L'infortune sanitaire de l'infidélité tolérée chez les pendjariens autochtones au Bénin

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Les Cahiers du CBRST N° 3 Juin 2013 186 L’INFORTUNE SANITAIRE DE L’INFIDELITE TOLEREE CHEZ LES PENDJARIENS AUTOCHTONES AU BENIN Emmanuel N’koué SAMBIENI Université de Parakou, Bénin, [email protected] RESUME La gestion sociale du sexe à l’ère de la pandémie du Virus de l’Immunodéfience Acquise (VIH) du sida menace la vie du groupe des Pendjariens, situés au Nord-Ouest du Bénin. La sexualité extraconjugale et intra-lignagère a fait l’objet de cette recherche au moment où la surveillance épidémiologique du Sida a constamment évoqué le territoire de la Pendjari comme zone critique au regard de la prévalence de cette maladie. L’étude a été qualitative, faite aux moyens d’observations directes, d’entretiens semi-directifs, de récits de vie et de recension de documents, dans les communes de Cobly, de Matéri et de Tanguiéta, à plusieurs intervalles de temps dans la période allant de juillet 2002 à décembre 2009. La recherche a permis de découvrir que la sexualité est organisée, malgré les statuts conjugaux, dans des cadres de la parenté supérieure à la famille nucléaire, avec un niveau d’acceptation autre que certaines normes morales de fidélité et d’adultère. La structuration de l’infidélité/adultère tolérée dans l’espace lignager pour des personnes engagées suivant les normes sociales favorise la transmission du VIH pour des couples et des lignages entiers. Mots clés : Sida, Pendjariens, infidélité, lignage, sexualité, santé, politique publique. ABSTRACT The social management of the sex to the era of the pandemic of the Virus of the Immunodéfience Acquired (HIV) some AIDS threatens the life of the group of the Pendjarienses, situated to the Northwest of Benin. The extramarital sexuality and intra-lignagère was the subject of this research as the epidemiological surveillance of the

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L’INFORTUNE SANITAIRE DE L’INFIDELITE TOLEREE CHEZ LES PENDJARIENS

AUTOCHTONES AU BENIN Emmanuel N’koué SAMBIENI Université de Parakou, Bénin, [email protected] RESUME La gestion sociale du sexe à l’ère de la pandémie du Virus de l’Immunodéfience Acquise (VIH) du sida menace la vie du groupe des Pendjariens, situés au Nord-Ouest du Bénin. La sexualité extraconjugale et intra-lignagère a fait l’objet de cette recherche au moment où la surveillance épidémiologique du Sida a constamment évoqué le territoire de la Pendjari comme zone critique au regard de la prévalence de cette maladie. L’étude a été qualitative, faite aux moyens d’observations directes, d’entretiens semi-directifs, de récits de vie et de recension de documents, dans les communes de Cobly, de Matéri et de Tanguiéta, à plusieurs intervalles de temps dans la période allant de juillet 2002 à décembre 2009. La recherche a permis de découvrir que la sexualité est organisée, malgré les statuts conjugaux, dans des cadres de la parenté supérieure à la famille nucléaire, avec un niveau d’acceptation autre que certaines normes morales de fidélité et d’adultère. La structuration de l’infidélité/adultère tolérée dans l’espace lignager pour des personnes engagées suivant les normes sociales favorise la transmission du VIH pour des couples et des lignages entiers. Mots clés : Sida, Pendjariens, infidélité, lignage, sexualité, santé, politique publique. ABSTRACT The social management of the sex to the era of the pandemic of the Virus of the Immunodéfience Acquired (HIV) some AIDS threatens the life of the group of the Pendjarienses, situated to the Northwest of Benin. The extramarital sexuality and intra-lignagère was the subject of this research as the epidemiological surveillance of the

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AIDS constantly evoked the territory of the Pendjari like critical zone to the look of the prévalence of this illness. The survey was qualitative, made to the means of direct observations, of semi-directive interviews, of narrations of life and recension of documents, in the townships of Cobly, Matéri and Tanguiéta, to several intervals of time in the active period of July 2002 to December 2009. Research permitted to discover that the sexuality is organized, in spite of the conjugal by-laws, in settings of the relationship superior to the nuclear family, with a level of acceptance another one that some norms moral of fidelity and adultery. The structuring of the infidélité/adultère tolerated in the space lignager for committed people following the social norms encourages the transmission of the HIV for couples and the whole lineages. Key Words : AIDS, Pendjariens, disloyalty, lineage, sexuality, health, public politics. INTRODUCTION Les recherches scientifiques en général et particulièrement sur la sexualité et la maladie sur les Pendjariens sont assez rares et parfois très superficielles, relevant de l’ethnologie culturaliste fondamentale d’une certaine époque temporaire et politique . Cette recherche porte sur les Pendjariens3 dont les langues relevant du groupe voltaïque sont situées dans l’espace de l’oti-volta-oriental (Sambiéni, 2005). Elle a été motivée par plusieurs facteurs. Le récit ci-après est un de ces facteurs de motivation en rapport avec le sujet traité, à savoir le rapport à la sexualité et à la santé des populations. Il s’agit d’une histoire vraie vécue dans un village du pays pendjarien, riche en enseignements sur le statut social de l’infidélité tolérée à l’intérieur des lignages.

Monsieur Ba d’une quarantaine d’années vivait un peu socialement isolé des pratiques et quotidienneté de son milieu. Il était considéré comme « anormal » par la plupart

3 Ce sont les plus anciens groupes socioculturels du territoire de la Pendjari, à savoir les Natemba, les Bialbe, les Bèbèlibè, les Gourmantché, les Tankamba et les Bètammaribè. Ils forment un grand groupe socioculturel hétéroclite vivant au Nord-Ouest du Bénin dans le département de l’Atacora

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de ses pairs. Il ne fréquentait pas les autres, même pour boire l’alcool local gratuit, comme c’est la tradition dans son village. Il était rare aux marchés de jour et totalement absent des marchés de nuit. Même s’il s’y rend, il ne se met pas au cœur des manifestations. Il n’avait pas par exemple une partenaire sexuelle parmi les épouses de ces oncles et de ses neveux aînés, conformément à ce qui se passe pour la plupart des gens dans le village. Malgré cette attitude, un neveu un peu lointain, mais toujours dans son lignage, celui des Bèwièmbè dans l’ethnie Bèbèlibè, gère avec lui son épouse, au vu et au su de tout le monde. Il a été dit que c’est une histoire de génération qui s’est répétée. En effet, le père de ce second « époux » de madame Ba était le partenaire sexuel de la seconde épouse du père de monsieur Ba. Dans le village, l’histoire se savait. Certaines personnes disaient que ce n’était pas trop gentil pour le fils et son père de cogérer dans la même famille les épouses de fils et père. Mais cela ne changeait en rien la situation. D’après les villageois, Monsieur Ba avait fini par connaître le rapport sentimental de son épouse à son neveu. Ledit rapport s’était finalement naturalisé, donnant ainsi la possibilité au neveu de passer une bonne partie de la nuit, entre 19 heures et 23 heures chez monsieur Ba. Quand il arrivait, c’est à lui que l’épouse Ba présentait le repas de père de famille, laissant le plus souvent son époux sans rien d’autre. Un soir, monsieur Ba, avant d’aller à la douche a bien vu que son épouse avait fini de cuisiner la pâte. Aussi, son « coépoux » était là, assis en propriétaire d’égal droit. A sa sortie de la douche, monsieur Ba a constaté que son « coépoux » avait déjà mangé ce qu’il avait comme butin du soir. Il ne s’est pas plaint, la règle n’étant pas favorable. On ne se plaint pas quand un parent a mangé son repas. Déchiré entre les normes sociales de partage de femme et de repas, et son isolement sur toutes ces lignes, monsieur a pris une houe et est parti sans rien dire. Le village l’a cherché pendant sept mois. Il a été retrouvé finalement complètement décomposé de l’autre côté de la montagne au pied de laquelle se trouve sa maison. Il se serait suicidé par absorption d’intrants phytosanitaires. Pendant longtemps, son neveu a eu peur et s’est retiré de la dame.

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Après la consultation du devin, les parents de monsieur Ba ont expliqué le suicide par une anormalité dans l’échange des femmes de son père. Cette révélation a innocenté le neveu de la mort de monsieur Ba. Pour avoir été innocenté, il a finalement hérité de sa partenaire, madame Ba.

Depuis les années quatre vingt, l’émergence de nouvelles maladies, particulièrement du sida, appelle les développeurs à une meilleure connaissance des représentations et des comportements des groupes sociaux par rapport à la maladie et à la santé. L’étude des attitudes et des pratiques sexuelles pour les Pendjariens a consisté à s’interroger sur le rapport au sida et la gestion de la sexualité du couple et des membres du couple chez ce méta groupe ethnique. L’étude se penche aussi sur la santé/maladie, les représentations et les croyances autour des règles de mariage et de la gestion de la fidélité au sein du couple et du lignage. Il est scientifiquement utile d’interroger des contextes sociaux sexuels dans des espaces estimés critiques en matière de sida. La préoccupation fondamentale de cette recherche a été de comprendre les logiques de l’infidélité tolérée au sein des lignages et ses modes de fonctionnement d’une part, les représentations sociales du sida et des maladies sexuellement transmissibles, d’autre part. L’infidélité tolérée est pour nous l’acceptation sociale de l’infidélité des hommes et des femmes dans une communauté précise ; au regard de la construction et du fonctionnement de l’infidélité articulé aux mécanismes de mariage et de lévirat, nous avançons la thèse que chez les Pendjariens autochtones (Bètammaribè, Waaba, Natimba, Bèbèlibè, Bialbe et Gourmantché), l’infidélité des hommes et des femmes est admise. Cet articule montre que le mécanisme de l’infidélité tolérée occasionne des morts massives du sida dans les campagnes pendjariennes. Après la présentation de la méthodologie, l’article commence développe le contexte social de l’étude avant de développer les règles de mariage et les perceptions du sexe féminin et des maladies sexuellement transmissibles. Il analyse ensuite le fonctionnement de l’infidélité tolérée à l’intérieur des lignages et se termine par une lecture critique des politiques sanitaires au Bénin.

