Les usages des cartes (XVIIIe-XIXe siècle), Pour une approche pragmatique des productions...

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LES USAGES DES CARTES (XVII e – XIX e SIÈCLE)

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LES USAGES DES CARTES(XVIIe – XIXe SIÈCLE)

SCIENCES DE L’HISTOIREcollection publiée par l’Université Marc Bloch de Strasbourg

sous la direction de Georges BISCHOff

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Sous la direction d’Isabelle LabOuLaIS

Ouvrage publié avec le concours del’Unité mixte de service n° 2552

Maison Interuniversitaire des Sciences de l’Homme – Alsace(MISHA) UMB/CNRS

Ouvrage publié dans le cadre du programmeANR HistCarto (ANR-05-BLAN-0359-01)

LES USAGES DES CARTES(XVIIe – XIXe SIÈCLE)

Pour une approche pragmatiquedes productions cartographiques

Presses Universitaires de Strasbourg

2008

ISBN: 978-2-86820-374-8

© 2008 Presses universitaires de StrasbourgPalais universitaire – 9 place de l’Université – BP 90020

F-67084 STRASBOURG CEDEX

Les Presses universitaires de Strasbourg remercientla Maison Interuniversitaire des Sciences de l’Homme – Alsace

(MISHA – UMS 2552 UMB/CNRS)et la Société des Amis des Universités de l’Académie de Strasbourg

pour le soutien accordé à cette publication.

Les « coulisses » des cartes, évoquées par Michel de Certeau, désignent toutà la fois l’acte cartographique qui donne naissance à la carte et les usages

qui apparaissent ensuite lorsque cette carte est consultée. Entrer dans ces cou-lisses consiste donc à restituer les opérations qui, à première vue, ne sont pasvisibles sur les cartes mais ont néanmoins présidé à leur construction et carac-térisé leurs usages. Un tel projet s’appuie d’une part sur les suggestions formu-lées depuis une trentaine d’années par les historiens de la cartographie pour sedémarquer du « paradigme empirique » qui a longtemps restreint l’étude descartes à leur seul contenu 1, d’autre part sur les développements récents del’histoire du livre et de la lecture, et plus particulièrement sur les propositionsformulées par Donald McKenzie qui ont nourri nombre de travaux entreprisdans ce domaine.

«La carte, scène totalisante où des éléments d’origine disparate sontrassemblés pour former le tableau d’un “état” du savoir géographique,rejette dans son avant ou son après, comme dans les coulisses, lesopérations dont elle est l’effet ou la possibilité ».

Michel DE CERTEau, L’invention du quotidien. 1. Arts de faire,Paris, Gallimard, coll. «Folio. Essais », 1990, p. 179.

INTRODUCTION

Les « coulisses » des cartes à l’époque moderne

Isabelle Laboulais *

* Université Marc-Bloch, Strasbourg 2 – EA 3400.

Dans la préface qu’il a donnée à la traduction française de Bibliography andthe Sociology of Texts, Roger Chartier présente ce volume comme « un livre quibouscule les spécialités et efface les frontières canoniques », puis il conclut endisant : «Lisez McKenzie. Il est sûr que vous y trouverez votre bien 2 ». L’historiende la cartographie ne peut qu’approuver une telle affirmation. En effet, dans sestravaux consacrés à la bibliographie, Donald McKenzie propose d’étendre leconcept de texte bien au-delà de ses acceptions ordinaires, en incluant notam-ment la carte dans ce qu’il nomme les «non verbal texts 3 ». Il contribue en outre àeffacer les divisions anciennes entre sciences de la description et sciences de l’in-terprétation. Enfin, il souligne la nécessité de s’attacher aux usages des livres.Cette volonté d’articuler l’étude des textes, l’analyse de leurs formes et l’histoirede leurs usages peut être appliquée à l’histoire de la cartographie dès lors que celle-ci entend se défaire d’une approche strictement descriptive des cartes 4. Cetteposition n’est, à vrai dire, pas très éloignée de celle énoncée dès 1974 par DavidWoodward, sous la forme d’un programme de travail.

Dans l’article qu’il publie cette année-là, dans The American Cartographer,David Woodward analyse les propositions formulées depuis les années 1960 pourprendre en compte les conditions d’élaboration d’une carte et propose, à son tour,d’envisager quatre étapes : le rassemblement des données, le traitement de l’infor-mation, la distribution des cartes et leurs usages. Pour chacune de ces étapes, ilidentifie le processus de production (protagonistes, techniques mobilisées etoutils) et les formes prises par les différents objets élaborés 5. David Woodwarddéplore dans ce texte que la forme et le fond soient le plus souvent étudiés demanière distincte par les historiens de la cartographie, il suggère au contraire deles considérer comme indissociables et de procéder à un travail de contextualisa-tion 6. C’est d’ailleurs l’approche qu’il suit dans l’ouvrage qu’il consacre, une ving-taine d’années plus tard, à la cartographie italienne de la Renaissance 7. Lespremiers travaux de Brian Harley insistent également sur la nécessité de contex-tualiser les productions cartographiques dans leur environnement socioculturelavant de se livrer à toute étude de contenu, et cela tant pour restituer les proces-sus de construction que pour comprendre les raisons pour lesquelles les cartes ontété construites 8.

Plus récemment, Matthew Edney a posé, lui aussi, un regard critique surles postulats du « paradigme empirique » à l’œuvre dans l’histoire classique de lacartographie, il a mis en lumière les combinaisons complexes qui mêlent desfacteurs technologiques, sociaux et culturels tant au stade de la construction qu’àcelui de la consommation des connaissances cartographiques 9. Dans son ouvragequi a pour objet la construction géographique de l’Empire britannique en Inde,il fait de la cartographie et des enquêtes qui l’accompagnent des pratiques consti-tutives des manières de concevoir cet Empire 10. Tout comme lui, Christian Jacob

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propose une approche constructiviste des cartes et du savoir géographique, à ceciprès qu’il adopte une perspective chronologique cavalière et n’ancre son proposdans aucun contexte précis 11. Depuis leur publication, ses travaux, nourris par lesréflexions de Michel de Certeau 12, attirent l’attention des historiens sur l’essen-tielle opacité de tout document cartographique, et ses analyses sémiotiquescontinuent de marquer fortement l’histoire de la cartographie. En revanche, lespistes qu’il évoque pour mieux connaître « la pragmatique de la consultation de lacarte 13 » semblent moins explorées. Par cette expression, Christian Jacob désigneles manières de faire qui accompagnent la consultation des cartes 14. Cependant,comme l’a relevé Bernard Lepetit dans une recension de cet ouvrage, ici, l’analysede la matérialité de la carte

conduit moins vers une caractérisation des opérations techniques de produc-tion et des pratiques de la consultation que vers les opérations intellectuelles àl’œuvre dans l’opération de communication qui se joue avec chaque représen-tation du monde 15.

Or c’est précisément sur ces opérations techniques de production et cespratiques de consultation que nous voudrions nous arrêter dans ce volume, ennous attachant plus particulièrement au moment où la production cartogra-phique s’accroît et se diversifie, c’est-à-dire au cours du xvIIIe et du xIxe siècle 16.Il paraît alors pertinent de poser, à la manière dont l’ont fait les historiens de l’im-primé, « la question des emplois et des appropriations des matériaux typogra-phiques [ici : cartographiques], en ne se contentant pas de les classer, compter oudécrire » mais en tenant « la lecture comme pratique inventive et créatrice quis’empare diversement d’objets partagés et qui leur donne des sens aucunementréductibles aux seules intentions de leurs producteurs 17 ». Si la production carto-graphique se diversifie, les usages des cartes font de même : usages administratifs,savants, mais aussi démonstratifs, rhétoriques, etc., les uns n’excluant évidem-ment pas les autres. C’est donc en nous penchant sur certaines communautésd’utilisateurs que nous proposons d’aborder l’histoire de la cartographie car,comme l’a rappelé Bernard Lepetit :

La carte « fait sens », c’est entendu, mais elle fait sens au sein d’une commu-nauté sociale qui la consulte ou l’expose, qui l’utilise pour l’information qu’ellecontient ou pour la rhétorique symbolique du pouvoir ou de la distinctionqu’elle déploie. Derrière les « effets visuels produits » par les cartes, il y a unerecherche acquise des effets à produire et des regards éduqués 18.

Dans le cadre d’un programme financé par l’Agence nationale de la recherche(ANR) – «Expériences de terrain et compétences cartographiques» –, nous avonsobservé les conditions d’articulation entre expériences de terrain (observationsscientifiques, missions de reconnaissance, tournées d’inspection, etc.) et usages

introduction – Les « coulisses » des cartes à l’époque moderne 7

cartographiques, afin de comprendre comment, dès le xvIIIe siècle, les observa-tions de terrain ont été traduites graphiquement, et même cartographiquement,de manière directe ou de manière indirecte. Plutôt que d’étudier les usages decommunautés identifiées a priori (les savants, les administrateurs, les ingénieurs,etc.)19, nous avons choisi de partir d’une posture – l’expérience de terrain – pourquestionner les usages cartographiques qu’elle induit chez ses protagonistes.Prendre en compte les pratiques d’observation, de relevé, et leur traduction gra-phique sur des cartes à grande échelle semble en effet déterminant pour mettreau jour tout un pan de la production cartographique des Lumières. Cetteenquête s’est donc donné pour objet l’articulation des processus cognitifs et destechniques cartographiques perceptibles au travers notamment des interventionsmanuscrites encore visibles sur les cartes 20. Il s’est agi de saisir à la fois ce que leshommes de terrain font des cartes déjà produites, et quelles cartes ils produisentà leur tour. Ainsi, tout comme les savants qui compilent les savoirs représentéssur les cartes déjà produites par leurs alter ego ou par des hommes de terrain, leshommes de la pratique sont simultanément utilisateurs et producteurs de cartespuisqu’à l’époque moderne, il est très fréquent qu’ils réutilisent, en les annotantou en les complétant, des cartes topographiques imprimées. Au Conseil desmines par exemple, il est courant pendant la Révolution française de reporter surla carte de France de Pierre de Belleyme le fruit des observations de terrain réa-lisées par les ingénieurs et les inspecteurs lors de leurs tournées ; la carte impri-mée fait alors office de fond de carte et permet de cartographier les ressourcesminérales. S’attacher à ces documents imprimés et annotés offre un éclairage vifsur une forme spécifique d’acte cartographique (mapping). Cela implique ausside questionner les instructions suivies dans le temps de la construction des carteset les manières dont les commanditaires utilisent a posteriori les cartes élaboréesselon leurs consignes.

