L'Etat est-il un acteur indispensable à la modernisation de l'hévéaculture paysanne en...

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1 MEPDCG/BNETD CIRAD ESI-VU RCI France Pays bas Conférence internationale Yamoussoukro, 5-9 Novembre 2001 L’avenir des cultures pérennes L’Etat est-il un acteur indispensable à la modernisation de l’hévéaculture paysanne en Indonésie ? Auteurs : B.Chambon, E.Penot et C.Geissler CIRAD-TERA, Programme Tropiques Humides et Insulaires BP 5035 34032 Montpellier cedex 1 Thème 4 : Changements des contextes politique et institutionnel

Transcript of L'Etat est-il un acteur indispensable à la modernisation de l'hévéaculture paysanne en...

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MEPDCG/BNETD CIRAD ESI-VU

RCI France Pays bas

Conférence internationale

Yamoussoukro, 5-9 Novembre 2001

L’avenir des cultures pérennes

L’Etat est-il un acteur indispensable à la modernisation de l’hévéaculture

paysanne en Indonésie ?

Auteurs : B.Chambon, E.Penot et C.Geissler

CIRAD-TERA, Programme Tropiques Humides et Insulaires

BP 5035 – 34032 Montpellier cedex 1

Thème 4 : Changements des contextes politique et institutionnel

2

L’Etat est-il un acteur indispensable à la modernisation de l’hévéaculture

paysanne en Indonésie ?

Auteurs : B.Chambon, E.Penot et C.Geissler

CIRAD-TERA, Programme Tropiques Humides et Insulaires

BP 5035 – 34032 Montpellier cedex 1

Résumé

Alors que l’hévéa (hevea brasiliensis) a spontanément été adopté par les populations locales

des îles extérieures, notamment à Sumatra et Kalimantan, la modernisation du système de

culture qui sous entend l’adoption de clones, matériel végétal greffé à haut rendement,

nécessitait une intervention extérieure.

L’Etat indonésien a incontestablement joué un rôle moteur important par l’intermédiaire des

projets de développement pour initier le changement technique : il a créé une demande en

clones et il est indirectement à l’origine du développement des pépinières privées qui ont vu

le jour pour faire face à cette demande.

A la fin des années 1990, l’Etat se désengage de la production de caoutchouc. Mais du fait du

développement du secteur privé et de planteurs très intéressés par le matériel végétal à fort

rendement, la dynamique initiée se maintiendra sans aucun doute. Par ailleurs, grâce aux

concessions accordées par l’Etat, les sociétés privées prennent le relais en matière de

développement rural. Comme le faisait auparavant l’Etat, les sociétés mettent en place des

plantations avec un crédit complet mais pour d’autres cultures que l’hévéa et à des conditions

bien moins avantageuses pour les planteurs.

Mots clés : hévéa brasiliensis, plantation villageoise, intervention de l’état, changement

technique, Indonésie.

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L’Etat est-il un acteur indispensable à la modernisation de l’hévéaculture paysanne en

Indonésie ?

1 Introduction

L’hévéa (hevea brasiliensis) a été introduit en Indonésie à la fin du XIXème

siècle et les

premières plantations industrielles établies par les hollandais à Nord Sumatra (1902), à Java

Ouest (1904) puis à Kalimantan Ouest (1909). Les grandes plantations sont les premières

développées par le gouvernement colonial par le biais des sociétés privées de plantations

notamment dans le “ estate belt ” à Nord Sumatra. Après l’indépendance (1957), une partie de

ces plantations privées seront nationalisées et formeront l’ossature du secteur des plantations

gouvernementales PTP.

Mais rapidement, les populations locales se sont mises à planter des hévéas dont la diffusion

par graine était simple. Les premiers clones, matériel végétal obtenu par greffage à fort

potentiel de production, n’ont été réellement adoptés qu’au début des années 1930 et jusqu’à

cette époque, toutes les plantations utilisaient du matériel végétal non sélectionné de type

seedling. A Sumatra, les commerçants chinois et malais ainsi que les batak qui travaillaient

dans les grandes plantations ont joué un rôle important en fournissant des graines aux

paysans. Les réseaux musulmans ont largement contribué à leur dissémination. A Kalimantan,

il semble que l’hévéa a d’abord été introduit par les services coloniaux ; les missionnaires

catholiques hollandais et les marchands chinois ont aussi participé à sa diffusion.

Cette adoption spontanée de l’hévéa par les populations locales est étroitement liée à la

complémentarité existante entre l’hévéa et l’agriculture itinérante traditionnelle (Dove, 1988).

Elle s’explique aussi par les similitudes qui existent entre cette espèce cultivée de plante à

caoutchouc et les plantes à latex autochtones faisant l’objet de cueillette depuis l’explosion

de la demande dans la seconde moitié du XIX siècle. Mais ces similitudes n’auraient pas

conduit à l’adoption d’une nouvelle plante (qui impliquait aussi des changements dans le

mode de production puisqu’on passait de la collecte à la culture) sans les avantages que

présentait hevea brasiliensis sur les plantes forestières dans un contexte de front pionnier puis

de sédentarisation des populations et de fixation de l’agriculture itinérante.

Les surfaces plantées en hévéas ont très vite progressé stimulées par l’accroissement de la

demande en caoutchouc sur le marché mondial lié à l’essor de l’industrie automobile. Les

plantations paysannes se multiplient rapidement et à partir de 1910, la production provenant

de ces exploitations commence à jouer un rôle croissant dans l’industrie du caoutchouc. En

1935, la production des petits planteurs dépasse celle des estates.

Pourtant, alors que dès les années 1930, la plupart des plantations industrielles ont pu

améliorer leur productivité grâce à l’utilisation de clones, les plantations paysannes continuent

à produire du caoutchouc avec des techniques agroforestières à faible productivité utilisant du

matériel végétal non sélectionné. Le système de culture caractéristique des populations locales

est un “ système agroforestier complexe ” (Michon et al, 1992) appelé “ jungle rubber ”1.

1 Il consiste à planter des hévéas dans les essarts où les paysans cultivent pendant une voire deux années des

cultures vivrières, en particulier le riz. Après la dernière récolte de riz, la parcelle est abandonnée au recrû forestier. Les

hévéas se développent en même temps qu’une importante flore adventice. Lorsque les arbres sont prêts à être saignés, en

général 8 à 10 ans après la plantation, les paysans retournent dans la parcelle pour l’exploiter.

