Les nouvelles voix de l’Europe? Analyses des consultations citoyennes

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Introduction Raphaël Kies and Patrizia Nanz Afin de surmonter la crise politique de 2005, lorsque le Traité Constitutionnel a été rejeté par les référendums Français et Néerlandais, l'Union européenne (UE) a promu plusieurs programmes participatifs ambitieux comme le Plan D et Debate Europe visant à améliorer l'information et l’implication européenne des citoyens. Ceci a mené à l'apparition d'une grande variété d'expériences consultatives innovantes à différents niveaux géographiques (local, national, transfrontalier et pan-européen), et à l’expérimentation d’une large variété de méthodes participatives. Ces expériences visent à explorer de manière délibérative les priorités et les préférences des citoyens européens, de les (re)connecter avec la sphère politique dirigée par des élites de Bruxelles et, de manière plus ambitieuse, d'inclure les citoyens ordinaires dans le processus décisionnel européen. Pour les institutions de l'UE, et en particulier la Commission, ces expériences participatives devraient servir de remède au déficit de démocratie ou de légitimité de l'UE tandis que pour les universitaires, elles constituent un terrain d'enquête privilégié pour analyser la délibération des 1

Transcript of Les nouvelles voix de l’Europe? Analyses des consultations citoyennes

Introduction

Raphaël Kies and Patrizia Nanz

Afin de surmonter la crise politique de 2005, lorsque le

Traité Constitutionnel a été rejeté par les référendums

Français et Néerlandais, l'Union européenne (UE) a promu

plusieurs programmes participatifs ambitieux comme le Plan

D et  Debate Europe  visant à améliorer l'information et

l’implication européenne des citoyens. Ceci a mené à

l'apparition d'une grande variété d'expériences

consultatives innovantes à différents niveaux géographiques

(local, national, transfrontalier et pan-européen), et à

l’expérimentation d’une large variété de méthodes

participatives. Ces expériences visent à explorer de

manière délibérative les priorités et les préférences des

citoyens européens, de les (re)connecter avec la sphère

politique dirigée par des élites de Bruxelles et, de

manière plus ambitieuse, d'inclure les citoyens ordinaires

dans le processus décisionnel européen. Pour les

institutions de l'UE, et en particulier la Commission, ces

expériences participatives devraient servir de remède au

déficit de démocratie ou de légitimité de l'UE tandis que

pour les universitaires, elles constituent un terrain

d'enquête privilégié pour analyser la délibération des

1

citoyens dans un contexte transnational.

Les politologues et les juristes ont mis en garde de la

faiblesse démocratique de l'UE bien des années avant la

crise politique de 2005. D'un point de vue normatif, les

citoyens européens sont dans les conditions actuelles

seulement les récipiendaires de règlements communautaires

contraignants et coercitifs, et ne sont pas les auteurs

responsables des lois et principes constitutionnels qui

forment un régime politique (voir par ex., de Burca 1996,

Gerstenberg 1998, Weiler 1999). Alors que ce système est

basé sur des traités internationaux et, de par cela, tire

sa source suprême de légitimité dans la souveraineté des

Etats membres, le pouvoir des Etats-nations a parallèlement

été sapé par l'accroissement du pouvoir substantiel des

institutions européennes: les Etats-membres ne contrôlent

pas le contexte constitutionnel et légal dans lequel le

processus de prise de décision a lieu; Qui plus est, la

législation de l'UE se développe graduellement vers un

ordre légal supranational distinct et indépendant, dont les

dispositions priment sur les lois nationales et sont

directement applicables aux citoyens des Etats-membres. Le

déficit démocratique qui en résulte peut donc être défini

comme l'écart entre les effets omniprésents du pouvoir

régulateur de l'UE et la faible approbation de ce pouvoir

par les citoyens des Etats-membres qui sont directement

impactés par ces régulations (Nanz 2006).

2

D'un point de vue empirique, différentes études mettent en

évidence l’existence un manque de soutien populaire envers

les institutions de l'Union (Hix, 2008) et un manque

d'identité européenne (voir Risse 2010 pour une approche

critique). On peut dès lors se demander si les citoyens

européens reconnaissent que l'UE fournit un cadre de normes

qui les relient aux institutions européennes dans une

chaîne de droits et d'obligations réciproques. En tout cas,

il y a une importante divergence - plus visible dans

certains pays que dans d'autres - entre les positions des

élites et celles des masses envers l'UE (Bruter 2004). Pour

les élites politiques et économiques européennes l'UE est

certainement très réelle alors que pour les citoyens

ordinaires, l'UE est une communauté politique éloignée.

L'image dominante de la gouvernance européenne est celle

d'un processus opaque et technocratique qui imbrique des

fonctionnaires et des officiels dans un réseau politique de

proximité, plutôt que celle d'un processus de délibération

et de prise de décision ouvert à une large participation de

tous ceux qui sont concernés par son résultat.

Afin de traiter le problème de la légitimité de manière

efficace, la Commission européenne a voulu expérimenté de

nouveaux mécanismes participatifs (Abels 2009: 3). Cet

ouvrage vise d’une part à présenter les raisons de leur

apparition et d’autre part d’offrir une analyse critique de

3

leur potentiel légitimant. A cette fin, il tentera de

répondre aux deux questions suivantes: 1) Est-ce-que le

tournant participatif dans la communication européenne est

purement rhétorique ou y-a-t-il une volonté politique

réelle d'institutionnaliser des nouveaux modes

d’implication des citoyens ? 2) Est-ce-que ces procédures

participatives peuvent être considérées comme un pas en

direction d'une Europe plus légitime et plus démocratique?