2. MATERIELS ET METHODES

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La recherche s’est faite sur base de la méthodologie qualitative. Pendant plusieurs mois et à plusieurs intervalles nous avons séjourné sur le terrain pour mener des entretiens individuels, de groupe et des observations directes. Les personnes interviewées ont été les femmes et les hommes, les tradipraticiens, les leaders d’opinion, les maître(sse)s rituel(le)s, les jeunes (filles et garçons), les malades du sida et les séropositif(ve)s, les autorités du ministère de la santé et responsables du programme national de lutte contre le sida et les responsables d’Organisations Non Gouvernementales (ONG) locales de lutte contre le VIH/sida. Nous avons transcrit directement nos entretiens enregistrés. Le traitement des données s’est essentiellement fait par l’analyse de contenu et l’interprétation des données observées. Les difficultés de l’étude ont été dans l’administration des entrevues avec les malades du sida et les femmes en interactions d’infidélité tolérée, à la fois malade ou séropositive. S’il est facile aux hommes de raconter leurs (més) aventures sexuelles, il est par contre socialement peu aisé pour les femmes de dire les mêmes choses.

3. CONTEXTE SANITAIRE ET SOCIAL DU TERRITOIRE DE LA PENDJARI

Le territoire de la Pendjari regroupe les communes de Cobly, Matéri et Tanguiéta dans le département de l’Atacora. Il se situe à la frontière du Togo et du Burkina Faso. La situation épidémiologique du Bénin et du territoire de la Pendjari en ce qui concerne le sida est officiellement peu critique. La prévalence est en dessous de 5%. Les statistiques officielles signalent une évolution de 0,3 % à 4,1 % entre 1990 et 2001. Cette prévalence serait redescendue à 2% à partir de 2002, avec des variations selon les départements. Le département de l’Atacora se situerait autour de 1,5% (INSAE, 2007) et (MPPD & UNFPA, 2003). En 2006, il est estimé à 83 525 le nombre cumulé de décès du sida au Bénin (MPPD & UNFPA, 2003). Seulement, la méthode des sentinelles, les enquêtes transversales dans les groupes spécifiques et la notification des cas par les services de santé amènent à douter de la justesse de ces indicateurs pour des raisons de faible performance de fonctionnement administratif et technique des services de santé (Ministère de la santé, 2007). Les effectifs des associations de Personnes vivant avec le VIH (PvVIH) et les files

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actives de prise en charge dans certains hôpitaux laissent croire que les indicateurs sont en deçà de la réalité. Les Infections Sexuellement Transmissibles (IST), connues comme parentes et facilitateurs de l’infection à VIH sont aussi en forte incidence dans le pays. Le nombre est estimé à environ 20.000 cas par an entre 1999 et 2000 (MPPD & UNFPA, 2003). La même source évoque la multiplicité des partenaires sexuels comme un des principaux facteurs de transmission du virus. L’analyse des résultats des entretiens réalisés au niveau des centres de conseils et dépistage montre que le nombre moyen de partenaires sexuels est de 3,5 pour les femmes et de 7,9 pour les hommes en 2000 (MPPD & UNFPA, 2003). Le cas du territoire de la Pendjari est relativement critique. D’après l’équipe de coordination de la zone sanitaire, « en 2007, on dénombre à l’hôpital de zone de Tanguiéta, 98 personnes sous traitement antiviral (ARV) dont 3 perdues de vue et 9 décès » (Zone Sanitaire Tanguiéta-Cobly-Matéri, 2008). Toujours d’après ce document, « le taux de prévalence chez les personnes dépistées est nul à Matéri, de 4% à Cobly, et de 7% à Tanguiéta » dans la même période. En 2011, la zone sanitaire a signalé 108 nouveaux cas de PvVIH, 110 sous ARV, 424 patients suivis, 21 patients décédés sans ARV, 8 patients décédés sous ARV et 599 personnes dépistées (Zone Sanitaire Tanguiéta-Cobly-Matéri, 2012). Ces indicateurs critiques surviennent malgré plusieurs interventions institutionnelles nationales et locales. Au niveau international francophone, les recherches de sciences sociales sur le sida ont été d’abord essentiellement quantitatives comme l’a signalé Yves Souteyrand à l’ouverture du colloque consacré au sida en Afrique, en 1993 en Côte D’Ivoire (Dozon & Vidal, 1995) avant de concerner timidement la dimension qualitative. En amont dudit colloque de Bingerville de 1993, Gilles Bibeau faisait la remarque que :

Les spécialistes des sciences sociales furent de manière générale tellement convaincus que les maladies infectieuses (incluant celles causées par des virus) pouvaient être identifiées, prévenues et guéries par voie médicale qu’ils se désintéressèrent progressivement de l’analyse des contextes sociaux et culturels dans lesquels se développent ces maladies. Les scientifiques, aussi bien les microbiologistes

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que les sociologues et les anthropologues ont été victimes d’une confiance exagérée dans les pouvoirs de la biologie à un tel point que les uns et les autres en sont venus à oublier que les causes d’une infection biologique individuelle ne sont pas les mêmes que les causes d’une épidémie, surtout lorsque celle-ci commence à traverser les frontières des groupes sociaux et à franchir les océans (Bibeau, 1991)

C’est en réponse à cet appel que Monique Chevallier-Schwartz va appeler à une « étude des comportements sexuels qui s’ordonnent selon les lignes de force structurelles, sociales, démographiques et économiques (Chevallier-Schwartz, 1995). Le bilan de Monique montre bien que les pays ayant connu ces quelques études qualitatives sont anglophones, avec comme pays francophone seulement le Congo. Le Bénin n’a pas connu d’études qualitatives méthodologiquement solides et questionnant les « lignes structurelles et sociales » de fonctionnement du sexe. Les travaux présentés par Corine Ginoux-Pouyaud au colloque sont assez caractéristiques de cette catégorie, sans pour autant relever véritablement d’une anthropologie de la sexualité (Ginoux-Pouyaud, 1995). Sur le plan social, l’Atacora où se trouve le territoire de la Pendjari compte 56% de personnes n’ayant aucun niveau d’instruction (INSAE, 2007).

4. NORMES ET MODALITES DU MARIAGE Les rapports entre les membres d’un couple sont aussi fonction du contexte et des conditions de formation du couple. Bien plus, si les normes de fonctionnement du mariage relèvent de la dimension structurelle du milieu, certaines modalités pourraient offrir plus de capacités aux parties en couple, en termes d’interactions quotidiennes. Le mariage, par rapport au lignage, est en général exogamique chez les Pendjariens sédentarisés ou migrés4. On n’épouse pas à l’intérieur de son lignage. L’argument principal qui

4 Certains groupes comme celui des Natemba ont migré par familles depuis une certaine époque. Mais l’espace de destination n’est pas vraiment très loin. Les Natemba ont migré de la région de Tayacou pour Toucountouna et Oroukayo. Les Natemba qui sont actuellement à Oroukayo connaissent un mode de mariage de proximité interne au lignage. Ce type de mariage est plus ou moins endogamique.

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sous-tend cette règle est qu’il faut éviter que deux individus de même source de réincarnation se prennent pour époux. Dans les croyances pendjariennes, si deux individus de même source cosmo-génétique tiennent des rapports sexuels, ils vont souffrir et mourir. On dit que dans le passé lointain, des personnes mariées au sein d’un même lignage étaient tout simplement abattus par leurs parents et ensevelis par les ruines de leur habitation elle-même détruite pour la même cause. L’inceste était donc au-delà du fait d’être frère et sœur directs. La faute connaissait une forte répression sociale, la peine de mort. Au-delà du lignage paternel, les relations sexuelles et matrimoniales sont aussi interdites dans le lignage maternel. Toutes les filles du lignage de la mère génitrice sont considérées comme la mère génitrice elle-même5. On les appelle d’ailleurs « petite maman » quel que soit leur âge. Leurs époux entretiennent des relations de plaisanterie avec les enfants des autres filles du lignage. Toutefois, les rapports sexuels avec une « petite maman » ne sont pas autant sévèrement sanctionnés qu’avec la sœur du lignage paternel. En définitive, individuellement considéré, un Pendjarien typique a deux lignages au sein desquels il ne peut nouer des rapports sexuels et matrimoniaux. Outre cette contrainte, il n’existe plus de règle formelle de relations matrimoniales. Le mariage est possible à l’intérieur et au-delà de l’ethnie, sauf quand dans l’histoire les familles des jeunes qui envisagent le mariage ont connu des relations extrêmement conflictuelles. En absence de blocage social, le mariage se passe suivant plusieurs modalités. Mais au fond de toute modalité de mariage se trouve le « principe de la réciprocité » (Hugo, 1969). Ce qui rejoint déjà ce que le père du structuralisme français signifiait quelques années bien avant les travaux de Hubert Hugo sur les Bèbèlibè.

Ainsi, c’est toujours un système d’échange que nous trouvons à l’origine des règles du mariage, même de celles dont la singularité apparente semble pouvoir justifier seule d’une interprétation à la fois spéciale et arbitraire. (Lévi-Strauss, 1967).

