Les ossements animaux du site de la Porte de Rouen, Harfleur (Seine-Maritime) - Résultats...

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165 Journées archéologiques de Haute-Normandie - Harfleur, 23-25 avril 2010 Ophélie Lebrasseur Les ossements animaux du site de la Porte de Rouen, Harfleur (Seine-Maritime) – Résultats préliminaires de l’étude de la faune et conclusions relatives à l’alimentation et l’économie des xv e et xvi e siècles L’intervention archéologique du site de la Porte de Rouen à Harfleur (Normandie) a livré une quantité importante de restes osseux et dentaires animaux. La recherche suivante présente les résultats préliminaires de cette étude zooarchéologique afin de comprendre le rôle des animaux dans l’alimentation de la population et l’économie de la ville pendant les xv e et xvi e siècles. Animal bones from the site of the Porte de Rouen, Harfleur. Preliminary results from the study of fauna and conclusions relating to 15th and 16th century economy and eating habits Archaeological work on the site of the Porte de Rouen at Harfleur (Normandy) has uncovered the remains of a large number of animal bones and teeth. e following research presents the preliminary results of this zooarchaeological study so as to understand the role of animals in the population’s diet and the economy of the town during the 15th and 16th centuries. ZOOARCHéOLOGIE, FRANCE, MéDIéVAL, ALIMENTATION, TANNERIE. Harfleur se situe au confluent de trois rivières : la Seine, la Lézarde et le Saint-Laurent. De ce fait, la ville contrôle l’estuaire nord de la Seine ainsi que l’accès à Rouen et Paris. Son emplacement stra- tégique lui vaut d’être grandement convoitée par les Anglais durant la guerre de Cent Ans (1337- 1453). Pour contrer leurs attaques répétitives, un bassin de marée est édifié en 1391 pour y placer la flotte royale ainsi qu’un arsenal militaire. Ces nou- velles fortifications comprennent notamment un mur d’enceinte et un fossé rempli d’eau (Lachastre, 1998 : 8 ; Panchout, 2006 : 28) tandis que trois entrées permettent l’accès à la ville. L’intervention archéologique de la Porte de Rouen, seule entrée encore visible aujourd’hui, a livré une quantité importante de restes osseux et dentaires animaux. Ces vestiges sont très bien conservés et proviennent de plusieurs horizons chronologiques issus de niveaux dépotoirs corres- pondant aux niveaux de comblements du fossé est. Les ensembles du xv e et du xvi e siècle sont les plus riches et donc représentatifs – ils ont été retenus pour cette étude. L’intérêt de cette recherche zooarchéologique est qu’elle est la première de ce type engagée sur la ville d’Harfleur. Si son histoire militaire est bien connue, le rôle des animaux dans l’alimentation des Harfleurais au Moyen Âge et l’économie de la ville basée sur les produits artisanaux issus de matières animales sont, en revanche, très peu docu- mentés. Ceci constitue l’objectif principal de cette étude qui ne saurait prendre tout son sens en l’ab- sence d’un vaste champ comparatif régional. Bien que cette recherche soit actuellement en cours, les résultats préliminaires permettent certaines observations intéressantes quant à l‘alimentation de la population et des aspects de l’économie de la ville. Matériels et méthodes La collecte des ossements a été entreprise manuel- lement à vue. Le tamisage des couches, pourtant indispensable pour la récupération de petits os, de petits mammifères, d’oiseaux et de poissons, n’a pas été entrepris, sauf pour l’unité stratigra- phique 518 datant du xv e siècle. La richesse de cette couche a incité à faire un tamisage complet (1,5 mm) permettant d’établir une liste d’os pré- sents mais négligés lors de la collecte manuelle à vue. L’identification des restes osseux a été réalisée à travers deux collections de référence. La première, issue celle de l’université de Durham, était rela- tivement restreinte, mais accessible sur le site. Elle comprenait les principaux animaux domes- tiques consommés : le bœuf, le cochon et le mou- ton, ainsi qu’un renard et un oiseau. Le reste des ossements non identifiables à travers cette col- lection ont été identifiés au Centre de recherche archéologiques de la vallée de l’Oise (CRAVO) à Compiègne. Les manuels de référence d’Elisabeth Schmid (1972) et de Léon Pales et Charles Lam- bert (1999 : 79-96) ont également été consultés. L’enregistrement et l’étude des os ont été réalisés suivant le protocole établi par Dobney et Rielly (1999 : 79-96). Le nombre de restes ou NR a été la méthode uti- lisée pour dénombrer les restes de chaque taxon.

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Ophélie Lebrasseur

Les ossements animaux du site de la Porte de Rouen, Harfleur (Seine-Maritime) – Résultats préliminaires de l’étude de la faune et conclusions relatives à l’alimentation et l’économie des xv e et xvi e sièclesL’intervention archéologique du site de la Porte de Rouen à Harfleur (Normandie) a livré une quantité importante de restes osseux et dentaires animaux. La recherche suivante présente les résultats préliminaires de cette étude zooarchéologique afin de comprendre le rôle des animaux dans l’alimentation de la population et l’économie de la ville pendant les xve et xvie siècles.