L'émergence d'un régime de citoyenneté européenne

Un point crucial dans la légitimation de l’UE par les

citoyens est la citoyenneté européenne, une innovation

conceptuelle issue du Traité de Maastricht. La création de

ce statut légal va au-delà de l'intégration fonctionnelle

des économies des Etats-membres par les libertés

(économiques) élémentaires: la libre circulation des biens,

des services, des capitaux et de la main-d'œuvre. Jusqu'à

1992, les citoyens des pays membres de l'UE étaient les

"citoyens d'un marché commun"; ils étaient considérés comme

des étrangers quand ils voyageaient ou résidaient en dehors

de leur pays dans l'Union. La citoyenneté européenne a

établi un statut légal pour chaque ressortissant d'un pays

membre1 ce qui constitue un immense défi par rapport à la

conception conventionnelle de la citoyenneté.1 Le statut légal confère quatre droits essentiels : (1) le droit de libre circulation et de résidence dans les autres pays membres; (2) le droit de voteet de se présenter aux élections municipales et européennes dans l'état-membrede résidence; (3) la protection dans un pays non-UE par les représentants des instances diplomatiques ou consulaires d'autres pays membres si un état membre n'y est pas représenté; et (4) le droit d'adresser une pétition au Parlement européen et de faire appel à l'Ombudsman européen

4

Dans les Etats-nations, la citoyenneté est nationale: seuls

les ressortissants peuvent prétendre appartenir à la

communauté politique (démos). Il y a deux critères basiques

selon lesquels les Etats modernes définissent normalement

la nationalité, à savoir: l'ius sanguinis (critère

ethnique/culturel) et l'ius solis (critère territorial). Ces

critères sont censés incarner les éléments sociaux

d'attachement étroit à une nation particulière.

Ils servent de schéma de justification pour exclure les

non-ressortissants de la citoyenneté. La citoyenneté de

l'Union, bien que conditionnée à la citoyenneté nationale

est un statut qui n'est pas basé sur une appartenance

préalable à un Etat en particulier. Elle est liée au

concept de politique unique (Preuss et Requejo 1998) mais

ne présuppose pas un lien sous-jacent du citoyen à l'Union,

c'est à dire qu'elle ne véhicule pas de quelconque identité

européenne culturelle ou nationale. La citoyenneté

européenne abolit la hiérarchie entre les différentes

allégeances (nationale, européenne) et offre aux citoyens

une pléiade de relations associatives sans pour autant les

lier à une nationalité spécifique, de sorte que la

nationalité (l'appartenance) et la citoyenneté (le statut

légal) sont progressivement dissociées dans l'Union.

Alors que le corps législatif européen, composé du Conseil

européen et du Parlement européen, a été réticent à doter

le concept de citoyenneté européenne de droits

5

substantiels, la Cour de Justice de l’Union Européenne

s'est montrée bien plus réceptive à une interprétation plus

large de ce concept. Sa jurisprudence a joué un rôle majeur

en incluant graduellement les citoyens européens dans la

matrice des droits et devoirs des Traités et a ainsi promu

une vision transnationale de la citoyenneté UE (Nanz 2009).

En élargissant le principe de non-discrimination à celui

d'interdiction de toute discrimination due à la

nationalité, la Cour a reconstruit la citoyenneté

européenne d'une façon qui transforme les étrangers en

associés. Les personnes, qui sont séparées par leurs

identités nationales différentes, sont en même temps des

concitoyens de par la citoyenneté européenne qu'ils

partagent (Offe et Preuss 2006). Qui plus est, il y a eu

une expansion continue du statut de citoyenneté européenne

de sorte que celui-ci permet de profiter d'avantages et

d'allocations dans un autre pays membre (p.ex.:

l'allocation du demandeur d'emploi dans le pays de

résidence du citoyen européen).

La citoyenneté européenne n'envisage pas un démos

supranational mais une sphère plus abstraite de coopération

entre non-compatriotes, qui dépend de sa capacité à

collaborer dans des pratiques de citoyenneté

transnationales. La question qui en découle est: Est-ce que

les expériences de l'UE de ces dernières années en matière

de participation des citoyens offrent de bonnes

6

possibilités pour de telles pratiques transnationales?

Peuvent-elles être considérées comme le cadre

institutionnalisé d'une sphère publique européenne dans

laquelle les citoyens émettent des opinions sur des sujets

généraux et en fin de compte décident d'une action

collective? Une deuxième question est: Ces nouveaux types

de forums transnationaux peuvent-ils contribuer à donner de

la substance à la citoyenneté européenne? Pourraient-ils

mener à l'émergence d'une citoyenneté qui serait basée non

seulement sur les nouveaux droits et devoirs mais aussi sur

une meilleure connaissance des autres citoyens de l'UE et

empathie envers ces derniers?

Cas de participation transnationale de citoyens dans

l'Union Européenne

Depuis le début du 21ème siècle, il y a eu un accroissement

exponentiel de consultations citoyennes promues par le

Parlement et la Commission Européenne dans le cadre de

différents labels stratégiques (voir chapitre 1).