5 Cette règle n’est pas toujours valable dans les lignages des Okomba de Oroukayo chez lesquels le mariage avec « la petite maman » est parfois de règle pour des fils d’un rang donné.

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Si cette vérité scientifique évoque plus généralement les raisons psychiques des règles de mariage, dans certaines sociétés, le mariage même est un acte purement transactionnel comme le démontrent les trois principales modalités du mariage pendjarien : la prise clandestine et consentante de la fille par le prétendant, le mariage par la dot et le mariage par l’échange des filles des familles.

4.1 Prise consentante et clandestine de la femme Pour le mariage par la prise consentante et clandestine de la femme, la négociation entre les futurs époux se fait de l’homme à la fille, en l’occurrence les jeunes, librement et au su des parents de la jeune fille. Au cours des diverses manifestations nocturnes et même des marchés de jour, le garçon rencontre la jeune fille ou la femme divorcée. Il lui signifie son amour et son désir de la marier. Ils se rencontrent très souvent, surtout les nuits, même chez les parents de la fille. Les parents ne s’opposent pas à cet exercice de négociation, même si la fille est encore mineure ou déjà dotée. En général, à partir de onze ans, les filles reçoivent leurs courtisans au domicile des parents. Dans la plupart des habitations, il y a souvent moyen de trouver une case ou un lieu séparé pour ce type de marché matrimonial. Quand plusieurs prétendants se rencontrent à la négociation de la même fille, elle choisit celui avec qui elle préfère échanger au moment précis. Les autres peuvent simplement repartir chez eux ou attendre comme faire se peut pour avoir leur tour de dialogue. On rencontre très souvent des files d’attente chez les filles dans une bonne ambiance de concurrence paisible. L’adversité sur le marché matrimonial n’est pas une inimitié. La sagesse populaire conseille aux filles d’essayer d’écouter tout le monde et surtout de ne pas refouler violemment un prétendant, au risque que celui-ci utilise des moyens mystiques pour détourner son esprit. On dit aussi qu’un prétendant peut être un mauvais esprit déguisé en être humain, capable de lui générer des malheurs si elle l’accueille mal. La crainte du malheur consécutif au manque de courtoisie à l’endroit des courtisans oblige les filles à être réceptives de toutes les demandes de dialogues. Elles sont libres par la suite de répondre favorablement. Une fille, même si elle est amoureuse, ne se laisse pas prendre facilement. La négociation doit forcément prendre du temps au point de devenir un casse-tête pour le prétendant. Malgré

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cette sagesse populaire, certaines filles, encore très jeunes, n’hésitent pas à violenter leurs prétendants. La même sagesse populaire recommande aux hommes la patience quand ils négocient une relation amoureuse.

Quand je courtisais ma première épouse, plusieurs fois, elle m’a chuté au pied on dirait un ballon, en plus sur mes testicules. Les jeunes filles, pendant longtemps, essaient de te décourager au maximum comme pour vérifier si tu es vraiment sérieux dans ce que tu dis. C. T., juillet 2009

C’est très souvent une œuvre collective ; le prétendant se fait accompagner de ses amis, des personnes dont la parenté avec la fille leur donnent une autorité de négociation: ses tantes, ses sœurs proches ou lointaines, ses marâtres, ses frères larges, etc. On y fait parfois intervenir des forces occultes pour changer favorablement le sentiment de la fille ou pour endormir ses jugements. C’est tout un combat pacifique entre prétendants et filles, une compétitivité entre prétendants. Sauf quelques cas rares ces derniers temps, les biens financiers et matériels n’intéressent pas les filles ; et l’ostentation auparavant condamnait le prétendant à l’échec. L’important, le plus souvent, reste le crédit social de la famille, les rapports antérieurs entre les lignages et les familles et les comportements socialement reconnus au prétendant. Au terme de ces activités décrites, la fille choisit son amoureux. Il se fixe un rendez-vous à son domicile ou à lieu de manifestations populaires nocturnes. Le transfert se fait en cachette, officiellement à l’insu de ses parents. Sans rien dire aux parents, les deux futurs époux se suivent pour la maison de l’homme. Les parents, au matin, ne retrouvent pas la fille. Ils savent qu’elle a suivi un prétendant. Mais ils ne sauront qui a-t-elle suivi seulement trois jours après. En effet, c’est trois jours après que les parents de l’homme se rendent chez la fille pour annoncer la nouvelle. Les parents de la fille donnent leur point de vue. S’ils sont d’accord, le processus de mariage commence. S’ils s’en opposent, la fille doit être ramenée. En général, ils s’opposent de toute façon pour une première fois. La fille est ramenée pour s’enfuir plus tard et repartir. Pour qu’elle reste définitivement, le va-et-vient se fait trois fois au moins. C’est le nombre minimal de tours entre le domicile familial et conjugal pour que la fille convainque ses parents de son choix. Les filles du lignage

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des jeunes prétendants qui sont mariées dans la parenté de la fille flagornée contribuent efficacement aux négociations. Pour trouver sa future épouse selon cette méthode, il faut avoir l’art de la négociation, la réputation, l’éclat et des talents divers. Tous ceux qui ne peuvent pas « voler » une fille consentante ont d’autres moyens comme la dot.

4.2 Mariage par la dot La dot d’une fille consiste à travailler pour ses parents pendant une dizaine d’années et à compléter le travail par des biens et équipements l’année où elle doit rejoindre le toit conjugal. Les travaux commencent dès le plus jeune âge ou la naissance de la fille. Il arrive que le prétendant demande à doter l’enfant encore dans le ventre de sa mère en grossesse au cas où c’est une fille. La dot se fait sur demande du futur époux. Mais parfois, pour sanctionner de vieilles bonnes relations, le père de la petite fille la propose en dot à son ami pour ses enfants. La pratique dure neuf ans de dur labeur. Chaque année, le requérant a la charge des activités agricoles du beau-père. Il sarcle et laboure tous les champs, sème et récolte le fonio, etc. Il a l’appui en main-d’œuvre de son segment familial6. La femme dotée est pour la famille, non pour un individu. A chaque saison de récolte en avant mariage, le requérant envoie à la future belle famille quatre « namouota » (à peu près 25 kilogrammes) de sorgho, quatre pintades et d’autres biens matériels. Au terme des neufs ans, le départ de la femme pour le ménage conjugal suit une large démonstration de richesses céréalières et animales. Des sacs de grains de sorgho, de fonio, de riz, des volailles, des cauris et autres biens sont rendus aux parents de la fille. Tout se fait rituellement, avec des acteurs précis : les tantes, les oncles et les chefs religieux. Des démonstrations en public permettent de vérifier la virginité de la future épouse. Dans l’idéal des choses, elle devrait être vierge ; mais sa défloration ne constitue pas un problème. Elle permet seulement à

6 Les anciens disent que c’est pourquoi au décès d’un membre, son épouse doit être héritée. Elle a été le fruit d’un travail familial.

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l’époux de savoir que son épouse a au moins un amant et il devra rester vigilant pour ne pas continuer à la partager. Le mariage par dot conduit à un mariage précoce : la dot commence autour de deux ans et après neuf ans la fille devient une épouse. Elle n’a pas eu la maîtrise du processus de son mariage. Les travaux effectués et les richesses démontrées limitent suffisamment ses capacités. Chez les Natemba, particulièrement, les enfants qu’une femme dotée obtient avec un autre homme sont pour celui qui a accompli la dot. C’est le cas même d’un enfant dont la grossesse est entrée frauduleusement avant le mariage de la dotée. L’encadré suivant retrace la vie sociale d’un enfant issu d’une femme dotée mais non mariée à la personne qui a réalisé la dot.

Madame X… vit actuellement dans un quartier populaire de la ville de Parakou au Bénin. Sa mère a été confiée pour dot à un jeune de son village. Un peu avant la fin des travaux (qui durent neuf ans), le jeune futur époux est parti loin du village pour travailler comme agent permanent de l’Etat. Au terme de la dot que les parents ont conduit jusqu’au bout, le jeune fonctionnaire a rejeté la jeune fille. Celle-ci s’est vue obligée de prendre un autre homme comme époux. Avec ce dernier, ils ont eu plusieurs enfants dont madame X. Une fois à la retraite, le fonctionnaire a eu la recommandation familiale de récupérer tous les enfants issus du mariage de la fille que ses parents avaient dotée pour lui. Il s’est rendu au domicile du géniteur des enfants pour les retirer. L’affaire a été très litigieuse. Au dernier moment, il est revenu aux enfants d’accepter l’un ou l’autre de leur père biologique et légitime. Tous les autres enfants ont rejeté le père légitime. Seule Madame X l’a accepté. Malheureusement, quelques années après cette re-paternisation, le nouveau père à la retraite meurt. Ses enfants biologiques ne reconnaissent pas Madame X comme une héritière de leur père. Elle se trouve privée à la fois de l’héritage matériel et parental de sa nouvelle famille. Son vrai géniteur ne la reprend plus, sur fond de colère. Depuis lors, madame X vit sans attachement parental. Elle connaît de très fréquents troubles psychomentaux, avec des symptômes comme l’alcoolisme. Entretien avec madame S. Y. juillet 2009

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Il faut noter que la dot la plus ancienne forme de mariage chez les Pendjariens. Elle est considérée comme le modèle parfait de mariage chez les Natemba. En situation de polygamie, seule la femme dotée est légitime quel que soit son rang et son âge. Les autres sont considérées comme des amantes simples. Leur divorce est plus facile et peut survenir à tout moment. De nos jours le mariage par la dot rencontre souffre de la réticence des jeunes à effectuer de durs labeurs, des tracas des couples et des familles en cas de divorce, de l’élévation du niveau général d’instruction et de la scolarisation des filles. La modalité de mariage apparemment simple dans la réalisation et la rupture est le mariage par l’échange des filles.