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Pour la grande majorité des planteurs, le jungle rubber a perduré jusqu’à présent. En effet, ce

système ne demande ni travail ni intrant pendant la période immature, ce qui fait son immense

intérêt pour les petits planteurs des fronts pionniers, sans capital.

Le gouvernement indonésien est intervenu par le biais des projets de développement, dans les

années 1970. Certains planteurs ont alors commencé à adopter les clones, et par conséquent la

monoculture clonale. L’Etat a donc contribué à entraîner le changement technique via

l’adoption de matériel végétal clonal. Il a enclenché un processus de modernisation de

l’hévéaculture paysanne qui, sans intervention extérieure, n’avait pas les moyens d’améliorer

la productivité. Puis, dans les années 1990, l’Etat commence à se désengager laissant le

secteur poursuivre seul la dynamique engagée : en 1999, les projets sectoriels de

développement hévéicoles se terminent.

Que devient cette dynamique ? Les producteurs peuvent ils, seuls, assurer le renouvellement

de leurs jungle rubber et le développement de nouvelles plantations clonales ? Qui a assuré le

relais d’une aide aux planteurs sous la forme d’un paquet technique complet à crédit ?

2 De nombreux freins à une modernisation spontanée de l’hévéaculture paysanne

Après avoir spontanément intégré l’hévéaculture dans les systèmes de production

traditionnels, les populations locales ont reproduit le même modèle (les jungle rubber)

pendant des décennies tout en apportant un certain nombre d’améliorations sans effet notable

cependant sur la productivité physique du système, limitée par l’emploi de seedlings. La clé

de toute amélioration significative de la productivité réside dans l’emploi d’un matériel

végétal amélioré : le clone.

Les clones restent la garantie d’un niveau de production élevé (1500 à 2000 kg/ha/an), d’une

gamme de matériel végétal adapté aux différents types de climat ou d’exploitation souhaités

(par les caractéristiques secondaires des clones) et d’une remarquable homogénéité entre

arbres. Il existe d’autres types de matériel végétal amélioré : les “ clonal ” et “ polyclonal ”

seedlings, graines issues soit de plantations monoclonales pour les premiers soit de jardins

grainiers isolés à plusieurs clones pour les seconds. Mais ces types de matériel végétal n’ont

ni l’homogénéité ni le potentiel de production des clones.

Les clones constituent donc la voie incontournable de la modernisation de l’hévéaculture

paysanne. Mais leur utilisation présente quelques contraintes globalement liées à une

intensification, en travail et en capital, en particulier pendant une période clé pour les petits

planteurs : la période immature.

2.1 Un capital insuffisant

Pour améliorer la productivité de leurs plantations, les paysans doivent donc remplacer les

seedlings par des clones. Or produire des clones de qualité demande des compétences

(greffage) et du bois de greffe que les planteurs ne possèdent pas. L’unique alternative est

donc le plus souvent l’achat de plants greffés.

Par ailleurs, il est possible de conserver certaines pratiques agroforestières avec les clones.

Ces pratiques sont généralement économisatrices d’intrants et de travail même si le niveau

global d’intrants et de travail à investir reste important comparé aux très faibles exigences des

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seedlings en jungle rubber. Mais, un bon entretien sur les clones permettra de réduire la

période immature à 5-7 ans alors qu’elle est de 8 à 15 ans pour les jungle rubber.

Pourtant, pendant très longtemps, le seul système de culture préconisé pour les clones a été

la monoculture qui suppose des coûts importants en main d’œuvre, en herbicides et en

fertilisants pendant la période immature .

Initialement, les systèmes de production des planteurs reposaient sur la combinaison d’une

agriculture itinérante permettant de couvrir en partie au moins les besoins de la famille en riz

et de jungle rubber produisant le caoutchouc dont la vente assurait l’achat des autres denrées

de base. Si ces systèmes ont longtemps permis aux populations locales d’assurer leur

reproduction, ils n’ont pas créé de surplus suffisant pour accumuler du capital. La majorité

des planteurs étaient et sont encore juste au niveau de subsistance et ne peuvent pas prétendre

à une accumulation de capital qui permettrait la replantation clonale.

2.2 Un accès difficile au matériel végétal greffé

A supposer que le capital ne soit pas un facteur limitant, reste le problème de la disponibilité

du matériel végétal clonal. La première génération de clones, bons producteurs mais avec des

caractéristiques secondaires généralement mauvaises, commence à apparaître dans les années

1920. Le nouveau matériel végétal, seconde puis troisième génération de clones, a été

rapidement adopté par les plantations industrielles dans les années 1950-70. Ces dernières

produisaient elles-mêmes leur matériel végétal ou s’approvisionnaient dans d’autres pays,

notamment en Malaisie. Les clones étaient donc réservés à ces grandes plantations qui

possédaient les infrastructures et les techniques nécessaires à la multiplication du matériel

végétal. Aucun contact n’était établi avec les petits planteurs environnants et aucun effort

significatif de la part du gouvernement ou des plantations n’a été réalisé jusqu’en 1970 pour

leur fournir ce matériel végétal qui permettait alors de doubler le potentiel de production des

plantations d’hévéa.

2.3 Aucune information technique pour les petits planteurs

Les planteurs ont aussi été longtemps écartés de cette avancée technologique par manque

d’information technique. Les différences importantes entre les systèmes de culture des

plantations industrielles et des petits planteurs ont longtemps conforté les grands planteurs

dans l’idée que les techniques liées à l’usage des clones ne s’adapteraient certainement pas en

milieu paysan. Les planteurs qui ne sont pas localisés à proximité des plantations industrielles

n’ont pas eu connaissance des clones et de leurs possibilités de production. La proximité des

plantations a pu permettre un effet de copie de la part des planteurs locaux (Nord Sumatra en

particulier), par exemple par l’intermédiaire des salariés des estates. Mais ils étaient alors

confrontés au problème d’approvisionnement en clones.

Les conditions économiques, techniques et sociales des petits planteurs jusque dans les années

1970 ne leur permettaient pas d’améliorer seuls la productivité de leur plantation par

l’utilisation de clones. Des mesures indirectes telles que l’arrêt de la taxation de la production

ou la dévaluation de la roupie ont certainement eu un effet incitatif localisé sur les

producteurs de caoutchouc (Gouyon,1995). Mais, compte tenu des contraintes auxquelles les

planteurs devaient faire face, il est peu probable que seules ces mesures les auraient conduit à

adopter des clones. Elles auraient plutôt entraîné l’extension des surfaces là où la pression

foncière le permettait ou elles auraient incité les planteurs à intensifier la saignée ailleurs.

