Logiques transnationales et développements missionnaires dans les pentecôtismes nigérian,...

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SOUS LA DIRECTION DE Laurent Fourchard, André Mary et René Otavek Entreprises religieuses transnationales en Afrique de I'Ouest Editions Kanrnar,l 22-24,boulevard Arago 75013Paris Irnn-InanaN P.O.Box 21540 Ibadan L o o 5

Transcript of Logiques transnationales et développements missionnaires dans les pentecôtismes nigérian,...

SOUS LA DIRECTION DE

Laurent Fourchard, André Mary et René Otavek

E ntreprises religieusestransnationales

en Afrique de I'Ouest

Editions Kanrnar,l22-24, boulevard Arago

75013 Paris

Irnn-InanaNP.O. Box 21540

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Logiques transnationales et développementsmissionnaires dans les pentecôtismes

nigérian, béninois et togolais

Joël Nonrr

Les études sur le pentecôtisme d'une part, et sur les phénomènes qua-lifiés de transnationaux d'au{re part connaissent depuis une dizained'années environ un essor considérable, et qui ne cesse d'aller en aug-mentant. Le pentecôtisme est d'ailleurs aujourd'hui facilement considérécomme un de ces phénomènes emblématiques de la transnationalisationdu religieux. La recherche dont ce texte présente les principaux résultatsa porté sur les modalités d'organisation et le déveiogpement de réseauxpentecôtistes au Nigeria, au Bénin et au Togo. Trois Eglises ont été prin-cipalement retenues comme études de cas : les Assemblées de Dieu(AD), t 'Égl ise Foursquare et The Redeemed Evangel ical Mission(TREM)'.

Après avoir présenté Ia situation de ces Églises dans les trois paysayant fait I'objet d'enquêtes, il faudra, dans un deuxième temps, dépasserles simples comparaisons entre les pays pour poser, principalement à par-tir d'exemples nigérians, la question des logiques et des modalités deconstruction de relations transnationales à 1'ceuvre dans ces Eglises.

Ces logiques, et les modes d'organisation et de fonctionnement danslesquels elles se traduisent, présentent en effet des différences notablesselon I'importance des Eglises, mais aussi selon les types de légitimation

1. Une première mission de cinq semaines a été effectuée au*Bénin en avril et mai

2002, suivie de trois mois supplémentaires de recherches au Nigeria, au Bénin purs au

Togo entre novembre 2002 eT février 2003. Je remercie C. Strandsbjerg, K. Tail' A. Mary'

J.-P. Dozon et Jacques Noret pour leurs relectures attentives et constructives de versions

antérieures de ce texte.

4 1 8 ENTREPRISES RELIGIEUSES TRANSNATONALES

de I'autorité religieuse et les << modes de médiation du charisme ))2(\Millaime, 1997) que chaque Éghsg-privilégie. Les vastes réseaux d'uneÉghse pentecôtiste < historique >t-corùne les Assemblées de Dieu peu-vent ainsi fonctiormer, dans bien des cas, de façon moins personnalisée(sans nécessiter, par exemple, d'interconnaissance préalable) que ceuxd'Égtses plus récentes davantage organisées autour d'un charisme per-sonnel fort comme TREM ou d'autres Eglises nouvelles relevant de cequ'on appelle au Nigeria les << one man churches >>. Mais il faudra aussimontrer les différences existant entre, d'une part, les réseaux transnatio-naux très personnalisés formés par de grands hommes de Dieu charisma-tiques et médiatiques, et, d'autre part, les réseaux missionnaires transna-tionaux construits par les mêmes Eglises et dont les logiques de fonction-nement sont bien différentes.

En effet, on peut difficilement envisager aujourd'hui la question de latransnationalisation des pentecôtismes africains sans évoquer leurs déve-loppements missionnaires, qui s'institutionnalisent déjà depuis une ving-taine d'années environ. La troisième partie de cette étude cherchera doncà présenter quelques aspects de cet essor missionnaire, une fois encoreprincip alement à p artir d' exelnples ni gérians.

Présentation des trois études de cas

Les Assemblées de Dieu

Présentes au Liberia dès ia deuxième décennie du XX'sièc1e3 puis ins-tal lées en pays mossi (dans I 'actuel Burkina Faso) dès 1921, lesAssemblées de Dieu (AD) arrivent au Nord-Togo en 1936 et au Nord-Bénin en !9450. Leurs débuts dans ces deux pays sont relativement

2. J.-P. Willaime désigne par I'expression << mode de médiation du charisme > la

modalité selon laquelle une tradition. un gtoupe ou un courant religieux se rapporte au

charisme qui le fonde. Dans le cas du pentecôtisme, ce charisme renvoie évidemment à ia

figure du Ôhrist, "t dans ies << nouvelles > EgLises pentecôtistes ayant à leur tête un fonda-

teur charismatique, un mode de médiation du charisme souvent privilégié est la personne

de ce fondateur, dépositaire d'une révélation ou d'une vision spéÔifique-

3. Certains missionnates qui allaient se rallier aux AD à leur fondation en 1914 étaient

toutefois présents au Liberia coûtme missionnaires pentecôtistes au moins dès 1908 (Ies

premiers missionnaires pentecôtistes américains arriverit au Liberia fin 1906 ou début 1907- Aoderson, 2000 : 197). Voir à ce sujet les archives rendues accessibles sur le site du

Centre de recherches historiques de I'Eglise américaine des AD (http://aebedlagg.otgô'

4. L'histoire des AD en Afrique de I'Ouest reste largement à faire. Pour quelques élé-

ments sur leur installation en pays mossi (Burkina Faso), on peut consulter le récent

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LES PENTECOTISMES NIGÉRIAN, BÉNITOIS ET TOGOLAIS 419

modestes, en particulier parce qu'eiles restent confmées, dans chacun desdeux pays, .dans la moitié Nord jusqu'en 1960 par des accords les liantaux autres Éghses protestantes dans le cadre de la Fédération des ÉgtsesProtestantes d'Afrique de I'Ouest (Noret, 2004 : 178n). Au Nigeria, uncouple de missionnaires américains implanteJes AD en 1939 dans le Sud-Est du pays après une mission exploratoirf menée peu de temps aupara-vant par un autre couple de missionnaires américains alors en poste auGhana. La croissance des AD est plus rapide au Nigeria, notammentparce qu'el1es ont 1à la chance de < récupérer >>, cinq ans après sa fonda-tion, une petite Eglise pentecôtiste indigène et bénéficient encore dans lesannées qui suivent du ralliement d'autres petites dénominations oud'assemblées locales (Noret, 2004: 179).

Au début des années 1960, les AD s'implantent simultanément auSud-Togo et au Sud-Bénin. En 1965, la zone << Daho-Togo >>, unifiéejusque là, est scindée en deux, l'Éghse ayalrrt été considérée iomme suffi-samment importante dans chacun des deux pays. En 1918, la restrictiondes libertés religieuses au Togo laisse les AD seule Eglise penÎecôtisteautorisée jusqu'en 1990, ce qui leur confère une posiûon hégémoniquesur la scène pentecôtiste togolaise jusqu'à aujourd'hui, avec environ 750églises localess. Au Bénin, les AD occupent également une positiondominante. Elles y sont, mouvances pentecôtiste'et évangélique confon-dues, la première dénomination, avec plus de 600 paroisses. Au Nigeria,les développements des AD ont été, j'y ai déjà fait allusion, spectacu-laires. En 1964, lorsqu'elles reçurent leur indépendance de la missionaméricaine, elles avaient déjà implanté 600 paroisses et comptaient déjà25000 fidè1es6, ce qui était presque trois fois supérieur au nombre deparoisses et de fidèies qu'elles comptaient à l'époque au Burkina Faso',où I'Eglise avait pourtant été implantée dix-huit ans plus tôt (mais dont lepoids démographique était aussi beaucoup plus faible). Après la << décen-nie de la moisson > (Decade of Harvest) proclamée dans les AD dumonde entier (et même au delà, de façon interdénominationnelle) dans lesannées 1990, décennie qui a vu dans bien des pays d'Afrique subsaha-

ouvrage de P.-J. Laurent (2003), qui insiste sur la contribution mossi au travail mission-naire des AD en Afrique (voir Noret, 2004).