4.3 Mariage par la réciprocité des filles Le mariage par le principe de la réciprocité est purement et simplement un échange de filles (Hugo, 1969). Chaque individu prend sa sœur toute autre fille de son lignage pour échanger contre une fille d’un autre lignage. Comment cela se passe-t-il concrètement ? Les garçons, selon leur rang de naissance, échangent leurs jeunes sœurs contre des filles d’autres lignages. Pour ce faire, le prétendant envoie un oncle pour rencontrer les parents de la fille. Il leur dit qu’il veut que leur fille lui donne de l’eau7 à boire. Les parents comprennent et répondent selon l’état des rapports sociaux entre les familles. Ils lui disent la situation d’échange de la fille : quelqu’un est déjà arrivé, la fille est têtue, celui qui l’échange est un vieux célibataire, c’est son oncle maternel qui l’échange, etc. Toutes ces réponses ont des significations particulières en matière de prudence, de dispositions à prendre, etc. Par exemple, un vieux célibataire n’accepterait pas échanger sa sœur contre une gamine pour laquelle il faut attendre encore longtemps. Par contre un polygame ou un jeune homme qui doit échanger sa sœur ainée peuvent attendre qu’une fille prenne de l’âge. Si les « marchandises » correspondent, les parties en échange fixent les dates pour les départs. Une première fille rejoint sa famille conjugale, la seconde après, l’une et l’autre accompagnée par une tante paternelle, au coucher du soleil. Elle passe une première nuit avec la fille et se retourne le lendemain sans sa nièce. En général, elle est bien

7 La femme est symboliquement désignée par l’eau.

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accueillie et peut même rentrer avec un important colis de viande. Une fille échangée qui refuse son époux est correctement châtiée avec des chicotes, des fouets et des formes extrêmes d’asservissement pour certains très sévères. L’histoire raconte des cas où une grosse pierre a été posée sur un large bracelet en fer au-dessus de la tête d’une fille pour perforer sa membrane crânienne et contraindre la fille au mariage par échange. Dans certains cas, des filles ont préféré se suicider. Certaines ont été aussi fusillées comme le révèle le récit d’un agent de brigade.

Entre 2005 et 2008, j’ai recensé une trentaine de cas de suicide dans la commune de Cobly, majoritairement peuplée de Bèbèlibè. Parmi les cas en cause se trouvait une jeune fille pendue. Elle avait été échangée par son frère. Elle n’a pas aimé son époux. Elle résistait à ses démarches de « négociation » sexuelle. Las de démarcher vainement, le monsieur avait fini par utiliser la violence comme moyen de « négociation ». Elle s’est enfuie plusieurs fois pour se sauver de cette violence. Une fois chez ses parents, elle subissait aussi la violence de son frère. Partout elle recevait de vives flagellations au fouet de peau de bœufs bien travaillée. Désespérée entre les aller et retour des domiciles familial et conjugal, Mademoiselle U a fini par se donner la mort par pendaison. Entretien avec le Commandant de la brigade de Cobly, août 2009

En milieu Kountemba et Bèbèlibè, l’échange est la forme prépondérante de mariage. Même lorsque le mariage se fait par prise négociée ou par dot, plus tard les parents de la fille passent réclamer une contre partie. Des femmes à la ménopause ou même après le décès sont « remboursées ». En absence réelle de fille pour le « remboursement », une fille de la femme à « rembourser » est retirée et échangée par les oncles maternels. Outre les trois modes de mariage sus décrits, on rencontre des modes résiduels en disparition. C’est le cas lorsqu’on est amené à donner une fille en mariage à un lignage ou à une famille pour des raisons comme le traitement d’une maladie grave, le meurtre d’un membre du lignage, l’adultère avec une femme du lignage, une vieille amitié, etc. Les modes de mariage ont un rapport avec la condition féminine en société, dans un cercle vicieux ou vertueux comme l’ont prouvé

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de nombreux travaux en sciences sociales (Goerg, 2007) et (Puget, 1999), (Sewane, 2002). Quel que soit le mode de mariage, il existe des perceptions invariantes sur le sexe féminin et la maladie sexuellement transmissible.

5. PERCEPTIONS DU SEXE FEMININ ET DES MALADIES SEXUELLEMENT TRANSMISSIBLES

On retient des entretiens et du savoir populaire chez les Pendjariens que le sexe est l’organe humain responsable de la procréation. Les enfants viennent du sexe. Le sexe féminin est plus géniteur que le sexe masculin. Pour cela, les deux sexes n’ont pas la même symbolique8. L’appareil génital féminin est un organe creux et clos. Nul ne connaît avec certitude le contenu de cet enclos. Le sexe féminin est donc un objet assez inconnu. Il est pour cela ambivalent, équivoque et étrange. Il doit être traité isolement comme sacré et interdit. Cette relation Homme-sexe féminin d’interdiction circonstancielle explique la profonde catégorisation sociale existant entre les femmes et les hommes. Elles portent l’inconnu et l’étrange. L’instinct de reproduction aurait permis de découvrir le plaisir de leur sexe. Il favorise la sensation du bien-être et renforce les relations du couple. Mais la découverte de cette fonction n’est pas une connaissance approfondie du sexe lui-même. Il n’est pas à usage permanent et abusif.

En situation difficile, le sexe féminin est à écarter. L’être en situation ne doit pas rechercher ou vivre le plaisir sexuel. Le sexe féminin est souillant et dangereux, attire la malchance et le malheur pour celui qui en situation difficile recherche la protection des dieux et des ancêtres. Les sécrétions sexuelles le sont plus. Une femme en période menstruelle ne fait pas la cuisine pour les hommes. La consommation du repas préparé par cette femme fait perdre la puissance spirituelle des hommes. Les hommes ont besoin de puissance (surnaturelle, occulte) pour se protéger et protéger leur famille contre

8 C’est pour cela que la femme est plus incriminée dans le couple qui ne procrée pas. Si le mari n’est pas reconnu coupable de certains interdits comme coucher avec la femme d’un oncle maternel, c’est seulement à la femme qu’on attribue la stérilité du couple.

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l’ennemi. Entretien avec T.N. sage d’un village de Tanguiéta, août 2008.

Des règles sont observées dans certaines circonstances pour éviter l’effet destructif du sexe féminin. On ne tient pas de rapport sexuel dans des situations comme la veille de la chasse au gibier, le traitement traditionnel d’une morsure de serpent, les rites initiatiques (contact avec les puissances tutélaires claniques) et la veille de toute compétition (lutte, examen, etc.). Certains autels, tel que le gnanka-Sanni9 de Nianrissinra… détenu par les Okamba de Oroukayo, n’admettent pas la visite de celui qui a tenu des rapports sexuels la veille. Sinon, la personne « souillée » par le rapport sexuel est accueilli par les abeilles, qui, dans une foule innombrable, peuvent cibles les souillées. Au cours du « difoni », rite initiatique des hommes, les jeunes récipiendaires10 qui ont déjà eu une expérience sexuelle n’entrent pas dans les bois sacrés, de même que les initiés qui ont eu des rapports sexuels dans la période rituelle (une semaine juste avant la nuit des bois sacrés). En définitive, le sexe, à la fois bénéfique et maléfique, est parfois à éloigner pour éviter certaines maladies. 4.1 Maladies sexuellement transmissibles Les maladies sexuellement transmissibles ne sont pas nouvelles pour les Pendjariens. Les nouvelles maladies sexuellement transmissibles pour les structures officielles sont des anciennes maladies. C’est le cas par exemple du sida, à en croire les informateurs dans les milieux populaires. Le problème des connaissances, des attitudes, des croyances et des comportements face aux maladies et particulièrement au VIH/sida se pose dans plusieurs contextes, d’après plusieurs études réalisées (ANRS & ORS d'île-de-France,

9 Gnanka et Sanni sont tous les deux les prénoms du benjamin le premier en Naténi et le second en Batonou. 10Ce rite concerne seulement une partie des Bèbèlibè, les Bètammaribè et les Natemba. Alors que pour les premiers, il se pratique pour la première fois à l’adolescence (où le jeune, pour être autorisé à pénétrer les bois sacrés doit être vierge), pour les Natemba il suit un ordre tel que parfois le récipiendaire est un père de familles.

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2006). Les maladies anciennement connues sont, en termes naténi par exemple, le foaka, le pokofa, le tchendessa et le yékou. 4.1.1 Foaka Le foaka est l’une des plus anciennes maladies sexuellement transmissibles. Elle se manifeste par l’apparition de boutons sur les parties génitales et la bouche. Pour les cas graves, les boutons se généralisent sur tout le corps. Les boutons constituent depuis longtemps un signe de malaise et le plus souvent au niveau sexuel. De nos jours, il est très rare de rencontrer des cas concrets de cette maladie. Sa disparition progressive s’expliquerait par sa maîtrise par les médecines naturelles et biologiques. 4.1.2 Pokofa

«Lorsqu’au cours des rapports sexuels11, un partenaire tousse, l’autre attrape le pokofa »12. C’est le cas pour une parturiente qui tousse après la délivrance et avant la coupure du placenta. Entretien avec une sexagénaire dans le village de Tayacou centre, aout 2008.