Animal bones from the site of the Porte de Rouen, Harfleur. Preliminary results from the study of fauna and conclusions relating to 15th and 16th century economy and eating habitsArchaeological work on the site of the Porte de Rouen at Harfleur (Normandy) has uncovered the remains of a large number of animal bones and teeth. The following research presents the preliminary results of this zooarchaeological study so as to understand the role of animals in the population’s diet and the economy of the town during the 15th and 16th centuries.

ZOOaRcHéOLOgie, FRaNce, MédiévaL, aLiMeNtatiON, taNNeRie.

Harfleur se situe au confluent de trois rivières : la Seine, la Lézarde et le Saint-Laurent. de ce fait, la ville contrôle l’estuaire nord de la Seine ainsi que l’accès à Rouen et Paris. Son emplacement stra-tégique lui vaut d’être grandement convoitée par les anglais durant la guerre de cent ans (1337-1453). Pour contrer leurs attaques répétitives, un bassin de marée est édifié en 1391 pour y placer la flotte royale ainsi qu’un arsenal militaire. ces nou-velles fortifications comprennent notamment un mur d’enceinte et un fossé rempli d’eau (Lachastre, 1998 : 8 ; Panchout, 2006 : 28) tandis que trois entrées permettent l’accès à la ville.L’intervention archéologique de la Porte de Rouen, seule entrée encore visible aujourd’hui, a livré une quantité importante de restes osseux et dentaires animaux. ces vestiges sont très bien conservés et proviennent de plusieurs horizons chronologiques issus de niveaux dépotoirs corres-pondant aux niveaux de comblements du fossé est. Les ensembles du xve et du xvie siècle sont les plus riches et donc représentatifs – ils ont été retenus pour cette étude.L’intérêt de cette recherche zooarchéologique est qu’elle est la première de ce type engagée sur la ville d’Harfleur. Si son histoire militaire est bien connue, le rôle des animaux dans l’alimentation des Harfleurais au Moyen Âge et l’économie de la ville basée sur les produits artisanaux issus de matières animales sont, en revanche, très peu docu-mentés. ceci constitue l’objectif principal de cette étude qui ne saurait prendre tout son sens en l’ab-sence d’un vaste champ comparatif régional. Bien que cette recherche soit actuellement en cours, les résultats préliminaires permettent certaines

observations intéressantes quant à l‘alimentation de la population et des aspects de l’économie de la ville.

Matériels et méthodes

La collecte des ossements a été entreprise manuel-lement à vue. Le tamisage des couches, pourtant indispensable pour la récupération de petits os, de petits mammifères, d’oiseaux et de poissons, n’a pas été entrepris, sauf pour l’unité stratigra-phique 518 datant du xve siècle. La richesse de cette couche a incité à faire un tamisage complet (1,5 mm) permettant d’établir une liste d’os pré-sents mais négligés lors de la collecte manuelle à vue.L’identification des restes osseux a été réalisée à travers deux collections de référence. La première, issue celle de l’université de durham, était rela-tivement restreinte, mais accessible sur le site. elle comprenait les principaux animaux domes-tiques consommés : le bœuf, le cochon et le mou-ton, ainsi qu’un renard et un oiseau. Le reste des ossements non identifiables à travers cette col-lection ont été identifiés au centre de recherche archéologiques de la vallée de l’Oise (cRavO) à compiègne. Les manuels de référence d’elisabeth Schmid (1972) et de Léon Pales et charles Lam-bert (1999 : 79-96) ont également été consultés. L’enregistrement et l’étude des os ont été réalisés suivant le protocole établi par dobney et Rielly (1999 : 79-96).Le nombre de restes ou NR a été la méthode uti-lisée pour dénombrer les restes de chaque taxon.

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Son principe repose sur l’hypothèse que chaque fragment d’os correspond à un seul et unique individu, sauf s’il est possible d’en démontrer le contraire (O’connor, 2003 : 135). cette méthode de quantification présente cependant quelques limites : certains os retrouvés peuvent avoir appar-tenu à un même individu, tandis que la composi-tion squelettique variant d’un animal à un autre, la population de certains animaux peut être suré-valuée. Par exemple, les cochons ont un nombre supérieur de métapodes et de phalanges comparé aux chevaux (gilbert et Steinfeld, 1977 : 333). L’enregistrement du poids des os retrouvés pour chaque espèce aurait été utile mais n’a pas été effectué par manque d’instruments précis.L’étude des âges a été réalisée à partir de l’examen des dents et du degré d’épiphysation des os longs 1. Les catégories d’âge pour chacune de ces méthodes sont celles proposées par Silver (1969) pour le stade d’épiphysation des os et par O’connor (2003 : 160) pour l’usure des molaires.L’étude biométrique des os épiphysés à été réali-sée suivant les travaux de von den driesch (1976) et de dobney et al. (2007 : 251). La carence en ossements complets nous a contraint à employer la méthode « log ratio » (Meadow, 1999 ; davis, 1996 et albarella, 2002). cette méthode permet la comparaison de différentes populations ani-males les unes par rapport aux autres en utili-sant une « population de référence ». il n‘en existe cependant pas pour les bovins européens. afin de permettre une comparaison régionale et chrono-logique, les mesures des bœufs recueillis sur le site de l’Hôtel-dieu à Beauvais (Lepetz, 1991 : 273), datant des xve – xvie siècles, ont été utilisées pour créer cette population de référence. concernant les caprinés, la population de référence utilisée est une population moderne de femelles publiée par davis (1996 : 593) et qui est considérée comme ayant une taille similaire aux caprinés anglais du Moyen-âge.