En 1973, deux projets pilotes de développement de l’hévéaculture paysanne basé sur l’usage

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des clones démarrent à Sumatra. Le postulat à la base des projets est l’incapacité des planteurs

à se développer sans intervention du gouvernement (Tomich, 1992). Si l’on peut contester la

forme prise par l’intervention, celle-ci apparaît néanmoins nécessaire dans le contexte

indonésien, qu’elle soit mise en œuvre par l’Etat ou par d’autres acteurs.

3 Une intervention extérieure nécessaire

Du fait du capital limité des planteurs et surtout du fait de l’absence de matériel végétal

amélioré disponible et d’une information technique viable et adaptée par les services de

vulgarisation locaux, l’intervention d’un, voire plusieurs, acteurs extérieurs était

indispensable pour éliminer les freins à la modernisation de l’hévéaculture paysanne.

3.1 Un secteur privé réticent à intervenir

Les collecteurs et usiniers qui bénéficieraient d’un accroissement constant de la production de

caoutchouc auraient pu jouer un rôle. Comme les commerçants chinois et malais l’ont fait au

début du siècle pour introduire l’hévéa chez les petits planteurs, ils auraient pu distribuer des

clones. Mais ils ne sont pas intervenus. En effet, alors que la distribution de graines non

sélectionnées au début du siècle ne coûtait presque rien, fournir des clones aux planteurs

représenterait un investissement important et qui ne serait rentabilisé qu’à moyen terme. A un

moment où les planteurs découvraient les clones, le secteur privé n’a pas voulu prendre le

risque d’un tel investissement2.

Par ailleurs, du fait de l’existence de fronts pionniers permanents, l’extension des jungle

rubber s’est poursuivie. Ainsi, l’augmentation de l’offre en caoutchouc était assurée et le

secteur privé n’avait par conséquent pas de raison d’investir.

3.2 Un dispositif lourd pour assurer la réussite

Promouvoir un changement technique tel que le passage du jungle rubber à la monoculture

clonale en ne fournissant que du matériel végétal amélioré semble illusoire, du moins dans un

premier temps. Les différences dans la conduite de la culture entre les deux systèmes de

culture sont trop importantes. Un environnement économique favorable aux producteurs n’a

pas suffisamment encouragé le changement du fait de son coût notamment. Un dispositif

lourd mobilisant des moyens importants non seulement financiers mais aussi humains était

donc nécessaire pour assurer la transition.

L’échec des premières expériences d’aide à l’hévéaculture paysanne le montrent. Dès les

années 1950, le gouvernement indonésien a distribué aux planteurs du matériel végétal

amélioré non greffé, mis à leur disposition un crédit limité pour acheter du matériel et des

intrants et établi un service minimum de vulgarisation. L’objectif de ces initiatives était de

donner aux planteurs, de façon individuelle, la possibilité d’améliorer leur production. Mais

ces interventions en approche partielle ont eu un impact extrêmement limité (Barlow C,

Tomich T.P, 1991). Le matériel végétal distribué était de faible qualité, les pépinières

manquant de fonds, de personnel et de fertilisants adaptés. Le contrôle financier réduit a aussi

été à l’origine de corruption. Enfin, aucun suivi n’a été assuré après la plantation alors que les

2 Ce n’est qu’au début des années 1990 que le GAPKINDO, association des industriels de caoutchouc

indonésiens, intervient dans le cadre de projets régionaux à Kalimantan Ouest et Jambi (Sumatra) pour fournir à un nombre

limité de planteurs du matériel végétal amélioré.

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planteurs n’étaient pas bien préparés au changement technique. Certains auteurs (Gouyon,

1995) ont par ailleurs souligné un contexte macro-économique défavorable n’incitant alors

pas les planteurs à investir du travail et du capital dans les hévéas.

3.3 Un rôle tardif joué par l’Etat

Face à cette situation avec un secteur privé encore peu motivé pour investir, l’Etat apparaît

comme le seul acteur susceptible d’intervenir sur une large échelle. Son intervention est

néanmoins tardive et ne devient significative qu’à partir des années 1980.

L’hévéaculture a toujours joué un rôle important dans l’économie du pays comme revenu

d’exportation : longtemps deuxième source de revenu d’exportations non pétrolières

agricoles, les exportations de caoutchouc occupent en 1997 la quatrième place en valeur.

Pourtant, l’Etat n’a officiellement manifesté qu’un intérêt limité au secteur petits planteurs

jusque dans les années 1970. Deux raisons principales expliquent cette position. La

production des petits planteurs est importante et croissante du fait de l’extension des surfaces

en jungle rubber. L’Etat cherche davantage à protéger les intérêts des plantations industrielles

qui risquent d’être concurrencées par ce secteur. Jusqu’en 1957, l’Indonésie est le premier

producteur mondial de caoutchouc avec 80% de la production provenant des petits planteurs.

Dans ces conditions, pourquoi l’Etat aurait-il investi dans des programmes de plantation ou de

replantation visant à stimuler un secteur alors en pleine expansion ?

Par ailleurs, jusqu’à la fin des années 1970, l’hévéaculture paysanne n’est pas apparue comme

une priorité pour les gouvernements successifs : le gouvernement colonial a focalisé son

attention sur les plantations industrielles. Après l’indépendance (déclarée en 1945 et acquise

en 1949), le premier gouvernement indonésien sous Sukarno est davantage préoccupé par la

construction de l’unité nationale et par le maintien de la stabilité politique que par les

problèmes économiques. Enfin, Suharto qui prend la tête du pays en 1966 base le

développement du pays sur l’agriculture. Mais sa priorité, dans un premier temps, était

d’atteindre l’autosuffisance alimentaire (réalisée en 1984 ). Le gouvernement ne s’est

intéressé aux cultures de rente qu’à partir du moment où il a décidé de diversifier les

exportations et où il a pu financer une telle politique par les revenus pétroliers à partir de

1973. C’est certainement en admettant “ l’avantage comparatif de l’Indonésie pour la

production de caoutchouc ” (Tomich, 1992) que l’Etat a misé sur le développement de

l’hévéaculture paysanne. Il avait à sa disposition un réservoir énorme de productivité qui

attendait une aide pour se moderniser : le pays dispose de réserves foncières importantes

(forêts secondaires ou anciennes plantations d’hévéa faiblement productives à replanter) et

d’une grande quantité de main d’œuvre à faible coût. Il ne lui restait plus qu’à mobiliser les

moyens pour une intervention efficace valorisant ces facteurs de production.