Le pokofa serait une maladie sexuellement transmissible par le simple fait de touxer au cours des relations sexuelles ou de l’accouchement. Elle se manifeste par une toux sèche persistante et durable, un amaigrissement et une peau pâle. Son traitement préventif est assez simple quand le partenaire de celui qui a touxé prend les dispositions. Une potion locale à base de plantes et autres matériaux existe et est à boire juste après l’acte sexuel. Si le second partenaire n’a pas entendu tousser, le pokofa se manifeste souterrainement au corps et à l’esprit. Les signes sont latents. On parle de manifestations internes. On le remarque assez tardivement et les soins sont sans succès. La victime doit en mourir. Le pokofa peut aussi s’attraper d’une autre façon : si la femme en délivrance tousse avant la coupure du placenta. Par sa description populaire, la maladie

11 Entendez rapport sexuel avec la position classique : l’homme au-dessus de la femme. 12 Cette phrase a été citée par plusieurs personnes interviewées.

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s’apparente à la tuberculose. Mais elle est justifiée par le rapport au sexe, contrairement à l’explication scientifique de la tuberculose. Au total, le pokofa est un risque permanent : les rapports sexuels sont fréquents dans toute existence humaine. Pour l’éviter, il suffit que chacun veille à ne pas tousser au cours des rapports sexuels ou qu’une fois le cas, des dispositions préventives soient prises. Un partenaire mal intentionné peut donc transmettre le pokofa. Il lui suffit de calculer l’instant de faible attention de son partenaire et de tousser doucement. C’est pourquoi, les rapports sexuels procèdent en principe d’une négociation sentimentale, autrement ils constituent à n’en point douter des risques permanents. L’approche positiviste de la maladie reconnaît à la tuberculose sa forte transmissibilité par la toux. Les rapports sexuels à la position dessus-dessous constituent un excellent moyen de rapprochement physique des bouches. La toux de l’un favorise l’inoculation par le second du germe responsable de cette maladie. Malheureusement aujourd’hui, tous les rapprochements physiques ne sont aucunement soupçonnés de capacité de transmission et tout cas de tuberculose est soupçonné de rapport sexuel avec la toux du partenaire. La tuberculose est donc une maladie sexuellement transmissible par voie orale chez les Pendjariens. 4.1.2 Sida Sila est la prononciation du mot sida dans la plupart des langues pendjariennes. Les locuteurs n’ont fait que tenter de répéter ce mot des messages médiatiques. En fait, la lettre « d » n’existe pas dans certaines langues. Aujourd’hui, le mot « sila » est assez connu dans tous les villages et hameaux du territoire de la Pendjari. Seul son sens, ses modes de transmission et ses manifestations cliniques sont encore à rechercher. Le « sida » est approprié comme beaucoup de maladies anciennement connues de par les symptômes : les amaigrissements et les boutons sont du ressort de la plupart des maladies comme le pokofa, le foaka et le tchendessa. Le sens donné au sida est fonction de ses symptômes populaires et des croyances attribués à la maladie en général (Laplantine, 1992) et (Lévy, 2000). Les populations Pendjariennes ne s’étonnent aucunement de l’apparition du sida même si les structures officielles de lutte contre

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cette maladie n’en parlaient pas. En effet, il ne s’agirait pas d’une nouvelle maladie à voir ses symptômes. C’est la résistance aux anciens traitements qui étonne. Mais on sait que les médicaments, qu’ils soient traditionnels ou modernes, n’ont jamais pu sauver tous les cas de maladies. Le sida est donc connu comme une vieille maladie d’infraction des interdits, de non-respect des normes sociales ou de la sorcellerie. La similitude de ses symptômes aux maladies anciennement connues développe chez les anciens et les tradithérapeutes l’impression de pouvoir la dominer et la soigner (Pordié, 2005) et (Pordié & Simon, 2013). Tous ces aspects limitent sa réelle connaissance comme maladie jusque là incurable. Elle n’est pas acceptée comme une découverte scientifique du siècle. Elle est plutôt connue comme une ancienne maladie devenue subitement célèbre pour divers enjeux matériels, économiques, financiers et symboliques. C’est pour cela qu’il sera difficile d’utiliser le discours sur les dimensions étiologiques scientifiques pour freiner les comportements à risque et surtout l’infidélité, comme en témoignent les nombreux travaux anthropologiques et sociologiques sur la santé et la maladie (Fainzang, 1986), (Herzlich, 2005), (Laplantine, 1992). 4.2 Infidélité : fait normal ou pathologique ? Les entretiens avec les chefs religieux et rituels de bien de lignages Pendjariens n’ont révélé fondamentalement aucune conséquence sociale grave liée à l’infidélité. Seules les femmes en maternage pourraient voir leurs enfants souffrir de malvoyance et d’autres maladies infantiles si elles sont infidèles. De toutes les façons, la sexualité est interdite même entre époux pendant l’allaitement. Les relations sexuelles entraîneraient toujours des maladies infantiles et surtout la diarrhée persistante de l’enfant. Lorsqu’on envisage de parler de fidélité, les Pendjariens l’orientent simplement vers les femmes. On n’examine que la fidélité des femmes. Elle ne concerne pas les hommes. Ce sont les femmes qui devaient être fidèles. Les femmes elles-mêmes en sont convaincues. La fidélité constitue simplement pour l’homme le non-abandon de son épouse. Etre fidèle consiste à ne pas abandonner la femme. Une femme qui ne se sent pas abandonnée, ne reproche aucune infidélité à son époux.

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Aucun terme dans les langues pendjariennes ne traduit la notion de fidélité. Lorsque nous avons demandé plusieurs fois aux groupes interviewés de trouver le mot correspondant, ils se sont livrés à un exercice périlleux et difficile. Les différentes expressions ont été les suivantes : la maison est belle, la femme est belle, la vie est meilleure. Toutes ces expressions donnent l’impression que la vie pour eux serait belle si la fidélité régnait, le ménage ferait bien vivre et la femme fidèle est la belle femme. Ceci témoigne de l’aspiration sociale à une fidélité. Mais cette aspiration sociale à la fidélité des femmes pose un problème. Comment seules les femmes peuvent-elles être fidèles et les hommes infidèles avec des femmes mariées en absence de jeunes filles libres? En effet, le type de mariage est tel que les filles libres sont rares, l’âge au mariage étant de 11 à 13 ans. Tout homme infidèle l’est avec une femme mariée. Comment les femmes peuvent-elles être fidèles ? Les femmes sont au quotidien au contact de l’infidélité de leurs époux. Leur inconscient est fait de pratiques infidèles quotidiennes qui les socialisent. On note une insuffisance de précautions sociales visant à promouvoir et entretenir la fidélité. Tout homme et toute femme infidèle ne reçoit aucune désapprobation. Mieux l’existence d’un second partenaire est un prestige social. Quiconque ne réussi pas à avoir plusieurs partenaires sexuels est incapable pour des raisons de beauté ou d’avoir. En conséquence, il faut à tout prix se faire des partenaires sexuels pour prouver son existence sociale. De nombreuses plaisanteries entre les femmes et les frères en famille de l’époux favorisent des contacts fréquents pouvant aboutir à des relations sexuelles. L’infidélité telle que vécue chez les Pendjariens est à la fois socialement pathologique et normal. Cela dépend de la parenté entre l’homme complice et l’époux de la femme. 4.2.1 De la pathologie de l’infidélité L’infidélité cause des conflits lignagers et claniques. On aurait souhaité que les femmes soient fidèles. L’infidélité la plus rejetée est celle des femmes libres, qui après un divorce ou le décès de l’époux, ne se sont pas remariées. En général, elles ont beaucoup de partenaires sexuels. Pour les réprimer, on en parle beaucoup. Elles

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sont critiquées à toutes les occasions par ci par là. Les femmes sous le toit conjugal mais stériles sont aussi souvent sexuellement assez sollicitées. Elles ne doivent pas cependant céder à toutes les demandes. L’infidélité des autres femmes est pathologique dans les conditions suivantes liées au nombre et aux caractéristiques sociales du partenaire. Il ne faut pas avoir trop de partenaires sexuels extraconjugaux. En outre le partenaire sexuel ne doit pas : - être extra-lignager ; - plus âgé que l’époux ; - être du lignage de la génitrice de l’époux ; - être de même rang généalogique que l’époux (même s’il est moins

âgé que l’époux). On ne couche pas avec l’épouse de son fils dans la généalogie du lignage ;

- être un partenaire sexuel à une coépouse (les femmes des frères germains et consanguins sont considérées comme des épouses). Aussi des situations comme « partager » une même femme sont impures et dangereuses comme le souligne le récit suivant :

Si deux hommes connaissent sexuellement une même femme, ils ne peuvent se visiter en cas d’épisode de maladie de l’un d’entre eux. Autrement, si au cours d’un épisode de maladie du Monsieur X, il reçoit la visite de Monsieur Y alors qu’ils ont sexuellement connu la même femme, la maladie de X va s’aggraver. Il peut même en mourir. C’est pourquoi, il est interdit que des hommes apparentés, obligés de s’assister pendant les infortunes dont la maladie, évitent d’avoir des rapports sexuels avec une même femme. Les frères de la famille ne doivent pas coucher avec une même femme, du vivant des deux. Entretien avec Moutangou, chef religieux d’un village de Tayacou, juillet 2008.