5. Pour plus de précisions sw l'histoire et les développements récents du pentecôtisme

togoiais, voir Noret, à paraître.6. Pentecostal Evangel,19 avril 1964,p.76.Le Pentecostal Evangel est le premier et

le principal magazine de l'Eglise américaine des Assemblées de Dieu. Je dépends bien

entendu, poul toutes les données statistiques mentionnées dans cet articie (sauf mention

explicite du contraire) des chiffres fournis par les Eglises elles-mêmes, auxquels j'ai

inévitablement eu un accès inégal selon les pays et les institutions, et qui doivent évidem-

ment être pris comme foumissant seulement des grandeurs approximatives.'7.

Pentecostal Evangel,26 jallvier 1964,p. 14.

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420 ENTREPRISES RELIGIEUSES TRANSNATONALES

rienne le nombre des pasteurs, des membres et des paroisses de l,Éghsemuitiplié par deux, voire davantage, les AD du Nigeria comptaient, sn2002 (et selon leurs propres chiffres), 7779 égl:ses locales. L'Éghse niré_riane ne peut cependant pas compter sur une position aussi domin*t. iu.sa scène pentecôtiste $ationaie que les AD du Togo ou du Bénin étantdonné les développements pentecôtistes bien plus considérables qu'3conlus le Nigeria.

A la demande de l'Église nationale béninoise, un missionnaire nigé-rian a récemment été envoyé à Cotonou (où il a déjà été rejoint p* unsecond, << volontaire >) pour satisfaire les << spiritual needs > des fidèlesnigérians des AD installés dans la capitale économique du Bénin. ceux-cise concenfent en effet dans les deux plus grandes paroisses des AD decotonou. I1 s'agissait à travers cette initiative de prévenir un départ desfidèles nigérians des AD vers I'une des toujours plus nombreuses églisespentecôtistes nigérianes implantées dans la ville, en permettant auxNigérians d'avoir I'une de ces deux grandes paroisses confiée à un pas_teur nigérian (qui puisse remplir plus facilement auprès d'eux le rôle deconseiller fréquemment attendu), ce qui leur permettair aussi d'organiserplus pleinement leur liturgie (avec l'anglais comme première langue, etdes styies oratoire et musical sensiblement plus charismatiques).Inversement, pourrait-on dire, l'Éghse béninoise des AD a envoyé depuispeu un missionnaire à Ebute-Metta, le quartier lacustre de Lagos, pourtravailler auprès des populations qui s'adonnent au corrrmerce par voielagunaire entre le sud-Est du Bénin et le Sud-ouest du Nigeria. ceiles-ciavaient étg négligées, disait-on au Bénin, par les politiques d'évangélisa-tion de l'EgIise nigériane.

L'Église Foursquare

L Égtise de l'<< Évangile Quadranguiaire >> (Foursquare Gospet) fittimplantée au Nigeria en 1954-55 par un cbuple de missionnaires améri-cains qui s'installèrent alors dans la banlieue de LagosE. En 1962,I,Éghseavait réussi à implanter une dizaine de paroisses, mais uniquement dansla région de Lagos (jusqu'à Abeokuta) (Adeogun, 1999 :54-56). A la findes années 1960, l'Égiise s'installe dans le Sud-Est du Nigeria, lors de

8. La conception de l'< Évangile Quadranguiaire ., déjà presente dans le HolinessMovement de l'évangélisme américain du XD(" siècle, a été définitivement formalisée parAimée semple McPherson, une évangéliste américaine de la première moitié du XX"siècie, fondatrice et première présidente de \a church of the Foursquare Gospel. cetteconception repose sur les quatre énoncés : Jésus sauve, Jésus baptise dans 1'Esprit Saint,Jésus guérit, Jésus est le roi qui revient bientôt.

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LES PENTECOTISMES NIGÉRTAN, BÉNINOIS ET TOGOLAIS 421

I'arrivée où du r"tour de certaines familles de pasteurs et de fidèles dans

la région au moment de la guerre du Biafra (idem :.63-65). En 1969, le

Bénin devient le premier champ missionnaire de I'Eglise Foursquare du

Nigeria, qui essaime progressivement, à partir des années 1980 en parti-

culier, dans plusieurs autres pays,.d'Afrique subsaharienne dans un pre-

mier temps, puis du monde. L'Eglise nigériane (Foursquare Gospel

Church ti Ntgertaou FGCN) deviùt indépendante par rapport à l'Égtise

américaine (International Church of the Foursquare Gospel) en I97l. En

1974,I,Église est implantée au Ghana par un missionnaire nigérian (idem

: 90-92). En 1979,66 pasteurs nigérians de Foursquare participent à Ia

douzième Pentecostal World Conference à Vancouver, ce qui semble

avoir eu par la suite un impact important sur la néo-pentecôtisation par-

tielle de I'Eglise nigériane.Un département des missions étrangères (foreign missions) est égale-

ment créé en 1980, et en 1987, l'Éghse nigériane avait également atteint

la Côte d'Ivoire, le Liberia et Londres (idem : 138). A partir de 1990, la

focalisation sur 1'évangélisation et les missions' focalisation formalisée

dans le projet décennal (1990-2000) interdénominationnel et transnational

AD 2000 and beyond, fut bien entendu relayée au sein de la FGCN

(comme elle I'avait été notamment au sein des AD). Certains de ses res-

ponsables nationaux étaient d'ailleurs familiers des événements pentecô-

tistes internationaux et impliqués dans des organisations interdénomina-

tionnelles depuis les années 1970. L Eglise nigériane intensifie dès lors

ses activités missionnaires, si bien qu'elle a aujourd'hui envoyé des mis-

sionnaires dals une trentaine de pays, parmi lesquels on compte la grande

majorité des pays d'Afrique subsaharienne, la Grande-Bretagne, les

États-Unis, l 'Espagne et la Chine (Hong Kong). D'une centaine de

paroisses en 1983, la FGCN a crû (pour le Nigeria seul) jusqu'à environ

780 "tr 1999 et 1540 en 2002, I'importante croissance des années 2000-

2002 s'inscrivant dans le contexte d'un programme décennal d'expansion

de l'Ég[se (Le Barley Harvesr Project) qui a débuté en 2000 sous l'impul-

sion du nouveau General Overseer,le Dr. W. Badejo, élu en 1999.

Arrivée au Bénin en 1969 et installée d'abord dans un petit centle

régional proche de 1a frontière nigériane (Pobé, à quelques dizaines de

k i lomèt res au Nord de Por to -Novo) , l 'Ég l i se du P le in Evang i le

Foursquare (comme elle s'appelle au Bénin) ne colnmença vraiment à s'y

développer qu'après son implantation à Porto-Novo en 1981 et à Cotonou

en 1986 (voir aussi de Surgy, 2001 : 21). 1Églg:se, qui obtient son indé-

pendance de la FGCN en 1992, se développe dans les années 1990 en

particulier sous l'impulsion de son premier président national (tandis que

les nouveaux pasteurs dont I'institution a besoin pour soutenir sa crois-

sance sont formés en bonne partie par I'intermédiaire de programmes

accélérés soutenus par la FGCN), C. Dewanou, converti et formé dans

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À 4 . ) ENTREPRISES RELIGIEUSES TRANSNATTONALES

I'Eglise nigériane au début des années 1980. En 1998 cependant, le chan-gement de direction de l'Égiise se passe mal (pour des questons, semble-t-il, d'étiquette et de pouvoir) et, se désintéressant de I'Eglise nationale,I'ancien président, jusque là surtout << planteur d'églises > sur le territoirebéninois, se lance parallèlement dans une carrière missionnaire à l'étran-ger : tout en restant basé au Bénin, il a jusqu'à présent lancé I'implantatonde deux paroisses au Togo et d'autres encore au Niger Il est égalementdevenu en 2001 le représentant de DAWN Ministriese pour l'Afrique fran-cophone. D'une vingtaine de paroisses en 1986 (Adeogun, 1999 : I2I-123), l'Égiise du Plein Evangile Foursquare a atteint en 2000 le nombre de76 paroisses (Projet ARCEB, 2001 : 59) ; elle approche probablementd'une petite centaine d'églises locales en 2003r0.