Résultats

Composition générale de la faune

Un total de 914 os a permis l’identification de dif-férentes espèces comprenant des animaux domes-tiques et sauvages :

- Les mammifères domestiques consommés dominent les vestiges osseux issus des deux siècles. il s’agit du bœuf (Bos taurus), du porc (Sus scrofa domesticus) et des caprinés : le mouton (Ovis aries) et la chèvre (Capra hircus). aucune diffé-rence notable dans la proportion de ces espèces à travers les deux horizons stratigraphiques (xve et xvie siècles) n’a été observée : les bovins sont majoritaires, avec plus de 50 % des restes, suivi des caprinés. Les cochons sont relativement peu nombreux et ne représentent que 5 % des restes (fig. 1).

Décompte des restes osseux des principaux animaux domestiques

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Fig. 1. Décompte des restes osseux des animaux domestiques consommés aux xv e et xvi e siècles.

- Les mammifères domestiques non consommés sont minoritaires : la présence du chat (Felis catus) au xve siècle est attestée par 5 os, celle du chien (Canis familiaris) par 3 os et celle du cheval (Equus caballus) par 2 os. Seuls 2 os de chien et 3 os de chat ont été identifiés parmi les restes osseux du xvie siècle. Notons que certaines espèces sont par-fois difficiles à différencier tout comme le chien et le loup ou le chat et le renard. Les ossements pré-sentant cette ambiguïté ne sont pas compris dans les résultats ici présentés.- Les oiseaux, en particulier la volaille (le coq domestique Gallus gallus), sont présents en petite quantité mais représentent néanmoins le deuxième groupe d’animaux le plus consommé au xve siècle. au xvie siècle, ils ne représentent qu’1,4 % des os identifiés contre 3,6 % pour les mammifères domestiques non consommés.des restes de poissons indéterminés, d’oiseaux (sarcelle, bécasse des bois, râle d’eau et d’autres non identifiés) et de petits mammifères, tous issus de la couche tamisée actuellement en cours d’étude, sont à signaler.

1 voir, pour les bovins : O’connor, 2003 : 167 et grant, 1982 : 91-108. Pour les caprinés : Moran et O’connor, 1994 : 267-285 ; grant, 1982 :91-108 ; et Payne, 1973 : 281-303.

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Bovins

La répartition anatomique en nombre de restes

L’histogramme de la répartition anatomique des restes de bœufs (fig. 2) présente des particulari-tés intéressantes : l’échantillon du xve siècle est caractérisé par une forte représentation des élé-ments des pattes (métapodes et phalanges) et un déficit assez net des membres. La phalange proxi-male est fortement représentée avec 19,32 % des restes de bœufs dénombrés, tandis que le nombre de dents isolées s’élève à 6,79 %. ces observa-tions sont également vraies pour l’ensemble du xvie siècle : les os des bas des pattes sont en sur-nombre avec 23,77 % de phalanges proximales, alors que les membres sont sous-représentés voire absents à l’exception des astragales et des calca-néums. À ceci s’ajoute une faible baisse des méta-podes. cornes, mandibules, scapulae et radius sont à signaler.

Les âges d’abattage

L’étude des âges d’après les stades d’épiphysation des os (fig. 3) montre que la majorité des animaux du xve siècle ont été abattus à l’âge adulte, la plu-part étant âgés d’au moins 5 ans. ceci est égale-ment observé pour l’ensemble du xvie siècle.L’étude des âges d’après l’examen dentaire fut rela-tivement difficile : la carence en mandibules com-plètes et la proportion importante de dents iso-lées n’ont pas permis une étude approfondie. il a cependant été possible d’observer que l’usure des troisièmes molaires était relativement importante, permettant de confirmer l’observation faite par l’étude des épiphyses.

Traces de découpe

Les traces de découpes sont nombreuses et nettes sur presque tout l’ensemble des os fragmentés (Sadek-Kooros, 1975 : 143) : 33 % des vestiges de bœufs retrouvés sont complets, 29 % étant des phalanges. Un point particulier concerne la découpe des bas des pattes : une grande majorité de métapodes sont scindés en deux par des coups portés soit médialement, soit diagonalement. cer-taines phalanges proximales présentent également une coupe diagonale. cette pratique perdure au siècle suivant où une plus grande proportion des

phalanges présente des traces de découpe. Seuls deux os ont été retrouvés complets.

Pathologie

cinq phalanges (soit 1,3 % de l’ensemble) issues des couches du xve siècle présentent des traces de lipping tandis que cette pathologie est absente au siècle suivant (fig. 4).

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Fig. 4. Présence de lipping sur la partie proximale des premières phalanges de bœufs.

Fig. 2. La répartition anatomique des bovins basée sur le nombre de restes (NR) pendant les xv e et xvi e siècles.

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Fig. 3. L’étude des âges d’abattage des boeufs d’après les stades d’épiphysation des os pour les xv e et xvi e siècles. La catégorie Early représente la tranche d’âge 1-2 ans, la catégorie l1 : 2-3,5 ans, la catégorie Late : 3,5-4 ans et la catégorie Final : 5 ans et +.