Face à cette grande diversité, plusieurs critères ont été

utilisés pour sélectionner les cas étudiés dans cet

ouvrage. Un premier critère a été l'importance du soutien

financier et politique de l'UE. La raison étant que les

consultations citoyennes qui sont d’avantage subventionnées

par l'UE sont plus susceptibles de faire partie, dans un

futur plus ou moins proche, du processus décisionnel de

l’Union européenne. Les deux projets appartenant à cette

7

catégorie sont la Consultation Européenne des Citoyens

(ECC09), et Europolis. Ceux-ci ont été financés à deux

reprises pour un montant dépassant le million d'Euros. Un

deuxième critère a été celui de l'attention portée à

l’inclusion et la participation des citoyens, l’implication

directe du citoyen correspondant à la nouvelle voie suivie

par l’UE afin d’accroitre sa légitimité après avoir tenté

de le faire (sans succès) en renforcement du rôle du

Parlement Européen et des associations de la société civile

dans le processus décisionnel. Tous les cas examinés dans

cet ouvrage se concentrent sur la participation des

citoyens, à l'exception de l'Agora, une consultation

organisée par le Parlement Européen avec les associations

de la société civile. Il nous a semblé important d'inclure

ce projet, implémenté dans la même période, car

l'implication directe de la société civile est souvent

présentée comme la meilleure solution pour renforcer la

légitimité de l'UE (voir par ex. Smismans 2006). La

comparaison de ces deux approches (société civile /

citoyens ordinaires) est utile pour évaluer s'il y a des

différences majeures en ce qui concerne la dynamique

discursive et l'impact des consultations, et à quel point

elles sont complémentaires. Un troisième critère est celui

de l'interactivité. Presque toutes les études de cas sont

des procédures de consultation basées sur des interactions

discursives, que ce soit en ligne, en face-à-face, ou les

deux à la fois. « Your Voice in Europe », la procédure de

8

consultation de la Commission, est une exception car elle

n'est pas basée sur une interaction discursive. Il s’agit

d’un cas d’étude néanmoins intéressant car c’est la seule

procédure consultative ouverte aux citoyens européens qui a

un impact tangible sur la prise de décision de l'UE. En vue

d’une institutionnalisation des consultations citoyennes au

niveau européen, son analyse se justifie afin d’évaluer

comment un tel impact peut s’étendre à d’autres formes de

consultation. Le dernier critère a été celui de la nature

transnationale de la participation, c’est-à-dire de

l'inclusion de participants de différents pays européens.

La nature transnationale d'un forum peut se matérialiser de

deux façons. La première est la participation de citoyens

de différents pays de l'UE dans un même forum, soit grâce

au service d’interprètes soit grâce à la maîtrise

suffisante d’une lingua franca (en général l'anglais). La

seconde est la combinaison de forums nationaux parallèles

qui traitent d'un même sujet et dont les résultats sont

synthétisés dans un document commun. Tous les cas

sélectionnés appartiennent à l'une ou l'autre de ces deux

catégories et rassemblent des participants d'au moins trois

pays.

Critères d'évaluation

Afin d’évaluer l’utilité et la qualité démocratique de ces

expériences participatives et leur capacité à connecter les

citoyens européens entre eux et avec les institutions

9

européennes, on a demandé aux auteurs de cet ouvrage

d'évaluer les consultations sur la base des critères issus

de la théorie délibérative. Il est important de noter

qu'une marge de liberté leur a été laissée quant au choix

et l’opérationnalisation des critères afin d’appréhender au

mieux les spécificités des cas analysés. Malgré cette

acception plutôt œcuménique de la délibération, les

contributeurs ont adopté les mêmes critères délibératifs

bien que sous diverses étiquettes et à travers différentes

méthodes d'opérationnalisation. On peut les classer sous

quatre catégories.

La première catégorie est l’inclusion qui se réfère à trois

exigences complémentaires. Premièrement, une inclusion par

auto-sélection impliquant que tous les individus intéressés

par un sujet devraient avoir la possibilité de prendre part

aux consultations citoyennes. Deuxièmement, une forme

d’inclusion plus progressiste suivant laquelle les

individus qui ne prendraient pas part spontanément à la

consultation mais dont les opinions pourraient être

profitables au résultat de la consultation devraient être

encouragés à le faire. Cela est particulièrement important

dans le contexte du processus de prise de décision de l'UE

qui est perçu par une vaste majorité de citoyens comme

particulièrement distante et opaque en raison de la

complexité des sujets traités, de la nature impénétrable du

mécanisme de prise de décision et de l'absence d'une

10

communication appropriée. Pour ce second type d'inclusion

le processus de sélection est fondamental et complexe car

il devrait viser à inclure des citoyens dont les opinions

sont représentatives des points de vue nationaux par

rapport aux sujets de la consultation. Enfin la notion

d'inclusion requiert que les individus qui ne sont pas

directement impliqués dans le processus consultatif soient

informés de ses tenants et aboutissants, afin que les

bénéfices issus du processus de consultation ne soient pas

confinés à ses seuls participants. Cet aspect de

l'inclusion est souvent assimilée à la notion de

"publicité" (au sens latin du terme; divulgation, rendre

public).

