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PROCESSUS DE DISTINCTION D’UNE PETITE-BOURGEOISIE RURALE Le cas d’une « association pour le maintien de l’agriculture paysanne » (AMAP) Jean-Baptiste Paranthoën Éditions Agone | « Agone » 2013/2 n° 51 | pages 117 à 130 ISSN 1157-6790 ISBN 9782748901795 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-agone-2013-2-page-117.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Jean-Baptiste Paranthoën, « Processus de distinction d’une petite-bourgeoisie rurale. Le cas d’une « association pour le maintien de l’agriculture paysanne » (AMAP) », Agone 2013/2 (n° 51), p. 117-130. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions Agone. © Éditions Agone. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 28/12/2015 09h58. © Éditions Agone Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 28/12/2015 09h58. © Éditions Agone

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PROCESSUS DE DISTINCTION D’UNE PETITE-BOURGEOISIERURALELe cas d’une « association pour le maintien de l’agriculture paysanne » (AMAP)Jean-Baptiste Paranthoën

Éditions Agone | « Agone »

2013/2 n° 51 | pages 117 à 130 ISSN 1157-6790ISBN 9782748901795

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-agone-2013-2-page-117.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Jean-Baptiste Paranthoën, « Processus de distinction d’une petite-bourgeoisie rurale. Le casd’une « association pour le maintien de l’agriculture paysanne » (AMAP) », Agone 2013/2 (n°51), p. 117-130.--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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OBJETS D’UN ENGOUEMENT IMPORTANT depuis leur création en 2001,les associations pour le maintien de l’agriculture paysanne(AMAP) s’inscrivent dans les tentatives de reconfiguration des

liens entre producteurs et consommateurs. Difficile à évaluer numéri-quement car encore peu structuré, le développement de ces formes decommercialisation est accompagné d’un intérêt médiatique, politique etscientifique qui souligne l’émergence d’un mouvement citoyen partici-pant à la remise en cause de la division sociale du travail.Dispositifs de vente directe qui « engagent » des consommateurs et des

producteurs par contrat, les AMAP permettent aux premiers d’acheter parabonnement aux seconds, lesquels garantissent des produits sains, natu-rels et abordables. Les producteurs assurent la distribution de légumes desaison ainsi qu’un certain mode de production, comme l’agriculture bio-logique 1. En contrepartie, les consommateurs s’abonnent à des « paniers »,

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Processus de distinctiond’une petite-bourgeoisie rurale

Le cas d’une « association pour le maintien de l’agriculture paysanne » (AMAP)

AGONE, 2013, 51 : 117-130

1. Pour une présentation plus exhaustive des enjeux liés au « mouvement desAMAP », lire Pierre Besse, « Les AMAP : miracle ou mirage ? », in Philippe Baqué(dir.), La Bio entre business et projet de société, Agone, 2012, p. 261-282.

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2. Hiroko Amemiya, « En Bretagne, un rôle nouveau pour les citoyens », inHirokoAmemiya (dir.), Du Teikei aux AMAP. Le renouveau de la vente directe de produitsfermiers, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 127-150.

qu’ils reçoivent chaque semaine pendant une période de six mois, sup-portant les désagréments que peut connaître l’activité agricole. Aléas cli-matiques et maladies ne sont donc plus à la seule charge des agriculteurs.La réduction du nombre d’intermédiaires ainsi que la diminution de la

distance entre les producteurs et les consommateurs garantiraient la venteau juste prix de leur production pour les uns et l’accès à une alimentationsaine pour les autres. À l’encadrement économique d’une production agri-cole respectueuse de l’environnement répondrait alors l’éducation desconsommateurs que l’éloignement des campagnes aurait détachés despréoccupations agricoles. Principalement d’ordre spatial, le rapproche-ment entre producteurs et consommateurs se destinerait dès lors à fairetomber les frontières entre deux acteurs que la place dans l’organisationsociale du travail tend pourtant à opposer.En effet, aux producteurs venant des mondes ruraux s’associeraient des