Au Togo, après des tentatives missionnaires nigériane et béninoiseavortées (respectivement dans les années 1980, c'est-à-dire pendant lapériode de restriction des libertés religieuses, et au début des années1990), un nouveau missionnaire, un Togolais ayant vécu la plus grandepartie de sa vie au Nigeria et converti là-bas, fut envoyé à Lomé au milieudes années 1990 par l'Égtise nigériane. L effort missionnaire de la FGCNs'accrut encore à la fin de la décennie avec I'envoi d'un deuxième mis-sionnaire, cette fois dans l'ancienne ville portuaire d'Anécho. En 2001-20O2,1'arrcien président de I'Eglise Foursquare du Bénin, qui s'oriente àce moment vers I'action missionnaire hors de son pays (voir supra), ouvreune nouvelle paroisse à Lomé, où il installe un jeune pasteur de son entou-rage, le tout en partenariat avec DAWN Ministries, qui assure la majeurepartie du financement de I'opération. A partir de cette paroisse, déjà relati-vement consolidée aujourd'hui, une autre église a été ouverte dans le Sud-Ouest du pays. Dans Ia même région, une autre petite paroisse a vu le jour,dans un centre villageois, suite à la rencontre entre un fidèle de la premièreparoisse loméenne et un pasteur de la région cherchant une Égfisè pour Iesoutenir. Cinq églises locales Foursquare ont donc été implantées jusqu'àprésent au Togo, même si les deux dernières au moins semblent cependantrelaûvement instables. On aura remarqué également, à partir des descrip-tions succinctes qui précèdent, tout ce que leurs implantations doivent àdes logiques biographiques (et à leurs aléas) dont ia stabilité de l'Ég[setogolai se reste fort dépendante j usqu' à présent.

9. Ministère américain très actif en Afrique. Au Bénin, DAWN (Discipling A WholeNation) Ministries joue actuellement un rôle important, quoique très discret, en finançantpour une bonne partie la principale agence missionnaire du pays (voir infra).

10. Signaions par ailleurs que les relations de Foursquare avec le monde politique sontimportantes au Bénin (comme elles I'ont été en Côte d'Ivoire), puisque c'est un pasteur decette Eglise qui a fait de M. Kérékou tn born again. Je me pemets de renvoyer, sur cepoint, à la contribution de C. Strandsbjerg dans cet ouvrage.

LES PENTECOTISMES NIGÉRTAN, BÉNINOIS ETTOGOLAIS 423

The Redeemed Evangelical Mission (TREM)

TREM fut fondée à Lagos dans les années 198i-82 par l'évêque MikeOkonkwo, en ce début de décennie si important dans l'histoire du pente-côtisme nigérian, puisque c'est à cette époque que le défunt archevêqueB. Idahosa commence à prêcher à la télévision, que la RedeemedChristian Church of God accueille à sa tête E. A. Adeboye, lequel en feraen vingt ans l'une des plus importantes dénominations pentecôtistes dupays", qu'est créée (en 1982) la Christian Missionary Foundation(CIvF), que se met en place (entre 1981 et 1983) la Winners Chapel deD.Oyedepo, ou encore que ia Deeper Lift Bible Church prend véritablementune forme dénominationnelle (en 1982).

Ancien anglican, puis fidèle d'une << spiritual church >> dans les annéesi970, M. Okonkwo a été formé vers 1980 àIa Morris Cerullo School ofMinistry'2. Dès les débuts de l'Éghse, il commence à prêcher à la radio.En 1984, il met en place le God's Army Bible Training Centre (GABTC),qui ne forme au départ que des pasteurs se destinant à TREM- En 1991, lequartier général de I'Eglise déménage vers son site actuel, dans une zonerelativement peu dense de Lagos. A côté d'un temple impressionnantporivant contenir quelques milliers de personnes se sont récemment ajou-tés une salle polyvalente, des bureaux, un restaurant, une librairie et unpetit centre de communications.

TREM a commencé à développer des activités missionnaires dans lapremière partie des années 1990, lorsqu'elle a ouvert des églises auGhana, au Gabon et à Londres, puis, peu après, au Bénin (Cotonou).Aujourd'hui, TREM est présente dans plusieurs pays d'Afrique occiden-tale et centrale, en Ethiopie, en IsraêI, en Europe, aux Etats-Unis et auxPhilippines. Elle comptait, en 2002, 146 paroisses, dont 129 at Nigeria(une cinquantaine dans la seule agglomération de Lagos) et 17 à l'étran-ger (également réparties entre l'Afrique et le reste du monde). Depuis1998, M. Okonkwo est aussi président de la PFN'3 (dont il a auparavantété secrétaire), poste où il succède au défunt archevêque B.Idahosa.

11. Avec environ, en2002,4000 par{sses au Nigeria et quelques centaines d'autresréparties dans le sous-continent, en Europe, aux Etats-Unis et en Asie (voir The

Redeemed Church of God, International Directory,4th edition, 2002-2003). Voir la

contribution de G. Abeboge dans cet ouwage.12. Morris Cerullo, fondateur des Morris Cerullo Ministries, est I'un des pasteurs pen-

tecôtistes américains les plus connus. II possède des représentants dans la grande majorité

des pays d'Afrique subsaharienne.13. Pentecostal Fellowship of Nigeia. Créée en 1986, à I'initiative notamment d'un

leader de Ia FGCN qui en fut le premier président national, la PFN est parvenue à fédérer

toutes les grandes Eglises pentecôtistes du Nigeria, ce qui n'a pu se faire dans plusieurs

auftes pays d'Afrique de i'Ouest où les fédérations d'Eglises pentecôtistes et évangéIiques

TREM n 'es t pas encore imp lan tée au Togo. (même s i un pro je t

d'implantation à iomé existe), et à Cotonou, où I'Eglise est arrivée dans

les années 1995-96 suite à la demande d'un petit gloupe de fidèles (le

mouvement missionnaire ayant donc ici suivi et redoublé le mouvement

migratoire), la paroisse compte une bome centaine de membres' dont la

trei gtund" màjorité reste nigériane. Les prédications sont faites en

angl|s et traduites en français. La paroisse héberge aussi dans de petites

chàmbres quelques jeunes migrants nigérians encore trop pauvres pour

pouvoir touer un logement',. Depuis 2002, |e pasteur a aussi installé un

n preaching point >> dans la banlieue de Cotonou' à partir duquel ii

chlrche a aiteindre les << indigenes >>. En séparant ainsi largement ses

publics, il peut davantage, dit-il, adapter- son message' et en particulier ne

pas brusquer, par une sorte d'inculturation de son discours et de sa pra-

tique, ses nouveaux convertis béninois, moins sensibilisés et habitués à la

doctrine et surtout au style religieux pentecôtistes'

Rés1aux transnationaux et modes de médiation du charisme

Après cette présentation des trois Éghses retenues ici' la deuxième

partiË du texte, {ui porte sur les modes de construction des réseaux pente-

"ôrir,"r, sur leuis lessorts et leurs logiques (donc sur les < logiques de

relation >> enre les sites d'enquête - Marcus, 1995 : 102)' s'efforce de

prolonger les réflexions qui, suivant en cela la tradition wébérienne, se

i"rr"t "ît sur les modes dô sociétisation religieuse. I1 va donc. de soi que

ies catégories d'Égiises proposées ici obéissent à une logique idéal-

typique.- ̂ p*, certains de ses textes les plus connus de sociologie des religions,

M.Weberdéveloppeunesériederéf lexionsfondatr icessurleslapportsentre les modes de légitimation de I'autorité religieuse et la façon dont les

groupes religieux font société. Dans la continuation de ces réflexions, il

i,agiiu ici diéclairer la relation entre, d'une part, type d'autorité religieu-

,. Jt <, mode de médiæion du charisme > (Willaime , 7991) privilégiés par

une Égfise et, d,autre part, logique de construction de ses réseaux transna-

tionaux. Deux modes de fonctionnement des réseaux pentecôtistes ffans-

nationaux seront distingués, qui renvoient à la place différente que peut

oi"rOr" dans les Éghsei une médiation du charisme par la personne d'un

424 ENTREPRISES RELIGIEUSES TRANSNATTONALES

14. La plurifonctionnalité que cette paroisse a acquise en situation de migration inter-

africaine est ainsi très sembtaËle à ceflà des paroisses des Eglises africaines en Europe'

qui aident régulièrement 1es migrants lorsqu'elles en ont les moyens'

LES PENTECOTISMES NIGÉRTAN, BÉNTÛ'IOIS ET TOGOLAIS 425

fondateur ou d'un dirigeant charismatique (ou, en d'autres termes, uneiégitimation de I'autorité religieuse par le charisme personnel d'un diri-geant). On trouve en effet sous cet aspect des Eglises plus bureaucrati-sées, qui s'inscrivent davantage dans ce que J.-P. Willaime appelle un< modèle institutionnel i9éologique >> (1992 : 15-29), comme lesAssemblées de Dieu ou I'Eglise Foursquare, et dont les représentantsnationaux sont élus pour des périodes limitées (ces institutions distin-guant par là la personne de la fonction). Ce premier lype d'Eglise tend à

le paq faire la même place à des charismes personnels forts que lesEglise's ou Ministères (d'un second type) fondés par tel porteur de charis-me personnel fort, toujours en vie et dirigeant incontesté de la structurereligieuse qu'il a mise en place et qui s'inscrit plutôt, sociologiquementparlant, dans un modèle << associatif charismatique > (ibid.).