La seconde catégorie de critères normatifs concerne la

qualité de l'information et des échanges discursifs. Elle a

été inspirée par la théorie discursive de Jürgen Habermas

(1989,1996) qui définit un idéal délibératif dans un

contexte donné. Est-ce que les participants ont reçu une

information équilibrée? Ont-ils eu une chance égale de

s’exprimer? Ont-ils suffisamment justifié leurs opinions ?

Etaient-ils disposer à changer d’opinion ? Les débats ont-

ils été respectueux? Etc. Ces critères nous permettent

d'évaluer la valeur épistémique des consultations, la

dynamique des débats (sont-ils interactifs et réflexifs ?)

ainsi que celle de leur capacité à approfondir les liens

sociaux entre les citoyens de l'UE.

11

La troisième catégorie concerne l'impact civique (ou impact

interne) sur les personnes qui ont été impliquées dans les

consultations ainsi que sur celles qui n’ont pas

directement participé aux consultations (sphère publique au

sens large). Les analyses portent sur l’évolution des

connaissances, perceptions et opinions envers l’Union

européenne et envers les sujets débattus. Le potentiel

civique de ces expériences est généralement évalué à

travers des sondages et des entretiens.

Une dernière catégorie concerne l'impact sur la prise de

décision. Celle-ci mesure d'une part, si les propositions

et opinions exprimées au cours de la consultation sont

prises en considération par les décisionnaires (impact

direct) et d’autre part si les médias et leaders d'opinion

ont pris en considération les résultats produits par la

consultation (impact indirect). Bien que la nature

expérimentale des consultations et leur absence de lien au

processus décisionnel nous invite à avoir des ambitions

limiter quant à l’impact, il devrait y avoir un niveau

minimum d'impact correspondant au droit des participants à

recevoir un « feedback » de la part des autorités visées

par les consultations.

Plan du l'ouvrage

Cet ouvrage est divisé en trois parties. La première partie

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offre une vue d’ensemble des pratiques délibératives de

l'UE. Le chapitre de Mundo Yang reprend l’ensemble des

consultations citoyennes qui ont été financées par les

institutions de l'UE depuis 2001 et offre une analyse

pointue de l'évolution de la stratégie de communication de

l'UE depuis le Livre blanc sur la gouvernance (EC 2001)

jusqu’au Livre blanc sur une politique de communication

européenne (EC 2006). Sur base de cette analyse il

argumente que la stratégie de communication de l’UE est

passé d’un modèle « du haut vers le bas » ayant pour

objectif d'élargir la légitimité des institutions

européennes en informant mieux ses citoyens de leurs

travaux à un modèle du « bas vers les haut » qui considère

que le processus de décision dans l'UE devrait être

légitimé par une implication directe et discursive de ses

citoyens. Cependant il relève de faiblesses dans

l’implémentation de ces stratégies. En particulier, il

critique qu'il n'existe pas de synergies efficaces dans et

entre les institutions de l'UE, et que le soutien financier

à la promotion des consultations citoyennes a été marginal.

De même il observe qu'avec l'arrivée de la deuxième

Commission Barroso, la volonté politique en faveur des

consultations citoyennes a fortement décliné. Yang en

conclut que le paradigme communication unidirectionnel du

haut vers le bas perdurera. Les consultations citoyennes et

les nouvelles stratégies de communications n’auront été

qu’une phase d’expérimentation transitoire sans lendemain.

13

Le deuxième chapitre, de Dawid Friederich, réexamine et

analyse les nouvelles pratiques de la gouvernance

européenne d'un point de vue délibératif. Cette étude

permet non seulement d’appréhender le caractère innovant

des consultations citoyennes par rapport aux pratiques

existantes de gouvernance européenne (Comitologie, Méthode

Ouverte de Coordination et Dialogue Civil), mais aussi

d’établir dans quelle mesure et sous quelles conditions

elles pourraient renforcer la légitimité du processus

décisionnel européen. L’auteur conclut que les

consultations citoyennes pourraient contribuer à renforcer

le caractère délibératif de l’UE sous certaines conditions

(sélection des participants, visibilité, impact, etc…) qui

seront brièvement analysées dans la dernière partie de

cette introduction.

La seconde partie est axée sur l’analyse empirique des cas

d’études sélectionnés. Les deux premiers chapitres traitent

des deux consultations majeures du point de vue de la

participation et de l’engagement financier et humain. La

première, la Consultation européenne des Citoyens (ECC09), par

Raphaël Kies, Monique Leyenaar et Kees Niemöller, est une

méthode consultative inspirée par méthode du « 21st century

meeting »2. Elle est fondée sur une procédure complexe qui

2 Le « 21st century meeting » est un évènement à grande échelle sur uneseule journée qui utilise les technologies de la communication et de l’information afin de permettre la participation d’un grand nombre de participants (pour plus d’information, voir à ce sujet les chapitres de John Gastil et Graham Smith)

14

invite un grand nombre de citoyens des 27 Etats membres à

débattre et élaborer des propositions en ligne et en face à

face sur la question du « futur social et économique de

l’Europe ». L’étude conclut que l’impact civique de la

consultation était positif et pointe sur des améliorations

à apporter pour améliorer la qualité délibérative et

l’impact de la consultation sur la décision, celle-ci ayant

été au mieux symbolique. Le deuxième cas, par Pierangelo

Isernia, James Fishkin, Jürg Steiner et Danilo Di Mauro,

est le sondage d’opinion européen délibératif Europolis qui a

réuni à Bruxelles un échantillon de 348 citoyens

représentatifs de la population européenne afin d’y

échanger et exprimer leurs opinions sur « l’immigration »

et « le changement climatique ». A la différence d’ECC09,

les citoyens participant à Europolis n’avaient pas été tenus

à élaborer des propositions, mais d’exprimer leurs opinions

sur un questionnaire prédéfini avant, pendant et après une

discussion équilibrée et informée. Les auteurs considèrent

positivement la structure, l’implémentation et l’apport

civique de cette expérience. Ils remarquent en ce sens que

les participants ont changé d’avis sur les sujets débattus

et que leur perception de la légitimité de l’UE et de

l’appartenance à celle-ci s’est améliorée.