consommateurs issus des centres urbains. En d’autres termes, à traversle phénomène des AMAP se jouerait de façon plus générale une allianceentre urbain et rural, comme le mentionne le nom de l’association Urgenci(Urbain-rural : générer des échanges nouveaux entre citoyens), quiregroupe ces initiatives au niveau international, justifiant par ailleurs laconduite de recherches-action avec « d’une part des citadins et d’autrepart des paysans » autour de la « relation entre la ville et la campagne » 2.Ainsi la littérature journalistique et scientifique s’intéresse-t-elle encoreassez peu aux membres des AMAP en dehors d’une lecture en termes dedichotomie ville/campagne.Il semble nécessaire d’interroger la position sociale des consommateurs

pour mieux rendre compte des enjeux inhérents à la redéfinition de laplace de l’agriculture que ces initiatives sous-tendent. À cette fin, nousprendrons l’exemple de la mise en place d’une AMAP dans un canton ruralsitué à la frontière entre le Maine-et-Loire, la Mayenne, la Loire-Atlantique,l’Îlle-et-Vilaine, et distant d’une soixantaine de kilomètres de quatre capi-tales départementales. Comment expliquer la mise en place d’une telleinitiative dans un contexte local pourtant très éloigné des centres urbains ?Nous voudrions montrer ici, à l’aide d’entretiens, d’observations et dedocuments d’archives récoltés depuis 2009, que, contrairement à une

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lecture duale et spatiale de l’espace social qui oppose deux mondes appa-remment distincts – et qui contribue à faire exister la représentation d’unecampagne figée contre une ville vectrice de progrès –, la restitution del’activité de ces associations au sein de contextes locaux permet de rendrecompte des évolutions qui touchent les mondes ruraux 3. Ainsi, à traversl’analyse de la constitution de l’AMAP de Saint-Raphaël-du-Bois se dessi-nent les processus de distinction d’une petite bourgeoisie dans un terri-toire rural en recomposition.

3. Lire Jean-Baptiste Paranthoën, « La construction d’une AMAP en milieu rural.L’enjeu de la responsabilisation des consommateurs », mémoire de master 2 descience politique, université Paris-X-Nanterre, 2009, p. 239.

Fig. 1. Prospectus de présentation de l’AMAP de Saint-Raphaël-du-Bois.

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4. Entretien avec un consommateur de l’AMAP, 2009.5. Les noms des lieux et des personnes ont été modifiés.6. Je tiens à remercier Abdoul Diallo pour la mise en forme de ces données. Surces questions, lire Patrick Champagne, L’Héritage refusé. La crise de la reproductionsociale de la paysannerie française 1950-2000, Seuil, 2002.

« C’EST DES GENS CULTIVÉS QUI SONT DANS L’AMAP 4 »

Créée en 2009, l’AMAP de Saint-Raphaël-du-Bois compte à ses débuts11 producteurs (légumes, pain, lait, œufs, viandes, fromages, etc.) et56 consommateurs. Elle s’inscrit dans un contexte local a priori éloignédes représentations traditionnellement attachées à ces associations. D’unefaible densité (42 habitants au km2), le canton de Pigné est historique-ment composé d’une forte proportion d’ouvriers, ce qui le distingue dureste du département 5. Principalement minier (ardoise et fer) jusqu’à lafin des années 1980, ce maillage industriel est aujourd’hui marqué parune forte implantation de l’industrie plasturgique, ce qui lui vaut le sur-nom de « petite capitale du plastique dans l’Ouest » et contribue au main-tien de l’emploi ouvrier. La concentration que connaissent les exploitationsagricoles dans cette région dominée par la production laitière depuis lemilieu des années 1960 participe à la promotion sociale des agriculteurs,mais elle entraîne dans le même temps la diminution de leur nombre eta fortiori de leur proportion au sein de la population du canton 6.