Par rapport à des pays voisins producteurs de caoutchouc, l’Indonésie a démarré avec 20 ans

de retard3 et surtout, une superficie à replanter 2 fois plus importante (3 millions d’hectares

en 1999) et géographiquement dispersée.

3 La Malaisie et la Thaïlande ont en effet développé et modernisé leurs plantations paysannes par une action sans

précédent de l’Etat via une politique de replantation par des projets fournisseurs de crédit, d’information et de d’intrants.

Cette action a débuté dans les années 1950 en Malaisie et 1960 pour la Thaïlande. Indéniablement là aussi, l’Etat a été le

moteur et l’instigateur du changement technique en résolvant ses trois principales contraintes pour des raisons de politique

intérieure.

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4 L’Etat : élément déclencheur du processus de modernisation

Les projets de développement représentent la principale modalité d’intervention mise en

œuvre par l’Etat indonésien. Ils ont créé une demande en matériel végétal clonal et sont donc

indirectement responsables de la multiplication des pépiniéristes privés.

4.1 Les projets de développement à l’origine d’une demande en clones

Les projets de développement, particulièrement les projets à approche complète4

, ont

généralement été à l’origine d’un accroissement important des revenus des planteurs. Le

surplus dégagé a le plus souvent d’abord financé l’amélioration du niveau de vie. Ces

planteurs ont ensuite pu commencer à accumuler du capital. La différence importante de

rendement observée entre les clones et les jungle rubber a incité certains d’entre eux à investir

dans l’établissement de nouvelles plantations clonales. La demande est ainsi créée chez les

bénéficiaires des interventions. Une enquête conduite en 1998/99 dans la province de

Kalimantan Ouest chez 182 planteurs répartis dans trois types de projet de développement

montre que 27% des planteurs ayant bénéficié d’une aide ont cherché à étendre leurs surfaces

clonales (Tableau n°1).

Tableau n°1 : extension des surfaces clonales chez les planteurs en projet à Kalimantan Ouest

Projet Etablissement de

plantation

Achat de

plantation

Nouveau projet Pas de nouvelle

plantation

clonale

PIR5 15% (100% nouvelle

plantation)

10% 0 75%

TCSDP6 8% (60% nouvelle

plantation)

2% 32% (90% nouvelle

plantation)

58%

Approche partielle 5% (100% nouvelle

plantation)

5% 3% (100%

replantation clones

brûlés)

87%

Source : enquêtes B.Chambon, 1998/99

Selon les planteurs, l’extension des surfaces clonales a pris des formes différentes : lorsque

l’opportunité de bénéficier d’une nouvelle aide de l’Etat s’est présentée, les planteurs ont le

plus souvent préféré cette option qui leur permet d’éviter un investissement important en une

seule fois et leur garantit une plantation clonale de qualité. Ces sont presque exclusivement

les planteurs des projets TCSDP qui ont pu accroître de cette façon leur surface clonale. Les

autres paysans ont dû soit acheter des clones (la proportion de planteurs produisant leur

propre matériel végétal reste faible : 11%) soit investir dans des plantations clonales établies

dans le cadre de projets et vendues par certains planteurs. Cette dernière option permet non

4 Les projets à approche complète sont des projets où les planteurs reçoivent à crédit des clones et tous les intrants

nécessaires durant la phase improductive. Ils bénéficient aussi d’une formation et d’un encadrement technique étroits avant

l’entrée en production des arbres. On les oppose généralement aux projets à approche partielle qui fournissent sous forme de

don aux planteurs du matériel végétal amélioré, des intrants et des conseils techniques pendant un an.

5 Perkebunan Inti Rakyat. Ce sont des projets à approche complète essentiellement destinés aux paysans sans

terre, majoritairement transmigrants javanais.

6 Tree Crop Smallholder Development Project. On inclut dans cette catégorie les Smallholder Rubber Development Projects

qui ont été intégrés dans les TCSDP. Autre projet à approche complète qui aide des paysans locaux à replanter leurs vieux

jungle rubber ou à établir de nouvelles plantations avec des clones.

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seulement de contourner la contrainte de l’approvisionnement en clones mais aussi d’éviter la

phase improductive (coûts en intrants et en travail sans production) puisque les parcelles sont

déjà prêtes à être saignées au moment de l’acquisition. Elle limite également les risques pour

le planteur qui espère ainsi disposer d’une plantation au potentiel de production élevé.

Toutefois, ce choix suppose d’avoir un capital disponible suffisant puisque l’investissement

dans une plantation productive est important (de 2.8 à 7.5 millions de roupies selon la

demande, les conditions de la vente, la classe et l’entretien pour une plantation de 12 à 16

ans).

Par ailleurs, on peut noter que la demande en clones sert essentiellement à mettre en place de

nouvelles plantations ; les replantations d’anciens jungle rubber ne représentent en effet qu’un

pourcentage limité des surfaces : 12.5% des nouvelles plantations établies. La pression

foncière dans les zones visitées n’est donc pas suffisante pour inciter les paysans à la

replantation. Ces derniers préfèrent mettre en valeur de nouvelles terres (à condition qu’elles

ne soient pas trop éloignées des villages) et conserver les jungle rubber qui, même s’ils sont

très faiblement productifs, les autoriseront à revendiquer la propriété de ces terres en cas de

besoin. Cette pratique se justifie largement dans les régions où, du fait de la présence de

concessions forestières ou d’autres projets de développement, palmier à huile notamment,

l’incertitude sur l’utilisation future du foncier est grande (voir paragraphe 6).

Les projets ont aussi joué un rôle de démonstration important. C’est en observant les pratiques

dans les projets (ou les grandes plantations) que d’autres planteurs ont mis en œuvre certains

thèmes techniques tels que la plantation en ligne ou l’entretien de la plantation pendant la

phase improductive. Les projets ont mis en évidence l’effet bénéfique des clones, de

l’utilisation d’intrants et de l’entretien de la plantation en phase improductive sur la

croissance et la production des hévéas. Pour les planteurs qui connaissaient déjà ces

techniques par l’intermédiaire des grandes plantations, les projets apportent la preuve que les

clones sont aussi adaptés à la culture en milieu paysan.

Dans certaines zones productrices de caoutchouc, la demande en matériel végétal amélioré

émane essentiellement des planteurs en projet ou situés à proximité des zones d’intervention

des projets. C’est notamment le cas à Kalimantan Ouest mais aussi à Sud Kalimantan et

Bengkulu.