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Étude biométrique

L’étude biométrique employant la méthode « log ratio » indique que les bovins d’Harfleur du xve siècle avaient une taille semblable à ceux de Beauvais, comme nous le montre la répartition en pyramide de l’histogramme (fig. 5a et 5b). au contraire, l’histogramme issu des résultats du log ratio entrepris sur les ossements du xvie siècle pré-sente des valeurs négatives indiquant une baisse dans la stature des bœufs d’Harfleur (fig. 6a et 6b).

Les caprinés : moutons et chèvres

La répartition anatomique en nombre de restes

L’échantillon osseux des caprinés du xve siècle est caractérisé par une proportion importante de tibias, de métapodes, d’humérus, de radius et de scapulae (fig. 7). cornes, mandibules, pel-vis et cubitus sont également à signaler tandis que les phalanges et le fémur sont sous-représen-tés. La distribution anatomique des caprinés du xvie siècle n’indique pas de différence notable avec le siècle précédent.

Les âges d’abattage

La courbe de mortalité a été créée selon les mêmes modalités que pour les bœufs : d’après le stade d’épiphysation des os et l’examen des dents (com-prenant l’éruption et l’usure dentaire). L’étude du degré de développement des os de membres (fig. 8) indique que plus de 90 % des restes corres-pondent à des animaux âgés d’au moins 4 ans (Sil-ver, 1969), un âge semblable à celui des bovins. Malgré la petite quantité de mandibules com-plètes mises à jour, celles-ci ont été analysées, per-mettant de confirmer l’étude des épiphyses.

Traces de découpe

90 % des restes osseux retrouvés sont fragmen-tés et présentent de nombreuses traces de découpe visibles et nettes. Leur emplacement est principa-lement prédéterminé par l’anatomie des animaux, et est souvent localisé au niveau des articulations.

Étude biométrique

L’histogramme comparant la stature des caprinés d’Harfleur du xve siècle à celle de la population de référence publiée par davis (fig. 9) indique que ces premiers avaient une taille semblable à celle des caprinés médiévaux d’angleterre. cependant, les données du xvie siècle indiquent une diminution dans la stature des caprinés d’Harfleur (fig. 10).

Les cochons

La faible quantité d’ossements retrouvés (4,9 % du nombre total de reste du xve siècle et 4,5 % du nombre total de restes du xvie siècle) ne permet pas

Histogramme 'log ratio' pour les mesures en largeur

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Histogramme 'log ratio' pour les mesures en épaisseur

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Histogramme 'log ratio' pour les mesures en largeur

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Diagramle 'log ratio' pour les mesures en épaisseur

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Fig. 5a et 5b. Histogramme présentant les

résultats du log ratio pour les bovins du xv e siècle. Le

0 sur l’axe des abscisses

correspond à la taille de la population de

référence. ici, les résultats pour les deux types

de mesures sont uniforfément

répartis autour du 0.

Fig. 6a et 6b. Histogramme

présentant les résultats du log ratio pour les bovins du xvi e siècle.

Le 0 sur l’axe des abscisses correspond à la

taille de la population de référence. ici, les

résultats pour les deux types de mesures sont

négatifs correspondant à une taille plus petite

des animaux par rapport à la taille de la population de référence.

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de mener à bien l’étude des âges d’abattages ou de la biométrie ; les résultats ne seraient pas représen-tatifs. Les bas des pattes (métapodes et phalanges) ainsi que les mandibules dominent l’ensemble osseux du xve siècle, tandis que l’échantillon du xvie siècle n’est constitué principalement que de quelques mandibules et un radius, un cubitus, un astragale, un métapode et une phalange dis-tale (fig. 11). Le degré d’épiphysation des os longs a néanmoins été noté et suggère que les animaux ont été abattus à un âge relativement jeune, la plu-part des épiphyses n’étant pas complètement sou-dée aux diaphyses.

Fig. 8. L’étude des âges d’abattage des caprinés d’après les stades d’épiphysation des os pour les xv e et xvi e siècles. La catégorie Early représente la tranche d’âge <1 an, la catégorie l1 : 1-2 ans, la catégorie l2 : 2-3 ans, la catégorie Late : 3/3, 5-4 ans et la catégories Final : 4/5 ans et +.

Histogramme 'log ratio' pour les mesures en largeur

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Fig. 7. La répartition anatomique des carpinés basée sur le nombre de restes (NR) pendant les xv e et xvi e siècles.

Fig. 9. Histogramme présentant les résultats du log ratio pour les caprinés du xv e siècle. Le 0 sur l’axe des abscisses correspond à la taille de la population de référence. ici, les résultats sont relativement uniformément répartis autour du 0.

Fig. 10. Histogramme présentant les résultats du log ratio pour les caprinés du xvi e siècle. Le 0 sur l’axe des abscisses correspond à la taille de la population de référence. ici, les résultats sont négatif indiquant une nette diminution de la stature des animaux.

Fig. 11. La répartition anatomique des porcs en nombre de restes (NR) pendant les xv e et xvi e siècles.