Le troisième cas analysé par Julien Talpin et Laurence

Monnoyer-Smith est Ideal-EU, qui comme ECC09 est aussi

inspiré le « 21st century meeting ». Cependant, alors que

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la structure et l’objectif de la consultation sont

similaires, Ideal-EU diffère de ECC09 en beaucoup de

points: le sujet est différent (changement climatique), la

population ciblée est plus restreinte (des jeunes gens

entre 14 et 30 ans dans trois régions européennes), la

sélection est faite sur base volontaire et non de manière

aléatoire, et les participants n’ont pas été invités à

élaborer des recommandation mais, à la place, d’exprimer

leur points de vue dans un questionnaire à choix multiples

qui avait été élaboré par avance par les organisateurs.

Similairement à ECC09 les auteurs observent que l’absence

d’impact mène à une frustration des participants et risque

de discréditer le projet délibératif de l’UE dans son

ensemble. Une contribution originale de ce chapitre est sa

tentative de définir les facteurs pouvant influencer la

qualité de la délibération à l’intérieur de la même

procédure consultative. Ils constatent que l’objet de la

discussion, qu’ils distinguent entre local et global, a eu

un plus grand impact sur la qualité de la délibération que

ne l’avait eu la distinction entre les débats face à face

et en ligne.

Le quatrième cas d’étude, par Romain Badouard, est « Your

Voice in Europe ». Comme nous l’avons mentionné auparavant,

c’est la seule procédure parmi les consultations citoyennes

analysées à être institutionnalisée et à avoir par

conséquent un impact minimal garanti sur la prise de

16

décision. Son analyse empirique porte sur la consultation

réalisée sur l’Initiative citoyenne européenne (ICE) qui

est entrée en vigueur avec le Traité de Lisbonne. Alors que

l’impact est important et visible, Badouard déplore

l’absence d’une dimension discursive interactive. Plus

généralement, il remarque que la participation des citoyens

à travers cette méthode est plutôt faible en regard de

celle des groupes d’intérêt et autres acteurs

institutionnels. Il en arrive à la conclusion que le taux

de participation des citoyens à ce type de consultation est

lié à la complexité du sujet débattu. Le dernier cas

empirique par Léa Roger est Agora. Il s’agit de la deuxième

des trois consultations lancées par le Parlement Européen.

Le sujet de la consultation était le “ changement

climatique” et le public ciblé était exclusivement composé

d’acteurs de la société civile. Une découverte intéressante

dans cette étude est que la consultation a montré des

faiblesses similaires à celles observées pour la plupart

des consultations: il n’y a pas eu d’impact sur le

Parlement Européen et il y a eu d’importants

dysfonctionnements dans la manière dont la consultation a

été organisée (manque de temps, groupe de discussions trop

grands, et modération non-professionnelle).

L’ouvrage se conclut par les chapitres de deux spécialistes

de la démocratie délibérative, Graham Smith et John Gastil.

Ces derniers ont été chargés de comparer et évaluer ces

17

expériences. Graham Smith compare le caractère délibératif

de leur modèle ainsi que celui du « Futurum », un forum

internet qui a été mis en place pour permettre aux citoyens

de débattre dans n’importe quelle langue européenne sur le

processus constitutionnel européen (Wright 2007). Il

élabore une matrice analytique permettant de distinguer les

cas étudiés et de les évaluer de quatre critères

délibératifs. Comme Mundo Yang, Smith est plutôt pessimiste

quant au futur des consultations citoyennes dans l’UE. De

son point de vue, les méthodes délibératives expérimentées

dans l’UE disparaitront en faveur de la voie plébiscitaire

incarnée par l’ICE. C’est une évolution qu’il regrette, car

elle ne va pas favoriser une interaction équitable entre

les citoyens européens, mais risque de devenir un autre

instrument qui sera exploité par des groupes d’intérêts

organisés.

Le chapitre de John Gastil analyse ces expériences à l’aune

des innovations participatives et pratiques appliquées dans

d’autres contextes nationaux. Il développe un cadre

analytique qui distingue le niveau d’influence (sur les

participants; sur le grand public; sur les officiels) de la

phase du processus de prise de décision dans laquelle ceux-

ci interviennent (élaboration de l’ordre du jour; analyse

du problème; encadrement du choix; prise de décision).

Ensuite il utilise ce même cadre pour présenter un large

éventail de pratiques de délibération publique existantes

pour illustrer des possibilités alternatives et

18

complémentaires aux projets délibératifs démocratiques

existants de l’UE. Ce dernier chapitre qui fournit une vue

d’ensemble clairement structurée des modes existants de

délibération citoyenne est d’une grande valeur pour

élaborer des solutions complémentaires et innovatrices pour

favoriser son développement dans le contexte européen.