Grâce à cette approche pragmatique de la production et de la consultation, ils’agit de montrer comment les productions cartographiques portent les traces deleur élaboration et comment, dans ce type d’enquête, les textes viennent compléterles apports de l’archive cartographique. Il nous semble par ailleurs qu’une telledémarche peut remettre les cartes manuscrites au cœur des recherches – tant dansleur statut d’ébauche, stade qui précède l’élaboration d’une carte imprimée, quelorsque ces cartes restent manuscrites21 – ainsi que permettre de croiser des échellesdiverses22, des types différents de cartes, prenant notamment en compte les cartesimprimées et annotées a posteriori. Une telle entreprise ne peut bien sûr prendresens que si l’on garde à l’esprit qu’une carte est une construction sociale de la réalité,élaborée par et pour ce que Bernard Lepetit a appelé des «regards éduqués 23».

Les contributions publiées dans cet ouvrage ont été présentées au cours detrois journées d’études organisées à Strasbourg entre janvier 2006 et janvier 2008.

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La première s’est déroulée en juin 2006, elle était consacrée à la carte comme outild’expertise aux xvIIIe et xIxe siècles. Elle a permis de questionner les objets pourtenter de restituer les usages matériels qu’ils ont pu susciter et les dispositifs intel-lectuels qui les sous-tendaient. C’est dans cette perspective que la carte a été consi-dérée comme un outil de l’expertise, comme un instrument permettant de passerdes faits bruts à la synthèse, à l’interprétation ou à la décision. Cette approche nousa incités à prendre en compte les cartes dressées par des ingénieurs ou par dessavants, et ce, à toutes les étapes de leur construction – de l’esquisse à la versionimprimée –, mais aussi les cartes imprimées portant des annotations manuscrites.Au cours de cette journée, nous avons examiné les cartes et les plans en tentantd’identifier ce qui, sur l’objet original comme dans les marques d’usage qu’il porteencore, évoque les manières de figurer l’espace et les raisons de ces représentations.En effet, lorsqu’une carte est dressée ou complétée in situ, elle suppose l’existenced’un questionnement spécifique et d’un rapport particulier à l’espace cartographié.Il ne s’agit pas de partir en quête d’une vaine exactitude mais de s’interroger sur ceque le «coup d’œil » apprend à saisir en premier lieu 24.

La deuxième journée d’études s’est tenue en janvier 2007, elle portait sur lestatut respectif des cartes manuscrites et des cartes imprimées aux xvIIIe et xIxe siè-cles, sur les modalités de leur construction, sur les usages distincts ou semblablesauxquels elles ont donné lieu, sur les circulations propres à ces deux types de sup-port. Au temps où le «paradigme empirique» gouvernait l’approche des historiensde la cartographie, l’étude des cartes manuscrites était délaissée, du moins pourles époques où la cartographie imprimée s’imposait quantitativement. Les tracés,jugés inachevés, car distincts du document final, étaient dédaignés au nom de cetteexactitude que l’on jugeait plus assurée sur les cartes imprimées. À cette positionméthodologique qui a longtemps dominé l’histoire de la cartographie venaients’ajouter les conditions matérielles de conservation. Les cartes manuscrites sont eneffet moins connues et moins systématiquement identifiées dans les fonds d’ar-chives. Ainsi n’est-il pas rare de trouver dans une liasse des archives de telle inten-dance ou de tel ministère des cartes conservées – et c’est pour l’historien uneexcellente chose – avec les mémoires que ces cartes accompagnaient.

La troisième et dernière journée s’est tenue en janvier 2008, elle portait surles rapports que les ingénieurs ont entretenus avec les productions cartographiquesentre le xvIIe et le xIxe siècle. Nous nous sommes demandé comment, au coursde cette période, des ingénieurs du roi aux ingénieurs civils, se sont constituéesdes pratiques cartographiques spécifiquement liées (ou non) aux attributions desdifférents corps ; nous avons questionné les caractéristiques de ces productionscartographiques, ainsi que les finalités assignées aux cartes, en cherchant en quoila carte pouvait être considérée comme un attribut de l’ingénieur. Plutôt que deregarder l’uniformité des usages cartographiques développés par les ingénieurs

introduction – Les « coulisses » des cartes à l’époque moderne 9

comme un postulat de départ, plusieurs études de cas ont précisé les manières defaire propres à différents corps et la très difficile uniformisation.

Afin de tenir compte des thèmes évoqués de manière récurrente dans lesdiscussions qui se sont tenues lors de chacune de ces journées d’études, les contri-butions ont été, pour ce volume collectif, réorganisées en trois parties.

Dans un premier temps, les textes de Jean-Marc Besse, Michèle Virol,Nicolas Verdier, Valeria Pansini et Patrice Bret montrent comment, des normesaux productions cartographiques, ingénieurs et topographes définissent ce qu’ilsattendent des cartes. Avant de caractériser les usages des cartes développés aucontact du terrain, il nous a semblé important de nous arrêter sur l’objet quidonne lieu à ces usages. Cette première partie entend donc rendre à la carte toutesa complexité et redire combien il est essentiel de questionner de front les condi-tions matérielles de sa production et les enjeux intellectuels de sa construction.Par ailleurs, elle confirme que derrière « la carte » se dissimule un grand nombrede documents. Cette diversité traduit l’existence à la fois de documents de naturedifférente (plans et cartes) mais aussi d’étapes spécifiques dans le processus deconstruction de la carte (croquis, esquisses, ébauches, épreuves, etc.). Les enjeuxde ces productions cartographiques intermédiaires sont ici mis au jour. L’émer-gence de normes cartographiques, d’abord au sein de certaines communautés decartographes, puis à partir de 1802 chez tous les producteurs de cartes topogra-phiques, offre un éclairage indirect sur les usages des cartes. Ces normes tracenten creux le point de vue sur le territoire ; l’étude de ces textes prescriptifs rappelleque ces normes sont proportionnées aux manières dont les commanditairesentendent utiliser les cartes. Chez les ingénieurs notamment, elles apparaissentcomme un outil censé soutenir les projets, c’est alors la fonction rhétorique de lacarte qui doit être mise en avant.

Dans un deuxième temps, Catherine Bousquet-Bressolier, SandrineBoucher, Neil Safier et Isabelle Laboulais proposent quatre études de cas qui per-mettent d’observer comment, du terrain à l’atelier, travaillaient certains carto-graphes. Dans son article publié en 1974, David Woodward regrettait l’absenced’enquêtes biographiques consacrées à des cartographes, enquêtes qu’il jugeaitsusceptibles de restituer l’opération cartographique dans toutes ses étapes, de laconstitution de la documentation à la réalisation cartographique à proprementparler 25. Les études de cas rassemblées ici répondent, dans une large mesure, à sonsouhait. Notons d’ailleurs que le choix des cartographes étudiés ici tient moins àleur notoriété ou à la singularité de leur œuvre qu’à la richesse des archives qu’ilsont laissées, délibérément ou non. Les productions cartographiques sont certesdéterminantes mais les sources textuelles le sont peut-être encore plus, qu’ils’agisse de documents annexes à la carte (carnets de terrain, lettres, mémoires) ou

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d’annotations textuelles apposées sur la carte elle-même (épreuves corrigées, carteimprimée réinvestie pour les besoins d’une cartographie thématique), dès lors quel’on entend saisir la carte en train de se faire. Dans cette deuxième partie, il estquestion tant du travail de terrain que de celui mis en œuvre dans l’atelier, maisc’est surtout la multiplicité des relations que peuvent entretenir les hommes deterrain et les savants de cabinet qui est soulignée : deux communautés qui nes’ignorent pas, étant au contraire liées par des pratiques de négociation pourdéterminer le contenu de la carte à venir – où l’on voit encore combien la carteexprime un point de vue sur le territoire cartographié, et combien l’identificationde l’auteur de la carte s’avère une tâche ardue.

Enfin, dans une troisième partie, les textes de Renaud Morieux, MartineIllaire et Cécile Souchon, Stéphane Blond, Jean-Yves Puyo et Ana Carneiro signa-lent la place qu’a progressivement prise l’acte cartographique dans les pratiquesd’administration du territoire. On sait désormais que les savoirs spatiaux jouentun rôle majeur dans ces pratiques aux xvIIIe et xIxe siècles, mais ce sur quoi l’oninsiste ici, c’est la façon dont la carte est pensée par ses utilisateurs comme undocument irréfutable, comme un document capable de faire preuve, notammenten cas de contestation, parfois aussi comme un outil de négociation censé conso-lider la démonstration. La carte apparaît ici avant tout comme une mise en ordrede l’information orientée par l’usage pour lequel elle a été conçue.

Observer les usages des cartes développés au contact du terrain permet derappeler combien celles-ci constituent des objets mouvants et malléables au grédes besoins et des attentes de leur(s) auteur(s) ou de leur(s) commanditaire(s),voire de leurs futurs utilisateurs. À condition de traiter de front les opérationstechniques de production et les pratiques de consultation, l’approche pragma-tique des productions cartographiques se démarque du « paradigme empirique »de l’histoire de la cartographie. Cette méthode souligne au contraire qu’une carteoffre des images du territoire variables selon la communauté d’utilisateurs à quielle est destinée.

À l’origine, ce projet aspirait à prendre en compte les usages cartogra-phiques européens de l’époque moderne, mais la tâche a semblé trop vaste avantque ne soient posés quelques jalons pour assurer la méthode. Au final, si NeilSafier et Renaud Morieux confrontent deux pratiques « nationales », si AnaCarneiro développe le cas de la carte géologique du Portugal, à ces trois excep-tions près, ce sont principalement des communautés ou des cartographes françaisqui sont étudiés. Envisager des comparaisons, notamment à l’échelle européenne,reste une ambition pour des enquêtes collectives à venir.

introduction – Les « coulisses » des cartes à l’époque moderne 11

NOTES

1. EDNEy (M. E.), «Recent Trends in the History of Cartography : A Selective, AnnotatedBibliography to the English-Language Literature », Coordinates. Online Journal of the Map andGeography Roundtable, American Library Association, série B, n° 6, 2007, p. 1-52 (http://purl.oclc.org/coordinates/b6.htm).

2. CHaRTIER (R.), «Préface. Textes, Formes, Interprétations », dans D. F. MCKENzIE, Labibliographie et la sociologie des textes, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 1991, p. 18.Roger Chartier revient également sur l’apport des travaux de Donald McKenzie dans sa leçoninaugurale au Collège de France : voir R. CHaRTIER, Écouter les morts avec les yeux, Paris,Collège de France – Fayard, 2008.

3. Comme le rappelle Roger Chartier : «Ce qui autorise à désigner comme « textes » cesdiverses productions est le fait qu’elles sont construites à partir de signes dont la significationest fixée par convention et qu’elles constituent des systèmes symboliques proposés à l’interpré-tation», CHaRTIER (R.), «Préface…», op. cit., p. 6.

