durable. Au niveau du processus de réalisation de produit de nombreux travaux proposent des indicateurs environnementaux sur tout ou partie du cycle de vie du produit. Ces indicateurs suivent les 10 règles d’or proposées par [Luttropp et Lagerstedt, 2006] qui peuvent se déployer en suivant la roue de la stratégie durable (Strategy Wheel) décrite par van Hemel [1997]. Mtalaa et Aggoune [2009] soulignent l’importance de prendre en compte les flux générés par le processus logistique de retour, en plus des flux classiques. Ils proposent un modèle en boucle fermée pour prendre en compte l’ensemble des coûts environnementaux concernant le transport et l’émission de CO2 correspondant. Par la suite nous proposons un système d’indicateurs de performance qui nous permettront de déployer les objectifs énoncés dans la stratégie.

Figure 2 : Déploiement stratégique sur la GSC

4 MODELISATION DES INDICATEURS DE PERFORMANCE POUR LA GSC

4.1 Système d’indicateurs de performance Les indicateurs de performance doivent être établis en cohérence avec l’objectif global de la chaine logistique durable (GSC). Cet objectif est souvent exprimé de façon très générale, en utilisant une expression linguistique qualitative (le cas de la réactivité, par exemple). Pour ce fait, dans chaque entreprise il faut trouver des indicateurs significatifs qui contribuent à la performance globale. Par la suite, il faut déterminer des relations : objectif global – indicateurs. Cette action se concrétise par la mise en place d’un système d’indicateurs de performance, dans lequel on définit d’abord un indicateur qui correspond à la performance globale attendue du système cible, puis des relations mettant en cohérence plusieurs indicateurs significatifs [Schmitz et Platts, 2004 ; Evans, 2004]. Le système d’indicateurs de performance aide à structurer une démarche de progrès [Berrah, 1997], en y intégrant, dans le cas qui nous intéresse, la stratégie globale de la GSC. D’après Bond [1999] la mesure de la performance a pour bénéfice de stabiliser le processus de management de la GSC et d’identifier les aires qui peuvent encore profiter d’améliorations. [Olugu et Wong, 2009] expliquent que la mesure de la performance d’une GSC peut aussi révéler si une entreprise peut continuer dans sa stratégie actuelle ou si elle doit adopter un re-engineering de sa stratégie. [Liang et al., 2006] soulignent que pour que le management de la GSC soit efficace, l’évaluation de la performance globale de la chaîne est nécessaire. Pour élaborer un système d’indicateurs, plusieurs étapes sont nécessaires : - définir un objectif global de référence en objectifs locaux ; - associer des indicateurs de performance aux objectifs, globaux et locaux ; - mesurer ces indicateurs locaux à l’aide du système d’information ;

- synthétiser les indicateurs locaux pour mesurer la performance globale de la GSC. Parallèlement à la troisième étape, le choix d’un formalisme pour exprimer les indicateurs et le système d’indicateurs doit être fait.

4.2 Formalisation Vu que dans la stratégie de la GSC on retrouvera des objectifs globaux qualitatifs et de nature hétérogène, la logique floue est un formalisme adapté pour modéliser un système d’indicateurs dédié à cette performance [Zadeh, 1975]. Cette technique permet à la fois d’exprimer des indicateurs quantitatifs hétérogènes à l’aide d’un même formalisme et d’utiliser des règles d’expertise. Dans un contexte industriel réel, ces règles sont importantes car les données sont capitalisées par les personnes qui gèrent le système de production au jour le jour. L’utilisation de la logique floue pour mesurer une performance qualitative et globale s’explique par les différentes propriétés de ce formalisme : - permet d’utiliser et de traiter numériquement des variables qualitatives. La GSC est non seulement perçue à travers un flux continu de données numériques, mais aussi et surtout à l’aide de propriétés abstraites donc de variables linguistiques ; - répond au besoin de représenter des connaissances imprécises: soit parce qu’elles sont exprimées en langage naturel par un observateur qui n’éprouve pas le besoin de fournir plus de précisions, soit parce que ces données sont imprécises par nature, suite à un traitement ; - évite le passage brusque d’une classe à l’autre, ce qui est le propre de toute appréciation qualitative. La logique floue propose des opérateurs adaptés à une mesure globale d’un système: la mesure globale finale est obtenue par combinaison des variables linguistiques et elle s’exprime à l’aide de représentations graphiques faciles à manipuler. Les modèles flous sont utiles dans l’évaluation de performance d’une entreprise à tous les niveaux, à partir de la sélection de ses fournisseurs [Bayrak et al., 2007; Schmitz et Platts, 2004] en passant par le système de production [Berrah, 1997] jusqu’à l’évaluation de son système d’informations [Yang et al., 2006].