Pigné 1968 1975 1982 1990 1999 2008

Population active de 15 ans ou plus 4608 4425 4308 4072 4191 4453

Agriculteurs exploitants 42 % 32 % 29 % 22 % 14 % 10 %

Artisans, commerçants et chefs d’entreprise 8 % 8 % 6 % 7 % 5 % 6 %

Cadres et professionsintellectuelles supérieures 2 % 2 % 2 % 4 % 3 % 5 %

Professions intermédiaires 6 % 8 % 11 % 11 % 14 % 16 %

Employés 10 % 13 % 15 % 18 % 25 % 23 %

Ouvriers 31 % 37 % 37 % 38 % 39 % 40 %

Fig. 2. Répartition de la population active par catégorie socioprofessionelle de 1968 à 2008.(Source : INSEE-RP 1968-1999 données harmonisées, RP 2008 exploitation complémentaire.)

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Dans ce territoire rural, marqué par une forte présence ouvrière et unediminution régulière du nombre d’agriculteurs, on observe une expansiondes services publics après la Seconde Guerre mondiale, puis des secteursde l’enseignement et de la santé (ouverture de structures médico-socialesdans le chef-lieu de canton, par exemple). Se développe alors, à partir dela fin des années 1970, une population salariée relativement stable éco-nomiquement et davantage dotée culturellement.

Fig. 3. Comparaison des consommateurs de l’AMAP et de lapopulation du canton de Pigné. (Source : INSEE - RP1999.)

Comme l’attestent les résultats d’un questionnaire, ce sont quasi exclu-sivement des membres de cette petite bourgeoisie qui adhèrent à l’AMAP,.En effet, alors que les ouvriers, retraités et inactifs, constituent 68 % dela population du canton, ils ne représentent que 18 % des membres del’AMAP. À l’inverse, les professions intermédiaires ainsi que les cadres etles professions intellectuelles y sont surreprésentés : 67 % des adhérents

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7. Ivan Bruneau et Nicolas Renahy, « Une petite bourgeoisie au pouvoir. Sur lerenouvellement des élus en milieu rural », Actes de la recherche en sciences sociales,2012, n° 2, p. 7.

à l’association sont issus de ces groupes, qui ne forment pourtant que9 % de la population locale [voir fig. 3]. Parmi eux, les cadres de la fonc-tion publique et les professions intermédiaires de l’enseignement et dela santé sont particulièrement nombreux. Le recrutement de l’AMAP sefait donc au sein de la « petite bourgeoisie rurale renouvelée, cadres etmembres des professions intermédiaires dotés d’un capital culturel rela-tivement important 7».Les retraités consommateurs de l’AMAP répondent eux aussi aux carac-

téristiques sociales relatives à la petite bourgeoisie rurale, comme le mon-tre l’exemple de Claudette. « Amapienne », elle a été pendant longtempsprofesseure de mathématiques au collège public de Pigné. Elle estaujourd’hui à la retraite dans la commune où a lieu la distribution desproduits de l’AMAP. Son mari, toujours en activité, est directeur d’un cen-tre de formation de professeurs à l’université catholique de l’Ouest. Larelative aisance économique que lui offre sa pension de fonctionnaire del’Éducation nationale lui permet de soutenir financièrement des causes,principalement écologiques, et de s’approvisionner via l’AMAP sur unepériode de six mois.

« Moi, j’ai déjà ça d’avance, expliquait Claudette en 2009. Par exem-ple sur les gros investissements comme les panneaux solaires. Onest à l’aise financièrement, donc c’est facile. Quand l’investissementest fait, quand j’ai payé, eh bien, c’est dégagé après. Je ne suis pas àcalculer en combien d’années je vais faire un retour sur investisse-ment. J’ai l’impression d’être libérée, je ne pense qu’au chèque queva me donner EDF. Effectivement, il faut au moins dix ans pour unretour sur investissement, mais moi, ça y est, c’est fait. Si on n’a pasfait de gros emprunts à de gros taux d’intérêt, je trouve qu’aprèsquand c’est fait, c’est fait. Et là, on a payé, on a fait les chèquesd’avance qui sont tirés tous les mois. Et puis, c’est surtout le faitqu’on n’ait pas à tirer notre monnaie. On remplit notre panier etpuis on rentre. En fait, on ne rentre pas parce qu’on cause avec toutle monde mais… En plus, c’est très convivial. »