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Les oiseaux

Le coq est l’espèce la plus fréquente et consti-tue presque la moitié de l’assemblage osseux des oiseaux du xve siècle. Les autres espèces sont en cours d’identification ; certaines comme le râle d’eau ont été identifiées d’après les restes issus du tamisage. ces espèces sont cependant représentées par un nombre de restes trop faible pour qu’une quelconque analyse présente un intérêt. concer-nant les coqs, la carence d’ossements complets n’a pas permis l’étude biométrique. Seuls 2 os ont été retrouvés parmi les couches du xvie siècle. cet échantillon est trop petit pour permettre des conclusions représentatives. ainsi, il est ici seule-ment possible de confirmer la présence de coq sur le site.

Discussion

Animaux et alimentation dans la France du Nord médiévale

Benoît clavel a publié en 2001 une étude entre-prise sur 26 sites tout statut social compris (reli-gieux, urbain, château) dont le but était de com-prendre le rôle des animaux dans l’alimentation de la France du Nord médiévale et moderne (xiie – xviie siècles) (clavel, 2001). Le site de la Porte de Rouen étant urbain, les résultats des sites urbains de cette étude ont été utilisés comme comparaison.

Composition générale de la faune et distribution des espèces

Les bœufs et les caprinés dominent les restes osseux des xve et xvie siècles, tout comme il est généralement observé pour la plupart des sites médiévaux européens (audoin-Rouzeau, 1995). Une augmentation de 8 % dans le nombre de vestiges osseux des bovins entre le xve et le xvie siècle a été observée. ceci concorde avec les observations faites par audoin-Rouzeau : le xve siècle serait accompagné d’une diminution dans le nombre de bovins retrouvés sur les sites, tandis que le xvie siècle serait caractérisé par une augmentation (audoin-Rouzeau, 1995 : 286).La prédominance incontestable des bovins au cours des deux siècles confirme que le bœuf était une des principales viandes consommées

par les Harfleurais, ce qui n’est guère surpre-nant. en effet, une étude a montré qu’à la fin de l’époque médiévale, 78 % de la viande consom-mée était de la viande de bœuf (audoin-Rou-zeau, 1995 : 296). il est intéressant de noter que certains sites urbains tels que ceux de la cha-rité-sur-Loire (audoin, 1984 : 210) ou du site d’abbeville (clavel, 1997) sont dominés par des restes de caprinés. concernant ce dernier site, les caprinés représentaient 45 % des vestiges osseux contre 30 à 35 % pour les bovins (cla-vel, 2001 : 101). clavel a fait une observation semblable lors de son étude sur les sites urbains du nord de la France (clavel, 2001). cependant la quantité de viande fournie par un bœuf est inférieure à celle fournie par un mouton ou une chèvre (Lyman, 2008 : 30) ; ceci est à prendre en compte lors de l’estimation de la part d’un animal dans l’alimentation lorsque celle-ci est basée sur le nombre de restes. Le site médié-val de la charité-sur-Loire était composé d’un petit ensemble d’os de bœufs mais le rendement moyen de la viande de bœuf était suffisant pour que celle-ci domine l’alimentation des habi-tants (audoin, 1984 : 210). concernant Har-fleur, il est possible de confirmer l’importance de la consommation de la viande de bœuf au cours des xve et xvie siècles à partir de la richesse des vestiges osseux des bovins bien que les restes n’aient pas été pesés.La viande des caprinés arrive ensuite en deuxième position, quoique ces animaux fussent pro-bablement élevés pour le lait et la laine avant d’être abattus pour leur viande. concernant les cochons, nos résultats sont en accord avec les observations faites sur les sites médiévaux, suggérant une baisse dans la consommation de la viande de porc entre le xie et le xviie siècle (audoin-Rouzeau, 1995). Une faible quantité d’ossements de cochon ayant été retrouvée sur le site, il a été déduit que la viande de porc ne jouait guère un grand rôle dans l’alimentation des Harfleurais. clavel a conclu dans son étude que cette viande était secondaire et qu’elle était principalement consommée sur les sites de plus haut statut social comme le château de Rouen. Une étude récente basée sur des documents his-toriques a permis la reconstruction des repas dégustés pendant plusieurs mois sur ce site. Le porc y était consommé pratiquement chaque jour à l’exception des jours d’abstinence où le poisson était au menu (Léost, 2007 : 102-104).

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Bovins

La répartition anatomique en nombre de restes

Le mode de répartition est donc particulier pour les deux siècles avec une forte représentation des bas des pattes (métapodes et phalanges) tandis que les membres sont sous-représentés. cette com-position particulière peut avoir été causée par la taphonomie : les métapodes et phalanges étant des os relativement plus robustes, leur conservation a pu être meilleure (Thomas, 2005 : 31). Bien que ceci ait pu modifier la nature de notre échantillon-nage, il semble cependant que nous ayons une sélection d’éléments de pieds pouvant être carac-téristique d’une activité industrielle : la tanne-rie. de nombreux articles ont été rédigés concer-nant la préparation des peaux de bêtes. Une des anciennes pratiques employées par les tanneurs consistait à laisser les pieds (principalement les métapodes et les phalanges) ainsi que les cornes attachées aux peaux. ces restes osseux, par action de leur poids, permettaient plus facilement l’éti-rement des peaux (Serjeantson, 1989 : 136). Par ailleurs, les cornes renseignaient sur l’âge des ani-maux. il était ensuite probable qu’elles aient été données aux artisans travaillant la corne et dont l’atelier se situait non-loin des tanneries (Serjeant-son, 1989 : 139).