4. «La « sociologie des textes » de McKenzie […] vise à repérer comment, grâce à la mobi-lité de leurs formes, les textes sont susceptibles de réemplois et de réinterprétations par lesdivers publics qu’ils atteignent ou inventent », ibid., p. 15.

5. WOODwaRD (D.), «The Study of the History of Cartography : A Suggested Framework»,The American Cartographer, vol. I, n° 2, 1974, p. 101-115. On s’attachera notamment à lafigure 1, p. 103.

6. «Finally, it suggests a definition of the history of cartography as ‘the study of maps, mapma-kers, and mapmaking techniques in their human context through time. The field includes the studyof creation of the maps by survey, compilation, engraving, printing and coloring ; the history of theiracquisition, care, cataloguing and use.’ », ibid., p. 114.

7. WOODwaRD (D.), Maps as Prints in the italian Renaissance : Makers, Distributors &Consumers, Panizzi Lectures, 1995, Londres, British Library, 1996.

8. HaRLEy (J. B.), «The Evaluation of Early Maps: Towards a Methodology», imago Mundi,n° 22, 1968, p. 62-74; HaRLEy (J. B.), «The Map User in Revolution», dans J. B. HaRLEy, B. B.PETCHENIk et L. W. TOwNER, Mapping the American Revolutionary War, Chicago, The Universityof Chicago Press, 1978, p. 79-100.

9. EDNEy (M. H.), «Cartography without ‘Progress’: Reinterpreting the Nature andHistorical Development of Mapmaking », Cartographica, nos 2-3, 1993, p. 54-68.

10. EDNEy (M. H.), Mapping an Empire : The Geographic Construction of British india,1765-1843, Chicago, The University of Chicago Press, 1997.

11 DELaNO SmITH (C.), EDNEy (M.) et JaCOb (C.), «Theoretical Aspects of the Historyof Cartography : A discussion of Concepts, Approaches and New Directions », imago Mundi,n° 48, 1996, p. 185-205.

12. DOSSE (F.), Michel de Certeau. Le marcheur blessé, Paris, La Découverte, 2002, p. 536-540 ; GaRCIa (P.), «Un «pratiquant » de l’espace », dans C. DELaCROIx, F. DOSSE, P. GaRCIa etM. TREbITSCH dir., Michel de Certeau. Les chemins de l’histoire, Paris, Éditions Complexe,IHTP-CNRS, 2002, p. 219-234.

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introduction – Les « coulisses » des cartes à l’époque moderne 13

13. JaCOb (C.), L’empire des cartes. Approche théorique de la cartographie à travers l’histoire,Paris, Albin Michel, 1992, p. 109. On consultera aussi C. JaCOb, «Quand les cartes réfléchis-sent », EspacesTemps, nos 62-63, 1996, p. 36-49.

14. «Les manières de regarder, de comprendre et d’utiliser une carte varient en effet selonles conditions de sa mise en scène : ce sont les contraintes propres à son support matérielcomme à sa mise en espace, visibilité, distance ou proximité imposées, temps autorisé pour laconsultation, gestuelle spécifique requise pour sa manipulation et sa vision (se baisser, contour-ner, s’approcher, longer, déplier, dérouler, replier, enrouler, etc.) », JaCOb (C.), L’empire descartes…, op. cit., p. 109.

15. LEpETIT (B.), «Compte rendu de Christian Jacob, L’empire des cartes…», Annales HSS,juillet-août 1996, p. 907-908.

16. Les contributions publiées dans ce volume englobent la cartographie des Lumièresentendues au sens large, un peu à la manière du grand projet The History of Cartography, quitraite de la seconde moitié du xvIIe, du xvIIIe et du début du xIxe siècle dans le volume IVactuellement en cours de rédaction.

17. CHaRTIER (R.) dir., Les usages de l’imprimé (XVe-XIXe siècle), Paris, Fayard, 1987, p. 17.On verra aussi : R. CHaRTIER dir., La correspondance. Les usages de la lettre au XIXe siècle, Paris,Fayard, 1991.

18. LEpETIT (B.), «Compte rendu de Christian Jacob, L’empire des cartes…», op. cit., p. 908.19. Bien que certains historiens de la cartographie commencent à s’interroger sur la pos-

sible identification du lecteur des cartes, aborder les productions cartographiques sous l’angledes communautés d’utilisateurs reste une piste jusqu’alors peu explorée. DELaNO SmITH (C.),«For Whom the Map Speaks : Recognising the Reader », dans P. vaN GESTEL-vaN HET SCHIpet P. vaN DER KROgT éd., Mappae Antiquae : Liber Amicorum Günter Schilder. Essays on the occa-sion of his 65th birthday, HES & De Graaf Publishers, 2007, p. 627-636. Dans ce texte,Catherine Delano Smith identifie trois groupes de lecteurs : les lecteurs instruits, les lecteurséduqués, les lecteurs entraînés. Sur cette approche, voir J. R. AkERmaN éd., Cartographies ofTravel and Navigation, Chicago, University of Chicago Press, 2006. Cet ouvrage reconsidèreles relations entre la navigation, le voyage et la cartographie et s’interroge sur la manière dontla carte a ou n’a pas contribué aux voyages et à la navigation.

20. Ce programme de recherche a donné lieu à l’inventaire des cartes manuscrites pro-duites entre le xvIIe et le xIxe siècle et conservées à Strasbourg. Ces documents sont présentésdans une base de données consultable à l’adresse suivante : (http://histcarto.u-strasbg.fr).Cette base de données permet d’accéder à une fiche descriptive et une numérisation de chaquedocument retenu.

21. WaRmOES (I.), ORgEIx (É. d’) et VaN DEN HEuvEL (C.), Atlas militaires manuscritseuropéens (XVIe-XVIIIe siècle). Forme, contenu, contexte de réalisation et vocations, Paris, Musée desPlans-Reliefs, 2003.

22. BOuSquET-BRESSOLIER (C.) dir., L’œil du topographe et la représentation géographiquedu Moyen Âge à nos jours, Paris, CTHS, 1995 ; BOuSquET-BRESSOLIER (C.) dir., Le paysage descartes, genèse d’une codification. Actes de la 3e journée d’études du musée des Plans-Reliefs, Paris,Direction de l’architecture et du patrimoine, Musée des Plans-Reliefs, 1999. CORvISIER DEVILLèLE (M.-A.), BEyLOT (A.) et MORgaT (A.) dir., Du paysage à la carte : trois siècles de carto-graphie militaire de la France, Vincennes, Service historique des armées, 2002.

23. «Les cartes sont des représentations graphiques qui facilitent une compréhension spa-tiale des choses, des concepts, des conditions, des processus ou des événements dans le mondehumain. » [Maps are graphic representations that facilitate a spatial understanding of things,concepts, conditions, processes, or events in the human world.], HaRLEy (J. B.) et WOODwaRD (D.),«Preface », dans The History of Cartography, vol. I, Cartography in Prehistoric, Ancient, andMedieval Europe and the Mediterranean, The University of Chicago Press, 1987, p. xvI.

24. PaNSINI (V.), L’œil du topographe et la science de la guerre : travail scientifique et percep-tion militaire, 1760-1820, Thèse de l’EHESS, 2002.

25. WOODwaRD (D.), «The Study of the History of Cartography…», op. cit., p. 111.

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Jean-Baptiste-Julien d’Omalius d’Halloy est un personnage atypique dont leparcours mêle l’administration à la science 1. Né en 1783 à Liège, ses parents

l’envoient dès 1801 à Paris pour qu’il y suive divers enseignements, notammentceux dispensés au Muséum national d’histoire naturelle. En 1804, sa premièretournée géologique le conduit des Ardennes jusqu’en Lorraine. De cette expé-rience de terrain naît son « Essai sur la géologie du Nord de la France ». Cemémoire paraît d’abord en 1808 dans le Journal des mines puis, l’année suivante,dans un opuscule séparé 2. Cette publication permet au jeune savant de se faireremarquer à la fois par le Conseil des mines et le Bureau de la statistique duministère de l’Intérieur. Ainsi, en 1810, grâce à de nombreuses recommanda-tions, à commencer par celle de François-Pierre-Nicolas Gillet de Laumont, quidirige le Conseil des mines, et celle de Charles-Étienne Coquebert de Montbret,à la tête du Bureau de la statistique, Omalius d’Halloy est nommé sous-lieute-nant par décret impérial. Il est alors chargé de réunir, au profit du Bureau de lastatistique, les matériaux d’une description géologique de l’Empire français,échappant de ce fait à la conscription. Cette nomination intervient au momentoù les réflexions sur la production et l’usage des cartes géologiques vont bontrain. En effet, si c’est en 1822 que le ministère des Travaux publics adopte le

Cartographier les savoirs géologiquesdans le premier tiers du xixe siècle :

l’exemple des travaux de Jean-Baptiste-Juliend’Omalius d’Halloy (1783-1875)

Isabelle Laboulais *

* Université Marc-Bloch Strasbourg 2 – EA 3400.

projet proposé par l’École des mines de lever une carte géologique de la Franceau 1/500 000, ce projet a été élaboré dès 1811 par André Brochant du Villiers,professeur de minéralogie et de géologie à l’École des mines ; 1811, c’est-à-direau moment même où Omalius d’Halloy est censé rassembler et de cartographierses observations géologiques.

Le jeune géologue travaille à cette tâche jusqu’en 1814, date à laquelle ildevient sous-intendant de l’arrondissement de Dinant ; l’année suivante, il estpromu secrétaire général de la province de Liège, puis, quelques mois plus tard,gouverneur de la province de Namur. Omalius d’Halloy acquiert donc rapidementune position solide dans le monde des administrateurs. Quelques années plus tard,affichant ouvertement ses convictions conservatrices, il devient même conseillerd’État, puis, en 1848, sénateur. Pour autant, sa carrière de savant ne s’interromptpas à la fin de l’Empire. Au cours des années suivantes, il tente de concilier scienceet administration. Ainsi, en 1816, il devient membre de l’Académie royale deBruxelles, et, dès l’année suivante, présente à cette même Académie un «Mémoiresur l’étendue géographique du terrain des environs de Paris » – mémoire qu’ilsoumet, la même année, à l’Académie des sciences à Paris et qui est finalementpublié dans les Annales des mines. C’est en 1822 qu’il revient sur ses anciens travauxet fait paraître, une fois encore dans les Annales des mines, ses «Observations sur unessai de carte géologique» accompagnées d’une «Carte géologique de la France,des Pays-Bas et de quelques contrées voisines ». C’est là une étape importante pourlégitimer sa position parmi les géologues européens. Sa correspondance entémoigne ; il a, à partir de cette période, des échanges réguliers avec AlexandreBrongniart, Léonce Élie de Beaumont, etc. Ses publications confirment aussi laconsolidation de son statut de géologue : il fait paraître en 1831 ses Éléments de géo-logie, puis en 1833 son introduction à la géologie, en 1849 son Précis élémentaire degéologie. Tous ces ouvrages sont très souvent cités, et réédités à plusieurs reprises.Omalius d’Halloy ne se contente pas de traités de portée générale ; en 1842, ilpublie également un Coup d’œil sur la géologie de la Belgique, ouvrage qui émanenotamment de la mission qui lui est confiée à partir des années 1830. C’est àdouble titre – sa posture de géologue et sa fonction de gouverneur de province –qu’il est alors sollicité comme expert dans le cadre du projet de carte géologique dela Belgique. Cette fois, il n’est plus cartographe lui-même mais il défend sa concep-tion de l’outil cartographique.