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AFFINITÉS ÉLECTIVESENTRE PRODUCTEURS & CONSOMMATEURS

Au-delà de la seule dimension économique, l’accès à ces modes d’appro-visionnement renvoie également à une représentation spécifique de l’ali-mentation, qui est elle-même dépendante de la position sociale 8. Unesélection sociale implicite est au principe de la constitution de l’AMAP :l’accord tacite autour d’une acception nutritionnelle de la nourriture per-met aux producteurs et aux consommateurs de s’entendre.C’est au cours d’un entretien en 2009 avec Élodie, secrétaire de la mai-

rie du chef-lieu de canton et consommatrice de l’AMAP depuis ses débuts,que s’exprime le mieux cette affinité élective des consommateurs avec lesproducteurs. L’attention à l’alimentation et à la santé s’impose rapidementpour justifier son adhésion :

— Qu’est-ce qui t’a intéressé dans ce principe ?— J’en avais déjà entendu parler et c’est le fait, enfin je dis toujours,on habite Pigné qui est en milieu rural et ça m’impressionne toujoursquand on va dans les grandes villes de traverser plein de champs etd’être obligée d’acheter ses légumes au supermarché. Et c’est vraique je ne les achète jamais au supermarché mais au marché de Pigné.Et du coup, je me suis intéressée de savoir d’où venaient les fruits,les légumes et c’est là qu’on se rend compte que les haricots vertsviennent du Kenya, même en cette saison-là. Donc quand j’aientendu parler de l’AMAP, j’y suis tout de suite allée.— C’est donc une collègue de la mairie qui t’a donné le prospectus ?— Oui, parce qu’elle sait que je suis à l’affût de tout ce qui est bioet même au niveau de la médecine et tout ça. Enfin, nous on estsuivis depuis longtemps par un médecin homéopathe et c’est vraique je ne vais pas sur Pigné parce qu’aussitôt que les enfants ontun petit truc ils les mettent sous antibiotiques et je ne suis pas dutout d’accord. Donc j’ai trouvé un médecin qui me convient et doncelle sait que je suis assez proche de la nature. C’est pas ça mais jefais attention à ce que je mange. J’ai mon plus jeune qui fait de l’ec-zéma alors que je l’ai allaité sept mois exclusivement parce que moi,

8. Lire Faustine Régnier, Anne Lhuissier et Séverine Gojard, Sociologie de l’ali-mentation, La Découverte, 2006, p. 121.

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9. Lire Séverine Gojard, « Changement de normes, changement de pratiques ?Les prescriptions alimentaires à destination des jeunes enfants dans la Francecontemporaine », Journal des anthropologues, 2006, n° 106-107, p. 269-285.

je fais pas mal d’allergies et je voulais pas qu’il les ait mais ça n’a pasempêché de… Mais a priori, ça venait de mon alimentation à moiparce que je consomme encore des choses que je ne devrais pasconsommer.

Les arguments avancés par Élodie pour son choix d’adhérer à l’AMAPfont apparaître la prise en compte de l’alimentation dans le domaine dela santé que véhicule la médecine homéopathique. À ses questionne-ments au sujet des modes de commercialisation des fruits et légumesainsi qu’à leur provenance s’articulent ses préoccupations au « niveaumédical ». Dans le lien étroit entre sa propre alimentation au momentde l’allaitement et l’eczéma de son fils se dessinent les prescriptions médi-cales telles qu’elles apparaissent, par exemple, au moment de la priseen charge de la grossesse et de la petite enfance. Bien que de plus enplus généralisée, la réception des normes alimentaires, notammentlorsqu’elles sont d’ordre médical, reste encore aujourd’hui clivante socia-lement parce que largement corrélées à la détention d’un niveau relati-vement élevé de capital culturel 9. Se formalise alors une montée engénéralité, une philosophie sociale qui permet d’associer la santé, l’ali-mentation et, à travers elle, les modes de commercialisation autour dela question plus générale de « l’environnement ». Comme précise encoreÉlodie : « Ils pensent que c’est un phénomène de mode réservé. “Ah, tusais les AMAP ça vient de Paris.” Y en a qui ont cette image-là. Et moi,c’est pas parce que c’est à la mode, c’est plus au niveau santé. Enfin, l’en-vironnement aussi, mais tout est lié. »L’agriculteur et à travers lui l’agriculture doivent dès lors être les garants