Dans d’autres zones, notamment où la pression foncière est importante et donc où

l’intensification est devenue une nécessité ou lorsque la densité de projets de développement

est forte et les interventions anciennes, la demande en clones existe non seulement chez les

planteurs en projet mais aussi hors projet. C ‘est le cas à Sumatra et en particulier à Nord et

Sud Sumatra depuis le début des années 1980.

Globalement, dans toute l’Indonésie, suite à l’intervention des projets de développement, la

demande en matériel végétal à forte productivité s’est développée. La question de la

solvabilité des planteurs demeure toutefois étant donné les contraintes financières des

planteurs d’hévéa notamment hors projet.

4.2 Le développement des pépiniéristes privés

Les clones disponibles dans les services de vulgarisation des plantes pérennes (Dinas

Perkebunan), dans les centres de recherche ou dans les pépinières des projets sont loin de

satisfaire la demande croissante. De nombreuses pépinières privées ont donc vu le jour en

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particulier à Nord et Sud Sumatra d’abord puis à Jambi dans les années 1990.

Au départ, ce sont les agents des projets qui saisissent l’opportunité d’un complément de

revenu et installent, indépendamment du projet des pépinières. Cette activité a ensuite été

développée par les paysans eux-mêmes, notamment par les transmigrants javanais. Dans la

province de Jambi (Sumatra) par exemple, 63% des pépiniéristes privés sont javanais. Les

transmigrants javanais spontanés et dans quelques cas les transmigrants officiels sont désignés

comme les principaux responsables de la multiplication des pépinières privées (Penot, 1998).

Cette activité qui ne nécessite pas de posséder des surfaces importantes leur permet de mettre

en valeur des terres difficilement utilisables autrement et leur apporte un complément de

revenu appréciable.

A nord et sud Sumatra les pépinières privées se sont développées dès la fin des années 1970.

On trouve en effet dans ces deux provinces des stations de recherche sur l’hévéaculture

(International Rubber Research Institute de Sungei Putih et Research Institute for Estate

Crops de Sembawa) qui sont sans aucun doute à l’origine de la dynamique observée. Par

contre, il a fallu attendre dix ans de plus pour les voir apparaître à Kalimantan Ouest

(Shueller, 1997). En 1998, l’approvisionnement en clones dans cette province demeure une

contrainte à l’accroissement de la productivité pour un nombre non négligeable de planteurs,

soit par manque d’information sur les lieux d’approvisionnement soit par l’absence

d’approvisionnement. En effet, chez les planteurs en projet, supposés être les mieux informés,

la moitié des personnes interrogées disent ne pas savoir où s’approvisionner. La disponibilité

en clones n est donc pas égale dans toutes les zones productrices de caoutchouc en Indonésie.

L’Etat indonésien a incontestablement joué un rôle moteur important par l’intermédiaire des

projets de développement pour initier le changement technique chez les petits planteurs.

5 Une dynamique entretenue après le désengagement de l’Etat

Après trois décennies d’intervention directe, l’Etat se désengage de la production d’hévéa :

les grands projets à crédit en approche complète se terminent. Ce mouvement a été initié dès

le début des années 1990 : à partir de 1992, les nouvelles aides accordées dans le cadre des

projets PIR (Perkebunan Inti Rakyat) qui concernaient initialement aussi bien l’hévéa que le

palmier à huile sont désormais majoritairement destinées au développement de ce dernier au

détriment de l’hévéa. Le désengagement se poursuit à la fin de la décennie avec l’arrêt d’un

autre projet (Tree Crop Smallholder Development Project, TCSDP) fin 1999 et le

gouvernement ne semble pas envisager la mise en place de nouveaux projets de type sectoriel

pour les remplacer (D. Boutin, comm.perso.). Mais si l’Etat devait intervenir pour enclencher

le processus de modernisation de l’hévéaculture paysanne, il semble à présent que grâce à un

secteur privé en expansion et à des planteurs suffisamment motivés le processus pourra se

poursuivre à la condition cependant que ces derniers puissent s’affranchir de la contrainte

financière.

5.1 Accroître la productivité par tous les moyens

Aujourd’hui, la majorité des hévéaculteurs, qu’ils aient bénéficié ou non de l’intervention

directe de l’Etat, souhaitent planter du matériel végétal clonal. Accroître la productivité de

leurs plantations est en effet maintenant devenu une nécessité, la nature et la quantité des

besoins ayant changé. Par le passé, le passage de l’agriculture itinérante au jungle rubber avait

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déjà constitué un bond de productivité important (Penot, 1996).

La plupart des planteurs qui vivent des systèmes de jungle rubber assurent leur reproduction

mais ne dégagent pas de surplus. Cette affirmation est encore plus justifiée de nos jours avec,

d’une façon globale en Indonésie, l’augmentation de la pression foncière qui limite les

espaces libres pour la riziculture et pour l’établissement de nouvelles plantations et avec

l’accroissement du coût de la vie (indépendamment de la crise économique qui a touché le

pays en 1998/99). Peu de planteurs ont les moyens d’investir en une seule fois dans un hectare

de plantation clonale. Ils devront donc procéder à l’établissement progressif de surfaces plus

restreintes. Etablir de nouvelles plantations ou replanter les anciens jungle rubber par étape

présente outre l’avantage de limiter l’investissement initial d’étaler les coûts d’intrants et de

garantir un meilleur entretien de la plantation, surtout lorsque peu de main d’œuvre familiale

est disponible. Dans le cas particulier de la replantation, elle permet aussi aux petits planteurs

de continuer à exploiter une quantité plus importante de jungle rubber.

Les planteurs aux ressources financières particulièrement limitées pourront être tentés de

produire leur propre matériel végétal lorsqu’ils ont pu acquérir un minimum de connaissances

sur les techniques de greffage. Mais en n’ayant pas reçu de formation spécifique, le taux de

réussite est faible et la qualité du matériel produit est douteuse, certains planteurs utilisant

comme greffon des branches prises dans leur plantation clonale (alors qu’ils doivent être issus

d’un jardin à bois). L’augmentation de la productivité ne sera donc pas optimale et le risque

est grand que nombre de ces planteurs se retrouvent in fine avec une plantation en seedlings,

la greffe n’ayant pas pris. Pour pallier cette difficulté, les programmes “ Bandes7 ” auraient

certainement un rôle à jouer. Ces programmes mis en œuvre entre 1993 et 1995 par le

gouvernement indonésien installent des jardins à bois dans les villages. Ils devraient donc

garantir aux planteurs un accès à du bois de greffe. Mais ces projets sont dans l’ensemble

considérés comme des échecs essentiellement liés à un manque d’information et de

préparation des planteurs à cette intervention de type participative. Dans la province de Jambi,

moins de 5% des jardins à bois sont utilisés par les planteurs et pépiniéristes privés (Penot,

1998). La réhabilitation de ces projets ou la mise en œuvre par l’Etat ou par le secteur privé

d’interventions reposant sur ce principe faciliterait l’accès à moindre coût à du matériel

végétal de meilleure qualité.