Trois moments semblent donc se dégager de l’activité cartographiqued’Omalius d’Halloy : tout d’abord ses premières confrontations au terrain et lamanière dont il procède à cette époque pour consigner ses observations géolo-giques avec la perspective de les cartographier ; puis les étapes de l’élaboration del’Essai de carte géologique qu’il publie finalement en 1822 ; enfin son rôle d’expertdans la construction de la carte géologique de la Belgique. Ces trois moments

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traduisent les enjeux très vifs de la cartographie géologique dans une périodecaractérisée à la fois par l’institutionnalisation de la géologie et par la mise enplace d’une politique d’administration des ressources minérales.

L’enquête de terrain et les premiers bricolages cartographiques

En 1810, lorsqu’Omalius d’Halloy travaille pour le Bureau de la statistique,sa mission consiste à connaître les ressources naturelles dans leur ensemble et àdégager les corrélations qui existent entre la nature des terrains et les productionsagricoles.

Les archives de l’Académie royale de Belgique permettent de restituer laméthode mise au point par Omalius d’Halloy pour organiser ses notes de voyage.Quatre supports différents y sont conservés, chacun correspond manifestement àune étape dans l’élaboration du savoir. Vient tout d’abord le temps de la collecteoù, comme tous les hommes de terrain, Omalius d’Halloy consigne des faits glanésau gré de l’observation et notés sans souci de mise en forme 3. Une fois le voyageterminé, il inscrit dans un carnet le détail de l’itinéraire parcouru. Un registre de156 pages contient ainsi le détail des trajets suivis par Omalius d’Halloy au coursdes 32 voyages qu’il a faits entre 1801 (Paris par Reims et Bruxelles) et 1845(Naples). Pour chacun d’eux, il précise les lieux traversés, les étapes correspon-dantes ainsi que la distance parcourue 4. Puis, dans d’autres cahiers, il reprend sesobservations et les classe en deux parties distinctes et disproportionnées ; d’une partil consigne des «notes sur la minéralogie et la géologie prises dans les voyages», del’autre des «notes sur d’autres objets que la minéralogie et la géologie5». Enfin, undernier registre lui permet de réaliser des synthèses de ses connaissances6. Celui-cicontient 427 feuillets de notes reliés et classés par ordre alphabétique, ces notesconcernent les 130 départements que compte l’Empire français en 1812. Surchaque «fiche», Omalius d’Halloy a synthétisé les informations géologiques qu’il aréunies sur le département concerné. Lorsque les informations ne sont pas issuesdes observations qu’il a faites lui-même, Omalius d’Halloy en indique l’origine ; leplus souvent il s’agit des données transmises par les préfets, sous-préfets, ou d’in-formations tirées de ses lectures (Journal des mines, Journal de physique, quelquestraités dont les auteurs sont cités ; les noms de Nicolas Desmarest, Étienne deGensanne, Jean-Louis Giraud-Soulavie, François Pasumot, Élie Bertrand, etc.,reviennent régulièrement) 7. On retrouve ici une méthode très proche de celle dela statistique descriptive mise en œuvre au ministère de l’Intérieur 8. Cette organi-sation des notes grâce à laquelle tous les cahiers se complètent les uns les autres 9

est mise au point par Omalius d’Halloy dès 1806. Il ne cesse, au cours des annéessuivantes, d’essayer de la rendre toujours plus conforme à ses ambitions savantes10.

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Outre ses carnets, le jeune géologue emporte également des cartes sur leterrain ; malheureusement celles-ci ont aujourd’hui disparu. C’est donc demanière indirecte, en recourant à ses notes de terrain, à sa correspondance et à descartes dressées ultérieurement que nous pouvons identifier les multiples usagesqu’Omalius d’Halloy fait des cartes lors de ses voyages. À partir de 1810, il dis-pose vraisemblablement de deux ensembles de cartes géographiques : d’une partcelles dressées dans les départements et adressées par les préfets au Bureau de lastatistique (documents dont Omalius d’Halloy doit vérifier l’exactitude), d’autrepart des cartes géographiques vierges qu’il doit utiliser comme fonds pour yreporter ses propres observations géologiques.

Les lettres qu’Omalius d’Halloy adresse à Coquebert de Montbret, direc-teur du Bureau de la statistique, témoignent des ajouts et corrections qu’il apporteaux cartes établies par les préfets, généralement sur des planches de l’atlas dePierre-Grégoire Chanlaire. Son regard de spécialiste doit lui permettre de s’assu-rer sur le terrain que les informations fournies par les administrateurs locaux sontjustes : il examine, corrige, rectifie, et souvent complète les documents cartogra-phiques qui lui ont été transmis avant son départ. En juillet 1811, alors qu’ilséjourne à Tulle, il écrit par exemple :

Nous avions obtenu d’assez bons renseignements sur la limite septentrionaledu granit du centre, je viens de la franchir dans les deux parties sur lesquellesles détails étaient les plus douteux, c’est-à-dire à Cullau dans le Cher et àMontmorillon dans la Vienne. J’ai été aussi amené à comprendre la carte qu’onvous a envoyée de la Charente et j’ai vérifié ou rectifié presque toute la ligneoccidentale du primitif jusqu’à la Corrèze 11.

Cependant, Omalius d’Halloy ne se contente pas de corriger des cartes déjàétablies, il cartographie lui aussi ses propres observations. Pour cela, faute de levésspécifiques, il applique la méthode que recommande encore Ami Boué, en 1835,dans son Guide du géologue-voyageur ; le président de la Société de géologie pro-pose en effet «pour la construction des cartes géologiques, […] [d’] employer lesmeilleures cartes géographiques, s’il y en a déjà, et [de] tâcher de colorier envoyage même celles qui ont les plus grandes échelles 12 ». C’est en l’occurrence lacarte de France de Pierre de Belleyme, carte au 1/880 000 13, qui permet àOmalius d’Halloy de reporter le détail de ses observations géologiques.

La collection des cartes géographiques de Coquebert de Montbret conser-vée à la bibliothèque municipale de Rouen permet de retrouver quelques traces dela construction de cette carte tirée des voyages d’Omalius d’Halloy, et baptiséedans sa version finale « Essai d’une carte géologique de l’Empire français 14 »(Figure 8.1). Cette esquisse, dressée sur un exemplaire de la carte au 1/880 000de Belleyme, est accompagnée de deux légendes, l’une consacrée aux onze teintes

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plates utilisées pour enluminer la carte ((Figure 8.2), l’autre aux trente-huitsymboles ponctuels employés pour indiquer la localisation des ressources(Figure 8.3). Le document original est découpé en cinq bandes de dimensionsinégales ; chacune a été entoilée 15. La forme sous laquelle cette carte est conser-vée aujourd’hui renvoie bien aux usages auxquels elle était destinée. Ainsi décou-pée et entoilée, la carte est évidemment plus maniable qu’une carte d’1,20 m decôté (Figures 8.4 et 8.5) 16. Cette carte ne présente elle-même aucun élémentpermettant de la dater avec précision, mais, par recoupements, on peut sansrisque la considérer comme le résultat du travail accompli entre 1810 et 1814par Omalius d’Halloy, et complété par Coquebert de Montbret jusqu’au débutdes années 1820.

La légende épinglée à cet « Essai d’une carte géologique de l’Empire fran-çais » donne d’ailleurs à voir les diverses transactions entre les deux hommes.Comme pour se démarquer du jeune géologue, Coquebert de Montbret a noté àplusieurs reprises entre parenthèses « suivant M. Omalius d’Halloy » ; çà et là cetteexpression a finalement été biffée. L’ébauche de cette carte montre encore que lescatégories elles-mêmes, c’est-à-dire les termes utilisés pour désigner les types deterrain ne sont pas fixés de manière définitive. Ainsi, les hachures rouges ne figu-rent pas seulement les terrains volcaniques mais aussi les « autres roches dont l’ori-gine a été mise en problème». Coquebert de Montbret a également rayé le termede « calcaire à écrête » pour lui préférer celui de « calcaire grossier ou parisien ». Onvoit sur cette légende que, pour déterminer les grands types de terrain, les deuxhommes ont procédé par analogie et ont tenté de comparer les terrains qu’ilsjugeaient semblables. Ainsi, face au rectangle rose, la légende indique : «Terrainréputé primitif tel qu’il se voit en Limousin, en Bretagne comprenant le granit,gneiss, mica, schiste etc. » Les lettres qu’Omalius d’Halloy et Coquebert deMontbret ont échangées tout au long de leur collaboration rappellent la placecentrale tenue par l’établissement de la légende. Dès le 2 janvier 1811, Omaliusd’Halloy répond en effet à des questions concernant les couleurs utilisées dans « lacarte géologique de l’Empire 17 ».

Cette carte géographique imprimée, enrichie de nombreuses observationsgéologiques, constitue la seule trace matérielle du travail accompli par Omaliusd’Halloy pour le Bureau de la statistique. Aucune ébauche, aucun croquis n’a étéconservé, si bien que malgré l’existence des carnets de terrain d’Omaliusd’Halloy, il est impossible de savoir de quelle manière ce dernier a utilisé les infé-rences spatiales pour passer des observations qu’il a pu réunir à la représentationsurfacique. Malgré les inductions dont il condamne l’usage excessif, il ne peutqu’y avoir eu recours pour remplir la mission qui lui a été fixée : assurer la cou-verture générale du territoire. Les sources ne nous permettent pourtant pas dedire comment.