4.2.2 De la normalité de l’infidélité ? L’infidélité conjugale, au regard des concepts et de son fonctionnement, est socialement tolérée. Le terme qui désigne le partenaire sexuel extraconjugal est le même que la fiancée, la petite amie, la copine dans les langues pendjariennes : « potchanni » en naténi, « dipotchiné » en mbèlimè, « dipotchanni » en ditammari signifient « la femme en transition», « la femme suspendue ». C’est en biali que le terme « fara » signifie « la femme ou l’homme dont je

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suis amoureux ». Le jeune homme célibataire désigne la jeune fille célibataire avec laquelle il sort, qu’il épousera probablement, avec le même terme que l’homme marié désigne la femme mariée qu’il sort et qu’il ne va jamais marier13. Dans la pratique quotidienne communautaire villageoise, tous les hommes mariés et toutes les femmes aussi, ont sinon toujours du moins le plus souvent un second partenaire sexuel marié. La relation sexuelle ainsi fonctionnelle dure plusieurs années selon les couples. Sa durabilité dépend moins de la transgression que des caractéristiques socio-affectives des parties : richesse de l’homme, beauté de la femme, tempérament des deux (calme, patience, violence, tolérance, etc.), mobilité sociale et géographique et état de santé, etc. Par l’observation de la vie de son épouse ou par les mauvaises langues, ou même parfois par la femme elle-même selon les rapports de couple, l’époux finit par connaître le ou les partenaires sexuels de son épouse. Certains naturalisent simplement la situation, admettant que cela va de soi, et pour éviter de paraitre méchants à l’opinion publique. D’autres, surtout parmi les jeunes, commencent par s’en opposer. Ils battent une ou plusieurs fois l’épouse. Ils tentent de poursuivre par des menaces physiques le partenaire sexuel. Mais cette forme de réaction est bien connue. L’épouse doit persister et signer que cette relation lui est vitale. Dans ces cas, même si l’époux la bastonne sévèrement, elle ne se plaint pas à ses parents. Dans le voisinage, on vient négocier la paix du ménage et demander à l’homme d’accepter la femme malgré le fait accompli. Et la femme doit malgré tout continuer. Avec le temps, l’homme « méchant » finit par admettre la double ou la multi relation sexuelle de son épouse. En général ce sont les nème époux (les copains) qui n’admettent pas facilement n+1ème époux. Il arrive qu’au fil du temps, avec l’âge surtout, l’époux finit par appeler un partenaire sexuel de son épouse, celui qu’il trouve plus sociable et plus proche

13 De plus en plus, on remarque que quand l’époux décède, le partenaire sexuel de son épouse hérite sa femme, dans les règles normes du lévirat. Les anciens racontent que normalement il est interdit d’hériter une femme qu’on sort du vivant de son époux. Cette règle est obsolète parce qu’en général finalement quand un mari meurt, il reste au moins un second. La femme se met maritalement sous le second et peut se faire un autre second.

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de lui pour lui parler en ces termes : désormais tu es responsable de la conduite de mon épouse. Tu la contrôles avec moi. Si nous avons des difficultés au sein du foyer, tu devras intervenir. C’est toi qui sais comment elle s’habillera pour les grands événements de réjouissance populaires. A ces mots, le bénéficiaire comprend sa mission de second époux. Il contrôle désormais la femme en question par rapport à ces autres partenaires. Il est en mesure de la frapper à cause des autres partenaires. Il la ramène du marché, à pieds avec elle, sur son vélo ou sa moto selon le cas. Tout le monde sait en ce moment que c’est lui qui la « suit14 ». Des enfants naissent de ces relations ; en général ce sont les seconds époux qui clôturent souvent l’abstinence sexuelle en période d’allaitement15. Il arrive donc que l’époux pense qu’il n’est pas encore temps de clôturer l’abstinence sans savoir que le second époux l’a déjà fait. Les femmes tombent rapidement enceinte ; il n’existe ni possibilité institutionnelle de méthodes contraceptives ni moyens techniques d’avortement. L’époux qui constate une grossesse avant la reprise des rapports ou une pression de la femme pour la reprise sait que l’enfant n’est pas à lui. Dans certains cas, il ne le constate pas mais l’environnement social le sait très bien. Les enfants adultérins sont très nombreux et bien acceptés. Le groupe social sait que l’enfant est né du partenaire extraconjugal. Mais il appartient toujours au mari social de la femme. Il porte son nom et vit sous son toit. Le géniteur n’ose jamais revendiquer la paternité biologique de l’enfant. L’information sur le géniteur de l’enfant est souvent un secret de Polichinelle. Les enfants eux-mêmes ne sont souvent pas informés. Parfois, au cours de grands conflits familiaux dans leur vie d’adulte on le leur révèle pour leur faire du mal. C’est

14 Suivre une femme c’est être son complice et c’est aussi contrôler ses comportements. C’est lui apporter aussi de l’aide économique, morale et financière en cas de besoin. En général, pour connaître le partenaire sexuel extraconjugal on pose la question suivante : « qui suit telle femme ? ». 15 Pendant l’allaitement, la femme doit s’abstenir de faire les rapports sexuels. Souvent, elle quitte la case de l’époux pour rejoindre la belle-mère si elle n’a pas sa propre case isolée de celle de son époux. On dit que les rapports sexuels pendant l’allaitement créent la diarrhée chez l’enfant et l’affaiblit. Ils retardent sa croissance en général et sa marche. Cette abstinence dure le temps que l’enfant marche. Selon le rang de l’enfant et les sacrifices prénataux qu’il a connu, la fin de cette abstinence peut se faire par un sacrifice aux autels protecteurs.

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le cas par exemple s’il discute des patrimoines fonciers ou le pouvoir religieux du clan16. On lui jette à la figure qu’il n’est pas le fils de son père. Le cas est plus affligeant si le géniteur n’est pas très proche de son père. Ce type de relations respecte une norme de limite sociale. Les femmes du lignage sont gérées dans le lignage. L’infidélité n’est donc pas lignagère. Lorsqu’une jeune fille est promue à un vieillard et qu’elle veut se plaindre de l’âge de son nouvel époux, on lui demande de voir si au sein du lignage il y a de jeunes hommes. Si oui, elle peut choisir un parmi eux comme partenaire « caché » et se sentir à l’aise. Certaines femmes préfèrent pour cela les vieillards aux jeunes. Se marier à un jeune réduit la liberté sexuelle. Il n’y a pas de problèmes si les femmes sont infidèles uniquement au sein de la grande famille. Ce qui est difficile, c’est qu’elles sortent du lignage. L’infidélité fonctionne parfois comme des échanges réciproques au sein du lignage. On recouvre la dette en sortant avec l’épouse du complice d’une épouse de la famille. Parfois en sortant avec l’épouse du complice de sa mère, c’est-à-dire avec l’épouse de son « beau-père ». Cette infidélité dans la fidélité lignagère fonctionne autrement pour la femme et pour l’homme. Infidélité des femmes mariées Les femmes sous un toit conjugal ou les jeunes filles en dot (principalement chez les Tayaba et les Natemba de Toucountouna dans ce dernier cas) restent tranquilles dans leur infidélité/adultère. Si pour des raisons d’infidélité, un époux renvoie son épouse, il est socialement désapprouvé.

Si tu n’en veux plus soit clair ; et tu la laisses partir, mais il ne faut pas prétexter de l’infidélité. Qui n’en est pas victime ? Entretien avec un sage, juillet 2008.

Les relations sexuelles extraconjugales intra-lignagères de la femme sont toujours connues de tous dans le village. Seul l’époux de la femme peut parfois mettre du temps à le découvrir. Mais tout époux sait que son épouse doit avoir un autre partenaire. Une femme sans

16 Ceci arrive le plus souvent si le géniteur est vraiment hors du lignage. C’est le cas des enfants dont la mère porte la grossesse au moment de son mariage.

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partenariat sexuel extraconjugal est mal jugée. On considère qu’elle est inférieure (laide, incapable, méchante, etc.). Au cours des disputes avec son époux, il pourra même lui dire que c’est son incapacité et sa pathologie sociale qui expliquent sa solitude sexuelle extraconjugale. La négociation de cette relation n’est pas toujours directe. La femme ou l’homme en négociation est contactée par l’intermédiaire des coépouses ou des amis. Dès qu’une jeune se marie dans le lignage, les jeunes en parlent un peu entre eux selon les règles de parenté qui autorisent la relation. Sans que ce soit une réelle concertation, les causeries informelles à l’occasion des solidarités économiques (travaux champêtres, etc.), des communions sacrificielles ou des marchés de relais de nuit permettent aux uns et aux autres de se positionner. On sait déjà qui dans les normes de droit se prépare pour occuper la jeune dame. Les autres femmes du lignage plus anciennes font objet de luttes dynamiques d’abandon et de contrats nouveaux dans le partenariat. Elles se battent entre elles et avec les partenaires sexuels pour « négocier » les ruptures et les contractualisations. Si rarement les hommes se battent entre eux à cause d’une femme d’autrui, les femmes elles se battent régulièrement à cause d’un mari d’autrui. Quand il y a conflit de seconde infidélité, le « second époux » bastonne la femme secondairement infidèle. Les hommes entre eux ne se battent pas, au risque de mettre en péril la parenté dans laquelle ils se trouvent. Car c’est toujours à l’intérieur de la parenté lignagère que les rapports extraconjugaux se font et se défont. Les femmes moins jeunes envoient souvent leurs coépouses pour informer le prétendant partenaire de son désir de sortir avec lui. Cela peut se faire matériellement. On lui apporte des présents comme une tenue, un paquet de cigarettes, un repas bien fait et emballé, etc. Il est facile de reconnaître un « second époux » ou son « coépoux ». Il est toujours proche de l’épouse. Au marché, ils vont ensemble dans les cabarets de boisson. Si elle-même vend à boire, il est régulièrement assis dans son cabaret. Il achète la grande partie de la boisson qu’elle vend et le donne à boire aux amis et même au vrai époux. Si le champ de l’épouse (riz, voandzou, etc.) prend de l’herbe, il invite les amis et les frères pour sarcler. Il est fréquent les