Les projets en approche partielle qui fournissent gratuitement aux planteurs des clones

pourraient aussi constituer une alternative d’aide aux planteurs à un coût relativement limité

pour l’Etat ou les intervenants privés. Les résultats de ces programmes développés par le

gouvernement indonésien depuis le début des années 1990 sont mitigés. Plusieurs raisons

étroitement liées aux conditions dans lesquelles ces projets ont été mis en place expliquent cet

échec relatif. Tout d’abord, ces projets ne se sont pas toujours adressés aux planteurs

réellement demandeurs, soit parce qu’ils avaient déjà bénéficié d’un projet en approche

complète, soit parce que ces paysans ont des activités rémunératrices hors hévéaculture qui,

pour l’instant leur apportent un revenu satisfaisant ne les incitant pas à investir du temps et de

l’argent dans les clones. Ensuite, les planteurs n’ont pas été suffisamment informés sur les

techniques d’entretien et d’exploitation des hévéas ce qui les conduit parfois à cultiver les

clones comme des seedlings. Enfin, le projet fournit de quoi planter un hectare en clones mais

7 C’est un programme de développement villageois : Bangunan (développement en indonésien) desa (village en

indonésien).

12

les coûts d’entretien de la plantation sont par la suite totalement à la charge des planteurs qui

n’ont généralement pas suffisamment de capital pour acquérir les intrants nécessaires pour

cette surface.

Ce type d’intervention en approche partielle pourrait permettre à une catégorie de planteurs

(ceux qui sont réellement demandeurs et ceux qui ont le capital disponible) d’accroître leur

potentiel de production à condition de mettre davantage l’accent sur la formation des

planteurs et en envisageant d’adapter la surface plantée aux conditions financières des

exploitations.

Une autre alternative pour les planteurs réside dans l’emploi de matériel végétal amélioré non

greffé : les clonal seedlings. Dans les projets PIR par exemple, 27% des paysans ont planté

des clonal seedlings, matériel végétal plus facilement disponible que les seedlings pour les

planteurs qui n’ont pas de jungle rubber, en attendant d’avoir accumulé suffisamment de

capital pour investir dans des clones. Mais les clonal seedlings ne peuvent constituer une

solution viable pour accroître la productivité des plantations puisque, ce type de matériel

végétal ne permet pas un accroissement suffisant de la production. C’est un pis aller qui grève

cependant le niveau de production pour les trente années après la plantation. Cela prouve

aussi que les paysans restent attachés à l’hévéaculture en particulier si le palmier a huile n’est

pas une option accessible.

Malgré le désengagement de l’Etat dans les années 1990, la demande en matériel végétal

amélioré demeure forte.

5.2 Adapter le changement technique

Pendant longtemps la modernisation de l’hévéaculture paysanne supposait la mise en place de

plantations en monoculture.

Les pratiques observées chez les planteurs en projets après plusieurs années suggèrent des

adaptations éventuelles du modèle technique proposé. Il s’agit de la faible, voire la non

utilisation d’intrants, même avant l’entrée en production des arbres et la réintroduction de

pratiques agroforestières.

Après avoir investi dans des clones ou produit leur propre matériel végétal, le capital

disponible ne permet pas toujours un investissement régulier dans des intrants. Par ailleurs,

outre la contrainte financière, certains planteurs locaux habitués aux jungle rubber qui se

développent sans engrais, n’ont pas encore complètement assimilé l’intérêt d’utiliser des

fertilisants.

Ainsi, sans intervention de l’Etat, une grande partie des paysans qui plantent des clones sans

aide ne leur apporteront pas les fertilisants nécessaires en phase improductive. En

conséquence, la croissance sera ralentie et le potentiel de production diminué mais il restera

quand même largement supérieur à celui des hévéas non greffés.

Cultiver les hévéas en monoculture demande beaucoup d’herbicides et de main d’œuvre. Les

planteurs doivent donc avoir recours à un désherbage manuel coûteux en temps de travail et

inefficace dans la lutte contre Imperata Cylindrica. Planter des cultures intercalaires annuelles

comme le riz ou le maïs les premières années leur permet de lutter efficacement contre les

adventices herbacées (notamment Imperata). Ces cultures ont le double avantage de couvrir le

sol plusieurs mois par an limitant ainsi le développement d’autres espèces tout en contribuant

à l’alimentation de base de la famille.

13

Certains planteurs cherchent à optimiser la productivité de la terre. C’est le cas notamment des

migrants, locaux ou javanais, pour qui l’accès au foncier est limité. Ces paysans utilisent le

moindre espace de terre disponible et plantent dans l’interligne des hévéas des cultures

annuelles d’abord, pérennes comme des arbres fruitiers ensuite.

D’autres veulent optimiser la productivité du travail : ils rétablissent des pratiques

agroforestières pour lutter contre Imperata lorsque les désherbages manuels se sont révélés

inefficaces et qu’ils ne peuvent s’offrir l’herbicide nécessaire. Ou encore, ils associent une

autre culture d’exportation à l’hévéa, généralement du café ou du cacao notamment dans les

zones où ces deux cultures de rente sont associées aux hévéas locaux depuis longtemps.

Enfin, les populations locales, en particulier à Kalimantan, ont une longue tradition de

pratiques agroforestières, antérieures à l‘introduction des hévéas. Elles plantaient déjà les

arbres fruitiers sur ce modèle dans les tembawang. Le concept de monoculture n’est donc pas

forcément adapté et par là même généralement pas automatiquement adopté par les

populations locales. Pourtant, il reste un thème fort.

Ainsi, sans intervention extérieure, la tendance sera certainement le développement de

plantations clonales agroforestières avec une utilisation minimale d’intrants.

5.3 Financer les plantations et replantations en clones

Après le désengagement de l’Etat concrétisé par l’arrêt des grands projets, le problème majeur

auquel sont confrontés les planteurs est le financement des nouvelles plantations clonales. Si

l’on peut envisager que des intervenants extérieurs (publics ou privés) pourront faciliter

l’accès aux clones à moindre coût, ces interventions seront forcément limitées. Elles devront

par conséquent être très ciblées vers les personnes les plus défavorisées ou pour lesquelles

l’approvisionnement en matériel végétal est vraiment difficile. Seulement l’expérience montre

que les plus nécessiteux sont aussi les plus difficiles à atteindre. Les projets ont souvent choisi

la facilité de toucher les plus accessibles, également par la volonté de s’assurer d’un succès

technique. Beaucoup de planteurs seront donc amenés à investir seuls dans les clones et dans

les intrants. Cela suppose donc pour eux de trouver les moyens d’accumuler au préalable du

capital.