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En 1814, lorsque sa mission pour le ministère de l’Intérieur prend fin 18,deux autres exemplaires de sa « carte géologique de l’Empire » sont réalisés ; l’unest déposé à l’École des mines, l’autre au cabinet de Brongniart. Les lettres quecelui-ci adresse à Omalius d’Halloy permettent d’identifier quelques usages decette carte. Dans sa correspondance, le directeur de la manufacture de Sèvresévoque régulièrement les rencontres hebdomadaires qu’il organise chez lui avecses «fidèles causeurs du dimanche 19 », un petit groupe de naturalistes parmi les-quels Anselme-Gaëtan Desmarest, Leman et Auguste-Henri Bonnard sont lesplus assidus 20. Or, dans sa lettre du 4 avril 1817, Brongniart écrit à Omaliusd’Halloy que sa carte a été l’objet de leur discussion, il note :

Nous avons dimanche dernier beaucoup parlé de vous avec M. de Buch qui apassé deux heures à étudier la carte minéralogique de la France dont vousm’avez fait présent 21.

Une fois produite, cette carte manuscrite – qualifiée de « géologique » parles uns, de « minéralogique » par les autres 22 – ne sommeille pas dans quelquecabinet savant ; elle devient un véritable outil de travail, tant pour les naturalistesqui la consultent que pour Coquebert de Montbret qui la complète lors des longsvoyages qu’il fait en France entre 1816 et 1823 (un commentaire figurant sur cetexemplaire conservé à Rouen [Figure 8.5] signale en effet que Coquebert deMontbret a emmené cette carte en voyage avec lui 23). C’est bien cette versionenrichie de la carte dressée par Omalius d’Halloy à l’issue de sa mission pour leBureau de la statistique que Coquebert de Montbret lui suggère de publier, projetqui, nous allons le voir, ne correspond pas exactement aux ambitions d’Omaliusd’Halloy.

La publication de l’Essai de carte géologique de la France,des Pays-Bas et de quelques contrées voisines

Plus que la carte elle-même (Figure 8.6), ce sont ses conditions de produc-tion qui méritent notre attention. Cette carte au 1/3 700 000, imprimée chezBerthe en décembre 1822 et coloriée à la main par une vingtaine de femmesrecrutées pour l’occasion, est, tant par son échelle que par sa technique de réali-sation, une carte du passé 24. C’est à cette époque, en effet, que paraissent lescartes géologiques à grande échelle, à cette époque aussi que les premières cartesgéologiques en couleurs sont imprimées 25. Cependant, cette carte d’Omaliusd’Halloy offre un éclairage intéressant sur cette période où se développent,notamment au sein de l’École des mines 26, des réflexions sur la constructiond’une carte géologique de France 27.

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C’est le 13 décembre 1821 que Coquebert de Montbret écrit à Omaliusd’Halloy pour lui faire part de son intention de publier le travail achevé sept ouhuit ans plus tôt pour le ministère de l’Intérieur. Il justifie sa démarche par leretard français en matière de cartographie géologique, retard qu’il mesure bien sûrà l’aune de l’avance anglaise 28. Or, Coquebert de Montbret explique à son anciencollaborateur que de récents voyages et de nombreuses correspondances lui ontpermis de s’assurer de l’exactitude de la carte produite en 1813-1814. Il sollicitedonc l’accord d’Omalius d’Halloy pour entreprendre des négociations avec lemarchand qui détient les cuivres de la carte de Belleyme, celle-là même qui,depuis les années 1810, reçoit les observations de terrain susceptibles de délimi-ter les régions physiques.

Dès le 13 décembre 1821, Coquebert de Montbret demande à Omaliusd’Halloy un certain nombre de précisions avant de pouvoir dresser la version défi-nitive de cette carte 29. Dans le brouillon d’une lettre par laquelle il répond àCoquebert de Montbret, Omalius d’Halloy dit ne pas être en mesure de satisfaireà cette demande : il explique qu’il n’a pas le temps de rédiger une note sur lavaleur géologique des différentes couleurs et ajoute sur un ton assez hautain : « J’aifait plusieurs systèmes de coloration et je ne me souviens plus maintenant parlequel votre exemplaire est enluminé 30 ». Outre le manque de temps, Omaliusd’Halloy voit l’ancienneté du travail accompli comme un obstacle à sa divulga-tion à un public élargi 31. Un peu plus loin, dans la même lettre, il semble suggé-rer des raisons plus fondamentales à son refus. Alors que Coquebert de Montbretsouhaite publier une « grande carte » contenant autant de données que possible,Omalius d’Halloy avoue qu’il avait ce projet en 1814 mais que cela aurait exigé denombreux voyages ; entre les lignes, il faut lire des voyages qu’Omalius d’Halloyentendait accomplir lui-même. En effet, dans sa lettre, il ne semble tenir aucuncompte des observations réunies par Coquebert de Montbret lors de ses nom-breux périples en France depuis 1816. Mais, avant tout, Omalius d’Halloy consi-dère que c’est un autre type de carte qu’il faut réaliser, une carte qu’il regardecomme «un exposé des différents terrains qui se manifestent en France, dans lesPays-Bas et dans les contrées voisines 32 ». C’est donc dans une perspective dictéepar les principes qui fondent la géologie qu’Omalius d’Halloy envisage une tellecarte, et non plus suivant les ambitions de la statistique descriptive.

Écartant le projet de Coquebert de Montbret, il prend contact en 1822avec les Annales des mines 33 pour y publier ses «Observations sur un essai de cartegéologique », texte et carte qu’il soumet également à l’Académie royale deBelgique et qui paraissent dans un fascicule séparé en 1823 34. Omalius d’Halloyvoit dans cette entreprise un moyen d’assurer une légitimité intellectuelle à sontravail, mais aussi de se démarquer des prétentions encyclopédiques de la statis-tique descriptive qui a déterminé la nature de sa mission dans les années 1810.

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Dès 1808, dans son Essai sur la géologie du Nord de la France, Omalius d’Halloysouligne avec force la différence entre la géologie et la statistique 35. En 1822, audébut de ses « Observations sur un essai de carte géologique », il revient sur lesincidences cartographiques de ces différences et propose une définition d’unecarte géologique et d’une carte minéralogique 36. Ici encore, entre les lignes, ondevine la condamnation du projet de Coquebert de Montbret. Cette prise dedistance entre les deux hommes qui ont jadis collaboré est confirmée par lalégende de la carte pour laquelle Omalius d’Halloy retient six catégories. Demanière plus générale, si l’on confronte la carte manuscrite à la carte publiée, onest frappé par l’effort de synthèse réalisé entre les données collectées pendant lesvoyages et la cartographie des grands types de terrain. De l’ébauche intitulée«Essai de carte géologique de l’Empire français » à la carte définitive, on passe de11 à 6 types de terrain différents, et on observe que les désignations se sont fixéesprogressivement, passant de catégories minéralogiques à des catégories stricte-ment géologiques. La carte, publiée en 1822, est ainsi adaptée au nombre destrates alors identifiées et utilisées par les géologues. L’ambition consiste bien àfaire des cartes géologiques de véritables outils heuristiques, ou, pour le direcomme Ami Boué en 1835, « ce que les tableaux synoptiques sont pour lessciences 37 ». La carte publiée par Omalius d’Halloy en 1822 est censée poser uncadre géologique général, valable pour l’ensemble du territoire. Le rapport que cedernier entretient avec la pratique de terrain et les méthodes d’enquête qu’il aimaginées laissent en effet penser que cette étape doit précéder un retour àl’échelle locale. En cartographiant les strates communément citées par les géo-logues de l’époque, Omalius d’Halloy fait de la carte un cadre susceptible deprévenir une forme d’empirisme excessive puisque dénuée de toute vision syn-thétique du territoire.

Pour Omalius d’Halloy, la carte doit en effet synthétiser ces éléments, ellen’est pas une simple étape du raisonnement mais constitue au contraire un pointd’aboutissement. En revanche, pour Coquebert de Montbret, la carte est un outilcapable d’organiser spatialement les données accumulées dans le cadre d’uneenquête. Bien que la logique des deux collaborateurs soit à l’évidence surfacique,à l’image des premières cartes minéralogiques, pour Omalius d’Halloy, la carteconstitue un instrument indispensable à la production du savoir géologique, unoutil qui permet de passer du visible à l’intelligible : il entend cartographier lesétapes de la formation progressive du globe et tente d’articuler les données localesnées de l’observation à une vision conceptuelle unifiante. C’est encore cetteconception qu’il s’efforce de défendre lors de la réalisation de la carte géologiquede Belgique.

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Les conflits d’expertise autour de la carte géologiqueet minéralogique de Belgique

C’est dans une lettre du 26 mai 1824 que le ministre de l’Intérieur et del’Instruction publique sollicite l’avis d’Omalius d’Halloy sur le projet d’une« carte minéralogique des provinces wallonnes » qui serait dressée au 1/100000 38.Cette carte est d’emblée présentée comme utile « au développement des branchesd’industrie qui tiennent aux mines », elle doit contribuer « à rendre plus généralela connaissance de nos richesses minérales ». Pour conduire cette entreprise, leministre propose de faire appel au directeur des reconnaissances militaires et delui adjoindre un ou deux savants. Omalius d’Halloy répond au ministre le 18 juin1824. S’il se déclare d’emblée favorable au projet, il considère en revanche que leprocédé suggéré ne peut convenir car, à ses yeux, les officiers du Quartier-Maîtregénéral ne sont ni formés, ni en mesure de réaliser ce travail ; ils n’ont pas une ins-truction minéralogique et géologique suffisante. Un autre argument vient encorejustifier son point de vue, faisant écho à son expérience passée de collaboration :

Il est à remarquer qu’une carte minéralogique pour être véritablement bonnedoit être l’ouvrage d’un même individu attendu que chaque personne quis’occupe de science naturelle a des manières de voir différentes.

Certes, on retrouve là un argument devenu un véritable topos au xvIIIe sièclepour justifier la rédaction des si nombreuses instructions de voyage, mais on nepeut manquer d’y trouver également une leçon tirée de son propre parcours decartographe. Pour contourner cette difficulté, Omalius d’Halloy suggère de rédi-ger un agenda inspiré de celui de Saussure, c’est-à-dire « qui indiquerait lesdiverses observations que les officiers devraient faire, les remarques qu’ils devrontnoter, les dessins qu’ils devront faire et les échantillons qu’ils devront recueillir ».Lorsqu’il évoque l’usage des données ainsi collectées, on peut, une fois de plus, sedemander si Omalius d’Halloy ne s’inspire pas de la mission qu’il a accompliepour le Bureau de la statistique en France. Voilà ce qu’il suggère :

On recenserait ensuite ces documents ainsi que les copies de cartes physiquesdessinées par les officiers dans un lieu où tout amateur pourrait en prendreconnaissance. Cette réunion des matériaux précieux serait un stimulant pourles naturalistes qui voudraient entreprendre le travail d’une carte minéralo-gique et probablement que de cette manière on obtiendrait non pas une maisplusieurs cartes minéralogiques qui tendraient à devenir meilleures les unes queles autres.