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soirs dans la maison de l’épouse, pour parler avec l’époux, et partir un peu tardivement dans la nuit. La jeune fille dotée chez les Natemba reçoit chez elle les soirs tous les hommes qui viennent lui faire la cour. Mais son futur époux n’en est pas au courant officiellement. Il passe de temps en temps contrôler la situation. Parfois, il passe la nuit sur un arbre dans l’environnement de la maison pour contrôler le passage des courtisans. Il a un fouet fabriqué de peau de bœuf pour frapper les suspects. Malgré cela, la jeune a souvent un partenaire dès son entrée en sexualité, au su de ses parents. Lors des cérémonies de mariage, le partenaire sexuel apporte des biens matériels (pintades, etc.) qui entrent dans le sacrifice de mariage. Normalement, celle relation doit s’arrêter dès le mariage. L’enfant né de cette relation appartient à l’époux légitime. Au total, l’infidélité des femmes est toujours bien connue des membres de la famille. Elle est progressivement connue de l’époux. Tout époux est le partenaire sexuel de l’épouse de quelqu’un d’autre dans le lignage. Il est pour cela certain que son épouse doit avoir un partenaire autre que lui. Il prendra du temps, selon le cas, à découvrir son « coépoux ». A des formes et des degrés différents, les seconds époux sont finalement acceptés et intégrés au fonctionnement socioéconomique du ménage. De plus en plus, le second époux devient le premier au décès du premier. Infidélité des hommes mariés Les relations extraconjugales des hommes sont connues de leurs épouses sans ambages. Il arrive que l’homme envoie son épouse faire la négociation de son partenaire extraconjugale. Aussi, la plupart du temps, les hommes reçoivent-ils leurs partenaires extraconjugales dans leur lit conjugal.

Chez nous, c’est l’épouse qui accueille la copine de son époux et lui cède le lit s’il passe la journée chez eux. Entretien avec T.M. juillet 2008

Cette situation d’accueil de la « copine » de l’époux par l’épouse ou les épouses dans le toit conjugal a été suffisamment observée. C’est la femme qui achète le formage ou la pintade pour préparer à manger

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à la femme qui passe la journée dans le lit avec son époux. En somme, l’infidélité intra-lignagère est tolérée et la fidélité conçue pour les frontières du lignage. Pour cela, il existe un contrôle social bien construit. Mais ce n’est pas surtout à l’actif de l’époux. 4.2.3 Infidélité intra-lignagère : la perversion d’une vertu historique Il est nécessaire de faire une étude diachronique de l’infidélité extraconjugale intra-lignagère des groupes pendjariens. Les anciens de ces groupes semblent ne pas reconnaître la socialité de ce phénomène. Il est vu par ceux-là comme une grande déviance juvénile. Ce qui n’est pas scientifiquement vrai. Car la fréquence et la généralisation intergroupe socioculturel du phénomène le rend normal (Durkheim, 1894). L’étonnement des anciens ou de ceux qui ont quitté les villages depuis très longtemps et dès leur jeune âge, sans avoir observé suffisamment la communauté, pose simplement le problème de la construction des faits (Berger & Luckmann, 1986) de l’agencéité de l’individu (Giddens, 1984) ou de la structuration des faits à la bourdieusienne (Bourdieu, 1980). En d’autres termes, l’infidélité intra-lignagère telle que décrite est-elle un fait structurel historique des groupes ou un fait conjoncturel en structuration ?

Ce phénomène d’infidélité est une affaire pervertie des jeunes de maintenant. Chez nous, avant, on ne doit pas coucher avec la femme de son frère, en tous cas de son parent. Sinon, si quelqu’un parmi les partenaires sexuels de la femme est malade, l’autre ne peut pas lui rendre visite. S’il lui rend visite, le malade doit mourir. Pour éviter cela c’est formellement interdit d’entretenir des rapports sexuels au sein de la parenté. Entretien avec M.A, sage d’un clan Natemba, août 2008.

Par recoupement des informations à partir d’informateurs de différents groupes socioculturels, l’infidélité telle que décrite est une forme déviante d’une relation sociale exempte de sexualité entre un homme et une femme du même lignage. Chaque femme, dans un temps reculé, remontant jusqu’à la jeunesse des septagenaires de notre époque, avait un « ami » sans sexe dans la famille de son époux. On l’appelait le « gnanko ». Le terme peut se traduire

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approximativement comme « la personne avec qui on plaisante et on se rend service mutuellement ». Le « gnanko » avait une lourde tâche pour la femme, et vis-versa. C’est cet homme qui avait la charge d’inviter les jeunes bras valides pour labourer le champ de voandzou de la femme. Et la femme d’inviter les autres femmes pour appuyer l’homme dans ses récoltes. Les époux connaissaient bien les « gnanko » de leurs épouses et vis-versa. Tout pouvait être permis comme paroles et actes entre les « gnanko » mais jamais le sexe. On ne sait exactement à partir de quand et pour quelles raisons cette forme de relation genre intra-lignagère est passée au sexe. Le fonctionnement de la relation de complicité sexuelle est le même que celui du « gnankiti » mais appuyé du sexe cette fois-ci. Cela met à jour le paradigme des marges de manœuvre des l’individu dans une société (Crozier & Friedberg, 1977), des contraintes et des possibles du fait structurel (Giddens, 1984). Plusieurs faits dénotent un changement au niveau des pratiques sexuelles en milieu pendjarien. D’abord, le ralentissement de la pratique de dot (consistant essentiellement à travailler pendant neuf ans dans les champs des beaux-parents) réduit l’âge au premier rapport sexuel. Les filles dotées étaient bien surveillées par les parents et le futur époux. Ce contrôle favorisait quelques fois la virginité jusqu’au mariage. Les séquences du rite de mariage contraignent la jeune fille à rester vierge. Les filles aujourd’hui, n’étant plus objet de dot, ne s’attendent à aucune vérification rituelle de l’état de virginité au jour de la célébration du mariage.

« Il est aujourd’hui impossible d’avoir une fille vierge au mariage, malgré la précocité progressive du mariage des filles dans les villages», entretien avec un groupe de jeunes à Cobly, septembre 2008.

Ensuite les rapports sexuels des filles et des femmes mariées ont lieu dans plusieurs endroits : les champs, les touffes d’arbustes, les marchés de nuit, les locaux de l’école, les constructions non achevées, etc. Les partenaires se donnent le rendez-vous et accomplissent leur acte sans autre forme de procès. Contrairement aux temps passés où les femmes par respect à leur personne ne pouvaient pas se faire « coucher » n’importe où.

La pratique d’infidélité a toujours existé dans toutes les sociétés et à tout moment. Mais celle d’aujourd’hui est une

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autre chose. Les femmes ne trichaient pas à l’intérieur de la famille ou du clan. L’infidélité elle-même était un fait rare dans la vie de la femme. Les femmes et les hommes aujourd’hui sont infidèles au quotidien. L’infidélité est jouée au sein même de la famille. Outre le frère germain, la femme d’autrui n’est pas interdite ; la femme de l’oncle, du cousin, du frère consanguin, de l’ami peut être « consommée ». L’infidélité inter familiale favorise la fréquence des rapports sexuels infidèles. Elle rend difficile le contrôle social fait aux femmes. Celui qui en dehors de l’époux pouvait l’observer est celui là qui commet l’acte d’infidélité avec elle. Entretien avec Madame T.N, commune de Tanguiéta, août 2008.

Un groupe d’hommes d’âges confondus essaie d’expliquer les dynamiques sexuelles par des facteurs environnementaux institutionnels divers.

L’expression sexuelle n’est plus bien gérée comme auparavant. Les femmes et les enfants n’étaient pas autorisés à échanger sur la question sexuelle. Aujourd’hui, c’est l’objet qui réunit les femmes. Au puits, au moulin, à la recherche du fagot, et au retour du marché, les femmes échangent essentiellement sur les techniques des rapports sexuels et la question de leur infidélité. Les enfants aussi en savent bien de choses et en discutent le plus souvent entre eux. Ces changements de pratiques s’expliquent par plusieurs faits : les projets qui instruisent les femmes réunies en groupement, les ONG, surtout celles qui parlent des droits de la femme, du genre et de la promotion de la femme, les écoles où les enfants se rencontrent et libèrent leur inconscient, les religions révélées qui sont des lieux de regroupement et qui en interdisent les faits ne font que les valoriser, l’exode rural qui permet aux jeunes du village d’expérimenter les faits ailleurs et surtout de la ville et l’évolution de l’habitat : les maisons sont de plus en plus rapprochées et favorisent le contact humain. Entretien avec un groupe de six hommes dans la commune de Matéri, juillet 2008.