Les activités hors exploitation (artisanat, commerce…) sont une source potentielle de

complément de revenu facilement conciliable avec les activités hévéicoles.

Certains planteurs sont tentés de s’orienter vers le palmier à huile en participant aux projets

privés qui se développent un peu partout en Indonésie. Leur objectif est d’accumuler du

capital qu’ils réinvestissent par la suite dans les clones : l’entrée en production du palmier à

huile est rapide, 3 ans après la plantation et les revenus dégagés comparables à ceux obtenus

avec des hévéas clonaux en monoculture. Mais cette dernière alternative n’est envisageable

que pour les planteurs disposant de beaucoup de terre puisque le principe de ces projets, à

Kalimantan Ouest au moins, est de fournir 7.5 ha de terre pour ne récupérer que 2 ha de

palmier à huile accompagnés d’un crédit à rembourser.

Enfin, la dernière possibilité pour les planteurs de financer une plantation clonale serait de

pouvoir contracter un crédit. Mais il semble que les institutions de crédit rural soient peu

développées en Indonésie et à supposer que les planteurs soient prêts à demander un crédit

pour établir et entretenir une plantation, ils n’ont généralement pas les garanties exigées (titre

de propriété pour leurs terres notamment) pour qu’un crédit leur soit accordé. Le crédit ne

peut donc constituer actuellement une solution que pour une minorité de planteurs privilégiés.

14

6 Les sociétés privées prennent le relais des projets de développement

L’occupation des sols dans la province de Kalimantan Ouest (Bornéo), et dans le district de

Sanggau qui a été étudié en particulier (Geissler 2000), a subi de considérables modifications

qui se sont nettement accélérées pendant la dernière décennie. A partir des années 1980,

différents acteurs (Etat, sociétés privées, communautés locales dayaks et populations

transmigrées javanaises), développent des stratégies foncières qui induisent une re-définition

de l’utilisation des sols.

Parallèlement à son désengagement de l’hévéaculture paysanne, le gouvernement développe,

à partir du début des années 1990, une politique de distribution de concessions pour des

plantations de palmier à huile et d’Acacia mangium à des sociétés privées (semi-privées pour

A mangium). Cette politique aboutit à une redistribution juridique des terres au détriment des

populations locales. Cette situation peut devenir rapidement une source potentielle de conflit

entre concessions et communautés locales qui ne contrôlent plus juridiquement que 29% du

district en 1998 (contre 52% en 1985) (carte 1). Les forêts protégées ne représentent plus

que 7% et les projets de transmigration 3% des superficies totales ce qui ne constitue pas une

source réelle de conflit entre transmigrants officiels et populations Dayaks locales. Le

problème est différent avec les populations transmigrées spontanées qui s’installent n’importe

où. L’exemple des conflits entre Dayaks et Madurais en 1998, 1999 et 2000 reste encore très

présent localement.

En 1998, dans la pratique, la situation réelle sur le terrain est moins alarmante car ces

concessions ne sont que partiellement plantées (en moyenne à 20 % pour les concessions avec

palmier à huile et 10 % pour celles avec Acacia mangium). Après vérification, il reste

“ pratiquement ” 54 % des superficies utilisables par les communautés locales (carte 2). Le

constat de cette situation juridique alarmante, source de conflits potentiels, doit donc être

nuancé en fonction du taux réel d’occupation des sols. Trois scénarios d’évolution à 10 ans

ont été proposés afin d’estimer l’impact de ces changements sur l’allocation des terres. Le

scénario le plus probable est celui d’un développement raisonné des plantations privées (carte

3).

Cette re-définition de l’utilisation du sol a aussi un impact environnemental par la disparition

des zones de forêts et leur remplacement rapide par des monocultures.

Finalement, à la fin des années 1990, les sociétés privées ont remplacé l’Etat dans leur offre

de plantations à crédit complet aux planteurs locaux. Cependant deux choses ont

fondamentalement changé. D’une part ces sociétés se sont emparées définitivement d’une part

importante des territoires précédemment contrôlés par les populations locales sous “ adat ” (la

loi coutumière). D’autre part, la principale culture proposée n’est plus l’hévéa mais le palmier

à huile. Le désengagement de l’Etat de l’hévéaculture a donc été partiellement compensé par

une offre de service des sociétés privées mais à des conditions de crédit et d’échange de

foncier beaucoup plus défavorables que dans le cas des projets gouvernementaux dans le

passé. Un point positif cependant est la possibilité pour les paysans de financer la replantation

clonale grâce au revenu dégagé de ces nouvelles plantations.

Enfin, si le palmier à huile a permis une diversification des systèmes de culture intéressante

pour les producteurs hévéicoles qui ne veulent plus dépendre d’un seul produit dont le cours

est à la baisse depuis 1997, il aussi induit un changement notable du paysage et des

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pratiques.

7 L’Etat peut-il être le promoteur du changement technique ?

A partir des années 1970, l’Etat a mis en œuvre une politique uniformisante. L’objectif était

de remplacer les jungle rubber par de la monoculture clonale. Mais malgré un Etat autoritaire

et très présent à tous les niveaux de la vie des paysans indonésiens, le changement technique

ne s’est pas généralisé tel qu’il était voulu.

Une intervention nécessairement limitée dans le temps et dans l’espace

Grâce à sa politique de grands projets à crédit, l’Etat indonésien a réussi à promouvoir le

changement technique chez certains planteurs. Mais cette politique coûte cher au

gouvernement qui a pu financer, avec l’aide des bailleurs de fonds internationaux, ces grands

projets de développement lorsque le pays a tiré profit des deux chocs pétroliers des années

1970. Mais lorsque les ressources financières de l’Etat diminuent, une telle politique est mise

en péril. Ces interventions sont donc nécessairement limitées dans le temps puisqu’elles sont

largement conditionnées par l’état des finances du gouvernement. L’exemple récent de la

crise économique et financière traversée par l’Indonésie le confirme : l’aide au développement

de l’hévéaculture a été ralentie et les projets ont notamment eu des problèmes

d’approvisionnement en intrants à distribuer aux producteurs. Ce type d’intervention n’est

donc pas durable (dans le sens reproductible à long terme).