d’une alimentation saine, protectrice de la santé. Vision partagée par lesproducteurs de l’AMAP, qui sont dans l’ensemble assez proches sociale-ment des consommateurs. La hausse du niveau d’études requis pourdevenir agriculteur a en effet entraîné un accroissement du capital culturelde la profession. Elle a également rendu possible des trajectoires profes-sionnelles beaucoup moins rectilignes que celles que pouvaient connaî-tre les générations antérieures. La généralisation de l’accès à l’école ainsique la convergence de l’enseignement agricole et de l’enseignement géné-ral ont contribué à élargir l’espace des possibles des enfants d’agri culteurs

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en rendant de plus en plus fréquent l’exercice d’un autre métier avantde reprendre l’exploitation familiale. Ces itinéraires, parce qu’ils partici-pent à la multiplication des expériences au sein d’autres univers sociaux,concourent à la constitution d’un réseau de sociabilités hors agriculture,comme l’atteste le parcours de Guillaume. Après des études supérieuresagricoles, il suit une spécialisation en fiscalité agricole qui l’amène à enta-mer sa carrière professionnelle dans un cabinet d’expertise comptable età la poursuivre dans l’enseignement technique agricole en tant que pro-fesseur de gestion. Il ne reprendra l’exploitation céréalière de ses parentsque bien après, diversifiant au passage son activité par l’élaborationd’huiles végétales. Sa trajectoire le rend finalement très proche desconsommateurs de l’AMAP, avec qui il partageait déjà des activités cultu-relles comme le théâtre :

« Dans les relations qu’on a, il y a des gens qui ont une certaine sen-sibilité à la bio en tant que consommateurs. Je sais pas si tu connaisX et Y [des consommateurs de l’AMAP]. Tous ces gens-là, ce sontdes gens qu’on connaît par le biais d’activités culturelles ou autres.Et donc tous ces gens qui sont dans le culturel, par le théâtre.Certains ont été les initiateurs de pièces de théâtre. D’autres ont étédans la chorale. Moi aussi, malgré mon emploi du temps, je suis unpassionné du théâtre, je fais du théâtre. Donc, tu sais, dans les acti-vités culturelles on se côtoie. […] Bon, il y a la biocoop aussi. Unautre qui est un ami de vingt-cinq ans, qui a des ruches sur l’ex-ploitation. C’est plein de connaissances comme ça. J’ai fait partie del’association Slovénie-Échange. On est allé en Slovénie ensemble[pour] montrer l’agriculture bio française à la Slovénie. […] On étaitdeux producteurs à aller là-bas. C’était huit jours et nous on estresté trois semaines. Donc on retrouve les gens qui… alors qui n’ontpas forcément la même sensibilité dans tous les paramètres, bienentendu. Je pense notamment par rapport au paramètre religieux.Moi je suis complètement athée, alors qu’il y a des gens qui dans cemilieu-là, que ça soit sur l’environnement où on est d’accord maissur le côté religieux on ne s’entendra jamais. Et puis ce groupe s’élar-git. Et puis je pense que, ce qui est intéressant, c’est que c’est dansla démarche de chacun, en fonction de son vécu, de son éducation.Mais j’ai toujours recherché ce qui sortait un peu du moule collec-tif. Parce que c’est vrai que dans ce monde de la bio, de l’AMAP, etc.,entre guillemets, on est pas dans le moule, on est des marginaux. »