Un exemple devrait permettre d'illustrer cette distinction entre Egliseset, dès lors, entre réseaux ecclésiaux potentiellement plus bureaucratisésgu au contraire plus personnalisés. En novembre 2002, deux des troisEglises choisies ici comme études de cas ont organisé un événement <<international > à Lagos '. \a Foursquare Gospel Church in Nigeria(FGCN) a tenu sa convention annuelle (forme de congrès, qui concerneen principe l'Église nationale mais sè présente en fait cornme,un événe-ment transnat ional) , et TREM a organisé sa Kingdom Life WorldConference (KLV/C) annuelle. A travers I'exposé de quelques éIémentspertinents de ces deux événements religieux, qui sont tous deux les évé-nements annuels les plus importants organisés par chacune de ces ÉgHses.je voudrais à présent illustrer et développer un peu les propositions quiprécèdent, même si de tels rassemblements ne donnent évidemment à voirq.r'utr" partie des politiques transnationales des Égtses en question.

La convention 2002 de la Foursquare Gospel Church in Nigeria (FGCN)

L'après-midi du dimanche 10 novembre 2002,lors de la cérémonied'ouverture de la convention annuelle de la FGCN, son président natio-nal, le Dr. W. Badejo (qui est aussi, notamment, un des vice-présidents dela Pentecostal Fellowship of Nigeria) est d'emblée présenté comme un<< leader fde calibre] international >>. Dans les mots de bienvenue qu'iladresse à 1'assemblée après cette présentation, il se dit, entre autreschoses, heureux de recevoir des représentants des Eglises Foursquared'autres pays africains (dont ce11e du Togo) et des Etats-Unis. Entre troiset quatre mi1le personnes, principalement des délégués de comités parois-siaux venus de l'ensemble du pays et des fidèles dont le style vestimen-taire et le nombre de voitures laissent penser qu'ils appartiennent auxclasses moyennes (voire supérieures), sont présentes ce dimanche-là,

426 ENTREPRISES RELIGIEUSES TRANSNATIONAIES

dans la banlieue de Lagos, au <( camp >> relativement modeste de laFGCN. Le rassemblement s'y tient sous un haut toit de tôle supporté parune structure rigide en bois et en métal d'une cinquantaine de mètres decôté, au centre de laquelle une estrade encadrée de colonnes a été dressée.La chorale nationale de l'Église est relayée par Ron Kenoly, chanteur etmusicien noir américain (pentecôûste) très applaudi. La présentation dumusicien est faite avec une emphase bien plus importante que les mots debienvenue lancés rapidement aux responsables des autres Égl isesFoursquare africaines issues des missions de la FGCN. Plus tard encore,on demande à l'assistance d'accueillir chaleureusement deux Papous del'Égtse Foursquare de Nouvelle-Guinée, qui sont venus au Nigeria à lademande du président de l'Eglise américaine QnTernational Church of theFoursquare Gospel) pour venir témoigner de la présence de Foursquareen Nouvelle-Guinée et découvrir les développements nigérians de l'Égii-se. Leur présence s'inscrit aussi dans une véritable politique de f imagi-naire à travers laquelle on cherche,de façon évidente à promouvoir laconscience de I'appartenance à une Eglise << globale >> et à exhiber, mieuxqu'on ne pourrait 1e faire en faisant une place semblable.à des Béninoisou à des Togolais, les << réseaux longs > de f institution.

Le lendemain, la journée est ôuverte par un exposé d'un pasteurFoursquare de Los Angeles. Le statut qui lui est reconnu est en quelquesorte celui d'<< expert >>, et il vient enseigner sur un sujet de sa compéten-ce : les missions. Mais, d'une manière générale, il faut remarquer I'habi-leté de la FGCN à jouer sur deux registres pendant sa convention. Celui,tout d'abord, qui a dominé les rassemblements des matinées, où I'inter-vention des orateurs se justifiait surtout par leur compétence et leur habi-Iitation à transmetfte un savoir spéciTique. Celui, ensuite, qui a dominéles rassemblements se déroulant en soirée, où les interventions tournaientdavantage autour de la démonstration de charismes personnels (par laprovocation de miracles) et de i'exhibition d'un modèle (pastoral) deréussite (avec des orateurs conme l'évêque M. Okonkwo, de TREM, ouM. Ashimolowo, du KICC", qui étaient davantage introduits comme des<< amis >> de Foursquare qùe comme des << experts >). Les deux registresn'ont évidemment pas recouvert exactement les deux temps quotidiens(matinées-soirées) des manifestations, car il y a eu également des exposéssur le thème de la mission en soirée. Mais d'une manière générale, mêmelorsque les interventions des orateurs de la convention étaient surtout des-

15. M. Ashimolowo, ancien missionnaire de la FGCN à Londres, s'en sépara pour

fonder (toujours à Londres) le Kingsway International Christian Centre (KICC), où le

suivirent une bonne partie de ses fidèles londoniens. Le KICC est aujourd'hui I'une desplus importantes Eglises africaines en Europe et M. Ashimolowo tend à " faire retour > au

Nigeria.

LES PENTECOTISMES NIGÉRL{N, BÉNNOIS ET TOGOLAIS 427

tinées à faire la démonstration de leur force ou de leur réussite, on évo-quait davantage les liens de ceux-ci avec la dénomination que ceux qu'ilspouvaient par ailleurs entretenir personnellement evec le Dr. Badejo. De-ê*", lorJ de leurs interventioni, le président et les autres responsablesnationaux de l'Église défendaient le bilan de cellèôi en tant qu'institu-tion. Et lorsque le Dr. Badejo était complimenté par un orateur, c'était enquelque sorte en tant que représentant de sa dénomination, que celle-ciavait bien fait d'élire. De même. les << amis >> intervenant comme orateurslors de la convention étaient présentés avant tout coûtme des amis de ladénomination.

La traduction en français des prédications et auftes interventions n'aété officiellement proposée que pour le culte du dernier dimanche, où ona par ailleurs salué à nouveau la présence de Togolais, de Ghanéens, deCamerounais et de Centrafricains, mais bien moins que celle des hôtes demarque nigérians. Lors de cette célébration, qui se déroulait'dans le StadeNational de Lagos, le président de l'Église nigériane pouvait compter surune accumulation peu banale d'hôtes de marque avec lesquels il entraitaux yeux de tous dans des rapports de complicité (poignées de main cha-leureuses et accolades à 1'appui) : le président international de Foursquare(le Dr. P. Risser), les gouvemeurs de deux États de la fédération, I'Onid'lfe, un roi igbo et d'autres princes encore. Le\ relations de 1égitimationréciproque avec d'autres détenteurs de capitai symbolique et politiquedans le champ du pouvoir national étaient bien davantage évidentes (etmises en scène dans une politique de démonstration de ia réussite del'Égtse) que les liens missionnaires avec d'autres Églises Foursquareafricaines.

Lc Kingdom Life World Conference 2002 de TREM

L'ouverture dela Kingdom Life World Conference (KLV/C) eut lieu ledimanche 17 novembre 2002, en soirée, au quartier général de TREM, oùun temple d'une centaine de mètres de longueur aété éigé depuis plus de10 ans sur un ancien bas-fond (aujourd'hui comblé) de Lagos. Un nou-veau tapis avait été posé pour I'occasion sur le graUd <( autel-estrade-scène >> encadré de deux colonnes << antiques >. A I'arrière-plan, des tis-sus lourds aux plis amples, encadrés par deux images de vitraux (r, pir-tures of windows >>, comme me dira un pasteur-cadre de I'Eglise) bleus etogivaux. Une multitude de drapeaux sur les murs du temple figurent tousles pays où l'évêque fondateur a été prêcher. De grandes tentes ont étéaccolées au bâtiment et équipées de téléviseurs (sur lesquels la cérémonied'ouverture sera retransmise en direct) pour pouvoir accueillir l'assistan-ce, qui déborde du temple. Un kitsch d'inspiration baroque, qu'on retrou-

428 ENTREPRISES RELIGIEUSES TRANSNATIONALES

vait aussi il est vrai lors de la convention de la FGCN, saute ici aux yeux,presque cofitme sur un plateau de TBNI6, la chaîne diffusée dans la salled'attente des bureaux de f'Eglise.