Omalius d’Halloy va jusqu’à proposer de travailler lui-même sur ces don-nées réunies selon les consignes de son propre agenda. Sa suggestion n’est toutefoispas retenue et, en 1825, la réalisation de cette carte au 1/100 000 est confiée à

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J.E. Van Gorkum, directeur des reconnaissances près de l’État-Major du Quartier-Maître général, et à Van Breda, professeur à l’université de Gand. Omalius d’Halloyne se trouve pourtant pas totalement écarté du projet. Au même titre que Bouesnel,l’entrepreneur en chef des mines, il y contribue en tant qu’expert.

La première tâche d’Omalius d’Halloy consiste donc à relire et suggérerdes corrections à l’« Instruction pour Messieurs les Officiers de l’État-Major duQuartier-Maître général attachés à la Brigade des reconnaissances militaires etchargés de recueillir les minéraux et de faire les observations géognostiques pourla construction d’une carte géologique et minéralogique » rédigée par Van Breda.Pour Omalius d’Halloy, si l’on décide d’envoyer des hommes sur le terrain, c’estqu’on est sûr de leurs capacités à réunir des observations, et c’est en tenant ceprincipe pour acquis qu’il réagit à l’instruction de Van Breda. Les corrections qu’ilapporte montrent en effet qu’il s’est attaché à l’équipement des hommes de ter-rain, à la taille des échantillons ; mais il va au-delà des questions de méthode ensuggérant que les officiers rédigent des descriptions géologiques de chacun deslieux parcourus. Van Breda lui répond que les officiers ne sont pas censés se char-ger de la description géologique, c’est lui-même, Van Breda, qui doit l’écrire. Sicelui-ci semble considérer les officiers comme capables de rassembler des obser-vations géologiques, il ne les estime en revanche pas assez instruits pour passerdes faits à l’interprétation. Omalius d’Halloy ne partage évidemment pas cetavis, il est convaincu que l’auteur de la description doit aller sur le terrain. C’est,selon sa propre expérience, au contact même de la nature que surgissent des élé-ments de compréhension.

Omalius d’Halloy accorde une place décisive à la capacité dont l’homme deterrain doit faire preuve pour interpréter les phénomènes observés, et relie cetaspect du travail à la définition de l’espace étudié. On peut rappeler, à ce sujet,qu’Omalius d’Halloy voyage à pied et se montre très attaché à cette manière defaire, il la regarde comme consubstantielle à tout projet de connaissance. Demanière anecdotique, notons qu’Omalius d’Halloy est mort en 1875 des suitesd’une congestion cérébrale qui l’a saisi pendant une tournée géologique aux envi-rons de Bruxelles. Très tôt, avoir vu constitue pour lui une étape nécessaire dansla construction des savoirs ; il l’écrit à Brongniart dès 1811 :

On ne peut trop se garder de tirer des conséquences générales de ce qu’on a vudans un pays. Je crois qu’on ne devrait avoir d’idée générale que quand on auravu toute la terre, c’est-à-dire jamais. J’ai commencé par voir mon pays, et ne voirque mon pays ; alors tout allait à merveille. J’avais une géologie ardennaise queje croyais applicable à l’univers entier, je suis ensuite allé aux Alpes, il m’a fallumodifier et je me suis fait une géologie ardenno-alpine que je croyais encoregénérale. Aujourd’hui il me faut encore changer mais comme l’esprit del’homme aime naturellement à généraliser tout cela s’arrangera et j’aurai bientôt

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une géologie cévenno-ardenno-alpine. Je sens toutefois que ce sera la dernière,car si j’ai encore l’avantage de voyager la combinaison de noms deviendra tropconsidérable, je n’aurai plus dans la tête que des faits isolés et […] je seraicomme le grand Saussure qui a fini par n’avoir plus d’idées que théoriques 39.

À cette période, le géologue doit définir son rapport au terrain contre deuxmodèles : il doit se défaire de l’esprit de système déployé par les auteurs desthéories de la terre, mais doit tout autant se garder des naturalistes qui collec-tent des faits en oubliant d’observer les liaisons qui existent entre eux. Cetteposition prudente semble inconciliable avec la méthode retenue pour lever lacarte géologique de Belgique.

Dans cette entreprise, Omalius d’Halloy ne s’oppose pas seulement auxméthodes préconisées par Van Breda, il récuse systématiquement les modèles decarte que lui soumet Van Gorkum. Un arrêté du 20 juillet 1828 mentionne eneffet le passage du 1/100 000 au 1/200 000, qui devrait à la fois répondre auxobjectifs de 1825 et permettre d’achever la carte dans les meilleurs délais. VanGorkum est chargé de réaliser une petite carte censée servir de modèle et dont laforme doit être approuvée par Van Breda, mais aussi par Omalius d’Halloy etBouesnel. Ce dispositif de validation conduit finalement à un blocage. Omaliusd’Halloy considère que ce qui lui a été transmis n’est pas conforme à l’arrêté dejuillet 1828 ; il écrit alors :

Nous croyons que le modèle mentionné dans cet arrêté devrait présenter l’en-semble du projet et par conséquent l’indication de tous les terrains que l’on sepropose de faire figurer dans la carte tandis que celui qui lui a été envoyé necouvre que quelques uns de ces terrains. On n’y voit pas notamment le terrainhouiller, les ardoises, les grès rouges, les marnes irisées, les calcaires, les grès desenvirons de Luxembourg, la craie, le calcaire grossier, les grès et les sables desenvirons de Bruxelles, etc.Nous désirerions aussi que dans le groupe de roches qui est représenté dans lemodèle par une teinte rouge, on adoptât un signe particulier, tels par exempleque des points plus foncés pour indiquer les poudingues qui distinguentquelques parties de ce terrain.Nous n’avons point d’observation à faire sur ce projet de titre et nous ne feronsaucune difficulté de le revêtir de notre approbation lorsque nous aurons puégalement approuver le projet général de division et de coloration des terrainsqui devront être indiqués sur la carte.

Devant cette série de critiques, Van Gorkum essaie d’argumenter, il expliquequ’il ne s’agit là que d’une part du travail, puis suggère à Omalius d’Halloy d’ap-prouver la partie topographique avant de s’attacher à la partie géologique de lacarte ; ce à quoi le géologue s’oppose encore, de peur que son approbation suffiseensuite pour publier l’ensemble de la carte.

Les travaux de Jean-Baptiste-Julien d’Omalius d’Halloy (1783-1875) 159

Les échanges entre Van Gorkum et Omalius d’Halloy témoignent de l’écartséparant deux formes d’expertise : le premier estime que le second n’a pas à seprononcer sur l’exécution définitive de la carte mais sur la lisibilité des donnéesgéologiques ; la topographie étant de son propre ressort. Au contraire, Omaliusd’Halloy considère que le modèle sur lequel il est appelé à rendre son avis doitcorrespondre à l’état définitif de la carte avant impression.

Le 23 mars 1829, une lettre de Van Gorkum apprend à Omalius d’Halloyque, malgré l’absence d’approbation, il a dû transmettre un modèle au ministère(Figure 8.7) pour lequel il dit avoir tenu compte de ses observations ; il précisenéanmoins :

Par rapport aux indications des usines, fabriques, mines, carrières, etc., je saisbien que le modèle n’est pas exempt d’omissions et d’erreurs il est impossiblequ’il en soit autrement parce que je ne possède pas encore tous les renseigne-ments y relatifs sur l’étendue du terrain représentée sur le modèle. Aussi je vousprie de ne considérer ces indications y portées que comme un essai de l’appli-cation des signes, mais j’ai pris des mesures pour que sur la carte ces indicationssoient placées avec exactitude et Votre Excellence voudra bien m’y prêter sonsecours pour la province.

Omalius d’Halloy répond le 10 avril et refuse toujours d’approuver leprojet tant qu’il n’est pas complet ; de plus, il commente le recours aux teintesplates en soulignant l’absence de précision (Figure 8.8). Ici encore, on voit res-sortir sa propre expérience de cartographe et sa prudence vis-à-vis d’une tendancefréquente à uniformiser exagérément la nature des terrains. À l’inverse, il se posi-tionne bel et bien comme savant et non pas comme administrateur intéressé parl’information économique lorsqu’il commente l’usage des symboles :

Ne m’étant jamais occupé des signes destinés à représenter des mines, des car-rières, des usines, etc. je ne ferai point d’autres observations à cet égard sinonque l’échelle de la carte me paraît bien petite pour pouvoir y indiquer tous lesobjets dont la nomenclature est portée dans les deux légendes.

Une fois de plus, Van Gorkum tente de transiger 40, mais le différend resteentier entre les deux hommes qui ne conçoivent pas cette carte de la mêmemanière. Outil de localisation pour l’un, outil de compréhension pour l’autre…Le conflit semble insoluble. La révolution de 1830 vient en tout cas y mettre unterme, ce projet se trouvant par la suite entièrement remanié 41.

Les négociations menées entre les auteurs et les experts semblent tout aussi,voire plus intéressantes que l’examen du résultat final, elles donnent à voir lepoids des commandes gouvernementales : la carte géologique apparaît, sous cetangle, comme un outil de localisation et d’administration des ressources qui doit

isabelle Laboulais160

être exécuté rapidement pour être mis à la disposition des ministères. Mais cetexemple de négociations dit aussi l’importance des exigences scientifiques : lacarte géologique est également un outil de compréhension, dont la constructiondoit être régie par des principes stables.

** *

La production cartographique d’Omalius d’Halloy permet de soulignerque les archives de la cartographie englobent des documents très divers : des cartesdressées sur différents supports, selon différentes techniques, mais aussi dessources textuelles (carnets de terrain, correspondance, etc.).

En étudiant le parcours d’Omalius d’Halloy, on a le sentiment que l’expé-rience du terrain acquise entre 1810 et 1813 – nourrie bien sûr de tous les textesprescriptifs qui, à cette époque, tentent de caractériser les principes de l’observa-tion – a joué un rôle prépondérant dans la construction de sa géologie 42. Cetteexpérience a également déterminé sa conception de l’outil cartographique dont legéologue a besoin. À ses yeux, la carte doit permettre de poser un cadre géologiquegénéral valable pour l’ensemble du territoire, et cela avant de passer à une prise encompte des situations locales. De plus, Omalius d’Halloy voit une différence trèsnette entre cartes minéralogiques et cartes géologiques : les premières s’attachent àdes localisations ponctuelles, les secondes à des représentations surfaciques. Enfin,même marginal par sa production (Omalius d’Halloy n’a finalement, au cours desa longue existence, publié qu’une seule carte), ce personnage suggère les enjeuxacadémiques, heuristiques et polémiques que représente l’objet cartographique aumoment de l’institutionnalisation de la géologie.