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On voit ici que la proximité sociale entre les producteurs et les consom-mateurs, sur la base du partage de pratiques culturelles – indépendam-ment, par exemple, de positions religieuses divergentes –, leur permet des’accorder sur la fonction de l’agriculture entendue comme garante de lasanté. Lors de la réunion publique précédant la création de l’AMAP,Guillaume consacre l’essentiel de son intervention à décrire les valeursnutritionnelles des différentes huiles qu’il vendra dans le cadre de l’AMAP.Son discours, très technique et précis, proche de celui que pourrait tenirun nutritionniste, résonne alors avec les attentes d’Élodie en termes d’ali-mentation. Tout se passe comme si, sur la base d’affinités électives, la tra-jectoire sociale de Guillaume lui permettait de répondre et de s’ajusteraux aspirations des consommateurs. Ce qu’Élodie formalisera (en entre-tien) en rendant compte de son intérêt pour l’explication de la vertu deshuiles. Derrière ce que les membres de l’AMAP expriment en termes de« convivialité » se joue en fin de compte la création d’un entre-soi, d’unsentiment d’appartenance au monde de ceux qui ont pris conscience del’importance de la qualité des aliments. La reconfiguration des liens entreproducteurs et consommateurs n’engage donc pas tant un rapproche-ment d’ordre géographique que social.

ÊTRE « AMAPIEN » : SE CRÉER UN ENTRE-SOI DISTINCTIF

L’AMAP, qui constitue le support d’une alliance entre des personnes issuesdu même canton, matérialise la création d’un groupe identifié comme telau sein de l’espace local. Conjointement à l’accord tacite sur la fonctionde l’agriculture s’opère la constitution d’une frontière symbolique qui tendà mettre à distance des amapiens les autres groupes sociaux. Ainsi, bienqu’ils partagent la même activité professionnelle, Guillaume soulignel’écart qui le sépare des autres agriculteurs du canton : « Les questions etles comportements des agriculteurs, ça me déçoit. Moi, je me reconnaismal dans le milieu agricole, c’est pour ça que je ne fréquente pas d’agri-culteurs. Je te parle en termes d’enrichissement. »Si, comme on l’a vu précédemment, Guillaume partage des activités

culturelles et une même conception de l’alimentation avec les consom-mateurs de l’AMAP, à l’inverse, il se reconnaît peu dans le milieu agricole,au sein duquel il n’entretient aucune sociabilité. Dans cette optique,l’« enrichissement » est présenté comme un critère de sélection des fré-

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quentations. De façon plus générale, l’évocation de la capacité de réflexionintervient dans l’élaboration de la barrière symbolique qui se forge entreles membres de l’AMAP et les « gens de la base ». Ainsi, l’adhésion à l’as-sociation s’inscrit dans un processus de distinction dont la capacité d’in-trospection serait le corollaire ou le préalable nécessaire. « À double titreoui, précise Claudette. Tout le monde n’est pas rentré… Aujourd’hui,depuis un an, y a un changement des gens de la base, du peuple, qui seposent des questions mais qui disent que le bio, c’est cher. Mais par contre,ceux qui ont fait la démarche bio depuis plus de dix ans, ce sont ceux quiont réfléchi sur leur vie. Alors pour une raison ou pour une autre. Alorsquand tu réfléchis à ta vie, tu réfléchis sur tes relations, sur quel sens don-ner à ta vie et là-dedans rentrent tes amis et ta relation avec les autres. »La mise à distance symbolique évoquée ici se réalise concrètement

dans le recrutement ainsi que dans le départ de certains membres del’AMAP. Aux amapiens qui « réfléchissent » et font preuve de réflexivités’opposeraient les « gens de la base, du peuple », qui eux seraient atten-tifs au prix de l’alimentation avant de l’être à sa qualité. En fait, « l’auto-subsistance et son substitut, l’approvisionnement direct, et, plusgénéralement, l’ensemble des indicateurs qui témoignent d’un “sur-tra-vail domestique” consacré, entre autres, à l’alimentation 10 » des classespopulaires rendent peu probable l’adhésion à un dispositif rapprochantles producteurs et les consommateurs.De même, le renforcement de l’entre-soi au sein de l’association parti-