On peut presque considérer que la conférence (qui, comme la conventionde la FGCN, s'étend sur uùe semaine complète) dans son ensemble se pré_sente comme un rite d'<< empowerrnent >>. On fait d'ailleurs répéter à I'assis-tance dès la cérémonie d'ouverfure des phrases du lype '. << this is a conferen-ce with a dffirence and my life will be etemally changed >. Ou encore,M. Okonlsvo déclare,,dès la première séance également : << what you havebeen expecting for years, I declare for you 'it shall take place in this confe-rence'>>. Ou : << I am personally convinced that we will move to another level >>,un thème qui reviendra comme un leitmotiv pendant toute la semaine avantqu'on ne fasse circuler dans l'assistance, lors de la dernière séance, des for-mulaires de souscription pour la nouvelle cathédrale de l'ÉgLse".

Dès le début de la conférence enfin, Okonkwo annonce quelques hôtesde marque : son fils venu de Genève (accompagné de sa femme suisse),sa sæur venue de Londres. I1 présente quelques pasteurs nigérians, desamis.personnels, puis Greg Romine et sa femme Cindy'8, ses amis venusdes Etats-Unis (et présents presque chaque fois depuis la dizaine d'annéesque la conférence existe). L'orateur dq cette cérémonie d'ouverture est luiaussi présenté comme un ami personhel. Aucune allusion n'est faite cesoir-là aux églises de TREM à l'étranger : seuls les pasteurs de TR_EMdans leur ensemble sont brièvement salués et applaudis.

Le lendemain, lundi matin, la femme d'Okonkwo, qui sera très pré-sente tout au long de la semaine, introduit G. Romine comme étant << dela famille >> lorsqu'elle I'invite au pupitre. Romine lui renvoie le compli-ment, dit qu'il vient ici depuis neuf ans, qu'il a rencontré Okonkwo àHong Kong au début des années 1990 et que, depuis lors, il n'a jamaisrencontré un homme de Dieu comme le < bishop Mike >. Romine passeensuite plus de temps à faire répéter de petites phrases d'<< empowerment >à I'assistance, à la faire prier et parler en langues, puis à prier pour ceuxqui le souhaitent (avec l'aide de son équipe de cinq Américains venusavec lui) en leur palpant et en leur manipulant la tête et/ou le corps, qu'à

1.6. Trinity Broadcasting Network, Ia chaîne de télévision pentecôtiste (créée auxEtats-Unis en 1973) la plus largement diffusée dans le monde.

17. Sur la préparation psychologique des fidèles par les pasteurs avant des invitationsou des pressions à donner de I'argent, voir aussi de Surgy, 2001 :390-404.

18. G. Romine, un ancien missionnaire de I'International Church of the FoursquareGospel (d'allleurs présent une semaine plus tôt à la convention de la FGCN), est le fonda-teur des Romine Ministries, un de ces nombreux ministères (américains en particulier)portant ie nom de leur fondateur. Par ailleurs, M- Okonkwo remarque qu'tl a <, morecontacts with friends abroad in the US than in other Afiican countries > (entretien avecM. Okonkwo à Lagos. nov. 2002).

LES PENTECOTISMES NIGÉRIAN, BÉNINOIS ET TOGOLAIS 429

prêcher proprement dit. Il tennine en faisant l'accolade à Okonkwo puisva se rasseoit.

Lors de la séance du soir, ce seront l'évêque'W. Oke et le pasteur Ayo,deux personnages bien connus de la scènd (néo-)pentecôtiste nigériane'e,qui parleront. Okonkwo commence par il5ésenter Oke comme le fonda-teur d'un Ministère international, qui a prêché partout. Il le fait acclameret lui souhaite la bienvenue. Oke lui renvoie le compliment en disantqu'Okonkwo est le << father of the Pentecostals >>, demande pour 1ui unestanding ovation, le fait acclamer deux fois encore, fait acclamer le pas-teur Ayo, remercie les u bien-aimés d'outre-Atlantique >> et les fait accla-mer. Tout cela dure une quinzaine de minutes. Après I'intervention del'évêque Oke, celle du pasteur Ayo commence par le même type d'échan-ge prolongé de compliments.

En fait, tout au long de la semaine (si l'on excepte deux sessions dematinée où I'assistance avait le choix entre différents exposés donnés pardes pasteurs de TREM ou des assistants des Romine Ministries), degrands << hommes de Dieu >> présentés conlme des << amis >> se succédè-rent, dont plusieurs sont d'ailleurs des invités présents depuis plusieursannées à la KLWC (G. Romine, W. Oke, le pasteur Ayo, dont il a déjà étéquestion, mais aussi l'évêque ghanéen C. Asare).

Bien davantage qu'à la convention de IaTGCN (même si cette dimen-sion y était aussi présente de façon évidente), la plupart de ces person-nages étaient introduits par des superlatifs exaltant leur charisme person-nel et (re)produisant leur importance. Eux-mêmes, une fois qu'ils avaientété introduits de la sorte, s'empressaient, dès que la parole leur revenait,de rendre les compliments en magnifiant la personnalité extraordinaired'Okonkwo, lequel finissait toujours par être reconnu comme supérieurau terme d'une escalade de superlatifs. Toute la semaine se sont doncdéployées des relations de complicité et de légitimation réciproque entrepersonnages au charisme personnel important que ces échanges de saluta-tions (rituels à bien des égards) entre big men renforçaient en quelquesorte et (re)produisaient.

Logique associative, personnalisation et bureaucratisation dans les réseatupentecôristes

Les pasteurs pentecôtistes nigérians les plus importants sont touscapables d'étaler au grand jour, quoique dans des proportions différentes

19. Fondateurs respectivement des Sword of the Spirit Ministries (basés à Ibadan,mais aussi impiantés, notarment, en Russie et aux Etats-Unis) et de la Word of Lift BibleChurch (basée à Warri, où el1e est instailée dans un temple de 30 000 places).

-lt: !3

430 ENTREPRISES RELIGIEUSES TRANSNATIONALES

selon les tendances coexistant à I'intérieur du mouvement, << richesse,prestige social, connexions aux réseaux transnationaux et relations avecle pouvoir politique >.(Marshall-Fratani, 2001 : 25). Cependant, dans uneEgiise corlme la FÇCN (mais aussi dans les Assemblées de Dieu), lesdétenteurs des charis,mes personnels les plus importants ne sont pasnécessairement les dirigeants nationaux mais peuvent être des pasteus,des < prophètes >t ou des < évangélistes >> ayant un ministère de guérisonou d'évangéiisation qu'ils choisissent de développer (pour un temps aumoins) au sein de I'Eglise. Les relations que ces personnages, qui repré-sentent alors un pôiè d'autorité purement charismatique, entretiennentavec la hiérarchie ecclésiale nationale sont évidemment ambiguës, àf image des << croyants-guérisseurs >> des AD du Burkina Faso (Laurent,2003 : 307-345) ou du pasteur-évangéliste togolais des AD W. Tettey.Celui-ci, en effet, rendu extrêmement populaire sur la scène pentecôtistetogolaise à travers son investissement des médias pentecôtistes, a fini parse brouiller avec la direction naûonale des AD sur la question de I'auto-nomie à laquelle il pouvait prétendre, et s'est fi.nalement m repoussé horsde celles-ci'

Cette dissociation potentielle des dirigeants nationaux d'avec lesfigures porteuses des charismes pemonnels les plus importants, caractéris-tique d'Eglises bureaucratisées (au nroins au niveau organisationnel) oùpersonne et fonction sont distinguées, renvoie immanquablement à laquestion du type de charisme dont sont porteurs ces dirigeants nationaux.Il y a en effet, comme I'a bien mis en évidence J.-P. Wiilaime, une spéci-ficité de la << figure protestante du clerc > (1992 : 133), qui se situe, dansla typologie wébérienne, entre le prêtre et le prophète. Charismes person-nel et de fonction sont imbriqués chez Ie pasteur, et supplémentés d'uneforme de << charisme idéologique >> qui découle du fait que le pasteur estaussi docteur (Willaime, 1992 : 15-29), c'est-à-dire spécialiste du messa-ge biblique garant de la justification de I'institution. Le charisme des diri-geants d'Eglises comme les AD oa Foursquare, qui présentent unebureaucratisation du pouvoir organisationnel (confié aux dirigeants élus),puise donc sa source à différents principes de légitimité, alors qued'autres Eglises corlme TREM, dont le fondateur est toujours à la tête deI'organisation, donnent à voir une personnalisation beaucoup plus fortedu charisme du dirigeant et du pouvoir organisationnel, qui ne saurait êtrebureaucratisé jusqu'au somrnet. Et si on retrouve, cela va de soi, dans lesdeux types d'Eglises, une délégation de charisme aux pasteurs des égliseslocales, il importe toutefois de noter que celui-ci est dans un cas davanta-

20. Sur les effets de I'investissement des médias par les groupes pentecôtistes au

Togo, voir Noret, à paraître.