Les âges d’abattage

L’étude des âges d’abattage indique qu’il s’agis-sait d’animaux adultes âgés d’au moins 5 ans. ces animaux étaient vraisemblablement réformés puis abattus pour leur viande dont la production n’était que secondaire – sa qualité devant être rela-tivement basse. il est utile de rappeler que durant cette période, les bœufs étaient utilisés pour effectuer le travail dans les champs et tracter des charges lourdes. ces animaux étaient donc prin-cipalement élevés pour leur force, puis réformés et abattus pour leur viande et peut-être leur peau. ceci explique d’ailleurs l’absence de veaux parmi les restes osseux.

Traces de découpe

Les traces de découpe des métapodes et des pha-langes sont particulières. en effet, il est habi-tuel pour les bas des pattes d’être sectionnés au niveau du carpe ou du tarse (Méniel, 1989 : 194).

L’emplacement et la nature des traces observées sur les restes osseux d’Harfleur ne semblent cepen-dant pas concorder avec cette pratique. Une com-paraison avec les ossements issus de tanneries sur le site de la rue du Moulinet à troyes indique que les traces de découpe observées à Harfleur sont caractéristiques de restes de tanneries (fig. 12a et 12b) (deborde, 2002 : 309).il est intéressant de noter qu’en plus du travail des tanneurs, le corroyeur imbibait les peaux d’huile issue de graisse animale ou d’huile animale pro-venant des pattes. Serjeantson observa que l’huile de pieds de bœuf était, en effet, une des plus raffi-nées, à l’exception de l’huile de certains animaux marins. À ceci s’ajoute l’observation que l’une des plus pures huiles disponibles est celle issue des phalanges de bœufs (Serjeantson, 1989 : 141). il est donc possible que celle-ci ait été utilisée par les corroyeurs, expliquant les traces de découpes sur une certaine partie des phalanges.

Fig. 12a et fig. 12b. Traces de découpes caractéristiques des tanneurs. Pour une comparaison avec d’autres restes de tanneries. voir Deborde, 2002 : 238.

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Les archives de Montivilliers, ville se situant à 2 km d’Harfleur au xviie siècle, atteste la présence de trois tanneries à partir de 1819. Situées dans le canton de Montivilliers, leur localisation exacte est inconnue. Harfleur faisant partie de ce canton, il est probable qu’une des tanneries y ait été ins-tallée. L’hypothèse de l’établissement d’une tan-nerie au Moyen Âge n’est donc pas impossible, sans compter la nature commerciale du port et la rivière la Lézarde traversant la ville. en effet, une quantité importante d’eau était nécessaire aux travaux des tanneurs (Serjeantson, 1989 : 135) ; une des étapes consistant à laver les peaux dans les rivières (Macgregor, 1998 : 15) avant tout autre opération. Par ailleurs, il n’est pas surpre-nant que la tannerie ait été située à l’extérieur des murs d’enceinte de la ville : au cours des xvie et xviie siècles à chester, l’emplacement des tan-neries se trouvait à l’extérieur des remparts de la ville pour permettre de disposer de plus d’espace, sans compter la forte odeur dégagée (Serjeantson, 1989 : 143). il est cependant nécessaire d’affirmer qu’aucun puits caractéristique de tanneries n’a été identifié sur le site de la Porte de Rouen, mais il est très probable que les tanneries aient été situées en dehors de la zone de fouille, tandis que les déchets de cette industrie ont été jetés dans le fossé.

Pathologie

Le lipping est une pathologie qui, chez les ani-maux, est caractéristique du travail des champs et de la traction de charges lourdes. ceci concorde avec les observations issues de l’étude des âges.

Études biométriques

La taille moyenne au garrot des bovins retrouvés à l’Hôtel-dieu de Beauvais au xve et au xvie siècle, est de 114,3 cm (Lepetz, 1991 : 176). Les données biométriques des bovins d’Harfleur étant simi-laires à celles de cette population de référence, il est possible d’en déduire que les bœufs retrouvés sur le site de la Porte de Rouen avaient une taille semblable à ceux de Beauvais. cette taille est sensi-blement plus faible que la moyenne observée dans le reste de l’europe durant cette même période : 114,3 cm contre 115,3 cm. clavel émet l’hypo-thèse que cette différence n’est pas due à la peste, mais à une préférence de la population pour une consommation de céréales, causant ainsi une aug-mentation de l’étendue des terres agricoles aux dépends des pâturages.