NOTES

1. GILLISpIE (C. C.), «Omalius d’Halloy », Dictionary of Scientific Biography, New York,Charles Scribner’s Sons, 1974, t. X, p. 208-210. Pour une approche biographique plus détail-lée, qui s’efforce de replacer Omalius d’Halloy dans son contexte familial, notamment au cœurdes pratiques de collecte qui s’y développent, voir les travaux de S. WaTERmaN, en particulier :«Collecting the Nineteenth Century », Representations, 90, été 2005, p. 98-128.

2. OmaLIuS D’HaLLOy (J.-B.-J. d’), Essai sur la géologie du Nord de la France, Paris,Bossange, 1809 [il s’agit d’un tiré à part du long article publié en 1808 dans le Journal desmines, nos 140 et 141].

3. Archives de l’Académie royale de Belgique [désormais AARB], n° 8869 et n° 8876.4. AARB, n° 8872. Un brouillon de ce cahier est conservé sous la cote 8879.5. AARB, n° 8868.6. AARB, n° 8873.

Les travaux de Jean-Baptiste-Julien d’Omalius d’Halloy (1783-1875) 161

7. «Alpes hautes : Le préfet des hautes Alpes a fourni le 2 septembre 1808 une carte avecces indications : 1° Ce qui est compris dans la ligne rouge est terrain primitif où le calcaire peutse trouver mais en très petite quantité. 2° Ce qui est entre les lignes bleues est le primitifmélangé de calcaire qui se trouve en majorité. 3° Le reste qui forme la partie basse et à peu prèsla moitié du département est calcaire où le primitif ne se trouve qu’accidentellement et où l’onprésume qu’il a été charrié par les grands courants. La ligne rouge commence près de la routede Grenoble à Sisteron […] [il décrit ainsi le tracé de la ligne rouge et celui de la ligne bleue] » ;« Il paraît que tous les environs de Briançon sont formés de roches serpentineuse [transcriptionincertaine] calcaire et schisteuse (Guettard) d’où je suppose qu’ils ont beaucoup de rapport avecla partie méridionale de la vallée d’Aoste », AARB, n° 8873, f ° 9.

8. BOuRguET (M.-N.), Déchiffrer la France : la statistique départementale à l’époque napo-léonienne, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 1989.

9. Ainsi, dans une note de bas de page, Omalius d’Halloy précise : «La situation géographiqueet politique de tous les endroits où je suis passé étant indiquée dans les itinéraires, je ne donneraiaucune notion sur leur position mais quand je parlerai des lieux qui ne sont point mentionnésdans les itinéraires, j’indiquerai en parenthèse selon les circonstances leur contrée, le numéro deleur arrondissement, leur département et la distance d’une ville connue», AARB, n° 8868, f° 1.

10. «Nota : J’ai cru qu’il convenait mieux de placer avec les notes géologiques tout ce quiconcerne la constitution physique par son aspect, sol, et productions végétales, etc. considéréed’une manière générale, les détails d’agriculture devant rester dans les autres notes. Cette dis-tribution commence à ce voyage », AARB, n° 8868, f ° 84, «Notes prises dans un voyage auxmontagnes des Vosges, en juin et juillet 1807».

11. Bibliothèque municipale de Rouen [désormais BMR], ms. Mbt 11, Lettre d’Omaliusd’Halloy à Charles-Étienne Coquebert de Montbret, Tulles, 25 juillet 1811 [Coquebert deMontbret est alors à Amsterdam].

12. BOué (A.), Guide du géologue-voyageur sur le modèle de l’agenda geognostica de M. Leonhard,Paris, F. G. Levrault, 1835-1836, vol. 1, p. 150.

13. Précisons que cette carte de France au 1/880000 a d’abord été publiée par Louis deCapitaine en 1790 ; à sa mort, c’est Pierre de Belleyme qui a repris son travail et a publié plu-sieurs versions de cette carte en fonction de l’évolution du nombre de départements.

14. BMR, Montbret Carte 880.15. Celles du Nord, du Centre et du Sud mesurent 86 x 37 cm, celle de l’Est 26 x 90 cm;

celle de l’Ouest a malheureusement disparu, mais on peut supposer qu’elle était de taille équi-valente à celle de l’Est.

16. La carte mesurait 126 x 115 cm. À propos de ce type d’usage de la carte, on consul-tera C. JaCOb, L’empire des cartes. Approche théorique de la cartographie à travers l’histoire, Paris,Albin Michel, 1992, p. 116.

17. AARB, n° 8864, Correspondance scientifique de Jean-Baptiste-Julien d’Omaliusd’Halloy, Brouillon d’une lettre d’Omalius d’Halloy à Eugène Coquebert de Montbret, 2 jan-vier 1811, fos 244-245.

18. «Plusieurs personnes se sont plaints [sic] que notre travail n’eut d’autre publicité qued’avoir été déposé à l’École des mines et dans le cabinet de M. Brongniart », AARB, n° 8864,Correspondance scientifique de Jean-Baptiste-Julien d’Omalius d’Halloy, Lettre de Charles-Étienne Coquebert de Montbret à Omalius d’Halloy, 13 décembre 1821, fos 268-271.

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19. AARB, n° 8864, Correspondance scientifique de Jean-Baptiste-Julien d’Omaliusd’Halloy, Lettre de Brongniart à Omalius d’Halloy, Sèvres, 29 mars 1812, fos 139-141.

20. Lorsqu’ils étaient de passage à Paris, géologues ou minéralogistes se rendaient aussichez Brongniart. Le 24 mars 1815, il raconte ainsi à Omalius d’Halloy : « J’ai eu la visite deplusieurs géognostes anglais notamment de Mr. Senle [transcription incertaine] professeur àOxford de Mr. Greenough vice président de la Société géologique de Londres et de Mr. Bundy[transcription incertaine] président de cette société. Ces messieurs sont venus quelquefois gros-sir la matinée du dimanche et il y a été bien souvent et bien longuement question de vous. Ilsparaissent bien décidés à ne pas quitter le continent sans vous aller voir, ils regardent avec raisoncette visite comme un devoir pour tout géognoste. Je ne sais s’ils auront exécuté leurs projets»,AARB, n° 8864, Correspondance scientifique de Jean-Baptiste-Julien d’Omalius d’Halloy,Lettre de Brongniart à Omalius d’Halloy, Sèvres, 24 mars 1815, fos 175-178.

21. AARB, n° 8864, Correspondance scientifique de Jean-Baptiste-Julien d’Omaliusd’Halloy, Lettre de Brongniart à Omalius d’Halloy, Sèvres, 4 avril 1817, fos 179-184.

22. EyLES (V. A.), «Mineralogical maps as forerunners of modern geological maps »,Cartographical Journal, 1972, 9, p. 133-135.

23. On peut lire sur cette carte : «La partie des Cévennes au Nord de Montpellier a été retou-chée à Montpellier le 2 juillet 1817 par M. Marcel de Serres, ce qu’il a entouré d’une ligne rougeest d’après ses observations terrain primitif, granit, [mot illisible] etc. Il ne croit pas qu’il s’y trouvede houille mais bien au Vigan et au dessus d’Alais. Il a marqué en jaune les points des environsde Montpellier où il y a du calcaire d’eau douce, il a porté plus d’indications de volcans entreLodève et Agde». Toutes ces indications ont effectivement été reportées sur la carte pendant sonvoyage dans le midi en 1817, plusieurs extraits de son carnet de voyage en témoignent. VoirBMR, ms. Mbt 1015/5.

24. Dans une lettre datée du 29 décembre 1822, le jeune homme qu’Omalius d’Halloy aenvoyé à Paris pour le représenter lui écrit que Berthe ayant désormais été payé, il a recruté « sixfemmes pour enluminer, de sorte, il me semble qu’il sera bien encore 15 jours avant que je serez[sic] possesseur de vos 200 exemplaires », AARB, n° 8864, Correspondance scientifique deJean-Baptiste-Julien d’Omalius d’Halloy, Lettre de Del Marmol de Saint Marc à Omaliusd’Halloy, 29 décembre 1822, f° 468.

25. Sur ces questions, on consultera K. S. COOk, «From False Starts to Firm Beginnings :Early Colour Printing of Geological Maps », imago Mundi, n° 47, 1995, p. 155-172 etP. SavaTON, «Évolution des cartes géologiques de la France depuis le début du xIxe siècle »,Géologie de la France, n° 2, 1999, p. 65-78.

26. «La Commission des Annales des mines m’a fait part de l’offre que vous lui avez faitede votre essai de carte géologique de la France. Je suis très sensible à cette offre et j’appréciel’utilité de votre travail ; il pose les bases des recherches que j’ai ordonnées et dont on s’occupesur la géologie du Royaume. Je ne puis que vous remercier de la communication que vous avezbien voulu en faire », AARB, n° 8864, Correspondance scientifique de Jean-Baptiste-Juliend’Omalius d’Halloy, Lettre de Becquey à Omalius d’Halloy, 5 octobre 1822, f ° 492.

27. Dès 1987, Josef Konvitz a attiré l’attention sur l’histoire mystérieuse de cette carte.Dans son livre, il décrit le parcours archivistique complexe qu’il a été obligé d’accomplir – dudépartement des Cartes et plans de la Bibliothèque nationale de France, aux archives del’Académie royale de Belgique, en passant par celles de l’Académie des sciences – pour identi-

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fier cette carte. Une collection lui manqua cependant : celle conservée à la bibliothèque muni-cipale de Rouen. Voir J. KONvITz, Cartography in France, 1660-1848. Science, engineering andstatecraft, Chicago, The University of Chicago Press, 1987, p. 301-304.

28. «Depuis que nous nous sommes occupés vous et moi de la carte minéralogique deFrance, personne n’a publié de travail semblable sur le royaume ; tandis que les Anglais ont misau jour les cartes de Smith, Greenough et plusieurs autres du même genre », AARB, n° 8864,Correspondance scientifique de Jean-Baptiste-Julien d’Omalius d’Halloy, Lettre de Charles-Étienne Coquebert de Montbret à Omalius d’Halloy, 13 décembre 1821, fos 268-271.

29. «Dans tous les cas, je désirerais que vous voulussiez bien m’adresser une note trèscourte mais très précise de la valeur géologique que vous avez attachée à quelques unes des cou-leurs par lesquelles vous avez caractérisé différents terrains, surtout en ce qui concerne le ter-rain alpin et le terrain du Jura sur la nature desquels on n’est pas bien d’accord et encore rela-tivement au terrain marqué en bleu qui comprend une association de minéraux de nature fortvariée, il ne s’agit point d’entrer dans des discussions géologiques auxquelles vous ne voudriezpeut-être pas vous livrer (malheureusement), mais de bien déterminer ce que les couleurs doi-vent exprimer ; n’oubliez pas aussi je vous prie de bien dire ce qui, dans votre opinion distinguele calcaire de la Lorraine que vous avez mis en jaune un peu foncé du calcaire du Jura », AARB,n° 8864, Correspondance scientifique de Jean-Baptiste-Julien d’Omalius d’Halloy, Lettre deCharles-Étienne Coquebert de Montbret à Omalius d’Halloy, 13 décembre 1821, fos 268-271.