LES PENTECOTISMES MGÉRTAN, BÉNINOIS ET TOGOLAIS 431

ge délégué par I'institution (qui, même désacralisée, devient f instance devalidation de référence m la succession de différentes équipes dirigeantesà sa tête), et dans l'autre davantage délégué par le fondateur charisma-tique de la structure religieuse.

i.*Dans I'un et I'autre des types d'Églises distingués ici. qui se rejoi-

gnent sur ce point, il faut aussi souligner que la mise en place de réseaux(qu'ils soient ou non transnationaux) repose sur une logique qu'on peutqualifier d'associative (voir Colonomos, 1995). Le monde pentecôtiste secaractérise en effet par << une flexibilité des alliances, des allégeances etdes soutiens > (idem : I32), qui repose sur I'autonomie importante desleaders.lvlais la logique associative qui est au fondement de I'inscriptionde ces Eglises dans des réseaux tend cependant à fonctionner de façondifférente dans les deux types d'Églises distingués ici, où elle peut êtreplus contractuelle, ou au contraire reposer davantage sur des relations decomplicité personnelles.

En effet, dans les ÉfUses nsh éncore routinisées, reposant essentielle-ment sur un charisme pérsonnel fort, la logique associative se met enplace entre grands << hommes de Dieu >>, et foncûonne de façon extrême-ment personnalisée, sur base de relations de complicité. Ces hommes deDieu n'interviennent pas à titre de représentants d'institutions mais enleur nom propre ou en tant que fondateurs d'une 5Èructure ecclésiale quin'a rien d'une institution les dépassant mais qui s'apparente plutôt, aucontraire, à une organisation les prolongeant. Et c'est dans ce contexteque, comme àIa Kingdom Lfe World Conference de TREM, les échangesde salutations et de compliments, à travers lesquels se (re)font les rela-tions de complicité et de légitimation réciproque entre << hommes de Dieu >,connaissent une inflation importante. La dimension transnationale quepeuvent acquérir de tels réseaux contribue incontestablement à la (re)pro-duction du capital symbolique des << hommes de Dieu > engagés. Ceux-cideviennent alors en quelque sorte les supports à partir desquels peut seconstruire un imaginaire pentecôtiste transnational, I'aptitude à s'inscriresur une scène pentecôtiste < globale > étant en outre une ressource sym-bolique particulièrement prisée et faisant partie intégrante de la figure dupasLeur qui a réussi.

De leur côté, les réseaux des Eglises plus bureaucratisées fonction-nent, toujours sur la base d'une logique associative laissant une autono-mie importante aux acteurs engagés, à partir d'un autre mode de person-nalisation. La logique associative est en effet censée s'installer ici entreinstitutions, de façon contactuelle. Mais c'est en fait, évidemment, entredes représentants d'institutions dans le cadre de leurs fonctions que senouent ces relations plus contractuelles d'association, et les affinitésinterpersonnelles occupent encore à ce niveau une place importante.

+32 ENTREPzuSES RELIGIEUSES TRANSNATONALES

Cependant, premièrement, ces représentants entrent en contact non entutrt qt" fondateurs d'organisations qui, d'unè certaine façon, les prolon-

gent, mais au nom d'institutions qui les dépassent (même dans 1e contexte

protestant de la dévaluatjon de f institution) et dont ils ne sont pas les

ieuls maîtres. Ce simple\rfait et 1a dimension contlactuelle du lien entre

CeS institutiOns peuvent, danS une Certalne mesure' mettre en Sourqlne ou

désamorcer des tensions, rivalités, conflits interpersonnels'

Deuxièmement, il arrive aussi que, dans ces Eglises pius bureaucrati-

sées, les nouveaux dirigeants héritent de réseaux associatifs contractuels

ayant déjà une,certaine sédimentation historique : c'est typiquement le

cas dans les Égl ises pentecôt istes issues de missions, comme les

Assemblées de Dieu, dont les réseaux peuvent dès lors fonctionner de

façon relativement anonyme. Les AD du Bénin peuvent, par exemple,

demander par I'intermédiaire de leur président la venue d'un spécialiste

(c'est-à-dire de quelqu'un qui sera avant tout un expeft et non un anu,

pour reprendre ici la distinction introduite plus haut) de tel ou tel domaine(evatrgétisatlon à travers 1a iittérature, formation des pasteurs ou des mis-

sionnaires, etc.) à l'Égiise française ou américaine des AD, sans préciser

le nom de 1'<< expert > qu'ils souhaitent, et sans que cela repose sur des

relations personnalisées préalables. De même, une Eglise nationale quel-

conque des AD en Europe peut contactel une série d'Eglises nationales

des AD africaines pour chercher à développer des activités missionnaires

ou de développement en partenariat avec e1les, sans que cela demande ici

non plus ia moindre personnalisation préalable des relations. A la limite,

dans ce type de situation, la logique associative peut fonctionner, colnme

ie I'ai souligné, de façon contractuelle, entre institutions, et en particulier

.nrr . Énl i tËs nat ioni les (autonomes) d'une même dénominat ion. Une

telle poisibilité n'exclut évidemment pas que des réseaux reposant sur

I'interconnaissance et les,affinités personnelles entre pasteurs existent

également dans ce type d'Églises,.tant au plan national que transnational.

Troisièmement, le fart que les Eglises plus bureaucratisées soient gérées

de façon plus collective permet aussi parfois de contoumer les rivalités inter-

p"rror-"ll"t en passant par des tiers. Un exemple béninois illustre bien ce

fupe de sifuation : I'agence missioruraire ARCEB (Action pour la Recherche

et^la Croissance de l'Éghse au Bénin) a pris le relais en 2001 du Projet

ARCEB (lequel s'affichait au départ comme une simple entreprise de comp-

tage des égliies du Bénin), selon la tendance bien connue des organisations

à se créer de nouveaux objectifs leur permettant de se perpétuer une fois

atteints ceux pour lesquels elles avaient êté ctéées au départ. or, Iors de la

mise en place de cefté agence, un conflit de type interpersonnel opposa le

coordinaieur national O'ÀRCBB au représentant pour I'Afrique de ce qui

devait être le principal bailleur de fonds de i'agence missionnaire, DAW

Ministries.Il y avait une méfiance mutuelle entre ces deux personnes'

LES PENTECOTISMES NIGÉRL{N, BÉNINOIS ET TOGOLAIS 433

Chacun craignait en effet que I'autre ne demande, soit une autonomie tropimportante, soit un droit de regard trop important sur les activités de I'agencemissionnaire. On retrouve donc là une probiématique parfaitement suscep-tible d'illusfter ce qu'on pourrait nofirmer. sur le modèle des << interfaces dudéveloppement >> (Long, 1989 ; Bierschenk, Chauveau et Olivier de Sardan,2000), les interfaces de la coopération religieuse. Mais ARCEB étant unestructure réunissant les principales Eglises pentecôtistes et évangéliques duBénin et étasrt gérée de façon relativement collective, le passage par un tiers(un missionnaire de I'ACM'?' qui a lui aussi joué un grand rôle dans le lance-ment d'ARCEB) permit, le temps du conflit, d'éviter la rupture.