Complémentarité avec l’Initiative citoyenne européenne ?

Avec la crise économique qui s’est installée à la suite de

la crise financière de 2007, la politique européenne a été

mise à rude épreuve. Alors que les leaders européens

courent d’un sommet à l’autre, l’attention politique et

médiatique s’est portée sur les choix économiques en

laissant de côté le problème de la légitimité démocratique.

L’urgence de la crise économique, en d’autres termes, a

détourné l’attention de la plupart des leaders de la

nécessité de relier les citoyens aux affaires européennes.

Le seul progrès notable en termes de démocratie

participative depuis la reconnaissance de l’échec en 2005

est l’introduction de l’ICE qui permet à un million de

citoyens originaires d’au moins sept pays membres de

soumettre une proposition à la Commission à condition

qu’elle tombe dans le champ de ses compétences, qu’elle

respecte les valeurs fondamentales de l’UE et qu’elle ne

soit manifestement pas injurieuse, frivole ou vexatoire.

Il est de toute évidence trop tôt pour tirer une conclusion

19

même partielle sur le fonctionnement et l’impact

démocratique de l’ICE vu que celle-ci a été introduite très

récemment (1er Avril 2012) et qu’à ce jour seulement une

initiative (pour un droit à l'eau et à l'assainissement) a rassemblé le

nombre nécessaire de soutiens pour qu’elle puisse être

considérée par la Commission. Cependant, il est clair que

l’ICE doit résoudre plusieurs problèmes pour son

implémentation (pour un compte rendu, se reporter à De

Witte et al. 2010) et ne vise pas les mêmes objectifs

démocratiques que les consultations citoyennes.

Premièrement, l’ICE ne facilite pas l’inclusion de citoyens

ordinaires qui ne sont pas intéressés aux affaires

européennes. Elle concerne en premier chef les groupes

organisés qui disposent de suffisamment de ressources

humaines et financières pour rassembler un million de

signatures en seulement douze mois (voir le chapitre de

Smith). A l’inverse, les consultations citoyennes ciblent

précisément les citoyens ordinaires, ceux qui sont

généralement détachés de la politique européenne.

Deuxièmement, l’ICE n’est pas spécifiquement conçue pour

promouvoir un véritable espace de discussion pan-européen

comme le prétendent la plupart de ses partisans. Certaines

propositions sont susceptibles d’être discutées dans

différents espaces publics nationaux, mais il s’agira d’un

public restreint aux élites nationales intéressées aux

affaires européennes. Il est aussi peu probable que les

débats autour de l’ICE soient aussi délibératifs que ceux

20

observés dans la plupart des consultations citoyennes. Car

à l’inverse de celles-ci, l’ICE n’est pas conçue pour

promouvoir un débat délibératif transnational des citoyens.

Troisièmement, il est faux de penser que l’ICE serait un

instrument participatif plus légitime que les consultations

citoyennes, car influencer le processus de prise de

décision de l’UE en récoltant un million de signatures (sur

500 millions de citoyens européens) sous l’impulsion de

groupes bien structurés ne constitue pas une base

démocratique plus forte que les propositions élaborées à

travers les consultations citoyennes. On pourrait même dire

que ces dernières sont plus légitimes en ce qu’elles

cherchent à établir des propositions issues d’interactions

qualitatives et inclusives. En dernier lieu, l’ICE, peut

également apporter son lot de frustrations si les

propositions sont jugées non-admissibles, si elles ne se

traduisent pas en actes législatifs ou si elles ne

réunissent pas un million de signataires en à peine douze

mois. Ce danger a été souligné par le groupe « Campagne

ICE »3 qui considère que le délai de récolte des signatures

devraient être prolongé (de 12 à 18 mois) et que les

critères de recevabilité des initiatives devraient être

mieux précisés afin d’éviter que la Commission ne les

bloque à un stade précoce.

3 La Campagne ECI est une coalition populaire de défendeurs de la démocratie et de plus de 120 ONG visant à la création et à l’implémentation du droit d’initiative populaire des citoyens de l’UE.Disponible à : http://www.citizens-initiative.eu/?page_id=2 [Accessed:7 June 2011].

21

Pour la promotion de la légitimité démocratique de l’UE il

serait erroné de mettre en compétition ces deux approches

car celles-ci sont complémentaires: l’ICE est un mode de

participation plus approprié pour réunir les souhaits des

groupes organisés tandis que les consultations citoyennes

sont plus adaptées pour favoriser la participation des

« simples » citoyens européens. Ces nouvelles procédures

sont elles-mêmes complémentaires des autres canaux

d’opinions que sont les médias, les partis politiques, les

syndicats, les lobbies et les enquêtes d’opinion (ex:

Eurobaromètres).

Défis à venir

Les différentes analyses des consultations citoyennes

s’accordent sur le fait que ces nouveaux instruments ont un

véritable potentiel civique: les citoyens impliqués ont

généralement exprimé de la satisfaction quant à leur

fonctionnement et signalé un accroissement de leur niveau

de connaissance de l’UE et des sujets traités. En d’autres

termes, les consultations citoyennes ont le potentiel

d’améliorer la légitimité de l’UE et de promouvoir une

citoyenneté européenne plus substantielle. Cependant,

l’analyse empirique montre aussi plusieurs faiblesses en ce

qui concerne leur fonctionnement et leur implémentation

ainsi que de leur impact sur le processus politique

européen. Celles-ci peuvent se résumer en trois défis que

les concepteurs des consultations européennes de demain

22

devraient prendre en considération.