concernant Harfleur, il est possible que cette petite différence de taille ne soit pas due à un changement alimentaire, mais soit plutôt une conséquence des nombreux événements régio-naux qui se sont enchaînés au cours des deux siècles. Premièrement, Harfleur a subi, à de nom-breuses reprises, des épidémies de peste. celles-ci ont décimé la population avec plus de 75 % des individus tués entre 1347 et 1455 (corvisier, 1987 : 37). Par conséquent, il est possible que moins d’attention ait été portée aux animaux : le manque de main d’œuvre n’a pas permis d’amas-ser la quantité suffisante de foin pour nourrir les bêtes durant la totalité de l’hiver. il se peut de ce fait que les animaux aient passé un temps plus long dans les pâturages, conduisant à une ali-mentation moins riche et même peut-être à un manque de nourriture durant certaines périodes. ceci conduirait à des modifications morpholo-giques qui se manifesteraient par une réduction dans la taille des animaux (davis, 1996 : 604). des recherches sont actuellement en cours pour essayer de comprendre l’impact des épidémies de peste sur la productivité agricole et l’élevage dans la région. À ces épidémies et ce manque de main d’œuvre viennent s’ajouter les nombreuses confrontations anglaises et françaises de la guerre de cent ans (1337-1453). en août 1415, Henri v organisa le siège d’Harfleur, forçant ainsi la ville à se rendre. La population française fut contrainte d’abandonner Harfleur, qui passa sous domi-nation anglaise pendant les 30 années qui sui-virent (Lachastre, 2006 : 47-48). de 1435 à 1440, la ville fut reprise par les Français, puis repassa aux anglais qui la perdirent en 1450 et ne réus-sirent pas à la reprendre par la suite. au cours du xvie siècle, la France subit de nombreux conflits causés par les guerres de religion et Harfleur n’y échappa pas. La ville fut pillée en 1562 par les Huguenots. Situé à quelques kilomètres, Le Havre tomba quelques temps après et plusieurs épisodes violents eurent lieu dans les villes et villages situés dans l’arrière-pays (Panchout, 2006 : 39-43). Les conséquences de ces épisodes de guerre sur les ani-maux domestiques lors des périodes médiévales ne sont pas très bien connues. cependant, des obser-vations récentes indiquent comme conséquences possibles la dégradation des terres agricoles due à un manque d’engrais, ainsi que la surexploitation des pâturages, entraînant une alimentation plus pauvre pour les animaux (Levy, 2000 : 59).

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Les caprinés : moutons et chèvres

La répartition anatomique en nombre de restes

La distribution anatomique n’appelle pas de com-mentaires particuliers, si ce n’est l’absence quasi-totale de fémurs et une sous-représentation de pha-langes. cette dernière observation est probablement due à la taphonomie et au manque de tamisage, les phalanges des caprinés étant particulièrement petites. cette composition de l’échantillon semble témoigner de la consommation de la totalité – ou presque – des caprinés : les restes recueillis fournissent une quantité importante de viande. Par ailleurs, les vestiges osseux ne semblent pas refléter une activité industrielle par-ticulière. cette étude montre donc que les capri-nés étaient élevés pour leur viande et probablement d’autres produits comme la laine et le lait.

Les âges d’abattage

Les caprinés sont des animaux particulièrement appréciés pour leur viande, peau, suif, ainsi que leur lait, laine et crottin, les trois derniers étant considé-rés comme produits secondaires (davis, 2000 : 373). L’analyse des épiphyses montre l’absence d’animaux jeunes comme cela a été observé pour les bœufs. il semblerait donc que les caprinés ait été élevés prin-cipalement pour le lait et la laine, puis réformés et abattus pour leur viande. Notons qu’une nouvelle fois, la qualité de la viande n’était pas la meilleure.

Traces de découpe

Les traces observées sont caractéristiques d’opéra-tions classiques de désarticulation et de décarnation, dont la localisation ne varie que très peu à travers les périodes (Méniel, 1989 : 196). ces traces de découpe attestent donc de la préparation de la viande. il est regrettable de ne pas avoir retrouvé d’omoplate complète : dans certains cas, celles-ci sont abîmées par des crochets permettant la présentation des mor-ceaux de viande sur les étalages ou servent simple-ment à accrocher les morceaux de viande.

Étude biométrique

La diminution de la stature des caprinés du xve au xvie siècle correspond aux observations faites dans le nord de la France par clavel. La taille de ces animaux diminue jusqu’au xviie siècle où

elle atteint 56 cm. cette moyenne a également été observée à Beauvais et représente l’une des plus petites tailles enregistrées pour cette période (Lepetz, 1991 : 276). cette diminution est inté-ressante puisque, contrairement aux bovins, les caprinés ne sont pas aussi sensibles à la surface des pâturages disponibles. Les études conduites sur de nombreux sites dans le nord de la France indiquent une préférence pour la production de viande au détriment de la production de laine et ce, en particulier durant la fin de la période médié-vale (clavel, 2005 : 271). concernant Harfleur, le manque de main d’œuvre, suite à la peste et à la guerre, peut avoir privilégié l’élevage probable-ment déjà restreint des bovins : ceux-ci offrent une quantité de viande plus importante par individu. Une alimentation moins riche (tout comme pour les bovins) peut également avoir joué un rôle dans cette variation.

Les cochons

La composition de l’échantillon selon l’anatomie indique une absence complète d’os de membres au profit des bas des pattes tels que les métapodes et phalanges. Notons que la peau du porc peut être traitée pour en faire du cuir et que par conséquent, cela pourrait correspondre à la présence de tanne-ries précédemment mentionnée. cependant, l’âge relativement jeune des animaux laisse plutôt pen-ser qu’ils étaient élevés principalement pour leur viande, destinée à garnir les tables des gens jouissant d’un plus haut statut social. La découpe des animaux aurait eu lieu en ville, les rejets et pattes étant jetés dans le fossé, tandis que les morceaux fournissant une quantité importante de viande étaient exportés. cependant, la faible quantité d’ossements retrouvés suggère que les restes étaient jetés dans une autre partie du fossé – rappelons que trois entrées permet-taient l’accès à la ville durant cette période.