Notre but est de modéliser un système d’indicateurs de performance flou qui permet de mesurer la performance de la GSC. Ce modèle doit être intégré dans le système de pilotage, pour aider un décideur à engager un plan d’action. Le modèle proposé détaille les éléments présentés en figure 3. Il s’inspire des trois grandes étapes de la conception d’une commande floue : - le module (1) traite les entrées du système. Le modélisateur définit un univers de discours, une partition de cet univers en classes pour chacune de ses entrées. Il procède à une première étape, appelée fuzzification. Elle consiste à attribuer à la valeur réelle de chaque entrée sa fonction d’appartenance à chacune des classes préalablement définies, donc à transformer l’entrée réelle en un sous-ensemble flou. - le module (2) traite de l’application de règles floues. Ces règles permettent de passer d’un degré d’appartenance d’une grandeur d’entrée au degré d’appartenance d’un résultat. Reprenant l’architecture des systèmes experts, ce module est constitué d’une base de règles et d’un moteur d’inférence flou. - le module (3) décrit la défuzzification, qui est la transformation inverse de celle effectuée dans le module (1). Elle permet de passer d’un degré d’appartenance d’un résultat à la détermination de la valeur à donner à celui-ci. Cette étape critique implique de distordre, donc d’affaiblir l’information après l’analyse et l’exploitation dans les étapes antérieures.

Figure 3. Architecture du SIP floue

L’architecture générale du modèle étant définie, montrons maintenant comment les différents indicateurs nécessaires pour mesurer des émissions CO2 sous formes de variables d’entrée floues.

4.3 Calcul des émissions CO2 L’architecture générale du modèle étant définie, montrons maintenant quelles sont les étapes de calcul d’émission de CO2 dans la chaîne logistique de l’entreprise Kuehne + Nagel (K+N): 1. Client : demande à K+N des informations détaillées concernant les émissions de CO2 produites lors du transport que K+N réalise pour lui; 2. K+N : afin de pouvoir répondre à cette demande, K+N a besoin de données brutes livrées par le client 3. Equipe projet : - est mise en place pour cette demande spécifique afin de répondre au mieux aux exigences du client ; - calcule les émissions de CO2 ; - transmet l’information au client. Dans cet article nous montrons sous quelle forme les différents facteurs influençant la production de CO2 (mode de transport, poids de la charge, distance à parcourir, etc.) peuvent être agrégées en un indicateur global, en utilisant la logique floue tout en passant par l’architecture présenté auparavant. Les différents facteurs qui influencent les émissions de CO2 sont exprimés en grande partie par des variables linguistiques appréciées par des experts. La méthode proposée nous permet d'exprimer des indicateurs quantitatifs hétérogènes, en utilisant à la fois le même

formalisme et règles d’expertes. Dans un contexte industriel réel, ces règles sont importantes. En fait, l’équipe projet qui conçoit la chaîne logistique recueille les données. Cela permet un certain degré de contrôle sur les risques du projet. L'expert exprime les indicateurs en utilisant des mots (variables linguistiques, l ∈ L), alors que le concepteur exprime les indicateurs en utilisant des variables numériques (n ∈ N). Cependant, pour chaque variable linguistique, en collaboration avec l'expert, le concepteur définit un univers de discours L, qui a pour termes les sous-ensembles flous : «faible», «moyen» et «élevé». Alors, le sous-ensemble de classes floue de l’univers de discours linguistique peut être écrit : F (L) = {faible, moyen, élevé}. Pour exploiter ces données, une signification numérique doit leur être attribuée. La signification numérique S est une fonction de L vers l’ensemble de classes floues F(N) d’un univers de discours numérique N. Cette application associe à chaque terme l∈L, un ensemble flou de valeurs numériques S(l)∈N [Zadeh 1971, Berrah 1997] :

Entre les deux possibilités (linguistique et numérique) pour exprimer une variable, il y a une correspondance. Pour l'expliciter, une autre fonction duale, appelée description linguistique (D), est définie [Zadeh, 1975]:

La correspondance entre les deux est donnée par la relation entre les deux fonctions d’appartenance [Berrah 1997] :

Figure 4. Lien entre le degré d’appartenance linguistique et

une valeur numérique Dans le but d’obtenir une mesure des émissions CO2, nous devons agréger les résultats obtenus pour les différentes variables d’entrée. Vu que les émissions sont non seulement des émissions de CO2, toute émission est recalculée (par de différents facteurs et formules) en « CO2e » (« CO2 – équivalent »). Les facteurs rentrant dans les calculs de CO2 sont : - La distance parcourue (selon les hypothèses de l’ébauche de la norme pr EN 16258) ; - La charge (soit en termes de poids brut, en volume, … selon le cas) ; - Le mode de transport en question et sa classe (prenons l’exemple du transport routier : la classe se défini ici par « Camion 40 tonnes » / « Camion 12 tonnes » / « Camion 7.5 tonnes ») ; - Le type de combustible utilisé (diésel pur, biodiésel, kérosène, …) ;