On notera d'ailleurs encore, en ce qui concerne ARCEB, que cette agen-ce missionnaire, de création récente (2002), s'est d'emblée présentéecoûrme une structure fortement bureaucratisée. Elle n'a en rien émergéautour d'un charisme persomel important. Sans être une fédération, ellerésulte de la volonté de coopération de plusieurs dirigeants de fédératjonsd'Égtses, de Missions ou de Ministères importants sur la scène pentecôtis-te béninoise. Lors de sa deuxième << conférence missionnaire stratégique >,qui s'est tenue à Cotonou en janvier 2003, plusieurs << partenaires ,, avaientété invités, qui étaient en fait, bien davantage que des porteurs de charismepersonnel, des < experts >> représentants d'institutions évangéliques et pen-tecôtistes, parmi lesquelles les éditions Vida (éditions protestantes fran-

çaises), ou Dawn Ministries. Or, le réseau transnational formé autourd'ARCEB est incontestablement aujourd'hui, au Bénin, le réseau pentecô-tiste le plus important (c'est-à-dire le plus visible, drainant,le plus d'argent,mobilisant les pasteurs ies plus célèbres, représentant les Eglises dominantla scène pentecôtiste et organisant les plus grands rassemblements), Celui-ci relève donc indiscutablement au Bénin du type plus bureaucratisé, alorsque la situation à cet égard est tout autre au Nigeria. En effet, en dépit de laprésence incontestable de réseaux fortement bureaucratisés dans lesmondes évangélique et pentecôtiste nigérians (qui semblent toutefois moinsproches qu'au Bénin), les réseaux fortement personnalisés de grands<< hommes de Dieu >> ont connu au Nigeria des développements incompa-rables à ceux qui s'obseryent dans le pentecôtisme béninois : celui-ci ne faitpas jusqu'à présent la même place à de grands pasteurs charismatiques etmédiatiques aux réseaux fortement personnalisés22.

21. Al l iance Chrétienne et Missionnaire, traduction française de Christ ian andMissionary Alliance, une importante agence missionnaire évangélique fondée en 1897 auxEtâts-Unis. Au Bénin, ses missionnaires ont joué un grand rôle dans le lancement d'ARCEB.

22. Il existe cependant au Bénin la COPAGEF (Conférence Panafricaine des Géants dela Foi), organisée en principe tous les deux ans par 1a Mission Internationale pourI'Evangéiisation et le Réveil spirituel O4IERS). Cette manifestation tourne davantage autourde charismes personneis forts, mais e1le connaît aussi de façon endémique des problèmes def,inancement qui remettent en cause son maintien et la Limitent dans ses ambilions.

434 ENTREPRISES RELIGIEUSES TRANSNATONALES

Les développements missionnaires des pentecôtismes nigérian, bénin6i5

et togolais

La deuxième partie de qe texte a davantage évoqué les modalités deconstruction des réseaux pentecôtistes ffansnationaux que les développe-

ments de ces réseaux entre Nigeria, Bénin et Togo. Ces réseaux repo-

saient sur différents types (plus ou moins personnaLisés ou contractuels)

de logique associative, et n'avaient.pas tous, loin de là, d'objectif mis-sionnaire. Ce sont qowtant les réseaux et les développements mission-

naires internes des Éghses qui forment la partie la plus visible des rela-

tions pentecôtistes transnationales entre le Nigeria, le Bénin et le Togo.

La troisième partie de ce texte leur est consacrée. I1s constituent en effet

aujourd'hui un aspect essentiel de la dimension transnationale des pente-

côtismes africains.Tout d'abord, on aura remarqué à travers certaines des descriptions qui

précèdent, et en particulier à travers celles qui se lappoltent aux deux<< conférences internationales >, combien les développements mission-

naires des Éghses recevaient une attention marginale lors de ce fype de

manifestations. Les réseaux missionnaires transnationaux (interafricains

ou autres) construits par une dénomination semblent, dans ce type de

contexte, et en dépit de leur rôle central dans 1es politiques d'expansion,

des ressources symboliques bien moins pertinentes que les relations inter-

dénominationnelles associatives plus ou moins personnalisées qui peu-

vent être exhibées. La position suboldonnée deS missionnaires dans la

hiérarchie ecclésiale détermine bien plus la place qu'ils peuvent occuper

dans de tels événements que la dimension transnationale qu'ils conÈrent

à l'Éghse. Cette dimension transnationale est en effet davantage mise en

scène et dramatisée à travers des relations associatives, que celles-ci

soient fort personnalisées ou plus contractuelles-La participation de ces missionnaires aux grands rassemblements ou

aux grandes << conférences internationales >> leur assure néanmoins I'accès

à uné ressource symbolique (et parfois matérielle'3, s'ils peuvent y obtenir

un peu d'argent pour soutenir << l'æuvre >r), à savoir une forme d'inscrip-

tion sur une scène pentecôtiste < internàtionale >>. Et cette inscription

fonctionne ensuite, en quelque sorte, comme recharge transnationale du

<< local >> lorsque, par exemple (comme j'ai po le constater au Bénin et au

Togo), se faisânt les supports locaux d'un imaginaire transnational, ils

23. Sur l'apport égaiement plus symbolique que matériel que les formations reçues

dans des < organisations pentecôtistes nord-américaines > peuvent assurer aux pasteurs

africains (nigérians en l'ôccurrence dans le propos de I'auteur), voir Marshall-Fratant

(2001 :32-33) .

LES PENTECOTISMES NIGÉRIAN, BÉNTN{OIS ET TOGOLAIS 435

relayent dans leur assemblée les messages de ces gfandes << conférences >>,

ce qui est aussi toujours et surtout I'occasion de rappeler à l'assistanceque, eux aussi, ils < y étaient > et participent, même marginalement, de cemonde d'élites religieuses à la carrière << internationale >>'

D'une certaine manière, la participation à ce genre de grands événe-

ments religieux ftansnationaux peut être interprétée comme << rite d'insti-

tution > (Bourdieu, 2001) ou de ré-institution périodique par lequel

I'appartenance à un monde d'élites religieuses à f itinéraire transnationalest amenée à << exister en tant que différence sociale, connue et reconnuepar I'agent investi et par les autres >> (idem : 178).

Il faut encore signaler ici qu'environ 60 pour cent des pasteurs évo-

luant actuellement à Lomé et à Cotonou ont un itinéraire personnel pas-

sant par I'un des deux pays anglophones (Ghana et Nigeria) qui enca-

drent, à I'Est et à I'Ouest, le Bénin et le Togo'0. La proportion d'itiné-raires passant pal le Nigeria est très forte à Cotonou (où les itinérairestransitant par le Ghana sont nettement plus rares), alors qu'on trouve à

Lomé à peu près autant de carrières pastorales passant par le Ghana que

par le Nigeria. Ces << passages >> sont évidemment de types divers : cer-

tains de ces pasteurs se sont convertis dans I'un des deux pays et y ont

fréquenté une Église pentecôtiste (souvent dans le cadre d'un itinéraire

migratoire), d'autres sont partis y suivre une formation biblique (princi-

pale ou complémentaire), d'autres encore sont tout simplement des mis-

sionnaires provenant d'un de ces deux pays et installés au Bénin ou au

Togo.La place du Nigeria (qui prend régulièrement, on le voit, la forme

indirecte de formations) dans l'essor des pentecôtismes africains est

d'ailleurs soutenue par le développement d'un imaginaire de la nationmissionnaire et d'un véritable ethos missionnaire se traduisant par la mise

en place de programmes d'évangélisation du continent (voire de ré-évan-gélisation du monde occidental, et de I'Europe en particulier) à grande

échelle, à la mesure du gigantisme du pays. si on se limite aux Eglises

concernées par la présente étude, les Assemblées de Dieu du Nigeria ontainsi actuellement plus de 80 missionnaires en poste dans d'autres pays

africains (principalement au Cameroun et au Niger, mais aussi au Gabon,en Gambie, au Liberia et au Bénin - (vor, notamment, Ogba, 2OO2: 69-

24. Cette proportion augmente encore si I'on ne considère qu'une certaine é1ite pasto-

rale, c'est-à-dire ies pasteurs les plus connus ou se trouvant à la tête des Eglises ou

Ministères les plus importants (exception faite bien sûr des Assemblées de Dieu. qui pos-

sèdent depuis longtemps des Instituts Bibliques nationaux dans les deux pays). Mes

< échantillons > (à Lomé, il s'agit d'une combinaison de mes données avec celles de

Kamasse, 1998) s'étendent à environ 25 pasteurs pour chaque ville.