Par ailleurs, du fait de son coût, cette politique n’a pu toucher qu’un nombre très limité de

planteurs. Après plus d’une décennie d’effort, on estime que moins de 15% des surfaces

cultivées par les planteurs ont bénéficié directement de l’aide de projets (Tomich, 1992). Il

faut dire que la tâche est énorme puisqu’en Indonésie, environ 2,5 millions d’hectares sont

couverts par les jungle rubber. De plus, ces petites exploitations sont géographiquement

dispersées principalement sur Sumatra et Kalimantan, ce qui rend l’intervention plus difficile

encore.

Un changement technique non durable

Le changement technique souhaité par le gouvernement c’est à dire l’établissement de

monoculture clonale chez les petits planteurs selon des normes d’entretien et d’exploitation

bien précises ne dure en fait, le plus souvent, que le temps de l’intervention. Les

recommandations techniques des projets ne sont vraiment suivies que lorsque le projet assure

un certain encadrement. Lorsque la pression des vulgarisateurs baisse, les pratiques des

planteurs changent. Ce phénomène a déjà été souligné (Barlow, 1991) dans un projet de

développement expérimental à nord Sumatra concernant la fréquence de saignée.

Nos propres enquêtes mettent en évidence des comportements similaires concernant

l’extension des surfaces ou la replantation. Lors de l’établissement de nouvelles plantations,

la plupart des paysans ayant bénéficié de l’aide d’un projet ne reproduisent pas dans son

intégralité le modèle technique qui leur a été proposé. Pourtant, chez ces planteurs on peut

considérer que le capital n’est pas un facteur limitant, au moins pour ceux dont les parcelles

sont en pleine production.

On a vu que tous projets confondus, seulement 27% des planteurs interrogés ont planté des

clones ou acheté une plantation clonale après l’intervention du projet. Les différences entre

projets sont importantes et le chiffre indiqué est biaisé par une proportion non négligeable de

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planteurs qui ont en fait bénéficié d’une nouvelle aide de l’Etat pour planter des clones (en ne

tenant compte que des paysans qui ont planté des clones sans aucun appui, le pourcentage

tombe alors à 15). Comme 30% de l’échantillon n’a établi aucune nouvelle plantation

d’hévéa, on déduit que plus de la moitié de l’échantillon continue à planter du matériel

végétal non sélectionné. Ces planteurs ne sont pas encore prêts à investir dans des clones. Par

ailleurs, l’approvisionnement en matériel végétal est parfois un frein à l’extension des

surfaces clonales. A Sumatra, l’adoption des clones n’est pas non plus totalement généralisée.

Une enquête réalisée à sud Sumatra à la fin des années 1980 montre que seulement 32% des

planteurs utilisent des clones pour établir de nouvelles plantations (Gouyon, 1995).

A Kalimantan Ouest, parmi les planteurs ayant adopté les clones après l’intervention du

projet, tous ne suivent pas l’ensemble des recommandations techniques du projet. Ces

planteurs ont soit réintroduit des pratiques agroforestières dans leur plantation clonale, soit ils

n’utilisent pas du tout de fertilisant pendant la phase improductive pour les raisons

développées plus haut.

Par contre, les planteurs ont sélectionné des thèmes techniques qui les intéressaient ou qu’ils

pouvaient facilement mettre en œuvre. En effet, la majorité, surtout dans les projets en

approche complète a abandonné la technique traditionnelle du jungle rubber pour planter les

hévéas locaux en ligne, avec un certain entretien pendant la phase improductive voire parfois

en monoculture.

Globalement, on peut donc considérer que l’Etat n’a pas encore réussi à promouvoir le

changement technique qu’il souhaitait à savoir remplacer le jungle rubber par la monoculture

clonale. Il a néanmoins mis les planteurs sur la voie de la modernisation, même si cette

modernisation ne prend pas la forme escomptée.

8) Conclusion

Après plusieurs décennies de permanence dans les techniques de culture, à la fin des années

1970, l’hévéaculture paysanne a entamé un processus de modernisation. Contrairement à ce

qui s’était passé au début du siècle lorsque l’Asie du Sud Est en général et l’Indonésie en

particulier découvraient hevea brasiliensis, le changement technique ne pouvait avoir lieu

sans l’intervention directe de l’Etat. Ni les mesures macro-économiques incitatives ni la

dégradation des conditions de vie des planteurs n’auraient pu leur permettre de changer. Par

ailleurs, le secteur privé ne s’est cette fois-ci pas impliqué. C’est donc l’Etat qui a joué le rôle

d’initiateur lorsqu’il a reconnu dans l’hévéaculture paysanne une source de revenu

d’exportation potentielle considérable et utile pour atteindre ses objectifs.

L’Etat indonésien a donc engagé le processus de modernisation de l’hévéaculture paysanne en

créant une demande en matériel végétal amélioré et en stimulant ainsi le secteur privé. Il a

enclenché une dynamique locale certes encore limitée, notamment à Kalimantan, mais le

processus va sans aucun doute se poursuivre et s’amplifier après le désengagement de l’Etat.

La principale contrainte à la poursuite du mouvement initié par l’Etat est le manque de

capital. Les planteurs devront donc trouver les moyens d’investir dans les clones soit en se

tournant vers des activités rémunératrices complémentaires soit en ayant accès à un crédit

rural. Mais il semble que les institutions dans ce domaine restent largement à développer.

Les planteurs mettront en œuvre des pratiques visant à accroître le rendement de leurs

plantations modernisant ainsi leur système de culture. Mais faute de moyens notamment, cette

modernisation ne coïncidera pas toujours avec le changement technique prévu par l’Etat.

17

Ce scénario pourrait toutefois être remis en cause par la concurrence du palmier à huile. Il

semble bien que depuis plusieurs années déjà, l’Etat indonésien accorde une importance

accrue à cette culture d’exportation actuellement en pleine expansion. Si l’Etat a encore les

moyens financiers d’intervenir pour aider au développement de cette culture, ou s’il arrive à

attirer les capitaux étrangers, malais notamment, pour financer ce secteur, les planteurs

d’hévéas risquent d’être de plus en plus tentés par cette culture. Les producteurs de

caoutchouc préféreront-il investir seuls dans des plantations d’hévéas ou bénéficier d’aides

publiques pour exploiter des palmiers à huile ? L’Etat va t-il être le promoteur d’un nouveau

changement technique, radical cette fois, en incitant des planteurs d’hévéas à produire de

l’huile de palme ?

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