Les oiseaux

Les coqs et poules étaient et sont toujours prin-cipalement élevés pour leurs œufs et leur chair. concernant Harfleur, la consommation des œufs est confirmée par la présence de petits morceaux de coquille d’œufs retrouvés à la surface de frag-ments de céramique. il est cependant impossible de savoir l’importance que jouaient les œufs dans l’alimentation de la population.Les autres espèces d’oiseaux, une fois identifiées, permettront de récréer en partie l’environnement

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aux alentours de la ville. Le râle d’eau, par exemple, est caractéristique d’environnements ayant une végétation aquatique dense (Méniel, 1989 : 198).

Mammifères domestiques non-consommés

il a été vu précédemment que moins d’une dizaine d’os de chien et de chat a été retrouvée. ces deux espèces sont présentes sur le site et leur faible représentation tend à suggérer qu’elles n’étaient pas consommées. Un ensemble de métatarses appartenant à un chien présente une pathologie : deux des métatarses de la patte arrière gauche ont été fracturés. en guérissant, ces métatarses ainsi que ceux qui n’étaient pas fracturés se sont soudés, peut-être pour compenser une faiblesse de la patte par rapport au poids de l’animal.

Mammifères sauvages

Les os de gibier sont principalement absents. Les couches datant du xve siècle ont cependant livré des os de lièvre, le lapin n’étant pas domestiqué avant le xvie siècle (clavel, 2001 : 112-113).d’autres ossements classés dans la famille des cani-dés ont également été retrouvés, mais leurs identi-fications sont problématiques ; les os de certaines races de chien peuvent être aisément confondus avec ceux d’un renard ; ceci est également le cas entre certains chiens et les loups.

Conclusion

Les résultats préliminaires des restes osseux issus de la Porte de Rouen à Harfleur permettent de dévoiler quelques informations sur l’alimenta-tion et l’économie de la ville pendant les xve et xvie siècles.L’importante quantité de restes osseux et dentaires de bovins indique que la viande de bœuf domine l’alimentation carnée de la population harfleu-raise – une observation également vraie pour le reste du nord de la France. cependant, les études d’âges ont montré que les animaux étaient abattus adultes, âgés d’au moins 5 ans. Les bœufs étaient principalement élevés pour leur force, indispen-sable pour les travaux des champs et la traction des charges lourdes. Une fois réformés, ces ani-maux étaient abattus puis consommés. il est pos-sible que leur peau ait été traitée pour en faire du cuir. en effet, la présence de tanneries est suggérée

par la composition anatomique de l’échantillon et par les nombreuses traces de découpe caractéris-tiques des méthodes employées par les tanneurs et corroyeurs, tandis que la présence de rivières à proximité faisait d’Harfleur un endroit idéal pour l’établissement de cette activité artisanale. Les caprinés contribuaient à la diversité de la viande mais étaient principalement élevés pour la laine et le lait avant d’être abattus. La consommation du porc était, quant à elle, restreinte aux sites de sta-tut social plus élevé.La taille des bœufs et des caprinés diminua lors de la transition du xve siècle au xvie siècle. Une des principales causes pourrait être les nombreuses épidémies de peste qui ravagèrent la ville et déci-mèrent la population, créant un manque de main d’œuvre pour travailler dans les champs et s’oc-cuper des animaux. À ceci s’ajoute les nombreux conflits et guerres qui pouvaient entraîner un sur-pâturage des animaux. Une alimentation plus pauvre et un manque d’attention se seraient reflé-tés dans la morphologie et la taille des bœufs et des caprinés, et auraient touché les générations suivantes.il est pour le moment difficile de tirer des conclu-sions représentatives concernant les autres espèces identifiées, hormis la présence confirmée de coqs, chiens, chats et lièvres. L’étude des os issus de la campagne 2009 ainsi que de la couche tami-sée, actuellement en cours, devrait enrichir notre échantillon en espèces et données et permettre ainsi de confirmer ou réfuter les hypothèses ici présentées. de nouvelles informations quant aux rôles des espèces dans l’alimentation et l’économie d’Harfleur aux xve et xvie siècles devraient enri-chir nos connaissances sur la vie quotidienne de cette ville.

Remerciements

cette étude n’aurait pu être réalisée sans les conseils, l’aide et le soutien des personnes sui-vantes et que l’auteur tient à remercier : Benoît clavel, Keith dobney, Bruno duvernois, Marjo-laine Lebrasseur, Philippe Le dan, gilles Lepage, Laura Mears, Peter Rowley-conwy, Richard Streeter, Beth Upex, Jean-denis vigne, Jean-Hervé Yvinec, le personnel du cRavO ainsi que mes parents et l’ensemble des fouilleurs des campagnes de fouilles 2007, 2008 et 2009. L’au-teur tient également à remercier l’association du gdRe pour leur soutien financier qui a permis de mener à bien cette étude. g

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