- Consommation en combustible ; - Des constantes (facteurs ayant été élaborés par un Cluster logistique (spécialisé dans le transport naval), qui sont pris en considération lors des calculs de CO2) ; - TKM (Poids brute de la charge * distance à parcourir). Certaines hypothèses et interprétations sont mises en place afin de simplifier les calculs. En effet, les conditions météorologiques lors du transport, les topographies du trajet, le style de conduire du chauffeur en question, etc. ne nous intéressent pas dans ce mode de calcul tandis qu’il s’agit des facteurs qui ont sûrement une influence sur les émissions de CO2(e). Ces hypothèses sont, entre autres, fixés par la norme CEN / TC320. Nous proposons un schéma globale expliquant le fonctionnement dans l’entreprise du logiciel de calcul des émissions CO2 (GTCC = Global Transport Carbon Calculator) (figure 5). Les calculs réalisés par le GTCC se font à travers les informations collectés à travers « KN Login », un logiciel dont l’accès se trouve sur le site internet de l'entreprise. Seuls

quelques responsables ont un accès illimité aux données spécifiques de la totalité de la chaîne logistique, y compris les données concernant les émissions CO2. Les différents services de K+N entrent les données brutes d’expédition dans leurs programmes informatiques spécifiques. Il s’agit ici d’une boîte noire, composée de données telles que : mode de transport, distance à parcourir, poids brutes de la charge, etc. Le logiciel calcule les différents résultats à partir des données brutes d’expédition et des données des experts. Les données brutes sont fournies par un autre logiciel, à savoir le « KN Login ». Il faut noter que les logiciels spécifiques (utilisés dans les différents services) transfèrent les données de manière automatique au « KN Login ». Le résultat d’émissions CO2 est utilisé par l’équipe projet en charge, à savoir, les différents responsables ayant l’accès total du logiciel « KN Login ». Ils analysent les données puis les transmettent au client qui en a fait la demande.

Figure 5 : Schéma global pour le calcul des émission CO2

En effet, les calculs de CO2 ne se font que pour les clients qui les demandent : effectivement, il n’y a que les données « CO2e » qui sont transmis aux clients, qui, eux, utilisent des indicateurs de performance qui nous sont inconnus. En interne chez Kuehne + Nagel, il y a surtout une comparaison entre les CO2e par TKM selon les différents marchés, vu que le fait d’avoir plus de CO2e n’est en soi rien de négatif. Si par exemple il y a eu 3 fois plus de trajets, il est tout à fait normal qu’il y ait plus de CO2e. En perspective de ce travail nous souhaitons modéliser ces différents facteurs qui influencent la production d’émissions de CO2 afin de les intégrer dans le modèle flou. D’autres développements possibles sont sur la modélisation et l'évaluation d'autres critères environnementaux. Ensuite, nous devrons intégrer les critères environnementaux, sociaux (respect de la législation sur le travail), et économiques (coût d'acheminement des produits) au niveau stratégique. L’ensemble de ces évaluations doit permettre de choisir ou de (re)concevoir une chaîne logistique pour un client. Notre démarche s’inscrit donc dans l'aide au choix lors des projets de (re)conception de chaînes logistique durables.

5 CONCLUSIONS

Dans cet article nous avons tout d’abord identifié les caractéristiques d’une chaîne logistique durable. Il s’agit d’un système produit-service ouvert, avec des besoins spécifiques qui amènent à l’augmentation de sa complexité mais aussi de la complexité du projet lors de sa conception et de ses processus. Dans un deuxième temps nous avons proposé une approche globale de la performance d’une chaîne logistique verte (GSC). Trois domaines, tout comme leur interactions, doivent être pris en considération: les considérations économiques avec questions sociales et environnementales. Nous proposons une méthode d’évaluation de la performance de la GSC en proposant une approche systémique. La stratégie, définie avec des objectifs hétérogènes qui couvrent les trois domaines mentionnés, se déploie sur les trois niveaux de décision : stratégique, tactique et opérationnel. Ce déploiement est fait à la fois sur les étapes du projet de conception de la GSC mais aussi par la suite sur l’ensemble des processus logistiques. Finalement un modèle pour le système d’indicateurs de performance dans la GSC est proposé. Le travail est appliqué pour le cas de l’entreprise Kuehne + Nagel Luxembourg qui gère un centre de compétences régional afin de répondre au mieux à la demande croissante en solutions de GSC. Un exemple pour l’émission de CO2 est donné avec une proposition d’intégration dans un logiciel de calcul (GTCC) du modèle à base de logique floue.

En perspective de ce travail nous souhaitons proposer des tableaux de bord qui prennent d’une manière plus exhaustive en compte les trois dimensions : économique, sociétale et écologique. Pour cela nous construirons des modèles d’indicateurs qui pourront être déployés puis agrégées en utilisant la logique floue.

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