cipe à l’exclusion de ceux qui partagent moins les ressources détenuespar la plupart des membres. Le couple formé par Patrick et Dorothéeillustre bien cette situation. Originaire du canton, après avoir obtenu unbrevet de technicien agricole en aménagement de l’espace, Patrick alterneentre les petits boulots d’intérimaire à l’usine et les périodes de chômage.Au moment de la création de l’AMAP, le couple habite depuis plus detrois ans en face de ce qui deviendra le lieu de distribution des produitsde l’association. Malgré cette proximité, Patrick ne s’y rend que très rare-ment pour récupérer leurs produits. C’est Dorothée qui s’en charge la plu-part du temps. En formation pour devenir assistante sociale, elle estintéressée dès le départ par l’initiative et se rend aux réunions d’infor-mation qui ont lieu à la mairie. À de nombreuses reprises, je vois Patrick

10. Claude Grignon, « Styles d’alimentation et goûts populaires », Revue françaisede sociologie, 1980, vol. 21, n° 4, p. 596.

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passer devant le lieu de distribution pour rejoindre des amis au bar du vil-lage sans s’y arrêter. Les amapiens sont d’ailleurs un sujet de moqueriepour les habitués de ce bar – ainsi, Cyril, vendeur de matériel écologiquedans une grande surface, qui déclarait en 2012 : « Quand on était au bar,ça nous faisait bien marrer de voir les amapiens se dépêcher pour pren-dre leur panier. » La séparation du couple (l’activité de Dorothée la contrai-gnant à partir exercer en ville) conduit à la désinscription de Patrick.En même temps que s’effectue une sélection qui participe à l’homogé-

néisation sociale du groupe, la création d’un entre-soi se consolide et s’ex-périmente notamment au moment des distributions. Celles-ci sonthebdomadaires et ont lieu dans un ancien restaurant prêté par la muni-cipalité, qui est situé sur la place du village de Saint-Raphaël-du-Bois. Ladistribution offre l’opportunité de montrer le « dynamisme local » desadhérents, dans le cadre d’une démarche de mise en scène publique éloi-gnée de l’univers des supermarchés qui sont, eux, le symbole de l’anony-mat. L’organisation de la distribution est également pensée pour favoriserles échanges entre les producteurs et les consommateurs. L’absenced’échange monétaire permet par exemple aux premiers de ne pas resterderrière leur stand pour surveiller leur caisse comme sur les marchés deplein vent, encourageant ainsi les interactions au sein desquelles les dif-férences entre les agriculteurs et les autres membres du groupe sont estom-pées. Ces moments sont l’occasion d’étendre son réseau de sociabilités, defaire des rencontres. Ce dont témoignait Claudette en 2009 :

— Ça t’a permis de rencontrer des gens ? — La plupart, je les connaissais. Mais oui, je rentre quand mêmeen relation avec des gens, étant référente, je note les noms. Et samedidernier, c’était la découverte de Saint-Raphaël-du-Bois et y avait unefemme que je retrouve à l’AMAP. En fait, non, je l’ai reconnue, jelui ai parlé et en fait elle travaille au syndicat d’initiative. Mais bon,je suis bavarde naturellement, je rentre en contact facilement. Maisquand même on découvre des gens. Et c’est que des gens sympas.C’est que des gens qui rentrent dans une démarche sympathique etvolontaire.

Cette (re)connaissance, qui s’expérimente par l’entretien et l’extensiondes réseaux de sociabilité peut se déporter vers d’autres scènes sociales.Car si les distributions sont l’occasion de discussions qui portent, parexemple, sur des conseils de cuisine, elles sont aussi le moment où l’onparle politique et à partir desquelles on fait de la politique.