Le premier de ces défis la promotion de l’inclusion des

citoyens, qui devrait être aussi large que possible en

favorisant la participation de citoyens - qui ne sont pas

impliqués dans la politique européenne. Il ressort des

analyses effectuées dans cet ouvrage que celles-ci peut au

mieux être promue à travers la combinaison de méthode

participative (à la fois en ligne et en co-présence) et par

le choix des questions débattues. Ainsi les expériences

ECC09 et Ideal-EU qui combinent le interactions

« virtuelles » avec les « réelles » mettent en évidence

qu’une phase ouverte en ligne permet à un grand nombre de

citoyens et/ou de membres de la société civile d'exprimer

leurs opinions, alors que des consultations en face à face

bien organisées et basées sur des critères de sélection

soigneusement définis, enrichissent la consultation avec

des opinions de citoyens qui ne débattraient spontanément

de questions européennes. Comme le montrent Talpin et

Monnoyer (voir chapitre cinq), "l'articulation de différents cadres de

la discussion pourraient par cette perspective permettre une plus grande

inclusion, en permettant de réaliser le potentiel entier de la démocratie

délibérative". Il va sans dire qu'un tel potentiel ne pourra

être réalisé que si un pont entre ces deux phases est

prévu. Dans les deux cas précités, ce pont était absent ou,

trop étroit. La seconde manière pour augmenter l'inclusion

est le sujet du débat. Badouard montre que des thèmes qui

23

sont techniques et d'intérêt spécifique sont plus

susceptibles d'attirer des groupes organisés alors que les

sujets d'intérêt général et facilement abordables, sont

susceptibles d'attirer l'opinion des simples citoyens. En

d'autres termes, il y a une tension entre la complexité des

sujets débattus et la participation spontanée des citoyens

dans le processus d'auto-sélection de ces derniers. Une

telle tension devrait être prise en considération dans

l’élaboration des consultations afin de déterminer la

meilleure méthode pour favoriser l'inclusion du plus grand

nombre.

Un deuxième défi concerne le caractère multilingue et

multiculturel des débats propre aux consultations pan-

européennes. Les consultations analysées ont répondu à ce

défi en favorisant des échanges discursifs entre des

citoyens de pays différents ou bien en favorisant des

échanges discursifs entre les citoyens du même pays sur une

même thématique. Alors qu'une approche pan-européenne

multilingue peut sembler plus attirante du point de vue

humain et civique, elle est particulièrement coûteuse car

elle entraine d’importants frais de transport, de

traduction, et d’hébergement. Ceci implique qu'elle ne peut

que rarement être réalisée et ne profite qu'à un nombre

restreint de personnes. Qui plus est, la « multilinguisme »

présente d’autres dangers. En cas d’absence de traduction

(voir Futurum), il y a un danger que le débat soit dominé

par des locuteurs anglophones natifs. A l’inverse la

24

traduction des débats ralentit en limite la spontanéité et,

ne permet en tout état de cause, que certaines combinaisons

de langues (voir Europolis ou ECC09). C'est pour ces

raisons qu'une consultation pan européenne se basant

principalement sur des consultations nationales, dans

lesquelles les propositions d'autres pays sont discutées

est probablement la solution la plus réaliste sur le long

terme.4

Un troisième défi est l'impact externe des processus

participatifs sur les décisions politiques et/ou sur la

sphère publique au sens large (media, leaders d'opinion,

etc...). Quand bien même les standards pour évaluer

l'impact des consultations européennes devraient être

indulgents en raison de leur nature expérimentale, une

absence totale d'impact n'est pas acceptable. Ce n'est pas

seulement problématique en raison de la frustration que

cela engendre parmi les participants (voir dans cet ouvrage

les chapitres trois, cinq, et sept) mais aussi en ce qui

concerne la qualité des débats. Roger cite l'étude de Ryfe

et celui de Hibbings et Theiss-Morse qui ont trouvé que les

personnes en contexte de face à face5 sont plus enclines à

s’engager dans des consultations de manière critique et à

en accepter les conséquences et si le processus consultatif

4 Il faudrait noter qu'une telle solution n'exclut pas la possibilité d'avoir à un stade postérieur un débat pan-européen, qui se tiendrait en anglais ou, si plus d'inclusion est souhaitée en plusieurs langues de travail. Dans ce cas il est très important de créer une relation claire entre les deux phases de la consultation.5 Il est intéressant de noter que des résultats similaires ont été observés dans le cas de web-débats (Kies 2010)

25

a un impact réel sur la décision. Alors qu'il semble clair

pour tout un chacun que les consultations européennes

devraient, comme tout type de consultation, être au minimum

prises en considération dans le processus décisionnel, il

est inquiétant de noter que les concepteurs des

consultations analysées ainsi que les autorités

destinataire de ces consultations n'aient pas conçue des

procédures garantissant que les consultations soient

considérées. Comme le montrent différentes contributions

dans cet ouvrage, il existe différentes voies à explorer

pour assurer la prise en considération des consultations

européennes par les autorités. La première, probablement le

plus évidente, est de les intégrer en tant que nouvel

instrument participatif officiel dans le processus

décisionnel de l’UE (comme Your Voice in Europe). La table

analytique de Gastil (voir chapitre neuf) peut ici se

révéler un précieux outil pour définir à quel niveau du

processus décisionnel une telle consultation devrait être

introduite. La seconde consiste à s’assurer que la

consultation soit utile pour l'autorité qui la sollicite.