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6. QUAND L’INFIDELITE TOLEREE DECIME UN LIGNAGE

L’histoire s’est produite dans les années 2000 dans un village d’une commune du territoire de la Pendjari. Le village abrite la majorité des groupes socioculturels pendjariens. L’histoire que je raconterai dans les prochaines lignes se produit au sein d’un lignage d’environ sept descendances généalogiques. Leur plus vieux père dont ils ont encore la mémoire date de la fin des années 1800. Les acteurs du sexe et de la maladie sont nés dans une parenté de la troisième à la quatrième génération d’un petit groupe lignager de mois de trois cent personnes géographiquement situés dans un quartier du village. Une jeune dame N. (environ 35 ans) marié à un cinquantenaire a rencontré un monsieur d’un autre village, nouvellement descendu de la région du Borgou-Nigéria où il était en exode. Le monsieur serait séropositif reconnu mais ce statut est ignoré de la jeune dame. La relation sexuelle extraconjugale qu’ils ont eue a favorisé la contamination au sida de madame N. Dans son village, madame N. avait officiellement un partenaire sexuel dans la famille de son époux, monsieur Ya., neveu indirect à l’époux, d’une quarantaine d’années. Quelques années plus tard, monsieur Y. est allé dans le Borgou, précisément à Gamia dans la commune de Bembèrèkè pour s’installer. Madame N. s’est faite un second partenaire, monsieur P., un autre neveu indirect de son époux. Entre temps, elle a eu une relation sexuelle passagère avec un autre monsieur K., un autre neveu indirect de son mari, et cette fois-ci un neveu maternel à elle-même. Cette relation sexuelle a été très brève parce que socialement répugnante à cause de la parente maternelle des deux partenaires. Dans la même période, monsieur Ko entretenait des rapports sexuels structurels avec madame Do., une épouse à un oncle paternel. L’oncle les avait plusieurs fois surpris et menacé de lui faire du mal s’il n’arrête pas la relation. Mais la relation continuait malgré tout. Le même monsieur Ko était le partenaire sexuel de l’épouse d’un autre oncle paternel, monsieur Ba. Monsieur Po., second partenaire sexuel de madame Na. était le partenaire sexuel reconnu dans le village de l’épouse de monsieur Ko., madame To. Madame Do. entretenait aussi des rapports sexuels avec le fils aîné de son époux, né d’une mère qui ne vit plus, monsieur B. Ce monsieur B. était un

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partenaire sexuel reconnu de la première épouse de monsieur Co. Monsieur Co est le frère aîné de monsieur Ko. Entre 2003 et 2005, l’ONG Association pour la Promotion de l’Agriculture et de l’Education (APAE) a obtenu un financement du Projet Plurisectoriel de Lutte contre le Sida au Bénin. Une des activités fondamentales de cette ONG était l’organisation de dépistage volontaire dans les villages. Au terme des sensibilisations, le village a recensé des volontaires au dépistage. Madame Na a été dépisté séropositive. Elle s’est rendue au centre de santé de la commune pour être prise en charge à l’hôpital Saint-Jean de Dieu de Tanguiéta. Monsieur Co s’est fait dépisté et le résultat était mitigé. Mais il n’a pas poursuivi le diagnostic pour savoir s’il était positif ou négatif. Les autres acteurs du théâtre sexuel décrit n’ont pas été dépistés pour diverses raisons : absence à la réunion de recensement des volontaires, refus, absence du village, etc. En 2003, monsieur Ko meurt accidentellement, sans avoir présenté une quelconque maladie. Un an environ après son décès, son épouse madame To tombe gravement malade. A l’hôpital de Tanguiéta, elle est dépistée séropositive. Elle informe un beau-frère (frère de son époux) que son époux après sa mort, a transmis au devin qu’il a mis un feu dans la maison avant de mourir. Que le feu va beaucoup brûlé malheureusement. Madame To faisait référence au sida que son époux lui aurait contaminé. Elle a sérieusement souffert de cette maladie avant de mourir. Après elle, avec quelques mois d’intervalle sont morts successivement monsieur Ya, monsieur Bo, Monsieur Co, madame Do et monsieur Po. Monsieur Ba et son épouse sont tous les deux décédés aussi. Curieusement, madame Na vit encore. Elle se porte très bien. Elle se rend de temps en temps à l’hôpital de Tanguiéta pour ses soins. Son époux se porte aussi bien. Après sa mort, l’épouse de monsieur Po a été héritée par un fils de madame Na ; il était déjà partenaire sexuel de cette dame avant même la mort de son époux, son cousin paternel. Les deux épouses de monsieur Co ont eu des rapports sexuels avec un monsieur Do, cousin direct à Co. Ce monsieur Do aurait lui aussi eu des rapports sexuels avec madame Na il ya quelques années. Entre temps il a perdu deux épouses des suites de longues maladies. Son jeune frère direct aurait aussi eu des rapports sexuels avec la seconde épouse de monsieur

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Co, après sa mort. Deux autres cousins de monsieur Co ont hérité sa seconde épouse, se sont rencontrés plusieurs fois et se sont battus sérieusement une fois. Parmi eux, quelqu’un a construit une case pour la femme et le second vient dormir dans la case pour coucher avec la femme ; ce que le constructeur n’a pas aimé. Les épouses et les époux encore vivants de ces personnes décédées sont dans la nature, dans le même type de partenariat sexuel familial. Cette histoire n’a rien de socialement curieux. Avec les sensibilisations des ONG, beaucoup de jeunes hommes et femmes savent déjà que des gens meurent du sida, que ceux-là sont morts du sida. Mais il n’y a pas de rapports à la pratique de « partage de la femme » dans la parenté. Le problème est le sida qui s’interfère dans la vie des gens pour perturber leur santé. Mais il n’est pas une force pour perturber les socialisations inconscientes et conscientes (Erny, 2006). Des cas comme celui-ci sont légion dans le territoire de la Pendjari. Entre contraintes sociales, ignorance de l’étiologie biomédicale, le sort de ces peuples interpelle les politiques et les professionnels de la santé (Botbol-Baum, 2005). L’infidélité en milieu Pendjarien n’est finalement plus conjoncturelle. Les femmes répugneraient les relations sexuelles avec un homme une seule fois dans la vie. Il faut répéter et entretenir la fidélité dans l’infidélité. L’infidélité entamée doit se fidéliser. Le marché sexuel est complexe et constitue un tissu de relations imbriquées où en dehors du cadre conjugal, il se développe des fidélités au bout du rouleau elles-mêmes fragiles. Les relations sexuelles effectives entre couples extraconjugaux instaurent un climat de confiance et d’intimité tel que la maladie évoquée est un très faible moyen de séparation. La partenaire d’infidélité est une seconde épouse. Mourir pour elle n’a rien de mal comme le révèlent les travaux de Cros chez les Lobi du Burkina Faso (Cros, 2005). La vie des femmes, dans un autre contexte, notamment chez les Mossi du Burkina, voisins des Pendjariens sur le plan culturel et géographique, est véhiculaire de situations sentimentales parfois mortelles (Bardem & Gobatto, 1995).

7. DISCUSSION Cette étude a eu certainement des insuffisances dont la principale, qui ressort même de l’épistémologie, est la proximité au terrain. Etant socialement du groupe des Pendjariens, nous avons eu un

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rapport au terrain qui a facilité ou compliqué l’observation ou l’analyse de certains facteurs socioculturels. Mais conscient de cette situation, nous avons réuni les conditions méthodologiques pour approcher la neutralité axiologique du chercheur en science sociale. Nous pensons que la lutte contre le VIH/sida en Afrique, au regard de certains contextes, reste un enjeu sociopolitique et économique de taille (Desclaux & Raynault, 1997). Des travaux socio-historiques d’experts en santé ont montré que pendant plusieurs décennies les politiques publiques sanitaires ont pêché par des carences techniques et politiques structurelles (Eben-Moussi, 2006). Sans être fondamentalement « culturaliste », il faut accepter que les actions de développement doivent prendre considérablement en compte les différents contextes d’application pour appréhender les logiques mentales et psychosociales qui gouvernent la santé des populations et leurs rapports aux soins (Barry, 2001). C’est seulement à cette condition qu’elles peuvent « négocier » leurs résultats escomptés (Strauss, 1992). Il est important pour une action publique de s’intéresser aux différents éléments de ce que certains auteurs appellent le pentagone de l’action publique, l’ensemble des cinq éléments constitutifs : les acteurs, les processus, les institutions, les résultats et les représentations (Lascoumes & Galès, 2007). L’étude de la situation des Pendjariens confrontés au sida montrent que, comme pour la plupart des politiques de santé dans bien de pays africains (Ridde, 2007), les développeurs au Bénin, y compris l’Etat, n’ont pas eu les moyens, surtout techniques de comprendre tous les paramètres à intégrer dans la prévention et les soins de cette maladie en fonction des contextes socioculturels pour une plus grande efficacité des systèmes de soins (OCDE, 2004). La dimension politique des politiques publiques, notamment des stratégies sanitaires et des pratiques de soins au quotidien, est fondamentale à la fois dans leur émergence et dans leur application (Adjeoda, 2000). 8 - CONCLUSION La perméabilité du cercle sexuel lignager et les frontières plastiques du lignage lui-même sont les vrais problèmes de la vulnérabilité au Sida dans le contexte sexuel décrit. Avec la relation sexuelle extra-lignagère contractée par la jeune femme, une bonne population du lignage X est déjà partie. Bien d’autres personnes sont encore

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malades. D’autres vont attraper le virus dans des relations prochaines, sur la base du fonctionnement du sexe familial. Malheureusement si, en tant qu’institutions, l’infidélité tolérée est appelée à disparaître avec les acteurs de sa « normation » et les cadres de son gouvernement, cela prendra du temps matériel et mental (Tournay, 2011) et (Foucault, 2004). Intégré ou marginalisé (Durkheim, 1930), chaque membre de l’espace pendjarien est convoqué au quotidien par ce phénomène. Au regard des dynamiques sociales, les lignages vont disparaître à long ou à très long terme. Mais nul ne peut prévoir le sens de l’évolution des mœurs sexuelles conjugales au cours de ce changement de forme et de fonctionnement du lignage. Ou bien l’infidélité tolérée se généralise avec la dénaturalisation du lignage, ou bien elle rentre dans l’infidélité extra-lignagère socialement condamnée. En attendant toutes ces formes de mutations, la communauté est en « guerre » contre elle-même. Chaque individu est « armé » et tire sa flèche au quotidien contre la communauté, dans un rapport mental de droit et de parenté. 9 - REFERENCES 8. Adjeoda, R. (2000). Ordre politique et rituels thérapeutiques

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