30. AARB, n° 8864, Correspondance scientifique de Jean-Baptiste-Julien d’Omaliusd’Halloy, Brouillon non daté d’une lettre d’Omalius d’Halloy manifestement destinée à Charles-Étienne Coquebert de Montbret, en réponse à sa lettre du 13 décembre 1821, fos 272-273.

31. « Je ne vous dissimule pas non plus que j’aurais beaucoup de répugnance à direquelque chose sur cette matière avant d’avoir vu ce qu’on a fait depuis 1813 car vous sentez ceque cette connaissance pourrait faire couler de sottises et confirmer des opinions alors hasar-dées », ibid.

32. «Maintenant je sens que je dois renoncer à l’idée de le terminer sur l’échelle que jem’étais proposée mais je n’ai pas renoncé à l’idée d’en faire une espèce d’extrait et si mes pro-jets n’étaient point contrariés, j’irais au mois de juillet prochain à Paris et là je tâcherais de melivrer à cette besogne.

Mon but touchait à faire un exposé [mot illisible] des différents terrains qui se manifestenten France, dans les Pays-Bas et dans les contrées voisines. Je serais probablement obligé de faireprécéder cette esquisse de quelques vues sur la manière dont je conçois les formations et si mesmaîtres trouvent que la chose en vaut la peine je pourrais y joindre quelques extraits de mesjournaux. Tel est le manque de prétention auquel je puis vouer mes désirs en attendant qu’unévénement imprévu me rende dans la carrière dont j’ai été tiré par ma participation voya-geuse », ibid.

33. Annales des mines, t. VII, 1822, p. 353-376.34. AARB, n° 4829. Ce dossier contient une version manuscrite des «Observations sur un

essai de carte géologique » ainsi qu’une lettre d’envoi rédigée par Omalius d’Halloy et datée du30 septembre 1822.

35. «Au reste, mon but n’est que de donner une idée des différens terrains qui constituentles parties septentrionales de la France, et j’espère qu’on voudra bien se rappeler que je n’en-treprends ni une statistique minéralogique, ni une description générale des produits écono-

isabelle Laboulais164

miques de ces contrées ; c’est dans les Mémoires qu’ont déjà publiés ou que publieront encoreMM. les ingénieurs des Mines qu’on trouvera des détails satisfaisans à cet égard », OmaLIuSD’HaLLOy (J.-B.-J. d’), Essai sur la géologie du Nord de la France, op. cit., p. 3.

36. «Deux points de vue principaux semblent conduire également à la division d’un paysen régions physiques déterminées par la nature du sol : l’un le considère géologiquement, c’est-à-dire par époque de formation ; l’autre ne l’envisage que sous le rapport de sa nature minéra-logique ou plutôt chimique. On croirait au dernier aperçu que ce dernier moyen est celui quiatteint le mieux le but, puisqu’il semble le plus en rapport avec l’action que certaines terresexercent sur la végétation ; mais d’un autre côté, les différents états d’agrégation des substancesqui composent le terrain, la position physique du sol, et d’autres circonstances qui tiennent auxépoques de formations, exercent souvent une influence aussi marquée. C’est ainsi que les pâtu-rages des Alpes pennines, les garrigues du Languedoc et les champs de la Beauce présententde bien grandes différences dans leur aspect et leurs productions, quoique le sol y soit égale-ment de nature calcaire. On sentira aisément, au surplus, que la considération géologique estbien plus avantageuse pour le progrès de la science, qu’elle offre beaucoup plus d’intérêt à lacuriosité générale, et que la faculté qu’elle laisse de réunir, selon les circonstances, plusieurssystèmes en un seul groupe permet bien mieux de se passer des observations détaillées qu’exi-geraient dans le cas contraire les changemens si fréquens de la présente nature des substancesdominantes dans un terrain formé à une même époque », OmaLIuS D’HaLLOy (J.-B.-J. d’),Observations sur un essai de carte géologique de la France, des Pays-Bas et des contrées voisines,Paris, Imprimerie de Mme Huzard, 1823, p. 5-6.

37. BOué (A.), Guide du géologue-voyageur…, op. cit., p. 142.38. Les archives concernant ce projet sont conservées aux Archives royales de Belgique,

dans le dossier n° 8920 intitulé «Correspondance relative à la confection d’une carte géolo-gique et minéralogique d’une partie méridionale du royaume». Il contient 33 lettres adresséesà Omalius d’Halloy ou minutes des réponses rédigées par celui-ci entre 1824 et 1829. Elles neportent aucune cote spécifique mais sont classées chronologiquement.

39. BMR, ms. Mbt 11, Lettre d’Omalius d’Halloy à Brongniart, Clermont, 19 août 1811.40. « Il est vrai que l’ensemble de la carte est trop petit pour donner chaque emplacement

d’une usine, mine ou carrière ; mais quand il y a plusieurs signes de la même nature proches l’unde l’autre, j’y suppléerai par un chiffre indiquant leur nombre que je place devant le signe».

41. LEmOINE-ISabEau (C.), La cartographie du territoire belge de 1780 à 1830 : entreFerraris et le Dépôt de la guerre de Belgique, Bruxelles, Musée royal de l’armée, 1997.

42. COOpER (A.), «From the Alps to Egypt (and back again) : Dolomieu, ScientificVoyaging, and the Construction of the Field in the Eighteenth-Century Natural History »,dans C. SmITH et J. AgaR éd., Making Space for Science. Territorial Themes in the Shaping ofKnowledge, Londres, Macmillan Press, 1998, p. 39-63.

Les travaux de Jean-Baptiste-Julien d’Omalius d’Halloy (1783-1875) 165

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Figure 8.1 : (page précédente)«Essai d’une carte géologique de l’Empire français », Carte manuscrite, s. l. n. d., Montbret Carte 880.Collections de la Bibliothèque municipale de Rouen. Photographie Thierry Ascencio-Parvy.Avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque municipale de Rouen.

Figure 8.2 :«Essai d’une carte géologiquede l’Empire français », Carte

manuscrite, s. l. n. d., MontbretCarte 880. Détail. Collections de

la Bibliothèque municipalede Rouen. PhotographieThierry Ascencio-Parvy.

Avec l’aimable autorisation dela Bibliothèque municipale

de Rouen.

Figure 8.3 : «Essai d’une carte géologique de l’Empire français »,Carte manuscrite, s. l. n. d., Montbret Carte 880. Détail.Collections de la Bibliothèque municipale de Rouen.Photographie Thierry Ascencio-Parvy.Avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque municipale de Rouen.

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Figure 8.6 :Omalius d’Halloy (Jean-Baptiste-Julien d’), Essai de carte géologique de la France,des Pays-Bas et de quelques contrées voisines, Paris, Berthe, 1822, 1/3700000, Montbret Carte 335.Collections de la Bibliothèque municipale de Rouen. Photographie Thierry Ascencio-Parvy.Avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque municipale de Rouen.

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Figure 8.7 :Wijze van uitvoering der Geologische Kaart van Een Gedeelte der Nederlanden,Épreuve, s. l. n. d., Archives de l’Académie royale de Belgique, n° 8920.Photographie de l’auteur reproduite avec l’aimable autorisation des Archivesde l’Académie royale de Belgique.

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Figure 8.8 :Wijze van uitvoering der Geologische Kaart van Een Gedeelte der Nederlanden,Épreuve, s. l. n. d., Archives de l’Académie royale de Belgique, n° 8920.Photographie de l’auteur reproduite avec l’aimable autorisation des Archivesde l’Académie royale de Belgique.

INTRODUCTION

Isabelle LaboulaisLes « coulisses » des cartes à l’époque moderne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

DES NORMES AUX PRODUCTIONS CARTOGRAPHIQUES :CE QU’INGÉNIEURS ET TOPOGRAPHES

ATTENDENT DES CARTES

Jean-Marc BesseCartographie et pensée visuelle. Réflexions sur la schématisation graphique . . 19

Michèle VirolDu terrain à la carte : les ingénieurs du roi Louis xIV entre exigenceset réalisations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33

Nicolas VerdierModeler le territoire : les ingénieurs des Ponts et leurs usages de la carte(fin xVIIIe – début xIxe siècle) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

Valeria PansiniDe l’usage des cartes « inachevées » : le topographe et l’historien au travail . . . 67

Patrice BretLe moment révolutionnaire : du terrain à la commission topographiquede 1802 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81

Table des matières

284 Les usages des cartes (xVIIe–xIxe siècle)

DU TERRAIN À L’ATELIER :QUELQUES CARTOGRAPHES À LA TÂCHE

Catherine Bousquet-BressolierClaude Masse (1651-1737) sur les côtes de l’Océan. Trente-cinq ansd’une expérience transmise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101

Sandrine BoucherL’Acadie vue par Jacques-Nicolas Bellin, ingénieur hydrographedu Dépôt des cartes, plans et journaux de la Marine.Sources et enjeux de la représentation d’une colonie perdue . . . . . . . . . . . . . . 121

Neil SafierÉbauches et empires : Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville,Pedro Vicente Maldonado et la cartographie de l’Amérique du Sud . . . . . . . . 137

Isabelle LaboulaisCartographier les savoirs géologiques dans le premier tiers du xIxe siècle :l’exemple des travaux de Jean-Baptiste-Julien d’Omalius d’Halloy(1783-1875) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149

DE L’ACTE CARTOGRAPHIQUEÀ L’ADMINISTRATION DU TERRITOIRE

Renaud MorieuxLa guerre des toponymes. La «mer britannique » versus «La Manche »(xVIIe-xVIIIe siècles) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169

Martine Illaire, Cécile SouchonLes cartes et plans au service d’une action : administration,gestion et aménagement du territoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187

Stéphane BlondL’atlas de Trudaine : une production cartographique au servicedes ambitions routières de la monarchie française au xVIIIe siècle . . . . . . . . . . 223

Jean-Yves PuyoCartographie et aménagement forestier : rapide aperçu de deux sièclesd’évolution des pratiques disciplinaires françaises (xVIIIe-xIxe siècles) . . . . . . . 239

285Table des matières

Ana CarneiroL’usage technique et symbolique des cartes à la Commission géologiquedu Portugal (1857-1908) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257

Liste des abréviations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271

Table des illustrations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273

Planches hors-texte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I à LXXIX