En d'autres termes, une consultation ne devrait pas se

résumer à un acte performatif dont le seul but serait

d'améliorer l'image des institutions européennes, mais

devrait au contraire répondre à un réel besoin d'expertise

que seuls les citoyens peuvent fournir. Si ce n'est pas le

cas, ces consultations encourent le risque d'être perçues

comme un pur exercice de marketing ce qui ne desservirait

26

l’image des autorités européennes. La troisième concerne le

choix de la thématique de la consultation. Le sujet des

consultations devrait être restreint et concret à la fois

dans le but d’engranger des opinions et des propositions

qui soient utiles aux décideurs. Si de simples citoyens ou

même des organisations de la société civile sont invités à

débattre sur des sujets très vastes tels que "le futur

économique et social de l'Europe" (ECC09), "la politique

migratoire en Europe" (Europolis) ou "le changement

climatique" (Ideal-EU), les opinions exprimées ne peuvent

être que très générales et, en conséquence, apparaître

inutiles aux décideurs. Bien que des propositions concrètes

soient recherchés, cela n’implique pas les désaccords

observés entre les citoyens des différents pays soient

ignorés, car l’objectif des consultations européennes ne

doit pas être celui d'obtenir un consensus général parfait

mais celui d'améliorer la délibération entre citoyens et

d'enrichir l'information disponible pour les décideurs.

Comme le dit Gastil dans son chapitre: "les consultations

européennes analysées dans ces ouvrages ne disent pas aux

décideurs comment décider mais pourquoi il est souhaitable

d’arriver à certaines décisions. En fin de compte,

transmettre des recommandations politiques brutes sans

justifications serait le summum de l'ironie pour un

processus délibératif attaché par essence aux règles de la

raison et de l'argumentation".

Enfin les consultations européennes doivent faire face à un

27

problème de crédibilité qui découle de leur mission souvent

imposée par les institutions européenne à travers leur

appel d’offre de contribuer à l’amélioration de leur image

auprès de ses citoyens. Ceci implique donc qu'elles ont été

choisies plutôt pour leur potentiel promotionnel que pour

leur capacité à intégrer à intégrer les voix des citoyens

le processus décisionnel. En conséquence certains choix ont

dû être faits qui sont en décalage avec les principes

délibératifs. Pour commencer, les organisations -

essentiellement des ONG, des think tanks et des universités

- qui ont implémenté les procédures consultatives étaient

généralement en faveur de l'intégration de l'UE ou étaient

directement concernées par le sujet de la consultation.

Dans le cas d'Ideal-EU, par exemple, certains débats en

ligne sur le changement climatique étaient guidés par un

activiste écologiste soupçonné d’avoir volontairement

orienté les débats. Un autre problème connexe est le choix

du sujet qui pourrait avantager certains acteurs politiques

par rapport à d'autres. Dans le cas d'Europolis, par

exemple, il est apparu que les débats sur les changements

climatiques ont influencé de manière significative les

intentions de vote en faveur du parti écologiste. Un

dernier défi possible quant à la crédibilité de ces

évènements est qu’ils ont été évalués dans plusieurs cas

par des chercheurs qui étaient directement impliqués dans

leur implémentation ou qui sont connus pour promouvoir les

méthodes délibératives. Alors que tout a été fait pour

28

s’assurer que les consultations analysées dans cet ouvrage

l’aient été de manière professionnelle et autonome, il

serait souhaitable que dans le futur l'implémentation et

l'évaluation des consultations fussent réalisées par des

personnes différentes afin de ne pas laisser l’espace à des

sentiments de suspicion

Futur des consultations citoyennes européennes?

Les chercheurs et praticiens dans le domaine de la

participation européenne partagent le sentiment que

suffisamment de matériel d'expérimentation a été accumulé

et que le temps est venu pour les autorités européennes de

prendre une décision sur l’opportunité d’institutionnaliser

les consultations des citoyens à l'échelle européenne. Cela

n’est cependant pas susceptible de se produire dans les

années qui viennent. Les consultations européennes

continueront à être expérimentées à travers le plan

d'action comme " citoyens actifs pour l’Europe" (se

terminant en décembre 2013) et la contribution pour leur

implémentation sera réduite en comparaison des programmes

précédents. Ceci implique que des projets importants

transnationaux tels que ECC09 et Europolis ne pourront plus

être implémentés et que les prochains projets participatifs

risquent d'être de plus en plus perçus comme des

instruments promotionnels sans réel impact sur le processus

décisionnel. Un tel déroulement ne pourra porter qu’à plus

frustration parmi les citoyens à une critique grandissante

29

des stratégies participative et plans d’actions dans le

domaine de la citoyenneté européenne.

2013 est l'année européenne de la citoyenneté. C'est une

chance unique pour discuter et décider de la manière

d’exploiter dans l’intérêt des citoyens européens le

matériel et connaissances démocratiques extraordinaires qui

ont été engendrés à travers les différentes consultations

européennes. Nous espérons que cet ouvrage apportera une

contribution valable à ce débat complexe mais nécessaire.

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