436 ENTREPzuSES RELIGIEUSES TRANSNATTONALES

70).LaFGCN est à I'origine depuis 1969 (date.de I'envoi de son Plemiermissionnaire au Bénin) de I'implantation de I'Eglise dans la majorité despays du sous-continent (mais aussi de nouvelles branches de celle-ci àLondres et à Hong-Kong). TREM a récerriment mis en place un African

Invqsion Project dont le titre évoque directementl'Africa Gospel

Invasion Project de la Winners Chapel. Son évêque, M. Okonkwo, fait eneffet partie de ceux qui formulent le plus explicitement l'idée, largement

répanàue parmi les élites pentecôtistes nigérianes, que le Nigeria a une

reiponsabilité << as a nation > de propager I'Evangile en Afrique et dans

le monde étant donné les développements importants du christianisme

dans le pays.Les é1ites des milieux pentecôtistes nigérians s'inscrivent ainsi régu-

lièrement et sans complexes dans la << communauté imaginée >> des

grandes nations missionnaires. Les développements d'un erhos mission-

nuit" r" repèrent également au Bénin et au Togo, où ils débouchent plutôt

sur Ia fierté de s'inscrire à titre individuel dans la < communauté imagi-

née >> des rnissionnaires, ou sur une forme de fierté d'être d'un continent,

l'Afrique, promis selon eux à être le point de départ d'une nouvelle évan-

gélisation. On ne tlouve pas parmi les élites pentecôtistes béninoises ou

iogolaises la fierté de participer à une tradition pentecôtiste nationale

préstigieuse coûrme on peut la trouver au Nigeria, où elle est d'ailleurs

une fo.me de complexe de supériorité et de fierté nationale. Une forme de

nationalisme retgieux (pentecôtiste en I'occurrence) se rnanifeste plutôt

au Bénin et au Togo à travers le souci d'indépendance des structures reli-

gieuses << nationales >>, même lorsqu'elles sont partiellement financées de

f extérieur (comme le cas d'ARCEB, évoqué plus haut, I'a bien iliustré).

La nation reste ici une référence identitaire entièrement pertinente pour

penser les différences au sein du monde pentecôtiste'

Enfin, les développements missionnaires dans ies pays concernés doi-

vent une partie importante de leur succès au développement d'une société

multiculturelle de mondes sociaux autant hiérarchisés et juxtaposés que

brassés dans les grandes villes, qui sont aussi de grands ports, de la côte

du Golfe de Guinée's, avec tout ce que cette situation implique tant

conune croisements SanS rencontres que cofiIlne échanges. En effet, une

bonne partie des missionnaires nigérians'6 au Bénin et au Togo continuent

à s'adresser majoritairement à leurs propres nationaux émigrés, et sont

installés à Cotonou (et, pour ce qui est du Bénin, dans une moindre mesu-

re, à Porto-Novo) et à Lomé, villes où se concentre la diaspora nigériane'

Cjest même explicitement dans la perspective de satisfaire les . spiritual

25. Dans la zone couverte par mon étude, cela concerne Lagos, cotonou et Lome.

26. Ceux-ci forment très clairement Ia majorité des missionnaires au Sud-Bénin.

LES PENTECOTISMES MGERIAN, BENINOIS ET TOGOLAIS 431

needs >> des Nigérians des AD de Cotonou qu'un missionnaire des AD duNigeria y a récemmett (2002) été envoyé (voir supra) pour éviter ledépart de ces fidèles vers d'autres Eglises nigérianes de la ville. La ques-tion linguistique est ici centrale, mais aussi la possibilité de se retrouvelentre soi pour des populations en situation migratoire. La création de laparoisse de TREM à Cotonou avait, elle aussi, été liée, au milieu des

années 1990, à la demande d'un petit groupe de fidèies de I'Eglise qui

étaient installés dans la ville et souhaitaient la venue d'un pasteur sur leurlieu de migration. C'est à partir de ce premier ancrage nigérian quel'Éghse a pu développer des perspectives missionnaires et même uneforme d'inculturation de son dispositif rituel (voir supra). Des Égtsescoilune la Christian Pentecostal Mission ou la Winners Chapel, ainsi que

beaucoup d'autres Ég[ses nigérianes plus modestes, toutes implantéesdans la décennie 1990, recrutent principalement, aujourd'hui encore,parmi les Nigérians de Cotonou.

Pour se limiter aux relations entre Nigeria et Bénin, seules quelques<< grandes " Éghses venues du Nigeria ont aujourd'hui véritablementréussi à s'implanter et à recruter parmi les Béninois, surtout à partir dumoment où elles ont réussi à créer une dynamique locale de propagationde la dénomination et à déléguer des tâches aux nationaux. C'est le castout d'abord de l'Égiise Apostolique (Apostolic Church), qui s'implantedans le Sud-Est du Bénin à partir des années 1940-50 (de Surgy, 2001 :18-19). C'est aussi le cas de Foursquare, présente au Bénin depuis 1969,mais à Cotonou seulement depuis le milieu des années 1980 (voir supra).Enfin, parmi les Ég[ses arrivées plus récemment, 1es deux Éghses nigé-rianes ayant réussi à s'implanter plus ou moins largement au Bénin sontl'Ég[se Biblique de la Vie Profonde (Deeper Lift Bible Church) d'unepart, arrivée en 1986 à Cotonou et comptant aujourd'hui une bonne cen-ta ine de paro isses , e t 1 'Eg l i se Chré t ienne des Rachetés de D ieu(Redeemed Christian Church of God) d'autre part, qui s'est installée en1991 à Porto-Novo et comptait 27 paroisses en2002"- Il va cependant desoi que I'impact au Bénin des développements pentecôûstes du Nigeriaest loin de se limiter aux développements des Eglises nigérianes. Même siI'on ne considère que 1es influences dues au déplacement de << spécialistesreligieux >> (pasteurs et formateurs en particulier), il faut en effet tenircompte également de ce que, d'une part, une partie des missionnairesnigérians évolue hors de tout cadre institutionnel d'origine nigériane (ces

27. Au Togo, la situation des Égtses nigérianes arrivées récemment est sensiblementIa même : ce sont aussi la Deeper Life Bible Church et la Redeemed Christian Church of

God qui ont réussi à s'implanter le plus largement et à recrutel de façon assez importanteparmi les nationaux. Elles revendiquent une centaine d'églises locales pour la première etune vingtaine pour la seconde.

438 ENTREPRISES RELIGIEUSES TRANSNATONALES

missionnaires peuvent créer leur propre structure religieuse en arrivant au

Bénin, ou chercher à s'associer à une structure béninoise) et que, d'autre

part, beaucoup de pasteurs béninois (et togolais d'ailleurs) ont un itinérai-

re passant par le Nigeria.

Conclusion

Deux distinctions entre types de réseaux transnationaux ressortent

principalement des analyses proposées ici. Premièrement en effet, les

iér"uu* pentecôtistes reposant sul une logique associative sont construits

selon dei modalités différentes selon la place faite par les Eglises, sur le

plan inst i tut ionnel, à un charisme personnel fort . Les Egl ises ou

ivlinistères de grands << hommes de Dieu >> charismatiques tendent ainsi à

s'associer de fàçon extrêmement personnalisée (leurs dirigeants trouvant

même 1à un dispositif de recharge de leurs charismes personnels respec-

tifs), alors que, au conffaile, des Éghses ou des structues religieuses plus

bureaucratiiées peuvent fonctionner sur le plan transnational de façon

relativement déPersonnalisée.Deuxièmement, on peut distinguer l'ensemble de ces réSeaux << asso-

ciatifs > (plus ou moin^s personnùsés ou contractuels selon les Églises)

des réseaux missionnairei propres que les Églises pentecôtistes africaines

développent de plus en plus en parallèle, indépendamment de leurs rela-

tions à à'ur.tres institutiôns. Et si ces réseaux missionnaires ne reçoivent

qu'une attention relativement marginale lors des grandes conférences ou

conventions << internationales >>, ils n'en sont pas moins supportés par le

développement d'un véritable ethos missionnaire et forment par ailleurs

la partËla plus visible des réseaux pentecôtistes existant entre le Nigeria,

le Bénin et 1e Togo.Enfin, si ces réseaux missionnaires occupent une place importante dans

les réseaux pentecôtistes entre les trois pays concernés par l'étude, et si les

grands rassàmblements << internationaux >> ont localement des effets de

mobiTsation incontestables, il ne faut pas oublier I'importance capitale de

tous les itinéraires béninois et togolais qui transitent par le Nigeria dans le

cadre d'une formation religieuse (la logique du déplacement étant alors'

elle aussi, religieuse, et reloignant par 1à, en l'inversant d'une certaine

manière, celle des réseaux missionnaires) ou, plus simplement, d'un dépla-

cement migratoire : très difficilement quantiTiables et presque invisibles'

seule la proportion de ces itinéraires pastoraux béninois et togolais passant

par le f.iigà.iu laisse entrevoir leur large contribution à la propagation

d'une << religion en mouvement > (Hervieu-Léger, 1999)'