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La création, par certains producteurs et consommateurs, d’une asso-ciation écologique parallèlement à celle de l’AMAP montre la transla-tion opérée entre cette initiative et la scène politique locale, parfoismême régionale ou nationale. L’AMAP s’intègre dans une entreprise plusgénérale de mobilisation autour des thématiques environnementales etcontribue, par les sociabilités hebdomadaires qu’elle entretient, à laconsolidation des représentations du groupe en tant que tel, en mêmetemps qu’elle constitue un terrain de recrutement militant privilégié.L’organisation de soirées-débats, l’entrée au sein de comités locaux consul-tatifs, l’interpellation des candidats aux élections cantonales et l’appel à lamanifestation contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes sontautant d’éléments du répertoire d’action collective mobilisé par la frangela plus politisée de ce groupe social pour intervenir sur l’action publique.Bien que peu nombreuses, ces tentatives ont toutes les chances de ren-contrer une écoute de plus en plus attentive de la part du personnel poli-tique local au-delà des appartenances partisanes. En effet, la redéfinitiondes compétences requises pour devenir maire qu’a entraîné la créationde structures administratives supplémentaires comme les communautésde communes a participé à la modification morphologique du personnelpolitique local 11. Contraints à s’ajuster aux réformes institutionnelles liéesnotamment à l’intercommunalité, les maires des communes rurales doi-vent détenir les compétences managériales nécessaires à l’exercice d’unpouvoir local en mutation. Le recrutement des élus s’effectue alors prin-cipalement au sein des professions qui requièrent ce type de savoir-faire,valorisant de fait les personnes issues de la petite bourgeoisie rurale 12. Sibien que l’AMAP de Saint-Raphaël-du-Bois compte deux maires du can-ton, par ailleurs de tendances politiques opposées.Finalement, l’analyse des activités et des adhérents d’une AMAP en

milieu rural nuance les interprétations spatiales des démarches qui ten-dent à la redéfinition des liens entre producteurs et consommateurs dansle domaine de l’alimentation. La restitution des positions sociales des

11. Lire Sébastien Vignon, « Les élus des petites communes face à la démocratied’expertise intercommunale. Les “semi-professionnels” de la politique locale », inSylvain Barone et Aurélia Troupel (dir.), Battre la campagne. Elections et pouvoirmunicipal en milieu rural, L’Harmattan, 2010, p. 189-224. 12. Lire Ivan Bruneau et Nicolas Renahy, « Une petite bourgeoisie au pouvoir… »,op. cit.

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13. Louis Pinto, « Le consommateur : agent économique et acteur politique »,Revue française de sociologie, 1990, vol. 31, n° 2, p. 179-198.

membres de l’AMAP montre que, derrière la catégorie de « consomma-teurs » et son usage savant, journalistique et militant se joue un rétrécis-sement des distances sociales avec des agriculteurs dotés en capitalculturel 13. L’AMAP apparaît alors comme le support d’une alliance entreces différentes fractions de la petite bourgeoisie rurale que la place accor-dée dans la division sociale du travail tendait néanmoins à opposer. Sielle participe à la redéfinition des frontières sociales, l’AMAP est en mêmetemps un lieu où se maintiennent et se reproduisent des clivages avec lesautres groupes sociaux. Dès lors, la constitution d’une AMAP peut êtreréintégrée dans le processus plus général de recomposition des territoiresruraux : d’une part, la diminution drastique du nombre d’agriculteursdepuis les années 1960 tend à remettre en cause leur domination écono-mique et politique dans l’espace local ; d’autre part, le maintien d’unefrange stabilisée du salariat public, associé à l’émergence d’une populationagricole plus dotée culturellement, participe à la constitution d’un groupesocial relativement homogène, qui a vocation à intervenir au sein de l’es-pace politique local. La constitution d’un collectif, s’il peut d’abord appa-raître comme un repli sur soi, constitue en fin de compte la consolidationd’un groupe en construction.

JEAN-BAPTISTE PARANTHOËN

Doctorant en sociologie politique à l’INRA et associé au Groupe d’analyse poli-tique de Nanterre, Jean-Baptiste Paranthoën <[email protected]> prépare unethèse sur la construction militante, scientifique et institutionnelle des « cir-cuits courts alimentaires » et leurs conséquences sur le métier d’agriculteur.

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